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Version finale

35e législature, 2e session
(25 mars 1996 au 21 octobre 1998)

Le mardi 4 mars 1997 - Vol. 35 N° 28

Consultation générale sur les cartes d'identité et la protection de la vie privée


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Table des matières

Remarques préliminaires

Auditions


Autres intervenants
M. André Gaulin, président suppléant
Mme Solange Charest
M. Pierre-Étienne Laporte
M. Lawrence S. Bergman
* M. Paul-André Comeau, CAI
* M. André Ouimet, idem
* M. Clarence White, idem
* M. Guy Breton, Vérificateur général
* M. Marc Sauvé, Barreau du Québec
* Mme Edith Deleury, idem
* M. Raymond Doray, idem
* M. Vincent Emmell, Progesta inc.
* M. Pierrôt Péladeau, idem
* Mme Denise Larouche, AAPI
* Mme Cynthia Morin, idem
* Mme Annie Rousseau, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Dix heures neuf minutes)

Le Président (M. Garon): Nous avons quorum. Je déclare la séance ouverte et je rappelle que la commission s'est donné le mandat d'initiative suivant: procéder à une consultation générale et tenir des auditions publiques sur les cartes d'identité et la protection de la vie privée.

M. le secrétaire, y a-t-il lieu d'annoncer des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Williams (Nelligan) remplace M. Bissonnet (Jeanne-Mance); M. Gautrin (Verdun) remplace M. Cusano (Viau); et M. Bergman (D'Arcy-McGee) remplace M. Kelly (Jacques-Cartier).

(10 h 10)

Des voix: ...

Le Secrétaire: Pardon! remplace Mme Frulla (Marguerite-Bourgeoys).

Le Président (M. Garon): Alors, nous avons convenu... Je pourrais lire l'ordre du jour. Il est ici. Alors, à 10 heures, bien, 10 h 10, remarques préliminaires; 11 heures, Commission d'accès à l'information; 12 h 30, suspension; 14 heures, Vérificateur général; 15 h 30, Barreau du Québec; 16 heures, Progesta inc.; 17 h 30, suspension; 20 heures, Association sur l'accès et la protection de l'information; 21 heures, ajournement.

Les membres de la commission ont convenu, lors d'une séance de travail, que les remarques préliminaires dureraient une heure, c'est-à-dire 30 minutes de chaque côté.

Quant aux exposés des organismes, l'exposé normalement est de 20 minutes; la période d'échanges, 40 minutes, répartie entre les deux groupes parlementaires, avec un partage équitable entre les deux groupes parlementaires, c'est-à-dire normalement 40 minutes en alternance mais en essayant de faire en sorte que chaque groupe ait à peu près le même temps... pas à peu près, ait le même temps.


Remarques préliminaires


M. Jean Garon, président

Alors, les remarques préliminaires. J'aimerais dire d'abord que la commission a accepté de se donner ce mandat suite à une proposition du président de la Commission d'accès à l'information, M. Comeau. Lorsque M. Comeau est venu devant la commission à la suite de la publication de son rapport annuel, il a été entendu par la commission de la culture et, à l'occasion de cette rencontre avec les membres de la commission, M. Comeau a présenté un document et nous a dit qu'il aimerait bien avoir un forum et que la commission pourrait être le forum approprié pour que les gens puissent venir s'exprimer sur la question de la carte d'identité, ou des cartes d'identité, et il a fait le point en nous rappelant qu'il n'y a pas eu vraiment de débat depuis une quinzaine d'années sur cette question au Québec, un débat d'ensemble. On dit qu'il y a des éditorialistes, ce matin, qui disent que ça remonte même au début des années soixante-dix. Peu importe, ça veut dire qu'il y a plusieurs années où il n'y a pas eu de débat sur cette question-là.

On s'est rendu compte à la commission, lorsqu'on a étudié, on a travaillé sur le rapport ou entendu les mémoires ou même préparé les documents préparatoires à la commission qui a porté sur l'inforoute, qu'il y a beaucoup de questions qui revenaient concernant la confidentialité des données puis la possibilité qu'il y avait maintenant, avec les moyens techniques dont on dispose aujourd'hui et dont on ne disposait pas quand les gens travaillaient tous au crayon, qu'il était maintenant possible de faire des fichiers, de faire parler des fichiers ou de faire en sorte que les gens soient fichés même sans s'en rendre compte, quand les moyens techniques existent.

Je dois dire que la proposition de M. Comeau a été acceptée avec beaucoup d'enthousiasme par la commission parce qu'on sentait également qu'il y avait un besoin de faire ce débat sur la question des cartes d'identité et la protection de la vie privée.

Évidemment, il y a d'autres questions qui touchent... Les cartes d'identité et la protection de la vie privée, ce n'est pas le seul élément qu'il faut considérer. Il y a eu beaucoup de commentaires depuis que la commission a accepté de tenir ces auditions. Il y a eu plusieurs commentaires où les gens craignaient que la commission arrive avec une recette à la fin de la commission, tire des conclusions et dise: Voici ce que le gouvernement devrait faire. Je ne pense pas, dans les discussions qui ont eu lieu au sein de la commission, que c'est ce que la commission a l'intention de faire. La commission veut entendre les mémoires. Elle a présenté, elle a remis dans l'avis de consultation le document préparé par la Commission d'accès à l'information qui nous avait été livré, présenté par M. Comeau. Elle a également joint une partie du dernier rapport annuel du Vérificateur général qui parlait de la question des cartes d'identité et également une partie du rapport annuel du Protecteur du citoyen qui traitait aussi de cette question-là.

Les gens savent qu'il y a beaucoup de personnes qui sont favorables à une carte d'identité, mais il y a aussi beaucoup de personnes qui s'en méfient et qui se méfient des possibilités de ficher les gens lorsque les moyens techniques leur sont donnés. Il y a aussi des gens qui souhaitent qu'il y ait des genres de cartes: on parle de la carte d'électeur, de la carte de citoyen. Encore hier, dans les journaux, on parlait des archives... l'état civil qui parlait de faire un fichier central de la population. Il y a aussi, on le voit, les organismes publics de l'administration qui indiquent qu'ils aimeraient pouvoir avoir plus de données sur les citoyens puis faire parler des fichiers entre eux.

Par ailleurs, toutes ces questions... la relation des citoyens avec l'État pose plusieurs interrogations et suscite beaucoup de questions. J'étais très content de voir que dans le document de M. Comeau, personnellement, on montrait ce qui se faisait ailleurs et qu'il y avait plusieurs façons de faire les choses: des pays qui avaient des cartes d'identité obligatoires, d'autres qui avaient des cartes d'identité facultatives, d'autres qui n'en avaient pas du tout et puis qui regardaient tout simplement... laissaient les gens libres, comme aux États-Unis ou comme c'est le cas ici au Canada, ça a été le cas jusqu'à maintenant.

Le but de la commission, c'est d'entendre puis de faire un véritable débat dans la société québécoise, voir qu'est-ce que les gens pensent de cette question-là. Puis je ne pense pas que la commission a comme intention de décider des choses à la place du gouvernement, mais de servir de forum et d'indiquer possiblement des balises qui vont se dégager des travaux de la commission, des gens qui vont venir parler devant la commission.

Nous avons donné une place, au point de départ, à des organismes gouvernementaux comme la Commission d'accès à l'information, le Vérificateur général, le Protecteur du citoyen, et aussi à la Commission des droits de la personne. On leur a même demandé, comme ce sont des organismes qui sont nommés par l'Assemblée nationale, qui, donc, ont pour objet de protéger l'intérêt public... pas l'intérêt privé mais l'intérêt public, ou l'intérêt privé et l'intérêt public, au fond... dans ce cas-là, quand on parle de l'intérêt public, c'est peut-être l'intérêt privé qui devient l'intérêt public, dans le sens que la protection de la vie privée... Mais j'ai l'intention de proposer, parce que je n'ai pas eu le temps de le faire ce matin... On a parlé de faire revenir ces organismes-là à la fin des rencontres, et j'ai l'intention d'en parler aux membres de la commission. Possiblement – je vous le dis d'avance – si la commission voit que c'est utile, peut-être les recevoir un par un et, ensuite, tous ensemble, avoir un débat tous ensemble, avoir des organismes au bout de la table, comme le président de la Commission d'accès à l'information, le Protecteur du citoyen, le Vérificateur général, le président de la commission des droits et libertés de la personne, pour qu'on discute ensemble... susciter vraiment ce débat-là mais d'une façon peut-être moins formelle, pour qu'on puisse discuter tous ensemble comment on voit ça à ce moment-ci dans le temps, comme commission. Mais j'aurai l'occasion d'en reparler. Mais je voulais tout simplement en dire un mot. Si les gens de la commission acceptent, bien, on pourrait faire les deux formules pour permettre un débat plus sous forme d'échanges, parce que c'est vraiment... le but de la commission, c'est de faire ce débat dans la société québécoise à ce moment-ci dans le temps.

(10 h 20)

Et j'ai référé quelques fois – parce que je suis convaincu de ça personnellement – j'ai référé quelques fois à un article du New York Times , au mois de décembre, où on disait, dans cet article qui n'était pas distribué aux membres de la commission, que sans doute le principal débat du XXIe siècle sera la protection de la vie privée, autant qu'on a parlé de la protection de l'environnement au XXe siècle. Je ne veux pas dire que la protection de l'environnement est complètement assurée, mais ç'a été la préoccupation des citoyens, alors qu'au XIXe siècle il n'y a pas grand monde qui se préoccupait de ça parce qu'on n'était pas conscients de ça. Alors, aujourd'hui, de plus en plus, parce que les moyens techniques existent, il va être possible de ficher les gens et ça va devenir une préoccupation de protéger sa vie privée. Mais, en même temps, comment rendre possible l'identification des personnes, lorsqu'elles veulent s'identifier, sans avoir les désavantages d'avoir leur vie privée fichée à plusieurs endroits?

Ce sont des problèmes de notre époque, de la même façon, je pense bien, que la nouvelle brebis Dolly, en Écosse, ou encore que le singe qui a été cloné, je pense que c'est en Orégon, présentent des problèmes de notre époque. Avant, le problème ne se présentait pas, ce n'était pas possible. Jules Verne avait prévu beaucoup de choses, ou Aldous Huxley il y a quelques années, mais...

M. Gautrin: Oui. Mais, avant ça... après ça, c'est-à-dire... on a commencé à cloner les grenouilles bien avant ça.

Le Président (M. Garon): Et, donc, il y a des questions qui se posent aujourd'hui parce que les moyens techniques existent, alors qu'ils ne se posaient pas de la même façon, sauf de façon théorique, beaucoup plus théorique, au moment où ce n'était pas possible.

Alors, je ne veux pas être plus long, parce que je veux simplement répondre un peu à tous ceux qui ont écrit des commentaires craignant que la commission aborde cette question-là en disant: Bien, voici: à la fin, voici ce qui devrait être fait. Je ne pense pas que la commission veuille travailler de cette façon-là. Et ceux qui avaient des appréhensions dans les différents articles qu'on a vus, je pense que ce n'est pas le but de la commission. Le but de la commission, c'est vraiment de fournir un forum pour débattre de cette question-là, comme nous l'a demandé le président de la Commission d'accès à l'information, et, ensuite, de faire un rapport à l'Assemblée nationale concernant ces débats qui auront eu lieu et les conclusions que pourront en tirer les membres de la commission, mais sans essayer de donner de recette au gouvernement ou encore de dire au gouvernement: Vous devez faire ça, vous devez faire telle chose, mais plutôt d'indiquer des balises qui devraient nous guider dans les années qui viennent, en attendant qu'il y ait un autre débat pour faire le point parce qu'on aura plus de connaissances qu'on en a aujourd'hui.

J'ai remarqué que beaucoup de personnes, de ceux qui nous ont fait des mises en garde, nous ont dit, avec raison, avec beaucoup de raison, que les conséquences ne sont pas connues. Remarquez que beaucoup d'articles... beaucoup de ceux qui nous ont écrit nous ont dit: Vous savez, c'est difficile de faire un débat très complet aujourd'hui parce qu'on ne sait pas tout ce qui est dans la machine, on ne connaît pas les conséquences de ce qui pourrait être fait, et c'est difficile de porter un jugement à ce moment-ci dans le temps alors qu'on ne connaît pas toutes les intentions de ceux qui sont en position d'orienter les actions dans ce domaine-là. Ça aussi, je pense, on est très conscient, nous sommes très conscients qu'il y a beaucoup de choses qui ne sont pas connues, et c'est sans prétention que la commission de la culture a voulu servir de forum à la demande du président de la Commission d'accès à l'information, mais en sachant que ce débat serait utile comme un débat de cette nature peut l'être dans une société démocratique.

M. le député...

M. Kelley: De Jacques-Cartier.

Le Président (M. Garon): ...de Jacques-Cartier.


M. Geoffrey Kelley

M. Kelley: Merci, M. le Président. À mon tour, j'aimerais aussi saluer que l'opposition officielle est heureuse de lancer un débat sur cette question de très haute importance. On a vu, à la fin de l'année 1996, trois signaux des organismes différents, à la fois le document déposé par M. Comeau et la Commission d'accès à l'information, également un chapitre dans le rapport annuel du Vérificateur général sur tout le traitement des renseignements et la protection de la confidentialité des données. Également, le Protecteur du citoyen a jugé bon, dans son rapport annuel, aussi de signaler l'importance de ce dossier. Alors, quand on a trois organismes qui dépendent de l'Assemblée nationale, qui ont lancé des inquiétudes, des questions sur la protection de la vie privée, je pense que tous les membres de la commission de la culture ont tout intérêt à procéder. C'est notre commission qui est mandatée par l'Assemblée nationale pour veiller au travail de la Commission d'accès à l'information et, de plus général, c'est notre mandat de protéger les intérêts de la vie privée.

Alors, c'est très important, ce sont des questions qui relèvent de notre importance. Alors, je pense qu'on a le devoir d'être un forum, comme le président a dit, mais aussi on a une certaine responsabilité de surveillance donnée aux membres de cette commission par l'Assemblée nationale. Et je pense qu'on a tout intérêt à lancer un débat parce que, je pense, c'est clair, on ne peut pas terminer le débat, on ne peut pas donner notre approbation, parce que, comme l'a souligné, entre autres, le Protecteur du citoyen, et M. Péladeau dans un article dans Le Devoir récemment, il y a beaucoup de projets dans l'air, il y a beaucoup d'hypothèses et il y a toujours beaucoup de ballons d'essai qu'on voit dans les journaux, mais très peu de solide.

On a vu, entre autres, la semaine passée, que la RAMQ a déjà signé une entente pour la création d'une carte-santé et on est en train de monter un consortium pour la mise en place d'une carte-santé basée sur l'expérience à Rimouski. On a vu que le ministre responsable de la Réforme électorale et député d'Anjou a déjà donné son approbation à la notion d'une carte d'électeur. On a souligné ce matin, encore une fois, cette notion peut-être d'une carte multiservices avec un microprocesseur qui, peut-être, va inclure notre permis de conduire, des dossiers médicaux, des informations sur nos médicaments, etc., etc. On a vu le projet, qui émane du directeur de l'état civil, de créer une grande banque centrale de données sur les citoyens, les personnes au Québec et tous les renseignements qu'il faut sur notre état civil.

Alors, il y a beaucoup de projets pour lesquels, comme parlementaire, je dois avouer, je suis un petit peu frustré parce qu'il y a un manque d'information effectivement. Il y a des projets qui s'avancent et on n'a pas eu l'occasion de s'asseoir, de voir dans son ensemble c'est quoi les principes qui doivent nous guider et c'est quoi les intérêts des citoyens. Parce que je pense qu'il faut dire avant tout qu'on est ici, élus, pour représenter les citoyens et les citoyennes du Québec et c'est notre devoir de dire c'est quoi leur intérêt. Parce qu'il y a toujours les membres, des gestionnaires de l'État qui, pour leur fins à eux, vont voir, peut-être, que c'est plus efficace, c'est plus facile, ça va être dans leur intérêt de peut-être coupler, doubler, mettre ensemble des projets. Mais on n'est pas ici pour faciliter la tâche des gestionnaires de l'État. Avant tout, on est ici pour représenter les intérêts des citoyens. Alors, je pense qu'il faut regarder ça comme il faut pour voir c'est quoi les avantages et les inconvénients des projets sur les choses et c'est quoi les vrais besoins des citoyens. Et je pense qu'il faut toujours poser la question: Est-ce que nos citoyens et nos citoyennes ont besoin, avant de se lancer dans une grande carte, avant de créer un grand fichier ou une grande banque de données... Il faut demander la question: Est-ce que mes électeurs, est-ce que mes citoyens et citoyennes ont besoin de ça?

Et je cite, juste comme exemple, la déclaration – je n'en revenais pas – de l'année passée du Directeur général des élections qui, dans un rapport qu'il a déposé à l'Assemblée nationale, un document de réflexion sur les amendements à la Loi électorale, a dit carrément, sur toute la question de la nécessité d'avoir une carte d'identité ou une carte d'électeur, il a dit: «De toute évidence, les télégraphes sont beaucoup moins fréquents que d'autres fois. Cependant, il arrive encore que les électeurs se présentent pour voter le jour du scrutin et qu'une autre personne a déjà voté à leur place. Il est actuellement impossible de quantifier ces incidents.»

(10 h 30)

Quand je lis ça, je dis: Le besoin n'est pas identifié, le besoin, il n'y a aucune preuve tangible. Alors, avant d'embarquer sur un grand bateau d'une carte d'électeur avec un grand fichier central pour gérer tout ça et donner les autres cartes d'électeur chaque fois qu'on déménage – il n'y a pas loin de 1 000 000 de déménagements par année – il faut voir s'il y a un vrai besoin pour les citoyens. Et quand on dit que c'est beaucoup moins fréquent que d'autres fois, peut-être le problème n'est pas réel, peut-être on n'en a pas besoin. Alors, je pense qu'il faut toujours commencer avec un test de besoin, un test pour voir vraiment: Est-ce que c'est quelque chose que nos citoyens réclament de nous autres ou est-ce que c'est juste pour faciliter la tâche de quelques dirigeants de l'État?

Aussi, il faut toujours revenir sur la question de la nécessité absolue, avant de procéder. Et je trouve ce gouvernement un petit peu gourmand d'informations. On a vu ça dans le débat que nous avons eu sur la loi 32 et toute la méfiance démontrée envers les payeurs de taxes au Québec. La vaste majorité des personnes au Québec paient leurs taxes. Tout le monde dit, quand on parle de 3 % ou de 5 %, quelque chose comme ça: Il y a une infime minorité qui fraudent, qui ne paient pas leurs taxes, mais la grande majorité... On peut avoir confiance en nos concitoyens et nos concitoyennes parce que la grande majorité paient leurs taxes.

Alors, quand on met dans une loi le pouvoir pour un ministère d'aller «at large», comme l'article 5 du projet de loi n° 32 sanctionné au mois de juin passé: «Tout organisme public au sens de l'article 31.1.4, tout organisme qui jouit des droits et privilèges d'un mandataire du gouvernement ainsi que toute municipalité doit fournir au ministre tout renseignement que celui-ci indique, lorsque ce renseignement est nécessaire à l'application et à l'exécution d'une loi fiscale», on commence à aller un petit peu «at large», on va aller un petit peu...

On a déjà soulevé ça avec M. Comeau lors de sa dernière visite devant la commission, des exemples où chaque fois que quelqu'un, un citoyen du Québec décide d'agrandir sa maison, il doit appeler la municipalité pour faire application, faire une demande. Cette information va être transmise au ministère du Revenu, pour voir: Est-ce que le député de Champlain a vraiment les moyens d'agrandir sa maison, cet été? On ne sait pas. Également, on va voir le député de Lévis: avec un salaire de député et président de commission, trois Mercedes. On trouve ça beaucoup que le député de Lévis ou – peut-être que je dois être non-partisan dans mes commentaires – le député de Nelligan ait trois Mercedes dans sa... ça commence à être beaucoup. Mais je pense que ce sont des choses qu'il faut avoir...

L'élément clé, dans notre système de droit, c'est un doute raisonnable. Il faut avoir des doutes. Et, moi, je prends mes collègues autour de la table; moi, je pense qu'ils sont des hommes et des femmes honnêtes et je n'ai pas une raison, un soupçon pour aller fouiller dans les dossiers personnels de mon collègue le député de Champlain ni de mon collègue le député de Nelligan. Alors, il faut avoir un certain doute raisonnable, avant de faire ça.

Mais qu'est-ce que nous avons permis, qu'est-ce que nous tolérons maintenant, avec la loi 32? C'est de permettre au ministère du Revenu de dire: À 100 %, vous êtes des fraudeurs. Alors, on va aller «at large», on va fouiller un petit peu, on va trouver des choses. Peut-être que ça va... Et c'est toujours pour des fins louables; je veux souligner ça. On veut que le monde supporte les services de l'État, on ne veut pas qu'il y ait des fraudeurs, on ne veut pas ça, mais il faut faire attention: À quel prix est-ce qu'on va demander qu'on respecte les fins louables?

C'est la même chose pour la question de la perception des pensions alimentaires. Tout le monde, dans la salle, est pour ça. On comprend que c'est très important. Mais, au moment de ficher tout le monde, à quel prix aller fouiller dans des informations pour, au bout de la ligne, gérer cette fin louable? Parce que ce sont toujours des fins louables, il y a beaucoup de fins louables, mais il faut comprendre aussi le prix qu'il faut payer quant à la protection de la vie privée, quant à la confidentialité des données sur les citoyens.

Alors, je pense que ce sont des enjeux très importants. Et, comme j'ai dit, récemment le gouvernement devient de plus en plus gourmand ou les gestionnaires de l'État deviennent de plus en plus gourmands: Je dois avoir ces renseignements, ces renseignements, ces renseignements. Il faut toujours arrêter ce processus en disant: Est-ce que c'est vraiment nécessaire? Est-ce que c'est vraiment quelque chose qu'il faut faire pour assurer la bonne gestion de l'État ou est-ce que le prix à payer, quant à la protection de la liberté, quant à la protection de la confidentialité, est trop élevé? Alors, peut-être que ça va être plus compliqué pour gérer ces fins louables. Mais de demander à la fonction publique et aux gestionnaires de l'État d'arranger ça autrement pour donner une meilleure protection de la vie privée... Alors, je pense qu'avant tout c'est notre devoir, comme membres de cette commission, de poser ce genre de question.

On a une première ébauche, dans le document préparé par M. Comeau. Mais il y a énormément de questions, énormément d'enjeux. Et je pense que le document préparé par le Vérificateur général en fait la preuve parce qu'il y a beaucoup plus de questions que de réponses, dans ce document et ce mémoire. Le Vérificateur pose toute une grande série de questions à la fois techniques, à la fois sur la bonne gestion, la gestion efficace de ces données et l'impact sur la protection de la vie privée. Alors, on a tout intérêt à regarder ces questions et d'autres questions qu'on trouve aussi.

C'est quoi, exactement, une carte d'identité? Tout le monde prend pour acquis qu'on parle de la même chose: C'est évident, on va mettre un nom et un prénom là-dessus. Mais, après ça, on va identifier: Est-ce que c'est un résident du Québec ou un citoyen du Québec? Ce n'est pas la même chose. Il y a toujours un certain pourcentage de personnes qui demeurent parmi nous, qui ne sont pas citoyens. Alors, est-ce que c'est une carte pour tous les résidents du Québec ou est-ce que c'est une carte pour les citoyens du Québec? Est-ce que ça va être une carte pour les électeurs ou une carte pour tout le monde? Parce que pas tout le monde est électeur, faute de citoyenneté ou ils n'aiment pas voter ou d'autres fins. Alors, comment on va faire ça?

Est-ce qu'on va mettre une adresse sur notre carte d'identité? Ça, c'est un enjeu important parce que le problème important de gestion, de décider de mettre une adresse sur la carte: il n'y a pas loin de 1 000 000 de déménagements par année, alors les coûts de gestion de cette carte sont majeurs. Estimé en Ontario, une province un petit peu plus large: 1 000 000 000 $ pour gérer une «smart card», avec les changements d'adresse, et tout ça. Ce sont des coûts très, très importants. Il faut regarder ça de près avant d'embarquer et de donner notre sceau d'approbation.

Et, sur l'adresse, aussi, il faut être très prudent, parce que, dans la vie... Prenons, entre autres, un étudiant. Moi, quand j'étais étudiant, j'ai déménagé presque toutes les années. Parce que quelqu'un a fini ses études, alors nous avons recomposé notre ménage d'étudiants. On a décidé de vivre à quatre au lieu de vivre à deux, pour sauver un petit peu d'argent, alors, nous avons déménagé. Et c'était loin d'être notre première préoccupation, qu'il fallait aviser le gouvernement de notre décision. Franchement, on a avisé nos amis, on a organisé une petite fête pour ça, mais, aviser le gouvernement, ce n'était pas prioritaire.

Mais, dans les cas encore plus sérieux, un couple qui vit un éclatement de famille, une femme qui abandonne peut-être un mari abusif, qui décide de retourner chez ses parents, est-ce qu'elle doit aviser le gouvernement qu'elle fait ça? Et, trois mois après, elle essaie de faire une réconciliation. Alors, elle retourne à sa maison. Alors, il faut aviser de nouveau ce grand registre.

Parce que, dans le document de la Commission d'accès à l'information, on parle qu'on risque de mettre en cause les services ou une prestation. Mais ce sont des questions plus fondamentales, on risque des fois de mettre nos droits en question aussi, et surtout notre droit de vote. Parce que, si on a tout fiché, si on a tout mis ça dans une banque centrale de données et on n'a pas avisé à temps quelqu'un qu'on a déménagé ou qu'on vit un éclatement de famille... Et je perds mon droit de vote? Ça, c'est sérieux. Ça, c'est très, très sérieux. Alors, il faut poser ce genre de questions. Est-ce qu'il y a un vrai problème? Est-ce qu'il y a un vrai besoin pour le citoyen et la citoyenne, avant de procéder?

Alors, je pense que, comme membre de cette commission, j'ai une grande liste de questions. Je peux continuer. Sur une carte d'identité, est-ce qu'on va mettre des choses biométriques, la rétine, une signature? Est-ce qu'on va mettre notre code génétique, un jour? Est-ce que ça, c'est des choses... Les empreintes digitales? Moi, j'ai toujours le préjugé que les empreintes digitales, c'est pour les pas bons, c'est pour les criminels. Et on ne demande pas aux honnêtes citoyens et citoyennes de mettre une empreinte digitale dans un dossier de l'État. Peut-être, c'est «old fashion», peut-être, c'est vraiment une pensée dinausaure, mais je pense toujours que non. Effectivement, je pense que ce n'est pas nécessaire d'avoir une banque centrale des empreintes digitales de tout le monde au Québec. Même si ça peut faciliter le travail de nos policiers, si ça peut faciliter la tâche de nous identifier, moi, je dirais non. Je ne veux pas voir ça. Je pense que c'est vraiment quelque chose d'excessif. Et la nécessité que l'État doive faire ça, on n'a pas eu la preuve de ça.

(10 h 40)

Finalement, comme j'ai dit, dans la question de coût-gestion, notre fonction publique arrive toujours en disant qu'on va être capable de gérer ça à 100 %. Il n'y aura jamais d'erreurs, il n'y aura jamais des choses qui coûtent plus cher qu'on pensait. Il faut noter, dans le rapport du Vérificateur général, la première année, pour notre liste électorale permanente, que j'ai voté contre, que je m'oppose toujours. Les dépassements de coûts étaient juste de l'ordre de 60 % et, quand même, on a toujours des personnes... Dans mon comté, une madame qui s'appelle «Jean», qui est un bon nom féminin, en anglais, a été contactée par le Directeur général des élections: Parce qu'on pense que vous êtes un homme. Mon nom, ce n'est pas Jean, c'est «Jean». Et ça s'explique.

J'ai un autre document, ici, d'une madame qui nous a contactés, de Saint-Raymond, pour choisir entre son nom côté A et son nom côté B. C'est un nom, une adresse, la ville de Saint-Raymond, le code postal. Les deux sont identiques, il n'y a pas de différence, pas une lettre, pas une virgule, rien de différent, mais elle doit choisir lequel des deux est plus exact. Et ça, c'est nos fonds publics qui ont payé pour ça. Il y a, quoi, 300 000 ou 400 000 lettres comme ça qui ont été envoyées récemment. Il y en a un autre 1 000 000 qui s'en viennent pour aller contester le droit de vote de tous nos concitoyens et concitoyennes pour des affaires, des fois, bidons comme ça.

Je pense qu'on a tout intérêt à dire: Est-ce qu'on veut vraiment partir un autre bateau? Après, et c'est une remarque non partisane, les deux côtés de la Chambre, on a géré notre grand fichier, à la Régie d'assurance maladie du Québec, et j'étais étonné de voir que, malgré maintenant une photographie sur tout ça, il y a à peu près 6 % des noms et des adresses, sur le fichier, qui sont inexacts, selon le Vérificateur général. Alors, après des années et des années, des promesses qu'on va avoir quelque chose qui est de toute beauté, tout bon, on demeure toujours dans une situation où il y a 6 % des noms et adresses qui sont inexacts.

Alors, peut-être que la vie de nos citoyens est trop compliquée et qu'on ne pourra jamais les ficher, et peut-être que c'est une bonne chose. Et il faut penser à ça, aussi. Peut-être que les vies des gens normaux sont beaucoup plus complexes, ont beaucoup plus de va et vient pour les fins de nos gestionnaires de toujours avoir une liste à jour. Et peut-être qu'il faut penser à ça dans nos considérations, aussi.

Alors, en conclusion, j'espère qu'à la fin on pourra dégager des principes. Et je pense qu'avant tout comme membres de cette commission, on a tout intérêt à mettre le citoyen comme première priorité dans nos préoccupations. Il y a beaucoup de monde dans la gestion de l'État qui vont venir témoigner du besoin de leur faciliter la tâche. Mais, nous autres, nous sommes élus ici pour représenter nos citoyens et citoyennes, et il faut mettre leurs inquiétudes, leurs questions en priorité, dans les prochaines semaines. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.


M. André Gaulin

M. Gaulin: M. le Président, je serai très bref. Je voulais simplement indiquer qu'en tant que député de Taschereau, député dans la capitale je serai beaucoup à l'écoute des groupes qui vont venir nous rencontrer. Je n'ai pas de position aussi déterminée que celle du député de Jacques-Cartier, au début de ce mandat d'initiative. Je serais porté à dire comme Aragon: «Les choses étant ce qu'elles sont, de temps en temps, la terre tremble.» Et je voudrais être un peu sismographe pour enregistrer ce qui va se passer ici.

Je note que nous sommes des animaux sociaux. C'est une constante. On nous enregistre à la naissance, on nous enregistre à la mort, on nous enregistre au mariage. Si on a un divorce, il faut un acte légal. Si j'achète une maison, j'ai un acte notarié. Si je signe un bail, c'est quelque chose pour lequel je suis garant devant l'opinion publique. Si je fais une location achat-rachat d'une voiture, aussi je suis obligé de poser un acte officiel. D'ailleurs, ça m'étonnait, dans «La peste» de Camus, de voir comment, pendant la peste, où il meurt tellement de gens, une des préoccupations sociales qu'on a, c'est de pouvoir enterrer les gens, être sûr qu'ils sont morts et de pouvoir faire un acte légal pour entériner cette mort-là. Je vais dans l'imaginaire. Dans André Langevin, Le temps des hommes , à un moment donné, il y a un homme qu'on retire comme bûcheron parce que, s'il meurt en forêt, ça va coûter trop cher à la compagnie, parce qu'on sait qu'il faudra faire des recherches pour le trouver, identifier son corps et dire qu'il est légalement mort.

Donc, la carte d'identité, elle est un peu de cet ordre-là. Et moi, je dirais, d'entrée de jeu, que je voudrais bien que cette carte, s'il y en a une, elle s'appelle la carte du citoyen. Ça pourrait déjà être un critère d'évaluation des risques qu'il y a pour la vie privée et des avantages qu'il y a pour la vie publique. Parce que la vie publique et la vie privée s'opposent, ici. Le citoyen, c'est à la foi un homme qui est quelqu'un de privé, il a sa vie privée, mais il a sa vie publique. On sait la complexité de nos sociétés modernes. Aujourd'hui, on peut même – parce qu'on est rentré dans la société des juges – poursuivre quelqu'un soi-disant parce qu'il vous a pris, comme photographe, sur une place publique, et cette photo-là est parue dans Le Soleil ou dans Le Devoir . À certains égards, vous auriez un certain droit de poursuite. C'est des cas qui ne sont pas farfelus, non plus.

Alors, je pense qu'on doit imaginer cette carte comme une carte d'utilité et seulement d'utilité. Est-ce que c'est une nécessité absolue qui doit faire qu'on va la faire comme le suggérait le député de Jacques-Cartier ou bien si c'est une carte d'utilité importante, mais avec les attentions nécessaires pour que cette carte ne serve qu'aux fins auxquelles elle est destinée? Je pense que c'est quand même important que, comme citoyen, une carte puisse servir à ce que, dans une société donnée, par exemple, tout le monde paie ses impôts. Je pense que c'est quelque chose qu'on peut revendiquer. Et je ne pense pas qu'on puisse, au nom du fait qu'à peu près tout le monde est honnête, dire: Bien, puisque à peu près tout le monde, soit 90 % ou 92 % des gens paient leurs impôts, les 8 % qui courent, laissons-les courir. Je pense que ça aussi, c'est important. Et le point de vue peut être différent d'ailleurs, selon qu'on est dans l'opposition ou au pouvoir. Mais, ici, comme députés, comme le suggérait le député de Jacques-Cartier, nous sommes aussi des gens qui sont responsables de la citoyenneté. C'est à ce titre-là qu'on est élus. On a un titre officiel qui est un titre d'administration publique et de responsabilité, d'équité et de répartition de la richesse, etc.

Alors, c'est un objectif important, que la vie privée, aujourd'hui. C'est sûr que nous sommes menacés. Maintenant, est-ce que c'est seulement par une carte, aussi, que cette vie privée là est menacée? À Tokyo actuellement, si vous partez avec une voiture, pour la circulation, on vous demande d'informer où vous allez, on vous indique sur écran les routes que vous pouvez suivre. Mais, de cette manière-là, aussi, on vous a toujours à l'oeil. Il y a toutes sortes de moyens, pour une société, de contrôler les citoyens et les citoyennes. Et, d'une certaine manière, il y a un ordre des choses contre lequel on ne pourra pas revenir.

Quand on a eu les premiers discours sur l'imprimerie à la Sorbonne, dans les années 1500 et quelques, il y a des gens qui s'opposaient à ce qu'il y ait une démultiplication des livres – qu'on faisait, à l'époque, à la main – pour toutes sortes de raisons. On prédisait la catastrophe. On prédisait des insanités. On prédisait toutes sortes de choses pour lesquelles on peut tenir à peu près le même discours aujourd'hui sur l'inforoute. Il y a des gens qui sont essentiellement optimistes et des gens qui sont essentiellement pessimistes. Alors, ce qu'on constate aujourd'hui, c'est qu'il se vend des espèces de porte-monnaie de cartes et que les citoyens ont un ensemble de cartes. Est-ce qu'il ne serait pas utile d'avoir une carte de citoyen? Et à quelles fins il faudrait cette carte-là? Moi, je veux être très attentif et très ouvert pour étudier les avantages d'une pareille carte et les risques d'une pareille carte. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Garon): M. le député de...

M. Williams: Nelligan.

(10 h 50)

Le Président (M. Garon): Nelligan.


M. Russell Williams

M. Williams: Merci beaucoup, M. le Président. Juste quelques brefs commentaires. Je voudrais ajouter mes commentaires à ceux de mon collègue de Jacques-Cartier, sur le débat que nous sommes en train de commencer. Mais, avant ça, je voudrais juste dire que j'étais un peu étonné quand j'ai lu Le Devoir ce matin. La manchette était: «Québec met la dernière main à son projet de carte du citoyen». J'étais un peu bouleversé, parce que j'ai pensé que nous sommes en train de commencer le débat, mais j'ai dit: Je vois qu'en arrière-chambre c'est tout préparé par votre gouvernement, et j'espère que ce n'est pas correct. Si vous voulez corriger ça plus tard, on peut certainement le corriger. Parce que, il me semble, la chose qui m'a excité de ce débat... C'est aussi important pour la vie privée et pour le bon fonctionnement de l'État. J'ai pensé que le mandat d'initiative était une bonne façon de commencer, pas juste une bonne façon d'acheter du temps pour le gouvernement pour raffiner son projet. Et j'espère qu'il n'est pas correct.

Je pense qu'on doit s'assurer, comme le député de Jacques-Cartier l'a déjà mentionné, que le besoin de cette carte d'identité doit être démontré clairement, d'une façon non questionnable, et, jusqu'à date, je n'ai pas été convaincu, je suis loin d'être convaincu. Une fois que le besoin est identifié, j'ai besoin aussi de savoir: Est-ce que ça va être efficace de répondre à ce besoin? Il me semble, plus souvent, quand je lis les documents sur la carte d'identité, toutes les formes de carte d'identité, que c'est plus une technologie qui cherche une application. C'est une technologie qui cherche une application à n'importe quelle place. Et je voudrais m'assurer qu'effectivement il y a un besoin et qu'une carte d'identité peut remplir ce besoin avant que je puisse appuyer...

Deuxième grande inquiétude que j'ai. Pour moi, pour le moment, je suis ouvert à la discussion, mais je suis – je ne cache pas ça – contre le principe d'une carte d'identité avec un numéro d'identité ayant accès à un fichier central. Je pense, une fois qu'il y a un numéro sur une carte, un numéro identifié à cette personne, on peut centraliser tous les fichiers; il me semble que c'est tellement dangereux. J'ai la question des conséquences de l'utilisation des cartes et j'ai aussi la question de l'utilisation non intentionnelle de cette information. Moi aussi, je suis convaincu que les fraudes – si on veut avoir la carte d'identité pour empêcher les fraudes – vont continuer. Le monde qui fait ça est assez créatif pour trouver une autre façon de «bypasser» les protections.

Le député de Jacques-Cartier a déjà souligné l'importance de la protection de la vie privée. Je suis tellement inquiet du comportement de ce gouvernement dans la question de la vie privée. Et le commissaire et moi avons eu plusieurs chances de discuter de cette question et nous allons continuer de discuter de cette question, parce que nous avons vu un gouvernement avec un appétit insatiable pour l'information. Le projet de loi n° 32, c'est un excellent exemple. Ils ont eu plus ou moins 50 ministres et organismes qui veulent faire l'échange d'informations, s'assurer qu'ils savent tout sur tous les Québécois. Et je suis convaincu qu'il va y avoir une forte résistance de la population à une carte d'identité. Nous, on vit dans une démocratie avec une société libre et je pense qu'il va y avoir une grosse résistance à ça.

Je questionne aussi le potentiel – je ne veux pas exagérer pour le moment – le niveau de surveillance par l'État une fois que nous avons une carte d'identité. Je demande aussi: C'est quoi, les protections que le simple citoyen peut avoir? C'est quoi, les mécanismes de contrôle hors du gouvernement? Peut-être la Commission d'accès à l'information doit avoir plus de pouvoirs pour contrôler ces affaires. Je voudrais aussi que toutes les règles soient transparentes et soient restrictives de l'utilisation de l'information. Et, comme j'ai déjà mentionné pendant le débat sur le projet de loi n° 32, je voudrais contrôler les «linkages», l'échange d'informations entre les ministères.

M. le Président, juste un exemple. Ça existe maintenant, les chasses aux sorcières par le ministère du Revenu, avec les couplages des dossiers. Ils ont envoyé plus de 25 000 lettres à tous les restaurateurs, aux hôtels. Ils cherchent les niveaux de pourboires dans les années 1995. Ils sont en train de demander à plusieurs ministères l'information, et ils ne savent pas comment ils vont utiliser ça. L'usage projeté, dans plusieurs des cas, dit: Le ministère effectuera des comparaisons de ces fichiers avec ceux dont il dispose et ceux dont il disposera pour les extraire des dossiers irréguliers. Ces cas seront vérifiés afin de valider les résultantes de la comparaison. Il dit ça dans plus de la moitié des cas. Avec ça, il veut ramasser toute l'information. Et ils ne savent pas ce qu'ils vont faire avec ça. Il me semble, M. le Président, que c'est tellement dangereux.

Comme exemple: Loto-Québec. Si vous êtes assez chanceux, M. le Président – pour payer trois Mercedes que vous n'avez pas – vous avez gagné la Loto-Québec. Le fisc va vérifier tous vos autres dossiers pour savoir: Est-ce que vous avez bel et bien payé toutes les autres sommes dues au gouvernement? Moi, je pense que ce pouvoir de collecter toute cette information est dangereux.

Avec ça, M. le Président, j'ai des grandes inquiétudes. Je suis ouvert pour discuter de toutes les possibilités. Mais, moi, je ne suis pas convaincu que nous avons démontré qu'il y a un besoin. Et je pense que nous avons, comme politiciens et députés, un devoir essentiel de protéger le citoyen, de toujours donner au gouvernement les outils nécessaires pour gérer les fonds, mais on doit respecter la vie privée des citoyens. Et c'est ça que je vais écouter, c'est ça que je vais questionner. Effectivement, avant qu'on puisse donner l'appui à cette carte d'identité, on doit s'assurer qu'il y a un besoin et aussi que la vie privée des citoyens est bel et bien protégée. Merci pour cette opportunité, M. le Président, de faire quelques commentaires au début de cette session.

Le Président (M. Garon): Je voudrais seulement dire un mot avant de passer la parole au député de Nicolet. Il n'y a aucune commande du gouvernement. Il n'y a aucune personne du gouvernement, même, qui nous a demandé quoi que ce soit à ce sujet-là. C'est vraiment... L'idée est venue du président de la Commission d'accès à l'information et, immédiatement après, quand le document a été déposé par le président, M. Comeau, on s'est réunis dans les heures qui ont suivi d'un commun accord. Parce qu'on avait constaté, lorsqu'on étudiait la question de l'inforoute, que c'était une question qui revenait constamment, les cartes d'identité, et que c'était un débat... Mais il n'y a aucune commande du gouvernement de quelque nature que ce soit.

M. Williams: Merci, M. le Président. Merci beaucoup pour cette clarification, mais je n'ai pas dit qu'il y a une commande à cette commission. Mais j'espère que, pendant la période de préparation pour cette commission, le gouvernement n'a pas procédé avec toutes ses démarches comme dans l'article de Michel Venne, aujourd'hui. Avec ça, je n'ai pas dit que la commission fait le travail du gouvernement, j'ai dit: En arrière, pendant la préparation de cette commission, le gouvernement procède d'une façon ou de l'autre, «anyway». C'est ça que j'ai dit, et c'est ça que l'article dans Le Devoir dit, et ça m'inquiète un peu.

Le Président (M. Garon): Bien, moi, je pense un peu comme le député de Jacques-Cartier. Nous sommes des représentants du peuple. Notre tâche, c'est de faire notre travail comme représentants du peuple. Je pense bien que ce qu'on va dire, comme commission, ça va avoir un effet sur l'administration et le gouvernement aussi. M. le député de Champlain, je m'excuse de vous avoir appelé député de Nicolet, mais je suis certain que vous n'y avez pas vu de déshonneur.

M. Beaumier: Ah! mon Dieu, ça m'a rappelé des souvenirs qui m'ont préparé des avenirs, M. le Président. Alors, je suis bien heureux de ça. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Ha, ha, ha! C'est parce que je vous ai d'abord connu comme député de Nicolet.


M. Yves Beaumier

M. Beaumier: Ah non, je vous suis reconnaissant de me faire une publicité comme celle-là, c'est très bien. Moi, je tenais à intervenir en remarques préliminaires parce que c'est peut-être un dossier où on peut, sans devenir schizophrène, vraiment se situer, ici même, autour de cette table, non seulement comme des représentants de nos citoyens, mais, moi, j'ai l'intention d'écouter ce qu'on va nous dire et d'intervenir comme citoyen, avec les mêmes préoccupations.

Deuxièmement, je suis très heureux que ça se fasse, cette discussion-là, à l'intérieur d'un mandat d'initiative. C'est une expérience, ça fait trois ou quatre mandats d'initiative, et je suis très heureux que ça se fasse comme ceci, parce que c'est au-delà de toute préoccupation partisane qu'on peut avoir; et je sais que nous avons toujours évité ça et qu'on va l'éviter encore. J'entendais mes collègues, tantôt, et ça sera une réflexion qui va être très enrichissante, très conforme aussi aux intérêts et aux inquiétudes de nos citoyens et nos citoyennes. Donc, j'étais bien content de m'associer à cette réflexion-là. Parce que c'est une réflexion, moi, je l'entrevois comme une réflexion, comme une démarche. Je n'ai pas d'aboutissement nécessaire. J'ai mes principes, j'ai mes convictions, mais je pense qu'il faut le faire dans le cadre d'une évolution, d'une discussion et d'un débat. Je suis toujours celui qui croit que la qualité de la démocratie, ce n'est pas nécessairement les décisions, c'est les débats qui précèdent les décisions. Et je souhaite ici que le débat qui se fait depuis longtemps, qui est un peu diffus, des fois un peu plus explicite, nous le fassions aussi d'une façon convenable, d'une façon très responsable, en sachant que l'enjeu, c'est ce qu'il y a de plus précieux chez un être humain, c'est sa vie privée, son droit à sa vie privée.

(11 heures)

Je dirais que, dans ce cadre-là, les questions que nous allons poser, le questionnement que nous allons faire va être comme... Ici peut-être plus que dans n'importe quel autre dossier, la qualité de la question sera nécessaire pour en arriver, s'il y a lieu, à une réponse ou à un résultat qui soit profondément fonction de nos citoyens, dans le sens suivant. C'est que je pense que, si le citoyen a le droit d'avoir accès au maximum d'informations en ce qui concerne sa vie démocratique, l'accès à tout ce qui existe au niveau gouvernemental et ailleurs, de la même façon, d'une façon inverse et tout aussi exagérée, je dirais que, moi, j'ai des réticences très profondes à ce qu'on ait beaucoup d'informations sur les citoyens et, en ce sens-là, ce sera... Je comprends qu'il y a des aménagements nécessaires, mais je crois que, dans la vie, il faut avoir un peu une tour de Pise. Moi, ma tour de Pise va très directement. Comme citoyen – je le ressens comme citoyen – j'aime ça avoir beaucoup de choses pour exercer ma démocratie; je n'aime pas qu'on sache beaucoup de choses en ce qui concerne ma vie privée. Je pense qu'on partage, d'un côté comme de l'autre, cette orientation-là. Alors, c'est dans cet éclairage-là que je vais écouter. Je vais aussi interroger et, en ce sens-là, je me sens tout à fait libre de dire ce que j'ai à dire et je me sens tout à fait libre de comprendre et d'entendre ce qu'on va me dire. Alors, on se souhaite bonne chance dans cette réflexion-là. Merci beaucoup.

Le Président (M. Garon): M. le député de Verdun.


M. Henri-François Gautrin

M. Gautrin: Merci, M. le Président. Brièvement, je suis assez d'accord avec ce qui a été dit par mes collègues précédemment. Je dois avouer que j'ai été particulièrement intéressé par le pluriel que vous avez pris dans votre mandat d'initiatives. Vous avez mis votre mandat d'initiatives au pluriel: les cartes d'identité et la protection de la vie privée. L'interrogation que je vais poursuivre au sein de cette commission, c'est la suivante.

Il existe de nombreuses cartes d'identité actuellement déjà, que ce soient les cartes officielles: permis de conduire, carte d'assurance-santé ou des cartes privées. Je pense à l'ensemble des cartes de débit ou des cartes de crédit que chacun d'entre nous doit posséder, si nous voulons avoir une vie économique. Et le questionnement que je vais avoir à cette commission, c'est non pas de créer une nouvelle carte d'identité, mais jusqu'à quel point celles qui existent déjà ne font pas une intrusion abusive dans la protection de la vie privée.

Le député de Taschereau l'a rappelé tout à l'heure, on peut facilement suivre les activités économiques d'un individu, savoir ce qu'il a dépensé, même savoir ce qu'il mange, l'endroit où il s'est récréé, strictement en suivant l'utilisation de sa carte de débit ou de ses cartes de débit. Il y a là aussi un questionnement de l'existence donc de fichiers purement privés détenus soit par les grandes banques, soit par les caisses populaires, qui peuvent aussi être soumis à un questionnement, et c'est un angle que je vais essayer d'aborder au sein de cette commission. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Merci, M. le député de Verdun. Maintenant, est-ce qu'il y a d'autres personnes, d'autres membres qui veulent faire des remarques préliminaires? Alors, je vais immédiatement demander à la Commission d'accès à l'information de venir à la table des délibérations et je vais demander à M. Comeau de nous présenter les gens qui l'accompagnent.

Nous avons jusqu'à midi et demi. Ça veut dire, au fond, presque une heure trente: normalement, le tiers du temps pour l'exposé, le tiers pour les députés ministériels, le tiers pour les députés de l'opposition. Ce que vous prendrez en moins pourra servir à vous poser davantage de questions; ce que vous prendrez en plus, il y aura moins de questions à vous poser, il y aura moins de temps pour vous poser des questions. Allez-y, M. Comeau.


Auditions


Commission d'accès à l'information (CAI)

M. Comeau (Paul-André): Je vous remercie, M. le Président. Je tiens, au nom de mes collègues de la Commission, à vous réitérer, de même qu'à la vice-présidente de la commission, Mme Frulla, nos remerciements d'avoir accepté d'être les hôtes de ce débat, comme nous l'avions suggéré. Je pense qu'on vient d'avoir la démonstration très claire par les interventions qui ont été faites de la dimension sociale et aussi de la dimension relativement aiguë d'un problème sur lequel la société n'a pas réfléchi collectivement depuis un certain nombre d'années.

