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(Neuf heures quarante et une minutes)
Le Président (M. Doyon): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission parlementaire de la culture reprend ses travaux. Nous
allons poursuivre le mandat qui a été confié à
cette commission. Il s'agit pour nous de procéder à une
consultation générale et de tenir des auditions publiques sur la
proposition de politique de la culture et des arts, telle qu'elle a
été déposée à l'Assemblée nationale
le 14 juin dernier.
M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?
Le Secrétaire: Non, il n'y a pas de remplacements, M. le
Président.
Le Président (M. Doyon): Merci. On m'exemptera de donner
l'ordre du jour. Il a été distribué. Avec le consentement
des membres de cette commission, je voudrais souhaiter la plus cordiale des
bienvenues à M. Valmy Féaux, qui est président de la
communauté française de Belgique et ministre responsable de la
Culture. Il est ici pour une rencontre de l'Agence Québec-Wallonie. Tout
en lui souhaitant la bienvenue, je pense que nous pourrions lui permettre de
nous dire quelques mots, après quoi nous pourrions commencer les travaux
ordinaires de cette commission, si les membres sont d'accord, comme ils nous
l'avaient déjà exprimé, d'ailleurs.
Est-ce qu'il y a consentement, M. le député?
M. Boulerice: Évidemment. L'amitié traditionnelle
entre le Québec et la communauté française de Belgique
nous commande d'entendre M. le ministre. Je suis persuadé, d'ailleurs,
qu'il vient d'un pays qui peut nous livrer certaines expériences
intéressantes.
Le Président (M. Doyon): Je n'en attendais pas moins de
vous, M. le député. Je pense qu'il n'y a aucune objection autour
de la table.
M. le ministre, nous sommes très heureux d'avoir l'occasion de
vous entendre. C'est avec beaucoup de plaisir que je vous cède le droit
de parole.
Allocution du ministre de la Culture de Belgique, M.
Valmy Féaux
M. Féaux (Valmy): Merci beaucoup, M. le Président.
Mme la ministre, mesdames, messieurs, c'était pour moi aussi un
très grand honneur d'avoir l'occasion de participer à vos travaux
de la commission. Je ne vais pas être trop long parce que je vois que
vous avez un travail important à accomplir aujourd'hui, entendre pas mal
de groupes qui viennent vous faire part de leur perception du
développement de la culture ici, au Québec. Je voudrais, quant
à moi, dire qu'il y a effectivement depuis très longtemps une
solidarité qui existe, une amitié qui existe entre la
communauté française de Belgique et le Québec, puisque
nous vivons un certain nombre de problèmes de façon similaire.
Mais je dois dire que c'est toujours avec grand plaisir que je viens ici, et
d'avoir traversé l'océan, de retrouver ici des gens qui, en fait,
parlent le français et ont une sensibilité, du point de vue
culturel, proche de la nôtre... Alors que vous vivez évidemment,
ici, je dirais, dans un océan anglophone, nous aussi, bien
qu'étant très proches de la France, nous avons, malgré
tout, dans notre pays, une autre communauté qui parle le
néerlandais. Bon, cela pose parfois quelques problèmes, mais ce
que je constate, c'est que finalement, parfois, c'est l'anglais qui sort
vainqueur de ce combat, entre guillemets, que parfois nous menons au sein du
pays. Et, à Bruxelles, il y a une certaine tendance maintenant,
même sur les tickets de métro, par exemple, même sur les
cartes d'identité, à ne plus utiliser les deux langues
nationales, qui sont le français, d'une part, et le néerlandais,
d'autre part, au profit de l'anglais. Je suppose que c'est le fait que nous
sommes appelés à peut-être devenir un jour la capitale de
l'Europe, mais il y a une certaine tendance, malgré tout, à ce
que l'anglais l'emporte sur les autres langues. Alors, je ne vais pas entrer
dans un débat là-dessus, mais déjà, au sommet des
chefs d'État et de gouvernement, où je représentais la
Communauté française à Dakar, j'avais lourdement
attiré l'attention sur la menace qui pesait malgré tout sur le
français, même dans notre pays proche de la France, si nous n'y
étions pas vraiment attentifs, parce que l'anglais a un peu tendance
à devenir la langue internationale.
Enfin, je ne veux pas en dire plus là-dessus. Je voudrais
simplement - en deux, trois minutes, j'aurai terminé - réagir,
parce que, hier, vous savez que vous discutiez du rapport du groupe
présidé par M. Arpin, et hier, aimablement, on m'a fait parvenir,
dans ma chambre, le volume qui reprend ce rapport. Je n'ai pas pu tout lire,
mais au moins j'ai lu au départ et je veux réagir peut-être
sur les trois principes qui sont cités ici. D'abord, la culture est un
bien essentiel à la dimension culturelle et nécessaire à
la vie en société au même titre que les dimensions sociales
et économiques. Je suis tout à fait de cet avis-là, et je
dois dire que, dans notre communauté, c'est aussi parfois difficile de
faire
passer cette idée que le développement de notre
communauté, comme le développement des villes et des communes qui
font partie de cette communauté, ça ne se fait pas uniquement au
travers du canal économique ou du canal social, mais aussi au travers
d'une activité, disons, culturelle importante. Et, encore maintenant, je
me bats notamment pour que dans les budgets des municipalités les
dépenses culturelles cessent d'être facultatives. Parce que,
actuellement, elles sont facultatives. Autrement dit, lorsqu'un budget est
présenté à la tutelle en déséquilibre, le
premier endroit où on supprime les dépenses, c'est dans les
dépenses culturelles. Or, je crois - je pense que je parle ici à
des convaincus - que c'est au moins aussi important que les autres
matières. Et je pense bien, d'ailleurs, aboutir à ce que,
finalement, cette disposition qui rend facultatives ces dépenses cesse
d'être d'application pour que l'on puisse aussi prendre en
considération cette dimension culturelle.
Je suis aussi maire d'une ville et je me rends bien compte que nous nous
développons relativement bien du point de vue économique, avec
les entreprises qui viennent s'y installer, parce que nous avons aussi une
université à proximité, ou qu'il se développe des
activités culturelles avec un théâtre qui est assez
renommé, avec des cinémas, etc., que tout ça constitue un
tout et qu'il faut ce tout pour que, aussi, des industries viennent s'installer
et qu'il y ait, par conséquent, une activité économique,
qu'il y ait de l'emploi qui se développe dans la région.
Voilà la brève réflexion que je voulais faire sur le
premier point.
Le deuxième: le droit à la vie culturelle fait partie des
droits de la personne et c'est pourquoi l'activité culturelle doit
être accessible à l'ensemble des citoyens. Je suis aussi tout
à fait d'accord avec cela. Nous faisons un très gros effort
d'implantation de toute une série d'infrastructures, d'abord, parce
qu'il faut quand même bien que ce moyen existe, mais d'aide aussi
à des institutions et des associations pour que le plus grand nombre
puisse participer à l'activité culturelle. Parce que,
malgré tout, on voit que les clivages subsistent toujours.
Et je fais maintenant une brève réflexion sur le
problème de l'éducation et de la culture pour constater que,
finalement, le développement de notre réseau éducatif,
donc au travers des écoles, universités, etc., ne s'accompagne
pas nécessairement d'un développement sur le plan culturel. Et il
subsiste donc là, toujours, me semble-t-il, un problème. J'avais
un peu naïvement pensé que la communautarisation, comme nous disons
chez nous, de la matière éducation - parce que,
précédemment, l'éducation restait du niveau national,
depuis deux ans c'est devenu une compétence des communautés, donc
de la communauté française aussi, la culture l'étant
depuis beaucoup plus longtemps - que maintenant, éducation et culture se
situant au même niveau de pouvoir, nous allions pouvoir établir
une meilleure synergie, une meilleure coopération entre les deux. Je
dois bien constater que ce n'est pas le cas et que, finalement, l'enseignement
en tant que tel, avec toute sa structure et aussi une certaine lourdeur de
fonctionnement, craint toujours, je ne sais pas très bien pourquoi, une
trop grande liaison avec l'activité culturelle. Je continue, disons,
à essayer de rapprocher les deux mais déjà le fait qu'il y
ait deux ministères - ministère de l'Enseignement qui prend
énormément d'argent, qui est un peu fermé sur
lui-même, qui a toujours un peu peur qu'on prenne quelque chose de ses
compétences - fait que la liaison ne s'établit pas très
bien et que, finalement, il y a une activité culturelle qui se
développe et une activité disons éducative, par ailleurs,
alors que ça devrait davantage se superposer, et ce n'est pas le cas
actuellement.
Nous espérions beaucoup au travers d'un concept qui est celui de
l'éducation permanente chez nous qui est de penser qu'un individu se
développe depuis la naissance jusqu'à la mort dans un processus
qui est permanent mais, et bien sûr, la période de
scolarité est un peu le noyau dur à l'intérieur de tout ce
cursus. Il n'en demeure pas moins que ce n'est pas le cas et que, bon, il y a
là toute une série de réticences, de la part surtout, je
crois, des enseignants, peut-être parfois aussi du côté des
culturels ou des socioculturels, comme nous disons chez nous. Parfois, à
l'égard de l'école aussi, il y a des réticences et nous
devrions essayer en tout cas de surmonter cela. Il y a des obstacles
sévères, financiers, budgétaires, etc., mais, il y a des
obstacles de mentalité que nous devrions développer.
Et je termine en disant un mot sur le dernier des principes: Que
l'État a le devoir de soutenir et de promouvoir la dimension culturelle
de la société en utilisant des moyens, disons, comparables. Je
crois, effectivement, que l'État a une responsabilité, disons, de
soutien, d'impulsion, d'initiative parfois mais que d'autres doivent relayer en
la matière et relayer d'abord les autres pouvoirs publics. Je songe
surtout aux pouvoirs municipaux et parfois peut-être même dans le
secteur privé. Je vois un film, par exemple, le coût d'un film,
enfin, c'est 100 000 000 de francs belges par exemple chez nous.
Généralement, quand l'État, quand la communauté
française, donc ici en l'occurrence, donne 20 ou 25 des millions de
départ, beaucoup plus facilement le réalisateur peut trouver les
75 millions qui manquent auprès d'autres pouvoirs publics ou alors de
"sponsors", comme l'on dit.
Donc, on a un rôle, disons, d'impulsion à faire. Dans
certains secteurs, c'est plus difficile. Je vols que vous allez parler de
l'opéra. C'est après la radio et la télévision
puisque, dans le ministère de la Culture chez nous, l'audiovisuel est
compris. Donc, je suis, aussi, si je peux dire,
le patron, entre guillemets, de l'audiovisuel. Ça, c'est
évidemment le plus gros paquet de mes moyens qui va vers cette
institution, la RTBF que vous pouvez voir, je crois, de temps en temps
grâce à TV5. À coté de ça, donc c'est
l'opéra qui est l'autre gros consommateur de crédits de la
communauté française, mais c'est une institution où
là, disons, les relais sont beaucoup plus difficiles. Le nôtre est
situé, par exemple, à Liège et la municipalité de
Liège, qui ne donnait déjà pas grand-chose et, comme elle
est en grosses difficultés financières, elle a un peu tendance
à se désintéresser de son opéra et à dire
que c'est la communauté française qui doit tout financer. Je ne
suis personnellement pas de cet avis-là. Je suis pour des grandes
institutions, on pense à l'opéra, nous avons un ballet, et tout
cela doit se faire en partenariat aussi avec les pouvoirs municipaux parce
qu'il faut qu'il y ait un ancrage, quelque part, de ces institutions, que ce ne
soit pas quelque chose qui dépende de la communauté
française, comme ça, qui est toujours un petit peu lointaine,
même si nous sommes relativement proches des citoyens, et que c'est dans
le cadre, disons, d'un partenariat aussi financier, tout en sachant que c'est
la communauté française qui apporte le plus, que l'on doit jouer.
Donc, l'État a un rôle vraiment très important.
Donc, la communauté, les pouvoirs publics, plus exactement, ont
un rôle important à jouer dans le soutien, dans l'initiative. Je
ne crois pas qu'ils doivent se substituer aux créateurs eux-mêmes.
Parce que - je termine vraiment par là - le nombre de questions... Nous
avons aussi un temps de questions et réponses, à
l'Assemblée, chez nous. La plupart des questions sont sur des
émissions de la RTBF: Parce qu'il y avait trop d'une telle tendance, pas
assez d'une telle autre tendance, pourquoi on a mis un journaliste dehors
là-bas, etc., etc. Je m'efforce toujours de répondre que, si je
suis le patron de la RTBF du point de vue, disons, de la gestion
financière, de la responsabilité générale, il y a
aussi un conseil d'administration et que la gestion quotidienne ne m'incombe
pas.
Et la même chose lorsqu'on m'interroge sur l'opéra ou sur
un autre... Je trouve toujours que nous ne devons pas nous initier, nous,
hommes politiques, dans l'acte de création proprement dit qui existe au
sein de ces différentes institutions. On doit venir en soutien mais non
pas en immixtion, mais très souvent les parlementaires, par exemple, me
posent une série de questions et je me retranche toujours un peu
derrière, non pas parce que c'est une manière de répondre
facilement aux questions, mais parce que, très sincèrement, je ne
pense pas, quant à moi, que les hommes politiques, les responsables
politiques doivent intervenir au niveau de la création. Ils doivent
intervenir en soutien mais pas à ce niveau-là qui doit rester un
acte d'un individu ou l'acte d'un groupe d'individus.
Voilà, M. le Président, très schématiquement
et encore trop longuement, quelques réflexions que je voulais faire
à propos des principes retenus ici dans le rapport, et je vous remercie
encore de m'avoir permis de développer ces quelques idées devant
vous.
Le Président (M. Doyon): Merci, M. le ministre. M. le
député de Sainte-Marie-Saint-Jacques, une brève
réaction et peut-être deux mots de remerciement.
M. Boulerice: Bon, brève réaction. Je suis
très heureux de voir que nos collègues et amis de la
communauté française de Belgique ont décidé que les
communications étaient indissociables des arts et de la culture. C'est
la position que ma formation politique préconise. Il va de soi qu'il y
aurait bien d'autres questions à poser, puisque nous vivons quand
même, à certains égards, des situations qui sont analogues,
qui sont identiques: une communauté qui a sa propre constitution en
vertu de la grande Constitution qui a été approuvée par le
roi Beaudoin, mais par contre un pouvoir fédéral qui a encore
certains pouvoirs d'invervention. Je ne me rappelle pas, M. le ministre,
à la lecture que j'ai faite, si vous avez pleine et entière
juridiction au niveau de la culture comme telle...
M. Féaux: Si, tout à fait.
M. Boulerice: Alors la Wallonie est encore en avance sur le
Québec. Ce que je vous dirai tout simplement c'est que nous allons
poursuivre nos travaux et tenter de vous rejoindre autant au niveau des
juridictions que de la qualité des productions que l'on peut voir venir
de la communauté française de Belgique. Votre présence a
été très importante puisque - je vais employer le mot
"étranger", s'il vous plaît, cher ami, ne le prenez pas dans son
sens restrictif - quelqu'un de l'extérieur qui vient chez nous et qui
nous donne son éclairage et nous donne ses commentaires sur ce que nous
faisons, je pense que c'est de nature à ouvrir les esprits. J'ose
espérer qu'un jour on puisse vous rendre la pareille.
Le Président (M. Doyon): Merci, M. le
député. Mme la ministre des Affaires culturelles, vous avez la
parole.
Mme Frulla-Hébert: Alors, je me joins, je pense, à
tous les gens de cette commission pour d'abord vous remercier d'avoir
accepté l'invitation. Quand on m'a fait part de votre visite - on s'est
connus, nous, lors des négociations pour TV5 - j'ai pensé qu'il
serait bien aussi d'avoir une présence et une expérience
d'ailleurs pour nous éclairer un peu dans notre réflexion. On
s'aperçoit que les problèmes sont sensiblement les mêmes:
partenariat avec les municipalités
d'une part, très important; l'éducation et la culture,
très important; l'influence, ou enfin le rôle des communications
aussi, très important. Alors, que ce soit de ce côté-ci ou
de l'autre côté de l'océan, on s'aperçoit que,
finalement, on se rejoint. Alors, merci beaucoup d'être ici, merci
beaucoup aussi de votre amitié et on vous souhaite une bonne fin de
séjour. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, nous
sommes-là.
M. Féaux: Merci.
Le Président (M. Doyon): Merci. Il me reste, au nom de la
commission, à vous exprimer nos remerciements aussi. Les propros que
vous nous avez tenus vont alimenter notre réflexion, comme celle des
invités que nous allons recevoir dans deux minutes. Merci d'avoir pris
le temps de nous rencontrer et merci d'avoir réfléchi sur les
problèmes auxquels nous avons à faire face, et de nous avoir fait
part de la façon dont vous réagissez à ce que nous tentons
actuellement de résoudre comme problème important, avec des
solutions qui feront l'affaire de tout le monde. Merci, M. le ministre.
Suspension d'une minute.
(Suspension de la séance à 10 heures)
(Reprise à 10 h 1)
Auditions
Le Président (M. Doyon): J'invite, avec, malheureusement,
un peu de retard qui s'explique de lui-même, nos invités qui
étaient déjà sur place. Je les félicite de leur
ponctualité. Les parlementaires ne sont pas particulièrement
renommés pour la leur, malheureusement. J'invite donc la
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec
à bien vouloir prendre place en avant, à la table de nos
invités. Je leur laisse le temps de s'installer, en disant, en passant,
que les règles des dernières semaines vont s'appliquer: une
quinzaine de minutes pour la présentation de votre mémoire ou
d'un résumé que vous voudrez bien en faire; après
ça, nous allons entamer la discussion avec vous à parts
égales entre le parti ministériel et le parti de l'Opposition,
qui voudront échanger avec vous. Je vous demande de bien vouloir vous
présenter, pour les fins du Journal des débats. Je vous
souhaite la plus cordiale des bienvenues. Dès maintenant, je vous laisse
la parole.
FTQ
M. Daoust (Fernand): Merci beaucoup. Mme la ministre, mesdames et
messieurs membres de cette commission, en tout premier lieu, je voudrais vous
présenter ceux qui m'accompagnent ce matin: à ma gauche, Jean-Guy
Frenette, conseiller politique de la FTQ, M. Richard Gagnon, des Travailleurs
canadiens de l'automobile et du Conseil du travail de Québec, et Michel
Morasse, le permanent de la FTQ dans la région de Québec.
M. le Président, le mémoire que nous avons
déposé porte sur cinq thèmes, et je vous les
présenterai les uns et les autres. Mais laissez-moi d'abord vous
expliquer un peu quelle fut notre démarche dans la préparation de
notre mémoire.
La FTQ représente, par l'intermédiaire de ses syndicats
affiliés, des créateurs et artisans du secteur culturel, entre
autres l'Union des artistes, des travailleurs et travailleuses de ce qu'on
appelle les industries culturelles, enfin, des groupes qui, par leur travail,
s'inscrivent au coeur de plusieurs des problématiques visées par
le rapport Arpin. Cependant, inutile de tenter de vous cacher que la FTQ a
été absente des débats sur la culture, débats
pourtant nombreux depuis la Révolution tranquille, débats
alimentés par une suite de livres verts, blancs et de
déclarations et de querelles. En ce silence même, nous croyons que
nous avons été, en fait, représentatifs de plusieurs
segments de notre société qui ont, en quelque sorte,
abandonné le débat et la préoccupation culturelle à
ceux qui sont producteurs de culture, qui en vivent, certains très mal
d'ailleurs.
Lisant les reportages sur les audiences de cette commission
parlementaire, j'avais d'ailleurs un peu l'impression que ce même
schéma se reproduisait, que, quand il s'agit de débattre de
culture, les groupes spécifiquement définis comme culturels et
artistiques se retrouvent pratiquement seuls à en débattre.
À cet égard, la FTQ a été, je l'ai dit,
représentative de cette apparente indifférence. Nous n'avons pas
réussi à retrouver une position minimalement
étoffée que nous aurions déjà produite sur la
culture.
Je pense que c'est symptomatique, il nous manque collectivement une
envie d'appropriation des formes d'expression culturelle qui ferait que se
sentiraient concernés par un débat sur la culture les milieux et
les populations qui n'entretiennent pas un rapport économique avec elle.
Ce défaut d'appropriation renvoit corollairement à une certaine
professionnalisation ou corporatisa-tion des débats sur la culture. Tout
cela nous semble malheureux. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons
consacré plusieurs pages de notre mémoire aux questions
d'appropriation, d'une part, et de démocratisation, d'autre part.
Ceci m'amène a exposer la première partie de notre
mémoire intitulée "La culture comme représentation et
responsabilité collectives". Nous nous sommes rendu compte que, comme
organisation syndicale, pas particulièrement culturelle, mais pas
nécessairement inculte, nous étions quelque peu mal à
l'aise avec la définition très empirique de la culture sur
laquelle se fonde le rapport Arpin et qui assimile cette dernière
aux
formes d'expression artistique. Nous comprenons bien qu'un groupe
chargé de faire des propositions concrètes en matière de
politique culturelle soit naturellement amené à une
définition pragmatique. Après, il est vrai,
l'énoncé de plusieurs précautions, le choix de cette
définition empirique entraîne logiquement une approche très
professionnaliste de la culture. Si bien qu'un groupe comme le nôtre,
saisi du rapport Arpin, peut se dire: Ceci ne nous concerne pas, que
pouvons-nous en dire? Contentons-nous donc de nous replier sur quelques sujets
sur lesquels nous avons des positions. Et c'est en nous demandant, somme toute,
de quelle façon notre centrale syndicale pouvait être
concernée par la culture que nous avons été amenés
à ce premier commentaire.
Nous avons fouillé dans nos souvenirs et nous nous sommes rendu
compte que plusieurs de nos syndicats avaient eu ou ont des pratiques de
diffusion de la culture ou même de production culturelle. Il y a des
exemples que nous donnons dans ce mémoire et je ne veux pas les
répéter à ce moment-ci. Ces pratiques n'ont jamais fait
l'objet d'un recensement systématique et j'avouerai que plusieurs ne les
ont jamais trouvées prioritaires.
Cette réflexion autour de la diffusion et de la production de la
culture nous a amenés à penser que, dans les débats sur la
culture, il vaut mieux ne jamais trop perdre de vue une définition plus
sociologique de la culture qui nous fait la voir comme un reflet de ce que nous
sommes, un résultat de notre dynamique en tout domaine. Dans un tel
cadre, il devient clair que la culture est l'affaire de tous et de toutes et
qu'il faut promouvoir l'appropriation, par le plus grand nombre, de la culture
comme produit de consommation, mais aussi comme moyen d'expression et, bien
sûr, comme discours sur la culture.
Le deuxième thème que nous avons développé
dans notre mémoire s'intitule "Pays, culture et langue". Nous y
rappelons ici des positions qui sont nôtres depuis un bon moment
déjà et que nous avons déjà eu l'occasion
d'exprimer ailleurs. La FTQ est, bien sûr, en faveur du rapatriement
intégral de la compétence sur la culture, en direction du
Québec. En même temps que nous favorisons la souveraineté
et, par conséquent, le rapatriement intégral de toutes les
compétences, nous trouvons que les revendications de
récupération à la pièce, revendications qui ont
marqué notre histoire politique depuis si longtemps, nous
empêchent d'avancer.
Le Québec et le pouvoir fédéral ont toujours
ferraillé autour de ces questions de compétence. Non seulement ne
s'entendait-on pas sur la culture des textes constitutionnels, mais encore
profitait-on de la distraction, de l'incompétence ou de la
volonté politique de l'autre pour avancer sur le terrain de l'autre.
Cette guérilla politique s'est largement exercée à
l'encontre des intérêts du Québec et a diverti nos
attentions collectives de façon indue.
Le débat sur le rapport Arpin a été l'occasion de
prises de position très tranchées. Sur cette question de
compétence, il nous a semblé que les vrais enjeux étaient
perdus de vue et que c'était d'ailleurs là un résultat de
cette profes-sionnalisation du débat. Car, enfin, la question
fondamentale est d'ordre constitutionnel: Voulons-nous ou pas que Québec
soit maître d'oeuvre en matière de culture? Voulons-nous ou pas
que Québec soit un pays? Au lieu de cette discussion qui dépasse
largement la culture et qui hante le Québec depuis trop longtemps, nous
avons eu droit à des évaluations comparatives et diverses des
performances passées du Québec et du Canada en matière de
culture. Pour nous, il est un peu primitif en matière d'analyse
politique de prendre une position constitutionnelle selon l'importance et la
nature des degrés de satisfaction. Si nos politiques culturelles ne sont
pas adéquates, changeons-les. C'est d'ailleurs pour cela que
siège cette commission. L'administration publique est dotée d'une
volonté et d'une capacité de renouvellement; le moteur du
renouvellement sera toujours la volonté politique.
Mais, face à la diversité, nous avons tendance à
revenir à quelques questions fort simples au sens commun, à vrai
dire. Se pourrait-il que les différents milieux culturels
privilégient des attitudes étatiques différentes, les uns
souhaitant un État davantage mécène, les autres souhaitant
un État davantage catalyseur? N'est-il pas pensable que les besoins d'un
milieu où se côtoient des industries très capitalistes
comme le cinéma et des créateurs individuels, que les besoins de
tout ce monde soient différents? C'est après nous être
posé ces questions que nous avons opté pour une politique souple
et flexible qui fasse place aux différences. C'est peut-être trop
simple, peut-être parce que nous ne sommes pas dans la
mêlée. C'est peut-être aussi que nous sommes
consternés du ton de certaines interventions qui laissent supposer que
le Québec est, par un mystérieux atavisme, inapte en
matière de culture, ou qu'on dise sans sourciller que la dualité
des pouvoirs en matière culturelle est un cadeau du ciel, peut-on
imaginer, dans tous les pays souverains de par le monde, et voilà qu'on
nous envierait.
Une dernière question peut être posée: Ne se
pourrait-il pas que les attitudes différenciées du pouvoir
fédéral et du pouvoir québécois reflètent au
moins un peu et peut-être beaucoup un rapport fondamentalement et
essentiellement différent à la culture du Québec? L'un qui
passe par la distance et l'étrangeté, l'autre qui s'inscrit dans
la proximité et l'identification.
Nous avons, dans ce chapitre de ce mémoire, également
discuté du lien entre langue et culture et, donc, entre politique
linguistique et politique culturelle. Langue et culture sont indissociables et,
dans un pays à la fois incertain et géographiquement
menacé comme l'est le
Québec, elles ont toutes deux besoin de l'attention
gouvernementale et de la fierté populaire. Toutes ces questions ont
largement été développées par le Mouvement
Québec français qui viendra vous rencontrer
éventuellement, dont la FTQ est membre, et nous n'y insisterons pas
davantage.
Le troisième chapitre de notre mémoire s'intitule
"Mondialisation et échanges internationaux". Nous avons ici réagi
à certains propos, certaines recommandations du rapport Arpin, qui nous
semble bien orienté à ce sujet, mais qui n'a pas suffisamment
insisté sur la nécessité de soutenir nos industries
culturelles et nos créateurs dans la conjoncture actuelle de
mondialisation et de libre-échange. Comme société dont les
produits culturels qui passent par le véhicule linguistique sont
majoritairement limités dans leur diffusion, puisque la francophonie
mondiale est en position difficile, nous devons accorder un soutien particulier
à nos créateurs, leur permettre de maintenir leur
spécificité, les aider à diffuser leurs oeuvres à
l'échelle de la francophonie. La logique de la rationalisation
économique ne s'applique pas au secteur culturel. La vitalité
d'une culture passe par sa diversité, par le foisonnement des lieux de
production, par le maintien même d'une offre de produits marginaux et
condamnés inévitablement à la non-rentabilité, par
l'adéquation, enfin, entre le produit et la société dont
il sourd.
Notre mémoire mentionne également la
nécessité pour le Québec d'être vigilant pour ce qui
concerne les discussions sur le libre-échange tripartite et sur les
pressions américaines en faveur de l'inclusion de la culture dans les
ententes à venir ou à renégocier. Telle inclusion serait
aussi fatale à la culture canadienne anglaise qu'à la culture du
Québec, à vrai dire. Peut-être pourrions-nous
résister plus longtemps à la faveur de notre
spécificité linguistique. Mais il n'est que de voir les
statistiques sur la consommation culturelle des jeunes pour nous rendre compte
que les protections gouvernementales actuelles sont indispensables.
Notre quatrième chapitre concerne "Le rôle de
l'État", et nous ne surprendrons personne en disant que nous approuvons
la position du rapport Arpin. Oui, nous voulons un État présent,
interventionniste même, mais dans le bon sens du mot. Il s'est dit tant
de choses à ce sujet qu'il y a des mots qui sont devenus
piégés et que parler d'interventionnisme a l'air de parler de
totalitarisme. Le rôle de l'État n'est pas de définir la
culture, soyons nets, il est d'en soutenir les formes d'expression. Le
rôle de l'État est aussi de promouvoir un meilleur accès
à la culture dans l'optique d'une lutte aux inégalités.
Nous avons eu tendance, par le passé, à développer une
conception très économique des concepts d'égalité
et d'inégalité. Il faut, et c'est une autocritique aussi,
développer une conception d'ensemble de l'égalité -
parlons plutôt d'équité et de son envers - et nous rendre
compte des liens entre l'accès à la culture et l'accès
à la sécurité économique. (10 h 15)
On a beaucoup parlé du cercle vicieux de la pauvreté. Je
n'insisterai pas, mais il n'est pas dit que la démocratisation de
l'accès à la culture et à la production culturelle n'est
pas une bonne façon de rompre le cercle vicieux. J'y reviendrai, car
nous avons consacré à cette question le dernier chapitre de notre
mémoire.
La FTQ n'avait pas l'expertise pour réagir - vous vous en rendrez
bien compte - à toutes les propositions du rapport Arpin concernant le
rôle de l'État et nous avons donc limité nos commentaires
aux sujets sur lesquels nous nous sentions, à un titre ou à un
autre, fondés d'intervenir. Nous avons d'abord émis une opinion
générale sur l'intervention de l'État, compte tenu de
l'affolement qui s'est emparé de certains milieux où George
Orwell a été très mal lu. Toute intervention
étatique comporte des effets pervers qui relèvent
généralement du contrôle social, d'une normalisation
excessive. Mais nous croyons cependant, et ceci est en lien avec notre option
social-démocrate, que l'intervention de l'État est globalement
plus bénéfique que l'absence d'intervention et que, d'autre part,
les possibles effets pervers sont relativement contrôlables dans la
mesure où l'on accepte d'en parler et où on est
sensibilisé à cette problématique.
Nos commentaires plus spécifiques portent sur différents
sujets dont je n'en retiendrai, aux fins de ce rapide exposé, que trois.
En premier lieu, il est bien temps, en effet, de mettre sur pied un conseil
consultatif de la culture. Tous les grands champs d'intervention
étatique ont leur organisme consultatif depuis belle lurette. Et c'est
là une façon de consacrer l'importance de la mission de l'Etat.
La composition de ce conseil devra, et cela sera certainement une
opération complexe, refléter les diverses sensibilités. Il
serait cependant mal avisé de ne nommer à ce conseil que des
producteurs directs de culture. Des membres non producteurs contribueraient
à introduire des préoccupations sociales ainsi qu'à
promouvoir des débats plus sereins.
En deuxième lieu, nous accueillons avec nuance ce désir
d'horizontalité de la préoccupation culturelle que l'on retrouve
dans le rapport Arpin. À vrai dire, c'est un souhait fort
légitime mais il est aussi légitime d'appeler à une
"priori-sation" gouvernementale de l'emploi, de l'environnement ou de la lutte
aux inégalités. Ne dressons pas une priorité contre
l'autre. Tous ces objectifs et d'autres ont leur importance et méritent
d'être promus au statut de superpréoccupation.
En troisième lieu, nous attirons dans notre mémoire
l'attention sur l'intérêt d'une meilleure participation
financière des milieux corporatifs à la culture tout en
spécifiant que l'activité de
commandite est, par nature, aléatoire et peu pertinente pour
nombre de formes d'expression artistique plus marginales. Donc, que l'on n'en
fasse pas un terme d'une alternative dans laquelle le financement public serait
l'autre terme. Par ailleurs, nous attirons l'attention sur une récente
entente intervenue entre le Fonds de solidarité des travailleurs du
Québec et l'Union des municipalités régionales de
comté et des municipalités locales du Québec, entente
relative à la mise sur pied de fonds locaux de développement. Il
faudrait que les milieux culturels régionaux connaissent ces
possibilités et qu'ils essaient d'ouvrir les portes de ces institutions
financières.
La cinquième partie de notre mémoire s'intitule
"L'accès à la culture et aux arts". Nous nous y interrogeons
d'abord sur la notion de démocratisation culturelle. Il nous
apparaît plus profitable pour tout le monde de dégager comme
priorité en matière de démocratisation la
démocratisation de l'accès à toutes les formes
d'expression artistique et culturelle sans préférence et sans
exclusive. Certes, une gamme de moyens pour favoriser le meilleur accès
s'offre à nous et la FTQ n'a donc qu'effleuré le sujet en en
proposant cinq et encore très schématique-ment. Aussi,
suggérons-nous que, dans les diverses municipalités,
l'accès aux équipements culturels soit amélioré par
des pratiques d'échange et de collaboration entre les diverses
institutions. Une pièce de théâtre peut se contenter d'un
sous-sol d'église, voire de la grande salle sous-utilisée d'une
maison d'enseignement et ainsi de suite. On se souvient tous des débats,
il n'y a pas si longtemps, entre les commissions scolaires et les garderies ou
des groupes d'éducation des adultes, les premières gardant
jalousement les clés de leurs locaux scolaires vides pendant de longs
moments. Un peu plus de convivialité servirait sans doute la cause d'un
meilleur accès.
Sur la question scolaire spécifique, nous rappelons dans notre
mémoire que l'analphabétisme est un problème pour deux
adultes sur dix qui sont privés de ce fait de l'accès à
plusieurs formes d'expression culturelle et artistique. Quant aux enfants qui
fréquentent l'école, il nous apparaît que l'accès
aux produits culturels est beaucoup trop aléatoire, relevant largement
de l'initiative du personnel scolaire et de la bonne volonté des
collectifs locaux et que c'est là le genre de politique ou l'absence de
politique qui est nécessairement teinté, influencé par la
richesse culturelle des différents milieux et par la richesse tout
court. Les sorties culturelles sont généralement à la
charge des parents. Le temps m'empêche, je crois, d'élaborer
davantage. Ce sont des pistes de réflexion que nous voulions soumettre
et nous ne pouvons pas toutes, évidemment, les
énumérer.
Permettez-moi, en terminant, de mentionner la question de participation.
Il est beaucoup question de partenariat, dans le rapport Arpin, et nous sommes
en faveur. Mais il faut aller plus loin, nous fixer des objectifs en
matière de participation: que plus de gens s'intéressent à
la musique, à la peinture, à la danse, à la lecture, quel
qu'en soit le médium, et que davantage parmi nous, aussi, s'engagent
dans la production culturelle. Que de corvées, au bon sens du mot,
culturelles pourraient prendre forme, visant, par exemple, à revaloriser
et diffuser des moments d'histoire, des éléments de patrimoine
régionaux.
Nous bouclons ainsi la boucle en terminant sur une note relative, comme
au début, à la nécessaire implication, à la
nécessaire appropriation, par le plus grand nombre, de la culture et de
l'activité culturelle. L'heure est un peu trop à
l'économie, nous dit le rapport Arpin, avec raison, et la
responsabilité de la mise en oeuvre, de la mise en veilleuse de la
culture est largement partagée. Souhaitons que de plus en plus
nombreuses s'élèvent des voix pour remettre fa culture à
la place d'honneur qui lui est due et que ces voix proviennent des milieux de
plus en plus différenciés et larges. Le jour où une
commission parlementaire sur la culture suscitera un intérêt
dépassant très largement les milieux artistiques et les
esthètes, nous serons en bonne voie de voir la culture , devenir mieux
qu'une affaire d'État, l'affaire de tous et de toutes.
Le Président (M. Doyon): Merci, M. Daoust. Mme la
ministre.
Mme Frulla-Hébert: Merci, M. Daoust. Bienvenue à
tous. Quand vous dites que la culture est l'affaire de tous et toutes,
finalement, je l'ai dit aussi, l'an dernier, même à
l'Assemblée nationale, je pense que là-dessus on se rejoint et on
se rejoint de très près. Quand vous pariez aussi de l'implication
des diverses centrales syndicales dans le processus, c'est pourquoi
l'invitation et c'est pourquoi aussi la commission parlementaire. Quand vous
nous dites que le débat devrait déborder des milieux culturels,
alors c'est pour ça nos approches aux municipalités, au
socio-économique. L'HydroQuébec va venir cet après-midi,
Bell viendra aussi. Certaines entreprises comme
Québec-Téléphone sont venues se présenter, parce
que, vous avez parfaitement raison, c'est un projet de société et
on peut s'en parier entre nous. Si on ne déborde pas le milieu, eh bien,
ça va rester entre nous et le milieu seulement.
