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Version finale

35e législature, 2e session
(25 mars 1996 au 21 octobre 1998)

Le lundi 10 juin 1996 - Vol. 35 N° 13

Consultations particulières dans le cadre de l'étude détaillée du projet de loi n° 32 - Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu


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Table des matières

Remarques préliminaires

Auditions

Conclusions


Autres intervenants
M. Jacques Baril, président
Mme Diane Barbeau, présidente suppléante
M. Cosmo Maciocia
M. Henri-François Gautrin
M. Claude Lachance
M. Jean Campeau
*M. Daniel Jacoby, Protecteur du citoyen
*M. Guy Breton, Vérificateur général du Québec
*M. Jean-Noël Thériault, idem
*Mme Louise Rozon, ACEF-Centre et FNACQ
*M. Jacques St-Amant, idem
*Mme Nathalie St-Pierre, idem
*Mme Suzanne Vadboncoeur, Barreau du Québec
*M. Raymond Doray, idem
*M. Paul-André Comeau, CAI
*M. André Ouimet, idem
*M. Yvon Caron, APFF
*M. Wilfrid Lefebvre, idem
*M. Paul Ryan, idem
*M. Denis Morency, RAMQ
*M. Claude Legault, RRQ
*M. Denis Garon, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Onze heures trente et une minutes)

Le Président (M. Baril, Arthabaska): À l'ordre! Mesdames, messieurs, la commission du budget et de l'administration est réunie afin de procéder à des consultations particulières et à l'étude détaillée du projet de loi n° 32, Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu.

Est-ce que, M. le secrétaire, vous avez des remplacements qui vous ont été suggérés?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. Alors, M. Williams (Nelligan) va remplacer M. LeSage (Hull).


Remarques préliminaires

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci. Est-ce que, M. le ministre, vous avez des remarques préliminaires?


M. Roger Bertrand

M. Bertrand (Portneuf): Oh! très brièvement, M. le Président. En fait, pour nous, cette journée est particulièrement importante, puisque nous aurons l'occasion d'entendre un certain nombre de représentants d'organismes relativement aux dispositions prévues dans ce projet de loi, le projet de loi n° 32. C'est avec beaucoup d'ouverture que nous entamons cet exercice. Je ne compte pas utiliser le temps normalement imparti, pour nous permettre justement de donner le plus d'espace possible à ceux et celles qui viendront nous sensibiliser à l'un ou l'autre des aspects pouvant, de leur point de vue, soit poser problème ou soit constituer, effectivement, quelque chose d'intéressant à l'intérieur du projet de loi. Ce que je souhaite, M. le Président, tout simplement, c'est que les organismes qu'on entendra aillent jusqu'à éventuellement suggérer comment on peut améliorer le projet de loi et non pas uniquement nous dire ce qui peut éventuellement poser problème dans l'application. J'aimerais bien qu'on y aille de suggestions, le cas échéant. On sera certainement très ouverts aux suggestions à cet égard.

J'aimerais simplement souligner la présence des personnes qui vont nous accompagner dans cet exercice, de mon côté: M. le sous-ministre Pierre-André Paré, MM. les sous-ministres André Brochu et Serge Martineau, M. Michel Bordeleau, directeur des études et contrôles au ministère du Revenu, de même que deux personnes qui l'accompagnent, Josette Tremblay et Danielle Fréchette; André Gariépy, directeur général des technologies de l'information, et M. Jean-Pierre Fillion, de la même Direction générale; Mme Michèle LaSanté, directrice des communications, accompagnée de M. Réal Roussy; et, du côté de la législation, son directeur, Jacques Pinsonnault, Mme Marie-Nicole – comment prononce-t-on? – ...

Une voix: Ragusich.

M. Bertrand (Portneuf): ...Ragusich – excusez-moi, madame – M. Jocelyn Roy et M. Alain Hudon. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci, M. le ministre. M. le député de Nelligan, avez-vous quelques remarques préliminaires?


M. Russell Williams

M. Williams: Oui. Dans le même esprit que le ministre a juste mentionné, nous allons utiliser le temps nécessaire pour nos remarques préliminaires une fois qu'on aura commencé article par article. Je voudrais juste souligner que je suis tellement heureux d'avoir les groupes aujourd'hui, en commençant avec le Protecteur du citoyen. J'ai insisté pour avoir des consultations particulières au même moment que le dépôt de ce projet de loi, parce qu'on touche un sujet tellement important pour les citoyens québécois. Toujours en disant: Le but est légitime, je vais toujours questionner sur la balance, l'équilibre entre la commodité et la vie privée de la population québécoise. On doit s'assurer que nous avons des balises bien établies dans nos projets de loi avant d'embarquer dans cette démarche.

Aussi, pendant cette commission et plusieurs autres commissions – parce qu'il y a plusieurs lois qui, dans mon opinion, peuvent avoir un impact tellement négatif sur la protection de l'information confidentielle – je vais continuer à questionner sur l'impact cumulatif des projets de loi qui touchent la vie privée de la population québécoise. Avec ça, je ne vais pas déjà questionner le Protecteur du citoyen avant qu'il commence, mais il sait que j'ai déjà commencé avec ces questions. Ce n'est pas juste le projet de loi n° 32, mais c'est tous les autres projets de loi comme les nos 33, 36 et 29, pour n'en nommer que quelques-uns. Avec ça, on doit s'assurer que le ministère du Revenu a les moyens de faire son travail, mais la première victime ne peut pas être la vie privée de la population québécoise. J'attends à demain pour compléter mes remarques préliminaires, M. le Président.


Auditions

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci, M. le député de Nelligan. Maintenant, nous allons passer à l'étape d'entendre différents organismes et nous allons commencer par le Protecteur du citoyen. Je veux vous rappeler les règles de procédure: les représentants auront 20 minutes pour présenter d'abord leur mémoire, et, après, 40 minutes seront allouées aux deux formations politiques pour un échange avec nos invités. Et je rappelle que nos invités doivent s'adresser à la présidence pour leurs commentaires, pour un meilleur fonctionnement de la commission.

Donc, M. le Protecteur, si vous voulez présenter les personnes qui vous accompagnent et nous exposer votre point de vue sur le projet de loi n° 32.


Protecteur du citoyen

M. Jacoby (Daniel): Merci, M. le Président. À ma gauche, Me Frances Hudon, qui est directrice générale des enquêtes, et, à ma droite, Me Micheline Mc Nicoll, qui est déléguée du Protecteur du citoyen.

Mon intervention se limitera à un aspect que nous considérons important du projet de loi, soit les pouvoirs du ministère du Revenu en rapport avec la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Dans le but de lutter contre le travail au noir, le ministère du Revenu demande de plus vastes pouvoirs d'investigation, de vérification et de collecte de renseignements personnels dans les banques de données constituées par chacun des organismes publics et leur mandataire, c'est-à-dire non seulement les ministères et organismes, mais également les hôpitaux, les établissements scolaires et les municipalités.

Tout en étant pleinement d'accord avec la volonté gouvernementale de combattre l'évasion fiscale et le travail au noir qui privent la collectivité de revenus légitimes via l'impôt sur le revenu et les différentes taxes, j'estime que les moyens réclamés dans ce projet de loi sont disproportionnés par rapport aux fins poursuivies. En effet, l'on sait que le ministère du Revenu est déjà doté de puissants pouvoirs de collecte de renseignements, de vérification et d'enquête, ne seraient-ce que les articles 39 et 71 de la Loi sur le ministère du Revenu, qui lui permettent d'obtenir tous les renseignements dont il a besoin et qui sont nécessaires à l'application des lois fiscales.

Par ailleurs, quant à la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, elle comporte, aux articles 67 et suivants, des mécanismes nécessaires pour permettre à la main droite de savoir ce que fait la main gauche, suivant l'expression souvent entendue en la matière. Elle permet la communication de fichiers de renseignements personnels aux fins de les comparer, de les coupler ou de les apparier avec un fichier détenu par une personne ou un organisme si cette communication est nécessaire à l'application d'une loi au Québec. Mais cette communication doit naturellement faire l'objet d'une entente écrite sur laquelle la Commission d'accès à l'information donne son avis avant qu'elle ne reçoive, cette entente, l'approbation du gouvernement. Cette entente est publique, et toute personne peut y avoir accès.

À la lecture des procès-verbaux des travaux de la commission permanente du budget et de l'administration, il ressort que le ministère du Revenu veut agir sans avoir à préciser dans une entente quels renseignements il ira chercher dans telle ou telle banque de données d'une municipalité, d'un collège, d'un hôpital ou d'un autre organisme public. Il ne veut plus être surveillé par la Commission d'accès dans ce genre d'opération et surtout il veut pouvoir effectuer des croisements systématiques de fichiers de renseignements personnels sans avoir à donner de justification à qui que ce soit.

Actuellement, ces croisements de fichiers et de renseignements ne sont autorisés que pour des cas individuels si on a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a fait une fausse déclaration, n'a pas fait de déclaration, et les communications de renseignements et de fichiers sont inscrits dans un registre accessible à la personne concernée. Donc, le ministère du Revenu désire être soustrait aux règles prépondérantes en matière de collecte, de conservation et d'utilisation des renseignements personnels au Québec. Il pourra ainsi agir pratiquement sans surveillance, sans avoir à rendre de comptes et sans que les contribuables visés puissent savoir précisément quelles banques de données ont été consultées, quels renseignements ont été ainsi recueillis, à quel moment et pour quoi. Le seul droit que conserveront les citoyens sera celui d'accéder à leur propre dossier, c'est-à-dire à ce que le ministère aura bien voulu y verser.

(11 h 40)

Les autres banques de données du ministère échapperont aux contrôle effectif de la Commission d'accès. En effet, même si le ministère allègue que le projet de loi n° 32 n'enlève pas à la Commission ses pouvoirs de surveillance et d'enquête, il reste que, dans la pratique, rien ne pourra être contrôlé, puisque, d'une part, il n'y aura pas d'entente écrite qui puisse servir de référence, et, d'autre part, rien ne garantira que le registre administratif prévu par le projet de loi contiendra des données à jour. De plus, le ministère pourra procéder comme bon lui semble à des croisements de fichiers complets et vérifier systématiquement les données concernant toute la population enregistrée aux fichiers. D'ailleurs, l'intention déclarée du ministère est de faire du croisement de fichiers un outil majeur de vérification et de détection de la fraude. Les derniers progrès des technologies de l'information permettent maintenant, on le sait, de faire dialoguer n'importe quels fichiers plus facilement.

À ce jour, de telles pratiques ont été jugées inacceptables dans notre société où la présomption de bonne foi constitue le fondement des rapports entre le citoyen et l'État. L'autocotisation en matière fiscale est basée sur cette présomption de bonne foi, et l'article premier de la charte du contribuable adoptée par le ministère et reproduite dans la formule de déclaration de revenus l'énonce très clairement. Or, l'exclusion des articles 65 à 70 de la loi sur l'accès équivaut à nier ce principe fondamental.

Cette exclusion constitue également un accroc important à la transparence de l'administration. À défaut d'ententes écrites, à défaut de registres accessibles, à défaut de contrôles efficaces par la Commission, il n'y aura plus moyen de savoir comment le ministère du Revenu utilise ses pouvoirs. Ne serait-ce qu'en ce qui concerne le critère de nécessité du renseignement aux fins de l'application d'une loi fiscale, le ministère du Revenu et ses fonctionnaires en seront les seuls juges. En réalité, dans le vaste cadre de la lutte au travail au noir et à l'évasion fiscale, tous les renseignements personnels contenus dans toutes les banques de données des organismes publics deviendront de facto des renseignements nécessaires à l'application d'une loi fiscale.

On peut admettre que, dans le cas d'une enquête sur une personne dont on doute sérieusement de la loyauté de la déclaration fiscale, des renseignements comme la marque et le nombre de véhicules automobiles possédés ou encore la valeur des actifs puissent constituer des renseignements nécessaires à l'application des lois fiscales. Mais ces mêmes renseignements ne peuvent pas être considérés comme nécessaires au sujet de tous les contribuables, indépendamment du fait qu'ils soient ou non sous enquête. Si tous les renseignements qui sont susceptibles d'avoir une quelconque incidence dans l'évaluation de l'impôt que doit payer un contribuable sont des renseignements nécessaires, pourquoi le ministère du Revenu ne les lui demande-t-il pas directement via la déclaration fiscale? Le critère de nécessité est central dans l'économie de la loi sur l'accès et constitue un rempart efficace contre l'édification d'une société de surveillance à la Big Brother.

Les banques de données des organismes publics contiennent dans bien des cas bien plus que des renseignements nécessaires à l'application des lois fiscales, et la façon dont elles sont conçues et construites ne permettra pas nécessairement d'en extraire les seuls renseignements pertinents avant de les apparier. Qui décidera quels renseignements doivent être appariés et comment? Au nom de la lutte à l'évasion fiscale et au travail au noir, le ministère du Revenu pourra télédécharger des fichiers complets dans ses propres bases de données et ainsi pourrait se constituer une banque de données complète sur l'ensemble de la population du Québec.

Une fois acquis un tel pouvoir, et sans tomber dans la fiction, pourquoi la prochaine étape ne serait-elle pas l'accès, en vertu de l'article 39 de la Loi sur le ministère du Revenu, aux fichiers des clients des transporteurs aériens, des salons de beauté, des grandes chaînes de magasins, toujours pour mieux lutter contre le travail au noir et l'évasion fiscale? Il faut se rappeler que l'article 66 de la loi sur l'accès oblige le ministère à informer la Commission avant de recueillir de tels renseignements auprès des organismes privés. En en écartant l'application, le législateur donnera ouverture à une marge de manoeuvre illimitée, au profit de l'administration, pour aller puiser sans limite et sans surveillance dans les fichiers du secteur privé.

Notre expérience comme Protecteur du citoyen nous a appris que les clientèles du ministère du Revenu agissent souvent avec empressement. Il est à peu près certain que, si ce projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, la plupart des citoyens ne percevront aucune différence immédiate dans leur vie quotidienne, mais du jour au lendemain ils auront perdu le droit de savoir quelles informations l'État cumule à leur sujet, et pas seulement au ministère du Revenu, mais également dans d'autres organismes, notamment à la Régie de l'assurance-maladie, au ministère de l'Éducation, qui, eux aussi, se font accorder par ce projet de loi des droits d'accès, en marge des balises de la loi sur l'accès, aux fichiers du ministère du Revenu. Lentement mais sûrement, l'érosion du droit fondamental à la vie privée risque de se poursuivre au nom de motifs dits supérieurs, et avec elle l'érosion de la transparence des activités de l'État et des valeurs démocratiques qui distinguent notre société.

Le projet de loi n° 32 contient une dérogation à la loi sur l'accès, mais les rédacteurs de celui-ci ont-ils considéré la possibilité que cette atteinte à la vie privée puisse constituer un accroc aux chartes canadienne et québécoise des droits et libertés en matière de protection de vie privée et soit susceptible de requérir une clause «nonobstant»? En somme, les moyens préconisés ne m'apparaissent pas indispensables et produiront des effets débordant largement les exigences de l'objectif poursuivi. La lutte à l'évasion fiscale et au travail au noir peut largement s'effectuer dans le cadre des pouvoirs actuels du ministère du Revenu, d'une part s'il utilise pleinement et adéquatement tous les outils et moyens dont il dispose, d'autre part moyennant quelques aménagements que nous allons proposer. Ainsi, l'obligation d'encadrer les échanges de fichiers de renseignements nominatifs pourrait être légèrement modifiée afin d'alléger la procédure dans le cadre de la lutte au travail au noir et à l'évasion fiscale. La multiplication des ententes pouvant effectivement constituer une difficulté d'application de l'article 70 de la loi sur l'accès, il suffira de prévoir un pacte type avec les municipalités, par exemple, lequel servira dans les communications de renseignements avec le ministère du Revenu. Une fois balisé par la commission et approuvé par le gouvernement, ce cadre de communication deviendra obligatoire pour ces organismes. Le même processus pourra être appliqué aux établissements du réseau de la santé et aux institutions du réseau de l'éducation. Il ne restera que quelques organismes avec lesquels un aménagement particulier de communication devra être élaboré.

Un autre obstacle à l'application intégrale des articles 65 à 70 de la loi sur l'accès semble être, pour le ministère, l'impossibilité de procéder à des croisements de fichiers complets. En effet, dans le cadre de la loi, seules les consultations à la pièce sont autorisées en vertu des ententes visées par la loi sur l'accès. Je suggère donc le retrait du deuxième alinéa de l'article 7 du projet de loi n° 32, qui exclut l'application des articles 65 à 70 de la loi, et l'ajout d'une disposition prévoyant que le ministre peut, dans le cadre de projets spécifiques visant à contrer le travail au noir et l'évasion fiscale et pour un temps limité, apparier, comparer ou coupler des fichiers de renseignements nominatifs sans avoir à identifier des cas individuels au préalable. Mais, cependant, ces opérations devront s'effectuer uniquement dans le cadre d'un projet spécifique exposant les justifications et les moyens destinés à le mettre en oeuvre, et déposé, bien sûr, auprès de la Commission d'accès à l'information pour avis. Le gouvernement l'approuvera par la suite. Ces documents devront contenir les renseignements nécessaires à l'information de l'ensemble des personnes visées sans pour autant nuire à l'efficacité des opérations du ministère, et ces projets seront évidemment publiés à la Gazette officielle du Québec .

(11 h 50)

Je voudrais rappeler ici quelques règles du pacte social que je proposais dans mon rapport annuel 1993-1994 et qui s'appliquent tout particulièrement à la situation sous étude. Je vous fais grâce du détail, mais il y a quelques critères qui doivent répondre aux questions: L'administration fait-elle suffisamment preuve de transparence? L'administration veille-t-elle à la légalité et à la raisonnabilité de ces actes? Au moment de la planification des programmes gouvernementaux, l'administration a-t-elle pour premier objectif d'agir dans le meilleur intérêt de la clientèle? Et enfin: L'administration respecte-t-elle la dignité des citoyens? Comme on peut le constater, ce projet de loi, sous l'angle que je mentionne, illustre clairement que nous sommes loin d'un quelconque pacte social. De plus, je rappelle que, malgré le décret 120-96 du 29 janvier dernier, par lequel il est ordonné que le ministre délégué au Revenu ait pour fonction de seconder le ministre d'État de l'Économie et des Finances dans l'amélioration de la qualité des rapports entre le ministère et les contribuables, à mes yeux, le projet de loi n° 32 ne contribue d'aucune façon à l'amélioration de la qualité de ces rapports.

En conclusion, j'ajouterai que les arguments en faveur de l'adoption du projet de loi ne résistent pas à l'analyse, si l'on considère l'ampleur des pouvoirs actuels du ministère et les possibilités d'aménagement que j'ai déjà évoquées. De façon plus générale, cette fois, je remarque que le gouvernement a de plus en plus tendance à freiner, quand ce n'est pas écarter, des organismes qui critiquent et surveillent ses actions dans l'intérêt des citoyens. Déjà au début de 1996, le gouvernement enlevait au Protecteur du citoyen son pouvoir d'enquête sur la Commission de protection des droits de la jeunesse; aujourd'hui, il veut amputer la Commission d'accès à l'information, un organisme dépendant d'une partie essentielle de son mandat.

Je ne saurai terminer mes commentaires sans vous citer des propos visionnaires de la Cour suprême du Canada, et je cite: «Dans l'État moderne, l'action démocratique n'est possible qu'au moyen de l'organisation bureaucratique. Mais la puissance bureaucratique, si elle n'est pas bien contrôlée, tend elle-même à détruire la démocratie et ses valeurs.» Je vous remercie.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Je vous remercie, M. le Protecteur du citoyen. Maintenant, j'accorderai la parole au ministre pour ses commentaires, pour ses questions.

M. Bertrand (Portneuf): Oui, M. le Président. Peut-être une petite précision sur le mode de fonctionnement. Comment...

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Bien, vous avez 20 minutes pour échanger avec le Protecteur...

M. Bertrand (Portneuf): Oui? Excellent!

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Après ça, bien, en respectant l'alternance, ce sera l'opposition qui prendra son 20 minutes.

M. Bertrand (Portneuf): Excellent! Parce qu'on peut aussi alterner nos questions, si vous jugez que ça peut être plus efficace comme travail.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Non. Des fois, si c'est sur le même sujet...

M. Williams: Oui. L'un ou l'autre.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): ...la présidence, habituellement, est assez souple...

M. Bertrand (Portneuf): Excellent!

Le Président (M. Baril, Arthabaska): ...sur le fonctionnement.

M. Williams: ...avec 50-50.

M. Bertrand (Portneuf): Pardon?

M. Williams: Nous allons au moins nous assurer qu'il y a 50-50 sur tout.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Oui, oui. Ça, je vais accorder un droit de parole égal aux deux formations.

M. Williams: Comme d'habitude ici, M. le Président.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): C'est bien. Merci de le reconnaître.

M. Bertrand (Portneuf): Bon. Merci, M. le Président. Merci, M. le Protecteur du citoyen, pour votre présentation et surtout pour ces quelques suggestions que vous ne manquez pas, effectivement, de faire au fil de votre présentation. J'aimerais savoir, d'une part, est-ce qu'il est clair que ce qu'on cherche au ministère du Revenu, c'est moins des pouvoirs additionnels qu'une clarification par rapport à, je dirais, un clair-obscur qui existe dans les lois respectives du ministère du Revenu du Québec de même que dans celle relativement à la loi d'accès à l'information? Il y a déjà, à l'intérieur de la loi d'accès à l'information, une disposition qui prévoit que certains articles s'appliquent malgré la loi d'accès à l'information. On sait qu'il y a eu des discussions pendant plusieurs années entre la Commission d'accès à l'information et le ministère du Revenu pour savoir si lesdits articles ou les dispositions équivalentes des deux lois devaient être utilisés ou s'interpréter en complémentarité ou en exclusivité.

Notre objectif, c'est de faire en sorte que cette question-là soit clarifiée. Notre compréhension de l'intention originale du législateur était à l'effet, justement, que le ministère du Revenu avait déjà cette possibilité-là de fonctionner. Par ailleurs, la façon dont on procède depuis maintenant plusieurs années implique toujours des délais très importants afin de nous permettre d'avoir accès aux informations qui nous sont nécessaires pour travailler, et on vise, à toutes fins pratiques, à clarifier les choses.

Je vais vous donner uniquement l'exemple de nos longues tentatives d'échanger des renseignements avec la Société de l'assurance automobile du Québec, alors que, le 17 novembre 1993, se faisaient les premières demandes officielles d'informations auprès de cette Société, et nous en sommes encore, aujourd'hui, après bien des étapes – j'en ai deux pages, d'étapes descriptives, à deux lignes chacune, imaginez... On s'est ramassés au 29 mai 1996 avec encore aucune possibilité qui s'annonce au cours même des prochaines semaines sinon des prochains mois de pouvoir effectivement procéder à des comparaisons.

Le système actuel est excessivement lourd, et ce qu'on recherche, effectivement, c'est de pouvoir plus facilement comparer des informations, quitte à ce que la Commission d'accès à l'information fasse son travail habituel, vienne vérifier a posteriori ce qui a été fait avec les informations. On est tout à fait disposés pour qu'il y ait effectivement des fichiers de constitués qui font état, justement, des appariements qui auront été faits, et la reddition de comptes, là-dessus, nous apparaît être totale. Ça semble être un aspect qui est mal compris. J'aimerais que M. le Protecteur du citoyen, peut-être, commente cette situation.

M. Jacoby (Daniel): Je voudrais apporter plusieurs nuances au fait que l'on ne fait que légiférer pour clarifier des choses déjà acquises. Je ne pense pas que ce soit le cas. L'article 71 de la Loi sur le ministère du Revenu n'a pas d'effet prépondérant sur la loi sur l'accès comme telle. D'ailleurs, la Cour d'appel du Québec, dès 1990, dans un arrêt qui mettait en cause le sous-ministre du Revenu et la Commission d'accès, a très clairement établi que, dans le fond, il n'y avait pas d'incompatibilité entre la loi sur l'accès et les pouvoirs du ministère du Revenu, mais que ça ne donnait pas pour autant à l'article 71 de la loi un effet prépondérant à la loi sur l'accès. Première chose.

La deuxième chose, c'est que, au moment où on se parle, il est absolument impossible pour le ministère du Revenu, en tout cas légalement parlant, de croiser des fichiers dans le but d'aller à la pêche. En d'autres termes, et je vais faire la comparaison suivante, si le ministère du Revenu a des doutes sur Daniel Jacoby dans sa déclaration de revenus, le ministère du Revenu a le pouvoir, au moment où on se parle, de s'adresser à la Société de l'assurance automobile du Québec et de demander si je possède une voiture et quelle marque de voiture. Ça, c'est la situation actuelle. Avec le projet de loi, ça ne sera plus ça qui va se passer, qui pourrait se passer. En d'autres termes, le ministère du Revenu pourra, avec la loi telle qu'elle est formulée actuellement, demander à la Société de l'assurance automobile la liste des propriétaires de toutes les Mercedes, de toutes les Cadillac, sans autre motif, et ça, c'est la grosse différence. En d'autres termes, tant qu'il y a un doute raisonnable sur la possibilité d'infraction, on peut obtenir ces renseignements de la SAAQ, de la Régie de l'assurance-maladie, peu importe l'organisme public considéré, mais on ne peut pas, comme on dit, aller à la pêche. En d'autres termes, je ne peux pas demander actuellement à la SAAQ la liste de toutes les voitures de telle marque et le nom de leur propriétaire. Ce n'est pas possible de le faire.

Et la grosse différence, c'est ça. C'est qu'on peut systématiquement aller à la pêche, et ceci a pour effet, nécessairement, de considérer de mettre sur le même pied une foule de contribuables. Par exemple, tous les propriétaires de Cadillac ou de Honda, peu importe, seront comme présumés fraudeurs, parce qu'on va exiger ce type de renseignements, alors que, à l'heure actuelle, il n'y a pas de présomption de mauvaise foi. Donc, ça nous amène à une présomption de mauvaise foi.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le ministre.

M. Bertrand (Portneuf): Oui, monsieur. Je comprends très bien, M. le Protecteur du citoyen; cependant, il me semble qu'il y a une nuance qui me semble importante. Le cadre de la loi actuelle nous permet effectivement de faire des comparaisons entre des informations, mais dans du cas par cas. Vous citiez l'exemple du Protecteur du citoyen; ce serait possible dans ce cas-là. Fondamentalement, il n'y a pas de différence, aux fins de l'application d'une loi fiscale, à demander de pouvoir faire la comparaison entre plusieurs cas entre deux fichiers plutôt que d'y aller d'une personne à une personne. On a aujourd'hui des possibilités que ne permettaient pas les technologies antérieures de pouvoir effectivement faire la comparaison beaucoup plus large. Est-ce qu'on ne procède pas tout simplement du même principe qu'antérieurement, mais en s'adaptant simplement à ce que permettent de faire maintenant nos nouvelles technologies pour faire en sorte que nous puissions appliquer de façon plus efficace les dispositions prévues dans les lois fiscales?

(12 heures)

M. Jacoby (Daniel): Non, ce n'est pas pareil. Que le ministère ait des soupçons ou des doutes sur un contribuable, il peut s'adresser à un autre organisme pour obtenir des informations sur ses actifs, par exemple. Le ministère, à l'occasion d'une opération, peut très bien détecter 40 ou 50 citoyens sur lesquels il a des doutes. Il peut présenter la liste des 40 et 50 citoyens sur lesquels il a des doutes. Et, là, l'organisme concerné devra lui fournir les informations que le ministère considère nécessaires à l'application de sa loi.

Mais ce dont on parle, ce n'est pas ça. Je n'ai pas de doute à avoir avec le projet de loi, comme ministère du Revenu. Je décide de vérifier, dans le cadre de la lutte au noir et à l'évasion fiscale, systématiquement, à l'échelle du Québec, quelles sont les personnes à qui sont immatriculées des automobiles de telle catégorie, par exemple – sans aucun doute, je n'ai pas de preuve à faire aucunement avec ce projet de loi. Et je vais ensuite prendre ces informations, je vais sortir, par exemple, 3 000 propriétaires de BMW de tel modèle, et ainsi de suite, et je vais les comparer avec leurs déclarations de revenus. Et je vais, dans le nombre, réaliser que, par exemple, il y a des gens, là-dedans, qui déclarent 10 000 $ de revenus par année, mais qui se promènent avec une BMW de 50 000 $. Et, si je vais plus loin, je vais demander aussi les actifs immobiliers, ainsi de suite. Ce qui veut dire qu'on va d'abord à la pêche et, ensuite, on fait ça de manière sélective. Les 3 000 personnes, propriétaires de BMW, on va comparer leurs dossiers de la SAAQ avec le dossier du ministère. Et, si on peut décider que les personnes qui ne déclarent pas plus que 15 000 $ de revenus par année ne devraient pas avoir de BMW... Et, là, on va aller plus à fond.

Alors, ça change les choses, selon moi, M. le Président, en ce sens que c'est très différent de la situation actuelle et, par ailleurs, ça se fait sans un contrôle a priori de la Commission d'accès pour justifier une telle opération systématique. Et c'est d'ailleurs une des propositions que je fais, qui va permettre de conserver un contrôle de la Commission d'accès par rapport aux intentions du ministère dans des projets spécifiques.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le ministre.

M. Bertrand (Portneuf): Tout juste pour mentionner que, par rapport justement à l'exemple que vous donnez, la Commission d'accès à l'information vient de donner un avis favorable pour pouvoir comparer sur une base plus large les informations existant dans les différents fichiers. Mais il y a une chose que j'aimerais quand même bien clarifier. Ce n'est pas nécessairement sur la base d'un soupçon que le ministère du Revenu initie une comparaison d'informations relativement à un citoyen ou à quelques citoyens, entre deux fichiers. C'est sur la base d'opérations tout à fait usuelles et qui étaient inspirées des technologies et des moyens existants, qui amènent, au niveau de la vérification, un ministère du Revenu à dire: On va comparer, sur la base d'un certain échantillon, des informations, dans l'éventualité de vérifier si effectivement ce qui est déclaré est conforme à ce qui devrait l'être. Et, dans ce sens-là, est-ce qu'on ne peut pas considérer, étant donné que les moyens à la disposition, non seulement de l'État, mais des entreprises également, sont différents aujourd'hui sur le plan technologique, de modifier un peu l'approche de la vérification et pouvoir faire notre travail de vérification sur la base des informations existantes et des technologies maintenant à notre disposition?

Bien sûr, ça implique qu'on peut comparer des informations sur une base beaucoup plus large qu'auparavant. Mais, fondamentalement, il s'agit du même exercice auquel nous procédions autrefois et jusqu'à maintenant, sur la base de vérifications individuelles ou sur base échantillonnale, puisque, avec les moyens du temps et les technologies d'aujourd'hui, jusqu'à aujourd'hui, c'est ce genre de choses là qu'on pouvait utiliser. Fondamentalement, est-ce qu'on fait vraiment quelque chose de différent, en dehors de la question du volume? Bien sûr, il y a plus de volume, et ça peut permettre d'identifier plus de cas, entre guillemets, délinquants. Mais ce n'est pas sur la base d'une hypothèse a priori, où on estimerait que l'ensemble de nos concitoyens sont des irresponsables ou sont des fraudeurs.

M. Jacoby (Daniel): M. le Président, pour moi, c'est beaucoup plus qu'être tributaire du développement de la technologie. C'est beaucoup plus fondamental que ça, en ce sens qu'ici on renverse complètement les règles du jeu. C'est un des objets du projet de loi. Il est vrai que l'on peut faire des appariements. Un exemple que tout le monde connaît et pour lequel nous avons reçu des plaintes, pas sur le fond, mais sur la façon de faire: lorsqu'il y a un an ou deux le ministère a décidé notamment de faire une vérification des contribuables qui demandaient une exemption parce qu'ils vivent seuls, il y a eu une opération qui a été faite très simplement. Avec les déclarations de revenus fournies par l'ensemble des contribuables, on a apparié les adresses. Et le ministère, tout ce qu'il a fait, c'est la chose suivante: il y a deux personnes qui vivent au même endroit et qui, chacun, demandent une exemption pour personne qui reste seule. Ça, c'est tout à fait correct, et ça se fait dans le cadre des opérations régulières. Mais ce n'est pas de ça qu'on parle, M. le Président. Ce n'est pas de ça qu'on parle du tout. Et je ne pense pas que...

À ce compte-là, le problème qui est mis en cause, qui est compromis dans toute cette histoire-là, c'est les droits fondamentaux de la personne. Et, s'il fallait qu'une société ajuste la protection ou la déprotection des droits fondamentaux en fonction du développement de la technologie, on pourrait dire que, d'ici 10 ou 15 ans, on va suspendre à peu près toutes les chartes.

Selon moi, on ne fait pas que faire ce qui se fait déjà. Ce qui se fait, il faut faire très attention dans cette loi-là, parce que la Loi sur le ministère du Revenu et la loi sur l'accès... Par exemple, en vertu des pouvoirs que le ministère possède dans la Loi sur le ministère du Revenu, quand c'est prévu par loi qu'il peut aller chercher des renseignements ailleurs, il n'a pas à passer par la Commission d'accès; mais encore faut-il qu'il ait des motifs. Et il pourra prendre le cas d'un individu, comme le cas de 50 individus, pourvu qu'il ait des motifs. Il a ce pouvoir-là, et ça n'a pas à être précisé dans une entente. C'est clair, la loi a été changé il y a quelques années pour faciliter des choses.

Pourquoi demande-t-on qu'il n'y ait plus d'ententes? C'est très simple. C'est que, maintenant, on veut, sans aucun contrôle, aller apparier des informations contenues dans toutes les banques de données au Québec, que ce soit les banques de données qui sont tenues centralement par le gouvernement, les banques de données qui existent dans le secteur parapublic, comme tous les établissements du réseau de l'éducation et du réseau de la santé, ainsi que dans le péripublic, le municipal et l'ensemble des 1 427 municipalités du Québec. À l'aveuglette, sans aucun contrôle au préalable pour déterminer si, oui ou non, vous avez raison de faire ça ou pas. Aucun contrôle préalable.

Alors, on change des règles du jeu, M. le Président. Ce n'est pas vrai que l'article 71 donnait ce pouvoir-là; il ne l'a jamais donné. Et la Cour d'appel du Québec a dit: Non, ça ne donne pas ce pouvoir-là. Et la Commission d'accès a toujours refusé, à ce jour, la cueillette systématique d'informations dans les fichiers du gouvernement. C'est évident que ça dérange, pour ce genre de lutte. Mais, par ailleurs, M. le Président, ce que je propose ici: une façon de minimiser le nombre d'ententes et, d'autre part, permettre au ministère d'aller faire de la cueillette systématique, pourvu qu'il rende compte avant et qu'il explique pourquoi, et qu'il le justifie.

(12 h 10)

M. Bertrand (Portneuf): M. le Président...

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le ministre, il reste trois minutes.

M. Bertrand (Portneuf): Trois minutes? Bon, très rapidement. Merci, d'ailleurs, pour vos suggestions, elles seront certainement examinées de très près. En ce qui regarde la question du travail au noir, de la lutte contre le travail au noir, vous dites: «Les moyens préconisés ne m'apparaissent pas indispensables.» Est-ce qu'il ne vous apparaît pas assez évident que les outils et les informations que nous avons dans le moment ne nous permettent pas de retracer des personnes qui fonctionnent en marge du système officiel, sur le plan économique, et qui, donc, échappent au fisc, par définition? Nous n'avons pas ces informations-là.

Deuxièmement, vous avez déjà, je pense, déclaré que 3 % en volume, ça ne représentait rien de suffisamment important pour qu'on puisse remettre en cause éventuellement l'ensemble d'un système qui est celui de l'accès à l'information. Cependant, je vous signale qu'il y a une certaine augmentation au volume, en proportion, depuis 10 ans d'économie au noir et que, deuxièmement, ça représente quand même 1 000 000 000 $ à 1 400 000 000 $. Et on exclut de ce calcul-là tout ce qu'il peut y avoir également d'activités illégales. Alors, la vraie perte de revenus, au total, serait bien supérieure, si on tenait compte même des activités illégales. J'aimerais que vous nous parliez un peu de cet aspect-là. Comment pourrions-nous faire, à défaut d'avoir ces outils-là, pour connaître ce qui se passe au noir?

M. Jacoby (Daniel): D'abord, je voudrais, M. le Président, préciser que, pour la lutte au noir, selon les pays, il y a des méthodes différentes. Par exemple, en Europe, règle générale, pour la lutte au noir, il y a des mesures très particulières dont j'ai pris connaissance l'autre jour et qui ne mettent pas en cause la protection des renseignements personnels, au sens de notre loi.

Deuxièmement, je pense que, lorsque le Vérificateur général, dans son rapport 1994-1996... Qu'est-ce qu'il dit, le Vérificateur général? Il dit d'abord que le travail au noir aurait atteint 2 700 000 000 $, au Québec, en 1993. Et, à partir de ça, il dit que les banques de renseignements du ministère sont incomplètes, que le ministère n'utilise qu'une partie de l'information qu'il exige sur les formulaires, que le ministère ne saisit pas tous les relevés de renseignements, que le ministère ne réussit pas à apparier tous les relevés à des contribuables, que le ministère n'obtient pas toute l'information nécessaire à l'application des lois fiscales, et ainsi de suite.

Je pourrais vous dresser la liste et reprendre ce que dit, dans les grandes lignes, le Vérificateur général. Mais il est maintenant de commune renommée, selon ce qu'a dit le Vérificateur général, que, de par les pouvoirs que le ministère possède et les renseignements qu'il n'utilise pas, d'une manière ou d'une autre, déjà là, il y aurait une façon d'augmenter la lutte contre le travail au noir. Mais ça ne permettrait pas, M. le Président, vraisemblablement, dans certains secteurs très spécifiques, d'aller au fond des choses.

Et c'est la raison pour laquelle je propose que la Loi sur le ministère du Revenu permette au ministère d'aller, dans certains projets spécifiques et pour une durée limitée, faire de la cueillette systématique dans d'autres banques de données, mais pourvu qu'il présente son dossier à la Commission d'accès à l'information. La Commission d'accès à l'information, que va-t-elle vérifier?

Exemple. Si le ministère décide d'avoir un projet spécifique dans tout le domaine de l'hôtellerie et que tous les moyens, il les a épuisés, et qu'on sait qu'on n'a pas atteint nos objectifs administratifs et budgétaires dans le secteur de l'hôtellerie, à ce moment-là, comme ministère du Revenu, je vais monter un dossier pour montrer que les moyens dont je dispose et les renseignements sont insuffisants pour contrer la lutte au noir. Je vais expliquer clairement à la Commission d'accès à l'information que, pour lutter contre le noir dans le secteur de l'hôtellerie, j'aurais besoin d'avoir accès à certaines banques de données, détenues soit par l'Inspecteur général ou tout autre ministère ou organisme. Et je vais expliquer tout ça et je vais faire la preuve à la Commission d'accès que, vraiment, j'en ai besoin, parce que j'ai épuisé tous mes moyens. Et la Commission d'accès, à partir d'un dossier comme ça, va donner son avis favorable. Mais, pour ça, ça prend une modification à la loi.

Donc, je dis: Il y a moyen, avec quelques aménagements, dans ce projet de loi, d'aller où l'on veut aller, pourvu qu'il y ait un avis de la Commission; et c'est ça qui est important. Parce que la Commission va vérifier au préalable si l'administration a des raisons d'aller aussi loin dans la cueillette d'informations. Et elle aura le pouvoir de dire oui, dans la mesure où le dossier du ministère est bien argumenté et articulé.

Donc, je suis d'accord, M. le Président, pour dire que, dans plusieurs cas, ça peut être insuffisant, les pouvoirs ordinaires. Cependant, ce que je dis: Si vous voulez aller plus loin, faites-vous d'abord avaliser par la Commission d'accès, par une entente. Et c'est ça qui est important. Et cette entente va continuer à faire l'objet de transparence. Cette entente va être déposée à l'Assemblée nationale, comme toute les ententes. Cette entente va faire l'objet d'une publication à la Gazette officielle , comme toutes les ententes. Et toute personne intéressée pourra avoir accès à cette entente, comme toutes les ententes. Au moins, nous serons dans le règne de la transparence et en même temps ça va donner au le ministère le pouvoir d'aller cueillir à l'aveuglette, à l'occasion, une fois qu'il aura établi qu'il a épuisé les moyens qu'il avait à sa disposition.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci, M. le Protecteur du citoyen, de vos suggestions. Maintenant, le temps alloué au ministre étant dépassé, vous pourrez revenir à la fin, s'il en reste. Je vais accorder la parole au député de Nelligan.

M. Williams: Merci beaucoup M. le Président. Avant d'embarquer sur les questions au Protecteur du citoyen, je voudrais juste clarifier... Est-ce que j'ai bien compris le ministre délégué? Il va proposer des amendements? Et, sur ce projet de loi, il a déjà parlé avec la Commission d'accès, sur ces amendements? Est-ce que j'ai bien compris?

M. Bertrand (Portneuf): Non, non. Ce que j'ai dit, c'est que nous étions prêts éventuellement, en fonction des suggestions que pourraient nous faire différents groupes, à envisager des bonifications, si nécessaire.

M. Williams: Merci. Je voulais juste comprendre comme il faut.

M. le Protecteur du citoyen, je voudrais retourner encore sur l'ampleur de ce projet de loi n° 32. Je voudrais savoir: Est-ce que vous avez la même compréhension que moi? J'ai compris, quand j'ai lu ce projet de loi, que ce n'est pas juste des vérifications à la régie de l'automobile du Québec, c'est qu'il peut aller partout. Il peut aller au Régime de rentes, l'assurance-maladie du Québec, l'assurance-automobile, il peut aller dans chaque municipalité, les universités, les collèges, les hôpitaux. Il peut aller à Hydro-Québec, Gaz Met, Bell Canada, Bell Québec. On peut continuer, et c'est votre... Pendant le débat sur le principe, j'ai parlé que j'ai enquêté sur cette collection d'une énorme quantité d'informations. Je n'ai jamais compris que c'était aussi énorme que ça. Et aussi, on créait un fichier central. On peut avoir un fichier central sur toutes ces questions – et peut-être que vous êtes au courant de plus – sur chaque Québécois et Québécoise. Ma première question est effectivement sur votre compréhension de ce projet de loi. Le ministère du Revenu peut aller partout et il peut amasser l'information sur ma vie privée, dans un fichier central.

M. Jacoby (Daniel): Absolument. Mais je sais très bien que la bonne foi de l'administration n'ira pas jusque-là. Mais théoriquement et pratiquement...

M. Williams: Oui, légalement.

M. Jacoby (Daniel): ...il est évident qu'à partir du moment où j'apparie toutes les banques de données détenues par un corps public, quel qu'il soit, qu'il soit mandataire, qu'il soit ministère, qu'il soit une société d'État, si j'apparie tout ça ensemble, on saura des citoyens X et Y ou des citoyennes X et Y, à peu près tout ce qui se passe dans leur vie...

M. Williams: ...sur un fichier.

M. Jacoby (Daniel): Un fichier. C'est techniquement faisable, c'est techniquement possible, mais tout le monde convient que ce n'est pas souhaitable.

(12 h 20)

M. Williams: Merci, M. le Protecteur du citoyen. Il me semble que ce n'est pas vraiment dérogeant à nos droits fondamentaux par petits pas; c'est des grands pas. Et on doit certainement questionner ce pouvoir illimité.

Mais, si j'ai bien compris vos interventions – et peut-être que je n'ai pas compris à 100 % – j'ai entendu que, s'il n'y a pas ce que vous trouvez dans le deuxième alinéa de l'article 7 de ce projet de loi, ça peut être acceptable. Il me semble – et sans aucun «disrespect» pour la Commission d'accès à l'information, parce qu'elle fait un travail extraordinaire pour nous – que ce va être impossible pour le Protecteur du citoyen ou la Commission d'accès à l'information de contrôler toute cette information. Et n'oubliez pas que le ministère du Revenu a acheté juste 500 micro-ordinateurs dans les trois derniers mois. Ça va être impossible de contrôler toutes ces informations, nonobstant la protection qu'on peut trouver à la Commission d'accès à l'information. Est-ce que c'est aussi une bonne interprétation de votre interprétation?

M. Jacoby (Daniel): Mon interprétation, c'est qu'à partir du moment où on exclut...

M. Williams: Mais, si vous n'excluez pas, est-ce que la Commission peut vraiment contrôler toute cette information?

M. Jacoby (Daniel): Non, mais ce que... Ma compréhension, c'est qu'avec l'exclusion, telle que proposée dans le projet de loi, il n'y a plus aucun contrôle quant au registre, il n'y a plus aucun contrôle quant aux ententes, il n'y a plus aucun contrôle... Même si le ministère, de son côté, entend créer son propre registre, il n'y a pas accès à ce registre, il n'y a pas de disposition dans le projet de loi qui donne accès à ce registre. Donc, on soustrait de tout ombudsman ou protecteur des droits, et je parle notamment de la Commission d'accès à l'information, de faire un travail préventif pour vérifier si, oui ou non, on fait les choses correctement ou d'une manière abusive. C'est ça, le «pith and substance», finalement, des mesures qui sont proposées.

Maintenant, sur la question du volume, le ministère et d'autres prétendent que ça va être une bureaucratie absolument complexe et très lourde, s'il faut que le ministère passe une entente avec les 1 427 municipalités du Québec, qu'il passe une entente avec les 150 commissions scolaires, qu'il passe une entente avec les 600 ou 700 établissements du réseau de la santé et qu'il passe une entente avec les ministères et organismes du gouvernement, et je parle aussi de la trentaine de sociétés commerciales. C'est ce que l'on entend.

Bien sûr, la loi, telle qu'est formulée actuellement, la loi sur l'accès ne prévoit que des ententes particulières qui doivent être vérifiées à la pièce par la Commission. Mais, puisqu'on parle d'efficacité et d'efficience, appliquons ça au ministère du Revenu et appliquons ça à l'ensemble du gouvernement. Il suffit d'apporter un amendement mineur à la loi sur l'accès ou à la Loi sur le ministère du Revenu pour dire que, par exemple, pour ce qui est des ententes concernant les 1 423 municipalités du Québec, il y aura une entente type. Parce que le ministère, quand il ira chercher des informations dans les municipalités, ce ne sera pas des informations qui vont varier d'un village, d'une cité, d'une ville ou d'une ville qui est régie par une charte. Ça va être le même type de renseignements qu'on va aller chercher pour croiser les fichiers et ces choses-là, sur les permis notamment. Ça, bien sûr, mais il suffirait que la loi dise que le ministère a le pouvoir d'avoir un pacte type qui doit être vu et vérifié par la Commission, comme je disais tout à l'heure, d'abord, préalablement, pour voir si tout est correct. Et, ensuite, que l'ensemble des 1 423 municipalités soient assujetties à ce pacte type, on n'a aucun problème.

Donc, les deux arguments principaux invoqués par l'administration pour dire qu'il faut s'exempter de la loi sur l'accès, premièrement, c'est la multiplicité. On parle de milliers, de milliers et de milliers d'ententes. Ma réponse à ça: Il y a une façon de faire qui est très pratique et qui va limiter ça à 20, 25 ententes. L'autre chose, c'est de dire: On a besoin d'aller à la pêche. Ce que je dis à ça: Oui, allez-y, mais faites la preuve à la Commission d'accès que vous avez besoin d'aller à la pêche. Donc, mes propositions, en bout de ligne, font en sorte qu'on ménage à la fois les principes fondamentaux de la loi sur l'accès, qu'on donne en même temps tous les pouvoirs au ministre du Revenu, sauf qu'il y aura encore la transparence, et ce sera balisé, et on aura un mot à dire.

M. Williams: Merci, M. le Protecteur du citoyen. À la page 5 de votre mémoire, vous avez, pour la deuxième fois en une semaine, mentionné qu'il y a un problème potentiel avec notre Charte. Et vous avez aussi dit que ce projet de loi a peut-être besoin d'une clause «nonobstant». Quand un commentaire aussi sérieux et grave vient du Protecteur du citoyen, je ne veux pas manquer la chance de vous questionner là-dessus. Pour le projet de loi n° 36, vous avez mentionné cette possibilité. C'est le premier projet de loi que le ministre délégué dépose ici, à la commission, et il me semble qu'on doit vraiment questionner. Est-ce que nous sommes en train de passer deux projets de loi qui brisent notre propre Charte? Et est-ce que nous avons besoin d'aller devant nos tribunaux pour demander une décision déclaratoire avant? Est-ce que vous pouvez expliquer vos commentaires, s'il vous plaît, M. le Protecteur du citoyen?

M. Jacoby (Daniel): Bon. Il faut replacer tout ça dans un contexte plus global. La Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, pour la partie de la protection des renseignements personnels, ne fait qu'aménager les principes fondamentaux qu'on retrouve et dans la Charte canadienne et dans la Charte québécoise, soit le droit à la vie privée de tout citoyen, tant par rapport à l'État que par rapport à ses concitoyens. Donc, la loi sur la protection des renseignements personnels n'est qu'un aménagement d'un principe plus fondamental qui est ce droit à la vie privée, sous réserve de ce qui est démocratiquement acceptable et raisonnable selon la Charte canadienne des droits ou encore selon la Charte québécoise des droits, ce qui est aussi raisonnable. Bon. Pour faire une histoire courte, parce qu'il y a une différence entre les deux.

Alors, la question que je me suis posée, et c'est pour ça que je pose la question aux officiers, en tout cas au ministère: Est-ce qu'on a examiné si les dérogations que l'on apporte à la loi sur la protection des renseignements personnels ne constituent pas en même temps des dérogations à la Charte québécoise comme à la Charte canadienne des droits? Et, à partir de ça, je pense que c'est fondamental, parce que, si ça déroge à l'une ou l'autre Charte, il faudrait une clause «malgré» ou une clause «nonobstant». Je me suis engagé...

M. Williams: Ou changer notre loi.

M. Jacoby (Daniel): Ou changer la loi, je pense. Alors, jeudi soir, vers 22 h 30, je me suis engagé à fournir un avis juridique dans les meilleurs délais. Nous sommes actuellement à travailler sur cet avis juridique, et ça ne sera pas un avis juridique de complaisance, ni d'un bord ni de l'autre. Mais ce que je veux vous dire, c'est que, si jamais ça allait contre les Chartes, ça serait hypergrave. Mais que ça aille déjà contre la loi sur l'accès, c'est très grave, parce que la loi sur l'accès, selon moi, d'après ce que le législateur a écrit, il a dit que c'est une loi prépondérante. Et les tribunaux ont dit de la Charte québécoise des droits que c'est une loi prépondérante, quasi constitutionnelle. Donc, pour moi, la loi sur la protection des renseignements personnels et la Charte québécoise des droits sont des lois prépondérantes. Alors, je compléterai mon avis juridique cette semaine et je le déposerai dès qu'il sera prêt.

M. Williams: Merci. Comme vous avez mentionné ce commentaire, je présume que vous avez eu une chance de mentionner ce commentaire au ministère du Revenu, avant. Est-ce qu'ils ont eu effectivement une étude sur les Chartes québécoise et canadienne?

(12 h 30)

M. Jacoby (Daniel): Je n'ai pas été consulté avant, M. le Président; la Commission d'accès a été consultée avant. Nous avons examiné le projet de loi depuis à peu près une semaine, et on nous a demandé de venir en commission parlementaire. Mais une consultation lors de l'élaboration du projet de loi... Nous n'avons pas été consultés.

M. Williams: Je voudrais comprendre. Je sais que vous l'avez expliqué, mais je voudrais savoir vraiment l'ampleur de votre recommandation, à la page 5, sur l'article 7, où vous avez suggéré qu'il peut y avoir une certaine marge de manoeuvre pour des projets spécifiques. Si j'ai bien compris, on doit certainement faire ça après entente avec la Commission d'accès à l'information. Quelle limite est-ce que vous êtes prêt à donner au ministre du Revenu? Combien de projets spécifiques? Ou est-ce que vous pensez qu'il va essayer de faire indirectement avec les projets spécifiques ce qu'il est en train de faire directement dans le projet de loi n° 32? Est-ce que, dans votre analyse, c'est un à la fois? Est-ce que c'est vraiment un pouvoir extraordinaire que vous êtes prêt à donner au ministère du Revenu, toujours avec la Commission d'accès à l'information? Je voudrais savoir jusqu'à quelle limite vous êtes prêt à être souple pour la lutte contre le marché noir.

M. Jacoby (Daniel): Il faudrait, pour donner au ministère un pouvoir de ce type-là, plusieurs balises. Un, aller à la cueillette systématique dans les banques de données ne pourrait se faire que dans la mesure où on établit qu'il s'agit bien de lutte au noir et non pas autre chose. Deux...

M. Williams: Pour la lutte contre le marché noir. Juste ça.

M. Jacoby (Daniel): Travail au noir et marché noir, et non pas... Le projet de loi est ainsi rédigé qu'on peut y aller pour n'importe quoi, même s'il n'y a pas...

M. Williams: Oui.

M. Jacoby (Daniel): Tel qu'il est rédigé, le projet de loi ne donne aucune limite. Ça veut dire que, si je veux bien, demain matin, bien, j'irai fouiller à l'aveuglette partout, même s'il n'y a pas de problème criant par rapport à la perte de revenus qui découle de l'absence de contrôle du noir. Donc, on pourrait y aller d'une manière arbitraire.

