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(Dix heures trente-trois minutes)
Le Président (M. French): La commission permanente de la
culture entreprend ses travaux de consultation générale en vue de
remplir son mandat d'initiative concernant l'impact des tendances
démographiques actuelles sur l'avenir du Québec comme
société distincte.
Les membres de la commission présents sont M. Baril
(Rouyn-Noranda- Témiscamingue), M. Champagne (Mille-Iles), M. Dauphin
(Marquette), M. French (Westmount), M. Hains (Saint-Henri), Mme Lachapelle
(Dorion). On souhaite la bienvenue à M. Payne, qui est un membre en
devenir de la commission, je crois. Nous sommes toujours dans l'attente d'une
réunion de la commission de l'Assemblée nationale pour
compléter le nouveau "membership" des commissions.
J'aurais d'abord un certain nombre de commentaires sur le mandat que
nous entreprenons aujourd'hui. C'est clair qu'une des clés de
voûte de la réforme parlementaire que nous avons entreprise
à l'Assemblée nationale depuis quelques mois maintenant c'est
l'indépendance des commissions parlementaires. Ainsi, une commission
peut, de son propre chef, décider de se donner un mandat d'initiative.
Un tel mandat peut comprendre des consultations publiques, le parrainage de
recherche et la présentation de rapports à l'Assemblée
nationale.
Exposés préliminaires M. Richard
French
II y a sept mois maintenant, la commission de la culture a adopté
comme mandat d'initiative l'examen de l'avenir démographique de la
société québécoise. Cet intérêt s'est
manifesté chez certains membres de la commission avant même que le
gouvernement ne dépose son document "L'évolution de la population
du Québec et ses conséquences".
La commission voit son initiative comme une des suites logiques du
document gouvernemental. Il y a vingt, ou même dix ans, personne n'aurait
vu la nécessité des travaux dont le volet le plus public
débute aujourd'hui. Nos travaux s'inscrivent dans et s'expliquent par un
contexte social et démographique bien précis. Bien que la toile
de fond soit décrite en grande ligne dans le document gouvernemental, ce
document commande néanmoins un suivi pour plusieurs raisons. D'abord il
apparaît que dans son ensemble l'opinion publique n'est pas encore
tellement consciente des enjeux de la dynamique actuelle. Il nous semble
important de soutenir et d'encourager le débat en fournissant un forum
public, éventuellement un document additionnel pour alimenter la
réflexion. Il convient, entre autres, de voir comment fut accueilli le
document gouvernemental, particulièrement chez les spécialistes
de la question. Y a-t-il consensus sur les grandes tendances de fond, notamment
le maintien de la sous-fécondité dans les conditions
actuelles?
Deuxièmement, ce document s'arrête, pour l'essentiel, en
1981. Or, la chute de la fécondité s'est poursuivie après
1981, de sorte que le scénario le plus pessimiste dans ce document
apparaît déjà un peu déphasé. Il convient
donc de l'actualiser. La commission dispose de matériaux à cet
égard. Une question générale en découle:
Sommes-nous en présence d'une véritable crise
démographique?
Troisièmement, les considérations d'ordre
général gagnent à s'appuyer sur le terrain de
réalités vécues. Certaines entreprises, certaines
institutions ressentent déjà les conséquences de la
croissance démographique. Au premier rang de celles-ci, figurent les
commissions scolaires et les municipalités. Indiquent-elles la voie que
devront obligatoirement emprunter celles qui sont encore à l'abri?
Finalement, il faut noter que le document gouvernemental ne pouvait pas
approfondir toutes les questions pertinentes, dont certaines sont au coeur des
responsabilités de la commission. La problématique, est-elle la
même pour toutes les communautés culturelles qui habitent le
Québec? Ne peut-on pas s'appuyer davantage sur l'immigration? Ne doit-on
pas s'inquiéter particulièrement de la situation
démographique de certaines des régions du Québec,
notamment celle de sa métropole, Montréal? Ces trois questions
sont d'ailleurs intimement liées.
Il ne faut pas sous-estimer l'originalité de la situation du
Québec. Les Québécois ont le taux de
fécondité le troisième plus bas au monde, après
l'Allemagne de l'Ouest et le
Danemark. En outre, sa situation apparaît plus fragile que celle
des pays européens. Le Québec ne dispose pas d'un coussin de
sécurité démographique comme l'Allemagne ou la France.
Quand un pays compte au-delà de 50 000 000 d'habitants, les
préoccupations quant à la taille globale de la population
n'apparaissent guère existentielles et n'entre en considération
que l'impact de la stagnation ou du recul démographique sur le tonus
économique et social.
La taille de la population québécoise est, au contraire,
une variable importante: un demi-million de plus ou de moins, cela compte bien
davantage ici qu'en France ou en Allemagne. La comparaison avec les pays
européens de taille comparable révèle bien le
caractère spécifique du Québec. Alors que tous ces pays de
l'ancien monde sont dans le même bain démographique, le
Québec, lui, appartient à un continent dont la santé
démographique apparaît clairement: la stagnation n'est en vue ni
pour l'ensemble des provinces canadiennes sises à l'ouest du
Québec, ni pour les États-Unis. Cela ne peut que poser des
problèmes particuliers au Québec.
C'est donc à un débat fondamental que la situation
démographique appelle les Québécois. La commission de la
culture espère bien y jouer son rôle modeste. Ce rôle sera
valable dans la mesure où la commission aura l'aide d'intervenants
académiques, socio-économiques et culturels
intéressés par et informés sur l'impact des tendances
démographiques dans leur domaine respectif. La commission est donc
heureuse, cette semaine, d'accueillir divers experts et groupes sociaux pendant
cette première ronde de consultation.
Avant d'appeler nos premiers intervenants, je voudrais mentionner tout
simplement que nous avons une obligation heureuse, aujourd'hui, soit celle
d'élire notre nouveau vice-président, qui sera, je
l'espère, le député de Mille-Îles, M. Champagne. M.
Champagne m'a demandé, malgré qu'on n'ait pu passer la
formalité de son élection, de dire quelques mots à ce
moment-ci.
M. Jean-Paul Champagne
M. Champagne: Merci beaucoup, M. le Président. Au nom du
parti ministériel je m'en voudrais de ne pas faire certaines
observations au début de cette commission parlementaire, surtout face
à la publication, en février 1984, d'un document intitulé
"L'évolution de la population du Québec et ses
conséquences". C'est un document qui a été publié
par le Secrétariat au développement social du Conseil
exécutif.
C'est bien sûr que les membres de la commission parlementaire de
la culture ont été saisis, comme vous tous, de ce document et
nous avons pris l'initiative - justement le mot le dit - le mandat d'initiative
de faire une étude sur l'impact culturel. Si on regarde en
résumé ce que contient ce document, dans l'évolution
démographique il y aura une répercussion assez importante dans le
domaine scolaire, dans le domaine du travail, dans le domaine du
vieillissement, et cette évolution démographique aura aussi des
répercussions, comme on le dit dans le document, sur la survie
culturelle.
Il s'agirait peut-être de se pencher sur ce qui arrivera si
l'étude démographique prouve qu'il y a une diminution de la
population. Qu'est-ce qui arrivera dans la continuité culturelle?
Qu'est-ce qui arrivera dans le processus d'affaiblissement culturel,
considérant que la population francophone du Québec, dans toute
l'Amérique du Nord, ne représente que 2% de la population?
Un autre défi, c'est de poursuivre à long terme, par
exemple, un effort de développement socio-économique. Mais
comment est-ce qu'on va le faire, alors que le vieillissement impose des
coûts supplémentaires? Je pense que c'est important que la
commission se penche sur cet élément économique.
C'est bien sûr que l'État intervient dans plusieurs
domaines au sujet de la démographie ou de la survivance des gens: dans
le domaine de la santé - on recule la mortalité - dans la
politique de l'immigration, dans le développement régional. Le
gouvernement a déjà, dans le passé, fait des choses, et il
faut qu'il continue dans ce sens.
Dans le mandat d'initiative, on parle de l'étude des politiques
démographiques adoptées dans d'autres pays. Je pense qu'on va y
faire référence. On parle des pays de l'Est, qui ont des mesures
natalistes. On parle des États-Unis qui sont favorables, même,
à la diminution de la fécondité. On parle d'autres pays
qui ont des objectifs de mieux-être des familles avant tout. En
République fédérale allemande, il y a des mesures
favorables à la famille. En Autriche, il y a des inquiétudes. En
France, il y a des mesures natalistes.
Or, il faut se demander ce qu'on peut faire ici au Québec. Au
Québec, depuis deux siècles on a fait une lutte pour notre survie
culturelle, notre survie économique; c'est une bonne chose, et je me
réjouis du fait que la commission parlementaire ait pris l'initiative
d'en faire une étude surtout prospective. Qu'est-ce qui nous arrive?
Qu'est-ce qu'il faudrait prendre comme décision?
Dans le document, on parle que le Québec devrait viser certains
objectifs. Ce sont des recommandations à savoir qu'on devrait
peut-être avoir une politique de la famille qui favorise
l'épanouissement des enfants et des parents. On ne parle pas
nécessairement de politique nataliste directe. Pourquoi pas une
politique de la famille qui
vise à l'épanouissement des enfants et des parents, une
politique qui serait basée sur le respect de la liberté de choix
du couple d'avoir ou non des enfants? Je pense que ce principe de
liberté est très important. (10 h 45)
En 1976, il y a eu une enquête qui a été
menée ici, au Québec, et cette enquête
révélait, au sujet des obstacles à la
fécondité, que les gens craignaient de ne pas jouir d'un niveau
de vie assez élevé, craignaient aussi au sujet de leur
santé. Est-ce que ma santé va me le permettre? Il y avait aussi
la contrainte de l'éducation des enfants. Et l'on parle aussi que
chacune des personnes voudrait une préservation de liberté.
D'autre part, il y a aussi peut-être un climat favorable à
la fécondité, je pense que nous, on doit voir à
l'amélioration du niveau de vie des ménages. La mentalité
change de plus en plus. Les hommes et les femmes partagent des tâches
quotidiennes et visent aussi au travail rémunéré. On doit
faire en sorte, pour donner un climat favorable à la
fécondité, d'avoir aussi pour le couple des temps libres et des
loisirs. On devrait peut-être établir d'une façon beaucoup
plus tangible et beaucoup plus convaincante la question de l'institution du
mariage comme telle. Ce sont des interrogations qui se posent au moment
où l'on se parle tout comme il s'en est posé dans le
passé. C'est pour cela que le gouvernement a fait des choses comme la
Loi sur le zonage agricole. Là il a donné une
sécurité pour respecter les zones, pour respecter les
régions. Il a fait l'aménagement du territoire pour faire en
sorte qu'il n'y ait pas migration simplement vers les grands centres-villes. Il
a créé aussi les municipalités régionales de
comté etc.
M. le Président, c'est bien sûr que je me réjouis
avec vous de voir qu'il y a des organismes qui ont accepté de venir se
faire entendre à la suite de la publication de "L'évolution de la
population du Québec et ses conséquences. " Nous voulons
connaître leur réaction, nous sommes ici pour les entendre, nous
sommes ici pour les interroger et espérons que les conclusions feront en
sorte qu'elles puissent aboutir à des recommandations, au niveau du
gouvernement, qui puissent assurer la survie culturelle, la survie aussi de
l'État du Québec.
Merci, M. le Président.
Le Président (M. French): Merci, M. le
député de Mille-Îles.
Il me faut d'abord adopter l'ordre du jour de mardi, le 5 février
1985. Y a-t-il des commentaires ou des questions? Je voudrais proposer que nous
recommencions nos travaux cet après-midi à 14 h 30. Est-ce que
cela crée des problèmes? On terminerait à 13 heures et on
recommencerait à 14 h 30. Il y aurait une séance de travail afin
d'élire un vice-président, ce qui ne devrait pas prendre plus de
dix minutes. Après, on reprendrait avec le Groupe de travail canadien
sur la population, suivi, en après-midi et en soirée, par
l'Association des anglophones de l'Estrie et la Confédération des
organismes familiaux du Québec. M. le député de
Louis-Hébert.
M. Doyon: M. le Président, afin que nous puissions
organiser notre journée, est-ce que les indications dont vous disposez
actuellement vous permettent de savoir s'il est prévu que nous
siégerons ce soir après le repas?
Le Président (M. French): La réponse est oui. De 20
heures à 22 heures.
En commençant à 14 h 30, on pourrait peut-être
réduire le temps dont il est question. Je dois vous avouer, M. le
député, que nous avons dû faire un horaire sans la
participation de tous les députés puisqu'on était dans
l'impossibilité de rejoindre tout le monde et de réunir tout le
monde. Cependant, demain soir, il n'y a pas d'audition, et puis jeudi
après-midi et jeudi soir, il n'y a pas d'audition. On aurait pu
peut-être faire autrement, mais on a essayé d'une part de se
rallier aux préférences exprimées par les intervenants
puisque c'est une consultation générale. D'autre part on a
essayé de donner un bon coup au début pour ensuite se donner plus
de flexibilité le mercredi et le jeudi. Cela va-t-il?
M. le député de Mille-Îles.
M. Champagne: De toute façon, je comprends les
appréhensions du député de Louis-Hébert. S'il y
avait possibilité dans le temps de faire en sorte qu'à un moment
donné on puisse continuer même après 18 heures, à
moins que des intervenants soient officiellement demandés pour 20 heures
ce soir, je ne le sais pas...
Le Président (M. French):... sûrement demandé
pour 20 heures ce soir. Ce n'est pas 15 heures... Mais il est évident
que nous ne pouvons pas inviter des gens qui viennent de loin et passer 15
minutes avec eux. Cela ne se fait pas.
M. Champagne: On s'entend. Enfin, il faut concilier les deux.
Le Président (M. French): Alors on commence à 14h30
par une séance de travail, très brève, et nous passerons
immédiatement au deuxième intervenant du Groupe de travail
canadien sur la population. Est-ce que cela va?
Auditions
Groupe de recherche sur la démographie
québécoise
Je voudrais inviter le Groupe de recherche sur la démographie
québécoise à se présenter devant la commission. Je
veux souhaiter la bienvenue pour une deuxième fois à Mme
Lapierre-Adamcyk et à M. Légaré. Et je voudrais dire,
encore une fois, comment la commission regrette les circonstances dans
lesquelles on s'est retrouvé en novembre dernier alors que, par la force
des événements que nous connaissons tous, nous avons dû
annuler notre audition. Je voudrais ajouter que la commission a entrepris des
démarches auprès de la commission de l'Assemblée nationale
pour qu'à l'avenir, dans de telles circonstances, les frais de voyage
soient remboursés, chose qu'on n'a pas pu faire, officiellement du
moins, cette fois-ci. Alors, Mme Lapierre-Adamcyk, si vous voulez dire quelques
mots d'introduction.
Mme Lapierre-Adamcyk (Evelyne): Vous me permettrez, M. le
Président, de dire quelques mots sur le Groupe de recherche sur la
démographie québécoise. C'est un groupe de recherche qui
s'est formé récemment mais dont l'existence dans les faits n'est
pas aussi récente que son existence formelle puisque ce groupe
réunit trois équipes de recherche qui oeuvrent au sein du
Département de démographie de l'Université de
Montréal depuis une quinzaine d'années. En particulier, ces
équipes de recherche sont axées sur la démographie
historique, qui est un vaste programme qui vise à reconstituer
l'histoire de la population du Québec dans ses composantes
démographiques depuis le début de la colonie jusqu'au milieu du
19 siècle. Une deuxième équipe, plus récente
celle-là, a fait des travaux depuis de nombreuses années dans le
domaine de la fécondité et de la famille. Une troisième a
axé ses études sur les sous-groupes, des petites populations, en
particulier sur l'évolution des groupes ethniques et linguistiques; ses
travaux sont axés principalement, maintenant, sur les populations
autochtones du pays.
Ce groupe de recherche réunit des professeurs et des chercheurs
et il comprend une quinzaine de personnes qui travaillent à plein temps
au projet que je viens de mentionner. Je vous les présente, il s'agit de
MM. Robert Bourbeau, Hubert Charbonneau, Robert Choinière, Bertrand
Desjardins, André Guillemette, Paul-Marie Huot, Yves Landry, Mme Nicole
Marcil-Gratton, MM. Denis M. -risette, François Nault, Yves
Péron, Norbert Robitaille, Jacques Légaré et
moi-même. M. Jacques Légaré est ici, il présentera
aussi une partie de notre mémoire.
Je ne sais pas si c'est le moment d'entrer dans le corps de notre
mémoire, si c'est la façon dont vous voulez procéder?
Le Président (M. French): Je vous invite à
procéder avec votre mémoire.
Mme Lapierre-Adamcyk: Le groupe de recherche a voulu
réagir, en particulier, au premier point de l'invitation que la
commission avait faite, c'est-à-dire, la réaction de
spécialistes au document du gouvernement intitulé:
"L'évolution de la population du Québec et ses
conséquences" qui a été publié en février
1984.
Le groupe de recherche ne saurait rester indifférent à
cette invitation puisqu'une politique de population, bien entendu, devrait
s'appuyer sur des études démographiques approfondies de notre
société. C'est là la raison même de l'existence de
notre groupe.
Nous voulons d'abord féliciter ceux qui ont préparé
le document ainsi que les études sous-jacentes. Le but était
d'abord d'établir un diagnostic, soit les tendances
démographiques actuelles, et ce but a été atteint. En
deuxième lieu, le texte visait à cerner les incidences de
l'évolution démographique dans plusieurs domaines de la vie de
notre société. Là encore, le but est en
général atteint, compte tenu de l'état des connaissances
et des recherches portant sur les liens entre les phénomènes de
population et le bien-être de la société. Enfin, le
document, ayant conclu que le maintien des tendances démographiques
actuelles entraînerait des conséquences négatives pour la
vitalité de notre société, recommande que l'État
intervienne pour infléchir le mouvement, en particulier, par
l'élaboration d'une politique familiale. C'est précisément
sur l'opportunité d'une action de l'État que portera notre
intervention.
Devant les prévisions préparées au tableau 6 du
document, une question fondamentale se pose. Le Québec peut-il rester
indifférent au fait que, selon les scénarios A et B, sa
population diminuera dès le tournant du siècle? À cette
question, le document gouvernemental répond négativement et,
à juste titre, propose d'agir, afin d'éviter la
décroissance anticipée.
Nous appuyons donc cette position, en nous fondant sur deux raisons.
Même si l'équation entre croissance démographique et
dynamisme social n'a pas été prouvée de façon
définitive, la croissance, même faible, a au moins l'avantage de
freiner l'accélération du vieillissement de la population et
d'étaler sur une plus longue période les ajustements
nécessaires pour y faire face.
Deuxièmement, tout rythme de croissance inférieur à
celui des autres provinces canadiennes présente un risque. Notre poids
démographique au Canada s'est déjà réduit et cela
entraîne des
conséquences directes sur notre poids politique.
Donc, face à l'éventualité de la
décroissance, notre position est claire. Risque pour risque, nous
préférons prendre le pari de la croissance, si
légère soit-elle.
Je vais demander à M. Légaré de poursuivre avec les
paragraphes suivants.
M. Légaré (Jacques): Or, pour contrer cette
décroissance anticipée, des actions peuvent être
entreprises sur les deux principales composantes de l'évolution
démographique, soit l'accroissement naturel et l'accroissement
migratoire.
L'accroissement naturel, c'est la différence entre le nombre de
naissances et le nombre de décès. Sur le point de la
mortalité, les plus récentes études laissent
prévoir une légère amélioration, mais l'effet
global sur la croissance est relativement mince.
Pour ce qui est de la fécondité, la principale conclusion
du document étudié est de s'en remettre à une politique de
la famille. Il nous semble, nous du Groupe de recherche en démographie
québécoise, important qu'une telle politique soit
implantée pour permettre aux couples d'avoir les enfants qu'ils
désirent. Nous attendons avec beaucoup d'intérêt que le
gouvernement la fasse connaître.
Il est souhaitable et vraisemblable qu'une telle politique puisse avoir
un effet positif sur la fécondité. Mais rien ne prouve,
cependant, qu'elle sera suffisante pour redresser la situation au point
d'empêcher la population de décroître. Le Québec ne
vit pas dans un monde fermé et tant qu'un revirement ne se fera pas
sentir dans l'ensemble du monde industrialisé, il sera difficile
d'infléchir la tendance générale actuelle de la
fécondité québécoise à un point tel que le
renouvellement des générations soit assuré.
L'accroissement migratoire, c'est la différence entre, d'une
part, l'immigration internationale et interprovinciale et, d'autre part,
l'émigration internationale et interprovinciale.
L'accroissement naturel est toujours, pour le moment, positif et il le
demeurera encore un certain temps, même avec le scénario
pessimiste. Cependant, il n'en va pas de même de l'accroissement
migratoire. La migration nette, c'est-à-dire la différence entre
l'immigration et l'émigration est négative depuis 1966, et c'est
là une caractéristique de l'évolution démographique
séculaire du Québec.
Passons maintenant à l'immigration. Le document gouvernemental
laisse entendre que le Québec ne pourrait recevoir un plus grand nombre
d'immigrants, en particulier pour des raisons économiques. Quant
à l'immigration internationale et interprovinciale, elle semble
ignorée. Or, elle est, à notre avis, fondamentale pour
l'évolution future du Québec.
L'émigration est sans contredit le phénomène
démographique le moins bien connu: la mesure même de l'ampleur du
phénomène n'a souvent été faite qu'à partir
de méthodes dites "résiduelles"; on connaît très mal
les caractéristiques de ceux qui partent et surtout les raisons qui les
motivent; ni les causes profondes, économiques et sociales, ni les
conséquences n'ont jamais fait ici l'objet d'études
systématiques. Pourtant, l'histoire démographique du
Québec a été marquée par le départ de ses
citoyens plus que par le nombre des nouveaux arrivants et le nombre des
nouveaux arrivants n'a jamais suffi à compenser les départs. (11
heures)
Alors que l'on investit des millions de dollars pour attirer des
immigrants, rien, ou presque, n'est fait pour retenir au Québec les
émigrants potentiels. Or, il sort du Québec plus de personnes
qu'il y entre d'immigrants, et bien peu d'attention leur est portée. On
trouve, bien sûr, un certain nombre de sorties vers le reste du Canada
qui sont compensées par des entrées de même source.
Cependant, même en tenant compte de ces compensations, il demeure un
excédent d'émigration vers le reste du Canada auquel on
s'intéresse fort peu et dont l'effet négatif sur la croissance
démographique annule l'impact recherché par une politique
axée sur l'immigration internationale.
Certes, le droit à l'émigration est sacré, mais le
meilleur placement pour assurer l'avenir démographique du Québec
serait sans doute d'investir davantage afin qu'on ait plus le goût d'y
rester. Et, qui sait, cela aura peut-être un effet multiplicateur sur la
politique familiale proposée. Avant de s'engager dans cette direction,
il faudra d'abord effectuer des études en profondeur du
phénomène "émigration-sortie", parent pauvre de la
démographie, comme je l'ai déjà dit.
En résumé, à elles seules, ni la politique
familiale attendue, ni la politique d'immigration ne sauraient constituer une
politique de population complète et équilibrée; il faut y
intégrer des mesures destinées à freiner
l'émigration. Entre ces divers éléments, il faudra sans
doute faire les choix les plus rentables pour le Québec.
Le Président (M. French): Merci, M. Légaré,
Mme Adamcyk.
Maintenant, je voudrais inviter mes collègues à poser des
questions. M. le député de Louis-Hébert?
M. Doyon:... M. le Président.
Le Président (M. French): Je voudrais d'abord dire que
j'ai trouvé intéressant et utile ce mémoire puisqu'il va
vers des éléments clés de la question sans pour autant
créer des problèmes de compréhension pour des profanes
comme moi. J'aimerais d'abord vous poser la question que j'ai un peu
touchée dans mes commentaires. Vous dites, dans une citation au bas de
la page 1 de votre mémoire, que vous trouvez que même le
scénario le plus faible du document gouvernemental peut
déjà être considéré comme trop optimiste,
dans le sens qu'il laisse prévoir une population plus
élevée que ce que les données maintenant disponibles nous
indiquent.
Est-ce que vous pouvez décrire un peu plus cette situation quant
à l'ampleur générale de la population que vous
prévoyez actuellement et deuxièmement, quelles en sont les
implications?
M. Légaré: Je pense que ce qu'il faut voir, c'est
que la majeure partie de cette décroissance prévue par les
projections faites par le Bureau de la statistique du Québec est
liée à la baisse de la natalité. Or, les indices
utilisés pour la baisse de la natalité ont continué
à décroître. Donc, si on refaisait les projections, nous
arriverions graduellement à des différences qui, dans les
quelques années à venir, sont relativement petites, mais qui,
à long terme, le terme étant au bout de 25 ou 30 ans,
laisseraient voir une projection qui serait en bas de celle du scénario
A.
Maintenant, il faut toujours garder en mémoire que le
démographe donne ces variations possibles pour montrer ce qui pourrait
se passer. Le démographe ne fait pas de prévision, n'a pas une
boule de cristal pour prévoir l'avenir; il indique que si les indices
utilisés continuaient à descendre de la même façon
qu'ils le font présentement, nous aurions un scénario qui
donnerait une diminution de la population plus petite que celle qui
apparaissait dans le scénario A proposé par l'étude
citée. Il faut bien voir que tout ça évolue de jour en
jour.
Le Président (M. French): Peut-on extrapoler
néanmoins, sur quinze ans, par exemple, une baisse qui semble s'amorcer
depuis 1981, une période aussi récente que celle-là?
Mme Lapierre-Adamcyk: En fait, il est très difficile de
prévoir exactement quelle sera l'évolution dans les prochaines
années de l'indicateur de fécondité qui est utilisé
en général pour faire les prévisions. On se sert en
général d'une prévision sur l'évolution d'un indice
conjoncturel de fécondité qui est une mesure très
ponctuelle de la fécondité. Or, on sait que dans la
réalité, la fécondité s'étale sur un assez
grand nombre d'années, lequel ne correspond plus à ce
qu'était la période de fertilité des femmes ou des couples
puisque avec, par exemple, la stérilisation contraceptive, on raccourcit
de plus en plus cette période de vie fertile. Mais il est difficile,
dans un contexte de très faible fécondité où les
couples auront en grande majorité deux ou trois enfants, au maximum -
deux enfants surtout - de voir exactement quelle sera l'évolution de
l'indice conjoncturel, puisque de légers déplacements du moment
où les couples décident d'avoir leurs deux enfants ont un impact
très marqué sur ce que l'on observe d'une année à
l'autre, de sorte que ce que l'on peut prévoir qui est le plus certain,
c'est que la fécondité des couples au bout de leur vie ne semble
pas vouloir se redresser. C'est-à-dire que jusqu'à
présent, les générations qui terminent présentement
leur fécondité, par exemple, les couples où la femme a 30
ou 35 ans, n'ont pas suffisamment d'enfants pour assurer le renouvellement des
générations. Elles ont peut-être 1, 9 enfant en moyenne. En
comptant l'ensemble de la génération, c'est très
insuffisant pour assurer le renouvellement des générations.
Les femmes qui vont suivre, même si dans les enquêtes elles
disent qu'elles auront un peu plus d'enfants, il est très possible
qu'elles révisent, en cours de vie conjugale et de vie féconde,
leur prévision un peu à la baisse, comme cela s'est produit dans
le passé. Vont-elles réviser au point que leur
fécondité sera à 1, 5 ou à 1, 4 comme les indices
conjoncturels actuels le laisseraient entendre? Suivant nos optimismes
personnels, on peut être tentés de dire: Non, cela ne va pas aller
jusqu'à ce point-là, mais c'est une possibilité puisque la
période de fécondité s'étale sur une quinzaine
d'années. Présentement, les couples en voie d'avoir leurs
enfants, les ont, semble-t-il, plus tard que ceux qui les ont
précédés, mais il n'est pas impossible qu'il y ait un
redressement. D'ailleurs, une enquête récente montre que la norme
qui fait choisir aux couples d'avoir deux enfants semble être très
généralisée. Il y a plus de 50% de l'ensemble des jeunes
qui disent qu'ils auront au moins deux enfants.
Le Président (M. French): Dans les faits, cela ne se
produit pas comme cela.
Mme Lapierre-Adamcyk: C'est-à-dire qu'on peut imaginer
qu'ils n'auront pas en moyenne, pour l'ensemble de la génération,
deux enfants. Les moyens à prendre pour les amener à les avoir,
c'est là toute la question de la politique familiale qui n'est pas tout
à fait le sujet de nos préoccupations aujourd'hui. Mais je pense
que l'on peut imaginer que le revirement n'est pas sur le point de se produire.
On peut dire aussi, et là avec peut-être un peu plus de certitude
-enfin, c'est ma certitude, mais encore là, les
éléments scientifiques ne sont pas solides -qu'on
n'assistera probablement pas au niveau des générations à
une fécondité aussi faible que ce qu'annoncent les indices
conjoncturels des dernières années. Mais c'est fondé, au
fond, sur des possibilités et une attitude personnelle plutût que
sur des faits scientifiquement établis. On n'a pas la preuve de cela et
je pense que personne ne l'a, les gens individuellement prennent ces
décisions-là au jour le jour, suivant ce qui arrive dans leur
vie, suivant les conditions générales qui règnent dans la
société.
Le Président (M. French): Je vais essayer de
résumer. Il y a consensus qu'il y a un déclin
démographique en vue; possibilité de redressement de la courbe
descendante actuelle; mais cette possibilité ne laisse pas entrevoir un
autre "baby boom", par exemple.
Mme Lapterre-Adamcyk: Absolument pas.
Le Président (M. French): Et les conditions objectives,
tels le travail, le logement, l'instruction, la participation féminine
sur le marché du travail, ne semblent pas nous donner beaucoup d'espoir
pour un redressement dramatique.
Mme Lapierre-Adamcyk: Tout à fait juste. Il y a un autre
élément qu'on peut peut-être ajouter à cela, qui se
dégage assez nettement de l'enquête dont j'ai parlé, c'est
l'instabilité des unions et les nouveaux modes d'union qui se
répandent. Il semble évident que pour les femmes qui ont
vécu une rupture d'union, leur fécondité est plus basse
que celles des femmes qui sont restées mariées pendant à
peu près toute la période de vie fertile. D'autre part, les
personnes dont les unions sont plutôt des cohabitations que des mariages
légaux, elles aussi manifestent des aspirations, en matière de
nombre d'enfants, qui sont légèrement plus faibles que pour ceux
qui adoptent un comportement dit plus traditionnel, de sorte que cela n'est pas
un mouvement pour lequel on prévoit une réversibilité non
plus. Je pense que les aspects traditionnels du mariage deviennent de plus en
plus fluides, si on veut, et ne vont pas dans le sens d'une augmentation ou
enfin d'un redressement de la fécondité.
Le Président (M. French): Maintenant, avant de passer la
parole à deux autres de mes collègues qui veulent intervenir, je
voudrais vous poser une question qui est un peu plus contentieuse et qui
appelle moins votre expertise que votre réaction en tant que citoyen ou
citoyenne. C'est la suivante: II semble y avoir une espèce
d'équation ou d'équivalence faite dans le document du
gouvernement et dans d'autres commentaires faits sur cette situation de
décroissance démographique. C'est une équation de
vieillissement et de stagnation sociale.
Je voudrais quand même faire une distinction que je pense
importante: Baisse de la population et problèmes économiques,
c'est une question; vieillissement de la population, avec ou sans baisse de la
population et manque de dynanisme social, cela me semble une autre question, un
jugement de valeur, mais je vous pose la patate chaude comme cela pour voir si
vous êtes d'accord avec ce genre d'équation.
M. Légaré: En fait, on parle d'expérience,
c'est-à-dire que pour ce qui est de la croissance comme pour du
vieillissement, on ne connaît pas de société où il y
a eu décroissance, qui ait eu un grand dynamisme. On ne parle pas d'un
petit groupe bien particulier qui peut être différent, mais d'une
société. Et le même aussi, parce que c'est un corollaire
qui va avec, c'est-à-dire que toute société vieillissante,
dans le passé, a montré qu'en général il y avait
une certaine sclérose de la société.
Maintenant, on pourra peut-être avoir des sociétés
différentes dans le futur, il faut bien voir qu'on ne fait pas de la
futurologie, c'est-à-dire qu'on base un peu nos avis sur de
l'expérience, mais je pense que dans l'histoire de la question de la
population, c'est-à-dire de penser à la décroissance,
c'est le phénomène des croissances. Que le Québec arrive
à une population, éventuellement, de 5 000 000, il l'a
déjà eue dans le passé, au moment où il
était en pleine croissance et cela ne se comparera pas. C'est cela qu'il
faut bien voir. C'est-à-dire que 5 000 000 il y a quelques
années, au moment où on était en croissance, ce n'est pas
la même chose que 5 000 000 dans le futur, où on sera sur une
pente descendante. Je pense qu'il ne s'agit pas de dire qu'il y a un optimum de
population, le Québec devra avoir 10 000 000 de population, etc., le
point n'en est pas là. Le point en est que lorsque nous sommes dans une
situation de décroissance, nous croyons qu'il y a un dynanisme qui
n'existe plus à tout niveau et qui se traduit souvent dans un
phénomène dont on parle plus, qui s'appelle "le vieillissement
des sociétés ou de certains corps".
Le Président (M. French): M. le député de
Louis-Hébert, suivi de M. le député de Vachon.
M. Doyon: Merci, M. le Président. Je souhaite la bienvenue
aux experts qui viennent nous éclairer et, en même temps, nous
permettre de nous faire une idée sur des phénomènes qui
sont très importants et qui vont influencer grandement des gestes et
des décisions qui auront à être prises dans les
années qui suivent. (11 h 15)
En ce qui concerne l'accroissement naturel de la population, vous
établissez qu'un des éléments importants -
évidemment, il y a la prolongation de la vie, la durée normale de
la vie qui permet d'avoir des gens qui restent avec nous plus longtemps, ce qui
fait un bassin de population qui est plus considérable - c'est la
fécondité. Quand on parle de fécondité, on parle de
naissances, et quand on parle de naissances on ne peut faire autrement que de
soulever te problème - et j'aimerais avoir votre idée
là-dessus - des naissances qui ne sont pas portées à terme
volontairement, plus particulièrement au moyen de l'avortement. Est-ce
que c'est un élément qui, au Québec, a un impact important
d'après les informations, dont vous disposez en ce qui concerne la
fécondité? Quel est, par exemple, le nombre d'avortements global,
au Québec, d'après les calculs que vous avez pu faire,
d'après les données dont vous disposez, par rapport, par exemple,
au nombre de naissances qui surviennent? Est-ce que vous pouvez nous
éclairer à ce sujet?
Mme Lapierre-Adamcyk: Je n'ai pas une excellente mémoire
des chiffres, mais je vais essayer de vous donner des ordres de grandeur. Je
pense que la statistique nous permet d'établir à environ, je
pense, 15 000 par année le nombre d'avortements, à la fois les
avortements thérapeutiques qui se passent en milieu hospitalier avec un
comité, tel que la loi le prévoit, en plus, d'un certain nombre
d'autres dont je ne me souviens pas, mais qui sont inclus dans les 15 000 qui
seraient faits dans des cliniques comme celle de Morgentaler, par exemple, ou
dans les CLSC. Au total, je pense qu'il y aurait environ 15 000 avortements par
année. C'étaient les chiffres les plus récents que j'ai
vus.
C'est sûr que si les avortements ne se produisaient pas, il y
aurait un supplément de naissances. Il ne faut peut-être pas poser
le problème et dire: Si ces avortements ne se produisaient pas,
qu'est-ce que cela ferait sur les naissances? Il faut regarder un peu par
rapport avec le passé où on est peut-être porté
à penser que parce qu'ils n'étaient pas mesurés, les
avortements ne se produisaient pas. On n'est pas certain du tout qu'il y ait un
accroissement très marqué du nombre d'avortements par rapport
à un passé peut-être pas très éloigné,
mais quand même des 20 dernières années. Malgré
l'assouplissement, c'est sûr qu'il y a eu un accroissement, mais qui
n'est peut-être pas aussi important que ce que la collecte de
statististiques peut donner à penser.