Avec mes collaborateurs, Me André Ouimet, à ma droite, qui est secrétaire et directeur du Service juridique de la Commission, et M. Clarence White, à ma gauche, qui lui est directeur de l'analyse et de l'évaluation, je voudrais mettre en perspective le problème majeur, je pense, au coeur des audiences qui vont vous occuper durant tout ce mois. Notre objectif est relativement simple: nous voulons être terre-à-terre et nous voulons présenter les problèmes non pas à travers la lunette d'un fonctionnaire ou d'un spécialiste, mais bien comme les citoyens les vivent au jour le jour.

Alors, nous voulons ce matin, dans les 40 ou 45 minutes que vous voulez bien mettre à notre disposition, attirer votre attention sur le sens, les causes et les conséquences de l'utilisation des cartes d'identité, mais aussi des numéros qui sont associés à ces cartes.

Nous vous avons transmis un plan de la présentation de ce matin de façon à ce que vous puissiez nous suivre plus facilement. J'alternerai donc avec mes collaborateurs la présentation des dimensions qui nous semblent fondamentales dans cette problématique. Alors, je vais commencer de façon très empirique en vous faisant part d'un certain nombre d'impressions très élémentaires.

Au départ, vous allez voir la carte qui est la carte d'identité la plus utilisée – pas celle-ci, mais ce type de carte – au Canada et sans doute au Québec, c'est la carte d'assurance sociale. Si vous remarquez bien, il y a une signature, un nom, et neuf chiffres. Et pourtant, c'est la carte la plus utilisée. Est-ce que c'est vraiment une carte d'identité? Pourtant, c'est celle que l'on demande. Il n'y a pas de photo, il n'y a pas d'adresse et c'est celle qui est vraiment demandée partout, avec une fréquence considérable. Il y a une chose à retenir, ce sont les neuf numéros, ce qu'on appelle en jargon, donc, les fameux identifiants ou, en anglais, les «ID numbers». Toute cette carte tient sa valeur précisément à cause de ces chiffres et non pas de mon nom ni de ma signature.

Alors, nous en sommes venus, la plupart d'entre nous, à considérer cette carte comme une donnée presque normale d'existence. Nous mémorisons nos neuf chiffres et nous sommes capables de les reproduire sans aucun problème lorsqu'on nous les demande. Et, si vous regardez bien également un autre document que vous connaissez, l'état de dépôt de nos salaires respectifs, eh bien, là aussi, comme par hasard, le numéro d'assurance sociale apparaît, alors que, curieusement, il est disparu de la feuille équivalente qui est transmise par le gouvernement fédéral à ses fonctionnaires et employés, et y compris les députés. Le gouvernement fédéral, depuis quelques années, a remplacé sur ses documents le numéro d'assurance sociale par un nouveau numéro d'identité qui est propre aux employés et qui est utilisé par l'État dans toutes ses transactions avec les employés. Le numéro d'assurance sociale ne sert plus à cette fin. Alors, c'est donc dire que nous avons franchi une certaine étape dans ce domaine.

La carte suivante est aussi très familière à la plupart d'entre nous, c'est la nouvelle carte d'assurance-maladie, communément appelée «castonguette». On sait ce à quoi elle sert. Mais, vous avez déjà été, vous et vos prédécesseurs dans cette commission, surpris d'apprendre que si vous vouliez participer au tirage annuel pour l'octroi des permis de chasse à l'orignal, bien, vous devez présenter cette carte. La relation entre les fins de cette carte, les soins de santé, et la chasse à l'orignal m'a toujours semblé obscure, mais rien n'empêche que c'est une exigence avec laquelle on a été obligé de vivre.

Autre expérience que nous faisons tous: le fameux passeport, qui est un document d'identité remarquable, qui a une valeur nationale et internationale, document qui doit être renouvelé tous les cinq ans, selon des procédures bien connues. Alors, au moment d'aller rechercher le nouveau passeport, vous aurez une surprise: on va vous demander de confirmer votre identité avec votre carte d'assurance sociale, votre carte d'assurance-maladie, votre permis de conduire, mais surtout pas votre passeport précédent. Même s'il est encore valide. C'est assez surprenant, le bureau des passeports qui ne reconnaît pas son propre passeport.

(11 h 10)

Dans des circonstances beaucoup plus quotidiennes, beaucoup plus courantes, nous sommes obligés de montrer patte blanche dans une foule de circonstances, notamment lorsque nous posons des gestes en milieu bancaire, en caisse populaire ou lorsque nous devons obtenir des services. Par exemple, ici, c'est le cas de Vidéotron. On vous demande une carte d'identité, on vous en demande deux et, semble-t-il, toutes ces cartes ont la même valeur mais, comme les soeurs autrefois, elles n'ont de valeur que lorsqu'elles sortent en couple, c'est-à-dire qu'il faut absolument démontrer deux cartes. Donc, en soi, une carte n'est pas suffisante, il en faut deux. C'est là aussi l'une des constantes avec lesquelles les citoyens vivent.

Il y a quelques années, un certain nombre de nos compatriotes ont été surpris, interloqués, lorsqu'ils voulaient franchir la frontière, d'apprendre que le permis de conduire de l'époque, celui qui n'avait pas encore de photo, n'était plus valide, n'était plus accepté aux frontières américaines. Et c'était pendant la guerre du Golfe. Là, il y a eu une demande de cartes d'identité absolument phénoménale. Pendant des années, c'était bon, et puis, subitement, parce qu'il y avait une guerre à quelque 8 000 ou 9 000 km d'ici, le permis de conduire n'était plus valide.

Alors, ce sont des situations avec lesquelles on est confronté à un moment ou l'autre et qui démontrent que les cartes que nous avons en quantité impressionnante ont des usages ou des propriétés multiples, des cartes qui sont valables pour le pouvoir d'authentifier l'identité de son détenteur mais aussi qui sont valables peut-être et surtout pour les chiffres ou les identifiants qui y sont rattachés. Parce que toutes ces cartes ont comme conséquence d'entraîner la création d'un fichier informatique ou non dans lequel on dépose des renseignements où on pourra vérifier effectivement si le détenteur de la carte est bien celui qu'il prétend, en fonction non pas seulement du petit document plastifié mais de ce qui est détenu à son sujet. Les points d'interrogation sont nombreux et multiples et la Commission, au fil des années, a quand même vécu un certain nombre de cas dont nous vous avons fait part également. La problématique – et vous l'avez signalée – va s'élargir avec l'annonce d'un certain nombre de projets de cartes qui, soit vont remplacer celles dont nous disposons présentement ou vont s'y ajouter.

Vous avez signalé le projet de carte d'électeur. Vous connaissez également, depuis le mois de septembre, la décision de la Régie de l'assurance-maladie de remplacer l'actuelle carte-santé par une carte à microprocesseur. Vous avez appris, ces derniers temps, ce matin même, ce projet de carte multiservice dont on parlait quand même depuis un an, un an et demi, cette carte du citoyen. Et puis hier, toujours dans un bon journal, on vous a annoncé la préparation d'une carte de l'état civil par le directeur de l'état civil. Il y a au moins quatre projets de cartes sur la table qui nous interpellent et je dois vous avouer que je me réjouis de constater que les responsables de chacun de ces projets ont décidé de venir ici, devant vous, donc devant l'ensemble de nos concitoyens et de nos concitoyennes, vous présenter leurs projets pour nous permettre d'en savoir plus quant à l'orientation, quant à leurs intentions également.

Je termine ce survol impressionniste en signalant quand même une autre chose. On a appris il y a trois semaines, si ma mémoire est bonne, que le gouvernement fédéral prépare la mise au point, soit d'un nouvel identifiant national pour l'ensemble du pays ou la remise à jour du numéro d'assurance sociale, donc l'identifiant fondamental dans ce pays et au Québec, une opération considérable. Si on comprend bien le sens de cette démarche, ce serait de faire en sorte que chaque citoyen, peu importe son âge, et que chaque résident également puissent avoir ce nouveau numéro.

Or, je pense que le moment est intéressant d'engager le débat, au moment où on sait que des projets sont en préparation, en élaboration, mais où il n'y a pas de pression. Nous ne sommes pas en fin de session, où le projet nous tombe sur la tête et où tout le monde doit se prononcer. La réflexion que vous engagez me semble appropriée et pertinente parce qu'elle se déroule dans un climat propice, je pense, à ce débat de société. Ce débat, nous l'avons amorcé à quelques reprises devant cette commission, à l'occasion de la présentation de notre rapport annuel, et vous-mêmes, au fil des années, comme vos prédécesseurs, avez régulièrement soulevé des questions relatives à la carte d'identité, à la cueillette du NAS, par exemple, par Hydro-Québec, etc. Il y a donc un arrière-fond important qui justifie l'examen serein de cette question, mais non pas un examen théorique et un peu éthéré, un examen qui se profile au moment où on sait que des cartes vont être proposées ou imposées à l'ensemble des citoyens du Québec.

Alors, c'est pourquoi nous avons produit un document d'information – je dis bien d'information – conformément à l'engagement que j'avais pris devant vous il y a un peu plus d'un an. Vous avez ajouté à cette consultation deux autres documents, des pages pertinentes du rapport du Vérificateur général et du Protecteur du citoyen. Personnellement, je pense qu'il est temps d'engager ce débat et je vous redis notre reconnaissance à cet égard.

Le débat, au Québec, va évidemment se situer dans des balises qui ont été mises en place au fil des ans par l'Assemblée nationale et qui permettent en quelque sorte de mieux orienter les projets et, bien sûr, de mieux peser les décisions, et c'est précisément le sens de l'intervention de Me Ouimet: Sur quoi pouvons-nous nous baser légalement pour engager des projets et pour, bien sûr, amorcer une discussion qui va au-delà de l'impressionnisme?

M. Ouimet (André): Alors, je vous remercie, M. le Président. D'abord, je dois vous rassurer, loin de moi l'idée de donner ce matin un cours de droit sur les droits fondamentaux. J'en serais d'ailleurs gêné devant mon ancien professeur en droit à l'Université Laval. Loin de moi aussi l'idée de donner un cours sur le droit au respect de la vie privée et, enfin, je dois vous dire que toute mon intervention ne sera pas aussi drôle que cette petite caricature trouvée dans un journal.

D'abord, ce qu'il faut retenir quand on parle de dispositions législatives, c'est que nous allons faire ici un bref survol de tout ce dont vous allez entendre parler pendant la commission parlementaire. Les gens vont vous rappeler au cours des prochaines semaines un certain nombre de dispositions qui ont été adoptées au fil des ans et qui ont fondé ce qu'on appelle le modèle québécois de protection de renseignements personnels.

Je vais donc, au nom de la Commission d'accès à l'information, vous faire un rappel de ces principales dispositions législatives. D'abord, à tout seigneur tout honneur, une disposition quasi constitutionnelle, la Charte des droits et libertés de la personne. Alors, l'article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne, qui est notre loi de base au Québec, reconnaît le droit au respect de la vie privée. Deuxièmement, pierre angulaire de notre droit civil, le Code civil du Québec, le nouveau Code civil adopté en 1994, en vigueur depuis le 1er janvier 1994, consacre maintenant un chapitre complet au respect de la vie privée et de la réputation. Par exemple, son article 35 prévoit expressément que «toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée».

Une fois énoncés ces principes fondamentaux qu'on retrouve dans nos lois de base, on entre dans le vif du sujet. Par exemple, à l'article 37 du Code civil, on dit expressément que «toute personne qui constitue un dossier sur une autre personne doit avoir un intérêt sérieux et légitime à le faire. Elle ne peut recueillir que les renseignements pertinents à l'objet déclaré du dossier.» Ça veut donc dire que lorsqu'on parle de carte d'identité, lorsqu'on parle ou de concevoir une carte d'identité ou de l'exiger, par exemple, lors d'une transaction financière, il faut se poser la question: Est-ce que c'est nécessaire?

Dans le secteur public, c'est-à-dire au gouvernement, dans le réseau de la santé, de l'éducation, des municipalités, il existe aussi des dispositions très claires, très précises en matière de cueillette, de conservation, d'utilisation et de communication de renseignements personnels. On retrouve ces dispositions dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, tout au moins dans le volet de la Loi sur l'accès aux documents et la protection des renseignements personnels qui traite de la protection des renseignements personnels.

Au-delà du principe général de cette loi qui consacre le caractère confidentiel des renseignements transmis par quelqu'un à l'État, on a un autre principe de base qui se retrouve à l'article 64 et qui dit qu'«un organisme public ne peut recueillir que les renseignements qui sont nécessaires à l'exercice de ses attributions». Un principe de base, donc, très important lorsqu'on parle de carte d'identité, d'identifiant. On ne peut recueillir que ce qui est nécessaire.

(11 h 20)

Dans le secteur privé, comme vous le savez sans doute, on a une loi analogue à celle qui avait été adoptée dans le secteur public en 1982. Donc, en 1994, l'Assemblée nationale a adopté une loi qui découle du Code civil du Québec et dans laquelle donc on retrouve une protection analogue pour les renseignements personnels, analogue à ce qu'on a dans le secteur public.

Cette loi établit des règles à l'égard des entreprises privées du Québec qui recueillent, détiennent, utilisent ou communiquent des renseignements personnels. Or, et ce n'est pas un hasard, on retrouve dans cette loi une disposition qui prévoit qu'on ne peut recueillir que les renseignements qui sont nécessaires. Donc, là encore, le législateur est venu dire aux entreprises du Québec: Lorsque vous décidez de recueillir un renseignement personnel, par exemple, une carte d'identité ou un identifiant, vous devez vous assurer que c'est nécessaire pour la transaction. Vous allez voir tantôt qu'une grande partie des plaintes qui sont logées à la Commission d'accès à l'information reposent sur cette disposition législative.

Enfin, quand on parle aussi du secteur privé, on est allé plus loin que ça puisque, à l'article 9 de la loi sur le secteur privé, on a dit qu'«aucune entreprise ne peut refuser d'acquiescer à une demande de biens ou de services à cause du refus de la personne qui formule la demande de lui fournir un renseignement personnel». Donc, on a encore une exigence supplémentaire et, en cas de doute, le législateur est venu dire: Un renseignement personnel est considéré non nécessaire. S'il y a le moindre doute, c'est non nécessaire, la cueillette des identifiants, par exemple. Encore là, vous allez voir le type de plaintes. Tantôt, M. White va vous faire une présentation des types de plaintes qu'on reçoit au regard de ces principales dispositions et principes qu'on a dans la loi sur le secteur privé. Évidemment, vous allez comprendre que la question qui va se poser bien souvent, soit pour un organisme public, soit pour une entreprise au Québec, c'est: Qu'est-ce qui est nécessaire de recueillir comme identifiant pour vendre un bien, pour fournir un service?

Ce bref rappel législatif ne peut pas être complet, quand on parle de carte d'identité, d'identifiant, sans évoquer à la fois le Code de la sécurité routière et la Loi sur l'assurance-maladie, parce que, dans ces deux lois-là, on retrouve des dispositions qui interdisent à toute personne d'exiger la production de ces cartes. De là à poser la question fondamentale, la problématique: Si ces cartes ne peuvent être exigées, comment on va faire pour s'identifier au Québec? Si on ne peut utiliser ni la carte d'assurance-maladie ni le permis de conduire, comment s'identifier? Donc, on peut penser que découle de cela une question fondamentale: A-t-on besoin d'une carte d'identité au Québec?

En fait, cette question est sûrement intéressante. Elle mérite qu'on s'y attarde. D'aucuns répondraient: Oui, mais on en a déjà plusieurs cartes d'identité. Pourquoi une nouvelle carte d'identité? Cette question suppose une réponse qui correspond souvent à des principes personnels, à des valeurs culturelles et aux valeurs que chacun a. À froid, cette réponse sera même impressionniste. En fait, avant de vous amener sur ce terrain «a-t-on besoin d'une carte d'identité?» la Commission d'accès à l'information souhaiterait que vous discutiez, au cours des prochaines semaines, avec les intervenants, entre vous, d'une question bien précise: Pourquoi une telle carte d'identité?

La réponse à cette question, vous allez le voir, elle pourrait être multiple. En fait, des cartes d'identité peuvent servir soit à s'identifier, à retracer un individu ou à apparier et coupler des données. Alors, on peut avoir une carte qui répond à l'une ou l'autre de ces fins ou une carte qui répond à deux, trois de ces fins-là. Une carte qui ne sert pas à l'une ou l'autre de ces fins ou à toutes ces fins est inutile et deviendrait rapidement obsolète.

Prenons, par exemple, la carte d'identité de la Commission d'accès à l'information. Cette carte a été émise à tous les employés qui travaillent à la Commission d'accès à l'information. Elle ne comporte à peu près pas de renseignements personnels. Elle ne permettrait qu'à identifier un individu. Elle n'est donc d'aucune utilité pour apparier, coupler des données.

Le numéro d'assurance sociale, comme l'a présenté M. Comeau tantôt, permet, lui, de retracer des individus parce que, à partir du moment où il y a un numéro, ça suppose qu'il existe une banque centrale de données où sont stockés les individus qui correspondent au numéro indiqué.

Une telle carte donc, qui sert à l'une ou l'autre de ces fins ou à toutes les fins énoncées précédemment, peut présenter des dangers pour la vie privée des citoyens. Les avantages sont-ils plus nombreux que les inconvénients? Telles sont, nous semble-t-il à la Commission d'accès à l'information, les questions fondamentales liées à une carte d'identité, telles sont les questions qui devraient être débattues au cours des prochains jours.

Comme je l'annonçais tantôt, les dispositions législatives dont j'ai fait état précédemment ont amené un certain nombre de plaintes à la Commission. Beaucoup de ces plaintes portent sur les identifiants. Alors, maintenant, M. White va exposer le type de plaintes et la problématique que cela suppose.

M. White (Clarence): Merci, Me Ouimet. Qu'est-ce qui a poussé la Commission d'accès à l'information à préparer un document de réflexion sur la question des cartes d'identité? La réponse se trouve dans les nombreuses plaintes qui nous sont adressées. Les citoyens contestent la cueillette de ces renseignements par les organismes publics et l'entreprise privée. On nous demande de nous prononcer sur la nécessité de la cueillette des identifiants qui sont le plus souvent demandés: le NAS, numéro d'assurance sociale; le NAM, le numéro d'assurance-maladie et de permis de conduire. Au fur et à mesure de mon exposé là-dessus, vous allez voir des formulaires qui sont contestés, qui nous sont envoyés par des citoyens qui nous disent: On ne veux pas, on conteste la nécessité de la cueillette du renseignement: numéro d'assurance sociale, date de naissance. Alors, on va vous montrer ça au fur et à mesure.

Outre les numéros que je vous ai présentés, le citoyen conteste aussi la cueillette de la date de naissance. Cet identifiant est assez fiable lorsqu'il est associé à un nom. Les renseignements personnels contenus dans les fichiers de police sont accessibles notamment à l'aide de ces deux clés: nom et date de naissance. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les visiteurs qui se présentent à l'Assemblée nationale doivent s'identifier avec une carte qui indique la date de naissance, et on inscrit ce renseignement dans le registre des visiteurs, registre qui devient accessible à la police.

Me Ouimet a donné tout à l'heure l'état du droit relativement à l'exigence de la production de la carte d'assurance-maladie et du permis de conduire. Je voudrais, quant à moi, vous indiquer que rien dans les lois ne vient baliser l'utilisation du NAS. Ce numéro est un identifiant fédéral créé au début des années soixante aux fins du Régime de pensions et à des fins fiscales. Le Conseil du trésor fédéral a cependant adopté, en 1988, une directive limitant l'usage de ce numéro au sein de l'appareil fédéral. Les systèmes de gestion de l'information, autant des organismes publics que de l'entreprise privée, sont friands de ces identifiants qu'on tient à tout prix à recueillir. Vous voyez ici l'exemple. On demande deux identifiants. On donne une liste: numéro de permis de conduire, carte de crédit, numéro d'assurance-maladie, numéro d'assurance sociale, autre carte. Le client qui est au comptoir veut présenter «autre carte». La demoiselle qui inscrit là, l'autre carte, elle ne l'a pas. Elle, ce qu'elle veut avoir, c'est le numéro de permis de conduire, la carte de crédit, le numéro d'assurance-maladie, le numéro d'assurance sociale. Il y a automatiquement un des trois identifiants gouvernementaux qui est cueilli.

On peut se demander pourquoi les organismes publics et les entreprises privées cueillent des identifiants personnels qui sont confidentiels dans les fichiers qui ont servi ou servent à leur émission. Il ne faut pas oublier que ces numéros-là sont confidentiels. La réponse est fort simple, on recueille ces renseignements pour deux raisons. La première, c'est une question de commodité: la machine bouffe les identifiants numériques et alphanumériques. Les ordinateurs, c'est ça que ça mange. C'est plus facile à traiter. La seconde, c'est parce qu'on espère retrouver un individu à qui on a rendu un service ou on s'apprête à le faire. C'est pourquoi l'inscription du numéro sur le formulaire de demande de prestation d'un service est si répandu.

(11 h 30)

Retrouver quelqu'un à l'aide du NAM ou du numéro de permis de conduire suppose qu'on a accès de façon illégale à des fichiers gouvernementaux, surtout quand on est dans le privé. Prenons, par exemple, des fichiers d'immatriculation et des permis de conduire de la Société de l'assurance automobile du Québec. Ces fichiers sont, en théorie, confidentiels, on peut cependant se demander comment cette confidentialité est assurée quand, notamment, les 15 000 policiers du Québec y ont accès, les mandataires de la Société, les employés du ministère du Revenu et les amis de tout ce beau monde. Par ailleurs, nous savons, pour en avoir discuté avec eux, que plusieurs employés de la Société de l'assurance automobile – «middle management», à peu près – croient que les renseignements d'identité détenus dans leurs fichiers devraient être publics. Selon eux, s'ils pouvaient communiquer ces renseignements, ils feraient oeuvre utile.

Outre ce genre d'accès qui se fait par le biais de contacts qui rendent service, il existe aussi tout le phénomène du marché noir de l'information, un commerce fort lucratif qui se passe sous la table. Des recherches que nous menons actuellement nous permettent de dire que, pour obtenir des renseignements au ministère du Revenu, avoir accès à un fichier, le commerce noir, le marché noir, c'est 60 $, à l'heure actuelle, pour obtenir un dossier. Pour obtenir des renseignements du CRPQ, du Centre de renseignements policiers du Québec, si tu n'as pas de chum, là, qui peut te le faire, là, tu en trouves un qui va se faire payer entre 25 $ et 50 $ du dossier. Chez Hydro-Québec, c'est 40 $ du dossier sur le marché noir. À la SAAQ, c'est 40 $ du dossier sur le marché noir aussi. Puis à la RAMQ, ça varie, comme c'est des gros dossiers, c'est des gros fichiers, ça peut être de 40 $, mais ça peut aller jusqu'à 120 $ pour le coût sur le marché noir.

Les plaintes de cueillette des identifiants personnels sont très nombreuses, donc. Comme je l'ai dit au tout début, nous sommes constamment saisis des cas de toute nature. On cueille des identifiants dans le secteur privé pour des services financiers, la location, location d'équipement, d'outils, le câble, location de vidéo, pour du logement, pour du commerce au détail, paiement par carte de crédit, paiement par chèque. Quelqu'un paie par chèque, on a vu même des endroits, des commerces où on imprime l'empreinte de la carte d'assurance-maladie pour s'assurer qu'on a bien tous les renseignements.

On voit que refuser de communiquer un renseignement lié à l'identité – exemple: ici, on a un simple numéro de téléphone – peut causer des désagréments ou surprises à la personne concernée. Qu'est-ce qui est inscrit dans le fichier, dans l'ordinateur de Radio Shack dans ce cas-là? C'est que la personne qui voulait payer par carte a refusé de donner son numéro de téléphone pour la carte de crédit, et on ajoute un commentaire: Très nerveux. Alors, ça veut dire qu'on a porté un jugement sur le comportement du consommateur qui a refusé de donner ce renseignement et on l'inscrit dans la machine.

Dans le secteur public, la nécessité et la légitimité de la cueillette d'un identifiant personnel apparaissent souvent obscures. On a un exemple ici: les bibliothèques. Les bibliothèque, en général, demandent des identifiants. On a ici le cas d'une bibliothèque qui demande le numéro d'assurance sociale. Comme diraient mes enfants: «Y a pas rap».

Par ailleurs, on remarque que les organismes gérant de grandes banques d'information ont constitué leur propre numéro d'identification personnelle. On connaît le NAM, le numéro de permis de conduire, le code permanent de l'étudiant, le code permanent du bénéficiaire de la sécurité du revenu, etc. Souvent, les organismes considéreront qu'avant d'attribuer leur propre numéro de code personnel ils doivent obtenir des identifiants émis par d'autres organismes. On commence alors à tisser la toile qui permettra la communication entre fichiers. On prépare l'appariement de fichiers. On prépare le couplage.

Donc, dans le secteur privé, on recueille des identifiants dans l'espoir de retrouver un individu parti sans laisser d'adresse avec l'aide des contacts dans les organismes publics ou sur le marché noir de l'information. Les enveloppes brunes, ce n'est pas juste bon pour des renseignements, des documents aux journalistes, ça sert à ça aussi. Dans le secteur public, on recueille les identifiants parce que notamment on prépare le couplage de fichiers.

Mais c'est quoi, le couplage? C'est la lecture en parallèle par la machine de deux fichiers avec comme résultat la production d'une liste identifiant les renseignements qui sont communs à l'un et l'autre des fichiers. Que fait-on de l'appariement ou du couplage, ce que permet d'ailleurs la loi d'accès? La loi d'accès permet l'appariement, le couplage. Quand fait-on ça? C'est quand on veut s'assurer que la personne qui demande un service a droit à ce service. Les couplages s'effectuent presque toujours à l'aide des petits numéros très pratiques pour la machine, des petits numéros les identifiant. Les systèmes emmagasinent une quantité phénoménale de ces numéros d'identification et les lient à des séries d'autres renseignements. Les plus futés diront que toutes les conditions du «Big Brother» d'Orwell sont réunies: l'État surveille, l'État nous surveille.

Certains diront qu'au Québec nous avons réussi à rattraper la fiction lors de l'adoption le printemps dernier des lois nos 32 et 36 et de la mise en place de gigantesques banques d'information pour réaliser des opérations de pêche. C'est exactement ce qu'avait voulu éviter le gouvernement de M. Lévesque en 1982. À cette époque, l'Assemblée nationale a consacré à l'unanimité le principe d'étanchéité complète entre les organismes et les ministères. Ce principe a été réitéré en 1990 avec la reconduction de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Pour éviter de tomber dans une société de surveillance, les membres de cette Assemblée ont établi que le citoyen devait contrôler, connaître la circulation de l'information le concernant. L'Assemblée nationale a traduit ce principe dans la loi en obligeant les ministères et organismes à ne recueillir que les renseignements nécessaires et à ne se communiquer des renseignement personnels qu'avec le consentement des personnes concernées.

Évidemment que, pour les fins d'une saine gestion et pour la garantie des droits de la collectivité, le législateur de l'époque a permis des dérogations au principe du consentement pour la communication de renseignements personnels. Des balises ont cependant été prévues, notamment le contrôle a priori de la Commission d'accès à l'information du Québec, si nécessaire, du gouvernement, si nécessaire, et de l'Assemblée nationale pour les cas de couplage. Aujourd'hui, certains voudraient que ces règles soient modifiées pour permettre une circulation plus fluide des renseignements personnels sans le consentement des personnes concernées. L'appareil gouvernemental devrait constituer une seule entité et les lois de protection des renseignements personnels être modifiées pour tenir compte de cette situation.

Une étude réalisée à la Commission en 1988 – ça ne date pas d'aujourd'hui, presque 10 ans – à partir des informations fournies par les ministères et les organismes nous convainquait que la loi ne constituait certainement pas une embûche à la saine gestion des organismes publics. Vous avez là un diagramme où, à partir de 10 ministères et organismes – on en a pris 10, en 1988, avec l'état du droit à cette époque – on retrouve c'était quoi, la circulation de l'information, et là on ne parle pas d'information concernant le personnel des organismes, c'est les clientèles des organismes.

Les lois du printemps dernier, Revenu et Contrôleur des finances, ont écarté plusieurs des principes et règles contenus dans la loi sur l'accès au chapitre de la protection des renseignements personnels. À la suite de l'adoption de la loi n° 32, le ministère du Revenu peut dorénavant, sans grand contrôle externe, recueillir une quantité phénoménale d'informations sur les contribuables partout où il juge l'information intéressante. Ces renseignements, à l'aide des machines, il les lie entre elles et obtient le portrait complet d'un individu. Il recueille tous les numéros d'identification personnelle attribués par les organismes, au cas où ces renseignements pourraient lui être utiles un jour. Je dis «pourraient» parce qu'on ne peut encore nous dire pendant combien de temps on conservera les renseignements.

Le couplage de fichiers est une opération tentante et facile. Il favorise souvent le laxisme dans le traitement des dossiers. En effet, on nous demande souvent des avis sur des couplages après avoir enduré des situations pendant de nombreuses années sans aucune intervention et, tout à coup, il faut intervenir.

Enfin, retenons que les organismes recueillent les numéros d'identification personnelle pour faciliter le couplage de fichiers ou leur appariement. L'identification de la bonne personne demeure un élément important au moment où l'on procède à un couplage de fichiers pour déterminer après coup si elle était admissible à une prestation, un service ou l'est encore.

M. Comeau maintenant va vous parler des objectifs qu'on pourrait voir cachés et des objectifs ouverts concernant les cartes d'identité.

(11 h 40)

M. Comeau (Paul-André): Alors, M. le Président, je pense qu'on a bien compris qu'une carte d'identité répond au moins à deux fins: d'abord, authentifier la personne qui est détentrice ou qui présente la carte, mais aussi à une autre fin – et là je pense qu'il faudrait cesser d'utiliser un mensonge pieux – l'État, comme l'entreprise, comme le propriétaire, lorsqu'il demande une carte d'identité, veut aussi, sinon davantage, pouvoir retracer une personne. C'est l'objectif inavoué mais présent dans toutes les démarches. La carte d'identité doit mener à cela. C'est, en tout cas, l'un des objectifs, je vous dis, qu'on n'ose pas affirmer comme tel, mais il faut être réaliste.

C'est ainsi qu'une carte d'identité doit permettre aux responsables, aux entrepreneurs de retrouver une personne précise. Prenons deux cas: Hydro-Québec qui cherche à se faire payer pour des comptes laissés impayés par des personnes qui sont parties sans laisser d'adresse; un club vidéo qui, lui, veut absolument récupérer les cassettes qu'il a louées et qui espère non seulement récupérer la cassette, mais être payé également conformément à l'entente qui a été conclue. Alors, il faut, je pense, avoir en mémoire ces deux dimensions, sinon on risque de donner dans un certain angélisme.

Alors, les cartes d'identité comportent habituellement un certain nombre de données. Ici, en Amérique du Nord, à défaut de carte d'identité formelle, on s'est surtout orienté vers des identifiants. C'est pourquoi le NAS est devenu l'identifiant n° 1 au Canada; aux États-Unis, c'est le «Social Security Number» qui joue exactement le même rôle. Ces numéros sont importants non pas seulement parce qu'ils permettent d'accéder à la banque de données qui les contient, mais parce qu'une foule d'autres banques ont été bâties en fonction de ces données. Par exemple, des compagnies d'assurances, des bureaux de crédit, des banques ont bâti leurs données non pas en fonction de notre nom, mais en fonction du NAS, en fonction du permis de conduire, etc. C'est donc dire qu'un numéro du genre, un identifiant, ouvre l'accès à une foule d'autres banques de données et non pas la seule banque qui contient les renseignements au moment de l'émission de la carte. C'est pourquoi, comme le signalait M. White, il y a un marché noir de l'information, précisément à cause du caractère absolument très répandu de ces numéros.

On assiste actuellement à un curieux mouvement sur la scène internationale. Dans plusieurs pays, par respect de la vie privée, on a réduit, sur les cartes d'identité strictes, le nombre de renseignements disponibles. On ne parle plus de l'état marital, on ne parle plus de l'âge. On donne un certain nombre de caractères très précis. Au même moment, dans ces mêmes pays, on veut avoir un identifiant national. C'est la grande bagarre en France maintenant. On veut avoir un identifiant national pour retracer des personnes. De l'autre côté de la Manche, où il n'y a pas de carte, on veut maintenant, et on a obtenu – le gouvernement vient de se prononcer là-dessus – une carte d'identité facultative, mais avec un identifiant. Donc, identifiant ou carte ou non, il y a une tendance internationale.

Les cartes d'identité – c'est là-dessus d'ailleurs que je voudrais terminer mes remarques – sont liées à la tradition ou à la culture d'une société. Les pays qui se situent dans la mouvance du système parlementaire ou de la culture politique britannique sont réfractaires à l'idée même de carte d'identité. Alors, il suffit de relire les débats, il y a deux ans seulement, à la Chambre des communes en Grande-Bretagne pour se rendre compte de l'importance de ces arguments. Les pays scandinaves aussi se situent dans ce même groupe. Par contre, de l'autre côté de la Manche, les pays d'Europe occidentale ont une carte d'identité depuis un peu plus de 50 ans. Et eux aussi justifient la carte d'identité par des arguments analogues: c'est bon pour assurer le respect de la démocratie, pour combattre le terrorisme, pour la sécurité des citoyens. Vous traversez la Manche, on vous sert, à l'inverse, les mêmes arguments. Il y a derrière cela une charge émotive et une dimension où l'histoire est importante.

Je suis né en 1940 – donc, je vous donne un autre détail personnel – j'ai un souvenir très précis. Dans mon enfance, lorsque mes oncles et mon papa parlaient de la carte d'identité, c'était associé à un mot: conscription. Alors, la génération des plus de 70 ans au Québec, lorsqu'on parle de carte d'identité, il y a une adéquation: conscription. C'est fondamental. Ça a animé toute la dynamique d'une population.

Évidemment, aujourd'hui les choses ont changé. Où est-ce que nous en sommes en tant que société? Alors, la Commission, vous l'avez compris, a enregistré beaucoup de plaintes. En fait, 25 % des plaintes par année traitent de cette question. Nous avons pris conscience d'un certain nombre de problèmes. De façon plus impressionniste, les gens répondent à un certain nombre de questions, mais que pensent vraiment les Québécois à l'égard de cette question-là? Là-dessus, nous nageons dans une espèce de brouillard. Je pense qu'il ne faut peut-être pas lever définitivement cette question, mais il faut se poser cette question au moment où on va multiplier les cartes. Multiplier les cartes, en soi, ce n'est pas un problème, mais on va créer autant de nouveaux fichiers qui vont, eux aussi, éventuellement, un jour ou l'autre, se parler et qui vont grossir la toile d'araignée qui vous a été présentée par M. White il y a quelques minutes.

Or, c'est pourquoi nous avons préparé un document d'information à l'intention des Québécois – dont vous avez eu copie – qui est un document qui n'a pas du tout l'intention d'épater les spécialistes, mais de permettre à M. et Mme Tout-le-Monde d'avoir un certain bagage de renseignements pour réfléchir là-dessus. Nous souhaitons que s'amorce ici un débat sur une question de société, sur un problème de fond, et que l'énoncé des projets dont vous allez être saisis au cours des prochaines semaines puisse être mis dans une perspective plus large que simplement une carte, un besoin.

Globalement, où allons-nous comme cela? Or, notre société peut évidemment s'engager dans la voie européenne avec une carte d'identité obligatoire, c'est un choix; elle peut aussi, comme le font beaucoup d'États, d'États américains notamment de l'autre côté de la frontière, et certains pays, avoir une carte d'identité facultative; ou on peut, ce qui est une solution tout aussi honorable et tout aussi valable, continuer avec le statu quo, avoir un certain nombre de cartes d'identité, bien balisées cependant pour évidemment éviter les dangers de la concentration de l'information.

À la Commission, nous n'avons pas la prétention d'avoir la réponse définitive à cela. C'est pourquoi, nous vous sommes reconnaissants d'avoir accepté d'engager ce débat et de permettre aux gens de dépasser le petit cas par cas et d'avoir une réflexion globale sur les attentes de la société et sur l'équilibre difficile qui a été souligné par plusieurs d'entre vous entre les exigences de la vie en société et le respect de la vie privée.

Encore une fois, merci beaucoup, et nous allons suivre, comme vous nous le permettez, avec attention chacun des mémoires qui seront présentés et surtout les réflexions qui en seront dégagées.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Rimouski.

Mme Charest: Merci, M. le Président. Merci, MM. de la Commission. Moi, comme probablement mes collègues, je n'ai pas d'idée vraiment faite sur ce que l'on devrait faire, mais, à vous écouter et à lire certains documents, il me semble qu'il y a des points centraux qui ne doivent jamais quitter notre réflexion, c'est à l'effet de protéger le respect de la vie privée et de s'assurer à quelque part que l'État ne soit pas un État policier pour sauvegarder la qualité de ses relations avec les citoyens et les citoyennes. Il me semble que c'est autour de ces deux éléments-là que nos travaux doivent se continuer, s'amorcer et s'élaborer, notre réflexion surtout.

Je vous écoutais et je voyais la carte, la fourmi de relations qu'il peut exister entre les différents fichiers. On me dit qu'il y a huit fichiers majeurs au Québec, donc qui entretiennent cette fourmilière d'échanges de renseignements. Ce qui m'a fait sursauter dans votre présentation, c'est lorsque vous avez mentionné le marché au noir, hein, la diffusion des renseignements personnels, donc des renseignements confidentiels; pour 40 $, 50 $, on peut avoir des renseignements.

(11 h 50)

Ça m'amène à me poser une question: Est-ce que la multitude de ces fichiers fait en sorte que, oui, ça peut favoriser le marché au noir pour la divulgation de renseignements? Par contre, je me dis que centraliser dans une banque unique tous ces renseignements-là, ça a aussi énormément de dangers. Mais, entre la fourmilière et un fichier central, est-ce que vous avez quand même des tendances par rapport à ce que vous seriez prêts à favoriser plus l'un que l'autre? C'est des questions que je me pose parce que je suis consciente que, dans le fond, ce n'est pas la carte d'identité en soi qui est la problématique, c'est beaucoup plus les usages et les effets pervers des usages pour lesquels elle n'est pas conçue qui fait qu'on a des réticences. Mais, entre la fourmilière et le fichier central, vers quoi devrions-nous balancer?

Le Président (M. Garon): M. Comeau.

M. Comeau (Paul-André): Je vous remercie. Alors, Mme la députée, je ne vous donnerai pas de réponse définitive...

Mme Charest: Non, non, je le sais.

M. Comeau (Paul-André): ...mais je vais vous exposer quelle a été la position de la Commission jusqu'à ce jour, une position qui est fondée à la fois sur la législation de 1982 et sur le Code civil. Précisément, nous avons toujours été en faveur d'une... je ne dirais pas multiplication, mais au moins d'une pluralité de cartes d'identité pour éviter précisément la mise en place d'une banque centrale qui, elle, permettrait de dire tout, enfin de savoir tout sur les individus. Alors, c'est pourquoi nous avons toujours préconisé le maintien d'un certain nombre de cartes et que nous avons également toujours résisté à la mise en place de nouveaux fichiers, de nouveaux mégafichiers, parce qu'il y a un équilibre, là, qui n'est pas facile à établir.

Je ne vous cache pas, moi, que j'ai été très, très désarmé, en quelque sorte, lorsqu'une ACEF de Montréal, une société de consommateurs de Montréal est intervenue à plusieurs niveaux, notamment auprès des banques canadiennes et auprès du Mouvement Desjardins, pour faire en sorte que l'un des effets imprévus des deux dispositions législatives au sujet de la carte-santé et du permis de conduire ne soit plus un obstacle pour l'identification des personnes. Parce que beaucoup de banques, pour ne pas avoir de problèmes, ont cessé de considérer comme document qu'ils pouvaient demander et le permis de conduire et la castonguette pour répondre à la loi. Beaucoup de citoyens, nous dit-on, se sont plaints et les ACEF sont intervenues. Il y a 15 jours exactement, l'Association des banquiers du Canada a publié un document interne à l'intention de ses membres pour tenter de rétablir la situation, et là ils ont franchi un pas considérable en admettant ce qui ne s'était jamais fait – et là je vous parle en tant que fils d'ancien gérant de banque – de permettre aux employés d'une succursale d'attester de l'identité des personnes, et de l'attester conformément sur des documents.

Il y a donc un problème d'identité. Est-ce que le problème est important? Nous ne le savons pas. C'est le sens du débat. Mais la position de la Commission là-dessus est claire: nous avons toujours préféré une pluralité de documents d'information, non pas en tant que tels, mais à cause des fichiers auxquels cela donnait accès.

Mme Charest: Alors, si je vous comprends bien, la multitude des fichiers en soi serait une protection par rapport à la confidentialité ou, enfin, pour éviter qu'on connaisse le profil, sur toutes ses coutures – excusez l'expression, mais ça explique bien ce que je veux dire – d'un individu en particulier. Si je vous suis, c'est beaucoup plus la question des couplages d'un fichier à l'autre. Et j'oserais même avancer que c'est beaucoup plus la question du non-respect de la confidentialité des renseignements, pas par les utilisateurs, mais par les responsables de ces banques de données là, qui fait qu'aujourd'hui on se retrouve avec une multitude de renseignements, à gauche et à droite, divulgués sans aucune précaution ou à peu près. Même si la loi prescrit de prendre des précautions, ce n'est pas observé...

M. Comeau (Paul-André): Non.

Mme Charest: ...ce n'est pas retenu nécessairement. Et le fait qu'on les utilise de façon quotidienne, à répétition, fait qu'on en banalise l'importance. Et c'est la banalisation, je pense, de la transmission du renseignement qui fait qu'on n'est pas assuré, au moment où on se parle, que les renseignements que les banques peuvent avoir sur moi, sur mon dossier médical, sur mon dossier de conducteur automobile, sur certains éléments comme ça, sur mon dossier de crédit, entre autres, qui fait que tout le monde peut y avoir accès. Puis je dis tout le monde, ça veut dire beaucoup de monde, ça. Est-ce que...

M. Comeau (Paul-André): Oui, d'accord. Alors, je voudrais chasser une impression, si elle s'est dégagée de nos propos. Il y a évidemment de la fraude, hein? C'est un élément de l'existence avec lequel on doit quand même vivre. Ce n'est pas pour rien qu'il y a un Code criminel, qu'il y a une police, etc. Cependant, dans le système administratif québécois, il faut être clair là-dessus, les lois sont respectées globalement et, je voudrais dire, de façon impressionnante. Les échanges que vous avez vus là, représentés sous forme de fourmilière, sont des échanges légaux permis par la loi. Évidemment, n'importe qui n'y a pas accès. Il peut y avoir des cas de fraude, mais ce n'est pas parce que vous êtes fonctionnaire dans un endroit du gouvernement que vous avez accès à la banque de données d'un autre ministère. Il y a quand même un cloisonnement qui a été mis en place en fonction de la législation et qui est respecté.

Là-dessus, il faut ne pas confondre et ne pas généraliser entre la fraude et l'utilisation légitime et légale des renseignements par les organismes. Le problème, c'est lorsqu'on oublie l'économie initiale de la loi et lorsqu'on veut abolir le cloisonnement et permettre que tous les renseignements changent. La fourmilière en question dit qu'effectivement entre deux organismes il y a un échange de renseignements, mais il y a un échange de renseignements qui n'est pas «at large», pour reprendre l'expression utilisée par l'un de vous, c'est un échange de renseignements très précis qui fait l'objet d'une entente. On sait que tels, tels et tels renseignements seulement peuvent être échangés, et pas d'autres, en fonction de la nécessité de l'entente en question. Donc, la fourmilière, il ne faut pas la prendre comme étant la traduction d'un «free for all». C'est la traduction de la nécessaire circulation de renseignements prévue par la loi. Je ne sais pas si je suis plus clair maintenant.

Mme Charest: Je comprends très bien les distinctions que vous faites et je suis d'accord avec celles que vous faites, mais je persiste en pensant que, même si ce sont des échanges légaux en vertu de la loi, je me demande s'ils sont tous nécessaires. Là, la définition de la nécessité m'apparaît importante par rapport à... Je pense que c'est le noeud de la question: qu'est-ce qui est nécessaire?

Alors, moi, comme fournisseur de services publics, je peux vous faire la preuve que c'est absolument nécessaire que j'aie une foule de renseignements sur un individu, alors que vous qui êtes de l'autre côté de la barrière, vous pouvez me faire la démonstration que, non, ce n'est pas vrai, ce n'est pas si nécessaire que ça, ce type de renseignements que je voudrais avoir, moi, pour bâtir mes fichiers. Alors, on la définit comment, la nécessité, là, je veux dire? Vous qui êtes les spécialistes – moi, je suis encore au sens commun de la question, je ne suis pas une spécialiste de la protection des renseignements – je me fie beaucoup à ce que vous allez nous donner comme éléments pour me former une opinion.

M. Comeau (Paul-André): Je vais tenter de répondre très simplement à votre question. À la Commission, par la jurisprudence qui a été développée lorsqu'on examine des projets d'entente, nécessaire égale indispensable. Ça ne peut pas fonctionner légalement sans cela. Que ce soit utile, que ce soit plus facile, que ce soit plus efficace, ce n'est pas un critère. C'est là où on peut réduire les renseignements, mais évidemment, à ce moment-là, il faut accepter le maintien du cloisonnement entre les ministères et les organismes qu'on a levé avec la loi n° 32. Et là c'est un précédent sérieux et peut-être inquiétant qu'on est en train d'étudier, parce que, là, il n'y a plus de notion. Donc, on circule selon les besoins, selon les voeux. Évidemment, en période de difficultés financières et économiques, alors, là, les arguments deviennent d'un autre ordre. On a tendance à associer nécessaire à économique, à rentable. Là, c'est un glissement inquiétant.

Le Président (M. Garon): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci, M. le Président. Je pense que c'est très important de... Merci pour vos commentaires. En général, vous avez souligné beaucoup de points importants, mais un des points qui découle de la discussion qu'on vient de faire, c'est qu'on est en train de perdre toute la notion du consentement des individus. Moi, je suis prêt à donner des renseignements pour obtenir des services médicaux de l'État. Ça, c'est un échange que, moi, je suis prêt à faire pour obtenir une carte-soleil. C'est raisonnable. Également, si je veux conduire une voiture dans notre société, j'ai un échange à faire avec un autre ministère pour me le permettre. Alors, il y a un consentement qui est donné ou non afin d'utiliser un service ou d'exercer un privilège comme citoyen dans notre société.

(12 heures)

Mais, si j'ai bien compris vos derniers commentaires, cette notion va être à risque ou fortement menacée par le fait que maintenant, avec les couplages, et tout ça, ces renseignements que j'ai donnés à l'État pour conduire une voiture sont maintenant utilisés pour vérifier mes impôts ou sont maintenant vérifiés à d'autres fins. Même, quand nous avons regardé la question de la création d'une liste électorale permanente, encore une fois, nos données au ministère de la Santé ont maintenant un lien avec notre droit de vote et on est en train de mélanger le consentement, on est en train de mélanger les fins que les renseignements... la cueillette a été faite au départ. Je trouve ça fort troublant et c'est pourquoi, moi, j'ai une tendance, en regardant le dossier qui a été donné aux membres de la commission de la culture, d'avoir une préférence, toujours, pour la notion des cartes sectorielles. Alors, si je dois faire affaire avec un ministère, j'ai une carte; si je dois faire affaire avec un autre ministère, j'ai une autre carte, parce que ça garde quand même cette notion de consentement et ça va peut-être me protéger. Ce n'est pas une garantie absolue, comme nous l'avons vu dans le projet de loi n° 32, mais, quand même, si on peut continuer avec les notions d'une carte sectorielle...

Une autre idée qui m'est venue à l'esprit... J'ai vu la bande dessinée que Me Ouimet a montrée, mais, comme consommateur, j'arrive pour m'identifier et peut-être que c'est une bonne chose que j'aie une dizaine de cartes, parce que je peux choisir, cette fois-ci, je vais m'identifier avec mon permis de conduire. Mais, le lendemain, peut-être que je vais utiliser ma carte-soleil et le lendemain... Alors, je comprends qu'on ne peut pas exiger l'utilisation d'une carte, mais le fait que j'ai cinq ou six cartes différentes... J'ai vu dans le mémoire de la Banque Nationale et le Mouvement Desjardins, il y a une liste, ils donnent une douzaine d'exemples des choses qu'on peut utiliser et peut-être que, pour le citoyen, c'est une bonne chose parce que le choix demeure avec moi. Alors, si, pour obtenir un vidéo, je dois montrer mon permis de conduire, c'est le choix que j'ai fait, au lieu d'exiger que tout le monde qui doit louer un vidéo doit fournir un permis de conduire. Ça, je comprends la réticence à l'exigence dans ce sens, mais, dans l'autre sens, comme citoyen, peut-être que je suis mieux protégé si j'ai plusieurs cartes dans mon portefeuille. Je ne sais pas si vous avez réfléchi à cette idée.

