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Version finale

32e législature, 4e session
(23 mars 1983 au 20 juin 1984)

Le jeudi 27 octobre 1983 - Vol. 27 N° 157

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes et d'organismes sur la Charte de la langue française


Journal des débats

 

(Dix heures quinze minutes)

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission élue permanente des communautés culturelles et de l'immigration est réunie ce matin pour entendre tous les intervenants intéressés par la Charte de la langue française.

Les membres de la commission sont: Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Payne (Vachon), M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), M. Fallu (Groulx), M. Godin (Mercier), M. Gratton (Gatineau), Mme Lachapelle (Dorion), M. Laplante (Bourassa), M. Leduc (Fabre), M. Ciaccia (Mont-Royal), M. Fortier (Outremont).

Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Bissonnette (Jeanne-Mance), M. Brouillet (Chauveau), M. Dupré (Saint-Hyacinthe), M. Gauthier (Roberval), M. Lincoln (Nelligan), M. Martel (Richelieu), M. Sirros (Laurier), M. Marx (D'Arcy McGee), M. Vaugeois (Trois-Rivières).

Le rapporteur de la commission est M. Laplante de Bourassa.

M. Marx: M. le Président, une question de règlement avant qu'on commence.

Le Président (M. Desbiens): Oui.

M. Marx: M. le Président, dès le début de nos travaux le ministre a promis de nous fournir une liste de toutes les études et de tous les sondages qui étaient faits soit par l'office, soit par le Conseil de la langue française et ainsi de suite. Maintenant, le ministre a bien fourni une liste des publications du Conseil de la langue française. Cette liste est déjà publique et on peut en trouver une semblable n'importe où. La liste que le ministre nous a promise n'est pas la liste des publications qu'on a déjà publiées; la liste que le ministre nous a promise, si on vérifie les débats, c'est celle de toutes les études et de tous les sondages qui ont été faits, soit par l'Office de la langue française, soit par le Conseil de la langue française, soit par d'autres organismes sous son administration le cas échéant. Cette liste n'a jamais été fournie. Est-ce que le ministre va tenir sa promesse dans ce sens ou...?

M. Godin: M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Godin: M. le député de D'Arcy McGee, la liste que je vous ai remise ou que j'ai fait distribuer inclut, conformément à votre demande et à ma promesse, la liste des études et sondages déjà faits, la liste des études et sondages en cours, et des études et sondages à venir. Je ne sais pas si vous l'avez lue avant de me poser votre question, M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Je ne l'ai pas...

M. Godin: Vous ne l'avez pas lue?

M. Marx: Non.

M. Godin: Vous ne l'avez pas lue ou pas eue?

M. Marx: Pas eue.

M. Godin: Laquelle? Celle du Conseil?

M. Marx: La liste... Tout ce que j'ai c'est la liste des publications du Conseil de la langue française.

M. Godin: Faites, en cours et à venir mais les publications incluent les sondages aussi parce que normalement on publie les sondages; on ne les diffuse pas sous forme de cassette.

M. Marx: Combien de fois a-t-on déposé des listes?

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Avez-vous déposé une liste une fois ou si c'est déjà arrivé avant?

M. Godin: Une autre liste a été déposée - vous étiez peut-être absent ou retenu par d'autres activités - des travaux déjà faits, déjà publiés, en cours et à venir, par l'Office de la langue française. Vos collègues l'ont, ils pourraient peut-être vous la passer.

M. Marx: Cela veut dire qu'en consultant cette liste, on peut demander d'avoir une copie de ces études?

M. Godin: Bien sûr. Dès qu'elles seront publiées, dès qu'elles seront accessibles et disponibles, nous les distribuerons comme nous l'avons fait pour tous les travaux de l'office et du conseil depuis que ces deux organismes existent. On n'a pas de secret ni de cachette, M. le député.

M. Marx: Bon, si on n'a pas de cachette, c'est nouveau.

M. Godin: Merci beaucoup. Merci, c'est gentil de votre part. Cela commence bien une journée.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Pour ramener le ministre à sa bonne humeur habituelle, j'aimerais, très brièvement, qu'on inscrive au journal des Débats l'entente que nous venons de conclure entre nous quant à nos travaux de demain. Nous devons rencontrer quatre organismes demain. Une suggestion a été faite et retenue des deux côtés pour commencer demain à 9 heures plutôt qu'à 10 heures de façon à permettre à chaque député de quitter Québec pour retourner dans son comté le plus tôt possible demain après-midi. Cela va permettre à l'Institut conjoint hospitalier de Montréal, qui devait être le quatrième intervenant demain, d'être le premier invité, de 9 heures à 10 heures, mais avec la stipulation qu'a acceptée l'institut de s'engager d'avance à ne pas dépasser 10 heures de façon à ne pas brimer ceux qui étaient déjà inscrits pour 10 heures, c'est-à-dire le Congrès juif canadien.

Pourrions-nous en faire une entente formelle immédiatement pour que les gens puissent être avertis en conséquence?

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Godin: M. le Président, sur ce point comme sur bien d'autres, nous sommes tout à fait d'accord.

M. Gratton: Merci.

Le Président (M. Desbiens): II y a donc entente pour commencer la journée de demain à 9 heures en recevant l'Institut conjoint hospitalier de Montréal comme premier intervenant.

Aujourd'hui, nous recevons, dans l'ordre: le Conseil du patronat, la Société Saint-Jean-Baptiste, Bell Canada, la Confédération des syndicats nationaux et la Fédération des affaires sociales, le Parti québécois Montréal-Centre, le Parti québécois Dorion.

Il y a également des mémoires qui ont été présentés pour dépôt seulement et qui sont les suivants: le Comité national des anglophones du Parti québécois; la Commission scolaire Baldwin-Cartier; Mme Billy Canellopoulos; l'Association des commissions scolaires protestantes du Québec; la Conférence des maires de banlieue; M. Camil Marchand; le Conseil québécois du commerce de détail; Alcan; et Mme Josée Coallier et M. Robert Ascah.

Le premier organisme, ce matin, c'est le Conseil du patronat. M. Allard, si vous voulez d'abord présenter les personnes qui vous accompagnent et ensuite procéder à votre présentation tout en rappelant, au début de nos travaux, qu'il est de commune entente qu'on essaie, sans que ce soit une règle absolument stricte, de limiter à une heure l'ensemble d'une présentation. Évidemment, si on veut procéder, à l'intérieur de ce délai, à une période de questions et à des échanges, on peut présenter un résumé des mémoires, autant que possible. M. Allard.

Conseil du patronat du Québec

M. Allard (Sébastien): Merci, M. le Président. M. le ministre, mesdames et messieurs, vous me permettrez d'abord de présenter les membres de notre groupe. À ma droite, M. Guy Laflamme, président de Les industries de la Rive-Sud; à ma gauche immédiate, M. Ghislain Dufour - je ne sais pas si c'est nécessaire de le présenter -vice-président du Conseil du patronat, ainsi que M. Marcel Côté, associé senior de SECOR Ltée.

Nous avons intitulé notre mémoire "Où en sommes-nous six ans plus tard?" La question de la langue est certainement l'un des sujets qui ont provoqué le plus de débats et soulevé le plus les passions des Québécois au cours des quinze dernières années. Le Conseil du patronat du Québec a toujours joué un rôle très actif dans ces discussions à titre de porte-parole de la communauté patronale. C'est à ce titre que, six ans après la sanction de la Charte de la langue française, le CPQ répond à l'invitation du gouvernement: faire le point sur la loi 101 et son application en vue d'apporter les correctifs qui s'imposent pour que les objectifs visés soient pleinement atteints tout en évitant, dans la mesure du possible, les retombées négatives.

Nous rappellerons, dans la première partie de notre mémoire, les positions prises antérieurement par le CPQ sur cette question. Nous présenterons, en deuxième partie, les principaux résultats d'un sondage que le CPQ a réalisé auprès de ses membres en août dernier sur la loi 101 et son application. Nous formulerons, en terminant, un certain nombre de recommandations générales fondées sur les résultats de ce sondage.

Pour rappeler nos positions antérieures,

nous sommes d'accord avec l'idée générale d'une action concertée entre l'État, les entreprises et les citoyens en vue de promouvoir l'usage du français au Québec et de parvenir à en faire la langue principale dans les activités économiques et culturelles. Ce n'est pas une déclaration que nous faisons aujourd'hui; cette phrase est tirée du mémoire que présentait le CPQ en juin 1977 devant la commission parlementaire de l'éducation, des affaires culturelles et des communications sur le projet de loi 1, Charte de la langue française au Québec.

Dès l'amorce des discussions sur ce qui est devenu par la suite la loi 101, le CPQ a donné un appui sans équivoque au gouvernement du Québec, tant au plan des principes énoncés qu'à celui des objectifs visés. Dans la mesure où l'intention du projet de loi était d'inscrire dans la vie concrète du Québec une présence toujours plus active du français et des francophones, le CPQ l'appuyait fermement. Cependant, par le biais de la promotion du français, le but concret que poursuivait le CPQ, c'était d'abord et avant tout la promotion des francophones, c'est-à-dire leur bien-être et leur progrès. C'est pourquoi nous affirmions que les moyens mis de l'avant pour assurer une évolution linguistique désirable doivent tenir compte des conditions de la vie et du développement économique d'un Québec intégré à l'économie nord-américaine.

Le CPQ a particulièrement manifesté son accord avec les énoncés suivants: d'abord le caractère fondamentalement français du Québec; ensuite le droit de la majorité francophone de parler sa langue au travail et d'être servie en français; la nécessité de donner, par l'affichage et les autres textes exposés à la vue du public, une image fidèle de la réalité du Québec et, enfin, la nécessité de respecter les droits des minorités.

Quant au choix des moyens pour atteindre les objectifs fixés, le CPQ a toujours soutenu que la promotion du français ne peut pas être considérée comme un absolu et que d'autres objectifs sociaux, les libertés démocratiques fondamentales, le progrès économique, le respect des minorités, doivent fixer les limites de l'intervention directe de l'État dans la vie des citoyens.

Les préoccupations du CPQ à ce sujet se regroupaient alors autour de quatre thèmes principaux: Premièrement, le régime scolaire doit rendre toujours possible le recrutement national et international des compétences nécessaires à l'amélioration de la gestion de nos entreprises, à la recherche et a l'innovation technologique; deuxièmement, l'obtention d'un permis ne doit pas être conditionnelle à des considérations discriminatoires autres que celles pour lesquelles il a été spécifiquement créé; troisièmement, les sièges sociaux de sociétés faisant affaires à l'extérieur du Québec doivent trouver au Québec des conditions favorables à leur développement. De même, les sociétés nationales et internationales doivent avoir avantage à faire du Québec leur principale place d'affaires pour le Nord-Est américain. Quatrièmement, les comités de francisation, à cause du rôle qui leur serait confié ou de leur composition, ne doivent pas introduire dans les entreprises des principes de gestion contraires à ceux habituellement appliqués dans le milieu des affaires.

Le CPQ abordait l'importante question de la langue d'enseignement avec une insistance toute particulière et soulignait la grande ouverture d'esprit nécessaire pour traiter de cette question. Il présentait, à ce sujet, une position comportant trois éléments. Liberté de choix de la langue d'enseignement pour tous les résidents canadiens actuels. Deuxièmement, après la promulgation de la loi, tous les nouveaux immigrants au Québec autres que ceux d'ascendance anglophone ou francophone devront s'intégrer à l'école française sous réserve, cependant, qu'il est essentiel que les programmes scolaires soient restructurés pour dispenser un meilleur enseignement de la langue seconde, tant française qu'anglaise, aux étudiants des deux réseaux scolaires. Troisièmement, des dispositions de résidence temporaire devront être prévues.

Où en sommes-nous actuellement? Six ans plus tard, nos positions demeurent généralement les mêmes. Les principes sur lesquels nous nous sommes appuyés au cours des ans en matière de législation linguistique demeurent valables et ils servent toujours de base à notre argumentation. Aussi, le CPQ n'a-t-il nullement l'intention de demander l'abrogation de la loi 101, ni même de réclamer des modifications qui modifieraient les fondements de cette loi, sauf dans le domaine de la langue d'enseignement. Fort de six ans de vécu avec la réalité de la loi 101, le CPQ demandera plutôt aux législateurs d'apporter certaines corrections à la loi, certains amendements à la réglementation qui, associés à une plus grande ouverture d'esprit de certains fonctionnaires, faciliteraient l'atteinte des objectifs que vise la loi.

Rares sont les débats qui gagnent en qualité à être engagés sur le ton de la croisade et au terme desquels les protagonistes sont rangés dans le clan des bons ou dans celui des méchants. Particulièrement dans un domaine aussi chargé d'émotivité que celui de la question linguistique, il faut éviter de cristalliser des positions qui deviennent alors rapidement irréconciliables. Le CPQ s'est, pour sa part, toujours efforcé de développer son argumentation sur cette question importante à l'intérieur d'une démarche rationnelle,

réaliste, bien appuyée sur des principes qui ne sauraient être ignorés dans toute société pluraliste et démocratique. (10 h 30)

Le CPQ souhaite que tous les intervenants engagés dans cette activité de révision de la législation sur la langue au Québec procèdent de la même façon et que l'opinion exprimée par chacun reçoive tout le respect qu'elle mérite. Nous éviterons ainsi d'assister aux charriages qui ont antérieurement marqué ce débat et nous éliminerons du même coup les étiquettes qui ont souvent été attribuées au monde patronal dans ce même débat. La qualité des échanges n'en sera qu'améliorée.

Je demande maintenant à M. Dufour de poursuivre avec notre sondage.

Le Président (M. Desbiens): M. Dufour.

M. Dufour (Ghislain): M. le Président, c'est le corps de notre mémoire que nous abordons maintenant. Pour se présenter devant vous, nous avons voulu vérifier dans le champ ce que pensent vraiment les entreprises qui sont membres du Conseil du patronat. Je vous rappelle que le Conseil du patronat est une fédération d'associations qui regroupe 132 associations. Ce ne sont pas ces gens-là qu'on est allé interviewer. Ce sont vraiment nos membres corporatifs. Ces membres corporatifs sont au nombre d'à peu près 350; ils représentent de façon assez générale la grande entreprise, donc, les gens qui sont en situation de décision et qui sont vraiment concernés par la loi 101. Quand nous avons envoyé notre questionnaire à ces 350 entreprises, nous avons même, de façon délibérée, enlevé toutes celles qui n'avaient pas 50 employés, parce qu'on se disait qu'on irait vérifier quelque chose qui ne donnerait rien, étant donné qu'elles ne sont pas assujetties au programme de francisation. Alors, de façon automatique, on les a exclues de notre sondage, ce qui nous en a donné 280.

La question qui peut se poser immédiatement: Ces 280, étaient-ce des anglophones ou des francophones? C'est un débat dans lequel, nous, on n'ose pas nous embarquer, parce que, pour définir une entreprise anglophone ou francophone, il n'y a personne qui nous a donné une définition qui soit acceptable à ce jour. Nous avons des entreprises anglophones qui sont présidées par des francophones et nous avons l'inverse. Alors, si vous vous basez tout simplement sur vos "mailing lists", cela ne donne absolument rien de faire ce genre de démarche. Nous avons donc envoyé le questionnaire aux 280 et, après un taux de réponses de 52% - 145 entreprises nous ont retourné ce questionnaire - nous nous sommes demandé comment on les regrouperait. Le choix qui a été fait, c'est le choix de la tradition de l'entreprise au plan linguistique, avant l'arrivée de la Loi 101. Donc, en 1975, vous aviez quoi comme tradition linguistique? Est-ce que vous administriez un siège social en anglais ou en français? Nonobstant des hommes cela n'a rien à avoir. C'est cette définition qu'on a constamment dans notre sondage.

Ce sondage, d'ailleurs, n'a pas été un sondage maison. Il a été confié à la firme SECOR, qui est la Société d'études et de changements organisationnels. M. Marcel Côté, associé senior, pourra répondre aux questions de méthodologie éventuellement. Je l'ai mentionné, nous avons reçu 138 réponses et 37 entreprises étaient des entreprises de tradition francophone. Elles embauchent tout près de 60 000 travailleurs ce qui veut dire en moyenne 1600 travailleurs ce qui est très représentatif des problèmes qu'ils ont pu connaître.

Chez les anglophones, c'est un effet du hasard, mais il y en a eu 101 qui ont répondu. C'était plus que cela, c'était 108 mais il a fallu en exclure vu qu'il y en avait qui ne nous avaient pas identifié leur tradition et vu que notre critère de base est la tradition, on ne pouvait pas procéder; c'est 101. Elles embauchent 168 000 travailleurs pour une moyenne de 1672 travailleurs. Encore là, c'est très représentatif.

Je n'ai pas l'intention de vous donner toutes ces statistiques que l'on retrouve dans ce sondage. D'ailleurs, vous l'avez, il a été distribué en même temps que le mémoire comme tel. De toute façon s'il y en a qui ne l'ont pas on a des copies disponibles. On va essayer d'aller chercher les points clés du sondage. On n'a pas tellement insisté sur les programmes de francisation comme tels. Vous allez entendre un autre groupe, le Centre linguistique de l'entreprise, lequel a une mission très particulière dans le sens de l'implantation des programmes de francisation et lequel a axé son mémoire sur les problèmes vécus comme tels des programmes de francisation. On a essayé plutôt de couvrir l'ensemble de la loi, ce qui ne nous pas empêché de leur poser des questions sur les programmes de francisation comme tels.

On réalise que chez les francophones d'une façon générale, en ce qui a trait aux objectifs, aux échéanciers à rencontrer, il n'y a pas eu tellement de problèmes. Sauf quelque chose qui est noté et qui est important, soit la relation qui semble avoir été difficile entre les fonctionnaires de l'office et les intervenants dans l'entreprise pour les fins de négociation des programmes de francisation. Nous étions vraiment entre francophones et il semble bien y avoir eu des problèmes.

L'autre constatation qu'on peut faire, c'est sur le programme de francisation comme tel. Il y a 33% des entreprises qui

(Dix heures trente-neuf minutes)

Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous plaît!

Je voudrais aviser nos invités qui devaient être à la commission ce matin -d'ailleurs, vous êtes tous ici - qu'une décision vient d'être prise à l'Assemblée nationale, disant que cette commission sera télévisée. Elle sera retardée jusqu'à 14 heures ou à une date ultérieure, mais elle se tiendra au salon rouge et elle sera télévisée. On attend les directives de l'Assemblée nationale pour savoir si nos travaux débuteront à 14 heures ou à une date ultérieure. Merci.

Une voix: Que les gens soient disponibles.

Le Président (M. Gagnon): On vous demande de rester disponibles, oui.

(Fin de la séance à 10 h 40)

ont répondu qui nous disent que cela a vraiment entraîné une complexification des procédures administratives: la paperasse, la bureaucratie. C'est quand même important, 33%. Là où il y a une réponse qui est positive, c'est concernant l'article 42, par exemple, qui avait fait craindre un peu au début l'obligation de passer dans un journal francophone une annonce, pour un poste lorsqu'on la fait passer dans un journal anglophone. L'article 42 n'a pas créé de problème. On réalise aussi que, tant chez les francophones que chez les anglophones, le comité de francisation n'a pas créé de problème. On avait certaines craintes sur la façon dont le comité de francisation pourrait être utilisé, et chez les anglophones et chez les francophones, mais on réalise que le comité de francisation n'a pas vraiment créé de problème.

Là où il y a eu problème c'est à l'article 46 de la loi, en vertu duquel l'employeur doit faire la preuve de la nécessité du bilinguisme avant de combler un poste. On réalise que dans 29% ou 30% des cas les entreprises anglophones, qui ont le fardeau de la preuve dans ce domaine, ont rencontré un certain nombre de difficultés; 29%, c'est quasiment une entreprise sur trois, donc il y a sûrement un problème majeur de ce côté.

D'une façon globale, sur le problème de la francisation, la question qui était posée était la suivante: Y a-t-il des éléments du programme de francisation qui vous apparaissent irréalistes ou inutiles? Là il y a une différence entre les anglophones et les francophones. Chez les francophones, on a mis en cause les méthodes: 53% des gens nous font des commentaires négatifs sur les méthodes alors que chez les anglophones, ce ne sont pas tellement les méthodes mais les échéanciers. Et cela se comprend parce que, bien sûr, il y avait beaucoup plus à faire en termes de mesures concrètes à prendre au niveau de la réalisation de leur programme.

Cela termine donc ou à peu près la vision globale, sauf qu'on leur demandait: Est-ce que les programmes de francisation ont pu créer sur un certain nombre de points des problèmes très concrets que vous pouvez identifier et que vous pouvez même comptabiliser? On réalise, par exemple, que chez les anglophones - cela n'est pas surprenant - 95% des répondants nous disent que cela a créé des problèmes, soit majeurs soit mineurs, mais cela a vraiment créé des problèmes de coût.

La deuxième préoccupation chez les entreprises anglophones, c'est ce qu'on appelle la mobilité interne du personnel, les mouvements de main-d'oeuvre à l'intérieur de l'entreprise. La troisième, ce sont les relations avec les employés, et les relations avec les fournisseurs et la clientèle sont toujours identifiées à 55%-60% comme ayant créé des difficultés.

Chez les francophones, 76% nous parlent de coûts directs imputables au programme de francisation; 81% nous parlent de difficultés dans leurs relations avec les fournisseurs et 43% de problèmes avec leur clientèle. Ici, on est carrément dans les entreprises francophones.

La deuxième dimension importante de la loi: la langue d'enseignement. Est-ce que la loi 101 a imposé des restrictions quant à la possibilité... Elle a imposé des restrictions quant à la possibilité de faire instruire les enfants dans une langue autre que le français, mais est-ce que cela a entravé le déplacement d'employés vers le Québec? Est-ce que cela a empêché le recrutement d'employés non Québécois au Québec? Est-ce que cela a occasionné le départ du Québec de certains de vos employés? C'est quand même assez surprenant de constater que chez les entreprises francophones, dans 26% des cas, cela a empêché le recrutement d'employés non québécois pour venir au Québec et que cela a occasionné, dans 17% des cas, des départs vers l'extérieur du Québec. Ce sont les deux points majeurs que l'on peut souligner. On leur offre un choix parmi les options suivantes: le libre choix, la clause Québec, la clause Canada. 47% des francophones répondent le libre choix; 3% répondent la clause Québec et 50% répondent la clause Canada.

Chez les anglophones, le visage est tout à fait différent. A la même question: Est-ce que cela a entravé le déplacement d'employés de votre entreprise vers le Québec? On mentionne oui dans 71% des cas. À la question: Cela a-t-il empêché le recrutement d'employés non québécois pour vos exploitations au Québec? C'est souligné dans 72% des cas. À la question: Est-ce que cela a occasionné le départ du Québec de certains de vos employés vers l'extérieur? On a répondu oui dans 70% des cas. À l'offre des options: libre choix, clause Québec et clause Canada, c'est 62% pour le libre choix, 2% pour la clause Québec et 36% pour la clause Canada.

Dans les problèmes d'affichage et d'étiquetage, on réalise que chez les francophones, 40% des répondants nous disent avoir eu des difficultés dans le domaine de l'affichage public et 68% nous disent avoir des difficultés dans le domaine des communications écrites avec la clientèle: les catalogues, les dépliants... Chez les anglophones, ce sont à peu près les mêmes pourcentages: 38% et 72% nous disent avoir eu des difficultés avec ces deux points très précis de la loi.

Inversement, l'étiquetage ne semble pas avoir causé de problèmes. C'est en tout cas assez marginal ce qui nous est identifié. On vous livre le tout, M. le ministre. Ce sont peut-être deux ou trois entreprises, mais

nous prenons cela en termes de pourcentage. Une question de synthèse de ce secteur: Parmi les points suivants, cochez ceux où vous souhaiteriez voir un assouplissement de la loi ou de la réglementation. Chez les francophones, ce qui vient en premier lieu, c'est la publicité commerciale imprimée avec 61% et ensuite, c'est l'affichage dans les territoires ou quartiers anglophones. Cela, c'est très nettement pointé. Chez les anglophones, c'est exactement la même chose, c'est aussi la publicité commerciale imprimée à 63% et l'affichage dans les territoires ou quartiers anglophones à 45%.

Vous imaginez bien que l'on a posé des questions sur la commission de surveillance. Il y en a plusieurs qui n'ont pas encore eu affaire avec la commission de surveillance, donc ils ne peuvent pas nécessairement passer un jugement. Chez ceux qui y ont eu affaire - je sors seulement une statistique sur le paquet qu'il y a là - on fait une affirmation, en réponse à la question suivante: Est-ce que les représentants de la commission de surveillance ont eu une attitude objective, collaboratrice et non empreinte d'un zèle trop excessif par rapport aux problèmes que vous aviez? Chez les francophones, 56% des gens qui ont eu affaire à la commission de surveillance disent qu'il semble bien qu'ils sont atteints d'un zèle un peu excessif. Chez les anglophones, le problème qui est surtout soulevé, c'est: Est-ce qu'ils abusent des pouvoirs qu'ils ont? 47% sont entièrement en désaccord, mais on réalise que 54% ont aussi le même grief que les francophones.

Je ne peux pas échapper à l'article 26, qui est le quart de notre mémoire, puisque nous sommes un organisme d'abord à vocation économique. Je posais la question suivante: La loi 101 a-t-elle occasionné, dans votre entreprise, des déplacements de postes en dehors du Québec et des localisations de nouvelles activités en dehors du Québec? Chez les francophones, on peut oublier le résultat; il n'y a pas eu - ce qui est compréhensible souvent chez les marchés très fermés - de problème ou à peu près chez eux. Sauf que lorsque je dis cela, j'ai des problèmes parce que l'entreprise ou les deux ou les trois qui ont dit qu'ils en avaient eu des majeurs, quand on dit qu'ils n'en ont pas eu, vous savez... Voyant leur cas particulier, pour eux cela demeure quand même un problème fondamental. (10 h 45)

Chez les anglophones, il y a 13% des gens qui nous disent qu'à cause de la loi 101, il y a eu des déplacements de postes en dehors du Québec et 9% nous parlent de localisation de nouvelles activités en dehors du Québec. On n'a pas défini ce qu'était une nouvelle activité, mais cela peut être un siège social au complet; on n'a pas mesuré le nombre de postes que cela pouvait repré- senter.

Je termine, M. le Président, avec la question qui était la suivante: À votre avis, y a-t-il des modifications qui devraient être apportées aux aspects suivants de la loi 101? Là on listait toute une série de choses. On réalise que tant chez les anglophones que chez les francophones, on nous demande des amendements à la clause sur la langue d'enseignement: 94% chez les francophones, 95% chez les anglophones. L'affichage dans certains quartiers et certaines régions du Québec: 87% chez les francophones, 80% chez les anglophones. Ce qu'on peut souligner aussi chez les francophones, c'est les clauses sur les communications avec les clients.

Quelles constatations peut-on tirer de cela? Je reviendrai rapidement au mémoire. Cela nous oblige à en tirer un certain nombre et à vous les projeter. L'objectif majeur de la loi 101 était d'amener les entreprises oeuvrant au Québec à fonctionner en français; les moyens utilisés pour atteindre cet objectif ne devaient donc pas en toute logique causer d'ennuis aux enreprises qui fonctionnaient déjà en français.

Première constatation, il est étonnant de voir que les problèmes reliés à la loi 101 n'ont pas été purement l'apanage des anglophones. Ce qu'on vous suggère, M. le ministre, c'est de pousser plus loin la réflexion là-dessus. Il y a là un problème très réel. Comment expliquer que 76% des répondants francophones aient éprouvé des problèmes à cause des coûts reliés au programme de francisation puisqu'ils fonctionnaient déjà en français?

Interrogation.

L'importante question de la langue d'enseignement pose des problèmes à bon nombre d'entreprises. Une sur quatre a éprouvé des problèmes pour recruter à l'extérieur du Québec le personnel dont elle avait besoin. Ces chiffres sont purement une reprise du sondage. Ce ne sont pas des interprétations. Quant aux entreprises anglophones, il n'est certainement pas exagéré de qualifier le niveau de certains problèmes d'inquiétants. Au sujet de l'importante question de la langue d'enseignement, près de trois répondants sur quatre disent avoir perdu certains employés qui ont choisi de quitter le Québec. Pour nous, cela devient préoccupant.

On peut faire toute une série de constatations. On peut se demander comment on en est arrivé à causer des problèmes aux entreprises francophones en cherchant à les franciser. Il est peut-être utile de rappeler que la promotion du français ne doit pas être considérée comme un absolu. C'est peut-être une des raisons qui fait que ce n'est pas tellement la loi, que ce n'est peut-être pas tellement la réglementation, ce sont peut-être les structures qu'on s'est données,

mais surtout l'application qu'on a pu faire de la réglementation.

M. Allard: Comme vous pouvez le constater, M. le Président, mesdames et messieurs, nous avons voulu, en présentant notre mémoire, non pas venir vous dire ce que M. Dufour et ce que M. Allard pouvaient penser de la loi 101, mais nous avons voulu réellement vous communiquer ce que nos membres, les employeurs, les gens qui créent des emplois, ont éprouvé comme difficultés, comme problèmes par rapport à l'application de la loi 101.

Cela m'amène à résumer nos recommandations qui ne sont pas tellement nombreuses et qui, à mon sens, sont très réalistes. Encore une fois, ces recommandations sont basées sur les résultats de ce sondage.

La première concerne la langue d'enseignement. Plus de 98% de tous les répondants réclament des modifications aux dispositions relatives à la langue d'enseignement. De toute évidence, il s'agit là d'un problème majeur qui entraîne des conséquences extrêmement importantes tant au plan de l'exercice des libertés fondamentales qu'à celui de notre économie.

En 1977, le CPQ préconisait la mise en application d'un régime un peu plus large que ce qui fut appelé la clause Canada, dans une tentative de compromis raisonnable qui permettrait d'atteindre les objectifs visés par la loi dans une approche empreinte de réalisme.

Aujourd'hui, les membres du CPQ, répondant à une question de principe sur le choix de la langue d'enseignement, se partagent à peu près également entre l'option du libre choix et la clause Canada, et cela, qu'il s'agisse d'entreprises qu'on a dites francophones ou d'entreprises anglophones. Même s'il est conscient que l'insertion de la clause Canada dans la loi 101 ne réglerait pas la totalité des problèmes soulevés par les dispositions actuelles, le CPQ, encore une fois dans une démarche de compromis acceptable, recommande au strict minimum l'adoption de la clause Canada. Au-delà du principe, il y va de l'image que projette le Québec à l'étranger et de notre capacité d'attirer certains types de spécialistes dont nos entreprises ont besoin, par exemple, dans le domaine de la recherche.

Deuxièmement, les pouvoirs de l'Office de la langue française. Une majorité de répondants, tant chez les francophones (62%) que chez les anglophones (69%) - cela se compare - croit que des modifications devraient être apportées aux pouvoirs accordés à l'Office de la langue française. Les commentaires émis par les répondants font clairement ressortir qu'un très grand nombre de problèmes ont été directement causés non pas par les dispositions de la loi, mais bien davantage par l'application de règlements émanant de l'Office de la langue française. Le nombre étonnamment élevé de problèmes relevés concernant l'application de la loi qu'ont eu à vivre les entreprises francophones est éloquent. Comment expliquer autrement qu'une loi, visant entre autres à franciser les activités des entreprises, ait pu causer autant de problèmes à des entreprises qui fonctionnaient déjà en français?

Lors des discussions qui ont entouré l'adoption de la loi 101, en 1977, le CPQ manifestait des craintes devant l'intention du législateur de confier à un corps administratif de l'État autant de pouvoirs discrétionnaires. Ses craintes se sont avérées. Le CPQ recommande donc que le législateur revoie les pouvoirs qu'il a accordés à l'office en fonction des problèmes réels et nombreux vécus dans les entreprises. Il serait souhaitable que l'exercice de ces pouvoirs soit rendu moins discrétionnaire, mieux adapté à la réalité d'un Québec nord-américain et, enfin, mieux contrôlé.

Une majorité de répondants juge que des modifications devraient également être apportées aux pouvoirs confiés à la Commission de surveillance. Les répondants qui ont eu à transiger avec la Commission de surveillance déplorent particulièrement l'attitude et les moyens utilisés par le personnel de cette commission. L'étendue des pouvoirs dont disposent ces fonctionnaires et les attitudes manifestées provoquent facilement l'émergence de problèmes. À titre d'exemple, certains répondants affirment que les fonctionnaires de la commission se sont servis de rapports internes, sans autorisation, pour effectuer leurs vérifications. Une telle attitude ne favorise certes pas la solution des vrais problèmes lorsqu'ils se présentent.

D'autres déplorent le fait que le personnel de la commission déborde le cadre de la loi 101 pour s'intéresser, dans l'exécution de sa tâche, à la qualité du français et imposer des raffinements qui n'ont rien à voir avec l'application de la loi. En conséquence, le législateur devrait s'assurer que les représentants de cette commission ne s'investissent pas eux-mêmes d'une mission qui ne leur a pas été confiée. La meilleure façon de contrôler les excès de zèle, dont certains sont devenus célèbres, serait sans doute de réviser les pouvoirs qui ont été confiés à cet organisme. Pourquoi ne pas tout simplement le remettre en cause, comme beaucoup le suggèrent?

Enfin, la réglementation. Bon nombre de griefs soulevés par les répondants au questionnaire du CPQ ont trait bien davantage aux règlements et à leur application qu'au contenu même de la loi. Cette réflexion sur la loi 101, six ans plus tard, devrait fournir l'occasion de retoucher

la réglementation afin de rendre l'application de la loi plus conforme à la réalité, d'éviter aux entreprises des pertes de temps et des coûts inutiles et, par le fait même, rendre la Charte de la langue française plus acceptable à ceux qui ont à composer avec elle quotidiennement. En faisant tomber les barrières inutiles, les objectifs poursuivis seraient plus sûrement et plus rapidement atteints.

Mais le cas des nombreux règlements émanant des juristes de l'office, qui ont tendance, au besoin, à rétrécir ou à élargir le sens des dispositions prévues par la loi, est plus grave encore. Le législateur ne peut tolérer une telle situation. Ce sont les bases mêmes qui sous-tendent toute société démocratique qui sont ici en cause. Le gouvernement ne peut accepter de quiconque qu'il en prenne trop à son aise avec les textes de loi adoptés par les élus du peuple. Les fonctionnaires doivent appliquer les volontés du législateur et non retoucher les passages des lois qui ne seraient pas conformes à leur vision des choses; dans ce cas précis, de ce que devrait être une Charte de la langue française idéale.

En conclusion, nous rappelons l'appui que nous avons accordé dès les premières discussions sur la loi 101 aux principes en cause et aux objectifs visés par le législateur. Six ans plus tard, le CPQ maintient cet appui et souligne l'importance d'orienter toute la démarche poursuivie vers le mieux-être des Québécois et le progrès de notre société.

Toutefois, l'analyse des résultats qui découlent de notre sondage démontre clairement que le choix des moyens se révèle parfois discutable. Nous n'insistons pas sur les problèmes particuliers. Ils ont été maintes fois débattus et ils sont connus, et nous laissons aux porte-parole des groupes particuliers le soin de débattre de ces problèmes, chacun apportant l'éclairage spécialisé dont il dispose.

C'est pourquoi nous formulons des recommandations d'ordre général dont l'impact portera directement sur l'atteinte des grands objectifs que visait le législateur en promulguant la Charte de la langue française au Québec. Dans l'étude des nombreuses recommandations qui ne manqueront pas de lui parvenir, le législateur devra tenir compte tout autant des aspects économiques que des aspects culturels de la question, à défaut de quoi l'un des grands objectifs visés, le mieux-être des Québécois, serait laissé pour compte. Le CPQ souligne à cet effet, avec une insistance particulière, l'urgence et l'importance des correctifs à apporter aux dispositions traitant de la langue d'enseignement. Tous les sondages le confirment, la grande majorité de la population québécoise, et même une importante majorité des francophones, s'est dite d'accord avec un adoucissement de la loi à ce sujet. Un geste significatif dans ce sens devient non seulement essentiel, mais il est même souhaité par l'ensemble de la population.

M. le Président, si vous me le permettez, j'aimerais poser trois questions au ministre. Évidemment, nous sommes ici pour répondre aux questions que les membres de la commission pourraient aussi avoir à nous poser. Il y a trois questions fondamentales qui nous préoccupent particulièrement et c'est à ces questions que nous aimerions avoir une réponse.

D'abord, l'exercice démocratique qui se fait actuellement est-il inutile - on a pu le croire à certains moments - ou y aura-t-il véritablement des amendements importants apportés à la loi? Ce n'est pas seulement arrondir les coins et enlever ce qu'on appelle des irritants, mais, en ce qui regarde la langue d'enseignement, encore une fois, c'est un amendement qui, à notre sens, est important. C'est une première question.

La deuxième question est la suivante: Est-il exact que le gouvernement préférerait voir la Cour supérieure trancher le débat sur la question de la langue d'enseignement plutôt que d'agir lui-même?

Une voix: La Cour suprême.

M. Allard: Je m'excuse; c'est la Cour suprême.

Est-il exact que le gouvernement envisage d'appliquer le programme de francisation aux entreprises de 50 travailleurs et moins, même si elles sont de tradition francophone? À ce sujet, on a lu et on a entendu beaucoup de choses, mais on n'a toujours pas de réponse, et c'est une préoccupation très grande chez un bon nombre d'entreprises. D'ailleurs, les réactions qu'on a pu lire lorsqu'on a commencé à parler de cela, je pense, ont été assez vives.

Voilà trois questions, M. le ministre, auxquelles nous sommes fortement intéressés à avoir des réponses.

Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.

M. Godin: Si vous me le permettez, je voudrais d'abord saluer MM. Allard, Dufour, Laflamme et Côté. Bienvenue chez vous, dans ce qui est votre maison. Avant de commenter, je voudrais insister sur un aspect qui est un détail peut-être, mais qui est significatif en ce qui me concerne et en ce qui concerne le Parlement. Vous nous avez remis, ce matin, une note qui fait état d'un erratum. Vous nous l'avez remise il y a quelques heures, ou il y a longtemps déjà. Je souligne cette délicatesse de votre part, à savoir qu'il y avait des erreurs de détail et que vous avez cru bon, dans tout le respect

de l'institution démocratique qui est la vôtre et qui est la nôtre également, de nous en informer de nombreuses journées à l'avance. Je souhaite que votre exemple soit suivi par tous et chacun des groupes, et toutes et chacunes des personnes qui viennent ici. Cela simplifie notre travail mais, surtout, cela illustre l'importance du respect des institutions démocratiques dans un pays. Toute personne qui vient ici et qui veut faire de la stratégie, comme cela s'est fait récemment, je pense, affiche un mépris du Parlement, et c'est déplorable, mais je constate que, dans votre cas, c'est une attitude absolument contraire et c'est même un souci de délicatesse que j'apprécie plus que tout en ce qui me concerne. (11 heures)

Deuxièmement, je vous dirai que votre sondage a l'avantage de nous sortir du domaine des perceptions. Comme ce sondage est fait parmi ceux qui, au Québec, représentent des emplois, représentent le développement économique, il est extrêment éclairant, d'une part, mais il est surtout très utile pour la poursuite des travaux aussi bien de l'Office de la langue française que de la Commission de surveillance. Je reviendrai sur la raison ou les raisons pour lesquelles le gouvernement a cru bon de mettre en place de tels organismes, plutôt que de procéder comme dans d'autres pays comme la Belgique qui a déjà été citée en exemple ici.

J'ai des chiffres qui illustrent que 2333 entreprises ont déjà négocié des programmes avec l'office, c'est-à-dire 90% des entreprises de 100 employés et plus et 86,9% des PME qui tombaient sous le coup de la loi. C'est une performance que j'estime remarquable. Y avait-il d'autres moyens de procéder que par ententes négociées? Il y a eu, bien sûr, dans à peu près un tiers - c'est le chiffre que je retiens - des entreprises certaines difficultés. Par ailleurs, ces difficultés pourront se corriger au fur et à mesure que les diverses étapes de francisation seront atteintes, et on a vu que, dans le cas de certaines entreprises, des délais avaient été demandés et obtenus ou que des délais avaient été appliqués unilatéralement sans l'autorisation de l'office. Mais l'office a quand même pris cela en considération, parce que nous voulions, dès le départ, que ce soit négocié.

Dans le cas de la Belgique, qui a déjà été citée en exemple, la loi s'applique et, si elle n'est pas respectée, il y a une pénalité. Donc, cela prendrait beaucoup moins de gens pour surveiller l'application d'une loi rigide qui dirait, par exemple: À compter de telle date, toute entreprise va travailler en flamand, ou en français, ou en langue wallonne. C'est beaucoup plus simple; cela prend peut-être cinq ou six personnes pour vérifier si tout est appliqué, cela peut être vérifié aussi facilement que le respect des feux rouges et des feux verts au coin des rues. Mais quand nous voulons avoir une attitude qui tienne compte de la réalité de chacune des entreprises, parce que chacun de ces programmes a été négocié, dans la pratique - vous êtes des gens pratiques et pragmatiques dans votre profession, votre métier - d'autres méthodes ont été utilisées au Québec avant l'adoption de la loi 101. Je vous citerai, seulement pour vous renouveler la mémoire, un texte de M. William Tetley: "En 1973, écrit-il, je vais modifier aussi la loi des compagnies afin d'obliger toutes les nouvelles compagnies du Québec à adopter un nom français tout en ayant un nom anglais ou bilingue, si elles le désiraient. Les compagnies déjà existantes, 600 000 d'entre elles furent invitées à changer de nom, donc à avoir un nom bilingue, sans frais. Mes avis furent envoyés par mon ministère aux quelque 600 000 compagnies déjà constituées. Moins de 25 compagnies donnèrent suite à ma lettre."

On peut dire que les expériences de deux gouvernements avant nous ont fait partie de la réflexion collective là-dessus, non pas seulement celle du PQ ou du gouvernement du Parti québécois, mais de la réflexion collective, et la population suivait ces expériences, la population voyait ce qui se passait. Les membres des syndicats ou les non-syndiqués qui travaillaient chez vous constataient ce qui se passait. C'est la raison pour laquelle on a cru bon d'avoir une équipe, qui n'est pas constituée de gens parfaits, ni d'anges descendus du ciel, mais des êtres humains, et je constate que, s'il y a effectivement des modifications d'attitudes dans certains cas ou de nouvelles directives à être données, la négociation doit tenir compte encore plus de la réalité de l'entreprise. Je constate que dans votre sondage - qui est très utile, remarquez bien, à tous égards, aussi bien pour ce qui est positif que pour ce qui est négatif - pour ce qui est positif, même si 62% des répondants estiment que l'office a trop de pouvoirs, 34% seulement estiment que les programmes de francisation négociés ne sont pas tout à fait conformes à leurs attentes ou à leurs exigences. Donc, dans le réel, il y a plus de satisfaction vis-à-vis de l'office que dans la perception qu'on en a. C'est ce qui, pour moi, est très positif. Je retiens, M. Allard, beaucoup de matière à réflexion de votre suggestion.

Il ne serait peut-être pas inutile, même, qu'il y ait une rencontre à trois: le Conseil du patronat du Québec, l'office et les gens de mon ministère et moi-même pour que nous puissions mettre le doigt sur les problèmes vécus et les résoudre autant que possible, le plus vite possible, le plus tôt possible. D'autre part, donc, c'est pour cela que cela coûte plus cher. Vous ne nous reprochez pas, je le souligne, par rapport à

d'autres groupes, de dépenser 20 000 000 $ pour la francisation au Québec. Ces 20 000 000 $ ont servi justement à évaluer chaque entreprise au mérite et à tenter de trouver des solutions appropriées. Dans le domaine des sièges sociaux et de la recherche et du développement, des ententes particulières tenant compte des exigences spécifiques ont été négociées dans 242 des cas que vous avez mentionnés. Donc, à ma connaissance, plus de la moitié des programmes négociés n'ont pas causé de problème. Il reste à raffiner les choses pour la partie qui reste, qui ne donne pas satisfaction à tout le monde, mais je crois que nous pouvons nous entendre dès maintenant pour, entre nous, en discuter le plus tôt possible et arriver à des solutions concrètes et pratiques. C'est ce qui vous intéresse et moi aussi.

Le régime scolaire, je vous en parle dès maintenant, M. le Président. C'est votre première question, je reviendrai aux deux autres après. Cette commission n'est pas inutile en ce qui me concerne ni en ce qui concerne les deux côtés de cette commission. Nous apprenons beaucoup. Nous retenons beaucoup. Des changements seront apportés. Je m'y suis engagé dès le début. Je m'y suis engagé hier devant Alliance Québec et je m'y engage encore une fois devant vous, ce matin.

Quant à la langue d'enseignement - je réponds à votre question - je vous avoue que j'ai un problème. Je vais vous poser une question, d'abord, avant d'aller plus loin. Est-ce que la principale province d'arrivée des personnes nouvelles au Québec dans vos entreprises ou des personnes qui ne sont pas venues, ce n'est pas l'Ontario? Si la clause Canada s'appliquait, est-ce que ce n'est pas de l'Ontario que nous viendrait le plus grand nombre des experts ou des techniciens dont les entreprises auraient besoin pour atteindre ces objectifs?

Le Président (M. Desbiens): M. Allard.

M. Allard: Je pense qu'on pourrait dire que c'est principalement l'Ontario. Vous auriez raison. Ce n'est pas uniquement l'Ontario, mais principalement.

M. Godin: Principalement. Bon. C'est ce que j'imaginais pour toutes sortes de raisons. J'ai des sondages, j'ai des études là-dessus assez précises qui montrent la mobilité interprovinciale Québec-Ontario. Le principal pays, la principale région du monde, devrais-je dire, d'où nous viennent des nouveaux citoyens au Québec, c'est l'Ontario. Il nous en vient plus de l'Ontario que du reste du monde année après année. La clause Canada, si elle était appliquée maintenant, ne s'appliquerait qu'au Québec et au Nouveau-Brunswick. Il n'y aurait pas de possibilité pour les Québécois francophones qui iraient ailleurs de recevoir un enseignement en français. Cela nous ramène à notre vieille idée de la réciprocité. Je compte sur vous...

M. Allard: Ce n'est pas notre préoccupation. Notre préoccupation, nous, c'est ce qui se passe au Québec.

M. Godin: Je suis tout à fait d'accord.

M. Allard: Si l'Ontario périclite parce qu'il ne fait pas des choses qu'il devrait faire, c'est son problème. Notre problème nous c'est au Québec.

M. Godin: D'accord, M. Allard. Sauf que nous avons...

M. Allard: Je prends ce que vous me dites.

M. Godin: ...un mandat plus large que le vôtre, et c'est bien naturel, nous sommes le gouvernement. Je peux vous dire dès maintenant que la clause Canada, nous n'y sommes pas opposés, mais à la condition que le Québec ne soit pas le dindon de la farce dans une espèce de mobilité absolue. Je comprends que ce n'est pas votre préoccupation, mais c'est celle de bien des Québécois et c'est celle de bien des gens ici.

La réflexion à ce sujet n'est pas terminée au moment où on se parle; elle devrait l'être avant le 15 novembre. Nous en arriverons à une conclusion le plus tôt possible sur la question de la langue d'enseignement et de l'accès à l'école. Mais, je vous répète que mon seul problème, c'est que le Québec soit seul à faire les frais de la clause Canada et qu'en contrepartie, il n'y ait rien pour les francophones ailleurs au pays, sauf au Nouveau-Brunswick, ce qui compte pour très peu dans la mobilité interprovinciale en ce qui nous concerne.

Un autre point: les règlements. Cela fait partie des travaux déjà en cours dans nos équipes de faire en sorte que les rapports Ouellette - le rapport fait par le doyen de la faculté de droit de l'Université de Montréal, M. Ouellette - celui qui a suivi et qui a été demandé par le ministère de la Justice à ses avocats à la suite du rapport Ouellette, et le rapport que nous avons demandé, nous, en tant que ministère à ce qu'on appelle chez nous les boîtes linguistiques, c'est-à-dire l'office, la Commission de surveillance et le Conseil de la langue française... À partir des travaux de ces trois groupes sur les règlements et leur conformité ou non à la loi, nous avons l'intention de faire en sorte que les bons règlements illégaux - je répète, les bons règlements illégaux - soient rendus légaux. C'est un engagement que je prends. Cela répond en même temps à votre première

question qui était: Est-ce que le travail à cette commission est inutile? Non, au contraire, la réponse que je donne vous montre bien que cette commission travaille en vue d'un objectif précis qui est de donner suite aux requêtes des groupes qui viennent ici.

Votre deuxième question: Est-ce que nous allons attendre la guillotine de la Cour suprême? Cela fait partie également de la réflexion. Sûrement que la guillotine inquiète beaucoup de gens, sans qu'ils soient tous des Danton ou des Robespierre.

La troisième question: Est-ce que nous avons l'intention d'étendre la francisation aux entreprises de 50 employés et moins? Là-dessus, je vous poserais une question: Pour une entreprise commerciale dont le marché est au Québec et qui se situe, dans des cas récents, dans des domaines de nouveaux produits électroniques, qui vendent de tels produits aux francophones, donc aux gens qui déboursent de l'argent et en vertu du principe que le client a toujours raison, ne croyez-vous pas que, dans une secteur comme celui-là, il serait absolument normal que le client soit servi en français, qu'il ait accès à un personnel qui parle français, qu'il ait accès à une documentation qui lui parle sa langue, qu'il ait accès à des produits qui portent une inscription dans sa langue? Est-ce que, dans un cas comme cela, dans ce secteur, vous ne croyez pas que la francisation devrait s'appliquer?

Le Président (M. Desbiens): M. Allard. M. Dufour.

M. Dufour: Non, je pense que, en fait, vous posez le problème de façon trop générale. Il faudrait que vous distinguiez entre la langue de travail et la langue des affaires. Quand on vous parle d'appliquer le programme de francisation, c'est relativement à la langue de travail et non à la langue des affaires. Dans le cas que vous nous donnez, de façon générale, les affaires se font en français. Quand vous arrivez dans des petites boîtes de production, surtout dans le secteur manufacturier, c'est surtout là que vous rencontrez des 30 ou 40 travailleurs anglophones, dans certaines régions...

M. Godin: Oui, oui.

M. Dufour: ...que vous connaissez très bien, M. le ministre. C'est un problème de langue de travail et non pas de langue des affaires, parce que les affaires vont se faire généralement en français. De toute façon, l'article 53 de la loi est clair. C'est déjà francisé. Là, on parle...

M. Godin: En tout cas, dans mon esprit, M. Dufour... Excusez-moi, allez-y.

M. Dufour: Non, non, c'est cela, mais... M. Godin: Terminez votre phrase.

M. Dufour: ...vous me parlez de quoi? De la langue de francisation ou de la langue des affaires?

M. Godin: Dans mon esprit, quand j'ai fait cette déclaration lors de l'étude des crédits, il s'agissait du secteur que je viens d'évoquer et non pas du reste.

M. Dufour: Et le secteur étant quoi?

M. Godin: La langue des affaires. (11 h 15)

M. Dufour: La loi est là. Je pense qu'elle est assez claire. Le programme de francisation s'applique aux entreprises qui ont 50 travailleurs et plus, la réglementation, elle, est universelle. La loi est là, la réglementation est là. Il n'y a pas à faire des choses... Est-ce qu'on se comprend sur cela?

M. Godin: D'accord. Pour répondre très précisément à la question de M. Allard et non pas en lui posant une question, je vous...

M. Allard: Excusez-moi, M. le ministre. La question disait: Même si elles sont de tradition francophone. Cela est important. On a fait cette précision parce que cela représente d'abord la multitude des entreprises francophones parmi les petites entreprises. C'est de cela qu'on parle. Quand on constate jusqu'à quel point les entreprises francophones qui ont été assujetties au programme de francisation ont eu des problèmes de toute espèce, sans parler des coûts, on se dit que si on est pour continuer cela dans les petites entreprises on n'est pas sorti du bois.

M. Godin: Dans mon esprit, quand j'ai évoqué la francisation des entreprises de 50 travailleurs et moins, à l'époque, il y a plusieurs mois, cela s'appliquait uniquement au secteur des affaires.

M. Dufour: Pas à la langue de travail.

M. Godin: Non, pas à la langue de travail.

Par ailleurs, je dois dire qu'il y a d'autres mémoires qui sont entrés, entre autres, de la FTQ et de la CSN. Nous verrons s'ils abordent ces questions et la réflexion du gouvernement se poursuivra. Pour l'instant il n'est pas question de toucher aux entreprises de 50 travailleurs et moins dans le domaine du travail.

M. Dufour: Pour l'instant il n'est pas question que le gouvernement baisse sa

norme de 50 travailleurs pour les programmes de francisation?

M. Godin: La réponse est non.

M. Dufour: Merci.

Le Président (M. Desbiens): M. Allard.

M. Allard: M. le Président, est-ce que je pourrais revenir sur un autre sujet, la langue d'enseignement? Lorsque que j'ai demandé, dans la première question: Est-ce que l'exercice est inutile? C'était en pensant à notre principale recommandation, la plus importante, à toutes fins utiles, celle qui ressort de tout ce qu'on a fait: la langue d'enseignement. La réponse que j'ai semble m'indiquer que l'exercice est peut-être un peu inutile. Cela provient encore une fois de notre sondage qui indique que tant les francophones que les anglophones demandent ou bien le libre choix... Nous, nous n'allons pas jusque là. Nous restons dans le domaine raisonnable et réaliste. Nous demandons la clause Canada. Pour ma part, je ne veux pas savoir si cela va se faire à la condition que la Colombie britannique et l'Île-du-Prince-Édouard le fassent. Ce n'est pas cela. Notre préoccupation c'est l'économie au Québec. Nous sommes un organisme québécois, nous avons demandé à nos membres quels sont les problèmes qui ont résulté de l'application de la loi 101 et qui nuisent au développement de l'économie. Nos membres nous l'ont dit et nous avons traduit cela dans le mémoire. La principale recommandation que nous faisons concerne la langue d'enseignement.

M. Godin: M. Allard, excusez-moi. La seule chose qui m'empêche de vous donner une réponse aujourd'hui c'est que les amendements, les directives ou tout autre changement seront annoncés de façon officielle au Parlement le 15 novembre à la reprise de la session. D'ici là, vous devrez attendre comme tout le monde, y inclus moi-même, remarquez bien. Ma réflexion n'est pas terminée non plus. Merci.

M. Allard: Nous voulions venir ici avec la possibilité d'obtenir au moins l'accord à quelques recommandations. Il n'y en a pas beaucoup dans le mémoire. On l'a dit dès le début, nous sommes d'accord avec tout le principe de la loi 101. Selon nos membres, c'est une partie importante que nous voudrions voir changée pour aider l'économie du Québec.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Godin: En terminant, M. Allard, le déroulement que nous nous sommes donné comme commission c'est de recueillir tous les fruits de votre réflexion, de les faire nôtres et de vous livrer un produit fini à la mi-novembre. Ce n'est pas parce que je ne vous réponds pas ce matin illico que ma réponse est négative. Je dis que le gouvernement réfléchit profondément à cette question. D'autant plus que votre deuxième question est une incitation encore plus forte à nous faire réfléchir. Merci beaucoup.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: M. le Président, avant que mon collègue de Mont-Royal adresse les premières questions à nos invités, j'aimerais faire un court commentaire sur le contenu du mémoire du CPQ. Au début, vous dites souhaiter que l'opinion de chacun soit mieux respectée et qu'il y ait moins de charriage, moins de croisade. Moi, j'aimerais rendre un hommage au ministre actuel et saisir l'occasion pour dire - je suppose que vous constaterez avec moi - que les travaux de cette commission sont de loin beaucoup plus intéressants et beaucoup plus acceptables que ceux qu'on a connus dans le passé quant il s'est agi de débattre la question linguistique. Il n'y a personne encore en tout cas qui ait été traité d'inféodé ou de quoi que ce soit, quel que soit le point de vue qu'on ait pu exprimer. Chacun s'est senti libre de venir exprimer son point de vue, lequel a été accueilli de façon courtoise par le ministre.

Je dirai même que le ministre lui-même a évolué parce que nous, de l'Opposition, avons eu l'occasion de nous y frotter parfois à l'Assemblée nationale, au moment où on lui adressait des questions qui ne faisaient pas toujours son affaire bien entendu. Souvent, l'impulsion du moment l'amenait à répondre un peu plus vivement et à s'attaquer plutôt à nos intentions qu'à ce qu'on voulait faire ressortir. Je constate avec plaisir que votre présentation de ce matin, comme vous le dites vous-même dans la conclusion de votre mémoire: "Dans l'étude des nombreuses recommandations qui ne manqueront pas de lui parvenir, le législateur devra prendre en compte tout autant les aspects économiques que les aspects culturels de la question, à défaut de quoi l'un des grands objectifs visés, le mieux-être des Québécois, serait laissé pour compte." Sans faire de politique partisane, c'est ce qui nous a toujours inspiré tant lorsqu'on a présenté la loi 22 qu'au moment où on a refusé d'accepter d'appuyer la loi 101 et depuis lors, qu'on l'a critiquée.

Il nous a toujours semblé que l'esprit, l'intention du gouvernement, avec sa politique linguistique, la Charte de la langue française, faisait complètement abstraction de l'impact économique. Chaque fois qu'on avait l'occasion d'interroger le ministre à l'Assemblée nationale là-dessus, on se faisait

traiter de défenseur de je ne sais quoi, de gens qui prétendaient que le français équivalait au chômage. C'est pourquoi je suis très satisfait de constater que le ministre actuel, contrairement à son prédécesseur, et jusqu'à maintenant - je veux que ce soit clair - s'est abstenu de faire ce genre d'accusation à la commission parlementaire. Il les fait à l'extérieur à l'occasion sur les ondes des réseaux radiophoniques. C'est de bonne guerre. Mais au moins ici, on a l'impression en tout cas qu'on est en train de faire un travail valable. Il restera à voir les conclusions qu'on en tirera.

Je désire remercier le CPQ de la façon qu'il nous présente ses données. Il n'est pas venu nous exprimer des points de vue abstraits qui s'appuieraient sur des notions philosophiques; il a pris la peine d'aller là où les problèmes sont vécus au jour le jour dans le domaine qui l'intéresse, il a fait un sondage scientifique et vient ici nous livrer le résultat de ses constatations. Il me semble que cela sera extrêmement utile au gouvernement, au législateur et le ministre l'a avoué dans la préparation et la formulation des amendements qui s'imposent.

Aux questions que vous posez au ministre, bien sûr, on aimerait bien pouvoir y répondre à titre de gouvernement, mais que voulez-vous on n'y est pas. Je retiens, quant à moi, par contre, des réponses que le ministre vient de fournir à la première, par exemple: est-ce que l'exercice démocratique de cette commission est inutile? Je pense que je peux convenir avec le ministre que non, pas complètement en tout cas. Lorsque le ministre disait le 18 octobre dernier sur les ondes de Radio-Canada qu'il avait pas mal une idée assez complète des amendements qu'il suggérerait au cabinet d'apporter à la loi 101, j'ai l'impression que depuis les quatre jours que durent cette commission, cela a évolué pour lui-même. Il ne peut pas rester sourd, insensible, aux représentations qui nous sont faites de façon fort sérieuse dans la majorité des cas et qui font état d'un problème que vivent non seulement les entreprises mais plusieurs citoyens du Québec à tous les niveaux et qui méritent que le gouvernement s'y attarde. La réponse complète à votre première question, on l'aura en cette date fatidique entre toutes du 15 novembre. Je vous assure d'avance que nous, en tant qu'Opposition, serons là pour réagir. Le CPQ n'y sera plus à l'Assemblée nationale; l'Opposition, non pas parce qu'on a des associations quelconques mais on est là pour faire entendre la voix de ceux qui ne peuvent se faire entendre du côté du gouvernement. C'est bien sûr qu'ils se feront entendre en cabinet, mais on sera là pour scruter objectivement la décision que prendra le gouvernement et pour reprendre l'argumentation que vous nous faites valoir.

La deuxième question: Est-il exact que le gouvernement préférera attendre la décision de la Cour suprême? Il ne faut quand même pas s'imaginer qu'il n'y a pas d'autres considérations que celles dont vous nous faites état dans la décision du gouvernement. Cette question est grandement politique. Le gouvernement va-t-il abandonner sa stratégie étapiste? Va-t-il accepter, en acceptant la clause Canada, que le Québec puisse faire partie de la fédération canadienne et s'y trouver à l'aise, et ce, dans le plus grand intérêt de tous les citoyens québécois, non pas seulement de l'entreprise québécoise? Je souhaite fort que ce soit le cas, mais je vais me risquer à faire une prédiction: Le gouvernement va attendre la décision de la Cour suprême parce que ses buts politiques, son option constitutionnelle et la stratégie qu'il a adoptée depuis qu'il existe comme parti politique lui dictent cela. Je trouve cela malheureux. Je le mets au défi de se rendre aux représentations qui lui sont faites presque unanimement. Il y a quelques exceptions, mais vous allez remarquer que les exceptions sur la clause Canada se retrouvent toutes du côté de ceux qui favorisent l'indépendance du Québec. C'est rattaché à cela. À moins que le comité sur la question nationale qui travaille très fort de ce temps-là en arrive à dire: Dorénavant, le Parti québécois devient fédéraliste. Si cela n'arrive pas, et cela ne risque pas d'arriver, on a bien des chances que la réponse à votre deuxième question soit négative.

À votre troisième question, je suis agréablement surpris que le ministre, qui avait été le premier malheureusement, et cela combien de fois?... Hier, je pense que c'est la ville de Montréal qui nous demandait de part et d'autre de la commission de faire attention aux déclarations qui donnent du Québec une mauvaise image, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur. C'est le ministre actuel lui-même qui a fait allusion à la possibilité d'élargir à toutes les entreprises de moins de 50 employés les programmes de francisation et ce, au moment de l'étude des crédits en commission parlementaire, le printemps dernier. C'est une déclaration dont on aurait pu se passer. Je suis très heureux de constater, ce matin, qu'il nous dit non, mais pas pour le moment. Il y a toujours une petite parenthèse dans les phrases du ministre. Tant mieux si cela n'est pas pour le moment. Soyons très vigilants pour nous assurer qu'à l'avenir, si cela doit se faire, cela ne se fasse que dans la mesure où il y a un besoin de le faire et non pas simplement pour des considérations philosophiques et partisanes.

