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(Quinze heures trente-quatre minutes)
Le Président (M. Doyon): Le quorum ayant été
constaté, je déclare cette séance ouverte. Je vais
rappeler le mandat de la commission. Ça fait quelques jours qu'on ne
s'est pas vus. Il s'agit de procéder à une consultation
générale sur l'énoncé de politique en
matière d'immigration et d'intégration. Cet énoncé
de politique est intitulé "Au Québec pour bâtir ensemble".
La consultation porte aussi sur les niveaux d'immigration souhaités pour
les années 1992, 1993 et 1994. Mme la secrétaire, y a-t-il des
remplacements?
La Secrétaire: Oui. M. Bradet (Charlevoix) est
remplacé par M. Bordeleau (Acadie) et M. Messier (Saint-Hyacinthe) est
remplacé par M. Lemire (Saint-Maurice).
Le Président (M. Doyon): Consentement?
Une voix: Consentement. Il a de bonnes questions, le
député de l'Acadie.
Le Président (M. Doyon): Très bien, on le
garde.
Des voix: Ha, ha, ha!
Le Président (M. Doyon): Donc, je demanderais à nos
premiers invités de prendre place à la table, en avant. Je leur
souhaite cordialement la bienvenue, de même qu'aux collègues, en
cette reprise de session du printemps 1991. Je vois qu'ils sont deux. Je les
invite à se présenter et, dès après les
présentations, à passer à la lecture de leur
mémoire ou d'un résumé. Ils disposent d'une vingtaine de
minutes pour leur mémoire, les deux formations politiques disposant d'un
temps à peu près égal. Alors, M. Bouthillier ou M.
Turcotte.
Mouvement Québec Français
M. Bouthillier (Guy): Guy Bouthillier. Merci. M. le
Président, Mme la ministre, mesdames et messieurs, au nom du Mouvement
Québec Français...
Le Président (M. Doyon): M. Bouthillier, vous me
permettez, je vois que vous êtes accompagné de M. Gérard
Turcotte. Est-ce exact?
M. Bouthillier: C'est exact, et j'allais vous le
présenter.
Le Président (M. Doyon): Très bien.
M. Bouthillier: Je veux remercier la commission d'avoir bien
voulu entendre le Mouvement Québec Français qui, pour cette
journée, a constitué une petite délégation de deux
personnes - je crois que c'est visible - Gérard Turcotte, qui est le
secrétaire général du Mouvement Québec
Français, et moi-même, qui en suis le porte-parole.
Vous connaissez le Mouvement Québec Français. Il est
composé de 10 organismes nationaux québécois. Il existe
depuis une vingtaine d'années, depuis 1972. Je crois qu'on peut dire,
sans forfanterie qu'il est profondément ancré dans notre
société par toutes les ramifications que lui apportent ces 10
groupes divers et aussi par le million de personnes qui sont adhérentes
à ces 10 organismes. Je crois qu'on peut dire aussi qu'il jouit d'une
certaine crédibilité, aussi bien auprès des pouvoirs
publics... Je me permets de vous souligner que 5 des 10 présidents des
organismes qui composent le MQF sont actuellement au travail à la
commission élargie sur l'avenir constitutionnel du Québec. Je
crois que notre crédibilité est réelle aussi auprès
de l'opinion publique qui répond toujours massivement aux appels que
nous lui lançons. Et je me permets d'appeler votre attention sur le fait
qu'il y a exactement deux ans aujourd'hui, le 12 mars 1989, nous
réussissions à amener dans les rues de Montréal et au
Champ-de-Mars, plus particulièrement, certains diraient 60 000, d'autres
diraient 100 000 participants, tirons la moyenne à 80 000 militants dans
les rues de Montréal. Je crois que c'est une date, dans notre histoire
à nous, et peut-être, pourquoi pas, aussi dans celle de notre
collectivité.
Le Mouvement Québec Français porte, bien sûr, une
attention toute particulière à la question de l'immigration. Ce
n'est pas la première fois qu'il vient ici devant une commission
parlementaire. Il l'a fait au mois d'août 1987 et il le fait aussi quand
il prend position sur tel ou tel problème, notamment les
problèmes scolaires, où il évoque la question de
l'immigration.
D'ailleurs, les 10 organismes que nous sommes sont profondément,
directement intéressés par la question de l'immigration, j'allais
dire dans leur action quotidienne, surtout les enseignants, mais aussi les
travailleurs des centrales syndicales. Du reste, je pense qu'on ne peut pas,
dans notre société, dans notre vie, notre histoire étant
ce qu'elle est, ne pas s'intéresser à la promotion de notre
identité, a la promotion de notre langue et se
désintéresser de la question de l'immigration, car, si loin que
l'on
remonte dans l'histoire du Québec, on constate que l'immigration
apparaît comme un des éléments clés de la
rivalité culturelle, démographique et politique qui oppose le
Québec français au Canada anglais.
Comme le MQF est assez fortement identifié au combat identitaire
et au combat national québécois, il nous a semblé que
notre intervention, notre présence ici - et nous vous en remercions -
peut avoir une double signification. Une première, à l'attention
des immigrés eux-mêmes, ceux qui sont déjà chez
nous, ceux qui viendront, à qui le Mouvement Québec
Français tient à redire que notre objectif national est de
réaliser le Québec français et non le Québec
monoethnique. Par conséquent, non seulement n'y a-t-il pas la moindre
incompatibilité entre notre objectif et leur présence parmi nous,
mais encore le MQF adresse-t-il une invitation tout à fait chaleureuse
et amicale à chacun et à chacune des immigrés à
prendre leur place dans notre combat et dans notre société.
Le MQF tient aussi à adresser un message aux gens du pays,
à l'ensemble de la population du Québec, que l'immigration a pu,
parfois, ou pourrait encore étonner ou même inquiéter,
à qui nous disons que, si elle est bien maîtrisée, si elle
est bien encadrée, elle jouera le jeu du Québec.
L'intégration que, nous, peuple du Québec avons réussie
hier... Déjà, au XIXe siècle, l'immigration que nous avons
réussie, hier, avec les petits moyens qui étaient les
nôtres à l'époque, est sûrement la plus sûre
garante de notre capacité, de notre volonté d'intégrer
l'immigration d'aujourd'hui et celle de demain.
Maîtriser l'immigration, c'est effectivement le souhait le plus
profond de la collectivité québécoise et c'est un souhait
qu'elle ne cesse d'exprimer depuis bientôt 30 ans. J'appelle votre
attention sur le fait qu'il y a 25 ans ce mois-ci l'État du
Québec se dotait d'une première structure en matière
d'immigration, la Direction de l'immigration, qu'il rattachait au
ministère des Affaires culturelles un peu pour faire savoir urbi et orbi
que c'est probablement d'abord par le biais de la culture, c'est-à-dire
de l'identité, que le peuple du Québec abordait la question de
l'immigration. Alors qu'à peu près partout ailleurs ça se
fait par le Travail ou par la Santé ou par la Sécurité
nationale ou par le ministère de l'Intérieur, ici, c'est par la
culture que cela a commencé. Je pense qu'il y a une valeur
symbolique.
Cette volonté de maîtriser l'immigration, on la voit dans
votre énoncé de politique et nous tenons - nous l'avons
écrit et nous le répétons - à saluer cette
volonté qui est à l'origine du document. Nous nous
réjouissons, notamment, de l'effort qui est réalisé pour
étoffer l'appareil québécois de recrutement et de
sélection, en regrettant toutolois quo certains mouvomonts migratoires,
et pas les moindres, échappent et, semble-t-il, pourraient
échapper longtemps au
Québec, lequel Québec reste ainsi frustré de
l'honneur - je m'expliquerai sur la notion d'honneur si ça peut
intéresser - d'être celui par lequel se réunissent les
familles et d'être aussi celui par lequel des hommes et des femmes
trouvent ici un lieu de liberté et de sécurité. Nous nous
réjouissons aussi de ce que l'on souhaite augmenter la part de
l'immigration dite francophone, non sans souligner l'attention des
autorités sur le fait qu'il se trouve aussi une immigration francophone
non seulement dans tous les pays de la francophonie, mais aussi dans des pays
que l'on ne considère pas habituellement comme étant des pays
francophones. Je pense, bien sûr, aux pays de l'Europe de l'Est et je
rappelle que, nous aussi, nous avons envoyé des immigrés qui sont
encore là à la frontière au sud de la nôtre, aux
États-Unis, et ce sont les Franco-Américains.
Nous saluons aussi la décision de rapatrier l'instrument
administratif qui est chargé de dispenser des cours d'initiation
à la langue, mais nous rappelons toutefois que la maîtrise de la
langue suppose plus qu'une simple initiation et qu'on ne réussira
pleinement à faire partager notre langue par les nouveaux arrivants
qu'à la condition que toutes les structures de la société,
et j'ajouterai toutes les structures de l'enseignement, concourent à ce
but.
Nous saluons également l'affirmation que c'est effectivement non
seulement les pouvoirs publics, mais que c'est toute la population qui doit
participer à l'intégration au Québec, au Québec
français, et nous souhaitons ardemment - et c'est presque une litote -
voir la communauté anglophone participer à cet effort collectif.
Et on espère que ce n'est pas, pour cette communauté, la
quadrature du cercle. (15 h 45)
Le MQF salue aussi l'intention de faire participer les patrons des
petites et moyennes entreprises au processus d'apprentissage linguistique,
donner aux patrons de nos petites et moyennes entreprises l'allure d'un
professeur de français. L'effet symbolique sur l'immigrant qui travaille
dans ces entreprises est sûrement considérable. Mais ce qui
réjouit le plus le MQF et ce qu'il tient à saluer avec
insistance, c'est la reconnaissance par les auteurs de l'énoncé
de l'importance capitale d'un message clair, de signaux clairs sur
l'identité française du Québec. Ce message clair, un
message sans ambiguïté, c'est toute la population, bien sûr,
qui doit concourir à le donner, mais c'est aussi, au premier chef, les
pouvoirs publics, l'État dans son ensemble, les pouvoirs politiques, les
pouvoirs administratifs, les pouvoirs législatifs, les pouvoirs
judiciaires. Tout, en fait, ce qui encadre, organise et contribue à
identifier une collectivité. Cela concerne l'État du
Québec, cela concerne los municipalités du Québec, mais
aussi, nous le déplorons, cela concerne cet autre État
présent et agissant sur notre territoire et qui
s'appelle l'État fédéral.
Au total, l'énoncé contient de bonnes choses. On y
relève aussi, bien sûr, des choses qui n'y sont pas. Il y a des
lacunes qui sont moins le fart des auteurs de l'énoncé que des
structures dans lesquelles nous nous trouvons. L'énoncé qui est
le nôtre est celui d'un pouvoir public qui est celui d'un État
provincial, c'est-à-dire d'un État limité, d'un
État bridé et j'ajouterai, dans le cas de l'immigration - c'est
peut-être là la chose la plus importante - d'un État
surplombé par un autre qui, lui, n'est pas provincial. Et cet obstacle
de taille, c'est effectivement le fait que, de toutes les
sociétés d'accueil dans le monde industriel, de tous les pays qui
reçoivent des courants migratoires, nous sommes probablement les seuls
sur le territoire de laquelle société il se trouve deux
États, c'est-à-dire deux volontés organisées, deux
énergies politiques, deux identités qui s'affrontent et qui se
concurrencent pour décrocher, si je puis dire, les coeurs et les
esprits. Là où il nous faudrait un message clair, il y a, dans la
place, je dirais même, au milieu de la place, et criant probablement plus
fort, un rival qui vient brouiller le message, l'État
fédéral qui dispose de son propre domaine linguistique, lequel,
du reste, ne cesse de s'étendre et qui peut jouer, et qui joue,
effectivement, contre notre action linguistique. Cet État
fédéral dispose de nombreux moyens pour porter atteinte à
notre dispositif linguistique, il s'en est servi, et il s'est même
doté, depuis 1988, d'un nouveau dispositif qui s'appelle la loi C-72,
qui est toujours là et qui menace, si vous voulez, de
pénétrer notre dispositif linguistique. Cet État
fédéral dispose aussi, pour la conquête des coeurs et des
esprits, de tout un appareil administratif, d'un appareil idéologique,
dont le moindre élément n'est pas le secrétariat
d'État et son culte du multiculturalisme, le multiculturalisme qui est
toujours, dans le système, procanadien et malheureusement parfois aussi
antiquébécois.
Ce qui nous occupe ici, c'est l'intégraton de l'immigrant. Qui
dit intégration dit appartenance. Or, l'immigrant qui arrive ici, vous
le savez mieux que nous, tout aussi bien que nous, a déjà sa
propre langue, sa propre identité, sa propre appartenance d'origine. Le
Québec lui demande d'ajouter l'appartenance au Québec
français, lui demande d'adopter la langue du Québec
français, tandis que, de son côté, Ottawa, lui, propose
l'appartenance au Canada, c'est-à-dire un pays où domine la
langue anglaise. Deux appartenances, c'est déjà beaucoup à
porter pour un individu, mais que dire de trois? Et si l'immigrant devait
choisir, s'il doit choisir entre les deux, que préférera-t-il?
L'appartenance nationale canadienne ou l'appartenance provinciale
québécoise? C'est pourquoi nous disons - c'est en quelque sorte
la conclusion de notre présentation - qu'il n'y a pas
d'intégration de l'immigrant sans l'intégration de nos propres
moyens, et ce n'est pas un jeu de mots. Un État provincial, notre
État provincial n'a pas pu faire une politique linguistique; celle qu'il
a essayé de faire en 1977, elle a été brisée. Elle
s'est brisée, notamment, sur le rapatriement de la Constitution de 1982
et sur un certain nombre d'autres récifs. Si cet État provincial
a été incapable de faire une politique linguistique, il sera
encore moins capable de faire une politique d'intégration linguistique
et d'appartenance destinée à l'immigrant.
L'intégration suppose une vision, un discours des moyens
intégrés. Cette intégration qui sera mise au service de
l'intégration, cette intégration de nos moyens au service de
l'intégration de l'immigration, bien, on ne la trouve que sur les rives
de la souveraineté. Grâce à la souveraineté - je dis
bien "la souveraineté" - il y a aura un État, et un seul. Et
c'est avec cet État que traitera l'immigrant. Cet État aura une
langue officielle, et une seule. C'est cet État, c'est cette langue
qu'entendra l'immigrant. Cet État souverain constituera, en fait,
majoritairement et de façon indiscutable cette fois-là, la langue
française et le peuple francophone du Québec, et c'est ce que
comprendra l'immigrant. Cet État disposera d'une citoyenneté, et
d'une seule. C'est cette citoyenneté que réclamera l'immigrant et
qu'il obtiendra, grâce à sa connaissance du français,
à l'occasion d'une cérémonie de naturalisation qui sera
conduite de bout en bout en français. Cette citoyenneté, ce lien
juridique qui le rattachera au Québec et à nul autre, renforcera
son adhésion à la langue du Québec. Cet État, du
reste, l'immigrant le voyait déjà de chez lui. C'est cette partie
bleue d'une Amérique autrement rouge. Cet État, l'immigrant le
connaissait déjà puisqu'il a entendu sa voix à l'ONU,
à l'OCDE et ailleurs. Cet État, il en connaissait
déjà l'adresse par ses services, ses consulats, ses ambassades.
C'est cet État, et nul autre, qui l'aura choisi, qui l'aura
invité à venir ici. C'est cet État, et nul autre, qui
l'aura accueilli et aidé à s'installer. C'est cet État, et
nul autre, qui lui aura assuré sécurité judiciaire,
protection sociale, dignité culturelle. C'est cet État, et nul
autre, qui l'aura reconnu comme citoyen et qui lui aura donné ses droits
politiques. Bref, c'est cet État, cet État du Québec qui
l'aura reconnu dans toute sa dignité et dans toute sa
liberté.
Comment, dans ces conditions, l'immigrant pourrait-il rester
fermé à pareille sollicitude? Comment ne choisirait-il pas
d'emblée la langue de ce pays? Comment ne ferait-il pas du
français la clé de son intégration à lui et,
pourquoi pas, si ceux-ci le souhaitent, celle de l'assimilation de ses enfants
et de ses petits-enfants? Québec, État souverain! Voilà
notre conclusion. Seul un État souverain dispose des moyens et de la
crédibilité pour proposer un contrat moral, ce contrat moral dont
parle l'énoncé de politique. Québec, État
souverain, seul un État souverain
nous permettra à nous, Québécois et
Québécoises, de proposer aux immigrants non pas un simple lieu
d'accueil, mais bel et bien un pays à bâtir ensemble. Mesdames et
messieurs, M. le Président, Mme la ministre, je vous remercie.
Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup. Mme la ministre,
vous voulez engager le dialogue?
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. Bouthil-lier. Votre mémoire
s'adresse non seulement au gouvernement mais également aux
immigrés et aux gens du pays. Et je veux souligner le message
d'inclusion que vous adressez aux Québécois des
communautés culturelles. Il m'ap-paraît en effet important que des
organismes comme le vôtre, qui sont dédiés à la
promotion du fait français et de l'identité nationale, se
montrent ouverts à la diversité et fassent aussi la distinction
entre un Québec français, d'une part, et un Québec
monoethnique et culturelle-ment homogène, d'autre part. Je pense qu'il
faut se rappeller qu'il y a un certain temps où les organisations
patriotiques percevaient les immigrants comme une menace, et vice versa, et je
pense qu'avec des interventions comme la vôtre cette époque,
heureusement, tire à sa fin. C'est ce qui contribue, finalement,
à améliorer les relations intercommunautaires, et je vous en
remercie.
Dans le contrat moral inclus dans l'énoncé de politique,
autant nous affirmons clairement le statut du français comme langue
commune de la vie publique, autant nous affirmons le droit à
l'égalité, à la pleine participation des
Québécois des communautés culturelles. Nous
réaffirmons aussi le pluralisme comme une valeur
québécoise. Et, concernant le pluralisme culturel en particulier,
nous rejetons le modèle de la mosaïque culturelle, mais cependant
nous voulons faire la promotion de l'apport culturel des immigrants à la
culture commune, considérant que c'est un enrichissement. Faites-vous la
distinction entre la culture commune, incluant le français et les
valeurs consacrées dans les lois, à laquelle on peut demander
à un immigrant d'adhérer, et la culture privée, sur
laquelle l'État n'a pas de droit de regard? Et reconnaissez-vous le
bagage culturel des immigrants comme un enrichissement?
Le Président (M. Doyon): M. Turcotte ou M Bouthillier. M.
Bouthillier, très bien.
M. Bouthillier: Oui, bien sûr, la différence entre
la langue et la culture, avez-vous dit, commune...
Mme Gagnon-Tremblay: La culture commune.
M. Bouthillier: ...et la culture privée. Oui, tout
à fait. Est-ce que l'on reconnaît le bagage de l'immigrant?
Mme Gagnon-Tremblay: Oui, le bagage comme un enrichissement.
M. Bouthillier: Je crois qu'un organisme comme le nôtre, ce
qui nous intéresse dans l'immigration, au-delà, je dirais, de
l'apport - je dis bien "au-delà", ça n'exclut pas, bien sûr
- en plus, si vous voulez, de l'apport démographique - mais nous ne
faisons pas appel à l'immigration pour venir faire ici les enfants que
nous refuserions de faire nous-mêmes - au-delà aussi de l'apport
écomonique, qui est réel, qui est important, mais dont on
n'oublie pas qu'un apport pour nous est souvent une perte pour un autre pays,
probablement, qui a des besoins plus grands que le nôtre... Ce qui nous
intéresse, je crois, la valeur, l'apport le plus précieux pour
l'immigrant, c'est dans ce qu'il est, dans ce qu'il représente, dans ce
qu'il a, ce qu'il porte dans sa tête, dans son coeur aussi. Un immigrant
vient ici avec une culture, avec une langue. Cette langue, elle a mis des
siècles à s'organiser, cette langue et cette culture ont mis des
siècles à s'organiser, se façonner. Cette langue et cette
culture ont eu besoin, sur leur territoire, à l'autre bout du monde,
pour s'organiser, pour vivre, pour être ici, pour arriver à nos
rives, d'un État, probablement d'un État national, pour
croître, grandir et vivre. Sans cet État, cette culture qui nous
vient ici par l'immigrant n'existerait pas. Sans ces siècles qu'on a
laissé passer, cette immigration, l'immigrant viendrait ici sans sa
culture.
Dans l'immigrant qui vient ici, il y a un témoignage qui nous est
rendu, à nous, dont le combat s'inscrit dans le fil des siècles
et à nous aussi, dont le combat suppose l'existence d'un État
national fort. Par ailleurs, l'immigrant... Qu'est-ce que le fait d'immigrer?
Il y a, dans l'immigration, un refus, un refus de la passivité.
L'immigrant est celui qui refuse la passivité, l'immigrant est celui qui
refuse moins la où il peut trouver mieux. L'immigrant est celui qui
refuse le ronron des habitudes, qui refuse de se plier aux habitudes de
pensée. L'immigrant est celui qui refuse de se plier au poids des choses
et souvent à la force des hommes.
Or, au coeur, à la source du combat que nous menons, il y a
exactement le même refus du ronron des habitudes, le refus du poids des
choses, le refus du poids des hommes et des systèmes politiques. Dans
notre système politique à nous, dans notre combat politique
à nous, il y a exactement la même chose que dans l'immigration, le
refus d'accepter moins quand on peut avoir plus. Quand l'immigrant vient ici,
il nous porte un témoignage et nous conforte dans notre combat et dans
la vérité de notre combat. C'est ça aussi que nous voyons
dans l'immigrant.
L'immigrant qui vient ici, son bagage, ce n'est pas simplement un
dictionnaire de langue,
c'est aussi un témoignage de vie, un témoignage de
vérité, j'allais dire un témoignage
d'éternité pour ces civilisations qui sont si anciennes et qui
viennent jusqu'à nous. Et c'est ça que nous aimons tout
particulièrement dans l'immigration.
Le Président (M. Doyon): Mme la ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Pour sensibiliser, M. Bouthillier, nos
concitoyens à l'apport culturel des Québécois des
communautés culturelles, est-ce que vous avez des moyens à
privilégier, des moyens à nous suggérer?
M. Bouthillier: Bien sûr. Enfin, j'en ai... Je suis un
citoyen comme tous les autres et tout citoyen qui s'intéresse à
ces questions peut en proposer. Les spécialistes en ont sans doute
davantage. Est-ce que l'on peut sensibiliser la communauté d'accueil, la
société d'accueil à l'immigration en ne
s'intéressant qu'à l'immigrant et qu'à la culture
immigrée? Est-ce que l'on peut faire l'impasse sur une connaissance des
pays d'origine? L'organisation, me semble-t-il, ce que j'en perçois,
l'organisation d'un certain nombre de leçons à la destination de
la société d'accueil pour mieux accueillir, mieux comprendre
l'immigrant, est-ce que cette leçon ne se fait pas à partir de la
seule culture immigrée, c'est-à-dire une culture qui, en quelque
sorte, devient presque déracinée, extirpée de ses
origines? (16 heures)
La meilleure façon d'amener les Québécois de la
société d'accueil à s'intéresser à la
culture italienne, à la culture grecque - enfin, vous les nommez -
est-ce que c'est vraiment en montrant quelle est l'histoire, quelle est la
réalité, quelle est l'implantation de l'immigration italienne
à Montréal ou l'immigration grecque ou est-ce que ce n'est pas en
passant et en rappelant ce qu'est et ce que sera toujours l'Italie et la
Grèce? Et il me semble que l'intégration de l'immigration,
l'accueil de l'immigration supposent, de la part de ceux qui les accueillent,
une vision du pays d'origine. D'ailleurs, il suffit de voir, quand le trouble
s'installe - on l'a vu récemment encore, sinon au Québec,
semble-t-il au Canada anglais et aux États-Unis - entre le pays
d'accueil et le pays d'origine, comment se réduit, comme une peau de
chagrin, la bonne disponibilité et la sollicitude de la
société d'accueil à l'endroit des immigrants qui sont
venus de ce pays lointain qui est en difficulté avec le pays d'accueil.
Alors, je crois qu'on ne peut pas faire l'impasse. On ne peut pas
éveiller l'intérêt des Québécois à la
vie des petits Arabes de Montréal si on ne leur parle pas de la
civilisation, de la culture et du monde arabe. Voilà!
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. Bouthillier.
Le Président (M. Doyon): Merci, M. Bou- thillier. M. le
député de LaFontaine.
M. Gobé: Merci, M. le Président. M. Bouthillier,
bonjour.
M. Bouthillier: Bonjour, monsieur.
M. Gobé: J'écoutais avec attention vos
élans. Avant de poser ma question, peut-être, je m'interrogeais.
Lorsque vous parlez des immigrants, vous l'employez à de nombreuses
reprises, c'est celui qui refuse un certain nombre de choses et vous semblez
avoir de l'immigrant une conception que je ne partage pas parce que,
étant moi-même immigrant, vivant dans un quartier immigrant et
étant élu à ce Parlement par une grande partie de
l'électorat qui est d'origine immigrante, je dois vous dire que j'ai
toujours eu l'impression, moi, qu'un immigrant c'est quelqu'un qui recherche et
non quelqu'un qui refuse.
Alors, très rapidement, on se rappellera que dans les
années cinquante, quarante, 1915, 1920, dépendant des guerres ou
dépendant des cycles économiques, les immigrants ont
été généralement - ceux qui venaient d'Italie, de
Grèce ou d'ailleurs, si on exclut quelques Français, une
situation peut-être un peu différente - des gens qui
étaient des enfants de familles nombreuses sur des fermes qui ne
pouvaient plus les faire vivre. Il y avait 7, 8 enfants et une petite ferme
capable pour un seul qui travaille et, généralement, les enfants
partaient travailler dans les usines en Allemagne, en Belgique, en France ou
ailleurs et quelques-uns aux États-Unis, en Argentine et, par la suite,
beaucoup plus au Canada parce que les autres pays se sont progressivement
fermés. Alors, je ne voyais pas, là, quelqu'un qui refusait des
grandes considérations intellectuelles ou autres. C'était
plutôt quelqu'un qui recherchait une job afin de pouvoir envoyer de
l'argent à sa famille qui était restée en Italie ou dans
son pays d'origine et, à l'occasion, qui s'y mariait, qui retournait
pour s'y marier, qui ramenait une femme et qui faisait des enfants s'il avait
réussi à s'établir du côté économique.
Sinon, il reprenait sa valise et il cherchait un autre endroit pour aller
s'établir.
