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Version finale

37e législature, 2e session
(14 mars 2006 au 21 février 2007)

Le mardi 14 novembre 2006 - Vol. 39 N° 57

Étude détaillée du projet de loi n° 33 - Loi modifiant la Loi sur les services de santé et les services sociaux et d'autres dispositions législatives


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Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures quarante minutes)

Le Président (M. Copeman): À l'ordre, s'il vous plaît, chers collègues! À l'ordre! Ayant constaté le quorum, je déclare ouverte cette séance de la Commission des affaires sociales. Je vous rappelle que nous sommes réunis afin de procéder à l'étude détaillée du projet de loi n° 33, Loi modifiant la Loi sur les services de santé et les services sociaux et d'autres dispositions législatives, Bill 33, An Act to amend the Act respecting health services and social services and other legislative provisions.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. Mme Legault (Chambly) va être remplacée par Mme Hamel (La Peltrie). Voilà. C'est tout.

Le Président (M. Copeman): C'est tout. Eh bien! Très bien. Je vous rappelle que l'utilisation des téléphones cellulaires est interdite, et d'autres appareils semblables évidemment, pendant les séances de la commission. Je prierais tous ceux qui en font usage de bien vouloir les mettre hors tension.

Remarques préliminaires

Nous allons, comme le demande le règlement, débuter avec la période des remarques préliminaires. Je vous rappelle que chaque député membre de la commission a droit à des remarques préliminaires d'une durée maximale de 20 minutes, qui doivent se faire dans une seule intervention. Alors, M. le ministre de la Santé et des Services sociaux.

M. Philippe Couillard

M. Couillard: Merci, M. le Président. Je voudrais d'abord vous saluer de même que le secrétariat de la commission, madame, les collègues députés ministériels, les collègues députés de l'opposition, Mme la critique de l'opposition en matière de santé. Heureux de vous retrouver à nouveau pour encore, j'en suis sûr, une période productive de travaux législatifs ensemble sur un projet de loi particulièrement important qui est le projet de loi n° 33.

Avant d'aborder, M. le Président, la question des remarques préliminaires, je voudrais peut-être faire état d'une proposition pour la méthode de travail que nous pourrions suivre, si bien sûr il y a consentement de part et d'autre pour que nous fassions ainsi. Il s'agit d'un projet de loi d'un peu plus de 50 articles, 52 articles, qui sont en fait distribués selon des thèmes particuliers. Il y a les centres médicaux spécialisés, les cliniques associées, le mécanisme de gestion d'accès, la question des assurances. Il serait probablement plus productif de faire l'étude de ces articles par blocs thématiques. On verra comment est reçue notre proposition au niveau de l'opposition officielle.

Pour ce qui est des amendements, nous serions prêts, aujourd'hui, à déposer les amendements déjà pour le premier bloc, mais les autres seront déposés assez rapidement, au cours des prochaines heures ou des prochaines journées au cours de la semaine en cours, pour l'ensemble des blocs. Et j'indiquerais également à la suite de mes remarques préliminaires deux éléments qui font l'objet de travaux pour amener des amendements au projet de loi en cours d'étude article par article et je donnerais les thèmes de façon à ce qu'on puisse déjà savoir sur quels éléments nous travaillons actuellement pour compléter la production ou la rédaction d'amendements.

Alors, nous sommes donc réunis autour du projet de loi n° 33. Je ne reprendrai pas encore une fois tous les détails du projet de loi, ça a été abondamment discuté dans la période du dépôt de... de l'adoption du principe, mais rappelons tout simplement qu'il s'agit d'un projet de loi qui s'articule autour de quatre principes: la création et l'encadrement de centres médicaux spécialisés, notamment en ce qui a trait à la qualité et la sécurité des soins qui y sont donnés; deuxièmement, la mise en place de cliniques médicales associées et leur contribution en soutien au système public de santé; la mise en place d'un mécanisme central de gestion de l'accès aux services spécialisés et surspécialisés, qui est à notre avis l'aspect le plus porteur du projet de loi pour améliorer l'accessibilité aux services dans notre système de santé et de services sociaux; et l'ouverture limitée à l'assurance privée et l'encadrement qui l'accompagne.

Je pourrai également donner brièvement un aperçu des modifications qui figurent dans les différents amendements selon les thèmes qui sont abordés et répéter encore une fois que nous déposons aujourd'hui les amendements reliés au bloc portant sur les centres médicaux spécialisés et que les autres amendements seront déposés au cours des prochaines heures ou des prochains jours, dès qu'ils seront prêts, et bien sûr ça devrait se faire d'ici à jeudi, je crois. On devrait être capables, pour l'ensemble des blocs, sauf les deux thèmes que j'indiquerai à la fin, de déposer l'ensemble des amendements.

Alors, d'abord, pour ce qui est du mécanisme central de gestion d'accès, on indiquera ? et c'est une modification que nous devons effectuer ou que le ministre devra effectuer ? des consultations appropriées auprès des organismes et des personnes reconnues pour leur expertise pour la détermination des délais d'attente acceptables. On aura l'occasion de discuter, en commission, je crois, des différentes définitions de «délai médicalement acceptable», «délai raisonnable», et c'est important de faire cette distinction et cette discussion. Mais on a retenu de la période de consultations qu'il faut absolument, bien sûr, impliquer les organisations professionnelles, notamment les associations médicales concernées, lorsqu'on fait ces travaux, ce que nous avons fait d'ailleurs avec l'orthopédie et l'ophtalmologie déjà et ce que nous sommes tout à fait prêts à faire pour l'ensemble des procédures à mesure que les travaux pourront progresser.

Pour ce qui est maintenant de la fréquence des rapports qui doivent être faits par le directeur général au conseil d'administration sur l'efficacité du mécanisme central de gestion de l'accès, nous avons, suite à des représentations des établissements de santé, dans un amendement, fixé que ces rapports devront être présentés au moins à tous les trois mois, pour la raison suivante: c'est qu'on trouvait assez lourd une présentation mensuelle, avec relativement peu de différences probables sur le plan statistique entre deux mois consécutifs, alors qu'une période de trois mois permet de dégager des tendances de façon plus nette et également moins lourde pour l'administration et le personnel d'encadrement de l'établissement.

On prévoira que les établissements pourront implanter de façon graduelle le mécanisme central de gestion de l'accès selon les priorités. Ça indique la réflexion de ce que nous avons dit à plusieurs reprises, c'est que nous voulons nous doter de ce mécanisme d'abord pour les trois procédures ciblées, non pas qu'elles soient en elles-mêmes d'importance plus grande que les autres chirurgies, mais parce qu'elles sont une bonne façon, pour un système de santé ? les expériences internationales l'ont montré ? d'approprier cette méthode de gestion des listes d'attente, et par la suite l'étendre plus rapidement aux autres procédures chirurgicales.

Nous avons également ajouté... Et c'est un amendement qui n'est pas directement lié au corps du projet de loi lui-même mais qui provient de la présentation des médecins résidents ici, en commission parlementaire, quant à la participation, à titre d'observateur, d'un représentant de la Fédération des médecins résidents du Québec au niveau de la direction du département régional de médecine générale lorsqu'il y a, sur le territoire, une faculté de médecine. C'est une demande qui a été formulée ici, je pense que Mme la critique s'en souviendra. Donc, voici, sur le mécanisme central de gestion de l'accès.

Pour ce qui est des centres médicaux spécialisés, nous avons révisé l'article qui définissait les interventions comme étant des arthroplasties totales de la hanche et du genou par des arthroplasties de la hanche et du genou tout court. Et on fait également un projet de règlement en préparation pour la liste des services pouvant être dispensés en centres médicaux spécialisés ? on reviendra sur cette discussion au cours de l'étude des articles ? la raison étant qu'il y a des arthroplasties partielles maintenant qui existent, et on veut s'assurer de couvrir l'ensemble des options chirurgicales dans ce domaine-là.

On veut également permettre que le règlement qui détermine la liste des chirurgies et des traitements qui peuvent être dispensés en centre médical spécialisé puisse préciser dans quel type de centre médical spécialisé ils peuvent être dispensés, non participants ou participants, et, lorsque le centre médical spécialisé est composé de médecins participants, que le règlement puisse préciser que certains services ne peuvent être dispensés que dans le cadre d'une entente d'association. Il s'agit d'un encadrement encore plus serré du type de procédures qui peuvent être pratiquées et qui vise également à couvrir l'ensemble de la réalité du terrain aujourd'hui. On se souviendra qu'un des objectifs du projet de loi, c'est de donner un cadre légal et une définition légale à des activités qui, aujourd'hui même, ont lieu sur notre territoire, au Québec, dans différents types d'installations privées, et selon qu'elles soient faites par des participants ou des non-participants.

On voudrait également, à l'aide d'amendements, étendre aux centres médicaux spécialisés composés de médecins participants l'obligation d'offrir des services préopératoires et postopératoires lorsque les services non assurés ou considérés comme non assurés par la Loi sur l'assurance maladie seront dispensés. On veut ajouter l'obligation pour un centre médical spécialisé de fournir aux patients une facture détaillée des éléments pour lesquels des frais sont exigés ainsi que de faire connaître les recours disponibles pour le patient insatisfait. Je pense qu'on va être conscient ici que ce sont des plaintes qui ont été souvent portées à l'attention du public et des parlementaires. On parle spécifiquement ici de la situation des cliniques privées avec des médecins participants qui demandent des frais accessoires aux patients. On sait que les ententes avec les médecins prévoient que ces frais accessoires peuvent être demandés pour certaines situations, mais on a certainement remarqué le fait que c'est... D'abord, les factures ne sont pas données, souvent. Elles ne sont pas détaillées pourquoi on demande de l'argent aux patients. Normalement, par exemple, ça devrait être pour les médicaments et les agents anesthésiques. Est-ce que véritablement c'est la raison pour laquelle on demande des frais? Et également de faire connaître de façon affichée et visible sur la facture les recours possibles au patient s'il y a un point de désaccord avec des éléments de la facturation qui est présentée.

On voudra, et ça, c'est une demande de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec qui était tout à fait justifiée, élargir à tout ordre professionnel potentiellement concerné la possibilité, pour le ministre, de demander un avis sur la qualité des services dispensés dans un centre médical spécialisé. Bien sûr, ça inclut au premier chef, outre le Collège des médecins, l'Ordre des infirmières et infirmiers, mais ça pourrait éventuellement inclure d'autres ordres professionnels de professionnels de la santé qui pourraient être impliqués dans ces soins-là.

On voudrait limiter aux médecins qui dispensent des chirurgies ou des traitements identifiés comme devant être dispensés dans un centre médical spécialisé le droit d'exercer dans un centre médical spécialisé. On va voir pourquoi on ne veut pas qu'il y ait de chevauchement, on l'expliquera en détail, de façon à ce qu'il n'y ait pas de trou ou de créature hybride qui apparaisse soit à l'intérieur d'un centre médical spécialisé ou dans un cabinet. À l'intérieur d'un cabinet, on a un centre médical spécialisé, et là on ne retrouve plus la situation réelle et on ne sait pas de quoi il s'agit exactement.

n (9 h 50) n

On veut prévoir, pour l'obtention d'un permis autorisant l'exploitation d'un centre médical spécialisé, un délai de 180 jours suivant l'adoption du texte de loi pour toute personne qui exploite un cabinet de professionnels dans lequel sont dispensés des chirurgies ou des traitements identifiés comme devant être dispensés dans un centre médical spécialisé. On sait que ces permis sont assortis de conditions multiples. Il faut donc permettre aux personnes qui actuellement gèrent ces centres-là, parce qu'ils existent sur le terrain, de rassembler les renseignements et de dégager les prérequis nécessaires à l'obtention du permis.

Pour ce qui est des cliniques médicales associées, enfin, on voudra d'abord préciser que l'agence ne peut soumettre pour autorisation un projet d'entente d'association sans avoir préalablement obtenu le consentement de l'établissement signataire de l'entente et on voudra bien sûr revoir l'expression «clinique médicale associée» pour faciliter la compréhension du texte. C'est toujours ce paysage assez compliqué qu'on va reprendre, et on va reprendre sa description à plusieurs reprises au cours de nos travaux. On voudra établir de façon claire, par exemple, que les contrats d'association peuvent être faits bien sûr avec un centre médical spécialisé, mais également avec un cabinet médical ou un laboratoire, selon les cas. Exemple, un cabinet de résonance magnétique.

S'assurer également qu'un établissement exploitant un centre hospitalier n'ait recours qu'à une entente d'association nouvelle plutôt qu'à l'article 108 lorsqu'il prévoit confier une partie des services habituellement dispensés dans ses installations à un exploitant privé, ceci pour répondre à la remarque faite à plusieurs reprises par, en particulier, la critique de l'opposition sur le fait qu'il existe, dans le cadre de loi actuel, l'article 108 qui permet des ententes entre les établissements et des facilités privées. Nous avons indiqué que la nature plus complexe des activités qui étaient visées par les ententes de cliniques associées indiquait qu'il fallait dépasser le simple recours à l'article 108, on fait donc une distinction entre les deux, et du moment à partir duquel l'article 108 n'est plus suffisant. Parce que théoriquement, à l'inverse, maintenant, on pourrait avoir des ententes de style cliniques associées en vertu de l'article 108 qui échapperaient à tout l'encadrement qu'on veut introduire, notamment s'assurer du mouvement des professionnels, s'assurer de l'encadrement de la qualité. Et ceci, je crois, est de nature à clarifier les recours possibles, les utilisations possibles des articles de loi par les établissements.

On veut également préciser qu'un établissement ne pourra conclure un tel contrat de services en vertu de l'article 108 avec un centre médical spécialisé composé de médecins non participants ou un professionnel non participant sans avoir obtenu l'autorisation préalable du ministre, de façon à ce que ce soit bien explicite et bien encadré, et expliquer pourquoi ce contrat de services doit être tenu.

On voudra également abroger les dispositions octroyant à l'établissement l'exclusivité des services dispensés par une clinique médicale associée, puisque, de toute évidence, l'exploitant privé peut conclure une entente d'association avec plus d'un établissement public et également peut continuer à pratiquer les services assurés en dehors des contrats, les contrats demeurant bien sûr sujets à l'encadrement de toute entente contractuelle.

On veut également abroger l'obligation pour une clinique médicale associée ayant conclu une entente avec un ou plusieurs établissements publics de transmettre le nom des médecins travaillant dans ses installations au conseil d'administration de l'établissement, étant donné qu'il n'y a pas obligation maintenant d'être membre de CMDP de tous les établissements qui peuvent avoir des relations contractuelles. Ce n'est plus nécessaire de poser ce geste-là.

Je termine en mentionnant les deux éléments sur lesquels les travaux sont en cours pour présenter les amendements. Un d'entre eux, je crois, a été soulevé par la critique de l'opposition lorsque nous avons fait le briefing technique du projet de loi. Il s'agit des suites du jugement de la Cour supérieure portant sur l'interruption volontaire de grossesse et l'imbroglio juridique ou le manque de clarification juridique que ceci peut produire et les effets ricochet que ça peut produire pour d'autres situations. Nous désirons présenter un amendement qui clarifierait cette question, sans bien sûr remettre nullement en question le jugement et le bénéfice des personnes qui ont été touchées par le jugement, premièrement.

Deuxièmement, nous voulons également introduire un article de transmission de renseignements, bien sûr sur une base dénominalisée, au niveau supérieur de gestion du ministère pour permettre de jauger l'efficacité des mécanismes d'accès et les situations dans lesquelles les délais raisonnables ou acceptables, selon le cas, sont dépassés, notamment au moyen de mode de transmission informatique. Et ceci sera détaillé et fait actuellement l'objet de validation auprès des organismes responsables de la surveillance de ce type de transaction là.

Donc, tous les autres amendements seront dans les amendements déposés ici, à cette commission, sauf ceux reliés à ces deux derniers thèmes, où bien sûr on avisera l'opposition et on déposera les amendements dès qu'ils seront préparés, finis et validés.

Alors, voici donc, en gros, les modifications que nous avons apportées. Moi, je veux assurer M. le président bien sûr et mes collègues, et l'opposition en particulier, de mon désir de travailler de façon constructive à ce projet de loi. Et bien sûr il y a des éléments du projet de loi qui nous séparent, je crois, de façon assez profonde sur le plan idéologique ou sur le plan de l'orientation politique, on les identifiera, mais je crois qu'il existe également des points où on peut faire des progrès importants et intéressants pour l'ensemble du système de santé du Québec, et dans une époque où la clarification juridique de certains éléments apparaît non seulement nécessaire, mais indispensable. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Copeman): Merci, M. le ministre. Alors, Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve et porte-parole de l'opposition officielle en matière de santé.

Mme Louise Harel

Mme Harel: Alors, merci, M. le Président. Mes premières paroles, M. le Président, seront pour vous, en fait pour vous assurer de la pleine et entière collaboration des membres de l'opposition officielle aux travaux de cette commission et également pour saluer Mme Lamontagne, secrétaire émérite de notre commission, et également saluer le ministre, les membres ministériels de notre commission parlementaire, les personnes qui accompagnent le ministre dans les travaux que nous entreprenons. Ils sont extrêmement importants, ces travaux, et il est évident, M. le Président, que nous les abordons dans un esprit constructif en vous assurant que nous allons mettre tout le temps et l'énergie nécessaires pour faire valoir le point de vue... un point de vue parfois différent, et également, M. le Président, pour nous assurer que l'intérêt supérieur des Québécoises et Québécois en matière de santé est affirmé clairement et défendu ici même, dans cette commission.

