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Version finale

35e législature, 2e session
(25 mars 1996 au 21 octobre 1998)

Le mercredi 23 octobre 1996 - Vol. 35 N° 21

Consultation générale sur le document intitulé «Les enjeux du développement de l'inforoute québécoise»


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Table des matières

Auditions


Autres intervenants
Mme Liza Frulla, présidente
M. André Gaulin, président suppléant
M. Jean Garon, président suppléant
M. Pierre-Étienne Laporte
M. Michel Morin
Mme Marie Malavoy
M. Geoffrey Kelley
M. Yves Beaumier
* M. Claude E. Forget, Téléglobe
* M. Pierre Trudel, CRDP
* Mme Diane Lemieux, CSF
* Mme Nadia Brédimas-Assimopoulos, CLF
* M. Pierre Georgeault, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Dix heures huit minutes)

La Présidente (Mme Frulla): Donc, la séance est maintenant ouverte. J'appelle M. Forget, de Téléglobe, à venir nous rejoindre. M. Forget, ça nous fait plaisir de vous accueillir. Comme vous connaissez, évidemment, les procédures, je vous enjoindrais de commencer immédiatement.

Une voix: ...

La Présidente (Mme Frulla): Je n'en doute pas. Excellent député et ministre.

M. Forget, bienvenue.


Auditions


Téléglobe

M. Forget (Claude E.): Merci, Mme la Présidente. Mesdames et messieurs de la commission, je veux d'abord vous transmettre les salutations de M. Charles Sirois, président du conseil de Téléglobe, et ses excuses pour ne pas avoir pu accepter votre invitation en personne. Ses obligations l'amènent à plusieurs déplacements, et malheureusement il ne pouvait pas concilier sa présence à Québec avec d'autres engagements.

Je veux d'abord vous exprimer notre appréciation pour l'invitation qui a été faite, exprimer les positions ou la réaction de Téléglobe, et peut-être de façon un peu plus personnelle de Charles Sirois, son président du conseil, au document de consultation qui a fait l'objet d'une publication l'été dernier. Je vais me borner à faire un bref résumé du mémoire que nous vous avons soumis l'été dernier, et je présume qu'il y aura peut-être des questions ou des interrogations qui seront soulevées par le rappel des propositions principales qui sont contenues dans notre mémoire.

(10 h 10)

Alors, dans le mémoire de Téléglobe, Charles Sirois souligne en premier lieu que le défi linguistique et culturel que pose l'inforoute pour le Québec semble sous-estimé. Afin de placer les choses dans leur juste perspective, le mémoire rappelle que, toutes langues et tous pays confondus, les contenus auxquels auraient accès les Canadiens et les Québécois, même si ces derniers étaient grandement plus productifs et prolifiques que la moyenne des utilisateurs de l'inforoute, ces contenus seraient, de façon prépondérante, de provenance étrangère. La simulation ou l'exemple que nous utilisons dans le texte est tiré d'un simple calcul. On croit que l'inforoute ou Internet tel qu'on le connaît s'adresse, dans un avenir prévisible, à environ 1 000 000 000 de personnes dans les pays développés, principalement, bien sûr, en Europe de l'Ouest et en Amérique du Nord ainsi qu'au Japon, en Australie, en Nouvelle-Zélande et, de façon beaucoup plus légère, dans un certain nombre d'autres pays. Peut-être, donc, 1 000 000 000 d'habitants de ces différents pays ou, du moins, de personnes qui sont susceptibles d'y avoir accès.

Dans ce total, la population totale du Canada ne représente que 3 %. Donc, si nous ne produisions que notre part de ce qui circule sur ce nouveau moyen de communication et d'échange d'information, les contenus canadiens dans leur ensemble ne représenteraient que 3 % aussi. Si nous étions deux fois plus productifs que la moyenne mondiale, ce qui est un considérable défi, le total canadien ne représenterait encore que 6 %. C'est donc dire que les contenus véhiculés sur l'inforoute seront de façon prépondérante des contenus étrangers, et ces contenus étrangers seront eux-mêmes de façon prépondérante en langue anglaise.

Le défi que cela constitue tient au fait que le développement des contenus pour l'inforoute est une activité soumise à de très fortes économies d'échelle, ce qui confère des avantages énormes à ceux qui produisent pour les plus vastes marchés, donc les marchés anglophones. Par conséquent, la présence significative du français sur l'inforoute ne se réalisera qu'à condition que tous les pays de langue française s'entendent pour créer un marché commun unifié pour de tels services. Nous savons tous qu'à l'heure actuelle un tel marché n'existe pas. Il y a, à l'occasion, de temps en temps, des déclarations d'intention à l'effet de resserrer les liens de coopération et de stimuler la production de contenus francophones pour les pays d'expression française, mais le dilemme que tout cela pose, c'est que, si on prend la voie d'un encouragement public de subventions ou de crédits d'impôt, on se heurte aux difficultés communes à tous les gouvernements: à l'absence de ressources suffisantes pour véritablement faire une différence. Et il nous semble que la solution à ce problème, si on peut trouver une solution, consiste à créer un espace économique qui regroupe l'ensemble des pays francophones pour le contenu et les produits culturels.

Il y a à cela des obstacles actuellement, des obstacles qui se situent au niveau du protectionnisme de certains pays. Il est facile de jeter la pierre aux autres dans ce contexte, mais nous savons très bien aussi que nous avons certains examens à faire et certaines leçons à tirer des échecs passés au niveau de la distribution et de l'accès des produits francophones faits au Québec à l'ensemble de ces marchés. Il y aurait intérêt à examiner de façon attentive ce qui, dans le passé, a constitué des obstacles qui sont apparemment non surmontés encore aujourd'hui. Je pense que, lorsque nous faisons allusion à l'impact révolutionnaire de l'inforoute, une révolution, quelle qu'elle soit, remet en question bien des choses, et ça ne sera pas différent pour la révolution de l'information. Elle va provoquer des inconforts, et je crois qu'il y en a quelques-uns dans ce domaine de la création d'un espace économique unifié pour les produits culturels.

Pour ce qui est de l'accessibilité, qui est le deuxième thème auquel nous nous attachons dans notre mémoire, Charles Sirois affirme que la problématique traditionnelle relativement à l'accessibilité physique et économique des services de télécommunications – les services de télécommunications dans le sens large – est dépassée pour ce qui est du Québec. Je sais que c'est une proposition qui a été contredite dans d'autres mémoires – vous voudrez peut-être en discuter – mais il est clair que, lorsqu'on regarde le tableau de l'ensemble du Québec, la pénétration soit de la téléphonie ou de la télédistribution a atteint des niveaux qui démontrent clairement qu'elle est effectivement accessible de façon massive et que les personnes qui ne sont pas encore branchées, pour ainsi dire, d'une façon ou d'une autre, ou des deux façons, se sont privées volontairement, dans une très large mesure, de cette accessibilité.

Les politiques en place et les mesures prises par les entreprises elles-mêmes pour l'avenir ne feront qu'accroître l'accessibilité à la fois géographique et économique. Donc, à notre avis, c'est une priorité qui n'existe plus, qui est depuis longtemps satisfaite, pour ce qui est des services traditionnels, du moins. Pour ce qui est des nouveaux services à large bande, il est prématuré, croyons-nous, d'en faire un objectif de politique publique parce qu'il s'agit d'un ensemble de services qui est encore mal défini et qui, de toute manière, encore aujourd'hui, ne rejoint qu'une très faible minorité de la population en vertu de technologies qui n'ont pas atteint la maturité et, certainement, véhiculent des contenus qui eux-mêmes n'ont pas atteint la maturité.

Le véritable défi de l'accessibilité se situe non pas, selon nous, du côté de l'infrastructure physique et de la tarification des services, mais il nous renvoie aux défis culturel et éducatif. Il nous renvoie donc au débat sur la qualité, l'accessibilité et je dirais peut-être encore davantage à la question de la performance de notre système d'éducation. Je sais qu'il y a un autre effort de consultation qui est mené sur ce thème depuis, me semble-t-il, plusieurs années. Il faudra espérer que ça débouche sur des conclusions et une application concrètes. Autrement dit, l'arrivée de l'autoroute de l'information ne fait qu'accroître l'avantage dont disposent les pays dont les systèmes d'éducation ont un rendement supérieur et désavantage et désavantagera de façon croissante les pays dont les systèmes d'éducation sont peu performants. C'est là que se trouve le problème d'accessibilité, puisque pour une collectivité nationale ce problème d'accessibilité suppose donc qu'on se penche sur les questions d'éducation.

(10 h 20)

Heureusement, l'éducation est également un domaine qui est le plus susceptible de bénéficier des nouvelles technologies de l'information. Donc, si les technologies nouvelles de l'information accentuent le problème de la performance du système éducatif, elles apportent également, possiblement, un élément de solution. Dans un certain nombre de pays, nous sommes au courant d'initiatives qui sont prises pour exploiter pleinement l'inforoute pour des fins éducatives, de formation et d'éducation, et il faut s'attendre à ce que des efforts analogues se fassent ici aussi. Mais il y a beaucoup plus dans un tel effort que simplement la mise à la disposition des écoles de liens Internet ou d'ordinateurs – il s'agit d'outils, les outils ne valent que ce à quoi on les emploie. Et il n'est pas clair, d'après ce que nous savons, que l'étape plus essentielle d'une expérimentation et d'une ouverture à l'innovation dans ce domaine-là soit aujourd'hui une réalité.

Un troisième thème, c'est celui de la réglementation. Nous y touchons très brièvement. Pour faire une affirmation qui a pu surprendre ou même peut-être choquer quelques-uns d'entre vous, nous croyons que la décision de la Cour suprême d'il y a trois ans maintenant, je crois, de dépouiller les gouvernements provinciaux, à toutes fins pratiques, de tout pouvoir réglementaire dans le domaine des télécommunications n'est pas une perte significative pour le Québec ou pour les entreprises dans ce domaine au Québec, puisque l'activité de réglementation, à travers le monde, qui affecte les entreprises de télécommunications se borne très largement à gérer la transition, précisément, vers un régime d'ouverture à la concurrence, d'ouverture aux entreprises étrangères, donc d'ouverture à la concurrence et à un régime déréglementé.

Cette transition doit être gérée. La gestion de la transition est complexe, comporte énormément de questions litigieuses, de débats. Elle est donc lourde à porter à la fois pour les organismes de réglementation et pour les entreprises. Mais ce n'est qu'un coût, ce n'est plus un instrument de politique significatif, puisque la pression est irrésistible pour produire des industries rattachées à l'inforoute qui obéissent davantage aux lois du marché.

Ce développement qui se produit en parallèle dans la plupart des pays, certainement dans tous les pays développés, répond aux nouvelles données des technologies utilisées sur l'inforoute, qui, assez paradoxalement... le développement technologique qui a sapé ou même largement éliminé le pouvoir que conféraient des infrastructures technologiques dans le passé. Dans le passé, il n'y avait généralement qu'une seule technologie pour servir de support aux activités de télécommunications ou de communications, et ceux qui maîtrisaient l'infrastructure dans laquelle s'incorporaient ces technologies contrôlaient de façon totale les services fournis. Les développements technologiques ont ouvert des filières multiples de manière à ce que les mêmes services puissent désormais, et de façon croissante dans l'avenir, être fournis par une multitude de moyens techniques, ce qui enlève aux détenteurs d'infrastructures particulières le pouvoir qu'ils avaient précédemment et ce qui justifie précisément la déréglementation, et même la rend impérative, puisque les choix et la configuration finale, en quelque sorte, des services et des plateformes techniques doivent répondre à une utilisation optimale qui ne peut pas être déterminée a priori, personne n'ayant suffisamment d'informations pour le faire, d'où la démobilisation des activités réglementaires un peu partout.

Cependant, dans ce domaine de la réglementation, si le domaine proprement dit de la réglementation tend à avoir tendance à s'estomper, et même, dans plusieurs domaines, à disparaître totalement, il y a d'autres mesures d'encadrement qui acquièrent une importance accrue. Et le document de consultation fait allusion à la question des droits d'auteur, au respect de la vie privée, à la sécurité des systèmes. Et, évidemment, il y a sous chaque rubrique un très grand nombre de sous-questions d'une très grande importance.

Cependant, de ce côté-là, la mondialisation des moyens de communication, leur interconnectivité fait en sorte que les gouvernements nationaux, même lorsqu'ils disposent de législations complètes dans ces domaines, n'aient pas beaucoup d'espoir de voir leurs règles nationales s'appliquer en dehors d'un cadre de droit international, c'est-à-dire de conventions internationales également contraignantes pour l'ensemble des États, qu'il s'agisse de droits d'auteur, qu'il s'agisse de respect de la vie privée, qu'il s'agisse de règles du droit international privé en vertu desquelles on détermine la juridiction des tribunaux, les règles de preuve, etc. Et tout ça demande à être élaboré dans le cadre des institutions internationales. Il y en a d'ailleurs peut-être trop, de façon qu'on ne sait plus très bien, souvent, quoi relève de qui, mais cependant il y a des choses qui se font.

Cependant, les principes adoptés sur le plan législatif par le Québec, particulièrement en matière de respect de la vie privée, en s'inspirant du code à cet effet de l'OCDE, ont jeté pour le Canada les bases d'une législation qui devrait être imitée ailleurs au pays et sur le reste du continent. Donc, ce sont des principes qui nous inspirent nous-mêmes pour adopter des codes de pratique pour l'entreprise, mais aussi pour agir sur le plan international au sein de différents groupes auxquels Téléglobe appartient, de manière à ce que s'élaborent le plus rapidement possible les règles de droit international qui sont essentielles au succès et au bon fonctionnement de l'inforoute.

Finalement, le gouvernement du Québec, bien sûr, a un rôle important à jouer comme utilisateur et client modèle. Nous attirons l'attention sur la nécessité que ses efforts s'inspirent du désir d'améliorer les services et de réduire les coûts des services publics plutôt que du souci de cultiver la virtuosité technologique. Il est important, pour que ce rôle d'utilisateur modèle soit véritablement un modèle plutôt qu'une source de dépenses injustifiables, que les applications développées au Québec puissent passer le test de l'efficacité et de la rentabilité, parce que c'est à ces conditions-là que ces applications développées ici trouveront des marchés d'exportation qui, seuls, peuvent justifier les coûts qui seront consacrés à leur développement.

Le secteur de la santé en particulier en est un où il y a un potentiel énorme de développement d'applications nouvelles. C'est un secteur qui absorbe, comme on sait, près du tiers du budget de l'État au Québec, mais c'est un peu la même chose un peu partout. Il y a un potentiel formidable, pourvu que l'on sache ce que l'on fait et qu'on y aille résolument. Il y a des efforts remarquables qui sont faits un peu partout dans le monde. Alors, il s'agit de positionner adéquatement les efforts qui sont faits ici de manière à ce qu'on n'occupe pas des créneaux déjà exploités par d'autres et qu'on le fasse rapidement et avec détermination, puisque, là encore, le temps nécessaire à ces développements est un élément critique de succès.

Finalement, Mme la Présidente, nous renvoyons, dans le mémoire, votre commission au rapport du Comité consultatif sur l'autoroute de l'information que le gouvernement du Québec a rendu public en août 1995, auquel Charles Sirois a participé et auquel, d'ailleurs, il continue à souscrire sans réserve. On aurait pu peut-être le substituer globalement au mémoire que nous avons présenté nous-mêmes, mais nous avons préféré, dans ces brèves notes, nous limiter à des impressions qu'avait suscitées chez nous la lecture de votre document de consultation l'été dernier. Je vous remercie.

(10 h 30)

La Présidente (Mme Frulla): Merci beaucoup, M. Forget. Alors, je laisse la parole à nos députés. M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: M. Forget, bonjour. Je vous remercie de votre mémoire et des considérations que vous venez de faire. J'aimerais d'abord partir de votre prise de position, enfin de votre intervention d'entrée de jeu, où vous dites que notre document de consultation mésestime la place de l'anglais sur l'inforoute. Pour, si vous voulez, pallier cet inconvénient, dans la mesure où on doit se situer comme pays francophone, vous suggérez qu'il y ait une sorte de coalition des pays francophones. Alors, par exemple, on peut rappeler qu'au Sommet, quand même, au dernier Sommet de Cotonou, il y a eu des accords entre la France et le Québec. Donc, vous en suggérez d'autres qui pourraient s'ouvrir à d'autres pays francophones pour le niveau du contenu. C'est ça?

M. Forget (Claude E.): Oui. Bien, écoutez, on peut faire des accords intergouvernementaux qui portent... Je ne connais pas la teneur précise des accords auxquels vous faites allusion, mais, dans la mesure où il s'agit d'accords intergouvernementaux, pour les initiatives communes gouvernementales, c'est une chose qui a une portée, malgré tout, limitée dans la mesure où les gouvernements eux-mêmes ont des moyens limités. Et nous savons que c'est partout le cas. Je ne crois pas que les gouvernements vont fermer un hôpital, ou une école, ou un cégep pour pouvoir subventionner les activités multimédias. Nous n'en sommes pas là, et je crois qu'on l'accepterait très mal. Donc, les ressources sont limitées, et les programmes de collaboration intergouvernementaux ont une utilité réelle, mais malgré tout limitée.

Je m'attache surtout, dans mes remarques, et le mémoire s'attache à soulever la nécessité de créer un espace économique où il soit possible pour les producteurs privés basés au Québec d'avoir vraiment accès au marché français pour les productions culturelles. Or, nous savons très bien que ce n'est pas le cas actuellement, pour une foule de raisons. Les raisons sont parfois chez l'autre, mais elles sont parfois chez nous.

M. Gaulin: Mais, quand vous parlez de l'espace, 90 % du champ occupé par l'anglais, est-ce que vous pensez que ça peut changer, puisque vous donnez, à ce moment-là, 10 % aux différentes langues nationales autres, y compris le français? C'est bien ça? Est-ce que vous pensez que c'est correspondant aux populations de ces langues-là, de ces langues nationales? Et est-ce qu'il n'y a pas lieu de renverser en partie la vapeur par, par exemple, l'accès également au plurilinguisme pour prendre une place plus grande sur le...

M. Forget (Claude E.): Oui. Bien, il est clair que la suggestion que nous faisons de créer un espace économique francophone pour les produits culturels, qui ait une réalité, appartient à une catégorie de mesures qui visent à permettre une plus grande diversité linguistique et culturelle sur l'inforoute. Et ceci doit absolument se faire. Je crois qu'il y a plusieurs pays qui le souhaitent. Mais il faut aussi situer tout cela dans le contexte où, en dépit de ce désir et en dépit de son succès possible, il y a quand même un seuil assez bas pour ce qui est des résultats qu'on peut en attendre. Il y a un grand nombre de pays qui veulent rayonner sur la scène internationale et qui ont le désavantage d'utiliser chez eux une langue à laquelle ils n'ont pas espoir que qui que ce soit s'intéresse au point de l'apprendre. Les pays scandinaves, par exemple, depuis longtemps, comme on sait, ont mis de côté l'espoir que les gens apprennent le danois ou le norvégien. Et donc, pour rayonner sur la scène internationale, ils fonctionnent exclusivement en anglais ou presque totalement en anglais. Même leurs publications nationales sur papier se font très souvent dans cette langue. Les Japonais sont un peu dans la même situation. Ils n'espèrent pas que les étrangers apprennent le japonais, et ils veulent cependant avoir contact avec le reste de l'humanité, ce qui se fait de plus en plus par des moyens électroniques qui sont de plus en plus accessibles. Et il y a un tas de pays pour lesquels c'est vrai.

Et je dirais que, dans certains domaines, même la France n'échappe pas à cette règle. J'ai eu l'occasion, au cours de ma carrière professionnelle, d'assister à des réunions organisées et dirigées par des organismes franco-français, comme on dit, qui fonctionnaient totalement en anglais à Paris même. Donc, il y a là une force très considérable dont il faut justement mesurer l'importance. Donc, il faut se faire des objectifs réalisables. Et, lorsque nous faisons ce petit calcul informel, nous prenons tout simplement la mesure de ce que nous observons à l'heure actuelle, et il n'est pas difficile d'imaginer que ces forces qui se sont affirmées dans le passé vont continuer à le faire dans l'avenir. La mondialisation requiert l'utilisation par presque tout le monde d'une langue commune, et actuellement ce n'est plus le latin, ce n'est plus le français, ce n'est pas encore le chinois, mais il s'adonne que c'est l'anglais.

M. Gaulin: Alors, si je comprends bien, il y a une forme de soumission à la situation, ce que vous appelez, vous, dans le mémoire, je pense, être réaliste.

M. Forget (Claude E.): Bien, écoutez, je pense qu'on ne fait pas les efforts qu'on devrait faire pour stimuler l'existence d'un marché francophone. Alors, je veux bien ne pas être pessimiste, mais je connais des producteurs de films québécois qui avouent que, finalement, les films québécois, par exemple, ne circulent pas en France – pour des raisons linguistiques, assez curieusement – et il faut peut-être s'interroger là-dessus. Il y a des attitudes chez nous, au Québec, qu'il faut remettre en question, si on veut pouvoir réussir dans ce domaine. Et, si on ne réussit pas – alors, écoutez, personne ne nous aidera que nous-mêmes là-dedans – alors on ne réussira pas non plus à financer des productions qui ont besoin d'un public très significatif pour se justifier, à moins qu'on veuille les subventionner.

Mais, encore là, on tombe dans cet autre dilemme. Il ne coûte pas plus cher de produire une émission de télévision ou un CD-ROM en anglais qu'en français, n'est-ce pas. Et pourtant, dans un cas, on a un marché qui peut être 10 fois plus grand ou 20 fois plus grand. Donc, il y a un désavantage, pour les producteurs francophones, qu'il faut au moins s'efforcer de minimiser en ouvrant les marchés francophones de façon efficace.

M. Gaulin: Oui. Maintenant, ce que vous soulevez par rapport au cinéma dans votre mémoire principal, à la page 5, ne jouerait pas dans la question de l'inforoute. La langue, j'imagine, parlée sur l'inforoute va être un français standard, français standard d'ici ou d'ailleurs. Je pense que, là, on peut reconnaître ce qui est français. On sait fort bien que les Français ont sous-titré nos films, qu'ils ont parfois traduit nos romans. Qu'est-ce que vous voulez, ils ont le poids de la majorité. Ce que nous vivons par rapport à l'anglais dans le monde, nous le vivons par rapport à la France dans la francophonie. C'est toujours le poids du nombre qui l'emporte: les Brésiliens n'ont plus ce type de problème là par rapport au portugais qui se parle au Portugal. Alors, j'imagine que le fait d'ouvrir l'espace francophone va quand même contrer, même statistiquement, à longueur de temps, la place de l'anglais dans l'inforoute. Autrement, le raisonnement qu'on a, c'est: Puisqu'on circule tellement bien en anglais, bien, adonnons-nous à l'anglais. Parce que, même ce que vous suggérez, bien des gens pourraient être portés à dire: Pourquoi circuler en français quand on a à peu près 90 % du champ visuel, là, si on circule, en anglais?

Par ailleurs, vous avez cité l'exemple du danois. Bon, on pourrait prendre quand même des langues qui ont plus de percée internationale, comme l'espagnol, l'arabe éventuellement – parce qu'il y a quand même des pays riches, puisque vous avez dit qu'il y avait à peu près 1 000 000 000 d'utilisateurs, éventuellement, à cause de la question économique – certaines langues qui pourraient circuler aussi, et certaines autres qui pourraient peut-être, à moyen terme, se rallier au français. Je pense à tous les pays latino-américains, par exemple. Je sais qu'en Colombie la deuxième langue a déjà été le français. Avec le temps et le fait qu'on ait interrompu les relations avec ces pays-là de manière formelle, peut-être qu'ils sont passés à l'anglais maintenant. Alors, il y a comme une sorte de – je ne sais pas comment définir ça – réalité interne qu'il faut considérer pour donner plus de place au français. Je pense que c'est ce que vous voulez faire, mais, en même temps, vous dites aussi qu'il y a quand même une réalité devant laquelle il faut presque s'incliner. C'est ça qui nous faisait question un peu.

(10 h 40)

M. Forget (Claude E.): Écoutez, il faut d'abord prendre la mesure du défi avant de considérer toute action. Ce que nous avons fait dans le mémoire, c'est indiquer que ce défi est considérable. Je ne sais pas si vous circulez sur l'inforoute, si vous avez accès à Internet et si vous le consultez régulièrement, mais je crois que, si vous le faites, alors la démonstration est faite. La situation qu'on y trouve est très claire, et il n'y a pas grand-chose qu'on puisse faire pour la changer. Donc, le défi est considérable.

Face au défi considérable, quels moyens avons-nous? Nous avons des moyens de créer le marché, de maximiser les opportunités de marché entre pays francophones. Et il faut bien reconnaître qu'il y a des obstacles actuellement, il y a des barrières, il faudrait peut-être les éliminer. Ce serait une première étape, une première mesure qui ne pourrait pas nuire. Ça ne réglerait peut-être pas tout, mais ça ne nuirait pas. Et il y a évidemment les subventions gouvernementales qui, en dépit de l'inexistence d'un marché suffisant, peuvent créer n'importe quoi. On l'a vu dans le passé, ça peut se faire à nouveau. Encore faut-il que les ressources appropriées existent. Or, les ressources nécessaires sont immenses pour vraiment avoir une chance d'être considéré sur un pied, je ne dirais même pas d'égalité, mais d'avoir véritablement voix au chapitre. Est-ce réaliste? Vous êtes mieux placés que nous pour répondre à cette question, mais, voyant les nouvelles qui circulent sur les finances publiques constamment depuis quelques années, on est un peu porté à croire que ce genre de ressource n'existe pas.

Donc, nous revenons à la proposition initiale de s'efforcer d'enlever les obstacles à l'existence d'un marché francophone. Et des obstacles qui peuvent être juridiques, qui peuvent être réglementaires, qui peuvent appartenir au domaine de la politique commerciale de certains pays francophones, mais qui peuvent aussi être des obstacles qui existent chez nous: des attitudes, des façons de faire, des perceptions qui nous gênent et qui empêchent que le plein potentiel des Québécois de produire pour le marché naturel qui est le leur ne se réalise autant qu'il le devrait.

M. Gaulin: Juste en terminant, M. Forget, je vous remercie de vos réponses. Je voulais simplement dire que j'ai fait des constats, moi aussi, en circulant, sauf que je voulais avoir plus d'ouverture sur l'avenir. Je pense que vous avez suggéré les contenus, l'importance à attacher aux contenus. Là-dessus, on est d'accord.

M. Forget (Claude E.): Et n'oubliez pas aussi... Vous avez mentionné les contenus écrits. Il est vrai que l'inforoute actuellement, pour des raisons de maturité ou d'absence de maturité, et aussi pour des raisons un peu technologiques, véhicule beaucoup de textes écrits. Mais on parle du multimédia et de la disponibilité d'une plus grande rapidité dans les liens d'accès, qui rendront possible véritablement autre chose que les textes écrits. Et la prédominance actuelle de l'écrit sur l'inforoute va présumément s'estomper largement au cours des années.