M. le Président, je remercie encore une fois, au nom de l'Opposition le CPQ, non pas d'être venu dire ce dont nous sommes conscients, mais d'être venu mettre de la chair, de la viande autour des arguments que

plusieurs au Québec - et c'est maintenant la majorité de la population - invoquent à l'appui des demandes de modifications à la loi 101. Souhaitons tous ensemble que le gouvernement ne reste pas insensible à vos représentations.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Godin: M. le Président, je serai bref. On avait une sorte d'entente tacite de ne pas faire de politique ici. Je n'ai cité aucune déclaration de votre nouveau chef. J'ai quatre à cinq pages dans mon dossier de coupures de journaux...

M. Gratton: Vous devez être prêt.

M. Godin: ...Je n'ai pas touché à cela. Je m'en suis abstenu pour que ce que vous avez appelé les croisades, M. Allard, ou les passions, bref, pour éviter que l'on jette de l'huile sur le feu, et je le ferai jusqu'à la fin, contrairement à mon collègue qui, comme on le disait dans le temps, s'est "autopeluredebananisé". Quant aux entreprises de 50 et moins, je vais préciser ma réponse. Nous sommes d'accord, dites-vous, il y a plusieurs années, avec l'idée générale d'une action concertée entre l'État, l'entreprise et les citoyens en vue de promouvoir l'usage du français au Québec. Il est certain que la loi 101 et sa limite de 50 et plus et de 100 et plus pour un programme de francisation a eu un effet d'entraînement sur les plus petites qui est mesurable, j'imagine, dans certains coins du Québec et dans certains secteurs économiques et industriels. Mais je voudrais vous dire que la défense de ce même principe s'applique à tous au Québec. S'il était établi que l'effet d'entraînement n'était pas assez rapide, nous pourrions, comme on l'a fait pour Pratt et Whitney l'autre jour - c'est ce que j'ai voulu faire -envoyer ce qu'on appelle en indien un "smoke signal", c'est-à-dire un signal de fumée disant: Écoutez, si les travailleurs d'une entreprise se plaignent de devoir laisser leur langue au vestiaire, nous devrons fermer le vestiaire ou faire en sorte que leur langue soit utilisée à l'intérieur. Cela ne pose pas de problèmes concrets à venir jusqu'à maintenant, me dit-on. Si l'effet d'entraînement se poursuit, je m'en réjouis autant que vous. (11 h 30)

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président.

M. de Bellefeuille: M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: M. le Président, question de règlement. Est-ce qu'il n'y a pas alternance?

M. Ciaccia: Bien oui. On vient de l'avoir. Le ministre vient de parler.

M. de Bellefeuille: Bien, le ministre, ensuite le député de Gatineau, ensuite un ministériel.

M. Ciaccia: Non, non. Le ministre vient de parler.

Le Président (M. Desbiens): Voici. M. le député de Deux-Montagnes, comme il était entendu que M. le député de Gatineau ne posait pas de questions, mais ne faisait que des commentaires sans désigner leur longueur...

M. Payne: M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): ...on a convenu et M. le député de Mont-Royal a demandé en même temps de participer, de faire coïncider les deux. M. le député de Mont-Royal irait du côté des questions plutôt que du côté des commentaires.

M. Payne: M. le Président. M. Gratton: M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Sur la question de règlement. D'autant plus que la pratique veut qu'on partage le temps aussi également que possible entre les deux formations politiques et qu'effectivement je pense que le Parti libéral n'a pas encore utilisé la même longueur de temps que celle que le ministre lui-même a utilisée pour le côté ministériel. Si j'ai pris la peine d'indiquer que c'est mon collègue de Mont-Royal, je m'en excuse auprès de lui... Le commentaire que j'ai fait n'a peut-être pas fait son affaire ou a peut-être mieux fait son affaire à lui qu'à ceux du côté ministériel, mais peu importe, je ne voulais pas brimer le droit de mon collègue de poser des questions.

M. de Bellefeuille: M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Deux-Montagnes, sur la même question.

M. de Bellefeuille: Sur la même question de règlement. Première observation, il me semble que le député de Gatineau devrait décider si, oui ou non, il cède la parole à un de ses collègues du côté de l'Opposition. Il vient de faire le contraire. Il

a pris la parole. Il me semble donc que la parole devrait revenir maintenant du côté ministériel.

Deuxième point qui est une question. Combien de temps nous reste-t-il du côté ministériel, M. le Président?

M. Gratton: Aucun, je pense. Mais vous ne me posez pas la question.

Une voix: Voilà.

M. de Bellefeuille: J'ai bien dit M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre!

M. de Bellefeuille: On n'a pas promu le député de Gatineau président de la commission encore, non?

Une voix: II l'est.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Deux-Montagnes, sur la question de temps, j'ai soulevé au départ le fait qu'il y avait normalement, pour l'étude de chacun des mémoires, une période d'une heure répartie un tiers, un tiers, un tiers d'environ 20 minutes pour la présentation, 20 minutes pour le parti au pouvoir, 20 minutes pour le parti de l'Opposition, ce qui, on le sait, déborde souvent très largement sur la question de temps. À moins que vous ne m'indiquiez et que vous ne manifestiez une volonté qu'on tienne très strictement compte du temps, je continuerai à laisser aller les deux côtés de...

M. de Bellefeuille: Mais, M. le Président...

Le Président (M. Desbiens): Oui? M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Sur la question de règlement, je ne suis pas assez masochiste pour vous demander de tenir compte du temps de façon à m'en priver. Donc, si c'est le laxisme qui règne, M. le Président, je vous annonce que je prendrai mes 20 minutes tout à l'heure, à mon tour.

M. Payne: M. le Président, question de règlement.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Vachon.

M. Payne: Très brièvement. Je pense que le point devrait être enregistré. Nous sommes très intéressés comme parlementaires à participer sérieusement aux travaux de la commission. Les ententes peuvent exister entre les partis. C'est bon. Cependant, comme parlementaire, j'aimerais bien utiliser un certain nombre de minutes au sujet des mémoires qui sont présentés ici et je pense que c'est nécessaire. Alors, on ne devrait pas trop insister sur les ententes entre les leaders. Ce qui est arrivé - et vous n'étiez pas président à ce moment - dans mon cas, lors de mes trois dernières interventions, c'est qu'on m'a signalé que j'avais une minute et demie. Alors, ce n'est pas sérieux au Parlement si on insiste sur les ententes qui dépassent ou qui briment d'une certaine manière l'intérêt qu'ont les parlementaires à intervenir.

M. Gratton: M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): Oui. M. le député de Gatineau, sur le même sujet.

M. Gratton: Sur la question de règlement, M. le Président. On s'entend tous pour dire qu'on a un certain nombre d'invités à entendre. Si on prend cinq heures avec le premier, on va nécessairement en faire souffrir d'autres. Les ententes qu'on a à ce niveau-ci n'impliquent aucunement la perte du droit de parole de quiconque. La suggestion que je pourrais faire aux ministériels, c'est de faire ce que nous faisons du côté de l'Opposition. Avant chaque réunion, on assigne un dossier à un député.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau...

M. Gratton: On n'a pas vu les députés libéraux se chicaner entre eux pour savoir qui parlerait. Voyons donc!

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre! Je crois qu'il est assez clair qu'il n'y aura de brimade envers aucun député sur le temps de participation aux débats. Sans créer de précédent sur la question de l'alternance - je considère l'alternance comme un principe -et pour les raisons que j'ai énoncées tantôt, étant donné que des questions n'ont pas encore été posées par l'Opposition et puisqu'il lui reste une certaine période de temps, je donne la parole au député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Un des avantages que nous avons de notre côté, c'est que nous n'avons pas un ministre qui prend toutes les vingt minutes. Cela laisse plus de temps aux députés.

M. Allard, pourriez-vous nous donner brièvement une idée de la représentativité du Conseil du patronat? Est-ce que vous représentez de grandes entreprises, de petites entreprises, différents secteurs francophones ou anglophones? Pourriez-vous préciser ce point?

M. Allard: M. Dufour va vous fournir

les renseignements.

M. Dufour: On devrait répondre à cette question en deux volets. On peut redéfinir ce qu'est le Conseil du patronat, mais je pense que ce qui est important, c'est de définir l'échantillonnage qui est ici devant vous. Le conseil, je l'ai rappelé, est une fédération d'associations patronales. Nous regroupons en tout 130 ou 132 associations - cela varie -plus 350 entreprises, membres corporatifs, ce qui représente les employeurs québécois qui embauchent à peu près 75% de la main-d'oeuvre.

En relation directe avec ce sondage et la méthodologie de représentativité appliquée dans ce cas précis, je demanderai à un spécialiste des sondages de répondre: M. Côté, de SECOR.

M. Côté (Marcel): L'échantillon est très représentatif des membres du CPQ, avec des taux d'erreur de 2% ou 3%. Pour ce qui est de la représentativité du CPQ de la grande entreprise au Québec, disons qu'il y a environ 1 000 000 de personnes qui travaillent pour des entreprises de 100 employés et plus au Québec et que, dans l'échantillon, on en a 228 000 qui sont représentées par le biais de leur entreprise. Ce serait peut-être entre 20% et 25% des entreprises qui sont représentées. En somme, à ce niveau, comme il n'y a pas de définition de l'universel, on peut dire que cela doit refléter ce que la grande entreprise pense des programmes de francisation au Québec.

M. Ciaccia: M. Dufour, est-ce que cela représente aussi les petites entreprises de tous les secteurs, manufacturiers, etc., de notre économie?

M. Dufour: Le Conseil du patronat représente les petites entreprises, mais comprenons-nous bien. Aux fins de ce sondage, je l'ai mentionné tout à l'heure, cela ne servait à rien de demander à une entreprise de 42 employés d'étudier un programme de francisation auquel elle n'est pas assujettie. On ne parle ici que d'entreprises de 50 travailleurs et plus. Pour le CPQ, c'est vraiment un échantillonnage de 80%.

M. Ciaccia: Dans votre mémoire, vous mentionnez les difficultés qu'ont rencontrées les entreprises francophones. C'est un peu étonnant de voir qu'une loi sur la francisation, la loi 101, peut causer des problèmes aux entreprises francophones. Pourriez-vous nous illustrer quelques exemples?

M. Dufour: C'est vraiment ce qui nous a frappés le plus dans ce sondage, c'est-à- dire de voir les difficultés rencontrées par les francophones. Pour vous en parler, pour vous les décrire, on a justement demandé à un francophone qui est à la tête d'une PME, M. Guy Laflamme, président des Entreprises Rive-Sud, de Sainte-Croix, Lotbinière, d'apporter le témoignage d'une entreprise qui a été assujettie au programme.

M. Laflamme (Guy): M. le Président, ma présence ici - tout en étant membre du CPQ - est surtout à titre de dirigeant d'une PME québécoise. Antérieurement, et plus particulièrement cette dernière année, votre gouvernement a fait des efforts pour assurer la relance des PME au Québec par le biais de politiques tant à l'exportation qu'à l'innovation, au développement technologique, et j'en passe. Il n'en demeure pas moins que, quels que soient les efforts qui sont faits de votre part, il faut que nos entreprises demeurent compétitives. Je ne parlerai pas des lois de travail, des taxes ou de tout autre domaine qui ne serait pas pertinent au sujet d'aujourd'hui, mais, toutefois, j'aimerais attirer votre attention sur les coûts énormes que peut représenter la francisation dans une entreprise déjà francophone à 99%.

En effet, notre compagnie emploie 400 personnes dont deux seulement sont anglophones et ces dernières maîtrisent très bien la langue française. Notre production est vendue, dans une proportion de 88%, à l'extérieur du Québec, et cela comprend, outre le Québec, les Maritimes, l'Ontario, l'Ouest canadien, l'Est américain et les Antilles. À titre d'exemple, et de façon à illustrer où je désire en venir, je vous prierais de faire référence à votre programme type de francisation des entreprises comptant plus de 100 employés publié par la direction des programmes de francisation. Je vais vous donner brièvement la liste des sujets dont nos entreprises doivent tenir compte tout en commentant brièvement les pages 9 à 11.

À la page 9, établir un répertoire de tous les formulaires circulant dans l'entreprise. Établir une liste de tous les documents internes et externes utilisés dans l'entreprise incluant les programmes et les documents informatiques. Établir un ordre des priorités de francisation en tenant compte de la langue des destinataires, lieu de préparation, diffusion, nombre d'utilisateurs et fréquence d'utilisation. Concevoir en français tout nouveau formulaire circulant au Québec. Obtenir du secteur économique les travaux qui ont déjà été effectués. Concevoir en français des manuels abrégés. Concevoir en français les nouveaux programmes d'informatique ainsi que les modes d'utilisation des terminaux. A même l'ordre des priorités de francisation, établir la liste des formulaires et des documents à traduire et les dates

d'échéance. Prévoir des échéances pour assurer la francisation des documents et des formulaires. Mettre en oeuvre le programme de traduction par le personnel en place. Utiliser le personnel selon les besoins - c'est notre personnel. Éliminer complètement les documents et les formulaires qui ne sont pas en français après une période transitoire d'au plus six mois de circulation. Aviser le personnel, par voie de directives, de n'utiliser que le français dans le "rempli" des formulaires et des documents. Cela veut dire, à toutes fins utiles, que toutes les fiches techniques et manuels techniques qui couvrent chacune des pièces d'équipement, que ce soit de l'équipement qui provient d'Allemagne, d'Espagne, d'Italie et des États-Unis, doivent être traduits en français par notre personnel. Lorsque vous achetez une pièce d'équipement en Allemagne, les documents techniques vous parviennent en allemand et en anglais. La même chose pour ce qui provient de l'Espagne. Aux États-Unis, c'est en anglais.

De plus, notre compagnie gérait une compagnie de transport et, à la suite de la présence de vos inspecteurs, nous avons liquidé cette compagnie. Le but de l'existence de cette compagnie de transport, c'était d'assurer la livraison de nos meubles aux États-Unis, avec une manipulation soignée, afin d'éviter les bris dans le transport. Toutefois, devant les exigences de votre inspecteur qui nous obligeait à repeindre tous les camions et à refaire le lettrage en français, en raison des coûts énormes qui, soit dit en passant, excédaient $100 000, nous avons opté pour la fermeture de cette compagnie de transport privant ainsi plusieurs personnes d'un gagne-pain.

Il m'est très difficile pour le moment de donner le coût total des mesures que je viens de décrire. Ces mesures n'ayant pas été complétées, nous en sommes donc au certificat de francisation provisoire tout en considérant que 99,9% de notre personnel est francophone et que les deux employés mentionnés précédemment maîtrisent très bien le français.

Notre entreprise existe depuis juillet 1940, soit depuis plus de 43 ans. Elle est québécoise à 100% et détenue par des intérêts québécois à 100%. (11 h 45)

Je crois sincèrement que vous avez raison de vouloir maintenir le fait français au Québec et, pour ce faire, il ne faudrait tout de même pas verser dans le purisme. Les coûts considérables que cela implique doivent s'ajouter au prix de nos produits et, le marché compétitif étant ce qu'il est et les marges de jeu étant ce qu'elles sont, nous ne pouvons absolument pas nous permettre quelque écart que ce soit dans nos prix de revient et encore moins dans nos prix de vente. Si cela peut illustrer un peu, nous fabriquons un mobilier de chambre à coucher qui inclut un bureau, un miroir, une commode et un lit que nous vendons 119,50 $. Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi on ne le vendrait pas 124,50 $? Cela donnerait 5 $ de plus chaque fois qu'on en vendrait un. C'est parce que le marché ne nous le permet pas; la compétition étant ce qu'elle est, on ne peut pas se le permettre.

Si le fait de traduire des manuels en français augmentait la productivité, améliorait la production ou donnait une meilleure qualité au produit, cela se comprendrait, mais tel n'est pas le cas; non seulement cela n'améliore pas la productivité, mais cela lui nuit, en ce sens qu'en tant que PME, nous n'avons pas de "tablettés" à mettre à l'oeuvre. Aussi doit-on faire appel, pour la traduction de manuels, la confection de listes et tout ce dont j'ai parlé, a notre personnel interne. Ces personnes, lorsqu'elles travaillent à la francisation, ne s'occupent absolument pas de l'amélioration des produits, de la qualité, de la recherche de nouvelles techniques ou de la recherche de nouveaux marchés.

Enfin, en terminant, j'aimerais vous dire quelques mots sur l'article 8, à la page 11 de votre programme de francisation, qui se lit comme suit: "S'abonner aux revues techniques françaises du Québec et de la francophonie en consultant Informatech France-Québec et la Banque de terminologie du Québec."

Comme je vous l'ai dit précédemment, notre entreprise oeuvre dans l'industrie du meuble, communément appelée secteur mou de l'économie. Comme tout secteur mou qui désire s'affermir quelque peu, nous essayons de le faire en nous abonnant aux revues techniques qui concernent notre secteur d'activité. Les grands producteurs d'équipements secondaires du bois ne sont sûrement pas reconnus internationalement comme étant le Québec ou la France. Il semble que ce soient beaucoup plus les États-Unis, les pays Scandinaves, l'Allemagne et l'Italie. Aussi je me demande pourquoi on nous oblige - c'est inscrit "en permanence" -à nous abonner en permanence à des revues techniques qui ne concernent absolument pas notre secteur économique.

J'espère, messieurs, que vous voudrez bien prendre en considération l'exposé que je viens de faire et réfléchir un tant soit peu aux conséquences économiques qu'une telle rigidité de l'application de la loi pourrait avoir sur le développement économique de l'industrie secondaire à fort contenu de main-d'oeuvre. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Les employés de votre

entreprise travaillent-ils et communiquent-ils en français entre eux?

M. Laflamme: Oui. D'ailleurs, je dirais que 98% d'entre eux ne comprennent pas l'anglais.

M. Ciaccia: Je vais parler d'un autre sujet.

M. Laflamme: Ce serait très difficile de travailler autrement.

M. Ciaccia: M. Allard, dans votre mémoire, vous avez attaché beaucoup d'importance à la langue d'enseignement. Je ne vois pas devant moi le PSBGM ou un institut éducationnel anglophone, vous êtes le Conseil du patronat. Non seulement vous avez insisté sur cela dans votre mémoire, mais vous avez posé une question au ministre. Quelle est l'importance des changements dans la langue d'enseignement?

M. Allard: Tout cela est basé sur ce que notre sondage nous a révélé. Selon le sondage, qu'il s'agisse d'entreprises qu'on appelle francophones ou anglophones, la langue d'enseignement, c'est un problème. Il ne faut pas penser à une entreprise francophone en termes d'une petite entreprise qui travaille en vase clos et uniquement au Québec; il y a beaucoup d'entreprises francophones au Québec qui font affaires avec des gens de l'extérieur du Québec. C'est bien évident que, pour faire affaires avec des gens de l'extérieur du Québec, il faut parler anglais. Il n'y a pas moyen de faire affaires avec eux en français. Si ces entreprises n'ont pas la possibilité d'envoyer des gens à l'extérieur -elles ne l'auront pas, s'il n'y a pas de gens formés pour parler l'anglais - même si elles sont d'origine québécoise et francophone et qu'elles ont quand même des activités à l'extérieur... Si elles ne peuvent amener des gens de l'extérieur au Québec à cause de la langue d'enseignement ou de l'extérieur du Canada et si, pour les entreprises anglophones, c'est la même chose... J'appartiens à une entreprise anglophone, je peux en parler en connaissance de cause parce que, chez nous on a transféré des francophones à l'extérieur du Québec; on a voulu, pour compenser d'une certaine façon et aussi pour les besoins qu'on peut appeler culturels, essayer de faire la même chose avec des anglophones et de les amener au Québec et on n'est pas capable de faire cela. C'est impossible. La langue d'enseignement est une des difficultés principales, ce que nous savions déjà, nous au CPQ, parce que les gens nous le disent continuellement depuis 1977 et même avant et nous l'avons constaté dans le sondage; cela a confirmé ce qu'on savait déjà. Ce qui ressort de tout ce sondage, principalement, c'est la langue d'enseignement. Ce n'est pas moi qui viens dire cela. Ce n'est pas M. Dufour qui vient dire cela. Ce sont les entreprises qui font partie du Conseil du patronat qui nous disent: C'est un problème. On n'est pas capable de fonctionner, on est incapable de fonctionner totalement, on n'est pas capable de fonctionner efficacement en partie parce qu'il n'y a pas la possibilité de mobilité dans les cadres, les gens qui sont dans la recherche, à cause de la langue d'enseignement.

M. Ciaccia: Est-ce que le Québec peut fournir tout le personnel requis par les industries, dans le domaine économique? Ou est-ce que la raison pour avoir des changements dans la langue d'enseignement, c'est que le marché au Québec, les entreprises québécoises ont besoin, que ce soit dans n'importe quelle entreprise, de personnel et de connaissances qui viennent hors du Québec, même hors du Canada?

M. Allard: Les entreprises québécoises ont sûrement ce besoin. Il y a encore au Québec - toutes les grandes entreprises ne sont pas parties - beaucoup de grandes entreprises anglophones qui ont des besoins et ces besoins pourraient être satisfaits par des changements à la langue d'enseignement. On ne parle pas seulement en termes de ce qui existe actuellement. Avec un peu d'ambition, on veut souhaiter que d'autres entreprises viennent s'implanter au Québec. Il y a eu une entreprise importante dernièrement qui a décidé de venir s'implanter ici. On a fait beaucoup d'accommodements déjà prévus par la loi et tout cela. Mais il a fallu faire ces accommodements. Tout cela, je pense, démontre jusqu'à quel point la langue d'enseignement représente une préoccupation très importante des entreprises qui pourraient songer à venir s'établir au Québec. C'est pour cela que tant de gens demandent ce changement.

M. Dufour: Si vous me permettez d'ajouter juste un mot là-dessus. Lors du dernier sommet sur les communications à Montréal, les grandes entreprises qui ont participé au sommet, et je pense notamment à la déclaration du groupe Bell Northern et de son centre de recherche qui a identifié comme un des problèmes majeurs actuellement, dans les discussions autour de la table, la possibilité d'attirer des chercheurs dans ce genre de centre de recherche... En plus, pas purement des chercheurs de type cadre. Ces gens disaient qu'ils pouvaient et qu'ils pourraient - je sais d'ailleurs qu'ils vont se présenter en commission parlementaire, ils vont vous le dire -embaucher tout ce qui sort de doctorats

actuellement au pays dans le domaine de l'informatique et de la télématique et que ce serait insuffisant pour leurs besoins. Donc, il va falloir qu'ils aillent les chercher quelque part et ce sont des anglophones.

M. Ciaccia: Si je comprends bien, le but du changement de la langue d'enseignement, ce n'est pas d'amener du personnel ici pour enlever les emplois aux Québécois. C'est plutôt pour créer des emplois additionnels. Est-ce que c'est exact?

Deux autres petites questions parce que le temps... Le Conseil du patronat semble être préoccupé par le climat général au Québec. Dans plusieurs des mémoires que vous avez soumis soit devant cette commission, soit devant d'autres commissions parlementaires, vous vous préoccupez de la fiscalité, des relations de travail, des dépenses gouvernementales. D'après vous, quel est l'impact de la loi 101 sur ce climat et sur ces éléments?

M. Dufour: Écoutez, on fait des sondages de ce genre, nous, à tous les six mois, auprès de nos membres corporatifs toujours. Cela existe depuis 1976. Au moment où on se parle, on réalise que les grands problèmes sont des problèmes bien connus, la fiscalité, les relations de travail, notamment. La question de la langue est maintenant un problème moins préoccupant pour nos entreprises. Effectivement, je pense que c'est passé du troisième ou quatrième degré au douzième ou treizième degré, parce que là, on parle de la politique linguistique du gouvernement. Ce qui manifeste que les hommes d'entreprises ont accepté la loi 101; ils ont accepté les programmes de francisation, qui ont fonctionné, qui sont maintenant opérationnels. Mais quand ils précisent, de façon automatique, la langue d'enseignement, cela redevient la quatrième préoccupation. Alors, la politique linguistique d'ensemble, non. Mais la langue d'enseignement, toujours en quatrième lieu.

M. Ciaccia: En terminant - parce que je ne voudrais pas enlever le droit de parole à mes collègues vu que le temps est limité -si on enlève ces irritants ou les difficultés que vous avez soulevées dans la loi 101 et son application, est-ce qu'on pourrait espérer ou considérer que ce serait un facteur important dans une relance, pour la santé économique, pour la création d'emplois dans les entreprises québécoises?

M. Allard: Oui.

M. Ciaccia: Merci.

M. Allard: Cela répond à la question?

M. Ciaccia: Merci.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Deux-Montagnes?

M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. Je voudrais d'abord dire à nos interlocuteurs, et en particulier à M. Allard, que je reconnais l'importance de l'anglais, aussi bien sur le plan des affaires que dans le domaine culturel. L'anglais, dans le monde d'aujourd'hui, joue un rôle qui est probablement sans précédent a l'époque contemporaine, qui dépasse le rôle que le français a joué comme langue de la diplomatie et de la culture. Donc, je ne voudrais pas que personne puisse soutenir que je nie l'importance de l'anglais comme langue de communication à travers le monde. Mais vous avez dit, M. Allard, que, dès qu'une entreprise québécoise - vous parliez d'une entreprise francophone - fait affaires hors du Québec, il faut qu'elle le fasse en anglais. Je crois que vous avez fait un pas de plus que celui que je fais moi-même. Je reconnais l'importance de l'anglais, mais je reconnais aussi l'existence d'autres langues. Je connais un homme d'affaires québécois francophone qui s'est mis à l'étude du japonais, parce qu'il s'est rendu compte que, lorsqu'il discutait avec son interlocuteur japonais en anglais, il y avait un manque de communication, une imperfection de la communication, l'anglais n'étant ni sa langue à lui, ni celle de son interlocuteur japonais. Donc, je crois qu'il faut faire attention dans les affirmations que nous faisons. Les questions linguistiques sont toujours plus complexes qu'elles ne le paraissent à première vue.

Je relève dans votre mémoire une affirmation selon laquelle "D'autres - ce sont les gens que vous avez consultés - déplorent le fait que le personnel de la commission déborde le cadre de la loi 101 pour s'intéresser, dans l'exécution de sa tâche, à la qualité du français." Je ne veux pas soutenir que la commission a un rôle très clairement établi par la loi quant à la qualité du français, mais il faut que quelqu'un, quelque part, se préoccupe de sa qualité. La loi 101 dont nous discutons, c'est la Charte de la langue française. Ce n'est pas la charte d'un patois; ce n'est pas la charte d'un charabia. C'est la Charte de la langue française, et je crois que les questions de qualité de langue sont importantes, tout simplement pour qu'on se comprenne bien.

Par exemple, vous nous présentez un document, une étude, que vous avez appelé régulièrement "notre sondage". C'est même dans l'intitulé de ce document; c'est un sondage. Il y a avec vous un expert en sondages. Et moi, je prétends que ce n'est pas un sondage. Je prétends que c'est une consultation. C'est important de connaître le sens des mots. Hier, j'ai eu deux minutes et

trois huitièmes pour dialoguer avec Alliance Québec. Je parlais de données de recensement et on me répondait en termes de données de sondage, comme si des données de sondage étaient en quelque sorte équivalentes à des données de recensement alors qu'elles ne le sont pas du tout. Vous, vous avez fait une consultation et, à mon avis, en l'appelant "sondage", vous la dépréciez. Vous dépréciez votre consultation en l'appelant "sondage" parce que vous dites que ce sondage a été réalisé en août-septembre 1983 auprès de 280 entreprises, les membres corporatifs du CPQ qui emploient 50 personnes et plus. Donc, c'est tout le monde. Comme c'est tout le monde, ce n'est pas un sondage. Un sondage, c'est une sonde qu'on plonge dans l'océan pour en savoir la profondeur. On la plonge à un seul endroit parce qu'on n'est pas capable et on n'a pas assez d'instruments pour en plonger partout. Il y a une notion d'échantillon dans un sondage. Votre expert a parlé d'échantillon; ce n'est pas un échantillon, c'est la totalité. Par définition, ce n'est pas un sondage. C'est une consultation et comme telle cela a beaucoup plus de valeur. Si on se préoccupait un peu plus souvent du sens des mots, on se comprendrait mieux. (12 heures)

M. Dufour: Est-ce que je peux répliquer à cela immédiatement, M. le Président?

Le Président (M. Desbiens): Oui. M. Dufour.

M. Dufour: M. le Président, dans notre cas, il y a 50% des gens qui ont répondu, il y a 140 membres sur 300 membres. Il est usuel...

M. de Bellefeuille: Vous avez tous été invités à répondre. Si vous avez tous été invités à répondre, par définition, c'est une consultation de tout le monde, ce n'est pas un sondage. Je maintiens que ce n'est pas un sondage. Je maintiens que ce genre de distinction est important.

M. Dufour: On demandera à l'office un dossier sur ce sujet.

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. le député de Deux-Montagnes, vos questions.

M. de Bellefeuille: Parlons de quelque chose qui vous intéresse plus, de toute évidence. Je ne sais pas si je dois conclure que la bonne expression en français, cela vous indiffère. Je ne voudrais pas sauter à pareille conclusion. De toute évidence, la langue de l'enseignement vous intéresse plus.

Parlons de la clause Canada. M. le ministre en a parlé. Je voudrais préciser une chose. M. le ministre a fait allusion à la notion de réciprocité. L'offre que le Québec a faite, en 1977, à la conférence de St. Andrews, est une offre de réciprocité et elle tient toujours. Je voudrais savoir, dans la mesure où vous acceptez cette notion qu'il devrait y avoir réciprocité, est-ce qu'il est suffisant de dire que l'offre tient toujours ou si le gouvernement du Québec devrait en quelque sorte passer à l'offensive, c'est-à-dire demander aux autres provinces d'entreprendre des négociations sur cette question de la réciprocité, faire d'un dossier qui, à l'heure actuelle, vu la réaction qu'on a eue en 1977, est un dossier passif un dossier actif?

Le Président (M. Desbiens): M. Allard.

M. Allard: M. le Président, notre rôle n'est pas d'indiquer au gouvernement quoi faire sur cette question. De toute façon, ce n'est pas pour cela que nous sommes venus ici aujourd'hui. Nous sommes venus vous dire ce que nous pensons qui devrait être fait à la loi 101, à la suite de l'invitation que vous nous avez faite et après nous être basés sur ce que pensent nos membres. C'est simplement cela que nous sommes venus faire. Les questions des relations du gouvernement du Québec avec les autres gouvernements en ce qui regarde la langue, ce n'est pas notre domaine et nous ne voulons pas nous immiscer dans cela.

Si vous me le permettez, M. le député, j'aimerais revenir sur ce que vous avez dit tout à l'heure. Je ne voudrais pas que personne n'ait l'impression que le Conseil du patronat ou ses membres ne sont pas intéressés à la qualité de la langue. On l'a dit dès le début. On était tout à fait d'accord avec les principes fondamentaux de la loi 101 et on l'est toujours. Il faudrait reconnaître que la langue utilisée dans les entreprises ne peut pas être meilleure que la langue parlée par les personnes qui y travaillent. Je ne crois pas que les entreprises doivent devenir des universités ou des écoles. Cela n'appartient pas aux entreprises d'enseigner le français. Cela appartient peut-être aux entreprises - on en a convenu - d'utiliser le français et d'utiliser le meilleur français possible. Mais si on veut parler de la qualité de la langue, il faudrait plutôt regarder du côté des institutions d'enseignement et voir quelle sorte de langue on y enseigne. Si on y enseigne la meilleure langue possible, les entreprises vont employer des travailleurs qui parlent la meilleure langue possible et les entreprises parleront la meilleure langue possible.

M. de Bellefeuille: Bon. Il y a une autre question que je veux vous poser en ce qui concerne la langue du travail. La situation dans laquelle nous sommes est qu'il

y a des entreprises qui sont en retard dans la mise en oeuvre de leur programme de francisation. Cela a été établi devant nous dans des mémoires qu'on nous a présentés. Je n'ai besoin de citer aucun cas particulier, mais il y a des données précises qui ont été fournies. La question que je veux poser, c'est qu'étant donné que vous acceptez - vous l'avez dit à plusieurs reprises et depuis plusieurs années, depuis le début - les objectifs généraux de la loi - c'est dans votre texte - y compris les incidences sur la langue du travail, que devons-nous faire, comme législateurs et comme gouvernement, face à cette situation où un nombre appréciable d'entreprises sont, de façon patente, en retard dans la mise en oeuvre de leur programme de francisation? Il y a des experts en francisation qui ont parlé de 30% et c'est à peu près incompressible ou extrêmement difficile à réduire. Qu'est-ce qu'on fait par rapport à cela? On change la loi? On ne la change pas? On la durcit? On l'adoucit? On recourt à d'autres moyens?

M. Allard: Encore une fois, M. le député, nous ne sommes pas venus ici pour discuter de ces choses. Il y a une loi qui existe, il y a des organismes qui la mettent en application. Ce que nous avons voulu faire ce matin, c'est ce qu'il y a dans notre mémoire et cela n'y apparaît pas. Je ne sais pas si M. Dufour veut ajouter autre chose à cela.

M. de Bellefeuille: Si vous permettez, M. Allard, cela me paraît un peu inquiétant que le Conseil du patronat du Québec n'ait rien à dire sur la question de savoir ce qu'il faut faire par rapport aux entreprises qui sont en retard dans le domaine de la francisation. Cela me paraît inquiétant que le Conseil du patronat n'ait rien à dire là-dessus.

M. Dufour: Vous ne voulez quand même pas qu'on vous dise de mettre la police après elles. Il y a des programmes qui sont plus difficiles à réaliser que d'autres. Cela vous a été démontré. Cela le sera encore dans le champ à cause de la technologie nouvelle. Il y a des problèmes très concrets qui font partie de ces 30% dont vous parlez. M. Marcel Côté, ici, a vécu de façon très concrète, dans le champ, l'application de programmes. On peut vous en parler longtemps. C'est dans ce sens que le président dit que chaque cas devient un cas d'espèce. Si vous entrez là-dedans, on n'en ressort pas. C'est pourquoi on essaie de rester sur de grandes modalités.

Quand on parle ici d'entreprises, ce sont toutes des entreprises qui ont en moyenne de 1500 à 2000 travailleurs. Vous imaginez bien la complexité. Quand vous m'embarquez dans un dossier qui pourrait être le premier qui a été présenté à cette commission parlementaire, si je me réfère un peu à ce que vous avez dit, on vient d'entrer dans un dossier qui est drôlement difficile. Je pense que vous n'avez pas les données, moi non plus, pour étudier un tel cas. Si vous voulez entendre, de façon très générale, les difficultés rencontrées par un praticien... Marcel peut y aller.

M. Côté (Marcel): Je pense que le principal problème relié au retard de la francisation - d'abord, on savait qu'il y en aurait quand même certains... Dans un ensemble d'entreprises, il est normal que certaines soient récalcitrantes, qu'il y ait de mauvaises attitudes et ainsi de suite. On en retrouve partout. Par contre, lorsqu'on a établi des échéanciers dans les programmes qu'on négociait en 1978, 1979 et 1980 et même au début de 1981, personne ne prévoyait la sévérité de la récession qu'on a connue. Les entreprises sont souvent amenées à faire des choix entre une survie ou se maintenir et quelquefois - vous pouvez demander à M. Laflamme, il peut vous dire dans quelle situation il est lorsqu'il a des choix à faire - cela a pu occasionner des retards. Dans ce sens, c'est normal que la récession ait amené une augmentation de gens qui étaient en défaut quant à leur programme de francisation.

Par contre, il faudrait dire aussi, quant aux chiffres qui ont été lancés, que c'est l'office ou les organismes responsables de faire respecter la loi qui sortent ces chiffres. Si on demandait à l'autre partie de dire si elle est en retard sur son programme de francisation, peut-être qu'on aurait un autre point de vue. Il y a deux points de vue qu'il faudrait considérer lorsqu'on regarde ces chiffres.

M. de Bellefeuille: L'Association des conseillers en francisation, ce n'est pas un organisme gouvernemental, n'est-ce pas? C'est un organisme tout à fait privé. Par ailleurs, il y a d'autres données qui viennent d'organismes gouvernementaux, vous avez raison. Mais ces données, dans l'ensemble, concordent. Je vous remercie des éléments de réponse que vous avez apportés. Merci, M. le Président.

M. Allard: M. le Président, M. Laflamme aurait peut-être quelque chose d'utile à dire.

M. Laflamme: Vous vous demandez pourquoi il y a des retards. Nous sommes un de ceux qui sont en retard. On a un certificat temporaire, on n'a pas pu obtenir le certificat permanent à cause de la liste des choses qu'il reste à faire. Cette liste nous a été remise par l'inspecteur. Entre autres, sur toutes les pièces d'équipement

dans les trois usines que nous avons, il faut changer tous les interrupteurs qui marquent "start", "stop", "forward", "reverse", "stop", etc. Au lot d'équipement qu'on a, on a fait faire une évaluation pour changer les boîtes d'interrupteurs, cela coûte 45 000 $. L'an dernier, si vous vous rappelez la situation économique dans l'industrie du meuble, en particulier - d'ailleurs, le ministre de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme, M. Biron, avait mis sur pied un plan de relance alors que toutes les entreprises fonctionnaient à perte, je pense que ce n'était pas le temps d'investir 45 000 $ pour changer des boutons, ce qui ferait plaisir à l'inspecteur, mais qui ne ferait aucun meuble de plus et qui n'aiderait aucunement à la productivité de l'entreprise. Tout ce que cela aurait contribué à faire, c'est de diminuer le fonds de roulement encore un peu plus parce que les entreprises fonctionnaient à perte l'an passé. Alors, devant ce fait, on nous refuse notre certificat de francisation. Je ne sais pas si cela répond à votre question. Il y en a d'autres sur les distributrices de nourriture et de boisson. Cela n'est quand même pas nous qui les fabriquons. Il faut que l'on s'occupe de changer les boutons. Il faut le faire aussi sur les extincteurs chimiques, sur les panneaux électriques, sur les gicleurs automatiques, etc.

M. de Bellefeuille: Cette observation nous a déjà été faite, c'est-à-dire qu'il faudrait que la pression s'exerce dans beaucoup de places chez les fournisseurs. Les gens qui vous fournissent des instruments sur lesquels les inscriptions ne sont pas conformes à la loi, ce sont eux qu'il faudrait amener à se conformer.

M. Laflamme: Oui, mais je vous ai expliqué tout à l'heure qu'il y a des pièces d'équipements qui proviennent d'Allemagne. Même si j'allais voir les Allemands pour leur expliquer qu'au Québec, il y a la loi 101 et qu'il y a un inspecteur qui veut que les boutons soient de telle manière, que pensez-vous qu'ils vont me dire?

M. de Bellefeuille: C'est discutable parce que ce qui vient d'Allemagne est destiné au Marché commun le plus souvent, à la Communauté économique européenne qui utilise couramment un grand nombre de langues. Du côté des produits allemands, cela m'étonnerait qu'il y ait véritablement des problèmes.

M. Laflamme: On en a...

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Nelligan. Je rappelle à tous qu'il y a au-delà de 100 minutes d'écoulées.

M. Lincoln: Oui. Cela sera très bref, M. le Président.

M. Laflamme: Je voulais seulement ajouter que l'on n'achète pas tous les matins de l'équipement neuf...

Une voix: Avec tout l'équipement qui est là.

M. Laflamme: ...au prix que cela coûte.

M. Lincoln: Tout d'abord, une question à M. Allard, et ensuite j'en poserai une au ministre. M. Allard, je sais que votre compagnie a été une des premières francisées au Québec; en fait, bien avant la loi 101. Vous êtes un exemple typique. L'inverse s'est produit, comme vous l'avez souligné, parce que le président de votre corporation qui est la plus grosse dans son secteur au Canada est un francophone de la ville de Québec et que vous avez transféré des francophones en Ontario. Je voulais vous demander, de façon pratique: Quand ces francophones ont quitté le Québec pour aller en Ontario, ont-ils eu des problèmes avec la langue d'enseignement? En avez-vous eu connaissance?

M. Allard: À ma connaissance, il n'y a eu aucun problème de ce genre. Ce sont des gens qui sont allés surtout à Toronto et à Ottawa. Vous avez parfaitement raison en demandant quelle est notre compagnie et quel en est notre président. Un peu comme M. Laflamme, nous ne sommes pas une entreprise francophone, mais, comme lui, nous attendons toujours notre certificat de francisation permanent. Ce n'est pas parce que nous en avons besoin, mais nous sommes soucieux d'être des citoyens qui respectent les lois. Nous nous sommes conformés dans toute la mesure du possible à toutes les exigences. On attend toujours le certificat même si les inspecteurs nous ont dit, il y a des mois: Votre affaire est correcte, mais il faut que cela passe ici et là. Cela prend deux mois ici et trois mois là, mais vous l'aurez. On l'attend toujours. Je n'en ai pas besoin parce que je ne fais pas affaires avec le gouvernement. Il ne veut pas acheter de nous parce que l'on est des Anglais et il y a la Société de développement industriel qui nous met des bois dans les roues parce que notre siège social est à Toronto, même si le président, M. Robitaille, est un francophone. Je n'en ai pas vraiment besoin, mais je voudrais l'avoir et je ne l'ai pas. Cela attend depuis le début et nous avons été parmi les premiers, je pense, à fournir notre programme de francisation. C'était facile parce que notre personnel au Québec, qui était à peu près de 700 à ce moment, était à 99% francophone. On n'a toujours pas de certificat.

M. Lincoln: Oui, je pense que vous avez répondu à ma question. Ce que je voulais demander c'est si à Toronto les francophones que vous avez transférés, dont M. Robitaille et les autres, ont eu des problèmes pour envoyer leurs enfants à l'école française. Pas à l'école anglaise, a l'école française.

M. Allard: Ils n'ont eu aucun problème.

M. Lincoln: La deuxième question, je vais la poser au ministre parce que je me demande s'il n'y a pas malentendu. Je ne sais pas, peut-être que j'ai mal compris. On a parlé tout le temps, au sujet de la langue d'enseignement, de réciprocité, M. le ministre. On n'a pas envie de faire un débat constitutionnel, c'est la dernière chose qu'on cherche, sur l'article 133, etc. Mais en fait, aujourd'hui, à cause de l'amendement à la nouvelle constitution canadienne, est-ce que l'Ontario n'est pas obligé par la constitution canadienne de donner aux francophones qui partent du Québec pour aller en Ontario l'éducation dans la langue française et est-ce que l'Ontario ne s'est pas engagé à le faire, à respecter la constitution? Donc, il y a réciprocité factuelle.

M. Godin: La différence de fond, c'est qu'ils peuvent le donner "là où le nombre le justifie", ce qui n'est pas le cas au Québec. De toute façon, M. le député, j'ai répondu à la question que me posait le président, M. Allard, tout à l'heure et, en ce qui me concerne, je n'ai rien à ajouter pour l'instant. (12 h 15)

M. Lincoln: Ah bon! Mais c'est une nuance à faire parce qu'il me semble que c'est un point clé, parce que le point clé du Conseil du patronat est la langue d'enseignement et vous avez semblé nier la réciprocité. Vous avez semblé dire que, si un francophone quittait le Québec pour aller en Ontario, il n'y avait pas du tout de chance qu'il puisse aller à l'école française. Donc, le cas est tout à fait différent parce que la grande majorité, de toute façon, ira à Toronto, où M. Allard expliquait que ce n'était pas du tout un problème, ni à Ottawa, ni dans la plupart des régions de l'Ontario. En fait, je vais chercher les références, mais je suis presque convaincu que le gouvernement de l'Ontario a maintenant pris l'engagement de donner l'enseignement français, ignorant la question du nombre de personnes. Donc, je pense que la question de réciprocité n'est pas factuelle et que vous devriez la revoir en considérant ce que l'Ontario va donner, parce que, si c'est la seule chose qui vous empêche de le faire, je pense que le Conseil du patronat a un point qu'il a raison de souligner et que cela devrait être revu parce qu'il me semble que votre argument ne tient pas debout.

M. Marx: Seulement un petit point, s'il vous plaît! Vous allez me permettre un petit point?

M. Godin: Ce n'est pas moi qui décide.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Godin: Ce n'est pas moi qui décide du droit de parole, c'est le président.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre. À l'ordre, s'il vous plaît! M. le ministre.

M. Godin: Évidemment, ce qui se passe dans le reste du Canada fait partie de la réflexion du gouvernement sur cette question, M. le député de Nelligan.

M. Lincoln: Pardon?

M. Godin: Je vous dis que ce qui se passe dans les autres provinces à cet égard fait partie de la réflexion du gouvernement sur cette question, bien entendu.

M. Lincoln: Merci.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Vachon.

M. Payne: M. le Président, on a entendu beaucoup de réponses, beaucoup de questions. Je n'ose pas trop poser ma question au début parce que cela prendrait 20 minutes pour répliquer et je n'aurais pas la possibilité de faire mes commentaires.

Les commentaires que j'aimerais apporter au sujet du mémoire sont les suivants. Je souligne modestement que les commentaires du Conseil du patronat sur le sondage mené par la maison SECOR sont pour le moins déformés et même partiaux. Comme sociologue, j'aimerais indiquer comment vos commentaires sont partiaux et parfois pleins d'extrapolations. Vous finissez le sondage avec des questions que j'appelle omnibus, du genre: Voulez-vous le ciel? Voulez-vous la vertu? Vous parlez des modifications à apporter à la loi 101. C'est comme si vous demandiez à quelqu'un: Voulez-vous l'abolition des taxes au Québec? Nous sommes tous pour la vertu. Cependant, si on regarde attentivement votre sondage, on voit que ceux qui ont rencontré des difficultés avec la loi 101 sont beaucoup moins nombreux que vous ne le prétendez.

Par exemple, lorsque la maison SECOR parle du programme de francisation, elle demande si cela paraît réaliste. Vous n'avez pas indiqué que 87% considèrent que c'est complètement ou entièrement réaliste quant aux objectifs; 80% considèrent que c'est réaliste quant aux objectifs. Même chose

pour les entreprises de tradition anglaise.

Lorsque vous parlez du programme de francisation, vous demandez: Est-ce conforme à celui que votre entreprise avait proposé? Prenons seulement les anglophones. 91% ont dit que c'était complètement, entièrement ou passablement en conformité avec ce qu'ils ont proposé. Je trouve que c'est une facette qui a été négligée dans vos commentaires.

Troisièmement, à la question no 7, lors des négociations, on parle de la crédibilité des négociateurs. Chez les anglophones, 73% ont considéré que les négociateurs ont démontré une bonne connaissance et une compréhension adéquate. Vous ne l'avez pas mentionné dans vos commentaires.

Lorsque vous parlez de la paperasse, vous formulez un commentaire assez négatif. Vous dites: "II est pour le moins étonnant de constater qu'un répondant sur trois appartenant à cette catégorie (francophone) déplore une complexcification des procédures administratives (paperasserie)." Or, à la question sur la paperasse pour savoir s'il y a "trop de paperasse, plus ou moins ou pas du tout", les francophones ont répondu à 67%.

M. Allard: M. Dufour va vous répondre. M. Payne: Un instant.

M. Dufour: On peut reprendre le sondage, M. le Président.

M. Payne: Non, non.

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Dufour: On peut le reprendre.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Vachon a la parole.

M. Payne: Ceux qui ont répondu "more or less", en anglais, ou "pas du tout" sont au nombre de 66% chez les anglophones. Vous ne pouvez pas extrapoler à partir de la petite minorité qui est contre la paperasse pour proposer nécessairement qu'on doive apporter des amendements.

Il y a la question concernant les programmes de francisation qui créent des problèmes dans les coûts directs ou des problèmes avec les fournisseurs ou des problèmes dans le service à la clientèle. Pour prendre une optique assez objective, nous allons regarder la réponse des anglophones seulement. Coût direct: 67% des problèmes sont mineurs ou cela ne cause aucun problème. Avec les fournisseurs, problèmes mineurs ou aucun problème, 91%. 92% en ce qui concerne le service à la clientèle.

Dans tout votre mémoire, qui me semble être un pur exemple de marketing négatif du fait français ou de l'importance d'une loi linguistique vigoureuse au Québec, je considère que vous avez fait des extrapolations assez exagérées.

En ce qui concerne la langue de l'enseignement, vous dites que, pour 25% des répondants, la loi 101 a empêché le recrutement des employés. Or, à la question 16: Est-ce que la loi 101 entrave la mobilité et - question suivante - le recrutement des travailleurs, 100% des francophones répondent non; "sometimes, never or does not apply," dans le cas des anglophones, c'est quand même 71%.

Concernant l'affichage, lorsque SECOR pose la question: Les problèmes, est-ce qu'ils sont mineurs, nuls ou si cela ne s'applique pas vous ne pouvez pas mettre "ne s'applique pas" avec ceux qui sont contre l'affichage. Les francophones ont répondu à 83% et les anglophones à 90%. Je n'ai pas la machine administrative derrière moi pour faire le bilan au complet, mais j'ai fait mes calculs et, en ce qui concerne les communications écrites en anglais comme entrave à la bonne gestion de l'entreprise, chez les francophones, à 81%, aucun problème, ou 86% problèmes mineurs, aucun ou la question ne s'applique pas.

Je termine avec la question 26: La loi 101 a-t-elle occasionné des déplacements de postes en dehors du Québec? On lit beaucoup de manchettes là-dessus émanant souvent du Conseil du patronat. Or, au sondage SECOR, on constate que 88% disent non. Quant aux questions omnibus, a la fin, que j'appelle des questions de vertu, comme: Est-ce que vous aimeriez qu'on abolisse les taxes au Québec, bien sûr, tout le monde veut abolir les taxes, partout dans le monde. Mais, lorsque vous posez une question spécifique sur la loi 101, vous avez un tout autre portrait. Lorsque vous parlez plus loin de la localisation de nouvelles activités en dehors du Québec, vous avez exactement le même portrait.

Cela m'amène à me demander dans quelle mesure cela n'entretient pas certains préjugés manifestés hors du Québec en ce qui concerne la loi 101. Je voyage assez souvent hors du Québec, hors du pays. Je me demande dans quelle mesure nos leaders, comme le Conseil du patronat, sont en partie responsables d'un certain marketing négatif. Est-ce qu'on est devenu un peu les marchands d'un marketing négatif? Je considère que cela aurait été beaucoup plus objectif sociologiquement si vous aviez décidé de donner le portrait dans son ensemble. On pourrait avoir un dialogue de vingt minutes, si vous voulez. J'ai entendu vos commentaires sur le sondage, mais je voudrais, M. le Président, apporter mes précisions pour en faire un portrait un peu plus objectif.

Le Président (M. Desbiens): Avez-vous

des commentaires, M. Dufour?

M. Dufour: Ils seront très brefs, parce que M. le député Payne dit justement que le genre d'analyse qu'il vient de faire pourrait être fait par un autre sociologue peut-être de façon différente, un peu comme les démographes le feraient, dans le fond. Je pense qu'on était loin de charrier en le présentant tantôt. À l'inverse, on a soulevé les points forts de ce document en disant: L'étiquetage, par exemple, ce n'est pas un problème. Vous ne l'avez pas mentionné. Autrement dit, vous aussi, vous êtes allé chercher ce qui faisait votre affaire. Vous prenez un sondage et vous l'analysez.

Une voix: Une consultation.

M. Dufour: Une consultation, excusez-moi. Si nous étions venus ici simplement pour vous dire que tout va bien, je pense que ce n'est pas ce à quoi vous vous attendiez.

M. Payne: Je n'ai pas proposé cela.

M. Dufour: Mais quand vous soulevez que 33% des francophones ont des problèmes administratifs avec l'application de la loi 101, je regrette, vous pouvez me dire qu'il y en a 67% qui n'en ont pas, mais ce qui m'intéresse ce sont les 33% qui en ont. Ce sont eux qui vivent les problèmes à cause des 4,50 $ de plus sur le mobilier de chambre à coucher qu'on ne vendra pas chez Simpsons. C'est la réalité qui n'est pas une réalité sociologique, mais une réalité économique. Je pourrais choisir toute autre question et vous ramener sur la question où on parle des déplacements de postes. Sur la question des déplacements de postes, vous reconnaissez que l'on s'en plaint chez les entreprises anglophones à 72%, 73%. Malheureusement - je l'ai dit tout à l'heure on n'a pas quantifié ce nombre des personnes. On ne le sait pas, ce sera peut-être une prochaine étude de l'office. Quand nous disons qu'il y a eu simplement un transfert d'une activité dans l'entreprise, de Montréal à Toronto, ce n'est pas identifié non plus. Cela peut être un siège social. Or, M. Payne, il pourrait y avoir 98% de positif et 2% de négatif, ces deux grands sièges sociaux, cela nous préoccupe. C'est cela qu'on essaie de véhiculer en pondérant tout cela. Bien sûr, c'est comme tout sondage, n'importe qui peut en faire l'analyse qu'il veut, mais nous avons pensé vous la livrer dans toute sa virginité, avec le positif et le négatif, et on va en tirer un certain nombre de conclusions sans hésitation aucune.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Vachon, une très brève remarque.

M. Payne: Un tout dernier commentaire qui ne touche pas vos commentaires sur le sondage de la maison SECOR, mais plutôt le contenu du questionnaire. Cela a été commandité par la maison SECOR, j'en conviens. Dans le questionnaire tel qu'envoyé aux entreprises de traduction anglaise, vous aviez la question 14 dans la forme suivante en français: "Les programmes de francisation ont pu créer divers problèmes aux entreprises." Dans la question anglaise, il y a une petite nuance ajoutée à cela - de toute façon, sur le fond, je crois que la question est un peu pipée - "The francization programs could have very well created various problems to somes firms." C'est le postulat de la question. And then, you continue: "Of the following points, was your francization program at the source of major, minor or no problems at all?" I think that the question is a little bit loaded. If somebody asked me, following a postulated basic premise: "The francization programs could have very well created various problems..." Je me pose des questions. Cela paraît également être l'approche - et j'achève ici - lorsque vous parlez de la question 17: "Of the following three options concerning language and instruction in Québec, which would you favour - c'est une question de vertu - freedom of choice, the Québec clause or the Canada clause?" C'est bien sûr que, même si ce n'est pas la politique du Parti libéral du Québec, ni du Parti québécois, la question n'est pas tout à fait en conformité avec ce que vous auriez pu chercher dans ce sondage. (12 h 30)

Le Président (M. Desbiens): Si c'est terminé...

M. Dufour: Évidemment, il y a des problèmes techniques dans un sondage.

M. Côté (Marcel): Sur le premier point soulevé par M. Payne, on reconnaît qu'il y a une différence entre la version française et la version anglaise. Cela a été corrigé dans ce qu'on pensait être la version finale et, finalement, cela n'a pas été la version finale du questionnaire. Pour ce qui est de la question 14, votre point est excellent.

M. Payne: II y avait donc une erreur dans le sondage.

M. Côté (Marcel): Oui, une erreur de notre part. Je dois vous dire qu'il y a des questionnaires anglais qui étaient envoyés à des entreprises francophones et des questionnaires français qui étaient envoyés à des entreprises anglophones parce que la division qu'on a faite ici pour présenter les entreprises anglophones sur un questionnaire anglais ne correspond à l'envoi des questionnaires. En fait, un plus grand

pourcentage de questionnaires étaient en français. Si on prend l'exemple de l'entreprise de M. Allard, il a reçu un questionnaire en français, évidemment. Il y a une certaine partie des questionnaires...

Quant au point de la question 17 que vous soulevez, la façon de poser les questions sur la loi 101 ou la clause d'enseignement, c'est sensiblement la façon dont on la pose généralement dans les questionnaires écrits. Il faut dire que, dans un questionnaire écrit, les personnes ont le temps de regarder soigneusement la question avant d'y répondre. On pense qu'il n'y a pas de biais dans cette question.

M. Payne: On constate qu'il s'agit d'une erreur. Je dis que c'est une erreur de taille et non de détail.

M. Côté (Marcel): C'est une erreur de SECOR; cela n'a rien à faire avec le Conseil du patronat.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau, en concluant, s'il vous plaît.

M. Dufour: Je voudrais poser une question au ministre, si cela est possible. Elle sera très courte. Vous avez mentionné tout à l'heure, si je me rappelle bien, que 243 entreprises se sont prévalues de la loi pour une exclusion au niveau du siège social. Le nombre n'est pas important, ne cherchez pas. Dans notre milieu, les gens ont beaucoup de misère à comprendre ce qui s'est passé avec Bell Helicopter. Est-il exact qu'il y a eu des arrangements particuliers pour Bell Helicopter ou si c'est purement l'application actuelle de la loi?

M. Godin: C'est purement et simplement l'application actuelle de la loi. J'ai dit, à d'autres séances, qu'il y avait eu 7600 demandes d'exemption pour la période de trois à six ans. De ces 7400, 96% ont été accordées. Je n'ai pas la ventilation pour le renouvellement de trois ans ou pas, mais c'est en principe automatique.

M. Dufour: Pourquoi cela a-t-il tellement circulé que vous aviez fait cela?

M. Godin: C'est parce que cela a frappé les gens. Certaines personnes ignoraient qu'il y avait ce délai de six ans. Certaines personnes ignoraient que cela était presque automatique. Les gens pensent que la loi 101 est beaucoup plus sévère qu'elle ne l'est vraiment. Les sondages ou consultations le prouvent, d'ailleurs.

En gros, ce n'est pas un statut particulier. Le président, M. Allard, a dit tout à l'heure très clairement et très honnêtement que la loi s'était appliquée et c'est ce qui s'est passé.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de L'Acadie sur le même sujet.

Mme Lavoie-Roux: Une toute petite question supplémentaire au ministre. Je voudrais être sûre de bien comprendre. Je la connaissais, évidemment cette disposition de la loi. Est-ce que dans le cas de Bell Helicopter vous leur avez dit six ans? Dans le cas des autres compagnies, c'est trois ans avec renouvellement. Est-ce que pour eux c'est six ans automatiquement ou trois ans avec renouvellement?

M. Godin: C'est la loi qui s'applique; c'est trois ans avec renouvellement automatique à 96%, je l'ai dit tout à l'heure...

Une voix: M. le Président...

M. Godin: Non, non, ce n'est pas un an â la fois.

Mme Lavoie-Roux: Un an à la fois.

M. Ciaccia: Une question très simple au ministre. Est-ce la loi telle qu'elle a été appliquée jusqu'à maintenant ou si c'est votre interprétation nouvelle de l'application de la loi avec Bell Helicopter?

M. Godin: C'est la loi telle qu'elle a été appliquée jusqu'à maintenant.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: On me permettra de souligner que, si le ministre de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme était ici, on pourrait lui poser la question parce que c'est lui qui, apparemment, a confirmé en conférence de presse qu'il y avait eu des ententes quelconques avec Bell Helicopter. Je peux vous dire que je lui ai posé la question en privé et que sa réponse n'est pas la même que celle que nous fournit le ministre présentement. Je n'insisterai pas là-dessus, ce n'est pas le moment.

M. Godin: Est-ce que vous avez un affidavit à déposer?

M. Gratton: Non, mais, s'il en faut un pour concilier les déclarations de deux ministres du même gouvernement, on va prendre les moyens nécessaires, M. le Président. J'aimerais, en terminant - malheureusement, le temps ne nous permet pas de vous poser toutes les questions qu'on aurait voulu - vous remercier, MM. du Conseil du patronat, et vous rassurer quant à la définition des termes. Le petit Larousse dit

au mot "sondage", entre autres choses: "Enquête par sondage, ou sondage d'opinion, procédure d'enquête sur certaines caractéristiques d'une population, à partir d'observations sur un échantillon limité, considéré comme représentatif de cette population."

Le député de Deux-Montagnes voulait dire que, si on le fait sur l'ensemble, cela devient une consultation. J'ai pensé que vous l'aviez interprété comme un sondage, puisqu'il n'y avait que 52% de l'échantillonnage qui avait répondu. Mais peu importe, ce qui est important de retenir, c'est que M. Côté, lui, est un sondeur puisqu'un sondeur est une personne qui fait des sondages. Et nous tous, membres de la commission, sommes également des sondeurs puisque, à la définition de "sonder" on dit: "sonder le terrain, chercher à connaître la situation", et c'est ce que nous essayons de faire sur la loi 101.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, un dernier mot.

M. Godin: M. Allard, M. Dufour et ceux qui vous accompagnent, je tiens à vous remercier chaleureusement de votre mémoire. Je ne ferai pas ici de discussions byzantines sur les méthodes de votre sondeur ou consulteur, ni sur la grammaire.

Je soulignerai, par ailleurs, que M. Laflamme a cité quelques programmes du gouvernement qui visaient, justement, à la relance économique. Vous pouvez être convaincus, d'après ce qui ressort de votre témoignage ce matin, que nous allons faire en sorte que la francisation se fasse, puisque vous partagez cet objectif, mais que, d'autre part, elle ne soit nullement un frein à la croissance économique. Nous tentons d'établir l'équilibre entre un objectif qui est louable pour l'ensemble des Québécois, qui a été reconnu comme louable même par Alliance Québec hier, et, en même temps, tenir compte de la réalité économique qui est très dure depuis quelques années, comme vous le savez.

C'est la conclusion que je tire personnellement de votre présentation ici aujourd'hui. Comptez sur nous pour travailler ensemble, les partenaires économiques, gouvernementaux et autres, pour que nous sortions de la crise plus forts qu'avant et plus forte que jamais, en tenant compte de la réalité économique, même dans un programme de francisation. Merci.