Nous avons présenté, au moment de l'examen du principe du projet de loi, au salon bleu, une motion qui nous aurait permis de scinder le principe du projet de loi en deux parties fort différentes qui auraient donné lieu en fait à deux lois différentes, étant entendu qu'il nous semble que le projet de loi n° 33 qui d'une part introduit le principe d'une meilleure gestion des listes d'attente dans nos établissements hospitaliers, qui introduit également le principe du moins auquel nous souscrivons d'une participation éventuelle de cliniques privées mais à l'intérieur d'une gestion publique et d'un financement public et dans le cadre d'un contrôle public... Il nous apparaît que ces deux éléments, à la fois le principe d'un mécanisme centralisé de gestion des listes d'attente et l'association ? et on en verra les modèles clés, bien évidemment ? des établissements publics avec éventuellement des cliniques privées... nous apparaissait, ce principe, tout à fait susceptible d'être appuyé par notre Assemblée nationale.

Cependant, clairement, il nous apparaît que la création d'un marché pour l'assurance privée duplicative en santé est une erreur grave, une erreur historique, M. le Président. Nous aurons l'occasion de nous en expliquer durant les travaux de cette commission. Mais nous pensons que le gouvernement du Québec utilise l'arrêt Chaoulli et Zeliotis, là, qui a été prononcé par la Cour suprême en juin 2005, utilise dans le sens le plus... disons, le plus complet du terme, c'est-à-dire l'utilise comme un alibi pour introduire, dans notre régime public, dans le régime de financement public, dans le financement universel de notre système de santé... utilise donc ce jugement pour tenter de justifier l'introduction de l'assurance privée duplicative en santé.

n (10 heures) n

J'insiste sur cet aspect, M. le Président, il est certainement le plus central de ce que nous allons entreprendre du fait qu'il y a détournement de l'interprétation du jugement de la Cour suprême dans l'arrêt Chaoulli et Ziolotis... Zeliotis, voilà. Pourquoi je peux dire que c'est un détournement, M. le Président? Parce que, quand on y regarde de près, puis d'ailleurs les constitutionnalistes de l'ensemble des grandes universités québécoises, anglophones comme francophones, ont, d'un commun accord, publié dans les journaux une interprétation commune du jugement de la Cour suprême à l'effet qu'il ne contient aucune obligation de moyens, et, quand on relit le jugement de la Cour suprême, on le constate, jamais la Cour suprême n'a dit: Vous devez introduire l'assurance privée duplicative.

Qu'est-ce qu'elle dit, la Cour suprême? Elle dit ? et je vais citer au texte le paragraphe 158 qui contient le coeur de ce jugement ? ceci: «...bien qu'elle puisse être constitutionnelle dans des circonstances où les services de santé sont raisonnables tant sur le plan de la qualité que sur celui de l'accès en temps opportun, l'interdiction de souscrire une assurance maladie privée ne l'est pas lorsque le système public n'offre pas [de] services raisonnables.» Alors, à l'évidence, ce que ce projet de loi n° 33 introduit, c'est la résignation du gouvernement libéral devant les listes d'attente.

Quand on relit les interventions que le ministre de la Santé a faites à l'occasion de l'adoption de principe du projet de loi au salon bleu, on se rend compte que la seule justification qu'il a invoquée, c'est celle de se protéger contre d'éventuelles poursuites judiciaires du fait de listes d'attente déraisonnables. Alors, M. le Président, il est évident que le gouvernement s'est servi du jugement de la Cour suprême comme un alibi pour abandonner l'engagement qu'il a fait lors de la campagne électorale, il y a trois ans et demi, à l'effet d'éliminer les listes d'attente. Il est bien évident que, quand on relit le jugement de la Cour suprême, l'interdiction de l'assurance privée n'atteint l'intégrité prévue à l'article 1 de la Charte des droits et libertés du Québec que dans la mesure où l'attente est déraisonnable. Si l'attente est raisonnable, l'interdiction de prohiber, si vous voulez... la prohibition plutôt de l'assurance privée est raisonnable. C'est ce que dit le jugement de la Cour suprême.

Alors, il est bien évident que, lorsque le gouvernement dit et interprète le jugement de la Cour suprême comme le mettant dans l'obligation de se protéger contre d'éventuels recours judiciaires par des citoyens qui se considèrent victimes d'une attente déraisonnable, c'est parce qu'il baisse les bras devant cette attente déraisonnable. Il veut se mettre à l'abri de ces recours judiciaires éventuels parce qu'il anticipe qu'il y aura encore de l'attente déraisonnable. Et c'est donc une prétention à l'obligation de faire que le gouvernement libéral utilise, alors que toutes les autres provinces qui ont cette prohibition ? pensons à l'Ontario, qui interdit toujours la vente d'assurance privée, l'Ontario mais la Colombie-Britannique, l'Alberta, le Manitoba, l'Île-du-Prince-Édouard ? continuent à interdire la vente d'une assurance privée qui serait permise avec l'adoption du projet de loi n° 33 autant dans sa dimension médicale que pour l'hébergement. Le ministre se fait fort de dissocier l'hébergement de l'hospitalisation, mais c'est là à l'évidence, là, ce qu'on appelle un argument jésuitique, M. le Président, puisque les assurances privées pourront vendre de l'assurance privée à la fois pour l'hébergement et pour la dimension médicale.

Alors, je le répète, la Cour suprême a clairement énoncé que l'interdiction de souscrire une assurance maladie privée est raisonnable lorsque les services de santé sont raisonnables tant sur le plan de la qualité que sur celui de l'accès en temps opportun. Et à l'évidence c'est un aveu d'échec du gouvernement libéral, c'est un reniement de l'engagement qui a été contracté à l'égard de la population en campagne électorale.

Je rappelle cet engagement: «...le patient, disaient le premier ministre lui-même et l'actuel ministre de la Santé ? je les cite ? ne déboursera jamais un sou de plus que sa contribution en impôts», n'est-ce pas? Et le premier ministre se promenait à la fois avec une carte d'assurance maladie puis une carte, M. le Président, de crédit, alors que l'actuel ministre de la Santé renchérissait par des déclarations à l'effet que... Attendez que je la retrouve, cette déclaration. Je pense, M. le Président, qu'elle vaut la peine d'être répétée à nouveau, puisque l'engagement du ministre de la Santé était clairement exprimé avant la campagne électorale, pendant la campagne électorale.

Avant la campagne électorale, l'actuel ministre de la Santé avait fait publier un texte qui s'intitule: «Ne commettons pas l'erreur d'affaiblir notre système de santé gratuit et universel au profit de l'entreprise privée...» Alors, il démontrait que l'introduction de l'assurance privée duplicative était une très, très grave erreur. D'ailleurs, cette opinion est partagée par tous les grands spécialistes que j'ai pu contacter et ceux qui ont occupé la fonction de ministre dans les années antérieures, pour le gouvernement du Parti québécois.

Alors, le ministre de la Santé ajoutait: «Il s'agit [...] d'une polémique fondamentale, [...]elle témoigne de deux visions radicalement différentes de la société: Voulons-nous partager collectivement ou non les risques et les coûts associés à la maladie? Acceptons-nous ? disait l'actuel ministre de la Santé ? que le niveau de notre richesse personnelle détermine la rapidité avec laquelle les soins nous sont données?

«En clair ? ajoutait-il: Voulons-nous une société basée sur la justice sociale et l'égalité devant la maladie, ou le règne [de] chacun pour soi?» Je repose les questions que le docteur de l'époque posait mais que le ministre actuel répond, répond à sa façon qui, on le voit, on le sait maintenant, est totalement en contradiction avec les convictions que le docteur exprimait en 2002.

Alors, ce n'est pas que l'actuel ministre de la Santé. Je me réfère également, M. le Président, au texte publié par M. Claude Ryan lors de la campagne électorale de 2003, texte intitulé Les valeurs libérales et le Québec moderne. Ce texte contient une préface du premier ministre, et on l'appelle généralement le texte des valeurs libérales. Et que dit-il, ce texte des valeurs libérales, qui n'est pas très ancien ? c'était il y a trois ans maintenant? Il dit ceci: «La santé est justement devenue au Québec un service public.» Il ajoutait, ce texte de M. Ryan: «Le chef actuel du Parti libéral [...] a rejeté à plusieurs reprises l'idée d'un système de santé à deux vitesses où il y aurait une médecine pour les riches et une autre pour les pauvres. Certains voudraient qu'il y ait un système de santé pour le monde ordinaire et un autre, sans doute plus raffiné et plus facile d'accès, pour ceux qui peuvent se le payer. Cette proposition ? ajoute M. Ryan ? si elle était retenue, entraînerait [...] de sérieuses distorsions dans le partage, la localisation et l'accessibilité des soins. Ce sont les gens ordinaires qui, à la longue, paieraient le prix de ces distorsions en ayant plus difficilement accès à divers services.»

On aura l'occasion bien évidemment, M. le Président, de signaler à quel point les valeurs libérales prônées par Claude Ryan, celles prônées par Jean Lesage et son gouvernement lors de l'adoption de la Loi de l'assurance-hospitalisation en 1962, celles prônées par Robert Bourassa et son gouvernement lors de l'adoption de la Loi de l'assurance maladie en 1970, on aura l'occasion de rappeler combien ces valeurs libérales et ces lois de gouvernements libéraux sont foulées au pied par l'introduction de l'assurance privée, de l'assurance privée duplicative contenue dans le projet de loi n° 33.

n(10 h 10)n

Et, M. le Président, j'ai cité Claude Ryan, j'ai cité le docteur actuel ministre de la Santé, mais, encore plus récemment, dans le document Briller parmi les meilleurs... C'est encore plus récent. C'est il y a quelques mois, disons-nous. C'était au moment où le gouvernement lançait son opération charme auprès de la population dans le cadre des forums des générations à travers le Québec. On a vu que finalement la plupart des recommandations avaient piqué du nez. Mais rappelons-nous ce document, Briller parmi les meilleurs, où on peut y lire: Le système de santé «pourra [...] recourir à des partenariats avec le secteur privé. Cela se fera cependant dans le cadre d'un financement public...»

Qu'est-ce qui est en cause présentement dans le projet de loi n° 33? C'est ce financement public. Quand le ministre disait lui-même le 21 mars 2003: «Farouchement opposé à l'introduction de toute forme de participation privée au financement, la recrue [...] ? n'est-ce pas, l'actuel ministre de la Santé ? assure que de laisser des patients payer de leurs poches pour se faire opérer plus rapidement dans un système privé parallèle serait suicidaire pour le système public de santé.» Il ajoutait: «Non seulement ce serait socialement inacceptable, mais ce serait fonctionnellement inefficace.»

Alors, vous voyez bien, M. le Président, que ce soit plus récent ou il y a plus longtemps, ce qui est introduit dans le projet de loi n° 33 est une fissure, une brèche qui menace, je le dis comme je le pense, met en danger notre système de santé public, au Québec, pour la bonne raison que le ministre introduit le principe et une modalité limitée de cette assurance privée duplicative. Mais finalement lui qui avait promis qu'il n'y aurait pas d'extension autrement que par législation le 30 mai dernier, il y a quelques mois à peine, a finalement fait le virage à 180 degrés, et on retrouve, dans le projet de loi, une extension qui peut se faire par règlement examiné en commission parlementaire mais qui n'a jamais le poids qu'une législation doit avoir.

Alors, pour toutes ces raisons, M. le Président, vous comprendrez que nous allons être extrêmement vigilants et finalement expliquer à la population ce qui nous amène à voter contre le projet de loi n° 33. Je vous remercie.

Le Président (M. Copeman): Merci, Mme la députée. Est-ce qu'il y a d'autres membres de la commission qui désirent intervenir au stade des remarques préliminaires? Mme la députée de Champlain, pour une durée maximale évidemment de 20 minutes.

Mme Noëlla Champagne

Mme Champagne: Merci, M. le Président. Alors, il me fait plaisir, ce matin, à la suite de ma collègue d'Hochelaga-Maisonneuve, porte-parole en matière de santé, d'intervenir sur ce projet de loi là. On a eu l'occasion, M. le Président, d'intervenir à l'occasion de l'adoption de principe sur ce même projet de loi, puis ça m'a permis de faire un retour sur toutes les informations qu'on a en main depuis, je dirais, les rencontres avec les 108 groupes, quand on a fait le travail, là, sur l'accès à la santé et aux services sociaux.

C'est évident que Garantir l'accès, cette grande commission parlementaire à laquelle j'ai eu le bonheur de participer, m'a fait comprendre bien des choses et surtout bien des inquiétudes de la part des gens qui sont venus nous rencontrer, et la même inquiétude. Parce que, quand on reçoit 108 groupes, imaginez-vous, M. le Président, c'est 108 heures en commission parlementaire avec des gens qui de toute... Je vous vois, là, opiner de la tête. Mais il est évident que, rencontrer 108 groupes pendant 108 heures, dont peut-être 130 mémoires, là, en tout, j'ai appris, au-delà du détail qu'on peut voir dans un projet de loi qui nous est aujourd'hui déposé, là, j'ai appris que ces gens-là ont tous une même inquiétude, une base commune, et la base commune, c'est: Est-ce que je vais avoir à payer davantage puisque je veux avoir de meilleurs services? Tout tourne autour de ça. Et là il y a eu de grands débats de faits par des organismes, tant les médecins que des organismes communautaires, des organismes qui travaillent en étroite collaboration sur le terrain, jour après jour, avec des gens en besoin. Et l'inquiétude qu'ils ont, c'est ce glissement, dont a parlé ma collègue d'Hochelaga-Maisonneuve, vers le système privé payé dans le cadre d'une assurance duplicative.

Or, M. le Président, quand je regarde les quatre grands objectifs de ce projet de loi là, je me dis qu'on s'est entendus au départ sur le mécanisme central de gestion de l'accès. Ce n'était même pas difficile de s'entendre là-dessus, on sait qu'il y a un problème de gestion dans les listes d'attente.

Mais déjà je m'arrête en vous disant qu'il y a un médecin venant du Lac-Saint-Jean qui est venu nous prouver hors de tout doute qu'à l'intérieur du système public il fait déjà une gestion très intelligente, là, avec les moyens qu'il a présentement puis il n'est pas obligé d'aller dans un système privé pour faire ce genre de gestion là et il le fait très bien. Simplement, il s'est assuré que les choses se faisaient correctement à l'intérieur de son propre système de santé, dans les centres de santé et de services sociaux du Lac-Saint-Jean. Donc, il est venu nous dire: Regardez, M. le ministre, pourquoi vous voulez glisser vers les cliniques privées, ou les centres médicaux spécialisés, ou les cliniques médicales spécialisées associées, avec médecins participants et non participants? C'est une complication inutile d'un système qui a tout ce qu'il faut pour bien fonctionner. Il s'agit juste d'y mettre pas seulement les moyens, mais l'argent nécessaire là où il doit aller.

Or, M. le Président, quand je regarde tout ce que ce projet de loi là va amener comme mouvement vers d'autres formes de cliniques alors qu'il n'y a déjà pas suffisamment de médecins, je suis convaincue, profondément convaincue, comme ma collègue d'Hochelaga-Maisonneuve, qu'on n'arrivera à rien en agissant de cette façon-là. Au contraire, la brèche dont on parle, la brèche dans le système public, la brèche qu'on est en train de faire et qui existe peut-être, d'une certaine façon, convenons-en, pourquoi l'agrandir alors qu'il y a moyen de faire autrement et de la colmater pendant qu'il est temps de le faire?

Alors, le danger qui nous guette, M. le Président, c'est de faire que des personnes qui vont avoir le plus de besoin de soins dans les années à venir ? et je sens que ma collègue d'Hochelaga-Maisonneuve me sent venir ? les personnes aînées, les personnes âgées, on va leur demander d'aller s'assurer, comme ça se fait d'ailleurs, malheureusement, de façon très grande aux États-Unis. C'est eux qui vont avoir le plus de besoins, eux qui vont avoir le moins de moyens, puis on va leur dire: Si tu ne t'assures pas, bien tu vas être sur une liste puis tu vas attendre, mon grand. Et c'est ça qui se prépare dans un avenir très rapproché.

On a fait le débat, là, au-delà du projet de loi qui est là, on a fait le débat des besoins qui s'en viennent au niveau d'une population. On a quasiment créé, là, un problème qui n'existe pas en faisant valoir que les personnes âgées vont être tellement un poids pour la société qu'on va devoir prendre toutes sortes de moyens. Beau prétexte, M. le Président, beau prétexte! Ces personnes-là, à qui on va demander d'aller se payer une assurance, vont devoir mettre l'argent dans leurs poches parce que, se payer une assurance, quand tu es rendu à un certain âge, tu es un risque. Si tu es un risque, il n'y a pas une assurance qui va t'assurer de façon limitée ou de façon légère. On va te charger pour ce que tu vas devoir demander dans le système public comme dans le système privé.

Alors, M. le Président, après avoir lu tous ces mémoires, après avoir entendu tous ces groupes, je suis profondément convaincue qu'on est en train de glisser dans un système privé qui va rapporter uniquement à ceux qui ont les sous pour se le payer. Le système public présentement, avec les lacunes ou les difficultés qu'il peut avoir, il y a moyen, à l'intérieur de ce même système là, avec des ententes, si on veut, avec des cliniques comme il y en a, M. le Président, présentement... J'ai eu à aller voir mon médecin il y a quelque temps, et, quand je suis entrée dans sa clinique dite privée, j'ai sorti ma carte d'assurance publique. On a déjà ce genre d'entente là. Les médecins ont des cliniques qu'ils se donnent dans un groupe x. Il y en a plein à travers le Québec.

