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Version finale

34e législature, 1re session
(28 novembre 1989 au 18 mars 1992)

Le mardi 1 octobre 1991 - Vol. 31 N° 39

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur la proposition de politique de la culture et des arts


Journal des débats

 

(Onze heures dix minutes)

Le Président (M. Doyon): À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît!

Donc, ayant constaté le quorum, je déclare cette séance ouverte. Je souhaite la bienvenue à tous ceux et celles qui nous font l'honneur d'être présents, particulièrement nos collègues parlementaires des deux côtés de la table. Je souhaite vivement que cette commission continue de susciter l'intérêt qu'elle suscite dans le moment et que ça se poursuive tout au long de nos séances.

Je rappelle très brièvement que le mandat de la commission est le suivant. Il s'agit, pour la commission permanente de la culture de l'Assemblée nationale, de procéder à une consultation générale et de tenir des auditions publiques sur la proposition de politique de la culture et des arts déposée à l'Assemblée nationale le 14 juin dernier. C'est ce que nous allons faire au cours des prochaines semaines. Donc, maintenant, M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements à annoncer?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. Mme Dupuis (Verchères) est remplacée par M. Dufour (Jonquière) et M. Godin (Mercier) est remplacé par M. Parizeau (L'Assomption).

Le Président (M. Doyon): Très bien. Donc, ces remplacements sont notés. L'ordre du jour d'aujourd'hui a été distribué aux parlementaires. Nous aurons, cet avant-midi, les déclarations d'ouverture. La ministre des Affaires culturelles procédera pour une quarantaine de minutes, peut-être 45. Un temps équivalent sera accordé à l'Opposition officielle. Ensuite, nous suspendrons pour le déjeuner, pour reprendre à 14 heures, avec l'Union des écrh/aines et écrivains québécois, pour trois quarts d'heure. Ce sont des périodes de trois quarts d'heure qui sont prévues.

À 14 h 45, il y aura l'Institut québécois du cinéma. À 15 h 30, l'Université Laval sera ici. Nous aurons ensuite le groupe RIDEAU, pour terminer avec le Conseil de la sculpture à 17 heures, pour un dernier trois quarts d'heure. Donc, ces choses étant dites, je rappelle que les ententes sont telles que c'est prévu au règlement. Donc, je viens de les énumérer. Sans plus de préambule, j'invite maintenant Mme la ministre à bien vouloir procéder à sa déclaration d'ouverture de ces travaux. Mme la ministre.

Déclarations d'ouverture Mme Liza Frulla-Hébert

Mme Frulla-Hébert: Merci, M. le Président. Chers membres de la commission de la culture, M. le chef de l'Opposition, chers amis, M. le Président, je veux vous souligner que c'est aujourd'hui un moment historique. Nous amorçons, par les travaux de cette commission, une réflexion de société. Pour la première fois de notre histoire, l'ensemble du Québec discutera publiquement, à travers ses représentants culturels, financiers, économiques, syndicaux, éducatifs et religieux, des grands enjeux d'une société qui s'est d'abord identifiée à sa culture.

Ce qui m'amène à souligner avec plaisir, M. le Président, la présence du chef de l'Opposition. J'aime croire que la présence du député de L'Assomption, M. Parizeau, est un symbole de sa volonté de discuter de notre développement culturel à des niveaux qui dépassent le rang de nos partis politiques. Je souhaite donc associer chacun de nos collègues à l'importance des prochaines semaines. La mission que nous nous sommes confiée est emballante et déterminante pour l'ensemble de notre société. Il s'agit ici de se mettre à l'écoute de nos concitoyens et concitoyennes, de ceux et celles pour qui la culture représente un bien collectif.

Rappelons-nous un instant le chemin parcouru. 1960: le gouvernement se donne un rôle prépondérant dans la défense de notre langue et de notre culture, et dans la protection de notre identité nationale. Les activités culturelles ne sont guère accessibles et elles sont pour la plupart réservées à une élite. C'est ainsi que le ministère subventionnera, au cours de sa première année d'existence, 96 personnes et organismes pour un montant de 610 000 $. Dans les années soixante-dix, la culture se démocratise. Le gouvernement prend le pari du développement culturel des régions. Les subventions sont versées dans le cadre de nombreux programmes normes.

Les années quatre-vingt auront finalement permis la structuration et l'organisation des milieux culturels, l'amélioration du statut professionnel des artistes et des créateurs, l'apparition d'un dynamisme culturel plus grand dans toutes les régions du Québec et le rayonnement de la production québécoise à l'étranger. Les années quatre-vingt-dix posent, quant à elles, le défi de l'innovation, de la nouveauté, alors que nos créateurs et nos entreprises culturelles font face à une réalité en pleine mutation dans un monde culturel éclaté.

Notre passé culturel s'illustre aussi par une volonté de grandir. On dénombre, aujourd'hui,

une cinquantaine d'organismes musicaux, plus de 130 compagnies de théâtre, près de 15 compagnies de danse, quelque 60 centres d'artistes autogérés, environ 180 galeries d'art commerciales, 150 lieux de spectacle, 344 musées et centres d'exposition, 900 bibliothèques publiques ou affiliées aux bibliothèques centrales de prêts, et plus de 500 monuments et sites culturels classés.

Dans le domaine des industries culturelles, nous comptons pas moins de 100 maisons d'édition, autant dans la production audiovisuelle et près de 40 entreprises dans le domaine de l'enregistrement sonore.

Des institutions nationales existent dans plusieurs secteurs. Au Musée du Québec se sont ajoutés le Musée d'art contemporain, le Musée de la civilisation, des conservatoires de musique, des lieux de diffusion tels que la Place des Arts et le Grand Théâtre.

Dans le domaine de la conservation, le Québec s'est doté de sa propre Bibliothèque nationale en plus d'avoir mis en place l'un des meilleurs centres de restauration d'oeuvres d'art au Canada, le Centre de conservation du Québec. Les Archives nationales existent, quant à elles, depuis 1920. Le Québec jouit donc d'équipements culturels importants, d'organismes diversifiés qui se distinguent par leur créativité et par la qualité de leurs réalisations.

De nombreuses lois comme la Loi sur le développement des entreprises québécoises du livre, la Loi sur le cinéma, la Loi sur les archives, les lois sur le statut de l'artiste sont en vigueur. Elles donnent aux milieux culturels des moyens d'action, des outils pour s'organiser, protéger ou régir leurs secteurs d'activité. Comme gouvernement, nous nous sommes engagés financièrement dans le soutien des activités culturelles, dans la création d'équipements culturels et dans la conservation de notre patrimoine. En examinant le chemin parcouru, nous réalisons la nécessité d'actualiser notre intervention. Le mandat formulé à l'époque répond-il à la réalité des années quatre-vingt-dix?

Le 24 janvier dernier, j'annonçais la création du groupe-conseil sur la politique culturelle. M. Roland Arpin acceptait la présidence d'une équipe de 10 personnes, 10 Québécois et Québécoises reconnus pour leur compétence et leur leadership dans leur milieu respectif. C'est le 14 juin dernier que la proposition du groupe-conseil était déposée à l'Assemblée nationale. J'entends travailler fermement dans l'esprit du rapport Arpin, soit de faire reconnaître la mission culturelle à des niveaux de considération comparables à nos missions économique et sociale.

M. le Président, je tiens à remercier et à souligner ici le travail du groupe-conseil et de chacun de ses membres: M. Jules Bélanger, historien et président de la Société historique de la Gaspésie; M. Bernard Boucher, secrétaire général de l'Institut québécois du cinéma; M. Marcel Couture, président du Salon du livre de Montréal; M. Antoine Del Busso, éditeur, directeur des Éditions de l'Homme, directeur du Jour; M. Peter Krausz, directeur de la galerie d'art du centre Saidye Bronfman; Mme Andrée Ménard, directrice de RIDEAU; M. Gaétan Morency, directeur de l'ADISQ; M. Robert Spickler, directeur de l'Orchestre symphonique de Montréal; Mme Marie Ttfo, comédienne; M. Serge Turgeon, président de l'Union des artistes. Le groupe a brillamment relevé le défi et son rapport nous trace des voies que nous devons explorer.

Déjà, en janvier dernier, à l'annonce de la formation du groupe-conseil, j'invitais nos concitoyens à se préparer à l'exercice de consultation que nous amorçons aujourd'hui. Le 17 juillet, l'invitation s'officialisait et, M. le Président, 263 organismes et individus ont tenu à nous faire connaître leur point de vue face au tournant culturel dans lequel nous nous engageons. Je voudrais aussi informer mes collègues que pas moins de 14 ministères sont impliqués dans le processus qui nous mènera à établir une politique culturelle que nous voulons gouvernementale. Des rencontres et des réunions à des niveaux ministériels et au niveau de nos cabinets ont été tenues depuis le 2 juillet. Dans une action sans précédent, plus de 300 membres et employés du ministère des Affaires culturelles ont participé à une journée de réflexion le 12 septembre dernier. Comme vous pouvez le constater, la démarche que nous amorçons par des préparatifs sérieux démontre l'importance de cette consultation aujourd'hui. Cette commission parlementaire n'aura été dépassée, par le nombre de mémoires, que par les commissions sur la loi 22 en 1976, par la loi 101 en 1977 et par le projet de loi 120 en 1991.

M. le Président, je crois profondément que le temps est venu de faire le point et de dégager une politique culturelle cohérente pour l'avenir de notre société québécoise. J'ai déjà pris connaissance de nombreux mémoires. L'engagement et l'intérêt diversifié des groupes et des individus que nous entendrons témoignent de l'attachement et de la conscientisation qu'ils possèdent envers notre devenir culturel, et je les en remercie.

Je souhaiterais, M. le Président, soulever dès maintenant quelques axes vers lesquels nous devons pousser nos interrogations. Elles sont au nombre de huit. 1° La place de la création dans une politique culturelle. Nos créateurs, nos artistes constituent l'âme de notre vie culturelle. Le gouvernement a adopté deux lois reconnaissant le statut professionnel des artistes. Les problèmes fiscaux des interprètes ont été résolus. Nous nous sommes aussi dotés d'une politique d'acquisition et de gestion du droit d'auteur, et nous

avons reconnu et compensé financièrement dans des ententes le droit des créateurs à toucher des revenus pour l'utilisation de leurs oeuvres dans le réseau de l'éducation et des affaires sociales. Pourtant, plusieurs artistes nous font part de la précarité de leurs conditions de vie et de leur pratique professionnelle. Il nous faut assurer un relèvement de ces conditions. L'activité culturelle au Québec représente 65 000 emplois et génère 3 500 000 000 $ dans notre économie. L'effort que nous devons consacrer au développement et au maintien de l'emploi dans ce secteur est crucial et est aussi important que celui que nous devons consacrer à préserver les emplois dans d'autres secteurs économiques. Soutenir davantage le rôle irremplaçable de la création devient rapidement, dans ce contexte, un renouvellement de nos objectifs. Comment assurer cette fonction essentielle contre les variations de notre vie économique? Quels moyens devons-nous prendre et mettre en oeuvre pour protéger le caractère unique de notre vie culturelle? 2° Le développement des arts et des industries culturelles. La situation financière de plusieurs de nos organismes invite certaines études à nous recommander de mettre fin à une gestion trop parsemée, de mettre , un terme à une administration de saupoudrage. Certains nous suggèrent d'aligner un soutien vers une consolidation des organismes; d'autres, au contraire, craignent qu'un tel choix freine l'émergence de la relève et de nouveaux projets artistiques. Ces contradictions doivent être clarifiées afin de mieux cerner nos objectifs. Quels doivent être les moyens que nous devons privilégier pour renforcer nos organismes? 3° Le financement des arts et de la culture. Le financement des arts et de la culture est aussi un enjeu important. Depuis cinq ans, le budget du ministère des Affaires culturelles a doublé. S'il ne dépasse toujours pas le seuil de 1 % du budget gouvernemental, en contrepartie, je soulignerais que le gouvernement investit dans notre vie culturelle à travers 14 ministères. Une fois ce constat réalisé, le défi demeure. Le milieu culturel fait face à une sous-capitalisation de ses organismes et il nous faut explorer ensemble le domaine du financement des arts. Les questions sont nombreuses et cette commission parlementaire doit nous aider à trouver les bonnes réponses. 4° Le rôle culturel des médias. Ceci nous amène à un autre enjeu majeur qui n'est pas sans relation avec le dernier, c'est-à-dire le rôle culturel des médias. Le Québec a accès à un ensemble de médias électroniques et écrits. Ceux-ci sont devenus les lieux de création et constitueront l'un des principaux véhicules culturels des années à venir. Leur niveau d'accessibilité et le développement technologique en feront des éléments clés dans notre devenir culturel. Comment associer davantage nos médias à la diffusion, à la création et à l'animation culturelles? C'est une des grandes questions sur laquelle plusieurs participants voudront s'exprimer. 5° L'éducation. Le groupe-conseil sur la proposition d'une politique des arts et de la culture a aussi identifié l'école comme un centre d'animation, de diffusion et de formation en matière culturelle. Le groupe pointe l'école comme le véhicule le plus propice pour donner à nos jeunes les outils pour accéder à la richesse des arts et de la culture. En 1991, l'école peut-elle et, si oui, doit-elle accroître son rôle culturel? Notre éveil à la vie culturelle comme adulte dépend souvent d'une sensibilisation acquise en bas âge. Ne devons-nous pas y accorder une attention particulière? En 1991, la formation artistique et le perfectionnement de nos artistes sont-ils encore adéquats? 6° La vie culturelle dans les 16 régions du Québec. Je voudrais maintenant témoigner, M. le Président, de la vigueur et du dynamisme culturels qui caractérisent chacune de nos régions. M. le Président, je rentre à peine d'une tournée effectuée dans 10 de nos grandes régions. Je me suis rendue successivement en Estrie, dans les Bois-Francs, en Mauricie, dans le Saguenay-Lac-Saint-Jean, dans l'Abitibi, l'Outaouais, sur la Côte-Nord, dans le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie et dans les Laurentides. Ce que j'ai vu, M. le Président, est dans la lignée de nos grands bâtisseurs culturels, une création fondée sur une appartenance et une volonté extrêmement ferme de participer à la dynamique culturelle du Québec. Bien sûr, nous devons prêter l'oreille aux créateurs de notre capitale et de notre métropole qui font face à une situation particulière. Gardons toujours à l'esprit que notre culture grandira dans la mesure où nos artistes, nos créateurs, nos développeurs de l'ensemble du Québec échangeront. Plusieurs intervenants régionaux m'ont fait part de leur inquiétude face à la place que donnera la future politique culturelle à la création régionale. Nous aurons l'occasion de les entendre. Ils seront nombreux à venir nous faire part de leur vision, du type de vie culturelle qu'ils souhaitent pour leur région et de la façon dont le ministère doit les soutenir et élaborer ses programmes d'aide financière.

La ville de Québec est aussi unique, reconnue mondialement comme joyau de notre patrimoine. Son histoire, son visage en font une force culturelle à appuyer. Montréal, pour sa part, possède une richesse culturelle que nous connaissons tous et qui s'exprime dans sa diversité; elle représente une vitrine importante de notre activité culturelle pour le milieu international. L'apport de nombreuses communautés constitue un atout important dans le futur montréalais. Il faut donc profiter des prochaines semaines pour ébaucher des solutions et des réponses à l'équilibre que nous devons trouver pour favoriser l'éclosion de créneaux culturels qui répondent aux besoins de chacune de nos 16 grandes

régions. 7° L'action internationale. Le défi de l'internationalisation se pose de façon probante. Depuis des années, le discours politique et économique s'appuie sur un rapprochement des communautés, sur l'abolition des barrières. Sur le plan culturel, la volonté du gouvernement de s'ouvrir sur le monde s'est déjà exprimée: le moment est venu de définir notre action. Quels sont les moyens que nous devons déployer pour affronter la concurrence mondiale? Devons-nous prioriser certains axes de développement? Plusieurs organismes seront appelés à nous faire partager leur expérience. L'écoute de ces témoignages nous aidera à définir une intervention mieux ciblée.

Et, finalement, 8° La culture dans nos municipalités. M. le Président, je suis heureuse de constater le nombre important de représentants municipaux qui tiennent à s'exprimer ici dans le cadre de cette commission parlementaire. Je suis certaine que ces invités pourront enrichir notre débat et nous aider à trouver ces réponses. D'entrée de jeu et de façon plus particulière, je veux dire aux représentants municipaux que j'ai l'intention de travailler en étroite collaboration avec eux. Mon ministère a fait la preuve, par le passé, d'une volonté d'association; j'entends maintenir ce cap. Je rappellerai qu'à travers des programmes d'implantation et de soutien aux bibliothèques, à la mise en valeur du patrimoine, à la construction et à la rénovation des salles de spectacle ou encore comme partenaires dans l'appui à des activités artistiques et culturelles nous avons créé un climat d'échanges fructueux.

Il serait bon également de rappeler que le ministère des Affaires culturelles est le ministère le plus décentralisé de tout l'appareil gouvernemental. De cette façon, nous pouvons mieux répondre aux attentes de notre clientèle. Il sera intéressant, au cours des prochaines semaines, d'enregistrer l'expérience des uns et des autres afin d'orienter nos politiques.

Enfin, M. le Président, permettez-moi de faire le point sur la proposition que le gouvernement fédéral a fait connaître, il y a une semaine aujourd'hui. Il s'agit d'abord d'un document qui surprend. La remise en question qu'il véhicule est majeure. D'un point de vue canadien, ce document remet en cause la structure politique canadienne et contient des propositions qui risquent de chambarder le type de gestion publique que s'était donné jusqu'ici le Canada. Il questionne sérieusement la capacité concurrentielle canadienne. Il s'agit donc d'un document qui possède le mérite d'affronter et de questionner la problématique politique, constitutionnelle et économique du pays.

Mais, M. le Président, ce document dépasse largement tout ce qui avait été publié jusqu'ici. Rappelons que les rapports des commissions Laurendeau-Dunton dans les années soixante, Pépin-Robarts dans les années soixante-dix,

MacDonald dans les années quatre-vingt ont tous recommandé un accroissement de pouvoirs pour le Québec, entre autres, dans les champs culturel et linguistique. Il y a quelques mois, chez nous au Québec, le rapport Allaire et celui de la commission Bélanger-Campeau concluaient en faveur d'un rapatriement exclusif en matière de culture. Le document fédéral de mardi dernier se place donc en porte-à-faux par rapport à l'ensemble de ces commissions ou comités. Historiquement et traditionnellement, le Québec a toujours été identifié comme le seul gouvernement responsable de la défense et de la promotion de la culture francophone en terre d'Amérique. Or, le gouvernement fédéral, à travers son document, remet en question cette responsabilité. (11 h 30)

M. le Président, nous n'avons pas l'Intention de nier l'investissement d'Ottawa au Québec, un investissement, il faut bien se le dire, qui provient de l'ensemble de nos concitoyens du Québec. Déjà, depuis quelques années, avec son pouvoir de dépenser, Ottawa nous a forcé la main dans certains secteurs et, selon ses priorités, il multiplie les dédoublements et les chevauchements. Les secteurs de l'édition et du cinéma sont des champs où il y a duplication avec nos bibliothèques nationales, avec nos agences de développement, ainsi qu'avec nos programmes de soutien. Ajoutons un autre exemple: au niveau des équipements culturels, le gouvernement fédéral a certes investi des sommes importantes, mais il faut être conscient que, chaque fois qu'Ottawa investit dans la construction d'un nouvel équipement, il se décharge de toute responsabilité financière reliée au fonctionnement des organismes concernés. La pression devient alors très forte pour le gouvernement du Québec d'apporter son soutien à ces organismes et, par le fait même, de modifier l'ordre de ses propres priorités. En termes clairs, le fédéral bâtit, en collaboration avec le Québec, l'équipement et il prend pour acquis que le Québec contribuera à ces opérations pendant des décennies. N'est-ce pas là, M. le Président, une autre façon de s'ingérer dans le champ culturel?

Mais, depuis mardi dernier, le gouvernement fédéral exprime la volonté de se donner un pouvoir additionnel, soit celui de légiférer en toute matière jugée utile à une union économique. Ce pouvoir additionnel soulève de nombreuses interrogations dans le domaine de la culture. Quelles garanties avons-nous qu'Ottawa ne cherchera pas à diminuer la portée de notre Loi sur le cinéma? Quelles garanties avons-nous qu'Ottawa ne cherchera pas à contrer notre action qui vise à favoriser les éditeurs québécois? Quelles garanties avons-nous qu'Ottawa ne cherchera pas à éliminer le réseau de nos distributeurs québécois dans le domaine du fï/m? Quelles garanties avons-nous qu'Ottawa ne cherchera pas à assujettir nos lois de protection sur le patrimoine? Quelles garanties avons-nous

qu'Ottawa ne cherchera pas à subordonner notre législation sur le statut professionnel des artistes? Voilà autant de questions qui m'inquiètent, surtout si le gouvernement fédéral maintient sa volonté d'appliquer des normes pancanadiennes,

M. le Président, le gouvernement fédéral doit modifier ses positions et Ottawa doit refaire ses devoirs. La proposition telle que présentée, M. le Président, est inacceptable. Le Québec s'est toujours élevé contre un affaiblissement de ses pouvoirs en matière de culture. Travailler, M. le Président, en collaboration, oui. Travailler sous tutelle, jamais.

Entre-temps, je voudrais préciser, M. le Président, que j'entends fournir, le mois prochain, à la commission parlementaire sur la loi 150 qui étudie les propositions fédérales, une étude plus poussée des observations que je vous livre ce matin. M. le Président, j'entends me battre pour un Québec culturellement fort et tourné vers l'avenir. M. le Président, maintenant que cette mise au point est effectuée, je souhaite pouvoir engager cette commission parlementaire sur son enjeu principal, soit la définition d'une politique québécoise en matière de culture.

La société québécoise évolue depuis plus de 382 ans. Elle est fondée sur une interrelation entre nos communautés amérindienne, anglaise et française. La communauté anglophone a joué et continue de jouer un rôle prépondérant dans le développement de notre culture. C'est à partir d'une tradition et d'une communion de nos communautés que plusieurs de nos grands organismes ont pu voir le jour et évoluer. Comme gouvernement, nous devons offrir à notre communauté anglophone les moyens d'assumer son développement. La communauté amérindienne s'exprimera aussi à travers ses leaders. J'entends y prêter une oreille attentionnée, une oreille qui sera à l'écoute d'une communauté qui s'affirme et qui lutte pour la sauvegarde de sa culture. M. le Président, la société québécoise doit recréer ses liens avec ses communautés amérindiennes; le canal culturel constitue alors l'une des voies à privilégier. Comme nous pouvons le réaliser, notre avenir culturel repose sur un ensemble de défis.

Un mot avant de terminer, M. le Président. Le ministère des Affaires culturelles a 30 ans cette année. Il s'agit, à notre point de vue, d'une année-charnière et cruciale. Je souhaite être bien comprise: l'exercice que nous amorçons ce matin nous conduira à des résultats concrets, fondés sur un souci d'efficacité et de clairvoyance. J'invite donc nos créateurs, nos organismes et nos développeurs à s'exprimer à travers un dialogue franc, sans crainte de faire connaître leurs préoccupations les plus profondes. C'est à travers ses auteurs, ses artistes, son théâtre, sa littérature, son cinéma, sa musique et sa chanson qu'une société exprime sa force de création, et c'est à l'État qu'il appartient de créer des conditions qui en favorisent l'expres- sion. J'entends agir de façon concrète afin de favoriser cette force créative propre au Québec. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Doyon): Merci, Mme la ministre. Ceci termine donc les remarques préliminaires du côté ministériel. Maintenant, j'accorde la parole, pour 40, 45 minutes, à l'Opposition officielle. M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques ou M. le chef de l'Opposition, je ne sais trop.

M. André Boulerice M. Boulerice: M. le Président... Le Président (M. Doyon): M. le député.

M. Boulerice: ...M. le chef de l'Opposition, Mme la ministre, chers collègues de la commission de la culture, au-delà de 260 demandes d'intervention en cette commission, est, effectivement, un chiffre assez impressionnant, mais n'allons pas nous cacher, M. le Président, que cette commission s'ouvre dans un climat où règne une certaine méfiance, un scepticisme, après trois ministres successives et six années de pouvoir libéral. Le discours a toujours été au désengagement de l'État et à des intentions répétées et non respectées quant au 1 %, à l'absence de lois sectorielles urgentes et on a eu les propos contradictoires récents entre la ministre et son premier ministre. Passons outre, M. le Président.

Albert Jacquard, dans son "Éloge de la différence", s'interroge sur le nivellement et la diversité des cultures. Le Québec pourrait-il répondre à cette interrogation? Je n'en doute point. L'action culturelle participe à l'identité, à la qualité, à l'intelligence et à la sensibilité unique, distincte des composantes individuelles et collectives du peuple québécois. Parce que déniée sans cesse par la structure canadienne, cette unicité culturelle est le coeur et la raison du ' besoin de cohérence souveraine du peuple québécois. L'action gouvernementale en arts, en culture et en communications constitue donc une condition fondamentale de réussite du projet de société québécoise souveraine, moderne et ouverte sur l'avenir et le monde.

De façon à assurer une administration publique plus efficace et plus cohérente du domaine des arts, de la culture et des communications, une politique culturelle globale doit être centrée par une reprise en main par le gouvernement du Québec de l'administration du domaine dont la responsabilité a été graduellement usurpée par le gouvernement fédéral. Cette reprise de contrôle par le Québec doit, du même élan, s'inscrire dans une démarche stratégique de réorientation et de restructuration en profondeur de l'action de l'État québécois en ce domaine primordial du présent et de l'avenir du Québec.

Cette diversité, une condition de développement durable de l'humanité, est battue en brèche par le monoculturalisme hégémonique envahissant des multinationales de la culture. Sauver )a planète passe aussi par la survie des différences culturelles des êtres humains, humus de diversité qui conditionne l'avenir de l'humanité.

Dans le document de discussion que notre formation politique remettra incessamment au milieu des arts, de la culture et des communications, nous proposerons une action globale tout en faisant la distinction, et non pas la compar-timentation telle que contenue dans le rapport Arpin, entre les arts et la culture, cette dernière étant nos institutions et nos industries en arrimage avec les arts et les activités d'expression et en jonction avec l'immense secteur des industries et services des communications, donc, en prenant ce virage culturel essentiel pour un Québec moderne et souverain, n'en déplaise au ministre fédéral des communications, M. Beatty.

Pour nous, il ne s'agira pas de rénover, de renouer, mais bien d'inventer des situations nouvelles qu'impose la venue du troisième millénaire et, également, d'inventer les solutions professionnelles et industrielles les mieux adaptées au marché et aux besoins du Québec, des créateurs et artistes qui font ce Québec. Notre vision, notre conception se voudra une contribution au projet de société nationale que nous voulons.

M. le Président, je céderai la parole au chef de l'Opposition et député de L'Assomption qui, par sa présence, témoigne de l'importance de la culture au sein du Parti québécois, parce que la culture, M. le Président, est à la fois en amont et en aval du projet de souveraineté pour le Québec.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. le député. M. le chef de l'Opposition, vous avez maintenant la parole.

M. Jacques Parizeau

M. Parizeau: M. le Président, d'abord, je voudrais remercier la commission de m'autoriser à présenter aujourd'hui devant elle un certain nombre de préoccupations dont je dois dire que, pour moi, elles ne sont pas nouvelles et qui m'apparaissent à la fois trop importantes pour notre société et trop sérieuses pour qu'on les place dans un cadre qui se voudrait, comment dire, rigoureusement partisan. Je pense que nous n'en sommes pas la. D'un autre côté, je vais essayer d'être aussi réaliste que possible, parce que le dialogue culturel dans les milieux, disons, politiques, au sens large, du Québec, depuis trop longtemps - et quand je veux dire "trop longtemps", je ne ne parle pas de deux, trois ou quatre ans, on ne parle pas de ça - depuis, disons, un bon demi-siècle est trop souvent marqué de désirs, de souhaits et d'une sorte de refus de voir souvent la réalité en face.

Cette réalité, dans ses éléments fondamentaux, est, au fond, assez simple. Une société de langue française, en Amérique du Nord, qui, finalement, sur le plan culturel, développe ou montre une vitalité de plus en plus remarquable doit pouvoir compter en son sein sur des appuis à la fois profonds et étendus. C'est dans la nature des choses. Il faut que la culture de cette société puisse s'appuyer, bien plus que dans des sociétés plus nombreuses, à la fois sur des Interventions gouvernementales, sur des appuis de toutes espèces d'organismes de la vie publique, sur, comment dire, l'aspect privé de l'économie de cette société. Puisque la culture est l'expression peut-être la plus fondamentale de cette société, elle doit être capable de s'appuyer sur les appuis que la société - justement parce que la culture joue ce rôle - doit lui fournir.

C'est ça, la normalité des choses pour une société comme la nôtre. On pourrait en dire tout autant des sociétés Scandinaves, les sociétés de petits pays en termes de population. Mais singulièrement pour nous, compte tenu du contexte nord-américain dans lequel nous vivons, c'est la normalité des choses. Seulement, ça ne s'est pas passé comme ça. Ça ne s'est pas passé comme ça, reconnaissons-le clairement, parce que les expressions politiques de la société québécoise, pendant très longtemps, n'ont pas compris cela et, donc, ont laissé la place à peu près libre à un gouvernement fédéral qui avait d'autres intérêts, d'autres orientations et qui a occupé une place que le Québec, dans l'ensemble, pendant longtemps, n'a pas voulu occuper.

Et, somme toute, pendant longtemps aussi, reconnaissons que ce qu'Ottawa a fait dans le domaine large de la culture et des communications n'a pas nécessairement et systématiquement desservi le Québec. L'importance, à une certaine époque - c'est moins vrai aujourd'hui - de Radio-Canada sur la langue française ici a été indiscutable, absolument indiscutable, alors que le gouvernement du Québec de l'époque considérait que les Québécois étaient - disait le premier ministre de l'époque - des Français améliorés et que nous avions le meilleur système d'éducation du monde, toujours ce contraste entre les déclarations puis la réalité des choses. (11 h 45)

Le Québec n'a pas été desservi pour l'apparition d'un cinéma ici. Il n'a certainement pas été desservi par l'Office national du film, dans la façon dont il s'est manifesté au départ. Et le Conseil des arts, créé à Ottawa, s'inscrivait à une époque où, dans ce sens, ici il ne se faisait à peu près rien. Bien sûr, ce n'était pas complet. Bien sûr, selon l'esprit de l'époque, les arts d'interprétation étaient très éloignés des préoccupations de bien des gens. Les milieux les plus riches du Québec étaient à ce moment-là, pour l'essentiel, des anglophones qui, à Montréal, ont lancé pas mal de choses, ont tenu pas mal

de choses, mais qui n'ont jamais eu cette perspective québécoise de la culture, et c'est parfaitement normal.

Comme le rappelait la ministre tout à l'heure, en 1960, le ministère des Affaires culturelles est créé. Il est créé dans une atmosphère extrêmement difficile. Ces débuts très difficiles du ministère au Québec sont probablement plus largement responsables de la démission de M. Georges-Emile Lapalme que quelque autre facteur que ce soit. En fait, rien n'est aussi contrastant, dans les années soixante, que ce ministère des Affaires culturelles qui, ayant réussi à apparaître, a toutes les difficultés du monde, cependant, à s'imposer et, dans ce sens, contraste avec toutes les autres grandes initiatives de la Révolution tranquille. L'éducation coûtera une fortune, dans les années soixante, et on prend pour acquis que c'est nécessaire et que ça ne présente aucune espèce de problème. On accusera même les mandarins de cette époque d'avoir conspiré pour faire en sorte qu'à l'Education on ne manque jamais d'argent. C'est rigoureusement vrai. Je le sais, j'y étais.

Des transformations dans les services sociaux majeurs, fondamentaux, des sommes considérables placées dans le développement économique; la culture reste, sur le plan de sa seule expression au gouvernement du Québec, la cinquième roue du carrosse. Bien sûr, il y a eu des efforts. Je ne vais pas, à cet égard, nier, par exemple, les efforts que le Parti québécois, au pouvoir pendant neuf ans, a faits pour augmenter la part de la culture dans le budget du gouvernement du Québec. Il ne faut pas nier, non plus, les efforts qui ont été faits pour faire déboucher un certain nombre de grands projets culturels. Mais, Dieu, que tout ça a été pénible, difficile! Prenons ces grands investissements. Oui, le Musée du Québec, le musée des Plaines vient d'être inauguré. M. le Président, la première fois que des crédits ont été affectés à ce projet, c'est en 1977: 21 000 000 $. C'était beaucoup d'argent. Ça a été périmé. En 1978, périmé; en 1979, périmé; puis c'est disparu. Ça aura pris, dans des querelles d'écoles, d'ailleurs, extraordinaires, donc 15 ans pour aboutir. Heureusement, le Musée de la civilisation a pu être déclenché et aboutir assez rapidement. Çia oui. Oui, à Montréal, le déplacement du Musée d'art contemporain, enfin, après bien des années, a finalement abouti. Ça fait aussi 15 ans qu'on en a parlé. Mais la salle de concert, toujours arrêtée. Ce musée tellement Important pour la diffusion de ces formes nouvelles de culture dans la société de la fin du XXe siècle, le musée de la science et de la technologie, est encore accroché quelque part. La vocation de Radio-Québec a été remise en cause combien de fols depuis 10 ou 12 ans? Que doit faire Radio-Québec? On n'a toujours pas fini d'en parler.

