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(Quinze heures onze minutes)
Le Président (M. Doyon): Je déclare la
séance ouverte et je demande au secrétaire de bien vouloir nous
indiquer s'il y a des remplacements.
Le Secrétaire: Oui. M. Bradet (Charlevoix) est
remplacé par M. Bergeron (Deux-Montagnes); Mme Cardinal
(Châteauguay) est remplacée par M. Kehoe (Chapleau); M. Leclerc
(Taschereau) est remplacé par M. Maltais (Saguenay).
Le Président (M. Doyon): Bon. Donc, nous commençons
la dernière semaine de nos consultations. C'est la continuation du
mandat que nous avons fait la semaine dernière. Il s'agit pour nous de
procéder à une consultation générale et de tenir
des auditions publiques sur le projet de loi 68. Il s'agit de la Loi sur la
protection des renseignements personnels dans le secteur privé.
L'ordre du jour a été distribué. Vous me
dispenserez d'en faire lecture. Je vous indique que le temps sera
partagé de la même façon qu'auparavant, donc, maximum d'une
heure pour chacun des organismes ou personnes invitées et une vingtaine
de minutes pour la présentation du mémoire et, ensuite, partage
du temps d'une façon égale entre les deux partis pour
s'entretenir avec nos invités.
Nos premiers invités sont les représentants du Bureau
d'assurance du Canada. Je leur souhaite la plus cordiale des bienvenues. Je
vois que M. Medza est ici, que je connais. Je vous souhaite la bienvenue
particulièrement, ainsi qu'à M. Jean Bouchard et Mme
Hélène Lamontagne.
Donc, comme je vous disais, une heure au total et partage du temps de
façon égale entre les deux partis. Nous sommes prêts
à vous écouter.
Bureau d'assurance du Canada (BAC)
M. Bouchard (Jean): Merci, M. le Président. Alors, nous
avions fait parvenir notre mémoire aux membres de la commission. Je me
contenterai non pas de le lire, mais bien de simplement en rappeler certains
des aspects qui nous apparaissent les plus essentiels, à ce
moment-ci.
Comme vous l'avez mentionné, je suis accompagné de Mme
Lamontagne, qui est conseiller juridique pour le Bureau d'assurance du Canada;
M. Medza est le directeur général du Comité du Bureau
d'assurance du Canada pour le Québec et j'en suis le président,
en plus d'être le président du conseil de La Laurentienne
Générale.
Je voudrais d'abord peut-être dire juste deux mots sur ce qu'est
le Bureau d'assurance du
Canada. C'est une association qui réunit la presque
totalité des compagnies d'assurances de dommages, c'est-à-dire
les compagnies qui souscrivent des risques d'assurance automobile, incendie,
responsabilité, soit pour les individus ou pour les commerces, et la
presque totalité de celles qui font affaire au Québec pour ce qui
est du BAC Québec.
Les membres ici - disons ici dans la province - transigent globalement
avec environ 2 000 000 d'assurés sur une base annuelle. en 1991, nous
avons perçu 3 600 000 000 $ de primes. nous fournissons de l'emploi
à près de 35 000 québécois et
québécoises. nous avons effectué des placements
également de l'ordre de 3 600 000 000 $ et nous avons versé des
indemnités de quelque 2 600 000 000 $ aux assurés
québécois.
En plus de ça, nous avons, bien sûr,
généré, comme de bons citoyens, pour le Trésor
québécois, plus de 525 000 000 $ en taxes directes et indirectes,
en excluant les impôts sur les profits des corporations. Il est important
de réaliser que le Bureau d'assurance du Canada représente des
assureurs et non pas des courtiers d'assurances. Les courtiers ont leurs
propres instances pour faire valoir leurs propres revendications, et nous nous
distinguons des assureurs de personnes qui ont eux aussi leur propre
association.
Nous avons étudié attentivement le projet de loi 68 et
nous sommes heureux de faire part de nos observations aux membres de la
commission de la culture. De façon générale, les assureurs
de dommages du Québec appuient la démarche du législateur
qui souhaitait s'inspirer des principes et des normes mises de l'avant par
l'OCDE dans le but de protéger les renseignements privés.
D'ailleurs, les assureurs avaient déjà pris l'initiative de se
doter d'un code de conduite en matière de vie privée, dès
1987, qui s'inspirait aussi largement des normes publiées par l'OCDE et
que nous avons d'ailleurs fournies en annexe à notre mémoire.
Nous croyons cependant qu'il est primordial de trouver un
équilibre entre les besoins réels des consommateurs au chapitre
de la protection des renseignements personnels et la flexibilité
nécessaire pour la conduite des affaires, de plus en plus
mondialisée, où le temps de réaction est crucial, et
également l'efficacité de nos organisations. Nous estimons que,
dans l'état actuel des finances publiques, le législateur doit
évaluer avec beaucoup de rigueur les impacts reliés à
cette nouvelle législation. Nous avons d'ailleurs, récemment,
dans notre mémoire sur le financement des services publics,
recommandé la même approche.
D'abord, je voudrais souligner certains des
points de convergence que nous avons avec le projet qui est devant nous.
D'abord, sur les principes, le code de déontologie en matière de
protection de la vie privée qui a été adopté par le
Bureau d'assurance du Canada, en 1987, que nous avons mentionné
antérieurement et auquel ont souscrit individuellement l'ensemble des
assureurs de dommages au Québec, a été revu et
renforcé au cours de l'année 1992. Il a de nouveau
été entériné par l'ensemble des assureurs et a fait
l'objet d'un engagement formel par chacun d'entre eux par la signature d'une
lettre d'endossement. Vous en trouverez d'ailleurs copie aux annexes II, III et
IV qui ont été distribuées avec notre mémoire.
Notre préoccupation pour la protection des renseignements
personnels se comprend aisément et n'est pas nouvelle, car
l'échange d'information entre assureurs et assurés a toujours
joué un rôle primordial dans le commerce de l'assurance. D'abord,
la bonne santé financière d'un assureur dépend, en
très grande partie, de la qualité et du contrôle qu'il
exerce sur la classification équitable des risques, les niveaux de
primes qu'il exige, la tarification, et les sommes qu'il verse lors du
règlement d'un sinistre. Pour effectuer chacune de ces étapes,
l'assureur doit obtenir de l'assuré des informations concernant les
biens ou la personne à assurer. Quand je dis «la personne»,
par exemple, prenons le cas de l'assurance automobile, ce sont des
renseignements qui concernent soit son âge, soit son occupation, etc.
Ensuite, il ne faut pas non plus oublier que les assureurs
opèrent dans un régime de concurrence. Ils ont tout
intérêt à protéger du mieux possible la
confidentialité des données qu'ils possèdent sur leurs
assurés. Les assureurs de dommages ont donc, depuis toujours,
été très sensibles à la protection de ces
renseignements.
Rappelons que les articles 177 et 179.1 de la Loi sur l'assurance
automobile empêchent déjà les assureurs d'utiliser des
informations recueillies pour des fins autres que celles pour lesquelles elles
ont été obtenues et d'en informer les assurés. La Loi sur
les assurances, à l'article 420, permet également au gouvernement
de déterminer les normes d'usage qu'un assureur peut faire de
l'information qu'il possède sur ses assurés, ou sur ses clients,
ou sur une autre institution financière dont il offre la vente des
produits.
De façon générale, nous sommes d'accord avec une
loi d'application. Nous souscrivons à l'idée d'une telle loi
à laquelle réfère l'article 41 du Code civil du
Québec et dont le but serait effectivement de préciser les droits
des citoyens de consulter ou de faire rectifier leur dossier personnel. Le
projet de loi 68 va dans ce sens dans un certain nombre de ses articles. Par
contre, là s'arrête notre accord. Nous avons de nombreux points de
divergence. Nous considérons que le projet de loi 68 introduit une
intervention trop massive, trop complexe, trop coûteuse et qu'elle
consent trop de pouvoirs à la Commission d'accès à
l'information. Par une intervention trop massive, ceci touche la philosophie
même entourant la mise en oeuvre de cette législation. Le projet
de loi propose une intervention massive et tatillonne de l'État
auprès des 215 591 entreprises québécoises (Commission de
la santé et de la sécurité, rapport d'activité,
1991) pour régler, au départ, des abus dont le nombre et la
nature sont faiblement documentés. (15 h 20)
Nous avons consulté les nombreux documents qui ont pavé la
voie au projet de loi. Il ressort clairement que c'est l'attitude «bon
père de famille» qui a motivé cette démarche de
l'État. Comme nous l'avons dit, nous croyons fermement aux grands
principes qui soutiennent la protection des renseignements personnels. Mais
nous sommes également d'avis que l'État doit apprendre à
subordonner et à moduler ses interventions en fonction des besoins
exprimés et documentés des citoyens et citoyennes et
éviter le protectionnisme à outrance.
Nous avons tenté de réunir de l'information pour essayer
d'évaluer la véritable nature du problème que le
législateur veut circonscrire. Nous avons, par exemple, passé en
revue les rapports publiés par l'Office de la protection du
consommateur, ceux de la Commission d'accès à l'information et,
dans notre cas plus précis, ceux de l'Inspecteur général
des institutions financières. De plus, nous avons examiné les
demandes qui sont adressées chaque année au centre d'information
du Bureau d'assurance du Canada, où nous recevons en moyenne 50 000
appels par année.
Comme on peut le voir dans le tableau qui est à la page 7 du
mémoire, rien n'indique qu'il existe au Québec un problème
d'abus de renseignements de nature personnelle dans le secteur qui nous occupe,
dans le secteur privé qui touche l'industrie de l'assurance de dommages.
Et ceci semble être un problème presque inexistant. Simplement
à titre d'exemple, la Commission d'accès à l'information
reçoit au total 925 demandes et, là-dessus, 137 touchent les
renseignements de nature privée; l'Inspecteur général des
institutions financières, d'après son rapport 1990-1991,
reçoit 364 000 appels et aucun d'eux ne semble toucher les
renseignements privés; un chiffre du même ordre de la part de
l'Office de la protection du consommateur; et, au Bureau d'assurance du Canada,
sur les 50 000 appels que nous recevons, pratiquement aucun ne touche les
renseignements d'ordre privé.
Alors, même dans le secteur public, le problème n'est pas
significatif. Rappelons que l'État a constitué et gère les
plus gros fichiers d'information comportant des renseignements personnels.
Pourtant, selon le rapport de la Commission, comme je viens de le citer, le
nombre de demandes d'accès à leur dossier personnel de la part
des citoyens adressées à la Commission n'a
été que de 137, dont 17 demandes de rectification de
renseignements, et ce, pour une population de près de 6 800 000
d'habitants.
Il n'y a donc pas preuve qui justifie l'intervention matraque du projet
de loi 68. L'approche du gouvernement a surtout porté sur des concepts
et des principes qui sont valables, mais qui reflètent peu la
réalité du vécu quotidien des entreprises. Comme trop
souvent, d'ailleurs, le législateur propose la multiplication de
règles, de procédures, de formulaires et l'intervention
omniprésente de fonctionnaires pour encadrer dans ses moindres
détails tout le processus. Ces mesures surprennent, d'autant plus que le
gouvernement s'interroge sur la pertinence des programmes actuels, sur les
impacts financiers des lois et sur l'intervention de l'État dans le
secteur privé. À notre sens, l'État doit se limiter
à intervenir là où il y a motif valable.
Maintenant, la complexité de l'intervention. Notre
deuxième point de divergence concerne l'incroyable complexité et
la lourdeur des mécanismes que le projet de loi met de l'avant pour
garantir le droit à la protection de la vie privée. Le
législateur a prévu la publication de renseignements
particuliers, la tenue de registres, la mise en place de structures
administratives obligatoires, donc, des personnes, des mécanismes de
contrôle, pour répondre aux demandes de consultation et de
modification de dossiers et pour préparer les rapports qui seront
exigés par des fonctionnaires. Il impose également, de
façon arbitraire, des conditions d'échange de renseignements et
des pénalités que l'on considère abusives et
injustifiées, car elles ignorent totalement les contrôles qui
existent déjà ou les besoins de chaque secteur
d'activité.
Ainsi, toute la section touchant le consentement risque d'avoir un effet
paralysant à certaines activités des entreprises. Afin de
satisfaire aux exigences de consommateurs pour un service toujours plus rapide,
beaucoup de transactions d'affaires, notamment dans le secteur des assurances,
s'effectuent de nos jours au téléphone. Comment est-ce compatible
avec les délais qu'occasionne la nécessité d'obtenir le
consentement par écrit au préalable? D'ailleurs, une étude
des différents régimes de protection de renseignements personnels
démontre que le Québec propose à ces entreprises le
régime le plus lourd et le plus complexe de toutes les provinces
canadiennes et même de tous les pays membres de l'OCDE.
Le projet de loi 68 est également une intervention trop
coûteuse. Les nombreuses obligations qui sont faites aux entreprises
d'obtenir le consentement écrit, de communiquer des copies de dossiers
et de tenir des registres exigeront non seulement du temps, mais se traduiront
par des coûts administratifs nouveaux qui, nécessairement, seront
transférés aux consommateurs éventuellement.
Par exemple, nous avons calculé que l'envoi aux assurés de
nos membres de renseignements requis par les articles 7 et 12 pourrait
entraîner des dépenses de quelque 10 000 000 $. De plus, il y a
actuellement au Québec 2 235 610 travailleurs et travailleuses qui
pourraient recevoir de tels renseignements de leurs employeurs, de leurs
assureurs - et leurs assureurs, ils peuvent en avoir plusieurs par individu,
c'est-à-dire en assurance-vie, en assurance automobile, en assurance
habitation, accident-maladie, assurance-salaire, etc. - de leurs institutions
financières - cartes de crédit, hypothèques - des bureaux
de crédit, des associations auxquelles ils appartiennent, etc. En
moyenne, on peut prévoir de 10 à 40 envois par personne, une
paperasse incroyable pour s'attaquer, rappelons-le, à un nombre
extrêmement limité de cas d'abus.
N'oublions pas non plus que, dans le cadre de cette nouvelle loi,
l'État se charge également de plusieurs responsabilités
additionnelles. Le législateur a-t-il évalué combien il
devrait consentir de nouvelles ressources pour faire appliquer la loi par
toutes les entreprises du Québec, quelle que soit leur taille?
Selon le rapport annuel de la Commission d'accès à
l'information pour l'année 1991, c'est actuellement un budget de quelque
3 000 000 $... En fait, j'aimerais corriger ici. Il y a une erreur de
typographie qui s'est glissée, je crois, dans le mémoire
original. Nous disions 10 000 000 $, mais c'est... Je crois qu'il y a eu
quelques... C'est une erreur de typographie. Alors, quelque 3 000 000 $ et 35
employés pour s'occuper d'environ 900 demandes annuellement, qui
touchent quelques centaines d'organismes gouvernementaux. Qu'en sera-t-il
lorsque l'État devra policer les affaires de près de 200 000
entreprises? Au moment où l'État doit apprendre à vivre
selon ses moyens et également selon les moyens de ses citoyens, qu'il se
propose même de diminuer ses services pour alléger ses dettes,
est-il raisonnable et même acceptable d'opter pour un régime de
protection de la vie privée qui mise si fortement sur la paperasse et le
contrôle par les fonctionnaires et qui entraîne des
déboursés importants?
En quatrième lieu, nous croyons que c'est une intervention qui
concentre trop de pouvoirs dans un seul organisme. L'aspect le plus troublant
du projet de loi est certainement l'étendue des pouvoirs d'intervention
au sein des entreprises, consentis à la Commission d'accès
à l'information, et ce, sans balises très précise. Cet
organisme devient en quelque sorte un quasi-tribunal dont les décisions
sont, dans certains cas, sans appel. Elle aura le rôle de juge et partie.
Elle pourrait peut-être même prendre des décisions sans
consulter les parties en cause.
De plus, dans la version actuelle du projet de loi et, contrairement
à la recommandation formulée par le GRID, recommandation 7.1.2,
qui a étudié en profondeur cette question, la Commission peut
même initier des enquêtes sans qu'il y ait plainte ou
évidence d'infraction, ce qui
nous apparaît, d'ailleurs, inacceptable. Ce pouvoir
d'enquête et de décision arbitraire qui imposera des sanctions
pour lesquelles l'entreprise ne pourra en appeler est contraire aux principes
fondamentaux de droit respectés par nos tribunaux et par nos lois.
Nous avons aussi de sérieuses réserves quant au choix de
la Commission d'accès à l'information comme maître d'oeuvre
de cette nouvelle législation. C'est une chose d'intervenir en milieu
gouvernemental, et une autre, dans le secteur privé. Les contraintes que
nous imposent la productivité, la compétitivité, la
qualité du service à fournir à nos clients, tous des
éléments inexistants en milieu gouvernemental, sont
carrément incompatibles avec le niveau d'intervention confié
à la Commission.
Notre référence à nous, c'est plutôt
l'auto-réglementation. Nous considérons que les dispositions du
Code civil du Québec sur lesquelles repose ce projet de loi
reconnaissent l'autorégle-mentation dans le cadre duquel l'observance de
ia loi par les parties, comme dans tout autre domaine, n'est pas sujette au
contrôle d'une superstructure administrative, mais aux tribunaux
responsables d'appliquer la loi.
Nous nous objectons au pouvoir absolu que se donnera la Commission
d'imposer des modèles de code de conduite interne à une
entreprise. Ce pouvoir abusif aura un impact sur la réputation et la
santé financière même de l'entreprise, alors que celle-ci
n'aura aucun moyen de défense. Nous croyons que la façon la plus
efficace et la moins coûteuse de s'attaquer à ce dossier est
d'opter pour la responsabilisation des entreprises dans cette matière
par la voie de l'autoréglemen-tation.
Rappelons également que l'autoréglementa-tion est le choix
proposé par l'OCDE pour la mise en oeuvre des régimes de
protection de la vie privée. D'ailleurs, le nombre quasiment nul de
plaintes à travers le pays concernant l'usage potentiellement abusif de
renseignements personnels par les assureurs de dommages démontre,
à l'évidence, que les mesures d'autoréglementa-tion -
c'est-à-dire les codes de déontologie et ententes de
confidentialité lors de l'embauche que nous avons mentionnés tout
à l'heure - peuvent porter des fruits.
Dans cette perspective, nous sommes d'avis que le législateur
devrait opter pour une approche qui reposerait davantage sur la souplesse,
l'incitation et la responsabilisation, selon les besoins des secteurs. C'est ce
que recommandent l'OCDE, l'étude effectuée par le GRID et notre
organisme. D'autre part, le législateur pourrait proposer une loi
d'application qui définirait des conditions et des modalités
d'exercice du droit de consultation ou de rectification d'un dossier, tel que
prévu par le Code civil. Les entreprises seraient tenues de respecter
ces conditions et modalités au même titre que toutes leurs autres
obligations qui découlent déjà du Code civil du
Québec. L'État, pour sa part, mettrait en place un
mécanisme simple, décentralisé, juste et équitable
et facilement accessible aux citoyens ordinaires pour agir sur leurs plaintes.
Ce mécanisme pourrait s'inspirer du modèle d'application de la
Charte des droits et libertés de la personne. (15 h 30)
Alors, en résumé, nos recommandations se lisent comme
suit: mettre en oeuvre une loi d'application qui définirait les
conditions et les modalités d'exercice du droit de consultation ou de
rectification d'un dossier, tel que prévu au Code civil du
Québec, et se limiter à ces aspects; privilégier la
responsabilisation des entreprises par la voie de l'autoréglementation
plutôt que !a mise en place d'un organisme de contrôle
bureaucratique; opter pour un mécanisme de règlement des plaintes
qui s'inspire des modalités d'application de la Charte des droits et
libertés plutôt que de confier de nouvelles responsabilités
à la Commission d'accès, dont le rôle principal doit
être de garantir aux citoyens l'accès à l'information
gouvernementale; simplifier au maximum les processus administratifs, de
façon à minimiser les coûts d'application de la loi par les
entreprises.
En conclusion, nous sommes en accord avec les grands principes qui
sous-tendent le projet de loi 68. Cependant, nous nous opposons aux moyens que
le ministre des Communications propose pour atteindre l'objectif visé.
Nous croyons que le législateur doit proposer une loi qui
définira les conditions et les modalités d'exercice du droit de
consultation ou de rectification prévues au Code civil du Québec.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi est trop ambitieux quant à sa
portée et se démarque trop des régimes adoptés par
les principaux partenaires ou concurrents du Québec - les autres
provinces et les autres pays - et sa mise en oeuvre entraînera des
coûts substantiels qui pénaliseront les entreprises.
Nous estimons également que le projet de loi confère
à la Commission d'accès, l'organisme qui assurerait l'application
de la loi, des. pouvoirs beaucoup trop étendus. La compétence
acquise par la Commission n'est pas automatiquement transférable aux
pratiques commerciales des entreprises, et il nous semble que le projet de loi
68 est une solution en quête d'un problème. Nous invitons donc le
législateur à revenir à l'esprit des principes
proposés par l'OCDE, soit la clarté dans les principes, la
simplicité dans les modalités administratives et la souplesse
dans la mise en oeuvre. Ceci évitera de créer un autre monstre
administratif. Les finances publiques ne pourront s'en porter que mieux et les
citoyens également. M. le Président, je vous remercie.
Le Président (M. Doyon): Merci à M. Bouchard. Je
suis certain que le ministre voudra engager la discussion avec vous sur
certaines de vos remarques. Alors, dès maintenant, je lui cède la
parole.
M. Cannon: Merci, M. le Président. Bienvenue aux gens du
Bureau d'assurance du Canada. Je vous avoue, au départ, M. Bouchard,
que, comme vous, j'ai relevé des erreurs. Vous avez relevé une
erreur typographique, je présume, lorsque, dans le document, vous avez
indiqué que le budget était de 10 000 000 $ par année,
alors qu'il est de 2 588 100 $ et qu'il y a effectivement 35 employés.
Mais vous l'avez relevée, cette erreur.
Par contre, il y a d'autres erreurs. Et ça, ça me surprend
du Bureau d'assurance du Canada que vous ayez laissé passer des choses
semblables. Vous dites, par exemple: «Pourtant, lors de l'exercice
1991-1992, le nombre de demandes d'accès à son dossier personnel
émanant de citoyens, adressées à la Commission
d'accès à l'information, n'a été que de 137, les
demandes de rectification de renseignements que de 17 et ce, pour une
population de 6 800 000 d'habitants.» J'attire votre attention,
effectivement, sur le rapport annuel 1991-1992 de la Commission d'accès
à l'information. Dans l'introduction, à la page 9 de son rapport,
M. Paul-André Comeau, qui reçoit son mandat de l'ensemble des
membres de l'Assemblée nationale, écrit: «On a
établi à plus de 310 000 le nombre de requêtes
acheminées au ministère, organismes et autres administrations
publiques en vertu de la Loi sur l'accès, de juillet 1990 à fin
juin 1991.» Plus loin, on peut lire, au chapitre «Le secteur
privé»: «Comme si besoin était, les données
recueillies par l'enquête annuelle du ministère des Communications
viennent confirmer les préoccupations des Québécois en
matière de protection des renseignements personnels. L'an dernier, 61 %
de toutes les requêtes signifiées à des organismes publics,
en vertu de la Loi sur l'accès, ont visé des renseignements
personnels détenus par les organismes publics et parapublics. En
d'autres termes, 248 258 Québécois ont sollicité
accès aux autres renseignements accumulés à leur sujet par
l'un ou l'autre organisme, par comparaison aux quelque 62 000 demandes de
documents administratifs.» C'est ça, la réalité.
C'est ça, les faits.
D'ailleurs, je peux en relever une autre: lorsque vous parlez de
l'autoréglementation et que vous citez le document de l'OCDE. Vous
n'avez même pas cité le bon paragraphe ni la bonne page. Alors, je
suis étonné de la présentation. Je suis
étonné de la présentation. J'aurais, tout au moins,
accepté un petit peu plus de rigueur dans cette démarche.
Cependant, ceci étant dit, moi, je suis préoccupé,
oui, par la rectification, oui, par la consultation, mais je suis
également préoccupé par des règles de protection,
et vous et moi, nous avons déjà eu l'opportunité d'en
discuter, au mois de novembre 1991. Il me semble qu'au sortir de cette
discussion-là il y avait quand même des points de convergence.
Alors, M. Bouchard, j'aimerais savoir:
Lorsqu'un citoyen veut se plaindre de la divulgation des renseignements
personnels sans son consentement, qu'arrive-t-il? Les recours, est-ce qu'ils
sont faciles et efficaces? Quelles sont les sanctions? Qu'arrive-t-il à
un individu à qui un assureur refuse l'accès ou la rectification
de son dossier? On va commencer avec ça.