M. Comeau (Paul-André): C'est, je pense, pour revenir à ce que je disais à votre collègue, la position défendue par la Commission au fil des années, précisément pour éviter la concentration de renseignements. Certains renseignements sont d'un caractère assez banal; d'autres sont lourds de conséquences, notamment les renseignements de santé, et on a toujours privilégié ça. Mais, ici même en commission, avec vos prédécesseurs, c'est une question qui est revenue régulièrement: Est-ce qu'on ne serait pas mieux de se débarrasser de toutes ces cartes-là, d'en avoir une ou deux, un point c'est tout? C'est revenu régulièrement et, aussi, il faut bien se rendre compte que c'est la remarque que nous font beaucoup de citoyens, sans évidemment aller au-delà, comme vous le faites actuellement, de ce qu'il y a derrière une carte et de ce qu'une carte permet, c'est-à-dire les identifiants et éventuellement les couplages. Là, je pense qu'on en est là au niveau de la réflexion. Il y a des projets, dont vous allez être saisis, qui posent exactement ces principes-là et qui nous obligent, je pense, à réfléchir. D'un autre côté, même si nous favorisons de façon, je pense, très rationnelle la pluralité des cartes, nous ne favorisons pas la multiplication à l'infini des mégafichiers parce que là aussi les occasions de fraude, de tricherie et les tentations sont beaucoup plus grandes. Alors, il y a un équilibre qui n'est pas évident, qui relève peut-être du pifomètre, mais aussi d'un consensus minimum au sein de la société.

Je voudrais revenir, M. le député, à ce que vous avez fort justement soulevé, le problème des transferts de renseignements. Vous avez mentionné que, quand vous donnez des renseignements à la RAMQ pour avoir des soins de santé, ces renseignements sont confidentiels et ne peuvent pas être communiqués à un autre organisme sans votre consentement avec, cependant, des exceptions. Et c'est là où la loi de 1982 est claire. Lorsqu'on veut faire ce transfert sans le consentement des personnes, il faut obtenir l'avis a priori de la Commission, et la Commission intervient et essaie de faire l'exercice de définition des renseignements nécessaires ou non et émet un avis. Moi, ça me semble une structure intelligente qui permet de réduire, parce qu'un organisme qui est obligé de démontrer... Et c'est pourquoi les organismes n'aiment pas venir à la Commission là-dessus, hein. Quand le Vérificateur général signale que les organismes ne viennent pas à la Commission parce qu'ils trouvent que ça prend du temps... Effectivement on leur demande de prouver: Est-ce que c'est vraiment nécessaire ou non? Et c'est là où il y a un équilibre qui se fait entre la nécessité appréhendée par l'organisme et le respect de la vie privée de l'individu, mais c'est fait avant le couplage.

M. Kelley: Puis, il faut toujours avoir vos avis respectés. De plus en plus, je trouve que vos avis sont mis de côté et on procède quand même. Et on peut mettre les feux rouges, on peut mettre beaucoup de bémols sur le projet de loi, et le gouvernement procède quand même.

J'ai une autre question que je veux soulever parce que j'étais étonné par les commentaires de Me White quant aux prix des choses qu'on peut acheter. Ce sont des allégations qui sont très graves que, moi, je peux acheter des informations provenant des organismes de l'État comme dossiers médicaux, comme Hydro-Québec, comme les dossiers policiers. Et vous m'avez dit que ça circule assez facilement à des prix que vous avez listés dans votre présentation. Et j'aimerais savoir c'est quoi la source de vos renseignements, parce que je trouve ça scandaleux, franchement, qu'il y ait des choses comme ça qui circulent. Est-ce que c'est assez répandu? Est-ce que c'est des cas d'exception? C'est quoi? Parce que ce sont des accusations très sérieuses qui questionnent, au fond, la capacité de l'État de garder des renseignements confidentiels. Alors, si vous pouvez nous alimenter un petit peu sur la source de vos prix de liste et c'est quoi l'étendue de ce problème.

M. Comeau (Paul-André): Alors, je vais commencer et je demanderai à M. White de... Vous avez peut-être remarqué, début janvier, la Commission est intervenue pour rappeler que l'accès aux renseignements détenus par le Centre de renseignements policiers du Québec, le CRPQ, était un accès à des fins policières et non pas à des fins de complaisance. Vous avez vu comment, dans certains endroits, il y a eu, ces derniers mois et ces dernières années, des procès ou encore des enquêtes par des comités de discipline où on a purement et simplement absous des gens, qui avaient consulté cela, parce que ou ça n'avait pas fait de mal à personne ou il n'y a pas eu de sous. Il y a une banalisation de l'accès à ces fichiers qui nous a semblé inquiétante, c'est pourquoi nous sommes intervenus assez massivement. Ça, c'est un aspect.

Quant à la dimension fraude, c'est une dimension qui, elle aussi, est réduite. Il ne faut pas non plus imaginer que les Québécois se promènent avec des 20 $ qu'ils distribuent à gauche et à droite pour acheter des renseignements. C'est spécialisé et M. White pourra vous parler de ses sources là-dessus.

M. White (Clarence): Oui, ce qu'on sait, au Québec, c'est qu'il y a des services d'enquête. La plupart du temps, ce sont des services d'enquête, ce qu'on connaît du phénomène à l'heure actuelle parce que, comme c'est du marché noir, c'est bien difficile de pouvoir entrer dans ce milieu pour pouvoir comprendre qu'est-ce qui se passe. Sauf qu'on sait qu'il y a des services d'enquête qui ont des contacts à qui ils n'ont pas besoin de payer. Il y en a d'autres où ils sont obligés de payer. Les prix que je vous ai donnés, c'est des prix qui nous ont été donnés par des gens qui font du type, ou en tous les cas qui sont au courant du type d'enquête qui se font, et qui nous disent: Si j'ai besoin d'un dossier au ministère du Revenu, j'ai un contact et je lui donne 60 $, puis j'ai l'information. Mais là, je ne suis pas capable de faire cette preuve-là; on ne sera jamais capable. En tous les cas, pour l'instant, c'est bien difficile de faire telle preuve. On essaie de notre côté de chercher comment on pourrait faire pour aller retrouver ce marché, mettre le doigt dessus. Mais je vous parle du Revenu, je peux vous parler... Je vous ai parlé de d'autres. On sait qu'il y a des gens qui paient et qu'il y a des gens qui sont payés. Et il y a des cas qui ont été amenés devant les tribunaux. Il y a des employés qui ont perdu leur travail dans des ministères parce qu'ils communiquaient de l'information. Ils n'étaient pas payés; ils recevaient des dons en dessous de la table. On leur donnait du scotch, on leur donnait ci, on leur donnait ça. Ça, c'est un cas, entre autres, qui a été connu, qui a été un cas qui a été amené devant les tribunaux. Mais là, on est devant un phénomène où on nous dit: Faut payer. Puis, on paie.

M. Kelley: Ça m'étonne parce que, si vos sources sont fiables, au-delà de pénétrer doucement pour trouver les fraudeurs, je pense que vous avez le devoir de revenir au ministère ciblé pour travailler sur ce problème. Si vous êtes certain de vos allégations et si vous êtes certain qu'il y a un marché des renseignements confidentiels du gouvernement qui circulent aux prix que vous avez mentionnés, je pense qu'il faut aller aux sources, qu'il faut demander à nos ministères et nos organismes d'État de redoubler leurs efforts pour contourner ça, parce que je trouve que c'est très sérieux. Les allégations, en effet, qui sont relevées ici, ce matin, mettent en question la capacité de l'État de garder nos données confidentielles.

(12 h 10)

M. Comeau (Paul-André): Vous avez raison, M. le député. La semaine dernière ou la semaine précédente – j'ai un peu perdu la notion du temps – vous avez sans doute vu à TVA, à Montréal, trois jours d'affilée, un entrepreneur de Montréal qui s'est vanté publiquement – c'est M. Salois, c'est connu donc – d'aller chercher partout où il voulait l'information dont il avait besoin. Or, comme l'information dont il avait besoin commence par les numéros de plaque automobile, on a demandé à la Société de l'assurance automobile d'engager l'enquête et on travaille avec eux à ce sujet-là. Et la première démarche qu'ils ont faite, ça a été de fermer le terminal qui était installé au plumitif de certains palais de justice où on allait s'approvisionner là. Alors, il y a une enquête en cours. Lorsqu'on a des choses, évidemment, on le fait.

Je vous signale que j'ai préparé une lettre, qui va partir dans les 48 heures, pour un certain nombre de présidents d'organismes et de sous-ministres, à la suite de l'intervention du juge Pinard de la Cour supérieure qui, dans un jugement rendu en janvier ou décembre, s'étonnait et se scandalisait, en tant que citoyen, du fait que les policiers avaient pris l'habitude d'aller sans subpoena dans des ministères et organismes chercher des renseignements.

Évidemment, lorsqu'on parle de cela aux fonctionnaires, eux, pensent que c'est normal. Alors, on revient à la charge auprès des sous-ministres et des présidents d'organismes leur demandant de rappeler que le policier n'a pas de mandat, lorsqu'il se présente, et on doit lui refuser les renseignements demandés. Ça fait partie, ça aussi, d'une espèce de banalisation, effectivement, parce que c'est la police, c'est bon. Mais, c'est évident, M. le député, soyez assuré que, dès qu'on apprend des choses du genre, on intervient et on a habituellement la collaboration des ministères et organismes qui, eux aussi, sont un peu dépassés et très souvent surpris par ce qui arrive.

Mais je vous signalerai, et je vous enverrai après-midi la référence, que, si vous êtes intéressé par cette question de vente de renseignements, il y a un ouvrage absolument fantastique, publié aux États-Unis il y a trois ans, sur le sujet, à propos de l'animateur Dan Rather. Comment, avec un numéro, on a pu faire la vie de Dan Rather au complet. C'est absolument phénoménal, et comment on a payé tel type de renseignement, partout.

Alors, il y a donc un phénomène qui n'est pas propre au Québec, loin de là, qui est exploité beaucoup plus sérieusement ailleurs.

Le Président (M. Garon): Non, bien, là, je vais par alternance autrement, on n'arrivera pas. M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Oui. Nous sommes dans un mandat d'initiative qui concerne les cartes d'identité et la vie privée. Alors, je pense que le débat vient de déborder largement sur la protection de la vie privée. Ça peut être quelque chose d'inquiétant. Il y a des rappels à faire, mais c'est précisément pour ça que cette commission a lieu. C'est qu'il y a peut-être des gens qui ne se rendent pas suffisamment compte de l'importance que peut avoir, dans une société comme la nôtre, la protection de la vie privée. Et ce qu'on apprend ce matin, on l'a entendu très souvent à la télévision. Je sais qu'il y a eu des émissions, au Point de Radio-Canada entre autres, où cette possibilité de fonctionnaires plus ou moins vénaux – je ne sais pas dans quel esprit ils le font – ont pu communiquer des renseignements privés. Maintenant, je pense que c'est utile de rappeler aussi les articles du Code civil, les différentes lois sur la protection de la vie privée.

Cependant, moi, je reviens au propos principal de la commission, c'est M. Ouimet qui posait deux questions: Est-ce qu'on a besoin d'une carte d'identité? Et la deuxième question: Pourquoi? Et il y a trois possibilités, si j'ai bien compris ce qu'il nous disait: ça pourrait être pour identifier la personne; ça pourrait être pour rassembler des renseignements personnels; ou ça pourrait être pour recouper des données. Moi, je repartirais de ces questions-là. C'est peut-être les questions importantes qu'on devrait poser tout au cours de ce mandat d'initiative.

Moi, je serais porté à répondre que, oui, on a besoin d'une carte d'identité, parce que, quand on veut m'identifier, je n'aime pas, moi, qu'on me demande une carte de la RAMQ, et ce n'est pas une carte d'identité, je regrette. Je n'aime pas qu'on me demande mon numéro d'assurance sociale, ce n'est pas une carte d'identité – et je ferai remarquer au député de Nelligan qu'elle a un numéro, et elle a un bon numéro, à part ça, neuf chiffres.

Alors, est-ce qu'on a besoin d'une carte d'identité? Je dirais oui. Maintenant, de quelle sorte de carte d'identité a-t-on besoin? Est-ce qu'on a besoin d'une simple carte d'identité? C'est peut-être celle-là dont on aurait besoin, et quand est-ce qu'on peut l'exiger, aussi, cette carte d'identité là? J'imagine que, quand un policier vous arrête sur la route, la carte qu'il peut vous demander, aux termes du Code et des lois, c'est votre permis de conduire, votre certificat d'immatriculation, et il ne peut pas vous demander ça à tout hasard, parce que vous êtes arrêté sur la route, etc. Mais enfin, à la rigueur, on pourra toujours voir, c'est à celui à qui on la demande d'évaluer la chose. Mais, donc, est-ce qu'on a besoin d'une carte d'identité? Oui. Quelle sorte de carte d'identité? Bien, une carte qui sert, justement, à l'identification et qui pourrait éviter qu'on nous demande toutes sortes de cartes, à toutes sortes d'endroits. Je pense que, moi, quand je regarde les avantages et les inconvénients d'une carte d'identité, je vois beaucoup plus d'avantages à une carte d'identité que d'inconvénients et, même dans les cas des inconvénients, je pense que, si on limitait l'obligation de présenter une carte d'identité dans beaucoup de circonstances, il y aurait peut-être plus d'avantages, finalement, que d'inconvénients. Est-ce que je me trompe?

M. Comeau (Paul-André): Je pense que vous avez bien posé les questions, et c'est autour de cela que vos réflexions doivent s'articuler, que les mémoires, sans doute, vont également être présentés, vont vous amener à réfléchir là-dessus et vont nous renseigner, nous aussi. Nous, je vous le dis, on a défendu une position, et on continue de la défendre, qui est conforme à la loi, à l'économie de la loi. Mais on se rend compte qu'il y a des problèmes, qu'il y a des projets aussi qui se présentent et qu'il est peut-être nécessaire de les évaluer de façon plus globale qu'on l'a fait jusqu'à maintenant, et non pas simplement en fonction du document lui-même, mais de ses avantages et de ses conséquences éventuels, parce que c'est ça qu'on a oublié. Il y a 30 ans, émettre une carte, c'était un exercice qui n'était pas dramatique et qui n'amenait pas une grande réflexion, sauf sur le plan culturel, mais maintenant, avec la technologie, alors, là, on va beaucoup plus loin que les simples préjugés ou les simples options personnelles. Il y a toute une dimension d'arrière; il y a une dimension de circulation de renseignements qui n'existait pas à l'époque ou qui était si peu importante.

Alors, c'est pourquoi je ne pense pas qu'on puisse faire un débat uniquement sur la carte d'identité et je pense que la décision de votre président d'élargir le débat, pour nous, nous rassure un peu aussi. C'est que les projets seront évalués dans leur dimension globale et non pas simplement dans ce qui est évident, ce qui est apparent. On n'a pas de position à imposer à votre commission, comprenez-bien, mais la position traditionnelle de la Commission, nous la maintenons, nous la défendons, mais nous nous rendons compte que, vis-à-vis les nouveaux projets, vis-à-vis les problèmes que nous rencontrons, il est peut-être temps de réfléchir collectivement là-dessus.

M. Gaulin: Une dernière petite question, si vous permettez, M. le Président. Vous avez signalé tantôt cette espèce d'anomalie qu'il y a au fait qu'on vous demande des cartes d'identité quand vous allez renouveler votre passeport, un passeport qui est toujours valide. Est-ce qu'il n'y a pas une raison à ça, est-ce que c'est...

M. Comeau (Paul-André): Il y en a sûrement une, mais, moi, je suis allé jusqu'au directeur du bureau, à Montréal, et, finalement, au bout d'une demi-heure, le dialogue tournait rond, il ne le savait pas lui non plus.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Comeau (Paul-André): Et il m'a envoyé promener élégamment en me disant: Bon, ça suffit, moi, je ne peux pas te donner d'autres réponses que cela. Pourquoi a-t-on fait cela? Je ne le sais vraiment pas, mais ça fait partie de certaines habitudes. Je ne sais vraiment pas quoi vous répondre.

Le Président (M. Garon): M. le député de Laporte.

M. Laporte: M. le Président, je dois dire...

Le Président (M. Garon): Non, d'Outremont, le député d'Outremont.

Une voix: Oui. Ha, ha, ha!

M. Laporte: Ah, ça va prendre des années avant qu'on en arrive à...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laporte: ...à m'identifier.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laporte: Ce n'est pas la carte d'identité qui va le faire, hein?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laporte: M. le Président, je dois dire d'abord que, personnellement, j'ai un préjugé défavorable, très défavorable, à l'idée d'une carte d'identité, et il va falloir vraiment qu'on fasse des efforts suprêmes pour me convaincre de ça.

(12 h 20)

Deuxièmement, je voudrais dire qu'à mon avis la façon dont la Commission d'accès à l'information pose le problème et à la façon dont le problème est en train d'être posé ici, on est sur une mauvaise piste. La question, ce n'est pas de savoir: A-t-on besoin d'une carte d'identité? La question, c'est de savoir dans l'intérêt de qui, la carte d'identité? C'est ça, la question. On vit dans une société d'organisation, M. le Président, et ce n'est vraiment pas clair que l'intérêt qui est servi ici, ce soit l'intérêt du citoyen ou de l'individu. Qu'Hydro-Québec ait besoin d'une carte d'identité ou qu'une carte d'identité puisse être utile à Hydro-Québec à des fonctions de repérage pour lui permettre de faire payer ses comptes, ça, ce n'est pas mon problème, c'est le problème d'Hydro-Québec, et il y a des sociétés d'assurances qui permettent à Hydro-Québec et qui permettent à American Express de gérer le risque d'avoir des délais de comptes ou des dénis de comptes, M. le Président. Pour ça, on n'a pas besoin d'une carte d'identité. Tout ce qu'on fait, en ayant une carte d'identité, c'est pour ça, c'est qu'on rentabilise encore plus une grande organisation, on donne à Hydro-Québec une chance de faire encore des meilleurs rendements ou des meilleurs profits, comme on peut le faire pour American Express ou comme on peut le faire pour n'importe quelle autre organisation. Donc, la vraie question – et, là, sur ça, j'aimerais entendre les réactions de M. Comeau – c'est: La carte d'identité, dans l'intérêt de qui? Quand on discute de cette question-là, on s'inscrit volontairement ou involontairement dans un rapport de force, n'est-ce pas? Il faut en être conscient, là, qu'on s'inscrit dans un rapport de force. C'est une question de politique dont on parle.

Et, à mon avis, une approche fonctionnaliste qui dit: A-t-on besoin de la carte d'identité? À partir de quel justificatif pouvons-nous arriver à conclure ou à ne pas conclure que la carte d'identité est nécessaire ou pas nécessaire? C'est une question qu'on peut bien se poser mais, à mon avis, ce n'est pas ça la question. La question, c'est: C'est dans l'intérêt de qui, la carte d'identité? Et il va falloir qu'on fasse des efforts suprêmes pour arriver à me convaincre, moi, en tout cas, que la carte d'identité... Au sens où on l'entend ici, je ne parle pas du passeport. Dans le cas du passeport ou dans le cas de la pièce d'identité dont il faut se prévaloir pour entrer dans les bureaux de la Commission d'accès à l'information, qui sont des pièces d'identité spécifiques, qui servent des intérêts officiels, explicites et connus... Si on n'avait pas de passeport, on se retrouverait dans des problèmes de chaos de citoyenneté, de chaos territoriaux énormes. C'est clair, ça. Le passeport, c'est né de l'institutionnalisation de la notion de citoyenneté en Occident au cours des quatre ou cinq derniers siècles. Mais, dans le cas de la carte d'identité, c'est loin d'être clair les intérêts qui sont servis et à qui ça sert, cette affaire-là. Dans l'intérêt de qui, on veut avoir une carte d'identité? Et dans l'intérêt de qui, cette carte d'identité serait-elle créée?

J'aimerais avoir la réaction de la Commission parce que je trouve que c'est un peu court que dire, finalement: La question, c'est de savoir: On «a-tu» besoin d'une carte d'identité ou si on n'a pas besoin d'une carte d'identité? Parce que, si on prend cette question-là, y «a-tu» des avantages ou plus d'avantages? Ça, c'est vraiment la rationalité instrumentale, celle qui commence à faire des calculs de coûts-bénéfices. On n'y arrivera pas, ce n'est pas possible. Il n'y a aucun modèle mathématique qui va nous permettre de décider d'une solution qui sera optimale, de ce point de vue là. Mais on peut, par ailleurs, s'interroger sur la question de savoir c'est dans l'intérêt de qui. Et nous, comme parlementaires, c'est, à mon avis, la question qu'il faut se poser parce qu'on est précisément, ici, comme parlementaires, mandatés pour se poser cette question-là et pour, disons, servir les intérêts. Puis ceux qui vont essayer de me faire accroire que c'est dans l'intérêt du bien commun, là, qu'on ait une carte d'identité, bien, à mon avis, il va falloir qu'ils mobilisent des gros arguments parce qu'à mon avis le bien commun, dans ce cas-là, c'est une espèce de fiction sociale qui n'a pas grand, grand sens. C'est ça, la question: C'est dans l'intérêt de qui?

Et j'ai lu des rapports des journaux, j'ai lu des articles de presse, j'ai lu des documents, puis il n'y a personne qui pose cette question-là. Et moi, c'est à cette question-là qu'il va falloir qu'on répondre pour m'amener personnellement à prendre une décision que je qualifierais, disons, de conforme à mes propres valeurs et à mes propres sentiments personnels plutôt que de me dire: On «a-tu» besoin d'une carte d'identité ou pas? C'est une question d'opinion. Mais dans l'intérêt de qui on veut créer une carte d'identité? Puis, je le répète, ce n'est pas clair, à mon avis, que c'est dans l'intérêt du citoyen, parce qu'on est à une époque, à la fin du Xxe siècle, où la notion de vie privée est en train d'être déconstruite par un bon nombre de forces sociales et une des fonctions de cette carte d'identité, c'est probablement d'accélérer cette déconstruction-là.

Donc, je répète et je termine là; je dis: Moi, j'ai un préjugé très défavorable, puis j'aimerais qu'on réfléchisse peut-être à une deuxième question et, à mon avis, une question plus fondamentale que celle de savoir: «C'est-y» nécessaire ou ça «répond-u» à un besoin? C'est la question de savoir: C'est dans l'intérêt de qui?

Le Président (M. Garon): M. Comeau.

M. Comeau (Paul-André): Très bien. M. le député, vous avez, je pense, très bien illustré ce que j'appelle la dimension culturelle, la dimension de valeur qui est derrière ça. C'est évident qu'il n'y a pas de formulaire mathématique. Et la Commission n'entend pas non plus, loin de là, proposer des cartes. La Commission s'interroge – au moment où l'on propose des cartes – précisément, si ces cartes – ou celle qui pourrait devenir une carte unique, ou presque – ont leur raison d'être.

Vous avez posé la question: Dans l'intérêt de qui? Depuis l'entrée en vigueur de la loi sur le secteur privé, cette question-là a été élargie au secteur privé. Le secteur privé, lui aussi, est friand de cartes. Et on a là des problèmes sérieux. Est-ce qu'il est nécessaire, quand on va chercher une cassette vidéo, de devoir déposer son NAS? Est-ce qu'il n'y a pas une autre façon, surtout quand on sait que le NAS est la porte d'accès à une foule de banques de données? La Commission, je le répète, n'a pas du tout, mais pas du tout l'intention – ni d'ailleurs les moyens – de préconiser une carte ou autre chose et encore moins de lancer une carte. Mais je pense que vous avez raison. Et, effectivement, c'est dans l'intérêt de qui? Et ça fait partie de la réflexion. Et la Commission, évidemment, elle, conformément à son mandat, se pose la question à travers le volet de la vie privée. Est-ce qu'une carte, des cartes, les cartes anciennes, les nouvelles cartes qui s'en viennent portent problème à la vie privée? Devons-nous continuer dans cette voie? Devons-nous accepter une nouvelle carte? C'est la problématique réduite de la Commission.

L'intérêt de qui est une question également fondamentale. Je ne le conteste pas, mais elle est dans... L'intérêt doit être élargi non pas au seul gouvernement, mais aussi à l'entreprise privée qui est de plus en plus gourmande, elle aussi. Vous savez, quand on va acheter quelque chose et qu'on paie comptant et qu'on vous oblige à donner votre numéro de téléphone, il y a un problème, là. Est-ce que c'est de l'intérêt de l'entreprise d'avoir votre numéro de téléphone? Peut-être. Mais je pense que vous avez bien posé l'autre dimension du problème qui n'est pas celui que doit mettre au premier rang la Commission. La Commission, c'est la vie privée. Évidemment, l'intérêt de qui est rejoint. Bien sûr. Je ne sais pas si je réponds à votre question, M. le député?

M. Laporte: Oui, oui. Ça va.

Le Président (M. Garon): Moi, je vais en poser une question. Comme Commission, considérez-vous que les renseignements qui sont fournis par des gens qui sont obligés de les fournir sont du domaine public ou du domaine privé? En droit. C'est-à-dire que la Société de l'assurance automobile me demande des renseignements pour avoir mon permis de conduire, considérez-vous que ces renseignements-là sont du domaine public ou du domaine privé? Ou encore, la Régie de l'assurance-maladie ou tous ces organismes-là qui obligent le citoyen à répondre à des questions pour avoir tel permis. Considérez-vous que ça appartient au domaine public ou au domaine privé?

Et deuxième question que je vous poserais là-dedans, c'est: Est-ce que la Commission est déjà allée devant les tribunaux? Parce que le député de Jacques-Cartier a dit quelque chose; il a dit: Vous nous donnez des fois votre avis sur quelque chose, mais on ne s'en occupe pas. Est-ce que la Commission, à partir de là, va devant les tribunaux pour faire respecter la loi qu'elle administre et faire des injonctions et des pénalités pour ceux qui la transgressent?

M. Comeau (Paul-André): En ce qui concerne la deuxième question – ensuite, je vais passer la parole à Me Ouimet – il faut dire qu'au fil des ans, du moins depuis que je suis à la Commission et sans doute avant également, il y a très peu d'avis que la Commission a rendus qui n'ont pas été respectés. On peut les compter sur les doigts d'une main, les ententes qui ont été...

Évidemment, ce que l'on ne sait pas, c'est qu'il y a une foule de projets d'entente qui nous sont présentés et qui sont oubliés dans la nature à la suite de nos discussions et de nos négociations. Mais des ententes en bonne et due forme, au cours des six dernières années, il n'y en a pas cinq qui n'ont pas été respectées, qui n'ont pas été respectées par le gouvernement à cet...

(12 h 30)

Le Président (M. Garon): ...ces cas-là, parce que le gouvernement n'est pas au-dessus de la loi lui non plus.

M. Comeau (Paul-André): Bien, le gouvernement peut effectivement parce que c'est un avis que l'on rend...

Le Président (M. Garon): Ah oui?

M. Comeau (Paul-André): ...et le gouvernement peut, par décret, aller à l'encontre de l'avis. C'est conforme à la loi.

Le Président (M. Garon): O.K.

M. Comeau (Paul-André): Et il le dépose à l'Assemblée dans un délai de 60 jours, je pense...

Une voix: Après.

M. Comeau (Paul-André): Après, oui. Alors, si vous voulez, par contre, votre première question...

Le Président (M. Garon): Oui.

M. Comeau (Paul-André): Je laisse la parole à votre ancien étudiant.

M. Ouimet (André): Si on s'entend sur les termes, une fois que l'individu a fourni des renseignements personnels à l'État, ils demeurent des renseignements privés, mais qui sont détenus par un organisme public. Mais l'organisme publique, lui, n'a pas le droit de les communiquer sans le consentement de la personne concernée ou, sauf exception, lorsque la Commission l'a autorisé à faire. Donc, d'après moi, ces renseignements-là demeurent toujours privés à l'individu et il a une certaine maîtrise sur ces renseignements-là.

Pour l'anecdote, je vous raconterai qu'aux États-Unis, actuellement, il y a certaines poursuites, devant les tribunaux, d'individus qui disent que, avec leurs renseignements, des entreprises ou des gouvernements font de l'argent. Par exemple, une firme comme Équifax, un bureau de crédit, va recevoir, va gérer des renseignements personnels d'individus. Or, aux États-Unis, actuellement, il y a des individus qui poursuivent ces firmes-là, en disant: Vous faites de l'argent avec mes renseignements personnels en les vendant, en les échangeant, en les faisant circuler. Donc, moi, je veux une partie du profit généré par la vente de ces renseignements-là. Au Québec, il n'y en a pas, à ma connaissance, de gens qui ont poursuivi pour ça, mais ça démontre quand même que ces renseignements-là demeurent toujours personnels à l'individu. Ils demeurent les renseignements privés de l'individu et non pas les renseignements de la collectivité parce que, s'ils étaient les renseignements de la collectivité, on les mettrait au service de tout le monde. Ça tomberait dans le premier volet de la loi sur l'accès, c'est-à-dire des documents qui deviennent administratifs et qui seraient accessibles à toute personne qui le demande.

Ce qui existe dans certains États américains, par exemple, lorsque vous fournissez des renseignements pour obtenir un permis de conduire, c'est public. Vous pouvez aller au bureau des véhicules automobiles, dans certains États américains, et demander qui a telle plaque d'immatriculation, à quelle personne ça correspond. Et là, on va vous donner le nom, l'adresse, les coordonnées de cette personne-là. C'est public. J'avoue que la tendance qu'on a perçue aux États-Unis actuellement, c'est de refermer un petit peu ces lois-là parce que, il y a quelques années, une actrice, qui avait un fan un peu trop entreprenant, s'est fait tuer. Et la personne l'avait retrouvée, le fan en question avait retrouvé la personne par le permis de conduire. Le renseignement était public dans l'État de la Californie. Il l'a retrouvée, et c'est comme ça qu'il a pu atteindre ses fins. Mais, ici, au Québec, on a toujours convenu que ces renseignements-là devaient demeurer confidentiels, là où ils étaient dans l'organisme public.

Le Président (M. Garon): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: M. le Président, parce qu'on arrive à la fin de la commission, je vais revenir sur la vente d'informations, qui me préoccupe beaucoup. Est-ce que c'est le mandat de la Commission d'accès à l'information de s'assurer de la sécurité des fichiers électroniques détenus par les différents ministères? Si vous répondez oui, quelles sont les méthodes que vous avez devant vous pour vous assurer qu'il n'y a pas d'utilisation abusive? Une fois que vous aurez répondu, j'aurais peut-être une troisième question. Ça dépend.

M. Comeau (Paul-André): Alors, l'organisme, le ministère ou l'administration est responsable de la sécurité. Le sous-ministre en titre est le responsable de cela. Et c'est lui qui, par exemple, doit prendre les sanctions lorsqu'il y a des fraudes ou autres. C'est lui qui est responsable de cela. La Commission intervient, elle, pour signaler, à la faveur d'enquêtes, les problèmes. Mais la Commission n'est pas la police de cela; la Commission peut jouer un rôle d'appui, mais elle n'a pas la mission d'être la police. La sécurité est une obligation fondamentale, la sécurité informatique, au responsable de l'organisme en question.

M. Gautrin: Est-ce que vous n'avez pas le pouvoir de vous assurer que les mécanismes de sécurité dans les différents ministères sont mis en place, par exemple pour s'assurer qu'il n'y a pas une utilisation abusive d'un fichier, quelqu'un ne consulte pas 650 fois le même fichier?

M. Comeau (Paul-André): Voilà. Très bien.

M. Gautrin: Est-ce que ça vous avez ce pouvoir-là?

M. Comeau (Paul-André): Oui.

M. Gautrin: L'exercez-vous et pouvez-vous faire... où je vais lire vos rapports si vous dites oui... Est-ce que vous l'avez exercé et quelle est la situation actuellement?

M. Comeau (Paul-André): Bon. Alors, ce que l'on fait, nous, c'est que, lorsque des projets d'informatique ou des projets nous sont soumis, là, on signale aux responsables les mesures à prendre pour sécuriser l'information. Par exemple, la mesure la plus élémentaire pour empêcher les indiscrétions, et éventuellement la fraude, c'est ce qu'on appelle la journalisation, c'est-à-dire que toutes les entrées dans un fichier doivent être répertoriées. Alors, le responsable du ministère ou son délégué a, lui, comme mission de lire ces documents, donc de faire le relevé. Et on peut bâtir ensuite des programmes plus raffinés pour faire en sorte qu'une lumière rouge s'allume si la même personne consulte tant de fois le même fichier. Il y a toute une démarche à faire de ce côté-là, une démarche de prévention, mais c'est à l'organisme de prendre ses responsabilités. Notre rôle, nous, c'est d'indiquer les défaillances, les problèmes structurels. Mais la surveillance au jour le jour, c'est l'organisme qui en est responsable.

M. Gautrin: Merci.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Rimouski pour...

M. Gautrin: Sachez qu'on rencontre demain le sous-ministre du Revenu. Ha, ha, ha!

Mme Charest: Merci, M. le Président. J'aimerais avoir une réaction de votre part concernant la proposition du responsable de l'état civil, qui est prêt, lui, à assumer en quelque sorte toute la responsabilité de l'émission d'une carte d'identité. Vous voyez ça comment cette proposition-là?

M. Comeau (Paul-André): J'en sais exactement autant que vous. J'ai lu l'article hier. Je viendrai l'entendre et je vous répondrai à la fin, si vous voulez, parce que tout ce que j'ai lu hier était pour moi la confirmation de rumeurs et c'était la première fois où j'avais une idée du projet, et je pense qu'il serait respectueux, pour ma part, d'attendre et de lire dans son document, voir où il va.

Mme Charest: Vous avez bien raison. Merci.

Le Président (M. Garon): On remercie M. Comeau, Me Ouimet et M. White de leur contribution aux travaux de la commission. Nous allons vous revoir à la fin des auditions. Comme l'heure est arrivée, je suspends les travaux jusqu'à 14 heures cet après-midi. Je vous remercie.

(Suspension de la séance à 12 h 37)

(Reprise à 14 h 8)

Le Président (M. Garon): Alors, la commission reprend ses travaux, et nous entendons maintenant le Vérificateur général, M. Guy Breton. Il peut nous dire par qui il est accompagné. Et, comme nous avons de 14 heures à 15 h 30 ensemble, ça veut dire que, normalement, si on partage le temps un tiers-un tiers-un tiers, en mettant un tiers pour l'exposé, un tiers pour les ministériels et un tiers pour l'opposition, ce que vous prenez en moins, ils peuvent le prendre en plus pour poser des questions et ce que vous prenez en plus devra leur être soustrait parce qu'on va changer d'interlocuteurs à 15 h 30; 15 h 30 plus 10 minutes. Allez-y, M. Breton.


Vérificateur général

M. Breton (Guy): M. le Président, Mmes et MM. les députés, j'apprécie l'occasion que m'offre la commission de la culture de faire état de mes préoccupations sur certains aspects liés à l'émission d'une carte d'identité pour les citoyens et à la protection de leur vie privée et je l'en remercie. Je suis accompagné de M. Jean-Noël Thériault, directeur du cabinet et des communications.

(14 h 10)

Le présent document ne découle pas d'une étude quant à la pertinence d'émettre ou non une carte d'identité ou d'une vérification particulière à ce sujet. J'ai toutefois effectué, au cours de l'année 1995-1996, une étude d'envergure gouvernementale sur un thème connexe, soit les échanges d'information entre les organismes du secteur public. Ces travaux me permettent de dégager des éléments qui pourraient être utiles à la commission. Tout d'abord, permettez-moi de vous rappeler que le mandat du Vérificateur général est de favoriser, par la vérification, le contrôle parlementaire. Le processus de vérification comporte différentes étapes, notamment l'élaboration d'objectifs et de critères de vérification. Ces critères sont des normes ou des balises grâce auxquelles nous étudions le fonctionnement et le rendement des entités vérifiées. Les observations et les recommandations que je formule à la suite de mes travaux reposent sur une corroboration étroite des faits.

Pour l'instant, en l'absence d'une étude suffisamment étoffée, je ne puis formuler de recommandations. Toutefois, je vous fais part de mes remarques sur la carte d'identité en tant qu'observateur privilégié de l'administration publique. Je n'ai pas la prétention d'aborder ce sujet avec la perspective du philosophe, de l'humaniste, du sociologue ou du défenseur de la vie privée. C'est donc le point de vue et le questionnement d'un vérificateur que je vous livre ici. Il repose sur des préoccupations économiques et sur l'amélioration souhaitable de la prestation de services par le gouvernement.

Je vous propose mes réflexions principalement au regard des constats suivants de la Commission d'accès à l'information, exposés dans son Document de réflexion sur la question des cartes d'identité au Québec , à savoir: «Les Québécois ne disposent pas de mécanismes d'identification qui leur permettent, lorsque requis, de s'identifier sans avoir à produire des documents qui ne sont pas destinés à cet usage[...]. L'expérience a démontré que le besoin de s'identifier est né de deux objectifs poursuivis tant par le secteur public que par le secteur privé, à savoir identifier une personne pour s'assurer de son éligibilité à un bien ou à un service et retracer les fraudeurs ou les personnes qui ne s'acquittent pas de leurs obligations sociales ou financières.» Fin de la citation. La poursuite de ces objectifs rejoint mes préoccupations relativement à la gestion efficace des programmes et à l'amélioration du service à la clientèle exprimées dans mes rapports à l'Assemblée nationale.

Particulièrement au cours des deux dernières années, j'ai mené des vérifications qui ont fait état de l'utilisation – ou plutôt de la sous-utilisation – de l'information détenue par certaines entités gouvernementales. J'ai également présenté un mémoire à la commission du budget et de l'administration dans le cadre de l'étude d'un projet de loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu. Je résume ci-après les principaux messages contenus dans ces documents et qui sont pertinents à la carte d'identité.

Dans mon rapport annuel de 1994-1995, le chapitre 20 présente mes recommandations relatives aux mesures à prendre pour combattre l'évasion fiscale. J'y précise que le travail au noir a atteint 2 760 000 000 $ au Québec et qu'un montant de 1 350 000 000 $ en revenus fiscaux échappe annuellement au gouvernement du Québec. Dans un premier temps, nous avons constaté que le ministère n'obtient pas des autres ministères et organismes du gouvernement les informations nécessaires à l'application des lois fiscales. Nous avons établi les bénéfices qui pourraient résulter d'échanges d'information avec la Société de l'assurance automobile du Québec, la Régie de l'assurance-maladie du Québec et la Commission de la construction du Québec. Dans un deuxième temps, nous avons signalé que le ministère du Revenu serait en droit de réclamer plus d'informations de sources extérieures au gouvernement. À titre d'exemple, le ministère du Revenu pourrait obtenir des corporations professionnelles un fichier de leurs membres, d'autant plus qu'il accepte la déduction des frais relatifs aux cotisations professionnelles. Cette comparaison de fichiers pourrait faciliter l'identification de particuliers qui ne produisent pas leur déclaration de revenus chaque année.

Nous avons notamment recommandé au ministère du Revenu:

a) d'intensifier ses efforts afin d'obtenir des ministères et organismes du gouvernement les renseignements qui sont nécessaires à l'application des lois fiscales;

b) d'intensifier ses efforts afin d'obtenir plus d'informations des organismes du secteur privé afin de faciliter la détection de particuliers qui ne produisent pas leur déclaration de revenus.

Nous avons recommandé au gouvernement d'étudier la pertinence d'optimiser l'utilisation des informations contenues dans les fichiers du ministère du Revenu dans le but de faciliter l'application des lois relatives aux programmes qu'administrent les ministères et organismes du gouvernement. Notons que la Loi sur le ministère du Revenu a été modifiée en juin 1996 afin de faciliter les échanges d'information.

Le chapitre 7 du tome I de mon rapport annuel 1995-1996 présente les résultats d'une étude sur les activités d'assurance-conformité exercées auprès des prestataires de la sécurité du revenu. J'y souligne que le ministère est tout à fait conscient de l'importance des échanges de renseignements et qu'il a posé des gestes concrets en ce sens.

La Loi sur la sécurité du revenu a été modifiée en décembre 1995 pour permettre au ministère de conclure des ententes en vue de recueillir ou de communiquer un renseignement nominatif nécessaire à l'application de la loi et de ses règlements. Cependant, les résultats escomptés ne sont pas à la hauteur des attentes parce que les ministères et organismes ainsi mis à contribution n'y trouvent pas nécessairement leur compte. Souvent contraints d'assumer des coûts supplémentaires, ils hésitent à procéder à ces échanges sans que la volonté gouvernementale les y invite clairement. De plus, nous avons démontré au ministère de la Sécurité du revenu l'utilité d'accéder directement aux renseignements de différents organismes à des fins de corroboration dès qu'un doute surgit. Ainsi, les irrégularités pourraient être détectées plus rapidement, ce qui limiterait le versement de prestations injustifiées et les difficultés de recouvrement qui en découlent.

Nous avons recommandé au ministère de la Sécurité du revenu de poursuivre ses efforts afin d'obtenir des ministères et organismes du gouvernement les renseignements qui sont nécessaires à l'application de sa loi constitutive. Nous avons également invité le gouvernement à étudier la pertinence d'optimiser l'utilisation des informations contenues dans les fichiers des différents organismes et ministères dans le but de faciliter l'application des lois. Mon étude sur les échanges d'information entre organismes du secteur public a fait ressortir certaines constatations que je reprends ici, puisqu'elles ont leur place dans le débat sur la carte d'identité.

Le gouvernement possède environ 130 fichiers qui contiennent en tout ou en partie les coordonnées de base des clientèles. On dénombre parmi ceux-ci huit mégafichiers, c'est-à-dire qui concernent chacun plus de 5 000 000 d'individus. Chaque citoyen du Québec est inscrit en moyenne dans une dizaine de banques de données informatisées. L'information sur l'identité de la clientèle doit être colligée, conservée, mise à jour par chacun des organismes. Par conséquent, le gouvernement doit absorber des coûts inutiles en raison de la mise à jour manuelle de l'information et de la validation des données qui sont faites plusieurs fois.

Il n'existe aucune étude gouvernementale sur les coûts inhérents au maintien de tous les fichiers d'identification de la clientèle. Cependant, la Régie des rentes du Québec estime à 3 000 000 $ par an le coût du traitement informatique des fichiers de 8 000 000 d'individus, sans tenir compte du traitement administratif. Des économies appréciables seraient possibles grâce à la mise en commun des données relatives à l'identification de la clientèle conjuguée à une exactitude accrue. L'élaboration d'un tel fichier soulève des interrogations quant à la protection des renseignements, aux liens possibles avec l'émission d'une carte d'identité, à l'utilisation d'un identifiant unique ou d'une carte multiservices.

L'une des facettes de l'amélioration du service à la clientèle est la réduction des demandes de renseignements similaires que l'État adresse aux citoyens. Les échanges évitent à des organismes de réclamer à une personne des informations déjà disponibles dans d'autres fichiers gouvernementaux. Parmi les ministères et organismes examinés, seulement deux entités avaient intensifié leurs efforts pour recourir davantage aux échanges d'information en vue d'améliorer leur prestation de services.

(14 h 20)

L'efficacité des contrôles administratifs dépend dans une large mesure du couplage de fichiers. Par exemple, cet appariement peut être nécessaire pour détecter des clientèles à risque afin de mieux cibler les interventions de contrôle. La démonstration de la rentabilité potentielle des couplages de fichiers n'est pas chose facile, ce qui peut inciter à penser qu'il s'agit parfois de simples parties de pêche.

Comme l'information est appelée à circuler davantage avec les échanges de renseignements, il est important de s'assurer que les données sont exactes et qu'elles concernent bien le même individu. L'absence de clé de recoupement fiable représente un obstacle majeur à l'efficacité des échanges. Au Québec, on ne dispose pas d'un numéro d'enregistrement unique, de sorte que chaque ministère et organisme attribue son propre numéro d'identification. Cette procédure constitue une barrière érigée pour protéger la vie privée. Pour composer avec cette difficulté, les ministères et organismes utilisent le numéro d'assurance sociale comme principale clé de recoupement.

Le degré de fiabilité du numéro d'assurance sociale comme clé de recoupement est inconnu. De fait, environ 3 % des citoyens en possèdent plus d'un. Pourtant, il s'agit de la meilleure clé disponible, puisqu'elle permet un taux de repérage d'environ 80 %. Faute de clé numérique, nous avons constaté que le nombre d'individus repérés atteint 50 %, si les nom, prénom et date de naissance sont utilisés seuls comme clé de recoupement. Pour augmenter ces taux, il faut utiliser plusieurs éléments d'identification, ce qui augmente le nombre de données échangées et multiplie les efforts d'appariement.

En juin 1996, la commission du budget et de l'administration m'avait invité à lui transmettre mes commentaires sur les échanges d'information et la protection des renseignements personnels dans le cadre de l'étude du projet de loi n° 36 modifiant la Loi sur le ministère du Revenu. Outre le rappel des éléments mentionnés précédemment, j'ai souligné que la recherche d'efficacité ne doit pas être faite au détriment du droit des citoyens au respect de leur vie privée. Il faut maintenir un juste équilibre entre les intérêts collectifs de l'État et les droits individuels des citoyens, entre la vie privée et la détection des irrégularités ou de la fraude. En conclusion, j'ai mentionné que l'urgence d'agir ne devrait pas entraîner que les échanges d'information soient mal utilisés et que cet outil brise la relation de confiance entre le citoyen et l'État. L'Assemblée nationale doit s'assurer que des balises ou des contrôles suffisants permettent de maintenir les fondements de la protection de la vie privée dans un environnement où la circulation de l'information est sans cesse croissante.

Comme je l'ai exprimé dans mes derniers rapports à l'Assemblée nationale, plusieurs facteurs pressent les entités gouvernementales québécoises d'augmenter les échanges d'information. Un identifiant fiable pourrait devenir un outil fort efficace pour favoriser la récupération par le gouvernement de tous ses revenus et pour réduire les coûts des programmes. Par exemple, s'il existait un mécanisme de validation approprié, un citoyen ne pourrait plus s'afficher comme résident québécois pour bénéficier du régime de l'assurance-maladie et en même temps se déclarer non-résident pour éviter de payer des impôts au Québec.

L'amélioration du service à la clientèle est un autre argument qui soutient l'émission d'une carte d'identité assortie d'un identifiant. Cet avantage se traduirait par l'allégement des rapports des citoyens avec l'administration: moins de paperasse, un guichet unique pour l'identification et la mise à jour des adresses, etc. Cette façon de procéder présuppose la création d'un fichier central d'identification de la clientèle. Les enjeux pour le citoyen sont également de deux ordres: l'amélioration des services et la protection de sa vie privée.

La centralisation du traitement des informations relatives à l'identification du citoyen peut réduire les tracasseries administratives. Par exemple, la production d'un certificat de naissance à un organisme deviendrait évitable, ce qui aurait pour deuxième avantage d'épargner les droits exigés pour ledit certificat. Mais l'enjeu le plus important pour le citoyen est la protection de sa vie privée. Dans toute cette recherche d'efficacité administrative et d'amélioration des services à la clientèle, le citoyen exige du gouvernement que celui-ci mette tout en oeuvre pour assurer une protection adéquate des renseignements personnels. La loi sur l'accès à l'information, instrument par excellence pour assurer la protection des renseignements personnels, véhicule des principes qu'il faut respecter. Ainsi, les renseignements recueillis doivent être nécessaires et ne servir qu'aux fins prévues. La communication des renseignements doit être faite, sauf exception, avec le consentement de la personne concernée et avec un souci de grande transparence.

Si le seul objectif poursuivi était une plus grande efficacité administrative, le débat de fond ainsi que les modalités d'émission d'une carte d'identité seraient simplifiés. Mais la protection de la vie privée est une valeur qu'il ne faut pas sacrifier. En l'absence de données techniques valables et d'une étude exhaustive sur le sujet, je ne peux que soulever les principales questions qui mériteraient une réponse dans le cadre d'une éventuelle vérification de la carte d'identité.

Pour être en mesure d'apprécier une activité, il faut établir le plus clairement possible les besoins auxquels elle est censée répondre. Les caractéristiques et l'ampleur de ces besoins influenceront ensuite le choix des moyens. Le document de réflexion mentionne que les Québécois ne disposent pas de mécanismes d'identification, mais il ne précise pas les besoins à combler. Quels sont les besoins du secteur privé en ce qui a trait à l'identification? Doivent-ils être satisfaits par le gouvernement? Quels sont les besoins du secteur public en matière d'identification, d'identifiant, d'accès aux banques de données par les citoyens et par les entités gouvernementales? Prévoit-on implanter des guichets uniques ou des autoroutes de l'information? Si tel est le cas, la carte d'identité sera-t-elle utilisée? Quel niveau de protection le gouvernement veut-il accorder et à quels renseignements? Doit-on assurer la même confidentialité à un dossier médical qu'à une adresse?

Notre vérification des échanges de renseignements a permis de déterminer un certain nombre de ces besoins. Une information complète sur de tels besoins permettrait de faire un choix judicieux parmi les différents moyens qui s'offrent au gouvernement et de répondre aux questions suivantes: À quelles fins la carte doit-elle servir? Quelles informations la carte doit-elle véhiculer? La carte doit-elle être assortie d'un numéro ou serait-il préférable que le détenteur de la carte soit pourvu d'un numéro permanent? La carte d'identité pourrait-elle servir lors de déplacements à l'extérieur du Québec?

Il est important de préciser qu'il n'est pas nécessaire d'incorporer un numéro à la carte d'identité, si le seul but poursuivi est de bien identifier le détenteur. Toutefois, sans ce numéro, la carte serait d'une moins grande utilité, compte tenu des objectifs d'efficacité recherchés par l'administration gouvernementale. Par contre, l'identifiant accolé à la carte d'identité ne doit pas devenir la clé passe-partout qui permet la libre circulation de l'information contenue dans les différents fichiers des ministères et organismes du gouvernement. Cette préoccupation constitue le coeur du problème et elle demande une prise de position claire.