Et une certaine partie d'immigrants, on le voit, plusieurs dizaines de
millions sont arrivés en Amérique du Nord; certains sont partis,
d'autres sont restés et ont fait souche. Alors, certains se sont
intégrés, d'autres ne se sont pas intégrés. Plus
récemment, ils ne s'intègrent pas; avant ils s'intégraient
un peu plus au niveau de la société américaine. On a vu
qu'il y avait le "melting pot". Tout ce monde s'est fondu dans une même
culture qui est maintenant la culture américaine et on comprend
pourquoi, parce que ces gens-là arrivaient avec peu de culture de leur
propre pays. Quand on sortait d'une ferme où il y avait 7, 8, 10
enfants, dans le fin fond de la Sicile ou de la Calabre ou de la
Grèce,
c'est sûr qu'on n'était pas allé à
l'École supérieure, qu'on avait une deuxième ou une
troisième année puis, à l'âge de 13, 14 ans, il
fallait partir travailler. Donc, on était beaucoup plus facilement
intégrable à la culture ambiante dans laquelle on
commençait à vivre, qui était celle de l'Amérique,
surtout si la réussite sociale était là, en plus, pour
nous encourager à y aller, réussite économique et sociale.
Ceci étant dit, vous me permettrez de ne pas être trop d'accord en
disant que l'immigrant est celui qui refuse. Moi, je dirais plutôt que
c'est celui qui recherche quelque chose, c'est le côté positif. Un
immigrant, c'est un homme positif, ce n'est pas quelqu'un de
négatif.
Vous avez parlé aussi beaucoup de la souveraineté versus
l'intégration. Pour vous, la souveraineté du Québec, c'est
primordial, c'est sine qua non pour intégrer nos immigrants. Moi, je
veux bien vous croire. Je ne partage pas forcément cette
opinon-là, mais j'aimerais ça que vous m'éclairiez. Moi,
je regarde un pays comme la France, un pays qui a beaucoup plus d'immigrants
qu'il y en a au Québec, qui est peut-être le troisième ou
le quatrième pays au monde pour l'immigration; un pays comme les
États-Unis, particulièrement la Californie, la Floride, entre
autres; un pays comme l'Allemagne, et on se rend compte qu'il y a là
beaucoup d'immigrants - aussi d'origine turque, yougoslave - et, excusez-moi,
mais ce sont des pays souverains avec des politiques souveraines,
indépendantes, avec une armée, avec des douanes allemandes, avec
des consulats allemands, des bureaux d'immigration allemands, des
fonctionnaires allemands qui ne parlent qu'une langue qui est l'allemand, qui
est le français pour les Français et qui est l'anglais pour les
Américains. Et force est de constater - et ce n'est pas moi qui
l'invente, il suffit d'aller dans ces pays-là et de s'informer un peu -
qu'en Allemagne les Turcs ne se sont pas intégrés. Loin de
là, au contraire, ils ont d'énormes problèmes. Force est
de constater qu'en Floride et en Californie on a été
obligé de mettre des lois, style loi 101, pour obliger les gens à
parler l'anglais. Force est de constater qu'en France, dans la région
parisienne, il y a, là aussi, un échec total de
l'intégration.
Alors, d'après moi, ça tient à autre chose
qu'à la souveraineté. Si ces pays qui sont souverains, qui ont
une culture très forte, qui sont des pays homogènes, en termes de
langue, n'ont pas réussi à intégrer leurs immigrants, je
ne vois pas comment le fait de faire la souveraineté au Québec
pourrait régler ces problèmes-là chez nous. Alors,
j'aimerais ça si vous pouviez m'expliquer, si eux n'ont pas
réussi, étant souverains, comment, vous, par la baguette magique
de la souveraineté ou d'un référendum vous allez
régler ce problème-là?
Le Président (M. Doyon): M. Bouthillier.
M. Bouthillier: Notre histoire de l'immigration est
différente de l'histoire de l'immigration des pays dont vous parlez. La
structure de l'immigration est différente. Les sources
géographiques de l'immigration sont différentes. Les
concentrations d'une même source, d'une même culture ne sont pas
les mêmes. Je vous entendais, et vous n'êtes pas le seul, Le Pen le
faisait aussi, parler des dangers, des difficultés, de l'échec de
l'immigration en France. On met ça sur le dos, évidemment, de
l'éloignement culturel et un certain nombre de considérations sur
l'extrémisme politique de certaines religions, etc. Je vous signale
qu'on disait très exactement la même chose, en France, en 1895, en
1905, ensuite après la guerre, dans les années trente, de
l'immigration italienne dont on estimait qu'elle ne serait pas du tout
intégrable. Il y avait, vous le savez sans doute, au rencensement
français de 1931, 800 000 personnes de nationalité italienne; 800
000 étrangers. Ça ne comprend pas les Italiens
naturalisés. 800 000, c'est-à-dire 2 % de la population. On
disait, en 1931, on disait, en 1932, on disait, en 1934, c'étaient
souvent les ligues d'extrême droite qui le disaient, mais pas seulement
elles, que cette immigration était inassimilable. Quand les Polonais
sont arrivés, il y en a eu en 1895, mais quand ils sont arrivés
en France, en 1920, en 1924, en 1925, il y avait 500 000 citoyens polonais au
recensement français de 1936, on a dit: Non, ils sont
inassimilables.
M. Gobé: Mais ma question n'est pas celle-là,
monsieur. Ma question est la suivante, c'est, excusez-moi...
M. Bouthillier: Mais, attention, il faut laisser passer le temps,
il faut laisser agir le temps. Là, les Français, Le Pen en
tête, sont paniques parce qu'ils ont l'impression qu'ils n'y arrivent
pas, mais ils ne se donnent pas le temps de le faire. Il y a 15 ou 20 ans, il
n'y avait pas cette immigration aussi importante. Laissez le temps agir. Chaque
immigration, chaque communauté culturelle, comme nous le dirions, a son
temps et a son enracinement.
Ce que je vous disais de ce que l'on disait des Italiens en France,
opposez-le aujourd'hui à Yves Montand, Italien, né en Italie;
Reggiani, Italien, né en Italie; l'archevêque de Paris, Polonais;
Krasucki, président de la CGT, Polonais. Voilà des gens qui ont
fini par s'intégrer. Il faut leur donner le temps. Il faut leur donner
le temps.
M. Gobé: Je m'excuse, M. Bouthillier...
M. Bouthillier: II faut leur donner le temps et c'est la
même chose ici.
M. Gobé: J'aimerais ça qu'il réponde
à ma question.
Le Président (M. Doyon): M. le député de
LaFontaine.
M. Gobé: Oui. O.K., je comprends votre argumentation sur
une certaine élite, là, qui s'est intégrée. Mais
moi, je vous assure, et vous le voyez vous-même, qu'il y a actuellement,
et ne pas le voir c'est se boucher les yeux... Quand même vous feriez des
retours dans l'histoire, c'est bien beau, on la connaît tous.
Actuellement, et depuis une quinzaine, une vingtaine d'années, il y a,
en région parisienne, en région de Francfort en Allemagne et dans
le Sud des États-Unis, et cela n'a rien à voir avec les partis de
droite américains ou qui vous voulez, là - je ne sais pas quelle
salade vous voulez mélanger - il y a des problèmes. Et on se rend
compte que, lorsque les gens sont dans une trop grande concentration, ils ne
s'intègrent pas à la culture ambiante.
Et je m'excuse, en terminant, j'aimerais que vous répondiez,
parce que je pense qu'on n'a pas beaucoup de temps. On sait que la grande
majorité de cette immigration vient s'établir dans la
région de Montréal, d'accord. On sait que ça prend un
certain nombre de mesures pour les intégrer et qu'on va les amener, mais
je ne vois pas en quoi le fait que le Québec, demain, soit souverain,
ça va régler notre problème. Ma question ce n'est pas
l'histoire de la France, là. Ma question c'est ça: En quoi de
plus, pourquoi, si eux n'ont pas réussi, nous, on va réussir
comme ça, demain matin?
Le Président (M. Doyon): Brève réponse M.
Bouthillier.
M. Bouthillier: Oui. Parce que je ne suis pas pessimiste...
M. Gobé: Ah bon!
M. Bouthillier: ...et que je suis souverainiste, et que je sais
qu'avec la souveraineté, je disposerai de plusieurs instruments dont je
ne dispose pas et, notamment, de la possibilité de faire un message
clair. Il n'est pas facile d'inviter cet immigrant à venir
s'intégrer à notre société quand il y en a une
autre sur la place, au milieu de la place qui crie plus fort que nous et qui
l'appelle dans une autre direction que celle vers laquelle je l'appelle.
Le Président (M. Doyon): Merci, M. Bouthillier. M. le
député de Sainte-Marie-Saint-Jacques.
M. Boulerice: Oui. Eh bien, M. le président, cher monsieur
Turcotte, je suis vraiment très heureux de vous accueillir à
cette commission. Je vous avoue que j'aimerais bien commencer le débat
avec mon voisin d'en face, M. le député de LaFontaine, qui a
donné une version un petit peu, à mon point de vue,
tronquée des problèmes d'immigration en France et en Allemagne.
J'aimerais lui rappeler que son pays d'origine a un passé colonial lourd
et que l'immigration à laquelle il fait allusion a été -
et n'ayons pas peur des mots - l'importation d'une immigration dite de "cheap
labor". Et dans le cas de cette Allemagne, bien, il faut dire que les Turcs
sont toujours là à titre de travailleurs immigrants mais n'ont
pas, je crois, la citoyenneté.
Ceci dit, M. Bouthillier, bien souvent, des esprits étroits ont
voulu déformer les interventions des mouvements nationalistes en
biaisant leurs propos pour les taxer d'ethnocentriques. Il y a, dans le
mémoire que vous nous avez présenté, une dimension qui, je
l'espère, va les faire taire à jamais. Et je note d'ailleurs avec
une certaine satisfaction que l'actuelle ministre a, à l'égard du
Mouvement Québec Français, une attitude plus ouverte ou plus
raisonnable qu'une de ses prédécesseures qui, malheureusement,
vous avait fait l'injure, en cette salle même, de vous poser des
questions et se refusant à tout dialogue avec vous. Je pense que cela
mérite d'être rappelé et de souligner que l'actuelle
ministre, heureusement, n'a pas le comportement d'une de ses
prédécesseures.
Ceci dit, M. Bouthillier, vous avez insisté, et c'était au
tout premier moment de votre énoncé, en disant que nous restions
frustrés de l'honneur d'être celui par lequel se réunissent
des familles, etc. Et vous avez souhaité expliciter davantage ce point.
J'aimerais bien que vous le fassiez.
M. Bouthillier: C'est-à-dire que voilà, on
revient...
Le Président (M. Doyon): M. Bouthillier.
M. Bouthillier: Oui, merci. On revient à notre État
de tout à l'heure, notre demi-État ou notre État complet
de tout à l'heure. L'État qui ouvre la porte à l'immigrant
est un État qui frappe l'imagination de cet immigrant. L'immigrant ne
peut pas rester insensible à cette main qui lui est tendue. Et
l'immigrant qui se verra accueillir, l'immigrant, le travailleur
indépendant qui se verra accueillir demain, par l'État du
Québec, ne pourra pas rester insensible au message, à la
signification, à la volonté collective que sous-tend
l'État du Québec. Il en va de même pour toutes les
catégories d'immigration. C'est un honneur pour le Québec
d'accueillir le travailleur indépendant et de l'inviter à venir
ici et il a cet avantage sur l'autre État que c'est lui qui a fait
l'invitation. Or, dans le cas de la réunification des familles,
c'est-à-dire, en fait, la réunification des familles de ceux qui
sont déjà là, pour l'essentiel, cette sélection et
ce recrutement se fait par un autre État que je ne nommerai pas.
En ce qui concerne le réfugié, c'est la
même chose. Essayons de nous imaginer ce que c'est que
d'être un réfugié. On fuit des régimes, on fuit des
situations difficiles. Le pays qui vous ouvre la porte, le pays qui vous tend
la main est un pays qui vous a atteint au coeur, est un pays qui a
déjà une place particulière dans votre coeur.
L'État qui va donner à ce réfugié ses papiers -
l'importance des papiers pour un immigrant, surtout pour un
réfugié - celui qui va dire: Vous êtes citoyen, bien, selon
que vous direz à cet immigrant: Vous êtes citoyen canadien, ou que
vous lui dites: Vous êtes citoyen québécois, la perception
n'est pas la même pour cet immigrant. L'immigrant qui se fait dire, et,
forcément, tous les immigrants se le font dire, c'est ça, la
réalité d'aujourd'hui: Vous êtes citoyen du Canada, ne peut
pas rester insensible au message canadien, au message politique canadien. Le
jour où il y aura un Etat du Québec, un État du
Québec complet avec l'armature de tous les instruments à la
disposition des États pour intégrer, qui dira: Voilà,
venez chez moi, c'est moi qui vous accueille et c'est moi qui ferai de vous un
citoyen, c'est moi qui vous donnerai vos papiers, vous, heimatlos, c'est moi
qui vous donnerai refuge, vous, réfugié qui êtes
persécuté dans votre pays, vous pensez que l'immigrant, vous
pensez que le réfugié, vous pensez que le heimatlos resterait
insensible au message et à la signification que nous essayons de lui
faire? Alors, l'État du Québec l'invite, en fait son citoyen et
il resterait insensible à la volonté politique, à la
volonté culturelle, à la volonté identitaire de
l'État du Québec? Moi, je ne le crois pas. (16 h 15)
Moi, j'appartiens à la catégorie des optimistes qui sont
convaincus que, lorsque vous aurez fait d'eux des citoyens du Québec,
ils joueront le jeu du Québec et le jeu de la langue du Québec.
Du reste, s'il y a une chose que nous pouvons tous souhaiter - je suis
sûr que nous la souhaitons autour de la table - c'est que, lorsque
l'identité, notre identité nationale sera fondée sur une
citoyenneté claire, on cessera de s'intéresser au pays d'origine
des gens. Quand les gens seront ici, quand les hommes vivront au Québec
et qu'ils auront décidé de vivre au Québec et de faire du
Québec leur pays, de devenir citoyens du Québec, il nous sera
totalement indifférent de savoir si eux ou leurs
prédécesseurs venaient de tel ou tel ou tel autre pays. Les
origines ne nous intéresseront plus. Nous allons même probablement
cesser cette très fatigante - mais très profondément
ancrée dans nos habitudes, mauvaises habitudes - habitude que nous avons
de nous cataloguer en francophones, anglophones, al-lophones et autres
"phones". Et ça, si on le fait, et c'est dans nos structures mentales et
dans notre structure nationale depuis des générations et des
générations et je dirais même probablement depuis deux
siècles, et vous voyez pourquoi deux siècles... Quand nous aurons
établi, nous, peuple du Québec, notre identité sur une
identité juridique qui est celle d'une citoyenneté, nous ne
voudrons plus savoir ça et nous allons jeter toutes ces choses
par-dessus bord.
J'espère une chose, que nous allons abolir cette habitude, qui
est très canadienne - vous la trouvez dans Statistique Canada - cette
très profonde et malvaillante et malsaine habitude pour un État
de venir, tous les cinq ans, chez moi, me demander quelles sont mes
mensurations linguistiques. L'État canadien vient me demander, à
tous les cinq ans, quelles sont mes mensurations linguistiques, ethniques et
religieuses. Moi, j'ai hâte qu'on cesse. Et le jour où nous aurons
fondé l'État du Québec, la citoyenneté du
Québec, qu'on ne demandera plus aux gens d'où ils viennent, il
faudra savoir qu'ils sont ici et ça nous suffira. Merci.
M. Boulerice: M. Bouthillier, je vais aller à une
deuxième et dernière question, puisque mon collègue, le
député de Masson, aimerait beaucoup intervenir, c'est un sujet
qui le passionne, également. Bon, écoutez, depuis dimanche soir,
je pense que les choses sont très claires. On est devant un
énoncé gouvernemental. Le premier ministre du Québec a
fait état de sa préférence, etc. Donc, ce sera un pouvoir
partagé dans un État fédéral à renouveler.
À renouveler, et je laisse trois points de suspension. Vous dite»,
en page 6: "D'où les limites de ce document: un demi-État peut-il
proposer autre chose que des demi-mesures?" Quels seront les effets
néfastes, d'après vous, des demi-mesures que vous avez pu
remarquer dans ce document?
M. Bouthillier: C'est-à-dire, au mieux, un
demi-résultat. Des efforts considérables, une énergie
considérable, une bonne volonté incroyable de la part des hommes
et des femmes politiques, de la part des appareils, de la part administrative,
de la part de toute la société, mais un résultat
très moyen, relatif et qui tardera à venir et qui ne pourra pas
ne pas - et c'est là que c'est inquiétant - entretenir
l'inquiétude. On a dit tout à l'heure que notre message
s'adressait aux immigrés, et c'était un message de bienvenue au
pays d'accueil, aux gens du pays, comme on a dit, en leur disant:
Rassurez-vous, une immigration bien intégrée, bien
encadrée, bien organisée, jouera le jeu du Québec. Mais,
tant qu'on n'aura que des demi-mesures, on entretiendra l'incertitude, le
doute, et ça, c'est très dangereux.
Notre histoire est exemplaire sur ce plan-là et vous avez eu
raison, tout à l'heure, monsieur, de la distinguer, cette histoire, de
l'histoire d'autres pays. Nous sommes un pays jusqu'à maintenant
à l'abri des excès xénophobes, appelons-les ainsi d'une
litote. Et je crois que nous sommes un des pays où il y en a le moins et
nous sommes, sur ce pian-là, exemplaires. Mais il ne faut pas tenter le
diable. Dans aucun
pays... Ce qu'il faut faire, c'est nous donner tous les instruments dans
notre jeu, pour faire comprendre à tout le monde, urbi et orbi, dans
notre société, que nous disposons des moyens pour encadrer,
organiser, intégrer, ce qui enlèvera à toute tentative
xénophobe la moindre raison d'être. C'est pour ça que ces
demi-mesures m'inquiètent pour un avenir, qui n'est pas prochain, mais
qui sait ce qu'il adviendra dans 10 ans, 15 ans ou 20 ans.
Le Président (M. Ooyon): M. le député de
Masson.
M. Blais: Merci beaucoup, M. le Président. Je vous
félicite pour votre rapport. D'abord, j'aimerais dire qu'au
Québec la majorité, peuple francophone, est la seule
majorité française de souche hors France, dans le monde entier.
Et ça donne à cette majorité sur notre territoire une
certaine responsabilité différente d'autres immigrants sur
d'autres territoires. Et un mythe, on dit souvent que nous sommes un peu
xénophobes, les francophones. Je suis fatigué d'entendre
ça. Et c'est surtout charroyé par les adversaires de la
francophonie. Une chose que je tiendrais à souligner, ici, les
immigrants sont excessivement bien reçus par les francophones, beaucoup
mieux même qu'en France. En France... Si j'émigre en France, moi,
même si je suis un parlant français, je n'ai pas le droit, selon
la loi, de me présenter à une élection parce que je ne
suis pas né sur ce territoire. Et on n'a pas le droit d'être
député français si on n'est pas né sur le
territoire. C'est vrai. Et chez nous, regardez, même au Parti
québécois, nous avons eu un, M. Payne, qui est né en
Angleterre, un M. Alfred, qui, en plus, était Noir et on en était
fiers. Il y en a quelques-uns de l'autre côté. Et on a vu M.
Lincoln, etc. Et je suis fier que des immigrants puissent venir, même
s'ils ne sont pas nés ici, et, arrivés tout dernièrement -
des fois, ça ne fait que 7, 8, 10 ans qu'ils sont arrivés parmi
nous - on les élit députés. Si on élit quelqu'un
député, est-ce qu'on peut traiter les électeurs de
xénophobes? Il y a une limite à traiter les francophones de
xénophobes. Bon! C'est ce que je voulais dire. Nous ne sommes pas des
xénophobes, nous acceptons à bras ouverts les immigrants.
Vous dites, dans votre rapport, que vous êtes assez fiers de
l'énoncé de politique, en gros, là, mais il faut tout de
même se dire que ce n'est qu'un énoncé, ça n'a rien
de constitutionnel, quand même, au départ, et vous vous
méfiez d'Ottawa, que vous dites, à cause de la loi C-72 qui
oblige d'être bilingue dans des institutions... Bon! Je vais vous
demander une question assez directe. Vous devriez peut-être avoir une
crainte aussi, pas juste d'Ottawa, mais du gouvernement actuel du
Québec, devant cet énoncé de politique. Le gouvernement
actuel du Québec a fait une loi qui s'appelle 178, qui est loin
d'être un bijou de québécitude ou de
québécité, et cette loi-là, où il
détient les pleins pouvoirs, il ne la fait même pas appliquer
depuis qu'elle est votée. Surtout dans l'Outaouais, etc., il y a des
villages complets qui n'annoncent qu'en anglais à l'extérieur.
Comment peut-on faire confiance... Vous dites que vous ne faites pas confiance
à Ottawa. Comment peut-on faire confiance à ce gouvernement
actuel qui ne fait pas observer ses propres lois, la loi 178, depuis le temps
qu'elle est passée, et qui en a le plein pouvoir et qu'on ne lui passe,
en dehors de la constitution, qu'une sorte d'entente pour aider à ce que
les immigrants viennent avec la majorité francophone, et vous leur
faites confiance pour ce faire? J'aimerais avoir votre opinion sur
ça.
Le Président (M. Doyon): M. Bouthillier.
M. Bouthillier: Le Mouvement Québec Français fait
confiance et fera confiance à tous ceux qui prendront les moyens pour
arriver à un objectif. L'objectif qui est devant nous, qui est devant
notre société, qui est un objectif qui nous sollicite tous, c'est
celui de la québécisa-tion, celui de l'intégration d'une
immigration qui ne cessera de venir et de grandir. Les seuls moyens que nous
apercevons d'assurer l'intégration, la québécisation de
l'immigration, c'est par les pleins pouvoirs sur l'immigration, les pleins
pouvoirs sur l'ensemble des instruments dont une société doit se
servir pour assurer l'immigration. Ce n'est pas parce que d'autres ont pu ne
pas réussir pour d'autres raisons que nous devrions déclarer
forfait avant même d'avoir essayé. Ça, ce n'était
pas à votre attention, c'était à l'attention d'un
intervenant antérieur. Et les pleins pouvoirs, la pleine disposition de
tous les instruments indispensables pour réussir... Tout gouvernement,
quels que soient, par ailleurs, son histoire, ses espoirs, ses tares, ses
défaillances, tout gouvernement, tout parti qui aura compris qu'il n'y a
pas de résultat sans les pleins pouvoirs - et les pleins pouvoirs, nous
savons comment ils s'appellent dans notre société d'aujourd'hui,
c'est ainsi que nous les avons appelés dans notre mémoire, c'est
la souveraineté - ce gouvernement aura notre confiance.
Le Président (M. Doyon): Merci. M. le député
de Masson.
M. Blais: Écoutez, je vais être un peu plus direct,
si vous me permettez. L'immigrant qui arrive ici et qui voit un affichage
unilingue anglais à l'extérieur, malgré la loi 178,
comment voulez-vous que par cet énoncé de politique
d'intégration on ne soit pas contradictoire dans son application? Juste
une seconde... Alors, je dis: Si le gouvernement en place ne fait pas respecter
une loi où il a pleine autorité, et non pas juste une lettre
administrative de bureaucratie entre deux gouvernements, qu'il ne
détient
pas sa force dans la constitution pour ce faire et qu'il n'a pas la
volonté de faire observer cette loi-là, comment on peut avoir
confiance qu'il fasse respecter cet énoncé?
Le Président (M. Doyon): Une brève réponse,
M. BouthRIier.
M. Bouthillier: J'ai envie de vous dire que vous prêchez
à un converti. Il y a la loi 178, mais il y a aussi la loi 142. Comment
voulez-vous qu'un immigrant comprenne que le pays est un pays de langue
française si, quand il va dans un hôpital, il a le choix entre les
deux langues? Comment voulez-vous... Au fond, les lois ont leur symbole. Une
loi, c'est ce qui est au sommet de la hiérarchie d'un pays, d'un
État. Les lois de ce Parlement sont écrites obligatoirement en
anglais. On a voulu les changer, on nous a interdit de le faire. L'immigrant le
sait. L'immigrant qui recevra ses papiers - je me répète -
l'immigrant qui recevra sa citoyenneté, la recevra d'un État qui
s'exprimera, lui, en anglais. Cet État n'exigera pas de lui qu'il
connaisse le français. Cet Etat n'exigera pas... Dans tous les pays du
monde, pour devenir citoyen, on exige la connaissance de la langue du pays,
mais, quand il y en a deux, vous avez le choix. Voilà, très
concrètement, très concrètement, un instrument qui serait
une incitation formidable à l'immigrant à choisir notre langue.
Bien sûr qu'il y a des incitations qui vont dans l'autre sens. On le
sait, le marché du travail, encore, parce que tout n'a pas encore
été fait, les communications, la présence en
Amérique du Nord, tout ça. Mais si on lui disait: Écoutez,
vous, vous voulez avoir vos papiers? Pourquoi ne passeriez-vous pas par le
français? Ce serait une incitation formidable! Vous savez, pour un
réfugié, les papiers ça vaut bien une job. Et il les veut,
ses papiers, et si on lui dit: Bien, l'accès aux papiers, ça
passe par la connaissance du français, et vous serez citoyen... Mais on
ne le fait pas, puisqu'il a le choix. Il a le choix. Et c'est ça qu'il
faut combattre. C'est ces structures-là qu'il faut combattre et aussi,
bien sûr, pour revenir à votre question, il ne faut pas... Il ne
faut de demi-mesures ni en matière d'immigration, ni en matière
de langue. Et des demi-mesures, malheureusement, il y en a encore dans le
paysage linguistique.
Le Président (M. Doyon): Merci, M. Bouthillier. M. le
député de Sainte-Marie-Saint-Jacques, peut-être, en
conclusion.
M. Boulerice: Oui. Eh bien, de tout ce que vous avez dit, je
pense que bien des choses sont à retenir. Et, en vous saluant, je
préciserai que, si j'ai bien lu, votre mouvement, qui est une
gigantesque convergence, votre mouvement appuie sans réserve le projet
de loi 91 qu'a déposé l'Opposition officielle à l'effet
que le français soit langue de travail de toute entreprise de moins de
50 employés, ce qui toucherait au-delà de 100 000 commerces,
petites entreprises à travers le Québec d'où, j'ose
l'espérer, votre appui dans le sens de pression, pour que le
gouvernement mette ce projet de loi à ce que nous convenons d'appeler le
menu législatif et que, solidairement et conjointement, il le vote avec
l'Opposition officielle. M. Turcotte, M. Bouthillier, je vous remercie de votre
présence à cette commission, et au plaisir de vous revoir.
Le Président (M. Doyon): Mme la ministre, vous avez la
parole, en conclusion.
Mme Gagnon-Tremblay: Oui, pour le mot de la fin, M. le
Président?
Le Président (M. Doyon): Oui.