Je dis: Un, il faut que le projet soit spécifique à un aspect de la lutte du travail au noir ou du marché noir; deux, il faut que le projet vise un secteur particulier, il faut qu'il soit précis. Il ne suffirait pas, pour moi, que le ministère dise: Je m'en vais dans toutes les entreprises privées par rapport... J'explique que, cette année, je vais aller, par exemple, dans l'hôtellerie, parce que, là, j'ai des preuves qu'il y a beaucoup de noir. Donc, je vais préparer un projet spécifique pour l'hôtellerie. Donc, noir, activité et spécifique. Et, troisièmement, je vais le faire pour un temps limité qui pourra, le cas échéant, être revu. C'est toujours possible. Mais, au moins, à chaque fois que la Commission d'accès... Quand je dis «Commission d'accès», je ne parle pas que de la Commission d'accès, je parle de l'ensemble des parlementaires devant qui, actuellement, sont déposées les ententes. Ils ont un droit, les parlementaires, de contrôle à partir du moment où ils peuvent reposer des questions dessus et ainsi de suite. Donc, Commission d'accès, gouvernement, contrôle des parlementaires, plus Gazette officielle . C'est ça qui est important. C'est ça, la transparence.

Et je dis donc: Des balises très spécifiques. Et, selon ma compréhension de l'ensemble de la problématique, ce ne sera pas des enfarges pour l'administration. Tout ce que ça va faire, c'est que ça va les obliger à faire des efforts pour monter un dossier, pour montrer qu'il y a un problème sérieux et que la simple application aveugle des règles de base en matière de protection de la vie privée nous empêche d'aller plus loin. Mais, au moins, il y aura un contrôle a priori, et je pense que c'est une position extrêmement raisonnable et proportionnée. On permet ça au ministère, mais en même temps il y a des balises, et non pas «at large».

Il faut bien penser que ce projet de loi, dans sa forme actuelle – et je parle de ses dispenses d'entente – va faire en sorte que, à l'avenir, pour un temps illimité et sur n'importe quelle activité au Québec, le ministère puisse aller fouiller partout. C'est gros pour atteindre l'objectif recherché, alors qu'il y a d'autres moyens de le faire qui sont plus efficaces que ce qu'il y a actuellement de par mes propositions.

M. Williams: Merci.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Viger, il vous resterait cinq minutes.

M. Maciocia: Oui, M. le Président. C'est vraiment à prendre très au sérieux, les recommandations du Protecteur du citoyen, parce que, disons, moi, je n'avais pas regardé le projet de loi avant, j'ai eu l'occasion de le regarder un peu ce matin, mais c'est vraiment grave, de la façon dont le ministère voudrait se comporter avec ce projet de loi là. Et c'est tellement vrai que le ministère a déjà les moyens pour aller chercher ce qu'il voudrait aller chercher.

C'est que, justement, le Vérificateur général nous disait, quand il nous a présenté son rapport, que, principalement, c'est à cause d'un manque de ressources que le ministère ne peut pas faire le travail qu'il devrait faire pour aller justement chercher le dû des contribuables au fisc québécois. C'était très clair dans le rapport du Vérificateur général, et aujourd'hui je me pose des questions justement sur la façon de faire du ministère du Revenu avec le projet de loi n° 32, où on change complètement de cap, dans le sens que, comme vous disiez tout à l'heure, le ministère, avant, pour aller chercher des données, il fallait qu'il ait des doutes sur le contribuable en question dans le sens de dire: Je pense qu'il est un «évaseur» fiscal. Aujourd'hui, c'est complètement différent. Comme vous disiez tout à l'heure, il peut prendre n'importe qui, il peut prendre une catégorie de gens, que ce soient des hôteliers, que ce soient des vendeurs d'automobiles, que ce soient, je ne sais pas, demain matin, des...

M. Gautrin: Des agents d'assurances.

M. Maciocia: ...agents d'assurances, des députés, des conseillers municipaux, n'importe qui, puis arriver, puis dire: Je veux avoir les données sur tout le monde et, en partant de là, je vais faire mes sélections dépendamment du rapport qu'on obtient. Ça serait complètement aberrant et ça serait... Je me pose la question comme vous vous la posez: Est-ce que ça ne va pas à l'encontre des Chartes des droits et libertés du Québec et du Canada? Moi, je me pose la question et très sincèrement je pense que le ministère aurait dû faire... Je ne sais pas s'il a un avis. Probablement qu'ils l'ont fait. Le ministre va nous le dire, s'ils ont déjà demandé un avis juridique sur la question, justement, à savoir si cette loi-là va à l'encontre des Chartes des droits et libertés du Québec et du Canada. Je me pose la question.

Deuxièmement, M. le Président, je me sentirais vraiment très mal à l'aise... Et j'aimerais que le ministre m'écoute, actuellement. Je me sentirais très mal à l'aise... Pour le respect aussi des gens du Protecteur du citoyen et d'autres gens qui vont venir devant nous ici, si le ministre a déjà, si je peux dire, des amendements sur ce projet de loi là, je pense que ce serait plus intéressant que le ministre les dépose avant pour qu'on puisse se prononcer sur ça, pas seulement nous, mais aussi tous les organismes qui vont venir devant la commission, parce que je n'aimerais pas qu'il nous arrive à la fin avec des amendements déjà faits d'avance et qu'on ne puisse pas discuter, justement, avec les gens qui viennent devant la commission.

M. le Président, c'est un projet de loi très délicat, et les conséquences de ce projet de loi sont très graves. Par conséquent, moi, je demande au ministre, s'il y a des amendements qui sont déjà prévus, de les déposer avant qu'on entende... Par exemple, le Protecteur du citoyen pourrait déjà se prononcer sur ces amendements-là, au lieu de les amener à la fin et, après, de nous dire: Mais on ne peut plus les écouter, parce que, à un certain moment, ils sont déjà venus devant la commission. Parce que les conséquences peuvent être très graves, M. le ministre. On parle sans partisanerie, que ce soit bien clair. Il en va uniquement de l'intérêt du citoyen, et je pense qu'ici il faut absolument qu'on se pose de sérieuses questions après les commentaires du Protecteur du citoyen.

(12 h 40)

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le ministre, vous voulez répondre à la question?

M. Bertrand (Portneuf): Oui, M. le Président. Très rapidement, pour ne pas prendre le temps réservé à l'opposition officielle.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Mais il n'en restera plus, de toute façon.

M. Bertrand (Portneuf): Ah bon! Deux choses. Est-ce qu'il y a actuellement des modifications au projet de loi d'envisagées? Non, il n'y en a pas, on travaille sur le projet de loi tel qu'il existe dans le moment, et nous sommes convaincus que c'est un excellent projet de loi et qu'il devrait être adopté tel quel. Ceci étant dit, ce n'est pas pour le fun...

M. Gautrin: Vous dites ça sans rire.

M. Bertrand (Portneuf): Un instant! Ce n'est pas pour le plaisir uniquement qu'on entend des représentants de différents organismes, mais c'est pour justement être à l'écoute de leurs arguments. Et, éventuellement, s'il arrivait qu'il y ait une suggestion de bonification du projet de loi, il nous fera plaisir également de considérer un ajustement à l'intérieur du projet de loi, mais, à ce moment-ci, il n'y en a pas encore.

M. Maciocia: Mais vous avez consulté la Commission d'accès à l'information. Elle vous a fait des recommandations.

M. Bertrand (Portneuf): Oui.

M. Maciocia: Est-ce que vous les avez prises en considération et, par conséquent, est-ce que vous avez des amendements à déposer sur ça?

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Si vous voulez, M. le député, laisser le temps au ministre de répondre.

M. Maciocia: Oui, mais c'est ça.

M. Bertrand (Portneuf): Je termine là-dessus. Oui, lorsqu'on rencontrera la Commission d'accès à l'information, j'aurai l'occasion d'indiquer toutes les modifications qu'on a adoptées au projet avant qu'il soit déposé, pour tenir compte justement des commentaires de la Commission d'accès à l'information. Avant de déposer le projet de loi, on a effectivement été en discussion, et ça a amené un certain nombre de modifications par rapport à notre projet original. Donc, on a essayé d'en tenir compte le plus possible, et j'aurai l'occasion de préciser là-dessus ultérieurement. En ce qui regarde...

M. Williams: Vous n'avez pas demandé le même avis au Protecteur du citoyen?

M. Bertrand (Portneuf): Non, parce qu'il s'agissait carrément de la loi d'accès à l'information, alors on a été en contact très étroit avec l'organisme qui, au premier chef, est responsable à l'application de cette loi-là. Je pense que ça apparaît normal.

En ce qui regarde la première question que vous avez posée, M. le député – M. le Président, si vous permettez – quant à un avis juridique eu égard à la Charte des droits et libertés de la personne sans que nous ayons, au niveau du ministère du Revenu, un avis explicite là-dessus, il est sûr que, dans la procédure d'élaboration d'un projet de loi, ces questions-là sont examinées. Deuxièmement, je vous rappelle que, au niveau du Comité de législation, ce projet de loi là, comme tous les projets de loi, a été examiné en détail et que, s'il était apparu, à ce moment-là, qu'il y ait un problème par rapport à la Charte des droits et libertés de la personne, la question serait ressortie rapidement. Or, ni au niveau du ministère du Revenu, dans nos analyses, ni au niveau du Comité de législation cette inquiétude-là n'a été manifestée.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci, M. le ministre. Je dois vous aviser, M. le député de Viger, que les deux partis ont écoulé, même largement, le temps qui leur est alloué pour recevoir ou questionner nos invités. Donc, sur ce, je vais remercier M. le Protecteur du citoyen et les personnes qui l'accompagnent d'avoir fait part de leurs propos, de leurs inquiétudes, et on...

M. Bertrand (Portneuf): M. le Président, je pensais qu'on avait simplement droit à une remarque pour conclure avant de...

Une voix: Oui, oui.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Bien, oui, je vais vous permettre de conclure, puisqu'il y a consentement, surtout qu'il n'y a pas d'autre organisme avant la suspension, parce que, sans ça, je vais être obligé d'être assez ferme sur le temps alloué pour chaque organisme, parce qu'on va dépasser minuit ce soir. Allez, M. le ministre.

M. Bertrand (Portneuf): Oui. Très brièvement, je vais essayer d'intervenir de façon à ne pas repartir tout un débat, compte tenu que le délai est écoulé maintenant, ce qui serait un peu injuste à l'égard du Protecteur du citoyen. Je mentionnerais simplement que je pense que M. le Protecteur du citoyen fait un excellent travail et je le remercie beaucoup de ses suggestions. Je lui soumets tout simplement respectueusement qu'on doit également avoir la préoccupation de la protection des citoyens. Je pense que ses préoccupations sont tout à fait légitimes, et, par ailleurs, il faut trouver le moyen, effectivement, de faire en sorte que, par des interventions plus efficaces des autorités fiscales, on atteigne une certaine équité dans la société en faisant en sorte que tout le monde, finalement, paie son écot.

Deuxième remarque, j'ai entendu plusieurs réflexions, depuis maintenant plusieurs mois, à l'égard du monde des fonctionnaires, de la technocratie et de l'administration publique, qui souvent me blessent, je vous le dis franchement, parce que c'est comme si on avait tendance, à un moment donné, à présumer la mauvaise foi de ceux et celles qui auront la responsabilité d'appliquer les dispositions des lois qui sont adoptées. Nous ne prétendons pas, par exemple, au ministère du Revenu, avoir le monopole de la vertu, non plus que le monopole du vice. On peut faire des erreurs, mais on fait tout notre possible pour faire en sorte que les choses se fassent correctement, et je pense qu'on pourrait dire la même chose du Protecteur du citoyen ou de la Commission d'accès à l'information. Ha, ha, ha! Nul ne peut prétendre avoir le monopole de la vertu, ni du vice, d'ailleurs. Alors, moi, je souhaiterais que, dans les interventions des personnages publics, qu'ils soient de l'administration ou carrément de la politique, qu'ils soient des élus, on soit peut-être un peu plus tempérant à l'égard des interventions qui s'adressent ou qui concernent ceux et celles qui, au niveau de l'administration, doivent s'assurer de l'application conforme des lois. Je vous remercie.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci, M. le ministre. M. le député de Viger ou de Nelligan? Nelligan.

M. Williams: Pour le mot de la fin, merci beaucoup pour votre participation, M. le Protecteur du citoyen. C'est un sujet assez important, et je trouve que ce n'est pas nécessairement un type de sujet qu'on doit discuter pendant une session intensive. Il me semble que ça mérite beaucoup plus que le temps qu'on peut donner.

Deuxième chose, je trouve ça dommage que le ministre délégué n'ait pas pensé à vous consulter. Peut-être que c'est à cause du niveau des plaintes que vous avez reçues contre le ministère du Revenu, je ne sais pas, mais il me semble que c'est exactement une chose qu'on ne doit pas faire. On doit s'assurer que nous avons le feedback et l'avis de toutes les instances pertinentes.

Sur les questions de mauvaise foi, je pense qu'on doit s'assurer que nous n'allons jamais passer ici, à l'Assemblée nationale, une loi qui présume une mauvaise foi de tous les Québécois et Québécoises, parce que la grande, grande majorité des payeurs de taxes paie ses taxes, et je pense qu'on doit s'assurer que la vie privée est bel et bien protégée.

Je voudrais vous remercier, M. le Protecteur du citoyen, un, d'être aussi clair et aussi franc sur les dangers qu'on trouve dans le projet de loi n° 32, mais aussi, encore une fois, je voudrais vous remercier pour votre avis, qui arrive toujours à la toute dernière minute, pas à cause de vous, mais à cause des demandes à la toute dernière minute. J'espère qu'on pourra continuer à avoir un bon échange et s'assurer d'abord et avant tout, avant qu'on finisse l'analyse de ce projet de loi... On doit tous, unanimement, s'assurer que la vie privée de la population québécoise est protégée et n'est pas compromise par ce projet de loi. Merci beaucoup pour votre intervention aujourd'hui.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Je vais vous permettre, M. le député de Viger, très, très, très rapidement.

M. Maciocia: Oui, très brièvement, M. le Président. Les remarques du ministre, tout à l'heure, sur la question des fonctionnaires ou des gens qui travaillent au ministère, je voudrais que ce soit très clair, je ne sais pas à qui elles s'adressaient, mais ce n'est absolument pas ce qu'on fait ici. Je ne sais pas si ça s'adressait au Protecteur du citoyen ou à qui, mais je pense qu'ici on met en cause la politique du gouvernement. Les gens qui vont appliquer cette politique, ils font leur devoir; c'est uniquement ça qu'ils vont faire. Mais c'est ici que nous mettons en cause la politique du gouvernement. On n'a jamais attaqué – jamais on ne le fera – les fonctionnaires qui appliquent les lois votées par le politique, absolument pas, parce que, ces fonctionnaires-là, ils font leur travail et ils le font comme il faut. C'est seulement à cause d'un manque de ressources que probablement ils ne peuvent accomplir le travail qu'ils sont obligés de faire. C'est uniquement ça. Mais, ici, on s'attaque uniquement aux politiques du gouvernement et absolument pas aux gens qui l'appliquent. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci, M. le député de Viger, merci, M. le Protecteur du citoyen, et je suspends les travaux jusqu'à cet après-midi, 15 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 49)

(Reprise à 15 h 6)

Le Président (M. Baril, Arthabaska): À l'ordre! Madame, messieurs, la commission du budget et de l'administration reprend ses travaux afin de procéder à des consultations particulières et à l'étude détaillée du projet de loi n° 32, Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu.

Cet après-midi, nous recevons le Vérificateur général du Québec ainsi que ses collaborateurs. Je lui souhaiterais la bienvenue, d'abord, et j'inviterais M. Breton à nous présenter les personnes qui l'accompagnent et, par la suite, à nous faire part de ses intentions, de ses suggestions, de ses propos. À vous, M. Breton.


Vérificateur général du Québec

M. Breton (Guy): M. le Président, je suis accompagné, à ma droite, de M. Jean-Noël Thériault, le directeur de cabinet, de M. Marc-André Lepage, le directeur de la vérification au ministère du Revenu, et de M. Jacques Henrichon, vérificateur général adjoint.

M. Gautrin: Et familier de notre commission.

M. Breton (Guy): M. le Président, M. le ministre, madame, messieurs, vous nous avez convoqués, et nous sommes venus. Toutefois, avant de débuter, je veux demander aux membres de la commission leur protection et leur compréhension. Ma présence en cette commission excède le pouvoir conféré par la Loi sur le vérificateur général, m'amène en dehors de mon champ de compétence et peut faire tomber toute protection d'immunité, et je m'explique: nulle part n'est-il prévu, dans la loi du vérificateur général, de me donner la juridiction de conseiller le gouvernement en matière de législation. J'attire votre attention sur le fait qu'il a fallu amender la Loi électorale pour donner au Directeur général des élections cette compétence, à l'article 485, dans lequel il est dit qu'il peut également être consulté par le gouvernement sur toute législation à caractère électoral. Et, encore, cette compétence est restreinte à la législation à caractère électoral.

Jusqu'à ce jour, j'ai fait attention pour faire des recommandations à l'intérieur de l'exercice de mes fonctions. Cela signifie que, si une recommandation entraînait des conséquences qui ne relèvent pas de mes fonctions, par exemple la protection des droits à la vie privée des personnes ou diverses lois dont l'application ne dépend pas de moi, je n'ai pas la compétence pour élaborer sur le sujet et je dois laisser les personnes et les organismes concernés défendre leur point de vue. C'est pourquoi, de façon pratique, je devrai, par exemple, au cours de cette présence devant vous, prendre les recommandations faites dans les rapports antérieurs, les résumer, les expliquer et donner les raisons qui les ont motivées, qui sont toujours à caractère économique. Je vous invite donc à accepter le principe que je ne puis transposer en termes législatifs ces recommandations d'ordre économique. Faire autrement équivaudrait à m'immiscer dans les débats parlementaires alors que je ne dois pas prendre parti entre le gouvernement et l'opposition et que, d'autre part, je ne peux pas critiquer une loi. Voilà donc pourquoi je demande votre protection et votre compréhension.

Je vous ai fait parvenir un texte qui rappelle brièvement le message que nous avions communiqué dans le rapport annuel 1994-1995 et qui débouche sur des réflexions que nous avons voulues les plus philosophiques possible, question de ne pas nous immiscer dans le débat. Alors, selon votre désir, M. le Président, je puis faire lecture de ce texte que vous avez ou encore répondre immédiatement à vos questions.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Bah! je ne sais pas si les membres de la commission ont pris connaissance du texte et sont prêts tout de suite à questionner le Vérificateur ou s'ils préfèrent...

M. Williams: ...attendre la fin de l'exposé, je pense.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): O.K. M. le Vérificateur, si vous pouvez faire un exposé ou peut-être le résumer.

M. Gautrin: M. le Président, le Vérificateur...

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Si vous permettez, le Vérificateur a soulevé la question de la protection de la commission. Est-ce que j'ai bien compris votre intervention?

M. Breton (Guy): C'est bien ça.

(15 h 10)

M. Gautrin: Je pense que c'est une question extrêmement importante et que, s'il doit commencer à donner son avis sans répondre aux questions, il faudrait qu'on puisse lui étendre la protection de la commission. Ça me semble un élément important quant aux gens qui viennent témoigner ici en dehors du champ de leur mandat. Le Vérificateur nous signale, à l'heure actuelle, qu'il a un mandat extrêmement précis qui n'est pas celui de consulter le gouvernement et qu'il vient témoigner devant la commission. S'il témoigne devant la commission, il doit le faire sous la protection de la commission, et je pense que... Je ne sais pas quelle est la formule pour le faire.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Bien, je peux vous dire que tous les invités qui viennent à cette commission ont la même protection, égale pour tout le monde. Donc, le Vérificateur est inclus dans ça. À l'article 53, on dit: «Le témoignage d'une personne devant l'Assemblée, une commission ou une sous-commission ne peut être retenu contre elle devant un tribunal, sauf si elle est poursuivie pour parjure.» Je ne pense pas que le Vérificateur aille jusque-là.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Donc, le...

M. Gautrin: M. le Président, si vous me permettez...

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Oui.

M. Gautrin: ...d'insister quand même sur ce point-là, si j'ai compris la question, à savoir qu'il y avait une distinction à faire entre la personne de M. Guy Breton, qui est ici présent, et la personne du Vérificateur général... Est-ce que j'ai compris ce que vous êtes en train de nous dire? C'est que la personne, évidemment, comme la personne de Guy Breton, est protégée dans son témoignage ici en fonction de l'article 53. Je crois que vous souleviez un problème différent en référence au Directeur général des élections, à moins que je me sois trompé.

M. Breton (Guy): Si vous permettez, le principal point, c'est que, à compter de l'instant où je fais connaître à la commission parlementaire mon avis sur une solution plus ou moins précise, je viens de me disqualifier dans le futur pour valider, vérifier l'application de cette solution, parce que, ayant pris une position, ayant fait une recommandation – bien sûr, je vous ferai la meilleure – pour le futur, je serai toujours un peu inquiet qu'on n'ait pas suivi la meilleure solution: la mienne. Donc, je me disqualifie ou je me rends incompétent pour appliquer cette loi dans le futur, et c'est la raison pour laquelle nous n'avons pas le droit de remettre en cause des lois existantes ou de participer à la préparation d'un texte de loi comme tel, parce que je le ferais mien, et, conséquemment, je ne serais plus indépendant.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le ministre.

M. Bertrand (Portneuf): M. le Président, je crois comprendre que M. le Vérificateur général nous rappelle ces règles de base qui me semblent importantes, compte tenu de la fonction qu'il occupe. Ce qu'il souhaite, c'est essentiellement rappeler les recommandations qu'il a déjà formulées et probablement répondre à des questions de clarification sur celles-ci, et non pas poser des jugements sur ce qui aurait pu être dit précédemment ou sur... Enfin, nous, de ce côté-ci de la Chambre, on est tout à fait à l'aise avec cette approche-là. On s'en tiendra donc à des questions de clarification sur l'exposé du Vérificateur général.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): C'est bien. Ça vous convient, M. le Vérificateur?

M. Breton (Guy): Ça me convient.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Oui?

M. Gautrin: M. le Président, si c'est l'approche de la commission, quel que soit le côté qu'on prend, moi, je suis tout à fait d'accord et à l'aise avec ça. Je vous demande d'être vigilant sur les questions qui seront posées par les différents collègues de manière à ce qu'elles satisfassent à cette restriction.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): C'est bien. Donc, allez, M. le Vérificateur, vous pouvez nous faire part de votre mémoire.

M. Breton (Guy): Alors, si vous me permettez, je vais reprendre mon dernier paragraphe, dans ce contexte. Je vous disais que je vous ai fait parvenir un texte qui rappelle brièvement le message que nous avions communiqué dans le rapport annuel et qui débouche sur des réflexions que nous avons voulues les plus philosophiques possible, question de ne pas nous immiscer dans le débat, parce que, finalement, les deux tiers du document que vous avez entre les mains portent quand même sur des considérations très générales, et je les ai voulues le plus générales possible, mais je ne veux pas en débattre une fois que je les ai énoncées.

Alors, à cause de la situation économique particulièrement difficile et de l'évolution du domaine informatique, les organismes du secteur public tendent de plus en plus à accroître les échanges d'information entre eux. L'amélioration de la qualité des moyens aux citoyens et un meilleur contrôle des revenus et des dépenses de programmes sont au centre des préoccupations des gestionnaires. Ce besoin de recourir à l'information que détiennent d'autres entités est principalement dû à la nécessité de rationaliser les ressources et au désir de combattre l'évasion fiscale et le travail au noir. Cependant, cette pratique augmente les risques d'intrusion dans la vie privée des citoyens. Dans le cadre du mandat que m'a confié la Loi sur le vérificateur général, soit de favoriser le contrôle parlementaire par la vérification, je désire rappeler les recommandations que j'ai adressées aux ministères et organismes au cours des dernières années concernant les échanges d'information et en circonscrire davantage la portée en ayant comme toile de fond le débat actuel.

Les travaux de vérification que j'ai réalisés m'ont permis d'établir que les échanges d'information pourraient contribuer à l'amélioration des contrôles dans la gestion des deniers publics. En effet, si la main gauche n'ignore plus ce que fait la main droite, les individus qui auraient été tentés de transmettre de l'information différente d'un organisme à l'autre pourraient en être dissuadés. Ce moyen peut également être utile pour mieux cibler les cas qui devraient faire l'objet d'une vérification ou d'une enquête ou pour connaître l'ampleur d'une situation paraissant problématique. Et c'est ce que nous avons fait l'an dernier: nous avons essayé d'établir l'ampleur des situations problématiques.

En outre, les échanges peuvent contribuer à alléger les démarches qui s'imposent pour obtenir et valider l'information nécessaire à l'administration des programmes. Ainsi, cette procédure évite de solliciter inutilement le citoyen pour obtenir de l'information que l'État possède déjà, comme un certificat de naissance disponible à la Direction de l'état civil. Ce moyen est d'autant plus attrayant que les nouvelles technologies offrent des possibilités accrues d'interrogation des banques de données et des communications d'information. Elles permettent de plus de réaliser des échanges à moindre coût dans un environnement de contrôle davantage sécuritaire quant à la confidentialité des données.

Mes observations m'ont amené à m'adresser à différentes organisations gouvernementales dans mon rapport de 1994-1995 et dans le premier tome de celui de 1995-1996. Ainsi, je leur ai recommandé d'intensifier leurs efforts en vue d'obtenir des autres ministères et organismes du gouvernement les renseignements nécessaires à l'application de leurs lois respectives et d'obtenir plus d'information des organismes externes afin de faciliter la détection de particuliers qui ne produisent pas leur déclaration de revenus; d'obtenir toutes les informations auxquelles elles ont droit en vertu d'ententes d'échanges d'information; d'utiliser un code permanent commun aux organismes du secteur agricole afin de permettre le partage et la validation des informations qu'ils détiennent. J'ai aussi recommandé au gouvernement d'étudier la pertinence d'optimiser l'utilisation des informations contenues dans les différents fichiers des ministères et organismes dans le but de faciliter l'application des lois.

En résumé, toutes mes recommandations visent à améliorer la gestion des deniers publics. En effet, particulièrement dans un contexte de décroissance, le gouvernement doit prendre les meilleurs moyens pour assurer une saine gestion.

Mais cette recherche d'efficacité ne doit pas se faire au détriment du droit des citoyens au respect de leur vie privée. Un juste équilibre entre les intérêts collectifs de l'État et les droits individuels des citoyens, entre la protection de la vie privée et la détection des irrégularités ou de la fraude doit être maintenu. Je porte à votre attention qu'une étude est en cours au sein de l'organisme que je dirige au sujet des échanges d'informations et de la protection des renseignements personnels. Les résultats de cette étude seront présentés dans le tome II de mon rapport de l'année courante. Elle a notamment pour objectif de nous assurer que les échanges d'information contribuent à une gestion efficace, efficiente et économique des programmes, tout en respectant la confidentialité des renseignements personnels. Bien sûr, il est trop tôt pour vous donner les résultats des travaux, malheureusement.

Assises de la protection des renseignements. La protection des renseignements nominatifs se base sur des grands principes qui n'empêchent pas les échanges d'information, mais qui visent à éviter les abus dans la communication des renseignements colligés sur une personne sans son consentement. Conscient de leur importance, je souligne qu'il est utile d'en rappeler quelques-uns: toute administration doit assurer la sécurité des données personnelles qu'elle détient et ne les utiliser qu'aux fins pour lesquelles elles ont été recueillies (la finalité); toute personne doit pouvoir empêcher qu'une information la concernant, transmise dans un but précis, soit utilisée ou rendue disponible à une autre fin sans son consentement (le consentement); toute personne doit pouvoir connaître, sauf en de rares exceptions, l'information personnelle détenue à son sujet par les organismes publics et l'utilisation qui en est faite (la transparence). Parmi les moyens que s'est donnés le législateur pour concrétiser ces principes généraux, citons l'étanchéité des organismes publics et la collecte limitée de renseignements personnels.

Afin d'assurer la confidentialité des renseignements et de limiter leur circulation, le législateur a choisi de considérer chaque organisme public comme une entité indépendante et autonome en ce qui concerne la gestion des renseignements dont il est fiduciaire. La multiplication des échanges ou couplages de renseignements entre organismes sans le consentement des personnes concernées soulève des préoccupations concernant l'étanchéité des organismes publics. De plus, la collecte de renseignements personnels doit se limiter à ceux qui sont nécessaires. Ainsi, même si une information est disponible au gouvernement, un ministère ne peut l'obtenir sans en démontrer la nécessité. Par exemple, si le ministère du Revenu a besoin de la liste des propriétaires de véhicules de prestige détenue par la Société de l'assurance automobile du Québec, il ne doit pas recevoir de l'information sur les points d'inaptitude ou les indemnisations.

(15 h 20)

Outre les échanges avec consentement, lesquels ne sont pas limités, la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et la protection des renseignements personnels permet d'échanger sans le consentement des personnes concernées des informations nécessaires à l'application des lois du Québec. Selon le niveau de confidentialité des données, le nombre de personnes y ayant accès, les moyens de communication utilisés, etc., des contrôles adéquats doivent être mis en place pour assurer la protection des renseignements nominatifs.

Nécessité ou utilité des échanges. Tout organisme, avant de procéder à des échanges d'information sans consentement, doit décrire clairement l'information requise et à quelle fin, démontrer que l'échange, l'appariement ou le couplage est le moyen le plus avantageux, évaluer la disponibilité des ressources requises pour traiter des cas décelés. Par exemple, le ministère de la Sécurité du revenu pourrait vouloir valider le revenu des prestataires auprès du ministère du Revenu du Québec. Dans ce cas, il ne devrait recevoir que l'information pertinente. Il devrait pouvoir établir de façon concluante que l'obtention de l'information du ministère du Revenu sans le consentement de la personne concernée représente de réels avantages par rapport aux autres moyens de validation disponibles. Enfin, il devrait disposer du personnel et des pouvoirs nécessaires au traitement des cas affichant des disparités, afin que les échanges ne mènent pas à une impasse administrative ou juridique.

Conclusion d'ententes. Les parties concernées par un échange d'information devraient toujours signer une entente, laquelle mentionnerait, notamment, la personne responsable du respect des conditions de l'entente et de la protection des renseignements reçus, les moyens mis en oeuvre pour assurer une protection adéquate des renseignements personnels, la fréquence des échanges et la destruction des informations lorsqu'elles ne sont plus requises. Ainsi, lorsque le ministère du Revenu a retracé parmi les contribuables ciblés ceux qui possèdent un véhicule de prestige, il devrait détruire l'information reçue de la Société de l'assurance automobile du Québec.

Reddition de comptes. La reddition de comptes est sans doute l'élément de gestion le plus important et malgré tout le plus négligé. Il est indispensable que les organismes exposent aux membres de l'Assemblée nationale les résultats des échanges d'information, surtout ceux qui ont été faits à des fins de couplage de fichiers. De plus, l'organisme doit rendre des comptes relativement au degré de respect de la protection de la vie privée. Afin d'assurer la qualité de la reddition de comptes et la conformité aux lois, règlements et directives, les échanges d'information devraient comporter des pistes de vérification: par exemple, des registres de communication, une journalisation des accès, les accusés de réception des informations, les preuves de destruction, etc. En outre, il faudrait définir des indicateurs pour mesurer le rendement et la valeur ajoutée de ces échanges.

En conclusion, comme le mentionnent mes rapports des années antérieures, il est manifeste que les échanges de données peuvent aider à améliorer la gestion des programmes des différents ministères et organismes. Par conséquent, ceux-ci doivent examiner soigneusement les occasions d'échange qui leur permettraient d'accroître leur efficacité et la qualité des services aux citoyens. Néanmoins, les avantages escomptés ne doivent pas masquer les risques parallèles ni les véritables enjeux. En effet, l'échange de données peut être utilisé dans la recherche d'une gestion optimale des ressources, mais ce n'est pas le seul contrôle disponible. L'absence d'une stratégie intégrée de contrôles risque d'en minimiser les effets bénéfiques et d'en multiplier indûment l'usage. L'urgence d'agir ne devrait pas faire en sorte que cet outil soit mal utilisé ou qu'il brise la relation de confiance entre le citoyen et l'État. À cet égard, le Vérificateur général considère que les grands principes sous-jacents à la protection des renseignements personnels doivent être respectés et qu'ils ne sont pas incompatibles avec les objectifs d'efficacité recherchés.

L'Assemblée nationale doit s'assurer que les balises ou des contrôles suffisants permettent de maintenir les fondements de la protection de la vie privée dans un environnement où la circulation de l'information est sans cesse croissante; en somme, des échanges d'information dans un environnement contrôlé et vérifiable.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci, M. le Vérificateur, de votre exposé. J'accorderai la parole au ministre.

M. Bertrand (Portneuf): Merci, M. le Président. À ce moment-ci, j'aurais peut-être une première série de questions, mais sur quelque chose qui est justement factuel et que vous avez vécu manifestement, puisque vous en faisiez état dans votre rapport annuel de 1994-1995, où vous affirmiez que 4 500 particuliers admissibles au régime d'assurance-maladie du Québec pour 1993 n'avaient pas produit déclaration de de revenus pour 1992 et 1993. Je crois comprendre que vous avez pu procéder à ce constat suite à des échanges de renseignements, probablement avec la Régie de l'assurance-maladie, j'imagine. J'aimerais ça que vous nous parliez un peu de cette expérience-là. Par exemple, est-ce que votre loi, dans le moment, vous permet de faire de tels couplages? Est-ce que des ententes sont nécessaires au préalable avant de vous permettre de procéder? Quelles sont les garanties qu'offre le Vérificateur général, s'il était... Mettez-vous à la place, par exemple, du ministère du Revenu. Est-ce que vous avez des garanties équivalentes? On sait que le secret fiscal, dans le cas du ministère du Revenu, est une sanction importante ou une garantie importante eu égard à la confidentialité des renseignements.

J'aimerais que vous nous expliquiez comment ça s'est fait, ces couplages-là, et en vertu de quelles dispositions de votre loi. Et est-ce qu'il y a des transferts possibles d'expérience par rapport à ce qu'on veut faire au ministère du Revenu?

M. Breton (Guy): D'accord. Nous avons effectivement réalisé un assez grand nombre de couplages lorsque nous avons fait la vérification du ministère du Revenu, à la recherche, justement, de situations qui existaient sans doute et dont on a fait la preuve et la démonstration dans le rapport annuel. Nous avions le soupçon qu'effectivement l'information n'était pas uniforme d'un fichier à l'autre et nous avons cherché à en faire la démonstration.

Évidemment, dans l'appariement des fichiers, nous cherchions le nombre de dossiers qui étaient incongrus. Nous ne cherchions pas à connaître les individus en particulier. Il fallait évidemment apparier deux individus, deux dossiers particuliers, mais nous ne cherchions pas à en dresser la liste comme telle. On totalisait pour dire: Écoutez, il y en a 4 500, il y en a 600 qui ont reçu des services de santé et qui se prétendent hors Québec. Donc, on a fait des statistiques. Dans ce sens, je dirais, l'accès à l'information était moins dangereux pour échapper de l'information, parce qu'on ne s'intéressait pas aux dossiers particuliers; on faisait des totaux. Autrement dit, notre appareil, une fois qu'il avait fait l'appariement, en comptait simplement un de plus ou classait la nature de la non-conformité des fichiers et préparait des statistiques pour dire: Voici, il y en a 4 600, en voici 600 à l'intérieur qui se prétendaient non québécois. Pour chacune des places où 700 employés, 70 entrepreneurs dans la construction ne sont pas inscrits à la Commission de la construction ou ne sont pas... Bon. On faisait des statistiques pour démontrer qu'il y a un volume qui existe. On ne cherchait pas à identifier les individus. En ce sens, il y avait une certaine protection, si vous voulez, de l'information.

La deuxième, vous nous demandiez s'il y a entente. Non, il n'y a pas d'entente, parce que, quand nous vérifions le gouvernement de A à Z, on a accès à toute l'information disponible dans le gouvernement, je dirais, peu importe où elle se trouve, et, bien sûr, quand deux équipes travaillent côte à côte dans deux ministères qui traitent littéralement du même sujet à l'occasion, bien, les deux équipes échangent de l'information pour ne pas, évidemment, arriver à des constats divergents, ce qui permet aussi quelquefois d'être un peu plus pointu dans nos recherches. Donc, ayant accès à tout, sans limite, pour nous, ça ne posait aucun problème que de dévider des fichiers de différents ordinateurs, de les mettre côte à côte, de les apparier et de dresser encore une fois une statistique; on ne s'intéressait pas aux dossiers individuels.

La garantie ou le secret, eh bien, je pense que c'est le secret qui est prévu dans la Loi sur vérificateur général, à l'article 50 qui dit: La discrétion – dans la section Immunités. «Malgré toute autre loi générale ou spéciale, le Vérificateur général, ses employés et ses experts-conseils ne peuvent être contraints de faire une déposition ayant trait à un renseignement obtenu dans l'exercice de leurs fonctions ou de produire un document contenant un tel renseignement.» Et, dans Conditions d'exercice, la discrétion pour les employés: «Tout employé ou expert-conseil du Vérificateur général doit observer les règles de sécurité et de discrétion applicables aux employés des organismes publics, des organismes du gouvernement, des entreprises du gouvernement ou de tout autre organisme, association ou personne dont les fonds et autres biens font l'objet de vérification ou d'enquête.»

Et, de cela, nous créons un parallèle en disant: Lorsqu'on observe les règles de sécurité du ministère du Revenu, ce sont les règles de sécurité du ministère du Revenu qui nous dirigent, si vous voulez. On s'adapte, comme minimum, aux règles de sécurité de celui qu'on vérifie. Dans le cas du Revenu, c'est probablement les règles les plus hautes qu'on trouve dans la fonction publique. On s'y adapte, on s'adapte à ça.

(15 h 30)

Par principe, il n'y a aucune information qui a été extraite des livres du Vérificateur général jusqu'à maintenant, parce que aucune loi provinciale n'a prise sur cette information, à l'aide de ces deux articles; donc c'est la sécurité absolue. J'ai bien dit «loi provinciale», parce que si c'était en loi criminelle, qui est une loi fédérale, évidemment nos lois provinciales doivent reconnaître la préséance des lois du fédéral, et, là, dans un contexte criminel, on pourrait toujours avoir une demande d'information. Mais, je ne le sais pas, en ce qui concerne la loi, pour le ministère du Revenu, si elle pourrait, elle aussi, s'opposer ou non à une contrainte d'une loi fédérale en matière criminelle; je l'ignore. Je sais que nous, jusqu'à maintenant, on n'a pas eu de poursuite de cette nature. Donc, jusqu'à maintenant, rien n'est jamais sorti de chez nous.

M. Bertrand (Portneuf): Donc, je comprends, M. le Président, que... Sans vouloir vous citer, mais, de ce que vous avez mis sur la table, je comprends, au bénéfice des membres de la commission, que cette possibilité-là existe actuellement dans l'administration publique, si on réfère au Vérificateur général, de faire de la comparaison d'informations, du couplage de fichiers – pardon? – ...

M. Gautrin: ...

M. Bertrand (Portneuf): ...aux fins des travaux que doit conduire éventuellement le Vérificateur général. Tout ce que je mentionne, c'est que cette possibilité-là existe quelque part, chez le Vérificateur général, de pouvoir comparer les renseignements contenus aux différents fichiers. Je prends bonne note également de vos observations en ce qui regarde la hauteur des règles applicables à un ministère comme celui du Revenu, en ce qui regarde, par exemple, bien sûr, l'application du secret fiscal et des garanties que ça peut représenter. Juste une sous-question peut-être, là-dessus, et je passerais peut-être la parole à quelqu'un d'autre. En tout cas, vous passerez la parole à quelqu'un d'autre.

Sur la question des informations auxquelles on peut avoir accès, vous dites, dans votre note, à la page 3, qu'on ne doit recevoir des informations que sur des éléments pertinents au mandat qui est le nôtre; dans le cas par exemple du ministère du Revenu, que des renseignements pertinents à l'application des lois fiscales. C'est la dernière ligne, finalement, de cette page-là. Dans l'expérience que vous avez conduite, justement, est-ce que vous avez été à même d'obtenir d'autres informations que les informations strictement nécessaires à la conduite de votre mandat et, s'il y a lieu, qu'avez-vous fait des autres informations? Est-ce que vous les avez détruites, est-ce que... Comment ça fonctionne?

M. Breton (Guy): Oui. Mais, justement, en cherchant à dresser des statistiques plutôt qu'à avoir de l'information nominative, on n'a pas conservé cette information au fur et à mesure qu'on la traitait. Autrement dit, on appariait deux fichiers qui se déroulaient en parallèle et qui trouvaient un appariement par dossier individuel. Et, pour nous, c'était une statistique qu'on cumulait. Et le dossier était littéralement évacué au fur et à mesure qu'on avançait. On est arrivé à la fin en disant: Voici, il y a 4 300 particuliers qui se considèrent responsables d'aller à la Régie de l'assurance-maladie, mais pas de payer de l'impôt, parce qu'on trouvait qu'ils étaient à un endroit, puis qu'ils n'étaient pas à l'autre. Donc, encore une fois, ce n'étaient pas des dossiers particuliers qui nous intéressaient, et on n'avait aucune raison de conserver l'information nominative, d'aucune façon. On cherchait plutôt, comme vous l'avez dit, à faire la démonstration que c'est faisable, d'apparier deux fichiers. Et on voulait, pour des fins d'exemplarité, démontrer qu'il y a effectivement, dans ces fichiers, des dossiers dont l'information n'est pas uniforme.

Autrement dit, on a fait la démonstration statistique que, un, c'est faisable, deux, que ça existe, qu'il y a quelque chose. Il y a une masse de dossiers qui ne s'apparient pas et qu'il y a peut-être un intérêt à aller plus loin, à systématiser une recherche nominative, à la fois pour récupérer les revenus ou pour empêcher des dépenses. On a fait exactement la même chose dans l'agriculture, cette année, quand on a démontré que, d'une part, les fiches, au ministère de l'Agriculture, pour le nombre de porcs en porcherie, étaient à un certain niveau, mais que les mêmes agriculteurs, en tout cas un certain nombre de ces agriculteurs, quand ils sont à la Régie des assurances agricoles et qu'ils assurent leurs porcs, en déclarent un plus grand nombre. Pourquoi? Si les deux fichiers étaient appariés, évidemment, ils seraient obligés de déclarer le même nombre aux deux endroits.

M. Bertrand (Portneuf): Donc, je comprends, M. le Président, qu'il y a des possibilités et des méthodes probablement éprouvées pour s'assurer que l'épuration des dossiers se fasse de façon à n'avoir de disponibles que les renseignements qui sont vraiment requis pour l'exécution du mandat.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci, M. le ministre. La parole est au député de Nelligan.

M. Williams: Merci, M. le Président. Merci pour votre présentation, M. le Vérificateur général. J'apprécie grandement votre présence. Je vais essayer de demander mes questions toujours en respectant les droits et privilèges que vous avez demandés. Si, à cause de mon intérêt pour le projet de loi n° 32, je traverse cette ligne, vous avez juste à me le dire, monsieur; ce n'est pas mon intention, pantoute. Et, si vous ne pouvez pas répondre à ma question, soyez complètement à l'aise. Et je ne vais rien lire entre les lignes, dans votre réponse. Parce que, moi, je trouve que le projet de loi n° 32 est un pouvoir accru au ministère du Revenu. Et il cherche le pouvoir d'avoir une quantité d'informations énorme sur la vie privée de la population québécoise. Et je vais continuer à questionner le ministre délégué pendant l'étude article par article et m'assurer que nous allons effectivement donner les outils au ministère du Revenu pour faire son travail, mais toujours en protégeant la vie privée de la population québécoise.

Je voudrais vous demander, M. le Vérificateur général, selon vous, peut-être à partir du rapport que vous venez juste de déposer, pensez-vous que le ministère du Revenu a déjà les outils nécessaires pour compléter son travail pour collecter les taxes nécessaires? Est-ce que vous pensez qu'il a les outils nécessaires pour faire son travail maintenant?

M. Breton (Guy): Le mot «nécessaire» m'amène sur votre terrain, où je ne veux pas aller.

M. Williams: J'ai essayé d'être prudent, là, mais...

M. Breton (Guy): Ils ont des outils. Est-ce que ces outils sont nécessaires? Je ne pourrais les qualifier. Ils ont des outils, en ce sens qu'ils ont les ordinateurs et il y a des ententes qui sont possibles. Il y a eu des ententes dans le passé. Donc, il y a des outils. Est-ce qu'ils sont nécessaires pour réaliser tout ce qu'ils veulent faire? Je ne me suis pas penché sur ce problème, puis je n'ai pas fait cette évaluation.

M. Williams: Avant le dépôt du projet de loi n° 32, est-ce que vous avez entendu que le ministère du Revenu a eu des contraintes légales pour faire son travail sur la question d'échanges d'information? Est-ce que, selon votre appréciation, il a eu des problèmes qui viennent du statut de nos lois québécoises? Est-ce que...

M. Breton (Guy): Si vous permettez, M. le député.

(Consultation)

M. Breton (Guy): À ma connaissance, nous n'avons pas eu de renseignements de cette façon, spécifiquement, nous disant qu'il y avait des contraintes légales pour faire des échanges. Nous avons eu un avis juridique, éventuellement, qui nous a été donné par notre propre conseiller et qui reconnaissait qu'il y avait des échanges qui pouvaient se faire par le ministère. Maintenant, ce n'est peut-être pas dans le même style que ce dont vous parlez.

M. Williams: O.K. Est-ce que vous pouvez expliquer un peu ce qui se passe dans votre étude? Vous avez mentionnée à la page 2: «Je porte à votre attention qu'une étude est en cours au sein de l'organisme que je dirige au sujet des échanges d'information et de la protection des renseignements personnels.» Pourquoi avez-vous commencé ça? Avez-vous eu vous-même les questions? Je ne veux pas que vous donniez maintenant votre rapport final, mais est-ce que vous pouvez au moins expliquer c'est quoi, les grands critères, c'est quoi, les raisons? Et est-ce qu'il y a certaines tendances qui commencent à être claires, dans votre rapport? Peut-être que vous ne pouvez pas répondre à la dernière question, mais...

M. Breton (Guy): M. Thériault va répondre à votre question, parce que c'est lui qui est responsable de ce dossier.

(15 h 40)

M. Thériault (Jean-Noël): Bonjour. À chaque année, nous développons ou nous abordons des thèmes qu'on dit d'importance. Dans le passé, nous avons abordé la gestion des ressources informatiques, nous avons abordé la gestion des ressources humaines, nous avons abordé l'évaluation de programmes. Ces interventions-là ne reposent pas nécessairement sur ce qu'on appelle des déficiences appréhendées. Ce n'est pas parce qu'on a observé des problèmes particuliers dans un domaine qu'on intervient toujours. Souvent, c'est le cas, dans nos mandats, de façon régulière. Mais, dans ce type d'intervention, il s'agit là de l'importance de l'activité ou du secteur. C'est ce qui a motivé notre intervention, l'actualité, en ce sens qu'on savait que les échanges s'en venaient, qu'il y aurait de la pression de plus en plus forte, comme on le mentionne, d'ailleurs. Les technologies d'information aidant, la situation économique, c'est un peu ce qui nous a poussés à faire un bilan de situation sur les échanges qui se sont faits ou qui sont en train de se faire, ce qu'il en est résulté, de ces échanges là, dans quels milieux ou dans quel environnement de contrôle ça s'est fait, de façon à diagnostiquer, pour les fins de l'Assemblée nationale, l'ensemble de la problématique de l'accès à l'information et sur les échanges d'information. C'est ce qui nous a motivés, donc, l'intérêt des parlementaires et l'imminence de certaines modifications, tant sur le plan légal qu'administratif, pour ces échanges.

Une voix: Ça fait combien...

M. Thériault (Jean-Noël): Nous avons débuté l'étude l'automne dernier, de plein fouet. Nous avons fait au préalable ce qu'on appelle un «survey» ou une étude de faisabilité, ou une étude préliminaire, et nous sommes vraiment entré dans le champ, dans les ministères et organismes, l'automne dernier, ainsi qu'à la Commission d'accès à l'information.

M. Breton (Guy): Donc, ce n'est pas récent, c'est depuis l'automne dernier qu'on travaille sur ce dossier, un peu à la suite de ce qu'on avait constaté en passant au ministère du Revenu. On s'est dit: C'est généralisé, donc allons-y.

M. Williams: Merci pour votre réponse. Selon la capacité de vos études, est-ce que vous pouvez faire une analyse des coûts-bénéfices d'un projet de loi, par exemple 32? Si ça arrive avec un changement de la quantité et le type d'information... Est-ce que vous pouvez vraiment étudier un programme de coûts-bénéfices? Est-ce que c'est dans la capacité de votre rapport? Et est-ce que c'est dans votre mandat?

M. Breton (Guy): Ce n'est pas dans mon mandat, comme vous vous rappelez sans doute, de faire des évaluations de programmes. Dans l'évaluation de programmes, il y a à la fois la pertinence de poser le geste, de faire des appariements, et on pourrait aller jusqu'à l'efficacité. On ne mesure pas l'efficacité. Donc, quand on parle d'un prix de revient optimal, on est très près de l'efficacité, encore une fois. Ce dont on peut s'assurer, c'est que le ministère s'est donné tous les outils pour mesurer son prix de revient et qu'il fait des bons calculs, donc qu'il est au courant de ce qu'il fait, qu'il est informé de ses gestes. Mais on ne peut pas se substituer, en ce qui concerne la pertinence, la rentabilité ou l'efficacité d'un projet; ce serait faire de l'évaluation de programme, ce qui n'est pas couvert dans notre loi.

M. Williams: Merci. Finalement, j'étais heureux de voir que vous avez mentionné l'importance d'avoir une balance entre la capacité de collecter les fonds et le respect de la vie privée, dans le dernier paragraphe de votre mémoire. J'ai plusieurs autres questions, mais je vois qu'il y a un grand intérêt de mes collègues pour ça. Je vais passer la parole aux autres collègues parce que je ne veux pas utiliser tout mon temps.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Oui, parce que le député de Viger m'a informé que c'était sur le même sujet, soit les études que le Vérificateur fait.

M. Maciocia: Oui, c'était...

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Sans ça, le député de Bellechasse a demandé... Pour respecter l'alternance... Mais, si c'est sur le même sujet, je vais vous l'accorder.

M. Maciocia: C'était uniquement sur le...

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Bien, oui, mais c'était le député de Verdun, en premier. Puisque c'est sur le même sujet...

M. Gautrin: Laissez donc le député de Viger, sur le même sujet... Ça va nous laisser du temps pour nos questions, cher ami, ça n'a pas d'importance...

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Allez, M. le député de Viger.

M. Maciocia: Ce sera très bref, M. le Président. C'est que, M. le Vérificateur général, vous nous avez dit, dans votre rapport, à un certain moment, que c'est à cause aussi d'un manque de ressources de la part du ministère du Revenu, la raison pour laquelle il y a souvent, si je peux dire, des montants qu'il devrait collecter, mais qui ne sont pas collectés. Ça, c'est très clair, d'après moi, dans le rapport que vous avez déposé devant l'Assemblée nationale, la semaine dernière. Par conséquent, si le ministère avait plus de ressources, disons de personnel ou d'autres, ce serait beaucoup plus facile pour aller collecter les redevances que les contribuables devraient au fisc québécois.

Et, même, vous êtes allé encore plus loin, vous nous avez fait une comparaison en disant que, probablement, il y avait eu des amendes qui avaient été faites par le ministère et qu'à un certain moment elles n'étaient même pas collectées, ces amendes-là. Alors, moi, je ne veux pas vous entraîner dans les dessous politiques, absolument pas, mais c'est seulement pour dire qu'actuellement, avec les lois qui sont là, au ministère du Revenu, s'il y avait plus de possibilités financières, dans le sens d'avoir plus de personnel, probablement que le ministère du Revenu pourrait faire un travail encore plus efficace que celui qu'il est obligé de faire actuellement, à cause d'un manque de ressources, si j'ai bien compris le rapport que vous avez déposé devant cette Chambre. Et c'est la raison pour laquelle je disais au ministre ce matin que je ne sais pas si ça prend plus de pouvoirs pour aller collecter les redevances du fisc ou si ça prend plus, si je peux dire, de ressources, que ça soit du personnel ou d'autres, pour faire le travail correctement et aller collecter, justement, les redevances que le fisc doit avoir de la part des contribuables québécois.

M. Breton (Guy): Bien, je suis dans la même position que vous, M. le député. Moi non plus, je ne peux pas vous dire si c'est l'une ou l'autre solution qui est la meilleure. Je pense que c'est un ensemble de solutions que le ministère doit utiliser. Ce que nous avons essayé de faire, dans le rapport, c'est d'attirer l'attention sur une situation où il nous semblait que, s'il y avait un peu plus de personnel, bien sûr, on arriverait à des solutions peut-être plus intéressantes. Et, d'autre part, l'an dernier, en ce qui concerne le travail au noir, s'il y avait certains échanges, sans doute que ça faciliterait la détection de dossiers. Mais, passé ça, on n'a pas fait d'études de faisabilité sur: Quelle est la solution idéale? On a attiré l'attention sur des éléments de solution, seulement.

M. Maciocia: Parfait, ça va.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Viger, le ministre voudrait, je pense, répondre à votre interrogation.

M. Bertrand (Portneuf): ...pointu là-dessus, effectivement. Le problème que vous soulevez concerne, à ce moment-ci, des comptes qui sont dus, à toutes fins pratiques. Et, donc, on doit essayer de trouver des moyens, dont, entre autres, peut-être, des ressources additionnelles, pour aller chercher des sommes qui sont dues et qui sont connues. Ce à quoi on fait référence...

