(Neuf heures trente-huit minutes)
Le Président (M. Marsan): À l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission de la culture et de l'éducation ouverte.
Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
Avant de poursuivre, j'aimerais vous demander de vous lever. Nous allons prendre une minute de silence à la mémoire de notre collègue Claude Béchard, député de Kamouraska-Témiscouata.
**(9 h 38 -- 9 h 39)**Le Président (M. Marsan): Veuillez vous rasseoir. Le mandat de la commission est de tenir des auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 103, Loi modifiant la Charte de la langue française et d'autres dispositions législatives.
Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?
La Secrétaire: Aucun remplacement, M. le Président.
Le Président (M. Marsan): Merci. Alors, nous allons procéder immédiatement. Je pense que tout le monde a reçu l'ordre du jour.
Remarques préliminaires
Et, comme c'est la coutume, nous débutons par les remarques préliminaires. Nous avons une période de 15 minutes qui est séparée entre le parti ministériel et les partis d'opposition. Mme la ministre, vous disposez d'un peu plus de sept minutes pour vos remarques d'ouverture. La parole est à vous.
Mme Christine St-Pierre
Mme St-Pierre: Merci, M. le Président. M. le Président, mes premiers mots seront pour rendre hommage à Claude Béchard. Il était non seulement un ami et un collègue, mais aussi, en quelque sorte, mon deuxième député, puisque nous sommes originaires de Kamouraska. Nos racines sont profondes. Claude était un amoureux du Québec, un amoureux de la langue française, et j'offre mes plus sincères condoléances à sa conjointe, ses magnifiques enfants et à tous ses frères et soeurs.
**(9 h 40)** C'est donc en pensant à lui, ce matin, que j'ouvre les travaux de cette commission, au cours de laquelle 41 groupes et individus viendront discuter du projet de loi n° 103. Nous aurons des échanges que je souhaite constructifs, dans le respect des opinions de chacun. Donc, je veux saluer mes collègues, ici, de l'Assemblée nationale qui sont parmi nous aujourd'hui, collègues de l'opposition. Je suis accompagnée du chef de cabinet, mon chef de cabinet, M. Philippe Cannon, M. Jacques Gosselin, qui est sous-ministre au Secrétariat à la politique linguistique, mon adjoint parlementaire, le député de Lévis, également la députée de Gatineau et le député de Rouyn-Noranda.
Je veux aussi saluer nos invités qui sont parmi nous ce matin, qui seront les premiers à prendre la parole. Je veux également saluer les téléspectateurs qui nous écoutent ce matin, et qui vont nous écouter tout au long de ces travaux, et qui seront, j'espère... Et ils sauront voir en nous cette volonté de vouloir faire en sorte que les travaux se déroulent de façon constructive.
C'est donc ce matin que nous ouvrons ces travaux. 41 groupes et individus viendront discuter du projet de loi n° 103. Nous aurons des échanges que je souhaite constructifs, dans le respect des opinions de chacun. Je tiens à remercier tous ceux et celles qui se sont donné la peine de rédiger des mémoires. Je salue donc aussi tous mes collègues de l'Assemblée nationale.
M. le Président, vous constaterez au cours de ces travaux que deux visions s'affrontent; d'un côté, une vision radicale, celle du Parti québécois, qui conduit directement à la suspension des libertés individuelles; de l'autre côté, le projet que nous proposons est une démarche légitime et respectueuse des chartes. En effet, M. le Président, le Parti québécois nous demande d'étendre l'application de la loi 101 aux écoles privées non subventionnées anglophones avec la clause dérogatoire qui suspend les libertés individuelles. Or, en 2002, le gouvernement Landry aurait pu faire ce que l'on nous demande aujourd'hui et il ne l'a pas fait. Pourquoi?
Permettez-moi un peu d'histoire. En 1976, le Canada signait le Pacte des Nations unies sur les droits civils et politiques. La même année, le gouvernement du Québec y a donné son assentiment par décret. En 1993, l'ONU blâmait le Québec pour avoir appliqué la clause dérogatoire dans une cause sur la langue d'affichage. Le ministre Claude Ryan avait alors fait adopter par la suite la loi 86 qui stipule la prédominance du français dans l'affichage. Le Parti québécois avait promis d'abolir cette loi, de revenir à l'affichage unilingue, mais il ne l'a jamais fait.
En novembre 1996, lors d'un conseil général du Parti québécois, Camille Laurin et Louise Beaudoin, aujourd'hui députée de Rosemont, ont même été hués lors de ce congrès des membres. Camille Laurin avait tenté d'expliquer les risques de la clause dérogatoire. «Cela produirait, disait-il, l'effet contraire à celui recherché et nous empêcherait d'accéder à la souveraineté...» Fin de la citation.
Quelques mois auparavant, Lucien Bouchard déclarait: «Je ne [puis] envisager l'hypothèse selon laquelle le Parti québécois invoquerait [la] clause dérogatoire [et mettrait] de côté les droits fondamentaux de notre charte pour quelque solution que ce soit en matière linguistique.» Il faut rechercher une autre solution. Fin de la citation. M. le Président, ni René Lévesque ni Camille Laurin n'ont voulu assujettir les écoles privées non subventionnées anglophones à la loi 101.
M. le Président, le projet de loi qui est devant vous ce matin, certes, n'est certes pas parfait, mais il a l'avantage d'être légitime. Nous tendons la main à l'opposition officielle et lui demandons, au nom des intérêts supérieurs du Québec, de travailler avec nous à le bonifier s'il y a lieu. Outre l'interdiction des écoles passerelles, le projet de loi ouvre la Charte des droits et libertés de la personne. Il oblige les collèges et universités à rendre compte de leurs politiques linguistiques respectives. Il permet d'obliger une municipalité à se doter d'une politique de langue française. Et, enfin, il augmente substantiellement les amendes.
Donc, M. le Président, j'écouterai les mémoires, j'écouterai les personnes qui seront devant nous avec énormément d'intérêt. Et, évidemment, j'ai beaucoup de questions à leur poser parce que j'ai pris connaissance des mémoires. Alors, je suis ici pour travailler très fort en fonction d'arriver à l'adoption, par l'Assemblée nationale, du projet de loi n° 103. Merci.
Le Président (M. Marsan): Mme la ministre, je vous remercie. Je vais maintenant céder la parole au porte-parole de l'opposition officielle en matière de langue, M. le député de Borduas. M. le député de Borduas, vous avez une période de cinq minutes.
M. Pierre Curzi
M. Curzi: Merci, M. le Président. Permettez-moi aussi d'offrir mes condoléances à la conjointe, et aux enfants, et aux amis de M. Béchard, qui nous a quittés. Et croyez que je le fais très sincèrement, c'est un homme que nous allons regretter. Alors, mes condoléances les plus sincères.
M. le Président, permettez-moi de vous saluer, de saluer les membres de cette commission, de saluer Mme la ministre de la Culture et des Communications, de saluer aussi mes collègues et toutes celles et tous ceux qui vont participer aux travaux que nous entreprenons aujourd'hui.
Ce matin, nous nous inscrivons dans une longue lignée historique qui débute il y a plus de 400 ans, au moment où une poignée de Français sont venus coloniser une terre qui était déjà habitée par de très nombreux peuples. On s'inscrit dans la résilience d'une nation qui est déterminée à conserver et à faire fleurir une langue et une culture qui sont au coeur de son identité. Ce peuple-là, au fil du temps, est passé de colon à canayen, puis de canayen à canayen français, puis de canayen français à québécois. C'est un peuple qui, au fil du temps, a nommé les différents temps de son évolution.
C'étaient des colons, mais c'étaient aussi des cultivateurs, des hommes des bois, des truchements, des voyageurs, des découvreurs qui étaient soutenus par leur impétuosité, par leur courage, qui étaient contraints par leur nécessité de survivre, qui étaient soutenus et combattus par les autochtones, qui étaient protégés et, en même temps, prisonniers de l'Église. C'étaient des hommes qui ont épousé des femmes d'un courage exemplaire et qui se sont multipliés par des familles nombreuses. Et ce peuple-là s'est donné un pays. Il s'est donné un pays, il l'a nommé, il l'a développé. Là, il s'installe, il décide qu'il va fleurir dans ce pays-là.
C'est dans cette lignée-là qu'on s'inscrit. C'est l'histoire d'une longue accession qui a été marquée par la Conquête, qui a été aussi marquée par les rébellions, par les injustices et le mépris, mais aussi par les victoires et puis par l'arrivée, l'éclosion d'une jeune nation dynamique qui se dévoile à elle-même, qui se met en phase avec le monde et qui se rend compte que, dans ce monde-là, il y a plein d'interaction et que c'est un monde à la fois fort et fragile. Voilà le contexte. Pour nous qui sommes ici, là, actuellement, un des temps forts de notre histoire commune, c'est la Révolution tranquille, qui est arrivée au milieu du XXe siècle, le seul moment -- et je le dis nommément -- où les libertés fondamentales ont été suspendues, et ça s'est appelé la Loi sur les mesures de guerre, et c'est un souvenir pénible pour l'ensemble des Québécoises et des Québécois.
La Charte de la langue française, elle, a été créée par Camille Laurin et par son équipe et elle constitue, à n'en pas douter, un outil essentiel de maintien et de développement de la langue française, devenue la langue officielle du Québec. C'est un temps fort de la Révolution tranquille. Cette loi-là, la loi 101, adoptée en 1977, arrive au terme d'une suite de lois, de manifestations, de déchirements et vient, malgré la formidable opposition qu'elle a soulevée et aussi l'opposition formidable du Parti libéral, elle vient, dis-je, apporter un baume et pacifier les rapports entre la majorité française et la minorité anglaise.
Cette loi reconnaît le droit légitime du peuple québécois d'adopter toutes les mesures qu'il trouve nécessaires pour que le français, langue officielle, soit la langue du travail, la langue de l'Administration, la langue du commerce, la langue de l'affichage, la langue de l'enseignement, bref, en un mot, la langue commune. De plus, ce projet de loi là confirme le respect total des droits de la minorité anglaise et des droits des premières nations. Pourtant, pourtant, il y a peu de lois qui auront été autant attaquées, blessées, contestées. Il y a peu de lois qui auront subi autant de jugements, autant de restrictions, autant d'amputations édictées par une cour suprême d'une fédération dont nous n'avons jamais signé la Constitution.
**(9 h 50)** Malgré tout, malgré toutes ces attaques, la Charte de la langue française tient le coup, bien qu'il soit de plus en plus évident qu'il faut revoir en particulier les chapitres de la langue de l'Administration et de la langue de travail. Au début des années 2000, le gouvernement s'aperçoit qu'il y a une brèche qui permet de contourner l'esprit de la charte par l'utilisation des écoles privées non subventionnées et qu'un nombre grandissant de personnes utilisent cette brèche. Le gouvernement décide alors de légiférer et adopte à l'unanimité la loi n° 104.
On connaît tous maintenant le scénario. La loi est contestée, et la cause se rend jusqu'à la Cour suprême, qui, comme toujours, utilisant la clause 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, va, d'une part, reconnaître le droit légitime du Québec de légiférer puis, en même temps, nous dire que nous exagérons. Il n'y avait rien de plus prévisible que cette décision-là, et pourtant, pendant six ans, il semble que personne au gouvernement n'ait imaginé que la décision nous serait défavorable, bien que toutes les décisions de la Cour suprême l'aient toujours été.
Nous, l'opposition, on réagit à ce moment-là et on dit immédiatement au gouvernement: Appliquez la loi 101, ajoutez à l'article 73 les écoles privées non subventionnées. Et nous ajoutons que, pour clore le débat, là, pour éviter qu'il y ait de coûteuses, inévitables et interminables poursuites juridiques, nous suggérons au gouvernement d'utiliser la clause dérogatoire. Maintenant, je le dis clairement, si le gouvernement n'a pas l'intention et a peur d'utiliser la clause dérogatoire, bien, qu'il ne le fasse pas, mais qu'il retire la loi n° 103, qu'il applique la loi 101, qu'il modifie l'article 73. Et, s'il fait cela, nous voterons avec lui.
Le Conseil supérieur de l'éducation dit exactement la même chose et recommande en mars l'application de la charte. Mais, en mars, parce que le gouvernement aura mis huit mois pour accoucher d'un projet de loi bancal qui consacre le droit d'acheter une éducation en anglais aux francophones et aux allophones qui en ont les moyens ou qui ont des mononcles riches...
Le Président (M. Marsan): M. le député.
M. Curzi: Oui, il me reste... j'ai quasiment fini. Le gouvernement a accouché aussi d'un projet de loi extrêmement complexe, difficile d'application. En conséquence et pour terminer, M. le Président, nous avons, comme la quasi-totalité de ceux qui vont venir défendre leur mémoire... nous croyons que la loi n° 103 doit être retirée. Nous croyons que, si le gouvernement avait peur pour l'image du Québec, il devrait, de toute urgence, instaurer une commission d'enquête sur les accusations de collusion et de corruption dont il est l'objet et qu'au contraire la défense éclairée de notre langue et de notre culture, l'affirmation de notre différence et de notre diversité culturelle font l'envie d'une majorité de pays dans le monde. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Marsan): Merci, M. le député de Borduas. Avant de céder la parole à notre collègue de Chauveau, j'aurais besoin d'un consentement des parlementaires pour lui permettre de prendre la parole. J'imagine que j'ai le consentement de tous les parlementaires? Merci. M. le député de Chauveau et chef de l'Action démocratique du Québec, la parole est à vous.
M. Gérard Deltell
M. Deltell: Merci beaucoup, M. le Président. Salutations aux collègues députés, Mme la ministre. Nos pensées, évidemment, aujourd'hui, vont à Claude Béchard et à sa famille pour qui nous avons, évidemment, beaucoup de sympathie, et nous leur souhaitons tout le courage dans l'épreuve qu'ils vivent actuellement.
M. le Président, le projet de loi qui est à l'étude actuellement est un des projets de loi qui risque d'être le plus important de notre session parlementaire. Et il faut le faire correctement, et nous saluons le fait que la commission parlementaire ait lieu. Et nous avons pu le voir avec les mémoires que nous avons déjà reçus, ça promet d'être rudement intéressant, et nous nous en réjouissons.
Notre parti politique a pris position concernant ce projet de loi. Nous sommes en accord sur le principe du projet de loi, qui vise à ne pas utiliser la clause dérogatoire pour contrer la question des écoles passerelles. Sur ce principe-là, vous avez notre appui. Maintenant, nous avons certaines réserves quant à l'application, et aux façons de faire, et au chemin qui est proposé par le projet de loi.
Nous allons prendre le temps de le faire correctement. Nous allons étudier... nous allons écouter attentivement les recommandations qui sont faites et nous allons... Nous avons quelques idées qui mijotent actuellement dans notre esprit et nous allons pouvoir le faire au cours des prochaines semaines. Et je salue le fait que, justement, la commission parlementaire nous donnera le temps. Parce que, comme on a pu le voir avec le discours de M. le député de Borduas, c'est un sujet qui est extrêmement sensible et qui appelle aux passions, mais il faut le faire, oui, avec passion, mais il faut le faire aussi de façon raisonnée.
Mais fondamentalement, M. le Président, pourquoi sommes-nous confrontés à la question des écoles passerelles? Nous estimons, nous, que c'est parce que les Québécois, des parents québécois souhaitent que leurs enfants soient bilingues, et c'est pour ça qu'ils veulent envoyer leurs enfants dans les écoles anglaises. Notre proposition à nous, que nous avons faite au mois de juin dernier et qui est toujours pertinente, plus que jamais d'ailleurs, c'est de permettre aux enfants d'être bilingues dans notre système d'éducation actuel. Tous les parents souhaitent le meilleur pour leurs enfants, et vivre au XXIe siècle, être bilingue, c'est souhaiter le meilleur pour ses enfants. Et c'est pour ça que nous estimons que, puisque nous dépensons 14 milliards de dollars pour l'éducation, nous avons les moyens, nous avons les compétences, nous avons le talent pour que l'on puisse faire du Québec un Québec français, mais une génération bilingue, et c'est pourquoi nous estimons qu'il faut davantage enseigner l'anglais dès le primaire et qu'en cinquième ou sixième année, comme ça existe déjà dans certaines commissions scolaires et dans certaines écoles, que l'on fasse un enseignement la moitié du temps en français et l'autre moitié de l'année en anglais pour que nos enfants puissent être bilingues. Nous souhaitons un Québec français, mais une génération bilingue, et c'est la raison pour... en faisant ça, ça va contrer immédiatement la question des écoles passerelles. Je vous remercie, M. le Président.
Auditions
Le Président (M. Marsan): Merci, M. le député de Chauveau. Nous accueillons maintenant la Fédération autonome de l'enseignement, et j'aimerais, tout de suite, demander à son président, M. Pierre St-Germain, de nous présenter les gens qui l'accompagnent et, ensuite, de présenter la position de la Fédération autonome de l'enseignement pour une période maximale de 15 minutes. M. St-Germain, vous avez la parole.
Fédération autonome de
l'enseignement (FAE)
M. St-Germain (Pierre): Alors, bonjour. Dans un premier temps, je voudrais joindre ma voix à celle des parlementaires pour offrir nos condoléances à la famille de M. Béchard.
M. le Président, Mme la ministre, Mmes, MM. les parlementaires, on vous remercie de nous recevoir aujourd'hui pour nous permettre de vous livrer de vive voix nos commentaires sur le projet de loi n° 103 et de profiter aussi de l'occasion pour aller plus loin dans la réflexion sur notre avis.
Avant de débuter, donc, vous présenter les personnes qui m'accompagnent: à ma droite, M. Sylvain Mallette, qui est vice-président à la vie professionnelle à la Fédération autonome de l'enseignement; à ma gauche, M. Yves Cloutier, qui est conseiller syndical à la vie professionnelle. Alors, ils auront l'occasion d'intervenir dans le cadre des échanges qui suivront cette présentation.
Alors la Fédération autonome de l'enseignement, la FAE, regroupe neuf syndicats de l'enseignement qui représentent quelque 32 000 enseignantes et enseignants du préscolaire, du primaire, du secondaire, de la formation professionnelle, de l'éducation des adultes, des centres pénitentiaires et également le personnel des écoles Peter Hall et du centre académique Fournier.
Il convient de souligner l'intérêt particulier, fondamental que la FAE porte à la question des écoles passerelles. La FAE représente les enseignantes et les enseignants dans 10 commissions scolaires situées sur toute l'île de Montréal, la région de Laval, des Basses-Laurentides, de la Haute-Yamaska et de l'Outaouais parmi lesquelles on compte les écoles les plus nombreuses et les plus diversifiées sur le plan socioéconomique et socioculturel du Québec. Nos membres enseignent à celles et ceux qui sont nés au Québec, bien sûr, mais également à la très vaste majorité des enfants issus de l'immigration et à leurs parents qui ont choisi le Québec comme terre d'adoption. Ils travaillent et vivent dans des milieux où l'anglais est omniprésent et souvent en compétition avec le français, que ce soit dans les commerces, dans la rue ou encore dans les corridors de nos écoles. Dans ces circonstances, vous êtes en mesure de comprendre la préoccupation que peut représenter pour notre groupe le projet de loi n° 103.
En entrée de jeu, j'aimerais tout de suite souligner que, bien que nous ferons principalement référence à l'anglais, nous ne sommes pas opposés à son apprentissage. Nous conviendrons tous cependant que le français n'est pas en compétition ou menacé par l'hindi ou l'ourdou. L'apprentissage d'une langue seconde, quelle qu'elle soit, est quelque chose de souhaitable. Le problème survient lorsque cette deuxième langue devient, en quelque sorte, un passage obligé pour prendre sa place dans notre société et s'impose au français.
Alors, au sujet des écoles passerelles, rappelons que la Commission des états généraux sur l'avenir de la langue française, la commission Larose, qui s'était tenue, là, au début des années 2000, était déjà en 2001, donc, catégorique dans ses recommandations. Je vous en cite quelques-unes: «Que le gouvernement du Québec prenne les mesures nécessaires pour que le principe général de l'enseignement primaire et secondaire en français soit scrupuleusement respecté. À cette fin, il ne peut être loisible ni permis à des parents résidant au Québec d'acheter pour leurs enfants et leurs descendants le droit constitutionnel de recevoir au Québec [un] enseignement en anglais dans une école publique ou privée subventionnée, à la suite de la fréquentation, souvent [pour] une courte période, d'une école privée non subventionnée donnant l'enseignement en anglais au Québec ou au Canada -- toujours une citation du rapport Larose, donc; que cet effet pervers qui résulte de l'article 23 de la Charte canadienne, adoptée sans l'accord du Québec, soit combattu par tous les moyens disponibles, y compris, le cas échéant, par une modification constitutionnelle soustrayant le Québec à cette disposition.» Alors, il est tout de même étonnant, pour ne pas dire navrant, de se retrouver presque 10 années plus tard à se questionner à nouveau à ce sujet, alors que la question avait déjà été posée et fait l'objet d'un consensus.
Sur un plan statistique, selon le démographe Robert Maheu, le nombre de personnes déclarées admissibles à l'enseignement en anglais grâce à un passage à l'école privée non subventionnée est passé de 628 en 1998 à 1 379 en 2002. Par ailleurs, il signale aussi que la proportion de francophones de langue maternelle qui a été déclarée admissible est passée de 12 % de l'ensemble des personnes déclarées admissibles en 1998 à 23 % en 2002. Il s'agit d'une augmentation de près de 100 %.
**(10 heures)** En ce qui concerne la situation dans la grande région montréalaise, tandis que les effectifs locaux des élèves de langue maternelle française diminuaient, ceux de langue maternelle anglaise augmentaient un peu, et ceux des allophones progressaient rapidement. Ces tendances ont fait en sorte que le poids des francophones sur les effectifs totaux a diminué considérablement.
Malgré la diminution totale des élèves de langue maternelle française, le nombre et la proportion de francophones fréquentant l'école anglaise ont augmenté entre 1991-1992 et 2003-2004 tant sur l'île de Montréal qu'à l'extérieur. Cette tendance qu'ont certains élèves francophones à s'inscrire à l'école anglaise n'a pas été contrée par une augmentation d'élèves anglophones s'inscrivant à l'école française.
Quand on regarde ces données, nous croyons que le phénomène des écoles passerelles doit être pris en compte dans l'augmentation de la fréquentation de l'école anglaise par les francophones, ce qui nous amène à dire que tout laisser-aller risque d'ébranler le fragile équilibre linguistique forgé au fil des ans et, surtout, de remettre en question le vouloir-vivre en français au Québec et la volonté du peuple québécois de se bâtir une société de langue française en Amérique du Nord.
Les modifications à la Charte de la langue française envisagées par le projet de loi n° 103 ne permettent pas de garantir la pérennité du fait français au Québec et ne constituent pas la réponse appropriée au jugement de la Cour suprême sur les écoles passerelles. Selon nous, seul l'assujettissement des écoles privées non subventionnées à la Charte de la langue française par l'utilisation de la clause «nonobstant» est en mesure de concilier les impératifs de protection de la langue française aux obligations constitutionnelles canadiennes.
Cette mesure relève des compétences du Québec, porte sur l'école plutôt que sur l'enfant et permet de se conformer à la décision de la Cour suprême. Elle éviterait également tout l'arbitraire d'un jugement porté sur l'authenticité d'un parcours. Ainsi, il sera désormais clair qu'au Québec les francophones et les immigrants vont à l'école française publique, privée, privée subventionnée ou non subventionnée -- soit dit en passant, on préférerait non subventionnée -- et les personnes anglophones québécoises et les personnes anglophones canadiennes qui satisfont aux critères des articles 23 et 73 peuvent aller à l'école anglaise publique, privée subventionnée ou non. Peuvent aussi s'ajouter à ces derniers les enfants des résidents temporaires auxquels les personnes désignées par la ministre en donnent l'autorisation ainsi que les enfants qui bénéficient d'une exemption spéciale de la ministre.
Est-ce que le phénomène des écoles passerelles menace, à lui seul, le fait français au Québec? Pris de façon isolée, certains diront qu'il est difficile, voire alarmiste, de le prétendre. Toutefois, la question des écoles passerelles ne doit pas être traitée isolément, mais en lien avec d'autres décisions, situations ou pratiques qui ont cours au Québec. Nous sommes, en fait, devant une multitude de morceaux d'un immense casse-tête dans tous les sens du terme qui nous donnent peu d'indices pris individuellement, mais qui réunis nous amènent à tracer un portrait plutôt sombre de la situation linguistique au Québec.
Nous partageons, comme le soulignait le rapport de la commission Larose, qu'en matière de protection de la langue l'approche doit être globale, ce ne peut être seulement que l'affaire d'une législation. La nouvelle approche doit prendre la forme d'une politique large touchant tous les aspects, tous les volets de l'agir collectif, y compris dans sa dimension internationale, sollicitant toutes les fonctions de l'Administration et de ses composantes, interpellant tous les acteurs de la société.
Plusieurs individus et organisations, dont la nôtre, s'inquiètent en raison de l'affaiblissement du statut du français en tant que langue commune. Ainsi, malgré le fait que les francophones soient toujours majoritaires, le poids du français comme langue d'usage a baissé au Québec dans la région métropolitaine et sur l'île pendant la dernière période de recensement. Inversement, l'anglais comme langue d'usage enregistre des gains dans la région métropolitaine et dans l'île mais reste stable sur le territoire du Québec. Selon les chiffres de recensement de 2001 et de 2006 concernant l'île de Montréal, le français diminue en chiffres absolus et en pourcentage tant au niveau de la langue maternelle que de la langue parlée à la maison. Malgré que la population du Québec reste très majoritairement francophone, rappelons que les personnes dont la langue maternelle est le français représentent maintenant 50 % de la population montréalaise. Il est important de tenir compte de ce qui a été observé dans l'île de Montréal et dans la couronne, car les profils linguistiques de ces régions touchent près de la moitié de la population québécoise totale.
Tout ce qui précède permet de réaliser que la langue française comme langue maternelle ne perd pas seulement du poids proportionnellement à la population totale, mais que sa force d'attraction et d'assimilation est de beaucoup inférieure à celle de l'anglais. La proportion des francophones par rapport à la population totale diminue actuellement partout au Québec, notamment dans l'île de Montréal et dans sa couronne où se concentrent les populations anglophones et allophones. Si cette tendance se maintient, imaginons quelle sera la réalité linguistique du Québec, de l'île et de la couronne de Montréal dans les années à venir.
D'aucuns pourraient se demander comment l'anglicisation de l'île de Montréal et de sa couronne peut affecter le reste de la population québécoise. Il suffit de se rappeler que la population de la région de Montréal représente près de la moitié de la population totale du Québec, et en plus de jouer un rôle majeur au plan économique et culturel. C'est donc sur l'île de Montréal que se joue toute la question linguistique au Québec, là où la communauté anglophone est concentrée.
Entre 2001 et 2006, l'anglais a connu de forts taux de croissance partout au Québec, et particulièrement dans la couronne montréalaise. Quel sera l'effet de cette tendance sur les 55 000 immigrants que le Québec envisage d'accueillir chaque année? Or, la FAE est particulièrement inquiète des dispositions actuelles contenues dans le projet de loi n° 103 au regard de la situation du français au Québec, bien sûr, mais surtout dans la grande région de Montréal à cause de l'impact qu'a sur l'ensemble de la société québécoise un affaiblissement du français à Montréal. Pour la FAE, si Montréal perd la bataille du français, c'est tout l'avenir du fait français au Québec et même en Amérique qui est en péril.
Pour mieux comprendre la situation montréalaise, il est important de se pencher sur l'exemple de la région Ottawa-Hull. Entre 1961 et 1971, la croissance démographique sur les deux rives de l'Outaouais se répartissait de façon égale, les populations de langue maternelle anglaise et française connaissaient une augmentation semblable en territoire québécois. Du côté ontarien, la population de langue maternelle anglaise augmentait deux fois plus vite que celle de langue française. Pourtant, pendant la période de 1971 à 1976, la croissance québécoise représentait presque le double de la croissance ontarienne. La population de langue maternelle anglaise augmentait partout beaucoup plus rapidement que celle de langue française. Du côté de Hull, la minorité de langue anglaise progressait de 25,4 %, tandis que la majorité de langue française n'augmentait que de 16 %. Cette majorité francophone en sol québécois est passée de 82,4 % à 80,9 % en l'espace d'un recensement.
Force est de constater, à la lumière de ces données de 2001, que le pouvoir d'assimilation de l'anglais fragilise l'état du français dans la région de Hull-Ottawa. Le bilinguisme dans la capitale nationale fédérale profite à l'anglais par l'anglicisation des allophones et des francophones dans une proportion de 60-40. Il nous faut donc être extrêmement vigilant afin de ne pas reproduire à Montréal cette même situation. À poids égal, l'anglais assimile le français. Or, les dispositions contenues dans le projet de loi n° 103 sont de nature à se propager à tout le Québec et à accentuer ce phénomène déjà observable en Outaouais.
En matière de protection de la langue, il y a lieu de considérer d'autres aspects, notamment la langue de travail, celle des services publics et de la langue enseignée. Au regard de ces trois volets, il faut reconnaître que nous envoyons un message fort ambigu, en particulier aux nouveaux arrivants. Ainsi, malgré les efforts de francisation du monde du travail, l'anglais reste perçu comme la langue de réussite économique au Québec, et ce, particulièrement dans les entreprises de 50 employés et moins situées sur l'île de Montréal. Actuellement, plus de 800 000 personnes, des employés, travaillent au Québec dans des entreprises non soumises aux exigences de la loi 101 en matière de francisation. Il y aurait lieu de modifier les règles actuelles pour faire du français la véritable langue de travail au Québec.
Autre message ambigu: Pourquoi l'État persiste-t-il à offrir des services en anglais aux entreprises, aux personnes morales? On sait qu'une conséquence à cela, c'est l'établissement d'une fonction publique bilingue. Par ailleurs, en ce qui concerne la francisation des personnes immigrantes, l'effort d'accueil et d'encadrement des nouveaux arrivants non francophones doit être accentué. À cet effet, on comprend mal les coupes faites cette année par le ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles et qui ont mené à la fermeture de 30 classes de francisation. Afin de permettre à chacun d'accéder au patrimoine culturel québécois, de comprendre les enjeux de son nouveau milieu, de participer aux débats et aux décisions qui les rapprocheront de la collectivité, il faut, au contraire, accroître l'offre de services en alphabétisation et en francisation. Pour ce faire, le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport devrait être le seul maître d'oeuvre de la francisation des personnes immigrantes.
Toujours au sujet de l'éducation et de la langue, il y a lieu de remettre en question l'enseignement de l'anglais dès le premier cycle du primaire. D'autre part, la Commission des états généraux sur la situation et l'avenir de la langue française recommandait déjà en 2001 qu'à chacun des cycles de cours primaire et secondaire soit formellement vérifiée l'acquisition des connaissances en français conformément aux objectifs définis pour chacune de ces étapes et le code linguistique soit enseigné en bonne et due forme. Nous nous attendons à ce que le ministère de l'Éducation travaille dans cette voie de même qu'au rehaussement de la qualité de l'enseignement de la langue et à l'enseignement également d'une langue de qualité.
En ce sens et en terminant, il apparaît important pour la FAE de rappeler et de réaffirmer que la maîtrise de la langue française est indispensable et permet à toutes et tous d'accéder au patrimoine culturel du Québec, et ainsi d'exercer pleinement leur citoyenneté. La langue française est au coeur de la culture commune au Québec et participe à notre cohésion sociale, et il revient à l'État de prendre toutes les mesures pour la protéger et la promouvoir. Nous vous remercions de votre attention et nous sommes, bien entendu, disponibles pour échanger avec vous.
**(10 h 10)**Le Président (M. Marsan): Je vous remercie, M. St-Germain. Nous allons immédiatement débuter notre période d'échange, et je vais laisser la parole à la ministre de la Culture, des Communications, de la Condition féminine. Mme la ministre.
Mme St-Pierre: Merci. Merci, M. St-Germain. Vous avez fait une présentation très élaborée et vous avez d'ailleurs dépassé votre mémoire, vous avez ajouté des choses à votre présentation. Est-ce que les données que vous nous fournissez ce matin, ce sont des données que vous tirez d'une étude en particulier ou si ce sont des données que vous êtes allés puiser dans les données de Statistique Canada?
M. St-Germain (Pierre): Plusieurs sont issues des données de Statistique Canada. Mon collègue pourra aller plus en profondeur, mais on est allés aussi... il y a plusieurs chercheurs qui se sont penchés sur les questions, notamment MM. Castonguay, Termot, Maheu, l'IRFA également, donc l'Institut de recherche sur le français en Amérique. Donc, ce sont des gens qui, soit par des recherches qu'ils ont menées eux-mêmes ou encore en puisant dans les données de Statistique Canada, ont été, je dirais, collecter ces données-là.
Mme St-Pierre: L'institut de recherche qui est situé à Montréal?
M. St-Germain (Pierre): Exact.
Mme St-Pierre: C'est ça, qui est présidé par monsieur...
M. St-Germain (Pierre): Sabourin.
Mme St-Pierre: M. Sabourin. M. Maheu -- vous en parlez dans votre mémoire -- parle du nombre d'élèves qui ont fait la passerelle pendant un certain nombre d'années avant la loi n° 104, loi n° 104 qui, je vous le rappelle, avait été adoptée en juin mais qui est entrée en vigueur à l'automne, ce qui a permis à 1 300 quelques élèves de passer par la fenêtre, si on veut, cette fenêtre qui avait été ouverte par le gouvernement du Parti québécois.
Alors, j'aimerais revenir sur les données de M. Maheu. M. Maheu, lorsqu'il fait ces données, prend pour acquis qu'il n'y aurait pas d'action de posée. C'est-à-dire il ne prend pas compte du projet de loi n° 103 qui est devant nous avec la solution que nous proposons, il fait, dans ces données, comme s'il n'y avait pas de loi pour essayer de contrer au maximum ce phénomène des écoles passerelles. Est-ce que vous avez, à la lumière de notre projet de loi, demandé à M. Maheu ou à l'institut composé d'éminents chercheurs, est-ce que vous leur avez demandé d'analyser ce que le projet de loi pourrait donner comme phénomène?
M. St-Germain (Pierre): Non, on n'a pas fait de vérification auprès de ces chercheurs-là. Vous comprendrez également que le temps qui était accordé pour répondre au projet de loi était, somme toute, assez court. Mais on présume que ces chercheurs-là viendront vous exprimer eux-mêmes ces considérations-là.
Mme St-Pierre: C'est parce que vous citez M. Maheu, mais dans un contexte où on n'est pas dans le scénario de la loi n° 103. C'est juste pour ça que je voulais savoir si vous étiez capable de me donner un certain éclairage là-dessus. On pourra peut-être le demander à d'autres personnes qui viendront témoigner pendant la commission parlementaire.
M. St-Germain (Pierre): Mais je pense qu'à ce stade-ci on demeurerait, je pense, au stade des spéculations parce qu'à partir du moment où on est dans un nouveau contexte je ne pense pas non plus qu'on puisse supposer, a contrario, qu'il y aurait moins de gens non plus qui utiliseraient le même processus.
Mme St-Pierre: Sur la question de l'application de la loi n° 111, écoles privées non subventionnées, vous êtes conscients... Et, d'ailleurs, à l'interpellation au mois de novembre 2009 le Parti québécois et le député du Lac-Saint-Jean nous disaient: Selon nos experts, le projet de loi, la loi serait contestée si nous... sous sur la liberté d'expression si nous n'appliquons pas la clause dérogatoire, donc il faudrait appliquer la clause dérogatoire. Que pensez-vous de la clause dérogatoire versus le pacte des droits et libertés que le Québec a signé en 1976 en même temps que... en fait, lorsque le Canada l'a signé, et le Québec l'a entériné par décret?
M. St-Germain (Pierre): Vous faites référence à un pacte...
Mme St-Pierre: Pacte relatif aux droits civils et politiques des Nations unies qui avait été signé par le Canada en 1976 et adopté par le Québec par décret.
M. St-Germain (Pierre): Écoutez, il m'apparaît très triste, Mme la ministre, et même désolant qu'on puisse se refuser d'exister de crainte de déplaire et de déranger. Je pense qu'on se doit de s'affirmer. On n'a pas à avoir crainte de s'affirmer comme peuple québécois, et je pense que la protection de la langue française dans le contexte nord-américain nécessite des actions particulières. Nous possédons une langue d'exception, nous sommes un peuple d'exception en terre nord-américaine, et je pense que le tout justifie également des mesures d'exception pour faire en sorte que le français s'épanouisse.
Mme St-Pierre: Est-ce qu'en 2002 vous aviez fait un mémoire aussi lors du projet n° 104, du projet de loi n° 104? Non?
M. St-Germain (Pierre): Non. La Fédération autonome de l'enseignement n'existait pas à ce moment-là, madame. Nous sommes une toute jeune fédération.
Mme St-Pierre: Bon, excusez-moi. Alors, vous avez certainement suivi ces travaux-là. Est-ce qu'à ce moment-là vous êtes capable de nous expliquer pourquoi le gouvernement Landry n'a pas pris cette disposition d'élargir la loi 101 aux écoles privées non subventionnées en y incluant la clause dérogatoire? J'imagine que vous suiviez quand même ça, c'est un sujet qui a l'air à... qui vous passionne là, bien sûr, là, puisque vous êtes dans le domaine de l'enseignement.
M. St-Germain (Pierre): C'est un sujet qui nous passionne, mais, à cette époque-là, nos mandats ne nous amenaient pas en ce sens-là. Puis je pense que M. Curzi serait plus en mesure de répondre à cette question-là que...
Mme St-Pierre: Ah oui! on va lui poser les questions.
M. St-Germain (Pierre): ...que pour nous.
Mme St-Pierre: Maintenant, est-ce que vous auriez des remarques à faire sur les autres aspects du projet de loi? C'est-à-dire on parle de demander aux universités et aux collèges de faire rapport de leur politique linguistique, on pourrait forcer une municipalité à se doter d'une politique linguistique. Nous augmentons les amendes également, nous ouvrons la Charte des droits et libertés de la personne. Vous êtes-vous penchés sur ces autres aspects?
M. St-Germain (Pierre): Non, notre champ de juridiction... Vous savez, notre personnel, le personnel qu'on représente travaille principalement, donc, dans les commissions scolaires, donc on a porté davantage notre attention sur le monde scolaire et les impacts que ça peut avoir dans le réseau de l'éducation.
La question de la langue française nous préoccupe depuis plusieurs années. À l'époque où j'étais président de l'Alliance des professeurs de Montréal, on est intervenus à plusieurs reprises pour faire en sorte que, dans les écoles de la commission scolaire de Montréal, dans les écoles publiques francophones, on parle français dans les corridors. Ça a l'air de rien, là, mais c'était une bataille que l'on devait mener à cette époque. Donc, on s'est davantage limités à cet aspect-là.
Nos membres sont préoccupés par la francisation des nouveaux arrivants, particulièrement nos membres à l'éducation des adultes, qui souhaiteraient que la francisation se fasse de façon plus spécifique et moins fonctionnelle. Ce qu'on constate depuis plusieurs années, c'est une dérive vers l'apprentissage du français de base, donc pour être fonctionnel au dépanneur et dans la société pour le commerce, mais la langue française maîtrisée dans ses fondements les plus profonds, c'est de moins en moins enseigné. Donc, on souhaite un enseignement plus approfondi pour permettre aux gens de mieux maîtriser la langue et, à ce moment-là, de mieux communiquer avec les autres. C'est davantage les volets liés à l'éducation qui ont été l'objet de notre préoccupation.
Mme St-Pierre: Cependant, dans votre présentation, tout à l'heure, vous êtes quand même allés beaucoup plus large que cela. Puisque vous parlez d'éducation, j'imagine que la qualité de l'enseignement du français vous préoccupe beaucoup. Comment expliquez-vous que... Moi, je lis beaucoup les blogues ces temps-ci puis je remarque énormément de fautes de français, de grammaire, ponctuation. Comment expliquez-vous que le français, que la qualité du français chez les enfants soit... en fait, de la grammaire... Est-ce que... Vous êtes quand même dans le domaine de l'enseignement, là, j'aimerais ça, avoir votre opinion là-dessus, est-ce qu'il n'y a pas là aussi un geste à poser de la part des enseignants, de faire en sorte que l'apprentissage du français soit vraiment parfait tant au plan du français parlé que du français écrit?
M. St-Germain (Pierre): On y faisait d'ailleurs référence dans la présentation.
Mme St-Pierre: La lecture aussi, également.
**(10 h 20)**M. St-Germain (Pierre): C'est un élément par rapport auquel on se bat depuis plusieurs années. Je pense que ça fait 30 ans qu'on dénonce les programmes de français qui étaient davantage axés sur la communication plutôt que sur l'apprentissage des règles de base du français, et cette approche d'enseignement du français a amené les dérives que vous identifiez. Et, si je sens à travers votre question une remise en question, peut-être, de qualification d'enseignantes ou d'enseignants par rapport à leur capacité d'enseigner le français, on ne peut pas enseigner ce qu'on ne nous a pas nécessairement bien enseigné. Alors, quand on revendique depuis plusieurs années... Et vous connaissez nos positions par rapport à la réforme de l'éducation, on a revendiqué un enseignement plus systématique de la langue française, le rehaussement des exigences également par rapport à l'enseignement du français. On demande également que ce soient des spécialistes de la langue qui enseignent le français dans les établissements et qu'ils l'enseignent également aux futurs maîtres. Donc, oui, c'est une préoccupation.
Et ce que l'on déplore actuellement, c'est que cette diminution de la qualité du français, bien, fait en sorte que les futurs maîtres sont moins bien formés que ce à quoi on pourrait s'attendre et, à partir de ce moment-là, bien, ne peuvent pas nécessairement, de leur côté, transmettre de façon aussi correcte les fondements de la langue. Donc, il y a un coup de barre important à donner autant au niveau de la formation des maîtres, au niveau des universités que dans nos écoles mêmes pour faire en sorte que toutes les Québécoises et tous les Québécois maîtrisent le français de façon beaucoup plus adéquate.
Mme St-Pierre: J'aimerais avoir une analyse de votre part, une opinion parce que c'est un sujet, j'imagine, que vous suivez depuis plusieurs années. À partir du moment où la loi 101 a été adoptée en 1977, vous aviez certainement suivi ces travaux-là, comment expliquez-vous que le Dr Camille Laurin n'ait pas jugé bon d'appliquer la loi 101 aux écoles privées non subventionnées et également de l'appliquer dans le secteur collégial?
Une voix: Veux-tu répondre?
M. Mallette (Sylvain): Il est un peu difficile de parler à la place du Dr Laurin. Moi, je pense qu'on doit se rappeler le contexte dans lequel la loi 101 a été adoptée, il y avait au Québec, pour la première fois, une affirmation officielle dans le cadre... Je ne veux pas non plus nier, là, l'impact de la loi 22, mais il y avait, à ce moment-là, collectivement une décision qui avait été prise à l'effet qu'on établissait un équilibre linguistique. Et, comme personne ici n'était présent, à ce que je sache, au moment des délibérations qui ont conduit le gouvernement à présenter et à adopter le projet de loi, je pense qu'il serait hasardeux de notre part, là, d'expliquer pourquoi, à ce moment-là, le Dr Laurin et le gouvernement n'ont pas pris cette décision-là. Par contre, ce qui est clair, c'est qu'il y avait un contexte historique. Il y a un équilibre qui a été établi, il y avait aussi des pressions qui ont été exercées par des groupes, des lobbyistes, des groupes d'intérêts. Donc, on ne souhaite pas aborder cette question-là sous cet angle-là parce que ça serait refaire l'histoire, et on ne peut... L'histoire, elle s'écrit avec des faits, elle ne s'écrit pas avec des «si».
Ce qui est clair pour nous, c'est que le projet de loi, pour ce qui concerne les écoles passerelles, n'assure pas à Montréal d'abord et avant tout, parce que c'est là que se joue l'équilibre linguistique au Québec, n'assure pas à Montréal une force... au français à Montréal une force d'attraction suffisante, et c'est là qu'on considère qu'il y a un danger pour les écoles, d'abord, montréalaises, mais aussi par la couronne parce qu'il y a un déversement vers la couronne de ce qui se produit actuellement à Montréal. On n'a qu'à se promener, là, dans certaines grandes surfaces sur l'île de Laval pour constater que la langue de communication, c'est la langue anglaise, qui est utilisée dans les grandes surfaces. On n'a plus besoin d'aller dans l'Ouest de Montréal, là, pour constater ça.
À partir du moment où des étudiants constatent que la langue d'usage, c'est la langue anglaise, bien cette réalité-là, elle se transpose dans les écoles, et elle se transpose dans les classes, et elle se transpose dans les corridors. Quand, au Québec, on doit mener des opérations dans des écoles publiques pour que la langue d'usage utilisée soit le français, bien vous comprenez que la bataille de la langue d'usage dans le travail, elle est loin d'être gagnée, là.
Mme St-Pierre: Alors, vous pensez que l'application de la loi 101 aux écoles privées non subventionnées, qui regroupent environ 4 000 élèves par rapport à 1,2 ou 1,3 million, changerait cette situation?
M. Mallette (Sylvain): Le débat, il ne doit pas porter sur le nombre parce que, s'il porte sur le nombre, on considère que la commission ne se tiendra pas. Elle porte sur le principe. Si, au Québec, on n'admet pas qu'on représente moins de 2 % de la population nord-américaine, que nous parlons une langue minoritaire, on a à se questionner et on a, à partir du moment où on est conscients de ça... on doit nécessairement prendre des décisions, poser des gestes qui vont, oui, nous amener à maintenir l'équilibre linguistique, et c'est tout le débat. Parce que le débat ne doit pas porter sur les droits individuels, mais bien sur le choix collectif que nous faisons de vivre en français.
Et, sur la question de la langue d'enseignement... Parce qu'au Québec, la langue d'enseignement, on fait toujours référence à l'anglais comme si l'anglais était la clé à toutes les solutions. Quand on parle de la langue d'enseignement... une seconde langue, une langue seconde, on identifie systématiquement l'anglais, alors qu'on pourrait très bien parler de l'italien, de l'allemand, le mandarin. Si on veut parler d'une langue où il y a des opportunités économiques, on pourrait très bien parler du mandarin. Mais on est coincés au Québec entre le français et l'anglais et, systématiquement, on va questionner, hein, le français, mais on ne questionne pas l'anglais comme langue seconde, jamais. Il n'y a personne au Québec qui questionne le fait qu'on enseigne d'abord l'anglais. Il existe des cours d'espagnol dans le réseau public. Donc, le débat, il ne doit pas porter sur les droits individuels, il doit porter sur la sauvegarde de la langue française comme langue commune. Et Pierre St-Germain vous l'a indiqué, on ne remet pas en question l'enseignement de la langue anglaise, ça existe, ça doit exister, mais ça ne doit pas être la seule langue seconde enseignée au Québec.