Et puis, il y a eu des replis extraordinaire-ment significatifs. Oui, parmi les grandes priori- tés - au moment de la réforme fiscale municipale, en 1980, on comprend fort bien que le gouvernement doit garder un certain nombre de priorités à l'égard des municipalités puisqu'il supprime une foule de subventions dans d'autres domaines - il va faire face à cette responsabilité de l'épuration des eaux et ne s'en retirera pas. Il y mettra même des sommes considérables. Jusqu'à tout récemment, il reconnaissait la priorité du transport en commun et il y mettra des sommes considérables. Dans le domaine culturel, II avait un certain nombre de priorités, en particulier les bibliothèques publiques. Les bibliothèques publiques, je reconnais que, depuis quelque temps, ça va mieux, mais on sait les avatars de cette politique-là. L'aide au cinéma, oui, on a compris, à un moment donné. Et, depuis ce temps, ça stagne. Et non seulement ça stagne au Québec, mais le contraste entre ce qui se fait à Ottawa et ce qui se fait au Québec devient désarmant. Tout ça, d'ailleurs, revient toujours à ce que, depuis des années et des années, les budgets sont trop serrés.

Tout n'a pas été mal fait. Je ne voudrais pas ici considérer que c'est une sorte de critique générale de tout ce qui a pu se faire aux Affaires culturelles, côté québécois, depuis un certain nombre d'années. Mais les budgets ont toujours été serrés. Il manquait toujours l'argent qu'il faut pour éviter un saupoudrage dans une multitude de programmes. Les intentions étaient invariablement bien au-delà des moyens.

Et comme toujours, quand, en fonction des intentions déclarées, les moyens sont trop faibles, les contrôles deviennent tatillons. On doit faire des pressions dans chaque programme pour que ça coûte le moins cher possible. Comment arrive-t-on à cela? Eh bien, en augmentant les contrôles ministériels. Le contrôle ministériel devient la seule façon d'empêcher le couvercle de la marmite de sauter. Le ministre des Affaires culturelles devient celui qui a à dire non à tout le monde à peu près sans arrêt. Ou sinon à dire non, en tout cas, à s'excuser qu'il n'y en ait pas davantage.

Mais ça a développé une culture de ce qu'on pourrait appeler la gestion culturelle à Québec. Une culture, encore une fois, de petits contrôles, de mesquineries souvent inévitables et qui contrastaient singulièrement avec des ouvertures, comment dire, au niveau d'Ottawa qui, évidemment, maintenant sont bien passées. À l'heure actuelle, Ottawa commence à se rendre compte de ce qu'une atmosphère de coupures budgétaires à qui on permet de s'étendre du côté culturel a comme effet.

M. le Président, bien sûr, quand on est en face d'une situation comme celle-là, il faut donner le change. Puisque les moyens ne sont pas là, alors, au moins, que les paroles y soient. Et nous avons été servis et nous sommes servis depuis des années sur le pian, comment dire, de la langue et des affirmations. Qui ne se souvient

pas, au milieu des années soixante-dix, de l'affirmation du premier ministre actuel du Québec à l'égard de la souveraineté culturelle? On n'avait que des petits bouts, mais on allait rêver à la souveraineté culturelle. Mais encore, en août dernier, à la session spéciale, il n'y a pas si longtemps, le premier ministre souhaitait que le Québec ait la maîtrise d'oeuvre sur le plan culturel. La maîtrise d'oeuvre. Il faut bien comprendre que la maîtrise d'oeuvre sur le plan culturel, ça veut dire non seulement dans le domaine, par exemple, de la distribution des subventions, mais ça touche l'ensemble de ce qui compose aujourd'hui la culture et donc les communications.

Le rapport Arpin nous amène dans la même voie, souhaite que le Québec soit maître d'oeuvre sur le plan de la culture, en reconnaissant qu'un grand nombre des instruments culturels majeurs sont à Ottawa. Néanmoins, ce thème revient comme si c'était, comment dire, presque de la projection sur un plan psychologique, un peu comme ceux qui sifflent dans le noir pour cesser d'avoir peur. Mais la réponse sur ce plan a toujours été très claire, à Ottawa, et elle nous est encore revenue à l'occasion des offres constitutionnelles. Elle nous revient ce matin par les déclarations du ministre fédéral des Communications, M. Beatty, qui dit: Le gouvernement fédéral est essentiel comme gardien de la culture québécoise. Se faire dire ça, est-ce que ce n'est pas nous ramener à une réalité qu'on ne veut peut-être pas voir, mais qui, aujourd'hui, est celle-là? On peut, sans rire, à Ottawa, affirmer aujourd'hui: Ottawa est essentiel comme gardien de la culture québécoise. Pourtant, l'objectif demeure aussi fondamental.

Au fond des choses, une société placée comme la nôtre, de la taille de la nôtre, doit trouver en elle-même les instruments, les leviers - et j'allais dire plus large que ça - les objectifs, les intentions qui permettent à sa culture de s'épanouir, de se confronter à celles du reste du monde, de devenir, au fond, une sorte de raison d'être de la société elle-même. Elle doit être en mesure de trouver ça en elle-même, la société québécoise. C'est-à-dire que la souveraineté culturelle, elle est toujours aussi essentielle, mais elle n'existera que par la souveraineté tout court. Il va bien falloir passer par là. Tant qu'on n'aura pas passé par la souveraineté tout court de la société québécoise, bien, la souveraineté culturelle restera un voeu, un espoir, chez certains peut-être un remords, mais il faudra passer par là.

Dans cette optique, il faut, je pense, préparer l'expression de la souveraineté culturelle dans le cadre d'un Québec qui, effectivement, deviendrait souverain. Et là, au fur et à mesure qu'on se rapproche de ce qui semble être, pour un nombre de plus en plus grand de gens, comme une échéance qui va arriver assez vite, plus on s'approche, plus on commence, au niveau des conceptions, à voir qu'il n'est pas vrai que les artistes ont tous le même point de vue là-dessus, que tous les milieux de la culture au Québec appellent de leurs voeux la souveraineté culturelle qui découlerait de la souveraineté. Plus on s'approche de l'échéance, plus on remet en cause certaines des conceptions qui se sont fait jour au Québec et certaines des façons dont la culture doit être appuyée dans cette société. (12 heures)

Ce qui me paraît, à l'heure actuelle, être l'interrogation la plus intéressante à cet égard a trait - et on l'a vu dans pas mal de réactions à l'égard du rapport Arpin - au rôle d'un ministère de la culture. Dans une société qui a l'ensemble des instruments culturels qu'on doit avoir quand une société comme la nôtre est placée dans la situation où elle est, quel est le rôle exact d'un ministère de la culture qui, là, présumément, disposerait de toute la gamme des instruments? C'est là que se situe cette interrogation à l'égard de ce qu'on appelle habituellement en anglais le "arm's length" d'un ministère par rapport aux organismes. La culture québécoise jusqu'à maintenant exprimée à travers le ministère, c'est que le ministère contrôle à peu près tout de ce qu'il peut contrôler à l'Intérieur du champ qui lui est fait. Il y a beaucoup de réticences à cela et des réticences qui sont parfaitement compréhensibles.

L'orientation fédérale a tradionnellement été différente: des organismes dotés de leur budget qui le dépensent et qui le gèrent avec un degré d'autonomie assez grand par rapport au ministère; des organismes subventionnant qui ne sont pas l'expression inévitable et constante de la volonté du ministère, du ministre. Je pense qu'au moment où on se préparerait à disposer de l'ensemble de nos instruments dans le domaine culturel et des communications qui y sont liées, il faut se le dire, la formule fédérale est probablement la bonne, et qu'on cesse ici ces rivalités de modes de fonctionnement. Je pense qu'il va falloir simplement reconnaître que cette idée de l'"arm's length", dans le cadre culturel tel qu'exercé à Ottawa jusqu'à maintenant, a beaucoup de bon et atténue un grand nombre de frayeurs dans des milieux d'interprètes, d'artistes, de créateurs qui se méfient du dirigisme gouvernemental et, soyons de bon compte, à juste titre. L'esprit souffle d'où il peut et, dans ces conditions et par définition, l'esprit qui souffle d'où il peut sera toujours un peu répugnant pour un gouvernement qui, lui, vit de normes, de standards, de programmes normes et qui, d'autre part, garde toujours une certaine nostalgie de l'intervention discrétionnaire du ministre.

Bien sûr, il ne faut pas non plus être naïf. Je sais bien que l'Harm's length", que ces organismes distincts peuvent assez facilement - on en a vu parfois des exemples à Ottawa - devenir des républiques des camarades, des sociétés

d'admiration mutuelle et des endroits où, à quelques-uns, on se renvoie l'ascenseur. J'ai été trop longuement dans un domaine connexe, celui de l'enseignement universitaire, pour ne pas avoir de tentation de faire de l'angélisme. Seulement, ça se contrôle, ça se maintient dans des bornes raisonnables, ça, la république des camarades. Du moment qu'on est capable d'en reconnaître les dangers, il est probablement plus facile de contrôler ça dans des organismes indépendants que de s'imaginer que le gouvernement, le ministère deviendrait... On pourrait l'empêcher de chercher à être le service à tout faire.

Le ministère, oui, doit, je pense, définir les programmes, définir les orientations, initier les programmes, mais pas les gérer, pas les gérer. Il ne sait pas comment faire ça et probablement qu'il ne le saurait jamais. Le ministère doit aussi statuer sur les très grands équipements. Il est évident que les équipements culturels majeurs ne peuvent pas éviter des décisions gouvernementales directes. Ça aussi, ça va de soi. D'autre part, il faut, comme on ne l'a jamais fait jusqu'à maintenant, dans une perspective toujours de souveraineté, souder ses préoccupations culturelles et ses préoccupations de communication. Il ne faut surtout pas chercher à mettre une sorte de barrière entre les deux. L'interpénétration maintenant est tellement forte que cela, d'ailleurs, peut amener à examiner l'apparition d'un véritable ministère de la culture au Québec comme étant redéfini quant à son champ de ce qui est envisagé.

Une autre préoccupation majeure, au moment où on s'approche de l'échéance de la souveraineté, dans les milieux de la culture a trait au budget. On dira: C'est une préoccupation élémentaire. C'est une préoccupation élémentaire si on veut, mais elle est fondamentale, cette préoccupation. Le jour où le Québec récupérerait d'Ottawa l'ensemble des organismes culturels et de communication, quelle assurance aurait-on dans ces milieux de la culture que les moyens mis à la disposition de tous ces groupes seraient, au moins, l'équivalent de ceux qu'il y a à Québec, à l'heure actuelle, et de ceux qu'il y a à Ottawa? On ne peut pas éliminer ça du revers de la main. Les milieux de la culture comprennent très bien que, de l'ensemble des activités gouvernementales, ce qu'il y a de plus mou sur le plan des compressions, c'est ce qui n'est pas lié à beaucoup de personnel géré par des conventions collectives. Inévitablement, qu'est-ce qu'il y a de plus mou dans une optique de compressions budgétaires? Ce n'est pas l'éducation, pas la santé, sur l'essentiel de leurs programmes. Ce n'est pas à ça qu'on touche. On touche à la voirie - ça, oui, les dépenses de la voirie, normalement, j'allais dire, c'est la poire pour la soif de tout budget qu'on a à équilibrer - et puis à des secteurs où il n'y a pas de protection du tout par le cadre administratif, administratif j'entends bien, des conventions collectives. La culture est une pièce de choix. Il ne faudrait surtout pas s'imaginer qu'on ne sait pas ça. L'expérience finit par apprendre. Donc, il est parfaitement normal que ceux qui sont directement impliqués dans ces ministères qui ont peu de résistance soient toujours effrayés, quels que soient leurs intérêts. Ah, les gens dans la culture, comment dire, ont leurs appréhensions. Mais tenez, par exemple, les écologistes ont les mêmes à l'égard de l'environnement. Ça aussi, c'est un secteur qui est beaucoup plus mou dans un cadre de compressions budgétaires. Comment répond-on à ces appréhensions qui, encore une fois, sont parfaitement exactes? Par des promesses? Bien sûr. Des engagements? Oui. Ça ne veut pas dire nécessairement que ça va faire taire toutes les craintes, toutes les peurs, ça.

Dans ce sens, M. le Président, moi, je comprends qu'après l'expérience du 1 % il y a pas mal de gens qui se disent: Ça ne sert à rien, ces pourcentages. De toute façon, ce n'est pas appliqué. On laisse tomber ça. Moi, je ne suis pas convaincu que le fait de s'engager sur un pourcentage, de se servir d'un pourcentage comme symbole qui permet de juger de la performance d'un gouvernement par rapport à un pourcentage auquel on s'est engagé à l'avance ne comporte pas des éléments de protection, pas parfaits, sans doute, mais au moins qui permettent de juger de la performance d'un gouvernement.

Évidemment, dans l'optique d'une véritable souveraineté culturelle, ça ne peut pas être 1 %. Puisqu'on récupère des tas de choses qui, à l'heure actuelle, sont payées par le gouvernement fédéral, on récupère les impôts aussi. Alors, donc, ça serait beaucoup plus considérable que 1 %. Mais, moi, je ne laisserais pas nécessairement tomber ce symbole d'un pourcentage. On dira: Ça apparaît vil; ça fait presque mesquin comme approche. Oui, mais, d'un autre côté, ça peut donner à des groupes qui se sentent parfois extrêmement vulnérables une protection au moins que tout le monde est en mesure de comprendre.

De la même façon, il faudra, je pense, réexaminer complètement cette question de la taxation des produits culturels. Nous sommes, à l'heure actuelle, dans une situation de désordre le plus total. Que l'on ait pu, à partir de changements dans les structures de taxation au Canada, au Québec et dans les municipalités, en arriver à se rendre compte soudainement que les produits culturels pourraient être taxés à la hauteur de 27,5 %, c'est aberrant! Qu'on se soit tout à coup rendu compte que, en additionnant les initiatives fiscales de tout le monde, c'est ça que ça donnait, dans un secteur où on sait bien que la sensibilité de celui qui achète le produit culturel, sa sensibilité au prix est extrêmement grande...

Et on nous parlera de planification, quand, tout à coup, on se rend compte, chacun ayant mis à peu près la structure de taxation qu'il

voulait mettre: Comment, ça fait 27,5 %? Et, alors, là, par des règlements, comment dire, à l'égard des municipalités, on va chercher à éviter le plus clair de la casse; on ne sait pas encore ce que seront ces règlements. Là, il faut faire des pressions sur la ministre, auxquelles elle s'est rendue d'ailleurs très volontiers, quant à la taxation par le Québec du livre. Bon. Et, donc, devant une situation absurde globalement dans la taxation, on cherche par des petits moyens à notre portée, même pas à sauver des meubles, mais a éviter que les effets soient trop durs dans certaines directions.

Ce n'est pas une façon de procéder, ça. On sait très bien qu'on n'arrivera pas à quelque chose d'à peu près cohérent ici tant qu'il n'y aura pas un seul mode de taxation. C'est trop important, le produit culturel dans la société de la fin du XXe siècle, pour qu'on aborde la taxation de cette façon-là. Oui, une taxation, une TVA à taux différenciés, j'imagine, comme ça existe dans d'autres pays, avec le plus bas taux pour les produits culturels ou même le taux zéro, comme ça se fait aussi dans d'autres pays. Il faut, à un moment donné, se rendre compte à quel point nous sommes, sur ce plan, placés dans Une situation complètement absurde ici. Il va bien falloir un bon jour, n'est-ce pas, qu'on cesse d'avoir ces concurrences sur les incitatifs fiscaux aux deux paliers de gouvernement, où, à certains moments, les deux ouvrent le robinet, à d'autres moments, un des deux ferme le robinet, puis, à d'autres moments, les deux ferment le robinet sans qu'on ait la moindre idée où on va avec ça. C'est très important, les incitatifs fiscaux. Ce n'est pas seulement important pour les entreprises qui veulent investir dans des richesses naturelles ou qui veulent investir dans le pétrole et le gaz ou dans les pâtes et papiers. Les incitatifs fiscaux, pour les industries culturelles, c'est majeur. Il va bien falloir, à un moment donné, regarder ça en tant que tel plutôt que de chercher à savoir lequel des deux gouvernements "jambette" l'autre, pour utiliser une expression un peu familière. (12 h 15)

D'autre part, il faut amener - ça a commencé, mais c'est encore très poussif - les fortunes dans le milieu québécois... Dans le milieu québécois francophone, les fortunes commencent à apparaître par rapport à la situation d'il y a 30 ans. Les grandes entreprises québécoises ont des moyens qu'elles n'avaient absolument pas il y a 30 ans. Il faut trouver le moyen de mobiliser ça à travers le système fiscal bien plus qu'on ne l'a fait jusqu'à maintenant. Mais, là encore, dans la mesure où, tenez, la majeure partie de l'impôt sur les profits des corporations est payable à Ottawa et où, d'autre part, nos formes de taxation des entreprises au Québec ne se prêtent pas facilement à ce système d'exemption ou de déduction ou de crédit d'impôt, forcément, on va être gênés, on va trouver ça difficile d'en arriver à quelque chose de cohérent tant que le système n'aura pas été unifié.

J'aborde rapidement, si vous me le permettez, M. le Président, la question des régions. Je sais que j'ai pris pas mal de temps et je le regrette. Je ne pourrai pas dire tout ce que j'aurais voulu dire au sujet des régions, mais au moins poser la problématique. Je vais la poser, je pense, d'une façon qui n'est pas très différente de celle que la ministre évoquait tout à l'heure. Montréal est le plus grand centre culturel du Québec et va le rester. On n'y peut rien. C'est la population qui veut ça. Ça n'existe nulle part ailleurs dans un autre pays que 40 % de la population d'un pays se trouvent ramassés dans un rayon de, quoi, 35 kilomètres de Peel et Sainte-Catherine et où ça ne serait pas le plus grand centre culturel du pays. Il faudrait simplement, à un moment donné, se mettre devant cette réalité-là, comprendre que c'est comme ça et qu'on n'aidera rien au Québec dans le domaine de la culture en disant. Nous allons rationner les fonds ou les équipements à Montréal. On ne donnera pas tout ce qu'il faudrait y mettre, ça devrait aider les autres. Bien, ça ne les aidera pas, les autres. D'autre part, il faut bien reconnaître - ça, je le reconnais; j'imagine que certains autour de cette table ne le reconnaissent pas tout à fait encore - que Québec est une capitale nationale. Donc, à ce titre aussi, sur le plan en particulier des équipements, on ne peut pas contourner le fait que la capitale nationale doit être aussi dotée. Mais alors, quid des régions?

Je vous avouerai, M. le Président, que le rapport Arpin, à cet égard, me semble très bien orienté pour ce qui a trait au développement des équipements en région, mais un peu dans l'optique, peut-être un peu trop dans l'optique de réceptacle pour des tournées ou pour l'expression des manifestations culturelles de Montréal ou de Québec. Je le trouve un peu trop orienté là-dessus. Le problème de la création en région ne me paraît pas encore avoir eu de solution satisfaisante.

Je suis à peu près convaincu qu'il va falloir trouver le moyen, parce que les besoins en région sont différents, parce qu'il faut une très grande flexibilité en région, justement, pour ce qui a trait en particulier aux équipements culturels. Le rôle d'une bibliothèque publique dans une petite ville d'Abitibi, ce n'est pas seulement une bibliothèque publique. C'est, en fait, le centre culturel, la maison de la culture de tout le coin. Ça ne sert à rien d'avoir des normes qui vont aller tout aussi bien dans une bibliothèque publique des environs de Montréal ou une bibliothèque publique là-bas. Ce n'est pas pareil.

Est-ce qu'il faut penser à ouvrir des enveloppes budgétaires mises à la disposition d'organismes régionaux dont on saurait qu'ils

sont en mesure de prendre les décisions appropriées, mais en fonction de besoins spécifiques dans ces régions? Peut-être. Ça vaudrait la peine de regarder, parce que, là encore, on comprend les appréhensions dans les régions qui disent: Montréal et Québec vont tout avoir et, nous, on va être tout simplement le réceptacle des tournées. Il y a quelque chose ici à creuser. On peut certainement s'appuyer sur les municipalités et les MRC bien plus qu'on ne l'a fait jusqu'à maintenant.

D'autre part, )e pense qu'il faut accepter une chose: c'est que nous ne pouvons pas maintenir cette situation où les grands moyens de communication électroniques cessent à peu près toute production en région. Ça n'a pas de sens, ni à Radio-Canada ni à Radio-Québec. À cet égard-là, conjointement et solidairement, les politiques dans lesquelles nous sommes engagés sont absurdes au sens propre du terme. On ne peut pas couper ce qui est un des éléments importants de création dans les régions, supprimer la production régionale des médias électroniques, enfin, dont tout le monde connaît bien l'importance maintenant à cet égard.

Il y aurait aussi des choses à dire quant à l'appui à la culture anglophone au Québec. Malheureusement, je n'ai pas le temps. Je voudrais terminer en mentionnant simplement une question qui ne m'apparaît pas réglée et qui est celle du saupoudrage. La ministre y faisait allusion tout à l'heure. Pour tous les ministres des Affaires culturelles depuis des années au Québec, c'est un problème d'interrogation, pour ne pas dire d'appréhension, d'affres. Est-ce qu'on en donne à tout le monde? Où est-ce qu'on trace la ligne? Au nom de la créativité et des Cent Fleurs de Mao où de l'esprit souffle d'où il peut, on est tenté de lancer le filet très large. On verra bien - on prend des risques - ce que ça donnera.

Oui, mais quand ça a donné ou bien brillamment ou pas grand-chose, comment fait-on pour reclassifier ça? De toute façon, des choses apparaissent constamment. Où trace-t-on la ligne? Quand est-ce qu'on détermine qu'une troupe de théâtre s'est cassé la figure ou bien marche bien? Quels critères utilise-t-on pour ça? Ça fait des années qu'on discute de ça. Si la commission pouvait jeter un éclairage précis sur cette question, je suis convaincu qu'elle aura fait avancer considérablement l'expression de cette administration intégrée de la vie culturelle au Québec. Ça semble prendre le problème par le petit bout de la lorgnette? Pas du tout, parce que c'est en sorte une sorte de jugement qu'on fait sur la créativité et l'expression de la créativité.

Voilà, je termine, M. le Président, en disant essentiellement ceci: La définition d'une politique culturelle et d'une politique de communication, une définition du rôle des organismes culturels, la recherche d'un équilibre des sources de financement, du rôle des régions, tout ça implique, à mon sens, que le Québec soit maître de ses outils, de ses leviers, de ses instruments, de tout cela qui est devenu peu ou prou ('apanage de toutes les grandes sociétés, de nos jours. L'importance de cela est d'autant plus grande pour le Québec que le Québec, justement, n'est pas, en termes de nombre, une des grandes sociétés, il faut, à cet égard, que la culture puisse être appuyée sous toutes ses formes, pas dirigée, pas encarcanée, mais qu'elle puisse trouver dans la société qu'elle reflète, qu'elle traduit, tous les Instruments d'appui dont elle a besoin.

Encore une fois, je termine par où j'ai commencé, dans la plupart des débats sur les questions culturelles dans d'autres sociétés, tout ça apparaît une vérité d'évidence, tout ça apparaît éminemment normal. Nous, à cause de notre histoire, on ne sait plus très bien ce que c'est, dans ce domaine comme dans d'autres, qu'une société normale, une société dont la culture n'est pas un champ de bataille, mais dont la culture est une façon d'être. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup, M. le chef de l'Opposition. Ceci termine le programme que nous nous étions donné pour cet avant-midi. Je vais donc suspendre les travaux et nous allons recommencer à 14 heures, avec l'audition de l'Union des écrivaines et écrivains québécois. Donc, suspension.

(Suspension de la séance à 12 h 25)

(Reprise à 14 h 20)

Auditions

Le Président (M. Doyon): Tout en exprimant nos excuses pour le retard, nous allons procéder maintenant à l'audition du premier groupe. Il s'agit de l'Union des écrivaines et écrivains québécois. J'invite donc leurs représentants, qui sont M. Bruno Roy, M. Yves Beauchemin, je crois, d'après ce que j'ai ici en tout cas, Mme Hélène Pelletier-Baillargeon, ainsi que Mme Ginette Major, à bien vouloir s'approcher. Alors, je vois qu'il y a deux personnes, je leur souhaite la bienvenue et je leur indique qu'elles disposent d'environ 15 minutes pour faire la présentation qu'elles ont à faire, exprimer leurs vues sur la proposition de politique; ensuite, le côté ministériel disposera d'un temps d'égale longueur pour demander certaines précisions, certaines explications; ensuite l'Opposition fera de même.

Sans plus tarder, je vous invite à prendre la parole, tout en vous présentant ainsi que la personne qui vous accompagne, celui ou celle qui commence.

Union des écrivaines et écrivains québécois

M. Roy (Bruno): Merci. Mme la ministre des Affaires culturelles, M. le Président de la commission, chers commissaires, permettez-moi d'abord de présenter celle qui m'accompagne et qui est directrice adjointe de l'Union des écrivaines et écrivains québécois, Mme Ginette Major. Hélène Pelletier-Baillargeon et Yves Beau-chemin, deux écrivains qui devaient nous accompagner, nous prient de les excuser de leur absence. Des raisons personnelles hors de leur contrôle l'ont motivée. Ainsi, Hélène Pelletier-Baillargeon, dont le fils est en Haïti - vous le comprendrez - en raison du coup d'État, souhaite demeurer en contact avec son fils.

En nous permettant d'inaugurer les audiences de cette commission, vous reconnaissez, et nous en prenons acte, que la création et les créateurs sont à la source de toute culture. Le mémoire que vous avez entre les mains et celui que je vais vous lire constituent la version définitive de notre réflexion. Il s'intitule "Le Défi de la culture".

Traiter la culture comme une grande mission de l'État, c'est affirmer que l'État doit assumer un leadership réel. Une telle mission doit refléter notre spécificité historique et témoigner de notre dynamisme comme peuple moderne. Une politique culturelle au Québec doit protéger et promouvoir la culture québécoise en renforçant le sentiment d'appartenance à cette culture. Une telle politique, conséquemment, ne peut se trouver que du côté de la question nationale. Une politique culturelle doit trouver une légitimité qui, trop souvent, lui a fait défaut. La responsabilité de l'État québécois en cette matière doit être totale. C'est pourquoi l'Union des écrivaines et écrivains québécois recommande que le Québec devienne le maître d'oeuvre exclusif de sa politique culturelle et que la culture, conséquemment, fasse l'objet d'un rapatriement complet avec les fonds correspondants et une pleine compensation financière. Il revient donc au gouvernement du Québec de rendre possible une politique culturelle et de donner a cette politique les outils nécessaires à son influence.

Puisque cette politique, en raison de la conjoncture actuelle, prendra place à un moment historique, nous ne doutons pas de la légitimité de notre position. En effet, lors d'une consultation concernant l'avenir constitutionnel du Québec, 89 % de nos membres qui se sont exprimés ont opté pour un Québec indépendant. Voilà pourquoi notre mémoire s'inscrit dans une logique de maîtrise de la destinée culturelle d'un peuple et dans la confiance qu'il se porte à lui-même.

L'art ne se fixe pas. La culture apparaît comme une création continue. Leur mobilité est la condition première de leur existence. À sa manière, la culture est un écosystème de la création. Du sens s'ajoute indéfiniment. Une véritable politique culturelle commence par la protection de ce "supplément de sens" qu'apporte la création dans une société. Elle doit soutenir non seulement la liberté de s'exprimer, mais, plus fondamentalement encore, la liberté d'imaginer. Une véritable politique culturelle doit non seulement susciter la participation à la création, mais également assurer et défendre la liberté de création. Elle doit donc investir dans les créateurs pour relever la liberté et la qualité de vie en société.

Le créateur doit être alors au coeur d'une véritable politique culturelle, mais l'effet "industrie culturelle" qui envahit l'ensemble des propositions du rapport Arpin met un frein aux convictions qu'il contient. Le créateur travaille à une oeuvre, pas à un produit. La culture n'est pas un produit marchand. Que doit être alors le rôle de l'État dans une telle situation? C'est ce rôle que doit définir une véritable politique culturelle. Elle doit veiller à ne pas réduire la culture à une notion mercantile.

Voilà pourquoi une politique culturelle doit obligatoirement s'étendre à l'éducation. Nous croyons fermement que la formation intellectuelle et l'acquisition d'une culture générale s'assoient sur la qualité du soutien pédagogique. Une culture générale peut, évidemment, inspirer nos conduites artistiques ou autres et exercer une fonction critique. C'est de cette culture que, dramatiquement, s'absente de plus en plus l'école. Or, dans une société, la nôtre précisément, où l'accès à sa propre culture, voire à sa propre histoire, n'est pas chose évidente, l'un des axes d'une politique culturelle devrait favoriser une meilleure connaissance de la civilisation québécoise, permettre le développement d'une culture générale et favoriser sa pénétration. La valorisation des arts à l'école en est la condition première.

À cet égard, on pourra relire le rapport Rioux sur l'enseignement des arts, 1967. Cette lecture pourrait avantageusement influer sur l'élaboration d'une véritable politique qui voudrait mettre l'accent sur la sensibilisation à la chose culturelle. Il permettrait de formuler adéquatement un objectif d'initiation à la vie artistique et littéraire.

Certes, nous pouvons convenir, par ailleurs, que le fonctionnement d'une culture est étroitement lié à son niveau d'institutionnalisation. C'est par celui-ci, en grande partie, qu'elle devient visible, c'est par celui-ci qu'elle s'offre une certaine durabilité, c'est par celui-ci qu'elle est socialement consommable. Toutefois, sa matérialisation s'inscrit dans une zone potentielle d'affrontement. La dialectique de la liberté de l'art et son institutionnalisation peuvent conduire les parties à des luttes gigantesques. L'idée de culture est à la fois le réceptacle du mélange de création (mutations) et de contraintes (appartenance), du mélange de liberté individuelle et de

conscience collective. C'est à ce niveau, entre l'innovation et l'institutionnalisation, que la démocratie joue ses cartes.

Une politique culturelle doit admettre que les diversités régionales sont indispensables à la compréhension de la culture québécoise elle-même et à la culture en général. On le sait, le développement culturel des régions fait face au courant actuel de la mondialisation des marchés. Comment garder la maîtrise de notre culture tout en demeurant ouverts aux autres cultures? Nombre d'analystes reconnaissent que l'influence grandissante des médias impose le modèle d'une culture internationale. Or, nous ne sommes pas des aéroports; nous sommes un peuple.

L'histoire du Québec n'a d'autre référence que l'histoire de sa culture. Notre singularité en Amérique du Nord est une raison suffisante d'exiger une politique culturelle soutenue par des structures et des programmes appropriés. Voilà pourquoi doit s'imposer une vision cohérente de son action fondée sur une volonté réelle: la culture doit devenir une priorité gouvernementale. La culture ne peut plus attendre.

L'UNEQ, en tant qu'organisme représentatif de l'ensemble des écrivaines et des écrivains du Québec, s'est penchée plus précisément sur les aspects relatifs à l'aide à la création et à la diffusion de la littérature contenus dans le rapport du groupe-conseil. Pour nous, écrivaines et écrivains, il est urgent de faire reconnaître notre valeur en tant que créateurs et de nous interroger sur la place de la culture et de la littérature dans notre société.

En effet, nous nous sommes interrogés sur la justesse de la définition donnée au mot "créateur" dans le rapport du groupe-conseil, notamment à la page 59 du rapport, quand il est dit des créateurs qu'ils sont, entre autres, "ceux (qui) donnent vie aux oeuvres des auteurs et en renouvellent la perception." Or, le dictionnaire fait une différence entre créer un rôle au théâtre, créer un poste dans un ministère et créer une oeuvre littéraire. Le mot "créateur" désigne d'abord et avant tout "celui qui tire quelque chose du néant." Dans une éventuelle politique de soutien à la création, il faudrait reconnaître le rôle fondamental que joue le travail caché de l'écrivaine et de l'écrivain et, dans les faits, distinguer ce rôle de celui des interprètes et des diffuseurs. Sans création, il ne peut y avoir ni interprétation, ni diffusion. (14 h 30)

Les créateurs ne sont pas reconnus à juste titre dans la société québécoise et le rapport du groupe-conseil n'échappe pas à ce constat, puisqu'il fait davantage état des arts d'interprétation, des productions qui nécessitent une infrastructure lourde par leur réalisation. L'écrivain, comme le compositeur, fait un travail de solitaire dont l'importance est souvent gommée au stade final de la présentation de son oeuvre. Avant qu'une pièce soit montée, il a fallu qu'un dramaturge écrive un texte. Avant qu'un film soit prêt pour la réalisation et la projection, il a fallu très souvent qu'un romancier écrive une histoire et qu'elle soit adaptée par un scénariste. Or, la plupart des écrivains doivent exercer un deuxième métier pour survivre, leurs redevances étant minimes dans le circuit de la production de leurs oeuvres. En effet, 70 % des membres de l'Union des écrivaines et écrivains québécois tirent du marché de leurs oeuvres un revenu de moins de 3000 $. Ils sont, disons-le, les parents pauvres de l'industrie culturelle, malgré le fait qu'ils en soient les promoteurs.

La notion d'industrie culturelle retenue dans le rapport du groupe-conseil est une notion large qui englobe les activités de création, de production et de diffusion. Il est vrai que l'industrie culturelle permet une démocratisation de l'accès à la culture et une accélération de sa diffusion. Il est aussi vrai que le milieu culturel prend conscience de l'obligation qu'on lui fait de mettre l'accent sur l'infrastructure et sur les activités de gestion, de diffusion et de mise en marché comme instruments indispensables à l'expression culturelle.

Mais qu'entend-on par industrie culturelle? Une industrie de pointe, une industrie à la mode qu'un gouvernement subventionne à partir de critères de rentabilité et de visibilité? La culture peut toujours formuler ses propres demandes sur une base d'affaires, mais les propositions comptables ne peuvent, à elles seules, établir l'échelle des valeurs. La dimension économique de la culture ne doit pas confondre art et produits culturels. La création travaille à une oeuvre, pas à un produit. Si l'industrie culturelle se résume au développement de ses infrastructures au détriment des créateurs eux-mêmes, l'on est en droit de s'inquiéter. Ce qui constitue l'expression culturelle, rappelons-le, c'est d'abord la création elle-même.