M. Gautrin: ...vendre votre fonds dédié?

M. Bertrand (Portneuf): ...quant au travail au noir, ce sont des choses, des activités qu'on ne connaît pas, des revenus qui ne sont pas connus. Donc, à ce moment-là, les comparaisons de fichiers peuvent permettre de retracer ces choses. On aura sûrement l'occasion d'y revenir ultérieurement.

M. Maciocia: Sûrement, on va avoir l'occasion.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Bellechasse.

M. Lachance: Merci, M. le Président. Étant membre de cette commission depuis mon élection, j'aime bien entendre et voir le Vérificateur général, et c'est toujours avec intérêt que je parcours ses rapports. Cependant, je suis un peu surpris aujourd'hui par son mémoire. Je retrouve, dans votre mémoire, M. le Vérificateur général, une douceur qu'on ne voit pas souvent dans vos rapports annuels, une douceur par rapport à une vigueur. Et, pour utiliser une image musicale, je dirais qu'aujourd'hui vous jouez du violon, alors que d'habitude vous jouez du tambour.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Lachance: Ce n'est pas méchant, ce que je dis là, mais c'est surprenant. Dans le fond, quand vous sortez des chiffres comme ceux que vous avez sortis dans votre premier tome du rapport annuel, ça fait la manchette des journaux, et on est interpellés, nous, comme parlementaires, par les contribuables, qui nous disent: Mais ça n'a pas de bon sens, 2 000 000 000 $ de comptes à recevoir. Qu'est-ce qui se passe? Vous ne faites pas votre job. Mais le problème que nous avons, et, en tout cas, vous n'avez pas nécessairement la réponse... Vous pourriez nous dire: Allez chercher l'argent que vous devriez aller chercher, mais, sur les moyens à utiliser, les instruments, bien, là, c'est votre problème. Moi, en tout cas, personnellement, comme parlementaire, je me sens un peu démuni.

On se fait dire par la Commission d'accès à l'information, par le Protecteur du citoyen: Holà! Holà! Attention, là, il ne faut pas aller trop loin. Et, en même temps, vous, vous nous dites: Allez chercher l'argent, c'est important parce qu'il y a une question d'équité. Alors, on fait quoi, là? On fait quoi là-dedans? Il y a une question, en tout cas, que je me pose: Est-ce que vous, comme Vérificateur, et votre équipe, vous jugez que le gouvernement a actuellement les moyens, les instruments qui lui permettent d'aller chercher l'argent qu'il devrait aller chercher, ou bien s'il faudrait aller trouver d'autres possibilités, d'autres moyens?

Et c'est ce qu'on essaie de faire, là, je pense, avec le projet de loi n° 36 et le projet de loi n° 32. C'est facile, de l'autre bord, quand on est dans l'opposition, de dire: Ah! attention, là. Mais, d'un autre côté, je pense qu'on est pris avec le dilemme où il faut avoir les instruments pour aller chercher l'argent qui doit être payé par les contribuables.

M. Breton (Guy): Je pense que je ne peux pas vous donner une réponse globale comme cela, parce que ça remet en cause toute l'efficacité du gouvernement ou toute l'efficacité du ministère. Par contre, dans les rapports qu'on a publiés, autant cette année, sur la perception, que l'an dernier, sur la détection du travail au noir, on a attiré l'attention sur des faiblesses dans le processus et on a suggéré de combler ces faiblesses en faisant une règle de trois, que, si c'est comblé, ça devrait être plus profitable pour tout le monde.

(15 h 50)

Maintenant, globalement, vous dire: Le gouvernement a tout ce qu'il faut en main et il pourrait se contenter de ce qu'il a et simplement travailler plus fort, ou: Le gouvernement n'a pas tout ce qu'il faut en main et il devrait se donner des nouveaux outils, c'est une vérification ou une évaluation que nous ne faisons pas et que nous n'avons pas faite, parce qu'il y en a encore d'autres, outils. Sans doute, si on y mettait encore plus d'efforts, on pourrait peut-être trouver toute une autre série d'outils pour aider à faire le travail peut-être d'autres façons. On n'a pas exploré, on n'a pas vidé la question. On a constaté qu'avec ce qui était en place il y avait des manquements administratifs, il y avait des façons d'améliorer ce qui est déjà en place. Il y a des options, comme on le disait, pour être capable de détecter ce qui n'est pas déjà inscrit. Bien, ça prend de nouveaux outils, pour aller voir plus loin, bien sûr. Mais lesquels, autres outils? On a fait la preuve qu'il y avait matière à aller voir, en appariant des fichiers. Apparier des fichiers, c'est un outil. Jusqu'où cet outil doit-il être utilisé? Tout dépend de l'environnement dans lequel on veut vivre, de l'efficacité qu'on veut atteindre, du milieu de travail qu'on veut se donner.

Il est sûr que l'échange des données – et je le rappelle dans la conclusion, le dernier paragraphe de la page 5 – «peut être utilisé dans la recherche d'une gestion optimale des ressources, mais ce n'est pas le seul contrôle disponible. L'absence d'une stratégie intégrée de contrôle risque de minimiser cette approche». Donc, il y a certainement des travaux encore à l'interne qui sont possibles. L'an dernier, on a démontré qu'il y avait certains fichiers qui ne se parlaient pas, même à l'intérieur du ministère. Cette année, on n'est pas allé voir si ça a été corrigé ou pas. Ce sont des exemples qu'on peut regarder à l'extérieur et qu'on peut aussi regarder à l'intérieur, dans tout ce qu'on fait.

Il faut essayer toutes les avenues. On n'a pas fait l'inventaire de toutes les avenues nécessairement disponibles, pour arriver à cette solution. On a signalé que, dans ce qui se faisait présentement, il y a des manquements. On comble ceux-là, on obtient un résultat. On peut être obligé d'aller plus loin, surtout dans le cas du travail au noir, parce qu'on part d'absence d'information. Là, il faut découvrir de l'information, donc ça prend des outils nouveaux, des nouvelles façons de travailler.

Une fois qu'on a dit ça, on ne veut pas prendre le rôle de consultants qui vous convainquons de la solution idéale et qui vous aidons à la mettre en place, de sorte que vous obteniez la meilleure efficacité possible; ce n'est pas notre rôle, d'autant plus qu'on se déclasserait pour l'avenir. Il faudrait changer d'emploi le lendemain, il faudrait un autre Vérificateur.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Merci, M. le Président, je vais rester dans le cadre très général de votre document que vous nous avez présenté. Donc, on va avoir une réflexion un peu à caractère philosophique. Mais je vais vouloir aller avec vous un peu plus loin que le document que vous nous avez présenté. Et moi, je fais référence spécifiquement à la page 4, les contrôles nécessaires, et, dans la page 4, la nécessité ou l'utilité des échanges. Vous, vous avez, dans votre présentation, au deuxième alinéa, utilisé la phrase, et je vais vous la relire: «Tout organisme, avant de procéder à des échanges d'information sans consentement doit – premièrement – décrire l'information – et deuxièmement – démontrer que l'échange, l'appariement ou le couplage est le moyen le plus avantageux.» Et si on regarde le paragraphe qui suit, si vous me permettez, vous arrivez aussi à la troisième ligne où vous dites: «Dans ce cas, il ne devrait recevoir que l'information pertinente. Il devrait pouvoir établir de façon concluante que l'obtention de l'information du ministère du Revenu, sans le consentement de la personne...»

Ma question va être centrée sur «à qui?»: «Démontrer – à qui? – que l'échange», ou «établir de façon concluante» pour qui? Autrement dit, ma question, c'est... Je comprends tout à fait la logique, d'ailleurs, et je ne voudrais pas vous entraîner sur le terrain de la loi n° 32. Je serai capable, moi, à partir de ceci, de refaire les équivalences. Mais qui devrait être le gardien, dans votre esprit?

M. Breton (Guy): Bien, dans mon esprit, et de la façon dont nous avons rédigé... Quand on fait rapport à quelqu'un, on fait rapport à un tiers et non pas à soi-même, dans ce sens-là.

M. Gautrin: C'est exact. Et ça serait qui, le tiers, d'après...

M. Breton (Guy): Donc, qui est le tiers en question? Je pense que vous aurez à déterminer entre vous le tiers le plus approprié. Je ne me vois pas comme étant le tiers à recevoir cette information...

M. Gautrin: Je comprends bien.

M. Breton (Guy): ...parce que je ne dois pas faire partie du processus des opérations. Comme ce n'est pas moi, quels sont les autres tiers qui sont habilités à jouer ce rôle-là? On peut penser à un certain nombre. Mais il y a un tiers.

M. Gautrin: Mais le point que je voulais faire établir de votre part, c'est que ça doit être un tiers qui est habilité. Ça pourrait être des parlementaires, un groupe de parlementaires. Ça pourrait être une commission parlementaire. Ça pourrait être une commission extraparlementaire, comme il en existe, des corps comme la Commission d'accès à l'information, sans vouloir nécessairement lui donner cette tâche-là. Mais, si je comprends bien votre document, il semblerait que, pour qu'il y ait autorisation de l'appariement de fichiers, il faut qu'il y ait quand même un organisme tiers qui soit en mesure de voir si la demande n'est pas exagérée et est pertinente. Est-ce que c'est bien ce que je comprends?

M. Breton (Guy): C'est dans l'esprit de ce qu'on a écrit et...

M. Gautrin: C'est l'esprit de votre document, mais vous ne pouvez pas, puisque vous n'êtes pas conseil aux parlementaires...

M. Breton (Guy): De la même façon que...

M. Gautrin: ...nous dire qui devrait être le tiers. C'est à nous de choisir le tiers. Et j'ai bien compris de quoi il s'agit. M. le Président, une fois que j'ai établi ça, je n'ai pas d'autre question à poser.

M. Breton (Guy): Si vous permettez, pour compliquer un peu la chose et pour me libérer dans mon commentaire, l'autorisation pourrait être a priori ou a posteriori, également. Vous aurez à déterminer.

M. Gautrin: Tout à fait d'accord. Je comprends ça. Mais vous comprenez bien aussi avec moi que toute autorisation a priori demande éventuellement un mécanisme d'imputabilité pour vérifier si ce qui s'est passé correspond bien à l'autorisation a priori. Donc, il y a toujours un tiers qui agit, à ce moment-là.

M. Bertrand (Portneuf): Ou a posteriori.

M. Gautrin: Ou a posteriori aussi. Je suis d'accord aussi, mais toujours avec le mécanisme d'un tiers pour vérifier. Vous comprenez, M. le ministre, que c'est une voie, peut-être, que nous aurons tendance à vouloir, dans l'étude article par article...

M. Bertrand (Portneuf): Vous l'aurez, d'ailleurs.

M. Gautrin: ...privilégier, peut-être dans les amendements, et à soumettre à la loi. Mais on aura évidemment à en débattre, quand on sera arrivé à cet article-là.

Une voix: Tout à fait.

M. Gautrin: Merci, M. le Vérificateur général. Ça répond à ma question.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le ministre.

M. Bertrand (Portneuf): M. le Président, deux choses. Est-ce que vous êtes en mesure, M. le Vérificateur général, sur la base des informations que vous avez pu glaner, d'évaluer les sommes, de votre point de vue, qui échappent au fisc, actuellement, en l'absence de mesures d'appariement comme celles-là? Et, deuxièmement, est-ce que vous trouvez normal – et, là, c'est un jugement, malheureusement, je sais que vous allez être prudent – que, dans le cadre d'une tentative pour monter une entente, je dirais, convenir d'une entente avec la Société de l'assurance automobile du Québec, ça fasse déjà plus de deux ans sans qu'on ait de résultats? Et ça fera possiblement trois ans avant qu'on puisse convenir d'une entente. Parce que je sais que vous avez des préoccupations, relativement à l'efficacité et l'efficience. Après deux ans de tentative, toujours pas d'entente, est-ce que c'est vraiment des conditions qui nous permettent d'être efficaces?

M. Breton (Guy): En ce qui concerne le montant total, pour l'instant, on n'est pas en mesure de vous... Pour l'évasion fiscale, évidemment, il y a le chiffre qui flottait l'an dernier: 1 300 000 000 $. Ça, c'était pour l'évasion fiscale. Mais, pour les autres types d'entente, à savoir les gens qui... On n'a pas cette information.

Si c'est normal? Je vous dirai que ce que vous me révélez est l'équivalent de ce que nous appelons un message de délation que nous recevons chez nous et sur lequel... C'est un message de délation sur lequel nous nous penchons. Habituellement, nous faisons une recherche et nous déterminons s'il y a effectivement problème ou pas, quelle est l'ampleur du problème. Nous explorons le domaine et, finalement, nous faisons rapport sur l'état de la situation.

Vous me dites deux ans et demi, trois ans. Je ne mets pas votre parole en doute, mais il va falloir que j'aille voir à la SAAQ les raisons invoquées et jusqu'à quel point ce délai, à leurs yeux, est régulier ou n'est pas régulier, pour que je puisse me faire une opinion. Je comprends qu'à vos yeux ça semble long et inefficace; peut-être qu'aux leurs ce n'est pas inefficace ou peut-être qu'ils ont l'excuse d'être dépendants d'un tiers pour bouger. Mais, comme je ne connais pas les deux côtés de la médaille, si vous me permettez... Par contre, c'est justement des dossiers de ce genre-là que nous couvrons présentement, dans notre mandat.

M. Bertrand (Portneuf): Excellent.

M. Breton (Guy): Nous faisons l'inventaire de ces situations en cherchant à trouver quelle est l'efficacité du processus actuel. Jusqu'à quel point les départements ou les ministères utilisent-ils cette capacité d'échanger de l'information, mais avec quelle efficacité et avec quel rendement?

M. Bertrand (Portneuf): Est-ce que ce serait révéler des choses que vous ne voulez pas révéler encore, que d'éventuellement conclure que l'efficacité n'est peut-être pas optimale, actuellement? Est-ce que ce serait anticiper sur vos conclusions?

M. Breton (Guy): Ça serait... Oui, c'est anticiper sur des conclusions, effectivement. On n'est pas assez avancé pour conclure.

M. Bertrand (Portneuf): O.K.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Nelligan, il vous reste environ huit minutes, avec votre conclusion.

M. Williams: Incluant ma conclusion?

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Incluant votre conclusion.

(16 heures)

M. Williams: Merci beaucoup, M. le Président. Mais peut-être qu'on peut suivre les questions du ministre délégué sur cette question. Selon mon information – et peut-être que vous pouvez actuellement inclure les réponses à ça dans votre prochain rapport annuel – la question du délai de trois ans, ça ne vient pas des lois; ça vient peut-être d'un manque de coopération ou quelque chose comme ça. Et, jusqu'à date, je n'ai pas entendu de personnes... Mais je pourrais demander. J'essaye de trouver si c'est nos lois qui empêchent le travail du ministère du Revenu ou est-ce que c'est actuellement un autre problème administratif? C'est pourquoi je ne peux demander la question mais, selon moi, je trouve que le projet de loi n° 32 est une exagération de pouvoir. Jusqu'à date, je n'ai pas reçu la preuve qu'il a besoin de ce pouvoir qu'il cherche dans le projet de loi. Il cache en arrière... Excusez, il prétend qu'avec les 2 000 000 000 $... Vus avez mentionné qu'il a besoin de plus d'outils, de plus de moyens de collecter ces sommes.

Pouvez-vous expliquer, en général, le 2 000 000 000 $? Il vient d'où? Selon votre rapport, tout de suite, 40 %... Ce n'est pas le marché noir, là, comme vous l'avez mentionné; enlevez ça. Selon le discours du ministre délégué, nous avons entendu souvent qu'il a besoin de tous ces pouvoirs pour faire la bataille contre le marché noir. Il cite le chiffre de 2 000 000 000 $ et plus. Je voudrais savoir dans les grands chiffres, arrondis – je ne cherche pas la précision – c'est quoi les grandes sections de ces comptes recevables. J'ai déjà mentionné le 40 %. Ça vient d'où, l'autre 60 %?

M. Breton (Guy): Bon. Le 60 % vient de gens qui doivent payer leurs impôts personnels. Si, le premier 40 %, ce sont des mandataires qui ont perçu des taxes ou des impôts au nom du gouvernement, l'autre 60 %, ce sont des gens qui doivent payer directement.

Mais les raisons pour lesquelles on est rendus là – et on les a expliquées au paragraphe 15.16 – il y a d'abord les conditions économiques. Il y a des gens qui ont fait de mauvaises économies personnelles, puis ils ne sont pas capables de rencontrer leurs impôts. Il y a eu, évidemment, l'élargissement de l'assiette fiscale, en ajoutant la TPS et la TVQ. Il y a l'introduction de la nouvelle loi de la faillite qui, autrefois, permettait au ministère du Revenu d'être le premier à récupérer alors que, maintenant, il est dans la liste des autres créanciers et il perd au même rythme que les autres. Donc, ça, ça peut expliquer un montant, mais je ne peux vous donner les chiffres exacts.

Il y a l'augmentation des activités de vérification pour lutter contre l'évasion fiscale. Le ministère s'est révélé efficace là-dedans. Mais, quand vous trouvez des gens qui ont fait de l'évasion fiscale, ça ne veut pas dire que leur compte de banque est prêt à débourser le montant nécessaire pour payer les impôts et les pénalités.

Finalement, il y a eu, évidemment, le nombre d'agents de recouvrement, qui a augmenté de 34 %, alors que les montants ont augmenté à un rythme beaucoup plus lent. Ce sont les explications que nous connaissons.

M. Williams: Merci. M. le Vérificateur général, avez-vous eu la chance d'avoir des discussions avec les autres pays qui ont essayé de faire des programmes comme ça? Est-ce que vous êtes au courant des évaluations des coûts-bénéfices de l'Australie ou de la Nouvelle-Zélande, qui disent que ces fameux gros programmes de couplage de fichiers ne sont pas efficaces et qu'il n'y a pas de coûts-bénéfices? Actuellement, ils ont tout changé ça après l'évaluation de leurs programmes. Est-ce que vous avez eu la chance de faire des échanges avec les autres vérificateurs généraux partout au monde?

M. Breton (Guy): Non. Je dois dire que j'ai lu Le Devoir , ce matin, avec l'article de Michel Venne, qui fait référence à la Nouvelle-Zélande et à l'Australie. D'autre part, M. Thériault me signale que, dans notre étude, on est en train d'examiner ce qui se passe à l'extérieur pour avoir, justement, des critères de comparaison.

M. Williams: Jeudi passé, l'ACEF – et je pense que l'ACEF se présente juste après vous – a mentionné ça aussi. Peut-être qu'ensemble on peut trouver l'information et s'assurer qu'on puisse savoir vraiment c'est quoi les coûts-bénéfices de ce programme.

En terminant, je peux laisser le ministre conclure ou...

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Oui. Il reste juste le temps de la conclusion.

M. Williams: O.K. Très brièvement. M. le Vérificateur général, merci beaucoup pour votre participation. Je sais que ce n'est pas quelque chose que vous faites régulièrement. Il me semble que c'est une démonstration de l'importance de ce projet de loi et peut-être de vos inquiétudes, mais je ne veux pas mettre les choses dans votre bouche. S'il est question de violon ou de tempo, je pense que nous avons entendu un orchestre complet du Vérificateur général et, effectivement, ça prend des balises pour protéger la vie privée et aussi les moyens de faire notre travail. Merci beaucoup pour votre présentation aujourd'hui et j'espère que la commission pourra continuer d'avoir cette excellente relation avec le Vérificateur général et toute son équipe.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le ministre.

M. Bertrand (Portneuf): Oui. J'aimerais, à mon tour, effectivement remercier M. le Vérificateur général pour sa présence ici, malgré le caractère un peu délicat de votre prestation devant une commission comme celle-ci. On vous en remercie beaucoup. Et j'oserais dire aussi pour le caractère nuancé de vos propos et de vos affirmations. On a malheureusement souvent, dans cette société, tendance à juger de façon péremptoire des situations, et souvent on a l'impression d'être devant un film de cowboys: les bons d'un bord, les méchants de l'autre. Mais j'ai senti dans vos propos beaucoup de nuance, justement, et je vous en remercie.

M. Breton (Guy): Ça m'a fait plaisir.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Je vous remercie à mon tour, M. le Vérificateur, ainsi que les personnes qui vous accompagnent, de nous avoir fait part de vos propos, de vos suggestions qui seront sans doute utiles aux membres de la commission lors de l'étude article par article. Je vous remercie, et je vais suspendre quelques minutes pour permettre aux autres invités de s'approcher à la table.

(Suspension de la séance à 16 h 6)

(Reprise à 16 h 12)

Le Président (M. Baril, Arthabaska): À l'ordre! Mesdames et messieurs, nous allons entendre maintenant l'Association coopérative d'économie familiale et la Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec. J'inviterais la représentante à nous présenter les personnes qui l'accompagnent.


ACEF-Centre et Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec (FNACQ)

Mme Rozon (Louise): Bonjour, M. le Président, M. le ministre, Mmes, MM. les députés. Nous sommes heureux d'avoir à nouveau l'occasion de vous faire part de nos recommandations et de nos commentaires concernant le projet de loi n° 32, cette fois-ci.

Alors, je vais débuter par les présentations. À ma droite, c'est Me Jacques St-Amant, qui est spécialiste dans le domaine de la protection de la vie privée, notamment; à ma gauche, Mme Nathalie St-Pierre, qui est directrice de la Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec; et moi-même, Louise Rozon, qui est directrice de l'ACEF-Centre, qui est également une association de consommateurs.

Concernant le projet de loi qui est présentement à l'étude, nous constatons que derrière les quelques articles de ce projet se profile, en fait, la volonté du ministère du Revenu de procéder, sans contrainte, à tout couplage des fichiers gouvernementaux qui lui paraît opportun. À toutes fins pratiques, cela signifie pour nous que le gouvernement veut organiser une partie de pêche au filet et, finalement, les poissons, ce sont les citoyens.

Nous avons évidemment certaines objections à ce que ce projet de loi soit adopté tel qu'il est présenté. Il porte en cela atteinte aux principes généralement reconnus en matière de protection des renseignements personnels; il accorde au ministère des pouvoirs pratiquement illimités en matière d'obtention de renseignements de la part d'organismes publics. En somme, le projet de loi consacrerait la primauté du pouvoir administratif et il accorderait au fisc la liberté de fureter là où bon lui semble.

On n'a pourtant pas démontré, en contrepartie, à la population que les mesures envisagées par le ministère seraient véritablement rentables ou que le fisc ne dispose d'aucun autre moyen de hausser significativement le taux de perception des sommes qui lui sont dues.

On appuie, bien sûr, l'objectif gouvernemental: la fraude fiscale doit être combattue comme doivent être combattus tous les crimes. Cependant, les sociétés occidentales ont eu la sagesse de comprendre, au fil des ans, que la lutte contre le crime ne justifie pas qu'on donne tous les pouvoirs à la police. Le percepteur d'impôts ne devrait pas davantage être le seul maître de ses actes. Ainsi, s'il était adopté tel qu'il est présentement rédigé, ce projet de loi marquerait, à notre avis, un recul de 20 ans dans la protection des droits des Québécoises et des Québécois. Il pourrait, à terme, miner la confiance des citoyens. Sans que nous soyons aujourd'hui en mesure de vous fournir un avis juridique formel à cet égard, nous sommes du moins d'avis que le projet de loi va à l'encontre de l'esprit des dispositions de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne de même qu'à l'encontre de la Charte canadienne des droits et libertés.

Nous tenterons, aujourd'hui, en quelques minutes, de vous exposer au moins sommairement la nature de nos craintes et de formuler également quelques suggestions qui pourraient au moins réduire l'ampleur des atteintes aux droits que comporte ce projet. Nous tenons à préciser, tout comme ça a été le cas pour le projet de loi n° 36, que nous sommes d'avis qu'il serait essentiel que l'adoption de ces projets de loi fasse l'objet d'une consultation beaucoup plus vaste.

Comme nous le rappelions jeudi dernier aux membres de la commission, la Fédération nationale des associations de consommateurs de même que l'ACEF-Centre sont deux associations de consommateurs qui ne sont pas liées l'une à l'autre, mais qui collaborent fréquemment sur des dossiers, dont le dossier de la protection des renseignements personnels. C'est donc à la fois au titre de l'expertise que nous avons accumulée au fil des ans et comme représentants des usagers des services gouvernementaux que nous formulons aujourd'hui ces quelques observations. Alors, sans plus tarder, je vais laisser Jacques St-Amant vous faire part de nos observations.

M. St-Amant (Jacques): D'une partie d'entre elles, à tout le moins. De toute évidence, le projet de loi n° 32 vise à simplifier la circulation d'informations à l'intérieur de l'appareil gouvernemental. Il permettrait, entre autres, au ministre du Revenu d'exiger, d'un grand nombre d'organismes publics, de mandataires de l'État, de toutes les municipalités, qu'ils lui fournissent tous les renseignements qui paraissent nécessaires à l'application des lois fiscales, le tout étant soustrait, par ailleurs, dans l'état du projet de loi tel qu'il a été présenté, à tout le moins, au mécanisme d'autorisation de couplage de fichiers par la Commission d'accès à l'information. On sent clairement – le ministère, d'ailleurs, ne s'en cache pas – qu'on envisage de procéder systématiquement à des couplages de fichiers.

Comme nous le rappelions jeudi dernier, quand nous avons eu le plaisir de vous rencontrer, les couplages de fichiers ont une forte propension à déroger aux principes généralement reconnus en matière de protection des renseignements personnels. Il s'agit de saisir dans plusieurs dossiers des renseignements sans les vérifier, de les sortir de leur contexte, de les comparer à d'autres renseignements à qui on vient de faire subir le même traitement, puis de prendre des décisions sur la base des résultats de l'opération sans que les personnes concernées n'aient nécessairement consenti à toute l'histoire.

Comment concilie-t-on ces pratiques avec des principes consacrés au Québec et ailleurs, comme la détermination préalable des fins d'une cueillette, par exemple? C'est un peu la question qu'on veut vous poser aujourd'hui. Et ces craintes ne sont pas que théoriques ou basées sur des principes éthérés. Dans son dernier rapport annuel, le Vérificateur général du Québec note, par exemple, que les dossiers du ministère du Revenu contiennent un nombre d'erreurs ou d'imprécisions qui est, ma foi, assez inquiétant: 32 % des dossiers du ministère sous-estimeraient apparemment le nombre de récidives en matière de créances en souffrance, tandis qu'il y aurait, dans 18 % des dossiers détenus par le ministère, une divergence quant à la classification par secteur économique entre l'information du ministère du Revenu et l'information de l'Inspecteur général.

Si des données comme celles-là sont révélatrices – et il est fort possible qu'elles le soient – de la qualité des fichiers du ministère du Revenu, il faut s'inquiéter des couplages qui pourraient être exécutés, parce qu'ils ont peu de chance de donner, évidemment, des résultats fiables.

D'ailleurs, les expériences de couplage ou de retraitement de fichiers, au Québec, n'ont pas toujours donné des résultats rassurants, que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé. Il y a sans doute certains d'entre vous qui se souviennent, il y a quelques années, de l'expérience que le Mouvement Desjardins avait faite, où, un beau matin, ses clients se sont ramassés avec un nouveau système de traitement des fonds non compensés qui avait été mis sur pied par les informaticiens du Mouvement Desjardins, et puis, bien, il y a des milliers de personnes dont le chèque de paie a été bloqué tout à coup, alors qu'il ne l'avait jamais été. Il a fallu des semaines à Desjardins pour remettre un peu d'ordre et pour essayer d'apaiser une clientèle vaguement mécontentée.

Il y a un peu plus d'un an, l'Office des services de garde à l'enfance a également voulu améliorer son système informatique. Il y a des milliers de parents qui s'en souviennent encore, parce qu'ils en ont eu pour des mois à se retrouver et à ce que les sommes qui leur étaient dues leur soient payées.

L'administration québécoise est-elle disposée à garantir à la population et à l'Assemblée nationale qu'elle a l'expertise et l'expérience requises pour procéder de façon systématique à des couplages de fichiers incluant des renseignements de nature fiscale sans qu'il n'y ait de tels cafouillages? Nous évoquions devant vous, jeudi dernier, l'expérience australienne, où on a pris des moyens législatifs précis pour réduire l'ampleur des atteintes potentielles aux principes de protection des renseignements personnels qui peuvent être associées à des couplages de fichiers.

(16 h 20)

Quelques exemples des dispositions qu'on retrouve carrément dans la loi en Australie: le nombre de couplages qu'un organisme peut réaliser en un an est plafonné. Il y a un processus de couplage et de vérification très précis qui est établi par la loi. Il y a une méthodologie qui est précisée. Il ne peut pas y avoir de transfert de données aux fins de couplage par branchement direct «on line», pour des fins de sécurité évidentes. Il y a des délais qui sont fixés aux opérations de couplage et la façon dont ils doivent être faits pour s'assurer que les informations qu'on traite sont encore exactes, sont encore à jour.

Avant de modifier les droits d'un citoyen, l'organisme public doit lui donner un préavis écrit de 28 jours. Obligation légale, encore là. Un organisme public qui veut réaliser un couplage doit d'abord effectuer une étude coûts-bénéfices détaillée pour justifier son programme. Autre élément, il y a également, dans la loi australienne, une disposition fort amusante qui invite un organisme qui constate, à l'occasion d'un couplage, qu'une personne aurait droit à une prestation, à informer cette personne-là de son droit.

Nous sommes d'avis que des directives administratives ne suffisent pas à sauvegarder les droits fondamentaux. Les garanties requises, si couplage il doit y avoir, doivent être inscrites dans la loi elle-même. C'est aussi ce qu'on a fait aux États-Unis, d'ailleurs, où la législation exige que tout couplage fasse l'objet d'une entente écrite entre les détenteurs des fichiers couplés. Il doit y avoir préavis de couplage publié dans l'équivalent de la Gazette officielle , et ce sont des documents fort importants, fort considérables, qui permettent aux intéressés et aux citoyens qui ont le courage de les lire de voir ce qui se passe dans l'administration publique. Et aucune décision découlant des couplages effectués par le gouvernement fédéral américain ne peut être mise en oeuvre sans que l'information ait d'abord fait l'objet d'une vérification humaine indépendante.

Bref, pendant qu'à l'étranger on augmente les mesures de contrôle relatives au couplage de données dans les dernières dizaines d'années, au Québec, on voudrait apparemment les réduire. On ne peut que partager l'avis de la Commission d'accès à l'information relativement au projet de loi n° 32. La législation qui est devant vous devrait être modifiée pour contenir beaucoup plus de précisions en ce qui a trait au processus de couplage, et il est également inquiétant qu'on veuille retirer à la Commission, complètement, le pouvoir d'examiner au préalable des projets de couplage.

Il est peut-être impossible d'examiner des milliers de projets d'entente simultanément, mais, comme l'évoquait le Protecteur du citoyen jeudi dernier, on peut sûrement trouver d'autres modalités de contrôle qui permettraient à la Commission de jouer, à tout le moins, un rôle de chien de garde à l'égard de ce qu'on veut faire.

Évidemment, pourquoi veut-on faire des couplages? Pour des raisons de rentabilité. Le ministère du Revenu paraît convaincu qu'il tirera de grands bénéfices des opérations qu'il entend réaliser. Nous croyons qu'il serait fort utile qu'il en fasse publiquement la démonstration chiffrée. C'est un espoir qui est fondé notamment sur des expériences étrangères. Le député de Nelligan a posé la question, tout à l'heure, au Vérificateur général.

Il semble que, en 1993, le Vérificateur général d'Australie a constaté que, alors qu'on avait établi des prévisions de revenus tirées du résultat des couplages de l'ordre de 300 000 000 $ australiens, pour 1992, le revenu réel aura été, en fait, de 17 000 000 $.

Il y a des chercheurs australiens – des juristes – qui s'intéressent à ces questions et qui ont même exprimé l'avis que, compte tenu de l'ensemble des coûts réalisés, il est fort possible que, en fait, cette opération-là soit déficitaire. Parce qu'il faut bien voir ce qui se passe en Australie, par exemple. On fait, dans un couplage, environ 10 000 000 d'appariements de données. Là-dessus, on tire environ 1 500 cas qui paraissent effectivement problématiques. C'est 0,0015 % des cas.

Alors, on est allé à la pêche. On a vérifié les renseignements de tout le monde et on en tire une toute petite fraction. Mais, une fois qu'on a tiré ces 1 500 cas, encore faut-il faire une enquête, et la faire bien pour s'assurer qu'une personne a effectivement, par exemple, fait du travail au noir ou fraudé le fisc. Et bien faire une enquête, c'est coûteux. Il est fort possible, compte tenu du nombre d'erreurs qu'on risque de trouver, qu'il y ait beaucoup des enquêtes qu'on va faire qui vont s'avérer, dans le fond, tout à fait inutiles.

Le Vérificateur général notait également – et d'autres observateurs l'ont fait – qu'il y a pourtant d'autres moyens d'augmenter les revenus fiscaux, d'ores et déjà. Il s'agirait, par exemple, de percevoir les comptes de taxe de vente perçue et non versée ou les remises. C'est 40 % de la somme qui est due actuellement au ministère.

Le discours sur le budget relevait que des activités de vérification de perception accrues ont permis de générer des revenus additionnels de 450 000 000 $ en s'attaquant au commerce illégal des boissons alcooliques et au travail au noir dans l'industrie de la construction, sans faire de couplage, sans porter atteinte, de façon systématique, au droit à la vie privée de tous les citoyens.

Il est vrai que les citoyens jugent inacceptable que certains échappent à leurs obligations fiscales, mais nous sommes d'avis qu'ils jugent tout aussi inacceptable le moyen de collecte incontrôlée, non balisée, dont le gouvernement veut se doter par le projet de loi. Nous invitons donc instamment le gouvernement à épuiser d'abord les autres voies qui s'offrent à lui avant de compter sur l'opération un peu magique des systèmes d'informatique pour débusquer des fraudeurs. Ce n'est pas parce qu'un couplage de données vous dit: Hum! dans le cas de M. Tremblay, il y a une difficulté ici, qu'il y a nécessairement une difficulté. Il faut aller vérifier, et ça risque d'être long et coûteux.

Mme St-Pierre (Nathalie): L'article 5 du projet de loi n° 32 aurait, quant à lui, des conséquences extrêmement sérieuses. Il permet au ministre du Revenu d'exiger, d'une foule d'organismes publics et de toutes les municipalités, qu'ils lui fournissent tout renseignement nécessaire à l'application d'une loi fiscale. Voilà un pouvoir qu'on n'accorderait pas à la police, même à l'égard des crimes les plus crapuleux. Un policier devrait obtenir un mandat de perquisition pour aller cueillir des renseignements et ce mandat devrait comporter un niveau minimal de précision.

On autoriserait ici le ministère du Revenu à se livrer à la plus spectaculaire expédition de pêche qu'on puisse imaginer. Ni la Commission d'accès à l'information ni les organismes et municipalités visés ne pourraient le prévenir. Les citoyens n'en connaîtraient peut-être même pas l'existence. Pour nous, il y a là quelque chose de troublant.

On ne formulera pas ici un avis juridique en bonne et due forme, la question est trop complexe. Rappelons simplement une décision rendue par la Cour suprême du Canada, en 1993, où elle a conclu que le pouvoir d'émettre un mandat de perquisition accordé par la loi de l'impôt sur le revenu contrevenait à la Charte canadienne des droits et libertés, parce qu'il n'accordait pas, en pratique, au juge émettant le mandat la discrétion de refuser d'émettre un tel mandat.

Le nouvel article 71 de la Loi sur le ministère du Revenu permettrait au ministère de recueillir, dans tous les organismes visés, des renseignements relatifs à une personne sans aucune procédure d'autorisation. On n'exige même pas que le ministre obtienne un mandat de perquisition ni qu'il ait quelque motif spécifique de rechercher des renseignements sur une personne.

Sans affirmer pour l'instant qu'un tel pouvoir accordé à l'État déroge à la lettre des deux Chartes, nous sommes du moins convaincus qu'il déroge à leur esprit. Le résultat équivaut, en effet, à celui d'une perquisition sans mandat et sans limite. Le droit à la vie privée est battu en brèche. C'est même, au fond, la présomption d'innocence qui est mise en cause: on recueille les fichiers concernant tous les citoyens, parce que tous pourraient avoir quelque chose à cacher. Si des erreurs se produisent, des citoyens parfaitement innocents auront à s'expliquer avec le fisc ou, pire encore, avec l'ordinateur du fisc.

Alors, ce que nous vous recommandons: l'évitement fiscal peut être combattu par des moyens plus efficaces que les couplages de fichiers et moins attentatoires aux droits fondamentaux. Nous demandons d'explorer d'abord ces moyens. Lorsqu'il sera avéré qu'ils sont inefficaces et avant de laisser l'État apparier l'immense masse de renseignements qu'il détient, nous souhaitons que vous évaluiez la rentabilité réelle d'un tel projet et ses conséquences sociales.

Évaluons aussi comment on peut autrement réduire le travail au noir en s'attaquant aux causes de ce travail au noir. Si on doit vraiment procéder à des couplages, fixons-le dans la loi, fixons des règles précises qui vont limiter l'arbitraire administratif et assureront aux citoyens la protection de droits et de garanties procédurales fondamentaux. Des modifications telles que celles concernant le projet de loi n° 36, dont le ministre des Finances faisait l'annonce devant cette commission et dont nous n'avons pas encore terminé l'analyse au moment où on se parle, constitueraient déjà un net progrès.

D'autre part, et avant d'étendre ces couplages à l'ensemble des citoyens, pourquoi ne pas réaliser des projets-pilotes visant les entreprises qui doivent déjà des sommes importantes au fisc et dont la situation soulève moins de problèmes reliés aux droits fondamentaux?

Alors, nous vous le répétons encore, comme nous l'avons dit pour le projet de loi n° 36, le projet de loi n° 32 fait beaucoup plus qu'un réaménagement administratif, il opère des virages profonds. Il devrait donc faire l'objet d'un débat public et d'une évaluation où les questions fondamentales pourront être explorées comme il se doit. La commission sur la fiscalité et le financement des services publics, qui tiendra ses audiences publiques à compter du mois d'août, pourrait constituer à cet égard un forum précieux.

Nous vous recommandons, par conséquent, que le projet de loi n° 32 ne soit pas adopté dans la précipitation, et que les études requises soient effectuées ou publiées dans les prochains mois, et que le débat soit mené avec toute la sérénité requise au cours de l'automne prochain.

Alors, nous vous remercions de nous avoir invités à comparaître et nous entendons bien continuer, dans les prochains jours, à nous pencher sur ces questions et à vous transmettre nos renseignements et les réflexions qui pourraient nous sembler utiles à vos travaux. Merci.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Nous vous remercions tous les trois de la présentation de votre mémoire, et je laisse la parole au ministre pour ses commentaires et son questionnement.

(16 h 30)

M. Bertrand (Portneuf): J'aimerais remercier, bien sûr, les représentants des organismes concernés pour leur présence et leur présentation. Je ferais seulement peut-être un commentaire d'ordre général, d'emblée. J'ai l'impression, des fois, à entendre certaines présentations, que c'est comme si la bonne foi des fonctionnaires et des personnes qui travaillent au ministère du Revenu n'était pas possible à prendre pour acquise. Bien sûr qu'on veut doter le ministère du Revenu d'un certain nombre d'outils. Il n'y a rien qui dit que ces outils-là ne seront pas utilisés avec un certain discernement. Et je n'en veux pas uniquement au niveau de votre présentation; j'ai senti plusieurs interventions de cet ordre. C'est comme si les autorités fiscales, en soi, étaient condamnées à faire de l'abus de pouvoir.

J'ai eu l'occasion, personnellement, de rencontrer plusieurs fonctionnaires aux échelons les plus modestes et je peux vous garantir que ce sont des gens qui ont une très haute éthique. J'aurai l'occasion, au cours des prochains mois, d'ailleurs, de travailler dans cette optique-là avec mes collègues du ministère et également avec le grand public, au niveau de campagnes de communication, pour bien faire comprendre quelle est la nature de notre travail de ce côté-là et faire en sorte qu'on voie de façon un peu plus positive, je pense, le travail qui est fait très correctement par nos fonctionnaires.

J'aimerais vous amener sur la question, au fond, de l'équité qui, je pense, est toujours le résultat d'un certain équilibre, au sein d'une société, équité à l'égard des consommateurs, des consommatrices qui, par ailleurs, paient leurs impôts et leurs taxes correctement et qui constituent effectivement la très grande majorité de nos concitoyens, en opposition à tous ceux et celles, heureusement, qui sont dans des proportions plus modestes, qui ne paient pas leurs impôts, qui évitent effectivement de payer leur dû, et on retrouve une bonne partie de ceux-ci au niveau de l'économie au noir. Est-ce que vous estimez vraiment que les mesures qu'on entend prendre seraient vraiment inéquitables à l'égard de ces personnes-là? Comment pouvez-vous, a priori, conclure qu'il y a un genre de préjugé négatif à l'égard de l'ensemble de nos concitoyens, alors que les mesures qu'on vise justement à mettre en place ont pour objectif d'identifier ceux qui ne paient pas, pas ceux et celles qui s'acquittent de leurs responsabilités, ceux qui ne le font pas? Tel est notre objectif. Est-ce que ce n'est pas là, je pense, un objectif à atteindre? Et est-ce que les moyens qu'on met sur la table vous apparaissent vraiment disproportionnés?

Mme Rozon (Louise): Je voudrais peut-être juste revenir sur la question de la confiance. Je pense que le projet de loi, tel qu'il est rédigé, c'est comme si le gouvernement, a priori, n'a pas confiance en l'ensemble de ses citoyens et se dit: Parmi les citoyens, il y a effectivement des gens qui ne paient pas leur juste part d'impôt. Donc, pour tenter de régler ce problème-là, on doit effectivement aller à la pêche et donc avoir accès à des informations touchant tous les citoyens. Et, par ailleurs, vous demandez aux citoyens de vous faire confiance. Je pense qu'il y a là un certain déséquilibre. Et, quand on touche aux droits fondamentaux, c'est un minimum que les citoyens demandent, c'est-à-dire des règles claires qui balisent le travail des fonctionnaires, malgré la confiance de base que les citoyens peuvent avoir envers les fonctionnaires. C'était mon commentaire pour la confiance.

Concernant l'équité, il est sûr que les citoyens, à la base, sont d'avis que tout le monde devrait contribuer à sa juste part pour les charges fiscales et pour tous les services qui viennent avec. Mais, ce qu'on propose, finalement, c'est que peut-être que les moyens que vous proposez ne sont pas nécessairement les meilleurs moyens pour combattre le travail au noir. Je fais référence à un document qui a été produit par votre ministère sur le travail au noir; c'est le Rapport du Comité ministériel sur le travail au noir, où on a identifié les principales causes de ce travail au noir, qui sont: les charges fiscales trop élevées; le système fiscal inéquitable; les coûts élevés de la main-d'oeuvre; et la perte d'avantages, en regard des programmes sociaux. Ce sont, dans le rapport, finalement, les causes les plus importantes; on en a ajouté d'autres.

Mais, pour réellement en arriver à contrer le travail au noir, nous sommes d'avis qu'il faut regarder ces causes-là. Et les citoyens, parfois, se disent... Lorsqu'on entend des histoires comme celle d'une famille très riche qui a réussi à déposer des milliards aux États-Unis sans payer d'impôt et que le gouvernement dit: Bien, finalement, c'est correct, ça, c'est des choses injustes qui soulèvent la colère chez bon nombre de citoyens qui, par ailleurs, ont des revenus très minimes.

Donc, il faut essayer de voir comment solutionner ce problème-là qui est un problème complexe et qui est un problème de société et non pas juste un problème de revenus et de dépenses. Donc, je pense que c'est uniquement à l'égard des moyens. On est d'avis qu'il y a des moyens qui peuvent être mis en place sans pour autant porter atteinte à des droits qui sont, par ailleurs, fondamentaux. Et il y a des moyens concrets qui sont sur la table.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le ministre.

M. Bertrand (Portneuf): M. le Président, à la page 5 de votre document, vous dites, dans l'avant-dernier paragraphe, juste avant le point D: «Il est vrai que les citoyens jugent inacceptable que certains échappent à leurs obligations fiscales, mais nous sommes d'avis qu'ils jugent tout aussi inacceptable le moyen de collecte dont le gouvernement veut se doter par le projet de loi.»

Je dois vous dire qu'en ce qui me concerne depuis qu'il est question de ce projet de loi là, je n'ai rencontré – et je ne prétends pas qu'il s'agisse d'un échantillonnage représentatif, pas du tout – aucune personne encore qui m'ait dit: On n'est pas d'accord avec le moyen. Les personnes que j'ai rencontrées, qui m'en ont parlé spontanément, m'ont dit: Nous autres, on n'a rien à nous reprocher, ça ne nous dérange pas du tout.

Mais je n'oserais pas utiliser cet argument, justement, comme étant un argument péremptoire parce que ce n'est certainement pas... Je ne prétendrais pas que c'était un échantillonnage suffisamment vaste. Mais j'aimerais savoir sur quoi, vous autres, vous vous basez, par exemple, pour dire – avez-vous des enquêtes là-dessus? Avez-vous poursuivi des études? – que les citoyens jugent inacceptable le moyen de collecte dont on veut se doter.

M. St-Amant (Jacques): Deux ou trois éléments, à cet égard-là. Il y a au moins trois sondages qui ont été réalisés au cours des dernières années: deux pour le compte de la firme Équifax, un pour le compte, notamment, de la FNACQ par la firme EKOS, qui concluent que, de façon croissante, les citoyens du Canada sont de plus en plus agacés par les couplages de fichiers, notamment les couplages de fichiers gouvernementaux. Et il y a une proportion fort importante de Canadiens qui estime que c'est un problème sérieux. Alors, il y a là quelque chose d'embêtant.

Et je peux fort bien comprendre, par ailleurs, que les gens, spontanément, réagissent davantage à la question du travail au noir. On en a tous entendu parler. On connaît à peu près tous, pour le meilleur et pour le pire, des gens qui ont touché à ça d'une manière ou d'une autre. Les questions reliées à la protection des renseignements personnels sont plus abstraites, mais elles sont également, à certains égards, beaucoup plus fondamentales.

Et je reviens à la question que vous posiez au début, quant à la confiance qu'on devrait avoir envers les fonctionnaires du ministère du Revenu ou de tous les ministères. Il ne s'agit pas d'une question de confiance envers toutes les personnes, il s'agit d'une tradition démocratique qui remonte au dépôt de la Grande Charte, en 1215. Il est impératif que les citoyens aient des moyens de contrôler l'État, parce que l'État a, a priori, tous les pouvoirs. C'est dans cette tradition-là que nous nous inscrivons.

Si l'État se donne les moyens d'obtenir toutes les informations qui peuvent exister concernant un citoyen, il se met dans un rapport de force qui est absolument disproportionné. C'est une problématique à laquelle on est de plus en plus sensible, en Occident, depuis une quarantaine d'années, pour des raisons historiques. Depuis 20, 25 ans, la plupart des États occidentaux se sont dotés de législations pour encadrer l'usage des renseignements personnels, d'abord par les États, de plus en plus par le secteur privé. Ce que nous craignons du projet de loi n° 32, c'est qu'il va à l'encontre de cette tendance. Il vient diminuer les protections que nos sociétés se sont données, alors que, justement, les systèmes informatiques se développent de plus en plus et que leurs détenteurs sont de plus en plus en mesure de prétendre utiliser ces données pour prendre des décisions qui affectent directement les citoyens, sans toujours réaliser l'impact et l'incidence des gestes qu'ils posent. Ce n'est pas une attaque personnelle, c'est un souci de s'assurer que le citoyen pourra continuer à se défendre.

M. Bertrand (Portneuf): Une dernière question, toute courte. À défaut de procéder, supposons, pour fins de discussion, à l'adoption d'un tel projet de loi, considérant le 220 000 000 $ qui est en cause, et il est très clair qu'à défaut de procéder avec ce projet de loi là on ne sera pas en mesure de livrer la marchandise au niveau des revenus, à quelle place on prend la différence? Est-ce qu'on augmente la TVQ de x %? Est-ce qu'on applique le 220 000 000 $ en compressions additionnelles dans les services publics? On fait quoi?

M. St-Amant (Jacques): Avant de vous répondre, si vous me permettez, M. le Président, j'aimerais poser une très courte question de clarification au ministre. Le 220 000 000 $ qu'on évoque, notamment dans le discours sur le budget, est-ce que c'est entièrement une somme dont on prévoit qu'elle va être obtenue grâce, justement, au processus de couplage et à ce genre d'opération? Et je comprends que vous me dites oui.

(16 h 40)

Présumons, pour l'instant, que, dans la prochaine année, vos couplages parviennent à identifier 22 000 personnes qui auraient fait de la fraude au Québec. Ça voudrait dire que chacune de ces personnes-là aurait fraudé pour environ 10 000 $ qu'on parviendrait à récupérer dans la prochaine année. Ça veut dire traiter 22 000 cas en un an. Ça veut dire en traiter 4 000 par semaine, 800 par jour. Avec beaucoup de respect, M. le ministre, je ne pense pas que le gouvernement soit en mesure d'aller chercher 220 000 000 $, simplement en faisant des couplages de fichiers; c'est humainement impossible, il y a trop de dossiers à traiter. Ou alors, pour que vous puissiez traiter un nombre suffisant de dossiers, il faudrait que les montants reliés à chaque dossier soient tellement élevés...

Quant aux autres alternatives, je pense que le meilleur lieu pour en débattre, ce sera devant la Commission sur la fiscalité, qui doit commencer ses travaux à compter du mois d'août et qui a été mise sur pied, notamment, pour ça. Nous sommes tout à fait sensibles au fait que vous avez en principe des engagements envers l'Assemblée nationale et envers le Trésor. Nous sommes loin d'être convaincus qu'un projet de loi comme le projet de loi n° 32 va effectivement vous permettre de vous conformer à ces engagements, alors qu'en contrepartie il soulève des questions importantes au niveau de la protection des droits fondamentaux.

Mme Rozon (Louise): J'aimerais peut-être juste ajouter la question de l'efficacité de ce genre de projet là. Je pense qu'il serait intéressant et important pour le gouvernement de prendre connaissance de l'expérience qui s'est vécue en Australie, parce qu'ils ont procédé sensiblement de la même façon que le gouvernement compte le faire; et c'est ce qu'on nous a expliqué aussi au sein de votre ministère. Donc, il serait important de voir pourquoi ça n'a pas fonctionné, parce que, si, l'objectif, vous voulez l'atteindre, encore faut-il que le moyen que vous voulez vous donner, même s'il ne fait pas l'unanimité, soit réellement efficace. Et je pense que le gouvernement n'a pas réussi à nous en démontrer l'efficacité. Et, nous, les informations qu'on détient, c'est plutôt que ça vient illustrer qu'à notre avis ce projet-là ne sera pas efficace. Non seulement il va porter atteinte à des droits fondamentaux mais, en plus, il ne sera pas efficace.

M. Bertrand (Portneuf): Bon. En terminant, je pense qu'on conclut un peu vite. Il faut comprendre que, derrière une telle mesure, il y a également un effet induit important, en termes de revenus. Et ce n'est pas uniquement par de la cotisation additionnelle, personne à personne, qu'on réussit à atteindre un tel objectif. Tout comme, quand le public sait qu'il y a des équipes de vérification additionnelles sur le territoire, il y a un effet d'autodiscipline nous permettant éventuellement d'escompter davantage de revenus.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci, M. le ministre. Maintenant, au député de Nelligan.

M. Williams: Merci beaucoup, M. le Président. Je voudrais commencer encore une fois... Quand j'ai ACEF-Centre et la Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec devant moi, j'ai besoin de leur dire un grand merci. Je pense que vous avez été les premiers à sonner la cloche sur les problèmes du projet de loi n° 32 et plus tard n° 36. Et vous avez déjà eu une chance, assez tard, de présenter... Jeudi soir. Au moins, nous avons arrangé un agenda un peu plus flexible pour vous. Mais un grand merci à un groupe comme le vôtre de s'être déplacé, de nous aider à clarifier ce qui se passe dans ce projet de loi.

Selon ma compréhension du projet de loi, j'ai peur des pouvoirs que le projet de loi donne au ministère du Revenu, de ramasser toute l'information – et je parle de moi-même, sur moi, sur vous – dans un fichier central. Et, effectivement, il y a une simplification de la capacité de changer toute l'information de la Régie de l'assurance-maladie, de l'automobile, des rentes, les municipalités, les universités, les hôpitaux. On peut ramasser une quantité énorme d'informations.

Vous avez dit, je pense, que vous avez aussi des questions sur ça. Parce que nous sommes en train, je pense, de renverser la responsabilité de preuve dans ce projet de loi. Mais je voudrais savoir, si j'ai bien compris votre intervention – et je pense que je l'ai bien comprise; moi aussi, j'ai beaucoup de questions sur ça – est-ce que vous voyez quelques exemples, est-ce que vous êtes ouverts, est-ce qu'il y a quelque raison, selon votre opinion, pour donner ce pouvoir? Dans des exemples spécifiques, est-ce qu'il y a quelque raison pour donner ce pouvoir au ministère du Revenu, ce pouvoir de faire tous ces échanges d'information? Selon votre opinion, est-ce qu'il y a des raisons pour faire ça ou est-ce que c'est complètement inacceptable?

M. St-Amant (Jacques): Avant de donner une réponse intuitive et spontanée: c'est inacceptable... Mais il faut ensuite, et c'est une tradition...