Il y a une autre chose aussi qu'il faut bien voir. Je regardais
récemment des chiffres par rapport à l'Ontario, par exemple. En
termes de nombre absolu, en Ontario, malgré tout ce qu'on entend
présentement dans les médias, le nombre d'avortements est
beaucoup plus important. C'est de l'ordre de 30 000, ceux qui sont faits dans
les hôpitaux avec le comité établi selon la loi, de sorte
que malgré une certaine allure qui peut être perçue comme
étant très libérale, ici, dans les faits, je pense qu'on
n'a pas autant d'avortements que dans le reste du Canada, en particulier dans
l'Ouest du pays. Donc, l'impact des avortements, qui ne saurait être
considéré nul puisque si les conceptions étaient
portées à terme il y aurait des naissances, n'est probablement
pas aussi grand que ce qu'on pourrait imaginer sur l'évolution de la
fécondité; mais on ne peut pas le déclarer
négligeable non plus. On peut, disons, au-delà de cela,
s'interroger aussi sur la qualité de vie dans une société
où, finalement, les naissances en grand nombre se produisent et ne sont
pas des naissances que les couples ont souhaité avoir. Cela a
été, je pense, un des effets les plus bénéfiques de
la révolution contraceptive d'amener une diminution très
marquée des naissances non désirées. Tous les
problèmes qui sont liés aux naissances non désirées
- je ne suis pas une spécialiste de ces questions -et qui sont
certainement nombreux au plan de la vie personnelle des enfants qui naissent
dans de telles conditions, je pense que c'est un aspect qui est lié
à la qualité de vie de nos familles qui est vraiment très
important.
M. Légaré: Je pense que sur ce sujet il y a lieu de
voir que l'avortement est une forme - il y en a d'autres - de contraception,
c'est-à-dire qu'on peut ne pas être d'accord pour toutes sortes de
raisons, même jusqu'à l'ordre moral, mais je pense que lorsque
l'on a accepté qu'il y ait un contrôle des naissances, on peut
dire que certaines formes de contrôle sont admissibles et que d'autres
formes ne le sont pas. Cela, on peut le dire en termes de
société, on peut le dire en termes de gouvernement ou de
politique. Je pense que ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est que la
société québécoise a maintenant admis dans les
faits et par ses politiques qu'il y ait une fécondité
contrôlée, et elle le fait depuis un certain temps. Certains
diront que cela va trop loin. Cela est une autre histoire, mais je ne crois pas
que ce soit en visant certaines formes de contraception que l'on puisse
régler le problème.
M. Doyon: En ce qui concerne toujours la fécondité
et le désir des couples d'avoir des enfants, est-ce que vous êtes
en mesure d'informer cette commission, avez-vous des chiffres sur les couples
qui ont des enfants ou qui n'en ont pas suffisamment et qui désirent en
adopter? Est-ce qu'il y a des
données qui existent sur ce sujet que vous pourriez nous
transmettre en ce sens qu'il y a un certain nombre de couples qui
désirent avoir des enfants et qui, pour des raisons diverses, ne peuvent
pas en avoir ou n'en ont pas assez?
Mme Lapierre-Adamcyk: Nous avons des indications sur les femmes
qui n'ont pas eu d'enfant au cours de leur vie. Pour les femmes qui terminent
présentement leur vie reproductive, c'est une très faible
fraction des femmes qui n'ont jamais eu d'enfant. Cela peut être 5%, 6%
ou 7%. Ce n'est pas extrêmement important. Je dois dire malheureusement
que je n'ai pas d'information ici, mais je sais qu'il y a des études qui
ont tenté d'établir ce que serait la sous-fécondité
de femmes qui ont déjà eu des enfants mais qui ne peuvent pas
avoir le deuxième ou le troisième qu'elles souhaiteraient avoir.
Malheureusement, je n'ai pas de chiffres à vous donner, sauf que je
pourrais vous les produire si cela vous intéresse. Cela ne saurait
être extrêmement important. Évidemment, si on
réussissait à combler tous ces désirs de
fécondité - cela irait pour une société où
on est juste à un point, c'est-à-dire que la réalisation
des aspirations est juste au point tournant où on ne renouvelle plus les
générations - si on réussit à contrer les
problèmes physiologiques de ceux qui veulent avoir des enfants, on va
dans la bonne direction. Maintenant, je pense que cela n'est pas un
phénomène qui a une très grande ampleur. Je pourrais
apporter des précisions plus tard sur cela mais ici, aujourd'hui,
malheureusement, je n'ai pas en tête l'ordre de grandeur de ces
désirs.
M. Doyon: Est-ce qu'on peut s'entendre, madame, sur le fait qu'il
existe des demandes d'adoption qui ne peuvent être comblées
actuellement avec les enfants qui sont disponibles - appelons cela comme ceci -
et que des parents potentiels doivent attendre pendant des mois et souvent des
années et qu'ils sont même prêts à procéder de
toutes sortes de manières qui ont fait l'objet de discussions, en allant
adopter des enfants à l'étranger dans des pays où les
autorités civiles étaient plus ou moins d'accord avec les
méthodes qui étaient employées? Est-ce qu'on peut
s'entendre qu'il y a une certaine lacune à ce niveau,
c'est-à-dire que des parents voudraient adopter des enfants et ne
peuvent pas le faire faute d'enfants et qu'en même temps on se retrouve
devant une situation où des mères subissent des avortements, ne
voulant pas garder leur enfant, ne voulant pas l'élever, ne voulant pas
l'avoir à sa charge pendant toute sa croissance? Est-ce qu'il n'y a pas
quelque chose là qui semble manquer? D'un côté, on a des
gens qui veulent avoir des enfants et qui ne peuvent en avoir et d'un autre
côté, on a des gens qui ont des enfants qui ne les rendent pas
à terme parce qu'ils ne veulent pas les garder? N'y a t-il pas quelque
chose qui cloche quelque part?
Mme Lapierre-Adamcyk: Évidemment, c'est un
problème. Vous touchez, j'imagine, à une évolution
récente qui va jusqu'au problème des mères porteuses,
d'une entente entre des couples qui souhaitent avoir des enfants avec une femme
à qui on demanderait de porter un enfant pour eux. Je pense que c'est un
problème humain extrêmement difficile à régler dans
l'état actuel de la réflexion de la société. Je
crois qu'on touche là à un point extrêmement profond qui
est la responsabilité des couples vis-à-vis des enfants qu'ils
font eux-mêmes. C'est toucher aussi à toute la condition
féminine. Je pense que si on va dans le sens de demander aux femmes de
porter des enfants pour ensuite les donner à quelqu'un ou les vendre
à quelqu'un d'autre, je me dis: On touche à ce qui est vraiment
le fondement de notre cellule familiale. Je pense que la réflexion avant
qu'on décide dans quelle direction on peut aller pour ce qui est de ce
sujet est loin d'être faite. Je pense qu'il y a beaucoup
d'événements qui amènent la société à
réfléchir dans cette direction.
Personnellement - c'est vraiment une opinion personnelle et non pas de
démographe - je trouve extrêmement délicat tout ce
problème de demander à des femmes de porter un enfant qu'elle
n'ont pas souhaité faire pour solutionner, d'une part le problème
de couples individuels qui, malheureusement, physiologiquement ne peuvent pas
avoir d'enfant et, d'autre part, solutionner le problème de la
société qui ne sait pas générer des attitudes assez
positives pour que l'ensemble de la communauté puisse arriver à
avoir suffisamment d'enfants pour assurer son renouvellement. Je pense qu'on
touche à des problèmes humains extrêmement importants et il
va falloir y réfléchir beaucoup avant de poser des gestes,
surtout au niveau gouvernemental.
Le Président (M. French): M. le député de
Louis-Hébert.
M. Doyon: En terminant, M. le Président, j'ai simplement
une réflexion personnelle. Je comprends les réticences de Mme
Lapierre-Adamcyk concernant cette demande qu'on pourrait faire à des
femmes de devenir des porteuses d'enfant et de s'en défaire à
leur naissance, etc., sauf qu'il existe sûrement un
problème-là. Des femmes, ou un certain nombre d'entre elles, ne
portent pas leur enfant à terme possiblement parce qu'elles sont
inquiètes du sort des enfants qu'elles vont mettre au monde. Qui va s'en
occuper? Qui va les faire
vivre, etc. ? Il y a aussi les inquiétudes économiques qui
entrent en ligne de compte.
D'un autre côté, on a des gens qui sont prêts
à recevoir ces enfants, à les élever, à les aimer
et à leur donner la meilleure éducation possible comme si
c'était les leurs. Le problème humain que vous soulevez, par le
fait qu'une femme serait appelée à porter un enfant à
terme et après cela, le remettre à des tiers, finalement, pour
s'en occuper et devenir leur enfant à eux, ce problème humain,
d'après moi, existe au niveau de la décision que doit prendre la
femme concernant l'interruption d'une grossesse. Alors, problème humain
pour problème humain, je me demande lequel est le plus sérieux,
le plus traumatisant, et qui va dans le sens de ce qu'est notre
société, une société qui est axée sur le
respect de la vie humaine. Je ne voudrais pas entrer dans les questions de
moralité, de tout le problème de l'avortement, mais nous sommes
dans une situation où on reconnaît que la société
dans laquelle nous vivons ne se renouvelle plus. Nous faisons un constat qui
nous est amené par des spécialistes et que personne ne nie.
D'un autre côté, nous sommes au courant qu'environ 15 000
naissances - c'est un minimum - sont interrompues chaque année, nous
savons cela aussi. Nous savons aussi qu'un certain nombre de femmes
interrompent ces naissances-là parce qu'elles se sentent obligées
de le faire, n'étant pas capables d'envisager l'éducation et la
garde de l'enfant dans les années futures. Nous savons aussi que des
personnes attendent, pendant des années, avec toutes les garanties
possibles, exigées, vérifiées, pour offrir à ces
enfants-là un milieu familial positif, qui va leur permettre de se
réaliser, de s'épanouir, qui va leur permettre de participer
à l'épanouissement de notre société, au niveau de
son rajeunissement, au niveau de son dynamisme, etc. (11 h 30)
Ne sommes-nous pas en train de tout simplement nous en aller de
façon parallèle, ce qui ne manque pas finalement? Est-ce qu'on
n'a pas un rôle quelque part à jouer, de façon à
provoquer une rencontre de ces deux solitudes, de la femme qui a un enfant et
qui ne veut pas le rendre à terme pour des raisons très souvent
économiques et, de l'autre côté, des parents qui voudraient
avoir un enfant, mais ne peuvent pas en avoir ou n'en ont pas assez, qui sont
prêts à l'élever, à l'aimer et à le garder?
En laissant la situation s'en aller, telle qu'elle est, en disant que chacun
peut faire comme il le veut, est-ce qu'on n'est pas un petit peu en train de
rater le train, le bateau?
Je pose la question. Ce n'est sûrement pas la solution à
tous les problèmes, mais je pense qu'il faut commencer quelque part. On
nous dit - et vous l'affirmiez tout à l'heure - qu'on n'a pas de preuve
que le nombre d'avortements a augmenté de façon significative,
avec la libéralisation des moyens et aussi la libéralisation des
critères et des raisons qui peuvent motiver un avortement. Je suis loin
de partager cette opinion. Je comprends qu'il est difficile d'apporter des
preuves, mais il m'apparaît évident, à sa face même,
que quand on parle d'avortement et qu'on va jusqu'à le qualifier - vous
reflétez peut-être la réalité - de moyen de
contraception, on est rendu à une situation où l'avortement est
banalisé. Si l'avortement est banalisé, il devient plus facile,
il devient plus fréquent, plus accepté. Il est moins traumatisant
et il devient une solution à des embêtements mineurs qu'on
connaît. Si on faisait justement une étude -peut-être que
d'autres spécialistes pourront nous la faire - en comparant la situation
à d'autres pays, par exemple, en Union soviétique, où
l'avortement finalement, d'après ce que j'ai lu et d'après ce que
je comprends, est véritablement un moyen de contraception où on
rencontre couramment des femmes qui ont eu vingt avortements dans leur vie, et
quelle est leur situation démographique dans ces pays-là, etc.
?
Il faudrait faire des comparaisons sur ce que ça donne comme
situation. Il y a des pays où l'avortement est beaucoup plus
libéralisé qu'il ne l'est ici, évidemment, même si
nous, on est rendus assez loin.
Je pose cette question et j'aimerais que cette commission puisse
regarder ce côté des choses où on pourrait peut-être
arriver à des solutions où il y aurait une banque ou il y aurait
une rencontre des besoins des couples qui veulent avoir des enfants et de la
femme qui ne peut pas garder son enfant. Il faudrait que ces deux solitudes
puissent se rencontrer. Il y aurait peut-être là une amorce de
solution aux problèmes qu'on connaît actuellement.
Le Président (M. French): M. Légaré.
M. Légaré: Je pense que les problèmes
soulevés par M. le député sont très importants. Ce
sont des problèmes humains très importants. Je pense que c'est le
rôle d'un autre groupe qui est celui qui s'occupe de la politique
familiale, de s'assurer que ce genre de problèmes humains soient bien
réglés et que notre société en tienne compte et
trouve des moyens pour satisfaire tous et chacun.
Néanmoins, même si on arrivait, par une politique
gouvernementale, à faire en sorte que tous les enfants des femmes qui
veulent avorter soient donnés à tous ceux qui veulent en avoir et
qui ne peuvent pas, même s'il y avait cette adéquation, ce qui
serait déjà un grand progrès pour certains, ça ne
changerait absolument rien aux problèmes qu'on soulève
aujourd'hui, puisque ce serait de dire qu'il y a des enfants qui
naissent par rapport à ceux qui ont été
avortés. C'est un nombre marginal, mais vraiment très marginal,
par rapport au problème qui nous occupe aujourd'hui.
Le problème d'aujourd'hui, c'est beaucoup plus de savoir pourquoi
les jeunes de tous âges ne désirent plus avoir le nombre d'enfants
qui seraient nécessaires pour avoir une vitalité de notre
société telle qu'il y aurait croissance ou, tout au moins,
stabilisation de la population.
Les enquêtes ont été faites et les jeunes et les
moins jeunes répondent qu'ils ne veulent pas avoir ce nombre-là.
Dans le passé, c'était facile. C'est-à-dire que la
société québécoise a fait face à un
problème qui a été relativement facile, parce que ces
problèmes de croissance reposaient entièrement sur
l'accroissement naturel, c'est-à-dire que même si le pays se
vidait -l'exode vers les États-Unis au XIXe siècle est bien connu
- on s'en est inquiété, sauf que, comme cela n'avait pas de
conséquence à long terme sur la croissance de la population,
parce que, pendant ce temps-là, les familles étaient encore
relativement nombreuses, à ce moment-là, on a laissé
tomber.
Aujourd'hui - je crois que là-dessus Ies enquêtes sont
relativement concluantes - les Québécoises et les
Québécois veulent moins d'enfants. Là-dessus, ils ne sont
pas différents des autres. Il faut bien voir que ce ne sont pas des gens
qu'on doit pointer du doigt; ils ressemblent à l'ensemble des gens des
pays industrialisés. S'il y a un problème dans ce pays, c'est
que, pendant ce temps-là, comme dans tous les temps, dans ce pays,
malheureusement, on sort à pleines portes.
Je pense que c'est ça qui est le problème fondamental. II
faut s'organiser pour que, dans le bilan migratoire de la société
québécoise - il ne faut pas empêcher les gens de sortir; je
pense que je l'ai dit tout à l'heure, l'émigration, c'est un
droit sacré; on doit avoir le droit, en tant qu'individu, de partir si
on veut s'en aller -au bout de la ligne - cela, c'est un problème majeur
- il y ait plus de gens qui restent que de gens qui sortent, de sorte qu'il
continue à y avoir une certaine croissance et qu'elle puisse compenser
la défaillance qu'il risque d'y avoir au niveau de ce choix qui se fait
présentement - il n'est pas dit qu'il sera éternel - d'avoir des
familles moins nombreuses.
Le Président (M. French): M. le député de
Vachon.
M. Payne: Mme Lapierre, en 1980, vous avez mené une
étude sur les aspirations des Québécois en matière
de fécondité. Pouvez-vous nous donner quelques
éclaircissements et nous dire brièvement quels étaient les
objectifs de cette étude et ses conclusions? C'est ma première
question.
Mme Lapierre-Adamcyk: L'étude de 1980 reposait, au fond,
sur une enquête à caractère très limité qui
était, pour moi, une espèce de vérification des
données qu'on avait recueillies au cours d'enquêtes faites en 1971
et en 1976. Je ne sais pas si vous connaissez ces travaux. En 1971, on avait
fait une enquête qui nous permettait de montrer que les aspirations de
fécondité semblaient rester relativement élevées.
On avait aussi exploré, jusqu'à un certain point, les
difficultés que rencontraient les couples dans la réalisation de
ces aspirations.
En 1976, on est retourné voir les mêmes personnes qu'on
avait interrogées en 1971 et on a confirmé ce que les
données annuelles avaient déjà révélé
en partie, que les aspirations s'étaient beaucoup réduites,
c'est-à-dire que les jeunes femmes qui nous auraient dit vouloir trois
enfants n'en voulaient plus que deux, en 1976, au niveau individuel, pour
beaucoup d'entre elles, ce qui fait qu'en moyenne les aspirations avaient
beaucoup baissé.
M. Payne: Quelle est la différence entre les deux
consultations en temps?
Mme Lapierre-Adamcyk: De 1971 à 1976, cinq ans. On
s'adressait toujours à des gens qui étaient mariés depuis
un certain temps et, en 1980, j'ai voulu aller revérifier avec des
moyens très limités ce qu'étaient devenues les aspirations
des couples qu'on avait déjà interrogés en 1971, sans que
ce soit les mêmes, et des plus jeunes qui étaient en train de
former leur union à ce moment-là. En 1980, ce qu'on a vu, c'est
qu'il s'était fait une espèce d'uniformisation vraiment
très marquée vers la famille peu nombreuse. On ne remarquait pas
dans les données, par exemple, un accroissement vraiment marqué
des femmes ou des hommes qui ne voulaient pas avoir d'enfant du tout, mais une
concentration d'au-delà de 50% qui ne voulaient avoir que deux
enfants.
En 1984, on vient de faire une nouvelle enquête. J'ai, d'ailleurs,
des chiffres ici - si la commission veut les accueillir, je peux les distribuer
- qui montrent que cette concentration vers deux enfants est toujours le fait
et que la norme devient vraiment deux enfants. C'est l'écart entre ce
qu'est la norme et ce qu'est le comportement, au fond, qui peut être
inquiétant. Si on a une norme de deux, dès qu'il y a des
décrochages, si ces décrochages deviennent de plus en plus
nombreux...
Comme vous le verrez, dans la partie supérieure du tableau, je
vous donne le nombre d'enfants, en moyenne, qui est prévu par l'ensemble
des femmes qui avaient des âges correspondants. Vous voyez que, pour
toutes les femmes de moins de 45 ans, par exemple, ça tourne
autour de deux enfants. Dans la colonne suivante, on vous donne les chiffres
pour celles qui sont déjà mariées et dont le mariage s'est
poursuivi sans interruption; leurs prévisions sont
légèrement plus élevées que pour l'ensemble. Disons
que la différence entre l'ensemble et celles-là est liée
au fait que, chez les femmes qui ont eu des unions qui ont été
rompues, évidemment, les prévisions sont plus faibles; de la
même façon pour les célibataires cohabitantes. Encore que,
là, les chiffres pour le Québec, les nombres sur lesquels les
observations sont fondées, sont relativement faibles; donc, il ne faut
pas leur attacher une foi inébranlable. Mais je pense que, pour
l'ensemble, ce qui se dégage de cela, c'est que le choix de deux enfants
est vraiment devenu prédominant.
Si vous allez un peu plus bas dans le tableau, à la
troisième série de chiffres qui s'appelle "Nombre d'enfants
prévus", vous avez les distributions. Vous voyez, par exemple, que,
parmi les femmes âgées de 20 à 24 ans, il y en a 7, 5% qui
ne souhaitent pas avoir d'enfant du tout; il y en a 7% aussi qui n'en
souhaitent qu'un seul et vous avez les 49, 6% qui veulent avoir deux enfants.
La fraction qui souhaite en avoir trois est de 27%. C'est là qu'on peut
s'interroger: Est-ce que cette fraction de 27% va se réaliser? Est-ce
qu'il y en a autant dans cette génération qui auront trois
enfants ou plus? C'est là que le changement d'idée, surtout, peut
se produire. On peut imaginer que l'idée d'avoir deux enfants ne va pas
tellement flancher, mais est-ce qu'il y en a autant que cela qui auront trois
enfants pour atteindre ces 2, 2 enfants pour assurer le renouvellement des
générations?
Disons que l'expérience récente peut nous amener à
mettre cela en doute. Il n'y aura probablement pas suffisamment de femmes, ou
plutôt de couples, faudrait-il dire, qui décideront d'avoir ce
troisième et ce quatrième enfant. Je parle toujours des femmes,
ici, parce que notre enquête s'adressait à des femmes, mais, dans
l'enquête de 1980 que vous mentionniez, on a interrogé les hommes
aussi. Là-dessus, je dois dire qu'il y a un bel accord, pour une fois,
entre les hommes et les femmes sur les prévisions de
fécondité. Chez les jeunes hommes, on remarque aussi cette
concentration autour de deux enfants. Ils ne sont pas plus nombreux à ne
pas vouloir d'enfants du tout et ils ne sont pas plus nombreux, non plus,
à en vouloir quatre, de sorte qu'il y a vraiment un consensus. Pour les
jeunes de moins de 25 ans, je pense que ces données, ce n'est pas
vraiment une prévision du comportement, mais bien un reflet de la
mentalité actuelle.
Je pense que c'est un peu la même chose qu'on avait
observée en 1971. Les jeunes femmes qu'on interrogeait nous disaient: On
va avoir trois enfants à cause du contexte dans lequel elles baignaient,
c'est-à-dire que les femmes qui étaient en voie de finir d'avoir
leurs enfants en avaient eu trois et que c'était cela, la norme. Alors,
on se disait: C'est ce qu'on va faire, nous aussi. Sauf que les circonstances,
les mentalités ayant évolué, au cours de la
décennie 1970, le déclin du quatrième, du cinquième
et du sixième enfant s'est confirmé à un point tel que ce
type de famille devient de plus en plus rare et il y a eu une croissance du
nombre de familles à deux enfants seulement.
M. Payne: C'est intéressant. Il me semble que la suite
logique de l'enquête, c'est un, deux ou trois enfants prévus.
Pourquoi un, deux ou trois?
Mme Lapierre-Adamcyk: En fait, on a essayé souvent dans
les enquêtes de faire dire aux gens pourquoi ils voulaient avoir ce
nombre d'enfants. Au fond, les raisons qui nous sont apportées ne
veulent pas dire grand-chose, j'ai l'impression. Ce qu'on nous donne comme
raison principale, c'est toujours la situation économique: De nos jours,
cela coûte tellement cher d'avoir des enfants qu'on ne peut pas se
permettre d'en avoir beaucoup. Je me dis que, lorsque la société
était beaucoup moins riche, relativement cela coûtait bien aussi
cher et on les avait. Il y a une espèce de rationalisation
économique là-dedans qui nous dit que, maintenant, cela
coûte très cher d'avoir des enfants. Je ne suis pas sûre
qu'au début du siècle, quand les gens étaient pauvres
comme Job et qu'ils avaient seize enfants, cela ne leur coûtait pas
très cher d'avoir des enfants relativement à leurs ressources. De
sorte que ce sont vraiment des reflets de société. Je pense que,
dans la conscience des individus, les raisons qu'ils vont exprimer ne
correspondent pas à quelque chose sur quoi on peut vraiment agir. (11 h
45)
M. Payne: Un des éléments qui ressort
fréquemment dans ces études, ce sont les questions
économiques. Il me semble que c'est là qu'il y a si peu de
recherche en profondeur, comme vous venez de le signaler si je vous ai bien
compris. Cela touche aussi un autre domaine qui me préoccupe, c'est
l'immigration. Vous avez dit, dans votre présentation, dans votre
exposé - je pense que le document le laisse entendre - que le
Québec ne peut pas recevoir un plus grand nombre d'immigrants pour des
raisons économiques. Je ne sais plus où cela est dit exactement.
Vous faites référence, j'imagine, à l'évolution de
la population du Québec et à ses conséquences; est-ce
cela?
Mme Lapierre-Adamcyk: Oui, oui.
Le Président (M. French): On peut ajouter également
que, dans le document sur le niveau de l'immigration de cette année, le
ministère dit à peu près la même chose.
M. Payne: C'est cela que je voudrais revoir avec vous et
peut-être entrer dans quelques détails sur cette question.
Où est-ce que cela est affirmé de cette manière,
madame?
Mme Lapierre-Adamcyk: Attendez un peu, là.
M. Payne; Aux alentours de la page 35, j'imagine.
Mme Lapierre-Adamcyk: Attendez un peu, j'essaie de le retrouver.
C'est plutôt vers la fin. L'ouverture sur l'extérieur...
M. Payne: Ce n'est pas nécessaire...
Mme Lapierre-Adamcyk: À la page 88, par exemple, il y a au
moins en conclusion quelque chose qui porte là-dessus. On dit: "En ce
qui concerne l'immigration, le Québec pourrait parfaire la politique
dont il a posé les jalons... Mais de nombreuses questions se posent
constamment: combien d'immigrants... peut-il admettre chaque année et en
fonction de quels objectifs? Quelle part doit-on accorder à
l'immigration humanitaire? Peut-on améliorer les programmes de
services... "
M. Payne: Le paragraphe suivant vous aide un peu: "Une grande
part de ce phénomène doit être rattachée aux
conditions économiques difficiles que traverse le Québec. "
Mme Lapierre-Adamcyk: Remarquez que la politique d'immigration
à l'échelle du Canada s'est toujours voulue rattachée
à des questions économiques; c'était une question
d'accueillir des travailleurs spécialisés qui pouvaient venir
aider à la situation économique. Dans les années
récentes, les choses se sont un peu modifiées.
M. Payne: Mon avis là-dessus, c'est que cette affirmation
devrait être nuancée. Je ne suis pas sûr que ce soit aussi
vrai que cela. Je vous rappelle, par exemple, les études faites par
Mario Polese et d'autres...
Mme Lapierre-Adamcyk: Oui.
M. Payne:... sur l'apport économique, sur leur
contribution à l'économie québécoise, par exemple;
c'est une étude fort intéressante. Mais ce n'est pas cela
l'essentiel. Ce que je voudrais souligner, c'est que, là encore, il y a
beaucoup plus d'études à faire en ce qui concerne, par exemple,
le capital que les immigrants apportent.
Mme Lapierre-Adamcyk: D'accord.
M. Payne: Polese, d'ailleurs, a fait plusieurs études
à cet égard et c'était fort éloquent, ce qu'il a
trouvé. C'est une étude qui date de 1975, presque une dizaine
d'années.
M. Légaré: Mais je pense que, si on regarde
l'expérience historique récente du Québec, il faudrait
surtout faire en sorte, advenant le cas où on en arriverait à
laisser entrer plus d'immigrants et qu'on trouverait que c'est plus rentable
pour le Québec, de ne pas laisser l'autre porte ouverte qui en laisse
plus sortir. Si on regarde les chiffres qui sont donnés dans le document
que nous étudions aujourd'hui, en 1981-1982, les entrées
étaient au niveau de 20 000, les sorties étaient au niveau de 44
000. Mais quand on était au niveau de 37 000, c'est-à-dire le
double, ou de 39 000, les sorties ont été de 63 000. Donc, si on
ouvre une porte, il faut s'organiser pour que les gens restent. Vous parlez du
problème économique; il ne faut jamais perdre de vue le
coût d'un sortant, c'est-à-dire que le Québec a investi
dans les sortants des sommes considérables qu'il perd parce que les gens
disparaissent. Cela, je pense que c'est un autre aspect économique
important, si on veut parler des aspects économiques de l'apport d'un
immigrant. Je ne nie absolument pas l'apport d'un immigrant. Je crois que,
lorsqu'on parle de l'apport positif de l'immigration, on le voit en termes de
croissance, c'est-à-dire d'une population qui croît par
immigration; l'immigrant apporte un certain "capital", entre guillemets, mais
il ne faut pas perdre de vue le capital que prend celui qui quitte.
M. Payne: Certainement pas. Par contre, je voudrais concentrer
mes préoccupations sur l'immigration pour le moment, la contribution au
niveau de l'immigration internationale. Je me permettrai une petite remarque,
par contre, sur ce que vous disiez tout à l'heure. Si l'on regarde les
dernières années, on est aux alentours de 20 000 à 25 000
par année au niveau de l'immigration internationale, avec une nette
migration d'à peu près 17 000, donc un solde positif d'à
peu près 17 000; quant aux départs, c'est une moyenne d'à
peu près 7000 émigrations internationales, d'accord.
L'émigration interprovinciale nous donne, elle, un solde
négatif, on le sait tous, depuis à peu près 1964, 1965,
1966, aux alentours de cela. Juste un petit point. Il n'y a pas de rapport
direct entre l'immigration, c'est-à-dire individu pour individu,
particulier pour particulier, ceux qui viennent et ceux qui partent.
Mme Lapierre-Adamcyk: Absolument pas.
M. Payne: II y a une distinction. Lorsque vous dites que, tout en
ouvrant la porte, on devrait s'assurer que l'autre porte est fermée, ce
ne sont pas du tout les mêmes personnes qui partent.
M. Légaré: Pas nécessairement.
M. Payne: Non. Il y a un élément, mais ce n'est
pas...
Mme Lapierre-Adamcyk: Le problème qu'on voulait soulever
dans le mémoire, c'est que la question des sorties des
Québécois, qu'ils soient allés vers les autres provinces
ou qu'ils soient allés, dans le passé, vers les
États-Unis, cela a été un problème toujours
très important. Comme M. Légaré le faisait remarquer
tantôt, quand la fécondité était
élevée, même si on s'en préoccupait jusqu'à
un certain point des sorties, on ne s'affolait pas trop ou, en tout cas, on n'a
jamais su redresser la machine dans cette direction.
Malgré tout l'optimisme qu'on peut vouloir manifester, on ne voit
pas très bien comment on peut toucher, de façon très
efficace, au problème de la fécondité dans le contexte
occidental actuel. S'il y a une intervention de l'État, je pense que les
interventions de l'État dans le domaine économique... Il y a
peut-être eu des périodes où il y a eu des problèmes
autres qui ont expliqué un certain nombre de départs, mais disons
que, séculairement, on peut imaginer que le problème des
départs est, en grande partie, dû au dynamisme économique
qui n'a pas été suffisant. Mais là, des études
supplémentaires sont nécessaires pour mieux appuyer cela. Est-ce
que l'État n'a pas là un champ d'action qui lui est propre et sur
lequel il a plus de chances d'avoir un rendement que, par exemple, dans le
domaine de la famille du point de vue nataliste? Je pense que l'État
peut jouer un rôle très important du point de la famille, du point
de vue de la justice sociale et d'assurer l'épanouissement des familles,
mais est-ce que son impact démographique sera important? On est loin
d'être sûr de cela.
Le rôle de l'État, au plan économique, me semble
être une question, en tout cas, à étudier de façon
très sérieuse. Notre réaction, à nous, c'est que,
dans le document, on a eu un peu l'impression qu'il y avait un jugement qui
était de dire: Pour régler la question démographique,
tournons-nous vers la politique familiale, c'est là que l'État
peut agir, et l'économie va continuer, la migration va continuer comme
cela. On ne veut pas trop y toucher. Au fond, c'est cela notre réaction,
en fait.
M. Payne: J'ai saisi la nuance. C'est juste que je voudrais
apporter une petite nuance à l'affirmation. Je pense que c'est assez
répandu comme préjugé populaire...
Mme Lapierre-Adamcyk: On a des limites économiques.
M. Payne:... que n'importe quel pays ne veut pas recevoir un plus
grand nombre d'immigrants, en particulier, pour des raisons économiques.
Or, les éléments qui affectent ou qui déterminent
l'accueil qu'on doit accorder à un immigrant sont plutôt, au
Québec comme ailleurs, les questions linguistiques, les questions
d'adaptation, les questions d'emploi particulièrement, les questions
d'âge et les questions de santé. Je ne pense pas qu'on est moins
bien maintenant en termes d'accueil pour des questions économiques qu'on
ne l'a été dans le passé. Je pense qu'on est plus
accueillant maintenant envers ceux qui sont moins favorisés
économiquement. Mais, je saisis votre nuance.
M. Légaré: Le point sur lequel on voulait surtout
insister, c'est qu'il faut bien voir que, pour le législateur et pour
les gouvernements en général, la démographie, cela se
limite à des naissances, des décès et des immigrants, et
des immigrants internationaux. Au Québec, le brassage de population en
termes de migration, il ne se fait pas au niveau international; il se fait avec
les autres provinces du Canada. Cet aspect du problème, il est
complètement ignoré dans les politiques gouvernementales, et
c'est cela qui est fondamental. Par exemple, si vous prenez la page 34 du
document gouvernemental, on le voit très bien, les brassages de
population, les entrées, les sorties, au niveau interprovincial, c'est
de l'ordre de parfois jusqu'à 100 000 et, tout au moins, au-delà
de 70 000, alors que le brassage international, c'est-à-dire hors
Canada, soit les immigrants internationaux et les émigrants
internationaux est d'au-delà de la moitié de cela.
Or, on investit beaucoup d'études, beaucoup d'argent, beaucoup de
temps dans l'accueil des immigrants, ce qui est positif, et ceux qui partent,
on ne les regarde pas non plus. Mais on ne regarde pas ceux qui viennent des
autres provinces du Canada qui sont en aussi grand nombre que les immigrants et
qui ont peut-être autant besoin d'adaptation, soit dit en passant, et on
ne regarde pas, comme on l'a dit, ceux qui sortent. Donc, il faudrait que l'on
ait, si vous voulez, non pas un ministère de l'Immigration, mais un
ministère des migrations, c'est-à-dire des mouvements de
population. Parce que, si on regarde ce tableau, il y a des entrées et
des sorties qui sont au-delà de 100 000. Or, le ministère de
l'Immigration s'intéresse à 20 000 d'entre
eux. À notre avis, il y a là un problème.
Que le gouvernement, dans sa politique de population... Entendons-nous
bien, je pense qu'il faut bien faire la nuance entre la politique familiale qui
est une chose, mais qui n'est pas notre topo aujourd'hui et la politique de
population. Une politique de population, comme on l'a dit, c'est une politique
qui devra assurer une certaine stabilisation de la population du Québec
à défaut d'une croissance, de notre point de vue, parce que nous
croyons que la décroissance serait négative. À notre avis,
c'est là que le gouvernement devrait mettre ses oignons.
M. Payne: On parle de deux choses qui sont un peu
différentes. Je parle de l'immigration. La seule chose que je veux,
c'est faire cette nuance concernant l'immigration internationale et cette
nuance, je pense que c'est important. Ce que vous dites, c'est une tangente,
mais c'est important, c'est capital, bien sûr. J'aurais voulu discuter de
cela un peu plus tard avec le Groupe de travail canadien sur la population,
c'est sûr.
Là on parle d'une politique d'accueil pour ceux qui viennent des
autres provinces, on parle d'une politique favorisant le séjour continu
de ceux qui sont ici déjà; ce n'est pas du tout le même
phénomène ou le même problème qui se pose au niveau
de l'accueil de l'extérieur du Québec ou du Canada. C'est une
question importante. En ce qui me concerne, je voudrais y revenir beaucoup plus
en profondeur plus tard.
M. Légaré: Sur la question de l'apport
économique de l'immigration internationale -c'est le point que vous avez
soulevé - nous ne reprenons, dans le document, que les affirmations qui
ont été faites dans les études gouvernementales et sur
lesquelles nous, nous n'avons pas d'opinion pour le moment. C'est-à-dire
que nous ne voulons pas nous prononcer sur la question de savoir si le
Québec peut accueillir d'un point de vue économique plus
d'immigrants que présentement. Tout ce que nous avons dit
là-dedans, nous reprenions les affirmations qui avaient
été faites à partir d'un certain nombre d'études
puisque au ministère de l'Immigration on en fait sûrement, des
études, sur cet aspect. Donc, on ne s'est pas prononcé.
M. Payne: Tout ce que j'ai dit c'est qu'il n'est pas tout
à fait vrai de suggérer que le document laisse entendre que le
Québec ne pourrait recevoir un plus grand nombre d'immigrants, en
particulier, pour les raisons économiques. C'est tout ce que j'ai
dit.
M. Légaré: Je peux vous le retrouver dans des
documents. On le trouvera. (12 heures)
Le Président (M. French): Je ne suis pas d'accord avec
cela. M. le député de Saint-Henri.