Mme St-Pierre: Que pensez-vous des autres mesures contenues dans le projet de loi, la question d'ouverture de la Charte des droits et libertés, l'augmentation des amendes, le fait de forcer les collèges et universités de rendre compte de leur politique? Est-ce que vous pouvez, vous, de votre côté, m'en parler? Parce que j'ai demandé à M. St-Germain, il dit qu'il ne l'a pas analysé, mais vous êtes quand même capable d'avoir... Vous nous parlez d'une vision quand même assez globale. Lorsque vous parlez des centres d'achats, vous l'avez constaté, vous dites: Bon, est-ce qu'on applique la loi 101 chez les personnes qui vont acheter dans les centres commerciaux? Comment on le fait?
Et je voudrais savoir, par rapport à notre projet de loi, est-ce que vous êtes capable de me dire comment vous réagissez à l'ouverture de la Charte des droits et libertés et aux autres mesures? Il y a quand même des amendes qui sont assez sévères. Sur les écoles, on interdit aussi les écoles passerelles, c'est très, très clair dans la loi.
M. Mallette (Sylvain): Oui. Sur la question -- là, je veux juste être clair -- sur la question de la langue d'usage dans les grandes surfaces, j'indiquais que c'était la langue utilisée entre les employés. Clairement, là, ils s'interpellent...
Mme St-Pierre: C'est du travail, la langue de travail.
M. Mallette (Sylvain): Bon, ce n'était pas la langue de quelqu'un qui va...
Mme St-Pierre: Acheter des souliers.
M. Mallette (Sylvain): ...dans une grande surface, là, ce n'est pas... Je ne parlais pas du client ou de la cliente.
On a indiqué que, d'abord, notre champ de compétence, notre champ d'expertise, c'est le monde scolaire. À titre personnel, je peux bien vous dire que ce sont des éléments périphériques, que je considère comme étant périphériques. Sur la question des amendes, quand on sent le besoin d'augmenter les amendes, c'est parce qu'on constate qu'il y a des comportements qui vont à l'encontre des règles qui avaient déjà été préétablies, pour lesquelles clairement les amendes qui étaient déjà prévues ne réussissaient pas à empêcher le comportement.
Sur la question des municipalités, il faut s'entendre, là. Quelles municipalités sont visées par cette disposition-là? Moi, j'ai été conseiller municipal d'une municipalité sur la couronne nord, 43 000 habitants, langue d'usage, le français, immigration assez limitée dans la mesure où c'est Laval et Montréal qui reçoivent les personnes issues de l'immigration, je... Quel impact réel aura cette mesure-là? Ça, c'est probablement l'Union des municipalités du Québec ou la Fédération québécoise des municipalités qui pourront vous le dire, mais, à mon sens, ce sont des mesures périphériques qui n'apportent en rien... ou qui n'assurent pas la protection et la promotion de la langue française comme langue d'usage. Parce qu'on s'attend, dans une municipalité à 95 % francophone, à recevoir des services en français, ça va de soi. Ce sont donc les municipalités qui reçoivent... ou qui comptent une forte majorité anglophone ou allophone qui sont visées. Et donc c'est qui? Montréal? Laval? C'est ces municipalités-là, là, qui vont être visées, ça ne peut pas être les autres municipalités qui ne connaissent pas cette réalité-là.
Le Président (M. Marsan): Alors, merci, M. Mallette. Nous poursuivons nos échanges avec l'opposition officielle, et je vais céder la parole au député de Borduas, porte-parole de l'opposition officielle en matière de langue. M. le député.
M. Curzi: Merci, M. le Président. D'abord, bonjour, M. St-Germain, M. Mallette, M. Cloutier. Bienvenue. Et merci pour votre mémoire et aussi pour votre présentation. Évidemment, vous allez plutôt dans le sens de nos positions, mais ce que je voudrais établir d'abord, vous êtes la Fédération autonome de l'enseignement et vous représentez des membres, essentiellement, qui oeuvrent à Montréal et dans la grande région métropolitaine. Est-ce que je me trompe?
M. St-Germain (Pierre): Et également dans la région de l'Outaouais et de la Haute-Yamaska. Nous représentons effectivement tous les enseignants de l'île de Montréal, de la région de Laval et des Basses-Laurentides, donc où il y a la plus forte concentration, là, de population allophone et anglaise également, là, au Québec.
M. Curzi: Donc, on peut dire que vos membres sont particulièrement bien informés de la réalité linguistique de l'île de Montréal, puisqu'ils y vivent quotidiennement.
**(10 h 30)**M. St-Germain (Pierre): Exact. Et, d'ailleurs, les services de francisation sont fort développés. Nos commissions scolaires ont mis en place des services de classe d'accueil. Ça fait maintenant plus de 30 ans que ce service-là existe pour les jeunes enfants, là, les immigrants non francophones, qui peuvent donc se faire franciser dans l'école française pour intégrer éventuellement le réseau, c'est-à-dire la classe ordinaire, bien entendu, dans le réseau public, les services de francisation et d'alphabétisation. Parce que, quand on parle de communautés immigrantes, vous comprendrez que plusieurs arrivent non scolarisés ou analphabètes. Donc, ce sont des gens qui sont donc très préoccupés par les services à offrir aux nouveaux arrivants et qui sont aussi très conscients également de la situation linguistique qui sévit à Montréal.
M. Curzi: Donc, on peut dire, en fait... Et c'est ce que vous avez un peu démontré, c'est que votre souci, quand vous regardez, quand vous considérez la loi n° 103, c'est que vous essayez de situer ça dans la réalité que vous vivez, et cette réalité-là, si je comprends bien, vous la voyez non seulement... je pense qu'on pourrait dire se détériorer au fil du temps ou, en tout cas, ne pas s'améliorer quant à l'utilisation du français à Montréal et dans la grande région métropolitaine. Est-ce qu'on peut dire ça?
M. St-Germain (Pierre): Bien, c'est qu'au-delà des statistiques on peut dire qu'on a une expérience terrain. Le message que les gens nous amènent... Mon expérience, moi, d'enseignant, j'étais dans une école francophone de l'est de Montréal et près d'une communauté italienne assez importante, et l'impact de l'anglais se faisait sentir dans les corridors pour toutes sortes de raisons. Les jeunes s'interpellaient entre eux ou tenaient des discussions en anglais, et il a fallu prendre des mesures à un moment donné, là, comme équipe-école pour intervenir auprès des enfants, pour forcer les élèves à parler entre eux en français dans les corridors. Donc, quand on parle du pouvoir d'attraction de l'anglais, il est important.
Hier, était rendue publique une étude par l'IRFA sur le pouvoir d'attraction de l'anglais pour les élèves qui fréquentent le réseau collégial. Donc, au-delà de vouloir apprendre une seconde langue, qui est tout à fait légitime, ce qu'on constate, c'est qu'il y a un transfert par la suite qui se fait. Donc, par l'intermédiaire de l'apprentissage d'une langue seconde, l'anglais en l'occurrence, bien les gens développent un réseau social et développent aussi des... vont aller vers le marché du travail qui va être le plus anglophone et, à un moment donné, bien, oui, vouloir que leur enfant maîtrise également l'anglais, et il y a un transfert, tranquillement, pas vite, qui est en train de se faire. Les chiffres, malheureusement, ne sont pas spectaculaires pour faire la démonstration que, dans l'espace de 10 ans, on a perdu 50 % de la population francophone. Le tout s'amenuise au fur et à mesure, et c'est ce qui est pernicieux dans ce qui se passe actuellement. Et c'est pour ça qu'il faut le voir comme étant une mesure à long terme et de faire en sorte qu'on protège dès maintenant.
Et je voudrais juste rappeler que la situation au Québec, elle n'est pas unique. L'an dernier ou il y a deux ans, il y a un mouvement international qui s'est mis en branle. Différentes organisations syndicales, différents groupes se sont réunis en Europe pour promouvoir le droit de travailler dans la langue d'origine, donc dans la langue maternelle. Alors, que ce soit en France, que ce soit en Italie, que ce soit en Allemagne, les gens se sont regroupés. La concurrence... La place de l'anglais, elle est omniprésente dans le monde. Donc, c'est pour ça qu'il ne faut pas voir la situation au Québec comme étant unique et comme si nous étions les seuls à vouloir protéger notre langue maternelle.
M. Curzi: C'est donc la raison pour laquelle, M. Mallette, en particulier, vous avez dit: Ce n'est pas une question de nombre parce que, même si le nombre était réduit, il vous apparaît... Et je pense que c'est ça, la lecture que vous faites, que vous situez le projet de loi n° 103 dans un ensemble, et, dans cet ensemble-là, il vous semble que c'est une brèche que l'on laisse ouverte, alors que la loi n° 104 l'avait, en quelque sorte, comblée. Ça rejoint, je pense, ce que vous aviez dit. C'est qu'il n'y a pas de négligence possible sur tous les aspects d'une fermeté quant au maintien et, je dirais, à la floraison de la langue française, particulièrement à Montréal. Est-ce que je traduis bien votre pensée?
M. Mallette (Sylvain): Bien, au-delà du fait qu'on instaure un privilège qui ne sera pas... Hein, c'est un privilège. Donc, on permet à des individus d'acheter un droit pour l'enfant et ses descendants, là, de fréquenter une école. Ça, il y a quelque chose de détestable dans cette réalité-là, il y en a qui pourront puis il y en a qui ne pourront pas. Donc, à partir de ce moment-là, il y a une iniquité qui n'est pas acceptable.
Mais, au-delà de ça -- puis je vais utiliser cet exemple-là -- on fait souvent référence à la France comme étant le modèle auquel... Hein, il y a des débats qui animent la France sur l'utilisation de la langue. Si, au Québec... Puis la France peut bien se comporter comme elle se comporte, avec un peu de désinvolture, là, sur la protection de la langue française, elle a l'histoire qu'elle a. Si on parlait le français dans les cours d'Europe, en Russie, là, on parlait le français dans la cour impériale, la France peut bien se comporter comme elle le veut, elle a l'histoire pour supporter la pérennité de la langue. Au Québec, nous n'avons pas cette histoire-là. La réalité qui est la nôtre, c'est que nous représentons 2 % de la population nord-américaine. Et des exemples de disparition de la langue, il en existe en Amérique du Nord. Aux États-Unis, il y a des communautés francophones qui sont disparues en l'espace de quelques générations parce que la langue d'usage, la langue qui était utilisée dans les écoles n'était pas la langue maternelle. On peut bien, aujourd'hui, trouver un peu folklorique, là, la Nouvelle-Orléans, on peut trouver ça un peu agréable, mais c'est cette réalité-là. Et on aura beau dire ce qu'on voudra, nous représentons moins de 2 % de la population nord-américaine, on est aux prises avec cette réalité-là.
M. Curzi: C'est donc dire... Puis je comprends aussi que, quand vous regardez cet aspect-là de la loi qui est l'aspect fondamental, là, le fait de pouvoir acquérir un droit ou d'acheter un droit à une éducation en anglais, les autres mesures qui sont dans ce projet de loi vous apparaissent, vous le disiez, périphériques. Est-ce que vous iriez jusqu'à dire que c'est comme si on enrobait, en quelque sorte, ce qui est dur à avaler avec quelques mesures?
Mais ce que je comprends, c'est que vous n'êtes pas nécessairement des spécialistes dans toutes ces mesures-là, et on le comprend. Mais, en même temps, à première vue, ces mesures-là ne vous semblent pas être des mesures capables de contrer vraiment ce que vous sentez comme glissement linguistique dans la grande région de Montréal. Est-ce que je me trompe encore là en faisant cette conclusion ou en tirant cette conclusion de votre analyse?
M. Mallette (Sylvain): Vous comprendrez, M. le député, que je ne souhaite pas qualifier, là, les décisions qui ont mené, là, à la présentation du projet de loi. Je pense qu'on doit prendre le projet de loi dans son ensemble, pour ce qu'il est. Pour nous, je le répète, on s'est attardés essentiellement, là, à la question des écoles passerelles parce que c'est notre champ de compétence, c'est là que se retrouvent nos expertises. Et je ne souhaite pas qualifier, là, le... Je pense que ça appartient au jeu parlementaire, là, c'est les règles démocratiques que nous nous sommes données qui permettent au gouvernement de faire le dépôt d'un projet de loi.
M. Curzi: Vous souhaitez qu'il y ait des moyens accrus qui soient consacrés à la francisation, l'alphabétisation, et est-ce qu'il y a... Eu égard à l'Office québécois de la langue française, avez-vous, ou ressentez-vous, ou avez-vous eu l'expérience que l'office exerçait pleinement toutes ses juridictions et qu'elle a suffisamment de moyens pour le faire? Avez-vous une expérience quelconque des actions de l'office à cet égard ou si c'est trop loin de votre réalité de l'éducation?
M. Mallette (Sylvain): Bien, non, on n'a pas d'information à ce niveau-là. Par contre, vous faites référence à la francisation. Ce qu'il faut savoir, c'est que, désormais, il y a de la francisation qui se fait à l'extérieur du Québec. Quand des personnes souhaitent immigrer au Québec et dont la langue n'est pas le français, il y a des cours de francisation qui sont donnés à l'extérieur. Ce qu'on dénonce, c'est qu'on ne sait pas, on n'est pas, à ce moment-là, on n'est pas capable de vérifier la qualité de la langue parce que ça relève du ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles. Alors, ce qu'on dit, c'est qu'à partir du moment où l'État québécois se donne comme préoccupation la qualité de la langue française comme outil du savoir-vivre ensemble, là, du vivre-ensemble, bien c'est à l'État de s'assurer de la qualité de la langue qui est enseignée et que ce soit une formation complète.
On l'a indiqué. Quand, aujourd'hui, dans certains cours de francisation, on cible l'utilisation de la langue française à des fins de dépannage, hein, tu dois être capable de parler français dans certaines situations, bien on n'envoie pas le message que la langue française est un outil d'intégration à la collectivité dans laquelle tu arrives, c'est un outil de communication de base. Et ça, on a observé ça depuis un certain nombre d'années, le déplacement de cette responsabilité-là du ministère de l'Éducation vers le ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles. Ça, on peut en parler. Mais, au niveau de l'Office de la langue, il serait présomptueux, de notre part, là, de le faire.
M. St-Germain (Pierre): Peut-être là-dessus, cependant...
M. Curzi: Oui, allez-y.
**(10 h 40)**M. St-Germain (Pierre): ...on a quand même été témoins, dans les dernières années, de sorties publiques, quand même, de membres de l'Office de la langue française ou, dans les médias également, là, de témoignages qui faisaient référence au manque de moyens de l'office ou des membres de l'office pour faire leur travail, notamment pour s'assurer du respect de la langue d'affichage, ou encore d'interventions auprès de comités de francisation dans les établissements pour s'assurer que les règles étaient suivies. Donc, de façon fine, pas nécessairement une connaissance de ce dossier-là, mais l'actualité nous a quand même amené des éléments d'information, là, qui peuvent peut-être répondre à votre questionnement.
M. Curzi: Vous dites que vous adopteriez la clause dérogatoire. C'est-à-dire que si, par exemple, le gouvernement décidait de modifier l'article 73 et d'appliquer la loi 101, est-ce que ça vous semblerait suffisant ou est-ce que, dans votre esprit, la clause dérogatoire doit nécessairement accompagner cette modification-là, l'application stricte de la loi 101, et...
M. Mallette (Sylvain): Sur la question des écoles passerelles, pour nous, c'est clair, on doit éviter que la mécanique qui est suggérée par le projet de loi s'applique. La question de la promotion de la langue française... Et puis ça va au-delà, je vous dirais, à la limite, ça va au-delà du sujet qui nous préoccupe ce matin, là, du projet de loi quand, au Québec, on a, avec la réforme... -- puis vous nous permettrez, là, de revenir sur cette réalité-là -- quand, au Québec, pendant un certain nombre d'années, on a estimé que les connaissances n'étaient plus nécessaires, mais qu'on parlait plutôt de compétences. Là, depuis un an, là, il y a un certain mouvement révisionniste, là, qui veut laisser croire que les connaissances se trouvent dans les compétences, là. Alors, si elles se trouvent dans les compétences, comment se fait-il qu'on ne les avait pas identifiées puis qu'on ne cherchait pas à les évaluer?
À partir du moment où, collectivement, on ne s'assure pas que, dans l'école... Parce que l'école, c'est le lieu où on vit le plus longtemps quand on est un étudiant, C'est là où on va apprendre les règles du savoir-vivre ensemble, c'est là où on va connaître la société dans laquelle on vit. Quand, dès le départ, à l'école, on ne s'assure pas de la qualité de la langue... Et il n'en demeure pas moins que, la langue française, ce sont des règles immuables. Qu'on peut bien adapter, mais ce sont des règles immuables. Et, quand on ne permet pas ou on ne s'assure pas que ces règles-là soient transmises, comprises, assimilées, évaluées, bien on peut bien se questionner sur la pérennité de la langue française. Et c'est ça qui s'est passé au Québec avec la réforme. Au nom de la compétence, au nom d'une idéologie, on a vidé l'essence, qui était les connaissances, on les a éliminées pour ne parler que de compétences. Bien, ça commence aussi à l'école, la protection de la langue française. C'est pour ça que, quand on parle de la protection de la langue française, on parle de l'école, on parle du lieu de travail, on parle de la langue d'usage. Donc, pour répondre à votre question, ça va au-delà de la question qui est proposée.
M. Curzi: Ce que je comprends de votre réponse...
Le Président (M. Marsan): M. le député de Borduas.
M. Curzi: C'est fini?
Le Président (M. Marsan): Il reste une minute.
M. Curzi: Une minute. Ce que je comprends de votre réponse, c'est que, dans le fond, vous dites: Il faut avoir, face à la langue française, une attitude qui soit ferme d'un bout à l'autre, Et le projet de loi est un des aspects, mais il faudrait aussi agir sous d'autres aspects, et toutes les mesures qu'on peut envisager seraient des mesures qui, dans un sens, permettraient de retrouver une sorte de certitude par rapport à la protection de la langue, en tout cas dans le milieu scolaire, dans le milieu qui vous touche. Est-ce que je comprends bien ça? Est-ce qu'on peut conclure ça?
M. St-Germain (Pierre): Oui.
Le Président (M. Marsan): En terminant.
M. St-Germain (Pierre): Et, quelle que soit la loi, encore faut-il s'assurer qu'elle soit appliquée.
Le Président (M. Marsan): Merci. Merci. Je vais maintenant céder la parole au député de Chauveau, chef de l'Action démocratique du Québec. M. le député, vous avez la parole.
M. Deltell: Merci beaucoup, M. le Président. Messieurs, ça me fait plaisir de vous rencontrer. Soyez les bienvenus à Québec. Je me suis vraiment retenu pour ne pas applaudir violemment, avec enthousiasme, le propos que vous venez de tenir sur la qualité de l'enseignement du français. Là-dessus, nous sommes exactement sur la même longueur d'onde. Si nous enseignons un français correct, riche et grammaticalement parfait à nos enfants dès le primaire, il est clair que nous allons améliorer et bonifier la qualité de la langue. Nous estimons que, lorsque nous sommes sûrs et fiers de notre langue, il n'y a pas de gêne à apprendre une autre langue. Au contraire, c'est de bonifier, c'est de... Lorsqu'on est capables d'assumer pleinement ce que nous sommes comme francophones, comme Québec français, il n'y a pas de honte à apprendre une deuxième langue que nous identifions comme l'anglais.
Dans votre propos, tout à l'heure, en disant qu'au Québec on ne questionne jamais quelle doit être la deuxième langue, c'est sûr parce que, lorsqu'on parle français, si on veut vivre au XXIe siècle, c'est de reconnaître la réalité du XXIe siècle, donc, aujourd'hui, il nous faut apprendre l'anglais comme deuxième langue. C'est notre postulat. Mais, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous, on estime que la meilleure façon de contrer le syndrome ou le concept des écoles passerelles, c'est de permettre à nos enfants de devenir bilingues pour que, justement, ils n'aient pas à aller à l'école anglaise pour apprendre l'anglais, mais qu'à l'intérieur de notre système français on puisse leur enseigner l'anglais, un anglais correct qui leur permettra d'assumer les défis du XXIe siècle. Mais, pour ça, il faut qu'à la base on ait un français fort.
Dans votre propos, vous avez dit -- je l'ai pris rapidement, c'est pour ça que j'aimerais vous entendre là-dessus -- vous avez dit qu'il faudrait peut-être remettre en question l'anglais au primaire, je n'ai pas retrouvé ça dans votre texte. Vous l'avez dit -- enfin, je l'ai entendu -- j'aimerais vous entendre là-dessus. Vous aurez compris que c'est un propos que je ne partage pas, mais j'aimerais que vous m'expliquiez votre point de vue là-dessus.
M. St-Germain (Pierre): Depuis environ cinq ans, on a permis... en fait, on a implanté l'enseignement de l'anglais dès les premières années du primaire, une mesure face à laquelle les enseignantes et les enseignants de toute la province se sont objectés. Si on partage le même objectif pour ce qui est de l'apprentissage d'une langue seconde -- bon, vous semblez favoriser l'anglais, mais on vous l'a dit tantôt, dans notre cas, une langue seconde pourrait être autre chose que l'anglais -- pour nous autres -- et il y a plusieurs études aussi qui ont tendance à le démontrer -- la maîtrise de la langue française est la condition de base pour l'apprentissage d'une langue seconde. On sait qu'il y a plusieurs expériences qui vont démontrer que de jeunes enfants qui apprennent l'anglais relativement facilement, sans trop de conséquences sur la langue française, si on poussait plus loin, on s'apercevrait probablement qu'ils sont issus de milieux où la langue française est très bien maîtrisée, et ce qui fait en sorte que le conflit linguistique importe peu. Mais on va comprendre que, dans la grande région de Montréal, avec des enfants qui sont issus d'autres communautés, qui veulent apprendre le français en même temps que l'anglais, éventuellement ça peut poser problème. Ça amène, oui, une maîtrise, une certaine maîtrise de la langue anglaise et une certaine maîtrise de la langue française. Mais, si notre objectif commun est de faire en sorte que la langue française soit vraiment parfaitement maîtrisée, on pense que les deux objectifs s'opposent...
Le Président (M. Marsan): Alors, je vous remercie bien...
M. St-Germain (Pierre): ...et il faudra en arriver peut-être à un enseignement plus intensif de l'anglais plus tard au lieu de commencer plus tôt au primaire.
M. Deltell: On se rejoint. On se rejoint.
Le Président (M. Marsan): Je vous remercie. Et je remercie la Fédération autonome de l'enseignement, M. Pierre St-Germain, M. Sylvain Mallette, M. Yves Cloutier, et j'inviterais maintenant notre prochain invité, Me Louis Bernard, à venir prendre place.
Je vais suspendre pour quelques instants. Merci.
(Suspension de la séance à 10 h 48)
(Reprise à 10 h 49)
Le Président (M. Marsan): ...nous reprenons nos travaux. Alors, nous accueillons Me Louis Bernard. Et, Me Bernard, vous avez une période de 15 minutes pour nous faire votre présentation, nous vous écoutons.
M. Louis Bernard
M. Bernard (Louis): Alors, merci, M. le Président. Merci à tous les membres de la commission de m'avoir invité à présenter mon mémoire. C'est un mémoire court, il ne comporte que trois pages et une page d'annexe. Je n'ai pas l'intention de le lire, mais je vais y référer, là, dans ma présentation.
**(10 h 50)** Au cours de ma carrière dans le secteur public, j'ai été appelé, à plusieurs occasions, à m'intéresser de près à la question linguistique. Ça a commencé avec le projet de loi 22 de M. Bourassa et du Dr François Cloutier et puis ensuite, évidemment, le projet de loi 101 avec M. René Lévesque et le Dr Camille Laurin, et j'ai constaté, à chacune de ces occasions-là, la grande difficulté qu'il y a pour l'Assemblée nationale de légiférer en matière de langue au Québec, et en particulier en raison du contexte constitutionnel dans lequel on est.
Par exemple, lorsque nous avons collectivement adopté la Charte de la langue française, l'intention, c'était de proposer une solution à la question linguistique qui soit stable et qui soit globale de façon à faire du Québec un État français... ou plutôt un État aussi français que possible. Et, malheureusement, quand on regarde les résultats, je pense que le résultat de tout ça, c'est assez mitigé. Par exemple, en ce qui concerne la langue de la loi et la langue des jugements, même les lois de l'Assemblée nationale sont restées bilingues. Lorsqu'on regarde la langue de l'affichage, bien on s'est retrouvé également avec de l'affichage bilingue, même s'il y a une prépondérance pour le français.
Et, quand on regarde la langue du travail, on a vu qu'il y a plusieurs secteurs de la vie économique et sociale du Québec qui échappent à la Charte de la langue française en ce qui concerne le travail. Par exemple, toutes les institutions qui relèvent du Parlement fédéral -- et il y en a plusieurs -- des institutions importantes comme les banques, les institutions de transport, les institutions de télécommunications, évidemment, ce sont tous des secteurs qui ne sont pas soumis à la loi 101 et où la langue de travail reste à la fois l'anglais et le français. Et puis il y a également tout ce qui dépend du Parlement fédéral lui-même, tous les fonctionnaires fédéraux, les Postes, etc. Alors, il reste que, dans le domaine du travail, on peut dire qu'il n'y a pas qu'une seule langue de travail au Québec, soit le français, mais on reste encore très largement, du côté travail, avec des institutions bilingues.
Il y avait l'éducation où je pense que la loi 101 avait réussi à établir une prépondérance vraiment importante, là, pour la langue française, mais est arrivé l'article 23 de la Charte canadienne des droits, et, là aussi, on a commencé à amoindrir l'effet de la loi 101. Évidemment, ça a été d'abord la clause Canada qui a été imposée au Québec, et puis, maintenant, il y a eu l'utilisation de l'article 23 pour les écoles passerelles. Alors, on a dit: Ça n'a pas de bon sens, il faut faire quelque chose. Et puis l'Assemblée nationale a passé la loi n° 104 pour bloquer cet effritement de la loi 101, et puis la Cour suprême a dit: Ah! vous avez bien raison de vous préoccuper, ça pourrait être grave, ça peut être une brèche très importante, mais la manière avec laquelle vous avez procédé, là, on ne l'aime pas. Ça va être difficile, mais trouvez donc d'autre chose. C'est pour ça qu'on se retrouve maintenant devant cette commission avec une nouvelle loi, n° 103, qui essaie justement de corriger le problème.
Il faut voir que le problème... Même la Cour suprême reconnaît que le problème, il est très important. Et je voudrais citer le juge LeBel, qui parlait au nom de la cour en disant: «Toutefois, je ne veux pas nier les dangers que l'expansion illimitée des écoles publiques non subventionnées pourrait présenter pour les objectifs de préservation et d'épanouissement de la langue française au Québec. En l'absence de toute mesure susceptible de contrôler le développement de ce phénomène, les écoles passerelles pourraient devenir éventuellement un mécanisme permettant de manière quasi automatique de contourner les dispositions de la Charte de la langue française portant sur les droits scolaires linguistiques, de créer de nouvelles catégories d'ayants droit en vertu de la Charte canadienne et de rétablir indirectement un régime de libre choix linguistique dans le domaine scolaire au Québec.» Alors, la Cour suprême elle-même dit: Écoutez, ça peut être une brèche très importante, puis on n'aime pas ça, on espère que l'Assemblée nationale va trouver un moyen de bloquer ça, un moyen autre que celui qui avait fait l'unanimité à l'Assemblée nationale. Alors, il faut vraiment que, tout le monde ensemble, on trouve un moyen efficace de colmater cette brèche-là pour que, vraiment, le problème soit réglé.
La situation juridique, c'est la suivante. L'utilisation d'une école de langue anglaise -- et notamment celle d'une école publique non subventionnée -- à titre d'école passerelle dans le but de contourner la Charte de la langue française est illégitime et peut être empêchée légalement. Toutefois, avant de décider que le recours à une école non subventionnée a été fait dans ce but illégitime, il faut examiner le parcours scolaire de l'enfant afin de déterminer si ce recours fait partie ou non d'un «parcours scolaire authentique» -- je mets ça entre guillemets parce que c'est tiré du jugement de la cour, le «parcours scolaire authentique» -- et c'est ce qu'on essaie de faire, là, avec la loi 101. Parce que, dans sa forme actuelle, le projet de loi pas 101, 103... dans sa forme actuelle, le projet de loi n° 103 vise à opérationnaliser cet examen en fixant des balises. Ces balises ont l'avantage de réduire l'arbitraire en autorisant le gouvernement à fixer des conditions de temps et autres critères d'appréciation qui permettront de déterminer l'authenticité du parcours scolaire de l'enfant. Malheureusement, on ne retrouve pas dans le projet de loi lui-même, là, quelles seront ces balises. Mais, par des déclarations ministérielles, on sait qu'une des ces balises-là, peut-être la plus importante, ce sera de faire au moins trois ans dans le système non subventionné.
Alors, moi, je dois vous dire bien honnêtement que, cette approche-là de la loi n° 103, je trouve qu'elle a des dangers et des inconvénients importants et je pense, que si on pouvait trouver d'autre chose un peu dans la même ligne, mais d'autre chose, ça serait, je pense, préférable, et c'est pour ça que j'ai pensé présenter un mémoire, pour vous suggérer une façon différente de procéder.
L'inconvénient majeur de la solution qui est dans la loi n° 103, c'est que, qu'on le veuille on non, ça légitimise l'école passerelle. Ça rend le parcours plus difficile, ça met des obstacles, mais, si on franchit ces obstacles-là, on arrive au résultat qu'on a utilisé les écoles non subventionnées comme une porte d'entrée dans le régime subventionné. Alors, c'est vraiment de reconnaître que la possibilité de l'école passerelle est là. Jusqu'à maintenant, avec la loi n° 104, on disait: C'est illégitime, on n'en veut pas, vous ne devez pas utiliser le régime non subventionné comme une porte d'entrée dans le régime subventionné. Mais maintenant on dit: Bien, on va vous le permettre, mais on va vous mettre des obstacles qu'on espère assez forts pour en empêcher le plus grand nombre possible.
Le deuxième inconvénient, qui découle du premier, c'est qu'en prenant cette voie-là on se trouve à rendre le résultat moins incertain, plus certain. Autrement dit, on dit aux gens: Voici comment vous pouvez procéder pour utiliser ce moyen-là, on met des conditions. Mais, évidemment, la conséquence, c'est que, si on les suit, ces conditions-là, on est pas mal certain de réussir. Alors, tout cet aspect d'incertitude qui existait maintenant à recourir à l'école non subventionnée pour accéder à l'école subventionnée va disparaître.
À l'heure actuelle, vous savez, si vous rentrez dans le système non subventionné avec la loi n° 104, c'était loin d'être certain que la loi n° 104 serait déclarée inconstitutionnelle puis que vous pourriez peut-être accéder à l'école subventionnée. Alors, il y avait une incertitude très grande. Mais, avec le projet de loi, s'il passait tel qu'il est là, bien là il n'y aurait plus d'incertitude, on saurait exactement qu'est-ce qu'il faut faire, on suivrait ça, puis, une fois qu'on a suivi le chemin, puis qu'on a passé à travers tous les obstacles, on se retrouverait avec le droit d'aller à l'école... Et puis je ne vois pas qu'un fonctionnaire puisse dire: Écoutez, vous avez rempli toutes les étapes, mais, moi, je n'aime pas ça puis je vous dis non. Tout de suite, ça va aller en cour puis ça va être renversé.
**(11 heures)** Alors, si on prend cette voie-là, de le permettre tout en mettant des obstacles, la conséquence est que, si on passe à travers les obstacles, on atteint le but. Et ça, je pense qu'il faut voir les conséquences de ça à deux points de vue, du point de vue de l'augmentation qu'il va y avoir, je pense, des personnes qui vont choisir cette voie-là... À l'heure actuelle, comme je vous dis, vous n'avez pas de certitude que, si vous choisissez cette voie-là, vous allez finalement réussir. Alors, vous dites: Je m'engage là-dedans, mais peut-être je vais être obligé d'aller jusqu'au bout. Tandis que, si, maintenant, vous savez: Non, je suis pas obligé d'aller jusqu'au bout, j'ai trois enfants, je vais inscrire le premier pendant trois ans, puis, après ça, tous mes enfants vont avoir droit à l'école anglaise subventionnée, alors, évidemment, vous pouvez calculer le coût puis dire: Bien, je suis prêt à le payer. Alors, vous allez avoir, je pense, beaucoup plus de personnes qui vont se poser la question: Est-ce que je choisis cette voie-là? Est-ce que je suis capable de soit faire les sacrifices ou d'avoir les moyens de le faire? Puis ils vont avoir plus d'inscriptions, je pense, dans le régime non subventionné pour éventuellement passer au système non subventionné.
Il faut également voir l'effet sur les clientèles qui sont déjà là. Alors, vous avez des gens qui sont dans le régime non subventionné puis qui n'avaient pas l'intention ou qui ne pensaient même pas à sortir pour aller dans le régime subventionné. Mais, quand ils vont voir ces critères-là, ils vont dire: Ah! bien, moi, mon enfant, il a fait trois ans, il est déjà éligible, il est déjà admissible, pourquoi je continuerais à payer dans le régime non subventionné? Je vais l'envoyer tout de suite au régime subventionné. Alors, vous allez avoir une augmentation très importante, à mon sens, en septembre prochain de gens qui sont dans le secteur non subventionné qui vont demander d'utiliser l'article 23 pour s'en aller dans le secteur subventionné. Alors, en septembre prochain, Mme la ministre, si le projet de loi reste comme ça, je pense que vous allez être dans une situation assez difficile parce que tout le monde va regarder est-ce qu'il y a une augmentation des demandes, puis je pense qu'il y a des fortes chances qu'il y ait des augmentations de demandes, puis est-ce qu'il y a des augmentations de demandes de transfert, puis je pense que, là aussi, il y a des fortes chances que vous ayez une augmentation substantielle.
Alors, le problème qu'on discute ce matin, dans un an, en septembre prochain, si la loi reste comme telle, moi, je pense que vous allez avoir vraiment des difficultés importantes. Et puis ce n'est pas seulement septembre prochain, ça va être non seulement septembre 2011, mais septembre 2012, septembre... À chaque septembre, les gens vont regarder: Il y a-tu plus d'inscriptions puis il y a-tu plus de demandes de transfert? Alors, je pense que, si on pense qu'on va régler le problème de cette façon-là, je pense qu'on se crée un peu d'illusions. Évidemment, on peut dire: Bon, bien, O.K., avez-vous quelque chose de mieux que ça? Nous autres, on a fait notre possible, on y a pensé puis on est arrivés avec ça, une solution, on la met d'ailleurs à la discussion publique, puis, comme je pense que la ministre a dit, s'il y a des façons d'améliorer la chose, on est ouverts à ça.
Alors, évidemment, il y a la proposition -- ce ne sera pas long, M. le Président -- il y a la proposition de l'opposition, de dire: Bien, prenons la loi 101 puis appliquons ça à toutes les écoles. Moi aussi, moi, j'ai beaucoup de réticences là-dessus parce qu'on se trouverait à punir des gens pour la faute des autres. Il y a des gens qui sont dans le secteur non subventionné, puis qui suivent la loi, puis ils sont corrects, etc., d'un coup sec on va leur enlever ce droit-là. Et, moi, je pense que, quand on a passé la loi 101, on a laissé cette zone de liberté là parce qu'il n'y avait pas de fonds public, puis on l'a laissée, et je pense que c'est un atout de la loi 101. Puis, d'ailleurs, le Dr Laurin s'en est vanté quand il a passé la loi, puis M. Lévesque était très fier de ça. Alors, je pense que, si on l'enlève, on va avoir des problèmes importants parce qu'il y a toutes sortes d'écoles là-dedans. Il y a des écoles ethniques, il y a des écoles religieuses, il y a des écoles qui sont à régime pédagogique privé, etc., c'est une réalité très diversifiée. Alors, je pense qu'enlever ça, il faudrait avoir vraiment des très bonnes raisons.
Puis, ensuite, je suis d'accord avec ce que la ministre a dit, qu'au point de vue réputation internationale, si on passe la clause «nonobstant» -- parce que je pense qu'on serait obligés de la passer -- ça ne serait pas bon pour la réputation du Québec. Et puis, à tous les cinq ans, le problème reviendrait parce que, si on prend la clause «nonobstant», c'est bon pour cinq ans. Alors, à tous les cinq ans, le problème reviendrait, etc. Donc, si on est capables d'éviter d'aller aussi loin que ça, je pense qu'on devrait.
Alors, moi, ce que je vous propose, M. le Président, vous l'avez dans mon mémoire, je termine en disant ça, c'est de procéder différemment. Quand quelqu'un veut inscrire son enfant dans l'école anglaise non subventionnée, il faut qu'il fasse une déclaration solennelle que, premièrement, le projet scolaire authentique, c'est de faire tout son cours dans le régime non subventionné, c'est ça, son projet; deuxièmement, que ce n'est pas un moyen détourné pour contourner les exigences de la loi 101, de la Charte de la langue française. Puis ensuite, si jamais, dans le parcours, on veut faire un changement vers l'école subventionnée, bien il faudra prouver qu'il y a des circonstances qui justifient le changement, que le projet initial n'est plus possible à cause d'un certain nombre de circonstances objectives qui se sont passées.
Le Président (M. Marsan): Alors, merci, Me Bernard. Nous allons poursuivre sûrement à travers nos échanges, et je vais céder immédiatement la parole à Mme la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine. Mme la ministre.
Mme St-Pierre: Merci. Merci, Me Bellemare. Euh, Me Bellemare... Me Bernard. Merci, Me Bernard.
Une voix: ...
Mme St-Pierre: Pourtant... Oui, c'est tout un lapsus. Me Bernard, merci beaucoup pour votre présentation. On a lu votre mémoire avec beaucoup, beaucoup d'intérêt. J'ai noté, évidemment, que vous ne rejetiez pas l'approche que nous proposons. Cependant, vous y voyez certains dangers, vous y voyez une bonification, vous faites une proposition pour une bonification.
J'aimerais vous poser des questions. Puisque vous êtes un juriste, alors vous allez pouvoir m'éclairer et éclairer mes collègues qui sont ici avec moi. Cette déclaration que vous voyez, que les parents signeraient au moment de l'inscription de l'enfant ou de... est-ce que ce serait l'équivalent de renoncer à un droit? Est-ce que ce serait de demander aux parents de renoncer à un droit?
M. Bernard (Louis): Non. Je pense qu'ils n'ont pas de droit, justement, ils n'ont pas de droit. La Cour suprême l'a dit très bien, il n'y a personne qui a droit à l'école passerelle. Alors, quelqu'un qui inscrit son enfant à l'école anglaise, il pourrait continuer à inscrire son enfant à l'école anglaise. Son droit, c'est de pouvoir inscrire son enfant à l'école anglaise. Et la déclaration, c'est de dire: Bien, c'est dans notre projet pédagogique, on veut que notre enfant reçoive l'éducation dans le système non subventionné. Pour toutes sortes de raisons, il y en a plusieurs qui choisissent cette voie-là. Ils ont ce droit-là et ils conservent ce droit-là, mais on leur fait préciser dès le départ que c'est ça, le projet scolaire authentique de l'enfant, c'est ça qu'on envisage et que ce n'est pas une façon détournée de contourner la loi 101. Alors, c'est une déclaration, je dirais, d'intention sur le parcours pédagogique de l'enfant. Alors, ça n'enlève aucun droit, ça ne fait que d'encadrer ce droit-là finalement.
Mme St-Pierre: Si le parent refusait de signer la déclaration, comment on pourrait lui dire: Vous devez signer? Comment pourrions-nous l'obliger?
M. Bernard (Louis): Mais c'est la loi 101 qui l'oblige déjà, alors...
Mme St-Pierre: O.K. Et, selon vous, l'amendement que... Vous nous proposez un amendement dans votre mémoire?
M. Bernard (Louis): Oui.
Mme St-Pierre: Selon vous, cet amendement est assez solide, passe le test, là, si on mettait...
M. Bernard (Louis): Oui. Moi, je pense que oui. Remarquez que c'est très possible que les gens disent: Mais on va le tester devant les tribunaux.
Mme St-Pierre: On va le tester?
M. Bernard (Louis): Oui. Puis c'est possible qu'on remonte devant même la Cour suprême pour savoir si cette manière-là... Comme celle que vous proposez, d'ailleurs, vous savez, les critères que vous allez mettre, n'importe qui va dire: Bien, ils ne sont pas raisonnables, puis il va pouvoir remonter à la Cour suprême pour dire est-ce que c'est raisonnable ou non. Autrement dit, la façon dont on va colmater cette brèche-là des écoles passerelles, il est très possible que ça remonte à la Cour suprême pour que la Cour suprême... Tant que la Cour suprême n'aura pas dit: Oui, ça, c'est une bonne manière, le problème va rester là. Alors, moi, je pense personnellement que ce que je propose a toutes les chances du monde d'être accepté par la Cour suprême parce qu'elle n'enlève aucun droit, elle ne fait que préciser le parcours authentique scolaire qu'on prévoit pour l'enfant et que, si jamais il y a un changement, bien c'est dû à des circonstances objectives, et non pas simplement dire: J'ai changé d'idée.
Mme St-Pierre: Vous en avez parlé un peu dans votre présentation vers la fin, vous êtes quand même de la famille souverainiste, on connaît vos idées politiques je ne pense pas que... Ces idées politiques là sont bien ancrées, et vous ne demandez pas, comme le fait l'opposition officielle, le Parti québécois, l'application de la loi 101 aux écoles privées non subventionnées avec la clause dérogatoire.
**(11 h 10)**M. Bernard (Louis): Non, je ne le demande pas, mais, évidemment, il faut admettre que, si on suivait cette voie-là, ça colmaterait la brèche. Ça, je pense que c'est une façon de colmater la brèche comme celle que vous proposez, vous dites: C'en est une façon de colmater la brèche. L'opposition dit: Je ne l'aime pas, j'en ai une autre, et ça colmaterait la brèche. Donc, on ne peut pas dire que cette solution-là n'est pas efficace, sauf que je dis: Ça va trop loin, dans ce sens que ce n'est pas nécessaire d'aller aussi loin que ça, ce n'est pas nécessaire d'enlever à tout le monde le droit de choisir la façon dont ils vont éduquer leurs parents s'ils paient pour eux, c'est la... Autrement dit, la liberté de choix qui est permise par la loi 101... Il y a une liberté de choix dans la loi 101 qui est là, il n'est pas nécessaire de l'enlever parce qu'on pourrait trouver quelque chose d'autre, et c'est pour ça que je me suis forcé pour trouver une façon qui ne va pas aussi loin que ça, mais qui ferait la job pareil. C'est ça.
Mme St-Pierre: Dans une entrevue à l'émission de Michel Lacombe un samedi, le printemps dernier, Michel Lacombe vous demandait: Lorsqu'on a adopté la loi 101 avec M. Lévesque puis M. Laurin, pourquoi est-ce qu'on n'a pas appliqué la loi 101 à ce moment-là? Et vous avez utilisé une expression, que c'était une zone, un espace de liberté. Vous avez dit: Bien, c'est parce qu'on a voulu laisser un espace de liberté en ce qui concerne l'enseignement comme on en a, des espaces de liberté... Puis là vous donnez l'exemple... Prenez en santé, quand le gouvernement a passé la Loi sur l'assurance maladie, il a dit aux médecins: Si vous voulez sortir complètement de la Loi de l'assurance maladie, vous pouvez donner vos services. Alors, parlez-moi davantage de cette notion d'espace de liberté, qu'est-ce que ça veut dire exactement, qu'est-ce que ça voulait dire dans l'esprit du Dr Laurin puis de M. Lévesque.
M. Bernard (Louis): Oui. Bien, vous savez, la loi 101, quand... Moi, j'ai participé à l'adoption de la loi 101. C'est une entrave à la liberté des gens. La loi 101, c'est une entrave à la liberté des gens, ça dit aux francophones: Vous n'avez pas le droit d'envoyer vos enfants à l'école anglaise. C'est quand même quelque chose de très important. Alors, quand on agit de cette façon-là, il faut agir avec le plus de réserve possible. Il faut aller aussi loin que nécessaire, mais pas plus loin. Et le Dr Laurin et M. Lévesque, et, je dois dire, l'ensemble des gens, à ce moment-là, étaient tout à fait d'accord à dire que, s'il n'y a pas de fonds public, il n'y a pas de justification -- pour le moment, en tout cas -- d'enlever la liberté de choix de la façon d'éduquer ses enfants.
C'est quand même une liberté importante, choisir comment on éduque ses enfants, et, en fait, vous pouvez avoir des écoles au Québec où la langue d'enseignement, c'est l'arabe, ou le grec, ou le chinois pourvu que ce soient des écoles non subventionnées et pourvu, évidemment, qu'ils remplissent les exigences de curriculum du ministère de l'Éducation. Mais c'est une zone de liberté qui existe à l'heure actuelle, puis elle existe depuis la loi 101, et ça a été fait volontairement, et je me rappelle de déclarations du Dr Laurin en particulier où il avait dit: J'attire l'attention sur le fait qu'il y a des zones de liberté qui sont préservées par la loi 101. Alors, c'est cet esprit-là, qu'il ne faut pas aller plus loin que nécessaire quand on brime ou on encadre les droits fondamentaux des personnes, et c'est dans ce sens-là que je me dis: Si ce n'est pas nécessaire d'aller aussi loin que le préconise l'opposition, si on trouve une autre façon, bien je pense que c'est préférable.
Mme St-Pierre: Parlez-nous du contexte aussi de la signature du pacte aux Nations unies, du Pacte sur les droits civils et politiques. Et le fait que Québec ait signé... en fait, a adhéré à ce pacte, est-ce que ça veut dire un engagement, des engagements particuliers? Est-ce que le Québec a une responsabilité par rapport à ces engagements sur la scène internationale?