M. Bouchard: M. le Président, d'abord, sur les points de
correction sur notre rapport, il y en a un que je peux vérifier
immédiatement pour citer la source. Quant à l'autre, sur le
rapport de l'OCDE, malheureusement, je n'ai pas le document. Les chiffres que
nous citons présentement au niveau du nombre de demandes reçues
et réglées sont tirés du rapport... C'est publié
par l'office que vous me mentionnez, la Commission d'accès à
l'information du Québec, Rapport annuel 1991-1992, Tableau 1, Demandes
reçues et réglées, 1991-1992, où on a le total: 925
reçues, 605 réglées, 276 désistements...
M. Cannon: Je m'excuse, M. Bouchard. Je m'excuse, là.
C'est des demandes de révision, le tableau 1.
M. Bouchard: Demandes reçues et réglées.
M. Cannon: C'est des demandes de révision.
M. Bouchard: Que j'ai là? Les chiffres que je vous donne?
C'est ce que je...
M. Cannon: J'ai l'auteur du rapport à côté de
moi.
M. Bouchard: «Les chiffres dans cette colonne comprennent
les dossiers qui émanent [...], qui étaient en suspens au
début...» Il y a peut-être erreur. Enfin, s'il y a erreur...
De toute façon, on va corriger notre rapport et, s'il y a erreur en
cette chose-là, je m'en excuse. Mais ce n'est pas clair, de toute
façon, la façon dont ça a été
présenté là, et le chiffre et le nombre d'auditions... En
réalité, c'est le document qu'on me fournit comme ayant servi
d'exemple.
Il reste que ceux qui sont soumis par l'Inspecteur
général... Enfin, l'ensemble de ceux qui ont été
soumis et ceux de l'Inspecteur général des institutions
financières, qui a reçu, je pense, copie de notre mémoire,
n'ont pas été nécessairement questionnés. Ceux de
l'Office de la protection du consommateur, à ma connaissance, n'ont pas
été non plus questionnés, où on cite 385 000
demandes, dont aucune ne touchait réellement les renseignements
privés.
Mais, écoutez, s'il y a des erreurs dans notre mémoire qui
ont un impact sur les conclusions, elles seront corrigées. Mais il reste
que, dans ce que nous vivons, nous, au niveau de l'assurance de dommages, le
Bureau d'assurance du Canada, en réalité - et je suis en mesure
de
contrôler les chiffres assez précisément - a environ
50 000 demandes ou contacts de la part d'assurés, et le Bureau
d'assurance du Canada, comme vous le savez peut-être, agit comme lieu
où peuvent s'adresser tous les assurés sur l'ensemble de leur
protection, de leur police, etc. Ils agissent un peu au nom de l'industrie,
sans prendre nécessairement la responsabilité de chacune des
compagnies. Et nous savons très bien qu'aucune de ces demandes-là
ne touche les renseignements privés. (15 h 40)
II faut réaliser que, dans le cadre de l'assurance de dommages,
l'ensemble de l'information que nous avons est recueillie auprès de nos
assurés directement ou par l'entremise des courtiers qui nous
représentent. Et les dossiers que nous détenons touchent soit
leur véhicule, soit leur dossier à eux comme conducteur, leur
âge, etc., le nombre d'années sans accident, etc., leur
propriété, leur adresse et des choses comme celles-là. Ce
sont tous des documents substan-tifiés par les propositions qui nous ont
été communiquées par nos assurés. On leur envoie
chaque année une police d'assurance qui reflète exactement les
données qu'ils nous ont données, ou un renouvellement lorsqu'ils
renouvellent leur police chez nous. À chaque année, on a un
contact avec chacun de nos assurés, soit parce qu'on prend le risque,
soit parce qu'on le renouvelle.
À ma connaissance, lorsqu'un assuré veut faire corriger
une information concernant son dossier de conduite, son âge, son adresse,
etc., il nous en avise immédiatement, et je ne connais pas de cas
où un assureur aurait refusé, si vous voulez, de changer, de
corriger de l'information à ce niveau-là. Nous ne nous
échangeons pas, disons, ces renseignements-là entre assureurs. On
ne se vend pas nos propres renseignements entre nous. Donc, en ce qui nous
touche, disons... Je ne nie pas qu'il puisse y avoir un problème de
divulgation dans des secteurs autres que celui de l'assurance de dommages. Je
ne suis pas ici pour représenter les autres secteurs. Je ne dis pas non
plus que la façon dont se conduisent les différents intervenants
qui ont à gérer des documents personnels se conduisent de
façon parfaite. Je ne dis pas non plus que chacun qui a un dossier de
crédit, disons, ne devrait pas y avoir accès ou ne devrait pas
être en mesure de faire corriger les données qui y sont incluses.
Je dis que, dans le cas de l'assurance, pour nous, en ce qui nous touche, dans
le cas de la manipulation de dossiers, ce que vous nous imposez par cette
loi-là, en plus de communiquer avec nos assurés pour leur envoyer
des propositions et leur envoyer nos renouvellements, nous imposerait en plus
de recommuniquer avec eux.
Quand je dis nos assurés, il faut réaliser que chaque
assureur détient des dossiers non pas uniquement pour ses assurés
actuels, mais pour ses assurés antérieurs aussi parce que, de par
la loi, on est obligés de garder ces documents-là. Lorsque nous
avons des réclamations, on est obligés de les garder
également et garder en dossier l'ensemble des éléments que
nous avons constitués pour régler un sinistre.
C'est-à-dire que, si une compagnie a, par exemple, 500 000
assurés, si vous calculez... Une compagnie qui est
représentée par des courtiers, de façon
générale, renouvelle son nombre d'assurés, et disons qu'il
y a au moins entre 20 % et 25 % de ses assurés qui vont s'assurer
ailleurs l'année d'ensuite. Ce qui veut dire que, au bout de cinq ans,
nous avons accumulé un nombre incroyable de dossiers sur un paquet
d'assurés qui ne sont pas chez nous, et la loi nous forcerait quand
même à aviser ces gens-là que nous détenons de
l'information.
La loi forcerait également, en plus de ça, non pas
uniquement de la divulguer, mais donnerait également à la
Commission le pouvoir de s'assurer que nous faisons tout ça, donc que
nous ferons rapport à la Commission, que la Commission aura des
inspecteurs pour venir vérifier qu'on fait bien notre travail, etc.
C'est cette complexité-là que vous nous imposez contre laquelle
je suis. Ce n'est pas contre les principes.
Je pense que vous mentionnez fort bien que, quand on avait convenu de
certains principes... Je pense que nos principes ne vont pas à rencontre
du fait que le public ou qu'un individu puisse avoir accès aux
données qui le concernent et les faire rectifier, le cas
échéant. Je pense qu'on n'a jamais contesté une chose
comme celle-là, mais d'arriver avec un encadrement comme celui que vous
proposez nous apparaît totalement injuste.
M. Cannon: Non, mais si vous me permettez, M. Bouchard, je
reviens à votre mémoire, là, vers la fin. C'est inscrit,
il y a un chapitre «Information de base et notes sur le modèle de
Code de protection de la vie privée». D'ailleurs, vous en avez
parlé un peu. On peut y . lire: «En 1986, le gouvernement
fédéral s'est mis à encourager diverses industries du
secteur privé à observer volontairement les "Lignes directrices
de l'OCDE". Nous croyons, cependant, savoir par le bureau du commissaire
fédéral à la protection de la vie privée, que la
réponse du secteur privé a été assez
limitée.» C'est vous-même qui le dites. Est-ce que vous
avez, comme organisme, dépensé ou, dans le cadre de votre
publicité, publicise le fait que chaque assuré peut avoir
accès à son dossier et la possibilité de corriger son
dossier?
M. Bouchard: Comme je vous l'ai expliqué tout à
l'heure, les dossiers que nous avons sont des dossiers qui nous sont fournis
par les assurés eux-mêmes. Ce n'est pas des dossiers que nous
requérons. Nous n'allons pas chercher nos renseignements ailleurs que
chez les assurés.
M. Cannon: Est-ce que les assureurs, de façon
générale, les gens qui sont dans ce milieu-là, de
façon générique, pour tout englober, font de la
publicité qui dit précisément aux consommateurs: Vous avez
accès et vous pouvez corriger vos dossiers?
M. Bouchard: Nous avons pris...
M. Cannon: À votre connaissance, est-ce qu'il y a des
campagnes de publicité qui se font de cette nature-là?
M. Bouchard: On ne fait pas de campagne de publicité de
cette nature-là. C'est très clair. Je ne pense pas que ce soit
non plus le but de l'exercice: Ce que nous avons fait quand même - quand
vous dites que la réponse a été limitée - nous
avons cité ce que nous, comme industrie, avons fait en tant qu'industrie
d'assurances de dommages, dès 1987, et nous avons même
corrigé notre code de déontologie, en 1992, pour le rendre encore
plus contraignant. Et nous avons eu l'engagement ou l'adhésion de 100 %
de nos membres. Je pense qu'on est allés assez loin en tant qu'industrie
pour se conformer et également pour être même plus
proactifs, si vous voulez, que... Enfin, ce n'est pas à moi de juger les
autres secteurs. Je ne le sais pas. Mais je peux vous dire que, dans le cas de
l'industrie d'assurance de dommages, nous l'avons fait. Et nous ne manipulons
pas nécessairement des dossiers aussi sensibles, tels que la cote de
crédit, tels que les renseignements sur la santé des individus,
etc. Mais je pense que dans ce que nous faisons et comme notre... Enfin, pour
à peu près 75 % de nos membres, nous transigeons par l'entremise
d'intermédiaires. Eux-mêmes, ce sont les représentants de
nos propres assurés. Alors, je pense qu'eux-mêmes voient à
faire corriger - enfin, pour cette partie-là - quand même les
renseignements lorsqu'ils s'avèrent ne pas être exacts.
Soit dit en passant, nous possédons encore moins d'information,
nous, que peut-être certains des intermédiaires qui nous
représentent. Alors...
Le Président (M. Doyon): M. Medza, vous vouliez ajouter
quelque chose. Rapidement, s'il vous plaît.
M. Medza (Raymond): Oui, je voulais juste rajouter, à
l'intention du ministre, M. le Président, que, quand nous parlons de la
réponse de l'industrie, on parle de toutes les industries en
général. On ne parle pas de l'industrie des assurances. Quand on
poursuit, en faisant la lecture, on voit, à la fin, que plus de 30
participants, notamment le BAC, ont participé à cet
échange-là. Comme industrie, nous avons pris des mesures.
Le deuxième point, c'était sur l'information qui est
détenue dans les fichiers des assureurs.
Chez les personnes, les informations qui sont détenues sont de
deux natures, soit celles qui surviennent au niveau de l'écriture du
contrat, et, donc, on les retransmet, parce que la loi nous oblige, en vertu du
Code civil, à transmettre une copie du contrat à la personne, qui
est un reflet de l'information qu'on possède. Quand on fait la question
du règlement, c'est l'information qu'on nous transmet qui nous permet de
régler le chèque. C'est ça l'information qu'on
détient. Ça, c'est au fichier.
M. Cannon: Oui, enfin...
Le Président (M. Doyon): M. le ministre.
M. Cannon: II faut quand même... Je reconnais
d'emblée, M. Bouchard, que le code que vous possédez est un
excellent code. Ça, je pense que ça ne fait pas de doute dans
l'esprit de qui que ce soit. Ce qui me préoccupe, c'est les
règles d'utilisation, les règles de protection, les règles
de communication. Vous avez mentionné, bien sûr, les principes et
vous y adhérez. Ça, je pense que c'est clair. C'est dans les
écrits du code. Là où vous et moi avons une divergence
d'opinions, c'est que je ne crois pas que l'autoréglementa-tion soit
suffisante pour pouvoir faire ce que nous désirons faire.
Là-dessus, on peut avoir évidemment des divergences
d'opinions.
J'ai toujours, en vertu de... Votre code dit toujours savoir... Une
personne qui a accès à son dossier, quel est le recours que cette
personne-là peut avoir pour avoir accès à son dossier?
Dans la mécanique, ça fonctionne comment? Si on lui refuse
justement accès à son dossier - parce que ça peut se
produire, ça - devant qui peut-elle obtenir satisfaction, cette
personne-là, ce consommateur, ce client, cet individu pour qui, à
l'article 5 de la Charte québécoise des droits et
libertés, est spécifiquement inscrite la protection de la vie
privée?
C'est ça l'exercice qu'on fait. L'exercice se complète
aussi par une loi d'application. Vous me dites que la loi est trop lourde. Vous
me dites que la loi, elle est trop sévère. Vous me dites que la
loi n'est pas applicable dans votre secteur. Il y a d'autres organismes qui
sont venus, la semaine dernière, se présenter devant nous, les
législateurs, en nous disant exactement la même chose: Nous, on
fait telle chose, puis on n'en a pas besoin de cette loi-là, parce qu'on
se comporte en bons citoyens. Ce n'est pas une question de mettre en doute la
capacité des gens qui se présentent ici, à la commission,
et la bonne foi des individus. Ce n'est pas ça. C'est qu'on se dit comme
société: On veut se donner une conduite, on veut protéger
la vie privée.
Quand vous me parlez de la Commission d'accès à
l'information et que vous dites, dans le même document: «II faut,
comme responsables élus de l'État, que vous ayez la
préoccupation de la gestion des finances publiques», bien, je
comprends qu'on a la préoccupation de la gestion des finances
publiques: nous, nous ne doublons pas d'organismes. Vous me proposez, vous, la
Commission des droits et libertés ou un organisme semblable à
celui-là.
Moi, ce que je vous dis: On prend la Commission d'accès à
l'information. D'abord, elle possède de l'expérience, une
expérience d'une dizaine d'années et, aussi, elle est efficace.
Il y a des choses à corriger. Il y a des choses à corriger, mais
on ne changera pas d'opinion là-dessus. On le fait au nom de
l'efficacité et de l'efficience de l'appareil étatique. C'est
tout ce que j'avais à dire. (15 h 50)
Le Président (M. Doyon): Merci, M. le ministre. Ça
termine votre temps. M. le député de Pointe-aux-Trembles.
M. Bourdon: Je voudrais d'abord souhaiter la bienvenue aux gens
du BAC et leur dire d'entrée de jeu que, lorsqu'ils parlent de
mécanique complexe, massive et coûteuse, je suis en accord avec
eux. Le paradoxe, c'est que la loi prévoit une mécanique
très, très, très complexe pour envoyer à tout le
monde une lettre disant qu'on a des renseignements à leur sujet, mais
sans les donner, ces renseignements-là. On a eu un intervenant, le
Bureau de crédit du Nord, qui nous disait: On va écrire à
350 000 personnes pour dire, comme dans les 20 dernières années:
Vous avez acheté à crédit; on a un dossier de
crédit vous concernant. Ça n'avance pas le monde bien, bien,
ça, pour savoir quels renseignements les bureaux de crédit, qui
sont les principaux objets de critique, quels renseignements ils ont sur une
personne. Le ministre avait raison. Il faut pouvoir consulter le rapport et le
faire rectifier, ce qui ne vous touche pas directement parce que vous avez une
relation de confiance avec chaque client et que le client, c'est la source.
Alors, d'une certaine façon, s'il y a quelque chose d'inexact, ça
dépend de lui et chaque client est conscient qu'en cas de
réclamation ça pourra lui être opposé, s'il a fourni
un faux renseignement.
Moi, ce qui me frappe du jacobinisme de l'État
québécois, c'est qu'on va forcer les entreprises à envoyer
à peu près 30 000 000 de lettres qui ne diront rien à
personne. Moi, j'en ai acheté des choses à crédit. Je sais
qu'il y a un dossier de crédit me concernant. Puis après? 30 000
000 de lettres plus tard, je sais qu'ils en ont un, mais je ne l'ai pas. C'est
une espèce de strip-tease législatif qu'on veut imposer aux gens
et aux entreprises et qui suscite une levée de boucliers fondée,
je trouve.
Je répète ma proposition: On peut peut-être
encourager nos journaux, dont Le Devoir, que tout le monde aime, en leur
disant d'annoncer qu'ils ont des dossiers de crédit, mais encore
là, si Équifax apprend au peuple qu'il a des dossiers de
crédit le concernant... Tout le monde a lu qu'elle en a 15 000 000 au
Canada. Je ne pense pas que c'est ça que le monde voudrait. Ce que la
population souhaiterait avoir, c'est le dossier de crédit et pouvoir le
corriger, parce que l'ACEF-Centre nous a démontré
qu'Équifax refuse de le faire, même quand une compagnie
d'assurances ou Esso confirme la fausseté d'un renseignement.
Alors, ça, c'est une première partie, et je vous sonde
à cet égard-là. Est-ce que ça aurait du sens,
surtout dans le domaine des bureaux de crédit - on passera après
au domaine de l'assurance, qui est le vôtre, là - est-ce que
ça aurait du sens de donner obligation aux entreprises utilisatrices de
rapports de crédit au cours d'une année, mettons, dans la
première année d'application de la loi, de la façon
appropriée, de remettre le rapport de crédit qu'elles
détiennent à chaque personne dans le cadre de la relation
d'affaires qu'elles ont avec cette personne-là?
M. Bouchard: II y a essentiellement, enfin, deux choses qui
m'apparaîtraient... Puis je ne veux pas nécessairement parler au
nom des associations de crédit, mais si vous me posez la question,
à savoir s'il est normal qu'un individu puisse avoir accès
à son propre dossier de crédit et puisse le faire corriger, je
vais vous dire, je vois certainement deux aspects positifs à ça.
D'une part, je pense que ça serait normalement, disons, un droit
fondamental pour un individu d'au moins être capable de qualifier
l'information personnelle qui circule à son sujet, qui peut être
donnée, communiquée également à d'autres. Et, en
tant qu'entreprises, je pense que, pour les entreprises qui doivent avoir
accès à un dossier de crédit d'un individu, il serait
préférable également d'avoir un dossier qui se tient que
d'avoir un dossier qui est tout croche. Enfin, je pense que ma réaction,
disons, une réaction, si vous vouiez, instantanée à ce que
vous dites serait ça.
Maintenant, si vous parlez... Évidemment, le commentaire que je
peux faire sur... Enfin, je pense que vous semblez d'accord vraiment avec la
position qu'on a prise sur la lourdeur, li est bien sûr qu'on peut bien
dire qu'on n'est pas d'accord sur l'autoréglementation, on n'est pas
d'accord sur ci ou sur ça. Il faudrait voir au moins si
l'autoréglementation dans certains des secteurs a réellement
causé des problèmes notables dans le public aussi avant de dire:
II faut qu'on mette tout le monde dans le même moule.
M. Bourdon: Maintenant, si on revient au document avec lequel la
consultation avait été faite, à l'automne 1991, on parlait
de la nécessité, après avoir établi un cadre
légal et une loi d'application par les articles 37 à 41 du Code
civil, d'avoir une période où il y aurait des tables sectorielles
pour étudier les réglementations en vigueur et à
venir.
Est-ce que vous ne déplorez pas comme moi
que le projet de loi n'en parie plus? Puis, est-ce que ça ne
serait pas un moyen d'entrer en relation avec les entreprises d'assurances que
vous représentez, entre autres, pour regarder
l'autoré-glementation qui est en vigueur et voir s'il n'y aurait pas
possibilité que, dans bien des secteurs - je pense aux 240 000
professionnels - l'autoré-glementation soit admise, après avoir
épuisé le recours prévu dans le secteur, et que la
Commission d'accès puisse intervenir?
Autrement dit, pensez-vous que c'est faisable de mettre tout le monde
dans le même moule et d'appliquer la loi tout de suite de la même
manière à tout le monde? Permettez-moi de vous dire qu'il y a une
grosse différence entre les courtiers de liste, les agences de
recouvrement, les agences d'enquête et le Bureau d'assurance du Canada
dans sa relation avec les personnes. On ne parle pas de la même chose.
Alors, est-ce que vous ne trouvez pas qu'il serait préférable de
prévoir, dans le projet de loi, que les réglementations vont
être élaborées en concertation avec chaque secteur
concerné en donnant priorité, pour ce qui est de l'accès
des citoyens aux rapports de crédit par les bureaux de crédit,
pour ce qui est de pouvoir lire ce qu'il y a dedans?
M. Bouchard: Bien sûr, quand on regarde les mémoires
qui ont été... Enfin, je n'ai pas eu l'occasion de voir tous les
mémoires qui ont été présentés ici, mais je
pense que le ministre faisait allusion tout à l'heure également
au fait que plusieurs se sont présentés ici en disant: Bien,
écoutez, la loi... Il y a les principes, d'accord, mais la loi ne
devrait pas être appliquée à nous. Il m'apparaîtrait
qu'on est face, disons, à deux positions. Enfin, votre question me
rappelle ça. On est face un peu à deux approches, une qui se veut
d'une loi générale qui s'appliquerait un peu à l'ensemble
de tous les intervenants économiques et sociaux au Québec, et une
autre approche qui dirait: Bon, on veut une loi d'application, oui, pour
être sûr qu'il y ait au moins un recours quelconque pour quelqu'un
qui veut faire, disons, redresser son dossier ou avoir accès à
son dossier. Mais, par contre, dans chacun des secteurs, ça pourrait
s'appliquer de façon distincte selon l'impact, selon le comportement,
selon, enfin, un ensemble de facteurs qui resteraient à
déterminer.
Il y a une chose certaine, c'est que nous, je pense, comme Bureau
d'assurance du Canada, on a tâché, dans les différents
dossiers qu'on a été appelés à débattre, on
a été très ouverts à apporter notre contribution et
à essayer d'amener au débat un peu l'éclairage tel que
perçu dans notre monde. Et si, disons, on en arrivait à avoir une
approche telle que vous semblez l'énoncer, il est certain qu'on aimerait
être partie au débat pour voir comment ça pourrait
s'appliquer dans un cadre comme celui qui nous concerne.
Je ne pense pas qu'on soit... On n'est certainement pas fermés
à toute discussion. Je pense qu'au départ il y a une position qui
a été prise par un projet de loi. Nous, on dit: Bon, enfin,
d'accord avec les principes, mais bon, je pense qu'on prend une approche
beaucoup trop globale pour régler des problèmes qui, à
notre sens... Enfin, je ne dis pas que ça n'existe pas, qu'il n'y a
aucun problème nulle part, mais je dis: Au moins, indépendamment
de la quantification sur laquelle on se querelle un peu, là, il existe
des problèmes à certains endroits, mais il n'en existe pas
à d'autres, ou il en existe beaucoup moins à d'autres. Alors,
pourquoi utiliser la même norme pour un ensemble de situations qui
représentent des caractéristiques totalement différentes?
Une approche comme celle dont vous pariez pourrait certainement être
explorée. Oui.
M. Bourdon: D'accord. Maintenant, vous mentionnez dans vos propos
que ça ne devrait pas être la Commission d'accès à
l'information qui ferait l'adjudication, et je crois comprendre que vous parlez
du Tribunal des droits de la personne. Est-ce que votre objection à ce
que ça soit la Commission est une objection de principe ou si une
séparation claire des tâches de la Commission pourrait vous amener
à prendre une position un peu différente?
M. Bouchard: Je demanderais peut-être à Mme
Lamontagne de commenter cet aspect.
Le Président (M. Doyon): Mme Lamontagne. (16 heures)
Mme Lamontagne-Gagné (Hélène): Ce que nous
avons suggéré, c'est surtout l'expérience de la Commission
des droits de la personne, qui elle, évidemment, pour un certain nombre
d'années, a entendu tous les dossiers avec ses propres
procédures. Elle entendait tous les dossiers, les plaintes qui
étaient portées devant la Commission, et, éventuellement,
le ministère de la Justice s'est rendu compte qu'il y avait certaines
difficultés. Premièrement, lourdeur administrative, délais
et tous les problèmes, souvent, qui sont soulevés par les
tribunaux administratifs... Ils ont créé, d'ailleurs, l'an
dernier ou il y a quelques années, un nouveau tribunal, qui semble
être beaucoup plus détaché que le Tribunal des droits de la
personne, qui est réellement la Cour du Québec. Nous aimons
réellement ce partage. Tant qu'à judiciariser, nous
préférons avoir les tribunaux, qui nous semblent, pour nous,
beaucoup plus neutres, beaucoup plus détachés du dossier
administratif quotidien, un peu comme ça se fait pour le Code civil,
plutôt que d'avoir le même organisme, qui se fait à la fois
le législateur, le contrôleur, l'enquêteur et aussi la
personne qui décide. C'est de cette façon-là que nous
l'avons proposé.