On rêve toujours qu'on ait des groupes de médecine familiale encore sur une plus grande échelle parce que c'était un moyen proposé par notre parti et qui déjà, pour ceux qui le vivent dans leurs communautés, en ont des bénéfices. Bien non, on disait: Regarde, ça, ce n'est pas suffisant. On va demander à des gens de se constituer en centres médicaux spécialisés ou en cliniques médicales associées. Même le ministre avoua en commission parlementaire sur le projet de loi n° 33 que déjà, on peut le dire, là, quand on a reçu des groupes, que c'était compliqué en soi puis tellement compliqué que le commun du mortel s'y perdait.

Or, quand je regarde la création de ces centres-là, là, moi, être un médecin, me donner la peine de me créer un centre médical spécialisé avec des collègues, je voudrais avoir des garanties de travail, si je peux employer l'expression, je voudrais avoir une garantie que je vais avoir des clients, M. le Président. Or, cette garantie-là, le ministre va devoir leur donner cette garantie-là, sinon ils ne partiront pas une clinique sans savoir s'ils ont des patients dans la clinique. Or, si j'ai des médecins participants, à ce moment-là, les gens vont être couverts par la RAMQ. Puis, si j'ai des médecins non participants, bien là tu vas t'en aller avec ton assurance, ton assurance duplicative.

n(10 h 20)n

M. le Président, qui va se payer ça? Qui va se payer ce genre de services là? Et où le ministre va trouver ces médecins? Par quelle magie le ministre va arriver à aller chercher d'autres médecins que ceux qu'on a déjà, qui sont débordés? Et ça, là, ce genre de propos là que je vous tiens ce matin, M. le Président, je l'ai tenu avec mon propre médecin en lui disant: Comment tu vas faire, toi, pour arriver si un jour tu es appelé à faire ce genre de travail là? Comment tu vas faire pour doubler encore ce que tu n'es même pas capable de faire présentement? Il n'en voit pas la solution, M. le Président, et il ne la verra pas de sitôt, cette solution-là.

Alors, M. le Président, quand on cite des groupes importants qui sont venus nous rencontrer, qui sont venus nous dire, autant la Fédération des médecins omnis que la Fédération des médecins spécialistes, là: «Nulle part dans le projet de loi [...] peut-on constater l'engagement du gouvernement à rendre les services médicaux spécialisés accessibles à la population dans des délais spécifiques et à donner aux établissements les ressources nécessaires à cette fin.» Donc, la Fédération des médecins spécialistes du Québec est d'avis que le projet de loi peut simplement entraîner une politisation des listes d'attente. Je pense que ça dit tout. On a juste à relire ces mots-là pour le comprendre.

Si je regarde la Fédération des médecins omnis du Québec, la FMOQ: «Les mesures proposées pour garantir l'accès aux soins de santé et répondre au jugement Chaoulli sont insuffisantes, sinon carrément inacceptables. En matière d'accessibilité, rien n'est prévu pour améliorer l'accès aux services de première ligne, aux examens diagnostics ou encore à un médecin spécialiste. Par ailleurs, l'accès à certains services médicaux spécialisés dans des cliniques médicales associées est assujetti à des contrôles abusifs de l'hôpital et du ministre.»

Donc, il y a toutes sortes d'inquiétudes venant de spécialistes, là. Ce n'est pas la députée de Champlain qui, du haut de sa grandeur, décide qu'elle est inquiète toute seule dans son coin, là, hein? J'ai parlé aux gens également de mon comté, j'ai parlé à la population comme telle. Puis on a tous fait pareil, les députés, tous autant que nous sommes, probablement. Et ce transfert-là, de l'institution, de l'établissement public vers la clinique médicale associée, de la chirurgie, peu importe laquelle, m'inquiète, M. le Président.

Alors, les infirmières également ont fait un mémoire fort éloquent, un mémoire qui vient dire que leur inquiétude est plus que fondée parce qu'elles la vivent sur le terrain. Ce matin, M. le Président, en voiture, en m'en venant ici, à Québec, ce matin, j'entendais des médecins, des médecins spécialistes ? j'admets que présentement il y a un petit conflit, là, avec le gouvernement ? dire, ce matin, qu'il y a quand même une problématique, il y a quand même une problématique. Je sais que...

Une voix: Ils n'ont pas créé le problème.

Mme Champagne: Bien, voilà. Ce n'est pas eux autres probablement, effectivement, comme dit ma collègue, qui ont créé le problème, là. Mais il y a quand même des difficultés déjà, au moment où on se parle. Il y a déjà des difficultés, M. le Président, au moment où on se parle, que ce soit avec les spécialistes, que ce soit avec les omnis, que ce soit avec les infirmières qui disent, ce matin ? et les infirmières ne sont pas des médecins spécialistes, là: On a des problèmes à gérer la crise, même au niveau des soins intensifs, parce qu'on n'a pas les moyens, on n'a pas les lits, on n'a pas le personnel puis on n'a pas l'argent qui va avec.

Alors, M. le Président, je pense qu'il faut être clairs ce matin, et le ministre devra, pendant l'étude de ce projet de loi là article par article, nous le dire clairement, il est clair que la brèche dans le système de santé est en train de s'élargir par ce moyen-là. Cette brèche-là va amener les gens tout doucement à glisser vers l'urgence de s'assurer. Et admettons, M. le Président, que même les assureurs se montrent pour le moment plus ou moins intéressés, en se demandant dans quoi eux-mêmes vont s'embarquer pour arriver à soutenir et à supporter des besoins qui vont être de plus en plus grands puis qui vont coûter de plus en plus cher.

Et récemment, M. le Président, le ministre venait dans ma région pour annoncer des montants d'argent pour gérer mieux les listes d'attente, là, et mon collègue de Saint-Maurice disait: Le ministre se trompe probablement de bobo! Parce que, M. le Président, on a beau vouloir régler trois chirurgies, supposément, comme disait ma collègue, se servir de ça comme alibi, là, pour régler le problème de la hanche, du genou puis de la cataracte, M. le Président, il y a des chirurgies d'un jour avec des listes d'attente très longues. On a comme tout focussé vers trois formes d'opération où on nous disait même que les listes diminuent, bien évidemment. On a mis le paquet dans trois spécialités en disant: On opère des genoux, des hanches puis des cataractes. On a mis de la pression dans les salles d'opération là-dessus.

Par contre, je regarde, là, les listes d'attente importantes en chirurgie d'un jour, alors qu'on devrait peut-être mettre davantage d'accent, M. le Président, ou mettre le focus sur la multiplication des groupes de médecine familiale, qui sont possiblement, dans l'avenir, une des solutions à l'intérieur de notre système public, solution qui était déjà engagée très bien mais où on avance à pas de tortue parce qu'il y a eu le rapport Chaoulli, ce jugement-là qui est venu comme bouger tout le système... Et quelle belle occasion de glisser à l'intérieur de ça! Puis, quand on glisse, quand on est un gouvernement, M. le Président, dans ce genre de façon là de faire, bien on entraîne toute une population avec nous et derrière nous.

Alors, M. le Président, nous allons faire définitivement le débat qu'il faut en étude détaillée de ce projet de loi là parce qu'il n'est pas question de grossir une situation ou de l'envenimer, alors qu'on aurait tous les moyens avec des ententes très bien faites avec des cliniques qu'on dit privées... Et, je répète, M. le Président, pour moi, les cliniques privées actuelles, les bâtisses sont privées, les médecins assument les frais à l'intérieur de soins qui sont donnés à l'intérieur, il ne faut quand même pas se leurrer, là. Alors, on pourrait aller davantage vers ça, on pourrait davantage actualiser, activer ce qui déjà, dans plusieurs communautés, là, du Québec, sont des succès.

Alors, M. le Président, je veux bien croire que le mécanisme central de gestion de la liste d'attente est peut-être un moyen intéressant de régler une certaine situation, mais je dois reconnaître, à l'exemple de mes collègues et en appui avec mes collègues, que les centres médicaux spécialisés, que les centres médicaux spécialisés, avec médecins non participants ou avec médecins participants, et les cliniques médicales associées, ce sont des propositions qui vont permettre... le ministre croit du moins que cela va permettre d'alléger le système public. Mais j'ai toujours la même image, là, que tu as des salles d'opération présentement qui pourraient donner davantage d'ouvertures. Bien, si on s'en va vers la clinique médicale spécialisée, est-ce qu'on va finir par les fermer, M. le Président?

J'ai toutes sortes d'exemples en tête, dont un, là, tout à fait, je dirais, concret sur le terrain. Le ministre est en train présentement de glisser les résidents, je dirais, la population, les personnes aînées qui sont en centre d'hébergement et de soins de longue durée... on est en train de glisser vers les centres d'accueil, les résidences d'accueil ou les ressources intermédiaires pour supposément donner de meilleurs soins. Je veux bien croire, M. le Président, que ça peut amener une dynamique nouvelle, mais est-ce qu'on n'est pas en train de faire le même glissement avec le système de santé? En fait, on va peut-être en arriver à vider les salles d'opération de nos hôpitaux publics pour aller doucement vers l'assurance privée duplicative, où celui qui va avoir eu le bonheur, la chance, l'argent pour se le payer va pouvoir se payer ce genre de soins là. Bien malin qui va pouvoir nous expliquer le contraire ce matin.

Alors, M. le Président, je ne pense pas qu'en agissant avec le projet de loi n° 33, en allant de l'avant avec un projet semblable on va aider à gérer les listes d'attente, on va aider, si on veut être honnête, à les gérer en faisant que les gens privément se paient une bonne assurance et, à ce moment-là, puissent avoir les soins auxquels ils s'attendent. Et, quand tu vas être au niveau dit public, parce qu'on ne sait plus la couleur que ça va prendre, là, quand on va être au niveau public, M. le Président, bien là on devra attendre notre petit tour parce que les médecins ne seront pas au rendez-vous, les infirmières ne seront pas au rendez-vous. Et je plains pratiquement le ministre qui aura à faire ce genre de contrôle, de contrôle pas simple, là, aller jusqu'à contrôler ceux qui vont pouvoir aller au privé puis ceux qui n'iront pas. Je ne suis pas certaine qu'il n'y aura pas des petites hésitations, pour ne pas dire... pas juste des hésitations, mais bien des récriminations de la part de ceux qui auront à donner les services, que ce soient les médecins spécialistes, que ce soient les médecins omnis ou que ce soient les infirmières, M. le Président.

Alors, je me permets, dans le temps peut-être qu'il me reste, là, de citer une explication, un propos tenu par la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec, qui sont venus nous dire qu'ils étaient très préoccupés «par ce projet de loi qui tranche en faveur d'un système de santé privé». Cette fédération-là souligne que «le tribunal a basé sa décision sur l'existence de délais d'attente déraisonnables et ? en ce sens ? l'instauration d'un mécanisme central de gestion de l'accès [qui] est la seule position du gouvernement qui serait bénéfique...» Pour la fédération, «les deux autres moyens proposés, soit les cliniques médicales spécialisées et l'assurance privée duplicative, [...]mettent en péril jusqu'à un certain point le système public de santé et de services sociaux». Et la fédération s'inquiète de «la porte qui est ouverte à la sous-traitance de toute la chirurgie ambulatoire».

n(10 h 30)n

Vous savez, M. le Président ? trois petites minutes ? je termine en vous disant qu'il ne faudrait pas, par ce projet de loi là, accentuer cette méchante brèche dans le système public et faire que la population du Québec vieillissante, M. le Président, et vous savez à quel point c'est un dossier qui me tient à coeur, que cette population se trouve leurrée, je dirais, se trouve embarquée dans un système d'assurance, dans un système d'assurance privée duplicative qu'ils ne voient pas venir et dans laquelle ils vont se retrouver avec définitivement des difficultés pour y avoir accès, M. le Président.

Alors, je souhaite que le ministre, dans l'étude détaillée du projet de loi n° 33, nous permette, avec nos nombreux amendements probablement, je sais que lui-même en a, nous permette d'en arriver à un compromis qui protège notre système public, qui est un système qui fait notre fierté à travers, je dirais, d'abord dans le Québec même, à travers le Canada et dans le monde, et qu'on ne se retrouve pas avec un modèle américain qui n'est pas le modèle que notre société souhaite, M. le Président, absolument pas. Je vous remercie.

Le Président (M. Copeman): Merci, Mme la députée de Champlain. Est-ce qu'il y a d'autres députés qui désirent faire des remarques préliminaires?

M. St-André: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Copeman): M. le député de L'Assomption.

M. Jean-Claude St-André

M. St-André: Merci beaucoup, M. le Président. Nous entreprenons ce matin l'étude détaillée en commission parlementaire du projet de loi n° 33, Loi modifiant la Loi sur les services de santé et les services sociaux, et, dans mes remarques préliminaires, je voudrais tout de suite camper le principe à partir duquel je vais contribuer aux travaux de cette commission.

Moi, je pense que c'est un débat important que la commission entreprend sur ce projet de loi là qui remet en cause des valeurs qui font consensus au Québec depuis au moins 40, 50 ans. Pour moi, le principe, il est tout simple. J'estime que la meilleure façon, la meilleure méthode qui nous permet, en tant que collectivité, de soigner tous les citoyens lorsqu'ils sont malades, donc la meilleure méthode qui permet de soigner tous les citoyens, peu importent leurs conditions sociales ou économiques, qu'ils soient riches ou pauvres, bien c'est un régime public de santé et universel, et c'est ce principe-là qui va me guider tout au long des travaux de la commission. Et je pense sincèrement, M. le Président, qu'une nette majorité de parlementaires autour de cette table partagent ce principe, des deux côtés de la Chambre, je le crois sincèrement. Cependant, cependant, quand on fait une lecture et une analyse attentives du projet de loi n° 33, moi, j'ai l'impression en tout cas qu'on est en train d'ouvrir une brèche dans ce principe-là.

Il faut se souvenir d'abord qu'en 1960 l'Assemblée nationale du Québec, sous l'impulsion du gouvernement Lesage à l'époque, donc un gouvernement libéral, a adopté la Loi sur l'assurance-hospitalisation qui interdisait explicitement le recours à l'assurance privée duplicative. Et pourquoi le gouvernement de l'époque a introduit cette interdiction-là dans la loi? Bien, j'imagine que c'est justement parce que le gouvernement, le législateur à l'époque considérait que, pour assurer des soins de santé à toute la population peu importent leurs conditions économiques ou sociales, il fallait mettre en place un régime public de santé.

Ce principe-là a été réitéré en 1970, lorsqu'un autre gouvernement libéral, celui-là de Robert Bourassa, a maintenu l'interdiction d'avoir recours à une assurance privée duplicative. On voit donc, déjà là, que, depuis 46 ans, il y a un fort consensus au Québec, et des deux côtés de la Chambre, je dirais, sur le fait qu'on devrait en tout cas interdire l'assurance privée duplicative parce que nous considérons que la meilleure façon de soigner tous les Québécois, ça passe par un régime public de santé universel.

Et puis, là, bien, survient ce qu'on a appelé l'arrêt «Challoui», en 2005, si ma mémoire est bonne, en juin 2005. Suite au jugement de la cour, le gouvernement, le ministre de la Santé a décidé de tenir une consultation sur un document qui s'intitulait Garantir l'accès, une commission parlementaire qui s'est penchée sur ce document-là de février à juin de cette année, là, si ma mémoire est bonne. J'ai assisté à l'essentiel des consultations dans le cadre de cette commission-là, et on a pu constater, je pense, des deux côtés de la Chambre encore une fois, que c'est une question qui soulève beaucoup, beaucoup d'interrogations, autant de la part des intervenants que dans l'ensemble de la population aussi. C'est naturel, je pense que la santé, pour tous les citoyens, c'est une question importante, fondamentale, qui fait appel autant à la vie et à la mort. Donc, il est normal que ça soulève beaucoup d'interrogations. Puis, tout au long de cette commission-là, on a pu entendre des citoyens mais aussi des intervenants qui sont impliqués dans le réseau de la santé et des services sociaux plaider avec force pour un régime public de santé.

Par la suite, le gouvernement, le ministre a décidé de présenter le projet de loi n° 33 qui est censé être une réponse, en partie du moins, à l'arrêt «Challoui». Puis là je vais revenir un petit peu sur l'arrêt «Challoui». On a entendu des porte-parole du gouvernement, des ministres et bien sûr le ministre de la Santé, le premier ministre également nous dire que, quant à eux, leur interprétation du jugement nous amenait finalement à permettre l'introduction de l'assurance privée duplicative. Ce serait même pratiquement une obligation. En vertu de l'arrêt «Challoui», on n'aurait pas le choix que de se conformer au jugement et de permettre l'introduction de l'assurance privée duplicative.

Là, tout de suite en partant, de ce côté-ci en tout cas, pour l'opposition officielle ? le député de Verchères à l'époque a eu l'occasion de le dire, et la députée d'Hochelaga-Maisonneuve, la porte-parole de la santé, l'a aussi dit dans son intervention de tantôt et à plusieurs reprises ? nous ne partageons pas cette interprétation que le gouvernement donne du jugement de la Cour suprême. Puis je pense que c'est important de relire le paragraphe 158 du jugement de la Cour suprême pour qu'on se comprenne bien de part et d'autre sur l'interprétation qu'il faut donner au jugement de la Cour suprême. Ça m'apparaît fondamental, M. le Président. Il est faux de prétendre que le jugement de la Cour suprême oblige l'Assemblée nationale du Québec et le gouvernement à introduire l'assurance privée duplicative. Je lis le paragraphe 158 du jugement de la Cour suprême. Ma collègue l'a fait tantôt, mais je pense que c'est important de le répéter, hein? En pédagogie, la répétition, c'est fondamental. Alors, que dit le paragraphe 158 du jugement de la Cour suprême?

