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Version finale

37e législature, 2e session
(14 mars 2006 au 21 février 2007)

Le mardi 11 avril 2006 - Vol. 39 N° 11

Consultation générale sur le document concernant les services de santé intitulé Garantir l'accès : un défi d'équité, d'efficience et de qualité


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Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures trente-sept minutes)

Le Président (M. Copeman): À l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare ouverte cette séance de la Commission des affaires sociales. Nous sommes réunis afin de poursuivre la consultation générale et les auditions publiques sur le document concernant les services de santé intitulé Garantir l'accès: un défi d'équité, d'efficience et de qualité.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. Alors, M. Charbonneau (Borduas) va remplacer Mme Charest (Rimouski); M. Valois (Joliette) remplacera M. Bouchard (Vachon). Voilà.

Le Président (M. Copeman): Merci. Je vous rappelle que l'utilisation des téléphones cellulaires est interdite pendant les travaux de la commission. Je prierais tous ceux qui en font l'usage de bien vouloir les mettre hors tension.

Nous avons trois intervenants ce matin. Nous allons débuter dans quelques instants avec les représentants de l'Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées, l'AQDR, suivis par la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, autour de 10 h 30. Nous allons terminer la matinée avec la Fondation des maladies du coeur du Québec. Il est prévu également que nous siégeons cet après-midi après la période des affaires courantes.

Auditions (suite)

Sans plus tarder, je souhaite la bienvenue à M. le président de l'AQDR, M. Salembier. Bonjour.

M. Salembier (Henri): Bonjour, M. le Président.

Le Président (M. Copeman): M. Boucher, également. Je vous rappelle, messieurs, que vous avez 20 minutes pour votre présentation. Je vais vous aviser quand il reste trois minutes, pour mieux vous aider à conclure, et ce sera suivi par un échange d'une durée maximale de 20 minutes avec les parlementaires des deux côtés de la table. La parole est à vous.

Association québécoise de défense
des droits des personnes retraitées
et préretraitées (AQDR)

M. Salembier (Henri): Alors, M. le Président, il nous fait plaisir d'avoir accepté l'invitation qui nous a été faite de venir déposer un mémoire au nom de l'AQDR provinciale. Je dois vous dire que nous sommes maintenant 20 000 membres, et nous avons présentement 43 sections au niveau du Québec, et il se rajoute continuellement de nouveaux membres et également de nouvelles sections.

n (9 h 40) n

Tout d'abord, j'aimerais féliciter le ministre de la façon qu'il a répondu quand même au rapport Chaoulli. Quand on regarde même à l'intérieur de mes propres cadres ou, si vous voulez, au niveau de mon conseil d'administration, c'est à peu près comme le jugement Chaoulli, il y a une division qui se fait par rapport à contre ou pour, mais je pense quand même que la réponse qui a été faite était très astucieuse et répond pour l'instant à notre position.

Dans le cas du financement à court terme et à long terme, je pense qu'on devrait se repencher sur cette dimension-là à l'intérieur d'une autre commission, parce que ça devient... c'est très complexe. Et il faut regarder, bon... Plusieurs disent: On devrait mettre plus d'argent. Possiblement, dépendant de certains facteurs.

Et je pense également que le problème majeur présentement, c'est celui des infirmières et des médecins. Qu'on mette l'argent qu'on voudra, il va se produire le phénomène suivant tant qu'on n'aura pas les infirmières qu'on a besoin au niveau du réseau. Je dois vous dire que je suis très près du réseau, et que présentement il peut se produire un autre phénomène, c'est que les infirmières et les médecins ? je parle des généralistes, je ne parle pas des spécialistes ? sont en train de se brûler complètement parce qu'il n'y a plus d'espace pour se reposer, comme tel.

Alors ça, c'est un phénomène, je pense, qui existe et qu'on doit prendre compte. Je dis toujours que peut-être qu'en 1998, quand on a décidé d'enlever les infirmières, de les mettre à la retraite, et les médecins également, c'est peut-être une dimension... C'est sûr que, maintenant, peut-être que ces personnes-là ne seraient pas, d'une façon ou d'une autre, dans le réseau, mais il faut... il va falloir penser de quelle façon qu'on va régler notre problème à court terme, dans cette dimension-là.