Si un identifiant universel devait être associé à la carte d'identité, ce numéro ne devrait-il pas être exclusivement réservé au fichier central de la clientèle? Les identifiants, tels que le numéro d'assurance sociale, le numéro d'assurance-maladie ou le numéro de permis de conduire, devraient-ils être inscrits sous une forme lisible sur une carte d'identité, compte tenu du fait qu'il s'agit de clés qui peuvent donner accès à de l'information très confidentielle? De quelle façon doit être fait le lien entre cet identifiant universel et les identifiants particuliers déjà mentionnés? Les fichiers des différents ministères et organismes soutiendraient-ils cet identifiant? Cette éventualité constituerait, à mon avis, un risque élevé pour la protection de la vie privée. Un fichier central ne devrait-il pas renfermer certaines données de base comme les nom, prénom, adresse, date de naissance et date de décès? Pourrait-on lui faire jouer le rôle à la fois d'écran et de passerelle pour les organisations gouvernementales?

(14 h 30)

Le type de carte à émettre devra répondre aux besoins actuels et prévisibles à court terme. De plus, il faut que la carte d'identité permette de retirer tous les avantages des nouvelles technologies, tant en matière de protection des renseignements que d'efficacité administrative.

Il y a donc lieu de suivre de près le développement des autoroutes de l'information, des nouvelles techniques d'identification d'une personne, de la mise en place d'un réseau de guichets uniques, etc. La technique retenue sera-t-elle assez souple pour s'ajuster rapidement aux développements technologiques? En effet, les caractéristiques de la carte doivent tenir compte de la fréquence des mises à jour des renseignements qu'elle comporte.

L'équilibre à maintenir entre l'efficacité administrative et la protection de la vie privée doit guider le gouvernement dans l'instauration des contrôles appropriés et la mise en place de la structure de gestion.

Avant d'émettre une carte d'identité, les exigences de base requises pour la composition des fichiers permanents sont d'une importance capitale. En effet, un fichier renfermant des inexactitudes deviendrait rapidement non crédible, voire inutile.

A-t-on prévu un mécanisme qui assurerait une composition fiable de ce fichier? S'est-on inspiré de ce qui se fait ailleurs, par exemple en France? La procédure française prévoit que, pour obtenir sa carte d'identité, le citoyen doit fournir deux photos récentes, un extrait de naissance comportant date et lieu de naissance des parents, deux justificatifs de domicile: quittance de loyer, facture d'électricité ou de téléphone récente. D'autres pays se sont donné des règles du même ordre.

S'est-on arrêté à définir ce que devrait contenir le fichier des identités? Un identifiant unique assorti des coordonnées de base telles que les nom, prénom et adresse serait-il suffisant pour répondre aux besoins?

Pour maintenir les principes assurant la protection de la vie privée, c'est-à-dire nécessité, finalité, consentement et transparence, et pour assurer une plus grande efficacité administrative, s'est-on interrogé sur la faisabilité d'instaurer une agence centrale de gestion qui n'aurait aucun lien direct avec les entités responsables de la gestion des autres fichiers contenant des renseignements personnels? Cette agence devrait-elle être chargée à la fois d'émettre la carte d'identité et de gérer le fichier créé à cette fin?

Cette agence indépendante de la gestion des programmes pourrait-elle devenir en quelque sorte une plaque tournante et, ainsi, être en mesure d'exercer une meilleure surveillance des échanges de renseignements et des couplages de fichiers?

Ces diverses questions ne sont qu'un échantillon de la réflexion nécessaire à tout projet de cette envergure.

Avant de prendre une décision, le gouvernement a-t-il établi les coûts et les bénéfices des différentes avenues qui s'offrent à lui? En déterminant les coûts de la solution retenue, il faudrait d'ailleurs qu'il établisse une comparaison avec l'actuelle façon d'opérer.

Sur le plan des bénéfices, on ne devra pas oublier l'amélioration du service à la clientèle ainsi que la qualité des contrôles visant la protection des renseignements personnels, y compris les opérations d'échange de renseignements.

En conclusion, le principe même de la carte d'identité unique soulève bien des interrogations. En effet, il ne suffit pas de constater certains besoins ou avantages éventuels pour en déduire que la solution s'impose. Encore faut-il mesurer, si possible, les conséquences négatives qui risquent d'amoindrir considérablement l'amélioration attendue.

En ce qui a trait à la carte d'identité, il ne semble pas, de prime abord, que le citoyen puisse en être le principal bénéficiaire. Bien sûr, ses communications avec l'appareil gouvernemental seraient facilitées et ses démarches moins nombreuses, si chaque individu était porteur d'un numéro unique, quel que soit le champ où il évolue. Pourtant, il faut bien admettre que la bonification du service aux contribuables, notamment grâce à des démarches simplifiées, ne saurait justifier à elle seule la mise en place d'un système gigantesque et forcément dangereux sur le plan de la confidentialité.

Il va de soi que le gouvernement y trouverait aisément son compte, ne serait-ce que sur le plan de l'efficacité et de la réduction des coûts. Fiché dès la naissance, ou même à 12 ou à 15 ans, le citoyen n'aurait, sa vie durant, qu'une seule identification. Pour peu que la législation lui donne le feu vert, il est certain que le secteur privé, banques, commerces, associations de toutes sortes, tirerait rapidement profit d'une telle aubaine: une clientèle aisément reconnaissable et qu'il serait possible de retracer à volonté, si besoin en était. Mais – il y a toujours un «mais» – toute concentration de renseignements comporte le risque d'un pouvoir démesuré qui serait remis entre les mains de tiers, si crédibles soient-ils. En effet, le gouvernement n'est pas qu'une entité virtuelle, il est également composé d'individus susceptibles d'infliger des entorses à l'éthique. Voilà pourquoi il importe de s'assurer, d'une part, que les besoins en cette matière justifient les moyens. D'autre part, il faut pouvoir garantir, sans l'ombre d'un doute, que la vie privée du citoyen est un bien plus précieux encore que l'objectif d'économie gouvernementale et que, par conséquent, tous les moyens seront pris pour protéger le concept même de l'intimité individuelle.

Personne n'est contre la vertu. Une société qui parviendrait à éliminer la fraude sous toutes ses formes, à n'admettre dans ses programmes que la clientèle dûment visée, à n'octroyer de subventions qu'aux personnes et entreprises méritantes serait en phase de constituer une référence et un modèle à suivre. Mais l'administration est tenue de se préoccuper aussi d'éviter toute ingérence indue, nonobstant son désir de rapatrier l'information éparse dont elle dispose déjà.

En résumé, le Vérificateur général, compte tenu de son rôle premier, est forcément sensible aux arguments de rentabilité et d'efficacité si souvent évoqués. Sans s'arrêter aux modalités matérielles que prendrait une carte d'identité, facultative ou non, il insiste sur le respect de la dimension humaine en cette affaire. En ces temps difficiles, tout le monde admet aisément qu'il est souhaitable de recourir à la technologie pour économiser les fonds publics. Laissons tout de même le débat s'élever au-dessus de ces considérations terre-à-terre. La société toute entière ne s'en portera que mieux. Voilà.

Le Président (M. Garon): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci, M. le Président. Merci beaucoup, surtout pour la grande série de questionnements. Vous avez fait à la fois le mémoire que vous venez de présenter. Dans le chapitre de votre rapport annuel, je pense que tout le monde a beaucoup apprécié le tableau avec comment l'information circule. Je pense que c'est un outil très intéressant pour un parlementaire comme moi, qui voit ça un petit peu de l'extérieur de l'administration, qui essaie de comprendre c'est quoi, les enjeux existants. Une chose qui m'a toujours troublé, c'est que souvent on établit ces tronçons à la pièce.

Alors, on dit un jour que peut-être le lien entre le ministère de la Sécurité du revenu puis la Régie des rentes du Québec, c'est souhaitable pour un tel projet; il y a en a d'autres qui disent que la jonction qu'on a faite entre la Société de l'assurance automobile et la Régie de l'assurance-maladie est souhaitable. Mais on procède tronçon par tronçon au lieu de voir l'architecture de l'ensemble en disant: Si on met tout ça ensemble, est-ce que la vie privée est bien protégée, ou est-ce que, pièce par pièce, on est en train de faire ce qu'on ne voulait pas faire dans l'ensemble?

Alors, je veux remercier le Vérificateur général. J'ai trouvé le chapitre et surtout le tableau forts intéressants pour animer nos discussions.

Dans votre mémoire... J'ai une couple de questions plus précises, mais je regarde, par exemple, à la page 3 et, comme je dis, moi, je suis troublé par toute cette notion de la gestion à des fins louables. C'est évident que d'être efficace, en soi c'est une fin louable. Et je pense qu'on ne veut pas dire à l'administration publique: Ce serait souhaitable que vous soyez inefficace, on a tout intérêt avec les ratés des finances publiques, et tout ça.

Mais, quand je regarde, dans votre vocabulaire on parle d'optimiser l'utilisation des informations, on parle de l'utilité d'accéder directement aux renseignements. On parlait de la pertinence d'optimiser l'utilisation, de faciliter l'application des lois. Toutes les choses comme ça, c'est difficile d'être contre ça. Mais il y a toujours – nous avons soulevé ça, ce matin – le test de la nécessité: Est-ce que c'est vraiment nécessaire? Est-ce qu'il y a d'autres moyens pour arriver aux mêmes fins sans nécessairement faire les grands couplages, et tout ça?

Parce que, moi, quand je regarde, si on continue un petit peu plus loin, à la page 6, vous avez la même conscience, si je peux dire, entre une autre fin louable que la personne qui veut frauder notre système d'assurance-maladie, qui arrive ici pour payer ses factures médicales mais qui demeure dans le Sud sept ou huit mois par année, ou quelque chose comme ça. Comme ça, elle se déclare non-résidente mais... À la fin de ce paragraphe, on parle que «les renseignements recueillis doivent être nécessaires et n'être utilisés qu'aux fins prévues». Est-ce qu'on risque, au nom de l'efficacité, de laisser à côté à la fois le test de nécessité et la notion de consentement des citoyens dans l'utilisation des renseignements?

(14 h 40)

M. Breton (Guy): Nous n'allons pas aussi loin que ça dans notre constatation. Ce que nous avons constaté, c'est que, jusqu'à maintenant, les ministères, malgré l'effort qu'ils ont démontré à réaliser leur mandat, n'ont pas nécessairement été des plus efficaces pour justement empêcher soit la fraude ou identifier l'éligibilité des gens à certains services, ou encore réussir à percevoir les argents qui sont dus au gouvernement. Évidemment, il y a encore de la marge pour améliorer les façons de travailler actuelles. La solution ultime, c'est de profiter de la technologie, d'apparier des fichiers et de simplifier... sans dire qu'on va à la pêche, simplifier quand même la recherche en automatisant tout ce qui se ressemble.

Mais ce que nous avons dit dans notre rapport, au mois de mai et en décembre, et ce que nous essayons de dire ici également, c'est que, même si l'appariement est l'outil ultime pour être plus efficace, il va falloir accepter qu'il soit moins efficace ou moins ultime ou moins économique, en y imposant des contraintes pour respecter les concepts de la loi d'accès à l'information. Autrement dit, tout en ayant reconnu que, mécaniquement, on peut faire beaucoup avec l'appariement, il faudra restreindre l'appariement à des outils de contrôle pour la vie privée. C'est là qu'il y a un effort à faire et il va falloir reconnaître qu'il y a un prix à y mettre. Autrement dit, on n'aura pas l'efficacité parfaite, mais c'est le prix qu'il faut payer pour conserver la vie privée.

M. Kelley: Parce que je reviens... J'ai parlé de ça ce matin, mais, pour un policier, par exemple, on opère toujours avec le principe d'un doute raisonnable, avant vraiment de procéder pour une fraude ou quelque chose comme ça. Alors, je ne sais pas, si – et peut-être que techniquement ce n'est pas possible – à la Régie de l'assurance-maladie du Québec, on a un dossier avec quelqu'un qui réclame à maintes reprises des factures des hôpitaux en Floride, ou quelque chose qu'au moins on peut dire: J'ai un doute, j'ai un soupçon, maintenant je dis les factures à payer pour les visites chez le médecin à Miami, sept mois sur l'année. Alors, à ce moment, on peut procéder, peut-être faire les couplages ou fouiller un petit peu plus, parce que, au moins, nous avons allumé sur un fait troublant ou, au moins, qui a créé des soupçons ou un doute raisonnable. Moi, ma préférence, c'est toujours de garder cet esprit, au lieu de juste aller «at large» en disant: On va faire les couplages, on va regarder partout et voir qu'est-ce que ça va donner au niveau de l'identification des fraudeurs parmi nous.

M. Breton (Guy): Écoutez, oui, vous avez raison jusqu'à un certain point. Mais vous vous donniez l'exemple du policier. Le policier qui utilise un appareil de radar ne présume pas que tout le monde va trop vite, mais il a besoin de son outil quand même pour attraper ceux qui vont trop vite. Alors, on a un peu la même chose... Vous parlez de la Régie de l'assurance-maladie. La Régie ne s'en vante pas, parce que ça se fait, je dirais, dans la famille, mais, quand elle analyse le profil de pratique des médecins et qu'elle découvre que, dans telle région, on fait des amygdalites à tour de bras ou, dans telle autre, c'est, je ne sais pas, moi, la vésicule biliaire qu'on opère, ou que telle autre... Bon. Il y a certains médecins qui développent soit une pratique ou qui développent une tendance, puis la Régie de l'assurance-maladie analyse ces profils de pratique.

J'imagine qu'au niveau des hôpitaux il peut y avoir des profils de pratique qui se développent. On peut, comme ça, lorsqu'on met les appareils en marche, faire ressortir les anomalies qu'autrement on ne découvrirait que par hasard, parce que, humainement, on ne peut pas suffisamment comparer de dossiers pour voir sortir ce qui est propre. Donc, on ne peut pas s'éloigner de l'informatique pour, justement... comme outil. Entre utiliser l'outil ou le radar pour attraper ceux qu'il faut, ça ne veut pas dire qu'on veut condamner tous les autres, et c'est la même chose quand on fait un couplage.

Je conviens avec vous qu'un couplage à 100 % sur tous les sujets, au cas où on trouverait quelque chose d'intérêt, c'est aller à la pêche et ça manque peut-être de «fair play», mais aller faire un couplage en disant: Je cherche spécifiquement chez les assistés sociaux ceux qui possèdent des voitures de catégorie luxueuse, il y a peut-être quelque chose là qui, de toute façon, choque l'esprit, si ça existe, et ça mérite qu'on aille le voir. Autrement dit, les couplages qui ont un certain focus parce qu'on recherche des situations qui, par définition, si on les trouve, ne sont pas raisonnables, c'est normal de travailler comme ça. Faire un couplage pour savoir tous les types de voitures puis, une fois qu'on a la liste, tracer un trait en disant: Tous ceux qui ont plus gros que telle voiture, on les... il n'y a pas de «fair play» là-dedans et j'en conviens que ça va contre l'esprit de la loi.

Donc, ce sont des outils de travail et ce sont ceux qui les utilisent qui, à l'occasion, seront susceptibles d'abuser du système. Mais on ne peut pas non plus présumer qu'ils vont nécessairement abuser du système.

M. Kelley: Non, non. En tout cas, je comprends la distinction, mais il faut baliser ça comme il faut. Moi, je pense que la tendance, au nom de l'efficacité qui a, comme j'ai dit, une fin louable, on aura tous les jours la tentation d'aller trop loin.

Juste une autre question sur la page 4 de votre mémoire. On parlait, et moi encore, de l'extérieur, de la notion d'une exactitude accrue de nos listes, de nos fichiers, et tout ça. Je dois avouer que j'étais étonné un petit peu de voir encore une fois un chiffre de 6 %, soit les noms ou les adresses inexacts du fichier de la Régie de l'assurance-maladie du Québec, après des années de débat, de mettre les photographes... On a tout... Alors, ça, c'est juste vu de l'extérieur. Peut-être qu'il y a de bonnes raisons à l'intérieur. Mais est-ce qu'on peut avoir l'espoir d'une exactitude plus accrue que 94 % ou est-ce que, à cause de la complexité des vies des messieurs et mesdames de notre société qui déménagent et peut-être l'idée de mettre une adresse sur une carte d'identité, c'est trop ambitieux? Parce que les Québécois déménagent trop souvent, et ça, au niveau de la gestion, c'est trop difficile à gérer.

M. Breton (Guy): Je dirais que... D'abord, ma première crainte, c'est que, si celui de la Régie de l'assurance-maladie a 6 % d'erreurs, connaissant tout le soin qu'on prend à le préparer, tous les autres fichiers ont probablement plus de 6 % d'erreurs, puis ce n'est peut-être même pas les mêmes 6 % qui ne sont pas là, de sorte qu'on a, dépendant du fichier, une proportion de la population qui n'est pas à date du tout. C'est dans ce sens-là que d'avoir un processus centralisé pour l'adresse, tout au moins, au moins on aurait l'assurance que ce serait le même 6 % partout, on aurait déjà gagné quelque chose, dans ce sens-là.

M. Kelley: Je trouve ça peu rassurant, mais...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Breton (Guy): C'est mieux qu'avoir 6 % plus 6 %, puis peut-être avoir 50 % de la population qui, au total, est mal identifié dans l'ensemble des fichiers.

J'aimerais revenir sur le concept qu'on aborde ici de ce fichier central qui porterait un identifiant et peut-être l'adresse qui pourrait servir à tout le monde. Mais cet identifiant permettrait à quelqu'un de l'extérieur d'avoir accès seulement à ce fichier. Donc, s'il y a un organisme central qui gère ce fichier et qui, contrairement à ce qu'on disait ce matin, ne vend pas l'information, ça veut dire que les gens de l'extérieur n'auraient pas accès à ce qui se passe. Parce que, partant de là, c'est dans ce fichier qu'on retrouverait les numéros clés dans chacun... par exemple, à la RAMQ, au ministère du Revenu, pour le permis de conduire, à la Sécurité du revenu. Ce fichier contiendrait les clés pour aller ailleurs, mais ailleurs il n'y aurait pas autre chose que la clé centrale. Il n'y aurait pas, comme on trouve présentement, avoir le numéro d'assurance sociale, le numéro d'assurance-maladie, le permis de conduire, qui est répandu dans chaque fichier.

Chaque fichier aurait seulement le numéro de la clé centrale. Alors, quand il veut avoir un appariement, il est obligé de s'adresser à l'organisme central et dire: Avec le numéro central a, b, c, j'ai besoin que vous alliez me chercher l'équivalent de a, b, c aux Transports, puis a, b, c au Revenu, parce que j'ai besoin de faire certains travaux. Et là, ce que fait présentement la Commission, à savoir: Voici une demande, puis est-ce qu'elle est appropriée, puis je la laisse aller? Cet organisme, il a la clé. Alors, il juge que c'est approprié ou pas. Si c'est approprié, il permet de mettre en communication ou de préparer les deux fichiers, de les apparier et de les retourner en disant: Voici l'information pour tant de jours, et puis vous me le retournez ou, en tout cas, on s'assure que, passé telle date, vous ne l'utilisez plus. Mais personne n'est capable de se parler l'un et l'autre parce que personne n'a la clé du voisin. Il y a un seul organisme central qui a la clé, et cette clé-là, vu de l'extérieur, elle ne veut rien dire, elle ne donne accès à aucun fichier du gouvernement, sauf à ce fichier central. Et là, tout est autour de la sécurité et du respect qu'on donne à ce fichier. Bien sûr, n'importe quel nouveau gouvernement pourrait avoir d'autres ambitions avec ce fichier, ça peut toujours arriver. Mais tout tourne autour d'un organisme central, avec un numéro qui ne veut rien dire aux gens de l'extérieur, mais tous les numéros internes sont disparus de la face du monde parce qu'il n'y a plus ces cartes-là.

(14 h 50)

Nous, on y voit une possibilité de contrôler l'accès aux fichiers du gouvernement. Alors, là, les achats d'information, de l'extérieur, les gens ne connaissent pas les numéros, ils n'ont pas de carte non plus qui donne le papier. Il y a quelque chose, il y a une protection possible de ce côté-là.

M. Kelley: Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Oui. M. Breton, bonjour. Ce matin, M. Comeau nous disait qu'on avait déjà un certain nombre d'information, si on le voulait, avec le nom et la date de naissance. Dans votre mémoire, vous indiquez ici, à la page 5, que le NAS, numéro d'assurance sociale, peut servir de clé de recoupement, pour avoir une plus grande efficacité si on veut faire du recoupement. Donc, dans les faits, il y a déjà des cartes qui ne sont pas des cartes d'identité, mais qui servent, à la rigueur, au même usage. C'est ça?

M. Breton (Guy): Oui, exactement. Présentement, on l'a vu ce matin dans les exemples que donnait M. Comeau, certains organismes demandent les numéros d'identité de... les identifiants de tous les autres ministères pour l'avoir dans leur propre... de sorte qu'après ça ils peuvent directement, d'un ministère à l'autre, se parler puis échanger en utilisant la clé du voisin. C'est ça qu'il faudrait enlever de tous les fichiers gouvernementaux, pour les ramener à un fichier central. À partir de cet instant-là, ils ne pourraient plus se parler par eux-mêmes, il faudrait qu'ils viennent chercher le point de référence, le point d'appariement au fichier central qui, lui, serait sous contrôle, avec toutes les permissions possibles ou les demandes d'avis nécessaires avant de procéder. Et là, on obtiendrait à nouveau l'étanchéité et, d'autre part, la protection contre l'accès externe, parce qu'il y aurait seulement une clé centrale.

M. Gaulin: Je vois que vous insistez aussi beaucoup sur la vie privée, puis vous dites qu'il y a peut-être des choses qui ne valent pas le prix de la vie privée, si ce n'est pas efficace en plus. Et je pense en particulier que ce à quoi viserait une carte d'identité, ce serait de faire en sorte qu'en protégeant la vie privée, aussi, les droits du citoyen soient également protégés.

Vous, comme Vérificateur, vous êtes sensible à ça. Vous nous indiquez 1 300 000 000 $ d'impôts qui ne sont pas payés parce qu'ils transitent par le noir. Alors, vous dites, en particulier, qu'il n'y a peut-être pas de mécanisme qui pourrait nous permettre de savoir que quelqu'un est à la fois résident et non-résident. Est-ce que j'ai bien compris?

M. Breton (Guy): Bien, actuellement, il n'y a pas de mécanisme. Il faut donc coupler les fichiers de la Régie de l'assurance-maladie avec ceux du ministère du Revenu afin de voir si on utilise soit le numéro d'assurance sociale ou d'autres numéros, les passer côte à côte et, lorsqu'on trouve des dossiers, bien, voir, soit par l'adresse ou d'après le statut qui apparaît dans un fichier et dans l'autre, si c'est le même statut de résident ou de non-résident. Et c'est comme ça qu'on en découvre un certain nombre.

M. Gaulin: Et vous posez la question, à savoir: Quels seraient les facteurs si... à supposer qu'il y a une carte d'identité, qu'on devrait inclure dans ces... Les éléments qu'on pourrait inclure dans le... exigés pour une carte d'identité, est-ce que la résidence est un élément important?

M. Breton (Guy): Je dois vous dire que je n'ai ni fait la vérification de l'utilisation des autres cartes d'identité dans les autres pays ou... C'est un sujet qui, pour moi, est à être débattu et sur lequel je ne pourrais pas me prononcer en toute connaissance de cause. Mon opinion vaut la vôtre pour l'instant, mais elle n'est pas plus formée que ça.

M. Gaulin: C'est ça. Je n'ai pas tout à fait d'opinion, je vous pose des questions. Évidemment, ce matin, on laissait entendre qu'on n'avait peut-être pas besoin d'une carte d'identité parce qu'elle ne servirait pas aux citoyens auxquels elle est quand même destinée. Est-ce que vous pensez qu'éventuellement, vous, comme Vérificateur général, quand même, une carte d'identité pourrait être valable pour les citoyens, tout en protégeant leur vie privée?

M. Breton (Guy): Si je me rattache au début de votre phrase, «en tant que Vérificateur», moi, mon intérêt, s'il y a une carte d'identité, c'est qu'elle est gérée dans le respect de la loi qui l'a créée puis des règlements qui s'assurent qu'il n'y a pas d'abus, puis qu'il n'y a pas de manquement, et qu'il n'y a pas de gens qui viennent... que l'information ne se vend pas au noir, et des choses semblables. Moi, en tant que Vérificateur, je vais m'assurer que le mécanisme est respecté selon le texte de la loi. Qu'il y en ait une, qu'il n'y en ait pas, ce n'est pas dans mon mandat, comme tel, de me prononcer sur les besoins de la société en ce sens-là. C'est l'aspect mécanique de la chose une fois qu'elle existe, si elle doit exister.

M. Gaulin: D'ailleurs, je vous posais ça comme ceci, c'est que, du point de vue du député, par exemple, bien sûr, nous voulons assurer la protection de la vie privée et nous voulons qu'une carte d'identité serve aux citoyens aussi, aux citoyens dans l'interdépendance que nous avons des uns par rapport aux autres. S'il y a, je ne sais pas, moi, 1 300 000 000 $ d'impôts qui ne rentrent pas dans les coffres de l'État, il y a des inconvénients pour tous les citoyens et toutes les citoyennes aussi. D'ailleurs, le Code civil dit bien qu'on a droit au respect de la vie privée, mais on a le droit également à la réputation. Alors, est-ce que la réputation doit être faite de choses positives et négatives? J'imagine que oui. Une réputation est qualitative, c'est-à-dire qu'on s'expose à la perdre s'il y a des choses qu'on fait mal ou... et à l'améliorer s'il y a des choses qu'on fait bien.

J'avais l'air, sans vous poser de questions, de répondre quand même à une intervention que faisait, ce matin, le député d'Outremont, en disant que la carte d'identité ne servirait éventuellement que l'État, toujours dans la protection de la vie privée, mais elle sert, évidemment... Avant tout, si elle existe et si elle devait exister, du point de vue du législateur, elle devrait servir aux citoyens et aux citoyennes pour qu'il y ait une équité fiscale pour tout le monde, en particulier de votre point de vue.

M. Breton (Guy): Si vous me permettez une réflexion de simple citoyen... Pour que la carte soit utile entre citoyens, je pense qu'un simple numéro ou un simple identifiant ne serait pas utile si les simples citoyens n'ont pas accès au fichier central pour savoir de qui il s'agit. Donc, pour avoir un document qui est utile aux citoyens entre eux, ça oblige, au minimum, à peut-être donner l'adresse ou une référence quelconque, de sorte qu'on puisse distinguer une personne de l'autre. Le club vidéo qui a seulement un numéro sur une carte et qui, par une bonne gestion, est incapable d'acheter au noir qui est derrière cette carte, n'a pas de grande utilité avec une carte semblable. Mais une carte avec une adresse dont la qualité est assurée par le gouvernement, parce qu'elle est remise à jour assez rapidement ou habituellement, ça commence à avoir une valeur pour les échanges entre deux citoyens. C'est la distinction, quand vous m'avez demandé, tout à l'heure, si je pensais que l'adresse devrait être là. En tant que simple citoyen, je me dis: Bien, la logique voudrait que, si ça a une certaine utilité entre citoyens, il faut qu'il y ait quand même quelques renseignements utiles. Pour le gouvernement, un simple numéro pourrait être suffisant, dans la mesure où le gouvernement a accès à ce fichier central pour les fins administratives. C'est deux besoins différentes, donc peut-être deux niveaux d'information différents.

M. Gaulin: Oui, c'est un petit peu ce qui était supposé, ce matin, par M. Ouimet, de la Commission d'accès à l'information. Il nous disait: Une carte d'identité, pourquoi? Éventuellement, pour identifier. Éventuellement, en deuxième lieu, aussi pour ramasser un certain nombre de renseignements qui seraient les renseignements utiles et minimaux, dans la mesure où on veut toujours protéger davantage la vie privée. Puis, si on veut aller plus loin, bien, des renseignements qui permettraient un recoupement de données. Merci, monsieur.

Le Président (M. Garon): M. le député de D'Arcy-McGee.

(15 heures)

M. Bergman: M. le Vérificateur, vous avez parlé, dans votre mémoire, de la nécessité d'avoir un équilibre entre les besoins de l'État et la vie privée des citoyens. Vous avez aussi mentionné le fait qu'avec un guichet unique et un fichier central on a le couplage avec les autres fichiers. Sachant qu'il y a toujours un abus du système, mais sans la vente au marché noir, il y a toujours un abus du système et l'information est diffusée d'une manière quelconque, est-ce que vous pensez que le citoyen doit avoir un contrôle ou un droit de regard sur les fichiers qui s'appliquent à lui, pour avoir une vérification, de temps en temps, de ce qu'il y a dans son fichier et pour avoir une manière d'avoir de l'information reliée, donc, à son fichier, qui n'est pas applicable, ou qui était traitée, ou qui n'est, disons, pas à date, pour protéger la vie privée des citoyens? Car, à mon avis, les abus dont on a parlé ce matin ne sont pas acceptables dans notre société. On doit avoir un droit de regard sur ces abus. On doit essayer de les éliminer, mais ce n'est pas toujours possible. Alors, est-ce qu'on doit s'assurer que les citoyens ont un droit de regard sur leur fichier et un droit d'appel de quelque manière pour faire rayer de leur fichier des items non applicables ou qui sont vraiment confidentiels?

M. Breton (Guy): Les idées que vous exprimez me paraissent extrêmement intéressantes et elles font partie, je pense, des règles que justement le prochain texte de loi devra prévoir ou les prochains règlements devront prévoir. Si on est capable de demander à Équifax de nous donner copie de notre dossier de crédit à volonté – simplement à prendre un téléphone et donner un certain nombre de renseignements au téléphone, vous recevez votre dossier de crédit dans la semaine qui suit – à partir de l'instant où on centralise de l'information, où le citoyen réalise qu'il est sur huit ou 10 ou 15 fichiers au gouvernement, il va falloir un jour – et c'est peut-être le prix à payer pour assurer soit la confidentialité, ou le respect, ou la transparence – il faudra sans doute arriver à avoir un service qui ressemble au même qu'Équifax, à savoir que le citoyen qui veut savoir ce que le gouvernement contient sur son compte dans ses fichiers, qu'il puisse y avoir accès aussi librement qu'avec Équifax, à savoir aller au téléphone, donner son numéro d'identifiant et avec un code quelconque demander au système: Allez me chercher dans tous les fichiers du gouvernement mon dossier, veuillez me l'expédier par la poste. Je veux savoir ce que le gouvernement contient sur moi et, après ça, je demanderai des corrections si je pense que c'est faux. Ce serait la plus belle transparence, qui coûte, évidemment, des sous, mais qui peut être une garantie ou une assurance qu'on donne au citoyen qu'il a la chance d'aller vérifier à volonté ce que le gouvernement fait avec son information. Si on a forcé Équifax à le faire, je ne vois pas pourquoi le gouvernement ne s'y assujettirait pas, s'il veut être vraiment transparent, même si ça coûte quelque chose. C'est dans ce sens-là que l'appariement, les fichiers centralisés, ça peut être très efficace, mais il y a des coûts. Un des coûts, ça peut être de donner cet accès à l'information, à la volonté du citoyen. C'est une idée intéressante, en autant que je suis concerné.

M. Bergman: Avec les cartes d'identité, est-ce qu'on est en train de bâtir une société qui est trop rigide? Ce matin, on a vu une caricature de citoyens qui attendaient en ligne pour avoir leur carte d'identifié avec les numéros. On voyait que les citoyens qui entraient dans le bureau avaient des expressions sur le visage. Les citoyens qui sortaient étaient très tristes et avaient seulement un numéro devant eux. Est-ce qu'on est en train de bâtir une société qui est rigide, qui est suspicieuse de notre gouvernement, qui se sent surveillée à cause du fait de peut-être encourager nos citoyens à maintenir un système secret à cause du fait qu'ils sont trop imposés par le gouvernement?

M. Breton (Guy): Bien, vous savez, j'aime beaucoup non pas la science-fiction, mais la technologie, les visions de certains chercheurs. On nous annonce que nous allons avoir littéralement chacun notre propre numéro de téléphone avec notre téléphone portable, qui va nous appeler peu importe où on est dans le monde. Ils vont nous rejoindre avec notre propre numéro de téléphone sur notre téléphone portable. C'est une question d'années – probablement pas, même, d'une dizaine d'années – et ça va être disponible. À partir de l'instant où, lorsque que vous venez au monde, vous avez votre téléphone avec votre numéro, on vous a identifié et on ne vous lâche plus. On peut vous appeler n'importe où, à moins que vous ne jetiez le téléphone à l'eau. Mais, dans cet esprit-là, le numéro unique – sans vouloir faire un parallèle – on le fait maintenant chez le vétérinaire avec nos chiens, pour ne pas les perdre. On leur met une capsule électronique entre la peau et les os et, quand on perd notre chien, bien, maintenant ils ont un lecteur et ils le passent sur le dos du chien et, s'il porte le bon numéro, c'est notre chien et, s'il ne porte pas le bon numéro, c'est le chien d'un autre. Mais on cherche à sauver la propriété de notre chien en mettant une capsule. Qui nous dit que, dans 25 ans, ils ne nous mettront pas une capsule, puis on va l'avoir, notre numéro unique? Ça ne fait pas mal, puis il est là. Fini pour la carte. Même plus besoin d'une carte. Il est dans le cou, ou quelque chose du genre.

Vous savez, quand on est rendu à tricoter des ordinateurs à même les vêtements, afin que ça ne se brise pas... Il y a eu un expert du MIT qui expliquait que... Ils ont mis l'ordinateur dans le talon de son soulier puis ils ont mis le clavier sur sa montre – puis il n'y a pas de fil entre les deux parce que le corps humain est capable de porter l'électricité – donc, il se sert de sa montre pour programmer son ordinateur. Mais sa remarque anecdotique, c'est que, quand vous allez dans un congrès puis que vous allez donner la main au voisin, nos deux ordinateurs vont s'échanger nos cartes de visite.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Breton (Guy): Mais, si vous avez une puce dans le courant, il va donner votre numéro en passant. Alors, ça évolue vite et, un jour, on va se retrouver là. Alors, la carte, c'est un numéro, c'est un mécanisme, mais... L'information est déjà là. Il y a huit fichiers qui contiennent à peu près tout le monde. Dès qu'on les met en parallèle, qu'on en met deux ou trois en parallèle, on est déjà capable de savoir beaucoup sur chacun. Tout ce qui ne se fait pas, actuellement, c'est qu'ils ne sont pas automatiquement en parallèle ou ils ne sont pas tous dans le même ordinateur. Mais toute l'information est là. C'est rien qu'une question de l'attacher ensemble pour savoir beaucoup.

Puis, si vous attachez ça avec l'ordinateur de Visa puis de... on va savoir où vous êtes allé. Puis, si vous travaillez sur Internet, bien, votre vie est en train de se raconter à la grandeur de l'Amérique, si ce n'est pas à la grandeur du monde. Chaque fois que vous ouvrez votre ordinateur... Les gens ont mis des petits programmes qui préviennent que vous êtes revenu sur le réseau puis que vous êtes prêt à recevoir de l'information, puis ils vous envoient de la publicité. Votre serveur Internet local peut prendre note de tout ce que vous utilisez. Il bâtit votre profil d'utilisateur d'Internet puis il le vend aux gens qui vont vous envoyer de la publicité, puis vous n'êtes pas capable d'empêcher ça. Ce n'est pas agréable, mais on est recoupés de partout dans notre vie. Alors, que le gouvernement le fasse officiellement, à la face des gens, puis qu'il leur donne des moyens de suivre ce qui se passe, c'est mieux que ça se fasse dans notre dos sans qu'on le sache. C'est au moins ça de gagné. Mais empêcher que ça se rende jusque-là? On peut peut-être l'empêcher pour cinq ans ou pour 10 ans, mais éventuellement on va y être.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Vous nous emmenez ça, M. Breton. C'est des choix de société. Vous savez, c'est des luttes politiques qui vont faire que vous allez avoir un ordinateur dans l'oreille ou que vous n'en aurez pas. Il n'y a rien de fatal là-dedans. La technologie ne nous surdétermine pas là-dessus. Le problème, c'est que, la démocratie étant de plus en plus refroidie, on va peut-être en arriver à des scénarios concentrationnaires de ce genre-là, quoi.

Mais, moi, je vous écoutais parler, tantôt, de la capacité qu'a l'État non seulement de faire des séries de fréquence, mais de décider qui sont les assistés sociaux, ceux qui ont les voitures de luxe, par le recours au couplage des fichiers. Si l'État peut faire ça... Évidemment, ici, on se trouve dans un contexte un peu particulier: celui du contrôle de la fraude. Il y a peut-être d'autres moyens plus coûteux pour l'État de contrôler la fraude. Mais, si l'État est capable de décider, de savoir qui, des assistés sociaux, a une voiture de luxe, pourquoi l'État ne serait-il pas capable de savoir qui, des citoyens ordinaires, a fait une dépression nerveuse, utilise des antidépresseurs? Tu sais, c'est quoi? Est-ce qu'il y a des...

Même ça, cette question de la lutte à la fraude par le recours au découplage des fichiers, ça me paraît, moi, une question sur laquelle on peut se poser des questions, on peut s'interroger moralement sur ces... Comme vous le disiez tantôt, du point de vue de l'efficacité, c'est sûr que c'est efficace. Mais la question, c'est, disons: Quels sont... Pour revenir à la question que vous posiez sur la protection de la vie privée, là, quels sont les dispositifs... à quels dispositifs pouvons-nous avoir recours pour empêcher les dérapages de ce genre-là?

(15 h 10)

M. Breton (Guy): Bien, c'est là qu'est toute l'utilité de votre commission actuellement, où on peut débattre, où tous les gens qui vont venir ici vont en débattre, et c'est là qu'il va falloir vraiment arriver, avant de laisser se mettre en place un tel mécanisme. Mais je fais un parallèle avec les enquêteurs policiers. Nos enquêteurs policiers, en Amérique ou au Québec, ont une façon de travailler où ils pourraient être beaucoup plus efficaces, mais ils seraient en dehors des règles sociales qu'on leur permet d'exercer pour être efficaces. Il y a eu des régimes autoritaires qui avaient des policiers beaucoup plus efficaces pour faire parler les gens, mais on n'en veut pas, de ça. On s'est donné des règles, on a établi un Code civil, on a un code judiciaire, on a une formation qu'on leur a donnée, puis il y a une éthique. Bon, bien, c'est la même chose quand on traite d'information, il va falloir se donner un code d'éthique qui dit: Bien, ceux qui abusent de ce code sont aussi fautifs que celui qui abuse d'un individu en l'interrogeant. Ça va être une question de niveau social, de niveau moral qu'on veut se donner. Mais comment les définir, ces règles-là? Je pense que, heureusement, une commission comme celle qui se tient présentement doit déjà aborder ou commencer à penser à ça. Ce n'est pas au moment où il y a un texte de loi sur la table qu'il faut commencer à parler du code d'éthique ou du niveau de l'éthique, parce que, là, il est presque trop tard. Il y a un débat qui est pratiquement politique, à dire: J'ai raison de passer la loi, vous n'avez pas raison d'empêcher de la passer. Les arguments ne sont plus les mêmes. Mais, aujourd'hui, il n'y a rien sur la table, sauf qu'on peut débattre justement quel est le niveau d'éthique qui devrait accompagner l'utilisation des mécanismes pour mettre en commun l'information, pour faciliter, pour respecter la... Donc, il y a déjà la loi d'accès. Cette loi d'accès doit sans doute être renforcée pour insister plus sur l'éthique, pour insister plus sur le respect.

Le Président (M. Garon): M. le député de Champlain.

M. Beaumier: Merci, M. le Président. M. Breton, je voudrais faire juste une démarche bien simple. En fait, vous êtes le Vérificateur général, donc vous devez – je ne veux pas réduire votre mandat, je ne le connais pas au complet – vous avez comme fonction de vérifier les livres du gouvernement, notamment, de ses ministères, pour s'assurer que les argents qui sont dépensés le sont à bonnes fins, le sont tel que prévu et le sont d'une façon efficace. Je crois bien résumer la fonction. À ce moment-là, pour la question de la carte d'identité, au moment où on se parle, pour que le gouvernement puisse atteindre sa bonne gestion, la meilleure des gestions possible, et que, vous, vous puissiez aussi, en même temps, vous assurer qu'effectivement c'est l'objectif que.. c'est la vérification que vous avez à faire, c'est votre mandat, on se posait, ce matin – je crois que c'était le député d'Outremont – à juste titre, d'ailleurs: Qui a besoin de la carte d'identité? Est-ce que, pour faire votre travail ou pour s'assurer que le gouvernement puisse, par ses ministères, en arriver à une gestion la plus efficace – je crois que c'est le terme le plus adéquat pour l'instant – a-t-on besoin d'une carte d'identité? Et je laisse de côté toute la question qu'il y a des fichiers, des mégafichiers, 130 fichiers, à ce que j'ai compris...

M. Breton (Guy): Oui, il y a 130 fichiers.

M. Beaumier: ...des mégas, 130 fichiers, huit mégafichiers... Je ne sais pas à quoi ça peut ressembler, et tout ça, là, mais ça a l'air déjà monstrueux en partant. Est-ce que le gouvernement ou l'État, dans la poursuite de sa gestion, a besoin d'une carte d'identité?

M. Breton (Guy): Il n'a pas besoin de carte d'identité comme telle. On a vu sur le graphique de ce matin, que M. Comeau nous a montré, l'exemple qu'ils avaient fait en 1988 avec le nombre de liens qui pouvaient s'établir, que, physiquement, on peut relier tous les 130 fichiers et leur faire dire, en fait, tout ce qu'ils contiennent pour être capable de tirer des conclusions. La mécanique est là et la capacité de l'utiliser, elle est là. Mais il y a, parallèlement à cette capacité, les principes d'accès à l'information, les principes de vie privée. Et, pour respecter ces concepts de vie privée, il faut mettre des barrières. La barrière qui, jusqu'à maintenant, a été utilisée, c'était la demande d'avis à la Commission, avis que le gouvernement pouvait renverser ou il pouvait aller outre à l'avis puis autoriser quand même, ou encore le ministère pouvait faire amender sa loi et automatiquement il venait de se libérer des contraintes de la Commission. Donc, d'une façon ponctuelle, il est possible de passer à côté de ce qui a été prévu par la loi d'accès.

Ce qu'on dit, c'est que, si on voulait renforcer cette loi ou l'application de cette loi, il y a peut-être un mécanisme qui consisterait à dire: Enlevons les clés communes qui sont dans chacun des fichiers, ramenons-les à un fichier central qui est le seul dépositaire et auquel on peut avoir accès seulement si les avis sont favorables, ou encore que le gouvernement l'impose. Mais là, on a centralisé les échanges à un seul endroit, où un seul possède toutes les clés.

Partant de là, on se dit: Pourquoi, si on veut parler de vie privée face aux citoyens, maintenant on ne donne pas une interface aux citoyens par rapport à ce simple fichier où tout se gère? Profitons-en pour l'information commune à tout le monde, la traiter là, une seule fois – ce qui serait un avantage pour le citoyen – et une gestion très serrée. Ça n'empêchera pas les échanges, sauf qu'on peut peut-être mieux les gérer ou mieux les voir passer.

M. Beaumier: Oui. J'avais bien compris tantôt aussi la problématique que vous soulevez puis qui existe, d'ailleurs, et la solution que vous proposez, je pense l'avoir bien saisie. Mais tout ça se fait indépendamment qu'il y ait la problématique d'une carte d'identité.

M. Breton (Guy): Vous avez raison. C'est un deuxième service que la carte.

M. Beaumier: Donc, c'est une problématique qui existe en soi, qui est encadrée par un certain nombre de lois – moi, j'en ai six ici, entre autres, là, il y en a peut-être d'autres – mais c'est indépendant de la... Le mandat que vous avez, la fonction qu'ont le ministère et son gouvernement peut atteindre ces choses-là sans la problématique de la carte d'identité, qui doit correspondre à une autre problématique que celle-là.

M. Breton (Guy): Oui.

M. Beaumier: C'est beau.

Le Président (M. Garon): Mais, si on parle d'éthique véritablement, est-ce que l'éthique, ça ne serait pas de démontrer qu'il y a des gens qui, légalement, ne paient pas d'impôts, qu'il y a des abris fiscaux considérables qui font que des milliardaires ne paient pas d'impôts, que des millionnaires ne paient pas d'impôts, alors qu'on essaie, par des moyens techniques, de pourchasser ceux qui gagnent 20 000 $, 30 000 $, 40 000 $, 50 000 $, au cas où il y aurait un montant qu'on aurait échappé? Et je pense que, si on parle d'éthique dans notre société, ça ne serait peut-être pas de se demander si M. Irving ne devrait pas payer de l'impôt comme tout le monde?

M. Breton (Guy): Bien, quand on parle d'éthique, évidemment, ça oblige à reprendre chacune de nos lois et chacune des décisions gouvernementales et à se poser la question en fonction de l'éthique. C'est bien sûr que, tel que vous l'exposez, on peut se dire: Est-ce que les grands propriétaires ont le droit d'utiliser toutes les mesures prévues pour éviter de payer immédiatement, avec l'excuse technique qu'ils réinvestissent dans le capital, ce qui permet d'assurer la pérennité de l'entreprise et, en conséquence, d'assurer des salaires qui, eux-mêmes, généreront des impôts, etc.?

Vous savez, la théorie qui a été mise sur la table, lorsqu'on a réussi à présenter cet article de loi qui leur a donné cette permission d'agir ainsi, il faut revenir sur chacun de ces dossiers et se poser la question: Est-ce encore pertinent de le faire? La justice sociale, c'est évidemment l'obligation que chacun se pose. Si on parle de la santé, c'est pour une raison d'éthique qu'on veut assainir les finances publiques, mais, au point de vue éthique, il y a certainement des gens qui souffrent physiquement un peu plus, ou il y a certainement des chômeurs techniques qui, tout en ayant leur salaire, sont assis chez eux à attendre l'occasion de travailler. L'éthique dans cette famille-là, ce n'est pas la même éthique que pour celui qui aura peut-être à payer des impôts moindres dans 15 ou 20 ans parce qu'on aura assaini les finances publiques. C'est très large, l'éthique, et ce n'est pas facile à traiter. Mais il me semble que, quand on parle de fichiers, il y a un minimum de respect, il y a un minimum d'honnêteté dans l'utilisation des fichiers, où on ne doit pas abuser du pouvoir de toute cette information qui est concentrée à un seul endroit pour aller plus loin que le strict nécessaire. C'est dans ce sens-là que j'utiliserais le mot «éthique».

Le Président (M. Garon): M. le député de Jacques-Cartier.

(15 h 20)

M. Kelley: Merci, M. le Président. Juste pour revenir à votre proposition d'un genre de numéro unique, uniquement pour donner accès à d'autres clés d'identité, comment est-ce que le législateur peut baliser ça comme il faut, que ça ne devienne pas, avec le temps, le numéro d'identité universel? Parce que, au départ, avec le numéro d'assurance sociale à Ottawa, on a dit que ça va être uniquement pour les fins des dossiers du gouvernement fédéral, mais, avec le temps, on a maintenant le NAS exigé. Même Hydro-Québec l'exige maintenant de ses clients. Alors, c'est loin du point de départ. Comment est-ce qu'on peut s'assurer que votre proposition demeure la seule fin pour ce numéro qu'on va mettre sur cette carte? Avec l'usage, le monde va commencer à dire: Le numéro est là de toute façon. Alors, on va commencer, surtout, peut-être, dans le secteur privé, à bâtir les profils de consommation des clients. J'aimerais savoir les films que M. Thériault va louer, alors je vais utiliser ce numéro pour bâtir un répertoire. La prochaine fois qu'il y aura un film français ou italien, je vois que M. Thériault adore ça, alors je vais envoyer les annonces publicitaires pour m'assurer qu'il vient louer...

Alors, comment est-ce qu'on peut faire ça? Et peut-être, en deuxième lieu... Vous avez toujours parlé sans identifier un organisme pour gérer tout ça. Est-ce que c'est faisable avec un organisme existant ou est-ce qu'il faut créer un nouvel organisme pour être le détenteur des clés?

M. Breton (Guy): Pour votre deuxième question, on ne s'est pas penché sur la technicalité de cet organisme central. J'aimerais bien également attirer votre attention sur le fait que ce n'est pas vraiment une proposition à laquelle je tiens. C'est un concept qu'on met sur la table parmi tous les autres concepts que vous allez entendre. Il est important que ce soit évident que ce n'est pas un concept qu'on défend, parce que, automatiquement, je me disqualifierais pour vérifier quoi que ce soit sur le sujet dans les 15 prochaines années. Peut-être que je serais insatisfait du fait que vous n'ayez pas suivi mon concept et qu'en conséquence je trouve toujours que ça ne convienne pas. Vous comprenez que, donc... Je mets le concept sur la table pour les fins de la discussion, mais c'est ça ou autre chose. Ça ne changera pas ma vue lorsque j'aurai à vérifier dans le futur. Donc, ce n'est pas mon produit, et je veux bien le dire clairement pour ne pas me disqualifier.

En ce qui concerne le numéro unique, l'identifiant unique, moi, j'ai de la difficulté à en voir un problème énorme parce que... On parle du numéro unique aujourd'hui, puis je vous ai dit, tantôt: D'ici cinq ans ou 10 ans, vous allez avoir votre numéro unique pour votre téléphone. Et là, tout le monde va demander ce numéro-là, de sorte qu'au moins ils vont être capables de vous parler, pour vous retrouver un jour. Évidemment, ce n'est pas le monde qui aura les moyens de s'en payer un, mais ça va devenir assez répandu pour que, éventuellement, ça le devienne. Il y a des numéros qui, sans être uniques... Il y a tellement de façons de vous retrouver. Qu'il y en ait un de plus ou que ça soit «le» numéro... On a déjà le numéro d'assurance sociale que tout le monde utilise. Qu'il y en ait un autre qui le remplace mais qui a plus de crédibilité parce que le gouvernement le gère de plus près, le gère mieux, simplifie la vie à tout le monde, j'ai de la difficulté à voir la chose.