M. Bernard (Louis): Absolument. Et c'est pour ça que, si on va aussi loin que de dire: Bien, on enlève complètement cette liberté-là, cette zone de liberté qui existe, on l'enlève et puis on est obligés de passer la clause dérogatoire, bien, évidemment, on va avoir de la difficulté à expliquer ça sur la scène internationale, compte tenu du fait que le Québec, c'est un pays de liberté. Moi, je pense qu'on peut être très fiers de la façon dont on respecte les droits des uns et des autres au Québec, c'est un pays de grande liberté au Québec, et ça peut donner le sentiment à l'extérieur que ce n'est pas le cas, qu'il y a des zones où, vraiment, la liberté, les libertés importantes sont mises de côté. Alors, je pense que, pour respecter justement ces engagements internationaux, il faut faire bien attention de ne pas aller plus loin que c'est absolument nécessaire.
Maintenant, je dois vous dire que, s'il n'y a pas d'autre façon de le faire que de prendre la solution qui est préconisée par l'opposition, la menace est tellement grande... La Cour suprême l'a dit, par cette brèche-là, on peut revenir à la liberté de choix, il y a un danger réel, là. Et, s'il n'y a pas d'autre façon d'empêcher ça que d'étendre la loi 101 à toutes les écoles, il faudrait se résoudre à le faire. Mais, d'après moi, on devrait examiner et essayer d'autres façons de le faire avant de s'en remettre à cette solution-là que je trouve être une solution radicale, finalement.
Mme St-Pierre: Est-ce que vous croyez que c'est pour ces raisons-là qu'en 2002... Bon, il y a quand même... c'était le gouvernement Landry, il y a quand même la chef de l'opposition officielle présentement qui siégeait au sein du Conseil des ministres à ce moment-là, il y a Mme la députée de Rosemont qui siégeait au Conseil des ministres à ce moment-là, qui était ministre, il y avait Mme la députée de Pointe-aux-Trembles, je pense, Mme Léger, de Pointe-aux-Trembles, qui siégeait également. Alors, dans le caucus péquiste, il y a des gens qui siégeaient au Conseil des ministres et qui ont certainement dû analyser en 2002 la possibilité d'étendre la loi 101 aux écoles privées non subventionnées. Est-ce que le premier ministre Landry a pu freiner cet élan justement en tenant compte de ce que vous venez de nous dire?
M. Bernard (Louis): Bien, malheureusement ou heureusement, je n'étais pas du tout dans le secteur public à ce moment-là et je n'ai pas de connaissance réelle de ce qui s'est vraiment passé. Alors, je ne peux pas répondre à votre question.
Mme St-Pierre: Mais vous êtes en mesure, quand même, de nous parler, et ça, c'est... vous l'aviez, une connaissance... Vous êtes un véritable témoin de la situation au moment où le Dr Laurin a réfléchi, a pensé la loi 101 et a pris ces décisions-là.
M. Bernard (Louis): Oui, oui, oui, c'est sûr. Mais est-ce que, par exemple, quand on a passé la loi n° 104, est-ce qu'on aurait pu passer tout de suite à rendre la loi... Je pense qu'on a essayé de trouver quelque chose d'intermédiaire. Et on espérait bien qu'on avait trouvé une solution, et, honnêtement, moi, je ne partage pas l'avis de la Cour suprême, je pense que c'est une mauvaise décision. C'est bien beau de dire: Écoutez, c'est une bonne fin, vous avez raison d'agir puis... Mais on n'aime pas ça, essayez donc de trouver d'autre chose. Moi, je pense qu'il faut être réaliste à un moment donné puis dire: Écoutez, si on veut arriver au but, il faut prendre les moyens pour y arriver. Alors, personnellement, je pense que c'est une mauvaise décision de la Cour supérieure, Mais, une fois que c'est rendu, qu'est-ce que vous voulez, on ne peut pas le... La cour s'est engagée dans une voie qui, à mon sens, n'est pas productive avec cette question de l'examen cas par cas, etc. Je n'aime pas du tout ça et je pense qu'ils vont avoir une certaine difficulté à en sortir. C'est pour ça que la solution que je vous propose tient compte des cas, et il y a toujours un examen possible pour voir si, les circonstances ayant changé, on peut changer de régime pédagogique.
Mme St-Pierre: Je vais vous poser une question personnelle: Pourquoi avez-vous senti le besoin de prendre le temps d'écrire un mémoire, de réfléchir, d'analyser le projet de loi? Pourquoi avez-vous senti le besoin de venir parler ce matin et d'expliquer un peu votre point de vue? Puis aussi j'aimerais vous entendre sur les autres aspects du projet de loi comme l'ouverture de la Charte des droits et libertés.
M. Bernard (Louis): Oui. Bon, pourquoi j'ai senti le besoin, c'est parce que je suis très conscient -- je l'ai mentionné au début -- que c'est très difficile de légiférer sur la langue, et je pense que, le gouvernement, ce n'est pas pour rien qu'il a pris un certain temps avant de faire sa proposition. Certainement qu'il y a eu plusieurs discussions du pour, du contre, etc., c'est vraiment difficile de trouver quelque chose, et je me suis dit: Est-ce que, toi, tu serais capable de trouver quelque chose? Et puis je me suis mis à chercher, et puis j'ai trouvé cette formule-là. Bon, je vous la propose. Je ne dis pas que c'est la solution miracle, j'aimerais ça que vous la regardiez attentivement pour voir si elle pourrait tenir la route. J'aimerais également que l'opposition la regarde attentivement parce que, si on pouvait faire l'unanimité de l'Assemblée nationale sur une solution, je pense que ça serait souhaitable.
Pour une question comme celle-là, s'en aller avec l'opposition, d'un bord, qui dit: Non, non, non, ce n'est pas bon, puis on va vous le montrer que ce n'est pas bon, puis on va vous surveiller, puis etc., puis, vous, vous dites: Non, non, non, c'est bon, puis on va vous le montrer, etc., je pense que ce n'est pas idéal. Alors, c'est pour ça que je me suis dit: Est-ce que je peux trouver quelque chose qui... Si les gens se mettaient ensemble, vous pourriez partir de ma proposition puis l'améliorer, je veux dire, je ne le sais pas, moi, je trouve... Mais je trouve que c'est très important que, finalement, on fasse le consensus entre nous sur une question comme celle-là. Parce que, si on remonte à la Cour suprême sur quoi que ce soit puis que ça a été divisé, puis etc., on va être encore... Puis cette question-là, traîner ça tout le temps, tout le temps, d'abord ce n'est pas bon pour les enfants, ce n'est pas bon pour les parents, ce n'est pas bon pour personne. Alors, je me dis: Est-ce qu'on serait capables de...
Alors, c'est pour ça, c'est pour... C'est un sens de devoir social, je dirais, parce que je connais bien le problème et puis parce que j'haïs l'article 23. Je vais vous dire honnêtement, l'article 23, là, si vous me permettez deux minutes là-dessus, si je vous demandais: Qu'est-ce que c'est, l'origine, quand on dit l'origine de cette disposition-là... Comme, par exemple, la Charte de la langue française, c'est le chapitre V des lois de 1977 de l'Assemblée nationale qui est devenu le chapitre C-11 des Lois refondues. C'est ça quand on veut citer, dire... Si je vous demande: L'article 43, c'est quoi, la citation, si vous... L'article 43, c'est le chapitre XI des lois de 1982 du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et de l'Irlande du Nord. C'est ça, c'est une disposition d'un parlement étranger, hein, qui a son autorité à partir de la Conquête de 1760 comme Parlement impérial et colonial et qui a agi, dans ce cas-là, à la demande du Parlement du Canada et du Parlement des autres provinces contre l'opposition du Québec. Alors, c'est ça, on est pognés avec cet article 43 qui est une abomination. Et c'est une des raisons fondamentales pour laquelle on a refusé d'adhérer à la Constitution de 1982, puis on avait parfaitement raison de ne pas adhérer en 1982. Quand on voit le reste du Canada, avec la contribution du Parlement impérial, imposer au Québec des dispositions sur la langue d'enseignement au Québec, moi, je trouve ça épouvantable.
**(11 h 20)**Mme St-Pierre: Merci beaucoup.
M. Bernard (Louis): Alors, ça m'a également motivé.
Mme St-Pierre: Merci.
Le Président (M. Marsan): Merci. Il reste encore deux minutes au parti ministériel, je voudrais céder la parole au député de Borduas. Alors, vous avez la parole, M. le député.
M. Curzi: Merci, M. le Président. Bonjour, M. Bernard, et bienvenue. Vous jouez les grands médiateurs ce matin, mais c'est extrêmement intéressant, d'autant plus intéressant que vous prenez un peu le contre-pied de notre proposition avec des arguments qui, ma foi, méritent d'être regardés. Dans cette proposition-là, au début, ça m'a un petit peu étonné, je me suis dit: Quand même, qu'est-ce qu'on est en train de faire? Est-ce que votre proposition n'a pas pour effet, jusqu'à un certain point, de confirmer un processus encore davantage que ce que vous reprochez à la loi n° 103, au sens où ce que vous dites: Cette déclaration solennelle là fera que les gens qui choisissent la fréquentation des écoles non subventionnées le choisissent définitivement, sauf... Et là «sauf»... Votre phrase, c'est sauf si... Un transfert sera permis s'il y a un changement dans les circonstances affectant l'enfant ou la famille. Évidemment, immédiatement, on se dit: Oups! c'est peut-être là qu'il y a... Et je voudrais vous entendre là-dessus, qu'est-ce que vous voulez dire par des changements, parce que, là, on peut imaginer n'importe quoi.
M. Bernard (Louis): Oui. Bon, bien, alors, évidemment, il peut arriver toutes sortes de choses. Bon. Mais ce qui est important, c'est de bien montrer qu'on n'accepte pas l'école passerelle, hein? En faisant cette déclaration-là, on dit: Mon projet, moi, ce n'est pas d'utiliser l'éducation non subventionnée comme une porte d'entrée. Et ça, je le dis, je l'affirme, ce n'est pas ça, l'intention. L'intention, c'est que mon enfant suive son curriculum à l'intérieur du régime non subventionné. C'est ça, mon projet pédagogique. Bon.
Ensuite, évidemment, est-ce que ça veut dire qu'une fois qu'on a fait ça ce serait définitif et qu'il n'y aurait jamais lieu de changer? Moi, je dis: On peut ouvrir une certaine porte, comme la Cour suprême le laisse entendre, si on examine qu'est-ce que c'est qui pourrait justifier quelqu'un qui était de bonne foi en disant: Je vais aller dans le cours subventionné. Qu'est-ce qui pourrait justifier qu'à un moment donné on soit obligé de changer? Bon, on peut penser, par exemple, à un revers de fortune.
M. Curzi: Oui, c'est immédiatement.
M. Bernard (Louis): Bon. Alors, quelqu'un dit: Écoutez, moi, j'étais en mesure de payer pour la subvention de tous mes enfants, etc., ça coûte 5 000 $ par année -- je ne le sais pas, bon -- mais j'ai perdu ma job, mon entreprise a fait faillite, etc., je ne suis plus capable. Alors, évidemment, là, mon enfant, il est mal pris parce qu'il est dans le secteur anglais, puis, si je ne continue pas dans le secteur anglais non subventionné, ça voudrait dire qu'il s'en aille dans le système français, puis ce n'était pas ça, le projet, puis etc. Donc là, il y a un fonctionnaire, il y a une personne désignée par le ministre qui va se pencher sur ces questions-là, il va examiner le cas, il va voir si, vraiment, son parcours était authentique, s'il y a des circonstances réelles qui justifient le changement, puis il va dire oui ou non.
Alors, je pense que c'est dans ce sens-là qu'on rencontre les exigences de la Cour suprême parce que, dans un cas particulier, on le regarde comme cas particulier puis on dit: Bien, est-ce que les circonstances le justifient ou non? Alors, quelqu'un qui voudrait jouer le système puis qui voudrait s'inventer toutes sortes de circonstances plus ou moins exactes, le fonctionnaire va dire: Bien, non, non. Ça, honnêtement, là, ce n'est pas parce que votre belle-mère est morte que c'est une raison suffisante pour changer ou ce n'est pas parce que telle chose, telle chose, telle chose... Alors, il y aurait un jugement à porter. La conséquence de ça, c'est que personne ne serait certain de pouvoir passer à travers. Autrement dit, cette incertitude, qui est très importante à l'étanchéité du système, va continuer. Autrement dit, ce n'est pas parce que vous rentrez dans le système que vous êtes sûrs de pouvoir en sortir. Vous pourrez en sortir si vous êtes capable de convaincre une personne que les circonstances objectives font en sorte que le projet initial n'est plus possible.
M. Curzi: Donc, ça veut dire que des parents d'enfants francophones ou allophones pourraient décider qu'ils vont envoyer un enfant dans un parcours scolaire qui serait le primaire et le secondaire entièrement privé et que, dans la mesure où ils s'engagent solennellement à le faire, on leur permet de le faire. C'est l'espace de liberté dont vous parlez. Et, si, par hasard, il y avait des conditions, disons, suffisantes qui justifient qu'ils ne poursuivent plus, ils pourraient avoir accès au système public subventionné anglophone. C'est ce que vous dites?
M. Bernard (Louis): Oui. Il y aurait quelqu'un qui poserait un jugement. C'est la personne nommée par le ministre qui poserait un jugement à savoir si, oui ou non, les circonstances le justifient.
M. Curzi: En quelque sorte, vous poussez plus loin ce qui est déjà établi par la loi n° 103, vous le rendez encore plus contraignant selon votre pensée.
M. Bernard (Louis): Oui.
M. Curzi: Et est-ce que, si c'était le cas, est-ce qu'à ce moment-là les frères et les soeurs font aussi partie de ce parcours scolaire qui serait, là, blindé authentique, là? Est-ce que les frères et soeurs et les descendants seraient à ce moment-là... Quelle serait leur situation?
M. Bernard (Louis): Bien, c'est peut-être que oui, peut-être que non. Moi, c'est pour ça que je dis: Il y a un jugement à porter, hein? Il y a quelqu'un qui va se poser la question: Est-ce que la déclaration initiale était authentique? Est-ce qu'elle était... C'est ça exactement. Puis, deuxièmement, est-ce que les circonstances font en sorte qu'on ne puisse pas poursuivre ce projet-là qui était là depuis le début? Est-ce que ça s'applique à un, à plusieurs, etc.? Ça peut être peut-être un enfant qui a un accident, par exemple. Alors, il a un accident qui fait en sorte que, dans le système privé, on n'a pas les moyens de poursuivre l'éducation de cet enfant-là parce qu'il est très, très handicapé, par exemple. Alors, il faut le mettre dans des classes un peu spécialisées, puis ça n'existe pas nécessairement dans les écoles purement privées. Alors, ça pourrait être juste cet enfant-là, seulement cet enfant-là qui pourrait aller à l'école subventionnée. Autrement dit, c'est cas par cas, évidemment. Mais il faut que ce soient des circonstances objectives qui font en sorte que le projet pédagogique initial n'est plus possible.
M. Curzi: Mais des circonstances objectives, ça veut dire que... Dans le fond, est-ce que vous n'avez pas, par ailleurs, le sentiment que, si on adoptait cette solution-là, elle signifierait pour quelqu'un qui a, disons, plusieurs enfants, trois enfants... elle entraînerait forcément des déboursés extrêmement importants, puisque quelqu'un s'engagerait donc, si je comprends le raisonnement, à défrayer entièrement dans le système privé les études an anglais, mais il devrait le faire aussi logiquement pour les frères et les soeurs.
M. Bernard (Louis): Ah oui! Mais c'est le cas avec la loi n° 104, c'est le cas... C'est ce qu'on souhaite. C'est que le choix qu'on donne, vous pouvez choisir le système privé, mais vous devez faire tout votre cours dans le système privé. Avec la loi n° 104, c'était ça. Et c'était ça, le but original. Ce n'est que parce que l'article 23 est arrivé qu'on a dit: Ah! on va utiliser l'article 23 pour changer cette façon de faire là. Alors, le fait que les gens choisissent le système privé puis qu'ils soient engagés pour payer tout le long, c'est ça qu'on dit à l'heure actuelle, c'est ça que la loi n° 104 disait, et c'est ça qu'il faut maintenir, à mon sens, comme régime de... Vous pouvez choisir ça, mais, si vous choisissez ça, vous le payez en entier. Comme, par exemple, un médecin qui sort du régime d'assurance maladie, bien, il faut payer en entier, on ne peut pas revenir après ça. Donc, c'est un choix, mais c'est un choix qui est global.
n(11 h 30)**M. Curzi: Et, comme il y aura... Si quelqu'un voulait sortir de ce système-là pour des raisons fortes, là, qu'on comprend, importantes, il serait quand même soumis à l'arbitraire d'une décision d'un fonctionnaire.
M. Bernard (Louis): Oui, il serait... Arbitraire, je n'aime pas le mot, mais, disons, au jugement...
M. Curzi: Bien, au jugement, oui, disons jugement.
M. Bernard (Louis): ...au jugement. Et puis, évidemment, il y a toujours des recours, hein? Quelqu'un pourrait dire: Bien, ce jugement-là, on va aller devant la cour pour savoir s'il est exact, et puis la cour peut dire: Oui, il est correct, il n'est pas correct, etc. Il y a toujours la surveillance judiciaire d'un acte administratif de cette nature-là.
M. Curzi: Donc, en ce sens-là, il pourrait aussi y avoir des poursuites qui pourraient éventuellement... c'est-à-dire qu'on n'exclut pas complètement la possibilité d'être...
M. Bernard (Louis): Non. Non. Non, comme dans le régime proposé par la loi n° 103, c'est la même chose, il va y avoir des critères, puis l'utilisation de ces critères-là est toujours sujette à une surveillance judiciaire.
M. Curzi: Et, dans votre esprit, la descendance, à ce moment-là, d'une famille, quel que soit le nombre d'enfants, là, on poserait... Vous n'avez pas de réponse à cela parce que...
M. Bernard (Louis): Non. Non. C'est possible que ça donne un droit qui est permanent parce qu'une fois que les parents ont étudié dans un système on s'attend à ce que les enfants puissent étudier dans ce système-là. Et je pense que, vous savez, si la loi 101 fonctionne comme il faut, qu'il y ait quelques membres de la société qui soient un peu différents, ça ne changerait pas l'équilibre général.
M. Curzi: Oui, mais là vous dites que la loi 101... Si on appliquait la loi 101, ce que vous dites, c'est que, là, on restreindrait encore plus la liberté des gens qui veulent envoyer leurs enfants...
M. Bernard (Louis): Bien, dans ce que je propose, on ne la restreint pas. Dans ce que je propose, on ne la restreint pas parce que c'est le régime actuel. Alors, on le maintient, tout simplement, mais on s'assure qu'il ne servira pas à d'autres fins que les fins pour lesquelles il a été fait.
M. Curzi: Et, quand vous arrivez avec cette proposition-là à ce moment-ci de l'évolution, là, de la situation... Parce que, déjà, il y a un projet de loi qui est déposé. Vous qui connaissez particulièrement bien la fonction publique, beaucoup mieux que moi, comment vous pensez que... comment vous envisagez qu'on puisse tenir compte même... ou quels sont les critères que vous établiriez si on voulait, d'aventure, s'entendre et étudier cette proposition-là à son mérite? Parce qu'il y a quand même des fonctionnaires de trois ministères qui ont travaillé pendant huit mois pour accoucher de l'actuel projet de loi n° 103. Vous arrivez avec une proposition qui est complètement neuve ou, en tout cas, qui n'a pas été imaginée par qui que ce soit, et quel est le processus, selon vous, qui permet de tenir compte de ce genre de proposition que vous faites ce matin?
M. Bernard (Louis): Bien, moi, je pense que la ministre, de son côté, peut demander à ses fonctionnaires: Qu'est-ce que c'est que vous pensez de ça? Avez-vous des objections? Est-ce que vous voyez un mérite à ça? Les gens peuvent dire: Bien, on n'y avait pas pensé, peut-être que c'est bon. Ou ils peuvent dire: On y avait pensé, voici telle, telle, telle objection. Moi, je pense que c'est la discussion puis je pense que vous pouvez faire la même chose de votre côté. De votre côté, la même chose, vous avez des conseillers, vous avez... à l'intérieur du caucus, qu'est-ce que vous pensez de ça, etc. Et, si on se met ensemble, si on dit: On va essayer de chercher quelque chose de commun, bien je pense qu'on va être capables de le faire. Moi, j'ai fait un mémoire à un moment donné sur la loi n° 9, qui est dans le domaine municipal. Je m'étais intéressé beaucoup aux fusions, etc., puis il y avait un projet de loi sur les défusions. Et puis j'avais fait un mémoire au ministre, et je dois vous dire honnêtement que ça l'a amené à changer substantiellement sa législation parce que j'ai apporté des points de vue qui n'avaient pas été envisagés, etc., et la mouture finale du projet de loi n° 9 a été bien différente de la première mouture.
Alors, moi, je pense que ces commissions parlementaires là sont utiles dans la mesure où, à un moment donné, il y a des idées qui arrivent. C'est fait pour ça, je pense. Et, bon, si vous trouvez l'idée intéressante, vous pouvez la regarder de votre côté. Regardez, M. Deltell, c'est la même chose chez vous, et puis... et dire: Bien, écoutez, il y a-tu moyen de s'entendre là-dessus? Parce que, moi, je pense que, comme je l'ai dit, s'il y avait moyen de faire l'unanimité sur une solution, ça serait bien, bien, bien préférable.
M. Curzi: J'entends bien. Maintenant, puisque... Là, on parle spécifiquement que vous vous... et votre mémoire se consacre uniquement à des amendements législatifs, donc, pour essayer de trouver une solution qui serait autre que ce qui est présenté puis autre que la position de l'opposition actuellement. Moi, je voudrais vous entendre, parce que vous connaissez drôlement bien cet univers-là de la langue, je voudrais entendre votre opinion sur l'état actuel du français, et particulièrement dans la région de Montréal et dans le Grand Montréal, et votre évaluation à vous, qui oeuvrez depuis de très nombreuses années, sur l'évolution actuelle de la langue française au Québec.
M. Bernard (Louis): Bien, à Montréal... Là, évidemment, je vis à Montréal depuis plusieurs années maintenant, et ce que, moi, je constate et ce que j'entends autour de moi, c'est qu'il y a une dégradation de l'utilisation du français dans le coeur de Montréal. Je ne parle pas des banlieues, mais je parle du coeur de Montréal. On entend beaucoup plus l'anglais, il y a beaucoup plus de gens qui utilisent l'anglais sur la place publique, dans les restaurants, etc. Vous allez dans certains quartiers de Montréal et vous allez vous faire répondre premièrement en anglais. Quand vous allez arriver en quelque part, ils vont vous parler en anglais. Si vous parlez en français, ils vont vous répondre en français. Les communautés connaissent le français. Beaucoup plus de monde, maintenant, connaissent l'anglais. C'est assez rare qu'il y ait des gens qui ne puissent pas converser avec vous en français, mais leur langue habituelle d'un commis à l'autre ou... je dirais, la langue usuelle, c'est l'anglais. Et ça, je vois, moi, qu'il y a une augmentation qu'on peut sentir, qu'on peut voir, qu'on peut constater par rapport à ce qu'il y a, disons, sept, huit ans, 10 ans, là, où on sentait que le français gagnait du terrain.
Moi, je pense qu'à l'heure actuelle, comme langue usuelle, l'anglais gagne du terrain, même si le français a gagné beaucoup de terrain sur sa connaissance du... Autrement dit, les nouveaux arrivants et les anglophones comme tels connaissent bien le français, ils peuvent vous parler en français, ce qui n'était pas le cas autrefois. Mais, dans la langue usuelle des gens, l'anglais reprend du poil de la bête, à mon sens.
Le Président (M. Marsan): En terminant.
M. Curzi: Ah! bien, même si on est d'accord avec le fait qu'il est toujours délicat d'affirmer un droit collectif qui peut, jusqu'à un certain point, être une contrainte pour les droits individuels, est-ce que vous ne pensez pas que, sur la scène internationale, par exemple, le fait que le Québec ait défendu farouchement et avec efficacité une cause comme la diversité culturelle, dont le fondement même est l'affirmation d'une culture qui pourrait être menacée par une culture dominante, ce qui est un peu notre situation au Québec, est-ce que vous ne pensez pas qu'il y a là un gain plus qu'appréciable au niveau de l'image du Québec et que l'ensemble des mesures qu'on pourrait adopter à l'Assemblée nationale sont liées à cet esprit-là, que la diversité est un enrichissement collectif et total, et qu'à cet égard-là nous n'errons pas en essayant de nous assurer qu'elle s'épanouit pleinement?
M. Bernard (Louis): Oui. On n'erre...
Le Président (M. Marsan): M. Bernard, en terminant, s'il vous plaît.
M. Bernard (Louis): On n'erre pas, mais on s'illusionne un peu. Je pense qu'à l'heure actuelle on prend peut-être pour acquis que, parce qu'on fait des gains comme celle-là sur la scène internationale sur la diversité culturelle, que le français se renforce au Québec. Moi, je pense que le Québec n'est pas un pays français, c'est un pays bilingue, et que la force dominante, d'un point de vue linguistique, à cause de la présence des anglophones chez nous et chez nos voisins, continue à éroder le caractère français du Québec. Et, moi, personnellement -- Mme la ministre y faisait référence tout à l'heure -- je pense qu'on ne réussira pas à régler cette question-là par une législation linguistique, mais en faisant du Québec un pays français. Tant qu'on ne fera pas du Québec un pays français, on s'illusionne sur la capacité de notre collectivité de vraiment s'épanouir comme une société francophone.
Le Président (M. Marsan): Alors, je vais maintenant céder la parole au député de Chauveau, chef de l'Action démocratique.
**(11 h 40)**M. Deltell: Merci beaucoup, M. le Président. M. Bernard, c'est un grand bonheur de vous voir ici. Je dirais même: C'est un privilège. Votre témoignage a illustré que nous tous ici avons été témoins de la loi 22, témoins de la loi 101, mais, vous, vous avez été un acteur, un décideur. Et vos propos tout à l'heure concernant les déchirements que pouvaient avoir M. Lévesque et Dr Laurin illustrent très bien que ce n'est pas une question facile, c'est une question à long terme et qui fait appel, oui, à nos sentiments, mais, d'abord et avant tout, aussi à la raison d'État.
Je disais tout à l'heure dans les mots d'introduction que c'était bien, la commission parlementaire, parce qu'on avait différents points de vue, différentes propositions qui allaient être analysés, et je faisais référence à vous, évidemment, parce que votre proposition nous apparaît très intéressante. Et je salue l'ouverture manifestée par l'opposition officielle, le député de Borduas, sur votre proposition.
Maintenant, mon temps étant réduit, j'aimerais simplement vous amener à voir vos réflexions sur notre proposition à nous. Nous, on estime que les Québécois francophones qui font appel à ce qu'on appelle les écoles passerelles, c'est parce qu'ils désirent que leurs enfants soient bilingues. Or, notre position est de dire: Si le système public permet à tous les enfants francophones de devenir bilingues à la fin de leur corpus scolaire, bien, à ce moment-là, il n'y en aura plus, de besoin des écoles passerelles. Et, pour ça, nous estimons que la meilleure façon, c'est d'avoir des cours d'anglais intensifs en cinquième et sixième année, comme il se fait dans certaines commissions scolaires comme au Saguenay et aussi dans plusieurs écoles au Québec. J'aimerais vous entendre là-dessus.
M. Bernard (Louis): Oui. Moi, je suis très favorable à ce que tous les Québécois puissent parler assez couramment l'anglais, c'est un enrichissement. Puis, une fois qu'on a ça, on peut même penser à une troisième langue, etc., c'est l'avenir.
Mais je dois vous dire honnêtement, M. Deltell, que, tant qu'on ne sera pas assurés de notre identité française au Québec, tant qu'on n'aura pas une sécurité identitaire au Québec, on va toujours être réticents vis-à-vis d'autres langues, et en particulier l'anglais, à cause de la force de l'anglais. Alors, moi, je dirais: Il faut agir sur les deux plans. Il faut augmenter la sécurité identitaire des Québécois puis, en même temps, leur dire: Ça va vous permettre, ça, d'être plus accueillants puis d'être plus ouverts aux autres, et en particulier à la langue anglaise. Mais, si on ne réussit pas à régler le problème de la sécurité identitaire, on va toujours avoir une réticence de ce côté-là qui nous nuit. Parce que moins on est sûr de soi, moins on est ouvert aux autres. Et, tant qu'on ne sera pas vraiment sûrs de nous, on va toujours avoir une réticence vis-à-vis les autres. Alors, c'est pour ça que, comme Mme la ministre le disait, j'ai des convictions assez profondes de ce côté-là, et, pour moi, l'avenir du Québec exige qu'on ait les instruments de sécurité identitaire dont on a besoin, puis on ne les a pas, on ne les a pas.
Le Président (M. Marsan): C'est terminé. Je vous remercie. Mme la ministre, vous me faites signe qu'il vous restait deux minutes.
Mme St-Pierre: Oui. J'aurais une petite dernière question. Puisque vous parlez de sécurité identitaire, on parle du Dr Laurin, en 1996 le Dr Laurin avait déclaré devant des militants... Sur la question linguistique, il disait, je le cite ici: «L'aile parlementaire...» Ici, ça dit dans l'article: «L'aile parlementaire a tenté d'exposer les risques pour le Québec d'utiliser la clause dérogatoire...» Donc, c'était lors d'un congrès en 1996. Il y avait M. Laurin, Mme la députée de Rosemont, qui a tenté de calmer un peu les ardeurs, puis M. Laurin -- et je cite ici -- a dit: «Cela produirait l'effet contraire à celui recherché et nous empêcherait d'accéder à la souveraineté...» Fin de la citation.
M. Bernard (Louis): Oui. Bien, c'est la réputation internationale du Québec. Je pense qu'il faut être... Vous savez, si jamais on parle de souveraineté, il y a l'acceptation des autres. On ne peut pas juste dire: On se déclare souverains, puis penser qu'on va l'être. Pour devenir souverain, il faut le vouloir d'abord, évidemment, mais il faut que les autres l'acceptent. Et puis les autres l'acceptent dans la mesure où ils ont une bonne opinion de nous. Alors, s'ils pensent qu'on est un pays qui brime les droits des gens, etc., qui n'a pas une bonne réputation au point de vue de la sauvegarde des droits individuels, bien ça va nous nuire. Et c'est dans ce sens-là qu'il faut être très conscients, très jaloux de notre responsabilité internationale, et c'est pour ça que, si on a moyen d'éviter de brimer davantage les droits des gens, je pense qu'on devrait le faire. C'est bon non seulement pour éventuellement une souveraineté, mais c'est bon pour la santé démocratique de notre société à l'heure actuelle.
Mme St-Pierre: Est-ce que ça nous ramène au pacte sur les droits civils et politiques des Nations unies?
M. Bernard (Louis): Oui, exactement. Il faut être capable de montrer qu'à l'intérieur de ce pacte-là on a fait tout ce qu'on pouvait pour éviter d'envahir, si vous voulez, les droits individuels. Ce qu'on a fait, on peut le justifier à cause de l'importance, et là on peut montrer... Vous savez, juste citer la Cour suprême qui dit: C'est un danger réel, puis il faut faire quelque chose, c'est un argument pour une certaine action à l'intérieur de ce pacte-là parce que c'est la nécessité qui la force. Mais il ne faut pas aller au-delà de ça parce que, là, à ce moment-là, on a de la difficulté à l'expliquer.
Mme St-Pierre: Merci beaucoup.
Le Président (M. Marsan): Merci. Merci, Me Louis Bernard. Ceci termine nos échanges. J'inviterais maintenant les représentants de l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec à venir prendre place.
Nous allons suspendre quelques instants.
(Suspension de la séance à 11 h 45)
(Reprise à 11 h 47)
Le Président (M. Marsan): Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Nous reprenons nos travaux et nous accueillons les représentants de l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec, dont la présidente, Mme Debbie Horrocks. Ça me fait plaisir de vous saluer, Mme Horrocks, et j'aimerais vous demander de nous présenter les gens qui vous accompagnent et de poursuivre ensuite avec une présentation de la position de votre association pour une période maximale de 15 minutes.
Mme Horrocks (Debbie): Merci beaucoup.
Le Président (M. Marsan): La parole est à vous.
Association des commissions scolaires
anglophones du Québec (ACSAQ)
Mme Horrocks (Debbie): Merci. Avec moi, c'est ma vice-présidente, Carolyn Curiale, mon directeur général, David Birnbaum, et la directeur des communications, Kim Hamilton.
Nous voulons offrir nos sincères condoléances à la conjointe et aux enfants de Claude Béchard, ainsi qu'aux amis et collègues de M. Béchard autour de cette table, et au gouvernement pour commencer. Merci.
Le Président (M. Marsan): Merci.
Mme Horrocks (Debbie): L'Association des commissions scolaires anglophones du Québec se présente à vous aujourd'hui au nom de nos neuf commissions scolaires membres et des 105 élèves qui fréquentent nos 340 écoles primaires et secondaires, centres de formation des adultes et centres de formation professionnelle dans tous les coins de la province. Ces élèves représentent l'avenir de notre communauté anglophone. Ils maîtrisent la langue française et ils réussissent leur éducation secondaire à des niveaux que le gouvernement du Québec a fixés pour 2020. Ils bénéficient de l'excellence du personnel enseignant et administratif et des commissaires élus qui appuient l'innovation, exigent la transparence et encouragent la participation des parents. Ils font partie d'un réseau institutionnel qui joue non seulement un rôle vital dans notre communauté, mais représente aussi une grande richesse pour tout le Québec.
L'ACSAQ est ici aujourd'hui parce que nous sommes extrêmement soucieux devant les éventuelles recommandations de ce comité et nous sommes profondément engagés à défendre le principe sur lequel nous croyons que ces recommandations doivent se fonder. Ce principe a guidé notre intervention sur le projet de loi n° 104 devant la Cour suprême. Il dicte comment nous enseignons à nos élèves et ce que nous leur enseignons. C'est un principe qui forme la vision de notre système d'éducation public anglais et sa place au sein de la société québécoise.
**(11 h 50)** Selon ce principe, les écoles publiques anglaises sont des défenseurs, et non des adversaires dans la lutte pour protéger et promouvoir la langue française au Québec. Elles sont vitales non seulement pour l'avenir de la communauté anglophone du Québec, mais aussi pour la capacité de cette communauté à pleinement contribuer en français aussi bien qu'en anglais à la force et au bien-être futur de toute la société québécoise.
C'est pourquoi l'ACSAQ invite le gouvernement et tous les Québécois à se joindre à nous pour appuyer un système scolaire public anglophone stable et vigoureux qui continuera d'épauler le Québec dans sa vigilance légitime et déterminée pour protéger la langue française. Nous ne sommes pas l'ennemi de cette juste cause et, à vrai dire, nous sommes de plus en plus frustrés et découragés d'être traités ainsi par les gouvernements successifs, les partis de l'opposition et les leaders d'opinion.
Si vous acceptez le principe que les écoles publiques anglaises sont des alliées et des atouts pour l'avenir du Québec, il va de soi que le gouvernement doit maintenir les conditions adéquates nous permettant de remplir notre rôle. Les conditions nécessaires comprennent le droit à un accès raisonnable à l'enseignement public en anglais au Québec. Les conditions nécessaires comprennent aussi la reconnaissance que, oui, parfois, la protection et la promotion de la langue française doivent être équilibrées avec le soutien d'un système d'enseignement public en anglais sanctionné par le gouvernement.
We mentioned our increasing anger and discouragement. We hope we will be disabused of those sentiments by the eventual recommendations of this commission, but today QESBA is still waiting, still waiting for a single word to be uttered during the debate on this issue, a single declaration from the Premier of Québec, the Minister of Education, Recreation and Sports, the Leader of the Opposition and the Opposition critics that speaks clearly to the principle of English public schools and their place in Québec's future. We are still waiting for a single acknowledgement that granting some much needed oxygen to our English public schools might actually be a winning solution rather than an impending threat.
Notre frustration et notre découragement ne sont que renforcés par les solutions proposées par le gouvernement dans le projet de loi n° 103 et les réactions qu'il a suscitées de l'opposition officielle. Soyons clairs, le projet de loi n° 103, tel qu'il est rédigé, n'engendrera aucun élève nouveau inscrit dans une école publique anglophone, pas un seul. Nous ne pouvons arriver qu'à une conclusion: le gouvernement n'est pas d'avis que les écoles publiques anglophones sont des atouts au lieu de menaces pour l'avenir du français au Québec. Comment l'ACSAQ et les Québécois anglophones sont-ils censés réagir devant la suggestion persistante du Parti québécois que les pouvoirs extraordinaires en cas d'urgence de la clause «nonobstant» doivent servir à empêcher même un seul élève de fréquenter une école anglaise? Logiquement, nous devons conclure que le Parti québécois croit que ces mesures sont nécessaires devant la menace que représentent les écoles publiques anglaises pour le français au Québec.
Mme Curiale (Carolyn): Donc, si le comité doit aller de l'avant avec...
Le Président (M. Marsan): C'est Mme Curiale. Excusez. Mme Curiale, la parole est à vous.
Mme Curiale (Carolyn): Oui, merci. Donc, si le comité doit aller de l'avant avec les modifications au projet de loi n° 103 concernant l'accès à l'enseignement en anglais, ces modifications doivent s'engager dans une seule direction, soit vers des restrictions allégées de cet accès. Renforcer les restrictions serait absurde et une insulte outrageante. Telles qu'elles sont actuellement, nous le répétons, pas un seul nouvel élève ne sera inscrit dans une école publique anglaise.
La Charte de la langue française combinée à la jurisprudence, qui comprend la décision sur le projet de loi n° 104, limitent déjà l'accès à l'éducation publique anglaise, pour la plupart, à ceux qui ont un parent, un frère ou une soeur qui a fait la grande partie de ses études en anglais au Canada. Les immigrants, incluant les immigrants anglophones qui viennent de New York ou de Londres, sont donc inadmissibles, même s'ils sont maintenant citoyens canadiens. La grande majorité des Québécois, incluant les Québécois anglophones que nous desservons, comprennent et appuient les exigences de la charte dictant que les nouveaux immigrants fréquentent des établissements d'enseignement en français. Les Québécois ont eu plus d'une génération pour s'habituer à ce changement et ont réussi, en général, avec un impact positif visible sur la langue française au Québec. Un impact considérable sur la réduction de la population des écoles publiques anglaises est aussi très visible. Au moment de l'adoption de la Charte de la langue française, les écoles publiques anglaises connaissaient un taux d'inscription de près d'un quart de million d'élèves. À l'heure actuelle, les inscriptions ont chuté à 105 000.
C'est dans ce contexte que le gouvernement a proposé le projet de loi n° 103, qui essaie fondamentalement de reproduire l'effet du projet de loi n° 104 en barrant le chemin qui permet d'aller à l'école privée non subventionnée pour ensuite passer au système public anglais. Le projet réglementaire qui sera annexé au projet de loi n° 103 -- nous nous y attardons ci-après -- obligera les élèves à fréquenter une école anglaise privée non subventionnée pendant au moins trois ans avant d'être possiblement admissibles à fréquenter une école publique anglaise. Une liste de critères additionnels doit ensuite être satisfaite. Nous le répétons clairement, il est fort peu probable qu'un parent veuille imposer ce fardeau à son enfant, tenant compte des risques de refus et de toutes les dépenses que cela entraîne.
Selon l'avis de l'ACSAQ, une meilleure solution est possible -- elle n'est pas parfaite, mais les compromis nécessaires le sont rarement -- si la volonté politique est de la partie. L'ACSAQ propose que la durée de l'enseignement privé non subventionné en anglais soit fixée à deux ans. Ce n'est pas la solution idéale, mais cela permettrait peut-être de régénérer modestement notre taux d'inscription. Nous tenons à informer les membres de la commission que, si le projet de loi n° 103 ne tenait pas compte de la question de l'admissibilité et acceptait la décision de la Cour suprême, 500 à 800 élèves additionnels pourraient bien être admissibles pour l'accès à l'éducation dans le système public anglophone. Il ne faudrait pas oublier que les rédacteurs de la Charte de la langue française et les gouvernements successivement menés par René Lévesque, Pierre Marc Johnson, Robert Bourassa, Daniel Johnson, Jacques Parizeau et Lucien Bouchard ont choisi d'adopter et de maintenir la Charte de la langue française sans les modifications restrictives du projet de loi n° 104, puis, tout à coup, c'est toute la catastrophe, causée, évidemment, par les écoles publiques anglaises.
M. Birnbaum (David): Les écoles passerelles.
Le Président (M. Marsan): M. Birnbaum.
**(12 heures)**M. Birnbaum (David): Nous aimerions prendre quelques instants pour remettre les pendules à l'heure au sujet de deux lignes de pensée plutôt trompeuses qui ont désaxé le débat sur l'accès à l'enseignement en anglais. Le Procureur général du Québec, le chef de l'opposition, la ministre responsable de l'application de la Charte de la langue française ont tous suggéré que l'idée d'assurer l'accès aux écoles publiques anglaises en passant par le système privé non subventionné est comme acheter un droit.
Lors du tribunal sur le projet de loi n° 104, les avocats du gouvernement du Québec se sont fait reprocher cette interprétation fautive à deux reprises par les juges de la Cour suprême. La cour a voulu rectifier le tir et dire que les parents qui, de bonne foi, choisissent cette option le font non pas pour acheter un droit, mais pour bien acheter une éducation, et ce n'est pas une petite distinction. L'ACSAQ aimerait rappeler aux membres de la commission que l'État paie actuellement 0,60 $ pour chaque dollar dépensé avec l'appui inconditionnel du Parti québécois pour chaque Québécois qui décide d'acheter une éducation au privé. Le passage de l'enseignement en anglais, alors, non subventionné à l'enseignement en anglais au public ne présente rien d'illégal ou d'irrégulier, c'est un droit acquis par la citoyenneté, et non pas un droit acheté.
En deuxième lieu, la Cour suprême a invité le législateur du Québec à agir contre les prétendues écoles passerelles. L'ACSAQ ne s'oppose aucunement à ce genre d'action. Nous n'avons identifié une autre fois aucun élève avant l'adoption de la loi n° 104, aucun élève qui se soit rendu dans une école publique anglaise en passant par un établissement d'enseignement de nature si provisoire et transitoire. Alors, on vous invite de regarder comme il faut d'où venaient ces élèves, ils ne venaient pas à nos écoles publiques anglophones.
Le Président (M. Marsan): En terminant, M. Birnbaum.
M. Birnbaum (David): S'il vous plaît, on a commencé un petit peu tard, il me semble que ce n'est pas 10 minutes. Si on peut avoir deux petites minutes... En fait, tout porte à croire que bon nombre des élèves qui fréquentent ce genre d'établissement sont québécois francophones. On tient à vous rappeler que, dans l'affaire Gosselin, la Cour d'appel du Québec a mis fin au mythe voulant que les écoles passerelles permettent aux Québécois francophones d'envahir les écoles publiques anglaises. L'ACSAQ a identifié le modeste nombre d'élèves qui pourraient se retrouver dans nos écoles si le projet de loi n° 103 se voyait modifié en suivant nos suggestions. Selon nos données, ils viennent d'écoles anglaises privées non subventionnées reconnues et accréditées, et non d'établissements sans scrupule créés dans le seul but de faire des profits au profit de la pédagogie...
Mme Horrocks (Debbie): ...en conclusion?
Le Président (M. Marsan): En conclusion, s'il vous plaît.
Mme Horrocks (Debbie): C'est beau. L'ACSAQ a examiné le projet réglementaire respectant les critères et la pondération applicables pour la prise en compte de l'enseignement en anglais reçu d'un établissement d'enseignement privé non agréé aux fins de subvention. Le document comprend des graphiques, tableaux, formules qui donneraient du fil à retordre à un lauréat du prix Nobel de physique quantique. À première vue, il nous semble que ce règlement, s'il est adopté, exigera de nombreuses heures d'analyse et de recherche, sans compter les contre-interrogatoires importants des parents qui... tenant d'obtenir l'admissibilité pour l'enseignement en anglais.
Le système public d'enseignement en anglais est une partie vitale du Québec. L'ACSAQ s'adresse à vous aujourd'hui en espérant un signe de reconnaissance à cet effet. Ceci n'est pas un jeu à somme nulle. Il est possible pour tous les participants de sortir vainqueurs si vous leur donnez l'occasion. Merci.
Le Président (M. Marsan): Je vous remercie pour votre présentation. Simplement pour vous faire remarquer que, même si nous avons commencé nos travaux avec quelques minutes de retard, nous n'avons pas coupé dans le temps que vous nous avez présenté, vous avez légèrement dépassé. Et je vous remercie, et je cède maintenant la parole à la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine. Mme la ministre.
Mme St-Pierre: Merci. Merci pour votre exposé. Félicitations pour la qualité de votre français. Vous parlez des écoles passerelles à la fin de cette présentation et vous semblez dire le contraire, un peu, de ce que le juge LeBel a dit dans son jugement de la Cour suprême. Le juge LeBel reconnaît vraiment qu'il y a des parents qui... Il dit: «Toutefois, je ne veux pas nier les dangers que l'expansion illimitée des écoles publiques non subventionnées pourrait présenter pour les objectifs de préservation et d'épanouissement de la langue française au Québec. En l'absence de toute mesure susceptible de contrôler le développement de ce phénomène, les écoles passerelles pourraient devenir éventuellement un mécanisme permettant de manière quasi automatique de contourner les dispositions de la Charte de la langue française portant sur les droits scolaires linguistiques, de créer de nouvelles catégories d'ayants droit en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés et de rétablir indirectement un régime de libre choix linguistique dans le domaine scolaire au Québec.» Alors, c'est simplement pour vous signaler que même la Cour suprême du Canada, même si nos amis n'aiment pas la Cour suprême du Canada, a quand même reconnu qu'il y avait eu un phénomène d'écoles passerelles. Et on a quand même au ministère des chiffres qu'on pourrait vous montrer qui sont assez éloquents, avant la loi n° 104 il y avait, on notait, là, une augmentation, là, il y avait comme quelque chose, là, il y avait quelque chose qui se passait. C'est pour ça que le gouvernement a agi, puis la loi a été adoptée à l'unanimité aussi.