Ce que j'aime de votre approche, aussi, c'est la question
d'accessibilité, d'une part, et la question de démocratisation,
si on veut, de la culture en soi. Et j'aurai des questions à vous poser
qui sont peut-être un peu plus spécifiques et vous êtes les
seuls à y toucher.
D'abord, au niveau de la création de fonds locaux
d'investissement, j'aimerais que vous élaboriez sur ce sujet. Vous
êtes très impliqués dans ces fonds locaux, vous parlez
d'accessibilité, finalement, à ces fonds aux projets
culturels.
J'aimerais vous entendre un peu plus là-dessus.
M. Daoust: Nous faisons état de cette proposition dans le
document qui vous est soumis, dans le mémoire. J'en ai parlé
quelque peu lors de mon intervention. Il s'agit de fonds qui seront, qui sont
en voie d'être mis sur pied. Les négociations sont
entamées, les principes sont acquis de part et d'autre, par l'UMRCQ et
par le Fonds de solidarité, que des sommes d'argent soient à la
disposition des régions du Québec qui sont les "petites patries"
d'un Québec en devenir et qui permettraient à toutes ces
régions d'avoir accès à du capital de
développement, comme on dit. Évidemment, essentiellement, ce qui
est visé, c'est la création et le maintien d'emplois, par des
fonds qui peuvent être Investis régionalement sous l'examen, la
surveillance et le contrôle du Fonds de solidarité et de telle ou
telle municipalité ou municipalité régionale de
comté, fonds qui peuvent permettre l'éclosion d'une entreprise ou
qui peuvent permettre à une entreprise qui est en difficultés
financières de pouvoir avoir accès à un minimum de capital
venant de ce type de fonds régionaux.
C'est peut-être un peu éloigné d'entreprises ou de
l'industrie culturelle dans le sens large du mot, mais il existe ici et
là au Québec des gens qui ont des idées et qui pourraient
les soumettre à ces fonds régionaux. Il y aurait là
d'abord une façon de provoquer une prise de conscience, et des
échanges, inévitablement, pourraient en découler, et des
investissements, puisque les fonds qui seraient disponibles pourraient
être rendus possibles à ces actions culturelles qui pourraient se
faire en région, parce que souvent il y a un manque d'argent. Remarquez
que là il faut être bien précis. Il ne faut pas non plus
susciter des appétits qu'on ne pourra pas combler. Il ne s'agit pas de
mécénat, sans aucun doute. Il faudra inévitablement,
puisque c'est l'épargne des travailleurs et des travailleuses qui est
investie dans le Fonds de solidarité, qu'il y ait une rentabilité
plus ou moins assurée ou assurée. Je ne veux pas non plus laisser
flotter des hypothèses qui pourraient par la suite ne pas se
concrétiser. Ce n'est pas des subventions, ce n'est pas du
mécénat, je le répète, mais, tout au moins, c'est
l'occasion pour ceux qui ont des idées dans le domaine culturel de les
faire valoir au Fonds de solidarité et aux organismes régionaux.
Et peut-être, au-delà de ces mises de fonds, le seul fait qu'il y
ait non seulement des types d'échanges mais des interventions pourrait
provoquer une prise de conscience sur la nécessité d'une
implication régionale dans le domaine culturel.
M. Frenette (Jean-Guy): Au-delà des fonds régionaux
que nous aurons au niveau de chaque grande région du Québec,
chaque MRC, chaque municipalité régionale de comté, pourra
avoir et créer au niveau local un fonds local, qui sera
géré par les intervenants du milieu, des municipalités,
des groupes économiques, des groupes culturels, et le fonds local sera
alimenté par le Fonds de solidarité en fonction et au prorata des
souscriptions locales et des adhésions locales qui se feront au niveau
du Fonds de solidarité. Et nous nous engageons à toujours
réinvestir dans le fonds local les entrées qui nous viendraient.
Ce seraient les municipalités qui feraient une certaine promotion, la
promotion pour l'adhésion au Fonds de solidarité. En ce sens,
nous voulons doter chacune des localités du Québec, mais surtout
chacune des MRC, d'un fonds de capital de développement auquel elles
pourraient participer et où elles auraient un pouvoir d'intervention et
le contrôle appartiendrait effectivement aux intervenants du milieu et au
niveau local pour définir et soutenir les projets qui leur conviennent.
Et on pense, et c'est dans nos orientations, que tout projet culturel,
artistique, etc., peut se présenter, évidemment, à ce type
de fonds.
Mme Frulla-Hébert: Est-ce qu'au niveau de votre table, par
exemple, les produits culturels ont été spécifiquement
discutés? Parce que vous savez, et là-dessus je vous rejoins, on
comprend bien que ce ne sont pas des subventions, on comprend bien que c'est
tout simplement un fonds d'aide à l'entreprise. Par contre, on a une
tendance à penser aussi que nos produits culturels - quand on regarde au
niveau de nos industries, on a des gens ici, justement, des industries, qui
sont en affaires et qui font très bien - que parce que c'est la culture,
bien, ce n'est pas rentable. Mais, quand on parte des industries culturelles,
une industrie culturelle c'est la même chose qu'une autre entreprise, que
ce soit une PME ou une entreprise plus grosse, avec les mêmes conditions
économiques, les mêmes conditions de marché. (10 h 30)
Alors, je reviens à ma question. Est-ce que, au niveau des
entreprises culturelles, ce type d'intervention pour les entreprises
culturelles a été spécifiquement discuté à
la table?
M. Daoust: Si on revient au Fonds de solidarité comme tel,
toute demande d'investissement, d'où qu'elle vienne, fait l'objet d'une
analyse et d'un examen. Depuis l'existence du Fonds, il nous est arrivé
à quelques reprises que ceux qui font partie de ce qu'on appelle
l'industrie culturelle aient frappé à la porte du Fonds pour
suggérer et proposer des projets. Mais il n'y en a pas eu beaucoup, soit
dit en passant, à peine; on peut les compter. En fait, il y en a eu
peut-être deux ou trois et il y en a un qui a été
retenu.
Le Fonds a fait un investissement dans un film, "Les Tisserands du
pouvoir", qui a été présenté à la
télévision et dans les salles de cinéma, investissement
qui a fait l'objet de
rencontres avec le milieu que vous connaissez sans aucun doute, avec les
promoteurs du film, et qui a suscité à l'intérieur du
Fonds et de la FTQ beaucoup d'intérêt et de questionnement dans
certains cas, comme d'autres investissements ont pu susciter
inévitablement des questions, que ce soient les Nordiques, ici, à
Québec, ou dans d'autres domaines. Ça a été
extrêmement sain pour le Fonds, pour l'ensemble de la FTQ et les
syndicats les plus impliqués, comme l'Union des artistes et d'autres
syndicats, qui participent toujours sur le plan du travail à la
production d'un film, d'un outil ou d'un produit culturel. On a toujours un peu
de difficulté... Moi, j'ai toujours un peu de difficulté à
parler d'industrie culturelle parce qu'il y a comme une espèce de
contradiction. Mais je ne veux pas entrer dans ces débats-là, ce
serait trop compliqué.
Donc, le Fonds a eu un investissement dans ce domaine-là et il
est ouvert - encore une fois, le Fonds de solidarité comme tel -
à toute demande qui est véhiculée, qui nous est soumise
par le milieu.
Le Président (M. Doyon): Une dernière question, Mme
la ministre.
M. Daoust: Je dois vous dire que, non seulement il y a une
ouverture, il y a une préoccupation et une sensibilisation. Le milieu de
l'industrie culturelle devrait accepter cette main tendue, qui n'est pas tendue
dans le mauvais sens du mot, mais qui pourrait lui donner un drôle de
coup de main parce que les analystes financiers - et là je ne veux pas
faire la promotion du Fonds plus qu'il ne le faut; c'est déjà
abondamment fait - mais les équipes, les analystes financiers pourraient
aider tous ceux qui font partie de l'industrie culturelle à
préciser les projets et à en évaluer la rentabilité
éventuelle.
Le Président (M. Doyon): Mme la ministre, très
très brièvement.
Mme Frulla-Hébert: Une toute petite question. Encore une
fois, c'est sur la question de l'adaptation de la main-d'oeuvre. Vous dites que
le MAC n'a pas affaire à la formation professionnelle, qu'il y a une
table de concertation. Vous êtes les seuls à toucher ça,
c'est pour ça que... Est-ce qu'il est possible d'envisager, par exemple,
au sein de la conférence, la formation d'une table sectorielle
axée sur les besoins spécifiques dans le domaine culturel parce
que nos milieux le demandent? On aimerait savoir si, à cette
conférence-là, les milieux culturels auraient leur place.
M. Daoust: Moi, j'en ai la certitude absolue. Cette table, cette
conférence permanente sur l'adaptation de la main-d'oeuvre existe depuis
une année. Elle est sur le point de produire, pas à la
conférence comme telle, mais à la suite des discussions, de vivre
la présentation d'un projet de loi sur la création d'une
société québécoise d'adaptation de la
main-d'oeuvre.
Pour revenir à votre question de façon précise,
mais oui! et il faudra le faire, d'ailleurs, dans bien des domaines. C'est un
grand lieu de concertation où on retrouve le monde patronal, le monde
syndical, le monde coopératif et, évidemment, un gouvernement. On
y parle de main-d'oeuvre, de marché de travail, de recyclage, de
formation professionnelle. Il y a là une expertise. Quand on parle de
formation professionnelle, il faut faire appel à bien des gens au
Québec. À l'intérieur du gouvernement, il y a des
ministères qui se chamaillent beaucoup là-dessus, il y a des
chasses gardées. Si tout le monde crée sa petite table de
formation professionnelle... Il y en a déjà trop de lieux,
d'endroits où ça discute et de piétinement dans ce
domaine-là qui nous fait beaucoup mal, comme société, au
Québec. Il ne faudrait pas, encore une fois, les multiplier. Alors, oui,
c'est le lieu privilégié. Moi, je ne peux pas répondre au
nom du gouvernement ni du ministre, mais je peux m'exprimer probablement au nom
des partenaires qui se rencontrent, pour dire: Mais oui, il faudra qu'il y ait
des tables sectorielles où les gens les plus intimement
mêlés, les plus compétents pourront venir et faire part de
leurs demandes et de leurs besoins.
Le Président (M. Doyon): M. le député de
Sainte-Marie-Saint-Jacques.
M. Boulerice: M. Daoust, M. Frenette, M. Morasse et M. Gagnon, je
suis heureux que nous commencions cette journée avec cette puissante
organisation que vous représentez. Cette organisation que vous
représentez appuie l'option de la souveraineté du Québec.
Donc, la question du rapatriement des pouvoirs fédéraux en
matière de culture devient inévitablement inéluctable pour
vous. Certains organismes culturels sont méfiants à
l'égard du rapatriement parce qu'ils craignent ce dirigisme de
l'État auquel vous avez fait allusion, ou encore que les budgets
récupérés du gouvernement fédéral pourraient
être réinvestis ailleurs que dans la culture, garantie inverse
qu'a donnée le chef de l'Opposition, mais pas la ministre. Qu'est-ce que
vous répondez à ces craintes et à cette méfiance de
la part des milieux?
M. Daoust: La méfiance est peut-être fondée,
et je m'explique. Bien que, nous, nous ne la partagions pas, elle est
peut-être fondée parce qu'on vit ce que nous vivons dans ce pays:
deux types d'intervention au niveau de deux gouvernements. Mais nous ne la
partageons pas parce que - nous l'avons dit dans notre mémoire et je
pense qu'il n'est peut-être pas mauvais de le répéter - la
FTQ préconise systématiquement la
récupération des compétences sur l'un ou l'autre
secteur et l'appropriation de toutes les compétences qui
caractérisent - et je cite le mémoire, à la page 9 -
"...les États souverains de par le monde. Parce que nous constituons un
peuple et que nous voulons nous donner un pays, l'activité de
l'État doit être une et à l'abri des maquignonnages et
guérillas politiques."
Dans le domaine de la culture, il y en a eu beaucoup de ces
guérillas, aussi bien au Québec, à l'intérieur de
ce coin de pays qui deviendra le nôtre éventuellement, aussi bien
à Ottawa, guérillas et maquignonnages à l'égard
desquels nous avons nos vues et dont nous sommes, évidemment, les
victimes.
Il n'y a pas d'inquiétude, quant à nous. Le jour où
le Québec sera souverain, il n'y a aucune espèce
d'inquiétude, dans la mesure où ceux qui sont les plus
directement touchés, et même l'ensemble de la population,
démontreront la vigilance qui s'impose. Pourquoi faudrait-il qu'un
Québec qui deviendrait souverain soit, à l'égard de la
culture, de façon générale, d'une mesquinerie qu'il ne
pourrait pas se permettre, de toute façon... mais d'une mesquinerie dont
on l'accuse à ce moment-ci, dont on prétend que ça
pourrait arriver si jamais le Québec devenait souverain? Il y a quelque
chose d'incompréhensible là-dedans.
Le jour où le Québec deviendra souverain, il aura
évidemment toutes les compétences pour intervenir avec force dans
le champ de l'activité culturelle. Il devra les assumer, ces
compétences-là. Il n'y a aucune raison qui voudrait - nous, on le
réclame et tout le monde va le réclamer - que ce Québec
souverain ait, à l'égard de la culture, moins de
préoccupations que ce type de réalité que nous
connaissons. Il y a des interventions gouvernementales de deux niveaux de
gouvernement. C'est entendu qu'on va exiger comme point de départ que
l'argent qui est investi par le fédéral, le jour où le
Québec va rapatrier la globalité de ses compétences, soit
investi de la même façon par ce nouveau pays que serait un
Québec souverain.
M. Frenette: M. Boulerice, sur votre question fondamentale
concernant la crainte de détournement des fonds qui pourraient
être rapatriés, avec les compétences qui s'y rattachent, je
dois vous dire qu'il n'est pas nécessaire d'être souverainiste
pour exiger le rapatriement des compétences et des fonds qui s'y
rattachent. Nous avons obtenu cet accord avec le monde patronal et le monde
coopératif au niveau de la conférence permanente sur l'adaptation
de ia main-d'oeuvre. Nous avons un ministre, le ministre Bourbeau, qui a
décidé, finalement, de demander notre appui pour
récupérer tous les pouvoirs dans le domaine de la main-d'oeuvre
et de la formation professionnelle, y compris éventuellement
l'administration de l'assurance-chômage. Nous avons donné cet
appui au ministre avec le monde patronal. Là, ce sont des mil- liards,
dont on parle, de récupération des fonds fédéraux.
Nous ne sommes pas tous des fédéralistes autour de cette table,
comme vous pouvez vous en douter. Le monde patronal est d'accord pour
récupérer tous ces pouvoirs et toutes les sommes. Nous sommes
certains, au Québec, d'avoir la vigilance nécessaire et
suffisante pour s'assurer qu'on est capables de continuer à
développer notre main-d'oeuvre et de lui assurer la formation qu'elle
n'a pas.
Le problème fondamental - on le reconnaît dans ce domaine
comme on le reconnaît dans la culture - est le dédoublement, la
duplication des programmes, la multiplication des interventions. Des
priorités différentes font que l'on est inefficace comme
société dans un domaine d'intervention aussi fondamental que la
culture et aussi névralgique pour notre développement et le
maintien de notre identité. C'est pour cette raison qu'il n'est pas
nécessaire d'être souverainiste pour exiger cela, c'est une
question de reconnaître que c'est notre survie qui est en cause et qu'H
nous faut ces pleins pouvoirs.
Le Président (M. Doyon): M. le député,
dernière question. Le temps passe rapidement.
M. Boulerice: Cette méfiance, à mon point de vue,
vient sans doute du bilan de l'action gouvernementale dans ce domaine. Absence
de lois structurelles importantes attendues depuis 1985, pas de statut fiscal
de l'artiste, non-respect du 1 %, etc. Mais on pourra y revenir. Est-ce que
vous croyez que l'on peut parler de véritable politique culturelle du
Québec sans intégrer le secteur des communications? J'aimerais
juste vous dire qu'au niveau des dépenses publiques et des recettes de
marché tout l'audiovisuel totalisait 1 696 000 000 $ en 1988-1989 et, au
niveau des communications, les recettes de marché totalisaient 1 500 000
000 $. Les communications sont étroitement liées à la
culture. C'est un gigantesque marché économique qui
échappe actuellement au contrôle exclusif du Québec.
Le Président (M. Doyon): Une très brève
réponse.
M. Frenette: Pour cela, notre position est très claire.
Nous demandons aussi la pleine récupération des
compétences dans le domaine des communications. C'est le
véhicule, c'est l'instrument nécessaire et essentiel pour nous
permettre de diffuser notre culture. Sans cet outil indispensable, nous aurons
beau faire tous les efforts pour essayer de développer notre culture, la
maintenir, la soutenir, il nous manquera toujours l'instrument fondamental de
diffusion. Il nous faut cet élément pour assurer le plein
épanouissement de notre culture.
Le Président (M. Doyon): Quelques mots de
remerciement, monsieur le député.
M. Boulerice: Vos positions sont claires. Je vous remercie de
votre intervention. Nous aurons probablement enrichi le vocabulaire du premier
ministre. Il pourra invoquer la clause Wallonie, maintenant.
Le Président (M. Doyon): Merci. Mme la ministre.
Mme Frulla-Hébert: Je vous remercie pour
l'originalité et l'aspect créatif de votre mémoire, aussi
pour la franchise avec laquelle vous avez abordé notre
problématique culturelle québécoise. Je comprends que vous
voulez des changements quant à la démocratisation et à
l'accès. Je vous fais une invitation, tel que je l'ai fait à
toutes les centrales syndicales. C'est important que vous soyez ici. Vous
représentez 450 000 membres. Si la culture est l'affaire de tous, alors,
messieurs, elle est votre affaire. (10 h 45)
Le Président (M. Doyon): Merci à la
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec. De
nouveau, toutes nos excuses pour le retard auquel nous vous avons soumis. Vous
permettant de vous retirer, j'invite maintenant, sans plus de délai,
l'Opéra de Montréal à bien vouloir prendre place.
Alors, merci d'être parmi nous. À vous aussi, les excuses
de la commission pour le retard auquel on est astreint en ce moment. Je vous
souhaite la plus cordiale des bienvenues. Vous nous faites le plaisir
d'être avec nous depuis presque le début. Vous connaissez les
règles qui nous gouvernent. Je vous laisse vous présenter et
procéder sans plus de délai à votre mémoire.
Corporation de l'Opéra de Montréal
(1980) inc.
M. Landry (Roger D.): Très bien. Alors, je voudrais me
présenter. Mon nom est Roger Landry et je suis ici, aujourd'hui,
à titre de président de l'Opéra de Montréal. Ceci
n'est pas mon occupation principale. À temps libre, je suis aussi
président et éditeur de La Presse. Mes collègues,
aujourd'hui, sont Mme Claude Beaudet, qui est directrice de l'administration
à l'Opéra de Montréal, et Me Philippe-Denis Richard, qui
est, en plus d'être notre conseiller juridique, membre de la maison
Lavery de Billy. Il est aussi membre du conseil d'administration de
l'Opéra de Montréal.
Le Président (M. Doyon): Bienvenue à vous
trois.
M. Landry: M. le Président, Mme la ministre, Mmes, MM.
membres de la commission. D'entrée en matière, la Corporation de
l'Opéra de Montréal, ci-après désignée la
"Corporation", est des plus heureuses de répondre à l'invitation
de la commission parlementaire de la culture et de soumettre le résultat
de ses réflexions, analyses et recommandations dans le cadre de
l'étude par celle-ci de la proposition de politique de la culture et des
arts, ci-après la "proposition" ou le "rapport Arpin", telle que
présentée le 13 juin 1991 à Mme Liza Frulla-Hébert,
ministre des Affaires culturelles.
En amorçant nos réflexions, notamment sur la place de
l'art lyrique dans le vaste champ de la culture, nous nous sommes
arrêtés à cette réflexion de Boïto, un
collaborateur de Verdi, alors que ce dernier travaillait à la
création des oeuvres "Otello" et "Falstaff". Voici ce qu'il disait
lorsqu'il parlait de l'art lyrique: "Je rêve d'un art splendide dont la
forme existe peut-être au ciel, affranchi des rudes liens du mètre
et de la forme, empli de l'idéal qui me fait battre des ailes".
L'art lyrique, donc, est un art splendide et dominant par son langage
dramatique et musical. Il est essentiel à la vie culturelle
québécoise. L'art lyrique constitue une des expressions
artistiques les plus élaborées et les plus complètes. Il
fait notamment appel, dans sa création, aux talents du poète, du
compositeur, du scénographe, du chorégraphe, du metteur en
scène et, dans son interprétation, aux talents et brio de
sopranos, de mezzo-sopranos, de contraltos, de ténors, de barytons et de
basses, à la puissance et à la couleur de leurs voix, à
leurs timbre et tessiture, à leur style musical, à leur sens
harmonique, le tout pour séduire et passionner le public
mélomane. À la fois visuel et auditif, verbal et musical,
intellectuel et émotif, dramatique et parfois frivole, l'art lyrique
manifeste aujourd'hui, au Québec, une vitalité certaine et
réussit à s'attirer l'estime des mélomanes les plus
exigeants en même temps qu'il continue de susciter l'enthousiasme d'un
public longuement acquis à sa cause et même - et ça, c'est
important - d'un tout nouveau public.
À ce dernier chapitre, la Corporation s'enorgueillit d'avoir
encore cette année tout près de 11 000 abonnés et que sa
jauge moyenne de spectateurs par production soit d'au-delà de 90 %.
La Corporation de 1980, ses premières années.
Fondée en 1980, la Corporation estime qu'elle a largement
contribué à cette vitalité et à une
appréciation plus sereine par le public mélomane des oeuvres du
répertoire de l'art lyrique en favorisant, par diverses interventions,
une meilleure connaissance du contenu dramatique de chaque oeuvre
présentée, l'esthétique dont elle relève et ses
qualités proprement musicales. Les premières années de la
Corporation ne furent pas sans heurts et écueils, plus
particulièrement sur le plan financier, faute, notamment, d'un mode de
financement permanent et stable. L'appui inconditionnel du public
mélomane, le soutien financier ponctuel, mais toutefois
insuffisant... Ici, je voudrais dire que toutes nos interventions, et notre
intervention de ce matin, ne dégagent aucun blâme. Lorsque nous
parlons d'insuffisance de fonds, nous ne blâmons pas les autorités
qui vous ont précédés ni celles qui étaient
là avant. C'est tout simplement un fait que, si vous nous en donniez
plus, on pourrait faire plus, mais on ne vient pas ici se plaindre. Donc, ce
n'est pas un blâme.
Le soutien financier ponctuel, mais insuffisant, des organismes
gouvernementaux et le support des commanditaires ont permis à la
Corporation de survivre, bien qu'accumulant d'année en année,
durant ces premières années, un déficit financé
à même la prévente des billets de la saison à venir.
Autrement dit, on vendait nos billets, on payait nos dettes et on était
toujours un pas en arrière. Force a été de constater, et
la constatation est toujours actuelle, qu'une maison d'opéra, telle
celle de la Corporation, ne peut uniquement se fier à ses trois sources
traditionnelles de financement, à savoir les recettes du guichet, le
soutien financier d'organismes gouvernementaux et l'appui de ses
commanditaires.
La nomination d'un nouveau conseil d'administration, à la fin de
1989, a servi d'amorce à une réflexion orientée vers la
recherche de nouvelles sources de financement pour la Corporation. Dans le
cadre de cette réflexion, certains objectifs précis ont servi de
balises à la démarche du conseil d'administration. Ceux-ci sont
la recherche de l'excellence, la rationalisation des opérations, la
recherche d'une importante source additionnelle de financement, la gestion des
ressources humaines et matérielles, autant de facteurs qui ont, depuis,
contribué de façon marquante à la réussite de la
Corporation. Je suis fort heureux de vous dire que l'Opéra de
Montréal est une compagnie, une corporation qui réussit.
Une maison d'opéra, pour nous, doit viser l'excellence dans
toutes ses démarches artistiques, car il en va de sa stabilité,
de sa renommée et de sa survie. Quand je dis, dans toutes ses
démarches artistiques, je parle de démarches tant
professionnelles qu'administratives. Lorsqu'on administre des artistes ou que
des artistes administrent, on doit combiner ces deux facteurs et agir de
façon professionnelle dans nos actions tant artistiques
qu'administratives. Cette excellence passe par une programmation bien choisie,
un calendrier annuel de productions suffisamment nombreuses pour garantir sa
visibilité, l'apport créatif d'artistes québécois
et canadiens comme d'artistes étrangers, la recherche d'une
présence active sur le plan international autant que sur le plan
national et la mise en oeuvre de moyens susceptibles de susciter
l'adhésion du public. Un des critères importants, le
baromètre de ce que l'on fait, c'est le public. C'est lui qui
décide, c'est lui qui trouve ça plate ou c'est lui qui trouve
ça amusant. Cette excellence passe également par la sauvegarde du
savoir-faire, c'est-à-dire par un soutien financier constant qui permet
à un organisme culturel d'être à la fine pointe de sa
discipline par l'apport de ressources artistiques non seulement
québécoises ou canadiennes, mais aussi étrangères.
Cette orientation appelle souvent à l'innovation. Elle implique des
coûts, mais la qualité et les choix esthétiques de toute
création et de toute interprétation l'exigent ainsi.
La rationalisation de nos opérations. La stabilité et la
viabilité d'un organisme culturel exige également une
rationalisation de sa gestion et de ses opérations. Dans cet esprit, la
corporation retenait, à la fin de la saison 1987-1988, les services d'un
directeur général et artistique de grande expérience en la
personne de M. Bernard Uzan. Dans son désir de résorber le
déficit accumulé, qui se chiffrait alors à 1 250 000 $,
dont 331 805 $ pour la saison 1987-1988, le conseil d'administration confiait
à Bernard Uzan, tout en sauvegardant la haute valeur artistique des
oeuvres présentées, le mandat de rationaliser les
opérations de la Corporation et la capacité de la Corporation
d'attirer et de mettre en scène des artistes de haut calibre. Cette
rationalisation imposait alors à la Corporation l'obligation d'amortir
ses coûts de production sur six soirées par oeuvre
présentée. Fait à noter, cette rationalisation des
opérations a donné des résultats immédiats à
tel point qu'à la fin de la saison 1988-1989 la Corporation affichait
son premier surplus d'exercice. C'est cette forme de gestion qui a conduit
à l'élimination du déficit accumulé à la fin
de la saison 1990-1991. Nous n'avons plus de dette et nous n'aurons plus de
dette. La rationalisation des opérations d'une maison d'opéra ne
se veut cependant qu'un point de départ vers un nouvel
épanouissement de son activité artistique. Relier la
rationalisation des opérations à une croissance zéro,
c'est à notre avis remettre en question, à court terme, la
viabilité d'un organisme tel que la Corporation.
Soucieux de cette dualité entre survie et épanouissement,
le conseil, souscrivant à la recommandation de Mme Jacqueline Desmarais,
acceptait d'emblée en 1989 la constitution d'une guilde. On copiait ce
qui avait été fait par les Américains, créer une
guilde, un groupe qui allait nous aider, qui allait nous supporter. Cette
guilde qui est maintenant connue sous la dénomination sociale de la
Guilde de l'Opéra de Montréal, devenait ainsi la quatrième
source de financement. Toujours et encore sous l'active présidence de
Mme Desmarais, la Guilde de l'Opéra de Montréal a recueilli
auprès du public mélomane, depuis sa mise en place, des fonds de
plus de 1 000 000 $ qui ne servent pas à notre opération mais qui
servent à nous aider lorsque nous voulons créer des nouvelles
choses, lorsque nous voulons faire de nouvelles productions, permettant donc,
dans le cadre de dons ponctuels
consentis à la Corporation, d'assurer dans l'immédiat sa
stabilité et sa santé financière. Il importe de souligner
ici que cet apport additionnel ne doit éliminer en aucune façon
le maintien du soutien financier des organismes gouvernementaux, le support de
ses commanditaires et l'appui du public mélomane.
Permettez-moi, ici, de faire un aparté. Je ne sais pas pourquoi,
je ne comprends pas comment, mais lorsqu'un groupe qui, comme le nôtre,
réussit à se sortir d'une situation financière
difficile... Je ne sais pas si c'est une maladie instinctive chez les gens de
la fonction publique, mais comme on a réussi à se sortir du
trouble, il me semble qu'ils prennent un malin plaisir à nous retourner
dans le trouble. Et ça, je ne crois pas que ce soit l'objectif
visé par les législateurs ou par les femmes ou hommes politiques,
ici. Je me débats et je continuerai à me débattre
fortement pour dire qu'on devrait encourager ceux qui réussissent. On
devrait leur donner un appui, non pas les critiquer... parce que ça va
bien, on va vous en donner moins. Alors, je vous signale ça parce que
c'est un des messages importants que je voulais vous communiquer ici
aujourd'hui.
Ensuite de ça, la déduction, pour nous, s'impose que
l'équilibre financier de la Corporation est fragile et je vous dis: II
doit en être ainsi parce que c'est ce qui nous motive à vouloir
continuer à bien faire. Il ne faut pas, d'une part, qu'on devienne
richissime puis il ne faut pas, d'autre part, qu'on se fasse enlever des fonds.
Mais il faut être efficace dans notre gestion comme dans tout autre
organisme qui existe dans notre société. La fragilité de
cet équilibre appelle en outre à une performance de premier ordre
et, à cet égard, je tiens à souligner la qualité de
l'équipe dirigée par M. Bernard Uzan. En passant, je voudrais
l'excuser de ne pas être ici aujourd'hui, mais il est à faire une
mise en scène à Catania, en Sicile, où il nous
représente avec beaucoup de satisfaction, et il représente
l'Opéra de Montréal avec fierté. Donc, c'est pour nous un
plus et je ne sais pas s'il aurait été meilleur que moi pour
faire ce que je suis en train de faire. Alors, à cette fin, je vais donc
continuer à faire ce que je fais là.
Des voix: Ha, ha, ha! (11 heures)
M. Landry: Donc, la corporation a actuellement à son
emploi 22 permanents. Les salaires de ceux-ci - c'est un objectif que nous nous
sommes donné - représentent 14 % des dépenses totales de
fonctionnement, alors que selon une étude du Manitoba Opera Association
la moyenne nationale à ce titre se situe à 16,2 % ou plus. Les
résultats obtenus au cours des trois derniers exercices de la
Corporation témoignent éloquem-ment de la haute qualité de
ce personnel, de son efficacité et de sa performance.
Le conseil d'administration. Je ne voudrais pas passer sous silence
l'apport également très important et significatif des membres qui
composent le conseil d'administration de la Corporation dont j'ai l'honneur de
présider les délibérations. Formé de
personnalités de différents milieux, certaines dominant la
scène de l'actualité, ce conseil s'est efforcé
assidûment d'attiser et de maintenir l'intérêt du public
à l'art lyrique par des procédés innovateurs et la mise en
oeuvre d'idées nouvelles. Les membres de ce conseil ont apporté
leur contribution à la recherche de commanditaires. Ils ont
également offert avec générosité des biens et des
services de haute qualité en plus de manifester une grande
disponibilité, toujours en vue d'assurer la stabilité et
l'épanouissement de la Corporation.
Ça va faire deux ans que je suis à la présidence du
conseil d'administration de l'Opéra de Montréal. À mon
arrivée, de nouveaux règlements ont été
présentés aux membres du conseil. D'une part, tout le monde doit
payer ses billets et doit avoir des billets de saison qu'il paie pour
être membre du conseil d'administration de l'Opéra de
Montréal. En plus de ça, il paie une cotisation annuelle de 500 $
pour être membre du conseil. Non pas que le conseil les paie. C'est
déjà, à ce moment-là, l'engagement que quelqu'un
veut vraiment faire partie de ça. Alors, à ce moment-là,
on exige ça. Nous allons plus loin. Chaque membre du conseil
d'administration doit trouver une commandite de 10 000 $ pour l'Opéra,
sinon il devient un membre non eligible à être reconduit au
conseil. Autrement dit, on n'est pas là parce que ça nous gonfle
le torse et on veut être de bons... des gens qui semblent être
très intellectuels ou autre chose. On est là parce qu'on va
laisser les artistes faire leur job, on va les aider à la faire, nous,
par notre contribution. En somme, ils ont suscité des apports de
différente nature, de source autre que gouvernementale, et on favorise
ainsi le flot continuel de ces apports, financiers ou autres.
Ce que je veux vous dire ici, c'est qu'il existe malheureusement trop
d'endroits où c'est presque un poste honorifique que d'être membre
du conseil d'administration d'une activité culturelle
québécoise et que l'on se donne... Bien là, je vais avoir
mon petit billet ou ces choses-là. Je vais plus loin que ça. Nous
avons ici un membre du conseil d'administration qui est notre conseiller
juridique, qui nous donne des services annuels de l'ordre de, d'à peu
près, je dirais, 100 000 $, et pour lesquels il n'a absolument pas le
droit de nous envoyer de factures. S'il le faisait, il perdrait sa job. Alors,
ça règle le cas assez vite.
En ce qui me concerne, moi, toute la publicité qui est faite par
le biais du journal que je dirige est faite gratuitement. Nous demandons
à ceux qui oeuvrent avec nous... À l'exception de nos cadres et
de ceux qui travaillent à l'intérieur, tout le monde doit fournir
quelque chose. Alors, nous avons su choisir, à titre d'exemple, le
président d'une compagnie de publicité qui,
lui, doit nous fournir les outils de promotion, qui doit nous
chercher... Tout est organisé de façon à ce qu'il y ait
une contribution directe qui est faite, comprenez-vous? Donc, il s'agit de
faire ça.
Le rôle du conseil. Il s'est donné aussi comme mission
d'être avant tout un organisme de planification budgétaire et
financière et un instrument ultime de contrôle en vue du maintien
d'une saine gestion des opérations de la Corporation. Ajoutons que le
conseil s'est toujours refusé d'être un intervenant dans
l'activité quotidienne de la Corporation, cette tâche étant
confiée à son gestionnaire principal, son directeur
général et artistique, sous la gouverne du président du
conseil seulement. Tout le monde n'est pas un metteur en scène, tout le
monde n'est pas un génie dans le domaine de l'opéra et tout le
monde ne chante pas. J'en suis fort heureux, et j'insiste pour que les membres
du conseil ne chantent pas lors de nos réunions.
Je voudrais dire un mot très rapide sur la qualité de M.
Uzan comme directeur général et artistique de l'Opéra de
Montréal. Il a su insuffler un dynamisme administratif, artistique et
culturel au sein de la Corporation. Ce nouveau dynamisme a favorisé le
développement de l'art lyrique comme l'évolution des pratiques
artistiques qui s'y rapportent et ce, par des mises en scène
soignées, souvent innovatrices, dont Bernard Uzan est le signataire et
le créateur. Il s'agit de voir que les quatre dernières
productions que nous avons faites à Montréal n'ont reçu
que des éloges de tous les critiques. Croyez-moi, étant
donné que je vis près du critique de La Presse, vous
comprendrez que je considère...
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Landry: ...vous comprendrez aussi que je me sens un grand
réalisateur de grandes choses lorsqu'on dit que c'est bon. Alors, c'est
comme ça que ça se fait et nous sommes très heureux. Tout
ça, malgré l'harmonisation que nous avons apportée entre
la programmation et les contraintes budgétaires. Nous avons donc eu
cette approche créative et nous avons oeuvré aussi. M. Uzan l'a
fait par sa présence à l'atelier lyrique de l'Opéra de
Montréal autant que par ses interviews à la
télévision, la radio et dans les journaux. Il s'est
révélé un gestionnaire éclairé et performant
dans le milieu culturel. De ça, je pense que nous tous devons nous
enorgueillir. Il représente un chaînon essentiel et indispensable
dans la poursuite des objectifs que nous nous sommes donnés en tant que
conseil d'administration. À titre indicatif, c'est sous sa direction
qu'a été instaurée la traduction simultanée de la
langue d'origine de l'oeuvre présentée, en français et en
anglais. Je tiens à dire ça parce que combien de gens, pendant de
longues années, sont allés à l'opéra, trouvaient
ça très beau, mais ne savaient pas ce qui se passait parce qu'ils
ne comprenaient pas la langue. Maintenant, on le regarde, on comprend et on se
trouve beaucoup plus intelligent, beaucoup plus intellectuel et beaucoup plus
cultivé. Tout ça parce qu'on sait ce qui se passe et qu'on
comprend notre affaire. C'est sous son parrainage qu'a été
créé l'opéra romantique "NeHigan" et que se sont tenues et
que se tiennent encore - ça, c'est très important - à
chaque production, des conférences préparatoires auxquelles le
public est convié.