M. Gaulin: Merci.

La Présidente (Mme Frulla): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Oui, merci, M. Forget, pour cette excellente présentation. Moi, j'aimerais vous poser une question plus générale. Je pense que vous avez très justement affirmé que – mais vous parliez de cela dans le contexte de l'accès à Internet – les obstacles n'étaient pas des obstacles d'infrastructure ou des obstacles de tarification – on le sait, ça – mais que c'étaient plutôt des obstacles de nature socioéconomique. En fait, pour un sociologue comme moi, c'est très prééminent, c'est-à-dire qu'il y a une espèce de stratification sociale de cet accès, de sorte que la pénétration de la technologie pourrait, par exemple, générer évidemment de nouvelles formes d'inégalités. Mais vous avez mis l'accent sur l'éducation. Je comprends bien qu'on peut entendre par ça, disons, la pénétration de la technologie dans le système scolaire ou dans d'autres formes d'éducation plus de masse, plus populaires, mais est-ce que vous pourriez... Puisque, au cours de ces assises, au cours de ces rencontres, l'éducation est revenue tellement souvent comme étant une des variables, disons, déterminantes non seulement de l'accès, mais de l'utilisation puis de la diffusion de la technologie dans la société globale, là, moi, j'aimerais que vous élaboriez vos vues là-dessus, sur le rôle stratégique du système d'éducation non seulement pour assurer l'accès, mais, disons, dans une perspective générale d'implantation et de diffusion de ces technologies-là.

M. Forget (Claude E.): Oui, volontiers. Écoutez, nous ne sommes pas des spécialistes du domaine de l'éducation. Il y en a beaucoup au Québec, et on n'est pas parmi ce groupe, mais, comme profanes, ce que l'on peut observer de toutes les discussions, malgré tout, auxquelles nous participons, dans tous les forums dans lesquels M. Sirois et ses collaborateurs sont impliqués souvent sur le plan international, c'est que se dégage de tout cela une vision commune de la société d'information, puisque, au-delà des plateformes technologiques, au-delà d'Internet, etc., ce qui est envisagé de voir résulter de tout ça dans l'avenir, c'est un type de société dont les règles de fonctionnement et les conditions de succès, si vous voulez, entre guillemets, des individus à l'intérieur d'une telle société sont déterminées par des règles nouvelles, par des besoins nouveaux, par des habiletés ou des aptitudes différentes du passé. On se déplace d'une société qui fabrique des objets, des choses, vers une société qui, de plus en plus, manipule l'information, une société de services plutôt qu'une société de production de biens, pas parce qu'on a cessé de produire les biens, mais parce que leur importance relative et la manière dont on les produit font en sorte que les activités de manipulation de choses soient devenues radicalement moins importantes, et cette importance va continuer à décliner.

Donc, une société qui manipule l'information se doit d'avoir des travailleurs qui sont aptes à manipuler l'information, à la créer, à l'utiliser. Et je ne connais pas d'autres façons pour être capable de créer de l'information, de l'utiliser, de la transformer que l'éducation. C'est l'éducation qui nous donne cette capacité, à chacun d'entre nous, comme individu. Et, si l'éducation est de faible qualité sur le plan du développement des capacités de création, de conceptualisation et d'expression, alors les individus ne sont pas capables de bien fonctionner dans la société d'information de demain. Où se retrouveront-ils? Ils se retrouveront marginalisés. C'était important d'avoir l'éducation jusqu'au niveau secondaire dans une société où la fabrication des objets demandait, malgré tout, de pouvoir lire le mode d'emploi de certains équipements, mais ce n'est plus même suffisant dans une société d'information. Il faut éduquer les gens davantage. Et les sociétés qui sont les plus capables d'éduquer tous leurs citoyens, et à un niveau élevé, sont celles qui profiteront de cette nouvelle société d'information.

Donc, c'est important parce que, finalement, éduquer une personne, c'est un travail de 10, 15, 20 ans. Alors, les décisions qu'on prend aujourd'hui n'auront d'effet que dans 20 ans. Il y a une gestation, une période de gestation très longue, et tout retard que l'on prend se manifestera par des retards pour la société dans son ensemble dans 10 ou 15 ou 20 ans.

(10 h 50)

On a l'impression, la malheureuse impression, qu'il y a déjà du retard qui s'est accumulé au cours des années compte tenu de cette vision des choses. Est-ce que cette vision-là se réalisera? Écoutez, personne ne peut prédire l'avenir avec une absolue certitude. Est-ce que la société d'information se développera au point où des robots intelligents feront le travail de tout le monde et qu'il ne sera plus important d'avoir de l'éducation, puisque les ordinateurs seront éduqués à notre place? J'en doute. Mais je ne voudrais certainement pas vivre dans une société qui mise son succès futur sur un tel pari.

M. Laporte: Oui. Juste pour poursuivre, si vous le permettez, Mme la Présidente. Vous venez justement de mentionner que – mais là vous portez un jugement de valeur, c'est sur ça que je voudrais vous entendre – le système d'éducation canadien ou québécois vous paraît faire preuve d'un certain nombre de faiblesses du point de vue de la conception de la performance que vous vous en faites dans une société de l'information. Pourriez-vous préciser, nous donner un peu plus de détails?

M. Forget (Claude E.): Bien, écoutez, je n'ai pas de statistiques à vous citer, mais c'est basé sur une information de tous les jours, dont le problème du décrochage. C'est clair que les gens qui ne terminent pas une éducation formelle jusqu'à un niveau minimum de la douzième année – et encore, j'indiquais tout à l'heure que c'est un niveau qui est probablement même insuffisant aujourd'hui pour l'avenir – bien, ces gens-là ont peu de chances... Évidemment, il y a des autodidactes, il y a des gens qui n'ont pas besoin du système d'éducation et qui pourraient s'en passer totalement, mais c'est une infime minorité. Lorsqu'on parle de 40 %, à peu près – c'est des chiffres que j'ai vus – des jeunes francophones dans cette province qui ne terminent pas une éducation formelle jusqu'à un niveau qu'on doit considérer comme strictement minimal, alors on doit s'interroger. Quand on considère aussi les problèmes qu'ont même ceux qui terminent à rédiger un texte en français, correctement et de façon concise, et... Et ça, c'est des réalités qu'on rencontre tous les jours. Je pense que ça n'a pas fait beaucoup de progrès depuis 30 ans de ce côté-là.

Et pourtant nous sommes dans une société qui consacre une part disproportionnée de sa richesse collective pour l'éducation et la formation professionnelle. Nous vivons probablement dans la société qui fait le sacrifice collectif le plus important au monde, et on n'a pas les résultats les plus impressionnants. Dans les pays asiatiques, plus de 95 % des jeunes terminent le secondaire. Pourquoi affichons-nous une performance aussi médiocre, toutes proportions gardées? Je n'ai jamais compris les raisons qui expliquent ça et je n'ai jamais compris non plus qu'on avait l'intention d'adopter des mesures pour le corriger. Mais peut-être que j'ai de l'information qui me manque.

M. Laporte: Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Frulla): M. le député de Nicolet-Yamaska.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Merci, Mme la Présidente. Merci de votre présentation, M. Forget. J'ai presque sursauté quand je vous ai entendu et que j'ai vu à la page 7, où vous disiez – puis d'ailleurs mon collègue d'Outremont l'a fait remarquer un peu... On dit qu'en ce qui concerne le Québec la problématique au niveau de l'accessibilité, la problématique traditionnelle relative à l'accessibilité physique et économique des services de télécommunications est dépassée. On y a fait un petit peu allusion tantôt. On a entendu des groupes cette semaine et la semaine dernière qui nous ont dit exactement le contraire, comme quoi nous étions en avance par rapport, entre autres, à plein de provinces au Canada et sûrement à un certain nombre de pays dans le monde.

J'aimerais vous entendre là-dessus, parce que vous dites, à la fin de ce paragraphe-là... Le texte dit: «...non pas à cause de l'existence d'une barrière économique...» Donc, ça pourrait être, selon l'affirmation ici, peut-être, si mes conclusions sont bonnes, à cause d'un problème social, comme on l'a souligné. Mais j'aimerais ça savoir, si nous sommes dépassés, par qui? Puis, en même temps, pourquoi?

M. Forget (Claude E.): Écoutez, regardez les taux de pénétration des différentes plateformes technologiques, on parle d'accessibilité, on parle d'accessibilité aux télécommunications. Le taux de pénétration est, je pense, de l'ordre de 97 % des foyers. Bon, bien, peut-être qu'il y a quelque part au monde où il y a 98,5 %, et puis on dit: On est en retard, mais je pense qu'on ne fera pas une querelle pour une différence de cette envergure. Lorsqu'on atteint des niveaux de pénétration aussi élevés... Parce qu'on parle de l'inforoute, mais l'inforoute, ça commence par le simple téléphone. Ce n'est pas nécessairement l'accès à très haute vitesse à Internet, ce n'est pas nécessairement comme ça qu'il faut le définir.

La pénétration du câble, puisque c'est un autre moyen d'accès à l'inforoute, est également très élevée, un peu inférieure à 80 %. Et, dans les deux domaines, donc, c'est des niveaux qui sont égaux ou supérieurs à la plupart des pays, même développés, bon, peut-être, marginalement inférieurs avec l'un ou l'autre, mais, encore une fois, il n'y a pas là de quoi faire une querelle.

Or, dans ces deux industries, la déréglementation et la concurrence qui s'installent vont de façon certaine amener des tarifications beaucoup plus souples qui vont permettre à ceux qui seraient encore privés d'accès d'avoir accès à des services de base pour des sommes probablement inférieures aux abonnements mensuels d'aujourd'hui. C'est une situation qu'on observe, par exemple, aux États-Unis, où il y a ce qu'on appelle, au niveau de la téléphonie, le service «lifeline» qui permet à des personnes isolées, âgées, avec des faibles moyens économiques d'avoir malgré tout un lien téléphonique qui est pour elles un facteur de sécurité, de rejoindre les enfants, ou le médecin, ou l'ambulance, etc., pour des sommes véritablement dérisoires. Puis, évidemment, si elles en font un usage plus considérable qui dépasse la simple nécessité, alors il y a une tarification qui peut être progressive.

Tout ceci pour indiquer que la concurrence force et forcera, dans le cas où ils ne sont pas encore installés, les entreprises à offrir les services qui sont déjà extrêmement accessibles, pour ce qu'on peut en juger par le taux de pénétration, à une tarification encore plus facilitante, en quelque sorte. Donc, pour les services traditionnels, je pense que le problème d'accessibilité ne se pose pas vraiment. Tout le monde n'est pas abonné au câble, il y a des gens qui sont contre la télévision, qui n'ont pas le temps de regarder la télévision, qui ne veulent pas avoir l'influence de la télévision dans leur foyer auprès des enfants, etc., puis ils ne souscrivent pas au câble, mais, compte tenu des budgets familiaux, ce n'est pas une charge qui est vraiment si onéreuse qu'elle est un véritable obstacle économique. Je suis sûr que, même dans les foyers d'assistés sociaux, il y a beaucoup de gens qui souscrivent au câble, peut-être la majorité. Il faudrait faire une enquête là-dessus, mais je n'ai pas le sentiment que, même pour la classe la plus défavorisée de nos concitoyens, on est en face de barrières économiques réelles. Il peut y avoir d'autres raisons pour ne pas avoir le téléphone, il y a des gens qui sont antisociaux et qui ne veulent pas qu'on les rejoigne, mais ce n'est pas le 8 $ par mois, ou le 10 $ par mois, ou le 12 $ par mois qui est un obstacle insurmontable aujourd'hui.

Les services à large bande, bien sûr, c'est différent. L'accès à Internet ou à des services de cette nature, ils sont actuellement plus chers, les taux de pénétration sont beaucoup plus faibles, de l'ordre de 15 %, 20 % ou peut-être 25 % selon les régions, mais il faut bien avouer qu'il ne s'agit pas de services essentiels aujourd'hui, il ne s'agit pas de services qui ont atteint la maturité ni technologique ni commerciale. Donc, il est prématuré, dans ce cas-là, de poser la question: Est-ce qu'il faut offrir un service gratuit à Internet à toute la population, aux économiquement faibles, aux personnes âgées ou à Dieu sait quoi? Je crois que nous n'en sommes pas là. Et, bien sûr, le lien avec les écoles est une politique gouvernementale qui est en train de s'effectuer, de se réaliser. Il y a une bonne raison de donner l'accessibilité dans ce cas-là, et il y a aussi d'autres initiatives, au moins en perspective, pour donner accès dans les bibliothèques publiques, par exemple, etc., de manière à ce que le citoyen ordinaire, pour employer cette expression, qui n'a pas les moyens de souscrire au service à domicile puisse avoir malgré tout accès à la plateforme technologique par des instruments mis à la disposition du public.

Alors, compte tenu de tout ça, notre sentiment, c'est que les débats sur l'accessibilité et les pressions pour obtenir des subventions gouvernementales pour l'accroître davantage sont déplacés. Ce n'est pas là que le problème se pose.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Je viens de tout comprendre, je n'avais pas compris comme il faut. Je vous avoue que j'avais mal saisi la virgule ou la problématique qui était...

M. Forget (Claude E.): Je suis sûr que je m'étais mal exprimé. Ce n'était pas votre faute, c'était la mienne.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Sûrement la mienne un peu aussi. Merci.

La Présidente (Mme Frulla): Une dernière question. Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: Bonjour, M. Forget.

(11 heures)

M. Forget (Claude E.): Bonjour, madame.

Mme Malavoy: J'en ai deux, questions, mais je vais les poser rapidement, toutes les deux en même temps. Il y a beaucoup de choses avec lesquelles je suis à l'aise dans votre texte, mais il y a deux aspects qui m'ont fait un peu sursauter. Le premier, c'est quand vous dites: L'inforoute ne peut rien et ne signifie rien pour les illettrés. Je trouve ça grave comme phrase et, si ça devait s'avérer, je trouve ça grave socialement. Remarquez bien qu'il y a des gens qui nous ont dit, au contraire, que, même si on avait 900 000 analphabètes fonctionnels au Québec, ils pourraient trouver d'autres moyens d'avoir accès à l'inforoute. Mais j'aimerais vous entendre sur cette phrase-là.

Et l'autre chose, c'est dans un tout autre domaine et c'est sur les pouvoirs du Québec en matière de compétence réglementaire en télécommunications. Vous semblez dire que ce n'est pas si grave que ça qu'on ait perdu toute juridiction. Bien, moi, j'ai lu ce que vous dites, mais je ne suis pas encore tout à fait convaincue. Alors, j'aimerais rapidement – là, je sais qu'il ne reste plus beaucoup de temps – être éclairée un peu sur ces deux questions.

M. Forget (Claude E.): Volontiers, madame. Pour ce qui est de la première question, c'est-à-dire cette phrase qui vous a frappée, je reviendrai à mes propos d'il y a quelques minutes sur la société de l'information. La société de l'information crée un environnement de travail, un environnement culturel qui est radicalement différent du passé – on en verra de plus en plus les manifestations – et cet environnement va favoriser les sociétés lettrées et les individus lettrés à l'intérieur de ces sociétés et va défavoriser, en termes nets, les sociétés non lettrées et les individus dans n'importe quelle société qui n'ont pas un niveau d'éducation leur permettant de vraiment exploiter cette ressource, mais aussi de ne pas être en quelque sorte exclus.

Bon, bien sûr, des gens vous diront, et nous sommes tout à fait d'accord, que l'inforoute, l'informatique, enfin tous ces moyens nouveaux qui nous sont donnés, appliqués au domaine de l'éducation, devraient permettre d'améliorer les chances de tout le monde d'acquérir ce niveau d'éducation qui deviendra de plus en plus indispensable. Espérons que c'est le cas et espérons que nous nous inscrirons dans cette partie du monde, dans ce mouvement qui se dessine pour utiliser pleinement cet outil. D'ailleurs, dans des pays en voie de développement, on veut l'utiliser de façon peut-être plus agressive que nous ne l'utiliserons jamais, puisqu'on est dans une situation de table rase, en quelque sorte. Et il ne faut pas défaire les structures existantes, il ne faut pas persuader des organismes existants de changer, il faut créer à partir de zéro, donc c'est plus facile. Donc, on sera probablement à la remorque de ces pays en voie de développement qui vont développer des nouvelles approches, des façons d'utiliser ces nouveaux outils pour faire avancer la cause de l'éducation.

En bout de piste, finalement, on réussira ou on ne réussira pas, mais, pour ces individus dans n'importe quelle société où on ne réussira pas l'effort éducatif, alors on va en même temps créer une société où ces gens-là seront plus menacés d'être plus marginalisés qu'ils le sont dans une société où les exigences éducatives étaient moindres. Ça tombe en quelque sorte presque sous le sens commun lorsque presque toutes les activités requièrent la capacité de conceptualiser et de s'exprimer, d'apprendre à fonctionner dans un environnement qui, malgré le fait qu'il est de plus en plus convivial, conserve sa complexité. Et, lorsque les gens ne sont pas habitués à négocier avec cette complexité de l'environnement qui les entoure, alors ils vont... Encore une fois, ce sont des habitudes et des aptitudes qui sont développées par le processus éducatif. Alors, s'ils ne les ont pas, ces aptitudes, s'ils ne les ont pas développées, ils vont vivre dans une société qui est, je ne dirais pas hostile, mais qui ne sera certainement pas confortable.

Pour ce qui est de la deuxième remarque, j'ai dit, peut-être avant votre arrivée, mais je vais le répéter brièvement: Je crois que tous les États nationaux, qu'il s'agisse des États-Unis mêmes, certainement des organismes de réglementation au Canada, ailleurs en Europe, sont en train de gérer une période de transition. L'objectif est commun, l'objectif est dicté par de nouvelles données applicables à cet ensemble de l'industrie qui constitue la société de l'information, et la gestion de la transition est pénible, elle est entourée de débats et de conflits. Elle est très coûteuse pour tous les intervenants, mais elle a un point d'arrivée qui est essentiellement le même dans tous les pays: il n'y aura plus de raison de réglementer l'industrie des télécommunications, pas plus qu'il y a aujourd'hui d'intérêt à réglementer l'industrie de la chaussure.

On a réglementé ces industries parce qu'il y avait des technologies qui étaient par définition des monopoles. Or, le développement technologique a sapé et continue à saper le pouvoir des plateformes technologiques et de ceux qui les contrôlent. On voulait compenser les pouvoirs de monopole que détenaient ceux qui contrôlaient les infrastructures dans le secteur privé par des organismes de réglementation. Les organismes de réglementation n'auront plus leur place dans un domaine et dans des industries qui deviennent absolument concurrentiels parce que la technologique a évolué. Il est possible maintenant de donner les mêmes services par une multitude de façons. Alors, il n'y a plus personne qui a de pouvoir sur la société dans ce domaine-là, et la réglementation est faite pour contrôler le pouvoir détenu dans les mains d'entreprises privées, puisqu'on estime que ce pouvoir peut être l'objet d'un abus. Mais personne ne pourra abuser d'un pouvoir quand le pouvoir va disparaître, et le pouvoir est en train de disparaître très rapidement partout.

Mme Malavoy: Je voudrais juste me permettre une remarque, parce qu'on pourrait en discuter longtemps, mais j'ai tendance à croire quand même que ne plus avoir de pouvoir, c'est aussi ne plus être dans les lieux où cela se discute. Quand les pays du G 7, je crois, il y a un an et demi ont parlé justement de ces questions de déréglementation en matière d'autoroute de l'information, c'est le Canada qui y était; le Québec n'y était pas. Si le Québec n'a pas de prise en matière de réglementation, il n'a pas non plus de forum pour s'exprimer. Alors, vous lui demandez un rôle de leadership en matière de droits et de code de la route, si je peux dire, au plan international. En même temps, moi, j'aimerais bien qu'on soit aussi là où les pays, même s'ils ont des problèmes, au moins se rencontrent pour en discuter.

M. Forget (Claude E.): Oui, mais, madame, j'étais à Bruxelles, à la réunion du G 7, où se discutaient ces questions de société d'information – d'ailleurs, j'ai encore la pochette, c'est avec ça que j'ai amené les documents qui m'ont servi aujourd'hui – et je peux vous assurer que ce n'est pas une grande perte que de ne pas être alentour de cette table, puisque vous entendriez là les discours qui sont maintenant stéréotypés, à savoir comment et à quelle vitesse on va démanteler tout cet édifice réglementaire qui a été édifié à partir de la fin du XIXe siècle, et tout le monde a les mêmes débats, et les débats sont animés dans tous les pays par le fait que vous avez des sociétés en place.

On peut donner des exemples évidemment tout près de chez nous: Téléglobe était une entreprise qui avait un monopole; nous avons demandé au gouvernement canadien de supprimer ce monopole. C'est peut-être le premier monopole au monde qui demande sa propre suppression. Mais partout, alors, il y a ces débats pour l'élimination des situations de monopole, et, ordinairement, contrairement à l'attitude de Téléglobe, ceux qui ont les monopoles cherchent par tous les moyens à conserver le plus longtemps possible les avantages qui se rattachent à ce statut. Donc, il y a beaucoup de lobbying, il y a beaucoup de discussions qui prennent parfois une tournure très technique.

Il y a quelques semaines, il y a eu des audiences devant le CRTC à Ottawa sur les règles d'interconnexion. Alors, c'est un grand débat d'intérêts – au pluriel: telle compagnie contre telle autre compagnie pour déterminer à quel prix on va réglementer pendant la période transitoire. Mais c'est des questions de transition technique sans intérêt sur le plan politique, puisque tout le monde sait très bien que le point d'arrivée pour tout le monde sera le même: un régime où, encore une fois, comme l'industrie de la chaussure ou de la restauration, il n'y a pas de raison d'obtenir un permis. Il n'y a pas de raison que le spécial du jour au restaurant Marie-Antoinette soit réglementé par qui que ce soit, sauf le propriétaire, puisque, si le public n'aime pas le prix et le menu, alors il y a une foule de restaurants à Québec où on peut aller, où le prix est différent et le menu aussi.

Nos industries sont en train d'évoluer de cette façon-là, et vraiment une industrie qui est en déclin, c'est l'industrie de la déréglementation. Bon, il y a encore beaucoup d'avocats, de comptables et de gens comme ça qui vont faire de l'argent, et beaucoup, pendant un certain nombre d'années à argumenter toutes ces causes-là, mais c'est une distraction pour les gouvernements qui doivent se livrer à cet exercice, parce qu'il n'y a rien de fondamental qui est discuté là, c'est des problèmes de transition. Et c'est un soulagement, à mon avis, pour le gouvernement du Québec, de pouvoir s'y consacrer, puisque à la fois les ressources et l'attention des dirigeants sont une denrée rare et limitée. De pouvoir consacrer toute l'attention du gouvernement aux mesures positives et constructives qui vont préparer l'avenir plutôt que de gérer le passé, à mon avis, c'est formidable, vous avez le meilleur des mondes possibles.

(11 h 10)

Mme Malavoy: Merci.

La Présidente (Mme Frulla): Merci beaucoup, M. Forget. Merci, encore une fois. J'appelle maintenant le Centre de recherche en droit public, représenté par, je pense, M. Trudel.

(Consultation)

La Présidente (Mme Frulla): Bonjour, M. Trudel. Comme c'est la deuxième fois qu'on vous entend, alors vous connaissez les règles. Je vous laisse la parole.


Centre de recherche en droit public (CRDP)

M. Trudel (Pierre): Merci, Mme la Présidente. Alors, le Centre de recherche en droit public, on m'a intitulé très aimablement président, mais, en fait, j'ai déjà été directeur du Centre de recherche en droit public, je n'occupe plus cette fonction, mais j'y suis toujours professeur. C'est un des centres de l'Université de Montréal, qui s'intéresse particulièrement à la recherche sur le droit relatif aux environnements électroniques. Ce qui m'amène ici ce matin, c'est de présenter les principaux résultats d'une étude qui a été réalisée au Centre grâce à une subvention du Fonds de l'autoroute de l'information sur le cadre juridique des environnements électroniques. Il nous est apparu qu'il était opportun de saisir cette occasion que sont les travaux de la commission pour faire part d'un certain nombre de résultats que cette étude – qui s'achève maintenant et qui sera publiée dans les prochaines semaines – nous a permis de mettre au point, donc, en réponse aux interrogations, du moins à certaines d'entre elles, qui sont consignées au document produit par cette commission.

Je dois signaler que cette étude que nous avons menée a eu depuis le début l'appui du ministère de la Culture. Elle a été suivie par un conseil de direction ou de surveillance composé de fonctionnaires du ministère de la Justice, du Conseil du trésor, du Secrétariat de l'autoroute de l'information et du ministère de la Culture. Ces personnes nous ont beaucoup aidés, nous ont guidés, mais, bien sûr, les conclusions auxquelles nous sommes arrivés n'engagent que les chercheurs et ne sauraient d'aucune façon impliquer les instances que ces personnes représentaient.

Entendue comme l'ensemble des mesures visant à influer le cours des choses, la politique sur les inforoutes doit se concevoir en tenant compte des traits caractéristiques du cyberespace, et, dans notre mémoire, nous avons tenté de façon synthétique d'identifier quels sont les traits du cyberespace qui font en sorte qu'on doive concevoir différemment le droit et la réglementation, le cyberespace étant cet espace résultant des multiples interconnexions entre les réseaux et les ordinateurs situés partout sur la planète.

La question, donc, qui a motivé cette étude est celle de savoir de quelle façon s'assurer que les valeurs qui sont importantes et qui demeurent importantes malgré l'émergence des inforoutes pour la société québécoise puissent être préservées et même renforcées par l'avènement et la généralisation des inforoutes. Ayant pris acte du fait que le cyberespace ignore les frontières, ce qui est devenu un lieu commun, il faut aller plus loin et se demander, dans cet espace qui ignore les frontières, à tout le moins les frontières nationales, comment assurer un bon niveau d'effectivité aux règles du jeu que l'on trouve nécessaire de conserver ici.

Dans le cyberespace, la régulation ne se conçoit pas comme un système d'interdictions et de permissions. On pourrait même ajouter que c'est peut-être de plus en plus vrai aussi dans l'espace réel, mais, plus encore dans le cyberespace, la régulation se conçoit plutôt comme un ensemble de solutions aux problèmes des usagers, puisque, dans le cyberespace, on a presque toujours la possibilité de se brancher ailleurs ou autrement, et donc c'est un espace où l'usager n'est pas confiné de façon aussi manifeste qu'on peut l'être dans l'espace physique. Si un territoire virtuel ne nous convient plus, on peut migrer avec autant de facilité que de manipuler une souris d'ordinateur; d'où l'importance de développer au Québec, et avant les autres, des mécanismes qui sont destinés à faciliter les interactions, puisque l'inforoute est de moins en moins un problème d'infrastructure de télécommunications mais de plus en plus un milieu d'interaction, un milieu de vie.

Donc, ce qui devient un enjeu important, c'est la mise en place de mécanismes de services qui sont de deuxième ou de troisième génération et qui vont être moins strictement techniques et beaucoup plus sensibles aux contenus: par exemple, les systèmes de facilitation des transactions dans des espaces qui ne peuvent pas être conçus comme étant simplement des espaces nationaux, des mécanismes d'arbitrage pour les conflits qui ne manqueront pas de se manifester dans ces environnements comme dans tous les autres, mécanismes ou codes de conduite, mais assortis d'outils pour en assurer un niveau acceptable de conformité et de respect. Donc, c'est un premier élément, une première composante qui est reflétée dans les six énoncés qu'on a repris dans notre mémoire.