«Somme toute, bien qu'elle ? et "elle", c'est la prohibition de l'assurance privée ? puisse être constitutionnelle dans des circonstances où les services de santé sont raisonnables tant sur le plan de la qualité que sur celui de l'accès en temps opportun, l'interdiction de souscrire une assurance maladie privée ne l'est pas lorsque le système public n'offre pas des services raisonnables.»

n(10 h 40)n

M. le Président, j'aimerais ça encore relire ce paragraphe-là. C'est important, là, de bien saisir ce que ça veut dire. «Somme toute, bien qu'elle ? la prohibition de l'assurance privée ? puisse ? puisse ? être constitutionnelle dans des circonstances où les services de santé sont raisonnables tant sur le plan de la qualité que sur celui de l'accès en temps opportun...» Ça, ce bout de phrase là, M. le Président, là, qu'est-ce que ça veut dire clairement, là? Ça veut dire que, si le gouvernement, si le régime public de santé offre des services accessibles dans des délais médicalement acceptables, l'interdiction de l'assurance privée est justifiée. D'ailleurs, c'est parfaitement logique. J'ai même déjà entendu le ministre, en cette commission parlementaire, dire que: Bien, mon Dieu, s'il n'y en avait pas, d'attente, il n'y a personne qui prendrait d'assurance privée. C'est ça que le jugement dit. Autrement dit, ce que le jugement dit au gouvernement du Québec, c'est: Faites votre travail, faites en sorte que les services soient disponibles dans des délais médicalement acceptables, puis il n'y a personne qui va prendre d'assurance privée, puis même vous aurez raison d'interdire le recours à l'assurance privée duplicative.

Ça, d'ailleurs, je dirais que, quand on regarde les engagements électoraux que les libéraux ont pris en 2003, bien, s'ils les avaient respectés, ils seraient cohérents avec l'objectif... avec l'énoncé de... avec la Cour suprême. Qu'est-ce que les libéraux ont promis, entre autres? 2 milliards de plus par année en santé, par année, par année. Nous-mêmes, on était d'accord avec ça. L'ancien ministre de la Santé François Legault avait présenté un plan pour consolider l'offre de services en santé en 2002. Eh oui! Puis, vous, vous avez promis également des investissements massifs en santé que vous n'avez jamais faits, puis c'est pour ça d'ailleurs que les problèmes des listes d'attente ne se sont pas réglés, malgré l'engagement que vous avez pris en 2003, un engagement clair. Ça faisait l'objet de votre premier communiqué de presse en campagne électorale: Nous allons lutter contre...

Une voix: Éliminer.

M. St-André: Nous allons éliminer l'attente, nous allons lutter contre l'attente sous toutes ses formes. Bien, trois ans plus tard, manifestement, il y a des études qui le montrent, vous n'avez pas réussi à atteindre cet objectif-là. Et, avec le projet de loi n° 33, comme ma collègue d'Hochelaga-Maisonneuve l'a dit tantôt dans son intervention, on a l'impression que vous vous êtes résignés: Alors, on n'est pas capables de régler le problème des listes d'attente, donc nous allons permettre le recours à l'assurance privée duplicative.

Qu'est-ce que ça veut dire, ça, le recours à l'assurance privée duplicative? Bien, à mon avis, ça veut dire essentiellement qu'on va mettre en place une médecine à deux vitesses. On a souvent entendu cette expression-là dans la bouche même du ministre, à une autre époque, avant qu'il soit ministre de la Santé, au moment où il était docteur. Ma collègue l'a cité tantôt, mais je veux y revenir. En 2002, le 3 octobre 2002, le ministre de la Santé, alors qu'il était docteur, a signé une opinion qui a paru dans Le Devoir et qui était très claire. J'avoue d'emblée que j'aurais pu signer ça sans problème, puis je pense que tout le monde, de ce côté-ci de la table en tout cas, l'aurait signé sans aucune espèce d'arrière-pensée. C'est des principes forts que le ministre à l'époque a énoncés. Je vais en lire quelques extraits.

Là, il parle d'un débat de fond: «[Ce] n'est pas un débat anodin, et il ne faut surtout pas faire l'erreur de le balayer sous le tapis à l'aide des formules toutes faites visant à le banaliser ? "privé-public, un faux débat... un système à deux vitesses ne veut pas dire grand-chose, etc.". Il s'agit au contraire d'une polémique fondamentale...» Et franchement, M. le Président, c'est ce que je pense: les questions que soulève le projet de loi n° 33 soulèvent une polémique fondamentale.

Alors, je poursuis: «Il s'agit au contraire d'une polémique fondamentale, puisqu'elle témoigne de deux visions radicalement différentes de la société: Voulons-nous partager collectivement ou non les risques et les coûts associés à la maladie?» À cette question-là, moi, j'ai l'impression en tout cas que tout le monde autour de la table va répondre oui. «Acceptons-nous que le niveau de notre richesse personnelle détermine la rapidité avec laquelle les soins nous seront donnés?» M. le Président, vous le premier d'ailleurs, vous le premier, je vous connais bien, vous allez répondre non à cette question-là. Puis je pense que tout le monde autour de la table va répondre non. En tout cas, en campagne électorale, en 2003, c'était clair que les candidats libéraux répondaient non à cette question-là. Je vous encourage à faire une lecture attentive du projet de loi n° 33, parce qu'en votant pour la loi de la façon dont elle est formulée, bien vous répondez oui à la deuxième question, là. C'est ça, le recours à l'assurance privée duplicative.

Puis le ministre à l'époque poursuivait: «En clair: Voulons-nous une société basée sur la justice sociale et l'égalité devant la maladie, ou le règne du chacun pour soi?» Le ministre m'indique qu'il est d'accord avec ce qu'il a signé en 2002, alors il va falloir qu'il nous explique comment il peut concilier ça avec ce qu'il y a dans le projet de loi aujourd'hui.

Je vais lui citer d'autres extraits de ce qu'il a signé en 2002. Un peu plus loin, il dit: «Le paiement direct et l'assurance ? le paiement direct et l'assurance ? partagent un paradoxe confirmé dans tous les pays où ces régimes sont disponibles ? dans tous les pays où ces régimes sont disponibles: la population économiquement défavorisée, celle qui a le plus besoin des services, devient le groupe le moins susceptible de recevoir des soins.» Alors, le ministre devra répondre, au cours de cette commission parlementaire, à une question bien simple: S'il est d'accord avec ce qu'il a signé en 2002 ? puis il m'indique qu'il est toujours d'accord ? bien comment est-ce qu'il réconcilie cela avec le fait d'introduire l'assurance privée duplicative?

Puis il faut se comprendre sur ce que c'est, l'assurance privée duplicative: c'est de permettre à des citoyens d'aller chercher une couverture pour des chirurgies ou des traitements qui sont déjà couverts dans le régime public de santé, donc par-dessus le régime public de santé. Alors, quand un citoyen va contracter une assurance privée duplicative, qu'est-ce qu'il va avoir à l'esprit en achetant son assurance privée duplicative? Bien, peut-être que, si je m'achète une assurance privée duplicative, c'est parce que je n'ai pas confiance que le régime de santé va pouvoir me donner le service, lui, dans un délai raisonnable. C'est la seule raison pour laquelle un citoyen s'achèterait une assurance privée duplicative. S'il est certain de se faire soigner dans des délais raisonnables dans le régime public de santé, il ne s'achètera pas une assurance privée duplicative. En tout cas, ce serait jeter son argent par les fenêtres, admettons-le.

Puis le ministre, lui, à ce moment-là, s'il fait le choix politique de permettre le recours à l'assurance privée duplicative, bien qu'est-ce qu'il a en arrière... qu'est-ce que le gouvernement a en arrière de la tête? Ça se pourrait-u qu'il n'est pas sûr qu'il va prendre les moyens de faire en sorte que le régime public de santé donne le service, lui, dans un délai médicalement raisonnable? Est-ce que c'est ça que le ministre... J'aimerais ça que le ministre réponde à ces questions-là. C'est quand même assez important et fondamental. Parce que, sinon, sinon, on s'achemine manifestement vers une médecine à deux vitesses. Ceux qui vont pouvoir payer vont pouvoir passer devant la file d'attente. Et d'ailleurs, dans l'article que le ministre a signé en 2002, c'est exactement ce qu'il disait, n'est-ce pas: On ne peut pas permettre, dans une société basée sur la justice sociale et l'égalité, que certains citoyens, parce qu'ils en ont les moyens, passent devant la file d'attente. Mais c'est ça qu'il fait, là, avec l'introduction de l'assurance privée duplicative. Il va falloir vraiment que le ministre puis les gens d'en face nous expliquent comment ils vont pouvoir réconcilier leur vote sur ce projet de loi là et les positions très claires qu'ils ont énoncées lors de la campagne électorale de 2003.

n(10 h 50)n

Je trouve ça dommage, M. le Président, j'ai déjà écoulé mon 20 minutes, je trouve que ça a passé trop vite, parce qu'il y aurait eu beaucoup d'autres choses à dire sur le projet de loi, mais on va avoir l'occasion d'y revenir. Et d'ailleurs, M. le Président, je vous annonce tout de suite qu'une fois que les remarques préliminaires seront terminées j'aimerais présenter une motion en vertu de l'article 244 de notre règlement. Merci.

Le Président (M. Copeman): Est-ce qu'il y a d'autres députés qui désirent intervenir à l'étape des remarques préliminaires? M. le député de Vachon et vice-président de la Commission des affaires sociales.

M. Camil Bouchard

M. Bouchard (Vachon): Merci, M. le Président. Pour un moment, j'ai eu peur que vous ne me reconnaissiez pas.

M. le Président, j'aurais aimé commencer en disant: Il me fait plaisir, ce matin, de. Je ne pourrai pas dire ça, parce que je pense que le projet de loi qui est devant nous est à plusieurs égards décevant, déroutant et dangereux. Ce sera donc une critique que je ferai, qui fondamentalement tentera de faire la démonstration de ces trois d: décevant, déroutant et dangereux.

M. le Président, il y a une chose qui est difficile à faire peut-être plus que toute autre ? je ne le dis pas pour mes collègues qui le savent bien, mais peut-être pour les personnes qui nous écoutent ? en politique, c'est de critiquer un adversaire que l'on respecte. Et je dois avouer que c'est une des tâches les plus difficiles en politique, parce qu'un adversaire que l'on respecte, on lui attribue toutes sortes de vertus, et notamment la bonne foi. Et je voudrais être bien certain que, M. le Président, les critiques que je formulerai ce matin n'entacheront pas cette prémisse de bonne foi que j'attribue aux gens qui sont en responsabilité ministérielle et particulièrement au ministre de la Santé.

Mais je dois vous avouer qu'à la lecture du projet de loi et après avoir pris connaissance d'un certain nombre d'opinions, et de mémoires, qui ont été émises préalablement à l'écriture et à la publication de ce projet de loi j'ai eu un sentiment, pour commencer, de déception. Je trouvais particulièrement efficace la promotion faite autour de toute l'opération suite à l'arrêt Chaoulli, particulièrement efficace la promotion faite autour de ce dossier par le gouvernement. Je me rappelle notamment d'un point de presse où le premier ministre était présent avec le ministre de la Santé et où on dévoilait l'intention première du gouvernement suite à l'arrêt Chaoulli, c'est-à-dire cette idée fort attrayante, qui aurait pu être rassurante, en tous les cas qui était invitante, de garantir l'accès. Je me suis dit: C'est un bon coup, c'est un bon coup politique, j'espère que ça va être un bon coup administratif et que ça va être en même temps un bon coup pour le bien-être de la population.

Garantir l'accès, c'est un défi extraordinaire dans un système universel et public, qui n'est pas gratuit en passant, qui coûte des sous, mais qui ne discrimine pas entre les patients selon qu'ils ont ou non accès à un revenu plus ou moins élevé. Alors, c'est un beau défi. Et je me suis dit: Voilà une occasion dans le fond... Il arrive comme ça que des revers, parce que l'arrêt Chaoulli dans le fond, c'est un revers pour les représentants québécois à la Cour suprême, il arrive que des revers puissent nous donner l'occasion de rebondir plus forts et de se montrer, devant l'adversité, ingénieux, créatifs et responsables, responsables et rationnels à la fois, et qu'on puisse imaginer donc des solutions qui à la fois respecteraient ce que la Cour suprême considère comme un droit fondamental mais aussi respecteraient notre attachement à d'autres valeurs fondamentales, dont celle extrêmement importante de l'universalité des soins, de l'accès non discriminant entre ceux et celles qui ont un revenu plus ou moins important à des soins de santé.

Je connaissais déjà l'opinion du ministre parce que j'avais eu l'occasion de lire son papier qu'a cité mon collègue de L'Assomption, son papier d'octobre 2002, dans Le Devoir, mais j'avais aussi entendu, lors d'une longue entrevue à Radio-Canada, à partir de cette même publication, je pense qu'il avait été interviewé par M. Lacombe, à Radio-Canada, un de ces samedis matins où je faisais l'épicerie et où, en me dirigeant vers l'épicerie, j'avais entendu le ministre, alors médecin, s'exprimer à ce sujet. Et je trouvais très éloquente et en même temps très rassurante l'analyse que faisait, à ce moment-là, le ministre actuel à propos des enjeux qui étaient en cause dans tout ce dossier de l'arrêt Chaoulli. Et je me rappelle très bien que le ministre défendait une position antiadéquiste, il citait d'ailleurs l'ADQ comme étant un parti politique qui se situait à droite et qui, comme tous les partis de droite, faisait une bonne analyse mais appliquait un remède qui allait tuer le patient. Et j'avais trouvé cette allégorie très intéressante venant de quelqu'un qui sauvait des vies. Alors, je me suis dit: Voilà quelqu'un qui doit être attaché à des principes extrêmement forts et qui donne des avis qui dépassent largement... le bruit que fait l'ordinateur du député de Vimont.

Alors, toujours est-il que, M. le Président, en lisant cette... J'ai été déçu d'abord par une chose. Je m'attendais à ce que le projet de loi ouvre toute grande la porte à toute la question de l'accessibilité d'abord en première ligne et ensuite l'accessibilité à des spécialités. Mais, dans tout le remaniement auquel a procédé le ministre dans le système de la santé et dans son approche dite de population, j'ai assisté de très près aux délibérations autour du projet de loi... c'est 83, je pense, qui nous préoccupait à l'époque, et... Bon. Toute cette discussion autour de l'accès à des services médicaux de première ligne, cette dimension de garantie d'accès à des soins médicaux était centrale, et je me suis dit: Quelque part, le projet de loi que va déposer le ministre va nous amener aussi dans des considérations d'accès à des services de première ligne.

On n'est pas sans ignorer, là, tous et chacun d'entre nous ici, qu'il y a quand même au-delà de 1 million, je pense que c'est 1,3 million de personnes au Québec qui ne sont pas... ne trouvent pas preneurs au niveau de l'accès à un médecin de famille, et je me disais: Voilà une occasion d'améliorer notre capacité d'accès à cet égard-là, et je m'attendais à ce qu'on puisse avoir des propositions importantes. Mais le ministre nous fait valoir qu'on ne peut pas tout faire en même temps, etc., et il a totalement ignoré ou omis cette question-là de son projet de loi. Je trouve ça décevant.

n(11 heures)n

La deuxième déception vient du fait que nous n'avons pas non plus d'indication dans le projet de loi, puis là on n'en a pas fait état, je pense, ce matin, dans nos remarques, mais le projet de loi ne fait plus référence à un temps donné de délai d'attente prescrit par la loi en ce qui concerne l'attente en vertu d'un besoin d'intervention chirurgicale. À ma connaissance, là, à travers tous les mémoires que nous avons entendus et en revoyant, réexaminant les réactions du ministre durant ces séances, il me semble que nous avions toutes les indications à l'effet que le ministre allait intégrer explicitement et exprimer explicitement dans son projet de loi un délai ? je ne sais pas pourquoi le six mois s'est imposé quelque part dans mon esprit, là, mais il y a un sédiment qui reste, là, c'est six mois ? à l'effet donc que le projet de loi allait prescrire un délai, et voilà que ce délai n'apparaît plus dans le projet de loi. Et c'est décevant parce que quelque part voilà un autre défi important auquel le système de santé aurait pu être confronté, c'est-à-dire cette obligation de devoir offrir un service dans un délai prescrit par la loi. À cette déception s'ajoute un sentiment d'égarement par rapport à ce que le ministre nous avait d'abord annoncé.

Je dois avouer que je trouve que le projet est déroutant parce qu'en écoutant les délibérations autour de ce projet de loi je n'ai pas compris, je n'ai pas encore compris ? peut-être le ministre pourra-t-il nous éclairer davantage là-dessus ? la nécessité de créer des centres médicaux spécialisés dans trois sphères d'intervention chirurgicale où on nous dit, on nous indique qu'il y a eu des améliorations notables du point de vue de la liste d'attente. Là, je me suis dit: Est-ce que j'entends mal? Apparemment, je n'entends pas mal. Le ministre nous indique, dans ses analyses... son ministère nous indique que les données nous indiqueraient qu'il y a eu des améliorations au niveau des listes d'attente en chirurgie du genou, de la cataracte et de la hanche. On serait parvenu à ces améliorations en focussant sur ces domaines d'intervention et en demandant à certains centres, cliniques de se spécialiser dans un domaine précis de telle sorte à améliorer l'efficience au niveau de notre capacité d'offre de services.