Le Président (M. Desbiens): Nous remercions les représentants du Conseil du patronat. J'inviterais maintenant les représentants de la Société Saint-Jean-Baptiste, mais, entre-temps, j'aurai à faire un sondage et/ou une consultation sur le temps qu'il nous reste.

M. Allard: Merci, mesdames et messieurs.

Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal

Le Président (M. Desbiens): II y a une entente pour entendre le mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste immédiatement avant le repas. Nous reviendrions ici à 14 h 30 pour la discussion avec la Société Saint-Jean-Baptiste. M. Rhéaume, si...

M. Rhéaume (Gilles): M. le Président, M. le ministre, mesdames et messieurs...

Le Président (M. Desbiens): ...vous voulez d'abord nous présenter les gens qui vous accompagnent, s'il vous plaît.

M. Rhéaume: C'est ce que j'allais faire après vous avoir salués. Je vous présente M. Dollard Mathieu, ancien président général de notre société; M. Pierre Légaré, conseiller général de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal; M. Gérard Turcotte, secrétaire du conseil général et directeur des communications; M. Guy Bouthillier, premier vice-président de la société.

Mesdames et messieurs, je voudrais, au tout début de notre présence à cette commission parlementaire, d'abord vous exprimer le fait que nous avons l'intention, pendant les premières secondes qui sont allouées à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, de lancer un appel à l'ensemble des députés de toutes les allégeances politiques et de toutes les origines ethniques, qui sont présents, au sens que le 26 octobre 1983 a été une autre démonstration de ce qui arrive en Amérique du Nord aux peuples, autres que le peuple anglo-saxon, qui n'ont pas les moyens de prendre des mesures législatives pour protéger leur langue et leur culture. Vous imaginez que nous faisons référence à ce qui est arrivé hier aux Franco-Manitobains. Nous lançons un appel, à toutes les tendances politiques, nous faisons un appel au sentiment national, quelles que soient nos opinions politiques, afin que, pendant quelques instants, nous réfléchissions à ce qui arrive à nos frères et à nos soeurs du Manitoba. À ceux qui disent nous aimer et qui disent nous respecter, nous demandons leur solidarité pendant quelques instants.

M. Gratton: Question de règlement.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: M. le Président, je comprends le sens de la démarche, de M. Rhéaume, mais il me semble que la façon de s'exprimer de la commission, mardi de cette semaine, en adoptant une motion unanime à

l'appui des Franco-Manitobains est beaucoup plus éloquente qu'un moment de silence qu'on pourrait observer pour des raisons que je ne qualifierai pas. Quant à nous, nous sommes prêts à entendre la présentation du mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Godin: Nous sommes disposés à observer le moment de silence demandé par la Société Saint-Jean-Baptiste pour souligner ce qui s'est passé hier au Manitoba.

Le Président (M. Desbiens): Oui, M. Rhéaume.

M. Rhéaume: M. le Président, notre mémoire a quelque 50 pages. Je pense que vous en avez eu une copie. On nous a dit de présenter le mémoire avant d'aller manger. Donc, je vous demande, si la commission me le permet, si le mémoire peut être versé intégralement au journal des Débats. Je me contenterai de le résumer et de le commenter.

Le Président (M. Desbiens): C'est-à-dire que tous les mémoires sont au secrétariat de la commission. Ce qui est enregistré au journal des Débats, c'est ce que vous direz ici même, mais tous les mémoires sont au secrétariat de la commission. N'importe qui peut les consulter et même en avoir copie les premiers moments qui suivent la commission, aussi longtemps, évidemment, qu'il y en a des copies supplémentaires. Ils sont déposés ensuite à la Bibliothèque nationale où n'importe qui peut les obtenir ou les consulter.

M. Rhéaume: Donc, vous préférez que je procède à la lecture des 55 pages du mémoire?

Le Président (M. Desbiens): Cela ne signifie pas ça. Les députés l'ont eu à l'avance. Ils ont pu le consulter et, de ce fait, ils ont pu préparer leurs interventions en conséquence. Pour ce qui est de la lecture complète du mémoire, n'importe quel citoyen du Québec peut s'en procurer une copie ou le consulter lui-même. Ce que je vous demande, au contraire - et ce qu'on demande à tout le monde, d'ailleurs - c'est d'essayer de vous limiter à 20 minutes pour la présentation.

M. Rhéaume: Donc, une première partie du mémoire, M. le Président, a pour but de situer et d'expliquer ce qu'est la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, de rappeler à ceux et celles qui auraient peut-être oublié et d'apprendre à ceux et celles qui l'ignorent que la Société Saint-Jean-Baptiste de

Montréal existe depuis 1834. Elle a été fondée par un député journaliste, Ludger Duvernay, accompagné d'une poignée de patriotes d'origine irlandaise et d'origine canadienne-française.

Notre société célébrera donc en juin 1984 son 150e anniversaire. Rappelons, pour l'information de ceux et celles qui nous écoutent, que la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal a été à l'origine de la désignation du 24 juin comme fête nationale des Canadiens français, du choix de saint Jean-Baptiste comme patron des Canadiens français et de la fondation de la première société nationale en Amérique du Nord. Donc, depuis près d'un siècle et demi, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal a été intimement liée à toutes les luttes, à toutes les démarches du peuple canadien-français qu'on appelle maintenant québécois et, avec les années, la Société Saint-Jean-Baptiste a vu des sociétés filles ou soeurs s'établir dans toutes les provinces canadiennes, dans la plupart des États américains où vivent des Canadiens français, ainsi que dans toutes les régions du Québec.

Notre société a contribué également à presque toutes - et là, ce sont des archivistes qui pourraient le confirmer - les réflexions sur la situation de la langue et de la culture françaises. Dans toute son histoire, elle a toujours été, je pense, le véhicule des aspirations du peuple canadien-français, même si, comme dans le passé, comme maintenant et sûrement comme dans l'avenir, nous n'avons jamais fait l'unanimité de ceux et celles qui nous observent. Cependant, une chose que l'on ne peut nier à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, c'est son attachement à la langue et à la culture françaises au-delà des appartenances politiques. Sont sortis de nos rangs des hommes et des femmes qui ont oeuvré, oeuvrent et oeuvreront dans tous les partis politiques de quelque tendance qu'ils soient. L'histoire est là pour le démontrer. (12 h 45)

Nous regrettons également - ce qu'on appelle aussi en tout cas - la campagne de culpabilisation qui a l'air savamment orchestrée contre la langue et la culture françaises et, en particulier, contre la loi 101. Il me faudrait plus que la demi-heure qu'il me reste pour présenter le mémoire de la société pour énumérer tout ce qui a été dit contre la loi 101. Non pas que ce serait inutile, mais nous voulons, dans le temps qui nous est réservé, vous dire tout ce que nous en pensons de bon, de nécessaire, de légitime. Nous déplorons - je tiens à le rappeler - cette campagne de culpabilisation qui fait en sorte que les Québécois et les Québécoises aujourd'hui - la peur, ici, nous savons que cela a souvent été utilisé nous disent: Peut-être qu'on est allé trop loin; cette loi est peut-être trop ferme ou trop

forte. Nous avons tout entendu et nous entendrons tout sur cette question.

Quant à nous, nous voulons ce matin témoigner que, pour nous, la Charte de la langue française est une loi légitime et nécessaire; une loi que le peuple réel, que le pays profond a toujours voulue et a toujours attendue. En ce qui nous concerne, c'est la loi la plus positive qui ait jamais été votée par l'Assemblée nationale du Québec. La loi 101 est une nécessité; elle est légitime. L'histoire de notre peuple, c'est l'histoire de ses luttes pour la reconnaissance de ses droits linguistiques et culturels; c'est l'histoire de ses luttes pour demeurer ce que nous sommes. La loi 101 est venue exprimer, est venue décréter une volonté de refrancisation afin de corriger une situation qui faisait que notre langue, que notre culture, que nos travailleurs, que ceux et celles qui vivent ici vivaient comme des citoyens de seconde zone chez eux.

Cette loi 101, tout ce qu'on en entend, c'est pour la changer, c'est pour la diminuer, c'est pour la réduire, quand ce n'est pas pour la ridiculiser ou l'attaquer, en nous disant qu'on en respecte les principes, mais en attendant, par exemple, on énumère tous ses défauts, toutes ses lacunes. Je regrette de le dire, mais je crois que cela dénote une certaine forme de racisme qui m'inquiète parce que nous avons presque l'impression, ce matin, que je dois excuser ou justifier le contenu de la loi 101. Je peux vous dire que cela nous déplaît énormément.

Elle a été charcutée, cette loi. Elle est pour nous un véritable fromage de gruyère, pleine de trous, puisqu'on en a enlevé des chapitres importants. La Cour suprême - je ne ferai pas de commentaires - dont un ancien premier ministre a dit qu'elle était comme la Tour de Pise, qu'elle penchait toujours du même côté, est venue, dans un curieux jugement anonyme - ce n'est pas sa façon habituelle, puisqu'on signe toujours les jugements; il y a de brillants constitutionnalistes qui pourraient le confirmer - décréter que le chapitre de la langue de la législation, de la justice était inconstitutionnel. Ce chapitre, quant à nous, était et demeure d'une importance vitale. Quant à celui de la langue de l'enseignement, le "Canada Bill" est venu encore une fois de l'extérieur charcuter ce chapitre important de la Charte de la langue française.

Au niveau de la langue du travail, nous tenons à dire qu'il y a un travail extraordinaire qu'il faut continuer de faire. Vous avez entendu les mémoires d'organismes, de représentants de travailleurs et de travailleuses, qui vous ont signifié -d'ailleurs, à l'unanimité, la commission et tous les partis l'ont reconnu - les difficultés que connaissaient certaines entreprises et certains travailleurs à vivre en français. Pour nous, la langue de travail est un aspect important de la Charte de la langue française puisque la majorité de ceux et celles qui auraient peut-être quelque chose à dire - s'ils travaillent en français, s'ils ont toutes les facilités requises pour travailler dans leur langue - ne peuvent pas venir ici parce qu'ils n'en ont pas les moyens. Ce n'est pas tout le monde qui peut imprimer un mémoire en cent exemplaires et venir passer deux ou trois jours ici, car on sait quel prix cela coûte. Au niveau de la langue de travail, le gouvernement, quant à nous, doit intensifier la refrancisation de ce secteur. Les Québécois et les Québécoises ont le droit de travailler dans leur langue partout, ce qui n'est pas le cas. Ils ont ce droit et c'est un droit fondamental qui est reconnu comme un objectif de la charte.

Tout le monde vous dit: On est d'accord avec cet objectif, mais ce qu'on entend, ce sont des "mais", "mais c'est difficile", "mais 99% de nos employés sont unilingues français", "mais pourquoi faut-il que la sécurité soit en français également?". C'est le genre de propos qu'on entend et qui nous étonnent énormément.

Quant à la langue de l'enseignement, vous avez vu ce que nous en pensons. Quant à nous, ce qui est arrivé hier au Manitoba... Je ne voudrais d'aucune façon faire des comparaisons ou un plaidoyer, qu'on pourrait d'ailleurs faire, sur le traitement des nôtres dans toutes les provinces. La dernière page de notre mémoire est, d'ailleurs, un rappel historique - pour ceux qui l'ignorent - de tout ce qui est arrivé au français dans toutes et chacune des provinces de la Confédération et cette liste n'est pas exhaustive.

La langue des communications. Ici même, à Québec, regardez le nombre de postes de télévision, de postes de radio, de films projetés, de magazines, de revues en anglais. On ne vous apprendra rien en vous disant, particulièrement chez les jeunes, au niveau de la culture, la place importante et presque exclusive que prend la langue anglaise dans certains de nos milieux. On voit que 40% des jeunes du Québec croient qu'il n'est pas essentiel de vivre en français.

Cela doit inquiéter la commission parlementaire, cela doit inquiéter l'ensemble de ceux et de celles qui s'intéressent à l'avenir du Québec, quelles que soient leurs tendances politiques. Pour nous, c'est un point important, M. le Président, de départisaniser, de dépolitiser cette question. L'avenir de la langue française, ce n'est pas une question politique. On peut être libéral et être en accord totalement avec la loi 101; on peut être péquiste et vouloir la changer. Nous croyons que cela n'a rien à voir avec la politique; c'est une question nationale. Pour le peuple canadien-français, qu'on appelle maintenant le peuple québécois, il y a

seulement maintenant au Québec qu'on peut vivre dans notre langue. Il y a environ 20 000 000 de francophones en Amérique -cela va en surprendre quelques-uns peut-être, mais 13 800 000 Américains ont répondu au recensement de 1980 qu'ils étaient d'origine francophone - il en reste à peine 15% qui savent prononcer un mot de français et les deux tiers de nos compatriotes sont incapables de prononcer deux mots de français en 1983. Je pense qu'il ne faut pas oublier cela. Quelles que soient nos tendances politiques, mettons-les de côté et regardons les faits; si on veut être pragmatique, cela parle tout seul sans aucun commentaire.

Sur cette loi, on a tout dit. On a dit qu'elle était sévère, opprimante, écrasante, que les institutions créées par cette loi avaient des mesures tout à fait inacceptables. Je parlerai de la campagne de presse en conclusion. Vous savez, on a comparé l'Office de la langue française au Ku Klux Klan; on a comparé le père de la Charte de la langue française au Dr Goebbels. Qui a nié cela? Qui a dénoncé cela? Qui a dit que c'était faux? Contre cette loi si dure, si opprimante, depuis son existence, la Commission de surveillance de la langue française a reçu 15 950, on peut dire 16 000 plaintes. De ces 16 000 plaintes, le fruit a été 17 poursuites. Sur ces 17 poursuites, il y a eu onze condamnations par les tribunaux. Dix de ces condamnations ont été des amendes entre 25 $ et 50 $ et une autre de 500 $. Voilà cette loi si dure, si méchante, qui fait mal, qui empêche la liberté et qui empêche les gens de vivre.

Nous croyons qu'il faut absolument prendre les moyens d'informer la population, il faut absolument que la population connaisse la situation linguistique au Québec. Nous croyons qu'en ce sens une vaste campagne d'information doit se faire et qu'elle doit se faire rapidement, M. le Président. Nous pourrons en reparler dans les échanges que nous aurons cet après-midi. Il y a certaines inquiétudes que nous avons quant à la connaissance de la situation linguistique.

Nous voulons également réitérer notre entière confiance aux institutions crées par la loi 101. Je parle de l'Office de la langue française, je parle du Conseil de la langue française et de la Commission de surveillance de la langue française qui ont été victimes de toutes les attaques. Un véritable sottisier pourrait être fait si on mettait ensemble tout ce qui a été dit contre ces institutions votées démocratiquement par l'Assemblée nationale dans le but - rappelons-le - de sauvegarder la langue et la culture françaises au Québec. Donc, mieux faire connaître la loi 101, mieux faire connaître ses objectifs, mieux faire connaître les priorités, les gestes que nous devons poser, les mesures qui doivent être prises, tel est, à mon avis, ce qui devrait être fait dans les plus brefs délais.

La qualité du français, M. le Président - on a tout entendu - doit préoccuper le gouvernement. La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal ne blâmera jamais un gouvernement, quel qu'il soit, de prendre les mesures qui s'imposent pour sauvegarder non seulement la quantité, mais la qualité du français puisque - vous avez entendu les linguistes et les traducteurs qui sont venus ici vous présenter des mémoires que je ne vous répéterai pas - il y a un comportement inquiétant au niveau de la qualité du français. Cela intéresse aussi tout le monde, quelle que soit la tendance politique à laquelle on appartient.

Donc, M. le Président, brièvement, en résumé, ce que la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal veut vous exprimer, ce midi, par son mémoire et par sa présence, c'est que, pour nous, la loi 101 a été votée, il y a six ans - même les journaux francophones parlent de cinq ans - et elle a exprimé une volonté de refrancisation du Québec. Entre l'expression de cette volonté et sa réalisation, cela, pour nous, prendra plus de six ans. C'est l'évidence même que la loi 101 n'a pas fait ce pourquoi elle a été votée. Elle a été votée pour changer des affiches, c'est sûr. Elle a été votée pour rendre compréhensibles à la majorité bien des signes, bien des appellations, bien des guides et bien des écrits. Mais elle a aussi été votée pour changer des mentalités; d'abord, la mentalité de la majorité qui est une majorité et qui est capable, comme toutes les majorités, de prendre des décisions saines, qui est capable d'avoir un sentiment national, puisque, comme le disait Félix Leclerc, il y a quelques semaines: Tous les Anglais du monde, de la naissance à la mort, savent ce que c'est, le sentiment national. Nous aussi, nous avons ce droit. C'est légitime. On n'a pas à se gêner d'avoir un attachement à sa langue et à sa culture et on n'a pas à se gêner de poser des gestes pour défendre cette langue.

Ce que la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal vient vous dire, c'est que nous avons besoin de la loi 101 en 1983, aujourd'hui plus que jamais. Que ceux et celles qui la dénoncent, que ceux et celles qui la critiquent soient à côté de nous pour demander à la Cour suprême du Canada de respecter la compétence québécoise en matière de langue et d'éducation. Que ceux et celles qui la critiquent soient à côté de nous pour dire que le traitement accordé à la minorité du Québec est le meilleur traitement accordé à une minorité dans la Confédération et un des meilleurs au monde. Si vous le voulez, on pourrait parler strictement de ce sujet n'importe quand. Nous disons donc: Si vous changez la loi 101, renforcez-la. Renforcez-la dans le domaine

du travail. Faites en sorte que chaque Québécois et chaque Québécoise puisse travailler dans sa langue sans problème, sans se sentir gêné, sans conséquence et sans se sentir coupable. Le sentiment de culpabilité que l'on a entretenu et que l'on continue d'entretenir actuellement nous inquiète profondément. Nous espérons - ce seront mes dernières paroles avant de revenir pour échanger - que l'Assemblée nationale, quels que soient les partis politiques auxquels appartiennent les députés, respectera cette volonté essentielle du peuple québécois non seulement de rappeler les principes déterminants de l'avenir linguistique, mais également de poser des gestes pour sauvegarder cette langue et cette culture. Nous rappelons particulièrement au gouvernement - nous lui demandons d'avoir le courage de ses options fondamentales - que la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et beaucoup d'autres appuieront ceux et celles qui se lèveront pour défendre la langue et la culture dans un contexte où comme aujourd'hui, l'avenir du fait français n'est pas assuré. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): Merci, M. Rhéaume.

La commission élue permanente des communautés culturelles et de l'immigration suspend ses travaux jusqu'à 14 h 30.

(Suspension de la séance à 13 h 01)

(Reprise de la séance à 14 h 43)

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission élue permanente des communautés culturelles et de l'immigration reprend ses travaux pour entendre les intervenants intéressés par la Charte de la langue française. Le groupe de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal nous a présenté son mémoire avant l'heure du repas. J'espère que votre exemple, M. le président de la société, sera suivi par les députés. Vous avez pris exactement 20 minutes.

Alors, la parole est au ministre.

M. Godin: M. le Président, M. Rhéaume, M. Bouthillier, M. Légaré, messieurs, bienvenue d'abord dans votre maison, qui est la maison de tous les Québécois et de toutes les Québécoises. Je dois, moi aussi, souligner la discipline avec laquelle les choses se déroulent depuis que vous êtes ici. Vous êtes vraiment les premiers de tous les groupes à vous conformer de façon stricte à cette discipline. Cela va nous permettre d'aller plus rapidement à la période de questions.

Avant de passer aux questions, je dois vous dire que vos propos, en ce qui me concerne, sont extrêmement utiles pour l'ensemble des Québécois parce qu'ils rappellent que cette commission doit entendre aussi les craintes, les récriminations et les revendications des francophones. Cette commission est destinée à entendre l'ensemble des opinions sur la question linguistique au Québec. Il était prévisible, dès que nous avons annoncé que cette commission aurait lieu, que ceux que nous verrions en plus grand nombre seraient ceux qui avaient eu à se conformer à cette révolution linguistique et à en subir les conséquences. C'était voulu, d'ailleurs. Cette décision du gouvernement du Parti québécois visait justement à ce qu'il y ait un changement dans les attitudes au Québec, qu'il y ait une réflexion globale sur tous les problèmes reliés à la question de la langue au Québec.

Nous savions fort bien que, dans ce domaine de la langue, puisque les langues sont des êtres vivants et qu'il n'existe pas de paix entre les langues, dans quelque pays que ce soit, les langues se battent toujours entre elles. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est un linguiste américain, Joshua Fishman, dont je recommande la lecture à tous ceux qui sont ici. M. Fishman a inventé la notion de "language of wider communications" et celle de "language of lesser communications", la langue la plus utilisée, la langue la moins utilisée de deux, sur un territoire donné, que j'appellerais la LPU, la plus utilisée, et la LMU, la moins utilisée. La réflexion, au fond, et la logique derrière la loi 101 - et la loi 22 aussi, j'imagine - était de faire en sorte que le français devienne, dans une petite partie du continent nord-américain, le "language of wider communications", la LPU, la langue la plus utilisée. Ce qu'elle n'était pas à aller jusqu'à il y a huit ans. Les travaux de votre voisin, M. Guy Bouthillier, dans son livre "Le choc des langues", illustrent fort bien que telle n'était pas la situation. Le Québec était aux prises avec littéralement un drame, celui de la langue de la majorité française qui tranquillement devenait la langue la moins utilisée au Québec. Avec tout ce que cela peut entraîner de glissement. D'abord le bilinguisme, ensuite la diglossie, pour reprendre l'expression d'un autre linguiste, et enfin l'assimilation linguistique, c'est-à-dire une situation dans laquelle les gens font d'une autre langue la lingua del pane et la lingua del cuore, la langue avec laquelle ils travaillent et celle avec laquelle ils vivent.

Votre mémoire nous ramène à l'essentiel de la question linguistique. Il nous sort des catalogues de problèmes vécus dans la phase de l'application de la loi 101 et des ses règlements, et nous ramène à l'essentiel. C'est dans ce sens qu'il est très important pour le gouvernement et pour l'ensemble de la commission, je présume.

II était donc inévitable que cette révolution linguistique ne se fasse pas dans la paix et dans l'harmonie complète. Il n'y a personne qui accepterait qu'il y ait des changements qui modifient des habitudes ancrées, des traditions. On l'a vu ce matin, de la part des entreprises qui sont l'objet précisément de la partie la plus fondamentale de cette révolution linguistique. Nous les forçons à respecter la réalité démographique du Québec. Il est sûr que, le monde étant ce qu'il est et la langue anglaise étant la langue la plus répandue présentement sur le globe, comme l'ont été avant elle la langue grecque à une certaine époque, la langue latine à une autre époque, il est certain que cette nouvelle langue internationale ne lâche pas le terrain facilement, d'une part. D'autre part, il est certain aussi qu'elle est présente partout, qu'elle est présente sur l'équipement, qu'elle est présente sur la machinerie, qu'elle est présente dans les voitures que nous achetons au Québec; même si on paie 12 000 $, la voiture nous parle encore en anglais. Quand on le dit, on se fait dire qu'on dramatise, on se fait dire qu'on n'a pas raison de s'inquiéter, on se fait dire que ce n'est pas vrai que le français est une espèce menacée en Amérique du Nord. Les gens nous sortent des chiffres.

Le fait que nous ne soyons que 4% du total nord-américain est un chiffre significatif. Les 4% du Manitoba, s'il y avait des institutions comme nous en avons ici, ce ne serait pas un chiffre dangereux. Mais 4% sans institution, sans législation, sans gouvernement, c'est un chiffre, à mon avis, extrêmement faible. Mais ces 4% étant, au Québec, munis, nantis d'instruments législatifs, ont des chances de survivre, des chances d'être là tels qu'ils le sont présentement: francophones parlant français, vivant en français, travaillant en français; ils seront là à la fin du siècle et après, grâce aux efforts de trois gouvernements successifs.

En toute modestie, je dois dire que le gouvernement du Parti québécois a appris beaucoup de choses des deux gouvernements avant lui qui avaient tenté de trouver une solution à la question linguistique qui avait atteint des proportions dramatiques à une certaine époque à Montréal. On se le rappellera facilement. Donc, je rends cet hommage aux gouvernements qui nous ont précédés d'avoir tenté eux aussi, en tenant compte des réalités politiques du Québec, de trouver des solutions qui nous ont permis d'en arriver à une solution qui n'est peut-être pas parfaite, mais au moins... Je constate et j'observe ce qui se passe depuis le début de cette commission. Mon collègue de Gatineau a fort généreusement et fort honorablement souligné ce matin qu'il semble que nous ayons atteint maintenant au Québec un certain degré de rationalité quand nous discutons de ces questions et que nous sommes disposés de part à d'autre, en ce qui nous concerne, à faire en sorte que le français reste, demeure et devienne de plus en plus la LPU du Québec, la langue la plus utilisée. Tout en tenant compte du fait qu'il y a au Québec une minorité anglophone et des minorités autres qui contribuent à la vie, au dynamisme, au développement économique du Québec, nous allons tenter de trouver un équilibre entre ces divers facteurs sociaux, ces divers groupes sociaux au Québec.

En terminant, je dirai que je vous sais gré également d'avoir évoqué dans votre mémoire l'attitude des neuf autres gouvernements au Canada, le fédéral et les provinces, par rapport au Canada Bill, document que le Québec n'a pas signé et qui le prive d'un des pouvoirs, d'une des juridictions qui étaient l'une des raisons essentielles pour laquelle il a accepté en 1867 d'être cosignataire du British North America Act. Il était important de le rappeler.

Je terminerai par un vers qui nous ramène à votre minute de silence au début de cette commission. La politique fédérale à l'égard de la langue française au Canada est la suivante: "Quand tu es mort, je t'adore et quand tu es fort, je te dévore." Merci beaucoup.

Le Président (M. Desbiens): Avez-vous des commentaires, M. Rhéaume?

M. Rhéaume: M. le Président, que le français devienne la langue la plus utilisée, que le français prenne sa place, nous allons, comme nous l'avons fait par le passé, toujours appuyer les démarches législatives, les attitudes gouvernementales et les attitudes de l'Assemblée nationale dans ce sens-là. Je ne peux qu'être en accord avec ce que vient de dire le ministre sur ce point.

Le Président (M. Desbiens): Merci, M. Rhéaume.

Mme la députée de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal pour son mémoire. Cela fait déjà plusieurs fois que nous nous rencontrons dans ce forum linguistique. Je me souviens de votre présentation de 1977. Vous nous avez rappelé au point de départ que la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal avait joué un rôle historique depuis un siècle et demi pour la défense et la promotion de la langue française. Je pense que c'est exact, mais, comme je n'y étais pas il y a un siècle et demi et même il y a un siècle, je ne suis pas sûre qu'elle l'ait toujours fait dans le même esprit. Selon les époques, peut-être

que la Société Saint-Jean-Baptiste a montré plus ou moins de tolérance à l'égard des autres groupes qui sont aussi partie intégrante de la société québécoise.

Je m'inquiète un peu lorsque, pour défendre la place du français - et là-dessus, vous ne trouverez pas de dissidence d'un côté comme de l'autre de la table sur ce point; le ministre le mentionnait, ce fut, en 1975, par la loi 22 et, en 1977, par la loi 101... Mais là où il me semble y avoir un fossé qui nous sépare, c'est quand, pour défendre la place du français et lui donner vraiment le statut qui lui revient, il faut toujours que vous mettiez en opposition francophones et anglophones dans la société québécoise. Je ne suis pas sûre que le résultat de cette approche que vous avez soit de créer un climat favorable où les gens peuvent mieux vivre ensemble, peuvent mieux comprendre les objectifs de l'un et de l'autre. Au contraire, cela soulève souvent des difficultés ou des contestations qui, pour une certaine part, et particulièrement en dehors du Québec, ont été prouvées comme étant mal fondées. On en a parlé à plusieurs reprises ici. Les rapports des journaux, à l'extérieur du Québec en particulier et même aux États-Unis, ont profité justement de ces conflits pour en tracer un portrait plus mauvais que la réalité vécue au Québec.

Quoi qu'il en soit, il y a quand même certains points sur lesquels je ne voudrais pas de confusion entre ce que vous avancez et ce que notre formation politique pense, à savoir qu'il y ait une loi au Québec qui protège le français; qui non seulement le protège, mais qui lui permette de prendre la place qui lui revient. Nous sommes tout à fait d'accord avec vous là-dessus. C'est assez intéressant de comparer les sondages qui ont été publiés dernièrement, que ce soit des sondages ou des consultations. J'aimerais me référer à celui qu'Alliance Québec produisait, qui a été fait par SORECOM, dans lequel on disait que 82% des anglophones du Québec appuient la protection du français au Québec, sont pour une loi qui tienne compte de la réalité française du Québec.

Dans ce sens, je trouve que votre mémoire est très pessimiste. Vous créez l'impression que les anglophones du Québec sont toujours prêts à vouloir nous manger. Les représentations qu'ils font au nom de leur communauté vous paraissent souvent mal fondées. Je vous référerai aux pages 17 et 18 de votre mémoire. C'est la manifestation de ce que j'appelle votre approche partisane - "partisane" est peut-être un mauvais mot -à l'endroit de la communauté anglophone. Vous dites des anglophones du Québec: "Cela ferait rire quiconque a le sens du ridicule", quand ils s'inquiètent de l'assimilation de leur communauté.

Je pense que toutes les statistiques que nous avons entendues, à moins que vous ne puissiez me démontrer qu'elles ne sont pas exactes, indiquent justement, si on prend le plan scolaire, que la diminution des inscriptions dans le secteur scolaire anglophone avec la loi 101 telle qu'appliquée... Cette loi crée justement ces problèmes de diminution importante de la communauté anglophone, ce qui, à plus long terme - c'était dans le rapport Henripin qui a été publié - la réduirait, en l'an 2000, à une inscription de 5% à 7% dans les écoles anglophones.

Qu'ils s'inquiètent de cette diminution, je pense qu'on ne peut pas leur en tenir rigueur. Je pense que c'est aussi légitime pour eux de le faire que cela l'est pour des francophones dans d'autres provinces.

Un autre exemple. Je dis que, pour défendre le français, vous devenez intolérants à l'égard d'autres communautés, quand vous dites, à la page 18: "C'est en leur donnant l'occasion historique et le droit supplémentaire de participer, enfin minimalement, à l'édification du pays - vous faites référence au Québec - qu'ils se font forts de considérer comme le leur..." Je trouve qu'il y a là-dedans d'abord une négation de l'histoire. Je pense que les anglophones du Québec ont, avant les lois 101, 22 et 63, contribué à l'édification du Québec. Ce genre d'affirmation ne fait rien, je pense, pour avancer d'abord le statut du français et n'a pour résultat que de créer des conflits qui enveniment les problèmes et diminuent l'attitude de tolérance et de compréhension que la majorité des francophones entretiennent envers leurs concitoyens d'autres origines. (15 heures)

Ceci étant dit, j'aimerais vous poser quelques questions. La première concerne la langue d'enseignement. Est-ce que vous croyez vraiment, contrairement aux études qui ont été faites, que, si on permettait la clause Canada, ceci nous ramènerait au statut d'avant la loi 101?

La deuxième question est celle-ci: Avez-vous étudié, au plan économique, les retombées de la loi 101? Je pense que, sans tomber dans des visions apocalyptiques des retombées économiques de la loi 101, il semble en tout cas que tous les gens qui sont venus ici nous ont indiqué que cela avait des répercussions au plan économique, soit du point de vue de l'exode des francophones, soit du point de vue de la baisse des investissements et, sans attribuer uniquement à la question de la langue - là-dessus, je suis d'accord avec vous - les difficultés économiques auxquelles fait face le Québec, il reste que c'est un facteur qui a pu jouer. Je me demande si vous vous êtes penchés sur cette question, parce qu'elle a une importance du point de vue de la force du français en Amérique du Nord. Vous l'avez vous-même mentionné ce matin, M.

Rhéaume, en disant: II y a 13 000 000 de francophones qui ont été assimilés à un très grand nombre d'endroits - je pense que vous parliez même des États-Unis - et la raison pour laquelle ils ont été assimilés aux États-Unis, c'est que, pour des raisons économiques, ils ont été obligés d'émigrer aux États-Unis. Dans ce sens-là, je pense aussi que, tout en faisant valoir la défense du français au Québec et, par ricochet, en Amérique du Nord, il faut quand même songer qu'il y a peut-être un certain équilibre à garder pour ne pas menacer plus qu'il ne faut la survivance du français au Québec. C'est relié aux conditions économiques dans lesquelles nos concitoyens francophones peuvent vivre au Québec ou pour lesquelles ils doivent s'exiler pour pouvoir gagner leur pain et leur sel. Je pense que cela passe avant tout. C'est ma deuxième question.

Du point de vue de la francisation des entreprises, nous sommes d'accord qu'il y a encore des progrès à faire. Quand vous parlez de la langue des travailleurs, ce n'est pas un problème qui est résolu partout. L'Association des entreprises de francisation nous l'a signalé. Ce matin, on a fait référence aux 70% et 30%, les 70% où c'est peut-être réalisé et les 30% où il reste encore beaucoup de travail à faire. Je pense que, là-dessus, nous croyons aussi - mon collègue de Gatineau l'a exprimé - que, s'il y a d'autres efforts qui doivent être faits pour que les gens puissent vraiment travailler dans leur langue, ils doivent être faits.

Je trouve que, dans l'ensemble, votre approche du dossier est très pessimiste. Je vous reconnais ce rôle que vous avez toujours joué comme défenseurs de la langue française et c'est ce que vous êtes venus faire ici aujourd'hui. Par contre, je trouve que vous ne nuancez pas assez ce qui s'est produit depuis une dizaine ou une quinzaine d'années. D'une part, vous dites, à la page 9 de votre mémoire, que c'est un très net recul de la francisation du Québec qu'on observe et, vers la fin de votre mémoire, vous dites qu'il y a eu infiniment de progrès au point de vue du français - ce n'est pas textuellement, mais je me rappelle du mot "infiniment" - au cours des dix ou quinze dernières années.

Il me semble que, même dans la façon dont vous évaluez la situation, il y a une certaine contradiction. C'est peut-être un message de vigilance que vous voulez donner à la commission, mais je pense qu'il devient un peu déformé quand vous revenez à des faits qui ne sont peut-être pas tout à fait exacts.

Le Président (M. Desbiens): M.

Rhéaume.

M. Rhéaume: Je vous remercie, madame. Je me souviens que, ce matin, lorsque j'ai demandé qu'on inscrive notre mémoire au journal des Débats, vous avez été la seule députée à dire avec beaucoup de rigueur que vous ne l'aviez pas lu. Je vois maintenant que vous l'avez lu et je vous en remercie infiniment.

Mme Lavoie-Roux: Non, je regrette, je l'avais lu ce matin.

M. Rhéaume: C'est un compliment que je faisais.

Mme Lavoie-Roux: Je l'avais lu.

M. Rhéaume: Je ne pourrais pas en quelques minutes - ce n'est pas mon intention - justifier les 150 ans d'histoire de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, non pas parce que je n'en ai pas envie et non pas parce que je n'en ai pas les données, mais je pense que ce n'est pas le moment. Je voulais simplement vous rappeler que, malgré sans doute des erreurs de parcours, il n'y a pas beaucoup d'institutions au Québec, en Amérique, de 150 ans. Le réseau anglophone de Radio-Canada a dit que nous étions la société nationale la plus vieille au monde. En 150 ans, il y a sûrement eu des erreurs; je ne dirai pas que rien n'a été fait à la perfection, j'imagine que tout a toujours été fait avec bonne volonté, parce que je prête des intentions positives à ceux et celles qui m'ont précédé.

Cependant, je me permets de vous rappeler que, quand on parle de tolérance face aux groupes ethniques, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, sous réserve de vérification, a été la première à donner des cours de langue ici au Québec. On se rappellera le Monument national bien avant que l'État ne se mêle de ces choses et bien avant que l'Assemblée législative, à l'époque, ne s'en préoccupe. Au sein de la Société Saint-Jean-Baptiste, depuis fort longtemps, madame, il y a des gens de toutes les origines ethniques. Si nous avions voulu jouer là-dessus ce matin, j'aurais eu le plaisir d'avoir à côté de moi le secrétaire général de la société, qui est un Haïtien d'origine, et nous en sommes très heureux. J'aurais été également heureux de vous présenter des vice-présidents, des membres de sections d'origine norvégienne, vietnamienne, italienne, grecque. Nous avons des gens de toutes les origines chez nous, et depuis fort longtemps.

Cela fait peut-être partie des préjugés qu'on peut avoir. Les préjugés, ce sont des choses qui sont là. Cependant, nous espérons qu'à l'occasion du 150e anniversaire de notre société, nous pourrons enlever certains de ces préjugés. L'histoire de notre société démontre qu'il y a des gens de toutes les tendances politiques. Il y a des premiers ministres qui ont été nos présidents, qui ont

été de grands conservateurs ou de grands libéraux. Je pense, entre autres, à Sir Georges Étienne Cartier et à Antoine-Aimé Dorion, qui n'avaient rien en commun. Je pense à L.-O. David ou à P.-J.-O. Chauveau en passant par Gédéon Ouimet. Nous sommes en train d'imprimer, pour le 150e anniversaire, l'histoire de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal ainsi qu'une biographie de Ludger Duvernay. Cela me fera plaisir, madame, de vous en envoyer une copie. Peut-être que cela va enlever certains préjugés. On a peut-être projeté des images. Je ne suis pas ici pour défendre ceux et celles qui m'ont précédé, mais je peux vous assurer que, lorsqu'on regarde nos procès-verbaux depuis 150 ans, partout il y a toujours eu une continuité qui était celle de prendre les intérêts de la communauté française et francophone. Je vous l'avoue, cela a toujours été notre grande priorité.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, si M. Rhéaume me le permet, je pense qu'on s'est mal compris, et c'est probablement ma faute, je me suis mal exprimée. J'ai dit: Vous avez une histoire de 150 ans qui a été surtout de défendre le fait français. C'était l'objet de la société nationale, mais je pense qu'à certaines époques et particulièrement dans le mémoire que vous présentez aujourd'hui, vous le faites avec moins de tolérance que probablement dans le passé.

M. Rhéaume: Là, c'est ma faute. Je peux en parler davantage. C'est de mon temps. Je suis prêt à répondre sans aucun problème, l'inquiétude tombe même complètement. Naturellement, je ne veux pas entrer dans un dialogue sur ce point en particulier, sauf que, quand je vous parle du secrétaire général actuel et des vice-présidents de section des commissions qui existent chez nous, je vous invite à assister à n'importe quelle de nos réunions et vous verrez qu'il y a des gens de toute origine qui y militent. La libre circulation des idées est chez nous quelque chose de reconnu. Il y a de vifs débats, de vifs échanges, nous ne sommes pas d'accord sur tout, mais il y a des gens de toute origine qui sont chez nous encore actuellement. Les conclusions qui sont là sont le fruit de consultations, de participation. Le mémoire que nous avons présenté aujourd'hui, je suis sûr qu'il représente ce que les congrès de la Saint-Jean-Baptiste répètent depuis plus d'une quinzaine d'années. Je n'ai pas innové. Ce n'est pas sous ma présidence qu'on a conçu le contenu du mémoire qui est là. Que vous le trouviez intolérant à certains égards, c'est votre droit le plus strict. Moi je trouve, naturellement, - je suis en net conflit d'intérêts - qu'il est le portrait exact de la réalité québécoise et qu'il correspond à ce qu'on entend dans nos milieux. Peut-être que nos milieux ne sont pas les mêmes, j'imagine, mais je peux vous dire que c'est vraiment le reflet de ce qui s'entend dans nos milieux.

En ce qui concerne l'opposition francophones-anglophones, je ne voudrais pas renchérir. La contribution des anglophones au Québec, je ne veux pas la nier, sauf que, si on veut faire l'histoire, nous allons la faire: elle commence en 1760, elle continue en 1837, puis en 1840. Je peux expliquer chacune de ces grandes dates, vous savez, au niveau de la contribution. Je peux expliquer que les anglophones du Québec sont ici depuis 1760, pour un certain nombre d'entre eux; il y a d'ailleurs des études spéciales qui ont été faites là-dessus. Je fais référence à ceci: "Le bill 22 le Parti québécois aurait-il fait mieux?" C'est un ouvrage de Bernard Smith que vous pourrez consulter et qui va démontrer une certaine catégorisation, si on veut, de ceux qu'on appelle maintenant les anglophones du Québec pour voir qui ils sont et à quelle période ils sont arrivés chez nous.

Cependant, quand vous faites référence au fait que nous entretenons une certaine intolérance, madame, j'aurais aimé - si vous voyez une certaine intolérance dans mes propos, je le dis en toute sérénité - que vous parliez de l'intolérance quand on compare l'Office de la langue française au Ku Klux Klan, quand on compare le Dr Laurin au Dr Goebbels. Quand on parle, au sujet des institutions de l'Office de la langue française, de la commission de surveillance ainsi que du Conseil de la vie française, d'attitudes pour le moins totalitaires, je pense que c'est une certaine intolérance et une intolérance qui se continue. Je pourrais vous en apporter beaucoup d'exemples. J'aurais aimé entendre... Nous n'en sommes pas les auteurs et ce n'est pas nous qui alimentons dans un certain milieu ce genre d'attitude. Je regrette, mais je sens, en tout cas, une certaine injustice et je me sens dans l'obligation de le dire.

En ce qui concerne les sondages comme tels, sans en rejeter le contenu - vous savez, j'ai eu une longue discussion tantôt avec les journalistes sur les sondages ou les consultations, et j'apprécie de voir nos parlementaires dictionnaire à la main regarder la langue française à ce sujet - j'en entends beaucoup parler de ce temps-ci. Je pense qu'il faut les prendre dans la limite de leur être, comme on dirait en philosophie, et bien mesurer ce qu'est l'objet et le sens d'un sondage. Je donnerai comme exemple que des sondages veulent que, je ne sais pas, 50%, 60% ou 70% de la population soit en faveur de l'établissement de la peine de mort. Je pense qu'une majorité de la population serait peut-être favorable à réduire le nombre des députés, à limiter le nombre de mandats. Je pense que les sondages nous diraient qu'une

certaine partie non négligeable de la population se pose beaucoup de questions et a d'énormes réserves sur l'accueil fait aux réfugiés. On pourrait aller dans beaucoup de secteurs comme cela. On pourrait parler de l'aide sociale; on pourrait parler de beaucoup de domaines. Ce que je dis, c'est que je ne nie pas les sondages, je ne nie pas les consultations d'opinion. Je veux tout simplement dire qu'actuellement, quant à moi, nous avons assisté et nous continuons d'assister à un véritable conditionnement ici au Québec où ce que j'ai appelé la culpabilité, vous savez, elle se reflète... Tout ce qu'on entend, c'est que cette loi est trop sévère, qu'on est allé trop loin, qu'elle n'est pas bonne. J'aimerais que l'on entende des choses, que l'on dise que, non seulement on est d'accord avec les principes, mais qu'elle est légitime, qu'elle est nécessaire et qu'elle doit continuer son oeuvre.

La refrancisation n'est pas terminée, vous savez. Je sais que vous connaissez bien le siège social de la Commission des écoles catholiques de Montréal. Eh bien, je constatais, en marchant la semaine dernière, que plusieurs rues face à la commission scolaire s'appellent, par exemple, Sherbrooke East; ce n'est même pas bilingue, vous savez. Et ce n'est pas, à ce que je sache, dans un quartier particulièrement anglophone. Peut-être que pour certaines personnes, cela n'est pas important; peut-être. Pour nous, c'est important. Et je pense qu'on a le droit de considérer cela important. Des illustrations comme celles-là, je pourrais en citer plusieurs pendant fort longtemps.

En ce qui concerne les retombées économiques vis-à-vis de l'application de la loi 101, d'abord on n'a pas fait de sondage, on n'a pas fait d'étude particulière pour les mesurer exactement et pour voir de façon précise si la loi 101 était la raison principale, soit du départ, soit de certaines conséquences de fermetures d'usines ou de comportements de directeurs d'entreprises. Ce que nous savons cependant, c'est que ce point a été beaucoup véhiculé, à un point tel que trop, c'est comme pas assez, dans ma tête. Cela a été tellement véhiculé qu'on a l'impression que c'est la raison majeure. Et cela, nous ne le croyons pas. Nous ne le croyons pas parce que les... Et ce qu'il y a d'insidieux - je ne prête d'intention à personne - c'est qu'on va nous dire: Ce n'est pas la raison majeure, mais c'est la raison qui revient tout le temps. Elle revient continuellement. À force de frapper sur un clou, on finit par le croire. (15 h 15)

C'est sûr que mon point de vue peut être différent de d'autres, de ceux que vous avez entendus. Moi, ce que je crois, ce que nous croyons, c'est que la loi 101 n'est pas responsable de tous les maux du Québec. Et, depuis quelque temps, c'est ce qu'on entend continuellement. Il y en a tellement que je suis convaincu que les gens qui nous écoutent et les gens qui suivent les travaux de la commission parlementaire... Moi, je n'ai aucune inquiétude à ce qu'on parle des questions linguistiques au Québec, le plus publiquement possible, de toutes les façons possibles, parce que, une fois que les francophones du Québec connaîtront véritablement la situation linguistique, ils se poseront certaines questions. Et cela doit se faire - je le répète, parce que pour moi c'est très important - en dehors des lignes de partis. C'est essentiel. Je sais que dans une commission parlementaire, il y a des cadres rigides de politique. On n'est pas dans un colloque, on le réalise assez facilement, d'ailleurs. Cependant, je pense que nous sommes capables d'aller au-delà de cela. Je souhaite que nous le soyons encore non pour nous-mêmes, non pour que le nom de qui que ce soit d'entre nous apparaisse dans l'histoire, mais pour une contribution objective et honnête à l'effort de refrancisation du Québec. Nous sommes tous d'accord, comme on l'entend, avec ces objectifs. J'aimerais que cela soit un peu plus évident. Actuellement, il y a de plus en plus de personnes qui se posent des questions sur la véritable volonté de refrancisation. Quant à ceux qui demandent des changements, je ne prête pas d'intention mais je me pose des questions. Quel est le véritable but? Est-ce qu'on va se contenter de telle et telle chose? Quelle est la raison véritable? Quel est l'objectif? Quel est le pays idéal que l'on veut? Un pays où - on l'a vu - c'est le "free choice". Nous ne pouvons pas être d'accord avec cela. Le bilinguisme institutionnalisé se fait toujours à l'encontre du fait français et cela, personne ne peut le nier. On peut ne pas être d'accord et on aimerait que cela soit autrement. Ce n'est pas par plaisir qu'on dit cela. C'est la réalité. Sur ce point, on devrait se préoccuper davantage. Quant aux retombées, je répète que, quant à moi, la loi 101 n'est pas la raison principale des difficultés économiques de Montréal.

Mme Lavoie-Roux: ...là-dessus.

M. Rhéaume: Si vous lisez les journaux depuis quelques jours, on a l'impression qu'il faut la passer à l'essoreuse, qu'elle n'a pas de bon sens, que cette loi nuit à Montréal, que cette loi fait en sorte qu'elle est responsable de tous les maux. Je ne dis pas que ce sont vos intentions et ce que vous pensez, sauf que les effets, c'est ce qu'on entend, la loi 101, c'est la responsable des difficultés économiques que nous connaissons. Quant à moi, tenir de tels propos, c'est une attitude raciste.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, si

M. Rhéaume veut m'expliquer. J'avais bien pris le soin de dire dans mon exposé que cela pouvait être un élément et que je ne voulais surtout pas attribuer à la loi 101 la cause des difficultés économiques. J'ai été très claire sur cela.

Ce que je veux savoir de M. Rhéaume, et ce que je lui demandais exactement est ceci: Est-ce qu'il pense qu'il peut y avoir certains effets négatifs ou certaines retombées négatives de la loi 101 dans le domaine économique? Au point de départ, j'ai dit que je ne voulais pas en faire la cause. Personne n'est venu ici nous dire que c'était la cause des difficultés économiques.

M. Rhéaume: Pour moi, il peut y en avoir, il peut y en avoir eu, et il y en aura pour autant - l'exemple peut venir de haut, je parle de l'Assemblée nationale - que la volonté ferme de refrancisation ne sera pas réaffirmée, ne sera pas véhiculée et pour autant que la refrancisation ne deviendra pas un objet politique comme c'est devenu actuellement. C'est un objet politique. Il y a des gens qui font une utilisation politique de la question linguistique. Il est sûr que cela nuit beaucoup plus au secteur économique et à la stabilité économique du Québec que la loi 101 elle-même. Ce sont toutes les hésitations, ce sont tous les tics, ce sont toutes les critiques. Je répète, les hésitations autour de la loi 101 et l'utilisation politique de la question linguistique sont des facteurs qui nuisent énormément; de cela, je suis profondément convaincu. Si nous croyons tous aux objectifs fondamentaux de la loi 101, qu'on se le dise une fois pour toutes de façon unanime et qu'on le répète et qu'on cesse de dire oui, oui, à la première occasion, c'est pour la critiquer.

On parlait tout à l'heure de sondages. Une question a été posée, en mars 1983, chez les membres de la communauté anglophone: Le français doit-il être la langue de travail au Québec? 25% ont répondu: oui, et 71% ont répondu: non. Qui l'accepte? C'est un principe fondamental de la Charte de la langue française. À d'autres questions par exemple si, au Québec, le français doit être la langue du commerce chez les anglophones, 23% ont répondu oui et 73% ont répondu non. Est-ce qu'on est vraiment d'accord avec les objectifs de la Charte de la langue française? Nous croyons qu'il y a un désaccord dans beaucoup de milieux avec les objectifs de la Charte de la langue française et qu'il y a une utilisation politique de ces désaccords. Quant à la langue de l'enseignement, à ses répercussions et son application au chapitre de la loi, je demanderais à M. Pierre Légaré, que vous connaissez d'ailleurs, qui connaît bien ces questions, de bien vouloir répondre.

M. Légaré (Pierre): M. le Président, une chose qu'il ne faut pas perdre de vue quand on parle de la langue d'enseignement, c'est qu'un des objectifs de la Charte de la langue française était de corriger un déséquilibre important. Sur l'île de Montréal, en 1977, plus de 41% des élèves aussi bien au primaire qu'au secondaire fréquentaient le réseau anglophone. Cette proportion était en croissance. Pourtant, six ans auparavant, le recensement de 1971 nous dévoilait que 23,7% de la population de l'île était de langue maternelle anglaise; 23,7% contre 41%. Cinq ans après - et également cinq ans après l'adoption de la Charte de la langue française - en 1982, la proportion était de 31,4% au primaire, mais toujours de plus de 41% au secondaire. En 1988, dans cinq ans, selon les prévisions, et toujours si la clause Québec subsiste, ce sera 25,7% au primaire et 28,9% au secondaire. Pourtant, la proportion de la population de l'île dont la langue maternelle est l'anglais devenait, au recensement de 1981, de 22,4%. Il est indéniable que par sa clause Québec, la Charte de la langue française est en train de corriger le déséquilibre. Mais même dans cinq ans, l'équilibre ne sera pas encore atteint.

On a beaucoup parlé de sondage ou de consultation, mais la question à poser est à savoir si ceux qui ont répondu à cette consultation ou à ces sondages en se disant d'accord avec la clause Canada, on a pris soin auparavant de les informer de la situation en 1977, de ce qu'elle est maintenant et de ce qu'on prévoit qu'elle sera dans cinq ans. C'est ce que je viens de vous dire. Est-ce que ces gens ont vraiment été informés de cette situation avant de se prononcer pour la clause Canada?

Il est donc évident pour nous que -parce que c'est une pièce majeure - cette pièce majeure de la Charte de la langue française, le Québec n'a pas à l'abattre lui-même. Autrement, ce serait nous ramener aux situations conflictuelles des années soixante-dix. Nous pensons que si la clause Canada devait être malheureusement imposée, au moins que le Québec laisse faire cette tâche par la Cour suprême du Canada.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, il semble évident qu'on n'a pas les mêmes sondages. Même si vous vous référez à l'étude du Conseil de la langue française de M. Paillé - je l'avais il y a quelques instants devant moi et je ne la retrouve pas - on y indique que même si... Vous demandez: Est-ce qu'on a informé la population sur les effets de l'application de la clause Canada? Dans le rapport Paillé ou l'étude Paillé, on dit que si on appliquait la clause Canada, évidemment la population anglophone diminuerait un peu moins vite dans les écoles anglaises, mais que jamais on ne reviendrait au statut d'avant l'application de la Charte

de la langue française ou même de la loi 22. On fait toutefois une exception pour la région de l'Outaouais. Si on est honnête, si on lit le rapport au complet, on dit qu'il y aurait du côté de l'Outaouais des conséquences plus grandes. Je vous donnais tout à l'heure les chiffres d'Henripin qui dit qu'au rythme où vont les choses, en l'an deux mille, ce sera de 5% à 7% d'inscriptions dans les écoles anglophones. M. Henripin est quand même reconnu comme une autorité en la matière.

Ceci étant dit, la dernière...

M. Légaré (Pierre): M. le Président, madame, me permettez-vous...

Mme Lavoie-Roux: Oui, oui, je vous en prie.

Le Président (M. Desbiens): Oui, allez- y.

M. Légaré: ...de répondre à cela. Je ne me suis référé à aucun sondage et à aucune consultation. Je me référais aux prévisions des populations scolaires sur le territoire du Conseil scolaire de l'île de Montréal, qui ont été publiées il y a un peu plus d'un mois par le conseil scolaire. Personne, ici, ne voudrait mettre en doute ces statistiques.

Mme Lavoie-Roux: L'autre question que j'aimerais poser est la suivante. Les recommandations qui ont été faites à la commission sont de quatre ordres, l'une touchant la clause Canada - on en a déjà parlé - et une autre touchant l'affichage. Quelles seraient les modalités de cet affichage? Les opinions varient, mais l'on souhaiterait qu'on remette à la communauté anglophone une plus grande visibilité. La troisième touche les tests des professionnels et, même si vous parlez dans votre mémoire d'événements qui ont été montés en épingle, on a fait la preuve que les tests pour les professionnels ne rendaient pas justice aux personnes qui devaient les subir - du moins pour certaines catégories de professionnels. Même cela a été reconnu par le ministre hier après-midi, quand il a dit à Alliance Québec qu'il avait modifié les tests à la suite des représentations qu'ils avaient faites et qu'Alliance Québec avait raison, puisque les tests semblaient vraiment trop difficiles et que maintenant les résultats semblaient créer moins d'injustice à l'endroit de ces professionnels. C'est une troisième recommandation qui est faite. Ce sont les trois recommandations, d'une façon générale, qui sont faites pour modifier la Charte de la langue française, mais j'en oublie peut-être une quatrième.

Si on apportait ces modifications, qui n'apparaissent peut-être pas à vos yeux, mais qui apparaissent aux yeux de l'ensemble ou, enfin, d'une forte majorité des Québécois comme étant des choses raisonnables, croyez-vous que cela remettrait en question le statut du français au Québec, sa place au Québec, le désir des Québécois de pouvoir travailler de plus en plus en français, de vraiment donner au Québec ce caractère français que la population en général et d'une façon très majoritaire désire? Vous ne voulez aucun changement. Vous dites même qu'il faut aller dans le sens de rendre plus difficile - ce n'est peut-être pas la bonne expression - de renforcer la loi 101. Ces suggestions qui ont été faites dans - tout le monde sera d'accord, ici, de chaque côté de la Chambre - la très grande majorité des mémoires que nous avons entendus mettent-elles vraiment en danger le statut du français au Québec?

M. Rhéaume: Au sujet de l'affichage, ce que je pourrais dire de mieux et de plus conforme à ce que nous pensons, c'est ce qu'a répondu le premier ministre, René Lévesque, dans sa lettre du 4 novembre 1982 au président d'Alliance Québec. Je le cite: "A sa manière, en effet, chaque affiche bilingue dit à l'immigrant: II y a deux langues ici, l'anglais et le français. On choisit celle que l'on veut. Elle dit à l'anglophone: Pas besoin d'apprendre le français, tout est traduit."

A sa manière, en effet, chaque affiche bilingue dit à l'immigrant: II y a deux langues ici, l'anglais et le français. On choisit celle que l'on veut. Elle dit à l'anglophone: Pas besoin d'apprendre le français, tout est traduit. J'ai pris la peine de le répéter parce que j'endosse totalement ce qui est dit.

Vous savez, l'affichage, c'est ce qu'il y a de plus visible. J'ai grandi dans la ville de Verdun - si M. Caron était ici, il pourrait vous le confirmer, on se connaît depuis de très nombreuses années - et je peux vous dire que l'affichage, c'est quelque chose d'important puisque c'est quelque chose que l'on voit continuellement. Peut-être qu'il y a des francophones qui voient - c'est vrai pour l'immigrant et pour tous les autres - dans l'affichage la législation linguistique dans son caractère le plus visible, le plus tangible, le plus présent partout. S'il y a un point que nous croyons prioritaire, c'est bien celui-là puisqu'il est essentiel quant à cette présence partout au Québec. S'il y en a qui ont des doutes, nous sommes prêts, à la société, gratuitement, à leur faire faire un tour d'autobus. Vous allez voir quelle langue on retrouve sur les affiches. La réponse du premier ministre, quant à nous, est la réponse qui devait être faite et ce qui doit se traduire dans les attitudes. (15 h 30)

En ce qui concerne les tests linguistiques - historiquement, la devise du Québec est "je me souviens", mais parfois on

a un peu de difficulté - que je sache, ils sont une création de la loi 22. Ils n'ont rien à voir, en ce sens, au niveau de l'innovation, avec la loi 101.

Deuxièmement, je vous citerai une réponse de quelqu'un qui n'est pas membre de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, M. Max Yalden, commissaire aux langues officielles, qui s'y connaît un peu dans ces questions et qui a dit qu'en Ontario il n'y a pas de test linguistique parce que tous les examens sont faits en anglais. Si on le prend de cette façon, c'est un moyen de régler la question des tests linguistiques. C'est ce que j'avais à vous répondre sur ce point.

Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Chauveau.

M. Brouillet: M. Rhéaume, je tiens d'abord à vous remercier de votre exposé. Depuis le début de nos travaux, nous avons effectivement entendu beaucoup de mémoires qui, pour des raisons qu'on comprend très bien, mettaient surtout l'accent sur les effets dits négatifs de la loi 101, la Charte de la langue française. Je crois que vous avez raison de signaler que quand on accumule les témoignages d'effets négatifs et qu'on s'en tient peut-être trop exclusivement à cette dimension, il y a un effet de grossissement et on a l'impression que la loi peut être la cause de presque tous nos maux.

C'est pour cela que je crois qu'il a été bon et sain aujourd'hui pour notre commission d'entendre un son de cloche - je ne dirais pas complètement opposé - qui mettait davantage l'accent sur certains aspects de la légitimité, de la nécessité de cette loi. Cela peut nous permettre à nous, de la commission, et aussi à la population qui nous écoute, de peut-être pondérer un peu certains jugements trop hâtifs qu'on serait porté à rendre sur l'expérience de six ans d'application de la Charte de la langue française.

Je serai très bref dans ce commentaire général parce que le temps passe et qu'il y en a probablement d'autres qui aimeraient vous interroger. Je me référerai simplement à quelques points particuliers. J'aurais aimé vous entendre expliciter davantage ce que vous avez mentionné tantôt sur l'utilisation politique de la langue qui a pu engendrer, auprès de notre population, un sentiment de culpabilité et, auprès des autres, des étrangers, une perception tronquée de la réalité. Cette perception tronquée de la réalité, vous n'êtes pas les seuls à l'avoir décelée. Cela a été dit, entre autres, avec beaucoup d'intensité et d'affirmation, par son honneur le maire de la ville de Montréal qui, lui-même, a beaucoup insisté sur cet aspect en disant que c'était beaucoup la perception plus ou moins tronquée de la réalité linguistique et de la réalité de la charte au Québec qui est souvent la cause de cette réaction négative à l'égard de la charte. Vous voudrez peut-être toucher ce point tantôt; j'aimerais que vous l'abordiez.

J'attirerai aussi votre attention sur la langue de travail. Vous avez affirmé que plus de la moitié des travailleurs ne peuvent travailler dans leur langue ou ne le font que partiellement. Je savais qu'il y en avait beaucoup, mais cela me surprend qu'il y en ait tant que cela. Vous pourrez peut-être étayer un peu votre affirmation, l'appuyer.

Toujours concernant la langue de travail, vous affirmez dans vos recommandations qu'il faudrait peut-être étendre la francisation aux entreprises de 49 employés et moins. Est-ce que vous tenez fermement à cette recommandation?

J'aurais aussi une autre question. Vous faites allusion à l'élimination de certains lieux d'abus; je crois que c'est à la page 54, vers la fin du texte. Vous reconnaissez, tout en disant que la loi en elle-même semble être adéquate, qu'on doive la garder et même, sous certains aspects, la renforcer, qu'il faudrait peut-être voir à éliminer ces lieux d'abus. Je voudrais que vous précisiez un peu, que vous donniez quelques exemples de ce que vous entendez par ces abus et peut-être les lieux où se trouvent ces abus.

Pour terminer, comme vous faites partie de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, on a entendu son honneur le maire revendiquer un statut particulier pour la ville de Montréal, particularité qui consisterait à exempter la ville de Montréal de l'application de la Charte de la langue française. J'aimerais connaître votre point de vue quant à cette revendication du maire de la ville de Montréal.

La Présidente (Mme Lachapelle): M.

Rhéaume.

M. Rhéaume: Mme la Présidente, quand nous déplorons l'utilisation politique de la question linguistique, c'est un des points essentiels qu'on aimerait apporter à la commission parlementaire et à l'ensemble des membres de l'Assemblée nationale. Je peux même vous illustrer jusqu'à quel point, si on était capable, tous, de situer la question de la langue où elle doit être située, c'est-à-dire en dehors des rangs partisans, nous serions plus à même de voir la réalité comme elle est et de nous rendre compte, comme on le faisait remarquer tout à l'heure, que des changements d'attitude et de mentalité se sont produits et nous devons le souligner et l'apprécier.