Nous avons également constaté que, pour pouvoir développer une politique efficace et pour pouvoir influer le cours des choses – ce qui est généralement la finalité des politiques – il faut être présent dans les forums internationaux, mais surtout des forums non gouvernementaux, puisque de plus en plus un grand nombre de décisions se prennent en dehors des forums gouvernementaux tels qu'on les a connus jusqu'à maintenant, en particulier ceux qui oeuvrent au développement de standards et de façons de faire dans les environnements électroniques, et il est prévisible que, dans un proche avenir, ce ne sera pas principalement des forums gouvernementaux. Par conséquent, le défi est d'assurer la présence québécoise non seulement dans les forums internationaux déjà connus ou déjà balisés par les gouvernements, mais également dans d'autres forums qui sont, ceux-là, plus diffus et souvent dont on comprend mal les dynamiques.

Importance également des mécanismes extraétatiques, c'est-à-dire les mécanismes régulateurs qui n'émanent pas de l'État, non pas pour dire que l'État n'a plus sa place et que ces mécanismes n'ont plus leur raison d'être, mais pour constater le caractère complémentaire de ces mécanismes extraétatiques. L'autorégulation et la certification, pour prendre deux exemples, sont deux de ces mécanismes qui peuvent se renforcer mutuellement, et une politique cohérente d'incitation des acteurs québécois à se doter de mécanismes significatifs d'autorégulation... Et je veux tout de suite signaler que, quand on parle d'autorégulation, on ne parle pas simplement d'une dizaine d'énoncés où on proclame la vertu et on condamne le mal, mais d'une véritable autorégulation, c'est-à-dire où les règles du jeu sont contraignantes pour tout le monde. Donc, se doter de véritables mécanismes d'autorégulation, c'est de nature à favoriser le développement d'outils adaptés au caractère du cyberespace, outils qui deviendront de plus en plus nécessaires et pour lesquels il est opportun d'essayer de prendre une certaine avance. Et ces outils autorégulateurs, s'ils sont développés en contexte québécois, bien, il y a toutes les chances que ces outils assurent la préservation des valeurs qui sont chères à notre société.

Puisque, on l'a dit, les inforoutes sont des lieux de vie ou d'interaction, il faut prendre acte aussi que les principaux enjeux qu'elles interpellent sont des enjeux qui concernent le droit commun, c'est-à-dire le droit civil, le droit de la responsabilité. La grande question de l'heure à propos d'Internet, c'est de savoir qui parmi les nombreux participants à la communication électronique répand des informations dommageables. On ne peut plus se contenter, comme on le faisait pendant la première époque d'Internet, de dire: Nous, on est rien que des tuyaux pour certains acteurs. Dans certains cas, on constate assez vite que les systèmes judiciaires des différents pays finissent toujours par trouver un responsable, et généralement le plus facile d'accès, lorsque des dommages surviennent.

(11 h 20)

Même chose pour des contrats. La pratique contractuelle devient le véhicule principal de régulation de ces interactions qui prennent place dans le cyberespace, et la pratique contractuelle, c'est quelque chose qui concerne le droit civil, c'est dans le droit civil des différents pays. Et, dans le contexte canadien, le droit civil, ce sont les compétences provinciales. Eh bien, ce sont des domaines qui sont particulièrement interpellés dans le développement de ce cadre juridique qui s'appliquera dans le cyberespace.

Par conséquent, si on a besoin de veille technologique, on a aussi besoin de veille juridique, puisque de plus en plus le cyberespace n'est plus une question d'infrastructures technologiques seulement, mais aussi d'infrastructures qui concernent le milieu de vie et l'organisation du milieu de vie, et donc des infrastructures qui ne peuvent pas être conçues uniquement comme étant strictement techniques ou selon des logiques seulement technologiques.

Parmi les politiques actuelles, au Québec, qui ont un écho en matière d'inforoute, on peut en distinguer peut-être deux grandes catégories. Il y a celle qui concerne ce qu'on pourrait appeler la préservation des valeurs essentielles. Ce n'est pas parce que l'inforoute arrive que les gens trouvent plus acceptables l'obscénité, la propagande haineuse ou finissent par trouver normal qu'on porte atteinte à leur vie privée ou à leur réputation. Par conséquent, dans la mesure où ces valeurs recueillent, dans le cyberespace comme ailleurs, un haut niveau de consensus – puisque, en général, dans le monde, on reconnaît d'emblée que ces valeurs sont importantes, bien qu'on n'en ait pas toujours la même compréhension – on peut probablement penser qu'une approche doit être, à l'égard de ces valeurs essentielles, de favoriser les mécanismes qui visent à s'assurer que le plus grand nombre possible d'acteurs adhèrent à des règles qui sont de nature à préserver ces valeurs afin de contribuer à un effet de zonage des contenus indésirables.

Si on raisonne à partir de l'Internet, probablement que la meilleure façon de s'assurer que le respect des valeurs... du moins, qu'il y ait un certain niveau de respect des valeurs, c'est sans doute, en partie du moins, par la mise en place de mécanismes qui ont pour conséquence de zoner les contenus indésirables pour qu'à tout le moins ces contenus ne viennent pas entre les mains de personnes pour lesquelles ce serait contreproductif ou tout simplement parce qu'on ne souhaite pas que le système d'éducation devienne la rampe d'accès à tout ce qu'il y a de propagande haineuse et de pornographie sur Internet – bien que, encore une fois, je ne sois pas de ceux qui pensent qu'il y en a tant que ça, mais il y en a quand même un peu.

En conséquence, aussi, ajuster le régime de responsabilité afin de décourager le relais des contenus préjudiciables, dans la mesure où, si on trouve qu'il y a des contenus préjudiciables et que ces contenus n'ont pas à être favorisés, bien, on peut très bien prendre comme option d'ajuster le droit de la responsabilité de façon à faire en sorte que les acteurs qui au Québec prennent part à la diffusion de ce type de contenu soient appelés à en répondre comme on est appelé à répondre de tous les gestes préjudiciables que l'on fait dans d'autres domaines. Par conséquent, à l'égard des valeurs fondamentales, ces deux options, ces deux approches permettent de fonder, à notre sens, une politique qui assurerait un certain niveau de protection de ces valeurs essentielles.

Il y a d'autres aspects, cependant, des politiques qui sont plus spécifiques au Québec, par exemple la promotion du français ou de la culture québécoise. C'est sans doute par une approche de soutien, ce qu'on pourrait appeler «de soutien à l'occupation de notre place dans le cyberespace», qu'on peut le mieux assurer cette promotion, soutien au développement de sites attrayants aussi bien pour le monde francophone que pour le reste du monde, puisque l'influence francophone et la présence et l'illustration du français, même en France, ne passent pas que par la seule utilisation du français mais aussi par l'utilisation d'autres langues. Il y a des sites qui peuvent utiliser d'autres langues mais avoir été pensés en français, et ça aussi, c'est de l'influence.

Le développement également de services qui refléteront nos valeurs, donc une approche de soutien, un peu à la manière des politiques culturelles actuelles, qui sont bien davantage des mesures de soutien et d'encouragement à l'expression créatrice que des mesures d'interdiction ou de contrôle.

En conclusion, je dirais que, plus on passe vers cette vague qui connaîtra une utilisation plus généralisée des possibilités d'interaction dans le cyberespace, plus il faut maîtriser les aspects humains, par opposition aux seuls aspects techniques, et plus il faut assurer une capacité de réflexion et d'action, et d'action éclairée, au plan des approches innovatrices qui permettront de mettre en oeuvre les objectifs de politiques, des politiques que l'on trouve importantes dans notre contexte, qui permettront également de mettre en place des services qui accompagneront le développement d'un espace francophone dans le cyberespace. On peut prévoir qu'il y aura sans doute un sous-espace francophone qui finira bien par se développer le jour où nos amis français découvriront vraiment Internet ou d'autres environnements de cette nature, d'où peut-être le rôle ou la contribution que peut jouer la recherche fondamentale comme celle que nous essayons de faire. Je vous remercie.

La Présidente (Mme Frulla): Merci beaucoup. Je passe la parole au député d'Outremont.

M. Laporte: Merci beaucoup pour cette présentation. C'est un gros, gros problème sur lequel vous travaillez, on en est tous conscients. Il y a des dispositifs de contrôle qui sont de nature technique. Il y a des entreprises qui travaillent là-dessus: IBM, AT&T. Il y a des dispositifs de contrôle, enfin, de ce que vous appelez «de régulation de valeurs fondamentales dans le cyberespace» qui sont de nature légale, il y en a d'autres qui seraient de nature morale au sens où, comme ça a été le cas ici, au Québec, avec la Commission d'accès à l'information, des acteurs sociaux peuvent en arriver à des consensus sur des bons comportements. Ce n'est pas moral au sens du péché, mais au sens des moeurs.

Mais il y a aussi un aspect – je voudrais vous entendre là-dessus – qui tient compte de ce que j'ai pu lire là-dessus, de ce que j'ai pu voir par expérience personnelle ou autrement. Quel sera le rôle de l'éducation là-dedans? Je parle vraiment de l'éducation... Ah! ça peut être l'éducation familiale, mais ça peut être aussi l'éducation, disons, scolaire. Finalement, en dernière analyse, pour parler comme les marxistes, est-ce que le rôle de l'éducation ne sera pas fondamental, en ce sens qu'on transmettra par l'école des façons de faire, des façons d'agir et des identifications à ces valeurs dont vous parlez, qui feront que les gens les respecteront dans leurs comportements? Il y aura toujours des «free riders», ça, il n'y a pas de problème, il va toujours y avoir du monde qui va... La déviance, il y en aura toujours un certain nombre. Il y a de la criminalité aussi. Mais quel est le rôle de l'éducation, du système d'éducation dans le but d'assurer la protection des valeurs fondamentales dont vous avez traité?

M. Trudel (Pierre): Écoutez, nous, on a surtout travaillé sur l'aspect rôle du droit et de la régulation, mais, par contre, je travaille comme professeur d'université. Moi, évidemment, je ne vois pas les décrocheurs et les gens qui ne se rendent pas à l'université, mais nos étudiants sont des gens qui ont fait l'université, et donc j'ai peut-être une vision moins pessimiste du système d'éducation. Cependant, au niveau de la formation des professionnels – et je vais parler des professionnels que je connais, les professionnels du droit – il y a certainement un rôle important pour l'éducation. Ce que l'on constate, c'est que, malheureusement, on forme encore aujourd'hui des professionnels du droit qui, à la différence d'autres professionnels, n'ont pas beaucoup appris et n'ont pas beaucoup appris à maîtriser les technologies de l'information. Entre autres, il n'y a pas de raison pour ne pas penser que le système judiciaire au sens large ne pourrait pas bénéficier de gains de productivité importants en raison de l'utilisation des technologies de l'information. Or, ce n'est que tout récemment que les instances du milieu juridique ont pris conscience de cet aspect.

(11 h 30)

Une des hypothèses que je vous proposerais, c'est que les juristes ne sont pas formés en ayant les technologies de l'information dans leurs bagages à outils. Ce qui sauve la situation, c'est que, parmi nos étudiants, il y en a qui sont «computer-literate», si on veut, et qui souvent nous ont poussés à développer des secteurs. Enfin, nous, on fait peut-être exception parce qu'on est dans un centre de recherche et qu'on travaille beaucoup là-dedans, mais, dans les autres facultés, les autres universités, et même dans notre faculté à Montréal, l'intégration des technologies de l'information dans la formation demeure relativement marginale et, à cet égard là, ça peut sans doute nous permettre de nous inquiéter. Est-ce qu'on va avoir des professionnels qui vont être capables d'agir en tenant compte du fait qu'on est dans de nouveaux types d'espace, de nouveaux types de contexte et que le droit et les règles ne s'y présentent pas de la même façon?

M. Laporte: Enfin, ici, on parle plutôt d'une formation professionnelle visant l'utilisation de la technologie, mais...

M. Trudel (Pierre): Bien, c'est-à-dire, la capacité dans les différents champs de savoir spécialisés ou professionnels, je dirais, de passer au travers et d'assumer les mutations qui ne manqueront pas de se présenter dans tous les champs d'activité humaine, y compris dans le champ que je connais, le champ du droit. Les professions juridiques jusqu'à maintenant tardent encore...

Je vais vous donner simplement un exemple. On parle de plus en plus de certification électronique et parfois de notarisation électronique. Il faut savoir que, encore aujourd'hui, les notaires qui sont diplômés de l'université sortent en n'ayant jamais suivi de leur vie un cours d'informatique, du moins à l'université. Par conséquent, il ne faut peut-être pas s'étonner de voir que la profession notariale, qui persiste à ne se servir que de la longue plume, perde du terrain au profit d'autres... Remarquez que, dans ce sens-là, ce n'est peut-être pas une tragédie pour la société, dans le sens qu'il y en a d'autres qui prendront le relais, mais il reste que ça illustre un petit peu peut-être certaines carences dans les programmes universitaires. Mais là ce n'est pas que la faute des universités, c'est aussi la faute des corporations professionnelles qui, jusqu'à tout récemment, avaient une conception assez rudimentaire des technologies de l'information.

M. Laporte: Si vous me permettez, M. le Président. Là, vous venez – je le mentionne juste pour l'enregistrement, c'est peut-être intéressant – vraiment de mentionner un problème dont on n'avait pas entendu parler jusqu'à maintenant, c'est-à-dire, disons – comment dirais-je – la pénétration différentielle de ces technologies et de la mentalité technologique dans les différents corps professionnels. C'est sûr que le droit comme les lettres sont peut-être des professions un peu spéciales. Mais j'imagine qu'en génie, en médecine, en management... Moi, en tout cas, ce que j'ai vu à l'UQAM l'an passé, quand j'étais à la faculté de gestion... La pénétration est pas mal forte. Mais c'est très intéressant, ce que vous dites, parce qu'il y a une grande variation. On nous a dit, par exemple, ici aussi que, du côté des écoles d'éducation, de pédagogie, la pénétration n'était pas très forte. Et là ça a des implications directes, puisque finalement c'est à travers l'école que la diffusion et l'utilisation de la technologie se font, alors que les maîtres semblent témoigner d'un facteur de résistance assez élevé là-dessus. Enfin, c'est juste un commentaire, mais je trouve que c'est intéressant que vous ayez soulevé ce problème-là que personne n'a plus ou moins mentionné jusqu'ici. Merci beaucoup.

Le Président (M. Gaulin): Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: Bonjour, monsieur. Je trouve que votre mémoire est très fouillé et fort intéressant. Vous suggérez que nous ayons au Québec un certain leadership en matière de régulation et vous dites qu'on a l'avantage, c'est vrai, d'être au confluent de deux grandes traditions et de deux grands systèmes juridiques. Donc, c'est vrai qu'on peut comprendre avec ça une bonne partie du monde, je pense. Une question qu'on se pose, c'est: Est-ce qu'on en connaît assez sur les enjeux de l'inforoute pour pouvoir tout de suite passer à l'action? Certains sont plutôt les tenants de correctifs apportés au fur et à mesure que les problèmes apparaîtront, en disant: Il faut encore voir ce qui va se passer réellement. D'autres, et j'ai l'impression que vous en êtes, pensent qu'il y a déjà assez matière pour avoir des mécanismes de régulation précis. J'aimerais vous entendre là-dessus, parce que, au terme évidemment de cette discussion, il faudra que, nous, on sache quelles recommandations on fait pour l'État du Québec.

M. Trudel (Pierre): Oui. Alors, on en sait peu et on en sait assez; ça dépend toujours des points de vue. C'est vrai qu'au moment où on se parle il y a encore relativement peu de véritables interactions dans les environnements électroniques. On a beau parler d'Internet, il y a encore assez peu de véritables transactions ayant des enjeux appréciables qui peuvent se manifester. Ce que l'on prévoit toutefois, c'est que ces transactions vont se développer. Et là, si le mémoire a donné l'impression que l'on savait assez pour changer les choses, je pense qu'il y a lieu de corriger tout de suite cette impression. Parce que nous pensons que les principes du droit tels que nous les connaissons sont encore pertinents et sont encore applicables dans un très grand nombre de cas. Cependant, ils sont insuffisants parce que les règles de droit s'appliquent dans des territoires nationaux, alors que le cyberespace est un espace qui n'est pas un espace national, c'est un espace qui...

Mme Malavoy: Par définition.

M. Trudel (Pierre): ... on l'a dit souvent, ignore les frontières. Et, par conséquent, l'enjeu, si on veut s'assurer que les valeurs que recèle notre droit au sens large, c'est-à-dire nos lois, nos règlements, les règles que démocratiquement cette société a souhaité adopter, si on veut que les valeurs de ces règles puissent continuer de prévaloir, il faut être présent dans des lieux où ces règles vont avoir de l'influence. Et c'est dans ce sens-là qu'on pense à des services d'arbitrage, par exemple, des services qui ont tous dans le monde, à l'heure actuelle, un caractère expérimental. C'est-à-dire qu'à l'heure actuelle dans certains pays, on commence à expérimenter certaines formes de régulation. Et les sociétés qui auront investi dans cette sorte d'expérimentation seront sans doute en meilleure position pour mettre en place des mesures qui ne seront pas toujours des mesures étatiques et qui pourront assurer que les principes de leur droit continueront de pouvoir prévaloir ou, à tout le moins, continueront de pouvoir être pertinents dans les multiples activités qui vont se développer dans le cyberespace.

Alors, pour essayer d'illustrer un petit peu, on peut dire que l'expertise ou la capacité qu'on a au Québec de fonctionner dans deux systèmes juridiques, dans deux langues et peut-être même plus encore, c'est un atout qui, s'il est bien joué, donne d'excellentes chances de se positionner dans ces nouvelles générations de services, les générations de services qui vont devoir soutenir les transactions non pas seulement au plan de la sécurité, mais au plan du cadre juridique. Si on est capable de mobiliser ces atouts que nous avons, on pourrait devenir à l'égard de l'Internet ou d'autres environnements électroniques ce que la Suisse est au commerce bancaire, c'est-à-dire un lieu où non seulement il y a des banques, mais il y a aussi une activité importante pour l'ensemble des banques et pour le commerce mondial entre les banques. Et cette activité est en elle-même génératrice de richesses et d'emplois. Or, il y a assez peu de territoires dans le monde développé qui ont cette capacité d'agir dans deux des grands systèmes juridiques, cette capacité d'agir au moins en deux langues. C'est le seul territoire au Canada qui a cette capacité, en fait, pour le faire vraiment, et en Amérique du Nord aussi. Alors, il y a là certainement un atout.

(11 h 40)

Et, nous, on s'est intéressés aux aspects services de soutien, en termes de règles du jeu. Les consommateurs qui vont aller faire des transactions dans le cyberespace et qui ne sont pas des cyberinternautes de la première génération, qui sont plus craintifs, vont sans doute souhaiter le faire dans un environnement relativement bien sécurisé. Et l'enjeu, c'est alors d'offrir ce type de services en plusieurs langues et à des gens de plusieurs pays. Et, si ces services sont développés au Québec, je pense que ça nous conférera un avantage. On parle des services qui génèrent automatiquement le contrat avec la loi applicable, qui respectent aussi bien la loi finlandaise que la loi australienne, s'il s'agit d'un contrat entre un australien et un finlandais. Il faut penser, donc, à des systèmes qui génèrent électroniquement et automatiquement ces choses-là. C'est un genre d'industrie qui suppose non seulement l'expertise au plan technique, mais également l'expertise au plan capacité d'agir dans différents systèmes juridiques.

Mme Malavoy: Est-ce que je peux aborder une autre question?

Le Président (M. Gaulin): Oui, bien sûr, allez-y.

M. Trudel (Pierre): Parce que le droit fait partie de la culture aussi. Enfin, dans notre esprit, la culture, ce n'est pas que la ceinture fléchée et la chanson, c'est aussi le droit.

Mme Malavoy: La culture, ce n'est pas que le folklore, de toute façon.

M. Trudel (Pierre): Absolument, oui.

Mme Malavoy: Moi, je pense que la meilleure culture, c'est encore celle qui se fait au fur et à mesure et qui apporte des solutions aux problèmes que les gens vivent, pas ceux du passé, ceux du présent et ceux qu'on entrevoit.

Bien, je vais enchaîner avec ça. Vous abordez un certain nombre de questions concernant divers champs d'application, mais il y en a un qui est celui de la médecine. Vous semblez dire qu'il y a des choses qui vont changer radicalement, du tout au tout, entre autres la notion de responsabilité dans l'acte médical, et donc ça va nous obliger à revoir en profondeur le cadre juridique de la dispensation des soins de santé. Moi, je vous avoue que j'étais consciente, oui, qu'il y aurait des changements, mais j'aimerais que vous me précisiez dans vos termes en quoi ces changements vont aller jusque-là. Des changements technologiques, c'est une chose. J'ai vu, moi aussi, des expériences qui montrent un diagnostic, par exemple, fait à distance et même certaines interventions médicales. Je ne comprends pas comment ça marche, mais enfin, j'ai vu que, semble-t-il, c'est possible pour certains types d'interventions médicales. Mais, quand on transpose ça en langage juridique, particulièrement sous l'angle de la responsabilité, ça veut dire quoi? Parce que là vous donnez une ampleur très grande à cet enjeu.

M. Trudel (Pierre): Bien, simplement sous l'angle de la responsabilité, imaginons, comme on l'a vu et comme il est prévisible que ça se fasse d'ici quelques années, une intervention chirurgicale où le chirurgien opérant est à Montréal, l'expert de l'organe qui est l'objet de l'intervention est à Paris, et qu'il y a un autre expert en Californie, et peut-être même deux autres experts qui – tout ce monde-là étant relié par téléconférence – assistent l'anesthésiste local, et ainsi de suite. Se posera la question de savoir qui a effectué l'acte médical. La réponse simple, c'est de dire que tous ces gens qui ne sont pas sur les lieux ne sont que des consultants et que le véritable responsable, c'est le médecin opérant. Si la télémédecine devait se développer de cette façon, le problème de la responsabilité serait moindre, mais pas toujours, puisque les tribunaux – parce que la responsabilité, ça relève du droit commun, c'est les tribunaux qui décident en dernière analyse – pourraient finir par dire que la faute n'est pas vraiment celle du médecin traitant, mais plutôt celle d'un spécialiste qui est situé à l'étranger et que, par conséquent, c'est à lui qu'il faudrait s'adresser si on pense que l'intervention a mal tourné et qu'il y a un responsable.

Il y a la question également de l'autorisation de pratique, c'est-à-dire la territorialité. Le droit de pratiquer la médecine, dans la plupart des pays, est encadré par des lois territoriales. Or, dès lors que l'on parle de télémédecine, on parle d'une médecine qui se pratique sans égard au territoire. Et, par conséquent, l'acte médical, l'équipe médicale, si vous voulez, est une équipe répartie dans plusieurs territoires nationaux dans lesquels peuvent exister des règles en matière de responsabilité qui ne sont pas les mêmes et qui peuvent parfois même se contredire. D'où l'intérêt de se demander s'il n'y a pas lieu de doter la télémédecine ou d'encadrer la télémédecine dans un cadre juridique qui permettrait d'obvier à ces difficultés qui risquent d'en retarder le développement et donc de perdre les bénéfices qui peuvent en résulter. Et donc, dans ce sens-là, un régime plus clair peut-être encouragerait le développement de cette pratique dans la mesure où elle peut rendre de grands services.

Mme Malavoy: En même temps, ça renvoie à la question de tout à l'heure. Il y a des choses qu'on peut prévoir et il y en a d'autres qui vont apparaître au fur et à mesure. Là, je comprends que vous avez répertorié un certain nombre de problèmes, mais on n'est pas sur du solide. On va être obligé aussi d'avoir une jurisprudence par rapport à ces questions-là et de bâtir au fur et à mesure, à l'aide d'expériences concrètes, un cadre. Parce que ça ne peut pas être uniquement théorique, on ne peut pas, de façon arbitraire ou, en tout cas, a priori, régler la question de la responsabilité en soi. J'imagine que ça va être éclairé par les circonstances réelles, les fois où un problème apparaîtra.

M. Trudel (Pierre): Vous avez raison. Il y a une partie du droit qui se développe par l'expérience pratique. Cependant, la pertinence des solutions qui sont apportées par les tribunaux, la qualité des solutions que le système juridique apporte à un problème inédit tient en général à la disponibilité d'informations et à un savoir qui soit pertinent. C'est un juge de la Cour d'appel qui me le disait il y a quelques semaines: Lorsque les tribunaux sont confrontés à des problèmes inédits et qu'ils n'ont absolument rien sur quoi se fonder, la tendance, c'est de chercher la solution qui se présente à eux, non pas par maladresse ou par incompétence, mais parce que les tribunaux doivent juger et, dans ce sens-là, la recherche fondamentale en droit est un atout important. C'est-à-dire que, pour assurer un développement ordonné du système juridique, notamment à l'égard de situations qui ne se sont pas encore présentées, mais qui pourraient vraisemblablement se présenter, notamment lorsqu'on parle de grandes tendances, les pays qui ont à coeur d'investir ou de s'assurer qu'il y ait une certaine activité de veille juridique, qu'elle soit de toutes sortes de natures, en général, peuvent compter peut-être sur des solutions plus pertinentes ou moins susceptibles de causer plus de problèmes qu'elles n'en solutionnent. Et c'est dans cet esprit...

Autrement dit, je pense qu'il ne faut pas se dire: Attendons que les problèmes se présentent, et, lorsque ça se présentera, les tribunaux jugeront. Effectivement, c'est vrai qu'ils vont juger. Mais vont-ils le faire en ayant l'éclairage le plus approprié ou ne vont-ils pas avoir tendance à le faire, par exemple, en allant prendre les solutions qui existent aux États-Unis ou ailleurs et qui ne reflètent peut-être pas les sensibilités qui sont celles de notre société? Parce que c'est ça qui arrive. Quand il n'y a pas d'information dans le système juridique, la tendance, c'est d'aller voir dans le pays le plus accessible. Si l'information juridique sur le droit québécois n'est pas accessible, même les juristes québécois vont aller chercher l'information américaine. Nous, quand on a fait notre étude, on constatait que c'était plus facile, sur des questions, d'accéder au droit américain que d'accéder au droit québécois. Donc, c'est dire... Même quand on est sensibilisé, on a cette difficulté-là.

Et donc, la recherche théorique, elle ne règle pas tout, mais, de la même façon que dans toutes les autres disciplines, elle permet un développement et une prise en charge des nouvelles réalités. Elle joue ce rôle-là en droit, mais elle est tellement sous-développée qu'on ne s'en rend pas compte. Il y a très peu de recherche en droit. On est le seul Centre de recherche qui subsiste au Québec, en droit. Les facultés de droit, malheureusement, font très peu de recherche. Elle est relativement peu soutenue aussi, il faut dire.

Mme Malavoy: C'est très clair. Merci beaucoup.