M. Hains: Je me permets d'abord de vous féliciter pour
votre document. C'est clair, c'est précis, c'est simple et c'est court,
mais cela parle beaucoup. Le cas spécial de Montréal, je crois,
n'a pas été étudié dans le document du
gouvernement.
Mme Lapierre-Adamcyk: Ce n'est pas une omission involontaire, on
a voulu répondre.
M. Hains: Je parle du document du gouvernement.
Mme Lapierre-Adamcyk: Nous, nous n'avons pas soulevé cette
question parce que nous avons voulu répondre au bilan qui avait
été proposé par le document gouvernemental.
M. Hains: Mais, d'après ce que vous avez vu et lu
jusqu'ici et qui est peut-être aussi codifié, est-ce que vous
pensez que Montréal ressemble étrangement ou bien parfaitement ou
bien pas tout à fait, disons, à ce qu'on nous présente
comme scénario dans le document gouvernemental? Est-ce que ce sont
à peu près les mêmes courbes ou les mêmes choses?
Mme Lapierre-Adamcyk: J'imagine que, du point de vue de la
croissance naturelle, la fécondité probablement - encore que
là je n'ai pas vérifié les chiffres - a de fortes chances
d'être plus faible à Montréal que dans le reste de la
province. Donc, du point de vue du mouvement naturel, la région de
Montréal risque d'avoir un accroissement naturel plus faible. Encore que
je n'ai pas vérifié les chiffres sur cela, mais c'est un peu la
situation générale que les régions métropolitaines
au Canada aient une fécondité plus faible que celle des
régions environnantes. De ce point de vue, j'imagine que c'est la
même chose.
Les mouvements migratoires avec la région de Montréal cela
devient très compliqué. Là on a l'international, le
provincial, le canadien de sorte que c'est très compliqué. C'est
probablement le dépeuplement des centres-villes vers les banlieues qui
peut créer des problèmes pour la vitalité de la ville de
Montréal elle-même par rapport aux villes environnantes qui font
partie de l'agglomération montréalaise. Ce sont vraiment des
questions sur lesquelles je n'ai pas beaucoup à apporter parce que je
n'ai jamais concentré vraiment mes études sur ces questions et
j'aurais peur de dire bien des banalités et des erreurs si je
poursuivais très longtemps.
Le Président (M. French): Si vous le permettez, M. le
député. Je suis très étonné par votre
réticence. Après tout, l'émigration interprovinciale
n'est-elle pas essentiellement un phénomène de la région
de Montréal? Est-ce si compliqué que cela d'affirmer que 90% de
cette émigration vient de la grande région de
Montréal?
Mme Lapierre-Adamcyk: Ah non, ce n'est pas compliqué de
l'affirmer. Maintenant, c'est que j'ai cru que la question portait plus sur le
dynamisme de Montréal. Est-ce que l'on peut parler de cette
région en particulier? Ce qui a été ma
préoccupation c'est plus la croissance démographique de
l'ensemble du Québec. Évidemment, tout le problème de
l'équilibre des régions, c'est un problème que je connais
très mal et sur lequel je me sens un peu prise au dépourvu pour
répondre.
Le Président (M. French): Prenons les sujets l'un
après l'autre. L'émigration, on en a parlé. L'immigration
internationale, comme vous l'avez dit, s'est focalisée dans la
région de Montréal.
Mme Lapierre-Adamcyk: Oui.
Le Président (M. French): Encore une fois, 80 ou 90% des
immigrants...
Mme Lapierre-Adamcyk: Doivent partir de Montréal, oui.
Le Président (M. French):... vont arriver à
Montréal et vont partir de Montréal. Le taux de
fécondité n'est pas plus élevé que la moyenne
provinciale.
Mme Lapierre-Adamcyk: C'est cela.
Le Président (M. French): Donc, Montréal doit avoir
un avenir démographique...
Mme Lapierre-Adamcyk:... aussi sombre que le reste.
Le Président (M. French): Même un peu plus?
Mme Lapierre-Adamcyk: Même un peu plus, oui, si l'on
veut.
Le Président (M. French): C'est ce que j'ai compris que
mon collègue voulait demander.
M. Légaré: Je pense que ce qu'il ne faut pas perdre
de vue pour Montréal - et on n'a pas voulu s'embarquer dans cela -c'est
qu'en plus de cela il y a les mouvements des Québécois vers
Montréal ou des Montréalais vers le reste du Québec.
C'est une variable que nous n'avons pas regardée pour cette
commission puisqu'on s'est attaqué uniquement au point numéro 1.
Mais il est évident que, même si le président a raison de
dire que les mouvements d'immigration internationale et vraisemblablement
beaucoup d'émigrations interprovinciales ont lieu vers la région
de Montréal, il y avait jadis un camouflage, c'est-à-dire que,
s'il y avait des gens qui partaient de Montréal, mais qu'il y avait
d'autres Québécois du Lac-Saint-Jean ou de la Gaspésie qui
venaient vers Montréal, le dynamisme de Montréal continuait. Le
jour où ce mouvement s'arrête éventuellement, l'autre
apparaît avec beaucoup plus de lumière. Donc, c'est sur cela qu'il
faut être prudent.
Mais nous, on en a bien dit dans notre présentation et dans la
lettre qui l'accompagnait qu'on ne voulait parler - je pense que c'est un peu
notre droit - que du point numéro 1 qui était une réaction
de spécialistes par rapport au document qui était là, et
non pas des deux autres points qui ont beaucoup d'intérêt pour la
commission, mais je pense que d'autres experts viendront nous en parler.
Le Président (M. French): Je m'excuse, M. le
député de Saint-Henri.
M. Hains: Non, c'est parfait, cela répond à ma
question. Je trouvais quand même que Montréal, on peut dire que
c'est un concentré où on peut voir tous les différents
mouvements qui tournent autour de la province. C'est pour cela que je vous
demandais, en fait, si vous avez vraiment des études
particulières de faites sur Montréal et qui n'apparaissent pas
ici parce que cela n'a pas été, comme vous le dites, votre
objectif premier.
Mme Lapierre-Adamcyk: Au Groupe de recherche sur la
démographie québécoise, je pense qu'il y a eu peu
d'études qui ont porté sur la région de Montréal.
Il y a peut-être les sous-groupes qui ont fait un modèle de
prévisions pour l'ensemble du Québec et qui a touché aux
régions un peu, mais cela a été très mineur,
disons, dans nos préoccupations jusqu'à présent,
étant donné les objectifs qu'on s'était fixés.
Le Président (M. French): Avant de donner la parole au
député de Mille-Îles, je voudrais ajouter,
là-dessus, qu'on ne conclut pas que le mouvement vers les grands centres
urbains est terminé. Le mouvement vers la région
montréalaise continue.
M. Légaré: Je ne sais pas ce que vous appelez le
mouvement.
Le Président (M. French): Excusez-moi!
Du reste de la province.
M. Légaré: Du reste de la province! Ah non! Je ne
me prononcerai pas là-dessus. Mais du mouvement, il y en a à
Montréal. C'est évident que ça entre et ça sort,
c'est sûrement l'endroit où cela se produit le plus.
Le Président (M. French): C'est un problème de mon
français, je vais reformuler la question. J'avais compris que, sur le
plan canadien, l'augmentation des régions métropolitaines - ne
faisons pas de distinction entre la ville et la région; parlons de la
région - ce mouvement là a été, à toutes
fins utiles, arrêté. Pour autant qu'on le sache, ce n'est pas
nécessairement le cas pour la ville de Montréal.
M. Légaré: Oui, la croissance de Montréal
est très stabilisée. Il n'y a plus de croissance à
Montréal, même dans la région métropolitaine.
Le Président (M. French): Non, je parle toujours du
mouvement de Granby, de Jonquière ou de l'Abitibi vers la région
montréalaise. Je vous demandais si cela continue, sous réserve
que vous n'avez pas étudié le sujet.
Mme Lapierre-Adamcyk: Oui, vraiment, c'est sous toutes
réserves. Je ne le sais pas vraiment.
Le Président (M. French): M. le député de
Mille-Îles.
M. Champagne: Merci beaucoup, M. le Président. Je me
permets de remercier les représentants du Département de
démographie de l'Université de Montréal de s'être
présentés devant nous.
Dans le mémoire, à la page 1, vous parlez de la
vitalité de notre société et vous recommandez que
l'État intervienne au sujet de l'élaboration d'une politique
familiale. Votre mémoire a été rédigé en
date du 4 octobre 1984 et cela me fait plaisir de voir qu'au cours du
même mois il y a un livre vert, un document de consultation sur la
politique de la famille, qui a été publié. Actuellement,
nous avons une commission itinérante dont le président est
Maurice Gilbert-Champagne; une consultation provinciale au niveau de toutes les
régions du Québec est en cours. Espérons que ces
informations-là puissent aboutir, justement, à une politique
familiale. Comme vous le dites, il y a des inquiétudes au point de vue
de notre survie. Au point de vue démographique, espérons qu'on
pourra trouver quand même des solutions à notre carence.
Madame, je vous pose une question. Bien sûr, il y en a qui peuvent
dire: Si on améliore la condition du milieu de vie au point de vue
économique, qu'on crée le plein emploi, ce seront peut-être
des mesures qui vont favoriser les naissances. Est-ce que vous iriez dans une
tendance autre en disant, entre autres, que, pour avoir dans une famille un
troisième ou un quatrième enfant, l'État devrait peut
être consentir à de plus généreuses allocations
familiales? Est-ce que vous iriez dans cette perspective-là au sujet du
troisième et du quatrième enfant ou bien dites-vous: Favorisons
le plein emploi et le développement économique? Je voudrais
savoir votre opinion à ce sujet.
Mme Lapierre-Adamcyk: Pour ce qui est de s'interroger sur le
contenu éventuel d'une politique familiale, les éléments
qu'on a retirés des enquêtes ne sont pas très faciles
à interpréter, disons, et ce n'est pas très clair que les
citoyens réagiraient positivement, c'est-à-dire auraient plus
d'enfants si toute une batterie de mesures étaient mises à leur
disposition. Quand on a posé les questions aux femmes, une bonne partie
d'entre elles, probablement une faible majorité, ont un certain nombre
d'enfants et il n'y a pas de mesures économiques ou de changements
qu'elles prévoient qui les amèneraient à réviser ce
nombre d'enfants qu'elles ont choisi d'avoir.
On peut quand même imaginer que transformer un certain nombre de
choses dans notre société aurait, éventuellement, une
influence et pourrait modifier les valeurs et les mentalités à
l'égard du nombre d'enfants. Mais comme on l'a dit et
répété, le choix que font les Québécois,
présentement, d'avoir peu d'enfants, ce n'est pas un choix qui leur est
propre; c'est le choix des sociétés occidentales. Il y a, sans
doute, un certain nombre de sociétés où la
fécondité est encore un peu plus forte qu'ici et là, on
est dans une situation économique particulièrement difficile
depuis les dernières années, ce qui peut, jusqu'à un
certain point, expliquer une baisse plus marquée.
Mais disons qu'il ne faut pas se faire d'illusions sur l'impact rapide
d'une politique familiale. Dans notre document, on a reconnu le
bien-fondé du gouvernement de vouloir agir dans le domaine de la
politique familiale. Comme on ne connaît pas exactement le contenu de la
politique qu'il va recommander, c'est difficile de se prononcer
là-dessus. Mais ce qu'on a voulu souligner, c'est que si cette politique
familiale est nécessaire, elle l'est surtout du point de vue du
bien-être des couples, plutôt que des preuves qu'on a, du point de
vue d'une politique démographique, qu'une politique familiale va
être efficace.
Moi, personnellement, je ne suis pas convaincue... On va peut-être
redresser légèrement la situation, mais au point d'amener, par
exemple, une stabilisation des effectifs à long terme, à moins
que,
l'ensemble de l'Occident s'y mettant, les mentalités et tous les
courants d'idées qui ont amené les transformations qu'on
connaît n'agissent aussi sur la société
québécoise qui est devenue très perméable - Dieu
soit loué - à toute la vitalité du monde occidental.
C'est pour ça que, dans la conclusion de notre document, nous, on
dit que ce qu'il faut, c'est considérer tous les éléments
de la croissance démographique dans l'élaboration d'une politique
de population. La politique familiale aura sans doute des effets très
bénéfiques sur le bien-être des familles, mais elle a des
chances limitées d'avoir un impact marqué sur l'évolution
de la population.
M. Légaré: Moi, je voudrais juste faire remarquer
à M. le député qu'il a cité une phrase, mais qu'il
aurait fallu prendre le début. Ce n'est pas nous qui recommandons que
l'État intervienne pour infléchir le mouvement, en particulier,
par l'élaboration d'une politique, mais bien, si vous regardez le
début de la phrase, le document du gouvernement. Ce n'est pas nous. Donc
je pense que c'est une nuance importante.
Nous, nous prenons la dernière phrase, nous allons nous prononcer
sur l'opportunité d'une action de l'État dans ces domaines, mais
nous ne croyons pas, comme vient de le dire Mme Adamcyk, que c'est uniquement
et surtout par une politique familiale que l'on réglera le
problème démographique. Que l'on aide les familles, on est loin
d'être contre ça et nous croyons que ça peut être un
ferment, mais pas suffisant pour avoir des conséquences au niveau de la
croissance de la population.
Pour ce qui est - je donnerai un élément de comparaison -
d'aider plus les gens qui ont un troisième ou un quatrième enfant
par des moyens financiers, par des allocations familiales, pour prendre un
terme qui nous est connu, je donne toujours cet exemple qui, à mon avis,
est assez évocateur dans un autre domaine. Pour montrer à quel
point il ne s'agit pas d'une mesure qui fait qu'on règle une situation
par un point économique, je donne l'exemple de l'enseignement
universitaire. On a toujours dit que c'était bien en France, qu'on ne
payait pas de frais de scolarité, alors qu'au Québec on payait
des frais de scolarité. Mais les études ont bien montré
que l'accès à l'enseignement supérieur était
beaucoup plus démocratique au Québec qu'il ne l'était en
France.
(12 h 15)
Donc, ce n'était pas cette question purement économique de
dire: Ah, au Québec, il y a une entrave économique sur ce
point-là. C'était que les agriculteurs au Québec vivaient
dans un climat tel qu'il y avait plus de fils d'agriculteurs qui allaient
à I'université que ce n'était le cas en France, même
si en France le fils d'agriculteur n'avait pas à payer des frais de
scolarité.
C'est un peu la même chose pour les allocations familiales. Il ne
faut pas se faire d'illusion sur l'effet direct de dire: Si on donne 100 $ par
mois de plus pour le troisième enfant, cela aura pour effet que tout le
monde aura un troisième enfant. Il faut être très prudent
là-dessus. C'est l'ensemble du climat qui peut jouer. À ce
moment-là, l'aspect économique n'est pas à laisser tomber,
mais je ne crois pas que ce soit par cet élément d'avoir 100 $ de
plus pour le troisième enfant; c'est bien plus par un climat
général économique permettant d'avoir des emplois, d'avoir
des salaires que les gens trouvent suffisants pour avoir un bon niveau de vie.
Je pense que c'est tout ça.
M. Champagne: Merci. Je voudrais parler maintenant de
l'émigration. Au XIXe siècle, vers 1850, il y a eu un mouvement
vers les États-Unis, entre autres, et le gouvernement d'alors a fait une
étude sur les conséquences et sur les raisons de cette
émigration vers les États-Unis. Je suis un peu surpris qu'on ne
sache pas encore quelles sont les raisons qui motivent l'émigration. On
dit qu'on ne les connaît pas. J'ai vu déjà des raisons,
évoquées par certaines personnes, expliquant pourquoi les gens
quittent le Québec et vont aux États-Unis; il n'y a pas
d'étude sur les raisons.
Bien sûr, dans une première observation, il est plus facile
pour les anglophones de quitter le Québec, dans le sens où il y a
une terre aussi accueillante à cause de la langue; c'est plus difficile
peut-être pour les francophones de le faire parce qu'il y a cet
élément linguistique. Le contraire existe aussi,
considérant que, majoritairement, c'est français ici au
Québec, on peut être moins porté à immigrer ici au
Québec.
Est-ce qu'un département comme le vôtre, qui fait des
études démographiques des mouvement migratoires, se prête
à faire ce genre d'étude? Est-ce que vous-mêmes, vous avez
des opinions sur les raisons du mouvement d'émigration ici au
Québec?
M. Légaré: Je pense que les études pour
connaître les raisons sont liées d'abord à connaître
qui quitte. Si on connaît si bien l'immigration internationale au
Québec, c'est qu'on contrôle les immigrants, on les compte, on les
regarde, on connaît leur nom. Les gens qui arrivent des autres provinces,
les gens qui vont vers les autres provinces ou les gens qui vont vers les
États-Unis ou les autres pays du monde, on ne sait pas qui ils sont.
Donc, il y a déjà là un problème de mesure,
c'est-à-dire de contrôle du nombre de gens.
Les chiffres que vous voyez dans les documents gouvernementaux produits
par des
démographes sont ce qu'on appelle des résidus.
C'est-à-dire qu'on dit: S'il est entré ça qu'il y a
ça de population, donc, il a dû en sortir tant. Mais il n'y a
aucun contrôle, c'est-à-dire que nous n'avons pas de moyen qui
permette de contrôler les entrées et les sorties au Québec.
Cela, c'est un problème parce que le démographe, à ce
moment-là, est sur des bases très fluides pour estimer les
nombres. Comment arriver à connaître les raisons qui ont
amené ces gens à faire ces mouvements si on ne connaît pas
ces gens? On ne peut pas leur poser la question.
Quand vous disiez qu'on l'a su, à un moment donné, pour
les grandes vagues d'émigration du XIXe siècle, c'est qu'il y a
eu des enquêteurs du gouvernement du Québec d'alors qui sont
allés aux Ëtats-Unis rencontrer les Canadiens français qui
avaient émigré à ce moment-là et leur demander
pourquoi c'était comme ça. Il faut bien voir qu'aujourd'hui on ne
sait même pas qui sont les Québécois en Ontario qui ont
quitté l'année dernière ou qui ont quitté il y a
cinq ans, ou qui sont les Québécois francophones ou anglophones
qui sont rendus en Alberta. On ne sait pas qui ils sont. Donc, avant de
connaître les raisons, il faudrait d'abord pouvoir dénombrer ces
gens.
C'est évident que, présentement, dans certains pays, par
exemple, une personne qui arrive dans un pays, dans une région, doit
s'enregistrer. On a déjà parlé au Québec d'avoir ce
qu'on appelait un registre de population qui aurait permis ce genre de
"contrôle", entre guillemets. Nous ne l'avons pas; c'est un choix de
société. On n'a pas à entrer dans ce détail.
Cependant, on a des moyens détournés de savoir un peu qui sont
les gens qui sont sortis par les allocations familiales, par exemple. On
donnait jadis un chèque du Québec à une famille, puis on
nous a dit à un moment donné: N'envoyez plus de chèque;
ils ne sont plus là. Donc, on pourrait par des moyens administratifs
retrouver éventuellement cette famille, aller l'interroger et lui
demander: Pourquoi avez-vous quitté le Québec? Je pense que c'est
le genre d'étude qui permettrait éventuellement de mieux
comprendre les mouvements. De même, on pourrait avoir une nouvelle
famille, si vous voulez, qui arrive au Québec et qui demande des
allocations familiales, des rentrants qui ne sont pas des internationaux et
leur demander ce qui Ies a attirés au Québec, est-ce qu'ils
comptent y rester un certain temps et qu'est-ce qui pourrait les amener
à repartir éventuellement. Je pense qu'il y a des sujets
d'étude et, à mon avis, c'est là qu'on ferait les
meilleurs investissements pour s'assurer qu'à long terme la population
du Québec ne décroisse pas. Ces gens-là, on ne les
connaît pas.
C'est difficile. Ce n'est pas une solution facile, mais je crois que,
comme je le disais tout à l'heure, si on avait un ministère des
migrations, et non pas de l'Immigration, ce serait éventuellement son
rôle. Au groupe de recherche, on est bien prêt à faire ce
genre d'étude aussi, mais il faut bien voir qu'il y a des choses qui
nous dépassent et que nous n'en avons pas souvent les moyens. Souvent,
un organisme gouvernemental, un ministère dont c'est le rôle peut
éventuellement aller chercher ce type d'information, qui je crois,
serait très pertinente pour comprendre ce qui se passe et
éventuellement l'améliorer.
C'est la même chose lorsqu'on a fait des études pour
réduire la mortalité au Québec; on a donné un
mandat au ministère des Affaires sociales et on a dit: II faudrait
essayer de réduire la mortalité et s'organiser pour mieux
connaître l'état de santé des Québécois. On a
donné un mandat. Les gens ont fait leur boulot et ils l'ont bien fait et
on connaît mieux maintenant la situation par rapport à la
mortalité. Par rapport aux autres mouvements de population, on n'a pas
cette connaissance-là et, à notre avis, si on la connaissait
mieux, on pourrait éventuellement trouver les moyens pour arrêter
le mouvement ou l'organiser comme on le veut, pour notre plus grand bien.
M. Champagne: Merci beaucoup.
Le Président (M. French): Sur le même volet, Mme
Adamcyk et M. Légaré, vous insistez que le volet "immigration" ne
prend pas sa juste part dans l'attention du gouvernement et dans le
débat public qui entoure la question de l'avenir démographique.
Je suis tout à fait d'accord. Comme universitaires, j'admire votre
retenue devant ce phénomène et votre désir de faire plus
de recherche là-dessus.
Néanmoins, ne savons-nous pas des choses importantes sur les
éléments de la population du Québec qui sont les plus
susceptibles de partir? Par exemple, ne savons-nous pas que 60% à 75%
des émigrants sur le plan canadien sont de langue maternelle anglaise?
Ne savons-nous pas qu'ils sont pour la plupart relativement plus
scolarisés - probablement deux fois plus scolarisés - que la
population moyenne anglophone? Ne savons-nous pas qu'ils se dirigent
essentiellement vers l'Ontario, et dans une moindre mesure, vers les provinces
de l'Ouest? Sachant tout cela, n'avons-nous pas au moins quelques indices
relativement précis pour une explication, peut-être superficielle,
de leur départ? Soit, d'une part et c'est évoqué dans le
document gouvernemental - une espèce de dépaysement
politico-culturel et, d'autre part, des possibilités économiques
plus intéressantes surtout à Toronto qu'à
Montréal.
Je ne veux aucunement nier la pertinence de ce phénomène
pour l'avenir du
Québec, mais je ne voudrais pas tarder, non plus, à me
pencher sur un certain nombre de politiques relativement précises et
connues pour au moins souligner les choix de société que les
Québécois ont devant eux. J'aime mieux cela que de
prétendre qu'on en sait si peu qu'on ne peut que demander d'autres
recherches - je ne veux pas caricaturer votre position - afin d'avoir quelques
éclaircissements par une poursuite longitudinale de deux ou trois ans
des ressortissants. Bref, ne sommes-nous pas un peu plus en mesure de parler de
politiques spécifiques et concrètes à ce moment-ci?
Mme Lapierre-Adamcyk: Il est vrai qu'on a une certaine
connaissance des caractéristiques des gens qui sont sortis
récemment. On a une certaine connaissance aussi, même en tant que
démographes et dans notre tour d'ivoire de l'université, des
bouleversements et des débats qui se produisent dans notre
société. Donc, je pense qu'il ne faut pas, non plus, dire qu'on
ne sait absolument rien. Je pense que le point de vue qu'on a voulu faire
ressortir, ici, c'est que le phénomène des sorties des
Québécois n'est pas un phénomène des 15
dernières années. On a un article qui a été produit
récemment et qui montre que, sur les 9 périodes de 50 ans depuis
la venue de Jacques Cartier, la migration nette a toujours été
négative ou à peu près.
On peut facilement dire que l'on se concentre sur le fait que
récemment ce sont surtout les anglophones qui sont sortis et on peut
regarder tout le contexte qui a accompagné, qui a été
sous-jacent à ces mouvements. C'est une période peut-être
dramatique dans notre histoire, mais quand même une courte
période.
Là-dessus, les démographes sont peut-être aussi
coupables que le gouvernement parce qu'on ne s'est peut-être pas beaucoup
tournés nous-mêmes vers ce phénomène
démographique en bonne partie parce qu'il est extrêmement
difficile d'arriver à le saisir, étant donné l'ampleur des
moyens de collecte qu'il faudrait avoir pour cerner vraiment le
problème. Il nous semble qu'il y a là un problème de fond
qui est peut-être lié à la situation économique
à très, très long terme. Nous, ce qu'on veut faire dans
notre mémoire, c'est inciter le gouvernement dans son activité de
planification, dans ses préoccupations à l'égard du
problème de population, à se tourner de façon beaucoup
plus active vers la solution de ce problème.
À notre lecture, en tout cas, du document gouvernemental, on
trouvait qu'il n'allait pas dans cette direction puisqu'il nous disait: On se
tourne vers la politique familiale et on laisse aller les choses comme elles
vont. Le bilan ne dit pas qu'il n'y a pas une certaine préoccupation
parce que, effectivement, il y a un ministère de l'Immigration, il y a
des structures d'accueil qui sont mises en place. On ne dit pas qu'il n'y a
rien qui se fait. C'est de savoir où on met vraiment l'emphase. On a eu
l'impression, à la lecture de ce document, qu'on mettait beaucoup de
confiance dans la mise en place d'une politique familiale pour régler la
question démographique.
Notre point de vue, je pense, que c'est celui d'attirer davantage
l'attention de l'État sur l'ensemble des phénomènes qui
amènent une croissance ou une stagnation de la population.
Le Président (M. French): Juste avant que je donne la
parole au député de Saint-Jean, d'accord, vous vous êtes
exprimés de façon très claire sur la pertinence de ce
volet qui a été omis, essentiellement, ou qui n'a pas
été souligné par le document gouvernemental, d'autant plus
qu'à la lecture du document sur la politique familiale on a un peu de
misère à voir quels sont les instruments, là-dedans, qui
vont apporter un changement fondamental dans la fécondité des
Québécoises. Même si de tels instruments relevaient de
l'État, seraient-ils efficaces s'ils étaient appliqués? Je
n'en suis pas encore certain, surtout d'après ce que vous avez dit
aujourd'hui. C'est un autre débat qu'il faudra avoir, j'en suis
convaincu.
Mais, tout en acceptant qu'il y ait un besoin d'avoir plus de
renseignements, ne sommes-nous pas directement devant une question qui se
poserait de la façon suivantes Les Québécois n'ont-ils pas
un choix entre la relative dominance quantitative d'une population de souche
francophone et un avenir démographique relativement plus prometteur que
le déclin démographique que laissent présager les
tendances actuelles? M. Légaré. (12 h 30)
M. Légaré: Je pense qu'il ne faut pas perdre de vue
que la société québécoise a deux choix. Elle peut
devenir égocentrique et elle risque de décroître; cela peut
être un choix. Certains intellectuels appelleront cela du
génocide, un génocide qui ne sera pas imposé de
l'extérieur, qui sera fait par eux-mêmes. L'autre choix, c'est
d'avoir un certain "altruisme", entre guillemets, c'est-à-dire
d'être ouvert. Je pense que la société
québécoise, là-dessus, a fait des progrès immenses.
L'exemple qu'a donné M. Payne par rapport à l'accueil aux
immigrants, ce n'est pas la même chose, aujourd'hui, que c'était
il y a 20 ans. Je pense qu'il y a une relative unanimité
là-dessus.
Au point de vue toujours d'avoir une population croissante, ce que nous
voulons savoir, ce qu'on croit qu'il serait important pour le gouvernement du
Québec de savoir... Vous avez dit: On le sait un peu ce qui se passe
présentement au Québec, ce sont les anglophones qui quittent,
etc. Je ferai
remarquer, M. le Président, qu'en moyenne, durant la
période de cinq ans, de 1976 à 1981, il est sorti, en principe,
vers le reste du Canada 55 000 personnes par année, mais entre 1966 et
1971 il en sortait 63 000. Est-ce qu'on sortait pour les mêmes raisons?
Ce n'est pas sûr. Est-ce que c'étaient encore des anglophones qui
n'aimaient pas le gouvernement? Ce n'est pas sûr. Donc, les gens qui
sortent du Québec, il faut savoir pourquoi ils le font, si on veut les
retenir. Présentement, ce sont des anglophones. Il y a eu des moments
où il sortait beaucoup de francophones aussi. Il ne faut pas le perdre
de vue.
Je pense qu'il faut connaître ce qui se passe; autrement, on fait
la politique de l'autruche ou on est superficiel parce qu'on dit: Regarde donc
cela, le tirage du Star a baissé à Montréal, ce sont les
anglophones qui partent. C'est sûrement vrai. Ce n'est sûrement pas
faux, d'autant plus que le Star est mort. Néanmoins, je pense qu'il faut
aller au-delà de cela si on veut avoir une politique
démographique qui fait que le Québec ne se retrouvera pas
à 5 000 000. C'était juste cela. Donc, il faut aller regarder
cela de plus près. Vous allez me dire: Superficiellement, on le sait.
Oui, mais superficiellement, à mon avis, cela ne suffit pas pour faire
des politiques gouvernementales et c'est pour cela qu'il faut aller plus
loin.
Le Président (M. French): Je vous promets, M. le
député de Saint-Jean...
M. Proulx: C'est parce que je m'en vais, j'ai une réunion
avec M. Rhéaume.
Le Président (M. French): Cela, par exemple, vos
réunions à l'extérieur, c'est votre problème.
M. Proulx: II m'attend.
Le Président (M. French): C'est votre problème. Je
voudrais essayer de rejoindre les deux volets de votre réponse que j'ai
trouvés fort intéressants. L'aspect altruiste d'une politique
future possible ne nous amène-t-il pas inévitablement devant un
aspect de l'affirmation des francophones qui, je vous le rappelle, n'a pas
commencé en 1976 et a pris diverses formes auparavant qui auraient pu,
là aussi, motiver une émigration? Je ne condamne pas les
expressions démocratiques de cette affirmation, loin de là.
Néanmoins, tout ce progrès que vous avez évoqué -
je suis d'accord qu'il existe, car il est important -devrait continuer et cela
devrait inévitablement ou probablement remettre en question un certain
nombre de présomptions qui nous ont gouvernés par le passé
et qui ne sont plus tellement à point ou tellement pertinentes face,
justement, au déclin démographique possible dans l'option
égoïste. Une politique linguistique n'a-t-elle pas des liens
importants avec une politique de la population, par exemple?
M. Légaré: Sûrement. Je crois qu'une
politique linguistique a une très grande importance là-dedans.
Mon point de vue personnel là-dessus, c'est qu'il faut que les
immigrants, les entrants, sachent qu'ils arrivent au Québec dans un
autre coin. Je pense que, lorsqu'il y a eu une vague d'émigration
allemande, pour prendre cet exemple, vers l'Amérique du Sud, les
Allemands ont appris l'espagnol quand ils arrivaient en Argentine et quand ils
arrivaient au Paraguay. Cela ne les empêchait pas de garder leur culture,
sauf qu'il y avait une société en Argentine et au Paraguay qu'ils
ont respectée. Ils ont dit: Nous voulons nous intégrer à
cette société, donc nous allons prendre les moyens.
M. Proulx: Ils sont rendus présidents aujourd'hui,
même.
M. Légaré: Le cas du Québec n'est pas le cas
de l'Argentine, en ce sens qu'il y a une histoire, il y a un passé
linguistique dont il faut tenir compte, mais je pense qu'il ne faut pas perdre
de vue, non plus, qu'une affirmation linguistique de ce point de vue a sa
raison d'être et que l'immigrant, sans le "traiter de haut", entre
guillemets, doit savoir qu'il n'est pas chez lui et doit tenir compte du
contexte dans lequel il se trouve. Là-dessus, je pense qu'il va falloir
avoir une politique linguistique qui tienne compte de cet
élément, mais qui ne doit pas répudier, non plus, les
aspects historiques, je suis tout à fait d'accord avec vous.
Là, il y a de quoi à travailler, évidemment. Si
ceux qui partent éventuellement, vous disent: Non, moi, je ne veux -
pour prendre un exemple extravagant - que travailler en anglais au
Québec, c'est évident qu'à ce moment la réponse,
c'est que ce n'est pas sur eux qu'on va avoir à travailler. Si un autre
part pour toutes sortes de raisons et qu'il est un peu plus nuancé,
bien, on verra à établir des politiques qui feront que celui qui
est un peu plus nuancé, on réussira à le garder. L'autre
vraisemblablement, étant donné le contexte
québécois, ne pourra pas être
réintégré. Je pense que c'est dans cet esprit qu'il faut
voir les choses.
Le Président (M. French): Enfin, pour résumer, il y
a encore de l'inconnu, il y a encore toute une série de données
qu'on n'a pas et il faut les avoir, tout en reconnaissant qu'on ne peut pas
attendre trop longtemps, puisque la crise existe actuellement. La perspective
actuelle n'est
pas des plus prometteuses, n'est pas le genre de perspective qu'on
voudrait avoir. M. le député de Saint-Jean, qui brûle de
continuer sur la question.
M. Proulx: Merci. Dans ma région, dans toute la
région du Richelieu, au XIXe siècle, il y a eu une très
forte migration vers les États-Unis, vers les "factories", et surtout
dans un petit village qui s'appelle Marieville où au XIXe siècle
il y avait 6000 personnes et aujourd'hui il y en a 3000. C'est un centre
très important. Mon père vient de Richmond et, quand il est venu
au monde à Richmond au XIXe siècle, il y avait 90% d'anglophones
et aujourd'hui c'est seulement 10% d'anglophones qui existent dans les Cantons
de l'Est, donc, une très forte migration.
Je veux revenir à l'émigration aujourd'hui vers les
États-Unis. On dit qu'il y a une grosse colonie francophone
québécoise en Floride et en Californie. Est-ce que vous avez
étudié cela parce que c'est un facteur important? On dit qu'en
Californie plusieurs jeunes personnes, plusieurs cadres forment une
société assez importante, et en Floride aussi. Évidemment,
il y a tous ceux qui sont là deux ou trois mois, mais il y a de plus en
plus de personnes. Est-ce que vous avez étudié cela? Ce sont des
facteurs importants dans les sortants, ceux qui sortent du Québec.
Surtout en Californie, j'ai vu cela et on voit cela
régulièrement: une très forte concentration de
francophones dans ces coins. Êtes-vous capables de répondre
à cela?
M. Légaré: Non.
M. Proulx: Est-ce qu'il y a un fondement à ce que je
dis?
M. Légaré: Je pense que, pour la Floride, il y a un
mouvement connu de gens; il y a des colonies de personnes âgées
qui y vont et le gouvernement pourrait très bien les suivre puisqu'il
leur envoie leur chèque, évidemment, là. Donc, il y a
moyen de saisir le nombre de vieillards qui habitent en Floride. Je pense que
c'est peut-être l'aspect le plus important. Qu'il y ait un certain nombre
de cadres et de jeunes gens prometteurs que l'on ait perdus vers la Floride et
la Californie, il en sort plein comme on dit. Donc, je pense qu'on n'a pas les
moyens présentement de savoir exactement où ils sont
localisés.
M. Proulx: II n'y a pas d'études qui ont été
faites dans ce sens?
Mme Lapierre-Adamcyk: Ici, on voit, par exemple, dans le document
du gouvernement, que l'émigration c'est-à-dire la sortie des
Québécois vers le monde extérieur, du Canada - la Floride
est incluse dans cela - diminue. Cela ne dépasse pas 10 000 depuis 1976,
de sorte qu'on ne peut pas imaginer qu'il y ait des centaines de milliers de
Québécois qui soient établis en Floride. Il y en a une
certaine petite colonie, j'imagine, mais ce n'est pas probablement pas
là qu'est le gros problème des sortants du Québec.
M. Légaré: Si on prend l'année 1981-1982, il
y a 6000 personnes qui quittent le Québec pour aller à
l'étranger, c'est-à-dire hors Canada, aux États-Unis ou
qui retournent dans les pays d'origine. Il peut y avoir des immigrants des
Caraïbes qui sont venus ici et qui retournent chez eux, il peut y avoir
des...
Mme Lapierre-Adamcyk: Des Italiens qui retournent en Italie.
M. Légaré:... des Italiens qui retournent chez eux,
il peut y avoir ce type de mouvement. Mais au même moment où il y
en avait 6000 qui retournaient dans le "monde", entre guillemets, il y en avait
45 000 qui quittaient le Québec pour aller ailleurs au Canada.