Cependant, il reste encore beaucoup de chemin à faire. On a l'impression - ce n'est pas seulement une impression, on a même

parlé de perception une certaine journée ici en commission parlementaire - ou la perception que la question de la langue est tellement au coeur de l'enjeu politique que cela nous en fait oublier la langue elle-même. On encourage même des gens à la désobéissance civile. Cela doit nous inquiéter. Dieu sait si la tradition anglo-saxonne est respectueuse des lois et comme c'est important, mais la désobéissance civile... Toutes les lois doivent être respectées, tout le monde est soumis à la loi. Comme je suis en commission parlementaire je me permettrais de dire même la GRC, tout le monde est soumis aux lois. C'est le rôle des membres de l'Assemblée nationale de dire que tout le monde est soumis aux lois, quelles que soient ces lois, il me semble, en tout cas.

Cependant, on voit dans des comportements, dans des encouragements, une remise en question continuelle. Quant à la question de la langue, on a l'impression - que, dépendant de l'attitude que l'on a face à la loi 101, on peut dire immédiatement dans quel parti politique nous sommes. Cela est grave, vous savez. Je suis certain qu'il y a des membres de l'Assemblée nationale, de toutes les couleurs, comme on dit, qui sont d'accord pour dire que ce n'est pas correct. Il y a des gens que je respecte parce qu'ils ont des idées différentes des miennes quant à l'avenir du Québec, mais qui sont capables de dire que certaines questions doivent se situer en dehors de la partisanerie politique. J'apprécie ces gens-là hautement. Ils n'ont pas toujours un travail facile, mais c'est très important et essentiel.

Je vous dirai que je suis tellement en faveur d'une dépolitisation de la question linguistique et je veux tellement qu'on la "départisanise" que nous allons demander aux chefs des partis politiques en présence à l'Assemblée nationale que lorsque viendra le temps de disposer des amendements à la Charte de la langue française, un vote libre soit pris et que l'ensemble des membres de l'Assemblée nationale se prononce en âme et conscience, en toute liberté, sans restriction aucune, afin de donner un exemple et de faire en sorte de démontrer que c'est un point essentiel pour l'avenir. Je suis très heureux de voir des approbations, parce que c'est très important. Il faut la "départisaniser", il faut la dépolitiser. La récupération politique, j'essaie moi-même...

Vous savez, la politique est un terrain glissant. Quelqu'un que j'estime hautement et à qui on remettait une médaille récemment nous faisait remarquer que la politique est un terrain glissant sur lequel il faut s'avancer avec beaucoup de prudence lorsqu'on n'est pas dans cette arène. Cependant, quand, venant d'outre-Outaouais, on entend dire que la loi 101, c'est une bonne loi, si elle est si bonne qu'on l'applique dans les institutions fédérales. On n'a pas parlé des aspects où la loi n'est pas applicable, de tout ce qui relève de la charte fédérale, de tout ce qui relève des ministères du gouvernement fédéral. On a même parlé récemment - j'ai reçu copie d'une demande - de Petro-Canada qui n'est pas obligée, on l'inciterait même à afficher dans les deux langues. L'utilisation politique de la question linguistique est, à mon avis, la cause principale des difficultés qu'on connaît actuellement et il faut en sortir le plus rapidement possible.

En ce qui concerne la langue de travail, des études l'ont démontré... Ecoutez! Faites des consultations et des sondages; venez à Montréal et allez dans les restaurants, déjeuner, dîner ou souper; faites-vous servir par des serveurs ou des serveuses de langue française et écoutez dans quelle langue ils travaillent. Je peux vous y amener gratuitement, à nos frais, en vous laissant vous-mêmes choisir le restaurant. Dans certains magasins, on a encore de la difficulté à obtenir des reçus en français. Je défie qui que ce soit ici de me trouver des reçus de loyer en français. Je ne voudrais pas entrer dans ces détails plus qu'il ne le faut. Cela me rappelle des objections qu'on a entendues. On disait: Des timbres bilingues, c'est trop petit; les timbres sont trop petits. L'argent, cela va baisser de valeur. On en a entendu de toutes sortes. Ce que je veux dire, c'est au niveau de la langue de travail. Qu'on aille là où les hommes et les femmes du Québec travaillent et on découvrira comment il est difficile, dans certains milieux, de travailler en français pour les travailleurs et les travailleuses de langue française.

Ce qui m'amène à faire le lien avec la ville de Montréal, à savoir si nous sommes d'accord avec la proposition que le premier magistrat de la ville est venu faire ici tout récemment. La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal s'inscrit en faux contre cette demande que la ville de Montréal soit exempte de l'application de la loi 101 et qu'on lui accorde un statut particulier.

Notre devise, c'est "Je me souviens". Souvent, on ne se rappelle rien. À la commission Gendron, en 1969, une même demande a été faite par le Board of Trade. Quatorze ans après, c'est le premier magistrat de la ville de Montréal qui fait cette demande qui, d'abord, a été faite par le Board of Trade à la commission Gendron. Donc, je n'ai pas besoin de vous dire que nous sommes en désaccord. La législation linguistique, si elle s'incarne, si elle se concrétise, c'est bien dans la région de Montréal. Il n'y a pas beaucoup de gens qui vont nier cela. On le voit, d'ailleurs, par le groupe de députés qui sont ici, majoritairement... Sauf le respect que je dois à tout le monde, je pense qu'ils sont de la

région de Montréal en majorité. C'est là qu'est le coeur de la question. C'est là où, tous les jours, de génération en génération, les nôtres ont exigé, ont revendiqué et se sont battus pour se faire servir dans notre langue. On nous disait, il y a quinze ans: I am sorry; I do not speak French. Maintenant, on nous dit souvent: Wait a minute, pleasei II y a encore des changements qu'il faut faire. Il y en a qui ont été faits, mais il faut continuer. On n'arrête pas quelque chose quand ce n'est pas terminé. La francisation du Québec n'est pas terminée. Il y a un élan qui a été donné; il faut que cela se continue. Donc, nous ne pouvons pas être d'accord avec le maire de la ville de Montréal qui demande un statut particulier. Nous nous inscrivons en faux et nous verrons de quelle façon nous allons, à moyen terme, faire savoir à M. Drapeau notre total désaccord. Nous sommes à Montréal depuis fort longtemps; la ville de Montréal n'existait pas. Le premier président a été le premier maire de la ville, M. Jacques Viger. On peut parler de l'évolution de la ville de Montréal depuis 150 ans. (15 h 45)

S'il y a un endroit où la question linguistique est cristallisée - si on me permet le terme - très importante et très évidente, s'il y a un endroit où on a besoin de la loi 101, c'est bien à Montréal. Je ne sais pas si j'apprends cela à quelques-uns ici, mais c'est la place. C'est cela, c'est là qu'on a de la difficulté. Cela arrive ailleurs aussi, mais, Montréal, c'est le coeur des difficultés de la refrancisation du Québec. Cela existe dans beaucoup de domaines. Je ne toucherai pas celui de la toponymie, je ne veux pas y toucher, mais j'aimerais qu'on y touche un jour. C'est très important aussi; c'est une autre question.

La Présidente (Mme Lachapelle): Merci, M. Rhéaume.

M. Brouillet: La question des lieux d'abus. Vous n'avez pas abordé ce point, et je crois important de connaître votre point de vue sur l'élimination d'abus, et vous parlez de lieux d'abus.

M. Rhéaume: Oui.

M. Brouillet: Brièvement, pourriez-vous nous donner quelques exemples pour nous orienter un peu.

M. Rhéaume: Je n'en connais pas d'abus comme tels, je ne peux pas vous en parler, mais ce que nous disons, c'est que, s'il y a des lieux d'abus administratifs, s'il y a vraiment des choses qui sont des non-sens, il faut les examiner. Je pense qu'il y a sûrement des aménagements qu'on peut faire au règlement sans toucher à la loi. Nous en sommes profondément convaincus, mais s'il y a des abus, nous nous prononcerons sur ces abus. À ce stade-ci, je n'ai pas d'abus à vous faire part. On n'est tout de même pas ridicules, s'il y a des abus, je pense qu'il faut les corriger. Nous pensons que les règlements sont là pour corriger certaines situations.

La Présidente (Mme Lachapelle): Merci. M. le député de Gatineau, s'il vous plaît!

M. Gratton: M. Rhéaume, Mme la députée de L'Acadie a fait allusion à la façon que la Société Saint-Jean-Baptiste, dont j'ai moi-même déjà été membre, soit dit en passant, défend les intérêts de la francophonie et l'a comparée avec la façon qu'elle l'a fait dans le passé, et plus spécifiquement en ce qui concerne la situation au Manitoba. Si on se reporte aux déclarations des officiers de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal en commission parlementaire ici même, en juin 1977, on se rend compte que leur attitude était loin d'être aussi généreuse que celle que je vous félicite d'avoir adoptée la semaine dernière en collaborant à la campagne de solidarité et de financement de la Société franco-manitobaine, de même qu'à la Fédération des francophones hors Québec. Mais, pour vous situer, en 1977, au cours des auditions entourant l'adoption de la Charte de la langue française, Mme Lise Cloutier-Trochu, qui était, à ce moment-là, vice-présidente de la société, en réponse à une question de M. Biron, qui était alors chef de l'Union Nationale - vous voyez comme cela évolue! -disait ceci: Je cite la page CLF-304 du journal des Débats. "Justement, le mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste défend le fait français au Québec, comme autrefois elle a défendu le fait français de par le Canada. On s'est aperçu justement que le Canada, c'était trop grand, que c'était une peau de chagrin qui a rapetissé et qui nous a fait bien du mal, bien du chagrin. On s'en tient maintenant au Québec et on veut être chez soi au Québec, pouvoir parler français le mieux possible." Un peu plus loin, elle enchaînait: "Je peux vous dire que les Québécois, les Canadiens français, vous me permettrez de les appeler comme cela, qui sont ailleurs qu'au Québec, ils sont ailleurs qu'au Québec et ils sont perdus dans un sens. Depuis les États généraux, on a bien constaté qu'il y avait déjà, à ce moment-là, dans la jeune génération, une perte d'identité. S'ils avaient encore une certaine langue française au sein de leur famille, déjà ils allaient vers l'anglais et ils étaient assimilés. C'est toujours le danger de la minorité, d'une minorité dans un grand ensemble comme le Canada."

J'aimerais vous permettre, par le biais de ma question, de concilier cette attitude

de la Société Saint-Jean-Baptiste en 1977 avec celle que vous avez adoptée cette année.

M. Rhéaume: Vous apportez de l'eau à mon moulin, je vous remercie.

M. Gratton: Oui, et je le fais consciemment.

M. Rhéaume: Je vous remercie infiniment. Pour continuer le scénario politique, je ne veux pas faire de personnalité, Mme Lise Cloutier-Trochu, c'est la soeur du Dr François Cloutier.

M. Gratton: Je le sais aussi, elle s'était attachée à une chaise, à un moment donné, au cours des débats concernant la loi 22.

M. Rhéaume: Oui, elle a fait un travail extraordinaire, et je tiens à l'en féliciter. Je voulais arriver à vous dire, si on veut en faire le tour, que la Société Saint-Jean-Baptiste, dès 1890, quand la fameuse loi a été adoptée au Manitoba... Vous savez qu'à ce moment-là le Manitoba était une province française. Je pense que tout le monde sait cela. À un moment donné, on a facilité l'immigration pour que les Anglais deviennent majoritaires. Cela coûtait moins cher de partir de Londres pour aller à Winnipeg que de partir de Montréal pour aller à Winnipeg. Qu'on me démentisse, j'en donne l'occasion à tout le monde. Qu'on me démentisse là-dessus. Il y a des livres. M. Séraphin Marion, 89 ans, un des chefs de file de la lutte franco-ontarienne, a passé sa vie à étudier ces points. Dès 1890, quand la loi inique a été adoptée, la Société Saint-Jean-Baptiste, immédiatement, a envoyé - je ne parlerai pas du montant, ce n'est pas cela qui est important - a signifié sa solidarité avec les Franco-Manitobains. Avec ce qu'a dit Mme Cloutier-Trochu en 1977, c'est facile pour moi de dire que je n'y étais pas. Au contraire, ce que Mme Cloutier-Trochu a dit, ce ne sont pas les faits. Le taux d'assimilation des francophones hors Québec, je pense que vous le connaissez, on peut le prendre province par province, cela ne nous empêche pas... La Fédération des francophones hors Québec s'est même adressée à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal pour demander son témoignage de solidarité et son aide dans une campagne d'appui. Vous savez, je pense que les francophones hors Québec ne se sentent pas gênés de nous demander notre aide; ils ne pensent pas qu'on se foute d'eux. Ils sont venus à nous. On n'a pas couru après.

Ils connaissent nos opinions, nous nous rencontrons depuis des années dans des réunions, sauf que je ne vois aucune incompatibilité avec ce que Mme Cloutier-Trochu a dit. Les francophones hors Québec connaissent des difficultés sérieuses. Ils l'admettent eux-mêmes. C'est le coeur de leurs revendications. Ce que je dis et ce que je répète, c'est que nous devons appuyer cette cause. Ce sont les nôtres. Ils connaissent de graves difficultés et nous devons continuer à les aider. Ce que j'ai envie de dire, c'est ceci: on a tous de la famille; si quelqu'un est très malade à l'hôpital, dans une phase terminale, branché à une machine, ce n'est pas à nous de tirer sur le fil. Laissons faire les autres. Ils sont habitués à le faire. Ils l'ont toujours fait.

M. Gratton: Donc, contrairement à Mme Cloutier-Trochu en 1977 et à certains autres plus récemment, vous ne considérez pas la cause des Franco-Manitobains comme perdue.

M. Rhéaume: Pour moi, vous savez, tant qu'il y a des hommes et des femmes qui militent pour une cause, elle n'est jamais perdue. Il y a des gens qui croient que la cause de l'indépendance est perdue au Québec. Elle est loin de l'être.

M. Gratton: La minute de silence que vous nous avez demandé d'observer ce matin n'avait rien à voir avec la mort ou la fin de cette lutte que les Franco-Manitobains entendent continuer de livrer, si j'ai bien compris.

M. Rhéaume: Quand je parle de récupération politique, c'est de cela que je parle. C'est exactement de ce qui vient de se passer que je parle.

M. Gratton: Je veux savoir le fond de votre pensée.

M. Rhéaume: Le fond de ma pensée, monsieur, c'est que nos frères et nos soeurs du Manitoba se sont fait dire encore hier ce qu'on pense d'eux. Ils se sont fait dire encore une fois ce qui arrive. Je sais qu'on vous porte à me poser des questions pour que je me monte. Je suis capable de rester calme, vous savez. Ce que je dis, c'est que les Franco-Manitobains connaissent des difficultés graves, que nous devons les appuyer, que nous devons nous intéresser à ce qu'ils connaissent. Quant aux perspectives d'avenir quelles qu'elles soient, nous ne devons pas rester indifférents à ce qui se passe là-bas. Pour moi, une cause n'est pas perdue, je le répète, tant qu'il y a des hommes et des femmes qui militent en sa faveur.

M. Gratton: M. Rhéaume, on veut bien ne pas faire de politique, mais est-ce que je me trompe si je pense que, pour vous, à titre personnel, la seule façon d'assurer le fait français, d'assurer la possibilité d'un

État français, c'est par la voie de l'indépendance du Québec? Je ne vous le reproche pas en vous posant la question, je vous demande de me dire si c'est cela.

M. Rhéaume: Écoutez, pour moi, pour la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, pour nous, la refrancisation du Québec, on le voit par ce qu'a dit la Cour suprême, on le voit par le Canada Bill, on le voit par les attaques externes, la refrancisation du Québec ne se fera que par le bris du lien confédéral. C'est notre conviction. Nous n'en avons pas honte.

M. Gratton: Je ne vous le reproche même pas. Au contraire, je vous félicite et je vous respecte encore bien plus de le dire franchement que ceux qui voudraient nous faire croire qu'ils sont autre chose. À ce moment-ci, je ne nomme personne. Je vous pose la question: Me croyez-vous sincère, moi, à titre de Québécois francophone, comme vous, votre compatriote, si je vous dis que ma conception des choses, mon option est aussi sincère que la vôtre? Je pose la question à M. Rhéaume.

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre!

M. Rhéaume: Vous savez, je n'aime pas qu'on me prête des intentions et qu'on juge de ma sincérité. Je respecte l'intégrité de chacun des membres de l'Assemblée nationale, même si je ne suis pas tout à fait d'accord. Cela arrive souvent, je ne le cacherai pas, on ne se voit pas souvent dans des soirées sociales. Il ne faut pas se le cacher, mais je pense qu'on est quand même capable de se dire des choses. Je respecte l'opinion des gens et j'espère de tout mon coeur que vous êtes aussi sincère que je le suis. Si vous ne l'étiez pas, ce serait grave.

M. Gratton: M. Rhéaume, moi, je vous crois sincère. Là où cela me chicote un peu, c'est que vous parliez ce matin - je l'ai pris en note - d'une campagne de culpabilisation savamment orchestrée pour faire peur aux Québécois, pour leur démontrer qu'on est allé trop loin. Vous nous prêtez des intentions à nous qui ne pensons pas comme vous. Vous dites...

Une voix: On n'a jamais pensé que vous étiez...

M. Gratton: Je vous pose la question: Est-ce que vous ne nous prêtez pas l'intention de...

M. de Bellefeuille: Ah, c'est lui?

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Gratton: ...d'être... Si cela dérange les ministériels, M. le Président...

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre. M. le député de Gatineau, continuez votre intervention.

M. Gratton: Est-ce que vous ne nous prêtez pas des intentions de faire partie d'une espèce de campagne orchestrée, comme vous le dites, pour tenter de faire peur aux Québécois, pour tenter d'amenuiser les efforts du gouvernement du Québec pour la francisation? Ou est-ce qu'on ne pourrait pas, nous, tout simplement avoir une perception différente, une conception différente de la façon de mieux servir les intérêts des Québécois et être tout aussi sincères que ceux qui sont de ce côté-là qui ne partagent pas notre point de vue?

M. Rhéaume: Vous savez, premièrement, je dois vous avouer que je ne pensais pas au Parti libéral comme tel quand je disais "savamment orchestrée". Dans un orchestre, il y a plusieurs instruments et je ne pensais pas... Je constatais. Je ne sais pas quel est l'auteur de cette symphonie. Ce que je sais, c'est qu'il y a des musiciens et qu'on en trouve un peu partout: il y en a qui jouent les cordes, d'autres les vents - beaucoup de vent - d'autres les percussions. On pourrait parodier longtemps, mais c'est trop sérieux pour faire des blagues.

M. Gratton: Je le pense aussi.

M. Rhéaume: Ce que je veux dire, c'est que je ne peux que constater, M. le député, que l'interprétation que nous avons d'assister à une orchestration nous semble légitime. Je ne dis pas que c'est vous, je dis tout simplement que - je répète, parce que j'ai l'impression que ce n'était peut-être pas suffisamment clair - quand on traite des fonctionnaires du gouvernement qui ont la charge de faire respecter et d'appliquer la Charte de la langue française, quand on les compare, dis-je, au Ku Klux Klan...

M. Gratton: On n'a jamais fait cela, M. Rhéaume.

M. Rhéaume: Je ne parle pas de vous...

M. Gratton: Je vous pose la question à mon sujet. Je ne vous pose pas la question au sujet de je ne sais qui, de Jos Bleau. Je vous parle de moi. Je vous demande de me donner vos réactions à mon sujet.

M. Rhéaume: Vous me parlez de "campagne savamment orchestrée". Je vous réponds sur la "campagne savamment orchestrée". Je parle du Ku Klux Klan; je parle des articles du Jerusalem Post; je parle

des comparaisons avec le Dr Goebbels; je parle d'attaques continuelles. À une émission de télévision où nous étions, on nous a dit que nous, les francophones, on pensait des Anglais que c'étaient des barbares. Je pense aux articles de M. Johnson dans le Globe and Mail. S'il est ici, je le salue. Je le salue parce que je respecte tout le monde, mais... Vous savez, ce qu'on a entendu sur les médias francophones, ce qu'on a entendu sur les intentions qu'on nous prête, cela n'a pas de bon sens. On donne une image à travers le monde que les Québécois sont un des peuples les plus terribles qui soient face à leur minorité.

J'aimerais cela vous entendre. Que l'autre musique commence, la musique qui va dire qu'ici, c'est un des États au monde où la minorité est le mieux traitée parce qu'elle a un système scolaire de la pré-maternelle à l'université, parce qu'elle a des institutions dans le service social, parce qu'elle a des postes de radio et de télévision, parce qu'elle a des magazines même plus répandus que les nôtres, parce qu'il y a plus de films en anglais qu'en français projetés au Québec. Qu'on le dise, cela. Qu'on se mette à côté de nous et qu'on nous le dise qu'on revendique et qu'on affirme cela. Ce qu'on entend, ce n'est pas cette mélodie; ce que l'on entend, c'est une symphonie inachevée, parce que cela ne finit jamais.

M. Gratton: M. le Président, c'est sûr que... J'ai l'impression que je ne pourrais jamais faire partie d'un orchestre qui jouerait une "toune" qui serait de votre goût, M. Rhéaume. J'ai l'impression qu'on n'est pas du tout sur la même longueur d'onde. Quand vous dites respecter Bill Johnson, par exemple, que vous le dites avec la moue que vous avez faite et que cela suscite les rires de l'autre côté, moi, cela m'inquiète tout autant que cela vous inquiète qu'on fasse de la politique autour de la question de la langue. J'aimerais bien que, de part et d'autre, le respect soit égal. Je regrette, M. Rhéaume, je vous crois sincère, mais quand je vous pose une question directe et que vous me faites le tour de passe-passe de laisser l'impression que moi, en tant que député, que mes collègues, nous faisons partie de ceux qui ont traité le Dr Laurin de Dr Goebbels, ou qui ont... Je ne les reprendrai pas; cela fait trois fois que vous en parlez et c'est suffisamment clair, ce que vous pensez. Je m'inscris en faux contre cela.

M. Rhéaume: Ils l'ont répété plus de trois fois, ceux qui l'ont fait. (16 heures)

M. Gratton: Je m'inscris en faux contre cela, M. Rhéaume. Nous ne sommes pas de cette race de gens. Malheureusement, votre façon de vous exprimer nous donne l'impression - pas seulement de ce côté-ci -je suis sûr pour un bon nombre de Québécois que la tolérance que vous réclamez ailleurs, vous-même ne l'exercez pas. Ce n'est pas moi qui le dis ce sont des gens comme Gilles Lesage, par exemple, dans le journal Le Soleil, le jeudi 4 février. J'en cite une partie seulement.

Une voix: Quelle année?

M. Gratton: Le 4 février 1982. Celui-ci rappelait les accusations de traîtres que la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal avait lancées à l'endroit des députés fédéraux qui avaient appuyé - j'imagine que cela devait s'appliquer à moi parce que j'ai voté aussi contre la motion - Je vous vois acquiescer, donc, je suis un de ceux-là.

M. Rhéaume: Je n'ai pas le droit de dire ce mot-là. Ce pays de liberté qu'est le Canada m'interdit d'employer ce mot depuis un jugement de la Cour d'appel. Je n'acquiesce pas, je ne réponds pas; je pense.

M. Gratton: En tout cas! Alors vous le pensez. Je vous remercie, au moins cela est clair. Je saurai où me situer quand je discuterai avec vous la prochaine fois. Je vous cite M. Gilles Lesage. Je ne pense pas qu'il soit de ce groupe. Vous ne faites pas signe de la tête, donc, non.

M. Rhéaume: Vous interprétez tout ce que je fais, je vais faire attention.

M. Gratton: II écrit: "II faut déplorer que le jeu politique permette de tels excès et ne puisse imposer le bon sens et la décence. Il y a moyen, entre gens civilisés, de discuter et de ferrailler sans lancer des cris de guerre.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, une directive.

M. Godin: Je m'excuse, M. le Président. Est-ce que nous sommes ici pour étudier les règlements de compte entre le député de Gatineau et la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal ou la loi 101?

M. Gratton: M. le Président, sur la question de règlement.

Le Président (M. Desbiens): Sur la question de règlement, M. le député de Gatineau.

M. Gratton: J'ai le courage de dire à M. Rhéaume alors qu'il est devant la commission ce que je pense plutôt que d'attendre que M. Rhéaume soit parti et d'aller le dire aux journalistes comme certains députés ont fait hier vis-à-vis d'Alliance Québec.

Est-ce que je peux continuer, M. le Président?

Le Président (M. Desbiens): II faut que...

M. Rhéaume: Est-ce que les intervenants soulèvent des questions de privilège en commission parlementaire? Je ne le sais pas, je ne suis pas député.

Le Président (M. Desbiens): Ce n'est pas une question de privilège. Il n'y a aucune question de privilège de toute façon en commission parlementaire. Là il s'agit de déterminer si l'intervention de M. le député de Gatineau correspond à l'objet de la commission qui est d'entendre - je répète l'objet de la commission - tous les intervenants intéressés par la Charte de la langue française.

M. Gratton: M. le Président, sur la question de règlement.

Le Président (M. Desbiens): Sur la question de règlement, oui.

M. Gratton: M. le Président, les précédents existent. D'ailleurs on les a utilisés ici. Un député est libre de se prévaloir des dispositions du règlement qui lui accordent 20 minutes pour faire un commentaire. Je n'en demande pas tant. Je demande 20 secondes pour finir la citation du texte que je suis en train de lire.

Le Président (M. Desbiens): Oui. Mais avant que vous ne complétiez pour faire des commentaires qui sont pertinents avec l'objet de l'étude en cours...

M. Gratton: Oui, M. le Président. Il s'agit de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, au sujet de laquelle écrivait M. Gilles Lesage.

Le Président (M. Desbiens): De quelle façon la reliez-vous avec la commission? C'est ce que j'aimerais savoir.

M. Gratton: M. le Président, on parle, depuis l'arrivée de M. Rhéaume, de la façon dont la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, promeut, protège le fait français. On pose des questions et on s'interroge sur la meilleure façon. Je ne voudrais pas que le but et l'objectif que nous avons en commun avec la Société Saint-Jean-Baptiste de protéger et de promouvoir le fait français nous amène à avoir le résultat contraire. Je tente de mettre en garde M. Rhéaume que la façon de procéder de la société est peut-être précisément en train de faire cela.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau, je vais vous laisser aller, mais vous serez très bref.

M. Godin: M. le Président...

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Godin: Une autre question. Le député de Gatineau a laissé entendre que j'avais dit à l'extérieur de la commission des choses que je n'aurais pas dites à Alliance Québec à son égard. Je voudrais tout simplement rappeler que j'ai dit aux gens d'Alliance Québec, ici même, que je trouvais leur comportement fort discourtois, que c'était une forme de mépris du parlementarisme que de lire des documents ici qui ne sont pas conformes à ceux qui nous ont été remis et que deuxièmement...

M. Gratton: Une question de règlement...

M. Godin: ...nous aurions aimé les avoir avant qu'ils les lisent et non pas après...

M. Gratton: Une question de règlement. Le Président (M. Desbiens): À l'ordre!

M. Godin: ...ce que tous les groupes ont fait...

M. Gratton: Une question de règlement. Le Président (M. Desbiens): À l'ordre! M. Godin: ...à venir jusqu'à maintenant. M. Gratton: Une question de règlement.

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre! Ce n'est pas une question de règlement...

M. Gratton: En effet.

Le Président (M. Desbiens): C'est une question de privilège.

M. Gratton: II n'y en a pas en commission.

Le Président (M. Desbiens): II n'y en a pas en commission.

M. Gratton: On s'entend sur cela. Je ne reprendrai pas, je ne veux pas faire perdre le temps de nos invités...

Le Président (M. Desbiens): Si vous voulez continuer, M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Merci. Je reprends du début pour que cela soit compréhensible. "Il faut déplorer que le jeu politique permette

de tels excès et ne puisse imposer le bon sens et la décence. Il y a moyen, entre gens civilisés, de discuter et de ferrailler sans lancer le cri de guerre et brandir l'étendard de la race. Pis encore, le président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal récidive: "Le mouvement indépendantiste québécois a été tolérant trop longtemps. Il est temps que, dorénavant, nous appelions les choses par leur nom et dénoncions nos agresseurs. Pitoyable et déplorable, d'enchaîner Gilles Lesage, heureusement que cet état d'esprit borné et sectaire n'est pas le lot de la majorité, même pas au sein de la Société Saint-Jean-Baptiste. Le criage de noms et l'insulte sont l'arme des faibles." Merci, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): Est-ce qu'il y a quelque chose? M. Rhéaume.

M. Rhéaume: M. le Président, ce n'est pas la première fois que, face au nationalisme, on remarque cette attitude. Je sais qu'il n'y a pas de question de privilège admise en commission parlementaire, même si je ne connais pas suffisamment les règlements qui vous régissent. Cependant, je déplore qu'une telle attitude ait lieu. Nous sommes arrivés ici de bonne foi. On est en train de faire le procès de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Ce n'est pas la première fois que l'on tente de détruire un message en essayant de réduire ou d'attaquer le messager. Cela ne devrait pas nous attaquer. Il ne faudrait pas se sentir de cette sorte. Vous savez... Est-ce qu'on a parlé d'intolérance quand M. De Bané, ministre du gouvernement fédéral, qui n'est pas ici à la table, a lui-même employé le mot "traître" à la Chambre des Communes quelques jours avant que nous ne l'employons? Est-ce qu'on a parlé d'intolérance quand M. André Laurendeau, de regrettée mémoire, a lui-même dans l'Action nationale... Vous m'ouvrez la porte. Je peux faire le procès qui a eu lieu devant les juges.

Sir Wilfrid Laurier - on ne peut pas l'accuser, vous devez le respecter, c'est un grand Canadien à vos yeux - à la grande assemblée du Champs-de-Mars, lors de la pendaison de Louis Riel alors que le grand tolérant John A. Macdonald avait dit: Quand bien même tous les chiens du Québec japperaient tous ensemble, on va le pendre pareil - Sir Wilfrid Laurier avait dit que Riel, notre frère, était mort à cause de la trahison de quelques-uns des nôtres. Est-ce qu'il a été intolérant?

Mais revenons à l'essentiel. Si la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal est ici aujourd'hui, ce n'est pas pour justifier ses actes. Souvent dans son histoire, elle a connu des attaques comme celle que l'on vient d'entendre. Quand je parle de racisme anticanadien français, à mon avis, cela en a été une manifestation. Ce que je veux dire, c'est que, pour nous, malgré la forme qui vous déplaît, malgré les opinions politiques qui ne sont pas les mêmes, malgré cela, nous demeurons profondément convaincus que la Charte de la langue française, que l'avenir du fait français est un point fondamental, que notre société y a été attachée depuis 150 ans, ce qui est le cas de peu d'institutions et de peu d'organismes et que nous allons continuer de le faire. Nous croyons que le travail entrepris par la loi 101, et non pas par le projet de loi 22, comme on l'a entendu souvent, doit se continuer et qu'on a besoin de la loi 101 de plus en plus. Si vous n'aimez pas ma façon de répondre, si vous n'aimez pas ma façon d'agir... Quand on dit, comme vous l'avez lu, qu'au sein de la Société Saint-Jean-Baptiste, cela n'est pas partagé, j'ai été réélu pour un troisième mandat sans opposition, j'ai été élu à deux reprises président de la Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste qui s'appelle le MNQ qui regroupe 200 000 membres dans quatorze régions du Québec et j'ai été élu président des communautés ethniques de langue française en répétant les mêmes paroles que celles que je n'ai plus le droit d'employer...

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Groulx.

M. Gratton: M. le Président...

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: C'est simplement pour dire...

Le Président (M. Desbiens): ...il y a 23 minutes d'écoulées.

M. Gratton: ...à M. Rhéaume que je continue toujours de respecter sa personne, son mouvement. Je m'interroge et je m'inquiète de la façon dont vous défendez les intérêts de la francophonie parce qu'il me semble que les excès qui ont eu cours dernièrement nous amènent à penser que vous atteindrez peut-être le but contraire. C'est pour cela que je prends la peine de vous le dire, avec tout le respect que je vous dois.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Groulx.

M. Fallu: M. le Président, la Société Saint-Jean-Baptiste a souligné devant nous, après beaucoup d'autres d'ailleurs, que la Charte de la langue française était victime, au Québec, de perception. Pour votre part, vous avez appelé cela des préjugés. Depuis plusieurs jours, le mot peut-être le plus

important qui circule ici autour de cette table, c'est le mot "perception" à propos de la charte. Je pense que les deux mots se rejoignent dans les faits.

Dans votre conclusion, vous élaborez rapidement cette perception en citant un certain nombre d'exemples aux pages 52 et 53 à propos des institutions créées par la Charte de la langue française et de leur intervention dans le milieu. Vous nous rappelez certaines attitudes, certaines déclarations, à gauche et à droite dans le monde. C'est d'ailleurs une de vos conclusions principales. Vous recommandez au gouvernement d'informer, par une campagne spéciale s'il le faut, les populations francophones, anglophones et allophones de leurs droits véritables en matière linguistique. On en a vu d'ailleurs un excellent exemple ces jours derniers au moment de l'annonce de Bell Helicopter à propos des six années d'exemption qui étaient méconnues de façon assez généralisée au Québec.

Ma question est la suivante: Cette recommandation vaudrait-elle aussi à l'extérieur du Québec? Au Québec, on sait que l'occasion nous est donnée actuellement de faire une campagne - hélas! il faudrait l'appeler de contre-publicité - par le truchement de la commission que nous tenons, mais à l'extérieur du Québec, de faire une telle campagne puisque c'est peut-être là que les effets sont les plus gravement sentis au moment où des décisions dépendant de l'extérieur ont des impacts sur la situation économique du Québec même?

M. Rhéaume: J'apprécie hautement que l'on nous demande des précisions sur cet aspect de nos conclusions. J'allais moi aussi dévier un peu de l'essentiel parce que je me suis senti un peu entraîné. Pour nous, il est bien important d'entreprendre une vaste campagne d'information à l'intérieur et à l'extérieur du Québec sur les objectifs de la loi 101, sur ses principes, sur les droits qu'ont les individus. On entend des choses. Vous savez, il y a un avocat de Toronto qui a plaidé devant une cour qu'un contrat, parce que c'était anglais au Québec, était non valide. On plaide cela en notre nom. Quand on lit un article en particulier du Jerusalem Post, du Globe and Mail, des journaux américains et des campagnes, vous avez raison, cela nuit. Cela n'amène pas des investissements au Québec quand des campagnes disent qu'au Québec cela va mal, que c'est impossible de parler anglais, qu'on n'a pas le droit de prononcer un mot en anglais et que la minorité est ostracisée, opprimée et écrasée. Cela n'aide pas beaucoup à faire venir des investissements ici.

Effectivement, les délégations du Québec à l'étranger, entre autres les maisons, les présences québécoises à l'étranger doivent sensibiliser les communautés où elles oeuvrent à la vérité. On ne demande pas autre chose que la vérité afin de rétablir un équilibre qui fait en sorte, d'une part, qu'à l'extérieur un sottisier - je répète un terme: c'est un sottisier - s'est constitué autour de la situation, face à la question linguistique au Québec. À l'intérieur, c'est la même chose. Je sais bien qu'ici, il ne me sera pas facile de convaincre des gens sur certains points, mais la population qui nous écoute et les gens, par l'aide des médias et leur collaboration sauront un peu les interrogations qu'une société comme la nôtre peut se poser. On peut nous reprocher bien des choses, mais notre attachement à la langue française, on ne pourra jamais nous le reprocher. Ceux qui nous le reprochent, cela tourne contre eux. Cela n'aide personne d'attaquer la Société Saint-Jean-Baptiste, parce que les gens, même s'ils ne sont pas tout à fait d'accord, savent que l'on est là depuis suffisamment longtemps et avec certaines racines un peu partout au Québec.

Tout cela pour dire qu'à l'intérieur, il faudrait informer l'ensemble de la population sur les droits que la Charte de la langue française accorde à l'ensemble de la population et également sur le rôle de ces grands organismes qui font un travail extraordinaire, essentiel et nécessaire, malgré tout ce que l'on peut en dire, et qu'il ne faudrait en rien réduire; en rien, car nous en avons besoin, grandement besoin.

Si on n'avait pas toutes les études qui ont été faites par le Conseil de la langue française et qui ont été rendues publiques, qu'aurions-nous d'autre devant nous ce matin pour discuter de la situation linguistique? Merci au gouvernement du Québec qui a créé ces organismes et félicitations à celui qui les gardera et qui amplifiera leurs moyens pour continuer. C'est la petite contribution que l'on peut faire pour contrebalancer ceux et celles qui ont des moyens beaucoup plus gros, cette contribution que se donne l'Etat du Québec par ses institutions qui sont, je le répète parce que nous y sommes profondément attachés, l'Office de la langue française, la Commission de surveillance de la langue française et le Conseil de la langue française. Pour nous, ces institutions sont essentielles à la démarche de refrancisation. Il faut absolument leur donner encore plus de moyens pour réaliser ce pourquoi elles ont été créées.

M. Fallu: Pourrait-on compter sur la Société Saint-Jean-Baptiste, qui s'est toujours présentée comme étant la gardienne des institutions, des traditions et de la langue, pour faire une part en collectionnant ce sottisier, en le faisant connaître, voire même en en faisant la démonstration, à l'occasion, pour autant qu'elle a des moyens

qui lui sont propres, pour que la charte, dans sa constitution réelle, soit bien connue. (16 h 15)

M. Rhéaume: Soyez assuré, M. le député, que dans la mesure de nos possibilités nous ferons notre part. Je tiens toutefois à spécifier immédiatement que nous n'avons pas, notre organisme, quelque 750 000 $ ou 700 000 $ de la part du gouvernement fédéral pour nous aider à faire du bien autour de la loi 101.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Laurier.

M. Sirros: Merci, M. le Président. J'éviterai de faire des commentaires pour ne pas entrer encore une fois dans le débat qu'on a eu tout à l'heure. J'aimerais simplement attirer l'attention de M. Rhéaume sur le texte de la page 36 de son mémoire. Vous parlez des immigrants et vous dites assez clairement que les immigrants, cela intéresse les francophones - vous, en tout cas - parce que cela représente pour le système scolaire des subventions supplémentaires et des jobs pour les enseignants, etc.

Je crois qu'à un moment donné vous vous êtes rendu compte que c'était un peu trop cru de le dire de cette façon, vous avez ajouté que cela représente aussi, évidemment, des richesses culturelles nouvelles. Plus tard, au chapitre de l'affichage, votre position est assez claire: vous défendrez à un Grec ou à un Italien d'afficher, en plus du texte français, le texte dans sa langue. Je vois là-dedans une certaine contradiction. Est-ce que je dois interpréter que cette richesse culturelle devrait être gardée cachée ou quoi?

M. Rhéaume: Je cherche la première partie.

M. Sirros: Page 36, en haut.

M. Rhéaume: Non, la première partie qui parle des jobs et de l'argent.

M. Sirros: Vous dites: "Nous ferons, en conséquence, toujours valoir cet intérêt que représentent pour notre système scolaire les subventions supplémentaires pour nos écoles, des emplois pour nos enseignants, etc." J'ai trouvé cela... Vous ajoutez, à la fin, l'aspect des richesses culturelles comme si vous vous étiez rendu compte que c'était un peu trop cru de dire que les immigrants ne représentaient que des subventions supplémentaires et des jobs pour les enseignants. J'ai essayé de concilier cela à votre position par rapport à l'affichage. Je me disais: Vous défendez à un Grec, à un Italien ou à n'importe qui d'afficher, en plus du texte français, un texte dans sa langue, l'expression visible de cette richesse culturelle. Je me suis posé la question: Est-ce que cela veut dire qu'on doit garder cette richesse cachée, invisible ou quoi?

M. Rhéaume: Premièrement, en ce qui concerne les intentions que vous nous prêtez, je n'y répondrai pas.

M. Sirros: Je ne vous ai pas prêté d'intention, j'ai posé une question, M. Rhéaume.

M. Rhéaume: Vous avez dit que, parce qu'on trouvait cela trop cru, on a atténué. C'est là, on a dit ce qu'on voulait. Ce qu'on a dit est là.

En ce qui concerne l'affichage, je vous demanderai quelques instants. Je regrette de vous faire attendre. En ce qui concerne l'affichage, il y a une liste assez imposante, aux pages 48 et 49 du mémoire, de toutes les exceptions et de toutes les possibilités d'exemption.

M. Sirros: Si je comprends bien...

M. Rhéaume: Est-ce que je peux... Excusez-moi.

M. Sirros: Juste pour vous remettre sur la "track", parce que je ne voudrais pas qu'on continue ce genre de discours qui tourne en rond. Si je comprends bien votre position, l'affichage unilingue français et ces exceptions, c'est votre position. Cela inclut les petits commerces à l'extérieur. Ils n'ont pas la permission, à moins qu'ils ne fassent partie de ces exceptions - ce qui n'est pas le cas pour la grande majorité des commerçants - d'afficher en d'autres langues que le français. J'ai essayé de voir le lien entre la richesse culturelle nouvelle par ces contacts, d'une part, et cette invisibilité que vous voulez garder, d'autre part. J'aimerais avoir une explication à cela.

M. Rhéaume: Vous parlez, à mon avis, de deux choses tout à fait différentes. Je peux bien y répondre. En ce qui concerne les activités typiquement culturelles, qui relèvent de la communauté ethnique, de la communauté culturelle à laquelle appartiennent les personnes oeuvrant dans un secteur donné, la charte permet cela sans aucun problème. En ce qui concerne le reste, nous maintenons que la langue du commerce, de l'affichage des affaires doit être l'unilinguisme français. Pour nous, il n'y a pas d'incompatibilité entre les exemptions prévues à la charte - qui couvrent le genre de questions auxquelles vous faites référence - et ce qui dit que l'affichage public doit être unilingue français. Je ne vois pas de contradiction là-dedans.

M. Sirros: Une dernière question, M. le Président. Pour vous, y a-t-il une différence entre l'intégration et l'assimilation?

M. Rhéaume: Pardon?

M. Sirros: Y a-t-il une différence entre intégration et assimilation, et laquelle choisiriez-vous pour les immigrants ici au Québec?

M. Rhéaume: On peut dire que l'assimilation, c'est ce qui s'est passé concernant le Canada anglais et le Canada français et l'intégration c'est ce que veut la Charte de la langue française. C'est cela, la différence, et c'est ce qu'on pense profondément.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Godin: Merci, messieurs, de nous avoir présenté votre mémoire, vos opinions et vos inquiétudes quant à l'avenir de la charte du français et des institutions qui assurent son implantation partout au Québec. Soyez assurés qu'il n'est pas question pour nous de freiner la francisation du Québec, mais, au contraire, de l'accélérer. Merci beaucoup.

M. Rhéaume: M. le Président...

M. Gratton: Est-ce qu'on me permettrait...

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: J'aimerais moi aussi m'associer au ministre pour vous remercier. Malgré les divergences de vues qu'on peut avoir, je suis très heureux qu'on ait eu cet échange et je vous en remercie.

M. Rhéaume: Je suis toujours prêt à discuter pour l'avancement de ce à quoi on tient.

Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions.

M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: M. le Président, je voudrais reprendre à mon compte une demande qui a été faite par M. Rhéaume de verser au journal des Débats, dans sa totalité, le mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste. Ce qui s'est passé, M. le Président, comme vous vous en souviendrez, c'est que la demande de M. Rhéaume a été rejetée. Vous avez invoqué une directive dont je n'avais pas connaissance, mais m'étant informé je reconnais l'existence de cette directive. Je voudrais cependant vous signaler que M. le député de Champlain, occupant votre fauteuil jeudi dernier, a rendu une décision dans un autre sens. Dans la transcription de nos délibérations du jeudi 20 octobre dernier, je lis que M. le député de Mont-Royal a demandé que le mémoire de la Chambre de commerce de la province de Québec soit versé intégralement au journal des Débats comme s'il avait été lu devant la commission. Le Président, M. Gagnon, a répondu: "Sûrement." Je continue de citer le journal des Débats: "M. Ciaccia: Je me demande si on pourrait faire cela dans le cas du mémoire de la Chambre de commerce de la province de Québec." "Le Président (M. Gagnon): "Unanime." Ensuite, le Président, M. Gagnon a donné la parole à M. le ministre et c'est la décision qui a été rendue.

Devant ce précédent, M. le Président, et vu que... Je ne mets pas du tout en doute l'éloquence avec laquelle M. Rhéaume a résumé brillamment en 20 minutes le mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste, mais je voudrais vous signaler que le texte de ce mémoire contient des développements des idées présentées par M. Rhéaume qui sont extrêmement intéressants et qui doivent absolument être conservés pour la postérité.

Je crois que le journal des Débats est le meilleur instrument pour ce faire. Je ne sache pas que le secrétariat des commissions soit une institution qui ait la même permanence et offre les mêmes garanties de durée, quant aux archives, que le journal des Débats. Comme, hier, nous avons vu un organisme verser au journal des Débats pendant trois heures une prose que nous n'avions même pas en main et que cela n'a pas fait de difficulté, je ne vois pas comment nous pourrions, en toute justice et en toute équité, maintenir ce refus de verser intégralement au journal des Débats le mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, vu le précédent qui a été créé jeudi dernier en faveur de la Chambre de commerce de la province de Québec à la demande de M. le député de Mont-Royal.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau sur la même question.

M. Gratton: Sur le fond, M. le Président, nous n'avons aucune objection à ce qu'il en soit ainsi dans le cas du mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste, sauf que je rappellerai au député de Deux-Montagnes et à vous, M. le Président, que, si je ne m'abuse, le même président, M. Gagnon, le lendemain, a dû faire état d'une décision qui ne relève pas de la commission et qu'il a indiqué aux membres de la commission que le mémoire de la Chambre de commerce de la province de Québec ne serait pas consigné au journal des Débats parce que c'est interdit.

Quant à nous, nous acceptons, si c'est

possible, mais je ne voudrais pas que M. Rhéaume parte avec l'impression que ce le sera automatiquement, parce qu'on n'est pas en mesure ici, à la commission, d'en décider.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Godin: Je pense que ce que la commission peut faire, M. le député de Deux-Montagnes, c'est de demander au président de l'Assemblée nationale si cela peut se faire dans ce cas présent et dans le cas du mémoire de la Chambre de commerce. Je sais qu'il s'agit là d'une directive du président. Ce n'est pas dans nos lois. C'est une directive pour l'instant. Donc, ce que nous pouvons nous engager à faire - je pense que j'aurai l'appui de ce côté-ci à ce sujet -c'est que ce mémoire-ci, comme celui de la Chambre de commerce, échappe à la directive du président.

Le Président (M. Desbiens): Oui, je vais conclure de cette façon, sous réserve de directives nouvelles de la part du président de l'Assemblée nationale. Pour l'instant, je répète ce que j'ai dit ce matin: le mémoire est aussi consigné à la Bibliothèque nationale. Les mémoires sont consignés à la Bibliothèque nationale qui est aussi un excellent lieu pour la conservation de ces documents.

M. Rhéaume: M. le Président, la raison pour laquelle j'ai demandé de l'inscrire, c'est qu'on nous avait dit qu'on devait, avant l'heure du dîner, procéder à la présentation du mémoire et, ensuite, répondre aux questions. J'ai tenté de résumer, et c'est pour cette raison que j'ai demandé qu'on le publie intégralement.

Je voudrais corriger une erreur de ma part, ce matin, parce qu'il y a d'autres personnes de la Société Saint-Jean-Baptiste qui sont ici et qui ne sont pas inscrites. J'aimerais, en terminant, rappeler que M. Guy Bouthillier, M. Pierre Légaré, M. Charles Durand, M. Dollard Mathieu, M. Gérard Turcotte et Mme Monique Tremblay étaient de la délégation de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, si on le permet.

Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions de votre participation.

J'appelle maintenant la société Bell Canada. M. Beauregard, veuillez présenter les personnes qui vous accompagnent et procéder à la présentation de votre mémoire, s'il vous plaît!

Bell Canada

M. Beauregard (Claude): M. le Président, MM. les ministres, mesdames et messieurs de la commission. C'est avec plaisir que je vous présente les personnes qui m'accompagnent. A ma droite, Me Francine Cardinal, du contentieux de la société, et également membre du comité de francisation de l'entreprise. À mon extrême gauche, M. René Deschamps, directeur des services linguistiques, et, immédiatement à ma gauche, M. Paul Gadoury, secrétaire du comité de francisation de Bell Canada.

Je vais vous livrer un résumé qui, je crois, est conforme quant à la substance du document trop long, en termes de temps réparti, qui a été déposé au Secrétariat des commissions. Je crois qu'à la lecture raisonnablement rapide du texte que j'ai devant moi, je devrais pouvoir m'en tenir aux 20 minutes qui nous sont, semble-t-il, allouées pour faire état de nos préoccupations.

Bell Canada reconnaît l'importance des questions sur lesquelles vous devez vous pencher et croit être en mesure de faire un apport valable à vos délibérations à leur sujet. Nous apprécions d'ailleurs vivement cette occasion de vous faire part de nos vues sur la loi 101 et sur les modifications qu'il est urgent, selon nous, d'y apporter.

Le 21 juin 1977, devant cette commission, nous avions fait des représentations. La commission était alors chargée de l'étude du projet de loi 1. À cette occasion, M. le ministre Camille Laurin avait dit: "Si toutes les entreprises s'étaient comportées comme Bell Canada, qui s'était d'elle-même largement francisée, une pareille loi ne serait pas nécessaire, mais, ajoutait-il, il y a beaucoup de résistances à vaincre." Plus de six ans après l'adoption de la loi 101, on aura disposé avec plus ou moins de bonheur de certaines de ces résistances, mais il est manifeste, à notre avis, qu'on en aura suscité d'autres que des modifications justifiées et judicieuses à la loi et à ses règlements contribueraient grandement à résorber. Les intentions fondamentales de la loi ne s'en trouveraient pas compromises pour autant tandis que d'autres aspirations de la population comme le développement économique et les relations constructives entre groupes ethniques seraient mieux servies. (16 h 30)

Notre intervention d'aujourd'hui se fonde principalement sur l'expérience acquise au cours d'un processus de francisation résolument engagé dès le début des années soixante. Chez Bell Canada, le régime de la loi 101 et le programme de francisation convenu avec l'Office de la langue française, en février 1980, auront surtout balisé et formalisé davantage ce processus; ce qui a comporté des avantages et des inconvénients.

Au nombre des avantages, il convient de signaler l'apport constructif des représentants syndicaux de Bell au comité de francisation ainsi que la confirmation, auprès de ceux qui auraient pu en douter, de l'à-

propos de la démarche de francisation dans laquelle Bell Canada s'était engagée depuis longtemps, puisque les pouvoirs publics y apportaient en quelque sorte une sanction sociale positive. Il en est résulté un intérêt accru parmi les rangs du personnel et une plus grande conscience des standards linguistiques à atteindre et à maintenir.

Parmi les inconvénients, le plus général et le plus ressenti tient au caractère rigide de cette loi et de ses règlements. En outre, la stricte interprétation qu'en ont donnée les organismes chargés de leur application a engendré des tracasseries et, occasionnellement, des situations ridicules qui défient le sens commun ou, plus gravement, briment les personnes.

La compagnie aurait préféré voir privilégier une approche incitative, qu'elle estimait toujours plus indiquée, mais elle a toutefois entrepris de respecter, dans la mesure du possible, les objectifs de la loi 101 et de ses règlements. C'est ce que nous avons signifié au président de l'OLF en juillet 1978, au moment où nous sollicitions et obtenions par la suite un certificat provisoire de francisation. Depuis ce temps, nous avons soumis à l'office onze rapports d'étape, dont quatre portaient sur l'entente particulière concernant le siège social. Chacun fut accepté sans histoire par l'OLF.

L'office porte beaucoup d'intérêt au dossier Bell Canada, et pour cause. Il s'agit d'une entreprise de service public dont la contribution à l'économie du Québec est considérable et qui vient au premier rang comme employeur, après l'État.

L'importance de notre exploitation est encore plus grande en chiffres absolus en Ontario d'où proviennent 66% de nos revenus d'exploitation, contre 34% en provenance du Québec. On concevra que les rapports interprovinciaux sont fréquents entre l'Ontario et le Québec comme le sont, compte tenu de la nature de nos activités, ceux que nous entretenons avec le reste du Canada, les États-Unis et le monde entier, la langue commune de ces échanges étant l'anglais.

Pourtant, selon nos plus récents relevés, plus de 95% du total de nos employés de 50 ans et moins affectés à la région du Québec sont francophones ou ont atteint le degré de compétence en langue française prévu dans le programme convenu avec l'OLF. Au siège social, la proportion est de 58%, soit une augmentation de 11% depuis quatre ans.

Dans la mesure où la Charte de la langue française n'impose pas l'usage exclusif du français, la politique suivie par Bell consiste à servir chaque abonné en français ou en anglais, au choix de ce dernier. De plus, le siège social est en mesure de transiger en français avec les employés de la région du Québec.

Quelques remarques générales sur la loi et ses règlements. Nous n'entendons pas offrir ici de commentaires élaborés sur l'impact de la loi 101 sur l'économie et le climat social, avec des effets difficilement quantifiables, mais néanmoins réels, tels les départs d'individus et d'entreprises, ainsi que la diminution des rentrées fiscales qui en résulte.

Nous indiquerons plutôt le sens des modifications à apporter à ces articles de la loi et de ses règlements qui contraignent Bell Canada dans ses rapports avec l'abonné, l'employé et le fournisseur, comme dans l'exportation de ses services et dans le développement de ses ressources humaines. Ces modifications, parmi d'autres qui pourraient aussi s'imposer à la lumière d'expériences autres que la nôtre, permettront sans doute à un grand nombre d'entreprises de poursuivre dans de meilleures conditions leur processus de francisation.

La langue des organismes parapublics. En matière d'accréditation professionnelle, l'article 35 de la loi pose l'exigence d'une connaissance appropriée du français pour être admis à la pratique de la profession.

On a toutefois voulu prévoir convenablement le cas d'un professionnel exerçant sa profession exclusivement pour le compte d'un seul employeur et dans une fonction ne l'amenant pas à traiter avec le public. On a pu penser que la délivrance d'un permis restrictif, prévue à l'article 40, disposerait de ce problème. Cette solution est effectivement raisonnable et satisfaisante à première vue. À l'usage, cependant, on s'est rendu compte chez Bell Canada et ses compagnies soeurs du secteur de la haute technologie que cette approche ne donne pas le résultat escompté en ce sens que les compétences qu'il s'agit de recruter ou de retenir ici sont rebutées par tout cet encadrement et associent ces dispositions aux agissements de l'Office de la langue française dont, à tort ou à raison, ils ont une bien piètre image. Le résultat net, c'est qu'on ne parvient pas vraiment à attirer et à retenir ici le nombre limité mais critique de compétences d'origine non québécoise dont nous avons besoin et continuerons d'avoir besoin, l'apport étranger étant, pour cause, une pratique répandue dans pratiquement tous les centres de recherche.

Nous avons proposé lors du sommet sur les communications de lever cette contrainte pour les ingénieurs et scientifiques des laboratoires et centres de recherche. S'il se révélait impossible de le faire sans porter atteinte aux intentions de l'article 35, on pourrait certes améliorer l'article 40 en le délestant des termes qui le rendent arbitraire pour plutôt institutionnaliser la délivrance du permis par les ordres professionnels, en posant que l'intérêt public le justifie dès lors que les conditions de la catégorie de permis prévue à l'article 40 prévalent. Pour ce

même motif, l'autorisation préalable de l'OLF ne devrait plus être requise par l'article 40.

La langue du travail. Tout observateur non prévenu qui circulerait dans les établissements de Bell au Québec et transigerait avec des employés de diverses catégories constaterait d'emblée que la langue de travail de la région du Québec est le français.

La nature de notre exploitation nécessite cependant de toute évidence, chez bon nombre d'employés, la connaissance de la langue anglaise. À ce jour, l'application de l'article 46 de la loi ne nous a toutefois pas posé de difficultés sérieuses, les solutions de sens commun s'étant imposées à la satisfaction de tous.

On sait que l'article stipule qu'il est interdit à un employeur d'exiger pour l'accès a un emploi ou un poste la connaissance d'une langue autre que la langue officielle, à moins que l'accomplissement de la tâche nécessite la connaissance de cette autre langue.

Nous demeurons perplexes devant les effets indirects de l'article 46, qui favorise chez les francophones une tendance à l'unilinguisme, que l'on constate en croissance, compromettant l'avancement d'employés dont le potentiel pourrait leur permettre l'accès éventuel à des postes de commande, comme plusieurs Québécois en ont atteint chez Bell. Parallèlement à ce phénomène troublant, environ 60% des employés inscrits aux cours de langue offerts par l'entreprise, le sont aux cours de français, ce qui laisse présager que le bilinguisme sera de plus en plus répandu chez les employés anglophones de la compagnie.

On peut concevoir que modifier l'article 46 risquerait de compromettre l'objectif poursuivi à l'article 4, qui est d'assurer aux travailleurs le droit d'exercer leurs activités en français.

C'est donc principalement dans les maisons d'enseignement que l'on devrait faire valoir que, vivant dans un contexte nord-américain, l'unilinguisme français peut restreindre indûment la mobilité et de légitimes aspirations professionnelles et personnelles, sans compter l'abandon d'une source d'enrichissement culturel.

La langue du commerce et des affaires. Il nous faut faire état ici de l'impact négatif chez Bell de plusieurs points de ce chapitre et des règlements qui s'y rattachent.

L'article 51 traite des documents accompagnant un produit, lesquels doivent être rédigés en français.

N'étant pas une entreprise manufacturière, Bell Canada n'offre à ses abonnés que des produits acquis chez des fournisseurs. Règle générale, ces produits sont offerts à la clientèle conformément aux exigences de l'article 51, même si fréquemment nous devons assumer des coûts importants de traduction et les délais qui s'y rattachent.

L'article 51 affecte beaucoup plus l'entreprise confrontée continuellement à une technologie en rapide évolution, développée en majeure partie à l'extérieur du Québec. La documentation volumineuse qui accompagne, entre autres, les systèmes de commutation est, plus souvent qu'autrement, conçue en anglais. Elle est destinée à un marché international. La traduction chez nous se fait par ordre prioritaire, en tout ou en partie, selon les besoins des utilisateurs, mais à des coûts considérables. Cela donne parfois lieu à des délais pénalisants pour la compagnie et les clients dans la mise en marché de certains produits, comme les terminaux d'affaires.

Bell Canada ne conteste pas le bien-fondé pour ses travailleurs d'avoir accès à des documents dans leur langue, convaincue d'ailleurs que cela accroît leur productivité. Elle demande cependant que ceux qui sont responsables de faire appliquer l'article 51, le fassent avec plus de discernement. De plus, Bell souhaite que les termes de l'article 51 soient élargis afin de permettre une plus grande flexibilité d'application.

L'article 57 fait état des bons de commandes, factures, reçus et quittances.

L'obligation de fournir certains documents en français impose à Bell certaines contraintes indésirables dans la mesure où l'entreprise a toujours tendu à respecter le choix de l'abonné et des fournisseurs en ce qui a trait à la langue des documents visés par l'article 57.

On nous fera valoir qu'on pourra toujours tirer partie de l'article 89 de la charte, qui stipule que lorsque la loi n'exige pas l'usage exclusif de la langue officielle, on peut continuer à employer à la fois la langue officielle et une autre langue.

Notre expérience a prouvé qu'à ce genre de bilinguisme sont reliés des efforts souvent inutiles, des coûts fort élevés, des amoncellements de paperasse et même des problèmes d'adaptation de logiciel. Nous recommandons que toute personne morale soit libre d'exiger la documentation dans la langue de son choix, alors qu'il lui incombe de prendre les dispositions nécessaires, le cas échéant, pour que ses propres employés puissent travailler dans des conditions conformes aux exigences de la loi.

L'article 58 concerne l'affichage et la publicité. Le fait de ne pouvoir afficher qu'en français dans les endroits publics nuit. Il nuit à l'entreprise qui doit tirer des revenus dans un marché anglophone qu'un manque d'information entourant les produits et services de la compagnie empêchera de s'en prévaloir autant que si l'information était disponible et affichée en anglais. Il nuit aux abonnés qui, privés de renseignements,

s'exposent à des erreurs. L'absence de renseignements que nous croyons utiles à la circulation des personnes et à la bonne marche des opérations n'est pas sans nuire à l'exploitation des Téléboutiques.

Ainsi, pour des motifs d'efficacité dans l'exploitation et la commercialisation, il conviendrait que l'article 58 de la loi soit modifié de façon à permettre d'afficher aussi en anglais, à l'intérieur de lieux publics, ces directives visant à dépanner le client en même temps qu'elles assurent la bonne marche des opérations; que l'article 58 de la loi soit aussi modifié de façon à permettre, à l'intérieur d'établissements reliés directement à la vente de biens et services, d'afficher également dans d'autres langues que la langue officielle la réclame promouvant directement la vente de ces biens et services.

Dans une perspective plus large, qui est à notre avis celle qu'il conviendrait d'adopter, il serait temps d'autoriser l'affichage public bilingue, le texte français devant y occuper une place prioritaire ou au moins égale.

La langue de l'enseignement. La mobilité du personnel a toujours été, chez Bell, un trait caractéristique comme l'est, à l'occasion, la nécessité de recruter des spécialistes, des experts, pour des tâches spécifiques. Le cheminement d'une carrière dans l'entreprise exige des stages dans diverses fonctions de façon à accroître et le potentiel de l'employé et l'éventail de ceux qui auront à juger ses aptitudes.

Dans les industries à haute technicité, les besoins de ressources qualifiées exigent souvent de reculer les frontières du champ de recrutement. Les candidats en puissance sont en grande demande un peu partout dans le monde. Ils monnaient légitimement leur compétence, privilégient leurs libertés individuelles et ne considèrent même pas élire domicile là où on tend à les limiter. Les quelques rares exceptions, s'ils se conforment aux lois du pays, n'en déplorent pas moins les tracasseries administratives qui, en fait, font obstacle à leur intégration à la société québécoise.