Le Président (M. Garon): M. le député de Nicolet-Yamaska.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Je vous remercie M. le Président. M. Trudel, dans votre présentation, vous avez parlé tantôt d'autorégulation, et j'aimerais vous entendre un peu là-dessus. C'est évident qu'il est à peu près impossible actuellement de régulariser, exemple, les pratiques qui se font dans le domaine de la pornographie ou de la propagande haineuse. Sauf que, si on fait une analogie avec les cassettes qu'on regarde sur vidéo, c'est sûr qu'on peut aller dans une entreprise privée louer des cassettes et on fait notre choix selon notre propre morale. Mais l'autorégulation, est-ce que vous entendez ça à ce niveau-là? Moi, je prends l'exemple de la propagande haineuse ou un autre exemple qu'on pourrait retrouver sur Internet – je ne suis pas un expert – comment fabriquer une bombe, je ne sais pas, moi, X ou Y. J'ai comme l'impression que cette autorégulation-là va être beaucoup plus difficile que peut l'être l'autorégulation, exemple, de la morale. Vous allez me dire, il y a peut-être une différence dans mon jugement moral puis il y a peut-être des niveaux... Sauf que comment va t-on faire pour autorégulariser, s'il vous plaît?

(11 h 50)

M. Trudel (Pierre): Alors, je vais partir de la réglementation pour en arriver à l'autorégulation. C'est que la réglementation, ce n'est pas gratuit; ça a des coûts. Ça n'a pas rien que des coûts en argent, ça a des coûts pour tout le monde. Or, ce que l'on constate, c'est que, dans un environnement ouvert comme l'Internet, la réglementation, elle coûte très cher. Elle est possible, mais elle coûte très cher. Il est effectivement possible pour un pays, et certains pays le font – ce ne sont pas des pays démocratiques – de s'organiser pour contrôler les accès à l'Internet, de distribuer parcimonieusement le droit de se connecter à l'Internet et d'utiliser des logiciels de blocage pour bloquer l'accès à plusieurs sites, donc de faire un contrôle. Ce n'est pas évidemment l'approche qui est retenue, mais elle est possible théoriquement. Et ça, c'est la régulation. Alors, ce que ça révèle, c'est que, de plus en plus, c'est coûteux et difficile de réglementer. Il faut donc s'assurer que, si on réglemente, c'est pour de bonnes raisons et s'assurer qu'il n'y a pas des alternatives moins coûteuses à la réglementation.

Et c'est là qu'intervient l'autoréglementation. C'est qu'elle est effectivement praticable dans beaucoup de circonstances où il y a un bon degré de consensus. On peut penser que, dans beaucoup de milieux de la société, on ne souhaite pas voir diffuser des contenus pornographiques ou des recettes de fabrication de bombe, et ainsi de suite. Par conséquent, l'autoréglementation, si elle est pratiquée à différents niveaux dans l'Internet, au niveau des groupes d'usagers, comme elle l'est d'ailleurs à l'heure actuelle au niveau de ceux qui sont des acteurs majeurs dans l'Internet, ceux qui fournissent des gros accès ou qui donnent des accès à plusieurs sites sur Internet, elle peut avoir un certain effet pour réguler ou pour, par exemple, enlever ce qu'on pourrait appeler «le plus méchant» sur l'Internet.

Mais ça ne résout pas le problème de l'information qui est en elle-même dangereuse. Par exemple, ce n'est pas très rassurant que de dire: Vous savez, ceux qui ne veulent pas de pornographie haineuse n'ont qu'à ne pas en regarder. Parce que, en fait, ou de la pornographie haineuse ou de la propagande haineuse, c'est la même chose, les adeptes de ce genre de matériel, en général, sont des personnes qui veulent tout à fait accéder à ce matériel. Et donc, le fait de dire: Si ça ne vous intéresse pas, n'allez pas en voir, comme on l'entend parfois, ne règle pas ce problème.

Si, dans une société, on pense que la propagande haineuse est mauvaise, à ce moment-là, il faut se demander à quel coût et jusqu'où on est prêt à aller pour l'interdire. Ce qui est sûr, c'est que ça coûte plus cher dans des environnements ouverts comme Internet que dans des environnements relativement bien fermés ou bien contrôlés comme sont les médias traditionnels.

Alors, ce que ça implique, à mon sens, c'est qu'il faut peut-être revoir un petit peu les raisons pour lesquelles on réglemente. Puisque c'est coûteux et que ça demande de gros efforts, il faut probablement réserver les mesures de réglementation les plus rigoureuses pour les contenus dont le caractère néfaste est notoirement reconnu par tout le monde et réserver peut-être des mesures moins coûteuses pour des contenus pour lesquels il y a moyen de prendre d'autres approches de contrôle.

Et c'est là que l'autoréglementation peut être un outil intéressant. Elle existe déjà dans Internet, notamment pour zoner les groupes de discussion. Si vous êtes sur un groupe de discussion qui discute des oeuvres ou de la vie de Louis Hippolyte LaFontaine et que vous vous avisez de parler de pornographie dans un tel groupe, les membres du groupe vont vous exclure assez rapidement. Il y a donc là une autoréglementation qui, à mon sens, est suffisante pour rendre plutôt inutile la réglementation étatique. C'est ce qu'on appelle la réglementation de zonage. C'est que, dans des environnements comme Internet, les groupes d'usagers sont généralement capables d'exclure les contenus qui ne font pas partie de leurs intérêts.

Restent évidemment les contenus qui reflètent des intérêts portant sur des contenus qu'on juge être néfastes, et c'est sur ça qu'il faut voir dans quelle mesure, jusqu'où on est prêt à aller pour réguler ce type de contenu. C'est théoriquement possible. Parfois, on va peut-être trouver que, compte tenu de l'ampleur du problème ou du caractère marginal de l'information dommageable, il vaut peut-être mieux chercher d'autres approches moins coûteuses ou moins attentatoires aux libertés, puisque, quand l'État se met à filtrer des informations, ça peut quand même avoir des effets extrêmement préoccupants sur les libertés.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Oui. M. Trudel, bonjour. C'est très intéressant. Vous avez de quoi nous alimenter, nourrir notre réflexion. Moi, je voulais peut-être revenir sur ce que vous disiez à propos de la recherche qui se fait dans les facultés de droit du Québec. Vous appartenez au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal. Est-ce que vous avez aussi des relations avec d'autres universités pour la recherche en droit? Pour tout ce qui concerne le cyberespace, et ça peut même être un nouveau champ qui devient très, très important pour l'ensemble du droit au Québec, vous parliez, tantôt, de moyens technologiques d'aller beaucoup plus vite. Mais il y aussi toute la question que vous soulevez ici des droits de propriété, propriété intellectuelle, sécurité du circuit, etc.

M. Trudel (Pierre): Oui. Bien, le Centre de recherche en droit public, nous sommes... Sur le droit du cyberespace, il y a un certain nombre de personnes qui, dans d'autres universités, travaillent sur certains aspects. Mais on peut dire que nous avons la plus forte concentration de chercheurs, de professeurs, d'étudiants au doctorat et de chercheurs qui ne sont pas des professeurs qui oeuvrent sur ces questions-là. On en a, je pense, six ou sept, et là j'inclus aussi bien le commerce électronique que le droit des libertés fondamentales, que le droit du cyberespace, la réglementation des télécommunications, des médias, et ainsi de suite.

M. Gaulin: Les droits d'auteur.

M. Trudel (Pierre): Et les droits d'auteur aussi, bien sûr. Le Centre est en contact avec les six ou sept autres équipes nord-américaines qui travaillent là-dessus. Il y en a dans plusieurs grandes universités nord-américaines. Il y a aussi une équipe en Colombie-Britannique avec laquelle nous travaillons. Et le Centre de recherche en droit public est le seul membre du consortium REBIS, qui est un consortium de centres européens sur le droit des technologies de l'information, et nous sommes le seul membre nord-américain. Cette appartenance toute récente à ce consortium va nous permettre probablement de participer à des travaux au niveau de l'Union européenne, puisque nous, comme centre, ce qu'on vise... Vous savez, les centres de recherche dans les universités, on a les inconvénients d'être dans le secteur public, mais on a aussi les inconvénients d'être obligé de se comporter comme si on était dans le secteur privé. Puis, pour ce qui est des avantages, ce n'est pas encore arrivé...

Donc, nous, notre but avec ça, c'est de diversifier nos modes de financement. Parce que, pour faire de la recherche – la recherche, ça ne se fait pas avec des prières, comme certains ont dit à propos d'autre chose – il nous faut diversifier nos sources de financement. Et notre approche, c'est de nous positionner dans les réseaux internationaux de chercheurs. Et on pense qu'on a une place intéressante parmi le réseau des centres de recherche européens et les centres nord-américains qui font de la recherche là-dedans. Nous essayons aussi d'attirer à Montréal l'«Internet Legal and Policy Task Force», qui est une espèce de groupe qui justement participerait à la réflexion sur l'élaboration des règles du jeu dans l'Internet. On travaille pour essayer de les attirer à Montréal, puisque, nous, on pense que Montréal – et le Québec, par définition – pourrait devenir un important centre sur le droit d'Internet, comme d'autres villes sont des centres sur d'autres choses. Donc, on travaille en étroite coopération avec eux.

(12 heures)

Nous sommes à développer, également, un projet que l'on appelle le cybertribunal, qui a été développé de concert et en collaboration avec des gens des États-Unis qui ont créé un service qui s'appelle le «Virtual Magistrate». Et il y a aussi l'«Online Ombuds Office», c'est-à-dire des services qui visent justement à offrir des mécanismes de prévention et de résolution des conflits, toujours dans cette perspective de mettre en place non seulement des règles du jeu, mais aussi des mécanismes qui contribuent à les construire, ces règles du jeu. Ces règles du jeu ne se construisent pas du néant. Dans le cyberespace, elles vont se construire dans ce genre d'organisation. Alors, nous essayons de nous positionner là-dedans, et je pense que, jusqu'à maintenant, on a rencontré la plupart des objectifs qu'on s'était fixés, c'est-à-dire que ça fait depuis le début des années quatre-vingt-dix que le droit du cyberespace a été identifié comme un champ de développement chez nous.

Pour l'heure, en tout cas, il n'y a pas de doute, il n'y a pas d'autre université en droit qui travaille là-dessus. Ce n'est pas parce qu'on ne veut pas; je dirais que, nous, on a la chance d'avoir un centre de recherche, on a réussi à le maintenir jusqu'à maintenant malgré le fait que, malheureusement, les organismes subventionnaires en matière de recherche traitent toujours mieux la recherche médicale et la recherche en sciences naturelles et en génie que la recherche en droit. Mais ça, c'est un phénomène avec lequel nous nous débattons, mais on n'est pas les seuls à le faire. Nous, on a eu la chance d'avoir ce Centre, qui a commencé par faire du droit constitutionnel, d'ailleurs, et qui maintenant fait de moins en moins de droit constitutionnel et de plus en plus de droit des nouvelles technologies.

M. Gaulin: J'ai appartenu à un centre de recherche en sciences humaines. J'imagine que le Fonds de l'autoroute vous est accessible.

M. Trudel (Pierre): Il l'était dans sa première phase, il l'est beaucoup moins dans sa deuxième. En fait, le programme principal suppose l'implication obligatoire du secteur privé. Or, nous sommes à essayer de développer des moyens pour bâtir des projets qui visent, finalement, le développement d'un code de conduite et de normes de conduite avec l'implication du secteur privé. Ce n'est pas nécessairement évident, mais on pense y arriver.

Ce qui est sûr, cependant, c'est que l'orientation du Fonds semble beaucoup moins favorable à la recherche fondamentale qu'elle ne l'était dans la première phase. Elle semble beaucoup plus axée vers la production et le développement de produits, ce qui, à notre sens, est tout à fait bien. Cependant, on peut se demander s'il ne faut pas aussi s'assurer de bien renforcer la recherche fondamentale dans les secteurs où elle est nécessaire.

Moi, j'ai toujours l'habitude de dire que, si on avait dépensé autant sur la recherche en sciences humaines à l'égard des technologies de l'information qu'on en a dépensé ne serait-ce que dans l'expérience Telidon dans les années soixante-dix, le télétexte, on serait sans doute beaucoup plus avancés. Bon.

Je vous ferai observer que le budget du Centre de recherche informatique de Montréal est à peu près de 5 000 000 $ à 6 000 000 $ par année et le budget total du Centre de recherche en droit public n'est même pas de 1 500 000 $. Je ne veux pas dire que le budget du CRIM est trop élevé, je vous fais simplement observer que ça atteste bien de l'importance que l'on donne à ça, c'est-à-dire qu'on a tendance à traiter ça uniquement comme des questions technologiques et il faut continuellement se débattre pour expliquer à quel point ces environnements sont des environnements de milieu de vie et qu'il faut comprendre les interactions humaines qui se passent là-dedans. Ça, c'est plus difficile à faire, mais ce n'est probablement pas particulier aux technologies de l'information, c'est le problème de la recherche en général.

M. Gaulin: C'est noté, quant à nous. Merci.

Le Président (M. Garon): Alors, je remercie le représentant du Centre de recherche en droit public pour sa contribution aux travaux de la commission.

Maintenant, je vais inviter les représentantes du Conseil du statut de la femme à s'approcher de la table. Nous aurons une heure ensemble et, normalement, il y a 20 minutes pour votre exposé, 20 minutes pour chacun des deux partis. Si vous dépassez 20 minutes, ils auront moins de temps pour vous questionner. Si vous prenez moins de temps, bien, ils auront plus de temps pour vous questionner.

Alors, Mme Lemieux, je présume, si vous voulez vous présenter et présenter les gens qui vous accompagnent et faire votre exposé.


Conseil du statut de la femme (CSF)

Mme Lemieux (Diane): Merci, M. le Président. Alors, je suis Diane Lemieux, je suis présidente du Conseil du statut de la femme. À ma gauche, Monique des Rivières, qui est directrice de la recherche au Conseil, et, à ma droite, Diane Bilodeau, agente de recherche au Conseil du statut de la femme et aussi responsable de l'établissement du site Internet du Conseil du statut de la femme, qui devrait être en place dans les prochaines semaines.

À nos yeux, cette consultation de votre commission a le mérite de donner une dimension humaine à une activité qui, jusqu'ici, a signifié bien des choses – langage numérique, logiciels, programmation, navigation, vitesse, performance – si bien qu'aux nombreuses questions qui ont été soulevées dans votre document de consultation le Conseil en ajoute quelques-unes et ajoute surtout une interrogation encore plus fondamentale, de notre point de vue: Où sont les femmes sur l'autoroute de l'information québécoise?

Nous allons donc vous livrer ce que nous savons sur les femmes et l'Internet. Nous allons faire le point sur l'utilisation que les Québécoises en font. Deuxièmement, nous allons reprendre quelques questions soulevées dans le document de consultation à la lumière des enjeux pour les femmes. Nous espérons contribuer à paver un morceau de l'inforoute.

Premier élément: les Québécoises et l'autoroute de l'information. En avril 1996, une enquête du Réseau interordinateurs scientifique québécois dévoilait que seulement 15 % des personnes qui avaient répondu à cette enquête étaient des femmes. Est-ce que ça veut dire qu'il n'y a que 15 % d'internautes québécoises? On estime qu'environ 30 % des femmes utilisent les différents services d'Internet aux États-Unis et dans les autres provinces canadiennes. Mais, on doit le dire, on ne connaît pas le pourcentage exact des Québécoises internautes. On ne sait pas qui elles sont, comment elles emploient Internet, ce qu'elles doivent franchir pour se rendre jusqu'à l'utilisation d'Internet.

Donc, les résultats dont on dispose sur les femmes et Internet, comme utilisatrices d'Internet, sont extrêmement fragmentaires. Et c'est donc le sens de notre première recommandation, si je peux m'exprimer ainsi: il faut absolument explorer ces dimensions dans une enquête plus approfondie. Et ça, pour une raison fort simple: l'identification de la clientèle, que ce soit pour Internet ou pour les autres technologies de l'information, doit être à la base de l'implantation de l'inforoute au Québec.

Le Conseil émet un certain nombre d'hypothèses sur le faible taux actuel. Même s'il n'est pas précisé, il est quand même faible, ça, on en est sûr. Donc, nous émettons un certain nombre d'hypothèses sur ce faible taux d'internautes québécoises.

D'abord, la situation socioéconomique des Québécoises. Une grande partie des femmes occupent des emplois précaires à temps partiel, plus ou moins rémunérés, lorsqu'elles travaillent, évidemment. Elles ont peu accès à l'inforoute à leur poste de travail. Leurs faibles revenus les empêchent d'acquérir un micro-ordinateur suffisamment performant et de se payer un abonnement à Internet. On pourrait aussi dire que les femmes ont probablement des problèmes de disponibilité, c'est-à-dire un manque de temps pour pouvoir explorer convenablement ces nouveaux moyens d'information.

Les associations et les groupes de femmes ne vivent pas non plus dans l'abondance. On sait que ces organisations n'ont pas de ressources financières, généralement, pour acquérir des micro-ordinateurs suffisamment performants ou encore pour avoir leur propre site.

Donc, le CSF est d'avis que le gouvernement québécois, à l'instar d'autres, notamment la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse, devrait prendre des mesures spéciales pour aider financièrement les personnes et les groupements qui manifestent le désir d'acquérir des micro-ordinateurs, de se relier à Internet ou encore d'élaborer leur propre site Web.

Un deuxième élément qui pourrait expliquer la faible présence des femmes est lié plus à la socialisation ou à la façon différente d'éduquer les filles et les garçons. Les filles, c'est connu – c'est dommage mais c'est la réalité – s'intéressent moins à l'électronique, domaine traditionnel aux garçons. Elles sont aussi moins nombreuses à poursuivre des études en informatique. Ça a pour conséquence que très peu d'entre elles peuvent profiter des emplois créés par les nouvelles technologies de l'information. Certains parlent même d'aculturation, d'analphabétisme des femmes face à ces technologies.

Comme troisième élément qui pourrait expliquer la faible participation des femmes, on doit dire qu'actuellement la construction des structures de l'inforoute s'établit généralement en fonction d'une clientèle qui semble homogène et avoir des besoins semblables. Or, au Québec, il y a des riches, des pauvres, des femmes, des hommes, des francophones, des anglophones, des gens qui travaillent, d'autres non, des personnes d'horizons divers, des nouveaux arrivants, des jeunes, des personnes âgées. Si on veut arriver à bâtir une inforoute panoramique, il faut commencer à penser aux besoins particuliers des personnes qui l'utiliseront, surtout si les organismes tant publics que privés y investissent de plus en plus de temps et d'argent.

(12 h 10)

Comme bien d'autres, même les spécialistes nous disent que l'inforoute va modifier de fond et comble la façon d'éduquer, de communiquer, de faire des affaires. Il est un peu hasardeux, à ce moment-ci, de définir ce qu'entraînera l'inforoute pour les femmes. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a pas et qu'il n'y aura pas qu'une seule forme d'utilisation de l'inforoute pour les femmes: une chercheuse y trouve des banques de données; une lobbyiste, de l'information politique; une femme d'affaires, des possibilités de débouchés pour ses produits. Les associations de femmes vont y trouver un moyen de consolider leurs structures avec des moyens de communication plus rapides, d'autres vont y puiser de l'information, et beaucoup de femmes qui ont déjà à travailler à distance auront à s'entraîner sur l'inforoute avec l'accroissement, donc, du télétravail. Si bien que, si les nouvelles technologies prennent l'importance que l'on prévoit, il y a lieu, pour chacun des grands secteurs mentionnés par la commission, d'envisager des moyens pour privilégier une présence accrue des femmes sur l'autoroute de l'information dans chacun de ces secteurs.

Maintenant, sur les grandes questions exposées dans le document de consultation de la commission, nous allons en reprendre quelques-unes. Un des premiers blocs que vous avez abordés, c'est la question de la langue, de la culture et des communications. Évidemment, les femmes vivent dans le même environnement culturel et linguistique que les hommes. Lorsqu'elles deviendront, je l'espère, des internautes assidues, elles seront aussi confrontées, comme les hommes, à un contenu en majeure partie anglophone et américain.

Contrairement au Québec, il y a déjà, aux États-Unis, une centaine de sites couvrant toutes sortes d'activités qui intéressent les femmes. Si bien qu'en 1995 17 % des internautes étaient des femmes, aux États-Unis; en un an, elles sont passées à 30 %. Il est très probable que l'augmentation de la fréquentation des femmes sur Internet soit, entre autres, due à la création de sites spécifiques, et ça concorde tout à fait avec les habitudes de navigation des femmes, qui sont différentes de celles des hommes: les femmes consultent davantage avec des buts précis de recherche.

Au Québec, il n'y a donc pas de site francophone de condition féminine. Par là, on entend un site où des femmes pourraient avoir une information mise à jour régulièrement sur des sujets qui les touchent particulièrement. S'il n'y a pas de site francophone, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas l'expertise. Que ce soit dans les groupes de femmes, les milieux universitaires, culturels, gouvernementaux, il y a une expertise qui s'est développée autant sur des questions sociales, sanitaires, économiques, culturelles que politiques.

Le Conseil est d'avis qu'il faut encourager la création d'un site francophone de condition féminine, et ça permettrait de rejoindre plusieurs objectifs: d'abord, favoriser une plus grande utilisation du français; faire appel à l'expertise québécoise; inciter un plus grand nombre de femmes à naviguer sur Internet; et créer des liens avec d'autres pays francophones.

Plus globalement, le document de consultation... Vous dites, à un moment donné, qu'il pourrait y avoir un laisser-aller général, total, dans le déploiement de l'inforoute, risquant ainsi de conduire à une uniformisation des valeurs et des cultures. Pour les femmes, l'uniformisation des valeurs, ça pourrait vouloir dire un retour en arrière; ça pourrait vouloir dire un retour à une culture où on oublie leur rôle réel dans la société. L'inforoute doit être construite pour avancer, pour réaliser des gains et non pas pour ériger en système le recul.

Évidemment, les nouvelles technologies ont envahi tous les secteurs d'activité économique, et cela a beaucoup modifié le travail des femmes. Par exemple, en 10 ans, entre 1981 et 1991, le nombre de femmes qui travaillent à domicile a augmenté de 69 % comparativement à 23 % pour les hommes. Les femmes sont deux fois plus nombreuses à travailler à domicile que les hommes, et notamment pour concilier les responsabilités professionnelles et familiales.

Si plusieurs se disent satisfaites de ce mode de travail, il y a aussi un danger de dévaloriser ce type d'emploi à cause de leur invisibilité. Donc, en plus d'éloigner la télétravailleuse des gens, du lieu de travail, ce retrait peut aussi causer des diminutions en termes économiques pour les femmes. Le télétravail, c'est aussi un synonyme d'emploi précaire, de travail à temps partiel. Bref, la liberté que procure le télétravail a aussi un prix.

Et, finalement, sur les modifications d'Internet et des technologies de l'information dans le monde du travail se pose la question de la formation. La maîtrise des technologies de l'information est importante parce qu'elle s'étend maintenant à l'ensemble des professions. Or, comme les femmes ne sont pas friandes de ces nouvelles technologies, elles y sont très peu présentes, comme on le dit aussi, en termes d'emplois.

En mai dernier, le Centre de recherche informatique de Montréal signalait une pénurie d'étudiants en technologie de l'information et particulièrement une baisse d'inscription des femmes dans ce domaine. Et le ministère de l'Éducation, dans des données récentes, nous indiquait qu'en 1983 il y avait 375 femmes inscrites au baccalauréat en informatique sur 1 383 et qu'en 1994 il y en avait seulement 341 inscrites. C'est une baisse qui peut sembler légère, mais, pour les hommes, ça a été une augmentation d'inscriptions. Alors, c'est un phénomène qui doit nous alerter immédiatement.

La commission pose la question de l'accessibilité à l'inforoute. Bien, on a un problème, puisque l'inforoute, actuellement, rejoint peu les femmes; ça pose donc immédiatement des problèmes d'accessibilité. Vous avez un peu posé cette question-là en parlant d'inforiches et d'infopauvres, eh bien, les inforiches et les infopauvres ne se retrouvent pas uniquement sur la scène internationale, dans les pays développés comparativement aux pays sous-développés. À l'heure actuelle, il y a des inforiches et des infopauvres au Québec, à cause de différences socioéconomiques entre les hommes et les femmes, des différences entre les professions entre les régions. L'État devra faire en sorte qu'il n'y ait pas, en plus, uniquement des infohommes. Et je dis ça à une majorité d'hommes.

Un des problèmes que vous soulevez, c'est l'isolement. C'est difficile, encore là, aujourd'hui, de préciser si l'inforoute sera un facteur de rapprochement ou d'éloignement, mais le Conseil suggère fortement qu'on crée des instruments pour permettre de mesurer les effets, les effets sociaux, psychologiques, familiaux. Dans le cas où on est capable d'établir que l'inforoute peut briser l'isolement – on l'a vu dans l'actualité, par exemple, pour une certaine clientèle, les personnes âgées – il faudra encourager l'implantation. Et, dans le cas contraire, il faudra trouver des manières d'atténuer les effets négatifs.

Sur la confidentialité, vous comprendrez que la question de la protection des renseignements personnels est cruciale pour les femmes. Les femmes redoutent, pour des motifs que vous pouvez très bien imaginer, de voir exposés au grand jour des renseignements qui les concernent. Le Conseil du statut de la femme a fait remarquer, il y a peu de temps, au sujet des amendements proposés à la Loi électorale, que des femmes vivant seules avaient des réticences à s'inscrire sur la liste électorale parce qu'elles ne voulaient pas que de l'information nominative qui les concerne circule.

Alors, il est bien possible que ce type de problème se pose. Qu'il y ait donc un équilibre entre la réglementation sur la protection des renseignements personnels, faisant en sorte que cette réglementation-là ne soit pas une barrière, mais il faut aussi atténuer les effets malheureux d'un trop grand accès.

Sur le contrôle des contenus et la lutte à la criminalité, j'entendais l'intervenant précédant. Récemment, dans l'actualité, notamment par le Congrès mondial contre l'exploitation sexuelle des enfants, tenu à Stockholm à la fin de l'été, ça a eu un effet assez choc, en nous révélant un peu l'explosion de la pédophilie sur Internet, particulièrement par la voie des groupes de discussion.

Le Conseil croit que le Québec doit prendre part aux efforts internationaux pour enrayer ce type de phénomène. Évidemment, c'est une question complexe, Internet pose la réalité de l'absence de frontières, donc l'absence de juridiction pour agir. Il y a quand même des exemples récents qui nous montrent une certaine capacité de dépister et d'exclure des contenus non désirables de la part, notamment, des serveurs. Le Conseil croit qu'il doit y avoir une forme de contrôle – encore là, il y aura des équilibres à maintenir – et qu'il faut s'inspirer des expériences passées, notamment dans l'industrie de la radiodiffusion et l'industrie de la publicité, qui se sont disciplinées davantage, et donc dans des milieux où on a réussi à épurer en grande partie des ondes des productions à caractère sexiste et violent, par l'adoption, par exemple, de codes d'éthique.

Mais, dès maintenant, avant que nous trouvions toutes les réponses, on pourrait envisager d'offrir un lieu de réception de plaintes, par courrier électronique, au sujet de sites qui ne répondent pas aux valeurs généralement admises. Ce serait déjà là un point de départ sur l'importance de ce type de problème.