M. Williams: C'est un bon début.

M. St-Amant (Jacques): ...à l'ACEF-Centre notamment, c'est presque un slogan, chez nous. Alors, le choix de votre terme est fort juste. Bon. Une fois cette réaction spontanée passée, il faut évidemment voir ce que sont les faits. Il est possible qu'il y ait des faits qui puissent justifier une mesure exceptionnelle. Mais faisons le débat correctement, mettons sur la table toutes les informations requises. Et, tel que nous le disions tout à l'heure, si couplages il doit y avoir, assortissons-les d'une panoplie de mesures de protection qui permettent d'assurer, un, avant même qu'ils soient réalisés, qu'un organisme comme la Commission d'accès à l'information a jeté un coup d'oeil sur ce qui va être fait et que c'est raisonnable; deux, assurons-nous que, dans la façon de le faire, on se donne des moyens pour que la qualité des informations obtenues soit telle qu'on puisse effectivement s'en servir.

Il y a des expériences étrangères, on vous l'a dit et redit; on peut certainement s'en inspirer pour améliorer encore les choses. Là où nous avons des réserves viscérales, c'est quand on autorise par une loi le ministre à faire pratiquement – en tout déférence – n'importe quoi. Parce qu'il lui suffirait de dire – et ça peut être le ministre, dans 15 ans... on ne sait pas qui sera ministre du Revenu dans 15 ans – à un organisme ou à une municipalité: Voici des renseignements qui sont nécessaires aux fins d'application d'une loi fiscale, concernant un ensemble de contribuables ou de citoyens, vous devez me les transmettre. Et ça, ça me paraît, a priori, aller à tout le moins à l'encontre des droits les plus fondamentaux, des garanties les plus fondamentales des citoyens.

Dès 1604, un tribunal britannique disait que la résidence d'un sujet de Sa Majesté est sa forteresse. Les choses ont changé beaucoup, depuis, parce que maintenant les éléments essentiels vis-à-vis d'une personne ne sont plus nécessairement chez elle. Son intimité n'est plus nécessairement chez elle, elle est aussi dans une série, dans une foule de fichiers, un peu partout. Si l'État peut aller puiser un peu partout, il peut reconstituer le portrait d'une personne fort aisément, dans le fond; avec une foule d'erreurs, mais il peut avoir une bonne idée. Il serait peut-être utile que le droit suive cette évolution sociale et technique et qu'on maintienne au citoyen la garantie que son intimité ne pourra pas être mise en cause par l'État sans que des procédures fondamentales connues depuis des siècles soient respectées.

M. Williams: Merci. Je présume que vous n'êtes pas contre le but d'aller chercher ces 220 000 000 $ que le ministre délégué a mentionnés. Mais, selon vous, est-ce que c'est raisonnable de faire ça en dérogation de nos lois sur la protection des renseignements personnels ou est-ce qu'on doit toujours dire: Les limites, c'est de toujours respecter cette loi et, dans le cadre du respect de cette loi, on doit donner des outils au ministère du Revenu pour faire son travail, mais toujours en respectant la loi d'accès à l'information personnelle? Est-ce que c'est...

M. St-Amant (Jacques): J'ajouterais d'abord qu'il s'agit non pas seulement de respecter la loi sur l'accès à l'information, mais aussi l'article 5, notamment, de la Charte des droits et libertés, qui préserve le droit à la vie privée.

Le Vérificateur général lui-même, dans son dernier rapport annuel, fait mention d'une série de mesures que le ministère peut prendre pour améliorer la collecte de fonds. Le ministre délégué au Revenu faisait état tantôt de l'effet induit d'équipes supplémentaires, par exemple, d'inspecteurs ou de vérificateurs. Il y a une panoplie de choses qu'on peut faire et qui ne seraient sans doute pas plus coûteuses, et peut-être moins, que des couplages de fichiers intensifs, qui pourraient être au moins aussi efficaces, sinon plus, et qui n'attenteraient pas de façon sérieuse et aussi large aux droits fondamentaux. Si le gouvernement est d'avis qu'il n'y a aucune autre façon pour lui de recueillir des revenus supplémentaires qu'une méthode comme celle-là, je pense qu'il a un fardeau de preuve extrêmement lourd à relever et une démonstration à faire, qu'à notre avis il n'a pas encore faite.

M. Williams: Merci. C'est clair que le fardeau de la preuve est sur le dos du ministère du Revenu. Parce que, moi aussi, j'ai de grandes inquiétudes si le ministère du Revenu est en train de chercher le pouvoir de faire une enquête administrative sur chaque citoyen. Je voudrais...

M. St-Amant (Jacques): En fait, si je peux me permettre une boutade... On se disait tantôt que, parmi les projets-pilotes avec lesquels on pourrait commencer la mise en oeuvre du projet de loi n° 32, s'il était adopté, il pourrait y avoir un couplage de tous les fichiers concernant le personnel et les membres de l'Assemblée nationale.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Williams: O.K. Je prends note de ça, là.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Je n'aurais aucun problème avec ça, moi.

(16 h 50)

M. Williams: Pourquoi pas? Mais actuellement j'ai une question sur ça. Il me semble que c'est une idée assez intéressante. Je voudrais cibler mes prochains commentaires sur... Je pense que c'est à la page 4 de votre mémoire, vous dites que... Je vais rattacher deux pages, une où vous avez mentionnée aussi que, potentiellement, ce projet de loi n° 32 est contre nos chartes des droits et libertés, québécoise et canadienne, et aussi, à la page 4, quand vous dites que vous n'êtes pas à 100 % d'accord avec la Commission d'accès à l'information: «Le législatif devrait contenir beaucoup plus de précisions en ce qui a trait au processus de couplage des fichiers.» Est-ce que vous pouvez expliquer un peu ces deux perspectives, s'il vous plaît?

M. St-Amant (Jacques): La Commission d'accès, dans ses observations relativement au projet de loi n° 32, mentionne justement qu'il doit y avoir davantage de précision dans le projet de loi, et nous allons tout à fait dans le même sens, pour avoir eu un vaste débat sur la nature précise des dispositions qui devraient être là. Mais quant à l'esprit, en tout cas, je pense qu'il n'y a pas de divergence entre la Commission d'accès et nous.

Quant à la question de la conformité aux chartes, ce n'est évidemment pas une question simple, et le temps nous a manqué pour bâtir un raisonnement juridique avec toute la rigueur qui nous permettrait de vous dire formellement aujourd'hui: Nous sommes d'avis que... N'empêche que, quand je lis la décision de la Cour suprême dans l'affaire Baron, et que je compare avec le résultat qu'on voudrait obtenir avec le projet de loi n° 32, je m'inquiète. Parce que, dans l'affaire Baron, la Cour suprême a dit: Non, le ministère du Revenu n'a pas le droit d'aller chercher des renseignements dans un bureau d'avocats ou un bureau de comptables, par exemple, même s'il a obtenu un mandat de perquisition émis par un juge, en vertu de la loi de l'impôt sur le revenu.

Dans ce cas-ci, on veut permettre au ministre d'aller chercher une foule d'informations sans aucune contrainte, sans aucune balise, sans aucune limite quant à leur nature, dans une série d'organismes publics, sans autorisation préalable, sans rien. J'ai comme le sentiment que ce qu'on veut faire avec le projet de loi n° 32 est encore plus sérieux, plus contraire aux chartes que ce que la Cour suprême a jugé inconstitutionnel dans l'affaire Baron. Et il faut se souvenir qu'en vertu de la Charte canadienne, par exemple, il y a un test. Si la Cour suprême ou son tribunal constate qu'une loi paraît enfreindre la Charte canadienne, cette loi-là peut être quand même jugée constitutionnelle, si elle enfreint un droit dans la limite la plus stricte qui soit nécessaire; et il y a une démonstration à faire, en vertu de l'article premier de la Charte.

Compte tenu de ce que nous avons dit tantôt des autres moyens que le ministère du Revenu peut prendre pour aller chercher des revenus supplémentaires ou pour obtenir la plus grande partie des informations dont il a besoin, j'ai beaucoup de difficulté à imaginer comment le gouvernement et le ministère parviendraient à convaincre un tribunal qu'il n'y a aucune autre manière et qu'ils ont pris les mesures les moins attentatoires au droit pour faire ce qu'ils veulent faire.

M. Williams: Merci. Vous vous souvenez que jeudi soir, avant votre présentation, nous avons reçu un document qui était plein d'amendements.

Une voix: Oui.

M. Williams: Malheureusement, vous étiez invités sans savoir que le ministre avait déjà décidé d'amender le projet de loi n° 36. Il me semble aujourd'hui que le ministre est déjà en réflexion pour faire des amendements au projet de loi n° 32. J'espère que le ministre délégué va vous inviter encore à faire des commentaires, parce que votre opinion est tellement utile pour la commission.

Vous avez recommandé, et je trouve l'idée intéressante, de reporter le projet de loi n° 32 devant la Commission sur la fiscalité que nous allons avoir à l'automne. Est-ce que vous pouvez expliquer un peu votre logique sur ça?

M. St-Amant (Jacques): Il y a des enjeux sociaux importants. Le ministre délégué au Revenu a mentionné l'importance de la lutte au travail au noir et de récupérer les sommes dont le trésor public a besoin; c'est vrai que ce sont des enjeux importants. Dans l'autre plateau de la balance, il y a cependant la protection des droits fondamentaux. Il y a là un débat de société qui nous paraît assez sérieux et assez complexe aussi, parce qu'on ne peut pas évaluer l'un ou l'autre aspect sans tenir compte de l'ensemble du portrait fiscal, au Québec, sans tenir compte de l'ensemble de la situation économique, et qu'on se dise: Est-il absolument impératif de précipiter l'adoption de ce projet de loi? De toute façon, pourrait-on le mettre en oeuvre demain matin? Pourquoi ne pas se donner quelques semaines – parce que, dans le fond, il s'agit de ça – pour regarder le débat dans son ensemble, pour voir ce qu'on peut faire. Quelles sont les meilleures façons de lutter contre le travail au noir? Quelles sont les meilleures façon d'améliorer l'état des finances publiques? A-t-on vraiment besoin, compte tenu de ses conséquences sur les droits, d'un outil comme le projet de loi n° 32? Et la réponse sera peut-être non. La réponse sera peut-être oui, et alors on verra. Mais on aura fait un débat éclairé où tous les intéressés auront pu participer et on aura l'ensemble du portrait.

M. Williams: Merci.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Crémazie.

M. Campeau: Merci, M. le Président. Il nous reste combien de temps?

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Sept minutes.

M. Campeau: Ça va. Bien, d'abord, je tiens à redire ce que je disais l'autre soir. Vous entendre ici, en commission, c'est rafraîchissant parce que vous avez un discours qui est simple, qui est direct, qui est réaliste. Puis, comme on est en politique, nous, je vous ajouterai: On réalise tout de suite que vous ne jouez pas pour la caméra ni pour les micros.

Le ministère du Revenu, il a deux rôles. Mais le rôle principal, c'est de collecter les impôts et les taxes, et on dit toujours: Il faut faire ça dans le respect des citoyens. Et, quand on ne collecte pas un citoyen qui doit des impôts et des taxes, on est injuste envers celui qui paie. Parce que, pour le ministère du Revenu, l'impôt, c'est de l'autocotisation, en ce sens qu'on fait notre propre rapport d'impôts et on le soumet; alors, si, franchement, on n'est pas honnête, on est malhonnête envers toute la population du Québec.

Je suis d'accord avec vous sur les plus fortunés. Quand on entend dire dans les journaux que des fortunes familiales sont passées, aux États-Unis, sans payer d'impôts, ce n'est pas correct, et je pense que le ministère du Revenu devrait être très sévère là-dessus. Et, pour les gens moyens, entendre des choses pareilles, c'est très offensant et ça décourage aussi de payer son impôt. Mais notre système étant comme ça, il faut vivre avec.

Moi, ma question, c'est: Est-ce que, vous, ça vous dérangerait, vous trois – je ne sais pas si vous avez des automobiles; mais, si vous n'avez pas d'automobiles, vos parents ont des automobiles, vos frères, vos soeurs ont des automobiles – que le ministère du Revenu du Québec sache, soit au courant de la sorte d'auto que vous avez? Est-ce que vous, madame, ça vous dérangerait?

St-Amant (Jacques): Il faut distinguer, là...

M. Campeau: Non, non, je pose ma question à madame parce que vous avez parlé beaucoup.

Mme St-Pierre (Nathalie): Ce qui est problématique dans ça, c'est qu'il faut voir les normes que ça va mettre en place, c'est-à-dire qui va déterminer quelle sorte d'auto je devrais avoir pour que, sinon je sois suspecte... C'est problématique. Est-ce que vous allez dire: Bien, là, telle sorte d'auto, madame, je ne pense pas qu'elle ait les moyens, donc, automatiquement, on va faire une enquête sur elle. Qui va déterminer ça? C'est la question, aussi, qu'on doit se poser. Alors, la prochaine chose, ça va être quoi? Qui va déterminer – je ne sais pas, moi – des actes qu'on peut poser ou des choix qu'on peut faire qui font que ça peut être remis en question et l'enquête va dire: Elle ne devrait pas, selon son niveau de revenu, faire ça?

M. Campeau: Ma question, c'est: Est-ce que ça vous dérange que... Donc, ça vous dérange que le ministère du Revenu soit au courant de la sorte d'auto que vous avez. Parce qu'il ne vous dira pas laquelle acheter, il n'ira pas voir si vous l'avez financée ou payée comptant. Mais qu'il sache ça, là...

Mme St-Pierre (Nathalie): Mais, en sachant ça, il va déterminer... Il va y avoir des normes qui vont dire: Avec un niveau de revenu comme ça, cette personne-là, à ce moment-là, ne devrait pas conduire une Mercedes, et donc elle est suspecte. Donc, il y a une norme, là.

M. Campeau: Parce que, évidemment, si vous avez une Mercedes, vous déclarez des revenus – je ne sais pas, moi – de 30 000 $...

Mme St-Pierre (Nathalie): Il y a un problème, là.

M. Campeau: ...il va se poser des problèmes. Donc, il va dire: Probablement qu'elle fait d'autres revenus. Et puis, là, il va commencer son enquête. Mais, si vous avez une auto modeste, ordinaire, il laisse passer, il ne fait rien. Vous, madame, ça vous dérange?

Mme Rozon (Louise): Mais je pense que ce n'est pas une question que ça dérange au plan personnel ou pas. Nous, on est ici pour parler de l'impact que ça peut avoir pour l'ensemble de la société. C'est sûr, ça ne me dérange pas, moi; je n'en ai pas, d'auto. Puis, ça ne me dérange pas que vous sachiez que je n'en ai pas et que j'utilise à l'occasion l'auto de mon «chum» et...

M. Campeau: Non, non, c'est très habile.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Rozon (Louise): Sauf que c'est plus... L'important, pourquoi on est ici, c'est pour amener les membres de la commission à se questionner sur les enjeux fondamentaux que ça pose, l'ensemble des mesures que le gouvernement veut mettre de l'avant avec le projet de loi. C'est sûr qu'à la pièce des exemples comme ceux-là ne sont pas très graves en soi, sauf que c'est dans l'application généralisée, c'est dans les erreurs qui peuvent se glisser et dans le fait qu'une personne tout à fait innocente ait du jour au lendemain à s'expliquer devant le fisc d'une situation qui peut être par ailleurs très normale pour elle. Si quelqu'un décide, par exemple, de manger très peu ou de manger du spaghetti cinq jours par semaine pour se payer une Mercedes, bien, c'est son choix. Mais ce choix-là peut questionner le ministère... C'est peut-être un choix rare, mais ça peut arriver.

(17 heures)

M. Campeau: Ça en prend beaucoup, de spaghetti.

Mme Rozon (Louise): Mais c'est plus sur, je pense, l'ensemble et l'impact généralisé du projet qu'on insiste.

M. Campeau: J'aimerais beaucoup avoir votre commentaire mais, là, le président m'indique que c'est fini.

M. St-Amant (Jacques): Ce sera bref. Vous devinerez, M. le député, que, oui, personnellement, ça me dérange. Mais je trouve, par ailleurs, votre exemple extrêmement intéressant. Imaginons le cas du vice-président d'une grande entreprise qui roulait carrosse; c'est le cas de le dire, il avait une Mercedes. Il a perdu son emploi il y a deux ans. Il n'est pas parvenu à se replacer. Il est au bout de ses économies, mais il a néanmoins une Mercedes. Est-ce que, sur la base d'une information comme celle-là, le ministère du Revenu va commencer une enquête? Et combien il va dépenser pour rien?

Par ailleurs, prenons une foule de gens qui n'ont pas de voiture et qui font du travail au noir et que ce couplage-là ne permettra pas de déceler. Quelle est l'utilité d'un couplage de données comme celui-là? C'est ça, la question fondamentale qu'on pose.

M. Campeau: Je ne voudrais pas défendre juste ce cas-ci, comme vous, mais l'exemple que vous donnez, le type qui a une Mercedes et qui a perdu son emploi, le ministère du Revenu va vite le réaliser, qu'il a encore sa Mercedes et qu'il a perdu son emploi; puis ça va arrêter là.

M. St-Amant (Jacques): Mais il y a d'autres cas où ce sera moins évident.

M. Campeau: Ça se peut. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Viger, vous avez huit minutes, y incluant les remarques finales.

M. Maciocia: Oui, je serai très bref, M. le Président. Ce qui m'agace un peu dans ce projet de loi là, c'est que – je viens de l'apprendre très clairement de la bouche du ministre délégué – on a un objectif de 220 000 000 $ qu'on doit aller chercher et que, pour aller chercher 220 000 000 $, on marche même sur les droits les plus fondamentaux des citoyens. Si je viens de comprendre... J'étais au courant que c'était la situation financière, plus ou moins. Mais, là, vraiment, si on peut dire, le chat est sorti un peu du...

Une voix: ...

M. Maciocia: Non, mais ce n'est pas la question seulement que ça fait longtemps qu'on le dit. Vous avez posé une question tout à l'heure aux trois personnes, là-bas, en disant: Comment voulez-vous qu'on aille chercher les 220 0000 $? Il y a d'autres moyens pour aller chercher les 220 000 000 $, puis je pense que le Vérificateur général vous l'a dit tout à l'heure. Il vous a dit comment aller les chercher, les 220 000 000 $, si c'est les 220 000 000 $... Vous les avez même eus, l'année dernière. Et M. le député de Crémazie est très bien au courant, quand il était ministre des Finances et aussi ministre du Revenu, quand, par une mesure, des revenus supplémentaires, des ressources supplémentaires ont été données au ministère du Revenu; je pense qu'ils sont allés chercher autour de 350 000 000 $ de plus, l'année dernière. Ils ne sont pas sortis comme ça. Ils sont allés le chercher, cet argent-là.

Là, on veut marcher, puis on veut faire adopter un projet de loi aussi capital qui touche la vie privée des gens sans faire un débat sur ça, pour aller chercher 220 000 000 $. Moi, je trouve que c'est vraiment un peu exagéré. Je pense qu'il faudrait vraiment, comme on nous le demande actuellement, de la part de l'organisme qui est devant nous, s'arrêter un peu et... Probablement, s'il faut l'adopter, ce projet de loi, tel quel ou avec des amendements... Mais faisons le débat. Et il faut le faire large, ce débat.

Une voix: C'est ce qu'on est en train de faire.

M. Maciocia: Je ne pense pas qu'on est en train de faire ça, actuellement. Ici, il nous reste 10 jours à siéger, on va le faire en vitesse parce qu'on a un objectif de 220 0000 $ à aller chercher. C'est ça qu'on va faire, et c'est malheureux. Probablement, dans la réforme parlementaire, c'est ça qu'il faudrait voir aussi, que ça n'arrive plus qu'un gouvernement, n'importe lequel, avant le 15 mai, il faut qu'il dépose 50 projets de loi qui doivent être adoptés dans l'espace de quatre semaines. Ça, il faudrait probablement le revoir, dans la réforme parlementaire, parce que ce n'est plus faisable. C'est marcher sur les droits, sur les citoyens, je dirais quasiment à l'aveuglette.

Une voix: Vous avez fait ça pendant...

M. Maciocia: Oui, mais je dis n'importe quel gouvernement, c'est ça que je dis. J'ai dit tout à l'heure qu'il faut revoir ça, probablement. Mais, là, on touche aux droits fondamentaux des citoyens, sur les renseignements personnels, sur la vie privée. Est-ce qu'on peut se permettre de l'adopter, je dirais quasiment en catimini, entre nous, pour aller chercher un objectif de 220 000 000 $?

Moi, je pense, M. le Président, qu'il faudrait vraiment s'asseoir avec le ministre. Et je pense que le ministre est de très bonne foi. Ce n'est pas parce que, lui, il voudrait absolument le passer de manière qu'on puisse avoir des problèmes avec certains renseignements que, probablement, on va aller chercher mais dont on ne voit pas la portée aujourd'hui. Je pense que le ministre est très conscient de cette situation. Faisons-le, le débat. Comme il nous dit, s'il y a une commission qui va siéger probablement à la fin du mois d'août, jusqu'au mois de septembre, faisons-le, ce débat, à travers cette commission et aussi en commission parlementaire. Donnons-nous un mois avec des personnes qui vont venir devant nous pour nous expliquer quels sont les avantages et les désavantages d'un projet de loi semblable. Et, à ce moment-là, probablement, on va le faire, ce débat.

Je suis pleinement d'accord, M. le ministre, que, probablement, il faut trouver des moyens pour aller chercher des montants que probablement certains citoyens ne donnent pas, ou qu'ils ne contribuent pas au fisc québécois. Je suis pleinement d'accord. Mais il ne faut pas le faire de la manière dont on est en train de le faire. Il faut se donner les moyens, si on ne les a pas ces moyens-là, mais pas en y allant sur les droits fondamentaux des citoyens. Je pense qu'on ne peut pas marcher sur les droits fondamentaux des citoyens.

Et moi, je considère, M. le Président, que... Prenons le temps et faisons le travail comme il faut le faire, pas seulement adopter le projet de loi dans une journée, deux ou trois, parce qu'on a l'objectif de 220 000 000 $ à aller chercher dans les poches des contribuables.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Il reste deux minutes aux deux formations politiques pour conclure. Donc...

M. Williams: Pour conclure ou pour questionner?

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Conclure. Vous pouvez questionner, mais la conclusion doit faire partie de ça, hein, parce que l'heure va être passée.

M. Williams: Une courte question sur les projets-pilotes. Avez-vous d'autres idées comment on peut procéder avec les projets-pilotes pour s'assurer qu'on ne fait pas d'erreurs avec ce projet de loi?

Mme Rozon (Louise): Un autre exemple que celui du projet-pilote qu'on a soulevé tantôt?

M. Williams: J'accepte le premier, là, mais est-ce que...

Une voix: Un autre exemple.

Mme Rozon (Louise): On va voir l'efficacité...

M. Williams: Non, vraiment, parce qu'on a tous les coûts-bénéfices.

Mme Rozon (Louise): Oui. Juste, un peu pour rajouter à l'intervention précédente, le Vérificateur général soulevait le fait que le ministère du Revenu n'utilisait pas de façon efficace tous les renseignements qu'il détient déjà. Je pense qu'il y a beaucoup de travail que le ministère peut faire, même si on attend quelques semaines pour étudier à fond ce projet de loi, pour récupérer des sommes.

Le 40 % des comptes à recevoir qui concernent les entreprises, je pense qu'il peut y avoir des effectifs supplémentaires qui soient mis pour tenter de récupérer ces sommes-là, qui représentent des millions de dollars pour le gouvernement. Ça peut s'élever jusqu'à 800 000 000 $. Donc, il y a là des sommes importantes qui peuvent être récupérées, déjà avec les moyens dont dispose le gouvernement.

Pour les projets-pilotes, peut-être que je vais laisser Jacques expliquer davantage.

M. St-Amant (Jacques): Non. Pour l'instant, nous sommes à court d'initiatives. Donnez-nous un jour ou deux, puis on va vous faire des propositions. Ça nous fera plaisir.

M. Williams: Merci. Merci beaucoup pour votre présentation. Et j'espère qu'une fois que nous aurons les amendements devant nous nous allons avoir une autre chance de vous rencontrer et de profiter de votre expérience. Merci beaucoup.

Mme Rozon (Louise): On commence à aimer ça.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le ministre, pour vos remarques finales.

M. Bertrand (Portneuf): Oui, M. le Président. J'aimerais remercier effectivement nos invités pour leur présentation. J'ai beaucoup apprécié. Je mentionnerais simplement qu'en ce qui regarde un des objectifs, qui est le 220 000 000 $, ce n'est vraiment pas quelque chose de nouveau. Il en a été question au discours du budget, en ce qui regarde l'importance de lutter efficacement contre le travail au noir. Il en a été question également à la commission parlementaire, ici même, lors de la présentation par le sous-ministre, au fond, de tout le phénomène du travail au noir.

Il nous apparaît, à nous, et je ne pense pas qu'on ait réussi à nous démontrer l'inverse, que la seule façon de nous permettre d'identifier du travail au noir et de lutter efficacement contre le travail au noir, c'est de permettre ce genre de plage d'information là. Bien sûr, on possède déjà beaucoup d'informations qu'on peut utiliser, mais c'est pour des choses qui sont connues et qui sont sues. Alors, à défaut de pouvoir procéder à ces couplages-là, le problème reste entier quant à l'identification de l'activité au noir.

Je retiens personnellement, de la présentation et des échanges, comme un des messages importants, que votre demande et votre prétention tout à fait légitime, c'est qu'en contrepartie d'instruments additionnels ou de plus grands pouvoirs qu'on donnerait ainsi au ministre du Revenu et au gouvernement il doit y avoir des mécanismes et des garanties quant à l'utilisation qui peut être faite de ces informations-là. Il doit y avoir des redditions de comptes, également. Et je pense qu'on reçoit très bien ces suggestions-là.

Je terminerais simplement par une remarque. Il ne faut pas non plus que les gouvernements et le ministère du Revenu restent à l'âge de pierre, à un moment où... Pas plus tard que la semaine dernière, par le réseau Internet, je faisais un test, par exemple: Recherche d'information, Roger Bertrand. On m'a sorti 20 000 références différentes. Et on va demander aux autorités gouvernementales de rester à l'âge de pierre, de dire: Nous, il faut travailler au cas à cas. Je pense qu'il faut être plus ouvert, il me semble, vers les nouvelles technologies. Mais ce qu'il faut, cependant, et vous avez tout à fait raison, c'est prévoir les garanties qui feront en sorte qu'on évitera les abus d'utilisation de ces technologies, de ces environnements.

(17 h 10)

Le Président (M. Baril, Arthabaska): C'est bien, je vous remercie.

M. Williams: ...sur vous-même.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Je remercie Mme St-Pierre, Mme Rozon et M. St-Amant de nous avoir offert leur collaboration.

J'invite la représentante et le représentant du Barreau du Québec à prendre place.

Je suspends quelques minutes seulement.

(Suspension de la séance à 17 h 11)

(Reprise à 17 h 17)

Le Président (M. Baril, Arthabaska): À l'ordre, mesdames, messieurs!

Nous allons entendre les représentants du Barreau du Québec. Et, pour les membres qui n'ont pas encore reçu de copies, ça devrait arriver dans les minutes qui viennent. Nous sommes en train de photocopier le document.

Donc, j'inviterais soit Mme Vadboncoeur ou M. Doray à nous présenter leur mémoire.


Barreau du Québec

Mme Vadboncoeur (Suzanne): M. le Président, M. le ministre, Mmes, MM. les députés, j'aimerais d'abord vous remercier de nous avoir fourni l'occasion de nous prononcer sur ce projet de loi qui a des conséquences assez importantes et même majeures sur les droits fondamentaux des citoyens du Québec. J'aimerais particulièrement remercier M. Boivin, du secrétariat des commissions – de cette commission-ci – d'avoir pu manoeuvrer pour nous aménager un horaire qui nous convenait davantage, parce que nous devons absolument retourner à Montréal, de sorte qu'on apprécie énormément. Je vous remercie d'avoir bien voulu nous accommoder de cette façon.

J'étais, moi-même, ce matin, à la commission des institutions sur la justice administrative. Donc, je n'ai pas, malheureusement, travaillé énormément là-dessus; c'est plutôt mon collègue Raymond Doray, à qui je demanderai d'ailleurs de résumer le mémoire, compte tenu du fait que vous ne l'avez pas ou, en tout cas, très peu d'entre vous l'ont, malheureusement.

C'est sûr que le Barreau s'est toujours intéressé à la protection des droits fondamentaux et tout particulièrement à la protection de la vie privée. On est toujours intervenu au niveau des projets de loi qui traitaient de ces questions-là, que ce soit la loi sur l'accès elle-même, la loi 68, qui s'applique dans le secteur privé, le Code civil lui-même, qui a franchi des pas importants également dans la protection de la vie privée. Et, donc, on est heureux de faire des commentaires sur ce projet de loi qui, malheureusement, risque de porter atteinte à ces droits fondamentaux.

Alors, le mémoire que vous avez devant vous, c'est sûr... Bon. Je pense qu'on ne peut pas être contre l'objectif poursuivi, que le ministre a mentionné tout à l'heure, c'est-à-dire la récupération des argents impayés. Je pense que tout le monde souscrit à cet objectif-là. Cependant, on craint que les moyens qui sont mis en oeuvre, dans le projet de loi et par le projet de loi, soient un peu disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis.

Le mémoire fait état de cinq grandes questions majeures qui vous seront expliquées par Me Doray. On soumet également quelques petites remarques sur l'article 69 proprement dit et, ensuite, sur le projet de loi n° 36, parce qu'on n'a pas eu l'occasion de s'exprimer sur le projet de loi n° 36. Mais ils sont quand même intimement liés. Donc, on en profite en même temps pour vous souligner quelques aspects sur le projet de loi n° 36. Et le mémoire se termine par la formulation de certaines recommandations en ce qui concerne les deux projets de loi, et 32 et 36.

(17 h 20)

Quant à Me Doray, il pratique à l'étude de Montréal Lavery, de Billy et 95 %, me disait-il, de sa pratique sont consacrés à la loi sur l'accès ou, enfin, à ce genre de pratique: protection de la vie privée et des renseignements personnels. Alors, Me Doray est donc un spécialiste de la question. Et, comme il a été l'auteur du présent mémoire, je l'inviterais tout de suite à vous le résumer.

M. Doray (Raymond): Merci, Me Vadboncoeur. M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, je tenterai de brosser une synthèse du document qui, je l'espère, est maintenant entre vos mains ou le sera tôt ou tard. Essentiellement, la position du Barreau est pragmatique. Plutôt que de remettre en question le bien-fondé de la décision du ministère de récupérer certains impôts et de débusquer le travail au noir, qui sont, selon le Barreau, des objectifs tout à fait louables et qui, d'ailleurs, prennent leurs racines dans une recherche d'équité entre les contribuables et entre les citoyens, le Barreau a plutôt choisi de s'en prendre ou du moins d'étudier et d'analyser les moyens déployés par le projet de loi n° 32 pour mettre en oeuvre ces objectifs, qui sont louables et légitimes.

Quand je disais, il y a deux instants, que l'approche du Barreau est pragmatique, c'est que nous avons la prétention d'apporter certaines solutions ou pistes de solution, de manière à améliorer ce projet de loi et peut-être en réduire l'impact sur les droits fondamentaux, qui, à notre avis, effectivement, sont menacés par la façon de faire ou du moins les choix qui ont été faits dans le projet de loi n° 32.

Notre analyse du projet de loi nous amène à faire cinq constatations qui sont, premièrement, que les articles 71 et 71.4 du projet de loi, l'article 71 étant cette disposition qui oblige les organismes publics et les municipalités à fournir au ministère du Revenu tous les renseignements que celui-ci leur demande, pour les fins de l'application ou de l'exécution d'une loi fiscale; et l'article 71.4, qui est, finalement, cette clause qui a pour effet de soustraire certains articles du projet de loi de l'application de certaines dispositions de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, c'est la clause «nonobstant»... Et notre analyse de ces dispositions mène le Barreau à conclure qu'elles remettent en question le principe voulant que les organismes de l'État soient considérés comme des entités distinctes, en regard de la protection des renseignements personnels. Elles obligent les organismes publics et les municipalités à se plier à toute demande de renseignements personnels spécifique ou en bloc, ainsi qu'à toute interconnexion de banques de données requise par le ministère du Revenu, et laissent à la seule appréciation du ministère du Revenu l'identification des renseignements nécessaires à l'application ou à l'exécution d'une loi fiscale. Ces dispositions soustraient au contrôle a priori de la Commission d'accès à l'information la communication des renseignements personnels entre organismes publics et le ministère du Revenu, ainsi que les couplages, les appariements ou interconnexions de fichiers qui sont effectués dans cette perspective de mettre en oeuvre les lois fiscales.

Ces articles 71 et 71.4 ont aussi pour conséquence d'enlever aux citoyens le droit d'être préalablement informés du fait que certains renseignements personnels, antérieurement recueillis à leur sujet ou fournis par eux à des organismes de l'État, seront utilisés à de nouvelles fins et communiqués au ministère du Revenu à des fins fiscales. Et, enfin, selon le Barreau, il est loin d'être certain que, selon son libellé actuel, le projet de loi n° 32 maintient, ou protège, ou préserve la juridiction a posteriori de la Commission d'accès à l'information, n'en déplaise aux propos publics du ministre et même au point de vue de la Commission d'accès à l'information. On pense que certaines précisions devraient être apportées à cet égard.

Je reviens, si vous le permettez, M. le Président, sur chacun de ces points de façon succincte. Premièrement, notre premier point, à savoir que les articles 71 et 71.4 de la Loi sur le ministère du Revenu, tels que proposés par le projet de loi n° 32, remettent en question le principe voulant que les organismes de l'État soient considérés comme des entités distinctes en regard de la protection des renseignements personnels. Il faut bien comprendre qu'en 1980-1981 il y a eu une étude de cette problématique de la protection des renseignements personnels et de la vie privée au Québec qui a été effectuée par la commission connue sous le nom de commission Paré. Je me permets de souligner que j'étais d'ailleurs le conseiller juridique de la commission Paré, il y a 16 ans, ce qui, évidemment, est quand même assez relativement présent dans ma mémoire. À cette époque-là, justement, ces problèmes d'interconnexion de banques de données et de cueillette de renseignements personnels ont été étudiés en profondeur pendant un an, à la demande de l'Assemblée nationale.

La commission Paré en est venue à la conclusion que l'État, en raison de sa taille, en raison de la multiplicité des services qu'il est appelé à fournir au citoyen en plus de ses rôles traditionnels de surveillance et de contrôle, de police, devait être juridiquement démantelé, c'est-à-dire que l'on devait considérer chacun des organismes publics comme étant une entité distincte qui recueille les renseignements qui sont nécessaires à l'exercice de ses fonctions et qui, en règle générale, ne peut les communiquer à un autre organisme public sans le consentement de la personne concernée ou une autorisation spécifique de la loi, ou en respectant certaines formalités sous le contrôle de la Commission d'accès à l'information. Et, ce constat, cette analyse et ces recommandations faites par la commission Paré, l'Assemblée nationale du Québec les a adoptés à l'unanimité en 1982, lorsqu'elle a adopté la loi sur l'accès que l'on connaît maintenant.

Le Barreau croit que cette analyse qui a été faite, à l'époque, des risques d'interconnexion ou de considérer l'État comme un tout en matière de protection des renseignements personnels plutôt que de le diviser selon les différentes tâches qu'il accomplit, est toujours actuelle, est toujours pertinente. Il n'y a rien, à l'heure actuelle, qui nous permet de croire que les valeurs de la société québécoise ont changé à tel point que, pour récupérer certains montants d'argent, l'on doive mettre de côté totalement la loi sur l'accès et les principes qu'elle met de l'avant. Au contraire, à l'occasion de la plus grande opération d'interconnexion de banques de données que le Québec aura jamais faite dans son histoire, il nous semble que ces principes fondamentaux, qui ont été, justement, mis de l'avant en 1981-1982 comme étant une garantie démocratique des citoyens, devraient être encore plus respectés que jamais. Et, s'il fallait faire quelque chose, ça devrait même être de renforcer ces principes, puisqu'on va effectuer ou l'on s'apprête à effectuer la plus grande opération d'interconnexion, de couplage et de transfert de renseignements personnels.

Dans ce contexte-là, le Barreau se dit: Si la loi sur l'accès telle qu'elle a été adoptée en 1982, avec quelques modifications au fil du temps, empêchait totalement la communication de renseignements personnels entre les organismes publics, interdisait de manière incontournable les interconnexions de banques de données à des fins légitimes et les communications de renseignements personnels en faveur du ministère du Revenu, il y aurait peut-être lieu de remettre en question les principes et les règles que l'on retrouve dans la Loi sur l'accès.

Cependant, quand on regarde la loi sur l'accès attentivement et sereinement, on se rend compte que cette loi, qui met, bien sûr, comme principe une certaine étanchéité entre les organismes publics, permet, en suivant certaines formalités, de communiquer des renseignements personnels entre organismes publics et d'interconnecter ou de coupler des données. C'est permis, dans la loi sur l'accès, à la condition de respecter trois règles qui sont relativement simples. Ces règles, c'est que la personne concernée, le citoyen, doit être informé à l'avance de ce nouvel usage qui sera fait des renseignements personnels qu'il a fournis à un organisme public dans le passé. Deuxième principe, la communication des renseignements personnels doit être, dans la plupart des cas, faite dans le cadre d'une entente qui est soumise à l'appréciation et à l'évaluation de la Commission d'accès à l'information, qui est le chien de garde de la protection de la vie privée et à laquelle l'Assemblée nationale a accordé une indépendance à l'égard de l'État, puisque ses membres sont nommés par un vote des deux tiers de l'Assemblée. La Commission doit donner un avis sur l'opportunité de l'échange de renseignements personnels ou de l'interconnexion de banques de données, elle a l'expertise pour le faire, elle peut poser des questions au ministère pour lui faire préciser la raison d'être des interconnexions ou la suffisance ou l'exagération dans la demande d'information. C'est son rôle, et on l'a créée pour ça en 1982.

(17 h 30)

Mais la Commission d'accès n'a pas un pouvoir décisionnel final à l'égard des interconnexions et des communications de renseignements personnels entre organismes publics. Elle a un pouvoir d'émettre un avis. Si son avis est favorable, la communication ou l'interconnexion peuvent être effectuées. Si son avis est défavorable, le gouvernement peut, par décret, autoriser l'interconnexion et autoriser la communication de renseignements personnels à condition de déposer dans les 30 jours ce décret devant l'Assemblée nationale. On a un régime qui est sophistiqué, efficace, qui ne laisse pas entre les mains de non-élus la décision ultime et qui permet un certain contrôle a priori sur la communication des renseignements personnels.

Le Barreau se demande: Pourquoi évacuerait-on, à l'heure actuelle, ce système assez flexible, plutôt efficace, qui jusqu'ici n'a pas dérapé, au motif que l'on cherche à récupérer 220 000 000 $? Ou on parle de 1 000 000 000 $ selon l'emportement du moment. Il y a peut-être des aménagements qui peuvent être faits pour permettre ou faciliter la tâche de la Commission d'accès à l'information quant à l'approbation des interconnexions ou des communications de renseignements personnels envisagées par le ministère du Revenu. Ce que l'on a entendu jusqu'ici, ce que le Barreau a entendu, c'est qu'il n'était pratiquement pas possible de permettre à la Commission d'accès à l'information d'exercer son contrôle a priori et de sanctionner les ententes entre le ministère du Revenu et d'autres organismes publics, parce que cela aurait pour conséquence d'écraser la Commission d'accès sous les demandes d'approbation d'ententes interorganismes publics.

Ce que le Barreau propose, c'est que la loi établisse certaines modalités, par exemple des ententes-cadres. Si le ministère pouvait soumettre, pour tous ces échanges de renseignements personnels avec des municipalités, des ententes-cadres sur la communication de renseignements personnels visant la mise en oeuvre ou le respect d'une loi fiscale, bien, on réglerait le cas de 1 800 municipalités du Québec, et la Commission d'accès pourrait se prononcer, après avoir étudié quels sont les renseignements personnels que le ministère désire obtenir, d'une part, quelles sont les modalités de sécurité qu'il est prêt à mettre en place, quels sont les contextes dans lesquels il va faire l'interconnexion ou le couplage de données, et la Commission, qui est ce chien de garde que l'on s'est donné collectivement, pourrait justement regarder avec un peu plus, j'allais dire d'indépendance, parce que le ministère est à la fois, il faut le reconnaître, un peu juge et partie dans cette recherche d'information, et la Commission pourrait jouer son rôle au bénéfice de la population et en tout respect des droits fondamentaux que l'on s'est reconnus il y a maintenant 16 ans.

On pourra faire le même exercice à l'égard des ministères, avec une entente-cadre pour les échanges de renseignements personnels entre les ministères et le ministère du Revenu, avec les commissions scolaires, avec certains organismes dont les renseignements sont plus sensibles: Régie des rentes du Québec, Société de l'assurance automobile du Québec, etc. Ça nous permet de maintenir le régime et le système qu'on s'est mis en place pour assurer des droits fondamentaux tout en assurant au ministre la possibilité de poursuivre les objectifs qu'il s'est fixés et qui, je le répète, selon le Barreau, sont tout à fait légitimes.

Mais, là où le bât blesse dans le projet de loi, c'est que les organismes publics et les municipalités sont tenus de fournir au ministère les renseignements personnels qu'il demande. Selon le Barreau, d'ailleurs, les organismes et les municipalités n'auront aucun moyen de refuser au ministère des renseignements personnels et de faire valoir qu'il en demande trop ou qu'il est trop gourmand ou que sa cueillette d'information ou son interconnexion de banques de données est peut-être excessive eu égard aux bénéfices escomptés. Somme toute, les citoyens pourront avoir une certaine sécurité, je pense, quant à l'information qu'ils transmettent à des organismes publics.

L'autre mise en garde ou l'autre protection assurée par la loi sur l'accès, je le mentionnais tout à l'heure, c'est le droit des citoyens d'être informés, d'être informés de ce nouvel usage que l'on fera des renseignements qu'ils ont fournis à l'État. Pourquoi le mettre de côté par le biais de la clause «nonobstant les articles 65 à 70 de la loi sur l'accès» qu'on retrouve à l'article 71, ou enfin à l'article 5 ou 6 du projet de loi, alors qu'il serait tout à fait pensable de fournir à l'ensemble des citoyens du Québec, non pas à chaque citoyen et au cas par cas, mais, par exemple, avec le rapport d'impôts ou dans le formulaire de déclaration de revenus des particuliers ou dans les échanges épistolaires tellement chaleureux que le ministère nous envoie à quelques reprises au cours de l'année, de glisser une petite notice ou une petite feuille de papier qui indiquerait aux citoyens qu'il est possible que certains renseignements qu'ils ont fournis à tel, tel, tel type d'organisme public soient utilisés ou même consultés par le ministère du Revenu afin de voir à l'exécution et à la mise en oeuvre des lois fiscales? Ce principe d'information préalable qui est consacré dans la loi sur l'accès pourrait être respecté avec des aménagements tout à fait réalistes.

Ce dernier et troisième grand principe quant à la communication et à l'interconnexion de banques de données qu'on retrouve dans la loi sur l'accès, lui aussi, il pourrait être respecté: c'est le contrôle a priori de la Commission d'accès à l'information avec les moyens dont j'ai parlé il y a quelques instants, c'est-à-dire de permettre à la Commission d'adopter des ententes-cadres pour les échanges entre le ministère du Revenu et certains types d'organismes ou des organismes types. À ce moment-là, la Commission pourrait jouer son plein rôle et mettre en garde soit le ministère du Revenu lorsqu'il est peut-être trop gourmand, soit l'Assemblée nationale si la Commission en venait à la conclusion qu'elle ne peut émettre un avis favorable. Le gouvernement adoptera le décret, mais le déposera devant l'Assemblée nationale, et le principe démocratique d'utilisation, entre guillemets, «fair» de l'information, pour utiliser les termes qui sont si chers à nos voisins du Sud, pourrait être respecté.

Il y a, dans ce projet de loi, une certaine ambiguïté quant au contrôle a posteriori de la Commission d'accès à l'information. J'ai parlé du contrôle a priori, c'est-à-dire l'adoption ou, enfin, la possibilité pour la Commission d'approuver par le biais d'un avis les interconnexions ou les échanges de renseignements personnels entre le ministère et un autre organisme public ou d'autres organismes publics. La loi sur l'accès prévoit aussi un contrôle a posteriori, ce chien de garde que l'on s'est collectivement donné et qui est la Commission d'accès à l'information, la possibilité soit sous la foi d'une plainte qu'elle reçoit d'un citoyen ou d'une entreprise, ou encore, de son propre chef, d'enquêter sur les communications de renseignements personnels, sur les interconnexions de banques de données pour voir si les principes qui sont consacrés dans la loi sur l'accès ont été respectés. Ce contrôle est aussi important pour les citoyens.

J'ouvre une parenthèse ici pour dire que, ces principes que l'on retrouve dans la loi d'accès du Québec, ils font maintenant partie de ce que l'on retrouve dans la plupart des lois occidentales en matière de protection des renseignements personnels et ils ont même été consacrés dans la directive européenne sur la protection des données personnelles qui a été adoptée par le Conseil de l'Europe l'été dernier, au mois de juillet, et qui entrera en vigueur en 1998. On retrouve ces principes voulant que l'information soit, en règle générale, utilisée pour les fins pour lesquelles elle a été obtenue et ces principes aussi qu'il est nécessaire d'avoir un organisme indépendant qui révise, regarde, surveille ou contrôle les échanges de données tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Fin de la parenthèse.

(17 h 40)

Ce contrôle a posteriori de la Commission d'accès à l'information, le Barreau se demande s'il n'a pas été évacué ou s'il ne serait pas évacué de façon implicite, indirecte et, j'oserais dire, pernicieuse par le libellé, le nouveau libellé de l'article 71.4. On a prévu une clause «nonobstant les articles 65 à 70 de la loi sur l'accès». Autant dire que les échanges de renseignements personnels effectués par le ministère du Revenu avec d'autres organismes publics et municipalités sont soustraits à l'application des règles que l'on retrouve dans la loi sur l'accès en matière d'échange de renseignements personnels.

Est-ce que cette clause «nonobstant» ou «malgré la loi sur l'accès» pourrait avoir comme conséquence d'empêcher la Commission d'accès à l'information d'enquêter éventuellement a posteriori, donc après les interconnexions et après les échanges de données, à l'égard de ces renseignements-là? Le Barreau n'a pas de réponse définitive ou catégorique sur ce sujet-là. Il ne prétend pas que son interprétation est la seule qui vaille, je le dis en toute humilité.

Cependant, l'histoire relativement récente nous a enseigné que le ministère du Revenu avait souvent donné des interprétations extrêmement restrictives à la juridiction de la Commission d'accès à l'information. On se souviendra qu'il y a à peine sept ou huit ans un citoyen du nom de Constantinescu a demandé accès à son dossier de contribuable auprès du ministère du Revenu, et le ministère du Revenu lui a répondu que son dossier en tant que contribuable était confidentiel et qu'il ne pouvait en obtenir copie. Ce citoyen s'est adressé à la Commission d'accès à l'information, et le ministère du Revenu a plaidé pendant cinq ans jusqu'à la Cour d'appel du Québec en faisant valoir que le dossier du contribuable était soustrait à l'application de la loi sur l'accès et à la juridiction de la Commission d'accès à l'information du simple fait qu'il existait, à l'article 170 de la loi sur l'accès actuelle et dans son annexe A, l'équivalent d'une clause «nonobstant». Cinq ans, une bataille jusqu'à la Cour d'appel du Québec, avec les frais judiciaires et non judiciaires – c'est le Barreau qui parle, on sait de quoi on parle – que cela peut impliquer. Pourquoi ne pas...

Une voix: Gratuit.

M. Doray (Raymond): Oui. Ha, ha, ha! Aujourd'hui. Ha, ha, ha! Pourquoi ne pas prévoir le coup? Je pense, et c'est l'avis du Barreau, qu'il est du rôle du législateur d'éviter les problèmes d'interprétation à l'avance, ou le plus possible, n'en déplaise à mes collègues avocats, et de prévoir de manière spécifique que la juridiction, la compétence de la Commission d'accès à l'information, à l'égard des échanges de données et des interconnexions qui sont effectués dans le cadre de la Loi sur le ministère du Revenu, sont toujours du ressort et sous la surveillance et le contrôle de la loi sur l'accès. On s'évitera énormément de problèmes. Et d'aucune façon le Barreau ne veut faire de procès d'intention à qui que ce soit, mais il est peut-être préférable de mettre les points sur les i pour éviter toute interprétation extrêmement restrictive qui pourrait nier, là encore, des droits fondamentaux.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. Doray, je ne voudrais pas vous priver de votre temps de parole, mais, actuellement, vous grugez sur le temps de parole des parlementaires, à moins qu'il y ait consentement...

M. Doray (Raymond): Alors, je termine, M. le Président, à l'instant. Simplement, dans le mémoire du Barreau du Québec, il y a quelques remarques relatives à l'article 69 de la Loi sur le ministère du Revenu. Là aussi, le Barreau est d'avis que certaines précisions devraient être apportées, notamment en ce qui a trait au droit du contribuable d'avoir accès à des renseignements qui ont été fournis à son sujet par des tiers. Tel que libellé, l'article 69 interdit au ministère de communiquer au contribuable tout renseignement que le ministère a obtenu de la part d'un tiers au sujet du contribuable, et le Barreau croit que l'on devrait s'inspirer des principes qui ont été consacrés dans le Code civil du Québec et dans la loi sur la protection des renseignements personnels qui veulent que ce ne sont que les renseignements fournis par des tiers qui sont des personnes physiques qui doivent être soustraits du dossier de la personne concernée ou du contribuable, d'une part, et seulement lorsqu'un préjudice sérieux découlerait de la divulgation; donc, ne pas, de façon absolue et systématique, empêcher le contribuable de prendre connaissance d'informations que des tiers auraient fournies au ministère à son sujet.

Pour ce qui est du projet de loi n° 36 – et je conclus, M. le Président, avec mes excuses les plus sincères – le Barreau, qui n'a pas eu l'occasion d'être entendu sur le sujet, croit que la compensation financière n'est pas une mauvaise chose, mais à condition que les dettes soient dues et exigibles. Il croit cependant qu'avant d'opérer la compensation de façon irrémédiable l'on devrait à tout le moins arrêter les paiements en faveur d'un citoyen qui doit par ailleurs de l'argent à l'État et lui donner un certain délai pour faire valoir son point de vue avant que la compensation ne s'opère en sa défaveur. Je vous remercie.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Je vous remercie. Je passe la parole immédiatement au ministre délégué au Revenu.

M. Bertrand (Portneuf): Oui, M. le Président. Il y a bien des points sur lesquels j'aimerais argumenter, mais je pense qu'on est davantage ici pour vous écouter et comprendre votre point de vue. J'aimerais que vous me parliez un peu de la portée de l'article 170 de la loi relative à l'accès aux documents des organismes publics, lorsqu'elle mentionne que les dispositions législatives mentionnées à l'Annexe A continuent d'avoir effet et que l'Annexe A inclut donc, parmi les dispositions législatives qui continuent d'avoir un effet malgré l'article 169, la Loi sur le ministère du Revenu, articles 69 à 71. C'est parce que vous avez fait un long exposé sur ce qu'avait été l'esprit, finalement, ayant entouré l'adoption de cette loi à l'origine, mais c'est parce que je trouve qu'on passe un peu vite sur cette disposition-là, qui était prévue expressément dans la loi d'accès, et sur sa portée. Comme vous le savez probablement, on a quand même des divergences de vues assez tranchées quant à l'application ou à l'interprétation en complémentarité ou en exclusivité de ces dispositions-là.

M. Doray (Raymond): M. le ministre, je pense que le législateur a créé avec d'abord le régime de prépondérance de la loi sur l'accès qu'on retrouve à ces articles 168 et 169 et à cet article 170 de la loi sur l'accès qui maintenaient certaines dispositions qui allaient à l'encontre de la loi sur l'accès... Puis, par ailleurs, avec des modifications successives dans la Loi sur le ministère du Revenu, je pense qu'une chatte n'y retrouverait pas ses petits. On se retrouve, à l'heure actuelle, avec un régime juridique qui est plus ou moins compréhensible où l'on a une prépondérance de la loi sur l'accès, le maintien de certaines dispositions de la Loi sur le ministère du Revenu et une nouvelle clause «nonobstant» que vous proposez à l'Assemblée nationale d'adopter par le biais de l'article 71.4 de la Loi sur le ministère du Revenu. Mettons ça bout à bout, et, à l'heure actuelle, il devient extrêmement difficile, d'un point de vue juridique, de savoir ce qui est prépondérant et ce qui ne l'est pas.

Je pense qu'effectivement, étant donné, historiquement, si vous me permettez, ce que la commission Paré a proposé au gouvernement et ce que le gouvernement, d'ailleurs, a accepté en adoptant la loi sur l'accès en 1982, qui est entrée en vigueur en 1984, c'est de dire: Il y a certaines dispositions dans les lois sectorielles qui, on le sait déjà, contreviennent au principe mis de l'avant par la loi sur l'accès, mais, dans une certaine mesure, étudions leur impact et leur effet et maintenons ces dispositions-là pour encore un certain temps. Et c'est ce que l'on a fait par le biais de l'article 170 et l'Annexe A de la loi sur l'accès qui maintiennent ou qui ont maintenu en vigueur les articles 69 à 71 de la Loi sur le ministère du Revenu.