Vous savez, on a vu, ce matin, Radio Shack qui voulait avoir de l'information même quand on paie au comptant. J'ai eu le même genre de problème avec Radio Shack et je refuse de donner toute information quand j'ai de l'argent en papier. On en a comme ça, partout, partout. Partout, les gens veulent savoir qui on est, notre numéro de téléphone, pour n'importe quelle raison, et, chaque fois qu'on dit non, ils tombent des nues. Vous allez chez Canadian Tire, puis vous êtes obligé de donner votre numéro. Si vous ne le donnez pas, ils ne font pas de querelle, mais... Tout le monde présume prendre votre numéro de téléphone. Alors, dans le temps de le dire, ils dressent des listes à partir de là, ils regroupent. Ou encore ils se basent sur votre code postal, à partir de votre adresse, et là ils vous classent et vous recevez de la publicité, que le voisin ne reçoit pas, parce que vous êtes dans tel quartier puis tel autre.

Vous savez, en 1976, j'ai travaillé pour le Vérificateur général du Canada. On faisait les allocations familiales. On avait trouvé le moyen de s'assurer que les allocations familiales étaient payées aux bonnes personnes. On a voulu comparer, faire un appariement de tous les codes postaux. On les aurait trouvés, les gens qui faisaient livrer trois, quatre chèques à la même adresse, ils auraient porté le même code postal. En principe, ils nous ont défendu de le faire. C'était dans le fichier. Ils nous ont défendu d'utiliser le fichier pour apparier les codes postaux afin de découvrir les gens qui fraudaient les allocations familiales. Ils ont dit: Non, ce n'est pas «fair play», il faut donner une chance au coureur. Façon de faire.

M. Kelley: Je comprends que ça va être un numéro qu'on donne à tout le monde. Les autres exemples que vous avez donnés... Moi, j'ai le choix, je n'ai pas besoin d'un téléphone cellulaire. Alors, j'abandonne, je ne veux rien savoir... Il y aura toujours les boîtes téléphoniques à 0,25 $, 1 $, etc. Je ne sais trop comment, mais j'aurai d'autres choix. Je peux aller à Radio Shack et je peux mettre 555-1212 comme mon numéro de téléphone, au bout de la ligne. Et le fait qu'on a une diversité des numéros, je peux m'identifier avec un numéro un jour, avec un autre numéro un autre jour, alors je suis plus difficile à retracer. Et j'ai le choix parmi les cartes: une carte Visa, une carte MasterCard, une carte American Express pour mes relations avec le secteur privé. Même avec mes relations avec le gouvernement, j'ai un certain choix de numéros à donner.

Alors, je peux, si je veux confondre le monde... Et je reviens toujours à ce numéro. Le moment qu'on a un numéro unique, c'est d'une valeur importante parce que tous les Québécois auront ce numéro. C'est quelque chose qu'on va mettre tout le monde sur le même pied d'égalité. Je ne sais pas. Je comprends qu'on peut, comme législateur, essayer de baliser ça comme il faut, que c'est uniquement pour l'accès aux autres clés, mais avec l'usage... J'ai les belles promesses qui ont été tenues au moment de la création du numéro d'assurance sociale et je regarde maintenant mes commettants qui m'appellent: Comment ça se fait, M. Kelley, qu'Hydro-Québec a exigé mon numéro d'assurance sociale? Ils n'aiment pas ça, mes commettants, et c'est loin de la fin pour laquelle nous avons créé le numéro d'assurance sociale, il y a 25 ans. Moi, je pense qu'il y aura une valeur extraordinaire du numéro unique. Même si ça ne donne accès à d'autres clés d'entrée dans les fichiers, et tout ça, il y aura une valeur certaine et je pense qu'il faut être vigilant.

M. Breton (Guy): J'en conviens avec vous.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Je reviens à l'exemple que vous donniez à partir des codes postaux. Est-ce que ça vous posait des problèmes d'éthique d'aller voir qui était fraudeur, si on vous en avait... pas donné l'ordre, mais si on vous avait laissé faire votre travail?

M. Breton (Guy): Si on avait fait le travail? Non, ça ne donnait pas un problème d'éthique. Je trouvais que l'éthique, c'était de s'assurer que les gens n'abusent pas du système parce que, justement, la main gauche ignore ce que fait la main droite. Quand il y a tellement de dossiers puis que la même personne prend plusieurs noms... Par le code postal, on découvrait qu'à la même adresse il y avait trop de familles pour une seule adresse, ça ne se pouvait pas, il y avait quelque chose qui se passait. Autrement dit, ça nous aurait indiqué qu'il y avait nécessité, pour le ministère qui gérait ce service, de faire certaines recherches à l'occasion, d'être attentif.

Comme on a découvert, quand on a vérifié le ministère du Revenu puis qu'on a fait des recoupements, on a fait la preuve que, quand on comparait des fichiers, on trouvait de l'information sur des points très précis, et on s'est dit: Pourquoi le ministère ne se pose pas cette question-là? Pourquoi ne se donne-t-il pas les outils? Ça a eu pour effet qu'il se les a donnés, les outils. Mais ce qu'on dit, c'est que, si tous les ministères se donnent des outils, chacun son tour quand il en a besoin, on va se retrouver avec un éventail d'outils qui, lorsqu'on les regarde globalement, ont détruit le concept d'accès à l'information d'une façon contrôlée. Alors, il est grand temps d'arrêter de donner des permissions ad hoc et puis de déterminer, en tout cas pour les prochaines années, comment on va procéder.

M. Gaulin: Parce que c'est ça, il faut regarder le problème de près parce que les mêmes citoyens qui veulent qu'on protège leur vie privée, et j'en suis... Moi-même, je suis un citoyen qui veut que sa vie privée soit protégée, en même temps que je suis un législateur. Les mêmes citoyens veulent que tout le monde paie ses impôts. J'imagine que c'est un idéal. Parce que, s'il y en a qui n'en paient pas, il y en a qui en paient plus, y compris les gens qui sont riches, comme le disait le député de Lévis et président. Et le même citoyen, il veut que tout aille vite aussi.

On veut à la fois bénéficier des avantages d'une civilisation de l'information sans en avoir les inconvénients, puis, ça aussi, il y a des choses qui sont conciliables, il y en a d'autres qui ne le sont pas nécessairement.

M. Breton (Guy): Vous avez raison.

M. Gaulin: Parce que, à la rigueur, si on ne veut pas de carte d'information, on a encore toujours le choix d'aller vivre en pleine forêt, comme squatter, à la rigueur, parce que ça a l'air d'être un idéal pour certaines personnes.

M. Breton (Guy): Vous avez raison que chacun voudrait bien que son voisin soit très, très honnête envers le gouvernement.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gaulin: Et vice versa. Alors, merci. Ça va.

(15 h 30)

Le Président (M. Garon): Il y a des gens qui pensent que, si le gouvernement était aussi moral envers les citoyens, peut-être qu'il générerait plus de moralité. Parce que, autrefois, on disait: L'État est le plus fort des nôtres pour nous aider. Il y en a plusieurs qui pensent aujourd'hui que l'État est le plus fort des nôtres pour nous maganer. Les gens n'ont pas la même approche par rapport à l'État aujourd'hui qu'il y a 20 ans. Moi, je vais vous dire que, quand vous allez dans les bureaux de comté, vous voyez des gens de CSST qui voient tout l'appareil qui est là pour leur faire croire qu'ils ne sont pas malades, alors qu'ils ont eu un accident et qu'ils ont de la misère à bouger, et on essaie de leur prouver que, s'ils n'avaient pas eu cet accident-là, peut-être bien qu'ils auraient eu la même affaire. Moi, j'ai vu des affaires... Ça n'a pas de bon sens qu'un appareil d'État pourchasse un citoyen comme ça qui a payé ses assurances. Maintenant, c'est à son tour à collecter parce qu'il a payé ses assurances. Alors, moi, des fois, je me demande si c'est les citoyens qui sont amoraux ou si ce n'est pas l'État qui est amoral. Je me pose la question. Je parle dans sa bureaucratie, dans sa machinerie aveugle. Je pense que c'est bien plus le citoyen qui est en danger que l'État lui-même.

M. Breton (Guy): On peut voir, en tout cas, que le rôle du Protecteur du citoyen est utile.

Le Président (M. Garon): Ah oui, moi, je n'en reviens pas, le nombre de cas qui gagnent avec le Protecteur du citoyen. J'en réfère beaucoup, moi, comme député, et il y a beaucoup de citoyens gagnent, puis souvent. Évidemment, les êtres humains sont des êtres humains, mais le citoyen qui est un pauvre diable, qui est sur l'aide sociale, qui va voir un bureaucrate qui déteste les gens sur l'aide sociale, qu'est-ce que vous voulez, il y en a qui passent au cash. Les numéros ne disent pas ça, mais la machine humaine est encore comme ça. Alors, ils ont besoin d'organismes aussi qui... Moi, je pense qu'il faut aussi penser au citoyen qui, lui, est un peu – je ne dirais pas comme l'espèce en voie d'extinction – mal pris devant les machines tentaculaires qu'on met sur sa route pour essayer de le traquer de toutes les façons.

On ne pourra pas se demander aujourd'hui... Moi, ça m'est arrivé, je vais vous conter un cas. Quand j'étais au ministère de l'Agriculture, à un moment donné, il y a eu 2 000 cas de fraude – et je vais vous dire pourquoi – parce qu'on donnait une subvention sur un pourcentage de la valeur d'un silo. Alors, les gens augmentaient un peu le prix du silo et ils donnaient une ristourne à la fin de l'année de sorte que le pourcentage de la subvention était plus élevé parce qu'il était sur la valeur du silo, qui était plus élevée à l'achat. À la fin ...les organismes qui donnent les ristournes à la fin de l'année, alors c'étaient des bonnes gens, mais ils avaient trouvé un système de faire quelques piastres. Alors, on s'est demandé: Est-ce qu'on a une bonne façon de subventionner? On peut charger, faire ça d'une façon objective. On a changé notre façon et on a dit: Ça va être tant du mètre cube. On n'a jamais eu de problèmes après ça parce qu'on avait trouvé une façon absolue. Nos gens allaient mesurer les mètres cubes et ils disaient: C'est tant. Disons que c'était 100 $ du mètre cube. Là, on avait trouvé un système.

Est-ce qu'on ne pourrait pas, face à l'impôt, trouver des méthodes qui vont qui vont être beaucoup plus objectives que le système qu'on a actuellement? Les gens le disent, abandonnons des abris fiscaux. On a beaucoup d'abris fiscaux. Est-ce qu'ils sont tous nécessaires? Il y en a d'autres qui pensent à d'autres systèmes de taxation qui feraient en sorte que personne ne pourrait passer au travers puis que tout le monde paierait, les milliardaires comme les millionnaires ou les gens qui gagnent 20 000 $ par année. Mais, aujourd'hui, le gars qui gagne 20 000 $, il n'engage pas de comptable. Celui qui gagne 1 000 000 $ engage un comptable et il lui dit: Trouve-moi la manière pour que je n'en paie pas d'impôt. Puis les rapports annuels qui sortent chaque année démontrent que ce sont habituellement ceux qui gagnent 1 000 000 $ et plus par année qui paient le moins d'impôts au gouvernement. Il me semble que l'État devrait s'organiser pour poigner ces gens-là. Hein?

M. Gaulin: Dans la mesure où les gens utilisent des moyens légaux, c'est difficile pour le gouvernement de les poigner, comme vous dites.

Le Président (M. Garon): C'est parce que le gouvernement les met, les moyens légaux dans la loi.

M. Gaulin: Oui, mais il faut les enlever justement. Il faut s'arranger pour que tout le monde paie.

Le Président (M. Garon): Puis il sait qu'ils vont être utilisés. Quand les gens les ont trop utilisés, là, il bouche les trous, mais, souvent, quand il les met, il sait qu'il y a un trou puis il sait que les gens vont l'utiliser. C'est quand il est trop utilisé, le moyen, que le trou est bouché. Alors, je ne voudrais pas faire une trop longue digression, mais je remercie le Vérificateur général de sa contribution aux travaux. Nous aurons l'occasion de le revoir à la fin des travaux parce qu'il y aura d'autres témoignages.

Et, pour faire le point avec les gens de la commission, je vais inviter maintenant le Barreau du Québec. J'ai ici, comme noms, Me Marc Sauvé – non, M. Marc Sauvé. Bien, ça doit être Me...

M. Sauvé (Marc): Oui.

Le Président (M. Garon): ...Marc Sauvé – Me Édith Deleury et Me Raymond Doray à s'approcher de la table.

Alors, nous avons une heure ensemble, c'est-à-dire normalement 20 minutes pour votre exposé, 20 minutes pour les députés, chacun, pour les deux groupes parlementaires. Si vous prenez plus que 20 minutes, bien, ils auront moins de temps pour vous poser des questions, discuter avec vous. Si vous en prenez moins, ils auront plus de temps pour vous poser des questions. À vous la parole.


Barreau du Québec

M. Sauvé (Marc): Alors, M. le Président, Mmes, MM. les députés, permettez-moi d'abord de me présenter. Mon nom, c'est Me Marc Sauvé. Je suis avocat au Service de la législation, au Barreau du Québec et, pour la délégation du Barreau, je suis accompagné, à ma gauche, de Me Raymond Doray, qui est un avocat spécialisé dans les questions de vie privée et d'accès à l'information, et, à ma droite, de Me Edith Deleury, professeure à la Faculté de droit de l'Université Laval.

Alors, dans un premier temps, je dois vous dire que le Barreau est heureux de pouvoir faire part aux membres de la commission de la culture de l'Assemblée nationale de ses préoccupations et des ses observations concernant la question des cartes d'identité en regard de la protection de la vie privée. L'intervention du Barreau doit être interprétée à la lumière de son mandat de protection du public. La consultation porte notamment sur les préoccupations soulevées récemment par la Commission d'accès à l'information, le Protecteur du citoyen et le Vérificateur général. Dans un communiqué publié le 16 décembre dernier, les membres de la commission de la culture ont invoqué diverses questions qui, à leurs yeux, doivent faire l'objet d'un débat de société. Notamment, parmi ces questions, il y avait: Faut-il permettre les échanges de données entre les ministères et organismes gouvernementaux? Quels ajustements doit-on apporter à l'encadrement réglementaire afin de protéger la vie protégée des citoyens? Alors, ces questions, évidemment, débordent largement la problématique des cartes d'identité et touchent notamment la problématique des échanges de données nominatives entre les organismes et ministères gouvernementaux.

Il faut avouer que le débat public sur la question des cartes d'identité en regard de la vie privée n'est pas très avancé au Québec. On peut cependant se consoler en constatant que la réflexion n'est pas très avancée ailleurs non plus à ce sujet. L'exercice de consultations publiques auquel la commission de la culture nous convie constitue une initiative utile, de nature à sensibiliser la population aux enjeux qui entourent notamment l'instauration de nouvelles technologies d'identification et est susceptible de faire avancer le débat sur cette question. Alors, après avoir abordé succinctement les enjeux entourant l'instauration de la nouvelle carte d'identité pour la vie privée des citoyens et citoyennes, nous entendons souligner les lacunes de la législation actuelle. Nous proposons par ailleurs un mécanisme d'évaluation des impacts qui s'apparente à celui qui s'applique en matière environnementale.

(15 h 40)

Alors, plusieurs auteurs ou organismes privés ou publics rapportent les difficultés fréquentes en ce qui concerne les moyens actuels d'identification. Par ailleurs, dans un contexte de rationalisation budgétaire et de limitation du fardeau fiscal, une forte pression s'exerce sur les organismes publics afin qu'ils identifient correctement les bénéficiaires de services et de biens et qu'ils limitent les cas de fraude. Alors, on peut comprendre que l'instauration d'une carte universelle faciliterait l'établissement par l'État d'un service direct aux citoyens via l'inforoute et l'Internet. Il s'agirait en somme d'une carte multiservices.

Or, le Barreau est déjà intervenu sur la question des cartes d'identité universelles. On se souvient, en 1971, c'est le ministre de la Justice de l'époque, Jérôme Choquette, qui, dans le cadre de son livre blanc intitulé Loi sur la police et la sécurité des citoyens , avait invoqué cette problématique sans en faire vraiment une recommandation ferme. Le Barreau s'était prononcé à l'époque et avait manifesté ses inquiétudes à l'égard d'une carte d'identité universelle. On craignait en somme que cette carte ne devienne une entrave pour la libre circulation et la mobilité des citoyens et aussi qu'elle mène à des excès. Il faut comprendre que cette prise de position a été faite dans un contexte d'agitation sociale assez difficile de l'époque et aussi il faut reconnaître que la technologie d'aujourd'hui peut apporter une meilleure protection pour la vie privée des citoyens.

Plus près de nous, en 1992, sur la carte-soleil, en 1979, sur le registre des électeurs, le Barreau a aussi manifesté certaines inquiétudes. Le Barreau soulignait que, dans de très nombreux cas, les renseignements personnels concernant les citoyens sont fichés à leur insu pour des fins qu'ils ignorent sans qu'ils en soient postérieurement informés et sans qu'ils puissent donc s'y objecter efficacement. Alors, la multiplication de données personnelles détenues dans le secteur privé et public était susceptible et est susceptible pour le Barreau de brimer ou de porter atteinte à la vie privée des citoyens. En somme, nous tenions à manifester des craintes concernant la perte de contrôle des citoyens sur les renseignements personnels qui les concernent.

Alors, le Barreau du Québec, dont le mandat est de protéger le public, ne peut évidemment pas servir de caution dans la promotion d'une nouvelle technologie d'identification ou dans l'instauration d'une carte d'identité universelle ou d'une carte multiservices. Nous croyons que ce sont les promoteurs de ces technologies, qu'ils soient du secteur privé ou du secteur public, qui doivent faire la preuve des besoins à combler et démontrer que les solutions qu'ils proposent protègent adéquatement la vie privée des citoyens. Alors, nous allons proposer – mon confrère Raymond Doray va en parler un peu plus tard – un modèle d'audience publique et d'étude d'impact qui s'apparente à ce qui se fait en matière environnementale.

À ce sujet, je dois quand même vous souligner un objet d'étonnement et de surprise. Ce matin, en regardant Le Devoir , on peut lire à la page 1: «Québec met la dernière main à son projet de carte de citoyen.» On peut s'étonner de ça compte tenu du fait que le processus de réflexion publique sur les cartes d'identité en général vient à peine de commencer. Alors, si un projet précis existe et qu'il est sur la table, c'est évidemment sur ce projet-là qu'on devrait être consulté. Mais, si la décision est déjà prise, on peut se demander à quoi sert la consultation à toutes fins pratiques.

Alors, sans plus tarder, je passe maintenant la parole à Me Deleury sur la question des enjeux.

Mme Deleury (Edith): Merci. Le problème que soulève l'instauration d'une carte d'identité universelle, d'une carte multiservices comme on se propose, semble-t-il, de mettre sur pied, c'est, bien sûr, celui des appréhensions que cela soulève pour le maintien de l'équilibre entre les pouvoirs dans les sociétés démocratiques et plus particulièrement, bien sûr, de l'impact que ça pourrait avoir sur les rapports entre les citoyens et l'État, parce que qui dit information, plus particulièrement information informatisée, dit pouvoir sur son objet, donc sur l'individu concerné par cette information.

Le danger réside plus particulièrement dans la possibilité pour l'administration de tracer le profil d'un individu, pour ne pas dire, finalement, de façonner sa personnalité à des fins décisionnelles, de le surveiller aussi à partir des traces que laisse l'utilisation de sa carte dans la mémoire informatisée d'un registre central. Ceci tendrait à substituer à l'opacité des particuliers à l'égard de l'administration publique une transparence qui met en cause directement le droit au respect de la vie privée qui est un droit fondamental, qui est une valeur, en fait, dans nos sociétés démocratiques, qui est garantie par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec formellement et qui trouve également sa protection sous l'article 8 de la Charte canadienne.

Ces appréhensions naissent surtout du fait que la mise en commun de l'ensemble des fichiers automatisés d'informations nominatives de l'administration viendrait non pas apporter des limites au droit au respect lui-même de la vie privée, mais mettrait en cause le droit lui-même. Et le droit au respect de la vie privée ne se limite pas, si vous voulez, à strictement la sphère de liberté personnelle, c'est-à-dire le droit de l'individu à l'anonymat, le droit de l'individu à la solitude. C'est aussi le droit de l'individu à contrôler l'information que détiennent l'administration publique et les tiers à son sujet et c'est aussi, plus largement, la question des libertés, du droit à l'autodétermination, des libertés individuelles. Et, à ce sujet, il y a également un autre élément qu'il faudrait prendre en considération. C'est non seulement le danger de la concentration de cette information et de l'utilisation qui pourrait en être faite par l'administration publique, c'est aussi le danger pour la divulgation de la vie privée, car les informations qui sont ainsi stockées peuvent également être détournées des fins pour lesquelles elles ont été rassemblées. Et on peut penser, à ce sujet, à la convoitise que pourrait susciter l'instauration d'une telle carte et l'utilisation qui pourrait en être faite de façon détournée dans le secteur privé. On peut penser plus particulièrement à cette utilisation dans le cadre des relations employés-employeurs et, bien sûr, on peut penser aux relations entre commerçants et consommateurs.

En d'autres termes, au niveau des enjeux, ce que le Barreau craint, c'est que l'instauration d'une carte universelle n'enserre l'individu dans une forme de contrôle social généralisé qui ne corresponde pas, en fait, à une idée préconçue, mais qui risque de trouver sa justification dans sa propre existence, menace qui tiendrait moins, si vous voulez, à l'encadrement organisé qu'à une diffusion molle de l'information et du contrôle de cette information et de la surveillance informatisée qui risque d'étouffer les libertés dans une sorte de gigantesque toile d'araignée dont on perdrait le contrôle. En d'autres termes, ce qu'on veut mettre en relief dans ce deuxième volet, c'est la difficulté de contrôler l'accès, d'une part, à l'information, la difficulté, également, de contrôler la transmission des informations personnelles, la difficulté, également, d'éviter les risques d'erreur et les répercussions, bien sûr, que cette erreur pourrait avoir.

Ceci nous amène également à poser la question, avant, si vous voulez, de penser à l'instauration d'une carte multiservices, de l'identification des besoins, car la démonstration, jusqu'à présent, n'a pas été faite. Or, il nous semble que, de façon empirique, il faudrait préalablement, avant de songer à l'instauration et à la mise sur pied d'un tel système, à identifier quels sont les besoins réels. Et il importe donc qu'une telle étude soit faite avant, effectivement, qu'on ne parle d'implantation. Le fardeau de la preuve, quant à nous, compte tenu des enjeux précédemment soulevés, appartient aux organismes ou à ceux qui veulent imposer une carte d'identité. Il est donc important de connaître, en fait, les effets que pourrait avoir l'instauration d'une telle carte sur les rapports entre l'individu et les citoyens, sur les rapports également que le citoyen entretient avec les organismes du secteur privé et les effets pervers, si vous voulez, que pourrait avoir l'utilisation d'une telle carte dans le secteur public sur le secteur privé.

(15 h 50)

En ce sens, nous pensons que certaines études devraient êtes faites de façon empirique et que, plus particulièrement également, on pourrait peut-être tirer profit de l'expérience européenne tout en faisant attention, cependant, à la transposition des expériences compte tenu du fait que le contexte n'est pas tout à fait le même, même si dans ces pays, finalement, certains connaissent déjà, en fait, la carte d'identité universelle, certains sur une base facultative par ailleurs. Bon. Mais ne se pose pas ici le même type de problèmes. Bon, on a le problème du contrôle des frontières dans les pays européens et de la migration. On a aussi un contexte qui est différent du point de vue des valeurs qui sont privilégiées, les libertés individuelles étant privilégiées ici, en Amérique du Nord.

Néanmoins, si, en fait, on considère par ailleurs les arguments qui sont avancés en faveur de l'instauration d'un tel système, le premier réside dans le phénomène de la fraude, et on peut penser aussi ici à l'effet pervers que pourrait avoir l'instauration d'une telle carte. Il pourrait s'instaurer un marché noir, et un marché noir qui serait d'autant plus rentable compte tenu de la concentration des informations qu'on pourrait avoir sur cette carte. D'autre part, il nous semble qu'on a peut-être nous-mêmes, en quelque sorte, favorisé l'émergence d'un problème, et on pense ici à certains moyens d'identification qui existent actuellement et dont les citoyens se servent: on pense, bien sûr, à l'utilisation du permis de conduire; on pense à l'utilisation de la carte d'assurance-maladie; on pense à l'utilisation d'une carte de citoyenneté du Québec et d'un certificat de naissance plastifié; on pense également à l'utilisation du numéro d'assurance sociale, utilisation à l'égard de laquelle les citoyens ont des craintes parce que, effectivement, il peut constituer, ce numéro d'assurance sociale, un code d'accès aux banques de données des organismes publics, ce que certains autres moyens d'identification ne permettent pas.

Mais ce qui est quand même étonnant, c'est de voir qu'en fait on interdit l'utilisation de certains de ces moyens d'identification – on pense notamment au permis de conduire et à la carte d'assurance-maladie – dans les lois, en fait, constitutives, puisqu'on limite leur utilisation uniquement aux fins pour lesquelles elles ont été constituées. Mais je vous ferais remarquer que, pour entrer ici, je me suis servie de ma carte d'assurance-maladie pour pouvoir m'identifier. Donc, je m'en suis servi à des fins pour lesquelles, effectivement, son utilisation n'est pas permise, pour vous démontrer que, effectivement, il y a des moyens d'identification qui sont utilisés et dont l'effet pervers pourrait être moindre, compte tenu de l'information qui est contenue sur la carte d'assurance-maladie, que celle de l'instauration d'une carte multiservices où on aurait des informations multiples, puisque la concentration d'informations dont j'ai parlé tout à l'heure ferait que, si, pour certains organismes, telle information est suffisante, pour tel autre, telle information, par contre, doit être plus large, et la concentration de tout ça fait évidemment une information multiple.

Donc, je pense qu'il y a à réfléchir, d'une part, sur l'émergence d'un problème au niveau de l'identification qu'on a peut-être nous-mêmes créé – et je pense que ça mérite une réflexion – qu'il y a également à réfléchir sur, en fait, les besoins pour lesquels on entend instaurer un tel système et, si besoin il y a, dans un deuxième temps, sur la nécessité également de faire en sorte que les moyens utilisés soient proportionnels au but recherché et surtout qu'ils enfreignent le moins possible – puisqu'on touche ici aux libertés fondamentales – le droit au respect de la vie privée des individus.

Donc, il y a deux éléments clés qui nous apparaissent ici être, si vous voulez, à la charge des organismes, qui doivent faire la démonstration de ce besoin d'identification et, s'il existe, des moyens qui seront mis en oeuvre pour assurer la sécurité des individus. Je pense que, à ce sujet, Me Raymond Doray aurait quelques éléments, je pense, à mettre en exergue concernant justement les faiblesses, d'une part, de la législation actuelle en matière de protection de la vie privée et peut-être les moyens qui pourraient être mis en oeuvre pour identifier les problèmes s'ils existent, d'une part, et pour, d'autre part, permettre, si ces problèmes existent, de mettre en place des mécanismes qui soient sécuritaires et qui assurent une certaine imperméabilité, une certaine étanchéité et qui permettent le respect de la vie privée. Je lui cède donc la parole.

M. Doray (Raymond): Merci, Me Deleury. M. le Président, MM. les députés, vous aurez compris, en lisant le mémoire du Barreau du Québec et en écoutant les propos des représentants qui sont ici aujourd'hui, que le Barreau a une certaine difficulté, pour ne pas dire réticence, à se prononcer sur le bien-fondé ou l'opportunité d'une carte d'identité en l'absence d'un contexte factuel. Il nous semble que la question qui nous est posée est un peu trop théorique pour que le Barreau, qui a une mission de protection du public, puisse s'avancer au-delà de l'énonciation de certains principes. D'aucuns feront valoir devant cette commission ou devant d'autres tribunes qu'il n'y a pas de véritable danger à instaurer au Québec une carte d'identité universelle, multiservices, de citoyen, ou qu'on lui donne un nouveau nom, dans la mesure où il existe déjà un cadre juridique suffisamment étanche pour empêcher les violations de la vie privée et assurer corollairement le respect de la protection des renseignements personnels. Le Barreau tient à faire valoir aux membres de cette commission qu'il a des doutes à cet égard et que l'analyse qu'il fait des lois existantes lui permet de penser que le cadre législatif existant n'est pas adapté et n'est pas suffisant pour conférer aux Québécois et aux Québécoises la protection et le respect de la vie privée auxquels ils ont droit et que toute initiative en faveur de l'instauration d'une carte d'identité devrait à tout le moins être accompagnée de garanties législatives et de mesures très spécifiques, et c'est essentiellement le but des propos que j'aurai dans les prochaines minutes.

C'est vrai qu'il y a la Charte québécoise des droits qui reconnaît le droit à la vie privée, que, dans le nouveau Code civil du Québec, qui est entré en vigueur en 1994, on a réitéré le droit de chaque citoyen à sa vie privée, mais, dans le Code civil, il apparaît très clairement que le droit à la vie privée est un droit relatif. Ce n'est pas un droit absolu, et c'est une bonne chose qu'il en soit ainsi. Cependant, dans le Code civil, qui nous donne des exemples de violation de la vie privée, à l'article 36 notamment, rien ne nous permet de conclure que la surveillance des citoyens par le biais d'une carte d'identité constituerait une violation de la vie privée ou que certaines formes d'utilisation de la carte d'identité pourraient porter atteinte à la vie privée des individus. Il y a donc là effectivement une carence dans notre législation. D'autre part, aux termes du Code civil du Québec, l'État, le gouvernement est considéré comme une seule et même personne. Il n'y a pas, dans le Code civil du Québec, cette notion d'organisme public que l'on retrouve dans la loi sur l'accès du secteur public, si tant est que cette règle de base qui veut que les renseignements personnels ne puissent circuler, on ne la retrouve pas dans le Code civil du Québec.

Pour ce qui est des lois sur l'accès, plus particulièrement la loi sur l'accès du secteur public, adoptée en 1982 et entrée en vigueur en 1984 et la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, il faut rappeler que, justement, ce que ces lois-là ont créé ou modifié, c'est de démanteler. C'est un démantèlement de l'État auquel on a procédé en statuant dans la loi de 1982 visant le secteur public que chaque organisme public devait être une entité séparée, cloisonnée qui recueillait exclusivement ou qui était habilitée à recueillir exclusivement les renseignements personnels dont elle avait non seulement besoin, mais qui lui étaient nécessaires et qu'elle ne pouvait pas les communiquer à d'autres organismes publics ou à des tiers sans le consentement de la personne concernée.

La même logique se retrouve dans la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé qui veut que les entreprises du secteur privé recueillent des renseignements personnels pour les fins de leurs besoins et qu'elles ne puissent pas les échanger avec d'autres entreprises et encore moins détourner les finalités d'origine à moins d'avoir le consentement de la personne concernée.

(16 heures)

Or, dans ce projet, qui n'en est pas un, de carte d'identité, il semble y avoir au-dessus de nos têtes un projet qui, malheureusement, ne se retrouve pas sur la table. Il y a le germe d'une remise en question de ce principe, de cette pierre d'assise de la réforme de 1982 complétée en 1993-1994, c'est de permettre que, par le biais d'un numéro unique, les organismes publics puissent s'échanger des renseignements personnels. Et, si ce numéro unique sert à des fins d'identification dans le secteur privé, c'est même la possibilité que ce cloisonnement soit remis en question dans les rapports privé, public, secteur public, secteur privé ou inversement, et c'est une inquiétude, je pense, que le législateur doit regarder de près. Et, s'il décidait éventuellement d'aller de l'avant avec un projet de carte d'identité, des garanties devraient être offertes aux citoyens que les principes de base de la réforme de 1982 seront respectés et que cette carte ne sera pas le cheval de Troie, finalement, que l'on amène dans le domaine de la protection des renseignements personnels pour remettre en question les principes de base. Et je pense que les membres de cette commission, s'ils ne l'ont déjà fait, ont tout intérêt à relire le rapport de la commission Paré, la commission d'étude sur l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels de 1980, qui, justement, fait une très bonne analyse de cette nécessité de cloisonner les organismes de l'État. Et je me permets de le souligner, puisque j'avais eu le privilège d'être le conseiller juridique de la commission Paré en 1980 et je pense que c'est l'héritage premier que l'on doit garder de cette réflexion que l'Assemblée nationale avait commandée à un certain nombre d'experts et de personnes indépendantes.

Quand je dis que des garanties devraient accompagner tout projet – et je fais évidemment miens les propos de Me Deleury à savoir que la preuve et le fardeau de la preuve incombent à ceux qui sont les promoteurs ou seront les promoteurs d'une carte d'identité – ces garanties, c'est qu'il y aura donc maintien du cloisonnement entre les organismes publics, et une carte d'identité, avec certaines technologies, pourrait permettre le maintien de ce cloisonnement; cloisonnement entre le secteur privé et le secteur public de façon à ce que le numéro d'identification universel de cette carte d'identité, s'il en a un, ne serve pas ou ne favorise pas la communication de renseignements du secteur public vers le secteur privé et inversement; maintien du principe de finalité, à savoir que les citoyens doivent, dès le départ, avant même qu'on recueille des renseignements à leur sujet, savoir à quoi serviront ces renseignements et qu'en cours de route on ne change pas les règles du jeu; interdiction des usages dérogatoires comme le profilage des individus, question qui n'est pas abordée par nos lois au moment où on se parle, si ce n'est que de façon très indirecte; interdiction des contrôles policiers.

Je mentionnais tout à l'heure que les lois actuelles ne sont vraisemblablement pas le bouclier ou la barricade suffisante pour permettre d'adopter dès demain des mesures administratives permettant l'instauration d'une carte d'identité, je vous donne quelques exemples. Dans la loi actuelle sur l'accès du secteur public, il y a une exception à la règle de confidentialité des renseignements personnels qui permet aux corps policiers de transcender la règle de confidentialité des renseignements personnels et d'obtenir ou d'échanger des renseignements personnels avec tout organisme public. Eh bien, si l'on maintient une telle exception dans un contexte où il y aurait une carte d'identité universelle des Québécois, ça veut donc dire qu'on a là tous les éléments permettant aux policiers d'utiliser cette carte pour suivre les citoyens, leurs comportements, leurs allées et venues. Donc, il y a déjà un problème dans les lois, tel qu'on les retrouve à l'heure actuelle.

Il y a aussi de nombreuses exceptions dans la loi du secteur public à la règle du cloisonnement qui était cette pierre d'assise recommandée par la commission Paré, mais, au fil du temps, on a ajouté dans la loi de nombreuses exceptions permettant aux organismes publics de s'échanger des renseignements personnels soit quand c'est nécessaire à l'application de la loi ou quand cela est nécessaire pour les fins des attributions de l'organisme qui reçoit les renseignements. Ce sont des concepts qui, à l'usage, se révèlent difficiles d'application. Il y a un problème de contrôle a priori. À l'heure actuelle, la loi est essentiellement basée sur le contrôle a posteriori de la Commission d'accès à l'information qui n'a malheureusement pas toujours les moyens de mettre en oeuvre de tels contrôles. D'autre part, il y a eu de nombreuses dérogations statutaires qui ont été effectuées plus souvent qu'autrement à l'occasion de révision des lois sectorielles, si tant est qu'aujourd'hui c'est assez difficile pour les citoyens de s'y retrouver, et l'impact de ces exceptions, dans un contexte où une carte d'identité universelle serait instaurée, n'est certainement pas évalué au moment où on se parle.

Le principe de finalité dans la loi d'accès du secteur public, on le retrouve à l'article 72, mais ce principe est mis de côté pour toutes les exceptions permettant la communication de renseignements personnels entre organismes publics. Donc, la loi du Québec, il est faux de dire qu'elle est basée sur le principe de la finalité étant donné que les exceptions sont si nombreuses au moment où on se parle que, dans la plupart des cas, les organismes publics n'ont pas à se justifier ou à indiquer aux citoyens quels seront les usages de deuxième niveau ou de troisième niveau qui seront faits des renseignements personnels qu'ils ont confiés à l'État. C'était d'ailleurs dans cette perspective-là que le Barreau, vous vous en souviendrez, avait fait des représentations au sujet du projet de loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu pour s'assurer que les citoyens soient informés, et, d'ailleurs, l'Assemblée nationale a approuvé cette recommandation du Barreau, et, dans la loi actuelle sur le ministère du Revenu, on prévoit que les citoyens seront informés des différents usages qui pourront être faits des renseignements. Mais ce n'est pas une règle qui s'applique à l'ensemble des organismes publics pour les raisons que j'ai mentionnées tout à l'heure.

Pour ce qui est des recours des citoyens enfin, il faut reconnaître non pas que l'organisme spécialisé ne fait pas bien sa tâche – ce n'est pas le point du Barreau – mais que le régime actuel ne favorise pas ou ne facilite pas pour les citoyens la possibilité de saisir la Commission d'accès à l'information de problématiques, je dirais, systémiques. Le pouvoir d'intervention ou la juridiction de la Commission d'accès à l'information se limite à enquêter sur des violations très ponctuelles de la vie privée, enquêtes qu'elle fait et qui débouchent souvent sur des recommandations, mais la Commission n'est pas équipée pour étudier des problématiques d'ensemble telles que la carte d'identité.

Je termine simplement sur cette recommandation que le Barreau soumet aux membres de cette commission, à savoir que toute initiative, toute réforme dans le domaine de la carte d'identité devrait être précédée d'une évaluation des impacts selon les règles de l'art. Et vous trouverez dans le document qui vous est soumis, justement, une adaptation des règles de l'art qui ont été utilisées, éprouvées et même consacrées, dans une certaine mesure, dans certaines lois en matière d'environnement, adaptation qui est faite au domaine des nouvelles technologies. Il nous semble que, étant donné l'impact très lourd pour l'ensemble des citoyens d'une telle réforme ou d'une telle décision, il serait essentiel qu'elle soit soumise à un processus d'évaluation des impacts et d'audiences publiques, mais un véritable processus face à un projet concret et non seulement sur des principes. Face à un projet qui n'a pas encore été adopté et qu'on n'a pas décidé de mettre en oeuvre, mais qui a simplement été défini pour les fins d'une consultation: Que le fardeau de la preuve incombe aux promoteurs quant à la nécessité d'une telle réforme et des moyens choisis qui devraient être proportionnels et tenir compte le plus possible du respect de la vie privée ou, autrement dit, où les dangers pour la vie privée sont réduits à leur minimum. Que l'information soit disponible pour les citoyens au moment des audiences publiques, incluant des études d'impact indépendantes. Que les citoyens aient le moyen de questionner les promoteurs – et ça semble fondamental – et de remettre en question l'étude d'impact d'une nouvelle technologie et que les mécanismes d'évaluation soient présidés par des personnes indépendantes.

(16 h 10)

Alors, c'est essentiellement les recommandations du Barreau qui, vous le comprendrez, s'inquiète du fait qu'une réforme de cette ampleur puisse modifier substantiellement les rapports entre les citoyens et l'État, d'une part, les rapports des citoyens entre eux, des citoyens avec les entreprises, et, dans ce contexte-là, il nous semble que la plus grande vigilance serait opportune. Je vous remercie.

Le Président (M. Gaulin): Alors, je vous remercie, messieurs dames. Vous avez utilisé 35 minutes. Il nous en reste 25 que nous allons répartir équitablement. Mme la députée de Rimouski.

Mme Charest: Merci, M. le Président. Merci aux personnes qui sont venues présenter pour le Barreau: Mes Sauvé, Doray et Deleury. Je vous écoutais et je lisais votre mémoire, et il me semble qu'il faudrait qu'on revienne sur certaines choses, parce que vous parlez à la fois d'une carte d'identité et d'une carte multiservices ou, enfin, d'une carte universelle, et je vous réfère au glossaire des définitions de termes que la Commission d'accès à l'information nous a fourni, et il me semble qu'il faudrait que, dans le débat qui a cours, on s'attarde vraiment... Lorsqu'on parle de carte d'identité, ce n'est pas du tout la même chose qu'une carte multiservices, et la différence est, je dirais, directement liée aux finalités pour lesquelles on veut utiliser ces cartes-là. Et la carte d'identité, c'est vrai que c'est un document officiel émis par une instance gouvernementale, là, mais qui atteste strictement de l'identité d'une personne. Et, à ce stade-ci de nos travaux, je me dis que ça, ce n'est pas nécessairement tragique de pouvoir dire: Oui, cette personne-là, c'est bien Solange Charest, domiciliée à Rimouski, bon, même députée. Mais il me semble que ça, c'est une chose, alors que, quand on parle d'une carte multiservices, si je me réfère à la définition, c'est une carte à puce, donc informatisée, qui permet de communiquer directement puis de faire des échanges avec différentes instances à la fois gouvernementales, et on pourrait même aller dans le privé. Je veux dire, ce n'est pas limité aux organismes gouvernementaux, ça peut aussi servir dans le domaine privé.

Et je pense que là-dessus, c'est autre chose. Et, quand on fait le débat ou, en tout cas, qu'on réfléchit, il me semble qu'il faudrait qu'on ait la précaution de distinguer ces deux types de cartes là. Et j'avais le sentiment qu'il n'y avait pas beaucoup de distinctions entre carte d'identité et carte multiservices dans votre mémoire, et ça m'agace un peu parce que je suis tout à fait d'avis, comme vous, d'ailleurs, je pense, pour le lire entre vos lignes, que la carte multiservices renferme beaucoup de pièges pour le citoyen, parce qu'on ne sait jamais à quel moment quelqu'un utilise des numéros d'identification qui sont propres aux cartes multiservices pour obtenir des renseignements sur vous et quel type de renseignements on utilise. Est-ce que c'est pour savoir mon profil médical? Est-ce que j'ai déjà été malade dans la vie? Est-ce que j'ai eu la rubéole quand j'étais jeune? Et est-ce que, présentement, j'utilise du Prozac ou du lithium? En tout cas, je caricature, mais on ne sait jamais quel type de renseignements et à quel moment ce type de renseignements là est demandé sur un individu avec une carte multiservices, alors qu'une carte d'identité, il me semble que, étant beaucoup plus limitée en termes d'utilisation, il y a moins de risques potentiels de dérapage ou de perversité dans l'utilisation comme telle. Et, là-dessus, j'aimerais ça vous entendre par rapport aux deux types de cartes qui, d'après moi, n'ont pas du tout... En tout cas, il me semble qu'on n'aurait pas du tout les mêmes impacts à utiliser une carte d'identité versus une carte multiservices.

Moi, une carte d'identité, au départ, je n'ai pas une opinion irrémédiablement fondée, mais il me semble que ce n'est pas si dangereux que ça, alors qu'une carte multiservices, j'y suis très, très réticente. Et même, en tout cas, il faudrait qu'on m'assure de beaucoup de précautions pour éviter que ce qui est présentement en train de se mettre en place, ne serait-ce que par rapport à l'autoroute de l'information... Vous n'êtes pas sans savoir que le marché du détail est beaucoup modifié parce que je peux, aujourd'hui, commander au Japon un produit quelconque, et, pour ça, on va me demander en échange des renseignements, ou ma carte de crédit, ou enfin un numéro d'identification qui est quelque chose qui se réfère beaucoup plus à une multiservices qu'à strictement une carte qui sert à m'identifier comme individu. Alors, je ne sais pas si vous comprenez bien ce que je voudrais qu'on fasse comme débat aussi, parce que c'est deux choses, il m'apparaît, la carte multiservices et la carte d'identité.

Le Président (M. Gaulin): Me Doray.

M. Doray (Raymond): Mme la députée, je partage entièrement votre point de vue, à savoir qu'il y a une distinction à faire entre les deux types de cartes. Je soumets que, en dépit du fait que la Commission ait pris la peine de nous mettre un petit glossaire en annexe, son document parle des deux. Il parle de la carte d'identité et il parle de la carte multiservices. D'autre part, il faut bien, je pense, se rendre compte que les deux types d'outils posent des problèmes relativement à la vie privée. La carte à microprocesseur peut peut-être poser plus de problèmes dans la mesure où elle contient plus d'informations sensibles, mais la carte à microprocesseur, en raison de la technologie ou des technologies existantes, peut offrir, à l'inverse, une protection de l'information que n'offre pas la simple carte d'identité sur laquelle les informations sont inscrites et sont lisibles par toute personne.

Donc, autant la carte d'identité que la carte multiservices peuvent servir à des fins de contrôle non désiré par la police ou par le secteur privé sur les individus. Si votre carte d'identité – et je parle de la carte d'identité au sens strict que vous avez vous-même rappelée tout à l'heure – contient un numéro unique personnalisé, elle peut évidemment servir de lien avec des banques de données, si tant est qu'en bout de piste les risques pour la vie privée commencent à se ressembler énormément, et c'est peut-être en raison, j'allais dire, du niveau du mémoire du Barreau qui a voulu simplement se prononcer sur des principes et surtout sur une méthode d'approche que devraient suivre le gouvernement et le législateur advenant le cas où une décision serait prise que nous avons parlé des deux types de cartes de manière peut-être un peu confuse ou jointe, mais je suis d'accord avec vous qu'il y a certaines distinctions qui peuvent être faites quant au niveau d'atteinte à la vie privée de l'une et de l'autre, au niveau de la sensibilité des informations, surtout, de la carte multiservices, mais néanmoins, au niveau des principes, et c'est à ce niveau-là, d'ailleurs, que se place le Barreau, il y a dans ces deux outils-là une possibilité de contrôle des citoyens, possibilité d'atteinte à la vie privée et une réflexion qui doit être faite à l'égard de nos lois existantes. Ça ne veut pas dire que le Barreau – et je pense que c'est important de le dire – est contre une carte d'identité ou contre une carte multiservices. Le Barreau fait simplement dire: Écoutez, nous, on veut simplement réagir à un projet concret. On ne peut pas simplement se prononcer sur un principe, alors que les modalités peuvent être à ce point dangereuses que le principe que l'on aurait approuvé serait lui-même remis en question.

Mme Charest: Je pense qu'on est tous d'accord pour dire – ou, en tout cas, grosso modo – que la carte en elle-même, le principe peut être acceptable, mais que c'est toujours les modalités qui font le jour et la nuit avec si, oui, on est d'accord ou si, non, on ne l'est pas. Ceci étant dit, je voulais revenir sur toute la question du fait qu'on est dans un contexte où on parle de mondialisation des marchés et où le dieu économie prime partout et a préséance sur beaucoup d'autres éléments de la vie courante. Et, aujourd'hui, on n'est plus dans une économie, comment je dirais, de l'argent, mais on est dans une économie du savoir, et la force des individus et des pays, tout ça, va reposer sur cette économie-là. Et, avec l'arrivée des technologies de l'information qui sont déjà toutes en place – les réseaux sont déjà là, la quincaillerie des télécommunications est déjà en place et très fortement structurée – je suis en train de me poser la question puis je me permets de réfléchir tout haut: Est-ce qu'une carte d'identité ou une carte multiservices, dans le fond, ça changerait quelque chose à ce qu'on connaît présentement dans le développement des réseaux de communication planétaires auxquels on fait face? Parce que, vous savez, à partir du Québec on peut régir certaines choses parce que nos lois, nos valeurs, nos principes nous disent que ce n'est pas accepté et acceptable de permettre, je ne sais pas moi, la diffusion de messages pornographiques infantiles sur les systèmes, alors que, dans d'autres pays, ils s'en foutent comme de l'an quarante, et on ne peut pas légiférer ici, parce que, bon, on légifère sur notre territoire, mais on ne légifère pas sur des frontières à l'extérieur.

(16 h 20)

Et, dans un contexte de ce type-là, dans un contexte de communication universelle, je me demande jusqu'où la carte multiservices, même si elle est plus appropriée – en tout cas, disons ça pour l'instant, entre guillemets – apparaîtrait peut-être plus appropriée parce qu'elle donnerait plus de balises ou, en tout cas, pourrait susciter plus de sécurité qu'une simple carte d'identité. Est-ce que ce serait suffisant, ces balises-là, pour protéger encore le principe de la vie privée des individus et éviter qu'on se retrouve dans un système policier? Le système policier, ce n'est pas seulement les gouvernements qui peuvent l'instaurer par l'entremise des organisations d'État que sont la police, le système judiciaire, juridique, et tout ça. Ça peut être aussi par la fameuse entreprise privée avec ses dogmes et ses pratiques, parce que l'entreprise privée, présentement, peut très bien placer le profil d'un consommateur, hein? Vous allez à l'épicerie, vous avez acheté plus de légumes que de fruits, donc vous êtes – enfin, je fais des grosses images – végétarien, vous n'avez pas acheté de viande. Enfin... Et, si on vous suit sur six mois, on va décréter que chez vous, c'est tel type d'alimentation plutôt que tel autre. Alors, ceci étant dit, avec tous ces éléments-là, je me pose la question: Comment l'absence ou la présence d'une carte peut assurer la protection de la vie privée compte tenu du contexte global dans lequel on est?

Mme Deleury (Edith): J'aurais peut-être une première réaction, Mme la députée de Rimouski, par rapport à la carte d'identité. Je ne vois pas en quoi ça changerait quoi que ce soit parce que, en fait, la carte d'identité telle que vous la présentez, ce serait une sorte de passeport intérieur, et c'est là que ça pose problème. Et ça me ramène par rapport à la question que vous aviez soulevée tout à l'heure – pour compléter l'intervention de Me Doray – à la question du besoin. On a beau parler de carte d'identité, mais encore faut-il dire: Pourquoi a-t-on besoin d'une carte d'identité? Est-ce que les moyens d'identification que nous possédons actuellement, finalement, ne sont pas mieux que l'utilisation d'un seul document? La possibilité d'avoir le choix du moyen de s'identifier, c'est peut-être, dans une société démocratique, je pense, un privilège qu'il faudrait maintenir et qui est garant, justement, des libertés individuelles.