(12 h 20)

Sur l'éducation, maintenant, eh bien oui, en éducation comme ailleurs, on parle d'inforoute. Il faut tenir compte des différences entre les hommes et les femmes, entre les garçons et les filles aussi. Un atelier du congrès INET, en 1996, a fait état d'un projet-pilote d'une école de l'Ontario, au cours duquel on a clairement appris que les garçons profitaient beaucoup plus des micro-ordinateurs que les filles, mais qu'il est possible de rétablir ces équilibres. Donc, il faut encourager la formation d'enseignantes, autant des enseignantes que des enseignants en informatique; il faut faire une place aux filles; il faut même insister pour qu'elles s'apprivoisent aux nouvelles technologies de l'information; il faut respecter et entremêler les différences d'intérêts entre les filles et les garçons.

Un mot, en dernier lieu, sur la vitrine gouvernementale. Vous savez que depuis plusieurs années le gouvernement produit toutes sortes de documents écrits, audiovisuels, et qu'il s'est au fil du temps développé des pratiques, par exemple, en accordant une place tout aussi importante aux hommes et aux femmes dans ce type de publication. Ces pratiques ne doivent pas se perdre parce que l'État aura une vitrine sur Internet; elles doivent au contraire être mises de l'avant.

Alors donc, en conclusion, nous disons: Il faut mieux connaître les besoins, qui navigue sur Internet et notamment les pratiques de navigation des femmes pour ajuster nos contenus et nos interventions en fonction de ces réalités. Il faut donc avoir des mesures un peu plus proactives pour faire en sorte que les femmes ne soient pas des analphabètes de l'Internet et de l'inforoute.

On peut penser à un moyen comme la création d'un site en condition féminine, peut-être même francophone, qui aurait un impact intéressant pour l'utilisation des femmes; on peut penser aussi à l'accessibilité, à la mise sur pied de structures communautaires dans les régions – il n'y a pas que Montréal et Québec, il y a les régions, quand on parle d'accessibilité – pour rendre donc l'inforoute accessible un peu partout au Québec.

Et je terminerais en disant que le titre de notre mémoire s'appelle «Infofemmes, avez-vous dit?» Eh bien, c'est sûr que cette expression-là ne fait partie ni du langage courant, ni du cyberlangage, mais elle doit devenir de plus en plus une réalité.

Le Conseil, je dois vous le dire, mise beaucoup sur les travaux de la commission pour positionner, pour mettre en évidence ces enjeux particuliers pour les femmes du Québec. On espère que vous serez un tournant, faisant en sorte que les femmes appuient un peu sur l'accélérateur et prennent la route de la révolution et de l'évolution technologique. Merci.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: Bonjour, Mme Lemieux.

Mme Lemieux (Diane): Bonjour.

Mme Malavoy: Je salue aussi les personnes qui vous accompagnent. Je pense que c'est une contribution qui est importante pour nous, parce que, effectivement, en regardant le titre, je me suis dit: On a pensé aux inforiches et aux infopauvres, mais on n'avait pas pensé aux infohommes et aux infofemmes. C'est sûrement une réalité qui est importante, parce que, c'est vrai, la situation des femmes à bien des égards est différente.

Et j'aimerais commencer par une question sur les contenus. Vous dites à juste titre: Les femmes sont plus méfiantes face à ces technologies-là.

Mme Lemieux (Diane): Oui.

Mme Malavoy: De toute façon, les faits le confirment: elles sont moins présentes, elles sont plus méfiantes, elles sont un peu technophobes. Vous dites: On pourrait commencer par avoir un contenu qui soit un site sur la condition féminine. Est-ce qu'il y a d'autres choses qu'on peut envisager comme facteurs d'attrait? Parce que même un site, c'est déjà un contenu spécialisé qui fait qu'on a déjà un intérêt qui s'est manifesté. Est-ce qu'il y a d'autres choses qui peuvent être, je ne sais pas, moi, des contenus particulièrement intéressants pour les femmes et qui pourraient être connus, faire l'objet peut-être d'une forme de publicité pour qu'il y ait une campagne de sensibilisation à cette dimension-là?

Je dis ça parce que ma crainte, c'est que bien des femmes, effectivement, et bien des gens aussi qui sont analphabètes fonctionnels – et, là-dedans, je sais qu'il y a un certain nombre de femmes – ne franchissent jamais le pas qui donne envie d'aller voir. Et l'accès, ça peut être d'en avoir... On va en avoir, de ces moyens informatiques et de ces vitrines Internet; on va en avoir dans les bibliothèques publiques, par exemple, mais ce n'est pas parce qu'on en a dans les bibliothèques que les gens s'en servent. Et ce n'est pas parce qu'on a des livres dans les bibliothèques que certaines couches de la population s'en servent. Alors, outre la vitrine qui donnerait de l'information sur la condition féminine, est-ce qu'il y a d'autres choses qui vous viennent à l'esprit comme facteurs d'attrait?

Mme Lemieux (Diane): Bien, la première chose, je dirais, qui nous serait très utile... On a émis un certain nombre d'hypothèses qui expliqueraient pourquoi les femmes l'utilisent moins. Dans ces hypothèses, on a des éléments qui confirment un certain nombre de choses, et d'autres, c'est de l'ordre de l'hypothèse. Alors, en ce sens-là, je dirais que le premier instrument qu'on a besoin d'avoir, c'est de mieux comprendre ces résistances-là. Et, quand on parlait, par exemple, d'une enquête, ça peut être d'autres modalités, là n'est pas l'objet, mais il faut approfondir ça pour, après, cibler nos interventions à partir de l'analyse qui s'en dégagera.

Deuxièmement, un site de condition féminine, bien sûr que ça ne doit pas – et quand vous posiez cette question, j'avais l'image de... il faut éviter la page féminine du journal de l'époque – être la seule manière; il faut une variété pour répondre à une variété de besoins. Les personnes, y compris les femmes, ne sont pas toutes pareilles, même s'il y a des éléments qui rallient et les hommes et les femmes. Le site, c'est un élément, mais ça doit devenir un parmi tant d'autres.

Pour ça, donc, il faut mieux connaître, il faudra sensibiliser ceux qui ont à construire. Alors, que ce soit dans tous les domaines, que ce soit dans le domaine, je ne sais pas, moi, des questions environnementales, il y a plein de monde actuellement qui est en train de construire des sites. Ils doivent, eux aussi – et ce n'est pas juste un message au gouvernement qu'on a, je dirais, c'est à tous ceux qui entrent dans ce nouvel univers – réaliser que, parmi les consommateurs et les utilisateurs, il y a des utilisatrices. Et, pour ça, des fois, il va falloir qu'ils prennent des mesures plus particulières.

L'autre chose, et vous l'avancez, c'est qu'il y a probablement, je pense, à partir du moment où on comprendrait mieux la situation, un effort, passez-moi l'expression, un peu de marketing à faire auprès des femmes elles-mêmes. Chez les femmes – en général, on s'entend – il y a une première réaction de résistance. On a besoin de faire la démonstration des bénéfices. Et je prends comme exemple les groupes de femmes – c'est un indicateur, ça ne dévoile pas toute la situation pour l'ensemble des femmes. Les groupes de femmes ont beaucoup hésité à s'acheter un ordinateur. Maintenant, elles n'ont plus de doute qu'il faut le faire. Et là, actuellement, il commence à y avoir des petits projets de formation, de réseautage. Mais, il y a quelques mois, quand on disait: Hé, les femmes! les groupes de femmes, il faudrait essayer d'entrer dans ce nouvel univers d'Internet et voir comment on peut l'utiliser pour les fins de notre travail, alors tout le monde faisait la grimace. Ça prend du temps. Il faut faire la démonstration des bénéfices, et aux femmes sur une base individuelle, mais aussi les femmes qui sont dans des réseaux plus particuliers.

La question de la formation est assez importante, évidemment. Que des femmes adultes résistent, c'est quelque chose qu'il faut arriver à travailler bien avant qu'elles soient devenues adultes. Il y a un travail à faire auprès des petites filles un peu plus tôt. Et, quand on a entendu, par exemple, ces derniers mois... Il y a des intentions quand même du ministère de l'Éducation d'investir assez massivement dans l'accès à l'informatique pour les jeunes dans les écoles. Je pense que ça doit être jumelé aussi avec une compréhension plus fine, des moyens plus ajustés qui s'adresseront aux filles. Ces filles-là, si on ne les capte pas tôt, c'est plus difficile de les rattraper une fois qu'elles sont adultes.

Alors, c'est ce que je vous dirais à prime abord, sachant qu'il n'y a pas de réponse unique à une question comme celle-là.

Mme Malavoy: Juste une petite sous-question. Il y a un volet que vous abordez rapidement, qui est l'idée d'un réseau francophone.

Mme Lemieux (Diane): Oui.

Mme Malavoy: Or, je sais, pour avoir été avec vous, d'ailleurs...

Mme Lemieux (Diane): Oui.

Mme Malavoy: ...qu'on a eu la chance de parler de ces questions-là à Beijing, l'an dernier. Les ONG de femmes, dans les pays francophones, comptent justement sur des éléments de réseau qui puissent rapprocher les femmes et leur permettre d'échanger de l'information, leur permettre de développer peut-être des projets conjoints. Est-ce que vous voyez que ça puisse être peut-être un élément vraiment à promouvoir que d'utiliser l'inforoute pour faire avancer des projets comme celui-là, qui ne peuvent pas avancer si on n'a pas des moyens de communication relativement sophistiqués?

Mme Lemieux (Diane): Exact.

Mme Malavoy: Est-ce que ça vous semble réaliste de pousser ça comme étant une perspective?

(12 h 30)

Mme Lemieux (Diane): Tout à fait. Tout à fait parce que ce n'est pas possible notamment de maintenir des liens d'une certaine qualité avec la francophonie si on n'a pas des moyens de communication, et, évidemment, ce qu'il y a de formidable par Internet, c'est qu'on a un accès rapide les uns et les autres. On réduit nos frais de déplacement. Il y a une communication plus quotidienne, dans une certaine mesure, et ça, c'est extrêmement utile.

Je dirais aussi que je pense qu'il faut développer... Et, dans le fond, ce qu'on dit aussi, c'est qu'il y a eu un fonds, il y a eu une première vague du Fonds de l'autoroute de l'information. Les femmes sont passées à côté, il faut être conscient de ça. Les femmes n'ont pas eu les bénéfices de cet investissement-là que le gouvernement a décidé de faire par rapport à l'inforoute. Et je pense que c'est important d'entendre le fait que, si on veut arriver à développer des projets comme ça, il faudra aussi qu'il y ait un soutien comme dans d'autres types de projets.

Mais, sur l'idée, donc, d'un réseau francophonie, je pense qu'il faut arriver à connecter à la fois les ressources pour les femmes, les groupes de femmes organisés, etc., et connecter aussi avec le milieu de la recherche sur les femmes. Il y a eu un colloque récemment, il y a quelques semaines, à Québec, sur la recherche sur les femmes dans la francophonie; il commence à y avoir des discussions. Moi, j'en ai eu avec un certain nombre de personnes. Le Conseil va peut-être même être un petit peu plus proactif. Il faudra connecter le milieu gouvernemental, le milieu de la recherche et les groupes de femmes. Il faudra avoir quelque chose qui a beaucoup de perspective, qui n'est pas juste dans un seul corridor. Il y a des bouts à faire aussi avec le milieu de la recherche.

Mme Malavoy: Merci.

Le Président (M. Garon): Moi, je vais vous dire, avant de passer la parole au député de Jacques-Cartier, que je suis étonné de votre mémoire, pour être franc avec vous...

Mme Lemieux (Diane): Oui, ça va.

Le Président (M. Garon): ...parce que, moi, ma vision des choses, c'est complètement l'inverse de ce que vous dites. Je vois les femmes en avance sur les hommes dans le temps. Et pourquoi? Parce que, dans les universités, il y a plus de femmes que d'hommes aujourd'hui. Dans les collèges, il y a plus de femmes que d'hommes. Il y a des mesures de prêts d'ordinateurs, des mesures de financement qui sont accessibles à tout le monde dans les collèges et dans les universités.

Et, moi, je travaille souvent, à mon bureau comme député... je travaille juste avec des femmes. Dans ces domaines-là, je travaille... Je vais vous dire, on est en train de travailler pour faire venir peut-être un quotidien sur la rive sud, et il y a rien que des femmes là-dedans. Puis pourquoi? Parce qu'elles connaissent mieux ces techniques-là. Moi, c'est pour ça. L'expérience que j'ai, moi... Je regarde ma secrétaire, ce n'est plus une secrétaire. J'ai la même secrétaire depuis près de 20 ans. Au début, c'était une secrétaire; aujourd'hui, c'est une gestionnaire. Pourquoi? Parce qu'elle est à la fine pointe des connaissances dans ce domaine-là. Et combien de femmes... Aujourd'hui, dans les bureaux, la personne qui connaît, ce n'est pas l'homme, c'est la femme qui est en charge des appareils. Et je regardais dans le cabinet que j'avais à l'Éducation, c'étaient les femmes les plus compétentes là-dedans qui étaient...

Moi, c'est drôle, je suis étonné de votre mémoire parce que j'ai l'impression que les femmes... C'est vrai, ce que vous dites pour à domicile, parce qu'elles le souhaitent. Moi, j'ai vu souvent des demandes de gens du milieu des commissions scolaires, parce que les femmes voudraient être plus à domicile parce qu'elles sentent, avec ces appareils-là, maintenant, qu'elles peuvent faire du travail à domicile qu'elles ne pouvaient pas faire avant. Mais, moi, ce que j'ai toujours constaté, c'est qu'elles voyaient ça comme un avantage, pas comme un désavantage, surtout dans les régions rurales, à cause des distances. Elles disaient: Bien, je n'aurai pas besoin de sortir de la maison. Je n'aurai pas besoin d'aller dans les tempêtes de neige l'hiver, parce qu'elles travaillent souvent plus l'hiver, puis elles voyaient ça comme un avantage.

Alors, moi, je suis surpris parce que j'ai l'impression, au contraire, que ce secteur-là va être un instrument de promotion fantastique pour les femmes qui, parce qu'elles sont, par tempérament, plus méticuleuses que les hommes, sont plus à l'aise dans des domaines techniques, souvent, que des hommes, qui sont... En général, l'homme est un peu plus «sloppy», tu sais, il est un peu moins méticuleux. Et, moi, j'ai l'impression que ces appareils-là vont être un instrument de promotion fantastique pour les femmes.

Mme Lemieux (Diane): Bien, écoutez, je pense que, votre commentaire, il y a des éléments très justes là-dedans. Je pense que ce qui est vrai, c'est que, pour ce qui est de l'utilisation des micro-ordinateurs, et notamment pour les femmes qui sont formées, je pense que vous décrivez une situation qui est assez réelle. Je veux dire, à peu près toutes les secrétaires sont passées à l'âge du traitement de texte. Dans le milieu universitaire, d'autant plus qu'il commence à y avoir plus de femmes, vous les voyez probablement plus pitonner, comme on dit.

Ce dont on n'est pas sûr, c'est: Est-ce que ces gains-là sont transférés par rapport à l'inforoute? Parce que, actuellement, comme on vous l'indique, on pense qu'au mieux il y a à peu près 30 % des personnes qui utilisent l'inforoute qui sont des femmes, maximum, au mieux, si on se fie à la situation américaine. Alors, il y a un fossé, probablement, entre les deux.

L'autre chose, c'est: Quelle est l'utilisation des femmes qui sont éduquées, des femmes en général? Et ce qui ressort dans l'enquête, entre autres, du Réseau interordinateurs scientifique québécois, c'est que, effectivement, chez les femmes qui ont fait des études universitaires, leur taux d'utilisation est beaucoup plus grand, mais celui du public ordinaire de femmes est beaucoup plus bas. Alors, ça, effectivement... Donc, ça a beaucoup à voir avec la formation. Il y a donc des nuances à apporter. L'utilisation du micro-ordinateur comme tel, c'est entré dans les vies des femmes définitivement, ça a changé beaucoup leur travail.

L'autre élément, c'est... Je partage un peu cette idée-là. Moi, je pense que c'est un plus. C'est un plus, mais ce qu'on essaie de vous dire, c'est que, pour que ça devienne vraiment un plus, on a un peu de rattrapage à faire. Et c'est un plus, par exemple, quand on dit: Est-ce qu'Internet est un facteur de rapprochement ou d'isolement? C'est vrai qu'on a commencé à voir certaines expériences, même un peu documentées. Je pense, entre autres, par rapport aux personnes âgées, il y avait eu un projet, là, dans la région de Montréal, où les personnes âgées ont beaucoup de plaisir à s'approprier ce type de communication là, et ça les sort d'un certain isolement. Mais c'est un plus dans la mesure où on sera capable de rejoindre les femmes, et là on pense qu'il faut avoir des mesures un petit peu plus proactives. Puis, malgré l'image que vous en avez, on a des indices, quand même: il y a moins de femmes en informatique qu'il y a quelques années. On a quand même des indices contradictoires par rapport à ce qu'on peut voir dans notre vie de tous les jours, en tout cas des indices qui ébranlent, quand même.

Le Président (M. Garon): Vos statistiques viennent d'où, en informatique? Vous êtes à l'université?

Mme Lemieux (Diane): Ah! le ministère de l'Éducation.

Le Président (M. Garon): Non, mais, en informatique, vous êtes où?

Mme Lemieux (Diane): À l'université.

Le Président (M. Garon): Oui, peut-être qu'elles apprennent ça ailleurs aussi. Peut-être qu'elles l'apprennent plus tôt.

Mme Lemieux (Diane): Oui, il y a beaucoup aussi... à d'autres niveaux, là. On est allé du côté de l'université. Bon. Il faudrait voir aussi dans les autres niveaux d'enseignement. Mais, quand même, l'université est quand même un niveau d'éducation qui est important aussi, alors...

Le Président (M. Garon): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci beaucoup. Moi aussi, je suis un petit peu perplexe par le mémoire, parce qu'il y a certains des constats qui sont également vrais pour les hommes. J'imagine...

Mme Lemieux (Diane): Oui.

M. Kelley: ...que les hommes pauvres ont moins accès à l'inforoute que les hommes qui ont une formation plus avancée, et tout ça. Alors, je pense qu'il y a un certain constat qui est plutôt en fonction de la classe sociale que vraiment une question de masculin-féminin. Mais c'est juste des précisions du rôle de l'État pour changer ou corriger la situation.

Moi, je regarde, comme parent de quatre filles, j'ai tout intérêt dans ce dossier. Est-ce que c'est mon rôle, comme parent, en premier lieu, de les encourager à passer encore beaucoup plus de temps devant un autre écran quand, à mon goût, elles passent déjà trop de temps devant l'écran de la télévision? Alors, de les encourager à aller marcher ou jouer au soccer au lieu de... ma préférence est toujours de les amener sur un terrain de soccer au lieu de les convertir à un deuxième écran qui va... encore moins de temps à l'extérieur.

Mais également, comme l'État, moi, je regarde la question d'un site francophone de la condition féminine, mais on a tous les regroupements qui ont le devoir, selon moi... Comme votre mémoire, est-ce qu'il est sur l'inforoute? Et, sinon, pourquoi le Conseil n'a pas les moyens d'afficher ses mémoires, ses communiqués de presse? La Fédération des femmes du Québec... Il y a tous ces groupes-là qui doivent prendre le devoir eux-mêmes de mettre ça sur l'inforoute. C'est quoi, l'empêchement? Je ne vois pas, si on cherche, si vraiment on demande pour mettre ce genre de message, ce genre de chose... J'imagine que la coalition des regroupements de femmes à travers le Québec doit avoir les moyens. Parce que, au moment où c'est organisé, c'est très facile de mettre des communiqués de presse, vos avis, vos mémoires, de les mettre sur l'inforoute. Après, ça devient facile, on va envoyer ça à Telbec, on va mettre ça sur l'inforoute. Ce n'est pas plus compliqué l'un ou l'autre. Alors, c'est quoi, l'empêchement? Pourquoi on n'a pas ça, et c'est quoi, le rôle exact de l'État, s'il y a les correctifs apportés à la situation?

Mme Lemieux (Diane): Bon. Je pense que, effectivement, vous soulignez justement qu'il y a des dimensions qui concernent les femmes et, en fait, qui sont en lien aussi avec la situation socioéconomique. Alors, qu'on soit homme ou femme, ça, vous avez tout à fait raison, puis on l'indique par rapport à ça...

(12 h 40)

Sur le rôle de l'État, je vais vous donner deux exemples. C'est bien évident que l'État ne peut pas entrer, injecter de force dans la tête des gens un certain nombre de choses. L'État peut être facilitant, peut mettre des conditions qui vont être facilitantes. Je prends deux exemples. Quand le ministère de l'Éducation annonce qu'il va faire des achats, il va investir massivement en argent, en ressources, en préoccupations sur l'informatique, hein, faire en sorte que nos jeunes ne soient pas des analphabètes de l'informatique, je pense que, comme ministère, il a aussi des messages à passer: Attention! dans les manières de former, il y a peut-être des manières d'essayer de rejoindre tout le monde, y compris les filles. Parce que, ça, c'est démontré de bien des manières depuis très longtemps: les filles ont tendance à aller dans certaines disciplines, dans certaines professions, puis, ça, il faut être proactif si on veut que les filles aient plus de variété dans leur vie. Bon. Alors, ça, pour moi, c'est un peu le rôle de l'État, c'est un peu un «package deal». On vous offre des instruments, mais, en même temps, il faut que, dans nos moyens pédagogiques, on soit proactifs pour ne pas creuser des fossés davantage et, au contraire – je ne rentrerai pas dans les débats de la commission sur l'éducation – faire en sorte qu'il y ait plus de chances que les filles tombent dans un peu plus de variété, puis, ça, ça peut être une responsabilité de l'État.

L'autre exemple, je prends l'exemple du fonds, le fonds sur l'inforoute. Je ne connais pas le détail de ce fonds-là, mais, par exemple, s'il y a une espèce de consortium femmes, hein, quand je dis... Comme, nous autres, on en a, des projets: du monde en recherche, d'autres... plus Fédération des femmes du Québec ou peu importe. Si un consortium développait quelque chose d'assez consistant, bien, autant les universités, les gens en affaires... Des fois, on a besoin de moyens; écoutez, on n'a pas tous les mêmes moyens. La Fédération des femmes du Québec – je ne peux pas parler en son nom – mais elle a deux ordinateurs dans ce bureau-là, point, à la ligne. Alors, il faut que ce soit soutenu. Et, si l'État passe le message qu'on doit être un peu plus proactif, il faut que ça paraisse aussi, par exemple, dans l'attribution de soutien technique, de soutien financier pour des projets plus substantiels, plus significatifs. Alors, c'est dans ce sens-là que l'État a des messages à passer, des façons de faire pour corriger certaines situations. Bien entendu, on n'entre pas dans la tête des gens, mais ça fait partie, je pense, de l'environnement qu'on peut créer, qui va être facilitant.

Puis peut-être un dernier élément d'information. Comme Conseil, nous sommes en train de bâtir le site. C'est une question de quelques semaines, nous y travaillons depuis... On s'est inscrit dans toute la démarche proposée par le Secrétariat de l'autoroute de l'information. Donc, on est tout à fait dans la démarche gouvernementale actuellement. Et, comme je vous disais, on se met même dans une position d'être un peu plus proactives nous-mêmes. On a commencé à regarder avec des gens complètement à l'extérieur du gouvernement: Y a-t-il des liens qu'on peut faire? Est-ce qu'on peut aller de l'avant? Alors, comme Conseil, je vous jure qu'on joue notre rôle à plein.

M. Kelley: Je vous remercie, mais c'est juste deux commentaires, les deux éléments. Moi, les messages, je comprends très bien, mais je regarde, le gouvernement fait tout un effort pour empêcher les jeunes de fumer. Et, à date, j'ai deux adolescentes qui ne fument pas encore, mais, chaque fois qu'il y a un party le soir, il y a toujours deux, trois enfants qui, des fois, ont oublié quelque chose à l'extérieur, qui reviennent 10 minutes après avec la boucane qu'on connaît des fumeurs. Alors, le gouvernement n'a même pas encore réussi à convaincre nos jeunes de cesser de fumer. Alors, les grands messages du gouvernement et leur utilité, j'en doute. Et, même sur les ordinateurs, dans un bureau de comté, il n'y en a qu'un, ordinateur, mais c'est suffisant. Moi, je suis parmi les infopauvres, je n'ai pas le temps de m'en occuper trop, trop, et c'est effectivement les femmes de mon bureau qui sont les expertes, qui en profitent, et tout ça. C'est elles qui trouvent des choses intéressantes pour les porter à l'attention du député. Mais ça ne prend qu'un ordinateur, vraiment, quand le système est en place. Moi, j'ai le courrier électronique, et on a accès au site sur le Net très facilement; alors, ça prend juste la pratique. Ce n'est pas un obstacle énorme, ça prend juste la volonté de faire ça comme il faut, à mon avis. Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député de Champlain.

M. Beaumier: Merci, M. le Président. Alors, Mme Lemieux et vos collègues, on a parlé tantôt des inforiches par rapport aux infopauvres, puis des infohommes par rapport aux infofemmes. Moi, je suis dans une réflexion, comme vous-mêmes, comme nous tous. Moi, je vais parler des infoenfants, et ça rejoint votre préoccupation et la mienne aussi. Je pense que ce n'est pas manquer à la discrétion familiale de dire que, moi, j'ai trois enfants, deux filles puis un garçon, et un garçon puis une fille qui sont du même âge, à 364 jours près. Ils ont toujours été dans les mêmes classes, parce qu'il y en a une qui a...

Mme Lemieux (Diane): Oui, oui.

M. Beaumier: Toujours dans les mêmes classes, effectivement, dans les mêmes classes réelles, les mêmes écoles, mêmes classes, primaire comme secondaire. Et c'est quasiment un laboratoire, au fond, que je vois, parce que les... Je parle des deux plus vieux, là. Puis l'autre, c'est différent; c'est peut-être un chaînon manquant qui réunit les deux, mais, effectivement, dans la même situation familiale pour tout le monde, les mêmes possibilités, les mêmes accès... Depuis à peu près un an, chez nous, on a Internet, et je vous le dis, sans avoir forcé d'un côté ni de l'autre, il y en a un des deux enfants qui utilise beaucoup plus – et, je rejoins mon collègue, beaucoup trop – Internet par rapport à d'autres choses, alors que, ma fille, elle l'utilise très peu, ça ne lui pose pas de grand intérêt non plus. Et, comme je vous dis, même à ce niveau-là, nous, les contemporains, on ne peut pas dire: C'est des raisons d'argent, c'est des raisons d'accès, c'est des raisons d'éducation. Mais là il n'y a rien de plus vrai que l'encadrement qui est identique. Et je n'en fais pas autre chose qu'une constatation.

Et, en ce sens-là, je ne crois pas que ce soit par le fait que les femmes craignent la technologie, je ne le pense pas. Moi, je ne pense pas qu'elles sont technophobes non plus, ou des choses comme celle-là, mais ce que je retiens plutôt, c'est une question d'intérêt. Et, moi, je regarde, je remarque que les filles, chez nous, n'ont pas autant d'intérêt, puis je ne leur souhaite pas d'en avoir autant non plus...