M. Birnbaum (David): Nous avons la tâche de représenter nos neuf commissions scolaires et nous travaillons de façon quotidienne sur la question d'accès à l'école anglaise avec les bureaux d'admissibilité, tout ça. Et nous ne pouvons pas nous prononcer sur les ayants droit ou aussi les gens qui auraient pu peut-être passer d'une école non subventionnée à une école privée, mais on le dit et on le tient, on a vu les chiffres du ministère lors des tribunaux, nous insistons là-dessus, nous n'avons pas réussi à identifier un seul élève qui est passé d'une école dite passerelle, une école... Il en a existé qui étaient là pour profiter des gens qui passaient pour une année ou deux. Les élèves, évidemment, on ne le nie pas, on parle de 500 à 800 élèves qui ont fait un parcours à une école privée non subventionnée qui existe depuis des années, the Kuper Academy à Stanstead, ou ces écoles très bien établies et reconnues par le ministère de l'Éducation, qui ont fait les années requises, qui se sont présentés aux écoles publiques anglophones après. Et on insiste là-dessus aussi, on parle de quelque 500 à 800 élèves. Les élèves qui sont venus des écoles dites passerelles -- et il y en a à Granby, il y en a partout -- ils ne sont pas venus aux écoles publiques anglophones du Québec. C'est ça.
Mme St-Pierre: O.K. Donc, vous n'acceptez pas le postulat suivant lequel des parents, certains parents ont tenté de contourner la Charte de la langue française.
M. Birnbaum (David): Nous insistons qu'avant 2002, voilà, il y avait une façon légitime selon... aux yeux de la Constitution canadienne et de la Charte de la langue française, adoptée en 1977, qu'on pouvait se servir de notre droit avec limitations en se rendant éligibles pour l'école anglaise publique en faisant une période d'au moins une année dans une école privée non subventionnée. On tient à vous rappeler, parce qu'on parle souvent... On vous invite de prendre avec un grain de sel les manchettes du Devoir de ce matin. La règle Gosselin de la Cour suprême est très claire, on est francophone du Québec, on ne fait pas le passage à l'école anglaise publique. Alors, qu'on soit clair là-dessus.
Mme St-Pierre: Alors, j'aimerais entendre votre réaction sur la proposition de Me Bernard, que vous avez entendu certainement avant votre présentation. Est-ce que vous avez entendu votre prédécesseur?
M. Birnbaum (David): Non.
Mme St-Pierre: Non. O.K. Alors, ça va. Je voudrais aussi parler d'une façon plus générale. Vous savez que le taux de natalité au Québec a augmenté depuis les dernières années, et on assiste à un petit baby-boom. Et vous parlez aussi de régénérer modestement la clientèle des écoles anglophones, donc j'imagine que, du côté des anglophones, il y a également une augmentation du taux de naissances. Est-ce qu'il y a une augmentation, selon vous, du taux de naissances? Est-ce que c'est susceptible, chez les anglophones, d'amener un peu plus de clientèle, puisque les parents font plus d'enfants?
Mme Horrocks (Debbie): Je pense que, comme le secteur francophone, il y a une petite hausse de population anglophone probablement au Québec. Mais ce qu'on veut, c'est un peu d'oxygène dans notre système pour être sûrs que, dans 10 ans, les écoles anglaises seront toujours ici. 500 ou 800 élèves par année, c'est une école ou deux écoles qui peuvent rester ouvertes dans ce temps-là sur l'île de Montréal, c'est peut-être à Lester-B.-Pearson ou English-Montréal School Board. Et c'est surtout les deux grandes commissions scolaires qui sont affectées de la loi n° 103. Alors, depuis plusieurs années, nos populations sont en déclin, on n'a pas vu encore une hausse de population. Mais peut-être ça s'en vient dans quelques années, on va voir. Mais, je pense, les...
**(12 h 10)**Mme St-Pierre: ...vous n'avez pas de projections sur les taux de natalité des dernières années? Vous n'avez pas de projections par rapport à vos clientèles?
Mme Horrocks (Debbie): Les projections viennent du ministre, elles viennent du ministre, du MELS. Alors, il annonce en cinq ans ou quelque chose peut-être une petite hausse, et, après ça, ça reste stable. Mais ça ne va pas monter à chaque année.
Mme St-Pierre: Par rapport à la communauté anglophone, on réalise que les statistiques démontrent que les plus jeunes, 35 ans et moins, sont bilingues, on parle même de 70 %. Est-ce que vous avez des évaluations là-dessus, le taux de bilinguisme ou d'apprentissage du français dans la communauté anglophone? Est-ce que vous avez quelque chose, des informations à ce sujet-là?
Mme Horrocks (Debbie): Probablement, chacune de nos commissions scolaires fait des recherches sur ça. Mais c'est important de se souvenir que ça fait depuis l'introduction de la loi 101, c'est vraiment important. Et, dans le curriculum que tous les enfants doivent suivre au Québec, l'enseignement de la langue française est vraiment important pour nous. On a des écoles d'immersion française, les enfants restent jusqu'à 50 % ou 80 % de la journée en français, d'étudier en français. La géographie, la mathématique, l'éducation physique sont tous faits en français. Je vous invite à venir visiter une de nos écoles parce que je pense que tout le monde va être vraiment surpris de la qualité de leur français que les jeunes apprennent et parlent dans les écoles.
Mme St-Pierre: Est-ce que vous avez des commentaires sur les autres aspects du projet de loi ou si vous vous êtres concentrés uniquement sur la question des écoles?
Mme Horrocks (Debbie): Mais j'ai touché vite aux fins de ça. Un gros «concern» qu'on a, c'est les grosses réglementations, les...
M. Birnbaum (David): Projets de règlement.
Mme Horrocks (Debbie): Les règlements, il y en a plusieurs formules et «graphs», et il y a un système de pointage. Ça va être vraiment difficile pour nos personnes qui sont en charge de l'accès dans chaque... Dans chaque commission scolaire, il y a une personne qui est en charge de la loi 101 pour admettre des jeunes. Ça va être vraiment difficile et compliqué. Et, d'après nous, on pense ça va être un peu subjectif pour la personne, le fonctionnaire qui va décider est-ce que cet enfant fitte dans cette catégorie ou peut-être c'est dans cette catégorie-là. D'après nous, on est convaincus que ça va être juste pour les enfants, pour nos enfants.
Mme St-Pierre: Qu'est-ce que la communauté anglophone peut faire pour calmer les inquiétudes qui sont manifestées par beaucoup, beaucoup de Québécois francophones par rapport à l'anglicisation de Montréal? Est-ce que vous avez, à ce moment-là, un message ou est-ce que vous avez quelque chose à dire? Les gens le disent, de plus en plus, que Montréal s'anglicise. C'est clair que Montréal... Moi, j'ai étudié à Montréal au début des années soixante-dix, et ce n'était pas le Montréal que je vois maintenant. Puis c'était beaucoup plus difficile de se faire servir en français, puis même à peu près impossible dans certains magasins du centre-ville, grands magasins du centre-ville, et il y a eu une nette amélioration, l'affichage, et tout ça, mais il y a des inquiétudes parce que les francophones, c'est 2 % en Amérique du Nord et il y a un sentiment, là, d'inquiétude qui est assez généralisé. Est-ce que vous êtes en mesure d'avoir une attitude rassurante par rapport à ça? Parce que vous êtes en mesure de comprendre les inquiétudes, puisque vous maîtrisez bien le français. Donc, vous êtes capables d'écouter la télévision, d'écouter la radio, de lire en français. Donc, vous êtes capables de vous alimenter à la culture de l'autre. Comment réagissez-vous quand vous entendez ça?
Mme Horrocks (Debbie): Mais c'est la même chose pour nos enfants dans nos écoles, on est fiers de... On est partie de la solution, les écoles anglaises sont partie de la solution. Nous ne sommes pas partie le problème, on enseigne une bonne qualité de français dans nos écoles. Les enfants sont vraiment fiers que, quand ils finissent le secondaire V, que la plupart d'eux sont bilingues, sont capables à parler et travailler dans le Québec, ici, à Montréal, ou ici, au Québec, ou Trois-Rivières, n'importe où, parce qu'ils sont capables de fonctionner dans les deux langues. Nous sommes fiers que les enfants ont la chance d'apprendre les deux langues. Et, d'après nous, nous ne sommes pas le... C'est important de «promoter»?
Une voix: Promouvoir.
Mme Horrocks (Debbie): Promouvoir la langue française même avec la langue anglaise. Alors, c'est important pour les élèves qu'ils... C'est important que, tu sais... Non, vous. Vous savez que, nos enfants, tu rentres dans nos écoles, une école secondaire et tu n'entends pas nécessairement l'anglais dans les couloirs. C'est le français ou peut-être le... je ne sais pas, le chinois ou d'autres langues. Il y en a plusieurs, cultures dans les écoles. Mais, surtout, les enfants sont capables à parler dans les deux langues. Il n'y en a pas beaucoup... Je ne le sais pas, la communauté anglophone n'a pas agrandi depuis plusieurs années, alors ce n'est pas l'anglais de la communauté anglophone qui...
Une voix: Qui menace.
Mme Horrocks (Debbie): ...qui menace la communauté montréalaise, mais peut-être il y en a... Quand je marche dans les rues de Montréal, ce n'est pas juste l'anglais que j'entends. Et, moi, je n'entends pas beaucoup, mais il y a plusieurs langues que j'entends quand je marche dans les... you know, à Montréal.
Mme St-Pierre: Vous dites, si on suit de votre point de vue à vous, qu'en fait, en fin de compte, le français a progressé dans la communauté anglophone.
Mme Horrocks (Debbie): Absolument. Absolument. Dans chacune de nos écoles, c'est une priorité que les enfants avoir les ressources, les outils nécessaires pour faire leur futur ici, au Québec.
M. Birnbaum (David): Et exigé par les parents.
Mme St-Pierre: Qu'est-ce qui a fait changer l'attitude sociologiquement depuis les 30 dernières années?
Mme Curiale (Carolyn): C'est parce que les parents ne veulent pas éduquer leurs enfants pour aller ailleurs pour travailler. Les parents veulent éduquer les enfants pour travailler et vivre à Québec, donc c'est nécessaire d'éduquer les enfants d'être bilingues, d'être capables de travailler en français.
Mme Horrocks (Debbie): It's their home. C'est leur communauté, c'est leur patrimoine, c'est... Il ne veut pas que tout le monde va ailleurs pour vivre. C'est possible, mais surtout les parents nous demandent une très bonne qualité de français, d'enseigner une très bonne qualité de français dans nos écoles. Et, comme j'ai dit en avant, je vous invite, venez visiter nos écoles, je pense que vous êtes vraiment surpris.
Mme St-Pierre: Alors, merci beaucoup. Peut-être que je reviendrai. Est-ce qu'il me reste encore du temps?
Le Président (M. Marsan): Oui, mais ce serait préférable si le parti ministériel puisse épuiser son temps, il reste trois minutes.
Mme St-Pierre: Ah bon! Je vais prendre le trois minutes. Donc, pour les autres aspects, je remarque dans votre commentaire du projet de loi lui-même, touche à d'autres secteurs. On parle de la Charte des droits et libertés, on parle des amendes, on parle également des politiques linguistiques des collèges et universités. Les autres aspects du projet de loi... Parce que c'est un ensemble, ce projet de loi là, là, est-ce que les autres aspects du projet de loi, vous les avez analysés? Parce que je ne vois pas de commentaire dans votre mémoire.
M. Birnbaum (David): Nous tenons à vous rappeler que nous avons un système scolaire à gérer avec nos collègues de la Fédération des commissions scolaires du Québec. Alors, on a chacun nos points de vue là-dessus, mais on s'est limités à ça. Mais en même temps, si je peux, nous nous inquiétons beaucoup que le projet de règlement, comme Mme la présidente a souligné, risque de rendre la vie très difficile, et pas juste... et que ça risque de donner un message très complexe aux fonctionnaires, d'aller beaucoup plus loin dans les cas qui ne sont même pas visés par le projet de loi n° 103. Alors, on va regarder ça de vigilance. Mais, si je peux, vous aurez à bien rémunérer vos fonctionnaires là-dessus parce qu'ils ont le job d'Hercule Poirot, de psychiatre, de psychologue en même temps. Et, nous, on va voir, veiller à la formation de nos gens parce que ce n'est pas heureux.
Et, si je peux bien vite revenir à notre thème principal, nous vous invitons à être clairs avec nous. Est-ce que vous comprenez le message qu'on essaie de lancer très clairement, que nous sommes impliqués dans la promotion et l'épanouissement du français? Parce que tout ce qu'on peut lire, par tout ce qu'on voit dans le projet de loi nous mène logiquement à croire le contraire.
**(12 h 20)**Mme St-Pierre: Merci beaucoup. J'ai terminé.
Le Président (M. Marsan): Merci. Je vais maintenant céder la parole au député de Borduas, qui est le porte-parole de l'opposition officielle en matière de langue. M. le député.
M. Curzi: Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Horrocks, monsieur, mesdames. Je suis heureux de vous voir là. On se connaît déjà. Mais, moi, je veux en profiter, de ce que vous venez de dire, il n'y a personne qui doute de votre volonté puis de la volonté du système scolaire anglophone de faire des efforts réels et d'avoir de la qualité dans l'enseignement du français pour ses élèves. Je n'ai jamais douté de ça, et la preuve, c'est que la communauté anglophone, en général, a un bon taux de bilinguisme, et il y a beaucoup des anglophones qui parlent le français, comme il y a beaucoup de francophones qui parlent l'anglais aussi. Alors, si vous êtes... Vous vantez à juste titre vos succès dans l'enseignement des langues. Sans nul doute que vous seriez extrêmement fiers et que vous souhaitez que le système francophone, français puisse aussi enseigner très adéquatement la langue anglaise, entre autres, et peut-être d'autres langues. Je pense qu'on est d'accord sur le fait que la connaissance des langues d'une façon individuelle, c'est un enrichissement et que personne ne s'oppose à ça.
Ayant dit cela, moi, je veux requestionner un petit peu vos... Le sens de votre mémoire, c'est que vous semblez dire deux choses. D'abord, ce projet de loi là n'apportera personne de nouveau, ou à peu près, dans notre système, et là il y a une ambiguïté. Si je comprends bien votre intervention de tantôt, ce que vous nous dites, c'est que les écoles passerelles comme telles, ça n'a jamais eu aucun effet. C'est ça que vous nous dites, vous dites: Avant 2002, au moment où la loi n° 104 a été adoptée, il n'y avait pas, on ne retrouvait pas dans le système scolaire public anglophone des gens qui avaient utilisé des écoles passerelles, ils avaient tous utilisé des écoles non passerelles légitimes. C'est ça que vous dites. Mais vous ne niez pas qu'au moment où la loi a été adoptée il y avait quand même 1 362 élèves qui avaient utilisé des écoles que vous qualifiez de non passerelles, que, nous, on qualifie de passerelles et que la Cour suprême qualifie de passerelles pour intégrer le système scolaire public anglophone. C'était ça, la situation, et c'est la raison qui a justifié un vote unanime de l'Assemblée nationale en faveur de la loi n° 104. Vous ne niez pas ça, quand même?
M. Birnbaum (David): Non, deux choses. Premièrement, nos chiffres, on insiste, et c'est notre expérience, c'est qu'on parle de 500 à 800 élèves, alors pas de 1 300. Et la Cour suprême a été très claire -- là, on n'est pas d'accord -- a été très claire, une école dite passerelle, c'est une école qui s'est ouverte à fins de but lucratif pour faire en sorte qu'ils acquerraient des élèves pour une année ou deux ou «whatever». Et ces écoles d'où venaient nos enfants -- on ne nie pas -- avant la loi n° 104 venaient des écoles très établies, reconnues et certifiées par le ministère.
M. Curzi: D'accord. On ne fera pas de chicane sur l'interprétation du terme «passerelle», là, mais, quand même, les chiffres dont on parle, 1 362, c'est vraiment les chiffres que tout le monde a...
M. Birnbaum (David): C'est nos écoles. On vous dit quels élèves venaient des écoles privées non subventionnées, on a nos chiffres. C'est des élèves qui étaient soit à nos écoles ou non, et il y avait 500 à 800 qui étaient dans nos écoles par le bilan de cette voie qui était légale à ce moment-là.
M. Curzi: Parfait. Donc, ce que vous dites, c'est qu'on a eu tort, à ce moment-là, d'adopter la loi n° 104 d'une façon unanime, puisqu'il n'y avait pas péril en la demeure. C'est ce que vous dites?
M. Birnbaum (David): Notre position est claire là-dessus, on ne trouvait pas que la loi était nécessaire.
M. Curzi: L'autre aspect, c'est vous que semblez... et vous réclamez à grand renfort qu'il y ait un peu d'oxygène dans votre système parce que vous vous sentez menacés. Quand on regarde vraiment les chiffres qui nous viennent du ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport, je ne retrouve pas cela dans les chiffres. Actuelle baisse des effectifs totaux dans votre système scolaire -- là, je me base sur les... -- c'est passé, 2005, de 117 856... et, en 2010-2011, on serait à 108 532, hein? Donc, il y a une baisse réelle d'à peu près 10 000. Mais, du côté du système scolaire en général, il y a une baisse de 1 067 000 à 980 000, donc il y a sensiblement la même baisse. On le sait, on connaît les phénomènes, c'est les phénomènes de... il y a moins d'enfants qui fréquentent... Mais, dans les deux cas, il y a une remontée, et ça, ce sont les prévisions du ministère. Et, dans le cas du système scolaire au complet, toutes langues d'enseignement, on remonte à 1 115 000, hein? Donc, il y a une remontée graduelle au fil des ans, et, dans le système scolaire, le système d'enseignement en anglais, il y a aussi une remontée, on passe de 108 000 et on s'en va à 110 673. Donc, autrement dit, ce que les chiffres nous disent, c'est qu'il y a des courbes parallèles. Ça diminue dans le système scolaire anglophone et ça diminue aussi dans le système scolaire francophone, et ça remonte. Il y a une période où il y a moins d'enfants, puis, en 2024-2025, on voit qu'il y a une remontée. Donc, il n'y a pas de perte de votre côté.
Et ça, c'est assez intéressant parce que, quand vous disiez, madame, qu'il y avait 250 000 inscriptions, là on parle d'avant, on parle d'il y a longtemps. Et, le phénomène de baisse de 250 000 à à peu près 110 000 dans les années quatre-vingt-dix, il y avait exactement le même nombre d'élèves dans votre système scolaire que celui qu'on retrouve en 2024-2025. Il n'y a pas eu de baisse, il n'y a pas de baisse. La grande baisse, elle s'est produite au moment où, avant 1980, la communauté anglophone a déserté le Québec pour toutes sortes de raisons, et là il y a eu une grande perte du système scolaire. Mais le paradoxe, c'est que, vous, actuellement, comme communauté -- et c'est très intéressant de comprendre pourquoi -- vous maintenez exactement le même nombre d'élèves dans votre système scolaire, même si, en principe, la communauté anglophone diminue. Comment cela se peut-il? Et c'est ça qui est intéressant. Donc, vous maintenez le nombre d'élèves.
Quand vous réclamez de l'oxygène, à l'extrême je veux vous dire: Mais ça va très bien, vous respirez très bien, vous avez un nombre d'étudiants qui suit exactement la même courbe. Ça, c'est l'argument de base. Et ce qu'il y a... pourquoi c'est intéressant, c'est parce qu'il y a quand même des gens de la communauté anglophone qui quittent, qui... Parce qu'il y a plus de mobilité chez vous que dans la communauté... donc il y a toujours des gens... il y a un solde résiduel négatif pour la communauté anglophone. Cette année, il n'est pas très élevé, c'est 7 800 ou 7 900. Un solde résiduel, donc les anglophones qui sont arrivés, les anglophones qui ont quitté la communauté au Québec. Donc, malgré cela, vous maintenez un taux de fréquentation de votre système scolaire qui est très, très exactement semblable au nôtre.
Alors, moi, j'aimerais que vous m'expliquiez en quoi l'application des mesures qui n'ajouteraient pas des élèves dans votre système scolaire, en quoi vous pouvez ressentir ça comme une menace, puisque, dans les faits, il n'y a pas de diminution. Là où il y a une différence, c'est dans le nombre de gens qui fréquentent le système privé et le système public, mais c'est vrai aussi du côté du système francophone. J'aimerais que vous me disiez que ma démonstration n'est pas juste.
**(12 h 30)**Mme Curiale (Carolyn): Bien, c'est vrai dans une année normale, et c'est la même base, le même taux de diminution. Mais, dans les années qu'il y a des législations, comme dans l'année qu'ils ont eu la législation 101 puis encore dans l'année 2002 avec la législation, le projet de loi n° 104, il y a un peu plus de diminution dans le taux des écoles anglophones qu'en francophones, et c'est pour ça. Dans l'année, il y a 20 ans, avec le... nous avons eu les 250 000 enfants, c'est avant la loi 101. Après la loi 101, c'est vraiment un... il y a plus de baisse pour les écoles anglophones que le taux des écoles francophones dans les deux années, trois années après.
Mais maintenant, vraiment, dans les années normales, oui, c'est juste, il y a la même baisse pour les francophones, pour les anglophones, mais pas dans les années qu'il y a des lois comme le projet de loi n° 104 ou le projet de loi n° 103, qui a fait un peu de différence, et c'est là même les 500 à 800 élèves pour le côté... pour les écoles anglophones, ça, ça fait une différence. Ce n'est pas vraiment une différence dans les écoles francophones, c'est juste 0,5 de 1 % pour toute la communauté francophone. Pour tous les enfants qui sont dans les écoles publiques francophones, c'est juste 0,5 d'un pourcentage, mais, pour les écoles anglophones, c'est beaucoup plus que ça.
Mme Horrocks (Debbie): Vous avez aussi dans quelques semaines quelque chose, deux de nos commissions scolaires qui viennent vous présenter, Lester-B.-Pearson et English-Montréal, et je vous invite de lui demander la même question parce que je sais que les deux commissions scolaires et plusieurs d'autres commissions scolaires, on ferme des écoles. Mais on n'a jamais dit que le problème démographique n'existe pas dans le système francophone, c'est ce que j'ai... Je n'ai jamais dit ça. C'est un problème qui existe au Québec, c'est un problème qui existe au Canada, il n'y a pas assez d'enfants.
Maintenant, vous avez dit des statistiques de l'année 2024, je pense que c'est un peu loin de... D'après moi, c'est un peu loin pour savoir si les numéros vont arriver, là, vont... will happen...
M. Curzi: Les projections vont être les mêmes.
Mme Horrocks (Debbie): Les projections vont se...
Une voix: Vont se réaliser.
Mme Horrocks (Debbie): ...d'être réalisées. C'est un peu trop loin. En parlant des... Dans les commissions scolaires, on fait des projections de cinq ans, sept ans, quelque chose comme ça. Mais 2024, c'est...
M. Curzi: Mais on peut vous les donner pour cinq ans.
Mme Horrocks (Debbie): ...12 ans, on ne sait pas combien de personnes qui vont avoir des bébés en 12 ans. Mais je trouve que c'est un peu loin.
M. Curzi: Permettez-moi de répondre à ça parce que, quand vous parlez du nombre d'enfants qui ont des... le taux de fécondité dans la communauté anglophone est exactement le même que le taux de fécondité dans la communauté francophone. Là où il y a une différence, c'est dans la communauté allophone, où c'est un peu plus élevé. Mais, sinon, le taux est le même. Le taux de mortalité dans la communauté francophone et anglophone est le même, il n'y a pas de différence.
Le paradoxe, c'est que, même si, actuellement, il y a des anglophones qui quittent en un nombre important, vous maintenez quand même la vitalité -- et j'en suis heureux, là, je ne me plains pas, j'en suis heureux -- vous maintenez la vitalité de votre système scolaire anglophone. Vous la maintenez parce que, quand on considère les gens qui font le transfert d'un système à l'autre... Et, avant la loi n° 104, il y en avait un certain nombre. Ça impliquait des gens qui ont fait ce transfert dans le système public. Les chiffres que j'ai, c'est 1 532 élèves avant 2004. C'est passé... De 1998 à 2002, il y a eu une très forte augmentation du nombre d'élèves qui ont utilisé les écoles non subventionnées pour avoir accès au système public anglophone.
Ces gens-là qui ont fait ce transfert, ils l'ont fait, et leurs frères, leurs soeurs y avaient accès aussi, et leur descendance, ce qui veut dire que, maintenant, vous allez avoir les effets de ce transfert-là, qui apparaît mineur parce que le chiffre qu'on a, c'est 1 352. M. Maheu, lui, calcule que c'est 11 000 personnes dans une cohorte, 11 000 personnes augmentées des frères, des soeurs et des descendants. Donc, vous vous régénérez comme communauté, et le milieu scolaire anglophone traduit bien cela. Vous vous régénérez adéquatement comme minorité non pas parce qu'uniquement les anglophones, disons, font plus d'enfants ou meurent moins, mais parce que vous vous augmentez d'un nombre de gens qui ont fait un transfert. Ça, c'est la réalité, la réalité des chiffres. Et, si les chiffres sur 2024-2025 vous embêtent, je peux vous les donner sur toutes les années, ce sont les prévisions du ministère. Ils valent autant pour vous que pour le système français, là, je veux dire, c'est la même chose.
M. Birnbaum (David): Bien, il y a deux préoccupations que nous avons. Dans un premier temps, la cible dont nous pouvons bâtir notre avenir est en train de rétrécir, surtout avec les propositions de règlement qu'on voit ici. Et ce n'est pas une science exacte, et les messages qui sont reçus par notre communauté risquent d'avoir... sont grands d'effet aussi. Quand on entend de l'opposition, si on peut se permettre, l'idée que peut-être il y aura un petit peu de renflouement aux écoles anglaises, malgré vos protestations que vous partagez notre bonheur quand les choses vont bien, si le message est reçu qu'une clause d'urgence «nonobstant» est nécessaire pour s'assurer qu'il n'y a pas une petite fuite aux écoles anglaises, ça, c'est un message que la communauté anglophone va recevoir. D'entendre les commentaires, si je peux, du gouvernement qui suggère que la seule menace en utilisant cette clause-là, c'est l'image à l'extérieur du Québec, on se pose des questions comme membres de la communauté anglo-québécoise sur la reconnaissance de notre principe de base. On revient à ça, est-ce qu'on fait partie de la solution ou du problème? Vous êtes en train de dire que, là, tout va bien, et tant mieux, et, deux secondes après, on entend que ça a l'air que ces conditions-là nécessitent l'imposition de la clause dérogatoire. Alors, comment, comme communauté, on est censés, comme responsables d'un réseau d'écoles dont le gouvernement a la responsabilité d'appuyer, comment nous sommes censés de répondre à ça?
M. Curzi: Je pense que la réponse, elle est assez claire. Votre souci de protéger des droits est partagé par l'ensemble du Québec. Et ça a toujours été très clair, je pense, tout le monde a toujours respecté scrupuleusement les droits de la communauté, de la minorité anglophone du Québec à avoir l'ensemble des services qui lui sont nécessaires pour être en état, disons, vigoureux. Mais, par ailleurs, le souci qu'on a -- et le souci de la loi n° 103, c'est un petit morceau, et tout le monde l'a dit, dans un immense puzzle -- le souci qu'on a, c'est, actuellement, on craint que cette minorité francophone en Amérique, elle, soit plus ou moins bilinguisée. Et, dans cet affrontement, en quelque sorte, d'une culture minoritaire par rapport à une culture majoritaire, puissante, séduisante, on se dit -- et c'est la question qui est posée -- comment on va s'assurer que nos propres... que les francophones et les allophones vont vraiment contribuer à l'épanouissement de cette culture-là et de cette langue?
Parce que, oui, effectivement nous avons des inquiétudes, et ces inquiétudes-là, vous les connaissez, et on les retrouve, effectivement. Et, ma foi, il y a plusieurs documents qui tendent à prouver que c'est vrai, particulièrement à Montréal et dans la grande région métropolitaine, et on a bien documenté. Et je pense, très honnêtement, on essaie de comprendre pourquoi cette inquiétude-là et pourquoi cette résurgence, en quelque sorte, de l'inquiétude qu'on avait et qu'on croyait avoir calmée avec la loi 101. Force est de reconnaître que, comme le disait tantôt notre invité précédent, les résultats sont mitigés. Donc, je pense qu'il y a une partie de la responsabilité qu'on ne vous met pas sur les épaules, mais qu'on prend sur nous en se disant: Quelle est la meilleure manière de respecter à la fois les droits des minorités, mais de respecter aussi fondamentalement les droits de la majorité minoritaire en Amérique, là? On est dans ce débat-là, et c'est ça.
Alors, moi, je veux juste aussi clarifier la question des chiffres. Je comprends que vous ayez un sentiment de menace. Ce sentiment-là, je ne le retrouve pas, mais vraiment pas, ni dans les chiffres ni quand je regarde d'autres morceaux de la réalité anglophone, particulièrement sur l'île de Montréal. Et je pourrais vous parler, là, de la situation des cégeps, je pourrais vous parler de la langue de travail, je pourrais vous parler de plusieurs aspects de l'anglicisation ou de la francisation de Montréal, c'est dans ce contexte-là qu'on se situe.
M. Birnbaum (David): Pour nous, le noeud de l'affaire, pour l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec, est justement ça. Nous ne nions pas qu'à un moment donné il faudrait, en quelque part, équilibrer la tâche énorme du Québec de protéger, de promouvoir la langue française, dont on insiste, on est alliés, mais on ne nie pas qu'à un moment donné -- et on vous invite de voir les circonstances tout à fait propices aujourd'hui -- il faut équilibrer ça avec la responsabilité du législateur au Québec de veiller à la santé et l'avenir de ses établissements, ses institutions de langue minoritaire. Il y a une équilibration à faire. Et, avec tout le respect, on vous invite de comprendre qu'on ne dit pas aux gens de ne pas sentir un problème si... Et on parle pour notre communauté, on peut vous en assurer. La communauté, nos écoles, nos dirigeants, nos parents se sentent visés par ce projet de loi devant vous.
**(12 h 40)**Le Président (M. Marsan): Merci. Alors, merci, Mme Debbie Horrocks, pour nous avoir donné le portrait de l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec. Merci à Mme Carolyn Curiale, David Birnbaum et Kim Hamilton.
Là-dessus, la commission va suspendre ses travaux jusqu'à 14 heures. Les députés qui veulent laisser leurs effets ici, on m'indique que les portes seront barrées. Alors, bon appétit. Merci.
(Suspension de la séance à 12 h 41)
(Reprise à 14 heures)
Le Président (M. Marsan): Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Nous reprenons nos travaux. Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission de la culture et de l'éducation ouverte et je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
Nous allons poursuivre sans plus tarder les auditions publiques sur le projet de loi n° 103, Loi modifiant la Charte de la langue française et d'autres dispositions législatives, et nous accueillons M. Robert Libman. M. Libman est quelqu'un qui a travaillé beaucoup dans cette enceinte, il a été député et, vous me disiez tantôt, de 1989 à 1994. Alors, ça nous fait plaisir de vous accueillir, M. Libman. Et vous avez une quinzaine de minutes pour faire votre présentation, et nous vous écoutons.
M. Robert Libman
M. Libman (Robert): Merci, M. le Président. C'est un plaisir de revenir. Mme la ministre, membres de la commission, merci pour l'opportunité aujourd'hui, une opportunité importante et rare d'ouvrir un dialogue direct et constructif sur un enjeu, une question qui a un impact fondamental sur la communauté anglophone du Québec et ses institutions. Ça n'arrive pas souvent qu'on a ces opportunités, vraiment, d'avoir des échanges directs, et je pense que c'est une opportunité très importante pour la majorité francophone ainsi que pour la communauté anglophone.
Je ne suis pas ici nécessairement pour débattre les détails spécifiques de la loi n° 103 ou la loi n° 104, mais le message, la question plus large qui est l'état de la communauté anglophone aujourd'hui ainsi que la question globale de l'accès aux écoles anglaises au Québec. Il y a 20 ans, comme on vient de le mentionner, il y a 20 ans que j'ai créé un parti politique provincial parce qu'un segment important de la société québécoise se sentait aliéné à l'époque. La Cour supérieure du Québec, la Cour d'appel du Québec et, finalement, la Cour suprême, en 1988, jugeaient que l'article 58 de la loi 101, qui interdisait les autres langues sur l'affichage commercial, brimait la liberté d'expression. Le gouvernement libéral, en 1988, a décidé quand même d'invoquer la clause «nonobstant» pour contourner le jugement de la Cour suprême afin de maintenir une interdiction des autres langues, et ce geste, à l'époque, était perçu largement par la communauté anglophone comme une gifle, comme un couteau dans le dos, et notre parti a élu quatre députés à l'Assemblée nationale en 1989, qui a choqué pas mal de monde, surtout le gouvernement. Et, en plus, la décision du gouvernement de contourner la décision de la Cour suprême faisait des manchettes ailleurs, qui a eu un impact sur la réputation du Québec sur le plan international.
Mais, quatre ans plus tard, en 1993, j'étais membre de cette même commission, la Commission de la culture, qui a étudié la loi n° 86. La loi n° 86 a restauré le droit d'afficher dans les deux langues tout en respectant la prédominance du français. Claude Ryan a été le ministre qui a géré le dossier, et le compromis qui a été adopté a instauré un genre de paix linguistique au Québec. Et, depuis ce temps-là, ça fait à peu près 17 ans, le débat linguistique déchirant a effectivement disparu, et les membres de la communauté anglophone sont bien peu nombreux à souhaiter qu'on réanime ce débat.
Cependant, aujourd'hui, 17 ans plus tard, je me sens obligé de revenir, venir devant la commission, parce que la communauté anglophone sent encore une fois que le gouvernement va trop loin, trop loin pour la marginaliser injustement, et avec une méchanceté sévère sur une question beaucoup plus significative que le dossier ou la question symbolique de la langue d'affichage. Cette question aujourd'hui, la loi n° 103, touche vraiment le coeur de notre communauté qui est nos institutions scolaires.
En 1970 -- et ces chiffres étaient cités tantôt, et je soupçonne que M. Curzi va revenir là-dessus lors des échanges -- en 1970, il y avait 250 000 élèves dans le réseau scolaire anglophone; aujourd'hui, il n'y a que 105 000. Nous avons besoin de l'oxygène, nous avons besoin des moyens de soutenir la survie de nos institutions scolaires. Et, en lumière de ces statistiques, la chose qui a enragé la communauté anglophone au cours des derniers mois quand on discute cette question, c'est le fait que la loi n° 104 et la loi n° 103 sont créées pour arracher du système scolaire anglophone un nombre très marginal des élèves. On parle de 1/20 de 1 % du nombre des élèves dans les écoles francophones. Par rapport au nombre des élèves dans les écoles francophones, on parle de 1/20 de 1 %, 0,002 du nombre des élèves qui fréquentent les écoles françaises au Québec. En fait, si vous renversez une salière sur la table, c'est comme on cherche un seul grain de sel et on essaie d'éliminer ce grain de sel d'avoir accès aux écoles au Québec. Alors, ça, il faut mentionner que c'est un sentiment assez fort dans la communauté anglophone que le gouvernement va trop loin. Les lois n° 103 et n° 104, tout cet effort, toute la rhétorique politique, les contestations judiciaires, la commission pour stopper ou éliminer ce grain de sel d'avoir accès aux écoles anglaises, nous croyons, nous trouvons que ça va trop, trop loin.
Mais pourquoi cette ardeur? Pourquoi ce zèle? Essayez de saisir ce message, essayez de saisir le message que vous envoyez à la communauté anglophone. Et, même après que les cours ont trouvé la loi inconstitutionnelle, le gouvernement a réagi tellement vite après chaque décision des cours pour annoncer immédiatement, la même journée effectivement, qu'il veut aller en appel de la décision, c'est comme il y avait une urgence, une urgence critique d'étouffer les écoles anglaises, les priver de leur dernière respiration de l'oxygène. Ça, c'était le sentiment qui prévalait au sein de la communauté anglophone quand on a vu les gestes du gouvernement dans ce dossier.
Et c'est dommage. Je dois dire que c'est dommage. Les anglophones du Québec qui vivent au Québec sont ici par choix, nous faisons partie de la société québécoise. Mais, malheureusement, plusieurs francophones perçoivent la communauté anglophone comme un groupe menaçant qui constitue l'extension naturelle du reste de l'Amérique du Nord et qui, donc, n'a pas besoin de protection, d'aucune protection. Mais, malgré le fait que notre langue maternelle est partagée par le reste de l'Amérique du Nord, nous ne sommes pas des Torontois, des Albertains, des Minnesotans, des Californiens, nous faisons partie de la société québécoise, et le fait de partager la langue maternelle de la plupart des Nord-Américains n'élimine pas le fait qu'il y avait plus de 250 000 enfants dans le réseau scolaire anglophone au Québec en 1970 par rapport aux 100 000 aujourd'hui.
Et, en plus, moi, je crois que la majorité francophone devrait au moins comprendre que les anglophones du Québec veulent aussi préserver leur sentiment d'appartenance à une communauté, leur identité et leur infrastructure communautaire au sein du Québec. Notre infrastructure communautaire, nos écoles méritent le respect et des outils pour survivre. Une communauté anglophone forte, avec les institutions de valeur, n'affaiblit pas la force de la langue et de la culture française au Québec. Ce n'est pas un vase communicant. Et, encore plus, les jeunes qui sortent des écoles anglaises au Québec sont presque tous bilingues aujourd'hui et respectueux du fait français du Québec.
Donc, effectivement, c'est pour ça que je suis ici aujourd'hui, principalement de déclencher un dialogue. Est-ce que vous considérez que la communauté anglophone est importante au Québec? Est-ce que vous voulez une communauté anglophone vibrante, avec des institutions de qualité? Est-ce que vous croyez que la communauté anglophone ajoute une valeur au Québec? J'espère que la réponse à toutes ces questions est oui. Et, si oui, permettez-nous de respirer un peu, de souffler un peu d'oxygène dans nos institutions scolaires. Au lieu de claquer la porte brutalement, essayez de trouver avec nous une formule gagnante qui pourrait laisser nos institutions vivre et même d'ouvrir légèrement la porte d'entrée aux écoles anglaises tout en respectant les objectifs de la majorité francophone. Après 33 ans depuis l'adoption de la loi 101 et la chute dramatique du nombre des élèves dans nos écoles, je pense que ça pourrait être un moment propice d'ouvrir ce genre de dialogue, d'échanger avec vous et peut-être trouver une solution pour qu'on puisse développer au Québec, finalement, un juste équilibre entre les objectifs de la majorité et la survie d'une communauté minoritaire linguistique dynamique. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Marsan): Merci, M. Libman. Nous allons immédiatement entreprendre la période d'échange, et je vais céder la parole à la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine. Mme la ministre.
**(14 h 10)**Mme St-Pierre: Merci, M. le Président. Tout d'abord, merci, M. Libman, d'avoir pris la peine de venir nous rencontrer aujourd'hui. C'est un plaisir de vous revoir, ça faisait longtemps que je vous avais vu. Et je vous ai connu dans une autre vie, lorsque j'étais journaliste et que vous étiez ici, à l'Assemblée nationale. Alors, comme je vous le disais tout à l'heure, vous n'avez pas changé physiquement, et vos opinions, non plus.
Vous parlez de la loi n° 104. J'aimerais vous entendre là-dessus, par rapport aux députés anglophones qui siégeaient ici lors de l'adoption de la loi n° 104. La loi n° 104 a quand même été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale. Donc, les députés anglophones qui étaient, au moment de la loi n° 104, en 2002, à l'Assemblée nationale représentaient quand même leurs concitoyens, ces circonscriptions composées majoritairement de citoyens anglophones. Est-ce que vous considérez que les députés anglophones, en 2002, avaient tort d'appuyer la loi n° 104?
M. Libman (Robert): Oui, tout à fait.
Mme St-Pierre: Pourquoi?
M. Libman (Robert): Je pense qu'ils ne représentaient pas la meilleure position, le meilleur intérêt de leur communauté. J'ai eu quand même l'opportunité de parler, même récemment, avec Geoff Kelley là-dessus. Geoff Kelley m'a dit récemment que la loi n° 104, la loi n° 103, c'est une chose, il faut aborder une question, la question de certains qui ont essayé d'outrepasser le système légitime. Mais, quand même, il m'a dit qu'il y aurait une autre journée pour discuter la question d'élargir un peu peut-être l'accès aux écoles anglaises, d'aborder les craintes ou les soucis de la communauté anglophone. Mais ce débat va passer une autre journée.
Moi, je vous dis, aujourd'hui, peut-être, cette commission donne cette opportunité d'ouvrir ce dialogue, d'ouvrir cette discussion, de vous faire part des inquiétudes de la communauté anglophone, et, peut-être, on peut même aborder ce sujet ensemble parce que c'est un sujet très important pour la communauté anglophone, probablement la priorité numéro un dans notre communauté aujourd'hui.
Mme St-Pierre: Donc, vous parlez très bien français, vous le comprenez très bien, vous êtes en mesure de lire ce qui s'écrit sur le projet de loi dans les médias francophones, en mesure de regarder la télé, écouter la radio et de voir si la proposition du Parti québécois... Donc, vous voyez que, d'un côté, on demande à ce qu'on applique la loi 101 aux écoles privées non subventionnées, d'y ajouter la clause dérogatoire. Si on utilisait ce tel scénario, d'appliquer la loi 101 aux écoles privées non subventionnées anglophones, il y aurait une diminution de clientèle.
M. Libman (Robert): Il y aurait une diminution...
Mme St-Pierre: Il y aurait une diminution de clientèle.
M. Libman (Robert): Mais tout à fait. Tout à fait. Nous témoignons à un débat qui nous exclut complètement. Quand vous parlez de lire les différentes opinions, on a l'opinion du gouvernement, qui veut adopter ou faire adopter la loi n° 103, nous voyons les opinions dans les journaux des partis d'opposition, surtout l'opposition officielle, mais on est exclus de ces débats, on n'a jamais un mot à dire dans toutes ces discussions. Et, idéalement, si cette commission pourrait nous donner cette opportunité, peut-être c'est le moment propice pour vous offrir une opinion diamétralement différente que celles qu'on lit quotidiennement dans les journaux.
Mme St-Pierre: Mais quelles sont les solutions que vous proposez par rapport à ce phénomène de parents qui inscrivaient leurs enfants à l'école privée non subventionnée? Le juge LeBel le reconnaît, qu'il y a des parents -- et ce n'est pas des parents anglophones qui font ça, là -- qui utilisaient pendant un an l'école privée non subventionnée pour passer au secteur public. Quelle est votre solution pour contrer ce phénomène, qui est un... En fait, le juge LeBel dit: Il y a quelque chose là, là, qui est clair... qui n'est pas correct. Il disait que la loi n° 104 va trop loin. On arrive avec la loi 101, on propose une solution. Quelle est votre solution à vous, ne rien faire?
M. Libman (Robert): Bien, tout d'abord, je pense que le phénomène est bien exagéré. Même si on parle d'un maximum de 500, 600, 700 élèves, qu'est-ce que ça représente? Ça représente deux millièmes du réseau scolaire francophone au Québec, ce n'est pas beaucoup.
Deuxièmement, les écoles passerelles, moi, je ne connais aucune école dite passerelle qui existe au Québec. Il y a des écoles légitimes qui sont des écoles comme Kuper Academy, comme les autres écoles privées non subventionnées anglophones au Québec, où la plupart de ces élèves sont des élèves qui ont de l'éligibilité. Alors, moi, je pense que cette notion d'une école passerelle est exagérée. Même le phénomène du nombre de personnes qui essaient de passer outre ou par la porte d'en arrière pour acheter un droit constitutionnel, oui, ça existe, mais c'est très exagéré, il n'y a pas beaucoup de monde qui se sert de ça. Si on peut trouver...
Une voix: ...
M. Libman (Robert): Bien, je sais que c'est reconnu dans le jugement. Peut-être même, la Cour suprême se trompe en faisant cette analyse. Peut-être, eux-mêmes, ils exagèrent la portée réelle de ce phénomène. Mais, quand même, si on peut trouver un juste équilibre, trouver une façon où la communauté anglophone peut se renouveler, peut avoir un certain pourcentage des immigrants au Québec, peut-être des immigrants de langue maternelle anglaise d'avoir accès à ses écoles, vous allez donner un coup de souffle à ces institutions, à la communauté anglophone, qui ne représente pas grand nombre dans le grand portrait du réseau scolaire francophone, et, au même moment, ça va donner à la minorité linguistique principale au Québec une opportunité de se renouveler d'une façon très importante. Les gens ne vont pas essayer d'utiliser la porte d'en arrière si la porte d'en avant est ouverte tout légèrement pour leur permettre de se renouveler.
Mme St-Pierre: Alors, ce que vous proposez, c'est une proposition qui n'est pas récente, là, ça fait plusieurs années qu'elle circule dans la communauté anglophone.
M. Libman (Robert): Ça a été déposé à l'Assemblée nationale en 1992, quand j'étais là, comme vous le savez. Le rapport Chambers est une possibilité, une opportunité de permettre les immigrants de langue maternelle anglaise d'avoir accès aux écoles anglaises au Québec, et qui représentent, quoi, 8 000, 10 000 élèves par année, qui représentent 1 % du nombre total des élèves francophones dans les écoles. Mais, au même moment, ça peut vraiment donner aux écoles anglaises un nouveau souffle.
Et, au même moment, je ne sais pas si ça va aller à l'encontre des objectifs de la majorité, en fait, les écoles anglaises au Québec enseignent très bien le français aujourd'hui, les élèves qui sortent sont bilingues. Et, si on force un jeune immigrant des États-Unis, ou Australie, ou Angleterre de fréquenter une école française au Québec, il ne va pas devenir un francophone quand même. Il va apprendre le français, mais sa langue maternelle va rester toujours l'anglais. S'il est dans une école anglaise, il va sortir de l'école anglaise avec toujours une langue maternelle anglaise, mais aussi avec une connaissance du français assez adéquate au Québec.
Alors, c'est ça, ce que je vous suggère. Même, est-ce que ça fait mal aux francophones d'envoyer les enfants à l'école anglaise au Québec? Qui souffre? Quand un parent francophone envoie leur enfant à l'école anglaise, est-ce que cet enfant va souffrir ou est-ce que cet enfant va bénéficier de devenir bilingue? C'est ça, une question qu'il faut poser. Je pense qu'on met trop d'emphase sur cette question. Effectivement, le fait que Jacques Parizeau, ou Lucien Bouchard, ou Bernard Landry, ou tous les chefs d'entreprise francophones au Québec sont parfaitement bilingues, ils ne sont pas moins francophones à cause de ça. Ils ne seront pas moins francophones ou ces enfants ne seront pas moins francophones s'ils vont à une école anglaise. Au contraire, ils vont obtenir des outils qui vont les aider de s'épanouir dans la vie.
Mme St-Pierre: Mais vous êtes quand même conscient de ce que l'opposition officielle propose. Comment vous réagissez à ça?