Ce que je ne sais pas, à l'heure actuelle, M. le ministre, c'est: du fait que le législateur est intervenu à plusieurs reprises pour modifier l'article 69, l'article 70 et l'article 71 de la Loi sur le ministère du Revenu et en ajouter, d'ailleurs, plusieurs autres dans les interstices – 70.0.1, 70.0.2, 70.0.3 et ainsi de suite – est-ce que la clause, j'allais dire le maintien législatif des articles 69 à 71 de la Loi sur le ministère du Revenu, que l'on retrouve à l'Annexe A de la loi sur l'accès, est toujours en vigueur? Permettez-moi d'en douter, et je pense qu'effectivement vos légistes vous ont bien conseillé en vous suggérant d'ajouter dans le projet de loi n° 32 une clause «nonobstant les articles 65 à 70 de la loi sur l'accès», si le but poursuivi était d'éviter le contrôle a priori de la Commission d'accès à l'information. Je pense que c'était une mesure sécuritaire, si tant est que l'objectif – que nous ne partageons pas, vous l'aurez compris – ait été de soustraire ces dispositions-là au contrôle a priori de la Commission d'accès à l'information et à l'application des articles 65 à 70 de la loi sur l'accès.

(17 h 50)

Une autre interprétation aurait pu être que l'article 170 et l'Annexe A étaient amplement suffisants pour permettre à l'Assemblée nationale de modifier allégrement les articles 69 et suivants de la Loi sur le ministère du Revenu et que la juridiction de la Commission d'accès aurait toujours, malgré tout, été exclue. Ça, c'est pour la dimension purement légistique, si vous permettez.

Mais la Cour d'appel du Québec a décidé en 1990 que, malgré le fait que l'article 69 de la Loi sur le ministère du Revenu ait été maintenu par le biais de l'article 170, ça n'empêchait pas la Commission d'accès à l'information d'avoir un droit de regard et de pouvoir même entendre des litiges lorsqu'un citoyen veut avoir accès à son dossier auprès du ministère du Revenu. En plus, la Cour d'appel a décidé que l'interprétation que le ministère du Revenu donnait de l'article 69 était beaucoup trop restrictive. Cet article-là n'avait aucunement pour but de restreindre le droit d'accès du contribuable à son dossier. L'exemple que j'ai donné tout à l'heure, M. le ministre, illustre que, à l'heure actuelle, en raison de la multiplicité des clauses «nonobstant» et des régimes particuliers de prépondérance et de lois successives, les dispositions applicables au ministère du Revenu eu égard à la loi sur l'accès sont assez difficiles à suivre et, je dirais même, très difficiles à interpréter. Pour éviter toute ambiguïté, il nous semble qu'il serait tout à fait opportun de clairement préciser que la juridiction de la Commission d'accès à l'information à l'égard des interconnexions et des communications de renseignements personnels doit être maintenue.

M. Bertrand (Portneuf): O.K. Donc, oui, elle doit être maintenue ou pas, dépendant des points de vue, effectivement. C'est une chose qu'on cherche à clarifier. M. le Président, j'aimerais rassurer les représentants du Barreau, et Me Doray en particulier, notre objectif, ce n'est pas d'éviter le contrôle a priori de la Commission d'accès à l'information. C'est, d'une part, bien sûr, de clarifier une situation que, de notre point de vue et selon nos prétentions, les jugements auxquels vous faisiez référence ne sont absolument pas réglés sur le fond. O.K.? Il peut y avoir des divergences d'opinions là-dessus, mais c'est notre point de vue. Et, deuxièmement, faire en sorte qu'on puisse mettre fin, d'une certaine façon, aux délais très importants auxquels on doit faire face lorsqu'on doit passer par les contrôles, effectivement, a priori de la Commission d'accès à l'information. Je dois vous dire que des délais de deux ans, trois ans, c'est à peu près le genre de délais auxquels on fait face actuellement et ça implique éventuellement des pertes importantes sur le plan fiscal, puisqu'on connaît les règles du jeu là-dedans: au bout de trois ans, ce qui aurait pu être une créance n'est maintenant plus recouvrable.

Alors, je ne sais pas, par rapport à cet objectif-là d'essayer de faire en sorte qu'on puisse procéder plus rapidement pour protéger, au fond, ce qui nous est dû, quelles sont vos suggestions? Autrement dit, si votre prétention est à l'effet de maintenir un contrôle a priori, est-ce qu'il y a moyen de faire en sorte que ce contrôle soit réduit substantiellement par rapport à la situation actuelle?

M. Doray (Raymond): M. le ministre, je pense que, dans notre mémoire, nous avons, le Barreau a pris justement la peine de suggérer des pistes de solution. Ce que j'ai qualifié d'ententes-cadres qui pourraient être adoptées par la Commission d'accès à l'information pourrait amener, finalement, la Commission d'accès à adopter une quinzaine d'ententes-cadres pour différents types d'organismes publics au Québec, peut-être 20 au maximum, et peut-être le législateur peut-il même prévoir un délai à l'intérieur duquel la Commission devra s'être prononcée. Ça peut être une possibilité. Là, je ne me ferai pas, évidemment, aimer par mes anciens collègues de la Commission d'accès à l'information, mais, si, effectivement, il y a une certaine urgence, il n'y a rien qui empêche le législateur d'en faire part dans le texte législatif lui-même, à défaut de quoi, à ce moment-là, le gouvernement pourra procéder par décret, comme la loi lui permet déjà de le faire.

M. Bertrand (Portneuf): Une dernière remarque, M. le Président. Juste en ce qui regarde le contrôle a posteriori, j'aimerais rassurer nos interlocuteurs: notre intention est véritablement de faire en sorte que la Commission d'accès à l'information ait un véritablement contrôle a posteriori. J'aimerais vous rassurer là-dessus.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci, M. le ministre. M. le député de Nelligan.

M. Williams: Je ne ferai pas de commentaires sur les derniers commentaires de ce matin sur l'étude article par article. Merci beaucoup pour votre présentation assez détaillée. Je pense que ce soir et plus tard on pourra profiter de vos idées.

Je voudrais savoir, est-ce que vous avez eu la chance de rendre une opinion sur l'impact du projet de loi n° 32 et des chartes québécoise et canadienne? Parce que le Protecteur du citoyen, ce matin, a été questionné et, dans son mémoire, il a mis des questions, et ACEF-Centre, juste avant vous, a questionné sur l'impact du projet de loi n° 32 et les chartes des droits et libertés québécoise et canadienne. Est-ce que le Barreau a une chance de réfléchir sur cette question? Et est-ce que vous allez le faire?

M. Doray (Raymond): Écoutez, à ma connaissance – Me Vadboncoeur pourra peut-être compléter – le Barreau ne s'est pas penché sur cette question précise, et, personnellement, je n'ai pas eu l'occasion de l'étudier. Par contre, il faut bien comprendre que, dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, on reconnaît, à l'article 5, le droit de toute personne au respect de sa vie privée. Mais, comme tous les auteurs le reconnaissent, le droit à la vie privée, c'est tout et c'est son contraire. C'est un droit qui doit être modulé en fonction du contexte et qui est généralement interprété, au fil du temps, selon les valeurs de la société à laquelle on s'adresse.

Au Québec, on a un avantage, je pense, sur les autres sociétés qui ont simplement reconnu le droit à la vie privée au sens large: c'est que l'on est venu, en 1982, mettre de la chair autour de l'os. On a dit: Le droit à la vie privée, ça comprend, entre autres choses, le droit à la protection des renseignements personnels, et voici de quelle manière les renseignements personnels doivent être utilisés, communiqués, détenus, interconnectés par les organismes de l'État. En 1994, dans le Code civil du Québec, on est venu dire comment les entreprises privées au Québec doivent se comporter à l'égard des renseignements personnels. Donc, au Québec, le droit fondamental reconnu dans la Charte est complété par des lois sectorielles auxquelles on a donné une valeur prépondérante, autant dans le secteur public que dans le secteur privé. Alors, si l'on considère que les droits ou le droit fondamental des Québécois à la vie privée, c'est à la fois cette déclaration très générale dans la Charte des droits complétée par deux lois prépondérantes que sont la loi sur l'accès, d'une part, et la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, d'autre part, je pense que le Protecteur du citoyen aurait raison de dire qu'effectivement il y a violation du droit fondamental à la vie privée si on ne respecte pas les règles et les formalités prévues dans la loi sur l'accès pour échanger des renseignements personnels entre organismes publics ou encore pour interconnecter des banques de données.

M. Williams: Est-ce que vous pensez que ça va être utile de demander au tribunal d'avoir une décision déclaratoire sur chaque question avant de procéder, si... Je pense que c'est le bon terme. Je ne suis pas l'avocat ici...

M. Doray (Raymond): Jugement déclaratoire, oui.

M. Williams: Quand j'ai demandé la question, jusqu'à maintenant, la réponse que j'ai eue, c'est qu'on ne sait pas: Nous ne sommes pas certains. Est-ce qu'il serait bon de vérifier ça avant de procéder avec le projet de loi n° 32?

M. Doray (Raymond): Écoutez, je ne crois pas que les tribunaux puissent se prononcer sur une pareille question. Le jugement déclaratoire est un moyen qui existe dans le Code de procédure pour régler des problèmes concrets. Le législateur ne peut pas, au Québec, soumettre directement une loi à l'attention de la Cour supérieure pour avoir son point de vue. La seule possibilité de faire ça, c'est en matière constitutionnelle; on peut s'adresser à la Cour suprême du Canada. Mais on n'en est pas là. Alors, je ne pense pas que ce soit un moyen adéquat, et c'est un point de vue tout à fait personnel.

M. Williams: Non. Merci pour ça. Je me suis déjà prononcé, je ne suis pas l'avocat dans la Chambre, ici.

Vous avez... Pardon? M. le ministre!

Une voix: C'est un bon diable.

M. Williams: Est-ce que, si j'ai bien compris votre mémoire, vous croyez que le ministère du Revenu a déjà tous les pouvoirs nécessaires pour remplir ses tâches?

M. Doray (Raymond): Je pense que ce que l'on dit, c'est essentiellement qu'il est possible d'accomplir l'objectif qu'il poursuit, et qui est légitime, en respectant les principes de la loi sur l'accès, en respectant le contrôle a priori et a posteriori de la Commission d'accès à l'information, en donnant aux citoyens l'information préalable sur cette utilisation nouvelle des renseignements qui les concerne, quitte à ajouter certains aménagements, tels que les ententes-cadres adoptées par la Commission d'accès, l'information donnée en bloc aux citoyens dans l'enveloppe du ministère du Revenu, etc., mais c'est possible de le faire en tout respect du régime qu'on s'était donné en 1982.

(18 heures)

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Nelligan, puisque nous allons possiblement dépasser 18 heures, ça me prendrait le consentement des membres pour terminer le temps alloué au Barreau du Québec.

Une voix: ...

Le Président (M. Baril, Arthabaska): 18 h 15. C'est bien? Allez-y, M. le député de Nelligan.

M. Williams: Je donne mon consentement aussi, M. le Président.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Je m'en doutais.

M. Williams: L'article 6 de ce projet de loi parle des ententes qui peuvent être conclues avec les organismes publics. Est-ce que j'ai bien compris, encore une fois, votre mémoire, que vous voulez vous assurer que les ententes «doivent» être conclues? Sans entrer dans un débat sur les amendements, est-ce que c'est l'esprit de votre intervention sur l'article 6?

M. Doray (Raymond): M. le député, je pense qu'une précision est importante. L'article 6 parle effectivement d'ententes conclues entre le ministère du Revenu et certains organismes quant aux modalités d'échanges des renseignements personnels entre eux. Mais, ça, c'est purement entre le ministère et des organismes, ça n'a rien à voir avec ce que l'on appelle une entente, dans le cadre de la loi sur l'accès aux documents des organismes publics.

Dans la loi sur l'accès, il est prévu, aux articles 68, 68.1, qu'un organisme public qui veut communiquer des renseignements personnels à un autre organisme public sans le consentement de la personne concernée, du citoyen, ou qui veut procéder à une interconnexion de banques de données doit signer une entente entre les deux organismes et soumettre cette entente avec les modalités et la description des renseignements qui seront échangés à la Commission d'accès à l'information pour avis. Donc, on ne parle pas de la même chose du tout.

M. Williams: Merci...

M. Doray (Raymond): Et ces ententes-là, si vous me permettez, justement, en général, on y mentionne exactement quels sont les renseignements qui vont être échangés et à quelles fins ils vont être utilisés. C'est un des problèmes, selon le Barreau, du projet de loi, tel que proposé. C'est que, plutôt que de définir les renseigments qui seront échangés entre le ministère du Revenu et d'autres organismes publics et les municipalités, on fait simplement reproduire le libellé du texte de la loi sur l'accès, en disant: Les organismes publics devront fournir au ministre du Revenu les renseignements personnels qui sont nécessaires pour l'exécution ou l'application des lois fiscales. Donc, on ne les précise pas, ces renseignements-là. Il y a quelque chose d'un peu tautologique. On reprend le critère de la loi sur l'accès, qui dit que les organismes publics ne peuvent recueillir que des renseignements nécessaires, on le reproduit dans la Loi sur le ministère du Revenu, en disant: Le ministre pourra obtenir des organismes publics et des municipalités les renseignements qu'il juge nécessaires, qu'il indique être nécessaires. Donc, finalement, en reproduisant le critère de la loi sur l'accès, on vient d'éviter de nous donner une liste des renseignements qui seront échangés entre les organismes publics, et c'est ça qui est important, ou, à tout le moins, que la Commission d'accès à l'information soit informée à l'avance, pour le contrôle a priori des renseignements qui seront échangés entre le ministère du Revenu et d'autres organismes publics. Ne pas laisser entre les mains de l'organisme, qui est le ministère du Revenu, la discrétion d'établir les renseignements qui seront échangés.

M. Williams: Merci beaucoup.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le ministre, vous voulez revenir?

M. Bertrand (Portneuf): Je m'excuse. Oui, j'avais un point... Non, ça va, dans l'ensemble, M. le Président. Je n'ai pas d'autres questions.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Ça va? Bon, alors, si vous voulez faire des remarques finales.

M. Bertrand (Portneuf): Mes remarques finales. J'aimerais remercier les représentants du Barreau pour leur présentation, les remercier pour leurs suggestions, également. Je pense qu'on avait invité les gens à nous faire des suggestions d'amélioration et on en a un certain nombre, notamment en ce qui regarde les ententes-cadres. Je prends note également de vos préoccupations relativement au principe d'autorisation préalable. Enfin, je pense que c'est d'excellentes pistes que vous nous suggérez.

J'aimerais, par ailleurs, vous rassurer sur une chose. J'ai trouvé votre exposé fort intéressant, presque impeccable, à l'exception peut-être de certains motifs que vous avez cru lire. Vous avez parlé, à un moment donné, de termes peut-être même à la limite pernicieux. Soyez rassurés, les libellés que nous avons utilisés étaient des libellés où on voulait clarifier, justement, qu'en ce qui regarde le contrôle a posteriori la Commission d'accès aurait compétence, pourrait jouer son rôle. Et si on peut améliorer le libellé pour le rendre encore plus clair, il nous fera plaisir de le faire. Je vous remercie.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Nelligan.

M. Williams: Merci. Merci beaucoup au Barreau, aussi. Je pense que votre présentation a été tellement utile. C'est dommage que nous n'ayons pas eu la chance de profiter de votre expérience pendant les audiences sur le projet de loi n° 36. Mais c'est tout amendé, selon l'information que j'ai reçue, alors, peut-être qu'on pourra avoir une autre chance de parler avec le Barreau plus tard. Merci beaucoup, vraiment, pour votre intervention aujourd'hui parce que je pense que vous nous aidez à mieux comprendre le projet de loi n° 32. Merci beaucoup.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci, Mme Vadboncoeur, M. Doray, pour la présentation de votre mémoire. Je suspends les travaux jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 6)

(Reprise à 20 h 10)

Le Président (M. Baril, Arthabaska): À l'ordre, mesdames, messieurs!

La commission du budget et de l'administration reprend ses travaux afin de procéder à des consultations particulières et à l'étude détaillée du projet de loi n° 32, Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu.

Nous en sommes rendus à entendre le président de la Commission d'accès à l'information, M. Paul-André Comeau, que j'inviterais à prendre place pour nous faire part de ses préoccupations concernant le projet de loi n° 32.

Bonsoir. Je vous souhaite la bienvenue. Si vous voulez, M. Comeau, nous présenter les gens qui vous accompagnent et, par la suite, nous faire part de votre témoignage.


Commission d'accès à l'information (CAI)

M. Comeau (Paul-André): Je vous remercie, M. le Président. D'abord, à ma droite, Me André Ouimet, qui est secrétaire et directeur du Service juridique de la Commission; à ma gauche, M. Clarence White, directeur de l'Analyse et de l'Évaluation.

M. le Président et M. le ministre, je vous remercie de nous avoir invités et de nous permettre aussi d'expliciter le point de vue de la Commission et, bien sûr, l'avis que nous avons déjà rendu et transmis au ministre et à votre commission. Alors, je commencerai, c'est presque un rituel, en me présentant devant cette commission par un rappel.

La Commission, ses membres souscrivent pleinement à l'objectif mis de l'avant par le ministre et le gouvernement: combattre la fraude et l'évasion fiscale. D'ailleurs, dans notre avis du 24 mai, nous en avons tenu compte et nous avons également fondé cet avis sur un certain nombre de faits que je rappelle. D'abord, la résolution de votre commission en février dernier, qui visait à donner à la Loi sur le ministère du Revenu préséance sur les autres lois, nous avons tenu compte de cette proposition dans la rédaction de notre avis. Nous avons tenu compte également des discussions importantes, sérieuses et civilisées qui ont eu lieu entre le ministère du Revenu et la Commission, sur les différentes moutures du projet de loi n° 32. Et, aussi, c'est important, depuis, nous avons tenu compte du projet de loi n° 36 présenté par le ministre des Finances et aussi des discussions également très sérieuses et très importantes que nous avons eues avec les collaborateurs du ministre.

C'est donc dire que, depuis le moment où nous avons préparé notre avis et ce soir, la Commission a poursuivi sa réflexion et ses discussions, d'abord à l'interne, bien sûr, mais aussi avec plusieurs acteurs de la scène sociale qui étaient soit intrigués, inquiets ou carrément scandalisés devant le projet de loi. Alors, mes remarques, ce soir, s'inscrivent donc au-delà de notre avis et prennent le relais de ce que vous avez déjà lu.

Alors, en raison du mandat qui nous a été confié par l'Assemblée nationale, mes collègues et moi, les membres de la Commission, avons l'obligation, d'entrée de jeu, de répéter que le projet de loi entraîne un accroc majeur au principe et à l'économie même de la loi d'accès à l'information, une loi qui a été votée unanimement par cette Assemblée il y aura 15 ans sous peu. Ce jugement, que je tiens à expliciter, se fonde sur deux aspects très précis. Il se fonde, bien sûr, sur l'ampleur de la démarche envisagée par le ministère du Revenu. Il s'agit, grosso modo, de la mise en réseau, pour des fins d'appariement ou de couplage, de presque tout ce qu'il peut y avoir de fichiers et de renseignements personnels à connotations plus ou moins financières, dans le vaste secteur public, au Québec, tel que défini par la loi sur l'accès. Et ce secteur comporte actuellement quelques 3 700 organismes. Ça va, bien sûr, depuis le Conseil exécutif jusqu'aux CLSC, aux centres hospitaliers, aux centres de protection de la jeunesse, aux offices municipaux d'habitation, aux cégeps, etc. L'ampleur du projet, virtuellement, est immense, et ça, c'est la première considération, évidemment, qui nous interpelle.

Liée à cela, vous le comprendrez, la seconde caractéristique, c'est l'ampleur des renseignements qui pourront ainsi être colligés. Et le danger, évidemment, si on ne prend pas des mesures immédiates et importantes, c'est d'aboutir à une incroyable concentration d'informations en un seul lieu. À ce seul titre, donc, l'ampleur à ces deux niveaux, le projet de loi vise les fondements mêmes de la loi sur l'accès et aussi une conception des relations entre les citoyens et l'État. Bien sûr, et c'est important de le rappeler, la loi vise à assurer la confidentialité des renseignements personnels, quels qu'ils soient, qui ont été confiés à l'État par des citoyens, en vue d'une fin précise; aucun problème, quant à cette disposition de la loi. Mais la loi vise aussi et avant tout à préserver ce même citoyen contre le contrôle exagéré de l'État, grâce à la superconcentration de renseignements personnels. C'est le principe qui est au-delà de la confidentialité, puisque la confidentialité est un moyen d'assurer le respect des droits du citoyen.

Vous me permettrez de faire un rappel, ici. C'est que ce principe, qui est fondamental, découle d'une double influence. D'abord, une influence européenne, visible au moment de la rédaction de la loi, où la hantise du pouvoir de l'informatique était évidente. Les lois allemandes et françaises, notamment, de la fin des années soixante-dix, en sont des témoignages concrets. Par exemple, l'organisme homologue de la Commission, en France, ne s'appelle pas pour rien la CNIL, c'est-à-dire Commission nationale de l'informatique et des libertés. Il y a une relation très nette entre ces mots: l'informatique peut menacer la liberté des citoyens.

Influence européenne, mais aussi influence américaine. Et, là, il y a une tradition bicentenaire, sinon plus, de lutte contre ce qu'on appelle l'absolutisme du pouvoir ou du prince. C'est une constante, depuis l'arrivée des pèlerins, et qui a été renforcée, bien sûr, par les fondateurs de la fédération américaine, ces deux dimensions-là fondent l'économie de la loi. Au Québec, la commission Paré – Jean, celui-là, et non pas l'autre...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Comeau (Paul-André): ...la commission Paré a traduit cette philosophie européenne et américaine en cinq principes généraux seulement, qui fondent toute l'économie de la loi, dont le troisième mérite d'être rappelé, puisqu'il centre le débat d'aujourd'hui: Toute personne doit pouvoir empêcher qu'une information la concernant, obtenue pour une fin précise, soit utilisée à une autre fin, sans son consentement. Principe de base.

Il est intéressant de noter que, dans cette même philosophie, le Congrès américain, en 1988, dans une adaptation aux nécessités du jour du «Computer Matching and Privacy Protection Act», a spécifié de façon très claire exactement les mêmes principes et – c'est important – la nécessité et les modalités d'établir des ententes écrites pour tout échange de renseignements sans le consentement des personnes. Donc, ce n'est pas antédiluvien, c'est 1988, et l'informatique de 1988 ressemble un peu à celle d'aujourd'hui. Donc, les Américains poursuivent dans cette voie, même s'ils ne disposent pas de législation compréhensive, comme le Québec et comme la plupart des sociétés européennes.

(20 h 20)

Ayant en mémoire ce cheminement, l'avis de la Commission pose un certain nombre de problèmes et se base sur une constatation qu'il y a plus que le secret fiscal qui est en jeu, il y a plus que la confidentialité. Et c'est là que l'expression «accroc majeur» a été utilisée, parce qu'elle entraîne des conséquences immédiates, cette législation, telle que présentée. Elle oblige, évidemment, une dérogation aux modalités pour mettre en oeuvre ces dispositions. Il s'agirait – c'est très clair, dans le projet de loi – de mettre entre parenthèses la notion de cloisonnement des composantes de l'appareil administratif, donc, des 3 700 organismes et autres qui composent le secteur public et parapublic au Québec. Première dérogation.

Autre dérogation conséquente et logique: l'impossibilité matérielle de pratiquer la mise au point d'ententes entre le ministère du Revenu et l'ensemble ou chacun de ces organismes. À ce propos, la Commission se rend à l'évidence. Il est utopique, impensable et illogique de songer à conclure autant d'ententes, comme nous l'avons d'ailleurs reconnu. Mais l'accroc majeur demeure. Le principe est atteint. Il demeure tout aussi valide, cependant, le principe, qu'au moment de l'adoption de la législation, au moment de sa consécration par l'Assemblée nationale en 1982.

C'est pourquoi il y a lieu de s'interroger sur le fond du problème, quant à l'ampleur de la démarche envisagée par le ministère. Et, là, je vous poserai un certain nombre de questions élémentaires, telles que nous les formulons maintenant. Est-ce qu'il est vraiment nécessaire de mettre en place cet incroyable réseau virtuel ou non? Mais la possibilité légale serait là, si le projet de loi est adopté tel quel. Est-ce qu'il est nécessaire de mettre en place ce réseau pour combattre le travail au noir, l'évasion fiscale? À ce propos, en lisant, durant le week-end, les dernières pages du rapport du Vérificateur général consacrées au ministère du Revenu, il y a des pistes intéressantes et stimulantes qui vont bien en deçà de cette ambitieuse démarche technologique.

Première question, donc: Est-ce que, vraiment, c'est nécessaire? Deuxièmement, alors là, il s'agit d'une constatation qui en découle: la mise en place de ce réseau va provoquer des coûts nécessairement importants. Et, là-dessus, rendre compatibles tous ces fichiers nécessite nécessairement du développement informatique qui n'est pas évident et qui n'est pas gratuit.

Je me permettrai, si vous voulez, une image de chemin de fer importante et relativement simple. Au lendemain des deux guerres, en Europe, lorsqu'on a voulu faire en sorte que les réseaux ferroviaires communiquent, on s'est interrogé sur l'empattement des wagons et sur la distance entre les rails. Bien sûr, on a fait une étude et on en est venu peu à peu à remplacer le système ferroviaire au complet, de façon à pouvoir permettre l'interconnexion des réseaux. C'était une entreprise de longue haleine qui a coûté cher, qui a exigé beaucoup de temps et qui se justifiait par l'incroyable marché européen.

Je pense que, par analogie, il faut se poser la même question, parce que la mise en place des connections proposées, c'est vraiment un réseau d'une complexité inouïe. Et, à cet égard, quelle est l'ampleur du réseau? Que va-t-il coûter? Il est impossible de se prononcer devant l'absence des données relatives à l'appel de partenariat que le ministre doit lancer ou s'apprête à lancer. Il est évident que, si on fait appel à l'entreprise privée, c'est que cela exige des développements et probablement de la technologie qui n'est pas disponible. Est-ce que le rapport coûts et bénéfices a été fait? Est-ce que vraiment ça vaut le coût, comme le souligne le Vérificateur général, de consacrer beaucoup d'énergie et de sous pour recouvrer de petites sommes? Je ne le sais pas. Il est impossible de répondre.

De même, au niveau microscopique, maintenant – ou micro, pardon, pour être plus exact – le même type de question se pose. Par exemple, on a vu, dans les projets annoncés par le ministère, que la mise en réseau de ces fichiers permettrait de dresser des profils, dans l'espoir, bien sûr, de cerner l'inconnu, c'est-à-dire de faire la lumière sur le travail au noir, si vous me permettez ce jeu de mots facile. Alors, il est évident que, là aussi, il n'est pas nécessaire, et je vois mal comment on serait obligé de faire se parler tous les fichiers pour aboutir à dresser des profils. Il suffit d'une bonne recherche, avec des échantillons, selon les dispositions de la loi, pour aboutir au même résultat sans devoir apparier des centaines et des centaines de milliers de données. La loi le permet, comme la loi permet, bien sûr, les couplages de fichiers moyennant un certain nombre de dispositions.

On pourrait poursuivre cette réflexion et allonger les questions. Et on en arrive à imaginer des pistes d'action qui soient respectueuses des droits des citoyens, mais aussi de cet esprit de la loi qui vise à préserver le citoyen de la puissance de l'État. Alors, je me permettrai de vous suggérer trois pistes d'action.

D'abord, des solutions qui visent la transparence du processus, transparence nécessaire dès le départ. Le citoyen qui a versé des renseignements pour obtenir un permis de chasse va être surpris d'apprendre demain matin que ces renseignements se retrouvent au ministère du Revenu. Aussi, est-il nécessaire de définir de façon très claire et transparente le choix des fichiers appariés, le choix des renseignements nécessaires. Et, là, il y a toute une série de modalités concrètes qui pourraient être envisagées. À cet égard, je vous signale qu'avec le ministère des Finances nous sommes en voie d'explorer des possibilités pour rendre le processus moins discriminatoire et moins arbitraire, si, bien sûr, le gouvernement entend continuer dans cette voie et maintenir son projet tel quel.

Solution de transparence du processus, mais aussi – là, une piste inexplorée au Québec, mais importante – solution de l'impartialité du processus d'appariement. Un certain nombre de pays du Pacifique, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, depuis quelques années, confient par législation tous leurs appariements soit à un service gouvernemental ou à une agence neutre dont le seul mandat est d'être à la disposition des ministères et des organismes. Et les ministères et les organismes livrent une commande, et c'est cette agence qui apparie les fichiers et remet au ministère demandeur les seuls renseignements recherchés, ce qui évite les expéditions de pêche et ce qui évite surtout la constitution des superfichiers, puisque l'agence en question retourne aux ministères qui ont fourni les fichiers tout ce qui a été fourni et ne sont remis au demandeur – au ministère demandeur – que les seuls renseignements visés et non pas la manne de ces informations. Il y a toute une réflexion à faire pour rendre ce processus plus impartial, plus neutre et aussi plus juste.

Et puis enfin – et ça, je pense l'avoir déjà exposé à une rencontre précédente avec cette commission – il y a des solutions déjà explorées et pratiquées ailleurs et aussi dans certains ministères – ici, il faut le reconnaître – en vue de l'humanisation du processus. L'objectif, c'est d'éviter que le citoyen se trouve aux prises avec les conséquences automatiques de décisions prises par l'ordinateur, point. Et, là, il y a tout un mécanisme pour respecter l'individu, pour permettre au citoyen de pouvoir intervenir à temps, lorsque des erreurs soit d'identité ou des erreurs d'appariement ont été commises, pour lui permettre de faire valoir ses droits, au lieu de devoir toujours reprendre a priori.

Vous permettrez un exemple précis, qui pourrait fort bien se concrétiser en vertu de la dérogation à l'article 66 de la loi. Le ministère du Revenu pourrait, bien sûr, en vertu de cette dérogation, avoir accès à des fichiers de l'entreprise privée. Prenons un cas précis: une compagnie d'assurances et le fichier des assurances de biens de grande valeur – toiles, meubles anciens, etc. Un individu pourrait être fiché chez l'assureur pour des assurances à l'égard de toiles de maîtres et de meubles antiques et pourrait, à ce moment-là, par résultat de l'appariement, se voir soupçonné, interrogé et peut-être même cotisé par le ministère du Revenu parce qu'il y a effectivement apparence de richesse indue. Il faut quand même être conscient du fait que ces toiles de maîtres, ces meubles anciens peuvent fort bien provenir d'héritages familiaux dont on n'entend pas se départir et ne concordent pas nécessairement avec les revenus actuels de la personne en question. Il y a des dérapages possibles, évidents à cet égard. Donc, il faut, je pense, avant de s'engager dans une voie inédite, au moins au Québec, songer à des solutions qui visent la transparence, qui visent la neutralité du processus et son humanisation.

Alors, si le gouvernement et l'Assemblée nationale décident d'aller de l'avant avec le projet de loi n° 32, la Commission vous recommande la mise au point de modalités précises de définition des renseignements personnels recherchés parce que nécessaires et l'identification des fichiers ainsi jumelés, en s'inspirant, je vous le répète, des modalités en discussion déjà avec le ministère des Finances, dans un domaine différent, qui est celui de la compensation gouvernementale. À cet égard, la Commission, bien sûr, offre sa collaboration, comme elle l'a fait avec le ministère des Finances.

(20 h 30)

De même, nous suggérons, recommandons l'identification des objets de recherche – profil et autres – qui pourraient être menées par des méthodes beaucoup moins douloureuses et beaucoup moins coûteuses que celle envisagée. De même, nous recommandons l'obligation législative, pour obliger le ministère à détruire les renseignements obtenus une fois l'appariement fait, et ce, encore une fois, conformément aux pratiques respectées en Occident et réitérées de façon formelle dans l'Acte de 1988 du Congrès américain. Je pense qu'il y va du respect des droits des citoyens et aussi du contrat de confiance entre l'État et le citoyen. Et ce contrat de confiance me semble fondamental, ici, d'autant plus qu'il vise l'acte par lequel le citoyen fait vivre l'État. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci pour votre présentation. Maintenant, M. le ministre, pour vos commentaires ou vos questions...

M. Bertrand (Portneuf): J'aurais seulement, à ce moment-ci, un long commentaire et j'aimerais, bien sûr, que le président de la Commission puisse réagir à ce commentaire. Je rappellerais simplement, dans un premier temps, que, suite aux nombreux échanges – au plus haut niveau, d'ailleurs – entre les représentants de la Commission d'accès à l'information et le ministère du Revenu et suite à une rencontre que j'ai eu l'occasion de tenir avec le président de même que ses principaux collaborateurs, nous avions compris que la Commission acceptait le principe de la dérogation aux articles 65 à 70 de la loi sur l'accès et que, par ailleurs, suite aux souhaits – non pas aux exigences, mais aux souhaits – que la Commission, par ses représentants, avait formulés, nous nous engagions à adopter ou à appliquer les mesures suivantes complémentaires, c'est-à-dire que la communication des renseignements prévue à l'article 71 de la Loi sur le ministère du Revenu s'effectuerait sous réserve des dispositions concernant la protection des renseignements médicaux détenus par la Régie de l'assurance-maladie, la CSST, la Régie des rentes et la Société de l'assurance automobile du Québec. Je m'explique. Ce qu'on disait là, en définitive, c'est: Nous ne sommes pas intéressés par les renseignements personnels, par exemple, sur l'état de santé d'une personne, mais bien par un certain nombre de renseignements bien précis qui peuvent nous permettre, par couplages de fichiers, d'identifier des profils aberrants.

Deuxièmement, nous avions également indiqué que les formalités administratives suivantes régiraient nos échanges de renseignements. Premièrement, vu que le ministère du Revenu est appelé à rendre compte de sa gestion devant de nombreuses commissions parlementaires et vu le mandat du Vérificateur général, nous comprenions que le souhait de la Commission, quant à l'évaluation de la performance des résultats des couplages, appariements ou comparaisons de fichiers, était rencontré et, notamment, la possibilité qu'une commission comme celle-ci exige une reddition de comptes face au ministère du Revenu. Également, nous avions indiqué que nous étions d'accord avec l'établissement d'un registre qui indiquerait la liste des organismes qui transmettraient des fichiers de renseignements au ministère, de même, qui donnerait une vue d'ensemble des couplages, appariements ou comparaisons de fichiers du ministère et d'un autre organisme. Et j'en passe, M. le Président. Il y a autre chose qu'on avait également indiqué et qui correspondait à des souhaits de la Commission, notamment en ce qui regarde l'accessibilité au registre.

Nous avions, par ailleurs, compris un certain nombre de choses sur lesquelles on a dû avoir des compléments d'échanges. Et je vous référerais à la lettre que le président de la Commission d'accès à l'information m'adressait en date du 9 mai 1996 – et j'aimerais la déposer dès après – qui se lit comme suit:

«J'ai bien reçu – bien sûr, c'est adressé au ministre délégué au Revenu – votre lettre du 7 mai et je vous en remercie.

«J'ai lu avec intérêt et attention votre lettre qui fait suite aux discussions entre vos collaborateurs et la Commission d'accès à l'information. À ce propos, je tiens à vous remercier de votre intervention dans ce dossier important et complexe. Je ferai rapport à mes collègues de la Commission des points d'accord qu'ont permis ces discussions et qui se retrouveront vraisemblablement dans le projet de loi à soumettre à l'Assemblée nationale.

«Je vous suis particulièrement reconnaissant d'avoir retenu certaines de nos recommandations en vue d'assurer une plus grande transparence aux nouvelles mesures que votre ministère entend mettre en oeuvre. Au moment où le ministère du Revenu veut obtenir de l'Assemblée nationale le droit de déroger à certaines dispositions majeures de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels en matière d'échanges de renseignements personnels entre ministères et organismes, ces mesures nous semblent répondre au souhait légitime des citoyens du Québec.

«Toutefois, vous me permettrez de relever, dans votre lettre, une référence précise à l'un des sujets de nos discussions et aussi de vous faire part de la suite possible de ce dossier.

«En premier lieu, je me dois d'attirer votre attention sur un aspect de nos discussions où nous ne dégageons pas la même conclusion. Mes collaborateurs et moi-même n'avons pas souvenir d'avoir convenu de la pertinence de déroger à l'article 53 de la loi sur l'accès. Nous considérons toujours que l'article 53 ne constitue pas, bien au contraire, une duplication de l'article 69 de la Loi sur le ministère du Revenu. De même, le projet de dérogation aux articles 83 et 88.1 de la loi sur l'accès représente, à notre point de vue, une démarche qui ne se justifie pas par votre objectif de combattre la fraude fiscale et le travail au noir.

«Il est vraisemblable que les membres de la Commission voudront faire connaître aux membres du gouvernement et éventuellement à vos collègues de l'Assemblée nationale leur point de vue au sujet de ces projets de dérogation.»

Si je résume, M. le Président, sur la base des échanges que nous avions eus, nous comprenions qu'il restait trois points en litige: l'article 53, l'article 83 et l'article 88.1. En litige, c'est un grand mot; il restait à clarifier ces questions-là. Nous avons fait une analyse très rigoureuse du projet de loi par rapport aux objectifs que nous avions. Et j'ai donné des instructions très claires à mes fonctionnaires, de façon à ce qu'on s'assure que ce qui était prévu comme dérogation dans notre projet de loi se limite à ce qui était nécessaire et suffisant, rien de plus.

Par voie de conséquence, suite aux analyses que nous avons faites, nous avons pris la décision, effectivement, d'enlever du projet de loi, tel qu'il apparaissait à ce moment-là, les dérogations que nous souhaitions être appliquées aux articles 53, 83 et 88.1, satisfaisant à la totalité des exigences de la Commission d'accès à l'information.

Alors, vous comprendrez, M. le Président, ma surprise – et, bien sûr, ma question s'adresse, à ce moment-ci, au président de la Commission d'accès à l'information – de voir apparaître, quelques jours plus tard, en date, si ma mémoire est bonne, du 24 mai dernier, une analyse complémentaire de la Commission qui, une fois, bien sûr, le projet de loi déposé, nous ramène à un tas d'autres exigences à l'égard du projet de loi ainsi déposé, qui pourtant avait fait l'objet d'un travail très sérieux et, je pense, de bonne foi entre les deux organismes.

Alors, vous comprendrez, M. le Président, qu'il est difficile de répondre spontanément à l'offre de M. le président de la Commission d'accès à l'information de collaboration pour la suite des choses. Sans aller jusqu'à dire que je me sentirais floué dans l'exercice, je dois vous avouer que je suis pour le moins interloqué par la position récente de la Commission d'accès à l'information, suite aux nombreuses discussions que nous avons eues ensemble.

Alors, là-dessus, trêve de présentation quant à mon point de vue, je souhaiterais entendre le président à la Commission d'accès à l'information là-dessus.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. Comeau.

M. Comeau (Paul-André): Alors, je vous remercie, M. le ministre. Effectivement, nous avons, avec vos collaborateurs, avec vous-même, fait un départage très clair et nous avons convenu des mesures qui visaient votre objectif fondamental, combattre la fraude et l'évasion fiscale. Et, à cet égard, il y a eu accord quant à un certain nombre de choses.

Vous avez vous-même, et vos collaborateurs également, accepté de retirer un certain nombre de dérogations qui étaient prévues dans le projet initial et qui, à notre point de vue, ne visaient aucunement l'objectif de la fraude et de l'évasion fiscale. Je ne voudrais pas entrer dans les détails, mais il s'agit notamment des articles 88, etc. Ça a été retiré à notre grande satisfaction, et nous en sommes reconnaissants.

À la faveur de nos négociations, nous avons – je pense l'avoir rappelé, tout à l'heure – reconnu dès le départ que l'ampleur de l'objet visé ne permettait pas le fonctionnement de la loi, tel qu'il était. Et nous avons reconnu que, si vous vouliez – et il y avait, je le répète, l'indication très claire de la résolution de cette commission – aller de l'avant avec le projet, il était impossible de conclure 3 700 ententes, d'où notre accord sur la notion de dérogation. Mais ça n'entraîne pas notre accord, notre acquiescement quant au principe qui est mis en cause.

(20 h 40)

La dérogation est une modalité. Le principe, lui, est la mise entre parenthèses du fondement même de la législation. Et c'est là que nous maintenons qu'il s'agit d'un accroc majeur. Et c'est là où les mesures auxquelles se sont ralliés vos collaborateurs, et que certains d'eux ont inspirées, sont des mesures utiles et nécessaires. Il s'agit, si le gouvernement veut aller de l'avant, de les aménager. Mais la Commission et ses membres trahiraient leur serment en vous disant que cette dérogation, sur le fond même: réaliser ce qui n'a jamais été permis, ce qui est contraire à la législation et à l'intention du législateur, telles qu'exprimées dans le rapport Paré... Alors, là, ce serait trahir notre mandat, de ne pas dire qu'il s'agit d'un accroc majeur. D'ailleurs, quand nous avons discuté, nous avons toujours abordé les autres points avec – vous l'avez signalé – un accord. Mais le point fondamental, il est là, et c'est un accroc majeur.

Alors, là-dessus je ne pense pas que vous ayez raison de vous sentir floué. Nous vous sommes reconnaissants de toutes les dérogations qui ont été levées et qui ramènent le projet à une intention gouvernementale versus l'esprit d'une législation. Je ne sais pas si je suis suffisamment clair, M. le ministre?

M. Bertrand (Portneuf): M. le président, écoutez, je prends ce que vous me dites pour ce que ça signifie. Je dois vous avouer que je ne suis pas particulièrement satisfait de la conclusion de cet épisode. Néanmoins, j'aimerais que, peut-être, vous m'expliquiez une chose. Comment, dans tout ce contexte-là, peut-on expliquer la signification des dispositions des articles 169 et 170 de la loi d'accès? Est-ce qu'il s'agit d'articles inutiles? On dit souvent que le législateur ne parle pas pour ne rien dire. Est-ce qu'il aurait parlé pour ne rien dire?

M. Comeau (Paul-André): Alors, vous permettrez, M. le ministre, que je demande au secrétaire de la Commission, qui est l'expert juridique, de répondre à votre question?

M. Bertrand (Portneuf): Oui, oui. Certainement.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Monsieur...

M. Ouimet (André): André Ouimet.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): ...Ouimet. Oui.

M. Ouimet (André): En 1982, quand le législateur québécois a adopté la loi sur l'accès, il a maintenu un certain nombre de dispositions en vigueur. Je ne voudrais pas entrer dans toutes les technicalités d'un débat sur l'interprétation qu'on doit donner à ces articles-là. On est d'ailleurs allé jusqu'à la Cour d'appel sur l'interprétation de ces articles-là. Et, aujourd'hui, on pourrait se demander, même, s'il y a moyen de comprendre exactement, si un juriste qui fait une analyse poussée de l'annexe de la loi pourrait arriver à une conclusion ferme et définitive sur une interprétation à donner à cet article-là.

En fait, le législateur, en 1982, voulait maintenir un certain nombre d'articles de loi. Dans le cas de la Loi sur le ministère du Revenu, c'étaient les articles 69 à 71. Au fil des ans, ces articles-là ont subi certaines modifications. On peut donc se demander si le législateur avait l'intention de maintenir en vigueur les articles 69 à 71 tels qu'on les connaissait en 1982 ou tels qu'on les connaît 14 ans plus tard avec les modifications qu'ils ont subies. Et je pense que c'est un débat qui ne sera pas tranché demain matin, parce que les tribunaux sont constamment appelés à interpréter ces articles-là.

Dans le cas, par exemple, de l'accès aux renseignements personnels détenus au ministère du Revenu, le ministère du Revenu a contesté certaines décisions de la Commission jusqu'à la Cour d'appel et, selon toute vraisemblance, il y aura d'autres débats judiciaires sur l'interprétation de cette annexe. Je ne pense pas qu'aujourd'hui on puisse donner une interprétation définitive de ces articles de la loi.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le ministre.

M. Bertrand (Portneuf): Ça va.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): C'est satisfaisant?

M. Bertrand (Portneuf): Ça, c'est une autre question. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Ha, ha, ha! En tout cas. Je ne veux pas susciter de réponse. Je ne vous oblige pas. M. le député de Nelligan, s'il vous plaît.

M. Williams: Merci beaucoup, M. le Président. Merci, M. le président de la Commission d'accès à l'information, pour votre présentation.

Je suis de plus en plus mal à l'aise avec ce projet de loi et l'impact cumulatif qu'il peut avoir sur la vie privée de la population québécoise. Il me semble que c'est difficile de discuter de ce projet de loi pendant la session intensive parce que, effectivement, ça prend des consultations, ça prend un temps pour parler avec tous ceux et celles qui sont touchés. Mais peut-être que les opinions peuvent changer...

Je voudrais juste citer, comme je l'ai cité au débat sur le projet de loi n° 36, un article qui vient des États-Unis. The US Privacy Protection Study Commission, 1977: «The real danger is the gradual erosion of the individual liberties through automation, integration, interconnection of many small separate record-keeping systems, each of which alone may seem innocuous, even benevolent, and wholly justifiable.»

Il me semble qu'en 1996 nous sommes en train de vraiment mettre toutes ces inquiétudes en vigueur. Il me semble qu'on doit vraiment questionner ce qu'il y a derrière ce projet de loi n° 32.

Nous avons eu le privilège de parler avec M. Comeau jeudi soir, et le ministre des Finances a tout de suite compris que son projet de loi n° 36 allait trop loin. Il a déposé à la commission, pas les amendements tels quels, mais l'esprit des amendements ou la tendance des amendements. Je voudrais savoir. Est-ce que vous avez eu des contacts avec le ministre délégué, depuis la présentation de votre mémoire, le 24 mai, sur les amendements à ce projet de loi n° 32? Est-ce que vous êtes au courant si le ministre délégué est ouvert pour faire les mêmes changements, peut-être, aux dérogations que le ministre des Finances est en train de discuter?

M. Comeau (Paul-André): Bien, écoutez. Moi, d'abord, je ne sais pas s'il y a eu des amendements qui ont été déposés à votre commission ou à l'Assemblée nationale. Je n'ai pas eu de contact à ce propos. Et je dois vous dire que, jeudi dernier, oui, quand nous avons eu cette rencontre, le ministre a déposé des amendements ou, enfin, comme vous avez dit, l'esprit des amendements, qui nous étaient aussi inconnus qu'à vous et qui reprenaient en bonne partie un certain nombre de nos recommandations. Alors, non, pour le moment, je ne sais pas s'il y a des amendements. Donc, nous, nous continuons à travailler sur le projet de loi tel qu'il a été déposé.

M. Williams: O.K. Merci beaucoup. Ce matin, le Protecteur du citoyen et, un peu plus tard cet après-midi, l'ACEF-Centre ont mentionné la possibilité que, selon leur interprétation préliminaire – ils n'ont pas eu la chance d'étudier le projet de loi n° 32 jusqu'à ses limites, mais ils se sont questionnés... – potentiellement, le projet de loi n° 32 est contre nos chartes québécoise et canadienne. Avez-vous eu une chance de faire ces études et avez-vous quelques commentaires sur les commentaires du Protecteur du citoyen et l'ACEF sur la non-compatibilité entre le projet de loi n° 32 et nos chartes québécoise et canadienne?

M. Comeau (Paul-André): Alors, nous n'avons pas étudié le projet de loi du ministère du Revenu en fonction de la Charte. C'était déjà suffisamment compliqué de le faire en fonction de la loi; alors, nous en sommes restés là.

M. Williams: Oui. Ha, ha, ha!

M. Comeau (Paul-André): Bien sûr, la loi découle et du Code civil, en ce qui concerne le secteur privé, et de la Charte, en ce qui concerne le secteur public; nous l'avons en mémoire. Mais nous n'avons pas fait d'étude systématique. Et je pense qu'il serait malvenu pour ma part de commenter les propos du Protecteur du citoyen. Mais peut-être Me Ouimet pourrait-il ajouter quelque chose là-dessus.

M. Williams: Oui, effectivement, peut-être que vous pourriez juste mettre de côté les commentaires du Protecteur du citoyen. Je voudrais vous demander vos opinions sur le projet de loi n° 32 et nos chartes.

M. Ouimet (André): Comme dit M. Comeau, on n'a pas fait d'étude particulière là-dessus. Vous savez, à l'article 5 de Charte des droits et libertés au Québec...

M. Williams: Effectivement.

M. Ouimet (André): ...on reconnaît le droit au respect de la vie privée. Maintenant, il s'agit d'un principe qui est concrétisé au Québec dans un certain nombre de lois, dont la loi sur l'accès, qui a été adoptée en 1982, et la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, qui a été adoptée en 1993. Or, évidemment, quand on met un «malgré» la loi sur l'accès et sur la protection des renseignements personnels, on se trouve à signifier qu'on va à l'encontre de la Charte. Sauf que, ces lois-là étant prépondérantes, il faut mettre absolument un «malgré» pour aller à l'encontre des dispositions qu'on veut rendre inopérantes.

M. Williams: Mais c'est certainement contre la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels parce que, effectivement, il y a le «malgré» ou la clause «nonobstant», «notwithstanding» comme on dit en anglais. C'est clair, sur cette loi-là, mais je parle de votre opinion sur la charte québécoise. Est-ce que c'est contre l'article 5 de la charte québécoise?

M. Ouimet (André): Malheureusement, je ne pourrais pas vous dire plus que ça. Sauf que, dans la mesure où la loi sur l'accès est une application concrète de la Charte des droits qui, elle, donne un principe plus général du droit à la vie privée, on peut dire que ce «malgré» serait suffisant. Mais je ne voudrais pas me prononcer...

M. Williams: Oui. O.K.

M. Ouimet (André): ...de façon définitive.

(20 h 50)

M. Williams: Merci. M. le président de la Commission, pouvez-vous envisager un projet de loi qui déroge, qui a des «malgré», comme ça, un projet de loi sur la loi d'accès, qui serait acceptable à la Commission d'accès à l'information? J'ai entendu que, déjà, dans le projet de loi n° 36, ils vont faire moins de «malgré». Mais est-ce que vous trouvez ça acceptable, qu'il y en ait un dans un projet de loi tel que le 32?

M. Comeau (Paul-André): Bon, écoutez, je vais me contenter de la loi n° 32; je pense que la loi n° 36 on va l'oublier, pour le moment. Dans la loi n° 32, il faut quand même reconnaître une chose, et le ministre l'a signalé, c'est que, à la faveur des discussions qui ont eu lieu, il y a eu, de la part du ministère, une preuve de bonne volonté d'éliminer la très grande majorité des clauses dérogatoires qui étaient prévues. Il faut quand même reconnaître ça, et je tiens à le souligner. Alors, il reste la clause dérogatoire qui découle d'une intention. Et, moi, je comprends fort bien le ministère de dire: Il est impossible de vouloir réaliser des ententes avec tout le monde sans passer à côté de la loi. Il faut être logique; là-dessus on s'y rend, et c'est en ce sens qu'on admet qu'il faut une dérogation. Mais c'est le principe même qui est à la base de la dérogation qui, lui, pose des problèmes, et c'est ce qu'on qualifie d'accroc majeur.

M. Williams: Mais il a besoin de cette clause dérogatoire pour aller chercher de l'information à la Régie de l'assurance-maladie du Québec, l'assurance automobile, le régime de rentes, toutes les municipalités, les universités, les collèges, les hôpitaux, Bell Canada, Gaz Met, Hydro, etc. C'est la raison pour laquelle il a besoin de cette clause dérogatoire. Est-ce que la Commission d'accès à l'information est d'accord avec ça, tout ce pouvoir d'aller chercher toute cette information? Il me semble que nous sommes en train de créer le plus grand fichier central dans le monde. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça?

M. Comeau (Paul-André): Il faut d'abord faire une distinction. C'est que le ministère a besoin d'une clause dérogatoire pour aller chercher des renseignements dans les secteurs public et parapublic et non pas dans le secteur privé. Ça, c'est une autre histoire.

Alors, le problème, il est à la fois pratique et il est philosophique. Sur le plan pratique, est-ce que, vraiment, on a besoin de toutes ces connections? Est-ce qu'on ne devrait pas, au contraire, cibler des domaines, des fichiers qui semblent porteurs, quitte, bien sûr, à tenter des études sur d'autres fichiers qui, pour le moment, semblent peu importants ou peu révélateurs et ensuite obtenir les ententes nécessaires? Personnellement, vous comprendrez bien que j'ai le mandat de défendre la loi. Et, quand on demande un «nonobstant» à la loi, j'ai l'obligation de prendre les moyens ou d'attirer l'attention sur les conséquences de cela. Et l'ampleur des connections visées justifie, je pense, la démarche de prudence que nous avons faite. Mais il est important de dire que nous avons recommandé des mesures qui ont été acceptées par le ministère, si le ministère et le gouvernement décidaient d'aller au-delà. On reste toujours contre le principe de la dérogation, tous azimuts.

M. Williams: Merci beaucoup, M. le président.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député Viger, il vous resterait trois minutes.

M. Maciocia: Merci, M. le Président. M. Comeau, on parlait ce matin avec le Protecteur du citoyen, M. Jacoby, et il nous disait, en parlant des ententes, des milliers d'ententes dont on parle actuellement et dont on a parlé depuis un bout de temps, que c'est très facile d'avoir seulement, au maximum, une vingtaine d'ententes. Il nous donnait l'exemple des municipalités. Il y a 1 450 ou 1 470 municipalités. Il ne faudrait pas avoir une entente avec chaque municipalité. Il pourrait y avoir une entente-cadre, une entente seulement qui regroupe toutes les municipalités. Je ne pense pas que c'est tellement vraiment des milliers et des milliers d'ententes qu'il faudrait signer avec le ministère du Revenu, avec les organismes et les municipalités ou les universités, ou d'autres organismes encore. On parle, au maximum, d'une vingtaine d'ententes.