Nous le donnons comme exemple, évidem-
ment, mais ce que nous avons mentionné plus tôt... Il
s'agit de mettre en vigueur les articles du Code civil. Dans le reste du Code
civil, il y a beaucoup d'autres obligations qui sont imposées, ou des
droits. On n'a pas créé des relations de tribunaux administratifs
de contrôle à d'autres chapitres particuliers dans le même
domaine. On aurait peut-être voulu le faire, mais ce n'est pas
nécessaire, à ce moment-là, selon les articles très
généraux qui sont dans le Code, d'imposer cette superstructure
pour appliquer des articles du Code civil. Pour nous, de notre point de vue, le
ministère de la Justice aurait peut-être pu le regarder de la
même façon que les autres articles, et dire, un peu comme 41 dit,
qu'à ce moment-là, s'il n'y a pas d'autre règle, c'est le
tribunal qui s'applique; s'il y a des règles, ce sont ies règles
qui vont s'appliquer, mais toujours en se référant à
l'administration du Code civil, qui est réellement le Code civil, par
les tribunaux ordinaires. C'est comme ça qu'on l'a envisagé,
nous.
M. Bourdon: Je suis plutôt en désaccord, mais je
comprends ce que vous voulez dire. Quand vous faites allusion à la
Commission des droits de la personne, vous dites: Dans le fond, la Commission
enquêtait sur des plaintes portées à sa connaissance, et,
d'une certaine manière, rendait une sorte de jugement. Après
ça, ça suivait son cours devant les tribunaux. Mais vous dites:
On a créé spécifiquement le Tribunal des droits de la
personne où, là, on entend, à partir d'une plainte que la
Commission a jugée valide, et où elle se fait, dans le fond, le
procureur du plaignant ou de la plaignante, et là, elle s'en va plaider
ses choses. Je pense que c'est important ce que vous dites.
Maintenant, je reviens à l'idée de table sectorielle. Si
la loi prévoyait un cadre général, un certain nombre de
principes et de modalités moins tatillons, si elle prévoyait
notamment l'accès aux documents, dans le cas des rapports de
crédit qui sont ce qui concerne le plus grand nombre de personnes - ce
n'est pas les seuls problèmes, mais c'est les problèmes les plus
vécus, parce que des personnes essaient de faire corriger et ne
réussissent pas à faire corriger ce qui les concerne, ce qui
n'est pas votre cas dans votre relation avec vos clients - trouvez-vous que
cela aurait de l'allure de dire, donc, dans ce secteur-là, que la
règle s'applique tout de suite? Dans les autres, on fait des tables
sectorielles pour essayer de convenir de moyens de faire fonctionner ça,
et d'une certaine façon, c'est étonnant que le projet de loi ne
contienne rien, parce que le document de consultation du ministère,
à l'automne 1991, en parlait de cette
nécessité-là.
Autrement dit, ne serait-il pas préférable d'y aller par
une approche qui dise: On fait une loi qui est de portée
générale et globale, on l'applique au secteur où c'est le
plus requis, et, pour l'application aux autres secteurs, on se donne le temps
d'en parler avec les intéressés avec une date limite? Il ne
s'agit pas de se traîner les pieds, mais est-ce que vous
préféreriez cette approche-là?
M. Bouchard: Je pense que la partie 1. enfin, la première
recommandation que nous faisons, qui est la mise en oeuvre d'une loi
d'application qui définirait les conditions et les modalités
d'exercice du droit de consultation ou de rectification d'un dossier, tel que
prévu au Code civil du Québec, et qui se limiterait à ces
aspects, je pense que ça fait... Enfin, ce que vous dites, disons que
ça... Ce que nous disons dans notre première recommandation et ce
que vous dites vont certainement dans le même sens.
Maintenant, quant à l'autre aspect qu'on n'a pas examiné,
on se dit: Écoutez, s'il s'agissait d'un cadre d'intervention qui fasse
que l'État pourrait être plus ou moins interventionniste selon le
degré de vulnérabilité, selon, également, la
qualité de comportement des secteurs ou le degré de
vulnérabilité, peut-être qu'on devrait le regarder, mais on
ne l'a pas envisagé de cette façon-là.
M. Bourdon: D'accord.
M. Bouchard: Je pense que c'est quand même quelque chose
qu'on pourrait regarder.
M. Bourdon: D'accord.
Le Président (M. Doyon): Une dernière question, M.
le député.
M. Bourdon: Oui. Si je comprends bien, vous parlez d'une
intervention législative limitée aux secteurs où ça
se pose le plus. Moi, je vous dis: une loi globale, mais d'application
différente. Comme vous dites, vous n'avez pas mandat de vous prononcer
là-dessus, mais ça ne vous apparaît pas absurde, a
priori.
M. Bouchard: Ça s'examine, et on serait certainement
prêts, disons, à participer à une discussion comme
celle-là.
M. Bourdon: D'accord.
Le Président (M. Doyon): M. le ministre, vous avez une
brève question, pour terminer.
M. Cannon: Peut-être là, je peux revenir. Est-ce
que, M. Bouchard, vous avez évalué, en termes de coûts, ce
que ça pourrait représenter, gérer les tables
sectorielles?
M. Bouchard: Écoutez, je ne l'ai pas regardé avant
que le député en fasse mention tout à l'heure. Je ne pense
pas qu'on parlait de gérer des tables sectorielles. Enfin, s'il
fallait
gérer des tables sectorielles, où on aurait, par exemple,
je ne sais pas, 10 secteurs au Québec, et qu'il fallait créer des
comités sur chacun des secteurs, je ne pense pas que ce soit l'esprit
dans lequel, moi, je le verrais. Du moins, je pense qu'il faudrait le regarder
avant. Mais s'il fallait gérer des tables sectorielles, un peu comme
ça peut se faire, pour employer une analogie, par exemple, comme des
tables sectorielles au niveau de la négociation collective, ce n'est pas
comme ça que je l'envisageais, disons.
M. Cannon: C'est un petit peu le problème avec la
recommandation du GRID. C'est pour ça que, dans notre...
M. Bouchard:...
M. Cannon: Oui. C'est la raison pour laquelle, dans le projet de
loi, vous trouvez une clause qui nous dit qu'après cinq ans, tout comme
l'expérience qu'on a vécue avec la loi de l'accès à
l'information, au niveau public, après cinq ans, il y a une
révision. Ça permet aux parlementaires de corriger des lacunes,
de corriger ou de resserrer, dans certains cas, de tout revoir ça. C'est
ça l'approche qui est envisagée.
Le Président (M. Doyon): Merci, M. le ministre.
Malheureusement, le temps qui nous est imparti est terminé, et nous
l'avons fort bien utilisé. Il me reste à remercier M. Bouchard,
Mme Lamontagne, ainsi que M. Medza. Je suis sûr que le point de vue
qu'ils nous ont exposé sera pris en ligne de compte. Alors, je vous
permets de vous retirer, M. Bouchard, Mme Lamontagne et M. Medza, pour que nous
puissions continuer nos travaux. Merci beaucoup encore.
Maintenant, nous allons recevoir la Corporation professionnelle des
psychologues du Québec. Je pense qu'ils sont avec nous depuis un certain
temps, je les invite à bien vouloir venir prendre la place de ceux qui
viennent de discuter avec les membres de la commission. Sans plus de
préambule, je leur dis que les mêmes règles vont
s'appliquer. Je souhaite donc la bienvenue à M. Sabourin et à M.
Gariépy. Je leur dis que nous sommes - oui, bonjour M. Medza -
prêts à les écouter. Si vous voulez bien vous
présenter pour que, dans le Journal des débats, nous
puissions vous identifier. Merci.
Corporation professionnelle des psychologues du
Québec
M. Sabourin (Michel): Merci, M. le Président, M. le
ministre, Mmes et MM. les membres de la commission, mon nom est Michel
Sabourin, et je suis le président de la Corporation professionnelle des
psychologues du Québec. Je vous remercie de nous accueillir et de nous
permettre de vous faire part de notre réflexion et de notre analyse du
projet de loi 68. Pour ce faire, je suis accompagné de Me André
Gariépy, mon adjoint et conseiller juridique.
Disons, d'entrée de jeu, que je ne désire pas, ici,
reprendre le contenu du mémoire que notre corporation professionnelle
vous a soumis, parce que je présume que vous avez certainement eu
l'occasion de le lire. Je préfère aborder directement avec vous
les sujets qui font l'objet de nos préoccupations.
Ces sujets sont de plusieurs ordres. Les mémoires qui ont
été déposés et les différentes
présentations qui ont été faites devant vous
précédemment nous indiquent qu'il existe un problème de
chevauchement entre les dispositions du projet de loi 68 et celles de la
législation professionnelle. De ce problème découlent,
à notre avis, deux questions importantes qu'il importe d'aborder
directement, soit, premièrement, l'opportunité d'assujettir les
professionnels au projet de loi et, deuxièmement, l'opportunité
d'assujettir les corporations professionnelles au projet de loi. (16 h 10)
Regroupant, comme vous le savez, des professionnels de la santé
mentale, la Corporation professionnelle des psychologues a relevé une
autre question qu'il importe aussi d'aborder. Il s'agit de l'article 33 du
projet de loi, article qui assujettit des professionnels de la santé
à l'avis d'un médecin, dans le cas de refus d'accès au
dossier pour cause de préjudice à la santé. Les
échanges en commission parlementaire sur ces questions nous indiquent
qu'aux yeux, tant du ministre que des représentants de l'Opposition, il
existe deux enjeux: soit, premièrement, le respect du principe de
l'accessibilité au dossier; et, deuxièmement, l'efficacité
des recours. Notre compréhension du stade actuel des travaux de cette
commission nous permet donc d'identifier quatre sujets ayant un impact sur les
corporations professionnelles et sur leurs membres. Il s'agit,
premièrement, du chevauchement des lois; deuxièmement, de
l'accessibilité du client à son dossier; troisièmement, de
l'efficacité des recours; et, quatrièmement, de
l'assujettissement des professionnels de la santé à l'avis d'un
médecin en cas de refus d'accès au dossier. Nous allons donc
aborder successivement ces quatre items.
Premièrement, le chevauchement des lois. Nous désirons,
aujourd'hui, ajouter notre voix à celle des autres représentants
du monde professionnel pour vous démontrer l'adéquation de la
législation et des structures professionnelles existantes pour
répondre aux objectifs visés par le projet de loi. Tous
considèrent qu'il n'est pas souhaitable d'ajouter d'autres normes
législatives à celles très élaborées et
très strictes qui régissent déjà le monde
professionnel. Il convient donc de ne pas dédoubler un ensemble
législatif spécialisé et fort complet par une
législation de
portée générale. Nous pouvons maintenant compter
sur l'adhésion à cette position de l'ensemble des intervenants du
monde professionnel, incluant l'Office des professions, le Conseil
interprofessionnel du Québec et, depuis peu, la Corporation
professionnelle des médecins du Québec.
Les membres de corporations professionnelles sont des individus qui, de
par leur formation et leurs qualifications, se sont vu accorder une forme
d'accréditation officielle et publique. En contrepartie de cette
accréditation, les professionnels sont fortement encadrés par la
législation professionnelle, en ce qui a trait au contexte et au contenu
des services qu'ils dispensent. Ils doivent respecter, comme vous le savez, des
normes très exigeantes, dont la plus importante est celle du droit au
secret professionnel de leurs clients. Du secret professionnel découle
une série de règles touchant la cueillette, la détention,
l'utilisation et la transmission de renseignements personnels de même que
l'accessibilité du client à son dossier. Un manquement à
ces règles enclenche un mécanisme d'enquête, de plainte et
d'audition quasi judiciaire, d'inspiration pénale, pouvant mener
à la perte du droit de pratique.
Nous croyons qu'il peut y avoir des difficultés réelles
d'application suite à un chevauchement du projet de loi et de la
législation professionnelle. Par exemple, on peut craindre que les
bénéficiaires des exceptions prévues à l'article 17
du projet de loi puissent se croire autorisés à obtenir des
renseignements et à faire pression sur le professionnel pour les
obtenir, alors que celui-ci devra leur opposer les normes beaucoup plus
strictes de la législation professionnelle.
En situation de mandat privé d'un organisme public comme, par
exemple, la CSST, cela peut faire porter un fardeau politique très lourd
au professionnel qui doit défendre le droit de son client à
l'égard de son dossier. Le professionnel qui respecte la
législation professionnelle et qui refuse de transmettre des
renseignements sans l'accord de son client peut se voir fermer la
possibilité d'obtenir des mandats de l'organisme public. On voit bien
que l'article 86 peut avoir bien peu d'impacts dans la pratique quotidienne
quand la question autour du chevauchement des lois risque plutôt de se
décider sur la force de persuasion et ies moyens de pression
administratifs et économiques que les bénéficiaires des
exceptions de l'article 17 peuvent exercer sur le professionnel.
Le non-assujettissement des membres de corporations professionnelles au
projet de loi est donc nécessaire pour éviter la confusion et
l'application aléatoire des droits du client. L'exemple de la loi sur
l'accès, dans le secteur public, peut nous éclairer sur la
pertinence de ne pas assujettir certains dossiers à une loi
générale lorsqu'une loi particulière les régit.
Ainsi, les articles 2.1 et 2.2 de la loi sur l'accès déclarent
que les dossiers d'adoption et les dossiers du
Curateur public sont régis par des lois particulières les
concernant, la loi sur l'accès ne s'appliquant que pour l'exercice des
pouvoirs d'enquête de la Commission d'accès.
Les corporations professionnelles, quant à elles, existent en
vertu d'une loi, le Code des professions, et sont dotées par celui-ci de
pouvoirs quasi judiciaires. La législation professionnelle couvre
l'ensemble et les moindres détails du fonctionnement des corporations
professionnelles. Étant donné la nature des pouvoirs et fonctions
des corporations professionnelles ainsi que leur statut de personne moraie de
droit public, nous croyons qu'il est tout à fait logique qu'elles ne
soient pas assujetties aux dispositions du projet de loi. En effet, un
assujettissement de celles-ci provoquerait des difficultés majeures pour
l'exercice de ieur mandat public, a fortiori dans les aspects quasi judiciaires
de celui-ci. Encore une fois, la loi sur l'accès dans le secteur public
peut nous servir d'exemple, puisque le raisonnement que je viens de vous
présenter à l'égard des pouvoirs quasi judiciaires des
tribunaux administratifs se retrouve dans la loi sur l'accès.
Deuxième problème, l'accessibilité du client
à son dossier. La législation professionnelle a comme principe
que le client a accès à son dossier. C'est un principe
fondamental, un principe de base. Toutefois, il existe des restrictions
à l'accès qui sont motivées par des considérations
déontologiques et des considérations scientifiques. Par exemple,
à l'article 50 du code de déontologie des psychologues, on
retrouve trois situations dans lesquelles le psychologue peut ou doit refuser
l'accès du client à tout ou à une partie de son dossier:
il s'agit de cas où, premièrement, l'accessibilité risque
de compromettre la validité d'un test psychométrique;
deuxièmement, le dossier est constitué pour un examen de
sélection; et troisièmement, la consultation du dossier est
préjudiciable au client.
Abordons ces trois éléments l'un après l'autre.
Premièrement, les tests psychométriques, comme vous le savez,
sont des épreuves standardisées permettant d'évaluer
notamment les aptitudes et les capacités d'une personne. Les
données brutes obtenues par ces tests ne peuvent être
analysées et interprétées que par une personne
possédant la formation requise. L'accessibilité et la circulation
des tests psychométriques risquent de compromettre la validité
scientifique de ceux-ci, une personne pouvant alors se préparer pour
déjouer des épreuves visant à faire ressortir certains
aspects de sa personnalité.
De plus, l'accès à une fiche de données brutes non
interprétées peut engendrer une mauvaise interprétation
créant un préjudice certain à la personne
concernée. Il suffit de mentionner à titre d'exemple les tests de
quotient intellectuel. Il arrive quelquefois que, dans les tests de quotient
intellectuel, la simple mention du chiffre représentant le quotient ne
nous
permette pas, ou ne permette pas à quelqu'un qui n'a pas la
formation requise, de savoir à quel niveau se situe son quotient
intellectuel. Prenons l'exemple... Supposons qu'on vous dit que vous avez un
quotient intellectuel de 125. Bien, dépendant du test que vous avez subi
et dépendant de la dispersion des scores autour de la moyenne, ce qui
fait partie des normes du test que vous avez subi, 125 peut vouloir dire tout
aussi bien une intelligence très moyenne qu'une intelligence vive. Donc,
de donner accès à ces données brutes non
interprétées, pour le quidam, ça peut causer des
préjudices très sérieux, allant dans un sens ou dans
l'autre.
Il est donc, à notre avis, tout à fait justifié de
ne pas permettre l'accès du client à cette partie de son dossier.
D'ailleurs, on retrouve dans la loi sur l'accès, dans le secteur public,
des dispositions qui vont dans ce sens. Ainsi, les articles 23 et 40 de cette
loi permettent de refuser l'accès s'il s'agit de tests
spécialisés en vue d'une évaluation d'aptitudes, de
connaissances ou d'expérience. La jurisprudence de la Commission
d'accès est d'ailleurs abondante sur cette question et renforce la
justification d'un refus d'accès.
Pour ce qui est du dossier constitué en vue d'un examen de
sélection, il est nécessaire d'en refuser l'accès à
la personne concernée, puisqu'il n'est pas le client, mais bien le sujet
du processus de sélection, et puisque, au départ, en vertu de nos
règles déontologiques, ce mandat et ses conséquences lui
ont été clairement expliqués et que son consentement a
été obtenu.
Enfin, il peut exister des situations où l'état
psychologique d'une personne justifie de ne pas lui permettre de consulter son
dossier auprès d'un psychologue. À titre d'exemple, une personne
qui serait dépressive, à tendance suicidaire, et qui apprendrait
tout à coup en lisant son dossier qu'elle souffre d'un début de
maladie d'Alzheimer, ça pourrait entraîner un danger réel
de passage à l'acte. C'est ce genre de situations que notre code de
déontologie essaie d'éviter. Dans ces situations, il convient
donc, pour le bien du client, de laisser au professionnel le soin de poser un
jugement éclairé sur l'opportunité de donner accès
au dossier. (16 h 20)
Troisièmement, l'efficacité des recours. Nous nous sommes
informés, au sein de notre Corporation, sur le nombre de situations
ligitieuses qui ont impliqué, au cours des 10 dernières
années, l'accès d'un client à son dossier. Or, il s'est
avéré que celles-ci sont fort peu nombreuses - en moyenne, une
situation par année - et qu'elles ont presque toutes été
réglées à l'amiable dès la première
intervention du syndic ou même du personnel de la Corporation. Donc, nous
ne croyons pas qu'il existe de problèmes majeurs d'accessibilité
aux dossiers dans la pratique des psychologues québécois. En cas
de litige, la législation professionnelle dispose de recours permettant
à un client de faire reconnaître ses droits. Le tout débute
par une dénonciation auprès du syndic qui, après
enquête, peut décider de porter ou non une plainte devant le
comité de discipline. Dans le cas de notre Corporation, la
décision du syndic pourra aussi faire l'objet d'un avis du comité
d'examen des plaintes. Le litige peut aussi être soumis à un
mécanisme d'arbitrage ou de conciliation et, après tout
ça, si le client ne trouve pas pleine satisfaction, il peut
déposer lui-même une plainte privée devant le comité
de discipline. Les décisions du comité de discipline, quant
à elles, sont appelables devant le tribunal des professions et plus
haut, si c'est nécessaire.
Bref, nous croyons que, bien que perfectibles, les recours
institués par la législation professionnelle sont adéquats
pour traiter les litiges touchant la protection des renseignements personnels
et l'accessibilité aux dossiers. En ce moment même, la
législation professionnelle fait l'objet d'une consultation en vue de la
bonifier, notamment dans les recours qu'elle offre. L'avant-projet de loi
modifiant le Code des professions, déposé un peu avant Noël
par le ministre Raymond Savoie, prévoit des modifications substantielles
au système disciplinaire et l'accroissement des pouvoirs d'enquête
et d'intervention de l'Office des professions.
Toutefois, il semble que tant le ministre des Communications que les
représentants de l'Opposition à la présente commission
souhaitent une multiplicité des recours, ne serait-ce, selon
l'expression d'un membre de la commission, que pour maintenir une saine
concurrence. Sur le plan pratique, une telle multiplicité
équivaudrait à un dédoublement de structures
entraînant ainsi des coûts supplémentaires. Les juristes
vous souligneront aussi qu'à l'égard des normes de la
législation professionnelle on risque de se retrouver avec deux sources
de jurisprudence, sans qu'il y ait de hiérarchie entre elles. Il y
aurait aussi une certaine confusion de juridictions dans le cas de traitements
concomitants d'un même litige par le comité de discipline, d'une
part, et par la Commission d'accès, d'autre part. De plus, la
formulation actuelle des fonctions, des pouvoirs et des règles de
procédure de la Commission d'accès n'est pas tout à fait
adéquate pour assurer le respect du secret professionnel dans le cadre
de l'exécution de son mandat. Malgré ces coûts et ces
complications, nous croyons tout de même que l'idée d'une
multiplicité de recours mérite d'être examinée.
Le dernier problème, l'assujettissement des professionnels de la
santé à l'avis d'un médecin en cas de refus d'accès
au dossier. L'article 33 du projet de loi assujettit les professionnels de la
santé à l'avis d'un médecin en cas de refus d'accès
au dossier pour cause de préjudice à la santé. L'article
33 du projet de loi est, à peu de choses près, une copie conforme
de l'article 87.1 de la loi sur l'accès dans le secteur public.
À
notre avis, l'assujettissement à l'avis d'un médecin se
justifie, dans le secteur public, parce que ce sont eux qui, de façon
purement administrative, admettent, inscrivent et réfèrent les
clients dans les établissements de santé, ou qui ont la charge du
bénéficiaire, pour la CSST, la SAAQ et la RRQ. Donc, dans les
lois et règlements de ces établissements et organismes, on parle
alors du médecin traitant, celui qui a la charge du dossier.
Voilà donc pourquoi l'article 87.1 est parfaitement justifié dans
le secteur public.
Par ailleurs, un tel assujettissement ne correspond absolument pas
à la réalité de la consultation privée des
professionnels de la santé. En consultation privée, c'est le
client qui entre directement en contact avec le professionnel de la
santé sans même l'intermédiaire ou la
référence d'un médecin. Le professionnel de la
santé, en pratique privée, est le seul détenteur et
responsable du dossier de son client. Soumettre à quelqu'un d'autre une
décision à l'égard de ce dossier serait d'application
ardue, voire impossible dans le contexte d'une pratique privée. De plus,
l'article 33 du projet de loi va à rencontre du principe d'autonomie
professionnelle, qui est un des fondements mêmes du système
professionnel québécois. On retrouve ce principe à
l'article 26 du Code des professions, qui traite des conditions et des
critères de constitution d'une corporation professionnelle.
Selon cet article, une activité est constituée en
profession lorsque, notamment, il est difficile de porter un jugement sur son
contexte et son contenu sans avoir la même formation ou les mêmes
qualifications. Le psychologue, parce qu'il tire son statut du Code des
professions, s'est vu reconnaître le fait qu'il pose des actes sur
lesquels il est difficile de porter un jugement si l'on ne possède pas
une formation et une qualification de même nature. Le psychologue a la
formation et les qualifications pour l'évaluation psychologique d'un
individu, pour établir un plan d'interventon et le mettre en oeuvre. Le
médecin ne possède pas cette formation. Il serait très
hasardeux qu'il pose un jugement sur la gravité d'un préjudice
potentiel à la santé mentale d'un individu, à la suite
d'une consultation rapide du dossier de santé tenu par son psychologue.
À plusieurs reprises, la jurisprudence a reconnu la plénitude de
l'autonomie professionnelle et, notamment, dans une décision de la Cour
d'appel dans l'affaire Corporation professionnelle des médecins contre
Larivière, et dans une décision de la commission des affaires
sociales, rendue le 27 juin 1991.
Il faut aussi souligner que la décision que le projet de loi
entend faire prendre par les médecins n'est pas balisée en ce qui
a trait au respect du secret professionnel.
Pour toutes ces raisons, nous proposons que les psychologues ne soient
pas soumis à l'article 33 du projet de loi.
En guise de conclusion, nous aimerions tout simplement vous rappeler les
trois propositions contenues dans notre mémoire: premièrement,
qu'une disposition soit ajoutée dans le projet de loi, ayant pour effet
de soustraire de son application les membres des corporations professionnelles,
dont les psychologues, en ce qui a trait à l'exercice de leur
profession; deuxièmement, qu'une disposition soit ajoutée dans le
projet de loi, ayant pour effet d'assujettir à ces dispositions les
corporations professionnelles, dont la Corporation professionnelle des
psychologues, seulement pour les renseignements personnels et les dossiers
reliés à leur gestion interne et ne découlant pas
directement de l'exécution du mandat défini par les lois
particulières le constituant; et, troisièmement, que, dans
l'éventualité d'un rejet de notre proposition sur le
non-assujettissement des membres de corporations professionnelles, le projet de
loi soit amendé à son article 33 pour que les psychologues, comme
professionnels de la santé mentale, ne soient pas soumis à l'avis
d'un médecin lors du refus d'accès au dossier pour cause de
préjudice.