M. Libman (Robert): Mais, quand je...
Une voix: ...
M. Libman (Robert): Mon ancien collègue au conseil municipal de Montréal. Moi, quand je parlais d'un dialogue, c'est une opportunité aussi de parler avec les membres de l'opposition officielle. Peut-être, on peut échanger là-dessus. Moi, je pense que c'est dommage que la communauté anglophone n'a pas l'opportunité ou une opportunité trop rare d'avoir des échanges avec l'opposition officielle sur plusieurs de ces questions. Quand j'étais à l'Assemblée nationale, entre 1989 et 1994, j'ai eu auparavant beaucoup plus de contacts avec des souverainistes, des nationalistes, des personnes qui ont eu certains points de vue politiques, mais ces cinq ans ont été une éducation, pédagogie extraordinaire pour moi, d'au moins échanger des opinions, de voir que les autres opinions au Québec sont très contraires aux miennes. Et c'est seulement par le biais de ces dialogues, ces échanges, qu'on peut essayer de trouver peut-être un juste équilibre entre les deux aspirations parce que ce qu'on a au Québec, on a une aspiration très légitime par la majorité, mais aussi on a une communauté minoritaire très importante qui a ses propres aspirations et des inquiétudes, et la ligne d'équilibre est quelque part entre les deux. Sur la question d'affichage, c'était assez facile de trouver la ligne d'équilibre. Prédominance du français, ce n'était pas apprécié par tout le monde, mais, au moins, ça a créé une paix linguistique au Québec pendant les 17 dernières années.
**(14 h 20)**Mme St-Pierre: Et ce que vous proposez, c'est... Vous entrez dans un autre débat. Ce que vous proposez, c'est de permettre à des immigrants de langue maternelle anglaise d'aller dans les écoles publiques ou dans les écoles... de fréquenter les écoles anglophones. Là, ce qu'on est en train de faire, nous, avec le projet de loi n° 103, c'est de faire en sorte que les passerelles soient interdites, c'est de faire en sorte que ce soit limité au maximum, au maximum, au maximum, la possibilité de passer. Parce que le juge LeBel l'a dit, on est légitimes de légiférer, il faut que vous trouviez un moyen qui n'est pas celui de 104.
Alors, c'est après mûre réflexion que nous en sommes arrivés à cette solution, et même, pour vous, c'est encore aller trop loin. Je vous avoue, j'ai de la difficulté à vous comprendre. Parce que c'est quand même important, la Cour suprême nous le dit: Il y a quelque chose là que les parents font qui n'est pas correct, vous devez trouver le moyen de bloquer ça. C'est ça que la Cour suprême nous dit de faire. Alors, nous, on dit à nos amis d'en face, que j'aime beaucoup, on dit à nos amis d'en face: On suit la feuille de route de la Cour suprême. On suit la feuille de route de la Cour suprême, c'est ça que nous faisons. Et là, vous, vous venez nous reprocher de suivre la feuille de route de la Cour suprême, là j'ai de la misère à comprendre...
M. Libman (Robert): Vous êtes assez sûrs que vous suivez la feuille de route de la Cour suprême? Est-ce que vous allez référer la loi n° 103 à la Cour suprême pour voir si ça passe le test de leur jugement de l'année passée? Est-ce que ça va se faire?
Mme St-Pierre: Bien, nous, on ne le souhaite pas. Nous, on souhaite que les... on souhaite, avec l'opposition officielle, qu'on trouve une solution parce que la loi n° 104 arrive à échéance à la fin du mois d'octobre. Nous avons préparé cette proposition-là et nous sommes ouverts à des suggestions. Mais la suggestion que vous nous faites, vous nous embarquez dans autre chose. J'aimerais que vous restiez dans le cadre de la loi n° 103 et que vous nous disiez quelle est votre suggestion pour améliorer ce qu'on a sur la table aujourd'hui.
M. Libman (Robert): Moi, je vous dis que la loi n° 103 est vindicative. Ce n'est pas nécessaire, c'est inutile. Ce n'est pas nécessaire, laissez... Si les gens veulent faire ça, s'il y a un tout petit pourcentage des personnes qui font ça, ce n'est pas nécessaire de colmater cette brèche parce que c'est une brèche tellement minime et petite. Mon opinion là-dessus est de laisser tomber la loi n° 103 carrément. Laissez tomber la loi n° 103, respectez le jugement de la Cour suprême, et on ouvre un dialogue sur qu'est-ce qu'on peut faire, où est-ce qu'on peut trouver la ligne d'équilibre entre les deux objectifs, les deux grands objectifs de la communauté anglophone minoritaire au Québec ainsi que le... avec la majorité francophone. C'est ça, ce que je souhaite. Je ne cache pas le fait que je veux que la loi n° 103 soit laissée tomber.
Mme St-Pierre: Ce matin, on a entendu un groupe avant vous qui nous parlait de la clientèle des écoles... puis il nous en parlait aussi, là, des écoles publiques anglophones. Bon, après l'adoption de la loi 101, il y a une diminution qui s'est faite, mais, après ça, il y a eu comme une certaine, je pense, stabilité. Là, on assiste à un petit baby-boom, passez-moi l'expression. Est-ce que vous entrevoyez une augmentation de la clientèle dans les écoles anglophones? Parce que la natalité n'augmente pas uniquement chez les francophones, mais aussi chez les anglophones.
M. Libman (Robert): Mais, si le taux de fécondité n'augmente pas, il n'y aura pas une augmentation dans les écoles anglaises au Québec. Comment est-ce qu'on peut augmenter le nombre des élèves? Il n'y a aucun accès aux immigrants, on n'a aucune façon d'augmenter le nombre. Comment? C'est ça, ce qu'on vous dit. Quelle sera la façon?
On a parlé ce matin... on a soulevé la question de la fécondité. Sans augmenter le nombre des jeunes anglophones au Québec, comment est-ce qu'on va augmenter le nombre dans nos écoles? Oui, ça pourrait stabiliser par rapport au nombre qu'il y avait auparavant. Moi, je parlais des chiffres, en 1970, de 250 000 personnes, c'est clair qu'on ne va jamais revenir à ce chiffre-là. Mais on parle d'un phénomène désastreux pour la communauté anglophone. On réalise aujourd'hui que 250 000 est dans le passé. Oui, ça se stabilise au cours des dernières années, mais c'est normal, après une chute comme ça, qu'éventuellement il y aura une stabilité, mais une stabilité qui est assez fragile, un équilibre qui est fragile.
Mme St-Pierre: M. Bernard disait ce matin -- vous étiez peut-être là -- demandait aux partis de trouver une solution ensemble et de faire en sorte qu'on puisse trouver un terrain d'entente. Il était vraiment clair là-dessus. Si je comprends bien, vous ne feriez pas partie des discussions, vous?
M. Libman (Robert): Sur la loi n° 103? Non. Non, moi, je pense qu'un terrain d'entente pourrait être trouvé ailleurs selon certaines suggestions que j'ai soulignées tantôt, et c'est ça, c'est ça, la position que je prends aujourd'hui. On ne peut pas accepter le fait que le gouvernement essaie de légiférer maintenant pour extraire des centaines des élèves qui peuvent avoir accès aux écoles anglaises. Pourquoi cette grande priorité dans la société québécoise aujourd'hui? Il y a tellement d'autres priorités dans le système d'éducation au Québec. Pourquoi ne pas aborder le décrochage scolaire ou les grands enjeux pour la société québécoise plutôt qu'aller arracher des centaines des élèves anglophones qui rentrent dans le système par la porte d'en arrière? Oui, je l'admets, ils rentrent par la porte d'en arrière, mais, quand même, pourquoi cette grande priorité pour le gouvernement de légiférer là-dessus quand il y a beaucoup d'autres grands enjeux à attaquer?
Mme St-Pierre: Est-ce que vous partagez les inquiétudes qu'on entend par rapport à Montréal, où il semble y avoir un phénomène où on dit qu'il y a une anglicisation à Montréal? Vous n'êtes pas en perte de vitesse si on en croit les inquiétudes qui sont véhiculées.
M. Libman (Robert): Tout d'abord, il y a une forte concentration des anglophones à Montréal, surtout dans l'ouest et dans le West Island. Mais, quand même, je dois vous dire que l'anglicisation de Montréal aussi est une exagération. Moi, j'ai siégé avec mes collègues au conseil municipal de Montréal, l'infrastructure municipale à Montréal est assez francophone. Vous pouvez aller dans n'importe quel commerce, restaurant et être servi en français. Vous allez entendre l'anglais de temps en temps parce que, comme j'ai mentionné, il y a une concentration, il y a des touristes aussi à Montréal, mais dire que Montréal s'anglicise est une exagération. Moi, je doute fortement que vous pouvez aller à un restaurant ou commerce dans le centre-ville de Montréal sans être servi en français. Aujourd'hui, c'est très, très rare. Et, si un commerce engage quelqu'un qui ne peut pas communiquer en français avec un client, bien ce commerce, lui-même, se punit.
Mme St-Pierre: M. le Président, j'ai terminé mes questions, et j'aurais peut-être le goût de passer la parole à mes collègues députés.
Le Président (M. Marsan): Oui. Il reste cinq minutes au parti ministériel. Je vais reconnaître le député de Lévis. C'est ça?
M. Lehouillier: Merci. Merci beaucoup, M. le Président. Au fond, quand on regarde le projet de loi n° 103, tu sais, il y a un consensus au Québec qui s'est fait, et ça, c'est la base même, et je voudrais vous entendre un peu là-dessus, c'est que la primauté de la langue française, c'est la valeur fondamentale de la société québécoise. Et, nous, on part avec ce principe-là. Et, au fond -- et là je vous dis comment, moi, je vois le projet de loi n° 103 puis, en même temps, je vais vous questionner là-dessus -- c'est que, dans le fond, nous, qu'est-ce qu'on a tenté de faire, c'est de préserver ça, et c'est pour ça qu'on y va avec une approche pragmatique. Cette approche-là, elle est équilibrée et elle nous ramène, au fond... et elle rejette toute solution sans nuance qui aurait consisté à assujettir les écoles privées non subventionnées à la charte. C'est ça, notre objectif, nous.
En termes clairs, M. Lévesque... Et vous l'avez évoqué dans vos textes, mais M. Lévesque, au fond, a voulu garder un espace de liberté, et, nous, c'est ce qu'on fait avec la loi n° 103, on veut préserver cet espace de liberté là. Je ne vois pas comment vous pouvez arriver à la conclusion que notre approche fait en sorte qu'on cristallise des positions. Alors, pouvez-vous m'entretenir un peu plus là-dessus, tu sais, par rapport à ça? Parce qu'il me semble que notre approche est plutôt pragmatique. Alors, je vous dis la lecture de la loi n° 103. Alors, comment vous réagissez à ça?
M. Libman (Robert): Mais, quand vous parlez de la liberté dans la loi n° 103, vous faites référence à quoi spécifiquement, quand vous parlez de la liberté dans la loi n° 103?
M. Lehouillier: Bien, en fait, là, c'est que la loi n° 103, elle bloque les passerelles pour ceux qui n'ont pas le droit selon 101. Alors, au fond, nous, ce qu'on dit, là, c'est que l'espace de liberté est conservé. Alors, je ne vois pas, moi, comment vous arrivez à la conclusion que, finalement, ça cristallise les positions anglophones-francophones. Je parle du projet de loi n° 103. Alors, pouvez-vous m'expliquer plus à fond?
M. Libman (Robert): Ce n'est pas une question des droits parce que les anglophones qui ont une éligibilité, qui ont le droit d'accès aux écoles anglaises, ce n'est pas leur droit qui est brimé. On parle d'un impact sur les institutions scolaires anglophones. C'est ça, la question ici. Pourquoi tout cet effort pour arracher un nombre minimal des élèves des écoles anglaises? C'est ça, la question. Ça ne touche pas nécessairement à une question des droits fondamentaux, la loi n° 103. Ici, on parle de la survie et l'importance du respect de nos institutions, de notre communauté et la force de notre communauté. Mais ce n'est pas une question de droit individuel parce que les anglophones qui ont l'égibilité aux écoles anglaises ont toujours ce droit. Ce n'est pas nous. En fait, c'est les francophones qui sont privés des droits d'envoyer ses enfants aux écoles anglaises, c'est les immigrants qui sont privés du droit d'envoyer ses enfants dans les écoles anglaises.
M. Lehouillier: Mais en quoi la loi n° 103 empêche la communauté francophone de fréquenter leurs écoles? En quoi?
M. Libman (Robert): Je n'ai jamais dit ça.
M. Lehouillier: Ah! bien, O.K.
M. Libman (Robert): À leurs écoles?
M. Lehouillier: Mais où est le problème, finalement?
**(14 h 30)**M. Libman (Robert): Le problème, pour nous, est qu'il semble que le message qui est envoyé à la communauté anglophone est que tout cet effort est fait pour complètement bloquer un nombre marginal des élèves d'avoir accès aux écoles anglaises. Au moins, la seule façon que les écoles anglaises peuvent avoir une petite part des nouvelles clientèles est par le système actuel, mais on essaie de fermer complètement une petite avenue d'avoir de la clientèle. Malgré le fait que, oui, légalement, vous avez raison, vous fermez une brèche légale, mais, en même temps, pourquoi tout cet effort pour un nombre complètement marginal par rapport à la...
M. Lehouillier: O.K. O.K. Bien, c'est parce que le juge de la Cour suprême, dans son jugement, nous le demande expressément, il nous dit: Oui, essayez de trouver un moyen. Et, nous, on pense qu'on a trouvé un moyen pragmatique, mais je vous dis un peu ce que la loi dit, le projet de loi. Mais, moi, je pense qu'on... en quoi on doit le jouer dans une situation conflictuelle, dans le fond.
M. Libman (Robert): Bien, il y a deux questions. D'abord, est-ce que c'est nécessaire? Est-ce que c'est nécessaire de tuer une mouche avec un canon? Et, deuxièmement, si c'est nécessaire de régulariser cette situation dite illégale, est-ce qu'on peut trouver ensemble une façon de donner quand même à la communauté anglophone une façon de se renouveler ou d'élargir un peu les portes d'accès aux écoles anglaises? C'est ça, ce que je vous dis. Si on décide d'aller de l'avant, au moins donnez-nous un outil pour élargir un petit peu.
Le Président (M. Marsan): Ceci termine l'échange avec le parti ministériel. Nous poursuivons avec le député de Borduas, porte-parole en matière de langue pour l'opposition officielle. M. le député, vous avez la parole pour 22 minutes.
M. Curzi: Merci, M. le Président. Bonjour, M. Libman. Est-ce que vous faites du bateau, M. Libman?
M. Libman (Robert): Du bateau?
M. Curzi: Oui.
M. Libman (Robert): Non, pas récemment, mais je fais du ski nautique et je...
M. Curzi: Si on utilisait cette allégorie-là et que vous êtes sur un bateau, que vous descendez dans la cale et que vous vous rendez compte qu'il y a plusieurs brèches dans la coque par lesquelles l'eau entre, est-ce que votre réflexe ne serait pas d'essayer de boucher ces différentes brèches là?
M. Libman (Robert): Des fois, oui, c'est nécessaire, mais pas pour perdre le bateau nécessairement.
M. Curzi: Et, s'il y avait une petite brèche qui était là et que vous avez bouché ce qui vous apparaît les principales brèches, est-ce que vous laisseriez une petite brèche continuer à faire son effet?
M. Libman (Robert): Si on répare le bateau, si on colmate toutes les brèches dans le bateau et, ensuite, on veut vendre le bateau à quelqu'un d'autre parce que ça devient plus valable, oui, on peut le faire. Mais, à la fin de la journée, on n'a plus de bateau, on n'a pas de bateau.
Il y a deux systèmes scolaires au Québec: le réseau francophone, le réseau anglophone. Si on doit colmater une brèche, oui, mais, au même moment, reconnaissez le fait qu'il faut nous donner des outils pour maintenir nos écoles vibrantes et importantes.
M. Curzi: Je comprends ça, cet argumentaire-là, on l'a un petit peu développé tantôt. Vous aviez écouté, je pense, les chiffres que j'ai cités, mais je veux vous poser des questions. Selon vous, là, entre... Avant que la loi n° 104 soit adoptée, il y avait des chiffres d'étudiants qui utilisaient les écoles passerelles. Est-ce que vous avez une idée de ces chiffres-là? Ce n'est pas une question piège, je les ai, je peux vous les donner.
M. Libman (Robert): Je ne les ai pas, les chiffres, je n'ai jamais vu une école passerelle. Je sais que... La référence aux écoles passerelles, on inclut dans ces écoles passerelles les autres écoles privées sur l'île de Montréal que je connais, qui ne sont pas considérées comme étant écoles passerelles, mais sont là légitimement, où la plupart de ces élèves sont là avec une éligibilité.
M. Curzi: O.K. C'est une question de sémantique. Je ne veux pas reprendre ça, il y a un débat sémantique. Admettons que vous ayez raison.
Il y avait quand même en 1998 628 élèves qui utilisaient des écoles privées non subventionnées pour avoir accès au système scolaire subventionné. Il y a eu une augmentation entre 1998 et 2002: de 628, on est passé à 1 379 personnes, élèves qui ont utilisé les écoles privées non subventionnées pour obtenir le droit d'accès à l'instruction en anglais. Évidemment, ce nombre, c'est une augmentation considérable, c'est une augmentation qui est quasiment le double, et ce chiffre-là ne tient pas compte, évidemment, des frères, des soeurs et de la descendance. Parce qu'un coup ce droit acquis il est transférable et il s'applique. M. Maheu avait identifié que, si on calculait une cohorte, on était quelque part entre 11 000 personnes et 22 000. Donc, ces chiffres-là témoignent de la raison pour laquelle l'Assemblée nationale, unanimement, y compris des députés qui représentaient des comtés très anglophones, ont adopté la loi n° 104. Juste pour mettre ça en perspective, je pense que c'est important de se souvenir de ça. Ce sont les chiffres sur lesquels tout le monde s'est basé, et à l'époque et encore maintenant, pour déterminer une politique, cette politique-là.
M. Libman (Robert): 628, vous avez dit?
M. Curzi: En 1998, et c'est passé à 1 379 en 2002, au moment où la loi n° 104 a été adoptée.
M. Libman (Robert): Si c'est assez urgent pour l'Assemblée nationale de légiférer sur cette question pour colmater une brèche qui représente un millième, un millième du nombre d'étudiants dans le réseau scolaire francophone, s'il y a une urgence pour le faire, l'Assemblée nationale a toujours le droit de le faire. Nous vous demandons: Pourquoi cette urgence sur cette question? Et, deuxièmement, oui, si c'est nécessaire de nettoyer le système, de colmater cette brèche, au moins donnez-nous, donnez à la communauté anglophone une façon de se renouveler. C'est ça, le dialogue. C'est ça, le point que je soulève ce matin.
M. Curzi: Parfait. Je comprends puis je vous dis... Ce que je vous dis, c'est qu'à l'époque, en 2002, l'Assemblée nationale, unanimement, a jugé que cette brèche-là -- parce que vous oubliez toujours de mentionner les frères, les soeurs et la descendance -- a jugé que ces 1 379 individus, et si on y ajoute les frères, les soeurs et la descendance, représentaient une brèche suffisamment importante pour adopter une loi qui s'est appelée la loi n° 104. Vous reconnaissez ça et vous dites: Bon, ils ont agi comme cela. L'autre aspect, vous nous dites: Bon, très bien, admettons qu'on puisse légiférer là-dessus, je veux bien le reconnaître. Je ne suis pas d'accord, mais je peux le reconnaître.
L'autre aspect, c'est que vous nous dites: Donnez-nous de l'oxygène, donnez-nous de l'oxygène, à notre système d'éducation anglophone. Et vous commencez par dire: On est passé de 250 000 élèves à 105 000, et vous avez raison. Mais, en même temps, quand on regarde -- et là ce sont les chiffres de Statistique Canada dans le temps où il y avait un questionnaire long, alors il faut en profiter parce qu'on ne pourra plus se fier à ces chiffres-là si je comprends bien -- les anglophones, ceux de langue maternelle anglaise, entre 1976 et 1981, ont quitté la province, et le chiffre que j'ai ici, c'est 106 300; entre 1981 et 1986, 41 600; entre 1986 et 1991, 22 200; 1991 à 1996, 24 500; 1996 à 2001, 29 200; et 2001 à 2006, baisse considérable. Là, on parle du solde migratoire, on se comprend bien, c'est-à-dire la différence entre les gens qui viennent... disons, qui sont des anglophones de langue maternelle anglaise qui arrivent au Québec et ceux qui quittent, donc c'est le solde migratoire. Et, de 2001 à 2006, on tombe à 7 970, ce qui est quand même pour la communauté un très bon signe, ça veut dire que le solde migratoire interprovincial s'améliore. Donc, autrement dit, il y a plus de gens de langue anglophone... d'anglophones, de gens de langue maternelle anglaise qui restent, principalement à Montréal, on le sait, et dans les banlieues. Ça, c'est la réalité. Mais, si on additionne tout ça, ces chiffres-là, on arrive avec un chiffre de 231 770.
Donc, on comprend qu'il y a évidemment eu une baisse radicale du nombre d'enfants qui ont fréquenté le système scolaire anglophone parce qu'une grande partie de votre groupe des anglophones ont quitté le Québec, parce que vous avez beaucoup plus de mobilité puis aussi, on le sait, pour des raisons politiques. On parle... Ça commence en 1976 jusqu'en 1996, il y a eu... tu sais, il y a eu les référendums, il y a eu des peurs. Bon. Donc, c'est ça, la première raison de la baisse dramatique du nombre d'élèves dans le système scolaire anglophone. En toute franchise, c'est le résultat d'un comportement de la minorité anglophone.
Maintenant, depuis 1990 -- et c'est ça, la démonstration que je faisais ce matin -- et si on regarde les chiffres jusqu'en 2010, et si on fait une projection jusqu'en 2024, ce qu'on constate, c'est qu'entre 1990 et 2010 le nombre d'élèves qui fréquentent le système scolaire anglophone n'a pas diminué, c'est exactement le même nombre à quelques milliers près. Donc, on était à 110 000 en 1990 puis on est maintenant à 105 000.
Ce qui a varié, par ailleurs, ce qui a varié -- et ça, c'est intéressant -- il y en avait 100 000 dans les écoles publiques, 100 000 élèves dans les écoles publiques en 1990 puis 8 000 dans les écoles privées anglophones. Donc, il y a un 7,4 %. En 2010, il y a 105 000 -- donc il y a une augmentation par rapport à 1990 -- qui fréquentent les écoles publiques anglophones et il y en a 15 000 qui fréquentent les écoles anglophones privées. Là, il y a une augmentation. Proportionnellement, vous êtes passés quasiment au double, vous êtes passés de 7 % à 13 %. Donc, il y a plus de gens. Mais, globalement, la communauté anglophone, le milieu scolaire suit exactement les mêmes courbes que le milieu scolaire francophone. Vous êtes 10 fois moins nombreux, mais vous suivez exactement les mêmes courbes.
Alors, quand vous réclamez de l'oxygène, ma réaction, c'est de dire: Mais -- je l'ai dit ce matin -- vous respirez très bien, ça va bien. Puis je ne suis pas mécontent, ça va bien pour vous. Puis, si je regarde vers le haut, du côté des cégeps puis des universités, bien ça va plus que bien. Donc, je veux dire, l'inquiétude que le milieu, que la minorité anglophone ressent face à son système d'éducation, elle est contredite assez clairement par les chiffres. Expliquez-moi cela.
**(14 h 40)**M. Libman (Robert): Et je vous ai entendu ce matin avec cette même analyse, ces mêmes chiffres, et je suis, tout respectueusement, en désaccord avec les conclusions ou vos interprétations.
D'abord, 231 000 personnes qui sont parties, oui, ces chiffres sont connus. En fait, je connais bien ces chiffres, mes trois frères ont fait partie de ce nombre-là, et c'est vrai. C'est pour ça qu'on ne va jamais revenir... Quand j'ai mentionné tantôt, hein, le chiffre de 250 000 élèves dans nos écoles anglophones, c'est clair, c'est clair qu'on ne va pas renverser cette histoire-là. Et c'est une tragédie pour la communauté anglophone, mais c'est une réalité qu'on commence d'accepter, la réalité que les gens qui sont restés sont ici par choix et veulent faire partie de la réalité dynamique d'aujourd'hui.
Ceci étant dit, est-ce que l'équilibre est fort ou non? Quand on a une famille avec quatre enfants, et trois quittent, ou trois départs, il reste un, oui, le lendemain ça continue et se stabilise éventuellement. Oui, les chiffres changent, et on reste... équilibre pendant des années, mais l'équilibre est fragile. Qu'est-ce qui va se passer si ces personnes quittent? Ou qu'est-ce qui va se passer si ces nombres commencent de diminuer encore ou s'il y a un autre exode? C'est naturel qu'après des années de nombres très importants des anglophones qui ont quitté le Québec, éventuellement, on réalise une certaine stabilité, un certain équilibre. Mais l'équilibre est fragile, et, aujourd'hui, nous voulons au moins donner un nouveau souffle à nos écoles. Oui, au cours des 10 dernières années peut-être, les chiffres, le nombre des élèves dans les écoles s'est stabilisé, mais pourquoi on ne peut pas donner un peu plus de vitalité à nos écoles? Est-ce que vous croyez qu'on exagère? Vous semblez dire que tout le monde exagère, toutes les personnes, tous les porte-parole de la communauté anglophone, toutes les écoles exagèrent quand elles parlent du fait...
M. Curzi: Non, je n'ai pas dit ça, là.
M. Libman (Robert): ...qu'on a besoin d'ajouter des enfants dans nos écoles pour renouveler nos écoles.
Nous, on vous demande aujourd'hui si on peut... Ou moi, je vous demande aujourd'hui si on peut reconnaître au moins que le système scolaire anglophone a subi une période très difficile au cours des 20, 30 dernières années. Est-ce qu'on peut trouver une façon, 33 ans après l'adoption de la loi 101, de peut-être donner une opportunité à la communauté anglophone de se renouveler par une procédure qui ne va pas avoir un impact sur la majorité francophone? Je pense qu'il y a des moyens. Je pense que ça peut ouvrir un dialogue très intéressant, et, peut-être, ça pourrait rectifier ou guérir certaines divisions du passé. C'est une opportunité. Peut-être, dans toute l'ombre des discussions autour de la loi n° 103, c'est une opportunité pour nous de parler, d'échanger, peut-être trouver des formules qui pourraient donner aux communautés anglophones un peu d'espoir pour l'avenir, qui n'existe pas présentement dans la communauté, l'espoir pour l'avenir.
M. Curzi: Mais j'entends bien ce que vous dites et, moi, je ne suis pas vindicatif d'aucune façon envers la communauté. Puis je reconnais que la communauté a subi une grande transformation, puis je reconnais aussi -- et on le disait ce matin -- qu'il y a eu des efforts réels, par exemple, pour que le français soit mieux enseigné et devienne une langue pratiquée. Mais, actuellement, peut-être que vous devriez redonner un peu d'espoir, puisque les chiffres aussi, quand on fait des projections, montrent qu'il y a une augmentation du nombre d'élèves qui vont fréquenter le système scolaire anglophone, il y en a une réelle dans les projections du ministère de l'Éducation. Donc, je veux bien que... Et je ne reproche pas à personne d'exagérer, je dis juste la situation. Et c'est la même courbe que dans le système francophone, alors vous n'avez pas de raison d'être plus ou moins désespérés que nous autres, on suit à peu près le même chemin.
Là où il y a d'autres inquiétudes, c'est dans d'autres phénomènes qu'on a assez bien décrits, je pense, dans le rapport qui s'appelle Le Grand Montréal s'anglicise, où on voit qu'une partie des francophones et des allophones quittent la culture francophone et intègrent, en quelque sorte, la culture anglophone. Et, avec des phénomènes comme l'exogamie, vous renouvelez, en quelque sorte, la minorité anglophone au-delà du taux de fécondité. Vous augmentez votre nombre modestement, mais vous le faites d'une façon constante. C'est ça que les études montrent.
Alors, ma question, c'est que j'inverse le problème, je me dis: L'inquiétude -- et c'est ça qui est un peu nouveau dans notre analyse -- c'est qu'elle est plutôt de notre côté, où on se dit: Bon sang! Est-ce que les multiples petites fuites sont en train d'être une menace sérieuse pour ce bateau-là qui s'appelle la culture francophone? Parce qu'on est sur une mer forte et puissante qui s'appelle la culture anglophone nord-américaine puis on se dit: Est-ce que l'esquif... Est-ce qu'il faut vraiment qu'on consolide ou bien donc, tu sais, si on va continuer à penser que ce n'est pas grave s'il y a une petite fuite ici et là? Vous voyez, j'inverserais un petit peu votre inquiétude. Moi, je dirais que votre inquiétude, si elle existe, de notre côté elle existe aussi. Ce n'est pas de l'alarmisme, c'est juste une espèce de confrontation avec des chiffres réels qui n'ont pas été contestés par personne jusqu'à maintenant, donc avec des réalités.
M. Libman (Robert): Je connais bien et j'apprécie les inquiétudes réelles pour la société québécoise, la majorité francophone au Québec dans la mer anglophone en Amérique du Nord. C'est clair, c'est légitime. Moi, j'ai été à l'Assemblée nationale. On ne peut pas passer cinq ans à l'Assemblée nationale sans reconnaître cette réalité, c'est évident, c'est clair.
Mais, en passant une loi comme 103 pour arracher 500 ou 800 élèves au système scolaire anglophone, est-ce que c'est ça qui va protéger vraiment la langue française, la culture québécoise en Amérique du Nord? Moi, je pense que c'est une exagération. De forcer les immigrants des États-Unis, ou Angleterre, ou Australie de fréquenter des écoles françaises au Québec, est-ce que ça va protéger la force de la langue française en Amérique du Nord? Je ne pense pas que c'est ça. Il y a des plus grands défis qui peuvent avoir un vrai impact, un impact réel sur la société québécoise, sur la majorité francophone, la force du français au Québec. Les enjeux comme j'ai mentionnés tantôt, le décrochage scolaire, l'invasion de l'Internet et l'âge digital, la globalisation, ce sont des enjeux beaucoup plus importants qui impactent sur cette culture francophone fragile en Amérique du Nord. Mais ce n'est pas pour aller chercher des anglophones d'ici ou des immigrants d'ici pour les forcer à aller aux écoles françaises au Québec, ce n'est pas ça, ce qui va dynamiser la langue française en Amérique du Nord, et c'est pour ça que je pense que la loi n° 103 va beaucoup trop loin. Il y a d'autres façons, et on n'a jamais vraiment exploré au Québec des vraies façons de valoriser la langue française, de faire s'épanouir la langue française en Amérique du Nord par d'autres moyens, des moyens qui sont beaucoup plus positifs. Ce n'est pas un vase communicant. Il ne faut pas réduire la communauté anglophone pour donner plus de force à la majorité francophone, ce n'est pas nécessaire.
M. Curzi: Faisons attention à ce que nous disons. Il n'y a personne qui, actuellement, cherche à réduire la communauté anglophone. Vous savez très bien que la loi n° 103, comme la loi n° 104, comme la loi 101, s'applique aux communautés francophones et allophones et respecte complètement la communauté anglophone. Tu voulais poser une question?
Une voix: Non, non, c'est correct, je veux juste vérifier le temps. C'est bon.
M. Libman (Robert): Mais ce n'est pas nécessairement les lois qui doivent...
Le Président (M. Marsan): Quatre minutes.
M. Libman (Robert): Ce n'est pas toujours les lois qui peuvent protéger une langue ou une culture.
M. Curzi: Non. On est d'accord avec ça.
M. Libman (Robert): C'est ça, ce que je vous dis, là.
**(14 h 50)**M. Curzi: Mais vous êtes d'accord aussi pour dire que, quand on se préoccupe d'une situation comme, disons, la bilinguisation de Montréal ou l'augmentation de l'anglicisation, tout est important. Et tous les morceaux sont importants, et l'enseignement est évidemment un des objectifs d'une tentative de redonner au français toute sa présence et son importance. La langue de travail, c'en est une autre, la langue de l'administration aussi. La langue d'enseignement au collège en est une. Tous les secteurs de la vie sont touchés lorsqu'il y a ce type de mouvement qu'on voit se produire actuellement sur l'île de Montréal qui est le fabuleux attrait d'une culture et d'une langue.
M. Libman (Robert): Et la communauté anglophone pourrait être un allié très important dans cette démarche. Une communauté anglophone qui est bilingue, qui reconnaît le fait français, qui participe dans le monde des affaires francophone au Québec et à Montréal pourrait être un allié très important. Il ne faut pas être vu comme un adversaire, il faut être vu comme un allié qui pourrait travailler ensemble pour trouver des façons. Mais on doit avoir, on doit maintenir une communauté anglophone vibrante. Imaginez le message envoyé à la communauté anglophone si on permet à notre communauté une ouverture de la porte, un peu, vers nos écoles. Ça pourrait nous donner de l'espoir et ça pourrait être un signe, finalement, que la majorité veut travailler avec la minorité pour créer une société juste, et équilibre... et beaucoup plus positive.
Le Président (M. Marsan): M. le député de Drummond.
M. Blanchet: Bonjour, M. Libman. Parlant de ce que nous appelons les écoles passerelles, vous avez dit: Laissez-nous ce moyen de nous renouveler, référant à un besoin d'oxygéner la communauté anglophone. Je ne veux pas faire le débat sur les bonbonnes qui sont à votre disposition, question théorique: S'il y avait une reconnaissance de ce besoin de s'oxygéner, qu'il existait des moyens de renouveler la clientèle des écoles anglophones, est-ce que vous accepteriez le principe, l'intention de mettre un terme à l'usage, au recours aux écoles passerelles pour contourner la Charte de la langue française?
M. Libman (Robert): Moi, personnellement, je n'ai aucune connaissance d'une seule école passerelle au Québec, je ne les connais pas. Apparemment, il y a quelques années, il y en avait quelques-unes à Granby, mais, moi, je ne connais pas une école passerelle telle que décrite. Moi, j'ai mentionné tout à l'heure que le principe de bloquer les personnes qui essaient de contourner la loi est un principe réel et légitime. Mais il y a d'autres façons peut-être, si on va faire ça, si on va colmater la brèche, si on va fermer ou claquer la porte, d'au moins donner à la communauté anglophone une opportunité peut-être légitime de trouver une façon de se renouveler. Mais une école passerelle... Moi, je ne connais pas des écoles passerelles. Je le lis dans les journaux, on fait référence assez souvent à des écoles passerelles, mais je ne connais pas des écoles passerelles. Je connais quelques écoles légitimes qui ont des élèves avec éligibilité qui sont peut-être utilisées par des parents pour contourner le passage ou le respect de la loi actuelle, mais, moi, je ne connais pas une école passerelle qui a été construite juste pour être là pour passer à travers la loi.
M. Blanchet: Si des gens ont utilisé le principe de fréquenter des écoles anglaises non subventionnées pendant un certain temps pour, par la suite, pouvoir fréquenter les écoles anglaises subventionnées -- c'est le principe de l'école passerelle, qu'on reconnaisse institutionnellement que ça a existé ou pas -- il y a une brèche petite, grosse, marginale de quelques centaines, pouvant devenir quelques milliers, de personnes.
Donc, ma question, c'est: S'il y avait une reconnaissance du besoin d'oxygénation, acceptez-vous le principe que ce mécanisme utilisé doive être clairement bloqué, donc ne pas vous laisser ce moyen de vous renouveler...
M. Libman (Robert): O.K. Je comprends.
M. Blanchet: Comme n'étant pas un bon moyen de vous renouveler.
M. Libman (Robert): Non, non, je comprends bien votre... En fait, c'est légal. C'est légal, les écoles non subventionnées ne sont pas couvertes par la loi. Si c'est un passage légal, ce n'est pas vraiment une brèche, c'est une façon légale d'aller à une école, avoir une année ou deux... deux ans ou trois ans à l'école anglaise qui donne, par rapport aux paramètres existants, le droit d'avoir accès à l'école publique anglophone. Elle est là, elle est légale présentement. Si vous voulez fermer cette légalité, c'est le droit du législateur de le faire. Moi, je n'ai aucun problème avec ça, c'est un droit qui existe, une possibilité qui existe. Ce n'est pas beaucoup de monde qui l'utilise, mais c'est une possibilité qui existe. L'Assemblée nationale, avec la loi n° 104, a décidé de fermer cette possibilité. Mais, présentement ou avant l'adoption de la loi n° 104, c'était un passage, une possibilité qui existait, qui était légale. Moi, je n'avais aucune objection à ça.
Le Président (M. Marsan): Ceci termine votre présentation et la période d'échange. Nous vous remercions, M. Libman.
Nous allons maintenant demander à M. Charles Castonguay de se présenter, et je vais ajourner pour quelques instants nos travaux.
(Suspension de la séance à 14 h 55)
(Reprise à 14 h 58)
Le Président (M. Marsan): À l'ordre, s'il vous plaît! Nous reprenons nos travaux, et je vais immédiatement céder la parole à M. Charles Castonguay pour une présentation de 15 minutes. Ça va nous faire plaisir de vous écouter, M. Castonguay. La parole est à vous.
M. Charles Castonguay
M. Castonguay (Charles): Merci, M. le Président. Je me présente à titre personnel. Je m'intéresse au débat linguistique depuis presque 40 ans et j'ai cru utile, peut-être, d'analyser les chiffres concernant les baisses de clientèle récentes dans les écoles françaises et anglaises d'un point de vue comparatif et de faire de même pour les récentes prévisions publiées par le ministère de l'Éducation quant aux clientèles des deux réseaux scolaires jusqu'en 2024-2025. Certains intervenants...Bien, d'abord, ça s'intitule La clientèle de l'école anglaise: aucune raison de crier famine.
Certains intervenants, dont les présidents de commissions scolaires anglophones, ont déclaré récemment que c'est nécessaire d'accroître l'accès à l'école anglaise au primaire en modifiant la loi 101 sous prétexte que l'école en question connaîtra un tel recul de sa clientèle sous le régime linguistique actuel que la minorité anglophone risque de voir s'atrophier cet élément essentiel de son réseau institutionnel. Je vais montrer, je crois, que cette prétention n'est pas fondée. Je vais m'appuyer en particulier sur ces prévisions les plus récentes du ministère de l'Éducation quant à la future clientèle des écoles primaires anglaises. Une présumée raréfaction de la clientèle ne saurait, par conséquent, servir de justification pour modifier, comme le prévoit le projet de loi n° 103, les dispositions législatives actuelles en matière d'accès à l'école primaire anglaise.
**(15 heures)** Alors, j'aimerais d'abord regarder la tendance récente sur les années 2002-2010, que j'ai trouvée dans un tableau du ministère de l'Éducation sur l'évolution des effectifs des commissions scolaires pendant ces huit années-là. Il est vrai que l'école anglaise, pendant ces années, a connu -- là, il s'agit des commissions scolaires, donc le public -- un important recul de sa clientèle, mais c'est tout aussi vrai de l'école française. Et, en fait, depuis une bonne vingtaine d'années, les populations anglophone et francophone -- selon la langue maternelle -- font preuve au Québec d'un niveau de sous-fécondité à toutes fins utiles identique, niveau identique et niveau inadéquat aussi pour renouveler la population. C'est la principale raison pour laquelle, selon ce tableau du ministère de l'Éducation, l'ensemble des commissions scolaires francophones du Québec ont connu, de 2002 à 2010, un recul de 20 % de leur clientèle au primaire pendant que l'ensemble des commissions scolaires anglophones connaissaient un recul du même ordre, soit 22,1 %. Alors, c'est vraiment... ça me paraît étroitement parallèle, l'évolution récente des clientèles.
Les dispositions scolaires des lois 101 et n° 104 obligeant les enfants des nouveaux arrivants au Québec à s'inscrire à l'école française expliquent sans doute pourquoi, à l'échelle de l'ensemble de la province, le recul de la clientèle depuis 2002 dans les écoles primaires françaises a été légèrement inférieur à celui des écoles anglaises. À fécondité égale, il faut bien que les écoles françaises trouvent une source supplémentaire pour réussir à avoir un déficit de 20 % au lieu de 22 % comme les écoles anglaises. Mais, cela dit, finalement les écoles anglaises s'en tirent assez bien.
Durant la même période, le recul de la clientèle au primaire dans les cinq commissions scolaires anglophones qui englobent ensemble la région métropolitaine de recensement de Montréal, c'est-à-dire English-Montréal, Lester-B.-Pearson, Sir-Wilfrid-Laurier, Riverside et New Frontiers, le recul a été de 23,2 %, un peu plus, donc, que pour les commissions scolaires anglophones de l'ensemble du Québec. En même temps, le recul correspondant du côté des 18 commissions scolaires francophones qui recouvrent à peu près le même territoire que les cinq commissions scolaires anglophones que je viens de nommer a été de 18,1 %, soit un peu moins que pour les commissions scolaires francophones de l'ensemble du Québec. Cette évolution particulière des clientèles dans la région métropolitaine de Montréal découle sans doute aussi, pour l'essentiel, du régime scolaire des lois 101 et n° 104 et du fait que la grande majorité des nouveaux arrivants au Québec élisent domicile dans cette région métropolitaine. Alors, le recul a été plus marqué pour les anglophones, pour les commissions scolaires anglophones, dans la région métropolitaine de Montréal, un peu moins marqué pour les francophones comparativement au niveau de ces deux réseaux à l'échelle du Québec.
Dans le Québec, à l'extérieur de la région de Montréal, on constate logiquement une tendance inverse. Puisqu'à l'échelle de la province ça a été à peu près pareil, bien, s'il y a un quelconque avantage du français dans la région de Montréal, il y a probablement un avantage de l'anglais -- relativement parlant toujours, comparativement parlant -- à l'extérieur de la région de Montréal. Et, en fait, le déclin de 17,2 % depuis 2002 de la clientèle des écoles primaires anglaises dans le reste du Québec a été plus faible que celui observé dans les écoles correspondantes de la région métropolitaine de Montréal, alors que, pour les écoles françaises du reste du Québec, le déclin a été plus marqué, s'élevant à 22,2 %. Je souligne que l'écart à l'extérieur de la région de Montréal est de 5 % en faveur, pour ainsi dire, des écoles anglaises. L'écart à l'intérieur de la région métropolitaine de Montréal est de 5 %, de façon relative, en faveur des écoles françaises comparativement aux écoles anglaises. Alors, il y a une symétrie qui joue, là, et qui est assez intéressante et sûrement reliée au fait, comme j'ai mentionné, que les nouveaux arrivants s'installent surtout dans la région de Montréal.
J'aimerais regarder avec vous maintenant la future clientèle prévue par le ministère de l'Éducation pour l'ensemble des écoles primaires françaises et anglaises du Québec. Dans ce cas-ci, tous réseaux confondus, public, privé, selon les plus récentes prévisions, le recul de la clientèle prendra fin très bientôt dans les écoles primaires anglaises, publiques et privées confondues. La même chose est vraie pour les écoles primaires françaises.
Le ministère de l'Éducation prévoit ensuite une reprise générale de la croissance des clientèles, de sorte que, dans l'ensemble du Québec, de 2009-2010 à 2024-2025 la clientèle des écoles primaires anglaises, encore une fois publiques et privées confondues, passera de 49 146 élèves à 54 459, soit une augmentation de 5 313 élèves ou de 10,8 %. De façon globale, donc, l'école primaire anglaise, élément essentiel du réseau institutionnel de la minorité anglophone, ne paraît en rien menacée.
En même temps, le ministère prévoit une augmentation de 20,5 % de la clientèle dans les écoles primaires françaises, encore une fois publiques et privées confondues. Cette augmentation plus forte fait en sorte qu'en fin de période, c'est-à-dire en 2024-2025, il est prévu que 9,9 % du nombre total d'élèves au primaire fréquenteront l'école anglaise, soit un poids un peu réduit par rapport à celui de 10,7 % observé en 2009-2010. Il demeurera cependant... le 9,9 % demeurera cependant supérieur, en toute vraisemblance, à celui de la population anglophone -- selon la langue maternelle -- du Québec.
J'aimerais regarder l'évolution maintenant. J'ai terminé le côté comparatif, mais juste regarder de façon plus locale, si vous voulez, les différentes commissions scolaires anglophones publiques -- uniquement publiques, pas le privé -- selon les prévisions du ministère dans la région de Montréal et, ensuite, à l'extérieur de la région de Montréal. Dans les commissions scolaires -- toujours réseau public, je souligne -- anglophones qui comprennent la ville de Laval et la Rive-Nord de la région de Montréal, c'est-à-dire les commissions scolaires Sir-Wilfrid-Laurier ainsi que la commission scolaire... et de la Rive-Sud, on va regarder la couronne métropolitaine. La Rive-Sud, il s'agit de deux commissions scolaires, Riverside et New Frontiers, qui recouvrent ce territoire-là. Dans ces commissions scolaires anglophones, le ministère prévoit que la clientèle des écoles primaires anglaises aura touché le fond dès l'année scolaire actuelle. En d'autres mots, croissance dès l'année prochaine, c'est-à-dire 2010-2011, on est dans cette année scolaire. Leur clientèle est ensuite appelée à croître jusqu'en 2024-2025 pour atteindre une augmentation globale, à partir de 2009-2010, de 29,8 % dans Sir-Wilfrid-Laurier, c'est-à-dire ce qui couvre Laval et la Rive-Nord, et de 26,8 % dans Riverside et New Frontiers qui recouvrent la Rive-Sud.
Toujours selon ces dernières prévisions du ministère, dans les deux commissions scolaires de English-Montréal, qui recouvre la partie est de l'île de Montréal, et de Lester-B.-Pearson, qui recouvre l'Ouest-de-l'Île ainsi que le comté de Vaudreuil-Soulanges, la clientèle des écoles primaires anglaises atteindra son plus bas niveau trois ans plus tard, soit en 2013--2014. Elle augmentera par la suite, mais plus lentement que dans la couronne de la région métropolitaine, c'est-à-dire dans Laval, Rive-Sud et Rive-Nord, de sorte qu'elle accusera, sur l'ensemble de la période de 2009-2010 à 2024--2025, une légère diminution globale de 564 élèves ou de 2,6 % en 15 ans. De manière plus détaillée, cette légère diminution globale représente le solde d'une augmentation légère durant la période en cause de 159 élèves ou 1,4 % pour la clientèle des écoles primaires de la commission scolaire Lester-B.-Pearson, qui recouvre encore une fois l'Ouest-de-l'Île et le comté de Vaudreuil-Soulanges, et d'une diminution de 723 élèves ou de 7,1 % pour celle -- la clientèle -- de la commission scolaire English-Montréal, qui recouvre l'est de l'île de Montréal. Cette dernière est la seule des commissions scolaires anglophones du Québec pour laquelle le ministère prévoit une clientèle plus faible en 2024-2025 qu'en 2009-2010 ainsi que la seule dont le territoire se trouve entièrement compris dans l'île de Montréal.