Le soutien financier à l'écrivain est loin d'être proportionnel à l'importance qui lui est accordée au niveau des principes. En effet, si on examine les tableaux de subventions à l'aide à la création dans le domaine de la littérature, on constate que la somme accordée par le ministère des Affaires culturelles, 475 761 $, représente à peine l'équivalent du traitement annuel de 12 agents culturels à l'emploi du gouvernement. La société québécoise veut-elle se payer plus de 12 écrivains?

Il est cependant un principe admis: on ne doit pas aider un artiste seulement à la condition que son oeuvre soit rentable. Pas plus que le caractère innovateur de l'oeuvre d'un artiste doit être vu comme un obstacle à son financement. Le gouvernement soit soutenir la recherche-innovation en matière de culture de la même manière qu'il soutient la recherche-développement dans les autres secteurs.

Or, quel rapport les créateurs et les artistes entretiennent-ils avec les décideurs politi-

ques? L'expérience nous apprend que c'est un rapport de méfiance. Leur action politicienne, où rien ne s'engage sans quelque risque électoral, empêche de collaborer, dans la réciprocité, à une oeuvre commune de civilisation. Un décideur politique peut-il donner sans que sa contribution devienne un tribut? Le créateur peut-il recevoir sans être tenu de faire chaque fois sa déclaration de dépendance?

Dans un éventuel ministère de la culture, il nous semble important qu'un organisme indépendant soit créé sur le modèle du Conseil des arts du Canada afin d'assurer une gestion autonome de l'attribution des bourses et subventions. Ce conseil des arts du Québec garantirait, à notre avis, une indépendance aux écrivaines et écrivains dans leur travail de création. Jusqu'à maintenant, les écrivaines et les écrivains ont été plutôt servis par la diversité des organismes auxquels ils peuvent avoir recours pour obtenir de l'aide à la création.

Une politique culturelle doit inclure une politique de diffusion de la culture. Bien que fa lecture soit le deuxième loisir culturel des Québécois après la télévision, la place accordée à la littérature et à sa diffusion dans le rapport du groupe-conseil nous semble minime. L'accent est mis sur les arts qui paraissent, c'est-à-dire sur les arts visuels, les arts de la scène et les musées. Mais tout ce qui concerne la diffusion du livre est relégué au second plan dans ce rapport. La promotion du livre québécois n'a pas la place qui lui revient dans les médias et ce, tant à la télévision que dans la presse écrite. Ce n'est pas avec leur maigre budget que les bibliothèques pourront s'offrir toute la production littéraire nationale, comme c'est le cas pour la Suède, par exemple.

La littérature québécoise de jeunesse a réussi à s'imposer avec l'aide des bibliothécaires, des libraires et des professeurs. Pourquoi ne pourrait-on pas faire la même chose dans le domaine du roman et de la poésie québécoise? Pour que la littérature québécoise survive avec ses diversités régionales et sa proximité avec les cultures anglo-canadienne et américaine, elle doit compter sur une intervention vigoureuse de l'État afin d'assurer sa circulation en dehors des effets de mode suscités par les médias.

De plus, nous pensons que l'accessibilité à la culture ne doit pas se confondre avec l'extension de la consommation culturelle à de vastes publics. Tout ne peut pas rentrer dans la circulation marchande. La démocratisation de la culture est un leurre si elle n'advient que par la culture de masse.

Éléments de conclusion maintenant. Il est malheureux que l'État, par sa logique un peu trop axée sur le mercantilisme, se coupe de l'univers culturel auquel pourtant il appartient. Dire d'emblée que la culture est rentable nous amène à voir la culture comme un produit de consommation d'abord. La rentabilité de la culture, pourtant, n'a pas à être démontrée parce que la culture est un préalable à toute politique, à toute économie, tout comme la santé et l'éducation. La création est un préalable à la culture et le soutien à la création est une donnée fondamentale du développement d'une société. C'est la culture qui donne un sens au politique. C'est par elle que le Québec aura toutes les chances de s'inscrire dans l'histoire. Merci.

Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup,

M. Roy. Maintenant, je vais permettre à la ministre d'engager le dialogue avec vous pour une quinzaine de minutes. Mme la ministre, vous avez la parole.

Mme Frulla-Hébert: Merci, M. Roy. Je vous souhaite la bienvenue à tous deux. Comme vous l'avez mentionné tantôt, M. Roy, effectivement, ce n'est pas un hasard que nous ayons amorcé la commission parlementaire avec un organisme comme l'UNEQ, parce que, en fait, on voulait partir d'un bon pied en abordant un des enjeux majeurs de cette politique culturelle, c'est-à-dire la place des créateurs et de la création dans la politique culturelle que nous voulons ou, enfin, que nous tentons tous ensemble d'élaborer.

Je voudrais avoir certaines précisions, par exemple, parce que vous êtes les premiers et, évidemment, cette commission va s'étendre sur un mois. On rencontre énormément de groupes. Vous parlez du rapport Arpin. Effectivement, dans le rapport Arpin, page 59, on parle des créateurs et leur proposition semblait un peu similaire à la vôtre; tous deux présentent la création comme le fondement de la vie culturelle et font de son soutien une orientation prioritaire. Mais c'est à partir de là que vous divergez. Alors, parlez-nous donc de votre...

M. Roy: C'est qu'il y a une différence entre - permettez-moi d'utiliser l'expression -être créatif et être créateur. Je pense que la notion de création définie par le groupe-conseil s'élargit à cette dimension de la créativité. Je donnais l'exemple tantôt que créer un poste, ce n'est pas la même chose que créer une oeuvre. Évidemment, c'est une distinction formelle, mais il y a un glissement de sens. C'est qu'il y a un énoncé de principe, la création doit être au centre, mais de quoi parle-t-on lorsqu'on parle de création?

Il nous a semblé que, dans le rapport Arpin, cette définition-là était tellement large qu'elle englobait même... Même des éditeurs peuvent prétendre être des créateurs. Quand tout le monde peut prétendre être un créateur, il me semble que, la, la notion de création, la notion même de créateur est assez large et pourrait créer possiblement une confusion dans la compréhension du mot.

C'est pourquoi nous tenons à distinguer

formellement ce qu'est la création et le phénomène de la création et, donc, conséquemment, du créateur et cette dimension de la créativité, cette dimension inhérente à toute personnalité, je dirais, humaine qui porte ce souci d'être inventif, de vouloir regarder les choses de façon neuve, donc, d'être créatif. Et être créatif, ça m'apparaît plus près du loisir. Être créateur, ça m'apparaît beaucoup plus près des conditions même, des conditions professionnelles d'exercice du métier d'écrivain. C'est ça, la distinction fondamentale pour nous.

Mme Frulla-Hébert: Alors, si je vous suis bien là, à un moment donné; vous dites: Le créateur part du néant. Alors, si je vous suis bien, le créateur part, en fait, du néant, pour reprendre...

M. Roy: Le créateur invente des rapports. Mme Frulla-Hébert: II crée et invente. M. Roy: Invente des rapports nouveaux.

Mme Frulla-Hébert: Selon vous, pour ma bonne compréhension...

M. Roy: Oui.

Mme Frulla-Hébert:... l'interprète ou l'artiste qui part d'une oeuvre et qui, finalement, la crée ou crée une interprétation de cette oeuvre...

M. Roy: Oui, je comprends très bien. Mme Frulla-Hébert: Est-ce que...

M. Roy: Je vous dirai qu'il y a là une création aussi. Je vous dirai que là il y a une création. Il s'agit juste de s'entendre. J'oppose créatif et création, mais, entre les deux il y a une zone... C'est évident qu'un personnage créé au théâtre porte ce sens, justement, de rapports nouveaux puisqu'il invente, lui aussi, une réalité sur scène et, donc, il participe à la création.

Ma préoccupation n'était pas tellement à ce niveau-là qu'à un élargissement très, très large qui comprenait... Par exemple, je disais: Parce qu'un éditeur crée un livre, il devient un créateur. Là, ça m'embête. Quelqu'un qui - participe à une activité, à un atelier d'écriture et qui, pour la première fois, fait un poème, disons, il exerce sa créativité, mais il n'est quand même pas devenu un créateur au sens professionnel du mot. C'est ce glissement-là qui nous inquiète et qu'on veut tout simplement rappeler, attendu que la position fondamentale du rapport de mettre en évidence la création, je pense qu'elle est affirmée et c'est très net. C'est très clair. C'est une précision qu'on apporte, mais, pour nous, c'est une précision fondamentale.

Mme Frulla-Hébert: Je voudrais, parce que le temps nous presse, revenir aussi, finalement, sur un autre point dans votre mémoire. Quand vous mentionnez le rapport réel que les créateurs et les artistes entretiennent avec les décideurs politiques, vous êtes assez durs là-dessus. Vous dites: "Leur action politicienne, où rien ne s'engage sans risque électoral. " Par contre, vous savez que la culture au Québec, il faut le dire, est presque subventionnée à 95 %. Mais on est ici parce qu'on se dit: II y a des choses qui ne fonctionnent pas et on se pose des questions, tous ensemble.

Mais à quelque part aussi, vous parlez d'un conseil des arts, d'une part, donc, finalement, des gens du milieu qui sont jugés par leurs pairs. De notre côté à nous, au niveau du ministère, c'est la même chose. Ce n'est pas le ministère qui décide; tout se donne par jury, que ce soit les jurys qui décident même de la subvention qui est donnée aux individus, sinon des jurys qui décident quel organisme en bénéficie. D'un autre côté, ce n'est pas un conseil des arts, mais ce n'est pas, non plus, le ministère qui décide quoi va à qui. Maintenant, le manque de ressources, ça, c'est une autre chose. Alors, j'aimerais que vous me parliez de la distinction dans ce fonctionnement-là.

M. Roy: Au fond, il y a deux choses dans l'intervention de Mme la ministre. D'abord, la dureté du propos. De notre point de vue à nous, c'est peut-être dur, mais c'est ce qu'il y a de plus vrai. Ne refaisons pas l'histoire, on a juste à penser à la commission Bélanger-Campeau où le gouvernement actuel a eu toute la difficulté à nommer un représentant de la culture. Il y a cette espèce d'absence et, si ça semble viser le ministère des Affaires culturelles, peut-être, mais, en même temps, ce qui est visé, c'est la volonté gouvernementale, c'est le gouvernement.

Or, il ne nous semble pas, à nous, que le gouvernement ait vraiment établi ses priorités en matière culturelle et je pense que son discours est tellement mou que, évidemment, c'est tout le milieu qui en est écorché. Mais je pense qu'une volonté - et c'est le principe même, d'ailleurs, du rapport Arpin - en matière culturelle suppose que le gouvernement appuie son ministre, appuie son ministère et que, par exemple, le Conseil du trésor l'appuie aussi. Et, là, c'est tout un gouvernement qui est visé ici par sa mollesse en cette matière-là. Effectivement, comme vous le disiez, ça peut toucher directement le ministère, mais on est très, très, très conscient que le ministère des Affaires culturelles n'a absolument pas les moyens, je dirais même le minimum qu'on lui demande pour accomplir sa mission. Il n'en a pas les moyens et ça c'est vrai. (14 h 45)

On voudrait que le gouvernement fasse son nid sur cette question-là et sans ambiguïté. Prenons cet exemple: dans un premier temps, on

est dans un contexte du rapport Arpin où on propose maître d'oeuvre en matière culturelle, mais en même temps on ne peut pas éviter la dynamique fédérale qui arrive avec des propositions qui diraient: Oui, mais nous, on va se réserver des pouvoirs d'intervention en matière culturelle. Votre premier ministre, notre premier ministre, il n'a pas rouspété là-dessus, il n'a rien dit. Il me semble que, s'il y avait une volonté et s'il y avait un leadership à ce niveau-là... Ce qu'on demande au gouvernement, c'est un leadership en matière culturelle dont l'importance s'étend au même titre que le leadership en matière d'éducation ou en matière d'économie. Ça, c'est la première remarque. Malgré les nuances, s'il y a des nuances que je fais, je la maintiens parce que je crois qu'elle est fondamentale et elle est vraie.

Le deuxième point que vous soulevez, celui du conseil des arts, vous avez raison de souligner qu'au niveau des mécanismes cela se ressemble. Ce que nous voulons privilégier, c'est la diversité des sources. Présumons qu'un nouveau conseil de la culture et des arts au Québec décide comment aménager sa façon de distribuer l'argent. Ce qu'on dit, nous, c'est qu'il y a des principes qui doivent être protégés: l'autonomie des jurys, l'autonomie du conseil des arts lui-même, qui s'appellerait à ce moment-là le conseil du Québec.

C'est ça qu'on demande et c'est ça l'essentiel de l'intervention, que ça serve de modèle. Je ne dis pas qu'il faille demeurer en lien avec le Conseil des arts; au contraire, si on veut être efficace, que la politique soit établie par des gens du Québec, donc par un conseil des arts du Québec. C'est bien évident que, à ce niveau-/à, si vous avez un gouvernement qui vous appuie, je suis à peu près sûr que votre ministère va être beaucoup plus fort.

Le Président (M. Doyon): Je vous accorde deux minutes, Mme la ministre.

Mme Frulla-Hébert: Au niveau du Conseil des arts, on va entendre quand même quelques autres représentants qui vont nous dire - et c'est aussi très légitime; ici, toute opinion est bonne - qu'on préfère, finalement, avoir les deux paliers pour s'assurer un certain financement. Par contre, vous qui bénéficiez du Conseil des arts autant que vous bénéficiez de l'aide aux artistes par le gouvernement du Québec, vous prenez une position tout à fait différente en disant: Non, finalement, nous, la culture doit se décider d'abord entre Québécois, pour les Québécois.

M. Roy: Vous savez, les...

Mme Frulla-Hébert: Malgré la réticence lorsque vous dites: On n'est peut-être pas très confortables, finalement, à date, avec l'appui que nous avons des différents gouvernements. Mais expliquez-moi donc ça. Je vous trouve courageux.

M. Roy: Ce que j'ai à dire là-dessus, ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'en matière culturelle il faut absolument... J'essaie de préciser ma pensée pour ne pas... Ottawa versus Québec, je disais qu'il faut qu'il y ait une volonté gouvernementale pour appuyer. Mais c'est bien évident que, dans le conseil des arts et le rapatriement, s'il n'y a pas de soutien économique à ce rapatriement-là, ce sont des mots. Il y a quelque chose de ridicule à vouloir demander le rapatriement en matière culturelle, alors que le soutien financier ne viendrait pas, d'une part. D'autre part, je pense que nous avons suffisamment confiance en nous pour pouvoir imaginer des scénarios qui puissent correspondre à notre situation, qui puissent correspondre à notre économie et à notre politique. Je pense que ce n'est pas vouloir empêcher les autres de faire une chose; c'est plutôt, nous, de se donner des moyens pour affirmer notre culture.

L'autre argument qu'il faut ajouter, et je pense que c'est important: il faut distinguer culture et distribution d'argent. Je pense que c'est très, très différent. Distribuer de l'argent, je dirais que c'est une vision minimale d'une politique culturelle. Or, très souvent, comme je le disais tantôt, le leadership n'apparaissant pas, ça ressemble à ça et c'est ainsi qu'à un moment donné trois gouvernements ensemble vont donner 12 500 000 $ pour le complexe de l'humour. Donc, on se dit: D'où tient cette vision des choses? Je pense que, s'il y a une vision des choses, le reste va suivre.

Une dernière remarque. Je suis toujours embêté par cette idée qui veut que la diversité des sources ne soit assurée que par Ottawa. Il y a du mépris sous-entendu dans une affirmation comme celle-là et je sais que certains analystes l'ont démontré, mais je veux dire qu'un Québec qui aurait la pleine maîtrise en matière culturelle peut très bien imaginer des mécanismes différents, créer un conseil des arts, créer des jurys, des sources différentes de distribution d'argent qui n'empêchent pas la diversité des sources. Ça, c'est une question d'organisation, mais de penser que la diversité des sources dépend d'Ottawa, je trouve que c'est un manque de confiance en soi. Je ne comprends pas ce manque de confiance en soi.

Enfin, je dirai que l'un des problèmes en matière de politique culturelle et de distribution d'argent, nous l'avons vécu avec la TPS. Je dirais même qu'à la Maison des écrivains nous l'avons vécu. Très rapidement, deux exemples. Sur la TPS, au fond, on a mené une bataille ici. Tout le milieu littéraire ensemble a mené une bataille. Il faut absolument abolir la TPS. C'est la culture qui est en cause. Québec nous écoute et dit: Oui, vous avez raison, très bien, pas de TPS. On gagne la bataille. Pour l'instant, nous

sommes dans le même pays. On paye les mêmes taxes et on dit à Ottawa: Vous savez, la TPS, là, non. Eux, ils disent: Bien non, ce n'est pas important. Nous sommes dans un même pays. Voyez, à chaque fols, on est obligés de mener deux batailles. Le dédoublement, c'est ça.

À la Maison des écrivains, c'est la même chose. On a eu une aide de Montréal, on a eu une aide de Québec. D'Ottawa, rien pour l'instant. Je dis que ce n'est pas normal. Donc, quand on privilégie et qu'on encense un peu Ottawa, si c'est bien fait, il faut le reconnaître. Mais je pense que la culture québécoise est assez vivante pour alimenter même les institutions fédérales et c'est ce qui s'est passé avec Radio-Canada. Sans la culture québécoise, je ne sais pas, Radio-Canada serait peut-être devenue uniquement une institution... Je pense qu'il y a eu une vitalité de la culture québécoise qui a permis l'épanouissement des institutions et réciproquement. Cela est vrai parce qu'Ottawa a plus d'argent. Il ne faut pas se conter d'histoires.

Le Président (M. Doyon): M. Roy, je vais devoir vous interrompre en m'excusant de le faire, mais je devrai respecter l'horaire. Mme la ministre, le temps est terminé, les 15 minutes. Je vais maintenant permettre - vous pourrez continuer votre propos avec l'échange que vous aurez avec les membres de l'Opposition officielle - aux représentants de l'Opposition officielle, peut-être, M. le député de Shefford ou M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques, de continuer la discussion avec notre invité. M. le député.

M. Boulerice: M. Roy, Mme Major. M. Roy, c'est très pertinent, ce que vous venez de dire au sujet de la TPS, donc, cette taxe fédérale sur les livres puisque, hier, nous avons entendu le ministre fédéral des Communications, M. Beatty, nous dire qu'il voulait protéger la culture québécoise. Ça me rappelait un peu cette bonne vieille blague sur la devise des compagnies de finance qui était: Nous voulons votre bien et nous l'aurons. J'ai bien l'impression que c'est cela qui est en train de se passer. Ils veulent votre bien et ils l'auront.

Dans votre mémoire, il est clair pour nous que le Québec ne peut espérer obtenir une maîtrise d'oeuvre dans le régime fédéral où Ottawa, justement, entend conserver tous les leviers actuels d'intervention. Ça, c'était très clair dans le discours de M. Beatty. Est-ce que vous avez quelque lumière d'espoir suite à l'accueil on ne peut plus tiède, mou de la part du premier ministre du Québec au sujet des propositions constitutionnelles du gouvernement fédéral où, contrairement à l'inscription dans le rapport Allaire, la culture - à deux ou trois petites exceptions près où il y aurait des arrangements techniques possibles, mais toujours soumis à des gouvernements - relève toujours du gouvernement fédéral?

Le Président (M. Doyon): M. Roy.

M. Roy: La première chose à dire, c'est que j'ai peu confiance. J'ai peu confiance. Au-delà du pouvoir économique qu'a le Conseil des arts, parce que l'argent, il est vrai qu'il est là, c'est bien évident que notre intervention s'inscrit dans le contexte où il y a des propositions, celles du rapport Arpin et les propositions fédérales, et on dirait que ça s'annule. En tout cas, là, il y a un problème de langage. Nous, ce que nous disons très souvent et nous le répétons: Nous ne sommes pas une société distincte. Ce sont les peuples qui sont distincts; ce n'est pas les sociétés. La raison même du combat que l'on mène, c'est pour la langue, c'est pour la culture; ce n'est pas pour l'économie de marché. Dans un Québec, émettons l'hypothèse, souverain, l'économie de marché capitaliste ne changera pas. La vraie raison donc, c'est la culture.

Deuxièmement, je dirai que c'est une question de langage. C'est qu'on a l'impression qu'on ne parle pas le même langage. D'où l'importance de s'assurer que les intervenants en matière culturelle puissent parler le même langage. Ça m'apparaît extrêmement important. Il y a des inconséquences. L'exemple de la TPS pour moi est une inconséquence. On ne peut pas tenir le discours que le ministre des Communications tient et dire: Bien, non, ce n'est pas important, la TPS. Il veut sauver la culture et il veut la favoriser et il prend un moyen pour la tuer! C'est quand même contradictoire. C'est dans ce sens-là que la méfiance existe parce que ce qu'il dit et ce qu'il fait ne vont pas ensemble.

M. Boulerice: M. Roy, vous dites: "La promotion du livre québécois n'a pas la place qui lui revient dans les médias et ce, tant à la télévision que dans la presse écrite." Est-ce que vous croyez que l'une des plus graves lacunes du rapport ministériel, dit rapport Arpin, est qu'on a complètement évacué toute jonction avec communication?

M. Roy: Oui et non. Il y a une nuance avec le mot "communication" dans le sens où la culture, ce n'est pas la communication. La culture, ce n'est pas les médias. La culture alimente les médias, mais penser qu'il y a un équivalent, ça m'apparaît dangereux.

Cela dit, on sait très bien que les médias prennent une importance considérable dans la circulation de la culture et je pense que là doivent intervenir, justement, les responsables. Si on était baigné dans un milieu où la culture est quelque chose de normal, peut-être que les médias suivraient. Mais la culture est encore une notion qui ne semble pas vivre de sa normalité; c'est toujours l'exception et ça, c'est inquiétant.

L'autre question que vous m'avez posée

parce qu'il y avait deux questions, je crois, M. Boulerice...

M. Boulerice: Non. Bien, vous y avez répondu. C'était: Est-ce que vous croyez qu'avoir évacué complètement tout le domaine des communications était un vide énorme, que c'était impossible de faire une politique dite des arts et de la culture...

M. Roy: Ah oui, voilà! D'accord.

M. Boulerice: ...si on n'avait pas fait cette jonction?

M. Roy: Ah oui! Tout à fait! Je n'ajoute pas parce que ça... Je réponds oui à ça.

M. Boulerice: Juste une petite précision. J'aimerais vous le rappeler, il existait un conseil des arts du Québec qui a malheureusement peu ou pas servi, sauf qu'il a été aboli il y a trois ans. Donc, il faudrait le recréer. Mais l'organisme existait.

Mais ceci dit, vous dites en page 7 de votre mémoire: "La littérature québécoise de jeunesse a réussi à s'imposer avec l'aide des bibliothécaires, des libraires et des professeurs. Pourquoi ne pourrait-on pas faire la même chose dans le domaine du roman et de la poésie québécoise?" C'est vrai que, là, ça rejoint sans aucun doute l'énoncé que vous avez fait, à savoir toujours la notion de rentabilité économique. Notre ami Beauchemin, c'est rentable culturellement, c'est rentable économiquement. Notre bon ami Gaston Miron, c'est rentable culturellement, mais, malheureusement, on sait que, économiquement, ce n'est pas rentable. De la poésie, il s'en vend malheureusement 100 ou 200 exemplaires, mais ce n'est jamais les "best-sellers" comme tels.

M. Roy: En plus, j'ajouterais que, dans le contexte du réseau scolaire, et là, je pense qu'on a un très, très bel exemple, les programmes du ministère en français - et, là, je parle du niveau secondaire - favorisent l'apprentissage d'une langue qui veut dire communication. La langue, comme moyen d'expression, n'est pas favorisée; elle dépend toujours de l'initiative des profs, mais ce n'est pas inscrit comme une volonté dans les gouvernements, de sorte que les élèves entrent en contact non plus avec des textes littéraires très souvent, mais avec des articles de journaux, avec l'actualité sous prétexte qu'il faut être à la mode.

L'absence de culture dans les écoles, je pense que c'est un constat. J'enseigne. Nos jeunes, il faut les mettre en contact et c'est là que s'opère la dynamique culturelle, mais si on ne les met pas en contact... Je pense qu'un des problèmes... C'est pourquoi, s'il y avait une volonté gouvernementale en cette matière, elle influerait sur l'établissement des programmes en éducation.

Encore hier, il y avait un article dans Le Devoir ou dans La Presse - je ne me souviens pas - sur les bibliothèques. Quand on sait que la lecture est un moteur privilégié de culture, c'est étonnant que le livre ne soit pas favorisé. Qu'on pense à la loi des bibliothèques qui tarde, qui ne vient pas et avec laquelle on a tiré des fonds. C'est sûr que, s'il y avait cette volonté-là, on présume que ça suivrait. Ça prendrait du temps, mais ça suivrait. Mais, en l'absence de volonté, eh bien, on enseigne la langue comme moyen de communication et non pas comme moyen d'expression.

M. Boulerice: Je vous remercie, M. Roy.

Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup, M. le député. Est-ce qu'il y a d'autres parlementaires qui veulent prolonger la discussion? Dans les circonstances, Mme la ministre, avez-vous une question supplémentaire peut-être?

Mme Frulla-Hébert: Bien, enfin, une question supplémentaire, non, M. le Président. C'est plutôt en conclusion. Vous savez, M. Roy, une commission parlementaire se fait aussi avec l'approbation du gouvernement et du premier ministre. Alors, je veux seulement vous rassurer sur le fait que vous dites que le premier ministre ne s'est pas prononcé. On se prononce maintenant tous ensemble ici en commission parlementaire.

M. Roy: Pourvu que ça ne soit pas sa bonne conscience.

Mme Frulla-Hébert: Je ne pense pas qu'on est ici ne serait-ce que pour la bonne conscience, mais parce qu'on s'aperçoit aussi qu'il est temps maintenant qu'on fasse un temps d'arrêt et qu'on se questionne tous ensemble sur, finalement, une politique culturelle pour l'avenir. (15 heures)

Le Président (M. Doyon): Merci, Mme la ministre. M. le député, deux mots de remerciement peut-être, si vous voulez bien.

M. Boulerice: Oui, deux mots de remerciement. On a parlé de souveraineté culturelle. Il paraît que la souveraineté est partagée. J'ose espérer que la culture ne fera pas l'objet d'un partage, ni d'un marchandage.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. le député. M. Roy, Mme Major, au nom des membres de la commission, je vous remercie de votre présentation. Tout en vous permettant de vous retirer, je vais maintenant demander aux représentants - je crois qu'il y en a deux - de l'Institut québécois du cinéma de bien vouloir s'avancer et prendre place à la table de nos invités.

Alors, vous me permettrez de vous souhaiter la bienvenue. Les règles ont été exprimées tout à l'heure: une quinzaine de minutes de présentation, le reste du temps partagé en deux pour discuter avec vous. Vous êtes deux personnes. Si la personne qui se fait le porte-parole voulait bien se présenter elle-même et présenter l'autre personne, vous avez maintenant la parole.

Institut québécois du cinéma

M. Link (André): Je suis André Link, président de l'Institut québécois du cinéma; M.

Roger Frappier qui m'accompagne en est le vice-président.

Le Président (M. Doyon): Bienvenue.

M. Link: Merci bien. M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les députés, nous sommes invités à participer à un débat à sa face même séduisant, soit celui de définir le contenu d'une politique de la culture pour le Québec. Il s'agit d'un projet d'envergure qui a toute sa raison d'être. En cherchant à se donner une politique culturelle, le Québec se situe en droite ligne dans le prolongement de la Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, laquelle reconnaît à l'article 41 que: "La culture est le fondement nécessaire de tout développement authentique. La société doit déployer des efforts importants en vue de planifier, d'administrer et de financer les activités culturelles. Il convient, à cet effet, de prendre en considération les besoins et les problèmes de chaque société tout en veillant à assurer la liberté nécessaire à la création culturelle, tant dans son contenu que dans son orientation."

Entre émettre le voeu et franchir toutes les étapes qui conduisent au partage par tous les partenaires concernés, et au premier chef les milieux culturels, des principes et des moyens d'une politique, il y a des remises en question qui s'imposent. Les audiences de la commission parlementaire sont pour nous l'occasion de vous exposer quels sont les préalables d'une politique de la culture pour le milieu du cinéma et de la production télévisuelle indépendante.

Une autre dimension du contexte dans lequel se pose le problème de définir une politique culturelle est celle de l'environnement immédiat de chacun des champs de la culture. Le cinéma et la télévision sont des univers désormais interdépendants. Compte tenu du soutien financier que l'État doit apporter à la production et à la diffusion cinématographique et télévisuelle, chacun des secteurs de la profession entretient depuis plus de 15 ans avec les sociétés publiques des relations qui vont marquer au plus haut point leur lecture de tout projet de politique culturelle.

M. Frappier (Roger): En vue de connaître les opinions de l'ensemble du milieu professionnel du cinéma et de la production télévisuelle indépendante sur la proposition de politique de la culture et des arts et au regard de son rôle de concertation, l'Institut a réuni, le 11 septembre dernier, des porte-parole de chacune des associations professionnelles reconnues, ainsi que de quatre groupes représentant des intérêts complémentaires. Les associations, à l'exception de l'Union des artistes, nous ont alors fait connaître, dans une déclaration qui a depuis lors été rendue publique, leurs principales réactions que nous analysons dans les pages suivantes.

Peur du dirigisme. La saga des relations du milieu professionnel du cinéma et de la production télévisuelle indépendante avec les organismes publics a atteint son point de rupture dans sa dénonciation actuelle de la SOGIC. Cette crise qui n'a de cesse de se prolonger depuis plus de deux ans est continuellement reportée à notre attention. Elle devient, pour les associations, le symbole du "manque de volonté politique du gouvernement à répondre aux plaintes et aux recommandations du milieu du cinéma et de la télévision". Voilà le message qu'elles nous ont livré lors de cette consultation.

Le phénomène de l'accumulation conduit tôt ou tard à l'expression d'un ras-le-bol total. Le bénéfice du doute n'est plus possible. Après avoir dépensé des énergies à essayer, avec l'ensemble du milieu culturel, de convaincre les plus hautes autorités de l'État du bien-fondé évident d'accorder à la culture des ressources financières à la hauteur des aspirations que notre société a pour sa culture, après avoir vu Radio-Québec annuler les bienfaits de sa régionalisation et approuver la construction de studios pour, en quelque sorte, narguer les indépendants, après avoir observé une réduction de la distance entre le pouvoir politique et la gestion culturelle, la profession, de façon générale, ne veut pas entrer dans l'analyse du rapport Arpin sans avoir au préalable obtenu des clarifications.

La proposition de politique de la culture et des arts n'est pas sans comporter quelques équivoques. À la page 182, en parlant du ministère des Affaires culturelles, il est dit: "C'est donc à ce ministère que doit être confiée la mission d'assurer à la culture toute la place qui doit lui revenir dans la gestion de l'État." Le. milieu culturel ayant depuis longtemps fait l'unanimité sur le manque d'intérêt du gouvernement envers sa responsabilité de soutenir la culture, il verrait d'un bon oeil que quelqu'un s'active à la tâche dans l'appareil public. D'ailleurs, pour les nostalgiques du livre vert de Jean-Paul L'Allier, rappelons qu'il réclamait que "le ministère des Affaires culturelles soit véritablement un ministère d'intervention auprès de l'administration publique et devienne ainsi, avec le temps, la conscience culturelle de l'État".

Mais là où le rapport Arpin avive les inquiétudes d'une profession déjà échaudée par

des manifestations d'un dirigisme gouvernemental intolérable, c'est lorsqu'il propose, à la page 187, de "mandater le ministère des Affaires culturelles comme maître d'oeuvre de l'activité culturelle". Parle-t-on encore de sa mission au sein de l'État ou d'une prétention à le voir régir la vie des artistes et des entreprises culturelles? En disant que - et je cite - "être maître d'oeuvre, cela signifie être celui qui conçoit et dirige les activités dans le domaine culturel", à la page 187, on vient de créer la faille dans laquelle le vent de la contestation ne demandait qu'à s'engouffrer. Le milieu professionnel du cinéma en a soupe de tout ce qui s'apparente de près ou de loin a du dirigisme et il n'a plus la patience d'accorder le bénéfice du doute. D'où le poing sur la table.

Au début du présent mémoire, nous avons cité la Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles dans le but d'attirer l'attention sur la notion de société par opposition à celle d'État en ce qui regarde la responsabilité de planifier, d'administrer et de financer la culture. En utilisant "société" et non "État", la Déclaration renvoie aux individus, aux organismes, aux corps publics, aux municipalités et, évidemment, au gouvernement pour le partage des responsabilités. Dans une telle optique, il devient plus facile d'admettre que, "s'il est légitime à un gouvernement de faire des choix politiques précis et d'établir des priorités au regard de son action en matière culturelle, il est également légitime d'exiger que la gestion des actions ainsi que l'administration des ressources soient confiées pour l'essentiel à des organismes indépendants et susceptibles de les assumer d'une façon permanente, sans contrecoup politique et administratif. Nous nous permettons de rappeler ici que notre opposition à voir le plan triennal de soutien financier, prévu dans la Loi sur le cinéma, relever directement du ministre des Affaires culturelles découlait de cette même logique.

En faisant la part des choses, nous comprenons que la profession sent que la "liberté nécessaire à la création, tant dans son contenu que dans son orientation", est de moins en moins garantie et qu'elle ne peut prendre le risque de voir légitimée, dans la politique de la culture, une situation qu'elle dénonce sans résultat. La profession s'attend à ce qu'on lui dise que les arts et la culture "ont besoin, pour se développer harmonieusement et conformément aux exigences de la création, d'être soustraits à l'intervention politique, quelle qu'en soit la source et quels que soient les motifs qu'on pourrait invoquer pour la justifier". Il s'agit donc d'un premier préalable à l'engagement du milieu envers la politique de la culture.