Maintenant, nous avons des réflexions, nous avons des analyses,
nous avons des recommandations à vous faire. Le rapport Arpin souligne:
"les arts et la culture ne peuvent se développer adéquatement
sans être soutenus". À chaque année, dans le cadre de
l'examen du budget de la Corporation, se pose la difficile question du
financement. Dans l'examen de ce budget se situent l'évaluation des
revenus du guichet, le nombre de représentations envisagées, le
coût de chaque production, l'apport de la Guilde de l'Opéra de
Montréal, celui des commanditaires, l'examen serré des
dépenses administratives, la programmation, la continuité ou la
remise en question de certains programmes. Autant de questions cruciales
auxquelles il revient à notre conseil de trouver des réponses
appropriées.
Comme nous le soulignions précédemment, la Corporation a
comme raison d'être la présentation au public montréalais
et québécois d'une programmation de haute qualité, d'une
richesse culturelle comparable à celle offerte par d'autres maisons
d'opéra nord-américaines et européennes. En matière
d'art lyrique, pour qu'une oeuvre soit appréciée, il faut qu'elle
recueille par son excellence l'estime du public comme celle des intervenants
qui ont participé à son interprétation. Cette recherche de
l'excellence est devenue tributaire de l'accessibilité que les nouveaux
outils de diffusion de masse - tels que la télévision, la radio,
la cassette audionumérique, la vidéocassette - offrent au public
mélomane, le mettant à même de mesurer et de comparer la
qualité des productions réalisées par la Corporation en
regard de celles signées par toute autre maison d'opéra.
Il y a des choses qui se passent à l'intérieur de notre
collectivité et, des fois, il faut s'interroger. Par exemple, pendant
trois ou quatre ans, Radio-Québec a télédiffusé des
opéras. Vous vous en souvenez, on disait: "Directement du Metropolitan
Opera". C'était très beau. Moi, j'aime beaucoup l'opéra du
"Met". D'ailleurs, c'est les meilleures productions. Mais on aurait
peut-être pu dire: "Directement du Stade olympique"...
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Landry: ...ou directement de quelque chose comme ça. On
avait...
Une voix: C'est risqué. M. Landry: C'est
risqué. Des voix: Ha, ha, ha!
M. Landry: C'est parce que je voulais réveiller un peu
l'assemblée, alors j'ai pensé... Je continue...
Sérieusement... Donc, nous, en matière d'art lyrique, nous disons
que cette recherche de l'excellence, à notre avis, ces pressions
externes requièrent que les gouvernements des différents paliers
octroient aux organismes culturels, comme notre Corporation, un soutien
financier, oui, mais dynamique et souple - j'y reviendrai - pour leur permettre
de favoriser le rayonnement de ce produit culturel qu'est l'art lyrique.
Malheureusement, au cours des dernières années - encore une fois,
ce n'est pas un blâme, cela s'explique - le soutien des différents
paliers gouvernementaux s'est amenuisé au point que nous pouvons dire
qu'à l'égard de la Corporation il est devenu anémique. On
constate que les dépenses de production se sont accrues de façon
marquante malgré tous nos efforts de compression. Tout coûte plus
cher et ça, c'est normal. Mais je ne voudrais pas que personne ici, d'un
côté de la Chambre ou de l'autre, se considère coupable de
ça. C'est des circonstances et on comprend ça.
Le Président (M. Doyon): M. Landry. M. Landry:
Oui.
Le Président (M. Doyon): Je voudrais permettre... Je ne
voudrais pas vous interrompre, mais je voudrais permettre aux membres de la
commission de pouvoir vous poser au moins une question.
M. Landry: Oui.
Le Président (M. Doyon): Le temps passe rapidement.
M. Landry: Ah bon! En tout cas, je voudrais soumettre que vous
manquez le plus important, mais...
Une voix: On l'a lu.
Le Président (M. Doyon): II a été lu par les
membres de la commission, M. Landry.
M. Landry: Ah bon! Très bien.
Le Président (M. Doyon): À ce titre-là,
vous...
M. Landry: Alors, je vais répondre à des questions
si vous en avez, mais je voudrais vous faire des recommandations
spécifiques.
Le Président (M. Doyon): Oui, allez.
M. Landry: Deux recommandations spécifiques, O.K.?
Le Président (M. Doyon): Bien sûr.
M. Landry: Et ça, c'est bien important. D'une part,
lorsque le gouvernement nous offre ou, généreusement, nous donne
de l'argent, qu'il nous le donne et qu'il nous fasse confiance pour qu'on
l'administre, et qu'on ne nous demande pas. à tous les ans, lorsqu'on a
à faire une programmation à l'opéra qui prend trois ans ou
quatre ans: Qu'est-ce que vous allez faire l'année prochaine?
Donnez-nous 58 rapports pour nous le donner. Là, on ne veut pas
ça. Si vous voulez diriger l'Opéra de Montréal, le
gouvernement ou les fonctionnaires, eh bien, dirigez-le, donnez-nous
congé. Nous autres, on a d'autres choses à faire, puis
j'espère que ce sera bon.
Deuxièmement. Un exemple - et ça, j'insisterai
là-dessus - le conseil d'administration de la Place des Arts. Je tiens
à dire que nous collaborons avec la Place des Arts et qu'elle collabore
avec nous. Ce n'est pas un reproche sur la Place des Arts, du tout, que je fais
là, mais je trouve qu'il est incongru, il est même, je dirais,
inacceptable que le conseil d'administration de la Place des Arts ne soit pas
composé de ceux qui sont là continuellement, c'est-à-dire
du président et directeur général de l'Opéra de
Montréal, du président et directeur général des
Grands Ballets canadiens, du président et directeur
général de l'OSM. Il va sans dire que nous sommes les
utilisateurs. Nous pourrions ensemble faire de la planification, nous pourrions
ensemble, faire des choses qui apporteraient une collaboration et beaucoup de
construct. Alors, ça, c'est deux recommandations auxquelles je
tiens.
La dernière, très vite, parce que c'est important de vous
dire ça. Vous recevez des milliers de demandes, je le sais. Il faudrait
qu'on choisisse, et c'est pour ça que vous avez été
élus. C'est pour ça. C'est de choisir qu'on ne peut pas
satisfaire tout le monde, qu'on ne peut pas avoir 2000 maisons d'opéra,
qu'on ne peut pas avoir 200 groupes de théâtre parce qu'on est une
population qui ne peut en faire vivre que tant. Alors, visons l'excellence. (11
h 15)
En terminant, une autre demande: Laissez-nous créer des fonds
d'immobilisation pour des organismes comme le nôtre. Laissez-nous
créer ça pour qu'on puisse avoir un acquis sur lequel on peut
bâtir quelque chose et non pas, à chaque année, venir faire
notre - j'allais dire ma retraite fermée. Ce n'est pas vraiment
ça parce que j'essaie de sortir le plus possible, le soir, quand je
viens à Québec. J'aime beaucoup ça; c'est une autre
affaire, ça aussi. Je voudrais juste vous dire que le fonds
d'immobilisation, pour nous autres, c'est important. Ça nous
permet de bâtir, d'avoir quelque chose sur lequel on peut
capitaliser. Je vous remercie. Je regrette si j'ai été plus long
que je le devais, mais...
Le Président (M. Doyon): Pas de problème, M.
Landry. Simplement que mon devoir de président m'oblige à ce
genre de choses. Mme la ministre, je vous permets une question, tout
simplement.
Mme Frulla-Hébert: Bon! Mon Dieu! J'en avais plusieurs.
Merci, M. Landry. Bienvenue à tous. C'est rare qu'on nous fait rire;
vous nous faites rire. Dans votre mémoire, quand on parie de fonds
d'immobilisation... Je vais aller rapidement. Premièrement, au niveau du
conseil d'administration de la Place des Arts, il faut changer la loi et
ça, c'est en processus. Deuxièmement, au niveau du fonds
d'immobilisation qui permettrait de regrouper sous un même toit les
organismes culturels, expliquez-nous donc ça.
M. Landry: C'est très simple.
Mme Frulla-Hébert: Pour vous autres, c'est très
facile. Je veux juste y revenir. Avoir, par exemple, la Guilde,
présidée par Mme Jacqueline Desmarais, ce n'est pas tout le monde
qui est capable d'avoir ça. Avoir des membres parce que le
président peut attirer énormément de membres très
puissants, tant mieux, dans nos gros organismes! Mais, ce n'est pas tout le
monde qui est capable d'avoir ça. Vous dites: Donnez-nous l'argent, on
va l'administrer. On vous fait confiance à 100 %, excepté qu'il y
a une règle, au gouvernement, qui fait que c'est des fonds publics. Il y
a une certaine transparence et il y a une certaine, supposément,
équité. On le regarde de très près au niveau des
ententes triennales, mais on est pris quand même à administrer des
fonds publics. Ce n'est pas tout le monde qui est capable de s'administrer.
À un moment donné, il y a une année où ça va
bien, une année moins bonne...
Le Président (M. Doyon): Je pense que vous avez compris la
question, M. Landry.
M. Landry: D'abord...
Le Président (M. Doyon): Peut-être
répondre.
Mme Frulla-Hébert: ...on foire. Excusez, mais c'est
ça.
M. Landry: ...premièrement, les fonds d'immobilisation,
pourquoi on veut ça? C'est assez simple. C'est que, si on se bâtit
un capital à long terme, on peut, ensemble - que ce soit les Grands
Ballets, par exemple - avoir une maison, un endroit où on peut remiser
tous nos décors, etc., et assumer à trois les frais qu'on
pourrait faire. C'est une question d'économie de marché.
Maintenant, quand vous dites qu'il y a des règles, que vous avez des
règles... Dans mon esprit à moi, vous en avez trop de
règles au gouvernement. Alors, moi, si je peux... Ça n'a rien
à voir avec votre commission, mais, si vous m'invitez à
participer à une autre commission sur la déréglementation,
il me fera grand plaisir d'y participer. Je m'offre tout de suite comme
participant très actif.
Des voix: Ha, ha, ha!
Le Président (M. Doyon): Merci, M. Landry. M. le
député.
M. Boulerice: M. Landry, vous avez entièrement raison. Au
moment où le Musée des beaux-arts fait un déficit de 3 500
000 $, on l'éponge. On saisit 500 000 $ de bonne gestion du Musée
d'art contemporain et on fait la même chose pour vous. Il n'y a pas de
prime au rendement, et ce n'est pas de l'émulation. Là-dessus,
vous avez entièrement raison.
Ceci dit, M. Landry, c'est Inévitable, il faut quand même
penser à votre première vie. Comme président et
éditeur de La Presse, vous avez vu deux gouvernements taxer le
droit à l'information, ce qui est unique au monde. Ceci étant
dit, 7 % d'augmentation obligatoire sur vos billets, ça fait 21 %. Il y
aura 17,5 % de taxes sur les billets à partir du 1er janvier, plus 10 %
de taxe d'amusement. Donc, le billet que j'achèterai le 2 janvier m'aura
coûté 47,5 % de plus qu'il y a trois ans, le double. Vous ne
calculez pas, en définitive, que c'est vous priver. Ce n'est pas
vous-même qui le faites, mais on vous prive d'un public qui aimerait
aller à l'opéra, ce qui, devant les contraintes
budgétaires et une surtaxation scélérate, comme le disait
notre ami Tisseyre, prive justement un public qui serait
intéressé. Il y a bien des ouvriers de ma circonscription qui
aiment l'opéra et qui seraient intéressés d'y aller. Mais
avec la moitié plus du billet, maintenant, ce n'est pas possible. Ils
sont les premiers malheureux et vous aussi, sans doute.
Le Président (M. Doyon): M. Landry, vos
réactions.
M. Landry: Est-ce que vous voulez que je réponde?
"Good".
Le Président (M. Doyon): Ah!
M. Landry: Tout simplement, ce que je veux dire, c'est que, moi,
pour un, je crois que toutes ces taxes-là, vous le comprendrez bien, M.
le député, ce n'est pas nous qui les imposons. Alors, je vous
souhaite à tous que Dieu vous éclaire, tout le monde ensemble, ou
qu'il éclaire tout le monde autour de cette table et que vous limitiez
le plus possible l'augmentation de taxes
ou que l'on réduise de la même façon, si vous
voulez, les frais inhérents.
Moi, ce que je peux vous dire, c'est que je considère que les
frais inhérents à l'administration au ministère des
Affaires culturelles, que ce soit sous le régime actuel ou que ce soit
sous le régime précédent, sont très coûteux.
On a bien du monde. On a bien du monde pour administrer des choses qui,
à mon sens, pourraient s'administrer beaucoup plus simplement.
M. Boulerice: Bon. Un petit sous-ministre dehors.
Le Président (M. Doyon): Merci, M. Landry. Un mot de
remerciement, M. le... Un seul mot, peut-être.
M. Boulerice: ...M. Landry, j'allais vous dire: De grâce,
ne changez pas. Restez comme vous êtes. C'est merveilleux. Mme Beaudet,
merci. Quant à vous, pauvre M. Richard, nos meilleurs voeux vous
accompagnent!
Le Président (M. Doyon): Mme la ministre.
Mme Frulla-Hébert: Merci, M. Landry. Évidemment,
vous souhaitez un certain nombre de changements sur la fiscalité et sur
la déréglementation. C'est pour cela qu'on est ici. Quant
à l'administration, nous, on s'administre avec 9,7 % du budget.
Vous?
M. Landry: Je vais vous dire honnêtement-Si j'avais les
sources que vous avez... C'est parce que 14 % d'une limite... Moi, c'est 14 %
d'une limite... J'ai 22 personnes, hein. Merci bien. Merci, Mme la
ministre.
Le Président (M. Doyon): Merci, M. Landry. Je pense que la
discussion pourrait se continuer longtemps. Merci d'être venus et merci
d'avoir eu la gentillesse de nous entretenir d'une façon aussi
convaincante.
J'invite maintenant l'ADISQ à bien vouloir s'avancer et à
prendre la place de nos invités qui viennent de quitter la table.
Maintenant que nos invités sont en place, je les invite à
se présenter et à procéder comme nous l'avons fait
jusqu'à maintenant. Une présentation d'une quinzaine de minutes.
Je me verrai peut-être dans l'obligation de vous interrompre, si cela
dépasse beaucoup ce temps-là, pour laisser un peu de temps aux
membres de la commission pour s'entretenir avec vous.
Si Mme la ministre peut nous donner le temps de commencer, parce que
nous sommes déjà en retard. Je ne voudrais pas la rappeler
à l'ordre, mais c'est mon obligation.
ADISQ M. Sabourin (Michel): Oui. M. le Président, je
voudrais d'abord vous présenter les intervenants à la table.
À ma droite, M. André Ménard, qui est
vice-président du groupe Spectel et Spectra Scène qui
possède entre autres le Spectrum, qui gère la carrière de
nombreux artistes. À ma gauche immédiate, M. Robert Pilon, qui
est vice-président exécutif affaires publiques de l'ADISQ, M.
André Di Cesare, qui est président des Disques Star et qui
intervient donc directement dans le domaine du disque. André
Ménard et André Di Cesare sont d'anciens présidents de
l'ADISQ et j'en suis le président actuel, Michel Sabourin.
Le Président (M. Doyon): Soyez les bienvenus.
M. Sabourin: M. le Président, Mme la ministre, il nous
fait plaisir de participer à ce débat. Je pense que la
société québécoise est mûre pour entreprendre
une réflexion de fond sur la place de la culture dans la
société et le rôle de l'État. Je ne voudrais pas
entrer dans les considérations... Enfin, le rapport Arpin, pour nous, en
autant qu'il traite de l'intervention de l'État dans ce qu'on pourrait
appeler la culture un peu institutionnalisée, à savoir
l'opéra ou les organisations parapubliques, je pense que le rapport
Arpin a une vision très juste. Ce dont nous sommes un peu tristes au
sujet de la position du rapport Arpin, c'est l'absence quasi totale des
domaines de la chanson et de la musique, et l'absence quasitotale du rôle
de l'État face aux industries culturelles. Tout à l'heure, M.
Daoust disait qu'il était mal à l'aise avec les mots "industrie
culturelle". Nous-mêmes, nous préférons parler d'entreprise
culturelle.
Si vous me le permettez, je ne lirai pas le mémoire. Je pense que
vous en avez pris connaissance. Si vous ne l'avez pas fait, je vous inviterais
à le faire parce que ceux qui sont intéressés par le
domaine de la chanson... Pour nous, il s'agit peut-être du document le
plus important que nous ayons jamais fait. Il est le résultat d'une
réflexion que l'ADISQ mène depuis plusieurs années. Pour
nous, c'est ce qu'on souhaiterait qu'une politique de la chanson soit.
Je vais plutôt prendre la chance d'y aller un peu ad lib,
même si je n'y suis pas très habitué. Je vais essayer de
relever les points importants de notre mémoire et de les commenter.
J'appelle aussi les gens qui sont avec moi à intervenir. Je vais essayer
d'être bref pour laisser le plus de temps possible à
l'échange que nous pourrions avoir.
Pour nous, essentiellement, quand je dis que le rapport Arpin ne
reconnaît pas le rôle de la chanson, je pense que c'est vrai. Nous
souhaitons qu'une politique de la culture fasse une place à la chanson,
non seulement la chanson, mais ce que j'appelle la culture populaire. Je pense,
et nous pensons, qu'au Québec spécialement, qui est une petite
société qui se veut distincte - je ne
dis pas ça dans le sens politique, mais je pense qu'on se bat
pour notre survie depuis de nombreuses années - nous devons
reconnaître que la télévision, le cinéma, le livre,
la chanson, ce que nous appelons les entreprises culturelles, les industries
culturelles, jouent un rôle excessivement important. Je vous demanderais
simplement de vous poser une question: Est-ce qu'on pourrait imaginer la
spécificité du Québec sans Chariebois, sans Félix
Leclerc, sans Beau Dommage, sans Harmonium? Je ne le pense pas. Ça nous
vient naturellement qu'on parle de ce qu'est la culture
québécoise. Dans ce sens-là, je pense que nous jouons un
rôle important et c'est malheureux que, dans les politiques actuelles du
ministère des Affaires culturelles et dans le rapport Arpin, on ne fasse
pas mention de l'importance de la chanson.
Je voudrais souligner un aspect excessivement important de ce domaine
qu'est la chanson. Contrairement à la plupart des autres domaines, des
autres secteurs, le domaine de la chanson est presque entièrement fait
et créé par ce que j'appelerais des entreprises privées
mais québécoises. C'est ça qui est important.
Depuis 1960, l'industrie du disque québécois a pris une
part de marché qui était de 10 % - je cite des chiffres, mais mon
ami, Robert, si je me trompe, pourra me corriger. En 1981, le pourcentage du
marché occupé par le disque québécois était
d'environ 10 %. Il est aujourd'hui de 30 %. Ça, ça s'est fait par
des entreprises indépendantes québécoises, qui sont en
face, qui ont à compétitionner et - tenez-vous bien -avec trois
ou quatre entreprises qui ont un chiffre d'affaires aussi important que le
budget total de l'État québécois. Sony, Matsushita et
compagnie ont un chiffre d'affaires aussi important - chacune, presque - que
l'État québécois. Alors, je pense qu'il faut souligner -
je ne veux pas que l'on se lance des fleurs - l'importance que la petite
entreprise québécoise a pu jouer dernièrement dans le
secteur. Pour vous souligner, pour vous donner des exemples de ce que
représente, comme toile de fond, cette compétition
internationale, je voudrais vous donner juste quelques exemples qui, je pense,
parleront par eux-mêmes. Un disque québécois est produit,
en moyenne, avec 50 000 $. Un disque international, en moyenne, va être
produit avec 500 000 $. Ce qui veut dire qu'on doit faire aussi bien parce que
le consommateur va retrouver dans le magasin de disques la production nationale
du Québec juste à côté de la production
internationale. Nous devons, avec ces maigres budgets, faire aussi bien que les
autres.
Dans le domaine du spectacle, chaque fois qu'on met en vente à
Montréal le spectacle d'un artiste québécois, il est en
compétition avec le grand spectacle international. Je vous donnais
l'exemple du "Phantom of the Opera" qui s'en vient; c'est une production qui a
coûté des millions, et qui jouira de millions de dollars pour la
mise en marché. Pourtant, nous devons être capables de
compétitionner, avec nos artistes, ce degré de qualité. Je
pense qu'à une place c'est sain - ne vous inquiétez pas, je ne
ferai pas d'appel pour sortir les productions étrangères de notre
marché - je pense que c'est sain, ça nous a obligés
à une forme d'excellence. C'est la toile de fond de notre
intervention.
En plus, dans le domaine du disque, les prix du disque sont régis
par les grandes compagnies internationales, les "majors". Robert pourrait vous
tracer plus tard le portrait de ce que sont ces "majors". Mais, quand un disque
se retrouve en magasin, le prix est fixé par ces "majors". Nous, les
marges de profit, à ce moment-là... Les "majors" font - je
n'appellerais pas ça du dumping - mais le marché
québécois ne représente pas, pour eux, une part
excessivement importante des profits. Elles se permettent donc d'arriver sur
notre marché avec l'ensemble de leur marketing et avec les mêmes
prix qu'elles pratiquent aux Etats-Unis. (11 h 30)
Donc, c'est un peu le portrait dans lequel nous oeuvrons. Est-ce que
vous avez des choses à rajouter?
Une voix: Non.
M. Sabourin: Ça va? Quand on oeuvre dans un secteur aussi
soumis aux règles de la compétition internationale et qu'on est
dans un petit marché comme le Québec, marché de 6 000 000,
je vous le rappellerais, où environ un disque sur cinq réussit
à s'autofinancer, le rôle de l'État face aux entreprises
culturelles devient excessivement important, et c'est de ce point que nous
aimerions voir une politique culturelle tenir compte. On a dit que le rapport
Arpin fait appel à une notion dirigiste de l'intervention de
l'État dans la culture. Pour nous aussi c'est vrai. C'est une crainte de
technocratiser à l'extrême l'appareil de l'État dans
l'intervention culturelle. M. Landry vous disait tout à l'heure:
Faites-nous confiance. Et je pense que le parapublic veut se comporter un peu
comme l'entreprise privée dans notre domaine, à savoir, avec la
notion de profitabilité ou, du moins, de réussir à
travailler avec les moyens intéressants.
Je voudrais vous mettre en position un certain nombre de points qu'une
politique culturelle devrait comporter au Québec, des choses qui nous
manquent actuellement de façon, je dirais, terrible. Évidemment,
dans un premier temps, je parlerai rapidement de certains points dont une
politique devrait tenir compte, l'aide de l'État à l'artiste.
Nous, on assimile l'aide de l'État directe à l'artiste à
ce qu'on pourrait appeler recherche et développement. Un jeune artiste
ou un artiste à une certaine étape de sa carrière a besoin
de se ressourcer, de procéder à des recherches et, dans ce
sens-là, nous pensons que l'aide de l'État à l'artiste est
une chose
importante. Elle devrait quand même tenir compte du partenariat
qui existe dans notre secteur entre les artistes, les créateurs et les
producteurs. Ce n'est pas vrai que le producteur intervient uniquement avec de
l'argent; il intervient aussi avec sa connaissance intime de l'oeuvre de
l'artiste et des moyens qu'on doit prendre pour réussir à la
concrétiser.
La formation. Nous sommes toutes des petites entreprises,
extrêmement fragiles. Dans les 10 dernières années, on a
réussi à mettre en place une main-d'oeuvre et je ne craindrai pas
de parier de main-d'oeuvre, non pas à bon marché, mais de
main-d'oeuvre excessivement motivée qui est prête souvent à
travailler dans les différentes entreprises pour pas beaucoup d'argent,
parce que ça les intéresse. En ce sens-là, un dollar de
l'État investi dans le type d'entreprise culturelle que nous sommes
rapporte énormément, je vous souligne ça, et je vous
souligne que nous sommes en train de mettre en place dans l'ensemble de nos
entreprises ce qu'on pourrait appeler un "middle management", excusez
l'expression, et qu'il va être important pour nous de soutenir ce
développement de la main-d'oeuvre.
Il faut aussi parler d'exportation. Le seul débouché que
nous avons n'est pas aux États-Unis, n'est pas au Canada, le
débouché est, évidemment, vers l'Europe,
spécialement vers la France, vers l'espace francophone. C'est
excessivement coûteux. Encore là, nous arrivons en France avec des
moyens excessivement limités par rapport aux moyens dont disposent les
entreprises du disque et du spectacle en France. Je pense qu'il faut nous
aider. Parce que, quand on dit qu'un disque sur cinq au Québec
réussit à s'autofinancer, évidemment, la
possibilité de l'exporter devient d'autant plus importante.
J'en arrive aux points principaux que nous souhaitons mettre en valeur.
Nous avons fait une intervention sur la taxation. J'aimerais laisser ici la
parole à André Ménard, qui a été
président de l'ADISQ ces deux dernières années, pour vous
parler de la fragilité du spectacle et de la nécessité de
ne pas le surtaxer.
M. Ménard (André): Je pense qu'on a entendu, de
toute façon, tantôt, des remarques là-dessus. Le
marché est en train de se déstructurer gravement à
Montréal et en province aussi. On a vu, en janvier, avec
l'arrivée de la TPS et l'effet conjugué de la récession
qui nous frappait à ce moment-là de plein fouet, des salles de
spectacle se déserter dans l'ensemble de la province. On peut dire
qu'actuellement on doit accuser une baisse d'à peu près 40 %. Si
je peux parler d'opérations que je connais bien, le Spectrum, par
exemple, qui célèbre aujourd'hui son 9e anniversaire - on est
presque surpris de s'être rendus là - le mois de septembre a eu 6
jours d'occupation, là où, d'habitude, on en a 15, 20. En
octobre, on a à peu près 15 jours d'oc- cupation alors que
d'habitude, octobre, c'est le mois de la haute saison par excellence et il est
occupé tous les jours. Et ça se répercute aussi dans les
autres salles. La Place des Arts, il y a certaines de ses salles qui ne sont
pas très occupées; ils attendent le "Fantôme" avec beaucoup
d'anxiété, je pense, parce que, sinon, l'automne n'était
pas très occupé, non plus. En ce moment, on peut voir que l'effet
conjugé des deux premières taxes - parce que la taxe d'amusement
était déjà là et la TPS s'y est ajoutée -
est assez désastreux. On peut voir qu'il n'y a pas que la
récession là-dedans; il y a une désaffection massive,
encore pire que celle de la dernière récession.
L'ajout d'une troisième taxe ne pourra sûrement pas aider
à ce point de vue là. Je pense qu'if faut absolument,
là-dessus, réfléchir, et très vite, sur les effets
que pourrait avoir la taxation à 27 %. On sait qu'à chaque fois
qu'il s'en ajoute une il y a de moins en moins de monde dans les salles. Alors,
si on doit avoir une politique où on construit des salles, où on
doit supporter l'idée d'avoir des équipements, il faut aussi
avoir des gens qui vont vouloir y aller et, pour l'instant, je pense que plus
on va aller dans un avenir rapproché, plus ça va devenir quelque
chose de problématique, le spectacle est en train de devenir quelque
chose d'inaccessible.
On peut voir que certains "blockbusters" vont s'en tirer, parce que,
dans tout contexte de rétrécissement comme ça, il y a des
produits qui, avec une mise en marché massive et une réputation
qui les précède, peuvent réussir à s'en tirer. On
citait l'exemple du "Fantôme" tantôt, il y a aussi les spectacles
américains importants qui peuvent venir au Forum et certaines grandes
vedettes québécoises, aussi, peuvent s'en tirer, il ne faut pas
se tromper là-dessus, l'attachement des Québécois à
certains de leurs produits culturels va quand même rester
intégral.
Mais c'est tout le terrain du milieu qui est en train de se
rétrécir et c'est là qu'on trouve-Bon, il y a des termes
galvaudés comme "la relève", je ne voudrais pas l'utiliser ce
matin, mais il y a quand même toute une espèce de renouvellement
qui doit s'opérer pour avoir une scène culturelle active et
intéressante pour les gens, qui est en train de s'assécher.
Alors, je pense que c'est un phénomène sur lequel il faut
absolument que le gouvernement se penche et très vite, parce qu'on aura
beau avoir toutes les politiques, après, pour encourager la
création, mais si cette création-là ne peut pas se rendre
dans sa finalité, c'est-à-dire dans sa performance devant le
public, on est aussi bien d'oublier ça. Merci.
M. Sabourin: Merci, André. Le deuxième point sur
lequel on aimerait attirer votre attention, c'est un domaine dans lequel,
malheureusement, le gouvernement du Québec n'a pas juridiction. Nous
l'amenons, par exemple, pour
vous souligner que dans notre secteur... Et l'ADISQ ne réclame
pas seulement des gouvernements les sommes d'argent et de dire: Aidez-nous avec
de l'argent, subventionnez-nous. Notre démarche n'est pas
celle-là. L'intervention financière de l'État est
nécessaire pour soutenir le marché et rendre un peu plus
équitable notre position face à la compétition
internationale, mais il y a également le domaine législatif.
Ottawa a révisé une partie de la Loi sur le droit d'auteur
l'année dernière et s'apprête à réviser ce
qu'on appelle la deuxième partie. Sur ce domaine-là, je vais
laisser parler André Di Cesare qui mène auprès du
gouvernement fédéral, je dirais, une longue lutte depuis quatre
ans pour la reconnaissance d'un droit qu'on appelle le droit voisin. Je
laisserai la parole à André, à ce stade-ci, pour vous en
parler.
M. Di Cesare (André): Bonjour. Il y a un problème
majeur dans l'industrie du disque qui s'appelle la copie privée. Les
gens chez eux, tout le monde copie nos produits sans payer pour. Il est reconnu
présentement, selon des recherches qui ont été faites
à travers le Canada, que, pour chaque disque vendu, il y a une copie
privée qui se fait. Il y a des revenus de moins pour les
auteurs-compositeurs, pour les artistes, pour les producteurs, à chaque
fols qu'une copie est faite.
Dans la plupart des pays d'Europe, il y a des lois qui protègent
ça, il y a des revenus qui sont générés par la
vente de copies privées à travers une royauté, à
travers un droit. Ici, le gouvernement fédéral tarde à
mettre ça dans sa loi. Aux dernières nouvelles, encore la semaine
passée, au colloque "Radio Activité" avec les gens du
ministère des Communications, il semble que ce n'est pas dans la
nouvelle loi qui va être présentée. Je pense que le
gouvernement provincial doit, pour aider les producteurs
québécois à subvenir à leurs propres besoins sans
être subventionnés, parce que c'est un droit, je veux dire, on ne
demande pas une charité, c'est très important qu'on soit
protégés à ce niveau-là... Puis, tant que la loi
n'existera pas ici, pour tous les artistes qu'on exportera à
l'étranger, il n'y aura pas de réciprocité et les revenus
de droit voisin et de droit de copie privée sur l'étranger ne
nous seront pas transférés. Donc, je pense que c'est très
important qu'on devienne dans l'ère moderne des droits. Quand on sait
que, dans 10 ou 15 ans, les supports n'existeront plus, il n'y aura que les
droits, c'est essentiel pour le Québec et pour tout le Canada que ces
droits-là existent. Et j'espère que le ministère des
Affaires culturelles fera des pressions le plus possible auprès du
fédéral pour que cette loi-là, c'est-à-dire qu'il
ajoute à la Loi sur le droit d'auteur qu'il est en train de finaliser le
droit sur la copie privée. Je pense que la survie de l'industrie est
là et peut-être qu'on va arrêter de venir vous quêter
des subventions si on peut être payés pour ce qu'on vaut.
Merci.
M. Sabourin: J'irais même plus loin...
Le Président (M. Paré): M. Sabourin, c'est juste
pour vous inviter à accélérer, s'il vous plaît, si
vous voulez garder du temps pour échanger avec les membres de la
commission.
M. Sabourin: Ça va être ma dernière
intervention. J'inviterais les gens de la commission à prendre
connaissance de ce que nous proposons comme aide au financement. Je pense qu'il
faut, je vais être très bref, revoir quelque peu le rôle de
la SOGIC et introduire une notion de capital de risque à
l'intérieur de son action. Nous faisons état d'un certain nombre
de mesures qui devraient être mises en place en ce qui concerne le
financement des entreprises et des activités de production.
Simplement pour revenir sur la question des droits, je pense qu'on
pourrait à ce stade inviter le gouvernement du Québec à
étudier s'il n'y a pas une intervention législative possible dans
le domaine de la copie privée. On a vu que ça s'est
déjà fait dans le domaine du cinéma en ce qui concerne la
location des cassettes. Pourquoi ne pas entreprendre la même
démarche et voir s'il n'y a pas lieu, et si le gouvernement du
Québec, dans l'état actuel des relations entre le
fédéral et le provincial du partage des pouvoirs... voir si ce
n'est pas possible qu'une Intervention se fasse dans ce domaine? Nos disques
sont loués actuellement, ils sont même prêtés par la
ville de Montréal pour qu'on puisse les copier.
Alors, je vous remercie et je vous invite à nous poser des
questions s'il y en a.
Le Président (M. Paré): Merci beaucoup. La parole
est maintenant à vous, Mme la ministre, pour environ 10 minutes.
Mme Frulla-Hébert: Bon, parfait. Merci beaucoup à
vous tous. C'est drôle, la majorité des gens qui viennent à
la commission discuter avec nous nous disent que nous avons, et le rapport
Arpin surtout a une approche qui est beaucoup plus économiste, qui est
beaucoup plus vers les entreprises culturelles que vers la création
même, et on nous reproche ça beaucoup. Et, à l'inverse,
vous qui représentez des entreprises culturelles et qui vous battez
aussi pour les entreprises culturelles, je vous connais pas mal tous, vous nous
dites que c'est l'inverse, que nos mesures, finalement, aident, oui, mais ce
n'est pas suffisant. Je vais parler des droits privés aussi
après. (11 h 45)
Alors, j'en viens à une question qu'on se posait comme ça,
en vous entendant, c'est: Est-ce que ce serait, c'est au ministère des
Affaires culturelles, oui, au ministère des Affaires culturelles, mais
par ces entreprises, à vous donner,
parce que, dans le fond, ce que vous voulez, c'est de la capitalisation,
à vous donner, justement, des mécanismes pour vous
développer en termes d'entreprises ou, encore une fois, il y a aussi une
autre source au niveau du gouvernement qui est Industrie et Commerce, tout
simplement, et de traiter les entreprises culturelles pour ce qu'elles sont,
c'est-à-dire des entreprises? Alors, à ce moment-là,
j'aimerais vous entendre un peu là-dessus.
M. Sabourin: Non, certainement pas. Je ne pense pas qu'une
activité strictement d'entrepre-neurship puisse résoudre les
problèmes auxquels est confronté notre type d'industrie. Il faut,
au contraire, la sensibilité d'un ministère des Affaires
culturelles à notre secteur. C'est un secteur culturel, comme je le
disais. La première partie de mon intervention tendait à dire
qu'on fait partie de la culture et, s'il vous plaît! on fait partie du
ministère des Affaires culturelles. Je voudrais juste souligner un
exemple: l'intervention du ministère des Affaires culturelles dans notre
domaine, la totalité des programmes directs dans notre secteur est
d'à peu près 2 000 000 $, et ces petits 2 000 000 $, ces maigres
2 000 000 $, de la façon dont ils ont été appliqués
et en relation avec les entreprises, ont généré en grande
partie, avec un autre programme qui est au fédéral et qui
s'appelle Musicac-tion, la vitalité actuelle de notre industrie. Le
dernier Gala de l'ADISQ en était un signe. Les entreprises qui ont
soutenu Luc de Larochelière, Marjo, tous les gagnants sont, presque,
issus de ce petit programme-là, qui est très maigre. C'est la
preuve qu'avec peu on peut faire beaucoup. Mais je réclame non pas peu,
parce que je pense que l'intervention dans notre domaine doit se faire beaucoup
plus importante, mais je dis qu'on peut faire beaucoup si c'est fait de
façon intelligente et éclairée.
Je laisserai peut-être Robert intervenir là-dessus.