Nous sommes maintenant à votre disposition pour répondre
à toute question qui pourrait surgir sur l'ensemble de notre
présentation, et plus spécifiquement sur les quatre sujets
suivants: le chevauchement des lois, l'accessibilité du client à
son dossier, l'efficacité des recours, l'assujettissement des
professionnels de la santé à l'avis d'un médecin en cas de
refus d'accès au dossier. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup, M. Sabourin. M.
le ministre.
M. Cannon: Merci, M. Sabourin. Il me fait plaisir de vous
accueillir aujourd'hui. J'ai écouté attentivement vos propos et
pris connaissance de votre mémoire. En blaguant, puisque, tantôt,
vous avez parlé d'une unanimité entre l'Opposition et le
gouvernement au sujet de la concurrence, je dois vous dire qu'on est
inspirés par Je document, la lettre de M. Frechette à Augustin
Roy. Dans une lettre qu'il lui adressait le 15 février dernier, il
disait que, quant à lui, comme responsable de la Corporation
professionnelle des médecins du Québec, il n'y voyait aucun
inconvénient. Au contraire, quant à lui, c'était important
de pouvoir compter sur deux recours, d'abord, au syndic de la corporation et,
ensuite de cela, à la Commission d'accès. Alors, il faut croire
qu'il y a déjà une personne qui fait partie de la même
fraternité que vous, qui est également d'accord avec nous.
Mais, trêve de plaisanterie, je vous demanderais, M. Sabourin...
Actuellement, vous avez une loi qui gouverne et qui réglemente
l'ensemble de la Corporation de votre profession. Il y a aussi le Code civil,
qui vient d'être adopté l'an passé. Et comme vous le savez,
puisque vous êtes ici, découlent des articles 35 à 41 un
certain
nombre de choses, entre autres, le principe - ce dont nous avons
parlé tout à l'heure - de la rectification des dossiers, le
principe d'accès, etc., mais aussi des règlements. (16 h 30)
Quand vous nous faites part des chevauchements qu'il pourrait y avoir,
j'aimerais, pour une seconde, que nous fassions abstraction du projet de loi
68. Disons, faisons l'exercice que le projet de loi 68 n'existe pas, et qu'il
vous reste le Code civil. Comment, comme corporation, seriez-vous capable
d'éviter des chevauchements entre les dispositions particulières
du Code civil et, évidemment, les règlements qui gouvernent votre
Corporation?
M. - Gariépy (André): Alors, M. le
Président, on me permettra de répondre à cette question.
Tout simplement, l'article 300 du Code civil dit bien que les personnes morales
de droit public sont d'abord régies par les lois qui les constituent, et
le Code civil sera, à ce moment-là, appliqué de
façon supplétive. Et d'ailleurs, je dois souligner que l'ensemble
du Code civil, étant donné que c'est du droit commun, c'est du
droit supplétif. Le préambule du Code civil est très clair
là-dessus. La notion de droit supplétif nous dit que, dans
l'éventualité où il n'y a pas de règles, ce sont
les règles du Code civil qui s'appliquent. Et le caractère du
supplétif, à l'inverse, nous dit que, dès qu'il y a une
loi qui couvre quelque chose, le Code civil se retire de ce champ-là.
L'ensemble des règles contenues dans le Code civil est supplétif,
donc. Et l'article 300 règle le cas des personnes morales de droit
public, et je dois vous souligner que les corporations professionnelles sont
des personnes morales de droit public, puisqu'elles sont créées
par la loi, et elles exercent un mandat général et
d'intérêt public.
M. Cannon: Bien, c'est-à-dire pas les membres des
corporations, pas les professionnels.
M. Gariépy: Non, ça c'est autre chose. M.
Cannon: O.K.
M. Sabourin: En réponse à la première partie
de votre question et à la mention que vous avez faite de l'avis du Dr
Roy...
M. Cannon: Ha, ha, ha!
M. Sabourin: ...je dois dire que j'ai rencontré cette
semaine le Dr Roy. Nous avons longuement discuté de la question, et je
pense que le Dr Roy est prêt à se rallier à la position que
nous soutenons devant vous. En ce qui concerne les deux recours possibles, la
position que nous avons mentionnée tantôt n'exclut pas la
possibilité qu'il y ait deux recours, sauf que nous pensons qu'il serait
utile, si tel est le cas, qu'il y ait une hiérarchie ou une
primauté au niveau des recours. En l'absence de la législation,
depuis déjà un bon nombre d'années, nous accueillons des
demandes, des dénonciations concernant des difficultés
d'accès à son dossier. Comme je l'ai mentionné
tantôt, il y en a très peu, par ailleurs, et on les règle
toutes simplement à l'amiable, au niveau du bureau du syndic, sans
devoir recourir au processus disciplinaire, qui est quand même une
possibilité.
Alors, je pense que ce qu'on aimerait soumettre aujourd'hui, comme une
hypothèse qu'il y aurait peut-être avantage à approfondir,
c'est la question de savoir s'il ne serait pas possible, une fois qu'un client
s'estime lésé ou estime qu'il n'a pas accès à son
dossier, une fois qu'il s'est adressé à la corporation et qu'il
n'a pas obtenu ce qu'il recherchait, c'est-à-dire l'accès
à son dossier, à ce moment-là, mais uniquement à ce
moment-là et une fois que le premier recours aura été
épuisé, qu'il puisse avoir accès à la Commission
d'accès à l'information, qu'il puisse utiliser ce
recours-là. Nous pensons que c'est une hypothèse qui pourrait
être envisagée et qui maintiendrait le fonctionnement et
l'intégrité du système professionnel qui existe
présentement, mais qui, pour le cas précis d'accessibilité
à des dossiers, donnerait aux citoyens, aux justiciables, un recours
supplémentaire, et ce avec quoi nous sommes prêts à
vivre.
M. Gariépy: J'aurais une petite précision... M.
Cannon: Oui.
M. Gariépy: ...avant de vous rendre la parole,
malgré moi, là. Les corporations professionnelles, à
l'égard du système disciplinaire, sont des tribunaux
administratifs et la question de primauté du recours, c'est qu'il y a un
principe à l'égard des tribunaux civils, à savoir que,
quand tu arrives devant un tribunal civil pour une question qui est
prévue devoir être entendue par un tribunal administratif, le
juge, sur le plan civil, va dire: Arrête ça, épuise tes
recours sur le plan du tribunal administratif et après tu viendras me
voir. Alors, à cet égard-là, les corporations
professionnelles exercent des pouvoirs de tribunaux administratifs très
spécialisés, qu'il convient d'épuiser puisqu'ils ont la
primauté pour les questions touchant les règlements
professionnels.
M. Cannon: Si je résume un peu votre pensée, que je
trouve intéressante, c'est que vous me dites qu'un individu à qui
on a refusé l'accès à son dossier, qui va devant le syndic
et se voit confirmer cette chose-là pourrait ultime-ment avoir recours
devant la Commission d'accès à l'information.
M. Sabourin: Ce qui se passe à ce moment-là, c'est
que, comme je l'ai dit, par ailleurs, nous
trouvons que ce ne sera pas un recours qui va s'exercer
fréquemment. Au cours des 10 dernières années, il n'y
aurait pas eu de recours au niveau de la Commission d'accès parce que
tous les problèmes se sont réglés au bureau du syndic, se
sont réglés à l'amiable. Donc, nous pensons que le
système professionnel, tel qu'il existe présentement, est
très bien outillé pour régler ces
problèmes-là. Mais, dans l'éventualité où il
y aurait problème, nous pensons qu'il serait loisible au citoyen de
s'adresser à la Commission d'accès à l'information.
M. Cannon: Encore une fois, je vous répète que
ça m'apparaît comme une proposition intéressante puisque,
ce qui m'intéresse davantage, là, c'est l'individu dans cette
chose-là et de là, sans doute, la nécessité de
dire: De façon générale, il y a une règle
d'application. L'article 87 du projet de loi indique spécifiquement:
«Lorsque sur une matière visée par les articles 74 à
76, la compétence de la Commission chevauche celle d'un organisme public
ou d'un ministère, la Commission peut conclure, après approbation
[...] une entente...»
M. Sabourin: Un exemple aussi qu'on peut donner, c'est celui qui
existe dans la loi d'accès dans le secteur public et qui touche à
l'adoption ou au dossier du Curateur public, à savoir que, dans ces deux
cas-là, on fonctionne avec les normes édictées pour ces
deux cas-là. Par ailleurs, s'il y a problème, c'est la Commission
d'accès qui vient comme recours.
M. Cannon: Alors dans le fond, vous rencontrez un peu, tout le
monde peut rencontrer les objectifs qu'Augustin Roy mettait de l'avant la
semaine passée. Merci.
M. Gariépy: Un de ceux-là.
Le Président (M. Doyon): Une fois n'est pas coutume.
M. Gariépy: Et, soit dit en passant, il est en vacances,
actuellement.
Le Président (M. Doyon): Merci, M. le ministre. M. le
député de Pointe-aux-Trembles.
M. Bourdon: Je voudrais vous dire d'abord que j'ai
apprécié le ton de l'échange et, d'une certaine
façon, votre présence ici illustre le fait que les 240 000
professionnels qu'il y a au Québec sont les groupes les mieux
outillés sans doute jusqu'ici pour traiter des plaintes que la
population peut entretenir, ce qui ne veut pas dire que ça soit parfait.
Mais je note avec beaucoup de satisfaction que vous ne vous objectez pas
à ce que, en bout de course, la Commission d'accès tranche quand
la personne n'a pas obtenu satisfaction au niveau du recours qui existe
déjà. Quant au chevauchement de lois, je pense que vous avez
raison; la loi d'accès prévoit déjà que la
Commission peut interpréter une autre loi que la sienne propre en
dernière analyse et que d'autres lois d'ordre public qui ont
prouvé leur efficacité peuvent ultimement être jointes. On
n'invente rien, d'une certaine façon, quand il s'agit des
professionnels.
Maintenant, quand vous parlez d'épuiser d'abord le recours
prévu par votre loi et d'aller d'abord au syndic, est-ce que vous
verriez également comme motif d'intervention de la Commission
d'accès les délais indus, s'il y avait des délais indus
dans le cas d'une plainte qui a été formulée au
syndic?
Le Président (M. Doyon): M. Sabourin.
M. Sabourin: Écoutez, présentement, l'article 123,
je pense, du Code des professions, parle de délais raisonnables au
niveau de l'examen d'une plainte par le bureau du syndic. Bon! La jurisprudence
disciplinaire à ce sujet-là ne s'entend pas parfaitement sur ce
qui constituerait un délai indu. Dépendant des causes et
dépendant de la complexité des cas, il peut y avoir des
délais qui peuvent s'étendre entre quelques mois à
près d'une année, ou peut-être même un peu plus d'une
année.
Par ailleurs, comme je l'ai mentionné tantôt, concernant
les dossiers d'accès, je n'ai pas l'impression que les... Ce ne sont
habituellement pas des dossiers complexes qui entraîneraient de pareils
délais. Parler de délais indus, il faudrait qu'on ait comme une
balise très précise au niveau de la loi pour déterminer
qu'à partir de tant de mois c'est un délai indu. Pour l'instant,
je pense qu'il faut utiliser l'article 123 du Code des professions et parler de
délais raisonnables. Je pense qu'on peut ajouter aussi, au niveau des
délais, ce que j'ai lu récemment - je ne suis pas un
spécialiste - que la Commission d'accès à l'information
n'a pas la réputation d'aller très rapidement non plus. Alors, je
pense qu'entre deux délais il faut peut-être choisir le moindre
ou, en tout cas, j'ai l'impression, en me basant sur l'expérience
antérieure de notre corporation, que ce genre de
problématique-là n'a jamais, dans le passé,
entraîné de délais. Je ne peux pas présumer du
futur, mais ça m'étonnerait qu'il y ait des problèmes
majeurs au niveau des délais. (16 h 40)
M. Bourdon: Vous parlez des délais actuels à la
Commission d'accès, et moi, c'est une préoccupation que j'ai.
C'est que si on prévoit que le recours s'exerce d'abord de la
façon prévue pour votre profession, mais pour d'autres aussi,
ça peut éviter un engorgement de la Commission d'accès,
sans compter, ce qui ne doit pas être négligeable dans le contexte
budgétaire actuel, que les professions financent elles-mêmes ce
qui les concerne. Mais, la Commission d'accès,
si, comme je l'espère, la loi est en vigueur avant la Saint-Jean
cette année, elle va avoir de quoi s'occuper dans des domaines comme le
crédit, l'investigation, le recouvrement et autres.
Alors, je voudrais juste vous dire que je suis d'accord avec les
positions que vous défendez en général. Et je pense qu'au
niveau des délais et des chevauchements de lois il n'y a pas, il me
semble, de problèmes insolubles et qu'on doit tenir compte que, chez les
240 000 professionnels, il existe déjà quelque chose, et qu'il
s'agirait que la Commission exerce comme un deuxième recours, mais
après le premier exercé, pour que les professionnels ne se jugent
pas entre eux d'une façon définitive. Que le citoyen qui n'est
pas content - je sais que ça n'arrive pas dans bien des cas, pour ce qui
est de votre corporation - puisse aller à la Commission d'accès,
au bout de la ligne, s'il n'est pas satisfait du résultat qu'il a
atteint dans la manière prévue. Je pense que ça
dégagerait des ressources et ça prioriserait le travail de la
Commission d'accès dans d'autres secteurs qui ont l'inconvénient
d'être névralgiques et de ne pas être soumis à rien
au moment où on se parle. Je vous remercie beaucoup de votre
mémoire.
Le Président (M. Doyon): Merci, M. le
député. Si vous me le permettez, j'aimerais peut-être
demander à M. Sabourin: Est-ce que vous êtes dans la situation...
Je ne me souviens pas quel organisme nous faisait valoir qu'il y avait certains
renseignements dans les dossiers personnels, que même s'ils appartenaient
au client ou à la personne qui consultait, il n'était
peut-être pas souhaitable que ces renseignements-là soient mis
à sa disposition, compte tenu de l'évolution de la consultation,
compte tenu des renseignements qui étaient consignés et compte
tenu de la capacité de la personne de digérer ça ou de
vivre avec ça. Est-ce que c'est un problème que vous
reconnaissez, et comment - si ce problème-là existe - vous pouvez
en même temps prôner le libre accès aux dossiers personnels
et, en même temps, protéger un petit peu contre lui-même...
Parce qu'il y a une espèce de conflit qui s'établit entre la
protection de l'individu qui a besoin de consulter et la personne qui lui donne
les renseignements, lui prodigue des conseils et, très souvent est
obligée de consigner dans son dossier un certain nombre de choses, et,
en même temps, cette personne-là a le droit de savoir ce qu'il y a
dedans. Comment vous conciliez tout ça?
M. Sabourin: Je pense que la conciliation se fait très
facilement a l'aide d'une description très précise de ce que doit
contenir un dossier de psychologue, description qu'on retrouve à
l'article 3 de notre règlement sur la tenue des dossiers et des cabinets
de consultation. Dans cette liste du contenu d'un dossier de psychologue, il y
a à peu près tous les éléments essentiels qui
concernent le résultat d'un entretien qui a eu lieu ou des interventions
que le psychologue a faites auprès d'un client particulier.
Par ailleurs, il y a une chose qui n'apparaît pas dans le dossier
des clients, parce que c'est notre outil de travail, on ne peut pas le mettre
à chaque fois, c'est la question des tests psychométriques. Les
tests psychométriques, comme je le mentionnais tantôt, ce sont des
instruments de travail ou des instruments d'analyse que le psychologue utilise,
interprète dans le but d'en arriver à une conclusion. Dans le
dossier du client, on retrouve les conclusions du travail d'analyse, mais le
protocole de test - dans notre langage particulier, on appelle ça le
protocole de test - on ne le met pas dans le dossier. Ça fait partie de
nos instruments de travail. Ça, ça fait partie d'un dossier
d'instrument de travail, et ce n'est pas quelque chose, à mon avis, qui
devrait être inclus dans le dossier. D'ailleurs, notre règlement
ne le prévoit pas. Il y aurait un risque, un risque sérieux que
la validité des instruments qu'on utilise soit grandement
diminuée de par le fait qu'il faudrait, s'il y avait une diffusion
publique du genre de test qu'on utilise, les refaire à tous les six mois
ou à tous les ans. Et, à ce moment-là, on serait pris dans
une position où on n'aurait pas d'instruments valides à
portée de la main dans des cas précis; il faudrait attendre
souvent que de nouveaux instruments apparaissent.
Dans bien des cas, actuellement, il arrive que, pour pouvoir
évaluer si un client a évolué au niveau de son traitement,
on lui fasse d'abord passer un test, et on a prévu déjà,
pour certains tests, des formes parallèles. C'est-à-dire que,
dans un premier temps, au prétest, on fait passer une forme a, qui est
une première version d'un test, et, six mois plus tard ou un an
après, une deuxième version, l'objectif étant que, bien
sûr, quelqu'un qui connaît déjà le test et qui,
même, peut l'avoir appris par coeur ou, en tout cas, puisse s'en inspirer
fortement, ne donnera pas des réponses valides. À ce
moment-là, notre intervention sera absolument inutile et on va faire
perdre le temps à tout le monde. Ça fait que ces données
brutes ne figurent pas dans le dossier et ce sont déjà des
choses, d'ailleurs, prévues dans l'article 40 et l'article 23 de la loi
d'accès dans le secteur public.
Le Président (M. Doyon): Oui. Et une autre chose que vous
avez eu l'occasion de signaler à cette commission, c'est que les 10
dernières années, finalement, il n'y avait pas eu de cas
problèmes, en fait, que même s'il y avait eu application de cette
loi, il n'y aurait pas eu de recours...
M. Sabourin: Non.
Le Président (M. Doyon): ...comme tel. C'est quand
même indicatif. Est-ce que c'est dû au fait d'une satisfaction
profonde de votre clientèle ou
tout simplement de l'ignorance de la capacité ou du loisir qu'ils
ont d'accéder à leur dossier?
M. Sabourin: Écoutez, je mentionnais tantôt que le
principe de base que l'on transmet à tous les psychologues - moi, je
fais de l'enseignement universitaire, j'ai l'occasion de le leur transmettre
d'une façon précise - c'est que le dossier, c'est la
propriété du client. Ce n'est pas leur dossier, c'est le dossier
de leur client et leur client y a accès. Quand il veut, il peut en
prendre copie...
Le Président (M. Doyon): Est-ce que le client est
informé de ça lors d'une consultation au tout début?
M. Sabourin: Oui.
Le Président (M. Doyon): Oui.
M. Sabourin: Le client est parfaitement informé de la
chose. D'ailleurs, les problèmes litigieux sont très rares, de
par le fait qu'à peu près tout le monde sait, connaît les
règles du jeu. On s'aperçoit que quand il y a litige, dans 95 %
des cas, c'est dû à une incompréhension, soit du
professionnel, soit de la personne du public sur comment ça fonctionne
exactement. C'est très facile pour le syndic, à ce
moment-là, de réunir les personnes et, par des techniques de
conciliation et de médiation, d'expliquer comment ça fonctionne
et de s'arranger pour que tout le monde s'entende. C'est d'ailleurs ce qui se
produit dans la réalité.
Le Président (M. Doyon): Je vous remercie beaucoup, M.
Sabourin. Je pense que ça fait le tour. Est-ce que d'autres membres de
la commission veulent intervenir? Merci à M. Sabourin, merci à M.
Gariépy. Je suis sûr qu'on tiendra compte de ce que vous nous avez
livré dans la version de la loi. Merci beaucoup.
M. Sabourin: Merci beaucoup, M. le Président.
Le Président (M. Doyon): Maintenant, il nous reste, cet
après-midi, à recevoir les représentants de la
Société Progestaccès. Est-ce qu'ils sont ici? Je pense que
oui. Je les invite à bien vouloir s'avancer et à prendre place en
avant.
Donc, je souhaite la bienvenue aux représentants de la
Société Progestaccès. J'imagine que c'est M. Emmell qui
est avec nous? Alors, M. Emmell, je m'aperçois que M. Duplessis, qui
devait vous accompagner, n'y est pas. Donc, je vous souhaite la bienvenue et je
vous invite à nous faire part de vos commentaires.
Vous avez pu voir comment ça se passait. Vous disposez de 15 ou
20 minutes pour nous expliquer, nous faire un résumé de votre
mémoire ou encore nous ajouter certaines réflexions qui vous sont
venues après coup et, ensuite, le ministre et le représentant de
l'Opposition officielle vont s'entretenir avec vous pour le partage du temps
qui va rester. Le président dira peut-être quelques mots, si le
ministre le permet. Merci, M. le ministre. Le député de Saguenay
aussi! Bon, très bien! Vous avez la parole, M. Emmell.
Société Progestaccès
M. Emmell (Vincent): Merci, M. le Président. M. le
ministre, Mmes et MM. de la commission, la Loi sur la protection des
renseignements personnels doit être mise en vigueur le plus rapidement
possible, et cela, même si des intervenants la considèrent
imparfaite. Des mécanismes existent, dans la loi, pour faire les
corrections nécessaires en cours de route, basées sur
l'expérience qui sera vécue par l'entreprise privée.
L'important, c'est que chaque personne, au Québec, obtienne le droit de
contrôler les données qui la concernent. Lors des prochaines
étapes vers la mise en vigueur de la loi sur la protection de la vie
privée, nous voudrions porter à votre attention les points
suivants. (16 h 50)
À l'article 5, renseignements pertinents, nous croyons que la vie
privée serait mieux protégée si on limitait les
données personnelles recueillies. Lorsque l'on parle de renseignements
pertinents, tous les renseignements qui se rapportent à une personne
sont pertinents. Il est beaucoup plus facile de déterminer quels sont
les renseignements que l'entreprise a besoin de connaître pour conclure
une transaction d'affaires lorsque l'on parle de renseignements
nécessaires à la réalisation d'un bien ou un service.
À titre d'exemple, la couleur d'une personne est pertinente, mais
rarement nécessaire à la réalisation de l'objet d'un
contrat. Une fois que l'entreprise aura déterminé quels
renseignements sont nécessaires et quels renseignements sont
discrétionnaires à la réalisation d'un bien et service, il
devient beaucoup plus facile de se conformer à l'article 7 concernant
les droits et les finalités, et à l'article 13 concernant le
consentement à la communication et l'utilisation. Nous recommandons donc
que le terme «pertinent» soit remplacé par le terme
«nécessaire» dans tous les articles où il est
employé dans le projet de loi.
L'article 7, dernier alinéa, «renseignements normalement
recueillis». Ce paragraphe est très important pour l'entreprise en
autant qu'il ne concerne que les renseignements recueillis sans qu'il y ait
constitution d'un dossier ou d'un fichier. Beaucoup de transactions
requièrent que la personne donne des renseignements personnels pour que
la transaction se réalise et les renseignements personnels donnés
ne seront pas col-ligés en dossiers ou fichiers. À titre
d'exemple, lorsqu'une personne demande un remboursement,
le préposé demande généralement le nom,
l'adresse, le numéro de téléphone et la signature du
demandeur. C'est une procédure minimale de contrôle interne. De
même, lors d'un paiement par chèque personnel. Nous recommandons
donc que soit précisé dans le texte que les renseignements
normalement recueillis sont ceux qui ne seront pas colligés dans un
dossier ou fichier identifiable à la personne.
Dossiers à jour et exacts - article 11. Il est difficile pour une
entreprise de maintenir à jour et exacts tous les dossiers qu'elle
possède. Par contre, le degré de difficulté et la
logistique de mise à jour diminuent lorsqu'elle est faite au moment
où le dossier est utilisé à des fins pour lesquelles il a
été constitué. L'obligation de mise à jour devrait
se faire au moment de l'utilisation ou au moment où le dossier est
consulté pour prendre une décision. Nous recommandons donc que
l'obligation de mise à jour soit directement reliée à la
finalité du dossier.
L'article 28, renseignements provenant d'un tiers et décision
négative. Nous croyons que le contrôle des éléments
du dossier serait moins complexe s'il n'existait pas de distinction entre le
genre de décision - positive ou négative - la provenance des
renseignements et le moment de la décision. Lorsqu'il y a
décision sur une relation d'emploi ou de consommation, le dossier doit
être accessible avec tous les éléments qu'il contient,
quelle que soit leur provenance, tel que prévu à l'article 35.