M. Link: Une maîtrise d'oeuvre unique. Le rapport Arpin recommande que le Québec soit maître d'oeuvre de ses choix culturels et que le gouvernement fédéral se retire du champ culturel, quel que soit l'avenir constitutionnel du Québec. À cela le milieu professionnel du cinéma et de la production télévisuelle indépendante, sauf l'Union des artistes, répond: "Les associations considèrent que la dimension culturelle est interdépendante des dimensions économiques, sociales et politiques et que c'est en conséquence dans le cadre du processus d'ensemble de révision du statut constitutionnel du Québec que doit être abordée la question des interventions respectives du fédéral et du Québec en matière de culture et de communications." Le secteur pour lequel le retrait du fédéral représente le plus gros enjeu économique est bien le cinéma et la télévision. Au-delà des opinions personnelles des leaders du milieu, il y a, quelle que soit l'appartenance idéologique des uns et des autres, une inquiétude très sérieuse à voir la culture traitée de façon isolée.

M. Frappier: L'Institut québécois du cinéma, à /'instar de la profession qu'il représente, croit que le gouvernement peut déjà, avec les moyens qui sont à sa portée, pour peu que la culture devienne une de ses priorités, élaborer une politique culturelle pour le Québec. Pour paraphraser la directrice du journal Le Devoir, l'Institut serait même porté à craindre qu'un gouvernement paresseux prenne prétexte de difficultés, comme par exemple la colère du milieu du cinéma, pour reporter la confection de politiques déjà réalisables. Nous réclamons depuis assez longtemps que le ministère se mette à la tâche d'élaborer une politique du cinéma et de la télévision qu'il ne nous viendrait pas à l'idée de lui fournir une occasion de se désengager envers une politique de la culture.

L'adoption de politiques culturelles par les pays et les gouvernements est un phénomène relativement jeune. La première conférence sur les politiques culturelles eut lieu à Venise en 1970. Le Québec aurait pu faire partie des précurseurs si le livre blanc de novembre 1965 avait reçu la considération qu'il méritait. Depuis cette date, les gouvernements successifs ont à leur tour fait des pas vers l'adoption d'une politique culturelle. Que le temps soit enfin venu de passer aux actes ne fait aucun doute pour nous.

Il n'y a pas que les gouvernements qui ont réfléchi à l'avenir de la culture. Et le milieu du cinéma ne fut pas le moins actif. Dès 1963, l'Association professionnelle des cinéastes présentait, à cet égard, un rapport au Conseil d'orientation économique du Québec, puis suivirent le mémoire Tour un ministère de la Culture au Québec" en 1967, les états généraux du cinéma en 1968, la Nuit du cinéma au Verdi en 1971, l'occupation du Bureau de surveillance en 1974 et le Tribunal de la culture en 1975. Deux rapports commandés par le gouvernement, "Vers une politique du cinéma pour le Québec" en 1978,

ainsi que le rapport Fournier en 1982, préparés par des membres de la profession, obtinrent aussi l'appui du milieu, sans compter tous les mémoires qui furent écrits depuis. Tout ce travail ne peut pas avoir été fait en pure perte.

Pour revenir encore une fois aux relations que le ministère et ses institutions devraient entretenir avec le milieu des arts et de la culture, disons que ce dernier est allergique au technocratisme et à son système client. Pour se démarquer très clairement, la philosophie et la structure d'intervention du ministère devront faire une place centrale au partenariat avec le milieu culturel; la vie associative est un pilier de la vie culturelle et le ministère, en travaillant étroitement avec les groupes, sera mieux en mesure de répondre aux besoins des créateurs et des entrepreneurs comme de tous les autres travailleurs culturels et de contribuer, ici comme à l'étranger, au rayonnement de l'activité culturelle. Que ce soit en création ou en diffusion, l'État a un rôle d'aide et d'encouragement. Ce n'est pas lui qui crée ou qui administre les arts, les industries culturelles ou la culture. Il ne doit en rien restreindre ou remettre en question les élans créateurs.

C'est au sein du gouvernement que le ministère a besoin d'être interventionniste, d'être un leader et un expert afin que le développement culturel soit envisagé dans ses interactions avec le développement économique et social. Il ne faut pas confondre la mission culturelle de l'État et le rôle du ministère envers la création et la diffusion.

L'action qui a pour but de favoriser la création artistique passe par la stimulation des aptitudes créatrices, tant dans le cadre de la formation générale et de l'éducation extrascolaire que de l'information de masse. La dimension culturelle doit innerver toute la formation scolaire qui ne doit pas être vue seulement comme la formation à un métier. La connaissance de la culture et du patrimoine cinématographiques doivent trouver à l'école une place proportionnelle à leur impact dans la vie quotidienne. Considérant que le cinéma est le spectacle culturel qui a la plus grande faveur du public et que la télévision occupe un temps comparable dans la vie de l'enfant au temps scolaire, "les expériences actuelles consistant en une lecture critique des programmes diffusés et en travaux pratiques de réalisation de films, de programmes vidéo et de bandes dessinées pourraient être développées".

Un autre volet fondamental de l'éducation artistique repose sur le rôle joué par des institutions comme la Cinémathèque et les entreprises privées dans l'accès à une diversité d'oeuvres. La Cinémathèque est ouverte à l'idée de faire rayonner dans l'ensemble du Québec des parties significatives de ses collections. D'autre part, il serait maladroit de sous-estimer le potentiel des salles et des clubs vidéo dans l'information de masse. Ces derniers, qui rejoignent tous les publics sur tous les territoires, devraient être les partenaires d'une stratégie de diffusion de toutes les oeuvres qui trouvent plus difficilement leur public faute de moyens. Sans compter que Radio-Québec, notre télévision éducative, n'est nullement justifiée de se retirer de la diffusion d'un cinéma de qualité comme elle l'a fait récemment. Son rôle dans l'éducation du public doit être renforcé en harmonie avec les interlocuteurs de la profession.

M. Link: Le rapport Arpln a pris en considération une dimension importante de la production et de la diffusion de la culture, à savoir les industries culturelles. Cependant, nous ne sommes pas convaincus que cet univers a véritablement été analysé dans toute son amplitude et en fonction de l'impact qu'il a sur toute la vie d'une société. Le foisonnement des techniques audiovisuelles a augmenté le nombre des produits des industries culturelles et leur impact est de plus en plus grand sur la vie culturelle. La télévision, par-delà ses fonctions médiatiques, est un lieu de création et de production d'oeuvres et de produits qui concourent à la définition de notre culture. (15 h 15)

La reconnaissance d'un secteur privé culturel et de l'entrepreneuriat comme composante majeure de l'industrie cinématographique et des industries culturelles en général doit être clairement affirmée. L'accessibilité aux arts et aux biens culturels, en particulier en cinéma, étant largement rendue possible grâce à des entreprises privées, elles devront faire partie d'une cartographie des équipements. Avons-nous encore besoin de vous convaincre que l'essor de la culture ne repose pas seulement sur des institutions publiques et des corporations sans but lucratif?

Peut-être qu'il y a lieu d'envisager une politique des industries culturelles. Il est évident qu'à tout le moins une stratégie forte de financement, de développement des infrastructures, de mise en marché et d'exportation est-- devenue nécessaire. Mais elle ne pourra se faire de façon constructive s'il n'existe pas entre la SOGIC et le milieu une collaboration et une complicité qui manquent actuellement.

Les préalables ayant été établis et en autant qu'ils seront satisfaits, l'Institut québécois du cinéma appuie dans leur, esprit les principes de base et les finalités de la proposition "Une politique de la culture et des arts". Ces principes de base sont, rappelons-le, les suivants:

La culture est un bien essentiel et la dimension culturelle est nécessaire à la vie en société, au même titre que les dimensions sociale et économique.

Le droit à la vie culturelle fait partie des droits de la personne et c'est pourquoi l'activité culturelle doit être accessible à l'ensemble des

citoyens.

L'État a le devoir de soutenir et de développer la dimension culturelle de la société en utilisant des moyens comparables à ceux qu'il utilise pour soutenir et développer les dimensions sociale et économique de cette même société.

Les trois finalités de la proposition sont: développer le domaine des arts et de la culture; favoriser l'accès à la culture; accroître l'efficacité de l'intervention du gouvernement et de ses partenaires dans la gestion de la mission culturelle.

En conséquence, la conclusion du projet de politique qui porte sur l'engagement du gouvernement dans la culture et que synthétise la recommandation suivante: "que le gouvernement considère la culture comme un élément moteur du développement collectif et qu'il imprègne toute son action de cette conviction" est jugée fondamentale et nous croyons qu'elle devrait être un des axes majeurs d'une politique de la culture et des arts.

M. Frappier: La politique de la culture et des arts sera un grand pas en avant, mais elle demeurerait profondément frustrante pour le milieu cinématographique si elle ne devait pas conduire à très court terme à une politique du cinéma et de la télévision. Une politique accompagnée d'un plan d'action comportant des mesures et des moyens propres à donner à notre secteur la capacité de contribuer à l'affirmation de notre identité culturelle dans une proportion aussi importante que l'intérêt qu'il soulève auprès du public.

En janvier 1990, l'Institut québécois du cinéma soumettait à la ministre des Affaires culturelles, Mme Robillard, des "Orientations en matière de cinéma". Les choix que l'Institut a effectués dans la détermination de ses recommandations découlaient d'une large consultation du milieu. L'une des principales recommandations de l'Institut visait à ce que le gouvernement dote le Québec d'une politique intégrée du cinéma et de la télévision.

Avec le recul, nous nous devons de déplorer le peu de suivi qui fut accordé à ces Orientations qui avaient reçu un appui unanime et enthousiaste de la profession. Pourtant, elles avaient le mérite d'exposer clairement les problèmes, notamment celui du malaise ressenti par le milieu devant la Société générale, qui reviennent encore à la surface.

Nous croyons qu'il y a dans ce document plusieurs éléments utiles à la préparation d'une politique, en particulier les orientations suivantes qui devraient en être les lignes directrices:

Premièrement, donner au cinéma et à la télévision une place prépondérante dans l'affirmation de notre identité culturelle. Le Québec est une société distincte non seulement à l'intérieur de la Confédération canadienne, mais en Amérique du Nord et dans le monde. L'expression culturelle et artistique est une affirmation très forte de cette identité. Le cinéma et la télévision sont des moyens majeurs de refléter la société et ils doivent être consolidés afin d'assurer leur épanouissement à long terme.

Deuxièmement, renforcer la spécificité du paysage cinématographique québécois. Notre environnement est différent de celui du reste de l'Amérique et nos films ne ressemblent pas à ceux de Toronto ou de Los Angeles. Nous devons nous donner des moyens propres pour le renouvellement de nos compétences. Le français occupera à l'écran une place qui sera fonction des moyens déployés à cet égard.

Élargir l'accessibilité aux oeuvres et à la culture cinématographiques. On a tendance à sous-estimer le marche intérieur et à l'exploiter inefficacement. Cependant, les moyens alloués à la promotion et à la diffusion sont insuffisants, si bien qu'il y a un risque, en région, d'une perte de diversité.

Favoriser l'harmonisation et l'équité entre les secteurs.1 La consolidation de l'industrie se fera uniquement en tenant compte du travail de tous les Interlocuteurs impliqués dans la fabrication d'un film ou d'un programme.

Et, finalement, implanter des méthodes d'évaluation des activités et appuyer la circulation de l'information.

Chacune de ces orientations donnait lieu à des recommandations de nature à fournir des occasions concrètes d'intervention.

Pour cette raison, l'Institut réaffirme son engagement à la ministre de déposer au cours des prochains mois une version actualisée de ses orientations en matière de cinéma. Nous nous proposons de revoir en particulier le chapitre des recommandations afin qu'il contienne les éléments pouvant inspirer la préparation d'un plan d'action. Il n'est pas si simple de présenter des choix qui fassent l'unanimité dans le milieu; cela devrait inciter le ministère à en tirer le meilleur parti possible.

M. Link: Depuis 1975, le rôle de l'Institut a considérablement...

Le Président (M. Doyon): M. Link, vous allez me permettre de vous rappeler que votre présentation dure depuis une vingtaine de minutes. Je suis bien prêt à vous laisser aller et continuer votre présentation pour encore quelques minutes, sauf qu'il restera très peu de temps pour la discussion après la présentation de votre mémoire. Je vous laisse, cependant, le choix de continuer encore un peu, étant bien entendu que le temps qui restera sera limité après.

M. Link: Eh bien, je vais essayer de le faire le plus rapidement possible. Depuis 1975, le rôle de l'Institut a considérablement été modifié. Jusqu'en 1983, il cumulait les fonctions qu'il a

présentement, ainsi que celles maintenant dévolues à la vice-présidence de la SOGIC. Le rapport Fournier proposait notamment de faire de l'Institut le lieu des choix stratégiques et de la détermination des plans d'aide et des programmes, la tâche de gestion (aide au cinéma, promotion du cinéma, financement du cinéma) devant être confiée à un trio de sociétés publiques.

La Loi sur le cinéma retint l'esprit du rapport Fournier, mais fusionna dans une Société générale du cinéma les trois mandats qui devaient être partagés. La polarisation IQC-SGCQ engendra des frictions qui furent le prétexte d'une révision du rôle de l'IQC en 1987. Avec le recul, nous pouvons affirmer sans réserve que le système n'a pas eu le temps de se mettre en place réellement et de faire ses preuves qu'on l'avait déjà démonté après deux ans et demi au profit d'un rapatriement des pouvoirs au sein du ministère.

Il s'agit là d'un mouvement tout à fait contraire à celui souhaité par l'ensemble de la profession qui s'est sentie progressivement dépouillée au profit d'un "refermement" du processus décisionnel autour de l'autorité publique. Le but poursuivi, tant en 1983 qu'en 1987, d'éliminer les frictions par trop bruyantes aux oreilles dirigeantes n'a pas été atteint en retirant à la profession la place qu'elle occupait dans la prise de décision. On revient, comme il fallait s'y attendre, au problème du dirigisme. Il fallait sortir des bruits de corridor et des choix confidentiels. "Quel que soit le champ d'activité, il est aujourd'hui nécessaire que les critères, les normes et les règles soient largement connus, qu'ils puissent être débattus au moment de les fixer et qu'il soit possible de contester efficacement les injustices qui pourraient découler de leur application."

Conclusion. Lorsqu'on arrive à la fin d'un mémoire sur un sujet aussi vaste qu'un projet de politique culturelle, on se rend compte qu'il y a de nombreux sujets qu'il aurait fallu aborder et qui ne l'ont pas été. Dans ce cas-cî, on n'a qu'à citer, en se référant au rapport du groupe-conseil, la formation professionnelle, l'action internationale, les modes de gestion et de financement, les droits d'auteur, Montréal, Québec et les régions, les médias, les municipalités et la conservation du patrimoine cinématographique et télévisuel pour le constater.

Cependant, ce qu'il y a de plus paradoxal dans ce cas-ci, c'est que la mauvaise humeur manifestée par les porte-parole de tous les secteurs lors de la concertation que nous avons effectuée en préparation de cette commission nous conduisait au refus global. Le coup de poing sur la table devant la possibilité que la proposition de politique puisse conduire à un dirigisme gouvernemental et que la maîtrise d'oeuvre de la culture soit traitée en dehors du processus d'ensemble de révision du statut constitutionnel du Québec a retenti tellement fort que le mémoire s'en fait encore ici l'écho. Toutefois, nous sommes convaincus que ce n'est en rien une façon d'amoindrir la portée de celui-ci que de conserver à notre tour une distance raisonnable nous offrant le recul propre à analyser à la fois la déclaration de la profession et la proposition de politique de la culture et des arts. Merci.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Link. Il reste donc 10 minutes aux deux formations pour discuter avec vous de votre mémoire, étant assuré que ce mémoire, de toute façon, a été lu de long en large par les représentants des deux partis. Ators, Mme la ministre.

Mme Frulla-Hébert: M. Frappier, M. Link, bienvenue. Bon, premièrement, personne n'ignore que les milieux du cinéma et de la télévision ont réagi avec véhémence au projet de politique. Et je dois souligner aussi l'effort de l'Institut québécois du cinéma pour se détacher, finalement, de la réaction qui, d'une part, est émotive et, dans le respect mutuel, venir aussi logiquement présenter les craintes et aussi les revendications du milieu du cinéma.

Mais, comme on n'a pas beaucoup de temps, je voudrais revenir, moi, au niveau du dirigisme. Ce qui m'a le plus frappée, finalement, dans la sortie de la semaine dernière ou d'il y a deux semaines, c'est ce dirigisme de l'État, d'abord, que vous craignez. Est-ce que ce dirigisme n'est applicable qu'au Québec, d'une part? Parce que vous parlez, finalement, d'agir ou enfin de demander aux deux paliers, mais vous semblez avoir extrêmement peur du dirigisme de l'État ici. Ce que je vous demande aussi, c'est: Qu'est-ce que c'est ces craintes spécifiques du milieu cinématographique à l'égard d'une politique culturelle québécoise? Est-ce que c'est juste une crainte économique? Parce que, honnêtement, quand vous êtes sortis et qu'on a vu "dirigisme d'État", surtout au niveau de la création, de la pensée créative, moi, j'ai été extrêmement surprise de cette réaction-là. D'autres ne m'ont pas surprise, mais celle-là, oui.

M. Frappier: Le dirigisme vient, d'une certaine façon, de la manière dont nous pouvons dire que nous sommes écoutés dans le milieu. Lorsque nous avons remis les Orientations à la ministre des Affaires culturelles en janvier 1990, à la page 12; on peut lire: "Les reproches adressés à la SOGIC font l'unanimité dans la profession et confirment qu'un fossé s'est créé entre les deux. L'absence de débat important, l'attitude distante, le refus de travailler en relation soutenue avec le milieu..." Donc, depuis maintenant 16 mois, 17 mois, le gouvernement du Québec a, de façon unanime, le rapport du milieu sur la façon dont sa société, qui est la Société générale du cinéma, entretient ses rapports avec le milieu.

À plusieurs reprises, l'Institut l'a manifesté à la ministre et, à plusieurs reprises également, toutes les associations l'ont manifesté au gouvernement. Il n'y a rien eu de changé depuis 18 mois. Comment, nous, pouvons-nous analyser ou réagir à une telle situation devant le gouvernement? On s'est dit à ce moment-là que le gouvernement fait vraiment ce qu'il veut par rapport à un domaine donné qui est celui du cinéma et à sa société, la SOGIC. Donc, c'est une certaine forme de dirigisme.

Bien entendu, on ne peut pas lire dans les journaux que le gouvernement québécois va rapatrier la culture et lire que Téléfilm va passer à la SOGIC, Radio-Canada à Radio-Québec et que le milieu va penser qu'il va avaler tout ça dans les rapports actuels qu'il entretient avec la SOGIC. Bien entendu, il y a des considérations économiques là-dedans. Au ministère des Affaires culturelles, lorsque la SGC, la Société générale du cinéma, est devenue la SOGIC, Mme Bacon avait promis au milieu 11 000 000 $ supplémentaires plus 5 000 000 $ pour la télévision. Évidemment, le lendemain matin, lorsque la SGC est devenue la SOGIC, l'argent, lui, n'est pas venu.

À l'heure actuelle, le budget d'investissement de la SOGIC n'a pas été indexé depuis moult années. C'est bien entendu que le leadership dans le cinéma québécois à l'heure actuelle est pris en main par le gouvernement fédéral, par ses sociétés d'investissement comme Téléfilm. Cela ne veut pas dire que c'est une règle d'or qui doit rester jusqu'à la fin des temps. Nous, ce qu'on dit, c'est que le gouvernement du Québec avait depuis longtemps tous les moyens, toutes les alternatives pour être capable d'investir dans le cinéma québécois, d'investir dans la culture cinématographique et également dans la télévision et qu'il ne l'a pas fait, laissant au fédéral le soin de le faire. Alors, tout d'un coup, on veut tout rapatrier et, en même temps, quelle est la façon dont cela va se faire?

Si nous recevons 45 % ou 50 %, si vous voulez, de subventions du fédéral par rapport à l'expression cinématographique de la culture québécoise et qu'on ne représente que 21 % de la population, est-ce que le gouvernement québécois va accorder le même rythme de travail à la culture cinématographique québécoise et combler le manque à gagner qu'il doit y avoir entre les 20 % et les 30 %? Si le passé est garant de l'avenir, on peut penser que non, parce qu'à chaque fois, lorsqu'on s'est tournés vers le gouvernement du Québec, nos relations ont été assez difficiles, autant par rapport à notre façon d'être avec la SOGIC que par rapport à l'investissement des fonds qui sont dus à la culture cinématographique. (15 h 30)

Mme Frulla-Hébert: Mais, M. Frappier, à vous écouter parier tous les deux, il semblerait que le gouvernement québécois, enfin, moi, c'est ce que j'entends, ne fait rien. Pourtant, il y a des mesures fiscales que nous avons, qui ne sont pas à négliger, qui, à l'époque, avaient été bannies au fédéral et, finalement, nous les avons maintenues, modifiées, mais quand même pour donner l'équivalent au milieu. À la SOGIC, cette année, le budget a été non seulement augmenté, mais il y a aussi un programme de 2 000 000 $. Évidemment, ça va à la télévision, je vous l'accorde, là. Je parle de tout le secteur audiovisuel. En quelque part, je veux juste faire la part et savoir si toute l'action qui est faite est teintée, justement, par le conflit - il faut le dire, conflit - entre le milieu et la SOGIC parce que, évidemment, nous, dans notre discussion, c'est sûr qu'il va falloir faire aussi la part des choses sans vous dire qu'on ne s'attaquera pas au conflit.

M. Frappier: Mais à l'heure actuelle le Québec a les moyens d'être le maître d'oeuvre en matière de cinéma sans rien changer, si vous voulez, au contexte constitutionnel actuel. Il a les moyens de mettre plus d'argent par rapport à l'investissement au niveau de la SOGIC et il a les moyens aussi d'intervenir dans d'autres secteurs, que ce soit les secteurs de diffusion, par la loi. Le gouvernement du Québec peut le faire.

Nous, ce qu'on dit, c'est: Pourquoi, tout d'un coup - ça, c'est dit dans le mémoire - il n'y aurait que la culture qui serait rapatriée? Pourquoi n'y aurait-il que cette dimension, si vous voulez, de notre vie collective qui serait rapatriée? Si jamais on rapatriait au Québec uniquement la culture et que le contexte constitutionnel ne changeait pas du tout, s'il restait le même, nous, nous pensons que, par rapport à la situation actuelle, ce serait un recul. Si le Québec veut rapatrier toutes les dimensions: économique, politique, sociale et également la culture, bien entendu, il va y avoir des ajustements au niveau de la façon dont ça va procéder par rapport à l'investissement, si vous voulez, dans un domaine comme celui du cinéma.

Mais, à l'heure actuelle, si on ne change pas le contexte et qu'on ne fait que rapatrier la culture, les institutions québécoises qui investissent dans le cinéma, si elles ne sont pas changées, bien entendu, n'ont pas l'assentiment du milieu cinématographique. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise? Selon la loi, à l'heure actuelle, face au conflit avec la SOGIC depuis juin dernier, la ministre des Affaires culturelles a la possibilité de faire le plan d'action triennal avec la SOGIC directement. Pour nous, c'est un rapprochement entre le pouvoir politique, le ministère et le milieu cinématographique par sa société d'intervention qui est la SOGIC. Alors, il n'y a plus, si vous voulez, la distance souhaitable pour que les institutions puissent vivre par elles-mêmes.

Les nominations à la SOGIC ont été extrê-

mement politisées. Ça n'arriverait pas dans le sport. On ne pourrait pas nommer un entraîneur du club de hockey Canadien qui ne connaîtrait rien au hockey, ni son assistant qui ne connaîtrait rien au hockey. Et, après ça, on ne pourrait pas s'étonner des choix au repêchage, puis chialer parce que le club de hockey ne gagne pas sur la patinoire! Mais c'est curieux que, dans le domaine du cinéma, on puisse nommer à la tête d'une société et comme vice-président également responsable du cinéma deux personnes qui n'ont aucune connaissance cinématographique.

Moi, je ne pense pas qu'on puisse administrer n'importe quoi. Je pense qu'il faut, dans certains domaines particuliers, connaître les lois internes de ces domaines-là et être capables de travailler en fonction de ça. Là où, nous, nous avons une grande surprise... Vous savez, l'unanimité dans notre milieu n'est pas toujours facile. Dans ce domaine-là, c'est unanime depuis deux ans et le gouvernement ne bouge pas. Comment voulez-vous que nous réagissions face à des pouvoirs accrus de la part du gouvernement? On va dire un bon matin: Le gouvernement du Québec, maintenant, a tous les pouvoirs dans la culture. La SOGIC a tous les moyens d'intervention. Alors, nous, qu'est-ce qu'on fait? Qu'est-ce qui nous dit qu'on va être davantage écoutés?

Le Président (M. Doyon): Mme la ministre, d'autres questions? Il vous reste quelques minutes; deux minutes.

Mme Frulla-Hébert: Bon, alors, d'un côté je vous comprends, je pense que je décèle cette sortie au niveau du dirigisme parce qu'il faut quand même avouer que, sur la politique globale au niveau de la création, il n'en est pas question; au contraire, ce qu'on veut faire ou ce qu'on essaie de faire, c'est de défonctionnariser, de ventiler tout ça pour que le fonctionnement soit quand même plus facile.

M. Frappier: Nous, Mme la ministre, on souhaiterait bien que le ministère des Affaires culturelles ait beaucoup plus de pouvoirs à l'intérieur même du gouvernement; que le ministre des Finances porte une oreille beaucoup plus attentive au ministère des Affaires culturelles. C'est-à-dire que la politique de faire la souveraineté culturelle, qui était une politique énoncée par le Parti libéral du Québec, soit une vraie politique et qu'elle soit mise en oeuvre; que le 1 % qui a été une promesse électorale soit vraiment appliqué. Vous avez entièrement l'appui de la profession par rapport à ça que le ministère soit le maître d'oeuvre à l'intérieur des autres ministères. Vous avez notre appui là-dessus. Mais, par rapport au milieu de la création, nous voulons que, pour les personnes responsables de la création, que ce soit autant les écrivains que les éditeurs, les producteurs, les cinéastes et tous ceux qui y oeuvrent, il y ait une distance et que les institutions soient mises sur pied pour être capables de la faire fonctionner.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Frappier.

Mme Frulla-Hébert: Merci, monsieur.

Le Président (M. Doyon): Mme la ministre, malheureusement, la réponse de M. Frappier a épuisé le temps qui vous était alloué. M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques.

M. Boulerice: Oui, une seule question, M. Link et M. Frappier. Bon, la ministre dit qu'elle vous entend, mais SOGIC, j'ai bien peur qu'on s'en reparle encore dans un an, malheureusement. Vous réclamez une politique du cinéma et de la télévision. Bon. D'une part, je ne crois pas que l'on puisse légiférer nous-mêmes à ce niveau-là sans l'accord d'Ottawa; donc, vous suggérez des ententes sous-sectorielles avec un pouvoir fédéral.

La question que je vais vous poser est très claire. Est-ce que, selon vous, le rapatriement des responsabilités fédérales dans le cadre d'un Québec souverain pourrait être acceptable au milieu du cinéma, aux conditions suivantes: la mise sur pied d'un organisme subventionnaire chargé de soutenir les productions audiovisuelles, donc, entre parenthèses, cinéma et télévision, respectant le principe du "arm's length", donc un Téléfilm Québec, en le dotant d'un conseil d'administration issu d'une majorité de gens du milieu, dont le président serait nommé par l'Assemblée nationale en lui confiant l'autonomie nécessaire au chapitre de l'allocation des ressources, en réduisant le pouvoir actuel du ministre au chapitre des modalités de programmes d'aide et, au minimum, en garantissant un effort financier identique à celui combiné des interventions des deux gouvernements?

M. Frappier: Je ne saurais comment répondre à votre question. Bien entendu, moi, je pense qu'il peut y avoir une politique du cinéma et de la télévision dans le contexte constitutionnel actuel et, si le contexte change, il peut y en avoir une beaucoup plus forte, si vous voulez, parce que, bien entendu, par rapport à la télévision, le fédéral a peut-être plus de ramifications au niveau des lois que le provincial.

Mais, à ce niveau-là, à l'heure actuelle, il est curieux que, dans le rapport Arpin, on ne fasse pas mention de la télévision ou de l'appareil, je veux dire de ce qu'il représente, parce que je dirais que l'instrument premier de la culture au Québec est la télévision, bien avant le cinéma, bien avant la littérature et bien avant la musique. Moi, quand j'ai un succès en salle, il y a 350 000 spectateurs qui vont aller voir un

film dans les salles. À la télévision, "Les Filles de Caleb", un soir, c'est 3 500 000; ça touche directement dans des endroits ou dans des lieux même des gens qui ne vont pas au cinéma. Dans ce sens-là, je pense qu'à l'heure actuelle le gouvernement du Québec peut, par ses ministères, intégrer, si vous voulez, la vision globale d'une politique globale du cinéma et de la télévision.

Il a aussi un instrument en main qui s'appelle Radio-Québec. Si, à Radio-Québec, on n'avait pas enlevé la régionalisation il y a quelques années, le Québec aurait été plus fort au moment où Radio-Canada a enlevé la sienne. Si, au lieu de réduire constamment les fonds à Radio-Québec, on les augmentait... Radio-Québec, maintenant, ne peut plus investir, presque plus, dans le cinéma québécois parce qu'elle n'a plus de fonds; elle ne peut plus, non plus, acheter des films étrangers différents, si vous voulez, qu'ils soient italiens, espagnols ou français, des films plus difficiles pour la culture cinématographique, parce qu'elle n'a plus de fonds. Elle a réduit toute la section d'acquisitions cinématographiques de façon incroyable. Le budget de Radio-Québec est inférieur au budget de l'Office national du film du Canada, et c'est une télévision qui doit programmer des heures de fabrication, si vous voulez, de programmes et de diffusion à tous les jours. Alors, c'est héroïque que cette télévision, avec si peu de moyens, soit capable d'accomplir ce qu'elle fait.

Alors, nous, ce qu'on dit, c'est que, bien sûr, le gouvernement a le droit de rapatrier ce qu'il veut. Mais, à l'heure actuelle, il a les moyens d'investir dans sa politique culturelle ou dans sa politique cinématographique et télévisuelle, et nous aimerions en voir des exemples avant de dire oui, les yeux fermés, à un projet dont on ne connaît pas le contenu, mais seulement le voeu de rapatriement.

M. Boulerice: M. Frappier, au sujet de la télévision, on partage la même opinion tous les deux, ça ne fait aucun doute; d'ailleurs, je trouve que le rapport Arpin est une demi-portion, n'ayant pas inclus tout ce secteur.

Ceci dit, peu importe, là, dans le cadre actuel ou un cadre plus global qui est celui d'une pleine et entière souveraineté, est-ce que les conditions que je viens de vous énumérer sont acceptables pour vous? Un organisme, toujours selon le principe du "arm's length", qu'on appellerait Téléfilm. Oubliez l'épouvantail horrible qui vous hante vous aussi, qui s'appelle SOGIC.

M. Frappier: Non. C'est sûr que ça va prendre un organisme "arm's length", je veux dire, qui va investir dans le cinéma et dans la télévision. C'est certain. Je ne peux pas statuer immédiatement sur sa composition exacte ni sur son mode de financement. Je pense qu'à l'Institut, dans le passé, il y a eu beaucoup de rapports qui ont donné des exemples et je pense que c'est certain que ça va prendre un tel organisme, oui.

M. Boulerice: Donc, vous êtes d'accord sur le principe?

M. Frappier: Oui.

M. Boulerice: D'accord. Pour ce qui est du financement aussi, il va de soi, j'ai l'impression que vous n'allez pas être en désaccord avec ceci. J'avais dit une seule question, mais j'ai le goût de vous la poser quand même puisqu'elle est éminemment dans le décor. D'après vous, pourquoi le ménage ne s'est pas encore fait à la SOGIC?

M. Frappier: Écoutez, le milieu cinématographique est en train de penser, à l'heure actuelle, qu'il va demander à ce que le cinéma soit retiré de la SOGIC et qu'on forme une société distincte qui ne s'occupe que du cinéma, comme c'était auparavant lorsque c'était la Société générale qui s'en occupait et qu'elle ne s'occupait que du cinéma. Alors, au lieu de nous attaquer à un mur maintenant, nous allons demander que le cinéma soit retiré de la SOGIC, qu'une nouvelle société soit mise sur pied et qu'on retrouve la société qu'on avait avant, et qui fonctionnait très bien avec le milieu.

M. Boulerice: La situation de 1984. D'avant 1984, dis-je, plutôt.

M. Frappier: Exact.

M. Boulerice: Enfin, d'avant décembre 1985.

M. Frappier: Oui.

M. Boulerice: D'accord. Je vous remercie beaucoup, M. Link et M. Frappier.

Le Président (M. Doyon): Merci, M le député. Mme la ministre, quelques mots de remerciement.

Mme Frutta-Hébert*. Merci, M. Frappier el M. Link. Évidemment, encore une fois, il y a toute cette question du dirigisme global sur laquelle on voudrait quand même vous rassurer. Au niveau de la politique sur le cinéma et la télévision, je vous avais dit, d'ailleurs, qu'il fallait passer à travers cette commission-ci avant d'en arriver - moi, je suis arrivée, on a fait la loi - à déterminer, justement, ou à mettre sur la table, et on va le faire le plus tôt possible, cette politique sur le cinéma. En attendant, j'attends avec impatience les recommandations que vous nous dites modifiées et, évidemment, toute suggestion sera regardée attentivement, et de façon très accueillante et ouverte. Merci.

M. Frappier: Merci.

Le Président (M. Doyon): Merci, Mme la ministre. Alors...