Et, dans ce sens-là, le Protecteur du citoyen disait, et je voudrais avoir votre commentaire, si vous êtes d'accord: «Dès la lecture des procès-verbaux des travaux de la commission permanente du budget et de l'administration, il ressort que le ministère du Revenu veut agir sans avoir à préciser dans une entente écrite quels renseignements il ira chercher dans telle ou telle banque de données d'une municipalité, d'un collège, d'un hôpital ou d'un autre organisme public. Il ne veut plus être surveillé par la Commission d'accès dans ce genre d'opération. Et, surtout, il veut pouvoir effectuer des croisements systématiques de fichiers de renseignements personnels, sans avoir à donner de justifications à qui que ce soit.» C'est le Protecteur du citoyen qui nous disait ça. Alors, j'aimerais avoir un peu, sur les deux aspects, votre opinion.

M. Comeau (Paul-André): Bon. Alors, moi, je ne veux pas prêter d'intention au ministère là-dessus. Ce qui est clair, c'est que la loi permet des appariements de fichiers, moyennant entente. Appelons ça entente-cadre, etc., etc., il y a toute une série de modalités. Et c'est là, je pense, qu'il y a moyen d'en arriver, si on veut minimiser les problèmes et les dégâts, à des ententes qui pourraient être administratives, un peu dans le sens dans lequel on travaille actuellement avec les fonctionnaires du ministère des Finances. Le mot «entente-cadre» et tout cela sont des concepts intéressants, pragmatiques, mais qui, pour le moment, n'ont aucune portée juridique. Alors, je pense qu'il y a moyen de travailler dans la loi, mais de façon administrative. Je pense qu'il y a moyen.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Bien. M. le ministre, pour vos remarques finales.

M. Bertrand (Portneuf): Oui. Je n'entends pas utiliser tout le temps qui nous est imparti. Je remercie les représentants de la Commission d'accès à l'information, pour leur présentation. Je prends bonne note que leurs suggestions, leurs appels, au fond, procèdent d'une démarche de prudence que vous suggérez à la fois au gouvernement et à la présente commission, pour la suite de ses travaux. Je prends bonne note que vous estimez, à ce moment-ci, que le projet de loi, tel que présenté, constitue une entorse par rapport à un principe qui vous apparaît important, compte tenu de vos responsabilités dans votre domaine, et qu'en même temps vous admettez, d'une certaine façon, la pertinence d'une dérogation comme celle-là, eu égard aux objectifs que, par ailleurs, notre organisme ou le ministère du Revenu poursuit à l'intérieur de sa propre mission. Et je pense que ça dégage bien, au fond, les intérêts légitimes des logiques que nous devons défendre mutuellement. Et, pour la suite des choses, j'inviterais sérieusement, je dirais, les personnes et les organismes en cause à essayer de voir comment on peut arrimer les légitimités des uns et des autres, plutôt que de finir par les opposer, finalement. Je vous remercie.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci, M. le ministre. M. le député de Nelligan, vos remarques finales?

M. Williams: De ma part, aussi, merci beaucoup, M. Comeau et tous les membres de la Commission d'accès à l'information, pour vos interventions et vos réflexions. Si vos réflexions continuent à évoluer, vous êtes toujours les bienvenus pour vous assurer que la commission est au courant. Ça ne me dérange pas qu'après les discussions il y ait des nuances dans les positions. Et, comme j'ai mentionné déjà, le ministre des Finances a admis qu'il y a eu des erreurs dans le projet de loi n° 36. J'espère que le ministre délégué va avoir la même sagesse et va vous convoquer bientôt pour aider à améliorer le projet de loi n° 32. Merci beaucoup, pour votre présentation.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci, M. le président, ainsi que vos représentants, pour ce travail que vous avez fait pour essayer d'éclairer davantage les membres de la commission.

Je vais inviter, maintenant, les représentants de l'Association de planification fiscale et financière à prendre place sans trop tarder, pour ne pas qu'on perde le temps récupéré.

Je vais suspendre quelques minutes.

(Suspension de la séance à 20 h 59)

(Reprise à 21 h 1)

Le Président (M. Baril, Arthabaska): À l'ordre, s'il vous plaît! Si les membres de la commission veulent prendre place...

J'inviterais les représentants de l'Association de planification fiscale et financière, d'abord, à se présenter et ensuite à nous faire part de leur opinion sur le projet de loi n° 32.


Association de planification fiscale et financière (APFF)

M. Caron (Yvon): Bonsoir, M. le Président. Je suis Yvon Caron, président-directeur général de l'APFF. Je remercie les membres de la commission d'avoir accepté de nous entendre. J'aimerais vous présenter les deux personnes qui m'accompagnent, suivi d'un court exposé sur l'APFF. Après l'exposé sur l'APFF, mes deux collègues parleront tour à tour sur le projet de loi spécifiquement.

À ma gauche, c'est-à-dire à votre droite, Me Wilfrid Lefebvre, actuellement président du conseil d'administration de l'APFF, associé principal depuis 1986 chez Ogilvy, Renaud. Il a été avocat au ministère fédéral de la Justice, au contentieux fiscal, de 1970 à 1986, et responsable de la conduite de litiges fiscaux au Canada. Il a été professeur invité et est encore dans l'enseignement aux universités Laval, Sherbrooke et Montréal.

Mon collègue, à ma droite ou à votre gauche, Me Paul Ryan, du bureau de Ravinsky, Ryan et membre du Barreau depuis 1982, pratique exclusivement en litige fiscal, donc débat d'application et d'interprétation des lois fiscales devant les tribunaux depuis 15 ans. Conférencier régulier, en plus, il est l'auteur de nombreux articles et chroniques pour l'APFF. Il est président du comité de liaison entre le Barreau de Montréal et la Cour du Québec, depuis 1991. Il est, également, président du comité des relations avec Revenu Québec de l'APFF.

Quelques mots rapides sur l'APFF. Il y a une brochure qui est distribuée présentement, qui s'intitule: «Un organisme à connaître».

La mission de l'APFF. C'est un organisme à but non lucratif, indépendant et non gouvernemental, dédié à l'avancement des connaissances et à l'amélioration des compétences de ses membres en matière de fiscalité, de finance et de gestion personnelle. Cette Association réunit des professionnels de diverses disciplines issus de tous les secteurs d'activité et de l'économie. Ils partagent ce souci constant d'actualiser leur pratique au rythme de l'évolution des lois, de la jurisprudence et de la doctrine, du développement de la recherche théorique et appliquée et de l'innovation technologique.

L'APFF favorise l'adhésion de ses membres aux principes de l'intégrité intellectuelle, de la coopération des professionnels, du souci de l'excellence et se reconnaît la responsabilité morale de soumettre à l'attention des gouvernements tout avis susceptible de bonifier la législation fiscale et toutes autres législations pertinentes.

L'APFF accueille près de 2 000 membres individuels actifs, répartis sur l'ensemble du territoire canadien, auxquels se joint un nombre significativement croissant de praticiens exerçant leur profession ailleurs, principalement aux États-Unis, mais également en Europe. D'ailleurs, elle déploie des efforts continus pour étendre son propre rayonnement international.

L'APFF finance ses activités par les seuls revenus de cotisation annuelle de ses membres, de son membership et de la prestation de ses services. L'APFF fonde sa crédibilité, la crédibilité de sa mission en s'interdisant toute attache directement ou indirectement susceptible de compromettre son indépendance et sa neutralité, aussi bien quant à son financement que quant au plan de ses relations avec les autorités civiles et les organisations à but lucratif et, également, les organismes à but non lucratif.

Alors, Me Lefebvre va commencer la présentation.

M. Lefebvre (Wilfrid): Bonsoir, M. le Président. Bonsoir, MM. les membres de la commission. Nous sommes heureux de l'opportunité qui nous est donnée de discuter du projet de loi n° 32. Ce projet, de notre point de vue, comporte trois éléments majeurs. Le premier traite des informations qui deviendront, si le projet est adopté, accessibles à Revenu Québec. Ce sont évidemment: les mesures prévues à l'article 71 de la Loi sur le ministère du Revenu; deuxièmement, l'utilisation qui peut être faite des informations obtenues dans l'application des lois fiscales; et, le troisième volet du projet de loi, essentiellement, concerne un ajout de catégorie de personnes ou d'organismes qui peuvent avoir accès aux renseignements fiscaux.

Je propose, M. le Président, le cheminement suivant à l'exposé: premièrement, indiquer les principes qui, de notre point de vue, devraient guider la discussion sur ces mesures proposées; deuxièmement, indiquer le point de vue de l'APFF sur ces mesures.

D'entrée de jeu, j'indiquerais que nous sommes favorables à l'idée de donner un accès élargi aux autorités fiscales, tel que le prévoit le nouvel article 71. D'autre part, nous sommes également favorables aux ajouts spécifiques que l'on retrouve aux paragraphes k à o de l'article 69.1. Le troisième élément du cheminement, cependant, c'est que nous entendons soulever certaines craintes quant à l'utilisation de l'information obtenue en application des lois fiscales. Et nous sommes préoccupés par certaines dispositions à caractère général que l'on retrouve au projet de loi n° 32. Finalement, mon collègue, Paul Ryan, vous fera part de certains aspects très spécifiques du projet qui, peut-être, requièrent des précisions ou des modifications.

Quant aux principes – je vais évidemment être bref étant donné que le temps alloué, c'est environ sept minutes, dans mon cas – les deux grands principes: premièrement, la notion de secret fiscal, qui existe dans notre législation, soit-elle québécoise ou fédérale, depuis les tout débuts du système fiscal. Au niveau fédéral, l'article 241, qui est, évidemment, le pendant de l'article 69, est là depuis 1917. La Cour suprême du Canada a, tout récemment, il y a de ça quelques années, confirmé l'importance de cette notion de confidentialité des informations fiscales dans la décision Glover, où la Cour suprême a même refusé de permettre au ministère de divulguer l'adresse d'un parent qui avait kidnappé son enfant.

La raison d'être de la règle de confidentialité est devenue une règle du jeu fondamentale qui assure, nécessité importante dans un système d'autocotisation, la candeur dans les rapports entre les contribuables et l'administration fiscale. Personne ne met en doute le principe de confidentialité. Au début, le principe ne souffrait aucune exception; c'était vraiment un confessionnal. Aujourd'hui, les exceptions sont nombreuses, et on propose des ajouts.

Cependant, une lecture des dispositions de l'article 69.1 fait ressortir, quant à nous, que les exceptions sont toutes très spécifiques. Les amendements proposés à l'article 4 respectent, quant à nous, ce principe de la spécificité, et c'est pourquoi nous convenons qu'ils peuvent être justifiés.

Cependant, il y aurait peut-être lieu de discuter de la méthodologie qui sera suivie pour transférer l'information, si vous voulez, du ministère du Revenu aux organismes visés. S'agit-il, par exemple, simplement d'une confirmation des montants des gains qu'on transfère à la Régie des rentes de la part du ministère du Revenu ou donne-t-on un accès plein et entier à la Régie des rentes, à l'époque de l'ordinateur, d'être mise sur le même système d'ordinateurs que celui du ministère du Revenu? Auquel cas, évidemment, on vient d'ouvrir le champ possible de divulgation d'informations peut-être beaucoup trop loin.

Le deuxième principe, quant à nous, c'est que le phénomène de l'évasion fiscale, l'économie souterraine, est extrêmement important dans notre société. Les chiffres qu'on entend, ça va de 1 000 000 000 $ à 1 400 000 000 $. Évidemment, l'évasion fiscale mine la confiance dans l'équité du système fiscal. D'autre part, la vaste majorité des contribuables déclare l'ensemble de leurs revenus correctement. À notre avis, la mesure proposée pour donner un plus grand accès au ministre du Revenu aux renseignements en la possession des organismes et municipalités qui sont visés à l'article 71 proposé se justifie amplement aux fins d'une saine et efficace administration. Nous ajouterons même qu'il serait utile qu'on se penche – peut-être la Commission sur la fiscalité le fera-t-elle – sur les mesures additionnelles qui pourraient être prises pour contrer le fléau qu'est l'évasion fiscale.

(21 h 10)

Sur ces principes, certaines préoccupations sur l'utilisation des renseignements confidentiels peuvent être soulevées. Qu'on me permette de donner trois exemples qui peuvent illustrer le problème et qui existent actuellement dans le système fiscal. Le premier exemple relève de la décision de la Cour fédérale d'appel dans Crestbrook contre le ministre du Revenu national où, essentiellement, la situation était la suivante. Le ministère fédéral du Revenu avait demandé à une industrie particulière de participer à une étude statistique aux seules fins, disait le ministère, de permettre aux autorités de négocier un traité avec les États-Unis d'Amérique. Cette information, qui avait été remise au ministère à cette fin-là, avait été transmise aux dossiers des contribuables, et un membre de l'industrie a été cotisé, suite et sur la base de cette information-là. Évidemment, la Cour d'appel a conclu qu'il s'agissait là d'une utilisation non permise de l'information qui avait été transmise. Mais le fait est, le fait demeure, l'information avait été diffusée, et on s'en était servi à d'autres fins. Donc, la possibilité qu'on se serve d'informations à d'autres fins existe, dans les systèmes.

Le deuxième exemple existe et est présentement devant les tribunaux, au niveau fédéral, et soulève le cas suivant. Pour déterminer le prix de transfert que doit payer une compagnie canadienne en faveur de sa compagnie mère à l'étranger, on se sert d'informations que l'on retrouve dans les dossiers fiscaux d'autres contribuables pour établir un point de comparaison dans les prix à payer. De sorte qu'on a la situation où le contribuable A est cotisé sur la base de l'information que l'on retrouve dans les dossiers fiscaux de B, sans qu'il n'y ait aucun lien de droit entre A et B, si ce n'est le fait que les deux font des achats à l'étranger. Évidemment, l'effet de cette prise de position là, c'est de divulguer au cotisé A les informations commerciales de ses compétiteurs. Selon nous, c'est une situation inacceptable qui résulte d'une utilisation non fondée des renseignements obtenus, mais qui se fonde sur la terminologie que l'on retrouve au projet de loi n° 32, une terminologie relativement large que je vais illustrer tout à l'heure.

Troisième exemple: évidemment, la situation où le Vérificateur général a soulevé à bon droit, très possiblement, le traitement des biens canadiens imposables au niveau fédéral. Notre crainte est le fait que le rapport est relativement spécifique et permet relativement facilement l'identification des contribuables qui sont visés par ces mesures-là ou qui étaient sujets à la décision anticipée. Qui plus est, le comité des comptes publics, si on se fie aux coupures de presse, indique qu'il a le droit d'interroger les contribuables et les représentants impliqués dans la demande de décision anticipée. Quant à nous, il s'agit là de gestes malheureux et de prises de position qui mettent en jeu le fondement même des règles de confidentialité.

Le projet, tel que je l'indiquais, contient des dispositions à caractère général qui peuvent soulever des questions. Le principe, il me semble, selon nous, est que la règle est la confidentialité, et les exceptions se doivent d'être spécifiques. À titre d'illustration, je ferais référence à l'ajout du huitième alinéa que l'on retrouve à la page 4 du projet de loi, où on propose d'ajouter le texte suivant: «N'est pas confidentiel le renseignement qui ne révèle pas, même indirectement, l'identité de la personne concernée ou qui ne peut y être associé.» Évidemment, une fois qu'on en vient à la conclusion qu'un renseignement n'est pas confidentiel, il peut être divulgué, il peut faire l'objet de transmission à d'autres. Évidemment, ça peut aller fort loin, si ce droit-là ou si cette possibilité-là n'est pas circonscrite.

Essentiellement, que veut-on ou peut-on divulguer qui est non confidentiel et non prévu aux autres dispositions? Et quelle expérience passée rend cette mesure nécessaire, d'indiquer que certains renseignements, maintenant, n'auront pas la caractéristique d'être confidentiels, si, dans l'esprit de quelqu'un, on ne révèle pas, même indirectement, l'identité de la personne concernée? Et, d'autre part, on pourrait soulever la question: En quoi est-ce que cette mesure aide à contrer l'évasion fiscale?, puisque c'était le fondement même du projet de loi.

Le deuxième exemple, et on pourrait le combiner à la définition qu'on vient de mentionner, se retrouve au nouveau paragraphe 69.0.1b, qui prévoit qu'un fonctionnaire peut «utiliser un renseignement confidentiel en vue de compiler des renseignements sous une forme qui ne révèle pas, même indirectement, l'identité de la personne concernée». Évidemment, ici, on va une étape plus loin et on permet au fonctionnaire de prendre un document qui, clairement, est confidentiel et de le manipuler – dit sans terme péjoratif – pour faire en sorte qu'il devienne non confidentiel et ensuite être transmis. Là encore, ça va prendre une personne qui va décider qu'en enlevant un type d'information le document va devenir non confidentiel et ensuite peut être transmis. Mais, là, évidemment, vu par une autre personne, ce document-là pourrait révéler l'identité des gens. C'est un des dangers qui existent.

Troisième exemple, l'alinéa c de l'article 69.0.1, qui permet, dans sa rédaction proposée, d'utiliser l'information ayant trait – c'est l'exemple que je donnais tout à l'heure – au contribuable A aux fins d'appliquer la loi au contribuable B, sans qu'il y ait de lien entre A et B. Si je lis c, le fonctionnaire peut «communiquer à une personne un renseignement confidentiel – donc, au contribuable A – qu'il est raisonnable de considérer comme nécessaire à l'application ou à l'exécution d'une loi fiscale à son égard». Alors, si je veux utiliser contre le contribuable A des informations du contribuable B, parce que je prétends que c'est un comparable valable pour établir son prix de transfert, à ce moment-là, je viens de permettre la divulgation des données commerciales de B en faveur de A.

On pourrait soulever que l'exception qui est prévue au paragraphe 69, quant au tiers, pourrait recevoir application – c'est l'ajout à l'article 69, la modification qui est prévue – mais, à notre avis, cette législation-là ne serait pas une réponse au problème, et ce, pour deux raisons. Premièrement, évidemment, l'article 69.0.1 indique bien qu'il existe «malgré l'article 69», donc l'exception de 69 ne s'applique pas. Et, de toute façon, ici, il ne s'agirait pas de divulguer un document relatif au contribuable, à son sujet, mais plutôt un document ou un renseignement relatif au contribuable B, qui sert contre le contribuable A.

Donc, trois situations ou trois dispositions à caractère général, qui peuvent être fort utiles dans l'administration, mais qui peuvent donner lieu à des situations où le respect de la vie privée peut être affecté. Alors, quant aux conditions spécifiques ou aux exemples spécifiques, je céderais la parole à mon collègue, M. Ryan.

M. Ryan (Paul): Alors, bonjour, M. le Président. Bonjour, les membres de la commission. J'ai plaidé moi-même beaucoup de causes sur l'article 69. Alors, je vais peut-être essayer de vous parler des aspects plus spécifiques des amendements qui sont proposés, en suggérant peut-être à quelques endroits des choses qui nous apparaissent sujettes à être modifiées.

Le premier changement dont je voudrais parler... Au niveau de l'article 1, on n'a pas de problème. Au niveau de l'article 2, qui est le texte même de l'article 69, le premier nouveau paragraphe va devenir le nouveau deuxième paragraphe de l'article 69. Cet article-là...

Je vais vous raconter un peu ce qui s'est passé. Il y a sept, huit ans, quand on représentait des contribuables qui étaient en démêlés avec les autorités fiscales, on voulait avoir une copie du dossier qui avait été monté par le cotiseur pour savoir sur quoi il s'était basé pour cotiser le contribuable, incluant ce qui s'appelle un rapport de vérification, qui est un rapport narratif d'une vingtaine de pages que le cotiseur prépare, où il explique ce qu'il a fait, pour nous assister évidemment dans la défense du contribuable. Et Revenu Québec nous opposait que ce document-là était confidentiel, même contre le contribuable impliqué lui-même, en nous disant que le seul document auquel le contribuable pouvait avoir accès, c'étaient les documents obtenus du contribuable lui-même, parce que c'est ces documents-là qui étaient mentionnés spécifiquement dans le texte de l'article 69, qui est pas mal la première phrase, où on parle de renseignement qui peut être donné «à la demande écrite de la personne qui a fourni le renseignement»... Alors, dans l'ancien texte, on ne parlait spécifiquement que des documents fournis par le contribuable lui-même.

Dans le passé, on s'est servi de ça, au niveau de Revenu Québec, pour dire: Les documents qu'on a préparés dans votre dossier, on ne peut pas vous les donner parce que ce n'est pas vous qui les avez fournis. Et, il y a eu beaucoup de batailles en cour; c'est allé jusqu'à la Cour d'appel. Et, finalement, les jugements ont été unanimes à dire que 69 ne protégeait pas le ministère contre le contribuable lui-même, mais protégeait plus le contribuable contre les indications du ministère, de telle sorte qu'on a donné accès au contribuable à tous ces documents-là, malgré la rédaction, qui semblait étroite, de 69.

(21 h 20)

La deuxième phrase du nouveau paragraphe proposé vient codifier ça, elle veut venir mettre ça dans la loi, à ce que les tribunaux nous ont dit, en disant: «De plus, un fonctionnaire peut communiquer à un contribuable tout renseignement confidentiel qui le concerne.» La seule chose que je veux vous souligner là-dessus, c'est que les tribunaux, tel que moi, je comprends leurs décisions, ils sont venus dire exactement la même chose, sauf qu'au lieu du mot «peut» ils ont mis le mot «doit». Et, dans le contexte actuel, où les relations avec Revenu Québec vont très bien... On doit souligner les efforts de M. Paré et de M. Brochu dans ce domaine-là. Il y a un climat de confiance qui existe. Mais, évidemment, vu qu'on parle de modifier la législation, dans la mesure où ça semble être reconnu de manière claire par les tribunaux et dans la mesure où il ne semble pas y avoir de limite à ça, on se demande pourquoi c'est le mot «peut» au lieu du mot «doit» qui est utilisé. On sait que, de la part de vos fonctionnaires, il y a certaines craintes. On veut se garder la discrétion. Mais on vous inviterait à reconsidérer cet aspect-là, d'autant plus que la principale crainte, qui était de révéler si des tiers avaient fourni des informations, est déjà prévue immédiatement après, quand on dit: Si ce sont des informations fournies par des tiers, là, on n'est pas tenu de les révéler. Alors, c'est le premier commentaire technique qu'on voulait vous faire.

À la page 4, à la page suivante, il y a deux alinéas qui traitent des informations qui peuvent être divulguées par un fonctionnaire quand il va témoigner dans un contexte de grief en matière de droit du travail. On parle de plusieurs causes spécifiques, mais on parle de plaintes, suite à une mesure disciplinaire ou administrative, devant le Commissaire général du travail, le Tribunal du travail ou un arbitre de grief. Quand on a discuté du principe de cette disposition-là avec les membres de votre cabinet, on nous a dit que ça visait principalement le cas où un fonctionnaire de Revenu Québec fait l'objet de mesures disciplinaires. Par exemple, pour montrer qu'il n'a pas fait un bon rendement, on doit prendre comme exemple le dossier de certains contribuables qu'il a traités, pour dire: Regardez, il n'a pas relevé telle ou telle chose. Et, dans ce contexte-là, ça nous apparaît louable que cette disposition soit là.

Par contre, de la manière dont c'est rédigé présentement et de la manière dont on a cru comprendre le discours sur le budget aussi, ça ne fait pas cette limite-là. C'est-à-dire qu'on n'est pas venu dire: Ça s'applique au seul cas d'un fonctionnaire qui va témoigner dans une mesure disciplinaire contre lui. Ça s'applique à toute plainte, suite à une mesure disciplinaire ou administrative, devant un arbitre de grief ou devant un Tribunal de travail.

Alors, à défaut de le limiter... Je vous donne un exemple assez simple. Un employeur prend des mesures disciplinaires contre un employé, qui se défend. L'employeur veut montrer que l'employé a une petite job sur la «slide», qu'il travaille pour son compétiteur et tout ça. Il assigne le fonctionnaire de Revenu Québec à venir témoigner: Apporte avec toi le rapport d'impôt de ce contribuable-là. Le contribuable, en toute candeur, a déclaré ses revenus, non seulement de sa source principale, mais de sa source secondaire. Puis, il se trouve à être confondu par ça. Je ne pense pas que ce soit votre but, de déroger aux principes de confidentialité de cette manière-là. Et, si ça ne l'est pas, ça devrait être précisé dans cette disposition-là.

Par contre, si c'est votre but, je peux faire des commentaires aussi, parce que je ne sais pas quel est votre objectif. À ce moment-là, on peut se demander: Pourquoi avoir choisi ces cas-là? Parce que je vais vous donner d'autres exemples, qui sont les mêmes et qui pourraient être là-dedans aussi. Nous, on ne le souhaite pas. Je vais vous donner l'exemple... On va parler de la cause qui implique l'ancien collègue de ces messieurs ici, M. Rocheleau, et M. Rizzuto. Par exemple, dans une cause en dommage, où une personne plaide qu'on a fait atteinte à sa réputation, pourquoi cette même personne-là ne disposerait pas du droit que vous vous proposez de donner en matière de droit du travail, pour venir dire: Bon, bien, je vais faire venir le ministère du Revenu pour voir combien d'argent cette personne-là a déclaré, combien vaut sa réputation, etc.?

Nous, on pense que ce n'est pas approprié, d'étendre la dérogation au droit fondamental à la vie privée au-delà des seules causes où c'est un fonctionnaire de Revenu Québec qui fait l'objet de mesures disciplinaires et pas à l'extérieur de ça. J'aimerais savoir si c'était ça, votre intention, ou s'il y en avait d'autres. Puis, dépendant de ce que vous nous expliquerez, on pourra vous faire d'autres commentaires sur cette question-là.

Mes prochains commentaires reprennent rapidement ce que...

M. Bertrand (Portneuf): En passant, M. le Président, juste pour confirmer que telle était notre intention, effectivement...

M. Ryan (Paul): L'intention était donc de viser les seuls cas des fonctionnaires qui sont appelés à témoigner dans leur propre procédure disciplinaire.

M. Bertrand (Portneuf): C'est ça.

M. Ryan (Paul): Alors, je pense qu'à cet égard-là il va y avoir des resserrements à faire, à moins que nous lisions mal le projet de loi.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Avez-vous terminé?

M. Ryan (Paul): Non, pas tout à fait.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Non? C'est parce qu'il faudrait essayer de résumer. Ça fait 25 minutes, déjà. Il reste moins de temps aux parlementaires pour vous questionner. Mais c'est intéressant, ce que vous dites, vous avez de bonnes suggestions.

M. Ryan (Paul): Alors, on va y aller pour encore un petit cinq minutes, avec votre permission, puis...

Le Président (M. Baril, Arthabaska): O.K. Allez.

M. Ryan (Paul): Mes commentaires suivants portent également sur l'alinéa 8 proposé, dont Me Lefebvre a déjà parlé, alors je vais être très bref. C'est celui qui dit: «N'est pas confidentiel le renseignement qui ne révèle pas, même indirectement, l'identité de la personne concernée ou qui ne peut y être associée.» Puis, il y a le début de l'article 69 qui donne divers pouvoirs à une personne désignée comme un fonctionnaire.

Notre approche de base, c'est qu'on ne trouve pas qu'il devrait y avoir des règles générales. Quand on déroge au principe général de la confidentialité, on trouve que ça devrait être fait par des règles spécifiques, comme les nouvelles règles de 69.1, où on dit: Tel organisme, tel organisme, tel organisme, ou l'article 71 et tout ça, mais pas des grandes clauses générales, comme ça; on trouve que c'est dangereux. Me Lefebvre vous a déjà expliqué pourquoi. Moi, je vais vous dire, si vous décidez, malgré nos recommandations et celles que d'autres pourront vous faire, de retenir ce principe-là, il y a peut-être un aspect qui devrait être considéré. Cet aspect-là, c'est: Qui va être en mesure d'exercer la discrétion, de déterminer si un renseignement est susceptible ou non de divulguer l'identité de la personne? Comme disait Me Lefebvre, dans le rapport du Vérificateur général du Canada... Il a dit: Une famille qui a des milliards, avec une fille qui a déménagé aux États-Unis, a sauvé bien de l'argent en transférant les biens ailleurs. Tout le monde a pu identifier la famille concernée, avec les informations concernées. C'est un exemple qui est assez large

Mais, si on applique cette disposition-là et on donne à tous les fonctionnaires de Revenu Québec la discrétion de venir dire: Bon, bien, moi, je vais le présenter de cette manière-là, je vais mettre du «liquid paper» sur le nom, en haut, puis je vais donner ce document-là à quelqu'un ou je vais laisser aller ce document-là, ce n'est pas susceptible directement ou indirectement de divulguer son identité, on pense que c'est très dangereux d'avoir un pouvoir qui soit élargi à tout le monde et que, tout au moins, si vous décidez de garder des dispositions larges, comme ça, ce pouvoir-là devrait être restreint à des hauts fonctionnaires de Revenu Québec – niveau sous-ministre ou directeurs de bureaux régionaux puis tout ça – ou à des gens de ce calibre-là et non à toute la base des fonctionnaires de Revenu Québec. Et on vous demanderait sérieusement de considérer cette possibilité-là.

Le deuxième aspect. Au début de 69.0.1, qui est l'article 3, il y a une dérogation à l'article 69, on dit: «malgré l'article 69». Nous pensons que cette dérogation-là n'est pas nécessaire, que les deux dispositions pourraient être lues ensemble. Me Lefebvre a donné un exemple tantôt. À l'alinéa 2 de l'article 69, on protège des indiscrétions les tiers qui ont fourni des renseignements à Revenu Québec. Un tiers vient donner une information sur quelqu'un en voulant dire: Ce que ce gars-là a mal fait, puis tout ça. Puis, vous voulez protéger son identité pour ne pas qu'il soit victime de représailles de la part de la personne qu'il a dénoncée. Mais, par ailleurs, on se retrouve sous l'article 69.1c, où on autorise un fonctionnaire à «communiquer à une personne un renseignement confidentiel qu'il est raisonnable de considérer comme nécessaire à l'application ou à l'exécution d'une loi fiscale...». Alors, quelqu'un qui est visé vient demander: Moi, je veux savoir comment mon dossier s'est amorcé, ce qui s'est passé dans mon dossier, quelles informations vous avez utilisées, c'est essentiel pour ma cause parce qu'il faut que je me défende, il faut donc que je sache ce qu'il y a dans mon dossier. Puis on voudrait lui opposer: Bien, je peux t'en donner un bout, mais je ne peux pas te donner ce qui touche les tiers, parce qu'il y a l'article 69. Vous ne pourriez même pas faire valoir ça parce que l'article 69.1, tel qu'il est actuellement proposé, s'applique malgré l'article 69. Et, nous, on pense que la particule «malgré l'article 69» devrait être écartée, qu'elle n'est pas nécessaire dans cette disposition-là.

Finalement, dans l'article 69.1d, qui apparaît à la page 5, en haut, on parle de «communiquer à un ministère ou à un organisme...» C'est sous-entendu «un ministère ou un organisme du gouvernement du Québec». Mais nous pensons que, pour éviter toute confusion et encore pour ne pas élargir indûment la portée d'un article qui vient déroger à un principe fondamental de confidentialité, ça devrait être précisé: un ministère ou un organisme du gouvernement du Québec.

Finalement, notre dernier commentaire à caractère technique va sur l'article 6, à la page 6, où on parle des ententes qui vont être conclues. Nous sommes particulièrement préoccupés, non pas tellement par les organismes qui vont fournir des informations au ministère du Revenu, parce que le ministère du Revenu est déjà équipé en matière de confidentialité, ça fait partie de ses moeurs, ça fait partie de son organisation, mais on est plus préoccupé par l'information qui va sortir du ministère du Revenu vers d'autres organismes qui, malgré toute leur bonne foi, n'ont pas la culture de confidentialité dont bénéficie le ministère du Revenu.

(21 h 30)

Et la question qu'on se pose, c'est: Est-ce que ça ne devrait pas être stipulé et précisé que l'information ne sortira pas du ministère du Revenu vers ces organismes-là, tant que des ententes n'auront pas été signées, justement, avec ces organismes-là concernant la confidentialité et les mesures de sécurité et tant que ces ententes-là n'auront pas été rendues publiques pour permettre aux intervenants sociaux qui souhaiteront le faire de faire les représentations qui pourraient s'imposer quant à la validité – si je peux employer ce terme-là – des mesures de sécurité? Alors, ça complète mes commentaires. Je vous remercie de votre attention.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci, messieurs, de la présentation de votre mémoire. C'est quand même dépassé le temps, mais c'est clair, c'est précis. Donc, je vais laisser la parole au ministre, pour ses commentaires.

M. Bertrand (Portneuf): Merci, M. le Président. Je prends bonne note de l'appel à la prudence que vous faites également, je pense, très correctement. Et je pense que, dans des matières comme celle-là, il va de soi qu'on doive ajuster le plus précisément possible les dispositions des textes de loi, de façon à ce qu'il y ait le moins d'ambiguïté possible. Je vous remercie également de vos suggestions d'amélioration du projet de loi, qui vont au-delà des discours sur les grands principes. Mais vous pointez très pertinemment des améliorations qu'il est possible de faire au projet de loi, et j'apprécie énormément.

Maintenant, j'aimerais utiliser votre expérience sur un autre plan, peut-être un peu différent. Selon vous, avec l'expérience que vous avez comme fiscalistes – vous êtes constamment en contact avec des contribuables ou des mandataires – dans quelle mesure l'adoption d'une telle loi, modifiée éventuellement, améliorée, etc., pourrait-elle constituer ce que j'appellerais un incitatif à sortir du noir ou à réduire l'évasion fiscale? Je mentionnais, cet après-midi, qu'on comptait, par une telle loi et avec de tels outils, sur un effet de halo, si vous voulez, tout autant que sur l'effet direct de pouvoir identifier des revenus additionnels auprès de gens, personnes physiques ou morales, on comptait beaucoup sur l'effet induit, aussi, de telles dispositions. Avec votre expérience, j'aimerais avoir votre opinion là-dessus.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. Lefebvre.

M. Lefebvre (Wilfrid): Premièrement, en ce qui a trait aux impôts sur le revenu, à Revenu Québec, le seul article, je pense, qui est pertinent pour la lutte à l'évasion, c'est l'article 71, qui est ajouté et qui permet l'accès à d'autres organismes qui n'étaient pas prévus, en particulier aux municipalités. Évidemment, les autorités du ministère du Revenu seraient beaucoup mieux placées que moi pour vous dire l'évasion que l'on retrouve dans ce champ d'activité. Mais, quand même, c'est à portée relativement limitée, quant à moi. On n'est pas en train de régler le problème de l'évasion fiscale au Québec, avec ça. On est en train de régler un type de problème, peut-être dans le domaine de la construction, peut-être dans certains autres domaines, en partie. C'est, je pense, un pas dans la bonne direction, mais il ne faut pas escompter trop de ça.

Quant aux autres articles, essentiellement, ils ne vont pas à la lutte contre l'évasion fiscale en tant que telle, mais assurent le ministère de pouvoir transmettre des informations à d'autres organismes. Par exemple, en vertu de la Régie de l'assurance-maladie du Québec, est-ce qu'il y a un problème majeur sur la définition de résidence ou est-ce qu'il y a beaucoup de personnes qui ne déclarent pas correctement leur résidence? Est-ce que le fait, maintenant, que Revenu Québec peut transmettre cette notion-là, de résidence, va régler de multiples problèmes? Je m'en remets totalement à vos fonctionnaires, sur cette question-là. Mais je trouverais surprenant qu'on vienne découvrir une mine d'or avec ça.

D'autre part, est-ce que la Régie des rentes du Québec... Bien, j'imagine que ça va simplifier grandement l'administration, si on peut avoir accès... Est-ce qu'il y a eu des gains? Et quels sont ces gains? Est-ce qu'ils rencontrent les normes? La même chose pour le ministre de l'Éducation, quant aux aides fournies. Donc, tous ces ajouts-là, pas dans la bonne direction, mais pas...

M. Ryan (Paul): Je partage l'avis de Me Lefebvre. J'irais peut-être un peu plus loin en disant que, d'après moi, ça va avoir un très bon impact au niveau assurance-maladie, Régie des rentes, puis toutes ces choses-là, en regroupant sous une même tente le filet au complet. Parce qu'on pouvait avoir des gens, par exemple, qui déménagaient aux États-Unis, puis qui déclaraient, pour fins fiscales, avoir cessé d'être résidents du Québec, ne faisaient plus de déclaration fiscale au Québec. Par ailleurs, quand ils tombent malades, ils reviennent avec la «castonguette», puis se font traiter au Québec. Je pense que c'est une excellente idée, de regrouper toutes ces choses-là dans le même filet. Ça va amener des gens à se poser des questions avant de poser certains gestes, mais probablement plus par rapport à l'utilisation de la Régie des rentes, de la Régie de l'assurance-maladie et ces organismes-là que par rapport à la fraude fiscale, comme telle, en vertu de la Loi sur les impôts, où c'est peut-être d'autre chose qu'il faudra ultimement envisager.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Ça complète? M. le député de Nelligan, maintenant.

M. Williams: Merci, M. le Président. Merci beaucoup, l'Association de planification fiscale et financière, pour votre présentation, cet après-midi. Vous avez fait beaucoup de recommandations techniques, et j'ai pris note de ça. J'essaierai de ne pas vous questionner sur ça. Je voudrais juste comprendre clairement le deuxième alinéa de l'article 7 sur les dérogations. Est-ce que vous acceptez les dérogations à la loi sur la protection des renseignements personnels? C'était quoi, vos commentaires sur le deuxième alinéa de l'article 7?

M. Ryan (Paul): Nous, on a choisi de ne pas vraiment entrer dans ce débat-là. On savait que la Commission d'accès à l'information serait présente ici. Il y a eu les débats aussi entre la Commission puis le ministre du Revenu, dont on a été témoins devant les tribunaux. Ça pourrait être très compliqué de faire régir toute cette affaire-là par la Commission d'accès à l'information; c'est ce qu'on constate.

Par ailleurs, nous, ce qui nous préoccupait – puis peut-être que je ne répondrai pas tout à fait à votre question, Me Lefebvre continuera là-dessus, mais je n'ai pas eu le temps d'en parler tantôt – c'est la question des registres qui est mentionnée à l'article 71.0.2. Je voulais le mentionner sur le plan technique aussi. Nous avions des questions à l'égard de ça parce que ces registres sont là comme une mesure de protection qui vise probablement à remplacer le rôle qu'aurait joué la Commission d'accès à l'information. Mais il serait peut-être utile de préciser: Par qui vont-ils être tenus, ces registres-là? Vont-ils être tenus seulement par le ministère du Revenu, qui est une des parties, ou également par les autres organismes? Encore là, qu'est-ce qu'ils vont contenir? Vont-ils contenir l'information détaillée ou un sommaire non nominatif? Aussi, par quelles mesures de confidentialité vont-ils être régis? Alors, moi, c'est les commentaires que je peux faire. Je ne sais pas, Me Lefebvre, si vous aviez autre chose à dire là-dessus.

M. Lefebvre (Wilfrid): Non. Je confirme ce que M. Ryan dit. Pas d'autres commentaires là-dessus.

M. Williams: Mais, effectivement, sur les registres, encore une fois, si j'ai bien compris, le projet de loi n° 32 donne le pouvoir de ramasser toute cette information de plusieurs ministères, les municipalités, les hôpitaux, les CLSC, les écoles privées. Selon ma compréhension, il peut regrouper tout ça dans un fichier central, dans un registre approprié. Vous trouvez ça correct, comme Association?

M. Ryan (Paul): Peut-être qu'on a mal compris la question du registre. On a eu le projet de loi la semaine dernière...

M. Williams: Bien, peut-être, moi aussi.

M. Ryan (Paul): Comme vous le savez, on est tous poussés à agir de manière précipitée, dans ce dossier-là. La première chose que nous, on voit, c'est que, dans l'article 4, qui est l'article qui prévoit l'entrée d'informations au ministère, on nomme divers organismes. Là, on rajoute de k à o. Évidemment, si on ajoute de k à o, il y avait déjà de a à – c'est quoi la lettre avant k – i ou j...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Ryan (Paul): ...qui étaient là, de telle sorte que ce n'est pas quelque chose de nouveau pour nous. Puis, on n'est pas trop préoccupés par l'information qui entre au ministère du Revenu parce qu'on sait qu'une fois qu'elle est au ministère du Revenu... On a encore confiance dans la tradition de confidentialité, au niveau du ministère du Revenu, qui, jusqu'à maintenant, était respectée. Parce que, de a à j, il y a un paquet d'autres organismes qui en entrent, de l'information. Et on n'a pas été témoins, nous, dans notre sphère d'activité, de problèmes qui résultaient de cette entrée-là.

Le concept qui est nouveau, c'est celui de l'article 71, où on parle d'information qui va sortir vers d'autres organismes. On vous a déjà dit qu'on est préoccupé par le fait que ces organismes-là ne sont pas nécessairement aussi bien équipés que le ministère du Revenu, en matière de confidentialité. Et, nous, ce qu'on a compris de l'idée du registre... On pensait que c'était peut-être mal avancé... Mais, l'idée du registre, je ne pense pas que ça se voulait une mesure afin de créer un genre de fichier central qui pouvait servir d'information. Je pense que c'était plus une mesure de protection pour qu'on puisse vérifier de quelle manière ces pouvoirs-là seraient utilisés, puis pour vérifier qu'ils ne soient pas utilisés de manière abusive. C'est comme ça qu'on l'a compris. Mais ce qu'on voulait mentionner sur ces dispositions-là, c'est que, si c'est vraiment ça qui était visé, ça serait utile peut-être de le préciser encore mieux, pour être bien certain qu'on ne cherche pas à créer un genre de fichier central tous azimuts qui regrouperait une grande quantité d'information sur les contribuables.

M. Lefebvre (Wilfrid): Je présume que le fichier en question serait lui-même confidentiel, dans la mesure où il divulgue des renseignements confidentiels. Moi, je pensais que c'était juste une mesure pour assurer qu'au ministère du Revenu on sait précisément le type d'information qui a été transmise conformément à l'article 69.1.

M. Williams: Nous allons certainement questionner le ministre pendant l'étude article par article sur... Merci beaucoup, pour...

(21 h 40)

M. Lefebvre (Wilfrid): Je m'excuse, mais c'est notre compréhension. C'est pour ça que, nous, la seule question qu'on avait, c'est possiblement qu'il faudrait clarifier. Parce que, de deux choses l'une: ou ce fichier-là va contenir simplement des classes de renseignements qui ont été transmises ou ce fichier-là va être extrêmement précis, auquel cas ça va devenir une montagne administrative, je présume, si...

M. Ryan (Paul): Juste pour ajouter à ça, comme ce n'est pas précisé par qui le fichier devrait être tenu, on souhaiterait, bien entendu, que ce soit par le ministère du Revenu plus que par tout autre organisme, parce qu'on considère que c'est celui-là qui est le mieux équipé pour maintenir la confidentialité.

M. Williams: Merci, M. Ryan. J'ai bien entendu votre «confidence» au ministère du Revenu et... Confiance? Confiance et peut-être confidence, aussi...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Williams: Confiance...

M. Lefebvre (Wilfrid): À l'occasion, il ne cotise pas bien, par exemple.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Williams: Sans entrer dans le débat, je n'ai jamais remis en question cette confidentialité, mais c'est plus l'ampleur. Sans commencer un débat personnel, ce soir, sur ça, l'ajout de k, l, m, n, o, ça m'inquiète un peu. Sur l'autre section que vous avez mentionnée, l'article 5, les autres organismes publics que vous avez mentionnés, je veux juste m'assurer que j'ai bien compris. Vous avez demandé que les ententes-cadres soient obligatoires et publiques. Est-ce que c'est votre recommandation?

M. Ryan (Paul): Notre recommandation sur les ententes-cadres obligatoires publiques portait plus sur l'information qui sort du ministère du Revenu...

M. Williams: Oui.

M. Ryan (Paul): ...qui est à l'article 4, que sur l'information qui entre au ministère du Revenu, qui est à l'article 5.

M. Williams: O.K.

M. Ryan (Paul): Parce que ce qui entre au ministère du Revenu, les règles de confidentialité... Quand vous dites «confiance», on a confiance tout au moins dans l'aspect confidentialité du ministère du Revenu. Avec toute l'information qui circule là, c'est quand même – que ce soit au provincial ou au fédéral – assez rare qu'il y ait des indiscrétions qui soient commises.

M. Williams: Oui.

M. Ryan (Paul): Les dernières dont on a entendu parler concernaient la déclaration d'impôts de M. Joe Clark, il y a une dizaine d'années. Je ne sais pas si vous vous souvenez, ça avait été... C'est assez rare qu'on voie ces choses-là.

M. Williams: Merci.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Viger, brièvement, s'il vous plaît.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Maciocia: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): C'est ça que ça fait, quand on est deuxième.

M. Maciocia: C'est ça. C'est ça qui arrive, oui. Je voulais vous poser une question. On a eu tout à l'heure le Barreau du Québec qui s'est présenté devant notre commission. Lui, d'après les conclusions et les recommandations qu'il nous faisait, il était plutôt en désaccord vis-à-vis du projet de loi n° 32, à cause justement du respect de la vie privée du citoyen. Et il disait, à un certain moment, et je le cite: «Tout compte fait, le Barreau du Québec souscrit aux objectifs poursuivis par le gouvernement visant à lutter contre le travail au noir et l'évasion fiscale mais croit néanmoins que les moyens mis en oeuvre par le projet de loi n° 32 compromettent sérieusement les droits des citoyens au respect de leur vie privée et à la protection des renseignements personnels détenus par l'État sur leur compte.» J'imagine que vous ne vous êtes pas posé cette question-là. Dans votre analyse, vous êtes allés plutôt, disons, dans les changements qu'on pourrait proposer à l'intérieur du projet de loi.

Deuxièmement, ma question. Parce que, là, je n'ai pas beaucoup de temps, le président, c'est ça qu'il dit. Il disait, dans un autre paragraphe: «La Loi sur le ministère du Revenu ne devrait pas abroger le contrôle a priori de la Commission d'accès à l'information ou de l'Assemblée nationale à l'égard des communications de renseignements personnels entre les organismes publics et le ministère du Revenu ainsi qu'à l'égard des couplages de banques de données.» Est-ce que vous êtes d'accord avec cette position du Barreau du Québec?

M. Lefebvre (Wilfrid): Je peux peut-être répondre aux deux questions. La première. Évidemment, l'article 69.1, tel qu'il existe à l'heure actuelle, prévoit un ensemble d'exceptions au principe général de la confidentialité. Et on va de a jusqu'à j, comme l'indiquait mon collègue. Le seul effet du projet de loi, et c'est pour ça... D'une façon très spécifique, il vient ajouter k à o, d'autres rubriques tout aussi spécifiques et tout aussi essentielles au point de vue des communications que celles que l'on retrouve déjà à 69.1.

Alors, évidemment, si on prétend que, par exemple, l'ajout du paragraphe l est une atteinte à la vie privée, à ce moment-là, je me demande pourquoi a, b, c, d et e ne sont pas des atteintes à la vie privée. Alors, quant à nous, c'est complémentaire. De plus en plus, les citoyens reçoivent de l'État. Évidemment, on doit s'attendre à ce qu'il y ait un certain contrôle. Et, dans une mesure très spécifique, ça nous semble conforme.

D'autre part, pour la lutte à l'évasion, bien, c'est strictement l'article 71 qui, au plan du ministère du Revenu... Et, encore là, on donne un accès au ministère du Revenu à des informations, qui, à mon sens, dans une saine gestion fiscale, se justifie parfaitement. Là où, peut-être, ça peut poser problème, c'est lorsqu'on parle en termes très généraux – les exemples qu'on a donnés de b et c. Ça, peut-être, ça peut soulever des problèmes d'atteinte à la vie privée.

D'autre part, sur la deuxième question que vous soulevez, effectivement, comme l'indiquait mon collègue, on n'a pas vraiment considéré le lien ou le rôle qui doit exister entre la Commission d'accès à l'information et le projet de loi n° 32, à savoir s'il y a des rapports qui doivent être effectués, et tout ça. On n'a pas vraiment considéré cette question-là, je dois vous dire. On a été avisé vendredi qu'on comparaissait. Évidemment, c'est une question probablement à discuter. On n'est pas pour ou contre. C'est juste qu'on n'a pas entendu toute l'argumentation qui requérait, pour nous, une réponse.

D'autre part, vous avez mentionné également le droit de l'Assemblée nationale d'avoir... Cette question-là m'est d'intérêt un peu en raison de ce qui se passe à Ottawa, où le Vérificateur général remet l'information aux comptes publics qui, eux, veulent faire comparaître. Je trouve ça une atteinte à la vie privée.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): C'est bien.

M. Ryan (Paul): Un dernier...

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Oui, M. Ryan.

M. Ryan (Paul): Un dernier commentaire. Moi, quand j'écoute les propos du Barreau que vous nous avez cités, les deux dispositions qui me reviennent tout de suite à l'esprit, c'est le 2° de l'article 2, à la page 4, le «statement» général: «N'est pas confidentiel le renseignement qui ne révèle pas, même indirectement, l'identité de la personne concernée ou qui ne peut y être associée.» Celui-là, je suis d'accord que ça va beaucoup trop loin, en autant que je suis concerné, et le paragraphe c, de l'article 69.0.1 qui est proposé au troisième paragraphe, au haut de la page 5: «communiquer à une personne un renseignement confidentiel qu'il est raisonnable de considérer comme nécessaire à l'application ou à l'exécution d'une loi fiscale à son égard.» D'après moi, ça, c'est possiblement ce qu'on appellerait, en anglais, du «overkill». On a déjà réussi, par des dispositions spécifiques, à dire: O.K., vous pouvez aller donner de l'information à l'assurance-maladie, à la Régie des rentes, puis tout ça, vous pouvez aller chercher de l'information des organismes. Ces deux-là, je vais vous dire que, s'ils étaient carrément retirés du projet de loi, je pense que la communauté fiscale qu'on pense représenter vivrait beaucoup mieux avec ce projet de loi là.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci. M. le ministre, pour vos remarques finales.

M. Bertrand (Portneuf): M. le Président, j'aimerais remercier les représentants de l'Association de planification fiscale et financière, souligner qu'on a eu droit à des réponses tout aussi articulées que la présentation elle-même. Je dois vous dire que, s'il est vrai que vous avez reçu le projet de loi vendredi seulement, dans votre présentation et dans vos commentaires, ça n'a pas paru parce que vous avez manifestement une excellente compréhension, une excellente connaissance du contenu du projet de loi. Et je vous remercie pour vos suggestions.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Nelligan.

M. Williams: Oui, Me Lefebvre, Me Ryan, Me Caron, merci beaucoup pour votre présentation au nom de l'Association de planification fiscale et financière. Je pense effectivement que vous avez apporté beaucoup d'idées assez intéressantes pour le projet de loi n° 32. Vous avez vraiment présenté quelques idées tellement techniques. Et je pense que demain je vais lire les galées avec beaucoup d'intérêt, pour savoir exactement toutes les nuances que vous avez apportées à quelques articles, parce que je pense que c'était tellement utile.

Pendant l'étude article par article de ce projet de loi, peut-être qu'on pourra profiter encore une fois, mais avec un échange peut-être moins formel, d'avoir vos opinions sur quelques amendements à ce projet de loi. Merci beaucoup.

M. Lefebvre (Wilfrid): Ça me fait plaisir.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci. Au nom des membres de la commission, je tiens à vous remercier, moi également, d'avoir donné du temps à la commission pour faire connaître de judicieux conseils qui proviennent sans doute de vrais pros de la fiscalité. Merci beaucoup.

J'inviterais les représentants de la Régie de l'assurance-maladie du Québec à s'approcher et à se présenter.

Je suspends quelques minutes.

(Suspension de la séance à 21 h 49)

(Reprise à 21 h 50)

Le Président (M. Baril, Arthabaska): À l'ordre, messieurs! Nous allons maintenant entendre les représentants de la Régie de l'assurance-maladie. Je demanderais aux personnes de se présenter et de nous faire part de leurs recommandations.


Régie de l'assurance-maladie du Québec (RAMQ)

M. Morency (Denis): Bonjour, M. le Président, plutôt, bonsoir. M. le Président, M. le ministre, messieurs les membres de la commission, je suis Denis Morency, je suis le secrétaire et le directeur général des affaires corporatives de la Régie de l'assurance-maladie. Je suis accompagné, à ma droite, par Me Huguette Lefèvre, avocate, qui est responsable désignée aux fins de l'application de la loi sur l'accès, à la Régie de l'assurance-maladie, et, à ma gauche, de M. Réjean Gignac, qui est directeur de l'admissibilité et de l'assistance aux bénéficiaires.

J'ai le plaisir, au nom de la Régie de l'assurance-maladie du Québec, de répondre à l'invitation de la commission du budget et de l'administration relativement au projet de loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu. Auparavant, en vue d'apporter un meilleur éclairage à la commission, il apparaît opportun de bien situer les renseignements détenus par la Régie.

Précisons au départ que la Régie a pour fonction d'administrer et d'appliquer les programmes du régime d'assurance-maladie institués par la Loi sur l'assurance-maladie ainsi que tout autre programme que la loi ou le gouvernement lui confie. Dans ce cadre, la Régie doit notamment assumer le coût des services et des biens prévus aux programmes, contrôler l'admissibilité des personnes, de même que la rémunération versée aux professionnels de la santé. Elle doit également contrôler les paiements ou les remboursements qu'elle effectue à la personne qui a dispensé un service ou fourni un bien, ou à la personne qui l'a reçu.