Mme Gagnon-Tremblay: Je voudrais vous remercier, M. Bouthillier,
et je reviens juste un peu sur la loi 142. Je ne pense pas que c'est une
question purement linguistique, c'est davantage, pour moi, une question de
dignité humaine, et je pense que jamais personne ne me fera dire qu'il
est souhaitable qu'on impose une langue à un individu lorsqu'il est en
état de faiblesse ou malade. Et je pense qu'on ne peut pas non plus,
à une personne qui est ici et qui a 80 ans et qui n'a jamais eu la
chance d'apprendre notre langue, surtout lorsqu'elle est malade, lui imposer
cette chose. Mais, de toute manière, écoutez, je veux vous
remercier pour la présentation de votre mémoire et, je veux le
répéter aussi, vous féliciter à nouveau. Je l'ai
mentionné au tout début, et je trouve ça très
heureux, justement, de voir qu'une organisation patriotique comme la
vôtre se montre très ouverte à la diversité, et je
veux vous féliciter à ce niveau-là. Merci beaucoup.
Le Président (M. Doyon): Merci, MM. Bouthillier et
Turcotte. Nous vous remercions d'avoir pris la peine de venir nous
rencontrer.
J'invite maintenant, en vous demandant de vous retirer de la table, s'il
vous plaît, les gens qui vous suivent, la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal, à bien vouloir nous faire
l'honneur de s'approcher, de prendre place en avant. Je pense que les personnes
qui vont parler au nom de la Société Saint-Jean-Baptiste sont M.
Jean Dorion, Mme Louise Laurin et M. Ferdinand Prémont. Vous pouvez donc
vous présenter et procéder dès maintenant à la
lecture de votre mémoire ou de son résumé pour une
vingtaine de minutes, les deux formations politiques disposant d'un temps
équivalent pour engager le dialogue avec vous et vous poser un certain
nombre de questions. Donc, nous vous écoutons, et je serai
remplacé à la présidence par mon collègue de
LaFontaine. (16 h 30)
Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal
M. Dorion (Jean): Merci, M. le Président. Mme la ministre,
Mrnes et MM. les membres de la commission, vous trouverez au début de
notre mémoire un résumé de ce qu'est la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Nous y partons de
nos réalisations dans l'ordre économique, culturel, social, etc.
Mais je m'en voudrais de ne pas souligner au passage ce que la
Société a fait comme initiative de rapprochement entre les
Québécois de vieille souche et ceux d'autres origines.
À maintes reprises, au cours de son histoire, et tout
récemment encore, que ce soit en donnant des cours de français
aux requérants du statut de réfugié refoulés par
les COFI, en organisant des expériences de compagnonnage pour les
réfugiés ou encore en associant les membres de minorités
ethniques aux célébrations de la fête nationale, comme cela
s'est fait sur une très vaste échelle, le 25 juin dernier, la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal a
été et demeure une société nationale ouverte aux
Québécoises et aux Québécois de toutes origines.
Tout récemment encore, nous avons accordé notre appui technique
et financier à un projet de francisation mis sur pied par des immigrants
latino-américains. La Société est d'autant plus heureuse
de se présenter devant cette commission, M. le Président, qu'elle
avait fortement insisté, lors de la demande d'avis concernant les
niveaux d'immigration souhaitables en 1990, pour que toute la question
démographique, y compris l'immigration et la politique familiale, fasse
l'objet d'un vaste débat public. Même si la présente
consultation n'embrasse pas l'ensemble de la question, comme nous le
souhaitions alors, nous saluons avec satisfaction l'invitation à
débattre de l'énoncé de politique en matière
d'immigration et d'intégration.
Cet énoncé, il représente, M. le Président,
la première tentative d'un gouvernement québécois de
définir une politique globale de sélection et
d'intégration des immigrants. Il contient, je tiens à le dire, de
très bonnes idées, et nous tenons à saluer cet effort
malgré les lacunes importantes que nous y décelons et dont nous
parlerons plus loin.
Avant de faire l'analyse des principales recommandations de
l'énoncé, il nous semble pourtant important de rappeler quelques
données fondamentales ainsi que les conclusions de quelques
études récentes, aussi bien sur l'évolution
démographique du Québec que sur sa capacité
d'intégration. Nous ferons ensuite connaître nos recommandations,
tant sur le plan de la politique d'immigration que sur le plan de la politique
d'intégration.
J'ai souligné le très grand mérite de
l'énoncé de politique, premier effort sérieux d'une
politique globale d'immigration au Québec. Parlons maintenant de
certaines lacunes. À notre avis, l'énoncé ne pose pas la
question du rôle de l'immigration dans l'évolution
démographique de tout peuple. Malgré quelques
références à la capacité d'accueil du
Québec, on croirait que ses auteurs ne se sont pas interrogés non
plus sur les (imites que le contexte nord-américain et, surtout, le
cadre constitutionnel canadien imposent à la capacité
d'intégration du Québec français.
Je vous invite à consulter le tableau de la page 5 qui montre que
la part du Québec, dans la population de l'ensemble du Canada, a
diminué considérablement depuis 1871, passant de plus de 32 %
à 25,8 % en 1986 et on sait que ce phénomène se poursuit,
bien sûr. Depuis les années quatre-vingt, l'effet de la chute de
la natalité se faisant fortement sentir, la part du Québec dans
la population canadienne est maintenant en chute libre. Au même moment,
le Canada annonce et met en place une politique d'accroissement important de
l'immigration, allant jusqu'à 250 000 immigrants par année, et on
a parlé même récemment de 300 000.
Et, bien sûr, si le Québec ne suit pas la politique
d'Ottawa et n'essaie pas d'avoir le quart de ces immigrants,
c'est-à-dire autant que son poids relatif dans le Canada, sa part de la
population canadienne va continuer à chuter. Que faire?
L'énoncé propose de réclamer ce qu'il appelle notre part
de l'immigration canadienne, soit 55 000 immigrants par année et
éventuellement davantage, pour assurer le redressement
démographique, c'est-à-dire le rajeunissement de notre population
et aussi le maintien de notre part dans la Confédération
canadienne. Bien sûr, le poids démographique est important. Mais
en l'occurrence, la stratégie proposée ne tient compte que de la
politique canadienne. Ce ne sont donc pas d'abord nos besoins ni nos
capacités d'intégration heureuse des nouveaux venus qui la
dictent, mais la peur que nous ne fassions plus le poids dans le Canada.
Parions du déclin démographique d'abord. L'immigration
peut-elle l'empêcher? Non. Au mieux, bien sûr, elle peut le
retarder. Pourquoi? Tout simplement parce que les immigrants ne sont pas tous
des enfants et que les adultes immigrants ne tardent pas à adopter le
comportement de reproduction du pays d'adoption et ce,
généralement, dès la deuxième
génération. Bien plus, une forte immigration aujourd'hui
appelée à remplacer les enfants que nous ne faisons pas et
adoptant rapidement nos comportements de reproduction devient elle-même
âgée, nécessite à son tour le soutien de
générations plus jeunes et appelle donc une nouvelle vague
d'immigration encore plus forte. On se doit donc de conclure que l'immigration
n'est pas une panacée au vieillissement de la population, même si
elle est un remède immédiat à la perte du poids
démographique du Québec dans le Canada.
Par ailleurs, les autres enjeux liés à une très
forte immigration sont si importants dans le
contexte constitutionnel où nous vivons qu'il nous faut en
regarder tous les aspects pour être en mesure d'assurer aux immigrants
que nous pourrons les accueillir et les aider à s'intégrer
harmonieusement à leur nouvelle patrie. La capacité
d'Intégration du peuple québécois est limitée en ce
moment, dans le contexte où nous vivons. Il nous faut aussi
considérer, en particulier, avant de fixer le nombre d'immigrants dont
nous avons besoin, que cette capacité est limitée par le
contexte, comme j'ai dit et, bien sûr, à la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal, lorsque nous disons cela, cela ne nous
empêche pas d'être convaincus qu'outre le nombre les immigrants
peuvent apporter beaucoup à une société.
Nous sommes convaincus que de grandes nations comme la France et les
État-Unis, par exemple, n'auraient pas pu donner autant au monde sans
l'influx constant de nouveaux ressortissants qu'elles ont reçus des
quatre coins du monde. Pendant longtemps, le Québec français a eu
tendance à se replier sur lui-même et à regarder les
nouveaux venus avec suspicion. Les Québécois ne devraient pas
hésiter à reconnaître leurs erreurs passées à
cet égard. Cependant, ce serait ma) évaluer les causes
réelles de ces erreurs que de les attribuer à une
inhospitalité congénitale de nos compatriotes. En fait, cette
réserve de nos compatriotes est plutôt liée au fait que, de
tout temps, l'Immigration au Canada a été un instrument puissant
d'anglicisation du pays et je pense que le texte de Lord Durham sur le sujet,
que cite notre mémoire en pages 8 et 9, est assez éloquent
à ce sujet. Bien sûr, non seulement cette méfiance
historique des Québécois est justifiable lorsqu'on examine les
antécédents de la politique d'immigration canadienne mais aussi
il faut tenir compte que non seulement cette immigration a eu pour objet
d'angliciser le Canada et d'augmenter sa majorité anglophone mais que,
par ailleurs, le gouvernement fédéral, dans ses politiques
d'accueil et d'intégration des nouveaux venus allophones au
Québec, n'a jamais conçu de mesures correctives pour contrer la
tendance naturelle de ceux-ci à choisir l'anglais et, bien sûr, le
contraire étonnerait.
L'immigration a favorisé jusqu'ici la langue anglaise au
Québec. Nous donnons des chiffres à ce sujet en page 9 de notre
mémoire qu'on pourrait résumer en disant qu'à peu
près 70 % des personnes de langue maternelle autre que le
français ou l'anglais qui abandonnent l'usage de leur langue maternelle
à la maison pour passer à l'une des deux langues officielles du
Canada, 70 % de ces personnes au Québec optent pour l'anglais. Le cas du
Québec est unique en Amérique à cet égard. Aux
États-Unis, par exemple, la langue parlée à la maison par
plus de 95 % de la population est l'anglais. Au Brésil et en Argentine,
c'est le portuguais et l'espagnol respectivement, avec des pourcentages au
moins aussi élevés. Or, il est bien connu que les personnes
d'origine anglaise ne sont plus qu'une minorité aux États-Unis;
il en est de même pour celles d'origine portuguaise au Brésil ou
espagnole en Argentine. Mais, dans chacun de ces trois pays, les immigrants
venus de tous les coins du monde ont adopté rapidement la langue du
groupe européen fondateur. Ce groupe a eu la sagesse et, faut-il le
dire, surtout le pouvoir d'établir dès le début les
règles du jeu. L'immigration, au lieu de jouer contre lui, a joué
pour lui en augmentant sans cesse le nombre de ceux qui partagaient sa
langue.
Au Québec, le processus, vous le savez, est absolument
inversé; la population est en grande majorité d'origine
française et cette situation, cet état de fait existe depuis des
siècles, mais on assiste à l'adoption de l'anglais par la
majorité de ses immigrants. Est-ce une coïncidence si cette
situation anormale, injuste et unique en Amérique se produit
précisément sur le territoire du seul peuple qui, sur notre
continent, a adopté le bilinguisme ou plutôt, bien sûr, qui
se l'est fait imposer?
Bilinguisme des institutions fédérales, d'abord, "English
or French, the choice is yours, the pleasure is ours" disent les petites
affiches rouges et bleues de nos aéroports et de tous les bureaux
fédéraux à nos immigrants qui n'en demandent pas tant mais
tirent vite leurs conclusions. Bilinguisme de nos lois et de nos cours,
fédérales et québécoises, que les constitutions
successives nous ont imposé. Et puis, le droit régissant toutes
les activités humaines, il n'est pas surprenant de voir les entreprises
utiliser l'anglais dans leurs activités clés, même internes
au Québec. Bilinguisme, enfin, de tous nos services publics
québécois qui ne fait que refléter
l'hégémonie du juridique et du commercial. Faut-il vraiment
s'étonner de ce que, 13 ans après l'adoption de la loi 101,
à peine la moitié des grandes entreprises du Québec
détiennent leur certificat de francisation, alors même qu'on sait
que la détention d'un tel certificat ne signifie pas, loin de là,
que tout le personnel y travaille en français?
Dans tous les pays d'Amérique, disions-nous tout à
l'heure, les immigrants adoptent la langue du groupe européen fondateur.
S'ils ne le font pas au Québec, c'est à cause de l'insuffisance
et de l'ambiguïté des politiques linguistiques
québécoises et les carences de ces politiques linguistiques
résultent, pour la plus grande part, du carcan constitutionnel au sein
duquel elles ont été adoptées ou grâce auxquelles
elles ont été mises en échec.
Au nom de la Constitution canadienne, la Cour suprême a
invalidé en 1979 les articles de la loi 101 faisant du français
la seule langue officielle des lois et des tribunaux du Québec. Au nom
de la Constitution canadienne, la Cour suprême a invalidé en 1988
les dispositions de la loi 101 sur l'affichage et les raisons sociales,
obligeant le Québec à invoquer la clause "nonobsant",
valide pour cinq ans seulement, d'ailleurs, ce qui nous vaudra d'aimables
débats quinquennaux. Au nom de la Constitution canadienne, la Cour
supérieure a nié le droit du Québec d'obliger les parents
à envoyer leurs enfants à l'école française dans
les cas où les parents ou leurs enfants ont déjà
reçu l'éducation en anglais au Canada. Cette décision
permet d'échapper à la loi 101 par la simple
fréquentation, sur une courte période, de l'école anglaise
privée au Québec. Elle nous laisse également sans
protection contre d'éventuelles migrations interprovinciales massives.
Bien sûr, ce n'est pas le cas en ce moment, mais il reste que lorsque
cette situation se produira, nous n'avons aucune protection dans la
Constitution contre un tel phénomène, et on ne peut même
pas invoquer la clause "nonobstant" dans ce cas. (16 h 45)
Au nom de la Constitution canadienne, enfin, se perpétue au
Québec un système scolaire confessionnel désuet qui confie
l'intégration d'une large part de la jeunesse immigrante de
Montréal à une commission scolaire contrôlée par les
anglophones. En fait, l'anglais est une langue officielle au Québec
parce que c'est une langue officielle au Canada. D'ailleurs, ceux qui, parmi
les immigrants, acceptent mal la politique linguistique du Québec
invoquent justement cette réalité. Un membre de la
Société Saint-Jean-Baptiste qui enseigne dans une école
secondaire à forte population pluriethnique ne parvient pas à
obtenir d'un grand nombre de ses élèves qu'ils parient
français à l'école. Il se fait rappeler constamment par
certains d'entre eux que nous vivons au Canada et que dans ce pays l'anglais
est non seulement l'une des deux langues officielles, mais c'est la langue de
la majorité. Ce n'est pas en restant dans le Canada que nous pourrons
changer cette perception, car, dans le Canada, elle correspond à la
réalité.
La capacité linguistique limitée du Québec elle est
illustrée, en fait... La capacité d'intégration, elle est
illustrée par une étude publiée par le ministère
des Communautés culturelles lui-même, l'an dernier, et qui montre
que l'orientation linguistique des adultes immigrés demeure, en 1986 -
et on parle d'immigrés, de personnes immigrées il n'y a pas si
longtemps - encore globalement tournée vers l'anglais à plus de
63 %. On montre aussi, dans cette étude, que l'influence de la loi 101
paraît décisive chez les moins de 15 ans nés à
l'étranger, lesquels, lorsqu'ils ont effectué un transfert
linguistique, ont choisi, dans une proportion globale de 69 %, le
français, et, de 31 %, l'anglais. Il s'agit donc d'un progrès
réel sur la situation antérieure, mais on ne peut que constater
que 31 % choisit une langue qui est la langue maternelle d'à peu
près 12 % de la population, et donc, que la part de l'immigration qui
passe au français est très inférieure à notre part
dans la population du
Québec.
Le Québec a accueilli 182 000 ressortissants étrangers
depuis 1980, soit une moyenne annuelle de 20 000 immigrants par année.
Compte tenu de l'évolution démographique du Québec et de
la capacité d'intégration des francophones, il nous semble
absolument impossible de conclure que le Québec peut doubler le niveau
de son immigration, comme le gouvernement se propose de le faire - je parle
d'un doublement par rapport à cette moyenne des dernières
années - dès cette année en se fixant un objectif de 45
000 immigrants.
Les Québécois se sont toujours montrés accueillants
pour les réfugiés. Ils sont de plus en plus conscients des
problèmes qu'entraînent, pour leur société, le
vieillissement de leur population et sa croissance trop lente, mais ils
n'accepteront pas pour autant qu'on tente de répondre à des
préoccupations de solidarité humaine ou de redressement
démographique en sacrifiant la langue française. De cela nous
sommes absolument certains.
Je vais accélérer, non pas accélérer le
débit bien sûr, mais je vais résumer davantage ce qui reste
des pages de notre mémoire, M. le Président. Je voudrais dire que
le cas montréalais nous inquiète particulièrement. Et nous
citons, en page 18 du mémoire, des chiffres qui sont
particulièrement apeurants, je pense, en ce qui concerne la faible part
des francophones dans l'augmentation annuelle de la population
montréalaise. Et, bien sûr, il semble que la capacité que
nous aurons d'intégrer dans nos écoles les jeunes allophones va
être décisive pour le maintien d'une majorité francophone
à Montréal. Or, le maintien d'une majorité francophone
à Montréal nous apparaît indispensable dans toute
stratégie d'intégration des immigrants, parce que, s'il n'y a pas
de société d'accueil majoritairement française, comment
peut-on imaginer que les nouveaux venus vont s'intégrer à une
société française qui, à toutes fins pratiques,
n'existerait pas dans bien des quartiers de Montréal?
Nous sommes particulièrement inquiets de certaines ambivalences
de l'énoncé de politique. En particulier, l'énoncé
proclame, et nous nous en réjouissons, que l'affirmation de la
collectivité francophone et de ses institutions comme pôle
d'intégration des nouveaux immigrants représente une
nécessité incontournable pour assurer la pérennité
du fait français au Québec, et que l'apprentissage du
français et son adoption comme langue commune de la vie publique
constituent des conditions nécessaires à l'intégration.
Or, un peu plus loin, on dit dans le même texte qu'il est probable et
somme toute compréhensible que certains de ces immigrants continueront
à privilégier l'intégration à la communauté
anglophone, surtout à la première génération. On va
continuer à aider les institutions anglophones à faire de
l'intégration des immigrants et on compte sur l'école pour
fran-
ciser les générations ultérieures.
Mais ce raisonnement de l'énoncé ignore trois
réalités. D'abord, beaucoup d'immigrants n'ont pas et n'auront
pas d'enfants. Ensuite, une enquête du Devoir a
démontré que, 13 ans après l'adoption de la loi 101, la
majorité des élèves immigrants anglophones
fréquentent toujours l'école anglaise à cause de trous
dans la loi et à cause de trous dans sa réglementation et
à cause, surtout, d'une attitude gouvernementale complaisante.
Enfin, dans les écoles secondaires françaises à
forte population multiethnique, les plus fervents protagonistes de l'emploi de
l'anglais à l'école se retrouvent parmi les élèves
dont c'est la langue maternelle. Cela ne surprendra pas, bien sûr.
Le Président (M. Gobé): Très rapidement, M.
Dorion.
M. Dorion: Oui, très rapidement.
Le Président (M. Gobé): Votre temps est maintenant
écoulé, mais si vous voulez conclure.
M. Dorion: Je veux mentionner un certain nombre de mesures que
nous proposons pour faciliter l'intégration des immigrants. Bien
sûr, nous sommes indépendantistes. Nous estimons que les
immigrants ne sont pas responsables de l'ambiguïté de nos positions
actuelles quant à notre identité nationale. C'est en se donnant
un État québécois francophone, un pays
québécois avec un passeport québécois, une
citoyenneté québécoise que nous offrirons à ceux
qui viennent s'établir sur notre sol un pôle d'identification
nationale sans équivoque. En attendant la souveraineté, je l'ai
déjà dit, nous préconisons qu'on maintienne le niveau
d'immigration de 1990, soit 34 000 à 36 000 entrées annuelles, ce
qui ne constitue pas un recul, bien sûr, mais un maintien à un
niveau très élevé de l'immigration, mais qui est
inférieur à ce qu'on prévoit pour cette année.
Le Président (M. Gobé): Merci, M. Bouthil-lier.
M. Dorion: Dorion, oui.
Le Président (M. Gobé): Je m'excuse. Votre temps
est maintenant terminé.
M. Dorion: Bien sûr, nous avons, M. le Président,
d'autres recommandations...
Le Président (M. Gobé): Oui.
M. Dorion: ...et il nous fera plaisir, à l'occasion
peut-être de...
Le Président (M. Gobé): De toute façon, la
commission a votre mémoire et... M. Dorion: Bien sûr.
Le Président (M. Gobé): Alors, elles sont à
l'intérieur de votre mémoire. Ne soyez pas inquiet. Nous en avons
pris connaissance ou nous en prendrons connaissance pour ceux qui ne l'auraient
pas fait.
Je voudrais maintenant passer la parole à Mme la ministre des
Communautés culturelles et de l'immigration.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. Dorion. C'est avec plaisir que
nous recevons la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
à cette commission parlementaire.
M. Dorion, à la page 44 de votre mémoire, vous recommandez
de porter la proportion de francophones, parmi les entrées annuelles,
à 50 %, tandis que l'énoncé propose 40 %. Par ailleurs,
vous recommandez, comme vous l'avez mentionné à la toute fin, de
baisser les niveaux à 35 000 entrées annuellement. Vous savez que
l'essentiel des immigrants francophones, de même que les immigrants qui
contribuent le plus rapidement à l'économie, se recrutent parmi
les indépendants, la catégorie des indépendants. Vous
savez aussi que ce sont les familles québécoises et non pas les
gouvernements qui déterminent les niveaux d'immigration familiale
à travers, bien sûr, le mécanisme du parrainage. Quant aux
réfugiés, je ne crois pas que vous recommandiez de réduire
le geste de solidarité internationale que pose le Québec, entre
autres.
Donc, pour augmenter à 50 % la part de francophones, tout en
réduisant les niveaux, il faudrait pratiquement, pour atteindre nos
objectifs, éliminer le mouvement des gens d'affaires et n'accepter que
des travailleurs indépendants francophones. Donc, ma question, c'est:
Est-ce que vous êtes réellement prêts à aller
jusqu'à sacrifier le mouvement des gens d'affaires, que vous qualifiez,
d'ailleurs, dans votre mémoire, de créateur d'emplois?
M. Dorion: Non, bien sûr, Mme la ministre ou, enfin, M. le
Président. Non, bien sûr, mais, en ce qui concerne les gens
d'affaires, nous sommes conscients qu'une augmentation du nombre global
d'immigrants ne se traduira pas par une augmentation du pourcentage de gens
d'affaires parce que, bien sûr, les gens d'affaires réussissent
à entrer. Je veux dire que lorsqu'on augmente le nombre d'immigrants,
habituellement, c'est qu'on rend les critères plus souples et, à
ce moment-là, vous allez avoir moins de gens créateurs d'emplois
et une proportion vraisemblablement plus élevée de preneurs
d'emplois.
En ce qui concerne les francophones, je pense qu'il est possible d'aller
chercher des créateurs d'emplois dans les pays francophones. Il me
semble que ça ne doit pas être impossible.
Dans le passé, une grande partie des créateurs d'emplois
que recevait le Québec venaient de pays francophones. Je sais que c'est
moins le cas maintenant. En ce qui concerne les créateurs d'emplois qui
arrivent de l'Extrême-Orient, de Hong Kong, en particulier, vous
êtes sans doute conscient, M. le Président, qu'une partie de ces
gens ne reste pas au Québec, de toute façon, et je pense qu'il y
aurait probablement possibilité d'être plus restrictif de ce
côté.
Mme Gagnon-Tremblay: M. Dorion, je ne sais pas si j'ai bien saisi
votre réponse. Vous dites que, lorsqu'on va chercher plus
d'indépendants, par exemple, pour atteindre l'objectif soit
économique ou francophone, on est un peu plus flexible, un peu plus
souple, mais la clientèle est là quand même. Par exemple,
prenez les gens d'affaires. On sait qu'à Hong Kong, entre autres, ces
personnes veulent absolument sortir avant 1997. Je pense que le travail qu'il y
a à faire doit se faire avant 1994-1995 parce qu'il sera trop tard,
finalement. Donc, je reviens encore à ma question première, c'est
qu'en limitant le niveau d'immigration ça me cause certains
problèmes dans le sens: Est-ce que je pourrai vraiment atteindre mon
objectif d'immigrants francophones et aussi, en même temps, d'immigrants
gens d'affaires? Parce que les gens d'affaires, actuellement, il faut les
prendre là où ils sont. Ils proviennent soit de Hong Kong, ils
proviennent soit de Taiwan, ils ne proviennent pas nécessairement de la
France. Alors, ces gens-là, au départ, ne parlent pas la langue
française. Est-ce qu'à ce moment-là je dois sacrifier l'un
et l'autre? Parce qu'on a également besoin de ces créateurs
d'emplois.
M. Dorion: Oui, c'est bien cela. Nous croyons que, s'il faut
sacrifier, en l'occurrence, pour avoir une proportion plus élevée
de francophones, il faudra accepter de faire en sorte qu'il y ait moins de ce
type d'immigrants dont vous parlez, dont on a certaines raisons de croire
qu'ils ne demeurent pas au Québec, de toute façon, dans une forte
proportion. Beaucoup de ces gens ne restent pas ici. Je sais que c'est un
problème...
Mme Gagnon-Tremblay: Mais vous savez cependant que nous voulons
être beaucoup plus agressifs. J'ai quand même donné un
message très clair quand je suis allée à Hong Kong,
à l'effet que nous voulons vraiment nous assurer de la motivation des
gens de demeurer ici. il y a quand même aussi des directives qui ont
déjà été transmises à nos bureaux à
l'étranger pour s'assurer que ces personnes-là, vraiment,
viennent s'établir ici. Nous avons déjà aussi
contacté, travaillé avec les consultants pour que les consultants
nous aident dans cette recherche d'immigrants qui, non seulement viendraient au
Québec, mais viendraient s'établir au Québec.
Finalement, je reviens. Dans un contexte d'arbitrage des objectifs, j'ai
plusieurs objectifs que je voudrais bien atteindre et on les retrouve dans
l'énoncé de politique. Nous avons, par exemple, l'objectif
linguistique, on a l'objectif économique aussi, celui familial d'une
part, humanitaire et, bien sûr, démographique - ça, par
contre, ça peut peut-être être discutable -de la politique
d'immigration. Quel poids relatif est-ce que vous pouvez attribuer à
chacun? Est-ce qu'ils doivent être sur un même pied
d'égalité ou s'il y en a un qui doit primer par rapport à
ces objectifs?
M. Dorion: Je répondrai à cela que, pour nous, il
est extrêmement important de maintenir le caractère
majoritairement francophone de Montréal et que cette
considération devrait primer sur beaucoup d'autres. Ça n'implique
pas qu'on ne reçoive aucun immigrant créateur d'emplois qui
serait anglophone, mais ça peut impliquer qu'on en reçoive moins
parce que c'est très important de faire en sorte que le caractère
majoritairement francophone de Montréal soit maintenu.