Mme Lapierre-Adamcyk: Les ordres de grandeur sont importants.
M. Légaré; Nous sommes sur les ordres de grandeur. Comme
le soulevait tout à l'heure un autre membre de la commission, il y a des
problèmes humains qu'il faut regarder: le cas de l'avortement en est un,
le cas des mères porteuses en est un autre. Mais, pour nous, c'est
relativement marginal, si vous voulez, dans le sens que ce sont des petits
nombres qui affectent peu le topo qui est le nôtre, celui de l'ensemble
de la population du Québec. Donc, à ce moment, il faut
relativiser les choses, de sorte que, lorsqu'on parle de sorties du
Québec, s'il y en a 6000 qui partent pour la Floride alors qu'il y en a
45 000 qui partent pour l'Ontario, on se dit qu'en termes d'objectif pour le
Québec, c'est peut-être de regarder un peu plus les 45 000 qui
s'en vont en Ontario que les 6000 qui s'en vont en Floride.
M. Proulx: II y en a peut-être un peu plus en Floride,
parce qu'on affirme qu'il y a là beaucoup de travailleurs
illégaux, sans permis; c'est peut-être quelques milliers, cela
peut peut-être augmenter de quelques mille. Donc, ce n'est pas un facteur
important, cette migration.
Merci, M. le Président. J'ai d'autres occupations. Je retourne
dans mon comté à pied cet après-midi!
M. Légaré: Faites bonne route!
M. Proulx: Sur la grande route, je vais prendre la 20.
Le Président (M. French): Y-a-t-il d'autres questions? Le
président en a, mais est-ce qu'il y en a d'autres? Je voudrais revenir
à la question concernant les ressortissants québécois.
Quelle méthodologie pourrait-on utiliser? Il me semble que cela serait
très difficile d'avoir un échantillon scientifique des
Québécois résidant à Toronto et Calgary, justement
à cause du fait que nous n'avons pas de documentation sur eux, en tant
qu'individus. Est-ce qu'on irait chercher les renseignements auprès des
gens qui se disent en train de considérer s'ils doivent rester au
Québec ou non? Comment pourrait-on aborder cette question?
M. Légaré: Je pense, comme j'ai répondu tout
à l'heure à M. le député, que nous n'avons pas
voulu, ici, instaurer de moyens qui nous permettraient de le faire, en ce sens
que, lorsqu'on entre au Québec, il faut s'inscrire quelque part
officiellement et, lorsqu'on le quitte, on doit aussi - sinon, on risque
d'être pénalisé par la loi - se "désinscrire" sur un
registre, mais ce sont des choses qui existent ailleurs dans des pays non
policiers, que ce soit la Belgique ou les pays Scandinaves. Donc, à
défaut d'avoir ces moyens-là, il faut prendre d'autres
moyens.
Or, l'information, nous l'avons. Exemple, on peut l'avoir par des
formulaires administratifs, c'est-à-dire que les administrations, tant
provinciale que fédérale, sont très au courant que M. X ou
Mme Y, qui habitait telle adresse à Montréal-Ouest, habite
maintenant non loin de Toronto. Si, et là il y a tout un si, on permet,
à ce moment-là, d'aller dans les fichiers administratifs, nous
pouvons trouver facilement une base de sondage scientifique qui permettrait de
rejoindre les gens. Maintenant, il y a l'accès au fichier administratif
qui pose un certain nombre de problèmes sur lequel il y a des pour et
des contre - je ne pense pas que ce soit le lieu pour en discuter - mais c'est
la seule façon de prendre connaissance de certains faits que l'on ne
veut pas déclarer autrement. Il y a sûrement moyen... Certaines
gens vous le diront. Il y a déjà eu des enquêtes, dans les
écoles, auprès des jeunes à qui on a demandé:
Est-ce que vous comptez faire votre carrière au Québec? Vous
pouvez leur demander à ces gens qui sont au Québec, mais ce n'est
peut-être pas ceux-là qui vont donner le plus de renseignements
utiles en ce sens qu'on veut connaître ceux qui ont vécu
l'expérience, et ceux qui ont vécu l'expérience, ce sont
ceux qui sont partis. Probablement qu'on ne les fera pas revenir, mais si on
connaît la cause, on pourra peut-être y remédier d'une autre
façon. Il y a sûrement possibilité de rejoindre les
émigrants qui ont quitté le Québec, par toutes sortes de
moyens, qui pourraient être scientifiques, à condition qu'on nous
en donne les moyens. Maintenant, c'est évident que nous, universitaires,
on a toujours beaucoup plus de problèmes, "parce qu'on nous fait moins
confiance", mais le gouvernement a ses organismes à lui, il a son
ministère de l'Immigration, il a son Bureau de la statistique du
Québec, il a les instruments; ils doivent se faire confiance entre eux
-c'est là l'autre élément - pour aller chercher
l'information et éventuellement faire des enquêtes
eux-mêmes, ou nous redonner les enquêtes, mais il faut avoir
l'accès à l'information.
Le Président (M. French): Sur le plan de l'accès
à l'information, je vous soulignerai que le principe de la loi, ce n'est
certainement pas qu'un ministère gouvernemental devrait avoir plus
confiance dans une autre instance gouvernementale qu'il ne devrait avoir au
Département de démographie de l'Université de
Montréal. Le principe de la loi c'est qu'il y a une série de
standards qui doivent être respectés, quelle que soit l'origine de
la demande d'accès à l'information. De toute façon, je
comprends mieux maintenant que les renseignements existent et qu'il s'agit
d'avoir la permission et le financement pour l'étude.
M. Légaré: En fait, je donne toujours cet
exemple-là. Lorsqu'on quitte le Québec, on le dit au laitier, aux
voisins, aux allocations familiales, à l'impôt, on le dit à
tout le monde, sauf aux statisticiens et aux démographes. C'est bien
malheureux, parce que c'est nous qui pourrions faire quelque chose d'utile avec
cela, sauf que tout le monde le sait, mais nous, on ne le sait pas. C'est bien
malheureux, donc il faut prendre d'autres moyens et on en a pour les "coincer",
si vous voulez.
Le Président (M. French): M. le député de
Marquette.
M. Dauphin: Merci, M. le Président. À mon tour, je
remercie les personnes qui sont devant nous, du Groupe de recherche sur la
démographie québécoise. N'ayant pas abusé du temps
de la commission, jusqu'à maintenant, relativement... On en a
déjà un peu parlé tantôt, ce serait plutôt une
opinion puisque les données sont peut-être plus difficiles
à obtenir, mais, au niveau de l'immigration, on parle de 45 000
personnes, sur une base annuelle, l'immigration canadienne, si vous me
permettez l'expression. On sait, entre autres, que nos immigrants, que ce
soient les Italiens ou d'autres, pour la plupart, sont venus au Canada ou au
Québec pour des raisons, majoritairement parlant, je pense qu'on
peut
le dire, économiques; ils se cherchaient un emploi.
(12 h 45)
Alors, je présume que c'est assez difficile pour vous autres
d'avoir les données. On parle d'une majorité anglophone, ces
dernières années, qui émigrent dans d'autres provinces
canadiennes, mais est-ce qu'on peut savoir si ces gens-là avaient un
emploi au Québec, selon vous? Est-ce qu'ils travaillaient?
Mme Lapierre-Adamcyk: J'imagine que les données, par
exemple, du recensement de 1981 - il n'y a rien depuis - doivent permettre
d'identifier un certain nombre des caractéristiques des personnes qui
résidaient au Québec en 1976, par exemple, et qui, en 1981,
résidaient dans une autre province. Mais ça nous donne
l'information sur leur situation au moment de 1981, une fois qu'ils sont
installés à Toronto. Cela ne nous dit rien sur leurs conditions
quand ils étaient au Québec cinq ans auparavant.
Je fais allusion au fait que dans le recensement il y a une question qui
demande: Où habitiez-vous il y a cinq ans? Donc, on peut identifier,
jusqu'à un certain point, des caractéristiques culturelles, des
caractéristiques d'instruction. Mais la situation économique de
cette personne ou de cette famille, au moment où elles ont pris la
décision de se déplacer, échappe complètement au
recensement, puisqu'il y a très peu d'aspects rétrospectifs dans
le recensement. Évidemment, si c'est quelqu'un qui est président
de compagnie à Toronto, on peut s'imaginer qu'il était
peut-être président ou vice-président de compagnie, il y a
cinq ans, au Québec.
Mais pour les gens plus ordinaires, on n'a aucune indication permettant
de savoir s'ils sont allés spécifiquement pour des questions
économiques se trouver un emploi ailleurs. On sait s'ils ont un emploi,
quand même, ailleurs.
M. Légaré: Un élément important qui
vient d'être soulevé, c'est celui de savoir à quel point le
Québec a servi, pendant un certain temps - tout au moins, on l'a cru -de
passage pour certains immigrants, c'est-à-dire des gens qui venaient,
ici, au Québec -vous donnez l'exemple des Italiens, cela pourrait
être d'autres - et qui, trois ans après, se retrouvaient à
Toronto. Cela, on ne le sait pas. C'est-à-dire que, pour le mesurer
correctement, on n'a pas tous les éléments, donc, de savoir quels
sont ceux... Parce qu'on peut très bien nous dire: Oui, il y a
présentement des Italiens à Toronto qui, il y a quelques
années, habitaient au Québec. Mais on ne saura pas si
c'étaient des Italiens de vieille souche qui sont peut-être
nés au Québec ou si ce sont des Italiens qui sont arrivés
deux ans avant.
Donc, c'est de ça qu'on parle quand on parle de manque
d'information. Alors, on a une idée de ce qui se passe,
c'est-à-dire qu'il y a bon nombre de gens d'origine italienne qui ont
quitté le Québec pour aller à Toronto, mais on ne sait pas
si c'est ceux qui venaient d'arriver, on ne sait pas si c'est ceux qui ont eu
leur éducation au Québec, etc. Donc, il nous manque de
l'information qui n'est pas seulement qualitative - elle apportera beaucoup au
niveau qualitatif -mais même au niveau quantitatif.
Le Président (M. French): Sauf que le gouvernement affirme
de façon non équivoque, dans le document de "briefing" ou de
"background" pour le sommet "Québec dans le monde", que le taux de
rétention du Québec des immigrants internationaux est plus bas
que celui de l'Ontario, par exemple.
M. Légaré: C'est possible, oui.
Mme Lapierre-Adamcyk: On peut probablement mesurer ça avec
les données disponibles...
M. Légaré: Le ministère de l'Immigration a
vraisemblablement des éléments qui lui permettent de le dire.
Le Président (M. French): L'expert-conseil de la
commission ne me pardonnerait pas de ne pas vous pousser un peu plus fortement
sur la question des instruments d'une politique familiale afin de hausser le
taux de fécondité. Vous vous êtes exprimés de
façon très claire. Vous êtes sceptiques à ce sujet,
sceptiques dans la mesure où votre estimation de la volonté
politique derrière la proposition n'est pas très favorable ou
sceptiques dans le sens que, même en imaginant une volonté
politique suffisante, les instruments existent-ils, oui ou non, afin d'aider
les familles à avoir tous les enfants qu'elles disent vouloir?
Exemple: Si on décidait de remanier dramatiquement ou de
réaménager dramatiquement les allocations familiales, afin
d'insister beaucoup plus sur le troisième enfant que sur les deux
premiers, est-ce que nous avons l'expérience en Europe ou ailleurs qui
nous permettrait de dire si, oui ou non, ça fonctionne, tout en sachant
que, politiquement, ça prend un changement ou presque une
révolution?
Mme Lapierre-Adamcyk: Disons que mon scepticisme, en tout cas,
est de nature sociologique et non pas de nature politique. Je ne crois pas que
la résistance à des mesures ou à des instruments de
politique nataliste relève du fait que le gouvernement n'y met pas assez
d'énergie. Je pense que c'est l'état de la société
qui fait qu'il y a une résistance.
Là-dessus, on a, par exemple, dans l'enquête de 1976,
posé la question aux femmes qui étaient en train d'avoir leurs
derniers enfants, si elles avaient été sensibles aux changements
des allocations familiales qui s'étaient produits entre l'enquête
de 1971 et celle de 1976. On sait que le changement a été majeur;
on passait de presque rien, quand même, à des montants qui avaient
l'air d'être un peu significatifs. Je ne me souviens pas des chiffres
exactement, mais il y avait une grande fraction des femmes qui, au fond,
étaient à peine conscientes qu'il y avait eu un changement dans
l'ordre de grandeur des allocations familiales.
Disons que ça reflète un peu l'espèce de
mentalité, je pense, qui est vraiment à la source des
décisions qu'on prend en matière de fécondité.
Même si on est toujours porté à dire que c'est
économique, c'est très relatif à l'ensemble de la
société dans laquelle on vit. C'est pour ça que je suis
sceptique. Je pense que la mentalité de la population, non pas la
mentalité du gouvernement, ne va pas dans le sens d'un redressement,
présentement.
Encore là, je pense qu'il ne faut pas interpréter mes
paroles comme étant négatives à l'égard des efforts
que le gouvernement pourrait faire pour aider les familles; au contraire, je
suis très ouverte à ça, mais...
Le Président (M. French):... fécondité.
Mme Lapierre-Adamcyk:... dans le redressement de la
fécondité, je suis sceptique sur l'effet que ça va
avoir.
Le Président (M. French): D'autres questions? M. le
député de Louis-Hébert.
M. Doyon Dans le texte que vous nous avez soumis, vous prenez le
pari, tel que vous l'indiquez, d'une croissance relative, même si elle
est minime, par rapport aux risques qu'implique une décroissance de la
population. Quand vous parlez de risques en faveur de la croissance, est-ce que
vous pourriez préciser un peu? Quelle sorte de risque y a-t-il,
finalement, s'il y en a un? Cela ne me saute pas aux yeux, un risque qui serait
associé à la croissance démographique. En relation
à cela, est-ce que vous pourriez aussi indiquer les risques qui sont
inhérents à la décroissance démographique? Vous
avez parlé d'une société qui manquait de dynamisme, qui
devenait sclérosée, tout l'effet du vieillissement qu'il peut y
avoir.
Est-ce qu'il y a des modèles historiques qui nous permettent de
situer ou de faire une projection de ce qui nous arriverait, par exemple, si la
tendance démographique se maintenait sur une période, disons, de
50 ans et qu'on se retrouvait avec une population qui continuerait de
décroître et qui engendrerait un type de société
qu'on pourrait prévoir grâce à d'autres modèles qui
ont eu lieu ailleurs dans d'autres temps et dans d'autres lieux?
Mme Lapierre-Adamcyk: Sur le risque de la croissance, disons que,
dans le contexte immédiat, je pense que le mot "risque", dans notre
tête, n'était pas associé à quelque chose de
très négatif. Il y a cependant des études qui ont
été faites pour montrer que, même pour la
société québécoise... D'ailleurs, M. Henripin va
venir vous rencontrer, vous pourrez lui demander plus d'explications dans ce
sens. Il a déjà fait des études sur le coût qu'avait
représenté pour le Québec la croissance
démographique très rapide et très importante qui a
été celle de l'évolution de la population
québécoise.
Quand on a une population qui est en croissance, le risque, c'est
toujours que le rythme de la croissance démographique soit plus rapide
que celui de la croissance économique et que les investissements
nécessaires pour assurer un certain niveau de vie à la population
qui croît grugent tellement les ressources qu'on ne parvienne pas
à faire les investissements économiques nécessaires pour
assurer la croissance économique. Je pense que le risque de la
croissance est là. S'il y a un déséquilibre entre le
rythme de la croissance économique et celui de la croissance
démographique, ça crée un problème.
Dans le cas de la décroissance, le risque est lié un
peu... Est-ce que le fait qu'il n'y ait pas suffisamment de population, par
exemple, si on pense aux économies d'échelle, à la
circulation des produits, aux marchés, est-ce que le fait qu'on ne
croisse plus n'a pas un impact direct, par exemple, sur le développement
de l'économie? Je pense que c'est un peu dans cet esprit qu'on a pris
cette expression; risque pour risque, on prend plutôt le risque de la
croissance. Une croissance modérée nous semble, dans
l'état actuel de la société, plus positive que
négative.
Encore là - je pense qu'on l'a affirmé dans le document -
il n'y a pas d'étude qui a établi une fois pour toutes les liens
entre la croissance démographique et la stagnation ou le
développement économiques. Ce sont des questions très
fondamentales sur lesquelles il y a beaucoup de recherches en cours, mais qui
vont toujours un peu... Certains ont une théorie dans un sens et on
trouve les éléments pour l'appuyer; d'autres ont une
théorie contraire et on trouve aussi des éléments ou des
exemples historiques qui vont dans le sens contraire. Alors, cela reste une
question sur laquelle les spécialistes ne s'entendent pas tout à
fait.
M. Légaré: C'est évident, par exemple, comme
certains vous diront, que la croissance des pays du tiers monde coûte
très cher et que, justement, elle n'est pas un facteur de dynamisme. On
n'en est pas là. Donc, ce n'est pas de ce type de croissance que nous
parlons. Lorsque nous disons risque pour risque, c'est que nous croyons que,
dans une société croissante, on a des besoins de biens de
consommation qui sont tout è fait différents de ceux d'une
société décroissante. Dans une société
décroissante, par exemple, le prix des retraites va incomber à
une portion de plus en plus infime de gens pour payer cette retraite aux
retraités. À ce moment-là, vous risquez d'avoir un fardeau
qui va être imposé aux travailleurs et aux jeunes et qui peut,
éventuellement, devenir même amoral, diront certains. Je vais vous
donner un exemple extrême mais qui va vous montrer un peu que la
décroissance est dangereuse. On va prendre un exemple bien
québécois: les communautés religieuses au Québec,
le jour où elles ont commencé à décroître, le
déclin a été rapide et vous voyez ce qui en est. Alors,
vous avez là un exemple qui fait que certains pourraient dire: Oui, nous
allons décroître, mais ce n'est pas grave. On va se stabiliser
à un certain moment, etc. Quand on est sur une pente, eh bien! cela peut
être dangereux. C'est pour cela que nous disons "risque pour risque",
parce qu'on n'en sait rien. Dans le fond, il vaut peut-être mieux ne pas
s'aventurer et dire: Voilà! Vaut mieux croître ou tout au moins
être sûr que la population ne décroît pas que de
courir le risque que l'on décroisse et ne pas trop savoir
jusqu'où va aller le gouffre. C'est notre préoccupation.
Mais, comme le dit très bien Mme Adamcyk, on ne peut pas... Il
faut bien voir que, dans le passé, il y a eu des décroissances -
parce qu'il y a des sociétés qui ont vécu les
phénomènes de décroissance - et, comme les études
démographiques du temps et l'information n'existent plus, on n'est pas
capables de faire les études pour savoir pourquoi elles ont décru
et ce qui est arrivé. Donc, ce qu'on a présentement surtout
à notre disposition, c'est l'exemple de sociétés
croissantes. Donc, on est sur du "risque pour risque. " On n'est vraiment pas
sur des bases très solides là-dessus, mais nous vous donnons une
opinion.
Le Président (M. French): M. le député de
Louis-Hébert, sachant qu'il nous reste une minute.
M. Doyon: Oui, il ne nous reste que deux minutes. Est-ce qu'on
pourrait dire que, compte tenu du souhait qui semble être partagé
par plusieurs sociétés industrialisées d'avoir au moins
une stabilité démographique, sinon une croissance
démographique, vous partagez l'avis qu'actuellement les pays
industrialisés, dont fait partie le Québec, le Canada, sont en
compétition les uns avec les autres pour s'assurer cette ressource qui
s'appelle la population, qui s'appelle les personnes humaines qui sont
susceptibles de changer de pays ou de province? Est-ce qu'il existe
actuellement, d'après vous, entre les pays industrialisés, une
espèce de compétition qui fait qu'un pays comme la France n'est
pas intéressé à voir partir des gens, un pays comme
l'Angleterre n'est pas intéressé non plus, un pays comme
l'Allemagne n'est pas intéressé, que nous ne sommes pas
intéressés à en voir partir, que nous serions prêts
à en recevoir un peu dans les circonstances? N'existe-t-il pas là
une espèce de compétition entre les pays du monde
industrialisé au sujet de cette ressource qui s'appelle la population
qui est une ressource limitée et que les pays essaient d'accaparer? Il
faut peut-être tirer la ligne entre la possibilité qu'il y a de
compenser l'absence de venue d'une population des pays industrialisés et
celle des pays en voie de développement, mais parlons simplement des
pays industrialisés où l'acclimatation est plus facile,
l'adaptation, etc. Appelons cela directement, la rentabilité de la
personne humaine qui nous arrive est plus probable quand elle nous vient d'un
monde semblable au nôtre. Est-ce qu'il existe une telle
compétition d'après vous?
M. Légaré: J'ai l'impression que oui, si vous
parlez du monde industrialisé. Comme vous le dites, c'est
peut-être plus rentable, en ce sens que cela demande moins
d'investissements d'intégration, c'est peut-être plus simple
d'avoir à intégrer un Français qu'un Vietnamien, quoique
c'est à voir encore. C'est évident que si on cherche à
attirer des Français, des Libanais, des gens d'Allemagne ou des pays
nordiques, comme le furent les courants migratoires anciens, là, c'est
évident qu'il y a une compétition entre ces pays puisque tous ces
pays essaient de retenir leur monde, étant donné que nous sommes
tous dans la même situation, tous ont un problème de
fécondité. Il ne faut pas le perdre de vue. Que ce soit les
Suédois, les Américains, les Allemands ou les Français, on
a tous ce problème. Donc, à ce moment-là, tout le monde a
intérêt à garder son monde.
Sauf que, dans ces pays, il y a vraisemblablement moins de mouvement. Je
ne veux pas trop m'aventurer, je ne connais pas trop les mouvements des
Français vers l'Allemagne, par exemple. Il y a peut-être un
certain nombre de Français qui trouvent le moyen d'aller travailler en
Allemagne et qui y trouvent un avantage économique, mais ce que l'on
voit surtout de loin, c'est que ces pays accueillent d'autres pays
européens en phase d'industrialisation. Vous avez toutes les migrations
portuguaises, espagnoles, turques,
etc., vers les pays d'Europe, les États-Unis restant toujours,
évidemment, un attrait.
Mais, même aux États-Unis, il faut bien voir que la
diversité des mouvements migratoires, c'est-à-dire le bassin
qu'ils utilisaient jadis a beaucoup varié là aussi et que c'est
un autre élément de permettre à une immigration
d'être diversifiée, c'est-à-dire de ne plus pouvoir compter
que sur des pays industrialisés, mais de compter sur des pays moins
industrialisés. Il faut évidemment faire attention au contexte
international et ne pas aller chercher que des "cerveaux" qui coûteraient
moins cher; il y a là tout un problème de déstabilisation
des "cerveaux" par rapport au tiers monde. C'est évident que cela
coûtera peut-être un peu plus cher, mais, au bout de 20 ans, au
bout de 50 ans, est-ce qu'entre un Italien et un Vietnamien il y aura vraiment
une différence si, au bout de 50 ans, les deux se sentent
Québécois? Je pense que c'est cela, le but ultime,
c'est-à-dire qu'aussi bien l'un que l'autre ils se disent au bout de 50
ans: Mes grands-parents étaient Vietnamiens, mes grands-parents
étaient Italiens et, moi, je suis un Québécois. Je pense
que c'est tout ce qui est visé. Donc, les autres pays ont le
problème, il n'y a aucun doute.
Maintenant, la compétition. Il ne faut pas se faire d'illusion,
ce ne sont pas des Suédois, des Allemands et des Français qu'on
va aller chercher. Je pense qu'eux aussi retiennent leur monde le plus
possible, mais il en vient quand même. De cela, il n'y a pas de
doute.
Le Président (M. French): Je voudrais remercier Mme
Lapierre-Adamcyk et M. Légaré. C'était fort
intéressant et nous apprécions au plus haut point votre
contribution. Cela a été très utile.
Je veux rappeler à mes collègues que nous reprendrons la
séance de travail à 14 h 30 et cette séance-ci à 14
h 40. Cela va? Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 13 h 3)
(Reprise à 14 h 41)
Le Président (M. French): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission de la culture reprend ses travaux; c'est une consultation
générale sur l'impact culturel, social et économique des
tendances démographiques actuelles sur l'avenir du Québec comme
société distincte, etc.
Groupe de travail canadien sur la population
Nos intervenants, cet après-midi, font partie du Groupe de
recherche sur la démographie, ou plutôt du Groupe de travail
canadien sur la population, je m'excuse, représenté par M.
Charles Nobbé, coordonnateur et consultant, et M. Anatol Romaniuc, qui
est directeur de la division Démographie à Statistique
Canada.
And I believe, Mr. Nobbé, that you would like to make some
preliminary comments in French, perhaps introduce your colleague. And, if I
have understood correctly, your presentation will be in English. Could you give
us some idea of how long you expect your presentation to take?
M. Nobbé (Charles): Environ 20 minutes pour tous les
deux.
Le Président (M. French): Environ 20 minutes pour les
deux?
M. Nobbé: Oui.
Le Président (M. French): Aucun problème. Alors, si
vous voulez, M. Nobbé, vous présenter et nous présenter
votre collègue, M. Romaniuc. Nous voulons dire tout d'abord que nous
savons que vous êtes venus ici un peu de votre propre gré,
peut-être même à vos frais. Nous apprécions donc au
plus haut point votre contribution à nos consultations et nos
débats. Nous savons également que vous avez une optique un peu
canadienne, même mondiale, à nous offrir par rapport aux autres
intervenants qui vont surtout se pencher sur les dimensions
québécoises de la question.
M. Nobbé.
M. Nobbé: Merci, M. le Président. Bonjour,
mesdames, messieurs. En ma qualité de coordonnateur du groupe
d'étude sur la population, je suis très honoré, M. le
Président, de votre invitation à comparaître devant ce
comité et à contribuer à vos travaux.
Notre groupe, constitué d'une cinquantaine de membres
intéressés aux problèmes démographiques, a
été créé il y a à peu près un an dans
le but de fournir des recommandations et des suggestions pour le mémoire
que le gouvernement canadien a présenté à la
Conférence internationale sur la population, au Mexique,
organisée par les Nations Unies, l'été dernier.
La position de notre groupe a fait l'objet d'un document qui a
été transmis à M. French. Nos activités ont trois
buts: premièrement, implanter au Canada les recommandations de la
conférence du Mexique; deuxièmement, suivre les
développements démographiques au Canada; et, en troisième
lieu, voir le Canada dans le contexte international nord-sud et surtout nos
relations avec les pays en voie de développement.
Notre thèse soutient que les variables
démographiques sont des déterminants fondamentaux de notre
développement social et de nos institutions. Par conséquent,
l'élaboration des politiques sociales et économiques doit tenir
compte des tendances démographiques. À cet égard, la
fécondité, la croissance et la structure d'une population sont
fondamentales.
J'ai le plaisir d'avoir M. Romaniuc, de Statistique Canada, à ma
droite, qui est l'auteur d'un ouvrage sur la fécondité
publié récemment. Il parlera surtout de la
fécondité et de la situation démographique au Canada. Je
regrette que M. Stone, qui devait parler du vieillissement et de ses
conséquences économiques, n'ait pas pu venir. Quant à moi,
j'aimerais parler des évolutions démographiques dans les pays en
voie de développement et de la façon dont cette évolution
pourrait affecter l'économie du Canada. Avec la permission de M. le
président, je ferais ma présentation en anglais. M. Romaniuc.
Le Président (M. French); M. Romaniuc.
M. Romaniuc (Anatol): M. le Président, messieurs, c'est
avec empressement que nous avons donné suite à l'invitation que
vous nous avez faite par l'entremise de M. Nobbé; d'abord dans l'espoir
de pouvoir faire une contribution à vos travaux et ensuite pour des
raisons spécifiques. Statistique Canada essaie de réorienter ses
travaux à la suite des analyses démographiques, sociales et
économiques dans le sens de les rendre plus pertinents aux besoins des
"décideurs" politiques et du public en général.
Il est inutile de dire qu'en tant que membre de Statistique Canada je
n'ai aucune position de nature a influencer une politique dans un sens ou
l'autre; nous n'avons aucune position politique. Notre rôle est surtout
de faire la collecte des données, de les interpréter et de les
mettre dans le domaine public.
Nous avons toutefois, récemment, produit deux rapports que
j'estime fort pertinents aux travaux que vous êtes en train d'accomplir
ici. Il y a notamment un rapport qui porte sur l'état de la population
du Canada que j'aimerais bien soumettre ici, s'il y a moyen de le
distribuer.
Le Président (M. French): Merci beaucoup, M. Romaniuc. Il
y a un autre rapport, je crois. Allez-y!
M. Romaniuc: Un deuxième rapport qui porte sur la
fécondité au Canada, ses tendances, ses perspectives et ses
implications sociales et démographiques. J'ai également un
certain nombre de copies que j'aimerais bien faire distribuer aux membres de la
commission.
Le Président (M. French): La commission veut donc
remercier le Dr Romaniuc ainsi que, par son entremise, Statistique Canada pour
sa générosité envers la commission.
M. Romaniuc: Premièrement, le rapport
général sur l'état de la population comporte un certain
nombre d'éléments statistiques susceptibles de vous
intéresser: il y a la situation, l'état démographique, les
structures démographiques de la population canadienne; il y a
également la fécondité, la migration, la mortalité,
la nuptialité, tant sur le plan national que sur le plan
interrégional. Donc, ce rapport vous permettra de voir le Québec
dans le contexte fédéral, si vous voulez, ou dans l'ensemble du
pays.
De cette collection riche en données statistiques, j'ai
tiré un tableau je ne sais pas s'il est distribué ou non,
j'aimerais bien le passer en revue avec vous. Il y a un rapport qui porte comme
titre "Quelques indices démographiques Québec-Canada"; j'ai
réuni ici les données qui me paraissaient décrire la
situation démographique du Canada et du Québec pour voir comment
se situe le Québec par rapport au Canada.
D'abord, vous avez donc, à part la population totale,
l'espérance de vie à la naissance, qui nous donne une idée
de la santé de la population en termes de vie moyenne, si je peux
m'exprimer ainsi, pour les hommes et pour les femmes; vous voyez qu'il y a
très peu de différence en ce qui concerne les femmes. Donc, tant
au niveau du Canada qu'au niveau du Québec, les chiffres sont à
peu près identiques.
Par contre, vous avez sans doute noté une certaine
différence pour les hommes; celle-ci n'est pas énorme, mais quand
même c'est presque un an; cela fait donc une différence à
ne pas négliger. Je n'ai aucune explication, il faudrait voir du
côté de la mobilité, des accidents de la route, des
maladies du coeur, ainsi de suite, pour pouvoir interpréter cette
différence en ce qui concerne les hommes.
En ce qui concerne la croissance de la population, il y a
peut-être les indices qui suivent, notamment le taux d'accroissement
annuel. Vous voyez immédiatement la différence entre le
Québec et le Canada. Le taux d'accroissement annuel de la population
canadienne dans son ensemble est d'environ 1%, alors que celui du Québec
est de 0, 6%. Donc, là, il y a une différence qui, à la
longue, a des conséquences. Maintenant, l'indice suivant porte sur ce
qu'on appelle, en fait, le taux d'accroissement naturel, c'est-à-dire
simplement la différence entre les naissances et les
décès, entre le taux de mortalité et de la
natalité. Là, évidemment, les deux coïncident
à peu près, avec une légère
supériorité pour le Canada.
Finalement, ce qui me préoccupe davantage - j'en parlerai un peu
plus, plus
tard - c'est l'indice synthétique de fécondité, qui
est donc, pour le définir très simplement, le nombre moyen de
naissances que mettront au monde les femmes au cours de leur vie
procréative. Là, vous avez une différence qui, de prime
abord, paraît minime, mais qui, à la longue, peut également
avoir des conséquences. Nous avons, en moyenne, 1, 7 naissance par femme
au Canada, alors que ce chiffre est de 1, 5 pour le Québec. Il semble,
d'après les données partielles sur la fécondité que
le taux diminue davantage pour le Québec.
Bien sûr, l'accroissement de la population dépend de la
migration. Vous avez un taux de migration qui est négatif pour le
Québec, alors qu'il est positif pour le Canada, bien sûr
grâce à l'excédent de l'immigration sur l'émigration
pour le pays.
Je veux quand même ajouter quelques chiffres sur la migration,
notamment la migration internationale et interprovinciale en ce qui concerne le
Québec; pour le Canada, évidemment, c'est la migration
internationale. Vous constatez donc un solde migratoire net - nous parlons non
pas d'immigration et d'émigration, mais de solde, donc la
différence des deux - au cours de la période de 1976 à
1981, d'à peu près 160 000.
Par contre, le Canada a été gagnant du point de vue de
l'immigration d'à peu près 300 000 individus. Si vous regardez
les deux dernières années pour lesquelles les données sont
disponibles, à savoir 1981-1982 et 1982-1983 - ce sont les années
fiscales, si vous voulez - vous avez un solde négatif d'environ 25 000
individus pour le Québec. Le solde est, évidemment positif, pour
le Canada, mais vous constatez également une certaine diminution du
solde migratoire international en ce qui concerne le Canada.
Voilà, donc, la situation telle que ces indices la
décrivent à l'heure actuelle. On peut donc se poser la question:
Quelles sont les perspectives d'avenir, au tournant du siècle? Si vous
voulez jeter un coup d'oeil et voir quel sera le poids démographique du
Québec au sein du Canada. Vous avez le pourcentage pour 1951. J'ai pris
quand même un recul assez long pour voir ce qui se passe ou ce qui s'est
passé. Le Québec formait 30% de l'ensemble de la population du
Canada alors que si on se fie à des projections - je crois qu'il y a une
certaine base réaliste pour faire ces projections -vous constatez que,
vers l'an 2006, la proportion de la population du Québec au sein de
l'ensemble de la population du Canada tombera à peu près à
24, 5%. Donc, c'est quand même à peu près 6% de diminution
de la population du Québec.
Bien sûr qu'aussi bien le Québec que le Canada, dans la
perspective d'une continuation des tendances démographiques, finiront
par avoir une population stationnaire ou même une population qui
commencera à diminuer au début du siècle prochain. Les
deux seront à peu près dans la même situation du point de
vue de la progression démographique, mais le Canada, évidemment,
bénéficiera toujours - on peut, tout au moins, l'anticiper - de
l'avantage de l'immigration internationale, ce qui n'est pas ou ne sera pas,
probablement, le cas du Québec. Voilà la situation
générale et la situation du Québec par rapport au
Canada.
Si vous me le permettez, M. le Président, j'aimerais passer au
deuxième volet de mon exposé, celui de la
fécondité. C'est celui qui m'intéresse davantage. J'ai
été impliqué personnellement dans la préparation du
rapport sur la fécondité que je viens de distribuer. Aussi, il
n'est peut-être pas exagéré de dire que tous les
changements qui sont en train de s'effectuer au sein de la population du Canada
comme de celle du Québec ont souvent leur source dans le changement de
la fécondité, dans les fluctuations de la
fécondité. La fécondité reste le facteur
déterminant le plus fondamental de la croissance de la population et
aussi de sa structure par âge. (15 heures)
Si je peux juste vous guider un peu à travers ce volume, les
trois premiers chapitres portent essentiellement sur les tendances de la
fécondité et ses traits significatifs. Vous constaterez que la
fécondité, au Canada, a diminué très rapidement
à partir de 1960, de presque 4 enfants à 1, 7 enfant ces
dernières années. C'est une diminution assez spectaculaire.
Ensuite, ce qu'on constate, c'est que ce mouvement à la baisse
est un phénomène général typique pratiquement de
tous les pays industrialisés. Le Canada et l'Amérique du Nord ne
sont pas les seules régions; c'est un phénomène
général, pratiquement partout. Même dans d'autres pays,
dans certains pays comme le Danemark et l'Allemagne, vous avez un taux de
fécondité qui se situe à environ 1, 3 et on m'a dit que
maintenant c'est même un peu plus bas.
Troisièmement, ce qui frappe, c'est aussi une tendance
générale du point de vue régional, social, ethnique,
linguistique; pratiquement toutes les couches sociales et tous les groupes
linguistiques participent à ce mouvement de fond. Je suppose qu'on va
suggérer que le taux de fécondité a augmenté
même plus rapidement au Québec qu'ailleurs au Canada. Même
les autochtones, les populations indiennes, dont le taux de
fécondité était très élevé, qui ont
joui d'un profil procréateur très élevé, d'à
peu près 7 enfants au milieu des années soixante, sont
tombés de moitié, à 3 enfants, 3 enfants et demi. C'est
vraiment spectaculaire, sinon dramatique.