Et, en ce sens-là, moi, je pense que c'est une façon de poser le problème; en tout cas, c'est ma façon, moi, d'essayer de le comprendre: Comment se fait-il que dans un environnement identique on en arrive à des... Alors, est-ce que c'est une transmission un petit peu subliminale des comportements des parents? Je ne le sais pas, mais je ne vois pas... À moins qu'on y trouve de l'intérêt, puis il faut... C'est sur ça qu'il faut travailler, je suis d'accord avec vous, il faut qu'Internet devienne un accès à des choses qui apportent à tout le monde, y compris aux femmes, dans la problématique qu'on développe. Et je pense que c'est ça qui manque à ce niveau-là, et non pas nécessairement... Il y a d'autres dimensions, mais, dans ce cadre-là, les autres dimensions s'annulent, se neutralisent. Alors, c'est pour ça que, moi, je me dis: Il y a une question de... Et puis, ce n'est peut-être pas si génial que ça non plus de passer beaucoup de temps avec Internet. Je ne sais pas, là, ce n'est peut-être pas si génial, ce n'est peut-être pas si intéressant que ça. C'est vrai que, nous autres, on pourrait dire que c'est un rêve de jeunesse, mais eux autres, ils sont jeunes, ça fait que ce n'est pas...

Tout ce que je voulais dire, c'est que je voudrais humaniser un peu ces choses-là. Peut-être que les femmes sont plus pratiques, plus près du temps qu'elles ont. Ce serait mon impression, moi. Et, en ce sens-là, tant qu'Internet ne sera pas d'intérêt, qu'il n'apportera pas quelque chose, je comprends qu'elles soient moins intéressées. C'est nous qui le sommes trop, des fois, peut-être. En tout cas...

Mme Lemieux (Diane): C'est une analyse très intéressante. Non, je pense que ce qui est un peu vrai, c'est qu'Internet n'existait pas il y a 50 ans, puis on a survécu, là, hein. Il faut relativiser, ça, j'en conviens...

M. Beaumier: C'est ça.

Mme Lemieux (Diane): ...mais le problème, c'est que, si, notamment dans les institutions publiques, de plus en plus ça devient un mode d'interaction, de communication, là on a un problème. Et, moi, je dois vous dire, j'ai entendu un sous-ministre, que je ne nommerai pas, il n'y a pas longtemps qui a dit très clairement: D'ici deux ans, je ne veux plus de papier dans ce ministère. Alors... Je vous le jure. Enfin...

Le Président (M. Garon): Peut-être les hauts fonctionnaires...

Mme Lemieux (Diane): Oui, oui. Enfin, là, c'est juste pour vous dire que, si, dans les administrations publiques, ça devient un instrument important, on va avoir un problème, si on n'est pas arrivé à susciter l'intérêt, parce qu'on va engendrer des problèmes d'accès. C'est vrai, quand on regarde l'ensemble des hypothèses, que probablement une des plus importantes raisons pourquoi, grosso modo, là... On ne partira pas d'une autre situation. Évidemment, il y a toujours des situations particulières, mais, grosso modo, les filles, il faut travailler plus fort pour qu'il y ait un intérêt. C'est vraiment autour des contenus, ça ne les intéresse pas. Et c'est un peu ça qu'on dit, c'est: Bien, faisons donc l'effort, un peu, de développer peut-être d'autres genres de contenus. Peut-être qu'on va les arnaquer, qu'on va les entrer là-dedans, qu'on va leur donner le goût puis qu'on va leur permettre de...

(12 h 50)

Alors, c'est un peu le sens de notre propos. Et, s'il n'y a pas d'intérêt aujourd'hui, ce n'est pas la fin du monde, vous avez tout à fait raison, mais, si ça enlève l'accès, par exemple, à certaines professions, parce que certaines professions, ça devient de plus en plus... On ne sait pas où on s'en va avec ça, et ça devient de plus en plus une exigence – entre guillemets, on s'entend – bien, là, on va avoir généré des problèmes qui sont un peu dommageables.

M. Beaumier: Je ne peux pas aller plus loin que ça, mais je ne crois pas qu'Internet soit discriminatoire à ce niveau-là, parce que c'est un outil qui a sa très grande relativité à ce niveau-là. Vous parliez d'accès à une profession, etc. Ce n'est pas comme ça que je le vois, moi. Actuellement, ce n'est ni un outil ni une nuisance, en tout cas. Ça va venir, ça va venir. Soyons très attentifs, mais... Je vais peut-être, finalement, poursuivre cette réflexion-là en continuant à surveiller chez moi, puis je vais peut-être essayer de comprendre. Ha, ha, ha! Merci.

Mme Lemieux (Diane): Non. Je pense qu'il faut comprendre. Il ne s'agit pas d'Internet, mais de l'inforoute en général. On parle maintenant de télémédecine. On n'est pas des spécialistes de ces questions-là, mais la télémédecine, les ingénieurs, les graphistes travaillent avec une technologie beaucoup plus raffinée. Le télétravail, évidemment... Alors, ce n'est pas juste Internet comme mode, c'est tout ce que comportent ces nouvelles technologies de l'information.

M. Beaumier: Moi, je veux juste conclure la chose suivante, c'est que – et je reviens à mon modèle – dans un modèle tout à fait identique, des jeunes se sont développés, à partir de leurs intérêts, d'une façon bien différente, et je ne vois pas, pour l'instant, de choses pénalisantes, ou dangereuses, ou comme si quelqu'un manquait... que l'autre a, ou l'inverse. Alors, c'est dans ce cadre-là que je continuerai, comme vous tous, à réfléchir.

Le Président (M. Garon): C'est une question d'âge, Yves. C'est comme toi puis moi, on peut finir notre vie sans ça, mais un jeune, à 20 ans, ce n'est pas sûr. Ha, ha, ha!

Une voix: C'est ça.

M. Beaumier: Non, non, je... M. le Président, je crois que vous écoutiez ailleurs pendant que je parlais.

Le Président (M. Garon): Non, non, non.

M. Beaumier: J'ai dit que l'utilisation actuelle que je vois, elle est très différente, elle n'est pas discriminatoire de...

Le Président (M. Garon): Non, non, je comprends.

M. Beaumier: ...la fille par rapport au garçon, hein. Et, dans des circonstances tout à fait identiques, comme dirait un scientifique, la variable d'intérêt joue beaucoup plus que d'autres considérations, qui se neutralisent.

Le Président (M. Garon): Non. J'avais compris, Mme Lemieux, ce qu'elle disait: Il faut que les jeunes soient tous formés à ça parce que ça va être utile dans leur vie. Nous autres, on peut finir notre vie avec des crayons, tu sais, mais, pour les jeunes, ils ne peuvent pas. À 20 ans, s'il n'est pas familier avec ça, il ne pourra pas passer sa vie... il va avoir des problèmes.

M. Beaumier: On est tous d'accord.

Le Président (M. Garon): C'est un peu, je pense...

Une voix: Définitivement.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Oui. Merci, M. le Président. Alors, il n'y a peut-être pas lieu de s'inquiéter pour la jeunesse, dans la mesure où, finalement, un proverbe chinois dit: «Là où est le mal, là aussi est le remède.» La jeunesse va se débrouiller toute seule. La vie la pousse et elle pousse sur la vie.

Moi, je serais porté à dire: Tout à l'heure, Téléglobe est venue nous voir, et puis ils nous disaient qu'ils estimaient à 1 000 000 000 le nombre d'utilisateurs, d'internautes, alors... On sait quelle est la population du globe. Ça veut dire qu'il y a donc un bon nombre de laissés-pour-compte, comme il y a encore, de la galaxie Gutenberg, un bon nombre de laissés-pour-compte. Il y a toujours des analphabètes. C'est triste de le dire, mais on en est toujours là. Et on a vu, d'ailleurs, à cette commission, qu'Internet pourrait nous servir à peut-être motiver les jeunes d'aujourd'hui pour l'enseignement de l'orthographe, pour communiquer dans une langue correcte, une langue compréhensible, et non pas au son.

Alors, moi, je serais porté à dire... Tout à l'heure, on a reçu un pain, ça nous vient de la Fédération des femmes du Québec. Ce matin, le député de Jacques-Cartier et moi, on était parmi les députés qui sont allés recevoir quelque chose par rapport à la coalition sur la pauvreté, en vue du prochain sommet, pour qu'ils aient et elles aient leur voix. Et on voit, à partir de statistiques, que, au fond, ce qui défavorise les femmes dans le jeu d'Internet, ce n'est pas seulement le clivage hommes-femmes, mais c'est le clivage surtout richesse-pauvreté. Et je pense que, ce que vous êtes venues demander, c'est peut-être des mesures proactives dans l'intertemps ou dans l'interespace, en attendant le cyberespace, pour peut-être favoriser un certain nombre de choses.

Vous avez parlé de moyens pédagogiques, de moyens didactiques, à juste titre. Alors, je pense qu'en changeant les conditions de la femme par rapport à la richesse – l'équité salariale, pour donner un exemple – on va changer les choses. Moi, j'ai été professeur dans une faculté de lettres. Quand je suis entré à la Faculté, je pense qu'il y avait trois, quatre femmes qui enseignaient là, sur 30 à 45 mâles qu'on jugeait souvent phallocrates – parce que les termes ne manquent pas pour nous désigner. Alors, maintenant, il y a plus de femmes qui enseignent à la Faculté des lettres, en l'espace de 20 ans, qu'il n'y a d'hommes, et la majorité des étudiants, des étudiantes, ce sont des femmes, c'est 55 % à 60 %. Vous allez peut-être dire que c'est devenu quelque chose de féminin, les lettres – les hommes sont allés, justement, vers la technologie, etc. – mais il reste que les femmes qui sont formées là, si elles sont éditrices, si elles sont rédactrices, si elles sont en architecture, elles vont utiliser les moyens qui sont les moyens de leur temps. Là-dessus, je pense qu'on pourrait s'entendre.

Moi, je serais porté à vous dire, puisqu'on a beaucoup philosophé à partir de votre mémoire ce matin – c'est l'avantage de ce que vous nous avez fourni – que... Et c'est le sens de quelque chose qui pourrait être comme une question qui vous est adressée, Mme Lemieux: Est-ce qu'aussi Internet, si c'est vu comme quelque chose qui pourrait nous isoler, qui pourrait isoler la jeunesse face à leur petit écran – et d'ailleurs qu'il ne faut pas confondre avec l'inforoute... Quand les jeunes s'amusent à leur écran, ils font souvent des jeux qui n'ont rien à voir avec Internet. C'est sûr qu'ils apprennent à rentrer dans une technologie, mais ça n'a rien à voir nécessairement avec la communication. Ils sont en face de quelque chose qui leur renvoie une image pour eux. Mais est-ce qu'on ne peut pas voir Internet comme un grand espace de solidarité, justement, pour les femmes? Vous avez parlé d'ailleurs de la création d'un site que vous êtes en train de mettre en route, vous parlez du fonds de l'inforoute. Je pense que, si votre projet est structurant, le fonds vous est ouvert, et il faut y appliquer. Évidemment, il y aura des règles, comme tout fonds, pour les subventions. Et est-ce qu'on ne pourrait pas voir, justement, pour les femmes – et en fonction de ce qui se fait d'original ici dans le sens de la condition féminine au Québec – l'inforoute comme un grand lieu de solidarité pour les femmes du monde entier?

Mme Lemieux (Diane): Bien...

Une voix: Ha, ha, ha!

Mme Lemieux (Diane): ...je ne sais pas trop quoi répondre. Parce que... Oui, définitivement. M. Garon, tantôt, disait: Bien, écoutez, moi, j'y vois aussi bien des avantages. C'est sûr que c'est un mémoire, comment dirais-je, un peu de mise en garde: Attention, il faut être proactif. Mais, en même temps, moi, je suis au Conseil depuis à peine six mois, et, dans les deux semaines où je suis rentrée, ça a été mes premières questions: Où est-ce qu'on en est par rapport à Internet? Oui, on construit un site, on y va. Il faut être en... C'est extraordinaire, ce que... Évidemment, ça ne règle pas tous les problèmes au monde, mais l'information à laquelle... Nous, on a beaucoup, par exemple, de recherche à faire, et là, de plus en plus, je le vois à l'intérieur du Conseil, plusieurs professionnelles y vont à plein, et ça nous permet d'avoir des données les plus à jour un peu partout dans le monde, ça nous permet d'avoir le communiqué de presse à la minute, la convocation pour tel... C'est quand même une manière de travailler qui est extrêmement rapide, bien sûr, mais qui a beaucoup de bénéfices.

On a, je dois dire – mais, ça, le Conseil, on joue un rôle aussi à ce niveau-là – une petite entreprise de démonstration des bénéfices à faire, c'est bien sûr, hein, notamment aux groupes de femmes. Ce n'est pas évident. Ils n'ont pas énormément de moyens, ils sont moins dans ce type de préoccupation là. Mais, par exemple, Mme Malavoy faisait allusion à un projet de réseau de femmes dans la francophonie. Évidemment que c'est, en ce sens-là, un lieu de solidarité extraordinaire, de réaction plus rapide, de recueil de données, d'informations, c'est bien sûr. Il faut faire la démonstration des bénéfices, ça, c'est sûr.

M. Gaulin: Et de l'internationale des femmes.

Mme Lemieux (Diane): Mais oui, bien sûr. Écoutez, les femmes dans les pays de la francophonie, les pays d'Afrique par exemple, sont beaucoup plus isolées, et, nous, on a aussi beaucoup besoin d'apprendre de ce qu'elles font avec si peu, hein; on a des leçons à tirer aussi. Alors, ça, c'est bien évident.

M. Gaulin: Merci.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie, Mme Lemieux et vos collègues, de votre contribution aux travaux de la commission. Et, puisqu'il est 13 heures, je suspends les travaux de la commission jusqu'à 16 h 30 cet après-midi, pour entendre le Conseil de la langue française.

(Suspension de la séance à 13 heures)

(Reprise à 16 h 42)

Le Président (M. Gaulin): Alors, nous allons, si vous voulez, reprendre les travaux sur la consultation générale sur «Les enjeux du développement de l'inforoute québécoise».

Nous sommes heureux d'accueillir le Conseil de la langue française, et je demanderais à Mme la présidente de nous présenter les gens qui l'accompagnent.


Conseil de la langue française (CLF)

Mme Brédimas-Assimopoulos (Nadia): Merci, M. le Président. Je vous présente M. Ghislain Croft, qui est le secrétaire du Conseil de la langue française, et M. Pierre Georgeault, qui est le directeur des études et de la recherche.

Le Président (M. Gaulin): Alors, vous avez en principe 20 minutes pour nous faire part de vos considérations à partir de notre document et d'autres considérations que vous voudriez nous faire, et il y aura ensuite une période d'échanges de 20-20 minutes. Si vous intervenez moins longtemps, on aura plus de temps pour vous poser des questions, c'est à votre aise. Vous avez la parole.

Mme Brédimas-Assimopoulos (Nadia): Merci, M. le Président. M. le – ha, ha, ha! – député de l'opposition officielle, Mme, MM. les députés du gouvernement, dans un discours prononcé alors qu'il cherchait à faire comprendre à ses compatriotes l'urgence d'entamer la construction des inforoutes, le vice-président américain Gore a rapporté une conversation que le président du Kirghizistan avait récemment eue avec son fils. Âgé de huit ans, le garçon est allé voir son père en lui disant: Papa, il faut que j'apprenne l'anglais. Mais pourquoi? a demandé le président Akayev. Mais, papa, parce que l'ordinateur parle anglais! Cette petite anecdote rappelle qu'on ne saurait faire le tour d'une question aussi importante que celle de l'arrivée des inforoutes sans se pencher sur les enjeux culturels et linguistiques reliés à leur mise en place. Il est heureux que l'Assemblée nationale ait pris conscience de l'importance d'un tel examen et ait décidé, par l'entremise de votre commission, de les réaliser.

Profitant de l'occasion qui lui est fournie, le Conseil de la langue française insistera sur le fait que la mise en place des inforoutes ne sera couronnée de succès qu'à quatre conditions: la maîtrise du français devra faire l'objet d'une attention accrue; des contenus francophones de qualité devront être créés; l'accès aux inforoutes devra être facile; enfin, des outils intelligents de repérage de l'information circulant en français sur les inforoutes devront être créés.

Tout comme le train, moyen de transport de la matière première, a propulsé l'Occident à l'ère industrielle, l'inforoute, moyen de transport de la matière grise, projettera véritablement nos sociétés dans ce que certains ont qualifié de «civilisation de la connaissance», d'autres de «société de l'information», pour illustrer qu'en cette fin de siècle la prospérité économique d'un État dépend de moins en moins de la possession des richesses naturelles et devient proportionnelle à la capacité des travailleurs à manipuler l'information qui servira à concevoir des produits et des services répondant aux besoins des consommateurs.

Ce changement est déjà amorcé. C'est ainsi que 54 % de l'ensemble de la main-d'oeuvre québécoise tire aujourd'hui rémunération de sa capacité à produire, repérer ou analyser l'information. Toutes ces opérations nécessitant l'utilisation du langage, on devine aisément qu'une mauvaise maîtrise de la langue nationale puisse constituer une entrave sérieuse au développement économique. À titre d'exemple, il est estimé que les pertes en productivité associées à l'analphabétisme se chiffrent aux États-Unis à plus de 200 000 000 000 $ annuellement.

Au Québec, la probabilité qu'une personne maîtrisant mal le français soit au chômage est trois fois plus élevée que la probabilité qu'elle occupe un emploi. Ce n'est donc qu'en préparant bien la relève que le Québec sera en mesure de faire sa marque à l'ère informationnelle. Malheureusement, les futurs travailleurs connaissent des difficultés qui gêneront leur entrée sur le marché du travail. Ainsi, à peine 40 % des élèves du secondaire utilisent une grammaire et une syntaxe jugées convenables. Il est plus important que jamais de pallier ces carences.

Comme le soulignaient les auteurs du récent plan d'action pour la mise en oeuvre des inforoutes, le niveau d'intérêt pour l'autoroute de l'information sera directement proportionnel à la qualité et à l'utilité du contenu qu'on y trouvera. Ainsi, l'incapacité des francophones à produire des contenus électroniques dont ils ont besoin pour travailler ou se divertir aurait pour effet la non-fréquentation des inforoutes par les Québécois ou encore la consommation souvent maladroite d'une information électronique produite principalement en anglais. À cet égard, la faiblesse du français dans l'édition scientifique, technique et professionnelle électronique est préoccupante. Ainsi, moins de 20 % des titres de CD-ROM lancés sur le marché français pour répondre aux besoins des travailleurs sont à l'heure actuelle produits en langue française.

Une autre variable permettant de mesurer l'importance de l'offre francophone de contenus numérisés est le nombre de sites Web que possède présentement le Québec sur l'Internet. Là aussi, la situation est inquiétante: on compte trois fois plus de sites en Ontario qu'au Québec. Le Québec ne compte en fait que 13 % des sites Web existant au Canada. Une telle situation devra faire l'objet de correctifs. Cela dit, comme le rappelait l'Observatoire québécois des industries de la langue, la qualité des produits et des services auxquels les autoroutes donneront accès sera une condition préalable mais insuffisante à leur succès.

Ça nous mène aux deux prochaines sections. En effet, on entend souvent parler du danger que nos sociétés ne se brisent en deux: les infopauvres, les personnes n'ayant pas accès à l'information véhiculée par les inforoutes, étant abandonnés loin derrière leurs compatriotes inforiches... La crainte que cela ne se produise est justifiée. Ainsi, 27 % des personnes ayant mis fin à leurs études au niveau secondaire possèdent actuellement un ordinateur comparativement à 63 % de celles ayant atteint l'université. En outre, bien qu'ils constituent moins de la moitié de la population de l'Amérique du Nord, les hommes représentent les deux tiers des usagers de l'Internet.

Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour expliquer qu'une personne n'ait pas d'ordinateur ou n'utilise pas l'Internet, dont le manque de ressources financières. Cependant, un autre problème important doit être résolu: celui de la complexité actuelle des ordinateurs et des logiciels, qui explique qu'une majorité de gens, selon le magazine Fortune , aime peu l'informatique et la redoute. On ne saurait trop insister sur les effets négatifs de ce phénomène. Ainsi, pour prédire avec exactitude si un adulte utilise ou non les ordinateurs, il est deux fois plus utile de connaître son attitude face aux nouvelles technologies que son salaire, son niveau de scolarité ou son âge. Après l'origine ethnique, la peur des technologies de l'information constitue le principal facteur expliquant qu'un adolescent n'utilise pas les ordinateurs.

(16 h 50)

Si une large tranche de la population est technophobe, de nombreux problèmes sont aussi visibles du côté des convertis. Ainsi, selon Microsoft, 75 % des ordinateurs présents dans les foyers québécois et canadiens seraient en fait entre les mains de personnes ne sachant pas vraiment comment les utiliser. Une conclusion s'impose donc: pour que l'ensemble des Québécois empruntent les inforoutes, il sera nécessaire de rendre celles-ci extrêmement simples d'emploi. Et, pour arriver à ces résultats, on devra permettre aux francophones de se servir sur les autoroutes de l'information de l'instrument de communication qui leur est le plus familier: la langue française.

Cela signifie, bien sûr, que les instructions accompagnant les ordinateurs devront être rédigées en français et que les logiciels nécessaires à l'utilisation des inforoutes devront exister en version française, mais aussi qu'il devra à court et moyen terme être possible aux Québécois de se passer du clavier ou de la souris et d'employer la voix et l'écriture manuscrite pour communiquer avec l'ordinateur en français.

Dans le cas d'un sondage récemment réalisé par le MIT, on a demandé à un important échantillon d'Américains de nommer l'invention sans laquelle ils ne pourraient vivre. La réponse qui fut donnée le plus fréquemment? L'automobile, à 63 %. On s'en doutait. L'ordinateur venait très loin derrière, à 8 %. Cela le portait à égalité avec le séchoir à cheveux et le plaçait quelque peu derrière le four à micro-ondes. Ha, ha, ha! Il ne fait pas de doute que ce classement ne changera que le jour où, comme le souligne Nicholas Negroponte, il sera devenu aussi facile de communiquer avec son ordinateur qu'avec son voisin. Pour en arriver là au Québec, la machine devra aussi apprendre le français.

Au début du siècle, André Gide soulignait que «le nombre de choses qu'il n'y a pas lieu de dire augmente chaque jour». Gide n'aurait jamais su mieux dire. Dans son «Avis sur les industries de la langue dans la société de l'information», le Conseil de la langue française relevait que 5 000 nouveaux articles s'ajoutent chaque jour à un stock qui en compte 30 000 000. On estime aussi qu'en l'an 2000 plus de 100 000 000 d'ordinateurs déverseront sur l'Internet une information que consommeront plus de 1 000 000 000 d'internautes.

Malheureusement, l'augmentation de la taille du stock informationnel n'a pas été accompagnée par la mise au point de logiciels permettant son exploration et sa gestion faciles et efficaces. Les coûts à payer pour cela sont élevés. À titre d'exemple, il est estimé que les ingénieurs consacrent plus de 45 % de leur temps au repérage de données et de documents plutôt qu'à des tâches plus productives.

Pour assurer que les Québécois puissent accéder à tout coup à l'information convoitée, les entreprises francophones devront mettre au point des outils de repérage de l'information de plus en plus intelligents. En fait, sans ces logiciels, les autoroutes de l'information ressembleront à un immense plancher sur lequel on aurait échappé plusieurs dizaines de millions de livres. Ces outils devront être capables de traiter l'information de plus en plus rapidement et efficacement, de la comprendre même. En effet, on parle souvent de la capacité des inforoutes à transporter des données et de l'image, mais la très grande majorité de l'information emmagasinée par les ordinateurs prend et prendra encore longtemps une forme écrite.

Les enjeux reliés à la mise au point d'outils francophones de repérage sont majeurs. Si le défi de la création d'outils de repérage en français n'est pas relevé avec succès, il est en effet possible de prédire que les contenus francophones, quelle que soit leur qualité intrinsèque, demeureront introuvables au milieu de la masse des documents anglophones existants, tout comme les plus grandes oeuvres littéraires francophones ne quitteraient jamais les rayons des bibliothèques s'il était impossible aux abonnés d'obtenir leur cote.

Pour relever les défis que nous venons d'énumérer, l'intervention de l'État sera indispensable. L'État devra d'abord agir en tant que régulateur, pour faire en sorte que l'évolution des technologies de l'information se fasse en francophonie et ailleurs dans le monde, dans le sens des intérêts des francophones. Cela signifie qu'il devra être présent aux tables de normalisation où sont érigées les règles qui rendront possible ou impossible, pratique ou difficile l'emploi du français en informatique.

Cela ne suffira pas, cependant. Le gouvernement devra également se servir de son énorme pouvoir d'achat pour assurer le respect de ces normes par les éditeurs de logiciels et les constructeurs. Trop peu a été fait à cet égard. Il est par exemple troublant de constater que moins de 75 % des logiciels de traitement de texte ou systèmes d'exploitation utilisés dans la fonction publique sont en français et que ce chiffre plonge à 30 % dans le cas des logiciels de communication.

Le gouvernement devra ensuite jouer le rôle de soutien pour pallier les carences de l'offre commerciale. Comme le soulignait Alain Minc, auteur bien connu pour ses positions néolibérales, l'aide gouvernementale devra certes aller à la production de contenus électroniques francophones de qualité. Cela dit, une des pistes d'intervention que l'État devra étudier avec sérieux sera celle du soutien, en collaboration avec ses partenaires francophones et latins, à la mise au point d'interfaces toujours plus conviviales et de puissants logiciels de repérage de l'information. La création de ces outils coûte cher, ce qui explique que même le gouvernement des États-Unis la soutienne activement.

L'État devra également bien renseigner les entreprises et les organisations québécoises sur les enjeux reliés à la pénétration des technologies de l'information. La fonction de veille assurée par l'État sera d'autant plus importante que, la plupart du temps, elle n'est pas rentable à court terme. C'est particulièrement le cas dans le secteur des industries de la langue, où sont mis au point les interfaces et les outils de repérage dont nous avons parlé précédemment. Il importerait à cet égard que la mission de la Cellule de veille en industries de la langue, un organisme à but non lucratif créé avec le soutien financier du ministère de l'Industrie, de la Science et de la Technologie et auquel participe le Conseil de la langue française, soit renforcée dans les années à venir. Une mesure pour ce faire pourrait être l'inclusion obligatoire, dans tout projet présenté au Fonds de l'autoroute, d'un budget de veille qui serait administré par la CEVEIL.

Enfin, le gouvernement devra agir comme utilisateur modèle pour montrer à l'ensemble des intervenants québécois de la société de l'information les avantages à retirer du bon usage des inforoutes en français. Plusieurs mesures devraient être adoptées dans ce cadre, dont la numérisation des contenus gouvernementaux les plus utiles – lesquels pourraient faire l'objet d'un vaste chantier étudiant – et l'acquisition des interfaces conviviales et des outils de repérage de l'information qui favoriseront la communication de l'ensemble des citoyens avec les ministères.

En conclusion, l'arrivée des inforoutes aura sur l'avenir du français et de l'ensemble des langues de l'humanité un effet semblable à celui qu'a eu, voilà 500 ans, l'apparition de l'imprimerie. Tout comme l'imprimerie a bousculé l'équilibre existant au Moyen Âge entre le latin et les langues nationales ou entre le français et les langues parlées aux quatre coins de la France, l'avènement des inforoutes modifiera, au cours des prochaines décennies, les rapports des langues entre elles. Les Québécois pourront tirer profit de cette nouvelle donne. En rapetissant le globe à la grosseur d'une tête d'épingle, la venue des inforoutes aura pour effet de les rapprocher des autres francophones ou encore d'abaisser de façon importante les coûts de production et de distribution des oeuvres des créateurs québécois.