Mme Gagnon-Tremblay: J'ai remarqué que, tout au long de
cette commission parlementaire, plusieurs personnes sont venues ici et
étaient un petit peu d'opinion contraire dans le sens qu'elles nous
disaient: Attention au pourcentage, aux 40 % d'immigration francophone que vous
voulez aller chercher. Attention! Assurez-vous plutôt qu'on puisse rendre
les cours de français accessibles, que ces personnes-là puissent
avoir accès à des cours de français, mais faites
attention, ne misez pas uniquement sur la question de francophones parce qu'on
peut aussi intégrer les personnes avec des programmes de francisation.
Et aussi je dois dire qu'au départ vous avez quand même... Et je
pense que vous, M. Dorion, vous êtes bien au courant parce que vous avez
eu cette expérience au ministère, nous avons quand même...
Si, par exemple, on prend notre verre, on prend un verre qui est à
moitié rempli, on dirait qu'il est déjà à
moitié rempli de familles et de réfugiés. Bon, c'est une
immigration qui est un peu induite, dans le sens que les
Québécois ici font venir leur famille et on ne peut quand
même pas refuser la réunification familiale, et vous avez aussi
notre geste humanitaire, le geste humanitaire qu'on doit poser pour les
réfugiés. Donc, vous avez déjà tout près de,
je dirais, en chiffres, quoi, 25 000, 22 000, 23 000 personnes qui arrivent de
toute façon, qui vont arriver de toute façon. (17 heures)
Alors, quand le Québec dit: On veut augmenter de façon
réaliste et soutenue... Parce que c'est sûr que le 25 % qui est
mentionné dans notre énoncé de politique, c'est un
objectif qu'on tend à atteindre, mais ce n'est pas en 1994 qu'on va
l'atteindre. Je pense que, avant de faire une
immigration en masse, il faut commencer par s'assurer d'avoir les
structures nécessaires. Donc, on dit: C'est d'une façon
réaliste et soutenue. Mais pour être capables d'atteindre nos
objectifs de l'immigration francophone, de même que l'immigration
économique, il faut aller un peu plus haut. Donc, ça veut dire
qu'à 35 000 je suis passablement limitée pour atteindre soit
l'objectif linguistique ou bien économique. Et je devrai sacrifier,
à un moment donné, si mon niveau demeure aussi bas. C'est juste
ça que je voulais essayer de faire comprendre. J'essayais de voir pour
vous, vraiment... Compte tenu des gens qui sont venus ici, la semaine
dernière et les semaines précédentes, en nous disant:
Attention! on mettait déjà là un bémol sur la
question de l'immigration francophone qu'on souhaitait aller chercher.
M. Dorion: Bien, les gens qui sont venus ici la semaine
dernière et la semaine d'avant, dans une certaine proportion, je pense,
étaient des représentants des milieux économiques pour qui
la préoccupation économique est la première. À la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, nous sommes une
organisation qui défend surtout, je dirais, présentement, les
intérêts de caractère culturel. Et nous disons aussi que
ces gens-là doivent mettre des bémols sur leurs
préoccupations. Il ne faut pas tenir compte uniquement de
préoccupations économiques.
Par ailleurs, nous sommes un peu sceptiques sur l'effet
économique de l'immigration. Nous ne disons pas qu'il est inexistant,
bien sûr, mais nous sommes sceptiques quant à cette croyance qui
veut que l'immigration est la clé du développement
économique du Québec, que c'est ce qui va sauver le
Québec. Nous croyons qu'il faut être plus nuancés que
cela.
Mme Gagnon-Tremblay: Mais n'êtes-vous pas d'accord aussi,
M. Dorion, cependant, pour dire que le bassin d'immigrants francophones est
quand même un bassin assez limité, par rapport à tout autre
bassin, et que, aussi, bien que l'on puisse prendre en considération
l'objectif de la langue, il faut encore que ces personnes puissent
s'intégrer économiquement aussi? Comme je le dis toujours, on ne
peut pas sélectionner des immigrants francophones pour des immigrants
francophones. Je pense qu'ils doivent aussi être capables de
s'intégrer sur le marché du travail. Parce qu'on a vu quand
même des personnes qui sont venues, qui parlent la langue, mais, par
contre, qui ont drôlement de la difficulté à
s'intégrer au niveau du marché du travail. On a un bassin qui est
fort limité, cependant, aussi.
M. Dorion: Je crois que tout ce que vous dites, Mme la ministre,
illustre le dilemme dans lequel nous nous trouvons. Et, tant que nous sommes
dans le régime constitutionnel actuel, il y a de forts risques que les
immigrants, s'ils ne sont pas déjà francophones, ne le deviennent
jamais. Je pense, en particulier, à tous ceux qui n'ont pas d'enfants.
Je pense à ceux qui ont des enfants, mais qui vont passer toute leur vie
ici quand même, qui vont vivre en anglais et travailler en anglais. Je
crois que nous faisons face à ce problème et ça nous
ramène toujours à la même question. À supposer que
la politique que vous préconisez soit la bonne du point de vue
économique, il reste que du point de vue de la langue française,
de la survie du français au Québec et à Montréal,
en particulier, elle est, je dirais, plus que dangereuse, elle est très
certainement nocive, à Montréal, dans l'île de
Montréal, très certainement. Michel Paillé, le
démographe, prétend qu'en faisant venir plus de 10 000 immigrants
non francophones chaque année, à Montréal, on va
détruire la majorité francophone de Montréal...
Mme Gagnon-Tremblay: Vous savez, bien sûr, que nous n'avons
peut-être pas été chercher tous les pouvoirs que vous
auriez souhaités, mais nous avons été chercher quand
même des pouvoirs majeurs, un gain majeur quant à
l'intégration et la francisation des immigrants. Dorénavant, le
Québec sera seul à offrir des cours de français et
à décider aussi quelle clientèle sera eligible aux cours
de français. Donc, si, cependant, nous avons des mesures vigoureuses et
que nous voulons aussi, par quantité de mesures, atteindre les
différentes clientèles et non pas seulement la clientèle
qui se dirige dans les COFI... Parce que, souvent, ce n'est pas uniquement...
Elle est quand même minime, parfois, par rapport aux autres, mais si nous
voulons atteindre la clientèle là où elle est, si nous
avons des mesures ou des programmes qui sont d'envergure, là,
peut-être que nous réussirons aussi à relever ce
défi.
M. Dorion: Je dirais que des cours de français à
des gens qui devront travailler en anglais n'auront pas l'efficacité que
certaines gens croient.
Le Président (M. Gobé): Merci, Mme la ministre. Je
vais maintenant passer la parole à M. le député de
l'Acadie.
M. Bordeleau: Merci, M. le Président. M. Dorion, je
voudrais revenir à la page 49 de votre mémoire où vous
faites référence à la question du parrainage. Dans
l'énoncé de politique, je pense que c'est clair que le
gouvernement entend prendre des mesures pour appuyer, éventuellement, la
création de réseaux de soutien aux nouveaux arrivants. Et,
à la même page, vous faites référence aussi à
une initiative de la Société Saint-Jean-Baptiste concernant le
compagnonnage. Est-ce que vous pourriez nous donner plus d'information sur
cette initiative-là? Comment ça se passe exactement et est-ce
que
ça peut être une expérience qui pourrait être
appliquée par le ministère et combien d'immigrants ça
touchait, en gros, l'expérience que vous avez initiée?
M. Dorion: Nous avons créé, en 1988, un
Secrétariat aux réfugiés à la Société
qui, actuellement, ne fonctionne plus, je dois dire en ce moment, mais à
cette époque les requérants du statut de réfugié
n'étaient pas acceptés dans les COFI - je m'excuse,
c'était en 1987. Alors, donc, en 1987, nous avons mis sur pied des cours
de français dont ont bénéficié à peu
près quelque 300 réfugiés latino-américains et
Kurdes et, à cette occasion-là, nous avons demandé
à nos membres de prendre en charge, si on peut dire, enfin de prendre
sur eux d'aider à l'intégration de ces personnes. Et il y a eu
une centaine de personnes impliquées dans ce campagnonnage. L'engagement
que nos membres prenaient, c'était de visiter les familles
concernées, d'aider les gens dans la recherche d'emploi, de leur faire
connaître Montréal, de leur faire voir Montréal et il s'est
créé beaucoup d'amitiés entre nos membres, certains de nos
membres. Il y a même des mariages qui en sont issus dans certains cas et
il s'est créé beaucoup d'amitiés personnelles entre
certains de nos membres et ces réfugiés, particulièrement
du côté des latino-américains, qui ont été
des expériences durables. Ça, c'est l'initiative de la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.
J'aimerais rappeler aussi qu'à la fin des années
soixante-dix et au début des années quatre-vingt le programme de
parrainage de réfugiés à travers tout le Québec
cette fois-là l'initiative officielle du gouvernement - avait eu
beaucoup de succès. Il y a plus de 1000 groupes de parrainage qui ont
fonctionné à cette époque. Il y a eu des études
faites par le ministère de l'Immigration, par la suite, montrant aussi
que les personnes qui avaient parrainé les immigrants avaient
gardé... Enfin, que les immigrants en question, les
réfugiés - en fait, c'étaient des Indochinois - avaient
gardé beaucoup de contacts avec leur parrain même deux et trois
ans après cette initiative-là. Alors, je pense que c'est la
même philosophie un peu qui inspirait l'action gouvernementale.
L'expérience que nous avons eue chez nous, dans l'un et l'autre cas, je
pense que ça a été très fructueux pour la
création de liens personnels entre Québécois et
immigrants.
M. Bordeleau: Est-ce que votre programme de compagnonnage
c'était prévu à l'origine comme quelque chose d'assez
ponctuel et pourquoi ça a cessé?
M. Dorion: Pourquoi ça n'existe plus? Bien, c'est que,
à l'époque, nous avons donné ces cours de français
parce que les requérants du statut de réfugié
n'étaient pas acceptés dans les
COFI. Par la suite, on a commencé... Je ne sais pas s'ils sont
tous acceptés, d'ailleurs, mais, en principe, on a accepté de
leur donner les services des COFI. Alors, à ce moment-là nous
avons mis fin au programme. Évidemment, ce n'est pas notre vocation
première. Nous avons posé ce geste pour aider à faire
débloquer le dossier. Ce n'est pas notre vocation première que de
donner des cours de français aux immigrants, mais je ne dis pas que nous
ne le referons pas éventuellement.
M. Bordeleau: J'aimerais peut-être, si le temps me le
permet, vous poser une deuxième question sur ce que vous avez
mentionné, sur l'accent qui est très fort sur l'immigration dans
la région métropolitaine de Montréal. Vous vous
inquiétez de la capacité d'accueil. Vous avez fait
référence au rapport qui a été fait par M.
Paillé mais dans ce rapport-là, au fond, les projections
auxquelles vous faites référence sont basées sur
l'hypothèse d'une immigration francophone qui ne représente que
15 % du mouvement total. Et, dans les données de ce rapport-là,
on définit l'immigration francophone comme essentiellement
composée des immigrants de langue maternelle française. Ça
me semble être assez restrictif comme... On ne parle pas des immigrants
qui connaissent le français, on parle des immigrants de langue
maternelle française. Dans ces projections-là aussi, on fait
abstraction du fait qu'il pourrait y avoir des transferts linguistiques vers le
français par ces gens-là qui seraient établis ici au
Québec. Alors, est-ce que vous ne croyez pas que ces données
peuvent être sérieusement discutées, compte tenu des
définitions de base qui sont très restrictives?
M. Dorion: Non, je ne le crois pas et je vais vous dire pourquoi.
C'est que j'ai constaté personnellement - j'ai eu beaucoup de contacts
et j'en ai encore beaucoup avec des immigrants de toutes origines, à
Montréal - qu'il y en a beaucoup qui parlaient assez bien le
français, comme langue seconde, comme langue étrangère,
mais qui le parlaient assez bien à leur arrivée, qui se sont
plaints, au bout de 10 ou 15 ans, qu'ils parlent de moins en moins le
français à Montréal et qu'ils perdent leur
français. Alors, on perd son français à Montréal
dans certains milieux immigrants. J'ai de mes propres amis qui sont dans cette
situation, des gens qui travaillent dans la haute technologie. Des gens, par
exemple, d'origine vietnamienne qui travaillent comme ingénieurs dans
des entreprises de haute technologie à Montréal perdent leur
français, parlent moins bien français que lorsqu'ils sont
arrivés au Québec, il y a quelques années. Donc, je pense
que l'importance qu'on donne au critère du français langue
maternelle, dans le contexte où nous vivons, c'est majeur. Et, dans une
situation, à Montréal, comme celle que nous vivons sur
l'île de Montréal où, éventuellement, les fran-
cophones de souche, les gens qui parlent français à la
maison seront minoritaires - c'est pour assez bientôt, surtout si on fait
venir 45 000, 50 000 ou 55 000 immigrants par année, et on parle
même de davantage - je pense que le critère de la langue seconde
n'est pas aussi significatif qu'on le souhaiterait, ça n'a pas la
portée qu'on pense. Je comprends très bien qu'un
démographe qui étudie ces choses tienne compte de la langue
maternelle, adopte le critère de la langue maternelle pour
évaluer ce que sera éventuellement la place du français
à Montréal.
M. Bordeleau: Dans les données récentes, par
exemple, sur les dernières vagues d'immigration, quand on regarde la
moyenne au niveau des allophones qui travaillent en français, on
remarque, dans les vagues plus récentes, un accroissement très
fort des gens qui parlent français au travail. Vous ne croyez pas que ce
mouvement-là est quand même important, compte tenu du fait que...
C'est quoi, l'exigence? On doit être de langue maternelle
française ou on doit parler le français?
M. Dorion: C'est très important, bien sûr, d'exiger
le plus possible la connaissance du français, fût-ce comme langue
seconde, des candidats à l'immigration. C'est très important d'en
faire un critère, mais il n'est pas garanti que quelqu'un qui arrive au
Québec sachant le français va s'intégrer à la
communauté francophone. D'ailleurs, ça pourrait même,
à la rigueur, être des Britanniques, ces gens-là, ça
peut être des gens de n'importe où, des gens qui partent beaucoup
mieux l'anglais que le français, si on retient uniquement le
critère de la connaissance du français pour évaluer la
composition de l'immigration. Ce n'est pas si significatif que ça de
dire qu'on parle français comme langue seconde. Je ne méprise pas
l'effort que les gens font pour apprendre le français. Je souhaite,
effectivement, qu'entre des gens qui ne savent pas le français et des
gens qui le savent on donne la préférence à ceux qui le
savent, bien sûr, même si ce n'est pas leur langue maternelle. Mais
il n'est pas certain qu'avec une immigration qui serait composée de gens
qui parlent le français comme langue seconde on va garantir la survie du
français au Québec. C'est certainement un facteur très
positif, mais ce n'est pas une garantie absolue, loin de là, surtout si
on se retrouve à Montréal avec une population qui,
majoritairement, ne serait pas de langue française.
Le Président (M. Gobé): Merci, M. Dorion. Merci, M.
le député de l'Acadie. Maintenant, je me dois de passer la parole
à l'honorable député de Sainte-Marie-Saint-Jacques,
porte-parole officiel de l'Opposition.
M. Boulerice: Oui. Mme Laurin, qui est maintenant membre
permanent de cette commission, M. Prémont, M. le président
général, je dois vous dire que je vous attendais avec beaucoup
d'impatience. D'une part, tout le contenu de votre mémoire - j'y
reviendrai - et, deuxièmement, je pense que tout le monde, enfin du
moins je l'espère, si ce n'est pas le cas, connaît, M. Dorion, vos
antécédents. D'ailleurs, plusieurs groupes qui sont intervenus en
cette commission ont évoqué, avec beaucoup d'émotion, le
souvenir toujours vivant qu'ils ont gardé de Jacques Couture, ministre
de l'Immigration du Québec. Je sais pertinemment que vous avez
été son ou l'un de ses principaux adjoints. Vous avez
travaillé de très nombreuses années avec M. Couture. Donc,
la première question que j'aurais le goût de vous poser, M.
Dorion, peut-être comme je l'ai fait avec un autre groupe, sous la forme
d'examen dit objectif qu'on a connu durant nos années de
collège... Vous qui avez cheminé avec M. Couture, dans
l'établissement de l'entente qui, d'ailleurs, porte son nom,
l'entente-Couture-Cullen, quand on regarde ce que Mme la ministre nous a
rapporté, pourriez-vous nous dire, si on regarde en termes de gains pour
le Québec, si on va classer: Pas du tout, un peu, beaucoup,
énormément, passionnément, à la folie? (17 h
15)
M. Dorion: Écoutez...
M. Boulerice: Est-ce que vous êtes capable de faire ce
recul?
M. Dorion: M. le député, je suis ici au nom de la
Société Saint-Jean-Baptiste. Évidemment, ce n'est pas le
lieu de faire mes mémoires. Je dois vous avouer que je n'aime pas
beaucoup faire ce type de comparaisons. Je pense que les différents
gouvernements qui se succèdent à la tête du Québec
essaient de trouver des solutions aux problèmes que nous vivons et je
crois très certainement... Je me permettrais très certainement,
et on ne m'accusera sûrement pas de partialité dans ce
cas-là, de faire une comparaison entre la ministre actuelle et celle qui
l'a immédiatement précédée et, là-dessus, je
donnerais certainement plusieurs étoiles à la ministre
actuelle.
Pour ce qui est du reste, il me semble qu'il serait plus important,
plutôt que de comparer les gouvernements - parce que je ne veux pas venir
ici dans une optique partisane - que nous essayions d'évaluer ce que
fait le gouvernement actuel, qui est le gouvernement du Québec. Et je ne
lui donne pas uniquement des bonnes notes, loin de là, mais je pense que
c'est dans cette perspective-là plutôt qu'on devrait examiner
l'énoncé de politique.
M. Boulerice: Cette réponse me satisfait. Vous avez
été d'une justice distributive, ce qui n'est pas mauvais,
"redistributrve", me glisse à l'oreille mon souffleur
préféré, qui est le prési-
dent de séance. Vous, dans les mauvaises notes que vous
distribuez, je vais en citer une: "Le programme de parrainage existe toujours
au ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration mais
son existence reste entourée d'un silence intrigant si on le compare
à la publicité massive qui accompagna sa mise en oeuvre pendant
quelques années."
Si je vous comprends bien, vous souhaitez que l'on intensifie cette
publicité et les programmes de parrainage. D'après vous, ils sont
tombés à un niveau insuffisant, d'où, peut-être,
l'insuccès de l'intégration.
M. Dorion: Je ne crois pas que ce soit le seul facteur dans
l'insuccès de l'intégration, mais je pense qu'effectivement il
est très important, et nous le soulignons dans notre mémoire, de
créer les conditions qui permettent des contacts personnels entre les
Québécois de souche et les immigrants. Et il me semble,
effectivement, que les programmes de parrainage de la fin des années
soixante-dix ont eu beaucoup de succès à cet égard.
M. Boulerice: Votre mémoire fait une allusion... Enfin, je
dis "allusion", mais ce n'est pas le terme que je devrais employer. Dans la
recommandation 8, vous montrez une préoccupation qui a toujours
été celle de la Société Saint-Jean-Baptiste, au
sujet des réfugiés comme tels. Dans le contexte que nous vivons,
le contexte politique et le contexte constitutionnel, vous savez que c'est une
décision qui relève du gouvernement fédéral et nous
avons actuellement, sur notre territoire, plusieurs dizaines de milliers de
revendicateurs de statut qui sont en attente. Cette situation est
extrêmement dramatique pour ces gens qui vivent dans l'incertitude,
l'expecta-tion potentielle d'un refus, alors qu'on sait, de façon
statistique, qu'ils finissent par l'obtenir. Est-ce que vous croyez, à
votre point de vue, qu'à ce niveau-là le gouvernement du
Québec s'est suffisamment affirmé face au gouvernement
fédéral qui, en dernier recours, prend la décision?
M. Dorion: Je crois que seule la création d'un État
québécois souverain va permettre de régler cette question,
parce qu'il y a un lien très étroit - et ça se
conçoit facilement - entre la reconnaissance du statut de
réfugié politique et la politique internationale d'un
État. Et c'est très certainement la raison pour laquelle le
gouvernement fédéral ne souhaite pas que le Québec
obtienne des pouvoirs décisifs dans ce domaine parce que ça
amènerait le gouvernement du Québec à porter des jugements
sur des États étrangers qui, dans certains cas, ne seraient...
Quand vous dites que la vie de quelqu'un est menacée s'il retourne dans
son pays, c'est vraiment un jugement que vous portez sur la politique de son
gouvernement. Alors, le gouver- nement canadien, de façon assez logique,
je pense, tient à garder cette prérogative avec le
résultat que, effectivement, l'acceptation des réfugiés,
la reconnaissance du statut de réfugié relève du
fédéral et ça va rester comme ça
indéfiniment, quelles que soient les ententes, les arrangements qui
puissent se faire sur d'autres aspects de la politique d'immigration entre
Québec et Ottawa. Donc, je ne vois pas de solution en dehors de la
souveraineté du Québec à cette question et, par
conséquent, si le gouvernement du Québec souhaite le
régler, bien, il doit adopter une position souverainiste. Je pense qu'il
n'y a pas d'autre solution que celle-là.
M. Boulerice: Vous êtes un week-end trop tard. Au no 8,
vous apportez une dimension qui m'intéresse et j'ai émis cette
opinion au cours de la commission, en disant qu'il était bon pour le
pays d'accueil de faire référence au pays d'origine de
l'immigrant ou du réfugié et, notamment, aux conditions qui
prévalaient ou continuent de prévaloir dans le pays d'origine. Et
je vais relire - parce que je la trouve pour la première fois dans un
mémoire: "On a constaté maintes fois - dites-vous dans votre
mémoire -que, lorsque les Québécois sont mis au courant
des épreuves qui ont chassé de leur pays les requérants du
statut de réfugié, leurs coeurs s'ouvrent. À ce sujet, les
autorités devraient mieux informer la population. Il ne serait certes
pas indiqué pour le gouvernement de faire systématiquement le
procès de chaque régime dont se plaint chaque requérant du
statut de réfugié, mais, lorsque les cas d'abus sont suffisamment
nombreux et flagrants, pourquoi la ministre responsable ne pourrait-elle pas
les dénoncer à l'opinion publique locale, comme l'ont fait
certains de ses prédécesseurs - sous l'ancien gouvernement, il
faut le dire - en ce qui concernait, par exemple, Haïti et le Kampuchea?
Une telle initiative d'éducation populaire aurait certainement des
effets très positifs sur l'accueil fait par la population aux personnes
fuyant les pays concernés."
Est-ce que c'est une pensée qui vous est propre ou bien, dans les
nombreuses initiatives que vous avez prises, comme société, face
à l'accueil aux réfugiés, parce que vous avez
été très actifs, j'en ai été témoin,
est-ce que c'est un commentaire qui vous est venu très directement de la
part de ces personnes?
M. Dorion: Bien, M. le député, simplement, nous
avons pu constater au cours des dernières années, au
Québec, que ce qui apparaît parfois comme de la xénophobie
est simplement de l'ignorance. Les gens ne savent pas pourquoi les personnes
qui arrivent ici ont fui leur pays. Lorsqu'elles sont au courant, je pense
qu'elles sont capables de s'émouvoir là-dessus et je suis certain
que nos concitoyens, nos concitoyennes sont capables de compatir à la
souffrance
d'autrui. Et, à cet égard, il serait certainement
profitable, pour l'accueil aux réfugiés, que le gouvernement du
Québec... Ce serait certainement une façon, je pense, pour la
ministre, de s'impliquer au niveau de la question des réfugiés,
qu'elle intervienne, qu'elle fasse certaines dénonciations de ce qui se
passe dans ces pays. C'est, à ce moment-là, l'occasion, la
meilleure façon, en fait, pour la population, dans bien des cas, de
prendre connaissance de ces dossiers-là et c'est la meilleure
façon aussi de faire le lien entre l'arrivée de
réfugiés et ce qui se passe dans les pays concernés.
M. Boulerice: D'accord. Je reviens au sujet des niveaux
d'immigration. Vous dites bien. "En attendant la souveraineté, ne pas
dépasser le niveau d'immigration de 1990." J'insiste pour y revenir
parce que j'aurais peur que certains esprits chagrins interprètent vos
propos en disant: On est contre les taux d'immigration, et que,
forcément, on sombre comme toujours dans les procès qui sont
faits aux groupes nationalistes au Québec, qu'ils sont
xénophobes, que l'immigration leur fait peur. Vous dites bien: "En
attendant la souveraineté, ne pas dépasser le niveau
d'immigration de 1990." C'est en fonction, si j'ai bien lu, non pas uniquement
de la minori-sation, en termes linguistiques, mais beaucoup à cause -
est-ce que je me trompe? - des situations pénibles que Montréal
vit. On a parlé de pauvreté à Montréal,
problème majeur de logements, dégradation, d'ailleurs, du stock
actuel de logements, et un certain chômage qui frappe durement aussi
certaines communautés culturelles restant au Québec. C'est bien
dans cet esprit-là?
M. Dorion: Bien, écoutez, il est très difficile de
ne pas faire un lien entre les problèmes sociaux et économiques
que les gens doivent vivre, dans la communauté d'accueil comme dans les
communautés qui arrivent, et toute la question des relations
interethniques, c'est certain. C'est certainement une des raisons pour
lesquelles nous pensons qu'il faut maintenir l'arrivée d'immigrants
à un rythme qui est absorbable pour la population d'accueil.
Mais je dois dire, à cause de la nature de notre organisation,
que nous avons en particulier à l'esprit la question linguistique. Nous
ne voulons pas voir minoriser la population francophone de Montréal.
Nous souhaitons que les mesures, les autres mesures annoncées dans
l'énoncé de politique soient d'abord mises à
l'épreuve et qu'on soit capables d'intégrer les gens au rythme
où ils arrivaient précédemment. Parce que ce que l'on
constate, c'est que le nombre d'immigrants qu'on recevait chaque année,
mettons jusqu'en 1990, jusqu'à l'an dernier, ces contingents-là,
on ne parvenait pas à les intégrer. Alors là on apporte
des nouvelles mesures pour faire l'intégration, mais il me semble que
ça serait très sage de dire: On va s'en tenir au nombre qu'on
avait, et on va appliquer les mesures en question et voir ce que ça
donne. Et non pas annoncer des nouvelles mesures, d'une part, mais, d'autre
part, augmenter les nombres de façon très considérable. Le
nombre de 34 000 à 36 000 est très élevé, le nombre
moyen dans les années qui ont précédé, dans les 10
ou 15 années qui ont précédé a été
beaucoup plus faible que cela, a été en moyenne d'à peu
près 20 000 entre 1980 et 1988, et encore plus faible dans la fin des
années soixante-dix, autour de 15 000, 16 000, 17 000. Pourquoi
augmenter de façon si massive le nombre, alors qu'on ne sait pas encore
si les mesures d'intégration préconisées vont donner des
résultats?
M. Boulerice: M. le président général, M. le
président de la commission me fait signe que je dois vous remercier et
vous dire au revoir. Je le ferai en vous disant: Est-ce que j'ai bien compris?