Également, je pense qu'on va devoir travailler peut-être à aller chercher davantage de fonds au niveau du fédéral pour pouvoir y arriver, parce que, si on détermine qu'au niveau du Québec il y a 43 % du budget qui est déjà à la santé, et le reste, 27 %, je pense, au niveau de l'éducation, c'est-à-dire qu'on est, je pense, à un point de rupture. À 70 %, ça veut dire qu'il reste en fait 30 % pour les autres ministères. Alors, on s'en va sûrement vers un problème.

Alors, c'est ce que je voulais vous dire. J'inviterais M. Maurice Boucher à intervenir.

M. Boucher (Maurice): M. le président, merci. Il y a maintenant 25 ans que l'AQDR défend avec acharnement, je dirais, les droits des personnes retraitées en priorisant, comme il se doit, les soins de santé et les services sociaux.

On estime que ces retraités, ces 20 000 membres que nous représentons, comme disait M. Salembier, sont aujourd'hui des aînés, mais ce sont les mêmes Québécois qui ont vécu, dans les années soixante, soixante-dix, l'absence presque totale de l'intervention de l'État dans la protection adéquate de leur santé. Ce sont ceux qui ont vécu aussi... qui ont participé activement à la Révolution tranquille, qui s'est traduite par l'adoption des lois de l'assurance hospitalisation et de l'assurance santé, qui sont aujourd'hui relativement mises en cause. Ils ont vécu également... ils vivent également la situation actuelle, pour une grande partie d'entre eux, pour une forte proportion, les listes d'attente concernées par les chirurgies électives, dont ils sont principalement les victimes.

Par conséquent, sans déprécier le point de vue de la génération qui nous suit, nous prétendons parler au nom de celles et ceux qui sont les mieux placés pour témoigner de l'évolution des soins de santé au Québec et pour porter un jugement sur leur qualité. Les principes d'accessibilité et d'universalité de notre système de santé portent donc des valeurs qui leur sont propres et qu'ils ont toujours défendues jalousement et, disons-le, avec fierté.

C'est pour ces raisons à la base que l'AQDR a attaché tant d'importance à cette consultation, qu'elle a tant insisté auprès de ses sections pour que leurs bénévoles responsables engagent une profonde réflexion sur la portée de l'arrêt Chaoulli. Et c'est avec la préoccupation de la santé des aînés mais aussi du sort de leurs enfants et de leurs petits-enfants en matière de système de santé que l'ensemble de nos bénévoles responsables ont réfléchi et ont inspiré notre point de vue.

L'approche de l'AQDR sur ce jugement de la Cour suprême, comme nous l'avions fait d'ailleurs avec le rapport Ménard, a consisté à décrire d'abord son contenu dans un langage à la portée de nos membres, à analyser ensuite le plus objectivement possible les considérations et les enjeux qui y sont énoncés par les juges majoritaires, pour en évaluer ensuite les conséquences possibles de l'intervention des assurances privées sur notre système public universel de santé, et ce, en recherchant des solutions tant au financement qu'aux intenables délais d'attente des chirurgies. Nous en avons fait autant sur ce document de consultation.

Le caractère hétérogène de notre organisation rend nécessairement difficile la participation de nos membres à un tel débat public éclairé et objectif. Les membres de l'AQDR sont de toutes origines sociales, professionnelles et autres. Ils sont relativement figés ou ancrés dans des orientations politiques précises, parfois traditionnellement. Il devient donc épineux pour un grand nombre d'avoir à renoncer à des idées qui ont guidé leur vie durant de nombreuses années pour aborder des enjeux fondamentaux d'une question aussi primordiale que la plus importante mesure sociale de la société québécoise, son système de santé.

Nous avons donc, à l'AQDR, entendu cette invitation à participer à une réflexion profonde de l'ensemble des Québécois en vue d'un débat serein et objectif. Nous l'avons pris comme un appel au calme et à la mise au rancard des idéologies aveuglantes, des attitudes dogmatiques, des orientations politiques partisanes paralysantes, pour nous concentrer sur l'avenir de notre système de santé.