Pour l'exécution de ces fonctions, la Régie a dû constituer certains fichiers qu'elle a déclarés à la Commission d'accès à l'information, comme le requiert d'ailleurs la loi sur l'accès. Les principaux fichiers déclarés sont les suivants: le Fichier d'inscription des bénéficiaires, connu sous l'appellation de FIB, le Fichier des services payés pour le compte des bénéficiaires, et le Fichier des dispensateurs de services.

Le Fichier d'inscription des bénéficiaires contient des données d'identification, tels les nom, prénom, date de naissance, sexe, adresse, numéro d'assurance-maladie, numéro d'assurance sociale, sur les 7 200 000 bénéficiaires du régime d'assurance-maladie ainsi que d'autres renseignements relatifs à leur admissibilité. On y retrouve également des données sur les cartes d'assurance-maladie, les avis, les attestations et les preuves d'exemption qui ont été transmis aux bénéficiaires. Ce fichier ne contient aucun renseignement ayant trait aux services de santé. Les renseignements contenus au Fichier d'inscription des bénéficiaires servent principalement à l'établissement et au contrôle de l'admissibilité des bénéficiaires au régime d'assurance-maladie et aux autres programmes confiés à la Régie, à l'identification des bénéficiaires, à l'émission des cartes d'assurance-maladie et des avis de renouvellement.

Le Fichier des services payés pour le compte des bénéficiaires est constitué à partir des réclamations soumises à la Régie par les professionnels de la santé, en conformité des ententes conclues entre le ministre de la Santé et des Services sociaux et les différents organismes représentatifs des professionnels de la santé. Il contient l'ensemble des renseignements relatifs aux services rendus dans le cadre du régime d'assurance-maladie, les montants payés par la Régie aux professionnels de la santé et autres dispensateurs, ainsi que la date à laquelle ces services ont été rendus.

Le Fichier des dispensateurs de services regroupe principalement les renseignements sur les professionnels de la santé, médecins, dentistes, pharmaciens et optométristes et les autres dispensateurs de services, soit les audioprothésistes, les denturologistes ainsi que d'autres qui sont visés par les programmes concernant les aides visuelles, les aides auditives et les prothèses et orthèses. Il réunit les renseignements relatifs à l'identification, l'admissibilité, le mode de rémunération et les modalités de paiement.

Donc, de façon générale, relativement aux renseignements détenus par la Régie, la Loi sur l'assurance-maladie énonce le principe de leur caractère confidentiel. Cependant, la lecture des dispositions qui suivent cet énoncé de principe permet de constater que le législateur a autorisé, au fil des années, certaines communications de renseignements à différents ministères ou organismes. Malgré cela, nous pouvons affirmer que la Régie est soumise à un régime de confidentialité beaucoup plus restrictif que celui sur l'accès à l'information, en ce sens que les seules communications de renseignements autorisées sont celles prévues par la Loi sur l'assurance-maladie et la Loi sur la Régie de l'assurance-maladie du Québec.

Voyons d'abord le cas du bénéficiaire. Les seuls renseignements auxquels ce dernier peut avoir accès à l'égard des services qu'il a reçus sont les suivants: le nom et l'adresse de la personne qui a rendu un service, la date du service, le montant payé par la Régie pour ce service et le nom et l'adresse de la personne à qui les sommes ont été payées, et ce, malgré le fait qu'en vertu de la loi sur l'accès il aurait un droit d'accès à tous les renseignements qui le concernent. Cela signifie qu'un bénéficiaire ne peut obtenir de la Régie la nature des services qu'il a reçus ni son diagnostic. Il devra donc s'adresser au professionnel qui lui a rendu le service ou à l'établissement en cause pour obtenir ces renseignements.

Quant aux ministères et organismes pouvant recevoir des renseignements de la Régie, ceux-ci sont identifiés spécifiquement à la Loi sur l'assurance-maladie, et les renseignements qu'ils peuvent obtenir y son prévus également. Plusieurs ententes portant sur les échanges de renseignements ont été conclues, et ce, conformément aux conditions et formalités de la loi sur l'accès.

Il faut mentionner que la très grande majorité de ces communications porte sur des renseignements d'identité tirés du Fichier d'inscription des bénéficiaires, c'est-à-dire la communication d'adresses, par exemple: à la Commission des normes du travail, pour lui permettre de retracer des salariés auxquels des montants sont dus; au ministère de l'Éducation, pour retracer un débiteur du régime prêts et bourses; au ministère des Finances, dans le cas de certains détenteurs d'obligations d'épargne du Québec, pour leur transmettre leurs intérêts; et à la CARRA, Commission administrative des régimes de retraite et d'assurances, pour informer les participants ou les pensionnés des divers régimes de retraite de leur état de participation.

Très peu de communications de renseignements ont trait aux services assurés. Les seuls autorisés sont les suivants: à la Commission de la santé et de la sécurité du travail, dans ce cas, les renseignements sont communiqués en vue d'obtenir le remboursement des sommes que la Régie a assumées pour les accidentés du travail; au ministre du Revenu du Québec, pour des cas particuliers, il s'agit des mêmes renseignements que ceux pouvant être communiqués à un bénéficiaire, et ceux-ci ne peuvent être obtenus que dans la mesure où ils sont nécessaires à l'application d'une loi fiscale; à un chercheur dûment autorisé par la Commission d'accès à l'information à utiliser ces renseignements à des fins de recherche dans le domaine de la santé et des services sociaux, et ce, comme le prévoit la Loi sur l'assurance-maladie. La communication de tels renseignements s'inscrit dans le cadre du mandat de la Régie de contribuer à la recherche dans le domaine de la santé et des services sociaux.

Nous abordons maintenant les représentations de la Régie à l'égard du projet de loi n° 32, soit la Loi modifiant la Loi sur le ministère du Revenu. Les dispositions sur lesquelles portent nos commentaires ont trait à l'obligation d'informer le ministre du Revenu lorsqu'un montant doit être payé par un organisme public; la communication de renseignements à la Régie de l'assurance-maladie, visée à l'article 4; et enfin la communication au ministre du Revenu de tout renseignement nécessaire à l'application et à l'exécution d'une loi fiscale.

En ce qui a trait à l'obligation d'informer le ministre du Revenu lorsqu'un montant doit être payé par un organisme public, c'est la première disposition de la loi. Celle-ci prévoit que, lorsqu'un montant doit être payé par un organisme public, l'organisme ou son agent doit informer le ministre du Revenu selon les conditions et modalités prescrites. Cet article vise le paiement à être fait autant à une personne physique qu'à une personne morale. Pour ce qui est des montants à verser aux bénéficiaires, la mesure ne s'applique pas, étant donné qu'il s'agit de paiements en remboursement de services assurés, ce qui est exclu spécifiquement par la Loi sur le ministère du Revenu.

La Régie, comme vous le savez, exerce une importante fonction de paiement et cherche à éviter toute lourdeur administrative, compte tenu qu'elle transige avec environ 23 000 dispensateurs de services, et ce, pour la plupart aux deux semaines. Elle prend note qu'aux termes du projet de loi n° 32 elle sera tenue d'informer le ministre du Revenu de tout montant à être versé, et ce, selon les conditions et formalités prescrites. Elle souhaite que ces conditions et formalités tiennent compte de la situation d'organismes tels que la Régie.

Deuxièmement, communication de renseignements à la Régie de l'assurance-maladie, l'article 4. Celui-ci prévoit la communication de renseignements par le ministère du Revenu à la Régie, dans la mesure où ces renseignements sont nécessaires pour vérifier si une personne réside ou est réputée résider au Québec, au sens de la Loi sur l'assurance-maladie. Cette recommandation donne suite aux recommandations du Vérificateur général, dans son rapport de l'année 1994-1995, à l'effet que le ministère du Revenu devrait recevoir plus de renseignements des autres ministères et organismes, et favoriser ainsi l'accès aux renseignements qu'il détient, pour faciliter l'application des lois relatives aux programmes qu'administrent les ministères et organismes du gouvernement. Aux fins de l'administration du régime d'assurance-maladie, particulièrement pour statuer sur l'admissibilité d'une personne au programme, la Régie a un intérêt évident à pouvoir vérifier si une personne a quitté le Québec pour s'établir ou séjourner à l'extérieur de la province. Nous sommes convaincus que l'obtention de ce type de renseignements auprès du ministère du Revenu améliorera l'efficacité dans les contrôles relatifs à l'admissibilité des bénéficiaires au régime d'assurance-maladie.

(22 heures)

Troisième point: communication au ministre du Revenu de tout renseignement sur demande. L'article 5 du projet de loi impose à tout organisme, incluant la Régie, l'obligation de fournir au ministre du Revenu tout renseignement que celui-ci indique lorsque ce renseignement est nécessaire à l'application et à l'exécution d'une loi fiscale. Il est cependant précisé que cette obligation ne s'applique pas aux renseignements nominatifs de nature médicale.

Comme vous l'avez vu précédemment, parmi les communications de renseignements déjà prévues à la Loi sur l'assurance-maladie, une disposition impose à la Régie l'obligation de communiquer au ministre du Revenu les renseignements suivants, dans la mesure où la communication est nécessaire à l'application d'une loi fiscale. Il s'agit des sommes payées par la Régie pour les services assurés et fournis à un bénéficiaire du régime d'assurance-maladie, de la date des services, du nom et de l'adresse des personnes qui ont fourni les services ainsi que le nom des personnes à qui les sommes ont été payées. Une entente a d'ailleurs été conclue en 1992, avec le ministre du Revenu, en vue de lui communiquer ces renseignements. Cette entente a alors été soumise à la Commission d'accès à l'information, qui est parvenue à la conclusion que cette entente est nécessaire à l'application d'une loi fiscale au Québec.

De plus, une autre disposition de la Loi sur l'assurance-maladie permet également la communication, notamment au ministère du Revenu, de renseignements d'identité tels les nom, prénom, date de naissance, sexe, adresse, numéro d'assurance-sociale, date de décès d'un bénéficiaire du régime d'assurance-maladie.

Nous croyons donc que l'adoption de l'article 5 du projet de loi n° 32 permettra seulement la communication de certains renseignements supplémentaires au ministère du Revenu, compte tenu des renseignements qu'il pouvait déjà obtenir dans le cadre de l'actuelle Loi sur l'assurance-maladie. Il s'agit des liens familiaux des bénéficiaires du régime d'assurance-maladie et des codes de statuts reliés à l'admissibilité de clientèles particulières. Par exemple: ressortissant étranger qui occupe un emploi temporaire au Québec; personne qui séjourne hors du Québec pendant plus de 12 mois; personne en congé sabbatique hors du Québec; personne qui séjourne hors du Québec pour se chercher un emploi; et ainsi de suite dans les exemples que nous vous citons.

Ceci complète notre présentation et nous sommes à la disposition des membres de la commission pour aller plus loin dans l'échange sur le projet de loi.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci, M. Morency, de cette présentation, et j'accorde la parole au ministre.

M. Bertrand (Portneuf): Merci, M. le Président. Dans un premier temps, ce qui me frappe, c'est que les représentants d'organismes qui semblent être davantage impliqués dans les opérations relativement soit à l'utilisation d'un fichier, à la transmission d'informations semblent, je dirais, beaucoup moins fébriles ou inquiets que les organismes qui, un peu de l'extérieur ou d'un peu plus haut, regardent aller les choses.

Je comprends qu'il y a moyen, au niveau de la Régie de l'assurance-maladie du Québec, par ailleurs, de vraiment isoler les informations qui portent sur des renseignements qui relèvent, par exemple, de la santé de la personne. Il s'agit vraiment même déjà de fichiers qui sont différents.

M. Morency (Denis): C'est exact.

M. Bertrand (Portneuf): Bon. Comment ça fonctionne, exactement? Comment pouvons-nous être assurés que les renseignements qui vous sont nécessaires, vous, pour juger de l'admissibilité d'une personne au régime d'assurance-maladie du Québec puissent vraiment être disjoints et que le ministère du Revenu n'ait pas accès, justement, à des informations sur l'état de santé de la personne?

M. Morency (Denis): En fait, c'est en application de la loi sur l'accès à l'information. Comme vous le savez, dans la mécanique de cette loi-là, chaque organisme doit diviser les fichiers, regrouper les informations dans différents fichiers. Donc, la Régie a choisi, de par son administration, de séparer les informations qu'elle traite en différents fichiers pour les fins de ces opérations et il y a un regroupement de fichiers qui s'est fait en fonction de ce qu'on appelle les conditions d'éligibilité des personnes au régime d'assurance-maladie; donc, ceci est un fichier distinct du fichier des services rendus.

Également, comme on a pu voir de la législation à laquelle on a fait référence, le législateur également, lorsqu'il s'est exprimé par rapport à des communications de renseignements, a toujours pris le soin de préciser dans notre législation quel était le type de renseignements, et ça correspondait effectivement à la pratique qui avait cours à la Régie. Donc on est capables de séparer toutes les règles d'accès à la Régie de l'assurance-maladie, en termes d'accès du personnel de la Régie aux différentes données, et séparer également en termes d'accès selon les fichiers que la Régie a constitués. Donc, un employé de la Régie qui travaille au niveau du fichier d'identité des personnes n'aura pas accès au fichier des services rendus à un citoyen.

M. Bertrand (Portneuf): O.K.

M. Morency (Denis): En fait, ça va avec le type d'opération et la distinction qu'on veut opérer à l'intérieur de l'organisme.

M. Bertrand (Portneuf): Donc, il n'y aura aucun risque, véritablement, que le ministère du Revenu se retrouve avec de l'information qu'il ne voulait pas.

M. Morency (Denis): Non. D'une part, vous avez la loi qui indique clairement qu'il n'y a pas de communication de renseignements de nature médicale et, d'autre part, il n'y a pas de risque de mélange au sein même de la gestion de ces fichiers pour faire en sorte que la Régie risque de transmettre par erreur, entre guillemets, de l'information de nature médicale au ministère du Revenu.

M. Bertrand (Portneuf): O.K. Je comprends. En ce qui regarde maintenant l'information que le ministre du Revenu peut requérir quant à un montant qui doit être payé par un organisme public, vous dites, dans votre présentation, que vous souhaitez fortement que les conditions et formalités qui peuvent être prescrites tiennent compte de la situation d'un organisme tel que la Régie. Ça a peut-être l'air curieux de vous faire poser cette question, mais avez-vous un exemple de choses qui pourraient être particulièrement enfargeantes pour vous?

M. Morency (Denis): Bien, si on comprend bien le sens de la disposition qui est contenue à l'article 1 de la loi, ça voudrait dire qu'à toutes les fois que la Régie veut verser un montant d'argent à un des 23 000 dispensateurs de services aux 15 jours, il faudrait qu'elle aille faire une vérification auprès du ministère du Revenu à tous les 15 jours aux fins de savoir si, effectivement, cette personne-là n'est pas en créance avec le ministère du Revenu, ce qui risquerait, bien entendu, de gêner l'émission des chèques auprès des professionnels de la santé qui ont une habitude de recevoir effectivement leur rémunération aux 15 jours.

Donc, la Régie est déjà dans un processus rapide et dynamique pour être capable de traiter des réclamations et d'assurer un paiement continu aux professionnels de la santé. S'il faut rajouter dans ce processus-là une mécanique par laquelle la Régie va devoir s'adresser au ministre du Revenu afin de libérer un paiement et de savoir si effectivement le ministre du Revenu a une créance...

M. Bertrand (Portneuf): O.K.

M. Morency (Denis): ...on croit que ceci risque de gêner nos opérations.

M. Bertrand (Portneuf): Dans un cas semblable, quelle pourrait être la modalité, par exemple, qui pourrait vous convenir en termes de fréquence ou en termes...

M. Morency (Denis): Je pense que ce serait peut-être l'inverse qui serait la modalité la plus raisonnable, à savoir que le ministère du Revenu indique à la Régie les professionnels de la santé avec lesquels elle a une créance pour qu'on arrête le paiement.

M. Bertrand (Portneuf): O.K.

M. Morency (Denis): Alors, plutôt que d'envoyer le gros de l'information au ministère du Revenu au cas où, c'est plutôt de marcher d'une façon particularisée dans l'autre sens.

M. Bertrand (Portneuf): O.K.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Nelligan.

M. Williams: Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup, M. Morency, pour votre présentation ce soir. Je vois que nous sommes pas mal fichés chez vous, avec tous les fichiers. Le premier fichier que vous avez mentionné, le fichier d'inscription des bénéficiaires, vous avez mentionné que vous avez aussi le numéro d'assurance sociale. Pourquoi vous avez besoin de ça avec toute l'autre information?

M. Morency (Denis): Le numéro d'assurance sociale peut être nécessaire à la Régie lorsque la Régie fait ses propres échanges de renseignements avec d'autres ministères, parce que la Régie en fait, des échanges de renseignements avec d'autres ministères pour mettre à jour son fichier d'adresses. Comme vous le savez, la Régie a un des fichiers les plus importants, il regroupe l'ensemble de la population, et la Régie cherche à mettre à jour constamment son fichier des bénéficiaires, les adresses des gens, et un des éléments avec lesquels elle peut transiger avec un autre ministère ou organisme, souvent, c'est via l'utilisation du numéro d'assurance sociale.

Donc, la Régie possède, dans son fichier, des numéros d'assurance sociale pour pouvoir permettre de communiquer des échanges de renseignements avec d'autres ministères et organismes. Ce n'est pas, je vous dirais, pour les fins propres de ses traitements à elle, sauf peut-être à l'égard d'une certaine clientèle très spécifique, mais c'est uniquement lorsque la Régie décide de transiger avec d'autres ministères ou organismes pour faire des couplages de fichiers au niveau des adresses, de savoir si une personne est décédée ou pas. Donc, le seul lien de communication, au niveau des échanges de renseignements, à ce moment-là, à défaut d'avoir le numéro d'assurance-maladie, l'autre numéro qui permet ces échanges-là, est le numéro d'assurance sociale.

M. Williams: Ça vous aide pour faire les couplages et tout ça.

(22 h 10)

M. Morency (Denis): Oui.

M. Williams: O.K. Page 5, vous avez mentionné qu'il peut y avoir de la communication au ministre du Revenu du Québec pour des cas particuliers, à la fin de la page. Pouvez-vous aller plus en détail, ce que ça veut dire. Parce que vous avez parlé qu'ils sont nécessaires à l'application d'une loi fiscale. Est-ce que vous pouvez expliquer avec deux, trois exemples ce que ça veut dire?

M. Morency (Denis): Je vous dirais que ça arrive dans des cas, pas de nombreux cas, mais ça arrive à l'occasion. C'est une disposition qui est dans la Loi sur l'assurance-maladie depuis son origine; donc, depuis près de 25 ans qu'est constitué le régime, il a été prévu, dès ce moment-là, que le ministre du Revenu, tant provincial que fédéral, pouvait obtenir certains renseignements qui concernent le nom, l'adresse des personnes à qui la Régie a rendu un service, la date des services, le montant payé par la Régie pour ces services, et le nom et l'adresse de la personne à qui ces sommes ont été payées. Puis là je risque de me perdre en conjectures, je vais demander à mes collaborateurs s'ils veulent rajouter de l'information pour le bénéfice des membres de la commission.

Ça peut être quelqu'un qui va réclamer, comme déduction fiscale, des sommes qu'il va avoir payées pour des services médicaux rendus à l'extérieur du Québec, puis le ministère du Revenu veut savoir exactement la somme que la Régie a pu verser lorsque cette personne-là a pu réclamer de la Régie.

Vous savez que la Régie, actuellement, ne rembourse qu'une somme d'à peu près 20 % des factures qui nous proviennent de l'extérieur du Québec. Donc, le citoyen peut avoir réclamé auprès du ministère du Revenu un montant de dépenses pour des soins médicaux ou hospitaliers qu'il a pu avoir à assumer, et le ministère du Revenu peut être appelé à vérifier auprès de la Régie quelles sommes, effectivement, la Régie a pu verser pour de tels services, pour éviter une déduction qui n'aurait pas été nécessaire. Donc, ça, je vous donne un exemple. Je ne sais pas si mes collègues en ont d'autres.

M. Williams: Oui.

M. Morency (Denis): Mais quand je dis des «cas particuliers», c'est qu'effectivement, depuis le début, ça a été demandé de façon ad hoc et accessoire dans quelques dizaines de situations.

M. Williams: Merci. Selon vous, à la page 11, vous avez besoin de l'article 5, ou le ministre du Revenu a besoin de l'article 5 si la RAMQ doit passer toute cette liste d'informations. Vous ne pouvez pas échanger la liste de un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept ou huit types d'informations. Vous ne pouvez pas transférer cette information maintenant, et l'article 5 vous donne le pouvoir de faire ça?

M. Morency (Denis): C'est ça. Ce qui existe actuellement dans la loi – c'est ce que vous avez en haut de la page 11 – la Régie pourrait transmettre au ministère du Revenu les nom, prénom, date de naissance, sexe, adresse, numéro d'assurance sociale, etc., et, cependant, la Régie ne serait pas habilitée à donner d'autres types d'informations que celles-là. Donc, si le ministère du Revenu décide d'avoir ces autres informations, elles doivent être soit via un pouvoir général, tel qu'il veut se le donner dans le projet de loi n° 32, ou par des dispositions spécifiques qui viendraient identifier chacun de ces éléments-là.

M. Williams: Est-ce qu'on doit ajouter maintenant tous les coûts des médicaments, avec le projet de loi n° 33?

M. Morency (Denis): Ha, ha, ha! Non. Bien, effectivement, quand on parle des renseignements donnés... Si on parle de coût des services, si vous faites référence, à ce moment-là, plutôt à la discussion que nous venons...

M. Williams: Oui.

M. Morency (Denis): ...d'avoir à l'égard de la page 5, oui, il pourrait s'agir, à ce moment-là, de coût de médicaments, mais jamais de la nature des services.

M. Williams: Mais, quand même, les coûts...

M. Morency (Denis): Parce que ça serait considéré comme des renseignements de nature médicale, au sens propre.

M. Williams: Oui, oui, mais, quand même, les coûts, si vous dépensez 3 000 $, ou 5 000 $, ou 5 $, c'est de l'information assez importante quand même.

M. Morency (Denis): Oui. Donc, pour les mêmes raisons que je vous ai mentionnées tantôt, que la Régie peut être appelée à donner au ministère du Revenu certains de ces renseignements-là, avec le nouveau programme de médicaments, effectivement, c'est des coûts des services qui viendraient s'ajouter aux coûts qu'on peut donner actuellement.

M. Williams: Oui. Parce que le ministre délégué a mentionné, a dit qu'il voit que les instances gouvernementales sont plus à l'aise avec l'échange d'informations que les groupes communautaires. Ce n'est pas surprenant, dans mon opinion, que les instances gouvernementales, particulièrement avec tout ça, soient à l'aise avec l'information. Je ne dormirai pas mieux parce que toutes les instances gouvernementales sont à l'aise avec l'échange d'informations. Je pense qu'on doit questionner, s'assurer qu'on n'échange pas trop d'informations.

Et il me semble que nous avons une fausse sécurité dans ça, parce que, page 10 – et je le sais, ce n'est pas dans le projet de loi n° 32 – c'est votre pouvoir déjà en place avec le pouvoir d'échange d'informations: on peut transférer toutes les sommes payées par la Régie, les dates des services utilisés, et qui a donné ces services.

Avec un peu d'information, si vous pouvez avoir ce fichier, vous pouvez avoir l'information techniquement médicale. Parce que, si vous connaissez le médecin ou l'endroit où vous avez reçu votre service, le montant du service, les dates, je pense qu'on peut, sans entrer profondément dans le dossier, savoir les maladies ou si la personne est malade. Et j'ai peur de ça. On doit prendre toutes les exigences nécessaires pour s'assurer qu'on ne commette pas d'erreur avec des informations aussi confidentielles que ça.

Je sais que vous avez ce pouvoir maintenant, le projet de loi n° 32 ne change pas, mais c'est un exemple qu'avec toute l'ampleur de l'information que le projet de loi n° 32 donne au ministère du Revenu je pense que peut-être on doit repenser toute la protection de cette information avant de faire une erreur.

Finalement, est-ce que vous avez un commentaire sur le deuxième alinéa de l'article 7 du projet de loi, sur les dérogations de la loi d'accès, sur le recensement personnel?

M. Morency (Denis): Je n'ai pas de commentaires comme tels, sauf que la Régie prend note de la volonté du gouvernement d'aller dans ce sens-là. Toutes les fois qu'il est question d'échange de renseignements... La Régie a une culture de 25 ans de protection des renseignements. La Régie est née avant l'application de la loi sur l'accès, elle a toujours su garantir la protection des renseignements. C'est certain que, s'il est jugé à propos par le législateur d'aller à l'encontre de la loi, de donner les pouvoirs au ministre du Revenu d'aller malgré la loi sur l'accès, il s'agit d'une mesure dont la Régie va prendre acte et sur laquelle, vous comprendrez, il m'est difficile d'exposer une opinion aujourd'hui.

M. Williams: Merci beaucoup, monsieur.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Pour l'instant, vous pouvez transmettre des renseignements au ministère du Revenu lorsqu'ils sont nécessaires à l'application de lois fiscales. Est-ce qu'il serait concevable qu'il puisse y avoir, par exemple, des comparaisons de fichiers – je m'adresserai par après au ministre implicitement pour voir sa réaction – ou qu'on fasse des comparaisons de fichiers et qu'on se rende compte que, dans les déclarations d'impôts, les gens n'ont pas fait les déductions auxquelles ils auraient droit? Et est-ce que, à ce moment-là, le ministère serait en mesure de devoir rembourser ou pas les gens qui y auraient droit? Alors, est-ce que c'est possible et est-ce que c'est prévu à l'intérieur du projet de loi? Possible, vous allez me répondre oui, parce que je sais que c'est possible.

M. Morency (Denis): Moi, je ne suis pas en mesure de répondre.

M. Gautrin: Mais c'est possible, actuellement, de faire des comparaisons de fichiers...

M. Morency (Denis): Oui.

M. Gautrin: ...et de savoir très rapidement combien l'individu a dépensé pour frais médicaux, combien sa famille a dépensé pour frais médicaux, et faire une comparaison avec sa déclaration d'impôts de ce qu'il a pu avoir comme déductions. Si, par hasard, il a omis une telle déduction, est-ce qu'il pourrait y avoir, avec la loi, correction au bénéfice du contribuable?

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le ministre.

M. Bertrand (Portneuf): M. le Président, si vous permettez, non seulement c'est possible, mais c'est hautement désirable. Notre objectif, ce n'est pas de cacher des revenus qu'on pourrait retourner éventuellement au contribuable; au contraire, c'est d'avoir le traitement le plus équitable possible à l'égard de chacun des contribuables. Alors, s'il arrivait qu'on identifie un montant comme ça, certainement qu'on le créditerait au profit, je dirai, du contribuable. C'est ce qui se fait déjà, d'ailleurs; quand on découvre effectivement qu'un contribuable, pour une raison ou pour une autre, a omis de se prévaloir d'une déduction, on fait la correction.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: L'autre chose qui peut m'inquiéter – je vous le dis seulement au niveau de l'inquiétude – il est clair qu'à ce moment-là – je ne touche pas maintenant le Fichier des bénéficiaires mais je touche au Fichier des dispensateurs de services – l'ensemble des dispensateurs de services, puisqu'ils sont rétribués par une voie gouvernementale... Et comprenons-nous bien, c'est un paiement à l'acte rétribué par voie gouvernementale. À ce moment-là, ils feront partie des gens, si jamais ils ont une créance fiscale, qui seront traités différemment des autres citoyens, parce que le ministère du Revenu, avant jugement, pourra directement imposer une retenue sur les créances fiscales. Est-ce que c'est bien ce que je comprends dans le projet de loi?

Autrement dit... Si vous me permettez, je vais y aller avec un exemple. Supposons que vous avez un médecin et que vous considérez – je dis bien que «vous considérez», sans nécessairement que ce soit un juge qui l'ait décidé – que le médecin vous doit tant à l'impôt. À ce moment-là, vous pourrez bloquer tous les paiements à ce médecin et la Régie ne pourra plus payer, à ce moment-là, régulièrement, comme elle le fait, sur les actes pratiqués par le médecin, parce que vous considérez qu'il a une dette à l'impôt, avant même qu'il puisse y avoir jugement. Est-ce que c'est ça l'esprit du projet de loi ou pas?

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le ministre.

(22 h 20)

M. Bertrand (Portneuf): À l'exception du caractère un peu automatique dont vous parlez, parce que...

M. Gautrin: J'ai cru comprendre qu'il était automatique; par couplage de fichiers, ça devient très automatique.

M. Bertrand (Portneuf): Non, non. À partir du moment où on identifie effectivement un cas qui pourrait justifier une cotisation, une nouvelle cotisation, il y a d'abord avis à la personne concernée que, sur la base des informations obtenues, nous nous apprêtons à. À ce moment-là, la personne a l'occasion de faire valoir ses prétentions à l'encontre d'une cotisation qu'on s'apprêterait à émettre. Alors, dans ce sens-là, ce n'est pas automatique.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Verdun, ça complète?

M. Gautrin: M. le Président, bon, je pense que l'information, je l'ai obtenue; seulement, je suis quand même perplexe sur ce genre de traitement. Est-ce que ça va s'étendre, par exemple – je m'excuse, je quitte le cadre de la Régie – à l'ensemble des fonctionnaires et à l'ensemble des personnes rétribuées par l'État? Ça serait la même chose à ce moment-là? Je sais que je dépasse le cadre de la Régie.

(Consultation)

M. Bertrand (Portneuf): Enfin, on pourra peut-être voir au niveau de l'étude article par article, aller plus en détail là-dedans.

M. Gautrin: O.K. Vous voyez le monstre que vous pouvez créer.

M. Bertrand (Portneuf): L'économie d'ensemble, il faut quand même que ça soit des créances qui, normalement, ne seraient pas récupérables; normalement ou par les voies normales.

M. Gautrin: Je comprends l'objectif que vous partagez. Je pense que, des deux côtés de la table, on partage l'objectif que le gouvernement perçoive toutes les sommes qui lui sont dues. Mais l'inquiétude qu'on peut avoir, c'est le monstre que vous pouvez créer et la manière de traiter, par exemple, très différemment les fonctionnaires ou les personnes qui sont rétribuées directement par l'État ou par le biais d'un organisme étatique – je pense plus spécifiquement à la RAMQ – par rapport à d'autres contribuables. Mais je pense, M. le Président, qu'on aura l'occasion de redébattre ça à un autre moment.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): C'est bien. M. le ministre, vos remarques finales, peut-être?

M. Bertrand (Portneuf): Bien, j'aimerais simplement, M. le Président, remercier les représentants de la Régie de l'assurance-maladie du Québec pour leur présentation, également pour les quelques indications qu'ils nous ont données quant aux aspects à l'intérieur du projet de loi qui demanderaient une attention particulière. Au niveau, par exemple, des exigences que le ministère du Revenu pourrait signifier en termes de transfert d'informations, on en prend bonne note. Je vous remercie.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Nelligan.

M. Williams: Merci beaucoup pour toute votre présentation. Je pense que vous avez donné beaucoup d'information à la commission et, encore une fois, s'il y a des amendements sur ce projet de loi, j'espère que vous allez avoir la chance de nous donner quelques commentaires sur ça aussi. Merci beaucoup.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci également à Mme Lefèvre, M. Morency et M. Gignac de leur présence à cette commission.

J'inviterais maintenant les représentants de la Régie des rentes du Québec à se préparer à se présenter à la table, et je suspends quelques minutes.

(Suspension de la séance à 22 h 23)

(Reprise à 22 h 26)

La Présidente (Mme Barbeau): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Gautrin: Excusez-moi, j'étais hors d'ordre, Mme la Présidente. J'étais en train de préparer le débat article par article.

La Présidente (Mme Barbeau): Non, vous étiez correct, mais, maintenant, on reprend les travaux. Alors, j'inviterais les gens de la Régie des rentes à se présenter. Ils disposent d'un temps de 20 minutes environ pour leur présentation.


Régie des rentes du Québec (RRQ)

M. Legault (Claude): Merci, Mme la Présidente. Mon nom est Claude Legault, président de la Régie des rentes du Québec. À ma droite, je vous présente M. Jean-Aimé Roy, avocat et directeur du service juridique de la Régie; à ma gauche, M. Denis Garon, qui est directeur du service de soutien aux opérations.

Alors, Mme la Présidente, il me fait plaisir de présenter le point de vue de la Régie des rentes du Québec. Selon notre compréhension, ce projet de loi n'a qu'un seul grand objectif, soit celui de faciliter l'échange de renseignements entre les organismes gouvernementaux...

La Présidente (Mme Barbeau): Un instant, s'il vous plaît.

M. Gautrin: Mme la Présidente, simplement pour faciliter, est-ce que vous avez un mémoire que vous avez déposé ou pas, que je n'ai pas reçu ou bien... C'est toujours un plaisir de vous entendre.

M. Legault (Claude): Non, Mme la Présidente. Après un court message...

M. Gautrin: Excusez-moi, c'est parce que je croyais avoir égaré le mémoire.

M. Legault (Claude): Non, c'est un court message qu'on vient vous livrer...

M. Gautrin: Très bien. Non, non, merci. Excusez-moi.

M. Legault (Claude): ...un peu à la dernière minute.

M. Gautrin: Parfait, parfait, parfait, parfait.

M. Legault (Claude): D'accord.

La Présidente (Mme Barbeau): Ça va, ça va, vous pouvez continuer, monsieur.

M. Legault (Claude): Donc, je disais que, selon notre compréhension, ce projet de loi n'a qu'un seul grand objectif, soit celui de faciliter l'échange de renseignements entre les organismes gouvernementaux. Il doit être lu en parallèle avec le projet de loi n° 36, modifiant la Loi sur l'administration financière, qui traite de la compensation gouvernementale.

En ce qui concerne la communication de renseignements relatifs au programme de compensation gouvernementale, on doit préciser que ce programme ne s'applique pas à la Régie, puisque la Régie est un organisme non budgétaire et que les prestations du Régime de rentes du Québec et les allocations d'aide aux familles qu'elle verse sont exclues du programme de compensation gouvernementale, parce que ces sommes sont déclarées insaisissables par la loi. Cette exception existe suivant la Loi sur le ministère du Revenu actuelle et le projet de loi n° 32 n'ajoute rien à cet égard quant à la Régie. Il reste donc la communication des renseignements du ministère du Revenu à la Régie ainsi que l'obtention, par ce dernier, de renseignements nécessaires à l'application d'une loi fiscale.

J'aimerais d'abord vous parler des effets du projet de loi sur les renseignements que le ministère du Revenu communique à la Régie. Depuis sa constitution, en 1965, la Régie reçoit des renseignements du ministère du Revenu pour la tenue du registre des cotisants. Comme vous le savez sans doute, ce ministère agit, suivant les dispositions fiscales contenues dans la Loi sur le régime de rentes du Québec, comme percepteur des cotisations salariales et patronales exigibles en vertu de cette loi. La Régie verse d'ailleurs plus de 28 000 000 $ annuellement en frais de perception.

La Régie a donc grandement besoin des renseignements que lui communique le ministère du Revenu pour l'administration du Régime de rentes du Québec. La communication de ces renseignements fait l'objet d'une entente d'échange de renseignements entre le ministère du Revenu et la Régie. Les renseignements visés par cette entente sont les renseignements provenant des relevés 1, les renseignements provenant des déclarations de revenus des particuliers, TP-1, et les renseignements provenant du fichier des employeurs du ministère du Revenu.

(22 h 30)

Ces renseignements servent à la tenue du registre des cotisants à partir duquel l'admissibilité aux prestations est vérifiée et le calcul des prestations est effectué. À titre d'illustration, le ministère du Revenu communique à la Régie environ 5 700 000 fois par année des renseignements provenant des relevés 1 et environ 4 600 000 fois par année des renseignements provenant des déclarations de revenus des particuliers TP-1. Sans ces renseignements, vous aurez deviné que la Régie ne pourrait pas administrer le Régime de rentes du Québec.

Pour une raison historique, les renseignements que le ministère du Revenu communique à la Régie n'étaient pas prévus parmi ceux que le ministère du Revenu est autorisé à communiquer suivant la Loi sur le ministère du Revenu. Le projet de loi a pour effet de corriger cette situation. Par conséquent, en ce qui concerne les renseignements que le ministère communique à la Régie pour la tenue du Registre des cotisants, la situation demeure inchangée, le ministère va continuer à communiquer les mêmes renseignements à la Régie, pas plus, pas moins.

En ce qui concerne l'obtention par le ministère du Revenu, auprès de la Régie, de renseignements nécessaires à l'application d'une loi fiscale, il appert que la Loi sur le ministère du Revenu donne déjà ce pouvoir au ministère. Par rapport à la situation actuelle, le projet de loi ajoute une protection supplémentaire en prévoyant que les demandes de renseignements ne s'appliquent pas aux renseignements nominatifs de nature médicale. Dans le cas de la Régie, on peut penser aux renseignements relatifs aux rentes d'invalidité et aux allocations pour enfants handicapés. On ne saurait certes pas être contre l'ajout d'une telle mesure. Somme toute, Mme la Présidente, les incidences du projet de loi n° 32 sont, à toutes fins utiles, neutres par rapport aux activités de la Régie des rentes du Québec.

J'aimerais, pour terminer mon intervention, profiter de l'occasion pour signaler au ministre du Revenu que la Régie a fait récemment une demande de modification à la Loi sur le ministère du Revenu relativement à l'échange de renseignements en regard du partage entre ex-conjoints des gains au Régime de rentes du Québec. Ainsi, pour faciliter le partage des gains entre ex-conjoints, la Régie a besoin des numéros d'assurance sociale que le ministère du Revenu recueille dans le cadre de l'administration de la Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires. Parce que ces renseignements font partie d'un fichier indépendant de celui du ministère du Revenu, il semble que ce dernier ne puisse pas communiquer ces renseignements à la Régie. Or, la communication de ces renseignements ne peut que bénéficier aux ex-conjoints qui se voient attribuer des gains à la suite d'un divorce ou d'une séparation, d'autant plus que l'exécution du partage se fait toujours par le tribunal à la suite d'un jugement.

Par conséquent, il conviendrait d'amender le projet de loi pour que le ministère du Revenu soit clairement autorisé à transmettre à la Régie les numéros d'assurance sociale qu'il recueille dans le cadre de l'administration de la Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires. La Régie y gagnerait en efficacité, et une telle mesure contribuerait à réduire nos dépenses d'administration. Je vous remercie, c'était notre message.

La Présidente (Mme Barbeau): Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu que c'est bref! Ha, ha, ha!

M. Legault (Claude): Et voilà!

La Présidente (Mme Barbeau): Mais j'imagine qu'il y a plein de questions qui vont vous être posées. Alors, M. le ministre.

M. Bertrand (Portneuf): Merci, Mme la Présidente. Premièrement, juste peut-être une question de détail: Il y a longtemps que la demande a été faite au ministère du Revenu?

M. Legault (Claude): Oh! quelques mois.

M. Bertrand (Portneuf): Quelques mois? Bon. Enfin, je ne sais pas, sous réserve d'inventaire, il ne m'apparaît pas y avoir là-dedans de difficultés insurmontables. On va voir à effectivement analyser rapidement votre demande et éventuellement à y donner suite, le cas échéant.

M. Williams: Est-ce que vous pouvez officiellement déposer cette demande demain en commission?

M. Legault (Claude): Ah...

M. Bertrand (Portneuf): C'est possible, oui?

M. Legault (Claude): Effectivement.

M. Williams: Juste pour savoir exactement le contexte.

M. Legault (Claude): Oui, oui, on vous déposera cette demande...

M. Williams: Je m'excuse, M. le ministre.

M. Legault (Claude): ...qui existe déjà, qui fait l'objet, d'ailleurs, de discussions et pour laquelle il n'y a pas de difficultés d'entrevues, mais on croit que l'opportunité qui se présente devrait être saisie.

M. Bertrand (Portneuf): Dans la mesure, notamment, où ça pourrait faciliter les choses en ce qui regarde l'application de la loi sur les pensions alimentaires, je pense qu'on serait très certainement intéressé à donner suite à votre demande dans les plus brefs délais.

Par ailleurs, je note, Mme la Présidente, que les effets semblent dans l'ensemble être relativement neutres en ce qui concerne la Régie des rentes du Québec, en ce qui regarde le projet de loi n° 32. On y ajoute une protection supplémentaire en ce qui regarde les informations de nature médicale, À partir de ce moment-là, moi, je n'aurais pas de demande additionnelle d'information à adresser au président.

La Présidente (Mme Barbeau): Je voudrais juste vérifier quelque chose. Le document que vous vouliez faire déposer, est-ce que c'est ce que vous avez lu ou c'est autre chose?

M. Williams: Non, j'ai demandé le document que la Régie des rentes a déjà envoyé au ministre du Revenu sur la demande d'échange d'information qui a été mentionnée dans le mémoire.

M. Legault (Claude): On vous déposera demain...

M. Williams: Oui.

M. Legault (Claude): ....le sujet exact de façon plus précise et plus concise.

La Présidente (Mme Barbeau): O.K. C'était juste pour être certaine.

M. Legault (Claude): Tout à fait.

La Présidente (Mme Barbeau): Alors, M. le député de Nelligan, est-ce que vous avez des questions?

M. Williams: Merci beaucoup, Mme la Présidente. Merci beaucoup pour votre présentation ce soir. J'ai compris que vous avez dit que le projet de loi n° 32 a un effet neutre sur vous, plus ou moins: vous allez transférer la même information, pas plus, pas moins. Si j'ai bien compris, avant, vous aviez transféré de l'information, mais sous la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, et maintenant vous allez transférer cette information malgré les articles de cette loi. Est-ce que j'ai bien compris la nuance?

M. Legault (Claude): C'est exact, Mme la Présidente. C'est donc la loi, maintenant, qui permettra, plutôt que... Antérieurement, il y avait une certaine ambiguïté: c'est que c'est la Régie qui, dans sa loi, dans la loi du Régime de rentes, avait le droit de demander l'information au ministère du Revenu. Alors, il fallait passer par le biais de la loi d'accès à l'information et préparer des ententes. Maintenant que la loi permet au ministère du Revenu de nous faire ces demandes-là, bien, je crois qu'il y aurait lieu, quand même, d'avoir des ententes afin de préciser exactement la nature et le fonctionnement des échanges. Mais, pour nous, on croit que c'est du pareil au même, et ça ne changera rien dans nos données.

D'ailleurs, les informations qu'ils viennent chercher chez nous sont des informations qu'ils nous ont déjà fournies. C'est le ministère du Revenu qui nous fournit les informations qui nous permettent d'accumuler les renseignements pour calculer les rentes, et, lorsque l'on verse ces rentes-là et lorsqu'on émet les relevés 2 aux contribuables, bien, il y a une copie de ça qui retourne déjà au ministère. C'est plus de la vérification que de l'échange d'information. C'est des informations qu'ils ont déjà eues en main et qui leur sont retournées.

M. Williams: Oui. Sans insister sur le fait que ça va être un changement le lendemain du passage du projet de loi n° 32, j'ai bien compris que, au moment où l'on se parle, cet échange d'information est sous la surveillance ou sous la compétence de la Commission d'accès à l'information et des ententes avec cette Commission. Une fois que le projet de loi sera passé, les citoyens et citoyennes perdront cette protection que nous avons maintenant. Est-ce que j'ai une bonne interprétation de ce projet de loi?

M. Legault (Claude): Je crois que c'est la bonne interprétation, quoique je ne me sente pas à l'aise de venir interpréter la loi que vous êtes en train d'étudier. Mais c'est la perception que j'en ai également, oui.

M. Williams: Sans être péjoratif avec le mot «perdront»...

M. Legault (Claude): Ha, ha, ha! Non, non.

M. Williams: ...nous avons la protection et nous avons maintenant comme... Il n'y a aucune garantie concrète, mais nous pensons, avec la Commission d'accès à l'information et ses lois, que nous avons une bonne protection, bien encadrée et qui respecte les normes que la société québécoise a établies. Maintenant, nous sommes en train de dire: Pour l'information entre la Régie des rentes et le ministère du Revenu, ils ne sont pas protégés par les mêmes règles. Il me semble qu'on doit certainement questionner pourquoi le ministre du Revenu veut avoir cet échange d'information sans avoir la protection de la Commission d'accès à l'information. Je pense que vous n'avez pas de réponse à cette question, moi non plus. Mais je pense qu'on doit au moins interroger plutôt le ministre du Revenu pour savoir pourquoi il n'aime pas ou il ne trouve pas cette protection assez bonne pour la garder dans l'échange d'information entre la Régie des rentes et son ministère.

M. Legault (Claude): Je vous laisserai le soin de poser les questions et, au ministre, d'y répondre. Je n'ai aucun commentaire.

M. Williams: Ha, ha, ha!

M. Bertrand (Portneuf): Très sage, M. le président. Ha, ha, ha!

M. Williams: Merci beaucoup. Mais j'ai juste voulu m'assurer que j'ai bien compris ce que nous sommes en train de faire avec le projet de loi n° 32. Et merci beaucoup pour votre présentation ce soir.

La Présidente (Mme Barbeau): Alors, M. le député de Verdun.

(22 h 40)

M. Gautrin: Merci, Mme la Présidente. Je vais profiter de la présence, actuellement, du président de la Régie des rentes pour me faire une idée de ce qui circule comme information chez lui, de ce qui sort, de ce qui rentre, indépendamment de la loi n° 32. Je comprends que, la loi n° 32, on a dit que ça ne changera pas grand-chose, mais j'aimerais savoir ce qui se passe avec vos fichiers. J'en profiterais, puisque vous êtes ici.

Premièrement, votre fonction est triple, si je comprends. Il y en a plusieurs, mais, enfin, plus d'une. Vous donnez, bien sûr, les rentes de retraite, vous donnez aussi des rentes d'invalidité et des rentes de conjoint survivant en particulier. Première chose, dans ce qui touche l'invalidité, quel genre de communications... Et y a-t-il un genre de communications, même de nature médicale, c'est-à-dire sur la nature de l'invalidité, entre la Régie des rentes et la CSST, par exemple, pour la Commission des affaires sociales?

M. Legault (Claude): Je demanderai à M. Garon peut-être de vous répondre; il est plus au courant exactement du contenu des ententes.

M. Garon (Denis): Oui. Alors, évidemment, pour l'administration de la Loi sur le régime de rentes du Québec, on a de l'harmonisation avec certains autres programmes, notamment avec la CSST. Vous savez qu'on est, à la Régie des rentes, les deuxièmes payeurs.

M. Gautrin: Oui, je sais.

M. Garon (Denis): C'est donc dire que la CSST doit commencer à payer, et, nous, on paie, évidemment, la différence. Et la loi prévoit qu'on ne peut pas verser une double indemnité, à la fois pour les accidents du travail et à la fois pour le Régime de rentes. Donc, qu'est-ce qu'on fait avec eux? C'est un recoupement qui nous permet d'identifier ces personnes-là pour savoir si effectivement elles reçoivent une pleine indemnité de remplacement du revenu.

M. Gautrin: Vous le faites par comparaison de fichiers, d'une manière informatique?

M. Garon (Denis): C'est une comparaison de fichiers qui se fait, oui, de façon mensuelle. Ils nous envoient leurs fichiers, et on compare à savoir si effectivement la personne reçoit ou non ce qu'on appelle dans notre jargon, nous, une IRR, une indemnité de remplacement du revenu.

M. Gautrin: Donc, il y a déjà, à ce moment-là, une entente que vous avez faite avec la CSST...

M. Garon (Denis): Oui.

M. Gautrin: ...et éventuellement la Commission des affaires sociales, mais qui joue comme tribunal. Donc, après sa décision, c'est la CSST qui doit l'appliquer. À ce moment-là, ça revient au même.

M. Garon (Denis): Oui.

M. Gautrin: Dans le cas de la rente de conjoint survivant, est-ce qu'il y a des communications entre la Régie des rentes et, disons, le fichier de l'état civil pour savoir si la personne est décédée ou pas, ou dans un cas comme ça?

M. Legault (Claude): Vas-y.

M. Garon (Denis): Oui, bien, vous savez qu'évidemment ça prend des éléments de preuve pour identifier une personne et savoir, à titre d'exemple, qu'elle était un conjoint survivant. Jusqu'à récemment, on demandait aux gens de nous fournir ces éléments de preuve là, sauf que, pour faciliter le travail, si on veut, pour faciliter la demande de rente à la Régie et pour rendre les choses encore plus économiques, nous sommes en train de négocier avec la Direction de l'état civil une entente qui nous permettrait de valider l'information a posteriori auprès de l'état civil, ce genre d'information là.

M. Gautrin: Autrement dit, vous ne demanderiez pas nécessairement un papier, mais il suffirait simplement que la personne déclare: J'ai perdu mon conjoint, et vous valideriez d'un manière informatique avec l'état civil si la déclaration est exacte.

M. Garon (Denis): C'est ça, pour les décès, savoir effectivement s'il y a eu le décès et toutes les informations qui nous permettent de nous assurer qu'on paie le bon montant de la rente à la bonne personne, évidemment.

M. Gautrin: Je vous remercie. J'ai une troisième question, toujours dans les échanges officieux avec la Régie des rentes. Il est sûr qu'une partie des cotisations, ce sont les cotisations des particuliers, mais il y a, si j'ai bien compris, communication d'information du ministère du Revenu à la Régie des rentes. Vous savez aussi que je crois qu'il y a des contributions qui sont les contributions de l'employeur. À cet effet-là – et je ne sais pas si c'est couvert, puisque j'ai cru comprendre que la loi touchait les individus et non pas les corporations – est-ce qu'il y a communication de fichiers entre le ministère du Revenu et la Régie des rentes en ce qui a trait aux employeurs pour établir, évidemment, la validité des contributions des employeurs et éventuellement faire une comparaison entre le fichier employeurs et le fichier employés devant vous assurer que chacun paie bien son dû et sa quote-part?

M. Garon (Denis): On a effectivement un échange qui nous permet de recevoir le fichier des employeurs du ministère du Revenu. Mais le seul objectif de recevoir cette information-là, c'est pour nous permettre d'attribuer le bon gain à la bonne personne, parce que souvent un employeur va transmettre un relevé 1 avec des numéros d'assurance sociale qui ne sont pas nécessairement exacts, qui sont invalides; même, des fois, ça peut arriver, dans certaines circonstances, que le numéro d'assurance sociale n'est tout simplement pas présent. Alors, ce qu'on fait, nous, lorsque ces situations-là arrivent, c'est qu'on doit communiquer avec les employeurs pour s'assurer qu'on parle bien de la bonne personne puis s'assurer qu'on donne le bon gain à la bonne personne. Donc, le fichier des employeurs qu'on reçoit du ministère du Revenu nous permet effectivement d'attribuer le bon gain à la bonne personne et de s'assurer qu'on ne le fait pas à, imaginons, des jumeaux, à titre d'exemple, ou à des NAS qui ne correspondraient pas. Alors, ça nous permet de valider ce genre d'information là.

M. Gautrin: Donc, il y a déjà, quand même, des communications de fichiers qui existent par entente entre le ministère du Revenu et la Régie des rentes, et vous en négociez actuellement avec l'état civil et la CSST.

M. Garon (Denis): Oui.

M. Gautrin: Vous en avez un avec la CSST, vous en négociez un, actuellement, avec l'état civil.

M. Garon (Denis): Oui.

M. Gautrin: Bon, moi, ça termine, Mme la Présidente, cette perception de l'échange des fichiers pour la Régie des rentes. J'aurais d'autres questions, mais je ne toucherai pas au projet de loi aujourd'hui.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gautrin: Votre livre vert, vous le déposez quand?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Legault (Claude): Vous me permettrez de laisser quelqu'un d'autre répondre à celle-là également.

M. Gautrin: Non, non, mais c'est une boutade.

Des voix: Ha, ha, ha!

La Présidente (Mme Barbeau): Alors, M. le ministre, est-ce que vous avez un mot de la...

M. Gautrin: Ça fait longtemps que je l'attends. Ha, ha, ha!

M. Bertrand (Portneuf): Oui. Tout simplement pour remercier M. le président Legault de même que Me Roy et M. Garon pour leur présence et leur présentation. Certainement que nous tiendrons compte également de leurs commentaires dans l'appréciation des suites du projet de loi.

La Présidente (Mme Barbeau): M. le député de Nelligan.

M. Williams: Oui. Moi aussi, je voudrais dire merci à M. Legault, à Me Roy et à M. Garon pour leur excellente présentation et leur clarté. Et, comme le député de Verdun veut agir tout de suite, j'espère qu'on pourra avoir d'autres échanges bientôt. Merci beaucoup et bonsoir.

La Présidente (Mme Barbeau): Je vous remercie, messieurs. Et, pour laisser le temps à M. Péladeau de s'installer, je vais suspendre quelques secondes.

(Suspension de la séance à 22 h 47)

(Reprise à 22 h 50)

La Présidente (Mme Barbeau): À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, nous allons maintenant entendre le groupe Progesta, M. Pierrôt Péladeau. Alors, est-ce que vous avez un document à nous remettre ou...

M. Péladeau (Pierrôt): Il y a un document qui a déjà été transmis.

La Présidente (Mme Barbeau): Transmis? O.K. Alors, vous disposez d'environ 20 minutes pour nous faire votre exposé.