Quand vous avez parlé de minorisation des francophones à
Montréal, vous n'avez pas parlé des Québécois
anciens ou, comme une expression nouvelle qu'on a apprise il y a quelques
jours, les archéo-Québécois, mais bien de tous les
Québécois qui ont adopté le français comme langue
et se sont intégrés à la culture francophone du
Québec. C'est bien cette lecture-là que nous avons tous deux?
M. Dorion: II y a des gens de toutes origines qui font partie du
Québec français, du Québec francophone, des gens de toutes
origines. Il y a des gens dont la langue maternelle n'est pas le
français, c'est bien sûr, mais il y a une différence entre
les gens qui ont, par exemple, adopté le français comme langue
d'usage dans leurs affaires publiques, au travail, etc., d'une part, et des
personnes qui, simplement, connaissent le français mais ne l'utilisent
pas. Et c'est pour ça que j'ai fait certaines distinctions tout à
l'heure. On peut faire venir des tas de gens qui savent un peu le
français, on peut être très large d'ailleurs dans la
définition des mots "connaissance du français", et ça ne
règle pas nécessairement le problème linguistique. Mais,
bien sûr, il y a des gens dont le français n'est pas la langue
maternelle et qui sont quand même d'authentiques francophones, en ce sens
qu'ils ont vraiment fart du français la langue habituelle de leur vie je
dirais publique, c'est-à-dire la vie qu'ils mènent à
l'extérieur de leur famille et de leur communauté. Pour moi, ce
n'est pas quelque chose d'important, la langue que les gens parlent dans leur
famille, je veux dire du point de vue des objectifs que nous, nous poursuivons.
La langue que les gens parlent dans leur famille et à l'intérieur
de leur communauté, c'est tout à fait leur droit de parler autre
chose que le français.
Nous souhaitons, cependant, avoir une société qui
fonctionne, dans l'ensemble, en
français, pour tout ce qui implique les relations entre les gens
de toutes origines, par exemple.
M. Boulerice: Merci, et surtout très bon congrès
durant la prochaine fin de semaine.
Meilleurs voeux. Mais est-ce que j'ai besoin d'ajouter? Non, je ne crois
pas.
Le Président (M. Gobé): Merci, M. le
député de Sainte-Marie-Saint-Jacques. Et je passe maintenant la
parole à Mme la ministre aussi pour quelques mots de conclusion.
Mme Gagnon-Tremblay: Ah oui! bien sûr, je voudrais vous
remercier, M. Dorion, Mme Laurin et M. Prémont. Je voudrais
peut-être juste ajouter, en conclusion, aux membres de cette commission,
que chaque ministre a toujours à son crédit quelques bons coups.
Et je voudrais ainsi rendre hommage à ma prédécesseure,
Mme Robic, qui a créé le Programme des investisseurs immigrants.
C'est elle aussi qui a créé les différents programmes, le
PQFl et le PAFI qui ont permis, entre autres, aux revendicateurs du statut de
réfugié de même qu'aux femmes à la maison de suivre
des cours de français à temps partiel.
Je voudrais aussi, en terminant, vous dire que vous faites deux
suggestions qui sont très concrètes, aux pages 45 et 46,
concernant le dépôt des dossiers et des demandes de subvention en
français. Je vous en remercie et je peux vous assurer qu'elles seront
considérées très sérieusement pour implantation
d'ici quelques mois. Merci beaucoup pour votre présentation.
Le Président (M. Gobé): Merci, Mme la ministre. M.
Dorion, Mme Laurin et M. Prémont, au nom des membres de cette
commission, je vous remercie d'être venus devant nous et je vous souhaite
un bon retour à Montréal.
Ceci étant dit, je vais suspendre les travaux une minute afin de
permettre aux intervenants suivants de bien vouloir venir s'installer en avant.
J'appellerai M. Jean-Louis d'Aragon, du Centre justice et foi, secteur des
communautés culturelles, Mme Benguerel et M. Julien Harvey. Si vous
voulez prendre place en avant, et je suspends les travaux pour une minute.
(Suspension de la séance à 17 h 31)
(Reprisée 17 h 33)
Centre justice et foi
Le Président (M. Gobé): Alors, la commission va
reprendre ses travaux. Si vous voulez bien rejoindre vos places.
Merci beaucoup. Nous allons maintenant entendre le Centre justice et
foi, secteur des communautés culturelles, et je demanderai au
porte-parole du groupe de bien vouloir présenter les gens qui sont
autour de lui. Par la suite, je vous accorderai la parole pour une
période de 20 minutes.
Mme Benguerel (Thérèse): M. le Président...
Le Président (M. Gobé): Madame.
Mme Benguerel: ...vous avez M. Jean-Louis d'Aragon, qui est le
directeur du Centre justice et foi; le père Julien Harvey, qui est
membre du secteur des communautés culturelles du Centre justice et foi
et aussi rédacteur à la revue Relations;
Thérèse Benguerel, qui est responsable du secteur des
communautés culturelles.
Ce secteur a été mis sur pied il y a environ cinq ans au
Centre justice et foi. Le Centre poursuit, au fond, le travail que faisait -
j'aime le rappeler - l'École sociale populaire depuis 1911,
déjà, et il est un organisme qui veut travailler à la
connaissance, l'analyse des réalités sociales qui sont les
nôtres, ici au Québec, et à la promotion de la justice dans
notre milieu.
Nous remercions Mme la ministre de nous avoir invités à
contribuer à cette consultation et tenons tout d'abord à la
féliciter ainsi que l'équipe qui a rédigé cet
énoncé de politique d'avoir mené à terme un travail
qui est attendu depuis longtemps et qui arrive à point à ce
moment-ci de notre histoire. Nous comprenons que la présente
consultation est de bonifier, si je peux dire, l'énoncé pour en
faciliter l'application.
Alors, si vous voulez, nous allons à tour de rôle nous
partager la présentation du mémoire. M. Harvey commencerait la
première partie.
Le Président (M. Gobé): ...la parole.
M. Harvey (Julien): Donc, rapidement, quelques mots sur la
première partie, les nos 3 et suivants de notre rapport. C'est la partie
qu'on pourrait appeler philosophique du rapport. Nous sommes heureux des
principes et des articulations de base et nous avons, par ailleurs, des
critiques sur le genre littéraire pour bonifier, donc, un excellent
livre blanc. Je crois qu'il faut dire en partant que nous le trouvons
très bon.
Nous rappelons donc d'abord que les principes que nous reconnaissons
dans le premier paragraphe sont là, je ne les reprends pas. Nous
souhaitons que, dans une rédaction définitive de ce livre blanc,
le genre littéraire soit plus clair. Selon nous, un énoncé
de politique doit être un document qui a une certaine durée,
d'abord, et par conséquent ne doit pas faire référence
à des événements immédiats, comme ça arrive
plusieurs fois dans le texte; deuxièmement, ne doit pas donner le
sentiment d'être un document de propagande mais doit être un
document d'affirmation. Alors, je pense qu'il y a des éléments
qui relèvent davantage de ce que j'appellerais la publicité ou la
propagande.
À la page 3, donc le premier long paragraphe, que je passe, et
que vous pouvez voir vous-mêmes, nous avons donné là une
dizaine d'exemples. Nous pourrions en donner probablement une série
d'autres, moi je pourrais en donner certainement une série d'autres, de
choses qui n'ont pas besoin d'être là et qui souvent sont
discutables. Une politique ne doit pas s'appuyer sur des éléments
discutables, surtout quand il s'agit de questions fondamentales.
Dans le no 4 de notre texte, nous avons rappelé que certains
éléments nous apparaissent manquer. Ce devrait être, dans
une deuxième rédaction, amélioré. Le premier, c'est
qu'il y a à peu près, dans le milieu québécois,
actuellement, sept idéologies du contact culturel entre immigrants et
population de base. Entre l'assimilation d'un côté et puis les
ghettos juxtaposés de l'autre, vous avez à peu près cinq
autres positions. Nous voyons que le document exclut l'assimilation, exclut les
ghettos superposés et exclut également le multiculturalisme
d'Ottawa; pour moi, c'est une très bonne chose.
Mais je pense qu'un document comme celui-là, surtout quand on
pense à ses applications, disons, scolaires, à ses applications
dans les médias et, donc, dans les autres ministères, devrait
dire carrément quel est le type qu'il choisit Et là, nous
recommandons de parler de culture publique commune qu'il s'agit
d'acquérir. Comme nous disons, c'est une notion peut-être un peu
moins précise, mais très commode, et puis surtout elle provoque
moins d'agressivité, je pense, que ce que nous avons déjà
employé dans le passé, le terme de convergence culturelle,
même si à moi, dans tous les cas, il continue de plaire.
À la page 4, nous avons rappelé qu'il faudrait justifier
davantage comment on fait coexister une immigration importante avec un
chômage élevé. Surtout à l'heure actuelle, depuis la
rédaction de notre mémoire, le chômage a augmenté
encore.
La même chose à propos du pluralisme. Nous souhaitons que
le pluralisme soit un peu comme dans des textes du Conseil de l'Europe, qu'on
pourrait citer avec abondance. Le pluralisme est une valeur jusqu'au moment
où il menace l'unité.
Finalement, un point qui pour moi est fondamental et qui pour nous est
fondamental, l'énoncé de politique devrait, je pense,
carrément dire que, tant que le nationalisme des Québécois
sera un nationalisme ethnique, nous sommes dans des grosses difficultés
avec nos immigrants. Il faut arriver à ce que nous appelons ici un
nationalisme territorial, c'est-à-dire qu'une politique comme celle-ci
doit s'appuyer sur le fait que toute personne qui réside sur le
territoire du Québec et accepte le contrat moral de solidarité
est québécoise. Ça, je pense que c'est vraiment essentiel.
C'est un gros changement, hein, parce que tous ceux et celles, et sans doute
vous en êtes, qui connaissent bien le nationalisme
québécois savent qu'il est d'abord ethnique. D'abord, il faut
être pure laine, en un sens.
Et puis, après ça, nous ajoutons, peut-être de
façon un peu ironique, qu'il faudrait être plus franc sur nos
divergences d'opinions entre francophones, anglophones et allophones sur la
question de l'immigration. Nous signalons des références.
Ensuite, nous parlons du caractère bilatéral du contrat moral qui
est, à notre avis, une notion importante dans la politique, une
trouvaille vraiment. Alors, je crois qu'il faut rappeler davantage qu'il est
bilatéral.
Je continue. Je cède la parole à ma collègue,
Thérèse.
Mme Benguerel: Pour la partie II...
Le Président (M. Gobé): Allez-y. Vous avez la
parole.
Mme Benguerel: ...une immigration contribuant au
développement d'une société francophone et d'une
économie prospère, il est certain que ces deux principes nous
apparaissent vrais et de base. Nous souhaiterions cependant des
améliorations dans cette partie. D'abord, au plan des rappels
historiques qui sont faits, il y aurait à ajouter cette entente
récente, l'accord fédéral-provincial de décembre
1990 même si, en fait, l'impact n'est pas aussi fort qu'on le
souhaiterait, puisque le fédéral garde toute la
responsabilité face aux réfugiés et dans plusieurs
domaines. Que ce soit ajouté et développé au niveau de
l'intégration, c'est sûr que sur ce plan le Québec recouvre
des pouvoirs et qu'il serait fort important de les exercer.
Nous apprécions la prudence qui est manifestée dans la
question des immigrants investisseurs et entrepreneurs. C'est certain qu'il
nous semble être en droit d'exiger que ces investissements demeurent au
Québec, qu'il y ait peut-être des formules pour s'en assurer,
qu'aussi on n'investisse pas dans des industries où déjà
les Québécois en place gagnent leur vie. Il y aurait aussi -
c'est d'ailleurs noté dans l'énoncé, nous l'appuyons -
que, si ces investisseurs pouvaient s'installer en région,
développer en région des emplois, ce serait certainement fort
heureux.
Nous sommes un peu plus soucieux devant ce projet de programme
expérimental basé davantage sur l'adaptabilité des
immigrants éventuels que sur leur préparation immédiate
à l'emploi. Penser à des programmes de recyclage, d'adaptation au
travail et à nos technologies, il faut peut-être y penser, mais
à ce moment-là nous voyons vraiment, vu le haut taux de
chômage qui est le nôtre ici, des populations nombreuses,
appelons-les de souche, et même des immigrants arrivés
récemment, surtout les jeunes... Le nombre de chômeurs parmi les
jeunes des communautés culturelles est fort élevé.
Alors,
au moins que ces gens qui arrivent soient inscrits aux mêmes
programmes que les autres et que ce ne soit pas un nouveau service qui ne
serait pas offert, au fond, à la population déjà en
place.
L'immigration du personnel domestique, c'est un moyen, c'est
certainement toujours en demande et, je pense, peut être
encouragé, mais à condition de maintenir ce droit d'immigration
permanente après deux ans, qui est encore en vigueur, je pense bien.
Quant à la question des requérants au statut de
réfugié, toute cette section sur les réfugiés, nous
aurions aimé qu'elle soit davantage développée. Pour la
question des requérants au statut de réfugié, nous aurions
apprécié une recommandation pour résoudre ce retard qui
est accumulé. Pour notre part, malgré les inconvénients,
peut-être, il nous semble qu'on devrait accorder une amnistie
générale. Les gens sont déjà ici,
déjà adaptés, et c'est faire perdurer un problème
humain qui est grave et qui s'aggrave toujours. Il y a certainement aussi des
mesures à prendre pour éviter la recrudescence de ces cas. Il
nous paraît que ceux qui suivent la filière ont raison
d'être assez frustrés.
Dans la section sur l'augmentation annuelle des volumes d'immigration,
nous aurions apprécié, puisqu'il s'agit d'un énoncé
de politique qui doit servir pendant plusieurs années, des
critères plus précis pour la détermination des plafonds:
immigrants francophones, mais surtout immigrants susceptibles de trouver du
travail dans notre pays, pour qu'ils soient vraiment en mesure de gagner leur
vie, de participer à la vie économique et sociale du pays. (17 h
45)
Quant à la consultation pour prévoir plusieurs
années, c'est certainement souhaitable, mais, vu la complexité
puis la mobilité constante des événements dans le monde,
il nous semble qu'une consultation annuelle doit quand même être
faite.
Aussi - c'est une remarque à la page 40 - adapter les volumes au
lieu de les accroître, ça nous paraît plus juste.
L'accroissement se fait suivant, encore une fois, les conditions, car la
question de la capacité d'accueil nous semble fondamentale. Si nous
voulons une intégration réussie et une politique d'accueil qui
dure, ce n'est pas tellement d'accroître à toute force les
volumes; que ceux qui viennent ici puissent vraiment s'adapter et être
partie prenante de la société.
Si vous permettez, M. le Président, M. Harvey continuerait.
Le Président (M. Gobé): Oui, il vous reste cinq
minutes.
M. Harvey: Merci, M. le Président. La troisième
partie nous apparaît évidemment la plus importante et la plus
neuve, je dirais même la plus exportable, et je pense que ça nous
ferait honneur, dans à peu près n'importe quel pays
européen, par exemple, et même aux État-Unis, de
présenter cette question, parce que pour une fois on a le sentiment
qu'un immigrant n'est pas abandonné le lendemain de son arrivée,
mais que le pays le prend en charge et, avec lui, veut être coresponsable
de son développement. Alors, ça, il faut féliciter les
concepteurs et aussi Mme la ministre de cette partie-là.
Je saute par-dessus le fait qu'au début il va falloir faire des
corrections qui viennent à la dernière minute de l'accord
fédéral-provincial. Évidemment, j'imagine que tout le
monde plus que nous ici est conscient du fait que, si l'accord
fédéral-provincial de décembre n'avait pas réussi,
la politique serait drôlement en difficulté, hein? Les deux
ensemble lui donnent son réalisme.
Donc, je passe tout de suite à la page 7. Je rappelle
évidemment que la question de l'éducation des adultes devra
être reprise, maintenant que les COR...
Concernant la langue du travail, nous insistons beaucoup sur le fait que
- je pense que vous avez dû l'entendre, par ailleurs, l'Office de la
langue française l'a rappelé - le grand défi de
l'intégration des immigrants passe d'abord par le travail. La langue du
travail est vitale et puis les recommandations que nous faisons sont faites par
beaucoup d'autres, donc je n'insiste pas beaucoup.
Au no 9, vous trouvez, je pense, un point essentiel de notre texte, de
notre mémoire. La notion de communauté culturelle, c'est presque
une invention québécoise, hein? Il y a 15 ans ou 20 ans, on
pouvait parler de groupes ethniques, mais parler de communautés
culturelles comme d'un terme technique comme nous le faisons est quelque chose,
quand même, qui a son importance, hein? Leur donner une substance aussi
solide et aussi durable que dans certains milieux favorables au
multiculturalisme on lui donne nous apparaît une erreur. On ne fait pas
un pays avec une mosaïque.
Alors, nous, nous avons rappelé ce paradoxe que nous acceptons
carrément que les Chartes des droits de la personne disent qu'un
immigrant et une immigrante sont acceptés une personne à la fois,
sans discrimination de race, de sexe, de couleur, de religion, etc., mais le
lendemain une bonne partie de nos immigrants se regroupent dans des groupes
qui, d'après le multiculturalisme, sont quasiment des colonies de
peuplement, dans certains cas, avec tous les organismes, des doublages
d'institutions, des compétitions entre les groupes. Vous n'avez
qu'à écouter la télévision ethnique certains jours
pour constater qu'à un moment donné tel groupe ethnique va dire:
Vous êtes meilleurs que les Québécois. Alors ça,
c'est inacceptable, ça ne s'accepte dans aucun pays sérieux.
Donc, nous disons: La notion de communauté culturelle devrait être
définie dans
la politique. Nous rappelons aussi que l'intégration
réussie se joue à deux; ça, c'est vraiment vital pour
l'avenir de la politique de l'immigration.
Nous avons parlé, à la page 8, au haut, de la
régionalisation de l'immigration. Notre pensée est plutôt
que c'est les fils et les filles des immigrants actuels qui vont penser
à devenir des Québécois de région. Surtout dans
notre entreprise à nous, nous avons travaillé depuis deux ans
à ce que nous avons appelé le Québec cassé en deux,
les inégalités régionales, la désintégration
sociale et culturelle de la moitié du territoire du Québec.
Ça ne sert à rien d'essayer de faire immigrer des gens dans des
situations comme celles-là.
Nous avons parlé aussi du logis, nous avons parlé de
l'adaptation des institutions québécoises. Allons au no 10.
Même si notre entreprise a une certaine couleur religieuse indubitable,
nous avons remarqué le paragraphe sur le pluralisme religieux où
on nous renvoie plus ou moins à nos querelles entre groupes religieux.
C'est une question qui va devenir difficile, mais nous optons carrément
depuis longtemps, au point de vue social, pour la laïcité. Un
Québec multiethnique d'origine devra être plus laïc encore
qu'il ne l'est maintenant. Mais on ne peut pas abandonner le patrimoine et
l'héritage judéo-chrétien de quatre siècles qu'il y
a chez nous. Mais, enfin, le reste, oui. On verra à mesure.
Nous signalons la valeur de parler de culture immigrée plus que
de culture des pays d'origine lorsque nous parlons d'interculturalisme. Sur le
partenariat, bien, nous rappelons qu'il est réciproque également.
Pour notre part, nous ne sommes pas très chauds pour les
célébrations des autres comme autres. Moi, je serai heureux de
l'intégration des immigrants lorsque la Société
Saint-Jean-Baptiste englobera les Québécois et
Québécoises de toutes origines.
Sur les relations intercommunautaires, je pense que ça ne vaut
pas la peine. Je vois que le temps passe beaucoup. Nous sommes très,
très intéressés par le rôle des répondants
ministériels extrêmement important. Sur le racisme, on fait
quelques observations. Le racisme québécois est une chose
originale comme bien des choses québécoises. Nous n'avons pas de
racisme biologique sauf quelques "skin heads", mais il y a une espèce de
xénophobie qui est plus caractéristique du Québec.
Nous avons parlé ensuite des médias, etc. Alors, je laisse
à ma collègue, Thérèse, le soin de terminer
rapidement le dernier.
Le Président (M. Gobé): Oui. Votre temps est juste
dépassé, mais rapidement on va vous écouter, madame.
Mme Benguerel: En fait, c'étaient deux mots...
Le Président (M. Gobé): Allez-y, dites les.
Mme Benguerel: ...sur la mise en oeuvre de cette politique. Au
fond, on verra avec le temps. Il y a des bonnes choses là-dessus. Non,
je laisse tomber. On aurait souhaité peut-être un estimé
quand même au plan financier des coûts, en personnel, en argent, de
ces mesures qui sont annoncées. Mais c'est certain qu'il y a des
nouveaux faits, avec l'accord avec le fédéral, qui vont compter
pour les prochaines années.
Tout ce travail a été fait quand même dans un esprit
vraiment de construction et de collaboration avec le ministère, une
collaboration qui dure déjà depuis quelques années. Merci
beaucoup.
Le Président (M. Gobé): Je vous remercie, madame,
de faire vite. Mme la ministre...
Mme Benguerel: Pardon, M. le Président... Le
Président (M. Gobé): Oui, madame.
Mme Benguerel: ...il y avait sur la - si vous permettez...
Le Président (M. Gobé): Je vous en prie.
Mme Benguerel: ...sur les niveaux d'immigration. Au fond, nous,
nous avons eu l'occasion, lors de la dernière consultation, d'exprimer
en principe que nous sommes bien favorables à ce que proportionnellement
nous recevions le même nombre de personnes d'ailleurs. Mais, compte tenu
encore une fois du taux élevé de chômage, de
l'insécurité qui existe dans le pays pour beaucoup de monde,
quand même, nous maintenons le statu quo à environ 35 000
personnes. Nous trouvons ce nombre prévu de 50 000 un peu trop fort pour
les moyens actuels et l'importance... Il y a tellement, au fond, de gens qui
sont déjà en place et qui ont encore de grandes
difficultés à prendre place dans notre société
qu'il faudrait peut-être investir auprès de ceux qui sont
déjà là. Merci.
Le Président (M. Gobé): Très bien, madame.
Ces précisions étaient très importantes. Mme la
ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Oui, merci pour votre présentation,
et c'est avec plaisir que nous vous accueillons. Avant de passer à ma
première question, je voudrais peut-être juste apporter une petite
précision. Vous parliez tout à l'heure de budget. Je dois vous
dire que nous avons évalué le budget, pour répondre
à ces différentes mesures, à environ 30 000 000 $, sur une
période de trois ans, d'argent neuf, c'est-à-dire de
(iïïvnloppnmc'nl. maintenant
Alors, dans votre mémoire, aux pages 3 et 4, tout en vous
déclarant d'accord avec les
grandes lignes du contrat moral, vous dites regretter que
l'énoncé ne précise pas suffisamment la position
québécoise face au pluralisme. Alors, une des grandes
orientations, justement, de cet énoncé, c'est qu'on
reconnaît que le Québec est une société pluraliste.
Donc, bien sûr, comme vous l'avez mentionné, ce titre ne vise pas
l'assimilation, mais cependant se distingue aussi du multiculturalisme.
Donc, vous avez particulièrement réfléchi à
ce que devrait être la culture publique commune, comme vous l'avez
appelée. Je trouve ça quand même intéressant.
Croyez-vous que dans une société moderne et démocratique
comme le Québec on puisse exiger davantage que le respect des lois et
des valeurs démocratiques fondamentales?
M. Harvey: En un sens, non. Mais, d'un autre côté,
je pense que, quand il s'agit d'orienter positivement nos institutions, c'est
là que nous devons agir. Les citoyens et les citoyennes doivent toujours
demeurer libres, pourvu que leur liberté ne nuise pas à la
liberté des autres. Il y aura toujours des exceptions. Il y aura
toujours des gens qui vivront dans des ghettos juxtaposés. Il y aura
aussi des gens qui se laisseront assimiler ou qui voudront être
assimiles.
Mais, quand il s'agit d'orienter dans un énoncé de
politique nos institutions - je pense par exemple au ministère de
l'Éducation d'abord, deuxièmement aux médias, aux grands
médias, troisièmement à l'évolution de notre droit,
quatrièmement à notre planification du monde des affaires; je
pourrais continuer, encore là, mais ces quatre-là en particulier,
surtout les trois premiers, l'éducation, les médias et le droit -
il y a un choix de société et un choix de pays, avec un choix de
valeurs. À ce moment-là, nous disons qu'il y a une affirmation de
la culture québécoise traditionnelle et en évolution qui
est là.
En d'autres termes, nous ne sommes pas des transculturels. Vous
connaissez la notion, n'est-ce pas, que par exemple la revue Vice-Versa
répand depuis plusieurs années; elle se présente comme
revue transculturelle. Pour nous, la culture n'est pas une valeur flottante.
C'est une réalité affirmée par le groupe qui dit: Chez
nous, la démocratie, pour nous, est une valeur fondamentale.
L'égalité de l'homme et de la femme, qui est en progrès
chez nous, on ne reculera pas là-dessus. La façon de voir les
droits des parents sur les enfants a une couleur, chez nous, qui n'est pas la
même que celle de beaucoup des groupes qui immigrent chez nous, etc.
Donc, ces choses-là doivent, à notre avis, être
affirmées, et c'est là que nous parlons d'un choix de... Est-ce
que je me suis fait bien entendre?
Mme Gagnon-Tremblay: Oui, ça va. C'est un peu, finalement,
comme dans le contrat moral...
M. Harvey: Oui.
Mme Gagnon-Tremblay: ...lorsque j'ai dit souvent qu'il y a
certaines choses à l'intérieur de ce contrat qui sont non
négociables.
M. Harvey: Exactement, c'est ça. En d'autres termes, on
n'arrive pas dans un espace vide quand on arrive au Québec.
Malgré toute la cordialité que nous pouvons y mettre, c'est une
cordialité qui en même temps tient compte d'un acquis, d'un pays
défriché.
Mme Gagnon-Tremblay: II s'agit de bien le faire connaître
à l'étranger avant de choisir justement ce pays.
M. Harvey: Oui, oui, exactement.
Mme Gagnon-Tremblay: Vous parlez aussi...
M. Harvey: Je pense que - excusez-moi - la publicité trop
grande qui a été faite au multiculturalisme donnait l'impression
- moi, je l'ai vu de l'étranger occasionnellement - que ce que nous
venons de dire n'existait pas, qu'on pouvait simplement venir chez nous et
avoir sa façon de voir l'éducation, sa façon de voir le
droit, et puis du moment que... Bon, ça suffit.
Mme Gagnon-Tremblay: Je pense que je vais être très
claire à ce sujet-là.
Vous pariez aussi de laïcité publique dans la section qui
traite des accommodements d'ordre religieux, entre autres. Pourquoi et dans
quel secteur particulier jugez-vous souhaitable de laïciser la
société québécoise? Est-ce que vous avez des
exemples à me donner, cependant?