M. Pilon (Robert): Je pense que ce qu'on peut ajouter, c'est que
le ministère des Affaires culturelles doit conserver sa
responsabilité dans le domaine. Je pense que c'est clair, Michel vient
de le dire. Ceci étant dit, je pense qu'il y a d'autres institutions de
l'État. Les programmes du MIC, à l'heure actuelle, encore un
programme tout récent qu'on nous propose, nous sont fermés. Je
pense que ça doit être ouvert aux côtés des
programmes du MAC. Le MAC ne doit pas se retirer, sinon la
spécificité, l'expertise...
Mme Frulla-Hébert: Non, non, mais ce n'est pas ça
qu'on dit, non plus.
M. Pilon: L'expertise dans le domaine des industries culturelles,
elle est au MAC. Elle n'est pas au MIC. Mais le MIC doit intervenir. La Caisse
de dépôt doit intervenir. La Caisse de dépôt a
déjà commencé à intervenir dans certaines
entreprises dans le domaine de la TV. Pourquoi ne pourrait-elle pas participer
à un fonds de capital de risque aux côtés de la SDI, aux
côtés d'institutions privées comme, je ne sais pas, je dis
"off the top of my head", la SID, par exemple, ou la Banque nationale, un fonds
qui pourrait amener plus d'argent, en collaboration avec la SOGIC, toujours
ça? Mais il faut générer plus de capital de risque en
provenance des institutions financières publiques et des institutions
financières privées, c'est absolument essentiel, sinon on va
être écrasé par la concurrence internationale d'ici
à cinq ans, et ce n'est pas un discours "catastrophiste", c'est tout
à fait réaliste.
Mme Frulla-Hébert: Mais comprenez-moi bien. Vous
répondez très bien à ma question. Ce n'est pas - au
contraire - se désister, mais c'est d'ajouter d'autres forces. Je vous
dis qu'il y a d'autres choses qui existent. Rapidement, parce que le temps nous
presse, une question en ce qui concerne les droits d'auteur. Effectivement, je
sais que le fédéral travaille là-dessus. Par contre, on
attend le dépôt de la loi, parce qu'ils sont très souvent
discrets sur certaines de leurs actions, c'est difficile d'avoir de
l'information. Mais au niveau de la copie privée, ce que vous nous
dites, comment se fait-il, et pardonnez mon ignorance, mais c'est
compliqué, cette Loi sur le droit d'auteur, comment se fait-il que, dans
le reste du Canada, cette demande n'est pas aussi pressante et qu'elle l'est
plus spécifiquement au Québec?
M. Di Cesare: Elle est aussi pressante. Nos partenaires
canadiens, nos correspondants plutôt, je devrais dire, et partenaires
canadiens, qui sont CRIA, qui est l'association des majeurs, et CIRDA, qui est
l'Association des indépendants dans l'industrie du disque au Canada
anglais, font les mêmes pressions au niveau du gouvernement
fédéral. Ils ne les font peut-être pas au niveau de leur
gouvernement provincial, en tout cas le gouvernement de l'Ontario surtout dont
on pourrait parler. Mais les pressions sont là. Tout le monde fait des
pressions. Je ne veux accuser personne, mais le problème c'est qu'on est
toujours, dans des lois de droit d'auteur au Canada, à la remorque des
États-Unis. Le problème se situe à ce niveau-là. On
ne semble pas être capables, nous autres, pauvres petits Canadiens,
d'être innovateurs là-dedans, en Amérique du Nord. Il faut
attendre que les Américains le fassent. Toute l'Europe, c'est
réglé, mais nous autres, il faut attendre que ça se passe
aux États-Unis.
Mme Frulla-Hébert: Parce qu'il y a beaucoup,
évidemment, de pourparlers au sujet du libre-échange au niveau
d'exclure et de continuer à exclure les industries culturelles, il le
faut.
Est-ce que c'est en interrelation un peu avec ça ou si ça
n'a absolument rien à voir?
M. Di Cesare: Je pense que la vraie raison du gouvernement
fédéral, dans le moment, c'est qu'il vient d'instaurer une taxe
de 7 % à travers le Canada. Au ministère des Finances, à
Ottawa, je veux dire, ils voient un droit d'auteur comme une taxe. C'est un
droit d'auteur, c'est une royauté sur un droit d'auteur, mais eux autres
voient ça comme une taxe. Je pense que les consommateurs vont crier.
Ça n'a jamais fait de problème dans tous les autres pays
d'Europe. Peut-être qu'ici ça va en faire plus. Moi, ce que je
ressens en tant que personne, c'est ça. La problématique est
là. Mais il ne faut pas avoir peur non plus.
Le Président (M. Doyon): Merci, M. Di Cesare. M. le
député de Salnte-Marie-Saint-Jacques.
M. Boulerice: Oui, trois questions, je vais les poser
brèves de façon à ce qu'on puisse faire le tour de notre
jardin. Sur la question du rapatriement des pouvoirs, vous avez choisi de ne
pas prendre position. C'est votre droit le plus légitime. Cependant, si
le Québec devient un État souverain, la question du rapatriement,
ça devient inéluctable; ça, vous le comprendrez. Dans
cette éventualité, est-ce que le rapatriement des pouvoirs
pourrait être acceptable si, au minimum, les budgets rapatriés
sont réinjectés, dans leur intégralité, dans la
culture, dans chacun des secteurs correspondants, tout en reconnaissant
qu'au-delà d'une période d'adaptation, forcément, qui est
nécessaire, l'Etat québécois devra adapter ses programmes
d'aide actuels, voire probablement même en créer de nouveaux
puisqu'il y a des programmes fédéraux qui n'ont pas leur
équivalence ici, au Québec?
M. Sabourin: Écoutez, je pense que vous savez tous qu'on
est dans un secteur où l'histoire a montré la sympathie des
intervenants et la confiance des intervenants envers le gouvernement
québécois. D'un autre côté, inutile de nier que le
pouvoir de dépenser du fédéral a permis des interventions
dans nos secteurs qui ont fait que des relations se sont créées.
Nous, ce qu'on dit, c'est que le partage des pouvoirs ne peut pas se faire de
façon partielle. Comme M. Daoust ou un autre intervenant avant moi
disait, on ne peut pas envisager la culture au Québec et les
communications à Ottawa; on ne peut pas envisager la chanson au
Québec et le droit d'auteur à Ottawa. Bon. Donc, je pense que
ça, c'est assez évident que, quant à nous, peu importe le
partage des pouvoirs, nous appelons à la responsabilité des
gouvernements envers notre secteur. Je pense que ce que je vous dis là
témoigne de notre position. Je voudrais juste ajouter qu'en
matière de partage des pouvoirs...
Non, je m'arrêterai là, je m'excuse.
M. Boulerice: Alors, je vais aller à ma deuxième
question. À la page 22 et je vous cite: "Peut-on imaginer une politique
de la culture - justement - sans les responsabilités en matière
de communication?" Ce avec quoi nous sommes tout à fait en accord, c'est
déjà dans le programme de ma formation politique. Mais
pourriez-vous quand même, brièvement - puisque le président
a un rôle ardu à jouer, puis ce n'est pas sa faute -
préciser l'importance du secteur des communications, non pas uniquement
pour la diffusion et la production de nos produits culturels, mais l'incidence
des nouvelles technologies sur la production des oeuvres culturelles? Parce que
j'ai l'impression qu'on ne réalise pas l'impact incroyable que ça
va avoir, que ça a commencé à avoir. Ce qu'on voit
aujourd'hui, ce n'est rien comparé à ce qu'on va voir demain.
M. Pilon: Je suis tout à fait d'accord avec vous, M.
Boulerice. Mais je veux revenir quand même très très
rapidement sur les trucs classiques. La question des quotas de chansons de
langue française à la radio est une question extrêmement
importante, même chose aussi à MusiquePlus. La question de toute
la visibilité des artistes québécois dans les
émissions de variétés musicales est également
importante. Donc, si le CRTC réglemente, impose des conditions de
licence, des choses comme ça, ça a un impact direct
immédiat sur la chose. Et vous avez raison d'amener la question des
nouvelles technologies. M. Di Cesare y faisait allusion tantôt, on s'en
va, et ce n'est plus de la science-fiction, on s'en va, dans 10, 12 ans, vers
la distribution électronique des produits. Ce qui fait que, bon, dans 10
ans, ce que vous allez faire, vous allez être chez vous et vous allez
dire: Bon, qu'est-ce que j'écoute ce soir? Vous allez fouiller dans une
espèce de catalogue électronique, vous allez peser sur trois ou
quatre pitons et on va vous descendre ça dans un appareil qui
s'appellera, ni un système de son, ni une TV, ni un ordinateur, mais un
multimédia, et vous allez être facturé au bout de chaque
mois. Il va y avoir une régie de ces choses-là, il va y avoir des
licences. Ça va passer par les satellites ou par la fibre optique, je ne
le sais pas encore, il y a plusieurs scénarios possibles. Mais, pour
l'Instant, ça va être régi, selon toute vraisemblance, par
le gouvernement fédéral et ça va avoir un impact
considérable sur l'avenir de Richard Séguin, de Marjo, de Luc de
Larochel-lière et sur les entreprises qui les produisent. Donc, le
gouvernement québécois ne peut pas être absent de ces
choses-là, mais, en même temps, je veux dire... En tout cas, moi
aussi, je veux m'arrêter là.
Des voix: Ha, ha, ha!
Le Président (M. Doyon): Dernière question,
monsieur, rapidement.
M. Ménard: Si je peux ajouter quelque chose
là-dessus. On peut dire que toutes les avancées technologiques
des 20 dernières années se sont faites au détriment des
cultures nationales minoritaires comme les nôtres, en
général. Quand on sait, par exemple, que trois des plus grands
groupes qui contrôlent actuellement le marché du disque et du
"hi-fi", comme on dit, des appareils, les gens de la Philips, les gens de la
Matsushita, MCA et Panasonic, et les gens de la Sony, sont des gens qui,
à la fois, vendent du "hardware" et du "software"... Alors, pour eux,
actuellement, même peut-être bientôt, le "software" va
être le bonbon pour vendre le "hardware". Devant ça, Je pense que
la préoccupation de produire des produits nationaux à
l'intérieur des marchés où ils vont aller vendre leurs
produits, ça va être assez secondaire. Ils ont un catalogue
immense à administrer. On peut voir, par exemple, que Sony fait de la
réédition sur CBS depuis maintenant trois ou quatre ans, d'une
façon importante, pour se repayer l'argent qu'ils ont dû payer
pour acheter CBS, et on pourrait voir que, dans ces grandes
compagnies-là, dans 20 ans, on pourrait être absolument
marginalisé, "cajunisé", d'une certaine façon; il y aurait
un spécialiste des "Québec Studies" qui écrirait le petit
livret, qui accompagnerait le "compact dise", sur le passé de la chanson
québécoise des années soixante-dix et quatre-vingt.
Ça a peut-être l'air catastrophiste de le dire comme
ça.
M. Boulerice: Non, non, non.
M. Ménard: Je peux vous dire que ça peut se passer
très très vite.
M. Boulerice: Oui, oui.
Le Président (M. Doyon): Merci. Un mot de remerciement, M.
le député. Malheureusement, je suis obligé de vous
indiquer cela.
M. Bouierice: J'aurais aimé vous parler davantage du
capital de risque et de la SOGIC parce que la SOGIC, je ne sais pas comment
ça va avec vous, mais, au niveau du cinéma et des productions
télévisuelles, je vous avoue que c'est le musée des
horreurs quand on entend vos collègues en parler. Mais on aura sans
doute d'autres occasions de discuter là-dessus. Pour ce qui est des
communications et des nouvelles technologies, je vois que vous y êtes
sensibles et, très prochainement, je crois que nous aurons des
propositions à vous faire. On verra la réaction à ce
moment-là.
Merci de votre participation et surtout pour le gala de samedi soir
où, dans des termes...
Une voix: Dimanche.
M. Boulerice: Dimanche, je m'excuse, oui.
Les longs week-ends, on ne sait plus quel jour on était. Vous
avez exprimé sobrement, mais très clairement votre position.
Le Président (M. Doyon): Merci, M. le
député. Mme la ministre, quelques mots.
Mme Frulla-Hébert: Oui, merci. Encore une fois, je me
joins à mon collègue pour vous remercier. Effectivement, on
comprend vos préoccupations. C'est un peu plus clair aussi, M. Di
Cesare, cette histoire. On en avait discuté. On attend juste leur
dépôt, comme je vous le dis, de ce temps-là... Mais ce
n'est pas grave. Il y a des choses à faire. Évidemment, dimanche,
vous m'avez demandé devant 3 000 000 de personnes d'être votre
porte-parole. C'était fait sobrement et j'ai compris le message.
Merci.
Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup.
M. Boulerice: Ce n'est pas un ... de six mois qui va
régler votre problème, hein?
Le Président (M. Doyon): En remerciant bien
sincèrement les gens de l'ADISQ, je leur permets de se retirer de la
table pour que les autres invités puissent prendre leur place.
Il s'agit maintenant pour nous d'entendre l'Association des directeurs
de bibliothèques publiques. Je leur demande de bien vouloir s'installer
en avant.
Je vois qu'ils sont en place. Ils sont avec nous depuis un certain
temps. Je n'ai pas à leur indiquer notre façon de
procéder; ils l'ont bien comprise. Alors, tout simplement pour vous
inviter à vous présenter, tout en vous souhaitant la plus
cordiale des bienvenues. Vous avez une quinzaine de minutes pour provoquer chez
les membres de la commission un échange de vues qui suivra
jusqu'à environ 12 h 30. Vous avez donc la parole.
Association des directeurs de bibliothèques
publiques du Québec
Mme Lefebvre-Roux (Maud): Je tiens tout d'abord à vous
rassurer, nous serons brèves, M. le Président. Je suis Maud
Lefebvre-Roux, je suis présidente de l'Association des directeurs de
bibliothèques publiques du Québec et également directrice
de la bibliothèque de Blainville. Je veux vous souligner que
l'Association des directeurs de bibliothèques publiques existe depuis
1984 et compte 131 membres, bibliothèques publiques autonomes...
Le Président (M. Doyon): Mme Lefebvre-Roux, est-ce que
vous pourriez présenter les gens qui vous accompagnent? C'est pour les
fins du Journal des débats.
Mme Lefebvre-Roux: Oui, c'est parce que je voulais
présenter l'Association, tout d'abord.
Le Président (M. Doyon): Bon.
Mme Lefebvre-Roux: Mes collègues, Monique Chagnon, qui est
vice-présidente de l'Association et également directrice de la
bibliothèque de Salaberry-de-Valleyfield, Michelle Dupuy, qui est
directrice de la bibliothèque Dorion-Vaudreuil, ainsi que France
Huvelin, de Saint-Léonard.
Le Président (M. Doyon): Bienvenue à vous
quatre.
Mme Lefebvre-Roux: Merci. Or, comme je vous le disais,
l'Association des directeurs de bibliothèques publiques existe depuis
1984 et compte 131 membres, bibliothèques publiques autonomes et
bibliothèques centrales de prêt, ce qui totalise 1013
municipalités de moins de 5000 habitants et ce qui représente
également 1 500 000 usagers. (12 heures)
M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. membres de cette
commission, depuis le début des travaux de cette commission, plusieurs
opinions ont été émises sur ce que devrait inclure la
politique culturelle du Québec. Elles l'ont été parfois de
façon courtoise, d'autres fois agressives, avec panache ou
discrétion. Nous ne disposons pas d'une tribune comme celle du Gala de
l'ADISQ, par exemple. Nous ne sommes ni des artistes, ni des comédiens,
ni chanteurs. Nous sommes des directeurs de bibliothèques publiques.
Pourtant, notre objectif premier est de communiquer à tous les
Québécois et toutes les Québécoises, sans aucune
discrimination, le souffle et la passion du livre et de la lecture, de susciter
leur intérêt pour tout ce qui se lit et tout ce qui
s'écrit, de donner le goût de la lecture, de donner la
piqûre d'apprendre et de découvrir.
Lorsque dans sa bibliothèque municipale le tout jeune enfant
découvre ce plaisir du livre, c'est encore l'émerveillement,
c'est encore la fascination. Voilà bien la porte d'entrée, le
laissez-passer vers la culture, car la lecture demeure et constitue
l'activité culturelle de base et cela, partout dans le monde. Et c'est
cette magie que nous créons et cela, partout au Québec, dans
toutes les municipalités où il y a effectivement une
bibliothèque publique. Notre mission est donc de développer le
goût de la lecture et du livre et, par la même, le goût de
notre langue, et c'est la qualité de notre langue qui conditionne notre
réalité culturelle spécifique. Quand on remet en question
la lecture publique au Québec, c'est le développement de la
langue française au Québec que l'on remet en question.
De plus, la bibliothèque permet un accès
entièrement libre à l'information et à la connaissance
où chaque Québécois et chaque Québécoise,
sans discrimination de classe sociale ou économique, de race, de
nationalité, d'âge, peut obtenir un livre ou tout autre document.
Cet accès peut lui permettre de se développer, de comprendre et
d'apprendre, bref, d'avoir accès à la culture, et c'est un droit
sacré qui appartient à chaque citoyen. Peu d'institutions au
Québec possèdent les outils, la compétence et les
qualités pour jouer ce rôle. Mais encore doivent-elles
détenir les ressources nécessaires pour réaliser ce mandat
élargi. Or, le réseau québécois est le
réseau le plus pauvre d'Amérique du Nord en termes de
collections, de personnels et de ressources.
Alors que les villes à majorité anglophone ont compris
depuis bien longtemps l'importance du rôle social et culturel de la
bibliothèque publique, de trop nombreuses villes francophones n'ont pas
encore de bibliothèque publique décemment équipée;
le lieu est mal choisi ici pour les énumérer, mais, dans certains
cas, c'est carrément lamentable. Actuellement, les bibliothèques
publiques souffrent d'un manque flagrant de bibliothécaires
professionnels, ce qui, inévitablement, se reflète sur la
qualité des services offerts, parce qu'il s'agit bien de services, de
services culturels. De plus, la demande sans cesse croissante de
nouveautés, de livres, d'informations, exige des crédits d'achat
de livres qui dépassent bien largement les moyens actuels des
bibliothèques, de nos bibliothèques.
Le rôle de l'État. Le rôle de l'État est
d'inspirer et de guider le milieu, de catalyser les énergies et de
favoriser la cristallisation de grandes idées-forces. Mme la ministre,
le temps des études et des rapports est dépassé. Fini le
temps des tergiversations. Si votre ministère n'est pas au fait de la
situation après la multitude de rapports qui ont été
déposés, c'est qu'il y a absence de volonté. Il est urgent
de promouvoir des politiques, des stratégies et des programmes.
Nous fêterons bientôt les cinq années du rapport
Sauvageau. Bien triste anniversaire! la commission d'étude Sauvageau,
une autre commission, qui produisait 76 recommandations dont les suites qui,
bien qu'on en reconnaissait le bien-fondé, sont toujours en veilleuse.
Qu'en est-il des suites du rapport Sauvageau? Un comité de liaison a
été formé, un comité de liaison entre le
ministère des Affaires culturelles et les bibliothèques publiques
autonomes, nous reporte de réunion en réunion, réunions
qui deviennent de plus en plus stériles.
La Loi sur les bibliothèques publiques qui date de 1959, par
exemple, est, par ailleurs, tout à fait inadéquate et doit
être révisée de toute urgence. Il est impérieux que
l'État statue sur ce que sera son réseau de bibliothèques
publiques. Le flottement actuel mine actuellement cruellement le milieu. Aussi,
l'ADIBIPUQ recommande que le gouvernement du Québec assume sa
responsabilité comme maître d'oeuvre de la plani-
fication et de la réalisation d'un véritable réseau
de bibliothèques publiques au Québec. Quel est l'avenir des
bibliothèques publiques au Québec? Est-ce qu'il y a un avenir
pour les bibliothèques publiques au Québec? La réforme
Ryan ne laisse présager rien de bien réjouissant.
Si le gouvernement du Québec ne réaffirme pas le
rôle indispensable des bibliothèques publiques dans le
développement culturel de tous les Québécois et de toutes
les Québécoises, quelle institution assumera dans la
continuité la responsabilité de la lecture publique, la lecture
publique étant ce préalable indispensable à la vie
intellectuelle et à la vie culturelle active? C'est pourquoi nous
recommandons que le gouvernement du Québec réaffirme et consolide
le rôle indispensable des bibliothèques publiques dans le
développement culturel de tous les Québécois; que le
gouvernement du Québec reconnaisse le futur réseau des
bibliothèques publiques comme moteur du développement culturel;
que le gouvernement du Québec reconnaisse l'ADIBIPUQ et les
regroupements régionaux de bibliothèques publiques comme
partenaires privilégiés dans l'élaboration et la
réalisation du plan d'action de la politique culturelle; que le
gouvernement du Québec reconnaisse et appuie concrètement la
bibliothèque publique comme instrument démocratique au service de
l'éducation et du développement culturel de tous les
Québécois.
Si le Québec n'a pas les moyens de se doter d'un véritable
réseau de bibliothèques structuré, il n'y aura jamais de
véritable politique culturelle au Québec. Il n'y aura sans doute
pas, non plus, d'avenir pour la langue française ici, au Québec.
Je vous remercie.
Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup, Mme
Lefebvre-Roux. Mme la ministre.
Mme Frulla-Hébert: Merci, Mme Lefebvre-Roux, et bienvenue.
Au niveau des bibliothèques, et on sait que c'est un problème en
ce qui concerne les collections, j'ai un collègue qui a aussi un
problème au niveau d'un manque de bibliothèques. Quand on parle
du rapport Sauva-geau, vous savez comme moi que le plan et la mise en oeuvre du
plan d'action, parce que c'est ça, finalement, il faut le faire en
s'assoyant avec les municipalités et le jour où on était
prêts à s'asseoir avec les municipalités, c'était
l'an dernier, eh bien, il y a eu un petit retard à ce
niveau-là.
Par contre, les municipalités ont signifié maintenant le
retour ou, enfin, une volonté de retour à une table
culture-municipalités. On ne pouvait pas l'avoir avant, l'année
passée, c'est aussi simple que ça. Donc, on voit ça
très positivement pour le mois de novembre, de telle sorte que,
là, on remet en place, parce qu'il faut que les municipalités
embarquent comme partenaires et elles le sont déjà. Je dois vous
dire que, s'il y a un secteur - et vous le savez comme moi - dans lequel les
municipalités ou, enfin, la plupart des municipalités sont
très actives, c'est bien le secteur des bibliothèques.
Ce qui m'amène à une question. Vous dites qu'il y a 29
municipalités - parce qu'on investit beaucoup, comme je l'ai dit
tantôt, en capitalisation - mais il reste encore 29 municipalités
de plus de 5000 habitants qui n'ont pas encore créé leur
bibliothèque municipale, d'une part. Bien souvent, on donne les fonds en
termes de capitalisation et ils sont battus par référendum, alors
c'est aussi la volonté du... on fait appel à la volonté
des électeurs aussi. Qu'est-ce que vous suggérez comme moyens
à prendre pour permettre à la population de ces
municipalités d'avoir accès aux services d'une
bibliothèque? Après ça, on parlera des collections,
etc.
Mme Lefebvre-Roux: Tout d'abord, je veux vous dire
qu'effectivement les municipalités doivent être impliquées
dans le processus. Elles le sont déjà; activement,
peut-être pas partout malheureusement. Ça, c'est d'abord une
précision. L'autre point, c'est l'espèce de marketing dans lequel
il va falloir investir pour faire de l'image de la lecture au Québec une
image positive. Il y a beaucoup de travail à faire à ce
niveau-là et il y a un effet d'entraînement. Quand on regarde la
carte géographique des bibliothèques publiques, il y a
malheureusement encore en 1991 de trop nombreux élus dans des
municipalités qui n'ont soit jamais fréquenté de
bibliothèque publique moderne ou qui n'ont même pas jamais vu ce
que devait être une bibliothèque publique dans une
société démocratique et moderne comme la nôtre.
Alors, là, il y a un travail, une sensibilisation au niveau de
l'ensemble du Québec sur une promotion positive de la lecture, et c'est
le genre d'intervention que le ministère des Affaires culturelles doit
assumer.
Si, comme dans le domaine de l'éducation, on laisse
entièrement aux élus municipaux la responsabilité de la
lecture et de ce qu'elle devrait être dans leur milieu, pour le moment du
moins, on risque de vivre ce qu'on vit actuellement, cette espèce de
vacuum qu'on retrouve dans certains milieux, alors que dans des
municipalités, comme je le mentionnais, à majorité
anglophone, pour ne mentionner que Pointe-Claire, il y a des écarts
épouvantables par rapport à d'autres villes qui devraient
effectivement rayonner sur le plan économique dans leur région.
Le développement des bibliothèques publiques n'est pas du tout
proportionnel à la qualité ou à l'indice de richesse
foncière des municipalités. Alors, ce n'est pas toujours
nécessairement uniquement une question de ressources. C'est une question
de volonté, une question de priorité. Et, si ce n'est pas une
priorité au ministère des Affaires culturelles, comment
voulez-vous que ça le soit dans une municipalité où il n'y
a pas de sensibilisation à la lecture?
Mme Frulla-Hébert: Bien là, je m'excuse, mais c'est
une priorité au niveau des Affaires culturelles, d'une part, ne
serait-ce que par les investissements. On parte d'investissements de 24 000 000
$, on parle de la détaxe sur le livre qui est de 32 000 000 $,
finalement, de moins, justement parce que, au niveau de la taxation sur le
livre, là-dessus on a pris nos responsabilités. Donc, ça,
je vous en donne, finalement, l'assurance.
Les bibliothèques publiques québécoises effectuent
à peu près 30 fois moins de prêts entre
bibliothèques que celles de l'Ontario. À quoi attribuez-vous cet
écart important? On parle beaucoup du système des
bibliothèques en Ontario. Les municipalités sont
extrêmement impliquées et, comme vous le dites aussi, c'est aussi
dans la mentalité. Là-dessus, je vous rejoins au niveau du
marketing - et on en a parlé, d'ailleurs, avec M. Sauvageau - c'est
capital, parce qu'on s'imagine encore qu'une bibliothèque c'est un
endroit stérile où c'est très ennuyant d'aller, tandis que
c'est quand même un lieu socioculturel très important pour une
municipalité.
Mme Lefebvre-Roux: C'est que la bibliothèque, comme vous
le mentionniez tout à fait justement, est souvent dans l'organigramme
des municipalités un service, un service municipal. Donc, il y a une
espèce d'isolement qui s'est vécu dans l'histoire récente
du développement des bibliothèques publiques. On en a souvent
discuté entre collègues, on estime que la seule façon ou,
en tout cas, une des façons les plus efficaces d'arriver à
développer, c'est de travailler en réseau. Quand on parle
d'informatisation, c'est aberrant le montant d'argent qui se dépense,
pour ne pas dire qui se gaspille, dans des expertises qui se font à
l'intérieur de chacun des milieux. C'est sûr que les directeurs de
bibliothèque, on échange nos connaissances, mais au niveau de la
structure elle-même. Donc, il y aurait des projets intéressants de
développer, d'investir cet argent-là dans des projets en termes
de réseau, de rationalisation des services documentaires, par exemple,
pour ne pas être trop technique ici, mais ce genre de projet là,
quand on pense que le même document, celui-là qu'on retrouve
certainement dans toutes les bibliothèques publiques, est traité
souvent individuellement d'une boite à l'autre. Alors, il y a un tas de
projets comme ceux-là, et là, en plus de la rationalisation des
effectifs que ça peut entraîner, c'est toute l'espèce de
communication de réseau qui fait que ça ne se pourra plus,
à un moment donné, qu'une bibliothèque d'une
municipalité de plus de 20 000 ou 30 000 habitants soit dotée
d'un sous-sol ou d'équipements tout à fait désuets. (12 h
15)
Mme Frulla-Hébert: Oui. Je veux revenir, parce que le
temps nous presse, d'une part, justement à la loi qu'on veut
déposer et aussi à cette table au niveau des
municipalités. Il y a un projet, en fait, il y a des suggestions ou,
enfin, des pressions même qu'on nous fait pour imposer des frais à
certains services au niveau de la population, pas tous, mais certains services
au niveau de la population. Il y a même le maire d'Amos, par exemple, qui
nous a dit: Écoutez là, on va imposer les frais; si c'est trop,
donnez-nous juste la permission de le faire - parce que, dans le fond, c'est
ça, là, puis il y a toujours une question d'acessibilité
versus... - donnez-nous la permission de le faire et ne craignez pas, nous,
dans notre milieu, si on fart une étape, enfin, un pas de trop, notre
population va nous le dire, va nous taper sur les doigts. Alors, finalement:
Donnez-nous juste la permission de le faire et sortez de ce champ-là; ne
nous dites pas où, quand, comment; on va s'en charger avec notre milieu.
Qu'est-ce que vous pensez de ça?
Mme Lefebvre-Roux: Le premier élément, c'est celui
que j'ai essayé de vous communiquer sur l'importance de la lecture.
C'est un droit sacré, comme celui à l'éducation qui est
maintenant reconnu au Québec. C'est une chose. D'autre part, c'est
l'effet d'entraînement. Je suis convaincue que dans des
bibliothèques, dans les municipalités qui disposent d'un service
de bibliothèque adéquat et gratuit, les citoyens n'accepteraient
plus de rétrograder ni d'être tarifés sur ce
service-là. Le problème que beaucoup de maires nous mentionnent,
c'est dans certains milieux où la bibliothèque ne donne pas
effectivement les services auxquels les citoyens devraient s'attendre, donc les
gens n'en redemandent pas. C'est toujours le même principe. Là, on
se heurte à une espèce... C'est sûr qu'il y a beaucoup
d'élus qui vont dire: Écoutez, on n'a même pas eu de
contestation sur ce dossier-là. Mais, quand on regarde l'état des
services qui sont offerts dans ces municipalités, on ne s'en
étonne pas non plus.
Le Président (M. Doyon): M. le député de
LaFontaine.
Mme Lefebvre-Roux: Je ne sais pas s'il y a des collègues
qui voudraient renchérir.
M. Gobé: Oui. Merci, M. le Président. J'ai beaucoup
aimé votre mémoire. Ça paraît un peu surprenant
peut-être, mais, quand on l'écoute et qu'on
réfléchit un peu à ce que vous avez dit, c'est très
intéressant. Je pense que vous avez démontré d'une
manière non équivoque l'importance des bibliothèques. Vous
avez aussi démontré, hélas! une triste
réalité qui est peut-être le piètre état des
collections, ou des ouvrages, ou des livres, ou le peu de choix qu'on peut y
trouver et, lorsqu'on visite quelques bibliothèques, on ne constate que
ce que vous dites est certainement le reflet de la réalité. Je
crois qu'il
ne faut jamais avoir peur de le dire et nous, les politiciens, on ne
doit jamais avoir peur de se le faire dire parce que, si on le cache ou si on
ne le dit pas, bien, on ne prend aucune mesure, aucune politique pour essayer
de le corriger.
Et c'est tellement important, et vous l'avez dit vous-même, la
bibliothèque, c'est la source de la culture. Si on veut conserver la
société québécoise francophone en Amérique
du Nord et que les gens ne lisent plus, bien, c'est de valeur, n'en
déplaise aux bons esprits, mais, dans 50 ans, il n'y aura plus de
francophones. On a vu ça dans d'autres pays où la culture
s'éteint parce que les gens ne connaissent pas leurs racines, ne
connaissent pas l'histoire et ne connaissent pas les auteurs, ne connaissent
pas Corneille, Racine et autres. Mais, si on ne leur apprend pas, on ne leur
dit même pas aux jeunes ou aux gens que ça existe, pour eux
ça devient un vide, et la dernière référence est le
dernier best-seller qu'on a vu dans une émission de
télévision présentée de manière un peu
populaire, et la culture s'arrête là. Alors, je crois que vous
avez raison. Vous avez touché un point fondamental qui est la diffusion
de la culture et de la connaissance, parce que, sans connaissance, il n'y a pas
de culture. Et moi, je vous félicite de votre mémoire. Je crois
qu'il est courageux. Il est bien, il est direct, mais il est clair et je pense
que votre message est bien passé.
En terminant, un petit aparté, ça me touche et ça
me touche d'autant plus que moi, et je vois la directrice de la
bibliothèque de Saint-Léonard, j'aurais aimé que vous
présentiez, maintenant, la directrice de la bibliothèque de
RMère-des-Prairies, car, si vous ne le savez pas,
Rivière-des-Prairies est un quartier de la ville de Montréal
enclavé par Saint-Léonard, Anjou, Pointe-aux-Trembles, qui a
à peu près 40 000 habitants et qui n'a pas de
bibliothèque, et où les jeunes enfants font la queue avec leurs
parents et les personnes âgées, dans la sloche l'hiver, dans le
froid, dans la pluie l'été, lorsqu'il pleut, ou le vent, pour
attendre d'avoir un ouvrage... Ils n'ont même pas le choix de regarder
les rayons, se promener, flâner. C'est important au niveau culturel,
flâner dans une bibliothèque, il y a l'odeur des livres, mais il y
a aussi l'attrait. On regarde quelque chose, on le feuillette, hop! on le
prend. Ils n'ont même pas ça. Ils sont à la queue leu leu
comme un peu devant les camions dans les villages, en Europe, dans les
montagnes, qui vont vendre de la boucherie une fois par semaine parce qu'il n'y
a pas assez de population pour établir une boucherie. Mais à
RMère-des-Prairies, dans Montréal, à l'aube de l'an 2000,
alors qu'on parle de souveraineté culturelle, qu'on parle de diffusion
de la culture, il n'y a pas de bibliothèque. Mais je suis content de
voir qu'à Saint-Léonard il y en a, puis dans les autres villes
aussi. Je vous encourage à continuer et à faire en sorte que le
réseau s'améliore et que vos collections s'en- richissent. Et
moi, personnellement, et probablement mes collègues
députés particulièrement dans l'est de Montréal,
nous sommes conscients de ça et nous sommes sensibles à ça
et nous allons dans le même sens que vous. Merci.
Le Président (M. Doyon): Merci, M. le
député. M. le député de
Sainte-Marie-Saint-Jacques.
M. Boulerlce: Oui, M. le Président, mon collègue de
LaFontaine a bien raison. Depuis les années qu'il est
député, il se bat pour qu'à RMère-des-Prairies il y
ait autre chose qu'un vieil autobus qui ressemble à un "stand" de
patates frites comme on avait dans les années cinquante.
M. Gobé: Je ne suis pas content, d'ailleurs.
M. Boulerice: 1986, premier budget de ce gouvernement, 5 000 000
$ de coupures dans l'aide au fonctionnement des bibliothèques. Massacre
à la scie l'année suivante, moratoire de deux ans sur les
équipements de bibliothèque. Et là on vous dit: Oui, il
faut faire la concertation avec les municipalités. Mais toutes les
municipalités qui sont venues ici, les municipalités
régionales de comté, nous disent qu'avec le délestage de
M. Ryan les municipalités ne peuvent plus investir davantage dans le
réseau de leurs bibliothèques. Et nous en sommes, vous l'avez
bien dit, a 29 municipalités de plus de 5000 habitants qui n'en ont pas,
à 581 municipalités de moins de 5000 habitants qui n'ont toujours
pas un service de bibliothèque publique. Alors, te seul
élément de comparaison que l'on a n'est pas celui gratifiant de
se rapprocher de la Finlande, du tout, mais bien, tantôt, d'être en
arrière de nos amis de Terre-Neuve. Je vous avoue que, comme
médaille, je préférerais aborer autre chose que cette
distinction-là.
Je pense qu'il n'y a pas de politique culturelle qui puisse
prétendre être une politique sans que le rôle des
bibliothèques publiques fasse l'objet d'une priorité prioritaire,
comme intervenants de toute première ligne. Si le ministère
décide, conformément au rapport Arpin, d'envisager une
opération de restauration budgétaire pour certains organismes, il
m'apparaît incontournable que les bibliothèques publiques fassent
l'objet d'une attention particulièrement particulière. Il y a des
régions, il y a des municipalités où elles jouent un
rôle moteur. Quand on parie de culture, c'est la bibliothèque.
C'est la bibliothèque. Alors, il y a des responsabilités.
Il y a la TPS de 7 % sur le livre. Ça vous handicape au niveau
des acquisitions, comme au niveau du fonctionnement, vous n'avez pas beaucoup;
vous n'allez quand même pas baisser l'éclairage et le chauffage.
Il y a si peu de personnel dans les bibliothèques, on n'est quand
même pas pour couper le personnel. Donc, vous coupez dans les
acquisitions. Coupant dans les acquisitions, l'incitation à la
fréquentation est bien moindre parce que le livre récent et
nouveau qu'on aimerait bien se procurer, il n'est pas sur vos tablettes.