Par rapport à la question plus particulière des échanges internationaux, je ne pense pas que, effectivement, la carte d'identité puisse changer quoi que ce soit. Par rapport à l'établissement d'une carte multiservices, il y a deux volets qu'il faudrait peut-être regarder justement: les informations qui sont contenues à des fins d'utilisation pour l'administration publique et les informations qui pourraient être utilisées dans le secteur privé. Là-dessus, je pense que Me Doray pourrait effectivement ajouter des informations.

M. Doray (Raymond): Écoutez, ce qui, peut-être, doit être mentionné, c'est que la carte multiservices, il n'y a rien qui empêche qu'elle serve de carte d'identité. C'est d'ailleurs là où les deux problématiques se rejoignent, et, dans un monde où on ne veut pas multiplier, dans nos porte-monnaie, le nombre de cartes, il est vraisemblable que c'est vers ça que la technologie nous guide, de manière à ce que cette carte puisse nous permettre de s'identifier, mais qu'elle ait une puce qui serve à des fins particulières et détienne de l'information.

Il y a avantages et problèmes, si vous permettez. Un des problèmes qui semble être soulevé dans la population ou est source de préoccupation, c'est que les moyens d'identité conçus pour le secteur public servent dans le secteur privé à défaut d'autre chose, et ça, cette inquiétude-là, elle est véritablement réelle, puisque les sondages démontrent que les citoyens sont très réticents et mal à l'aise au fait que, par le vide de cartes d'identité dans le secteur privé, on leur impose de s'identifier pour un prêt à la banque ou pour quelque service dans le secteur privé avec une carte d'assurance-maladie, un permis de conduire ou un numéro d'assurance sociale, alors qu'ils savent que ces documents-là ont comme raison d'être leur rapport avec l'État. À l'inverse, on a un problème si des numéros d'identification conçus pour le secteur privé servent à des contrôles policiers. Alors, dans une certaine mesure, un des noeuds de la problématique, c'est peut-être qu'il faut distinguer les besoins du secteur privé et les besoins du secteur public. Le Barreau ne se prononce pas là-dessus, mais il semble y avoir un véritable problème, d'autant plus que, comme le mentionnait Me Deleury un peu plus tôt, il y a des dispositions législatives, notamment dans la Loi sur l'assurance-maladie et dans le cas de la sécurité routière, qui interdisent d'exiger. Elles n'interdisent pas de demander le permis de conduire ou le numéro d'assurance-maladie dans le secteur privé, mais elles interdisent de l'exiger, ce qui rend la situation assez confuse, merci.

Donc, vous avez raison, je pense, de dire que l'existence de l'Internet, de la possibilité de faire du commerce, des échanges à l'échelle de la planète requiert une forme d'identification. Et on pourrait même aller plus loin. On pourrait dire que, si on veut assurer la vie privée des citoyens, quelque part, il faut leur permettre de s'identifier pour valider que l'information qu'ils donnent à l'État, ou au secteur privé, ou qui leur est retournée par l'État ou le secteur privé soit destinée à la bonne personne dont on a une certaine garantie de l'identification. Parce qu'il peut y avoir plus de danger pour la vie privée si quelqu'un est mal identifié, dans une certaine mesure, que si quelqu'un est, comme tel, obligé d'avoir à sa disposition un moyen de prouver son identité. Et ça, je pense qu'il ne faut pas mettre sa tête dans le sable, la vie privée, c'est aussi quelque chose qui se protège avec l'identité. L'identité ou l'identification n'est pas un mal en soi, et, dans cette mesure-là, je pense que votre préoccupation est très juste. Mais est-ce que cela n'impose pas, au moment du choix de l'outil d'identification, de mettre en place des garanties, à tout le moins, et de se poser la question si un seul moyen d'identification est la solution ou non, ou si ça n'est pas la voie pavée vers un contrôle centralisé?

Le Président (M. Garon): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci, M. le Président. Merci pour le mémoire du Barreau. Moi aussi, je partage vos préoccupations. On ne sait pas, une carte d'identité, il n'y a aucune précision sur ce que le gouvernement entend faire ou ce qu'il veut dire par une carte d'identité, une carte multiservices. On a quelques coupures de presse prises un petit peu partout, mais on n'a rien de concret sur la table. Alors, c'est évident qu'on est ici pour essayer d'établir certains principes, certaines préoccupations. Moi, j'ai beaucoup aimé l'insistance sur le besoin. Je pense que, avant tout, il faut se questionner si on a besoin de tout ça. On peut lancer un grand bateau étatique pour identifier tout le monde, mais est-ce que c'est vraiment nécessaire? Est-ce que c'est quelque chose dont on a besoin?

Et, juste pour revenir sur un de vos commentaires, Me Doray, dès qu'une carte a un numéro unique, peu importe si c'est une carte multiservices, une carte uniquement d'identité, ou de citoyenneté, ou quelque chose comme ça, est-ce que c'est possible de baliser l'utilisation comme législateur ou, tôt ou tard, la valeur de ça... Parce que c'est incroyable, on donne un numéro unique à chaque personne au Québec pour les fins du secteur privé, pour les fins de gestion de l'État. Tôt ou tard, ce numéro va gagner davantage une énorme valeur. Est-ce que c'est quelque chose qu'on peut freiner ou c'est incontournable?

M. Doray (Raymond): Voulez-vous répondre, Me Deleury?

(16 h 30)

Mme Deleury (Edith): C'est quelque chose qui m'apparaît, en fait, pour le moment, difficile à contrôler. Le problème, c'est effectivement le numéro, ce qu'on appelle le guichet unique. En fait, il faudrait distinguer le numéro d'identification de la carte de l'identification de l'individu, en d'autres termes. Techniquement, c'est possible, mais tout le problème que vous soulevez, c'est le mouvement d'entraînement que ça va provoquer. Et je pense que, à partir du moment où on ouvre la porte, le danger est là. Je pense que c'est souligné aussi dans le mémoire, cette distinction entre le numéro d'identification de l'individu, la différence qu'on doit faire entre le numéro de la carte et l'identification de l'individu, qui devraient être deux choses différentes. Mais la question, effectivement, reste ouverte.

M. Doray (Raymond): Si vous permettez, le Barreau ne s'est pas prononcé sur cette question-là, et je pense que vous risquez d'avoir autant de points de vue qu'il y a de membres du Barreau. Ça en fait beaucoup, croyez-moi. Et il y a en a probablement 10 à toutes les minutes qui s'écoulent, de plus. Mais, si ce n'est pas par le biais d'un numéro d'identification – et je me permets de le souligner, là, purement à titre personnel et non au nom du Barreau – que l'on peut identifier un individu, par la force des choses on va chercher d'autres moyens de s'assurer de son identité, si ce n'est que pour ne pas violer, justement, les obligations que l'État ou même les entreprises privées ont à l'égard de la vie privée.

À ce moment-là, on va leur demander des informations supplémentaires que sont leur adresse, le nom de leur employeur, des références, qui sont toutes des formes d'intrusion dans la vie privée. Donc, à un moment donné, il y a un choix à faire et il s'agit de faire le choix qui est le moins susceptible de porter atteinte à la vie privée.

Même un numéro qui changerait à chaque fois que la carte est réémise offre peut-être plus de... j'allais dire de protection à l'égard de la vie privée, mais multiplie les fraudes possibles. Et c'est toujours une question de proportionnalité. Je pense que, là-dessus, c'est ce qui, je pense, selon nous, justifie amplement une étude d'impact véritable en fonction d'un projet concret.

M. Kelley: Oui, c'est ça. On est complètement sur la même longueur d'onde. Mais, dans le système existant, avec une certaine diversité des cartes, moi, si j'ai bien compris l'exigence à la porte, pour nos visiteurs, c'est de fournir quelque chose avec votre date de naissance. Alors, le choix demeure au citoyen: vous pouvez utiliser votre carte-soleil ou votre permis de conduire, ou peut-être que vous avez un autre document, ou la carte de naissance, et peut-être qu'ils vont accepter ça. Moi, j'ai protesté contre ça avec nos gardiens, à la porte des visiteurs, ici, à l'Assemblée nationale.

Mais, au moins, si on a une carte et qu'on exige toujours la même carte d'identité, ça devient plus facile de faire le couplage. Mais, si je me présente, une fois je peux utiliser ma carte-soleil; la prochaine fois, peut-être mon permis de conduire ou une autre pièce qu'ils vont accepter à la porte. Alors, au moins, avec une diversité, il y a une certaine sécurité, une certaine protection. Mais, s'il n'y a qu'une carte qu'on peut exiger, ça va... En tout cas, j'ai des craintes pour tout ça.

Mais, dans un autre ordre d'idées, à la page 8 de votre mémoire, vous avez soulevé un point que je trouve très important, sur l'impact des cartes sur les groupes démunis et les minorités. Moi, quand j'ai... On nous a donné une grosse découpure de presse qui a été préparée pour les membres de la commission par le ministère des Relations avec les citoyens, et j'ai regardé le débat autour des cartes d'identité en France et aux États-Unis – parce qu'il y a quelqu'un, ce matin, qui a soulevé certaines différences culturelles entre les pays anglo-saxons et les pays d'Europe, et tout ça...

Moi, je dois avouer que je ne suis pas très chaud sur ces genres d'analyses, mais on verra. Parce que, dans les deux cas, en France, il y avait énormément de problèmes d'excès de zèle dans l'émission de ces cartes pour les personnes nées hors France. Alors, pour les Algériens, pour les personnes qui viennent d'Afrique, c'est évident qu'il y avait des excès de zèle. L'impact de la carte nationale, en France, et l'émission de cette carte étaient plus durs sur les personnes qui venaient des minorités.

On a vu qu'aux États-Unis, surtout en Californie, le grand but recherché était d'avoir une carte pour vérifier que les immigrants du Mexique et des autres pays sont vraiment les immigrants reçus et pas les personnes qui travaillent au noir. Alors, on a vu, au coeur du débat, que c'était un impact beaucoup plus prononcé sur les minorités.

Même, encore en fin de semaine, peut-être que c'est un pur hasard, mais dans la gestion de notre liste électorale, qu'on voie les comtés où il faut contester les noms... Ce n'est pas un hasard. C'est la liste où il y a le plus grand nombre de comtés avec les noms de famille non francophones. C'est peut-être un pur hasard. Mais c'est quoi, vos expériences, ou qu'est-ce que vous amenez, apportez à notre attention, l'impact que peut avoir ce genre de banque de données sur les minorités dans notre société?

(Consultation)

M. Doray (Raymond): Écoutez, il me semble qu'une carte qui serait distribuée à tout le monde – et je parle à titre personnel puisque ça n'a pas été discuté par le Barreau, et je tiens à faire la distinction – sans que la personne n'ait à faire la preuve d'un statut en regard de l'immigration mais qui n'est qu'une carte qui lui permet de favoriser son identification dans ses rapports privés ne pose pas ce problème-là en autant qu'il soit interdit à la police de la réclamer aux gens qui circulent dans la rue ou même dans la mesure où il n'est pas obligatoire de la porter sur soi. Parce que, si vous avez une carte d'identité que vous gardez chez vous, à la maison, et que vous la sortez parce que vous avez besoin de vous identifier – vous savez que vous allez changer un chèque à la banque ou que vous allez poser un geste civil qui requiert une forme d'identification pour qu'on s'assure que vous êtes la bonne personne – dans la mesure où vous n'avez pas l'obligation de la porter sur vous, l'impact me semble beaucoup moins grand. Je n'en fais pas un principe, mais je me dis que la réflexion, c'est un peu dans ce type de paramètre qu'elle doit se faire, c'est-à-dire: Est-ce que, si on établit le besoin – et assumons l'hypothèse que le besoin est établi – qu'il y a plus d'avantages que d'inconvénients, maintenant étudions les mécanismes de réduction des impacts, tels que pas d'obligation de la détenir sur soi – c'est déjà beaucoup moins pénalisant du point de vue de la vie privée et des minorités – pas d'obligation non plus... ou enfin que cette carte ne contienne aucune mention quant au statut de l'individu en regard de l'immigration ou de la capacité de travail ou de quelque droit que la personne peut exercer, bien, vous avez aussi beaucoup moins de stigmates possibles. Et peut-être qu'à l'intérieur de la carte, dans sa puce, il y aura certaines informations qui pourront être lues par des personnes bien choisies, des organismes du gouvernement qui, eux, auront raison d'en prendre connaissance.

Mais je veux simplement dire qu'il y a quand même une possibilité d'étudier les impacts, ce qu'à l'heure actuelle on ne peut pas faire, je pense, dans l'état actuel du dossier.

M. Sauvé (Marc): Comme complément de réponse, lorsqu'on va procéder un jour à une véritable étude d'impact, il va falloir se poser la question: Qui sont ceux qui tirent des avantages de l'utilisation de la carte et qui sont ceux qui risquent d'en subir le plus les inconvénients? Ça fait partie, je pense, des objectifs de l'étude d'impact. Et ça n'existe pas pour le moment, quelque chose de vraiment détaillé à ce sujet-là. On pourra peut-être avoir des surprises, à un moment donné. Et, suite à cette étude d'impact là, on pourra prendre une décision éclairée.

Le Président (M. Garon): Alors, je remercie les membres du...

M. Laporte: M. le Président...

Le Président (M. Garon): Oui, M. le député d'Outremont.

M. Laporte: ...depuis le début de nos délibérations, on revient toujours à cette même argumentation voulant qu'il faut identifier des besoins, il faut identifier les besoins réels, il faut faire les preuves, il faut démontrer qu'il y a une nécessité. Le professeur Deleury a été éloquente là-dessus. Elle nous a même dit qu'il fallait que ces tâches dans ces défis d'identification relèvent, disons, de ceux qui demandent qu'il y ait des cartes, que la fardeau de la preuve leur incombe plutôt qu'à d'humbles citoyens comme nous, quoi. Mais le problème qui se pose d'un point de vue logique, c'est: Qu'est-ce que seraient des critères ou des barèmes d'acceptabilité d'une preuve adéquate? Comment allons-nous nous y prendre ultimement pour décider que l'identification de besoins, qui serait déposée par des demandeurs, constitue une identification de besoins satisfaisante, adéquate et convaincante?

Mme Deleury (Edith): Je répondrais, dans un premier temps, M. le député d'Outremont, que la première question qui se pose en termes de besoins, c'est de savoir: Des besoins pour qui, et pourquoi?

M. Laporte: Oui.

(16 h 40)

Mme Deleury (Edith): Je pense que, là-dessus, il n'y a pas de preuve qui a été, jusqu'à présent, faite quant à la nature de ces besoins. Et c'est tout simplement ce que le Barreau a voulu mettre en exergue. Le Barreau ne se prononce pas actuellement sur la question de la valeur d'un projet puisqu'il n'y a pas de projet devant nous, mais il se pose la question de l'opportunité. Je pense que c'est la question préalable.

M. Laporte: D'accord. Mais je vous ramène à un plan en arrière. Le problème des décisions basées sur des processus d'évaluation d'opportunité, du point de vue logique, du point de vue de l'analyse logique de ces processus d'évaluation là, c'est qu'on revient de plus en plus en arrière et on se pose toujours le problème de savoir: Sur quoi repose finalement la preuve d'opportunité? Comment allons-nous nous y prendre pour arriver à un consensus sur les critères qui nous permettront de décider qu'une preuve d'opportunité est une preuve d'opportunité acceptable? Parce que là, les enjeux ne sont pas... Je vous suis tout à fait reconnaissant de nous avoir présenté le mémoire que vous nous avez présenté, et le dernier point, j'y souscris entièrement parce que j'ai insisté là-dessus ce matin, c'est important qu'il faut se poser la question de savoir: Dans l'avantage de qui? Dans l'intérêt de qui? Dans le désavantage et dans le désintérêt de qui? C'est sûr. Mais comment pourrons-nous ultimement dire: Nous aurions une décision; on pourra poser un jugement d'opportunité sur lequel on pourra faire un consensus.

Moi, personnellement en tout cas, pour que vous me convainquiez d'un jugement d'opportunité là-dessus, il va falloir que vous essayiez de me convaincre longtemps, parce que, au départ, j'appliquerais sur cette question-là une logique de preuve de type paupérien, c'est-à-dire qu'il faut falsifier, falsifier, falsifier, dans toute la mesure du possible, toute espèce de coût d'opportunité qui nous serait présenté.

M. Doray (Raymond): Si vous permettez, M. le député, je pense qu'on peut tirer des enseignements de ce qui s'est fait et se fait encore dans le domaine de l'environnement où l'analyse des impacts et l'évaluation des impacts sont probablement le plus évoluées. Dans l'absolu non plus, il est très difficile de décider. Est-ce qu'on va faire un projet d'usine de gaz? Ou est-ce qu'on va constituer un dépotoir, eu égard aux problèmes environnementaux qu'il va occasionner? Et il y a évidemment une évaluation qui doit être faite des coûts sociaux versus les avantages sociaux, ou les coûts pour la collectivité versus les avantages pour la collectivité. C'est cet exercice-là, je pense, qui devra être fait. En bout de piste, quel avantage le citoyen individu et la collectivité tirent-ils d'une bonne identification dans le secteur privé et d'une bonne identification dans le secteur public? Les discussions que vous avez eues depuis le début de cette commission, d'ailleurs, vous ont permis de tirer certains paramètres ou de déduire certains paramètres, notamment que les citoyens sont contre la fraude, le travail au noir et le fait que certaines personnes profitent cinq fois, six fois des prestations, puisqu'ils savent qu'ils paient en bout de piste.

Alors, on peut évaluer avec des moyens assez sophistiqués dans quelle mesure l'outil d'identification qui serait mis sur la table va réduire les coûts collectifs. On peut aussi évaluer les avantages ou les désavantages que la collectivité pourrait subir à ce moment-là. Je ne pense pas qu'il y ait d'autre façon de procéder à ce type d'évaluation, mais on peut raffiner les normes certainement. Il y a de nombreux penseurs en matière d'impact des technologies, de nos jours, qui pourraient certainement nous aider.

M. Laporte: Tantôt, on a eu néanmoins le Vérificateur général qui est venu nous dire que, dans un cas précis de fraude au gouvernement fédéral, il y a une autorité publique qui a décidé que le coût d'opportunité de contrôler la fraude n'était pas équivalent au coût qu'il fallait encourir par le fait de prendre des mesures, des pratiques, de s'insérer dans des usages de contrôle pareil. Donc, il y a vraiment une question morale, éthique dans le fond de tout ça qu'il faut absolument... Je suis d'accord avec vous qu'on peut, comme vous l'avez fait, énumérer sept, huit protections légales, puis je pense que les propos que vous avez tenus là-dessus sont fort intéressants. Il faudrait, par exemple, qu'on s'assure qu'il y ait du cloisonnement entre les organismes publiques, puis qu'on ne décloisonne pas le privé puis le public, puis que l'information circule tous azimuts. Mais il reste que, à la fin, en dernière analyse, il y a aussi un autre problème qui est celui de... dans quel genre de forum on va débattre de cette affaire-là, quoi.

Enfin, moi, je reste sur mon appétit, parce que je trouve qu'on revient toujours à cette question de savoir: Est-ce qu'il y a un besoin? Quel serait le coût d'opportunité? Mais il y a toujours des problèmes de décision, là-dessus, qui sont beaucoup plus que des problèmes pragmatiques.

M. Doray (Raymond): Si vous permettez, M. le Président...

M. Laporte: Des références à des valeurs.

M. Doray (Raymond): Dans le cas du numéro d'assurance sociale et de la lutte à la fraude dont a fait état le Vérificateur général, si je me souviens bien, l'élément qui a été, semble-t-il, capital, c'est qu'on a dit que ce n'était pas «fair play». Ça devient une pure décision d'opportunité. Il n'y a même pas d'évaluation des impacts et même pas de recherche de moyens d'atténuer les impacts négatifs sur la vie privée. On y va d'une façon intuitive en disant que ce n'est pas «fair play», alors qu'on aurait pu, si on avait procédé par un véritable mécanisme d'audience publique, d'étude d'impact sous-jacente, en venir à la conclusion que ce type d'appariement devrait être permis après que les citoyens auraient été informés, au moment où, par exemple, ils produisent leur déclaration d'impôts ou ils reçoivent une prestation, que le numéro d'assurance sociale pourra servir à des fins de vérification.

Donc, la personne qui s'apprête à violer la loi sait que, à ce moment-là, les renseignements qu'elle a fournis pour s'enregistrer auprès de l'organisme subventionnaire pourront servir à une double finalité. Et là, on a réglé le problème du «fair play» et on a réglé en même temps le problème de l'injustice sociale qui est un problème grave, il faut quand même le reconnaître. Le Barreau, comprenons-nous bien, n'est pas ici pour faire encourager la fraude et l'injustice sociale, bien au contraire.

M. Laporte: Mais, vous savez, il y a tout le problème des analphabètes, des illettrés. Mais il se trouve que, ça, c'est une réponse intéressante, il y a une piste intéressante sur cette question du «fair play» et des façons dont on peut s'y prendre pour informer le citoyen des conséquences de ses décisions au préalable, avant qu'il les prenne. Mais là, à part de ça, il y a tout le problème de distribution, la capacité d'être informé dans une société. Donc, il va toujours y avoir un problème de «fair play» parce que vous n'êtes pas dans une société où les conditions de «fair play» existent.

Le Président (M. Garon): Nous avons de beaucoup dépassé le temps qui nous était alloué. Alors, je remercie les représentants du Barreau du Québec d'être venus rencontrer les membres de la commission.

J'invite maintenant les représentants de Progesta inc., M. Vincent Emmell, président, et M. Pierrôt Péladeau, vice-président en recherche et développement, à s'approcher de la table des délibérations.

Alors, comme nous avons une heure ensemble, vous avez normalement 20 minutes pour votre exposé, la même chose pour chacun des deux groupes. Ce que vous prendrez en plus sera soustrait et ce que vous prendrez en moins pourra être utilisé par les membres de la commission pour vous poser des questions ou délibérer avec vous. À vous la parole.


Progesta inc.

M. Emmell (Vincent): Merci. Je me présente: je suis Vincent Emmell. M. le Président, Mme et MM. les députés, je vous remercie de l'opportunité que vous nous donnez de vous adresser la parole sur le sujet des cartes d'identité. Mais, avant de débuter, j'aimerais un peu donner mes... pourquoi je veux venir vous parler, comme ça.

(16 h 50)

J'ai été pendant bien des années un vérificateur et j'étais un vérificateur non pas financier, mais ce qu'on pourrait appeler un vérificateur administratif. J'avais à regarder les processus administratifs, généralement pour sauver des coûts, améliorer le service et, dans bien des cas, réduire des effectifs. J'ai eu, dans ma carrière, à expliquer beaucoup les déficits, à trouver les causes des déficits: Étaient-ce des erreurs humaines, des mauvaises décisions, des erreurs comptables ou carrément des vols ou des défalcations? Et c'est à titre de spécialiste en gestion que j'ai été impliqué dans le domaine de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels. Après avoir travaillé plusieurs années à l'application de la loi sur l'accès dans un organisme public, nous avons fondé notre société, Progesta, qui se spécialise dans la gestion des renseignements personnels, la protection de la vie privée, l'éthique et aussi les études d'impact social dans tous les systèmes qui utilisent les renseignements personnels, spécifiquement.

Nous avons, depuis le début de notre fondation, travaillé avec plusieurs centaines d'organisations dans la gestion des renseignements personnels. La brochette de notre clientèle comprend autant des multinationales de services ou des manufacturiers que des organismes sans but lucratif d'aide à la population, genre garderies ou des organismes pour aider les femmes battues, des choses comme ça, où il y a une création de renseignements personnels énorme dans ces organismes-là, et qui doivent réussir à protéger la clientèle avec laquelle ils font affaire.

Nous avons aussi, l'année dernière, créé un revue professionnelle spécialisée dans les questions touchant la vie privée et dans tout le domaine de la gestion de l'information personnelle comme telle. Nous avons actuellement des abonnés à travers le Québec et le Canada et aussi dans plusieurs pays; des gens se sont abonnés parce qu'on est de plus en plus intéressé à tout ce sujet-là.

Ceci m'amène à vous soulever certains points qui sont très personnels. Je vais laisser Pierrôt aller plus dans la philosophie de tout ce qui touche les cartes d'identité, les moyens d'identification, et tout ça, mais c'est surtout à titre personnel que j'aimerais soulever certains points, certaines informations. Je vous remercie, d'ailleurs, de me donner l'opportunité de le faire. C'est un peu un cri du coeur. J'ai comme l'impression que tout ce qui s'en vient, tout ce qui se décide, actuellement, dans la fonction publique, j'ai l'impression qu'on est en train de rogner mes droits de plus en plus.

Si je me reporte à l'époque de mon père ou si je recule dans le temps, si on décidait d'avoir de l'information personnelle sur un individu, bien, on devait cogner à la porte et demander l'autorisation d'entrer. Si la personne refusait et qu'on croyait qu'on avait absolument besoin de renseignements personnels qui se situaient dans cette demeure-là, bien, on devait aller chercher un mandat. Et, pour avoir un mandat, on devait passer devant un juge. Et le juge, bien, il avait des questions très précises à poser, pour voir si c'était utile de vraiment aller dans cette maison-là pour aller chercher des renseignements personnels. Une fois qu'on entrait dans cette maison-là, bien, là on pouvait découvrir énormément de choses sur les goûts et les habitudes de la personne qui vivait là. On pouvait faire une évaluation de son avoir net, parce que, juste à regarder les tableaux, les achats qu'elle faisait, on pouvait avoir beaucoup, beaucoup d'information sur la façon dont elle vivait. On pouvait aussi, en regardant son garde-manger, avoir beaucoup, beaucoup d'idées sur ses goûts alimentaires. On pouvait aussi, en regardant sa comptabilité personnelle, savoir comment elle s'acquittait de ses comptes, comment elle gérait son crédit, qui était son banquier, et ainsi de suite. Mais aujourd'hui, ce qui me choque beaucoup, c'est qu'on peut avoir toute cette information-là absolument sans mandat, en faisant de la collecte d'information, en faisant des liens avec les banques de données, en essayant de faire des liens aussi avec des numéros d'identification qu'on retrouve un peu partout. Et c'est possible de le faire sans mandat. On peut rentrer et avoir toute la même information et, en plus de ça, sans que je sois au courant que ça se passe et sans non plus que je puisse savoir qu'est-ce qui va être fait avec ça. Puis j'ai comme l'impression qu'on va dans le sens de rogner ça, toujours.

Si je peux me permettre de répondre un peu à votre question sur savoir c'est quoi, le critère, bien, je crois qu'un des critères serait justement que mes droits ne seront pas rognés. Parce que j'ai comme l'impression, avec le temps, que je dois adapter mes droits aux nouvelles technologies, puis je crois fermement que c'est la technologie qui doit s'adapter à mes droits. C'est une bataille constante, ça, que mes droits ne doivent pas être rognés à cause que c'est plus facile d'aller chercher de l'information. Il y a des moyens d'aller chercher de l'information, il y a des lois qui existent, et je crois que ça doit être renforcé. Je ne dois pas m'adapter à cette technologie-là, c'est elle qui doit s'adapter à nous autres. Puis, quelle que soit la technologie qui va sortir, il faut que ça rende compte de ça.

Alors, avant de terminer ma partie, avant de passer la parole à Pierrôt, je pense que je pourrais dire... Ce à quoi je m'attends, en fin de compte, de vous, c'est que j'aimerais savoir, moi, ce qui se passe au gouvernement, dans les ministères et organismes. J'aimerais ça le savoir, ce qui se passe, les études qui se font. Je ne le sais pas, peut-être qu'un organisme, sans le savoir, avec toute la bonne volonté du monde, il est en train de rogner mes droits pour longtemps. Je ne le sais pas. J'aimerais ça le savoir, avoir l'opportunité aussi de me présenter et de dire: Ça, là, je ne l'accepte pas en tant que citoyen. J'aimerais aussi – on en a parlé, tout le monde ensemble en a parlé – que ces gens-là fassent des études d'impact et que j'aie la possibilité de dire ce que je pense de ces études d'impact là. Parce qu'un des impacts que je vais surveiller certainement, c'est la rogne de mes droits qui semble vouloir se faire. J'aimerais aussi avoir l'assurance qu'un jour on va carrément dire que les droits priment sur la technologie, et non pas l'inverse.

Alors, je passe la parole à mon confrère. Merci.

M. Péladeau (Pierrôt): C'est ça, je vous remercie aussi de l'invitation, parce qu'on n'avait pas soumis de mémoire. C'est votre commission qui nous a invités, probablement, entre autres, suite à une lettre ouverte que j'avais publiée en tant que citoyen d'abord – j'avais signée en tant que citoyen – en tant que consultant aussi, ici vice-président recherche et développement, et aussi en tant que chercheur, dans la mesure où je travaille avec certains organismes dont je suis chercheur invité. À l'Institut de recherches cliniques de Montréal, on étudie les impacts qu'aurait l'informatisation dans le domaine de la santé. Ce que je propose ici, dans cette courte présentation – avant d'ouvrir sur la période des questions – ce serait peut-être de faire un petit peu de confucianisme. Vous avez sûrement, en tant que législateurs, entendu parler de cette anecdote où un prince chinois avait demandé à Confucius: Si demain matin on te donnait le pouvoir, quelles lois édicterais-tu? Et là, Confucius, après un moment de réflexion, a dit: Avant d'édicter une loi, je commencerais par étudier les termes en usage en Chine et à la cour. Un, ça me rendrait plus sage et, deux, ça me permettrait de rédiger des lois qui soient plus intelligibles et efficaces. C'est un petit peu cet exercice-là que je vais faire dans les minutes qui restent.

(17 heures)

Le titre de ces audiences porte sur trois termes; en fait, c'est: cartes d'identité et la protection de la vie privée. On a trois termes: l'idée de «carte», l'idée d'«identité» et l'idée de «protection de la vie privée». Ce que je vais simplement essayer, c'est de définir les termes à votre usage de façon à éclairer le débat. On parle de carte. Je veux signaler que la carte n'est pas le seul mécanisme disponible pour établir l'identité. Deux, on parle d'identité et on semble lier ça soit à nom, prénom, soit à un numéro d'identification. Je veux signaler ici que l'identité, c'est beaucoup plus que ça et c'est beaucoup plus complexe. Et, troisièmement, le troisième terme, protection de la vie privée, c'est peut-être un filtre passablement étroit pour évaluer les impacts des décisions qui s'en viennent.

Donc, trois termes. Je vais commencer par le terme le plus flou, qui est celui d'«identité». En fait, ça se résume à pas grand-chose, ça se résume à deux questions: Qui suis-je et qui es-tu? C'est ça, toute la question d'identité, c'est à ce niveau-là. C'est dire qui je suis et que l'autre, autrui, me demande: Qui es-tu? Et de pouvoir répondre. On va voir que c'est extrêmement multiforme et que ça ne se résume absolument pas à une question de numéro d'identité. Parce que, d'abord, j'ai une identité biologique: je suis un homme, je suis une femme, et ça, cette information-là, elle apparaît dans le numéro d'assurance-maladie, cette information-là apparaît dans le permis de conduire. J'ai des mensurations. Si je suis un homme, je dirais que je ne suis peut-être pas assez grand; si je suis une femme, peut-être que je suis un peu trop grosse. Cette information-là de mensurations, c'est dans mon identité, mais ça apparaît aussi dans le permis de conduire. Il y a aussi d'autres éléments biométriques ou biologiques, la couleur des yeux, empreintes digitales, qui, tous, peuvent servir à l'identification. Et, effectivement, quand je vais chez le marchand, il me reconnaît. Il ne connaît pas mon nom, mais il me reconnaît par mon visage, il me salue, et on se salue. Si, à un moment donné, je lui demande – comme ça m'arrive, des fois, d'oublier mon porte-monnaie – bon, bien, il me le laisse: Je te connais. Là, je vais le chercher, je reviens, il y a une identification qui s'est faite à ce niveau-là.

Il y a, deuxièmement, une identification sociale. On est des pères, des mères de famille, des conjoints, des époux, on est des fils et des filles et, encore en région rurale, ça fonctionne de cette façon-là, c'est-à-dire: Voici la Lucille à Rosanne, ou bien donc le Serge à Pierre-Paul. Donc, c'est dans la filiation qu'on s'identifie, et ça, cet élément d'identification, on le retrouve dans le registre de naissance. Et aussi le lieu de vie. Quand on parle de Léonard de Vinci, c'était quelqu'un qui restait à Vinci; quand on dit Jésus de Nazareth, c'était quelqu'un qui était né à Nazareth. Là aussi, quand on parle de registre d'adresses ou de lieux, les adresses, ça, c'est l'identification par rapport au lieu, et ça, c'est un élément important dans l'exercice de droit civil, son domicile. Et aussi par rapport à son statut. On en a parlé un peu plus tôt, cet après-midi, la question d'être citoyen, visiteur, immigré. Bien, là, ça réfère à d'autres outils: passeport, visa, carte d'électeur, etc. Enfin, il y a l'identité civile, et ça, c'est le nom qu'on nous donne et, surtout, le nom qu'on accepte ou qu'on se donne à soi-même. Et ça, ce n'est pas un élément qui est nécessairement fixe. Dans la Bible, on a des exemples notables, il y en a plein, là, mais deux, en passant, c'est Simon à qui on dit: Désormais, tu changes, tu n'es plus l'identité que tu as, tu t'appelles désormais Pierre. Il y a un changement d'identité, ici. Saül devient Paul quand il se convertit à la chrétienté.

Donc, la question de changement de nom arrive et ce n'est pas un problème. Là, on dit: Bon, c'est dans l'époque, ça se passe encore aujourd'hui. On fait l'évaluation, présentement, d'une application en matière médicale, et on fait le lien qui pourrait avoir des impacts importants, parce que c'est sur les interactions pharmaceutiques chez les personnes de 65 ans et plus, qui entraînent énormément de problèmes de santé et des coûts importants. Et, par année, il y a 1 % des personnes âgées... on a découvert qu'il y a 1 % des personnes âgées qui, par année, changent de nom, généralement des femmes. Suite à une séparation, suite à un veuvage, elle reprennent leur nom de fille. Bien, là, on perd – et comme, nous, on faisait le lien pour les prescriptions, on utilisait le numéro d'assurance-maladie, qui est basé sur le nom – bien, là, on perd des traces de ces personnes-là. À un moment donné, c'est le numéro d'assurance-maladie qui permet de relier toutes les prescriptions, la personne change de nom, puis on perd la personne. Ça, c'est un exemple où, là, le nom était relié à un numéro, et ça, ça... en tout cas... Puis il y a plein de gens... Moi-même, j'ai changé de prénom, là, Pierrôt pour Pierre. La vice-présidente, bon, à un moment donné, s'appelait Frulla-Hébert, maintenant elle s'appelle Frulla. On marque les événements dans...

Donc, il y a un élément extrêmement subjectif dans la question d'identité. L'identité, c'est une question de complexes, c'est une question qui est à la fois subjective, qui est aussi symbolique. Et, effectivement, quand on parle d'identité, là ce n'est pas identité «at large». Il faut effectivement... Comme on parlait tantôt... le Barreau disait: Il faut relier ça à un besoin, il faut dire quelle identité par rapport à quel besoin. Et c'est souvent là que ça se complique quand on fait des couplages. Souvent on a des besoins dans différents organismes d'identification extrêmement différents, sauf qu'on a essayé de suppléer ça par une seule forme d'identité et c'est là que le problème se pose.

Un élément, juste en passant, par rapport à l'actualité. Ce matin, on nous parle d'une carte de citoyen. Encore là, il y a une confusion qui se crée. En fait, c'est une carte multiservices qui ne s'adresse pas à des citoyens. Elle s'adresse à des résidents au Québec. On peut être résident au Québec sans être citoyen. Je pense que ça peut poser...

Quand on appelle une carte multiservices des résidents d'un territoire et l'État de ce territoire-là, ça peut risquer des confusions, surtout que, bon, au Québec... Justement, ce matin, je regardais aussi qu'il y avait des placards, on commençait la campagne pour les 50 ans du passeport canadien, puis quand on sait que, par exemple, il y a les Hurons et les Mohawks qui ont leur propre passeport, ça peut créer des susceptibilités inutiles quand on se met à mettre des étiquettes qui ne sont pas la réalité. C'est pour ça que je reviens à l'idée du confucianisme, c'est-à-dire de nommer les choses par leur nom et de dire ce que c'est.

Deuxièmement, les cartes. Il est important de rappeler que les cartes ne sont qu'un mécanisme parmi plusieurs autres pour établir l'identité, et on peut les établir en quatre catégories, là, c'est-à-dire qu'on peut établir notre identité avec ce qu'on est, avec ce qu'on porte, avec ce qu'on sait et par les purs objets conventionnels.

Avec ce qu'on est, bien, ça, c'est la biométrie, c'est la signature, la photo, notre apparence. Ça, c'est un élément important et, ça, c'est utilisé. La plupart des cartes utilisent la signature. C'est un élément biométrique qui nous permet d'identifier.

Avec ce qu'on porte, la carte en est un, mais il peut y en avoir d'autres. On pourra éventuellement porter des puces sur notre voiture, sur nous-mêmes ou dans notre ordinateur pour nous identifier. Le Vérificateur général parlait qu'éventuellement on pourrait se mettre une puce dans l'épaule, à la naissance. C'est aussi des alternatives. Donc, il y a d'autres choses que les cartes.

Ce qu'on sait pour s'identifier, ça, c'est un élément qui est de plus en plus utilisé, c'est-à-dire quand les numéros d'identification personnels, les mots de passe, c'est quelque chose que je sais et que l'entreprise ou l'organisation avec qui je fais affaire sait, ont ça en commun. Donc, si je donne mon mot de passe ou je dis mon nom ou je mets mon numéro d'identification personnel, ce que je fais, c'est établir une connexion qu'en principe il n'y a que l'organisme ou moi-même qui connais, et c'est comme ça que je m'identifie. Et, à la limite, dans beaucoup de transactions, il n'est pas nécessaire qu'on connaisse mon nom, mais juste que j'établisse que c'est bien moi, toujours moi qui vais d'une transaction à l'autre.

Il y a aussi des objets purement conventionnels, qu'on ne porte pas, qui ne sont pas liés à ce qu'on est ni à ce qu'on sait, et l'exemple... En tout cas, je vais revenir simplement à l'exemple du Vérificateur général, le fait qu'éventuellement on va avoir un numéro de téléphone donné à la naissance. Ce n'est pas une carte, ce n'est pas quelque chose qu'on porte, ce n'est pas quelque chose qui est lié à notre physiologie, mais qui va nous permettre de nous identifier.

Donc, ce qui est très important, c'est de comprendre que les cartes, c'est un mécanisme parmi bien d'autres, d'une part, et qu'avec la technologie actuelle les alternatives disponibles pour l'identification se multiplient de façon assez étonnante. Il y a maintenant des colloques à tous les ans sur les nouvelles méthodes d'identification et il est possible de faire l'identification anonyme des gens, c'est-à-dire que la personne a la garantie qu'elle fait affaire avec la bonne personne, mais il n'y aucun moyen de savoir son identité en termes de nom et prénom, par exemple. Ça, ça existe.

Bon. Je citais un exemple d'un projet de métro Toronto, dans l'article qui a été publié, le fait qu'on dise: Bien, ce n'est pas grave que la personne change d'identité pour l'aide sociale dans la région de Toronto. Nous, ce qu'on veut, c'est de pouvoir s'assurer que c'est toujours la même personne pour les fins de paiement et qu'elle aura l'impossibilité d'utiliser d'autres identités. Qu'elle change de nom, ce n'est pas notre problème. On veut qu'une personne applique pour un seul montant et que, quand on fait nos transactions financières, on va s'assurer que c'est toujours la bonne personne. On va utiliser les outils biométriques, dans ce cas-là, ce qu'on parle. Donc, c'est possible, à la limite, d'avoir une identité solide et sécure sans un lien obligé à l'identité civile, par exemple. Donc, les cartes, il y a de plus en plus de mécanismes et on peut combiner ça de façon de plus en plus intéressante.

(17 h 10)

Enfin, la protection de la vie privée, troisième terme. Encore là, il y a un problème et je trouve que c'est peut-être un peu étroit pour analyser les impacts. D'ailleurs, «protection de la vie privée», c'est un petit peu un anglicisme, un américanisme de «privacy», qui est un terme très large. En fait, si on faisait une traduction adéquate, on devrait utiliser le terme «liberté». Il faut peut-être sortir du légalisme. L'autre élément, c'est peut-être de sortir du légalisme où ça nous entraîne, la protection de la vie privée, parce que ça réfère à un article précis de la Charte québécoise, l'article 5, ça nous réfère à tout un corps de lois, loi de la protection des renseignements personnels. Mais, quand on regarde à quoi ça sert, les informations qu'on a, et comment on peut prendre des décisions... Et cette information-là, on la recueille... La vie privée, c'est... Bon, il y a une invasion, on recueille de l'information à votre sujet. Mais cette information-là, elle sert à prendre des décisions. C'est là qu'il y a des conséquences. Qu'Équifax détient à mon sujet un dossier de crédit, il n'y a personne qui ne sait rien. Un ordinateur, c'est indifférent aux informations qu'il traite. C'est à partir du moment où il y a quelqu'un qui va commander mon dossier de crédit et qu'il s'en sert pour prendre une décision que ça va m'affecter. Donc... Et ces décisions-là, quand on regarde – et c'est là que je veux préciser les choses – par exemple, si on veut... uniquement au niveau du droit, des questions des libertés fondamentales, on peut relier ça... Moi, j'ai fait un inventaire, là, dans un bouquin, un thésaurus de tous les termes dans le domaine de droit de la personne et j'étais arrivé à 150 concepts de droit de la personne qui étaient reliables à l'utilisation des renseignements personnels, c'est-à-dire... Et, dans ce cas-ci, bon, on parle de liberté de circulation, on parle de liberté de résidence, droit aux services de santé, droit de vote, liberté dans l'exercice des droits civils. On pourrait faire une liste, là, comme ça: 150 droits qui sont appliqués. Donc, même d'un point de vue strictement légaliste, là, droit de la vie privée, il faudrait faire exploser ça puis regarder l'ensemble des impacts que ça a. Et, au-delà de ça, je pense qu'il faut regarder aussi les impacts sociaux, en incluant les aspects culturels, économiques et autres, et aussi les aspects éthiques de ce triangle-là des rapports que vous permet un mécanisme d'identification entre l'État, les entreprises publiques et privées et l'individu. Et, quand on regarde tout ça, on peut avoir des choses qui sont assez importantes.

Donc, ce qui m'amène peut-être à redéfinir, à la fin, l'exercice. À mon avis, l'exercice, ce n'est pas nécessairement une question des cartes d'identité qui est assez restreinte en rapport avec la vie privée qui est une fenêtre étroite sur la problématique. Je pense qu'il faudrait parler plus – ça, le Barreau en a parlé tantôt – d'évaluation sociale des mécanismes d'identification. Quand on dit «évaluation de mécanismes», bien, ça implique que, justement, on ait identifié des besoins – je fais simplement resouligner ça – et non seulement des besoins, mais l'ensemble des solutions alternatives pour répondre à ce besoin-là, d'une part, et de le faire de façon concrète. Et je pense que... Juste donner un exemple de ce que ça aurait pu donner, prenons le cas de la carte d'assurance-maladie avec photo, si on avait fait cet exercice-là, probablement qu'on l'aurait implantée bien autrement qu'on l'avait fait. Parce que, ça, rappelez-vous, la carte d'assurance-maladie avec photo, ça a été une décision relativement rapide, pour ne pas dire improvisée, alors que, de l'autre côté, la Société de l'assurance automobile, ça faisait des années qu'elle travaillait sur le projet. Le ministère de la Santé, on part. On n'a pas... Ça a coûté cher et aux citoyens et aux individus. Ça a imposé énormément de problèmes aux individus et aux institutions de santé. Il y a eu des détournements de ressources qui ont été à l'administration de la carte, qui auraient dû aller aux services de santé et, en bout de piste, pour pas grand-chose parce que la carte d'assurance-maladie, on ne s'en sert plus.

En pratique, une fois que vous avez ouvert votre dossier dans une clinique... Moi, quand je vais pour moi ou pour ma petite fille, on ne me demande plus ma carte d'assurance-maladie. Une fois que le dossier a été ouvert, on ne la demande plus. Et c'est un système plein de trous. C'était soi-disant pour épargner de la fraude, mais le système était... Au niveau de l'entrée, l'authentification est tellement faible que nos cousins de la Nouvelle-Angleterre pourraient avoir une carte d'assurance-maladie avec leur nom et leur photo ou un autre nom et leur photo qui pourrait servir pour avoir accès. Une fois qu'un dossier est ouvert, n'importe qui peut se pointer, à la limite, là-dessus. À tel point qu'on parle de nous mettre en place une nouvelle carte, donc de nouveaux investissements, pour des fins administratives, avec une carte à puce pour contrôler ce qu'on aurait dû prévoir: qu'un jour on s'en allait vers l'échange électronique de données et, donc, les médecins n'auraient plus besoin de demander la carte à tout bout de champ.

Je pense que c'est ce genre d'opération qu'il faut regarder de façon concrète et, surtout, regarder, en conclusion, que la carte, une carte d'identification, c'est juste une clé dans un système énormément plus grand d'interaction, d'échanges entre des individus, entre des organisations et qu'il faut regarder l'ensemble du système et non pas le petit bout de la lorgnette, sinon on tombe dans ce que j'appellerais de la pensée magique de croire qu'en installant une carte on va régler bien des problèmes. Ce n'est pas comme ça qu'il faut regarder. Il faut regarder la carte ou le mécanisme d'identification dans l'ensemble qui va servir à gérer. C'est rien qu'une clé et, si la clé est mal verrouillée... Si on a une excellence clé sur une porte qui est grande ouverte, on n'aura rien réglé. Donc, là-dessus, je conclus, là, tout simplement à revenir qu'il faut évaluer, c'est-à-dire regarder effectivement les besoins, regarder surtout les alternatives pour arriver aux mêmes besoins et pouvoir les évaluer en fonction d'alternatives concrètes. Et, à partir de ce moment-là, on va pouvoir avoir un débat qui va être éclairé. Je vous remercie. Là-dessus, on passe à vos questions.

Le Président (M. Garon): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci beaucoup. Merci, les membres de Progesta. J'ai beaucoup aimé le dernier plaidoyer de M. Emmell sur la relation entre le citoyen, l'individu et la technologie. Moi, j'ai partagé cette opinion que trop souvent il faut rendre les individus conformes aux exigences des technologies, ou quelque chose comme ça. Je pense qu'on est ici, effectivement, parce que, nous autres, on est les représentants des citoyens et des citoyennes, on a des questions à poser: Est-ce que j'ai vraiment besoin de ça comme citoyen? Est-ce que ça va vraiment faciliter ma vie ou est-ce que ça va, encore une fois, me mettre dans une situation où je dois répondre aux exigences de l'État, des fonctionnaires, de la paperasse, je dois fournir les pièces pour m'identifier encore une fois?

Et ça revient peut-être à ma première question à vous deux, comme experts dans la gestion. Parce que, tantôt, M. Péladeau a soulevé l'expérience de la carte-soleil. Comme je l'ai dit, comme parlementaire, j'ai été déçu de lire, dans le dernier rapport du Vérificateur général, que, malgré tous nos efforts avec la belle photo et tous les aménagements qu'on a faits, on trouve toujours autour de 6 % des noms ou des adresses qui sont inexacts, et je dis: Comment ça se fait, après 25 ans d'essayer de gérer ça? Le taux, ça, c'est comme... Je suis prêt à arriver à la conclusion que, ça, c'est systémique, qu'on ne peut pas... Le meilleur qu'on puisse faire dans un fichier, c'est 94 % d'exactitude puis, après ça, à cause de nos vies qui sont changeantes... Moi, j'ai parlé ce matin de... Comme un étudiant qui, à l'université, va trouver d'autres amis pour partager des appartements pour l'année prochaine, ou quelqu'un qui reste pour faire les études d'été, alors il va déménager. Alors, c'est comme ça quand on est jeune. Et le premier réflexe, ce n'est pas toujours d'aviser le gouvernement tout de suite que je ne demeure plus sur la 3e avenue, j'ai décidé de déménager sur la 5e avenue parce que... Et aussi une famille qui vit une crise ou un éclatement, une épouse qui abandonne le mari pour retourner chez ses parents pour un temps indéterminé, c'est des choses qui arrivent dans la vie et on ne peut pas attendre que le citoyen, à chaque changement à son statut ou à sa situation dans la vie... Ce n'est pas le premier réflexe que je vais avoir d'aviser le gouvernement, mais, si ça va mettre en question les services fournis par l'État, peut-être certaines prestations, peut-être même le droit de vote, parce que, en regard de la gestion, dans les manchettes des journaux à Montréal, en fin de semaine, sur la gestion de cette fameuse liste électorale permanente qui va régler tous nos problèmes... Mais ils ne sont pas encore réglés.

Alors, est-ce qu'il y a des problèmes chroniques ou systémiques dans la gestion de ces listes? Et est-ce qu'on ne pourra jamais arriver à livrer la marchandise, c'est-à-dire est-ce qu'on ne pourra jamais produire le résultat que, en théorie, si tout est beau, on peut avoir les listes et ça peut être bien géré, ça peut être exact? Mais, dans le vécu des derniers 25 ans de l'État, c'est les lacunes et les ratés qui sont trop souvent venus malgré nos efforts.