En ce qui a trait à ces employés déjà intégrés à l'entreprise et qui manifestent des aptitudes pour accéder à des postes supérieurs, il en est qui décrochent en cours de route. Pour un candidat de l'Ontario à qui on offre une mutation au Québec, il y aura hésitation en raison des disparités fiscales comme en raison des tracasseries administratives reliées à la langue de l'enseignement. Travaillera-t-il au Québec trois ans, six ans? Certains ont, dans le passé, accepté une affectation de quelques mois au Québec pour, éventuellement, y terminer une carrière aux échelons supérieurs. Ils sont maintenant moins enthousiastes, comme moins nombreux, à venir au Québec.

Pour un cadre francophone du Québec doué et prometteur s'ouvrent des débouchés au siège social, en Ontario, ailleurs au Canada comme en de nombreux pays du globe. De rares exceptions ont atteint les échelons supérieurs de l'entreprise en oeuvrant exclusivement dans la région administrative du Québec. Tous devaient, cependant, pour franchir le cap des échelons intermédiaires, maîtriser la langue seconde, langue internationale des communications et de la documentation qui s'y réfère.

Comme tel, le chapitre VIII de la charte n'empêche pas d'acquérir la connaissance d'une autre langue que le français, mais il brime en quelque sorte la liberté de celui qui voudrait recevoir l'enseignement dans cette autre langue, ou qui entendrait que ses enfants y soient admissibles.

Pour des fins de développement économique, il conviendrait que tout travailleur venant de l'extérieur du Québec et possédant l'expertise du poste qu'il doit combler soit exempté des dispositions du chapitre VIII, quelle que soit la durée de son stage au Québec. L'adoption de l'approche dite clause Canada marquerait certes une amélioration appréciable et d'une certaine efficacité, alors que la liberté de choix de la langue d'enseignement serait la solution optimale pour les ressortissants étrangers.

Il faut bien voir que les règlements actuellement en vigueur pour déterminer à quelles conditions certaines personnes, ou catégories de personnes, séjournant de façon temporaire au Québec, ou leurs enfants, peuvent être soustraites à l'application du chapitre VIII ne disposent pas vraiment du problème.

De la même façon que les restrictions déjà mentionnées en matière d'accréditation professionnelle inquiètent, rebutent et n'inclinent guère à séjourner temporairement au Québec, même pour y occuper des postes intéressants que pour diverses raisons des Québécois ne seront pas nécessairement en mesure de combler, les dispositions relatives à la langue d'enseignement, en cas de séjour temporaire, paraissent tracassières et ne mettent guère en confiance. Dans de nombreux cas, à notre connaissance, on préfère s'abstenir et on refuse, par exemple, une mutation au Québec.

On s'accorde généralement à reconnaître que la force d'attraction de l'enseignement en langue anglaise a longtemps reposé, au Québec, sur la conviction de plusieurs que cet enseignement assurait mieux que l'enseignement en langue française l'accès aux meilleurs emplois, voire la possibilité de trouver un emploi quel qu'il soit. À notre avis, les dispositions prises progressivement pour faire du français la langue du travail, dont celles qu'amène la

Loi 101, établissent les conditions qui assurent à la fois la nécessaire force d'attraction de l'enseignement en langue française et la protection de la langue officielle au Québec. C'est-à-dire que nous recommandons de façon pressante l'adoption de la clause Canada, voire de préférence le libre choix de la langue de l'enseignement.

La francisation des entreprises. Le 28 février 1983, à la suite de la recommandation unanime du comité de francisation de l'entreprise, le président de Bell Canada a sollicité de l'OLF la délivrance du certificat de francisation (sceau bleu), certificat de caractère plus permanent, quoique révocable, que le certificat provisoire que nous détenons présentement.

Le comité de francisation et la direction de Bell Canada estiment en effet que les objectifs du programme de francisation ont été atteints, à toutes fins utiles, en ce sens que la langue française possède dans l'entreprise le statut que le programme avait pour but d'assurer.

Pendant un mois, au début de l'été, deux représentants de l'Office de la langue française ont visité 25 édifices de l'entreprise et leurs nombreux bureaux pour constater où en était la francisation chez nous.

Nos visiteurs ont bien relevé quelques manquements à la charte et au programme de francisation qu'elle requiert, mais ils étaient peu nombreux et sans grande importance. Nous avons apporté depuis, dans la mesure du possible, les correctifs qui s'imposaient et le leur avons signalé. Nous ne savons toutefois pas, à ce jour, si on nous accordera le certificat demandé.

Avec l'article 58 sur l'affichage, l'article 141 de la charte semble celui qui intéresse le plus ceux qui ont la tâche de surveiller l'application de la loi.

Avant de commenter l'article 141, qui décrit le but des programmes de francisation, établissons que lesdits programmes imposés par la charte ont été négociés, dans notre cas, il y a quatre ans, alors que ni l'OLF ni la compagnie n'étaient en mesure d'évaluer pleinement l'à-propos et encore moins la faisabilité de certains engagements et objectifs convenus de bonne foi de part et d'autre.

C'est ainsi que 48 mois après l'approbation du programme de francisation, nous constatons que, si les objectifs du programme sont louables, de grandes difficultés d'application, sinon quelques incongruités, nous exposent et, malgré notre volonté, nous exposeront encore longtemps aux réprimandes de l'office.

Dans la conjoncture économique actuelle, alors que les mutations sont, à toutes fins utiles, éliminées et que l'embauche connaît un ralentissement, sinon un temps d'arrêt, comment espérer atteindre, avant la fin de 1983, l'objectif fixé de francisation à 100% conformément au programme de francisation? Qui plus est et indépendamment de la situation économique, quelle entreprise responsable sacrifierait des employés chevronnés pour atteindre, à tout prix, des objectifs irréalistes?

Comment respecterions-nous le bon sens et les droits et libertés de la personne si, conformément à un article mal conçu de notre programme de francisation, nous exigions que deux anglophones communiquent entre eux en français?

À quels coûts, à quel rythme doit-on traduire des documents de travail sans cesse renouvelés en fonction d'une technologie mouvante? Il faut toutefois reconnaître ici qu'en règle générale on ne nous a pas pressés indûment quand nous avons démontré que nous traduisons annuellement de l'anglais au français quelque 5 000 000 de mots, alors que nous concevons d'ailleurs directement en français un volume tout aussi important, dont une partie donne lieu à des traductions du français à l'anglais, pour un total dépassant 1 000 000 de mots. Les coûts de traduction, en 1983, dépasseront sensiblement les 2 000 000 $.

Devons-nous implanter de force dans les habitudes de nos gens, dans les délais prescrits, la terminologie abondante et reconnue que nous avons développée? En ce qui nous concerne, il est irréaliste de prétendre à des objectifs de francisation tous azimuts, à 100%. Il serait même illusoire de croire que nous atteindrons ce chiffre un jour, surtout pour ces aspects touchant la qualité de la langue écrite et parlée, utilisée par nos employés, qui sont bien plus du ressort de ceux-ci, à titre individuel, que de l'entreprise.

À la lumière des difficultés qui sont apparues en cours d'application des programmes négociés il y a quatre ans, nous recommandons que l'article 154 de la charte soit modifié de façon à l'assouplir. Car il est plus que probable que nombre d'entreprises éprouvent et éprouveront longtemps des difficultés du même ordre, sinon plus grandes.

Ainsi à l'article 154, au lieu de lire intégralement: "L'office peut suspendre ou annuler le certificat de toute entreprise qui ne se conforme pas au programme de francisation qu'elle s'est engagée à réaliser", nous recommandons d'ajouter aux mots "qui ne se conforme pas", ceux-ci: "sans justification adéquate".

Si l'article était ainsi rédigé, l'OLF s'estimerait vraisemblabement moins tenu de suspendre ou d'annuler le certificat d'une entreprise qui se dit incapable de se conformer au programme de francisation qu'elle s'est engagée à réaliser mais fournit à cet égard une justification adéquate. À

plus forte raison en quelque sorte, l'office ne donnerait pas comme il le fait parfois dans la pratique douteuse sinon carrément abusive d'imposer progressivement plus d'exigences que n'en prévoyait à l'origine le programme de francisation convenu.

De telles exigences imprévisibles, auxquelles s'ajoutent celles que peuvent imposer d'autres organismes reliés administrativement à l'OLF, dont la Commission de toponymie, peuvent comporter des coûts économiques supplémentaires appréciables et contribuent à créer un climat d'incertitude, voire d'instabilité. Ainsi, il arrive que ces divers organismes, voire divers représentants d'un même organisme, donnent des interprétations différentes de la loi et de ses règlements. Nous croyons utile de signaler ici que le pouvoir dévolu à la Commission de toponymie de faire des règlements sur les règles d'écriture pourra l'amener à édicter des règles qui auront une incidence financière très importante pour les organismes et entreprises qui publient des annuaires, des répertoires ou encore qui adressent des pièces de correspondance à leur clientèle, notamment des états de compte et factures périodiques.

Nous estimons que cette commission devrait consulter les industries en cause et tenir compte de leurs observations en ce qui a trait à l'application spécifique de ces règles d'écriture à leurs productions spécialisées.

L'OLF demeure toutefois, pour nous, l'interlocuteur principal en matière de francisation, compte tenu des nombreuses incidences du programme de francisation. L'article 150 de la charte stipule que l'entreprise charge son comité de francisation de surveiller l'application des programmes convenus avec l'OLF.

Le comité de francisation de Bell Canada a été réuni une première fois en septembre 1978. Il est composé de neuf membres.

En qualité de président de ce comité, je tiens à signaler la compétence, le tact et l'engagement dont témoignent ces collègues dans l'accomplissement d'une tâche qui requiert une bonne connaissance des processus de changement et une grande ouverture d'esprit. L'approche incitative demeure à nos yeux la plus apte à entraîner des changements de comportement.

Commission de surveillance et les enquêtes. Bell ne conteste pas au législateur le droit d'instituer des mécanismes pour assurer le respect des lois. Cependant, nous voyons mal qu'on puisse demander une enquête sous le couvert de l'anonymat.

L'usage d'un tel procédé favorise les plaintes sans fondement et la délation. L'investigation de plaintes frivoles comporte des coûts appréciables. Quant à la délation, nous ne croyons pas qu'elle soit un instrument qui convienne à la démocratie.

Nous recommandons donc que soit retranchée de l'article 174 la phrase qui favorise l'anonymat et que l'on exige de tout requérant que son identité soit divulguée.

M. le Président, au terme de cet exposé, il nous semble que la conclusion suivante s'impose: Si la loi 101 a été efficace, certaines de ses dispositions visant à un redressement de la situation initiale, maintenant réalisé, peuvent certainement être éliminées ou modifiées; si, comme nous croyons que ce soit le cas, la loi n'a toutefois pas eu tout l'effet escompté, notamment en ce qui regarde la nécessaire transformation des mentalités en matière de respect de la langue officielle du Québec, certaines de ses dispositions abusives ou aux effets imprévus ou mal calculés y sont pour beaucoup et sont donc à revoir ou à corriger.

Nous espérons vous avoir fourni, à cet effet, des indications utiles. Nous croyons dans l'intérêt du Québec et de ses ressortissants que la loi 101, ses règlements et ses organismes devraient être redéfinis dans le sens de ces indications, signalant ainsi à tous, ici et ailleurs, l'avènement d'un régime linguistique faisant plus largement consensus. On peut légitimement en escompter des avantages économiques, sociaux et même culturels. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.

M. Godin: Bonjour, M. Beauchamp... Une voix: M. Beauregard.

M. Godin: ...Beauregard, pardon, Mme Cardinal, M. Deschamps et M. Gadoury. Merci de vous présenter devant nous et surtout de nous faire part de votre expérience très précieuse en tant que francisateur depuis bientôt un quart de siècle. L'expérience que Bell a vécue en a fait une locomotive de la francisation au Québec et dans un domaine extrêmement important puisque vous êtes à l'avant-garde, par définition, de la technologie et des dernières découvertes de la science au Québec.

Ce que vous avez à nous dire est extrêmement important et, d'ailleurs, c'est la raison pour laquelle mon collègue, le député de Rosemont et ministre de la Science et de la Technologie, est ici. C'est à lui que je passerai la parole après mes remarques initiales et après quelques questions brèves, après avoir, bien entendu, transmis - en vertu de notre principe d'alternance - le micro à l'Opposition.

Des questions très précises. Le centre de recherche de Northern bénéficie d'une

entente spécifique avec l'office en tant que centre de recherche. Est-ce que l'entente spécifique ne vous permet pas de régler un certain nombre des problèmes que vous auriez eu à vivre sans une telle entente?

M. Beauregard: Est-ce que je dois répondre à votre question immédiatement, M. le ministre?

M. Godin: S'il vous plaît, oui; s'il vous plaît, allez-y, oui.

M. Beauregard: D'abord, je dois dire que, depuis une certaine réorganisation que vous connaissez bien, je me sens moins habilité, moins autorisé à répondre au nom de tous les membres de la famille Entreprises Bell Canada. Je représente ici Bell Canada, compagnie de télécommunications, service d'utilité publique, alors je peux difficilement m'introduire le doigt entre l'écorce et l'arbre et parler au nom des autres membres du group Bell.

M. le ministre, s'il y a une entente spécifique avec Northern Telecom ou les recherches Bell Northern, je crois sincèrement que cela ne règle pas le problème, parce que c'est souvent dans le cas des laboratoires de l'île des Soeurs, notamment, que le problème se pose. Je crois qu'il existe encore ce problème.

M. Godin: Une deuxième et très brève intervention. Mon collègue fera une autre partie du boulot, si vous voulez. Quant à la toponymie, je vous offre illico une rencontre avec la Commission de toponymie pour que vous en arriviez ensemble à des formules d'abréviation qui soient conformes aux usages internationaux et qui fassent que vos critères économiques ne soient pas trop bouleversés par ces changements. De plus, vous n'êtes pas sans ignorer que - j'ai découvert cela en discutant avec des gens de la Commission de toponymie - la complexité des adresses au Québec est un problème avec lequel doivent vivre tous les organismes comme le vôtre, aussi bien la Régie de l'assurance-maladie que la Régie des transports qui délivre les permis. Plusieurs personnes au Québec, à cause de problème de toponymie, ont plusieurs adresses, avec les coûts que cela peut impliquer. Nous tentons d'en arriver à une solution qui fasse que toute personne au Québec n'ait qu'une adresse: son adresse officielle qui soit celle qui apparaisse dans votre bottin, qui est en fait le grand livre d'adresses du Québec. Donc, c'est pour régler ce problème qui a des incidences économiques pour tout le monde et pour tous les organismes du gouvernement que je vous propose illico qu'ensemble, à la Commission de toponymie, quitte à agir comme arbitre éventuellement, nous en arrivions à une solution à ce problème très concret. Quant aux restes de vos recommandations, j'y viendrai en terminant.

M. Beauregard: Entendu. Si on peut me permettre de répondre au ministre immédiatement, je dirai d'abord que son invitation fait plaisir à Bell Canada, qui est un grand partenaire dans une opération de publication d'annuaires puisque ce sont les annuaires de Bell Canada, et également à un autre membre de la famille Bell, qui n'est pas présent ici et que je ne suis pas habilité à représenter, Télé-Direct (Publications). Je suis sûr qu'on répondra avec empressement à votre invitation, d'autant plus qu'on a déjà quelques idées sur la façon dont on pourrait arriver à des réponses satisfaisantes et économiquement acceptables et, je pense, acceptables éventuellement à vos yeux, de même qu'à tous ceux qui s'intéressent à une application intelligente des dispositions de la loi et des règlements.

M. Godin: Merci, M. Beauregard.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Merci, M. le Président. J'aimerais remercier les représentants de Bell Canada d'être venus présenter leur mémoire. Je comprends que la compagnie a commencé à se franciser avant les lois 22 et 101. J'ai une question à deux volets ou peut-être deux questions différentes. Premièrement, la compagnie a-t-elle francisé ses exploitations à l'extérieur du Québec où il y a une forte minorité de francophones? Je pense à Ottawa, Sudbury, Cornwall. La compagnie y offre-t-elle ses services en français?

Deuxièmement, n'est-il pas vrai que Bell Canada, au moins en ce qui concerne les relations du travail, ne s'est pas soumise à la loi 101? C'est-à-dire que, juridiquement, la compagnie ne s'est pas soumise à la loi 101, quoique j'imagine qu'elle veut se soumettre pour des raisons que je ne connais pas.

M. Beauregard: À votre première question, je répondrai que la compagnie a commencé à franciser ses opérations, j'insiste pour le dire parce que je crois que c'est important pour comprendre la perspective de la compagnie en matière de francisation, parce que c'était, selon nous, la façon convenable de procéder pour une entreprise de service public, comme cela l'aurait été d'ailleurs pour une grande entreprise transigeant avec une clientèle donnée d'être en mesure de la servir dans sa langue. Si cette conversion, si on peut ainsi parler, a été si lente à venir, d'aucuns pourraient le penser, c'est qu'il faut se rendre compte que le domaine des télécommunications a été

développé en grande partie - on parlait de l'apport culturel de groupes antérieurement -à partir de ressources anglophones. Quand on a commencé à faire cette transformation, on s'est rendu compte qu'on était heureusement conscient du milieu dans lequel on travaillait et qu'on devait le servir en respectant ses exigences. C'était donc une saine pratique commerciale a fortiori pour une entreprise de service public, de telle sorte que lorsque la loi 22 ou la loi 101 sont arrivées, ne s'est pas vraiment posé pour nous le problème d'une réorientation ou d'une réorganisation du travail de francisation. L'entreprise était d'emblée lancée dans un programme de francisation; alors, on n'a pas vraiment cherché midi à quatorze heures pour voir si on allait y être assujetti ou pas. Il s'agit là de questions légales sur lesquelles, je crois, Me Cardinal pourrait vous confirmer que les opinions ne sont pas nécessairement unanimes. Cela devient très compliqué. C'est une question sur laquelle nous n'avons pas tablé pour prendre les orientations que nous avons prises à la suite de ces lois qui, je le dis encore une fois, étaient tout à fait dans la foulée de ce qu'on faisait comme entreprise, mais - il faut bien le dire - dans le cadre d'une liberté de manoeuvre, avec une marge de manoeuvre qui nous était extrêmement utile pour réaliser nos objectifs de francisation sans frictions indues, sans tracasseries; autrement dit, pouvoir agir en pleine connaissance de cause, en fonction du contexte dans lequel on fonctionnait, et faire les choses intelligemment.

Je crois que nous avons continué à bien le faire. Comme je l'ai signalé dans mes remarques d'introduction, la réglementation, la loi ne nous a pas, à toutes fins utiles, empêchés de poursuivre nos objectifs; elle a simplement balisé un peu le parcours. Elle nous a forcés, au fond, à agir dans un cadre, selon des modalités que nous aurions peut-être, dans certains cas, préféré différentes, mais, encore une fois, je ne veux pas en faire tout un plat parce que ce n'était pas vraiment la nature du problème que nous avons rencontré.

En ce qui concerne - c'était également l'une de vos questions - les services qu'on pourrait dispenser en français dans les bassins de population francophone en Ontario, je ne suis pas en mesure de vous en préciser la nature exacte, mais on est en mesure de répondre et de rendre certains services en français dans les bassins de population française en Ontario.

M. Marx: D'accord.

M. Beauregard: Un collègue me dit que les annuaires sont bilingues, par exemple, dans plusieurs endroits.

M. Marx: Les annuaires sont bilingues, d'accord.

M. Beauregard: Dans les régions frontalières, notamment.

M. Marx: D'accord. La question à laquelle vous n'avez pas répondu, parce que vous avez dit qu'elle était trop légaliste, c'était: Dans quelle mesure Bell Canada est-elle tenue de suivre la loi 101? Il faut admettre qu'il y a d'autres corporations au Québec qui ne sont pas soumises aux exigences de la loi 101 et qui fonctionnent totalement en français. Radio-Canada, par exemple, le CN, etc. Il y a des ministères du gouvernement fédéral qui fonctionnent entièrement en français à Montréal et cela, depuis des années. Ils n'ont pas attendu la loi 101.

Une autre question. À la page 6, on peut lire: "Dans la mesure où la Charte de la langue française n'impose pas l'usage exclusif du français, la politique suivie par Bell consiste à servir chaque abonné en français ou en anglais au choix de ce dernier. N'est-il pas vrai que les annuaires qu'on trouve dans les cabines téléphoniques sont uniquement en langue française? Je donne cet exemple parce que je me demande si Bell Canada n'a pas francisé ses activités au-delà même des exigences de la loi 101. Je ne pense pas que la loi 101 exige qu'il y ait des annuaires unilingues dans les cabines téléphoniques, quoique ce soit le cas au Québec. Celui qui est à côté de vous nous a dit que dans les régions frontalières il y a des annuaires bilingues.

M. Beauregard: Effectivement. Est-ce que je peux répondre maintenant à votre question? D'accord. C'est justement le propre d'un régime linguistique établi par voie législative et réglementaire d'amener des situations qui nous empêchent d'adopter une solution qui serait naturelle. En l'occurrence, malheureusement, cette fois-ci, je ne peux pas, non plus, répondre adéquatement à votre question dans la mesure où Bell Canada est en partie responsable de cette situation. Des discussions ont eu cours, des éclaircissements ont été recherchés auprès d'organismes réglementaires par Télé-Direct Publications. On a là un problème que j'admets être un problème qui n'est peut-être pas résolu à votre satisfaction, mais sur lequel on peut continuer à travailler pour chercher à trouver des solutions.

Effectivement, il y a des fois où quelque chose n'est pas spécifiquement interdit comme tel par la loi ou les règlements, mais où d'autres contraintes que cela fait peser sur un processus donné nous amènent à ne pas être capables de trouver la bonne réponse. Entre autres, la possibilité, par exemple, de devoir équiper des cabines téléphoniques pour recevoir trois annuaires

alors qu'il n'y a de la place que pour deux. Il y a une série d'autres considérations dont je ne suis pas en mesure de traiter d'abondance ici.

M. Marx: Cela veut dire que mettre seulement un annuaire unilingue dans les cabines téléphoniques, si ce n'est pas exigé par la loi 101, c'est mal servir votre clientèle anglophone.

Une dernière question. Normalement, Bell Canada, à ce que je sache, ne suit pas aveuglément des règlements ou des directives émis par un organisme. Si on va chercher dans les rapports judiciaires, on verra que Bell Canada conteste à gauche et à droite tous les organismes, le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux, etc. On sait que des règlements adoptés par l'Office de la langue française ont une validité douteuse. Je suis sûr que le ministre vous donnera des études, qui ont été faites par ses avocats, son contentieux ou par celui du ministère de la Justice, qui démontrent qu'il y a des règlements d'une validité douteuse. Par exemple, en ce qui concerne l'affichage unilingue dans les téléboutiques, je me demande si cela est applicable à Bell Canada. Je ne pense pas que ce soit applicable aux banques, par exemple. Je ne pense pas que la Banque Royale du Canada soit tenue d'appliquer les règlements ou les articles de la loi 101 quant à l'affichage à l'intérieur d'une banque. Je pense que ce doit être la même chose pour Bell Canada.

Il y a d'autres règlements; on peut même discuter la portée de l'article 40. Qu'est-ce que cela veut dire, traiter avec le public? Il y a toutes sortes de contestations possibles. Etant donné tout ce que je viens de dire, je trouve un peu étrange que Bell Canada n'ait jamais contesté, dans ce domaine, soit un règlement de l'office, soit un article de la loi, soit une interprétation de l'office. Comme je l'ai dit au début, Bell Canada, en tant qu'entreprise téléphonique, est sous la juridiction fédérale en matière de langue de travail. Vous avez déjà fait une contestation, c'était Bell Canada contre la Commission des relations de travail. Il a été décidé que pour, les fins des relations de travail, Bell Canada serait sous la juridiction de la Commission fédérale du travail. Je trouve étrange que Bell Canada se soit soumise à tout ce que l'office demande même si la validité de ces demandes est souvent douteuse. Vous avez votre propre contentieux, mais il va sans dire qu'il est toujours très occupé.

M. Beauregard: D'accord. M. le Président, je répondrai ceci: D'abord, Bell Canada ne suit pas aveuglément et ne se conforme pas à tous les voeux de l'Office de la langue française. Il y a des dialogues virils occasionnellement avec des représentants de l'office, mais ils sont courtois et on s'entend, on se parle. Donc, on n'acquiesce pas à tout ce qui est demandé. Je dirais, cependant, que dans l'ensemble je crois que Bell Canada, par la force des choses, a vraiment pris une attitude un peu globalisante, si vous voulez, face à l'ensemble du phénomène. Dans la mesure où la loi et les règlements, malgré les contraintes que la conjoncture a fait porter sur cette opération de francisation chez nous, nous permettaient néanmoins de servir la clientèle anglophone, par exemple, très largement, à une ou deux exceptions près que vous avez mentionnées en ce qui concerne ce problème des annuaires téléphoniques, nous servons notre actionnaire, notre abonné et nous transigeons avec nos fournisseurs dans la langue de leur choix. Ceci étant largement assuré - d'ailleurs, on en aurait eu des échos beaucoup plus considérables s'il en avait été autrement -on était vraiment en mesure de répondre courtoisement et comme il se doit à notre clientèle anglophone, dans sa langue. On ne peut pas dire, à ce moment-là, que le régime qui nous était fait nous plaçait vraiment dans une situation très ennuyeuse, sauf à l'égard d'un certain nombre de problèmes que nous soulevons aujourd'hui. Effectivement, est-ce qu'on aurait dû prendre l'attitude suivante: Parce que nous n'y croyons pas, nous allons y déroger systématiquement? Probablement - ce sont des hypothèses plus qu'autre chose, parce que je ne représente pas nécessairement la conscience collective de l'entreprise - qu'on a senti qu'on fonctionnait, en quelque sorte, dans un cadre, en gros, qui nous permettait de respecter notre public, à quelques éléments près.

Cependant - j'y faisais allusion - un des inconvénients d'un régime légal et réglementé, c'est que vraiment - j'aimerais avoir la sympathie des législateurs - dans la vie de tous les jours dans l'entreprise, les meilleures intentions du monde, parfois, se traduisent par des quasi-aberrations. J'ai dit que, sur des points qu'on considérait importants, nous avons aménagé en souplesse un certain nombre de choses que ni des employés individuellement, ni le syndicat, ni quelque élément du public n'ont cru bon de dénoncer chez Bell Canada. Quand nous disons, par exemple, que nous avons trouvé une façon intelligente de respecter l'intention de la loi, qui est de ne pas exiger indûment la connaissance de l'anglais pour occuper un poste ou une fonction, personne n'a soulevé le problème en disant: Comment faites-vous? C'est vraiment très compliqué parce qu'on a affaire à une situation très mouvante à l'intérieur de l'entreprise. À quel moment, pour telle fonction d'un individu - je pense, notamment, au niveau des cadres - ce qui pouvait paraître une non-nécessité de

connaître l'anglais le devient-il tout à coup? Il y a tout un mécanisme très compliqué qui joue.

Heureusement, cela fait quand même plus de 20 ans qu'on se francise. Cela fait six, sept ou huit ans qu'on le fait sous l'empire de réglementations ou de lois et jamais on n'a eu à faire face à des problèmes à Bell Canada à cet égard. Beaucoup de choses se sont faites en souplesse. Est-ce qu'il y aurait eu quelque avantage à contester un aspect légal, réglementaire ou autre? En tout cas, je reconnais comme vous que la compagnie -semble-t-il, Me Cardinal - à ma connaissance, n'a pas cru bon de contester.

M. Marx: Merci, M. le Président. Vous avez ma sympathie en ce qui concerne la surréglementation.

M. Beauregard: Si vous me le permettez, j'ajouterais quelque chose. Il faut bien dire qu'il n'y a pas eu de contestation légale, mais je crois que je ne révèle rien à personne, ici, en disant que la haute direction de Bell Canada, sur une longue période d'années, a longuement fait valoir combien, d'emblée, elle préférait une approche incitative. Il y a certainement des dispositions de la loi 101 au sujet des quelles M. Jean de Grandpré, alors qu'il était président et chef de la direction de Bell Canada, à plusieurs reprises, a clairement établi que, selon lui et aux yeux de notre corporation, le fait d'avoir procédé par voie législative et d'avoir les lois et règlements que nous avions - M. Montambeault a fait de même en commission parlementaire et à d'autres occasions - comportait des inconvénients. On l'a mentionné.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Rosemont doit prendre la parole à ce moment-ci. N'étant pas inscrit comme membre ou intervenant à la commission...

Une voix: Ah:

Le Président (M. Desbiens): ...on devra obtenir un consentement unanime pour qu'il puisse intervenir.

Des voix: Ah! Ah! Ah!

M. Paquette: M. le Président...

M. Gratton: M. le Président...

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: ...je suis si heureux de voir un membre du cabinet, titulaire d'un ministère à vocation économique, que c'est avec plaisir qu'on lui donne, ainsi qu'à tous ses collègues, le consentement requis pour qu'il puisse poser toutes les questions et s'informer le mieux possible.

Une voix: Consentement, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): Consentement. M. le député de Rosemont et ministre de la Science et de la Technologie, vous avez la parole.

M. Paquette: M. le Président, je remercie le député de Gatineau et je tiens à lui dire que tous les membres du gouvernement suivent attentivement les travaux de cette commission, de concert avec notre collègue, le ministre responsable de la loi 101.

La présentation de M. Beauregard est importante à cause, évidemment, des activités extrêmement vastes et importantes pour l'économie du Québec que représente la société Bell Canada, le groupe Bell-Northern en général. Vous avez mentionné, à plusieurs reprises, que vous aviez commencé à vous franciser avant les lois linguistiques, mais qu'il y a eu accélération. Avez-vous l'impression que, s'il n'y avait eu aucune politique linguistique officielle, autant d'employés travailleraient de façon aussi intense en français aujourd'hui? Avez-vous l'impression que la loi a quand même, malgré les contraintes que cela vous a posées, été bénéfique sur ce plan? (17 h 15)

M. Beauregard: C'est difficile à commenter d'une façon ou d'une autre. On peut probablement dire que l'existence de la loi et des règlements a certainement hâté certains aspects du processus de francisation. En contrepartie, cela a amené un certain nombre de "dysfonctions", de tiraillements ou d'ennuis dont on aurait préféfé d'emblée faire l'économie. Autrement dit, on n'était peut-être pas aussi pressé que d'aucuns. On croyait au projet à moyen et à long terme. Comme entreprise, cinq ans de plus pour nous, ce n'était pas dramatique, d'autant plus que plusieurs le pratiquaient.

M. Paquette: Vous dites que cela fait vingt ans que vous vous francisez!

M. Beauregard: Cela fait vingt ans qu'on se francise.

M. Paquette: La question que je voudrais vous poser concerne les effets économiques de la loi 101 sur une entreprise de haute technologie comme la vôtre. Vous mentionnez, à la page 7, qu'un certain nombre - que vous ne pouvez pas quantifier de départs d'individus et d'entreprises serait lié à la Charte de la langue française. Je vous avoue que, tout en

reconnaissant qu'on est ici pour regarder s'il n'y a pas des améliorations à apporter, autant dans le sens de l'assouplissement de certaines réglementations que du renforcement d'autres, pour vraiment atteindre les objectifs de francisation du Québec, mais en assurant quand même un développement économique, je suis sceptique un peu de ce côté. Je regarde l'ensemble des activités économiques au Québec de 1976 à 1981 et je constate qu'il y a eu une croissance des investissements une fois et demie plus rapide qu'en Ontario, qu'il y a eu une croissance des exportations. Évidemment, la situation a changé depuis le crise économique de 1981, mais, de 1976 à 1981, au plus fort de l'adoption et des débats sur la loi 101, il y a quand même eu une croissance économique, au niveau des investissements en tout cas, légèrement plus rapide qu'en Ontario.

D'autre part, quand on regarde les entreprises de haute technologie, on sait qu'au Québec 55% de la recherche et du développement sont faits par les entreprises, le reste étant assumé par les gouvernements et les universités. Donc, la recherche dans les entreprises est peut-être le facteur le plus déterminant au niveau des capacités scientifiques et technologiques du Québec. Je suis obligé de regarder les chiffres concernant les dépenses en recherche et développement, qui sont surtout attribuables aux entreprises, par rapport au produit intérieur brut québécois, par rapport à l'ensemble de la production québécoise et je constate qu'entre 1973 et 1977 on est passé de 92% à 88% en termes des dépenses en recherche-développement par rapport à la production nationale. Il y donc eu une diminution de 1973 à 1977. On pourrait toujours dire: C'est à cause de la loi 22, parce que la loi 22 a été adoptée en 1974 ou 1975, mais la descente avait commencé même avant l'adoption de la loi 22.

De 1978 à 1981, on constate qu'on revient à une croissance. On passe de 92% à 1,4% des dépenses de RD sur l'ensemble de la production nationale. À ce moment-là, je me dis: Dans l'ensemble cela n'a pas eu d'effet négatif, puisque ces dépenses de RD sont faites par des entreprises de haute technologie. On ne peut pas dire qu'il y a eu une diminution des entreprises de haute technologie ou de l'effort de recherche et de développement. Il y avait diminution avant la loi 101 et, après la loi 101, il y a eu augmentation. On pourrait même prétendre, si on voulait charrier, mais je ne le ferai pas, que la loi 101 a eu un effet bénéfique sur les entreprises de haute technologie.

Ma véritable question est celle-ci: En quoi est-ce différent pour la compagnie Bell de la moyenne des entreprises établies au Québec? Quelle est la spécificité, quels sont les problèmes particuliers qui feraient en sorte que ce serait nuisible pour vous et que ce ne serait pas nuisible en général?

M. Beauregard: Je n'ai pas assisté aux présentations antérieures et je ne serai pas présent à celles qui viendront; je n'ai pas lu les mémoires d'autres entreprises. Je serais surpris que l'évaluation que vous faites de la situation soit nécessairement partagée, ou même démontrable à la satisfaction de plusieurs entreprises avec lesquelles nous sommes en communication, avec des organismes d'affaires comme le Conseil du patronat ou la Chambre de commerce de la province de Québec qui semblent avoir des données que j'appellerais au moins complémentaires aux vôtres, M. le ministre, sur cette chose. Pour m'en tenir au contenu de notre mémoire à nous - je suis mal préparé pour répondre aux questions que vous posez parce que je n'ai pas analysé toute la situation - notre mémoire, vous l'avez remarqué, se fonde à peu près essentiellement sur l'expérience de Bell Canada. Je vous dis que, chez nous, cela a causé des difficultés et je n'ai pas l'intention de mentionner ici des noms de membres du personnel de Bell qui ont refusé des affectations ici. J'en connais qu'on a dû déplacer ailleurs. J'en connais de l'étranger qui ont refusé de venir, etc. Je vous dis que chez nous, effectivement, cela a constitué une certaine contre-indication.

M. Paquette: Je pense que vous êtes la personne la mieux placée pour l'affirmer puisque vous travaillez dans l'entreprise. Je me pose, quand même, toujours cette question: Qu'est-ce qui fait que c'est plus difficile à Bell Canada que dans la moyenne des entreprises de haute technologie puisqu'on est en croissance quant à l'effort de recherche et de développement au Québec depuis l'adoption de la loi 101? Je voudrais essayer d'approfondir cela un peu avec vous sur trois plans: la langue de travail, la langue d'enseignement et la langue des professions. Au niveau de la langue de travail, j'ai visité récemment le centre Recherches Bell-Northern à l'île des Soeurs; c'est, d'ailleurs, une expérience exceptionnelle d'association entre une entreprise importante de haute technologie et une institution de recherche qui est l'INRS-Télécommunications; le directeur scientifique est le même. Il y a des francophones, il y a des anglophones au niveau du centre de recherche. Compte tenu de l'exception qu'il y a dans la loi 101 pour les centres de recherche, justement parce qu'on a tenu compte de ce phénomène que dans le domaine scientifique les personnes circulent d'un pays à l'autre et qu'on doit, par conséquent, être très souple quant à la langue de travail, on m'a dit que maintenant les difficultés étaient aplanies quant à la

langue de travail au niveau du centre de recherche. Êtes-vous d'accord avec cet énoncé?

M. Beauregard: Vous avez peut-être eu des apartés durant cette visite à laquelle j'ai participé, M. le ministre.

M. Paquette: J'ai discuté avec beaucoup de gens.

M. Beauregard: Cela dépend peut-être du niveau où on parle. Je crois qu'effectivement il n'y a pas de difficulté au sens où les personnes qui travaillent là n'ont pas de problèmes.

M. Paquette: Elles communiquent librement dans les deux langues et n'ont pas de difficultés.

M. Beauregard: Elles n'ont pas de difficultés, c'est un fait. Je crois, cependant, que les problèmes auxquels j'ai fait allusion en ce qui concerne Bell Canada se vérifient à Recherches Bell-Northern, à savoir qu'il y a des individus qu'on aimerait voir venir ici et qui, pas a priori, par préjugés ou autrement, ne sont pas en mesure de communiquer convenablement en français. Ce sont des gens qui reçoivent simultanément des offres à d'autres endroits où ils n'ont pas à se plier à cette exigence d'un milieu donné, ce qui fait qu'on ne les obtient pas.

M. Paquette: Justement, on recherche pourquoi il se produit des problèmes comme ceux-là. Donc, ce n'est pas tellement du côté de la langue de travail à l'intérieur du centre de recherche qu'il faut chercher l'explication, mais peut-être plutôt au niveau d'autres aspects de la loi 101 puisque les gens communiquent librement entre eux au niveau du travail.

M. Beauregard: Je le croirais bien. Vous l'avez remarqué, M. le ministre, dans mon espèce de petit plaidoyer succinct, je pense que ce qui est important - et les travaux de votre commission sont particulièrement cruciaux de ce point de vue - c'est vraiment les signaux que nous émettons à notre environnement et à nos auditoires un peu partout. Il est certain que tout ce brasse-camarades chaque fois qu'on discute de la question linguistique, etc., fait ressortir des dissensions, fait paraître le Québec comme un endroit-problème. Remarquez qu'on aime bien mieux nos problèmes que ceux d'autres coins du monde. Cela fait ressortir une dissension, un manque de consensus. Pourquoi viendrait-on s'empêtrer dans cela? Pourquoi s'embarquer dans cette galère alors qu'on peut aller dans d'autres endroits où ces problèmes ne se posent pas? Je parle toujours, encore une fois, des gens qui ont le choix et qui sont des ressources qui sont extrêmement mobiles mondialement. Je pense qu'il ne faut pas se cacher cette réalité.

M. Paquette: Vous diriez plutôt que c'est une impression générale qui se dégage. Les gens ne font pas toutes les analyses qu'il faut. Ils ne se demandent pas si on peut travailler dans toutes les langues au niveau du centre de recherche ou si c'est la langue d'enseignement ou si c'est la langue des professions. C'est plutôt une image qui peut les rebuter. Est-ce que c'est cela?

M. Beauregard: Vous savez comment ces choses sont des vases communicants à toutes fins utiles; on est blessé quelque part, mais cela fait mal partout. C'est un peu le genre de situation à laquelle on fait face. Il y a quand même, à mon avis - et nous les avons relevés dans notre mémoire - des points qui, s'ils étaient modifiés - et ils ne sont pas tellement nombreux, vous avez pu le voir - pourraient, à nos yeux, faire une différence appréciable justement parce qu'ils distilleraient, ils enverraient un message différent. À ce moment, c'est toute une mentalité, c'est tout un climat qui change. Nous croyons que ce serait extrêmement bénéfique pour nous non seulement au plan économique, au plan de la technologie, mais également socialement, culturellement.

M. Paquette: Je vais vous poser des questions sur deux de vos propositions. D'abord, celle qui concerne la langue d'enseignement. Vous demandez dans votre mémoire que le travailleur qui vient de l'extérieur du Québec et qui a les qualifications nécessaires - il faudrait que vous m'expliquiez ce terme - soit exempté des dispositions du chapitre portant sur la langue d'enseignement; que la clause Canada ou le libre choix de la langue d'enseignement soit adopté de façon pressante.

Je vais vous dire qu'il faudrait s'entendre. Est-ce qu'il s'agit d'une ouverture générale à tout le monde ou s'il s'agit de regarder ce qu'on pourrait faire dans le cas de spécialistes, de scientifiques ou de cadres de haut niveau qui ont à circuler rapidement d'un pays à l'autre? S'il s'agit de demander à l'ensemble de la population d'adopter le libre choix de la langue d'enseignement pour un très petit nombre de spécialistes, vous allez reconnaître que c'est relativement exagéré et même un peu dangereux. Le pourcentage d'étudiants non anglophones dans les cégeps de langue française, qui ne sont pas soumis à la loi 101, est passé de 28% en 1976-1977 à 39% en 1982-1983. Donc, à ce niveau d'enseignement où la loi 101 n'agit pas, il y a progression des non-anglophones qui s'inscrivent aux cégeps anglais. On pourrait supposer que, si on revenait au libre choix au niveau élémentaire et secondaire, le

même phénomène pour lequel la loi 22 et ensuite la loi 101 ont été adoptées risquerait de se reproduire.

Est-ce que j'interprète bien votre proposition en disant: Nous, ce qui nous intéresse, ce n'est pas tellement le libre choix pour tout le monde; c'est beaucoup plus une certaine garantie qu'on pourrait donner à certains spécialistes, qu'on n'a pas au Québec et dont on a besoin et qu'on voudrait attirer ici, qu'ils pourront envoyer leurs enfants à l'école anglaise pour un certain nombre d'années?

M. Beauregard: Vous avez remarqué, M. le ministre, qu'on a traité le problème par notre bout de la lorgnette en quelque sorte. On a regardé l'entreprise et on s'est dit: Bon, on aurait besoin de... Une chose nous paraissait claire. On n'est pas des experts, on n'a pas fait d'études démographiques très poussées. On savait que d'autres en feraient. On vous disait: De notre point de vue - vous avez remarqué le langage utilisé - pour les ressortisssants étrangers, donc ceux qui viennent de l'extérieur, la clause dite Canada ne règle pas leurs problèmes. Donc, on pense que, pour les ressortissants étrangers - il y en a, que voulez-vous, un certain nombre qui nous intéressent beaucoup - même la clause Canada ne règle pas le problème.

Par ailleurs, les effets de la clause Canada, en termes démographiques, et ce que cela ferait au plan scolaire sont les mêmes, qu'on les négocie par voie de réciprocité, comme cela a déjà été proposé, ou qu'on les applique soi-même. Si donc on a pu l'offrir, on peut penser qu'on ne concluait pas nécessairement au génocide. Alors, on se dit: La clause Canada nous semble un minimum sur lequel, vraisemblablement, on peut assez facilement s'entendre puisque même le gouvernement, semble-t-il, l'a déjà considérée. Restera à voir ce que les études démographiques disent. Ce qu'on a pu en voir, nous, nous porte à croire - que ce soit les études de M. Henripin ou d'autres - que ce n'est pas vraiment dangereux.

M. Paquette: Quand vous parlez du travailleur qui vient de l'extérieur du Québec et qui a les qualifications nécessaires, pour vous, c'est tout le monde...

M. Beauregard: Non.

M. Paquette: ...ou si ce sont des spécialistes dont vous avez besoin?

M. Beauregard: C'est comme une recommandation à étages en quelque sorte.

M. Paquette: Oui.

M. Beauregard: II est bien sûr que la solution - vous l'appelleriez peut-être ou d'aucuns l'appelleraient de facilité - c'est de dire que vous réglez le problème à sa source si vous dites que le travailleur qui vient peut y accéder, que ce soit par une clause Canada ou par la liberté totale de la langue d'enseignement. Ce. qu'on avait en tête quand on parlait des employés, des experts dont on a besoin spécifiquement, je vous avoue que cela correspondait à une expérience très précise chez Bell. Pour le développement de systèmes informatiques, il y a beaucoup de gens qu'on aurait voulu avoir au Québec ici, qui étaient déjà à l'emploi de la compagnie ou qu'on recrutait, qu'on n'a vraiment pas été capable de recruter et d'amener au Québec; ils sont chez Bell Canada, mais ils ne sont pas au Québec.

M. Paquette: Alors, je pense qu'il faut regarder ce problème de près.

M. Beauregard: En effet. (17 h 30)

M. Paquette: Maintenant, l'autre point que je voudrais examiner avec vous, c'est la question de la langue des professionnels que vous soulevez. Vous semblez trouver anormal qu'un État impose sa langue aux professionnels qui viennent y travailler, alors que certains États américains, l'État de New York entre autres, et l'Angleterre exigent des membres de certains ordres professionnels qu'ils se soumettent à des tests de connaissances linguistiques. Pourquoi ce qui est exigé ailleurs et ne fait pas peur aux spécialistes dont vous parlez fait-il peur au Québec?

M. Beauregard: Je vais tenter de répondre au mieux quitte à ce que vous me fournissiez des précisions si je n'ai pas à un certain moment tout à fait compris. D'abord, notre position n'est pas qu'il est déraisonnable d'exiger une connaissance suffisante du français pour les gens qui sont en rapport avec le public. On n'y voit pas de difficultés; on comprend très bien qu'on puisse exiger la connaissance du français pour la pratique professionnelle ici. Des dispositions ont été prévues dans la loi -sans doute avec une intention louable -d'exempter certains de ces professionnels qui travailleraient, disait-on, pour un seul employeur. Je vous avoue qu'on ne voit pas quelle différence cela fait que ce soit pour un seul employeur ou pas. L'élément critique pour nous semble être le fait qu'il n'a pas à transiger avec le public: qu'un tel professionnel soit tenu de connaître le français, là on ne voit pas très bien. On dit: Dans le cas particulier des activités de recherche et de développement, c'est vraiment pernicieux et inutile. L'article 40, je crois - je ne me souviens pas exactement de l'article - demande aux ordres professionnels de délivrer ces permis. Nous

disons que le permis devrait être automatiquement délivré par l'ordre professionnel dès que les prescriptions prévalent, c'est-à-dire lorsque le professionnel en question n'a pas à transiger au niveau d'un service public.

M. Paquette: Avec le public. Un dernier point. Je ne voudrais pas être trop long. En supposant qu'on puisse effectuer certains aménagements pour un certain nombre de spécialistes, notamment dans la recherche et dans la haute technologie dans l'optique qu'il est difficile d'obtenir des spécialistes de systèmes informatiques partout dans le monde, si on peut se donner des avantages comparatifs, pourquoi ne pas se les donner? Je suis certain que c'est une question qu'on est prêt à regarder. Au-delà de cela, je reviens à la question que j'ai posée au début. N'avez-vous pas l'impression que c'est beaucoup plus une question de climat et d'image qu'on a fait au Québec? Seriez-vous d'accord pour participer avec nous à redresser cette image? A force de dire que les entreprises seraient parties du Québec à cause de la loi no 101, les entreprises établies au Québec se nuisent à elles-mêmes; elles se rendent un fort mauvais service et rendent plus difficile le recrutement parce qu'elles contribuent à une image qui est largement faussée. Est-ce que vous seriez d'accord pour qu'on entreprenne tous ensemble, collectivement, au Québec de corriger cette image et de mettre en évidence, au contraire, les atouts que nous avons au Québec, quitte à se donner un certain nombre d'avantages comparatifs supplémentaires qui nous aideraient dans ce sens?

M. Beauregard: M. le ministre, Bell Canada à un certain nombre d'associations qui mènent des projets dans ce sens, que ce soit l'opération de fierté de Montréal qui a appuyé la Chambre de commerce de Montréal. Pour avoir été personnellement directeur général de la Chambre de commerce de Montréal il y a quelques années, avant d'être chez Bell Canada, cela a été vraiment l'attitude de plusieurs organismes d'affaires de dire: Oui, il y a des choses qui vont mal et on ne va pas se gêner pour les dire. Mais il y a des choses qui vont bien et on ne se gêne pas pour les dire, non plus.

Bell Canada, comme toutes les entreprises, a intérêt à la solidité, au dynamisme d'une économie donnée. Je n'ai pas les documents, je n'ai pas fait de recherche, mais on pourrait probablement trouver de nombreuses initiatives prises par des entreprises, dont certaines par Bell Canada, qui démontrent d'emblée que notre avenir est ici et qu'on sert la clientèle d'ici. Quand les affaires vont bien ici, c'est bon pour la compagnie. D'ailleurs, même lorsque des dirigeants de Bell Canada s'élevaient - à nos yeux avec raison - contre des modes d'application ou des façons de procéder en ce qui concerne la conversion des mentalités quant au régime linguistique au Québec, en dépit des choses dures, à l'occasion - nos dirigeants ont appelé les choses par leur nom, telles qu'ils les voyaient - je ne crois pas que cela ait jamais été fait avec le moindrement de hargne, de mépris ou autrement. On a exercé nos responsabilités de leader dans la communauté des affaires en appellant les choses par leur nom, telles qu'on les voyait.

Je suis convaincu qu'une entreprise comme la nôtre est ravie de s'associer d'emblée à tout mouvement promu par les gouvernements ou par des groupes volontaires ou par qui que ce soit de bonne volonté pour instaurer un climat de confiance, un climat dynamique, un climat propice à la conduite des affaires et à l'épanouissement des gens dans une certaine liberté.

M. Paquette: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le député d'Outremont.

M. Fortier: Je voudrais dire à M. Beauregard qu'il nous fait plaisir, que lui-même et ses collègues soient devant nous aujourd'hui parce qu'on engage le dialogue avec une société qui, de toute évidence, a déjà réalisé une grande partie des objectifs de la loi 101. D'ailleurs, vous avez fait état vous-même des félicitations que vous aviez reçues du ministre de l'Éducation, le Dr Laurin, à ce sujet. Je pense bien que tous les parlementaires ici, à la commission parlementaire, poursuivent cet objectif. Dans ce sens, je crois que votre présence ici nous permet non pas de chercher à attaquer la loi 101, non pas de voir quelles sont les difficultés qui rendraient la francisation impossible, mais de voir - tout en continuant la francisation, tel que vous l'avez fait depuis 20 ans, comme vous l'avez dit -quelles sont les modifications qui pourraient faciliter, d'une part, la francisation et, d'autre part, le développement économique du Québec. Ces deux objectifs doivent être poursuivis en tandem. C'est là la difficulté.

Cela me fait, d'ailleurs, plaisir de voir que le ministre de la Science et de la Technologie est présent cet après-midi parce que, en sa courte présence d'une heure où il a posé quelques questions, on a vu qu'il était sensible à certains de vos problèmes. J'oserais espérer que le ministre responsable de la 101 invite d'autres ministres, responsables de ministères à vocation économique, pour qu'ils réalisent qu'il y a des ajustements mineurs et peut-être importants à faire, tout en gardant en tête

l'objectif principal qui est de permettre aux travailleurs québécois de travailler en français, tout en continuant à poursuivre l'objectif fondamental.

Dans votre mémoire, vous avez fait état de plusieurs recommandations qui touchent la langue de travail, la langue de commerce, la langue d'enseignement. Vous avez fait des commentaires sur le programme de francisation et sur la toponymie. Compte tenu du fait qu'il est possible que le gouvernement cherche à voir quelles sont vos recommandations prioritaires, je vous demanderais, s'il fallait que les législateurs en fassent un certain choix, quelles seraient les deux ou trois recommandations prioritaires parmi celles dont vous avez fait état cet après-midi.

M. Beauregard: Ce sont des questions de combien de millions de dollars? Je ne me souviens plus exactement. C'est vraiment très difficile. Si je peux me permettre de revenir sur le sujet ou de saisir une perche que le ministre m'a tendue antérieurement, je dirais que ce sont les recommandations qui sont le plus de nature à permettre l'avènement d'un meilleur consensus, d'une espèce de changement de cap, en respectant l'intention de maintenir les mêmes objectifs de francisation, mais avec des moyens différents dans une dynamique nouvelle. Si vous me demandez lesquelles parmi nos recommandations le font davantage, je me permettrai d'insister sur l'une d'elles qui peut sembler à première vue très loin, mais qui m'apparaît, avoir une certaine importance: celle qui concerne les dispositions sur l'affichage. Les dispositions sur l'affichage nous amènent des difficultés mineures - il faut l'admettre - sur le plan du fonctionnement des téléboutiques. Ce ne sont pas des difficultés énormes, mais cela amène certaines difficultés. Pourquoi est-il si important de les changer? Je crois qu'un témoin devant vous a antérieurement fait valoir comment l'affichage était également important a cause de sa dimension symbolique ou autrement si on veut signaler que Montréal est une ville non pas nécessairement bilingue, mais où on peut s'exprimer dans différentes langues. C'est cela qui fait une métropole, c'est cela qui est intéressant. Ce n'est pas à vous que j'ai besoin de signaler qu'on trouve du japonais à Paris et du français à Miami et un peu partout. C'est pour des raisons - je ne sais pas - je dirais d'une espèce de connivence avec un public. Je pense que des transformations des dispositions sur l'affichage auraient probablement, à cet égard, beaucoup d'importance.

Elles nous intéressent chez Bell dans la mesure où elles se répercuteraient, croyons-nous, sur une dynamique nouvelle qui engendrerait plus de développement économique, qui engendrerait un dynamisme collectif des francophones et des anglophones au Québec pour améliorer leur sort dans un climat de respect mutuel. Ce serait un changement appréciable par rapport au relatif retranchement qu'on voit à l'heure actuelle. Pour cela, c'est important. Sans doute que, opérationnellement, pour les fins de l'entreprise, ce sont certaines dispositions qui visent les pratiques commerciales en particulier qui nous causent des problèmes assez importants. Peut-être que certains de mes collègues, soit Me Cardinal ou M. Gadoury, pourraient ajouter là-dessus, mais je pense qu'au niveau de l'identification de certaines pièces que nous achetons en grande quantité, que ce soit de l'équipement téléphonique ou autrement, il y a une série de petites dispositions qui nous amènent le plus de difficultés. Voulez-vous commenter, M. Gadoury?

M. Gadoury (Paul): Oui, M. le Président. Évidemment, lorsque l'on obtient les produits, la majeure partie du temps, ce sont des produits technologiques qui sont importés au Québec. Non seulement ces produits nous arrivent en anglais, mais aussi la documentation qui y est associée. Il faut voir la documentation qui accompagne le matériel de référence d'un centre de commutation. C'est une bible qui est à peu près de cette longueur-là. Alors, il faut la traduire pour nos techniciens et cela prend du temps. Non seulement cela prend du temps, mais souvent cette technologie n'est pas rodée avant quatre ou cinq ans; alors, on traduit des chapitres qui, deux ou trois mois après, ne servent plus du tout. Alors, ce sont des efforts qui sont engagés et ce sont des coûts réellement astronomiques. Nos techniciens, eux, veulent bien travailler en français. Nous tentons - et la plupart du temps nous réussissons - de leur fournir la documentation française, mais à certains moments c'est impossible. Évidemment, nous négocions avec les gens de l'office et ils semblent comprendre ce problème. Mais nous vivons avec des échéances qui disent, par exemple, 1985. Alors, nous nous sentons un peu corsetés par ces échéances. Non seulement nous aimerions qu'on recule cela dans le temps, mais à certains moments nous aimerions que l'on comprenne l'impossibilité de traduire ce matériel.

M. Fortier: M. Beauregard, vous avez fait allusion à la nécessité de créer un nouveau climat. Je pense que c'est ce que vous disiez. D'ailleurs, cela rejoint un peu ce que le ministre de la Science et de la Technologie disait. Il vous posait la question: Est-ce que Bell Canada est prête à collaborer?

J'ai ici devant moi le mémoire que M. de Grandpré présentait à la commission par-

lementaire des communications le 20 avril dernier, où il disait: "II faudra, avec la collaboration du gouvernement, créer un climat et des conditions de nature à les attirer ici - il parlait des chercheurs - et à retenir ceux qui s'y trouvent déjà." Mais je pense bien que l'offre était déjà faite par M. de Grandpré et que cela rejoint les préoccupations du ministre à ce sujet.

En terminant, très brièvement - c'est malheureux que l'on soit limité dans le temps - vous avez fait allusion tout à l'heure à la méthode incitative. J'imagine que le législateur, lorsqu'il a adopté la loi 101, a mis de côté un peu cette possibilité de légiférer dans ce sens parce qu'il craignait peut-être que certaines entreprises n'aillent pas assez loin dans le processus de francisation. Au moment où on fait une réflexion - c'est la raison de notre commission parlementaire - est-ce que, pour les entreprises qui ont atteint un niveau de francisation très poussé, - j'imagine que l'on pourrait classer votre entreprise dans cette catégorie - et qui obtiennent un certificat de francisation, comme cadeau, j'allais dire ou reconnaissance que l'État québécois pourrait faire en faveur d'une compagnie ou d'une corporation qui aurait fait des efforts très louables sur une période très longue et qui serait engagée d'une façon résolue dans la francisation de son entreprise, on ne pourrait pas, à ce moment-là, mettre de côté certains aspects qui sont réglementés présentement pour faire plus confiance à des méthodes incitatives?

M. Beauregard: Si vous me le permettez, l'heure aidant, il y a une blague que je voudrais faire et à laquelle je ne peux pas résister. Lorsque nous avons demandé notre certificat de francisation, en février 1983, nous avons fait valoir au président de l'office que - et M. le ministre Godin est au courant parce que je le lui ai déjà dit lors d'une rencontre privée - nous demandions notre certificat en 1983 pour la première et la dernière fois pour la simple et bonne raison que, si on n'est pas assez fins pour l'obtenir aujourd'hui, nous savons, après les efforts honnêtes que nous avons déployés, qu'on ne le sera guère plus en l'an 2017. Cela a été dit à un certain nombre de personnes, dont le ministre Godin. On a demandé le certificat en 1983, par conséquent, estimant qu'il pourrait être utile, en termes d'incitation et de marketing, d'octroyer à Bell Canada, dont la renommée est internationale au plan des télécommunications, son certificat de francisation durant l'Année mondiale des communications. On a pensé que ce serait une occasion rêvée pour MM. Godin, Bertrand, Paquette et autres de nous décerner un certificat de francisation dont nous n'avons, cependant, pas eu de nouvelles jusqu'à ce jour.

Tout cela pour dire qu'il y a des coups d'éclat qui se perdent. Ce n'est peut-être pas une incitation, mais il se fait des bons coups. Nous allons inaugurer très prochainement - en fait, lundi prochain - le nouveau centre administratif de Bell Canada. Incidemment, M. Paquette, quand Bell Canada a investi, en 1976 ou en 1977, pour établir, de concert avec la Banque nationale du Canada, son siège administratif du Québec là où elle l'a fait, je crois qu'on peut dire en toute honnêteté qu'on a servi, une fois de plus, de moteur non pas uniquement en termes d'efforts de francisation, mais en termes d'investissement, en termes de confiance marquée à l'endroit du Québec à un moment où il n'y en avait guère qui le faisaient. Ce qui s'est développé par la suite sur le boulevard Dorchester et sur le boulevard Maisonneuve, on a eu la fierté de croire qu'on y était peut-être pour quelque chose. (17 h 45)

M. Paquette: Nous sommes conscients de cette marque de confiance et nos amis libéraux doivent pâtir de votre manque de confiance lorsque vous avez déménagé votre centre de recherche à Ottawa en 1969 et en 1972.

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. le député d'Outremont.

M. Fortier: Je pense que vous venez de répondre indirectement. Je posais la question: Quelle était votre incitation? Votre incitation aurait été de pouvoir, cette année, faire un peu de publicité. Quand même, j'imagine que la réponse à ma question est oui. Ce que vous dites, dans le fond, c'est que, même si on voulait vous contraindre davantage, les difficultés auxquelles vous avez fait face continuent, mais la détermination de votre entreprise est de continuer dans cette direction.

M. Beauregard: J'oserais dire qu'indépendamment de toute loi c'est de propos délibéré que l'entreprise s'est engagée, par respect de son public, dans une démarche de francisation au Québec qui paraissait tout à fait normale. On va la faire contre vents et marées et contre les lois.

M. Fortier: Merci.

Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le député de Fabre.

M. Leduc (Fabre): Merci, M. le Président. Quelque part dans votre mémoire, vous dites que 95% du personnel est francophone ou a une connaissance appropriée du français. Est-ce que ces 95% incluent les

cadres, les contremaîtres, les administrateurs de Bell Canada?

M. Beauregard: Je pourrais répondre oui d'une façon générale; toutes ces catégories y sont un peu. Mais je vais demander à M. Gadoury, le secrétaire du comité de francisation, de vous donner quelques précisions.

M. Leduc (Fabre): Est-ce qu'on pourrait avoir un portrait peut-être plus précis de la situation en fonction des niveaux d'emploi, sans que ce soit d'un détail exagéré?

M. Gadoury: M. le Président, je tiens à vous dire que tous les six mois nous fournissons un rapport détaillé à l'Office de la langue française. Nous avons cinq groupes organisationnels qui sont réunis dans la région de Québec et le taux de francisation du niveau 4 ou 5 de l'office est à 96%. Cela, c'est pour tous les employés. Si nous incluons les 2700 employés du siège social qui travaillent au Québec - chez eux, le taux est de 58,4% - le total des employés de Bell Canada au Québec ayant un niveau supérieur de connaissance du français est à 91,1%.

Dans chaque groupe, nous avons détaillé selon les échelons. Au service à la clientèle, qui regroupe quelque 7076 employés - ce sont ceux qui transigent avec les préposés au service, les techniciens, les installateurs, les réparateurs - aux échelons supérieurs, c'est toujours 100%. Le taux le plus bas, c'est chez les 7076 employés non cadres, dont 97% sont francophones. Partout en haut de l'échelle, c'est 100%.

Dans le groupe de l'exploitation du réseau, il y a environ 4500 employés, tous francophones, même les non-cadres.

Dans le groupe de l'administration, qui inclut les affaires publiques - c'est un groupe très important - ils sont seulement 300 à 400 et les têtes dirigeantes sont francophones à 100%. Cela descend à 96% au quatrième échelon où il y a seulement 26 personnes. Chez les non-cadres, c'est 98,6%. Il faut comprendre que ce groupe a sous sa juridiction des employés qui n'ont absolument aucun rapport avec le public.