Là, vous avez, à partir de ce moment-là, uniquement une
fonction encyclopédique et ça n'attirera pas la jeune
génération, celle entre deux âges, comme mon
collègue et moi, qui aime bien aussi aller se procurer le best-seller
une fois de temps en temps.
Il y avait une loi sur les bibliothèques inscrite au feuilleton
de l'Assemblée nationale, mais c'est mystérieusement disparu.
Elle n'est pas là. Et vous avez bien raison, il y a eu le rapport
Mittermeyer sur les bibliothèques scolaires. Est-ce qu'on l'a lu? Est-ce
qu'on peut dire plus que Mme Mittermeyer a dit? Est-ce que M. Sauva-geau serait
maintenant dépassé? Oui, dépassé par les
événements, mais pas dépassé dans son analyse comme
telle. Et moi, je vous comprends de venir lancer le message en disant: Quant
à nous, c'est notre dernier rapport parce que, s'il y a un autre
rapport, ce sera un rapport d'autopsie qu'on devra présenter.
Si on va dans certaines mesures concrètes, le plan de
développement quinquennal, vos attentes à cet égard, c'est
quoi?
Mme Lefebvre-Roux: C'est ce que nous avons exprimé. Nous
attendons des politiques, des programmes, mais également et surtout la
loi parce que la loi, c'est peut-être le seul Instrument dont on peut
disposer comme gestionnaires dans nos municipalités. Quand il n'y a pas
de volonté politique dans notre propre milieu, si elle n'est pas
encadrée par une loi sur le plan national, qu'est-ce que vous voulez,
au-delà des arguments, qu'on puisse faire? Donc, c'est un instrument qui
est indispensable pour nous, pour faire progresser, dans certains milieux en
tout cas, le dossier. Évidemment, d'avoir des programmes concrets quels
qu'ils soient, mais d'en avoir, parce que là il y a un vacuum dans le
milieu et les gens, au fur et à mesure des années, ne peuvent
s'appuyer sur rien. On ne sait jamais d'année en année, la
subvention, elle sera quoi au bout du compte. On ne peut jamais s'engager comme
gestionnaires auprès de nos élus pour leur garantir que le
ministère va effectivement respecter ses engagements, puis on n'a pas
d'autres appuis que le ministère des Affaires culturelles dans nos
milieux.
M. Boulerice: Et si on parle que la culture doit être une
des grandes missions de l'État comme le sont le social et
l'économie, on pourrait peut-être faire des adéquations:
s'il est obligatoire d'avoir une caserne pour les sapeurs-pompiers, chaque
ville devrait avoir sa bibliothèque. Et la ville, compte tenu du
contexte financier dans lequel l'État l'a placée, eh bien, c'est
la responsabilité de l'État de voir qu'il y ait une
bibliothèque, comme il y a une caserne pour les sapeurs-pompiers.
Mme Lefebvre-Roux: Avec des normes, des normes de collections,
des normes de personnel. Sans entrer en concurrence avec l'autonomie de la
gestion municipale, il reste qu'il y a des critères qualitatifs qui
pourraient être exigés en échange des subventions, par
exemple. Et ça se fait dans beaucoup d'autres domaines que le domaine
culturel. Je ne vois pas pourquoi on hésiterait à le faire dans
le domaine culturel.
M. Boulerice: Vous partez de la tristesse de la situation au
niveau des spécialistes de la bibliothéconomie. Pouvez-vous me
tracer un portrait rapide pour le bénéfice de ceux...
Mme Lefebvre-Roux: Un portrait rapide, c'est qu'à
Pointe-Claire, pour une population de 26 900 habitants, il y a cinq
bibliothécaires professionnels à temps plein et six à
temps partiel, alors qu'à Blainville, pour une population de 25 000, il
y en a un, et ça fait des années qu'on s'acharne à essayer
d'avoir un autre poste de bibliothécaire professionnel. C'est des
exemples comme ceux-là.
Une voix: Montréal-Nord.
Mme Lefebvre-Roux: Montréal-Nord, enfin, on pourrait
multiplier les exemples. Il ne s'agit pas de faire de procès.
M. Boulerice: Ah ouil ça, je sais que le musée des
horreurs, là, II est vaste et il y a bien des salles. Moi, j'aurais le
goût de vous dire, enfin, de vous répéter ce que je vous ai
dit au mois d'avril, je crois, quelque chose comme ça, que l'urgence est
d'avoir un plan Vaugeois II, sinon nous allons accuser un retard tel que, pour
employer le langage militaire, là, on sera à ce qu'ils appellent
le "failsafe point", c'est-à-dire le point de non-retour.
Mme Lefebvre-Roux: Mais le taux de 28 % d'analphabétisme
au Québec est peut-être déjà un signal d'alarme.
M. Boulerice: Oui. Et, au niveau des nouvelles technologies, on
en est, quoi, à combien de milles marins de Terre-Neuve?
Mme Lefebvre-Roux: II y a surtout une espèce de confusion
dans le milieu, c'est-à-dire que l'informatisation qui se fait dans
certaines bibliothèques, elle se fait indépendamment des besoins
du réseau national. C'est là que c'est dommage, parce que, pour
les mêmes montants investis, pour les mêmes ressources Investies,
il y aurait certainement possibilité d'établir un réseau
qui donnerait un service, évidemment, beaucoup plus intéressant
et, éventuellement, à coûts
moindres pour chacune des municipalités. Il y a
déjà une étape qui est franchie; il y a une étude
qui a été réalisée avec le ministère - et on
l'en remercie d'ailleurs - sur l'état de la question de
l'informatisation des bibliothèques publiques. Mais maintenant, c'est un
rapport, ça, encore une fois. Il faudrait aller plus loin. Qu'est-ce
qu'on fait avec ce rapport-là? Est-ce qu'on s'implique? Est-ce qu'il va
y avoir un plan de développement au niveau de l'informatisation du
réseau? Ça existe en Ontario, ça existe aux
États-Unis, ça existe dans beaucoup de sociétés
occidentales avancées.
Le Président (M. Doyon): M. le député, en
terminant.
M. Boulerice: Très brièvement, M. le
Président, oui, puisque nous devrons ajourner. Transfert latéral
et intégral de tous les budgets, principe du "arm's length",
c'est-à-dire l'indépendance des milieux culturels face à
l'unité administrative qu'est le ministère, rapatriement des
responsabilités du Québec en matière d'art et de culture,
pour vous, ça se présente comment?
Mme Chagnon (Monique): Globalement, l'Association s'est
prononcée avec son mémoire. Nous partageons les objectifs et les
buts du rapport Arpin sur le sujet. Mais concrètement, ce qu'il nous
faut actuellement au Québec, c'est un ministère des Affaires
culturelles fort qui sait où il s'en va et sur lequel on peut s'appuyer
face à nos municipalités. Alors, la loi, pour nous, j'y reviens,
Mme la présidente l'a mentionné, est capitale, parce que la
gratuité dans nos bibliothèques ce n'est pas acquis au niveau des
conseillers municipaux. C'est même un discours très difficile
à défendre. Ici, je représente une ville qui tarife depuis
cinq ans et, au niveau politique, on nous dit: Ce n'est pas cher. Alors, ce
n'est pas à ce niveau-là que le débat doit se faire, c'est
en termes de: Doit-on tarifer nos services ou les laisser gratuits? Mais le
débat au niveau politique ne se fait pas à ce niveau-là et
va se faire encore de moins en moins à ce niveau-là avec la
réforme Ryan et ses suites qu'on va devoir payer dans nos
bibliothèques publiques, je le crains. Alors, pour nous, c'est un
ministère des Affaires culturelles fort qui nous offre un support
idéologique, financier aussi, bien sûr, mais idéologique,
c'est très important.
Le Président (M. Doyon): Alors, M. le
député, un mot de remerciement.
M. Boulerice: Bien, écoutez, je pense que, comme on dit
dans certains établissements, ce que vous dites, c'est le "last call",
là?
Une voix: Oui.
Mme Lefebvre-Roux: Oui. Ça l'est, effec- tivement.
M. Boulerice: Pour employer ce vocabulaire, et vous dites
également que c'est inadmissible qu'on soit passé à des
tarifications de 5 $ à 20 $. Quand on est père de famille avec
quatre enfants, là, ça commence à faire un petit peu
beaucoup, merci! J'ose espérer que votre message a porté; dans
mon cas, je ne vais pas me dédire. On va aller à l'étude
des crédits, au printemps, et soyez assurés de notre vigilance.
Je vous ferai même communiquer la date. Vous savez que c'est public, et
je serai très heureux de vous revoir à cette étude des
crédits.
Une voix: Merci beaucoup.
Le Président (M. Doyon): Mme la ministre.
Mme Frulla-Hébert: Premièrement, je vous remercie.
Deuxièmement, évidemment, c'est la commission parlementaire que
nous avons décidé d'avoir ici; ce n'est pas la question de
remettre des mémoires, c'est justement de remettre la culture sur une
table de discussion où tout le monde peut entendre. Vous savez comme moi
que, autant au niveau des municipalités que des gouvernements, tout
provient ou vient de la population. Le jour où nous, on décide
d'investir et que la population nous bat par référendum, il n'y a
rien qu'on puisse faire. Au niveau du fonctionnement, évidemment, il y a
plus à mettre, malgré qu'en 1985 on ait mis 20 000 000 $ et qu'on
en met 24 000 000 $ en 1991. Au niveau des équipements, ça, on a
beaucoup investi. On a mis 47 000 000 $ au niveau des équipements et on
rejoint 95 % de la population. Ce qui reste maintenant, c'est la loi; on en est
très conscients, mais on ne pouvait pas déposer une loi sans
s'asseoir avec les municipalités. Il y a un projet. En fait, les
municipalités, on est censés les voir au mois de novembre. Avec
la loi, ce que vous voulez, c'est le plan d'action; ce n'est pas vraiment la
loi, ça.
Le Président (M. Doyon): En terminant, Mme la
ministre.
Mme Lefebvre-Roux: Les deux, madame, les deux.
Mme Frulla-Hébert: Alors, on vous remercie et on en est
très, très, très conscients. On n'aurait pas
détaxé le livre si on n'avait pas cru à l'importance de la
lecture.
M. Boulerice: Ce serait intéressant que cette commission
ait un mandat d'initiative sur l'état des bibliothèques
publiques.
Le Président (M. Doyon): Alors, il me reste à vous
remercier et à suspendre les travaux de cette commission jusqu'à
après les affaires
courantes, cet après-midi. (Suspension de la séance
à 12 h 33)
(Reprise à 15 h 36)
Le Président (M. Doyon): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission reprend donc ses travaux, conformément à
l'ordre qui vient d'être donné à l'Assemblée
nationale. Nous allons changer un peu l'ordre du jour et commencer par entendre
l'Association des producteurs de films et de télévision du
Québec. Je vois qu'ils sont déjà en place. Je vous
souhaite la plus cordiale des bienvenues et je vous indique que nos
règles sont très simples. Vous disposez d'une quinzaine de
minutes pour faire la présentation de votre mémoire ou un
résumé d'icelui et, après ça, la conversation
s'engage avec les membres de la commission pour le temps qu'il reste. Il est
entendu que l'horaire, qui est assez serré, nous oblige parfois à
interrompre les débats pour faire respecter le temps qui est
alloué à tous et chacun.
Donc, si vous voulez bien procéder aux présentations et,
tout de suite après, à la lecture ou au résumé de
votre mémoire, comme il vous plaira. Vous avez la parole.
Association des producteurs de films et de
télévision du Québec
Mme Baillargeon (Louise): M. le Président, Mme la
ministre, Mmes et MM. les députés, je vous présente Mme
Lorraine Richard, qui est à ma gauche, et, à ma droite, M. Claude
Godbout; ils sont tous deux représentants du conseil d'administration de
l'Association des producteurs de films et de télévision du
Québec. Je me nomme Louise Baillargeon.
J'aimerais, dans un premier temps, remercier publiquement
Hydro-Québec qui, compte tenu d'un malentendu dans l'horaire de la
journée, a bien voulu, de façon très
élégante, nous céder sa première place aujourd'hui.
Je l'en remercie.
L'Association des producteurs de films et de télévision du
Québec, qui regroupe la très grande majorité des
entreprises de production audiovisuelle indépendantes et de services
techniques du Québec, vous remercie de l'avoir invitée à
présenter et à défendre devant vous le mémoire
qu'elle a soumis à cette commission. Précisons, d'entrée
de jeu, que ce mémoire ne se veut pas une réponse
détaillée à chacune des 113 recommandations du rapport
Arpin, un tel exercice nous ayant semblé aussi laborieux que
stérile au vu des divergences fondamentales qui apparaissent entre notre
analyse de la situation et nos perceptions des voies de solution et celles
mises de l'avant par le groupe-conseil, au vu également des carences du
groupe-conseil à étayer ses recommandations sur des analyses
concrètes et à en évaluer la portée, au vu, enfin,
de la vision centralisatrice bureaucratique et dirigiste que nous croyons y
déceler en germe et à laquelle nous nous opposons.
Nous avons donc préféré articuler notre
réaction à cette proposition de politique culturelle autour de
trois axes principaux de réflexion, à savoir:
premièrement, la question du retrait fédéral du champ de
la culture; deuxièmement, l'urgence d'élaborer une politique
québécoise du cinéma et de la télévision qui
soit intégrée, concertée, équilibrée et
ouverte sur le monde; troisièmement, notre perception du rôle et
de la mission dévolue au gouvernement et au ministère des
Affaires culturelles dans le soutien à l'affirmation et à
l'épanouissement de l'identité culturelle
québécoise. Nous tenterons aujourd'hui de résumer
succinctement notre argumentation relative à chacun de ces champs de
réflexion.
La question du retrait du fédéral du champ de la culture.
Le rapport Arpin recommande, et je cite: "Le gouvernement fédéral
doit se retirer complètement du champ culturel, quel que soit le futur
statut constitutionnel du Québec." L'aspect de cette recommandation qui
nous étonne et nous préoccupe au premier chef réside dans
le fait que le rapatriement complet proposé fait abstraction du statut
constitutionnel d'ensemble du Québec, ce qui laisse entendre que, aux
yeux du groupe-conseil, une souveraineté culturelle est possible et
souhaitable, sans égard aux pouvoirs politiques, fiscaux et autres
leviers de développement économique et social que pourrait
obtenir le Québec. Disons-le tout net, nous sommes en désaccord
avec cette prémisse.
Dans le secteur des industries culturelles, tout
particulièrement, une maîtrise d'oeuvre complète du
Québec qui ne serait pas qu'un leurre impliquerait beaucoup plus qu'un
simple retrait avec pleine compensation des programmes fédéraux
puisque le soutien efficace et nécessaire de l'État au
développement de ces industries exige des interventions multiformes qui,
bien au-delà des programmes d'aide financière directe, impliquent
des décisions de nature législative, réglementaire et
fiscale touchant aussi bien les relations et les commerces internationaux,
l'imposition et la taxation, les mesures de protection, les droits d'auteur,
les règles de concurrence, la formation professionnelle, et ainsi de
suite.
Nous nous opposons donc fermement à ce que le champ culturel soit
étroitement défini de façon à se résumer au
pouvoir de dépenser des gouvernements, et à se traduire par un
retrait avec pleine compensation des programmes fédéraux. Une
telle conception de la maîtrise d'oeuvre témoigne à la fois
d'une méconnaissance du fonctionnement des industries culturelles et
d'une vision extrêmement réductrice du rôle de l'État
quant à leur soutien. Elle conduirait, au mieux, le Québec
à se mettre à la remorque des paie-
ments de transfert du fédéral, tout en lui laissant
l'initiative des programmes. Le Québec ne pourrait en effet se retirer
avec pleine compensation que des programmes conçus,
élaborés et mis en place par le gouvernement
fédéral. Or, il est évident que l'intérêt du
gouvernement fédéral à créer de nouveaux programmes
culturels, et donc à générer de nouveaux paiements de
transfert, serait bien faible dans l'éventualité où il
renoncerait à son pouvoir de dépenser au profit exclusif des
provinces et qu'à moyen et long termes la valeur réelle et
proportionnelle de chacun de ces paiements de transfert se réduirait
comme peau de chagrin.
Par ailleurs, rien n'indique que le gouvernement fédéral
renoncerait du même coup à ses privilèges fiscaux, à
son pouvoir d'imposer les entreprises culturelles, de taxer les services et
produits culturels, de régir le commerce interprovincial ainsi que
nombre d'autres aspects économiques inhérents aux industries
culturelles, y compris la conclusion d'accords internationaux bi et
multilatéraux de commerce, de coproduction ou de
réciprocité.
Or, tous ces facteurs sont tout aussi significatifs en matière de
maîtrise d'oeuvre du développement des industries culturelles que
les programmes d'aide financière directe. Nous croyons donc,
contrairement au groupe-conseil, qu'il est impossible d'analyser
sérieusement la question des pouvoirs respectifs du gouvernement
fédéral et du Québec en matière de culture et de
communication en faisant abstraction du statut constitutionnel d'ensemble du
Québec. Si la majorité des citoyens et le gouvernement
décident de faire du Québec un État indépendant,
alors, évidemment, le Québec disposera, comme tout pays
souverain, de la maîtrise d'oeuvre globale de son développement
économique, politique, social et culturel, dans toutes ses composantes
et ses interrelations, et les questions qui se poseront seront d'un autre
ordre: équilibre à trouver entre les missions économiques,
sociales et culturelles de l'État, qualité et diversité
des organismes et formes d'intervention pour éviter une concentration
excessive des pouvoirs au sein de certains organismes et assurer la plus grande
liberté d'expression et le développement le plus harmonieux de
tous les secteurs culturels.
Mais, tant et aussi longtemps que le Québec demeurera membre de
la fédération canadienne, il n'y a, nous semble-t-il, d'autre
voie possible et viable que celle de la concertation entre le gouvernement du
Québec et celui du Canada, car les ramifications extrêmement
complexes des industries culturelles exigeront toujours, tant qu'il y aura
partage des pouvoirs et des compétences, une action combinée et
multiforme des deux niveaux de gouvernement. Pour toutes ces raisons, l'APFTQ
réitère que c'est dans le cadre du processus en cours de
révision du statut constitutionnel global du Québec que doivent
être analysées ces questions complexes, de façon beaucoup
plus sérieuse, documentée et approfondie que ne l'a fait le
rapport Arpin.
Deuxièmement, une politique du cinéma et de la
télévision. Le Québec dispose depuis nombre
d'années de pouvoirs qui, sans être exclusifs, auraient pu lui
permettre de reconnaître de façon plus éclatante la valeur
des industries culturelles québécoises et d'élaborer en
conséquence des politiques d'intervention énergiques. Or, force
nous est de constater que le leadership et la volonté politique ont
souvent manqué pour ce faire. Ainsi, depuis de nombreuses années,
nous exortons le gouvernement du Québec à se doter d'une
politique du cinéma et de la télévision qui soit
intégrée, concertée, équilibrée et ouverte
sur le monde, sans grand succès. Nous profitons donc de cette occasion
pour réitérer nos demandes en ce qui concerne une politique
intégrée. (15 h 45)
La politique actuelle du cinéma découle de la Loi sur le
cinéma et son application est influencée par la mission-conseil
de l'Institut québécois du cinéma. Dans ce contexte
clairement identifié au seul cinéma, c'est souvent par le biais,
pour ne pas dire par la porte d'en arrière, que sont apparus certains
programmes destinés à soutenir la production
télévisuelle indépendante. Et ce n'est que du bout des
lèvres qu'a été abordée, tant dans le rapport Arpin
que dans l'étude de Samson, Bélair qui l'a
précédé, la problématique de la
télévision au Québec. Une telle situation est de plus en
plus en porte-à-faux en regard de la réalité
économique de l'industrie et du rôle que joue la programmation
télévisuelle dans l'affirmation de l'identité culturelle
québécoise.
La télévision n'est pas seulement un moyen de
communication, c'est aussi un lieu de création où s'expriment le
talent et l'esprit d'innovation de nos auteurs, créateurs et
artistes-interprètes. C'est aussi un lieu d'apprentissages divers, une
source d'information et de divertissement, un lieu de partage et
d'échanges à travers lequel les Québécois se
façonnent une vision du monde et d'eux-mêmes. Et, toute politique
culturelle digne de ce nom ne peut que reconnaître que l'alimentation de
la télévision francophone en émissions de qualité
de tous types est un enjeu majeur pour le devenir de la société
québécoise et le développement d'une culture de
convergence dans un Québec en profonde mutation.
Une politique intégrée du cinéma et de la
télévision serait l'occasion de mettre un terme à
l'espèce de vacuum actuel en ce qui a trait à l'intervention
gouvernementale québécoise en matière de support à
la production télévisuelle indépendante, de la
reconnaître de plein pied et de plein droit, au même titre que la
production cinématographique indépendante, et de les doter
chacune de fonds de soutien, de politiques
fiscales, de programmes conséquents et proportionnels à
leur rôle dans la vie économique et culturelle du Québec
d'aujourd'hui.
Nous croyons qu'il est essentiel que l'élaboration de la
politique du cinéma et de la télévision se fasse dans un
esprit de collaboration, de partage à la fois de l'analyse de la
situation présente et de la vision de développement à long
terme. Et, à cet égard, nous croyons que la SOGIC, tout
particulièrement, doit faire preuve de plus de transparence,
d'ouverture, de sens de l'écoute, et améliorer la qualité
de ses relations de travail avec les associations et regroupements de
l'industrie, considérant ces derniers comme des alliés et des
partenaires capables de transcender leurs intérêts particuliers
pour contribuer au développement plus général de la
culture et de la vie culturelle. Nous croyons aussi que le processus de
concertation doit s'étendre à tous les ministères
concernés et en mesure de contribuer à l'identification et
à la solution des problèmes structurels qui affectent notre
industrie. Nous y reviendrons plus loin.
Une politique équilibrée. Nous tenons à insister
sur le nécessaire équilibre auquel l'aide de l'État doit
atteindre en ce qui a trait aux dimensions industrielles et culturelles de
notre secteur. Il y a déjà 10 ans, la Commission d'étude
sur le cinéma et l'audiovisuel, qu'on nommait commission Fournier,
concluait que, chaque fois que l'État est intervenu de façon
massive à la faveur exclusive de l'un ou de l'autre des termes de cette
fragile dialectique, cette intervention avait conduit, à plus ou moins
longue échéance, à une impasse. Les seuls pays où
le soutien de l'État a concouru à l'amélioration
quantitative et qualitative de la production, au développement
d'entreprises saines et prospères et à l'instauration d'un climat
de création et de travail stimulant au sein de la profession sont, en
effet, ceux qui ont respecté l'équilibre précaire entre
art et industrie. Et elle ajoutait: "Cet équilibre doit exister entre
les programmes visant la consolidation des entreprises et ceux contribuant
à l'achèvement des projets, entre les mesures favorisant la
continuité du travail des entrepreneurs et artistes chevronnés et
celles assurant une regénération permanente du personnel
créateur, entre les aides automatiques et sélectives. " La
recette est connue de longue date, mais si peu appliquée. Encore
aujourd'hui, la très grande majorité des ressources que la SOGIC
consacre au financement de la production cinématographique et
télévisuelle indépendante est allouée sous forme
d'aide sélective à des projets en devenir, au cas par cas.
Le Président (M. Gobé): Excusez-moi, Mme
Baillargeon, mais le temps qui vous était imparti est maintenant
terminé. Je vous demanderais de bien vouloir conclure, parce que les
gens ont des questions à vous poser, de part et d'autre.
Mme Baillargeon: J'aimerais tout simplement finir sur la SOGIC;
elle témoigne quand même d'une résistance de tous les
instants à l'égard des programmes d'aide automatique qui
échappent à son pouvoir discrétionnaire et, pour nous, il
serait essentiel que cette attitude change.
Ce que nous souhaiterions voir également, c'est une politique
ouverte sur le monde et une concertation entre les différents
ministères sous la coordination du ministère des Affaires
culturelles, mais une concertation qui impliquerait l'ensemble des
ministères qui ont un impact direct ou indirect sur les industries
culturelles; et j'entends Industrie et Commerce, ça pourrait être
Technologie, Finances, Relations internationales, Éducation. Ce qu'on
souhaiterait également, c'est que le Québec conserve, à
travers ses sociétés d'État peut-être
renouvelées, une politique britannique qui est celle du "arm's
lenght".
Le Président (M. Gobé): Merci, madame. Je passe
maintenant la parole à Mme la ministre des Affaires culturelles.
Mme Frulla-Hébert: Merci beaucoup. Rapidement, puisque le
temps nous presse. Il y a deux choses, finalement, qui ressortent. Vous
partagez le sentiment sur la nécessité et l'urgence
d'établir une politique culturelle très souple, comme la plupart
des organismes. On n'a pas l'intention non plus d'en faire une
extrêmement rigide. Vous parlez de dirigisme, comme d'autres organismes
au niveau du cinéma, qui ont parti le bal et qui ont dit ça.
Alors, dirigisme au niveau de la création, dirigisme au niveau des
entreprises, mais il me semble que vous sortez ça du rapport Arpin, et
ce n'était pas la volonté du rapport Arpin de faire du dirigisme
ni du fonctionnarisme à travers ça. Je ne sais pas d'où
vient... Et vous le rejetez aussi en disant: Ça, ce n'est pas...
Finalement, nous, on trouve que c'est tout simplement théorique; on le
repousse et on veut autre chose. Mais, moi, j'aimerais y revenir à
ça.
M. Godbout (Claude): Je pourrais peut-être répondre.
Peut-être qu'on prête des intentions au rapport Arpin, et que le
rapport Arpin n'avait pas ces intentions-là, mais il demeure que, quand
on examine l'histoire des relations entre le ministère des Affaires
culturelles et le milieu du cinéma et de la télévision, la
plupart des politiques gouvernementales - et aussi bien celles du Parti
québécois que du Parti libéral; c'est une relation qui
s'étend sur pas loin de 30 années - se sont toutes
dirigées vers une forme de dirigisme, vers une forme de bureaucratie et
une forme de soutien assez paternaliste, finalement. Or, notre milieu a
évolué; notre milieu s'est ouvert sur le monde et, vous le savez
aussi bien que nous, les producteurs, comme les créateurs, ont
maintenant, je pense, la possibilité d'atteindre de nouveaux sommets et
une nouvelle
excellence. On n'a pas besoin d'une structure rigide, d'une structure
bureaucratique pour arriver à nos fins. On veut de l'aide, la plus
souple, la plus automatique possible et on veut réaliser
nous-mêmes nos objectifs.
Mme Frulla-Hébert: Je comprends ce que vous dites, et
plusieurs groupes nous disent ça et font la critique, évidemment,
de la relation avec les gouvernements, quel que soit le gouvernement. Mais,
encore là, quel que soit le gouvernement, la responsabilité,
c'est aussi de gérer des fonds publics. Et ce qu'on entend beaucoup, ce
qui ressort aussi beaucoup, c'est: Donnez-nous de l'argent et disparaissez.
Dans le fond, c'est ça. C'est très difficile dans un organisme
public. Au privé, on peut prendre ou faire ce choix-là, mais
quand on gère des fonds publics, donc de l'argent des taxes, quelque
part, il faut absolument avoir des rapports, aussi difficiles qu'ils soient,
mais des comptes rendus. Alors, comment fait-on pour combiner les deux? Vous
allez toujours avoir ça parce que, en bout de ligne, il y a toujours des
comptes rendus. Par exemple, si on aide un organisme, ça va bien la
première année et, la deuxième année, c'est un
déficit incroyable, eh bien, en bout de ligne, on est responsables et il
faut, finalement, fournir des explications. Donc, c'est ça qui...
Mme Richard (Lorraine): Si je peux me permettre de
répondre. Ce qu'on veut, en fait, c'est que la politique culturelle soit
plus dans une vision de stratégie globale d'une industrie culturelle.
Là, on est à l'heure du Marché commun qui est là,
avec une demande qui est là, et de plus en plus montante, de 125 000
heures de produit télévision. L'Europe est capable de
répondre à 20 % de ça. Donc, il faut que, nous, on ait, de
concert avec le gouvernement, des politiques qui soient d'action et qui aillent
plus dans ce sens-là. C'est un peu ce qui est dit dans le volet culturel
de la politique du ministère des Affaires internationales, qui est parue
il y a environ trois semaines. C'est plus dans ce sens-là, dans cette
vision-là.
Quand on parte de dirigisme, c'est parce que, souvent, on pense à
des lois qu'on met là pour aider l'industrie et, tranquillement,
ça devient du dirigisme. Si on prend le crédit d'impôt, par
exemple, auquel on demandait de couvrir toutes les formes de production, que ce
soit de la dramatique, du long métrage, du magazine ou de la
variété, c'est bien; ça respectait l'équilibre
d'une industrie qui est composée de tout ça. À partir du
moment où on dit à un secteur qui vit depuis 3 ou 4 ans à
faire du magazine et de la variété: Toi, tu n'en auras plus, de
crédit d'impôt; on donne ça uniquement à la fiction
et au documentaire; vous autres, on va vous faire un petit fonds
spécial, qu'est-ce qui va se passer? C'est évident que les gens
qui faisaient de la variété et du magazine vont se retourner et
vont vouloir faire de la fiction et du documentaire. Ça, c'est jouer
dans les plates-bandes de l'équilibre de cette industrie-là.
C'est toujours des "moves", comme on dit, qui se font dans ce sens-là,
et c'est très nuisible. Alors qu'on avait un volume extraordinaire de
production en 1989... là, c'est bien sûr, on subit les
contre-coups de la récession, comme tout le monde, mais c'est quand
même dramatique ce vers quoi on va. Radio-Québec, ses moyens, il
faut les indexer. Il faut qu'il respecte les 25 % de quota avec la production
indépendante; il n'a pas les moyens.
Mme Frulla-Hébert: Mais, vous êtes d'accord avec
nous, quand même. Pour avoir travaillé très fort auxdits
crédits d'impôt, autant au ministère des Communications
qu'au ministère des Affaires culturelles, il y a eu aussi des abus, ce
qui fait qu'on se retrouve dans des situations semblables. Vous pariiez d'aide
au niveau du Canada versus le Québec. Et j'ai fait sortir, quand
même... On attend beaucoup du milieu du cinéma, et avec raison.
Téléfilm est très présent dans le milieu du
cinéma, on l'avoue, on est d'accord avec ça. Mais on regarde
l'aide globale, au niveau de la SOGIC, incluant aussi l'abri fiscal - parce
qu'il ne faut quand même pas tasser l'abri fiscal; c'est de l'argent du
gouvernement, ça aussi - et l'aide globale totale du Québec,
c'est 42 400 000 $. Si on prend Téléfilm Canada qui, lui, a 44
500 000 $, mais l'abri fiscal a été considérablement
réduit - vous vous en souvenez - au niveau canadien, l'aide globale du
Canada, c'est 46 900 000 $, excepté que tout l'argent est
transféré au niveau de Téléfilm et non pas au
niveau du crédit d'impôt - ça, c'est un fait - versus la
SOGIC. Donc, ce sont deux façons de faire. En bout de ligne, il y a 4
000 000 $ de différence, alors, ce n'est pas énorme. À
entendre parler le milieu, c'est énorme. Ce n'est pas énorme, ce
sont deux façons de faire, par exemple. Alors, est-ce qu'il semblerait
que la façon dont Téléfilm fait... que la façon de
procéder, si on veut, du Canada est encore mieux que la façon de
procéder du Québec, compte tenu, finalement, des commentaires que
l'on a?
Mme Richard: Au niveau des chiffres, en tout cas, l'enveloppe
d'investissement dont dispose Téléfilm est largement
supérieure à celle de la SOGIC.
Mme Frulla-Hébert: Oui, absolument. Mme Richard: Je
suis d'accord.
Mme Frulla-Hébert: Absolument! Excepté que, nous...
Je veux entrer le crédit d'impôt.
Mme Richard: Le crédit d'impôt, il vient
d'être fait et, actuellement, selon les enquêtes
qu'on a faites, on arrive à peine à 12 000 000 $. Il reste
deux mois pour se rendre à 30 000 000 $. Vous voyez bien qu'on ne s'y
rendra pas. Il reste deux mois. Au mois de décembre, ça va faire
un an, le crédit d'impôt.
Mme Frulla-Hébert: Mais il est là pareil.
Mme Richard: Alors, il est là, mais... je veux dire, il
n'est là que s'il est dépensé. O. K.
Mais disons qu'il y a une possibilité de 30 000 000 $.
Mme Frulla-Hébert: Bien, oui.
Mme Richard: Ce n'est pas tellement la façon de faire,
c'est plus... Là, vous comparez deux agences culturelles. En fait, c'est
l'attitude de Téléfilm versus l'attitude de la SOGIC. C'est
beaucoup plus ça qui devient le débat, si on parle de l'attitude
des fonctionnaires qui sont en charge de ces agences-là. Mais il y a
aussi les règlements de ces agences-là. On ne change pas un
cheval borgne pour un cheval aveugle. Ça va donner la même
affaire. Il faut que les règlements soient assouplis. Des histoires de
plafond de 500 000 $ pour aller faire un emprunt sur un projet de 3 000 000 $
ou 4 000 000 $, c'est aberrant. Il faut que ça passe au Conseil du
trésor. Ça prend huit mois à bouger. Tout est à
réviser de fond en comble...
Mme Frulla-Hébert: Au niveau des règlements.
Mme Richard:... au niveau des règlements.
Mme Frulla-Hébert: Une autre question, parce que le temps
presse. Vous savez, quand on parle de politique de cinéma et de
télévision, bon, d'un côté, il faudrait d'abord voir
à ce que les deux soient intégrées. Nous, on a le
ministère des Affaires culturelles d'un côté, et le
ministère des Communications de l'autre; et ça s'adonne que je
connais quand même bien les deux. Mais, au niveau de votre
mémoire, vous dites: "Les limites posées à l'autonomie
administrative des sociétés parapubliques, la tendance au
rapatriement"... Bon. À un moment donné, vous dites que vous vous
sentez... Transférer la Direction des médias du ministère
des Communications aux Affaires culturelles nous inquiète, d'abord par
la méfiance instinctive à l'endroit de toute concentration
excessive de pouvoirs. " Vous êtes inquiets aussi de voir amener ou
ramener certains pouvoirs fédéraux, avec compensation, au niveau
provincial. Autrement dit, ce que vous nous dites, c'est que plus c'est
éclaté - et, d'un côté, administrativement parlant,
c'est difficile - mais plus, en bout de ligne, ça nous aide d'une
certaine façon parce qu'on peut cogner à plusieurs portes. Est-ce
que c'est ça? (16 heures)
M. Godbout: Ça peut être perçu comme
ça et je crois que c'est ça actuellement. Mais il y a
également la relation... Je reviens à la relation entre le
ministère des Affaires culturelles et le milieu de la production
indépendante. Il y a une crise de confiance. Je pense qu'on ne doit pas
se le cacher, et je pense qu'on en a déjà parlé sur
d'autres places publiques, mais on va le redire aujourd'hui. Il y a une crise
de confiance entre notre milieu, nos membres, et les politiques que le
gouvernement a mises de l'avant à travers, principalement, le
ministère des Affaires culturelles. On est tout à fait d'accord,
pour... Moi, je suis d'accord pour dire que le gouvernement du Québec
fait actuellement un effort majeur à travers le crédit
d'impôt et l'aide automatique, sauf que, administré par un
organisme qui se conçoit lui-même comme un organisme qui veut tout
diriger, le crédit d'impôt, qui est censé être une
aide automatique, qui est censé être un plan d'action
vis-à-vis des stratégies, ce plan d'action se trouve, d'une
certaine façon, relégué au deuxième plan, au
troisième plan, pour satisfaire les goûts et les besoins du
dirigisme de la SOGIC. Donc, moi, j'ai l'impression... Et quand on volt que la
SOGIC est nommément nommée dans le rapport Arpin pour être
l'outil, le bras du gouvernement, le bras financier pour aider notre milieu, le
problème de confiance dont je parlais, les antécédents de
la SOGIC avec notre milieu, ça nous rend très craintifs. Je pense
que c'est pour ça principalement qu'on retire notre appui à
certaines recommandations du rapport Arpin.