Nous recommandons donc que la notion de provenance des renseignements ainsi que
le genre de décision soient abandonnés.
L'article 25, personne responsable. Nous croyons qu'il est important que
la personne responsable des dossiers contenant des renseignements personnels
possède assez d'autorité dans l'entreprise pour que celle-ci
puisse avoir l'influence positive nécessaire pour l'application de la
présente loi. De plus, son rôle et ses responsabilités
devraient être spécifiés dans la loi à l'exemple de
la loi sur l'accès. Nous recommandons donc que le rôle et la
responsabilité de la personne responsable, en vertu de l'article 25,
soient précisés dans la loi sur la protection de la vie
privée.
En terminant, nous tenons à remercier les membres de la
commission pour nous avoir offert l'opportunité de nous adresser
à elle. Merci de votre attention.
Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup, M. Emmell. M. le
ministre, vous avez la parole.
M. Cannon: Merci, M. le Président. M. Emmell, merci de
votre présentation et de votre mémoire que je pourrais qualifier
de très cons-tructif. Vous supportez le projet de loi 68, vous avez
l'expérience dans ce secteur. Peut-être, à titre de
préambule, vous dire que cette question de «pertinent et
nécessaire», depuis quelques semaines maintenant, retient mon
attention. Per- tinent pourquoi? Parce que, effectivement, au niveau du Code
civil, on parle de pertinence. Mais je suis ouvert à évaluer la
forme: soit pertinent ou nécessaire. Je n'ai pas d'objection à
ça et on pourra examiner ça attentivement.
J'aimerais peut-être vous demander, au niveau de... Vous avez
été ici, vous avez entendu les commentaires qui ont
été formulés de part et d'autre tantôt par la
Corporation professionnelle des psychologues, et avant eux, par les gens du
Bureau d'assurance du Canada. Il est curieux de voir que ces
entreprises-là et ces corporations-là trouvent extrêmement
lourde l'application que nous faisons de la protection de la vie privée
par l'entremise de la loi 68. Vous avez eu l'opportunité sans doute, en
lisant ce projet de loi, de voir ce qu'il en était pour la transmission
des informations, la communication.
J'ai deux questions à vous poser. D'abord, l'article 103 du
projet de loi qui oblige ou, enfin, confère l'obligation à une
entreprise de communiquer à leurs clients, consommateurs,
consommatrices, le fait qu'elle possède un dossier à leur sujet:
depuis quelques jours maintenant, on laisse entrevoir que c'est complexe, c'est
lourd toute cette procédure. À votre avis, existe-t-il d'autres
façons d'alerter le consommateur comme quoi il y a des gens qui ont des
dossiers sur la personne?
Le Président (M. Doyon): M. Emmell.
M. Emmell: Merci. Je crois que le fait d'avertir les gens,
ça peut se faire dans les journaux. Pour communiquer le dossier aux
gens, je crois que la logistique serait beaucoup plus facile si les entreprises
étaient obligées de communiquer ce genre de renseignements
strictement à ceux qui ont été actifs dans l'année
parce que...
M. Cannon: Dans l'année, pardon? Dans l'année?
M. Emmell: Dans l'année courante, ceux qui ont
été actifs, c'est-à-dire ceux qui ont eu carrément
des demandes de crédit, ce genre de dossiers-là qui ont
été publiés. Cela, pour les autres entreprises, parce que
les entreprises qui font affaire avec les institutions financières et
toute autre qui demandent ce genre d'information, leurs clients sont
institutionnels. Ça fait qu'ils ne sont pas, à date, vraiment
préoccupés du monde en général qui ont
l'information là-dedans; ce n'est pas vraiment leurs clients directs.
Par contre, lorsqu'ils ont à publier ce genre d'information là,
ce serait idéal de mettre à jour et d'avertir les gens, au moins
pour la première année. Ensuite, ce serait peut-être un
roulement. C'est officiel qu'il y a beaucoup, beaucoup de transactions
là-dedans, mais ce n'est pas tout le monde qui va avoir une demande sur
ce dossier-là comme tel.
M. Cannon: Est-ce que vous croyez que le projet de loi est trop
sévère pour l'entreprise privée?
M. Emmell: Bien, trop sévère, c'est que c'est
difficile de savoir dans le moment si c'est trop sévère. Si je me
rapporte 10 ans en arrière, les organismes publics disaient que
c'était trop sévère, mais, à la pratique, on s'est
rendu compte que ce n'était pas si sévère que
ça.
M. Cannon: C'est une question de culture, c'est une question
d'être capable de s'adapter à ça.
M. Emmell: Bien, il faut qu'ils s'adaptent, de toute
façon, parce que ce n'est pas statique, la vie d'une entreprise dans une
société. Elle est toujours en évolution.
M. Cannon: O.K. Sur la Commission d'accès à
l'information, j'ai déclaré, la semaine passée, mon
intention de regarder très attentivement la distinction entre les
différents rôles et les tâches que nous voudrions voir jouer
à la Commission d'accès à l'information. D'abord, celui
d'adjudicateur, celui de communicateur, celui d'arbitre. Est-ce que vous avez
eu à penser un peu à cette chose-là? Est-ce que vous avez
une opinion ou des idées, des suggestions à nous formuler
à cet égard-là? (17 heures)
M. Emmell: II y a un principe en vérification qui dit que
celui qui signe le chèque généralement n'est pas celui qui
va l'autoriser. Par contre, ia Commission d'accès est quand même
assez bien située, même si elle est juge et partie, parce qu'il y
a des clauses dans sa loi qui font que, si elle dérogeait à
ça, il y aurait tout de suite un changement parce qu'il y a quand
même une clause crépusculaire qui pourrait, chaque cinq ans, juger
de son action.
M. Cannon: Une clause de révision.
M. Emmell: Une clause de révision qui pourrait juger de
son action. Dans le fond, pour sauver de l'argent, je crois qu'on pourrait
continuer dans ie moment, tel quel. Par contre, s'il y a abus, il n'y aura pas
abus pour plus que cinq ans.
M. Cannon: Bien, c'est précisément l'esprit qui
nous a animés lorsqu'on a inclus cette clause de révision, parce
qu'on a bien vu qu'elle fonctionnait dans le secteur privé. Alors, comme
la société est en mutation et, de par la nature même de la
société, elle est dynamique, il y a des choses à corriger
au fur et à mesure que nous avançons.
Pour revenir peut-être un peu à l'article 103 du projet de
loi, vous me donnez comme balise des dossiers qui seraient actifs, des dossiers
actifs de peut-être moins d'un an, en excluant tout ce qui est
institutionnel, si j'ai bien saisi ce que vous m'avez dit, parce qu'à
travers ça il y a des communications qui peuvent se faire de nature
institutionnelle.
M. Emmell: C'est-à-dire que les dossiers, en fin de
compte, toute la population semble fichée dans ce genre d'entreprise,
mais ce n'est pas toute la population à qui on va demander un rapport de
crédit durant l'année. Au moment où le rapport de
crédit est demandé, je crois qu'au bout de la ligne il y a
quelqu'un qui a demandé un crédit, et ce serait le temps, je
crois, ou l'opportunité de lui transmettre son dossier en même
temps.
M. Cannon: Si, par exemple, je me présente à une
institution financière, que celle-ci soit une des banques canadiennes
que nous connaissons, ou bien une caisse, ou un autre organisme de
crédit et que, volontairement, je souscris aux exigences de l'entreprise
afin de fournir des renseignements de nature confidentielle, nominative, de la
pratique que vous possédez, est-ce que l'agent de crédit est en
mesure d'aller chercher les renseignements dans chacune des banques
d'informations qui peuvent exister? Autrement dit, s'il y a 5 ans ou 10 ans
j'ai eu ou j'ai détenu une carte de la compagnie Sears et que j'avais
volontairement fourni des informations, mais, aujourd'hui, 5 ans ou 10 ans plus
tard, je ne me sers plus de cette carte de crédit... Si j'avais une
carte American Express et qu'aujourd'hui je ne l'ai plus, je l'ai
remplacée par une autre carte; donc, American Express est inactive. Ma
question, dans le fond, c'est de savoir: Est-ce que l'agent de crédit a
accès à la multitude de banques qui peuvent exister en ce qui
concerne mes transactions antérieures ou s'il se limitera uniquement, je
ne sais pas, moi, à la compagnie Équifax avec qui son institution
fait affaire?
M. Emmell: Je ne pourrais pas vous répondre
précisément là-dessus. Par contre, lorsque ie contact se
fait avec l'agent de crédit pour avoir du crédit, les
déclarations que vous faites sont strictement pour évaluer votre
crédit. Alors, si vous dites que vous avez un compte à telle ou
telle banque, vous vous trouvez à autoriser, pour le moment même,
de vérifier ce que vous avez donné dans votre demande.
M. Cannon: Non, mais c'était davantage au niveau de la
mécanique. C'est sûr que je peux masseoir devant l'agent de
crédit à la caisse populaire et lui dire que je suis actuellement
un client actif à telle institution financière, que j'ai x, y, z
cartes de crédit, mais je n'ai pas à lui dire que, jadis, j'ai eu
une carte de crédit de telle chose, que j'ai acheté le
véhicule automobile de mon épouse par l'entremise d'un
finance-
ment de GMAC ou quelque chose comme ça. Alors, c'est pour
ça que je voulais savoir, dans l'enquête de crédit qui
s'opère pour fins de prêt ou pour fins d'hypothèque, s'il
est de coutume d'aller vérifier plusieurs banques d'informations. C'est
ça, la nature de ma question puisque, à partir de cela, on peut
déterminer la portée de l'article 103. Quand on pose l'obligation
carrément sur les épaules de ceux et celles qui exploitent, pour
des fins commerciales, la matière première, qui est quoi?, les
renseignements personnels, il me semble que c'est eux qu'on doit
responsabiliser, dans une démarche de correction, avant de
responsabiliser le citoyen, le consommateur.
Donc, dans un premier temps, ceux qui exploitent doivent rendre des
comptes auprès du consommateur, après quoi le consommateur, lui,
a la possibilité de pouvoir modifier, de faire changer et d'apporter les
corrections qui s'imposent. C'est ça, la démarche. Qu'elle se
fasse par envois, quitte, bien sûr, à corriger ou à
s'assurer que l'adresse est bel et bien l'adresse, que ça se fasse par
une publicité massive à la télévision, à la
radio ou bien dans les journaux, moi, mon intention, c'est de m'assurer que le
client consommateur... C'est ce que j'ai entendu depuis deux ans maintenant,
que lui puisse au moins savoir qu'il y a un dossier puis il y a une
possibilité de le corriger. La mécanique, pour l'instant, est
importante en autant qu'on puisse s'assurer que les objectifs visés sont
rencontrés. Je ne veux pas indûment alourdir, mais je veux
protéger un principe. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Doyon): Merci, M. le ministre. M. le
député de Pointe-aux-Trembles, maintenant.
M. Bourdon: D'abord, je voudrais vous féliciter de la
tenue du mémoire, puis saluer aussi la connaissance pratique que vous
avez de ces questions-là. Je retiens comme intéressante, entre
autres, la suggestion que vous faites, à savoir que les entreprises,
surtout financières, qui utilisent les rapports de crédit, pour
ne mentionner que ceux-là, qui sont une part très importante des
renseignements détenus, les remettent graduellement à leurs
clients et leurs clientes. Parce que, dans le fond, il n'y a pas plus de 3 %
des gens qui demandent accès à leur dossier de crédit. Et,
comment s'indigner de leur inexactitude si on ne les connaît pas?
Puis, avant vous, il y a quelqu'un du BAC qui disait: C'est
peut-être l'intérêt des entreprises aussi qu'ils soient
corrigés quand ils sont erronés, puisque c'est une donnée
importante qui sert à établir, notamment, le crédit.
Est-ce que vous pensez, comme moi, que la correction pourrait suivre le
même chemin? Je vous dis ce qui me frappe. C'est que si on veut avoir
accès à son dossier chez Équifax, on prend un jour
ouvrable à Montréal et on va à la ville d'Anjou.
On remplit une formule, on demande l'accès et tout ça.
C'est complet. Ça explique les 1 % à 3 % de personnes qui le
font, mais pour corriger, c'est la croix et la bannière. Mais je pense
juste aux 400 succursales de banques qu'il y a au Québec, à peu
près, et aux 1300 caisses populaires; si la demande de correction
passait par là et s'en retournait au bureau de crédit en
prévoyant un moyen pour qu'une correction faite à une place le
soit partout - parce qu'on pourrait toujours, vous savez, faire un personnage
de pièce de théâtre qui, dans la vie, ferait corriger ses
rapports de crédit s'il y en a 21 qui sont erronés... (17 h
10)
Mais est-ce qu'il n'y aurait pas là un moyen, comme vous le
disiez, dans le fond, par étapes, qu'en quelques années, chacun a
lu son rapport de crédit, l'a fait corriger s'il était besoin,
puis que cette partie-là de nos vies qui n'est pas rien soit comme
réglée graduellement? Mais, moi, je suis assez d'accord avec vous
que, si on passe par les utilisateurs que sont les entreprises
financières, entre autres, on risque de moins se compliquer l'existence
que de dire: On veut créer un rapport entre le bureau de crédit,
mettons, et directement les consommateurs. Ils ne sont pas
équipés pour, ils n'ont peut-être pas envie de corriger
toujours. Puis, quand on fait affaire avec la Banque Nationale, le Mouvement
Desjardins ou la Banque Royale, je suppose aussi que les moyens pratiques de
faire faire les corrections puis d'en aviser l'intéressé
pourraient se faire d'une façon plus efficace que de dire: On
crée un nouveau lien, du consommateur directement avec le bureau de
crédit. Ça suppose, je suppose, nécessairement des
démarches, une bureaucratie qui se développe, alors que notre
lien à notre banque ou à notre caisse populaire existe,
là, et on peut appeler là assez facilement. Et comme vous le
disiez, je trouve l'idée intéressante, ça peut être
sur trois ou quatre ans que l'information est disséminée et
corrigée quand il faut et que, finalement, les choses entrent dans la
normale d'une façon graduelle.
M. Emmell: Je crois que les deux voies seraient importantes
à avoir, parce que, dans le fond, les compagnies comme Équifax,
leur client est institutionnel, ça n'a pas été basé
pour avoir des clients comme M. Tout-le-Monde, mais il n'y a rien qui
empêche Équifax d'avoir maintenant des clients comme tout le
monde, de faire une publicité et de dire à ces clients-là:
Si vous voulez avoir un bon dossier de crédit, venez nous voir, on va
vous le monter pour un certain prêt et, après ça, vous irez
à la banque le porter. Les deux voies doivent exister, d'après
moi.
M. Bourdon: Oui, mais je vous dis que les échos de la
savane nous disent que ceux qui font
affaire avec Équifax, même quand c'est Esso Impérial
ou une firme d'assurances qui leur demande de corriger... J'ai parlé
à un consommateur, ce matin. Il avait une quittance pour une dette
qu'Équifax lui attribue. Ils lui ont dit: On peut mettre votre version,
ça va nuire à votre crédit. Vous savez, il n'y a pas juste
les fonctionnaires qui sont fermés dans le secteur public, il y a des
fonctionnaires du privé qui sont... Autrement dit, on dit: Vous avez un
droit, si vous l'exercez, ça va vous nuire. Il est resté avec sa
quittance, et il n'a pas tort, il a une quittance. Et c'est l'usage qu'on fait
du chantage. On va mettre votre version et vous allez avoir l'air de quelqu'un
d'un peu frauduleux, qui essaie d'influencer les rapports de crédit.
Alors que lui, ce qu'il a en main et qu'il leur a envoyé par
télécopieur, c'est une quittance. Ça se vérifie,
une quittance, on peut appeler celui qui l'a émise et vérifier si
vraiment on l'a émise. Ce que je dirais, c'est que votre suggestion
n'est pas inopportune, mais mettons que, Équifax, à l'heure
actuelle, a surtout développé ses bras et pas assez
peut-être le marketing.
M. Emmell: Mais c'est qu'Équifax a un client, c'est les
institutions. C'est officiel qu'elle va répondre aux besoins des
institutions.
M. Bourdon: Vous avez parfaitement raison.
M. Emmell: Par contre, le projet de loi aujourd'hui va donner
recours aux gens pour vraiment faire changer les choses.
M. Bourdon: C'est ça. Dans le fond, vous avez raison,
c'est fondamental, il faut être capable de faire modifier sans que ce
soit un drame, sans que ce soit compliqué. Mais ce que je veux vous
dire, c'est que c'est une erreur grave, même quand on a des clients, de
négliger les clients des clients, parce que les clients tiennent compte,
eux, de leurs clients, à la longue. Les ennemis de nos ennemis ne sont
pas nécessairement nos amis, mais les clients de nos clients, on est
peut-être mieux de les avoir un peu comme amis. En tout cas, je vous
félicite de nouveau pour le contenu de votre mémoire et pour la
connaissance que vous avez de la réalité. Pour des gens qui
vivent dans une bâtisse comme nous ici, c'est toujours bien important de
se faire dire par le monde extérieur ce qui se passe dans la
réalité.
Le Président (M. Doyon): Merci, M. le député
de Pointe-aux-Trembles. Je pense que les témoignages des deux
côtés sont à l'effet que ce que vous nous avez
présenté ouvre des avenues intéressantes et que tout le
monde s'entend sur les objectifs poursuivis. Je pense qu'il y a un bout de
chemin qui peut être fait. Alors, M. Emmell, je vous remercie d'avoir
bien voulu participer et contribuer à ce travail de la commission, et je
vous souhaite un bon retour. Je suspends les travaux de cette commission
jusqu'à 20 heures ce soir.
(Suspension de la séance à 17 h 15)
(Reprise à 20 h 3)
Le Président (M. Doyon): Le quorum qu'on avait cet
après-midi se continue. Nous allons maintenant entendre l'Association
des archivistes du Québec. Je les invite à bien vouloir
s'avancer, à prendre place à la table de nos invités, s'il
vous plaît.
Une voix: Bonjour, M. le Président.
Le Président (M. Doyon): Alors, je souhaite la bienvenue
aux quatre personnes qui viennent de prendre place. Il s'agit de M. Marc
Beaudoin, qui est le président, d'après ce que je comprends, de
Mme Louise Gagnon-Arguin, M. Éric Lemieux et M. Michel Lévesque.
Soyez les bienvenus. Vous allez nous présenter votre mémoire ou
en faire un résumé pour 15 ou 20 minutes; après ça,
le ministre ainsi que M. le député de Pointe-aux-Trembles et
peut-être d'autres membres de la commission s'entretiendront avec vous
pour quelques minutes aussi.
Vous êtes invités à bien vouloir vous
présenter pour les fins de la transcription de nos débats. Vous
avez la parole, nous vous écoutons.
Association des archivistes du Québec inc.
(AAQ)
M. Beaudoin (Marc): Merci, M. le Président. Alors, mon nom
est Marc Beaudoin, je suis donc président de l'Association des
archivistes; à ma droite, il y a Mme Louise Gagnon-Arguin, qui est
professeure à l'École de bibliothéconomie et des sciences
de la documentation; à ma gauche, M. Éric Lemieux, qui est
étudiant en maîtrise et dont le sujet du mémoire est sur
l'accès à l'information; il fait sa maîtrise à
l'Université de Montréal; et, enfin, M. Michel Lévesque,
qui est archiviste de l'Association des archivistes du Québec et qui est
spécialiste dans les calendriers de conservation et qui a à son
crédit déjà deux publications.
Le Président (M. Doyon): Nous sommes heureux de vous
avoir.
M. Beaudoin: Merci. Donc, très brièvement,
l'Association des archivistes du Québec a été
créée en 1967 et compte plus de 500 membres qui proviennent de
différents secteurs d'activité; soulignons, entre autres, 34 % du
secteur public et 27 % du secteur privé. L'Association des archivistes
regroupe des personnes qui offrent aux organismes et à leurs
clientèles des services liés
à la gestion de leur information produite ou reçue dans le
cadre du mandat de ces organismes, consignée sur un support quelconque
et conservée soit pour leur valeur légale, administrative,
financière et même de recherche. L'Association offre à ses
membres des services propres à assurer le développement,
l'enrichissement et la promotion de la profession et de la
spécialité. Elle s'implique activement en favorisant la recherche
et le développement de la discipline dans les institutions
d'enseignement et en assurant la représentation de la profession dans la
société québécoise et auprès des corps
publics. C'est d'ailleurs à ce titre que nous nous présentons, ce
soir, pour exprimer notre opinion sur le projet de loi relatif à la
protection des renseignements personnels dans le secteur privé.
Forte de 10 ans d'expérience dans l'application de la Loi sur
l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des
renseignements personnels et d'une expertise qui tire ses fondements dans les
plus anciennes civilisations, les membres de l'Association des archivistes du
Québec ont les qualifications nécessaires pour apprécier
et évaluer de façon éclairée les dispositions du
projet de loi présentement à l'étude. L'Association tient
à exprimer son accord de principe quant au bien-fondé d'une telle
loi au Québec. Le développement fulgurant de l'informatique au
sein des organismes publics et, à plus forte raison, au sein des
organismes privés, crée des conditions propices au transfert,
à l'échange, au couplage des renseignements et, par
conséquent, à l'intrusion dans la vie privée des
citoyens.
Déjà, huit provinces canadiennes ont des lois semblables.
La Déclaration des droits de l'homme, depuis 1948, veut protéger
la vie privée; plusieurs États et même la Communauté
européenne ont adopté des législations visant à
mieux protéger leurs citoyens. En adoptant cette loi, le Québec
se met à l'heure des pays les plus avancés dans le domaine de la
protection des droits les plus fondamentaux. Nous sommes donc heureux de
constater que l'expérience de l'application de la Loi sur l'accès
s'est reflétée dans la rédaction du présent projet
de loi. Cette approche des législateurs ne peut qu'être
bénéfique au succès d'une loi qui vient renforcer la
protection de la vie privée des Québécois.
J'inviterais maintenant M. Éric Lemieux à nous parler de
certaines lacunes que nous avons rencontrées dans le projet de loi
à l'étude.
Le Président (M. Doyon): M. Lemieux.
M. Lemieux (Éric): Bonsoir, M. le Président. Les
lacunes qui ont été relevées par l'Association des
archivistes du Québec tiennent essentiellement au fait que la gestion
des renseignements personnels, au moment où la durée
nécessaire à la réalisation de l'objet du dossier est
terminée, il faut absolument... Excusez-moi, je recommence.
La gestion des renseignements personnels, au moment où la
durée nécessaire à la réalisation de l'objet du
dossier est terminée, doit tenir compte du fait qu'il y a une vie qui
suit, justement, l'objet du dossier. Nous sommes ici, donc, pour souligner que,
suite à l'épuisement de cet objet, il y a deux
possibilités: soit que ces dossiers-là aient une valeur
secondaire qui est d'ordre historique ou alors de recherche, ou qu'ils n'aient
pas de valeur secondaire et qu'à ce moment-là il faille
décider de détruire ces dossiers-là. Dans l'une ou l'autre
de ces possibilités-là, il y a une décision à
prendre quant à leur sort. (20 h 10)
Or, le projet de loi ne tient pas compte de cette
réalité-là qui est une réalité archivistique
bien ancrée. Plus particulièrement, ce sont les articles 1, 9, 11
et 38 qui ne tiennent pas compte de cette réalité-là par
leur libellé. Il y a donc une espèce de vide juridique, ici,
créé par le projet de loi qui fait que les documents ne sont pas
protégés, c'est-à-dire que le caractère
confidentiel des documents n'est pas protégé suite à la
fin de la durée nécessaire de la réalisation de l'objet du
dossier.
Il y a bien l'article 26 de la Loi sur les archives qui prévoit,
dans le cas d'un organisme privé qui va verser des documents soit
à un organisme public ou au conservateur national, une entente quant
à la protection des renseignements personnels. Mais c'est justement dans
le cas où un organisme privé ne verse pas ces documents, ces
dossiers personnels à un organisme public ou au conservateur que les
documents ne sont plus protégés. Le projet de loi 68 ne
prévoit rien à cet effet et il n'y a aucune loi non plus qui le
prévoit. Il y a donc une espèce de vide juridique ici quant
à la protection du caractère confidentiel des dossiers.
Donc, c'est la principale lacune sur laquelle le mémoire insiste,
veut insister. Nous croyons que c'est important, en tant qu'archivistes, de
souligner que les documents n'ont pas qu'une vie active, mais ils ont une
vie... On doit les détruire, ces documents-là, ou décider
de les conserver et, à ce moment-là, c'est aussi important de
préserver le caractère confidentiel que pendant qu'ils sont
actifs.