Avec cette diminution de la fécondité, il y a d'autres
transformations dans les
comportements procréateurs. Par exemple, les femmes ont tendance,
actuellement, à avoir les enfants plus tard dans leur vie, pas mal
même dans la trentaine, alors qu'autrefois, pendant le "baby boom", on se
mariait jeune, on était très jeune quand on avait les enfants.
Ensuite, un certain nombre de couples n'ont pas d'enfant du tout. Donc, il y a
ce qu'on appelle l'infécondité ou la stérilité
volontaire qui augmente.
On peut se demander quelles en sont les causes. Ce n'est pas tout
simplement une question académique. Si jamais la société
décidait d'agir ou de faire des politiques pour encourager ou
décourager la fécondité, peu importe, s'il y avait une
action délibérée pour influencer les comportements
procréateurs, il ne serait pas inapproprié de se demander quelles
sont les causes de la baisse de la fécondité. Si on connaissait
les causes, on pourrait agir en conséquence.
Honnêtement, je dois dire que - je ne suis pas le seul à le
dire, il y en a d'autres qui ont étudié le problème - on
ne connaît pas vraiment les causes. On peut identifier un certain nombre
de facteurs qui sont associés à la baisse de la
fécondité, mais on ne connaît pas la cause de la baisse de
la fécondité.
Pour les énumérer très rapidement, il y a d'abord
quelque chose qui se passe du côté du mariage: les gens se marient
plus tard, il y en a d'autres qui ne se marient pas du tout et il y en a plus
qui divorcent. Cela, c'est peut-être un des facteurs. Un deuxième
facteurs nous disposons maintenant de moyens anticonceptionnels beaucoup plus
efficaces qu'autrefois, ce qui nous a permis de réduire la fraction des
naissances non désirées. Quand je dis non désirées,
cela ne veut pas dire qu'on n'aime pas l'enfant ou qu'on ne le désire
pas, mais qu'on n'envisageait pas d'avoir une naissance. Cette fraction a
diminué très fortemement grâce aux moyens
anticonceptionnels très efficaces dont on dispose.
Il y a un peu la situation économique qui, je suppose, a
joué également: le chômage, surtout parmi les jeunes, le
coût des logements, le revenu relatif des jeunes. Cela a probablement
contribué à ajourner les mariages et, par conséquent,
aussi des naissances, ou même peut-être à
préférer des familles plus petites pour pouvoir faire face
à des difficultés économiques.
Mais le facteur plus fondamental est toute la transformation qu'a subie
notre société surtout en ce qui concerne, je crois, le rôle
de la femme. Disons que son rôle, qui était essentiellement celui
de la famille autrefois, est en train de se transformer; il y a d'autres
préoccupations et d'autres intérêts. Donc, l'entrée
massive de femmes sur le marché du travail évidemment doit
être un facteur. Mais ici l'interprétation n'est pas simple, parce
que je crois qu'on pourrait donner à ce rôle familial versus le
rôle non familial trois interprétations. Elles sont d'une certaine
importance parce que, selon qu'on l'interprète d'une manière ou
d'une autre, les politiques qui pourraient s'ensuivre peuvent
différer.
D'abord, on pourrait envisager la situation sous l'angle d'une
incompatibilité entre le rôle familial, d'un côté,
que les femmes ont assumé surtout dans le passé et continuent
à assumer, et le rôle, disons, de quelqu'un qui gagne sa vie et
qui travaille; là il y a une incompatibilité et c'est
peut-être une interprétation. Une autre interprétation est
qu'on fait finalement un choix et qu'on pose un geste économique, selon
lequel on choisit entre un certain nombre de biens et de services et des
intérêts ou des aspirations. Le problème en devient un de
coûts et de bénéfices. Il y a un certain prix à
payer pour avoir un enfant: on doit abandonner son travail ou alors on choisit
entre certains - je ne sais pas -avantages économiques de telle nature
ou de telle autre nature. Finalement, il y a une troisième
interprétation qui me paraît un peu plus sociologique et
psychologique en même temps, c'est que notre société subit
tout simplement une réorientation des normes et des aspirations
sociales. Alors le problème devient un peu plus compliqué. En
effet, comment agir face à des attitudes qui disent: Bon, on veut faire
autre chose qu'avoir des enfants, quelles que soient les considérations
économiques? Alors, voilà les trois interprétations qu'on
peut donner à ce qu'on appelle le rôle familial.
Je sais que votre groupe est intéressé à savoir
l'efficacité de certaines politiques ou la réaction d'autres pays
qui subissent le même phénomène que le Canada à
l'égard de cette baisse de la fécondité. Le chapitre 7 de
cet ouvrage présente notamment certaines données, des
renseignements qu'on a pu recueillir. Cela commence à la page 103. Le
chapitre 7, porte notamment sur cette question. Pour être bref, la
question de l'efficacité des politiques est peut-être simple, mais
la réponse est extrêmement complexe. Je ne suis pas sûr
qu'il y ait vraiment une réponse dans l'état actuel de nos
connaissances. Les avis des spécialistes qui se sont penchés sur
le problème sont très partagés. Les résultats de
l'analyse sont un peu contradictoires et, ensuite, il n'y a vraiment pas
beaucoup de pays où on peut parler vraiment de politiques de population
et surtout de politiques en matière de procréation, de politiques
délibérées où il y a une volonté des
législateurs de manipuler, si je peux m'exprimer ainsi, ou de
conditionner le comportement procréateur des citoyens. C'est très
très rare, sauf peut-être actuellement en Chine et un peu en
Europe orientale. De toute façon, il y a tout de même certains
enseignements à tirer de ces
expériences.
Il y a un cas particulier qui m'a quand même frappé lorsque
j'ai étudié cette question, à savoir si les politiques, si
vous voulez, les programmes sociaux visant la procréation, ont eu
certaines conséquences. La France me paraît un pays où on
ne peut quand même pas dire que rien n'a été accompli. La
France est un de ces pays où les programmes socio-économiques ont
été poursuivis avec une certaine force et où la
fécondité a été la plus élevée,
après la guerre, comparativement à ses voisins, notamment,
à l'Europe occidentale. Je dois dire que, depuis lors, la
fécondité a diminué en France comme partout ailleurs, mais
il faut dire que la fécondité en France se maintient à un
niveau supérieur à celui observé ailleurs dans d'autres
pays.
Est-ce que c'est une conséquence d'une politique? C'est difficile
vraiment de se prononcer là-dessus, mais je pense qu'on a les faits, on
les attribue à quelque chose. Il y a peut-être d'autres motifs qui
conditionnent les Français à agir d'une certaine manière,
mais ce qui nous paraît quand même un peu plus évident,
c'est la présence de tous ces programmes sociaux. Je dirais qu'il y a
là une certaine évidence que les politiques ont eu certains
résultats.
En Europe orientale, dans les pays socialistes, alors que la
fécondité n'était pas vraiment un sujet de
préoccupation pour les gouvernements, jusqu'à il y a à peu
près 15 ans, tout à coup la question est devenue
extrêmement importante et un certain nombre de pays se sont
embarqués dans une politique délibérée pour
stimuler la fécondité, la famille. Les moyens qu'ils ont
utilisés sont de deux ordres: d'un côté il y en a qui sont
un peu répressifs et négatifs, puisqu'ils ont apporté des
limitations à leur législation sur l'avortement, laquelle
était très libérale autrefois dans des pays comme la
Roumanie en particulier, mais aussi la Hongrie et, dans une certaine mesure, la
Bulgarie, la Tchécoslovaquie. En même temps, il y a eu des mesures
que je dirais incitatrices, enfin des mesures positives, sur le plan de l'aide
aux familles. Les allocations familiales notamment ont été
augmentées d'une manière assez substantielle, de sorte que, dans
certains pays comme la
Tchécoslovaquie, elles constituent une très forte
proportion du revenu familial. On a vu la fécondité augmenter
d'une manière assez spectaculaire pendant une douzaine d'années.
Après, la fécondité a commencé à baisser de
nouveau et elle est toutefois plus élevée en Europe orientale
qu'en Europe occidentale. Est-ce que c'est à la suite de ces mesures? Je
n'en sais rien, mais c'est quand même significatif.
Quand on parle des politiques et de leur efficacité, il y a deux
pays qui me paraissent intéressants ici à comparer: l'Allemagne
occidentale et l'Allemagne orientale. Ces deux pays partagent le même
fond historique et culturel, mais leur législation familiale et tout le
reste, les systèmes politiques, bien sûr, sont tout à fait
différents. (15 h 15)
Dans les années soixante, les deux pays enregistraient une des
plus faibles fécondités au monde, 1, 5 des naissances à
l'époque. Alors que la fécondité de l'Allemagne
fédérale a continué sa tendance à la baisse, la
fécondité de l'Allemagne orientale a augmenté, depuis
lors, à la suite de toute une série de mesures
législatives et sociales, jusqu'à à peu près deux
naissances par femme. C'est quand même intéressant d'observer ce
mouvement. Je pense qu'on ne peut pas l'attribuer à autre chose, quand
même, qu'à ces initiatives à caractère stimulateur
pour la famille et pour la fécondité, en particulier.
Voilà en ce qui concerne la question qui nous a été
posée avant de venir ici, si on a quelque chose à apporter sur
les politiques au Canada. La fécondité et la famille en
général sont déjà quand même un sujet de
préoccupation au Québec. Je dois dire que les
délibérations de cette commission en font preuve. Le Canada
anglais a été plutôt indifférent. On peut lire
ça dans les journaux et, même parmi mes collègues
démographes, on voit que la fécondité a été
une préoccupation technique, mais que jamais elle n'a été
une préoccupation sociale ou politique.
Nous étions, quand même, frappés par la
réaction de la presse qu'a suscitée l'ouvrage que je viens de
vous distribuer sur la fécondité. Nous avons eu beaucoup de
comptes rendus, de commentaires dans la presse généralement
très favorables. En même temps, il y avait dans ces comptes rendus
une expression d'un certain souci. Je dis que c'est pour la première
fois. Également, pour le secrétariat du comité, j'ai
apporté les coupures de journaux pour voir un peu comment la presse ou
l'opinion publique ont réagi à la question. C'est
intéressant de voir les titres et surtout les problèmes qui
semblent les préoccuper.
Pour en finir, je vais vous dire qu'il y avait trois problèmes
surtout qui les préoccupaient, en lisant ces comptes rendus. Il y avait,
d'abord, la perspective d'un déclin de la population et du
vieillissement. Cela, c'était un des thèmes dominants.
Deuxièmement, il y avait la conciliation entre, d'un côté,
l'emploi des femmes et leurs rôles familiaux: on cherchait les moyens de
concilier ces deux rôles. À ce sujet, vous allez trouver deux
éditoriaux, notamment, dans le Toronto Star. C'était, donc, un
autre thème dominant.
Le troisième thème dominant...
Le Président (M. French): Le premier thème,
c'était quoi?
M. Romaniuc: C'était, donc, la décroissance
démographique et le vieillissement...
Le Président (M. French): Merci.
M. Romaniuc:... qui sont, bien sûr, les conséquences
de la baisse de la fécondité. Alors, ça, c'était le
thème un. Le deuxième thème était celui des
rôles: d'un côté la famille, de l'autre côté
l'emploi, comment ies concilier par l'entremise d'un soutien institutionnel de
la part du gouvernement. Le troisième thème, qui a
été quand même assez discuté et mis en
évidence, c'était le choix qu'on peut faire entre les naissances,
l'augmentation de la fécondité, et l'augmentation de
l'immigration pour assurer un certain taux de croissance
démographique.
Voilà, M. le Président. C'est à peu près ce
que j'avais à dire. S'il y avait des questions, évidemment...
Le Président (M. French): M. Romaniuc, je serais
tenté de commencer les questions, mais je ne le ferai pas. Je veux,
cependant, vous exprimer mes remerciements et ceux de mes collègues.
Nous n'aurions pas pu trouver quelqu'un qui aurait pu au début
résumer en si peu de temps, la situation démographique
comparative Québec-Canada et qui aurait pu nous donner un "briefing" sur
la fécondité et plus particulièrement sur les politiques
natalistes des pays d'Europe, surtout. Ce fut très utile et je sais que
mes collègues auront beaucoup de questions.
But, before we reach that point, I think I would like to invite Mr
Nobbé to make his commentary or remarks; after which, I think, we will
have questions for both Mr Romaniuc and Mr Nobbé.
M. Nobbé (Charles): Thank you, Mr President. I hope that
each of you received most of what I put together in writing, a first draft if
you like of the paper, because I hope to follow the outline fairly closely,
perhaps to summarize it in different words. I think it would help for you to
see the argument that I am trying to develop here. I have divided this paper
into two pieces. You have part 1, which is an effort to try and summarize a
very complex subject on which there is by no means total consensus at this
point. In probably a deliberately oversimplified manner, my private view about
doing this is that I think it is better at least to have a simplified
presentation rather than to try to give you all the nuances and caveats, many
of which, frankly, I do not think I am expert enough to fully understand
myself.
In the course of doing this, as I have gone through the presentation of
what we know about foreign direct investment and its relations to population
growth and economic development, I have tried to see in part 2 what might be
the implications of these remarks with respect to the future of Canada's
economic growth. As I develop more clearly in my second section, I elaborate
some of the reasons why I think these two pieces are connected, and suggest
that perhaps these implications have been underplayed, meaning they have not
been sufficiently thought about at this moment and require, as a treatment of
the whole field of population and development, more consideration not just on
your part as Members of the National Assembly, but on the part of all people
who have an interest and, perhaps, a stake in world development to come.
If there is a reservation that I have about this presentation, it is
simply that the kind of remarks I make tend to have a sort of medium or long
term effect about them. I simply do not pretend that the kinds of things I
proposed or advanced for your consideration will come tomorrow, though some of
these are known about. Some of these are being discussed, but it will take
time, as I think it will become obvious to you.
Turning now to part 1, I would like to talk initially a little bit about
the subject of population growth and economic development. I will classify, if
you like, two major schools of thoughts realizing that there is water running
between the two extremes on the continuum, mainly to give you a feel for what
is out there at the ends. On other words, what the extremist on either side
say, and, simplistically, I have called one an optimist group and the other a
pessimist group.
If I were to summarize the phasis of the optimist group in a sentence...
I have simply said here that I think that population growth is a necessary
condition for increasing economic development in the long run. Now, I thought a
little bit about the putting together of that sentence, because if this today
were in fact 1974 and we were sitting in Bucarest listening to the first World
Population Conference on the subject, we would have been in a fight by now,
because sitting around that room were people from both sides of the fence who
claimed: Look, if we do not have economic development first, it is not worth
thinking about population development, and the other side coming in and saying
exactly the opposite. It is perhaps heartening to know that at the second
International Conference on Population, which I had the priviledge on attending
in Mexico this year, there was a balance view that could not possibly have been
predicted or imagined ten years ago,
much of this, in fact, coming from the Third World itself where, in
fact, the interrelationships between economic development and population growth
are what we call symetrical. That is, they feed on each other. It is a feedback
system: both sides of the causation have some impact on the other; and,
therefore, that is a measure of the sophistication of thought. But stated
simply, I think this is the main argument that people who are optimist
make.
The premises under which these kinds of reasonings take place is that
people work harder when the size of their families increases. They talk about
the importance of population growth as sort of being necessary to the stock of
expanding technicological knowledge and they talk about, particularly, an
assumption that relates to larger populations having more opportunities for
business investment. The old scale-of-production idea.
This is a point which I think you might keep well in mind in your
deliberations about Canada, because, you know, you could turn it around and
ask: Would Canada prosper, for example, if our population in this country grew,
say, by a factor of five? Would that enable us to do something with our
economic growth dimension that now cannot be done because of insufficient scale
of production?
The conclusion that these factors, in assumption, put together, simply
says that the combined effect of all these premises is that a long-run economic
potential tends to be increased if we continue to increase the size of the
labour force. A strong exponent of that view is Professor Julian Simon who
interestingly made this view as the major United States presentation at the
ICP, that is the International Conference on Population Delegation this year,
and in the course of doing that, shocked about 75 nations off their seats. You
could see the electricity that was going through that.
Mr. Simon was, in his former years, a very brilliant labour economist,
but he has come to a very different conclusion than many of us have, on the
other side of the camp, about the relationships between population growth and
economics, and, essentially, in oversimplified terms he was telling third world
countries: Do not worry about your growth. Things will take care of itself. We
will have to look at more details of the economic prosperity question itself.
Anyway, he presents very clearly a certain view and, whether one agrees with
him or not, I do not think it is particularly important. It is important to,
perhaps, know about it and see the logic of how he comes to his conclusion.
That is what I think.
On the other side are the pessimists. The pessimists, I have
characterized, are people who say that basically countries' prospects for
economic development are less the faster the rate of growth. A champion of this
particular view is the well-known economist demographer, at Princeton
University, Ainsley Coale, but he is joined by quite a number of others and
their premises deal with a variety of points which I have summarized down
below, namely that natural resource bases of countries are fixed and
independent of size of population and that, as children in population grow,
adults find it difficult to divert enough of their current output from
consumption to investment in order to make the growth self-sustaining. This is
an argument with which, I am sure, you are familiar. (15 h 30)
These two views, as I said, characterize the extremes of the idea of
population growth in economic development. There is a great deal that falls in
between but I do not think it is worth using this time to try and look at the
new answers. I move on then to look at the subject of a foreign direct
investment and its connection to economic development and, in doing this, I try
to characterize three basic types of direct investments and the motives that
foreign countries - let us say Canada, United States or somewhere else - have
in fact in investments in one, two or three of those particular
characterizations. I talk about export-oriented investment, for example, the
motives for that kind of involvement. I point out that this investment is
typically undertaken by firms with established domestic and international
markets and that the raw materials in component parts, as well as sources of
finished products, are evident, for example, in things such as extractive
industries like mining, petroleum production and that this kind of investment
tends to reflect a sort of vertical integration on the part of member
firms.
Manufacturing industries could be similarly sighted and a good example
of that would be the electronic industry, where the assembly work is done in a
labour intensive manner, in countries with comparatively low-wage rates, and
the final products are sold in the home country of the parent firm. In looking
at market development investments, the motives for investment, here, differ
from the other two in two important ways. Firstly, the output of the parent
companies' foreign subsidiary is so primarily in the host country. Secondly,
the investment is made primarily in response to such economic factors as the
size of the local market, the rate of growth in host country per capita income,
and so far.
Turning finally to government initiated investment, this investment
occurs almost exclusively because of investment subsidies offered by host
country governments. In the absence of these inducements, FDI, that is foreign
direct investment, most surely would not take place. Incentive to invest,
then,
depend on a variety of factors, including import structures in the form
of quotas, prohibitive tariffs, such things as access to foreign exchange, tax
concessions, and so forth. The investment decisions tend to be project-specific
rather than industry-focused and take place only in response to specific host
country initiatives. So that if we look at this as a certain type of
investments, a great deal of more dialogue, obviously, is required with those
host countries that a country such as ours or some other country would interact
with. It is likely to be, in the years ahead, a growing type of investment, as
people work to smooth out some of the wrinkles of what is referred to as GATT.
I'll deal with that later.
Now, if we go on to look at the benefits that the proponents, those who
argue for foreign direct investment, claim, I divided them into direct and
indirect benefits. Although, they are rather simplistically summarized, I think
they captured the sense of what you probably would understand to be the
benefits as they perceived them. I am just taking the instance: proponents of
direct benefits with proponents of FDI point out that the addition of capital
technology, management skills to economies that lack those, does considerable
amounts to improve their prospects for a better economic future. It makes
available an access to foreign markets, that otherwise is not possible. It
attempts to improve balance of payment positions in the host country, namely by
increasing foreign exchange reserves. And, finally, it deals with raisings of
wage and employment levels of the host country by creating jobs and enhancing
the productivity of labour. Those would be the type of direct benefits. The
indirect benefits, I think I will skip here just for a moment, though I have
enumerated them; I guess, indirect, it simply means that they are, one,
slightly less important, but they are there and they are deserving a reflexion
as you go through this material.
The critics of FDI argue, however, that no matter what we do, we are
faced with a situation in which the end result is more economic losses than
gains. What explains, then, these economic losses? Why do losses occur more
than gains if we look at that in capital-flow terms? Well, the direct causes
deal with such things, for example, as worsening of the host countries' balance
of payments through an excess of outflows over inflows. There is a tendency of
multinationals to finance major shares of their investment by borrowing from
the local market, and, thus, preventing other indigenous entrepreneurs in the
host country in question from doing the same.
The indirect causes enumerated here include the failure often of
multinationals to create employment opportunities to absorb new entrances into
the local labour force. And this is, in fact, an important point, because the
estimated figures that I have seen from the International Labour Organization,
ILO, show that in only sixteen years time away, we will have to provide, or
rather the world will have to provide, for jobs that relate to 900 000 000
additional entrances into the labour force. This is a staggering number.
I summarized, then, some of the other points in indirect causes and I
think I will leave mention of that. But, with respect to conclusion, the
arguments of those who say foreign direct investment is not worth the effort,
would be that essentially the effect is to heighten economic dependency of host
countries on western industrialized countries and also to depress the rate of
growth in host country per capita income below what it would be if all
developments were financed from international resources.
As I read that sentence, I think of country examples that fit that, as
well as country examples that do not fit that, so I remind myself that I am
generalizing at a very macro-level only because I want to try and present you,
when you have more leasure to look at this, with the holistic view of the
argument.
I deal very briefly with the assessment of assessing foreign direct
investment positions, that is both views have merits and flaws, and you, who
are wise and knoledgeable about some of these, will have to look at them
carefully. All I point out here is that it will require critical and rigorous
empirical evaluation of the net impact of FDI on the balance of payment
position and level of employment. I mention a few suggestions as to what kinds
of considerations, one or two looked at more carefully, as you look at balance
of payments and employment creation.
In trying to summarize and conclude a very large amount of literature on
the subject, I realize that I have, in fact, shaked it with a bias of a sort. I
thought it I would be better that, at least, I tipped my hand, as we say, not
with a dogmatic conclusion, but, at least, with a point of view which, while it
know it can be argued, gives you an advantage to have a bench mark to come
from.
I discuss, in my summary conclusions, three aspects of this whole
argument. Firstly, I look at the development role of foreign direct investment,
FDI, and I note that the theory tells us, in general, that higher the rates or
the levels of investment, the greater the rates of capital formation and
technical progress and, also, the faster the rate of economic growth. I note
also that there is empirical evidence from selected development-level contries
and I
note some of these, Malaysia, Taiwan, Korea, Singapore - I should have
mentioned Thailand since that is included - that tend to give empirical
confirmation to this generalization. I also note that FDI, foreign direct
investment, to the extent that it stimulates exports or replaces imports, can
partially offset and, perhaps I say here, eliminate foreign exchange that may
be strong, but, at least, can partially offset the foreign exchange constraints
on growth.
In looking at the second conclusion concerning FDI and population
growth, I note that the information I have cleaned indicates that, where rates
of increase in the national product exceed rates a population growth, in other
words when rates are at levels beyond those of population growth rates, per
capita incomes tend to rise. Moreover, the growth in per capita income could
possibly become self-reinforcing, and I explain why this is so, suggesting that
we are looking, here, at a relationship and, although we should be careful
about implying causation on this, I noticed that the literature does tend to
argue that, in fact, the two variables set as GNP levels and population growth
levels are causatively connected. This is probably, very strictly, not totally
accurate but I intend to pick up that theme in the rest of my development.
Finally, with respect to FDI and employment creation, I note that
obviously to reduce unemployment in developing countries which I call DCs, the
rate of increase in labour demand must necessarily be greater than the rate of
addition to labour supply and that, in turn, depends critically on what the
level of the population growth rate is.
Now, having then summarized sort of what the theory, if you like, in
macro-terms tells us about the relationship between population growth and
economic growth - I am certainly for developing countries - and the intrusion
of foreign development investment into that, from developed countries, I would
like to go on to explain a little bit why I have started off with this
presentation. Basically, I have three reasons. Firstly, I have written that,
with respect to our knowledge about these relationships, it is, in fact, more
extensive and current in developing countries than is the case in industrial
countries, where only recently the concern has been voiced about possible
adverse economic consequences stemming from low and eventually stationary
population growth rates.
I note that the demographic literature that addresses this subject does
exist but it relates to an earlier period in our history when we experienced
very low birth rates stemming from the economic depression. I have some
reservations, I am not totally set on this, but I do have some reservations
about the relevance and the appropriateness of such literature, given the
profound changes that have taken place in our economy, particularly as a result
of technological discovery and intervention.
A second reason for dwelling on developing country situation is to call
to your attention an item of growing international significance, namely that of
global economic interdependence. Face with the prospect of enormous increases
in the numbers of people on the planet Earth in the next two decades estimated
to grow by 2 500 000 000 beyond today, as well as with the rapid depletion of
nonrenewable resources, it would be a prerequisite, in fact, not to mention a
challenge, for planners in Canada and in other industralized countries
responsible for designing an implementing economic strategies, to take into
account the economic political and social changes that are occuring in much of
the rest of the world. Developed countries that failed to heed this admonition
will jeopardize their position in the market place as nations elsewhere grasp
furtively, in some cases desperately, for a piece of the economic pie. (15 h
45)
A third reason that I sight, in support of the orientation I have
developed in part I, though conjectural at this time, has to do with attitudes
and values expressed by a growing number of Canadians, married and not married,
who have decided in favor of or are persuaded towards low or nonexistent
reproduction. Increasingly, it is recognized that high unemployment among youth
and young adults, with the likelihood of perpetual joblessness in sight, for
some, creates an unfavorable climate for procreation. One conclusion that
emerges thus, is that job security is a necessary condition if people are to
reconsider their fertility decisions in favor of having more children.
Related to the above point also, is the growing concern among youth and
young adults in Canada, all be at an individual level, that rapid population
growth contributes to global conflicts and social instability. This perception
is not always articulated in precisely this manner; certainly, other disturbing
considerations emerge with the same thought. For example, nuclear annihilation,
global ecological devastation of the environment, and so on. Nevertheless, when
fused together and internalized, these anxieties also served to reinforce
values, as well as actions, that result in below replacement fertility.
Now, having then given you three reasons - and it's not a total
exhaustive index of why I have focused on developing countries initally - I
turned then to give you an exposition on why I feel that we should give more
thought to areas that might address some of the concerns that I have
laid out, and I do this in, essentially, three different ways. With
respect to the first area, I have suggested that I think a great deal of what
is likely to happen with respect to Canada's demographic future depends, in
large part, on what economic prospects lie in store for us in the years ahead.
I suggest that job creation is the key issue. I suggest that it is employment
that is likely to provide the greatest single incentive for raising the level
of fertility.
Let us follow through this contention for a moment. In other words, let
us assume it is correct and see where it takes us. What does it do with respect
to our thinking, for example, about economic growth? One strategy, not an
exhaustive one, but the one that I am preoccupied with in my presentation, is
the effort to give and place more emphasis on increasing international trade
with developing countries, in terms of foreign development investment for
selected countries, and as well as raising the level of financial contributions
to private bank lending, and ODA, official development assistance, to those
nations that are at the lower end of the development scale, if you like.
I point out that encouragement of world trade will only make sense in
the long run, however, if conducted in accordance with the multilateral
framework of GATT, that means the General Agreement on Tariffs and Trade. It is
an institutional arrangement that essentially enables developing and developed
countries to share in a set of ground rules that gives both countries alike
benefits and responsibilities.
I note that, from Canada perspectives, fulfilment of the GATT principles
will involve trade-offs between the objectives of increase access to foreign
markets and improve economic efficiency, on the one hand, and the pressure to
protect vulnerable Canadian industries from import competition, on the other.
Moreover, I note that Canada, taking into account that it is a middle-power
country with an established record of peaceful and trustworthy relations built
up in the Third World, is in an ideal position to display leadership through
proposing significant actions and initiatives with regard to a number of
points. I laid this out, I will not go through them here, except to say that
these are initiatives that all relate to improvements of making the GATT
institution work. They are improvements with respect to obtaining additional
funds for private income borrowing and for re-examining eight strategies for
dealing with Canada's North-South relationships, specially if we look at those
relationships from the point of view of trade and finance.
Now, if that is to be a strategy that is deserving of a harder look in
your medium-to long-term deliberations, I have noted to myself that it will
have to take into account another area that I feel has also been underrated,
undervalued, despite the fact that there have been recently some interesting
studies done on this by the Royal Commission, for example, on Economic Union
and Prospects for Canada, the Economic Council Report and our Federal
Parliament in Ottawa. I refer here to the way in which the economic growth
decisions of the future are likely to affect the structure of output and labour
utilisation in Canada, as, for example, it is certainly going to happen through
technological change. In a nutshell, I say to myself: What kinds of jobs and
skills are required to fulfil the economic strategies of tomorrow? Who should
provide the training? The conclusion I drew from looking at some of those
sources, that I just cited to you, is that there is a need for a national
perspective on education. It is becoming growingly apparent that the lack of a
labour force trained to use the technologies of the future and unable to adapt
to change is a major weakness of our industrial system. For this reason, I
suggest that Federal and Provincial Governments spare no efforts in devising a
more coherent national policy in respect of education, skill training and
retraining. Obviously, the objective of that effort would be to reduce
duplication, to cease training for people for occupations that are not going to
be in demand and to develop a truly national policy to replace the current
ineffective hodgepodge of policies.
In dealing with the question of what institutions should undertake this
training, obviously, the obvious ones come to you: colleges and universities,
training institutes. I indicate that probably these will not be the major
institutions involved and, therefore, it will involve on our part, on your
part, thinking about alternatives. I suggest that one possible alternative is
likely to be business and, if what we see that is happening in United States is
any indication, business corporations are transforming the methods and
procedures of traditional education in ways that you and I would scarcely
imagine in three years time. Their growing presence on the education scene
unparalleled and largely unnoticed introduces a new concept of who the educated
and productive citizen is, in the late twentieth century society. I did not
enumerated the specifics here, but there has been a report by the Carnegie
Foundation that has just been published that goes into this in great detail.
One of the interesting efforts that is being made by business corporations is
what they call "satellite universities". These are satellite universities that
are run through computer systems that enable people to take courses from a
whole variety of places. And one of the interesting things about that is the
government moneys saved from
investments in very labour-intensive areas such as education, but, at
the same time, honing the kinds of skills with modern technology to develop
outputs efficiently and very quickly. I should also point out that business is
going to continue to increase this effort, at least in the United States, and
they have ample amounts of dollars that they plan to invest. As to
technological innovation in job creation that would improve our competitive
position in international trade, the possibilities are numerous. I did not have
a chance to develop this but I wrote down here - because I am familiar whith
this myself - that you probably would not be surprised to learn the extensive
use to which PCs - personal computers - are being used in growing areas all
over the world to provide, with appropriate software packages, all kinds of
learning opportunities that did not exist five to six years ago. I give you
that only as a example because I have often been chagrined in Canada that some
of our most brightess minds are entrepreneurs, innovators, are often people who
do not have a chance to flourish in the kind of times that we live and I think
that this is an opportunity with an example of how that could be given more
attention.
Now, I turn finally to deal with the third area were, you recall, I said
that there is a relationship, some feel that it is causively connected, between
rates of population growth and per capita increases. I would like to follow
through just a little bit on the implication of that remark. In this way, why
should we be interested in curtailing population growth in developing
countries. I think that it is really the question that it boils down to. I have
noted earlier - well, I mentioned that statement here. And I have noted also
that, usually though not invariably, this situation of the rates between per
capita growth and income in obtained, though there are some exceptions. And in
those generalities, fertility tends to decline as a result of efficient family
planning programs. So, I suggest that this connection is reasonably clear, that
if we are to bolster our international trade as a strategy to increase economic
prosperity in Canada, we should better pay attention to what it is happening to
population growth. The thesis, then, is that rapid population growth retards
economic progress. Or, if we stayed at the other way around that population
growth looked at conversely, that slower population growth can help accelerate
development. It is just the other side of the coin, if you like. I indicate
three basic reasons for why these two are connected suggesting, one, that as
population grows more rapidely, the question of larger investments are needed
just to maintain current capital at the person level. I mean both physical and
human capital.
I note, secondly, that in many countries, increases in population
threaten what is already a precarious balance between natural resources and
people. And some of you who have been following the deliberations on television
in Ethiopia or, for that matter, in Kenya, will see that. Lester Brown, who is
the head of the World Watch Institute of the United States, has elaborated this
probably better that any I know.
Point three. That rapid population growth is creating urban and economic
social problems that risk becoming wholly unmanageable. What I simply mean,
here, is those of you who have had the opportunity to visit in countries where
city build-ups are going out at an enormous rate, in fact double the rates of
national population growth, can see for yourself what this means if nobody puts
a curtailment on that type of migration flow. They would produce
infrastructures simply incapable of the human mind trying to manage.
Now, I ask myself: Are there appropriate policies to slow population
growth and having been in this game for close to 20 years, I have concluded:
Yes, there are and they are not hidden from view. I would almost say: they are
common sense, they deal with provision of health services, education, women
development which is a relatively late entry into this whole orientation and,
of course, provision a family planning services. And I note that, of all these
interventions, the developed country experience shows that it is in fact public
support for family planning programs that really does lower fertility quickly.
I note that, in this whole argument, the importance of easy access to clinics,
to health installations is an absolutely indispensable condition for this
success.
Le Président (M. French): M. Nobbé, si vous me
permettez, if you will permit me, I would just like to point out that when I
asked to you and Mr. Romaniuc how long your presentation will take, I was told
20 minutes for the two of you.
Là, on en est rendu à une heure et quart; it is an hour
and a quarter, and if we are to have an opportunity to ask questions to you
about the many interesting subjects which both of you raised, I think we have
to wind up relatively quickly. Comme je vous ai déjà dit, je
pense, je dois moi-même quitter dans une quinzaine ou une vingtaine de
minutes. Le vice-président va prendre la responsabilité de la
commission, à ce moment-là. But, I think that, if we are to have
any kind of discussion or opportunity exchange of views, we have to end up
fairly rapidly.
M. Nobbé: Would you give me one
minute, literally, to finish because I am almost at the bottom of that
page.
Le Président (M. French): Fine.
M. Nobbé: I wanted to say that closely related to the
provision of family planning services is the other effective intervention:
schooling, notably that of women where we observed that educational levels
beyond primary level have absolutely dramatic effects on fertility decline.
Unfortunately, these are relatively longer term, but to point out to you that
education is, in fact, synergetic, with it goes hand and hand more
contraceptive knowledge and practice as well as alternative strategy for women
who want to do something besides childbearing. (16 heures)
My final point that I come to is that, if these arguments make sense, we
will have to give very careful thought to the kind of population assistance
that we provide to developing countries in the time ahead. The point is that we
do not provide very much assistance at this point and that we are well below
the international averages in this area. I would suggest that, if we are going
to explore this field, that we pay account and attention to the ways in which
Canada can benefit from relevant manufacture of its products through bilateral
or multilateral channels, and I think, there, I will conclude my arguments, Mr.
French. I apologize to the lengthy time.
Le Président (M. French): Not at all. I think that your
broad knowledge and your ability to remind us of the interdependence and the
interconnection of these problems has been extremely interesting and valuable
to us. I would like to thank you for the obvious enthusiasm as well as the
broad experience and knowledge that you brought to the deliberations of the
commission.
Je voudrais profiter des prérogatives de la présidence
pour poser une question. Cela va être d'abord à M. Romaniuc, mais
cela va découler, effectivement, de ce que M. Nobbé vient de
dire. Je me suis posé la question: Pourquoi l'indice de la
fécondité est-il plus bas encore au Québec qu'au Canada?
Je me suis demandé si la réponse ne se trouverait pas dans le
constat qu'a fait M. Nobbé que l'éducation, surtout celle de la
femme, a un impact assez important sur le comportement reproductif des
familles, des femmes en particulier, sachant que l'amélioration du
niveau de l'éducation des femmes québécoises a
augmenté beaucoup plus rapidement depuis 20 ans, je pense, toute
proportion gardée, que le statut éducatif des Canadiennes
d'autres provinces. Y aurait-il là une explication pour la
réaction encore plus grande, l'ampleur encore plus substantielle du
changement du comportement des femmes ou des familles québécoises
entre les années 50 et les années 80?