**(15 h 10)** En somme, l'évolution de la clientèle des écoles primaires des cinq commissions scolaires qui englobent la région de Montréal ressemble à l'évolution familière de la population en fonction de l'étalement urbain dans la vaste majorité des grandes conurbations nord-américaines, c'est-à-dire une réduction de la population dans le noyau urbain au profit d'une augmentation de la population dans les banlieues se soldant par une augmentation globale à l'échelle de l'ensemble de la conurbation.
Quant aux quatre commissions scolaires anglophones du réseau public qui recouvrent le reste du Québec, soit les commissions scolaires Eastern Shores, Eastern Townships, Central Québec et Western Québec, la clientèle de leurs écoles primaires a, dans l'ensemble, déjà cessé de décroître, le ministère prévoit que cette clientèle augmentera de 15,7 % d'ici 2024-2025. C'est dans la commission scolaire Western Québec, qui comprend notamment la région de l'Outaouais, que la croissance prévue de la clientèle est la plus forte, soit de 29,0 %, c'est-à-dire même ordre de grandeur que celle prévue pour les commissions scolaires anglophones qui comprennent la couronne de la région métropolitaine de Montréal.
En conclusion, il me paraît qu'il n'y a donc aucune raison de crier famine. Il se peut que quelques écoles primaires anglaises ferment sur l'île de Montréal, mais d'autres en plus grand nombre ouvriront leurs portes vraisemblablement à Laval, sur la Rive-Nord de la région métropolitaine de Montréal, sur la Rive-Sud, dans Vaudreuil-Soulanges et dans l'Outaouais. Ainsi, de manière globale, les prévisions du ministère ne laissent présager aucune atrophie du réseau d'écoles primaires anglaises au Québec, en particulier de son réseau d'écoles publiques. Je n'ai parlé, là, vers la fin, que du public. L'avenir sera vraisemblablement fait, au contraire, d'une expansion graduelle du réseau en fonction, notamment, du redéploiement territorial de sa clientèle dans la région métropolitaine de Montréal. Par conséquent, l'on ne saurait prétendre qu'une raréfaction de la clientèle rende nécessaire de modifier, ainsi que le prévoit le projet de loi n° 103, les dispositions des lois 101 et n° 104 en matière d'accès à l'école primaire anglaise. Merci.
Le Président (M. Marsan): Merci, M. Castonguay. Nous allons immédiatement débuter la période d'échange, et je vais céder la parole à la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine. Mme la ministre.
Mme St-Pierre: Merci. Merci, M. Castonguay. Lorsque vous parlez de... En fait, votre conclusion, aucune raison de crier famine, donc on voit comme grosso modo, généralement, que la clientèle va augmenter, on peut dire ça en général, même s'il y a certains endroits, comme vous le dites, dans l'île de Montréal, il pourrait y avoir des écoles qui ferment, mais il y aurait des compensations, des compensations ailleurs. Est-ce que c'est dû au phénomène de... une augmentation de la natalité, au phénomène de migration interprovinciale, c'est-à-dire des gens qui reviennent vivre au Québec ou... Comment on explique l'augmentation?
M. Castonguay (Charles): Oui. Il faudrait interroger les spécialistes du ministère de l'Éducation à savoir quelle sorte de modèle prévisionnel ils utilisent, quels sont les entrants, là, comment ils alimentent leur modèle. Je m'imagine qu'ils sont à la fine pointe, là, des développements démographiques. Je sais moi-même, pour avoir lu bien des choses à ce sujet-là, que l'indice synthétique de fécondité, si je me rappelle bien, des anglophones sur l'île de Montréal est de 1,2 enfant par femme. C'est beaucoup plus élevé dans les banlieues, à l'extérieur, ou dans le West Island, ou Vaudreuil-Soulanges, la Rive-Nord et la Rive-Sud. Ça serait à vérifier, là. Je vous cite ce chiffre de mémoire, ça m'avait frappé à l'époque. Chez les francophones, ce n'est guère mieux, je pense que c'est du même ordre. Et c'est évident que, sur l'île de Montréal, bien les familles quittent, hein, pour le... il y a l'exode vers Laval, vers la Rive-Nord, la Rive-Sud qui est un facteur, là. Et je m'imagine que, les écoles françaises sur l'île de Montréal, il y en a qui vont être en difficulté à cause de ça, et d'autres écoles françaises vont ouvrir sur la Rive-Nord et la Rive-Sud, tout à fait comme pour la communauté anglophone, il va y avoir un genre de redéploiement de l'offre de l'enseignement en fonction de la fécondité, de style de vie, là, des gens qui vivent sur l'île et des gens qui vivent en périphérie. Alors, je m'imagine que les experts du ministère ont fait ça de façon professionnelle, je ne peux pas défendre leurs prévisions.
Mme St-Pierre: Mais, quand même, vous accordez, puisque vous avez fait toute votre démarche et votre exposé à partir des données du ministère, vous leur accordez quand même beaucoup de crédibilité, j'imagine.
M. Castonguay (Charles): Bien, effectivement. Je n'ai pas fait de prévisions moi-même, je ne connais pas d'autres... Alors, dans la mesure où on veut essayer de voir venir, il faut se fier à ceux qui sont payés pour faire le travail. Je pense qu'ils ont une assez longue habitude, là, de faire ces genres de prévisions depuis que le ministère existe, depuis 1964, je crois. Et, s'ils se trompaient lourdement, on le saurait sans doute, il y en a qui élèveraient la voix et dénonceraient l'incompétence ou...
Mme St-Pierre: Vous avez écouté votre prédécesseur tout à l'heure. Je vous voyais à l'arrière de la salle, vous avez écouté M. Libman. Donc, vous considérez que leurs inquiétudes, leurs demandes pour avoir ce qu'ils disent, de l'oxygène, c'est exagéré? Ou comment vous qualifiez ça? Est-ce que vous...
M. Castonguay (Charles): Je n'ai pas assisté à toute la présentation, mais le porte-parole... ou enfin M. Libman semblait plaider en faveur d'ouvrir l'accès aux écoles anglaises aux enfants d'immigrants provenant de pays anglophones, «whatever that means». Il y a probablement la moitié des pays du monde qui aimeraient ça se définir comme pays anglophone à moitié, ou au quart, ou totalement, et c'est majeur, ça. Ça, c'est inconcevable.
Mme St-Pierre: Je m'étonne que vous ne vous penchiez pas sur le projet de loi lui-même. Est-ce que c'est voulu parce que vous avez... En fait, c'est certainement voulu, mais pourquoi vous ne nous donnez pas certaines indications par rapport aux modifications que nous proposons?
M. Castonguay (Charles): Je me résume à dire ce que j'ai déjà dit: «If it ain't broke, don't fix it.» La loi n° 104 semblait fonctionner assez bien. J'ai essayé de lire la loi n° 103, j'avais d'autres choses à faire. Elle est subtile, complexe et difficile à comprendre pour moi, et, après 30 minutes, j'ai décidé que, bon, je vais me fier à ce que les médias rapportent de ce que le projet veut faire. Il semble vouloir aménager un mode d'accès à deux vitesses où des gens qui ont les moyens puissent faire en sorte que leurs enfants vont être reconnus comme étant authentiquement engagés dans un processus d'éducation en langue anglaise et tout, et tout, et ça, ça me paraît, sur le plan éthique, sur le plan de la justice sociale, à rejeter.
Alors, je me tiens à des généralités de cette nature-là plutôt que de regarder la lettre, là, de la proposition et de jongler, là, de façon fine, là, avec le oui ou le non, là, le pour et le contre. Juste ça, de modifier l'économie générale de la loi 101 un tant soit peu pour permettre ce genre d'inégalité là, ça me répugne au plus haut point personnellement. C'est mes convictions, là, que j'exprime, je suis là à titre personnel.
Mme St-Pierre: Oui, on connaît vos convictions. Bon. Donc, la loi n° 104 était peut-être le remède qui nous apparaissait le meilleur, puisqu'elle a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale. Bon, la Cour suprême du Canada nous dit que ce n'est pas la route à prendre, même si on nous dit qu'on est légitimes de légiférer. Est-ce que, vous, vous êtes en faveur de la position du Parti québécois, c'est-à-dire appliquer la loi 101 aux écoles privées non subventionnées et à y assortir la clause dérogatoire qui suspend les libertés fondamentales?
**(15 h 20)**M. Castonguay (Charles): Il se peut que la Cour suprême se trompe, et je pense que, dans ce cas, ici, la Cour suprême a fait une gaffe monumentale. Il a ouvert une canne de vers ou de crabe, là. Vous savez comment les juges sont nommés à la Cour suprême. Enfin, on veut savoir comment ils sont nommés au Québec, mais je pense que ce n'est probablement pas mieux à Ottawa. Ou pas pire.
Mme St-Pierre: Mais la question est la suivante...
M. Castonguay (Charles): Je l'ai déjà... Comment j'ai appelé ça, là? Je n'ai pas appelé ça la... Il y en a qui appellent ça la tour de Pise; moi, j'ai déjà appelé ça la cour de Pise. Ces jugements, depuis un certain temps, systématiquement, sont allés dans le sens de l'affaiblissement de la volonté du Québec de faire du français la langue commune de la société québécoise, et il faut que ça cesse, ça. Parce qu'il ne faut pas seulement que ce soit la province du Québec qui s'organise, puis les partis s'entendent pour voir, bon, c'est quoi, le portrait d'ensemble, c'est quoi, l'économie générale de notre loi, c'est quoi, notre vision de notre société, qu'est-ce que nous voulons ensemble... Je crois que vous avez déjà fait cet exercice maintes fois dans le passé, et vous êtes arrivés à des accords entre partis politiques, libéral, le Parti québécois, etc., sur où on veut que le Québec s'oriente, se dirige. Ottawa a l'air, systématiquement, de faire la guérilla contre ça depuis 1982. Ça a commencé en 1982. Si vous pensez qu'un pouvoir qui a imposé une loi comme la Charte canadienne des droits et libertés à la province du Québec de la façon qu'il l'a fait en 1982 mérite tout notre respect, je débarque. Je suis profondément en désaccord avec la façon d'agir du gouvernement fédéral à cette époque et des neuf autres provinces.
Et j'estime que, si la province du Québec doit faire appel à la clause «nonobstant» pour redresser un tant soit peu la balance du pouvoir, là... Parce que vous savez comme moi qu'il n'y a rien qui a été fait pour réparer les ponts, là, puis on est encore dans un désaccord profond sur l'orientation du Québec de demain. Est-ce que ça doit aller vers un Québec bilingue, comme Ottawa semble le croire dur comme fer, ou est-ce qu'on pourrait innover et définir, travailler dans le sens d'une société vraiment distincte, là, pas juste en mots, mais distincte en structure, etc.? Je pense qu'Ottawa a un fier coup de pouce à donner à la province du Québec dans son objectif de réaliser une société en Amérique du Nord où le français est la langue commune. Et, s'il faut poser des gestes comme utiliser la clause «nonobstant», je pense qu'il faut avoir le courage de le faire parce qu'il faut amener Ottawa à la raison.
Mme St-Pierre: Monsieur...
Le Président (M. Marsan): Mme la ministre.
M. Castonguay (Charles): Excusez-moi si j'ai...
Mme St-Pierre: M. le Président, je vais poser une question. Ensuite, j'ai des collègues ici qui vont peut-être en poser. La question de la proposition du Parti québécois, c'est la loi 101 avec la clause dérogatoire, donc la suspension des libertés individuelles. C'est ça, la proposition. Vous avez vu comme moi dans le passé, en 1993, la réaction des Nations unies par rapport à cette démarche. Ensuite, vous avez vu l'adoption de la loi 86 par M. Claude Ryan.
M. Castonguay (Charles): ...ne m'a pas impressionné.
Mme St-Pierre: Le Parti québécois avait promis de revenir et ne l'a pas fait quand il était au pouvoir. En 2002, il aurait pu appliquer la loi 101 aux écoles privées non subventionnées, il ne l'a pas fait. Alors, aujourd'hui, je vous demande de me dire quelle est votre opinion par rapport à... On a déjà joué dans ce film-là, on a vu ce que ça a donné. Et, ce matin, M. Louis Bernard est venu nous dire... est venu corroborer, en quelque sorte, cette opinion que nous avons, de notre côté, par rapport à l'utilisation de la clause dérogatoire. Est-ce que, vous, vous êtes prêt à aller aussi loin que ça dans ce dossier-ci?
M. Castonguay (Charles): Aussi loin, moi, que quoi, que de faire jouer...
Mme St-Pierre: Appliquer la loi 101 aux écoles privées non subventionnées et la clause dérogatoire. Est-ce que vous êtes de l'avis de mes amis d'en face?
M. Castonguay (Charles): Bien, je ne sais pas si... Il me semble que c'est le Conseil supérieur de la langue française qui avait cette position, n'est-ce pas? Je m'incline devant le conseil, là. Je n'ai pas les expertises que le conseil a, et ils ont dû demander des avis juridiques, et tout, tout, tout, puis ils ont pesé le pour et le contre, point de vue politique, image du Québec à l'étranger, tout le reste, et ils sont arrivés à la conclusion à laquelle Robert Bourassa est arrivé. Est-ce que c'était en 1988 quand il l'a utilisée? Il faut s'attendre à ceci. Quoi que le Québec fasse pour affirmer sa différence, il y en a qui vont crier au martyr, il y en a qui vont crier au fascisme, au nazisme. Ça a déjà été vu, ça. Ça va être fait à l'échelle de la province, ça va être fait à l'échelle du Canada, ça va être fait encore et encore à l'échelle internationale. Alors, dans un genre de «ball game» comme ça, là, je pense que, si on ne veut pas lâcher le morceau, il faut retrousser ses manches puis se mettre au marbre, là, puis essayer de frapper le circuit. Il faut arriver à convaincre le reste du Canada en particulier du bien-fondé du projet québécois et de l'intérêt du projet québécois, même pour l'identité même du Canada, et je trouve que le gouvernement du Québec, depuis de trop longues années, n'a pas joué son rôle sur ce plan-là pour...
Mme St-Pierre: M. le Président, ma collègue de Gatineau voudrait poser...
Le Président (M. Marsan): Alors, ça me fait plaisir de céder la parole à Mme la députée de Gatineau.
Mme Vallée: Merci, M. le Président. Alors, simplement quelques commentaires -- merci, M. Castonguay -- pour revenir un petit peu sur ce que vous avez dit. Dans un premier temps, pour revenir aux chiffres que vous avez cités, vous avez mentionné, vous avez parlé d'une augmentation de la croissance de la clientèle en Outaouais, sur le territoire de l'Outaouais, et de la clientèle de la commission Western Québec. Simplement pour rappeler aux gens qui nous écoutent que la clientèle de Western Québec est répartie sur un territoire immense, énorme. Western Québec, M. Castonguay, c'est l'Abitibi et tout l'Outaouais. L'Outaouais, là, c'est immense. Je n'en ai qu'une petite partie, le cinquième de l'Outaouais qui est le comté de Gatineau, mais qui s'étend des limites de l'Abitibi jusqu'à Parent et qui va jusqu'à la rivière de Gatineau. Alors, je vous dirais que c'est très vaste, et une augmentation sur un territoire si vaste, dans les faits, ne se reflète pas nécessairement par des petits champignons d'écoles anglophones qui poussent ici et là. Il ne faut pas non plus laisser croire aux gens que la situation des écoles anglophones en Outaouais est rose. Je le vis dans le comté, je vois des petites écoles comme l'école Sainte-Élisabeth à Low, l'école de Maniwaki, l'école anglophone qui compte quelques élèves, ce n'est pas... Le français, la protection du français, la culture, la langue française n'est pas menacée par la présence de ces petites écoles là sur le territoire de l'Outaouais.
Ceci étant dit, je ne peux passer sous silence le fait que nous sommes ici dans un exercice qui vise à échanger sur un projet de loi, le projet de loi n° 103, qui vise à régulariser une situation qui a été jugée illégale, inacceptable par la Cour suprême du Canada, et, qu'on le veuille ou non, cette décision s'applique à nous. Et il y a des gens -- de ce côté-ci, en tout cas -- de ce côté-ci qui croient fermement que la culture québécoise, que la langue française peut très bien être protégée à l'intérieur d'un Québec qui fait partie du Canada, à l'intérieur d'un Québec qui est toujours soumis aux jugements de la Cour suprême, alors... Et j'en fais partie, de ces gens-là, et je crois que notre culture, pour la laisser briller, et notre langue, pour lui permettre de fleurir davantage, ne nécessite pas nécessairement que nous brimions les droits de qui que ce soit par l'imposition de la clause «nonobstant».
Et permettez-moi aussi de réitérer ma plus profonde confiance aux hommes et aux femmes de la magistrature du Québec et du Canada, des gens d'une grande qualité. Alors, pour moi, c'était important de faire le point. C'était important de faire le point parce que j'ai senti qu'on a un petit peu dérapé cet après-midi. On avait eu des échanges fort constructifs, et puis c'est important de revenir sur l'essence du projet de loi n° 103 et des éléments qu'il comporte. Et je vous invite, M. Castonguay... Vous dites que vous en avez pris connaissance, mais que vous vous êtes finalement rabattu sur ce que les médias en ont rapporté. Moi, je vous conseillerais... Puis je suis persuadée que vous avez toutes les capacités pour le regarder, et peut-être vous fier également aux commentaires que la ministre a pu faire en début de nos travaux, et c'est une belle synthèse des mesures qui sont mises de l'avant par le projet de loi n° 103 pour protéger notre langue, pour protéger notre culture et pour nous permettre de rayonner sans nécessairement brimer les droits des autres communautés qui sont intégrées au Québec, des gens fort intéressants à côtoyer. Alors, c'était mon petit aparté de l'après-midi, M. le Président.
**(15 h 30)**Le Président (M. Marsan): Je vous remercie. Oui, M. le député de Lévis.
M. Lehouillier: Bonjour, M. Castonguay. D'abord, moi, je voudrais vous remercier pour les statistiques que vous nous avez présentées. Ce sont quand même des chiffres qui donnent un portrait assez réaliste de la situation au niveau des écoles anglophones, où, effectivement, on se rend compte que, depuis quelques années, les effectifs se maintiennent au niveau des écoles anglophones. Donc, ça, de ce côté-là, je pense que vous avez fait un excellent travail.
Moi, ce que je veux juste vous indiquer, à l'instar de ma collègue, c'est que le projet de loi, finalement, ce qu'il vise, là, ce qu'il vise, c'est uniquement se conformer au jugement de la Cour suprême, mais, attention, à se conformer à ce jugement-là dans le respect des consensus aussi du passé. Et, dans le passé, il a toujours été possible, même depuis la Charte -- en 1977 -- de la langue française, il a toujours été possible de fréquenter une école anglaise privée non subventionnée.
Et M. Bouchard, tel que le déclarait... M. Lucien Bouchard, tel que le déclarait notre ministre d'entrée de jeu, disait en 1996: «Je ne peux pas envisager l'hypothèse où le Parti québécois invoquerait une clause dérogatoire et mettrait de côté les droits fondamentaux de notre charte pour quelque solution que ce soit en matière linguistique, il faut chercher une autre solution.» Et, nous, c'est ce qu'on fait avec ce projet de loi là, on cherche une solution pragmatique, respectueuse de l'espace de liberté qu'ont voulu donner les Lucien Bouchard, René Lévesque, Camille Laurin, donc respectueuse de cet espace de liberté là. Et, au fond, comme M. Louis Bernard l'a expliqué ce matin, le gouvernement, les gouvernements ont toujours dit: Il faut respecter le fait qu'on a des droits et libertés et qu'à un moment donné, nous, on ne commencera pas à aller toucher aux écoles non subventionnées, les écoles anglaises non subventionnées. Donc, c'est l'espace de liberté.
Alors, nous, ce qu'on essaie, tout simplement, d'éliminer, c'est tout le concept de l'école passerelle. Et c'est la raison pour laquelle, moi, j'aurais peut-être aimé vous entendre un peu plus là-dessus, mais je tente de vous expliquer le pourquoi du projet de loi qui est sur la table et ce pourquoi il y a des discussions ici aujourd'hui. Et je pense qu'en ce sens-là c'est un projet de loi qui confirme la primauté du français au Québec comme étant notre langue mais, en même temps, qui préserve les droits et libertés de la personne. Et nous sommes, au Québec, dans une société évolutive, ouverte sur le monde, et, moi, je pense qu'il faut trouver cette combinaison-là de respect des droits individuels, ce qu'aucune clause dérogatoire ne pourra faire ou... Bien sûr, la clause dérogatoire, à mon avis, c'est un élément de force qui n'ajoute strictement rien, sauf que ça fait en sorte qu'au Québec on suspend des droits, et, moi, je pense qu'il y a beaucoup d'autres méthodes. M. Louis Bernard en a proposé ce matin, le projet de loi en propose. Tu sais, il y a beaucoup d'autres façon de procéder. Alors, en ce sens-là, et je voulais vous le dire, moi, c'est ça qui m'intéresse dans cette commission-là, c'est d'entendre les gens s'exprimer là-dessus.
Mais vous avez quand même fait un bon point de vue, que je partage d'ailleurs, au niveau des écoles anglophones, où, effectivement, on se rend compte que, mis à part en 1976-1977, là, 10, 15 ans après, il y a eu une chute parce que, vous avez raison, les immigrants avaient l'obligation maintenant de fréquenter les écoles anglophones... Mais, cela étant dit, il n'y a pas un gouvernement, jusqu'à maintenant, qui s'est avancé pour dire: Nous, les écoles anglaises non subventionnées, on commence à toucher à ça, à s'embarquer là-dedans et à les priver de leurs droits. Je pense qu'il n'y a personne qui s'est embarqué là-dedans. Alors, je ne verrais pas pourquoi on le ferait maintenant. Bien, c'est en ce sens-là que je voulais faire mon intervention, vous expliquer un peu comment, moi, je vois ce projet-là.
Le Président (M. Marsan): Je vous remercie, M. le député de Lévis. Ceci termine la première période d'échange avec le parti ministériel. Nous allons poursuivre avec l'opposition officielle, et je vais céder la parole au député de Borduas, porte-parole en matière de langue. M. le député.
M. Curzi: Merci, M. le Président. Bonjour, M. Castonguay. Merci. Vous avez une clarté que je vous envie quand il s'agit des chiffres. J'ai tenté, dans les réponses aux commissions scolaires anglophones et à M. Libman, d'utiliser, en quelque sorte, les chiffres, mais vous en avez fait une démonstration qui est vraiment nettement plus claire que la mienne. Je vous remercie.
M. Castonguay (Charles): Ce sont vos chiffres, c'est les chiffres du gouvernement.
M. Curzi: Oui. Oui, exact. Oui, mais, quand même, il y a une façon de les... Puis je vous remercie aussi d'avoir répondu aux questions qui vous ont été posées, de l'avoir fait avec toute la franchise qui vous caractérise, et, en ce sens-là... Voilà. Honnêtement, ce que vous dites confirme ce que je crois, très franchement. Et ce que je crois est beaucoup basé sur vos analyses, donc inutile de tourner en rond. Mais je voudrais profiter de votre présence parce que la véritable question qui se pose quand on entend, par exemple, les représentants de la communauté anglophone nous dire qu'ils ont besoin d'oxygène, c'est que les chiffres, à l'évidence, ne montrent pas cela. Mais j'aimerais que, sans entrer dans tout le détail, vous nous expliquiez comment il se fait qu'une minorité anglophone, dont on pourrait craindre qu'elle disparaisse, qu'elle soit avalée par une majorité, là -- on pourrait craindre ça, normalement -- ne semble pas présenter des signes de dévitalisation, au contraire elle semble se maintenir en bon état, bien que le taux de fécondité, synthétique de fécondité, comme vous l'avez dit, soit sensiblement le même que le nôtre, c'est-à-dire inférieur à la capacité de renouvellement d'une communauté. Alors, moi, j'aimerais, pour le bénéfice de tous, que vous nous expliquiez un peu, à larges traits, comment ce phénomène-là se concrétise selon vos connaissances.
M. Castonguay (Charles): Bien, la population anglophone du Québec, actuellement, est en belle posture, là. Entre les deux derniers recensements, il y a eu, pour la première fois dans l'histoire des recensements canadiens, donc depuis 1871, il y a eu stabilisation de la population de langue maternelle anglaise au Québec, c'est du jamais-vu. Et, du côté de la langue parlée le plus souvent à la maison, il y a une légère augmentation du poids, allant de 10,5 % en 2001 à 10,8 % en 2006, de 10,5 % à... de mémoire, là. Ça, c'est du jamais-vu depuis qu'on récolte les données sur la langue d'usage à la maison.
Vous savez comme moi que le poids du français a pris une méchante débarque entre les deux derniers recensements, une débarque jamais vue non plus dans l'histoire des recensements canadiens. Ça a été quatre fois plus sévère que le recul du français au Québec suite à la Deuxième Guerre mondiale. Entre les années 1951 et 1971, il y a eu un recul du poids du français, puis c'est un peu pour ça que Robert Bourassa a agi avec la loi 22 et qu'ensuite le Parti québécois a renchéri avec la loi 101, parce que le poids du français dégringolait. Là, dans cinq ans, on a reculé autant, on... le français langue maternelle a reculé autant qu'en 20 ans d'immigration forte suivant la Deuxième Guerre mondiale. Est-ce qu'on va commencer à jouer dans les fleurs du tapis ou est-ce qu'on va prendre le problème à bras-le-corps puis se poser la question? L'anglais se porte bien, il se porte même de mieux en mieux. Le français se porte mal, il se porte même de mal en pis, et on ne fait rien?
**(15 h 40)** Alors, comment se fait-il que l'anglais se porte si bien et que le français se porte si mal? La croissance de la population langue maternelle anglaise au Québec, pendant ces cinq années-là, a été cinq fois la croissance de la population langue maternelle française. Langue d'usage à la maison, ça a été quatre fois plus fort en faveur de l'anglais comparativement au français. Eh bien! Bien, ce n'est pas le bilan migratoire interprovincial qui explique ça, là, parce que le Québec a gagné 5 000 francophones du reste du Canada pendant ces cinq années-là. Puis, comme je vous ai entendu dire tout à l'heure, le Québec en a perdu 8 000, anglophones, alors ça aurait dû marcher, ça, en faveur du français. Mais, même malgré ça, l'anglais se porte beaucoup mieux, puis le français pâtit. Ce n'est pas l'immigration internationale de francophones et d'anglophones, c'est surtout des allophones qu'on accueille. Donc, il y a un mécanisme...
Ce n'est pas la fécondité, on est kif-kif depuis 20 ans. J'attends toujours les estimations de StatsCan pour la période la plus récente, 2001-2006. Ça tarde, on est rendus en 2010, puis le recensement a eu lieu il y a quatre ans, puis ils n'ont pas encore publié leurs estimations. Ça fait deux ans que je demande à StatsCan: C'est quoi, vos estimations de la fécondité pendant ces cinq années-là? Mais probablement, à en juger par le passé, ça va être assez semblable. En tout cas, en Ontario, je peux vous dire, c'était 1,54 pour les anglos puis 1,53 pour les francos, ou vice versa. C'est aussi égal que ça, là. On pratique le même mode de vie, là. On a les mêmes valeurs pas mal, les anglophones puis les francophones. On a les mêmes aspirations familiales, professionnelles, de carrière, et tout le reste.
Alors, le seul facteur que je peux voir qui fait la différence s'appelle l'assimilation linguistique, et ça joue carrément en faveur de l'anglais. À l'heure actuelle, à l'échelle de l'ensemble du Québec, quand on regarde les données du recensement de 2006, les gains du français par voie d'assimilation: 162 000, à peu près. Les gains de l'anglais par voie d'assimilation au recensement de 2006: 180 000. C'est pas mal égal. C'est pas mal égal, sauf que la population anglo est bien plus petite que la population franco.
Et, pour que ça profite de façon égale aux deux communautés, il faudrait que le français attire neuf fois... que ses gains soient neuf fois plus importants que les gains de l'anglais, puis personne ne pourrait se plaindre, là, chacun aurait sa juste part des nouveaux arrivants puis les transferts linguistiques, ou les substitutions linguistiques, ou assimilations linguistiques, appelez ça comme vous voudrez. Mais c'est le propre des immigrants de vouloir s'intégrer dans une société d'accueil, ça s'est fait depuis toujours aux États-Unis comme ça. L'immigrant apprend l'anglais, il essaie de travailler en anglais... apprendre l'anglais assez bien pour avoir un travail, mais améliorer son anglais pour avoir un meilleur emploi. Il envoie ses enfants à l'école anglaise, il veut qu'ils réussissent. Même, ils vont l'aider... les immigrants vont aider leurs enfants en leur parlant anglais, même si c'est un mauvais anglais. Ils ne cherchent pas à maintenir l'italien, ou le yiddish, ou le suédois, ou le vietnamien. Les Chinois de Vancouver deuxième génération s'anglicisent à tour de bras, je peux vous le dire, même rythme que les francophones de l'extérieur du Québec. Deuxième génération, j'ai dit.
C'est normal que les immigrants restent fidèles à leur langue maternelle. À peu près, là, la grande majorité reste fidèle: 60 % gardent leur langue, 40 % changent. Parmi ces 40 % qui changent, 20 % ont changé avant de venir au Québec. Et le Québec sélectionne ses immigrants sur la base de leurs compétences en français, entre autres, et, en ce faisant, sélectionne des immigrants qui, à Marseille, au Maroc, à Paris, ont déjà opté pour le français langue d'usage à la maison. Il ne faut pas mettre ça au crédit de la loi 101. Le 75 % de francisation qu'on voit dans la répartition des substitutions linguistiques des allophones au Québec au recensement de 2006, dans la cohorte 2001-2006, ça ne vient pas de la force d'attraction du français en sol québécois ou en sol montréalais, ça vient essentiellement de la sélection des immigrants. Ils viennent d'arriver. En moyenne, ils sont là depuis deux ans et demi. On ne change pas de langue comme on change de chemise. Alors, ce que vous avez vu, Mme St-Pierre, ce 75 % dont le Conseil de la langue française vous a parlé, M. Pierre Georgeault, et 25 % pour l'anglais, c'est bien beau, mais c'est le résultat de notre politique de sélection des immigrants. En favorisant une compétence et, même encore mieux, une excellente compétence en français, on sélectionne des allophones déjà faits à l'étranger et qui ne demandent pas mieux que de s'épanouir dans une société de langue française.
J'ai essayé d'estimer le mieux que je pouvais quelle était la force d'attraction du français et de l'anglais sur le territoire québécois. Pour faire ça, il faut prendre un groupe de personnes, les faire vieillir de cinq ans puis ne pas laisser des nouveaux arrivants venir perturber notre perception de comment ça évolue, là. D'accord? Alors, trois fois, j'ai fait ça. J'ai pris les données du recensement de 1991, j'ai fait vieillir la population, j'ai exclu la population qui est arrivée entre 1991 et 1996 de l'étranger et j'ai regardé, en 1996, quel était le bilan de l'assimilation linguistique nouvelle effectuée pendant ces cinq années-là en faveur du français puis en faveur de l'anglais. L'anglais avait le dessus sur le français.
Sur le territoire québécois, l'anglais attire, encore aujourd'hui, davantage que le français. Le seul groupe d'âge où le français se distinguait, c'était la cohorte des zéro à neuf ans qui, cinq ans plus tard, avaient de cinq à 14 ans et qui avaient donné la plus grande partie de leur assimilation ou de leur substitution linguistique au profit du français. Il y en a qui se sont anglicisés entre-temps, pendant cette période-là, mais la majorité se sont francisés plutôt que s'angliciser. Ça a peut-être à voir avec la loi 101, puis la loi n° 104, puis l'obligation faite aux nouveaux arrivants d'aller à l'école française. Je répète, je n'ai pas regardé les nouveaux arrivants arrivés entre-temps, j'ai regardé ceux qui étaient là en 1991 et qui étaient encore là en 1996. J'ai refait l'exercice avec le recensement de 1996-2001 et avec les recensements de 2001 et de 2006. Chaque fois, j'ai vu la même chose. Petite nuance, il pointe un début d'anglicisation des jeunes francophones au Québec qui n'aide pas et qui est peut-être associé au libre choix au niveau collégial. Mais ce n'est pas le sujet pour lequel cette commission se rencontre aujourd'hui.
Mais, pour répondre à la question de M. Curzi, le réseau institutionnel anglophone semble si puissant et si attrayant, la langue anglaise semble en si bonne posture sur le marché du travail, si attrayante sur le plan des communications, des communications électroniques, le Web, etc., le poids de la majorité canadienne-anglaise et de la majorité anglophone nord-américaine se fait sentir à tel point que ce qu'il reste de la loi 101 n'est pas adéquat.
Alors, il y en a qui ont reparlé de ce qui était le cas en 1977 puis il y en a qui ont parlé tout à l'heure de brimer les droits, puis tout ça. Je reviens avec 1982. La loi 101 première manière obligeait les enfants des nouveaux arrivants des autres provinces canadiennes à fréquenter l'école française dans l'Outaouais, donc ce qui était un grand bienfait parce qu'entre 1971 et 1976 le français reculait rapidement dans l'Outaouais. Ça avait une influence aussi dans la région de Montréal, cette dimension de la loi 101. Le coup de force de 1982 a mis fin à ça de façon unilatérale, sans négociation. Alors, de quels droits parlons-nous? Encore une fois, je me répète, là, par rapport à ce que j'ai dit plus tôt cet après-midi, on a brimé les droits du peuple québécois comme jamais en 1982 et on a... Je n'en démordrai pas, je n'ai pas d'admiration pour nos leaders canadiens à l'heure actuelle, aucun leader d'aucun parti canadien, conservateur, libéral, NPD, anything. Il n'y en a pas qui veulent rouvrir le dossier des négociations avec le Québec de façon à ce qu'on s'entende et qu'on poursuive ensemble une politique globale et une politique linguistique, en particulier, cohérente.
**(15 h 50)** En d'autres mots, il faudrait obtenir ça d'Ottawa. Il ne faudrait pas continuer à ronronner et à se dire: Les droits, les droits, la Cour suprême, la Cour suprême. Mais la Cour suprême juge en fonction d'une charte qui n'est pas la nôtre. Alors, de quoi on parle dans ce cas-là? On est en plein, à mon avis... sorte d'illégalité, là, avec la Cour suprême. Je n'ai aucune admiration pour ça. C'est un coup de force, c'est un coup de Jarnac, c'est insupportable.
Anciennement, il y avait des leaders dont on pouvait être fiers: Stanfield, par exemple, Mulroney, David Broadbent, etc. Je parle comme Canadien anglais. Je me reconnaissais dans ce monde-là. Ils cherchaient à établir des ponts entre le Canada français et le Canada anglais, pas à nier le Canada français. Et, aujourd'hui, on est contents de ce qu'on a là, une loi des langues officielles qui fait mourir à petit feu le français à l'échelle du Canada, et on n'aide pas l'endroit où ça pourrait devenir... acquérir une vitalité telle qu'on pourrait assurer l'avenir du français en Amérique, c'est-à-dire le Québec. On ne l'aide pas, on lui met les bâtons dans les roues. Eh bien!
À cause de tout ça, l'anglais est fort. L'anglais a une force sur le plan des substitutions linguistiques, sur le plan de l'assimilation linguistique. Mais c'est ce qui est le plus intime, hein? C'est quand on change de comportement linguistique à la maison en faveur d'une autre langue. On la fait nôtre, on s'assimile à cette langue puis on assimile cette langue dans notre bouche aussi, on la bouffe puis on la digère. D'accord? C'est réciproque, l'assimilation, là. On assimile des aliments, on assimile une langue aussi. On change, on adopte la vision du monde qui va avec cette langue. Parce qu'une culture, c'est majeur, hein? Une langue, ce n'est pas juste un mode de communication. Tout le monde est pas mal d'accord là-dessus aujourd'hui, mais, à un moment donné, il y avait plein de monde qui disait: Ah! mais c'était juste un instrument de communication. Si ce n'était que ça, on parlerait tous la même langue, sans doute, puis on arrêterait notre tour de Babel. Mais c'est beaucoup plus que ça, ça nourrit bien des valeurs profondes et originales.
Et ce qui m'intéresse dans l'expérience québécoise, c'est son originalité, sa créativité, ce que le Québec peut apporter d'original, de différent, de distinct au monde sur le plan culturel, sur le plan social, peut-être sur le plan de la structuration économique, politique, n'importe quoi. Et ça, c'est précieux à mes yeux. Je vous parle comme Canadien anglais, là, qui a switché au français à l'âge de 24 ans, à peu près, là. Mais ce n'est pas, absolument pas ma langue maternelle. Vous l'avez vu quand j'ai essayé de dire des gros mots comme «redéploiement territorial», là, je me suis enfargé.
Mais excusez-moi si je vous lance un cri du coeur, là. Mais, pour répondre encore une fois à M. Curzi, le pouvoir de l'anglais... l'anglais a l'air d'avoir le vent dans les voiles, hein? Et l'avantage, à mon sens, est à l'anglais. Et la loi 101, c'est de la bien petite bière. C'est pour ça que j'ai perdu patience avec cette loi-là, ça fait dans les fleurs du tapis. Et c'est comme ça qu'on va se faire manger la laine sur le dos, là, en parlant québécois, en allant dans les petits détails puis en aménagements, des accommodements. Il faut s'affirmer, il faut rendre le peuple québécois fier d'être français, il faut un leadership politique qui se tient debout face à Ottawa puis dit: Ça suffit, la Cour suprême. Ça suffit, votre charte. Est-ce qu'on va se parler? Est-ce qu'on va négocier une nouvelle entente de façon à ce que les deux côtés soient satisfaits puis qu'on ait un avenir ensemble? Il faudrait le faire, ça, et ça ne s'est pas fait. Je ne lance pas la pierre au Parti libéral, je peux la lancer tout aussi bien au Parti québécois pour les agissements des 10 ou 15... pas l'agissement, mais l'absence de leadership des 10 ou 15 dernières années. Ouf! Alors, oui, moi, je vois la solution ailleurs que dans ces vétilles-là. C'est dans les grandes lignes qu'il faut redéfinir notre vision de ce qu'on veut que le Québec soit dans l'avenir.
Et excusez-moi, donc, j'ai perdu patience quand j'ai consulté sur le site le projet de loi. J'ai commencé à lire ça, c'est de l'avocasserie, là, c'est... Puis j'ai d'autres choses à faire, j'ai de la recherche à faire. Donc, excusez-moi, mais je vous ai déçus, mais ça arrive.
Le Président (M. Marsan): Alors, il reste très peu de temps.
M. Blanchet: Compte tenu du peu de temps qu'il reste, M. le Président, je le garderais pour méditer tout ce qu'on vient d'entendre.
Le Président (M. Marsan): Alors, je vous remercie. Merci, M. Castonguay.
Et nous allons suspendre quelques instants, mais j'inviterais auparavant les représentants de la Protectrice du citoyen et la Protectrice elle-même à venir prendre place. Merci.
(Suspension de la séance à 15 h 55)
(Reprise à 15 h 58)
Le Président (M. Marsan): Alors, nous reprenons nos travaux, et nous sommes heureux d'accueillir la Protectrice du citoyen. Alors, ça nous fait plaisir. Nous voulons vous entendre pour une période de 15 minutes, mais, auparavant, j'aimerais que vous nous présentiez les gens qui vous accompagnent.
Protecteur du citoyen
Mme Saint-Germain (Raymonde): Avec plaisir, M. le Président. Alors, à ma gauche, le vice-protecteur, M. Marc-André Dowd, et, à ma droite, le directeur des enquêtes en administration publique, M. Jean Maurice Paradis.
Le Président (M. Marsan): Bonjour.
**(16 heures)**Mme Saint-Germain (Raymonde): M. le Président, Mme la ministre, Mmes, MM. les députés membres de la commission, je vous remercie de votre invitation. Avant d'aborder les modifications à la Charte de la langue française concernant les règles d'admissibilité à l'enseignement en anglais, je souligne que j'accueille positivement les exigences additionnelles que le gouvernement a incluses au projet de loi à l'endroit des établissements d'enseignement collégial et des universités, des organismes municipaux ainsi que des organismes de l'Administration. Ces ajouts renforcent et précisent les obligations de ces institutions en vertu de la charte et clarifient ainsi pour les citoyens qui transigent auprès d'elles leurs droits et leurs responsabilités. Je salue également les mesures visant à donner à l'Office québécois de la langue française des moyens accrus de faire appliquer la loi.
Je commente le projet de loi n° 103 sous l'angle propre au Protecteur du citoyen, dans la perspective de m'assurer du traitement équitable de tous les Québécois dans l'application des règles retenues. C'est dans ce contexte que je prends acte du choix du gouvernement de se conformer dans son entièreté à l'arrêt Nguyen de la Cour suprême tout en limitant l'existence et l'usage des écoles passerelles. Il m'importe de signaler que le règlement d'application projeté ne concerne d'ailleurs que les élèves ayant fréquenté ce type d'école, ce qui m'apparaît limitatif, et j'y reviendrai.
Avec le projet n° 103, le gouvernement procède principalement par voie réglementaire. Ainsi, un nouvel article, 73.1, prévoit que le gouvernement peut déterminer par règlement l'ensemble du cadre d'analyse qui permettra d'effectuer l'appréciation de la majeure partie de l'enseignement reçu, invoquée lors d'une demande d'admissibilité fondée sur l'article 73. Ce cadre d'analyse pourrait établir des règles, des critères d'appréciation, une pondération, un seuil éliminatoire ou un seuil de passage et des principes interprétatifs.
La Charte de la langue française a un caractère fondamental, et la Cour suprême reconnaît l'importance de l'objectif de préservation de la langue française au Québec. Afin d'assurer la préservation des droits constitutionnels de certains citoyens du Québec, l'Assemblée nationale a aussi prévu des exceptions aux principes inscrits à cette charte, exceptions dont la Cour suprême reconnaît la légitimité. Le respect de cette charte n'est assuré que par le respect aussi des droits consentis explicitement aux uns et aux autres, respect qui peut s'effriter dans la mise en oeuvre. La bonne gestion de ces exceptions ainsi que sa surveillance sont essentielles au respect des droits inscrits à la charte, comme nous l'enseignent les plaintes reçues par le Protecteur du citoyen relativement à l'accès à l'école anglaise, ce dont j'aimerais maintenant vous entretenir.
Quelques constats tirés de ces plaintes. Ces plaintes, malgré leur nombre limité, nous apportent un enseignement utile. Elles sont logées, pour la plupart, par des francophones et des allophones, certains en provenance d'autres provinces ou de l'étranger, mais c'est quand même la minorité. Outre la contestation des règles et de la rigidité de leur application, ces plaintes sont surtout liées à l'administration de la démarche de demande d'admissibilité. De façon plus précise, la majorité des insatisfactions soumises provient d'une méconnaissance par les citoyens des règles applicables, des procédures à suivre et des recours disponibles. L'obligation pour le citoyen de faire cheminer sa demande par sa commission scolaire est aussi une cause d'insatisfaction. Non seulement la commission scolaire n'est-elle pas toujours en mesure d'apporter au requérant le soutien et l'accompagnement dont il a besoin, mais il est encore plus préoccupant de constater que celle-ci peut décider de ne pas faire suivre une demande au ministère si elle juge que le dossier est incomplet ou ne répond pas aux critères d'admissibilité. La Charte de la langue française prévoit pourtant que ce sont les personnes désignées par le ministre qui peuvent vérifier l'admissibilité d'un enfant à fréquenter l'école anglaise et à statuer sur ce sujet. Les commissions scolaires n'en sont pas.
Le problème le plus préoccupant est toutefois le manque de motivation des réponses qui sont faites aux citoyens. Les décisions de refus sont peu explicitées. Par exemple, on répond uniquement à un parent qu'il n'a pas fait la démonstration qu'il avait reçu la majeure partie de son enseignement primaire en anglais, sans toutefois mentionner les critères ayant servi à cette évaluation ni à quels critères il n'a pas satisfait. Du coup, le citoyen n'est pas en mesure de savoir comment il pourrait compléter cette démonstration ou comment il pourrait se préparer en fonction du recours au Tribunal administratif du Québec. Cette façon de faire va à l'encontre d'un principe énoncé à la Loi sur la justice administrative selon lequel l'autorité administrative motive les décisions défavorables qu'elle prend.
Je veux maintenant aborder les grands principes d'appréciation des modifications de la Charte de la langue française et aussi du règlement qui est projeté, auquel nous avons eu accès. Considérant l'importance de l'enjeu que représente la langue d'enseignement au Québec, les critères fondamentaux pour décider de l'admissibilité à l'école anglaise devraient être clairement énoncés dans la loi. Ces critères, applicables de facto aux demandes qui sont logées depuis 2005, précisent l'interprétation devant être donnée à la charte. Cela m'apparaît d'autant plus évident lorsque l'on considère les modifications que l'on propose aussi d'apporter à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec afin d'y consacrer l'importance du français, langue officielle du Québec.
Le fait d'inscrire des principes déterminants pour assurer le respect des droits et des obligations linguistiques des citoyens du Québec dans un règlement d'application plutôt que dans une loi d'importance majeure comme la Charte de la langue française a des conséquences sérieuses. Le Parlement élu a une responsabilité de surveillance du respect de l'esprit des lois et de la rigueur de leur mise en application, incluant la justesse et l'équité des décisions. Ce qui peut être perçu de prime abord comme un allégement administratif équivaudrait, du coup, à un allégement de la Charte de la langue française et à une dilution des pouvoirs du Parlement vis-à-vis d'une loi à caractère fondamental.
Dans l'état actuel du projet de loi, ni les parlementaires ni les personnes ou organismes intéressés n'ont la possibilité de se prononcer officiellement sur les critères d'admissibilité à l'école anglaise, ceux-ci étant entièrement déterminés par règlement. Cela m'apparaît d'autant plus problématique que l'article 25 du projet de loi prévoit que le premier règlement qui sera pris en vertu de l'article 73.1 de la Charte de la langue française ne sera pas soumis à l'obligation de prépublication prévue à l'article 8 de la Loi sur les règlements.