M. Pierrôt Péladeau

M. Péladeau (Pierrôt): Parfait. Merci, Mme la Présidente. Bon, c'est un fait que je suis vice-président, recherche et développement, à la firme Progesta qui est une firme spécialisée en matière de gestion de l'information et en particulier de gestion de l'information personnelle. La firme pour laquelle je travaille, j'ai collaboré avec elle pour implanter des programmes de gestion des renseignements personnels dans quelque 450 organisations, des grandes, des petites des secteurs privé et public. Mais, dans la mesure où l'invitation qui m'a été faite par cette commission – que je n'avais pas sollicitée – a été faite à titre personnel, donc je viens à titre personnel et je ne représente pas nécessairement la firme Progesta comme telle. Et, si j'interviens ici, ça sera peut-être moins pour discuter de questions légales, ça va être plus à partir de mon expertise en matière de gestion des renseignements personnels et surtout d'évaluation de systèmes d'information, et je vais me concentrer, finalement, sur un seul point qui est la question du pourquoi, finalement, les couplages, les appariements de fichiers, la centralisation d'informations. Ça ne donne pas souvent les résultats qui sont prévus. Ça n'a pas nécessairement l'efficacité prévue.

Dans un deuxième temps, surtout, ce que je veux signaler, c'est comment éviter que ce type d'opération là qui peut être conduite pour des raisons légitimes puisse poser des problèmes sérieux, voire dramatiques pour les parties concernées. Donc, je vais parler plus d'efficience technique que de droit, au singulier, ou des droits des citoyens en général. Je vais plutôt parler d'efficience technique et de solutions rationnelles.

Donc, je vais tomber immédiatement dans le sujet. Pourquoi les couplages de fichiers n'ont pas l'efficacité prévue? Je vais amener trois exemples qui vont illustrer le genre de problèmes qu'on peut rencontrer. Je vais d'abord parler de l'exemple qui avait été amené par le sous-ministre Paré, à un moment donné, en commission – je ne sais pas si c'était celle-ci ou une autre, à un autre moment – le fameux filet des propriétaires de Mercedes, une idée qui était très simple et qui était en apparence efficace; c'est-à-dire, on comparerait les dossiers d'immatriculation de la Société de l'assurance automobile du Québec avec les revenus déclarés des propriétaires de véhicules, et, lorsqu'on tomberait sur un propriétaire, par exemple, de Mercedes qui déclare des revenus modestes, eh bien, bingo! on viendrait de prendre quelqu'un qui est peut-être un éventuel fraudeur et on mettrait un enquêteur là-dessus.

Je n'ai pas eu le temps, ayant été invité vendredi, de faire une étude très exhaustive sur ce genre de projet là. J'ai pris un échantillon non représentatif, les gens que je connais dans mon quartier, et, en regardant autour de moi, qu'est-ce que je vois? Je vois une réceptionniste, dans une institution d'éducation, que je connais et qui a une Mercedes, qui a effectivement une Mercedes, mais c'est le seul luxe de sa vie. Elle a décidé d'investir dans une Mercedes. Elle a un petit salaire, mais elle a une Mercedes. Qui d'autre je vois? Je vois un propriétaire d'un tout petit club vidéo, dans mon quartier, que je fréquente et qui, lui, vient de s'offrir une Jaguar, mais qui ne la fait pas trop rouler, parce qu'elle a besoin de réparations, et il va investir progressivement dans l'opération de renipper sa Jaguar.

Il y a aussi un jeune musicien, un émule de Léo Ferré et de Lavilliers, que je connais, qui crève la faim – on pourrait dire qu'il crève la faim – mais qui a quand même une belle BMW rouge. Il est mécanicien de formation, et c'est toujours sa passion de jouer dans les mécaniques et de flatter les belles tôles. Il y a aussi cet ami que je connais, ex-cadre supérieur d'une grande entreprise, qui a été mis à pied suite à la restructuration de cette dernière, et je suis certain que vous connaissez probablement vous-même de ces cadres qui vivent présentement de leur bas de laine et qui ont gardé leur belle maison, leur belle voiture en attendant des jours meilleurs. Entre autres, il y a deux comptables qui m'ont appelé après l'annonce du projet de loi n° 32 justement pour me parler de la situation de ces clients-là.

Voici donc le genre de gens que le filet du sous-ministre Paré va prendre, ou ceux qu'il ne prendra pas, que je connais, mais... En tout cas. Il y a un commerçant dans le domaine de la restauration dont l'enfant du niveau primaire montrait fièrement, à la récréation, un des cinq billets de 1 000 $ qu'il avait pris dans la poche de son papa et dont la rumeur voulait, trois points de suspension... Ça, ça s'est passé il y a trois semaines. Mais papa, lui, se promène dans une petite voiture américaine, tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Ou encore ce propriétaire de petite entreprise manufacturière qui, lui, se vante au restaurant du coin comment il gère plus du quart de son chiffre d'affaires et même une bonne partie de son train de vie au noir. Lui, monsieur, est propriétaire d'une petite familiale japonaise, pas d'une grosse voiture de luxe.

Voici donc qui serait probablement enquêté, interrogé, voire cotisé par le fisc. Et qui ne le serait pas à la suite du coup de filet des propriétaires de Mercedes? Ça, c'est un exemple. On pourrait peut-être dire que le problème ici, c'est que, en couplant des informations sur des voitures avec des déclarations de revenus, on tente de comparer des informations sur des pommes et des informations sur des poires. Peut-être – je vais l'admettre – que, en comparant des pommes avec des pommes, ça marcherait mieux. Peut-être, mais ce n'est pas certain.

Autre exemple. Là, c'est celui du filet des comptes bancaires des bénéficiaires de l'aide sociale de l'État de New York. C'est une expérience qui a été tentée, très, très simple: on a pris les numéros de sécurité sociale, qui sont l'équivalent de notre numéro d'assurance sociale, et on a demandé aux banques, aux institutions financières de fournir les soldes. Donc, on compare, en principe, de l'argent avec de l'argent. Il y a un solde qui a un montant x, puis la personne est sur l'aide sociale et a le droit à pas plus qu'un montant x en liquidités. Normalement, ça devrait aller, on a une information qui est une unité d'échange universel: l'argent. Il n'y a rien de plus direct. Pourtant ce projet-là a été un échec. On a constaté qu'il y avait plein d'erreurs dans les numéros de sécurité sociale, il y avait toutes sortes de types de comptes là-dedans, des comptes conjoints, et tout ça. Là, ça prenait des décisions folles, et il y avait plein de cas aberrants qui se produisaient, du type d'une vieille dame à qui on a coupé l'aide sociale parce qu'elle se retrouvait, sous son numéro de sécurité sociale, avec un compte de 75 000 $, mais de l'argent qui ne lui appartenait pas, elle était exécutrice testamentaire. Le compte avait été ouvert à son nom parce qu'elle était exécutrice testamentaire, et cet argent-là ne lui appartenait pas. Mais, à cause du couplage, on avait coupé, c'est allé en cour, et il a fallu en appeler puis lui redonner ces choses-là. Donc, l'évaluation dans ces cas-là et dans plusieurs cas similaires aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande aussi, c'est que ce n'est pas toujours rentable et que ça peut être source d'énormes problèmes.

Donc, on dit: On compare des informations venant d'un endroit avec de l'information de l'autre. Bon. On va rester dans les pommes. Si on comparait des pommes avec des pommes uniquement à l'interne dans une organisation, est-ce que ça marcherait mieux? Bien, ça devrait marcher. Mais, encore là, ça ne marche pas à tous les coups. Et là je vais donner le cas du système de gestion des fonds non compensés d'une grande institution financière. Ça s'est passé en 1986, une institution financière connue qui a son siège social... On ne la nommera pas, mais elle a son siège social de l'autre côté de la rivière, ici – du fleuve, pour être plus précis. Et ça, c'est une jolie étude de cas. Quand je donne mes cours à des étudiants au certificat, au bac en informatique ou en électronique, au milieu du cours, je leur donne ce petit gâteau-là, une jolie étude de cas. Je prends un beau cinq heures pour travailler là-dessus. Là, je ne ferai pas ça, mais le projet était celui-là, était très simple. C'était un beau cas, parce qu'ils ont fait toutes les erreurs possibles. Ils les ont faites. C'est pour ça que c'était une belle étude de cas. L'objectif était simple: ce n'était pas pour prendre des gens, c'était pour donner un service. C'était pour faciliter l'accès aux sommes déposées au guichet automatique ou au service intersuccursales, ou intercaisses, comme on l'appelle, parce que, auparavant, c'était gelé de sept à 10 jours.

Le moyen: prendre des informations existantes sur les soldes, les comptes, la situation de crédit, prendre cette information-là, la traiter, et la traiter pour prendre une décision sur qui aurait accès immédiatement aux sommes déposées et jusqu'à quelle limite déterminée. Ça fait que, un beau jour de printemps – malheureusement, c'était en pleine période de retour de chèques d'impôts – on part le système sans avertir personne, avec le résultat suivant: au lieu que ça facilite l'accès pour des dizaines de milliers de personnes, ça a bloqué l'accès. Donc, les gens qui, pendant des années, à tous les 15 jours, changeaient leur chèque de paie au comptoir, tout d'un coup l'ordinateur leur bloquait le chèque. Ils changeaient le chèque, les sommes étaient gelées pour 10 jours. La même chose pour des retours d'impôts: une personne changeait un retour d'impôts, c'était changé, l'autre n'était pas changé. En tout cas, des problèmes là-dessus, des employeurs qui n'étaient plus capables de payer leurs employés, des entreprises qui n'étaient plus capables de payer leurs fournisseurs, des avocats, des notaires qui avaient leur compte en fidéicommis qui étaient gelés. En tout cas, ça a été une histoire assez étonnante. Il y a eu des plaintes, beaucoup de fermetures de comptes, des associations de consommateurs se sont mises là-dedans, les médias ont été alertés, les gérants de succursale débranchaient le système. En tout cas, bref, un joli mini-Tchernobyl.

(23 heures)

Ce qu'on a fait, le résultat, c'est qu'on a scrapé littéralement une application qu'on avait pris six ans à développer. Bref, voilà ce que des couplages, des fusions de fichiers, des communications de renseignements peuvent donner. Ce n'est pas obligatoire que ça donne ça, mais ça peut donner ça. Et, comme je vous disais tantôt, les rares études qui existent sur le phénomène des couplages, qui ont été faites principalement aux États-Unis et dans le Sud-Est asiatique, en Australasie, démontrent qu'effectivement les résultats sont souvent décevants du point de vue de l'organisation et que les résultats sont souvent catastrophiques pour les individus, qui sont soudainement aux prises avec des aberrations informatiques et bureaucratiques.

Là, on vient voir trois cas de figure. Pourquoi? Explication: le problème ici est lié en partie à la formation que les informaticiens ont eue. Les informaticiens ont appris d'abord leur métier en travaillant avec des objets ayant des propriétés définies, des objets interchangeables, soit des objets matériels – des chaises, des inventaires, etc. – ou des objets conventionnels – des comptes, des unités de dossiers – sauf qu'il manque tout un chapitre, et mon collègue Jean-Louis Paucelles, informaticien belge, dit qu'il manque tout un chapitre sur les règles particulières sur une autre forme d'information: ce sont les formes sur les êtres humains, parce que, contrairement aux objets réels ou conventionnels, les êtres humains déterminent eux-mêmes les paramètres de leur vie, les paramètres qui les définissent. Comme dans le cas de la réceptionniste dont je parlais tantôt, elle, elle a décidé, et c'est sa liberté, c'est son choix, de s'offrir avec les maigres moyens qu'elle a ce luxe-là d'avoir une Mercedes.

Moi, c'est l'inverse, totalement l'inverse: un beau jour, il y a trois ans, j'ai décidé de ne plus avoir de voiture. Je me suis débarrassé de ma voiture et je n'utilise que les taxis, les trains, les avions et je loue une fois de temps en temps, et ça, c'est un choix que j'ai fait aussi. J'ai exercé ma liberté à ce niveau-là. Il y a aussi le fait que la situation des êtres humains évolue dans le temps, comme dans le cas des cadres licenciés, mis à pied, plutôt, pour utiliser le terme français, dont on parlait tantôt. Donc, on est face, ici, non pas à des objets, mais à des citoyens, des êtres humains et des citoyens libres d'organiser leur vie comme ils l'entendent. Or, au Québec, il y a quelque 7 000 000 de ces citoyens-là et on ne peut certainement pas s'attendre à des situations uniformes et interchangeables. Et ça, c'est un premier facteur de risque quand on fait des couplages.

Deuxièmement, la question de détournement de finalité. Quand on fait un couplage, on prend de l'information qui a servi à une fin puis on l'utilise à une autre fin et, nécessairement, et ça, c'est une loi de système, nécessairement, quand on prend de l'information dans un contexte et qu'on la transfère dans un autre contexte, quand bien même cet item-là est le même – une adresse qu'on change ou un nom qu'on change d'endroit – le sens de cette information, la valeur de l'information est modifiée, et ça, même si l'information est rigoureusement exacte. Je vais vous donner deux exemples... bien, je vais donner, d'abord, un exemple quand l'information devient inexacte.

Un des cas, c'est... je travaille sur un projet de recherche en matière pharmacologique où on développe un système expert, c'est avec l'Université McGill, où on développe un système expert qu'on va mettre entre les mains des médecins pour étudier les interactions pharmaceutiques. On sait que ça coûte très cher à l'État, il y a plein de problèmes de santé qui sont liés à ça. Pour les fins de l'expérience, ça nous prend une source d'information; on a utilisé les informations venant de la RAMQ, la Régie de l'assurance-maladie du Québec. Cette information-là, pour les fins de la RAMQ, qui sont des fins essentiellement de facturation, elle est exacte, sauf que, quand on l'utilise, cette même information-là, qui a été donnée par les pharmaciens à la RAMQ, quand on la renvoie aux médecins, on se rend compte, et c'est pour ça qu'on fait ça vraiment sous contrôle très précis, on se rend compte que le taux d'erreur sur chacune des prescriptions atteint 21 %, dont 17 % uniquement sur le nom du médicament. Parce que, dans le fond, ce que la RAMQ veut, c'est que le montant soit exact. Mais il y a 17 %... Ça fait que, quand on fait une interaction médicamenteuse, trois médicaments, on est rendu à 63 %, cinq médicaments, on est rendu à 100 % et quelques.

Bon, pour les fins d'une expérience, on peut contrôler ça, mais, là, ce qu'on voit, ce que je veux juste vous dire, c'est que, si on a une information qui est exacte, qui est acceptable, qui est de qualité pour une fin donnée, comptable, on la prend puis on la ramène presque à la source, parce que cette information-là, c'est, finalement, des prescriptions qui avaient été données par le médecin, qui ont été envoyées au pharmacien, le pharmacien envoie ça à la RAMQ, on le renvoie au médecin, et là, tout d'un coup, cette information-là, elle n'a plus la même valeur. Puis, même si elle est exacte, quand on change l'information dans un secteur pour la mettre dans un autre, ça change de valeur.

Il y a plein de juges administratifs qui ont de très mauvais dossiers de crédit. Pourquoi? Parce que... ce n'est plus le cas maintenant, Équifax a corrigé ce problème-là, mais, auparavant, ce qui sortait des plumitifs, c'était inscrit automatiquement dans les dossiers de crédit. Ça fait que, là, il y avait plein de juges administratifs qui se retrouvaient avec plein de causes contre eux dans leur dossier de crédit. Il y avait, entre autres, le cas d'une juge administrative, en particulier, qui avait plein de causes où le ministère du Revenu allait en appel de ses décisions et, là, elle avait... d'ailleurs, ça paraissait très bien dans son dossier de crédit, tout d'un coup: Ministère du Revenu contre madame, ministère du Revenu contre madame, ministère du Revenu contre madame. Donc, son gérant de caisse lui avait dit: Fais attention à cette affaire-là, il faudrait que tu le signales avant que tu ailles chercher un prêt, ou cette sorte de chose là.

L'information était rigoureusement exacte, sauf qu'une fois qu'on avait pris l'information et qu'on l'avait mise dans un dossier de crédit, le sens en changeait, à un point tel que cette juge administrative là, puis il y en a eu d'autres, se faisait solliciter par des firmes de redresseurs financiers qui voulaient lui proposer de l'aider à faire faillite. Donc, comme on voit, le sens de l'information se met... et ça, c'est une loi de système. L'information qui a été constituée pour une finalité, elle a un sens, une valeur donnée. Quand on se met à l'utiliser dans un autre contexte, la valeur, le sens de cette information-là change, et ça, c'est automatique, on ne peut pas échapper à ça.

Troisième point, les systèmes d'information, les couplages, les transferts, ce sont des outils compliqués qui opèrent dans des systèmes sociaux complexes. Et là on se met à jouer avec la vie des gens. Il y a un exemple que je cite dans le document, annexe 2, c'est un cas de système de taxation immobilière en France à la fin du siècle dernier. Bon, il y a toujours le problème de l'évaluation des immeubles, c'est toujours subjectif, c'est toujours contesté, tout ça. Ça fait qu'il y a un technocrate qui est arrivé – je ne sais pas s'il était sous-ministre – qui est arrivé avec un projet très brillant, qui était de dire: On va prendre un critère objectif, on va établir la valeur des maisons en fonction du nombre de fenêtres et d'ouvertures similaires. À l'époque, les contraintes de construction... il n'y avait pas l'électricité, tout ça, c'était un test qui était relativement objectif. On a adopté la solution, on l'a mise en oeuvre, avec les résultats suivants. Et on va voir si vous êtes réveillés, je vais vous poser une question, pareil comme s'il y avait un examen. Ce qui est arrivé, les revenus de taxes immobilières se sont mis à chuter et les taux de tuberculose, à grimper, mais en flèche. Qu'est-ce qui s'était passé? Les gens s'étaient mis à murer leurs fenêtres et à construire sans fenêtres. C'est ça qui arrive. Donc, quand on joue avec les systèmes, on influe sur le système et on peut avoir des effets paradoxaux.

La même chose que, par exemple, une étude d'un de mes collègues... une étude récente qui vient d'être publiée par un de mes collègues du London School of Economics sur les cartes d'identité a démontré que, plus la carte d'identité devenait infalsifiable, plus ça institutionnalisait la fraude et la supposition de personnes. Parce que, plus elle était infalsifiable, plus elle avait une valeur et, donc, plus on ouvrait un marché aux fraudeurs, c'est-à-dire à des gens qui fabriquent. Et, donc, la valeur de ce qu'ils pouvaient mettre sur le marché, c'est-à-dire des fausses cartes, augmentait. Et, comme une fois qu'on avait cette carte soi-disant infalsifiable, bien, là, après, on pouvait avoir droit à tous les services puis supposer toutes sortes de suppositions... C'est d'un effet paradoxal. C'est la même chose que quand on... C'est ça, quand on fait la prohibition de l'alcool, ça fait évidemment monter la valeur du produit sur le marché.

Donc, ce qu'il faut comprendre ici, quand on fait des opérations, c'est que, en intervenant dans la vie des gens, ces gens-là vont interréagir avec ça et ça peut avoir des effets considérables, voire paradoxaux. Donc, un des risques, qui a été soulevé par d'autres que moi, mais qui n'est pas farfelu du tout, ce serait que le couplage à gogo, la centralisation à outrance, non seulement ça risquerait d'entraîner certaines inefficacités, dans certains cas, poser des problèmes dramatiques, mais il n'est pas dit que ça ne pourrait pas, de façon paradoxale, augmenter l'économie au noir. C'est-à-dire que les gens, se méfiant encore plus de l'État, vont s'organiser encore mieux pour échapper au fisc. Ça, c'est une possibilité et il faut la regarder pour ce qu'elle est, sur les questions de bris de confiance des citoyens envers l'État.

(23 h 10)

Donc, j'ai décrit des problèmes, j'ai décrit des causes de ces problèmes-là. Là, regardons les règles de saine gestion des renseignements personnels. C'est quoi, finalement, qu'est-ce qui garantirait d'éviter ce genre de problème là? Je vais vous donner un exemple. En novembre dernier, je participais à un colloque organisé par le gouvernement ontarien, puis mon panel traitait du contrôle des coûts – c'était la grande mode un peu partout au Canada et en Ontario particulièrement – contrôle des coûts et gestion des renseignements personnels. Et là j'ai annexé une quatrième annexe à un article d'un dénommé Frank White, qui participait à ce panel-là, du Management Board Secretariat, un fonctionnaire du gouvernement Harris, qui venait présenter aux autres fonctionnaires – il y avait 200 fonctionnaires dans la salle – et rappeler aux fonctionnaires les règles qui relevaient de la réingénierie des processus qui étaient applicables en la matière. On fait la «re-engineering» des processus pour les simplifier, les rendre plus économiques et plus efficaces, mais les règles qui s'appliquent en la matière, c'est quoi? On recueille moins de renseignements – pas plus, moins de renseignements – de meilleure qualité – deuxième règle – et on les fait circuler moins. Et, en faisant ça, on est plus efficace et, en général, on arrive à... d'autant plus qu'un large pourcentage de ce que rappelait Frank White, c'est un large pourcentage des processus actuels, était totalement inutile. Et, moi, de ma propre expérience, en implantant des programmes de gestion des renseignements personnels, j'ai fait réduire, des fois, des dossiers de clients jusqu'à 90 % du contenu, parce qu'il y avait 90 % du contenu qui était inutile, ou même dangereux.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. Péladeau.

M. Péladeau (Pierrôt): Oui.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Est-ce que...

M. Péladeau (Pierrôt): Je vais conclure.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Votre temps est déjà dépassé, là, hein.

M. Péladeau (Pierrôt): Ça va, je conclus. Donc, des règles de bonne gestion, c'est des règles... la protection des renseignements personnels, ce n'est que des moyens de bonne gestion. J'ai vraiment énoncé des risques. Ce qu'il faut faire, c'est faire l'évaluation des impacts de ces risques-là et, en conclusion, en fait, la solution la plus rationnelle, c'est de demander aux fonctionnaires qui peuvent éventuellement fantasmer sur tout ce qu'ils pourraient faire sur leur train électrique informationnel, c'est, avant de se lancer dans des couplages, de faire leurs devoirs, donc évaluer s'ils vont en chandelle, puis d'évaluer le risque et l'efficience, et ça... en tout cas, moi, je suis prêt à les aider là-dessus. Mais je pense qu'une méthode qui permet, qui forcerait les gens à faire leurs devoirs, c'est justement de conclure des ententes, mettre un analyste, voir si ça tient la route, conclure une entente, et, justement, la procédure de soumettre ça à la Commission, c'est une procédure qui impose, de faire ses devoirs et d'étudier les risques et d'étudier l'efficience. Et, à mon avis, c'est dans ce sens-là qu'il faut aller plutôt que d'ouvrir les robinets à tout vent. C'était ma présentation.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci, M. Péladeau. Maintenant, la parole est au ministre délégué au Revenu.

M. Bertrand (Portneuf): Merci, M. le Président. En fait, j'aurais seulement un commentaire qui se veut un peu une question. Vous nous sensibilisez à un certain nombre de difficultés ou de problèmes qui peuvent se produire dans des exercices de couplage de l'information ou de fichiers, et je ne disconviens pas qu'il y a une certaine probabilité qu'apparaissent certains problèmes dans des exercices semblables, il s'agit de larges fichiers. Mais est-ce que certains problèmes qu'on a pu observer historiquement justifient qu'on évacue en soi l'ensemble de l'approche ou l'ensemble d'une solution quand on parle de comparaison de fichiers? Il y a des systèmes très larges qui traitent de très vastes bassins d'information et qui fonctionnent. D'ailleurs, lorsqu'ils ne fonctionnent pas pour un cas sur 1 000 000, on a tout de suite une question en Chambre puis ce n'est pas long, tu sais. Mais tout le restant fonctionne. Le système de la Régie des rentes du Québec... La sécurité du revenu, imaginez-vous un premier du mois où les chèques ne sortiraient pas, il en serait question assez vite. Donc, ça marche quelque part. RAMQ, même chose. Prenons Loto-Québec, un bassin d'information à traiter qui est absolument gigantesque en temps réel. S'il fallait qu'on se trompe, effectivement, sur une mise de 6/49 qui serait gagnante, il y aurait quelqu'un qui se plaindrait à quelque part, là, tu sais. Donc, tout ne mène pas, il me semble en tout cas, au cul-de-sac dans lequel, il me semble, votre exposé nous amène presque. Quand on vous écoute, on dit: Ah, mon Dieu! «ç'a-t-y» du bon sens que ce soit si noir que ça?

Les choses évoluent aussi en termes de technologie. Il y a encore quelques années, il y avait des environnements sur le plan informatique qui étaient absolument incompatibles l'un par rapport à l'autre. On se souvient, qui existe encore d'ailleurs, de la filière McIntosh par rapport à IBM; il n'y avait pas moyen de faire communiquer les appareils. Aujourd'hui, c'est possible. Tout l'environnement de l'autoroute de l'information où, de plus en plus, il y a une certaine transparence qui se développe. Donc, il y a des barrières qu'on réussit à franchir sur le plan technologique pour résoudre certains problèmes qu'on pouvait avoir auparavant. Je ne sais pas quand vous avez pris l'avion la dernière fois, mais il y a des avions qui tombent, puis il y en a qui le prennent quand même. Il y a des gens qui meurent dans leur lit, puis ils se couchent quand même tous les soirs. Ha, ha, ha! J'exagère peut-être un peu.

Mais est-ce que les cas que vous soulevez sont en soi des cas suffisants pour, je veux dire, rejeter du revers de la main cette espèce d'obligation qu'on a de prendre un certain nombre de moyens, en balisant l'utilisation des informations quand même, pour nous permettre de mieux connaître ce qu'on ne connaît pas actuellement, quand on fait référence, par exemple, à l'économie souterraine, au travail au noir, à une bonne partie de l'évasion fiscale et peut-être même à des activités criminelles et illicites qui rapportent à des gens? La question est posée.

M. Péladeau (Pierrôt): La réponse, c'est simple, est non, c'est-à-dire que je n'ai pas dit, à aucun moment, qu'il ne fallait pas procéder à des couplages, qu'il ne fallait pas procéder à des appariements, qu'il ne fallait pas créer des fichiers. Les exemples dont vous parlez, de fichiers, bon, Loto-Québec, RAMQ et autres, on est dans des environnements fermés où le sens d'information est x et relativement contrôlé et, malgré ça, en tout cas, ça a été très bien documenté par le Protecteur du citoyen, il y a plein de systèmes qui ont planté dans les dernières années et, plus nos systèmes sont puissants et plus on est dépendant de ces systèmes-là, plus les dysfonctionnements posent des problèmes. En tout cas, je vous donnerai des exemples, si vous en voulez, là, hors commission, mais il y a plein d'exemples, ici même, au gouvernement du Québec, qui justifient même que plusieurs organismes, comme la Commission d'accès, le Protecteur du citoyen et d'autres organismes... Il y avait un colloque de l'Association de sécurité informatique où on disait: Ce qu'il faut, là, c'est de plus en plus mettre en place des mécanismes d'évaluation préalable des projets, comme ça se fait aux États-Unis, de nouveaux fichiers pour, justement, évaluer les impacts. Parce qu'il y a des systèmes qui ont planté, et pas à peu près, au Québec et avec des conséquences importantes, des systèmes publics.

Mais là, ce dont on parle, c'est de prendre des informations dans un environnement et les transférer. Bon. Ce que je vous dis, ce n'est pas qu'il ne faut pas le faire. Je dis qu'il y a des risques, il faut savoir gérer ces risques-là et il faut savoir le faire selon les règles de l'art. Comme je vous dis, les études qui existent démontrent que, en général, ce genre d'opération là n'est pas aussi rentable, dans un premier temps, que prévu. C'est plus coûteux, justement à cause de ces facteurs-là, que j'ai énoncés.

Donc, ce que je dis, ce n'est pas qu'il faut le faire, ce n'est pas qu'on ne peut pas procéder, c'est qu'il faut faire nos devoirs quand on le fait, point, à la ligne, et, ce que je dis, c'est que, à la limite, il est possible, peut-être à l'intérieur de ce qu'on a parlé, d'ententes-cadres, et tout ça, d'établir des balises qui font que les fonctionnaires vont faire leur devoir pour voir si ça tient la route, on va mettre une entente, puis on va éventuellement discuter avec des organismes, comme, par exemple, la Commission d'accès, qui est capable, qui a un accès à une expertise et qui, même, peut exercer des petites consultations dans certains milieux pour tester certaines hypothèses et certains problèmes. Je fais simplement dire ça. Et ce que je vous dis, ça n'est, à la limite, que les règles de l'art, exactement comme au niveau de l'informatisation du travail... les premières fois qu'on a développé des systèmes en informatisation du travail, ils ont planté régulièrement, jusqu'à tant qu'on se rende compte que, plutôt que de concevoir ça dans un bureau d'ingénieurs, il fallait voir les travailleurs qui allaient travailler avec pour savoir si ça allait marcher.

Là, ce qu'on traite, ce n'est pas l'informatisation du travail. On informatise l'information sur les citoyens et ça va avoir des impacts sur les citoyens et, dans ce sens-là, il faut établir un minimum de transparence et, éventuellement, faire des consultations. Ça, là-dessus, je n'élaborerai pas tant que ça. C'est dans l'annexe 2 de mon document, là, j'élabore amplement sur la nécessité des enjeux d'évaluation sociale ou d'évaluation d'impact.

Ce que je dis, c'est qu'il faut se rendre compte qu'on a des outils puissants, c'est-à-dire que, là, on n'a plus des Lada... Je vais prendre une image de véhicule. On met sur une autoroute une Lada puis une formule I, la formule I de Jacques Villeneuve. C'est clair que, tu sais, on n'a qu'à appuyer sur l'accélérateur de la formule I puis on a déjà dépassé la limite dangereuse. Avec la Lada, il va falloir pousser en masse, tu sais, puis peut-être en plus d'appuyer sur l'accélérateur.

Là, on a des outils extrêmement puissants et on atteint très vite les seuils de contre-productivité. Ça, c'est une autre chose en systèmes: plus on investit, plus on fait des couplages et il y a un moment donné où ça devient contre-productif, c'est-à-dire, plus on investit, moins ça rapporte, même ça cause des problèmes. Donc, c'est juste se rendre compte que, plus les outils sont puissants, plus ça nous permet de faire des gaffes sur des plus grandes populations et, plus les outils sont puissants, plus on atteint vite les seuils de contre-productivité. Donc, il faut faire encore plus attention. C'est tout ce que je dis, rien de plus.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le ministre, ça termine votre questionnement. M. le député de Nelligan.

M. Williams: Merci beaucoup, M. le Président, et merci, M. Péladeau, de vous être déplacé ici, particulièrement à cette heure, 23 heures...

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Ah! il est encore de bonne heure.

M. Williams: Encore de bonne heure, oui, oui.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Il est encore de bonne heure.

Des voix: Ha, ha, ha!

(23 h 20)

M. Williams: Oui, oui, je sais... et particulièrement à titre personnel...

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Quand on sait ce qui s'en vient.

M. Williams: ...pour discuter des questions sur la protection des renseignements personnels. Si j'ai bien compris vos interventions, vous êtes en train de privilégier une rationalisation de l'échange d'informations, qui est complètement contre la tendance de ce gouvernement avec les projets de loi nos 36 et 32, qui veut amasser une quantité énorme d'informations.

Vous étiez ici ce soir et vous avez entendu plusieurs intervenants. Dans l'annexe 3, vous avez donné un résumé des principes, 10 principes de protection des informations personnelles. Selon votre compréhension des projets de loi, que ce soit 36 ou 32, est-ce que ces projets de loi respectent ces principes?

M. Péladeau (Pierrôt): Bien, c'est ça. La question, c'est de savoir... Là, ça, c'est une question de procédure. Je pense qu'un des dangers, c'est ça, c'est... Quand le Vérificateur général dit: On n'utilise déjà pas bien les informations qu'on a à l'interne, je pense qu'il faut d'abord rationaliser cet aspect-là avant d'aller en chercher d'autres et, quand on va en chercher d'autres – et je ne dis pas qu'il ne faut pas en chercher d'autres, il y a plein de justifications à ce niveau-là – si on va en chercher d'autres, il y a une procédure qui est déjà là, c'est-à-dire, qu'on fasse ses devoirs, qu'on signe des ententes, qu'on étudie ce qu'il en est et qu'on soumette ça à la Commission. Dans ce sens-là, c'est une procédure qui permet de contrôler, et qui existe déjà et qui a fait ses preuves. C'est-à-dire, la Commission n'a pas bloqué systématiquement les projets d'entente. Il y en a plusieurs que, simplement le fait de les présenter, il y a des organismes qui sont repartis et qui ont été refaire leurs devoirs parce que ça ne tenait pas la route. Et les exemples qu'il y a eu, entre autres aux États-Unis, où, là, c'est fait de façon systématique, il y a des consultations systématiques, dans bien des cas, on s'est rendu compte de sérieux problèmes qui étaient de tous ordres et ça a permis de prévenir les coups. La question, c'est prévention, prévention des dérapages, et gestion des risques. C'est ça, la question.

M. Williams: Merci, M. Péladeau. Avez-vous quelques commentaires sur la dérogation, les articles «nonobstant» que vous trouvez dans la loi?

M. Péladeau (Pierrôt): Malheureusement, non. Comme je vous dis, je n'ai pas fait une analyse...

M. Williams: O.K.

M. Péladeau (Pierrôt): Lorsque j'ai eu l'invitation, je me suis concentré sur le point technique des couplages, je n'ai pas étudié en détail le projet de loi.

M. Williams: Merci. Henri-François.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Moi, je vais essayer de résumer ce que j'ai compris de votre intervention. Chaque fichier comporte des inexactitudes, mais qui ne sont, si la finalité du fichier est telle, qui n'empêchent pas le fichier de pouvoir fonctionner pour la fin pour laquelle il est constitué. Si on veut coupler le fichier avec un autre fichier ou l'utiliser pour d'autres fins que celle pour laquelle il a été constitué, ces inexactitudes ou ces erreurs prennent des importances telles qu'elles rendent difficiles ou risquent d'invalider les couplages. Est-ce que c'est ça que j'ai compris?

M. Péladeau (Pierrôt): C'est ça, vous avez compris une partie, effectivement. Effectivement, ce que je dis, c'est qu'il peut se passer ça. L'autre aspect, c'est que même une information tout à fait exacte, 100 % exacte, quand elle change d'environnement, elle change de contexte, parce qu'une information, c'est lié au contexte, en quelque sorte, c'est-à-dire qui est un contexte législatif ou un contexte administratif. Quand on change cette information et qu'on la met dans un autre contexte, le sens de cette information-là vient de changer, et là, dans certains cas, ça pose un autre problème. Et l'autre cas aussi que je signalais, c'est que, des fois, on a une vision, par exemple, du fraudeur type qui se promène en Mercedes. Bon, ça peut peut-être fonctionner en théorie, mais, en pratique, dans la vie, la vie des gens est beaucoup plus complexe que ça, c'est-à-dire que les gens mènent leur vie de différentes manières. Et là, tant qu'on est dans le modèle, ça fonctionne, mais, à la frange du modèle – comme dans le cas du système de gestion des fonds non compensés, c'étaient des gens qui étaient à la frange, qui n'étaient pas le client type de l'institution bancaire en question, qui n'était pas une banque... en tout cas, l'institution financière en question – bien, là, ça se mettait à déraper. Donc, c'est ce genre de chose là qu'il faut regarder, c'est-à-dire qu'il n'y a pas une impossibilité, il n'y a pas une interdiction de le faire, mais il faut le faire avec énormément de précautions, parce qu'on joue avec la vie des gens.

M. Gautrin: Et le deuxième élément que j'ai retenu de votre intervention, c'est de dire: Le fraudeur s'adapte.

M. Péladeau (Pierrôt): Tout à fait.

M. Gautrin: C'est-à-dire que, si on fonctionne par le biais de couplages, en général, on va peut-être nuire à beaucoup de monde... c'est honnête, mais probablement que le vrai fraudeur, au bout d'un certain temps, va être en mesure de détourner ces couplages de fichiers et trouvera un moyen de s'adapter autrement.

M. Péladeau (Pierrôt): C'est ça. Il y a quelques études, là, entre autres en matière d'identifier, de supposition de personnes, fraudes, qui démontrent clairement ça.

M. Gautrin: C'est-à-dire, les gens sont capables, au bout d'un certain temps, de s'adapter à la...

M. Péladeau (Pierrôt): Je suis certain qu'il y a plein de nos cousins de Nouvelle-Angleterre qui ont des cartes d'assurance-maladie avec leur photo dessus...

Une voix: C'est exact.

M. Péladeau (Pierrôt): ...et c'était très facile de le faire. Ça, je ne reviendrai pas sur ce cas-là, mais c'est un cas qui a échoué lamentablement.

M. Gautrin: Excusez-moi, est-ce qu'on peut vous poser la question là-dessus? Parce que c'est intéressant, là-dessus. Autrement dit, ça a échoué à cause de quoi? C'est parce que c'est intéressant...

M. Péladeau (Pierrôt): Dans ce cas-là, c'était un cas clairement d'improvisation.

M. Gautrin: Autrement dit, on a improvisé en disant: Mettons la photo...

M. Péladeau (Pierrôt): Tout à fait, ça a été improvisé...

M. Gautrin: Pour raison politique, pour faire croire que ça allait régler les autres problèmes.

M. Péladeau (Pierrôt): Non, je pense que c'était peut-être... En tout cas, je ne ferai pas...

M. Gautrin: Alors, oublions ça.

M. Péladeau (Pierrôt): Il y avait un ministre qui, dans le temps qu'il s'occupait de chasse et pêche, voulait avoir une carte de chasseur avec photo. Dans le temps qu'il s'occupait de la réforme électorale, il voulait avoir une carte d'électeur avec photo. Quand il est arrivé à services de santé et services sociaux, il a eu sa carte avec photo, et ça s'est fait... Je vais vous dire très rapidement ce qui s'est passé. Alors que la Société de l'assurance automobile du Québec avait pris des années pour prévoir le coup, préparer, puis faire ça dans l'ordre, on est parti sur une balle là-dessus, avec des résultats que je vous décris. Ça, c'est un bel exemple de système improvisé.

Première des choses, il y a eu plein de problèmes sur les personnes... D'abord, on a externalisé les coûts, c'est-à-dire, les coûts ont été assumés par les individus, qui doivent se déplacer, et tout ça. Donc, il y avait des gens, à un moment donné, qui ont été pris dans l'enfer bureaucratique. D'abord, les personnes âgées, les handicapés se rendent se faire photographier; ensuite, ils se rendent dans un CLSC, etc., etc. Des fois, ce n'était pas ouvert aux heures où ils y allaient. En tout cas, il y a eu un problème d'ajustement à ce niveau-là. Il y a beaucoup de CLSC qui ont été obligés d'assumer ça à même leur budget. Des fois, des secrétaires à temps plein – ce n'est pas des services à la population, là – qui se mettent uniquement à ça. Moi, la première fois que je suis allé dans un CLSC, c'est pour cette carte-là, comme bien des gens. Résultat dans les CLSC: augmentation de la demande des services, alors que c'est pour réduire les coûts. Et, au bout de la ligne... en tout cas, c'est comme je vous dis, ça n'a pas empêché la fraude, parce que c'était très facile de faire la supposition de personnes, parce que le contrôle à la source n'est pas très clair... et, au bout de la ligne, pour une carte qui n'est plus utilisée. Et demandez aux gens de la Régie de l'assurance-maladie. Maintenant, avec l'échange électronique de données, une fois que vous avez donné votre carte une seule fois, vous avez donné votre numéro de carte, dans beaucoup de cliniques on ne vous la redemande plus. Dans certaines cliniques, on a continué à la demander; on passe la facturette, là; on la prend, on la jette au panier. On demande encore la facturette et la carte pour ne pas insulter les gens. En fait, ce qu'on a fait, c'est une belle opération qui a foiré lamentablement, et ça a été documenté, là, par certaines personnes: le Protecteur du citoyen, le Vérificateur général. C'est documenté. Il y a plein de ces exemples-là. Pour le bien public, au nom de vaincre la fraude, là, il y a beaucoup de choses irrationnelles et improvisées qui se font. Ce que je viens juste dire, là, c'est qu'effectivement il y a peut-être des besoins sociaux évidents là; il faut juste faire ça dans l'ordre, sans presse et en étudiant les impacts que ça peut avoir.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le ministre.

M. Bertrand (Portneuf): M. le Président, je soumets tout simplement que, pour un certain nombre de cas, effectivement, il y a des choses qui ont pu être improvisées. On peut aussi citer un tas de cas de systèmes qui ont été mis en place de façon loin d'être improvisée, avec des gens très professionnels qui ont su mettre les systèmes sur les rails. En tout cas, je ne voudrais pas qu'on conclue de la présentation que c'est des vices dans tous les systèmes systématiquement.

Il y a deux choses que je me demande par rapport à votre présentation, et j'en réfère au début de votre présentation. Est-ce qu'il est clair dans votre tête que, à partir du moment où on identifie par couplage de fichiers un profil inexplicable, on ne conclut pas nécessairement à la culpabilité de qui que ce soit?

M. Péladeau (Pierrôt): Non, non.

M. Bertrand (Portneuf): Ça permet simplement d'aller aux informations.

M. Péladeau (Pierrôt): Effectivement.

M. Bertrand (Portneuf): O.K., ça va. Deuxièmement, on nous a parlé à plusieurs reprises que le couplage de fichiers pouvait être dangereux parce que ça pouvait révéler, effectivement, au fond, les carences qu'il y a dans les différents systèmes d'information et faire en sorte qu'on puisse prendre des décisions souvent sur la base d'informations contenues dans des fichiers qui sont des informations tordues, disons. Est-ce qu'on ne peut pas conclure, par ailleurs, aussi, alternativement ou a contrario, qu'il s'agit... un des avantages des couplages d'informations, c'est de faire ressortir, comme genre d'effet révélateur, les vices qu'il y a dans les systèmes d'information et donc de permettre de corriger une information qui, jusqu'à présent, aurait pu être utilisée au préjudice même, soit du contribuable ou du client de la Régie de l'assurance-maladie? Parce que, une fois qu'on a identifié des choses qui n'ont pas de bons sens, on les corrige, puis je pense que c'est au bénéfice du citoyen, à ce moment-là.

(23 h 30)

M. Péladeau (Pierrôt): C'est un cas de figure. C'est un cas de figure qui est tout à fait possible, aussi. C'est ce que je vous dis, il n'y a pas... C'est juste que ce que je dis, ce n'est pas... C'est un mal en soi. Ce que je dis, c'est qu'il y a toujours un risque qu'il faut savoir gérer, et, effectivement, il y a des couplages, comme par exemple, bon... et l'exemple que je vous donne, c'est l'étude qu'on fait avec l'Université McGill sur les interactions pharmaceutiques. Malgré que cette information-là, puis, là, je pousse, ça devient presque de l'ironie noire, c'est que, malgré qu'il y a des taux de 21 % d'erreurs par prescription, le résultat net, c'est que les médecins, même en utilisant cette information-là, erronée, diminuent considérablement leurs taux d'erreurs quand ils font des prescriptions, parce que les taux actuels d'erreurs des médecins, c'est beaucoup, considérablement plus élevé. Donc, effectivement, ce n'est pas mauvais mais il faut savoir avec quoi on joue. Quand le médecin, il sait qu'il y a de l'information qu'il doit prendre avec des pincettes, mais qu'il l'a, ça lui sert.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Nelligan.

M. Williams: Oui, dernière question. Dans votre annexe 4 que vous nous avez donné, le document de M. Frank White, qui est un fonctionnaire avec le gouvernement d'Ontario, il y a une ligne qui dit: «Though governments are continuing to increase the volume of personal information being processed, the author argues that another trend, organizational re-engineering, should result in less personal information being collected, stored, processed and communicated.» C'est une musique à mes oreilles. Mais est-ce que son gouvernement est en train de faire ça?

M. Péladeau (Pierrôt): Ça, je ne sais pas si lui est en train de le faire, mais, moi, dans les 450 organisations où j'ai aidé à mettre en place des programmes de gestion des renseignements personnels, c'est ce qui s'est produit, c'est-à-dire que, et je donne un autre exemple, je pense, dans l'annexe 2 ou dans l'annexe 1, aussi, des exemples chiffrés où, effectivement, on se rend compte... En fait, l'information, c'est une ressource un peu perverse, parce qu'elle nous coûte de moins en moins cher, puis on en vient à en avoir toujours trop. Et, comme je vous dis, dans toutes les organisations, ils ont gagné en productivité et ils ont réduit leurs coûts d'opération en diminuant la quantité d'informations qu'ils traitaient, d'informations personnelles qu'ils traitaient. Et, dans certains cas, comme je vous dis, dans certaines organisations, on a réduit de 90 % la quantité d'informations qu'ils traitaient et, au bout de la ligne, ils étaient plus efficients.

Donc, la règle dans ce cas-ci, ce n'est pas: plus, c'est mieux; c'est, en général, moins et de meilleure qualité – ça, c'est important – c'est mieux, en général. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne peut pas en chercher.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Verdun.

M. Gautrin: Nous ici, et je comprends les problèmes que vous soulevez, mais on a une fonction de législateur. Vous soulevez des problèmes de couplage entre les fichiers. Nous, on est, quand même, ici sur une loi du ministère du Revenu, on est en train de coupler un fichier du ministère du Revenu avec d'autres fichiers, tels celui de la RAMQ, celui du Régime de rentes, pour des compléments d'information. Quelles sont les balises que vous verriez à mettre dans la loi, par exemple, pour éviter les grands dangers que vous avez soulevés? Parce que vous n'avez pas été contre les couplages de fichiers, si j'ai compris votre intervention, vous avez dit: Faites attention quand vous jouez avec ces affaires-là, ça ne se joue pas facilement, il faut que ça se joue avec précaution. Alors, j'essaie de résumer ce que vous avez dit.

M. Péladeau (Pierrôt): C'est ça.

M. Gautrin: Quelles sont les genres de balises... parce que, comme législateur, une fois, évidemment... si on leur donne le pouvoir, ils vont le faire puis vous allez me dire: Bon, faisons-leur confiance. Mais, nous, comme parlementaires de l'opposition, on n'est pas prêts à leur faire confiance comme ça, on voudrait peut-être avoir des balises à l'intérieur de la loi. Qu'est-ce que vous nous suggéreriez, peut-être, comme balises à l'intérieur de la loi?

M. Péladeau (Pierrôt): O.K. Ça, j'ai énoncé ça dans le document en annexe 2, sauf erreur, j'énonce ça. Ce qu'il faut faire... bon, dans l'annexe 1, je dis: D'abord, il faut que l'organisme en question fasse ses devoirs, c'est-à-dire qu'il évalue les risques, qu'il évalue avec ce qu'il joue, puis, bon, toute l'annexe 1, c'est de dire comment un organisme lui-même fait son travail. Dans l'annexe 2, ce que j'ajoute, c'est que je pense qu'effectivement, puis c'est l'inspiration de toutes les lois qui ont été développées spécifiquement sur les couplages... c'est transparence, dans un premier temps, c'est-à-dire qu'on le sache. Deuxièmement, l'idée d'avoir une entente entre les organismes, ça permet de baliser, plutôt que de dire: On a une idée, un bon matin, on se lève, puis, là, on va travailler ça sur un coin de table puis on va l'essayer; l'idée d'une entente est importante, entente écrite. Et, ensuite, proposer ça à un organisme comme la Commission, qui a les pouvoirs de traiter ça dans des délais relativement courts, surtout si ça devient presque des choses de routine.

M. Gautrin: Quand vous dites «la Commission», c'est quelle Commission?

M. Péladeau (Pierrôt): La Commission d'accès à l'information...

M. Gautrin: Merci.

M. Péladeau (Pierrôt): ...qui pourrait s'entendre sur des ententes-cadres, des choses dans le genre, et qui a le pouvoir, éventuellement, en cas de doute ou en cas de problème, comme ça s'est fait aux États-Unis – aux États-Unis, c'est plus des commissions du Congrès qui font ça – qu'on puisse faire des consultations auprès des populations ou d'experts pour pouvoir valider ou résoudre certains problèmes. Donc, ce genre de processus là permet, en tout cas, d'établir un minimum de transparence qui est bon pour la question de la confiance entre l'État et le citoyen, dans un premier temps, et permet aussi un processus de prendre une distance, de distanciation, et de voir par de l'autre côté ce qui se passe, les implications, de façon à prévenir les problèmes. Souvent, et c'est ça qui est arrivé dans l'expérience de la Commission, dans beaucoup de cas, l'organisme arrivait avec son projet, il en discutait, puis, là, l'organisme le retirait, il disait: Le paquet est mal ficelé. Là, il retournait puis il revenait, puis, là, ça passait comme une lettre à la poste, parce que, là, c'était juste. Donc, c'est juste un facteur, comme je dis, de prendre son temps pour faire bien les choses. C'est juste ça, dans le fond. Et je pense que la procédure actuelle, avec quelques aménagements qui existent actuellement dans la loi d'accès, permet de faire ça.

M. Gautrin: O.K. C'est intéressant comme piste.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): On vous remercie. Maintenant, M. le ministre, si vous voulez faire vos remarques finales concernant le mémoire de M. Péladeau.

M. Bertrand (Portneuf): Bien, j'aimerais remercier M. Péladeau. Je sais que vous avez eu peu de temps pour vous préparer. Néanmoins, nous avons assisté à une présentation fort originale, et je vous en remercie.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le député de Nelligan.

M. Williams: Merci beaucoup, M. Péladeau, comme j'ai dit, de vous être déplacé, de donner vos commentaires, d'avoir le courage de discuter des idées qui sont contre les tendances de ce gouvernement. Et j'espère que le ministre délégué va accepter votre offre de l'aider pendant les discussions, sur les nombreux amendements de ce projet de loi que nous allons discuter. Merci beaucoup et bon retour.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Je vous remercie à mon tour, M. Péladeau, de votre présence. J'inviterais maintenant M. le ministre à faire ses remarques finales sur l'ensemble des auditions que nous avons eues depuis ce matin.

M. Gautrin: Je voudrais à mon tour remercier M. Péladeau, M. le Président.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Ah! M. le député de Verdun, excusez-moi.

M. Gautrin: Je pense qu'on pourrait suspendre deux minutes.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): On va suspendre une minute.

Des voix: Une minute.

(Suspension de la séance à 23 h 37)

(Reprise à 23 h 38)

Le Président (M. Baril, Arthabaska): La commission reprend ses travaux pour les remarques finales du ministre sur l'ensemble des consultations que nous avons tenues.


Conclusions

M. Bertrand (Portneuf): Dans un premier temps, M. le Président, je dois vous dire que j'ai beaucoup apprécié cette journée d'audiences particulières. Je pense que ça nous a permis de voir différents points de vue sur les diverses dispositions du projet de loi n° 32. Il y a des suggestions qui ont été faites qui pourraient se traduire, peut-être, on verra, dans des ajustements au projet de loi. M. le député de Nelligan et porte-parole de l'opposition officielle en matière de revenu concluait, quant à lui, il y a quelques instants, à de nombreux changements. Je pense que c'est peut-être anticiper un peu. Il faut d'abord se donner le temps, je crois, de revoir les différents éléments qui ont été soumis à notre attention et juger de la pertinence, effectivement, de peut-être donner écho à certaines préoccupations par les bonifications au niveau du projet de loi. Est-ce que ça débouchera sur une ou des ou de nombreuses modifications au projet de loi? Ça reste à voir, ça reste à venir.

(23 h 40)

Ce que je tiens à dire ici, c'est que je pense que le ministre et le gouvernement sont certainement ouverts à toute suggestion d'amélioration. Quant à la suite, je nous invite, tout le monde, à bien revenir au contenu des recommandations qui ont été faites pour juger de la pertinence avant de conclure. Je vous remercie.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci, M. le ministre. M. le député de Nelligan.

M. Williams: Merci beaucoup, M. le Président. Effectivement, aujourd'hui, nous avons compris que c'est un dossier assez complexe et peut-être que c'est trop complexe pour avoir ce type de discussion pendant la session intensive. Mais nous avons appris aussi que c'est un débat non partisan. Effectivement, on doit assurer deux choses quand nous sommes en train de discuter de ce projet de loi n° 32. Une première, on doit s'assurer, au-dessus de tout doute, que la vie privée, la vie confidentielle de la population québécoise, c'est bel et bien protégé. Mais nous avons aussi entendu souvent qu'on doit s'assurer qu'il y ait une bonne évaluation des coûts-bénéfices de ce programme, de ce projet de loi. Il me semble qu'une fois que nous aurons eu cet échange, pendant l'étude article par article de ce projet de loi, on pourra peut-être bonifier ce projet de loi concernant les deux sujets que je viens juste de mentionner: la protection de la vie privée de la population québécoise et, effectivement, avec tout ce pouvoir presque illimité que le ministre est en train de demander, qu'on puisse s'assurer que, un, il y a les balises et, deux, qu'il y a les coûts-bénéfices. Avec ça, compte tenu de tous les autres horaires de la commission du budget et de l'administration, on souhaite que, dans les plus brefs délais, on puisse continuer les discussions et toujours avoir le temps de se rafraîchir sur les choses que nous avons entendues aujourd'hui. Merci beaucoup et bonsoir.

Le Président (M. Baril, Arthabaska): Merci, M. le député de Nelligan. Je tiens, moi également, à remercier les membres de la commission de leur excellente collaboration tout en gardant un climat cordial, ce qui facilite la présidence des travaux. Je tiens à remercier aussi les fonctionnaires, la secrétaire de la commission ainsi que les personnes qui nous ont conseillés tout au long de nos travaux.

La commission ayant terminé le mandat qui lui était dévolu, soit la consultation particulière sur le projet de loi n° 32, j'ajourne les travaux sine die.

(Fin de la séance à 23 h 42)


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