M. Romaniuc: Oui, M. le Président. En effet, je serais
tenté de souscrire à votre thèse, à votre
interprétation d'un phénomène, qui est, évidemment,
très complexe en soi. Je crois qu'il y avait quand même une
certaine marge entre les niveaux de vie, tel qu'on l'a observé, de ce
qu'on appelle le Canada anglophone et le Canada francophone. II y en a
peut-être de la part des couples francophones. Ils ont un certain
empressement de rattrapper, si vous voulez, l'écart pour arriver au
même niveau de vie. Il y avait donc un ajustement peut-être un peu
plus douloureux à faire, si vous voulez, en termes de comportement
procréateur. La motivation ou le motif, disons, de restreindre la
fécondité pour bénéficier d'autres avantages
économiques était peut-être plus fort. Il me semble que
c'est une interprétation plausible.
Le Président (M. French); Maintenant, juste une autre
question avant que je donne la parole au député de
Mille-Îles qui me l'a demandée. Dans votre tableau, nous voyons un
écart dans le taux d'accroissement annuel de 0, 4%, c'est-à-dire
qu'au Québec, c'est 0, 6% et, au Canada, c'est 1% dans votre
tableau.
M. Romaniuc: Oui, c'est cela, celui que j'ai
distribué.
Le Président (M. French): Cela c'est un écart, si
j'ai bien compris ce dont il s'agit, qui a des implications énormes
à moyen terme. Est-ce que toutes ces implications se retrouvent dans les
projections en bas?
M. Romaniuc: Oui, en bonne partie, effectivement. D'abord,
lorsqu'on a élaboré les projections pour le pays, les provinces
et le Québec, on a fait un certain nombre d'hypothèses quant
à la fécondité et à la migration. Bien sûr,
la fécondité, actuellement, est un peu plus basse au
Québec. On a un peu pensé que cela allait continuer.
Évidemment, l'autre facteur, c'est la migration interne et, là,
nous savons que le solde est négatif pour le Québec. C'est cela
qui était à la base de ces projections.
Le Président (M. French): Votre hypothèse c'est que
cette saignée de population, la migration interprovinciale va continuer,
à toutes fins utiles, jusqu'à l'an 2006.
M. Romaniuc: C'est cela. Dans la mesure, voyez-vous, où on
peut quand même être sûr de quoi que soit en ce qui concerne
l'avenir. Je pense que l'hypothèse a quand même une certaine
plausibilité, étant donné
qu'il y a quand même une certaine perspective, une certaine
histoire derrière; et, pour au moins une douzaine d'années, le
Québec a été perdant en ce qui concerne la migration.
Le Président (M. French): D'accord, maintenant 19 ans,
à peu près. M. le député de Mille-Îles.
M. Champagne: Merci, M. le Président. Je veux remercier
quand même le Groupe de travail canadien sur la population pour
être venu présenter ici un mémoire très
intéressant.
Je voudrais faire des commentaires ou poser des questions sur le tableau
de quelques indices démographiques Québec et Canada. Je voudrais
savoir, dans un premier temps, quel est l'indice d'erreur dans vos tableaux. Je
vois ici l'indice de fécondité en 1982; il est de 1, 52 naissance
par femme; au Canada, c'est 1, 69. Vous faites une progression ou une
projection jusqu'à l'an 2006, si je comprends bien. Qu'est-ce qui vous
dit que ce chiffre de 1, 52 naissance par femme sera le même dans dix ou
quinze ans? C'est ma première question.
M. Romaniuc: Oui. Votre scepticisme est tout à fait
partagé par nous, qui enfin, entre guillemets, nous considérons
comme des "spécialistes des projections". C'est tout à fait
exact: on n'a pas vraiment une base très solide pour anticiper l'avenir,
mais nous avons plus qu'une hypothèse. Il n'y a pas qu'une seule
hypothèse sur la fécondité et la migration. Nous avons,
par exemple, une fourchette d'hypothèses: il y a trois hypothèses
notamment quant à la fécondité. La première: que la
fécondité reste à peu près à son niveau
actuel jusqu'à la fin du siècle, avec de petites fluctuations;
essentiellement donc, que la tendance de fond reste la même. La
deuxième: que la fécondité va continuer à diminuer
jusqu'à à peu près, je crois, 1, 4 naissance par femme
pour l'ensemble du pays et, un peu moins pour le Québec: 1, 3 ou quelque
chose comme cela. Une autre hypothèse, qu'on peut appeler optimiste -
c'est un jugement de valeur que je veux éviter en tant que fonctionnaire
de Statistique Canada; il n'y a pas de bien ni de mal chez nous, on est
au-delà du bien et du mal - de fécondité relativement
forte, notamment que les tendances vont se renverser et la
fécondité commencera de nouveau à augmenter jusqu'à
concurrence de 2, 2 enfants par femme. Alors vous voyez, nous avons une marge
d'erreur là-bas, on tient compte des erreurs possibles dans cette
espèce de fourchette d'hypothèses.
M. Champagne: Mais c'est très important quand même.
Entre l'attitude la plus pessimiste et l'attitude la plus optimiste vous avez
un pourcentage d'erreur assez considérable. Si on fait une projection
sur 20 ans, je vous dis que les chiffres que vous présentez là
peuvent être aussi changés.
M. Romaniuc: Oui, effectivement. Quand vous voyez au bas de mon
tableau le pourcentage de la population du Québec par rapport à
l'ensemble du pays, il y a de 23, 8% à 24, 5%; il y a là une
marge qui tient compte de ces hypothèses variables.
Le Président (M. French): Mais 24, 5%, c'est suivant
l'hypothèse de 2, 2 enfants par femme?
M. Romaniuc: Ce sera une hypothèse, donc une combinaison
si vous voulez d'une fécondité plus élevée...
Le Président (M. French): D'accord.
M. Romaniuc:... et d'une migration plus favorable au
Québec. Par contre, si vous voulez le pourcentage de la limite
inférieure, donc une combinaison d'une faible fécondité,
ou qui faiblit davantage, et d'un solde migratoire qui est même pire
qu'actuellement.
Le Président (M. French): Excusez-moi, le 2, 2, c'est un
taux canadien. Il y a un redressement dans le pays, qui comprend celui du
Québec mais qui ne se limite pas au Québec.
M. Romaniuc: C'est cela, c'est un taux canadien.
Le Président (M. French): Bon.
M. Romaniuc: Oui.
Le Président (M. French): Alors, le chiffre devient pas
mal convaincant, même selon l'hypothèse optimiste.
M. Champagne: Enfin, je pensais que la marge d'erreur serait plus
considérable que cela, de 23, 8% à 24, 5%. J'aurais pensé
que cela aurait donné une différence encore plus
considérable.
C'est la même chose, je voudrais parler de votre tableau au sujet
du solde migratoire net. Si je prends de 1976 à 1981, vous avez 156 000
personnes en moins, interprovincialement, au Québec. Si je divise par
cinq, cela donne à peu près 30 000 départs vers les autres
provinces. Je m'aperçois qu'en 1981-1982, cela descend à 25 000;
en 1982-1983, c'est 24 000 et j'étais pour dire 1983-1984 et le reste...
Est-ce que vous pensez, statistiquement parlant, que le solde migratoire net va
aller en diminuant d'année en année, selon la projection qui est
devant nous?
M. Romaniuc: Votre intuition ne vous trompe pas. Elle est
confirmée, si vous voulez, par les statistiques les plus
récentes. Effectivement, nous avons les mêmes statistiques pour la
toute dernière année, 1983-1984, des statistiques provisoires qui
révèlent un solde migratoire de 19 000 seulement. Vous voyez donc
que vos projections vont dans...
M. Champagne: C'est fantastique, monsieur. II faudrait
peut-être les ajouter pour les membres de la commission, ici. Sont-elles
officielles, monsieur, ces...
M. Romaniuc: Elles sont officielles dans la mesure où on
les qualifie tout de même de provisoires, parce que nous attendons
d'autres données pour confirmer la tendance.
M. Champagne: Voici, M. le Président, c'est assez
intéressant ce qui se passe là. Enfin, dans le solde migratoire,
faudrait-il ajouter 1983-1984? et nous sommes dans un solde migratoire net de
moins 19 000. Cela veut dire que la tendance est assez intéressante
quand même. Est-ce que... Je ne sais pas... La question que j'ai le
goût de poser est: Dans combien d'années croyez-vous que la
tendance sera à zéro? De toute façon, on aura un point
zéro. Enfin, c'est que l'immigration... Je pose la question à M.
le ministre.
M. Romaniuc: Je crois que nous n'avons évidemment aucune
base solide de faire...
Le Président (M. French): Excusez-moi, monsieur.
Messieurs, nous avons un invité parmi nous. Il ne faudrait pas
interrompre quand même nos invités. M. Romaniuc.
M. Romaniuc: Merci beaucoup. Nous n'avons aucune base solide pour
projeter, surtout la migration. La migration est extrêmement volatile
vous savez. Il y avait une tendance au solde négatif pour le
Québec pendant toute une série d'années, une douzaine
d'années. Autrefois, c'était un peu différent quand
même. Nous avons vu des tendances migratoires vers l'Ouest, par exemple,
vers l'Alberta et la Colombie britannique et nous avons vu, la dernière
année, en 1983-1984, un reversement spectaculaire du mouvement. Je pense
qu'il ne faut tout de même pas exclure la possibilité d'un
renversement en ce qui concerne le Québec. Est-ce qu'il sera aussi
spectaculaire que celui entre l'Alberta et l'Ontario? Reste à voir. Je
pense que n'importe quelle projection doit quand même tenir compte
d'abord de cet aspect volatile de la migration. Ensuite, je crois qu'il y a
quand même déjà cette tendance actuellement. L'année
dernière nous démontre qu'il y a probablement quelque chose qui
justifie cette diminution du solde migratoire et qui pourrait être un
début d'une reprise d'un renversement.
M. Champagne: Et même qui pourrait changer aussi les
chiffres d'en bas de 23%.
M. Romaniuc: C'est exact.
M. Champagne: On parle de naissances mais on parle aussi de
migration dans tout cela.
M. Romaniuc: C'est cela.
M. Champagne: C'est pourquoi les chiffres du bas sont quand
même très hypothétiques.
M. Romaniuc: Oui, ils le sont.
M. Champagne: Je voudrais poser une autre question dans un autre
domaine. On a parlé, vous savez...
Le Président (M. French): M. le député, je
dois quitter; vous êtes maintenant le président de la commission.
(16 h 15)
Le Président (M. Champagne): Voici ma deuxième
question. Vous avez parlé tout à l'heure de revenus
augmentés dans un pays et, par le fait qu'on a eu un coût de la
vie peut-être raisonnable et des revenus qui augmentent dans les
familles, le taux de fécondité a été plus grand.
C'est bien cela que vous avez dit, je pense, à un moment donné,
en donnant l'exemple d'un pays. Si, au point de vue économique, cela va
bien, cela favorise la fécondité. Je vous demande si cela peut
être une mesure pronataliste. Bien sûr, on va espérer que
l'économie aille bien, qu'il y ait le plein emploi; je pense
qu'automatiquement on devrait avoir un taux de fécondité
meilleur.
Je regarde ici, dans l'une de vos études, "La
fécondité au Canada", page 111, un tableau où on parle des
réactions du public face aux mesures pronatalistes. Je sais bien qu'il
n'y a pas beaucoup de participants qui ont fait des suggestions, mais
peut-être sont-elles indicatives. "Type de mesures favorisant la
fécondité et nombre de réponses-correspondance". Vous avez
ici: "Salaire à la femme au foyer"; il y a 49 personnes qui
prévoyaient que c'était quand même l'une des mesures les
meilleures pour la fécondité. Ensuite: "mise sur pied de
garderies: 32 personnes; augmentation des salaires: 12 personnes; aide au
logement: 9, éducation gratuite... " Vous voyez quand même
l'espèce de progression à partir du salaire de la femme au
foyer.
Ma question est celle-ci. Bien sûr, on va souhaiter qu'il y ait
une reprise économique, une bonne situation économique,
mais est-ce que vous avez analysé certains éléments
de politique pronataliste comme statisticien? Je me demande si c'est dans votre
domaine de faire des recommandations, mais monsieur a quand même fait des
recommandations tout à l'heure. Est-ce que vous iriez jusqu'à
faire des recommandations comme le salaire à la femme au foyer et le
reste?
M. Romaniuc: M. le député, je dirais que je suis
dans une situation un peu délicate en tant que fonctionnaire. D'un autre
côté, honnêtement parlant, je ne me sens pas en mesure de
parler avec une certaine compétence de ce qui concerne les politiques en
matière de procréation en soi. Je fais, dans mon rapport,
l'analyse des réactions du public, de répondants, de femmes aux
questions telles que vous les avez identifiées tout à l'heure.
Maintenant, quant à me prononcer sur la faisabilité ou quant
à dire si certaines mesures seraient plus à conseiller que
d'autres, je crois que la question dépasse un peu ma compétence,
honnêtement. Non pas que j'essaie de me soustraire, d'éviter la
réponse, mais il me semble que je n'ai pas une compétence
suffisante en la matière. Je suis un peu navré de ne pas pouvoir
tout à fait satisfaire votre attente à ce point de vue.
Le Président (M. Champagne): D'accord. Je pense que le
député de Saint-Henri avait des questions à poser.
M. Hains: Messieurs, j'ai admiré votre science, à
vous deux, c'est formidable. Vous parlez, comme je le disais tout à
l'heure, des problèmes techniques de fécondité comme un
poète parle de l'amour. Pour vous, cela semble si facile!
En conclusion de cela... Dans votre conclusion, dans votre livre, vous
dites ceci. Je reprends un peu la question de M. le Président. "Dans
quelle mesure, disiez-vous dans votre conclusion à la page 113, les
politiques d'un pays peuvent-elles influencer le comportement des citoyens en
matière de procréation?" Là, vous donnez comme exemple de
succès, un peu la France et l'Europe de l'Est. Un peu plus bas, vous
continuez: "On ne doit donc pas conclure que rien ne peut influencer le
comportement des gens. Il ne faut pas conclure trop vite non plus qu'une
société moderne ne dispose d'aucun moyen efficace pour redresser
sa fécondité. " Donc, il y a beaucoup de lueurs d'espoir.
Un peu plus loin, vous dites qu'il s'agit d'aller plus loin que des
mesures financières qui seraient servies en pièces
détachées. J'ai écouté très attentivement
tout à l'heure M. Nobbé, qui parlait de la création
d'emplois, je crois, comme étant une clé maîtresse;
l'emploi serait probablement le plus grand incitatif pour relever le niveau de
fertilité. Vous demandiez un appel aux gouvernements provincial et
fédéral de ne négliger aucun effort pour établir
une politique de l'emploi qui respecterait l'éducation, les
habiletés de chacun, afin que chacun arrive... Je me demandais, M.
Romaniuc, c'est un peu la question qu'on vient de poser: Qu'est-ce que vous
pourriez proposer comme plan d'action? M. Henripin réclame pour le
Québec un plan d'action dans le domaine de la fécondité.
Si vous aviez à travailler avec M. Henripin, qui veut un plan d'action
pour le Québec, qu'est-ce que vous pourriez lui suggérer? C'est
encore un fonctionnaire qui parle, mais on a confiance en vous.
M. Romaniuc: En me référant à cette
étude, je voulais, disons, mettre en relief certaines données
démographiques, mais aussi faire l'analyse de certaines politiques
pratiquées à l'heure actuelle dans d'autres pays, dans l'espoir
que cette tentative de ma part puisse éclairer certains aspects des
préoccupations qu'on aurait au sujet de la fécondité. J'ai
toujours évité de présenter ici une position personnelle
et de prôner, de recommander ou de suggérer certaines politiques
ou certaines mesures appliquées. Je fais ici notamment appel à
mon collègue Henripin qui, si je comprends bien, viendra parler devant
la commission demain. J'ai relaté un peu sa pensée
là-dessus dans le passage suivant de ce livre, où vous allez voir
que j'exprime un peu mes sentiments personnels non pas dans le sens que
j'essaie de faire valoir mes idées personnelles, mais dans la
façon dont je semble pouvoir lire les tendances. Je crois que la
question de la fécondité s'imposera davantage comme une
préoccupation sociale, d'abord pour des raisons démographiques.
Je pense qu'il y aura une certaine préoccupation du fait que la
population risque de diminuer et que le vieillissement de la population va
s'accentuer. Or, on sait que la fécondité est à l'origine
de ce processus. C'est pour ces raisons que, je pense, la question de la
fécondité inévitablement deviendra un sujet
d'intérêt public.
Une autre question tout à fait indépendante des
préoccupations démographiques: Pourquoi la
fécondité me semble-t-elle devoir s'imposer à notre
attention? Il y a tout simplement une raison que j'appellerais ou que certains
appellent une question d'équité sociale. Est-ce que le couple,
surtout lorsqu'on parle de femmes, doit faire face à une obligation, si
vous voulez, à la fois de famille et de travail? Concilier ces
deux-là, tout simplement diminuer la pression qui pèse, donc
l'exercice, le cumul de ces deux rôles, me semble s'imposer comme une
question d'équité sociale selon un certain nombre d'auteurs que
j'ai consultés à ce sujet. Il y a
à la fois un aspect purement démographique, mais il y a un
autre aspect purement social pour lequel la fécondité commence
à intéresser les gens.
Le Président (M. Champagne): Merci beaucoup. M. le
député de Louis-Hébert.
M. Doyon: Merci, M. le Président. Les exposés qui
nous ont été faits ont été extrêmement
intéressants et instructifs. Je remarque qu'il y a des
inquiétudes qui se manifestent, et nous en avons tous, concernant le
poids démographique qui sera celui du Québec d'ici les 25
prochaines années, par exemple. Les projections que vous
établissez ne nous permettent pas de nous réjouir outre mesure.
On peut espérer que ce sera la thèse optimiste qui
prévaudra et que l'augmentation de la fertilité et de la
fécondité permettra d'atténuer les effets de cette
diminution de la population. Sauf que je pense qu'il faut réaliser que,
si jamais le Québec profitait d'un tel ajustement de
fécondité, il s'établirait à l'intérieur
d'un ensemble, l'ensemble canadien. Si jamais le Québec profitait d'une
augmentation de la fécondité, il est à prévoir et
il serait normal que cette même augmentation se retrouve ailleurs au
Canada, ce qui, proportionnellement, ne change pas beaucoup les choses.
Les soldes migratoires que nous avons connus dernièrement sont
identifiables pour le passé, sont peut-être mesurables, mais,
comme vous l'avez souligné, pour ce qui est de l'avenir, c'est plus
difficile. Nous avons eu des personnes qui ont comparu ce matin devant nous et
qui nous ont expliqué qu'on ne pouvait pas identifier les raisons qui
faisaient que les gens se déplaçaient, s'établissaient au
Québec, et quittaient éventuellement le Québec. C'est
qu'on n'avait pas d'échantillonnage ou de vérification
scientifique à ce sujet.
En ce qui me concerne, les prévisions que vous nous faites, avec
toutes les sourdines que vous y mettez, sont quand même suffisamment bien
fondées pour que nous puissions y voir le résultat
d'études sérieuses qui nous indiquent que, toutes choses
étant égales, à part des catastrophes qui peuvent arriver
ou des mouvements de population imprévus, le poids démographique
du Québec dans l'ensemble canadien, vraisemblablement, passera de 30%
à quelque chose comme 23%, 24%, 25% ou à quelque chose
d'approchable. Je pense que c'est intéressant.
Il est intéressant aussi de voir que vous nous indiquez que la
vérification que vous avez faite de certaines politiques natalistes vous
permet de croire qu'elles ont finalement une influence quelque part. Là,
cela nous permet de rejoindre les considérations qui nous ont
été soumises par M. Nobbé, où il nous fait un
tableau global, je dirais pratiquement un tableau planétaire, de la
situation démographique. On s'aperçoit, grâce à son
exposé, que, finalement la situation que nous vivons au Québec
s'inscrit dans un ensemble plus général et qu'on ne peut
prétendre résoudre le problème québécois de
la dénatalité ou de la diminution de la population sans penser en
même temps à des solutions plus générales, plus
globales. C'est rafraîchissant et cela nous permet de déboucher
sur des visions plus généreuses des choses.
Je retiens particulièrement ceci qui complète d'autres
exposés qui nous ont été faits à savoir que
possiblement une des raisons - je parle en profane de ce que j'ai compris de
l'exposé fort savant de M. Nobbé - qui motivent les femmes
à avoir moins d'enfants, à être moins fertiles, c'est
l'inquiétude sous-jacente dans la population en général
concernant les débouchés pour la progéniture. Dans un
milieu économique incertain où on n'a pas les assurances d'emploi
qu'on voudrait avoir, tout cela étant relié à
l'investissement étranger qu'on doit faire ou non, etc., les femmes
comme les hommes procréateurs et procréatrices
s'inquiètent et, en réaction, ont peut-être moins
d'enfants, ont une progéniture moins nombreuse, de la même
façon que vous avez expliqué que l'éducation avait un
rôle à jouer de ce côté là aussi.
Ce sont là des réflexions qui me sont inspirées par
la présentation que M. Nobbé a faite, de même que par celle
de M. Romaniuc. Je peux vous assurer que c'est une nouvelle approche, autant
que je suis concerné, celle que nous propose M. Nobbé en
particulier, qui nous fait voir que tout cela est interrelié, que le
Canada en tant que pays exportateur, en tant que pays développé,
ne peut avoir une politique démographique qui ne soit pas reliée
au développement d'autres pays, d'autres civilisations de pays
éloignés avec lesquels on pense avoir peu ou pas affaire.
Grâce à l'éventail que vous nous avez
proposé, à l'exposé que vous avez déroulé
devant nous, on s'aperçoit que, si l'on veut provoquer chez nous une
fécondité plus grande parce qu'on y voit certains avantages, il
faut en même temps faire certains sacrifices au niveau du
protectionnisme. Il faut s'ouvrir sur le monde, il faut être prêt
à investir ailleurs, il faut être prêt aussi à
acheter de l'extérieur. Toutes ces choses-là sont
interreliées et c'est extrêmement intéressant de voir qu'en
si peu de temps, même si M. le Président vous a souligné
que les dix minutes s'étaient un peu prolongées, grâce
à ce que vous avez exposé et à ce que M. Romaniuc nous a
donné, grâce aux deux volumes que nous avons en main, nous allons
pouvoir avoir une vue générale, une vue d'ensemble des
problèmes qui se posent
à nous et nous apercevoir, finalement, que ce à quoi nous
sommes exposés au Québec n'est pas unique. Les solutions qui
seraient centrées sur le Québec individuellement, faisant
abstraction du reste du Canada, du reste de l'Amérique et du reste de la
planète, ne seraient pas durables, ne seraient pas des solutions de
fond. Ce seraient des cataplasmes, des palliatifs.
Alors, il faut aller au-delà du court terme. Vous nous avez
avertis dès le début que les propositions qui étaient
sous-jacentes dans votre exposé étaient à moyen et
à long terme. Les hommes politiques sont peut-être un peu trop
habitués à conduire le nez collé sur la vitre, nous
manquons parfois un peu de perspective. Grâce à des savants comme
vous - je crois que vous en êtes, vous et M. Romaniuc - ces travaux nous
permettent d'avoir ce recul absolument nécessaire pour prendre des
virages dont le rayon est assez long, assez grand, mais qu'on doit prendre avec
prudence et qu'on doit commencer à prendre rapidement.
Les quelques mots que je voulais vous adresser, c'étaient des
mots de remerciements pour nous avoir ouvert des perspectives d'avenir, pour
nous avoir ouvert des horizons et nous avoir permis de réaliser que le
problème que nous abordons, c'est un problème d'ordre mondial, un
problème d'ordre planétaire et qu'il serait illusoire de vouloir
le régler avec quelques cataplasmes rapides qu'on pourrait
développer sur le coin d'une table, il faut aller au-delà de
cela. Nous allons nous y employer. Nous vous remercions de nous avoir ouvert
des horizons.
Le Président (M. Champagne): II n'y a pas d'autres
intervenants? Alors, M. Nobbé et M. Romaniuc, au nom des membres de la
commission parlementaire, je vous remercie d'avoir déposé votre
mémoire, d'avoir répondu à nos questions. Merci.
Maintenant, nous demandons à l'Association des anglophones de
l'Estrie, s'il vous plaît, de s'approcher ici, à l'avant. Nous
suspendons pour quelques minutes, en attendant l'association.
(Suspension de la séance à 16 h 34)
(Reprise à 16 h 43)
Le Président (M. Champagne): La commission de la culture
poursuit ses travaux et nous recevons l'Association des anglophones de
l'Estrie. Mme la présidente, j'aimerais que vous présentiez les
membres qui vous accompagnent, s'il vous plaît.
Association des anglophones de l'Estrie
Mme Goodfellow (Marjorie): Merci. Je suis la présidente,
Marjorie Goodfellow. M.
David Mackenzie est le premier vice-président et Cynthia Dow est
notre directrice générale.
Le Président (M. Champagne): Nous avons reçu votre
mémoire. Vous avez exprimé le désir d'en faire la lecture.
Cela devrait vous prendre à peu près une trentaine de minutes.
Nous allons disposer du reste du temps qui vous est alloué pour poser
des questions et ensuite nous allons enchaîner avec la
Confédération des organismes familiaux du Québec tout de
suite après. Allez-y, Mme la présidente.
Mme Goodfellow: J'ai quelques remarques préliminaires.
Après cela, je vais lire le mémoire. L'association avec ses 8000
membres vient de la région des Cantons de l'Est. Cette région,
qui comprend la région administrative 05 et une partie des
régions 03, 04 et 06, a été colonisée en grande
partie par des personnes d'expression anglaise. Nous sommes heureux
d'être ici aujourd'hui pour vous parler des anglophones de notre
région. Nous ne sommes pas de grands experts en démographie ou en
sociologie, mais, parmi ses "technicalités" complexes, le document
"L'évolution de la population du Québec et ses
conséquences" traite de plusieurs aspects importants de la vie
quotidienne. C'est à partir de ces aspects, qui touchent tout le monde,
que nous aimerions vous faire part de notre vécu.
Le but primordial de notre association est de promouvoir chez nous une
communauté d'expression anglaise saine et dynamique. Il s'ensuit que
nous avons des inquiétudes face au vieillissement de notre population,
à l'hésitation de nos jeunes à rester chez nous et
à fonder des familles, à la perte d'immigration traditionnelle
dans notre région et, finalement, à l'état de notre
économie régionale. Nous sommes ici pour vous raconter une
histoire d'une communauté en crise et pour vous donner un aperçu
d'une population pour laquelle l'avenir est un point d'interrogation.
Je vais lire le mémoire. Townshippers' Association is an
8000-member association which seeks to promote the rights of the
English-speaking people of the Eastern Townships and their full participation
in the majority society. The association has developed long-term programs in
the following areas: job opportunities, access to health and social services,
heritage and cultural affairs, education and communications. Townshippers'
wishes to take advantage of this opportunity to air its concern about the
government's statement on the demographic situation of this province for two
reasons. First, we believe that the continued existence of our community is in
jeopardy. We also believe that some of the basic assumptions made in the study
entitled
"L'évolution de la population du Québec et ses
conséquences" would not be true if applied to the Eastern Townships.
The first people to settle in this area were Americans and British
immigrants, most of whom spoke English and brought with them a variety of
cultural and religious backgrounds. They laid the economic and industrial
foundations by opening up new lands to cultivation, by building businesses and
by establishing industries.
Despite the fact that they were the first to settle the area, the
English-speaking community has been living in a minority situation for over 100
years vis-à-vis the French-speaking population. In 1850, there were 60
000 people living in the Eastern Township, 64% of whom were English-speaking,
but by 1871, just 20 years later, the majority were French-speaking.
The relative size of the English-speaking community has continued to
fall in the 20th century and, in the decade between 1971 and 1981 alone, the
community experienced a 6% decline in its numbers. The same period saw the
reduction of the English-speaking community from 9, 7% to 8, 5% of the total
population.
Even more drastic has been the drop in the number of children attending
English-language schools in the area. Between the 1972-73 and 1984-85 school
years, enrollment in English-language schools in the Townships dropped by 47,
5%, from 11 350 to 5970 students. A decline of that magnitude is what Caldwell
has described as a trait of a collapsing population.
Une population qui vieillit rapidement. Il est vrai que la population
francophone du Québec vieillit rapidement. C'est une tendance
démographique qui afflige présentement tout le Canada. Cependant,
le pourcentage de3 anglophones âgés de 65 ans et plus dans la
région des Cantons de l'Est est deux fois plus élevé que
celui des francophones. Il existe plusieurs raisons pour ce pourcentage
élevé: l'exode de nos jeunes, une fécondité
décroissante et une baisse de l'immigration des anglophones dans la
région. De fait, si aucun changement radical ne se produit,
l'anéantissement de notre communauté est imminent.
Immigration and bilingualism. Ties between the Townships and the United
States have always been strong. The area was first settled by Americans from
New England in the late 1790's, and immigration from south of the border
continued to be the major source of population growth in the Townships until
the mid-19th century. It was these American settlers who started the economic
development of the area, and American investment and branch firms are still a
vital force in the local economy.
That is why restrictions on access to English-language education may
have a deleterious effect on the economy of the Townships, and why the
maintenance of an English-speaking community and its institutions is so
important. English-speaking people who come from the United States to invest in
the area or to administer branch plants of American companies usually prefer to
educate their children in English and to have at their disposal
English-language institutions such as churches, hospitals and voluntary
organizations.
If the English-speaking community were to disappear, as we fear it may,
these attractions for American investors would also disappear with a
concomitant impact on the economy of the region.
M. Mackenzie (David): Notre proximité géographique
avec les États-Unis et nos liens avec la Nouvelle-Angleterre impliquent
qu'un grand nombre de touristes et de résidents d'été
traversent la frontière pour venir dans les Cantons de l'Est. Par
exemple, nous constatons la présence d'un bon nombre de ces
Américains unilingues durant la période estivale au Centre
régional des archives nationales à Sherbrooke.
L'accès facile à la frontière permet l'exportation
de nombreux produits et services destinés aux États-Unis. Si nous
voulons maintenir le tourisme et l'échange commercial avec nos voisins
américains, les Cantons de l'Est doivent pouvoir communiquer en anglais
avec eux. Une communauté anglophone impliquée permettra le
maintien de cette capacité bilingue. Contrairement à la
région de Montréal, sur laquelle semblent être
basées les hypothèses du document "L'évolution de la
population du Québec et ses conséquences", les Cantons de l'Est
ne sont pas favorisés par une immigration substantielle. En 1981,
seulement 3, 2% des habitants de la région venaient de
l'extérieur du Canada; 40% d'entre eux étaient nés aux
États-Unis.
Therefore, we cannot agree with the statement that the power of
attraction which the English language holds for allophone immigrants will have
serious consequences for the French-speaking community. This may or may not be
true in Metropolitan Montreal, but it simply does not apply in Drummondville,
Sherbrooke or Thetford Mines. In most of the counties in the Eastern Townships,
the majority of allophones choose French as their home language over
English.
Il est intéressant de souligner que, dans de nombreux
comtés, le français a un pouvoir d'attraction sur un bon nombre
de personnes dont la langue maternelle est l'anglais. Par exemple, 53% des
anglophones dans le comté de Drummond parlent le français au
foyer.
Il est certain que la capacité des francophones de la
région de maintenir leur
langue maternelle est plus forte que celle des autres groupes
linguistiques, soit les anglophones ou les allophones.
We cannot, therefore, accept the premise that the continued existence of
a vital, visible English-speaking community in the Eastern Townships can in any
way be interpreted as a threat to the existence of the very large
French-speaking majority. In fact, we argue the very opposite: that our
presence as bilingual and bi-cultural brokers between this area and the rest of
North America is of paramount importance to the economic health of the area.
"
Cependant, nous ne pouvons pas jouer un tel rôle si notre
communauté se replie sur elle-même pour contrer les
difficultés du milieu. Notre communauté s'enclave. Dans leur
recherche de services et d'écoles en langue anglaise, les anglophones de
notre région émigrent vers des villes perçues comme des
centres de langue anglaise. Cela modifie la démographie des Cantons de
l'Est.
Lennoxville is a case in point. The surrounding countryside is losing
its English-speaking population as the town attracts those who wish to shop in
English, to save their children a long ride to the English schools, to be able
to communicate in their own language when under stress, for example with health
services professionals, legal counsel, etc. This phenomenon threatens the
nature of the Eastern Townships society. Historically, French and
English-speaking people have lived side by side throughout the area; now they
find themselves increasingly separated. Access to services in English and to
English-language institutions must be bolstered throughout the rural areas of
the Townships if a normal and healthy social structure is to be maintained and
if the principles of "social justice and equity" are to prevail.
À mesure que notre communauté vieillit et que notre
jeunesse nous quitte, la présence anglophone se trouve diminuée
sur le marché du travail, dans l'économie, dans les
comités et dans bien d'autres organismes communautaires importants.
Cependant, un bon nombre d'anglophones, c'est-à-dire autour de 50 000,
demeurent toujours dans la région. Ces gens ont des besoins auxquels on
doit répondre et des préoccupations qui doivent être
entendues. Comme la communauté vieillit rapidement, de plus en plus
d'institutions de langue anglaise disparaissent. Ces musées,
écoles, églises et hôpitaux ne servent pas seulement la
communauté anglophone. Ils ont aussi contribué à la
formation des Cantons de l'Est. Leur disparition serait un
événement malheureux dans l'histoire de cette région.
Mme Goodfellow: The role of the English-speaking people in the
economic development of this area is well documented.
As mentioned above, the existence of a vibrant, visible English-speaking
community is a definite attraction to outside investors and this is
acknowledged by the French-speaking majority.
But, it appears that our community is now losing that middle-class of
entrepreneurs which have been so active in this area in the past. It is
possible that these people are a highly mobile sector of our population who
have chosen to establish their businesses elsewhere, for a variety of economic
and political reasons. Our community still has a great deal to contribute to
the economic life of the area - but only if it remains an energetic, involved
and visible community.
How to ensure the future of our community? Our community has to be
nurtured, not neglected or further battered by the fallout of policies aimed at
Montreal. Although the government's proposed program to encourage greater
fecundity is interesting, it is clear that a number of steps must be taken in
order to ensure that our community is rejuvenated.
Our young people must be encouraged to remain in the area and must be
reassured that there are job opportunities as well as services and institutions
adapted to their needs. Our youth must be encouraged to raise families, for we
are suffering from an even lower rate of fecundity than either the francophone
or the allophone populations of the province.
In fact, these demographic trends are seriously threatening our
existence: "Comme la minorité anglophone du Québec souffre le
plus des échanges migratoires avec les autres provinces, une
fédondité plus faible que celle des autres groupes linguistiques
du Québec contribue à l'affaiblissement de cette minorité
dans la population québécoise. "
The migration of English-speaking people to the area must be promoted -
not discouraged by restrictive legislation - so that we can maintain our
institutions and a normal social structure.
The phenomenal drop in enrollment in English-language schools should be
cause for real concern. As we have maintained in two recent presentations,
access to English schools, especially in the rural areas, should be available
to all English-speaking immigrants. Small schools must be maintained in rural
communities so that a normal distribution of English-speaking people across the
Townships is maintained.
Will the government, once and for all, tell us at what proportion of the
population, according to its calculations, the English-speaking community
becomes a threat to the French-speaking majority? We have proved that in the
Eastern Townships, where less than 9% of the population has English as its
mother-tongue, the community is no threat at all to the French-speaking
majority.
When will the government acknowledge the fact that the demographic,
social, economic and cultural situation of English-speaking people outside of
Montreal is vastly different from that of the Montreal area? Statistics which
describe the provincial situation as a whole serve only to hide this reality of
the regional diversity of Québec. A government which has placed such
emphasis on the territorial distribution of the population of this province
would do well to keep this regional diversity in mind when formulating and
implementing policy. We have seen, since the mid-1970's, how blanket solutions
to perceived or real problems in the Montreal area can have very detrimental
effects on the fragile English-speaking communities of rural Québec. (17
heures)
We must now ask what the government intends to do about our situation.
What will the government do to help us survive? Perhaps more importantly, will
the government remember the challenges facing communities such as ours when
designing its policies? "Une politique de la famille que l'on doit rendre
publique devrait grandement intéresser les anglophones du Québec,
ceux-là mêmes qui pourraient en bénéficier le plus.
"
Given the government's frequent reluctance to provide services and
information in languages other than French, how will it ensure that the program
to overcome the barriers to fecundity will also reach our population?