M. Harvey: Nous prévoyons très
précisément un certain nombre de difficultés, pour ne pas
parler de conflits, qui commencent à croître, en particulier au
niveau scolaire. C'est sûr que notre institution à nous a toujours
été pour la disparition de la confessionnalité scolaire
publique, là, à Québec et à Montréal,
puisque c'est surtout là que la Constitution la met, depuis longtemps.
Nous faisons remarquer que ce n'est pas une position scandaleuse. Les
évêques du Québec l'ont affirmé il y a plusieurs
années, le diocèse de Montréal résistait davantage,
mais nous avons toujours, donc, favorisé une position où
l'éducation religieuse, la formation religieuse est l'affaire des
groupes religieux, des paroisses et de l'équivalent pour les autres
religions. Par conséquent, nous souhaitons une laïcisation de ce
point-là avant que nous arrivions à des conflits interreligieux
sur le terrain de l'école.
Deuxièmement, en peut-être moins clair mais un jour ou
l'autre ça va venir, la question du choix de nos fêtes
religieuses, qui sont des fêtes judéo-chrétiennes quand
elles ne sont pas purement civiles, comme la fête de Dollard, mais
un jour ou l'autre nous allons avoir à aborder: est-ce que nous
allons reconnaître les fêtes religieuses des groupes importants
autres que juifs et chrétiens chez nous? À ce moment-là,
je pense qu'une laïcité plus grande est également
souhaitable. (18 heures)
Et puis évidemment nous allons avoir aussi probablement des
questions du côté de certains droits, par exemple pour les oeuvres
à but non lucratif, les charités, les exemptions d'impôt,
des choses comme celles-là. Alors, tout ça aussi fait partie...
Je pense que c'est les principaux domaines que moi je vois, là,
où je dis que la laïcité est certainement... En d'autres
termes, il va falloir former des gens capables de vivre - de bons citoyens -
avec la Charte des droits de la personne. De ce point de vue là, j'ai
beaucoup de respect pour celle du Québec, très bien faite au
point de vue pédagogique, qui servira finalement de lien entre les
confessions religieuses.
Mme Gagnon-Tremblay: Vous conviendrez que ce n'est pas toujours
facile de discuter de ces choses et de trouver des accommodements, là,
ou des...
M. Harvey: Non, c'est sûr.
Mme Gagnon-Tremblay: Qui, croyez-vous, pourrait nous aider,
justement, dans la recherche de solutions à ce niveau-là? Bien
sûr que je pense que votre organisme peut le faire aussi, mais est-ce
qu'il y a d'autres intervenants, que ce soit, par exemple, au niveau religieux,
ou est-ce qu'il y a d'autres intervenants qui pourraient nous donner leur
collaboration?
M. Harvey: Je ne veux pas risquer des choses trop imprudentes,
mais je pense que l'Association des évêques du Québec
accepterait très facilement d'être partenaire dans un groupe
multireligieux, un comité interreligieux qui travaillerait patiemment
ces questions-là avant qu'on arrive a des difficultés
importantes.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci. Il y a également dans votre
mémoire la page 5 où vous dites regretter que la position
québécoise à l'égard des revendicateurs du statut
de réfugié ne soit pas davantage développée dans
l'énoncé. Alors, vous savez fort bien qu'ill s'agit toujours
d'une compétence exclusive au gouvernement fédéral, la
revendication du statut de réfugié. Par ailleurs, vous
recommandez une amnistie générale pour les revendicateurs
à cause...
M. Harvey: On l'a déjà publié dans la revue
Relations il y a déjà près d'un an. Après
avoir longtemps pesé le pour et le contre de cette question-là,
nous avons fini par constater que les distinctions qu'on peut faire... D'abord,
je dois dire que, pour ma part, j'étais membre du Conseil des
communautés culturelles lorsque le rapport Plaut est paru. On nous a
demandé un avis pour Mme la ministre de l'époque et nous avons
donné un avis qui, à mon avis, était trop bon. Nous
aurions dû être plus clairs. Nous n'avons pas réalisé
que nous ralentissions beaucoup le processus en pensant
l'accélérer. En tout cas, c'est ma pensée à moi,
que le rabbin Plaut avait quelque chose de très généreux,
mais en même temps, surtout avec le jugement Singh qui donnait
accès à la Cour suprême dans à peu près
n'importe quel cas, nous nous engagions dans une voie terriblement
difficile.
Comme il y a eu cet afflux de requérants, qui a été
un phénomène européen aussi, en même temps que chez
nous, nous avons été débordés et nous allons rester
débordés tant que nous ne trouverons pas une solution. Il n'y a
pas moyen de faire autrement. Le nombre, le "backlog" comme on dit en
français, est toujours très considérable. Alors, nous
avons recommandé l'amnistie générale en inventant en
même temps un mécanisme comme ma collègue,
Thérèse, l'a dit pour éviter que l'amnistie amène
une nouvelle vague de personnes qui prennent la place des immigrants qui ont
l'amabilité, si on peut employer le mot, de suivre la chaîne, de
suivre l'ordre, de passer à travers la grille, etc.
Mme Gagnon-Tremblay: Vous me permettrez de m'interroger un petit
peu sur le réalisme de la proposition parce que, d'une part, bien
sûr que vous dites: Oui, on aimerait donner l'amnistie, parce qu'on sait
qu'il y a des personnes, pour des motifs humanitaires... on sait que ces
personnes sont ici depuis fort longtemps et que c'est inacceptable, mais,
d'autre part, il ne faudrait pas non plus envoyer ce message: trop d'ouverture.
Donc, je me dis: Lorsqu'on donne une amnistie, bien sûr qu'à ce
moment-là, automatiquement, on encourage le maintien et même le
volume du mouvement, parce que vous savez qu'actuellement nous accueillons,
malgré ce contingent de tout près de 35 000 personnes... il nous
en arrive encore tout près de 1000 par mois, ce qui est énorme,
mais énorme, pour le Québec, parce que ça débalance
actuellement nos structures. Ça crée quand même un impact,
aussi, incroyable sur nos finances.
D'autre part, supposons qu'on dise: Oui, on va dans ce sens-Jà -
ça ne relève pas de nous, remarquez, mais si on l'encourageait -
il y a aussi l'impact de la réunification familiale. Il ne faut pas
l'oublier. C'est que, demain matin, si le gouvernement fédéral
disait: On donne l'amnistie à 100 000 personnes au Canada, donc 35 000
au Québec, ça signifie, bon, d'après les chiffres que me
donnait mon homologue, c'est peut-être de l'ordre de 800 000 à 1
000 000 de personnes qui pourraient arriver assez rapidement. Donc, vous
comprenez que, là, l'absorption, on aurait un peu de
difficultés.
Aussi, c'est qu'il faut dire que ces personnes qui sont ici et qui ne
sont pas sélectionnées par le Québec, ça va donner
aussi la couleur familiale dans quelques années, ça va donner la
couleur familiale parce que, lorsqu'on dit, par exemple, qu'on
sélectionne nos indépendants et qu'on tend vers un pourcentage de
60 %, c'est parce que, là, c'est des gens vraiment qu'on
sélectionne en fonction de nos objectifs.
Par contre, on sait que la famille qui accompagnera par la suite ces
indépendants, nous avons déjà un peu une idée, le
profil de cette famille-là. Mais, cependant, les gens que nous n'avons
pas sélectionnés, en donnant l'amnistie, font venir leur famille
aussi, et c'est tout à fait normal, donc ça a un impact. Est-ce
que vous avez songé à ça?
M. Harvey: Je suis bien conscient de la force de votre objection
et puis, aussi, de ce point-là de réunion familiale. J'ai un peu
de tests moi-même, j'ai dirigé autrefois une opération de
régularisation des immigrants clandestins haïtiens. Ce que
ça a donné, c'est que chaque immigrant ajoutait 1,5 immigrant.
Donc, il fallait multiplier par 1,5 tous les cas. Alors, pour 3000 qu'il y
avait, ça a fait 8000 en tout. Alors, je pense que ça risquerait
d'être à peu près ça. J'aurais peur du 1 000 000
dont vous parlez, mais mettons que les 40 000 qu'il y a au Québec ou 42
000 donneraient certainement l'équivalent de la ville de Sherbrooke ou
quelque chose comme ça, hein, ou un peu plus. Mais, comme vous dites, on
ne sélectionne les réunions de famille ni dans un cas ni dans
l'autre.
Par ailleurs, moi je trouve que le procédé que nous
employons qui est d'avoir le frein perpétuel, c'est un
procédé cruel. Je n'ai pas d'autre mot pour ça. J'aimerais
mieux qu'on invente un procédé. Il faudrait probablement
étudier les procédés européens. Moi, dans tous les
cas, j'examinerais la possibilité de concevoir une situation
intermédiaire pour les requérants du statut de
réfugié qui serait, je dirais, inconfortable sans être
cruelle, qui ferait, par exemple, que ça ne donnerait pas le goût
de passer à travers nos grilles et d'arriver au Canada. On pourrait le
faire quand même, mais ça donnerait plutôt le goût que
c'est seulement les cas graves, les cas qui relèvent de la Convention de
Genève ou de l'équivalent économique, parce
qu'aujourd'hui, vous le savez très bien, mieux que moi... Moi, je pense
qu'il faudrait trouver de ce côté-là.
Notre idée, c'est qu'il n'y a qu'un type d'arrivées chez
nous qui amène la citoyenneté après trois ans. Il y aurait
certainement moyen d'inventer une formule qui admettrait qu'il y a là
une violence faite au système canadien ou, éventuellement, dirait
M. Dorion, québécois, et puis, à ce moment-là, je
dirais une violence, en retour, proportionnée. J'aimerais mieux
ça. C'est pour ça que nous parlons d'amnistie, quoique le mot
"amnistie" est malheureux, comme vous savez, parce qu'il n'y a pas de faute.
Une amnistie, c'est pour un crime.
Mme Gagnon-Tremblay: Une dernière question. Est-ce que
vous seriez, dans les circonstances - parce que je comprends les motifs
humanitaires et je comprends aussi la situation de détresse que vivent
souvent ces personnes sur place, finalement, suite aux attentes du statut -
portés à nous conseiller de comptabiliser ces personnes-là
dans le pourcentage de réfugiés que nous sélectionnons
à l'étranger, c'est-à-dire: occupons-nous de ceux qui sont
ici, quitte à réduire la sélection de
réfugiés à l'étranger?
M. Harvey: Je ne sais pas ce que mes collègues en
penseraient, mais moi je pense que oui. D'abord, actuellement, il faut dire que
la situation des réfugiés est peut-être moins violente
qu'elle l'était il y a quelque temps, mais là elle va
probablement redevenir violente après la guerre du Golfe. La crainte que
j'aurais, ce serait qu'on a de plus vrais réfugiés dans les camps
que ceux qui sont arrivés chez nous. Alors, moi, j'éviterais...
Non, j'aimerais mieux voir la situation comme telle du requérant devenir
moins séduisante pour que les personnes n'y recourent que lorsqu'elles
sont véritablement dans une situation de détresse, soit au sens
de la Convention de Genève, soit au sens économique.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci.
Le Président (M. Gobé): Merci, Mme le ministre.
Maintenant, M. le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques, vous avez
la parole pour 15 minutes, vous aussi.
M. Boulerice: Eh bien, père Harvey, le moins qu'on puisse
dire, c'est que votre second passage aura été moins
polémique que le premier. On vous avait fait, à l'époque -
je m'en souviens avec tristesse - un procès d'intention. Il n'y a pas
plus forme exécrable que le procès d'intention. Je l'avais
déploré. Je ne dirai pas que vos propos étaient prudents,
non, pas du tout, je pense que vous avez conservé votre franc-parler et
êtes allé au fond des choses.
L'avantage de la ministre, c'est qu'elle a parlé avant moi. Donc,
elle m'a chipé au moins deux questions que j'aurais aimé poser,
parce que vous savez que l'éventail des questions, quand même,
c'est limité. Ça ne va pas à l'infini. Il y en a quatre,
cinq de plausibles et voilà que très souvent on se canarde nos
questions un peu sans s'en rendre compte.
Moi, je vais aller dans une autre puisque, en lisant votre
mémoire, vous avez fait allusion à un sondage que ma formation
politique a fait. Je prêcherai de modestie, vous savez que notre
équipe de sondage est reconnue comme une des
meilleures en Occident. Je ne sais pas si vous avez eu, père
Harvey, toutes les données, mais je vais regarder pour ce qui est de
l'identification québécoise, pour ce qui est de ce que nous avons
appelé les communautés culturelles. Ceux qui sont originaires de
France ont une identification québécoise à 71 %.
Naturellement, puisqu'on parle de France, donc on fait allusion à la
grammaire française, il y a toujours une exception qui confirme la
règle. Mon collègue, le député de LaFontaine, lui,
s'identifie Canadien, non pas Québécois, mais cela est bien son
droit.
Ceux originaires des pays d'Amérique latine s'identifient
Québécois à 42 %, alors que ce n'est que de 34 % pour ceux
originaires d'Haïti. Dieu seul sait que, s'il y a un pays que nous
connaissons bien tous deux, c'est bien Haiti, et vous, mille fois mieux que
moi, entre parenthèses. Trente pour cent pour les pays arabes, donc on
présume que ce pourcentage est peut-être sans doute plus
élevé, compte tenu que certains sont originaires des pays du
Maghreb. Afrique, l'on parle de l'Afrique noire, c'est bien entendu qu'il y a
les pays qui ont subi la domination anglaise, donc ça tombe à 20
%. Pour ce qui est de la Grèce, 9 %; l'Italie, 17 %. Ce sont des
communautés qui sont assez vieilles au Québec.
Comment pouvez-vous m'expliquer ce phénomène? Avez-vous
réfléchi à cette question? Puisque vous avez parlé
de culture publique commune où il y aurait moins de réticence que
ce qu'on avait, nous, avancé comme convergence culturelle, etc., comment
pouvez-vous m'expliquer ça? Est-ce que ces chiffres-là renforcent
un peu la critique que vous avez faite de communauté culturelle,
où on ferait du Québec une espèce de conglomérat de
principautés de Monaco? Je vais employer un vocabulaire, enfin, celui de
l'arithmétique de notre école primaire, on regarde bien gros les
numérateurs en oubliant qu'il faut d'abord et avant tout un
dénominateur.
Je sais que ma question est très sociologique, très
philosophique, mais, connaissant vos compétences et vos aptitudes dans
ces deux domaines, je vais sans doute obtenir une réponse.
M. Harvey: Ha, ha, ha! Merci, M. le député.
J'aurais trois, quatre mots de réponse, pour laisser à mes
collègues s'ils ont d'autres inspirations. D'abord, la première
chose, si ce que vous dites là est exact et confirmé par d'autres
recherches - par exemple, je signale que l'Université du Québec,
la constituante centrale, a fait faire une recherche sur le choix des
universités et des collèges et puis les groupes sont à peu
près les mêmes - le choix de l'anglais au Québec va
très souvent avec l'identification canadienne. Donc, le choix de la
langue explique que les groupes soient tellement différents.
Deuxièmement, je pense que, lorsque des immigrants chez nous
viennent de pays où il n'y a pas de province, nous sommes une
curiosité, si vous voulez, étant une fédération
comme la
Suisse et quelques autres pays. Les immigrants qui viennent de pays
fortement unifiés sont portés à passer par-dessus le
gouvernement provincial. J'ai été frappé, dans certains
groupes, même universitaires, de voir que certains disaient: Non. Moi je
ne reconnais qu'un gouvernement, c'est Ottawa. Mais je leur disais: C'est quand
même curieux. Vous êtes arrivés dans une
fédération où les gouvernements provinciaux ont une
consistance. Bon. Alors, il y a ce fait là aussi.
Et puis un troisième vient certainement de la façon dont
la publicité a été faite à l'étranger,
surtout pour les groupes plus anciens. Dans certains cas, ils n'ont jamais
entendu parler d'une identité québécoise et, donc, ne
l'ont pas trouvée en arrivant. Ça, je pense qu'il y a au moins
ces trois questions-là. (18 h 15)
Je signale une étude vraiment très bonne qui a
été faite par le gouvernement fédéral
l'année dernière, en novembre 1990, par M. Derrick Thomas:
"L'intégration des immigrants et l'identité canadienne". Vous
connaissez peut-être ce texte-là qui pose l'inverse de votre
question: comment il se fait que des gens ont une identité canadienne
différente?
Mais je pense que le quatrième élément de ma
réponse, il est dans le mémoire de la Société
Saint-Jean-Baptiste. À la limite, on aura toujours une identité
québécoise fragmentée aussi longtemps que ce sera un pays
dans un pays. Ça m'apparaft inévitable que, le jour où le
nationalisme du Québec sera un nationalisme territorial parce qu'on aura
dépassé le nationalisme ethnique, à ce moment-là il
ne sera pas question de savoir si on aime les francophones. Ça sera le
pays. On va dire: Est-ce qu'on aime le pays? "Love it or leave it", comme
disent nos amis américains. Moi, je pense qu'il y a là un
argument très fort et qui est difficile à dépasser. Si
nous voulons continuer à avoir une forte immigration sans devenir des
discriminateurs, il va falloir que de plus en plus on insiste sur la
consistance du pays et non pas sur sa liaison partielle et pas très
claire. Jusque-là, on aura toujours des immigrants et des groupes
immigrants dont la solidarité québécoise sera
inégale.
M. Boulerice: Oui, je vous en prie.
Mme Benguerel: Oui. Deux mots seulement. Je pense qu'il y a des
causes qui peuvent différer suivant l'origine des gens. Quand je pense
à des gens que je rencontrais encore la semaine dernière, dont le
pays est très opprimé, où il y a toutes sortes de
problèmes d'ordre politique, économique, social, c'est
évident que ceux qui sont ici, ça va prendre du temps à
vraiment atterrir complètement. Ils gardent trop de
préoccupations de ce qui se passe encore chez eux. Et puis, pour
d'autres groupes plus anciens, moi je pense que toute cette doctrine du
multi-
culturalisme, ça laisse des traces. Les groupes ethniques des
communautés culturelles ont souvent beaucoup d'appréhension face
à l'intégration. On a beau vouloir expliquer que c'est mutuel,
cette osmose qui se fait, qu'il ne s'agit pas d'assimilation - bien sûr,
à la longue, il y a des choses qui vont être perdues, mais c'est
le meilleur de chacun qu'on intègre - ça, vraiment il me semble
que c'est une des résultantes de cette peur d'être
intégré, le multiculturalisme.
Il y a aussi notre société d'accueil qui a vraiment besoin
d'être ouverte et soutenue dans des efforts, encore une fois, de
compréhension de ce qui se passe ailleurs dans le monde et des causes de
ces gens exilés, immigrés ici, puis d'une véritable
acceptation. On a du chemin à faire encore, je pense.
M. Boulerice: J'ai de la difficulté à absorber ce
concept, la peur d'être intégré. Je veux dire, sans avoir
fait le tour du monde, je pense avoir visité quelques pays, puis on a
cité d'ailleurs tantôt le pays de M. le président de la
commission, le pays d'origine, je veux dire, la France, et M. Bouthillier
faisait la remarque sur l'immigration polonaise en France, de l'immigration
russe blanche; je dis "russe blanche" dans son sens politique puisqu'il y a eu
une grande vague après la révolution. Des cas, même, et
ça me permet enfin de le dire, il a fait allusion au
cardinal-archevêque de Paris, Mgr Lustinger, comme on dit à Paris,
mais c'est plutôt Lustinger, qui est un Français d'origine
juive-polonaise, ce qui permet d'ailleurs, je vais le répéter,
une blague très amusante qui circule en France: Pourquoi le grand rabbin
de France est-il séfarade? Parce que le cardinal-archevêque de
Paris est ashkénaze. Mais il n'y a pas eu, auprès de ces
communautés, dans une terre d'immigration qui a été la
France, cette peur de l'intégration.
M. Harvey: Question de prestige. C'est une loi, en anthropologie,
que l'acculturation se fait par le prestige. Alors, au moment où la
culture d'accueil devient prestigieuse, elle intègre facilement. Dans le
texte que je viens de citer, de Derrick Thomas, on cite toutes sortes d'indices
comme par exemple le fait que la rétention de la langue d'origine comme
langue de communication à la maison et à l'intérieur du
groupe est plus que deux fois plus grande à Montréal qu'à
Toronto. Il y a deux fois plus et même plus que deux fois plus de
familles qui gardent leur langue d'origine. C'est parce qu'elles n'aiment pas
le français! Le français n'est pas assez prestigieux, il n'est
pas assez nécessaire au travail. C'est pour ça que je suis
tellement content, on a vraiment, sincèrement, remercié Mme la
ministre d'avoir créé cette politique à ce point-ci, parce
que, si ça pouvait donner l'exemple pour qu'on ait un
énoncé de politique sur le travail qui complète, qui
correspond à ça, qui fait que l'école n'est pas seule et
que...
Qu'est-ce que vous voulez? Les Libanais ont laissé établir
chez eux des universités françaises, américaines, mais ils
ont exigé que pour pouvoir pratiquer une profession au Liban il fallait
parler arabe. Alors, avec ça ils n'ont pas de problème.
M. Boulerice: Vous avez parlé de valorisation. Bon,
premièrement, j'ai apprécié que vous ayez marqué,
enfin, que vous ayez dénoncé cette affirmation dans
l'énoncé, qui est "s'ouvrir sur le monde", "a besoin de
l'immigration pour s'ouvrir sur le monde". Ça, je vous avoue que
là aussi je trouvais ça un peu propagandiste, comme si le
Québec était fermé. Je veux dire, vous connaissez
l'objectif fondamental de ma formation politique, c'est la souveraineté.
Pourquoi? Parce qu'on trouve que le Canada, c'est trop petit. C'est le monde
qu'on veut, comme tel. Donc, je suis bien d'accord avec vous que vous ayez
dénoncé cela.
Mais vous parlez plus loin des communautés culturelles. Il y a eu
une intervention; je ne sais pas si vous la partagez, je ne sais pas si vous
avez fait parallèlement la même réflexion sans pour autant
l'avoir exprimée dans le texte comme facteur d'intégration. Je ne
dis pas assimilation pure et simple, mais intégration. Un ou deux
groupes, je crois - de toute façon, peu importe le nombre - ont
proposé l'abolition pure et simple du ministère des
Communautés culturelles en disant: Le ministère des
Communautés culturelles est en quelque sorte... Bon, oui, il y a des
subventions pour des choses communautaires, voilà, mais cela peut
exister à travers le ministère des Affaires sociales et bien
d'autres ministères, dépendant de la sphère
d'activité. Mais est-ce qu'on va avoir un ministère des arts et
de la culture pour les Québécois d'origine polonaise,
arménienne, grecque, etc.? On suggérait que cela relève,
de façon à leur bien faire comprendre qu'ils vivent dans un pays
où il doit y avoir quand même un certain dénominateur, que
ça relève tout simplement du ministère des Affaires
culturelles, et qu'il existe actuellement. Qu'est-ce que vous en pensez?
M. Harvey: D'abord, c'est des promotions qui ont
déjà été faites au colloque du Parti
québécois à l'Université de Montréal,
à l'automne; on a même parlé d'abolir complètement
le ministère, de n'avoir simplement qu'un ministère de la
population ou de la citoyenneté. C'est sûr. Récemment, nous
avons encore entendu proposer...
M. Boulerice: ...d'une personne issue d'une communauté
culturelle, entre parenthèses. O.K.? Ha, ha, ha!
M. Harvey: Ah oui, c'est des personnes des communautés
culturelles, en plus, qui l'avaient fait.
M. Boulerice: Qui vous avaient déjà pourfendu, mais
enfin...
M. Harvey: Exactement.
M. Boulerice: ...on ne fera pas l'historique. Ha, ha, ha!
M. Harvey: Récemment, on a parlé d'appeler le
ministère: ministère de l'intégration. Je ne suis pas
sûr, mais il reste que, si je comprends bien, au début du
ministère - vous me corrigerez si mon histoire n'est pas correcte - on
voulait faire mieux qu'Ottawa. Ottawa a toujours lié l'immigration
à la main-d'oeuvre et, alors, on se disait: On ne veut plus faire ce jeu
de parler des immigrants seulement comme des gens qui viennent travailler ici
et éventuellement faire ce que les Canadiens ne veulent pas faire. On
voulait être plus humanistes, plus généreux. Mon
collègue Jacques Couture tenait beaucoup à cette
dénomination.
Par ailleurs, vous avez raison de dire que, si la dénomination
"communauté culturelle" était nécessairement
associée au multiculturalisme, je pense que, le livre blanc ayant exclu
le multiculturalisme comme formule, il faudrait remettre en question cette
chose-là.
Dans le texte que je vous citais tantôt, il y a des bonnes choses,
dans les textes d'Ottawa. Il y a à la page 2, si vous voulez: Les droits
qu'a acquis la minorité francophone au Canada ont servi de
précédent à des concessions à d'autres groupes
minoritaires qui n'auraient pu sans cela les obtenir. Le multiculturalisme est
à plusieurs égards une extension logique du biculturalisme. Donc,
ça vient, comme vous le savez, du rapport BB de 1971, en
réalité, à ce moment-là. Alors, oui, si ça
devait nuire à l'unité du pays, l'idée de
communauté culturelle étant une idée, selon nous,
provisoire, une aide en pratique nécessaire à
l'intégration mais non pas le commencement d'un groupe qui va se
maintenir en parallèle avec les autres, il faudrait peut-être
modifier le nom. Mais, jusqu'à présent, curieusement je serais
porté à conserver le nom, quitte à ce que dans la
politique elle-même il y ait les corrections nécessaires.
M. Boulerice: D'accord. Une dernière...
Le Président (M. Gobé): En terminant, M. le
député, s'il vous plaît.
M. Boulerice: Bien, vous comprenez, moi j'ai toujours beaucoup de
plaisir à dialoguer avec le père Harvey.
Le Président (M. Gobé): C'est très
intéressant, d'ailleurs.
M. Boulerice: C'est effectivement très intéressant.
C'est pour ça qu'on attendait tous sa venue.
Le Président (M. Gobé): Mais malheureusement le
temps...
M. Boulerice: Mais, ceci dit, père Harvey, vous avez dit:
Bien oui, le français n'est pas une langue qui a un prestige; en fait,
elle en a un, mais aux yeux de certaines personnes ce n'est pas une langue qui
en a suffisamment pour qu'elle soit attrayante. Donc, la question que je vais
vous poser, elle est vraiment très simple. Une langue a bien des
prestiges; une langue peut avoir un prestige culturel, voilà, mais,
quand une langue ne permet pas de gagner son pain aussi, c'est une langue qui
est vraiment très dévalorisée, c'est une langue qu'on
appelle de vestiaire. On la laisse dans son casier et adieu.
Nous avons, nous, comme Opposition officielle, déposé un
projet de loi, le projet de loi 91, qui vise à la francisation des
entreprises ayant 150 employés et moins. Croyez-vous que c'est une
mesure qui inévitablement nous conduirait vers une meilleure
intégration, une meilleure perception de l'utilité de la langue
française? Considérez-vous cette loi comme essentielle pour
atteindre les objectifs que l'on souhaite voir se réaliser dans
l'énoncé de principe?