Alors, pourquoi créer un projet de loi qui... présenter un projet de loi qui viendrait garantir l'accès là où il est quasiment garanti et même atteint dans certains endroits, dans certaines régions du Québec? Je dois vous avouer que j'attends encore la réponse à cette question. Je pourrais faire toutes sortes d'hypothèses, les unes bienveillantes, d'autres plus malveillantes, je ne le ferai pas, mais je vais attendre l'explication. Pourquoi... et là j'espère que... non, je ne la dirai pas, mon hypothèse, parce que je ne veux pas envenimer le débat au point de départ. Mais pourquoi, pourquoi y aurait-il nécessité de créer des cliniques, des centres médicaux spécialisés là où le service public, et le réseau public, a déjà fait la démonstration qu'il pouvait répondre à la demande? Il nous serait arrivé avec d'autres domaines où les listes d'attente débordent largement les délais médicalement acceptables que je me serais dit: Bien là, il y a un effort national à faire autour de ça. Mais j'ai comme une impression de non-dit, une impression d'un scénario dont toutes les dimensions ne nous ont pas été clairement et de façon très transparente dévoilées.

M. le Président, là où je pense qu'il y a des inquiétudes très grandes à y avoir et je pense que le projet de loi pourrait être dangereux, c'est avec toute cette question de l'ouverture à l'assurance duplicative. Mon collègue de L'Assomption a déjà fait état de la position du ministre à cet égard en 2002. Ma collègue de Champlain a très clairement énoncé et dénoncé les situations qui pourraient découler de l'ouverture d'une brèche, qui est déjà d'ailleurs, à mon avis, trop présente dans notre système de santé, vers un système à deux vitesses. Ce principe qui était défendu âprement par le ministre en octobre 2002 était à l'effet qu'on ne voulait pas voir une société qui offrirait des soins sur la base du chacun pour soi, mais plutôt sur la base de l'équité et de la justice sociale.

Et le ministre disait d'ailleurs à l'époque que ce n'était pas un débat anodin que cette histoire de public-privé, etc., qu'il fallait ne surtout pas faire l'erreur de balayer le débat sous le tapis. Et il dénonçait, et je le cite, l'ADQ qui, «on le sait maintenant ? disait-il ? préconise le recours à l'assurance privée pour ceux qui pourront se le permettre ? le ministre dénonçait l'ADQ qui préconisait le recours à l'assurance privée pour ceux qui pourront se le permettre. Le paiement direct et l'assurance partagent un paradoxe confirmé dans tous les pays où ces régimes sont disponibles: la population économiquement défavorisée, celle qui a le plus besoin [de] services ? disait-il ? devient le groupe le moins susceptible de recevoir des soins.» Puis j'entends encore le ministre dire ça, là, à la radio de Radio-Canada aussi avec une conviction puis une sincérité dont je ne doute pas.

Et franchement je ne voudrais pas accabler le ministre outre mesure à partir de ces citations-là, non plus qu'à partir de la suivante. À la fin de son article, il dit: «Ne commettons pas l'erreur d'affaiblir notre système de santé gratuit et universel au profit de l'entreprise privée qui s'est avérée incapable, partout où on lui en a donné l'occasion, d'offrir des services aussi accessibles et peu coûteux qu'un régime basé sur la taxation universelle.»

Je ne voudrais pas accabler le ministre outre mesure, mais, M. le Président, laissez-moi pour un moment vous offrir une allégorie. J'ai l'impression d'avoir suivi le ministre durant tout ce temps-là comme quelqu'un qui suit une auto sur une autoroute, qui clignote à gauche, puis qui décide de tourner à droite. Puis je le suis, là, je le suis, là, je suis tout près de lui. Il va arriver quoi, M. le Président? On va rentrer en collision, et c'est ce qu'il est en train de produire. Le ministre a clignoté à gauche tout le long, puis là il décide qu'il vire à droite. Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? J'ai de la misère à... C'est déroutant. C'est un comportement qui me semble quelque part extrêmement dangereux et irrationnel, et l'irrationalité, on le sait, rebute au ministre de la Santé. Alors, pourquoi ce virage après avoir clignoté si longtemps à gauche?

Ce n'est certainement pas pour offrir une garantie de services dans des domaines où on obtient du succès dans le secteur public, certainement pas ça. Est-ce que c'est relié... Le ministre nous dit: Ah oui! mais depuis il y a eu l'arrêt Chaoulli. Oui, mais là il y a eu l'arrêt Chaoulli, mais l'arrêt Chaoulli dit: Écoutez, là, si le système public est en mesure d'offrir une accessibilité raisonnable, la prohibition de l'assurance privée, là, c'est tout à fait acceptable du point de vue des droits de la personne. Alors, à moins que le ministre s'avoue déjà vaincu et jette la serviette, ce n'est certainement pas à cause de l'arrêt Chaoulli.

Mais c'est à cause de quoi, alors? Quels nouveaux intérêts se sont manifestés ? et là je vois le ministre qui me regarde en souriant ? puis les intérêts en vertu du bien commun, je veux dire? Quels nouveaux intérêts en vertu du bien commun se sont manifestés pour que le ministre dise: Je vais désormais offrir l'assurance privée? Est-ce que c'est des... Bon. Puis le ministre le dit lui-même, là, il n'y a aucune démonstration à l'effet que le renforcement du système privé va améliorer l'accès au niveau du système public. Puis là tous les arguments ont déjà été vus, et revus, et revisités, toute la question de la ponction du capital humain, des ressources humaines dans le système public qui pourraient éventuellement, là, quitter pour aboutir vers le privé. Tout ceci, M. le Président, a été dit.

n(11 h 10)n

Alors, M. le Président, il y a des grosses questions qui se posent, et le ministre doit répondre à ces questions lors de cette étude détaillée du projet de loi n° 33: En quoi le bien commun est-il servi par un changement de direction aussi dramatique, par une position qui se révèle maintenant voisine de celle que le ministre dénonçait en 2002, par une orientation et une décision... Et là-dessus, là, M. le Président, je me demande si le ministre a eu un tête-à-tête avec son Commissaire de la santé là-dessus, là. On est en train de jouer dans la question du financement de la santé, on est en train de modifier considérablement les données d'accès, d'accessibilité au système de la santé, on est en train à mon avis de toucher des aspects fondamentaux du système de santé. Et il m'apparaîtrait important que le ministre nous rassure là-dessus, à l'effet qu'il y a eu des avis, qu'on espérerait impartiaux ? bien que le Commissaire de la santé est maintenant, malheureusement, sous la responsabilité du ministre ? mais qu'on aurait eu un avis là-dessus de la part du Commissaire de la santé. Mais on attend des réponses de la part du ministre, M. le Président. Et je sais qu'il n'aura plus le temps maintenant de me répondre parce que mon 20 minutes est écoulé.

Le Président (M. Copeman): Exact. Est-ce qu'il y a d'autres députés qui désirent intervenir à l'étape des remarques préliminaires?

Mme Charest (Rimouski): Oui, M. le Président.

Le Président (M. Copeman): Mme la députée de Rimouski et porte-parole de l'opposition officielle en matière des services sociaux.

Mme Solange Charest

Mme Charest (Rimouski): Merci, M. le Président. Écoutez, je trouve que le projet de loi n° 33 m'apparaît... je n'ose pas le dire parce qu'on démarre les travaux, mais ça m'apparaît un dangereux précédent que l'on est en train d'instaurer sous prétexte d'un jugement de Cour suprême qui ne dit pas qu'il faut absolument instaurer un système avec assurance duplicative, etc., et ça, là, ça me questionne énormément. Et, pour en avoir débattu avec plein de gens, je suis à même de confirmer ici que les citoyens sont inquiets du projet de loi n° 33, parce qu'on sait très bien que, le projet de loi, premièrement, il y a deux principes à l'intérieur de ce projet de loi là: un qui porte sur la gestion, hein, de l'accès aux services médicaux spécialisés et surspécialisés, et l'autre principe qui est vraiment celui, là, de la création d'un régime juridique qui va permettre de souscrire, ceux qui pourront se le payer, une assurance privée, là, pour couvrir des services qui autrement seraient offerts par le système public mais qui, avec le projet de loi n° 33, pourraient être offerts dans des centres médicaux spécialisés.

Dans un premier temps, M. le Président, j'aimerais attirer votre attention sur tout le système de gestion des listes d'attente, parce que dans le fond, le rapport Chaoulli, pourquoi on a eu droit à ce jugement de la Cour suprême, c'est parce qu'il y avait des listes d'attente, et, contrairement aux engagements du gouvernement actuel qui avait décidé d'éliminer l'attente sous toutes ses formes autant dans les services de santé que dans les services sociaux, on s'est retrouvés, et ça, depuis 2003, avec encore des listes d'attente très importantes. Et il y a des gens qui ont perdu patience, pour ne pas dire autre chose, et qui se sont rendus jusqu'à la Cour suprême. Mais, vous savez, ce projet de loi là ne doit pas être le prétexte à se donner des moyens pour permettre au privé de prendre la place du public, parce que le système de santé public, il est basé sur des principes fondamentaux, et le projet de loi n° 33 les remet en question, c'est: l'accessibilité, l'universalité et la gratuité des services comme tels. Et je pense qu'avec le projet de loi n° 33 il y a de dangereux précédents qui pourront se créer au fur et à mesure... que cette loi, si elle est adoptée telle quelle, pourrait créer dans son application comme telle.

J'aimerais quand même dire qu'il y a un élément qui me plaît dans ce projet de loi là, c'est le système de gestion centralisé des listes d'attente. C'est un élément positif, et je pense que seul cet élément-là pourrait faire l'objet de 33, sans tout le reste. Et ça, je ne suis pas la seule à le souligner, parce que j'ai regardé, il n'y a pas longtemps, encore la semaine dernière, des mémoires qui nous avaient été présentés, et plusieurs intervenants, même des fédérations médicales, nous disaient que, si on réussissait à instaurer un système de gestion des listes d'attente de façon coordonnée, de façon harmonisée, avec des possibilités de travailler par établissement, dans un premier temps, avec des règles, là, qui respectent le diagnostic du médecin traitant, donc un système de gestion des listes d'attente à la fois souple mais qui en même temps nous permet de connaître le fin fond de l'histoire, c'est-à-dire pas le fin fond de la poche du médecin traitant, mais le fin fond de c'est quoi, et c'est qui, et pour quelles pathologies les gens sont en attente d'une intervention...

Alors, quand ce système... Si on l'instaure par l'entremise du projet de loi n° 33 et qu'on l'instaure correctement, c'est-à-dire en respectant ce qui est médicalement acceptable pour différents types de chirurgie, mais à la condition aussi que les délais qui sont médicalement acceptables, ce ne soit pas l'objet de négociations pour dire: Ah! il y a un peu trop de monde, on va rallonger le délai... Non, ça ne se passerait pas de même ? il ne faudrait pas que ça se passe de même ? parce que la communauté médicale, la communauté scientifique médicale connaît déjà et sait déjà quel est le délai maximal acceptable, d'un point de vue médical, pour une personne qui est relativement en santé mais qui attend pour une chirurgie de la hanche. Il y a des consensus au niveau de la communauté scientifique médicale là-dessus, et ce sont ces consensus-là qui doivent prévaloir, dans un premier temps, pour établir les délais maximalement acceptables.

Ceci étant dit, je pense qu'un système établi selon un format propre et à la fois commun à l'ensemble des établissements permettrait d'avoir l'heure juste sur les listes d'attente, permettrait aussi d'avoir une souplesse recherchée par les médecins traitants. Parce que des fois des patients, ils sont en attente d'une chirurgie, mais leur condition de santé étant telle que peut-être que l'attente, pour eux, se doit d'être plus courte que prévu et que l'on doive respecter ces éléments-là pour s'assurer de la qualité des services qu'on offre aux patients puis de ne pas intervenir à un moment donné où on s'aperçoit que, c'est dommage, on aurait dû intervenir avant, puis là on intervient trop tard. C'est des choses qui peuvent arriver. Alors, je pense que là-dessus un système de gestion des listes d'attente qui tiendrait compte de cela, qui pourrait être harmonisé aussi avec l'ensemble des centres hospitaliers d'une même région, parce que, si... voyons la liste telle qu'elle est et qu'il y a des cas qui nécessitent des interventions plus rapides que prévu, bien qu'on puisse, à l'aide des autres listes d'attente des autres établissements, pouvoir rendre le service à la personne concernée.

Et ce n'est pas tout d'harmoniser d'un établissement à l'autre dans une même région, mais il faut aussi l'harmoniser entre les régions puis pour l'ensemble du Québec. Et je pense que ça, c'est possible et faisable avec tous les systèmes de communication qui existent présentement et où les dossiers médicaux peuvent être transférés d'un professionnel à l'autre, d'un établissement à l'autre pour intervenir de façon tout à fait adéquate pour rendre le service au bon moment, à temps surtout. Ça, je pense que c'est de plus en plus important.

Parce qu'il suffit de lire les journaux... Encore en fin de semaine, on racontait qu'une dame dans l'Outaouais avait réussi à avoir les résultats de son examen parce qu'elle avait des amis dans le système qui avaient pu lui transmettre les informations qu'elle ne réussissait pas à avoir par son équipe médicale traitante, son médecin comme tel, et que, bon, elle a appris qu'elle avait le cancer du sein, puis que, là, une fois qu'elle a su, par toutes sortes de contacts, de relations qui ont pu aller chercher l'information là où elle était, cette femme-là a été rassurée. Et, je vous le dis bien franchement, là, si on gérait mieux nos listes d'attente, ce genre de situation là ne serait plus monnaie courante dans le système de santé mais deviendrait vraiment l'exception. Et ce n'est pas la première fois que j'entends des gens dire: Ah! moi, j'ai réussi, là, à savoir le résultat de mes examens parce que je connais un tel qui travaille à tel endroit puis parce que, dans ma famille, il y a un médecin qui a pu m'aider à l'interpréter, etc.

n(11 h 20)n

Alors, je pense que là-dessus, là, tout ça, tous ces événements qui se passent de façon inadéquate... Parce que ce n'est pas une façon de fonctionner, surtout pas avec des données aussi sensibles que celles qui ont rapport avec l'état de santé de quelqu'un suite à des examens, ça ne doit pas se passer comme ça, et la cause de tout ça, ce sont les nombreuses listes d'attente et l'insécurité, l'angoisse que ça crées chez les citoyens et les citoyennes, d'attendre et ne pas savoir quoi qui va leur arriver, qu'est-ce qui va se passer, est-ce qu'ils ont la problématique appréhendée ou pas. Alors, je pense que là-dessus le travail qui pourrait permettre de garantir l'accès aux soins et services de santé, c'est une mesure que, moi, je verrais d'un bon oeil dans ce projet de loi n° 33 là.

Cependant, quelque chose qui m'agace énormément, c'est toute la question de l'assurance privée duplicative, qui, elle, vient brouiller les cartes, c'est le moins qu'on puisse dire. Je pense que c'est bon de rappeler qu'est-ce que le jugement Chaoulli demande au gouvernement du Québec comme tel. Dans le fond, ce qu'il lui demande, c'est de sortir en quelque sorte de son inertie puis de régler les délais d'attente en santé. Et, si la cour ouvre la porte... invalide, en tout cas, en quelque sorte, la prohibition de l'assurance privée, c'est que dans le fond la cour conclut que celle-ci freine l'accessibilité aux soins médicaux.

Mais, vous savez, l'assurance privée, c'est quelque chose qui peut avoir des effets pervers dans un système comme le nôtre. Premièrement, les assurances privées sont là pour faire des sous, puis c'est tout à fait normal. Quand on est en entreprise privée et qu'on investit, on s'attend à avoir, comment je dirais, une rentabilité suffisamment intéressante pour qu'on puisse continuer d'investir et de développer les produits que l'on offre. Mais il faut se rappeler qu'avec l'assurance privée ce n'est pas tout le monde qui a les moyens ou aurait les moyens de se faire assurer. Ça, c'est une chose. D'autre part, il faut se rappeler que les assurances privées dans le commercial... Puis eux autres, que ce soit dans la santé ou dans les assurances feu, accident, etc., ce qu'ils mesurent, c'est le niveau potentiel de risque, et on risque, c'est le cas de le dire, de se retrouver, dans le système public, avec l'obligation de maintenir des services qui sont beaucoup plus dispendieux, alors que le système privé, lui, va s'accaparer le type de chirurgies qui dans le fond ne coûtent pas cher et pour lesquelles les clientèles auxquelles il va s'adresser, les clientèles sont à faible risque d'avoir besoin de ce type d'interventions.

Rappelez-vous qu'avant que l'assurance médicaments existe l'assurance privée existait dans le domaine du médicament, et ce à quoi on assistait, c'était que certaines personnes ayant des problèmes de santé majeurs, comme des problèmes cardiaques, des problèmes de sclérose en plaques, de diabète, eux, n'étaient pas assurables. Et ça a pris l'assurance publique, hein, l'assurance médicaments publique pour s'assurer que ces citoyens, qui étaient au nombre... Puis il y avait aussi tous ceux et celles qui n'avaient pas les moyens de se payer une assurance privée parce que, dans le cadre de leur travail, il n'y en avait pas, d'assurance privée pour les médicaments, ou tout simplement leurs revenus ne leur permettaient pas de s'en payer une. Bien, ce à quoi on assistait, c'est qu'il y avait au-delà de 2 millions de personnes qui n'avaient pas d'assurance médicaments, et ceux qui en avaient, c'est parce que leur état de santé était tel que, pour la compagnie d'assurance privée, les risques étaient soit presque inexistants ou très peu élevés, donc ça pouvait être un client ou une cliente intéressante à assurer pour offrir le service de l'assurance médicaments.