Nous reconnaissons l'urgente nécessité d'une réforme qui respecte les valeurs de justice sociale et d'équité qui caractérisent notre système de santé. En ce sens, cette tendance évidente du pouvoir public actuel à favoriser les partenariats public-privé avait soulevé dans nos esprits une certaine appréhension sur le contenu de la réponse que le gouvernement allait présenter à l'arrêt Chaoulli. Le document de consultation Garantir l'accès: un défi d'équité, d'efficience et de qualité nous a favorablement surpris par la clarté de l'analyse, sa façon subtile, astucieuse et courageuse de donner suite à ce jugement de la Cour suprême, tout en donnant une si mince ouverture au secteur privé et en protégeant adéquatement notre système de santé et de services sociaux dans ses valeurs chères aux Québécois. Le gouvernement, selon nous, a été prudent et a agi habilement.

Les principes puis les valeurs qu'ont mis de l'avant les personnes âgées aujourd'hui de 65 ans et plus lors de l'adoption des lois sur l'assurance hospitalisation et l'assurance santé remontent à la surface à l'occasion de ce débat de société. Les origines diverses de nos membres, comme j'en parlais tantôt, quoiqu'engagés dans une démarche de défense de droits, font en sorte qu'ils se retrouvent dans des échanges qui mettent en cause leurs orientations politiques et sociales. Les opinions émises sont truffées de déterminants qui reflètent les capacités de payer des uns et des autres, et très souvent sans égard aux considérations sociales. Les orientations politiques plus ou moins favorisées ou ébranlées, les origines sociales, qui soulèvent des problèmes de degré de politisation, le niveau de conscience sociale, politique et économique, le vécu, dans le contexte familial, en termes d'appréciation des soins de santé, l'âge et l'état de santé, qui entraînent des problèmes cognitifs, c'est avec tout ça que nous devions composer.

Nous n'avons pas, à l'AQDR, renoncé à dégager un consensus de nos échanges, consultations et débats. Mais notre mission de défense des droits des personnes retraitées nous oblige à formuler et supporter une position qui veut protéger et défendre les meilleurs intérêts des aînés, compte tenu de l'importance de cette consultation qui nous est proposée.

n (9 h 50) n

Le jugement de la Cour suprême rendu le 9 juin 2005, qu'il est convenu d'appeler l'arrêt Chaoulli, a fait couler beaucoup d'encre de toutes les couleurs, a prêté à plusieurs interprétations plus ou moins contradictoires et a soulevé plus d'appréhension et d'inquiétude que d'espoir. Dans certains milieux, c'est la vision apocalyptique qui a prévalu. On a vu s'écrouler tout l'édifice des principes d'universalité et d'équité à la base de notre système de santé; on a vite appelé à la clause dérogatoire, brandi la menace d'un système à deux vitesses; d'autres ont entrepris le procès des soins de santé pour en condamner le fonctionnement, et le ministère responsable, et parfois les institutions, les professionnels, les intervenants, et naturellement les responsables politiques; et d'autres, parmi les mieux nantis, y ont vu la solution à nos délais d'attente et ont tout de suite rêvé à l'achat d'une assurance privée.

Toutes ces réactions, souvent trop rapides, de groupes d'intérêts ou d'individus tiennent à l'interprétation qu'ils avaient faite de ce jugement. Par exemple, nous croyons que c'est tromper la vérité que de simplement déclarer que «l'arrêt Chaoulli a statué que l'interdiction de souscrire à des assurances privées pour obtenir des services couverts par le régime public contrevenait à la Charte québécoise des droits et libertés...» On ne peut simplement s'arrêter là sans ajouter le petit bout de phrase qui suit: «...lorsque les pouvoirs publics soumettent les patients à des délais d'attente déraisonnables d'accès aux soins.»