M. Péladeau (Pierrôt): Deux réponses à ce niveau-là. Au niveau des ratés, je pense qu'il y a beaucoup de projets où on aurait pu éviter les ratés si on avait été un peu plus lentement, si on avait fait nos devoirs avant plutôt que d'essayer de corriger les problèmes après. Et ça, le Protecteur du citoyen a documenté beaucoup de cas de ce type. C'est pour ça qu'il y a une revendication ou une demande qui est faite, de façon assez persistante depuis les 10 dernières années, de mettre en place – et de plus en plus documentée – des mécanismes d'évaluation préalable. Et pour une raison assez simple: c'est que, dans la mesure où on devient de plus en plus dépendant de ces systèmes informatiques là... L'administration de nos organisations et la vie des citoyens de plus en plus dépendants de ces systèmes-là, il est clair qu'un dysfonctionnement de ces systèmes-là a des conséquences immédiates et à large échelle. Donc, ça, c'est un élément important.

(17 h 20)

Il y a un deuxième élément. Par exemple, la question des adresses, je pense qu'il est temps qu'on regarde, justement, que... L'adresse, ce n'est pas bon, ça. Il faut dire que les informaticiens... On va partir de la base. Les informaticiens ont été formés dans un univers soit d'objets matériels, comme des bornes-fontaines qui ont une adresse fixe, ou d'objets conventionnels, comme des dossiers ou des affaires, qui ont un endroit précis dans l'ordinateur.

Les individus ne fonctionnent pas comme ça. On évolue, on est des gens qui déterminons nous-mêmes notre propre adresse. Comme si la borne-fontaine décidait: Aujourd'hui, c'est là que je veux être et, demain, c'est là. Et, effectivement, seulement sur le plan légal, il y a la question du domicile, et la confusion, par exemple, au niveau de l'assurance-maladie, c'est lié à ça, c'est: Quelle adresse? On n'a jamais posé la question de quelle adresse doit se retrouver dans... En principe, c'est l'adresse du domicile. En pratique, moi, c'est mon cas, l'adresse que je donne à l'assurance-maladie, ce n'est pas mon adresse de domicile, c'est l'adresse de ma deuxième résidence parce que celle-là est fixe. La première, je peux déménager souvent. Pour faciliter mes relations avec l'État, j'ai choisi cette option-là de donner une adresse de résidence secondaire plutôt que mon domicile réel. Sauf que si on se sert de cette liste-là pour établir mon droit de vote, là ça me pose toute une série de problèmes. Effectivement, il faut distinguer, je pense, adresse de domicile, adresse de résidence, adresse postale, adresse pour les fins...

Dans le Code civil, on peut établir, pour les fins d'un contrat, notre adresse à un endroit autre que notre domicile, pour dire que ça va être tel juge dans telle juridiction, s'il y a un conflit, qui va l'établir. Ça, il y en a, on pourrait en faire toute une série. Donc, si on fait... Et le problème est là, c'est-à-dire qu'on imagine que les individus ont une seule adresse, ce qui est faux. Ils peuvent en avoir plusieurs et, en plus du droit de vote, bien là, si je vote au municipal, je peux avoir deux adresses, trois adresses, dépendant des propriétés que j'ai.

Donc, il faut, je pense, savoir – en tout cas, ça, c'est le principe de «garbage in, garbage out» – que, si c'est n'importe quoi qui rentre dans l'adresse, il va sortir n'importe quoi. Ça, c'est l'élément important. Donc, je pense qu'il va falloir clarifier ça. Ça fait un élément d'identification d'une personne, l'adresse. Il va falloir, donc, qu'on s'entende sur... bon, l'assurance-maladie, c'est quoi. Moi, la solution que je prônerais, ce serait qu'on ait toujours systématiquement deux adresses: une adresse de domicile et une adresse postale qui peut être autre. En tout cas, je veux juste donner un autre exemple. Il y a beaucoup de gens qui ne s'inscrivent, surtout des femmes, sur la liste électorale qu'au moment de la révision parce qu'elles ne veulent pas, parce qu'elles fuient un conjoint violent, quelque chose dans le genre, ou pour toutes sortes de raisons, elles ne veulent pas que leur adresse circule. Donc, elles ne s'inscrivent pas, dans un premier temps, et elles vont s'inscrire uniquement au niveau de la révision. Ça fait que la génération automatique... Et ces femmes-là prennent des précautions importantes d'avoir un casier postal pour leur poste, etc. Donc, ça, c'est un élément qu'il faut regarder, que, dans la vraie vie, les gens déterminent eux autres mêmes une bonne partie.

Dernier élément de la question, c'est-à-dire viser à avoir un 100 % d'efficacité, ça reviendrait à imposer des conditions telles à l'ensemble des citoyens que ça deviendrait une espèce de paralysie totale ou d'empêchement des libertés. Il faut tolérer ça. Il y a un niveau de tolérance qu'il faut élaborer. Mais, si on faisait simplement bien définir – je reviens à la notion dite confucianiste de tantôt – si on définissait bien les adresses, quelles informations on veut correctement, ça éviterait beaucoup de ces problèmes-là. Je ne sais pas s'il y a des choses que tu voulais rajouter.

M. Emmell (Vincent): Juste une chose, c'est que, lorsqu'on va définir les besoins, si on prend l'exemple de la carte d'assurance-maladie, une fois qu'on a déterminé que cette personne-là est un résident du Québec, est-ce qu'on a encore besoin de son adresse? C'est ça qu'il faut déterminer quand on fait une étude des besoins. Ensuite de ça, si la personne est une résidente au Québec – et le critère pour recevoir l'assurance-maladie, c'est d'être résident au Québec – bien, une fois que ça a été déterminé que la personne vit au Québec, quel que soit l'endroit où elle vit, elle a droit aux services. Ça fait que c'est pour ça que c'est très difficile de faire un système qui traite des renseignements personnels – parce que c'est un renseignement quand même qui touche une personne – sans faire de ces genres d'études d'impact là, parce qu'on fait affaire avec du monde et non pas avec une chaîne de production où on a un taraud qui va aller à telle roue, puis à tel moment, puis il faut qu'il soit là, puis il va toujours être là une fois qu'il a été défini, tandis que les renseignements personnels, ce n'est pas comme ça. On fait affaire avec du monde, puis du monde, bien, ça change puis ça évolue, puis peut-être que, dans 10 ans ou dans 15 ans, on va avoir la même discussion parce qu'on va trouver encore des choses qui ont tellement changé, que notre culture aussi va avoir tellement changé que ce qu'on va décider aujourd'hui ou dans les prochaines années, ça va être complètement changé encore, puis il va falloir refaire les choses.

M. Kelley: Merci beaucoup.

Le Président (M. Garon): M. le député de Champlain.

M. Beaumier: Oui. Merci, M. le Président. Moi, je retiens de ce que vous avez dit deux messages qui sont extrêmement importants. D'ailleurs, je voudrais faire un éloge de... À la fois vous vous complétez bien parce qu'il y a toute une ouverture sur l'inquiétude et il y a une rigueur aussi de la pensée, celle de bien définir les mots. J'ai une formation qui me permet un peu d'apprécier cette rigueur dans les mots. Par respect pour votre vie privé, je ne demanderai pas quelle formation vous avez, mais on se rejoint bien sur ça.

D'abord, deux remarques. À propos de la remarque de M. Emmell, j'aimerais lui dire que je ne réponds pas à ce que vous avez dit, mais je correspond très bien à ce que vous avez soulevé sur le fait qu'on ne sait pas ce qui... on ne sait pas, finalement, où est-ce qu'on est, on ne sait pas qui nous connaît.

L'autre jour – je vais donner une anecdote – j'avais égaré – finalement, je l'ai retrouvé le lendemain – mon porte-monnaie; j'avais une ou deux cartes, dont une carte de crédit – j'en ai rien qu'une, ne nous affolons point, là – Alors, j'ai appelé tout de suite; il était 23 h 30 à peu près, j'ai appelé pour être sûr qu'il ne se passe des transactions sans que ce soit moi-même. Et, pour pouvoir réactiver, pour pouvoir en émettre une autre, etc., et réactiver par après, on m'a demandé un certain nombre de questions, puis là, bien on est collaborateur parce que... Je ne suis pas plus méfiant qu'il faut dans la vie, là, mais ils m'ont demandé le nom de ma mère et le nom de mon père. Alors, je me suis dit... D'abord, ça fait... Quand j'ai fermé le téléphone, j'étais content, en ce sens que ça m'avait permis de penser un peu à mes parents qui n'existent plus dans ce monde-ci, mais, après ça, je me suis dit: Est-ce qu'ils ont l'information? Où ont-ils pris l'information? Le savaient-ils vraiment que ma mère était une telle personne, que mon père était une telle personne?

Mais voici un appel, comme ça, qu'on fait à 23 h 30, pour des raisons très pratiques, et, finalement, on nous informe d'où nous venons. Alors, on ne sait pas en fin de compte ce qu'on est... J'aimerais juste signaler quand même que nous participons tous à la même préoccupation, mais aussi nous avons un certain nombre de lois actuellement. Il y a des organismes aussi qui sont... des organismes de l'État qui sont préoccupés. On en a reçu, d'ailleurs, notamment au niveau de la Commission d'accès à l'information, protection du consommateur, etc. Moi, je dis qu'on travaille tous pour la même chose, mais je ne crois pas qu'on doive avoir l'idée qu'il y a une espèce de monstre qui travaille en dessous des choses et puis qui... Le monde se construit lui-même, mais je ne pense pas qu'il y ait de pensée incorrecte sous ça. Mais on est préoccupé par ça.

D'ailleurs, le Barreau, tantôt, les représentants du Barreau, disait très bien que, malgré tout l'encadrement législatif que nous avons actuellement, ce n'est pas suffisant pour pouvoir... Si jamais on décidait de mettre en route une carte d'identité, on n'a pas actuellement... Je ne suis pas de cette formation-là, mais je suis prêt à... Je conçois que ça doit être comme ça, mais on n'a pas l'encadrement législatif pour pouvoir asseoir d'un façon correcte, sécure, dans le respect des citoyens, de leurs droits, de leur vie privée. On n'a pas l'encadrement législatif. Donc, si jamais on allait de l'avant, il faudrait l'avoir. Puis, pour aller de l'avant, bien, je pense que tout le monde a... Moi, j'ai retenu, en tout cas... Je ne parle pas pour tout le monde, mais j'ai retenu qu'il faut qu'il y ait un bien-fondé. Il faut qu'on ait des raisons claires, majeures, vraiment incontournables pour pouvoir y aller. Ça, c'est une expression de ma réflexion en cours actuellement.

Alors, oui, on partage la même... Puis il faut aussi se dire qu'il y a des informations dont l'État a besoin pour rendre des services. Il n'est pas juste gourmand d'information non plus, mais pour rendre des services. Si on veut participer à l'assurance-médicaments – il y en avait 1 100 000 qui n'y avaient pas droit – il faut quand même s'inscrire. Il y a un risque dans tout ça, mais, voyez-vous, c'est quand même un apport aussi. Alors, soyons bien prudents, tout le monde, puis, je retiens une chose, soyons profondément rigoureux. Et ça, je vous en remercie, c'est un peu nouveau, ça, quant à moi. Merci beaucoup.

M. Emmell (Vincent): Je vous remercie. Si je peux ajouter quelque chose à ce que...

M. Beaumier: Oui.

M. Emmell (Vincent): ...vous avez dit... Pour votre carte de crédit, probablement qu'on n'avait pas l'information de base.

M. Beaumier: C'est ce que je pense.

(17 h 30)

M. Emmell (Vincent): Par contre, on voulait s'assurer que, lorsqu'on était pour vous faire parvenir votre nouvelle carte, un intrus n'aurait pas pris votre carte à votre place et ainsi, en vous demandant une information que seul, vous, vous êtes supposé de savoir, on peut... une façon de vous identifier.

M. Beaumier: Ils ont peut-être voulu vérifier si je savais ce que je disais, là, peut-être, mais, moi, j'ai soupçonné qu'ils ne l'avaient pas, effectivement. Mais que sais-je?

M. Emmell (Vincent): Puis, pour ce que est de l'information qui existe, si je peux prendre une anecdote là-dessus... Moi, par expérience, je peux vous dire que, si on collecte de l'information, si elle existe d'une façon ou d'une autre, cette information-là, il va toujours se trouver quelqu'un de très intelligent pour pouvoir l'utiliser à une fin. Puis, par expérience, il y a plusieurs années, lorsqu'on ouvrait un compte de banque, on nous demandait, comme identifiant, notre numéro d'assurance sociale. À cette époque-là, la banque n'avait absolument pas besoin de ça. C'était strictement pour vérifier que l'employé s'assurait d'identifier la personne qui était là. C'était le travail de l'employé qu'on voulait vérifier. Sauf qu'un jour il y a des informaticiens qui ont dit: Mon Dieu! On possède le numéro d'assurance sociale de tous nos clients, on va s'en servir comme identifiant général.

M. Beaumier: Intéressant.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: J'aurais deux questions à vous poser: une à M. Emmell puis une à M. Péladeau. La première à M. Emmell: j'aimerais ça que vous illustriez un peu plus complètement ce que vous avez appelé le «rognage des droits individuels». Et puis, vous, j'ai lu votre article dans Le Devoir et qui est un excellent article, puis c'est un peu de là que je suis parti pour réfléchir à ça. Mais je vais vous poser une question. Des fois, dans l'article, vous aviez quelques fenêtres là-dessus, mais... Cette demande d'une carte d'identité qui arrive à un moment donné dans le système politique, ça a quoi comme origine? Parce que, quand on vous écoute parler, évidemment, on a l'impression que, dans la société contemporaine, l'identité, c'est beaucoup plus labile que ça l'a été antérieurement. Vous, vous dites: Moi, sur ma carte d'assurance-maladie, l'adresse que je donne, ce n'est pas l'adresse de ma maison principale, c'est une maison secondaire. D'où ça vient, cette demande-là? Est-ce que c'est parce qu'il y a des élites – bureaucratiques en particulier – qui sont hantées par la peur de perdre le contrôle? Quel est le fondement sociologique de cette demande qui est une demande qui... Pour ce qui est de l'Europe, évidemment, la demande a été faite il y a bien longtemps, on peut l'expliquer dans un autre contexte, mais comment se fait-il que, à ce moment-ci, cette demande-là apparaît chez nous?

M. Péladeau (Pierrôt): Il y a plusieurs réponses à votre question. Sur le plan social, il semble que, d'un point de vue historique – et ça, je me fie à mon collègue qui a fait un peu une histoire des cartes d'identité un peu partout – ça apparaît à peu près toujours à un moment de crise, soit de crise de type guerre, soit de crise sociale. En 1971, quand on avait parlé d'une carte, c'était dans un contexte de crise sociale. Là, ici, c'est le contexte de la crise budgétaire. Donc, il y a cet aspect-là. D'un point de vue social, c'est le contexte. C'est toujours à ces moments-là qu'on en parle, parce que sinon...

L'autre élément, c'est qu'il existe un contexte de changement, effectivement, technologique, de façon de donner les services qui fait qu'on donne... Prenons juste les entreprises de services publics. Déjà, aujourd'hui, même les compagnies d'assurance, Hydro-Québec, les compagnies de téléphone, les choses dans le genre, font affaire avec leur clientèle essentiellement par téléphone ou par la poste. Elles ne rencontrent à peu près pas la personne. Moi, j'ai fait de l'audit de ces systèmes-là, et il y a des chiens qui sont abonnés à ces services-là, à des services de services publics. Il y a des faux noms, il y a plein de choses. Bon, elles ont, jusqu'à date, accepté d'assumer les risques parce que le taux de mauvaises créances est quand même relativement bas, mais il y a le fait qu'on se dirige de plus en plus vers donner les services à distance, via Internet, via le téléphone, via le câble, et tout ça, donc la question de l'identification va devenir extrêmement importante. Entre autres, ne serait-ce que, si j'ai accès à mon propre dossier médical via Internet ou mon propre dossier de crédit via le câble, il va falloir que je puisse m'identifier, que ça ne soit que moi et les personnes autorisées ou que j'autorise qui vont y avoir accès. Donc, la question de l'identification va se poser.

L'autre élément, c'est qu'il y a aussi ce qu'on appelle en anglais un «technological push», c'est-à-dire qu'il y a plein de gens sur le terrain – il y a tout un marché de ces nouveaux mécanismes-là – des firmes d'informatique, des firmes qui font des cartes à puce, et on essaie... Bon, par exemple, dans le cas de la carte à puce de Rimouski, on a fait une grosse expérience qui a coûté plusieurs millions, merci, et là on se dit: Il faudrait peut-être rentabiliser nos investissements. Puis là on crée une société qui va commercialiser ça à l'échelle de la planète. Bon, et là on se dit: Bien, là, on va en faire un projet dans le cadre de la conférence socioéconomique à l'automne. Il manquait un projet pour la région de Québec. On va prendre ça puis on va l'adopter. On va mettre ça dans nos cartons. Il y a le «technological push». Il y a des gens qui veulent faire la promotion de leur technologie.

Donc, c'est un petit peu le contexte. Il y a un besoin identifié par une question de crise des finances publiques, il y a le fait qu'il y a la technique qui nous impose une nouvelle façon de faire qui repose la question de l'identification puis il y a des gens qui ont des gadgets, ou des technologies à vendre, ou des consultants à vendre et qui ont besoin... Soit qu'ils vendent carrément le gadget, soit qu'ils veulent développer des systèmes informatiques qui vont avoir besoin du gadget.

M. Laporte: Des entrepreneurs technologiques.

M. Péladeau (Pierrôt): Des entrepreneurs technologiques. Donc, dans ce sens-là, la question c'est de se dire: Est-ce que – et là je boucle la boucle avec mon collègue Vincent – c'est ces changements technologiques qui doivent déterminer ou, au contraire, ce sont nos besoins qui vont... Parce que la donne technique est très large. Aujourd'hui, on est capable de faire... Juste dans le domaine bancaire – parce que c'est un domaine que tout le monde connaît, on a tous des cartes de débit, ça fait que je n'aurai pas un problème compliqué – il est possible aujourd'hui, pour une banque, de faire un système d'identification de carte de débit qui serait, à un bout du spectre, aussi anonyme que l'utilisation du papier-monnaie, c'est-à-dire que la banque n'aurait aucune idée où... elle verrait juste passer l'argent. Votre compte fluctuerait, là, mais elle serait incapable de savoir où vous avez magasiné, à quel moment, tout ça. Techniquement, ça existe. C'est même expérimenté en Europe. Et, à l'autre bout, on est capable de concevoir un système où on pourrait savoir dans le détail chacune des transactions que vous faites avec ces cartes de débit là, et même dans le très détail, c'est-à-dire non seulement savoir à quelle heure, à quel moment, avec quel commerçant, mais on pourrait même pousser jusqu'à savoir quel produit vous avez acheté. Ça, c'est l'éventail. Donc, la technologie est là, et on fait des choix plus dans un sens que dans l'autre, parce qu'on dit: Bien, on va générer de l'information qui va nous servir à faire des profits, etc. Donc, dire oui, il y a une offre technologique qui amène le débat, mais aussi cette offre-là, elle nous ouvre sur des choix qui sont de nature éthique, qui sont de nature carrément politique, c'est-à-dire que de décider, de permettre de dire: Non, on va faire ça de façon anonyme...

Juste un autre exemple. Il y a une autoroute qu'on vient d'ouvrir dans le nord de Toronto, tout ce qu'on voulait, c'était de payer le péage, mais les premiers projets, c'était qu'on allait savoir qui allait payer le péage à tel moment, à tel endroit, à telle heure. Là, on s'est objecté et on a dit: Bien non, on est capable d'avoir le même résultat de façon totalement anonyme, c'est-à-dire que tout ce qu'on veut savoir, c'est si la personne a de l'argent pour payer et si elle paie.

La même chose, on veut changer les cartes dans les grandes sociétés de transport. Il y a à peu près quatre ou cinq consortiums qui veulent vendre leurs cartes à puce pour les sociétés de transport. Bien, on peut concevoir un système qui, comme maintenant, comme mon billet de transport, est anonyme – ça ne dit pas que c'est moi qui a passé à telle heure, telle chose – ou on peut faire un système qui va savoir exactement que, moi, à telle heure, j'ai passé à tel endroit, tout ça. Et la société de transport va peut-être s'objecter et dire: Oui, mais moi, peut-être que ça me serait utile de savoir les trajectoires, points de départ, destinations. Oui, on a la technologie qui permettrait à la fois de faire ça anonyme et de produire les statistiques, ce qui permettrait de mieux harmoniser l'offre de transport à la demande.

Donc, juste pour finir de répondre, oui, effectivement, il y a une offre technologique qui nous pousse, il y a des gens qui veulent vendre leurs gadgets, mais le nombre de gadgets est devenu tellement grand que maintenant ça nous offre l'opportunité des choix politiques.

M. Emmell (Vincent): Je te remercie, Pierrôt, tu as presque répondu à ma question.

Des voix: Ha, ha, ha!

(17 h 40)

M. Emmell (Vincent): Parce que, effectivement, ce choix technologique là, il existe, puis, si on choisit le terme dont tout le monde a peur, le «big brother», qui est l'autre partie du spectre, qu'on n'est pas capable de faire un pas sans que quelqu'un l'enregistre quelque part puis que, à un moment donné, on trouve la petite faille pour nous solliciter de la façon dont on ne veut pas être sollicité ou, de l'autre côté, qu'on puisse encore être permis de faire une transaction aussi anonyme que de prendre de l'argent comptant et de le donner à un commerçant ou à n'importe qui pour payer un service, c'est ça qu'il faut regarder. Parce que la technologie, maintenant, ça va tellement vite, les ordinateurs, ça traite tellement vite l'information qu'on dit: Bof! Une fois que le programme est là, ça ne coûte plus rien, ça se traite très facilement. Puis pourquoi on irait se bâdrer de rendre des comptes à la personne que ça concerne? On peut carrément passer à côté. En plus de ça, elle ne s'en rendra même pas compte. Ça fait que je pense qu'il faut être très, très vigilant là-dedans, puis qu'il faut aller vraiment... On a des droits, puis ces droits-là, on doit absolument s'assurer que ce n'est pas la technologie qui va les rogner, parce que ça les rogne carrément. À chaque fois qu'on permet d'aller chercher de l'information sans que je sois au courant, ou sans mandat, ou sans n'importe quoi, ou sans que je puisse un jour avoir des comptes pour celui qui m'a pris de l'information, bien, on rogne mes droits.

Puis on parle toujours de fraude, de fraude, de fraude, de fraude, mais moi, je peux vous dire quelque chose, c'est que, par expérience, lorsque le système est très ouvert, comme aujourd'hui, c'est plus facile à faire de la fraude. Mais, plus on va sophistiquer notre système, on va peut-être enlever les «jobbeux» dans la fraude, mais les grands spécialistes, eux autres, ils vont trouver le moyen, puis ça va nous coûter pas mal plus cher, parce que, quand on va tomber dessus, on va avoir perdu pas mal d'argent. Parce que c'est toujours ça qui s'est produit à chaque fois qu'on a sophistiqué un système: ce système-là, quand une fraude se déclarait après, c'étaient des millions et des millions de dollars parce qu'il y a eu quelqu'un d'assez intelligent pour trouver, justement, la faille que personne n'avait vue puis que, généralement, c'est par pur hasard qu'on trouve cette chose-là.

Un exemple très simple qui est arrivé dans une banque de New York il y a plusieurs années. On avait mis un système très sophistiqué pour aider les gens à déposer rapidement l'argent dans leur compte. Alors, on avait fait des bordereaux de dépôt avec une encre magnétique, avec le numéro de ça. Alors, il y a quelqu'un de très intelligent qui a tout simplement pris ces bordereaux de dépôt là puis il les mettait sur les tables à l'entrée de la banque où il y avait déjà des bordereaux de dépôt, mais sans encre magnétique. Alors, tout le monde déposait dans son compte, puis on s'en est rendu compte strictement parce qu'il y a eu une descente policière chez un «bookie», comme on dit en bon français, puis on s'est rendu compte qu'il y avait quelqu'un qui était millionnaire et que l'argent venait toujours de cette banque-là. Et c'est comme ça qu'on s'en est rendu compte et, comme vous savez, on a tout de suite enlevé ces bordereaux de dépôt là. Mais c'est toujours la même chose avec la technologie. Si l'information est là, on va l'utiliser.

Le Président (M. Garon): Ça veut dire que tout le monde déposait dans le compte de ce monsieur-là?

M. Emmell (Vincent): Tout le monde, bien...

Le Président (M. Garon): Ils devaient s'apercevoir que l'argent n'était pas dans leur compte.

M. Emmell (Vincent): Oui, mais essayez de trouver où elle est, par exemple. Ça, c'est difficile. Mais ils ne s'en sont pas rendu compte, sauf par pur hasard.

M. Laporte: Juste un...

Le Président (M. Garon): Allez-y.

M. Laporte: Je trouve ça bien intéressant ce que vous dites, vous deux et M. Péladeau, sur l'espèce d'arc technologique, parce que j'ai lu, il y a quelques années, pas mal de choses sur la société de surveillance, O.K.? Mais les gens qui écrivent sur la société de surveillance, eux autres, ils pensent à une technologie de surveillance intime, de surveillance personnelle, alors qu'il y aurait une technologie qui serait aussi efficace au point de vue, disons, de la gestion de l'information et qui ne serait absolument pas intime, qui serait complètement anonyme. Donc, comme vous dites, on a des choix politiques, mais, comment dirais-je, est-ce que ces choix sont débattus au sein des entreprises auxquelles vous donnez des conseils? Est-ce que les gens sont conscients de cette...

M. Péladeau (Pierrôt): Au Québec, c'est assez nouveau, cette préoccupation-là. Aux États-Unis, c'est beaucoup, beaucoup débattu au sein des entreprises par rapport aux règles d'encryptage, d'encodage des communications. Il y a un gros débat qui oppose, d'un côté, l'administration américaine et, de l'autre côté, quelque chose d'aussi touffu que les banques et les défenseurs des droits civils sur la question, justement... En fait, le débat, c'est que, bon, on veut faire un code pour assurer la confidentialité des communications, un peu comme si on codait nos communications cellulaires, par exemple. Et là aux États-Unis, il y a une proposition, ils disent: Bon, bien, là, nous, ce serait une agence de sécurité, la National Security Agency, qui est une petite agence qui a seulement cinq fois le budget de la CIA, qui produirait ces cartes-là et qui les donnerait à tout le monde. C'est un peu l'équivalent de si on disait: Demain matin, c'est la Sûreté du Québec qui fournit les serrures pour toutes les portes de maisons à travers la province. Vous imaginez que ça créerait certains... Ça fait que, aux États-Unis, c'est le débat qui a soulevé cette question-là. Au Canada et au Québec, on commence à peine à se rendre compte de ces possibilités, à tel point que, c'est ça, il y a six mois, il y a eu un colloque organisé par Industrie Canada justement pour, la première fois, qu'on en parle. On a fait venir, justement, des vendeurs de ces nouveaux gadgets puis on a fait une espèce d'atelier de présentation.

Donc, on commence à peine à s'en rendre compte. Donc, on n'est pas encore rendu à l'état de la discussion là-dessus, sauf que je pense que, là, justement, les demandes des ministères nous amènent à dire: Bien, là, il faudrait peut-être regarder les alternatives. Parce c'est fini, le modèle des années soixante, un gros «main frame» centralisé quelque part. Maintenant, on est capable de mettre l'intelligence n'importe où dans le réseau, y compris dans la poche de la personne, dans une carte à puce, et ça, ça permet toutes sortes de réorganisations de la structure de pouvoir. Si on prend une carte à puce – prenons une carte multiservices – ça peut être autant un outil pour l'État pour contrôler chacun des gestes des citoyens que, à l'inverse, ça peut devenir un outil pour le citoyen de contrôler ce que fait l'État avec ses dossiers, c'est-à-dire qu'il n'y aura pas moyen que l'information aille du point a au point b sans passer par la carte, par exemple. Dans le domaine de la santé, pour la carte- santé, la même chose. On peut concevoir qui va décider ce qu'il y a sur la carte-santé sur le plan clinique. Est-ce que c'est le patient qui porte la carte? Est-ce que c'est les médecins? Est-ce que c'est la RAMQ, le ministère ou un mélange de décisions, de pouvoirs entre tous ces éléments-là? C'est une décision politique, là, ce n'est pas une décision technologique. Maintenant, la technologie est tellement grande que, comme on n'a plus de modèle fixe – il y en a plein, tous les modèles sont possibles – dans la décision entre une technologie ou une autre, le seul critère est d'ordre politique ou éthique.

Le Président (M. Garon): Dans l'article que vous avez écrit dans Le Devoir , vous aviez dit à un moment donné: «Pour sauver la mise, la commission de la culture devrait restreindre l'ambition de la consultation. Elle devrait annoncer clairement qu'on ne visera pas à trancher la question. Il s'agirait plutôt de produire un rapport faisant un état exhaustif de la situation et des enjeux et proposant aussi une démarche à suivre pour débattre les projets particuliers qui viendront.» Alors, la démarche à suivre, quelle serait-elle pour vous?

M. Péladeau (Pierrôt): Là-dessus, il y a plusieurs modèles. Idéalement, il faudrait que, un, justement, on identifie les besoins – ça, on en a parlé tantôt – deux, qu'on regarde c'est quoi, les alternatives pour répondre à ces besoins-là, c'est-à-dire qu'il y a des alternatives technologiques que j'ai identifiées. Parfois, elles peuvent être beaucoup plus radicales, c'est-à-dire que si, par exemple, on veut combattre la fraude dans l'aide sociale et les services sociaux, etc., peut-être que la solution – intrinsèquement, ces systèmes-là appellent les contrôles. Là, je ne parle que pour moi-même, d'ailleurs – c'est d'abolir l'aide sociale, l'assurance-chômage, et tout ça, puis de mettre un salaire de citoyen à tout le monde. Ça fait que tout le monde va être sur les mêmes contrôles, ça va être le ministère du Revenu. Ça fait qu'on va régler le problème. On va avoir un seul contrôle, pas trop d'échanges d'informations entre 36 ministères, prêts et bourses, aide sociale, assurance-chômage. C'est ça, on a créé une structure – ça, c'est aussi un des éléments de l'alternative – en fait, un filet de sécurité sociale où il y a du monde qui passe dans le filet, puis le filet se referme sur d'autres personnes. Peut-être que ce qu'il faudrait créer, c'est une trampoline de sécurité sociale: tout le monde, c'est égal, tout le monde retombe comme ça, puis ça éliminerait beaucoup de contrôle, et tout ça. Bon. Mais ça, ce n'est pas pour demain matin dans le débat. Mais je fais juste signaler que c'est aussi une alternative de regarder de façon radicale comment est structuré notre filet puis peut-être le transformer en trampoline. Il y a des économistes qui ont travaillé là-dessus, etc.

(17 h 50)

Donc, on regarde les besoins, on regarde les alternatives possibles pour répondre à ces besoins et, ensuite, on tente de faire déjà une première évaluation. Ça, ça peut être fait par l'organisme lui-même avec l'aide d'expertise, et il y a des organismes qui peuvent aider: le Protecteur du citoyen, le ministère des Relations avec le citoyen, la Commission d'accès, la Commission des droits de la personne, le Conseil de la science et de la technologie, bon, etc. Dans le domaine médical, il y a un Conseil d'évaluation des technologies médicales. Il y a plein d'organismes qui peuvent jouer leur rôle. Une fois ça là, c'est là qu'il va falloir déterminer ce qu'on fait. Aux États-Unis, on a décidé que c'était le Congrès américain qui faisait ça, c'est-à-dire avec l'aide d'un bras qui s'appelle «Office of Technology Assessment», qui étudie les nouveaux projets de systèmes d'information et de modification de systèmes existants, et ça marche relativement bien. Ici, en tout cas, ça nécessiterait peut-être aux députés... Ça serait intéressant, dans la revalorisation du travail des députés, qu'ils regardent aussi ces aspects-là. Peut-être que ça peut être un autre modèle, c'est-à-dire qu'on crée un organisme ou qu'on modifie le mandat d'un organisme comme la Commission d'accès à l'information pour pouvoir tenir ce genre d'audiences là.

Mais il est clair qu'il y a un élément, c'est que, une fois qu'on a produit les documents, deux, on consulte la population et tous les intéressés pour qu'ils puissent donner un input là-dessus et que même on ait aussi l'autre élément, ce que ça va prendre nécessairement, une expertise publique, c'est-à-dire que, via les universités ou les ministères, il y ait une expertise publique disponible – et pour les députés aussi – qu'il y ait une expertise qui soit disponible, qui leur permette d'avoir des outils pour critiquer les projets qui vont leur être soumis. Et ça, on n'a pas à créer nécessairement des choses. On a des organismes qui existent: le Conseil de la science et de la technologie, on a des universités, on a des organismes-conseils et on a des ministères qui pourraient développer cette expertise-là.

La procédure, donc, c'est à peu près cela, et, après, bien, il va y avoir une décision politique. Il y a quelqu'un qui va trancher. Est-ce que ça doit être une recommandation d'un organisme du type BAPE? Puis, ensuite, il y a une vraie décision qui est prise où, par exemple, ça serait le législateur dans le cas des systèmes publics. Ça, c'est à déterminer. Mais, grosso modo, c'est ça. En fait, pour réduire ça, les proposeurs font leurs devoirs, et on soumet les devoirs qu'ils ont faits à la population, à une population qui est équipée pour pouvoir faire la critique et donner une note, et après on prend une décision. Ça serait ça, grosso modo.

Mais il reste la question: Qui va le faire? Il y a comme deux modèles: ou bien c'est un modèle de type d'assemblée parlementaire, c'est-à-dire une commission parlementaire, ou un modèle plus du type CRTC ou BAPE, où il y a des audiences, c'est un peu plus formel: on présente, il y a des experts, des contre-experts – ça peut être un peu lourd – et là, au bout de la ligne, il y a une décision qui peut être d'ordre consultatif ou effective.

Le Président (M. Garon): Mais considéreriez-vous la Commission d'accès à l'information comme cet organisme de type BAPE, ou sinon pourquoi?

M. Péladeau (Pierrôt): Il faudrait modifier énormément son mandat, parce que, là, il y a déjà d'énormes problèmes avec le fait qu'elle cumule le mandat... En tout cas, il y a beaucoup de critiques au niveau de la Commission, du fait qu'elle doit cumuler présentement le mandat d'être un tribunal qui doit garder son indépendance, de pouvoir même parfois émettre des règlements, d'être un organisme d'enquête et parfois de faire des directives. Si on ajoute en plus la question de l'évaluation sociale, ça implique, première des choses, qu'on lui fait éclater son mandat parce que, présentement, elle regarde les aspects procéduraux liés à la protection des renseignements personnels, alors que, là, on lui demanderait de regarder tout l'éventail des enjeux sociaux, légaux, éthiques, économiques des enjeux. Il s'agit de poser la question si elle est équipée pour faire ça, et, deuxièmement, de voir comment on encadrerait ça.

Il y a des gens qui disent qu'une des solutions, ça serait que... En fait, il y a comme deux tendances dans les débats présentement au Québec. Ça serait de dire, un peu comme pour le CRTC à Ottawa: On formalise toutes les procédures, ce qui fait qu'elle peut cumuler ces différents chapeaux dans des procédures très claires ou encore on divise, un peu comme le modèle Commission des droits de la personne, où on a mis... bon, on va la libérer de son rôle de tribunal, et elle va pouvoir jouer un rôle conseil beaucoup plus large, moins légaliste et plus prospectif. Ça, c'est une autre solution. Ça, c'est les deux avenues qui sont débattues. Mais il est clair que, telle qu'elle est là, la Commission n'a ni le mandat ni l'expertise pour tenir ce genre de... parce que son mandat et son expertise sont très confinés à la question de la protection des renseignements personnels, alors que, ici, ça s'élargit énormément.

L'autre possibilité, ce serait une commission de type tripartite, éventuellement: Protecteur du citoyen, Commission des droits de la personne et Commission d'accès à l'information, parce que, en général, la Commission d'accès, elle regarde les aspects collecte, communication et stockage d'informations; le Protecteur du citoyen, lui, il voit les pots cassés et prend après les décisions; et la Commission des droits de la personne, elle, elle a à s'occuper de tous les droits, par exemple. Ça fait que, éventuellement, on pourrait utiliser les trois organismes puis créer une commission ad hoc à partir d'experts de ces trois organismes là. C'est un autre modèle. Il y en a plusieurs modèles. Ce n'est pas les ressources qui sont disponibles ou l'expertise. Il s'agit de la formaliser.

Le Président (M. Garon): Je remercie M. Emmell et M. Péladeau, de leur contribution aux travaux de cette commission. Suite à votre article dans Le Devoir , je sais que les membres vous attendaient avec impatience pour connaître votre point de vue de façon plus large au cours de cette série de consultations, et nous vous remercions d'être venus nous rencontrer et de nous avoir exposé votre point de vue. Alors, je suspends les travaux jusqu'à 20 heures, ce soir.

(Suspension de la séance à 17 h 56)

(Reprise à 20 h 10)

Le Président (M. Garon): La commission reprend ses travaux, et j'invite les représentants de l'Association sur l'accès et la protection de l'information à s'approcher de la table des délibérations. Mme Denise Larouche, présidente, si vous voulez nous présenter les gens qui vous accompagnent. Nous avons une heure ensemble, c'est-à-dire normalement une vingtaine de minutes pour présenter votre mémoire et le même temps pour chacun des deux groupes parlementaires. Ce que vous prendrez en plus leur sera soustrait, et ce que vous prendrez en moins, ils pourront l'utiliser pour discuter avec vous de votre mémoire.


Association sur l'accès et la protection de l'information (AAPI)

Mme Larouche (Denise): Alors, j'ai avec moi Mme Annie Rousseau, qui est vice-présidente de l'Association, ainsi que Mme Cynthia Morin, qui est administratrice de notre association et qui va d'ailleurs vous présenter le mémoire.

Mme Morin (Cynthia): Alors, M. le Président, Mmes, MM. les députés, bonsoir. Je tiens d'abord à vous remercier de nous avons invités à cette commission ce soir. Je vous présente tout d'abord l'Association sur l'accès et la protection de l'information, l'AAPI. L'Association sur l'accès et la protection de l'information, c'est un organisme sans but lucratif qui a été incorporé le 7 mai 1991 sous la partie 3 de la Loi sur les compagnies du Québec et qui compte environ plus ou moins 400 membres provenant des secteurs public et privé. Un conseil d'administration composé d'un président, d'un vice-président, d'un secrétaire, d'un trésorier et d'au plus cinq administrateurs élus par l'assemblée générale des membres dirige et administre cette Association.

Les membres de notre Association sont, pour la plupart, des responsables de l'application de la loi sur l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels dans le secteur public. Depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé nous comptons aussi des membres du secteur privé. Nos membres ont donc la responsabilité, au sein de leur organisme et de leur entreprise, de respecter les règles qui régissent la cueillette, la détention, l'utilisation et la communication à des tiers de renseignements personnels.

La mission de notre Association est tout d'abord de former, d'informer et de sensibiliser les membres sur divers sujets d'intérêt reliés à tous les secteurs d'activité. Cette formation continue s'exerce par le biais de conférences, d'ateliers, de congrès, de bulletins d'information, dont l' AAPI Express qui est distribué quatre fois par année.

Les activités de notre Association. Au fil des ans, l'Association a acquis une vaste expérience en matière d'accès à l'information et de protection des renseignements personnels. Elle est intervenue à quelques reprises en commission parlementaire afin d'apporter son expertise, que ce soit lors de la commission concernant la loi sur le secteur privé, la loi 68, ou encore lors de la révision de la loi d'accès dans le secteur public.

Les sujets d'intérêt qui préoccupent notre Association sont notamment la sécurité informatique, l'épuration des bases de données, le couplage informatique, la confidentialité et la gestion des dossiers, les directives de la Commission d'accès à l'information, l'interaction du pouvoir politique sur la gestion des lois concernant l'accès à l'information et la vie privée, les impacts économiques de ces deux lois, l'autoroute de l'information et, enfin, la carte d'identité.

En mai 1994, notre Association tenait, à l'hôtel Loews Le Concorde, son congrès annuel, et une des conférences qui a été traitée lors de ce congrès fut la carte d'identité au Québec, enfin la possibilité d'avoir une carte d'identité. Cette activité a connu un certain succès et suscita un intérêt marqué auprès de nos membres et auprès des médias aussi, que ce soient les médias écrits ou la radio. Cette conférence faisait état de la situation au Québec concernant la carte d'identité et la protection de la vie privée ainsi que de la situation qui prévaut à l'étranger dans des pays tels que l'Allemagne, la Hongrie, la France, les États-Unis, etc. Les pistes de solution possibles et envisageables furent analysées les unes après les autres sans pour autant avoir la prétention d'en avoir fait une étude exhaustive. Il y a toutefois un constat qui est ressorti tout de même de cette conférence: le statu quo ne devrait pas être maintenu. Un système d'identification facultatif devrait être mis à la disposition des Québécois afin de leur permettre de justifier leur identité sans pour autant compromettre la protection de la vie privée à laquelle ils ont droit et qui est maintenant consacrée dans la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé.

En conclusion, la conférencière – qui était moi-même – soulignait que la problématique n'avait pas fini de faire couler de l'encre, que cette question méritait toute notre attention ainsi qu'une mûre réflexion afin de trouver une solution qui serait démocratiquement acceptable pour tous et afin de ne pas mettre en péril les acquis que nous avons obtenus avec l'adoption de la loi 68 dans le secteur privé.

Avec les nombreux services gouvernementaux et programmes offerts aux citoyens par l'État, l'État doit s'assurer de l'éligibilité des personnes qui en bénéficient, et, en cas de fraude ou de double paiement, les autorités concernées veulent également s'assurer de pouvoir retracer la personne qui, le cas échéant, a reçu des prestations sans droit. L'expérience démontre que ce besoin répond aux objectifs poursuivis tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Le besoin d'identification n'est sans nul doute contesté. Nos membres, en tant que responsables de la protection de la vie privée au sein de leur organisme ou au sein de leur entreprise privée, se doivent de plus de respecter les lois qui régissent la cueillette, la détention, l'utilisation et la communication à des tiers de renseignements personnels.

Les responsables de l'application de l'une ou l'autre de ces deux lois touchant le respect de la vie privée ont donc une double responsabilité: s'assurer de l'identification d'une personne dans le but d'éviter la fraude tout en respectant la vie privée de celle-ci. Or, il appert que la Commission d'accès à l'information est quotidiennement confrontée aux plaintes de citoyens qui considèrent abusives les pratiques de certains organismes publics et de certaines entreprises privées qui exigent et recueillent à des fins d'identification des renseignements qui ne sont pas destinés à cet usage. On est donc forcé de constater que la poursuite des devoirs et des responsabilités de nos membres s'avère difficile, voire même inapplicable dans le contexte actuel du système d'identification québécois. Voilà pourquoi nous croyons qu'une intervention de notre part, ce soir, est plus que nécessaire.

Je vais maintenant traiter des diverses solutions qui pourraient être envisagées, voire même adoptées, en considérant évidemment les avantages et les désavantages de chacune d'entre elles. Comme je l'ai dit tout à l'heure, le statu quo n'est certes pas une avenue que nous envisageons compte tenu du constat fait précédemment, mais nous tenons tout de même à expliquer davantage notre opposition à cette solution.

Le système d'identification actuel des Québécois, s'il en est un, est inadéquat du fait que de nombreuses plaintes sont logées régulièrement devant la Commission. Certes, la plupart de ces plaintes concernent des pratiques abusives, à savoir que certains organismes ou commerçants ne se contentent pas de vérifier l'identité des personnes avec qui ils transigent, mais colligent aussi soit le numéros de permis de conduire, soit le numéro d'assurance sociale ou même le numéro d'assurance-maladie. D'aucuns pourraient dire que, si ces derniers se contentaient uniquement de vérifier l'identité de la personne et que les numéros donnant accès à ces renseignements personnels n'étaient pas recueillis, il n'y aurait plus de problématique, mais nous croyons que le débat va encore plus loin que cela.

D'une part, si les autorités colligent les renseignements sur les pièces dites d'identité, c'est qu'elles désirent retracer la personne en cas de fraude, ce qui est tout à fait louable. D'autre part, le plus souvent, ce n'est pas une carte, mais bien deux pièces d'identité qui sont exigées. Partant du fait que le permis de conduire, le NAS et le NAM sont les cartes usuellement exigées, d'autant plus que maintenant deux d'entre elles sont pourvues d'une photographie, comment une personne peut-elle prouver son identité si elle ne possède pas de permis de conduire pour des raisons diverses – une personne âgée; une personne pour des raisons de santé; un permis retiré, un permis restreint – sans pour autant dévoiler son numéro d'assurance sociale, une pratique qui est pourtant interdite par la loi fédérale? Faire de la carte d'assurance-maladie, étant donné qu'elle est détenue par tous les Québécois, la pièce d'identité officielle, une carte d'identité, c'est un non-sens en soi. Combien d'entre nous sont-ils prêts à dévoiler des renseignements concernant leur santé physique ou même leur santé mentale?

(20 h 20)

En résumé, nous ne sommes pas d'accord avec le statu quo parce qu'il faut une carte d'identité pour contrer la fraude et que les cartes utilisées actuellement risquent de révéler des informations sensibles autre que les renseignements d'identité. Le statu quo étant écarté, faut-il privilégier l'utilisation de certaines pièces d'identité déjà en place? Pour les raisons que je viens d'expliquer, la carte d'assurance-maladie, le permis de conduire et l'assurance sociale ne sont pas des solutions à retenir. Le certificat de naissance pourrait être une piste intéressante s'il était pourvu de la photographie de son détenteur ainsi que de sa signature, mais le problème se poserait en ce qui concerne les personnes nées hors Québec. Or, vous le savez comme moi, l'immigration tient une place toujours très importante dans notre société, alors cette solution, on doit l'ignorer.

Les pièces déjà existantes ne pouvant servir adéquatement, nous devons donc envisager l'instauration d'un système d'identification, c'est-à-dire l'instauration d'une carte d'identité. Une carte d'identité comporte plusieurs avantages et, malheureusement, certains désavantages. Les avantages étant énumérés dans le document de réflexion sur la question de la carte d'identité au Québec produit par la Commission d'accès à l'information, il n'est pas question, ici, de les citer à nouveau, puisque nous considérons qu'il résume très bien la situation et que cette liste est en soi exhaustive. Je tiens toutefois à citer les désavantages émis dans ce document et à réfuter ces allégations.

Il est dit qu'une carte d'identité peut s'avérer un moyen de surveillance ou de contrôle de l'État sur les citoyens, mais la surveillance et le contrôle de l'État sur les citoyens existent déjà dans nos vies, et ce, dans plusieurs sphères d'activité que nous exerçons. On n'a qu'à penser aux revenus, aux prestations qu'il nous accorde, aux règles établies par la société. L'État personnifie juridiquement et politiquement la nation. Sans lui, sans ses limites, sans ses contraintes, ce serait le chaos. Son pouvoir de contrôle est nécessaire dans certains cas afin d'éviter les abus, les fraudes, les doubles paiements et de maintenir une saine gestion. Or, nous ne voyons pas en quoi l'État pourrait intervenir plus avec une carte d'identité dans nos vies que ce qu'il ne fait déjà. Au contraire, avec une carte d'identité, l'État s'assurerait de notre identité dans les relations que nous entretenons avec lui et uniquement de cela, contrairement à la situation qui prévaut actuellement, où on permet à ses officiers de recueillir des numéros qui risquent ainsi de leur donner accès à des renseignements qui ne sont pas nécessaires pour les objectifs visés.

On dit aussi qu'une telle carte peut engendrer des abus quant à l'obligation pour son détenteur de la produire à tout moment. N'est-ce pas déjà le cas? Citons seulement, à titre d'exemple, le fait que, pour pénétrer dans notre parlement, il faut présenter notre numéro d'assurance-maladie, notre numéro d'assurance sociale ou encore notre permis de conduire. N'aimerions-nous pas mieux présenter une seule carte qui prouve qui on est vraiment?

La carte, on dit qu'elle pourrait altérer aussi les relations entre les citoyens et les policiers. En quoi les policiers seraient-ils autorisés à exiger une telle carte, puisqu'ils disposent déjà d'un moyen sûr et efficace, à savoir le permis de conduire. Un telle carte ne les autorisera pas plus à nous arrêter sans justification.

En quoi une carte d'identité favoriserait la fraude et le crime en développant un marché pour des cartes volées ou contrefaites plus, par exemple, que ce n'est le cas pour la carte d'assurance-maladie qui, elle, donne droit à des services de santé gratuits, alors que l'autre ne fait qu'identifier son détenteur?

Certains disent même que l'instauration d'une carte facultative peut engendrer l'établissement d'une carte obligatoire. La pression peut se faire forte pour que tous les citoyens s'en dotent, de sorte que ceux qui n'en ont pas risquent d'être privés de certains services à défaut de la produire. Ne connaissons-nous pas déjà ce problème? Que fait actuellement une personne qui est sensible à la protection de sa vie privée et qui est désireuse d'être membre d'un club vidéo?