Bien, c'est exactement la même chose qui risque de se produire avec l'introduction de l'assurance privée duplicative que le ministre veut introduire dans son projet de loi n° 33. Je pense que là-dessus les effets pervers sont nombreux, et c'en n'est qu'un exemple que j'élabore, là, brièvement, ici, ce matin, mais je pense qu'il y en aurait d'autres si on prenait la peine de tous les énumérer.

Et, moi, je pense que se permettre d'avoir une assurance privée duplicative, c'est commettre justement l'erreur d'affaiblir le système de santé public, gratuit, universel, et ce, au profit de l'entreprise privée. Parce que l'entreprise privée, elle va prendre les cas qui requièrent le moins de ressources, les cas qui coûtent le moins cher, et ça, je pense que ça va complètement à l'encontre de ce que déclarait jeudi le 3 octobre 2002 à La Presse le ministre actuel, qui était, à ce moment-là, un neurochirurgien, professeur à la Faculté de médecine de l'Université de Sherbrooke et directeur du Département de chirurgie au CHUS.

Alors, je suis persuadée que, de 1992 à 2006, ça ne se peut pas qu'il ait changé d'idée à ce point-là, parce que, dans son texte qu'il a signé, il nous rappelait justement, et à bon titre, je pense qu'il avait raison et qu'il a toujours raison quand on relit l'article de journal: «Les Québécois sont, à juste titre, préoccupés par la taille de nos listes d'attente et il semble attrayant à première vue de les alléger à l'aide de la voie de garage ? la voie de garage ? d'un système privé parallèle.» Et le neurochirurgien en question, qui est notre ministre actuel de la Santé et des Services sociaux, déclarait: «Or, personne n'a jamais pu démontrer un quelconque effet d'une telle solution sur l'accessibilité aux soins assurés par le régime public. Au contraire, la demande de soins payés par l'État et les listes d'attente ne sont pas modifiées de façon significative par un tel arrangement.»

Je suis tout à fait d'accord avec cet énoncé et je pense que la lucidité du neurochirurgien était tout à fait appropriée dans le débat de la question: Est-ce que l'on doit permettre, oui ou non, l'arrivée, dans le système public, de l'assurance privée duplicative. Alors, je pense que là-dessus ce n'est pas strictement la députée de Rimouski qui a des craintes et même certaines certitudes par rapport aux effets pervers, aux effets néfastes qu'aurait l'adoption du projet de loi n° 33 avec la possibilité d'avoir l'assurance privée duplicative. Et, tout à l'heure, j'entendais mon collègue voisin de moi, mon collègue de...

M. Bouchard (Vachon): Vachon.

Mme Charest (Rimouski): ...Vachon ? je cherchais votre comté, monsieur ? et je trouvais qu'il avait tout à fait raison de rappeler qu'il y a des situations qui font que l'assurance privée ne sera jamais la solution au problème.

Et il rappelait dans son article, le neurochirurgien devenu ministre de la Santé maintenant, il disait: «...parce que notre système gratuit et universel est en difficulté, la seule solution est d'y introduire les mécanismes du marché.» Alors, il trouvait que l'ADQ, qui en faisait la promotion, faisait la même erreur logique que d'autres avant eux et il rappelait que «permettre que les personnes mieux nanties de notre société aient accès de façon prioritaire aux soins, dans un plus grand confort...» C'est sûr, hein, on paie, donc on exige des choses.

Puis je vous assure que, quand on va payer, on ne comprendra pas comment ça se fait qu'il va falloir qu'on attende même dans le privé. Parce qu'il ne faut pas se leurrer, là, on ne clonera pas des médecins spécialistes, on ne clonera pas du personnel infirmier adéquatement formé, avec l'expertise et l'expérience que nécessiteront certaines interventions autant dans le privé que dans le public. Et, comme le personnel demeure quand même sur la ligne de ce que nous avons besoin, et parfois il en manque, alors je pense que là-dessus c'est bon de rappeler que c'est dans un plus grand confort, oui, mais ce n'est pas nécessairement, aussi, une garantie que ça va être au bout du doigt puis qu'il n'y aura pas nécessairement des attentes là aussi.

n(11 h 30)n

Mais ce que l'on va faire, c'est de monter le niveau d'impatience, monter le niveau d'insatisfaction des citoyens et des citoyennes qui ne comprendront pas que, parce qu'ils ont payé... Eux autres, ils ont les moyens, ils peuvent se le payer. Parce que j'entendais quelqu'un qui me disait: Bien, moi, si j'ai les moyens, je peux me le payer. Oui, mais, si vous avez les moyens, puis que vous vous le payez, puis que vous n'avez pas le service au bout de la ligne parce qu'il n'y a pas de médecins spécialistes en nombre suffisant pour x disciplines, ou qu'il n'y a pas nécessairement le nombre d'anesthésistes suffisant pour être présents lors des interventions, ou qu'il n'y a pas suffisamment d'infirmières spécialisées comme tel qui ont l'expérience qu'il faut pour être dans une salle d'opération, vous ne serez pas plus avancé, ça va vous avoir coûté en double. Parce que les citoyens, ils paient déjà pour le système public. Leurs taxes et leurs impôts, là, ça va aussi sur le système public de santé. Donc, je pense que leur demander en plus de se payer des services privés, alors qu'ils ont déjà payé, je pense que ça ne leur prendra pas longtemps pour réfléchir à la question et dire que c'est un non-sens que de vouloir toujours passer par la solution la plus facile, sous prétexte que: quelqu'un a de l'argent, il peut tout se payer. Vous savez, ça, ça a amené bien du monde à se river le nez sur des déceptions extraordinaires, qui a fait que les gens n'avaient pas plus de satisfaction par rapport à ce qu'ils s'attendaient comme types de services. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Copeman): Merci, Mme la députée de Rimouski. Est-ce qu'il y a d'autres députés qui désirent intervenir à l'étape des remarques préliminaires? Il n'y en a pas. Est-ce qu'il y a des motions préliminaires?

M. St-André: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Copeman): M. le député de L'Assomption.

Motion proposant d'entendre les procureurs
ayant représenté le gouvernement dans
la cause Chaoulli et Zeliotis

M. St-André: Oui, merci. Alors, en vertu de l'article 244, j'aimerais présenter la motion préliminaire suivante:

«Que la Commission des affaires sociales entende Me Robert Monette, Me Patrice Claude, Me Dominique A. Jobin et Me Sylvie Roussel avant d'amorcer l'étude article par article du projet de loi n° 33.»

Le Président (M. Copeman): Vous avez copie de votre motion, M. le député? Alors, ça me paraît recevable en application de l'article 244 du règlement. Je pense qu'il y a copie pour tous les membres de la commission. Très bien. En tant que l'auteur d'une motion de forme, M. le député, vous avez droit à une intervention d'une durée maximale de 30 minutes.

M. Jean-Claude St-André

M. St-André: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, pourquoi présenter une telle motion à ce stade-ci? M. le Président, les quatre avocats sont en fait les quatre procureurs qui ont été mandatés par le gouvernement du Québec pour le représenter devant la cause concernant l'arrêt Cha-oul-li, Chaoulli ? je vais finir par le prononcer comme il le faut.

Des voix: Zeliotis.

M. St-André: L'arrêt Chaoulli-Zeliotis. Merci, M. le Président.

Or donc, les procureurs mandatés par le gouvernement du Québec, par le Procureur général, ont présenté un plaidoyer très intéressant devant la Cour suprême, un plaidoyer d'ailleurs qui va tout à fait dans le sens de ce que le ministre énonçait comme principes et valeurs dans la lettre qu'il a signée dans le journal La Presse, le 3 octobre 2002. On est donc en droit de penser, lorsqu'on regarde la position du ministre, les arguments présentés par le Procureur général du Québec et par les procureurs qu'il a mandatés pour le représenter devant la Cour suprême, on est donc en droit de penser qu'il y avait une parfaite cohérence entre l'ensemble de ces intervenants.

Et je pense que c'est important de relire, de bien regarder les arguments qui ont été présentés par les procureurs, surtout à la lumière du projet de loi n° 33 présenté par le ministre. Et là, je le répète encore une fois, quand on regarde, quand on fait une lecture attentive de la lettre signée par le ministre, des arguments présentés par les procureurs devant la Cour suprême du Canada et le projet de loi n° 33, nous en tout cas, de ce côté-ci, il nous semble qu'il y a des incohérences, hein, n'est-ce pas, entre ce que le ministre a signé, ce que les procureurs ont défendu devant la Cour suprême et puis finalement le résultat de l'opération: le projet de loi n° 33. Je vais essayer, dans le 30 minutes, de mieux expliquer mon point de vue.

Bien, qu'est-ce qu'ils ont dit, les procureurs, devant les juges de la Cour suprême? Ils ont d'abord soulevé dans leur mémoire que l'assurance privée a été interdite parce qu'elle posait plusieurs problèmes. C'est un des arguments que les procureurs du Québec, les quatre procureurs que je nomme dans la motion, ont plaidés avec force: que l'assurance privée a été interdite parce qu'elle posait plusieurs problèmes.

Alors, au paragraphe 61 du mémoire du Procureur général, les procureurs affirment ceci: «Après avoir donné l'occasion à de multiples experts, groupes sociaux, professionnels de la santé et autres intervenants de faire valoir leur point de vue, le législateur a conclu ? le législateur a conclu ? à la nécessité de mettre sur pied un régime qui permet à toute personne d'obtenir les soins dont elle a besoin, sans égard à sa condition financière, à son âge ou à son état physique et mental: tout ceci en réponse, notamment, à l'insuccès des assurances privées en matière de soins de santé.» Moi, je pense, M. le Président, qu'en entendant les procureurs les membres de la Commission des affaires sociales pourraient prendre connaissance des éléments factuels sur lesquels les procureurs du Québec se fondaient pour faire état des insuccès des assurances privées.

Deuxièmement, les procureurs du Québec ont plaidé devant la Cour suprême, ont fait état devant la Cour suprême, ont fait état d'études qui concluent que l'assurance privée comporte des désavantages et que les solutions aux problèmes vécus par le système de santé, bien les réponses se retrouvent essentiellement dans le système public.

Alors, je cite encore le mémoire présenté par le Procureur général du Québec. Au paragraphe 69, les procureurs affirment ce qui suit: «Plusieurs commissions et comités se sont penchés sur l'état du système de santé public, sur les mesures à prendre pour assurer sa viabilité à long terme ainsi que sur son mode de fonctionnement et de financement. Bien que ceux-ci aient constaté que le système de santé connaît actuellement certaines difficultés, lesquelles d'ailleurs sont communes aux systèmes de santé de tous les pays développés ? M. le Président, je lis la plaidoirie des procureurs puis j'ai l'impression de relire pratiquement mot à mot ce que le ministre signait en 2002, là, alors je continue ? tous ont rejeté le recours à la privatisation du financement des soins de santé déjà assurés par l'État pour régler ces difficultés.» Je répète, M. le Président, je pense que c'est important: «...tous ont rejeté le recours à la privatisation du financement des soins de santé déjà assurés par l'État pour régler ces difficultés.»

Ce que ça veut dire, ça, M. le Président, là, c'est que, devant la Cour suprême, le gouvernement, représenté par ses procureurs, a énoncé clairement que «tous ont rejeté ? les pays ? le recours à la privatisation du financement des soins de santé déjà assurés par l'État pour régler ces difficultés» d'accessibilité au réseau de la santé. Alors, comme le disait mon collègue de Vachon, pendant des années on a clignoté à gauche puis là, tout d'un coup, avec le projet de loi n° 33, on vire à droite.

Je poursuis la lecture, là, du paragraphe 69 du mémoire du Procureur général: «...les rapports qu'ils ont produits démontrent que les solutions à ces problèmes se trouvent à l'intérieur du système de santé public et que ce dernier possède la capacité d'y répondre et de s'adapter aux nouvelles réalités.» Donc, en clair, ce que les procureurs disent, c'est que, si on veut régler les problèmes de listes d'attente, le régime public de santé a tout ce qu'il faut pour le faire, il en a la capacité; le recours aux assurances privées ne réglera pas le problème.

Au paragraphe 70, les procureurs vont plus loin, ils ajoutent: «Chaque fois, l'option de la privatisation du financement des services médicaux et hospitaliers [...] a été écartée, non pas pour des raisons dogmatiques ? non pas pour des raisons dogmatiques ? mais parce qu'elle comportait des inconvénients majeurs.» Moi, je pense franchement que ce serait important d'entendre devant cette commission les procureurs qui ont plaidé au nom du gouvernement du Québec avec force, comme on vient de l'entendre, que le recours aux assurances privées n'était pas une solution.

n(11 h 40)n

Troisièmement, je pense qu'il est plutôt assez difficile, assez difficile, je dirais qu'il est pratiquement impossible de concilier les positions avancées par le gouvernement devant la Cour suprême avec les affirmations du ministre dans son discours sur l'adoption de principe du projet de loi n° 33. Le ministre a affirmé, lors de l'adoption de principe du projet de loi n° 33, que l'interdiction de l'assurance privée est une incohérence et qu'elle est paternaliste.

Voici ce que disait le ministre dans son discours du 25 octobre: «Il apparaît difficilement soutenable [...] qu'on puisse avoir le droit, parce que ça a été toléré par tous les gouvernements successifs, y compris le gouvernement précédent du Parti québécois, que l'on puisse accepter la présence de ces cliniques de médecins non participants et la possibilité de payer directement pour obtenir immédiatement une chirurgie et qu'on dise du même souffle aux citoyens: D'accord, mais vous n'avez pas le droit d'être assurés pour cette chirurgie-là. Il y a là, il me semble, une incohérence avec laquelle il est difficile de persister.» Puis, dans le même discours, bien le ministre, comme je l'ai dit tantôt, affirme que l'interdiction de l'assurance privée est une mesure paternaliste. Il faisait référence à «la volonté d'une bonne partie de nos concitoyens qui estiment un peu paternaliste qu'un État leur dise qu'ils peuvent s'offrir une chirurgie dans le privé mais qu'ils n'ont pas le droit de s'assurer».

Pourtant, pourtant, dans le mémoire présenté par les procureurs devant la Cour suprême ? là, ils parlaient au nom du gouvernement, donc du ministre de la Santé, les procureurs ? les procureurs indiquent, ils affirment que «les interdictions [...] ont un lien rationnel avec [leurs] objectifs». Paragraphes 202 et 203 du mémoire, qu'est-ce que les procureurs disent? «En l'espèce, les interdictions prévues aux articles 15 de la Loi sur l'assurance maladie et 11 de la Loi sur l'assurance-hospitalisation ont un lien rationnel avec les objectifs et sont proportionnées à l'atteinte de ceux-ci. Elles contribuent à empêcher le développement d'un système privé parallèle qui aurait, selon les experts entendus, pour effet de miner les valeurs d'égalité et de solidarité sociales à la base du système de santé québécois et canadien, de diminuer la qualité des soins et de mettre en péril la capacité de l'État de maintenir un système de santé disposant des moyens pour assurer à tous ? à tous ? un accès équitable à des services médicaux et hospitaliers de qualité.» Franchement, M. le Président, c'était... Mme la Présidente, excusez-moi, c'était un excellent plaidoyer. Le gouvernement devrait se tenir aux énoncés qu'il a présentés devant la Cour suprême.

Les procureurs continuent: «Pour contrer ces effets néfastes, il est nécessaire que ne se développe pas un système privé parallèle qui aurait pour conséquence de réduire globalement l'équité du régime public. L'interdiction de l'assurance privée couvrant les services médicaux et hospitaliers assurés...» Et là, évidemment, les procureurs du gouvernement du Québec, lorsqu'ils parlent des services médicaux et hospitaliers assurés, là on parle explicitement de l'assurance privée duplicative, là, c'est de ça dont parlent les procureurs ici... Alors, les procureurs, devant la Cour suprême, disent: «L'interdiction de l'assurance privée couvrant les services médicaux et hospitaliers assurés ? déjà dans le régime public ? est un moyen qui permet d'atteindre l'objectif de promotion des valeurs d'égalité et de solidarité sociales et qui ne va pas plus loin que ce qui est nécessaire pour l'atteindre.»

En clair, Mme la Présidente, qu'est-ce que ça signifie, ça? Qu'est-ce que ça signifie? Ça veut dire qu'en introduisant l'assurance privée duplicative dans le projet de loi n° 33 le gouvernement va à l'encontre de ce qu'il a plaidé devant la Cour suprême. Il va à l'encontre de l'objectif de promotion des valeurs d'égalité et de solidarité sociales qui étaient pourtant si chères au ministre en 2002, lorsqu'il a signé sa lettre dans La Presse.