M. Link: Si vous le permettez, M. le Président. Nous sommes en fin de mandat et les membres de l'Institut ont terminé les trois ans. Je voudrais vous souligner à quel point notre secrétaire général a été efficace et a permis des travaux. Vraiment, je souhaiterais que, même dans les présentes difficultés budgétaires, le budget de l'Institut puisse être respecté. Je pense que ce qui sort de là a beaucoup de valeur pour le cinéma au Québec et à l'extérieur. Merci, madame.

Le Président (M. Doyon): Merci.

Mme Frulla-Hébert: Sans inquiétude, M. Link.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Link. Merci, M. Frappier. Vous demandant de bien vouloir, s'il vous plaît, céder la place aux intervenants qui vous suivent, je vous remercie au nom de la commission et j'invite maintenant les représentants de l'Université Laval à bien vouloir prendre place en avant, à bien vouloir s'installer. Je leur souhaite la plus cordiale des bienvenues, plus particulièrement aux gens de l'Université Laval qui sont dans le beau comté de Louis-Hébert. Je leur souhaite la bienvenue. Je les invite à procéder selon les règles qui sont connues, c'est-à-dire tout simplement environ une quinzaine de minutes de présentation; ce sera suivi d'un partage égal du temps qui restera entre les deux formations politiques pour discuter de certains points de votre présentation. Vous avez dès maintenant la parole; je demande à M. Méthot, peut-être, de faire la présentation des gens qui l'accompagnent et de procéder à la présentation elle-même. M. Méthot. (15h45)

Université Laval

M. Méthot (Jean-Claude): M. le Président, Mme la ministre, Mmes, MM. les membres de la commission, comme on vient de le mentionner, nous sommes les représentants de l'Université Laval et . nous sommes très heureux d'avoir l'occasion de vous rencontrer et surtout l'occasion d'émettre notre point de vue sur une politique à définir dans le domaine de la culture et des arts.

Mon nom est Jean-Claude Méthot. Je suis vice-recteur aux études et je vous présente les personnes qui m'accompagnent. À ma gauche, M. François Demers, qui est doyen de la Faculté des arts; à ma droite, M. André Daviault, qui est doyen de la Facufté des lettres, et, à mon extrême droite, M. Michel Dumas, qui est direc- teur du Bureau de la recherche.

M. le Président, je me permets ici un petit brin d'humour. Vous avez peut-être remarqué le nom de ces personnes-là: M. Demers, M. Daviault, M. Dumas; je vous mentionne que, quand je me présente en commission parlementaire, ça ne veut pas dire que je choisis nécessairement des gens par ordre alphabétique et que j'en étais rendu ici à la lettre d!

Nous avons convenu effectivement de faire de courtes présentations. J'espère bien que nous respecterons les 15 minutes allouées, de telle sorte qu'on pourrait garder une bonne période pour les questions et la discussion. Je commence donc en vous mentionnant, évidemment, quelque chose qui est élémentaire, c'est qu'à l'Université Laval, comme dans la plupart des universités, nous nous occupons principalement de formation. Donc, on parle de formation d'un grand nombre d'étudiants et d'étudiantes. Et je vous informe qu'actuellement, au trimestre de l'automne 1991, nous encadrons 36 600 étudiants. C'est un record de tous les temps, je dirais. Et nous comptons, Mme la ministre, plus de 57 % de femmes dans l'ensemble de nos programmes et, pour la première fois de notre histoire aussi, une majorité de femmes dans nos programmes de maîtrise. J'imagine qu'éventuellement le doctorat suivra également.

Je vous informe que nous accordons une grande importance à ce domaine de la culture et des arts et, pour l'illustrer clairement, je vous parle de certains programmes qui existent dans nos différentes facultés. Premièrement, la Faculté des arts où nous comptons, au premier cycle seulement, 14 programmes différents. Et je vous donne un exemple: baccalauréat en arts plastiques. Au niveau des programmes de deuxième et troisième cycles, nous comptons sept programmes différents qui encadrent un grand nombre d'étudiants et d'étudiantes. Je vous donne un exemple, encore une fois: doctorat en musique. Faculté des lettres, même chose. Au premier cycle, 13 programmes différents d'encadrement des étudiants et des étudiantes. Un exemple de premier cycle dans cette faculté: certificat en création littéraire. Et, au niveau des deuxième et troisième cycles, nous comptons huit programmes différents. Encore une fois, un exemple: doctorat en arts et traditions populaires. Et plusieurs programmes existent aussi dans d'autres facultés comme sciences de l'éducation.

Je vous informe que nous sommes à élaborer de nouveaux programmes également dans ces domaines. Je vous donne deux exemples: à la Faculté des arts, une maîtrise en arts visuels qui sera implantée probablement en septembre 1992 et une maîtrise en restauration et rénovation à la Faculté des lettres. Nous comptons, évidemment, aussi un grand nombre d'activités de recherche qui nous permettent d'encadrer un bon nombre d'étudiants et d'étudiantes. Tout ceci pour vous dire que nous avons un grand souci de

qualité, surtout pour la formation des étudiants et des étudiantes et, dans ce domaine des arts et de la culture, nous comptons sûrement au moins 5000 étudiants.

En terminant, je vous informe que nous avons aussi une politique d'évaluation des programmes existants. Alors, tous les programmes sont revus en profondeur. Nous procédons à une consultation en profondeur des étudiants, des diplômés, des professeurs de l'université, des employeurs aussi, des corporations, des organismes, etc., de telle sorte qu'on peut avoir régulièrement le point de vue de l'ensemble de la population. Et nous essayons par la suite, évidemment, d'ajuster nos programmes en fonction des besoins de formation des étudiants et des étudiantes et aussi en fonction des besoins du milieu. À cet égard, évidemment, le rapport Arpin est très utile pour nous. Il nous permet, donc, de connaître un peu le point de vue de spécialistes dans le domaine et il sera, évidemment, un document de référence pour ajuster nos programmes au cours des prochaines années.

En terminant, Mme la ministre, mesdames, messieurs, je vous offre l'entière collaboration de l'Université pour faire en sorte que nous offrions à l'ensemble de la population des activités de formation pour nos étudiants et nos étudiantes. Très brièvement, sur le rapport Arpin, nous avons eu peu de temps pour préparer notre réaction Je ne parlerai pas d'un mémoire, ce serait peut-être un peu exagéré par rapport à ce que l'on a produit. Je parlerai plutôt d'un document de réaction. On aurait aimé le préparer avec plus de temps, mais, malheureusement, le temps nous a coinces un peu. Ceci dit, je cède la parole à M. Demers qui est doyen de la Faculté des arts.

Le Président (M. Doyon): Très bien. Alors, M. Demers, nous vous écoutons.

M. Demers (François): On m'a chargé de faire le résumé du court texte que vous avez entre les mains, je devrais dire le résumé du résumé. Je pense qu'on peut le faire autour de cinq interrogations qui sont aussi peut-être des points sensibles pour nous. Et, comme je suis généreux, j'en abandonne deux à mes collègues, qui sont celui de la recherche dont M. Dumas vous parlera davantage et celui de la formation générale ou de la formation de base ou, si vous voulez, la préoccupation des mécanismes qui permettraient de hausser le niveau culturel global ou général de la population, dont vous parlera M. Daviault.

Des trois que je me suis réservés, le premier porte sur une allusion ou, je dirais, peut-être une toile de fond d'interrogations par rapport à la mission de l'université, qui traverse à certains endroits le rapport et qui porte sur les mécanismes d'adéquation entre la demande sociale de diplômés et l'offre à laquelle nous contribuons généreusement. En fait, il y a là un petit point d'inquiétude de notre part puisqu'on a l'air de dire que, peut-être, les institutions d'enseignement, les universités mettent sur le marché trop de diplômés.

Alors, on vous invite, sur ce point spécifique, à attaquer la question en ventilant le genre de raisonnements qu'on utilise par rapport à ça. Par exemple, je pense que le problème de l'adéquation entre la demande et l'offre, du côté des enseignants de l'art, ne se pose pas de la même façon qu'elle peut se poser pour la formation des administrateurs gestionnaires ou des analystes chercheurs. Et, évidemment, pour ce qui est des créateurs et des interprètes, notre préoccupation - dans le texte, vous l'avez vu - c'est de protéger les jeunes générations qui sortent, de laisser, je dirais, à la limite, la loi du marché jouer de ce côté-là, d'ouvrir les portes le plus possible, de permettre à tous ceux qui estiment avoir un avenir de ce côté-là de pouvoir être créateurs, de s'y essayer.

Le deuxième point concerne la formation des maîtres au primaire et au secondaire. C'est un sujet délicat, il y a une épine au pied d'un peu tout le monde dans ce domaine-là, qui est le rapport à établir entre les spécialistes, les maîtres spécialistes en particulier - si on pense aux domaines qui m'intéressent plus particulièrement comme la musique et les arts visuels - donc, une espèce d'équilibre à établir entre les spécialistes, d'une part, ou la spécialité et la polyvalence. Nous venons de traverser une période où il y a eu, pour des raisons en grande partie rattachées au syndicalisme et aux conventions collectives, des gros efforts qui ont été faits vers la polyvalence, mais il nous semble qu'il serait important de rétablir un équilibre plus sain de ce côté-là, de réattaquer la question de la polyvalence des professeurs et en même temps de la nécessaire spécialité, notamment dans le domaine de la musique. Il faudrait rétablir l'équilibre de ce côté-là parce qu'on est peut-être allés à l'autre bout du pendule.

Le dernier point sur lequel j'insiste, c'est, dans le fond, pour pousser encore plus loin que le rapport lui-même qui propose une étude complémentaire dans le domaine de la musique pour obtenir une articulation plus grande de ce côté-là. Je pense qu'il faut aller plus loin que le rapport et il faut qu'il y ait une étude sectorielle. On comprend que c'est un domaine qui, actuellement, est un peu plus complexe. Dans la région de Québec, on en a l'exemple avec les aventures de l'OSQ, avec les turbulences administratives au cours des deux dernières années autour du statut des conservatoires et de la mission des conservatoires. Bref, il y a une urgence de ce côté-là.

On vous fait deux remarques là-dessus. La première concerne la nécessité que le travail, si jamais il doit y avoir une étude complémentaire, soit fait rapidement parce qu'il y a vraiment

urgence; et l'autre, c'est une sorte de mise en garde puisque le ministère des Affaires culturelles, en ce qui concerne la formation notamment - puisque c'est le secteur qui nous intéresse le plus - est un peu juge et partie dans cette histoire puisqu'il a lui-même ses institutions de formation. On pourrait croire, étant donné que nous autres on essaie de tirer la couverte de notre côté, que la machine du ministère pourrait être tentée de protéger plutôt son côté de la couverte par rapport à autre chose. Donc, une mise en garde de ce côté-là. Ça fait le tour de la partie qui me concerne.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Demers. M. Dumas?

M. Dumas (Michel): M. Daviault, s'il vous plaît!

Le Président (M. Doyon): M. Daviault.

M. Daviault (André): Merci, M. le Président. Il faudrait dire rapidement que l'impression générale de la Faculté des lettres par rapport au rapport Arpin, c'est une impression favorable. C'est un document qui combine intelligence et modération, pour nous. Un indice de cela, c'est la façon dont le groupe de réflexion a abordé la question de la définition de la culture en contournant le débat sur les deux acceptions de la culture, dites culture cultivée et culture populaire, cette opposition entre la qualité esthétique des productions et les pratiques culturelles de la vie quotidienne. Le groupe nous propose une conception plus empirique, plus conciliante et plus opératoire pour nous.

Je voudrais, très rapidement, vous inviter, si vous me permettez, à déplacer les réflecteurs de la dimension économique de la question culturelle, qui est essentielle, inévitable, mais qui risque d'occulter une autre réalité qui est ceci: la diffusion de la culture n'est pas qu'une affaire d'argent.

La seule prise en compte de la face financière peut faire perdre de vue que l'art, ce n'est pas qu'un produit, que la culture, ce n'est pas qu'un bien de consommation dont la seule clé d'accès est l'argent. Alors, il nous semble que les productions culturelles, ce n'est pas des choses qui s'offrent d'elles-mêmes, mais elles nécessitent une espèce de formation vers elles. Et le lieu par excellence de la diffusion de cette formation, c'est l'école, c'est-à-dire tous les ordres d'enseignement et, naturellement, l'université qui contribue à dispenser cette préparation et qui forme les formateurs. Plus spécialement, je pense à la Faculté des lettres, à la Faculté des arts et aux facultés de sciences humaines.

Or, le rôle de l'école dans ce que le rapport appelle "l'éducation culturelle, formation fondamentale", il est bien souligné dans le rapport qui insiste - et il faudra ne pas l'ou- blier - sur la nécessité d'introduire une dimension culturelle dans les disciplines à l'école, dans le français, dans la littérature, la géographie et l'histoire - à la page 151 - et fait référence à l'esprit critique. Cet esprit critique qui permet de ne pas identifier automatiquement la culture populaire et la traduction authentique d'un mode de vivre original, qui permet de ne pas confondre la culture avec tous les produits visuels et sonores de l'industrie multinationale du divertissement, cet esprit critique là, nous contribuons à le transmettre, nous autres à la Faculté des lettres, dans nos programmes de littérature, nos programmes de cinéma, de création littéraire, d'études classiques, d'histoire, d'histoire de l'art, d'ethnologie, de géographie et de langues et linguistique.

Or, l'université ne fait pas que de la formation professionnelle, mais elle est aussi un lieu de formation fondamentale dans laquelle la connaissance des disciplines est prépondérante. Dans cette formation générale, j'y réclamerais même la culture scientifique comme des cours d'histoire des sciences ou de philosophie des sciences Intégrés dans les programmes de sciences humaines. M. Arpin avait regretté, lui aussi, le silence de son groupe de réflexion sur ce point-là.

Bref, si la dynamique de la réflexion du groupe de travail sensibilise davantage les décideurs au rôle capital des facultés de lettres et de sciences humaines dans la problématique de l'accessibilité à la culture, nous pourrons contribuer à faire avancer le Québec et à combattre l'esprit d'indifférence à la culture qui est un indice de pauvreté et qui est aussi un effet de l'injustice sociale.

Le Président (M. Doyon): Merci, M. Daviault. M. Dumas, peut-être.

M. Dumas: Oui. Pour ce qui est de la recherche, en fait, je voudrais ici formuler un seul commentaire ou enfin une seule demande à la commission. C'est que la politique culturelle du Québec mentionne de façon explicite que cette politique s'étend également à la création ou à la recherche en création en milieu universitaire. J'ai lu quelques fois le document et j'ai essayé de trouver un endroit où on aurait pu se référer par la suite pour développer la recherche en création en milieu universitaire et je n'en ai pas trouvé.

J'ai eu un peu d'espoir quand j'ai vu l'analogie avec la R-D, quand on dit que la création est à la culture ce que la recherche-développement est à la science et à la technologie. Je pensais que l'analogie serait développée, mais on parle surtout, à ce moment-là, des industries culturelles et des allégements fiscaux. Je voudrais peut-être mentionner ou rappeler une chose qui est probablement mal connue. C'est que, dans les universités, la recherche - je ne

parle pas ici de la création; je parle de la recherche de façon générale et de la recherche-développement - est financée par le gouvernement québécois et le gouvernement fédéral à la pièce et en plus des budgets des universités. C'est que les chercheurs doivent obtenir des fonds et s'adresser à divers conseils, principalement les conseils de recherche, et il existe énormément de programmes de subvention spécifiques qui permettent de développer des activités et de développer des projets, d'échanger et de faire venir des professeurs invités, et ainsi de suite. (16 heures)

Ces programmes-là sont, à toutes fins utiles, inaccessibles aux chercheurs créateurs dans le domaine des arts parce qu'ils sont moulés sur un modèle traditionnel de recherche plutôt académique donne lieu à des publications scientifiques, à une productivité scientifique plus classique. Et, finalement, on s'aperçoit qu'il n'y a pas l'équivalent du côté des arts. Les professeurs n'ont pas la possibilité de circuler autant que dans les autres secteurs, de faire venir des professeurs, d'élaborer des projets d'innovation et ainsi de suite.

Donc, il y a une forme de déséquilibre dans les universités, qui se manifeste d'une façon bien particulière. Je peux vous donner comme exemple le manque de portée de nos programmes internes de soutien de la recherche dans ces secteurs-là. On a divers programmes de soutien pour développer la recherche. Ces programmes-là sont conçus comme étant des leviers qui ont pour objectif de permettre aux chercheurs d'aller obtenir des fonds à l'extérieur des autres programmes. On ne peut pas suppléer, on n'a pas les moyens de suppléer dans les secteurs où il n'existe pas de programmes, de sorte que les chercheurs dans le domaine de la création ont très peu de soutien à l'interne parce que, nous, on ne peut pas offrir un levier pour aller chercher des fonds à l'extérieur lorsque ces mécanismes-là n'existent pas. Donc, ce qui est demandé, la demande, c'est de mentionner de façon explicite que la politique s'étende à la création dans le milieu universitaire.

Je mentionnerais peut-être, pour ajouter un élément, que l'idée, ce n'est pas tellement de rendre admissibles les professeurs d'université aux divers programmes de soutien individuel, comme artistes, parce que, en principe, ils sont admissibles aux divers programmes du Conseil des arts au fédéral ou aux programmes existant au ministère des Affaires culturelles, bien qu'assez souvent la porte leur soit fermée parce que ces programmes-là visent le soutien financier de l'individu et les professeurs sont considérés comme étant déjà financés par le gouvernement. Ce qui est demandé, c'est qu'on envisage sérieusement de soutenir les activités de recherche ou de recherche et création qui sont axées sur la formation des étudiants et des chercheurs dans le domaine, sur la recherche d'innovation, sur l'évaluation finalement de projets créatifs et innovateurs dans le domaine des arts, et sur l'ouverture à la collectivité. En fart, les projets qui sont axés sur les trois missions fondamentales des universités.

Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup. Mme la ministre, quelques questions?

Mme Frulla-Hébert: Oui. D'abord, bienvenue. Vous l'avez mentionné dans votre présentation, les universités assument un rôle de premier plan dans le domaine de la culture, au niveau de l'accroissement du niveau de compétence professionnelle de la population et aussi sur la formation de futurs créateurs et de futurs gestionnaires de la culture. J'aimerais revenir à l'enseignement, justement, de la musique. Effectivement, on se pose tous ensemble des questions sur la place des conservatoires, la place des facultés de musique - est-ce qu'il y a duplication, est-ce qu'il y a synergie? - et sur tout l'enseignement de la musique en général au Québec, et de qui la formation doit relever. Il y a une table sectorielle et je peux vous assurer que nous sommes très ouverts à regarder ça de très près. L'objectif est, évidemment, de donner la meilleure formation possible et de former les meilleurs élèves possible. J'aimerais que vous élaboriez là-dessus, soit la complémentarité ou la duplication des conservatoires versus les facultés de musique. Parce qu'on sait que les conservatoires ont été créés; maintenant, les universités se dotent, elles, de facultés de musique. Alors, est-ce qu'il y a duplication selon vous?

M. Méthot: M. le Président, je pense que M. Demers serait en mesure de répondre à cette question.

M. Demers (François): Deux remarques préliminaires. Évidemment, si on doit discuter de qui doit avoir juridiction, je vais vous dire: C'est nous, c'est certain.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Demers (François): Je vais commencer comme ça, mais pour faire une blague, évidemment. J'ai oublié la deuxième remarque que je voulais vous faire là-dessus. Ce qui me semble important à cette étape-ci, c'est qu'on relance la possibilité de collaboration et de synergie. Je pense qu'on a vécu un cycle d'abondance relative des ressources - je ne parle pas des années quatre-vingt, disons que les cycles historiques se prolongent, c'était la queue de la comète - où, que ce soit dans le domaine de la musique ou dans d'autres domaines, on a assisté à ce qu'on appelle une sorte d'ultraspécialisation, chez nous, où on a multiplié les programmes, où on a resserré les fonctions et tout ça. Bref, un tas

d'institutions; que ce soit à l'interne dans les universités, par exemple, ou dans l'ensemble du système scolaire, on a multiplié les lieux de formation parce qu'on avait les moyens, parce que ça apparaissait, pour toutes sortes d'autres raisons, plus efficace de cette façon-là. Je pense qu'on est entré, depuis déjà quelques années, dans une phase où il faut ramasser nos petits et essayer d'aller dans l'autre sens, de mettre ensemble les ressources et tout ça. C'est des choses qui frappent, par exemple.

Évidemment, les conservatoires, du moins, tels que je les comprends et qu'on me les explique, sont des lieux où on doit former une sorte d'élite d'interprètes, peut-être de compositeurs, avec un système de sélection, un système de dépistage très tôt, à différentes étapes, donc, au niveau des petits enfants et, à cause des caractéristiques, notamment, des interprètes de musique, les tenir sous une aile protectrice jusqu'à des études supérieures. Jusque-là, ça va bien. Le problème qui se pose, c'est que cette formation-là est finalement extrêmement pointue et ne permet pas à la majorité des gens qui passent par les conservatoires de déboucher directement dans d'autres fonctions ou dans des fonctions annexes rattachées à la pratique musicale. Quelqu'un qui pratique le violon n'est pas nécessairement habilité à enseigner le violon, non plus qu'à enseigner la musique. Alors, forcément, l'université, dans un contexte comme celui-là, pour un bon nombre, devient une formation complémentaire ou, pire, un déversoir, un lieu où celui ou celle qui se rend compte, pour une raison ou pour autre, qu'il ne sera pas concertiste de niveau international, va devoir aller prendre une autre formation et, à ce moment-là, sortir complètement de la première filière pour entrer dans la deuxième avec les pertes de temps, avec les doublets et tout ce genre de problèmes-là.

Sur le plan administratif, une autre chose qui est frappante, évidemment, au conservatoire, c'est gratuit et puis à l'université, c'est de plus en plus cher. Alors, c'est dans la mesure où il y a une concurrence, parce que, si on prend l'École de musique à l'Université Laval, la plupart de nos programmes, en tout cas plusieurs de nos programmes sont en dehors de la pratique comme telle de l'instrument. Que ce soit en composition, que ce soit en éducation musicale, que ce soit en histoire de la musique ou en musicologie, on n'est pas tout à fait dans le territoire du conservatoire, si on veut.

Dans le même sens, il y a aussi une harmonisation nécessaire avec la formation au niveau du cégep. Vous savez peut-être que, historiquement, le cégep de Sainte-Foy est, dans les faits, logé à l'Université, ce qui permet une certaine forme de coordination, mais les loustics disent aussi que ça permet aux étudiants de savoir d'avance où ils vont aller et de choisir Montréal. Mais, en dehors des blagues, je pense qu'on est mûrs, à ce moment-ci, pour revoir l'ensemble du dossier. Chez nous, on est très intéressés à tendre des perches, des passerelles aux autres partenaires, dans un contexte très particulier, je pense, à la région de Québec où il y a un volume x de ressources disponibles et des réalignements, en tout cas, qui me semblent assez grossièrement devoir avoir lieu et rapidement dans ce domaine-là. Je pense, d'ailleurs, que le sentiment du rapport, c'est qu'il y a là aussi quelque chose de particulier, quelque chose de délicat. Ce n'est pas pour rien, je pense, qu'on recommnande d'aller plus loin, de faire, je dirais, un rapport Arpin spécifique sur la question de la musique. Et, moi, je vous dis: De notre point de vue, il faut que ça se fasse et vite.

Mme Frulla-Hébert: Ce que vous dites, finalement, c'est que ce n'est pas tant la duplication. On sait, d'ailleurs, grâce aux conservatoires, toute l'émergence de nos musiciens québécois, même francophones, dans nos orchestres, nos grands orchestres, entre autres, l'Orchestre symphonique de Montréal. Donc, ce n'est pas tellement la duplication que l'harmonisation, finalement, en termes d'enseignement ou de formation.

M. Demers (François): Oui, exactement.

Mme Frulla-Hébert: Autre chose aussi. Vous parliez d'ajouter, finalement, tout le côté recherche et développement. L'Union des écrivains en parlait en disant: II faut investir dans la culture, parce que, finalement, les moyens étant ce qu'ils sont, il n'y a aucune place à l'erreur, il n'y a aucune place à l'essai; il faut être bons tout de suite, sinon... J'aimerais ça que vous m'élaboriez un petit peu - vous y avez touché - juste un peu plus, la question de recherche et développement. Comment on pourrait attribuer des fonds spécifiques dans ce qu'on appelle recherche et développement, pour que ce ne soit pas que de la recherche au niveau des données, de la recherche pure, mais aussi une recherche qui contribuerait à la création, qui contribuerait, finalement, à l'essor, au dynamisme cuturel?

M. Dumas: La question est intéressante, parce que je pense que c'est à nous à définir les règles du jeu. D'ailleurs, ce qu'on demande, ici, c'est au gouvernement québécois d'être un peu l'initiateur d'un processus. Parce qu'au fédéral il y a toujours le même vide aussi. Il y a un fossé entre les conseils de recherche et le Conseil des arts, et les professeurs d'université dans le domaine de la création artistique se retrouvent pris entre les deux. Ils ne sont ni des chercheurs, au sens strict du terme, ni des artistes, au sens habituel du terme. Je pense que, dans un domaine comme celui-là, on peut prendre la piste

de la R-D, justement, regarder tout ce qui s'est fait dans le domaine de la recherche, tous les ponts qui ont été lancés du côté de la recherche appliquée, appliquer et définir des critères sensiblement identiques au domaine de la recherche et être, je dirais, moins strict ou académique dans la façon de définir les critères.

Il y a quelques années, si on regarde un peu les tendances du Conseil des arts et du Conseil de recherches en sciences humaines, on s'attendait à ce que les chercheurs, dans le domaine des arts, soient, à toutes fins utiles, des analystes qui produisent des rapports, des choses très littéraires, des choses décrochées, pour employer un terme qui a été mentionné dans le rapport ici. Mais, c'est à nous à définir, finalement, qu'il existe une autre réalité et à avoir une vision un peu plus large de ce que peut être la recherche et la création dans le domaine des arts. Ça existe déjà un petit peu dans le domaine des sciences humaines, dans le domaine de l'éducation et ça s'appelle de la recherche-action. On devrait reconnaître qu'il existe un concept qui est l'expérimentation, mais une expérimentation avec une forme d'autocritique ou d'évaluation, qui permet de créer, d'élaborer des projets qui impliquent des étudiants, qui impliquent une forme de réflexion et qui ont des retombées aussi pour la société. Donc, créer quelque chose de nouveau, être un petit peu innovateur dans ce domaine-là.

Je pense que vous avez parlé de ressources rares. Il y a quelque chose d'un peu délicat et il faut peut-être le dire, c'est que, dans le domaine des arts, les fonds sont effectivement très rares. Souvent, quand on regarde l'action du Conseil des arts ou des conseils équivalents, on vise à donner des moyens de subsistance à des gens pour leur permettre d'exercer leur art. Il y a eu une tendance à exclure les professeurs d'université de ces programmes-là, parce qu'ils étaient déjà financés, qu'ils avaient déjà un salaire. Sauf qu'il faut voir que, de cette façon-là, on se trouve à les exclure. On ne tient pas compte d'un pan de leur réalité, de leur dimension artiste à eux aussi. Il faut voir que, dans la recherche, il y a souvent un malentendu. Un chercheur universitaire qui obtient des millions de dollars en recherche, ça ajoute très peu de choses à son bien-être personnel. Ce sont des fonds qui sont réinvestis dans de l'innovation, dans des technologies, dans des techniques, dans des équipements et aussi beaucoup, et je dirais essentielllement, dans la formation des étudiants. Parce qu'on parle, dans le rapport Arpin, des jeunes, d'une formation générale a la culture au niveau du primaire et du secondaire, mais je pense qu'on a sauté très, très vite aux artistes. On n'a pas parlé de la formation à un niveau supérieur. Ça me semble être absent du rapport.

Mais il faut dire que toutes ces subventions que les professeurs demandent et obtiennent pour la recherche, et qu'ils pourraient demander et obtenir dans le domaine de la recherche-création, ont des retombées directes sur les étudiants, sur les jeunes chercheurs, sur les artistes, finalement. Je pense qu'on a effectivement un concept à créer avec courage et à développer.

À l'Université Laval, on a été très réticents - je l'ai mentionné, je pense que je l'ai abordé un peu tout à l'heure - comme la plupart des universités, à s'engager dans le soutien à la création, parce que c'est difficile à définir et aussi parce qu'on se sent tout seuls. En recherche, on peut très bien donner des fonds de démarrage à des chercheurs, en disant: Allez vous adresser aux programmes de recherche par la suite et obtenez le financement essentiel dans ces programmes-là. C'est un levier. Si on s'engage dans le domaine de la recherche-création et qu'on n'a pas de partenaire, qu'il n'existe pas de programme à l'extérieur, on va avoir une fonction de suppléance qu'on n'a tout simplement pas les moyens de réaliser.

Donc, je pense qu'il faudrait qu'on crée un nouveau concept. Nous, on a décidé. On est sur le point de créer un nouveau programme d'aide à la création à l'interne, tout en sachant qu'il manque une pièce du puzzle à l'extérieur. On ne pourra pas dire aux gens. C'est du démarrage, allez chercher les fonds à l'extérieur. On va essayer, autant que possible, de trouver des choses analogues, mais il manque un gros morceau présentement. Mais on a décidé d'y aller avec confiance et d'investir modestement.

Dans le cas présent, on ne demande pas des millions qui iraient, de façon particulière, aux professeurs d'université. Je reviens à la première question, c'est de reconnaître que la recherche-création fait partie intégrante d'une politique. On verra par la suite comment la réaliser. (16 h 15)

Mme Frulla-Hébert: D'accord. Juste en terminant, parce qu'on débute la commission, qu'il y a d'autres intervenants du milieu de l'éducation et que nous considérons l'apport, justement, du milieu de l'éducation à l'essor culturel au Québec, malgré votre jeune âge à tous, est-ce que vous voyez dans l'évolution des étudiants en général, autant qu'à la faculté, un intérêt ou un manque d'intérêt? Ce que j'essaie de voir, c'est si, depuis le rapport Parent, comparativement à l'enseignement que, souvent, nous recevions des religieux, religieuses, etc., avec la modernisation, si on veut, de l'éducation, il y a eu un manque général au niveau culturel qui fait que, lorsque vous recevez des étudiants à votre niveau, qui sont rendus maintenant au niveau supérieur, vous vous rendez compte si, oui ou non, il y a un recul face à la maîtrise de la langue, face à l'intérêt, si on veut, de la chose culturelle, des arts, etc. C'est important pour nous de savoir si, à ce niveau-là et au niveau supérieur, vous sentez ça.

Le Président (M. Gobé): Alors, Mme la

ministre, c'est là beaucoup de questions pour la minute qui reste sur votre temps pour obtenir une réponse. Alors, très rapidement, s'il vous plaît, car je devrai passer la parole au porte-parole de l'Opposition officielle. M. Méthot.

M. Méthot: Très rapidement, je vais vous dire que nous venons tout juste de terminer une enquête auprès des cégépiens et le résultat va tout à fait dans le sens contraire de ce que vous souhaitez, jusqu'à un certain point, c'est-à-dire que les gens ont souhaité avoir un lien direct entre les programmes de formation au marché du travail dans un but bien évident de faire en sorte que le programme conduise systématiquement à un emploi sur le marché du travail. Et je dirais qu'on a un travail de motivation, de sensibilisation à faire pour intéresser, évidemment, les jeunes à des programmes dans le domaine des arts et de la culture.

Le Président (M. Gobé): Merci, M. Méthot. C'est très court, malheureusement, mais c'est les règles qui ont été établies. Je vais maintenant passer la parole à M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques qui est critique officiel pour l'Opposition en matière de culture. Vous avez la parole, M. le député.

M. Boulerice: Merci, cher collègue. M. le vice-recteur, MM. les doyens, M. le directeur, je ne sais pas si on a les mêmes sensibilités, mais j'ai l'impression qu'on est heurtés par les mêmes choses. Je lisais, à la page 8 de votre mémoire, et moi aussi, puisque je parlais de heurts, cela m'a profondément irrité: "II convient ici d'affronter le Rapport - le "Rapport", c'est générique pour "rapport Arpin" - quand il critique le caractère universitaire de la recherche menée par l'Institut québécois de recherche sur la culture. Nous tenons pourtant à rappeler que la société a aussi besoin de recherche fondamentale..." Ça m'a profondément heurté. D'une part, c'est un institut qui est dirigé par le professeur Dumont qui est sans doute un des intellectuels les plus célébrés de la francophonie. Ça a fait l'objet de longs débats à cette l'Assemblée nationale. On voulait le démanteler. Heureusement, on a évité le pire. Il est maintenant à l'Université chez vous, ce qui était pour nous une police d'assurance, malgré tout. J'aimerais ça si vous pouviez peut-être développer un peu plus.

M. Méthot: M. Daviault, probablement.

M. Daviault: C'est-à-dire que je ne fais pas partie de l'opposition. J'ai naturellement, moi aussi, été un peu heurté par la lecture de cette chose-là: recherche décrochée à l'université. On aurait pu en faire état sans avoir à l'esprit exclusivement le modèle de l'IQRC qui, entre parenthèses, pourrait très bien se transformer. C'est un petit peu en toile de fond, en filigrane, dans cette espèce d'observatoire qui est souhaité par le rapport. Ça ne serait pas une mauvaise chose, enfin, qu'en partie on tire profit de l'existence de cet IQRC. Mais je dois dire que c'est injuste de laisser croire que la recherche, dans une université, est exclusivement une recherche fondamentale qui est indispensable dans une université. Mais il n'y a pas que ça. Il y a également, ce que souhaitait le rapport Arpin, des recherches qui font la synthèse des autres recherches qui ont été fartes. Et, naturellement, on ne peut pas faire état de tout dans un tel rapport, mais on aurait pu faire état, et M. Arpin a dû l'oublier puisqu'il est lui-même membre du comité d'administration de la chaire pour le développement de la culture d'expression française en Amérique du Nord, de deux rassemblements de recherches de synthèse, qui ont été effectués cette année concernant le Québec et les francophones de la Nouvelle-Angleterre, bilan et prospectives. Ce n'est pas de la recherche décrochée, ça. Ensuite, le colloque sur langues, espaces et sociétés, variétés du français en Amérique du Nord, c'est vraiment quelque chose qui est très utile pour nos affaires, à nous autres, Québécois, et, naturellement, d'autres projets que je ne peux pas mentionner maintenant. Le rapport souhaite des raccordements des champs de recherche, mais il y a plusieurs programmes qui ont cette priorité à l'Université. Je ne sais pas si je réponds à votre question.