En bref, voici la situation à laquelle nous sommes
confrontés actuellement: la moitié de nos jeunes quittent la
province et ce sont ceux qui ont tendance à être les mieux
éduqués; notre taux de naissance très peu
élevé ne peut plus assurer le remplacement de notre population;
il y a une diminution sérieuse de l'immigration des anglophones dans
notre région. Ces trois éléments contribuent à une
plus grande proportion de gens âgés dans notre population. Il y a
une concentration accrue de notre population dans certaines régions
limitées.
Pour contribuer à notre survie, le gouvernement doit faire les
choses suivantes: toute politique gouvernementale doit être basée
sur les réalités régionales et non provinciales; les
ministères et agences gouvernementaux, à tous les niveaux,
doivent activement informer la population d'expression anglaise sur leurs
services et activités; des efforts extraordinaires doivent être
entrepris pour recruter des gens d'expression anglaise qualifiés pour
siéger au sein des conseils d'administration des établissements
publics et des autres agences administratives; nos jeunes doivent être
encouragés à demeurer dans la province; ils doivent sentir qu'ils
sont des citoyens à part entière et ils doivent être
informés des possibilités d'emploi, de la même façon
que la jeunesse francophone.
L'objectif primordial de l'association est de maintenir une population
anglophone saine et utile au sein de la région des Cantons de l'Est.
Nous demandons que le gouvernement endosse cet objectif et que des politiques
soient implantées à cette fin.
Mme Dow va présenter des tableaux.
Mme Dow (Cynthia): Je vais expliquer très
brièvement les annexes du document. L'annexe I nous donne la proportion
d'anglophones dans les douze divisions de recensement des Cantons de l'Est pour
les années 1971 et 1981. Vous pouvez noter que, là où
notre population était la plus forte, les pertes ont été
les plus sévères. Je parle des divisions de Sherbrooke, de
Stanstead et de Brome. Dans toutes ces divisions, la population anglophone a
subi une perte de 2% et plus et de presque 5% à Brome. Cette annexe a
été tirée de l'étude de Gary Caldwell,
intitulée "L'avenir économique de la population anglophone des
Cantons de l'Est. " Cette étude a été parrainée par
Townshippers Association l'année dernière. J'ai plusieurs
exemplaires de cette étude, s'il y a des personnes qui désirent
en avoir.
Le Président (M. Champagne): Oui, s'il vous plaît:
Si vous voulez remettre ces copies aux membres de la commission, s'il vous
plaît! Merci beaucoup. Vous pouvez continuer, madame.
Mme Dow: Merci. L'annexe II nous montre la décroissance du
nombre d'inscriptions dans les quatre commissions scolaires protestantes de
notre région. Les chiffres entre parenthèses représentent
le nombre total d'étudiants inscrits dans les écoles. La perte
est de l'ordre de 50% sur onze ans. Ces chiffres ont été obtenus
directement des commissions scolaires mentionnées au bas de
l'annexe.
L'annexe III nous montre la prépondérance des gens
âgés de 65 ans et plus dans notre communauté. Cette
proportion est deux fois supérieure à celle qu'on retrouve dans
la population francophone de notre région. Aussi, il faut remarquer que
la proportion des gens âgés de moins de 34 ans est beaucoup moins
élevée que dans la population francophone.
Les annexes 4, 5 et 6 ont été rédigées
à notre bureau avec les données de Statistique Canada pour leur
programme de statistiques sur les petites régions. Les chiffres sont
tous donnés par circonscription électorale
fédérale. À l'annexe 4, on donne la population des Cantons
de l'Est selon le lieu de naissance. C'est clair qu'il n'y a pas beaucoup
d'immigration dans notre région et que la plupart de ces immigrants
viennent
des États-Unis. L'annexe 5 indique la proportion d'allophones.
Cela veut dire les gens de langue maternelle autre que le français ou
l'anglais qui choisissent le français ou l'anglais comme langue
parlée au foyer. Évidemment, la majorité parle sa propre
langue au foyer, mais quand les gens choisissent entre le français et
l'anglais, ils sont plus portés à choisir le français dans
la plupart des comtés des Cantons de l'Est.
À l'annexe 6, nous trouvons une comparaison du maintien de la
langue maternelle entre les francophones et les anglophones de notre
région. Dans toutes les conscriptions électorales
fédérales les anglophones sont plus susceptibles d'adopter le
français comme langue parlée au foyer que l'inverse. Nous avons
une annexe 7, qui est une brochure de la ville de Sherbrooke intitulée
"Pour toutes les raisons au monde". Je pense que tous les membres doivent avoir
cette annexe aussi. C'est bien compris dans les Cantons de l'Est que
l'existence de nos communautés est un avantage énorme pour la
région, tant au niveau économique qu'au niveau culturel. C'est
tout.
Mme Goodfellow: Mesdames et messieurs, nous sommes prêts
à répondre aux questions.
Le Président (M. Champagne): Merci beaucoup, Mme la
présidente. Au nom des membres de la commission, je vous remercie pour
le contenu de votre mémoire. Nous avons écouté votre
exposé avec beaucoup d'attention et je pense que l'objectif de votre
association, qui est de promouvoir les droits des anglophones de l'Estrie... Je
pense bien que les gens de l'Estrie doivent être fiers de votre
association, parce que vous êtes venus défendre votre position ici
et c'est tout à votre honneur. Je comprends aussi vos
appréhensions, à savoir que vous avez une population
vieillissante. Vous avez, d'autre part, des jeunes qui quittent la
région. Vous avez une fécondité qui va en
décroissant et vous avez une baisse d'immigration. Je comprends que vous
êtes quand même conscients du problème. Vous voulez y faire
face et vous voulez expliquer votre situation. Vous avez aussi exprimé
un désir à la fin et je le relis: "L'objectif primordial de
l'association est de maintenir une population anglophone saine et utile au sein
de la région des Cantons de l'Est. Nous demandons au gouvernement qu'il
endosse cet objectif. " Soyez assurés que notre gouvernement endosse
votre objectif de maintenir une population anglophone saine dans la
région des Cantons de l'Est, dans la région de l'Estrie.
Vous avez eu aussi une appréhension tout à l'heure au
sujet des réalités régionales. J'étais content,
faisant partie de la région de Montréal, de voir dans les
journaux de la semaine dernière, l'importance du sommet
économique de l'Estrie. Je pense que c'est tout à votre honneur.
Cela représente beaucoup de dynamisme dans votre région et je
pense que c'est une bonne façon de garder les jeunes s'il y a des
emplois. C'est très bien d'avoir pris cette initiative.
J'ai une question, madame, à vous poser. Vous parlez de
relèvement de la fécondité. Cela apparaît quand
même primordial qu'il y ait une meilleure fécondité. Est-ce
que votre association s'est penchée sur la façon de faire en
sorte qu'il y ait une plus grande fécondité? Est-ce que vous vous
êtes penchés sur une politique nataliste? C'est sûr que nous
en sommes conscients. Il y a d'autres organismes qui sont venus l'expliquer.
S'il y a un essor économique, si la situation de l'emploi est bonne dans
une région, cela va favoriser la natalité. Mais est-ce que vous,
comme association, vous vous êtes arrêtés à
préconiser certaines politiques natalistes spécifiquement?
Mme Goodfellow: Non, pas directement. Nous avons un programme
très actif sur le développement économique de notre
région et nous voulons nous impliquer dans le suivi du sommet
économique. Je pense que le projet de plein emploi dont nous parlons
dans les Cantons de l'est est l'une des solutions pour augmenter
l'établissement des ménages parmi nos jeunes.
Le Président (M. Champagne): Merci. Je vais laisser la
parole à mes autres collègues, si vous n'avez pas d'objection.
Peut-être Mme la députée de Johnson aurait-elle des
questions à poser?
Mme Juneau: Étant donné que je ne suis pas membre,
M. le vice-président, peut-être que mes collègues qui sont
membres pourraient parler en premier et je prendrai la parole après. Je
suis bien aise de l'accepter.
M. Doyon: Non, non, allez-y.
Le Président (M. Champagne): Voici le consentement.
Bienvenue à la commission parlementaire, madame.
Mme Juneau: Je vous remercie. Je suis venue expressément,
vous le comprenez bien, étant donné que les "Townshippers" sont
des Estriens et des Estriennes. Comme je suis une Estrienne, cela me faisait
plaisir de venir vous accueillir ici et vous remercier d'avoir participé
en présentant votre mémoire à notre commission
parlementaire. Incidemment, M. le vice-président, vous avez
mentionné le fait de notre sommet économique. Mme Goodfellow
était présente
lors de nos assises, durant les trois jours. Je pense bien qu'autant
votre association que nous, de notre côté, avons grandement
apprécié la tenue de ce sommet; cela a été
très avantageux pour les gens de notre région.
Ceci dit, Mme Goodfellow, je voudrais que vous me donniez une petite
précision sur votre mémoire. À la page 7, vous dites
"Comment assurer l'avenir de notre communauté". J'aimerais que vous nous
donniez quelques explications quand vous dites que "notre communauté
doit être soignée et non pas négligée ou
trompée par les retombées des politiques émises pour
Montréal". J'aimerais que vous précisiez un peu ce que vous
voulez dire par cela, s'il vous plaît.
Mme Goodfellow: Oui, je pense à des politiques d'accueil
dans la région comme l'affichage bilingue, par exemple. Je pense que
nous avons beaucoup de possibilités et justement, cela a
été discuté en profondeur pendant le sommet
économique. Nous avons beaucoup de possibilités d'emplois dans le
tourisme, par exemple, et je pense que les membres de notre communauté
étant des gens bilingues pour plusieurs, ce sont des gens très
aptes à travailler dans cette industrie. Mais je pense que nous devons
offrir un accueil plus attrayant aux gens de l'extérieur de notre
région, ceux des États-Unis et de l'Ontario: une politique qui
permettrait un affichage bilingue, mais avec le français prioritaire
évidemment, serait profitable.
Aussi, l'accès aux écoles. Nous souffrons beaucoup d'une
chute de notre population scolaire, qui se trouve actuellement à moins
de 6000 étudiants. Si nous avions un accès élargi à
nos écoles, qui permette aux immigrants de pays d'expression anglaise
d'être admis, cela nous encouragerait et cela permettrait même
à l'occasion à certaines écoles de rester ouvertes dans
certaines communautés où il y a très peu
d'étudiants, ce qui n'affecterait d'aucune façon nos voisins
francophones ou les écoles francophones.
Mme Juneau: Quand vous parlez de chute de l'admission dans les
écoles anglophones, c'est surtout dû quand même au
très bas taux de natalité qui existe dans notre région; je
pense que ce serait plutôt cela.
Mme Goodfellow: C'est aussi vrai, mais je pense que M. Mackenzie
va vous répondre. (17 h 15)
M. Mackenzie: C'est partiellement vrai, je dirais, parce que si
nous examinons la chute du taux de fréquentation des écoles
anglaises, on va voir, par exemple, que la chute est à peu près
le double de celle qui a été enregistrée dans les
écoles d'expression française. Sûrement, c'est au moins en
partie à cause d'un taux de naissance décroissant, mais
également à cause d'un autre facteur. Je pense que Mme Goodfellow
a souligné le fait qu'on parle d'un accueil plus chaleureux chez nos
voisins de l'extérieur, au sud surtout, car ce sont des liaisons
historiques pour notre région, surtout si on peut parler globalement. Je
sais bien que vous avez demandé des précisions, mais on sent,
dans l'Estrie et même dans les autres régions de la
périphérie, que nous risquons assez souvent d'être
noyés par les politiques conçues pour les bassins de population
métropolitains, par exemple, Montréal.
Mme Juneau: Je suis un peu perdue dans tout cela. Si je comprends
bien, vous trouvez que les retombées ne sont pas assez importantes pour
notre région. Est-ce que c'est cela?
M. Mackenzie: Je veux dire qu'il y a peut-être des
retombées négatives. S'il y a des politiques linguistiques ou
autres qui ont été conçues pour répondre à
la situation dans les régions métropolitaines, cela ne s'applique
pas nécessairement dans les régions rurales.
Mme Juneau: Quand vous parlez d'affichage bilingue, par exemple,
à Lennoxville, cela existe déjà l'affichage bilingue,
à plusieurs endroits.
Mme Goodfellow: Oui, c'est vrai, mais c'est simplement un
exemple. Il y a plusieurs autres centres d'attraction pour les touristes
où on ne trouve pas l'affichage bilingue. Je pense que je suis correcte
quand je cite, dans le document de base de cette commission, qu'il n'y a qu'un
tableau qui traite des régions. Je pense que cela donne une fausse image
des régions de toujours parler de statistiques globales pour la
province. C'est très difficile pour vous autres de formuler des
politiques qui soient bonnes pour les régions juste en
considérant les tableaux qui traitent de la province.
Mme Juneau: Une toute dernière brève question, Mme
Goodfellow. Vous avez parlé tout à l'heure de lieux historiques
des Cantons de l'Est, de l'Estrie, et du tourisme. À notre sommet, on a
vu que le tourisme avait une place prioritaire. Comment, en tant
qu'association, voyez-vous cela pour amener une meilleure vision de votre coin
aux touristes? Comment voyez-vous cela? Avez-vous quelque chose de très
précis?
Mme Goodfellow: Oui, nous avons quelques projets en cours pour
encourager, par exemple, les familles de cultivateurs à accueillir des
familles dans leur maison. Il
existe déjà un répertoire très bien
détaillé des personnes de la province prêtes à
recevoir les visiteurs, mais je pense que nous pouvons encourager les membres
de notre association à faire aussi leur part. C'est un exemple. Aussi,
je pense que nous devons -c'est un de nos projets pour cette année
-travailler très près avec l'Association touristique de l'Estrie.
Nous avons d'autres projets aussi. Je pense qu'il nous faut faire notre part.
Nous demandons uniquement les contributions des autres. Nous savons très
bien qu'il nous faut faire notre part.
Mme Juneau: Cela n'aurait pas été possible,
à ce compte-là, Mme Goodfellow. Vous auriez pu présenter
un dossier très précis lors du sommet et avoir certaines choses
qui auraient pu avoir des retombées assez rapides quand même. Ce
n'était pas assez avancé, j'imagine.
Mme Goodfellow: C'est cela. Aussi, j'ai demandé
l'autorisation d'être à la table, mais malheureusement cela
n'était pas prévu dans l'organisation et ma demande a
été refusée.
Mme Juneau: Je ne le savais pas. Je vous remercie, chère
madame.
Mme Goodfellow: Merci.
Le Président (M. Champagne): Mme la députée,
merci. M. le député de Louis-Hébert.
M. Doyon: Rapidement, M. le Président. Grèce aux
questions de Mme la députée de Johnson, on peut se rendre compte
qu'il y a peut-être eu des oublis pour le fameux sommet économique
et qu'il y aurait peut-être eu avantage à ce que Mme Longfellow
ait pu faire part de certains projets dont elle nous fait part
actuellement.
Vous nous dites, Madame, dans votre mémoire... Je reconnais
là des inquiétudes que vous avez déjà eu l'occasion
de manifester à la commission parlementaire sur l'éducation quand
on a pris connaissance du projet de loi 40, alors que vous avez très
bien défendu votre point de vue; je retrouve ici les mêmes
arguments. Il y a déjà un certain temps de cela, en fait il y a
quelques semaines ou plusieurs mois qui sont passés. Pouvez-vous nous
dire qu'à la suite des représentations que vous avez faites, que
vous reprenez grosso modo ici dans ce mémoire, que vous avez senti de la
part du gouvernement du Québec des gestes que vous avez pu identifier,
des gestes de nature à corriger certaines lacunes que vous aviez
relevées à ce moment et qu'on retrouve en filigrane dans le
mémoire que vous nous présentez aujourd'hui?
Mme Goodfellow: C'est une question assez difficile. C'est certain
que le projet de loi sur la restructuration de l'éducation a
répondu en grande partie à nos demandes, sauf la garantie
constitutionnelle et un accès élargi à nos écoles.
Pour la commission parlementaire sur la loi 101, il y avait également
des réponses positives à nos demandes mais, encore une fois, il y
avait des lacunes également.
M. Doyon: C'est intéressant de vous entendre
répondre concernant certaines inquiétudes qui demeurent chez
vous, surtout quand vous posez la question très directe ici à la
page 9 du mémoire, où vous dites: "Nous devons maintenant
demander au gouvernement ce que sont ses intentions face à notre
situation, que fera-t-il pour assurer notre survie? Le gouvernement se
souviendra-t-il des défis confrontant des communautés comme la
nôtre lors de la conception de ses politiques?" Cette volonté que
vous exprimez de voir le gouvernement poser des gestes concrets pour permettre
à votre communauté de quelque 50 000 habitants de continuer
à survivre comme élément distinctif, élément
qui peut être identifié culturellement et socialement de
même qu'au niveau linguistique, cette volonté que vous avez est
toute à votre honneur et je vous demande si vous avez pu, à
l'intérieur des politiques gouvernementales... Vous en parlez dans
quelques lignes, quand vous dites à la page 7 que même si le
programme du gouvernement pour encourager la fécondité est
intéressant, un bon nombre d'étapes doivent être remplies
pour assurer le renouvellement de notre communauté. Est-ce que, à
l'intérieur des propositions gouvernementales, vous avez trouvé
des éléments qui pourraient résoudre le problème
fondamental de la dénatalité chez vous, c'est-à-dire de la
baisse démographique, éléments qui pourraient constituer
des amorces de solutions vis-à-vis la situation que vous vivez
actuellement?
Mme Goodfellow: Est-ce que vous parlez du livre vert?
M. Doyon: C'est cela. Mme Goodfellow: Oui. Bon.
M. Doyon: J'imagine que c'est à cela que vous faites
référence quand vous...
Mme Goodfellow: Oui, mais ce ne sont pas seulement les politiques
énoncées dans le livre vert. Il faut aussi publiciser les
politiques dans les endroits où notre population pourra avoir
accès à ces renseignements. C'est une des étapes
essentielles. Il arrive fréquemment que les membres de notre
communauté ne reçoivent pas les informations comme il faut ou
qu'ils doivent remplir des formulaires publiés
uniquement en français. Ils peuvent les remplir en anglais, mais
les questions sont posées en français. C'est un problème
de communication qui est un point de base, je pense, pour
l'énoncé de politique. La distribution, les retombées
doivent avoir un effet sur la publicité donnée.
M. Doyon: D'accord. Dernière question, M. le
Président. Vous faites allusion dans votre mémoire, un peu plus
bas, au mouvement migratoire qui vous affecte d'une façon plus
sévère, plus brutale en tant que communauté anglophone
localisée dans les Cantons de l'Est, dans l'Estrie par rapport à
ce qui se passe dans le reste du Québec. Je reprends une citation que
vous identifiez d'ailleurs. Vous dites que "la minorité anglophone du
Québec souffre le plus de ces échanges migratoires avec les
autres provinces". Avez-vous pu quantifier ces échanges migratoires? Au
niveau des proportions, quel est le pourcentage par rapport à ce qui se
passe dans le reste de la province de Québec, en considérant que,
par exemple, grosso modo, depuis les dix dernières années ou
à peu près, il y a un mouvement migratoire vers
l'extérieur de la province de l'ordre d'environ 30 000 personnes chaque
année? Évidemment, cela s'étend à l'ensemble du
Québec. Cela représente un certaine proportion. C'est
considérable. Pouvez-vous quantifier cela et faire des comparaisons avec
ce qui se passe avec votre commuté chez vous? Quelle est la proportion
de personnes que vous perdez par année? Avez-vous une idée de
cela?
M. Mackenzie: Non, pas spécifiquement pour les lieux
géographique des Cantons de l'Est. Nous avons constaté cela dans
le document, la référence à laquelle vous faites allusion.
Ce n'est pas nécessairement nous qui avons dit cela, cela provient
directement du document de M. Paillé. Nous avons observé ce
phénomène parmi les jeunes, ceux de notre région, mais on
n'a pas quantifié précisément cela. On a observé
qu'il y a un exode de nos jeunes. On n'a pas quantifié cela exactement.
On s'est fié aux études de M. Paillé, qui a dit que,
globalement, c'est aussi le cas; cela n'arrive pas uniquement chez nous. On a
observé cela. On ne l'a pas quantifié, mais, apparemment, c'est
quelque chose qui existe et qui est reconnu par des experts comme M.
Paillé.
M. Doyon: Merci beaucoup.
Le Président (M. Lachance): Merci. M. le
député de Marquette.
M. Dauphin: Merci, M. le Président. Bien sûr
qu'à la lecture de votre conclusion, à la page 10, on se rend
compte que, dans vos éléments, il n'y en a pas beaucoup qui vous
favorisent. C'est bien évident qu'il y a une considération
économique lorsque vous dites que la moitié des jeunes quittent.
Évidemment, je présume que la justification première,
c'est qu'il n'y a pas d'emplois. En ce sens, c'est bien. De plus, le nombre de
naissances est très peu élevé. Évidemment, on en a
parlé ce matin. Je crois que c'est chez les anglophones que le taux de
fécondité est le plus bas. Troisièmement, il y a une
diminution sérieuse du nombre d'immigrants. C'est sûr que,
nonobstant le jugement Boudreault, il y a trois semaines -le gouvernement du
Québec est allé en appel - au niveau de l'affichage, entre
autres... Mais jusqu'à tout récemment, pour les anglophones des
autres provinces du Canada, ce n'était pas nécessairement
incitatif de venir au Québec, ne serait-ce que pour leurs enfants qui ne
pouvaient pas aller à l'école anglaise. Les gens
âgés, on le vit tous: concentration...
J'en arrive au niveau de vos écoles... Vous dites que, depuis une
dizaine d'années, il y a eu environ 50% de baisse de clientèle.
J'aimerais savoir de vous si, encore une fois, comme justification de cela,
avant les lois linguistiques, les francophones de cette région
envoyaient leurs enfants à l'école anglaise pour apprendre
l'anglais, ce qui n'est pas méchant en soi.
Mme Goodfellow: Je suis certaine qu'il y en avait qui le
faisaient, mais également et depuis toujours les membres de notre
communauté ont envoyé leurs enfants dans les écoles
francophones.
(17 h 30)
M. Dauphin: Ensuite de cela, bien sûr, vous prônez et
proposez, malgré que ce soit difficile d'application régionale -
il faut que ce soit provincial - la clause universelle pour les immigrants
internationaux, concernant l'envoi des enfants à l'école
anglaise. "Free choice".
Mme Goodfellow: Non, ce n'est pas le libre choix.
M. Dauphin: Non, non, la clause universelle pour les
immigrants.
M. Mackenzie: Ce n'est pas cela que nous avons
suggéré. La position de notre association était surtout de
favoriser les immigrants en provenance des pays d'expression anglaise comme les
États-Unis. Nous n'avons pas parlé d'une clause universelle. Nous
avons favorisé l'intégration des anglais aux écoles
anglophones.
M. Dauphin: Des pays d'expression anglaise.
M. Mackenzie: Oui.
Mme Goodfellow: Oui, c'est cela.
M. Dauphin: Un dernier point, M. le Président ou
vice-président, président dans les circonstances... On a
parlé abondamment ce matin que l'immigration au Québec
était surtout interprovinciale, canadienne. C'est un peu l'aboutissement
de mon raisonnement de tantôt. Selon vous, comme conclusion, en
permettant aux immigrants de pays d'expression anglaise l'accès à
l'école anglaise, ne serait-ce pas l'une des façons d'augmenter
la population de votre région?
M. Mackenzie: Dans notre situation régionale surtout.
Comme nous l'avons démontré, nos liens historiques sont avec la
Nouvelle Angleterre. Nous avons démontré aussi, dans notre
mémoire, que presque la moitié des immigrants qui se situent dans
les Cantons de l'Est sont d'origine des États-Unis. Si ma mémoire
est fidèle, nous avons dit qu'il n'y a que 3% des résidents des
cantons qui sont nés à l'extérieur du Québec.
Presque la moitié de ces personnes-là viennent des
États-Unis. Pour nous, l'accès à nos écoles par les
personnes d'expression anglaise, surtout les Américains, je ne pourrais
pas dire que cela va résoudre nos problèmes, mais cela va au
moins les régir.
Le Président (M. Champagne): Merci. M. le
député de Vachon.
M. Payne: Je vous souhaite la bienvenue. Je m'excuse d'être
un peu en retard. On avait une discussion bien intéressante ce matin sur
les tendances migratoires internationales et interprovinciales. J'essaie de
déterminer s'il y a des conditions pertinentes au milieu anglophone de
l'Estrie qui font en sorte que cette communauté est favorisée ou
défavorisée par rapport à la situation du Québec en
général. Je ne suis pas convaincu qu'on a des problèmes
particuliers qui pourraient substantiellement être réglés
par une politique autre qu'une politique nataliste. Je m'explique. Je
demanderai peut-être à Mme Marjorie Goodfellow ou à M.
Mackenzie de commenter. Est-ce que, en apportant quelques modifications
administratives ou même législatives, comme par exemple à
la loi 101 - vous avez mentionné en passant la question de l'affichage,
également l'accès aux écoles anglaises - pensez-vous que
quelques modifications de ce genre-là - je ne me prononce pas
là-dessus pour le moment -auraient pour effet de modifier les mouvements
migratoires vers l'Estrie ou hors de l'Estrie? De 1971 jusqu'à 1981 les
anglophones de l'Estrie sont passés de 50 000 à environ 47 000,
ce qui constitue une évolution moins favorable que celle qu'a connue la
communauté anglophone de Montréal.
Mme Goodfellow: Oui, c'est beaucoup moins favorable. Je...
M. Payne: Non, c'est moins défavorable...
Mme Goodfellow: Défavorable.
M. Payne:... que sur l'île de Montréal. Aussi,
lorsqu'on regarde l'annexe II, Mme Goodfellow, le schéma qu'on y voit
semble un peu alarmiste à première vue. Quand on y regarde d'un
peu plus près, il s'agit essentiellement d'inscriptions dans les
écoles des Cantons de l'Est, mais il y a un certain pourcentage qui
fréquente l'école française. Cela ne signifie pas
nécessairement que tous ceux qui ne sont pas là ont
déménagé ailleurs.
Mme Goodfellow: Non, mais je pense que la situation de nos
écoles dans les communautés est très importante. Nous
avons constaté que, lorsqu'une école ferme dans une
municipalité, la population de cette municipalité
déménage dans un centre où il existe une école
d'expression anglaise. Il est évident que l'existence des écoles
est très importante pour les membres de nos communautés. J'admets
qu'il y a des gens qui préfèrent envoyer, durant un certain
nombre d'années, leurs enfants dans une école d'expression
française, mais il ne faut pas croire que c'est la grande
majorité des parents qui le font.
M. Payne: Disons de toute façon qu'il est important de
souligner qu'ils ne perdent pas leurs droits du fait qu'ils envoient leurs
enfants à l'école française, c'est sûr.
Mme Goodfellow: Excusez-moi. Je pense qu'il faut aussi souligner
que c'est très important de constamment améliorer la
qualité de l'enseignement du français langue seconde dans les
écoles. Je pense que nous pouvons être fiers des efforts de nos
commissions scolaires. Il faut toujours souligner que c'est important de
fournir l'argent pour améliorer la qualité de
l'éducation.
M. Payne: C'est remarquable chez les gens de l'Estrie, ils ont
toujours eu une grande tradition d'intégration, de libre échange
et de pourparlers avec les francophones. De plus, votre propre association a
été le grand témoin de la bonne foi dans les
communications à tous égards avec le milieu francophone. On a
connu, M. Mackenzie et moi, quelques défis dans le passé dans une
autre partie du Québec, là où on avait beaucoup plus de
préjugés. Il y a plusieurs années, on avait eu beaucoup de
difficulté pour, à la fois changer les politiques du
Québec en matière
d'enseignement du français langue seconde, c'est-à-dire
introduire les cours qui auraient comme effet d'aider les infirmières
à apprendre le français avec un certain succès - cela a
quand même pris un changement de politiques administratives du
ministère de l'Éducation - et, d'autre part changer l'attitude
des infirmières en question.
Ma question principale demeure: Est-ce que la situation des anglophones
de l'Estrie est particulière? N'est-il pas vrai plutôt - et c'est
mon hypothèse - que le problème de fond est un problème
nataliste? C'est ce que les démographes nous ont dit, à toutes
fins utiles, ce matin. Le message principal était que, oui, vous pouvez
affecter positivement ou accroître, si vous voulez, l'immigration
internationale. Vous pouvez stopper en partie, si vous voulez,
l'émigration interprovinciale de ceux qui quittent le Québec pour
aller dans les autres provinces, comme ils quittent l'Ontario pour aller vers
l'Ouest également. Mais ils ont dit qu'en fin de compte, sans politique
nataliste formelle et agressive, on ne peut pas tellement affecter la
situation.
Mme Goodfellow: Je veux dire que nous partageons tous les
problèmes de la majorité de notre région,
c'est-à-dire les personnes d'expression française, mais nos
problèmes sont toujours accentués pour des raisons linguistiques,
même si nous comptons parmi nous des gens bilingues et de plus en plus
des jeunes bilingues. Nous en sommes très fiers. Mais il y a toujours
des problèmes accentués chez nous pour des raisons linguistiques
et je pense que M. Mackenzie veut ajouter quelque chose.
M. Mackenzie: Je pense que vous avez raison, mais si vous avez
remarqué les tableaux que nous avons présentés sur la
répartition de notre population selon les groupes d'âge, il est
bien évident qu'il y a quelque chose comme 18% de notre population qui
se situe dans les années de fécondité. Je ne crois pas
qu'un programme pour augmenter la fécondité de la population
toucherait grandement la population de l'Estrie. Nous devons chercher ailleurs
la solution de nos problèmes. En ce sens, nous avons parlé d'une
meilleure performance économique, d'un accueil plus favorable aux
immigrants d'expression anglaise, d'un programme de création d'emplois,
tous ces autres genres d'activités qui peuvent peut-être nous
aider. Ce n'est sûrement pas dans notre population, dont un
cinquième se trouve au-delà de 65 ans, qu'un programme de
fécondité va faire quelque chose.
M. Payne: Je pense qu'il y a quelques éléments dans
le projet de loi 3, le successeur du projet de loi 40, qui vont faire en sorte
de favoriser une distribution des écoles plus équitable
qu'actuellement; aussi, cela va aider énormément la
communauté anglo-catholique de l'Estrie, qui n'a jamais eu de droits. Ne
parlons pas de droits constitutionnels: elle n'avait pas de droits, parce qu'il
n'y avait pas de ressources... C'est-à-dire qu'il n'y avait pas de...
Comment dit-on? Pas des ressources. Il n'y avait pas d'accès, il n'y
avait pas d'écoles où les droits constitutionnels...
Mme Goodfellow: Elles ne sont pas très nombreuses, en tout
cas. Il y en a quelques-unes, mais elles ne sont pas très
nombreuses.
M. Payne: J'avais une toute dernière considération.
Que je sache, il n'y a pas de politique d'accueil au ministère de
l'Immigration qui favorise davantage une région plutôt qu'une
autre. Il y a des conseillers qui sont habilités à conseiller,
mais c'est plutôt un conseil passif, dans le sens que c'est
accordé comme conseil sur demande. Mais lors de certaines vagues
d'immigration, par exemple lorsque les réfugiés sont venus en
1972 de l'Ouganda, il y avait une politique pour les accueillir dans tout le
Québec; il y avait même, pas des quotas, une politique d'accueil
favorisant leur intégration dans différents milieux du
Québec et cela a très bien fonctionné.
Je ne pense pas qu'à l'heure actuelle il y ait une politique qui
donne un encouragement à un certain coin du Québec par rapport
à un autre. Peut-être que cela devrait être une petite
modification à notre politique d'accueil qui pourrait être
intéressante. Vous aviez quand même 26 000 immigrants sur le plan
international l'année dernière seulement. Bien sûr, la
vaste majorité est francophone, mais il y a aussi des anglophones venant
des États-Unis. Avez-vous des commentaires, M. Mackenzie?
M. Mackenzie: Je pense que je n'ai rien à ajouter. Vous
avez bien exprimé ce qui existe. Je pense que nous avons exprimé
notre désir de voir apporter certaines améliorations et on
souhaite grandement que la commission tienne compte de nos
représentations dans ces démarches. Nous avons toujours l'espoir
de vivre un jour une situation qui répondra mieux à nos
besoins.
Le Président (M. Champagne): Au nom des membres de la
commission parlementaire, Mme Goodfellow, M. Mackenzie et Mme Dow, je vous
remercie beaucoup de vous être présentés à la
commission parlementaire et soyez assurés que les recommandations que
vous avez faites seront prises en considération. Merci.
Mme Goodfellow: Merci.
Le Président (M. Champagne): On demanderait maintenant au
groupe de la
Confédération des organismes familiaux du Québec de
se présenter à l'avant. (17 h 45)
À l'ordre, s'il vous plaît! Mesdames, j'aimerais que vous
vous présentiez, s'il vous plaît.
Mme la présidente ou la porte-parole, votre nom, s'il vous
plaît, et celui des personnes qui vous accompagnent.
Confédération des organismes familiaux
du Québec
Mme Laporte-Dubuc (Denise): Je suis Denise Laporte-Dubuc,
secrétaire générale à la
Confédération des organismes familiaux et je suis
accompagnée par la vice-présidente de la COFAQ, Huguette
Tremblay, de Jonquière, et Marie-Paule Gaudet, administratrice à
la COFAQ et qui est de Montréal. Mme Tremblay va vous faire la lecture
de notre court mémoire; je pense que cela va prendre un quart d'heure ou
vingt minutes, à peu près.
Le Président (M. Champagne): D'accord, nous vous
écoutons.
Mme Tremblay (Huguette): Avant de commencer, M. le
Président, je voudrais vous faire remarquer que je ne lirai pas tout le
mémoire je vais probablement n'en lire que la moitié parce que je
devrai quitter très rapidement, vers 18 heures, et ma compagne va
continuer. Je vous remercie et je vous prie de m'excuser d'avance.
Le Président (M. Champagne): D'accord.
Mme Tremblay: La Confédération des organismes
familiaux du Québec travaille à organiser une
représentation structurée des familles depuis 1971. Notre
"membership" atteint présentement environ 3% d'entre elles et compte des
familles de toutes formes: familles monoparentales, familles d'accueil,
familles biparentales originales ou reconstituées.
La famille, pour nous, est une unité de relations
interpersonnelles primaires avec un caractère de permanence où un
ou des adultes ont charge d'un ou de plusieurs enfants, ou un ou des enfants
ont charge de parents. Nous avons produit une vingtaine de documents,
mémoires, manifestes, interventions en commission parlementaire et avons
organisé fréquemment des colloques et rassemblements où la
famille se retrouve. Nous faisons l'expérience régulière
de consultations de nos membres et notre souci de les respecter nous a
conféré une solide crédibilité au sein des
familles. C'est à titre de porte-parole de nos familles membres, donc a
titre de confédération identifiée à la
représentation exclusive des familles, que nous présentons ce
travail à la commission sur "L'évolution de la population du
Québec et ses conséquences", février 1984.
Depuis la naissance de notre confédération se retrouve au
sein de nos groupes de travail un souci spécial pour les enfants membres
de la famille, ce qui inclut aussi, pour nous, les parents et les
grands-parents. La question de l'évolution de la population, de la
dénatalité comme telle n'est pas notre première
préoccupation, mais notre réflexion sociale sur la famille fait
que nous y touchons constamment par le biais.
De toute évidence, l'évolution démographique, et
spécialement la dénatalité, ne peut être a priori un
thème privilégié par des familles regroupées ou par
des personnes. Dans les associations familiales, ce sont les problèmes
spécifiques et individuels qui s'expriment. Le souci par rapport
à un faible taux de naissance relève beaucoup plus de
l'intérêt des démographes ou des hommes de pouvoir. Ces
derniers voient globalement la population et obtiennent les premiers les
savants rapports de recherche. Un organisme à racine populaire comme le
nôtre devient sensibilisé à ces situations
problématiques surtout par les écrits et documents
gouvernementaux. C'est ainsi que nous avons compris tout à coup que
notre réflexion était susceptible d'éclairer le
débat social actuel. Voilà le but de notre participation à
cette commission parlementaire.