M. Harvey: Oui. C'est une loi un peu drastique, mais je pense
qu'elle est inévitable. Je pense qu'à partir de 10... Nous avons
fart une première exploration qui mériterait d'être
vérifiée. Il faudrait que des experts s'y mettent, là.
Nous pensons que plus de la moitié des immigrants de Montréal
travaillent dans des boutiques de moins de 50 personnes. Nous avons des
chiffres; maintenant, il faudrait que ça soit repris par quelqu'un qui a
plus d'ouverture encore. À ce moment-là, la moitié des
shops, des "sweatshops" et autres risquent de passer à l'anglais presque
inévitablement. Alors, moi, je pense que la motivation des jeunes
à l'école...
La Société Saint-Jean-Baptiste avait un colloque en fin de
semaine, il y a deux semaines, sur la langue, à Montréal, et des
professeurs des écoles très menacées comme Saint-Luc, par
exemple, pour en nommer... Il y avait deux personnes représentant
l'école Saint-Luc qui, comme vous le savez, a 86 % à peu
près de personnes de langue étrangère. Elles disaient: On
n'est pas capables de contrôler le passage des gens au français,
au point que des parents envoient leurs enfants à l'école
Saint-Luc, une école française, pour apprendre l'anglais. C'est
justement parce qu'ils reconnaissaient, eux aussi: On n'en a pas besoin pour le
travail. On va être un peu bilingues pour le dépanneur.
C'est merveilleux que le progrès se soit fait, M. Dorion l'a
cité avec raison tantôt, il se fait vraiment des progrès
chez les jeunes, il faut être content. Surtout, certains groupes
qu'on peut nommer font des progrès considérables, les
Latino-Américains, les Portugais, les Vietnamiens, évidemment
tous les arabophones en général passent au français de
plus en plus, et chez les jeunes c'est vraiment pas mal aussi. Mais, quand le
travail le requerra, c'est sûr qu'on aura la réponse. Alors, oui,
oui, tout à fait d'accord avec la loi.
Le Président (M. Gobé): En terminant, M. le
député de Sainte-Marie-Saint-Jacques, vos mots de remerciement ou
de conclusion, s'il vous plaît.
M. Boulerice: Oui. Je dois vous remercier, Mme Benguerel,
père d'Aragon et père Harvey. Je vais vous quitter sur une
boutade. Le général de Gaulle, arrivant à Alger, avait dit
à ses adjoints: Regardez-moi, je ferai des vagues. Je pourrais
peut-être vous dire: Vous n'avez pas fait de vagues, mais vous nous avez
sans doute permis de mieux naviguer sur ce lac, là, qu'on est en train
de... Enfin, quand je dis lac, vous savez qu'on est un pays qui a absolument
besoin de s'identifier par un lac, moi j'ai choisi le mien, c'est plutôt
le lac Saint-Jean que le lac Meech, mais je pense que vous nous avez permis
effectivement de mieux naviguer là-dedans en nous apportant d'une part
votre expérience et d'autre part une réflexion que vous avez
depuis des années à ce niveau-là.
Je vous suis profondément reconnaissant d'être revenu
à la commission de la culture sur le dossier de l'immigration, et
à très bientôt, j'espère.
Le Président (M. Gobé): Merci, M. le
député de Sainte-Marie-Saint-Jacques. Avant de passer la parole
à Mme la ministre, juste peut-être vous reprendre. Vous m'avez mis
en cause, au début de votre intervention, et je ne saurais laisser
passer cela. S'il est vrai que je suis d'origine française et que je
m'identifie au Canada comme un grand nombre de personnes, il est aussi vrai que
cela démontre qu'on peut être Canadien et s'intégrer au
Québec, car je suis maintenant député et la
société québécoise a voté pour moi. Donc, on
peut être Français d'origine, Canadien, vivre au Québec et
se sentir très à l'aise dans ce grand pays que j'aime beaucoup.
Merci, et je passerai la parole à Mme la ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Ceci étant dit, vous savez, M. le
député, que, quand on ouvre une porte, généralement
on entre dans cette porte; c'est ce que mon collègue a fait.
M. Boulerice: ...refuse jamais l'invitation. Des voix: Ha,
ha, ha!
Mme Gagnon-Tremblay: Alors, moi, je vais vous remercier, bien
sûr, et selon ce que j'ai compris de votre mémoire, entre autres
vous indiquez très clairement que nous avons besoin d'un message, d'un
message qui soit très clair à donner non seulement aux gens qui
arrivent ici, mais aux gens qui doivent choisir leur nouvelle terre. Alors, je
suis d'opinion, moi aussi, qu'il faut travailler dans ce sens. Je vous remercie
parce que je pense que vos réflexions vont alimenter la nôtre et
permettre de bonifier cet énoncé de politique. Merci
beaucoup.
Le Président (M. Gobé): Merci, madame, merci,
messieurs. Ceci mettant fin à nos travaux pour cette séance, je
vais donc suspendre les travaux jusqu'à 20 heures ce soir et je
souhaiterai à tout le monde un bon appétit. La séance est
maintenant suspendue.
(Suspension de la séance à 18 h 32)
(Reprise à 20 h 10)
Le Président (M. Gobé): S'il vous plaît, si
vous voulez prendre place à la table en avant, il me fera plaisir de
vous accueillir.
La séance reprend maintenant ses travaux et je vais rappeler
rapidement le mandat de la commission qui est de tenir des audiences publiques,
une consultation générale sur l'énoncé de politique
en matière d'immigration et d'intégration intitulé "Au
Québec pour bâtir ensemble", ainsi que sur les niveaux
d'immigration souhaités pour les années 1992,1993 et 1994.
Nous allons maintenant entendre la Ligue d'Action nationale. Nous devons
terminer à 21 heures. Nous accueillons, je crois, M. Rosaire Morin,
président - bonjour, M. Morin - M. René Blanchard,
vice-président. Ah! M. Morin n'est pas là, d'après ce que
je crois comprendre.
Une voix: II est au centre.
Le Président (M. Gobé): Ah, c'est vous. Bonjour, M.
Blanchard. M. Jean-Charles Claveau, directeur, et M. Turcotte. Si vous voulez
prendre place en avant. Alors, messieurs, bonsoir. Sans plus attendre, vu qu'on
a dépassé un petit peu l'heure du départ, je vous
demanderai de faire la présentation de votre mémoire.
Ligue d'Action nationale
M. Morin (Rosaire): M. le Président, Mme la ministre, Mmes
et MM. les députés, depuis 75 ans, la Ligue d'Action nationale
rappelle aux Canadiens français que l'avenir de leur nation - certains
parlent de peuple et d'autres de société distincte - que cet
avenir dépend de la volonté de chaque génération de
léguer à leurs enfants un héritage national plus riche que
celui qui leur a été transmis.
La Ligue a toujours affirmé des idées
claires, même si des politiciens jugent qu'elles sont très
arrêtées. Elle a cru et elle croit encore que la question
nationale en est une de vie totale, donc organique et synthétique. Tous
les aspects de la vie collective sont interreliés et doivent contribuer
à l'épanouissement d'une communauté francophone
isolée dans une terre anglo-saxonne.
Toutes les activités de la nation doivent converger et concourir
à cet épanouissement. Telle fut et telle est la position de
l'Action nationale, qui vise à sortir ses compatriotes de la mystique
étroite du parti politique et qui leur offre une orientation dans tous
les domaines de la vie nationale.
Depuis 75 ans, la ligue travaille humblement, modestement, sans l'appui
des gouvernements. Elle convoque des équipes de chercheurs, elle leur
fixe une tâche précise, elle publie leurs synthèses, elle
dépasse largement le rôle des organismes ordinaires. Au cours des
années, elle a défini des principes de vie nationale, culturelle,
sociale, économique et politique. Elle a regroupé des chefs de
file qui se sont distingués par la réflexion sociale et qui ont
produit des enquêtes de qualité sur les problèmes humains
de la communauté francophone.
Quelques noms des prédécesseurs soulignent la valeur de
l'action intellectuelle que nous avons poursuivie: Joseph-Papin Archambault,
Lionel Groulx, Edouard Montpetit, Esdras Minville, Guy Frégault,
André Laurendeau, Richard Ares, François-Albert Angers. Selon sa
tradition, la Ugue actualise ses opinions, elle les adapte à la
conjoncture et aux problèmes du milieu. Citons, entre autres travaux,
les 1500 pages de réflexion publiées annuellement et la
publication de dossiers sur la population en mai 1989, sur le nationalisme en
juin 1989, sur la jeunesse en avril 1990 et sur l'économie à
l'automne 1991.
Avant de présenter les recommandations de la Ligue en
matière d'immigration et d'intégration, nous voulons souscrire
aux orientations définies dans l'énoncé de politique. Les
objectifs et les intentions nous sont agréables, sauf les niveaux
d'immigration souhaités. Il convient toutefois de noter une certaine
imprécision dans l'élaboration de certains projets, mais nous
approuvons le dessein d'augmenter le recrutement d'investisseurs et
d'immigrants francophones.
Nous appuyons sans réserve l'idée de
l'établissement rural des immigrants. Nous jugeons prioritaire la
volonté de franciser les nouveaux venus. Mais nous devons aussi
souligner l'énorme faiblesse de la politique gouvernementale. Nulle part
il n'est question de la baisse de la natalité. C'est pourtant la faible
fécondité qui déclenche la campagne d'immigration massive
envisagée pour maintenir le poids démographique du Québec
dans une Confédération dont le squelette est sur le point
d'être désossé.
Dans notre mémoire, nous avons relevé cette faiblesse de
la fécondité. La famille est chambardée,
écrivions-nous. La nuptialité dégringole. L'union libre
devance le mariage. Un million de personnes, parents et enfants, sont
impliquées dans des divorces et des séparations. L'indice de
fécondité est l'un des plus faibles au monde. L'avortement et la
stérilisation sont à la mode. Ces phénomènes
sociaux affectent profondément la croissance de la population et il est
regrettable que le cloisonnement des ministères impose un tel
silence.
Il faut aussi noter l'incapacité du Québec à se
doter d'une politique québécoise d'immigration. C'est le premier
ministre lui-même, M. Robert Bourrassa, qui admet, dans l'introduction de
la politique gouvernementale, que dans le cadre constitutionnel actuel nous ne
possédons pas tous les pouvoirs nécessaires pour atteindre seuls
les objectifs du présent énoncé.
Nos recommandations sont précises. La sixième se lit
ainsi: établir un ministère de la population et de l'immigration
en vue de bâtir une politique globale de peuplement. La création
d'un tel ministère est nécessaire pour mettre en oeuvre un
politique globale des ressources humaines. L'énoncé de politique,
malgré l'excellence de ses intentions, ne peut redresser le
déclin démographique qui s'annonce. La qualité de vie de
la population québécoise, néo-québécoise et
immigrante requiert une planification efficace, entre autres, dans les domaines
de la politique familiale, de la formation professionnelle, du plein emploi et
des services offerts.
L'éparpillement gouvernemental des mesures relatives à la
population et à l'immigration est onéreux et inefficace. Sans un
ministère de la population, le Québec n'aura pas une
véritable politique de peuplement, d'immigration et d'intégration
des nouveaux venus.
Mais des raisons d'un ordre moral plus élevé nous incitent
à réclamer un ministère de la population. Le Québec
n'est pas divisible, il n'est pas une mosaïque, il n'est pas un ensemble
de minorités avec des droits particuliers pour chaque groupe. Le
Québec ne peut être divisé culturellement. Le Québec
est français. Cette reconnaissance est la base de l'unité
nationale. Dans un tel contexte, l'égalité des personnes
existerait et la non-discrimination serait la règle. Les
minorités ou les communautés culturelles ne seraient plus des
goupes marginaux. Avec toutes leurs différences, elles participeraient
à la société québécoise du Québec,
elle accepteraient notre identité nationale et la langue
française; ainsi s'enrichirait tout la collectivité
québécoise.
Un ministère de la population pourrait plus facilement souligner
les convergences et les ressemblances alors que le ministère des
Communautés culturelles signale davantage les différences et les
disparités, éprouvant même certaines difficultés
à mettre l'accent sur l'égalité des droits et des
obligations. Autrement dit, la structure proposée aurait plus
d'autorité pour demander aux immigrés d'accepter les
règles
et les valeurs de la société québécoise. Par
surcroît, elle jouirait d'une plus grande autonomie, de ressources plus
abondantes et d'une capacité accrue de faire travailler ensemble les
divers ministères concernés par la démographie.
La cinquième recommandation est primordiale: réussir
l'intégration au milieu francophone des communautés
néo-québécoises par la valorisation de l'enseignement du
français. Cet objectif correspond au plan de l'énoncé de
politique, mais il y a une marge considérable entre l'esquisse et la
réalité. Dans les faits, l'intégration a
échoué dans une très large mesure. Un seul allophone sur
10 parie français au foyer et, parmi ceux qui ont effectué le
transfert linguistique, 7 sur 10 ont choisi l'anglais de
préférence au français.
Dans les écoles de l'île de Montréal, les
élèves non francophones représentent 47 % de la population
étudiante; dans 40 écoles, ils sont déjà la
majorité. Un peu partout, ils utilisent couramment la langue anglaise.
Pourtant, au-delà d'un certain pourcentage, de 20 % à 30 % selon
les spécialistes, l'intégration ne peut se faire et ne se fait
pas. Devant la perspective évidente d'une société
d'accueil qui deviendra minoritaire, comment peut-on espérer
l'intégration des immigrants à une minorité
francophone?
Mais l'intégration n'est pas facile. Elle est rendue plus
difficile par l'impréparation des enseignants à faire face aux
problèmes pédagogiques que pose l'enseignement à des
jeunes non initiés à l'école québécoise. Par
surcroît, la plupart des programmes et des manuels ne sont pas
adaptés aux situations particulières qui se présentent,
d'où la nécessité de préparer adéquatement
le personnel et les professeurs à la réalité
interculturelle de ces écoles et d'améliorer l'enseignement du
français et de l'histoire du Québec. Le perfectionnement des
ressources humaines et l'accès à des services adéquats
sont donc des prérequis pour corriger des déficiences
constatées.
Encore et en tout temps, il faudra limiter obligatoirement à 25 %
maximum le pourcentage d'enfants immigrants accueillis dans une école.
Mais l'enseignement du français ne doit pas se limiter aux enfants. Il
doit être dispensé à tous les nouveaux venus qui
s'établissent en terre québécoise et aussi à tous
ceux qui sont ici établis, à ces femmes qui demeurent à la
maison ou aux immigrants et immigrantes qui travaillent à
l'extérieur du foyer. À peine 40 % d'entre eux ont suivi des
cours de français à temps plein ou à temps partiel, le
jour ou le soir.
Cet enseignement doit être confié aux commissions scolaires
et aux services d'éducation des adultes, les organismes les plus
compétents en matière d'éducation. Ce réseau
d'éducation est établi dans toutes les régions du
Québec et il regroupe les ressources humaines les mieux
préparées pour l'enseignement et les plus aptes à offrir
des services éducatifs de qualité adaptés à
l'intégration des immigrants, pourvu qu'on leur en fournisse les moyens.
Il conviendrait même de leur faciliter l'accès au milieu de
travail afin d'y établir des cours de langue et de culture
françaises.
L'incapacité d'intégrer l'immigrant ne sera pas
corrigée par des intentions, si vertueuses soient-elles. Or, des
démographes émérites démontrent que l'afflux de 40
000 immigrants par année provoquerait de très sérieux
problèmes de tout ordre particulièrement à Montréal
où la situation de la pauvreté ne peut être aggravée
- un immigrant sur quatre vit d'assistance sociale - et où le nombre des
immigrants est plus élevé que celui des naissances chez les
francophones. Dans un avenir prochain, le Québec coupé en deux
aboutirait à deux Québec dans un, une He de Montréal
à majorité anglaise et une province française.
Notre quatrième recommandation se lit comme suit: faire en sorte
que le français soit la langue de travail pour les communautés
néoquébécoises. Le Conseil de la langue française
vient de terminer une étude dont les résultats sont troublants.
Sur l'île de Montréal, 44 % des employés travaillent en
utilisant la langue anglaise. Cette situation est-elle normale? La francisation
du travail est fondamentale. Dans tous les pays, la langue de travail est celle
de la majorité. Il faut sans délai faire en sorte que le
français soit réellement la langue de travail des immigrants et
de tous les Québécois et Québécoises.
Au Québec, à Montréal en particulier, on pariera
français au travail quand on sera obligés de le faire. Parier
français au travail, même dans une PME, fait partie des droits de
la société d'accueil. Si le gouvernement ne fait pas du
français la langue de travail, surtout dans les petites entreprises,
là où les néo-Québécois travaillent,
l'effort de francisation réalisé dans les écoles sera
perdu, car les immigrants opteront toujours pour la langue qui leur offre des
possibilités de travail et de promotion. En conséquence, il est
urgent d'étendre aux entreprises de moins de 50 employés
l'obligation de la francisation. Si l'unilinguisme français n'est pas
imposé par le gouvernement du Québec, le bilinguisme
prôné et pratiqué par le fédéral nous
conduira éventuellement à l'unilinguisme anglais.
Notre troisième recommandation est très précise:
choisir ces immigrants en vue de leur régionalisation. Le gouvernement
du Québec doit mettre en oeuvre une vigoureuse politique d'incitation
à l'établissement des immigrants dans les régions hors
Montréal. Mais le programme appliqué n'est pas assez
élaboré et les moyens d'intervention sont à être
définis. Le débat entre les régionaux est à peine
amorcé et les initiatives suggérées sont nettement
insuffisantes pour produire des résultats significatifs. Malgré
tout l'intérêt que nous accordons à l'établissement
rural des immigrants, nous croyons que le plan esquissé dans
l'énoncé de politique ne décollera
pas de terre alors qu'il est indispensable au développement
même des régions.
Un plan d'ensemble doit être conçu pour le
développement des régions. Il faut d'abord réaliser les
études requises pour connaître les besoins régionaux de
main-d'oeuvre et les possibilités d'implantation industrielle. Des
ressources financières et humaines nécessaires doivent être
disponibles. Des mesures d'appoint doivent y attirer des investisseurs, des
ingénieurs, des médecins, des agriculteurs, des travailleurs
spécialisés et toutes les personnes capables d'apporter une
contribution à l'économie rurale. L'établissement rural
des immigrants représente un défi à relever et doit
être porteur de dynamisme, de progrès et de croissance pour les
régions.
Notre deuxième recommandation est la suivante:
sélectionner principalement des immigrants français investisseurs
ou travailleurs. Cette recommandation est prioritaire. En 1988, 16 % des 25 000
immigrants connaissaient le français. Le ministère songe à
hausser la proportion à 40 %, ce serait déjà une grande
amélioration. L'intégration linguistique en serait
facilitée et l'effort pourrait être concentré sur
l'intégration culturelle. Les moyens que proposent
l'énoncé de politique doivent être polis et davantage
élargis. Il faudrait notamment songer à attirer ici des milliers
de compatriotes établis en d'autres provinces, en Nouvelle-Angleterre,
en Louisiane.
Notre première recommandation est relative au niveau
d'immigration souhaité. Elle se lit ainsi: fermer les écluses: en
1991, accepter 5000 réfugiés et recruter 20 000 immigrants
investisseurs ou travailleurs intégrales. Les motifs sont clairs. Les
carences exposées dans notre mémoire sont exprimées en
faits irréfutables. Nous admettons que l'énoncé de
principe vise à corriger l'ensemble des déficiences
observées, mais l'application des intentions n'est pas pour demain.
Notre capacité à intégrer l'immigrant à la
majorité francophone ne sera pas spontanée. Il s'écoulera
aussi plusieurs lunes avant que le français soit la langue de travail.
L'établissement rural des immigrants n'est pas une opération
automatique. Le nombre d'investisseurs et de travailleurs francophones
correspondant aux besoins de l'économie ne triplera pas à partir
de notre désir. Cette constatation explique notre recommandation de
limiter le recrutement à 20 000 immigrants par année et d'en
augmenter les niveaux selon notre capacité réelle
d'intégration à l'économie et à la majorité
québécoise.
N'oublions pas qu'une politique d'immigration se définit d'abord
en fonction du contexte socioculturel, économique, démographique
et du climat moral dans lequel vit une nation. L'immigration ne peut et ne doit
être qu'un complément ou un appoint. Elle ne saurait se substituer
au renouvellement naturel, à la natalité. On ne saurait s'en
remettre à autrui du soin de se perpétuer. Un peuple doit trouver
dans l'immigration un moyen de se renforcer sur tous les plans, culturel et
linguistique plus encore qu'économique, un moyen de conforter son
identité. Cela veut dire que l'immigration n'est acceptable que si son
intégration parfaite est assurée. Cette intégration
suppose en particulier le respect de la compatibilité culturelle entre
la société d'accueil et les nouveaux venus et une distribution
géographique de ceux-ci dans tout le pays.
Je termine par la lecture des quelques lignes écrites en
conclusion de notre mémoire. Le déclin démographique est
plus tragique chez nous qu'en d'autres pays. Nous ne sommes qu'une
poignée. Notre population est comparable à celle de la
Norvège, de la Suède, du Danemark. La différence est
capitale: ces pays sont souverains, le Québec est encore une succursale
du Canada anglais et nous sommes entourés d'une masse de 250 000 000 de
personnes de langue anglaise. Si nous redressions le taux de
fécondité - ne pensons plus à la revanche des berceaux -
nous serions moins frileux pour ouvrir nos portes aux immigrants. Si le
français devenait la langue réelle du Québec, nous aurions
alors l'assurance de nous enrichir au contact des autres cultures.
Le Président (M. Gobé): M. Morin, je vous remercie
beaucoup de votre excellente présentation. Je vais maintenant passer la
parole à Mme la ministre de l'Immigration.
Mme Gagnon-Tremblay: Oui. Merci également pour votre
présentation et bienvenue aussi à cette commission parlementaire.
Vous faites état de l'enrichissement de la culture
québécoise. Vous mentionnez, justement à la page 3, que
les greffes nouvelles l'ont enrichie. L'enrichissement mutuel qui peut
résulter de l'apport de racines culturelles étrangères...
Vous mentionnez à la page 3 également: "Notre culture est en
marche". Par ailleurs, vous faites également état de la
présence de forts groupes minoritaires à culture
différenciée - on retrouve ça, par exemple, à la
page 17 - qui provoque des conflits. Vous parlez de religion, d'ethnie, de
langue. Également à la page 3, vous dites: "Le Québec ne
risque-t-il pas d'introduire des greffes étrangères qui peuvent
mettre en danger son tissu culturel original?" Vous continuez également
à la page 5 en disant: "On ne peut ouvrir les portes toutes grandes aux
immigrants sans éliminer nos sentiments de méfiance à leur
égard." À la page 6, vous dites que "la nouvelle culture
québécoise créera de nouvelles liaisons avec les
anglophones et les allophones". (20 h 30)
Donc, suite à ce que j'ai pu regrouper dans votre mémoire,
d'une part, vous constatez les bienfaits de l'immigration quant à
l'enrichissement de la culture québécoise et, d'autre part, vous
dites que les greffes qui ont enrichi le
Québec peuvent mettre en danger son tissu culturel original,
c'est-à-dire constituent une menace. Est-ce que vous pouvez
élaborer davantage sur ça?
M. Morin (Rosaire): Je ne crois pas qu'il y ait de contradiction
dans ces parties de phrases que vous avez citées, de la page 3 à
la page 18. Il est un fait certain, nous n'avons pas voulu mentionner... Nombre
d'immigrants qui se sont intégrés à la
société québécoise ont été pour nous
un enrichissement sur le plan culturel d'une façon indéniable. Il
y a dans tous les domaines des intellectuels, des écrivains, des
artistes, etc., qui ont été pour nous, sur le plan culturel, d'un
apport précieux, d'un apport certain. Nous pourrions citer des noms,
là, si j'en avais été prévenu, à la dizaine
et davantage.
Ce que nous soulignons par opposition aux bienfaits de l'enrichissement
qui provient d'une intégration réelle, ce sont ces groupes qui
vivent un peu en marge de notre société, qui vivent presque en
ghetto et qui soulèvent plus qu'une réserve de la part d'une
certaine population, non pas de nous, parce que depuis toujours nous avons
été favorables à une immigration. Depuis toujours nous
croyons, tant sur le plan économique que sur les plans culturel et
social proprement dits, que les nouveaux venus, s'ils savent dans quelle
cité ils viennent vivre et s'ils s'intègrent dans un processus
normal et qui s'échelonne dans le temps, seront pour nous des
Québécois et des Québécoises de première
qualité, je dirais de souche, à brève
échéance. On pourrait mentionner des M. Ryan à je ne sais
trop combien de Johnson ou autres qui se sont intégrés et qui
sont des Québécois à part entière.
Mais vous savez vous-même qu'il existe, et
particulièrement, disons... Je ne veux pas prendre l'école
Saint-Luc, à Montréal, la plus péjorative, mais dans tous
ces milieux où il y a 20, 30, 40 ethnies dans une école,
où elles représentent 30 %, 40 %, 50 % et parfois 60 % du nombre
de la population étudiante, vous savez qu'il n'y a là à
peu près nulle intégration possible et que ces jeunes, puisqu'ils
utilisent couramment la langue anglaise aujourd'hui, continueront demain
à s'associer au monde anglophone, particulièrement de
Montréal puisque 90 % des immigrants ou 89 % sont établis
à Montréal.
Il y a, vous le savez, certaines collectivités qui vivent
isolées, qui vivent dans leur milieu et dans leur quartier. Elles ne
sont pas sans soulever parfois même une certaine hostilité. Moi,
j'ai vu dans des écoles des bagarres à coups de chaîne puis
à coups de bâton entre des groupes, des jeunes francophones et des
jeunes d'autres groupes ethniques. Ce sont des scènes absolument
disgracieuses qu'on ne peut pas se permettre.
L'immigration? Oui, mais une immigration qui peut être
intégrée dans le milieu où elle est établie. Si
vous établissez à Salnt-Louls-du-Ha! Ha!, à
Saint-Honoré et à Saint-Tite quelques familles d'immigrants
intégrés, avec des emplois, il est garanti qu'il n'y aura aucun
problème d'intégration. Il y aura une certaine hésitation
des populations locales les premières semaines, mais je crois qu'avec
une politique de stratégie et de publicité à long terme le
gouvernement pourrait faire taire les sentiments d'hostilité qui
existent dans certains milieux, de réserve dans d'autres milieux.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci.
M. Morin (Rosaire): Dans des quartiers qui sont
déjà majoritairement composés d'éléments
minoritaires néo-québécois, majoritaires dans ces
quartiers, si nous allons là y ajouter encore 100 à 200
immigrants au cours de la prochaine année, Mme la ministre, je crois
qu'il y aura des gouttes quelque part qui déborderont.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci.
Le Président (M. Gobé): Très bien. Mme la
ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Ça va.