Dans le groupe de la planification de l'exploitation, on compte environ 1400 ou 1500 employés, dont 90,6% des non-cadres sont francophones. On y inclut tous les gens qui s'occupent de l'entretien des édifices. Souvent, les francophones ne sont pas tellement intéressés à faire ce travail, il faut aller recruter d'autres gens.

Le groupe du service du contrôleur, c'est le groupe de Dorval, le groupe de la comptabilité, un groupe qui a une certaine histoire dans la compagnie parce que travaillant à Dorval. L'accès à Dorval est très difficile pour les gens qui demeurent au centre-ville. Ce groupe compte donc quelque 700 employés. Les cadres supérieurs sont tous francophones et c'est au niveau des non-cadres que 78,8% des 609 employés de 50 ans et moins sont francophones. La plupart des employés de ce groupe étaient déjà localisés à Dorval il y a dix ans, soit avant l'avènement des lois 22 et 101.

M. Leduc (Fabre): Est-ce qu'un tel taux de performance a été atteint après l'adoption de la loi 101, depuis que la loi 101 est en vigueur?

M. Gadoury: Cela a été atteint périodiquement.

Une voix: Progressivement. M. Gadoury: Progressivement.

M. Leduc (Fabre): J'ai une autre question concernant le programme de francisation. En lisant votre mémoire, j'ai été un peu étonné de voir à quel point vous êtes sévère, vous avez des expressions assez dures à l'égard de l'Office de la langue française alors que, finalement - je pense que les chiffres sont là pour le démontrer également - vous avez un taux de performance assez respectable en ce qui concerne la francisation de l'entreprise. Pourtant, dans votre mémoire, vous utilisez des expressions telles que "grandes difficultés d'application", "réprimandes", "cela défie le sens commun". On a l'impression que la négociation a été difficile entre vous et l'Office de la langue française.

J'ajouterai un commentaire. On a entendu les travailleurs de Pratt et Whitney qui ont témoigné ici de façon assez sévère à l'égard de leurs patrons, de leur entreprise et qui nous ont démontré que, finalement, l'Office de la langue française était beaucoup trop tolérant à l'égard de Pratt et Whitney. Cela m'étonne donc que vous nous disiez que l'office soit ou semble avoir été aussi sévère à votre égard. Est-ce que vous pouvez nous donner quelques précisions à ce sujet?

M. Beauregard: Écoutez! Je ne vais pas vous donner des détails précis.

M. Leduc (Fabre): Non, mais...

M. Beauregard: Je n'ai pas l'intention, non plus, de répercuter ici les tractations qui ont eu cours avec l'office depuis quatre ans, dont, dans l'ensemble, on n'a pas eu à se plaindre. On a pris le soin de préciser qu'on n'a jamais eu de difficulté, par exemple, quand on a parlé de nos priorités en matière de traduction, des trucs comme cela. Cependant, si on a employé des termes durs, c'est qu'à l'occasion, effectivement, cela a donné lieu à des aberrations ou à certains

types d'accrochages ou autres, mais ce n'est pas du tout l'objet de notre mémoire. Ce sont des gens avec qui nous avons travaillé et je ne voudrais vraiment pas soulever ici ce genre de problème, si vous le voulez bien.

M. Leduc (Fabre): Mais vous comprenez le sens de ma question. Vous revenez sur le sujet dans votre mémoire. Vous utilisez des expressions qui ont attiré mon attention. Je suis content d'apprendre que cela n'a pas été aussi difficile que vous semblez le dire.

M. Beauregard: C'est-à-dire que je voudrais éviter de mettre des gens en cause. Je ne voudrais pas vous sortir ici des pièces de correspondance qui sont un peu navrantes. Je ne le voudrais pas. Est-ce que vous comprenez?

M. Leduc (Fabre): Une dernière question. Dans le cas de l'article 46, cela m'a étonné un peu. Vous dites que l'article 46 favorise l'unilinguisme chez les francophones. C'est étonnant parce que cela suppose, d'abord, que Bell Canada a atteint un degré de francisation très élevé, véritablement exemplaire, au Québec. Deuxièmement, cela suppose que l'article 46 soit vraiment contraignant alors qu'il permet quand même une forme de bilinguisme; il admet une forme de bilinguisme.

Je voudrais aussi attirer votre attention sur le fait qu'on est loin de là au Québec. J'ai devant moi une photocopie d'un journal assez récent. Dans ce journal, on voit des offres d'emplois. À 80%, on exige le bilinguisme de la part des francophones, à tous les postes. C'est étonnant de vous entendre dire une telle chose, comme s'il y avait danger que nos jeunes deviennent unilingues dans une entreprise comme Bell Canada. Pourriez-vous nous apporter des précisions?

M. Beauregard: Oui. À partir d'une situation qui était probablement un peu aberrante il y a peut-être vingt ans, quarante ans, à cause de l'état de la technologie et des personnes qui oeuvraient, travaillaient, dirigeaient ces entreprises de télécommunications, probablement qu'on exigeait de tous les gens qu'ils parlent anglais - ce qui n'était pas utile, ce qui n'était pas nécessaire - on est passé à une situation où, aujourd'hui - on ne parle pas des entreprises dans leur ensemble, mais de Bell Canada - des dirigeants de l'entreprise de la région du Québec se sont inquiétés de ce que plusieurs de nos jeunes cadres ne possèdent pas la langue anglaise à un point suffisant - je vous assure que ce n'est pas un degré d'exigence extrêmement élevé -pour entrevoir d'être utilement employés au siège social de l'entreprise ou mutés en Arabie ou en Ontario. Ce sont des cadres, des jeunes cadres.

Par conséquent, ce qu'on dit, c'est qu'un certain état d'esprit fait que de jeunes ingénieurs, hommes et femmes, des diplômés des hautes études commerciales ou autres, entrent chez Bell Canada et ont à ce point la conviction qu'ils peuvent faire leur avenir en français dans l'entreprise qu'ils sont tout à fait mal préparés. C'est, d'ailleurs, la raison pour laquelle M. Deschamps ici a une "business" florissante à l'heure actuelle, celle de donner des cours aux anglophones qui veulent apprendre le français, bien sûr, mais également à des francophones qui se rendent compte sur le tard qu'il faut faire quelque chose pour passer un certain seuil.

On vous le dit en toute honnêteté: Alors qu'autrefois, quand on entrait travailler comme cadre chez Bell, on savait d'entrée de jeu qu'on allait travailler en anglais à un moment donné, rendu à un certain niveau de gestion; aujourd'hui, on entre chez Bell allègrement, parce que Bell ne demande pas: Parlez-vous anglais? On demande simplement: Quel est l'ensemble de vos aptitudes, y compris vos aptitudes linguistiques. Personne ne dit: Pour travailler chez Bell, éventuellement, dans dix ou quinze ans, si tu veux accéder à tel ou tel genre de poste, il faudra que tu parles anglais. À cause de cela, on se rend compte qu'il y a des gens activement engagés dans l'entreprise, des valeurs sûres au plan professionnel, qui sont singulièrement et notoirement inadéquats au niveau de leur langue seconde. C'est un phénomène croissant chez nous. C'est cela qu'on vous dit.

M. Deschamps (René): Est-ce que je peux ajouter un mot ici, M. le Président? Avant l'adoption de la loi 101, dans la répartition des employés qui suivent des cours de langue chez nous, nous avions 90% de ces cours qui étaient des cours de français à des anglophones et seulement 10% de cours d'anglais. Les chiffres de 1983 nous indiquent que 40% des cours qui sont donnés, ce sont des cours d'anglais à des francophones. La compagnie dépense à peu près 400 000 $ par année pour enseigner l'anglais à des francophones.

M. Leduc (Fabre): J'aimerais ajouter un commentaire à ce que vous avez dit. On sait qu'Hydro-Québec est une très grande entreprise qui a un rayonnement international. Hydro-Québec fonctionne à peu près entièrement en français, peut-être à 90%, 95%, et cela n'empêche pas les cadres, les ingénieurs d'aller travailler à l'extérieur, d'avoir des contrats dans à peu près tous les pays où on a besoin de leurs services. Il y a un rayonnement international qui s'exerce même si on travaille dans un cadre à peu près francophone. Je pense que c'est un exemple.

M. Beauregard: Si vous me le permettez, je tiens beaucoup à apporter ici une précision, parce que vous me semblez faire un parallèle implicitement qui est mal fondé. Vous semblez indiquer qu'on travaille en français à Hydro et qu'on ne travaille pas en français chez Bell. C'est complètement faux.

M. Leduc (Fabre): Ce n'est pas cela que je veux dire.

M. Beauregard: On travaille en français dans les deux cas, mais je maintiens qu'en toute vraisemblance, quant à l'expertise exportée d'Hydro, lorsqu'elle se fait dans la plupart des pays du monde, les ingénieurs travaillent probablement en anglais au même titre que les nôtres. Voilà ce qu'on vous dit.

M. Leduc (Fabre): Oui, je suis d'accord, mais ils sont bilingues. Ils fonctionnent dans un cadre à peu près unilingue dans le cas d'Hydro-Québec et cela ne les empêche pas...

M. Beauregard: Dans le nôtre aussi. (18 heures)

M. Leduc (Fabre): Vous aussi, d'accord; mais je reviens à votre critique de l'article 46. Vous semblez souhaiter une modification à l'article 46 parce que vous craignez que cela ne conduise à l'unilinguisme à l'intérieur de l'entreprise de la part des employés.

M. Beauregard: Non, nous ne demandons pas de modifications à l'article 46. On a dit que l'existence de l'article 46 semble avoir engendré dans certains segments de la population, notamment parmi la nouvelle génération de jeunes cadres, une mentalité qui les amène à croire qu'on peut se tirer d'affaire au Québec - et c'est vrai qu'on le peut à un certain niveau et dans certaines activités - en étant unilingue français. C'est ce que je dis.

M. Leduc (Fabre): D'accord.

Le Président (M. Desbiens): II est 18 heures...

M. Gratton: M. le Président...

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: ...compte tenu qu'il semble y avoir cinq minutes dans le partage du temps qui appartiendraient au Parti libéral, pouvons-nous demander le consentement unanime pour continuer encore cinq minutes pour permettre au député de Nelligan de poser quelques courtes questions?

M. Godin: D'accord.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau, ce sont à peu près les chiffres qui sont mentionnés. Je ne le calculais pas dans ce sens, parce que tantôt, lors des interventions précédentes, il n'y a pas toujours eu égalité parfaite, mais, en tout cas, j'ai le consentement. M. le député de Nelligan.

M. Lincoln: M. Beauregard, il y a environ 23 000 employés à Bell. Pourriez-vous nous dire la proportion, le nombre de gens qui oeuvrent dans la haute technologie, dans la recherche parmi ces 23 000? Vous parlez de combien à peu près? Serait-ce possible de nous le dire? Parlez-vous de centaines de milliers?

M. Beauregard: Au Québec, on peut parler de milliers, sans doute.

M. Lincoln: Alors c'est un nombre significatif. Pourriez-vous me dire, de ces gens qui sont dans la recherche, quelques milliers ou plusieurs milliers, enfin un nombre assez significatif, combien vous pourriez en trouver sur le marché même du Québec qui ont les capacités, les connaissances nécessaires? Je parle des connaissances professionnelles; je ne parle pas de connaissances de langue nécessairement.

M. Beauregard: Quand on parle du nombre dont je viens de vous parler, de milliers, il faudrait s'entendre, et ce serait difficile de savoir de quoi on parle exactement quand on parle de haute technologie.

M. Lincoln: Oui, d'accord.

M. Beauregard: Des gens qui manipulent, qui travaillent dans la haute technologie, passablement sophistiquée, il y en a des milliers. Les gens qui travaillent au plan de la recherche, au plan du design, comme concepteurs ou autrement, leur nombre est passablement plus limité. C'est surtout là qu'est le problème.

Pour ce qui est des contingents successifs qui nous arrivent sur le marché du travail d'ingénieurs qui sortent de Laval, de McGill ou de Polytechnique, on a, au Québec, d'emblée toutes les ressources qu'il nous faut, dans la mesure, comme tous les pays occidentaux, où on a un nombre suffisant d'ingénieurs spécialisés en électronique ou autrement. Je ne prétends pas que c'est le règne des vaches grasses, mais on en a suffisamment. On parle probablement d'un nombre beaucoup plus petit, de quelques centaines, quand on parle de gens qui ont vraiment des rôles cruciaux au niveau du développement technologique, et cela, effectivement - on l'a mentionné au sommet sur les télécommunications - était

une des raisons qui limitent la rapidité du développement de Northern Telecom ou de RBN au Québec. Concernant les détenteurs de doctorats, dans certains aspects des sciences informatiques et des télécommunications, M. Montambeault a bien signalé au ministre des Communications qu'on pourrait utiliser à peu près, dans la famille Bell, une dizaine de Ph. D par année, alors que les universités du Québec en produisent un.

M. Lincoln: Est-ce dans cet ordre d'idées que l'association des directeurs de recherche scientifique avait produit un rapport au gouvernement du Québec, en 1977, qui recommandait précisément des modifications à la loi 101 par rapport à la langue de l'enseignement pour permettre une beaucoup plus grande flexibilité pour les enfants de s'adapter à l'école anglaise? Dans ce sens, est-ce une des difficultés majeures que vous rencontrez pour aller recruter des gens à l'extérieur?

M. Beauregard: Oui, il n'y a pas de doute que la loi pose des difficultés quand on approche certains candidats qu'on aimerait attirer ici.

M. Lincoln: Du côté inverse, vous transférez des francophones du Québec en Ontario, par exemple, d'une façon assez significative, plusieurs centaines et peut-être plus. Est-ce qu'ils ont des problèmes avec leur enseignement en français en Ontario?

M. Beauregard: Je suis porté à le croire. Remarquez que je suis obligé de formuler ma réponse comme ceci: Je suis porté à croire qu'ils ont sans doute dû éprouver des difficultés sérieuses à certains moments et qu'un transfert du Québec vers l'Ontario ne devait pas toujours être particulièrement joyeux, à un moment surtout où la compagnie faisait beaucoup plus de transferts qu'on n'en fait aujourd'hui. Les familles sont beaucoup moins mobiles qu'elles ne l'étaient. On ne veut pas se déplacer pour le simple plaisir de se déplacer. Il est certain que le manque de services en français en- Ontario a probablement rendu des affectations de Québécois en Ontario pas toujours souhaitables et désirables.

M. Lincoln: Quelle est la situation aujourd'hui? Le savez-vous?

M. Beauregard: Je vous répondrai juste sur la situation du court terme. Elle est malheureuse pour tout le monde, pour nos employés et le Québec dans son ensemble. Les conditions économiques sont telles qu'il n'y a virtuellement pas eu de déplacements, de mutations, de promotions chez Bell Canada depuis à peu près deux ans.

M. Lincoln: Une dernière question sur l'article 58. Vous donniez comme exemple "express cash", etc. D'après ce que disait mon collègue de D'Arcy McGee, vous n'êtes pas obligés de vous soumettre à l'article 58. Pourquoi voudriez-vous qu'on le modifie puisque, selon votre charte fédérale, vous auriez pu afficher "express cash"? Pourquoi ne le faites-vous pas de toute façon puisque vous avez la permission selon la loi fédérale?

M. Beauregard: La réponse qui me viendrait le plus instinctivement, c'est de dire - je crois que notre heure de discussion et plus vous l'a montré - que la voie qu'a empruntée Bell Canada dans ce domaine a été d'avoir le moins de confrontations - le terme serait peut-être fort - le moins de "dysfonctions" possible. On n'allait pas faire tout un plat pour la non-possibilité de mettre "express cash" "caisse rapide". On s'est plutôt dit: II y aura fort heureusement des ajustements qui seront apportés un jour; on en fera état avec peut-être d'autant plus de crédibilité qu'on aura suivi les prescriptions qui ne nous paraissaient pas particulièrement indiquées. C'est une approche qui, je crois, a caractérisé le comportement de la corporation en cette matière. On s'est accommodé de quelques frottements au nom d'une logique qui nous paraissait plus large.

M. Lincoln: S'il n'y avait pas ces accommodements - par exemple, vous parlez de l'article 58, - est-ce que vous seriez prêt à considérer l'autre solution?

M. Beauregard: Je ne suis certainement pas le grand patron de Bell Canada. Je ne sais pas quelle serait l'attitude de la corporation à cet égard.

Le Président (M. Desbiens): Je vous remercie.

M. Gratton: M. le Président...

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau, en terminant.

M. Gratton: ...si vous me le permettez, j'aimerais remercier madame et messieurs de la compagnie Bell et leur adresser non pas une question, mais une demande. Tantôt, quand on a parlé des bottins téléphoniques unilingues français, vous avez dit, je pense, si j'ai bien compris, que vous n'étiez pas habilité à nous dire pourquoi vous aviez pris cette décision. Serait-il possible de nous faire parvenir l'information à la commission par courrier?

M. Beauregard: J'en parlerai à mes collègues de Télé-Direct.

M. Gratton: Merci pour votre

présentation.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Godin: En conclusion, merci, M. Beauregard et non pas M. Beauchamp -veuillez m'en excuser - pour votre contribution à cette commission qui est remarquablement intéressante pour nous, du gouvernement, qui avons à réfléchir sur l'avenir de la loi 101 et de la francisation, avec tout ce que cela peut impliquer.

Vos diverses mentions des articles qui vous semblent causer des problèmes sont notées. Je retiens, par ailleurs, en terminant, quant à l'article 51, que sa portée est fondamentale pour le français au Québec et en Amérique du Nord. Il y a un écrivain israélien qui a dit: "Une langue, c'est un dialecte avec une armée." Nous n'en sommes pas encore là, ici, grâce à Dieu. Je dirais qu'une langue, c'est un dialecte avec un marché. Si le français est respecté au Québec, c'est en partie parce qu'il y a des milliards qui sont dépensés par des francophones pour acheter des produits ici. Donc, puisque vous récoltez environ 1 500 000 000 $ par année, selon le dernier rapport annuel, au Québec, l'article 51 vous amène par capillarité, par extension, à demander à vos fournisseurs de vous envoyer de la documentation en français. Cette demande pour le français qui vient d'ici, de notre marché, de nos poches, en fait, et de notre argent, c'est ce qui fait que le Québec peut encore parler français et pourra continuer de le faire. On a vu dans d'autres parties du continent nord-américain que, faute d'avoir ce poids économique, ce marché, le français n'a plus eu de sens, ni de portée économique. Donc, c'est une réflexion que, j'en suis sûr, vous partagez à savoir que, si le français constitue encore un poids au Canada et aux États-Unis, c'est parce qu'il y a ici un marché puissant et relativement riche. Donc, par extension, ce que vous faites en vertu de l'article 51 - et ce que vous faisiez avant, j'imagine - a un impact considérable sur le respect que le français peut inspirer dans le reste du monde. Cela joue également pour Bell Canada, pour la langue que vous avez apprise sur les genoux de votre mère. Cela joue pour Mme Cardinal, ainsi que pour M. Gadoury et M. Deschamps et pour nous tous ici.

Si cette langue, que nous avons apprise dans la maison et dans le berceau, a un sens encore aujourd'hui dans le monde, en 1983, c'est parce que nous sommes un marché. On prend des décisions qui, à première vue, peuvent être emmerdantes et ennuyeuses pour l'entreprise, mais la portée globale de ces articles est très lourde et aura des effets dans les décennies à venir. C'est pour cela que je serai très prudent avant de modifier l'article 51. Quant au reste, on peut en discuter. Merci beaucoup.

Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions.

La commission élue permanente des communautés culturelles et de l'immigration suspend ses travaux jusqu'à 19 h 30.

(Suspension de la séance à 18 h 11)

(Reprise de la séance à 19 h 46)

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission élue permanente des communautés culturelles et de l'immigration reprend ses travaux pour entendre tous les intervenants intéressés par la Charte de la langue française.

Ce soir nous entendrons la Confédération des syndicats nationaux et la Fédération des affaires sociales, le Parti québécois Montréal-Centre et le Parti québécois Dorion.

Avant d'entreprendre l'audition du mémoire de la centrale j'aimerais faire une remarque à la suite des deux propositions qui ont été faites aujourd'hui, l'une par le député de Mont-Royal portant sur la demande d'inclure le mémoire de la Chambre de commerce du Québec au journal des Débats, la deuxième par le député de Deux-Montagnes demandant d'inclure le mémoire entier de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. J'ai vérifié la directive du 30 mars 1982. Elle est très claire. Il n'y a plus aucune inclusion de mémoires au journal des Débats depuis cette date. Autrefois c'était sur demande; maintenant il n'y a plus de ces inclusions.

Je rappelle toutefois aux gens, à la population, aux personnes intéressées, que la consultation sur place au Secrétariat des commissions est toujours possible et également il y a possibilité de se procurer copie des mémoires qui sont présentés ici-même à la table du greffier pendant le déroulement de nos travaux ou de s'abonner au journal des Débats ou encore par la suite consulter les mémoires à la bibliothèque. M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: M. le Président, je vous remercie de nous avoir informés du fait que vous allez vous conformer à cette directive de la présidence de l'Assemblée. Je ne vais pas m'insurger contre ce fait mais je pense que dans les circonstances il serait bon que nous ayons comme pratique - et ce sera à vous, M. le Président, d'y voir - d'informer les gens qui se présentent devant nous que ce qui paraît au journal des Débats est ce qu'ils disent au micro et rien d'autre. Si des gens qui se sont donné le mal de travailler

pendant des mois pour préparer un mémoire plein de renseignements utiles et faisant une démonstration très poussée de leur point de vue et qu'ensuite, sentant la pression du temps, ils décident sur place de n'en présenter qu'un résumé de vive voix qui risque de n'en être qu'une pâle copie, que ces gens sachent que ce ne sera que la pâle copie qui sera au journal des Débats.

Quant à la disponibilité des textes au Secrétariat des commissions et à la bibliothèque du parlement, je prends votre assurance, M. le Président, que cela assurera la même pérennité aux textes que s'ils étaient versés au journal des Débats. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): C'est exactement cela et ils sont là pour l'éternité; sur micro film ou quelque chose d'autre probablement un jour.

M. Gratton: M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Simplement une remarque. On sait qu'avec la réforme parlementaire on risque fort que les règles de pratique changent de façon assez draconnienne. Quant à moi je retiens les propos du député de Deux-Montagnes - siégeant à la sous-commission de l'Assemblée nationale qui étudie présentement la réforme parlementaire, je pense qu'il y aurait lieu - c'est justement, au moment où on se parle, l'endroit où on en est rendu dans nos délibérations, c'est-à-dire les nouvelles commissions parlementaires - de soulever ce point et de faire en sorte qu'on puisse donner toute la latitude voulue à ceux qui veulent se faire entendre devant les commissions parlementaires, et de le faire d'une façon où ils pourraient inscrire, au journal des Débats ou ailleurs, pour la postérité des propos que le temps, que les règles de pratique ne leur permettraient pas de faire.

Le Président (M. Desbiens): M. le député d'Outremont.

M. Fortier: Je crois que l'intention de mon collègue de Deux-Montagnes n'était pas de suggérer que la meilleure façon de faire passer un point de vue était nécessairement de lire un mémoire de A à Z, puisque nous avons eu devant nous plusieurs exemples où ceux qui avaient un mémoire très long qu'ils ont lu n'ont pas réussi autant que d'autres qui l'ont synthétisé, à faire passer leur message. Je crois que ce n'était pas nécessairement l'intention de mon collègue de Deux-Montagnes de le dire, mais il faudrait quand même que ceux qui se préparent pour venir à cette commission sachent que, surtout quand la commission est télévisée comme c'est le cas présentement, une présentation dynamique, comme celle que la Société Saint-Jean-Baptiste a faite avant le dîner, est plus susceptible de faire passer un message que la lecture d'un document qui est quelquefois trop long. Par ailleurs, je crois qu'il est peut-être utile de référer au journal des Débats et de voir le texte in extenso. Mais il ne faudrait pas laisser croire à ceux qui, dans l'avenir, pourraient venir devant les commissions parlementaires que la meilleure façon de faire passer un message et d'articuler une dynamique de discussion sur deux ou trois points est de lire le document au complet plutôt que de le résumer.

Je crois qu'entre nous on se comprend, que nos désirs et les désirs de ceux qui viennent devant les commissions parlementaires seront entendus par la sous-commission de l'Assemblée nationale.

Le Président (M. Desbiens): Je vous remercie.

M. Larose, Mme Campbell et - il y a un troisième invité qui n'est pas inscrit sur ma liste.

CSN

M. Larose (Gérald): M. Rioux, le directeur de l'information à la centrale, lequel est responsable du suivi du dossier de la langue.

Le Président (M. Desbiens): Michel, je pense.

M. Larose: Michel Rioux.

M. le Président, M. le ministre, mesdames et messieurs les députés. Avant d'entreprendre la lecture du mémoire, je voudrais faire une correction immédiatement à la page 4: à la quatrième ligne, si vous voulez biffer jusqu'aux mots "se retrouve". C'était là une erreur de transcription; cela va faciliter un peu plus la compréhension du paragraphe.

Le Président (M. Desbiens): Si vous voulez répéter, s'il vous plaît!

M. Larose: C'est à la page 4, quatrième ligne: vous biffez tous les mots jusqu'aux mots "se retrouve".

Le Président (M. Desbiens): Merci.

M. de Bellefeuille: ..."Est disparu pendant qu'une autre partie."

M. Larose: Voilà, c'est cela qu'on biffe. La décision de rouvrir, à ce moment-ci de notre histoire, le dossier linguistique peut ne

pas paraître des plus pertinentes. On pourrait même s'en inquiéter, non pas parce qu'une loi étant un jour votée, il faille s'en tenir à sa lettre jusqu'à la fin des jours: il est vrai que les lois sont susceptibles d'amélioration, après avoir subi l'usure du temps, après qu'elles ont été soumises à l'expérimentation concrète. D'ailleurs, nous savons tous que les lois dont la lettre ne correspond plus à l'esprit du temps finissent par devenir caduques en quelque sorte et à tomber d'elles-mêmes en désuétude.

La question à se poser consiste donc en ceci: l'esprit qui a conduit à l'adoption de la charte, il y a six ans, et qui avait emporté un appui très large de la part du peuple québécois demeure-t-il encore? Les objectifs fondamentaux poursuivis par la Charte de la langue française qui touchent la dignité des hommes et des femmes et leur épanouissement collectif sont-ils encore valables? Sont-ils encore partagés par une grande majorité des Québécois et des Québécoises? C'est par le biais de ces questions fondamentales que nous croyons approprié d'aborder la situation. Pour la CSN, l'essentiel demeure que la francisation continue de progresser et que cette francisation continue de se faire dans le plus grand esprit de tolérance et d'ouverture d'esprit possible.

C'est ainsi que nous préférons voir, dans l'invitation qui est faite de débattre à nouveau de la question linguistique, une occasion d'exprimer un point de vue visant essentiellement à consolider les acquis.

Si nous manifestons une inquiétude quant à la pertinence de rouvrir le débat linquistique à ce moment-ci, cela tient à plusieurs facteurs. D'abord, il nous faut convenir que les coups de boutoir assénés à la loi 101 par les tribunaux ou encore par le gouvernement fédéral lors de l'adoption de la Constitution canadienne sont venus affaiblir sensiblement la force et la portée de la législation linguistique québécoise.

Des pans entiers de la loi sont tombés: le chapitre III, portant sur la langue de la législation et de la justice a été emporté, une partie importante du chapitre VIII, portant sur la langue de l'éducation, se retrouve devant la Cour suprême. Il n'est pas irréaliste de prévoir qu'à moyen terme à peu près tout ce qui touche la langue de l'enseignement devra être rebâti. Nous cueillerons alors les fruits empoisonnés d'une Constitution canadienne qui nous a été imposée par un coup de force dont nous avons déjà dénoncé la nature et la portée, mais nous n'y sommes pas encore.

De même, certaines dispositions du chapitre VII touchant la langue du commerce et des affaires se retrouvent devant les tribunaux. Sans préjuger des décisions finales, admettons cependant qu'il y a un risque potentiel de voir ce chapitre subir à son tour certaines amputations.

Quant au reste, même si la Charte de la langue française a globalement imprimé une impulsion qui, bien qu'imparfaite et encore inachevée, se dirige dans la bonne direction, on ne peut pas affirmer aujourd'hui que tout est assuré, que tout est consolidé. On ne peut certainement pas procéder à des changements à la loi qui ne tiendraient pas compte des données politiques et juridiques que nous venons de souligner. Cela fait largement partie du débat et doit absolument être pris en compte.

De là notre inquiétude devant la démarche du gouvernement. Il ne nous paraissait pas nécessaire de tenir une commission parlementaire pour que la loi soit appliquée de manière moins tatillonne puisqu'un certain nombre de problèmes en ce sens ont été soulevés depuis six ans ou encore pour que soient prises les mesures administratives nécessaires pour que ceux qui ont à appliquer la charte ne lui fassent pas dire, selon les cas, soit plus, soit moins qu'elle ne le prévoit en réalité.

La position de principe que nous soutenons est donc la suivante: Les seules modifications ou changements à la charte que nous pourrons appuyer seraient ceux ayant pour effet le renforcement du pouvoir des travailleurs sur les questions touchant la langue de travail et le respect de leurs droits syndicaux.

Nous croyons important de faire un retour, si rapide soit-il, sur ce qui s'est passé sur le front de la langue de travail depuis l'adoption de la charte.

Notons tout d'abord que les travailleuses et les travailleurs concernés au premier chef par les dispositions touchant la langue de travail ont pu sembler se désintéresser de cette question à partir du moment où la loi a été adoptée, c'est du moins l'impression qui se dégage. Il y a certes là un fond de vérité. Nous devons le constater et, en même temps, tenter de dégager un certain nombre d'explications.

Tout d'abord, comme la chose se produit souvent lors de l'adoption de lois, il y a sans doute eu la réaction normale voulant que le problème soit réglé une fois qu'une loi est adoptée. Le problème a été identifié, les choses suivent leur cours normal; comme le gouvernement s'en est occupé, on n'a plus à le faire. Nous savons bien que ce n'est pas ainsi que les choses se passent, mais il y a dans cette attitude une part d'explication à l'espèce d'apathie qui a pu être observée chez les travailleurs depuis l'adoption de la charte. Si cela a pu jouer, ce n'est pas là que nous voyons les raisons les plus importantes à la démobilisation constatée. Nous y voyons beaucoup plus le résultat de l'influence conjuguée de deux facteurs: la situation économique et la conviction rapidement acquise que les

travailleurs n'avaient pas un rôle actif dans le processus de francisation, ni la connaissance, ni les pouvoirs nécessaires à une contribution signifiante. (20 heures)

En novembre 1982, au cours d'un colloque tenu sous le thème "Langue et société", un journal avait publié le titre suivant, qui courait sur six colonnes: "La francisation nuit à la situation économique". C'était, bien sûr, un hommes d'affaires qui avait fait une telle déclaration.

D'ailleurs, il ne faut pas se surprendre des hauts cris patronaux en regard de tout ce qui touche la nécessité pour l'État d'intervenir directement pour soutenir, en l'occurrence, la francisation du Québec. C'est la même réaction que l'on constate quant à la fiscalité ou encore aux lois du travail. Les employeurs se gardent cependant, règle générale, de mettre l'accent sur les résultats positifs qui ont pu être constatés par suite de l'applicaiton de la loi 101. Une étude réalisée en avril 1980 par la firme ECONOSULT, portant sur les avantages et les coûts de la francisation, en arrivait à la conclusion qu'à moyen terme, les bénéfices pour les entreprises seraient supérieurs aux coûts inhérents à la francisation. Ces coûts étaient alors évalués à 0,5% du chiffre d'affaires, en moyenne. Selon cette étude, en effet, l'usage accru du français au travail amène un accroissement de la créativité, de l'innovation et de l'initiative, de même qu'une plus grande efficacité dans les communications. Tous ces facteurs, on le comprendra, sont de nature à avoir des effets positifs sur la productivité dans une entreprise.

Sans caricaturer, nous pourrions affirmer à peu près le contraire de ce que disait cet homme d'affaires, à savoir que c'est la situation économique qui a nui à la francisation, dans le sens suivant, à notre point de vue.

Les grandes luttes en faveur de la langue, auxquelles la CSN a toujours été intimement liée, se sont déroulées au moment où l'économie était en progrès. La récession économique, avec les difficultés réelles de chômage, les fermetures d'usines et les mises à pied à peu près permanentes, a directement influencé la capacité de mobilisation des travailleurs et de leurs organisations.

On comprendra facilement que, dans un syndicat où la moitié des membres sont en chômage, on consacre les énergies militantes de ceux qui restent à des problèmes qui se situent davantage au niveau de la survie pure et simple. La détérioration économique, qui était commencée lors de l'adoption de la loi 101 et qui s'est poursuivie avec les rigueurs que l'on connaît, a certainement été un frein pour la mobilisation des travailleurs et des travailleuses sur les questions de la langue.

À ces conditions économiques extrêmement difficiles se sont ajoutés des facteurs qui, dès l'adoption de la loi, faisaient déjà l'objet des appréhensions de la CSN. Ce qui s'est produit depuis six ans n'a fait que confirmer ce que nous avions craint et que nous avions signalé. Nous voulons parler plus précisément des comités de francisation.

Les travailleurs, règle générale, ne prennent pas beaucoup de temps avant de se rendre compte s'ils ont ou non la possibilité d'infléchir le déroulement des choses, s'ils ont ou non une prise sur le réel, en quelque sorte.

Or, après six ans de fonctionnement, on peut affirmer sans crainte de se tromper que les comités de francisation ont été un échec à peu près total. Sauf de très rares exceptions, les travailleurs et les travailleuses s'en sont désintéressés dès le moment où ils se sont rendu compte qu'ils n'avaient ni le savoir nécessaire, ni les pouvoirs qu'il aurait fallu pour changer quoi que ce soit aux intentions de l'entreprise.

Ce n'était pas l'intention de la loi de faire en sorte que les travailleurs ne se sentent pas concernés par ce qui aurait dû les intéresser au premier chef. On peut même penser le contraire. Mais le résultat demeure: les travailleurs ne se sont pas sentis intéressés par la francisation et les comités de francisation ont été rapidement perçus comme des endroits où ils ne pouvaient pas faire valoir leurs points de vue de façon valable. Or, il est dans la tradition syndicale de ne pas perdre de temps ni de gaspiller les énergies militantes à des endroits ou dans des domaines où on ne croit pas pouvoir changer ou influencer quelque chose.

Dès le départ, et cela s'est poursuivi jusqu'à maintenant, les travailleurs, les travailleuses et les syndicats se sont sentis démunis quant aux moyens à leur disposition. Au mieux, si on peut dire, ils ont joué le rôle de "rubber stamping" dans les comités de francisation. Au pire, ils n'y ont pas participé.

Minoritaires au sein de ces comités, les travailleurs n'ont pas eu non plus accès à la connaissance. Nous avions réclamé en commission parlementaire, en juillet 1977, que l'on fournisse des outils aux travailleurs et à leurs syndicats. Nous disions: "La loi devra prévoir que les dépenses inhérentes à ces comités de francisation sont la responsabilité de l'entreprise. Les moyens financiers forcément limités de nombreux syndicats locaux en amèneraient plusieurs à ne pouvoir participer à ces comités où, nous le répétons, les travailleurs sont intéressés au premier chef."

Il a fallu à peu près deux ans avant que l'Office de la langue française ne pro-

duise un dépliant expliquant aux membres des comités de francisation quels étaient leurs pouvoirs. Cet outil est arrivé trop tard, une fois que les travailleurs eurent constaté leur impuissance.

Nous nous retrouvons aujourd'hui face à une superorganisation de type bureaucratique où nous apprenons, sans pouvoir véritablement vérifier au fond des choses, que tant de milliers d'entreprises ont reçu leur certificat de francisation, que cela rejoint tant de millions de travailleuses et de travailleurs. Mais il nous manque ce que nous avons appelé plus haut la prise sur le réel et qui ne pourra qu'être le fait d'une implication beaucoup plus grande des travailleurs et des travailleuses dans le processus de francisation.

Dans ce qui s'annonce comme étant la deuxième étape de la francisation du Québec, nous réclamons que soit prévu l'élargissement de la participation des travailleurs et des travailleuses au sein des comités de francisation; il n'est pas normal que les travailleurs ne comptent que pour un tiers de ces comités.

On devra aussi prévoir qu'au sein de ces comités de francisation, dont la vocation devra être redéfinie puisque, en principe, la majorité d'entre eux est à la veille d'avoir terminé le mandat qui lui est dévolu par la loi, les travailleurs et leurs syndicats pourront compter sur un meilleur appui quant aux outils nécessaires à l'accomplissement de la tâche de francisation. Il faudra aussi prévoir que les travailleurs, les travailleuses et leurs organisations puissent compter sur les budgets nécessaires à la formation des membres de ces comités. On pourrait prendre exemple sur ce qui se fait au plan de la santé et de la sécurité, où des moyens financiers sont mis à la disposition des syndicats pour la formation et le fonctionnement des comités. Depuis l'entrée en vigueur de la loi, c'est la plupart du temps à leurs frais et aux frais de leurs syndicats que les travailleurs ont pu s'occuper de francisation. Pendant ce temps, les entreprises paient à leurs représentants les frais inhérents à l'accomplissement de leurs fonctions. On constate donc un déséquilibre sur le plan de la possession du savoir qui continue d'être à l'avantage des entreprises et qui contribue à éloigner les travailleurs de luttes auxquelles, de toute évidence, ils devraient participer.

Dans la même veine, étant donné la structure industrielle du Québec, nous réclamons à nouveau que les entreprises comptant de 50 à 100 employés soient maintenant tenues de former un comité de francisation. Là aussi, dans la perspective d'une nouvelle étape dans le processus de francisation, nous pensons qu'il serait normal que la francisation continue de s'étendre au plus grand nombre de lieux de travail.

La charte de la langue ne prévoit pas la formation de comités de francisation dans les organismes de l'administration. Nous revendiquons la création de tels comités, dans la perspective que nous venons de décrire d'une nouvelle vocation à donner à ces comités. Ils pourraient être les lieux, dans les organismes de l'administration, où les travailleurs, les travailleuses et leurs syndicats pourraient avoir une véritable prise sur l'application de la loi et sur son respect, le cas échéant.

C'est dans le même esprit que nous prenons à notre compte les revendications de syndicats de travailleurs et de travailleuses affiliés à la CSN et qui oeuvrent dans des institutions dites anglophones, particulièrement dans les institutions de santé de la région montréalaise.

Nous sommes informés du fait que les directions de ces institutions font dire à la loi 101 beaucoup plus qu'elle ne l'exige dans les faits, avec le résultat que la charte nous semble quelquefois utilisée à d'autres fins que celles pour lesquelles elle a été adoptée. Dans certaines institutions, elle semble, ni plus ni moins, utilisée à des fins politiques qui n'ont rien à voir avec la francisation et le respect des droits des travailleurs et des travailleuses. De même, le risque de voir la charte utilisée pour des fins antisyndicales doit être évité.

Actuellement, en vertu de l'article 20 de la charte, les directions d'institutions sont seules à "établir les critères et à déterminer les modalités" de ce qui est décrit dans le premier paragraphe comme la "connaissance appropriée à cette fonction", dans le cas de nominations, mutations ou promotions. Quand on laisse les employeurs déterminer seuls, de façon unilatérale, les critères de la nature de ceux prescrits à l'article 20, il est sûr qu'on peut s'attendre qu'on fasse dire à la loi, et c'est souvent le cas, autre chose que ce qu'elle dit ou que ce qui est compris dans son esprit.

C'est ainsi que dans certaines institutions dites anglophones, on fait croire à des travailleurs et à des travailleuses qu'à compter du 31 décembre prochain, tous les postes dans l'institution devront faire l'objet d'examens de la connaissance du français. On comprendra l'inquiétude qui s'empare de la femme de 50 ans, qui travaille à la buanderie, mais qui est unilingue anglophone, et à qui on fait peur en agitant le spectre de la langue pour la menacer dans son emploi.

Ne nous attardons pas sur l'utilisation politique que les dirigeants de ces institutions font de l'insécurité de ces gens; nous connaissons trop le phénomène. Mais comme organisation syndicale, nous revendiquons que soit reconnu le droit pour les travailleurs, les travailleuses et leurs syndicats de pouvoir négocier avec les

employeurs pour déterminer les postes qui nécessitent la connaissance du français; de même, en corollaire, nous réclamons que les examens pour déterminer la connaissance appropriée à la fonction soient le fruit d'une négociation et soient appliqués de façon uniforme dans toutes les institutions, ce qui n'est pas le cas actuellement. Il devra aussi être prévu qu'il ne soit pas nécessaire à une ou un employé de subir un nouvel examen dans le cas d'un changement d'institution, pour l'exercice d'un emploi similaire.

Les risques d'utilisation arbitraire ou autre seraient à notre avis de beaucoup réduits si les syndicats étaient partie prenante à ces décisions. De plus, dans l'esprit même qui a présidé à l'adoption de la loi 101, nous demandons que pour les travailleurs et les travailleuses à l'emploi de ces institutions au 31 décembre prochain, il n'y ait pas de perte de sécurité d'emploi au sens de la convention collective - ou plutôt du décret - pour la raison d'une connaissance insuffisante du français. Les travailleurs et les travailleuses anglophones conviennent du droit absolu de tous les francophones d'être servis ou soignés dans leur langue, mais nous convenons aussi que tous les postes et toutes les fonctions, dans une institution, ne nécessitent pas une connaissance égale de la langue française. Et nous réclamons pour les syndicats d'être liés à la détermination de ces critères.

Pour ce faire, le gouvernement pourrait se prévaloir des dispositions prévues à l'article 93 pour donner aux termes "les organismes de l'administration" contenus à l'article 20 le sens que les travailleurs et leurs syndicats en font partie.

Nous formulons à nouveau la revendication que des cours de français puissent être dispensés à des travailleurs et travailleuses anglophones, sur les heures de travail, pour les rendre aptes à occuper certaines fonctions. Il est injuste que pareils cours soient actuellement disponibles pour le personnel cadre et ne le soient pas pour les simples travailleurs.

Enfin, nous suggérons, en rapport avec l'article 18, que l'utilisation d'une autre langue puisse être possible dans les communications internes dans les organismes reconnus en vertu de l'article 113f, pour autant, bien entendu, que le droit des travailleurs et des travailleuses de langue française de recevoir ces communications dans leur langue soit rigoureusement préservé.

Comme nous l'avons indiqué, dès l'ouverture, il ne faut pas compter sur la CSN pour soutenir des propositions de modifications qui iraient à l'encontre des objectifs que nous avions appuyés lors de l'adoption de la charte de la langue. Ainsi, nous pensons qu'en ce qui a trait à l'affichage, par exemple, les dispositions actuelles doivent continuer de s'appliquer comme c'est le cas depuis l'entrée en vigueur de la charte, soit avec la volonté qui s'impose en même temps que la souplesse nécessaire à l'atteinte des objectifs. La charte fait en quelque sorte figure de mythe aux yeux de centaines de milliers de Québécoises et de Québécois. Elle est venue rétablir en faveur de la majorité francophone ce qui avait été jusque là un déséquilibre dangereux.

Il faut poursuivre dans cette direction, au cours de cette seconde étape de francisation, en prenant les moyens nécessaires pour que les travailleurs, les travailleuses et leurs syndicats, tel que nous l'avons indiqué dans notre mémoire, aient davantage de prise sur ces questions qui déterminent pour une bonne part leurs conditions de vie et d'existence. Dans l'histoire d'un peuple, rien n'est jamais acquis, mais la patience et la force de conviction font partie des outils à la disposition de ceux qui veulent durer. Merci. (20 h 15)

Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.

M. Godin: M. le Président, M. Larose, Mme Campbell, M. Rioux, pour avoir été membre de la CSN à l'époque où j'étais journaliste et pour avoir suivi de près les luttes de la CSN, comme d'ailleurs du mouvement syndical depuis le tout début, et pour avoir constaté que c'est grâce au mouvement syndical si, au fond, il y a au Québec aujourd'hui une loi qui reconnaît le droit des travailleurs et des travailleuses du Québec à travailler en français, j'attache beaucoup d'importance à ce que vous nous dites après quelques années d'exercice et d'application des lois 22 et 101.

Je passe dès maintenant aux questions parce que, votre mémoire étant très concret, j'aimerais, de façon plus précise, savoir comment on devrait agir à l'avenir. Dans le cas de la CSST, le financement des centrales syndicales provient, en partie, du gouvernement, je crois?

M. Larose: II provient de la caisse de la CSST qui est elle-même pourvue des sommes d'argent provenant des employeurs.

M. Godin: Est-ce que le gouvernement, comme tel, contribue au soutien des comités de santé et de sécurité du travail à l'intérieur de l'usine?

M. Larose: L'argent, c'est-à-dire...

M. Godin: Tout vient des fonds de la CSST?

M. Larose: Le fonctionnement des comités à l'intérieur des usines se fait - si

vous me permettez l'expression - sur le bras du patron.

M. Godin: D'accord.

M. Larose: À partir du moment où il y a consentement pour la création d'un comité paritaire, si le comité se réunit, je ne sais pas, le mercredi ou le vendredi, cela se fait sur le temps de travail; les gens sont libérés de leur travail par le patron pour travailler au comité de santé et de sécurité et c'est l'employeur qui les libère.

M. Godin: Est-ce que vous avez une idée, pour ce qui touche la francisation et les comités de francisation, du budget qui devrait être débloqué, peu importe la source, pour permettre aux membres de la CSN de faire leur travail librement au sein de ces comités de francisation?

M. Larose: Ce ne sont pas tellement des budgets que des conditions favorables de libération pour les travaux du comité, d'abord, et pour les travaux préparatoires à ceux du comité. Dans ce sens-là, je ne crois pas que cela puisse signifier des ajouts d'argent. C'est un aménagement du temps de travail qui permet d'assumer ces responsabilités.

M. Godin: Dans les comités actuels, dois-je comprendre que les réunions sont très peu nombreuses pour autant que vos travailleurs et travailleuses, membres de la CSN, sont concernés? Est-ce qu'il y a des difficultés qui tiennent au genre de solutions non appliquées - des solutions que vous proposez qui ne seraient pas appliquées - où les gens devraient faire cela sur leur temps à eux et non pas sur leur temps de travail? Est-ce que c'est ce que je dois comprendre?

M. Larose: Dans la pratique, ce qu'on a pu vérifier, c'est que, pour les syndicats qui sont impliqués dans les comités de francisation - les militants et les militantes impliqués - cela se fait strictement en dehors des heures de travail, donc sur leur temps de loisir.

M. Godin: D'accord.

M. Larose: Cela, c'est clair. Ce qu'on souligne, par ailleurs, c'est que, n'ayant aucun moyen pour s'équiper et se former à toute cette question, doutant aussi un peu de l'impact et de la prise qu'ils ont sur les décisions dans ces comités, ils doutent un peu de leur pertinence en termes de participation. Ce qu'on constate, c'est que les comités, globalement, n'ont pas fonctionné, à notre avis. Il y a eu des efforts au tout début, mais les gens n'ayant pas le temps, n'ayant pas été libérés, n'ayant pas eu des cours de formation pour pouvoir s'inscrire dans la dynamique, ont abandonné peu à peu. Parmi ceux qui ont continué, comme on dit dans le texte, plusieurs sont devenus des "rubber stamping". On connaît, entre autres, dans le domaine du papier, un supercomité national de francisation. Il y en a un qui est du Saguenay-Lac-Saint-Jean, l'autre du Cap-de-la-Madeleine, etc. Il reçoit la paperasse, il regarde cela et met sa griffe. Mais on ne peut pas dire que c'est véritablement un comité de francisation. Globalement, les rapports sur les travaux des comités de francisation ont été faits par les employeurs, avec l'office.

M. Godin: Merci. Maintenant, j'aimerais poser mes questions à Mme Campbell, qui a travaillé dans un hôpital anglophone de Montréal. Si je comprends bien, les hôpitaux anglophones sont plus exigeants, dans les notes de passage d'examen de connaissance du français, que l'Office de la langue française ne le serait lui-même. Est-ce que je dois comprendre que c'est ce qui se passe?

Mme Campbell (Gail): On a eu une certaine expérience où cela a été vrai. Ce qu'on cherche, c'est un moyen de faire une standardisation comme telle. Il y a des hôpitaux qui font le test eux-mêmes. D'autres institutions envoient des gens au Montreal Joint Institute. On aimerait avoir une standardisation dans toute la province.

M. Godin: Pour l'ensemble des institutions de santé anglophones.

Mme Campbell: Oui.

M. Godin: D'accord. Ma deuxième question, c'est: À l'intérieur de ces comités ou de ces institutions, est-ce qu'il y a une détermination qui est faite des postes qui exigent une connaissance du français ou si on dit que c'est tout le monde, contrairement à ce que la loi affirme?

Mme Campbell: On a cherché les moyens de connaître les ententes que les institutions avaient faites avec l'Office de la langue française. On n'a pas eu de réponse dans le secteur des hôpitaux, mais, du CSS Ville-Marie, on a eu l'information à savoir pour quelles tâches on exige la langue française, à quel pourcentage, ainsi de suite. On n'a pas toute l'information là-dessus.

M. Godin: Est-ce que je dois comprendre que certains hôpitaux anglophones seraient plus catholiques que le pape, si je puis dire, et exigeraient plus de français que l'office ou la loi elle-même? Est-ce que c'est ce que je dois comprendre à la lecture de votre mémoire?

Mme Campbell: Pour le moment, je pense que non. Mais, si la loi permet des exigences abusives, si la loi n'affirme pas qu'il y a des tests de standardisation qui doivent être passés, c'est là qu'il y aurait des problèmes dans l'avenir, je pense.

M. Godin: Vous citez dans votre mémoire l'employé de 50 ans qui travaille à la buanderie, qui est unilingue anglophone, qui n'a aucun contact avec le public et qui n'a pas besoin d'avoir une connaissance appropriée du français. Est-ce que vous avez des cas où l'hôpital ou l'institution aurait dit à des personnes de ces postes qu'elles devraient parler et connaître le français?

Mme Campbell: On a eu un cas à l'hôpital Catherine-Booth où l'administration avait menacé les travailleurs en disant qu'au 31 décembre tous les gens qui travaillaient dans cet hôpital devaient passer des tests de français. Cela a finalement été retiré. Maintenant, non, ce n'est pas nécessaire de parler le français, mais, pour être muté, pour être transféré à un autre département, même dans un département où on travaille en contact avec le public, il faudrait parler français. On aimerait, pour la dame qui travaille à la buanderie, qu'elle puisse avoir une session de formation à l'heure du travail et qu'elle puisse être transférée ou être mutée n'importe où.

M. Godin: On a laissé planer un certain temps des exigences qui allaient beaucoup plus loin que la loi, si je comprends bien, mais cela s'est résorbé à la suite de vos demandes ou de vos négociations ou discussions avec les hôpitaux anglophones. C'est ce que je comprends.

Mme Campbell: Ce qu'on aimerait avoir, c'est un moyen de faire une négociation, un comité de francisation.

M. Godin: D'accord. Une dernière question. À l'intérieur d'un hôpital anglophone, vous dites que la communication écrite devrait se faire dans la langue des personnes qui communiquent entre elles, si je comprends bien le sens du passage qui porte sur cette question.

Mme Campbell: On parle l'anglais et le français normalement. À l'hôpital Général...

M. Godin: ...mais pour ce qui est écrit, Mme Campbell, pour les communications écrites, pour vous ou vos compagnes et compagnons de travail, est-ce qu'il y a beaucoup de correspondance écrite entre employés de l'hôpital?

Mme Campbell: Entre chaque employé de l'hôpital?

M. Godin: Oui.

Mme Campbell: Non. Normalement, cela vient de la direction.

M. Godin: De la direction aux employés.

Mme Campbell: Oui.

M. Godin: Est-ce que, d'après vous, le... Oui, allez-y.

Mme Campbell: Sauf quand les gardes-malades et les médecins écrivent les notations sur un dossier du patient. À l'intérieur de la boîte, c'est là qu'il peut y avoir des problèmes. Même si cela était accordé dans la charte d'avoir le droit d'écrire les notes dans les deux langues ou n'importe quelle langue, cela peut présenter des problèmes.

M. Godin: D'après votre expérience, est-ce que la solution serait l'unilinguisme anglais ou le bilinguisme ou le bilinguisme intégral? Vu les objectifs que vous mentionnez ici, quelle serait la solution idéale qui devrait être appliquée pour les communications, la correspondance écrite à l'intérieur d'un hôpital anglophone?

Mme Campbell: C'est une bonne question. Il y a des moyens de répondre. Je ne sais pas s'il y a une vraie réponse. Si on veut garder le caractère de nos institutions anglophones, peut-être faudrait-il que les deux langues soient respectées; même si on est Québécois, si on vit ici avec le fait français, on aurait aussi les moyens de s'exprimer en anglais.

M. Godin: Alors, la solution serait-elle du côté d'une communication en anglais et en version française dans tous les cas?

Mme Campbell: Je pense que cela devrait être la meilleure méthode de procéder.

M. Godin: Merci, Mme Campbell.

Le Président (M. Desbiens): Merci. Mme la députée de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier la CSN et la Fédération des affaires sociales pour leur mémoire. Le message que M. Larose, au nom de la CSN, nous a transmis, c'est que la francisation continue dans le domaine du travail, mais que cela se fasse dans un esprit de tolérance et d'ouverture. Ici, autour de la table, on est assez conscients que, dans le domaine du travail, il y a encore des progrès à faire. Dans ce sens-là, on peut concourir à

des moyens qui seraient mis en oeuvre pour s'assurer que ceci se réalise le plus possible. Mais vous avez bien pris soin d'ajouter: dans la tolérance et un esprit d'ouverture.

Je voudrais revenir un peu sur les questions du ministre. Pourriez-vous me dire, et ceci est relatif au comité de francisation à l'intérieur des entreprises - avant de toucher aux organismes gouvernementaux que sont les institutions - dans les entreprises de quel secteur particulier se trouve la CSN.

M. Larose: La CSN a des syndicats dans tous les secteurs. Il y a les principaux secteurs, mais on a des syndicats dans tous les secteurs. Si on veut parler du secteur privé, on en a massivement dans les papeteries, dans la forêt, dans les fonderies, dans les chantiers maritimes, dans les médias, dans le commerce au détail, dans l'alimentation, dans les pêcheries et dans la métallurgie... Disons qu'on en a à peu près dans tous les secteurs.

Mme Lavoie-Roux: On a eu ici l'Association des conseils de francisation des entreprises qui est venue nous dire que la francisation était réalisée, à leur point de vue, dans 70% des entreprises privées; il restait 30%. On va laisser les 30% de côté pour le moment. Dans ces 70% des entreprises où la francisation a été réalisée, dans quelle mesure cela a-t-il affecté la majorité des travailleurs qui s'y trouvent? Car on fait une différence entre la francisation des entreprises et la possibilité des travailleurs de travailler en français. À votre connaissance, là où la francisation, selon l'Association des conseils de francisation, a été réalisée à 70%, diriez-vous que parallèlement, dans ces entreprises, les travailleurs peuvent maintenant travailler en français? (20 h 30)

M. Larose: On constate effectivement qu'il y a eu une amélioration à ce niveau. Même, je dirais que le climat dans les entreprises où on est passé du bilinguisme, dans le sens que l'employé parlait français et se faisait répondre en anglais par son patron... Maintenant que les rapports se sont normalisés en français, il y a quand même plus de sécurité, plus de bien-être dans l'entreprise. Je pense que cela a affecté plutôt les gens qui se sentent moins étrangers dans leur propre entreprise.

C'est clair qu'il reste beaucoup à faire, mais il y a quand même un minimum de fait. Quand on dit que la francisation est faite dans 70% des cas dans les entreprises, je dirais . que c'est plutôt la francisation formelle, c'est-à-dire peut-être la terminologie, un certain nombre d'affaires et souvent ce sont des programmes. Parce que, selon l'enquête qu'on a faite, c'est très régulièrement l'employeur qui a négocié avec l'office le programme de francisation; souvent cela s'est résumé à peu de chose, c'est-à-dire l'affichage en français, la terminologie, etc. Comme les travailleurs ne se sont pas impliqués dans le comité de francisation, je pense qu'ils sont en demande, sauf que, comme ils ne se sont pas impliqués dans le comité, c'est un travail qui reste à faire. C'est dans ce sens qu'on dit qu'il y a une deuxième étape à la francisation du Québec, c'est-à-dire qu'il va falloir que ce phénomène s'approfondisse.

Mme Lavoie-Roux: Vous n'avez pas de statistiques quant au pourcentage des travailleurs affiliés à la CSN qui, aujourd'hui, travaillent en français?

M. Larose: Non. L'enquête qui avait été faite précise que 55% des gens travaillent strictement en français comparativement à 47%, vers les années soixante-dix-sept, mais, chez nous, on n'a pas ce genre de statistiques pour nos propres membres.

Mme Lavoie-Roux: À la page 4 de votre mémoire, vous demandez que la loi, en certaines circonstances, soit appliquée de manière moins tatillonne puisqu'un certain nombre de problèmes ont été soulevés depuis six ans. D'ailleurs, je pense que c'est un peu l'objet de votre démarche aujourd'hui en relation avec des travailleurs syndiqués de langue anglaise qui sont dans des syndicats affiliés à la CSN.

Quels sont les problèmes que vous vouliez indiquer? Est-ce que ce sont les problèmes dont on entend généralement parler quant à l'application des tests? À quoi faites-vous référence exactement?

M. Larose: À trois types de choses. Il est clair qu'il y a eu des erreurs d'application, pensons au cas Joanne Curran, si je ne m'abuse. A notre avis, il apparaissait quand même un peu aberrant. Quand on dit moins tatillon, tout dépend qui tatillonne là-dedans. Comme Gail le disait: Comme la loi permet effectivement à chacune des administrations d'appliquer la loi un peu comme bon lui semble, de telle sorte que, pour un même type d'emploi, dans un examen qui est passé à Catherine Booth, on va demander 65% et, au Royal Victoria, 80%; il y a là un arbitraire qu'on ne trouve pas très bon. Quant à Catherine Booth, on menace les gens en disant qu'au 31 décembre, il faut que tous aient passé leurs examens de français peu importent les postes qu'ils occupent. On pense que c'est là du tatillonnage qui vient d'un peu partout.

Le sens de notre proposition, c'est d'impliquer les gens au premier chef que sont les travailleurs et travailleuses dans le processus de la francisation et de la décision de la francisation. Dans ce sens, c'est un

renforcement des comités de francisation pour que les travailleurs et travailleuses y soient impliqués, un minimum de ressources pour qu'ils puissent participer, de telle sorte que la francisation, de formelle qu'elle a beaucoup été, puisse s'approfondir.

On pourrait même voir à ce que le comité de francisation puisse organiser des cours de français sur le temps de travail pour un certain type de travailleurs qui voudraient avoir des promotions ou participer à une chance de promotion. Alors, on pourrait facilement organiser des cours dans l'entreprise ou dans l'institution. Cela pourrait être piloté par le comité de francisation.

Quand on dit tatillon, ce n'est pas à la manière du "tordeur" de Drapeau dont je pourrai parler tantôt. C'est que...

Mme Lavoie-Roux: Tout le monde peut être tatillon.

M. Larose: Pardon?

Mme Lavoie-Roux: J'ai dit que tout le monde peut être tatillon.

M. Larose: Oui.

Mme Lavoie-Roux: Chacun son tour.

M. Larose: Et ce n'est pas nécessairement la loi. Peut-être que l'encadrement de la loi fait qu'il y a plus d'arbitraire sur cette question et on pourrait s'organiser pour qu'il y en ait moins. Dans ce sens, une autre partie de notre proposition suggère que, sur la francisation, on devrait minimalement négocier les tests avec les organisations syndicales. Ce pourrait être un moyen de s'entendre sur des choses qui pourraient s'appliquer de façon équivalente pour le même monde dans l'ensemble des institutions.

Mme Lavoie-Roux: M. Larose, combien avez-vous de travailleurs syndiqués de langue anglaise?

M. Larose: Dans le secteur des affaires sociales, c'est quelque chose comme 6000 ou 7000. C'est 7000 aux Affaires sociales; à l'Éducation, il doit y en avoir environ 1500; dans le secteur privé, ce doit être environ 10 000.

Mme Lavoie-Roux: Grosso modo, entre 15 000 et 20 000, quelque chose comme ça. À la page 9, vous dites: "De plus, dans l'esprit même qui a présidé à l'adoption de la loi 101, nous demandons que pour les travailleurs et travailleuses à l'emploi des institutions au 31 décembre prochain, il n'y ait pas de perte de sécurité d'emploi au sens de la convention collective - ou plutôt du décret! - pour la raison d'une connaissance insuffisante du français." Je voudrais que vous m'indiquiez où, dans la loi 101, il y a cette menace de perte d'emploi pour non-connaissance du français. Il peut y avoir des exigences pour les mutations. Je voudrais savoir à quel article vous vous référez pour tirer cette conclusion.

M. Larose: Gail pourra peut-être donner un exemple très concret. Au bout du processus de "bumping", il peut y avoir congédiement administratif pour insuffisance de connaissance du français. Ce peut être cela. Dans votre décret, il y a les congédiements administratifs; c'est une nouveauté.

Mme Campbell: On a déjà eu le cas d'un bonhomme qui a travaillé dans un centre éducatif. Il a travaillé dans le secteur anglophone d'une institution francophone. Le secteur anglophone a été déplacé vers une autre institution et le type devait être "bumpé". Mais parce qu'il est unilingue anglophone - il vient des West Indies - il ne peut être "bumpé". L'administration l'a donc congédié.