M. Boulerice: Oui. Avant d'aller à la deuxième question, vous me permettrez de corriger mon assertion première, quand je disais que le professeur Dumont dirige. Il a dirigé, parce que je crois qu'il a quitté, il y a quelques semaines tout au plus.

À la page 5 de votre mémoire, vous dites: "Nous pourrions faire davantage du côté des formules non traditionnelles de formation continue des professionnels déjà sur le marché du travail." Est-ce que vous pourriez être, un petit peu plus explicites à cet égard, parce que la formation continue constitue un élément important pour un nombre croissant d'artistes au Québec?

M. Méthot: En fait, la formation continue est une priorité de l'Université Laval depuis longtemps et surtout depuis l'ouverture d'un centre de formation continue qui est relativement moderne. Et nous voulons, évidemment, mettre l'accent sur cet aspect-là de la formation et l'offrir un peu partout, en fait, là où les gens en ont besoin. Nous avons créé un poste de directeur adjoint au niveau du premier cycle pour favoriser, évidemment, la formation continue de façon générale dans tous les domaines et dans le domaine artistique également. La seule chose que je peux dire, en résumé, c'est que l'Université veut mettre l'accent sur ce point-là, il n'y a aucun doute, au cours des prochaines années.

M. Boulerice: À la page 7, vous dites qu'il importe de maintenir la souplesse actuelle au chapitre de l'accessibilité à la formation en arts. Vous poursuivez et, là, je vous cite: "Peut-être cette approche heurte-t-elle quelques sous-entendus du rapport?" Qu'est-ce que vous entendez par les "sous-entendus du rapport"?

M. Méthot: On pourrait peut-être demander à M. Demers de préciser.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Demers (François): C'est ce dont j'ai parlé tout à l'heure à propos de l'articulation avec le marché du travail où, dans le rapport, à un endroit ou deux - malheureusement, je n'ai pas une très bonne mémoire des endroits précis - on a l'air de dire que l'université en produirait trop et, donc, si on pouvait contrôler l'accès à l'université, d'une certaine façon, ou réduire l'accès à l'université, il y en aurait moins sur le marché du travail. Alors, c'est un peu à ça que ça fait allusion. C'est pour ça que je vous disais que, dans le fond, on vous invite à regarder les cohortes d'étudiants en arts selon des critères un peu différents, selon que ce sont des gens qui se destinent à la création ou des gens qui se destinent à l'enseignement ou des gens qui se destinent à la recherche ou des gens qui se destinent à l'administration et à la gestion.

En ce sens-là, par exemple, vous posiez la question de la formation continue; c'est un peu de la rhétorique qu'on faisait dans le document, mais, en même temps, c'est vrai qu'on aurait pu - je parle à l'Université Laval - faire plus et plus vite du côté de la gestion de projets, par exemple. Tout ce qui s'appelle gestion des arts au-delà de la formation de premier cycle, de ce côté-là, on a sans doute des choses à développer et aussi du côté des nouvelles technologies. Je parle des nouvelles technologies à la fois comme support de production artistique, mais aussi comme soutien à différentes formes de gestion ou autres appliquées aux arts. Dans ces domaines-là, je pense que notre préoccupation depuis deux ou trois ans, c'est d'essayer de rattraper le retard, s'il en est un, qu'on a eu.

M. Méthot: Je pourrais peut-être ajouter que l'Université Laval compte un très petit nombre de programmes contingentés. Nous en comptons seulement 12 sur 186 au premier cycle et nous avons une politique qui fait en sorte que l'on ne contingente pas nos programmes en fonction des conditions du marché du travail.

M. Boulerice: Vous n'avez probablement pas reçu tous les mémoires, il va de soi. Certains, un en particulier, introduisent la notion de réouverture des grandes écoles nationales, exemple: l'École des beaux-arts. Qu'est-ce que vous pensez de... J'hésite à qualifier ça de retour. Ce n'est peut-être pas le mot approprié.

M. Méthot: On pourrait peut-être demander à M. Demers de répondre à cette question.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Boulerice: II commence à être un "jack-of-all-trades", comme on dit en américain.

M. Demers (François): Je pense que c'est un peu, posée autrement, la question du conservatoire. On peut estimer qu'en ayant des grandes écoles, avec un système sélectif solide, on arriverait à former une minorité qui est une élite. Dans le cas des grandes écoles, le premier problème qui va se poser, c'est: quelle est l'école qui va contrôler les grandes écoles? Alors, on peut perdre du côté de la diversité. On peut perdre aussi sur le long terme puisque, paraît-il, en histoire de l'art, il y a des gens qui se sont affirmés contre les académiciens, contre les gens qui étaient au pouvoir, qui étaient déjà reçus, qui étaient déjà reconnus et qui constituaient, disons, l'art dominant de l'époque, et ils ont réussi à s'affirmer malgré tout. Alors, là, il y a ce type de problèmes là qui se pose, mais surtout je pense, vu de notre point de vue, le vrai problème, c'est: qu'est-ce qu'on fait avec ces gens-là? Si on en entre 12 et qu'on en sort 12, il n'y a pas trop de problèmes, mais si on en entre 25 et qu'on en sort 5, les autres, où vont-ils? Comment articuler ce genre de formation extrêmement pointue, souvent très technique ou très axée sur une production immédiate, comment l'articuler avec d'autres fonctions rattachées à l'art, qui assurent une certaine polyvalence, une certaine réussite dans la vie? On a ce problème-là avec le conservatoire. On le voit sous forme d'articulation avec les autres filières d'enseignement rattachées à la musique ou au théâtre. On aurait ce genre de problèmes là.

Ce n'est pas une fin de non recevoir. Je vous ai dit, au départ, qu'on est prêts à tirer la couverte de notre côté. Ça n'exclut pas l'existence des grandes écoles, mais il faut prévoir des mécanismes d'articulation, de reconnaissance des diplômes, des passerelles qui permettent aux étudiants de décrocher et d'aller vers d'autres directions; d'aller vers l'enseignement, daller vers la recherche analytique, d'aller vers différentes autres fonctions, comme la gestion rattachée aux arts. Il faudrait articuler ces grandes écoles, si elles devaient exister, sans parier de leur coût, avec les besoins des étudiants et les besoins de la société. Ça ne servirait à rien d'avoir 100 personnes à l'entrée à la grande école, d'en sortir 5 et d'avoir 95 ratés qui ont l'impression d'être des ratés, de ne pas avoir pu se recycler ou d'avoir été obligés de recommencer à zéro dans le circuit universitaire pour déboucher sur quelque chose d'utile.

M. Boulerice: Vous avez parlé de certaines lacunes au niveau de l'enseignement des arts, notamment au niveau primaire et au niveau secondaire. Quelle devrait être la place de l'université dans l'élaboration des programmes d'enseignement des arts au niveau du primaire et du secondaire? Puisque c'est le début et la finalité, veux ou veux pas, ce sera vous. Vous allez me répondre: Vaste programme, vaste question, mais il y a sans doute un élément de réponse que vous avez.

M. Méthot: Nous avons, évidemment, des mécanismes de création de nouveaux programmes pour répondre aux besoins de la société de façon générale et nous en créons régulièrement. Nous sommes sur le point d'élaborer un nouveau programme de formation des maîtres au niveau du secondaire dans plusieurs disciplines. Il y a un comité qui est à l'oeuvre depuis mardi dernier et nous devrions créer un programme à cette fin. Maintenant, si d'autres besoins sont requis en littérature, en culture de façon générale ou dans le domaine des arts, selon les demandes que l'on reçoit, on peut créer de tels comités d'élaboration de nouveaux programmes et selon les enquêtes, comme suite aux documents qu'on reçoit, nous pouvons à ce moment-là créer de nouveaux programmes sans difficulté.

M. Boulerice: Je vous remercie.

Le Président (M. Gobé): Alors, merci, M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques. Cela va mettre fin à votre témoignage. Peut-être, Mme la ministre, un petit mot de remerciement très, très rapide parce que nous sommes dans les temps.

Mme Frulla-Hébert: Oui. Encore un gros merci et, comme le directeur général des conservatoires est avec nous, je vous incite déjà à commencer à vous parler. Merci de votre présentation.

Le Président (M. Gobé): Alors, ceci met fin à votre présentation. Je vous demanderais maintenant de bien vouloir vous retirer. Je vais suspendre les travaux pour une minute afin de permettre au groupe suivant ou à la personne suivante de venir s'installer, soit M. François Lahaye pour le Réseau indépendant des diffuseurs d'événements artistiques unis. Si vous voulez bien venir prendre place en avant. Pendant ce temps-là, les autres vont se retirer. Les travaux de la commission sont suspendus pour une minute.

(Suspension de la séance à 16 h 30)

(Reprise à 16 h 31)

Le Président (M. Gobé): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission reprend maintenant ses travaux après cette brève suspension. Il nous fait plaisir de vous accueillir, M. Lahaye, si je vous nomme bien. Vous avez une personne avec vous. Si vous voulez nous la présenter.

RIDEAU

M. Lahaye (François): Mme Andrée Ménard, qui est la directrice générale de RIDEAU.

Le Président (M. Gobé): Bonjour, Mme Ménard.

Mme Ménard (Andrée): Bonjour.

Le Président (M. Gobé): Sans plus tarder, je vous demanderais de bien vouloir faire votre présentation. Vous avez 15 minutes pour ce faire et, par la suite, chacun des deux intervenants aura, lui aussi, une quinzaine de minutes pour dialoguer avec vous. Alors, vous avez la parole, M. Lahaye.

M. Lahaye: Merci. M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les députés, vous me permettrez, au cours des prochaines minutes, de résumer la position que RIDEAU portait récemment à votre attention en regard de la proposition de politique de la culture et des arts.

Pour mieux comprendre cette position, je voudrais d'abord vous rappeler qui nous sommes, une association de 80 diffuseurs de spectacles représentant des services municipaux, des services aux étudiants en milieu scolaire, des diffuseurs privés, les deux sociétés d'État et les réseaux régionaux. Selon leur appartenance géographique ou selon des intérêts communs, les diffuseurs sont regroupés en réseaux. Nationale-ment, ils sont représentés par RIDEAU.

Les actions de RIDEAU visent en priorité le soutien aux activités professionnelles de ses membres en matière de programmation, de mise en marché et d'administration; elles tiennent compte des conditions de travail extrêmement variables de chacun. Uniques pour la plupart dans leur marché respectif, éloignés, pour plusieurs, des grands centres, les diffuseurs réclament des outils de travail et de communication adaptés que leur fournit RIDEAU: marché annuel du spectacle, catalogue de l'offre et de la demande, réseau télématique et informatique, statistiques d'exploitation en salle et échanges professionnels sont du nombre.

RIDEAU est aussi le porte-parole et le défenseur des intérêts des diffuseurs auprès de la communauté artistique et des gouvernements. L'ensemble des réalisations de la dernière décennie a permis la structuration d'un réseau de tournées professionnelles, la reconnaissance du métier de diffuseur et la provocation d'un dialogue essentiel avec la communauté artistique

par la défense d'un point de vue de marché à une époque où ces propos n'étaient pas à la mode. Il aura malheureusement fallu un déclin généralisé des publics en salle pour que milieux artistiques et gouvernementaux acceptent enfin de partager notre vision, perception qui, a priori, semblait irréconciliable, la conjonction de l'offre et de la demande.

D'une manière plus spécifique, les membres de RIDEAU disposent d'une centaine de salles dans toutes les régions du Québec et offrent annuellement plus de 4000 représentations dans toutes les disciplines. De ce nombre, 60 % sont offertes à l'extérieur de la région de Montréal. Les diffuseurs occupent une place stratégique dans le monde du spectacle, celle de la vente au détail, où ils exercent des fonctions de programmation et de mise en marché. Ils sont l'intermédiaire entre l'artiste et le public. Cette position s'accompagne d'un mandat de développement de marchés auquel contribue le ministère des Affaires culturelles. Les diffuseurs sont aussi liés à un territoire. Promotion et mise en marché des activités, accueil et confort du public, qualité technique, administration d'une salle font partie de leurs attributions.

Cette position s'accompagne d'un mandat d'accessibilité du citoyen à la vie culturelle et d'une responsabilité à l'égard de la vie artistique, locale et régionale, ce à quoi s'associe financièrement la municipalité ou l'institution scolaire dont ils reçoivent leur mandat. Or, ces objectifs d'accessibilité et de développement de marchés ne sont plus aujourd'hui nécessairement convergents, surtout lorsqu'ils sont jumelés à des objectifs de rentabilité à court terme des activités.

Ainsi, les propositions mises de l'avant dans le rapport Arpin au chapitre de l'accès à la vie culturelle méritent qu'on mette en relation un certain nombre de facteurs dont on ne saurait oublier l'existence car, si généreuses soient-elles, ces intentions ne peuvent faire abstraction d'une situation bien actuelle: la baisse de fréquentation et même la disparition d'auditoires pour certains genres artistiques au cours des dernières années. Manque de temps, prix des billets trop élevé, coût général des sorties, salles trop éloignées en sont les raisons connues. Mais l'étude de marchés que RIDEAU a effectuée en 1990 nous a révélé ce que nous voulions peut-être ignorer: les consommateurs sont les mêmes pour tous les genres artistiques, ils sont âgés de 30 à 45 ans, sont éduqués et leur revenu moyen par famille est supérieur à 35 000 $.

L'accès à la vie culturelle serait-il devenu l'apanage des plus fortunés? Une série de facteurs sont venus avec les années modifier la situation de la diffusion des arts de la scène. Le coût, bien sûr, qui, en période de récession, conjugué aux deux taxes à la consommation, la TPS et la taxe d'amusement, a eu un effet certain sur la fidélité de nos publics. L'effet du "home entertainment", le goût du public qui, alimenté par nos médias, réclame, en région comme à Montréal, des têtes d'affiche et des spectacles avec une plus grande notoriété, nos festivals qui sont légion et qui ont créé de nouvelles habitudes de consommation, l'événementiel et la gratuité.

Dans ce contexte, incombe aux diffuseurs la responsabilité de développement des publics pour l'ensemble de la production artistique. Or, la diffusion est intimement liée au financement qu'accorde l'État à la création et à la production. Sans ce soutien, l'accès aux spectacles serait impensable, c'est bien connu. Mais ce financement ne génère plus aujourd'hui le retour sur l'investissement que fait l'État dans ce domaine. Ainsi, en 1990, 322 spectacles professionnels différents ont été présentés dans le réseau des salles membres de RIDEAU. De ce nombre, 37 seulement ont fait plus de 10 représentations et la moitié de ces dernières étaient des spectacles de variété.

Par ailleurs, par son programme d'aide à la diffusion, le ministère des Affaires culturelles investit 2 000 000 $ aux activités de 150 organismes de diffusion, à l'exclusion de la Place des Arts et du Grand Théâtre. Cela représente 7 % des revenus de ces 150 organismes. Localement, les municipalités et le scolaire y consentent 17 %. Déduction faite, les diffuseurs sont donc condamnés à générer 76 % de leurs revenus à partir de leur opération de billetterie. On parie ici d'un chiffre d'affaires de plus de 20 000 000 $ dans le réseau et ce, sans compter les sociétés d'État. C'est donc beaucoup de billets à vendre.

Le discours économique des dernières années, la révision constante des bases de financement de l'État à la diffusion n'ont certainement pas aidé les diffuseurs à maintenir cette mission de développement artistique et d'accessibilité des citoyens à la culture. Constamment confrontés à des problèmes de financement, pris entre différents discours politiques et l'implacable loi du marché, les diffuseurs agissent avec prudence. Leurs programmations sont plus conservatrices et reposent en partie sur le rendement financier potentiel du spectacle car, sur la seule base du revenu de guichet, tous les spectacles, sans aucune exception, sont aujourd'hui déficitaires.

Le rapport Samson Bélair et le rapport Arpin s'accordent à dire qu'il faut agir sur la demande, qu'il nous faut intéresser ces 60 % de consommateurs potentiels qui ne participent pas à la vie culturelle, que nous devons initier, éduquer le public et lui acheminer les oeuvres. Mobilisation des grandes institutions nationales, campagnes de sensibilisation publique et éducation culturelle sont au nombre des moyens mis de l'avant par le rapport pour soutenir cet objectif d'accessibilité à la culture.

Nous souscrivons entièrement au rôle fondamental de l'école à cet égard et préconisons que cette formation de base puisse être dispensée par des professionnels. Nous souscrivons à la nécessité de liens tangibles entre les grands organismes de diffusion et le réseau québécois, mais nous voulons insister aussi sur la responsabilité de ces institutions à promouvoir et diffuser la création, méconnue du public québécois.

Nous sommes, cependant, convaincus que cet objectif d'accessibilité à la culture doit reposer et s'appuyer sur le réseau de lieux de diffusion en place à travers le Québec. Il faut aussi compter sur un vaste réseau de ressources humaines professionnelles, compétentes et dynamiques. Les équipes de professionnels des bibliothèques, centres culturels, musées, centres d'exposition et salles de spectacle sont au service de la création et du public. Leur contribution, additionnée à celle de l'éducation, est garante de l'avenir.

Voici donc l'objet de notre première proposition: l'élargissement des mandats des différents réseaux de diffusion de la culture et des arts à des fins d'éducation avec, bien sûr, les nécessaires engagements financiers qui en découlent.

Notre prochaine observation découle de la lecture à tout le moins réductrice que fait le rapport Arpin de l'activité culturelle en région. Tous conviendront du rôle moteur que jouent et doivent exercer la métropole, la capitale et leurs institutions à l'égard de la vie artistique et culturelle québécoise. Peut-on, cependant, ignorer que ces centres s'alimentent dans un va-et-vient continuel du dynamisme des régions? L'ensemble régional n'acceptera jamais de se limiter au rôle de réceptacle dans lequel semble vouloir l'enfermer la proposition.

Point n'est besoin d'insister sur la qualité des oeuvres créées et produites en région et des artistes qui en émanent. Le droit d'accès à la vie culturelle implique le droit de pratique, sans égard à son lieu de résidence. Et, si l'activité de création et de production est, par la loi du nombre, forcément concentrée en milieu urbain, elle est tributaire de cet ensemble régional pour rejoindre le public auquel elle se destine. On parle ici de 3 000 000 de personnes qui se retrouvent à travers ce réseau de lieux de diffusion dont on vient de parler. Cela représente, tout de même, la moitié de la population du Québec.

La compétence et le professionnalisme des ressources humaines, dont nous faisions état, ont permis le développement de chacun de ces milieux culturels. Et c'est sous la pulsion et la force de persuasion de ces acteurs que s'est forgée la décision politique d'investir à la structuration de ces réseaux, réseaux asymétriques bien sûrs, bâtis selon la conception de chacun des milieux de son développement culturel en fonction de leur propre dynamique. Le rapport Arpin souligne que "les intervenants culturels et leurs partenaires sont confrontés à des réalités et à des contextes qui recèlent des potentiels fort différents et se réfèrent à des problématiques propres à chaque région."

L'objet de notre deuxième recommandation est à l'effet que la future politique culturelle du gouvernement du Québec devra s'appuyer sur ce dynamisme particulier à chaque communauté. C'est cette reconnaissance des particularités et des volontés locales, et l'appui à leur manifestation qui sont le fondement du partenariat souhaité par le rapport Arpin.

Parce qu'elle souscrit aux mêmes objectifs de qualité de vie et d'accessibilité à la culture du citoyen en milieu municipal, l'activité de diffusion a pu bénéficier d'un soutien sans cesse croissant des décideurs locaux. De nombreux investissements ont été consentis ces dernières années par les communautés, en partenariat avec le gouvernement du Québec, pour développer ces lieux de la culture. Des investissements tout aussi importants sont consentis annuellement par les communautés au fonctionnement et à l'animation de ces lieux, et leur progression est constante. Ce partenariat au fonctionnement des salles de spectacle représente, nous l'avons dit, 17 % de leurs revenus en financement direct, et ce, c'est sans compter l'ensemble des contributions indirectes: personnel, entretien, service de la dette sont, par exemple, du nombre.

Ce soutien est, malgré tout, insuffisant. Les diffuseurs connaissent des crises cycliques de financement et une sous-capitalisation de leurs entreprises. Ils réclament une assurance à leur stabilité par la restauration d'assises adéquates de leur financement et par des mesures d'indexation annuelle.

Voici donc notre troisième recommandation. Elle se veut un appui à la formule d'ententes triennales suggérée par le rapport Arpin. Elle a, dans ce cas, d'autant plus d'importance que les diffuseurs sont en lien direct avec les décideurs locaux. Ainsi, la subvention consentie par l'État en diffusion pourrait agir comme levier sur le financement local. Cela suppose un partenariat basé sur des objectifs communs spécifiques à chacune des réalités locales. Toutefois, l'actuelle proposition, en appelant de la responsabilité municipale, semble plutôt suggérer un retrait de l'État du financement des opérations des lieux culturels. Cette intention, si elle devait s'appliquer en matière de diffusion des arts de la scène, nous semble d'autant plus irrecevable, particulièrement dans le contexte actuel des relations entre l'État et les municipalités quant au partage du fardeau fiscal.

Faut-il rappeler que le retrait d'un champ de taxation, celui de la taxe d'amusement, n'est pas sans causer préjudice au milieu culturel en provoquant chez les municipalités une remise en question de leur contribution à l'activité artis-

tique.

La proposition Arpin postule à la fois la responsabilité et l'engagement de l'État dans le soutien aux arts et à la culture. Elle préconise le leadership et l'action irradiante d'un ministère de la culture qui se traduirait par des orientations claires, connues et partagées. (16 h 45)

Cette concertation politique de l'État avec les municipalités est urgente: définition du partenariat, convergence des objectifs, respect des orientations locales et détermination des responsabilités et des contributions respectives doivent être inscrits dans les plus brefs délais dans le cadre des relations Québec-municipalités.

Finalement, le rapport Arpin souligne avec justesse la contribution du mouvement associatif dont nous sommes à la cohérence du discours et des efforts dans le secteur culturel. Il propose un partenariat qui repose sur la mise en commun des expertises de tous. Cette proposition devrait conduire à terme à une politique sectorielle de diffusion en arts de la scène, conséquence logique de l'adoption d'une politique de la culture et des arts. Cette politique, comme nous le mentionnons en conclusion de notre mémoire, ne devra pas limiter le partenariat à une simple question financière, mais viser la canalisation effective des actions de chacun.

Dans tous les cas et au-delà de toute considération, la question de départ demeure la même: Quelle place voulons-nous et saurons-nous faire à la culture et aux arts dans notre société? Y répondre lors de la présente commission parlementaire nous aura fait franchir une étape déterminante dans ce sens. Je vous remercie.

Le Président (M. Gobé): Merci, M. Lahaye. Je vais maintenant passer la parole à Mme la ministre des Affaires culturelles.

Mme Frulla-Hébert: Merci, M. le Président. Aujourd'hui on a essayé de faire le tour. On a commencé par la création, on a parlé du secteur du cinéma et de l'audiovisuel pour ensuite passer même au monde de l'éducation. Et là, on en vient, justement, à toute l'accessibilité, si on veut, de ces spectacles, de cette création, et aux mécanismes qui sont en place pour favoriser cette accessibilité. Donc, accessibilité qui passe aussi par la responsabilité des diffuseurs à l'égard du développement culturel local. J'ai fait le tour des régions, spécifiquement pour voir un peu ce qui s'y passe et on parlait souvent de salles inadéquates. On se souvient qu'en 1967 on a développé aussi des salles qui étaient, finalement, plus ou moins utilisables. Alors, on s'est donné aussi comme mandat d'essayer de doter non seulement les grands centres, mais aussi toutes les régions d'équipements culturels dont le milieu culturel peut bénéficier, et cela, adéquatement. Donc, dans le réseau d'équipements, pour la question des salles de spectacles, on a investi près de 50 000 000 $ depuis 1985. On va partir de là. Est-ce que vous avez l'impression que le nombre de salles - pour vous qui faites le tour - est suffisant au Québec? Est-ce qu'on a des infrastructures maintenant suffisantes et assez adéquates pour dire qu'il y a là, finalement, la possibilité de créer de véritables tournées, si on veut, pour nos artistes?

M. Lahaye: Enfin, il y a deux volets à votre question. D'une part, est-ce qu'il y en a suffisamment et est-ce qu'elles sont adéquates?

Mme Frulla-Hébert: Oui.

M. Lahaye: Oui, il y en a suffisamment. La constatation, c'est que, dans le réseau actuel, il y a des salles de spectacle dans toutes les régions du Québec, dans toutes les villes importantes du Québec. Il y a des lieux de diffusion de spectacles dans ces villes-là, lieux qui permettent donc la diffusion de différents spectacles. Le problème, à certains égards, c'est que ces lieux-là sont peut-être inadéquats et ne permettent pas de présenter au public québécois en région des spectacles de la même envergure, d'une part, ou de la même qualité scénique et scénographique que ce qui se fait dans les plus grands centres.

Je vais vous donner un exemple fort simple. Certains artistes de variétés au Québec, dans leur tournée de spectacles, trimbalent avec eux du matériel qui entre dans deux semi-remorques. Or, c'est évident que, quand la scène où c'est présenté a une ouverture, un cadre de scène de 20 pieds et qu'il y a 15 pieds de profond, ce n'est pas possible de présenter ce spectacle-là. Ça vient donc altérer la qualité du spectacle. Ça vient donc diminuer aussi les possibilités de financement de ces spectacles-là par les producteurs.

Mme Frulla-Hébert: J'en ai vu des salles. J'en ai vu de très belles, de très adéquates et, effectivement, il y en a d'autres, d'ailleurs, qui sont sur la liste des besoins. Vous savez, le Québec est grand, les municipalités souvent sont petites. Et qu'il faut voir, nous, les demandes que l'on a. Chaque municipalité veut avoir sa salle de concert ou sa salle de spectacle. Est-ce que vous sentez, finalement, une synergie entre les municipalités, de telle sorte qu'on dote - sans dire les régions parce que les régions sont trop grandes - un regroupement de municipalités de ces équipements? Est-ce que vous sentez ça, vous autres, la synergie entre les municipalités pour travailler ensemble à promouvoir ça au niveau des salles?

M. Lahaye: Écoutez, je ne sais pas si on sent la synergie, sauf que c'est certain qu'à l'intérieur du réseau les municipalités entre elles se parlent. Ce que vous annoncez, à l'effet que

des municipalités peuvent se regrouper pour avoir une salle de spectacle, ça rejoint un peu notre propos quand on parle de l'offre et de la demande. Les bassins de population, il faut convenir qu'en dehors de Québec, Montréal et certaines capitales régionales... Encore là, dans les capitales régionales, le bassin de population d'une stricte municipalité ne permet pas la viabilité d'un lieu de diffusion ou d'une salle de spectacle. Donc, il y a effectivement du travail qui doit être fait dans ce sens-là.

Mme Ménard: Mais il y a peut-être une fausse question qui est posée par rapport aux équipements, perception qui est véhiculée par des citoyens qui, en région éloignée, n'ont pas accès à certains spectacles populaires prisés du public montréalais ou québécois de Québec. Souvent, la raison qu'on invoque à l'effet que Jean Lapointe ne se rend pas dans telle région du Québec est le fait que la salle n'est pas assez grande pour accueillir ce type d'artiste là. C'est un faux principe. Et c'est une question d'économie de ce milieu du spectacle. C'est évident que Jean-Claude Lespérance qui envoie un artiste en région parce que le coût de revient du spectacle est basé sur le nombre de sièges... Donc, l'ensemble des municipalités aujourd'hui réclame des salles qui varient entre 600, 800 ou 1000 places. Donc, il y a une espèce de cote, à 1000, qui a été établie à l'effet de recevoir les grands spectacles de variétés. Je pense qu'on est assez conscient à RIDEAU, du moins associativement, des limites qu'imposent effectivement ces masses critiques, ces bassins de population à travers le Québec. Il y a des capitales régionales, et je pense à Rimouski, qui ne sont pas encore dotées d'un lieu de diffusion adéquat et je pense qu'il y a la completion d'un réseau autour de cette notion de capitale régionale.

Maintenant, quant à la desserte de plus petites municipalités, je pense effectivement que c'est dans le regroupement d'un certain nombre de municipalités autour d'un lieu central de diffusion qu'on arrivera à vivre de ça, enfin, à vivre, du moins à survivre dans cette business-là, et non pas en créant d'autres lieux de diffusion. Et j'étais à même de dire qu'il était temps qu'on rationalise et qu'on fasse un effort de cartographie des lieux qui sont à vocation supramunicipa-le, et que, si on a de l'argent à investir prochainement, c'est surtout sur le développement des publics et non pas des équipements.

Mme Frulla-Hébert: Vous savez aussi l'apport des municipalités, Rimouski, par exemple... Nous, on peut être prêts, mais si la municipalité n'investit pas ses 25 % ou ne veut pas le faire, à ce moment-là, de ce côté-là, ça retarde. Mais, en région, effectivement, quand on s'est promenés - on va l'entendre au cours du mois, c'est sûr - c'est justement ce rejet d'être un réceptacle versus d'encourager les productions sur place.

Il y a aussi - en tout cas, j'ai entendu des plaintes à cet effet - que, justement, des administrateurs, gestionnaires de salles, ne vont favoriser que des grands spectacles provenant d'ailleurs, des gros noms, et que des gens de la région même auraient de la difficulté, justement, à employer ces salles-là et à se faire diffuser. Alors, est-ce que vous avez noté... Parce que, honnêtement, quand on se promène, on a entendu ça très souvent: Des belles salles, oui, c'est bon pour des gens de l'extérieur mais quand vient le temps, finalement, de prendre un certain risque sur nous, bien, c'est une fin de non-recevoir.

Mme Ménard: Mme la ministre, je pense qu'on vous a fait la démonstration en long et en large, et en privé d'ailleurs, il y a déjà quelques mois, de cette part de risque ou de cette part de financement ou de développement des artistes qui n'existe plus maintenant dans le milieu du spectacle. Or, les questions relatives au développement d'artistes locaux, en regard de l'accueil d'artistes nationaux, se posent sur la même base. Le spectacle, qu'il soit local, régional ou national, va coûter, en présentation, sensiblement les mêmes frais que de présenter un grand spectacle. Actuellement, des artistes en développement au Québec coûtent au bas mot entre 3 000 $ et 5 000 $ de cachet, plus les frais de production et de promotion afférents à la présentation de cet artiste. Donc, présenter la relève ou Jean Lapointe, c'est sensiblement - encore une fois, vous me pemettrez la caricature - le même coût pour le public qui acceptera d'aller le voir. Donc, vendre un artiste local ou un artiste de la relève actuellement, dans des taux variant entre 20 $ et 30 $ le billet, ce n'est plus pensable. Et il n'y a personne qui, dans cette structure-là, soutient effectivement le diffuseur pour faire ou du développement local ou du développement d'artiste, peu importe sa provenance.

Mme Frulla-Hébert: Alors c'est de là... Deux choses... On va entrer, finalement, dans le financement, avec les ententes triennales, parce qu'effectivement on a commencé, dans d'autres secteurs, à signer des ententes triennales et c'est un peu le mode de fonctionnement que l'on favorise. Au niveau du fonctionnement proprement dit, pourquoi pensez-vous que les ententes triennales pourraient être une solution, justement, aux problèmes des diffuseurs?

M. Lahaye: Écoutez, on le soulignait, les diffuseurs ont des problèmes de capitalisation, des problèmes de financement, des problèmes de liquidités. Les ententes triennales permettraient donc, jusqu'à un certain point, de voir venir. Par ailleurs, une entente triennale obligerait les diffuseurs à avoir des planifications, des stratégies de développement de marchés qui soient à

long terme. Le développement des marchés, le développement des produits ne peut pas se faire à court terme. Ça n'existe plus, des artistes qui ont la reconnaissance et la notoriété nationale instantanée. Donc, il faut travailler sur du long terme. Ça permettrait donc aux diffuseurs d'avoir de meilleures stratégies et de meilleures approches auprès du public.

Mme Ménard: D'autre part, comme on vous l'indique dans le mémoire, parce que le diffuseur est en Jien direct avec le décideur local, donc les municipalités ou l'institution scolaire qui investissent effectivement en diffusion pour des mandats d'accessibilité ou d'éducation, donc parce que ce lien-là est direct, ce qu'on vous propose, ce qu'on vous suggère, c'est de bonifier l'intervention financière que le gouvernement du Québec a à cet égard par des ententes à long terme qui lieraient effectivement à la fois le diffuseur, le décideur local et le ministère. Et c'est là où on insiste le plus parce qu'il faut, ce faisant, dans ces nouvelles règles du jeu, reconnaître les développements particuliers à chaque communauté, si cela est, à chacune des régions. Sauf que même cette notion de région ne joue plus parce qu'à partir du moment où Trois-Rivières paie l'entièreté des coûts relatifs à la salle bien qu'elle soit utilisée par une population régionale, donc Trois-Rivières veut avoir effectivement voix au chapitre et déterminer dans quel sens son activité de diffusion se fera.

Or, actuellement - et c'est là où on sent la pression politique, qu'elle vienne de la part du gouvernement ou des municipalités - les objectifs, encore une fois, ne se rejoignent pas. Dans un cas, c'est l'accessibilité du citoyen à l'activité culturelle. Or, ce que les municipalités questionnent actuellement, c'est que, quand un coût de billet en est rendu à 25 $, 30 $ ou 32 $ ou même 35 $ dans les mois qui suivront, cette notion d'accessibilité n'existe plus et, d'autre part, le ministère des Affaires culturelles dit, par son programme de financement: Faites du développement de marchés pour du produit dit à risque et méconnu du public. Alors, là, il y a vraiment un os dans la soupe, en bon français.