Je dois aussi vous présenter les problèmes terminologiques
qui ont été soulevés par l'AAQ et qui découlent un
peu, qui découlent même beaucoup du problème que je viens
de vous soulever. Donc, dans l'esprit de la gestion des renseignements
personnels jusqu'à la destruction ou à la conservation des
dossiers, il faut voir que, dans la première sous-section de la section
III du projet de loi, il y a une confusion d'intention.
Dans la première sous-section, dans le titre, on utilise le terme
«conservation» alors que, dans les articles 1, 9, 11 et 38, on
utilise tout le temps le terme «détient» qui fait
référence à la
détention des dossiers. C'est cette confusion qui relève
directement du projet de loi, mais il y a aussi dans l'esprit des correctifs
que nous avons apportés à l'article 1, dans la section
précédente, où le maintien du terme... C'est-à-dire
qu'il y a aussi... C'est ça. Dans l'esprit des correctifs
apportés à l'article 1, il y a une confusion parce que quand on
parle de conservation en archivis-tique, on parle de la seconde vie des
dossiers dont je vous parlais tantôt, alors que le projet de loi n'en
parle pas du tout, à part pour ce terme-là qui est le titre de la
troisième sous-section. Donc, on propose le maintien du terme
«conservation», dans l'esprit des correctifs que nous avons
apportés dans la première section, pour le titre et les articles
9, 11 et 38.
Mais nous devons aussi mentionner qu'il serait valable d'ajouter le
terme «destruction», toujours dans le même esprit des
correctifs dont on a fait part dans la première section. Aussi, on
devrait inclure le terme «détention» tel qu'il est
déjà mentionné dans les articles: on devrait l'inclure
dans le titre de cette section pour refléter les articles, justement.
Enfin, on devrait aussi ajouter un troisième alinéa, à
l'article 11, pour préciser les conditions de disposition qui sont soit
ia conservation ou la destruction des dossiers.
L'effet de ces modifications-là, ce serait de responsabiliser les
organismes privés pour assurer la protection des renseignements
personnels pendant tout le cycle de vie de ces dossiers-là et non pas
uniquement pendant qu'ils sont actifs, et aussi de responsabiliser les
organismes privés quant à leur obligation sociale de constituer
et de conserver la mémoire institutionnelle de ces organismes.
Alors, je vous remercie et je passe la parole à Mme Louise
Gagnon-Arguin.
Mme Gagnon-Arguin (Louise): Alors, moi, j'interviendrai sur le
sujet des personnes qui sont responsables dans l'organisme de la protection des
renseignements personnels. Alors, le projet de loi identifie deux groupes de
personnes qui seront responsables. Un premier groupe qui sont les agents de
renseignements personnels mais, ces personnes-là, ce sont
particulièrement celles qui ont des relations, qui doivent remettre des
rapports de crédit. Et on identifie un autre groupe qui sont les chefs
d'entreprise. Pour l'agent de renseignements personnels, le rôle est
très clair. On identifie très bien son rôle, à
l'article 30 quelque chose. On dit bien que son nom doit être rendu
officiel, que son nom doit être publié dans une liste, que cette
liste-là peut être consultée, que cette personne-là
doit informer les gens à l'intérieur de l'organisme des
procédures à suivre pour la protection des renseignements
personnels. Ça va bien, donc, pour ceux qui sont du secteur de
crédit. Lorsqu'on arrive dans les autres entreprises, on croit que la
personne responsable - et c'est bien indiqué aux articles 9, 10 et 11 -
est le chef d'entreprise. Mais, dans son cas, les responsabilités sont
placées, dans le projet de loi, à différents articles, ce
qui fait que son rôle est beaucoup plus diffus. Donc, on le retrouve
à 9, 10, 11 et 25. À l'article 25, on identifie que le chef
d'entreprise doit désigner une personne responsable des renseignements
personnels. Donc, on peut croire que, même dans ces entreprises, il doit
aussi y avoir une personne, mais c'est beaucoup moins clair. Donc. notre
mémoire suggère que, pour le chef d'entreprise et la personne
à qui il délègue ses pouvoirs, le rôie soit beaucoup
mieux identifié.
Dans la perspective générale de notre mémoire,
à savoir que les renseignements personnels sont des renseignements au
même titre que d'autres renseignements dans l'entreprise, donc, dans cet
esprit-là, nous considérons que cette personne qui sera
responsable de la protection des renseignements personnels, de leur
conservation ou de leur destruction, s'il y a lieu, que cette
personne-là, donc, soit bien identifiée dans le mémoire et
que cette personne-là soit aussi responsable en même temps, dans
l'entreprise, de l'ensemble de la gestion de l'information produite par
l'entreprise. Et je reviens toujours à i'esprit de notre mémoire
qui veut que les renseignements personnels, c'est une partie des informations
que détient une entreprise pour la gestion de son information.
Le Président (M. Doyon): Je vous remercie, Mme
Gagnon-Arguin.
M. Beaudoin: M. Lévesque.
Le Président (M. Doyon): M. Lévesque.
M. Lévesque (Michel): En fait, moi, c'est pour... Surtout,
on avait étudié un peu le projet aussi dans l'optique de ce qui
existe déjà au niveau de la Loi sur l'accès aux documents
des organismes publics pour, effectivement, faire des parallèles et des
corollaires. On salue l'article 40 qui fait en sorte qu'on introduit le recours
collectif possible qui, d'après nous, va effectivement renforcer les
droits du citoyen vis-à-vis d'un organisme qui léserait ses
droits par rapport à l'information, donc un recours collectif pour
éviter, effectivement, plusieurs recours possibles. Ça, pour
nous, c'est un point majeur, un point important. On trouve que même ce
point-là devrait aussi faire l'objet de la loi actuelle sur
l'accès aux documents pour les organismes publics.
L'autre point qu'on considère important, c'est la
désignation d'un médiateur en cas de mésentente entre les
parties. Donc, introduire effectivement ce processus de médiation nous
apparaît comme étant un processus intéressant pour
éviter que ça traîne en longueur et pour éviter
aussi à la Commission de toujours gérer
tout ce qui pourrait exister en tant que mésentente. Donc, pour
nous, c'est un autre point qui est intéressant. C'est un point,
d'ailleurs, où on remarque que, ça aussi, ça aurait pu
faire l'objet, effectivement, de la loi sur l'accès à
l'information pour les organismes publics - je vous fais grâce du titre,
on sait que le titre est long comme ça pour la loi pour les organismes
publics! On considère aussi que l'article 55 qui, finalement, dit qu'une
demande d'examen de mésentente, après un an et après les
procédures... C'est-à-dire qu'on a fini les procédures,
après un an on ne peut plus revenir sur ces cas-là; nous, on
trouve ça encore là valable. Ça a pour effet de limiter le
temps et pour nous, archivistes, quand on doit déterminer effectivement
Ie3 durées de conservation, on est toujours penchés sur ces
problèmes-là. Donc, ça, c'est un processus
intéressant encore, de limiter, pour vraiment faire en sorte que, s'il
n'y a pas eu d'entente, c'est clos.
Le dernier point qu'on trouve effectivement pertinent dans le projet de
loi, ce sont deux articles. Le mémoire en mentionne un, l'article 81,
mais c'est aussi l'article 82. Donc, les articles 81 et 82 qui font en sorte
que, effectivement, on prévoit une durée de cinq ans pour... La
Commission devra produire un rapport d'étape à tous les cinq ans.
Ça, pour nous, c'est un processus intéressant de révision
par un comité qui devra évaluer le rapport produit, comme il
existe pour l'autre loi. Ça, pour nous, ça nous apparaît un
autre point intéressant dans le projet de loi. Donc, j'avais des points
intéressants à vous dire. Voilà.
Le Président (M. Doyon): Merci.
M. Beaudoin: Vous permettrez, M. le Président...
Le Président (M. Doyon): Oui, M. Beaudoin.
M. Beaudoin: ...je voudrais conclure. Simplement vous rappeler
que, pour nous, il est important, lorsqu'on veut adopter une loi sur la gestion
de l'information, surtout en ce qui concerne les renseignements personnels...
Mais, dans l'ensemble, il y a déjà eu une loi sur les archives.
On a une loi sur la protection des renseignements tenus par les organismes
privés. Maintenant, vous arrivez avec une loi sur la protection des
renseignements détenus par des organismes privés. Je pense qu'il
est important que cette information-là soit gérée de sa
création à sa destruction et qu'en aucun moment on se retrouve
avec une possibilité que cette information-là ne soit plus sous
aucun contrôle. L'ensemble de notre mémoire et de nos
interventions est vraiment dans ce sens-là. Si on retenait uniquement
ceci, je pense qu'on aurait atteint notre but. Merci, M. le Président.
(20 h 20)
Le Président (M. Doyon): Merci, donc, M. le
président. Il appartient maintenant à M. le ministre de discuter
de vos représentations avec vous autres.
M. Cannon: Merci, M. le Président. M. Beaudoin, les gens
de l'Association, bienvenue. Merci d'être là. D'abord, vous
féliciter pour la qualité de votre mémoire. C'est un
mémoire fort construct. J'ai bien apprécié lire vos
commentaires, particulièrement parce que la gestion documentaire, c'est
un volet que l'on a souvent le désagréable plaisir de ne pas
regarder ou, enfin, de simplement tenter d'évacuer. Quand vous nous
dites, à la fin, qu'il serait essentiel que nous puissions gérer
la documentation dès son départ, dès sa création
jusqu'à sa destruction, je pense que c'est un souci qu'on doit avoir.
Merci aussi d'avoir bien indiqué les articles qui, selon vous, en termes
de conservation ou de destruction ou de détention, méritent
d'être regardés. Je puis vous affirmer que nous allons regarder
ça avec beaucoup d'attention.
J'aurais quelques questions à vous poser, toujours par rapport
à votre mémoire. Lorsque vous dites que l'article 38, à
votre avis, n'est pas clair, n'est pas bien formulé, pourriez-vous me
préciser ce que vous entendez précisément par cette
formulation, les difficultés que vous rencontrez quant à sa
compréhension?
M. Lemieux (Éric): Vous me permettrez de relire l'article
un peu.
M. Cannon: Oui, oui. On est là pour ça.
M. Lemieux (Éric): Bon. La confusion tient dans le premier
paragraphe. Nous, ce qu'on a remarqué, c'est que, bon... On va lire
l'article: «Toute personne intéressée peut soumettre
à la Commission d'accès à l'information une
mésentente portant sur l'application à la collecte, à la
détention, [...] de toute disposition d'une loi relative à la
protection des renseignements personnels.» Nous, on a cru que la
formulation suivante serait plus claire, c'est-à-dire: Toute personne
intéressée peut soumettre à la Commission d'accès
à l'information une mésentente portant sur l'application de toute
disposition d'une loi relative à la protection des renseignements
personnels - et là - à la collecte et à la
détention. Donc, autrement dit, l'application, vous voyez... Une
mésentente portant sur l'application - l'application de quoi? - de toute
disposition d'une loi relative. Il nous semble qu'il serait beaucoup plus clair
de jumeler ces deux bouts de phrase et, ensuite, de spécifier à
quel moment on doit, justement, soumettre cette mésentente.
M. Cannon: O.K. Ça va.
M. Lemieux (Éric): Est-ce que c'est clair?
M. Cannon: C'est noté. Pourriez-vous me donner un exemple
de renseignement personnel ayant une valeur historique nécessitant qu'il
soit conservé, malgré, évidemment, l'objet ou, enfin, la
réalisation de l'objet du dossier?
Mme Gagnon-Arguin: Toute cueillette d'information pour
l'administration courante d'une organisation ou d'une entreprise - on est dans
le secteur privé - se fait à partir d'un besoin de l'organisation
et à partir d'un problème, d'une nécessité
quelconque. Dès ce moment-là, cet élément fait
partie de la culture de l'organisation, fait partie de son histoire -
là, je mettrais ça plutôt entre guillemets, c'est
peut-être un peu général - mais fait au moins partie, en
tout cas, de son cheminement. Alors, si on annule, à un moment
donné, toute cette partie d'information qui peut être un
renseignement personnel, vous annulez à ce moment-là tout un
volet des activités d'une organisation, parce que la cueillette du
renseignement personnel, on l'a faite parce qu'on avait une activité x,
on proposait une activité x, on menait une opération quelconque
et, dans le temps, le témoignage de cette opération-là
disparaîtra. Je ne dis pas, à ce moment-là, qu'il faut tout
conserver, au contraire. Ce que les archivistes ont développé
comme expertise, c'est justement l'analyse, dès le départ, des
informations qui peuvent être utiles. Par exemple, ça pourrait
nous amener à effectivement éliminer toute une catégorie
de renseignements puisqu'il y a un cumul quelque part de la même
information et qui sera souvent dépersonnalisée. Mais quand on
dit: II peut y avoir des renseignements, oui, qui atteignent une valeur
historique, on se pose la question au moment de leur création, et
ça ne veut pas dire qu'on va toujours les conserver. Mais quand on
regarde une entreprise - je vous donne un exemple, là - comme l'Alcan,
par exemple, qui, actuellement, peut mener des recherches sur le cancer parce
qu'elle a les dossiers de ses employés, bien, voilà des
renseignements personnels qui se sont accumulés au cours des ans et,
maintenant, c'est le cumul de ces renseignements-là qui permet une
recherche. Mais, si on avait annulé, par exemple, je ne sais pas, moi,
tous les billets d'absence, parce qu'on se dit: Ah, bien, coudon, des billets
d'absence, ce n'est pas très grave, bien, qui, à un moment
donné, dans 30 ans, pourrait dire que, dans cette entreprise-là,
je ne sais pas, moi, il y a eu tant de pourcentage de temps perdu pour des
raisons de maladie? Donc, vous voyez, c'est... Mais il faut analyser la
cueillette de ces informations-là. On l'analyse, au départ, pour
répondre au besoin, le besoin d'information, et puis, dans un
deuxième temps, on peut jeter un regard en se disant: Oui, maintenant,
dans le temps, quelles informations pourront nous être utiles? Alors,
c'est dans ce sens-là qu'un renseignement personnel peut acquérir
une valeur de recherche.
M. Cannon: Notre projet de loi, effectivement, ne va
peut-être pas aussi loin que ça. Je comprends très bien ce
que vous me dites au sujet d'études qui, à un moment
donné, compte tenu d'un échantillonnage, nous obligent ou nous
permettent de faire des progrès scientifiques et technologiques sur la
nature des maladies, peut-être congénitales ou d'autres formes,
compte tenu des conditions de travail dans un endroit ou un lieu donné.
Je comprends ça. L'objet de notre approche dans le projet de loi en est
un de consentement. Je pense que, là...
Une voix: Oui.
M. Cannon: ...il faudrait examiner cette chose-là et aussi
s'assurer, bien sûr, que lorsque l'on accepte d'aller au-delà de
l'objet pour lequel la réalisation ou l'information a été
recueillie, ça puisse être très bien balisé. C'est
sûr que vous me parlez de certains cas, mais mon inquiétude, ce
serait l'usage de ces renseignements-là par des tiers, pour d'autres
fins que celles pour lesquelles on voudrait précisément
prescrire; ça, c'est le danger. C'est un gros danger dans notre
société. Je comprends, par contre, les exceptions et la ligne ou,
enfin, la direction que vous nous tracez.
M. Beaudoin: Vous permettez? M. Cannon: Oui.
M. Beaudoin: Je pourrais simplement vous permettre de... Il y a
quand même déjà, dans les pratiques archivistiques, des
balises qui nous permettent de protéger quand même des personnes,
ne serait-ce que par des délais de ce qu'on pourrait qualifier d'embargo
d'accessibilité à une information qui est trop
personnalisée, de façon à permettre qu'il y ait un certain
temps qui s'écoule entre le moment où les données ont
été saisies et le moment où elles sont utilisées.
Il y a aussi, de toute façon... Déjà, dans la loi des
archives, on avait prévu ces éléments-là et ils
pourraient donc s'appliquer de la même façon, en ce qui concerne
les renseignements détenus par les organismes privés.
M. Cannon: Précisément sur la même question,
est-ce que vous croyez que c'est possible d'établir un calendrier de
conservation dans le secteur privé? (20 h 30)
M. Beaudoin: C'est tout à fait possible. Le
spécialiste du calendrier va certainement compléter.
M. Lévesque (Michel): C'est possible et même
favorable. Je pense que toute entreprise quelle qu'elle soit, et ça, on
le constate, effectivement, les grandes entreprises commencent à se
doter... Si on va voir aux États-Unis, effective-
ment, de plus en plus, les grandes entreprises et même les petites
et les moyennes entreprises commencent à se doter, effectivement, de
calendriers de conservation. Un calendrier de conservation, c'est un argument
quasiment légal, même devant la cour, c'est-à-dire que
ça détermine combien de temps on doit conserver de l'information,
justement. Après ça, avec cette information-là, lorsqu'on
n'en a plus besoin pour des fins légales ou des fins administratives ou
des fins financières, bien, ça nous dit: On la détruit ou,
effectivement, on la conserve à des fins historiques. Si on la conserve
à des fins historiques, comme le disait Marc Beaudoin, effectivement, il
peut y avoir des mécanismes qui font en sorte que... Comme dans la Loi
sur les archives, où on prévoit 150 ans de
non-accessibilité de ces informations personnelles, où on
prévoit pour les documents privés... La Loi sur les archives
prévoit pour les documents privés une entente à l'amiable,
mais qui ne dépasserait pas 30 ans, si bien que, quand même, il y
a des mécanismes pouvant mieux baliser... Mais, à votre question,
je pense que oui. C'est sûr que je suis vendu, j'enseigne même les
calendriers de conservation et on essaie de développer, effectivement,
un peu plus ce nouveau marché - entre guillemets.
M. Cannon: Je le vois par votre enthousiasme.
M. Lévesque (Michel): C'est bien!
M. Cannon: Mais pour revenir un peu à ce que nous
échangions plus tôt, la question de conserver des renseignements,
des informations - je parlais de balises qu'il faudrait que l'on puisse
instaurer - d'abord, il ne faudrait pas que ces renseignements-là ou ces
informations-là soient disponibles à tout le monde. Et je sais
que, bien sûr, s'inspirant un peu de ce que vous avez déjà
fait, ça peut nous guider dans la voie de balises que l'on pourrait
établir, je présume.
Mme Gagnon-Arguin: Vous savez, le risque que vous craignez, que
vous avez exprimé tout à l'heure, à savoir que justement
ces renseignements puissent tomber entre les mains de tiers, je trouve que le
risque est très grand dans la loi actuelle parce qu'on ne prévoit
rien après la création. On prévoit une détention,
éventuellement - puis nous, on a demandé de l'appeler
plutôt «conservation» - mais il n'y a rien qui balise. Et
même, pire que ça, Éric soulignait tout à l'heure le
vide juridique. Si ces documents-là sont déposés dans un
dépôt privé, ils ne sont absolument plus
protégés par aucune loi. Alors, vous voyez. Je pense que vous
avez raison, la loi ne va pas jusque-là, mais ce n'est pas sûr
qu'elle ne devrait pas, en tout cas, aller un petit peu plus loin si on veut
vraiment protéger ces renseignements comme ça semble être
votre préoccupation.
M. Cannon: O.K. Merci. Oui.
M. Lévesque (Michel): J'aimerais ajouter une chose. Il y a
des histoires quand même assez farfelues qui arrivent. Quand on lit dans
les journaux qu'un avocat, à Montréal, a laissé sur le
trottoir les documents de ses clients... Bon, on est indirectement quasiment
dans l'entreprise privée, bon, n'importe qui peut passer et ramasser
ça, lire ce qui est arrivé avec les clients. Donc, il faut, je
pense, en arriver, justement, à convaincre les organismes qu'ils ont
besoin d'aller jusqu'au bout du cheminement de vie d'un document comme tel.
Le Président (M. Doyon): Merci. M. le député
de Pointe-aux-Trembles.
M. Bourdon: Justement, ce qui me frappe de l'exemple que vous
donniez d'un avocat qui laisse traîner les dossiers de ses clients, on a
tous souvenir aussi d'un hôpital qui laissait des tonnes de documents sur
la rue. Des enfants s'étaient amusés avec des dossiers
médicaux. Il y a une relative confidentialité de conservée
quand l'entreprise juge les renseignements utiles mais, une fois leur
durée utile passée, on peut craindre que l'entreprise, n'y voyant
plus son compte, n'y voyant plus son utilité, le souci de la personne ne
pèse pas beaucoup et elle considère que ça appartient
à n'importe qui, vu qu'elle ne s'en sert plus, elle. Dans ce
sens-là, il y a peut-être un effort supplémentaire à
faire parce que l'employée qui a quitté il y a 14 ans, elle peut
trouver qu'il n'y a plus grand intérêt. Sans malice, remarquez.
Mais, simplement, quand le renseignement ne lui est plus utile à elle,
il faut trouver des moyens qu'elle se rappelle qu'il est personnellement
important pour des personnes de toute façon, même si elle peut
trouver que ça ne se fait plus d'avoir des brouillons à l'envers
d'un papier imprimé, donc, que ça n'a plus de valeur en tant que
telle.
M. Beaudoin: C'est vraiment le sens de notre mémoire, M.
le député. C'est dans ce contexte-là, dans cette
optique-là, justement pour éviter que de telles
décisions... Parce que, jusqu'à présent, la gestion de
l'information... Puis ça, on pourrait vous raconter une collection
d'histoires d'horreur en ce qui concerne la gestion de l'information dans les
entreprises où simplement, c'est basé uniquement sur des
décisions que je qualifierais de coups de coeur, donc, émotives.
Demain matin, on fait le ménage, bon, parce qu'on a eu une mauvaise
nuit, etc. C'est pour ça qu'il faut en arriver - et c'est dans ce
sens-là que notre mémoire est rédigé - à ce
qu'il y ait une véritable gestion de l'information dans les entreprises,
qu'elles soient publiques ou privées. On est arrivé à
quelque chose au niveau gouvernemental, et je pense que c'est tant mieux, mais
il faudrait qu'on en arrive
au même niveau en ce qui concerne l'entreprise privée et
qu'il n'y ait plus de ces coups de coeur qui font que le patron d'une
entreprise, pour un paquet de raisons, décide de faire son ménage
demain matin et de liquider cette information-là. D'où
l'importance d'avoir des spécialistes de la gestion de l'information
qui, avec l'entreprise, avec le patron, vont établir des calendriers de
délais de conservation, vont déterminer de quelle façon on
en dispose et, lorsque ce sont des renseignements personnels, des
renseignements privés, des informations privées, qu'on en dispose
de façon à ce qu'ils ne soient pas divulgués, si on doit
les détruire. Et c'est vraiment dans ce sens-là que nous vous
présentons notre mémoire.
M. Bourdon: Est-ce que, à l'occasion, on invoque
l'argument qui a été invoqué par des intervenants ici,
à savoir qu'au plan informatique il n'est pas possible de couper des
renseignements en reculant dans l'ordre chronologique? Remarquez que
j'étais sceptique quand j'ai entendu l'argument parce que, comme
d'autres technologies, l'informatique a le dos large, mais il me semblait que
sur le plan de la logique, si on peut déterminer le moment où on
commence à constituer un dossier, il me semble que ça devrait
être techniquement faisable de dire qu'avant telle année, par
hypothèse, on efface les données.
M. Beaudoin: Effectivement, c'est réaliste, mais vous
savez très bien que les informaticiens ont des mécanismes, ce
qu'ils appellent des copies de sécurité, qui deviennent, dans le
cas des bases de données de renseignements personnels, si on parle de ce
cas-là, de véritables bombes à retardement si elles ne
sont pas gérées de façon sécuritaire. Et souvent,
un bon gestionnaire de l'information informatique va se donner une
possibilité d'avoir jusqu'à cinq générations de ces
copies de sécurité en arrière. Donc, c'est facile de
remonter beaucoup plus que simplement le fichier qui est actuellement en
exercice.
M. Bourdon: Autrement dit, vous dites qu'il y a dans les
ordinateurs l'équivalent de la ruelle pleine des dossiers
médicaux de tout un quartier.
M. Beaudoin: D'autant plus que...
M. Bourdon: Puis, s'il y a quelque chose, il y en a
peut-être encore plus parce que la capacité de stockage... Dans la
ruelle, ils finissent par geler ou être ensevelis par la neige, ce qui
n'est pas le cas dans un ordinateur.