Mme Frulla-Hébert: Mais, il faut faire attention. Je
comprends les difficultés qu'on vit, mais il faut quand même
séparer les choses. Il y a quand même une structure
d'imposée. Nous, on fonctionne par un organisme soi-disant
indépendant. S'il faut changer la loi parce qu'elle a été
faite, bon, et elle doit être révisée, parfait. S'il y a
des changements majeurs à apporter au niveau de la fonction de faire, et
tout ça, je pense qu'en changeant la loi ça pourrait beaucoup
aider. C'est ce qu'on regarde et c'est ce qu'on a trouvé, parfait.
Excepté qu'il y a aussi deux façons de faire, c'est-à-dire
qu'il y a de l'aide aux projets, de l'aide aux entreprises par la SOGIC, et
l'abri fiscal versus un organisme-la façon de faire du
fédéral par un organisme, Téléfilm Canada, dont la
majorité des budgets sont là; petit peu à l'ONF, abri
fiscal tout petit. C'est deux façons de faire. Mais il faut quand
même dissocier. Il y a un organisme qui se devrait d'être "arm's
lenght", mais il est là. Cet organisme-là est là. Alors,
c'est parce qu'il faut faire attention aussi de ne pas mêler les choses
et ne pas brouiller le débat.
M. Godbout: Je ne crois pas qu'on brouille le débat. La
SOGIC est quand même mentionnée dans le rapport Arpin comme
l'outil dont le
gouvernement se servira pour établir, vis-à-vis de notre
milieu, entre autres, sa politique d'aide au cinéma et à la
télévision.
Mme Frulla-Hébert: Comme Téléfilm le serait
au Canada.
M. Godbout: Comme Téléfilm, et tout. Je ne crois
pas qu'on mêle les choses. Comme on le dit dans notre mémoire,
comme je le disais tout à l'heure, la tradition veut que, malgré
des ouvertures majeures du gouvernement du Québec au cours des
dernières années, ça s'est souvent traduit par une
bureaucratisation excessive, et nos... On peut aider les créateurs, et
je crois qu'on ne se prononce pas contre l'aide à la création.
Croyez-nous, on est d'accord pour que les gens fassent des premières
oeuvres et soient soutenus au moment où débute leur
carrière. Mais il demeure que des entreprises qui ont 20 ans, 25 ans, 30
ans d'existence, ces entreprises-là ne peuvent pas se satisfaire d'aide
à la création. Il faut aller plus loin, et donc avoir une
politique qui colle un peu mieux aux stratégies, aux besoins et à
la situation dans le milieu.
Le Président (M. Gobé): Merci, Mme la ministre. M.
le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques et porte-parole de
l'Opposition officielle en matière de culture, vous avez la parole.
M. Boulerice: Oui, Mme Baillargeon, Mme Richard, heureux de vous
revoir. M. Godbout, je crois que c'est la première fois que je vous vois
en commission, du moins, de mémoire, mais, enfin, j'en ai
peut-être manqué une. Si je vous ai bien compris, le dirigisme que
vous dénoncez là, et c'est sorti, n'est pas une imposition de
contenu qui a été faite, mais bien des choix au niveau des
secteurs à privilégier. C'est ça que vous avez dit. Bon,
ça me rassure, parce que je vous avoue que je commençais, comme
législateur, à culpabiliser énormément pour ce qui
est du dirigisme. Vous me dites qu'il n'est pas au niveau du contenu. Ça
me rassure. On ne sombre pas dans le vice du gouvernement fédéral
qui va vous faire remplir un petit questionnaire, en disant: Comment puis-je
vous aider à mieux répondre à l'unité canadienne?
Vous n'avez pas reçu ça encore? Vous allez l'avoir bientôt.
Puis, répondez bien parce que ça pourrait peut-être mettre
vos subventions en péril. Mais, naturellement, c'est
fédéral, ça; il n'y a jamais de dirigisme au
fédéral. C'est l'unité nationale. C'est bien
différent.
Est-ce que je vous comprends en disant qu'une bonne part de votre
méfiance à l'égard de la question du rapatriement
s'explique par le fait, justement, que les fonds rapatriés dans le
contexte actuel, pour le secteur du cinéma, seraient confiés
à la SOGIC dont, d'ailleurs, l'ensemble de votre secteur décrit,
avec une rare unanimité, l'incurie? Et je pense que le mot est faible
quand je dis "incurie".
Mme Baillargeon: Non. C'est plus que ça parce que
rapatrier les sommes d'argent actuelles qui sont versées en paiement de
transfert ou en financement sans pouvoir rapatrier toute une législation
qui entoure notre industrie et qui a des impacts directs sur notre industrie ne
nous aiderait pas, au bout du compte. Vous savez, dans notre industrie, on a
besoin de mesures qui concernent les douanes, pour la circulation de nos
productions à l'extérieur du pays et revenir avec ou, si on
tourne à l'extérieur du pays, on a besoin d'ententes
internationales et, si le gouvernement du Québec ne peut pas signer
d'ententes internationales parce qu'il n'a pas... On a besoin de mesures
législatives fiscales. C'est une industrie. Ce n'est pas seulement de
l'aide à la création. Et ce qu'on souhaiterait, c'est être
considérés de façon industrielle, au même titre que
M. Ciaccia parlait d'aider les industries au niveau international. On veut que
notre industrie puisse profiter d'une ouverture sur le monde et avoir une
souplesse également, par rapport à différents
critères d'aide, pour nous aider à sortir du Québec. Et ce
n'est pas qu'en rapatriant de l'argent qu'on va aider l'industrie. C'est
même très dangereux.
M. Boulerice: Rapatrier de l'argent et des pouvoirs.
Mme Baillargeon: Des pouvoirs, si c'est des pouvoirs
limités...
Mme Richard: Oui, mais pas "sectorielle-ment".
M. Boulerice: Mais des pouvoirs., c'est ça. Alors...
Mme Baillargeon: ...pas des pouvoirs sectoriels. Vous savez, la
culture ne veut pas être le cobaye dans un dossier de rapatriement pour
le Québec.
M. Boulerice: Bon, alors vous avez le mérite d'être
claire en nous disant qu'il n'y a pas de véritable rapatriement dans le
contexte actuel. Il n'y a que le contexte du Québec comme État
souverain, et le Canada qui est un État souverain, et qui feront bien
des accords entre eux, et avec tous les autres.
Mme Baillargeon: Ce n'est pas véritablement ce que j'ai
dit. Ce que j'ai dit, c'est qu'on ne veut pas que les dossiers culturels soient
rapatriés de façon exclusive, sans autre discussion et sans autre
discussion, bien sûr, constitutionnelle. On ne se prononce pas par
rapport à une souveraineté, par rapport à une
indépendance ou une association. Ce qu'on dit, c'est qu'on ne veut pas
que les dossiers culturels soient rapatriés de
façon sélective, seulement les dossiers culturels.
M. Boulerice: J'ai de la misère à vous suivre. Vous
dites que vous ne voulez pas que ce soient uniquement les dossiers culturels.
Vous voulez que ce soit, par exemple, le pouvoir de légiférer sur
les droits d'auteur, le droit de conclure...
Mme Baillargeon: On ne se prononce pas et nous ne nous sommes pas
prononcés comme association, c'est-à-dire que l'ensemble de nos
membres ne se sont pas prononcés sur le rapatriement ou non d'une partie
ou de l'ensemble de tous les pouvoirs possibles à un gouvernement au
Québec. C'est-à-dire qu'on n'a pas discuté d'une
souveraineté ou d'une indépendance. Ce qu'on dit: II y a une
proposition dans le rapport Arpin, qui est de rapatrier les dossiers culturels,
on dit non à ça. On dit que ça devrait faire partie de
toute négociation constitutionnelle, sans se prononcer sur la nature de
ces négociations-là.
M. Boulerice: Mais vous voulez quoi? Mme Baillargeon:
À propos de quoi? Des voix: Ha, ha, ha!
M. Boulerice: Bien, à propos du cinéma, voyons, et
de la télévision! Vous dites: Ça doit faire l'objet d'une
négociation, mais on ne vous dit pas ce que vous devrez
négocier.
Mme Baillargeon: Non, non. Ce qu'on dit, à propos du
cinéma, c'est qu'on veut, au Québec, une politique
concertée du cinéma et de la télévision. Ça,
c'est une chose.
M. Boulerice: Concertée avec vous ou avec le
fédéral?
Mme Baillargeon: Entre le cinéma et la
télévision, et concertée avec l'ensemble des
ministères du gouvernement du Québec.
M. Boulerice: O.K. Ça, j'achète ça.
Mme Baillargeon: Par rapport à la proposition du rapport
Arpin sur le rapatriement des dossiers culturels, ce n'est qu'une seule
proposition. On propose le rapatriement, et on dit non à cette
proposition-là. Mais ça n'implique pas tout le restant,
ça.
M. Boulerice: O.K. On remet les choses à l'endroit. Vous
dites que, pour ce qui est d'ici, vous êtes d'accord pour rapatrier, dans
le sens qu'il ne doit pas y avoir deux ministères, dans votre cas, il
doit n'y en avoir qu'un seul. C'est ça que je comprends?
Mme Baillargeon: Ce n'est pas ce qu'on dit.
M. Boulerice: C'est-à-dire que, cinéma et
télévision, pour vous, ce serait le même endroit.
Mme Baillargeon: Ce n'est pas ce qu'on dit. On dit: II ne devrait
y avoir qu'une seule politique, qui peut être gérée par six
ministères, à la limite. Je donne un chiffre hypothétique.
Mais on dit que ça devrait être une politique
intégrée, concertée. C'est-à-dire qu'on ne peut pas
parler et on ne souhaite pas parler différemment cinéma et,
ensuite, dans un autre temps, parler télévision. On dit que c'est
une seule Industrie au Québec, cinéma et
télévision, qui a des rapports avec le ministère des
Finances pour les lois fiscales, qui peut avoir des rapports avec le
ministère du Revenu, avec le ministère de l'Éducation,
lorsqu'on parle de formation, qui peut avoir des rapports avec le
ministère des Communications, de l'Industrie et du Commerce, des
Relations internationales. Ce sont plusieurs ministères, mais ça
ne devrait être qu'une seule politique qui s'appellerait "politique du
cinéma et de la télévision". Il ne devrait y avoir qu'un
seul organisme consultant sur cette polttique-là, et ça devrait
être l'Institut québécois du cinéma et de la
télévision, et non pas seulement l'Institut
québécois du cinéma.
Le Président (M. Gobé): Si vous pouviez conclure,
M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques, car le temps est
maintenant écoulé.
M. Boulerice: Je vous avoue que c'est difficile de conclure,
parce que le temps qu'on a...
Le Président (M. Gobé): Alors, les remercier.
M. Boulerice: ...ne permet pas beaucoup d'échanges dans le
secteur, surtout que vous êtes le groupe qui, actuellement, est sorti
peut-être le plus, et questionne le plus. Je peux comprendre, oui, qu'il
y ait une volonté d'avoir une loi-cadre, cesser de compartimenter et
vous la donner. Il y a toujours une interrelation entre différents
ministères, c'est un fait, mais ça ne relève toujours que
d'un seul ministère. Vous savez, la présence d'un attaché
culturel à la Délégation générale de Paris
relève du ministère des Affaires internationales. Il y a une
concertation avec le ministère des Affaires culturelles, mais ça
relève toujours d'un seul ministère. Et vous dites, vous: Notre
politique peut relever de six ministères en même temps, ça
n'a pas d'importance.
Le Président (M. Gobé): En conclusion, M. le
député. Malheureusement, c'est...
Mme Baillargeon: Je n'ai pas dit "relever".
Le Président (M. Gobé): ...tout le temps qui...
M. Boulerice: Ah! Donc, "relever"; vous seriez partisans que
ça relève, tout au moins, du Québec, une loi-cadre, et qui
relève d'un seul ministère qui, lui, fera bien la jonction avec
les autres...
Mme Baillargeon: Je pense...
M. Boulerice:... au bénéfice de l'application de la
loi.
Mme Baillargeon:... qu'il existe au Québec des
regroupements de ministères sur des dossiers qui se rassemblent. Je
pense que ça existe dans plusieurs secteurs, déjà, au
Québec, où II y a des concertations entre ministères. Si
je me souviens, il y avait autrefois ce qu'on appelait le CMPDC, où il y
avait cinq ou six ministères qui siégeaient sur des dossiers
communs. On ne dit pas: II ne faudrait qu'un seul ministère. Ce qu'on
dit, c'est qu'il faudrait qu'il y ait une concertation d'un ensemble de
ministères, peut-être sous la coordination d'un ministère
qui serait celui des Affaires culturelles.
Le Président (M. Gobé): Merci, Mme Baillargeon.
Merci, M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques. Mme la
ministre, un mot de remerciement?
Mme Frulla-Hébert: Merci, Mme Baillargeon. Effectivement,
il y a des occasions, telle la politique du ministère des Affaires
internationales, où on a beaucoup participé au niveau culturel.
Il y a des instances où on peut faire une concertation.
Évidemment, c'est toujours plus facile quand c'est regroupé sous
un même toit parce que, à ce moment-là, c'est pour faire
des politiques d'ensemble et c'est regroupé. En tout cas, je connais vos
problèmes, alors, je vous remercie d'être ici.
Le Président (M. Gobé): Merci, Mme la ministre.
Merci, Mme Baillargeon, Mme Richard et M. Godbout. Ceci met fin à votre
audition. Vous pouvez maintenant vous retirer. Au nom des membres de cette
commission, je tiens à vous remercier.
Je vais maintenant appeler le groupe suivant afin qu'il prenne place, et
c'est les représentants du groupe Black Theatre Workshop of
Montréal.
Je vais suspendre la commission pour une minute, le temps que cette
installation se fasse.
(Suspension de la séance à 16 h 16)
(Reprise à 16 h 17)
Le Président (M. Gobé): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Nous reprenons les audiences. Il nous fait plaisir d'accueillir le Black
Theatre Workshop of
Montréal, représenté par M. Clarence S. Bayne.
Bonjour monsieur.
The Black Theatre Workshop of Montréal
M. Bayne (Clarence S. ): Hello. I would like to beg your
indulgence to make my presentation in English and, in saying that, I would like
to just give the context. The context is this: I am a person of African
descent. I was born in Trinidad, of African parentage. I cannot remember what
my language was. I was colonized by the British. I have managed to express
myself most comfortably in English. I do speak some French, but not good enough
for this level of communication, so I will ask your indulgence.
I do not express so much myself here, as I have tried to capture what I
believe is the feeling of people in the Black community and, having read the
Arpin Report, these are some of the feelings that we get. We are very happy to
see that the report pins its analysis on the social and political philosophy
that underwrites articles 22 and 27 of the Universal Declaration of Human
Rights. It is also very comforting to us that, in a general sense, the report
acknowledges that all Quebeckers have a fundamental right to have access to the
cultural life of Québec and, in this sense, that no particular group
should benefit more than the other.
What is disturbing to us, however, is that, while the report speaks of
the necessity to create a national culture, it makes no attempt to emphasize
that culture must embrace all the cultures that make up the Québec
society, i. e. it is not specific and it has been pointed in this issue. We, as
a minority, get the impression that we are to be merely facilitators or
consumers of a culture which is essentially "québécoise", but
which does not really permit us to be involved in the process of creating that
culture. We feel that too much is left to the discretion, or that too much
would be left to the discretion, of Government agencies and civil servants, if
the regulation that follows on this report is not more particular and does not
take explicitly into consideration the role that minorities should, could and,
we believe, must play. We have a feeling that what is lost in the analysis is
the principle that to be "Maîtres chez nous" carries with it the awesome
responsibility of shaping a national culture that embraces all of us, and in
which we are all equal, welcome and comfortable.
So our response, therefore, is against this sense of alienation that we
feel when we read the report. In Montréal, in spite of the tug and pull
of politics and the risks associated with the English-French struggle, cultural
pluralism has created its own cultural process that, we believe, serves as a
possible model that we can follow in articulating a "proposition de la culture
et des arts".
The spirit of this evolution of uniqueness that is Montréal was
recently expressed by the Mayor Jean Doré in a memoir which he sent off,
I believe, through one of these hearings and in that he says: "La
présence de ces quelque 80 communautés qui se rassemblent dans
notre ville y crée une ambiance et une animation qui ne se retrouvent
nulle part ailleurs au Québec. Les commerces d'alimentation ethniques y
côtoient des dépanneurs tandis que les librairies des
communautés culturelles voisinent des boutiques d'importation de
vêtements ou de produits culturels de tous les horizons. Les
établissements religieux de Montréal comprennent des
églises, des synagogues, des mosquées et des temples. Les tables
qu'offrent les restaurants montréalais composent collectivement le plus
grand atlas culinaire offert aux Québécois, et l'un des meilleurs
du continent. Dans la cour des écoles de nos quartiers, on peut voir des
enfants de toutes les races et entendre tous les accents. Les samedis de
printemps, au Jardin botanique de Montréal, les séances de
photographie des nouveaux mariés de toutes origines se succèdent
à un rythme effréné, pendant que des familles immigrantes
venues du Sud en profitent pour prendre l'air après leur premier - et
leur plus dur - hiver québécois. "
We believe that the emergence of such a unique cultural milieu, such an
international cultural milieu, is an heritage that belongs to all the peoples
of Montréal and Québec, and should be recognized as such In any
"proposition de la culture et des arts" for Québec. It is a creation
resulting from the give and take of many different peoples and cultures living
and working together, and sharing a common space free and in dignity. It is a
gift to Québec and Canada of the free dynamic expression of an
experiment in pluralism. It must be fostered and encouraged for the world to
see and come to enjoy. All the parts that make it up must be nurtured and all
the cultures clearly identified and promoted. The rewards to Montréal
and Québec can be immense, in terms of the pure joy and improved quality
of life it brings to Quebeckers. It also has economic advantages, in the sense
that it can give Montréal the edge in the competition among cities for
tourist dollars. It translates into employment for our artists and sustained
growth in the cultural industries. We feel that there is a need for affirmative
action in any politic of arts and culture for Québec.
While Québec must pursue a destiny that is predominantly French
in its North American context, it must, at the same time, consciously encourage
and integrate into that distinctiveness the artistic expressions and
contributions of the many minority cultures in its midst. It must do this, or
declare itself as pursuing a policy of assimilation of minorities and future
immigrants, in so doing, it will then give members of all non-Francophone
cultural communities the opportunity to make a clear choice between complete
social slavery and cultural dependency on one hand, and freedom through their
own artistic and cultural forms of expression on the other.
But, at least, the choice would be clear. We however do not believe that
Québec is interested in setting up a system of cultural imperialism. And
we also believe that it is an intention of the Arpin Report to avoid such
structures. If we are correct in making the latter assumption, that is the
assumption that what we want is a pluralistic society out of which emerges a
"culture québécoise unique", so to speak tied together by the
French language, customs and laws, if we are correct in thinking that this is
what Québec wants, then Government interventions into the arts must
have, as part of its purpose, to act to ensure that there is racial equality in
the arts. We point to the fact that, after more than 50 years of managing
Canada's artistic community, the Conseil des Arts du Canada saw fit to set up a
Comité consultatif pour l'égalité raciale dans les arts,
to address a number of issues and problems which limit access of visible and
other minorities to the enjoyment and ressources of the development of the
arts. The Committee dealt with matters relating to the forms of communication,
representation on juries, the Council's lack of knowledge of non-western art
forms, systemic racism in the selection process, the discriminatory biases in
the Council's definition of "professionalism" for purposes of funding. The
conditions and circumstances which lead to the exclusion of the visible
minority artist from the arts at the national level are the same in
Québec; at least, that is what we feel.
To ensure justice and equality In the arts and culture, at least In the
access to the arts and culture as well as participation in the development of
arts and culture, a proposition of culture and arts must give special
consideration to artists and arts Institutions in visible minority communities.
La politique de la culture et des arts must build into its policies a plan of
affirmative action for visible minorities combined with a long term plan of
artistic development which targets minority communities. Am I still in time? I
am O. K. ?
Le Président (M. Gobé): Yes, you finish. M.
Bayne: You do not... Oh! You mean I...
Le Président (M. Gobé): O. K. You have two more
minutes...
M. Bayne: Two more minutes, yes.
Le Président (M. Gobé):... to make the conclusion,
please. (16 h 30)
M. Bayne: We do not mean that support for the arts must become a
political game where any Black person or English-speaking person regardless of
his or her creative ability has a legislative right to funding by the
government. But what we do strongly advocate is that special consideration be
given to: first of all, minority communities where artistic expression and
institutions have been suppressed because of systemic biases in the
distributive criteria used by public and private sector funding agencies - I
will just give the second case and close there - and secondly, communities that
lack the economic power and infrastructure or where the size of its artistic
institutions is so small that It cannot effectively compete for resources in
the private sector. We believe that these are two sets of principles that any
proposition should take seriously into consideration when putting the minority
communities into the perspective of those policies. Thank you.
Le Président (M. Gobé): Thank you, Mr. Bayne. Je
vais maintenant passer la parole à Mme la ministre des Affaires
culturelles.
Mme Frulla-Hébert: Thank you, Mr. Bayne. Votre
mémoire est un vibrant témoignage et plaidoyer, plutôt, de
la place de la communauté noire anglophone au sein de la
société québécoise. Do you want me to speak in
English or in French?
M. Bayne: In English, thank you.
Mme Frulla-Hébert: In English? O. K. What we have read is
a strong statement for the place of the Black Anglophone community within our
cultural community. We strongly agree on that. I would like to come back and
talk to you about the way we function, and, in that way, in parallel to your
needs.
You are saying, for example, that in Montréal specifically where
the community - I would say - majority lives... You are talking about the
importance of those festivals, let us say, for the cultural emulation,
integration of the community. For you, what is the role of the provincial
government and also the municipal government and their specific
responsibilities? If you look at the ministère des Affaires culturelles,
our ministry, it is equal for everybody. We sponsor, we give subventions only
to professional artists because we do not do any community or any of what we
call leisure. It is only for professional artists. So, we limit, because our
budget is limited too, you know. Our intervention is limited to professional
artists. What should be the role of the provincial and the municipal
governments, and also the community in itself?
M. Bayne: We have no problem with the provincial government,
especially the funding agencies that deal primarily with professional artists.
We have no problem with this being the criteria. The problem we have, though,
is, once you have decided that you will only deal with professional artists,
that the definition of professionalism be such that it does not exclude
minority professionals, that your criteria take into consideration that
minority communities of more recent... that have been disadvantaged
economically and otherwise over a large number of years that are not empowered
to, say, lobby you effectively for change should be given some special
consideration and assistance.
Perhaps the role would be to enter into a sort of partnership in which
your role is to move those professional organizations along a development
route; one of development as opposed to saying: Well, put your application in.
If it is as competitive and if you are as competitive as any of the large
mainstream organizations, then we will see what happens. They will never, ever
be. When the majority mainstream culture moves to assert itself, it is an
incredible machinery. It is a network of friends and families, and exchanges
that is extremely difficult for minority communities to get access to. And so,
I think those communities need help. You do not have to drop the requirement of
professionalism, but they need help to be able to compete on an equal
basis.
Mme Frulla-Hébert: If I hear what you are saying, it is
that we have norms of course and what you would like is: Yes for norms, yes to
subventions for the professional side, yes to excellence, because that
is...
M. Bayne: That is right.
Mme Frulla-Hébert:... what we strive for is quality and
excellence.
M. Bayne: Well, no artist would have anything less.
Mme Frulla-Hébert: Exactly. But, having norms
tailored...
M. Bayne: Yes.
Mme Frulla-Hébert:... more specifically to your
problem...
M. Bayne: Right because... Getting access to resources requires
more than excellence in terms of the art. The performance is the end result of
access to resources. The problem that minority groups have is being able to set
up the kind of administrative structures to get access to those resources. They
also, perhaps, need more assistance in terms of audience developement funding
because of this particular kind of difficulties that they have. Usually, people
that are seen as
patrons of the art are well-educated people, people who probably have
been living In the community for a long time, people who have some sense of
belonging to the society and that have a commitment or feel they are a part of
what is going on, or feel that they are part of the decision, they can process
and that they are helping to shape the culture in society. This is certainly
not true of minority communities. So, one has to...
There are a lot of other things, variables that have to change. In the
schools, for instance, they are not exposed to... They tend to be alienated,
rather, from literature, a literature that does not include them. So, if the
Black Theatre Workshop is trying to develop an audience, it has to do two
things: First, it has to go to the schools where it can reach students - both
White, Black and other students - by their being continuously exposed at an
early age, which is a very important thing in the arts, to these kinds of
cultural activities. Later on, at maturity, at a more mature age, they
continue. They become patrons.
What happens to our children in the school system is that they are
turned off because they are fed literature and they are fed an experience with
which they cannot really identify in an emotional sense. So, they learn how to
pass exams, but they do not learn how to develop emotionally and culturally,
and that is what we have to do; we have to work at both ends. So, naturally, we
need more assistance in order to do the school tour and to do the kind of
training on development of audience to create those exposures necessary to
create the good arts patron later on. Whereas, in the mainstream society, I
know that we are having problems there are too, but it is not quite as
serious.
Mme Frulla-Hébert: How do you see the role we have? Our
Ministry of Cultural Communities, for example, has a specific mandate of
helping cultural communities and also our ministry has a specific mandate of
developing professional artists. It does not matter whether they be Anglophone,
Francophone, Italian or whatever. It does not matter. But, should the two
interrelate in that specific case?
M. Bayne: Definitely. What they should not do is what tends to
happen now. The Cultural Communities and Immigration... When your grants start
getting better at the ministère des Affaires, secteur du
théâtre, at that level... When your status rises there, to some
extent, they cut off their grants that they were giving to you. So, what they
are doing, really, is cutting the grants off that you use for audience
development, i. e., going to the schools and going out in the community and
showing people what art is all about, what the theatre is all about. Well, that
is what they cut.
So, it cannot be a seesaw arrangement. It must be a collaborated
arrangement in the sense that if the ministère des Affaires culturelles,
secteur du théâtre la direction des arts et lettres begins to
recognize that a group's professionalism merits its being given more funding,
it must at the same time try to convince the Ministry of Cultural Communities
and Immigration that they should not cut their funding. What happens is you get
$ 40 000 from one and you lose $ 20 000 from the other. So you are really 20
000 $ back. So, yes, there should be more coordination and there must be
coordination along a plan of action. That is why I say that there must be some
strategy, some development plan for this particular group. And all the
ministries, or at least those that would or should be involved, should be in
contact with each other so that they follow the development of that group or
that community.
Le Président (M. Gobé): Thank you, sir. M. le
député de Sainte-Marie-Saint-Jacques, vous avez la parole
aussi.
M. Boulerice: Yes, Dr. Bayne, Mr. Antoine. Dr. Bayne, you refer
to yourself as being from Trinidad. I had the pleasure a few months ago to
address the Trinidad and Tobago Association, which was quite an experience for
me. I really enjoyed it.
M. Bayne: A good experience, I hope?
M. Boulerice: It was a good experience and I got a beautiful gift
after. Ha, ha, ha! It is a little steel band, not a real one, but a replica. My
first question... First, I have to be honest with myself. You have used the
words "cultural imperialism'1 in your text. Dr. Bayne, part of my
academic and a very special personal interest was into psycholinguistics. So, I
know the value of words. I do not think it was accurate to have that word in
the text.
M. Bayne: How did you take it? Let me see... In what context?
M. Boulerice: I take it badly. I am not sure it is your
intention. I happened to be at that conference along with my assistant... We
get along quite well...
M. Bayne: O. K. Let me put you at ease...
M. Boulerice: Just get me the example... and I have suffered from
it. As far as yesterday, someone came in and he said: Stalin created a state
culture, but he looked at us and he said: But I am sure it is not your
intention. But the words were pronounced, Dr. Bayne. So, could we say, for the
benefit of the transcription, that the word "imperialism" is erased and, after
that,
I will go along with my questionnaire? It is because it is dangerous.
(16 h 45)
M. Bayne: It was not my intention to accuse you of being a
cultural imperialist by intention, but rather to advise that there are those of
us out there who are insecure and who are scared and afraid and who feel that
sometimes, because they are not artists, what they want or how they feel,
unless you specifically take them into consideration, they may feel that this
is your intention. Now, I would put you at ease by removing the term. But I do
not want you to miss the point, because I am not speaking for myself here.
M. Boulerice: Well, that is a different subject. I mean, we could
go along saying that everyone of us, one day, on one aspect, is a minority. So,
I will say that there is no intention, but rights are rights and it is very
fragile in every country in the world.
M. Bayne: I think so. What I am really saying is that the Arpin
Report is beautiful in terms of its vision. Of course, there are many problems,
several problems, but, when we read it, we just could not find any reference to
ourselves. We did not think that that was the reaction that the committee that
read it had. I mean, as an educated person, I know intellectually what articles
22 and 27 mean and I can see throughout the report references that you make and
I know in my interaction with the ministre des Affaires culturelles and many
officers that interact with us that certainly, it is not the intention of the
Québec Government to put into place any sort of cultural and imperialist
policies. Certainly, I understand that. But I must convey to you, sir, as to
how people who do not have the benefit of my education and my interaction feel.
I will show them and I have. And they can see from the sorts of developments
that have taken place with the government over a period of time that this is
not what is intended. I am simply saying that what we would like to see is that
you explicitly include us, make reference to us, say that this thing also
applies to us. Put us at ease.
M. Boulerice: Yes. Now, I do understand your point of view and it
is always the dilemma. If you go to the specification, you say: Well, my thing
is going to be very, very long.
M. Bayne: Yes.
M. Boulerice: But, if you do not do it, I might feel I am
excluded. You may feel that you are excluded. But I mean I have been very tough
on the Arpin Report, very tough. Up to a point that the minister, one time, was
angry with me, but I know - and she is still a little, but anyway - the people
that sat and worked at the rapport Arpin and please, Dr. Bayne, perish the
thought, none of them wanted to exclude. So, we are going to put an end to that
and maybe start that again one day with a cup of coffee instead and somewhere
else.
M. Bayne: Yes.
M. Boulerice: Is the Black Theatre Workshop of Montréal
getting grants from the Ministries of Cultural Affairs and the Cultural
Communities?
M. Bayne: We are getting grants from the ministère des
Affaires culturelles; no grants from the Ministry of Cultural Communities and
Immigration.
M. Boulerice: Great.
M. Bayne: That has been stopped. The moment that they heard that
we had gotten a significant increase in the grant from the ministère des
Affaires culturelles, they cut their grants to us.
M. Boulerice: Yes, but in a way, I might surprise you, but I am
glad that you have no more grants from the Cultural Communities.
M. Bayne: Well...
M. Boulerice: Because, to my standards, your are part of the
Québec culture.
M. Bayne: In one sense, yes. What it means is that, from the
professional point of view, we are moving along a path which, at least, as you
say, makes us a part of the Québec culture. But, from a point of view...
In another sense, we still, as I say, need assistance in terms of audience
development. The grant we are getting from the ministère des Affaires
culturelles is not sufficient to give us all the infrastructure... to finance
the old infrastructure necessary to sustain that development.
So, we still need support, let us say, to go to the schools. We need
funding from... What I am trying to say... Let us generalize, not just talk
about the Black Theatre Workshop. I am saying that, in most minority
communities, the small company, be it in dance or theatre or whatever, will
need different categories of funding from different government agencies. And I
think that, yes, no funding from Cultural Communities and Immigration, in a
sense, indicates that we are no longer just immigrants...
M. Boulerice: Yes.
M. Bayne:... but that we are really integrated into the fabric.
But, we look at it from a
more practical point of view. We look at it from what the funds can buy
us, not what the symbolism of the agency Implies.
M. Boulerice: O. K. so what you are telling us, Dr. Bayne, is
that there are some programs that do not exist and that would be very useful
for you. For example, there are grants, if you want to make market
research...
M. Bayne: Right.
M. Boulerice:... if you are coming from a far removed region of
Québec. But if there is one for them, well, we could have one referring
to, what could be the prospective for, the theater market for Black theater. I
do not...
M. Bayne: Oh yes. This does not have to be just Black theater. It
could be... It need not necessarily be unique to the Black Theater. In any
minority community where you... or even in the mainstream communities where you
have very small theater companies, for instance, that are evolving towards a
state where they cannot sustain their own growth from one ministry's funding,
the ministry cannot - it seems to me that I am, herein, giving the conditions
of funding - and they will not say: Give us the $ 200 000 that we need now. So
we have to get it from several ministries and from box office. But box office
becomes a problem because we are at a stage where we are still working on the
development of audiences. Working on the development of audiences is part of
the economic and social location of that minority group, i. e., the Black
community in Québec or it could be Toronto, or Vancouver.
So, what I think that has been lacking among the funding agencies is a
clear understanding of the phases of development that affect any group,
especially groups within minority communities. I think it is important to
understand clearly the phases, the stages through which these groups go and
what specifically is needed at different phases. I must admit, however, that we
have been working over the last four years with the ministère des
Affaires culturelles through an agent that has been seen... a liaison person
who has been very effective in communicating both ways and making it possible
for this kind of a partnership to have developed which has helped us
considerably. I think that this is the sort of thing that needs to happen more
frequently.
M. Boulerice: O. K. What you are asking Is not exclusively more
money. Well, of course, you will not refuse...
M. Bayne: Of course not.
M. Boulerice:... if we give you some more.
Ha, ha, ha! But you are not specifically asking for that. What you are
saying is that there are not enough programs of assistance to help you to give
probably more performances or to be more up-to-date...
M. Bayne: Yes.
M. Boulerice:... or may be going into... There is an evolution
Into the drama...
M. Bayne: Right. Or carrying out market research in order to
develop strategies...
M. Boulerice: Strategies, yes.
M. Bayne:... for resolving audience development problems, and so
on.
M. Boulerice: And your writing, because...
M. Bayne: For instance, one of the problems... We have done a
market survey which indicates that a lot of our audience would like to see
plays, not from the United States Black community but plays written about the
experiences of Blacks in the Québec context or in the Canadian context.
To do that you have to have playwrights. To have playwrights, you have to
develop them. To do new plays you have to take risks. Taking risks means being
killed by critics and still having enough funding to do the next play.
So it really calls for a very careful development plan where the funding
agency must very clearly understand all the problems involved and must be
working with that organization. Very often in the past - not now, I must admit
that - what it has been is: Well, we will give you $ 10 000 and come back next
year and we will see what happens. What we have been saying is: No, we do not
want $ 10 000, we do not even want $ 40 000 under those conditions. What we
want is your cooperation, collaboration, your partnership with us, in addition
to the funds that you give. We want you to be involved in helping us to move
along and to react to us so we can talk to you, communicate with you, tell you
what our problems are and try to work it out with you. That is what has
happened over the last three years. Everything is not as dreary as my writing
sounds, but we have had that kind of experience with the Ministry of Cultural
Affairs over the last three years.
Le Président (M. Gobé): En conclusion, M. le
député.
M. Boulerice: The Chairman is playing bad guy...
Le Président (M. Gobé): No, I am not a bank.
M. Boulerice: There is no more time for the three of you. So,
let's fix a date for our next meeting. Thank you, Dr. Bayne and Mr. Antoine,
for coming today.
M. Bayne: Thank you very much.
Le Président (M. Gobé): Mme la ministre, un mot de
remerciement.
Mme Frulla-Hébert: Merci beaucoup. You are saying that the
relationship with the ministry - and I was talking to my deputy minister also -
is working quite well. We will try to see what we can do, not only within the
cultural policies, but also within the programs and within the ministère
des Communautés culturelles also. We know that sometimes they take the
development, it is true, up to a certain level - because they are limited also
budget-wise - and they stop because they think that communities can assume
themselves up to a certain point. I think that they need more support.
So...
M. Bayne: Yes. Once you have policies that articulate this kind
of arrangement, it makes it easier for the civil servant to operate. Sometimes
you have generalized policies, but civil servants still continue to use the
forms that they have been using for the last ten years, so the policies don't
get translated. They get translated into the forms that they have in front of
them.
Le Président (M. Gobé): Mr. Bayne, Mr. Antoine,
thank you for coming.
M. Bayne: Thank you.
Le Président (M. Gobé): Thank you very much. Je
vais maintenant appeler le groupe suivant, soit les représentants de la
compagnie Hydro-Québec. Si vous voulez bien prendre place en avant.
La commission reprend maintenant ses auditions. Il nous fait plaisir de
vous accueillir. Si je comprends bien, accueillons M. Jacques Duguay,
vice-président, communications et relations publiques - bonjour,
monsieur - ainsi que M. Daniel N. Granger...
M. Duguay (Jacques): Non. Je me suis fait accompagner par mon
vénérable collègue aujourd'hui, M. Jean Bernier, qui est
secrétaire général d'Hydro.