Cinquièmement, dans leur mémoire, les procureurs du gouvernement du Québec affirment que d'autres provinces ont limité de la même façon l'éclosion d'un système de santé parallèle. Donc, le Québec n'est pas original dans cette voie-là, il y a d'autres provinces qui ont limité l'éclosion d'un système de santé parallèle. Au paragraphe 205, les procureurs du gouvernement du Québec affirment, je les cite: «À ce sujet, le Procureur général réfère à l'étude de la législation canadienne qui est faite par le Procureur général du Canada dans son mémoire. Celle-ci démontre que plusieurs autres provinces canadiennes ont adopté des dispositions similaires à celles de la législation québécoise pour interdire qu'une assurance privée ne couvre les services médicaux et hospitaliers assurés. De plus, toutes les provinces, sous une forme ou sous une autre, érigent des barrières à l'émergence d'un système parallèle de soins de santé.»

M. le Président, on s'étonne de voir aujourd'hui le ministre de la Santé, dans son projet de loi n° 33, éliminer en quelque sorte une partie de ces barrières-là en introduisant la possibilité pour des citoyens d'avoir recours à une assurance privée duplicative. Puis je répète qu'une assurance privée duplicative, ça veut dire qu'on va permettre aux citoyens de contracter une couverture pour des services, des traitements, des chirurgies qui sont déjà couverts par le régime d'assurance maladie. Autrement dit, pour moi, ce que ça veut dire, puis j'ai l'impression que c'est exactement l'interprétation des procureurs du gouvernement du Québec lorsqu'ils ont plaidé devant la Cour suprême, ce que ça veut dire, c'est que... autrement dit, des citoyens mieux nantis, bien nantis vont pouvoir acheter une assurance privée pour s'acheter une protection des chirurgies, des traitements qui sont déjà couverts dans le régime d'assurance maladie du Québec. Puis, à mon sens, si un citoyen achète une telle couverture d'assurance, c'est pour une seule et unique raison, c'est parce qu'il pense qu'il va pouvoir passer devant la file d'attente, c'est ça que ça veut dire, autrement il n'y en a pas, de raison de s'acheter une assurance privée duplicative.

Qu'est-ce que les procureurs ont amené d'autre comme argument devant la Cour suprême? Bien, ils ont dit aussi que l'assurance privée diminuerait les ressources disponibles dans le régime public. J'aimerais beaucoup entendre les procureurs sur cet argument-là ici, en commission parlementaire. Moi, sincèrement, j'ai l'impression que tous les parlementaires, des deux côtés de la Chambre... Parce que, je le répète encore une fois, le ministre a souvent opiné du bonnet, il est d'accord avec le principe d'un régime public d'assurance santé. J'aimerais ça entendre les procureurs, moi, sur ce qu'ils ont à dire sur l'introduction de l'assurance privée duplicative dans son projet de loi n° 33.

Alors, à cet égard-là, qu'est-ce que les procureurs nous disent concrètement sur les désavantages du recours à l'assurance privée? Au paragraphe 145 de leur mémoire, les procureurs affirment ce qui suit: «Le Procureur général ? le Procureur général, c'est le gouvernement du Québec ? estime plutôt avoir démontré qu'un régime privé offrirait vraisemblablement une gamme restreinte de services de santé, limiterait l'accès à ses bénéfices à une clientèle répondant à des critères d'assurabilité sélectifs ? en fonction notamment de l'âge, de l'état de santé, des antécédents médicaux...» Exactement ce qu'indiquait ma collègue de Rimouski tantôt, dans ses remarques préliminaires. Il est évident qu'une personne qui a déjà des problèmes de santé, bien, pour une compagnie d'assurance, ça comporte un risque supplémentaire. Il va falloir qu'il la paie drôlement cher, sa prime d'assurance. Donc, ça va être une couverture disponible seulement pour des gens très, très, très riches. C'est ça que ça veut dire. Les pauvres, eux, bien...

Alors, les procureurs continuent de la façon suivante... Je vais reprendre la lecture du paragraphe, ça va être plus simple. «Le Procureur général estime plutôt avoir démontré qu'un régime privé offrirait vraisemblablement une gamme restreinte de services de santé, limiterait l'accès à ses bénéfices à une clientèle répondant à des critères d'assurabilité sélectifs ? en fonction notamment de l'âge, de l'état de santé, des antécédents médicaux, [...] ? administrerait de façon stricte la couverture et la procédure d'accès aux soins offerts et contrôlerait les coûts afférents au régime ? en augmentant le montant de la prime et de la coassurance, en restreignant la couverture, en limitant le choix du médecin ou en contrôlant ses décisions...»

n(11 h 50)n

Au paragraphe 146, les procureurs ajoutent: «Ajoutons que la position de l'appelant Zeliotis apparaît peu réaliste puisqu'elle ne tient pas compte de la difficulté ? de la difficulté, et j'insiste, de la difficulté ? des personnes âgées à obtenir de l'assurance privée couvrant des soins médicaux et hospitaliers.»

Les procureurs ont aussi indiqué devant la Cour suprême que le recours à l'assurance privée ne permettrait pas d'atteindre les objectifs du système de santé, soit l'amélioration de l'état de santé et du bien-être de la population ainsi que la promotion des valeurs d'égalité et de solidarité sociales. Paragraphes 156 et 157 du mémoire présenté par les procureurs.

«Le premier objectif poursuivi concerne l'amélioration de l'état de santé et du bien-être de la population. Pour atteindre cet objectif, le législateur vise plus particulièrement à:

«éliminer l'incertitude et le risque économique inhérents à la maladie, notamment par l'élimination des barrières financières à l'accès aux soins.»

L'élimination des barrières financières à l'accès aux soins. M. le Président, permettre aux citoyens de pouvoir recourir à une assurance privée duplicative, c'est justement ériger une barrière financière à l'accès aux soins. Ceux qui vont en avoir les moyens, les plus riches, vont pouvoir contracter une assurance privée duplicative pour passer devant tout le monde, pour passer devant la file d'attente, puis ceux qui n'en ont pas les moyens, bien ils ne se feront pas soigner ou ils vont devoir poireauter sur des listes d'attente dans le régime public parce que le gouvernement n'a pas la volonté, contrairement aux engagements qu'ils ont pris en 2003, de régler ce problème-là dans le régime public.

Les procureurs ajoutent qu'il faut «rendre les soins accessibles à l'ensemble de la population de façon qu'elle puisse en faire une consommation optimale ? puis évidemment, bien, pour les procureurs, c'est le régime, c'est un régime public de santé qui peut y parvenir;

«obtenir une efficacité maximale du système de dispensation des soins par la planification, la coordination et l'intégration de l'activité dans le domaine de la santé;

«maximiser les rendements sociaux de la santé, en tant qu'investissement dans les ressources humaines et en tant que mesure de prévention sociale.»

Les procureurs poursuivent en disant: «Le deuxième objectif poursuivi concerne la promotion des valeurs d'égalité et de solidarité sociales en donnant à toute la population ? en donnant à toute la population ? un accès égal à des services médicaux et hospitaliers de qualité, par la mise en commun des ressources, de façon à ce que ces services soient distribués en fonction des besoins véritables des usagers et non en fonction de leur capacité de payer.»

D'après les procureurs, la levée des interdictions des assurances privées va à l'encontre de ces objectifs. Paragraphes 161 et 163 du mémoire présenté par les procureurs devant la Cour suprême.

«En l'espèce, les appelants réclament, par la levée des interdictions prévues aux dispositions attaquées, l'instauration d'un système de santé privé parallèle dont l'accès serait d'abord conditionné par la capacité de payer des individus.

«D'une part, cette revendication est contraire aux valeurs d'égalité et de solidarité sociales que vise à promouvoir le législateur dans le domaine de la santé.

«D'autre part, comme l'a conclu la juge de première instance, cette revendication nuit à la poursuite des objectifs d'amélioration de la santé et du bien-être de la population.»

Au paragraphe 167, les procureurs en rajoutent: «Par ailleurs, il ne fait pas de doute que la possibilité de contracter une assurance privée dans le contexte que revendiquent les appelants engendrerait de nombreux effets néfastes sur le système de santé québécois et entraverait la réalisation des objectifs que poursuit le législateur.»

Moi, je pense qu'il serait drôlement intéressant d'entendre devant cette commission, avant d'entreprendre l'étude détaillée du projet de loi, l'étude article par article, ce qui a pu motiver les procureurs à livrer un tel plaidoyer devant la Cour suprême. Je vois que le ministre est d'accord, donc je présume qu'il va voter pour la motion.

Les procureurs ont aussi plaidé que l'atteinte des objectifs du système de santé nécessite une mise en commun des ressources financières individuelles par le biais d'un régime à payeur unique, exactement un des arguments que le ministre de la Santé nous a présentés lorsqu'il a signé son article dans La Presse en 2002, ce que l'assurance privée évidemment ne permet pas.

Alors, encore une fois, au paragraphe 164, sur la nécessité de mobiliser toutes les ressources financières individuelles affectées à la protection contre la maladie, les procureurs ont dit aux juges de la Cour suprême ce qui suit: «L'accomplissement des objectifs visés nécessite en effet la mise en commun de toutes les ressources financières individuelles affectées à la protection contre la maladie. Ainsi, la présence d'un régime privé dédoublant le régime public ne permettrait pas à ce dernier d'atteindre ses objectifs. C'est pourquoi il fut décidé d'éliminer les régimes particuliers d'assurances couvrant les mêmes soins que ceux couverts par le régime d'assurance maladie et d'assurance hospitalisation, de manière à ce que l'État ait les coudées franches quant au financement de ces régimes et quant à la coordination, la planification et la mise en commun de tous les effectifs alors disponibles au Québec.»

De plus, les procureurs en rajoutent encore, au paragraphe 165, sur les avantages d'un régime à payeur unique, en mentionnant ce qui suit: «Un régime à payeur unique est celui qui est le plus à même d'assurer que tous aient accès aux meilleurs soins que la richesse collective de la société peut offrir à la population.»

M. le Président, je veux relire ce que le ministre a signé en 2002: «Ne commettons pas l'erreur d'affaiblir notre système de santé gratuit et universel au profit de l'entreprise privée qui s'est avérée incapable, partout où on lui en a donné l'occasion, d'offrir des services aussi accessibles et peu coûteux qu'un régime basé sur la taxation universelle.» Quand je lis l'opinion émise par le ministre de la Santé en 2002 ou le plaidoyer des procureurs devant la Cour suprême, ce n'est pas compliqué, j'ai l'impression que le ministre a pratiquement dicté mot à mot le plaidoyer aux procureurs. On a cette impression-là.

Alors, je poursuis le paragraphe 165 du mémoire présenté par les procureurs: «Un régime à payeur unique est celui qui est le plus à même d'assurer que tous aient accès aux meilleurs soins que la richesse collective de la société peut offrir à la population. Il possède aussi la capacité de s'adapter et de se transformer de façon à faire face aux pressions que vivent actuellement tous les systèmes de santé des pays de l'OCDE. Il permet la prise en charge collective des problèmes qui peuvent survenir.»

n(12 heures)n

Quand on lit d'ailleurs les arguments... Déjà trois minutes. Quand on lit d'ailleurs les arguments présentés par les procureurs devant la Cour suprême, on constate que le gouvernement, le ministère de la Santé, je présume, et... ont pris un soin méticuleux à analyser ce qui se fait dans les autres pays. Et c'est en se basant justement sur l'expérience vécue dans les autres pays que les procureurs, et même le ministre de la Santé en 2002, nous disent: Le recours à l'assurance privée n'est pas une solution, ça comporte plus de problèmes, puis ça ne réglera pas les problèmes de liste d'attente dans le régime public de santé.

Alors, M. le Président, quand on lit des plaidoyers aussi évidents, moi, je me pose toujours, encore, la question: Comment il se fait qu'on soit aujourd'hui en commission parlementaire à étudier un projet de loi qui va nous amener dans une direction, l'introduction de l'assurance privée, alors qu'on a plaidé pendant des années, depuis 2002 dans le cas du ministre de la Santé, les procureurs du gouvernement du Québec... on nous amène une solution où ils nous ont dit, pendant des années, qu'elle n'est pas viable, que ça n'a pas été une expérience concluante même dans les autres pays où on y a eu recours.

Moi ? en conclusion, M. le Président ? je pense qu'il est manifestement pertinent pour cette commission, pertinent et indispensable, qu'on puisse entendre les procureurs que le gouvernement du Québec a mandatés pour le représenter dans la cause Zeliotis-Chaoulli afin d'apporter un éclairage, afin qu'on comprenne bien ce que comporte le projet de loi n° 33 puis là où il veut nous amener, parce que je pense que c'est important pour les Québécoises et les Québécois qui sont préoccupés par leur santé puis par ce qu'on vit actuellement dans le régime public de santé, dans le réseau de la santé, afin de s'assurer qu'on fasse, au bout du compte, les bons choix.

Puis ce choix-là à mon avis, puis je le répète encore une fois parce que j'ai l'impression que tous autour de la table, on est d'accord... On ne s'entend probablement pas sur le moyen. Moi, en tout cas, j'ai l'impression que, dans le projet de loi n° 33, ce n'est manifestement pas le bon moyen, ce n'est tellement pas le bon moyen que c'est un moyen qui a été décrié, entre autres, par les procureurs du gouvernement et par le ministre lui-même en 2003. Donc, moi, je pense qu'il serait pertinent qu'on entende les procureurs qui ont présenté un vibrant plaidoyer devant la Cour suprême, entendre leur éclairage sur le projet de loi n° 33. Et je vous remercie infiniment, M. le Président.

Le Président (M. Copeman): Merci, M. le député de L'Assomption.

M. St-André: ...je trouve que je n'ai pas eu assez de temps.

Le Président (M. Copeman): Bien, c'est malheureux, mais vous avez eu le temps réglementaire. M. le ministre de la Santé et des Services sociaux, sur la motion.

M. Philippe Couillard

M. Couillard: Ah! bien sûr, M. le Président. Brièvement pour dire qu'on a déjà entendu 108 groupes en commission parlementaire, et que c'est assez particulier de demander que les procureurs du gouvernement viennent s'exprimer pour un projet de loi déposé par le gouvernement, et qu'enfin, les arguments présentés, le problème, c'est qu'ils ont été entendus par les juges de la Cour suprême puis on a perdu. C'est pour ça qu'on est ici aujourd'hui. Donc, avec regret, on va être obligés de voter contre l'excellente motion de notre collègue de L'Assomption.

Le Président (M. Copeman): Est-ce qu'il y a d'autres députés qui désirent intervenir sur la motion du député de L'Assomption? Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.

Mme Harel: Alors, je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Copeman): Pardon, vous aussi, Mme la députée, vous avez droit à une période de temps de 30 minutes, étant la représentante du chef de l'opposition.

Mme Louise Harel

Mme Harel: Alors, je vous remercie, M. le Président. La remarque que vient de faire le ministre de la Santé, M. le Président, me convainc de la nécessité d'intervenir sur cette motion de mon collègue le député de L'Assomption à l'effet d'entendre les procureurs du gouvernement qui ont été mandatés bien certainement par le Procureur général du Québec, avec l'assentiment du ministre de la Justice, du ministre de la Santé et certainement du premier ministre lui-même, pour plaider devant la Cour suprême les arguments qui sont reniés, abandonnés dans l'actuel projet de loi n° 33. Pourquoi est-ce que la remarque du ministre de la Santé me convainc de la nécessité d'intervenir? Pour la bonne raison qu'il semble cautionner l'idée que la Cour suprême elle-même imposerait ? vous comprenez ça, M. le Président ? à l'Assemblée nationale du Québec, et au gouvernement du Québec et à son Assemblée nationale, une obligation de moyens à l'égard du système de santé.

Je rappelle, M. le Président, ce que les juristes et constitutionnalistes québécois ont répété d'un commun accord, ont publié dans les journaux: La Cour suprême n'impose aucun moyen de résultat au gouvernement. Ce que la Cour suprême a dit, c'est: Lorsque l'attente est déraisonnable, la prohibition de l'assurance privée duplicative est déraisonnable. C'est donc au gouvernement du Québec, qui l'a d'ailleurs promis et qui a contracté un engagement à l'égard de la population d'éliminer l'attente, c'est donc au gouvernement du Québec de faire en sorte que l'attente devienne raisonnable pour qu'en conséquence la prohibition de l'assurance privée, qu'on retrouve dans la législation québécoise depuis 1962 en matière d'hospitalisation, depuis 1970 ? sous un gouvernement de Robert Bourassa ? en matière d'assurance maladie, pour que cette prohibition demeure pour les raisons que les procureurs ont invoquées devant la Cour suprême et que mon collègue le député de L'Assomption vient de reprendre en partie devant cette commission.

Alors, j'aimerais, M. le Président, contribuer à notre réflexion commune sur le bien-fondé de cette motion en ajoutant quelques arguments à ceux déjà invoqués par les procureurs de la couronne mandatés par le gouvernement du Québec pour plaider devant la Cour suprême. Il y en a un en particulier qui retient mon attention, qui retient peut-être aussi la vision que j'ai de notre fonctionnement en société, et c'est le suivant: les procureurs font valoir qu'un système privé parallèle entraînerait une désolidarisation des membres les plus influents de la société et une baisse de soutien au régime public. Ça m'apparaît un argument extrêmement important. «Enfin, il appert ? disent les procureurs ? que, avec le temps, les membres les plus influents de la société, soit ceux qui auraient les moyens financiers de faire appel au régime privé, [ils] se désolidariseraient du régime public, rendant de plus en plus difficiles l'obtention des ressources nécessaires à son fonctionnement et la prise en charge collective des problèmes de santé.»