De façon similaire, l'apparition d'outils multilingues de traitement des langues pourrait rendre plus rentable le recours à la langue de Molière dans l'ensemble des sphères de l'activité humaine. Par exemple, la mise au point de traducteurs automatiques anglais-français toujours plus puissants pourrait diminuer la nécessité souvent ressentie par les universitaires de publier en langue anglaise. Il est à espérer que le Québec et ses partenaires francophones saisiront la chance unique que leur offre actuellement l'arrivée des inforoutes et des nouvelles technologies de l'information et qu'ils sauront susciter, un demi-millénaire après l'apparition de l'imprimerie, une nouvelle renaissance de la langue française. Merci.

Le Président (M. Gaulin): Merci, Mme la présidente, de ce mémoire original, et je laisse la parole au député de Laporte.

Une voix: D'Outremont.

Le Président (M. Gaulin): D'Outremont. Décidément...

(17 heures)

M. Laporte: Merci, Mme la présidente. Bonjour, M. Georgeault et M. Croft, du Conseil. On a eu une présentation ce matin par Téléglobe qui nous a... Enfin, ça a un peu refroidi nos ardeurs, je pense. L'argument qui a été fait par M. Forget, de Téléglobe, c'est que, quels que soient... Évidemment, je ne vous demande pas de porter une évaluation de ça, ma question n'est pas ça, c'est juste une espèce de préface. L'argument, c'était que, quels que soient les efforts – et il était complètement vendu à l'idée qu'il fallait faire des efforts pour mettre sur Internet en particulier des contenus de civilisation française, comme j'ai tendance à les appeler de plus en plus – on atteindra assez rapidement un seuil de plafonnement ou un seuil de diffusion à cause de la masse des produits qui viennent des États-Unis et aussi à cause de la pression pour l'utilisation d'une langue commune qui vient de la multiplication des interlocuteurs présents sur les réseaux. Vous autres, au Conseil de la langue française, si j'ai bien compris, la prémisse que vous faites du point de vue stratégique, c'est que, disons, la place du français dans ces réseaux d'information serait accrue si on passait par le multilinguisme. Et ça, je pense que c'est une idée que je partage avec vous, que j'ai partagé avec vous longtemps, en tout cas.

J'aimerais que vous puissiez nous décrire un peu mieux cette stratégie, d'une part, mais j'aimerais connaître un peu mieux l'argumentaire qui la sous-tend. Et peut-être pourriez-vous nous l'assortir d'un certain nombre d'exemples pouvant illustrer comment, disons, le multilinguisme, dans ce contexte-là, favoriserait la diffusion et l'utilisation du français, mais évidemment en présupposant, bien sûr, qu'il y a des efforts qui sont faits pour mettre des contenus de civilisation française sur les réseaux. Mais j'aimerais que vous vous étendiez un peu plus sur cette stratégie d'une promotion du français dans le contexte du multilinguisme.

Mme Brédimas-Assimopoulos (Nadia): Merci. Dans un premier temps, j'aimerais réutiliser l'exemple que j'ai donné sur l'imprimerie. Avec l'avènement de l'imprimerie, il y a eu un certain nombre de langues, disons, moins fortement représentées, en termes de bassins de population, qui ont fini par disparaître. L'avènement de l'imprimerie a fait que les langues nationales qui étaient appuyées, utilisées à l'intérieur d'un territoire donné par un grand nombre de personnes – et je vous cite l'anglais, l'allemand, le français, l'italien, l'espagnol – ont pu survivre et prospérer. Il y a des langues qui ont perdu de leur importance, au niveau de l'usage quotidien, pas seulement dans la vie privée, mais je parle surtout de la vie publique, au niveau des études – je vous donne l'exemple du breton qui a reculé énormément en France, du basque, etc. – qui ont reculé beaucoup en termes d'importance parce que le français a survécu en utilisant un moyen de diffusion de l'information qui a absolument inondé le marché.

Et donc, on peut utiliser cet exemple analogue pour expliquer qu'avec l'avènement des inforoutes, qui vont occuper un terrain encore plus important à cause de la vitesse avec laquelle le traitement de l'information s'est fait, beaucoup plus important que l'imprimerie il y a cinq siècles... Par conséquent, si on veut continuer à travailler et à vivre en français, ou en allemand, ou en italien, ou en espagnol, dans les pays respectifs parlant ces grandes langues nationales, on ne pourra pas le faire si on rate le virage technologique, si nos langues ne sont pas présentes et utilisables facilement, de façon conviviale dans le domaine des inforoutes.

Par conséquent, il faut voir comment on peut réussir à assurer une forte présence du français. En l'occurrence, c'est ça qui nous concerne ici. Et on s'aperçoit que, même si la francophonie est basée sur plus d'une centaine de millions de parlant français dans le monde, de francophones dans le monde, il faut tout de même avouer que, par rapport à l'importance numérique des utilisateurs anglophones qui sont présents sur les inforoutes, on est quand même un petit peu en arrière. Présentement, on nous dit que le français n'occupe que 3 % du contenu du paysage de l'Internet, alors que l'anglais occupe 90 %. Si on veut assurer le maintien de la présence du français dans les inforoutes, il est important justement qu'on puisse, en cherchant à développer des logiciels ou des outils d'informatique de traitement de textes dans plusieurs langues...

Parce qu'une compagnie privée ne va pas faire affaire uniquement, ne va pas répondre aux besoins d'un public en particulier qui est relativement peu nombreux, mais elle peut commencer à développer des outils si elle sent que les pressions viennent aussi de plusieurs centaines de millions de personnes qui sont hispanophones, ou lusophones, ou alémanophones, ou germanophones. Et, par conséquent, il est préférable de joindre nos efforts et de faire en sorte que ces outils de traitement de texte multilingues soient sentis comme un besoin de développement de la part des entreprises qui travaillent dans le domaine, plutôt que de faire des efforts tout seuls, alors qu'on n'a pas nécessairement les moyens qu'il faudrait, à ce moment-là, économiques ou autres. Maintenant, peut-être que mon collègue Pierre Georgeault pourrait ajouter quelque chose sur cette question-là.

M. Georgeault (Pierre): Oui. Je pense qu'on pourrait parler aussi de la nécessité de la présence des autres langues sur les inforoutes et d'une approche multilingue en prenant tout simplement l'exemple des caractères. Si on veut que le français soit sur l'autoroute, sur l'inforoute, il faut que les caractères accentués soient présents, soient acceptés par les systèmes. Or, comment, au niveau international, faire accepter que les caractères français soient présents, soient acceptés par les systèmes si, en même temps, on ne fait pas la promotion de tous les signes diacritiques, tant de l'espagnol, que du finlandais, que de l'allemand, ou autres?

Mais je pense aussi qu'on peut voir l'usage des inforoutes d'un autre point de vue, comme interface entre les différentes langues. Actuellement, si nous naviguez sur l'inforoute, vous arrivez, par exemple, sur une page en anglais – prenez, par exemple, une page de la communauté européenne – vous allez chercher un outil de traduction qui existe, en fait, sur le Web et vous faites traduire votre page en anglais, une traduction qui est encore, c'est vrai, un peu fautive, mais vous pouvez déjà saisir l'essentiel du texte, le comprendre dans votre langue. Donc, les outils qui sont disponibles sur les inforoutes sont à la fois aussi des outils de communication interlinguistiques que des outils de promotion de l'usage des langues nationales sur leur territoire.

Et, bien sûr, derrière cette question-là, c'est toute la question du monde dans lequel on veut vivre. Est-ce qu'on veut vivre dans un monde uniforme, dans un monde unilingue où la plus grande partie des gens seront exclus? En Europe, en fait – c'est quoi? – c'est à peine 10 % des chefs d'entreprise qui sont capables de parler l'anglais. Est-ce que les 90 % autres ne pourront pas participer au commerce et à la vie économique parce qu'ils ne connaissent pas l'anglais? Est-ce que, dans une vision du monde, c'est suffisant? C'est possible. Je ne pense pas.

En fait, on a plus intérêt à avoir une approche multilingue, à faire respecter, disons à faire la promotion de l'usage des langues nationales sur les territoires nationaux. Et cela rentre dans l'intérêt à la fois des entreprises, des individus et de l'État. Intérêt des entreprises, parce que plus les gens vont utiliser les différents outils, plus ils vont en vendre, plus ils vont faire de bénéfices. Et plus ils veulent en vendre, plus ils veulent faire des bénéfices, plus ils vont devoir, comme on dit dans le jargon, localiser les produits, c'est-à-dire les rendre accessibles dans la langue des usagers. Ça satisfait aussi des intérêts des États, parce que les États peuvent voir respecter l'usage de leur langue nationale sur leur territoire. Et ça satisfait aussi les intérêts des individus, car travailler dans une langue seconde n'est jamais l'idéal, on préfère toujours malgré tout travailler dans la langue qui nous a bercés, en d'autres mots.

M. Laporte: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Gaulin): Merci, M. le député d'Outremont. M. le député de Champlain.

(17 h 10)

M. Beaumier: Oui. Merci, M. le Président. Mme Assimopoulos, MM. Croft et Georgeault, depuis le début de ces audiences, on peut le dire comme ça, on est toujours un petit peu envoyé vers un très grand espoir en ce qui concerne l'impact de l'Internet sur la francophonie puis, en même temps aussi, vers une très grande inquiétude. Alors, c'est dans ce cadre-là que je comprends que se situent nos travaux. Mais ce qui semble se dégager, à moins que je ne me trompe, c'est que... Et d'ailleurs vous intitulez votre mémoire «L'arrivée des inforoutes: occasion pour une nouvelle renaissance du français». Moi, j'aimerais avoir votre opinion sur ça.

Moi, j'ai comme l'impression que peut-être la vision un peu grise qu'on avait de l'impact de l'inforoute, étant donné que sa source et son déploiement sont beaucoup anglo-saxons, ses outils, sa logistique, son «hardware» comme on pourrait dire... Je ne me souviens pas quel organisme nous a dit ici que l'arrivée de l'Internet pouvait être la sauvegarde des langues nationales et de la francophonie, et d'autres, comme l'espagnol par exemple, qui ne sont pas seulement des langues nationales, mais qui sont des langues transnationales, comme vous dites. Je sais que vous avez signalé tantôt que c'est l'ouverture que vous avez faite. Mais on dirait que le texte de présentation était plus pessimiste que les réponses que vous avez commencé à donner. Est-ce que je me trompe?

Mme Brédimas-Assimopoulos (Nadia): Non, je ne pense pas. C'est-à-dire qu'on allumait une lumière d'alarme. Notre texte sert à illustrer notre inquiétude face à la situation actuelle. On dit: Attention, il faut agir. Et c'est le rôle de l'État d'agir pour corriger le tir. Et, en même temps, il faut chercher aussi des partenariats non seulement avec les autres grandes langues nationales, mais surtout au sein de la francophonie, pour faire des pressions dans ce sens-là. Donc, au fond, notre texte de présentation et notre mémoire disent justement: Il faut faire attention, il ne faut pas rater le virage. Il ne suffit pas de prendre le virage informatique, en termes de machinerie et tout ça, il faut regarder aussi les contenus, il faut regarder aussi le vécu, il faut regarder la question linguistique. Et ça, c'est extrêmement important.

Ceci dit, je n'ai jamais eu l'impression qu'un outil en soi, quel qu'il soit... Et je reviens avec l'exemple de l'imprimerie. L'imprimerie a été l'invention d'un germanophone, hein. Gutenberg n'était pas un Français. Mais ce n'est pas l'outil qui a servi à baliser la disparition des langues, c'est l'usage qu'on a fait de cet outil et comment on se l'est approprié, et c'est ça qui est plus important. C'est pour ça qu'on dit dans notre texte: Attention, ne ratons pas ce virage-là, embarquons et assurons-nous que le français garde une place extrêmement importante. D'autant plus que, si le français prend ce virage et demeure important dans l'autoroute de l'information, à ce moment-là tous les citoyens, ici, du Québec et l'ensemble des francophones dans le monde, et, par ricochet, les autres citoyens du monde dans les autres pays...

Parce que, ces outils-là, quand ils commencent à se traduire dans une langue, ils vont se traduire dans une autre aussi facilement. C'est le premier exercice qui est toujours le plus difficile, dans ces occasions-là. Attention, le citoyen ordinaire pourra continuer à fonctionner, à travailler, à vivre dans sa langue et il ne sera pas aliéné à moyen, long terme, comme le début de la révolution industrielle nous a amenés vers une aliénation au niveau de certains métiers.

Prenez l'automobile. Quand je suis arrivée au Québec, en 1969, les gens qui travaillaient dans l'automobile, les techniciens de garages, ne connaissaient les termes techniques qu'en anglais, ils travaillaient en anglais, en fait, alors que les termes, en France, existaient. Donc, on dit: Attention. On allume une... Je ne vous parle pas juste des mécaniciens d'automobiles. Je vous parle de l'électricien, je vous parle de tous ces métiers-là qui utilisaient un vocabulaire anglophone. Et on a fait énormément d'efforts, depuis 20 à 30 ans, au Québec, pour corriger cette situation-là. Et maintenant, présentement, les travailleurs travaillent en français dans ces métiers-là.

Alors, si on ne fait pas attention... Prenez les universitaires, prenez les chercheurs, prenez les ingénieurs, les gens qui sont dans les entreprises et qui ont à faire beaucoup à ce niveau-là, avec l'utilisation des logiciels ou des produits technologiques qui fonctionnent en anglais principalement. Sous prétexte que la langue-véhicule actuelle est l'anglais, on risque de renforcer ce mouvement vers l'utilisation uniquement de l'anglais dans ces genres de métiers.

Donc, c'est très important justement de dire: C'est le moment d'intervenir. Et l'État peut et doit jouer un rôle extrêmement important à cet effet, avec plusieurs actions. On en a cité quelques-unes. Entre autres, on a cité l'idée de bâtir des chantiers jeunesse pour numériser l'ensemble de l'information des ministères, enfin, bref, pour renforcer la fonction de veille de la CEVEIL. Enfin, bref, on a un certain nombre d'actions qu'on peut entreprendre, qui peuvent endiguer ce mouvement d'anglicisation de cet outil essentiel maintenant pour les travailleurs. Dans quelques années justement il n'y aura plus personne qui ne se servira pas d'un ordinateur dans le cadre de ses fonctions.

M. Beaumier: Oui. Est-ce que je peux y aller, M. le Président?

Le Président (M. Gaulin): Oui. Allez-y, M. le député.

(17 h 20)

M. Beaumier: Oui. Dans un autre ordre d'idées, au niveau de l'université, pour avoir moi-même encore un lien d'emploi avec une université – pas à des niveaux d'enseignement, mais quand même – je connais un petit peu la problématique de tout ce qui se fait, au niveau des maîtrises et doctorats, en termes de recherche. Puis, où je travaille, c'est une université on pourrait dire en région, relativement francophone. Mais il y a toujours ce poids, cette pression, des fois, cette incitation d'une production de recherche – mémoire ou doctorat et recherche par après – et où la langue royale, disons, c'est toujours l'anglais. Est-ce qu'à ce moment-là l'arrivée de l'Internet qui, si j'ai bien compris, permet une traduction finalement de l'anglais au français ou qui va permettre éventuellement une traduction de l'anglais au français qui va être j'allais dire instantanée, qui va être assez rapide... Et, à ce moment-là, on va vivre l'inverse. Si on a dit tantôt que 3 % des contenus sur l'Internet, c'est en français et que 90 % sont en anglais, alors l'Internet va avoir un effet inverse. C'est qu'elle va permettre à tous ceux qui n'ont pas la langue anglaise comme première langue, ou langue de travail, ou langue de recherche, de pouvoir s'approprier tout le contenu d'une autre langue, que ce soit l'anglais ou autre chose – mais, dans le cas, c'est beaucoup l'anglais.

Donc, la crainte qu'il pouvait y avoir, d'une anglicisation par le biais de ce nouvel outil qui est un outil nouveau par rapport à la langue commerciale, la langue universitaire, la langue de la recherche, etc., ça veut dire que c'est l'inverse. C'est-à-dire qu'on va pouvoir, j'allais dire traduire et s'approprier tout ce qui se produit dans n'importe quelle langue à partir de notre langue, c'est-à-dire éventuellement dans notre langue. Alors, ça veut dire que, pour ce qui est d'une langue internationale, d'une langue nationale, c'est une oreille, à ce niveau-là. Est-ce que je comprends bien ou bien c'est parce que j'ai des poussées de...

Mme Brédimas-Assimopoulos (Nadia): Oui, je pense bien. Vous savez, les universitaires, surtout les chercheurs, ils sont pris devant le dilemme suivant. D'abord, l'universitaire a une double mission: une de transmission des connaissances, mais une autre de production de connaissances. Et, pour la production des connaissances et la diffusion des connaissances au niveau international, ils sont obligés de se mettre en rapport avec les chercheurs des autres pays. Et il n'y a plus de frontière, maintenant, à ce niveau. Et, effectivement, ces dernières années on s'est aperçu que finalement la transmission de la connaissance se fait davantage en anglais. Le problème que nos chercheurs québécois ou universitaires québécois affrontent n'est pas typique, il est reproduit au niveau de la France, de l'Allemagne, des pays scandinaves, de l'Italie de la Grèce ou de l'Espagne. Et, par conséquent, c'est un phénomène généralisé. Il ne faut pas croire qu'on est seul à affronter cette problématique.

Récemment, en France, d'ailleurs les politiques gouvernementales sont à l'effet d'appuyer – pour vous dire jusqu'à quel point c'est sérieux, ce problème-là – par des subventions, la traduction simultanée des colloques scientifiques tenus en France, pour s'assurer qu'au moins le contenu va être diffusé en français. Parce que, même en France, actuellement, il y a des colloques qui se passent entièrement en anglais. Et c'est un phénomène assez grave.

Je rentre justement d'une mission en Europe où j'ai essayé, avec mes collègues des conseils belge, français et suisse, de déterminer un certain nombre d'activités communes où on pourrait agir rapidement dans ces secteurs. Et une de ces activités, c'était à l'effet d'avancer dans le domaine de la rédaction technique et scientifique en français, ce qui permettra justement une traduction automatique par ordinateur beaucoup plus facilement. Il s'agit donc tout simplement d'investir dans ce genre de démarche pour permettre à la connaissance de se diffuser dans la langue nationale beaucoup plus rapidement que ça n'est le cas actuellement.

Actuellement, une traduction par un traducteur ordinaire, ça peut prendre 15 jours, trois semaines, avec les délais d'impression et tout. Finalement, on rate notre objectif, la diffusion n'est pas faite immédiatement. Alors que, dans un colloque ou quand il y a publication des actes, en général, il faut que ce soit des contenus qui sont diffusés relativement vite pour que les chercheurs puissent en tirer profit. Avec le développement des outils informatisés dans ce sens-là, ce phénomène-là risque de jouer en faveur du français. Évidemment, les autres langues aussi seront intéressées par ces questions.

Est-ce que tu veux ajouter... Si vous me permettez, je vais demander à mon collègue s'il a des choses à ajouter, parce qu'il est plus spécialiste de la question que moi.

M. Beaumier: Ça va bien, là.

M. Georgeault (Pierre): Bien, disons qu'actuellement, en ce qui a trait aux problèmes de traduction, on ne peut pas dire, en fait, que les systèmes traduisent très, très correctement à 100 %. Néanmoins, il y a d'énormes progrès qui sont faits. Actuellement, les capacités des systèmes sont largement suffisants, surtout dans les domaines plus techniques, pour comprendre de façon correcte un texte. Il y a des erreurs.

Mais, regardez, je vais juste prendre l'exemple des Japonais. Que font les Japonais actuellement? Ils recherchent partout à travers le monde de l'information et ils la font traduire finalement dans leur langue pour la saisir. Et, après ça, lorsqu'ils trouvent une information qu'ils jugent utile, là ils demandent à des traducteurs de bien traduire l'information. Mais toute cette recherche, cette quête d'information, cette première quête, si vous voulez, cette première pêche se fait avec des outils purement informatisés. Après ça, on y met une intervention humaine. Donc, il y a des gains importants en termes de coûts et, en même temps, je dirais, une rapidité infiniment plus accrue. Alors, je pense qu'il faut concevoir les outils comme des outils d'aide. Ce n'est pas eux qui vont remplacer l'être humain, mais ils vont aider les travailleurs, les individus à mieux exercer leurs fonctions ou à mieux aussi entrer en communication avec d'autres langues éventuellement.

M. Beaumier: Mais... Je peux terminer? Une dernière petite courte? Oui. Moi, ça m'ouvre un certain horizon. Ça veut dire que, grâce à l'Internet – je prends l'exemple dont vous parliez, du Japon... Alors, est-ce que je comprends que la langue anglaise, qui est la langue commune, va devenir un outil de transition qui fait qu'un francophone, disons un unilingue francophone, pourrait discuter avec un unilingue allemand par le biais, par le transit, à ce moment-là, de la langue anglaise? Ça fait que ce n'est pas que tout le monde devra s'approprier une langue seulement, mais qu'il pourra avoir, par le biais de cette langue mondiale – je ne vais pas dire «universelle» – qu'il va pouvoir finalement développer sa propre recherche, sa propre réflexion, ses propres avancements dans sa langue en ayant accès à plusieurs autres langues qu'il n'a pas à posséder lui-même.

M. Georgeault (Pierre): Bon.

M. Beaumier: Est-ce que je vais vite, là? Je suis conscient que je vais vite, mais, quand même...

M. Georgeault (Pierre): Oui. M. le Président, je pense qu'il ne faut pas trop rêver en couleur, non plus, actuellement.

M. Beaumier: Oui, je comprends.

M. Georgeault (Pierre): Mais, dans les années qui s'en viennent, effectivement, on peut penser cela. Et je prendrais l'exemple d'un grand projet européen et japonais, Verbmobil, qui est un projet de traduction automatique de la parole. Les Japonais et les Allemands se sont mis d'accord et dépensent des millions de dollars pour mettre au point un système de traduction japonais-anglais et anglais-allemand. Tout simplement, je dirais, à l'aide du téléphone, un Allemand pourra communiquer directement avec un Japonais, l'anglais servant de langue-pivot. Alors, ça pose encore des problèmes, ça, bien sûr, parce que, vous savez, plus on passe à travers une langue... il y a toujours des ambiguïtés et ce qui sort au bout est déformé.

M. Beaumier: Oui, je comprends.

M. Georgeault (Pierre): Mais, disons, il faut investir dans la recherche. Et on peut faire confiance dans l'avenir pour arriver à avoir des systèmes qui soient quand même assez stables.

M. Beaumier: Merci beaucoup.

Le Président (M. Gaulin): M. le député de Laporte.

M. Laporte: M. le Président...

Le Président (M. Gaulin): M. le député d'Outremont, excusez. Vous avez un trop beau nom.

M. Laporte: Ah! C'est ça. M. le Président, si vous permettez, puisque le Conseil est là, on pourrait peut-être profiter de leur passage, nos invités, pour leur demander de répondre à une question qui n'a pas été abordée, jamais durant ces auditions: Est-ce que vous pensez que, pour atteindre l'objectif d'un niveau d'utilisation et de diffusion plus grand – à ce moment-là, je parle vraiment du français, je ne parle pas de la civilisation – du français sur Internet en particulier, il serait opportun d'envisager, comme ça a déjà été fait mais avec peu de succès, une réforme interne de la langue française, ou s'il vous semble que, disons, le défi de faire pénétrer le français dans ce nouveau contexte là n'ajoute pas aux justificatifs de réformer la langue française davantage que ce qui était déjà le justificatif présent? C'est la question que je me demande.

Parce qu'on sait que c'est une langue dont les signes diacritiques sont particulièrement déterminés par des visions esthétiques. Mais est-ce que ce serait opportun d'envisager des réformes de la morphologie, disons, des réformes internes du français comme tel, à la façon dont on a voulu le faire antérieurement avec la réforme de l'orthographe, ou ainsi de suite? Est-ce qu'il y a une conjoncture dont on devrait profiter pour faciliter l'implantation du français d'une façon plus étendue, ou trouvez-vous tout simplement que vraiment la question de cette réforme interne, c'est superflu ou qu'on peut s'en passer?

Mme Brédimas-Assimopoulos (Nadia): Je n'irai pas jusque-là. Cependant, je ne me sens pas en mesure aujourd'hui de me prononcer sur l'opportunité de procéder à une réforme interne du français. Je pense que chacune des langues nationales comporte des richesses incroyables. Et la façon dont on traduit notre pensée n'est pas la même d'une langue à une autre, enfin des porteurs d'une langue à une autre. Personnellement, je ne pense pas qu'il faut orienter nos actions dans ce sens-là présentement.

Par contre, surtout là où ça se fait sentir de la façon la plus aiguë, au niveau du langage technique, professionnel et scientifique, qui, dans sa rédaction, est tout de même, par définition, par essence, un langage qui est plus systématisé, plus court, avec moins de développement, si vous voulez, que le style littéraire présent... Je pense bien effectivement que, du point de vue technique, on peut faire beaucoup de progrès. C'est plus facile de commencer par ce domaine. Donc, commençons par ce domaine et, si les outils se perfectionnent, peut-être que justement on peut développer des outils plus puissants qui seront capables aussi de faire le même travail dans un niveau de langue plus développé, sans qu'on ait besoin de recourir justement à la réforme de la langue.

Donc, moi, je pense que je conseillerais la prudence dans ce domaine. Avant d'aller commencer à réformer la langue dans son ensemble, je me dis: Commençons par voir comment ça s'applique dans un domaine où c'est plus facile de l'appliquer, qui permet aussi de procéder à la formation du personnel comme ça, de façon plus systématique, à la fabrication des manuels, à la fabrication des outils qui permettent une formation du personnel plus aisée et plus efficace. Donc, commençons par un domaine où c'est plus facile, parce que le français, dans les domaines scientifique, technique et professionnel, est déjà dans une forme disons un peu plus directe, d'expression plus directe, qui ne comporte pas de circonvolutions de la pensée que comportent, par exemple, un discours littéraire, ou politique, ou philosophique, ou de communication, et puis après on verra si on doit procéder autrement par la suite.

Le Président (M. Gaulin): Pour faire suite, peut-être, à la question du député d'Outremont, si on ne peut pas faire la réforme de l'orthographe, est-ce qu'on ne pourrait pas dire quand même que... Enfin, si on ne peut pas profiter de ça pour faire une réforme de l'orthographe, ce qui apporterait peut-être des risques... Mais en fonction du fait que vous disiez, par exemple, que la probabilité qu'une personne maîtrisant mal le français soit au chômage est trois fois plus élevée que la probabilité qu'elle occupe un emploi, est-ce que l'inforoute ne peut pas devenir... Puisque vous dites par ailleurs que la très grande majorité de l'information emmagasinée par des ordinateurs va encore prendre une forme écrite, est-ce qu'on ne peut pas voir, pour les enseignants par exemple, une motivation supplémentaire pour l'enseignement de l'orthographe par le passage de l'inforoute?