Mme Lavoie-Roux: Merci. M. Larose, tout à l'heure, Mme Campbell a fait référence à la survie des institutions anglophones, au fait de savoir si on devait conserver des institutions anglophones. À une question du ministre, elle n'avait pas de réponse claire. Je voudrais savoir - je ne me rappelle pas le mémoire que la CSN a certainement présenté et déposé en 1977 -quelle est votre position comme syndicat sur la reconnaissance d'institutions à caractère anglophone.

M. Larose: Je vous rappellerai d'abord nos positions traditionnelles. Le ministre Godin a certainement participé à ces travaux comme militant de la CSN à l'époque. En 1969, la CSN a adopté l'unilinguisme français. L'ensemble des positions de la CSN a toujours été sous ce chapitre, d'une certaine manière. Dans les débats auxquels elle a participé, que ce soit au niveau social ou au niveau politique, la CSN en est arrivée effectivement à promouvoir l'affirmation du fait français de façon positive au Québec.

Quant aux institutions dites anglophones, à notre avis, il n'est pas pertinent d'isoler, d'identifier des institutions anglophones - parlons d'un hôpital - comme telles quoique, dans la pratique, et avec la loi 101 telle qu'édictée, on puisse effectivement satisfaire la clientèle dans sa propre langue, d'une manière ou d'une autre. À notre avis, il ne faudrait pas systématiquement établir deux réseaux chaque fois; socialement, on trouve que cela n'a pas de sens. À un moment donné, on va

devenir comme la Belgique. Cela ne doit pas être fait de cette façon. Nous pensons qu'il faut tout mettre en place pour l'affirmation du fait français d'une façon positive et en favorisant l'harmonisation ou l'intégration de l'ensemble des cultures. Mais on est d'accord avec la souplesse, à l'article 18, c'est-à-dire qu'on peut permettre, à l'intérieur de certaines institutions dites anglophones, des communications en anglais entre deux personnes qui décideraient de communiquer en anglais. On pourrait le permettre en plus du français.

Mme Lavoie-Roux: Est-ce que vous feriez une différence, comme la loi le fait, entre les institutions qui existaient avant 1977, avant l'adoption de la loi 101, et d'autres qu'on voudrait peut-être créer du point de vue d'un réseau d'institutions anglophones?

M. Larose: J'ai perdu le premier bout de votre question.

Mme Lavoie-Roux: Est-ce que vous feriez une différence - votre réponse est un peu ambivalente, disons - entre la survie d'institutions anglophones qui existaient avant l'adoption de la loi 101, c'est-à-dire avant 1977, et la création d'autres institutions anglophones qui pourraient survenir?

M. Larose: J'avoue que je ne "capiche" pas trop.

Mme Lavoie-Roux: C'est parce que j'ai essayé de comprendre votre réponse. J'ai cru comprendre que vous étiez pour les institutions anglophones, mais...

M. Larose: On n'est pas... Pour être très clair...

Mme Lavoie-Roux: Non, vous n'êtes pas... Vous êtes pour l'unilinguisme.

M. Larose: Non. Pour être très clair, on n'est pas d'accord pour l'identification d'institutions anglophones. On est clair là-dessus?

Mme Lavoie-Roux: Oui.

M. Larose: J'ai eu le malheur de voyager un peu. Il me semble qu'il n'y a pas de surprises qu'une société se donne un réseau complet et qu'en même temps elle aménage certaines affaires pour permettre, je dirais, les rapports sociaux et humains normaux. Dans ce sens-là, pour les institutions anglophones, ce qu'on dit, c'est qu'en vertu de tout ce qui existe dans la loi 101, il est possible de servir la population en tenant compte des particularités anglophones de certains milieux, mais l'institution n'a pas à être qualifiée d'institution anglophone par rapport à une institution francophone. On n'est pas d'accord avec cela.

Mme Lavoie-Roux: J'aimerais poser une question à Mme Campbell. Assez souvent, on a entendu dire que l'application de la loi 101 avait eu un effet ou a un effet - pas seulement a eu un effet - démoralisant sur la motivation des travailleurs à l'intérieur des institutions anglophones. Est-ce que c'est une fausse impression? Est-ce que c'est basé sur la réalité? What is your feeling about the application of Bill 101 to the English-speaking institutions?

Mme Campbell: There is, definitely, a feeling of impending doom. The Anglophone workers or the people... We are not only talking about Anglophones, when we are talking about the English institutions. We have to recognize that a large percentage of our worker population would be classified as allophone: So, we have Portuguese, Italian, Greek, not necessarily in that order, and about 70 other different nationalities that are represented, obviously immigrants to Québec. They are not prepared, nor are many of the Anglophones prepared to deal with the patient population. There have been definite examples where the nurses and medical staff will hide their name tag, will avoid approaching a patient because they do not have enough French. They are afraid of being reported to the Office de la langue française. There is a definite palpable fear.

Mme Lavoie-Roux: Est-ce que c'est comme cela depuis le début de l'application de la loi 101 ou s'il y a des événements qui se sont passés et qui ont intensifié ce sentiment chez les travailleurs et les travailleuses? (20 h 45)

Mme Campbell: Je pense que cela a commencé lors de l'applicaiton de la loi 101, mais, avec les événements qu'on a vécus, cela commence à être plus "tenable", parce qu'on sait que, dans la loi 101, les prolongements donnés à des institutions connues, comme l'article 113f, vont disparaître à la fin de décembre cette année. Elles savent que la loi devra être appliquée dans toute sa vigueur, mais ce n'est pas tout le monde qui a acheté la loi, qui l'a lue, qui l'a étudiée. C'est peut-être avoir peur de ce qu'on ne sait pas. On a plus peur de ce qu'on ne sait pas, mais, avec tous les autres événements qu'on a vécus avec ces gens, cela a créé des problèmes.

Mme Lavoie-Roux: Est-il exact que l'application des tests ou le fait de devoir passer un test pour être promu à l'intérieur de l'institution décourage le personnel de se présenter à une promotion, par exemple de

passer du niveau d'infirmière auxiliaire à infirmière? Le fait que la promotion exige le test, est-ce que cela finalement empêche le progrès ou la promotion qui devrait normalement se faire plus naturellement? Y a-t-il un fondement à cela?

Mme Campbell: C'est certainement vrai. Si tu sais que tu accomplis bien ta tâche comme préposée à la buanderie et que tu aimerais travailler comme préposée aux bénéficiaires, tu n'es pas certaine de connaître assez le français pour le travail et tu seras même bloquée par le test.

Mme Lavoie-Roux: You will not make the move?

Mme Campbell: Tu ne vas pas mettre ton nom en candidature pour le poste.

M. Larose: D'où l'importance de développer des instruments comme des types de cours à donner pendant les heures de travail pour que ces gens puissent se sécuriser eux-mêmes, dans un apprentissage plus articulé de la langue française. C'est le sens de la proposition.

Mme Lavoie-Roux: Y a-t-il des institutions qui ont organisé de ces cours et dans quelles conditions les donnent-elles? Sont-ils accessibles au personnel?

Mme Campbell: Le CSS Ville-Marie a déjà commencé à donner des cours. Cela a commencé il y a à peu près un mois. On les donne durant les heures de travail. Ils sont donnés à trois niveaux. Les employés y vont à des heures différentes. Je ne sais pas exactement commence cela fonctionne, mais je sais que cela fonctionne. On a abordé toutes les autres institutions anglophones afin d'avoir une entente de principe concernant des sessions de formation. Il n'y a qu'une institution qui a signé l'entente, c'est l'hôpital chronique Maimonides, les autres institutions ont peur de signer une entente de principe, elles ne veulent rien savoir de cela.

Mme Lavoie-Roux: La dernière question que j'ai à poser s'adresse à Mme Campbell. On dit dans le mémoire, à la page 8 - M. Larose y a touché tout à l'heure - "Dans certaines institutions, la loi ou la charte a été utilisée, ni plus ni moins, à des fins politiques qui n'ont rien à voir avec la francisation et le respect des droits des travailleurs." Il a donné comme exemple le cas de Catherine Booth Hospital. Est-ce une chose accidentelle ou si cela a été généralisé dans les institutions anglophones qu'on ait utilisé la charte à des fins politiques? I mean, is it accidental or is it generalized?

Mme Campbell: In the sense that if you do not want an employee, if you want to block a certain employee from getting a certain job, you could tell him he does not have enough French and he will not get the job.

Mme Lavoie-Roux: But it is an individual case?

Mme Campbell: The individual cases like that, that is possible. The concrete case that we have is of the Catherine Booth Hospital.

Mme Lavoie-Roux: In a general way, it is the only case you know of?

Mme Campbell: At this moment.

Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. Je voudrais dire à M. Larose, à Mme Campbell et à M. Rioux que, quant à moi - je pense que je suis pas le seul - je trouve leur mémoire particulièrement intéressant. Chaque mémoire jusqu'ici nous a apporté des éléments nouveaux par rapport aux mémoires antérieurs ou précédents. C'est particulièrement le cas du vôtre qui a l'avantage de remettre certaines choses dans une perspective différente, une perspective, peut-être, plus juste. Par exemple, il y a une expression que vous employez que je trouve très juste, très appropriée. Vous parlez de la deuxième étape de la francisation du Québec puisqu'il n'est pas question de renoncer aux objectifs et que, s'il y a un réexamen des dispositions que nous prenons pour franciser le Québec, ce réexamen ne peut mener qu'à une deuxième étape dans la francisation du Québec.

Par ailleurs, j'ai écouté et lu avec beaucoup d'attention cette critique - pas du tout une critique sévère, mais c'est quand même une critique que vous faites - de la démarche du gouvernement. Vous affirmez, à la page 4, qu'il ne vous apparaissait pas nécessaire de tenir une commission parlementaire pour faire en sorte que la loi soit appliquée de manière moins tatillonne. Je ne lirai pas le reste, nous l'avons tous entendu, mais je crois que vous avez raison de vous interroger. Nous devons tous nous interroger sur le sens de la démarche du gouvernement.

Je me souviens de la déclaration d'ouverture du député de Gatineau. Je ne suis pas intervenu à ce moment là-dessus parce que les déclarations d'ouverture, ce n'est pas tout le monde qui en fait, cela appartient au ministre et au principal porte-

parole de l'Opposition, mais le député de Gatineau nous a assurés, à ce moment, de sa parfaite ouverture d'esprit. Je ne mets pas cela en doute du tout, je pense que son ouverture d'esprit s'est manifestée au cours des séances de la commission, mais ce que je veux faire observer, c'est qu'il déclarait avoir l'esprit ouvert quant aux changements à apporter à la Charte de la langue française. Donc, il y avait dans l'esprit du député de Gatineau un postulat, un axiome selon lequel nous devions modifier la Charte de la langue française et c'est là-dessus que je serais intervenu ce jour-là pour dire que, quant à moi, avoir l'esprit ouvert, c'est d'abord se demander s'il faut la modifier. Il ne faut pas dire: Quels changements? Il faut d'abord dire: Faut-il la changer?

Notez qu'avec le temps qui passe, pour ce qui est de la démarche du gouvernement, je l'appuie parce que, comme cela a été dit, après six ans, des personnes sages et raisonnables doivent pouvoir se pencher sur une loi fondamentale comme celle-là vu qu'elle a fait l'objet d'un certain nombre de critiques y compris - comment dire? - une mise en boîte constitutionnelle et une mise en boîte devant les tribunaux. Devant une situation comme celle-là, des personnes sages et raisonnables doivent effectivement réexaminer ce qu'elles ont fait. Mais, avec le temps qui passe, effectivement, ayant l'esprit ouvert, je commence à accepter l'idée que, peut-être, il faut faire des changements.

Vous nous en proposez et je trouve cela intéressant. Vous nous proposez, par exemple, de faire des changements, que ce soit par voie législative, réglementaire ou autre, de façon à donner aux travailleurs les instruments voulus pour participer à la francisation en ce qui concerne les lieux du travail. Je trouve cela extrêmement intéressant. Je considère que vous faites là un apport très précieux à nos travaux. Je suis sûr que nous allons tous examiner cela de près pour voir comment nous pouvons donner corps à cette recommandation qui est extrêmement cohérente par rapport aux positions que nous connaissons généralement de la part de votre centrale. La participation réelle des travailleurs, c'est un objectif que vous poursuivez généralement dans bien d'autres domaines et on ne peut que vous en louer et chercher à faire en sorte que vous puissiez l'atteindre.

Ceci dit, je voudrais vous poser deux questions. La première, c'est par rapport aux entreprises qui sont en retard dans leur programme de francisation. Les gens qui suivent les délibérations se demanderont peut-être si je mets toujours le même disque. J'ai effectivement tendance à poser toujours la même question à plusieurs intervenants. Ce n'est pas par distraction, c'est au contraire à dessein que je le fais pour qu'on puisse comparer les différentes réponses obtenues à une même question. La question est la suivante: II y a un certain nombre d'entreprises qui sont en retard dans la mise en oeuvre des programmes de francisation qu'elles ont elles-mêmes acceptés dans leurs négociations avec l'Office de la langue française. Que devons-nous faire comme société, comme législateurs, comme gouvernement? Patienter, élever le ton, adopter des lois et des règlements? Qu'est-ce que nous devons faire?

M. Larose: J'attendais la deuxième question, mais je peux déjà répondre.

M. de Bellefeuille: Elle viendra, elle viendra.

M. Larose: Écoutez, je pense qu'il y a eu une stratégie patronale pour la francisation. Elle n'a peut-être pas été uniforme. J'entendais les gens de Bell Canada louanger leurs propres efforts. Je pense qu'ils étaient dans une position où ils n'avaient pas le choix d'avoir ou non une entreprise massivement francophone au Québec. À partir de la clientèle massivement francophone, ce serait surprenant qu'une entreprise de communication se mette à parler le chinois à des Anglais. Bon. Mais il y a une dynamique des entreprises que plusieurs connaissent. C'est comme dans toute négociation, à un moment donné, il faut commencer à serrer quelques affaires. C'est d'ailleurs très précis dans l'enquête que nous avons faite. C'est dans la mesure où les travailleurs ont pu s'impliquer dans un certain nombre de comités et qu'ils ont décidé de "prendre cela sous le bras" que la plupart des délais ont été respectés. Là où les travailleurs s'en sont désintéressés, ou en tout cas n'ont pas pris le temps de suivre à la trace le programme de francisation, cela a été délai par-dessus délai. On connaît cela dans la francisation, mais je vais vous dire qu'on connaît cela dans bien d'autres domaines. Dans ce sens-là, à mon avis, la patience a habituellement des limites et moi, je ne serais pas scandalisé qu'on doive prendre des mesures pour qu'effectivement les 30% dont on parlait tantôt accouchent. Entre nous, si après six ans ils n'ont pas accouché, je vous prédis que dans six ans ils n'accoucheront pas encore. C'est clair. D'autant plus que la loi 101, pour plusieurs entreprises, et c'est courant chez le patronat, c'est le prétexte à tout. La loi 17, du 1er septembre, c'est le prétexte à pas mal de choses. Toute intervention de l'État pour orienter ou pour imprimer une direction à certains comportements n'est jamais bienvenue chez le patronat. Alors, il ne faut pas s'attendre qu'ils accouchent de programmes et qu'ils respectent des délais s'il n'y a pas un peu de "forcing", pour

prendre un terme grec!

M. de Bellefeuille: Un peu de "forcing" auquel pourrait contribuer une participation plus effective des travailleurs au processus, je suppose?

M. Larose: Oui. Je pense que, si rapidement on pouvait reformuler la vocation des comités de francisation, y asseoir la participation des travailleurs, la première étape de la francisation se ferait beaucoup plus rapidement et peut-être que tout le monde serait rendu à la deuxième étape avant longtemps.

M. de Bellefeuille: Ma deuxième question, c'est à propos du mémoire qui nous a été présenté au nom de la ville de Montréal par son maire, Me Jean Drapeau. Vous avez un certain nombre de vos membres qui habitent ou travaillent à Montréal, ou les deux à la fois. Le maire Drapeau nous a proposé, ou presque, de dispenser la ville de Montréal de l'application de la Charte de la langue française. Qu'est-ce que vous pensez de cette demande? (21 heures)

M. Larose: Mon concitoyen Drapeau est d'une verve... Après la baignoire, c'est le "tordeur". On va avoir tout le "set" de cuisine avant longtemps. Sauf qu'habituellement il paie à crédit, mais sur la carte d'un autre. S'il fallait effectivement avoir un "tordeur" pour éliminer tous les irritants, je pense qu'il serait peut-être le premier à passer dans le "tordeur". Je trouve que M. Drapeau "chire" - c'est le minimum qu'on puisse dire - quand il parle, entre autres, d'une hypothèque psychologique et que cela nuit à Montréal. Puis-je lui dire que les hypothèques olympiques nuisent encore plus à Montréal? Il ne faudrait pas, quand même, proposer une zone franche linguistique comme il existe des zones franches économiques aux Philippines, où n'importe qui peut aller sans payer d'impôt, sans être soumis à rien. Il prétend que, si on lui remettait le soin d'appliquer la loi 101, mon Dieu! il semble que cela irait très bien. D'abord, on sait que le problème linguistique ne vient pas de Trois-Rivières et ne vient pas de la Pente Douce de Québec; il vient de Montréal. Cela s'adonne qu'il est là depuis au moins 25 ans. Depuis 1969, il y a trois gouvernements qui se sont fait les dents sur la langue. Alors, qu'il vienne nous dire, après un quart de siècle de règne, qu'il a la formule pour que cela passe et que tout le monde soit à l'aise... Le monde sera à l'aise mais "un" monde. À mon avis, je sais très bien quel monde sera à l'aise. Ce sont ceux qui impriment le développement économique à la ville de Montréal.

En plus, si j'ai bien entendu un des ses passages - il a voyagé lui aussi - il disait qu'il avait vu de l'hébreu à Paris. Bien moi, je vois de l'hébreu à Montréal, et c'est permis par la loi 101. Cela est aussi le genre de réflexions qui discréditent la loi 101: c'est comme si, par la loi 101, il n'existait plus rien d'autre que du français.

Je fais visiter la ville de Montréal. J'habite Hochelaga-Maisonneuve, mais il n'y a pas qu'Hochelaga-Maisonneuve à Montréal. Je fais visiter Montréal... C'est curieux, mais il me semble que je n'ai pas besoin de sortir une carte pour savoir ce qu'est le quartier grec ou le quartier chinois. Il existe une signification, je dirais, culturelle, même écrite. Cela n'a rien à voir avec la façon que la loi dicterait comme devant être seulement en français. Dans ce sens, je trouve que le maire nous a mal servis. Il n'est pas du tout question, du moins pour la CSN, de laisser aller et de retourner "back" à 1974 ou 1975 ou à la loi 22.

Le sens de notre intervention est clair. C'est que les objectifs de la loi à la détermination desquels on a massivement participé doivent se poursuivre. Par ailleurs, il faut s'organiser pour que les gens participent davantage à l'approfondissement de cela. Par rapport aux anglophones ou aux allophones, il faut leur donner tous les moyens nécessaires pour, effectivement, se sentir à l'aise dans cette opération de francisation et que cela ne se fasse pas à leur détriment, au niveau de la "job" ou autrement. Dans ce sens, je pense que c'est clair. M. Drapeau peut serrer son "tordeur" ou s'en servir pour d'autres fins que celles pour lesquelles il a voulu s'en servir.

M. de Bellefeuille: Merci.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Fabre, en terminant.

M. Leduc (Fabre): Merci, M. le Président. J'aimerais savoir si c'est votre centrale qui regroupe la majorité des travailleurs anglophones et allophones des institutions de santé.

M. Larose: Oui.

M. Leduc (Fabre): C'est votre centrale?

M. Larose: Oui.

M. Leduc (Fabre): Ce sont des institutions anglophones, c'est cela?

M. Larose: Oui.

M. Leduc (Fabre): Ma deuxième question. Nulle part dans votre mémoire vous ne parlez de la langue du travail, c'est-à-dire du chapitre VI, articles 41 à 49, qui font partie intégrante de toute convention collective. Est-ce à dire que vous êtes

satisfaits en tant que travailleurs de ce chapitre sur la langue du travail?

M. Larose: On n'a effectivement pas d'observation particulière là-dessus. Il y a ce qu'on disait tantôt, mais plus lié au contenu de la convention collective. Il ne faudrait pas se retrouver, en bout de processus de "bumping", avec pour motif l'insuffisance du français de quelqu'un qui perd son emploi. C'est clair.

M. Leduc (Fabre): Dans votre mémoire, vous parlez d'entreprises de 50 à 100 employés et vous proposez qu'il y ait des comités de francisation. Avez-vous songé aux entreprises de moins de 50 employés qui présentement ne sont pas protégés - oui, je dirais protégés en partie par la loi 101 - qui n'ont ni comité de francisation ni de programme de francisation? Avez-vous une réflexion à nous faire à propos de ces entreprises?

M. Larose: La proposition visait tout simplement à être accessible immédiatement et opérationnelle. Alors, dans ce sens-là, on s'est fixé un chiffre, 50, mais on ne s'opposera pas du tout à quelque chose qui serait plus exigeant encore et qui effectivement pourrait toucher toutes les entreprises. Mais on vous dira, pour avoir eu et avoir des expériences précises en santé et sécurité, que c'est difficile à établir immédiatement. Si déjà il y avait des comités de francisation dans l'ensemble des entreprises qui comptent 50 employés et plus, on couvre pas mal de territoire et on peut imprimer à des entreprises qui sont moins grosses un tonus par celles qui sont plus grosses.

M. Leduc (Fabre): Merci.

Le Président (M. Desbiens): Je vous remercie...

M. Godin: M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Godin: D'abord, félicitations pour votre récente accession à ce poste qui, semble-t-il, est difficile à occuper pendant de longues périodes. Bonne chance, en tout cas.

Je retiens de votre mémoire un certain nombre de suggestions très précises. Sachez que l'objectif fondamental de la francisation du monde du travail au Québec reste sacré pour le gouvernement actuel. Merci beaucoup.

Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions de votre participation.

J'invite maintenant le Parti québécois de Montréal-Centre à se présenter à l'avant, s'il vous plaît.

Parti québécois de Montréal-Centre

M. Boulerice (André): Mesdames et messieurs les députés...

Le Président (M. Desbiens): Oui, M. Boulerice, vous pouvez y aller. M. Bégin.

M. Boulerice: M. le Président, mesdames et messieurs, nous ne sommes pas fâchés de passer à 9 heures. Nous avons eu peur de passer à 3 heures, étant l'heure où normalement les gens travaillent, donc ne peuvent être à leur écran de télévision, ce qui privait les 180 000 personnes qui nous appuient de pouvoir assister à cette démarche.

Si nous vous disons en introduction dans le texte que vous avez que nous représentons les 17 associations de comté de Montréal-Centre, j'ai le plaisir de vous informer que le mémoire que nous vous présentons reçoit un appui tout à fait unanime d'autres régions du Parti québécois, à savoir Montréal-Ville-Marie, Montréal-Rive sud, Laval, Laurentides-Lanaudière, Mauricie-Bois-Francs, Côte-Nord, Outaouais, Abitibi-Témiscamingue, Saguenay-Lac-Saint-Jean, Gaspésie-Bas-du-Fleuve, Îles-de-la-Madeleine et Capitale nationale dont le président, Me Bégin, m'accompagne.

C'est à Montréal que s'est toujours jouée, d'après nous, la partie la plus importante de ce que nous appellerons la bataille du français. Ainsi, M. le Président, quoi de plus naturel que nous nous présentions devant cette commission, nous de Montréal-Centre, lorsque l'on connaît l'importance de ce débat dans nos sociétés canadiennes et québécoises et que l'on sait quelle place a occupé ce débat dans notre parti politique, et plus précisément dans notre région.

Si nous représentons les milliers de membres de ces associations régionales ou locales, nous avons le très fort sentiment de représenter également ces milliers de Québécoises et de Québécois qui éprouvent chaque jour, depuis 1977, de plus en plus d'indignation à être périodiquement traités de racistes, de fascistes ou même de nazis parce que, conformément au mandat reçu de l'électorat québécois, le gouvernement a légiféré dans le domaine de la langue, avec un succès certain si on considère les tentatives timides et infructueuses des gouvernements précédents.

Peut-on, M. le Président, traiter de fasciste un peuple minoritaire qui a voulu donner à sa langue la place qu'elle est en droit d'occuper? Peut-on traiter de racistes les citoyens de cette terre accueillante, sans doute une des plus accueillantes au monde?

Les Québécois étaient-ils racistes lorsqu'au XIXe siècle ils s'entêtèrent à élire député de Trois-Rivières un compatriote d'origine juive contre l'avis contraire et obstiné du gouverneur anglais de l'époque? D'ailleurs, une plaque nous le rappelle dans cette enceinte et, à notre grande joie, nous avons remarqué ce matin que flottait sur notre édifice un drapeau dont les couleurs s'apparentent aux nôtres et qui est le drapeau de l'État d'Israël.

Les Québécois étaient-ils racistes lorsqu'ils accueillirent des milliers d'immigrants irlandais? Posons la question, M. le Président, aux Hongrois de 1956, aux Chiliens de 1973, aux Libanais de 1975, aux réfugiés indochinois de 1979, aux réfugiés d'Amérique centrale et d'Afghanistan des derniers mois. Était-il raciste le peuple qui donne son nom à tout citoyen, peu importe son origine ethnique ou sa langue maternelle? La loi 101 ne dit-elle pas, au premier paragraphe de son préambule: "Langue distincte d'un peuple majoritairement francophone, la langue française permet au peuple québécois d'exprimer son identité"?

Nul peuple ou ethnie, ici ou ailleurs, surtout pas au Manitoba, n'est en mesure de nous donner des leçons de démocratie ou d'humanité. Le 26 août 1977 vit le couronnement législatif d'un long débat amorcé au début des années soixante, débat au cours duquel la communauté québécoise francophone a pu faire les constats suivants: - elle est très largement minoritaire en Amérique du Nord avec un ratio de 40 contre 1; - elle est très nettement minoritaire dans la Confédération canadienne, et cette minorisation ne cesse de se réaliser d'année en année, lentement mais inexorablement. Le recensement de 1981 nous apprend des choses fort pertinentes. En 1971, nous représentions 22,58% de la population et, en 1981, 21,83%. À ce rythme de 0,7% par décennie, nous serons moins de 20% en l'an 2000, à la condition bien entendu que la minorisation ne s'amplifie pas. Reste à voir; - malgré la loi fédérale des langues officielles, l'assimilation des populations francophones du Canada est toujours tristement irréversible. En Ontario, en 1971, 4,6% et, en 1981, 3,9%. Au Manitoba, 3,9% en 1971 et 3,1% en 1981. Donc nous constatons, M. le Président, le même taux de minorisation qu'au Québec par rapport au Canada, phénomène à mon point de vue inquiétant; - l'assimilation est en oeuvre également au Québec et, qui plus est, la langue française n'occupe même pas au Québec et a fortiori au Canada la place que son soi-disant statut d'égalité lui garantit au Canada: égalité de droit, mais égalité d'usage; - la situation des Franco-Québécois, minoritaires au Canada, commande des mesures particulières de protection et de promotion. Donc le constat de 1977 est tristement valable en 1983.

L'Assemblée nationale du Québec adopte le projet de loi 101, dit Charte de la langue française, et décrète que le français est la langue officielle du Québec, tout en reconnaissant l'apport précieux des minorités ethniques à son développement et en réservant un statut privilégié à la communauté anglo-québécoise quant au droit à l'enseignemet dans sa langue. Cette charte établit des droits linguistiques fondamentaux pour les francophones, statue que le français est la langue de la législation et de la justice, précise que le français est la langue du travail, du commerce et des affaires. (21 h 15)

Six ans après l'adoption de la loi 101, où en sommes-nous? C'est l'objet de cette commission de faire le point, non seulement sur le contenu de la loi, mais surtout sur son application.

Tout organisme, corps constitué et gouvernement doit revoir ses politiques à la lumière de l'expérience, en faire le bilan et tracer de nouvelles perspectives.

Dans cette optique, notre région s'est penchée sur les chapitres I, II, III, IV, VI, VII et VIII du texte de la loi.

Au chapitre I, nul ne songe à retrancher l'article qui proclame que le français est la langue officielle du Québec, même si certains ont des réticences à reconnaître ce fait officiellement ou voudraient voir cet article modifié. C'est navrant de voir qu'un groupe comme Alliance Québec se refuse à inclure dans sa charte la reconnaissance de la primauté du français au Québec. Si, d'après eux, cela va sans le dire, cela va mieux en le disant et surtout en l'écrivant.

Quant au chapitre II, droits linguistiques et fondamentaux, nul ne songe, du moins nous l'espérons également, à retrancher le chapitre II et ses cinq articles qui traitent des droits linguistiques fondamentaux.

Le chapitre III, langue de la législation et de la justice. Quant à ceux qui veulent ici, aujourd'hui, retrancher le chapitre III sur la langue de la législation et de la justice, nous rappelons que c'est ailleurs et hier que ce chapitre a été rendu inopérant à la suite d'un jugement de la Cour suprême du Canada. Nous déplorons qu'après ce jugement, le gouvernement du Québec n'ait pas, au moins, envisagé de garantir le droit de traduction des jugements rendus en anglais à des francophones dans une cour du Québec comme le garantit dans ses propres tribunaux l'article 5 de la loi fédérale des langues officielles.

Nous croyons que les francophones au Québec, comme c'est le cas en Ontario, ont droit à des interprètes de l'État lorsque leur

procès se déroule entièrement ou en partie en langue anglaise. Tout ceci est en accord avec l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Le chapitre IV, la langue de l'administration. En ce qui a trait à la langue d'administration, nous jugeons pertinent de citer certaines données du rapport de l'Office de la langue française de 1981-1982, dernier paru en date, et qui fait état de l'avancement au 31 mars 1982 du processus de francisation des organismes de l'administration.

Le rapport indique que sur 1800 organismes municipaux, 195 avaient, à cette date, un programme de francisation en cours d'exécution, 98 avaient un certificat délivré après un programme de francisation et 824 certificats ont été accordés sans programme.

Sur les 246 organismes scolaires, 37 avaient un programme de francisation en cours d'exécution, 23 avaient un certificat délivré après programme et 92 sans programme.

Sur 1280 organismes de santé et de services sociaux, 135 avaient un programme de francisation en cours, 69 avaient un certificat délivré après programme et 843 sans programme.

Nous pourrions nous contenter de ce bilan purement mathématique, ce que nous ne ferons pas. De telles statistiques ne donnent pas une image réelle de la situation. Nous savons pertinemment que les certificats furent souvent donnés d'une façon bureaucratique.

En premier lieu, à ce chapitre, nous déplorons qu'il y ait à peine une douzaine d'employés pour faire appliquer la loi 101 dans l'administration alors qu'il y en a plusieurs centaines pour faire appliquer la loi des langues officielles dans la seule fonction publique fédérale. Ce contraste est d'autant plus frappant que la loi 101 s'applique à autant de fonctionnaires provinciaux, municipaux et travailleurs parapublics qu'il y a de fonctionnaires concernés par la loi fédérale des langues officielles.

De plus, nous constatons que l'arrêté en conseil no 77-424, du 26 octobre 1977, prévoyant, entre autres, la formation de comités de francisation à l'intention des organismes de l'administration, n'a pas été mis en application dans sa totalité, sauf exception dans le cas d'Hydro-Québec, croyons-nous. Cet arrêté prévoit aussi une définition des postes bilingues de l'administration conformément à l'esprit et à la lettre de l'article 46. Ici encore, nous sommes obligés de constater que ces dispositions n'ont pas été respectées.

Finalement, nous relevons une différence majeure de sens entre la version anglaise et française de la loi pour l'application de l'article 24. Cet article 24 nous renvoie à l'article 113 - on sait que c'est toujours étourdissant, mais enfin - dont le texte français dit: "personnes en majorité d'une langue autre que française", alors que la version anglaise dit: "speak a language other than French". La version anglaise, plus précise, oblige à calculer les majorités non plus sur la base de la langue maternelle, mais bien sur celle de la langue parlée.

Chapitre VI, la langue du travail. Pour aborder ce chapitre, nous devons retourner d'abord au chapitre II, "Les droits linguistiques fondamentaux", en particulier à l'article 4 où l'on dit: "les travailleurs ont le droit d'exercer leurs activités en français".

Cet article de la loi donne le droit à l'usage du français, mais ne garantit pas l'usage exclusif du français au travail. Par conséquent, les travailleuses et les travailleurs unilingues francophones ne sont pas protégés par cet article de la charte, et c'est inacceptable.

C'est le droit à l'emploi dont il est réellement question ici, M. le Président. Il y a incapacité de la loi à garantir aux travailleurs francophones un emploi s'ils sont unilingues. Le bilinguisme comme condition d'embauche augmente depuis l'adoption de cette loi; en preuve, nous vous citons, en référence, les travaux du Conseil de la langue française. Quand on sait que le but de la loi 101 n'était pas de stabiliser le bilinguisme, mais bien de franciser, on regarde ces statistiques avec inquiétude.

La formule linguistique privilégiée par les travailleurs francophones de l'ensemble du Québec et de l'agglomération de Montréal pour les années 1971, 1979 et 1982, en pourcentage, cela donne ce qui suit. À peu près uniquement le français: en 1971, 66,2%; en 1979, deux années après l'application de la loi 101, 69,4%; en 1982, retour, mais en deçà de 1971, 66%. À peu près uniquement l'anglais: en 1971, 2,9%; en 1979, 2,8%; en 1982, 1%. Les deux langues: en 1971, 30,9%; en 1979, 27,8%; en 1982, 33%.

Le deuxième tableau s'intitule: Pourcentage général d'usage du français par les travailleurs francophones de l'extérieur de Montréal et de l'agglomération de Montréal, pour les années 1971, 1979 et 1982. Pourcentage d'usage du français pour ceux qui emploient les deux langues au travail -le bilinguisme - Montréal: en 1971, 67,4%; en 1979, remontée artificielle, 70,8%; en 1982, 66,3%.

Donc, le Québec est loin d'être aussi français que l'Ontario est anglais et on pourrait dire que le Québec est aussi bilingue que le Canada ne l'est pas.

Nous posons donc des questions sur cette absence de garantie pour les travailleurs unilingues français.

D'ailleurs, M. le Président, le gouvernement du Québec n'est pas le dernier à provoquer une telle situation puisque, en premier lieu, 17 000 fonctionnaires

québécois, en vertu des règlements de classification de la Loi sur la fonction publique, ont des exigences de bilinguisme, au besoin. Cela, nous le précisons, n'inclut pas les fonctionnaires qui sont touchés par l'article 26.02, et qui sont bilingues en vertu des décrets gouvernementaux qui leur tiennent lieu de convention collective. Nous aimerions vous souligner le libellé de cet article: "L'employé dont la langue maternelle est le français doit utiliser la ou les autres langues qu'il connaît aux fins de communications externes selon les nécessités du service et conformément aux lois." Nous nous étonnons donc qu'au Québec, contrairement à la fonction publique fédérale, ce soient les compétences linguistiques personnelles de l'employé qui déterminent le statut linguistique du poste. L'inverse nous aurait semblé plus habituel. Nous pouvons affirmer que, malheureusement, la loi 101 est impuissante à empêcher des procédés non seulement discriminatoires en vertu de l'article 10 (sur la langue) de la Charte des droits et libertés, mais encore cela a pour effet de contourner l'interdiction des exigences linguistiques supplémentaires à l'embauche prévue à l'article 46 de la loi 101.

Ce que l'État employeur peut faire et fait est imité forcément par d'autres employeurs. Ceux-ci ont donc avantage, nous le comprendrons - le vieil adage le dit bien - à ne pas être plus catholiques que le pape.

Comment pouvons-nous expliquer une telle aberration? Nous nous interrogeons sur la possibilité réelle et le droit d'un employé bilingue de pouvoir n'utiliser que le français dans son travail, alors qu'il n'y a aucune précision sur le caractère bilingue du poste et surtout aucune exigence préalable concernant une langue seconde.

De plus, l'interprétation et l'application qui est faite jusqu'à ce jour par l'Office de la langue française de l'article 46 rend pour ainsi dire celui-ci, à toutes fins utiles, caduc.

Nous nous expliquons. Jusqu'ici, nous avons entendu des plaintes d'anglophones à l'endroit de l'office au sujet de ses interprétations, lesquelles interprétations ont été qualifiées de mesquines et restrictives aux dépens de l'usage de l'anglais. Nous voulons, pour notre part, protester énergiquement contre une autre interprétation restrictive de l'office, cette fois-ci au détriment des francophones.

Ainsi, nous remarquons, à l'article 46, que l'office limite l'accès aux seuls candidats refusés à un emploi bilingue et qu'elle n'admet pas que cet article puisse remettre en cause le bilinguisme des postes déjà comblés. Cela explique pourquoi, en cinq ans, il n'y a eu que cinquante requêtes contre des postes bilingues, alors que ceux-ci se multiplient.

Nous sommes dans la situation de constater de plus que l'Office de la langue française n'a pas inclus l'article 46 dans les modalités prévues à l'article 141h concernant l'objectif des programmes de francisation des entreprises, à savoir: une politique d'embauche, de promotion et de mutation appropriée. Pour preuve, nous ne trouvons aucune statistique quant aux postes bilingues ou unilingues dans les entreprises ayant un certificat de francisation.

Il en est de même concernant l'article 131, celui-ci se référant aux organismes de l'administration. Nous pouvons affirmer qu'il n'est nullement fait mention du statut linguistique des postes dans les organismes de l'administration.

Concernant l'article 46, l'office n'agit jamais de sa propre initiative, mais seulement après requête de quelques rares intrépides, ne craignant pas les foudres d'un employeur peu enclin alors à les embaucher. En termes juridiques, toutefois, l'office pourrait agir sans attendre les requêtes de l'extérieur.

Avant de terminer sur ce chapitre, nous insistons brièvement sur l'article 41. Son libellé fait en sorte que la dernière jurisprudence à ce jour exclut les communications personnelles ou particulières de l'employeur à l'employé des obligations de la charte, ce qui signifie, par exemple, qu'un travailleur québécois francophone peut être congédié par une lettre rédigée uniquement en anglais.

Chapitre VII, la langue du commerce et des affaires. Le chapitre VII sur la langue du commerce et des affaires est sans doute celui qui est l'objet des plus dures et des plus fréquentes critiques. Les attaques se retrouvent presque chaque jour dans les médias.

Ses articles 61, 62, 63, 64 et 65 revêtent une importance considérable, puisque ce sont les dispositions qui visent à donner au Québec cette image distincte française. Cette image, réalité à préserver, ne permet-elle pas, de plus, aux Canadiens des autres provinces de se distinguer du voisin du Sud?

Après une lecture attentive des articles cités ci-haut, nous en venons à la conclusion que l'interprétation et l'application de l'Office de la langue française sont satisfaisantes et qu'il n'y a pas lieu de les modifier. (21 h 30)

Nous avons fait état tantôt de la visite du maire de Montréal à cette commission parlementaire. M. Drapeau avait l'habitude d'apporter des cadeaux aux ministres en commission parlementaire. Nous regrettons qu'il ait perdu ses bonnes manières et nous avons voulu suppléer en vous offrant des photos de la ville de Montréal que vous allez sans doute juger très intéressantes et qui sont relatives au chapitre VII. L'amballage

est sobre. Voici ce qu'on appellerait un "old time favorite" bien connu, et je pourrais vous les montrer. Il y en a une autre ici. "Over 16 000 000 sold in USA". Je ne sais pas combien de millions de vendues au Québec. On va pouvoir se payer une affiche française. Il y en a une qui est pour le moins attristante puisque c'est une institution tellement québécoise; on ne s'explique pas comment il se fait qu'elle n'a pas été francisée plus tôt: "Tavern". Voilà.

Chapitre VIII, La langue de l'enseignement. Certains y proposent des modifications. Nous avons déjà pris connaissance de la position du conseil exécutif de la ville de Montréal et nous pouvons ici commenter cette position en disant qu'elle révèle une profonde méconnaissance de ce chapitre. La proposition de la ville de Montréal vise à créer, par les distinctions de formation des parents ou par la spécificité des emplois, des catégories d'immigrants. Mais à ce chapitre, comme celui sur la langue de la législation, nous venons tard puisqu'il y a lieu de craindre un jugement de la Cour suprême du Canada, lequel rompra la paix scolaire qui prévaut et qui, par ce biais essentiel et capital de la langue d'enseignement, renforcera le courant d'assimilation et de minorisation de la population francophone du Québec. L'article 23.02 de la Loi constitutionnelle de 1982 vous fera revenir au principe du libre choix dans la langue d'enseignement. La question que nous posons est: Quelle loi comptera présenter le parti politique au pouvoir à l'Assemblée nationale lorsque ce chapitre sur la langue d'enseignement sera déclaré inconstitutionnel en vertu des lois du Canada?

Par conséquent, M. le Président, mesdames et messieurs de cette commission parlementaire sur la Charte de la langue française, nous vous demandons, découlant des remarques, commentaires et observations précédents, d'apporter à la loi 101, Charte de la langue française, les modifications suivantes. Au chapitre II, que l'article 4 de ce chapitre, Droits linguistiques fondamentaux, soit modifié de façon qu'il se lise comme suit: "Les travailleurs ont le droit d'exercer leurs activités exclusivement en français, sauf exception prévue par la loi." Que le chapitre III, La langue de la Législature et de la justice, rendu inopérant à la suite de la décision de la Cour suprême du Canada soit remplacé par ce qui suit, conformément à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867: "a) Tout justiciable a le droit à une traduction française écrite, prévue et payée par l'État des jugements faits en anglais dans les tribunaux au Québec conformément à l'article 5 de la Loi des langues officielles du Canada. b) Tout justiciable a le droit d'avoir un interprète, prévu et payé par l'État, pouvant traduire en français les débats d'un procès comportant en tout ou en partie des interventions en anglais". Au chapitre IV, que l'on ajoute un article 30 qui se lirait comme suit, au sujet de la langue de l'administration: "Qu'il y ait création d'un comité permanent de francisation - comité mixte, il va de soi visant dans chaque organisme de l'administration à l'application de la charte." Il s'agit de donner ici aux travailleurs du secteur public les mêmes droits que ceux du secteur privé.

Chapitre VI, La langue du travail. Que la première phrase de l'article 41 du chapitre VI, La langue du travail, soit modifiée de façon qu'elle se lise comme suit: "L'employeur rédige dans la langue officielle les communications collectives ou individuelles qu'il adresse à son personnel."

Que l'article 45 de ce même chapitre soit modifié de façon qu'il se lise comme suit: "Il est interdit à un employeur de congédier, de mettre à pied, de rétrograder, ou de déplacer un membre de son personnel, pour la seule raison que ce dernier refuse d'utiliser une langue autre que la langue officielle, lorsque l'usage d'une autre langue n'a pas été prévu aux conditions d'embauche ou de travail en vertu de l'article 46 de la charte."

Sixièmement, que le premier paragraphe de l'article 46 du chapitre VI, toujours sur la langue du travail, soit modifié de façon à ce qu'il se lise comme suit: "Il est interdit à un employeur d'exiger comme condition d'embauche ou de travail, à un emploi ou à un poste, la connaissance et l'usage d'une langue autre que la langue officielle, à moins que l'accomplissement de la tâche ne nécessite la connaissance et l'usage de cette autre langue".

Qu'un troisième paragraphe soit ajouté à l'article 46 et qu'il se lise comme suit: "Que dans le cas où un poste bilingue a été légalement autorisé dans les organismes de l'administration, une prime doit être accordée à l'employé. Une prime équivalant à 5% du salaire brut est ajoutée si cette connaissance est orale et à 10% du salaire brut si cette connaissance doit aussi être écrite."

Nous croyons qu'il ne s'agit ici que d'équité envers un groupe de travailleurs desquels des compétences supplémentaires sont exigées et chez qui les effets sur la productivité devraient être reconnus et récompensés. Ce que fait d'ailleurs, M. le Président, le gouvernement fédéral du Canada et le gouvernement français. Nous espérons que ce même principe puisse être appliqué dans le secteur privé.

Voilà, M. le Président, l'essentiel de nos revendications. Si ces revendications ont porté, pour une très grande part, sur le chapitre de la langue du travail, c'est que nous trouvons aberrant, indécent, que des

milliers de Québécoises et de Québécois, trop souvent des jeunes formés dans nos meilleurs écoles techniques, collèges et universités, soient en chômage. Nous trouvons honteux qu'ils se voient refuser des emplois du fait qu'ils ne parlent que la langue française.

Dans son bilan de 1981-1982, l'Office de la langue française écrit ce qui suit: "L'avenir de la francisation n'est pas encore assuré. Il reste aléatoire, fragile et il importe qu'il soit défendu avec conviction par les divers organismes créés par la charte, mais aussi par la volonté collective des Québécois, par leur engagement renouvelé et quotidien envers les objectifs de la francisation. Ceux-ci correspondent en effet à ce désir d'identité en même temps qu'à ce besoin de dignité, de fierté, qui se traduit par la détermination à maintenir et à épanouir le caractère français du Québec. Des exemples récents nous ont d'ailleurs montré que l'avenir de la francisation continue d'être menacé, du moins dans certains secteurs de la société. Des attaques renouvelées ont été portées contre la Charte de la langue française au Québec. Ces attaques très vives ont pu engendrer une certaine confusion et de profonds malaises dans l'opinion francophone, d'autant plus qu'elles s'employaient souvent avec habileté à activer, à actualiser un sentiment de culpabilité collective, fait naturel dans une collectivité qui n'est pas encore habituée à ses nouveaux objectifs et qui peut ressentir une certaine gêne à les affirmer avec toute la force et la vigueur que manifestent depuis des siècles d'autres collectivités qui n'ont pas été soumises aux mêmes contraintes que le Québec."

Nous faisons nôtres ces remarques, M. le Président, et nous nous permettons d'ajouter que ceux qui, avec nous, ont travaillé à la présentation de ce mémoire et ceux qui l'ont adopté en notre conseil régional sont tous de cette génération issue de la révolution tranquille avec son désir d'être maître chez soi. Notre génération est celle, justement, comme le mentionne le bilan de l'office, de la fierté et de la dignité. Nous n'avons aucune gêne, aucune culpabilité envers la francisation du Québec puisque nous avons montré et continuons de le montrer, comme nous le disions en introduction, un respect accueillant des autres. Les Franco-Québécois sont toujours minoritaires au Canada et de plus en plus, répétons-le.

Les rapports de forces au Canada et en Amérique du Nord sont tels qu'il faudra toujours lutter avec ou surtout sans indépendance politique, afin de protéger les acquis et éviter de sombrer dans un confort illusoire et une indifférence aveugle dont l'issue nous serait fatale. Les Québécois ont donc avantage à se méfier de marchands de sommeil qui, tantôt, proposent souveraineté culturelle ou sécurité culturelle.

La loi 101 et les améliorations que nous souhaitons y apporter sont d'autant plus importantes qu'elles visent à protéger une minorité linguistique qui a été laissée sans défense par la nouvelle loi constitutionnelle canadienne puisqu'il faut remarquer, pour conclure, que cette nouvelle constitution protège toutes les minorités linguistiques provinciales, mais oublie la minorité franco-québécoise.

En définitive, il s'agit, pour nous, de mesures et de garanties exceptionnelles pour un peuple qui est seul sur ce continent.

Nous vous remercions, M. le Président, mesdames et messieurs de cette commission parlementaire d'avoir bien voulu nous entendre et nous vous prions d'agréer l'assurance de notre très haute considération.

Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.

M. Godin: M. Boulerice, M. Bégin, merci de votre mémoire. Le PQ de Montréal-Centre a été associé de près à la réflexion qui a entouré la rédaction de la loi 101, comme vous avez été en quelque sorte les moteurs de l'humanité qui s'incarne dans la loi 101. La connaissance intime des problèmes que vivaient les Montréalais anglophones et francophones, dès le début des travaux préparatoires à la loi 1, à l'époque, a été très utile au gouvernement pour arriver à pondre une législation qui - on le constate à l'usage six ans après son existence - était empreinte d'une grande sagesse. Si, aujourd'hui, le climat passionnel qui entourait les anciens débats linguistiques est relativement apaisé, je pense que c'est grâce à cette sagesse qui a entouré la rédaction de cette loi.

Une seule question en ce qui me concerne. À la page 8, vous vous étonnez qu'au Québec, contrairement à la fonction publique fédérale, ce soient les compétences linguistiques personnelles de l'employé, etc... Est-ce que vous affirmez que la loi 101 est impuissante à empêcher les procédés discriminatoires en vertu de l'article 10 de la Charte des droits et libertés? Est-ce que vous avez des cas précis où, effectivement, des problèmes ont été posés à des personnes, à des individus à la suite de ce manque ou de ce défaut dans les lois actuelles? Ou vous situez-vous au niveau des principes de droit?

M. Boulerice: Premièrement, M. le ministre, si vous me le permettez, je vais vous remercier de reconnaître de façon éclatante l'humanité qui régnait lors des discussions au moment de l'adoption de la loi 101, spécialement dans notre région. Vous savez que le sujet me tenait à coeur et surtout, le droit et le respect des minorités, puisque je n'ai pas besoin de vous le

rappeler, M. le Président, celui qui est actuellement président de Montréal-Centre était à cette époque président du Parti québécois du comté de Westmount. C'est d'autant plus évident, M. le ministre, que lorsque l'on regarde le programme de notre parti, on s'aperçoit que ce qui touche à la langue officielle du Québec - je ne m'en plains pas - se résume à cela. Par contre, lorsque l'on feuillette ce programme de notre parti politique, nous remarquons également que pour ce qui est des droits des minorités culturelles au Québec, le texte s'étend sur une page et demie. Je pense que cela témoigne de l'esprit qui anime le Parti québécois à ce niveau.

(21 h 45)

Pour ce qui est de votre deuxième question, il s'agit des principes tout d'abord. Il y a effectivement des cas que je n'ai malheureusement pas avec moi. Nous n'avions pas prévu d'interventions plus détaillées à ce sujet, sauf que je pourrai, si vous le désirez, vous soumettre l'autre partie du dossier par courrier très prochainement.

M. Godin: S'il vous plaît! Merci.

M. Boulerice: Merci.

M. Ryan: M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): Merci. M. Ryan, je vais devoir procéder de la même façon que pour le ministre de la Science et de la Technologie cet après-midi et demander le consentement des membres de la commission, puisque vous n'êtes pas inscrit sur la liste des membres...

Une voix: Qui n'est pas inscrit?

Le Président (M. Desbiens): M. le député d'Argenteuil.

Une voix: Ah, allons-y.

Le Président (M. Desbiens): Alors, il y a consentement. Allez-y, M. le député d'Argenteuil.

M. Godin: II n'y a aucun problème, M. le député d'Argenteuil.

Une voix: Vous êtes bien bon.

M. Godin: Est-ce que M. Gratton consent aussi?

M. Gratton: C'est évident. Une voix: ...le questionner.

Le Président (M. Desbiens): M. le député d'Argenteuil, vous avez la parole.

M. Ryan: Merci, M. le Président. Je voudrais tout d'abord féliciter le Parti québécois de la région Montréal-Centre du caractère précis du mémoire qui est soumis à cette commission. Sauf quelques passages dont j'aurai l'occasion de parler ensuite, la plupart des observations qui nous sont communiquées ont un caractère assez précis pour que l'on puisse se former à leur sujet une opinion non moins précise. C'est peut-être la meilleure façon de chercher à améliorer la loi. L'élan général de votre mémoire va plutôt dans le sens d'additions au contenu de la loi alors que la plupart des mémoires que nous avons entendus jusqu'à maintenant vont plutôt dans le sens de certaines réductions ou de certains ajustements. Cela fait partie du jeu d'équilibre auquel doit s'attendre une commission comme celle-ci.

Je voudrais engager avec vous la discussion sur quelques points plus précis de votre mémoire, mais après avoir fait la remarque générale suivante. Cela fait bien des fois que j'entends cette observation depuis le début des travaux de la commission. J'entends des représentants de la majorité s'ériger en juges satisfaits du traitement qui est fait à des groupes minoritaires au Québec. Je voudrais simplement vous rappeler une vérité de bon sens élémentaire qui est que lorsque l'on veut se faire une idée juste du traitement qui est accordé à des groupes minoritaires, il faut surtout écouter les représentations des groupes minoritaires. Il ne faut pas se fier à l'opinion de la majorité. Les majorités sont rarement des juges fiables dans ces questions. Si vous allez demander à ceux qui ont voté en faveur du référendum à Winnipeg s'ils traitent bien leur minorité francophone, ils vons vous dire: Oui, ne vous inquiétez pas, tout va très bien. Ils sont mieux traités que les Ukrainiens et que les Polonais au Manitoba qui n'en demandent pas tant qu'eux.

C'est simplement une remarque que je vous fais parce que je l'ai entendu de la part de plusieurs intervenants depuis deux ou trois jours. Je veux simplement dire que je ne suis pas d'accord avec cette approche et que si on veut arriver à une société véritablement juste, il faut être capable de chercher et de trouver honnêtement un régime sous lequel tout le monde sera raisonnablement satisfait et où on n'entendra pas toujours le groupe majoritaire dire: II n'y a pas de problème, nous sommes satisfaits, on les traite bien; qu'ils se ferment donc la boîte et tout va être réglé. Cela n'est pas ma conception de la démocratie, je vous le dis franchement. Cela ne veut pas dire que j'approuve toutes les plaintes que j'entends. Je veux les écouter et je me dis que c'est mon devoir comme législateur de trouver un équilibre quelque part.

Je veux tout d'abord souligner certains points de votre mémoire avec lesquels je serais enclin à être d'accord. Vous dites, par exemple, à la fin de vos recommandations, qu'il y aurait lieu pour l'Assemblée nationale d'adopter une loi garantissant certains droits à des justiciables en matière de traduction de jugements qui pourraient être rendus en anglais, en matière de service d'interprètes à l'occasion de procédures judiciaires qui pourraient se dérouler en anglais. C'est vrai qu'il n'y a pas de garantie législative à cette fin depuis que le chapitre de la loi 101 traitant de la justice a été déclaré invalide par la Cour suprême du Canada. Je serais très spontanément enclin à appuyer une loi qui apporterait des garanties comme celles que vous demandez. Réservant mon jugement sur le libellé même du texte que je n'ai pas eu le temps d'étudier à fond, dans l'ensemble je serais porté à être d'accord avec cela assez facilement.

Quand vous proposez que l'article 41 de la loi 101 soit modifié de manière que l'employeur soit tenu de rédiger dans la langue officielle non seulement les communications collectives mais aussi les communications individuelles qu'il adresse à ses travailleurs, je pense que vous proposez une addition qui se justifie très bien et je pense que le gouvernement aura intérêt à considérer la possibilité d'apporter cette amélioration à la loi 101.

Il y a d'autres points sur lesquels j'ai plus de doutes. En ce qui regarde les postes bilingues dans les entreprises je pense que vous devez soupçonner la marge de souplesse qu'il faut savoir conserver dans les entreprises. Quand un employeur embauche une personne, il peut arriver qu'à ce moment il n'ait pas eu à faire face à des besoins de communications en anglais avec sa clientèle, mais que le besoin se présente par la suite et qu'on n'ait pas le temps d'attendre toutes les procédures devant l'Office de la langue française.

Je ne sais pas, je vous pose le problème. Vous pourrez ensuite faire vos commentaires là-dessus. Je pense que dans la vie des affaires... J'ai moi-même dirigé une entreprise pendant quinze ans et je me souviens qu'à un moment donné, un de nos syndicats était parti un petit peu en peur au sujet de questions comme celles que vous soulevez. Je me souviens que j'avais demandé au président: Quand va arriver un appel de Toronto demain pour offrir d'acheter une page de publicité dans le journal, est-ce que vous voulez dire que vous allez répondre au client de Toronto: On regrette, ici on parle seulement le français. J'ai dit: Je suis plus intéressé aux 600 $ qu'on facturait dans le temps pour une page pour payer votre salaire de la semaine prochaine.

En somme, j'ai l'impression que les précisions que vous proposez d'apporter dans la loi seraient de nature à introduire une rigidité excessive, artificielle, qui serait susceptible de conduire à une plus grande emprise de la bureaucratie linguistique sur le fonctionnement des entreprises. C'est malheureusement un point - peut-être qu'on n'aime pas cela l'entendre - sur lequel la très grande majorité des employeurs sont d'accord pour trouver qu'il faut plus de souplesse et non pas plus de rigidité.

Je comprends l'objectif que vous poursuivez et je pense que nous y souscrivons tous mais j'ai l'impression que les amendements que vous proposez à ce chapitre sont moins intéressants, moins pratiques surtout que ceux à propos desquels je vous ai exprimé mon accord spontané.

En matière de langue d'enseignement, je pense que c'est la partie la plus faible de votre mémoire. Je pense que c'est une partie qui est assez typique de la langue alarmiste dans laquelle le Parti québécois, dont vous représentez une des sections importantes ici, a souvent tendu à s'exprimer. Lorsque vous dites qu'un jugement éventuel de la Cour suprême dont nous ne voulons pas préjuger pour l'instant pourrait conduire à un danger de minorisation de la population francophone du Québec, je crois que vous exagérez quelque peu les choses. Je voudrais peut-être donner un petit peu de précisions là-dessus.

D'abord, je pense que vous êtes d'accord avec moi pour convenir qu'il y a un paragraphe dans cet article 23 de la nouvelle constitution canadienne dont vous parlez, l'article 23.1a qui autoriserait l'admission à l'école anglaise pour les enfants de langue maternelle anglaise. Cet article ne peut s'appliquer dans la province de Québec sauf sur résolution ou loi dûment adoptée par l'Assemblée nationale du Québec. Dans la constitution, c'est inscrit "le gouvernement ou l'Assemblée nationale" et nous avons adopté, par la suite, à Québec, la loi 62 en vertu de laquelle un changement de cette nature devrait être approuvé par l'Assemblée nationale du Québec avant de s'appliquer au Québec. Par conséquent, je ne pense pas que ce soit pour demain matin ni pour un avenir prévisible.

Il reste les articles 23.1b, 23.2. Dans votre mémoire vous parlez de l'article 23.2; je vais y venir tout de suite après. L'article 23.1b est l'article qui permettrait la clause Canada entendue dans son sens restrictif, c'est-à-dire "autorisant l'admission à l'école anglaise pour les enfants de parents ayant reçu leur enseignement primaire en anglais dans une autre province canadienne."

L'étude de M. Paillé faite pour l'Office de la langue française établit hors de tout doute, à mon point de vue, qu'il n'y a pas de danger de minorisation dans l'application éventuelle de cette clause. Je comprends que le Parti québécois a son programme de réciprocité là-dessus et qu'il veut sauver un

petit peu les apparences en s'accrochant à cela pour un certain temps.

Une voix: ... M. Ryan: Oui?

M. Godin: Le principe de la juridiction des provinces en éducation, M. le député d'Argenteuil. C'est un principe, une chose avec laquelle vous êtes familier.

M. Ryan: Nous avons dit au Parti québécois que s'il avait été assez réaliste et ouvert pour accepter cette règle avant la nouvelle Constitution canadienne, on ne serait pas dans l'impasse actuelle. Si le Parti québécois avait défendu le droit de veto du Québec quand c'était le temps, on n'aurait pas eu cet amendement non plus. Je ferme la parenthèse là-dessus.

M. Godin: II n'y en a jamais eu. Cela n'a jamais existé.

M. Ryan: Au contraire, il était dans les propositions...

M. Godin: La Cour suprême...

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. le ministre.

M. Godin: Est-ce que je peux poser une question au député d'Argenteuil?

Le Président (M. Desbiens): Si le député d'Argenteuil accepte.

M. Ryan: Volontiers, pourvu que ça ne compte pas sur le temps qui nous est imparti parce que c'est un peu en dehors du sujet.

M. Godin: M. le député d'Argenteuil, reconnaissez-vous avec moi que le dernier arbitre en cette matière de l'appartenance ou non d'un droit de veto à une province ou à l'autre était entre les mains de la Cour suprême?

M. Ryan: Volontiers.

M. Godin: La Cour suprême n'a-t-elle pas dit que le Québec n'avait jamais eu de tel droit de veto?

M. Ryan: Oui, mais je vais vous dire autre chose. Écoutez la fin de la réponse. Il y avait sur la table, il y a deux ans et demi, une proposition formelle du gouvernement fédéral proposant une formule d'amendement qui comportait un droit de veto pour le Québec. Le gouvernement dont vous faites partie maintenant a levé le nez sur cette formule au profit d'une formule d'amen- dement qui ne comportait pas le droit de veto pour le Québec. C'est à la suite de cette ouverture que dès le lendemain de l'élection de 1981, sans aucune consultation avec l'Assemblée nationale, d'autres ont trouvé un prétexte pour avancer dans cette direction qui n'avait jamais été entrouverte par aucun autre gouvernement avant le vôtre. C'est la réponse complète à la question.

Maintenant, je reviens...

Des voix: Avez-vous d'autres questions? M. Godin: Vous auriez dû le garder!

M. Ryan: Je reviens au point qu'a soulevé M. Boulerice. Je discute en toute cordialité, sans aucune passion. Je crois que l'article 23.1b ne comporte pas de danger de minorisation pour le Québec. Le Parti québécois ne se rend pas service en faisant de la dramatisation autour de cela. Si, un jour, l'Assemblée nationale pouvait l'adopter de son propre chef, librement, mais de manière lucide et ouverte, je pense qu'on ferait un pas en avant considérable.

En ce qui touche l'article 23.2, je pense que vous exagérez considérablement le danger. Il y a cependant lieu de l'examiner et je me demande si, dans une négociation serrée sur ce point précis, il n'y aurait pas moyen d'obtenir certaines améliorations qui permettraient à tout le monde de disposer de ce chapitre du litige constitutionnel d'une manière qui soit raisonnablement sécurisante pour le Québec. De toute manière, je me sens obligé d'émettre une restriction, surtout des réserves sérieuses sur le style plutôt alarmant dans lequel est formulé cette partie de votre mémoire.