Mme Frulla-Hébert: Quand vous parlez des grandes institutions nationales, vous faites référence à la responsabilité de la Place des Arts et du Grand Théâtre dans la promotion et la diffusion de la création québécoise, et vous parlez de leur rôle. Pouvez-vous élaborer un peu là-dessus? Parce qu'il y a le rôle des institutions nationales et il y a aussi le rôle, vous en parlez, de Jean-Claude Lespérance et de tous ces agents d'artistes que l'on subventionne et que l'on aide de l'autre côté aussi, à se développer. Mais là, pour l'instant, au niveau des institutions nationales, comment voyez-vous leur rôle, finalement? (17 heures)

M. Lahaye: Enfin, les grandes institutions nationales comme la Place des Arts, notamment, doivent servir d'accueil à la réciprocité quand on parle de l'exportation des produits culturels québécois. Or, ces institutions nationales devraient servir de tête de réseau pour la diffusion, sur le territoire québécois, de certaines manifestations d'envergure plus internationale. Elles devraient pouvoir initier ce genre de projets là, elles devraient avoir le mandat de le faire. Elles ont l'expertise, elles ont un certain savoir-faire et elles ont la possibilité de le faire; donc, ça devrait s'inscrire dans leur mandat de le faire.

Le Président (M. Gobé): Rapidement, puisque le temps est écoulé pour vous. Avez-vous terminé?

M. Lahaye: Oui, oui.

Mme Ménard: Je voudrais juste ajouter...

Le Président (M. Gobé): Rapidement, madame.

Mme Ménard: ...sur la question spécifique d'être la vitrine de la production québécoise. Les diffuseurs s'interrogent depuis bon nombre d'années sur le mandat de développement de marchés que leur confie le ministère et ce non-mandat qu'ils sentent de la part des deux sociétés, la Place des Arts et du Grand Théâtre, qui sont considérées comme étant actuellement des garages. Alors, si ces institutions ne peuvent pas jouer un rôle moteur dans le développement et la connaissance du produit culturel québécois, est-ce que, eux, avec les moyens qu'ils ont, vont le faire? C'est la question qui est posée.

Le Président (M. Gobé): Merci, madame. Merci, Mme la ministre. M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques, vous avez maintenant la parole...

M. Boulerice: Oui.

Le Président (M. Gobé): ...pour 15 minutes, vous aussi.

M. Boulerice: J'ai bien remarqué, dans votre présentation, que vous avez dit qu'effectivement, à l'exception de certaines régions - et vous avez nommé, d'ailleurs, à juste propos Rimouski où j'ai séjourné quelques jours - il y avait des salles, mais que ce n'était pas des salles adéquates. Il pouvait peut-être y avoir un chanteur, mais je serais curieux de connaître le nombre de salles qui peuvent accueillir en région de la danse contemporaine. Vous savez comme moi que ça donne... Il n'y en a pas, à toutes fins pratiques, je crois bien.

M. Lahaye: En région...

Mme Ménard: En formation plus réduite, oui.

M. Boulerice: Pardon?

M. Lahaye: Oui, en région, il y a des salles qui peuvent accueillir de la danse contemporaine; pas tous les spectacles, mais la majeure partie des spectacles. D'ailleurs, RIDEAU a initié, il y a deux ans, un programme qui s'appelait Danse Dense qui était une opération de développement de marchés sur la danse moderne et qui a circulé sur l'ensemble du territoire québécois.

M. Boulerice: Non, cela dit, non pas pour avoir un chiffre précis, mais je pense qu'il est important que vous indiquiez que, effectivement, les salles ne sont pas polyvalentes dans le sens qu'elles ont une certaine limitation quant à l'utilisation comme telle.

Il y a un point où j'ai vraiment accroché. Quand vous parlez de l'accès à la vie culturelle, vous parlez d'un souci d'ouverture à l'international. Je ne sais pas si ça a provoqué chez vous le même agacement que chez moi, mais il fallait que tout soit international ici pour que ce soit bon. Si, par malheur, c'était local, régional ou national, ça ne pouvait pas exister. Vous faites appel aux nouvelles habitudes de consommation. "L'événementiel et la gratuité sont deux facteurs de décision aujourd'hui incontournables." Et, après, vous allez faire le lien avec, forcément, l'effet conjugué de l'application des deux taxes, soit la TPS fédérale et la TPS provinciale qui s'en vient le 1er janvier, la taxe d'amusement, à moins qu'on y apporte des correctifs, qui n'est pas étranger à la désertion des publics. Je pense qu'elle va s'amplifier parce que ça va être 27,5 % de taxes au 1er janvier. Ce n'est pas la moindre des choses.

Mais où je veux en venir, c'est que, oui, il y a un prix complètement prohibitif actuellement - j'ai bien l'impression - et qui s'en vient et vous semblez très critiques des effets que peut avoir la gratuité. J'aimerais vous entendre peut-être un petit peu plus à fond à ce niveau-là.

M. Lahaye: Écoutez, ce qu'on dit, c'est que, dans certains marchés - et notre prétention est à cet effet - il y a beaucoup de spectacles, particulièrement des spectacles de variétés qui sont offerts dans le cadre d'événements ponctuels ou récurrents, année après année, qui sont offerts gratuitement à la population. D'une part, ces événements-là étant offerts gratuitement à la population, compte tenu des coûts prohibitifs qu'on est obligé de pratiquer en termes de tarification sur les billets, font en sorte qu'il y a une large part de la population qui va voir ces spectacles-là parce qu'ils sont offerts gratuitement.

L'autre problème que l'on rencontre, c'est que ces spectacles-là, dans certains cas, dans certains marchés, ne s'inscrivent pas véritablement dans des stratégies de développement de marchés, effectivement. Donc, un nouveau spectacle d'un artiste de variétés, par exemple, va être présenté dans le cadre d'un festival, va être offert gratuitement à la population, ce qui va venir limiter son potentiel de vente de billets en salle par la suite. C'est donc toute la notion de rentabilité pour le diffuseur de spectacles.

Il y a là un danger, on le souligne. La gratuité peut, à certains égards, avoir des effets nocifs. Par contre, si la gratuité est bien pratiquée, est pratiquée dans le sens de faire voir de nouveaux produits, de nouveaux artistes, est faite dans une opération de développement de marchés, ça peut être une opération qui peut être intéressante parce qu'on sait que les événements du type festival ne bénéficient pas de larges subventions, mais sont largement commandités etc., donc, ce qui peut permettre de rapprocher le public d'un nouveau produit ou de nouveaux produits artistiques. Mais il y a le danger, avec des produits qui ont une certaine notoriété ou qui ont une notoriété certaine, de venir couper les possibilités de revenus pour les diffuseurs en salle.

Mme Ménard: M. Boulerice, il est très clair que la présentation de spectacles maintenant professionnels dans un réseau de plus de 300 festivals populaires pratiqués pendant l'été au Québec contrevient nécessairement à la vente des billets en salle à l'automne. L'équation est, à mon avis, relativement simple.

Quant aux festivals spécialisés, ils ont un autre mandat et on reconnaît, effectivement, dans le mémoire que, s'ils ont participé à la reconnaissance d'un certain genre artistique... Je pense au Festival de théâtre des Amériques, au Festival de jazz ou autres. Ces événements-là sont plus spécialisés, ils s'adressent à un public plus spécifique, ils ont eu cette possibilité de faire reconnaître le genre, mais ne nous ont pas apporté jusqu'à maintenant, en salle, du public pour ces genres-là à l'extérieur de Montréal et de Québec, il faut le reconnaître.

Donc, quand je parlais de l'équation entre les événements majeurs qui se pratiquent dans les centres urbains et leur effet de récurrence sur les marchés partout au Québec, ce lien-là n'est pas encore fait; il est important à faire. Si Montréal peut se payer des événements d'importance comme le Festival du film, comme le Festival de l'humour, comme le Festival de jazz et nommez-les, mais qu'on n'attache pas les morceaux de façon à ce que le public de Chibou-gamau, de Rouyn ou de peu importe où finisse par connaître ces artistes-là, pour qui aurons-nous payé ces événements dits majeurs? Pour les gens de Montréal? Qu'on le reconnaisse à ce moment-là!

Le problème évident qu'on a, c'est que,

malgré cette carrière internationale ou cette notoriété internationale de certains artistes comme La La La ou O Vertigo, des compagnies qui sont maintenant bien connues, lorsqu'on essaie de vendre ces compagnies-là dans l'ensemble des réseaux régionaux, c'est 50 ou c'est 100 billets qu'on vend. Cette espèce de notoriété ou de reconnaissance internationale ne transperce pas le mur de l'indifférence de nos publics en région. C'est un problème d'éducation, un problème d'initiation, peut-être, pour certains genres.

C'est là où on dit: II faut peut-être reconnaître qu'on a failli dans ce mandat de développement des publics et des goûts du public. Il faut peut-être revenir à des mandats d'initiation, de formation et de sensibilisation. En tout cas, on cherche la recette, parce qu'elle n'existe plus. Il n'y a plus de public en région pour la danse moderne et il n'y en a même plus pour la danse classique. Il ne faut pas se le cacher. Il n'y en a plus pour la musique classique, il n'y en pas pour la musique contemporaine. Donc, finalement, l'ensemble des 20 000 000 $ qui sont générés en revenus de guichet au Québec le sont sur le théâtre - relativement conventionnel, il faut l'avouer - et sur la variété en général et l'humour qui, depuis cinq ans, a bénéficié de la part des médias d'une vaste couverture. C'est ça.

M. Boulerice: C'est une question que j'aimerais vous poser: on s'écarte peut-être du rapport Arpin, mais de toute façon, on y reviendra bien. Est-ce qu'il y a, d'après vous, une espèce d'impact pyschologique dans le sens de la connotation gratuité, basse gamme?

Je vais vous conter juste une anecdote. Je prends une voiture-taxi pour me rendre dans un musée que j'affectionne particulièrement. Je ne le nommerai pas, la ministre l'a deviné. Le chauffeur de taxi me dit: Combien ça coûte pour rentrer là9 Je dis: C'est gratuit. Il me répond: II ne doit pas y avoir grand-chose! Quand c'est l'inverse, au contraire, il y a beaucoup, il y a énormément. Mais ça m'avait frappé. Là, je vous vois ici et, comme vous avez introduit la notion de gratuité, j'ai vraiment le goût de vous poser cette question-là. Je pense qu'elle est un petit peu aussi existentielle probablement.

Mme Ménard: Je vais peut-être reporter la question sur un autre exemple. Je pense, entre autres, au réseau de diffusion de la danse des jeunes chorégraphes actuellement à Montréal, qui est largement diffusé par les maisons de la culture qui ont effectivement une politique d'accès gratuit à l'ensemble des manifestations. Il est évident que, parce que la danse moderne se vendait mal et de plus en plus mal dans le réseau conventionnel à billetterie, et parce que, depuis cinq ans, on la retrouve majoritairement dans des lieux à fréquentation, à accès gratuit, il y a une espèce de connotation un peu péjorative qui peut finir par se faire. Ce faisant, je me dis que, de toute façon, la personne qui, initialement, n'était pas intéressée à aller voir de la danse moderne n'ira pas plus parce que c'est gratuit. C'est une question un peu difficile à répondre, à mon avis.

M. Lahaye: Vous savez, je pense que la notion de gratuité doit se rattacher avec la connaissance du public par rapport au produit. Le chauffeur de taxi, c'est parce qu'il ne connaissait pas le musée; il n'y avait jamais personne qui lui avait indiqué ce qu'il y avait comme contenu dans ce musée-là et ce qui pouvait l'intéresser. Alors, gratuité égale bas de gamme, je ne suis pas nécessairement d'accord avec vous. C'est une question d'éducation.

M. Boulerice: Non, je n'en ai pas fait une affirmation. J'ai déjà fait...

M. Lahaye: Ah non! Mais ce que je veux vous dire: Vous savez qu'on pourrait présenter dans nos salles, sans faire de cas particulier, Broue ou André-Philippe Gagnon gratuitement et je vous jure que je n'aurais pas de misère à remplir les salles.

M. Boulerice: Non, je posais la question bêtement, comme ça, parce que, bon, moi, je crois qu'il existe une certaine connotation gratuité, basse gamme pour plusieurs. Là, il y a des snobismes un peu partout.

M. Lahaye: Dans la mesure où le produit est mal connu et où le public est mal informé, bien sûr, ça peut arriver. Vous savez, vous pouvez m'offrir des billets pour aller voir n'importe quel club de hockey, si je n'aime pas ça, je vais dire que ce n'est pas bon.

Une voix: Les Expos?

M. Boulerice: Ne rompez pas une solidarité montréalaise, M. le député de LaFontaine. Le rapport Arpin et la place des régions. Quel qualificatif employeriez-vous: un peu, beaucoup, énormément, à la folie ou pas du tout?

Mme Ménard: Je pense qu'on a déjà exprimé un qualificatif pour ce faire: réducteur. Je pense que le rapport Arpin n'a pas fait le tour de la question relative à l'ensemble de l'activité artistique en région. Il a choisi ou traité certains aspects de cette vie-là, notamment la place des équipements et des notions de cartographie. Je pense qu'on a souligné dans le rapport, de façon assez abondante, ces oublis. Et, en réaffirmant, encore une fois, que chacune des dynamiques locales comporte à la fois des actions de création de productions et de diffusion qu'il faut soutenir, je pense qu'on reconnaît aussi dans le

mémoire que les municipalités qui en font peuvent peut-être en faire plus, cependant, dans un contexte de redéfinition des mandats et responsabilités de chacun.

Pour nous, d'un point de vue de diffuseur, la question est là, nous n'avons plus le choix. Il faut se . trouver de nouveaux financements pour arriver à faire ce développement de marchés nécessaire à l'activité de nos salles. Qui va le faire? Le public? Il a déjà assez payé. Il nous rapporte 76 % de nos revenus. Le ministère des Affaires culturelles? Peut-être. Nous, ce qu'on vous suggère encore une fois, c'est de bonifier l'intervention, mais en complémentarité avec ce que souhaitent et ce que recherchent les municipalités. Et ce débat-là n'est pas fait; il n'y a aucun des intervenants qui peut le faire si, politiquement, Québec et ses municipalités ne veulent pas le faire. J'ai très hâte d'entendre ce que l'UMQ viendra vous répondre là-dessus, d'ailleurs.

M. Boulerice: Juste une brève question. M. Lahaye parlait tantôt, quand je lui faisais ma notion de gratuité, de méconnaissance des produits comme tels. Quand on sait que le temps culturel des Québécois est passé à 75 % à la télévision, est-ce que vous croyez qu'il y a un manque évident de ne pas avoir relié arts, culture et communication dans le sens de radiotélévision qui est un éducateur et qui est un incitateur à public? Je ne vous cacherai pas que j'écoute - comment s'appelle-t-elle? - cette bande de joyeux lurons qui font la critique à la fois des livres et des films, et ça m'a conditionné à aller voir "L'assassin jouait du trombone". J'ai vu des clips.

M. Lahaye: Bien sûr que les médias électroniques et particulièrement la télévision conditionnent le public. C'est ces médias-là qui font les vedettes, qui leur donnent la notoriété. La connaissance d'un produit spécifique et ponctuel peut passer, bien sûr, par les médias, notamment la télévision, mais, au-delà de l'événementiel, toute la connaissance de la culture, des arts doit aussi passer par le réseau de l'éducation et c'est l'objet d'une de nos propositions. À cet effet-là, à notre avis, il faut frapper sur tout ce qui bouge. Tous les moyens pour faire connaître les produits pour les diffuseurs et aussi pour les créateurs, si on veut qu'il y ait de la récurrence, doivent être utilisés à cette fin. Donc, bien sûr, la télévision, bien sûr, les médias et aussi tout le réseau de l'éducation.

Le Président (M. Gobé): Merci. En conclusion, M. le député. Voilà tout le temps qui vous était alloué.

M. Boulerice: Écoutez, M. Lahaye, Mme Ménard, je pense que le RIDEAU, on n'a pas à faire de nouveau la preuve de son sérieux. Vous nous avez, d'ailleurs, remis une documentation statistique fort importante. J'ai plutôt lu le mémoire que le rapport annuel, mais je pense que je vais m'y employer. Je suis persuadé que de vos propos et du contenu à l'intérieur de cela vous allez sans doute nous permettre peut-être de dégager certaines pistes. Moi, je le souhaite et je vous remercie beaucoup de votre présence.

Mme Ménard: Si vous les trouvez, donnez-les-nous, par exemple.

M. Boulerice: Pardon?

Mme Ménard: Je dis: Si vous les trouvez, donnez-les-nous, les recettes.

M. Boulerice: Oui, oui.

Le Président (M. Gobé): Encore une petite seconde. Mme la ministre, peut-être un petit mot de remerciement.

Mme Frulla-Hébert: Encore une fois, merci, M. Lahaye, et merci aussi - je vous ai remercié ce matin - pour votre participation au rapport Arpin. Ce qu'on entend et ce qu'on comprend, il y a évidemment ce partenariat avec les municipalités. Aussi, entre autres, le monde de l'éducation et on va avoir plusieurs représentants, d'ailleurs, du monde de l'éducation...

Le Président (M. Gobé): En terminant, madame.

Mme Frulla-Hébert: ...et aussi la promotion au niveau des médias et, encore là, nous allons avoir la chance de discuter avec les médias particulièrement sur ce sujet-là.

Le Président (M. Gobé): Merci, Mme la ministre. Cela met fin à votre témoignage. Au nom des membres de cette commission, je vous remercie d'être venus. Vous pouvez maintenant vous retirer et je vais suspendre une minute afin de permettre au groupe suivant de venir s'installer. Je les appelle tout de suite, soit le Conseil de la sculpture. Je vous demanderais de bien vouloir prendre place et je vais suspendre, en attendant, une minute.

(Suspension de la séance à 17 h 18)

(Reprise à 17 h 20)

Le Président (M. Gobé): Si vous voulez bien prendre place, nous allons pouvoir commencer l'audition des intervenants suivants qui sont les représentants du Conseil de la sculpture. Et, si mes notes sont exactes, c'est M. Pierryves Angers, président, et M. Maurice Demers, rédacteur et sculpteur. Est-ce exact?

Des voix: Exact.

Le Président (M. Gobé): Alors, M. Pierryves Angers, vous êtes à ma gauche, pour les besoins de la transcription.

M. Angers (Pierryves): Oui.

Le Président (M. Gobé): Et M. Demers est à ma droite.

M. Oemers (Maurice): C'est ça, oui.

Le Président (M. Gobé): Alors, sans plus tarder, je vous demanderais de commencer votre présentation. Vous avez 15 minutes pour ce faire; par la suite, chacun des intervenants, soit Mme la ministre et M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques, pourra dialoguer avec vous pour une période aussi de 15 minutes. Alors, vous avez la parole.

Conseil de la sculpture du Québec

M. Angers: Pour la première fois de notre histoire, nous assistons à ce qui pourrait être la naissance d'une véritable politique culturelle québécoise. La création d'un groupe-conseil ayant pour but de préparer une proposition de politique de la culture et des arts était, de votre part, une initiative extrêmement louable et courageuse, et audacieuse aussi. Ce groupe, qui a opéré sous la présidence de M. Roland Arpin, vous a effectivement remis ce volumineux rapport en date du 13 juin 1991.

En tant qu'association spécialisée depuis 30 ans dans une des disciplines majeures des arts visuels, le Conseil de la sculpture du Québec désire vous faire part de sa fierté d'être à la fois témoin et collaborateur de cet événement majeur qui pourrait, s'il était mis en application, marquer à jamais notre histoire.

Cette proposition, fruit des efforts de 11 personnes bien de chez nous qui se sont mises à l'écoute de tous les milieux, témoigne d'une lucidité et d'une sensibilité inouïes, de même que d'une juste perception globale de notre situation actuelle. Ces femmes et ces hommes ont fait preuve d'une conscience d'être peu commune concernant notre ethnie et son devenir.

Nous sommes assurés que cette proposition favorisera et aura pour fonction d'accélérer, entre autres choses, l'application complète de la loi sur le statut de l'artiste, ce qui, en l'occurrence, améliorera son statut social, juridique et fiscal. Tout cela concourra par le fait même à favoriser un plus grand respect de l'artiste, cet être "maudit", au sein de notre société.

Privilégiés nous le sommes, en même temps reconnaissants et assurés que cette politique proposée pourrait faire l'envie d'à peu près tous les pays du monde. Elle pourrait servir de modèle d'un plein épanouissement personnel et collectif d'une communauté, et ce, à l'échelle planétaire. Cela dans tous les espaces-lieux où les hommes et les femmes aspirent à vivre libres, créateurs, et à atteindre ainsi leur plénitude.

Pour que nous atteignions une notoriété sur le plan international tant recherchée, nous nous devons actuellement de faire preuve d'excellence sans pareille. Pour sortir du tiers monde culturel dans lequel nous nous trouvons depuis toujours, il nous faut, de toutes nos forces, faire acte de solidarité afin d'atteindre un degré de compétence inégalée. C'est la rançon de "quelque chose comme un grand peuple" vivant en petit nombre, sur la "vasteté" d'un territoire donné, en nord-américanité. À l'heure du libre-échange et des marchés communs, en cette époque d'un nouvel ordre mondial, il en va de notre survie.

Il serait urgent de constater qu'à la source de tout acte créateur on retrouve d'abord l'être humain dans son essence même. En fait, c'est au sein de l'intériorité de l'être que la création naît. En tant que sculpteurs, nous croyons que l'être humain est l'axe central de la création, qu'il est l'élément primordial de tout art et de toute culture. Nous avons foi en la préexistence de l'inspiration d'abord, puis de l'intuition et de l'imagination créatrice sur la réalité, car elles ont pouvoir d'anticipation sur le devenir d'un peuple. Ces muses sont donc antérieures à tout acte et à tout objet de création. L'être, en tant que sujet d'art, est celui même qui engendre l'objet de la création. C'est en lui, au plus profond de son espace intime, qu'au préalable la création prend vie, qu'elle se cogite, qu'elle vit en gestation à l'état virtuel avant d'exister concrètement dans l'univers qu'on dit réel. On sait combien la préexistence de l'idée sur la réalité était jadis si chère à Platon.

L'artiste créateur, ce visionnaire, ce médiateur, a pour mission, en transposant la réalité en fiction, d'incarner l'esprit de son époque et de le localiser dans une matière-énergie, et ce, en la douant de sens.

L'art comme fragment substantiel de la culture, s'il est source d'accomplissement personnel, est également, par ses phénomènes d'expansion d'être, de communication et de diffusion, source d'épanouissement collectif.

Dans la sécheresse d'un monde en perte d'âme, nous avons tant besoin de l'artiste. Sentinelle de l'imaginaire et messager de l'insondable, pourquoi serait-il condamné à végéter dans la pauvreté par la pratique exclusive de son art?

Sans ces femmes et ces hommes qui vouent leur vie à la création artistique, l'art n'existerait pas. Et ainsi appauvrir l'artiste créateur et ne pas miser sur la qualité exceptionnelle de la création d'ici, c'est limiter l'essor de notre culture et nous préparer des lendemains obscurs et incertains. C'est aussi ne pas garder en mémoire l'importance de la transmission des valeurs qui sont l'apanage d'une culture.

Au Conseil de la sculpture du Québec, nous

avons un profond respect de l'humain créateur, et nous accordons une importance capitale à ses gestes et à ses actes qui, par une sorte de rituel sacré, se métamorphosent en activité de création. Nous croyons que c'est à travers cette dernière qu'une culture s'articule et que, sans le souffle créateur émanant de ces êtres humains, la culture devient en bonne partie muette et s'atrophie.

Voilà la raison profonde pourquoi, au Conseil de la sculpture du Québec, nous accordons aux sculpteurs toute l'importance qu'ils méritent.

À ce chapitre, nous recommandons que l'humain créateur, et non la création, soit considéré comme l'axe central ou la base de toute vie artistique ou culturelle.

M. Demers (Maurice): Une mise en oeuvre globale qui s'avère titanesque. Dans ce présent mémoire, nous avons manifesté toute notre admiration face à la proposition de politique de culture et des arts, qui mène à une totale prise en charge de notre culture en tant que "maître d'oeuvre de la politique culturelle", cela à l'intérieur d'un ministère de la culture. Par contre, nous nous devons également de vous manifester quelques-unes de nos profondes inquiétudes face à cette tâche titanesque d'un ministère aux multiples ramifications en devenir, et ce, à l'heure des métissages et des hybridations sans fin.

Si, dans le domaine de la culture et des arts au Québec, les membres du groupe-conseil se prononcent pour un diagnostic plutôt encourageant, nous croyons que l'envers de la médaille révèle aussi une autre réalité.

En cette saison de la rentrée, la culture, cette grande absente, est en majeure partie évacuée de tous les réseaux de télévision. L'on sait l'importance que peut avoir cette dernière dans la formation et l'éducation de notre population. L'ensemble des "mass media" de la métropole du Québec, à l'exception des revues d'art spécialisées, sous-estime le secteur des arts visuels. Sur ce plan, Le Devoir accomplit une remarquable mission artistique et tout autant culturelle.

Dans le domaine de l'éducation, on assiste également à une déculturation massive, spécifiquement au niveau du secondaire, lors de la période cruciale des libres choix. Cela au profit de la science et de la technologie, des mathématiques et de l'économie.

En plus, lors d'une période de récession, le couperet de la finance tombe toujours, en tout premier lieu, sur les initiatives culturelles. Il est pénible, pour un artiste en arts visuels et les associations le représentant, de constater que depuis près d'une décennie l'étau de l'économie se resserre au point d'atrophier l'imaginaire du peuple québécois, conditionné par la sécheresse d'une vie par trop pragmatique.

Il y a immensément de travail à faire en notre pays, sur le plan psychologique, car on sait fort bien qu'il y a actuellement une tendance au retour vers le conservatisme. Il serait donc absolument nécessaire, avant tout, d'oeuvrer à changer les mentalités, avant de tenter de changer les structures de nos sociétés. Il s'agit ici d'une tâche aussi importante à remplir que celle d'une conscience à faire naître.

Suite à ces constats, nous proposons que le nouveau ministère d'intervention qui étendra partout ses multiples tentacules, en visant un partenariat élargi, tienne compte qu'en cette ère chaotique et confuse de postmodernisme il est urgent que l'on retourne aux sources des simplicités premières - et non primaires - qui sont de l'ordre du substantiel et de l'essentiel.

En ce qui concerne le Conseil de la sculpture du Québec, ces simplicités premières seraient un atout pour une concertation, une collaboration et un partenariat plus efficaces.

Recommandations: définir de façon urgente des programmes d'action et des échéanciers, à court et à long terme, pour initier la population à cette nouvelle conscience artistique et culturelle; oeuvrer avant tout à changer les mentalités; se mettre à la recherche de simplicités premières.

M. Angers: Sur le plan particulier d'une association. Nous désirons vous exprimer brièvement certaines de nos autres craintes, car, pour améliorer une situation, il faut avant tout bien la connaître. Nous voulons éviter de sombrer dans une sorte de complainte des artistes. Bref, pour remédier à une situation donnée, il faut en être conscient.

Plusieurs créateurs et associations d'artistes rencontrés récemment se demandent si le rapport Arpin ne subira pas, lui aussi, le même sort que ses prédécesseurs. Depuis 1964, nous sommes passés de livre blanc en livre vert, de politique de développement culturel à un plan d'action et à un bilan-action-devenir. La dernière proposition sera-t-elle, elle aussi, reléguée aux oubliettes et se retrouvera-t-elle rapidement remisée à l'ombre des tablettes des archives de la culture?

Plusieurs de nos créateurs, profondément engagés, se demandent présentement à quel moment on cessera de les ballotter en leur demandant de se redire à nouveau, cette fois pour une commission parlementaire. Tiendra-t-on compte enfin de leurs revendications qu'ils répètent indéfiniment depuis 30 ans? Bien sûr, de lentes et légères améliorations se sont fait sentir, mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour éviter d'interminables recommencements d'à peu près les mêmes dossiers, ce qui occasionne des pertes de temps et d'énergie considérables.

En effet, il ne faut pas oublier que les administrateurs des associations d'artistes sont en majeure partie des créateurs qui se mettent,

pendant une certaine période de leur vie, au service bénévole de leurs consoeurs et confrères, et ce, en vue d'un mieux-être collectif qui est celui d'améliorer la situation du créateur et de la création et, par le fait même, de permettre à l'art et à la culture d'exister et de se réaliser. (17 h 30)

Plusieurs artistes, membres d'associations professionnelles, ont souvent souhaité et souhaitent encore qu'on cesse de les traiter comme des sous-fonctionnaires des divers gouvernements, car ceci n'est pas pour favoriser une stratégie d'action efficace.

Nous devons vous avouer que, devant la menace encore récente des coupures radicales de budgets réservées, entre autres, aux regroupements d'artistes, afin qu'ils fassent appel aux entreprises privées et qu'ils se comportent strictement comme des industries culturelles aspirant à devenir autonomes, les résultats du rapport Samson, Bélair nous ont permis de respirer à l'aise.

Nous recommandons, à ce chapitre, de respecter le précieux travail de l'artiste, qui permet à l'art et à la culture d'exister et que la commission, cette commission, tranche avec les expériences passées et applique avec rigueur les recommandations proposées, respectant ainsi le travail de représentation que les associations de créateurs s'efforcent de faire sur le plan politique.

Une lente évolution, mais à quel prix? Nous constatons, au CSQ, qu'il est temps que la consigne du silence de l'artiste, qui dure depuis déjà trop longtemps, cesse, car le fardeau de notre position est lourd à supporter et l'impatience gronde actuellement partout. C'est au prix de combien d'efforts que nous avons d'abord mis sur pied et ensuite fait fonctionner notre association?

Momifiés le serons-nous éternellement, au point que même notre carrière de créateurs sera à jamais ensevelie sous l'amoncellement des dossiers de la bureaucratie? Il est heureux, nous dirions même qu'il est temps qu'un groupe-conseil recommande "que les créateurs, les artistes et les organismes artistiques ne soient pas sans cesse en situation de revendiquer des moyens décents de production", et ici j'ajouterais de représentation.

Soyez assurée, Mme la ministre, de notre volonté pleine et entière de participer à la gestion de la mission culturelle de notre pays. Cette mention de notre désir de sortir de l'immobilisme, pour ne pas dire d'un état de sclérose, à certains niveaux de notre agir, n'est pas du tout négative; au contraire, nous la croyons très positive. Elle exprime notre désir de réussir à contrer un retour anachronique au conservatisme et de voir ce ministère oser s'aventurer dans une mise en commun véritable des ressources humaines, matérielles et financières.

Nous recommandons que ce gouvernement ose vaincre le conservatisme et s'aventure de pied ferme dans l'établissement de nouvelles relations avec l'ensemble de la population.

Au service des sculpteurs. Le Conseil de la sculpture du Québec est essentiellement au service de tous les sculpteurs du Québec et plus particulièrement de ses membres, ainsi que de tous ceux qui, de près ou de loin, leur sont reliés. Nous les mettons en contact avec toutes les sources dont ils ont besoin. Pour ce faire, nous trouvons nécessaire d'entretenir avec tous de saines relations. Individuellement, il est peut-être difficile pour les sculpteurs d'être des interlocuteurs écoutés des instances gouvernementales. Par ailleurs, lors de leurs demandes de subventions, le CSQ est là aussi pour les aider en leur offrant la collaboration de différents experts.

Nous sommes très près des sculpteurs, en autant qu'ils en manifestent le désir. En fait, nous ne sommes là que pour faire progresser la cause des sculpteurs. Nous savons pertinemment que, pour se consacrer à la création, il leur faut accéder à une véritable paix intérieure. Nous voyons à les aider à s'assurer une stabilité financière qui leur accorderait la tranquillité et la sécurité d'esprit, ce qui facilite l'inspiration. Contrairement à ce que l'on a trop souvent pensé, si l'artiste jouit d'une certaine qualité de vie, sa production sera davantage qualitative. Il a trop longtemps oeuvré sans incitatif et même sans aucune gratification, en n'obtenant pour son travail que des cachets symboliques et dérisoires.

Pourtant, pendant que plusieurs cherchent, l'artiste trouve. Non seulement voyeur mais voyant, il est en effet un véritable trouveur qui, par son imagerie, nous fait déjà entrevoir les horizons multiples du XXIe siècle.

Nous vous recommandons d'aider ces voyants que sont les artistes à atteindre la tranquillité de l'esprit et la paix intérieure nécessaires pour créer librement, et de collaborer avec nous afin que nous puissions, au Conseil de la sculpture du Québec, représenter encore plus adéquatement tous les sculpteurs du Québec.

Possédant une vie associative de 30 années d'existence, nous devrions jouir d'une confiance absolue de la part de ceux qui nous subventionnent. Ce n'est malheureusement pas toujours le cas. Pourtant, le Conseil de la sculpture du Québec jouit d'une notoriété qui dépasse de beaucoup nos frontières. Elle est acquise aussi des municipalités depuis belle lurette. Cette notoriété est aussi un fait accompli auprès des compagnies privées qui font appel à notre expertise.

Notre savoir-faire a été maintes fois démontré à l'échelle régionale, nationale et même internationale. Mentionnons à titre d'exemple: Sculpture: Séduction '90, projet d'envergure qui a nécessité trois années de travail, de rencontres et d'actions, de sensibilisation à l'égard de

nombreux partenaires et de représentants du milieu des affaires. Quel bel exemple de partenariat! Cette conception et cette réalisation ont, d'ailleurs, reçu l'assentiment de plusieurs chroniqueurs d'art qui les ont éloquemment louangées. Ce projet a même été récipiendaire du prix du Conseil du monde des affaires et des arts du Canada.