Mme Brédimas-Assimopoulos (Nadia): Très certainement, ça peut être considéré un outil effectivement pédagogique extrêmement important. Et on signale justement cette idée-là, que nous ne pouvons pas utiliser l'informatique sans connaître nécessairement correctement notre langue. Autrement, on interprète mal les informations qui nous viennent, et l'utilisateur de ces produits-là ne tire pas profit comme il pourrait en tirer pour les modes d'emploi, pour l'utilisation de la machine, pour la rédaction des textes qu'il transmet aux autres, pour l'interprétation des données qu'il reçoit. Donc, il est extrêmement important d'appuyer plus que jamais au niveau du contenu de la langue.

(17 h 30)

Ceci dit, en ce qui concerne la réforme de l'orthographe, vous savez bien qu'il y a une opération en route en Europe, dans les pays francophones, sur cette réforme-là, mais je ne pense pas que ça simplifie de la façon dont on croirait la réforme interne du français.

Je vous donne un exemple. Dans cette réforme qui est proposée, il est dit que l'accent circonflexe peut disparaître dans un mot comme «fenêtre» ou «âme», parce que ce n'est pas absolument essentiel pour la compréhension du mot. Mais, par contre, on est obligé de garder l'accent circonflexe quand le mot prend une signification différente, selon que l'accent existe ou qu'il n'existe pas. Je vous donne l'exemple du «dû». Ce n'est pas pareil quand on dit: Du livre, et qu'on ne met pas d'accent, et quand on dit: Il est dû de donner telle information.

Donc, je crois que, effectivement, même la réforme interne du français au niveau de l'orthographe, ce n'est pas évident que ça peut résoudre ce genre de problème, en tout cas pour l'utilisation de logiciels qui doivent être à la mesure des francophones et répondre aux besoins des francophones.

M. Laporte: Il faudrait peut-être réécouter la raison pour laquelle je dis qu'il faut tout de même se poser la question. Vous savez, les résistances à la réforme des caractères chinois classiques étaient 1 000 fois plus fortes que ce qu'on peut imaginer dans le cas de la réforme de l'orthographe française. Donc, vous vous imaginez, s'il avait fallu que les Chinois n'envisagent pas de passer à une réforme de leurs caractères non seulement dans le but d'en faciliter l'apprentissage, mais lorsqu'ils arrivent à un stade de pénétration des technologies de l'information. Ça va devenir complètement impossible.

Donc, c'est pour ça que je me posais la question. Je me dis: Est-ce qu'il y a un besoin? Vous semblez dire qu'il n'y en a pas, vous semblez dire que ça ne serait peut-être pas opportun qu'on le fasse. J'ai posé la question parce que la question n'avait été posée nulle part durant nos débats puis je pensais que c'était peut-être utile qu'on le fasse. Et je vous remercie de votre réponse.

Mme Brédimas-Assimopoulos (Nadia): De toute façon, si on doit le faire, il faut que ce soit quand même par concertation avec les autres pays francophones. Parce que la Suisse vient de procéder à cette réforme de l'orthographe, les Français viennent de l'accepter, et c'est dans les dictionnaires actuellement. Mais, au niveau du système pédagogique, il n'y a pas de consigne, alors c'est la confusion la plus totale. Si l'enfant est pénalisé parce qu'il utilise la nouvelle forme de l'orthographe... Parce qu'il n'y a pas de consigne au niveau des enseignants pour ne pas pénaliser l'enfant, ne pas lui coller une faute quand il utilise la nouvelle façon d'écrire. On n'est pas sorti de l'auberge, on finit par des confusions.

Je pense que, à un moment donné, il faut régler ça avec les autres pays francophones. Ce n'est pas à nous tout seuls, autrement dit, d'agir dans ce sens-là. Les Suisses essaient de l'implanter puis ils se confrontent à des difficultés considérables à cause de ça, parce que les Français n'ont pas encore embarqué dans ce sens-là.

Et je vous signale en passant que les Allemands, les germanophones viennent de procéder à une réforme de leur orthographe; les germanophones suisses ont embarqué, mais il y a eu concertation des populations concernées. Ça ne s'est pas fait tout seul.

Le Président (M. Gaulin): Eh bien, voilà. Il me reste à vous remercier au nom de la commission qui a le mandat d'initiative de parler d'autoroute et d'Internet. Je vous remercie beaucoup de votre apport de lumière.

Mme Brédimas-Assimopoulos (Nadia): Merci beaucoup.

Le Président (M. Gaulin): Bonne fin de journée.

Mme Brédimas-Assimopoulos (Nadia): Merci à vous.

Le Président (M. Gaulin): M. Messier, peut-être. Alors, nous allons procéder à la prochaine audition. J'invite M. le député d'Outremont à renoncer à son ancienne vie.

Alors, M. Messier, vous avez vu un petit peu comment nous procédons. Vous avez 10 minutes, puisque c'est une demi-heure pour l'ensemble qu'il nous reste. Nous sommes tout oreilles et nous vous écoutons.


M. Royal Messier

M. Messier (Royal): Lorsque vous me dites 10 minutes, j'espère que vous serez un petit peu souple, parce que j'ai essayé de tout mettre dans 10 minutes et j'ai eu beaucoup de difficultés.

Le Président (M. Gaulin): Si vous débordez, il n'y a pas de problème, on aura un petit peu moins de temps pour les échanges. Alors, à votre aise, M. Messier.

M. Messier (Royal): Merci. Alors, bonsoir à tous. Mon nom est Royal Messier, je suis conseiller aux inforoutes et aux nouvelles technologies au ministère de la Culture et des Communications, mais c'est à titre de simple citoyen, d'ex-enseignant et d'internaute enthousiaste que je viens discuter avec vous des enjeux du développement des inforoutes au Québec.

Compte tenu du temps qui m'est imparti et de la structure de mon modeste mémoire, je vais aller directement aux promesses que je vous y ai faites en vous précisant rapidement les idées que j'y annonçais. Je souhaite procéder de la façon suivante: je citerai les titres et sous-titres de mon mémoire et ajouterai les informations et commentaires promis. Si d'aventure la commission était intéressée à avoir le texte auquel je réfère, bien, je pourrai toujours le fournir, sauf qu'il faudra que je le peaufine un peu, puisque ç'a été rapidement fait.

Le Président (M. Gaulin): Remarquez, M. Messier, que vous êtes enregistré et que nous aurons ce texte.

M. Messier (Royal): Voilà, merci. D'entrée de jeu, à la lecture de mon mémoire, vous avez sûrement compris que les activités qui m'intéressent avant tout, ici, dans l'état actuel des inforoutes, ce sont celles d'information et de communication, laissant à d'autres, pour le moment, les activités de divertissement proprement dites que rendent superbement bien la radio, la télévision et le cinéma, par exemple.

La philosophie qui m'inspire. Il y a quelques semaines, à Québec, un représentant de la plus grande entreprise de télécommunications au monde avouait que le développement phénoménal d'Internet et des intranet, en somme la multiplication des internautes dans le monde, avait complètement modifié les plans de développement de son entreprise. C'est, à quelque chose près, l'essentiel du message que je veux vous laisser, à savoir que les citoyens du Québec et de tous les pays industrialisés, s'ils sont bien informés, ont tout à fait la capacité de s'approprier et de conduire le développement des inforoutes en fonction de leurs besoins, qui vont évoluer à mesure qu'ils utiliseront les services inforoutiers.

En effet, à l'usage et comparant ce qui se fait ailleurs, ils suggéreront sûrement des enrichissements. Naturellement, ils exigeront, par leur pouvoir d'achat conjugué à leur capacité de consommateurs éclairés – et j'insiste sur cet aspect de consommateurs éclairés – des améliorations qui en aiguilleront un développement harmonisé à leurs besoins.

Quelles inforoutes? Quels services? Pour qui? Pour répondre à ces difficiles questions, rappelons-nous la petite histoire de l'implantation d'une technologie qui était dite révolutionnaire dans certains milieux au début des années soixante, à savoir les services audiovisuels comme outil de formation des adultes et d'enseignement général. Je pourrai donner des détails lors de la période de questions sur ce petit rappel historique que j'ai vécu personnellement, évidemment.

(17 h 40)

À la lumière de cette expérience de l'introduction de l'audiovisuel, un des principes à suivre, à mon humble avis, c'est qu'il doit y avoir une progression constante d'un niveau à l'autre au plan de la sophistication des moyens. Autrement dit, ne confiez pas un camion-remorque à quelqu'un qui ne sait pas conduire une mini ou une mobylette.

Introduisez progressivement les services inforoutiers en commençant par la messagerie, en tenant compte du parc existant d'équipement et de logiciels et en suivant, par exemple, en ce qui concerne les écoles, la capacité d'utilisation efficace du corps professoral. Faites en sorte que toute la hiérarchie d'encadrement utilise dans leurs fonctions régulières les services inforoutiers. De façon générale, épaulez davantage les projets de recherche-action que les projets de simple utilisation, et laissez une place aussi mince que possible aux projets d'études théoriques tout courts.

Finalement, assurez-vous qu'une veille proactive efficace ait lieu ou soit faite au Québec. Que l'information ainsi glanée soit traitée en fonction de la prise de décision pertinente puis circule bien entre les différents intervenants. C'est un des problèmes, à mon avis, actuellement: la circulation des bonnes informations de dernière minute. Que le tir soit ajusté à temps. Voilà, je pense, quelques règles utiles pour faire face auxdits enjeux.

De façon plus technique, quel est le niveau d'interopérabilité ou d'interfonctionnement, comme on le dit mieux en français, entre les systèmes, c'est-à-dire les réseaux mis en place, de même que le niveau de transportabilité des applications qui seront offertes sur le marché à M. et Mme Tout-le-Monde? Ces informations, quoique très techniques, sont importantes et, à mon avis, l'Office de la protection du consommateur devrait veiller au grain au plus tôt, si ce n'est déjà fait. Par la suite, l'OPC devrait être proactive en évaluant ou en faisant évaluer, en autant que faire se peut, les produits et services avant leur mise en marché, un peu comme on le fait pour les voitures.

Les inforoutes, l'accès à l'information utile et le traitement de celles-ci. Un des problèmes de la société dans laquelle nous sommes déjà, ce n'est pas le manque d'information brute, mais la disponibilité en temps utile, donc, en pratique, sur demande, d'information utile à la prise de décision, et ce, que ce soit à titre de clients ou de fournisseurs, d'électeurs ou d'élus, d'étudiants ou d'enseignants, de soignés ou de soignants, ce qui, de façon générale, nécessite un fort traitement de l'information brute. Ceux qui m'ont précédé d'ailleurs vous en ont touché mot.

Conséquemment, à mon avis, en ce qui concerne les activités générales d'information et de communication, je crois que les réseaux à fort débit sont actuellement moins prioritaires pour M. et Mme Tout-le-Monde que la disponibilité suffisante d'ordinateurs publics bien garnis ou, de préférence, la propriété individuelle d'ordinateurs personnels bien garnis. Quand je parle de «garnis», évidemment, c'est de l'ensemble des logiciels de traitement de texte et de communication nécessaire pour bien fonctionner sur Internet. Et, quand je parle de la propriété individuelle, comprenez ici un nombre suffisant d'ordinateurs par ménage. Et tout cela, bien sûr, conjugué à une capacité suffisante d'utilisation desdits logiciels.

Évidemment, les résultats de ma réflexion sur le sujet ne sont pas les mêmes en ce qui concerne le secteur enseignement aux niveaux collégial et universitaire, le secteur de R & D, de même que pour les secteurs de production manufacturière, par exemple. Là, il faut participer aux efforts américains, notamment, qui visent à mettre en opération, dès les mois qui viennent et les années qui s'annoncent – les mois, je pense, qu'il faut penser – la prochaine génération de technologie Internet, c'est-à-dire celle dite à large bande, donc à haut débit.

Les inforoutes et les communautés locales et régionales. Je connais personnellement un trio de personnes formé d'un professionnel qui a constaté des possibilités intéressantes de marché aux États-Unis en s'en allant en vacances en Floride, et d'un étudiant et d'une étudiante de Laval qui lui apportent le soutien informatique nécessaire, et ce trio est en voie de créer une petite entreprise de vente par catalogue d'un ensemble de produits fabriqués en grande majorité ici, dans la région de Québec. Les marchés visés sont d'abord ceux des États-Unis, parce que 0,01 % de 230 000 000, ça fait 23 000 clients. Notons qu'avec Internet rien n'interdit de penser à l'Union européenne, à quelques pays d'Asie ou d'Océanie industrialisés, si l'aventure s'avère intéressante aux États-Unis.

Ce n'est qu'un exemple des centaines et des milliers qui verront le jour, à mon avis, si on intéresse toute la population à l'utilisation des inforoutes. Personnellement, je crois que des duos, des trios, des quatuors utilisateurs et créateurs de services inforoutiers, il s'en créera beaucoup plus qu'il ne s'est créé de groupes musicaux – Baronets ou autres – dans les années soixante-dix. Tout ce qu'il faut de l'État, c'est qu'il participe très activement à créer ce goût pour ces nouveaux services qui permettent à la fois de combiner information, formation, communication et loisir.

Personnellement, je crois que plus il y aura d'exemples d'utilisation venant de haut, plus elle aura de chances de succès. Mais je crois encore plus que les témoignages d'utilisation utile et intéressante, à tous les niveaux de la société, dans toutes les familles, dans toutes les localités du Québec, doivent être aussi nombreux que possible. J'y reviendrai à la fin de mon exposé.

Au plan des expériences déjà vécues qui pourraient nous inspirer, rappelons-nous l'engouement de l'arrivée de la télévision noir et blanc dans les années cinquante. On se regroupait chez le voisin un peu plus riche qui avait acheté une T.V., comme on disait. On pourrait aussi évoquer l'arrivée de la télécouleur, puis le câble d'Yvon Deschamps, pour comprendre ce qui s'en vient, surtout si on accentue le momentum par des activités de masse.

Les inforoutes, les associations pertinentes et la performance des Québécois en communication télématique. Le problème de la plupart de ces associations – vous en avez reçu, je crois – ce n'est généralement pas l'absence de bonnes idées, de projets, mais les ressources pour les mettre en oeuvre, les développer et les maintenir en vie. De façon générale, la cotisation maximale qu'elles peuvent exiger de leurs membres, surtout avant d'avoir fait leurs preuves, ne leur permet pas d'avoir ce qu'on appelle communément une permanence.

Là, à mon avis, l'État peut aider efficacement et sans que ça lui en coûte beaucoup. Par exemple, il pourrait fournir un local, des ameublements et équipements inutilisés, de l'information utile comme partenaires d'un projet x, de la diffusion d'information émanant de ladite association, dans les bulletins, sur les sites ministériels, par exemple. Il pourrait aussi fournir les services de fonctionnaires en disponibilité, des services de consultation professionnelle gratuits, etc.

Évidemment, il n'est pas interdit de penser que les entreprises, surtout les grandes, pourraient faire de même non seulement à titre de bons citoyens corporatifs, mais comme un excellent petit investissement de marketing, ne permettant pas d'exemption d'impôts, évidemment.

Les inforoutes, l'entraide, la solidarité et le civisme. Une des choses surprenantes lorsqu'on débute sur Internet, c'est de constater qu'à chaque fois qu'on pose une question dans une liste de discussions, par exemple, on obtient une ou plusieurs réponses intéressantes, voire même au-delà de ses espérances. Qui plus est, le système permet d'approfondir assez facilement un sujet particulier par communications complémentaires successives. Je ne parle pas ici des banques de données, mais de réponses reçues gratuitement de collègues ou de parfaits inconnus. À titre d'exemple, j'ai dernièrement obtenu les coordonnées d'associations francophiles aux États-Unis d'une internaute du Nevada. Avant-hier, un Brésilien nous annonçait qu'il avait retrouvé sa fille, qui était maintenant en Europe.

Personnellement, je considère, sous plusieurs thèmes concernant ma vie professionnelle comme ma vie privée, que j'apprends plus et que je contribue beaucoup plus efficacement via les listes de discussions bien choisies sur Internet que par tout autre moyen traditionnel.

(17 h 50)

L'inforoute et notre langue. Au début de cette section, dans mon mémoire, j'ai écrit une des abréviations très utilisées sur les inforoutes: AMHA, qui veut dire, évidemment, «à mon humble avis». Cela illustre certaines adaptations de l'écriture à la messagerie électronique, qui se veut rapide et efficiente. N'étant pas spécialiste de la langue, je n'oserai pas prétendre avoir un jugement éclairé sur le sujet, mais il me semble qu'il s'agit là d'une façon d'écrire efficiente et qui ne risque pas de déraper à l'encontre des règles de bonne écriture.

Par contre, l'absence généralisée de claviers où chaque lettre accentuée utilisée y apparaît explicitement; deuxièmement, la présence continuelle des en-têtes en anglais dans les messages Internet, dans les listes de diffusion ou dans les messages ordinaires; la présence très limitée d'outils de recherche et de communication efficaces qui soient francophiles, présentant leur menu et leurs résultats en français; quatrièmement, l'habitude qu'ont prise un grand nombre de centres d'enseignement et de recherche de pays francophones, subventionnés par eux, de publier et de se présenter sur les réseaux prioritairement en anglais – il en est de même de très nombreuses entreprises – ces quatre aspects-là sont, à mon avis, des contraintes importantes qui ont des impacts négatifs sur l'utilisation du français sur les inforoutes.

Mais, heureusement, les services inforoutiers pourraient permettre de diminuer certains problèmes très actuels, par exemple l'analphabétisme. Il serait, à mon avis, tout à fait possible et même assez facile de créer de bons programmes d'enseignement microprogrammés où chaque lettre, chaque syllabe et chaque mot pourraient à la fois être dits et être montrés en même temps à l'écran, et tout cela en mode vraiment interactif utilisable dans chaque foyer québécois et dans les lieux publics d'apprentissage et de formation: bibliothèques, écoles ou autres.

Deuxième exemple: le manque de communication au sein d'une famille, d'un groupe. Le fait d'être à distance et d'utiliser l'écrit, donc un moyen potentiellement plus réfléchi de communication, permet des communications entre personnes qui, autrement, ne communiqueraient pas. On peut en faire journellement l'expérience sur le réseau. Or, lorsqu'on écrit, on a plus tendance à faire attention aux règles de grammaire, n'est-ce pas?

L'inforoute et son développement par et pour les citoyens. Il faut que l'État favorise la création de concours de tous genres qui s'adresseront à différentes catégories de citoyens: les élèves de chaque niveau et sous-niveau – au secondaire je veux dire; les étudiants des cégeps et des universités; différents secteurs de production; les amateurs de tous genres d'activités, etc. Des concours qui favoriseront la production de contenus: textes, enregistrements sonores, images fixes, vidéos originaux et intéressants, mais aussi la création ou l'amélioration de logiciels appropriés. Des spécialistes m'en ont donné plusieurs exemples.

Il faut aussi faire un concours annuel panquébécois au plan des familles, une espèce de Guerre des clans internautes, qui favorise l'utilisation, par et pour la famille, des inforoutes. Je crois fermement que, dans la majorité des familles, il existe un ou plusieurs internautes qui peuvent sensibiliser et même former les autres aux services inforoutiers. Ils y réussiront encore plus si on les met au défi et si on leur donne de la visibilité. Les prix pourraient être des bourses d'étude, des systèmes multimédias, voire même des emplois – pourquoi pas?

En guise de conclusion, je fais le pari qu'avec l'utilisation de l'inforoute le citoyen sera mieux informé qu'il ne l'est aujourd'hui, que son opinion sera mieux et plus exprimée auprès de son député et de ses autres représentants, que ses communications avec tous les interlocuteurs des secteurs privé et public seront plus efficaces, plus faciles et coûteront moins cher, que des milliers d'emplois seront créés et autant, sinon plus, seront transformés, dont un grand nombre en régions éloignées à cause de la qualité de vie que peuvent y trouver plusieurs producteurs et productrices.

Et, finalement, l'État doit accompagner, aider, animer, susciter le goût et la volonté chez tous les citoyens de bien utiliser les services inforoutiers au plus tôt par l'exemple, l'aide appropriée et concertée, au besoin, et le discours. Voilà les aspects que je souhaitais aborder avec vous, et je vous en remercie.

Le Président (M. Gaulin): Alors, merci, M. Messier. Il nous reste exactement 10 minutes, cinq minutes de chaque côté. Alors, Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: D'abord, je voudrais vous remercier, M. Messier, parce que vous êtes un internaute enthousiaste, dites-vous, et un citoyen responsable, et je pense que c'est fort intéressant pour nous d'avoir accès à vos réflexions en la matière.

Comme il y a peu de temps, je vais poser une question puis, ma foi, si je n'ai pas le temps pour d'autres, au moins j'aurai réponse à celle-là. Il y a une question qui m'intrigue beaucoup parce que, tout à l'heure, vous avez dit: On pourrait concevoir une forme de lutte à l'analphabétisme en utilisant les nouvelles technologies comme l'inforoute.

Ce matin, en commençant la journée, la personne qui nous présentait le mémoire de Téléglobe nous a dit – je vais le citer correctement: «L'inforoute ne peut rien pour les illettrés.» Alors, on a vraiment deux positions assez différentes. J'ai posé la question, d'ailleurs, ce matin, à cette personne, en disant: Est-ce que vraiment l'inforoute ne peut rien pour les illettrés?

Et, comme il y a au Québec pas loin de 1 000 000 d'analphabètes fonctionnels et qu'une de nos grandes préoccupations, vous avez dû le voir, c'est la question de l'accessibilité, je me permets de vous demander, juste dans les quelques minutes que j'ai, moi, de nous préciser un peu comment on pourrait utiliser ça, selon vous, pour lutter contre l'analphabétisme.

Le Président (M. Gaulin): M. Messier.

M. Messier (Royal): À mon avis, si on mettait à la disposition des gens des serveurs, donc enfin qu'on crée un service de formation à distance via Internet, on pourrait... Personnellement, j'ai déjà, dans ma vie antérieure, comme on dit, créé des programmes microprogrammés, c'est-à-dire où on enseigne vraiment par tout petits détails.

Alors, à ce moment-là, on avait des solutions, on avait des outils qui étaient extrêmement faibles. On utilisait des stencils à l'alcool avec différentes petites couleurs pour la correction et des choses comme ça, alors qu'aujourd'hui, avec la microprogrammation, on pourrait faire entrer sur l'écran de l'utilisateur, comme je l'ai dit tout à l'heure, dans tous les foyers qui y seraient abonnés ou dans les bibliothèques, à la fois une phrase qui pourrait être déchiquetée en morceaux, en voyelles, consonnes, syllabes, mots, et en même temps, comme il s'agit du multimédia, on pourrait apprendre comment se prononce le «a», le «é», le son, etc., de façon à ce que l'on puisse... Et cette méthode de microprogrammation en éducation s'est avérée excellente. Alors, je ne vois pas pourquoi on n'utiliserait pas Internet pour faire la même chose, surtout avec la puissance de l'outil que nous avons maintenant.

Mme Malavoy: Vous diriez donc le contraire: Non seulement les illettrés n'en sont pas exclus, mais ça pourrait leur permettre de franchir une étape décisive.

M. Messier (Royal): C'est exactement ce que je crois, oui.

Mme Malavoy: Merci.

Le Président (M. Gaulin): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: M. Messier, merci beaucoup de votre présentation. Il y a un aspect de votre présentation qui est très original, si je vous ai bien compris là, comparé à ce qu'on a entendu jusqu'ici, parce que les gens qui ont comparu nous ont dit que l'État pouvait faciliter la pénétration d'Internet par la subvention des logiciels, bon, des moteurs de recherche, l'aide à l'entreprise, ainsi de suite. Mais vous, ce que vous nous avez dit, entre autres choses, et que j'ai trouvé très intéressant, c'est que l'une des tâches de l'État, ça devrait être de changer les attitudes de masse finalement à l'égard d'Internet, les attitudes collectives, agir sur les attitudes des gens pour les rendre plus disponibles évidemment à l'utilisation de cette technologie. Est-ce que j'ai bien compris que c'est une des choses que vous avez dites?

M. Messier (Royal): Je crois que c'est sa première tâche. Moi, à mon avis, si on achète un système qui va coûter quelque chose comme 2 000 $ actuellement, c'est tout à fait suffisant pour bien fonctionner sur Internet, et même moins que ça pour la simple messagerie. Or, si vous regardez une T.V., comme on l'appelait dans le temps... Chez moi, dans les années 1958-1959 je pense, on a eu la télévision: ça nous a coûté 500 $ ou 600 $. Ça se compare facilement et je ne viens pas d'une famille riche. Je pense donc que la plupart des familles peuvent se permettre ça. J'ai même, à l'intérieur de ma famille, commencé à propager le discours et la réponse est très bonne, à titre d'exemple.

(18 heures)

Alors, de fait, je partage l'opinion que vous venez de dire. Maintenant, je ne nie pas du tout que, dans certains cas – et c'est ce que je dis dans le mémoire aussi – il doive y avoir des subventions en fonction de besoins bien appropriés.

M. Laporte: Pour terminer, dans le cas où, disons... Parce que j'ai trouvé ça intéressant. Vous disiez, par exemple, dans le cas des écoles, puis vous l'avez dit et repris: Il faudrait commencer par le haut, c'est-à-dire il faudrait commencer par implanter la technologie chez les gens qui sont les dirigeants, qui donnent l'exemple, qui sont visibles, et ainsi de suite, si j'ai bien compris.

M. Messier (Royal): Non, je ne prioriserais pas, je dis vraiment à tous les niveaux. Sauf que je dis, en ce qui concerne, par exemple, les élèves du secondaire: N'allons pas leur mettre dans les mains des outils qui vont beaucoup plus amuser qu'ils vont instruire.

M. Laporte: O.K. D'accord.

M. Messier (Royal): Et donnons des outils semblables aux dirigeants des écoles et des commissions scolaires, de façon à ce qu'ils soient conscients des outils en question.

À titre d'exemple, lorsque j'enseignais – j'enseignais la physique, moi – lorsque les moyens audiovisuels sont entrés, dans les années 1960, 1965, lorsqu'on arrivait pour donner des exercices... je me rappelle d'un labo en particulier où c'était sur la mécanique ondulatoire. Et, parce que cinq étudiants avaient vu la démonstration à la télévision, ils s'imaginaient avoir compris. Évidemment, ces gens-là ne comprenaient absolument pas la théorie qu'il y avait en dessous, mais ils avaient très bien vu la démonstration que je faisais devant eux. Sauf que, lorsque arrivait le temps de résoudre un problème ou de bâtir sur cet acquis pour aller plus loin, l'audiovisuel ne leur avait rien donné. Il fallait quand même passer au tableau noir et à la parole.

Alors, c'est un peu, si vous voulez, la modulation que je faisais vis-à-vis de l'utilisation d'Internet: il faut savoir comment l'appliquer. Et ça, ça va se faire par recherche-action.

M. Laporte: D'accord.

Le Président (M. Gaulin): Alors, M. Messier, il me reste à vous remercier au nom de la commission de consultation sur l'inforoute. À titre privé, c'est très aimable à vous d'être venu nous rencontrer, et nous l'apprécions beaucoup.

M. Messier (Royal): C'est vraiment à titre privé. Ça a été fait par les soirs et fins de semaine.

Le Président (M. Gaulin): Je vous remercie. Au revoir.

La commission reprendra ses travaux demain, à la salle Pamphile-Le May, salle 1.38, l'ancienne salle du Conseil des ministres.

(Fin de la séance à 18 h 3)


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