Dans cet esprit de ne pas faire dire à ce jugement les choses qu'on aurait souhaitées, par une interprétation erronée, nous endossons l'avis de Mme Marie-Claude Prémont, de la Faculté de droit de l'Université McGill, lorsqu'elle rappelle le message clair du jugement et la nécessité d'en mesurer la juste portée. Ainsi, Mme Prémont rappelle ce point de vue de la juge Deschamps qui rédige la décision majoritaire: «On ne peut réclamer l'introduction de l'assurance privée pour les soins hospitaliers et médicaux et exiger aussi l'abolition de la règle qui interdit aux médecins du Québec d'être rémunérés à la fois par les fonds publics et privés.» Selon Mme Prémont, la juge Deschamps déclare la prohibition de l'assurance privée incompatible avec la Charte québécoise des droits et libertés parce que le Québec dispose d'autres outils pour protéger le régime public, dont la pratique médicale mixte et la parité tarifaire entre médecins participants et non participants. Nous sommes particulièrement heureux qu'il soit dans les intentions du gouvernement de fermer la porte à la pratique des médecins à la fois dans le privé et le public.

Je voudrais dire un mot du projet du régime d'assurance contre la perte d'autonomie. Que ça s'appelle ainsi ou qu'on utilise quel que nom que ce soit, les aînés ne devraient en aucun temps servir de prétexte à l'établissement d'une nouvelle taxation sous forme de primes d'assurance ou de cotisations pour financer le système de santé. À l'AQDR, nous l'avons dit, suite à la commission Clair et dans notre réaction au rapport Ménard, dans un communiqué du 8 juin 2005 suite à un article de La Presse: «Il n'est pas question pour les personnes âgées de supporter l'attribution du blâme pour cette nouvelle charge fiscale pour les citoyens du Québec». À l'instar des autres organisations d'aînés avec qui nous luttons, au nom du million d'aînés du Québec, contre les préjugés en termes de coûts de santé et l'âgisme en général, nous faisons la promotion d'une vision positive du vieillissement. Nous mobiliserons toutes nos forces contre une telle initiative du gouvernement.

Qu'on utilise la formule d'une assurance pour camoufler un montant additionnel à verser dans les coffres de l'État ou toute autre présentation, les aînés ne se laisseront pas berner par la formulation. Quel que soit le déboursé, il ressemble étrangement à un impôt, et ce, en dépit de l'affirmation répétée du premier ministre à l'effet qu'il ne veut pas augmenter le fardeau fiscal, tout en se disant favorable à envisager un régime d'assurance contre la perte d'autonomie. Même le ministre de la Santé et des Services sociaux avait également affirmé voir une différence entre une prime d'assurance de l'État et une taxe. Les aînés, eux, n'en voient pas. On essayera de faire comprendre ça aux aînés.

Ce n'était là que la réaction première au rapport Ménard, mais, depuis, l'analyse que nous avons faite et le débat sur la question nous ont permis d'en dégager d'autres aspects qui nous ont convaincus qu'une telle caisse spécifique n'était pas souhaitable et ne devrait pas être utilisée comme un moyen de financement des coûts de santé.

Aussi, des expériences comme l'assurance médicaments, l'assurance automobile et autres ont démontré que les gouvernements ont une tendance certaine à servir à d'autres fins les fonds accumulés dans des caisses spécifiques et à hausser la contribution des citoyens à telle caisse pour renflouer, très souvent, les finances de l'État. C'est justement cette méfiance qu'entretiennent les Québécois lorsqu'il est question de tout ticket modérateur appliqué à une mesure sociale, aussi minime qu'elle soit, lors de son instauration éventuelle.

Le Président (M. Copeman): M. Boucher, il vous reste à peu près trois minutes.

M. Boucher (Maurice): Comment?

Le Président (M. Copeman): Trois minutes.

M. Boucher (Maurice): Trois minutes. Nous sommes de l'avis de M. Claude Castonguay à l'effet que cette caisse de vieillesse venait couvrir les besoins de la perte d'autonomie. Il y aurait un risque à considérer, «car, si l'autonomie représente un risque ? dit-il ? n'y aurait-il pas d'autres risques à considérer? Scinder ainsi le financement de notre système de santé en fonction de risques divers nous entraînerait de sérieux problèmes». D'autre part, il n'est pas clairement démontré que les coûts de santé liés au vieillissement prennent une trop large part relativement à l'ensemble des autres déterminants.