Le Président (M. Gobé): Bonjour, M. Bernier. Il
nous fait plaisir de vous accueillir et nous faisons le changement de nom sur
nos feuilles. Vous pouvez maintenant commencer votre présentation sans
plus attendre. (17 heures)
Hydro-Québec
M. Duguay: Je voudrais d'abord vous remercier de nous entendre
aujourd'hui et je voudrais débuter par un message du président
d'Hydro-Québec, M. Richard Drouin, qui s'excuse de ne pas être ici
présent aujourd'hui. Il aurait bien aimé présenter
lui-même ce mémoire, mais il a dû pour des circonstances
incontrôlables nous déléguer, Jean Bernier et moi.
Le Président (M. Gobé): Soyez assuré que
nous le regrettons.
M. Duguay: Merci. La lecture attentive de la proposition de
politique de la culture et des arts préparée à la demande
de la ministre des Affaires culturelles fournit déjà une
première réponse à la question suivante,
c'est-à-dire, par la définition large et généreuse
de la culture sur laquelle repose l'ensemble du document, ce rapport
suggère que la culture n'est plus une dimension du développement
qui n'intéresse qu'une faible partie de la population. Dès les
premières pages du document, on peut lire en effet: "La présente
proposition ne vise donc rien de moins que d'accorder à la culture une
place tout aussi importante que le social et l'économique à la
table des grandes décisions qui modèlent le Québec et qui
définissent les conditions de vie et de bonheur de ses citoyens."
Une telle approche ne saurait laisser indifférents ceux et celles
qui assument des responsabilités importantes dans le
développement du Québec, à quelque titre que ce soit. Tous
conviendront qu'Hydro-Québec et sa direction sont de ceux-là. Il
est donc tout à fait normal que nous exprimions notre
intérêt pour les travaux de cette commission, lesquels
précèdent l'énoncé gouvernemental de politique
culturelle.
Une deuxième raison nous a incités à nous
présenter devant cette commission. C'est le fait que la proposition de
politique définit une place spécifique dans notre
développement culturel, non seulement comme il se doit au monde des
arts, de l'éducation et des communications, mais également au
milieu des affaires et au secteur de l'entreprise privée. Il s'agit
là d'une démarche d'autant plus pertinente, je le souligne,
qu'une entreprise comme Hydro-Québec, par exemple, rendre des services
multiples au secteur culturel, des services dont une large part est souvent
invisible, mais néanmoins fort importante.
Certes, il ne nous appartient pas de commenter l'ensemble des points de
vue du document qui est soumis à l'examen de cette commission. D'autres
intervenants engagés plus directement dans les domaines de la
création ou de la diffusion de la culture le feront avec
compétence et, nous en sommes persuadés, avec foi et
enthousiasme. Notre propos se limitera donc plutôt à rappeler les
principes qui fondent l'intervention d'Hydro-Québec dans les
domaines
social et culturel, à brosser à grands traits
un tableau de la participation sociale d'Hydro-Québec, plus
particulièrement de sa contribution au monde de la culture et des arts,
et, enfin, d'aborder quelques points de vue qui présentent un
intérêt particulier pour notre entreprise.
À propos de l'engagement social
d'Hydro-Québec, d'entrée de jeu il nous apparaît important
de répondre à une question qui se pose spontanément
à propos de l'engagement social d'Hydro-Québec. Est-il pertinent
qu'une entreprise publique comme la nôtre alloue une portion de ses
revenus nets au soutien de la culture et des arts et à des oeuvres
philanthropiques? Un premier élément de réponse à
cette question réside dans l'enracinement de l'entreprise dans son
milieu, tant il est vrai que depuis près d'un demi-siècle son
histoire se confond avec celle du Québec tout entier. Présente
dans toutes les régions du Québec depuis le début des
années soixante, Hydro-Québec a été amenée
à développer des liens de confiance et de solidarité avec
toute les populations locales. Très souvent, elle a dû jouer un
rôle de leader, incitant par son exemple de nombreuses entreprises
québécoises à soutenir les organismes culturels ou les
oeuvres philanthropiques du milieu.
L'engagement social d'Hydro-Québec c'est aussi un
prolongement naturel à la contribution originale et
généreuse de ses 20 000 employés, qu'ils apportent, de
multiples façons, à tous les aspects de la vie sociale et
culturelle du Québec. Le réservoir de ressources humaines
d'Hydro-Québec constitue, à cet égard - nous pourrions
vous en fournir maints exemples - un milieu exceptionnellement ouvert à
toutes les manifestations de la créativité, aussi bien dans le
domaine scientifique que dans celui des arts et des lettres. Les
employés représentent pour l'entreprise, comme pour l'ensemble de
la société, des diffuseurs et des promoteurs par excellence de
toutes les formes d'expression de la culture.
En définitive, l'engagement social
d'Hydro-Québec, c'est l'attitude d'un citoyen corporatif responsable,
attentif aux besoins de la société dans laquelle il exerce
quotidiennement ses activités et soucieux d'apporter une contribution
significative à l'essor de la collectivité tant sur le plan
culturel que sur les plans économique et social. En constante
interraction avec tous les éléments de la société,
une entreprise d'envergure comme Hydro-Québec ne saurait s'enfermer dans
une tour d'ivoire et faire la sourde oreille aux besoins qui émanent des
organismes sociaux, humanitaires, éducatifs et culturels du milieu.
L'entreprise possède une longue tradition de
participation à la vie culturelle du Québec et Je voudrais
profiter de cette occasion pour en rappeler brièvement quelques traits
caractéristiques. Les contributions d'Hydro-Québec au secteur de
la culture comprennent à la fois le support financier, discret mais
continu, à des centaines de créateurs, troupes de
théâtre ou de danse, à des orchestres, etc., mais aussi le
parrainage des grandes manifestations culturelles qui ont marqué sa
présence à des événements majeurs, tels qu'Expo 67
ou l'Exposition universelle de Vancouver, ou qui sont venues
périodiquement souligner, aux publics d'ici et d'ailleurs, les grandes
premières qu'ont représentées les mises en service des
centrales hydroélectriques de la Côte-Nord ou de la Baie James.
Chacun de ces événements fut l'occasion de démontrer que
l'innovation technologique et la création artistique présentent
des liens de parenté fort étroits.
Les interventions d'Hydro-Québec ont
bénéficié aux formes les plus variées d'expression
culturelle, que ce soit la musique, le cinéma, la danse, le
théâtre, les métiers d'art, la peinture et on pourrait en
nommer d'autres sans oublier l'appui aux organismes tels que les musées
dont la mission est de veiller à la protection de notre patrimoine ou
à la préservation de nos acquis culturels. Les stratégies
d'intervention d'Hydro-Québec ont emprunté les voies les plus
diverses: dons à titre gracieux, commandites, subventions
réparties sur plusieurs années, prêts de personnel, de
locaux ou d'équipement, dons de services, achat de billets ou
d'abonnements, etc.
Hydro-Québec n'a pas hésité, à
l'occasion, à soutenir des initiatives de création artistique
à plus haut risque dont certaines ont été
couronnées de succès alors que d'autres, tout au moins sur le
plan de la rentabilité immédiate, se sont avérées
des demi-succès ou même des échecs. Mais la création
artistique comporte des dimensions plus larges que la seule rentabilité
immédiate et chaque expérience s'accompagne d'un processus
d'apprentissage qui contient le germe d'un enrichissement collectif parfois
Insoupçonné.
Enfin, dans le but de donner une réponse
équitable et aussi prompte que possible aux demandes sans cesse
croissantes de contributions financières reçues à chaque
armée par HydroQuébec, notre entreprise a confié à
un comité de participation sociale, présidé Ici par M.
Jean Bernier, le soin d'analyser ces demandes et d'orchestrer toutes les
interventions d'Hydro-Québec dans les domaines social et culturel. Les
activités de ce comité étant clairement décrites
à la deuxième section de notre mémoire, on me permettra,
M. le Président, de réserver les dernières minutes de
notre intervention à attirer l'attention des membres de la commission
sur quelques aspects de la proposition de politique de la culture et des arts
qui ont soulevé notre intérêt de façon plus
particulière.
Je voudrais souligner que votre proposition ne fait
nullement mention de la culture scientifique et technique. À titre
d'entreprise qui s'appuie largement sur le savoir-faire scientifique et
technique, sur la connaissance et l'esprit d'innovation dans ces domaines,
Hydro-Québec ne saurait trop insister pour que la future politique
culturelle du Québec fasse une place congrue à la culture
scientifique. Ce faisant, la politique culturelle donnerait un nouvel
élan à l'Intérêt pour les sciences qui
s'éveille à peine au Québec et qui, pourtant, revêt
une importance primordiale pour une société qui entend participer
de plein titre au grands courants industriels qui caractérisent cette
fin de millénaire et qui s'appuient sur la haute technologie.
Malgré des moyens limités, le ministère de
l'Enseignement supérieur et de la Science - on doit le souligner - a
multiplié ces dernières années les initiatives à
cet égard comme, par exemple, le soutien aux activités
d'animation et d'initiation, de soutien aux revues scientifiques, aux
expositions scientifiques et techniques, aux salons et aux expositions pour les
jeunes, la tenue de congrès, le développement d'émissions
de télévision, etc.
Hydro-Québec a contribué aussi, à sa
manière, à cultiver cet engouement pour les sciences tant chez
les jeunes que dans le grand public: la participation à l'exposition sur
l'électricité organisée par le Musée de la
civilisation; les visites guidées de nos centrales qui attirent chaque
année plus de 140 000 visiteurs; les journées portes ouvertes
à l'Institut de recherche scientifique, etc.
Culture et science doivent donc interagir avec force afin de
créer un climat propice à l'innovation technologique et au
progrès économique qui ne peut manquer éventuellement d'en
découler. Hydro-Québec souhaite vivement que la politique
culturelle du Québec reconnaisse cette réalité.
Comme toutes les grandes entreprises, Hydro-Québec est
sollicitée bien au-delà de ses capacités
financières. Ce serait entretenir une grave illusion que de laisser
croire qu'elle peut consacrer des sommes de plus en plus considérables
au soutien de la culture et des arts. Ce serait aussi oublier qu'elle doit
constamment maintenir un équilibre entre son obligation de gérer
prudemment des fonds publics et ses responsabilités de citoyen
corporatif engagé et attentif aux besoins de la
société.
Au chapitre des accents particuliers à privilégier,
Hydro-Québec retient en tête de liste l'objectif de favoriser la
visibilité internationale des créateurs québécois.
Certes, l'action internationale obéit à des règles
exigeantes et seuls sauront s'imposer les créateurs et les organismes
qui font preuve de compétence, de qualité et de fiabilité.
Le Québec dispose d'atouts non négligeables pour conquérir
certains segments du marché international de la culture et
HydroQuébec apportera son appui à celles de nos initiatives qui
présentent les meilleures chances de succès sur la scène
internationale.
En conclusion, tout en réitérant notre appui à
l'objectif mis de l'avant dans votre proposition de politique qui consiste
à reconnaître à la dimension culturelle de la vie en
société une place aussi fondamentale que celle que l'on accorde
aux dimensions sociale et économique, nous ne saurions conclure notre
présentation, M. le Président, sans faire écho au
défi que votre proposition lance à tous les intervenants,
c'est-à-dire de faire plus et mieux en matière culturelle.
Pour notre part, nous avons déjà amorcé une
révision en profondeur de tous les aspects de notre engagement social et
plus particulièrement de nos interventions de soutien à la
culture et aux arts. Cet inventaire rigoureux nous aidera à mieux cerner
les forces et les faiblesses de nos stratégies d'intervention en
matière culturelle, mais d'ores et déjà la proposition
nous invite à revoir certaines de nos orientations. Ne pouvons-nous
faire davantage, par exemple, pour promouvoir l'éclosion et
l'épanouissement des foyers régionaux de création?
Certaines décisions courantes d'Hydro-Québec ne pourraient-elles
inclure de façon plus explicite un volet culturel? Certaines formes
d'expression de la culture laissées pour compte jusqu'à ce jour
dans la distribution des subventions d'Hydro-Québec ne
mériteraient-elles pas l'appui de l'entreprise? Et enfin, avons-nous
suffisamment exploré les possibilités d'accentuer la
présence de créateurs du Québec sur la scène
internationale? Ce ne sont là que quelques-unes des interrogations que
la publication de la proposition nous renvoie.
Le Président (M. Gobé): Merci beaucoup. Le temps
étant maintenant écoulé, je vais demander à Mme la
ministre des Affaires culturelles de bien vouloir prendre la parole. Mme la
ministre.
Mme Frulla-Hébert: Merci beaucoup, M. Duguay. Bienvenue et
merci pour le changement d'horaire. Vous avez fait plaisir aux groupes et vous
les avez sauvés de beaucoup de tracas. Je suis heureuse que vous soyez
ici parce que, effectivement, votre organisme est, je dirais, un des moteurs
premiers spécialement dans certaines régions aussi pour le
développement culturel.
J'aimerais vous demander d'abord à la page 4 de votre
mémoire, vous dites qu'Hydro-Québec a souvent joué un
rôle de leader en incitant par son exemple d'autres entreprises à
soutenir les organismes culturels. Et vous le faites, je le sais. Quand je suis
allée en région, on m'a beaucoup parlé de la
présence d'Hydro-Québec dans certains projets versus
d'autres.
Pour vous, quels sont les critères spécialement, je dirais
en région, mais en général, qui vous amènent
à investir par exemple dans le culturel versus le secteur qui est plus
social, plus éducatif? Je voyais dans votre mémoire que vous
investissez 25 % des budgets réservés dans le secteur culturel
versus 30 % au niveau... Est-ce vraiment par pourcentage ou, dépendant
des projets qui vous sont soumis, si une année il y a des projets qui
sont plus intéressants vous pouvez investir plus?
M. Bernier (Jean): Le pourcentage est un objectif, madame. Ce
n'est pas une contrainte. Tantôt nous allons au-delà, tantôt
nous allons en deçà. Nous avons des budgets évidemment qui
sont attribués à chaque année. Ils ne sont pas garantis.
Avec ce que nous avons, nous devons faire face à un ensemble de
demandes. Nous tentons de respecter dans le culturel 25 %. Nous tentons dans
l'humanitaire de respecter 30 %. Nous tentons dans l'éducatif de
respecter 20 %. Mais, selon les circonstances, selon les
événements, selon les préoccupations du moment, selon les
opportunités qui existent, selon les besoins qui peuvent nous être
explicités, nous sommes vraiment dans une situation de discrétion
quant à savoir si nous allons atteindre ou dépenser 25 % de notre
budget ou 20 % ou 13 % et dans un autre domaine aller un peu plus fort.
Vous savez c'est une question qui m'est posée à tout le
moins certainement deux fois la semaine. Ça commence toujours de la
même façon. Quelqu'un de très gentil, bien
préparé, me téléphone et tente de, ce qu'on
pourrait dire, en utilisant l'expression, me tirer les vers du nez. Comment
ça marche au comité? Avez-vous des normes? Qu'est-ce qu'il faut
que je fasse? Et, bien sûr, ça n'a pas été long de
réaliser qu'à compter du moment où on se normait, pour
prendre un langage bien connu ici, on se normait, on était fait parce
que là, évidemment, on positionne le dossier en fonction d'une
norme. La norme existe, elle est publique. Ce qui était
discrétionnaire et généreux devient un dû.
Alors, il nous faut y aller avec les moyens du bord et tenter
d'expliquer aux gens que, non, nous n'avons pas de norme, non, nous regardons
les dossiers au mérite et, oui, nous regardons une situation dans son
ensemble et nous invitons les gens à présenter leur demande sans
pour autant expliciter sur les normes. Nous n'en avons pas. Le jour où
nous en aurons, des normes rigoureuses qui tiennent compte d'un paquet de
facteurs bien agencés, bien ordonnés, il y aura sans doute
quelques grands scientifiques à Hydro-Québec qui
réussiront à nous faire un beau petit programme ordinateur qui
viendra se substituer à notre jugement. C'est parce qu'on perd, à
ce moment-là, la liberté, je pense. Nous avons assez de jugement
pour procéder. Nous essayons de garder des balises, mais nous ne sommes
pas normes. Et nous ne sommes pas liés par les 25 % qui sont, pour nous,
un objectif général à atteindre. (17 h 15)
Mme Frulla-Hébert:...
M. Duguay: Je voudrais juste, madame, continuer dans ce
sens-là. Il reste qu'on a beaucoup de demandes, en région. On a
deux types, nous autres, de ce qu'on appelle des dons ou des commandites.
Effectivement, dans l'un ou dans l'autre cas... Les dons relèvent du
secteur de M. Bernier, mais, dans les commandites, on a aussi
énormément de demandes pour lesquelles on satisfait un nombre
incalculable de petits organismes culturels qui ont besoin, souvent, de
montants infimes d'argent. J'ai des sommes qui tournent autour de 500 $,
disons, à 2000 $. Ces organismes-là en ont peut-être plus
besoin que, je dirais, de grands organismes culturels nationaux. Mais, pour eux
autres, en région, c'est important.
C'est important parce que ça leur permet, d'une part, de se
développer avec de petits moyens, mais de les encourager sur une base
qui est quand même, je dirais, régulière. Souvent, ces
analyses-là sont faites par les régions. Les régions sont
très impliquées. Hydro-Québec est constituée de 10
régions, et chaque vice-président de région est
très impliqué dans son milieu, connaît très bien sa
clientèle à tous les niveaux et, notamment, au niveau de la
culture et des arts. Effectivement, l'analyse qu'ils nous présentent
dans les dossiers que nous regardons, ça compte beaucoup. Pour nous
autres, c'est une partie importante du choix qu'on fait, l'analyse que les
régions font des dossiers qu'elles reçoivent.
Mme Frulla-Hébert: Est-ce que c'est possible, alors...
Justement, j'ai eu certaines remarques, en région, d'organismes qui
étaient aidés par Hydro-Québec, aidés par le
ministère des Affaires culturelles. Il y a certains organismes qui nous
disent, par exemple, soit pour débuter: Les entreprises - et là
je parle en général - ne veulent pas prendre de risque avec nous,
donc, il faut avoir quelqu'un pour nous aider à partir. Habituellement,
ils se retournent vers nous, et nous, si c'est viable et que le projet est bon,
s'il se tient - évidemment, on n'en donne pas, nous non plus, à
n'importe qui, on gère des fonds publics - on donne un coup de main pour
partir. Ils disent, ensuite de ça: Les entreprises, une fois qu'on a
pris notre envol, sont intéressées à nous supporter, pour
une question, finalement, de visibilité, et c'est tout à fait
normal, dans le secteur de l'entreprise dite privée.
Mais ça cause aussi un certain problème, dans un sens.
Quelquefois, on travaille ensemble, l'entreprise privée et le
gouvernement, et d'autres fois c'est tout à fait différent. Nous,
on se retire, l'entreprise privée se retire et, finalement, l'organisme
se retrouve avec rien. Est-ce que c'est possible d'accentuer ou est-ce que ce
serait possible de trouver une façon d'accentuer la synergie entre,
justement, les entreprises privées et les actions du gouvernement?
Un autre exemple. Vous embarquez, et vous décidez, pour une
raison - la situation économique, etc., - de vous retirer. L'entreprise
se retrouve avec rien, fait un déficit, se retourne vers le gouvernement
et dit: Bon, bien, là, j'ai un déficit, alors, qu'est-ce qu'on
fait? On ne peut pas tuer une entreprise qui a déjà fait ses
preuves; donc on est obligé de consolider le déficit.
Alors, est-ce qu'il y a des façons d'éviter ça?
M. Duguay: On est, ordinairement, assez constant dans les
organismes culturels qu'on a aidés. Souvent, pour des organismes qui
débutent... On a toujours eu un lien je dirais assez
privilégié avec le ministère des Affaires culturelles. On
a toujours demandé au ministère certaines informations de base,
quand même, quand on voulait subventionner un organisme. Dans le
passé, c'est arrivé très fréquemment.
Par contre, il est arrivé, par le passé, que,
effectivement, on a subventionné au départ certains organismes
culturels qui, par la suite, ont connu certains problèmes. Pour nous,
quant aux sommes qu'on y met, ce ne sont pas nécessairement des sommes
qui peuvent assurer une viabilité en soi à un organisme ou
à un autre, mais qui peuvent l'aider à fonctionner quand
même de façon minimale. Ce n'est peut-être pas notre
rôle à nous de voir à ce que cet organisme-là puisse
survivre dans des conditions acceptables. Notre rôle, c'est surtout de
les soutenir et des les aider financièrement.
Mme Frulla-Hébert: Durant ma tournée, encore, on a
beaucoup parlé de fonds, de création de fonds, justement pour
parer aux crises économiques. Évidemment, quand on est en crise
économique, en difficulté économique, tout le monde en
souffre, autant les entreprises que le gouvernement. On se retrouve tous avec
des budgets un peu plus serrés et, habituellement, c'est là que
nos organismes ont le plus besoin de nous. Alors, au niveau, par exemple, des
régions - je dis en région surtout mais, à
Montréal, ça peut se faire aussi - est-ce que c'est possible de
penser à un regroupement d'entreprises, afin de créer un fonds?
Est-ce que, selon vous... Est-ce que vous avez analysé ça? Est-ce
que ça pourrait être une solution, un fonds d'aide aux entreprises
culturelles au niveau des régions, par exemple, où
différentes entreprises très actives dans une région
donnée - je pense en Abibiti où on a Abitibi-Price -
décident de se regrouper, de créer un fonds et, finalement, avec
l'argent généré de ce fonds-là, assurer une
certaine stabilité aux entreprises culturelles?
M. Duguay: Ce n'est peut-être pas mauvais en soi, sauf que
la question que je me pose c'est: Est-ce que ce fonds-là pourrait aider
une multitude d'organismes culturels, surtout en région?
Évidemment, quand on crée un fonds, on crée, comme disait
M. Bernier tantôt, des normes, des critères très
précis d'acceptation ou de refus pour les organismes culturels.
Disons que, quant à ça, notre position est beaucoup plus
souple que celle-là. On a vraiment, comme entreprise, une volonté
très marquée d'aider les petits secteurs culturels, les petits
organismes culturels en région. Il faudrait voir si la création
de ce fonds-là ne pourrait pas nuire, justement, aux plus petits
organismes qui ont besoin des fois de sommes minimes pour les aider. Si Hydro
avait à investir des fonds, par exemple, dans ce-fonds, des fonds
importants, quelle serait notre politique vis-à-vis des autres? Il
faudrait la définir.
Je vous avoue que vous nous apportez une question qui nous incite
à réfléchir là-dessus, quoique on ne pourrait pas
nécessairement être contre, effectivement. Mais il faudrait
l'analyser comme il faut.
M. Bernier: Et les entreprises - si vous me permettez, madame -
ont évidemment des intérêts bien différents et ont
des centres d'intérêts différents. Si je prends, par
exemple, nos amis d'Alcan, ils ciblent le terrritoire de façon
très précise. On sait où ils sont et c'est là que
porte leur largesse. Bell Canada est un autre grand intervenant dans le domaine
culturel. On a le téléphone partout au Québec, mais Bell
Canada ne cible pas tout le Québec. Bell Canada cible sa
clientèle. D'autres entreprises téléphoniques ciblent
leurs clientèles et ainsi de suite.
Nous sommes probablement une des seules qui a un intérêt
provincial. Nous sommes partout. Nous sommes aux Îles-de-la-Madeleine,
nous sommes à Matagami, nous sommes à Mont-Laurier, nous sommes
à Chlcoutimi, nous sommes à Sept-îles, nous sommes à
Trois-Rivières, à Drummondville. Nous avons partout des
intérêts. Et nous avons un intérêt à
satisfaire cet intérêt particulier pour toutes sortes de raisons.
On aide beaucoup, par exemple - c'est un exemple parmi tant d'autres - le
Festival international de folklore de Drummondville depuis le début.
Alors, on a vraiment voulu, dans notre région administrative, Richelieu,
en faire un événement Hydro-Québec. On s'associe, bien
sûr, avec d'autres, mais on veut vraiment cibler là-dessus.
D'autres grandes entreprises n'ont aucun intérêt là-dedans.
Nous n'avons pas un intérêt démesuré par rapport
à Alcan dans la région du Saguenay. Alcan y pourvoit de
façon intéressante.
Alors, l'idée que vous mentionnez, elle est excellente et il
m'apparaît que sa faisabilité est directement proportionnelle
à la communauté des intérêts que les partenaires du
fonds auraient. Et dès le départ, déjà, il me
semble que nos intérêts ne sont pas les mêmes. Nos centres
d'intérêts ne sont pas les mêmes et nos objectifs ne sont
pas les mêmes. Ce qui ne veut pas dire, par ailleurs, que nous ne
pourrions pas, à certains endroits, le réaliser. Nous le faisons
de façon ponctuelle. Certains grands événements à
Québec ou à Montréal ont été
commandités par des efforts communs de Bell, d'Alcan, d'Hydro et
d'autres, la Banque de Montréal, par exemple, et d'autres
entreprises.
Nous le faisons sur des événements. Nous nous mettons
ensemble. Et ce n'est pas bien
mystérieux. Nous nous connaissons et nous nous
téléphonons. Nous tentons de mettre ensemble, à un moment
donné, des sous pour permettre un événement, surtout de
grands événements.
Le Président (M. Gobé): Merci, M. Bernier. Merci,
Mme la ministre. M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques, vous
avez la parole.
M. Boulerice: M. Ouguay, M. Bernier, j'ai deux questions. Vous
avez dit que vous n'aviez pas de normes et que vous ne vouliez pas sombrer dans
la tentation du normatif, mais dans le processus décisionnel sur les
subventions que vous avez dans votre entreprise, dans cette puissante
société nationale, est-ce que la décision est
centralisée à Montréal ou bien, non, elle est
décentralisée par la gestion en région?
M. Bernier: C'est mixte, c'est un mélange. Le budget...
Tout d'abord, si vous me permettez, rapidement... Jacques vous a parlé
de commandites et on a parlé de dons. Pour les distinguer... Dans les
deux cas, il s'agit de prestations monétaires d'Hydro-Québec vers
l'externe. Dans le cas du don, c'est à titre gracieux. Nous ne
recherchons pas la reconnaissance.
M. Duguay: Ni la visibilité.
M. Bernier: C'est l'obole du publicain. Dans la commandite, qui
est dans le champ d'intervention de Jacques, c'est le généreux
don du pharisien. Il faut que cela soit su, il faut que cela soit connu. C'est
ça la commandite. Les dons vont souscrire, par exemple, 5000 $ au fonds
général d'une troupe de théâtre. Jacques va
commanditer une pièce de théâtre. Il va verser 5000 $, 10
000 $ pour commanditer une pièce pendant cinq jours...
M. Duguay: Ou un concert.
M. Bernier: ...et là nous aurons la reconnaissance sur
l'événement. Ce peut être un concert, ce peut être
une exposition. Alors, on joue sur les deux: le fonds général et
l'événement. Bon. Là, j'ai perdu le fil...
M. Duguay: Avec les régions, effectivement, vous parliez
de normes. Des normes très précises, très rigides, comme
dit Jean Bernier, on n'en a pas. Par contre, on a un processus d'analyse qui
est très rigoureux quand même. Beaucoup de nos demandes qui
viennent des régions sont envoyées au siège social et sont
réanalysées chez nous et pour lesquelles dans bien des cas on
donne suite, mais on donne suite uniquement à partir de la
recommandation de la région. Comme j'ai dit tantôt, ces
gens-là connaissent très bien leur clientèle à tous
les niveaux et, effectivement, ils nous font des recommandations très
précises.
M. Boulerice: D'accord. Alors, il n'y a pas d'enveloppe
budgétaire réservée en disant: Compte tenu de nos bassins,
notre région, Richelieu, cette année, aura - je ne sais pas, moi
- 20 % de vos 25 %; l'Abitibi aura, elle, 15 % de... Non.
M. Bemier: Non. C'est que, dans leur programmation annuelle,
chaque région prévoit selon certains événements qui
sont... Plusieurs sont récurrents, d'autres sont purement
événementiels, c'est-à-dire qu'ils se créent une
année et, une fois que l'événement est passé, il
n'est plus récurrent. Ça arrive, ça, fréquemment
aussi. Donc, les régions font une programmation de leurs
événements, programmation qu'on analyse. On fait certains
arbitrages sur les montants d'argent qui sont donnés et on donne suite
aux propositions.
M. Boulerice: II y a également un autre rapport culturel
d'Hydro-Québec que l'on semble oublier quelquefois, qui est Forces,
cette prestigieuse revue, mais au-delà de cela HydroQuébec
est quand même présente dans différents endroits du globe.
Est-ce qu'Hydro, dans le cadre de ses activités à
l'étranger, intègre la dimension culturelle et ça, je le
dis dans la promotion d'organismes culturels à l'étranger?
M. Duguay: Non. Sauf dans certaines manifestations d'envergure.
Si on prend Expo 67, par exemple, c'était le cas ici, à Vancouver
aussi. Mais pour ce type d'événement là, ça peut
arriver. Par contre, il faut voir qu'on est présent à
l'étranger surtout au niveau de ce qu'on appelle, nous, la
coopération, par exemple, et où il est assez difficile quand
même de prévoir des volets culturels surtout dans les endroits ou
les conditions dans lesquels on travaille. Mais il faut dire aussi que l'aspect
international d'Hydro-Québec... On est peut-être prêts
à aider des artistes ici, par exemple, qui pourraient avoir une
percée dans le milieu international, mais souvent Hydro-Québec ne
commandite ou ne donne à peu près pas de dons à des
événements d'envergure internationale à Montréal.
Nous, on a vraiment un principe de base qui dit: Nos clients, c'est 3 000 000
de Québécois...
M. Boulerice: Vous êtes Hydro-Québécois.
M. Duguay: ...et, nos priorités vont aux
Québécois.
M. Boulerice: D'accord.
M. Duguay: Et ça, je dirais que c'est peut-être
à 98 %.
M. Bernier: Mais vous me permettrez, M. Boulerice...
M. Boulerice: Oui, je vous en prie.
M. Bernier: ...d'ajouter, parce que j'en suis très fier,
que je ne manque jamais à chaque année depuis 10 ans d'envoyer ma
petite obole au Théâtre Français de Toronto, à un
théâtre français à Sudbury et, tout
récemment, un petit montant à une organisation culturelle
française à Vancouver. (17 h 30)
M. Boulerice: Pour la Maison de la francophonie, qui est
effectivement très belle.
M. Bernier: Mais nous n'en parlons point, c'est un don de
publicain.
M. Boulerice: Oui, une toute dernière question avant de
prendre congé. Vous avez parlé de la nécessité de
donner à la culture scientifique une place plus grande. Est-ce qu'un
projet comme la maison des sciences et de la technologie constituerait pour
vous un moyen concret qui permettrait à la culture scientifique de
trouver la place qui lui revient?
M. Duguay: Effectivement, nous sommes impliqués dans un
projet qui n'est pas... Disons qu'on poursuit les discussions sur le
Musée de la science et de la technologie mais on est peut-être
plus impliqués sur un projet qui serait, je dirais, un genre de filiale
du musée, et pour lequel nous sommes présentement à la
recherche de fonds, et c'est le Centre d'exploration des jeunes. Et,
effectivement, Hydro-Québec, Provigo et certaines autres entreprises
privées sont prêtes peut-être à Investir à ce
niveau-là. Mais, d'autre part, on a formulé des conditions
très précises qui touchent surtout, d'abord, l'engagement des
gouvernements et de la ville de Montréal. Donc, nous sommes
présentement en discussion sur ce projet-là. Mais effectivement,
pour nous autres, c'est un projet qui, s'il devait se concrétiser, nous
tient beaucoup à coeur.
M. Boulerice: Je vous remercie, M. Duguay, M. Bernier,
effectivement, oui, notre puissante société nationale est
présente. Je vous dis bonne chance dans le dosage entre le publicain et
le pharisien, le pharisien étant vous, M. Duguay, puisque M. Bernier a
décidé qu'il était le publicain. Je ne sais pas si c'est
en fonction de normes, mais, comme il n'y a pas de normes, alors je ne sais pas
d'où vient la répartition.
M. Bernier: Les Saintes Écritures.
M. Boulerice: Les Saintes Écritures, oui. Bon, alors, sur
ce trait d'humour, merci M. Duguay, merci M. Bernier de votre
présence.
Le Président (M. Gobé): Merci beaucoup. Mme la
ministre, un mot de remerciement?
Mme Frulla-Hébert: Oui, un gros merci. Je ne ferai pas
dans le biblique, je vais rester très pratique. J'ai beaucoup beaucoup
entendu parler de nos diverses communautés culturelles à travers
la province, je dirais même vanter la présence
d'Hydro-Québec chez eux et la nécessité aussi. Alors, s'il
vous plaît, continuez votre bon travail. 25 % et plus ça serait
apprécié. Et, entre-temps, on est toujours des collaborateurs
très ouverts.
Une voix: Nous aussi.
Le Président (M. Gobé): M. Bernier, M. Duguay, au
nom des membres de cette commission, je tiens à vous remercier. Ceci met
fin à votre audition.
M. Boulerice: II serait peut-être bon de dire qu'ils ont
été les premiers à intégrer l'art et l'architecture
avec cette immense toile merveilleuse de notre regretté Paul
Rousseau.
M. Duguay: Si je peux me le permettre, je voudrais
peut-être juste dire en terminant que je dois vous féliciter, Mme
la ministre, pour la nomination du prix Borduas cette année.
Mme Frulla-Hébert: Merci.
M. Boulerice: Quoi, elle l'a reçu?
M. Duguay: Non, pour le...
M. Boulerice: Ah, O.K. Ha, ha, ha!
Des voix: Ha, ha, ha!
Mme Frulla-Hébert: J'aurais aimé, mais...
posthume...
M. Duguay: ...pour la nomination du jury, et
entériné par Mme la ministre du prix Borduas, qui est un designer
industriel. Trop souvent, on oublie ces gens-là au niveau de la culture
parce que...
M. Boulerice: C'est un jury. M. Duguay: Pardon?
M. Boulerice: C'est un jury. Les politiciens n'interviennent
pas.
M. Duguay: Trop souvent on oublie ces gens-là parce que,
évidemment, on ne sait pas s'ils sont du côté culturel ou
du côté de l'industrie. Mais ils apportent de façon
très concrète, en tout cas, une influence majeure à la
fois dans la culture et dans l'industrie au Québec.
Le Président (M. Gobé): Merci. M.
Duguay et...
M. Duguay: Félicitations.
Mme Frulla-Hébert: Merci. On transmettra vos remerciements
au jury.
Le Président (M. Gobé): Nous n'y manquerons pas,
madame, soyez-en sûre. Merci beaucoup et vous pouvez maintenant vous
retirer.
Je demanderai donc au groupe suivant, soit les représentants de
la Maison-Théâtre, de bien vouloir se présenter sans
attendre, en avant, afin de commencer les auditions sans plus tarder.
Maison-Théâtre
Bonjour, monsieur, bonjour madame. Si j'en crois la feuille qui est
devant moi, la Maison-Théâtre est représentée par M.
Pierre Gauvreau, président.
M. Boucher (Rémi): Je dois excuser M. Gauvreau, qui est
retenu à Toronto, cet après-midi.
Le Président (M. Gobé): Monsieur, excusez-moi?
M. Boucher: M. Pierre Gauvreau est retenu à Toronto cet
après-midi.
Le Président (M. Gobé): Oui.
M. Boucher: II est remplacé, donc, par Monique Rioux,
codirectrice artistique du Théâtre de la Marmaille.
Le Président (M. Gobé): Bonjour, Mme Rioux. Il me
fait plaisir de vous accueillir ici.
Mme Rioux (Monique): Merci.
M. Boucher: Et puis Paul Vachon, du Théâtre de
l'Aubergine de la macédoine de Québec.
Le Président (M. Gobé): Bonjour, M. Vachon.
M. Boucher: Les deux sont membres de notre conseil
d'administration.
Le Président (M. Gobé): Et vous êtes M.
Boucher?
M. Boucher: Voilà.
Le Président (M. Gobé): Alors, bonjour, M. Boucher.
Si vous voulez commencer votre présentation et...
M. Boucher: O.K.
Le Président (M. Gobé): ...nous allons donc pouvoir
procéder.
Mme Frulla-Hébert: Oui, ça va.