Je reviens maintenant au critère de l'appréciation de la majorité de l'enseignement reçu, qui est un critère fondamental dans la foulée du dernier jugement de la Cour suprême. Les grands facteurs dont il faut tenir compte pour l'interprétation de ce critère, soit le temps passé dans chaque programme, l'étape des études à laquelle le choix de la langue d'instruction a été fait, les programmes offerts ou qui l'étaient et l'existence ou non de problèmes d'apprentissage ou d'autres difficultés, ont été énoncés par la Cour suprême. Considérant qu'ils précisent l'interprétation devant être donnée à la charte, ils revêtent un caractère tout aussi essentiel que la disposition interprétée.
Le choix des mots n'a pas à être précisément celui de la Cour suprême, et les critères peuvent sans doute être modulés de façon à atteindre l'objectif visé. Ainsi, les grands thèmes du projet de règlement pourraient être utilisés: parcours scolaire, constance et caractère réel de l'engagement, évaluation qualitative de l'ensemble de la situation particulière du cheminement de l'enfant, par exemple. Par ailleurs, rien n'interdit au législateur de prévoir d'autres critères dans la mesure où ils apparaissent conformes aux chartes québécoise et canadienne des droits et libertés. Quoi qu'il en soit, les considérations d'ordre pratique ou de commodité administrative ne sauraient justifier l'énonciation de ces grands principes dans un texte réglementaire.
J'aborde maintenant la question de l'appréciation de la majorité de l'enseignement, qui doit, à mon avis, s'étendre à toutes les catégories d'écoles. Je m'interroge d'ailleurs sur les raisons qui incitent à réglementer l'appréciation de ce qui constitue la majeure partie de l'enseignement reçu en anglais pour les seules écoles privées non subventionnées. Ce critère est d'une importance cruciale, puisqu'il est qualitatif et est l'une des assises de la détermination du parcours authentique, il s'applique à toutes les situations que vise l'article 73 de la charte.
Depuis l'arrêt Solski, le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport ne peut plus procéder à une évaluation purement quantitative de la majeure partie de l'enseignement reçu pour les demandes qui sont faites en vertu de l'article 73, donc l'ensemble des demandes concernant l'accès à l'école anglaise. En théorie, la personne responsable de l'évaluation de ces demandes doit déjà procéder à une telle évaluation qualitative globale pour les demandes n'impliquant pas d'écoles privées non subventionnées. En fait, en ne réglementant que les demandes faites en vertu de 73 qui impliquent ces écoles privées non subventionnées, on règle peut-être une problématique devenue urgente. Toutefois, on laisse les autres demandeurs dans le flou actuel, sans qu'ils puissent connaître les paramètres précis de l'analyse de leur demande d'admissibilité.
J'aborde maintenant l'importance de l'information et de la clarté sur une question aussi sensible et importante. Le libellé du projet de règlement doit gagner en clarté. Il laisse une large place à l'interprétation et à la discrétion de la personne responsable de l'évaluation. Je prends l'exemple du critère Situation particulière et cheminement pris globalement, basé sur les éléments contextuels connexes ou distincts permettant d'approfondir l'évaluation de l'authenticité de l'engagement. Alors que le seuil de passage est établi à 15, ce critère compte pour moins huit à plus huit points, donc 50 %, d'où l'importance de transmettre aux citoyens des décisions claires et motivées. Cela est essentiel si l'on souhaite éviter les contestations judiciaires relatives à l'application de la charte et, le cas échéant, pour permettre aux citoyens comme aux écoles visées de mieux s'y préparer.
Assortir les visées d'intégration à la vie québécoise de moyens concrets. Vous devinez que j'aborde la question des nouveaux arrivants et des futurs citoyens québécois. Je ne commenterai pas de façon élaborée les modifications apportées à la Charte des droits et libertés de la personne, étant rassurée par le fait que vous entendrez la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. L'une de ces modifications retient néanmoins mon attention, il s'agit de l'ajout à cette charte de l'article 40.1, qui se lirait comme suit: «Toute personne qui s'établit au Québec a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, d'apprendre le français et de bénéficier de mesures d'accueil et d'intégration à la vie québécoise.» Cette modification me permet d'aborder brièvement la question des nouveaux arrivants et, plus précisément, des droits que cette nouvelle disposition doit leur garantir.
Si le gouvernement se crée des obligations additionnelles dans la Charte des droits et libertés de la personne, il doit aussi prendre les mesures pour que les citoyens concernés puissent connaître leurs propres responsabilités et aient accès aux services offerts. Il ne faudrait pas que, faute de moyens, ce droit nouveau garanti par la charte québécoise ne soit que théorique.
**(16 h 10)** J'ai cinq interrogations additionnelles que l'examen approfondi du projet de règlement et du projet de loi n° 103 nous ont amenés à soulever. Première interrogation. L'article 1 du projet de loi abroge, entre autres, les paragraphes 3° et 5° du premier alinéa de l'article 73. Bien que ces dispositions soient relativement peu utilisées, les personnes visées se présentent encore chaque année. Quelles seront les conséquences pour les personnes touchées? Et pourquoi abolir maintenant ces dispositions?
Deuxième interrogation. Les pouvoirs que confère l'article 4 du projet de loi à la personne désignée par le ministre sont très importants, et leur portée est très large. Qu'est-ce qui motive l'attribution de tels pouvoirs?
Troisième question. À l'article 5, qui introduit le nouvel article 78.2 visant l'interdiction de l'exploitation d'écoles passerelles, comment la démonstration de «principalement destiné à rendre admissible» sera-t-elle faite? Considérant l'absence de mise en demeure avant de déférer au Directeur des poursuites criminelles et pénales, cela me semble important.
Quatrième question. L'article 6, qui modifie le pouvoir réglementaire relativement à la procédure de demande, le deuxième paragraphe prévoit la possibilité pour la commission scolaire et pour le ministère d'imposer des frais. Cela est nouveau. Quelles seraient les bases de cette tarification? Et, une sous-question, le troisième paragraphe parle du délai de présentation de la demande par le citoyen, mais aucune mention n'est faite des délais à respecter par la commission scolaire ou le ministère. Il ne faudrait pas que les obligations ne soient que du côté des citoyens.
Enfin, dernière question. À l'article 13 du projet de loi, qu'entend-on exactement par «conséquences socioéconomiques», lesquelles pourraient résulter de la perpétration de l'infraction et qui sont considérées dans la détermination du montant de l'amende imposée par le tribunal?
Enfin, j'ai quatre recommandations:
Que les principes et les éléments fondamentaux du cadre d'analyse d'une demande d'admissibilité à l'école anglaise soient intégrés à la Charte de la langue française;
Que l'article 2 du projet de loi, qui introduit l'article 73.1, soit modifié afin de prévoir que le pouvoir réglementaire du gouvernement se limite aux éléments administratifs et techniques détaillant la façon dont les critères énoncés dans la loi doivent s'apprécier;
Que cet article soit aussi modifié pour prévoir que le cadre réglementaire d'analyse relatif à la majeure partie de l'enseignement reçu s'applique à l'ensemble des demandes qui seront faites en vertu des articles 73, 76 et 86.1, et non uniquement aux demandes impliquant les écoles privées non subventionnées;
Que l'article 25 du projet de loi soit modifié de sorte que le règlement pris en vertu de 73.1 ne soit pas soustrait à l'obligation de prépublication prévue à l'article 8 de la Loi sur les règlements. Cependant, compte tenu de l'urgence, dont je suis très consciente, un délai de consultation plus court pourrait être prévu, comme le permet l'article 12 de cette loi. Cependant -- et ce serait ma préférence -- dans la mesure où le législateur ferait le choix d'inscrire dans la loi les critères d'accès à l'école anglaise, cela répondrait dans le contexte à nos préoccupations principales.
En terminant, je rappelle l'importance de l'équilibre entre la protection du français en tant que langue officielle et le respect des droits constitutionnels de tous les citoyens, qu'ils soient francophones, anglophones ou allophones. Il faut que les choix politiques affirmés dans les règles de droit soient exprimés clairement et connus de tous. C'est à cette condition que les droits généraux ou d'exception et les obligations qui en résultent peuvent être mieux compris et respectés tant par l'Administration que par les citoyens. Je vous remercie.
Le Président (M. Marsan): Merci, Mme Raymonde Saint-Germain, Protectrice du citoyen. Et je vais immédiatement céder la parole à la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine. Mme la ministre.
Mme St-Pierre: Merci, Mme Saint-Germain. Bon. Alors, vous comprendrez que ce que vous venez de nous présenter est plus élaboré que ce que vous nous avez fait parvenir lors de l'appel des mémoires. Alors, il va peut-être falloir un certain temps, là, pour... On va certainement prendre bonne note de vos remarques. Cependant, je note que vous analysez notre projet de loi de façon très sérieuse. Alors, c'est donc dire, on peut en venir à la conclusion que l'application de la loi 101 aux écoles privées non subventionnées est une option que vous ne pourriez pas envisager, vu de votre point de vue de Protecteur du citoyen.
Mme Saint-Germain (Raymonde): On m'amène rapidement sur le terrain politique, que je vais essayer d'éviter. Moi, j'ai pris acte de la volonté du gouvernement, mais surtout de ce qui m'apparaît le plus équitable dans le contexte qui est présentement celui dans lequel se trouvent aussi les parlementaires, c'est-à-dire une deuxième décision de la Cour suprême et l'importance de faire en sorte d'éviter le plus possible des recours judiciaires et d'assurer cette cohésion sociale qui est tant recherchée au niveau de la langue.
Mon premier commentaire en réponse à votre question sera pour dire que nous examinons aujourd'hui un projet de loi modifiant la Charte de la langue française. J'ajoute dans l'analyse du Protecteur du citoyen que nous avons examiné également le projet de règlement mais que cette question est multifactorielle et qu'il n'y a pas que la question de l'accès à l'école anglaise, qu'elle soit publique, privée subventionnée ou privée non subventionnée, il y a toute une série de mesures -- d'ailleurs, vous en prenez par le projet de loi n° 103 qui concernent les modifications à la Charte des droits et libertés de la personne -- il y a toute la question de l'enseignement de la langue seconde au Québec, fusse-t-elle celle de l'anglais pour les francophones, du français pour les anglophones, et la question, bien sûr, de l'accueil et de l'intégration en français des immigrants et des nouveaux arrivants. Donc, cette problématique, elle est sensible, elle est complexe et elle est surtout multifactorielle, et je pense que la prise... fusse-t-elle du gouvernement ou de l'Assemblée nationale du Québec, elle doit être dans un ensemble de mesures combinées, examinées intelligemment et aussi dans une perspective qui est une perspective internationale.
Il y a des limites à la capacité de tous les gouvernements aujourd'hui en matière linguistique. L'anglais est une langue qui s'étend partout, et donc il faut à la fois préserver les langues nationales et s'assurer d'une certaine manière qu'il n'y aura pas une fermeture à une langue de communication internationale. Alors, c'est là un grand défi pour tout le monde, et moi, comme Protectrice du citoyen, constatant que ces demandes de dérogation, donc, qui nous viennent pour l'essentiel, pour la majorité, dois-je dire, de francophones du Québec et d'allophones... Au fond, pourquoi y a-t-il ces demandes de dérogation? C'est que les parents veulent assurer à leurs enfants un accès à la langue anglaise, cela, très souvent, ne traitant pas en priorité le français, langue commune de la vie publique au Québec. Et, quand on pousse plus loin les raisons, c'est que leur crainte est que l'enseignement dans les écoles françaises ne soit pas suffisant au niveau de l'anglais. Et, du côté de la minorité anglophone, au niveau de l'enseignement en français, c'est une problématique qui semble moins se présenter.
Alors, tout ça, ce sont des questions complexes, multifactorielles, et, effectivement, les solutions ne sont pas simples. Et, je dirais, toute solution qui n'est pas de nature à favoriser la cohésion sociale, qui serait de nature à nouveau à nous... à faire en sorte que, que ce soit le fait des citoyens ou du gouvernement... mais on se retrouve dans des tribunaux, quel que soit le niveau des tribunaux, n'est pas, à mon avis, une solution idéale.
Mme St-Pierre: Vous avez parlé, si j'ai bien compris, du nombre de plaintes que vous avez de parents qui ne se retrouvent pas dans la manière dont leurs dossiers sont analysés. Pourriez-vous élaborer sur ces plaintes que vous recevez? Et si vous aviez des chiffres aussi.
Mme Saint-Germain (Raymonde): Oui. Alors, comme je disais, elles sont peu nombreuses. Nous avons travaillé sur les trois dernières années et nous avons, sur cet aspect précis, 25 dossiers qui ont été documentés. Plusieurs de ces plaintes-là concernent évidemment ce que j'appellerais la diligence administrative, concernent la motivation des décisions, ce qui est très important, et concernent aussi, je dirais, les surtechnicalités que les citoyens considèrent être introduites dans le processus et la procédure administrative. Alors, c'est beaucoup sous cet angle-là que les citoyens viennent se plaindre au Protecteur du citoyen.
Dans plusieurs occasions ou plusieurs dossiers, ils sont insatisfaits de la conclusion. On devine, bien sûr, que cette conclusion, lorsqu'ils sont insatisfaits, était une conclusion de refus d'accès à l'école anglaise. Et, de notre côté, sauf exception, sous l'angle de la motivation de ces conclusions-là, nous n'avons pas jugé que les plaintes étaient fondées. En d'autres termes, lorsque nous regardions les plaintes refusant... C'est-à-dire la conclusion à l'effet de refuser l'accès à l'école anglaise nous apparaissait fondée. Par contre, sa motivation ne nous apparaissait pas toujours, et même majoritairement, bien documentée. Et, effectivement, nous constatons que le processus, il est lourd, il est complexe, que le rôle des commissions scolaires est un rôle d'intermédiaire qui n'est pas toujours facilitant, je dirais, à l'effet, notamment, de mieux connaître et comprendre les règles, de faciliter à ce citoyen l'accès à tous les documents, l'accès aux procédures et aussi que, d'une certaine manière, parfois, certaines commissions scolaires vont allonger le processus en refusant de transmettre à la personne désignée par le... en l'occurrence, la ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport, alors que ce n'est pas leur prérogative de faire cela.
Donc, pour l'essentiel, je dirais, c'est l'angle qui est celui, là... ou ce sont les principaux motifs que nous constatons dans les plaintes que nous traitons. J'ai à ma droite, M. le Président, le directeur des enquêtes en administration publique, qui a validé toutes les conclusions, je me permettrais de lui demander s'il a des ajouts à faire ou des compléments d'information pour encore mieux éclairer les parlementaires.
**(16 h 20)**Le Président (M. Marsan): M. Paradis.
M. Paradis (Jean Maurice): Peut-être simplement pour compléter les propos rapidement de Mme Saint-Germain, je pense que ce qui ressort beaucoup, c'est le fait que les gens, les citoyens qui demandent une admissibilité à l'école anglaise, qui demandent, donc, une situation d'exception comprennent très mal sur quelles bases les décisions sont prises, ont beaucoup de difficultés à décoder les grilles de... les critères, les grilles, les paramètres qui régissent les choix qui sont faits et, surtout, les refus qui suivent, évidemment. Parce que, quand il y a acceptation, on reçoit rarement de téléphone. Mais, pour les gens qui sont refusés, c'est très clair qu'ils ne comprennent pas, et c'est... Ils ne comprennent pas en amont et ils ne comprennent pas plus en aval parce que la décision est rendue et sans explication suffisante, comme Mme Saint-Germain l'expliquait. Donc, en réalité, ils sont frustrés, et puis c'est un peu ça qui est la grande trame de fond.
Mme St-Pierre: O.K. Là, si je comprends bien, vous parlez de la façon dont les plaintes sont traitées. Ce n'est pas le but de la commission parlementaire, et je vous... C'est moi qui vous ai posé la question, bien sûr, mais en quoi un règlement qui serait inclus dans la loi... Parce que, là, ce que vous nous dites, il faut que le règlement soit inclus dans la loi. En quoi -- en fait, c'est ce que je comprends, là -- en quoi un règlement qui serait inclus dans la loi, enfin un...
Une voix: Les paramètres.
Mme St-Pierre: ...les paramètres viendraient changer cette situation-là? Parce que c'est ça que vous nous recommandez de faire, là.
Mme Saint-Germain (Raymonde): En fait, plus précisément, M. le Président, la recommandation est à l'effet d'inclure dans la loi les grands principes et les critères plutôt que de les laisser dans un règlement d'application qui, lui, est plus soumis à l'arbitraire administratif, d'une part, à l'érosion. Je pense qu'on est là sur des grands principes dans une loi fondamentale et que ces grands principes là, ils sont déterminants dans la compréhension de la loi et dans son respect. Alors, il me semble assez évident que les grands critères devraient demeurer dans la loi, d'autant plus que la tendance est, au niveau des règlements, à ne pas prépublier et à ne pas consulter, et c'est à la fois une question de transparence, c'est à la fois une question de faciliter une meilleure compréhension pour les citoyens, les administrations et, surtout, de laisser aux parlementaires leurs prérogatives s'agissant de l'adoption d'une loi à caractère fondamental comme la Charte de la langue française.
Mme St-Pierre: Est-ce que vous avez à l'esprit les critères que nous devrions retenir?
Mme Saint-Germain (Raymonde): Oui. D'abord, il y a ceux qui sont les critères les plus importants pour juger du caractère authentique du parcours dans l'école, notamment, anglaise hors Québec, donc le parcours scolaire, la constance et le caractère réel de l'engagement, la situation particulière et le cheminement qui sont pris globalement. Je pense aussi que la charte devrait préciser ce que chacun de ces critères comprend, notamment en ce qui a trait au parcours scolaire, la durée de l'enseignement reçu en anglais et le milieu dans lequel il s'est effectué afin d'évaluer vraiment l'engagement authentique.
Il est question, notamment, de considérer les établissements aussi selon les caractéristiques de leurs clientèles ainsi que la nature et la disponibilité des programmes particuliers d'études, et ça permet de voir le caractère réel et authentique de l'engagement. C'est ça qui permet de voir l'intention réelle de contourner ou non et la justification réelle dans l'intérêt à la fois du respect de la Charte de la langue française, mais aussi de l'enfant ou des enfants qui sont concernés. Alors, ça, ça m'apparaît extrêmement important. Donc, constance, aussi caractère réel de l'engagement, le contexte familial, c'est extrêmement important. Et, pour ce qui est... Il y a un critère qui est plus difficile à évaluer, j'en conviens -- et j'offre la collaboration, là, du Protecteur si la commission allait dans ce sens-là -- celui de la situation particulière et cheminement pris globalement. C'est vrai que ce n'est pas si simple à évaluer. Par contre, c'est important de voir quelle pondération on donne et c'est important aussi de voir quels seront les encadrements légaux des personnes désignées qui vont appliquer le règlement. Alors, dans ce sens-là, ça m'apparaît d'une importance très, très grande que ce soit dans la loi. Il y a aussi d'autres critères qui sont possibles. Parce que, oui, il y a eu cet arrêt de la Cour suprême, mais il y a également l'autonomie de l'Assemblée nationale, qui pourrait en profiter pour ajouter aussi d'autres critères qui peuvent être jugés d'intérêt.
Mme St-Pierre: Justement, vous n'étiez pas là ce matin, mais vous avez peut-être entendu parler de la déclaration de Louis Bernard, qui parle de demander aux parents... Dans ce projet éducatif, il qualifiait le... L'enfant dans une école privée non subventionnée anglophone, il qualifiait ça de projet éducatif des parents. C'était le nom qu'il lui donnait. Il disait: Il faudrait, au départ, que les parents signent une déclaration solennelle selon laquelle c'est le projet éducatif qu'ils ont prévu pour l'enfant. Et là il disait: Si, par contre, un jour, les parents voulaient... s'il arrivait quelque chose à la famille, par exemple le père ou la mère perde la compagnie, puis ils ne sont plus capables de payer ce projet éducatif, là ça pourrait être une exception, qu'il disait. C'est un peu... Mais la déclaration solennelle, est-ce que vous avez un avis là-dessus? Parce que la question qu'on a posée à Me Bernard, c'est: Est-ce que c'est de demander à un parent de renoncer à un droit? Je comprends que je vous le demande à froid, là, mais...
Mme Saint-Germain (Raymonde): Oui, je comprends. Et, sous réserve que je n'ai pas entendu Me Bernard, ce que je trouve intéressant...
Mme St-Pierre: Je peux vous le lire pour que ce soit plus clair, là, ce qu'il nous a proposé.
Mme Saint-Germain (Raymonde): S'il vous plaît. S'il vous plaît.
Mme St-Pierre:«Au moment de l'inscription d'un enfant dans une école privée non subventionnée de langue anglaise, ses parents devront produire une déclaration solennelle écrite à l'effet que cette inscription n'a pas pour but de contourner les exigences de la Charte de la langue française mais s'inscrit dans le cadre d'un parcours scolaire complètement prévu au sein d'institutions qui ne sont pas subventionnées. De cette façon, le...»
Une voix: ...
Mme St-Pierre: Je vous entends. Je m'excuse, là, moi, je ne parle pas quand...
Le Président (M. Marsan): Mme la ministre...
Mme St-Pierre: Je suis très respectueuse...
Le Président (M. Marsan): Mme la ministre, la parole est à vous.
Mme St-Pierre: Merci. «De cette façon, le parcours scolaire authentique de l'enfant sera précisé dès le départ.» Que pensez-vous de cette proposition de Me Bernard?
Mme Saint-Germain (Raymonde): M. le Président, je dois dire qu'à première vue je trouve ça intéressant dans le sens où c'est pour valider le parcours authentique. Et, en lisant bien l'arrêt de la Cour suprême, il est clair, l'arrêt reconnaît la légitimité pour le Parlement du Québec et pour le gouvernement du Québec de s'assurer que le respect du français, langue officielle, par la majorité et par les personnes qui sont assujetties à la charte, il est vraiment assuré et qu'il n'y a pas des voies de contournement qui vont à l'encontre de l'intention du législateur. Je trouve donc, à première vue, que ça est intéressant, d'une part, parce que, donc, c'est lié au parcours authentique et aussi ça permet de donner un certain nombre de balises face à ce que j'appelle l'intention de tricherie de certains citoyens qui passent par ces écoles passerelles, qui, elles-mêmes, sont établies sur une base de contournement. Alors, à première vue, ça me semble intéressant.
Mme St-Pierre: Mais ça vous apparaît conforme aux chartes, c'est-à-dire ce ne serait pas de demander à un parent de renoncer à quelque chose?
Mme Saint-Germain (Raymonde): Écoutez, ça mérite un examen plus approfondi, mais je trouve que l'esprit de cette proposition de Me Bernard va dans le sens de solidifier pour l'Assemblée nationale comme pour l'Administration les balises de l'évaluation de ce qu'est un parcours authentique, qui est vraiment l'élément clé de la motivation des parents et de l'intérêt des enfants dans l'application de ce règlement.
Mme St-Pierre: Je voudrais aussi vous entendre -- combien de temps il me reste?
Le Président (M. Marsan): Sept minutes.
Mme St-Pierre: Quatre minutes -- sur les autres aspects du projet de loi, les changements que nous désirons apporter à la Charte des droits et libertés. Pouvez-vous commenter? Vous avez 3 min 50 s.
**(16 h 30)**Mme Saint-Germain (Raymonde): Écoutez, évidemment, je ne voudrais pas commenter comme si j'étais la présidente de la Commission des droits de la personne, elle le fera certainement très bien demain. Ces changements-là, bon, ils ont, quant à moi, des avantages intéressants. Notamment, ils m'amènent tout de suite à penser aux citoyens québécois qui sont issus de l'immigration et aux futurs immigrants, c'est toute la question, au fond, des droits que le gouvernement s'imposerait dorénavant de leur assurer, des conditions plus grandes de pouvoir s'intégrer en français au Québec et, je dirais, aussi une meilleure intégration à la société québécoise, entre autres sur le plan de la langue, mais aussi autrement. Je pense que ça doit être assorti de responsabilités pour ces nouveaux arrivants également dans le respect des chartes. À mon avis, c'est très important et ça veut dire que, pour le ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles, ça doit s'accompagner de gestes posés peut-être encore de manière plus intensive au moment où on fait la promotion de l'immigration au Québec, au moment où on fait la sélection à l'étranger, au moment aussi où on gère au Québec l'intégration et, bien sûr, la francisation des nouveaux arrivants.
Et je trouve cela important d'examiner ce projet de loi, les modifications à la charte québécoise des droits de la personne et, en même temps, les autres incidences ou les autres dimensions, donc d'avoir une perspective d'ensemble quand on examine ce projet de loi. Et, dans ce sens-là, c'est très important que, si ces modifications à la charte sont faites -- à la charte québécoise des droits et libertés -- ce soit clair aussi que toutes les conditions liées à l'immigration, à la sélection, à l'accueil et à l'intégration, qui sont des conditions indissociables, soient vraiment mises en place pour assurer que le gouvernement va remplir ses obligations -- le gouvernement, j'entends l'Administration -- mais aussi que les responsabilités des nouveaux arrivants, des immigrants leur soient bien connues et qu'on prenne toutes les mesures pour qu'ils les assument.
Je me permets de souligner que, lorsque j'étais sous-ministre -- à l'époque, ça s'appelait des Relations avec les citoyens et de l'Immigration -- j'ai vu des situations assez extraordinaires de nouveaux arrivants dont la langue, par exemple, maternelle était le mandarin qui avaient à faire des efforts incroyables pour s'intégrer en français, qui ont fait ces efforts et dont les enfants, aujourd'hui, parlent québécois, parlent français et parlent anglais et qui sont intégrés dans la société de manière remarquable. J'ai vu aussi des gens qui, malheureusement, n'ont pas fait ces efforts-là et n'ont pas réussi à faire ce que j'appelle, moi, la gestion active de leur intégration en utilisant tous les moyens que le gouvernement, que la société met à leur disposition et qui, aujourd'hui, pour ceux qui sont encore ici, sont dans des situations, je dirais, de citoyenneté moins intéressantes, moins faciles et qui ont des conditions de vie et de participation moins intéressantes. Alors, il y a aussi une responsabilité qui est partagée, et, dans ce sens-là, moi, je salue l'intention face à la Charte des droits et libertés. Sans avoir examiné chacun des articles et en réitérant que c'est sous réserve de ce que pourra en dire le président de la commission demain, je salue cela. Je lie ça aussi avec les obligations de l'Administration, notamment le ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles, et les responsabilités que ça veut dire pour les nouveaux arrivants et les futurs citoyens.
Mme St-Pierre: Donc, reconnaître la langue française comme langue officielle dans la Charte des droits et libertés, c'est un message puissant qui serait aussi envoyé aux communautés culturelles ou aux futurs immigrants?
Mme Saint-Germain (Raymonde): Tout à fait. Tout à fait.
Mme St-Pierre: Alors, moi, je n'ai plus de questions, M. le Président.
Le Président (M. Marsan): Alors, je vous remercie. Nous allons maintenant poursuivre, et je vais laisser la parole au député de Borduas, porte-parole de l'opposition officielle en matière de langue. M. le député.
M. Curzi: Merci, M. le Président. Madame, messieurs, bonjour. Heureux de vous accueillir. En page 6 de votre présentation, vous dites: «Je recommande que les critères devant être utilisés pour l'appréciation de la "majeure partie de l'enseignement reçu" soient les mêmes pour toutes les demandes faites en vertu des articles 73, 76 et 86.1, que la demande implique ou pas la fréquentation d'une école privée non subventionnée.» Vous dites donc que, pour tous ceux qui sont touchés par l'article 73, on puisse faire une demande qui définisse mieux les critères de la majeure partie de l'enseignement reçu. Est-ce que vous pouvez me concrétiser ce que vous dites là?
Mme Saint-Germain (Raymonde): En fait, c'est qu'il peut y avoir aussi, par l'accès aux écoles privées anglophones ou aux écoles publiques anglophones, des citoyens... C'est une question d'équité dans l'application des critères pour tous les citoyens qui, à la base, n'ont pas l'accès automatique à l'école anglaise au Québec en vertu, là, des dispositions qui sont prévues à la charte sous l'angle de la langue de la minorité. C'est de s'assurer que l'Administration appliquera les critères et examinera les dossiers pour l'ensemble des écoles anglaises avec la même rigueur, la même équité, la même obligation de motivation des décisions pour l'ensemble des citoyens qui veulent un accès à l'école anglaise et qui ne sont pas déjà admissibles automatiquement en raison des dispositions, là, de la langue de la minorité.
M. Dowd (Marc-André): Si je peux me permettre de compléter...
Mme Saint-Germain (Raymonde): M. le Président, c'est ça, j'apprécierais que le vice-protecteur puisse compléter.
Le Président (M. Marsan): M. Dowd.
M. Dowd (Marc-André): Au moment où on se parle et jusqu'au 22 octobre prochain, il y a des personnes qui font des demandes de certificat d'admissibilité. Et il y a des personnes désignées qui font l'évaluation de ces demandes-là en vertu de directives, et elles ont à décider, elles ont à apprécier si le critère de la majeure partie de l'enseignement reçu est satisfait ou non. Ce critère-là n'est donc pas unique au cas des écoles privées non subventionnées. Alors, on a été un peu surpris, en voyant le projet de règlement qui était publié sur le site Internet du ministère de l'Éducation, de constater que ce projet de règlement ne viserait que les cas où les élèves ont transité par des écoles privées non subventionnées. Ce qu'on se dit, puisque c'est un critère commun à plusieurs catégories, il est important qu'on applique les mêmes critères et qu'on les applique... Et, si on choisit de procéder par voie réglementaire, évidemment la perspective du Protecteur est que, minimalement, les grands principes, les grands critères devraient être inclus dans la loi, mais que les modalités d'application soient les mêmes, soient connues des citoyens, soient bien... fassent l'objet d'une publicité adéquate. Parce que c'est ça, le problème à l'heure actuelle, les règles ne sont pas connues. C'est un des problèmes importants. Alors, c'est le sens de notre intervention.
M. Curzi: Je ne sais pas si c'est clair pour tout le monde, mais est-ce que je comprends bien? Quand vous me dites ça, est-ce que cela signifie qu'il y aurait actuellement dans le système public, par exemple, anglophone des gens dont l'admissibilité ne répond pas à ces critères-là?
M. Dowd (Marc-André): Non, ce n'est pas ce qu'on dit. Ce qu'on dit, c'est qu'actuellement le critère qui est évalué, c'est le critère de la majeure partie de l'enseignement reçu en tenant compte des critères qui ont été énoncés par la Cour suprême depuis l'arrêt Solski en 2005. Donc, c'est simplement le critère qui est utilisé.
M. Curzi: Bien. Je comprends que vous ne voulez pas être politique, donc vous avez examiné ce qui est présenté comme projet de loi. En même temps, comme Protectrice du citoyen, vous avez forcément, je dirais, un devoir de défendre les droits individuels. Or, dans le cas qui nous concerne, dans le projet de loi n° 103 -- et c'était le cas dans le projet de loi n° 104, et c'est aussi la base fondamentale du projet de loi 101 -- il y a un critère évident, prégnant qui est un droit collectif. Et ce droit collectif là, il a été entériné par l'ensemble des gouvernements, des parlementaires et de la population après un lourd et long débat, et il semble prévaloir et, jusqu'à un certain point, contraindre des droits individuels, limiter certains choix individuels, puisqu'il impose l'école française aux francophones et aux allophones. Quand vous examinez ce projet de loi là, est-ce que vous tenez compte pleinement de cet historique de la prépondérance du droit collectif sur votre devoir nécessaire de protection des droits individuels? Et comment le faites-vous?
Mme Saint-Germain (Raymonde): D'une part, ce n'est pas que je ne veux pas être politique, c'est que je ne dois pas être politique. C'est extrêmement important dans les fonctions que j'occupe.
Cela étant, votre question est importante, et, oui, nous avons examiné le projet de loi et le projet de règlement dans la perspective de nous assurer... Au-delà, je dirais, des considérations de bonne gouvernance administrative, de la mise en vigueur de la charte, que je mettrai, là, pour l'instant de côté, nous avons examiné ce projet de loi dans la mesure où nous avons voulu vérifier si les droits de l'un ou l'autre des citoyens du Québec qui sont déjà consentis dans la charte et aussi qui sont les droits qui étaient ceux de l'esprit de la loi 101, qui a été modifiée, là, avec le temps et les obligations, je dirais, liées au recours devant les tribunaux... Donc, il y a les droits qui sont ceux de la majorité, il y a les droits qui sont ceux de la minorité anglophone au Québec. Et nous avons examiné dans cette perspective ce projet, et je pense qu'il y a une série de mesures, notamment, qui sont de nature à compliquer, il faut le dire, l'existence et la survie des écoles dites passerelles, donc les écoles anglaises non subventionnées, qui sont de nature à compliquer le parcours et l'accès à des enfants pour lesquels l'objectif principal ne serait pas de se conformer à la charte, mais serait, au contraire, de contourner la charte.
En même temps, les dimensions qui sont, je dirais, connexes, prévues par la loi mais qui ont des incidences autres, notamment celles liées à la Charte des droits et libertés de la personne, celles qui auront des incidences sur l'accueil, l'intégration, la francisation des nouveaux arrivants, nous avons examiné tout ça et nous nous sommes dit qu'au total il y a plusieurs balises, il y a un encadrement dont il faut s'assurer qu'il est dans la loi, mais qu'au total les droits fondamentaux des citoyens de la majorité et des citoyens de la minorité, sous l'angle linguistique, sont passablement respectés. Et, quand je dis passablement, c'est, à mon avis, sont respectés dans le contexte où le jugement de la Cour suprême permet aussi de donner un poids très grand au critère du parcours authentique et de la majorité de l'enseignement dans la langue anglaise en l'occurrence, mais une majorité qui ne serait plus maintenant calculée sur une seule base quantitative ou mathématique, mais aussi sur une base qualitative, et ça, pour moi, c'est extrêmement important.
**(16 h 40)** Je pense que ce qu'il faut... Et c'est ce qu'à mon avis l'ensemble des membres, ici, de la commission souhaitent, ce dont il faut s'assurer, c'est que, tout en maintenant la cohésion linguistique, tout en s'assurant du respect des droits de tous les Québécois, la majorité francophone, la minorité anglophone et aussi les allophones, on ne crée pas un contexte législatif qui soit encore propice à retourner devant les tribunaux au moindre dossier, à la moindre insatisfaction d'un citoyen et qui fasse en sorte qu'on ait encore dans ces questions-là des débats de nature juridique qui pourraient trouver leur place autrement dans une gestion administrative solide, à partir d'une charte qui encadre bien les principaux principes, une charte de la langue française qui encadre bien les grands principes, qui permet donc à l'Administration de bien gérer sans éroder l'esprit du législateur dans l'administration au quotidien -- c'est très facile, dans le cas par cas en particulier -- et, en même temps, qui fasse en sorte que tous les citoyens connaissent bien, oui, leurs droits, mais aussi leurs responsabilités. Il y a des obligations, c'est extrêmement important, et nous avons examiné ce projet de loi et de règlement sous l'angle de l'équilibre entre les droits et les responsabilités de chacun.
M. Curzi: Donc, en fait, ce que vous... Et c'est la raison pour laquelle vous êtes en désaccord avec l'existence de règlements qui ne font pas l'objet d'une consultation, d'une part, et aussi, et surtout dans le fait que ces règlements-là ne soient pas, dans leurs grands principes, intégrés à la loi. Ce que je comprends, c'est que vous dites: On y gagnerait au niveau de la connaissance précise des principes qui permettraient un accès, disons, à l'école anglaise, et, en même temps, ça nous éviterait de tomber dans ce que tout le monde craint, c'est-à-dire un dédale de recours et de représentations juridiques, puisque la part congrue qui serait administrée hors la loi serait réduite, en quelque sorte. C'est ce que je comprends.
Mme Saint-Germain (Raymonde): M. le Président, c'est exactement cela avec une précision, c'est que le principe qu'un règlement d'application soit nécessaire, j'y souscris tout à fait, il faudra un règlement d'application. Ce que je recommande à cette commission de modifier dans le projet de règlement, c'est d'intégrer, d'insérer dans la Charte de la langue française les grands principes pour s'assurer que le règlement d'application ne portera que sur les dimensions administratives et techniques et qu'ainsi, dans la mise en oeuvre, ne s'érode pas l'esprit du législateur.
Et a fortiori, comme vous le soulignez, M. le député, j'insiste d'autant plus qu'il n'est pas prévu de prépublication de ce règlement, donc que toutes ces dimensions administratives, techniques, qui, parfois, peuvent vous sembler bien loin, je dirais, du fond du projet de loi mais qui, pour moi, Protectrice du citoyen et mon équipe, sont parfois le quotidien de citoyens très frustrés qui viennent chez nous et qui, en fait, ne comprennent pas les décisions, ne comprennent pas le parcours administratif très long, très complexe à travers lequel ils doivent cheminer... Et c'est aussi ma responsabilité comme Protectrice de faire en sorte que l'Administration soit la plus efficace, la plus allégée, et, je dirais, en même temps, pour les membres de l'Administration, je pense que c'est plus aidant, c'est plus facilitant. Et il y a des questions sur lesquelles la marge de manoeuvre doit être balisée par le législateur, et, à mon avis, cette question en est une.
M. Curzi: À ce moment-là, est-ce que vous considérez que le projet de loi n° 103 n'est pas apte à être présenté tel qu'il est rédigé, puisqu'il y a là, selon votre avis, une absence importante de principes directeurs? Et, conjointement à cela, je me dis: Est-ce qu'il est dans les usages qu'on consulte la Protectrice du citoyen quand on élabore une politique?
Mme Saint-Germain (Raymonde): M. le Président, je considère que le projet gagnerait à être amendé et à inclure, bien sûr, les recommandations, qui sont au nombre de quatre, que j'ai faites, et qui, je dois le dire, sont élaborées de manière pragmatique et réaliste. C'est accessible, à mon avis, à l'Administration et au processus législatif que d'inclure ces modifications avant les prochaines étapes d'examen par les parlementaires.
Par ailleurs, pour répondre à la deuxième question: Est-ce qu'il est pratique que l'Administration consulte le Protecteur du citoyen?, je dirai: La pratique la plus fréquente est celle de la consultation par l'Assemblée nationale, puisque le Protecteur du citoyen est une institution de l'Assemblée nationale. Mais je n'ai jamais refusé à aucun ministre, et certains le font... l'ouverture et l'accès au Protecteur du citoyen lorsque sont en élaboration des projets de loi et également des projets de règlement. On se fait un devoir de répondre autant au gouvernement, à l'Administration, qu'à l'Assemblée nationale pour toute question qui puisse être de nature à faciliter la compréhension des besoins des citoyens et aussi à faciliter l'exercice de l'Administration. Alors, je serai heureuse, maintenant et pour toutes les autres situations, de répondre favorablement à toute demande d'avis.
M. Curzi: Vous parlez des droits qui sont mentionnés pour les nouveaux arrivants, vous avez dit clairement que ces droits-là devraient s'accompagner, somme toute, de devoirs. C'est ce que je comprends. Si on simplifie votre pensée à l'extrême, vous dites: Le droit auquel s'oblige le gouvernement devrait s'accompagner d'un devoir. En fait, ce que vous dites plus ou moins, c'est qu'un parcours d'intégration authentique pourrait être une voie qui faciliterait l'exercice du devoir du gouvernement à fournir des services, finalement, d'intégration et de francisation. C'est ce que je comprends. Est-ce que vous trouvez... Est-ce qu'il y a une formule... Les façons de faire cela pourraient relever d'une notion de -- je ne sais pas quoi -- citoyenneté, pourraient relever d'une obligation liée à un... Quelles sont les façons concrètes dont ce devoir auquel le gouvernement s'oblige et... Ça entraîne quoi chez les nouveaux arrivants? Et comment ça pourrait s'incarner? Est-ce que ma question est claire? Oui?
**(16 h 50)**Mme Saint-Germain (Raymonde): M. le Président, les questions sont effectivement très claires. Je commencerai par dire qu'il faut souligner que plusieurs et même une majorité de nouveaux arrivants font tous les efforts pour faire ce que, moi, j'appelle leur participation active à leur intégration au Québec. Dans leur propre intérêt d'abord, mais aussi dans l'intérêt de tous leurs concitoyens. Alors, ça, c'est une dimension importante.
Je considère par ailleurs que, si on veut atteindre les objectifs fondamentaux de la vie en commun, de la cohésion sociale au Québec, la question du respect de la Charte des droits et libertés, la question du respect de la Charte de la langue française, ce sont deux questions fondamentales et que, oui, les nouveaux arrivants ont un devoir ou une responsabilité de faire leur part. Et, sous tous les gouvernements depuis 20 ans, les points de vue ont toujours été très convergents à l'effet que c'est une responsabilité partagée, une responsabilité de l'État, mais aussi une responsabilité des nouveaux citoyens. C'est une question d'intérêts à la fois, je dirais, individuels et collectifs réunis.
Là où j'irai un peu plus loin, sans vouloir m'éloigner de la question, c'est que nous constatons bien que la frustration des parents, francophones surtout, allophones un peu, en moindre nombre, qui viennent chez nous et qui sont déçus d'une décision négative concernant l'accès de leur enfant à l'école anglaise, c'est parce qu'ils voient aussi l'intérêt de leur enfant, dans un contexte de mondialisation, à connaître également l'anglais, et ils se disent: Est-ce possible d'apprendre toutes les langues? Et je pense qu'il ne faut pas négliger, pour l'ensemble des Québécois, cette question de l'enseignement de la langue seconde. Peut-être qu'il faudra dynamiser, et je pense que ça ne s'oppose pas. C'est une question connexe, aussi importante, mais qui ne s'oppose pas, et, moi, je pense que les citoyens qui arrivent au Québec ou projettent d'y venir ont intérêt à apprendre le français et ont tout aussi intérêt à faire en sorte que leurs enfants, comme les enfants des francophones, apprennent d'autres langues, dont, bien sûr, l'anglais est l'une des langues importantes.
Vous me parlez des moyens, M. le député. Parmi les moyens, je dirais, il y a cette intensification -- parce qu'il se fait beaucoup de choses à l'Immigration, il s'en faisait quand j'y étais, il s'en est fait encore et de très bonnes après aussi -- cette intensification de la clarté et de la précision de l'information officielle qui est donnée à l'étranger s'agissant de faire la promotion par le gouvernement de l'immigration au Québec et de l'intégration. Il faut faire attention de ne pas laisser ce que, moi, j'appelle les rabatteurs en immigration, des gens qui font profession de commercer l'importation au Québec de citoyens en ne donnant une information... que celle qu'ils croient utile à pouvoir faire en sorte qu'ils pourront conclure des transactions avec ces citoyens ou futurs citoyens. Donc, je pense que le gouvernement en est conscient, le ministère en est conscient, il faut accroître et préciser la qualité de l'information qui est donnée quant aux obligations qui seront faites aux citoyens qui projettent de venir au Québec, quant aux conditions de leur intégration sociale, économique et culturelle au Québec comme, plus largement même, je dirais, dans certains cas, en Amérique du Nord. Et également il faut faire en sorte que, lorsqu'ils arrivent, cela leur soit facilité encore plus d'exercer ou d'assumer leurs responsabilités. Et je pense que, dans ce projet, il y a certainement de belles intentions, en tout cas. Il faudra voir dans le règlement d'application, dans la pratique au niveau de l'immigration.
Vous savez, on a des professeurs de français au Québec -- je pense que vous le savez très bien -- on a des bureaux régionaux d'immigration, il faut continuer de leur donner des moyens. Il faut faire en sorte aussi que l'administration publique dans l'ensemble non pas isole les nouveaux arrivants, mais comprenne bien leurs prérogatives et leur facilite l'accès aux services publics, l'accès également à d'autres réseaux de services publics. Je pense du côté des municipalités et j'ai salué au début ce qu'on trouve dans le projet de loi au niveau des municipalités, d'avoir des politiques linguistiques, de les faire connaître, de les clarifier. À mon avis, tout cela est extrêmement, extrêmement important.
Et, surtout, j'espère que tous ceux qui sont des acteurs dans la diffusion, même les médias, comprendront bien qu'il ne s'agit pas ici d'opposer la minorité anglophone du Québec et ses droits à la majorité francophone, mais il s'agit, au contraire, de bien cibler une problématique qui est le lot d'une minorité de personnes qui contournent le respect du français, langue de la majorité, et qui pourraient très bien atteindre d'autres objectifs en se conformant aux lois et aux règlements et en s'intégrant d'une manière positive au Québec.
M. Blanchet: Est-ce que j'ai le temps de poser une question, M. le Président?
Le Président (M. Marsan): Il reste deux minutes. Alors, M. le député de Drummond.
M. Blanchet: Je ne sais pas quelle est votre définition de faire de la politique, mais je ne suis pas convaincu que vous en soyez très loin.
Je vous fais un aveu, je ne sais pas c'est quoi, un parcours authentique. Je suis convaincu que ça ne doit pas se limiter dans la définition à la volonté sincère des parents au niveau pédagogique. En quelque part, on est à la recherche des vrais, qui aura le droit, qui n'aura pas le droit. Je lis les unités, les paramètres, les critères qui prétendent circonscrire le phénomène du parcours dit authentique, mais on ne définit pas une notion sur la base de sa mesure, mais bien sur la base de sa nature. Donc, dans cette mesure-là, à titre de Protecteur du citoyen, disposez-vous d'une définition courte, compréhensible par le citoyen de ce qu'est le parcours authentique? C'est la base de tout.
Mme Saint-Germain (Raymonde): Quelques éléments, M. le Président. D'une part, ma définition de faire de la politique, c'est d'avoir un parti pris pour l'un ou l'autre sans être objectif, et je pense plutôt agir dans le sens de la défense des droits de tous les citoyens dans des contextes où certains droits sont ceux de la majorité, sont ceux de la minorité. Et certains citoyens tentent de contourner l'intention du législateur, et j'agis au meilleur de ma connaissance aussi pour éclairer le mieux possible les parlementaires.