Alors, le projet de loi à venir et sa mise en oeuvre. Au risque de nous répéter, nous saluons les mesures annoncées par le gouvernement et son ministère de la Santé et des Services sociaux dans le document de consultation Garantir l'accès: un défi d'équité, d'efficience et de qualité. Cependant, dès le titre de ce document, le mot «défi» est présent, et nous sommes très inquiets des conditions qui surviendront. Bien sûr, il fallait se conformer au jugement de la Cour suprême. Le gouvernement l'a fait de façon prudente et courageuse, mais, quelque restreinte et étroite qu'elle soit, cette nécessaire ouverture au secteur privé soulève quand même des inquiétudes quant aux risques du précédent, et ce, malgré cet énoncé réconfortant que l'on retrouve en page 9 de l'introduction du document de consultation, qui, vous l'avez devant vous, veut protéger les qualités essentielles de notre système de santé.

M. le Président, nous allons parler un peu de nous pour parler de prévention. Les rapports d'activité de nos 43 sections de l'AQDR nous démontrent une quantité considérable d'actions en prévention de la santé auprès des aînés dans toutes les régions du Québec. Nous n'avons pas confiné dans le détail toutes ces actions, mais on peut affirmer qu'une forte majorité de nos sections rejoignent plusieurs milliers de personnes âgées annuellement, dans des dîners, déjeuners-conférences, interventions, où des intervenants de la santé des services sociaux tels que médecins, infirmières, responsables de CSS ou de CLSC, diététistes, chercheurs en gérontologie, en gériatrie, pharmacologues, etc., s'adressent à eux. Des colloques sont organisés en grand nombre sur des thèmes reliés au vieillissement ? par des experts ? et discutés par les participants.

À l'AQDR, nous informons régulièrement les représentants de nos sections sur leurs droits et les services disponibles dans les CLSC et les CSS. Nous leur transmettons régulièrement la documentation pertinente à la santé et aux mieux-être des aînés et l'information sur les nouveautés offertes par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Alors, voilà ce qu'on fait en prévention. Malheureusement, on pourrait faire plus, mais, comme dans toute autre organisation, il y a des restrictions financières.

En conclusion, l'AQDR est heureuse que votre commission ait accepté de recevoir son opinion sur cette question fondamentale pour l'avenir du Québec. Nous rappelons l'importance de porter un regard attentif au libellé de l'arrêt Chaoulli pour éviter d'en dégager une interprétation trompeuse ou simpliste qui risque de nous entraîner dans un débat stérile et dépourvu d'objectivé. Fidèle à ses positions, l'AQDR continue de s'inscrire en faux contre une assurance contre la perte d'autonomie. Nous réitérons notre appréciation favorable à la stratégie du gouvernement. L'AQDR est préoccupée des défis considérables auxquels le Québec fait face pour mettre en oeuvre les engagements et les intentions contenus dans ce document. L'AQDR veut participer activement aux activités de promotion et de la prévention en santé dans le milieu des personnes âgées et, pour ce faire, souhaite une aide financière accrue à ses sections pour la réalisation de projets en ce sens pour l'ensemble des régions du Québec. Je vous remercie de votre attention.

Le Président (M. Copeman): Merci, messieurs. Alors, afin de débuter l'échange, M. le ministre de la Santé et des Services sociaux.

n(10 heures)n

M. Couillard: Merci, M. le Président. Merci, M. Salembier, M. Boucher, pour votre présentation, ce matin. Effectivement, on partage votre interprétation de ce que voulait véritablement dire le jugement... convenu d'appeler l'arrêt Chaoulli. Certains y ont vu la réalisation peut-être de leur rêve, conscient ou non, d'une ouverture au libre marché du système de santé; ce n'est pas du tout ce que l'arrêt nous dit.