C'est en quelque sorte, disons-le, le fondement de la social-démocratie. La social-démocratie repose essentiellement sur la solidarisation des citoyens, qu'ils appartiennent à la classe moyenne, qu'ils soient très fortunés ou qu'ils soient sans revenu. À cette nécessaire solidarisation à l'égard de services publics de qualité, la social-démocratie, elle, elle a comme fondement une école publique de qualité, elle a comme fondement des soins de santé de qualité pour tous les citoyens. À partir du moment où on fissure, où on introduit une brèche dans ce système, comme le fait le projet de loi n° 33, qui permettrait pour, par exemple, avoir des chirurgies... c'est ce que le projet de loi n° 33 propose, avoir une chirurgie de la hanche, du genou, avoir une chirurgie des cataractes beaucoup, beaucoup plus rapidement, bien la pression va être très forte pour que la liste s'allonge et donc que par extension il n'y ait, au fur et à mesure, que finalement l'assurance privée.

n(12 h 10)n

Les assureurs vont convaincre individuellement et collectivement, puisque souvent on retrouve ces assurances privées dans le secteur du travail, de faire pression pour allonger, pour extensionner la liste des chirurgies accessibles à l'extérieur du régime public, dans le cadre de centres médicaux spécialisés, avec médecins non participants au régime public, ce qui retire d'autant ces ressources humaines essentielles au fonctionnement du système public: médecins, médecins spécialistes, infirmières, personnel auxiliaire, donc de les retirer du système public pour finalement favoriser de recevoir des soins plus rapide, de recevoir des chirurgies plus rapidement. Ce qui fait que, petit à petit, il est évident qu'il y aura une désolidarisation, puisqu'en payant on pourra obtenir des soins, et même plus rapidement que dans le système public. Alors, il y aura un effet extrêmement inquiétant de désolidarisation sociale, on le comprend, M. le Président, parce que les citoyens vous diront: Écoutez, moi, je paie déjà, n'est-ce pas, mes assurances privées, pourquoi je paierais des impôts aussi élevés?

D'autant, M. le Président, que, lorsqu'on lit la plaidoirie du sous-ministre Iglesias, qui a quitté pour d'autres fonctions, mais quand on relit la plaidoirie du sous-ministre Iglesias déposée devant la Cour suprême pour obtenir un sursis à l'application du jugement, on y lit ceci: «La couverture par des assureurs privés de services médicaux et hospitaliers...» Il n'avait pas encore trouvé l'astuce de remplacer le mot «hospitalier» par «hébergement». Je relis donc ces dispositions déposées par le sous-ministre Iglesias au nom du ministre de la Santé lors de la plaidoirie pour obtenir un sursis dans l'application du jugement de la Cour suprême, à l'été 2005: «La couverture par des assureurs privés de services médicaux et hospitaliers risque d'avoir un impact fiscal non négligeable pour le gouvernement.» Ça, c'est un élément important, M. le Président. On y ajoute ceci: «Le régime actuel prévoit que le citoyen peut bénéficier d'un allégement fiscal pour les frais médicaux et hospitaliers, incluant les primes d'assurance qu'il a supportées au cours d'une année.»

Alors, non seulement le projet de loi n° 33 introduit des centres médicaux spécialisés avec médecins non participants qui vont pouvoir offrir des chirurgies couvertes par une assurance maladie privée duplicative, mais en plus les citoyens qui vont payer cette assurance privée duplicative vont pouvoir la déduire de leurs revenus, M. le Président, puisqu'il y a, dans notre fiscalité, un allégement fiscal pour les frais médicaux et hospitaliers.

Et le sous-ministre Iglesias ajoute: «Ainsi, le gouvernement du Québec est susceptible d'absorber une partie des coûts des frais médicaux et hospitaliers privés par le biais d'allégements fiscaux, ce qui pourrait réduire d'autant la marge des sommes disponibles pour le financement du système public.»

Excusez-moi, là, mais c'est le bout de tout. Croyez-le ou pas, M. le Président, le gouvernement sait, il sait que son régime fiscal permet les déductions des primes d'assurance privée, il ouvre un marché privé parallèle, il sait que ces primes seront déductibles d'impôt, il sait que ça va le priver de revenus fiscaux et qu'une partie de ces sommes en fait sont diverties du financement du système public. C'est ce qu'à bon droit a plaidé le sous-ministre Iglesias au moment où il était sous-ministre en titre du ministère de la Santé et des Services sociaux.

C'est bien évident, M. le Président, que l'introduction d'un réseau privé parallèle avec une couverture par des assureurs privés aura un impact fiscal, et que le gouvernement sera susceptible d'absorber une partie des coûts, des frais médicaux et hospitaliers privés, et que, tout cela, si le sous-ministre l'a plaidé, c'est en connaissance de cause. Et je pense que c'est un autre élément qui s'ajoute à la longue liste des arguments qui réprouvent l'introduction du marché de l'assurance privée dans les soins de santé, M. le Président.

Je dis donc que mon intervention est d'autant justifiée parce que la remarque du ministre de la Santé, il y a quelques minutes, était à l'effet que c'était une obligation de la Cour suprême, alors que, je le répète encore une fois, le ministre de la Santé et son gouvernement, en introduisant cette assurance privée duplicative, s'avouent incapables de garantir des délais médicalement acceptables, et, à cause de finalement cet échec, hein, appréhendé, anticipé par le gouvernement libéral, ils ont choisi de se mettre à l'abri, de se protéger contre d'éventuelles poursuites en introduisant l'assurance privée duplicative.

Alors, en l'absence finalement d'engagement de réduire des délais inacceptables et déraisonnables, le ministre et son gouvernement, en contradiction totale avec les valeurs libérales plaidées par Claude Ryan il y a à peine trois ans, en contradiction avec les déclarations du ministre de la Santé lorsqu'il était docteur en 2002, en contradiction de l'ensemble des présentations qui ont été faites lors de la commission parlementaire au printemps dernier, en particulier celles savantes, là, de professeurs du groupe de recherche de l'Université de Montréal, je nomme le Pr Trottier, Contandriopoulos, François Champagne, qui ont présenté au colloque après le jugement... les options du Québec, après le jugement Chaoulli, les options du Québec, et qui rappellent à bon droit, puisque ce sont des chercheurs qui ont consacré leur vie sur les questions de gestion et de financement des systèmes de santé à travers le monde... et qui disent ceci: Le mécanisme d'ouverture à l'assurance privée duplicative facilite l'accès aux soins aux seules personnes qui ont les moyens financiers de se les payer.

Alors, il faut se demander qui, quelle proportion de la population pourra se payer l'assurance duplicative. Il faut se demander quelles répercussions le développement de l'assurance duplicative aura sur le système public. Il faut se poser cette question quant à la disponibilité des ressources humaines dans le système public, quant au transfert de la production de services vers le secteur privé.

Ces questions, elles ont été posées, M. le Président, par les procureurs du gouvernement qui ont reçu le mandat de plaider, avec études à l'appui, contre l'introduction du système privé duplicatif. Mon collègue le député de L'Assomption a fait valoir certains de ces arguments. Je voudrais également reprendre quelques-uns qui s'appuient sur des études qui ont été menées à l'occasion de la préparation de cette plaidoirie. Notamment, M. le Président, je voudrais citer les études réalisées notamment par les experts Dr Howard Bergman, rapport d'expertise également du Dr Jean-Louis Denis et autres experts qui sont notoirement connus comme étant au-dessus de la partisanerie politique et au-dessus de la mêlée, M. le Président. Et ce sur quoi ils insistent, c'est surtout sur la question du régime à payeur unique.

Vous savez, dans notre système de santé, on l'a dit, il y a du privé dans le public. C'est le financement qui est public, mais la prestation des soins, dans les cliniques par exemple, quand on se déplace vers une clinique sans rendez-vous ou vers un groupe de médecins de famille, la prestation est dite privée, mais le financement est public. C'est ça qui est en cause, c'est ça qui est la brèche, là, introduite dans le projet de loi n° 33.

Le financement est public en ce sens que c'est un régime à payeur unique, et les experts que j'ai cités considèrent que ce régime «est celui qui est le plus à même d'assurer que tous aient accès aux meilleurs soins que la richesse collective de la société peut offrir à la population». Il possède, ce système à payeur unique, la capacité de s'adapter, de se transformer de façon à faire face aux pressions que vivent actuellement tous les systèmes de santé des pays de l'OCDE. «Il permet ? ce régime à payeur unique, ajoutent les experts ? la prise en charge collective des problèmes qui peuvent survenir.» Je pense que c'est là, si vous voulez, la question la plus névralgique de ce dont on discute présentement.

Et ces experts ajoutent également: «Un régime à payeur unique donne de plus au gouvernement un levier financier qui lui permet de répartir les effectifs médicaux en adoptant des mesures incitatives qui, par exemple, encouragent les médecins à pratiquer hors des grands centres ou dans certains secteurs où les besoins sont jugés prioritaires.»

n(12 h 20)n

Et ils ajoutent: «...il ne fait pas de doute que la possibilité de contracter une assurance privée [...] engendrerait de nombreux effets néfastes sur le système de santé québécois et entraverait la réalisation des objectifs que poursuit le législateur.» On pourrait malheureusement dire maintenant «que prétend poursuivre le législateur» parce que c'est ça qui est en cause.

Et ce qui étonne d'autant, M. le Président, c'est que, lors de la clôture de la commission parlementaire, il y a six mois à peine, la clôture de la commission parlementaire qui portait sur ces questions, qui a entendu 102 mémoires ? on voit l'intérêt que la population a ressenti à l'égard de ce qui l'interpellait, cette question de santé et du financement également, j'y reviendrai ? alors, en commission parlementaire, le ministre disait, et je le cite, le 11 avril 2006: «...l'ajout d'un tiers payeur ? c'est-à-dire donc d'un payeur autre que le régime à payeur unique ? pour une partie de la population, qui exerce un effet minime sur l'économie générale du système, au mieux, n'a aucun effet, au pire, a un effet d'aggravation [et] de dégradation du financement du réseau public.» Le projet de loi dont le ministre de la Santé est parrain, là, contredit, contredit totalement ce que le ministre de la Santé disait le 11 avril dernier, il y a à peine six mois de cela.

Alors, à tous égards, M. le Président, écoutez, le ministre d'abondance a parlé de ces questions il y a six mois, il disait: «...je pense que c'est une grande illusion de penser que l'assurance privée va apporter une solution au financement de la santé. D'ailleurs, toutes les expériences internationales montrent que le rythme d'augmentation des dépenses publiques en santé n'est pas affecté par l'introduction de l'assurance privée parallèle.» Alors, c'est donc dire qu'on se fragilise, M. le Président, parce qu'on va désolidariser une partie de la population qui aura les moyens de payer de l'assurance privé et qui voudra de moins en moins qu'il y ait une partie de ses impôts qui s'en aillent au financement des soins de santé publics.

Et le ministre, à ce sujet, ajoutait d'ailleurs, le 4 avril: «Malgré ce que disent certains...» Ce n'est pas peu parce que lui-même a repris ces arguments-là à la fin des auditions des mémoires en commission parlementaire sur le projet de loi n° 33. C'est un virage à 180 degrés qu'on ne peut même pas s'expliquer. Comme le disait si bien mon collègue de Vachon, il a clignoté à gauche puis il a fait son virage à droite. Alors, je cite donc le ministre: «Malgré ce que disent certains, l'introduction de l'assurance privée n'est en rien une solution aux problèmes de financement du système de santé. Aucun pays n'a encore pu démontrer qu'introduire un financement privé accru diminue la charge de financement sur le système public de santé. Et en fait ? ajoute-t-il ? c'est plutôt le contraire qui se passe. Les dépenses continuent d'augmenter au même rythme, qu'il y ait ou pas une composante de financement privé [...] dans le réseau.»

Alors, vous voyez bien le choc qui peut en résulter. À un moment donné, il y a des gens qui vont dire: Un instant, moi, je paie trop d'impôt, j'ai déjà mes assurances privées. Puis en plus on comprend que les assurances privées que la classe moyenne va être sollicitée finalement à se procurer de plus en plus, bien ces assurances privées sont déductibles d'impôt. Alors, M. le Président, pour toutes ces raisons...

Ce qui est extrêmement inquiétant, c'est finalement la question de la pérennité du système de santé, parce qu'il y a des déclarations qui ont été faites par le premier ministre lui-même, et le ministre de la Santé, et des ministres nombreux qui sont intervenus pour nous dire... Encore récemment, le ministre de la Santé, le 28 mars 2006, qui disait, à propos du financement à long terme de la santé, je le cite: «...la mécanique est infernale, la mécanique financière sur le plan arithmétique nous mène à une impasse.» Il ajoutait, en mars dernier: «...le mur qu'on [croyait très longtemps] il y a quelques années, on le voit de très près maintenant.»

Alors que, M. le Président, étonnamment... quand on sait qu'ils ont mis en place le Forum des générations à travers toutes les régions du Québec, pour clôturer avec un forum à l'automne d'il y a deux ans en créant la commission Ménard qui a sillonné le Québec pendant un an pour trouver des solutions au financement à long terme du système de santé public et alors que des rapports extrêmement importants ont été publiés sur le financement de santé publique, le ministre laisse tomber carrément. Il nous dit, à la fin du mois d'août dernier, il nous dit: Les Québécois vont pouvoir s'offrir leur système de santé, le financement va être adéquat. En fait, on va éviter le dérapage, et tout va bien. Il n'y a pas besoin...

Finalement, pourquoi avoir alerté la population pendant deux ans, avoir engagé des citoyens de bonne foi, tel Jacques Ménard, mais bien d'autres qui, avec lui, 17, je pense, au total, ont fait partie de ce comité qui a trouvé des solutions? Pourquoi les avoir publiées dans le document de consultation, avoir écouté des centaines de personnes qui sont venues devant la commission et puis finalement laisser tomber en disant: Il n'y a pas de problème au financement public du système de santé? Parce qu'ils ont choisi la voie facile, la voie d'évitement, ils ont choisi le financement privé, qui va introduire une brèche, une fissure, qui va aggraver la situation au fur et à mesure que la pression va être d'extensionner le nombre d'interventions médicales et au fur et à mesure que les médecins spécialistes vont se trouver en dehors du système public, avec du personnel infirmier et d'autre personnel médical. C'est ça, M. le Président, qui est en cause présentement. C'est un choix que le gouvernement fait, que le ministre de la Santé cautionne, qui est celui d'introduire ce qu'ils avaient juré de ne jamais faire: un système privé de santé à deux vitesses. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Copeman): Merci, Mme la députée. Est-ce qu'il y a d'autres députés qui désirent intervenir sur la motion? Mme la députée de Rimouski, pour un temps de parole limité à 10 minutes.

Mme Solange Charest

Mme Charest (Rimouski): Oh! C'est court, M. le Président, parce qu'il y aurait beaucoup de choses à dire. Écoutez, je pense que la motion qui nous propose d'entendre les procureurs du Québec nous permettrait de les questionner sur leur argumentaire mais aussi de bien comprendre le sens des mots.

Parce que je voyais, dans les arguments de ces procureurs, jusqu'à quel point ils étaient également préoccupés par les objectifs qui sont visés par la Loi de l'assurance maladie et la Loi de l'assurance-hospitalisation, et, quand je reviens au projet de loi n° 33, le projet de loi n° 33 vient modifier de façon significative la Loi de l'assurance-hospitalisation et la Loi de l'assurance maladie. Alors, je pense que là-dessus il y a là des enjeux fondamentaux.

Et un des premiers objectifs poursuivis par la Loi de l'assurance maladie et la Loi de l'assurance-hospitalisation, c'est sûr que ça concerne l'amélioration de l'état de santé et de bien-être de toute la population. Et, par cet objectif, dans le fond, ce que le législateur a toujours visé, c'est d'éliminer l'incertitude puis le risque économique qui est inhérent à la maladie, surtout en éliminant de façon précise les barrières financières pour avoir accès aux soins. Et ça, je pense que ça a été un des principes, une des prémisses de départ de l'implantation de la Loi de l'assurance maladie et de la Loi de l'assurance-hospitalisation, je rappelle, qui a été passée sous le régime de Jean Lesage en 1970 et qui avait une vision tout à fait solidaire de ce que l'on devait offrir aux citoyens du Québec.

Et les objectifs aussi, c'était de rendre accessibles les soins à l'ensemble de la population et qu'on puisse, de façon tout à fait adéquate, répondre aux besoins et que ce ne soit pas une question de fortune personnelle, d'avoirs personnels qui permettraient aux citoyens et aux citoyennes d'avoir accès aux services. Et c'est sûr qu'en instaurant une loi comme la Loi de l'assurance maladie et la Loi de l'assurance-hospitalisation ce que l'on veut, c'est une efficacité maximale du système de santé par rapport à la dispensation des soins et par rapport à toute l'organisation, la planification, la coordination et l'intégration des activités médicales, du personnel infirmier et de tous les professionnels de la santé qui ont à offrir des services aux citoyens et aux citoyennes. Et naturellement on sait très bien que ça permet, ces deux lois, de maximiser les rendements sociaux de la santé, et c'est un investissement très important ? ce n'est pas une dépense, c'est un investissement ? à la fois dans les ressources humaines mais aussi comme mesure de prévention sociale...

Le Président (M. Copeman): Je suis désolé, madame...

Mme Charest (Rimouski): ...par rapport aux conditions de vie des citoyens et des citoyennes.

Le Président (M. Copeman): Je suis désolé, Mme la députée, de vous interrompre, mais je dois lever la séance compte tenu de l'heure. J'ajourne les travaux de la commission sine die.

(Fin de la séance à 12 h 30)


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