Vous posez une question extrêmement fondamentale et qui, effectivement, est une question importante, et, moi, je salue que les parlementaires posent cette question-là sur le parcours authentique parce que la définition n'est pas encore complète. Même au Protecteur du citoyen, on a quelques pistes, mais on n'a vraiment pas tout trouvé. Et ce qui est certain, c'est qu'il y aura toujours une part de subjectivité dans l'analyse dans la mesure où... Un élément important, c'est la motivation réelle qui fait qu'on veut demander cette dérogation d'accès. Et, ce parcours authentique, sachant qu'il y a eu jusqu'à maintenant des contournements, il faut le dire, des contournements à la loi, il reste que, manifestement, ces contournements-là ne pouvaient pas être considérés dans un parcours authentique. Mais la difficulté, c'est qu'il faut maintenant composer avec un arrêt de la Cour suprême qui dit: En toute équité, je pense qu'au moment où on a constaté que cette formation en anglais dans des écoles passerelles, elle a été faite, il faut la reconnaître aux enfants et aux citoyens concernés. Donc, c'est quand même assez complexe.
J'exclus la dimension mathématique, qui va de soi maintenant, incluant, là, le temps passé aux écoles passerelles. Il y a tout ce qui est la provenance de l'enfant, l'intention manifeste d'établissement permanent au Québec. Les conditions, certaines nous sont données par la Cour suprême, et certaines étaient déjà aussi dans la charte. Est-ce qu'il y a des conditions particulières à un enfant qui font en sorte que cet enfant ne pourrait pas, dans une langue ou l'autre, mais surtout en français, ne pourrait pas réussir avec succès un parcours scolaire, soit parce qu'il a un certain handicap, une connaissance, manifestement, tellement insuffisante de la langue française qu'on irait vers l'échec et que même des mesures compensatoires ou des cours de renforcement parallèles ne seraient pas suffisants? Alors là, ce sont certaines dimensions.
Je pourrai déposer un document parce qu'on s'était tellement posé la question qu'on a mis quelques pistes sur des éléments qui gagneraient à être précisés et sur des éléments qui sont liés au parcours scolaire, notamment ce qu'on appelle la constance et le caractère réel de l'engagement. Alors, vous considérez aussi les établissements selon les caractéristiques de leur clientèle, la nature et la disponibilité aussi de programmes particuliers d'études. Il pourrait se poser...
Le Président (M. Marsan): En terminant.
Mme Saint-Germain (Raymonde): Excusez-moi.
Le Président (M. Marsan): Non, en terminant. Vous pouvez terminer.
Mme Saint-Germain (Raymonde): En terminant, donc, il y a des catégories d'écoles pour lesquelles il n'y avait pas de choix de programmes suffisamment diversifié, même pour un parcours francophone, que ce soit à l'extérieur du Québec ou même dans certaines régions particulières. Alors, ça aussi doit être considéré.
En terminant, nous n'avons pas une réponse complète et exhaustive à une question fondamentale que vous posez. Nous allons continuer d'y réfléchir, et je vous offre notre collaboration à tous et toutes.
Le Président (M. Marsan): Et je vous remercie beaucoup, beaucoup, Mme Raymonde Saint-Germain, M. Marc-André Dowd et M. Jean Maurice Paradis. Nous recevons le document que vous avez déposé, nous l'acceptons.
Et, là-dessus, je voudrais inviter maintenant M. Denis Monière à venir à notre table, et je vais suspendre pour quelques instants.
(Suspension de la séance à 16 h 59)
(Reprise à 17 h 3)
Le Président (M. Marsan): Alors, nous reprenons nos travaux. Il nous fait plaisir d'accueillir M. Denis Monière, président de la Ligue d'action nationale. M. Monière, vous avez 15 minutes pour votre présentation, suivie d'échanges avec les parlementaires. La parole est à vous.
Ligue d'action nationale
M. Monière (Denis): Merci, M. le Président. C'est un plaisir de me retrouver dans cette salle, où je siège habituellement à votre place lorsque je préside certains colloques. Donc, je remercie la commission de nous donner l'occasion d'exprimer notre point de vue sur le projet de loi n° 103.
Au préalable, j'aimerais peut-être rappeler aux membres de cette commission qui nous sommes. La Ligue d'action nationale a continué le travail de la ligue de défense du français, qui a été fondée en 1903, et notre travail consiste essentiellement à publier une revue qui s'appelle L'Action nationale, qui est publiée depuis 1917. Nous avons donc de profondes racines concernant la question qui nous préoccupe aujourd'hui. Cette revue a publié jusqu'à présent plus de 10 000 articles provenant de plus de 1 500 auteurs. C'est donc la plus vieille revue existante au Québec, puisque nous avons maintenant 93 ans. Et nous poursuivons notre oeuvre inlassablement, puisque les mêmes débats qui ont été mis sur la place publique au début du siècle, on les retrouve aussi aujourd'hui dans ce XXIe siècle.
Je n'ai pas l'intention, devant vous, de lire mon texte, puisque je présume que vous l'avez, mais j'aimerais simplement faire quelques commentaires et insister sur certains points de ce texte. Il va de soi que notre point de vue n'est pas un point de vue juridique, mais plutôt un point de vue politique. Et je comprends très bien qu'après une longue journée d'écoute vous soyez peut-être un peu moins attentifs qu'au début de cette journée, donc j'essaierai d'abréger mes propos.
Il est un peu paradoxal et il était problématique pour nous d'intervenir dans ce débat dans la mesure où, bien sûr, nous rejetons les causes qui nous amènent ici. Nous sommes des indépendantistes, nous ne reconnaissons pas l'autorité de la Cour suprême du Canada, et surtout que cette Cour suprême invalide constamment des lois adoptées par cette Assemblée nationale et des lois qui sont même adoptées à l'unanimité de cette Assemblée nationale, ce qui était le cas de la loi n° 104. Vous comprendrez donc un peu notre perplexité à vouloir intervenir pour bonifier un projet de loi dont l'origine est -- pour nous, en tout cas -- illégitime.
Ceci dit, nous voulons quand même contribuer à ce débat, et, donc, nous sommes ici, à l'Assemblée nationale, qui porte bien son nom, puisque vous êtes les représentants d'une nation. Cette nation a été reconnue par tous les partis politiques et même récemment par le gouvernement canadien. Lorsqu'une nation existe, elle a une culture particulière, elle doit s'exprimer avec son système juridique particulier. Elle est, en quelque sorte, distincte des autres et, de ce point de vue, cette nation n'a pas à se soumettre aux volontés d'une autre nation qui, elle, exprime une autre vision des choses. Donc, c'est dans cet esprit que nous essayons de trouver des solutions pour faire appliquer les lois qui ont été adoptées par cette Assemblée nationale et, surtout, pour que le Québec soit réellement une société de langue française.
À cet égard, donc, dans le projet de loi qui nous est présenté, nous applaudissons certaines mesures comme l'article 156, qui est proposé comme ajout à la Charte de la langue française, ou les articles 40.1 et 42.1 qui sont proposés en ajout à la Charte des droits et libertés, puisque, là, on a une volonté qui s'exprime, celle de renforcer le statut du français comme langue officielle et d'en faire une langue normale et habituelle de l'espace public. Donc, nous espérons que ces bonnes intentions se traduiront en volonté politique ferme.
Mais, ceci dit, il n'en demeure pas moins que la tenue même de ces audiences manifeste prima facie notre état de dépendance et de subordination politique à une autre nation. C'est parce que nous avons, en quelque sorte, un statut colonial que nous sommes obligés, comme collectivité, de tergiverser, de revenir constamment sur des débats qui nous accaparent et qui nous empêchent de progresser collectivement parce qu'on nous enferme dans un carcan que nous impose une volonté extérieure. Et c'est ça, le colonialisme, et je pense que cette commission est une parfaite manifestation du statut colonial qui existe encore au Québec, quoi qu'on en dise. Et il s'exprime à travers la Cour suprême, et, donc, on va de décisions de la Cour suprême qui mettent en cause les lois québécoises, de décisions qui nous reviennent, nous faisons des amendements à nos propres volontés, nous nous accommodons comme société, et la Cour suprême nous dit: Non, ce n'est pas assez, faites-en un peu plus, donc on revient encore à la charge. Donc, c'est une espèce de jeu permanent où, comme collectivité, nous n'arrivons pas à exprimer ce que nous désirons réellement. Bon.
**(17 h 10)** Alors, ceci dit, en ce qui concerne la langue de l'enseignement au primaire et au secondaire, ce que nous proposons, ce sont des aménagements à la loi actuelle, à la loi qui existe, la loi 101, pour enlever un certain nombre de confusions, ou d'ambiguïtés, ou d'imprécisions qui existaient encore dans le texte de départ. Donc, de ce point de vue là, nous n'ajoutons pas d'éléments essentiels au projet de loi n° 103 comme tel, mais nous voudrions que cette commission et que l'Assemblée nationale resserrent l'application des règles qui étaient déjà prévues dans la loi 101 afin de procéder à la francisation. C'est ce que nous avons indiqué ici lorsque nous voulons des modifications aux articles 72, 73, 74, 81 et 85. Ces articles ne sont pas tous inclus dans le projet de loi n° 103, mais ils font partie de la Charte de la langue française.
Là où nous intervenons plus fortement, c'est en ce qui a trait à la langue d'enseignement au niveau collégial. Et le hasard fait bien les choses ou les hasards sont peut-être programmés, mais, en tout cas, on apprend aujourd'hui qu'il y a une étude qui semble sérieuse et qui démontre que les cégeps sont un lieu d'anglicisation et que, forcément, tous ceux qui y passent ont tendance, par la suite, à s'intégrer au monde anglophone. Donc, il est important pour nous de renforcer la francisation en appliquant la règle de la loi 101 qui veut que tous les enfants francophones et tous les enfants allophones aillent à l'école française, donc que cette règle soit étendue au niveau collégial pour éviter justement qu'il y ait cette érosion dans la francisation de la société québécoise, et en particulier du monde du travail.
Parce que c'est ça, l'enjeu fondamental, et c'est pour cette raison qu'on se bat au Québec depuis les années soixante. Si on veut faire du français une langue commune, c'est parce que le français doit être une langue utile, valorisée sur le plan professionnel et sur le plan économique, et, donc, c'est par le cégep que s'effectue l'entrée réelle dans le monde professionnel, à tout le moins. Il y a l'université, mais c'est surtout par le cégep où la masse est plus importante, et c'est là où il faut, à mon avis, continuer l'effort de francisation en poursuivant la logique de la loi 101 et en intégrant les cégeps sous le chapeau de la loi 101. Donc, c'est pour nous, ça, peut-être l'aspect le plus important.
Je sais bien que probablement que ça n'aura pas de suite, mais, en tout cas, nous estimons que c'est là où se joue véritablement l'avenir de la société québécoise parce que, si l'anglais continue à être la langue des affaires, du commerce, des entreprises, les francophones vont vouloir... Et, comme on nous l'a dit souvent, plus il y a de la mondialisation, plus on veut s'intégrer au monde anglophone, et donc, forcément, plus de francophones voudront envoyer leurs enfants à l'école anglaise.
Donc, enfin, en fait, concernant la mesure imposée par la Cour suprême, à savoir modifier la loi n° 104 pour accommoder, en quelque sorte, le régime des écoles passerelles, pour nous c'est un peu la quadrature du cercle, cette histoire, parce que ça ne règle pas le problème des droits, à notre avis. Suivre la recommandation ou le projet de loi tel qu'il est formulé actuellement et autoriser à ceux qui font un séjour de trois ans dans des écoles anglophones non subventionnées, donc autoriser ces enfants à poursuivre dans le système anglophone public ou privé par la suite, selon les choix, cette logique-là nous semble discutable, et, à notre avis, ça va mener à un cul-de-sac parce que, pour régler la question des droits individuels, hein -- c'est au nom des droits individuels qu'on veut autoriser des parents francophones à envoyer leurs enfants dans les écoles anglophones -- on va créer un autre problème d'inéquité de droits. Parce qu'en réalité, derrière cette logique, ce qu'on tente de mettre en évidence, c'est qu'on peut acheter son droit à l'école anglaise. Envoyer ses enfants pendant trois ans dans une école privée non subventionnée anglophone, ça représente, grosso modo, 30 000 $, 35 000 $ si vous êtes à Montréal. Si vous êtes en région, si vous êtes en Gaspésie ou en Abitibi et que vous vouliez faire la même chose, ça va vous coûter beaucoup plus cher parce que, là, vous devez expatrier vos enfants à Montréal, où vont se trouver ces écoles passerelles, entre guillemets.
Donc, on est en train, si on adoptait cette logique, de créer une inéquité, une inégalité devant les droits d'accès à l'école. Il y aura des parents qui, parce qu'ils sont riches, parce qu'ils ont de l'argent, pourront envoyer leurs enfants à des écoles anglaises et même publiques et gratuites par la suite, et d'autres qui, n'ayant pas les mêmes ressources, ne pourront pas le faire avec tous les beaux projets qu'ils auraient de donner à leurs enfants la connaissance de l'anglais pour leur réussite dans le monde des affaires ou dans le monde de l'économie. Donc, on est en train de se recréer une situation où, au nom des droits individuels, on va être encore en mesure de contester la loi n° 103 si jamais elle était adoptée. Cette loi n° 103 crée un régime d'inégalité devant l'accès à l'école dans la langue de son choix. Autrement dit, il y aura toujours des francophones qui n'ont pas le libre choix de la langue d'enseignement de leurs enfants parce qu'ils n'auront pas les moyens de payer les coûts impliqués par l'école passerelle.
Donc, en conclusion, ce que je dirais, c'est que, devant ce dilemme qui nous est imposé par une volonté extérieure, il y a trois solutions possibles pour régler la question posée par la Cour suprême: il y a la clause dérogatoire, qui, en passant, fait partie de la Constitution, qu'il n'est donc pas illégal d'invoquer; il y a le libre choix de la langue d'enseignement pour tout le monde, ce qui était la position de l'Union nationale en 1969 avec le bill 63 -- c'est une possibilité, on efface la loi 101; et la dernière solution, évidemment, c'est l'indépendance du Québec. Merci de votre attention.
Le Président (M. Marsan): Oui. Merci, M. Monière. Nous allons immédiatement poursuivre, et je vais céder la parole à notre collègue la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine. Mme la ministre.
Mme St-Pierre: Merci bien. Merci d'avoir pris la peine de vous pencher sur le projet de loi n° 103 et de venir ici, en commission parlementaire, pour nous faire part de vos commentaires. Tout d'abord, j'aimerais un peu comprendre exactement, c'est-à-dire que est-ce que... Parce que, dans la plupart des mémoires, ceux qui nous disent d'appliquer la loi 101 aux écoles privées non subventionnées l'écrivent vraiment noir sur blanc, l'application de la loi 101 aux écoles privées non subventionnées avec la clause dérogatoire. Il me semble que je ne la retrouve pas, cette phrase-là, dans votre mémoire. Mais vous nous parlez des cégeps. Donc, c'est comme si vous ne vous étiez pas beaucoup penchés sur la question des écoles privées non subventionnées, cette problématique-là qui est devant nous.
M. Monière (Denis): Bien, je vous ai d'abord expliqué au départ notre perplexité.
Mme St-Pierre: Oui. Oui, oui, on a tout compris.
M. Monière (Denis): Donc, c'est sûr qu'il y a un malaise, là, pour nous d'intervenir dans ce débat qui ne procède pas de notre volonté nationale. Bon. Et, donc, on n'a pas réfléchi, effectivement, à la question des écoles privées, mais, pour nous, quiconque veut envoyer ses enfants à l'école privée peut le faire. Ce n'est pas ça, le problème. Le problème n'est pas là. Le problème, c'est que des enfants francophones ne veulent pas envoyer leurs enfants à l'école publique et préfèrent l'école privée non subventionnée. Et c'est là où il y a contournement de la loi 101, et ça, c'est interdit, c'est interdit par la loi. Donc, je ne vois pas pourquoi on autoriserait quelque chose qui est interdit par la loi, à moins qu'on estime que la loi en soi n'a pas beaucoup de valeur. Ça, ce serait très grave si on estime que la loi 101, bon, elle peut être contournée avec des procédures juridiques ou avec des ressources financières.
**(17 h 20)**Mme St-Pierre: Attendez une minute, là. C'est vrai que la journée...
M. Monière (Denis): Est longue.
Mme St-Pierre: ...est assez chargée, puis peut-être que j'ai mal compris. Vous dites: Il n'y a pas de problème d'envoyer un enfant à l'école privée non subventionnée, c'est ça?
M. Monière (Denis): Absolument. C'est la liberté des parents. Moi, je peux envoyer mes enfants à l'école allemande, pas de problème.
Mme St-Pierre: Donc, la solution d'appliquer la loi 101 aux écoles privées non subventionnées ne vous apparaît pas la bonne solution?
M. Monière (Denis): Non. On ne s'est pas prononcés là-dessus, nous.
Mme St-Pierre: Bien, je vous demande de vous prononcer.
M. Monière (Denis): Non, non. Non, moi, je pense que...
Mme St-Pierre: Parce que c'est ça, le but du jeu, là. Ici, on est en train d'étudier la question des écoles privées non subventionnées qui étaient fréquentées par des enfants dont les parents, à un certain moment donné, décidaient de vouloir passer par-dessus la clôture, là, puis aller vers le secteur public subventionné anglophone.
M. Monière (Denis): Là, attendez, moi, je parle des...
Mme St-Pierre: En face, on nous suggère, pour régler le problème... La situation, c'est simple, la situation est claire, là on dit: Trois semaines après que le jugement a été sorti, c'est la loi 101 aux écoles privées non subventionnées et la clause dérogatoire. Parce que, si on ne met pas la clause dérogatoire, nos experts, disait le député du Lac-Saint-Jean, grand constitutionnaliste qui n'est pas là mais qui était là lors de l'interprétation, disait: Appliquez la loi 101 aux écoles privées non subventionnées, et, si vous ne mettez pas la clause dérogatoire, on va être poursuivis en vertu de la liberté d'expression. Donc, il faut mettre la clause dérogatoire.
Notre solution à nous n'est peut-être pas parfaite, mais elle est légitime, et nous demandons à la bonifier, bien sûr, si vous avez des suggestions à faire. Mais quelle est votre opinion sur la loi 101, l'application de la loi 101 aux écoles privées non subventionnées? Et, si vous êtes d'accord avec cette solution, est-ce que, selon vous, il faut appliquer la clause dérogatoire, qui suspend les libertés fondamentales?
M. Monière (Denis): Donc là, je comprends bien votre question, et, effectivement, on est contre l'idée que l'accès à l'école privée non subventionnée soit laissé au libre choix des parents. Quand je parlais de l'école privée, j'aurais dû spécifier l'école privée francophone. J'ai parlé de l'école privée allemande. Si, moi, comme parent, je veux envoyer mes enfants à l'école privée allemande, c'est mon droit, mais pas envoyer mon enfant à l'école privée anglophone. C'est là où est la différence, c'est la langue d'enseignement qui est le problème. Et ce que fait la loi 101, c'est d'obliger tous les francophones à envoyer leurs enfants à l'école française. Et c'est ça, l'essentiel. Que l'école privée soit française et non subventionnée et que quelqu'un veuille envoyer ses enfants là, je n'ai aucun problème avec ça. Ce n'est pas l'école privée, moi, qui est mon problème, c'est l'école privée anglophone où vont des francophones et des allophones, bien sûr.
Mme St-Pierre: Et certains allophones. Alors, Me Bernard nous a expliqué ce matin qu'il avait... bon, on le sait, il avait été très proche des discussions lors de l'adoption de la loi 101 avec le Dr Camille Laurin, M. Lévesque, et il nous a expliqué qu'il avait voulu, le Dr Laurin, garder cette zone de liberté, cet espace de liberté. Et, plus tard, le Dr Laurin, en 1996, devant les militants du Parti québécois, avait même dit qu'appliquer la clause dérogatoire n'aiderait pas la cause de la souveraineté. Il l'a dit devant des militants qui l'ont hué. Alors, la clause dérogatoire, dans ce cas-ci, en matière linguistique, ne considérez-vous pas que ça vient... on risquerait d'être blâmés par les Nations unies en vertu du Pacte sur les droits civils et politiques, que le Québec a entériné en 1976?
M. Monière (Denis): Eh bien, non, puisque cette clause dérogatoire, elle fait partie de la Constitution canadienne, à laquelle nous sommes soumis. Et, donc, invoquer une clause qui fait partie d'une constitution, à mon avis, c'est tout à fait légitime et légal, et je ne vois pas au nom de quoi on pourrait avoir honte d'utiliser ce qui est inscrit dans la Constitution.
Par ailleurs, moi, je serais honteux qu'on autorise des citoyens à acheter un droit à l'école anglaise. Là, il y a une inégalité foncière entre les individus, et ça, dans ma vision d'une société, c'est inadmissible. Et, donc, c'est pour ça que l'idée des écoles passerelles est rebutante, et, à mon avis et sur le plan du respect des droits individuels, la solution proposée n'est pas véritablement... ne règle pas le problème des droits individuels parce que, là, les droits individuels, on va en avoir une cascade de revendications. Parce que, moi, je pourrais contester le fait de ne pas pouvoir envoyer mes enfants à l'école anglaise parce que je n'ai pas d'argent, c'est nuire à mes enfants, c'est brimer leur avenir. Donc, je pense qu'on va se mettre dans un piège si on suit cette logique de l'école passerelle en termes de droits individuels.
Mme St-Pierre: M. le Président, mon collègue député de Rouyn-Noranda voudrait poser une question.
Le Président (M. Marsan): M. le député de Rouyn-Noranda, la parole est à vous.
M. Bernard (Rouyn-Noranda--Témiscamingue): Merci, M. le Président. Bonjour, M. Monière. Merci de votre présentation. Vous avez parlé un petit peu de l'Abitibi, ça fait que ça va me permettre de revenir là-dessus. Ce n'est pas dans le projet de loi, mais vous avez parlé quand même un peu du collège, des... collégial. Donc, je vais vous faire une petite intervention sur ce point de vue là. Moi, depuis aujourd'hui, donc, j'étais content de participer à cette commission parlementaire là parce que, nous, en région, naturellement, il y avait des écoles anglophones publiques et qui vivent des situations difficiles ces temps-ci. On a tendance à l'oublier, mais, particulièrement depuis que les commissions scolaires sont passées de confessionnelles à linguistiques, ça a brisé le tissu et ça a créé des problématiques à cet égard-là. Parce qu'avant ils étaient donc partie dans la même école. La commission scolaire, étant donné qu'elle était sur une base catholique, on avait le côté... les anglophones et les francophones dans la même institution à certains endroits, ce qui permettait des partages de ressources, et autres, et les jeunes pouvaient se côtoyer, c'était... Et, depuis que ça a été séparé, maintenant les clientèles sont séparées, la masse critique n'est plus là, on n'a plus les ressources, etc., donc ils vivent une problématique.
Moi, aujourd'hui, ce qui m'a beaucoup interpellé... Puis vous avez assisté à la présentation de Mme la Protectrice du citoyen, et, moi, je ne vous le cacherai pas, cette intervention-là m'a interpellé beaucoup, je l'ai trouvée très intéressante du fait que, quand je regarde un peu vos propos quand vous dites: Bon, on est au Canada, on a la charte, qui ne nous convient pas, moi, quand j'écoutais la directrice du citoyen, j'ai dit: Demain matin, un Québec indépendant n'aurait pas le choix de tenir compte, effectivement, des droits, des libertés des gens qui sont ici et que... Quand j'écoutais, à ce moment-là, ces propos-là, je me dis: On a un devoir envers nos minorités et qu'il faudrait tenir compte. Et, à ce moment-là, peu importe le statut, je me dis qu'il faudrait respecter ces droits-là. Puis M. Bernard l'a dit aussi, d'un volet international, être respecté. Alors, moi, ça m'interpelle beaucoup à cet égard-là, et je considère que le projet de loi qu'on fait dans ce sens-là va dans une bonne direction.
Du côté... Et, quand on parle de droits citoyens, c'est là que je reviens au niveau du collégial. Moi, la fille aînée a 22 ans maintenant. En 2006, dans mon rôle de député -- je vous conte l'anecdote -- on était allés dans l'Ouest canadien parce qu'il y avait une rencontre interprovinciale qui avait lieu là. Donc, j'ai profité de l'occasion pour amener les filles et ma conjointe là-bas. Mary Lou, qui était au cégep à ce moment-là, elle s'est rendu compte qu'elle était absolument inepte à parler anglophone. Elle se pensait incapable de parler anglais et, donc, elle s'est rendu compte qu'elle n'était pas capable. Et, suite à ce voyage-là, qui avait eu lieu au mois d'août, elle a décidé d'aller faire une année d'immersion du côté de l'Ontario en anglais. Et ça, pourquoi? Bien là, c'est le volet de communication.
Moi, je pense que, entre autres au collégial, quand vous dites: Il faut porter... il faudrait inscrire le collégial, étendre la loi 101 au collégial, les gens qui sont là, les étudiants qui sont là sont presque adultes, ils ont 17 et, adultes, 18 ans, ces gens-là sont libres de faire des choix qui leur appartiennent. Quand, d'un côté, j'entends des gens qui veulent descendre le droit de vote à 16 ans puis, de l'autre côté, qu'on leur forcerait des actions ou les brimer dans leurs choix personnels, je ne suis pas d'accord avec ça. Ça, j'aimerais un peu vous entendre là-dessus.
**(17 h 30)**M. Monière (Denis): Oui, oui, oui, certainement. D'abord, dans notre texte, nous disons très clairement qu'il faut respecter les droits historiques de la minorité anglophone. Il n'est absolument pas question de toucher à quelque droit que ce soit de la minorité anglophone. Ce n'est pas ça, la question. La question, c'est les francophones et les allophones, pas les anglophones. Donc ça, c'est une question qui, pour nous, n'est pas problématique.
Pour revenir à votre exemple de l'apprentissage de l'anglais à l'école primaire, secondaire et par la suite, ça, c'est peut-être des réformes des programmes, mais je crois que vous avez d'ailleurs réduit l'âge auquel on commence à faire l'enseignement de l'anglais à l'école primaire, donc ça devrait améliorer la connaissance de l'anglais. Personne ne s'oppose à la connaissance de l'anglais.
Par contre, là, ça m'étonne beaucoup, ce que vous dites concernant les cégeps, parce que les gens qui vont au cégep francophone ont été scolarisés au primaire et au secondaire en français, et aller faire le collégial en français, c'est un atout, c'est un avantage en termes d'acquisition de connaissances parce qu'ils ne sont pas obligés de faire un changement linguistique, ils ne sont pas obligés de s'inscrire dans une nouvelle réalité sociolinguistique qu'est le cégep anglophone. Donc, si je pense à quelqu'un qui vient de chez vous, de Rouyn-Noranda, et qui va au cégep anglophone, je prends le cas de votre fille, il est certain qu'elle va être handicapée si elle passe au cégep anglophone parce qu'il y a un apprentissage des langues à faire, surtout au niveau de l'enseignement postsecondaire, où, là, tout compte parce que ça détermine l'entrée à l'université, ça détermine le choix de la carrière que vous allez faire par la suite.
Et donc, à mon avis, c'est un avantage qu'on offrirait aux allophones en particulier de les maintenir dans un cadre francophone au cégep parce que ça permet de bonifier, de valoriser leur apprentissage du français et de moins les pénaliser. À moins qu'on suppose ou qu'on postule qu'un allophone qui fait son primaire et son secondaire en français, ce n'est que pour la frime, ce n'est pas pour s'intégrer au Québec, et donc que, dans le fond, pour lui, le français, c'est une obligation, ce n'est pas important, et donc il préfère passer à l'anglais parce que, de toute façon, il connaîtrait l'anglais même au secondaire et au primaire. Bon, ça, c'est une autre hypothèse. Mais, sur le plan du rôle que jouent les langues dans l'apprentissage, surtout au niveau postsecondaire, à mon avis c'est plus avantageux de poursuivre en français pour ceux qui sont scolarisés en français au primaire et au secondaire.
Le Président (M. Marsan): M. le député de Rouyn-Noranda.
M. Bernard (Rouyn-Noranda--Témiscamingue): Oui. Merci, M. le Président. Bien, c'est là qu'effectivement les gens peuvent faire un choix d'individu parce qu'on peut décider, M. le Président, de dire: Regardez, je fais le saut pendant un an. Parce que, souvent, ça va prendre une session d'apprentissage intensif, puis, souvent, les gens qui le font... puis même au niveau universitaire parce que c'est un choix futur. Le temps d'arrêt qu'on fait à ce moment-là, où un jeune choisit de le faire, dans sa carrière future, va permettre d'aller beaucoup plus loin dans sa vie. C'est un choix à ce moment-là, puis on en parle souvent.
Je vais vous donner une autre anecdote. La plus jeune, elle, des filles, l'année dernière, a décidé d'aller faire six mois au Costa Rica, de la coopération internationale. Elle parlait à peine espagnol quand elle est allée là. Maintenant, elle est bilingue, elle parle français et espagnol. Et elle ne parle que très peu anglais. Donc, cette richesse-là qu'elle a maintenant est importante. Et apprendre plusieurs langues, à ce moment-là, pour le développement futur...
Puis le choix que vous dites, moi, ce n'est pas le choix des allophones. Et je vais vous donner l'exemple de Rouyn-Noranda à cet égard-là, c'est le choix de francophones de vouloir mieux apprendre une deuxième langue. Moi, personnellement, j'ai réussi à l'apprendre en allant passer deux ans en Ontario, puis là j'étais en vraie immersion pour le travail. Parce que, quand j'avais sorti, malheureusement la faiblesse de notre système du côté francophone et de... quand on sort puis on ne pratique pas une deuxième langue, on la perd rapidement, et peu importe laquelle.
Et Rouyn-Noranda était une ville très... a été une ville multiculturelle, M. le Président. On l'oublie, mais, avant Montréal, quand on retourne dans les années cinquante, elle était plus multiculturelle que Montréal, et il y avait une communauté anglophone qui était forte parce qu'il y avait beaucoup d'immigrants d'Europe de l'Est qui sont arrivés, et l'anglais a été la langue de travail, comme vous le dites très bien. Mais, maintenant, les enfants de ces gens-là sont francophones, et plusieurs sont parfaitement bilingues. Et, maintenant, la nouvelle génération, avec la loi 101, que je salue à cet égard-là, que tout immigrant qui arrive, qu'il fasse son école primaire et secondaire en français, c'est génial.
Et, en Abitibi, j'ai des familles... Dans la rue que je demeure, il y a des Portugais, il y a des Argentins qui sont là, ce sont des professionnels qui sont venus s'installer, et tous les enfants sont à l'école francophone. Ils parlent l'espagnol à la maison, et ça, c'est une autre affaire, on ne peut pas demander à des gens... Quand j'écoute les statistiques d'à matin... ce matin, on ne peut pas demander, M. le président, à des gens qui apprennent le français d'arriver... Puis il l'a très bien dit, M. Castonguay, les gens, dans leur famille, à la maison, vont parler leur langue d'origine. C'est sûr que ça a un impact sur les statistiques, mais ce sont maintenant ces jeunes-là immigrants qui sont allés à l'école française qui sont parfaitement... Ils sont bilingues et même trilingues, et c'est là, je pense, la richesse de notre Québec de futur, d'avoir des jeunes qui vont pouvoir rayonner à l'extérieur du Québec. Et ma crainte, souvent, que, si on confine notre société québécoise à une langue pure et simple, le français, c'est que notre rayonnement international va diminuer, M. le Président, et c'est ma crainte à cet égard-là.
M. Monière (Denis): Oui, une petite remarque. Je vais aussi faire l'anecdote avec mes filles. Moi, mes filles, pour vous rassurer, M. le député, parlent trois langues: l'allemand, le français et l'anglais. Et elles sont scolarisés dans les universités québécoises francophones, elles ne sont pas allées à McGill, où elles auraient pu aller. Donc, je pense que le rayonnement international du Québec n'est pas problématique en ce moment. Dans nos universités, on a des programmes d'échange internationaux qui sont très forts, très dynamiques, et nos étudiants sont très portés à aller vers l'étranger, il n'y a pas d'inquiétude à cet égard. Et ce n'est pas la création d'écoles passerelles qui va améliorer le rayonnement international du Québec, à mon avis.
Le Président (M. Marsan): Merci. Nous allons poursuivre avec l'opposition officielle, et je vais tout de suite céder la parole à notre collègue le député de Borduas, porte-parole pour l'opposition officielle en matière de langue. M. le député.
M. Curzi: Merci, M. le Président. M. Monière, bonjour. Dans le fond, ce que ce projet de loi n° 103 fait, c'est... Et je pense que vous l'avez assez bien dit puis que ça résume un petit peu votre pensée, c'est que, pour protéger le libre choix d'une minorité hautement privilégiée, parce qu'il faudra qu'elle soit... on est en train de créer un système inéquitable. Et, quand on écoute avec soin M. Bernard, dans le fond, on se rend compte que sa solution...
Une voix: ...
M. Curzi: ...on se rend compte...
M. Bernard (Rouyn-Noranda--Témiscamingue): Ah non! l'autre M. Bernard, excusez.
M. Curzi: Louis Bernard, qui est venu ce matin, on se rend compte que... Je ne parlais pas de vous, M. le député de Rouyn-Noranda, dont le nom semble être proche de celui de M. Louis Bernard, qui est venu ce matin. Donc, quand on écoute M. Louis Bernard, on se rend compte que ce qu'il propose finalement, c'est d'aller encore plus loin dans ce principe d'inéquité parce que, là, il préconise que ceux qui décident d'envoyer leurs enfants dans une école privée anglophone devront déclarer solennellement que ces enfants-là vont faire tout leur parcours. Donc, on vient de hausser d'un cran, là, la classe privilégiée qui va se permettre soit de saigner à blanc soit d'avoir les moyens d'assumer les coûts assez élevés dans le cas de M. Bernard. Et, donc, on ne règle pas le problème de l'équité, on est en train de l'accentuer, puisque, là, on va vers le haut et qu'on crée une inéquité encore plus grande. C'est ce que vous dites finalement, d'une part.
Alors, en même temps, je ne veux pas dire tout ce que vous allez pouvoir dire, mais l'autre aspect avec lequel je suis... En fait, il y a plusieurs aspects avec lesquels je suis d'accord. Le deuxième, c'est que... Là où je vous rejoins, c'est que vous avez raison, ça a toujours été, dans toute l'histoire de la colonisation, un principe très fort que de provoquer chez les colonisés des débats entre eux. Ça les occupe, et, pendant ce temps-là, ils ne se retournent pas vers nous, et donc... Et je pense que la Cour suprême utilise abondamment le fait qu'après avoir eu un consensus de l'Assemblée nationale, quand même, qu'on ne peut pas nier, un vote majeur, qui a réglé, en quelque sorte, la situation, et relativement peu de gens s'en plaignaient, quelques cas, mais... Tu sais, l'arrêt Solski, l'arrêt Nguyen, on parle quand même de cas extrêmement peu nombreux, et là, tout d'un coup, la Cour suprême, du haut d'une autorité qui penche, nous dit: Ah! votre consensus ne vaut rien. Vous allez devoir refaire toutes vos classes, refaire une autre loi, de nouveau faire une commission parlementaire, de nouveau vous chicaner...
Mme St-Pierre: ...nous parler.
M. Curzi: Hein? Ça donne l'occasion de parler...
**(17 h 40)**Mme St-Pierre: De nous voir.
M. Curzi: ...mais, mon Dieu! le silence est tellement agréable dans la nature. Mais donc on se retrouve de nouveau confrontés au fait qu'il faut se casser la nénette, si j'ose dire, pour trouver de nouveau une solution, et dont on n'est même pas sûr. Et, dans le cas du projet de loi n° 103, on est à peu près certain que ça va être de nouveau contesté et qu'on risque de nouveau de se retrouver...
Bon, là, je vous laisse la parole sans vous poser de... Non, non, je vais vous poser une question...
M. Lemay: Et ça nous fait passer pour des méchants encore.
M. Curzi: Et encore des méchants.
Une voix: Pas mal radical, je trouve...
M. Curzi: Non, mais il y a quelque chose d'absolument... Et on se rend compte que c'est une histoire répétitive, dans le fond, une histoire répétitive. Et là j'en viens au troisième accord que j'ai avec vous. Vous avez évoqué trois solutions dans votre mot final, puis je suis d'accord avec le dernier, je pense que la souveraineté est nécessaire.
Maintenant, ma question, c'est: Si la loi 101 a réussi à établir une sorte d'équilibre au Québec au niveau linguistique pendant un certain temps, il est clair maintenant -- et là je raccorde avec votre opinion sur l'enseignement collégial -- il est clair maintenant que même retoucher la loi 101, ce qui m'apparaît nécessaire au niveau de la langue de travail, de la langue de l'Administration à plusieurs égards, ne sera pas suffisant pour inverser une tendance qui m'apparaît extrêmement importante dans le Grand Montréal, et, en ce sens-là, vous recommandez que les cégeps soient français. Est-ce qu'il y a d'autres endroits, selon votre analyse, auxquels un gouvernement devrait s'attarder pour inverser cette tendance lourde qu'on sent?
M. Monière (Denis): Oui, mais là vous ouvrez un débat qui déborde largement le cadre du projet de loi n° 103. Mais, bon, je vais essayer d'intervenir dans l'ordre de vos remarques. La question de l'inéquité, je ne sais pas si vous en avez débattu, mais elle peut être lourde de conséquences pas seulement sur une question linguistique. Comment l'Assemblée nationale et la ministre de l'Éducation fera-t-elle si jamais l'idée de la loi n° 103 est acceptée, à savoir qu'on envoie ses enfants à l'école privée non subventionnée pour les ramener éventuellement, plus tard, dans le système public... Comment, si cette idée est acceptée, comment la ministre de l'Éducation pourra-t-elle s'objecter au projet de la Faculté de gestion de l'Université McGill d'imposer des frais astronomiques pour l'enseignement supérieur? Je pense que, si on s'enfonce dans une logique de l'argent source de droits, on va avoir des problèmes beaucoup plus graves sur d'autres dimensions des décisions collectives. Ce n'est pas juste la question linguistique, là, qui va se poser, l'équité entre les citoyens doit être un principe qui devrait motiver le législateur, qui devrait... Le législateur devrait porter beaucoup d'attention à cette idée. C'est quand même...
Là aussi, il y a un consensus au Québec là-dessus. Notre société est une société égalitaire, hein? L'égalité hommes-femmes, ça a été une bataille importante. Donc, l'égalité entre les citoyens, à mon avis, devrait être le premier critère sur lequel on juge une modification législative. Et, dans ce cas-ci, je pense que, là, on dérive, il y a une dérive qui s'installe, puisque l'argent est source de droits particuliers, privilégiés. Ce n'est pas accessible à tous, tout comme faire son M.B.A. à McGill est fondé sur l'épaisseur de son porte-monnaie. Bon. Et je ne vous cacherai pas qu'il y a des universités qui s'en viennent avec des projets de frais de scolarités modulés pour imposer en médecine des frais de 40 000 $ par année. Alors, on va se retrouver avec d'énormes problèmes puis on n'aura plus de légitimité pour dire non à ces propositions. Bon, c'est pour ça que je voulais mettre sur la table cette question de l'égalité des citoyens devant l'accès à l'école française.
L'autre intervention que vous avez faite, c'est sur l'équilibre que la loi 101 a créé dans la société québécoise. Oui, tout le monde applaudissait cette loi, et même mon collègue et anciennement ami Stéphane Dion a dit que l'acquis le plus important du gouvernement Lévesque, c'était la loi 101 parce qu'elle avait établi la paix linguistique au Québec. Mais, depuis, on s'évertue à la grappiller progressivement, à l'éroder constamment, de telle sorte qu'on va se retrouver avec des situations de plus en plus conflictuelles.
L'autre question, c'est la francisation à Montréal. Il est évident que, comme la collectivité allophone et anglophone est centrée à Montréal, c'est là où se joue l'avenir linguistique du Québec et c'est sûr que Montréal est en train de basculer vers une forme d'anglicisation. Et il est quand même curieux de constater qu'on a prêché tout à l'heure l'immersion pour nos amis francophones en anglais, mais je n'entends personne préconiser l'immersion en français pour nos amis anglophones. Pourquoi pas une année de cégep en français pour les anglophones, de telle sorte qu'ils puissent s'intégrer au marché du travail montréalais parce que c'est là où ils vivent? Donc, si on devait peut-être ajouter des mesures législatives pour favoriser l'harmonie linguistique et, surtout, la francisation du monde économique, bien il faudrait peut-être pousser un peu plus nos amis anglophones à fonctionner en français et à acquérir cette langue. C'est sûr qu'ils sont relativement bilingues pour la plupart aujourd'hui, mais c'est grâce à la loi 101.
Il ne faut pas oublier les effets psychologiques de la loi 101, qui a changé la dynamique des rapports de force entre la communauté francophone et anglophone. Alors, à partir du moment où on la gruge constamment, à partir du moment où on la dévalorise, à partir du moment où on fait de l'accès à l'école française une question économique, une question de richesse, on va se demander si c'est si important que ça, d'autant plus que l'argument invoqué, c'est pour donner accès au marché du travail, hein? Pourquoi on veut envoyer ses enfants à l'école anglaise? C'est pour accéder au marché du travail. Ça veut donc dire que le français n'est pas une langue d'avenir et c'est pour ça, que dans notre texte, en introduction, on a cité Gérald Godin. Il faut que les Québécois puissent travailler en français pour pouvoir parler français. C'est le français langue du travail qui est la condition sine qua non de la survie du français au Québec.
M. Curzi: En fait, il y a une autre chose dont on ne parle pas, c'est pourquoi est-il nécessaire de changer de système scolaire pour apprendre une langue. Ça, il faut le dire, le redire sans arrêt, le problème qu'on a, c'est un problème de crédibilité sur l'enseignement de l'anglais dans le système scolaire francophone. Mais c'est un problème, disons, dont la solution apparaît assez évidente, là, il faut s'assurer que l'accès à la connaissance de l'anglais et à d'autres langues -- vous parliez de l'allemand, de l'espagnol -- soit réel et possible et que ce soit crédible, de telle sorte que les parents ne ressentent plus comme une nécessité de transférer le parcours scolaire de leurs enfants dans un système anglophone pour apprendre une langue. Ça, ça m'apparaît assez important de dire cela constamment.
Il y a aussi le fait que... Ce qu'on constate, en tout cas, toutes les études le disent, c'est que les allophones et les francophones s'anglicisent, il y a un pouvoir d'attraction formidable de la culture et de la langue anglaise, mais, effectivement, les anglophones ne se francisent pas. Ils sont bilingues, mais ils n'adoptent pas... on ne voit pas de transferts linguistiques en nombre calculable, là, du côté des anglophones, et ça, ça indique l'espèce d'ambiguïté aussi d'une minorité qui, normalement, devrait vouloir à tout prix s'intégrer à une majorité, qui crée avec effort une interface, qui parle la langue, mais qui ne sent pas le besoin d'envoyer ses enfants en immersion ou à l'école française parce que, dans le fond, ils sont très conscients que, comme minorité, ils sont rattachés à une majorité tellement plus vaste qu'ils ne sentent pas ce besoin-là. Et, donc, ça nous met dans une drôle de situation où, par réflexe... Évidemment, si quiconque qui vit au Québec décidait d'aller où que ce soit ailleurs dans le monde, d'emblée on apprendrait la langue du pays, alors qu'ici ce réflexe-là, pour quiconque qui vient, n'est pas immédiat, et total, et incontestable, il est comme, semble-t-il, toujours une question de choix. On est dans des réalités qui sont difficiles à... Oui, donc...
M. Monière (Denis): Si je peux répondre à votre remarque...
M. Curzi: Oui, allez-y. Allez-y, ça m'aiderait. Ça tombe bien.
**(17 h 50)**M. Monière (Denis): Je voudrais simplement rappeler que l'école, ce n'est pas simplement un lieu d'apprentissage des langues et d'autres savoirs, c'est un lieu de socialisation, c'est un lieu de formation culturelle en particulier. Et là je parle pour Mme St-Pierre avec son chapeau de ministre des Affaires culturelles, regardez les impacts négatifs sur la consommation culturelle québécoise des transferts linguistiques vers l'anglais. Le sondage qui a été réalisé et publié ce matin est très révélateur du fait que, si vous êtes inséré dans un milieu anglophone, vous perdez votre socialisation culturelle et vous ne consommez plus les produits culturels québécois. Je pense que, là, il y a des vases communicants, et ça, à long terme... Pas maintenant, mais dans 10, 20, 30, 50 ans, est-ce qu'on va encore s'intéresser au théâtre québécois, au cinéma québécois? Si nos jeunes vont de plus en plus vers l'anglais, se professionnalisent en anglais, ils vont s'intégrer à un milieu de travail anglophone, et le français, comme langue culturelle, risque d'être atrophié.
M. Curzi: Oui. Il y a même des statistiques assez inquiétantes. Il y a eu un film très populaire qui a ramassé 10 millions, là, une question de flics avec... mais la statistique qui était étonnante, c'est que ce film-là a généré 10 millions de revenus, mais, au moment où j'ai vu... il y avait 85 % des revenus d'un film francophone qui avaient été faits à l'extérieur de Montréal. C'est-à-dire que c'était, en quelque sorte, un produit culturel hautement populaire au Québec, mais totalement absent de toute une partie de la communauté anglophone...
M. Blanchet: ...M. Curzi: Hein?
M. Blanchet: ...en musique aussi.
M. Curzi: C'est ça. Puis là l'étude de l'IRFA à laquelle vous faites allusion, elle est un peu troublante parce qu'on se rend compte que, même dans la langue d'usage avec les amis, donc la langue d'usage privé, là il y a, de la part des francophones et des allophones... de plus en plus, c'est l'anglais qui est en usage. Il y a donc un glissement culturel majeur, et les conséquences que vous décrivez sont très nettes. Si on n'agit pas là-dessus, sur 3 000 personnes qui transfèrent... qui quittent le secondaire français pour aller vers le secondaire anglais, c'est 30 000 sur 10 ans, 90 000... c'est exponentiel. Et on parle de gens qui seront certainement les mieux formés, les mieux éduqués, donc qui auront accès aux meilleurs emplois dans notre société. Ce n'est pas négligeable. Bien, merci. Quant à moi, je n'ai pas d'autre question.
Le Président (M. Marsan): Je vous remercie, M. Monière, au nom de la Ligue d'action nationale, de nous avoir présenté votre point de vue.
Documents déposés
Je voudrais, avant de terminer, déposer les documents de la Protectrice du citoyen, Éléments du projet de règlement qui devraient être intégrés dans la Charte de la langue française et Éléments du projet de règlement qui gagneraient à être clarifiés.
Et, sur ce, j'ajourne les travaux jusqu'à demain, 9 h 30, où la commission se réunira afin de poursuivre son mandat. Merci. Et bon retour.
(Fin de la séance à 17 h 53)