Pour le reste, je ne sais pas s'il y a lieu d'envisager le même genre de mécanisme à Ottawa qu'à Québec. Je pense que votre mémoire méconnaît un peu les problématiques très différentes qui régissent l'action des gouvernements aux deux niveaux, au niveau fédéral et au niveau québécois. Au niveau fédéral, le gouvernement a adopté une loi sur les langues officielles dont l'objet est, de toute évidence, l'avancement du français. Il n'y avait pas besoin de loi des langues officielles pour l'anglais, il était présent partout. Alors, ils ont dit: On fait une loi des langues officielles pour assurer qu'il va y avoir certains progrès du français. Et il y a eu beaucoup de progrès du français, même si c'est loin d'être satisfaisant.

Au Québec, on a adopté une loi pour assurer le respect des droits de la majorité. Je ne pense pas que dans l'administration publique, en particulier dans la fonction publique québécoise, dans les sociétés d'État, dans les organismes qui relèvent directement du gouvernement québécois, il y ait eu de gros problèmes de francisation qui se sont

posés. Il y avait des petits problèmes ici ou là, qu'on était capable de régler sans être obligé de recourir à tout cet appareil législatif que nous avons. Je ne sais pas s'il n'y a pas un peu de formalisme dans la suggestion qui est faite ici. D'ailleurs, je pense qu'on a tous les mécanismes voulus à l'intérieur de l'appareil public; il y a des mécanismes syndicaux, en particulier, qui peuvent à tout instant intervenir pour faire les représentations qui s'imposent. Je ne sais pas si vous ne faites pas un peu de formalisme à rebours en proposant une chose comme celle-là alors que notre loi répond à une problématique différente de celle à laquelle voulait faire face la loi fédérale.

En matière de droit des employés au travail, ici encore, il faut réserver une place importante aux interventions des associations syndicales. Je remarque, à propos de l'article 46, que vous laisseriez tomber le deuxième alinéa du paragraphe qui dit qu'il incombe à l'employeur de prouver à la personne intéressée, à l'Association de salariés, etc. Je pense que vous laissez tomber cet alinéa dans votre mémoire. Si c'est le cas, je vous dis que je serais plutôt enclin à le laisser là, parce que je pense qu'il y a un rôle indispensable de vigilance et de surveillance qui doit être exercé par les associations d'employés dans ces cas-là. (22 heures)

Ce sont des remarques que je vous soumets bien cordialement pour amorcer une discussion avec vous et cela me plairait d'entendre vos commentaires.

Le Président (M. Desbiens): L'amorce de la discussion se fait à 22 heures.

Une voix: On est encore là.

Le Président (M. Desbiens): Je dois avoir un consentement. Est-ce qu'il y a une entente? Il y a un autre mémoire qui doit être présenté par la suite.

Une voix: Consentement.

Mme Lavoie-Roux: Consentement, M. le Président.

Une voix: La langue, c'est important.

Le Président (M. Desbiens): II y a consentement pour une période de temps. M. le ministre.

M. Godin: M. le député d'Argenteuil, vous voyez qu'il n'est jamais trop tard pour obtenir une reconnaissance de son parti.

Le Président (M. Desbiens): Cela ne m'avance pas sur la question du temps.

M. Ryan: Vous n'êtes pas du tout pertinent.

Une voix: Cela n'avance pas à grand-chose, en effet, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): Je veux savoir, d'abord, s'il y a un consentement pour continuer.

Des voix: Oui, consentement.

Le Président (M. Desbiens): Jusqu'à quelle heure?

Mme Lavoie-Roux: Jusqu'à ce qu'on ait fini.

M. Gratton: Jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Le Président (M. Desbiens): Allez-y, M. Boulerice.

M. Boulerice: M. le Président, je lisais justement un article, cette semaine, sur l'ambassadeur Pelletier qui disait: À défaut d'ordre du jour, allons vers le désordre de la nuit. Je vous remercie de vouloir poursuivre.

Pour poursuivre dans le climat de franche camaraderie qui animait M. Ryan, je vais lui dire au départ que j'ai bien apprécié ses compliments au sujet de notre rigueur. Connaissant la sienne, cela nous honore. J'ai bien apprécié également son acquiescement à mettre de nouveaux articles dans un nouveau chapitre III. Je le trouvais tellement bien lancé, d'ailleurs, que j'avais presque le goût de lui indiquer qu'il y a, dans mon conseil exécutif régional, un poste vacant, sauf qu'il a abordé d'autres articles par la suite. Alors, je reprends ma proposition.

Je vais commencer par lui répondre, lorsqu'il dit: Vous donnez état de la majorité. Mais quelle majorité, M. Ryan? Les Franco-Québécois ne sont pas une majorité. Ils sont une minorité et, je le répète, une minorité de plus en plus minoritaire. Il y a une dangereuse illusion d'optique qui, actuellement, se glisse au Québec qui est celle d'une communauté francophone majoritaire, oppressante, dominatrice, sûre d'elle-même, face à une minorité oppressée. Cela n'existe pas. Il y a une majorité minoritaire, mais il y a, par contre, au Québec, une minorité majoritaire. Il y a une minorité ici qui dispose de tous les droits d'une majorité puisque c'est elle qui constitue très majoritairement - c'est le cas de le dire - le Parlement fédéral qui est en dernière instance sur presque tous les sujets de la vie nationale qui nous préoccupent. Donc, quand vous me parlez de majorité, je vous dis: Laquelle? Vous ne me parlez sûrement pas de la communauté francophone au Québec; elle n'est pas une majorité. Elle n'a qu'un demi-gouvernement qui n'adopte

des lois que sur une partie quand même minime des sujets qui nous préoccupent.

Deuxièmement, M. Ryan - pourquoi pas vous le dire, c'est presque un rêve de jeunesse qui se réalise, de croiser le fer avec l'ex-directeur du Devoir - vous parlez des conditions d'embauche que nous posons. Je dois vous rappeler, non pas pour en faire une esquive, que nous avons mis d'abord et avant tout l'insistance au niveau des organismes de l'administration. Nous avons dit que nous souhaitions que cela s'applique au secteur privé. Nous savons que c'est complexe, mais nous avons d'abord mis l'insistance au niveau de l'administration avec tout ce que cela comporte: parapublic, péripublic, sociétés d'État, etc., parce que je vous ai fait état tantôt de 17 000 postes catalogués bilingues au besoin et il y a - je ne vous les énumérerai pas, on en aurait pour la nuit - c'est publié dans la Gazette officielle d'ailleurs, vous pouvez le lire facilement - une série incroyable de postes qui obligent au bilinguisme. Les inspecteurs en fourrure doivent être bilingues au Québec, les inspecteurs d'ascenseurs, "up and down". Ce sont ces abus que nous voulons corriger.

Nous avons eu la visite de notre maire bien-aimé à qui je répondrais que son administration municipale, qui fait partie de l'administration, a le plus haut taux de postes bilingues; 95% des postes dans la fonction publique de la ville de Montréal sont bilingues avec des choses vraiment incroyables. Il y a des jugements. D'ailleurs, l'Office de la langue française s'insurge contre cela. C'est d'abord et avant tout au niveau de l'administration que nous voulons corriger cet abus. Nous ne disons pas que nous sommes contre le bilinguisme dans le sens que certains citoyens du Québec peuvent recevoir des services en langue anglaise, mais nous trouvons inadmissible qu'on l'impose à la quasi-totalité. Si vous regardez le décret, il touche tout le monde. Nous trouvons inadmissible que ce soit l'entité complète du fonctionnarisme québécois qui soit obligée d'être bilingue.

Forcément, nous demandons à ceux à qui nous allons imposer des connaissances et des compétences supplémentaires qu'ils soient payés en conséquence. C'est de la justice et c'est de l'équité. On veut une certaine forme de bilinguisme, cela se paie le bilinguisme. Il n'y a rien de gratuit dans la vie, je ne vous l'apprends pas.

Vous parlez du langage alarmiste au sujet du chapitre sur la langue d'enseignement. Je vais vous citer l'article d'un journaliste que vous appréciez, un journaliste d'un journal que vous appréciez toujours, j'en suis persuadé, Jean-Pierre Proulx, du Devoir, jeudi 13 octobre 1983, qui dit: "La clause Canada élargie pourrait théoriquement avoir des conséquences insoupçonnées. Des parents pourraient décider d'envoyer un enfant chez l'oncle de Toronto ou de Cornwall pour qu'il fréquente l'école anglaise pendant quelque temps et le rapatrier ensuite. Le juge Deschênes a déclaré constitutionnellement admissible à l'école anglaise un parent qui avait justement expédié son fils à Ottawa pendant un an. Il n'est même pas nécessaire de s'expatrier, on peut librement fréquenter l'école privée anglaise non subventionnée ici même au Québec. Au 30 septembre 1982, 1535 élèves recevaient leur enseignement en anglais aux niveaux primaire et secondaire dans de telles institutions où la loi 101 ne s'applique pas. Parmi eux, on comptait 151 francophones, 10%; 330 allophones, 21%; tous, ainsi que leurs frères et soeurs nés ou à naître, ont maintenant acquis à ce moment-là le droit constitutionnel de poursuivre leurs études en anglais dans le secteur public." Si, par une loi, le gouvernement du Québec disait qu'il ne donne plus l'autorisation d'avoir des écoles non subventionnées, par la loi constitutionnelle, le gouvernement fédéral a le pouvoir de dépenser, le gouvernement fédéral pourrait instituer ces écoles et faire dévier encore la loi, donc considérablement réduire dans un espace de dix ou quinze ans les effets que l'on souhaitait de la loi 101.

Pour rester avec la Loi constitutionnelle de 1982, M. Ryan, son texte est très clair à l'article 233. "Le droit reconnu aux citoyens canadiens par les paragraphes 1 et 2 de faire instruire leurs enfants, au niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d'une province s'exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation sur les fonds publics de l'instruction dans la langue de la minorité." Il dit: comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des établissements d'enseignement de la minorité linguistique financés à même les fonds publics. M. Ryan, le texte est clair en français. Le droit de faire instruire dans des établissements d'enseignement de la minorité linguistique financés par les fonds publics. Ne partez pas Mme Lavoie-Roux, je vous en supplie. Donc, il s'agit en premier lieu d'établissements contrôlés par cette minorité. On ne dit pas: pour la minorité anglophone. En conséquence, M. Ryan, et c'est là que cela devient intéressant, en plus d'un système confessionnel, la Loi constitutionnelle oblige à ajouter un système linguistique d'écoles au moins pour la minorité.

Peut-on imaginer un tel système uniquement pour la seule minorité? Donc, ce droit ne peut qu'être étendu aussi à la majorité, mais sans oublier que seule la minorité provinciale a une telle garantie. Ce qui signifie, M. Ryan, que cette garantie s'étend non seulement à l'existence d'un tel

système, mais aussi à son financement public par l'État. Paradoxalement, la minorité franco-québécoise du Canada n'a pas une telle garantie constitutionnelle. Le gouvernement du Québec pourrait donc abolir le financement public des écoles françaises. Il pourrait même abolir les écoles françaises au Québec. On ne pourrait pas le faire, par contre, pour les écoles anglaises et ce n'est surtout pas notre intention, merveilleux.

Comparons cette situation avec celle de la Belgique ou de la Suisse, où des gouvernements régionaux existent comme au Québec. Êtes-vous capables d'imaginer des francophones de Belgique qui voient leurs droits linguistiques uniquement garantis par la Flandre, mais aucunement en Wallonie? Idem pour le cas suisse. En somme, le projet de loi 40 - je fais une petite diversion -n'est pas seulement en accord avec la Loi constitutionnelle de 1982 mais, à toutes fins utiles, une obligation constitutionnelle pour nous. Quand vous dites qu'au niveau de la langue d'enseignement on a un ton alarmiste, l'alarme se sonne d'elle-même quand on lit la Loi constitutionnelle de 1981.

Le Président (M. Desbiens): M. le député d'Argenteuil.

M. Ryan: Juste une précision. Je ne voudrais pas poursuivre le débat à cette heure tardive. Malheureusement, il faudra se reprendre parce qu'on a beaucoup à se dire là-dessus... dans l'espoir de conversions éventuelles de part et d'autre. Je sais que j'entreprends beaucoup. M. Boulerice, quand vous avez cité la Loi constitutionnelle canadienne, vous avez oublié de citer l'article suivant, l'article 59. Vous avez cité 58, je crois bien.

M. Boulerice: Non. 23.

M. Ryan: Vous avez cité 23.3. Il faut ajouter l'article 59 qui précise que l'article 23.1a, celui qui traite de la langue maternelle, ne peut entrer en vigueur au Québec que sur approbation de l'Assemblée nationale ou du gouvernement du Québec. Cela est très important de l'ajouter celui-ci, pour quand même circonscrire le problème. Vous l'avez devant vous. Je pense que sur les textes on ne peut pas se chicaner.

M. Boulerice: II y a toujours une école d'évitement quand même, qui va pouvoir...

M. Ryan: Très bien. Mais pourvu que vous admettiez ceci, je pense que ce serait déjà un gros progrès de fait. On aura le temps de prendre le reste un peu plus tard.

Maintenant, il y a deux autres articles au sujet de la langue d'enseignement dans la constitution canadienne. Il y a 23.1a: lui, c'est le critère Canada, la clause Canada au sens strict. Vous avez cité Jean-Pierre Proulx tantôt. Il parlait de la clause Canada au sens large. Cela ne s'applique pas, par conséquent, à celui-ci. Nous autres, ce que nous défendons de ce côté-ci, je voudrais que ce soit clair dans votre esprit, c'est 23.1b, la clause Canada entendue dans son sens strict. Je pense pouvoir dire sans faire de vantardise que c'est moi-même qui ai fait introduire cet article dans la constitution canadienne. J'étais allé voir M. Trudeau, après avoir consulté le comité des députés, d'ailleurs, même si je passais pour ne pas le consulter. Je me rappelle très bien que nous avons réussi au moins à faire introduire cette sauvegarde très importante. (22 h 15)

J'ajoutais dans mes remarques tantôt que l'article 23.2... Si un mouvement de conversation avait existé ou pouvait exister, c'est un article qui serait, à mon point de vue, négociable et sur lequel il y aurait moyen de trouver des précisions qui permettraient d'éviter le genre d'hémorragie de manière excessive, que l'on redoute. Mais quand même, j'admets que, théoriquement... Mais, avec les calculs théoriques, on peut faire bien des choses. Je pense que le ministre se rappelle comme moi de cette vieille histoire. En Angleterre, au milieu du siècle dernier, il y avait beaucoup de fumier de cheval dans les rues de Londres. À un moment donné, il y a un gars qui a fait une projection. Il a dit: Au rythme où cela a augmenté depuis dix ans, tous les résidents de Londres seront asphyxiés dans un siècle. Sauf qu'il n'y en a plus du tout maintenant. Il n'y en a plus du tout; l'automobile est arrivée et tout a changé. Ici à Montréal, il y a moins de danger, parce que...

M. Godin: M. le Président.

M. Ryan: Pardon?

M. Godin: M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Godin: Ils se font asphyxier par des produits pétroliers, ce n'est guère mieux.

M. Ryan: Je sais bien, mais cela aussi va passer.

M. Godin: La projection était juste.

M. Ryan: Vous savez qu'avec le prochain gouvernement, cela va être l'électricité. Tout ceci par conséquent... Je ne veux pas prolonger la discussion davantage. Mais je voulais simplement suggérer qu'il y a une marge pour la conversation civilisée. J'espère, encore une fois, qu'au moins le gouvernement

comprendra clairement que la position du parti qui forme l'Opposition en ce qui concerne la langue d'enseignement, je pense que c'était important à un stade ou l'autre de notre discussion de l'exposer de manière juste. Je remercie M. Boulerice de m'avoir fourni l'occasion de le faire. Et encore une fois, je lui exprime mon appréciation pour la manière dont nous avons pu discuter ensemble qui était extrêmement intéressante. Je regrette simplement que le temps ne nous permette pas d'en faire davantage.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Merci, M. le Président. Vu l'heure tardive, je veux souhaiter la bienvenue à nos frères péquistes de Montréal-Centre. Il y a quelque chose qui me chicote un peu dans tout votre mémoire. Vous préconisez un durcissement de la loi, de certains articles avec lesquels je suis bien d'accord. Après six ans de fonctionnement d'une loi aussi importante que la loi 101, croyez-vous qu'il peut y avoir des irritants qui puissent être améliorés d'une autre façon que de durcir cette loi?

Le Président (M. Desbiens): M.

Boulerice.

M. Boulerice: J'aimerais, au départ, M. le député, tout en vous témoignant mon amitié, vous corriger quant à votre vocabulaire. Nous n'avons pas proposé de durcissement; nous avons proposé des additions et nous suggérons des consolidations.

La deuxième chose, M. le député, je pense que nous reconnaissons qu'il peut y avoir des irritants dans la loi. Mais, moi, j'aimerais savoir, M. le Président, comment il se fait que certains irritants pour la communauté anglophone, c'est odieux, mais que, par contre, pour la communauté francophone, c'est un incident. Je me suis acheté un chandail avant de venir à la commission parlementaire: "Special offer: our previous regular price 22 $, 15,95 $ special offer". J'ai réservé une chambre qui s'appelle "one twin" et c'est "guaranteed". C'est même marqué "Government ID required" et c'est "October 19". Mais, les irritants, ils sont pour qui, M. le député?

M. Ryan: Est-ce que vous l'avez acheté?

M. Boulerice: C'est pour qui? La question n'est pas de savoir si j'achète ou si je n'achète pas, M. le député d'Argenteuil. La question, c'est que les consommateurs ont le droit d'être servis en français. Voilà un exemple. Les irritants sont où? Est-ce que vous proposez à nos compatriotes anglophones, si par malheur il y avait un étiquetage unilingue français sur les "beans" Clark, de ne plus acheter les "beans" Clark? Je pense, M. le député d'Argenteuil, que s'il y a des irritants pour les uns, il y a des irritants pour les autres. Il y a une loi qui doit être respectée et, à mon point de vue, je pense qu'elle mérite d'être respectée. Si vous voulez un exemple, je peux facilement vous en donner. Il semble y avoir consensus. Je sais qu'un organisme anglophone doit, selon la loi, correspondre en anglais avec un autre organisme anglophone...

Une voix: En français.

M. Boulerice: En français, pardon. Que l'on autorise ces gens, ces administrations à correspondre en anglais. Si on me dit qu'au besoin il pourra y avoir une traduction française de cette correspondance, cela va de soi.

Je vais vous donner un autre exemple. Concernant l'admission à l'école anglaise, on dit que si vous fréquentiez l'école française, que vous voulez fréquenter l'école anglaise et que vous êtes déclaré admissible, la demande doit être faite avant le 1er avril, je crois. Normalement, techniquement et juridiquement, si vous présentez votre demande le 1er mai, je devrais vous répondre non. Je dis "je devrais" parce que c'est un secteur que j'administre dans ma vie privée. Que l'on modifie cela et que le droit de passage soit à n'importe quel temps. Ce sont sans doute des irritants, nous en convenons nous aussi, mais, à mon point de vue, les irritations que l'on pense avoir ne doivent pas être des moyens déguisés ou insidieux de faire perdre à la loi son essence et ses buts.

M. Laplante: Monsieur, vous faites une remarque, à la page 9, disant: "Nous nous expliquons: jusqu'ici, nous avons entendu des plaintes d'anglophones contre l'office au sujet de ses interprétations..." Dans les mémoires qu'on a reçus jusqu'à aujourd'hui, il y a aussi beaucoup de francophones qui se sont plaints à ce sujet. Je ne voudrais pas non plus qu'on sente dans le milieu des affaires, dans le milieu industriel, qu'il y a seulement l'anglophone qui se plaint. Le francophone se plaint aussi de l'interprétation de l'office là-dessus. C'est pour être un peu plus juste pour les deux groupes que je vous dis cela. Il y a peut-être aussi une éducation à faire parmi les nôtres pour accepter la loi 101 avec tout ce qu'elle comporte.

Lorsque vous dites que nous retournons au libre choix, pouvez-vous préciser là-dessus un peu plus?

M. Boulerice: La première chose, au sujet de votre remarque sur les plaintes, c'est que l'on dit clairement, M. Laplante, qu'il y en a eu très peu à notre avis. Nous

ne faisons pas allusion à des plaintes de francophones quant aux mauvais services reçus de l'Office de la langue française. Nous faisons allusion à des plaintes d'employés éventuels qui se plaignaient qu'il y avait des exigences de bilinguisme à leur emploi et qui le contestaient. Sauf que l'office, comme nous le disions, limite l'accès aux seuls candidats refusés à un emploi bilingue. Ce qu'on essaie de vous dire, c'est: Mettez-vous dans la situation d'un employé refusé à un poste dit bilingue et qui conteste son bilinguisme. Quelles sont ses chances après d'avoir ce poste? Il y a quand même le biftek à gagner dans la vie. Alors ces gens ne portent pas plainte. On vous disait que s'il y avait eu une meilleure protection, le nombre de plaintes aurait été beaucoup élevé.

Maintenant, on veut revenir au libre choix. Cela fera plaisir à M. Ryan. Nonobstant ce qu'il a dit, le texte anglais dit aussi "is receiving". Avec l'article 23.02, on pourra, avec des moyens de combine, des moyens instantanés, des écoles que j'appelle comme aux États-Unis - cartons d'allumettes où on s'inscrit pour 3 $, faire ce que la loi dit, recevoir au Canada l'enseignement en langue anglaise et, après cela, aller au secteur public anglophone au Québec et éviter d'aller au secteur francophone. C'est tout simplement cela.

M. Laplante: D'accord. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: M. le Président, compte tenu de l'heure, je tâcherai d'être le plus bref possible. M. Boulerice, vous dites ailleurs dans votre conclusion que l'essentiel de vos revendications porte sur la langue de travail. Je vous cite: "...nous trouvons aberrant, indécent, que des milliers de Québécoises et de Québécois, trop souvent des jeunes formés dans les meilleures écoles techniques, collèges et universités, soient au chômage. Nous trouvons honteux le fait qu'ils se voient refuser des emplois du fait qu'ils ne parlent pas la langue française." Si j'ai bien compris dans la réponse que vous donniez au député d'Argenteuil tantôt, vous souligniez que c'était surtout dans le domaine de l'administration publique que cela vous préoccupait. Ai-je bien compris votre message?

M. Boulerice: Non. Notre préoccupation de la difficulté d'emploi pour un unilingue ne va pas nécessairement uniquement au niveau de la fonction publique, elle va à tous les secteurs d'emploi. Nous avons mis une insistance, je ne dirais peut-être pas particulière, au niveau de la fonction publique parce qu'il y avait des exemples extrêmement convaincants de cela. Je vous donne un exemple: Dans un dossier à l'Office de la langue française, il y a une plainte de l'Association des contremaîtres municipaux employés par la ville de Montréal contre la ville de Montréal. On dit que l'employeur exige la connaissance de la langue anglaise pour l'accès au poste de contremaître de section ou service de la voie publique. La candidature du requérant a été rejetée parce qu'elle ne répondait pas à cette exigence même si celle-ci ne figurait pas dans l'avis de concours. Les contacts du contremaître avec le public ne représentent qu'un aspect accessoire de ses fonctions. L'office estime que le service téléphonique central suffit à assurer le contact avec les anglophones. Décision: l'employeur n'est pas justifié d'exiger la connaissance de l'anglais. Nous avions, M. Gratton, énormément d'exemples à ce niveau. C'est bien entendu que nous croyons qu'un unilingue francophone au Québec devrait avoir autant de chances de se trouver un emploi qu'un unilingue anglophone peut en avoir en Colombie britannique ou en Ontario.

M. Gratton: Vous nous citez - et d'ailleurs vous avez insisté là-dessus - le fait qu'à la ville de Montréal, quelque 95% des postes sont affichés dans les deux langues. Avez-vous des exemples d'organismes publics relevant directement du gouvernement du Québec où il existerait des situations semblables?

M. Boulerice: Vous me parlez de refus d'emploi pour un unilingue...

M. Gratton: Non, non, des conditions de travail qui empêcheraient un unilingue francophone de travailler pour un organisme sous le contrôle du gouvernement du Québec.

M. Boulerice: Évidemment. J'essaie de trouver mes papiers le plus rapidement possible.

M. Godin: Excusez-moi, M. Boulerice a cité tout à l'heure le Comité paritaire de la fourrure...

M. Boulerice: C'est cela. J'essaie malheureusement de retrouver le document.

M. Godin: ...qui relève indirectement de la responsabilité du ministre du Travail, qui exige que les inspecteurs soient bilingues...

M. Gratton: Oui, j'ai saisi celui-là. M. Godin: Celui-là était un cas.

M. Gratton: Oui, mais je me demandais s'il y en avait d'autres.

M. Boulerice: J'essaie d'en trouver. Je vous ai fait état tantôt, tirée de la Gazette officielle du Québec, d'une liste de tous les emplois qui ont les exigences du bilinguisme au niveau du fonctionnarisme.

M. Gratton: Oui, oui.

M. Boulerice: Si je le retrouvais, je pourrais vous en donner une nomenclature de ces emplois. Je me demande très honnêtement pourquoi il y a exigence sine qua non de bilinguisme lorsqu'on veut être inspecteur d'ascenseur ou, comme je vous ai mentionné tantôt parce que je l'avais frais à la mémoire, inspecteur en fourrure.

M. Gratton: Mais conviendrez-vous avec moi que, quel que soit le texte de la loi, il faut qu'il y ait une volonté de francisation? Quand on parle de la ville de Monréal, il y en a qui prétendent que la volonté existe. Sûrement, si je vous posais la question: Est-ce que c'est la volonté du gouvernement du Québec actuel? Vous me répondriez oui. Seriez-vous surpris d'apprendre qu'il existe des sociétés publiques qui relèvent directement du gouvernement du Québec où les opérations se font uniquement en anglais? On n'a pas besoin de loi pour que le gouvernement agisse dans ces cas. Cela existe. (22 h 30)

M. Boulerice: Ce que nous disons, M. Gratton, c'est qu'il se peut qu'il y ait effectivement des organismes directement gérés par l'État où tout se fait en anglais. Quand vous regardez les amendements que nous proposons, vous voyez que nous disons que le droit de parler exclusivement le français, sauf exception prévue par la loi. Nous ne rejetons pas des exceptions, quand même conscients du contexte nord-américain dans lequel on vit. Ce que l'on dit, M. Gratton, c'est que exception - pléonasme -mais exception des exceptions prévues par la loi il existe encore - et cela n'est pas en consolidation de l'esprit de francisation -une nomenclature d'emplois dans la fonction publique qui ont des exigences de bilinguisme et nous les mettons en question, nous nous interrogeons sur cette pertinence.

Donc ce que nous demandons c'est qu'il soit revu et que l'on statue de façon définitive si véritablement il y a exigence du bilinguisme. Si oui la démonstration sera faite et la loi le prévoira mais on arrêtera de demander du bilinguisme à tous azimuts. C'est pour cela que je vous donnais deux exemples. Je vais vous inviter à relire les classifications de personnel dans la fonction publique du Québec que vous trouvez à la Gazette officielle et vous allez bien voir cette série, cette nomenclature de postes. Il y a des choses qui sont vraiment particulières, aberrantes, qu'il y en ait tant que cela et que cela touche 17 000 fonctionnaires.

Encore une autre fois, nonobstant l'article qui fait part des connaissances d'autres langues, donc qui caractérisent un bilinguisme qui n'est même pas inscrit dans la fonction mais qui est inhérent aux capacités personnelles des candidats.

M. Gratton: Là où je veux en venir, M. Boulerice, c'est que... J'ai toujours pensé que d'abord le gouvernement du Québec doit donner l'exemple. Je suis sûr que vous conviendrez avec moi que le gouvernement du Québec doit donner l'exemple le premier. Quand on exige par voie législative que des entreprises dans le secteur privé aussi bien que dans l'administration publique adoptent des programmes de francisation, s'y conforment sous peine de pénalité et tout le reste, je dis que le gouvernement du Québec lui-même qui fait la loi doit le premier donner l'exemple et ne devrait pas laisser exister des situations où des sociétés publiques directement sous son contrôle font en sorte que des employés - et en très grand nombre - ne sont pas en mesure de fonctionner normalement en français.

Je vous pose la question: Est-ce que vous êtes d'accord avec moi là-dessus et est-ce que vous connaissez des cas semblables?

M. Boulerice: Ce que je vous dis, M. Gratton, c'est qu'au moment de l'adoption de la loi, pour les caractéristiques linguistiques de la majorité des postes de la fonction publique on a laissé la situation en fonction de la tradition qui existait. Je ne blâme donc pas le gouvernement directement comme tel mais je lui dis que, compte tenu de ce nombre incroyable de postes, nous jugerions beaucoup plus pertinent qu'il y ait une révision de ces postes et que l'on spécifie de façon d'ailleurs très catégorique sur le nombre, la qualité et l'endroit où ces postes bilingues doivent exister. Cela va d'ailleurs vous réjouir puisque à ce moment on aura l'assurance que ceux de la communauté anglophone du Québec qui auront affaire au service sauront qu'il y a effectivement un service avec un fonctionnaire très nettement identifié comme bilingue.

M. Gratton: On n'est pas sur la même longueur d'onde, M. Boulerice. On parle de deux choses différentes. Je ne parle pas des postes bilingues. Je parle...

Une voix: ...

M. Gratton: Pardon?

M. Laplante: Nommez-les...

M. Gratton: Non, non. Je demande si M. Lebourice en connaît.

M. Laplante: II n'en connaît pas. M. Gratton: Je vous en nommerai...

M. Laplante: D'accord. Mais nommez-les au lieu de laisser planer...

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, à l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Avant de vous en nommer je vais faire les recherches et je vous informerai en conséquence.

M. Godin: Ah bon!

M. Laplante: Ah! Ah! Ah! Ah! D'accord.

M. Gratton: Bon bien je m'engage dès demain matin à vous en fournir un cas d'espèce. Cela vous intéresse? Je vais vous l'apporter demain matin.

M. Laplante: Oui, oui, cela nous intéresse.

M. Godin: Donnez-nous un cas. On revient à l'ancien principe: donnez-nous un seul cas. C'est bien.

Mme Lavoie-Roux: Et si on trouve un seul cas que faites-vous?

M. Gratton: On me demande un seul cas, M. Boulerice. J'espère pour vous que vous ne serez pas avec nous demain matin mais je m'engage aujourd'hui à l'apporter dès demain matin. Je vous remercie, M. Boulerice, à moins que vous ayez quelque chose à ajouter.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dupré: M. Boulerice, les Montréalais étant ce qu'ils sont et puisque vous dites que c'est à Montréal que s'est toujours jouée la partie la plus importante de ce que nous appellerons la bataille du français, ne trouvez-vous pas que sur les Plaines d'Abraham, en 1759, il s'en est joué une bonne partie?

Des voix: Ah! Ah! Ah!

M. Dupré: Je voulais juste attirer votre attention, M. Boulerice, sur une des questions que le député d'Argenteuil vous a posées tantôt quant à la deuxième partie de l'article 47. Là, vous parlez d'un deuxième paragraphe; vous voulez remplacer le premier. Si j'ai bien compris - je voudrais vous l'entendre dire - la partie du fardeau de la preuve demeure.

M. Boulerice: Nous la gardons, la preuve demeure.

M. Dupré: Cela vous a été demandé et d'un article à l'autre...

M. Boulerice: Pour ce qui est de votre reproche d'être trop spécifiquement montréalais, je vous dirai que je ne le prends pas, c'est bien entendu, mais je sais qu'il a été fait à la blague. Sauf que vous devez comprendre que c'est bien malheureusement à Montréal que devenait dérisoire un Québec français, surtout une métropole française et l'appellation d'une deuxième ville de langue française. C'est surtout à Montréal, il n'y a quand même pas si longtemps - je ne suis pas si vieux, je ne suis pas si jeune que cela qu'on se faisait répondre par une expression que vous connaissez bien: "I am sorry, I do not speak French." C'est encore le cas, malheureusement, quoique cela diminue de plus en plus. Il faut quand même avouer qu'il y a des efforts de faits. Vous savez, il ne faut pas juger tous les anglophones en fonction de certains qui s'arrogent le droit de parler en leur nom. Il y a des efforts de faits.

Je vous ai expliqué que j'ai habité le comté de Westmount où j'y ai gardé d'excellents amis. Il y a effectivement des efforts de faits, mais il y a encore une certaine irréductibilité et je ne pense pas qu'elle soit intrinsèque à ces personnes qui sont, à mon point de vue, d'excellents Québécois malgré tout, sauf qu'il faut voir le climat dans lequel on les entretient pour comprendre que, quelquefois, ils ont des agissements qui ne sont peut-être pas ceux que, normalement, ils auraient.

M. Dupré: Merci.

Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions de votre participation aux travaux de la commission.

M. Godin: Merci, MM. Boulerice et Boivin.

M. Bégin (Paul): Bégin.

M. Godin: Excusez-moi, il se fait tard.

Le Président (M. Desbiens): J'inviterais le dernier groupe à se présenter, le Parti québécois de Dorion.

Mme Lavoie-Roux: C'est un beau comté, le comté de Dorion.

M. Godin: Un comté qui a élu une femme.

Le Président (M. Desbiens): M. Bérard, si vous voulez nous présenter votre

compagnon et votre mémoire, s'il vous plaît.

Parti québécois de Dorion

M. Bérard (François): M. le Président, mesdames et messieurs les membres de cette commission, je suis François Bérard, président du Parti québécois du comté de Dorion. Je suis criminologue et directeur général d'une maison de transition pour ex-détenus. Mon collègue, M. Gilbert Ouellet, est vice-président de l'Association du Parti québécois Dorion également. M. Ouellet oeuvre depuis quinze ans dans le milieu commercial et professionnel de la ville de Montréal.

Nous allons commencer la présentation. M. le Président, mesdames et messieurs les membres de cette commission, nous nous présentons aujourd'hui devant vous investis du mandat que nous a confié le conseil exécutif de l'Association du Parti québécois Dorion. Ce mandat consiste à faire des représentations auprès de vous concernant certains éléments touchant la mise en vigueur de la Charte de la langue française.

Dorion étant, d'une part, situé dans la grande région montréalaise, endroit stratégique s'il en est, où se déroule, selon nous, la bataille la plus importante pour préserver notre culture française et, d'autre part, 20% de notre électorat étant constitué d'allophones, principalement des Italiens, fortement anglicisés, nos militants et nos militantes se sont toujours montrés sensibles aux questions linguistiques. Pour nos membres, essentiellement des travailleurs et des travailleuses, ce combat est quotidien.

Pour nous, de Dorion, le principal sujet de préoccupation est le français langue de travail. Comme vous le savez, un des objectifs de la loi 101 visait à faire en sorte qu'un Québécois francophone puisse travailler en français. Pour ce faire, la loi prévoyait la mise sur pied de comités de francisation au sein des entreprises. Malheureusement, nous devons affirmer, et ce, contrairement à ce que véhiculent certains médias anglophones, qu'on est encore loin d'avoir atteint les buts fixés par la loi.

Il est connu du grand public combien peu de ferveur ont manifesté certaines entreprises anglophones à l'égard des dispositions relatives à la francisation de leur entreprise. Ainsi, les nombreuses négligences et même la mauvaise volonté qui a présidé la mise en place des comités de francisation dans certaines entreprises ayant 50 employés et plus ont souvent entraîné la nomination de membres au sein de ces comités qui étaient indifférents ou hostiles à la progression du fait français au sein de leur entreprise. Cette attitude contrevenait manifestement à l'esprit de la loi. Inutile de préciser que très peu de choses ont été faites dans plusieurs entreprises anglophones de 50 employés et moins puisque la loi ne les obligeait pas à mettre en place un comité de francisation. Lorsqu'on sait que la très grande majorité des grandes entreprises privées oeuvrant dans la région de Montréal appartiennent à des anglophones ou à des allophones anglicisés, il y a loin de la coupe aux lèvres.

Mais comment expliquer ce phénomène de résistance si on passe sous silence l'influence néfaste qu'exercent bon nombre d'institutions anglophones à l'égard de la loi 101 et ce, avec la collaboration souvent complaisante de plusieurs organismes allophones? Leur attitude d'opposition à des lois visant à protéger le fait français au Québec n'est pas récente, bien au contraire. Cependant, elle s'est exprimée sous différentes formes au fil des années.

Prenons l'exemple de la Gazette. Au cours des 20 dernières années, la réponse de ce journal aux différents projets linguistiques et culturels français fut de leur opposer un "non" catégorique, comme ce fut le cas pour la loi 22, ou encore un "oui, mais...". On n'a qu'à jeter un coup d'oeil sur les éditoriaux produits par la Gazette au cours des deux dernières décades pour être en mesure de constater la fumisterie que ce journal essaie de répandre à l'heure actuelle en affirmant qu'il a toujours favorisé la promotion du fait français au Québec. La Gazette n'est malheureusement pas le seul média anglophone en cause ici.

Les médias jouant le rôle de caisse de résonance au sein d'une communauté, il n'est pas étonnant que l'action de certains médias anglophones, au cours des années, n'ait pas préparé un terrain propice à l'application de la loi 101 dans leur communauté, mais ait plutôt provoqué un durcissement d'attitude de la communauté anglophone à l'égard de la question linguistique. De calme et rigide, la communauté anglophone manifeste aujourd'hui beaucoup d'agressivité et de frénésie.

L'expression de cette agressivité face au fait français se fait sentir, par exemple, par l'insistance que plusieurs anglophones mettent aujourd'hui à s'adresser à nous, d'abord en anglais, plutôt qu'en français, et ce, dans les magasins, dans les restaurants et les lieux publics. Cela constitue un changement assez subtil, mais évident puisqu'il y avait eu amélioration dans ce sens après l'adoption de la loi 101.

On assiste également à des attaques virulentes et directes contre le fait français au Québec. Ainsi, le vendredi 14 octobre 1983, M. Neil McKenty, animateur au poste de radio CJAD, dans son programme, parlant de notre drapeau - cela concernait la question de Grande-Vallée - disait: "The French flag" - au moment où les gens le brûlaient, à Grande-Vallée - laissant entendre que nous, Québécois francophones, sommes étrangers ici. Quelle grande malhonnêteté

intellectuelle:

Cette agressivité se manifeste aussi dans le cadre de la francisation des milieux de travail. La propagande féroce de certains médias anglophones à l'égard de l'Office de la langue française et, notamment, du Bureau de surveillance de la langue française ne vise certainement pas à faciliter le travail des fonctionnaires chargés de faire en sorte que la loi soit respectée. Ces médias présentent à leurs clients tous les fonctionnaires du Bureau de surveillance de la langue française comme des fanatiques. Dans un tel contexte, il n'est pas étonnant que l'Office de la langue française et le Bureau de surveillance de la langue française aient adopté une attitude défensive à l'égard de la francisation des entreprises!

Cette forme de harcèlement facilite l'apparition des comportements irrespectueux de la loi que nous avons décrits plus tôt. Cette attaque sournoise et vicieuse frappe aussi directement les fonctionnaires dans leur intégrité et leur professionnalisme, eux qui doivent veiller à l'application d'une loi établie par des représentants du peuple démocratiquement élus. Il s'agit d'une attaque politique lâchement dirigée vers la mauvaise cible: On s'attaque aux valets plutôt qu'au maître. (22 h 45)

Notre scepticisme face aux chances qu'a le français de devenir langue de travail au Québec s'est accru depuis la création d'Alliance Québec. Pour nous, il est devenu évident qu'avec la création de cet organisme, les médias anglophones, la communauté d'affaires anglophone et la communauté éducative anglophone font maintenant front commun contre la loi 101. En fait, nous sommes actuellement en présence de groupes qui mènent une action concertée dont le premier objectif est d'abord d'affaiblir la loi pour ensuite la détruire. L'exemple des enfants qui continuent de suivre illégalement des cours dans les écoles anglaises nous semble à propos.

Lors de l'adoption de la loi 101, la communauté anglophone encouragea les parents d'immigrants dont les enfants étaient touchés par les dispositions relatives à la langue d'enseignement à envoyer leurs enfants à l'école anglaise sous le fallacieux prétexte que le gouvernement du Parti québécois serait battu aux prochaines élections. Cela était une incitation directe à la désobéissance à la loi 101. Cette stratégie du milieu anglophone fut modifiée après la réélection du gouvernement du Parti québécois. Sous prétexte de générosité, on réclame aujourd'hui l'amnistie pour les "illégaux", ces "pauvres martyrs" de la loi 101. Quelle hypocrisie chez l'élite anglophone dans ce dossier, eux habituellement si prompts à dénoncer les comportements irrespectueux des lois!

Nous vous lançons aujourd'hui un cri d'alarme quant à l'application de la loi 101 au plan du français langue de travail. L'importance de cet enjeu ne peut supporter aucune négligence. Les sociologues ont souligné à juste titre qu'avec la famille et l'école, le travail constitue une des institutions fondamentales de notre société. Après tout, le tiers d'une vie se passe dans le milieu de travail; d'où l'importance de la francisation véritable de ces milieux.

En effet, que nous aura valu une éducation française donnée à nos enfants s'ils doivent vivre leur vie de travail dans une autre langue? À quoi nous aura servi de procurer des services d'immersion aux immigrés dans nos centres d'accueil aux immigrants parce que nous voulons les intégrer dans la société française si nous permettons que leur milieu de travail soit anglophone? Il faut veiller à ce que la francisation des milieux de travail devienne une réalité tangible et constante. Le peuple québécois a besoin d'une ambiance française au travail; c'est une question de justice et de gros bon sens! C'est pourquoi nous demandons le renforcement de la loi concernant le français langue de travail.

En guise de conclusion, il nous apparaît pour le moins étrange qu'au Québec, en 1983, des représentants de la majorité française soient placés dans l'obligation de devoir défendre leur langue devant cette commission face à l'envahissement d'une minorité anglophone et qu'ils se trouvent également dans l'obligation de réitérer des faits si évidents. Mon Dieu, quelle tristesse!

Nous vous remercions d'avoir bien voulu nous entendre et nous vous prions d'agréer, M. le Président, mesdames et messieurs de cette commission, l'expression de nos sentiments les meilleurs.

Avant de vous laisser et avant de répondre aux questions que vous voulez peut-être nous poser, nous vous prions d'écouter brièvement la deuxième partie de notre présentation qui traite de propositions concrètes et qui vous seront présentées par M. Gilbert Ouellet. Merci.

M. Ouellet (Gilbert): Mesdames et messieurs, à la suite de nos précédents propos, nous voulons, premièrement, souligner la baisse flagrante à l'heure actuelle de vigilance au niveau des comités de francisation dans des entreprises de 50 employés et plus. Nous demandons que soient trouvés des moyens de réactiver ces comités afin d'en faire des outils permanents d'accélération de la francisation des milieux de travail. Pour ce faire, il est impérieux de s'assurer de la participation des employés francophones intéressés.

Deuxièmement, pour les entreprises de 50 employés et moins, nous considérons qu'aucune raison ne nous paraît valable pour

que ces entreprises ne soient assujetties à la loi. Ceci constitue une omission importante présentement, si l'on considère que le français langue de travail est un droit pour tous et que la justice exige que tous les travailleurs soient protégés. Afin de favoriser le développement du français dans ces entreprises, une certaine forme de subvention pourrait être étudiée et mise au point pour les entreprises qui sont de bonne foi.

Troisièmement, vu l'importance de s'assurer de l'implantation du français dans les milieux du travail, on pourrait faire preuve d'imagination en incluant ce principe dans le Code du travail ainsi que dans la Loi sur les normes du travail. Nous pourrions également inscrire ce principe dans toutes les lois touchant de près ou de loin des questions relatives au travail.

Quatrièmement, nous voulons également mettre l'emphase sur la question des immigrants en rapport avec le travail. Les nouveaux immigrants s'intégrant à la vie francophone doivent posséder les mêmes droits et privilèges que tout francophone a, même s'il travaille dans une industrie ou une entreprise anglophone où le personnel francophone est minoritaire ou inexistant. Agir autrement envers eux serait démontrer de la duplicité à leur égard entraînant leur découragement et la perte de tout l'investissement que constitue l'apport des immigrants pour le peuple québécois.

Enfin, nous tenons à vous assurer que nous demeurons à la disposition du ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration car notre délégation a vraiment à coeur la promotion du français, langue de travail.

Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.

M. Godin: Brièvement, M. Bérard, M. Ouellet, nous tenons à vous remercier de vous être présentés devant nous. Nous regrettons qu'il soit si tard et que le temps soit peut-être un peu réduit. J'aurais une question ou deux à vous poser, très brèves. Quand vous abordez la question des entreprises de 50 employés ou moins, je dois vous dire d'abord qu'au ministère, présentement, nous procédons à une étude en collaboration avec le ministère de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme pour savoir dans quels secteurs se situent exactement ces entreprises et quel est l'état actuel de la francisation chez elles. D'après les propos entendus par le Conseil du patronat du Québec et également la Chambre de commerce de la province de Québec, il semble que ces entreprises de 50 employés et moins soient, dans la majeure partie des cas, des PME, ou ce qu'on appelle des TTE, des "tites tites entreprises". J'aimerais avoir de vous des lumières sur ce genre d'entreprises. C'est ma première question.

Deuxième question: Quand vous dites à la page 9, à l'égard des immigrants, dont vous savez qu'ils sont ma priorité, qu'ils devraient bénéficier des mêmes droits et privilèges que tout francophone, pourriez-vous préciser un peu si vous entendez par là qu'ils devraient pouvoir, eux aussi, travailler en français?

M. Ouellet: Exactement, oui.

M. Godin: C'est cela? D'accord. Alors, revenons à ma première question, s'il vous plaît.

M. Ouellet: Bon. Eh bien, si on considère, par exemple, la ville de Montréal où les très petites entreprises, comme vous disiez, sont généralement des magasins ayant de un jusqu'à peut-être quinze ou vingt employés, des petites manufactures où on fabrique... Cela peut être, par exemple, dans le domaine du vêtement où on a 25 ou 30 employés. Lorsqu'on considère que 80% des propriétaires de ces manufactures sont soit des anglophones ou des allophones fortement anglicisés, comme nous disons, dans le milieu du travail, les employés en général, puisqu'ils travaillent presque journellement avec leur patron, sont obligés d'employer presque continuellement l'anglais. Évidemment, ceux qui sont francophones parlent français entre eux à l'heure du lunch, ou s'ils ont une blague à se raconter, leur fin de semaine ou des choses comme cela. Mais pour ce qui est des besoins du travail, ils doivent nécessairement communiquer avec le patron ou avec les contremaîtres qui, généralement, sont anglophones. Ils sont anglophones parce que beaucoup de ces manufactures appartiennent à des gens de race juive qui parlent, pour la plupart, beaucoup l'anglais, ou encore à des allophones. Il y a beaucoup d'Italiens qui ont des manufactures et qui parlent italien. Ils parlent italien forcément entre eux lorsqu'ils sont plusieurs dans la manufacture, mais lorsqu'ils s'adressent à leurs employés francophones, ils parlent anglais.

M. Godin: Merci.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Très brièvement, M. le Président, compte tenu de l'heure. Je dois dire à nos invités que, lorsque, au début de nos travaux, jeudi dernier, nous avions souhaité de part et d'autre pouvoir tenir un débat plus calme, plus serein et moins virulent que ceux qu'on avait connus précédemment, en 1977, on avait souhaité que les termes que vous employez dans votre mémoire soient plus nuancés. Quand on

s'aperçoit que vous parlez d'influence néfaste, de fumisterie, de durcissement d'attitude, d'agressivité et de frénésie, toujours en parlant de la communauté anglophone et de ses médias d'information, d'attaques virulentes et directes contre le fait français, que vous parlez de grande malhonnêteté intellectuelle, de propagande féroce, de harcèlement irrespectueux de la loi, d'attaque sournoise et vicieuse, de politique lâchement dirigée - en fait, je ne les reprendrai pas toutes - je me demande si c'est là la façon d'entreprendre un débat qu'on veut respectueux de l'opinion de chacun. Par exemple, plus spécifiquement, quand vous dites à la page 6: "Sous prétexte de générosité, on réclame l'amnistie pour les illégaux, ces pauvres martyrs de la loi 101. Quelle hypocrisie chez l'élite anglophone dans ce dossier, eux habituellement si prompts à dénoncer les comportements irrespectueux d'une loi." Je vous ferai remarquer que ce n'est pas l'élite anglophone qui a fait cette demande devant la commission parlementaire, par exemple, ce sont deux groupes d'italophones, notamment, le Conseil des activités italo-québécoises qui, pourtant, a pu exprimer des points de vue semblables aux vôtres sur d'autres éléments et le faire dans un langage beaucoup plus acceptable, de même que le Congrès national des Italo-Canadiens - les deux - qui est venu nous dire qu'il fallait amnistier les illégaux.

Je regrette qu'on ne soit pas encore capable de parler dans certains milieux, en 1983. Vous reprochez, par exemple, aux médias anglophones toutes sortes de choses. Je suis bien placé pour en parler. Mon père a dirigé le journal Le Droit à Ottawa. Pour ceux qui ne le savent pas, le journal Le Droit a été fondé spécifiquement pour défendre les intérêts des francophones en Ontario, des Franco-Ontariens, au moment du fameux règlement 17. Le journal Le Droit, qui existe encore aujourd'hui, joue son rôle de défendre les intérêts des francophones, des Franco-Ontariens de même que des Franco-Québécois. Je vous avoue qu'à l'occasion, j'imagine qu'on doit se demander à Queen's Park et dans la communauté anglophone si ce journal est bien représentatif de l'ensemble de la société? Peut-être pas à l'occasion, parce que c'est justement un journal de combat et qui lutte pour les droits d'une minorité. Reprocher aux anglophones de s'être réunis sous la bannière d'Alliance Québec pour lutter pour leurs droits, je ne pense pas qu'il y ait quelque chose de répréhensible là-dedans, je ne vois pas pourquoi... Le député de Bourassa va me laisser en paix.

Une voix: II n'a pas dit cela. Une voix:Voyons, s'il vous plaît!

M. Gratton: II me semble qu'Alliance Québec a le droit de défendre les intérêts des membres de la communauté anglophone. Elle l'a fait avec dignité. On peut ne pas aimer le contenu de ses revendications, mais je vous ferai remarquer qu'hier personne n'a parlé de haine, d'attaques virulentes ou de quoi que ce soit. Cela s'est déroulé de façon civilisée. Je suis loin de vous reprocher de ne pas être civilisés, mais je trouve qu'il y a des écarts de langage dans votre mémoire qui nous amènent nous, de ce côté-ci en tout cas, à nous demander: Est-ce encore la même vieille rengaine qui recommence? Est-ce que, finalement, on doit essayer de discuter? Je vous avoue franchement que je le regrette profondément parce qu'il me semble qu'il devrait être possible pour nous, que l'on ne soit pas de la même allégeance politique, que l'on n'ait pas les même convictions, cela importe peu, mais on devrait pouvoir discuter de ces choses-là sans employer des termes abusifs, à mon avis, comme vous le faites. Je vous invite à le faire à l'avenir. Vous aurez beaucoup plus de chance d'être écouté. Cela ne vous dérange peut-être pas trop ce que nous pouvons percevoir, mais même le gouvernement devrait être embarrassé à l'occasion. (23 heures)

Le Président (M. Desbiens): M. Bérard.

M. Bérard: Ce que j'aimerais dire d'abord, c'est que la rédaction de ce mémoire a été faite avant le début de vos travaux, ce qui fait qu'on pouvait s'attendre à une façon d'intervenir de la part de l'Opposition qui est effectivement celle que vous avez aujourd'hui, depuis le début des travaux de cette commission, ou encore à une autre attitude de votre part. On ne pouvait pas préjuger, s'imaginer à l'avance ou prédire quelle pouvait être votre propre attitude à l'égard des travaux de cette commission.

Nous avons essayé de faire ressortir des éléments avec des qualificatifs peut-être pas imbéciles, comme vous le soulignez, mais qui, à notre sens...

M. Gratton: Question de privilège. Je n'ai jamais mentionné le mot "imbécile". Jamais!

Une voix: Question de règlement.

M. Gratton: Question de règlement, en vertu de l'article 96.

M. Bérard: Ce qu'on voulait tenter de faire, c'était de sensibiliser la commission à une situation qui nous apparaît avoir changé depuis quelques mois, à Montréal. À la suite de plusieurs années de travail fait, entre autres, par certains médias anglophones et également des attitudes manifestées, chez

des anglophones, par un silence approbateur ou encore par des propos tenus à la télévision, il nous semblait important de faire remarquer à la commission qu'on commençait à sentir, à Montréal, des effets de telles attitudes ou de tels propos. Dans le cadre de ces attitudes, par rapport à celle où, comme on le disait dans le mémoire, effectivement, on sentait qu'il y avait une évolution de l'attitude de la communauté anglophone et des communautés allophones à l'égard du fait français au Québec, depuis quelques mois, on sent un renversement comme tel. C'est pourquoi on a utilisé des termes ou des qualificatifs qui nous apparaissaient appropriés pour faire ressortir ce qui pouvait se passer, en donnant des exemples précis, comme c'est le cas pour l'animateur au poste de radio CJAD.

Lorsqu'on parle de la question des élites anglophones face aux immigrants, effectivement, devant cette commission, ce sont non pas des immigrants, mais des groupes allophones, les italophones en particulier, qui vous ont fait des représentations pour demander des assouplissements à la loi 101 pour faire en sorte, entre autres, que les étudiants illégaux deviennent légaux dans le système scolaire anglophone. Sauf que, depuis plusieurs années ou plusieurs mois, dans la presse anglophone, on appuie de telles revendications. On est pour de telles revendications.

À notre sens, cela peut être légitime d'un certain point de vue, mais cela nous apparaît quand même, par rapport à l'esprit de la loi, des tentatives détournées de contourner la loi comme telle en disant: Vous savez, lors de l'adoption de la loi 101, le gouvernement du Parti québécois ne tiendra peut-être pas très longtemps; il y a moyen d'envoyer des gens à l'école anglaise et, quand il sera battu, peut-être que d'autres gouvernements qui nous sont plus favorables seront prêts à modifier la loi 101 dans le sens de nos intérêts.

Face à la réélection du gouvernement, on sent maintenant un changement d'attitude. Il y a des enfants qui, effectivement, depuis 1977, sont "illégaux" et on demande aujourd'hui, parce qu'on dit que ces gens-là, à cause de la loi 101 et non pas comme c'est notre analyse, comme nous le croyons... À cause de la loi 101, il y a des enfants qui sont martyrisés alors que ces mêmes personnes avaient incité les parents immigrés à envoyer leurs enfants à l'école anglaise.

En ce qui concerne Alliance Québec, nous ne sommes pas du tout contre son existence; au contraire. Vous nous avez fait dire ou vous avez fait dire à notre mémoire des choses qu'il ne dit pas du tout. Ce que nous voulons souligner, c'est que des groupes qui, individuellement, ont tenté, chacun à leur façon, par des moyens différents, d'en arriver à affaiblir la loi 101, se retrouvent tous derrière la bannière d'Alliance Québec, aujourd'hui. Il nous semblait à propos de le souligner à la commission, mais nous ne sommes pas du tout contre Alliance Québec. Je pense que c'est important que des gens qui ont des revendications à faire puissent s'unir en groupes ou en comités pour pouvoir défendre leurs intérêts.

M. Gratton: M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Une simple remarque. J'ai retenu les explications que vous nous avez données. Je les accepte. Je retiens, cependant, qu'il semble que votre attitude ou la rédaction de votre mémoire ait été inspirée par un préjugé. Vous préjugiez de l'attitude que nous de l'Opposition adopterions à cette commission parlementaire. J'espère que l'attitude qu'on a adoptée ne vous a pas trop déçus.

M. Bérard: Bien au contraire, nous sommes heureux de voir que l'Opposition officielle est prête à transiger avec nous sans débat passionné, sans animosité et nous en sommes très heureux.

M. Gratton: Merci.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Godin: En terminant, parce que mon collègue de Gatineau s'est permis de faire une remontrance à des gens - amicale? Oui, amicale - qui se sont comportés de façon parfaitement respectable et honorable devant cette commission, je voudrais moi aussi faire une leçon à un autre groupe qui est venu, qui a avoué à un journaliste anglophone qu'il avait utilisé l'effet de surprise face à la commission en ne remettant pas un document à temps dans le cadre d'une stratégie globale.

M. Gratton: Ouvrez cela, on va en parler.

M. Godin: Je l'ai dit ce matin, je pense que c'était une forme de mépris du Parlement et moi, le Parlement, M. le député, je me suis assez battu dans les rues du comté de Mercier pour être ici parce que j'y croyais à cette institution et j'ai appris de l'un de vos ex-collègues, le député Jean-Noël Lavoie, à quel point l'institution était importante. Je l'ai appris ici, en fait, encore plus que je ne le croyais au début. Quand je vois des groupes qui viennent demander à l'État de les écouter tenter de manipuler une commission - ce n'est pas le gouvernement, mais autant vous que nous - je trouve cela

plus répréhensible encore que quelques mots un peu verts utilisés dans un mémoire présenté par des gens d'une politesse extrême et d'une courtoisie exquise. Merci, M. le Président.

Mme Lavoie-Roux: C'est vrai, ils sont très polis.

M. Gratton: Oui.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Par deux fois, le ministre a fait allusion aux comportements qu'il a jugés incorrects de la part d'Alliance Québec. Je ne suis pas ici pour les défendre.

M. Godin: Je ne les ai pas nommés, M. le Président.

M. Gratton: On n'est quand même pas pour... Je voudrais préciser tout de suite que je n'ai pas trouvé quelque impolitesse que ce soit. Au contraire, j'ai trouvé fort polie la façon de nos invités de s'exprimer. Quand on parle de mépris du Parlement, j'inviterais le ministre à nous dire ici à la commission ce qu'il dit aux journalistes par rapport à nos invités. J'y ai fait référence ce matin - et le ministre s'est mépris en disant: J'ai dit la même chose à la commission. Ce à quoi je faisais référence ce matin et on le retrouve dans deux articles signés Michel David dans le Soleil de ce matin - c'est aux propos que le ministre a tenus, des commentaires qu'il a faits au sujet d'un invité après la commission: "Quand on veut tuer son chien -a dit le ministre - on dit qu'il a la rage. Quand on veut tuer le français, on dit que les gens de l'Office de la langue française sont des "crack-pot", que ceux de la Commission de surveillance sont comme la Gestapo. On crée ainsi un climat dont le but ultime est de détruire la loi 101 complètement", a commenté le ministre Godin après la séance d'hier."

Plus loin, on faisait dire à M. le ministre: "Ils cherchent la chicane - en parlant d'Alliance Québec - mais ils ne l'auront pas", a dit M. Godin aux journalistes, après que la commission eut suspendu ses travaux." J'aurais préféré que le ministre leur dise cela aux gens d'Alliance Québec comme je viens de le faire avec nos invités. Je pense que ce n'est pas un manque de politesse. Tout au contraire, ce n'est sûrement pas un mépris du Parlement. C'est de dire ce qu'on a à dire là où on doit le dire, à la commission...

M. Godin: M. le Président...

M. Gratton: J'invite le ministre à ne pas mépriser la commission en faisant ses commentaires sur le comportement de nos invités une fois qu'ils sont partis parce que, là au moins, les reproches que je leur ai adressés amicalement, ils ont pu les commenter à leur guise et j'ai accepté leurs commentaires. Les gens d'Alliance Québec n'ont malheureusement pas pu le faire à la suite des propos que le ministre a tenus hier après la séance de la commission.

M. Godin: M. le Président...

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Godin: Les principes qui doivent nous préoccuper ici, ce sont les principes du respect du Parlement. Je l'ai dit ici, je l'ai souligné au président que la procédure employée par Alliance Québec était inacceptable, n'était pas conforme à nos règles de procédure normales, et je pense que c'était cela le message que j'avais à passer. En entrevue, par la suite, en réponse à des questions nombreuses, comme vous l'avez certainement fait vous-même sur d'autres points, je me suis exprimé en d'autres termes parce que ce n'était pas parlementaire à ce moment. Cela ne signifie pas que ce que j'avais à dire, ils ne l'ont pas reçu comme message. La preuve, c'est que, quand je suis sorti d'ici, ils m'ont abordé sur ce que j'avais dit ici qui était exactement ce que j'ai dit aux journaux en d'autres termes. Je n'ai pas fait le relevé de tout ce que vous avez dit en entrevue avant ou après la commission pour voir si c'était bien ce que vous avez dit ici.

M. Gratton: Je dis tout ici.

M. Godin: Je présume que ce n'était pas exactement dans les mêmes termes parce que ce serait ennuyeux aussi bien pour ceux qui nous écoutent que pour ceux qui s'expriment de répéter constamment les mêmes mots dans les mêmes circonstances...

Mme Lavoie-Roux: ...et en-dehors de...

M. Godin: Oui. Écoutez, vous connaissez mon deuxième métier, qui est celui de poète. Donc, je change de niveau de langage. Entre le langage parlementaire et la poésie que j'écris et que je publie, il y a souvent des marges. Le député Fernand Lalonde de Marguerite-Bourgeoys me l'a d'ailleurs souvent reproché. Merci beaucoup.

Le Président (M. Desbiens): Merci. Je remercie nos invités de leur participation à nos travaux. Le commission élue permanente des communautés culturelles et de l'immigration ajourne ses travaux à demain.

M. Laplante: Avant d'ajourner, M. le

Président...

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Juste une information. Dans les couloirs du parlement ici, il y a à peu près pour 10 000 $ de paperasse que Alliance Québec a laissé en pile. Qu'est-ce qu'on fait avec cela? Est-ce que c'est la responsabilité du Parlement actuellement?

Le Président (M. Desbiens): Je transmettrai cette information au président de l'Assemblée nationale.

M. Laplante: Je demande au président de communiquer avec eux.

Le Président (M. Desbiens): La commission des communautés culturelles et de l'immigration ajourne ses travaux à demain matin 9 heures.

(Fin de la séance à 23 h 11)

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