Le Président (M. Gobé): Je pense, M. le
député de Viger, que vous aviez une courte question à
poser.
M. Maciocia: Oui, une très petite question, M. le
Président.
Le Président (M. Gobé): Par la suite, M. le
député de l'Acadie, je vous reconnaîtrai.
M. Maciocia: Aux pages 15 et 17 de votre mémoire, vous
faites état du niveau canadien de 300 000 immigrants par
année.
M. Morin (Rosaire): Pardon?
M. Maciocia: Aux pages 15 et 17 de votre mémoire...
M. Morin (Rosaire): Oui.
M. Maciocia: ...vous faites état du niveau canadien de 300
000 immigrants. Savez-vous, d'après mes informations, que le plan
d'immigration pour les années 1991 à 1995 sera de 220 000 en 1991
et de 250 000 pour les années suivantes? Où vous êtes
allés chercher le chiffre de 300 000 immigrants?
M. Morin (Rosaire): 300 000, c'est Mme la ministre de
l'Immigration fédérale qui l'a annoncé officiellement, et
cela a paru dans les journaux de l'époque, il y a environ un mois,
peut-être cinq semaines. Depuis, je dois dire qu'elle a
limité le nombre d'immigrants travailleurs ou... Comment vous
appelez ça dans votre jargon, vous autres, là?
Une voix: Indépendants.
M. Morin (Rosaire): Indépendants. Elle a limité
depuis. Mais elle avait dit, avant la guerre du Golfe, pas du golf d'Oka, du
golfe Persique, qu'elle projetait une immigration à 300 000. Cela a
été dit officiellement, ça a été
publié dans les journaux. Depuis, elle a émis une réserve
sur le recrutement des immigrants indépendants. Elle a fermé les
portes temporairement, elle le dit elle-même, quitte à les rouvrir
prochainement. Mais, de toute façon, son chiffre antérieur, si ma
mémoire est fidèle, était de 225 000. C'est
déjà considérable.
M. Maciocia: Oui, c'est ça. C'est pour ça que je
dis que c'était entre 220 000 et 250 000. C'est pour ça que je
vous demandais le...
M. Morin (Rosaire): Antérieurement. Mais elle a
annoncé plus tard une addition à ses espérances.
M. Maciocia: O.K. Merci, monsieur.
Le Président (M. Gobé): Merci, M. le
député de Viger. Juste, M. Morin, rapidement, pour le
décorum de cette réunion, le genre de réflexion comme
guerre du golf d'Oka, je pense qu'on devrait s'en tenir au dossier de
l'immigration sans déborder sur des... Je comprends que c'est
peut-être dit sur le ton de la plaisanterie, là...
M. Morin (Rosaire): Vous trouvez que j'ai
débordé?
Le Président (M. Gobé): Bien, nous sommes en train
de parler de quota d'immigration et non du golf d'Oka.
M. le député de l'Acadie, vous avez maintenant la
parole.
M. Bordeleau: Oui. Merci, M. le Président. Je vais vous
donner différents extraits que j'ai tirés du mémoire et je
vous poserai une question.
M. Morin (Rosaire): J'ai de la misère à
comprendre.
M. Bordeleau: Oui, je m'excuse. J'ai dit: Je vais vous citer
certains extraits de votre mémoire et je vous poserai une question par
la suite. Vous dites à la page 6 qu'un grand nombre des immigrants
récents ne parlent ni le français ni l'anglais; à la page
18, ensuite vous mentionnez que "les deux tiers des immigrants - et vous faites
référence à l'immigration plus récente - ne
comprennent pas le français et la moitié ne comprennent ni le
français ni l'anglais". C'est à la page 18. Selon les
données du recensement de 1986, quand on regarde la population qui a
immigré entre 1981 et 1986 - c'est de l'immigration récente,
comparativement à ce que vous appelez dans votre mémoire
l'immigration ancienne - alors, quand on regarde cette période de 1981
à 1986, il y a 66 % des immigrants qui connaissaient le français,
37 % disaient connaître le français seulement et 29 % disaient
connaître le français et l'anglais. Alors, j'aimerais ça,
peut-être, que vous clarifiiez un peu d'où viennent vos
données quand vous dites, par exemple, que les deux tiers des immigrants
ne comprennent pas le français et la moitié ne comprennent ni le
français ni l'anglais.
M. Morin (Rosaire): Pouvez-vous me citer
précisément le paragraphe et la page?
M. Bordeleau: Attendez un petit peu. À la page 18, c'est
dans le dernier paragraphe de votre... "Un tel afflux..."
M. Morin (Rosaire): II s'agit là d'une affirmation ou
d'une constatation du démographe Marc Termote. Si vous remarquez, il y a
des guillemets au début et à la fin de ce paragraphe, et je crois
que le démographe Termote, d'habitude, interprète assez bien les
statistiques. Vous avez aussi dans ce mémoire le démographe
Paillé qui donne quand même une analyse assez serrée du
taux d'anglicisation.
Vous avez également le démographe Réjean
Lachapelle, et lui dit quoi? Il dit que. dans les transferts linguistiques qui
sont survenus, un sur 10 est allé vers le français, 7 sur 10 sont
allés vers l'anglais et les autres transferts linguistiques se sont
réalisés à l'intérieur.
Maintenant, le démographe Paillé, si vous regardez tout
mon texte, là, a analysé comparativement les recensements de
1971, 1981 et 1986. Il a observé que, à mesure que nous avancions
dans le temps, la population néo-Québécoise, en 1986,
parlait moins le français qu'en 1971. Il a aussi constaté et
observé, et c'est cité ici avec la référence
précise et exacte, que parmi ces groupes de
néo-Québécois les plus jeunes avaient une lourde tendance
à être moins français que ceux qui étaient leurs
aînés. Vous avez cela...
M. Bordeleau: Écoutez, je ne veux pas...
M. Morin (Rosaire): Vous avez retenu, là, le dernier
paragraphe du démographe Termote, mais c'est aussi confirmé par
Paillé et par Lachapelle
Le Président (M. Gobé): M. le député
de l'Acadie.
M. Bordeleau: Oui. Je ne veux pas contredire la citation que vous
avez donnée, mais, selon les informations du recensement de 1986, c'est
qu'il y aurait 66 % de l'immigration de 1981
à 1986. Alors on ne parie peut-être pas des mêmes
choses; il faudrait voir de façon détaillée l'étude
en question ici. Mais tout ce qu'on peut dire, c'est que, pour l'immigration de
1981 à 1986, 66 % des immigrants connaissaient le français soit
uniquement, ou français et anglais. Alors, quand on dit ici, là,
que les deux tiers des immigrants ne comprennent pas le français, je
pense que ça demeurerait à être vérifié pour
voir si on parle de données comparables.
M. Morin (Rosaire): Ils ne parlaient pas des nouveaux immigrants,
ils parlaient de la population néo-québécoise, des
communautés culturelles autres que francophone et anglophone. Les
chiffres de Lachapelle, de Paillé et de Termote portent sur la
population néo-québécoise, des communautés
culturelles autres que celles de souche...
M. Bordeleau: Oui, mais vous parlez...
M. Morin (Rosaire): ...alors que, vous, ce que vous nous citez,
votre 66 % est d'un autre ordre où je ne peux pas vous répondre.
Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'en 1988, des nouveaux arrivés,
il n'y en avait que 16 % qui parlaient le français, et cela, je l'ai vu
dans un rapport du ministère même. Je ne peux pas vous citer 1989
et 1990 parce que je n'ai pas eu l'avantage de consulter les rapports
annuels.
Le Président (M. Gobé): M. le député,
en conclusion s'il vous plaît.
M. Bordeleau: Si je faisais référence à
cette donnée-là, c'est parce que dans votre paragraphe vous
disiez "surtout lorsqu'on considère que cette nouvelle immigration
aurait fort probablement un profil très différent de celui des
vagues d'immigration plus anciennes". Et, là, vous mettez la citation de
Termote. Alors, c'est dans ce sens-là. Quand on parlait de nouvelle
immigration, bien, je comparais les données qu'on a du recensement de
1986 sur l'immigration qui est venue ici de 1981 à 1986, ce qui est
quand même de l'immigration récente, si on veut. Alors, c'est dans
ce sens-là que je faisais ma remarque.
Le Président (M. Gobé): Merci, M. le
député de l'Acadie. Votre temps est maintenant terminé, le
temps de passer la parole à l'honorable député de
Sainte-Marie-Saint-Jacques.
M. Boulerice: Je vous remercie, M. le Président. M. Morin,
M. Blanchard, M. Claveau, votre mémoire a l'avantage, par rapport
à certains autres mémoires qui nous ont été
présentés, de nous lancer sur des pistes jusqu'ici
inexplorées. Vous avez même expliqué, vous avez parle
natalité, vous avez parlé d'un ministère de la population.
Bien des pays l'ont, d'ailleurs. Puisqu'on songe à élargir le
marché commun nord-américain au Mexique, on sait fort bien que le
Mexique - je déjeune d'ailleurs prochainement avec des parlementaires
mexicains - a un ministère de la Population, "Ministerio de la
Poblacion", comme ils disent.
Je pense que vous sous-entendez par ministère de la population
l'établissement d'une véritable politique de la natalité,
et non pas ce que j'appelle les primes au ventre. On n'a pas des enfants parce
qu'on va vous donner 3000 $ en fin de compte. Il faut créer des
conditions. Je suis persuadé que pour vous, et vous me corrigerez si je
vous interprète mal, ministère de la population, ça
s'inscrit également dans la foulée des actions que l'on a vues en
France, où il y a un support dans l'établissement, eux disent de
crèches, nous, nous disons garderies, mais un soutien aux parents
d'avoir une famille. C'est là une dimension qui à date, dans les
mémoires précédents - faute de temps peut-être - n'a
pas été retenue. (20 h 45)
Vous avez également parlé d'un sujet qui, moi, me touche
profondément puisque j'ai vécu une expérience assez
dramatique dans un aéroport où le jeune couple, me reconnaissant,
donc pour lui c'était presque la planche de salut de voir un
député de leur Assemblée nationale qui pouvait l'aider...
C'est l'immigration internationale. Il y a actuellement une politique, une
loi... Je vous avoue que ma collègue, députée de
Marie-Victorin, Mme Vermette en a fait une très sévère
critique et nous l'avons appuyée. Cette politique d'adoption
internationale n'en est une que de tracasseries, n'en est une que de
misère pour ces parents qui veulent poser ce geste d'adopter un jeune
enfant. Ce n'est pas des mois, vous savez comme moi que ce sont des
années d'attente, et des années d'attente qui ne sont pas
causées uniquement et seulement par le pays d'origine, mais bien par ces
tracasseries, comme je le disais, administratives que l'on peut trouver ici,
alors que c'est, de fait - et je vous donne raison - un beau volet d'une
politique d'immigration. Mais ce jeune enfant... Donnons un exemple, puisque je
vous pariais tantôt d'un aéroport. C'était un jeune couple
de Sept-îles qui ramenait deux enfants de la République
Dominicaine. Ces deux enfants seront on ne peut mieux
intégrés.
Je me souviens d'un autre épisode qui, celui-là, m'a plus
que peiné, il m'a profondément marqué. À
Port-au-Prince, une mère m'a tendu son enfant en me disant avec le
français savoureux d'Haïti: Apporte-le avec toi, monsieur, parce
qu'avec toi il va vivre. Mais, si j'avais voulu, M. Morin, adopter cet enfant,
je pense que nous serions à discuter du 394e formulaire que j'aurais
à remplir. Donc, je pense qu'on devrait revoir cette politique le plus
rapidement possible.
Mais là où nous nous rencontrons - vous êtes le
premier et j'en suis très heureux - c'est une dimension que vous donnez
à la page 25.
L'été dernier, j'ai effectué, comme chargé
de la francophonie, une tournée dans les provinces de ce pays voisin et
néanmoins ami, malgré tout, qui est le Canada, où j'ai
visité les communautés francophones. J'ai vu Sault Saint-Marie,
ces humiliations permanentes que subissent les populations francophones hors
Québec comparativement à cette générosité
que nous avons, nous, au point que nous nous culpabilisons en nous disant:
Est-ce que par malheur nous n'aurions donné que 110 % alors qu'il
fallait donner 115 %? J'ai rencontré longuement la communauté
franco-colombienne qui de peine et de misère s'est donné
certaines institutions, mais qui rêve au désespoir d'avoir ne
serait-ce que 0, 1 % de ce que les autres communautés peuvent avoir au
Québec. Donc, je me disais... et je rencontrais aussi beaucoup de
jeunes, justement des jeunesses franco-colombiennes, et je voyais leur attrait
face à un retour éventuel au Québec. Et voilà que
vous l'énoncez. Ce sont des politiques que d'autres pays se sont
données. Le plus bel exemple nous vient d'Israël, avec la loi du
retour. Il ne faut pas oublier que les franco-colombiens, comme ceux de
Saskatchewan, d'Alberta, du Manitoba, de l'Ontario et ceux de la
Nouvelle-Angleterre, c'est un morceau du peuple québécois. Est-ce
que vous croyez que le Québec devrait se doter d'une politique identique
à celle que s'est donnée l'État d'Israël, pour ce qui
est de sa diaspora: une aide très spécifique au logement,
à la recherche d'emploi, une compensation pour le retour, etc. ? Je vous
pose cette question parce que vous êtes le premier groupe à en
faire mention et, d'ailleurs, je vous en félicite.
Le Président (M. Gobé): M. Morin, vous avez la
parole, semble-t-il. Vous avez une question qui a été
posée par le député de Sainte-Marie-Saint-Jacques. Si vous
voulez y répondre.
M. Morin (Rosaire): II y a deux commentaires et une question.
M. Boulerice: L'intervieweur interviewé. Parfait,
allez-y.
Le Président (M. Gobé): Je vous en prie, si vous
voulez répondre aux questions pour commencer.
M. Morin (Rosaire): Oui, je vais répondre. Je prends deux
secondes de mon souffle. Vous permettez, M. le Président?
Le Président (M. Gobé): Je vous permets, mon cher
monsieur.
M. Morin (Rosaire): II est certain que le
Québec doit avoir une politique globale en matière de
population. Je vais débuter par la question du député.
À l'égard des minorités francophones des autres provinces,
là où le nombre ne justifie pas une politique française,
nous devrions être agressifs, pratiquer diverses mesures. Que ce soient
des stages d'études, que ce soient des échanges culturels, que ce
soient même, comme il disait, des offres d'emploi, que ça soit une
loi avec privilège de retour au pays, il faut le faire. Ici, à la
commission Bélanger... Je peux mentionner ça, M. le
Président, que M. Bélanger...
Le Président (M. Gobé): Je vous prie, oui, oui.
AlIez-y. Si jamais vous dépassez le... Allez-y!
M. Morin (Rosaire): Un groupe franco-américain est venu
ici dire: Nous serions intéressés à revenir au
Québec si nous avions certains avantages qui nous étaient
offerts. Ça a été dit par une grande dame qui
comparaissait à cette commission. Il y a des possibilités.
Regardez la statistique des minorités dans les autres provinces. Dans
certaines provinces comme la Colombie, les francos sont assimilés
à 80 %; à Terre-Neuve, à 92 %; en Alberta, à 70 %.
Je ne parie pas des deux noyaux principaux, de l'Acadie et de l'Ontario, que je
ne voudrais peut-être pas détruire, mais il y a là encore,
dans la diaspora ontarienne, des milieux qui sont perdus à la vie
française. Partout, là où le nombre le justifie, à
l'inverse de la politique fédérale, nous devrions faire un effort
pour ramener au bercail des Québécois qui nous ont quittés
pour des conditions économiques supérieures, dans le temps. Si
nous leur offrions des compensations économiques, établissement
à peu près certain, un grand nombre reviendraient ici, au
Québec.
Je veux aussi noter avec instance l'adoption des enfants
mentionnée par le député. Nous adoptons environ 250
enfants par année; c'est du moins ce que j'ai vu dans la statistique. Je
trouve qu'alors que des millions de jeunes meurent de faim nous pourrions faire
un effort plus considérable pour adopter des enfants. Des enfants en bas
âge sont facilement intégrables et doivent mériter de notre
part la même considération que les réfugiés. Si nous
manifestons des sentiments humanitaires à l'égard des familles
âgées, nous devrions également avoir la même
compassion à l'égard des jeunes qui seraient pour nous un atout,
diminuant un tant soit peu notre problème de vieillissement alors que le
recrutement normal des réfugiés et des immigrants n'a que
très peu d'effet dans cette matière-là.
Je termine, parce que le député y a fait allusion, en
notant la nécessité d'une politique globale de la population. Il
a abordé quelque peu: problèmes de famille, problèmes de
services de garde, problèmes d'allocations familiales
généreuses, problèmes... pas problèmes, solutions
de problèmes de diverses natures pour favoriser la natalité. Il y
a des politiques antifamiliales qui existent, par exemple dans la
fiscalité, qu'il faudrait faire disparaître, etc. Je ne veux
pas
insister davantage.
Mais il y a ce problème, aussi, de l'immigration qui est
oublié, à l'heure actuelle, dans la politique
québécoise. Le démographe Henripin et le démographe
Termote disent: Invariablement, de 1971 à 1986, 25 000
Québécois par année quittent te Québec pour
d'autres provinces et 7000 pour d'autres pays. C'est une ville, nous (e disons
dans notre mémoire, comme Montmagny ou comme Lévis que nous
perdons tous les ans en n'ayant pas de politique globale de population pour
retenir ces personnes qui nous quittent. Dans une politique globale de
population - et là, M. le Président, vous allez dire que je
m'égare; je ne m'égare pas...
Le Président (M. Gobé): J'aurais une
précision à vous demander: qui sont ces personnes? Quel
profil?
M. Morin (Rosaire): Ah!
Le Président (M. Gobé): Est-ce que vous le
savez?
M. Morin (Rosaire): Dans le profil de ces personnes, sur les 25
000 qui quittent le Québec, il y en a 19 000 qui sont des immigrants
parce qu'ils viennent ici et qu'ils en sortent comme dans une gare. Il y a
aussi une population, sur la moyenne des 16 ans observés par Termote,
qui est des anglophones mais qui est disparue principalement et surtout autour
des années 1976, 1977, 1978 parce qu'elle avait peur d'avoir peur.
Il y a peu de francophones, toutefois. Mais ces immigrants que nous
avons réussi à intégrer, pour lesquels nous avons
payé des services sociaux et autres, il faut prendre les moyens de les
conserver. Dans une politique globale de population, ce serait là un
aspect extrêmement important à considérer, parce qu'on ne
peut pas perdre une ville comme Rimouski ou Jonquière à tous les
ans.
Le Président (M. Gobé): À tous les ans?
M. Morin (Rosaire): À tous les ans. Le Président (M.
Gobé): Tous les ans.
M. Morin (Rosaire): 25 000 qui partent, plus 7000,32 000.
Le Président (M. Gobé): Excusez-moi, vous avez pris
tout le temps du député de Sainte-Marie-Saint-Jacques. Je
m'excuse. Vous pouvez continuer vos réponses au député.
C'est juste une précision que je voulais. Je vous remercie.
Avez-vous d'autres questions, M. le député de
Sainte-Marie-Saint-Jacques?
M. Boulerice: Ah! mais je croyais que M.
Morin voulait m'en poser une. Non? Parce que tantôt vous avez dit:
II y aura, en réponse à une question... Mais enfin...
M. Morin (Rosaire): Elle est partie, M. le
député.
M. Boulerice: Elle est partie?
Le Président (M. Gobé): Aviez-vous une question
à poser à M. le député, M. Morin?
M. Morin (Rosaire): Elle est partie. Le Président (M.
Gobé): Elle est partie.
M. Boulerice: Elle est partie, la question? Bon.
Le Président (M. Gobé): Peut-être que
ça va vous revenir. On termine dans quelques minutes, là, mais
peut-être en terminant, M. le...
M. Boulerice: Oui, bien, je sais. Vous me faites signe, M. le
Président, que je...
Le Président (M. Gobé): Vous avez encore
quelques minutes. On a commencé cinq minutes en retard et vous
pouvez prendre encore...
M. Boulerice: On a commencé cinq minutes en retard.
D'accord.
Vous parlez de - voyons, j'essaie de trouver le mot juste dans votre
mémoire - convergence culturelle. Est-ce que c'est le terme, convergence
culturelle?
M. Morin (Rosaire): Pardon?
M. Boulerice: Compatibilité culturelle.
M. Morin (Rosaire): Oui.
M. Boulerice: Vous entendez quoi par compatibilité
culturelle? Parce que j'ai failli dire "comptabilité culturelle".
M. Morin (Rosaire): Par compatibilité culturelle,
j'entends d'abord des personnes qui sont francophones ou qui sont francisables.
Mon Dieu! Il y a quand même des groupes ethniques qui sont plus
près de la francophonie que d'autres. J'ai nettement l'impression que
s'il y a une attention particulière là-dessus, et nous pouvons
facilement améliorer le processus de l'intégration...
Ma question est revenue. Est-ce que je peux...
Le Président (M. Gobé): Je vous en prie.
M. Morin (Rosaire): Je peux la poser à M. le
député?
Le Président (M. Gobé): Oui, pas trop longuement
quand même, M. Morin, mais allez-y. C'est très intéressant,
alors peut-être que... Je vous en prie, vous pouvez procéder.
M. Boulerice: ...mon ministère, je vais vous imaginer
député de l'Opposition mïnterrogeant. Ha, ha, ha!
Le Président (M. Gobé): M. le député
de Sainte-Marie-Saint-Jacques, pas d'anticipation précoce.
M. Morin (Rosaire): Dans son introduction, M. Bourassa dit que,
dans le cadre constitutionnel actuel, nous ne possédons pas tous les
pouvoirs nécessaires pour atteindre seuls les objectifs du
présent énoncé. Je voudrais savoir si vous trouvez que
cette affirmation du premier ministre est exacte.
M. Boulerice: Ah! Vous savez, c'est bien difficile pour moi de
répondre au premier ministre, compte tenu que les réponses
varient autant qu'il y a de jours dans l'année. Mais personnellement je
crois qu'il n'y aura aucune véritable politique de l'immigration comme
il n'y aura véritablement aucune politique de la population tant et
aussi longtemps que nous n'aurons pas les pleins pouvoirs. Nous allons
peut-être avoir des ratés, mais au moins ce seront les
nôtres et non pas ceux qui nous sont imposés de par
l'ingérence et l'interférence des autres.
Le Président (M. Gobé): Est-ce que c'est le mot de
la fin?
M. Boulerice: Peut-être que, disposant de plus d'argent, on
ne poserait pas de gestes aussi odieux qui contredisent l'établissement
d'une politique familiale et on n'agirait pas comme on l'a fait il y a quatre
ans, de supprimer le deuxième examen dentaire gratuit pour les enfants,
ce qui a pénalisé énormément de familles au
Québec. Ça, c'était antifamilial, comme mesure
politique.
Le Président (M. Gobé): M. Morin, très
rapidement, mais vous avez droit à une réplique, par
courtoisie.
M. Morin (Rosaire): Je voudrais, M. le Président,
féliciter Mme la ministre, quand même, pour son
énoncé de politique. Après "Plusieurs façons
d'être Québécois", qui avait été
publié quelque part au début des années quatre-vingt,
c'est le premier énoncé de politique concret que le gouvernement
émet en matière d'immigration. J'aurais souhaité qu'il
soit en matière de population, mais il reste quand même que les
intentions ici exprimées sont excellentes, sont pour la plupart
conformes à nos attentes, mais qu'il faut davantage tenir compte des
obstacles, des pierres d'achoppement, des difficultés qu'il y a dans le
processus de l'intégration. Le Québec, Montréal
particulièrement, a une capacité limitée d'absorber des
immigrants. Dans certains milieux, et dans certains quartiers et dans certaines
écoles, la capacité maximale d'accueil...
J'ai encore trois minutes, parce que vous aviez commencé...
Le Président (M. Gobé): Non, non, M. Morin, s'il
vous plaît, je vous demanderais de conclure. Allez-y, si vous voulez
conclure.
M. Morin (Rosaire): La capacité est atteinte en divers
milieux. Il faut respecter ces difficultés d'intégration à
la majorité francophone. Malgré toutes les intentions vertueuses
que l'on puisse avoir, si on ne tient pas compte des problèmes
réels, nous nous en allons vers de très grandes
difficultés d'intégration et peut-être même certains
problèmes sociaux dans certains milieux.
Le Président (M. Gobé): Très bien. Je vous
remercie beaucoup de ces conclusions. Maintenant, vous avez conclu, je crois,
M. le député de...
M. Boulerice: J'ai conclu...
Le Président (M. Gobé): Un rapide mot de
remerciement?
M. Boulerice: ...mais je n'ai pas encore eu l'occasion de
remercier M. Morin, M. Blanchard et M. Claveau pour leur présence
à cette commission. Bien des choses devront être retenues, mais
une en particulier, pour moi, sera toujours présente, c'est que vous
avez été le premier groupe, peut-être le seul - il reste
encore d'autres mémoires à lire, mais tout au moins en date
d'aujourd'hui - le premier groupe à poser très clairement notre
responsabilité a l'égard de notre propre diaspora. Je pense qu'il
y a là matière à une très grande réflexion,
puisque, si l'on parle, dans nos politiques, de rapatriement des familles, eh
bien, je pense que par extension le mot famille" peut s'appliquer effectivement
à ces morceaux du peuple québécois qui se sont
retrouvés, comme vous l'avez si bien dit, pour des raisons
malheureusement d'ordre économique, la plupart du temps,
véritablement en exil, quand on voit la pauvreté culturelle,
l'agressivité, l'hostilité, même, dans lesquelles ils
vivent ailleurs que sur le territoire québécois. Vous avez eu le
flair de nous en parler, et je vous en remercie beaucoup, messieurs.
Le Président (M. Gobé): Très bien, M. le
député de Sainte-Marie-Saint-Jacques. Maintenant, Mme la
ministre, vous avez le mot final.
Mme Gagnon-Tremblay: Oui. Bien, écoutez, je voudrais bien
vous remercier. Aussi, j'aimerais
souligner que, lorsque le premier ministre Bou-rassa a signé la
préface de l'énoncé de politique, l'entente concernant
l'immigration n'était pas encore ratifiée, n'était pas
signée encore. Alors, bien sûr que nous avons obtenu des pouvoirs
plus considérables. Pour certains, ce n'est peut-être pas
suffisant. Dans le contexte, par contre, constitutionnel actuel, je pense que
nous sommes allés quand même très loin. Alors, je prendrai
en considération vos réflexions, vos recommandations, et je vous
souhaite un bon voyage de retour.
M. Morin (Rosaire): Merci.
Le Président (M. Gobé): Alors, MM. Morin, Claveau
et Blanchard, au nom de tous les membres de cette commission, je vous remercie.
Sur ce, je vais ajourner les travaux de cette commission à demain matin,
9 h 30, en cette salle. La commission est ajournée.
(Fin de la séance à 21 h 5)