M. Boucher: La proposition de politique culturelle
présentée par le groupe-conseil s'inspire de trois principes sur
lesquels on ne peut qu'être d'accord. Leur mise en pratique, cependant,
ouvre le champ à plusieurs nuances d'interprétation. La culture
constitue, en effet, l'épine dorsale de toute société et
l'accessibilité de cette culture est essentielle; c'est pourquoi I est
primordial que les jeunes soient mis en contact avec elle le plus tôt
possible. Dans le champ très particulier du théâtre qui
s'adresse au jeune public, cette accessibilité passe souvent par le
milieu scolaire, attitude que conforte la proposition Arpin et qui demande
à être interrogée de plus près. Les pages qui
suivent contiennent une mise en contexte de la pratique théâtrale
pour jeunes publics et une présentation de la
Maison-Théâtre, laquelle se trouve, par la force des choses, au
centre du tableau. Elle vise aussi à faire mieux comprendre la mission
de cet organisme, à expliquer sa volonté de faire sortir le
théâtre de l'école, à mettre en lumière son
rayon d'action sur le plan international et à analyser le rôle
qu'H attend de l'État quant au soutien qu'il estime nécessaire
à la poursuite de ces missions qu'il s'est données.
Sans refaire ici l'historique complet du théâtre pour
jeunes publics, il est bon de rappeler que la fondation de la
Maison-Théâtre est née du désir et de la
volonté des troupes professionnelles du Québec qui, vouées
jusque-là à l'errance, avaient décidé, d'un commun
accord, de mettre en place un organisme stable et permanent leur permettant
d'émerger sur la place publique; non pas une association
habilitée à défendre leurs intérêts
corporatifs, mais une salle, un théâtre où présenter
leurs spectacles dans des conditions professionnelles, à l'instar des
compagnies qui s'adressent au public adulte.
Fruit d'une réflexion longuement mûrie de la part des
artistes sur l'exercice de leur métier, d'une vision nouvelle pour
pallier les déficiences d'une pratique trop longtemps laissée en
marge du reste du théâtre et, faut-il le préciser, d'un
consensus des troupes actives, la Maison-Théâtre est une
proposition inédite qui s'est avérée être la
solution afin d'assurer l'essor du théâtre pour jeunes publics au
cours des années futures. Dès sa mise sur pied, les troupes ont
compris, au-delà de toute idéologie, que leur regroupement
pouvait offrir des avantages aussi bien artistiques qu'économiques.
Elles ont pressenti que l'organisme pouvait devenir le pivot central de leur
action pour tout ce qui concernait le théâtre pour jeunes
spectateurs au Québec.
Quoi que pourrait laisser supposer la réussi-
te artistique de quelques compagnies au début des années
quatre-vingt, la fondation de la Maison-Théâtre n'est pas venue
s'inscrire fortuitement dans l'évolution de ce secteur
théâtral. Elle est l'aboutissement de 10 ans de luttes
ininterrompues pour obtenir droit de cité auprès de la population
et des instances gouvernementales. La Maison-Théâtre est venue
procurer cette continuité d'action que, devant la pression de la
productivité et la course aux débouchés, les compagnies ne
pouvaient plus soutenir individuellement.
Concentrant au sein d'un même organisme une grande partie de leurs
préoccupations de diffusion, réunissant dans un même lieu
des outils de gestion pour améliorer leur rendement et capitalisant sur
la collaboration d'une équipe de direction employée à
temps plein pour coordonner le programme des saisons à Montréal,
les troupes se sont ainsi libérées d'une part de leur fardeau
pour se consacrer davantage à leur propre démarche. Elles ont pu,
de la sorte, consolider leurs propres effectifs et se pencher sur leur
orientation en fonction des mutations sociales et culturelles de leur
public.
Avec l'implantation de la Maison-Théâtre à
Montréal, le milieu du théâtre pour l'enfance et la
jeunesse a fourni, de manière concrète, des réponses
à plusieurs des questions qui furent soulevées au cours de la
kyrielle d'enquêtes qu'ont menées les organismes publics pour
résoudre les problèmes de croissance des troupes. Ces
dernières ont elles-mêmes énoncé les principes de
son fonctionnement, se fabriquant un instrument sur mesure pour s'assurer d'une
autonomie plus grande quant à leur existence et d'un support
promotionnel plus efficace quant à leurs spectacles. Se sortant ainsi de
leur isolement, elles sont parvenues, par le biais du mécanisme qu'elles
venaient de mettre sur pied, à rejoindre un auditoire qui, jusqu'alors
dispersé, s'est retrouvé avec enthousiasme à la
Maison-Théâtre.
La Maison-Théâtre a donc un rôle, une action, un
fonctionnement, des conditions d'exercice et un public particuliers qui rendent
malaisée sa comparaison avec les entreprises artistiques qui
l'environnent. Elle représente un secteur du théâtre
différent des autres à plus d'un égard et elle est le seul
organisme, au Québec, à remplir le mandat qui est le sien,
c'est-à-dire se consacrer exclusivement à présenter des
spectacles aux jeunes publics dans un lieu qui devrait idéalement
n'être prévu que pour cela.
En activité depuis 1982, établie temporairement depuis
1984 à la salle du Tritorium, elle présente, en moyenne, une
dizaine de spectacles différents par année. Elle a
développé son public de façon constante depuis sa
naissance et elle a élargi son rayonnement bien au-delà des
frontières du Québec par l'accueil de spectacles étrangers
comme par des démarches nombreuses en vue d'établir des ponts
avec des pratiques artistiques d'ailleurs.
Inscrite dans son milieu comme dans sa société, la
Maison-Théâtre avait trois objectifs à sa création:
être un lieu de diffusion et un foyer d'échanges, offrir un
encadrement aux compagnies et au public par le biais de divers types
d'animation et devenir un centre de référence et de
documentation, une mémoire vive de l'activité
théâtrale destinée aux plus jeunes. Le premier de ces
objectifs est incontestablement atteint: vitrine réelle du
théâtre pour jeunes publics. La Maison-Théâtre ne
pourra assumer pleinement ses deux autres fonctions que lorsqu'elle disposera
de moyens adéquats tant physiques que financiers.
L'urgence qui l'anime pour l'instant, en effet - et ce rêve est
déjà en voie de réalisation - est l'acquisition d'une
maison permanente, d'un lieu destiné spécialement au
théâtre pour jeunes publics. La volonté de donner un toit
à ce secteur artistique procède de plusieurs facteurs, au premier
plan desquels se trouve la nécessité de reconnaître le
statut professionnel de cette activité théâtrale. Les
compagnies ont besoin de conditions techniques (éclairage, sonorisation,
etc.) appropriées, d'un cadre qui réponde aux exigences minimales
de toute production. Un tel lieu nécessite également des
installations adaptées au jeune public, que ce soit en ce qui concerne
le mobilier, les sièges ou le hall d'entrée qu'en ce qui a trait
à d'autres types d'obligations. Par exemple, la mise sur pied d'un
service de garderie destiné aux familles qui se déplacent
ensemble. Une maison permanente répondra enfin à la
nécessité primordiale de donner aux enfants un accès
à une salle de spectacle. Il est question plus loin de cet
impératif.
Dernière particularité enfin, le public de la
Maison-Théâtre est constitué d'individus en formation ne
disposant d'aucun pouvoir économique. L'enfant ne décide pas
lui-même d'aller au théâtre, la famille ou l'école
décide pour lui, et les ressources financières de ces
dernières à cet égard ne sont pas inépuisables,
même si le prix des billets est beaucoup plus bas qu'ailleurs. Ce public,
en outre, est limité et segmenté. À cause de l'intimisme
commandé par le spectacle, les salles sont contingentées, autre
facteur qui affecte considérablement la rentabilité de ce type de
théâtre, et les tranches d'âge des spectateurs sont
parfaitement étanches: un enfant de 5 ans ne peut être
comparé à un enfant de 12 ans; on ne peut donc lui proposer la
même chose.
Ainsi, grâce à un système d'abonnement qui s'adresse
prioritairement au milieu scolaire, sans pour autant omettre le grand public,
lequel représente 25 % de son assistance, la Maison-Théâtre
vise à rejoindre, par des séries diverses, trois
catégories d'âge: c'est-à-dire la petite enfance (3 ans et
plus), l'enfance (de 6 à 12 ans) et la jeunesse (12 ans et plus). En
ciblant de façon aussi précise sa clientèle potentielle,
elle
tient compte des intérêts particuliers de chaque groupe et
atteint un nombre plus élevé de spectateurs par le fait
même. Afin de répondre aux exigences des spectacles
destinés aux plus jeunes, lesquels nécessitent un rapport plus
intime entre l'auditoire et la scène, une deuxième salle, de
dimension réduite, a été louée, c'est-à-dire
à l'Espace Go. Cette décision s'est avérée
rapidement concluante sur le plan de l'assistance - dès la
première année, le taux d'occupation s'élevait à 92
% - mais fort alarmante sur le plan financier, puisque, pour sa série
"Petite enfance", la Maison-Théâtre en 1990-1991 a retourné
117 % de ses revenus de guichet en cachets uniquement: le succès en ce
sens pénalise, car une augmentation du nombre de spectacles "Petite
enfance" signifie automatiquement pour elle une augmentation de son
déficit.
Les considérations qui précèdent, tant
éthiques qu'économiques, mettent en lumière les multiples
facettes de la mission qu'a à remplir la Maison-Théâtre,
mission qu'elle ne peut remplir pleinement sans un engagement adéquat de
l'État. C'est pourquoi il sera également question dans ces pages
de la nature souhaitable de cet engagement.
Mme Rioux: Le théâtre pour jeunes publics au
Québec. Le théâtre pour jeunes publics est un secteur
très important de l'activité artistique au Québec. Si on
s'attarde aux chiffres, il représente le tiers de tout le public rejoint
par le théâtre. Les statistiques qui en font état
émanent du ministère lui-même. Il représente le
quart de toutes les représentations théâtrales qui sont
données au Québec annuellement, tous genres et tous publics
confondus. La Maison-Théâtre, qui est au centre de cette
activité, a vu son assistance s'accroître sans arrêt depuis
ses débuts: de 36 000 spectateurs en 1984-1985, elle est passée
à plus de 60 000 et le nombre de représentations qu'elle propose
grimpe chaque année. Ce nombre a doublé en sept ans. Le milieu
qui lui a donné naissance est un milieu qui se concerte beaucoup, qui a
pris l'habitude de se rencontrer, d'organiser des manifestations, de provoquer
des échanges et même de se doter de lieux de formation continue.
Une vingtaine de compagnies parmi le foisonnement de troupes qui sillonnent la
province se démarquent nettement et s'exportent
régulièrement: le théâtre pour jeunes publics est
notre plus grand ambassadeur à l'étranger, où l'on
apprécie unanimement son esprit d'invention et sa rigueur artistique.
Sur le plan des échanges avec les autres pays, c'est le secteur, en art,
qui demeure le plus en demande. (17 h 45)
C'est artistiquement, d'ailleurs, que se loge sa plus grande
réussite. Au Québec, depuis 30 ans, les créations
destinées à l'enfance, que ce soit à la
télévision, en littérature, au cinéma, s'imposent
ici et ailleurs par leur excellence; le théâtre, dans ce contexte,
tient une place de choix et il n'est pas inutile à cet égard d'en
brosser rapidement l'évolution et le portrait actuel. Le
théâtre québécois récent a
évolué au même rythme qu'une société qui a
beaucoup élargi ses horizons depuis 20 ans. Sa facture esthétique
comme la modernité de ses préoccupations se sont raffinées
et ont rattrapé de façon ultra-rapide les grands courants
mondiaux. Entre les années soixante-dix et les années
quatre-vingt, entre autres dans la foulée de tous les changements
sociaux que l'on sait, notre théâtre a radicalement changé
d'allure. La pratique pour le jeune public a évidemment suivi le
mouvement.
Il s'agit d'un art jeune, il date à peu près du milieu du
siècle, mais il a atteint une expression vraiment originale depuis 20
ans. Depuis les essais isolés des années cinquante jusqu'au
foisonnement de la dernière décennie, il a connu un
développement spectaculaire, autant par la quantité d'artistes
qui s'y consacrent désormais que par la diversité des genres
qu'ils abordent. La volonté des artistes de parler aux jeunes a
donné lieu à un mouvement de création de textes originaux
qui est devenu caractéristique du Québec. On y fait peu de
reprises. On y adapte peu de textes étrangers. On explore et on
écoute plutôt l'imaginaire des enfants, tout comme la
réalité des adolescents.
Le fait que le théâtre pour jeunes publics au Québec
repose essentiellement sur la création, même si
esthétiquement les traditions théâtrales et
esthétiques de divers pays sont sollicitées, résulte en un
théâtre éminemment actuel. Il procède en outre de
démarches de plus en plus individuelles. À rencontre du mouvement
de création collective qui a prévalu pendant les années
soixante-dix, c'est maintenant un théâtre d'auteurs. Une
véritable dramaturgie s'est développée et a pris forme en
direction du jeune public. Un répertoire commence à s'installer.
Cette dramaturgie est publiée. Elle existe comme objet littéraire
et elle attire un bassin de créateurs de plus en plus large.
Varié, moderne et novateur, le théâtre
québécois pour jeunes publics offre à présent une
riche diversité de contenus et de formes. Les préoccupations des
jeunes quant à l'écologie, à l'intégration des
communautés culturelles ou à la guerre nucléaire y
côtoient l'expression de leurs peurs secrètes et de leurs
désordres intimes, de leurs inquiétudes quant à
l'apprentissage, la découverte de soi, l'ouverture aux autres et au
monde. Que ce soit par le biais des marionnettes, de la comédie, du
fantastique, de la poésie, du drame ou du langage non verbal,
l'invention et l'imaginaire y tiennent une place centrale et les disciplines
artistiques connexes y sont de plus en plus à contribution.
Tout récemment, l'extension du public est venue ajouter à
cet éclectisme et à cette haute exigence artistique: les
spectacles pour enfants attirent désormais aussi leurs
aînés à qui ils s'adressent parfois, du reste, en
même temps.
Pour les artistes qui se consacrent à eux, les enfants ne sont
pas à l'écart de la vie. Ce sont des êtres à part
entière, capables de tenir un discours qui leur est propre, et
d'afficher des valeurs qui leur appartiennent. Cette attitude est responsable
de la maturité incontestable de notre théâtre pour jeunes
publics. On peut, à juste titre, être fiers de son
évolution et de sa marche actuelle, surtout si on considère que
ses réalisations et sa réussite se sont faites, la plupart du
temps, sans moyens, par des gens qui y croyaient et qui ont inscrit leur art
dans le champ de la culture québécoise comme l'un des très
beaux accomplissements.
Le Président (M. Gobé): Madame, malheureusement, le
temps qui est alloué pour votre présentation est maintenant
légèrement dépassé. Peut-être un petit mot de
conclusion et nous allons passer aux discussions avec Mme la ministre et, par
la suite, avec M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques.
M. Boucher: On pourrait passer aux discussions.
Le Président (M. Gobé): Oui? D'accord. Mais votre
mémoire, ne soyez pas inquiets, va être lu. Les membres de la
commission, dans les séances de travail et autres, lisent les
mémoires et on en discute. Alors, la présentation est très
volumineuse, des fois, et, donc, on ne peut pas tous les lire en 15 minutes.
Mme la ministre, vous avez la parole.
Mme Frulla-Hébert: De toute façon, je veux vous
rassurer. Oui, on a lu l'ensemble des mémoires. Comme vous avez
déjà un projet qui est sur notre trame et qui va être
activé par l'annonce d'il y a trois semaines, ça nous fait
plaisir de vous accueillir. Comme notre temps est court, j'aimerais vous
demander deux choses particulièrement. La première, on sait que
les billets sont dispendieux. Vous l'avez déjà mentionné,
de toute façon, dans le mémoire. C'est cher. C'est cher pour les
enfants, c'est cher pour les familles aussi. En fait, au niveau du
théâtre.
Quelle est la contribution, par exemple, du ministère de
l'Éducation là-dedans? Est-ce que vous avez des ententes - 25 %
d'abonnement -ou est-ce qu'il y a des contributions?
M. Boucher: La seule fois où une commission scolaire s'est
impliquée, c'est au tout début de la Maison-Théâtre.
La CECM payait 0,50 $ par enfant. Chaque fois que les enfants de la CECM
venaient à la Maison-Théâtre, la CECM nous donnait 0,50 $
par enfant. C'est la seule fois, le seul temps où les écoles se
sont impliquées, et ça s'est arrêté l'année
d'après, si bien qu'à ce moment-là il y a eu une baisse de
clientèle, bien sûr. Autrement, il n'y a rien. Le ministère
de l'Éducation n'intervient pas. Les écoles ne sont pas non plus
sollicitées ni encouragées à sortir. C'est un
problème. C'est un problème majeur parce que les écoles
sont pauvres.
Mme Frulla-Hébert: Mais votre public à vous, au
niveau des abonnements et tout ça, vous allez le chercher par quel
réseau? Honnêtement, je pensais que le réseau scolaire...
On découvre des choses maintenant et de là l'importance de cette
commission, parce que c'est en posant des questions qu'on va à fond. Je
pensais vraiment que le réseau scolaire était quand même
plus impliqué, parce que c'est le véhicule premier pour les
jeunes.
M. Boucher: Oui. C'est-à-dire que le réseau
scolaire, c'est 75 % de notre clientèle.
Mme Frulla-Hébert: Parce que les jeunes vont à
l'école.
M. Boucher: On touche à peu près à 50 000
enfants par année, mais on pourrait en toucher plus. Sur l'île de
Montréal, les statistiques donnent 12 % des élèves; dans
toutes les écoles de l'île de Montréal, il n'y a que 12 %
des élèves qui fréquentent la Maison-Théâtre.
Donc, où est-ce qu'ils vont? Ils vont, comme on en parlait...
Mme Rioux: Ils vont à la cabane à sucre, ils vont
au McDonald's. C'est parce qu'il n'y a pas d'exigences claires. Le
ministère de l'Éducation donne très peu d'argent aux
commissions scolaires et, quand il en donne, les gens décident d'en
faire ce qu'ils veulent. Moi, je me rappelle qu'à l'époque
où on jouait "Pleurer pour rire", il y a un certain nombre
d'années, il y a une école qui tenait beaucoup à nous
avoir parce que le spectacle était très apprécié
par les enseignants, et ils s'y sont pris pendant deux ans avant de
réussir à nous faire venir parce que ça coûtait trop
cher. Mais à l'époque, je ne le sais pas, notre spectacle, on le
vendait 700 $ ou 800 $, mais c'était encore trop cher pour
l'école. Là, maintenant, il y a une loi au ministère de
l'Éducation qui défend aux parents de demander de l'argent aux
enfants...
M. Boucher: Non, c'est le contraire.
Mme Rioux: ...qui défend aux enseignants de demander de
l'argent aux parents pour les envoyer au théâtre; alors,
ça, c'est vraiment un gros problème.
M. Boucher: II faut dire une chose aussi. C'est que le prix
du...
M. Vachon (Paul):...
M. Boucher: Oui, Paul. Le prix du transport.
L'autre jour, j'ai pris un téléphone à la
Maison-Théâtre. C'est une école qui voulait faire une
réservation, et l'instituteur m'expliquait que ça lui
coûtait 4,50 $ par enfant pour venir à la
Maison-Théâtre, et que le transport coûtait 7,50 $ le matin
et 10,50 $ l'après-midi, par enfant. Alors, nous, on dit que c'est
évident qu'à partir du moment où, pour déplacer un
enfant et venir, que ce soit à la Maison-Théâtre ou
ailleurs - ça peut être au musée, bon - ça
coûte 15 $ en après-midi, c'est énorme. Ça n'a pas
de bon sens. Il faudrait trouver quelque chose pour pallier à ça,
c'est sûr.
Mme Frulla-Hébert: Au niveau de vos productions à
l'extérieur, est-ce que vous produisez, disons... Si on ne peut pas
amener les enfants au théâtre, on peut amener le
théâtre aux enfants, par exemple. Je sais qu'il y a des maisons,
des centres de production qui le font. Est-ce que vous produisez, disons, a
l'extérieur ou dans les écoles?
M. Boucher: Nous, ce qu'on fait, c'est qu'on achète des
spectacles des compagnies et on fait une programmation. Si on existe, c'est
pour ça.
Mme Frulla-Hébert: À titre de diffuseur, oui.
M. Boucher: On veut absolument que les enfants sortent des
écoles et viennent voir les spectacles dans un vrai
théâtre, dans un lieu pour ça. C'est sûr que les
compagnies comme l'Aubergine, la Marmaille et tout ça proposent leurs
spectacles dans les écoles, mais il y a des spectacles qui ne pourront
jamais être vus dans des écoles ou dans des gymnases.
M. Vachon: II y a une scénographie spécifique.
Quand nous sommes obligés de monter le spectacle dans un gymnase, de le
démonter le midi, de le changer d'école... J'ai
déjà vu 10 spectacles, 10 lieux différents, 5 jours. Vous
vous imaginez que les comédiens transportent aussi les décors et
les comédiens ont travaillé très fort; ça commence
à être du travail. Donc, on économise évidemment sur
la scénographie, sur le poids. C'est très bon pour l'imaginaire,
pour l'imagination, on invente des systèmes très légers,
mais c'est très très ardu. Et il y a une qualité qu'on ne
peut pas donner en gymnase.
D'un autre côté, je voulais dire que, pour ce qui est de la
rentabilité d'un spectacle, il faut dire que le billet enfant est de
beaucoup inférieur à un billet adulte, que la production d'une
compagnie quelle qu'elle soit coûte aussi cher, les matériaux et
tout. On a un bon goût, on mange de bonnes choses aussi, ce qui fait
qu'il faut jouer énormément, et on ne peut pas emplir une salle
avec 1000 jeunes comme on peut le faire avec un public adulte. Pour la
rentabilité des spectacles, c'est très difficile. Je pense que
c'est le cas... Je ne parte pas seulement des compagnies, je parle aussi pour
la Maison-Théâtre.
Mme Frulla-Hébert: Dernière question, rapidement.
Il y a plusieurs intervenants des régions qui nous font part - quand
j'ai fait ma tournée régionale surtout - de leur
difficulté à se produire à Montréal. Par contre, la
Maison-Théâtre est l'une des rares institutions culturelles qui
reçoit justement les gens de l'extérieur et qui a comme habitude
de recevoir des gens de l'extérieur. Comment le faites-vous? Qu'est-ce
qui vous incite à le faire? Ça va peut-être nous donner
aussi des exemples, si tu veux, pour d'autres groupes qui viennent nous voir et
qui nous disent: On n'est pas capables de se produire à Montréal.
Il n'y a personne qui veut nous recevoir, on n'a pas de diffuseur.
M. Boucher: Je pense que c'est la résultante de la
concertation du milieu du théâtre pour l'enfance qui a des
habitudes de concertation depuis des années. La nécessité
est la mère de l'Imagination, dans le sens où, à un moment
donné, c'est clair qu'on ne peut pas... Ce qu'il y a
d'intéressant à la Maison-Théâtre, c'est
ça.
Mme Frulla-Hébert: C'est ça.
M. Boucher: Dans le sens où, collectivement, on se donne
des outils. Donc, si chacune des compagnies avait une salle à
administrer, une salle à gérer, ça coûterait
infiniment plus cher, mais les compagnies se sont regroupées justement
pour se doter de ces outils-là. Nous, quand on fait la sélection
des spectacles, on y va aussi en fonction des besoins de la
Maison-Théâtre qui sont en rapport avec l'âge des enfants.
Il faut présenter des spectacles pour adolescents, il faut en
présenter pour la petite enfance, d'autres pour l'enfance. Donc, en
fonction de la production annuelle qui est faite ici, au Québec, on
sélectionne des spectacles. L'an dernier, on a accueilli quatre
compagnies de Québec à Montréal. On a déjà
présenté des spectacles de Sherbrooke, des spectacles qui nous
viennent de Drummondville aussi. Il y a des compagnies extérieures au
Québec aussi qui se produisent. Mais c'est clair que, pour une compagnie
à l'extérieur de Montréal, c'est extraordinaire, la
Maison-Théâtre, parce qu'on prend tout en charge. Tout ce qu'ils
ont à faire, c'est de jouer, on assume tout: la publicité, la
vente du spectacle auprès des écoles, l'accueil des enfants,
tout. Tout ce qu'ils ont à faire, c'est de jouer, ce qui devrait
être normal pour tout le monde, en fait. Mais disons que c'est possible
chez nous et je crois que c'est dû beaucoup à l'esprit d'invention
du théâtre pour jeunes publics.
Le Président (M. Gobé): Merci. C'est tout le temps
qui était imparti. Maintenant, M. le député
de Sainte-Marie-Saint-Jacques.
M. Boulerice: Oui. Mme Rioux, M. Vachon, M. Boucher, au
départ, je suis entièrement d'accord avec vous. Si c'est le tout
dernier, dernier, dernier recours, O. K. allez à l'école, mais il
faut vraiment sortir de l'école. Je me souviens, la dernière fois
que j'y suis allé, c'est avec M. Maxime, ce délicieux petit
monstre qui est mon filleul. Je pense que ça n'avait pas du tout le
même impact. Le week-end avec parrain, c'était à
l'extérieur de l'école. Et entrer dans un théâtre,
il y a quand même quelque chose de magique et, après ça, on
avait réussi à voir un peu les coulisses, ce qui était
intéressant et ça l'avait... bon, c'est un pléonasme, mais
ça l'avait marqué. Parce que je me souviens, à la
pièce où on avait fait les coups de marteau, vous savez, j'ai
dû expliquer pourquoi, en cherchant, par exemple; je ne me souvenais pas
où ça commençait.
Mais il y a cet élément magique effectivement qu'il faut
donner. Mais, oui, il peut peut-être y avoir des problèmes de
transport, mais je pense qu'on peut se parler et dire des
vérités. Il n'y a quand même pas une certaine
indifférence ou, je ne sais pas, une espèce d'affaissement. Moi,
je connais un musée qui a son propre car et qui dit: On va aller vous
chercher au métro, on va vous amener et on vous ramènera. C'est
tout juste s'ils ne vont pas les border le soir. Mais ils ont de la
difficulté et Dieu seul sait qu'ils ont un extraordinaire service
pédagogique, mais je ne sais pas... J'ai l'impression que l'école
ne s'aide pas. Moi, c'est mon "feeling" comme on dit en bon
Québécois. M. Vachon. (18 heures)
M. Vachon: Je pense qu'il faut dire aussi que le système
de transport scolaire est assez complexe. J'ai vu nombre de fois que c'est le
chauffeur d'autobus qui mène le groupe. À telle heure, on doit
quitter parce qu'il y a des transferts à tel lieu. C'est très
difficile d'avoir une cohérence et, ce qui est aussi très
difficile, c'est que les élèves qui viennent de loin doivent
pratiquement venir pour toute la journée, alors il faut créer une
animation autour de ça. Je pense qu'il y a aussi une question de
cohérence. Il faudrait que le ministère de l'Éducation
incite fortement chaque institution scolaire à goûter le
théâtre. Je ne sens absolument pas cette volonté-là
et, non plus, il n'y a pas de budget voué à la sortie
théâtre. Ça c'est clair.
M. Boulerice: Oui, mais, M. Vachon, je suis quand même un
ancien administrateur scolaire là. Non, je vous le dis sur un ton...
Rassurez-vous.
M. Vachon: Çava, çava.
M. Boulerice: Je ne veux pas vous agresser, rassurez-vous. Mais
je suis quand même un ancien administrateur scolaire. Les commissions
scolaires, bon, je ne vous dis pas qu'elles nagent sur l'or, mais elles sont
capables d'aménager leur budget. On a une très grande autonomie
face au ministère de l'Éducation. Il faudrait peut-être
secouer le prunier ou le pommier.
Mme Rioux: II faut tes secouer, il faut faire quelque chose parce
que, qu'est-ce que vous voulez, c'est elles qui décident d'envoyer les
enfants ou de ne pas les envoyer. Il faut faire quelque chose. Si vous lisez un
peu plus loin le mémoire, la Maison-Théâtre propose tout un
programme de contacts entre les gens du monde de l'enseignement et les acteurs
et les comédiens pour apprivoiser le théâtre; non pas en
tant qu'objet pédagogique, mais en tant qu'art. Je pense que c'est
extrêmement important. Il faut faire ce travail-là. Si la
Maison-Théâtre décide de s'embarquer là-dedans, il
faut l'appuyer parce qu'il y a du chemin à faire.
M. Vachon: Et heureusement qu'il y a la
Maison-Théâtre à Montréal pour créer un
rayonnement et sensibiliser les enseignants, les commissions scolaires, au fait
que c'est bien, et il faut manger du théâtre. Imaginez les
régions qui n'ont pas ces incitatifs-là. J'ai déjà
connu, par exemple - je le disais à Rémi tout à l'heure -
comme à Baie-Comeau-Hauterive, des personnes à la commission
scolaire qui voyaient des spectacles, qui sélectionnaient des spectacles
et il y avait une carte-théâtre pour les écoles. Ça
c'est des initiatives qui sont très rares. Je sais que Gatineau le fait
maintenant. Il y a des tentatives. Je sais qu'à Québec, par le
théâtre des Gros-Becs, il y a beaucoup d'efforts qui se font dans
le même sens. En fait, non pas directement sous le modèle de la
Maison-Théâtre, mais sous l'inspiration de la
Maison-Théâtre. Je pense qu'il y a place à continuer ce
développement-là.
M. Boulerice: Une petite pointe. J'ai lu dans votre
mémoire aussi que le mononcle d'Ottawa qui est tellement beau, tellement
fin, tellement "cute" ne veut plus vous envoyer à l'extérieur.
C'est le mononcle qui s'occupe des Affaires extérieures, c'est
ça. C'est juste pour contrebalancer parce que, au début de la
commission, mononcle à Ottawa, il est "cute" et il est fin - sans jeu de
mots - puis matante et mononcle, à Québec, nous autres, on n'est
pas bien bien gentils.
Sur un autre ordre d'idées - il fallait quand même qu'on
glisse un petit peu notre message, on a le droit de se faire plaisir de temps
en temps - l'écriture théâtrale pour un
théâtre comme celui-ci, le théâtre pour enfants, moi,
je suis tenté un peu de l'associer au théâtre
expérimental. Je suis peut-être hérétique en vous
disant une chose comme celle-là, parce qu'il n'a pas de forme
conventionnelle. Je vous le dis, il date de quand même peu de temps. Il
doit être
constamment réinventé. Vous allez me dire que tous les
théâtres doivent être réinventés, mais
celui-ci, peut-être d'une façon plus particulière. Donc, au
niveau de l'aide qui peut exister, au niveau de l'écriture pour le
théâtre pour enfants, est-ce que les choses sont suffisantes
à votre égard ou bien s'il n'y a rien?
M. Vachon: Je sais qu'il existe des programmes d'aide à la
recherche entre autres au ministère. On peut demander des bourses
d'écriture. Oui, il y a des fonds qui existent en ce sens-là et
qui sont absolument indispensables parce que la plupart des créateurs et
des artistes créateurs ne gagneront pas de sous s'ils ne jouent pas.
C'est une triste réalité mais un comédien gagne des sous
quand il joue. Un point c'est tout. Et les compagnies ne peuvent pas toujours
supporter leurs créateurs en les faisant vivre pour créer. La
cour du roi le faisait, mais les compagnies ne peuvent pas le faire. Je ne sais
pas, peut-être que Monique ou Rémi...
Mme Rioux: II y en a beaucoup de créateurs de
théâtre pour jeunes publics qui travaillent très fort.
Très souvent, un spectacle va aboutir après trois ans ou quatre
ans. On a été habitués longtemps à faire des
sacrifices. Quand on veut quelque chose, on l'a, et ce n'est pas parce qu'on
n'a pas d'argent qu'on ne le fait pas, on a la tête dure. Mais je pense
qu'actuellement, ce qu'il faut aussi, c'est de donner... Je ne sais pas
comment, mais il faut permettre aux enfants de pouvoir accéder à
cette culture-là. Je ne sais pas, je pense que vous devez brasser le
ministère de l'Éducation si ça doit passer par là.
Il faut que vous leur donniez de l'argent et que vous disiez: Faites quelque
chose, que le socio-culturel ne soit pas interprété comme la
cabane à sucre ou comme le McDonald's. Je n'ai rien contre la cabane
à sucre...
M. Boulerice: Non, mais...
Mme Rioux: ...mais quand même...
M. Boulerice: ...l'overdose peut tuer.
Mme Rioux: Très souvent, les écoles nous disent: On
n'a pas d'argent, on a très peu d'argent. Vous dites que, non, il y en a
en masse de l'argent et elles peuvent faire ce qu'elles veulent. Oui, et elles
le donnent pour les sports, l'argent. Bien, si on en veut un peu pour la
culture, il faudrait peut-être exiger plus.
M. Vachon: Et que l'on nous classe comme théâtre
professionnel. Ça, c'est très important parce que, manquant de
fonds, les institutions vont acheter selon leurs moyens et, malheureusement, il
y a une corrélation entre le prix de vente, le coût de la
production et le professionnalisme. L'investissement que chacune des compa-
gnies fait dans son spectacle en argent et en énergie se reflète
évidemment, puisqu'on doit s'administrer, dans le prix de vente. Alors,
les écoles n'ont pas les moyens, souvent, d'acheter un bon
spectacle.
Mme Rioux: Écoutez...
Le Président (M. Gobé): En terminant, madame, s'il
vous plaît.
M. Boulerice: Écoutez, je vous en prie.
Mme Rioux: ...ça fait 19 ans que la Marmaille existe. On
n'a jamais joué au Lac-Saint-Jean. On est venu jouer à
Québec l'année dernière, une fois, au Périscope:
Terre promise". Pourquoi? Parce qu'on gagne mieux notre vie à
l'extérieur, parce que, ici, les gens ne peuvent pas nous payer de per
diem, Ils nous demandent de loger dans des familles ou de... Bon. Je veux dire,
le "trip" du collectif, disons qu'on a passé ça...
M. Boulerice: Notre phase plateau est terminée.
Mme Rioux: Non, mais écoutez. Je me rappelle, moi, qu'en
1979 la Marmaille a été invitée pour jouer trois mois en
France: "On n'est pas des enfants d'école". Et on a refusé de le
faire parce qu'on a dit: Ça n'a pas de bon sens, c'est au Québec
qu'on doit jouer. On est au Québec et on doit jouer au Québec.
Mais, cette année-là, on n'a pas joué beaucoup au
Québec. On a essayé, mais on n'a pas pu. Bon. C'est bien
intéressant pour nous. On est invités dans des festivals de
théâtre pour enfants, pour adultes. C'est magnifique, on est de
très bons ambassadeurs, mais on aimerait bien ça aussi que ce
qu'on trouve, ce qu'on fait, ça serve aussi aux gens d'ici.
Le Président (M. Gobé): Merci, Mme Rioux. C'est,
malheureusement, tout le temps qui vous était imparti. M. le
député, un mot de remerciement.
M. Boulerice: Oui, mais c'aurait été une
dernière question. Quand est-ce qu'on Inaugure la Maison?
M. Boucher: En septembre 1993.
M. Boulerice: Ah bien, il y a des chances!
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Boulerice: Merci bien, Rémi, Monique et Paul.
Le Président (M. Gobé): Mme la ministre, en
terminant.
Mme Frulla-Hébert: Merci beaucoup. Seulement pour
terminer, pour vous assurer... À cette commission-ci, il y a des gens du
milieu, évidemment, culturel, mais on a invité aussi les gens de
l'éducation justement pour les sensibiliser. C'est sûr que le
ministère de l'Éducation dit: Les commissions scolaires, comme
mon collègue l'a dit, elles ont leur autonomie. Là, il y a le
problème des syndicats, etc. Mais si on embarque et qu'on fait un vaste
mouvement de sensibilisation, tout le monde ensemble, peut-être
qu'à quelque part il faut aussi que les parents comprennent. Il faut que
ça parte des parents. Donner 5 $ pour aller aux pommes, comme ma
sous-ministre me disait qu'elle a fait dernièrement, ces mêmes 5 $
ont dû être subventionnés, à un moment donné,
au niveau du transport, ce qui fait qu'on aurait pu, peut-être, amener
les enfants aussi au théâtre. Ça, on en est très
conscients.
Le Président (M. Gobé): Merci, Mme la ministre.
Peut-être que la ministre pourra, elle aussi, aller voir le
théâtre des enfants afin de pouvoir en faire la promotion
auprès de son collègue, le ministre de l'Éducation, par la
suite!
Mme Frulla-Hébert: On l'a fait. Sa sous-ministre y va. La
ministre a un enfant de 18 ans qui amène sa mère!
Le Président (M. Gobé): Alors, ceci étant
dit, ça met fin à nos travaux pour cette semaine. Je vais donc
ajourner les travaux de notre commission à mardi prochain, le 22
octobre, à 15 h 30 en cette salle, à moins d'avis contraire pour
la salle. La commission est donc ajournée.
(Fin de la séance à 18 h 11)