Que dire maintenant de notre excellente publication intitulée "Code d'éthique des sculpteurs"? Elle jouit non seulement d'une réputation nationale, mais également internationale. La distribution en Europe est sur le point de débuter et, aux États-Unis, elle est déjà dans plus de 221 universités américaines. Nous avons reçu plusieurs témoignages quant à la pertinence et à la compétence de ce travail.

Le CSQ fait donc preuve d'un véritable professionnalisme, ce qui devrait nous conférer des privilèges uniques. Nous sommes loin d'être "un secteur de l'activité humaine où l'on retrouve encore le plus souvent des modes de production artisanale." Pour nous, il y a longtemps que la sculpture fait appel à l'ingénierie, à la métallurgie, aux ateliers d'usinage incluant les technologies les plus complexes et les plus sophistiquées, de même qu'aux plus récents matériaux fabriqués par l'industrie.

Recommandation: conférer des privilèges uniques aux organismes qui ont atteint une notoriété en évitant, tel que suggéré, le saupoudrage.

Pour une permanence assurée. Pour opérer efficacement, le Conseil de la sculpture du Québec réclame, en tout premier lieu, qu'on assure sa permanence, cela pour qu'il puisse enfin reposer sur des assises solides. Il est absolument nécessaire que nous ayons une sécurité de base pour pouvoir appliquer convenablement et complètement nos politiques culturelles.

Cette permanence doit reposer sur des plans au minimum triennaux. Des modes de financement selon un échéancier concret nous permettraient d'assurer cette permanence et, par le fait même, d'établir plus aisément notre développement global par un plan d'action à court, moyen et long terme, ce qui aurait pour effet d'accroître, en même temps, l'efficacité des plans gouvernementaux. Cette permanence est prioritaire.

De par les tâches énormes qui incombent à cette permanence, elle se doit d'être constituée d'un minimum de trois postes définis: de secrétariat et de réception (déjà existants), de coordination (déjà existant) et d'une direction générale (depuis longtemps demandée), tous intégrés dans les subventions de fonctionnement. Cela nous permettrait aussi d'accorder plus de temps à répondre aux besoins des sculpteurs, de même qu'à planifier et à exécuter nos projets d'envergure. Elle répond à votre proposition d'assurer la stabilité des organismes culturels.

Il est prioritaire aussi de garantir à nos employés partenaires une indispensable sécurité d'emploi. Ils sont extrêmement compétents et dévoués à la cause de l'artiste, de la création, de l'art et de la culture. Eu égard à leur professionnalisme peu commun, ces personnes ont droit à des honoraires aussi décents que tout autre travailleur de toute autre discipline. L'heure du bénévolat est terminée en ce qui nous concerne pour tous ceux qui travaillent à temps plein et qui doivent, comme tout le monde, rencontrer leurs fins de mois.

Nous vous recommandons qu'il est prioritaire d'assurer la permanence minimum adéquate, et ce, à temps plein, d'un organisme qui a fait ses preuves et prioritaire aussi d'offrir des honoraires décents, égaux à ceux de toute autre discipline, aux employés partenaires des associations professionnelles.

Pour une plus grande liberté d'action. Ayant maintes fois fait ses preuves depuis son incorporation en 1962 - donc, nous avons 30 ans en même temps que vous - le Conseil de la sculpture du Québec demande qu'on lui accorde une plus grande liberté d'action. Le fait d'être normes de toutes parts par les programmes gouvernementaux nous empêche trop souvent de prendre notre envol afin de mettre en application nos plans prioritaires pour le développement de notre discipline.

Pour une plus grande efficacité de nos stratégies d'action, pour déterminer en toute quiétude nos priorités dans la gestion de nos programmes, nous nous devons d'éviter les multiples entraves de la paralysie administrative. Nous savons, d'ailleurs, nous entourer, en temps opportun, de gestionnaires fort spécialisés.

Nous demandons, d'abord, au ministère de nous faire confiance dans l'établissement des priorités, dans la création de nouveaux programmes et, aussi, lors de demandes pour des actions ponctuelles, comme ça devrait être le cas en ce moment à Montréal, car nous possédons l'expérience et l'expertise nécessaires pour accomplir nos fonctions.

Exerçant nos activités au coeur même du vécu quotidien des sculpteurs d'ici, nous sommes les mieux placés pour "co-naître" les aspirations et les besoins profonds des sculpteurs. Le fait d'être nous-mêmes des créateurs nous fait vite percevoir les priorités.

Assurer notre permanence, nous permettre d'oeuvrer en toute sécurité avec le personnel requis, nous faire davantage confiance, nous accorder plus de liberté d'action, voilà l'image du chemin qui nous mènerait vers un accomplissement total que nous n'atteindrons jamais, mais vers lequel nous visons.

Il serait ô combien important qu'on accorde un plus grand suivi aux créateurs et aux organismes qui ont fait leur marque dans l'univers culturel québécois. On les oublie trop facilement de nos jours, ce qui a pour conséquence de ne plus assurer la suite des jours de la vie cul-

turelle de notre peuple. La société adopte trop facilement le pattern du tout nouveau, tout beau de la société de consommation à outrance qui met l'accent sur le quantitatif plutôt que sur le qualitatif.

Le créateur serait-il le dernier des humains libres? Son pouvoir créateur, qui fait de lui le plus grand explorateur de l'imaginaire, doit subir le moins d'entraves possible pour accomplir son destin, ce qui nous sera absolument vital pour atteindre l'échelle internationale.

Recommandations, accorder aux créateurs et aux organismes une plus grande liberté d'action; nous faire confiance; accorder un suivi aux créateurs et aux organismes québécois qui ont marqué notre histoire, et que le grand pouvoir créateur de nos artistes soit notre principale échelle pour atteindre d'autres cieux.

Atteindre une transparence dans nos rapports. En voyant à ce qu'existe un plus grand respect de l'artiste et du créateur, peut-être prendrons-nous conscience de l'importance qu'une collaboration entre le ministère de la culture, les créateurs et les organismes nécessite une sincérité et une authenticité constantes.

Pour que cesse l'opacité des multiples tergiversations, des mille et une ruses et des déguisements de tout acabit, il serait d'une importance capitale que nos rapports baignent dans la transparence.

Devant notre situation si précaire en tant qu'organisme, face à la peur constante d'exécuter des rotations de personnel sans fin...

Le Président (M. Gobé): M. Angers, s'il vous plaît.

M. Angers: Oui?

Le Président (M. Gobé): Je m'excuse de vous interrompre, pour une minute...

M. Angers: Oui.

Le Président (M. Gobé): .30 secondes C'est parce qu'on est devant un choix à faire. Votre temps est écoulé depuis une dizaine de minutes, mais...

M. Angers: Oui.

Le Président (M. Gobé): ...j'avais le consentement des deux côtés de cette commission pour que vous continuiez à expliquer votre mémoire qui est, d'ailleurs, fort intéressant. Et, là, on est devant... Je vois qu'il reste une dizaine de pages ou sept ou huit pages...

M. Angers: Oui.

Le Président (M. Gobé): Préférez-vous continuer à lire votre mémoire, à le présenter quitte... Mais je vous préviens qu'il n'y aura pas beaucoup de temps après pour la discussion. Il y aura peut-être cinq minutes pour Mme la ministre et M. le porte-parole de l'Opposition. Alors, c'est à votre choix, rapidement.

M. Angers: Je vais juste finir le 4.12.

Le Président (M. Gobé): Alors, je vous en prie. Si vous voulez conclure, à ce moment-là. On vous laisse l'ouverture, si vous voulez.

M. Angers: D'accord.

Le Président (M. Gobé): Vous avez attendu toute la journée, on comprend ça.

M. Angers: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Gobé): On ne veut pas vous bousculer non plus, mais on veut quand même suivre un peu le rythme de la commission. On va quand même être assez généreux dans le temps avec vous.

M. Angers: O.K. Alors, je vais juste finir ce paragraphe-là.

Le Président (M. Gobé): Vous pouvez conclure en même temps un petit peu.

M. Angers: Oui. Afin de répondre aux critères d'admissibilité des diverses instances gouvernementales, qui sont souventefois erronées faute de connaissance adéquate du milieu des créateurs, nous devons trop souvent exécuter, pour atteindre une plus grande authenticité, des exercices de gymnastique administrative afin d'obtenir un support financier qui nous permettra de réaliser nos projets. Voilà la raison pour laquelle nous réclamons, dans nos rapports, la transparence absolue.

Alors, nous recommandons que la transparence soit à la base même de toutes nos relations. Et nous allons terminer...

M. Demers (Maurice): Je peux terminer er disant que...

Le Président (M. Gobé): Oui.

M. Demers (Maurice): ...nous recommandons la formation d'un module de pensée créatrice ai sein de l'observatoire du gouvernement, le futui observatoire. La mutation historique qui s'ouvrt aux métissages du partenariat actuel date des années soixante et je pense que maintenant tou est favorable pour que nous puissions arriver i un partenariat excessivement efficace ensemble.

Le Président (M. Gobé): Alors, je vou: remercie beaucoup de cette présentation et j( vais maintenant passer la parole à Mme l

Mme Frulla-Hébert: Merci, M. Angers, M. Demers. On voit, d'ailleurs, que vous avez, comme nous, 30 ans d'expérience, ce qui nous confère, quand même, veux veux pas, une certaine expérience et vous parlez énormément de la place, d'ailleurs, des artisans de la création sans qui, comme vous le disiez, la culture s'atrophie.

Ce matin, nous avons reçu aussi l'Union des écrivains qui contestait un peu la définition des créateurs dans le rapport Arpin. Est-ce que vous vous êtes penchés la-dessus, la différence entre le créateur et d'autres, que ce soit, par exemple, l'écrivain et l'éditeur? Finalement, on faisait un partage. C'est la fin de la journée. On a commencé, justement, par la définition de la création par un groupe de créateurs et j'aimerais vous entendre un peu là-dessus et, après ça, on va passer au statut de...

M. Demers (Maurice): D'accord. Mais je pense qu'il y a deux versions. Il y a une ambiguïté à ce niveau-là, au niveau de nos sociétés. Il y a deux versions. Il y a la version ethnologique ou anthropologique et il y a la version, en quelque sorte, culturelle, je veux dire moderne. La version anthropologique a tendance à tout qualifier comme culturel. Tout est culturel pour la vision anthropologique et je pense que, pour la culture, actuellement, nous la voyons, nous... Et il y a la culture élitiste. C'est ça que je veux dire. Il y a la culture anthropologique et la culture élitiste. Ce sont les deux ambiguïtés qui régnent présentement.

Je pense que la culture, pour moi, doit avoir des critères extrêmement sérieux. C'est-à-dire que, pour moi, elle doit être tout geste créateur. Pour moi, la culture, c'est une manière d'être et de vivre d'un peuple, et ça, de façon qualitative. Et l'expression de cette façon d'être et de vivre forme en quelque sorte cette richesse de l'humanité, donne cette richesse à l'humanité.

Maintenant, il est très important que le geste créateur soit en quelque sorte l'essence même d'un geste doué de sens. C'est ça qui, pour moi, devrait être le critère de base de toute culture. Mais il ne faut pas jouer entre... Les deux côtés s'opposent totalement dans nos sociétés. Je pense que, pour rejoindre le véritable centre de la création, pour moi, il faut que le geste soit pleinement doué de sens.

Mme Frulla-Hébert: Hum, hum!

M. Demers (Maurice): C'est ce que disait le monsieur cet après-midi, c'est-à-dire un geste professionnel et non un geste d'amateur ou de créateur de loisirs qu'on rencontre partout, mais bien un geste...

Mme Frulla-Hébert: Professionnel.

M. Demers (Maurice):... véritablement pro- fessionnel. (17 h 45)

Mme Frulla-Hébert: Si on revient, finalement, au statut de l'artiste, effectivement, je sais que le milieu se dit: Bon, encore une commission, qu'est-ce qu'il y a? Mais c'est quand même la première fois dans notre histoire que, tous ensemble, tout le monde ici s'assoit pour justement discuter de culture et tous les milieux. C'est important. On peut bien se parler entre nous, mais, si d'autres milieux n'embarquent pas, on n'arrivera à rien - et je parle des municipalités; vous avez touché à l'éducation, aux médias - on aura beau essayer de faire tous les efforts possibles, on n'en arrivera pas finalement, comme société, au développement auquel on a droit et, je pense, auquel on aspire.

Si je reviens au statut de l'artiste, il y a déjà différentes mesures qui ont été mises de l'avant pour améliorer, justement, le statut juridique, social et professionnel des artistes. Maintenant, on a des demandes et on se dit: Parfait, on veut aller plus loin. Dans votre vécu, quels sont les gestes que nous devrions poser pour, justement, améliorer ce qui est déjà? Parce que, bon, la loi, ça va faire quoi, là, ça va faire trois ans qu'on l'a, donc, il est temps qu'on la regarde pour, finalement, à partir du vécu et de l'application de cette loi-là, voir maintenant ce qu'il y a à bonifier.

M. Angers: Mais l'important, c'est qu'elle soit vraiment en application et qu'il n'y ait pas seulement vous qui la respectiez.

Mme Frulla-Hébert: Mais elle l'est, en application.

M. Angers: Oui, elle est en application. Ce serait beaucoup trop long à vous l'expliquer ici, mais, en tout cas, moi, je sors d'un procès où, juridiquement, elle n'est même pas reconnue. Alors, je n'ai pas été capable de faire sortir aucun... J'ai passé sous le tapis avec la loi du statut de l'artiste. Ces notions-là sont comme... Comment est-ce que je vous expliquerais ça? C'était un vrai désert, cet après-midi-là.

Mme Frulla-Hébert: Autrement dit, ce que vous me dites, c'est que la loi qui est là, qui avait été considérée comme une loi... Effectivement, c'est une loi qui était avant-gardiste...

M. Angers: Oui.

Mme Frulla-Hébert:... qui était la première au monde. C'est une loi qui, en fait, dans certains cas - parce que je sais que, dans d'autres, ce n'est pas un fait - est non applicable?

M. Angers: Non, non. Elle n'est pas non applicable parce que, dans tous les milieux qui

sont sensibilisés à ça, déjà, elle avance beaucoup. Mais, dans les circonstances où j'étais et dans lesquelles je ne veux pas entrer parce que ça serait trop long, c'étaient des circonstances face à une cour municipale et je peux vous dire que la culture, c'est très, très loin. Juste les notions de culture... Ça a l'air drôle de dire pourquoi la loi du statut de l'artiste était prise là-dedans, mais c'est parce qu'il y avait un conflit avec un zonage et j'essayais d'expliquer la notion d'artiste dans la société. C'était très complexe, à un moment donné. Même la loi était là. Le juge en présence a même refusé d'argumenter sur les concepts de base qu'il y avait dans cette loi-là et qui sont reconnus.

Mme Frulla-Hébert: Mais quand on parle...

M. Angers: Mais au niveau de l'artiste, des organismes...

Mme Frulla-Hébert: Oui...

M. Angers: ...bon, et on va parler des droits d'auteur, de ces applications-là, on commence à la voir dans tous les concours publics qui arrivent, où les gens font attention. À la ville de Montréal, dans l'art public, il y a des éléments de cette loi qui s'appliquent et où les artistes commencent à faire: Ouf! Il semble que leur travail va être plus protégé et plus considéré. En fait, c'est dur parce que c'est une grande loi et elle est efficace dans des petites choses très concrètes et c'est là que c'est bien.

Mme Frulla-Hébert: Vous parliez, à un moment donné, d'appuyer, de faire du suivi.

M. Angers: Oui.

Mme Frulla-Hébert: Vous dites: Bon, l'artiste va et on fait du suivi. On a des pro grammes; il y a les prix du Québec, d'une part. D'autre part, il y a... Bon, vous allez dire: Bon, c'est correct, là, c'est quelques prix qui se donnent par année. Par contre, c'est quand même une bourse de 30 000 $ non imposable. Il y a aussi le soutien à l'artiste, d'autre part, et il y a le fameux programme du 1 %, l'aide via l'intégration à l'architecture. Alors, est-ce que ce sont des mesures qui finalement... Je pense qu'elles sont valables, mais qualifiez-moi donc, quand vous parlez du suivi, ce qu'il y aurait à ajouter.

M. Angers: Le suivi qu'on mentionnait dans le rapport, c'est certainement le suivi avec les créateurs individuels, mais aussi avec les organismes qui les représentent. Au début du rapport Arpin, on cite qu'il y a plein de nouveaux groupements culturels qui sont fondés et on insiste sur tous les nouveaux. On dit: Bon, depuis 10 ans, il y en a 14 nouveaux ou 20 nouveaux, mais on ne dit pas qu'il y en a 7 que ça fait 30 ans qu'ils sont debout.

C'est le suivi auprès des organismes. Je vais vous donner un exemple. Le Conseil de la sculpture du Québec a demandé une subvention au ministre des Affaires culturelles dans son cadre de subvention générale, une somme dans un programme qui était là; il était ouvert. C'était marqué: voici les sommes disponibles là-dedans et on a demandé de l'argent pour ouvrir nos facilités d'accueil pour pouvoir intégrer dans nos membres les artistes qui font de la performance et de l'installation. C'est parce que ces gens-là ne produisent pas nécessairement des diapositives. Ils vont produire des documents vidéo. On demandait des installations de ça et un genre de salaire pour permettre à des gens d'aller chercher ces gens-là, de les répertorier, de les ramener, de créer un centre de documentation, de créer des contacts avec l'Europe. Il n'y a aucun lien, il n'y a aucune boîte postale, à Montréal, où tombent les événements mondiaux en performance et installation. Et ça a été refusé complètement.

Le suivi, c'est ça, On veut aller plus loin, il faut qu'on aille plus loin, il faut qu'on représente ces gens-là parce que c'est une aberration que quelqu'un qui... Ces gens-là se disent eux-mêmes non représentés. Quelqu'un qui fait de la performance et de l'installation au Conseil de la sculpture, bien... Dans notre esprit, on les représente, mais, dans l'esprit de beaucoup de monde, la sculpture, c'est encore la sculpture objet public ou soit un parc ou une installation très fixe.

M. Demers (Maurice): Je pense aussi aux créateurs des années soixante, qui ont apporté ici probablement la plus grande révolution sur le plan culturel. Ils sont complètement ignorés, présentement. Les années soixante, c'étaient les années de la contre-culture, la décennie de l'utopie et on n'en parle jamais. On fait des expositions des années soixante, on présente des peintures bien tranquilles au Musée d'art contemporain, dans certaines maisons de la culture. Mais les années soixante, ce n'était pas ça. Je les ai vécues, moi, et maintenant, l'histoire des années soixante sort présentement, étudiée en profondeur par l'Université du Québec, Mme Francine Couture. Il y a un premier livre qui sort aujourd'hui - d'ailleurs, je devais être là -sur les colloques des années soixante et puis il y en a un au mois de décembre aux éditions VLB sur les années soixante. Ce sont des années excessivement importantes et tous ces créateurs sont complètement ignorés.

On a oeuvré énormément et, quand on arrive et qu'on nomme notre nom aujourd'hui à des gens, même aux critiques d'art, ils disent: Non, non, je ne vous connais pas. Pourtant, on a fait des choses excessivement révolutionnaires et à l'échelle universelle. C'est absolument méconnu.

Mme Frulla-Hébert: Mais, quand on parle au niveau des associations, vous dites: Nous, notre association, ça fait 30 ans; donc, on devrait être une association sérieuse. On regarde, effectivement, nos ententes triennales. On a commencé par des groupes d'artistes autogérés et, là, on veut étendre cette politique-là. C'est mieux pour tout le monde, c'est mieux pour nous, c'est...

Mais vous dites: "Conférer des privilèges uniques aux organismes qui ont atteint une notoriété en évitant le saupoudrage." M. Parizeau a dit ce matin, et avec raison, que, si on est capables d'en arriver ensemble à un consensus sur le saupoudrage, déjà on va avoir fait un grand pas. Il va falloir, finalement, crever l'abcès, il va falloir s'entendre sur ça. Effectivement, une organisation comme la vôtre, sérieuse, habituée, avec de l'expérience, etc., dit: Arrêtez le saupoudrage. Il y en a d'autres qui disent: Bien, si vous arrêtez le saupoudrage, vous arrêtez, finalement, le dynamisme. Parlez-moi un peu de ça, selon votre vision.

Le Président (M. Gobé): Malheureusement, Mme la ministre, c'est plus que le temps qui était imparti. Je vous demanderais donc de conclure rapidement, parce que la question était assez longue.

M. Deniers (Maurice): En deux mots, pour moi, c'est de protéger les compagnies existantes, solides, professionnelles, qui durent depuis longtemps et d'établir peut-être un minime pourcentage pour les compagnies débutantes, mais pas de partager à gauche et à droite également, et tout ça. Je pense que c'est une question de pourcentage.

Le Président (M. Gobé): Merci, M. Demers. M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques, porte-parole de l'Opposition officielle en matière de culture, vous avez maintenant la parole pour une dizaine de minutes, vous aussi.

M. Boulerice: Oui, je vous remercie, M. le Président. Messieurs, bienvenue à cette commission. Vous connaissez mon envoûtement pour votre art, sauf qu'on va me laisser peu de temps, malheureusement, mais rien ne nous empêche d'échanger plus tard en d'autres lieux. Il n'y a pas juste les lambris dorés des palais nationaux, comme je dis, qui nous permettent d'échanger.

La ministre m'a habilement tendu la perche tantôt, et je la remercie. Elle a parlé du statut de l'artiste. Effectivement, ce fut du droit nouveau pour le Québec, j'y ai participé avec la prédécesseure de sa prédécesseure, Mme Bacon. On a établi une loi, somme toute, oui, qui est perfectible. J'avais, d'ailleurs, proposé que l'on revoie cette loi à la lumière de son application. La commission de la culture ne l'a pas retenu, mais, enfin, on y reviendra. Donc, il y a une loi du Québec, mais il n'y a pas encore de loi fédérale, on en est à l'état de discussion. Donc, je peux dire que, comme il y a deux gouvernements et que vous n'avez qu'une seule loi, vous avez une demi-portion.

On a parlé également du statut fiscal de l'artiste, pas celui contenu dans la loi du statut de l'artiste, mais le statut fiscal dans le sens de l'étalement des revenus, puisque, s'il y a des gens qui se font plumer, c'est bien vous. Une année faste, mon Dieu, ça marche à la planche, comme on dit en bon québécois; les années néfastes, eh bien, vous vivotez, c'est malheureusement le cas. Il n'y a pas de loi à Québec, bon, mais, la journée où il va y en avoir une à Québec, il ne faut pas oublier qu'on paie des impôts à deux gouvernements, donc il en faudra une au fédéral. Donc, vous aurez une demi-portion encore cette fois-ci.

Une notion extrêmement importante pour vous - vous allez me dire: II est là, où veut-il en venir, mais vous allez voir ça vient: droit d'auteur, dans la notion européenne, droit voisin, il faut le refaire au Québec. Bon, la journée où on va le refaire au Québec, forcément il y a deux gouvernements, donc il va falloir le refaire au Canada. S'il n'y en a pas une pour le Canada et qu'il y en a une uniquement pour le Québec, donc vous avez toujours une demi-portion. Alors, la question est très simple, elle est très claire, elle est très limpide: Est-ce que vous croyez que le Québec doit avoir tous les pouvoirs dans le domaine de la culture?

M. Angers: Une question très longue. Oui est la réponse.

Une voix: Tout à fait. M. Angers: Tout à fait.

M. Boulerice: Ce n'était pas un malheureux "remake" de 1980 où la question fut fort longue...

M. Angers: Non, non, non.

M. Boulerice: ...et la réponse, cette fois-là, trop courte, mais la vôtre, on le voit, vient très spontanément.

Quand vous avez parlé de conférer des privilèges uniques aux organismes qui atteignent une certaine notoriété, est-ce que vous pensiez à une certaine formule d'accréditation auprès du ministère?

M. Angers: Oui, et je parlais aussi... En ce moment, il y a un phénomène qui se passe, parce que la sculpture est très à la mode, il y a un paquet de symposiums qui s'installent à peu près n'importe où. On n'entrera pas dans les détails, mais, en tout cas, les deux qui ont eu lieu ont déjà accumulé quelques petites mauvaises cloches à leur cordon. Dans le fond, quand on parle de privilège unique, c'est cette espèce de complicité

de reconnaissance qu'il doit y avoir entre les deux. Il devrait y avoir cette complicité qui fait que... Dans la discipline de la sculpture à Québec, il y a quand même une équipe qui travaille depuis longtemps, puis elle a fait son adolescence, cette équipe-là. Elle a grandi, elle est partie, elle s'est cassé la gueule complètement, elle est tombée à zéro. Les gens l'ont relevée et elle s'est donné des critères, une espèce d'éthique encore plus sévère. Elle a publié un code d'éthique. Je pense qu'il y a toutes les raisons de sentir là quelque chose qui est issu de ce milieu-là, de cette discipline-là, mais qui a accumulé assez d'erreurs maintenant pour continuer à grandir dans une certaine sagesse et une certaine sécurité.

Et, par rapport aux symposiums, quand je parle de conférer des privilèges uniques, ça pourrait être des choses qui sont faites en collaboration avec le ministère, parce qu'un jour il va falloir y arriver, à ces privilèges-là. À tous les symposiums qui arrivent, il y a... En tant que président, je suis en train d'intervenir dans des choses qui se passent actuellement, puis ce sont toujours des artistes qui sont encore blessés par des processus qui sont souvent faits par d'autres artistes et des organisateurs, et ça ne finit plus. Quand on parle de privilèges uniques, c'est des relations entre un gouvernement et une asociation d'artistes reconnue dans une discipline, je le dis bien, dans une discipline particulière pour établir des choses comme une régie des symposiums. Qu'on soit certain maintenant, quand un symposium se fait au Québec, qu'il n'y ait plus de coquille d'oeuf vide, que la coquille ne se casse pas, puis il n'y a rien dedans, ni poussin, ni oeuf. Ce sont des structures lourdes à imposer.

Il y aurait des privilèges uniques, mon Dieu, d'avoir le droit et les moyens aussi de s'impliquer dans des dossiers avec la commission municipale, avec l'Hôtel de ville de Montréal pour arrêter que soient expulsés les artistes de leurs ateliers. D'ailleurs, moi, c'est pour ça que je suis allé en cour la semaine dernière. Pierre Pépin a été expulsé de son atelier par la ville de Montréal et il y en a d'autres qui se battent pour échapper à ça. Des privilèges uniques, c'est ce niveau de relation où on pourrait aller voir le ministère des Affaires culturelles, puis on dirait: II y a en ce moment à Montréal un état de crise au niveau des logements d'artistes, des ateliers d'artistes. On a un besoin de sommes urgent pour aller se présenter dans les commissions, être vraiment présents, former des groupes de travail, intervenir avant qu'il soit trop tard. Là, on le fait tous en s'entraidant à la chaîne, mais même la petite cour municipale est bien plus puissante que nos chaînes de solidarité.

M. Boulerice: Est-ce que vous êtes en train de parler - j'allais dire par inadvertance, je m'excuse ce n'est pas le mot que je dois employer - par un heureux hasard de la notion des ateliers autogérés que réclament continuellement les gens du domaine des arts visuels?

M. Angers: Bien, ce n'est pas tout à fait la même chose ce dont je parle. Il y a les centres autogérés où les artistes se représentent eux autres mêmes dans leurs centres, gèrent leurs choses et peuvent inviter des artistes. Mais le problème particulier dont je vous parlais, c'est, effectivement, l'habileté extraordinaire qu'a trouvée un inspecteur de la ville de Montréal pour nous impliquer dans le règlement 5569, article 89 qui fait qu'on est expulsables de nos ateliers d'artistes parce qu'on enfreint un certain règlement de zonage qui pourrait très bien être toléré ou être appliqué avec intelligence. En tout cas, il y a un débat qui a commencé il y a trois ou quatre ans et là on est aux "slingshots" des deux bords, on se tire des billes. Ce règlement-là est une épine à nos pieds.

M. Boulerice: Est-ce que je vous ai bien compris tantôt quand vous avez parlé de symposium, est-ce que vous vouliez dire que... Bon, ça, c'est un fait, vous avez bien fait de l'avoir noté dans votre mémoire, quoique je le connaissais, vous avez un code d'éthique, à l'exemple des gens de l'estampe, qui fait école, dans son sens le plus noble du terme. Est-ce que vous allez jusqu'à suggérer l'établissement également d'un code d'éthique au niveau de ces manifestations-là?

M. Angers: Absolument. C'est très compliqué à mettre sur pied, mais nous irions jusqu'à suggérer - en fait, c'est ça que je vous ai dit tantôt - une régie des symposiums, parce qu'il arrive des problèmes graves là-dedans. Il y a eu des symposiums cette année où des artistes ont été retournés dans leur pays parce que, quand ils sont arrivés ici, il n'y avait plus les matériaux. Les gens n'étaient pas capables de leur fournir les matériaux parce qu'il y avait eu méprise. De toute façon, ce n'est pas un artiste international, parce qu'un Québécois qui va ailleurs, c'est un artiste international aussi, mais cette personne-là, c'est une personne qui fait carrière en Allemagne, au Venezuela, aux États-Unis, elle arrive ici et tout à coup, les gens disent: Oups! On n'a ni l'argent, ni les matériaux. Ça fait que le gars a repris l'avion et, il est retourné là-bas. Mais c'est toutes des choses organisées de bonne volonté et le fait que ces gens-là soient libres d'organiser... N'importe qui peut organiser un symposium aujourd'hui, vous pouvez le faire demain matin, vous, organiser un symposium n'importe où et personne ne peut...

En fait, il ne s'agit pas ici d'avoir un organisme de contrôle, de grand supérieur. Il s'agit d'avoir un organisme qui va veiller à l'intérêt des créateurs, des artistes. Là, on peui retourner à la loi du droit d'auteur, on peui

retourner à la loi sur le statut de l'artiste, où toutes ces choses-là vont être respectées scrupuleusement. Ces gens-là qui organisent ne connaissent pas nécessairement la loi. Ils partent de bonne foi et, en plein milieu du projet, c'est l'impasse ou le nid de poule qui fait sauter votre amortisseur. Ha, ha, ha!

M. Boulerice: Très brièvement, on a parlé du 1 %, l'autre 1 % parce qu'on en a deux dans le décor, c'est-à-dire celui de l'intégration de l'art à l'architecture des édifices gouvernementaux. Est-ce que vous croyez qu'il serait souhaitable, d'une part, qu'on l'étende à tout édifice à caractère gouvernemental? Mais, attention, il y a trois paliers de gouvernement. On considère les commissions scolaires comme des gouvernements locaux, il y a les municipalités également.

M. Angers: Puis-je vous dire, à ce niveau, une très bonne nouvelle?

M. Boulerice: Pardon?

M. Angers: Je vais vous dire, à ce niveau, une très bonne nouvelle. Le ministère des Affaires culturelles peut certainement encourager que ce programme-là soit étendu, mais je peux vous dire qu'à la suite du projet Sculpture: Séduction '90 on avait diffusé, dans un très large réseau, les catalogues et tout. En ce moment, il y a une ville, la ville de Boucherville, qui a mis sur pied son propre programme du 1 %, à partir de ça, et le Conseil de la sculpture travaille depuis cinq mois en collaboration avec eux autres. Et nous allons participer à l'élaboration des deux premiers concours pour être certains qu'il n'y a rien qui accroche, que tout est peaufiné à la perfection dans le système. Après Boucherville, il y a deux autres villes qui attendent juste le résultat de ça pour mettre en marche leur propre programme de 1 % aussi.

Alors, il y a déjà un entraînement dans le milieu. Mais, si l'idée vient encore de plus haut, ça va aller encore plus vite. Certainement que c'est une chose à suggérer à tous les niveaux du gouvernement.

M. Demers (Maurice): Le rôle de l'association des scu/pteurs, à ce moment-fà, serait un rôle sur le plan de l'éthique, sur le plan aussi de la surveillance, de tout ça. En fait, si on se met à répandre des symposiums partout, qui va régir la qualité des symposiums? En fait, qui va régir tout ça? Il faut établir certaines normes de base.

Quand je parlais de la culture tantôt - la question de Mme la ministre - en fait, qu'elle soit ethnologique ou qu'elle soit élitiste, la seule base possible - la culture est axée sur les valeurs, de toute façon - c'est une base éthique, c'est une base de qualité, de valeur. C'est ça qu'il faut établir, les priorités à ce niveau-là et, dès qu'on a établi ça, je pense qu'on peut oeuvrer adéquatement.

Le Président (M. Gobé): Merci, M. Demers. M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques, si vous voulez conclure votre intervention, s'il vous plaît.

M. Boulerice: Je sentais le couperet descendre. M. Angers et M. Demers, encore une fois, merci de votre participation. Il y a eu des énoncés, disons, d'ordre philosophique, mais vous n'avez quand même pas hésité à nous faire ce que j'appelle une scène de la vie quotidienne d'un sculpteur. C'est toujours bénéfique aux membres d'une commission parlementaire d'avoir ces illustrations. Je vous remercie encore une fois.

Le Président (M. Gobé): Merci, M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques. Mme la ministre, si vous voulez terminer, un mot de remerciement.

Mme Frulla-Hébert: Oui, à la fin de cette journée, finalement, je pense qu'on termine bien. On a commencé par des créateurs, on termine avec des créateurs. Merci encore pour la spécification au niveau du saupoudrage. Ça va nous aider aussi et effectivement, au niveau de votre association, l'expérience et, en fait, l'âge de l'association vont aussi peser dans la balance. Merci.

Le Président (M. Gobé): M. Demers et M. Angers, au nom des membres de cette commission, je tiens à vous remercier. Ceci met fin à nos travaux pour cette journée. Je vais donc ajourner les travaux à demain matin, 9 h 30, en cette salle. Alors, la commission ajourne ses travaux et vous souhaite une bonne soirée.

(Fin de la séance à 18 h 6)

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