M. Lévesque (Michel): Je pense qu'il faut faire attention
aussi avec l'informatique. C'est que, de plus en plus, même les
gestionnaires de documents et les archivistes commencent, eux aussi, à
prendre conscience de ce problème. Bien, pour nous ça peut
être un problème parce que, finalement, il n'y a pas eu de gestion
comme telle de l'information mise dans les ordinateurs, mise dans les banques
de données. Et là, on est en train de s'apercevoir que les
mêmes principes qui s'appliquent lorsqu'on décide de la
durée de conservation des informations qu'il y a sur papier, on serait
à même de penser faire la même chose avec les documents
informatiques, donc avec les données informatiques. Ça pose des
problèmes parce que le support comme tel, bien entendu, est plus
contraignant qu'une feuille de papier. Mais il reste qu'on peut quand
même atteindre et avoir les mêmes principes. (20 h 40)
Je ne suis pas sûr, par contre, qu'à un moment
donné... Lorsque les données sont actives et lorsqu'elles sont
dans des banques de données où je peux les consulter à
tous les jours, là, effectivement, il y a des dangers. Mais quand ils
les mettent sur des rubans, quand ils transfèrent les données sur
des rubans magnétiques, il y a beaucoup moins de danger parce que...
Bon, c'est déjà un problème pour faire refonctionner ces
données-là à l'actif. Ici, on a pris la technologie parce
que, bon, on est en train de constater aussi que c'est moins pire que le
papier, parce que le papier se détruit moins vite, mais les banques de
données sur des rubans, ça se détruit beaucoup plus
rapidement. Donc, l'information devient, après cinq ans, illisible. Mais
il faut quand même penser avoir les mêmes mécanismes de
protection et d'élimination, parce que c'est de l'information quand
même. C'est le support qui change, mais c'est toujours de
l'information.
M. Bourdon: D'accord.
Le Président (M. Doyon): Merci, M. le
député. M. le ministre.
M. Cannon: Oui, peut-être une dernière question.
À l'occasion du consentement qui serait fourni par le consommateur ou
par l'individu, est-ce que vous croyez qu'il serait utile de poser une autre
question, à savoir si les gens consentent également à ce
que les renseignements qu'ils vont confier soient conservés pour une
période de temps?
Mme Gagnon-Arguin: Si, lors de la création de la base
d'informations, on a cru bon que ces informations-là soient
gardées. Si, au moment de la création, on se dit: Bon, c'est pour
un temps x, la formulation que vous utilisez pour l'objet, à ce
moment-là, si on a prévu qu'on la détruirait après
tant d'années, je pense que ce n'est peut-être pas
nécessaire de poser la question. Mais si, lors de la création,
toujours, on a identifié ce besoin de conservation, c'est
peut-être une bonne idée, justement, mais en l'ayant prévu
d'avance; ce n'est pas après coup. Et je pense qu'on ne devrait pas le
faire pour tout, parce que ce n'est pas tout qui doit être
conservé.
M. Lévesque (Michel): Je pense qu'il devrait y avoir, dans
cette optique, une prise de conscience aussi par les gens, par les entreprises
que certaines informations, et même personnelles, peuvent servir à
la mémoire collective du Québec. On est en train de s'apercevoir
aussi qu'il y a tout un pan de mur, tout un pan de la société
québécoise, on pourrait dire de la petite histoire
québécoise de l'entreprise qui se perd justement comme ça.
Et, dans cette information-là, il peut y avoir aussi de l'information
confidentielle, mais qui sera accessible peut-être après un
certain temps en fonction d'ententes, effectivement, et de durée de
conservation déterminée.
M. Cannon: O.K.
Le Président (M. Doyon): II me vient une question à
l'esprit. Est-ce que, d'après vous, une information personnelle est un
droit qui peut se léguer à quelqu'un d'autre? Est-ce que,
disposant d'une information personnelle et disparaissant ce soir en retournant
chez moi, mon fils, par exemple, qui est mon successeur universel, aurait le
droit de donner des consentements, de récupérer et d'avoir
accès, ou si c'est exclusivement attaché à la personne?
Est-ce que vous avez réfléchi à ça?
Mme Gagnon-Arguin: Notre spécialiste du Code civil. C'est
marqué dans le Code civil?
M. Lévesque (Michel): C'est marqué dans le Code
civil? Non, peut-être pas vraiment mais... Non, ce n'est vraiment pas une
question facile. De lier les successions à un droit qui appartenait
à une personne en propre, ça ferait peut-être l'objet d'un
autre mémoire.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Lévesque (Michel): Moi, je dis que ça
dépend dans quel but. C'est toute l'utilisation qui en est faite par la
suite. Je pense qu'il y a des personnes qui, effectivement, diraient à
leur succession: Vous pouvez effectivement léguer ce que j'ai soumis, ce
que j'ai donné. Ils pourront utiliser ça sans réticence.
Tandis que, pour d'autres, ça dépend toujours. Il y a toujours le
fait de la vie privée, le fait qu'il ne faut pas que des choses soient
sues, etc. Mais là, ça dépend toujours de la nature de
l'information. Il y aurait à analyser tous les critères faisant
en sorte que, dans certains cas, bon, ce serait peut-être possible, dans
d'autres, bon, peut-être plus difficilement, et là, c'est
peut-être plus lié à des personnes données. Je ne
sais pas, moi, les archives d'un président, ce n'est peut-être pas
comme les archives d'une entreprise plus générale. Il pourrait y
avoir des nuances à établir, en tout cas.
Je pense que si on travaille dans l'optique que ces
renseignements-là peuvent servir à la mémoire collective,
on pourrait faire un avancé vers ça. Je pense. En tout cas, c'est
un espoir, peut-être, là.
Le Président (M. Doyon): Moi, je vous inviterais à
réfléchir à ça parce que c'est un sujet qui peut
nous amener loin. La question peut avoir un certain nombre de
conséquences considérables. On pense à des assureurs, par
exemple, qui peuvent assurer une personne et obtenir toutes sortes de
renseignements de nature très, très personnelle. Il peut
être de l'intérêt - et là, il faudrait en discuter -
des héritiers ou de la famille ou du bon renom de la personne que
même cette personne-là étant disparue, un certain nombre de
renseignements restent privés et cachés. Je ne sais pas. Je n'ai
pas de réponse à ça. C'est une question qui...
M. Lévesque (Michel): Ça va peut-être dans
les fins, dans le sens que, bon, habituellement, on travaille, nous,
archivistes, toujours en fonction de cette information confidentielle qui peut
être utilisée par la suite, mais surtout à des fins de
recherche, pas vraiment à des fins commerciales ou à des fins
privées ou à des fins journalistiques. Non, c'est vraiment
à des fins de recherche.
Et là, il faut être conscient que c'est toute une
responsabilité, mais c'est une responsabilité que, de toute
façon, nous avons en tant qu'archivistes. Effectivement, si on laissait
passer pour n'importe quelle demande futile certaines informations qui sont
conservées dans nos milieux, je ne suis pas sûr qu'il y a des gens
qui seraient très, très contents. Non, je pense qu'il faut
baliser, effectivement, pour la recherche. C'est vraiment dans cet esprit de
recherche et souvent, d'ailleurs, le chercheur se voit imposer des normes de ne
pas divulguer telle ou telle information dans son propre travail de recherche.
Il va se servir d'une base, effectivement, mais il n'aura pas à diffuser
les choses, des noms de personnes ou des numéros. Je pense que ça
serait peut-être un premier pas dans ma réflexion ou dans notre
réflexion.
Le Président (M. Doyon): Peut-être que vous aurez
l'occasion de revenir nous voir à un autre moment, et...
M. Lévesque (Michel): Peut-être.
Le Président (M. Doyon): ...nous pourrons avoir le fruit
de votre réflexion. Alors, il me reste, au nom des membres de la
commission, à vous remercier et à vous inviter à nous
revenir à une autre occasion. Merci beaucoup.
M. Lévesque (Michel): Merci et au revoir.
Le Président (M. Doyon): La commission in-
vite maintenant l'Association du transport aérien du Canada et
l'Association du transport aérien international à bien vouloir
s'avancer et prendre place à ia table de nos invités.
C'est avec beaucoup de plaisir que je souhaite la bienvenue au Dr Haeck,
ainsi qu'à M. Petsikas et M. Goldberg. Je les invite à nous faire
part de leurs remarques, les réflexions que peut avoir amenées
chez eux la présentation du projet de loi 68; après ça, le
ministre et les membres de la commission, particulièrement, M. le
député de Pointe-aux-Trembles, j'imagine, voudront discuter
quelque peu avec vous.
Si vous voulez bien vous présenter pour les fins du Journal
des débats; après ça, vous pourrez commencer votre
présentation de mémoire ou son résumé.
Association du transport aérien du
Canada
(ATAC) et Association du transport
aérien
international (IATA)
M. Petsikas (George): Merci, M. le Président. Mon nom est
George Petsikas. Je suis le directeur des affaires gouvernementales chez Air
Transat, à Montréal, et je me présente devant vous ce soir
en tant que président du comité juridique et législatif de
l'Association du transport aérien du Canada. J'ai avec moi ce soir le Dr
Louis Haeck, qui est le conseiller juridique et secrétaire adjoint de
l'Association du transport aérien international, et M. Howard Goldberg,
qui est le vice-président et secrétaire de l'Association du
transport aérien du Canada.
Le Président (M. Doyon): Soyez les bienvenus.
M. Petsikas: Merci. Comme vous le savez possiblement, M. le
Président, notre organisme regroupe la grande majorité des
entreprises qui évoluent dans tout le secteur de l'aviation commerciale
au Canada, que ce soit au niveau du transport aérien de passagers et de
marchandises ou au niveau de la formation des pilotes. Ce que j'ai l'intention
de faire ce soir, c'est une courte synthèse ou un résumé
d'environ cinq à dix minutes de notre mémoire, dont copie, si je
ne me trompe pas, a été distribuée à chacun et
chacune d'entre vous, mémoire qui englobe, évidemment, notre
position sur le projet de loi 68. Ensuite, le Dr Haeck fera une brève
présentation au nom de l'Association du transport aérien
international, après quoi, vu sa connaissance approfondie de la
matière, ça lui fera plaisir de répondre à toutes
vos questions. (20 h 50)
Alors, pour commencer, nous nous devons tout d'abord d'émettre
nos doutes en ce qui concerne ou en ce qui a trait à l'application
potentielle de ce projet de loi. Bien que nous constations l'utilité de
cette législation, nous considérons tout simplement qu'elle ne
s'applique pas à notre secteur, puisque l'aéronautique et les
services en découlant sont du ressort du législateur
fédéral. Les droits de juridiction exclusifs sont établis
depuis longtemps dans le domaine et, à cet effet, nous pouvons vous
référer à plusieurs arrêts de la Cour suprême
du Canada qui confirment clairement que l'aéronautique et les
éléments connexes ou les éléments qui en font
partie intégrante relèvent du fédéral.
Cela nous amène donc à soumettre que ce projet de loi 68,
si accepté, ne pourrait s'appliquer à l'industrie
aérienne, aux agents de voyages et aux sociétés effectuant
du transport de marchandises pour le compte de sociétés
aériennes. Maintenant, nonobstant le fait que l'ATAC considère
que le projet de loi 68 ne pourra avoir juridiction sur les compagnies
aériennes, elle se préoccupe de la protection des droits de ses
membres et, à cet effet, j'aimerais vous faire part de quelques-unes de
nos préoccupations face à certaines dispositions de votre
initiative.
Même si nous considérons que le projet de loi ne s'applique
pas aux transporteurs aériens, il est possible qu'une partie du travail
des agents de voyages ayant trait au transport aérien puisse être
touchée. Bien que l'industrie des agents de voyages relève
normalement du provincial, nous estimons que leurs activités,
liées directement à la vente des billets pour les transporteurs
aériens, c'est-à-dire l'obtention de renseignements personnels
sur le client et leur transmission subséquente aux transporteurs ne
devraient pas tomber sous le coup de cette loi. En effet, on est en
présence ici d'une relation d'agence, car l'agent, en vendant des
billets et en prenant des réservations, agit pour le compte exclusif du
transporteur. Il s'agit donc d'une activité faisant partie
intégrante du transport aérien et qui devrait, de ce fait,
être exemptée.
Tout comme pour l'agent de voyages, le même genre de raisonnement
s'applique dans le cas du «tour-opérateur» ou, si vous
voulez, du grossiste en voyages, le voyagiste. Comme vous le savez
possiblement, l'activité commerciale principale du voyagiste est
l'affrètement ou le nolisement de sièges d'avion auprès
des transporteurs aériens. D'ailleurs, la réglementation
fédérale prohibe la vente de sièges directement au public
de la part des transporteurs qui exploitent des vols nolisés. Cela doit
obligatoirement se faire par le biais de l'affréteur ou du voyagiste.
Donc, en achetant ces sièges et en les revendant au public, le voyagiste
devient en sorte le «marketeur» si vous voulez, entre guillemets,
de facto, du produit, soit le transport aérien, et joue ainsi un
rôle primordial et intégral en ce qui concerne le transport
aérien nolisé.
De plus, comme nous devons maintenir absolument la garantie des services
convenus aux passagers, cette garantie ne peut être obtenue qu'avec
l'échange des informations nécessaires.
Prenons, par exemple, la nécessité de transférer de
l'information d'un transporteur à un autre dans le cadre de services
fournis en commun par plusieurs transporteurs aériens. Or, on parle ici
encore d'une relation d'agence puisque l'échange d'informations sur un
passager en particulier peut être essentiel afin d'assurer qu'il
reçoive bien les services convenus lors du transfert de ce passager d'un
transporteur à un autre. Cette mise en commun de services par des
transporteurs à travers le monde est connue sous le terme technique de
«interlining», entre guillemets, et constitue un
élément clé et global du transport aérien. L'ATAC
aimerait que les transporteurs canadiens puissent continuer à participer
à ce système et apprécierait obtenir confirmation à
cet effet.
Il y a un autre point que l'ATAC aimerait soulever, soit celui de la
question de la création et du but du fichier. Je vous
réfère ici aux articles 4 et 5 de votre projet de loi. Nous
pensons qu'il est bon de créer un fichier pour tout voyage par avion
d'une personne pour y consigner les renseignements y afférents, mais pas
de créer un nouveau fichier pour chaque nouveau vol effectué.
D'ailleurs, les logiciels de systèmes de réservation en
Amérique du Nord ne permettent pas de créer des dossiers par
noms, à l'exception des cas où le passager voyage souvent et
requiert des services spéciaux, tels des repas spéciaux, un
emplacement spécial à bord, une chaise roulante, etc., services
qui doivent être fournis par tous les transporteurs consécutifs
d'un même voyage.
Aussi, nous soumettons que les exigences de l'article 5 peuvent
être satisfaites sans qu'il soit nécessaire pour les compagnies
aériennes de créer un nouveau fichier pour chaque transaction,
car le but ou l'objectif de l'ouverture d'un fichier, c'est de créer un
dossier dans lequel on met l'information, non seulement pour le voyage par
avion en question, mais aussi pour tout voyage subséquent que la
personne pourrait entreprendre. Donc, un fichier afin de satisfaire à un
seul et unique but: fournir des services de transport aérien.
L'article 24 du projet de loi exige la notification du passager
aussitôt qu'un dossier est constitué sur lui, exigence à
laquelle ne pourraient se soumettre les transporteurs aériens quand les
logiciels des systèmes de réservation en Amérique du Nord
n'ont pas été conçus pour y tirer des renseignements par
nom, tel que déjà souligné. Une reprogrammation de ceci
serait impensable, compte tenu des montants probables à débourser
et, de plus, le niveau de sécurité chuterait par rapport au
niveau actuel, puisque la recherche par nom sera dorénavant
possible.
Alors, tout ça étant dit, sommes-nous là ce soir
pour vous dire que voilà, bon, la juridiction du fédéral
est là et, par conséquent, on fait ce qu'on veut dans le domaine,
en ce qui concerne le traitement des renseignements personnels? La
réponse à ça est carrément non. Nous sommes
là aussi, ce soir, pour vous dire que, en tant qu'industrie, nous avons
même pris des initiatives dans le domaine, une espèce
d'autoréglementation, si vous voulez. À cet effet je vous
réfère à la résolution 6.4 datée du 2
juillet 1990 et intitulée «Protection du droit à la vie
privée et protection des données relatives aux renseignements
personnels lors du transport de passagers à l'occasion de vols
intérieurs, de vols vers l'étranger ou du transport de
marchandises par voie aérienne» - c'est assez long, là -
dont vous trouverez copie en annexe à notre mémoire. Je crois que
cette résolution est complètement conforme aux normes de
l'Association du transport aérien international, IATA, que le Dr Haeck
pourra vous décrire plus en détails. Ceci, d'après nous,
démontre clairement le désir de l'ATAC de conserver au passager
son droit de protection des renseignements personnels dans le secteur
privé. L'ATAC aimerait que les dispositions du projet de loi 68 ne
portent pas atteinte à ce besoin d'échange de renseignements,
puisque la circulation de l'information est un élément vital de
l'activité économique du transport aérien.
Ici, le gouvernement du Québec, l'Assemblée nationale est
priée de bien vouloir considérer l'option d'une
autoréglementation des entreprises mises en cause afin de ne pas
retarder ce flot continu d'informations essentielles à la santé
économique de notre industrie, qui connaît, malheureusement, comme
vous le savez, des épreuves financières assez importantes. Je
vous remercie de votre attention.
Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup. Oui, Dr
Haeck.
M. Haeck (Louis): Oui. Je vais poursuivre immédiatement et
répondre aux questions par la suite. L'IATA, comme vous savez, a son
siège social à Montréal et jouit d'un statut
privilégié au Québec en vertu d'un accord de siège
social avec le ministère des relations internationales. Pour nous,
lorsque nous avons été contactés par l'ATAC, qui
représente les transporteurs canadiens, nous avons pris connaissance de
leur mémoire et nous avons pris l'attitude de civilis-tes dans votre
Code civil: conjointement et solidairement, nous appuyons les transporteurs
canadiens, et d'autant plus que nous devons représenter les
intérêts des transports étrangers faisant affaire au
Québec. L'IATA représente, comme vous le savez, tous les
transporteurs internationaux, et non seulement les transporteurs canadiens que
l'ATAC représente. (21 heures)
IATA voudrait vous exposer respectueusement que les transporteurs
aériens étrangers qui opèrent au Québec le font en
vertu d'accords bilatéraux négociés avec le
ministère des Affaires extérieures, et ces accords
prévoient des provi-
sions de réciprocité. On ne peut pas imposer à des
transporteurs étrangers un fardeau plus lourd. Je vais vous donner un
exemple concret concernant la législation des flux de données
transfrontières. Lorsque la Finlande, l'Allemagne, les pays Scandinaves
ont adopté des législations «privatistes» très
fortes, je suis allé en Europe représenter tous les autres
transporteurs étrangers de ces pays-là pour leur faire dire que,
si vous imposez aux transporteurs étrangers des fardeaux lourds, vous
pouvez le faire aux transporteurs nationaux, mais sûrement pas aux
transporteurs étrangers, à des conditions qui ne sont pas
retenues dans les accords bilatéraux.
L'IATA est notre observateur à l'OCDE sur les flux de
données transfrontières depuis plus de 10 ans, et favorise
l'importance de la libre circulation des données transfrontières.
Quelques années auparavant, nous avons adopté une
résolution, dont vous avez copie dans le mémoire, et que ATAC,
par la suite, a reproduit pour les transporteurs canadiens, qui est une
autoréglementation volontaire des transporteurs, qui est conforme aux
lignes directrices de l'OCDE. Nous croyons que ces mesures protègent les
passagers et la vie privée de nos clients, d'autant plus que l'ATAC et
l'IATA ont collaboré avec le Commissaire à la protection de la
vie privée du Canada afin que ces directives soient respectées
par les transporteurs étrangers faisant affaire au Canada.
La complexité du transport aérien international est
particulière. Il faut, certes, protéger le droit à la vie
privée, mais il faut tenir compte également de la libre
circulation des données pour les lignes aériennes, pour
opérer normalement. Le consentement écrit nous apparaît
loin d'être pratique pour nous, et ce serait une solution qui serait
très onéreuse pour les lignes aériennes de demander le
consentement écrit, surtout si vous visez non seulement les passagers
québécois, mais tous les passagers étrangers qui
partiraient d'un aéroport du Québec.
La position américaine, comme vous le savez, favorise le flux des
informations, et les États-Unis n'ont pas jugé bon d'avoir une
codification de la législation sur la vie privée, mais
plutôt une série de législations particulières
à chaque industrie. Nous avons tenté, avec Air Canada,
l'année dernière, d'exposer à vos fonctionnaires pourquoi
l'IATA et la Chambre de commerce internationale avaient plusieurs
réserves quant au projet de directives de la CEE et à certaines
des législations européennes trop «privatistes».
Malheureusement, vos fonctionnaires n'ont pas, peut-être,
réalisé le statut exceptionnel des banques de données des
lignes aériennes internationales.
L'IATA, ayant un statut d'observateur aux conférences annuelles
des commissaires à la vie privée, a bien exprimé la
cacophonie des différentes législations européennes sur
les flux de données transfrontières. Je vais vous donner un
exemple concret. Un passager aimerait bien pouvoir réserver avec une
agence de voyages, ici dans la ville de Québec, des services pour un vol
d'handicapés, par téléphone, sans consentement
écrit, en réservant un siège et un fauteuil
spécial, avec des repas non allergènes ou typiques à sa
religion, et transmettre des données à des tiers reliés
aux opérations de nos membres pour le maintien du flux des
données transfrontières, sans mesures de contrôle
étatiques trop contraignantes pour les banques de données. La
situation économique de nos membres ne peut supporter d'autres charges
administratives sans en refléter le coût aux consommateurs.
L'exemple de Lufthansa, avec son ombudsman: on a dû changer tous
les systèmes de Lufthansa pour se conformer à la
législation. En Allemagne, on l'a fait pour Lufthansa, mais on ne l'a
pas imposé aux transporteurs étrangers, à cause des
accords bilatéraux. Mais ça a coûté une somme
énorme à Lufthansa de tout changer son système de
réservations pour pouvoir retrouver par le nom - le nom des passagers -
et non par le numéro de vol.
De plus, nous croyons que l'État a déjà beaucoup de
fonctionnaires qui exigent un lourd fardeau administratif à nos membres.
Il ne faut pas multiplier la réglementation, qui est déjà
assez lourde. De plus, dans certains pays, on pense à introduire des
législations forçant les transporteurs aériens à
donner des renseignements personnels avant que le vol ne se pose, pour des
raisons d'immigration, de douanes, de sécurité, afin de faciliter
la libre circulation des passagers. Il y aura peut-être plusieurs
problèmes de conflit de lois entre États. Sans faire trop de
droit comparé, il faut limiter l'extra-territorialité des lois,
et favoriser plutôt un régime international. L'IATA est soucieuse
de l'intérêt des passagers, de la préservation de la vie
privée des passagers, et nous croyons que les résolutions qui
existent actuellement, qui régissent les transporteurs internationaux
ainsi que les transporteurs canadiens répondent aux critères de
droit reconnus dans plusieurs pays occidentaux. Je vous remercie de votre
attention.
Le Président (M. Doyon): Merci, docteur. M. Goldberg? Non?
M. le ministre.
M. Cannon: Oui. Merci, M. le Président. Messieurs, merci,
merci de votre présence. Je trouve ça très, très,
très important que vous soyez ici devant nous, ce soir, quoique je
m'empresse, et je me permets de vous le dire immédiatement, que, quant
à celui qui vous parle et les opinions juridiques que nous
détenons, nous croyons legitimise dans nos actions d'aller de l'avant
avec une loi comme celle qui est ici ce soir, particulièrement en
fonction du Code civil. Vous évoquez que le transport aérien est
de juridiction fédérale, je suis avec vous. Je pense que mon
propos ne portera pas là-dessus, mais il portera davantage sur ce qui
est du
ressort des provinces, particulièrement la protection de la vie
privée, par conséquent, au Québec, le Code civil.
Ceci étant dit, vous m'avez parlé d'un certain nombre de
difficultés que vous avez à rencontrer sur une base quotidienne,
quant à la gestion de ces choses-là. Ma première question
porte davantage sur la capacité d'un individu d'avoir accès
à son dossier. Comment peut-il avoir accès à son dossier?
Est-ce qu'on lui donne accès à son dossier? Est-il
autorisé à voir son dossier? Si on lui refuse la
possibilité de voir son dossier, comment peut-il avoir gain de cause?
Où peut-il aller? À qui peut-il s'adresser?
M.- Haeck: Me Petsikas pourra me corriger pour les transporteurs
canadiens. Je vais vous avouer franchement, je peux vous répondre par
mon expérience en tant que Québécois - j'étais
conseiller juridique à Nordair, à l'époque. À
Nordair, on avait accès au dossier par le numéro du vol. C'est
impossible pour un passager d'arriver au bureau d'une ligne aérienne et
de dire: Je m'appelle Dr Haeck, et j'aimerais savoir tout ce que vous avez sur
mon dossier. Ça prend absolument une autre clé, non seulement le
nom, mais le numéro de vol. Sans le numéro de vol, c'est
impossible d'atteindre le dossier, pour la majorité des transporteurs
nord-américains.