Chapitre I, la question de la dénatalité. Nous sommes loin
d'être certains qu'il y ait quelque possibilité pour un
gouvernement d'agir sur le nombre de naissances. Nous n'avons donc pas la
prétention d'apporter des explications sécurisantes ou de
permettre de comprendre ce phénomène global d'une
subtilité mystérieuse. Surtout, nous ne tenterons pas de formuler
des solutions miracles. Cependant, nous oeuvrons au sein et avec un nombre
très important de familles du Québec. Nous travaillons donc jour
après jour depuis presque quinze ans dans ce milieu où le nombre
d'enfants est planifié au sein de la communauté familiale qui les
reçoit à la naissance et qui marque profondément les
futurs citoyens. Dans ce milieu où nous avons la chance d'oeuvrer, nous
entendons la clameur, l'expression des problèmes et les revendications
à acheminer aux législateurs. Ce que nous entendons rejoint en
maintes façons le contenu et les analyses de l'excellent document sur
lequel nous réagissons. Les adultes, les personnes, hommes et femmes,
veulent ou voudraient des enfants. Ils en veulent moins qu'autrefois, il n'y a
aucun doute là-dessus, mais ils en souhaitent et réalisent leurs
aspirations si les circonstances environnantes le leur permettent.
Quelques éléments d'analyse. Certains aspects peuvent
éclairer la question de la dénatalité. Il y a, au
Québec, une crise au niveau du couple, du mariage surtout et une
crise au niveau de la famille. Selon nous, il peut y avoir là
quelques éléments d'explication du taux de natalité. Nous
en donnons huit: élargissement des attentes face au mariage et à
la vie de couple; de nouvelles exigences sont élargies et ont en partie
remplacé l'éventail des attentes que les personnes investissent
dans le mariage et la vie à deux. Entre autres, il y a maintenant
l'exigence d'une communication profonde, d'une relation
privilégiée et riche, respectant l'autonomie des partenaires vus
plus souvent qu'autrefois comme des personnes en devenir et en
évolution.
Anomie et aspirations. Nous vivons actuellement une période
transitoire anomique où les normes informelles de comportements sociaux
sont en voie de redéfinition. Cette recherche, où on retrouve des
tenants, des habitudes d'autrefois et des habitudes nouvelles, et où les
uns et les autres évoluent rapidement, n'inhibe pas, selon nous,
l'aspiration à la paternité et à la maternité.
D'ailleurs, des enfants naissent toujours au Québec. L'aspiration
demeure intacte, mais le passage à la réalisation concrète
d'aspirations peut être fortement influencé par les conditions
sociales. Ainsi, le choix de mettre un enfant au monde peut être l'objet
d'une démarche plus longue, plus laborieuse, plus angoissante. Certains,
devant la difficulté, vont remettre à plus tard, peut-être
jusqu'à ce qu'il soit trop tard.
Redéfinition des rapports humains. Nous sommes à
redéfinir la nature d'un certain nombre de rapports! rapport de la
personne à son et à ses groupes d'appartenance individualisme
versus un certain coopératisme - rapport homme et femme -
égalitarisme économique entre autres - rapport parents-enfants -
l'autorité parentale ne fait plus foi de tout.
L'absence de projet de société au Québec. L'anomie
décrite ici dépasse largement les frontières du
Québec. Cependant, au Québec, il y a plus. Nous n'avons pas de
projet de société. Sur ce point, même les couples, les
familles et les groupes d'appartenance sont profondément divisés.
II faut une bonne qualité de communication pour que cette anomie puisse
se vivre sans davantage de rupture.
Nouvelles attitudes des familles. Nous remarquons qu'il y a une
conscience très aiguë chez les couples et dans les familles de
pénalisations et ou des avantages fiscaux et économiques
entraînés par diverses situations sociales liées au mode de
vie choisi. Par exemple: unions de fait qui garantissent certains avantages
fiscaux, cohabitation officieuse et séparation fictive du couple,
ménage blanc d'étudiants voulant acquérir le statut
d'autonomes pour obtenir un prêt ou une bourse d'études, etc.
Les familles sont conscientes des différentes formes de familles
ou groupes communautaires qu'il faut bâtir pour avoir droit à tel
ou tel bénéfice. La fiscalité particulièrement a
été pensée en fonction de comportements conjugaux et
familiaux d'un autre âge. Elle s'inspire d'une idée des rapports
hommes-femmes qui ne prévaut plus comme autrefois.
Incohérence des orientations gouvernementales. Le système
fiscal et les programmes sociaux témoignent très clairement de
l'absence de consensus de fond sur des grandes questions. Par exemple, notions
de couple et de la famille, notions basées sur l'union officielle
seulement ou sur l'union de fait aussi, familles liées par le lien
intergénérationnel en général ou liées par
la présence d'enfants mineurs seulement.
Dévalorisation sociale pour les parents. Du point de vue
familial, nous nous apercevons qu'avoir des enfants, être parents,
être chef de famille, ne confère pas de prestige social, au
contraire. Les adultes qui font ce choix de mettre des enfants au monde peuvent
être l'objet de la risée de leurs compagnons de travail, par
exemple. Ils sont régulièrement laissés pour compte par la
société en général sauf peut-être dans les
restaurants McDonald où les enfants abondent et où on sent bien
qu'ils ont leur place. Ceux-là ont compris ta psychologie des familles
et en font leur bénéfice.
L'enfant n'a pas vraiment sa place dans notre société. En
général, il n'y a pas d'espace pour les enfants - habitations
familiales très rares - la société n'est pas
organisée pour les recevoir. Les parents ont peu de support social -
petit nombre d'associations familiales - ils ne peuvent éduquer leurs
enfants comme ils ont appris à le faire et ils se retrouvent devant
rien. Ils n'ont pas de modèle commun auquel se référer. On
leur dit d'être eux-mêmes mais cela ne se fait pas en un jour.
La natalité dans ce contexte. Le besoin de faire
l'expérience de la vie de couple et de mettre des enfants au monde est
malgré tout fort et profondément inscrit dans les aspirations des
jeunes et des adultes. Cependant, l'insécurité du contexte et la
situation anomique entraînent inévitablement une diminution du
nombre de naissances. On sait que la naissance d'un enfant peut être
perçue comme un ciment entre les partenaires, un point d'attache commun
et convergent, comme un élément de permanence nécessaire
et tout, autour, semble précaire, incertain et temporaire.
La question des motivations sous-jacentes. Les motivations qui
amènent Ies personnes, les couples à s'entourer d'enfants,
peuvent être complexes. Nous avons tous entendu au hasard l'expression a
posteriori des motivations qui ont conduit à la naissance d'un enfant:
Aide sur la ferme, aide économique plus tard, sécurité
pour la vieillesse, obéissance au diktat religieux,
briser la solitude individuelle, perpétuation du nom,
perpétuation de la race, concrétisation de l'amour du couple,
pour rendre permanent l'amour du couple, s'attacher le conjoint, etc.
(18 heures)
Certaines de ces motivations ne sont plus pensables aujourd'hui et nous
n'en savons pas beaucoup sur les motivations maintenant. Pourtant et
malgré tout, nous entendons l'expression de l'aspiration des gens
à avoir des enfants. Malheureusement, cette expression s'accompagne de
la liste des inconvénients et des problèmes qui s'y
rattachent.
Chapitre II, avec ma compagne.
Mme Gaudet (Marie-Paule): Notre hypothèse.
L'hypothèse que nous voulons apporter et que nous croyons de nature
à améliorer la problématique de la
dénatalité est une politique familiale globale pouvant constituer
l'essence d'un projet de société. Cette proposition rejoint deux
objectifs majeurs pour nous. Elle peut constituer le pivot d'un projet de
société. On sait que la valeur "vie familiale" a
été choisie par 90% de la population au Québec. Elle peut
possiblement, en transformant les conditions de vie des familles, créer
un climat d'acceptation de l'enfant qui rende possible à ceux qui y
aspirent d'avoir le nombre d'enfants désirés.
Justification de notre choix. En fait, notre préoccupation n'est
pas nataliste, elle est avant tout familiale. Notre raisonnement est le suivant
et constitue, d'une certaine façon, une liste "d'étant
donné" à notre proposition d'une politique familiale globale au
Québec.
En 1984, des enfants naissent encore au Québec. Ils naissent dans
ce qu'on appelle une famille, peu importe sa forme. Ce sont les familles qui
ont la responsabilité économique, légale et psychologique
des enfants. Nous ne sommes pas sur le point de choisir collectivement que les
enfants appartiennent à l'État sitôt leur naissance. Nous
ne sommes pas sur le point de donner nos enfants à l'État. Nous
lui confions nos enfants dans le système scolaire et certains, une
minorité, acceptent de les confier très jeunes à la
garderie, mais c'est tout.
Il y a un consensus social facile autour des idées, que c'est la
famille qui constitue le groupe d'interaction où s'effectue la
première socialisation, que cette socialisation unique est
déterminante pour le citoyen, l'écolière,
l'étudiant, la travailleuse, l'homme et la femme d'affaires, le
scientifique, le juriste, etc. Il y a là une fonction officielle de la
famille. La famille ne peut plus être livrée à
elle-même, seule à se débattre dans une
société anomique.
Un projet de société devrait rejoindre les valeurs
profondes des citoyens. Or, la vie familiale est justement l'une de ces
valeurs. Un projet de société s'inscrit dans un sentiment
d'appartenance. Il s'inscrit dans l'idée de solidarité sociale et
non pas sur l'idée d'un éparpillement des individus comme on le
prônait dans les dernières années.
La famille est le milieu électif des solidarités
vécues et expérimentées continuellement. Elle est le
milieu de l'apprentissage essentiel à la solidarité sociale et le
creuset où s'édifie ou non le sens de la
responsabilité.
La politique familiale globale. Pourquoi "globale"? Plus que jamais, la
COFAQ clame qu'il faut une politique familiale globale au Québec. Nous
disons "globale" parce qu'il s'agit d'une politique horizontale, englobant tous
les ministères. Cette approche, pourtant indispensable, peut poser en
soi un problème, mais nous la maintenons. Actuellement, il n'y a pas
d'instance gouvernementale, à part le premier ministre, qui a la
possibilité d'élaborer cette politique familiale globale, puisque
aucune instance ne peut subordonner tous les ministères. Le ministre
responsable d'un tel projet pourra toujours être débouté
par un collègue ministre qui veut sauvegarder sa juridiction et bloquer
l'information nécessaire. Le ministre responsable ne sera qu'une voix
parmi les autres voix des ministres au Conseil des ministres. Tous les
ministres opposés au projet pourraient bloquer indéfiniment le
projet en utilisant la structure gouvernementale actuelle.
La politique familiale ne peut qu'être globale. Elle doit
comporter une réforme de la fiscalité. Le redressement est urgent
si on veut profiter un tant soit peu des effets du "baby-boom" sur le taux de
natalité. Elle touchera tous les ministères, notamment le
ministère des Affaires sociales, du Loisir, de l'Éducation, de la
Main-d'Oeuvre et du Travail, de l'Habitation, etc. Nous disons que la politique
familiale doit être suffisamment globale pour constituer l'essentiel du
projet de société pour que cesse la pénalisation actuelle
des familles et la dévalorisation sociale qui entache ceux qui ont des
enfants. Il faut qu'elle soit globale pour qu'elle ait juridiction sur tous les
ministères. Nous ne souhaitons pas une dictature de la famille sur tous
les secteurs de la société et des activités
gouvernementales. La politique familiale ne peut non plus se faire au
détriment des désirs légitimes des femmes. Nous ne
souhaitons pas une pénalisation de ceux qui n'ont pas d'enfants. De
même, nous ne revendiquons pas qu'une politique familiale soit
réalisée à l'intérieur d'une année.
Les principes de cette politique. Un encadrement idéologique est
nécessaire. D'abord, il nous faut accepter l'idée que
l'État a le devoir d'intervenir pour aider les familles, pour
sauvegarder leur autonomie aussi. La famille doit demeurer et être
proclamée la première responsable des
enfants. Cependant, l'État doit fournir des conditions sociales
décentes pour tous ceux qui ont des enfants. La première
responsabilité de l'État est d'élaborer cette politique
d'ensemble pour la famille. Une politique familiale globale suppose la
poursuite de l'organisation du mouvement familial, c'est-à-dire la
syndicalisation des familles, le regroupement des familles en association, ceci
pour une double visée. La structuration de la solidarité commande
la solidarisation des familles qui peuvent ainsi disposer de support,
d'entraide, d'appartenance.
Les familles doivent également pouvoir parler pour
elles-mêmes. La politique familiale ne peut être définie
uniquement par les femmes, par les jeunes, par les hommes. Elle doit
essentiellement être pensée par des familles organisées et
de toutes formes. La politique familiale doit, comme le souligne le travail sur
l'évolution de la population, respecter la liberté de choisir des
familles. Choisir d'aller ou non sur le marché du travail pour la
mère, de mettre ou non les enfants en garderie ou en garde en milieu
familial ou ailleurs. Les services de garde sont un droit de toutes les
familles, peu importe le motif de garde. Leur développement ne doit pas
être lié uniquement à la venue de la mère sur le
marché du travail. Il y a actuellement un énorme rattrapage pour
faire de la place aux chargés d'enfants dans notre
société. Nous avons laissé se dégrader tellement la
situation que nous avons peine à raccommoder les pots cassés.
Exemples; le nombre d'enfants en famille d'accueil, la délinquance, le
pourcentage des divorces, les crises familiales, la violence dans la famille.
Pourtant, malgré ces contraintes, il est primordial que la politique
familiale ait une préoccupation de prévention.
Par où commencer? Nous souhaitons que le gouvernement du
Québec tienne la promesse qu'il a faite avant son élection. Dans
le peu de temps qu'il reste avant les prochaines élections, un certain
nombre de gestes peuvent quand même être posés -pour la
première, je vous ferai remarquer que lors de la rédaction du
mémoire, le livre vert n'avait pas été
déposé à ce moment-là: 1. Convocation par le
gouvernement d'un événement majeur échelonné sur
plusieurs jours, devant être couvert par les médias où se
diront les principaux enjeux d'une politique familiale globale, ce que c'est,
ce que ce n'est pas, la nouvelle conception de la famille, les principes
à sauvegarder, le point de vue des familles organisées, l'impact
sur le monde du travail, sur la fiscalité, sur les services sociaux, sur
le système scolaire et les loisirs, ce qu'en pensent les regroupements
de femmes, les groupes d'hommes, de jeunes, de personnes âgées,
etc. 2. Écouter dans un deuxième temps la réaction de la
population. Nous présumons sans aucune gêne une réaction
plus que positive. 3. Proclamer l'intention gouvernementale de poursuivre et de
favoriser l'implantation d'une philosophie familiale dans toutes les politiques
gouvernementales. 4. Procéder rapidement à la mise en place d'une
structure ayant le mandat et les pouvoirs de surveiller l'impact de toute
législation sur la vie familiale, de réformer la
législation actuelle lorsqu'elle va dans un sens contraire au bien de la
famille, de poursuivre l'élaboration d'un projet de politique familiale
et d'obtenir des ministères concernés les informations et
supports nécessaires à la réussite du projet. 5.
Reconnaître la nécessité, tant pour le bien des familles
elles-mêmes que pour la poursuite du projet gouvernemental, de
l'existence du mouvement familial organisé, c'est-à-dire une
syndicalisation des familles.
Conclusion. Depuis de nombreuses années maintenant, nous
défendons nos objectifs familiaux. Soudain, nous prenons connaissance de
l'évolution de la population au Québec et de ses
conséquences. Cette lecture nous confirme la justesse de nos choix et la
claivoyance qui a été la nôtre. C'était à
prévoir, il y a dix ans déjà. Pourquoi faut-il toujours
que la situation se dégrade au point d'être dramatique pour que
l'action s'engage? Aujourd'hui, nous de la COFAQ disons: nous nous sentons
pressés, terriblement pressés. Il nous faut une politique
familiale globale au Québec et les familles doivent en
bénéficier tout de suite. Actuellement, les enfants du
"baby-boom" d'après-guerre avancent rapidement en âge. Ils
devraient être la génération privilégiée
à laquelle on offre pour la première fois une politique
d'ensemble pour les familles.
La dénatalité inquiétante du Québec ne
pourrait-elle pas constituer à très court terme l'aiguillon qui
fasse prendre conscience aux opposants à la politique familiale
(ministres gouvernementaux et autres) qu'il y a quelque chose qui ne va plus
dans le secteur de la famille? Notre intervention est une sorte de cri
d'alarme. Cependant, nous sommes suffisamment nombreux et nous le sommes depuis
assez longtemps pour être convaincus que nous avons raison. Il faut doter
le Québec d'une politique familiale globale pour que l'action des
différents ministères soit unifiée et cohérente par
rapport à la famille et pour qu'elle constitue l'essence du projet de
société dont le Québec a un grand besoin.
Le Président (M. Champagne): Voici, je fais une principale
remarque au point de départ. C'est bien sûr que la commission
devait siéger en septembre ou octobre. Vous
avez présenté votre mémoire à la fin du mois
d'août et depuis ce temps, comme vous l'avez souligné, a paru un
document de consultation sur la politique familiale. Vous l'avez
désiré, c'était en marche et, actuellement, le livre vert
pour les familles québécoises fait l'objet de consultations
régionales au moment où on se parle. Espérons que ces
consultations aboutiront à un projet de loi, comme vous le
désirez et comme nous le désirons, ou à des politiques qui
vont favoriser la famille.
Depuis ce temps, nous avons eu aussi le livre blanc sur la
fiscalité et, dans ce livre blanc, la politique qui favorise la famille,
je pense, est élaborée aussi. Depuis ce temps, nous avons
adopté la loi 3 sur le système scolaire, un système qui
fait en sorte que l'école devient le milieu de vie et c'est une
école communautaire et responsable. Enfin, on fait notre possible. C'est
bien sûr que votre mémoire, je le prends aussi comme une
espèce de cri d'alarme parce que vous avez des passages qui nous font
parfois frissonner lorsque vous parlez de la dévalorisation sociale pour
les parents, la dévalorisation d'être chef de famille,
d'être même père ou mère de famille. Je pense
qu'aujourd'hui, dans mon milieu, cela ne fait, quand même pas la
risée des compagnons de travail que de dire: Nous allons avoir des
enfants. En tout cas, je ne sais pas, je n'ai pas vécu ces
réprobations. N'empêche que c'est une bonne chose que les
gouvernants soient saisis... Lorsque vous parlez d'habitation familiale, je
pense que c'est notre responsabilité, et que votre cri d'alarme soit
entendu de la façon dont vous l'avez fait, nous le respectons et nous
espérons trouver aussi des solutions à cette situation.
Madame, je voudrais parler d'un élément dont vous faites
mention à la page 17, soit l'existence d'un mouvement familial
organisé, c'est-à-dire d'une syndicalisation des familles. Est-ce
que vous avez déjà élaboré quelque chose au sujet
d'une future syndicalisation des familles? Qu'est-ce que vous entendez par une
syndicalisation des familles?
Mme Gaudet: Je laisserai Mme Laporte-Dubuc répondre
à cette question.
Le Président (M. Champagne): Mme Dubuc.
Mme Laporte-Dubuc: Ce qu'on appelle une syndicalisation, c'est un
peu une image parce que c'est bien sûr que les familles membres des
mouvements familiaux ne veulent pas être des syndicats ou
identifiées à l'action syndicale telle qu'on la connaît,
mais une syndicalisation avec des moyens propres qui collent aux aspirations
des familles pourrait être un terme approprié. Actuellement, il y
a déjà un embryon de mouvement familial au Québec par le
biais des associations familiales qui ont pris naissance dans Ies années
1939-1940 et il y a eu un essor particulier entre 1964 et 1967 et 1968.
Après cela, la démarche naturelle a été de se
regrouper en confédération. Donc, il y a déjà un
embryon. On ne voudrait pas être totalitariste et dire qu'il devrait y
avoir juste une confédération, mais à l'instar de ce qui
existe en Belgique et en France où il y a de bons mouvements familiaux
qui représentent peut-être 4% ou 5% de la population en France et
en Belgique 25% de leurs bassins regroupables, on peut avoir l'ambition - et
c'est l'ambition réelle qu'on a - de préparer l'avènement,
au Québec, d'un mouvement familial qui ira jusqu'à une
représentation de 20% et 25% des familles, les familles étant
entendues, évidemment, comme familles de toutes formes. Ce n'est pas
obligatoirement une notion de famille traditionnelle, mais c'est le milieu
où l'enfant grandit en 1985. (18 h 15)
II y en a déjà et c'est la multiplication. Le
problème pour l'existence d'un mouvement familial, c'est qu'il n'y a pas
de formule Rand - comme on l'appelle -ou il n'y aura pas quelque chose qui
permettra de retirer à la base des cotisations. Le problème,
c'est le financement des organismes familiaux. Les familles qui s'engagent dans
le mouvement familial reçoivent... Enfin, il s'agit de savoir ce qu'on
entend par recevoir, mais en apparence, tel qu'on le conçoit
actuellement, elles ne reçoivent pas de service. Ce sont des familles
qui, bénévolement, sont appelées à travailler, donc
à donner dans ce qu'on comprend spontanément comme donner et
recevoir. Donc, on demande des choses aux familles et il serait très
difficile - bien qu'on le fasse - de le faire sur une base importante. On ne
peut pas demander de payer les familles et les coûts qu'entraîne
l'organisation d'un mouvement familial. C'est ce qu'on veut dire quand on parle
de favoriser. Il y a déjà des subventions. On existe à
cause des subventions. Il faudra, dans une optique familiale, que le
regroupement des familles soit favorisé de façon plus
systématique pour qu'il y ait une bonne représentation des
familles.
Le Président (M. Champagne): Madame, il y a un autre
élément. Il y en a qui disent au sujet de la
fécondité: Si on a une situation économique bonne, si on a
le plein emploi, cela peut favoriser. Est-ce que votre organisme s'est
déjà penché sur certains remèdes, que ce soit le
salaire à la femme au foyer, que ce soit peut-être la mise sur
pied de garderies, que ce soit peut-être des allocations familiales plus
généreuses pour le troisième ou le quatrième
enfant? Est-ce que vous privilégiez une certaine politique
pronataliste? Est-ce qu'on pourrait en savoir davantage sur vos opinions
là-dessus?
Mme Laporte-Dubuc: D'abord, on fait une distinction très
claire - je suis heureuse d'avoir l'occasion de l'expliquer - entre la
politique nataliste et une politique familiale. La politique nataliste - c'est
ce qui existe en France, pour ceux qui connaissent - s'est surtout axée
sur le transfert de subventions directes liées à la naissance
d'un enfant. Cela favorise la naissance d'un nombre plus élevé
d'enfants, tandis qu'une politique familiale n'a pas comme objectif d'augmenter
le nombre d'enfants. Elle a comme objectif de garantir des conditions sociales,
une qualité de vie. Elle est basée sur un aspect qualitatif;
donc, ce n'est pas du tout dans une optique nataliste. On pense qu'actuellement
- M. Henripin a cette croyance, c'est bon d'aller chercher des appuis - il y a
au Québec des gens, à cause du contexte de dévalorisation
- ce n'est pas exagéré, l'image de dévalorisation qu'on a
donnée - qui freinent leurs envies ou leurs aspirations, qui retardent
la naissance de leur enfant, qui font des choix. D'ailleurs, je l'ai entendu
dire justement par les statisticiens. C'est la distinction qu'on fait
actuellement. On pense qu'une politique familiale aura un impact indirect sur
le taux de natalité en permettant à ceux qui aspirent à
avoir des enfants de les mettre au monde, ces enfants, à un moment
où ils sont assez jeunes pour les mettre au monde aussi. C'est un
aspect.
L'allocation de disponibilité, les allocations familiales,
l'analyse de fiscalité, ce sont tous des sujets qui sont à
l'étude chez nous et on a même un mémoire actuellement. On
va aller en commission parlementaire sur le livre blanc de M. Duhaime et on va
avoir des positions. Jusqu'ici, la réflexion n'est pas finie. C'est
à l'étude et, chez nous, les études, avant d'être
rendues publiques, doivent aller à la consultation de nos membres parce
qu'on est un organisme représentatif. On ne peut pas se prononcer, on va
avoir tout de suite un feed-back qui va nous remettre à l'ordre si on le
fait. Il faudra que ce soit précédé d'une étape de
consultation. Actuellement, notre orientation ne va pas dans le sens d'une
allocation de disponibilité; elle va plus dans le sens d'une
réforme de la fiscalité et de regarder l'ensemble: les exemptions
d'impôt, Ies allocations familiales, un peu comme le livre blanc l'a
fait, mais on le fait encore dans une optique plus large par rapport à
la famille.
Sur les allocations familiales, on a une position. On dit qu'il faut
absolument que l'État reconnaisse les coûts qui sont
rattachés à la présence d'enfants, surtout la
première année. Par rapport au montant croissant lié au
nombre, on dit que tous les enfants doivent être considérés
de façon égale par l'État; donc, le premier doit avoir le
même montant que le troisième ou le quatrième. D'ailleurs,
il y a une chose, que les familles notent: c'est toujours le dernier enfant de
la famille qui disparaît, quand il atteint 18 ans. C'est celui qui donne
le plus d'argent à la famille qui est enlevé; le deuxième
devient le premier, le troisième devient le deuxième. Les
allocations familiales diminuent d'année en année. La somme
globale que l'État donne aux familles en allocations familiales diminue
actuellement d'année en année. Donc, il y a une perte
régulière de la part des familles pour les transferts auxquels
elles avaient droit les années précédentes.
Le Président (M. Champagne): Si je comprends bien, vous
voulez une politique familiale qui favorise réellement la famille et
l'épanouissement à la fois des enfants et des parents, et
à partir de cela, on pensera peut-être justement à faire
d'autres enfants.
Mme Laporte-Dubuc: J'ai envie de vous donner un exemple. On a
fait en 1982 une série de 15 colloques à travers la province.
Pour vous montrer, par un exemple concret, la dévalorisation, il y a
deux femmes, une à Chicoutimi et une à Montréal, qui sont
venues faire des témoignages lors des colloques. À
Montréal, une femme qui a eu son bébé avec elle toute la
journée a dit: Je suis une travailleuse sociale. Il y a cinq ans, j'ai
décidé de quitter mon travail pour élever mes enfants. Cet
enfant est le quatrième que je mets au monde et je suis venue vous dire
publiquement ce qu'on m'a dit quand j'ai décidé de mettre ce
quatrième enfant au monde. Elle a dit: Pour mon premier enfant, il y
avait une demande de la société. Ce sont des normes informelles
que les gens expriment volontiers quand on leur donne le droit de parole. On
nous disait: Quand est-ce qu'il va arriver, le premier? Au deuxième,
c'était la pédale plus douce par rapport à la demande. Au
troisième, ils ont commencé à se faire dire: Vous avez du
courage. Au quatrième, elle s'était fait dire par ses
confrères qu'elle n'avait pas de conscience sociale de mettre un
quatrième enfant dans la société telle qu'on la
connaît, qu'ils étaient décidés. Même, il y
avait des quolibets: Est-ce que vous faites autre chose que cela? Enfin, des
choses de même. Il y a une dévalorisation. C'est arrivé
deux fois et l'expression de cette personne-là témoigne aussi du
vécu d'autres personnes derrière elle.
Le Président (M. Champagne): Merci. M. le
député de Saint-Henri.
M. Hains: Évidemment, vous parlez surtout de politique
familiale. On dirait que vous vous défendez un peu de ne pas vouloir
faire de politique nataliste. Vous nous dites même au tout
début, dans votre introduction: "Le souci par rapport à un faible
taux de naissance relève beaucoup plus de l'intérêt des
démocrates ou des hommes de pouvoir", autrement dit, que de nous.
Mme Laporte-Dubuc: Exactement.
M. Hains: Comment expliquez-vous cette distinction sur laquelle
vous insistez beaucoup au point de vue familial plutôt qu'au point de vue
nataliste?
Mme Laporte-Dubuc: Nous, on travaille avec des familles et je
peux vous dire que cela serait absolument impopulaire, chez les femmes et les
hommes, l'idée qu'on les incite à avoir des enfants, du point de
vue du nombre, juste parce qu'ils reçoivent des transferts sociaux. En
France, on dit qu'au-delà du cinquième enfant, c'est payant
d'avoir des enfants. Enfin, c'est comme monnayer la naissance, il y a quelque
chose d'irritant pour les familles. Ils vivent une situation sociale -
reprenons le mot -dévalorisante actuellement ou insatisfaisante, mais ce
n'est pas du tout par des transferts de fonds qui sont liés au
troisième ou au quatrième enfant qu'ils le veulent. Ce serait
absolument impopulaire et intolérable dans les familles telles qu'on les
connaît. Par ce qu'on entend dans nos consultations, ce serait absolument
inacceptable.
M. Hains: Quand même, vous ne niez pas la valeur d'une
certaine politique nataliste telle qu'elle existe en France, comme vous le
dites, ou en Europe de l'Est et qui produit quand même des bons
fruits.
Mme Laporte-Dubuc: Je pense qu'il n'y a pas eu de distinction
entre politique familiale et politique nataliste jusqu'ici. En France, cela a
été une politique populiste à partir de la guerre
jusqu'à il y a à peu près quatre ou cinq ans. Mais depuis
quatre ou cinq ans, l'évolution de la pensée va beaucoup plus
dans le sens d'en faire une politique familiale. En Belgique, c'est une
politique familiale et non pas nataliste. Dans les pays où il y a eu une
réflexion, la distinction entre politique sociale, politique familiale
et politique nataliste est très claire. Quand monsieur a parlé de
l'Allemagne de l'Est et de l'Ouest, en Allemagne, à ma connaissance - je
suis allée en Belgique, en France et en Espagne, mais je ne suis pas
allée en Allemagne - c'est beaucoup plus une politique familiale qu'une
politique nataliste. On m'a dit dernièrement qu'en Autriche il y a une
politique absolument exemplaire et qui est familiale. Dans ces pays, la
distinction se fait. Notre apport aura-t-il été seulement de vous
alerter par rapport à la distinction qu'il faut faire que je pense que
cela aurait été important qu'on le fasse.
M. Hains: On la saisit très bien, d'ailleurs. Vous semblez
penser que, pour un gouvernement, c'est très difficile d'intervenir sur
le nombre des naissances. C'est ce que vous dites, d'ailleurs, au début
de la page 3: "Nous sommes loin d'être certains qu'il y ait quelque
possibilité pour un gouvernement d'agir sur le nombre de
naissances".
Pourtant, cet après-midi, les deux scientifiques qui
étaient avec nous ont prouvé, quand même, qu'il y avait
certainement des possibilités, pour un gouvernement, de favoriser
vraiment une politique nataliste. Est-ce que vous doutez beaucoup de cela?
Mme Laporte-Dubuc: Non. Je l'ai entendu avec beaucoup de
plaisir.
M. Hains: C'est cela.
Mme Laporte-Dubuc: J'avais entendu avant, comme plusieurs d'entre
nous, M. Henripin. M. Henripin a toujours la précaution de dire qu'ils
ne savent pas. Nous, on représente des familles. Vous comprenez bien
qu'on ne va pas se lancer pour aller répondre et régler des
grandes questions comme cela. On n'est pas certain, mais on le postule avec
notre petite expérience, avec le sens commun, avec ce qu'on entend et ce
qu'on recueille comme témoignages des familles. Ce sont des opinions, ce
ne sont pas des recherches qu'on vient vous apporter. Mais je l'ai entendu avec
beaucoup de plaisir.
M. Hains: C'est cela. Il faut quand même faire une
distinction, je crois, entre une crise de la famille et une crise
démographique.
Mme Laporte-Dubuc: Oui.
M. Hains: Cela peut se compléter. Les deux sont en
état de crise, cela est certain, mais je pense qu'il y a une distinction
qui existe, qu'il ne faut pas laisser tomber.
Mme Laporte-Dubuc: Non, mais il y a sans doute un lien entre les
deux.
M. Hains: Très, très intime. Mme Laporte-Dubuc:
Oui.
M. Hains: C'est pour cela qu'en demandant une politique globale
familiale, par le fait même, vous espérez que cela va faire du
bien à la question de la natalité parmi les familles.
Mme Laporte-Dubuc: Oui.
M. Hains: Je pense que c'est en contre-choc et en contrecoup que
vous espérez cela.
Mme Laporte-Dubuc: Oui.
M. Hains: Maintenant, un peu plus loin vous dites, è la
page 14: "L'État doit fournir des conditions sociales décentes
pour tous ceux qui ont des enfants". Je ne reviendrai pas beaucoup
là-dessus, mais voulez-vous nous expliquer peut-être une
dernière fois, encore, ce que vous entendez par avoir des conditions
sociales décentes?
Mme Laporte-Dubuc: Des conditions sociales décentes,
c'est, par exemple, l'élimination de certaines aberrations qui existent
actuellement. Je vais vous en donner quelques exemples. C'est surtout au niveau
de la fiscalité. D'ailleurs, on avait envoyé des documents
à M. Parizeau et on s'est rendu compte qu'il en avait tenu compte. Ce
n'est pas appliqué encore actuellement. C'est peut-être important
que vous le sachiez, vous autres aussi. Prenons deux familles dans une
situation égale, voisines, toutes choses étant pareilles, dans le
même milieu, avec le même revenu. Dans un cas, le revenu familial
provient de deux salaires tandis que, dans la deuxième famille, il
provient d'un salaire. On a fait les calculs. La famille où le revenu
provient d'un seul salaire va être pénalisée par le
système fiscal de 600 $, 700 $, 800 $ simplement parce que,
actuellement, la fiscalité est basée sur un système qui
est... Enfin, je ne veux pas critiquer le système, on ne sait pas
lequel. On peut juste observer la conséquence. De deux familles
voisines, l'une va avoir 800 $ de moins et l'autre va avoir 800 $ de plus,
juste parce que l'imposition se fait selon un taux progressif et que le mari
gagne plus que les deux séparément. Cela, c'est une
aberration.
Je peux vous en donner un autre exemple un niveau du vécu des
familles qui est d'un autre ordre. Tout ce qu'il y a de normes, de
contrôles ou d'évaluation gouvernementale sur les
prématernelles relève du ministère de l'Éducation
et tout ce qu'il y a de normes, de contrôles ou d'évaluation des
garderies relève de l'Office des services de garde. Alors, cela peut
entraîner une famille à mettre l'enfant de deux heures a trois
heures sous la responsabilité et l'évaluation du ministère
de l'Éducation et l'enfant, à partir de 4 heures jusqu'à 6
heures, doit traverser la rue et est soumis complètement à
d'autres normes. Il n'y a pas de coordination du tout entre les deux
systèmes d'évaluation de normes ou d'analyse du gouvernement. Il
y en a comme cela des aberrations. Une autre qui est criante: cela peut
être plus avantageux d'abandonner ses enfants que de les garder. Il y a
même des choses qui circulent entre les familles. Il y a des femmes qui
se sont dit: Bon, je serais mieux de prendre tes enfants en famille d'accueil
et toi, que tu prennes les miens en famille d'accueil et, dans cette situation,
on serait capable d'avoir plus d'aide.
Je vous en donne un autre. Quand un homme divorce, il a droit à
l'exemption de la totalité de la pension alimentaire et, quand il vit
avec sa femme, il a droit à une exemption de base qui est beaucoup
moindre. Voyez-vous, il y en a beaucoup, beaucoup comme cela et les familles en
sont absolument conscientes. L'année dernière, à une
émission à Ottawa, j'ai fait une intervention dans le sens qu'il
fallait une politique familiale et la réaction spontanée d'un
couple qui était là a été: II ne faut pas mettre le
gouvernement dans la maison des familles. Après, nous avons
commencé à donner les aberrations et ie mari a dit à sa
femme: Tu sais, je te l'avais dit quand on a fait notre rapport d'impôt,
ce serait plus avantageux pour nous de divorcer que de vivre ensemble. Tout
à coup, il a dit: Bien oui, c'est vrai. C'est cela, les aberrations.
C'est ce qu'on appelle une situation inadéquate et non favorable
à la vie familiale.
M. Hains: En tout cas, je vous remercie beaucoup. Vous avez
été très intéressante et cela nous fait du bien en
même temps. Espérons que les foyers vont devenir heureux pour
qu'un jour, peut-être, les enfants soient un peu plus nombreux aussi.
Mme Laporte-Dubuc: Souhaitons-le.
Le Président (M. Champagne): Merci beaucoup, madame. Au
nom des membres de la commission, je vous remercie d'avoir apporté votre
témoignage. Soyez assurés que les membres de la commission
porteront une attention particulière à vos recommandations et
à votre témoignage cet après-midi.
Mme Laporte-Dubuc: Merci de nous avoir écoutés.
Le Président (M. Champagne): La commission parlementaire
de la culture ajourne ses travaux à demain, dix heures.
(Fin de la séance à 18 h 33)