Nous avons réfuté la plupart des allégations le plus souvent soulevées par les opposants à une carte d'identité. Je vais maintenant passer à nos recommandations. Nous avons des dispositions légales qui réitèrent le fait que la carte d'assurance-maladie n'est pas en soi une carte d'identité, mais bien une carte qui donne accès à des services et à des soins de santé et que sa production ne peut être exigée que dans ces cas seulement. Il y a des dispositions dans la loi qui prévoient la carte d'assurance-maladie. Il en est de même pour le permis de conduire, qui ne doit servir qu'à des fins de sécurité routière et qui ne peut être exigé que dans ces cas uniquement. Nous avons de plus adopté, ici même, dans ce Parlement, une loi unique en Amérique du Nord qui proclame le droit à notre vie privée dans le secteur privé et qui oblige les entreprises à ne recueillir que les renseignements qui sont nécessaires à l'objet de leurs dossiers. Des obligations semblables existent maintenant depuis plus de 10 ans dans le secteur public aussi.

Les cartes existantes dites d'identité ne peuvent alors servir à cet usage sans risquer de compromettre notre droit à cette vie privée. Les Québécois ne disposent donc pas d'un mécanisme d'identification qui leur permettrait de justifier leur identité et uniquement leur identité. Un mécanisme devrait être mis à leur disposition afin d'éviter, d'une part, qu'ils rencontrent certaines difficultés dans leurs transactions commerciales et, d'autre part, afin de rassurer l'État ou les entreprises qui transigent avec eux. Nous croyons que l'instauration d'une carte facultative serait préférable, puisqu'il ne s'agit pas, ici, de contraindre qui que ce soit à se doter d'une autre carte d'identité, puisque certains considèrent qu'ils en ont suffisamment pour le moment. Il s'agit plutôt, ici, d'offrir une alternative aux personnes qui sont soucieuses de leur vie privée et qui ne veulent être obligées de montrer une panoplie de cartes à qui veut bien l'exiger. Les gens qui choisiront de ne pas prendre la carte d'identité facultative assumeront les risques d'atteinte à leur vie privée lors de la présentation d'autres cartes.

Sur la carte que nous proposons, on pourrait retrouver tout simplement des renseignements nécessaires à l'identification tels que les nom, prénom du détenteur, une photographie de ce dernier ainsi que sa signature étant donné que ces éléments sont considérés nécessaires pour constituer une authentique carte d'identité. Lieu et date de naissance pourraient y être ajoutées. L'adresse de résidence aussi est nécessaire, et le numéro de téléphone.

Afin d'éviter la contrefaçon, plusieurs solutions peuvent y être apportées. On a qu'à penser, notamment, soit à la signature d'un officier qui est seul autorisé à émettre la carte, à une carte qui serait plastifiée avec un hologramme ou à d'autres moyens qui rendent difficile l'imitation de la carte, ainsi qu'il y a un numéro qui serait rattaché à la carte – et à la carte uniquement – et qui changerait en cas de perte ou de vol de celle-ci, bref un numéro qui servirait seulement à des fins administratives.

Cette carte pourrait être émise dès l'âge de 15 ans, et ce, pour une durée de cinq ans, jusqu'à l'âge de 30 ans et, par la suite, pour une période de 10 ans.

Les fins pour lesquelles cette carte pourrait servir seraient diverses: pour l'accès aux services gouvernementaux, lors de transactions commerciales de toutes sortes, en somme pour toutes fins nécessitant que l'on décline son identité.

Les autorités locales, villes ou municipalités ou encore le directeur de l'état civil pourraient émettre cette carte. Nous ne croyons pas que l'idée que les services policiers ou encore la Sûreté du Québec émettent de telles cartes fasse l'unanimité auprès des citoyens pas plus que celle de déléguer cette tâche aux institutions financières, tandis que, en ce qui concerne la Société de l'assurance automobile du Québec et la Régie de l'assurance-maladie du Québec, nous croyons qu'elles ont déjà une gestion à effectuer en ce qui concerne leur propre carte.

Vous me direz: Comment s'assurer que ces cartes sont vraies, qu'elles contiennent des renseignements qui sont à jour et exacts, permettant de retracer leur détenteur? Nous avons pensé à un système. Nous croyons que, en ce sens, la création d'un registre central serait nécessaire. Il pourrait être géré par une autorité locale ou encore, seulement à titre d'exemple, par le directeur de l'état civil. L'accès à un tel registre serait permis à toute personne démontrant son intérêt à retracer une personne, mais uniquement dans les cas de vol ou de fraude.

Il importe que l'élaboration des limites d'accès et d'utilisation se fasse par le biais d'une législation. Nous croyons que le couplage de fichiers pour des fins de comparaison de données pourrait être accordé à la Société de l'assurance automobile du Québec ou encore à la Régie de l'assurance-maladie du Québec, par exemple, conformément aux limites prévues à la loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

(20 h 30)

La mise à jour des cartes pourrait se faire de la façon suivante: une mise à jour obligatoire effectuée par le détenteur en cas de changement d'adresse ou d'autres données telles que le nom et une confirmation d'adresse auprès de l'autorité émettrice responsable qui devrait se faire aux deux ans sous peine de sanctions qui pourraient aller d'une amende ou encore à une révocation de la carte en cas de récidive.

Nous ne croyons pas opportun que cette carte puisse servir dans des déplacements à l'extérieur du pays, car telle est la raison d'être du passeport, et nous ne pouvons présupposer que cette carte sera acceptée par les autorités étrangères. Si tel était le cas, nous n'y verrions certainement aucun inconvénient.

Comme je l'ai déjà mentionné, cette carte pourrait être tout simplement plastifiée, avec des éléments permettant d'éviter sa contrefaçon. À savoir si elle doit être munie ou dotée d'une zone de lecture optique ou encore d'une piste magnétique, nous laisserons, ici, les experts en débattre en temps voulu.

Évidemment, vous me direz que l'instauration d'un tel système d'identification engendrerait des coûts. Mais la vie privée a, elle aussi, un prix qui ne peut, souvent, être racheté. Il nécessiterait fort probablement l'élaboration d'une loi aussi, mais ne nous sommes-nous pas dotés d'une loi qui protège notre vie privée, il y a de cela maintenant trois ans, et qui, dans les faits, reste inapplicable dans bien des cas?

En outre d'un tel système, nous avons un rôle d'éducation, tant auprès de la population qu'auprès des entreprises et des organismes, afin de changer et d'améliorer les pratiques établies dans leurs relations avec les citoyens. Pourquoi ne pas encourager le système de dépôt d'argent auprès des entreprises qui est simple, pratique, sûr et qui permet de couvrir les frais en cas de perte et de vol?

Nous avons aussi la responsabilité de sensibiliser la population et de faire connaître les restrictions et les dangers d'utilisation pour la vie privée des cartes actuelles dites d'identité. Mais, d'abord et avant tout, nous avons la responsabilité de leur permettre de justifier de leur identité, sans pour autant risquer de dévoiler leur vie privée, en dotant les Québécois d'une carte d'identité. Je vous remercie, j'ai terminé.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Oui. Alors, mesdames, bienvenue. Merci d'être venues nous rencontrer. Vous êtes un organisme, donc, responsable de l'accès et de la protection de l'information, c'est ça? On pourrait être un peu surpris que vous consentiez assez facilement à une carte d'identité. Vous en donnez des raisons. Vous voyez donc un avantage à ce qu'il y ait une carte d'identité qui serve à cette fin-là. Vous donnez comme exemple ce qui vous arrive en entrant ici, à l'Assemblée nationale. C'est ça? Vous voulez que cette carte-là ne serve qu'à cet usage, c'est-à-dire d'identification. Maintenant, vous prenez pour acquis que l'identification est une nécessité dans notre société. Est-ce que c'est ça?

Mme Morin (Cynthia): Oui.

M. Gaulin: Oui. Vous ne commentez pas?

Mme Morin (Cynthia): Parfaitement, oui. Bien, on est confrontés à ça tous les jours dans nos transactions commerciales. Juste le fait de pénétrer ici, dans l'Assemblée nationale, il faut s'identifier. Maintenant, nos villes sont anonymes. On est dans des grandes municipalités. Ce n'est pas comme autrefois, quand tout le monde connaissait son voisin. Maintenant, on ne sait pas à qui on a affaire. Alors, le besoin d'identification n'est pas contesté, c'est sûr.

M. Gaulin: Et vous dites que c'est le genre de carte qu'un policier, par exemple, ne peut pas vous demander. C'est ça que vous dites, par exemple, à la page 8.

Mme Morin (Cynthia): Le problème, moi, je trouve qu'il se pose surtout lors de transactions commerciales, quand on vient pour acheter un bien. L'exemple que je donne toujours quand on me demande d'expliquer ces raisons-là – parce que je vous avoue que ce n'est pas une question qui est facile à expliquer. Quand on parle de ça, tout le monde me dit: Ah! on n'a pas besoin de ça – c'est qu'on va dans un club vidéo, et il faut absolument donner deux cartes quand on veut être membre d'un club vidéo. Si on ne conduit pas, c'est évident qu'on a une carte d'assurance-maladie. Tout le monde en a une, et on la donne, les gens la donnent. La plupart n'ont pas d'objection à ça. Par contre, qu'est-ce que vous allez donner d'autre? Vous ne donnerez pas votre passeport. Allez-vous donner votre numéro d'assurance sociale, quand on sait ce qu'on peut obtenir comme renseignements sur votre personne avec un numéro d'assurance sociale puis qu'on sait que c'est absolument interdit de le donner, sauf à votre institution financière ou au ministère du Revenu?

Moi, personnellement, j'ai été confrontée à ce problème-là parce que je suis sensible à la vie privée, je travaille pour ça. Il faut être initié à ça, aussi, pour pouvoir voir les problèmes. Mais j'ai été confrontée aussi à des gens, moi-même. J'ai été dans un club vidéo, il y avait un client devant moi qui, lui, travaillait en milieu hospitalier, et on lui a demandé deux cartes pour devenir membre. Il a dit: J'ai mon permis de conduire puis je n'ai pas autre chose. La dame lui a dit: Vous avez un numéro d'assurance-maladie. Mais il a dit: Écoutez, on n'est pas à l'hôpital. Ça sert pour des services de soins de santé, je ne vous donnerai pas ce renseignement-là. On n'a jamais voulu lui donner sa carte de membre, puis il a quitté. Et puis ça, c'est au moment même où, moi, j'étais présente, mais je crois que des exemples comme ça se répètent constamment.

M. Gaulin: Estimez-vous que, quand on dit «autres cartes», il y aurait aussi une sorte de révélation de certaines choses qui nous concernent dans notre vie privée? Je ne sais pas, on a toujours dans son porte-monnaie un certain nombre de cartes. Quand c'est marqué «ou autres cartes», au pluriel, je ne sais pas, moi, une carte d'un parti politique, une carte de la FADOQ, une carte d'un comité de citoyens, estimez-vous que ces cartes-là seraient discriminantes?

Mme Morin (Cynthia): Vous pouvez toujours les montrer si vous n'êtes pas sensible à votre vie privée, mais ce ne sont pas les cartes qui sont exigées. Maintenant que les deux cartes, c'est-à-dire le permis de conduire – je parle toujours des mêmes – puis la carte d'assurance-maladie, sont pourvues d'une photographie – depuis 1994 ou 1995 – c'est les deux cartes qu'on vous demande tout le temps. C'est devenu les cartes officielles d'identité, tandis que ce ne sont pas des cartes pour s'identifier.

M. Gaulin: Je comprends, mais est-ce qu'on est obligé de les donner? Est-ce que ce n'est pas une certaine... C'est sûr qu'on ne veut peut-être pas se chicaner pendant 10 minutes ou un quart d'heure. À la caisse, par exemple, vous pouvez donner deux pièces d'identité. Il n'est pas indiqué que c'est telle pièce et telle autre – ou à la banque – vous pourriez en donner une autre.

Mme Morin (Cynthia): Non, mais vous pouvez vous obstiner 15 minutes, puis ils vont demander ces deux-là. Ça, c'est sûr. Parce que le jeune homme qui travaille en milieu hospitalier a voulu même offrir sa carte de débit, puis on lui a dit: Non, écoutez, ça me prend un permis de conduire et un numéro d'assurance-maladie. Parce qu'elles ont des photos puis elles identifient vraiment bien qui vous êtes. Et ce sont des cartes émises par le gouvernement, donc officielles, et que tout le monde détient. Puis on sait que, pour les obtenir, il faut... Notre permis de conduire, il faut mettre à jour nos renseignements dessus, sinon... Même chose pour la carte d'assurance-maladie, si on veut avoir des soins de santé, il faut mettre à jour nos changements d'adresse et changement de nom s'il y a lieu.

Alors, moi, personnellement, je ne suis pas confrontée à ça tous les jours, mais je peux m'imaginer qu'il y a beaucoup de gens qui sont confrontés à ça. Puis, quand on pense que ce n'est pas tout le monde qui a un permis de conduire, il y a vraiment un problème, là. Moi, je pense que le problème se situe surtout au niveau des transactions commerciales. Il s'agirait ici de simplifier la vie des citoyens, des Québécois puis de leur donner un moyen facultatif, puis de leur dire: On vous donne une façon. Ça va, en même temps, rassurer les commerçants puis vous permettre, à vous, de ne pas vous obstiner avec la personne au comptoir pendant un quart d'heure.

M. Gaulin: Est-ce que si, prenant pour acquis que... Bon. Je pars de votre postulat: vous consentez à une carte d'identité. À la page 10, vous donnez des items que la carte d'identité pourrait comprendre. Bien sûr, ce n'est pas exhaustif ou ce serait discutable, mais est-ce que vous trouvez qu'il n'y a pas là des éléments qui seraient inutiles?

Mme Morin (Cynthia): Possiblement, oui.

M. Gaulin: Comme, par exemple, le lieu de naissance. Est-ce que vous estimez que le lieu de naissance est une chose nécessaire sur une carte d'identité?

Mme Morin (Cynthia): Non, non. Je le mentionne – j'ai peut-être mal écrit mon paragraphe, là, si on veut – les noms qui sont considérés comme nécessaires pour identifier une personne, ce sont nom, prénom, photographie ainsi que sa signature, l'adresse de résidence, évidemment, puis son numéro de téléphone. Ce sont les renseignements que je verrais qui seraient nécessaires sur une telle carte. Les autres, ce n'est pas...

M. Gaulin: Mais est-ce que, par exemple, l'adresse, que vous demandez sur une carte d'identité, elle est vraiment nécessaire?

Mme Morin (Cynthia): Oui.

M. Gaulin: L'adresse, le téléphone?

Mme Morin (Cynthia): Oui.

M. Gaulin: Parce que ça rend votre carte caduque très rapidement. Puis vous avez, d'ailleurs, même une suggestion de pénalisation pour ceux et celles qui négligeraient de renouveler cette carte, comme c'est le cas pour nos permis de conduire ou nos certificats d'immatriculation, et souvent des gens se font arrêter et ont la grande surprise d'avoir une amende assez salée, merci. Mais est-ce que vous pensez que c'est utile d'avoir le téléphone, l'adresse? Et pourquoi?

Mme Morin (Cynthia): Pour retrouver la personne en cas de... Je prends toujours mon exemple du club vidéo. Vous n'avez pas ramené votre cassette, il faut qu'il vous appelle chez vous pour dire: Écoutez, vous devez ramener la cassette. Ça prend un numéro de téléphone.

(20 h 40)

M. Gaulin: Mais est-ce que ce n'est pas le genre de chose qu'un club vidéo peut exiger, par ailleurs, d'avoir une adresse, un téléphone, sans que vous demandiez, vous, comme organisme, que ce soit sur une carte d'identité?

Mme Morin (Cynthia): Dans un club vidéo, actuellement, ils vous demandent votre adresse, votre numéro de téléphone, un deuxième numéro au travail. Vous avez beau leur dire... Moi, j'ai été une période au chômage, et je leur ai dit: Je n'ai pas de travail, je n'ai pas d'autre numéro de téléphone. Ils n'ont jamais voulu me mettre membre du club vidéo. Je leur ai dit: Voulez-vous que je vous en invente un numéro de téléphone? J'ai dit: Je peux vous en dire un: 1-2-3-4-5-6-7. Puis, en plus, ils détenaient déjà mon numéro de permis de conduire puis mon numéro d'assurance-maladie. Alors, ils demandent toutes sortes de renseignements. Et l'adresse et le numéro de téléphone, c'est essentiel si on veut retracer quelqu'un.

Puis, évidemment, la personne qui, elle, n'est pas fraudeuse puis qui, elle – comme je l'ai dit, ma carte serait facultative – se procure cette carte-là, c'est sûr qu'elle va s'assurer de mettre à jour ces renseignements-là parce que c'est une carte d'identité. Puis, si son identité n'est pas à jour, cette carte-là va être désuète. Alors, cette personne-là, au moment de son déménagement, va faire comme toutes les autres, elle va appeler toutes les compagnies de services publics et puis elle va appeler soit l'autorité locale ou, admettons que c'est le directeur de l'état civil, elle va faire un coup de téléphone et dire: Écoutez, je déménage telle date, ma nouvelle adresse, c'est ça, pour être bien sûre de pouvoir utiliser sa carte, qu'elle soit à jour puis qu'elle puisse en bénéficier.

M. Gaulin: Mais est-ce que vous ne pensez pas, par exemple, qu'un club vidéo pourrait tout simplement demander un dépôt d'argent...

Mme Morin (Cynthia): Oui. Ça pourrait...

M. Gaulin: ...plutôt que d'être obligé de demander un téléphone, une adresse, etc.? Est-ce que le consommateur ne pourrait pas exiger ça? Si tout le monde se tenait là-dedans, est-ce que vous pensez que les clubs pourraient faire la pluie et le beau temps? Puisqu'on parle des clubs vidéo, on pourrait parler d'autres catégories de...

Mme Morin (Cynthia): Moi, je pense que ce serait une solution qu'on pourrait leur proposer. Mais, comme ma collègue vient de me... ils n'accepteront jamais parce qu'ils vont perdre des clients. Moi, j'en ai parlé à des amis...

Mme Larouche (Denise): Absolument. Les jeunes n'ont pas d'argent à déposer pour aller louer un film. Ils n'accepteront jamais ça.

Mme Morin (Cynthia): Ça pourrait être un dépôt au moment où on devient membre, un dépôt annuel, et non pas un dépôt à chaque fois qu'on vient louer une cassette.

Mme Larouche (Denise): C'est ça.

Mme Morin (Cynthia): Mais, moi, j'en ai parlé, j'ai fait le test auprès de mon entourage, et ils m'ont dit: Jamais. Un club vidéo qui fait ça, je vais aller ailleurs. Je ne commencerai pas à donner 50 $ pour devenir membre. Mais ça pourrait être une solution si tout le monde l'accepte.

M. Gaulin: Bien, remarquez, ça peut être au moins un choix facultatif, mais je prends toujours pour acquis qu'il y a votre hypothèse. Je ne dis pas que j'y souscris.

Les usages de la carte maintenant. Vous parlez de l'usage d'une carte d'identité. Vous dites que ce serait divers – c'est toujours à votre page 10 – pour l'accès aux services gouvernementaux, lors de transactions commerciales de toutes sortes, en somme pour toutes fins nécessitant que l'on décline son identité. Mais, par ailleurs, vous ajoutez la SAAQ et puis vous ajoutez la RAMQ. Pourtant, il y a une carte-santé. Est-ce que la carte d'identité serait nécessaire pour la RAMQ?

Mme Morin (Cynthia): Non, je n'ai pas voulu rajouter la SAAQ puis la RAMQ. Quand je parle, à la page 10, de la SAAQ et de la RAMQ, c'est...

Mme Larouche (Denise): C'est qu'ils ont déjà une gestion à effectuer.

M. Gaulin: Ah! c'est leur propre carte, oui.

Mme Morin (Cynthia): Oui.

Mme Larouche (Denise): Ils ont déjà une gestion de carte à faire.

M. Gaulin: J'ai mal lu. Vous avez raison.

Mme Morin (Cynthia): Parce que, dans le document, c'est ça, on parlait de qui pourrait émettre de telles cartes puis, là, on disait: Est-ce que ça pourrait être la SAAQ puis la RAMQ? Puis, à ce moment-là, je dis: Non, elles en ont déjà chacune une à gérer.

Alors, ce serait pour toutes les fois où on doit s'identifier. Pour venir en commission parlementaire, on demande notre pièce d'identité, pour aller louer un vidéo, pour aller à la banque, pour louer un appartement, pour...

M. Gaulin: Et vous croyez que, dans le cadre de la protection de l'information et de l'accès à la vie privée, il n'y a pas de danger à avoir une carte d'identité?

Mme Morin (Cynthia): Bien, en ce moment, il n'y en a plus de vie privée. C'est en ce moment qu'il n'y en a pas de vie privée. Là, on n'en a pas du tout. Moi, si je ne conduis pas, je ne sais pas, si j'ai été en état d'ébriété puis que j'ai perdu mon permis de conduire – je reprends encore mon exemple, les clubs vidéo – ils vont me dire: Bien, vous n'avez pas un permis de conduire? Bien non, je n'en ai pas. Bien, pourquoi vous n'en avez pas? Je ne suis pas obligée de leur dire pourquoi je n'en ai pas, mais ils vont avoir des doutes. La vie privée, il faut vraiment, comme je vous dis, être initié à ça. Moi, en tout cas, quand j'ai commencé à travailler là-dedans, je me disais: Bien, voyons! La vie privée, je n'ai rien à cacher, moi. Mais il faut être initié, il faut avoir travaillé, il faut avoir lu sur ça pour se rendre compte à quel point ça devient pointilleux. Quand on a vraiment lu les dossiers puis, quand on sait vraiment, la vie privée, ça ne tient qu'à un fil, ça concerne toute de notre personnalité, tout de notre identité.

Mme Rousseau (Annie): Si je peux me permettre d'ajouter, en fait, notre objectif, avec une carte d'identité, c'est justement de protéger la vie privée, alors que, actuellement, la vie privée des individus qui veulent décliner leur identité n'est justement pas adéquatement protégée dans les faits. Légalement, on a des lois, oui, qui nous protègent, mais, dans les faits, que ce soit au club vidéo ou ailleurs, lorsqu'on communique d'autres numéros à des fins d'identification, l'objectif, c'est de s'identifier, mais, dans le fond, on communique beaucoup plus que ça, et le danger vient de l'utilisation du numéro qu'on communique. Qu'est-ce que les gens vont faire avec mon numéro de permis de conduire? Qu'est-ce qu'ils vont faire avec mon numéro d'assurance-maladie? Est-ce qu'ils vont savoir quel est mon dossier médical? On ne veut pas ça. Alors, justement, parce que l'objectif, c'est de permettre aux gens de s'identifier, d'une part, et, d'autre part, de contrer la fraude, il faut trouver un moyen où il y a une seule carte qui ne contient que ces identifiants-là, et c'est là qu'on va protéger davantage les individus contre eux-mêmes, parce que des individus vont consentir à peu près à n'importe quoi. Les gens signent n'importe quoi, les gens communiquent n'importe quel renseignement. Alors, là, on veut les protéger contre eux-mêmes, puis c'est pour ça qu'on vous dit que ça prend une carte d'identité avec photo. Bon, le lieu de naissance, ce n'est peut-être pas nécessaire, mais la date de naissance, je pense que ce serait nécessaire pour différencier les gens d'une autre personne. Alors, je pense que c'est ça, notre objectif: c'est vraiment de protéger la vie privée et non pas, au contraire, d'aller à l'encontre de la vie privée des individus.

Puis, en plus, si je peux me permettre d'ajouter, je pense que ce ne serait pas si différent de ce que fera le Directeur général des élections avec la liste électorale permanente. Dans le fond, dans la liste électorale permanente, ce que vous allez avoir, c'est des renseignements d'identité, des coordonnées sur les individus. Là, ce qu'on ajouterait, c'est une carte et une photo. C'est ce qu'on ajouterait. Puis peut-être même que, lors des élections, que ça nous permettrait de nous identifier puis que ça vous permettrait, vous autres, les parlementaires, d'avoir l'assurance que les gens qui viennent voter, c'est bien eux. Alors, je pense qu'on pourrait, par cette carte d'identité-là, remplir plusieurs objectifs.

M. Gaulin: Je vous ai posé beaucoup de questions. Vous avez une expertise, étant donné le travail que vous faites. Vous pouvez être sûre que c'est une surprise pour un certain nombre de parlementaires, étant donné que certains parlementaires croient que la protection de la vie privée, c'est plutôt l'absence de carte d'identité. Et ils sont plus nombreux à penser comme ça qu'autrement. Mais je vous remercie d'avoir répondu à mes questions.

Le Président (M. Garon): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci, M. le Président. Mme Larouche, Me Rousseau, Me Morin, bienvenue ce soir. Merci beaucoup pour vos commentaires, mais je veux revenir sur la question soulevée par mon collègue le député de Taschereau, sur quels renseignements sont absolument essentiels à mettre sur une carte, parce que, moi, je prends le numéro de téléphone, je regrette, moi, je pense qu'on a le droit de dire que c'est confidentiel et, moi, je peux penser facilement à beaucoup de situations dans notre société. Des femmes qui ont été victimes d'un conjoint abusif, et tout ça, la dernière chose qu'elles veulent mettre publiquement, sur une carte, c'est leur numéro de téléphone. Et je vois mal que, pour régler certains problèmes pour les entreprises, les clubs vidéo, pour les autres choses comme ça, je vais compromettre cette question. Moi, je pense que c'est le choix de l'individu. Moi, je peux afficher mon numéro de téléphone partout, je peux mettre dans le bottin, mais je peux le retirer aussi. Alors, ça me surprend, sur une carte d'identité, que vous insistiez pour mettre le numéro de téléphone. Je pense qu'on a tout intérêt... Ça, c'est quelque chose qui est un choix de l'individu, et je pense que d'ajouter ça sur une carte d'identité, on a pas à faire ça.

(20 h 50)

En plus, le fait qu'on va numéroter ces cartes, je comprends que vous avez essayé de trouver une position mitoyenne, de dire que ça va être un numéro lié uniquement à cette carte et que, si on échange la carte, on va changer le numéro, mais, avec toutes les données que vous voulez mettre sur la carte, ces listes de numéros vont devenir d'une valeur certaine pour les commerces, pour les autres entreprises, et tout ça. Alors, je pense que tout le monde va exiger cette carte dans la mesure du possible. Ça demeure facultatif, mais, quand même, beaucoup de monde va l'exiger. J'aimerais voir, prendre une impression de votre carte, prendre les renseignements sur votre carte, et, tôt ou tard, avec les ordinateurs, on va bâtir des listes impressionnantes de ce genre de données. Alors, ça va devenir une banque de données accessible aux entreprises et fort intéressante, avec les numéros de téléphone, avec une adresse, et tout ça. Et, à l'usage, un petit peu comme nous l'avons vu ce matin, que Radio Shack exige le numéro de téléphone chaque fois qu'on achète quelque chose chez Radio Shack, avec toutes les données que vous avez mises sur cette carte, ça va devenir une banque de données qui, moi, je pense, va mettre en péril la protection de la vie privée.

Alors, j'aimerais savoir comment vous pensez que ça va protéger la vie privée, comment vous pouvez expliquer la présence du numéro de téléphone, parce que je pense que c'est effectivement quelque chose pour lequel c'est le choix de l'individu de l'afficher ou non et que ce n'est pas à l'État d'exiger qu'il faut mettre ça sur une carte d'identité.

Mme Rousseau (Annie): Vous savez, déjà, notre numéro de téléphone, on le donne à beaucoup de personnes, d'entreprises et d'organismes avec qui on fait affaire. Alors, là, notre numéro de téléphone se retrouverait sur une carte d'identité que l'on a sur soi. Alors, lorsqu'on la communique, cette carte d'identité, lorsqu'on communique les renseignements qui s'y trouvent, on consent à la communication, O.K.? Alors, on donne notre numéro, et, une fois que l'entreprise l'a recueilli, ce numéro-là, l'entreprise, d'une part, dans le secteur privé, est assujettie à la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, et, si c'est un organisme public, cet organisme-là, lui, est assujetti à la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Dans l'une et l'autre de ces deux lois, il y a un principe de confidentialité, ce qui fait que les gens qui ont ce numéro de téléphone là ne peuvent pas communiquer ce renseignement-là, comme tout autre renseignement personnel, sans notre consentement, sans le consentement de la personne concernée.

Alors, pour reprendre votre exemple de tout à l'heure, lorsque vous disiez... Bon, si c'est le conjoint, un homme violent, qui recherche sa conjointe ou son ex-conjointe, peu importe, alors il ne pourra, à moins qu'il y ait quelqu'un qui fraude quelque part, obtenir le numéro de téléphone sans le consentement de son ex-épouse. Alors, là, je pense qu'on a des lois ici, au Québec – on est privilégiés – qui sont applicables. À tout le moins, j'ose espérer qu'elles sont respectées, puis je pense que la Commission d'accès à l'information est là aussi pour les respecter, et la carte d'identité ne fera pas en sorte que ça ira davantage à l'encontre de la loi.

Et, en ce qui concerne les autres cartes qu'on a présentement, comme la carte d'assurance-maladie et le numéro de permis de conduire, on a des lois qui font en sorte que les gens ne peuvent pas les exiger, mais ils les exigent quand même. Alors, il faut, comment je vous dirais ça... En fait, le numéro de téléphone, c'est vrai que c'est un identifiant qui va être recherché, mais il y a des lois qui le protègent une fois qu'il est détenu par les organismes comme les entreprises privées.

M. Kelley: C'est ça, l'espoir, mais, moi, je ne sais pas, la vente de ce genre de listes... Il y a les «telemarketors», au Nouveau-Brunswick ou dans des endroits comme ça, qui vont acheter une liste, et, moi, je trouve ça étonnant de voir qu'on veut mettre le numéro de téléphone sur une carte d'identité. Moi, je n'accepte pas ça. Je trouve que ce n'est pas nécessaire. Vous avez cité d'autres exemples, mais, dans les autres exemples que vous avez cités, le consommateur a le choix: Je peux vous donner mon numéro de téléphone; je peux inventer un numéro de téléphone; je peux faire beaucoup d'autres choses. Le choix demeure avec moi, l'individu. Mais, une fois que c'est affiché sur une carte, vous prévoyez la création d'une banque centrale de données, et tout ça, et ça devient un fichier fort intéressant, et, moi, je pense que le gouvernement, tôt ou tard, aura la tentation d'utiliser ça à d'autres fins. Nous avons vu ça avec, premièrement, le numéro d'assurance sociale. On avait toutes les belles promesses des années soixante que ce serait uniquement utilisé pour des fins de relations fiscales avec le gouvernement fédéral, et c'est maintenant le numéro de client d'Hydro-Québec. Alors, on est parti d'un beau principe, mais on n'a pas respecté ça avec l'usage. Et le beau principe que le numéro de téléphone, ça va être protégé, et tout ça, j'ai mes doutes, et, moi, je pense que ça demeure toujours à l'individu de dire: Je vais partager mon numéro de téléphone et je peux toujours utiliser un autre numéro de téléphone: mon numéro de téléphone au travail. C'est suffisant pour la plupart de mes commettants, par exemple, et ce n'est pas nécessaire de donner le numéro à la maison à tous mes commettants, j'ai un autre numéro de téléphone. Alors, le choix est à moi. Alors, de dire que, sur une carte d'identité, sur une banque de données centrale, au gouvernement, on va mettre tous les numéros de téléphone, ça me surprend, au nom de la protection de la vie privée, que vous demandiez ça ce soir. Vraiment, ça m'étonne.

Mme Rousseau (Annie): Bon, écoutez, quant au numéro de téléphone encore, je pense que c'est un numéro qui n'est pas considéré comme un identifiant sensible, puisqu'on a un annuaire téléphonique qui donne le numéro de téléphone de tout le monde.

M. Kelley: Non, pas de tout le monde.

Mme Rousseau (Annie): Il faut payer pour la confidentialité. Bien, à ce moment-là, les gens qui ne voudront pas le donner n'auront qu'à ne pas prendre la carte, qui est facultative, comme on le suggère.

Et je comprends votre réticence, votre inquiétude, quant à la communication à des fins de marketing, et, bon, c'est vrai que, dans la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, c'est prévu qu'une entreprise puisse communiquer des renseignements, c'est-à-dire la liste nominative, les nom, adresse, numéro de téléphone, mais à quelques fins seulement, seulement à des fins de prospection commerciale et philanthropique, et il faut que ces entreprises-là aient autorisé les gens par une façon ou une autre, aient permis aux gens de se retirer de leur liste. Et ça ne leur permet pas de communiquer ces renseignements-là à d'autres fins. Alors, encore pour prendre votre exemple du conjoint, il ne pourrait pas l'avoir, là, à moins qu'il se parte une compagnie philanthropique ou commerciale.

Le Président (M. Garon): M. le député de D'Arcy-McGee.

M. Bergman: Vous faites référence à un registre central et vous dites: Y aurait accès, à ce registre central, toute personne démontrant un intérêt, mais seulement dans des cas de vol ou de fraude. Comment est-ce que la personne peut prouver le vol et la fraude? Et est-ce que l'accès sera facile après ça? À la page 11 de votre mémoire, vous parlez de l'accès au registre central.

Mme Rousseau (Annie): Oui, je pense que, à ce moment-là, il faudra que ce soit bien encadré dans la loi. Il faudra que ce soit plus qu'une crainte. Il faudra que ce soit vraiment une enquête qui soit avancée, que les gens n'aient pas réussi, par une première enquête administrative, à retrouver les individus, et, par la suite, on pourra leur communiquer. Et il faudra qu'un organisme, peut-être la Commission d'accès, puisse autoriser ces communications-là, avec un pouvoir de surveillance et de contrôle là-dessus.

M. Bergman: Mais pouvez-vous définir le cas où la fraude et le vol seront en effet? Est-ce qu'il y a un jugement de fraude ou un jugement de vol?

Mme Rousseau (Annie): Ça pourrait être une très bonne idée, effectivement. Il faudrait, si on n'est pas capable de retracer l'individu et qu'on a une créance à son endroit, soit qu'il y ait un contrat qui démontre la créance, soit qu'il y ait un jugement démontrant la fraude, un jugement au criminel, ou qu'il y ait quelque chose de concret. Je pense que c'est une excellente idée que vous avez là.

M. Bergman: Et quel type d'accès vous donneriez à ce moment? Un accès général ou un accès...

Mme Rousseau (Annie): Un accès seulement à l'adresse permettant d'identifier l'individu à ce moment-là.

M. Bergman: Aussi, vous dites que la liste doit être renouvelée chaque dix ans, sauf dans le cas des personnes âgées entre 15 ans et 30 ans, où ça doit être renouvelé à chaque cinq ans. Pourquoi est-ce que vous faites une distinction entre les personnes plus jeunes et les personnes plus âgées?

Mme Morin (Cynthia): Tout simplement pour une question que, entre 15 ans et 30 ans, souvent notre physionomie change. Et puis c'est une question vraiment technique, là, ça pourrait...

M. Kelley: Je pense que ça continue à changer.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Morin (Cynthia): Dans certains cas, ça change tout au cours de notre vie, mais, dans d'autres cas, à 15 ans, on se ressemble un peu moins qu'à 40 ans.

M. Kelley: Le gris arrive, les cheveux tombent.

(21 heures)

Mme Morin (Cynthia): Ce qu'on propose ici, ce n'est pas des choses qui sont prises dans le béton, c'est vraiment des propositions. On n'est pas vraiment bornés à ça. On a juste émis des propositions. Moi, j'ai écrit le mémoire en répondant aux questions qui étaient émises dans le document de réflexion de la Commission d'accès à l'information. Dans le mémoire, on disait 16 ans ou 18 ans. Moi, je me suis dit: À 16 ans ou 18 ans, on «va-tu» avoir une carte pour deux ou trois ans? J'ai dit: Bon, bien, tiens, on va mettre 15 ans: 5 ans, 5 ans, 5 ans. Puis j'ai mis ça de 15 ans à 30 ans aussi parce que l'expérience étrangère démontre que c'est ce qu'on fait à l'étranger aussi. C'est que les cartes sont émises pour une plus courte période durant l'adolescence et le jeune âge adulte et que, par la suite, les cartes sont émises pour une période plus longue. C'est juste par comparaison avec ce qui se fait à l'étranger.

M. Bergman: Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Enfin, vous venez de nous présenter un point de vue original, et puis il faut vous en remercier parce que, comme disait mon collègue de Taschereau, on était partis et puis on a rencontré des gens qui nous dit que c'était la présence d'une carte d'identité qui était une menace pour la vie privée, alors que, vous, vous dites que c'est plutôt l'absence d'une carte d'identité qui est une menace pour la vie privée. Donc, plutôt que d'être l'absence d'une carte d'identité pour la protection, vous nous dites que c'est la présence d'une carte d'identité pour la protection. Évidemment, il y a tout ce qu'on a dit maintenant, c'est-à-dire pour quels renseignements.

Vous savez, il y a un problème qui se pose, c'est qu'il y a beaucoup de monde qui perd sa carte. Ça fait beaucoup de numéros de téléphone qui circulent dans la grande région métropolitaine de Montréal. Je ne sais pas si vous avez déjà été harcelée par une personne maligne qui vous appelait au téléphone à toute heure du jour et de la nuit. Ça vous est arrivé?

Mme Morin (Cynthia): Oui. Ha, ha, ha!

M. Laporte: Si ça vous est arrivé comme ça m'est arrivé à moi, vous n'avez pas acquis, par la suite, le sentiment que votre numéro de téléphone, ça devait être gardé le plus confidentiel possible?

Mme Morin (Cynthia): Oui, mais, écoutez, il ne sera pas moins confidentiel parce qu'on a une carte d'identité. Tout le monde le connaît, notre numéro de téléphone. J'ai déménagé samedi, je pense que je l'ai donné à 30 personnes, mon numéro de téléphone.

M. Laporte: Oui, mais là il y a une relation de confiance.

Mme Morin (Cynthia): Bien, ça va être la même chose.

M. Laporte: C'est-à-dire, si vous allez, par exemple, passer des vacances au Mexique ou en Floride puis que vous perdez votre carte d'identité, puis vous que tombez sur un malin de ce coin-là ou une organisation maligne de ce milieu-là qui... Vous savez, aujourd'hui, c'est facile de faire des appels pour vous emmerder. Ce n'est pas anodin, le contrôle ou l'absence de contrôle du numéro de téléphone d'un individu dans une relation où il n'y a pas de relation de confiance. Que je donne mon numéro de téléphone à ma mère, il n'y a pas de risque, mais que je donne mon numéro de téléphone à un inconnu, à un étranger, à un moment donné, il y a un risque.

Mme Morin (Cynthia): Il y a un risque. Malheureusement, ça vous est probablement arrivé, puis je ne sais pas ce qui vous est arrivé, puis je ne vous le demanderai pas.

M. Laporte: Il faut le faire changer à ce moment-là.

Mme Morin (Cynthia): Vous avez été malchanceux, probablement. Mais, moi, ce qui m'embête le plus, c'est d'être obligée de donner trois, quatre cartes quand je vais acheter une crème glacée ou louer un vidéo. Ça, ça m'embête beaucoup plus que de risquer de perdre mon numéro de téléphone qui va tomber dans les mains d'un malin qui va m'achaler au téléphone.

M. Laporte: Il y a l'âge aussi. Vous savez que l'âge... Vous, vous y incluez l'âge, mais il y a tout un mouvement, actuellement, en Amérique du Nord, dans les sociétés occidentales, qu'on appelle l'âgisme, c'est-à-dire qui est une nouvelle forme de discrimination. Vous, vous êtes une jeune personne, mais, moi, je suis moins jeune que vous et je connais des gens qui sont encore beaucoup moins jeunes que moi, et l'âge, c'est une information socialement stratégique.

Mme Morin (Cynthia): C'est juste une question de technicalité pour la photo. Ça ne serait pas nécessairement obligatoire. C'est parce que c'est des moyens qui te décrivent. On parle d'une carte d'identité, il faut décrire la personne aussi, là. Puis il ne faut pas oublier que la carte que, nous, on propose est facultative.

M. Laporte: Ah oui! J'ai compris ça. Vous pouvez être sûre que, moi, je la refuserais. Il n'y a pas de problème. Ha, ha, ha!

Mme Morin (Cynthia): C'est votre choix, mais je vous poserais la question: Est-ce que vous aimez mieux donner votre numéro d'assurance-maladie dans un club vidéo ou chez Tanguay?

M. Laporte: Moi, j'ai été assez étonné de la réaction du monsieur dont vous parliez tantôt, parce que quelqu'un qui refuse de donner sa carte d'assurance-maladie, mais qui consent à donner une carte d'identité sur laquelle son numéro de téléphone, son nom, son âge, son adresse... Je me dis qu'il y a une évaluation de risque, là-dedans, que je ne comprends pas.

Mme Morin (Cynthia): Mais le risque pour la vie privée... Je veux dire, quand même que vous sauriez sur quelle rue j'habite dans Québec, moi, ça ne me dérange pas en autant que vous ne venez pas le soir tard.

M. Laporte: Ou que je ne vous suis pas.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Morin (Cynthia): Mais, moi, ce qui me dérange, par exemple, c'est le risque que n'importe qui puisse aller fouiller dans mon dossier de santé.

M. Laporte: Comment est-ce que n'importe qui peut faire ça?

Mme Morin (Cynthia): Bien, s'il recueille mon numéro d'assurance-maladie, ça, il le peut. Je ne vous dirai pas comment, mais il y a un risque, puis ça, ça me dérange. Moi, c'est de ça que j'ai peur. Je ne veux pas que personne sache pourquoi je vais à l'hôpital, ce que j'y fais et ce qui concerne ma santé.

M. Laporte: Non, mais je respecte beaucoup votre point de vue, et je n'ai pas de problème là-dessus, puis vous dites que c'est facultatif. Mais c'est un peu ce que j'avais pensé. Là, vous venez d'ouvrir une autre fenêtre, vous dites: Vous savez, moi, je n'ai pas d'objection à donner mon adresse à personne. Je pense que vous vous placez dans la perspective, disons, d'un rapport social qui est un peu celui de... Je ne veux pas vous insulter, je ne veux pas, disons, tenir des propos dérogatoires, mais je trouve que vous vivez encore dans un village. Dans une grande ville comme Montréal, où on est entouré de personnes qui nous sont étrangères, le fait de faire connaître son adresse, c'est loin d'être une décision banale.

Mme Morin (Cynthia): Mais pensez-vous que c'est mieux de donner notre numéro d'assurance sociale?

M. Laporte: Moi, je vous avoue que je n'ai jamais supposé que ça pouvait me faire encourir un risque que de donner mon numéro d'assurance sociale.

Mme Morin (Cynthia): Essayez-le et appelez à la banque demain, ils vont savoir bien des choses sur vous. Juste à appeler. Avec le numéro d'assurance sociale, on peut tout savoir à la banque avec ça. Équifax, une agence de recouvrement...

M. Laporte: Oui, mais c'est sûr que, si vous le donnez à la banque, d'accord, mais, je veux dire, mon numéro d'assurance sociale à une inconnue dans un club vidéo ou ma carte d'assurance-maladie, je ne vois pas de risque.

Mme Morin (Cynthia): Vous avez le droit de trouver qu'il n'y a pas de danger, mais, nous, on travaille dans ce domaine-là, on connaît les lois, on connaît les dangers, on a étudié la question. Puis, personnellement, on trouve qu'il y a beaucoup plus de danger à donner notre numéro d'assurance sociale, quand on sait tout ce qu'on peut obtenir avec ça, notre numéro d'assurance-maladie, notre permis de conduire que de donner notre adresse qui se retrouve publiquement dans le bottin de Bell Canada.

M. Laporte: Dans le cas du permis du conduire, je ne sais pas si c'est vrai que... Je ne suis pas un grand consommateur de vidéos, mais j'ai des cartes de vidéo dans Outremont et je ne me rappelle pas qu'ils m'aient demandé de donner deux cartes. Peut-être que vous avez raison. C'est sûr que, pour la personne qui a perdu son permis de conduire par erreur ou, disons, par faute, bien, c'est un peu embêtant. Je veux dire, vous n'avez pas votre permis de conduire. Pourquoi vous n'avez pas votre permis de conduire? Et puis, s'il vous manque une carte, bien, là, je ne sais pas trop, vous pouvez toujours en donner... Il y en a peut-être d'autres.

Mme Morin (Cynthia): Ils n'en demanderont pas d'autres.

M. Laporte: Il y a la carte d'assurance sociale.

Mme Morin (Cynthia): Oui, mais je n'ai pas parlé du paiement par chèque, là, j'ai juste donné l'exemple du club vidéo parce que c'est le plus marquant. Puis, moi-même, j'ai voulu faire une plainte à la Commission d'accès à l'information, puis on m'a dit: Madame, faites-en pas, il y en a trop. On est débordé. On n'a rien que ça, des plaintes des clubs vidéo. Puis c'est vraiment parce que c'est celui qui est flagrant. Quelqu'un qui vient payer par chèque, on lui demande deux pièces d'identité. C'est la même chose. Combien de personnes paient par chèque? Vous allez me dire: Il y a des cartes de débit maintenant. Il y a des cartes Visa. Je connais nombre de personnes, moi, qui ne paient pas par carte de débit parce qu'elles ont horreur des machines, qu'elles ont horreur du plastique. Puis on a juste à penser aux personnes âgées qui paient encore par chèque et qui vont continuer. Puis, j'ai vu ça chez Sears, en plein magasin, ils viennent pour payer par chèque, puis ça prend deux cartes d'identification. Mais la personne âgée qui paie par chèque puis qui ne conduit plus parce qu'elle est trop âgée, qu'est-ce qu'elle donne? Son numéro d'assurance sociale et son numéro d'assurance-maladie. La plupart des gens, vous allez me dire, elles ne voient pas le danger là-dedans. C'est sûr que, nous, on est pointilleux un peu là-dedans parce qu'on travaille pour la protection de la vie privée.

M. Laporte: Vous savez qu'il y a des campus à Montréal, à l'université où, lorsqu'une jeune femme comme vous prend un cours le soir, la décision la plus sage qu'elle peut prendre, si elle est venue en automobile, si elle a stationné sur le campus, c'est de se faire reconduire par un policier ou par une personne de confiance. Donc, je ne suis pas sûr que vous puissiez être aussi confiante que donner votre adresse, c'est une...

Mme Rousseau (Annie): Peut-être que je peux répondre.

Mme Morin (Cynthia): On s'écarte un petit peu.

Mme Rousseau (Annie): Oui, c'est ça. Je pense qu'on s'écarte...

M. Laporte: Mais, enfin...

(21 h 10)

Mme Rousseau (Annie): ...un petit peu de la carte d'identité, mais, si je peux me permettre de répondre à ça, c'est que, si je communique ma carte d'identité, je ne la communique pas à quelqu'un qui est dans le métro à côté de moi, là, il faut bien s'entendre. Je communique ma carte d'identité aux gens ou aux entreprises avec qui je contracte. Alors, ça peut être un contrat qui n'est pas nécessairement un contrat écrit, parce que si, de toute façon, j'ai un contrat écrit, je vais devoir décliner mon adresse, ça, c'est certain, dans le contrat. Mais, si c'est des contrats plus usuels, plus administratifs, plus d'usage courant, bien, à ce moment-là, ça va être du verbal, hein? C'est le cas quand on paie par chèque chez Sears, ou quand on paie ailleurs, ou chez Simons, ou peu importe. Alors, là, c'est un contrat quand même. On contracte à ce moment-là. Moi, je prends quelque chose et, en retour, je donne de l'argent, mais, puisque je ne donne pas d'argent, les gens me disent: Bon, bien, je veux être sûr que ton chèque, il va passer à la caisse. Si je veux être sûr de te retracer au cas où il ne passe pas, donne-moi ton identité. Et c'est à cette personne-là que je vais donner mon identité, pas à n'importe qui de la rue. Alors, ça n'a rien à voir avec le fait que je me promène tard, le soir, sur un campus, parce que, là, c'est sûr que je ne la montrerai pas, mon identité, et que je vais sûrement la garder bien serrée sur moi, ma carte, pour ne pas la perdre.

M. Laporte: Non, non. Mais, enfin, je pense que ne pensez pas que l'homme est le loup de l'homme.

Mme Rousseau (Annie): Que l'homme est venu de l'homme?

M. Laporte: Que l'homme est le loup de l'homme. Parce que, même si vous donnez votre adresse à une personne dans une entreprise ou ailleurs, vous prenez un risque.

Mme Morin (Cynthia): Oui, mais vous parlez de l'adresse depuis tout à l'heure. Avec le permis de conduire, vous appelez au centre de police, puis ils vous la donnent tout de suite, votre adresse. Avec le numéro d'assurance-maladie, on peut l'avoir, votre adresse. C'est des renseignements qui sont inclus dans ce numéro-là. Puis non seulement il donne accès à votre adresse et à votre numéro de téléphone, mais à tout votre dossier de santé, à votre dossier de conduite routière puis à votre dossier criminel.

M. Laporte: En tout cas, moi, je veux vous remercier de la belle confiance que vous avez dans la carte d'identité, parce que ça me porte à réfléchir. Je trouve que c'est peut-être une confiance qui est fondée.

Le Président (M. Garon): Alors, je voudrais remercier, au nom de la commission, les représentants de l'Association sur l'accès et la protection de l'information. Et j'ai remarqué qu'on avait quatre noms ici. Alors, il y a Mme Denise Larouche qui est venue, Me Annie Rousseau et Me Cynthia Morin. Alors...

Mme Larouche (Denise): M. Richard Juneau. Vous aviez M. Richard Juneau, c'est ça?

Le Président (M. Garon): Oui.

Mme Larouche (Denise): Il a dû s'absenter pour des raisons de santé.

Le Président (M. Garon): Donc, je remarque que deux d'entre vous sont avocates.

Des voix: Oui.

Le Président (M. Garon): Alors, je voudrais vous remercier de votre contribution aux travaux de cette commission et j'ajourne les travaux jusqu'à demain matin, 10 heures.

(Fin de la séance à 21 h 13)


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