Maintenant, je dois vous mettre en garde. Les transporteurs
étrangers, je pense à Air France, je ne sais pas, moi... Qui
est-ce qui fait affaire ici? Lufthansa vient ici. Les banques de données
de ces transporteurs ne sont probablement pas ici, mais j'imagine, grâce
aux satellites, qu'on peut accéder, peut-être avec un délai
plus long, à des banques de données situées dans des pays
étrangers pour avoir accès à ces données. Mais je
ne crois pas qu'on refuse à des passagers l'accès... C'est
peut-être plus long pour les transporteurs étrangers, vu que les
banques de données ne sont pas au Québec, mais je crois qu'en
définitive ils ont accès, si c'est ça votre question, M.
le ministre.
M. Cannon: Oui. Alors, on est toujours au Québec, et je
m'appelle Lawrence Cannon. J'ai fait le vol 735 de Nordair ou d'Air Canada, en
provenance de Québec sur Montréal. J'ai accès à mon
dossier?
M. Haeck: Avec le numéro de vol, oui, vous pouvez aller
à un comptoir et leur demander ce qui y est indiqué, quel genre
de réservation vous avez fait. Vous, vous allez voir votre dossier,
certainement.
M. Cannon: Et on ne me refusera pas l'accès à mon
dossier?
M. Haeck: Vous parlez de votre dossier de réservation,
là. C'est ça, on s'entend?
M. Cannon: Oui.
M. Haeck: Vous voulez savoir. Je ne vois pas pourquoi on
refuserait votre dossier de réservation. Vous voulez savoir si vous
êtes confirmé ou pas confirmé, etc. Vous allez avoir
accès même par téléphone à votre dossier, on
peut le faire immédiatement.
M. Cannon: Est-ce qu'il y a une règle écrite?
Est-ce qu'il y a une directive? Est-ce qu'ii y a un code de...
M. Haeck: Oui.
M. Cannon: ...déontologie? Vous avez parlé, je
pense...
M. Haeck: C'est ça.
M. Cannon: ...de l'article 6.4, si je ne m'abuse.
M. Haeck: Vous avez, dans vos documents, à l'annexe I, la
résolution 1774, qui est la résolution internationale que tous
les transporteurs doivent suivre, et l'accès au dossier est inclus.
L'ATAC a un autre numéro pour le Canada. George...
M. Petsikas: C'est ça, je vous réfère
à l'article 3.3.1 de la résolution 6.4 que vous avez en annexe,
qui exprime clairement l'objectif qu'on voulait atteindre, c'est-à-dire
que le passager peut avoir accès à son dossier en le
demandant.
M. Cannon: Des fois... Si, demain matin, j'allais à
l'aéroport, toujours dans le même cas, et qu'on me refuse
l'accès, devant qui je peux me plaindre?
M. Haeck: Si vous parlez d'Air Canada, je suis convaincu que Me
Cameron Desbois, le chef du contentieux, va obtempérer. Mais je crois
que le «station manager», le gérant d'Air Canada sur
place... Vous pouvez aller voir la direction.
M. Cannon: Est-ce que...
M. Haeck: II n'y a pas de difficulté,
généralement, je crois, à obtenir son dossier.
M. Cannon: O.K. Dans vos banques, la durée de l'objet de
l'information, elle est de combien de temps? (21 h 10)
M. Haeck: L'exemple que vous m'avez donné, peut-être
d'une journée, si vous faites un vol Montréal-Québec, mais
si vous faites le tour du monde avec votre famille, ça peut être
six mois, parce que vous avez plusieurs correspon-
dances; alors, tout dépendant de la durée du voyage des
passagers.
M. Cannon: Est-ce que ces informations-là peuvent servir
à d'autres fins?
M. Haeck: À d'autres fins, à l'extérieur de
la ligne aérienne?
M. Cannon: Par exemple, pour compiler des statistiques sur... Des
statistiques nominatives...
M. Haeck: Je crois qu'il est possible...
M. Cannon: ...sur, par exemple, je ne sais pas, moi, en
provenance de la région de Québec. C'est des gens du comté
du président de la commission qui...
Le Président (M. Doyon): Très
intéressant.
M. Cannon: Très intéressant, oui. Des gens de
Sainte-Foy, qui sont portés à prendre davantage le vol de 7 h 15
sur Montréal que ceux qui viennent de Limoilou, je ne sais trop. Est-ce
que vous vous servez de ces renseignements-là pour d'autres fins que
celles qui sont prescrites dans votre code?
M. Haeck: Je ne peux pas tellement parler pour les transporteurs
canadiens auxquels vous faites allusion, mais je peux vous dire que pour les
lignes internationales, c'est bien évident qu'on a des renseignements
nominatifs. Si on sait que les Canadiens partant de Québec aiment
beaucoup le jus d'orange, on va emmagasiner plus de jus d'orange sur les vols
de Quebecair qui vont vers la Floride. Par contre, si vous allez vers Tel-Aviv,
on va avoir plus de repas kascher à cause de la clientèle. Il y a
des renseignements nominatifs pour les lignes internationales, qui peuvent
servir pour le bienfait des passagers, mais pour les lignes canadiennes, je ne
sais pas la situation exacte.
M. Petsikas: C'est plus ou moins le même cas, en ce qui
concerne les besoins spéciaux des passagers à cet
effet-là, oui.
M. Haeck: Mais on n'a pas besoin du nom du passager. L'important,
c'est de savoir...
M. Cannon: O.K. Non, non, ça, je comprends ça. Mais
ce que vous me dites, c'est que vous, comme entreprise, comme organisation,
vous ne faites pas de profil nominalisé des individus pour en tirer de
grands constats plus tard.
M. Haeck: Au meilleur de ma connaissance, je ne croirais pas.
M. Cannon: O.K. Merci.
Le Président (M. Doyon): Si vous me permettez, est-ce que
certains renseignements nominatifs - c'est-à-dire mon nom, mon adresse,
mon numéro de téléphone, mon âge, la
fréquence de mes voyages, par exemple, qui serait de nature à
intéresser American Express - peuvent leur être remis, suite
à des ententes que vous avez avec eux de quelque façon, et qu'ils
pourraient, après, me solliciter comme client éventuel pour
devenir détenteur d'une carte American Express? Est-ce que vous avez des
ententes là-dessus? De cette nature-là, pas avec American
Express, mais semblables à ça?
M. Haeck: Je ne crois pas qu'il y ait des ententes avec des
cartes de crédit commerciales, parce que ça ferait de la
compétition aux propres cartes des lignes aériennes. Si vous
faîtes allusion, par exemple, à En Route, à British
Airways, qui ont leur propre carte, évidemment, ils favorisent les
leurs, ils ne donneront pas ça à des étrangers. Je connais
plus les informations internationales, mais on semble me dire qu'au point de
vue canadien on ne remet pas ces renseignements-là à des gens
comme des banques ou des institutions privées, qui ne font pas partie
des lignes aériennes. Vous êtes bien au courant qu'il y a des
points, vous avez un système de points, «the frequent
flyer»...
Le Président (M. Doyon): On connaît ça. M.
Haeck: Parfait.
Le Président (M. Doyon): Mais votre réponse
m'inquiète un peu, pour ne rien vous cacher, parce que ça ne
m'apparaît pas découler de la plus haute des morales, hein? C'est
parce que vous y voyez un désavantage éventuel de donner des
renseignements à des concurrents, mais vous n'auriez pas d'objection de
principe à le faire si vous y voyiez un avantage quelconque. Moi, ce que
j'aurais aimé vous entendre dire - vous ne me l'avez pas dit - c'est
«nous autres, quand quelqu'un fait affaire avec nous autres, ça
reste avec nous autres». Ça, c'est important. Parce que, moi, je
ne suis pas intéressé à être sollicité par
American Express, même si c'est plus payant pour vous autres. Je ne suis
pas intéressé à me faire solliciter par des hôtels
à Paris, puis à Hong-Kong, puis à Londres, où je
vais voyager comme client éventuel: Si vous allez à Londres, M.
Doyon, venez donc rester chez nous, on va vous faire un rabais, puis vous allez
avoir le «penthouse», etc., etc. Si vous m'aviez dit: Nous autres,
quand vous faites affaire avec nous autres, c'est avec nous autres que vous
faites affaire, puis ça finit là. Ça, ça aurait
été de la musique à mes oreilles, probablement pour le
ministre aussi.
M. Haeck: Je peux peut-être confirmer votre
appréhension ou plutôt, vous donner plus
d'information... Ce que j'ai voulu dire, c'est que certains
transporteurs aériens ont leur propre carte. Si vous allez sur un vol
d'Air Canada et que vous remplissez la carte En Route ou celle de British
Airways, vous n'allez pas la recevoir si vous n'avez pas demandé la
carte de la ligne aérienne. Alors, on ne donne pas l'information, ni aux
filiales qui ont leur propre carte - comme En Route, maintenant, vous savez
qu'elle a été vendue - et on ne la donne pas non plus à
des tiers. Alors, l'information reste à l'intérieur de la ligne
aérienne exclusivement. Si c'est ça, votre question, ça
reste à l'intérieur, chez nous.
Le Président (M. Doyon): Oui. Je parlais des cartes de
crédit, mais je le faisais à titre d'exemple. On peut avoir 50
autres exemples qu'on pourrait donner. Vous parlez des hôtels, on peut
avoir des agences de location de voitures, on peut avoir tout ce qui peut
finalement tourner autour de quelqu'un qui voyage et qui se déplace. En
d'autres termes, les renseignements que je donne quand je dis que je m'appelle
Réjean Doyon, que je demeure à Sillery, etc., etc., soit à
une compagnie de cartes de crédit, soit à une chaîne
d'hôtels, soit à une compagnie de location de voitures, ce que
vous pouvez imaginer, est-ce que d'autres peuvent avoir ces
renseignements-là de votre part ou si, question de principe, quand c'est
donné à Air Canada, par exemple, ça reste à Air
Canada, quand c'est donné à Canadien, ça reste à
Canadien et ça ne sort pas? Pas parce que ça serait
désavantageux pour vous de donner des renseignements à des
concurrents. Ça, c'est une affaire et ça peut changer aujourd'hui
pour demain parce que, En Route, ça peut cesser d'exister, et vous
pouvez faire un «joint venture» avec Visa, demain matin; ça
fait que l'objection ne demeurerait pas. Ce que je veux savoir, c'est: Est-ce
que, question de principe... Dans le code de déontologie, est-ce qu'il
est écrit, quelque part, que les renseignements personnels que je vous
remets, ça ne doit pas sortir de chez vous, pour aucune
considération, même s'il n'y a pas de concurrents - qu'il y en ait
ou pas?
M. Haeck: La réponse, c'est oui, ça reste à
l'intérieur, et c'est interdit à l'article 3.1.2: «stored
for specified and legitimate purposes and not used in a way incompatible with
those purposes» - c'est même écrit. Alors, on ne donnera pas
le renseignement à l'agence de location de voitures, à
l'hôtel qui est affilié à la ligne aérienne. Si vous
n'avez pas coché vous-même dans une revue quelconque, on vous
envoie la publicité... On va se limiter à votre vol. On peut vous
offrir, comme vous savez, dans la pochette en avant de vous, un tas de services
que vous ne voulez pas, mais on ne donnera pas l'information à des tiers
ni à des filiales internes reliées à nous.
Le Président (M. Doyon): Pas de problème avec
ça. Pas de télémarketing non plus?
M. Haeck: Pas de télémarketing, non plus, chez
nous.
Le Président (M. Doyon): Merci. M. le député
de Pointe-aux-Trembles.
M. Bourdon: J'ai relu les articles 3.3.1, 3.3.2 et 3.3.3, et
ça m'apparaît des rédactions très correctes.
J'aimerais savoir si...
M. Haeck: De quelle résolution vous parlez? De AT AC ou
IATA? Je veux suivre, je m'excuse.
M. Bourdon: L'ATAC. M. Haeck: ATAC.
M. Bourdon: O.K. Ça m'apparaît très correct.
Je me posais la question. Quels moyens vous prenez pour informer les passagers
de leurs droits en vertu de ces articles-là?
M. Haeck: Si vous regardez dans le mémoire de l'IATA, on
dit que tous les billets d'avion ont une référence - à la
page 2 de mon mémoire - aux «Conditions générales de
transport des passagers et des bagages». J'ai cité l'article 3.
Sur tous les billets, c'est indiqué et n'importe quel passager a
accès aux conditions générales de transport. Dans les
conditions générales de transport, il est bien indiqué que
les renseignements personnels sont privilégiés. Pour chaque
transporteur, à chaque bureau - comme vous savez, au Canada, on appelle
ça le «tarif» - vous avez le droit de consulter les
conditions tarifaires qui s'occupent de votre transport. Le passager a
accès non seulement à l'écrit, aux conditions
générales de transport, mais il a accès au texte des deux
résolutions. C'est public et c'est sans frais.
M. Bourdon: D'accord. Dr Haeck, je peux vous faire un aveu. J'ai
pris l'avion quelquefois dans ma vie, et je vous dirai bien candidement,
même quand le voyage était long, que je n'ai jamais lu le contrat
en question. Dans le fond, je reposerais ma question autrement. Est-ce que vous
avez des statistiques sur les passagers qui s'informent comme ça des
renseignements que vous détenez? Avez-vous des statistiques sur qui peut
les faire corriger à l'occasion?
M. Haeck: II semblerait qu'au Canada, et je crois que c'est la
même chose dans les pays étrangers - en tout cas, du moins,
occidentaux - où je voyage surtout, très peu de passagers se
prévalent de ça parce qu'ils ont confiance en la ligne
aérienne. Ils savent que c'est accessible et qu'on est
contrôlés par les États. Comme vous le savez, ces tarifs
doivent être,
comme on dit en anglais, «filed» auprès des
autorités compétentes. Au Canada, c'est maintenant l'Office
national du transport qui vérifie ça, mais je crois que vous avez
raison, qu'il y a peut-être peu de passagers qui se prévalent de
leur droit, mais le droit est là.
Ce qui est très important pour l'IATA, c'est ce consentement
implicite et non pas explicite. Un consentement écrit, pour nous, serait
dévastateur au point de vue coûts, et vous imaginez avoir la
signature de tous les passagers, des millions de passagers qu'on a dans le
monde, leur demander un consentement écrit? Ça va être
une... On va doubler notre personnel. (21 h 20)
M. Bourdon: Ce que je voudrais ajouter, dans le fond, qui
éclaire votre activité, c'est que non seulement il y a un
consentement implicite, mais la personne se place sous vos soins dans un des
avions de vos entreprises aériennes affiliées. Ce que je veux
dire, c'est que vous n'êtes pas n'importe où, mais vous avez la
charge de vos passagers, ce qui veut dire que vous devez être capable
d'assurer leur sécurité et de répondre à des
questions, par exemple, d'un proche: Est-ce que mon père ou mon conjoint
est bien sur le vol? Quant à moi, il n'y a pas de difficulté
quant à ça. Puis, écoutez, s'il y a des abus, on n'en a
jamais entendu parler. Puis, on peut vous dire que, dans d'autres domaines de
la loi qu'on fait, les abus sont exprimés.
Mais, dans le fond, l'autre question que je poserais - vous le
mentionnez dans le mémoire - a trait aux voyagistes, aux agences de
voyages où, d'une part, la question de juridiction du
fédéral ne se pose pas de la même façon, puis,
où, disons, écoutez, je ne le dis pas pour faire une blague de
mauvais goût, mais eux, ils sont à terre. Puis, est-ce qu'il y a
un certain contrôle de la commercialisation des données qu'ils
recueillent? Parce que, dans le fond, je peux comprendre qu'il y a un flux de
renseignements d'une compagnie aérienne à l'autre, et ce qu'une
compagnie doit avoir dans l'intérêt de ses propres passagers... Et
je comprends facilement que par nature c'est international et même que
nos réservations - qu'on peut faire à Québec ou à
Montréal - peuvent passer par une ville américaine, puis il n'y a
rien d'anormal là-dedans. C'est juste que les voyagistes, les
grossistes, avec qui vous traitez des affaires, peuvent-ils, eux, utiliser les
renseignements que vous leur donnez à des fins de commercialisation, par
exemple?
M. Haeck: Écoutez, j'ai lu l'opinion d'une très
bonne étude d'avocats, qui a été mandatée par
l'ATAC, concernant votre législation. Je ne suis pas expert en droit
constitutionnel - je vais être franc avec vous, je suis expert en droit
aérien - mais je vais demander à Me Petsikas de répondre
à ça parce que, lui-même, il a une de ses filiales qui est
une compagnie voyagiste, comme vous dites. Moi, je représente
strictement les transporteurs aériens internationaux, mais Me Petsikas
pourrait vous répondre dans un contexte québécois.
M. Petsikas: Mais si j'ai bien compris votre question, vous
êtes en train de me demander: Est-ce que, nous, on a un contrôle
sur l'information que, nous, on donne sur nos passagers à nos
grossistes? Mais je dirais que c'est le contraire, par exemple. Je dirais que
c'est le grossiste qui a toutes les informations en ce qui concerne les
passagers, et c'est lui qui nous fournit ça. Il ne faut pas oublier que
le grossiste en voyages, comme je l'ai mentionné, c'est lui qui
distribue le produit, c'est lui qui a un contact avec le client, ce n'est pas
nous, le transporteur. Donc, c'est lui qui contrôle les informations.
Alors, je dirais que c'est même le contraire: c'est le grossiste qui nous
fournit ces informations, et ce n'est pas comme vous venez de le
mentionner.
M. Bourdon: Mais ce que j'ajouterais, dans le fond, c'est que, si
moi, je m'adresse à une agence ou à un grossiste pour acheter un
billet d'avion, je passe une sorte de contrat implicite avec lui. Je lui donne
des renseignements pour qu'il me procure le service dont j'ai besoin. Dans le
fond, la question se pose: Est-ce que les renseignements que je lui donne, il
les procure non pas à la compagnie aérienne ou à d'autres
activités reliées directement au voyage que je veux faire, mais
justement à un tiers qui, lui, peut en avoir besoin pour me solliciter?
C'est parce que, là, il me semble qu'on n'est pas dans le même
contrat, et que, dans ce sens-là, une revue ou d'autres activités
qui pourraient être touchées ne font pas partie du contrat que je
contracte, par son entremise, avec la compagnie aérienne. Autrement dit,
s'il donne le nom à une entreprise qui me sollicite pour me faire
abonner à une carte de crédit ou à un magazine, peu
importe, je ne suis plus dans ma volonté à moi, qui était
de lui donner des renseignements aux fins de me procureur le service que l'ATAC
et I ATA procurent par leurs membres affiliés.
M. Haeck: Vous avez raison en partie, et je vais compliquer le
problème. Je ne veux pas faire de nuances juridiques, mais vous avez des
agents de voyages qui ne sont pas approuvés par l'ATAC ni par l'IATA, et
ça complique le problème, surtout que, comme vous le savez, les
agences de voyages sont de juridiction provinciale. Nonobstant cette
affirmation-là, la théorie juridique du Code civil s'applique,
qui dit - et c'est bien clair - que les agents de voyages de l'IATA ne peuvent
vendre que des billets de ligne de l'IATA, et moi, je peux sanctionner
seulement les agences de voyages de l'IATA. En d'autres termes, vous aviez
raison pour les agences de voyages qui seraient indépendantes.
Généralement, ce sont des agences de voyages de
minorités ethniques, qui n'appartiennent pas à l'ATAC ni
à l'IATA, parce qu'à chaque année toutes les agences de
voyages dans le monde doivent obtenir un certificat de l'IATA. Pour l'ATAC,
l'ATAC nous a mandatés, nous, l'IATA, pour leur programme canadien. Je
pourrais sanctionner l'agence de voyages IATA qui ne se conforme pas à
nos directives. Je pourrais l'exclure, et je pourrais prendre des mesures en
rapport avec une agence IATA ou ATAC, parce que j'ai un mandat de ATAC.
Mais je reviens à mon affirmation. Je comprends que le
gouvernement du Québec et le Code civil, une application
générale... Je suis civiliste - je suis notaire de formation - je
suis très soucieux de la protection du droit civil, mais il ne faut pas
oublier que les lignes aériennes, le contrat qu'elles ont avec l'agent
de voyages... L'agent de voyages n'agit pas pour lui, il agit au nom de la
ligne aérienne. C'est un mandat très, très clair.
«He acts for the carrier.» Quand l'agent de voyages vous vend un
billet, il ne vend pas un billet de l'agence de voyages Bellejoie, je ne sais
pas, moi, de Limoilou, il vend un billet émis sur un transporteur X, il
est l'agent. Alors, le transporteur est responsable de son agent. C'est pour
ça que l'opinion en droit constitutionnel qu'on a reçue trouve
que, lorsque c'est un vol aérien, en tout cas, sûrement un vol
international, la juridiction fédérale, avec toute la
déférence que je dois à votre juridiction, s'appliquerait.
Maintenant, si c'est des vols internes, au Québec, ça, c'est une
question constitutionnelle qu'on pourra débattre dans un autre forum.
Mais vous avez raison, en partie, pour les agences de voyages
indépendantes, je crois que oui.
M. Bourdon: Mais même une agence bona fide avec l'ATAC ou
IATA, si elle y déroge... Je comprends que vous pouvez appliquer une
sanction - je n'en doute pas - mais, par ailleurs, la loi qu'on va adopter peut
s'appliquer à elle, je pense, dans le sens que - et j'évite le
problème constitutionnel, parce qu'on est tanné d'en entendre
parler, il paraît - en termes de contrat, moi, je contracte comme un
engagement vis-à-vis de l'agence pour me procurer un billet d'avion.
Dans le fond, c'est ça, et ça, ça comporte des
dispositions qui apparaissent sur mon billet, et qui viennent comme rendre
écrit le contrat, même si je ne l'ai pas signé avec la
compagnie aérienne.
Mais ce que je veux dire, c'est que s'ils donnent mon nom à
quelqu'un qui m'achale au téléphone pour me vendre bien d'autres
choses qu'un billet d'avion, je comprends que je peux toujours faire une
plainte à l'IATA ou à l'ATAC et qu'on peut lui enlever sa
certification, mais, par ailleurs, en vertu de la loi qu'on va adopter, je
pense que je pourrais faire une plainte a la Commission d'accès à
l'information, disant: II a fourni à un tiers un renseignement que je
lui avais fourni expressément à une fin.
M. Haeck: Oui. Je comprends très bien votre point, mais je
crois que vous seriez mieux servi avec l'exemple de la législation
américaine, parce que l'Office de la protection du consommateur, comme
vous le savez, a un département qui s'occupe des agences de voyages.
Vous pourriez faire une plainte, et il va y avoir un avocat de la couronne qui
va être payé pour poursuivre l'agence de voyages du Québec
qui relève de votre juridiction. Je préférerais, moi,
comme juriste, de beaucoup la solution américaine, plutôt que
d'avoir une loi générale du Code civil qui n'exclut pas les
transporteurs aériens, parce que, déjà, votre passager a
un mécanisme de contrôle. Si votre agence de voyages, par votre
propre juridiction - c'est vous, d'ailleurs, qui nommez le régisseur qui
s'occupe de toutes les agences de voyages du Québec - pouvait
réglementer cet aspect-là à votre satisfaction par une loi
précise et sectorielle... Le danger d'une loi d'application du Code
civil, c'est que les transporteurs aériens étrangers se trouvent
pris à la gorge avec une loi d'application générale. On
est pour le principe de votre loi, mais c'est dans son application. On n'a pas
vu la réglementation. On ne veut pas anticiper, là, mais si, dans
la réglementation, il n'y a pas d'exclusions pour les transporteurs
étrangers, je peux vous assurer qu'il va y avoir des notes diplomatiques
qui vont être servies à Ottawa, de protestation.
Le Président (M. Doyon): Merci. Les messages sont bien
reçus, je pense. Alors, la discussion a été
extrêmement intéressante. S'il n'y a pas d'autres interventions,
il me reste, au nom des membres de la commission, à remercier le Dr
Haeck, M. Petsikas et M. Goldberg d'avoir pris la peine de venir nous
rencontrer. Ça a été extrêmement intéressant.
Il sera tenu compte de vos avis.
M. Haeck: Merci beaucoup. Bonne soirée, messieurs.
Le Président (M. Doyon): Merci, bonsoir. J'ajourne les
travaux jusqu'à demain matin, 10 heures.
(Fin de la séance à 21 h 30)