Une grande partie de votre présentation tient lieu au financement, et particulièrement la proposition de M. Ménard d'une caisse de la perte d'autonomie. Comme je ferais avec M. Ménard, qui viendra lui-même présenter son projet ici, on va essayer de prendre le contrepied et voir quels sont les éléments qu'on peut dégager ensemble. D'abord, vous partagez le constat que le financement est très fragile, certainement à moyen terme, court, moyen terme, et certainement à long terme, vous employez même l'expression du «point de rupture». Alors, le point de rupture n'est pas loin, donc il faut trouver une solution structurante pour financer notre système de santé. Une de ces solutions est présentée par M. Ménard, mais, quelle que soit la solution qu'on retiendra, en bout de ligne la contribution vient des citoyens. Il s'agit de trouver une contribution des citoyens spécifique pour le système de santé qui la met à l'abri de ce que vous craignez, c'est-à-dire les manipulations des gouvernements futurs, et qui respecte les principes de justice sociale également. Et il y a plusieurs options, dont celle-là, il y en a d'autres également.

Il m'apparaît, là... Sans me faire, encore une fois, l'avocat de M. Ménard, qui viendra présenter son projet ici, il y a certaines choses que vous avez expliquées qui d'après moi méritent peut-être un regard nouveau. D'abord, vous dites que la proposition de l'assurance perte d'autonomie est une charge sur les aînés. En fait, ce n'est pas les aînés d'aujourd'hui dont il est question, parce qu'advenant l'hypothèse où l'assurance en question entrait en vigueur maintenant les aînés d'aujourd'hui n'auraient pas de contribution à défrayer. C'est en fait essentiellement de la jeune génération d'aujourd'hui et également de la génération qu'il est convenu d'appeler les «baby-boomers» dont il est question, donc des aînés de demain et d'après-demain, pas ceux d'aujourd'hui, et je pense que c'est important de clarifier cette question-là. Et je continue à voir une nette différence entre une taxe et une assurance. Une taxe, c'est une somme qu'on envoie dans un immense fonds gouvernemental dont on ne contrôle pas, dont on ne peut prévoir l'utilisation. Une assurance, comme l'assurance automobile et l'assurance médicaments ? puis là il y a une différence intéressante entre les deux ? c'est une contribution qui nous garantit un service ou un bénéfice lorsque ce bénéfice est nécessaire. D'après moi, il y a quand même une différence fondamentale.

Et c'est vrai que vous avez mentionné les précédents de l'assurance médicaments et de la Société de l'assurance automobile, mais il y a une grosse différence entre les deux. C'est vrai que les gouvernements successifs ? et là, les deux côtés de l'Assemblée sont également coupables à cet effet ? sont allés faire des ponctions dans la caisse d'assurance automobile. On le sait, c'est un fait historique. Cependant, ça ne s'est pas produit pour l'assurance médicaments. L'assurance médicaments a été conçue de façon telle à ce que le fonds soit véritablement étanche, et, s'il y a une attraction financière, elle se fait du fonds consolidé vers le fonds et non l'inverse, et je pense que jusqu'à maintenant on peut se féliciter que ce fonds-là tient bien. Et, si on analysait une des raisons des difficultés de l'assurance médicaments au cours des dernières années, c'est probablement la sous-fixation des contributions initialement. On a fixé les contributions, primes-contributions, plus bas que le véritable coût de ce programme-là, ce qui fait qu'après il a fallu rattraper rapidement. Alors, moi, je vois quand même une différence entre les deux et je pense...

Évidemment, on peut toujours craindre que les gouvernements futurs fassent des prélèvements sur cette caisse-là. Mais je me demande franchement, compte tenu du point de rupture que vous-même constatez, quelle autre méthode vous pouvez nous suggérer pour que non pas votre génération, mais les générations qui nous suivront puissent bénéficier de ces services qui, même si le vieillissement ne compte pas pour un pourcentage élevé de l'augmentation des frais de santé ? les études économiques le montrent ? le nombre absolu va faire en sorte que le nombre de personnes demandant ces services va être très élevé. Il ne faut pas non plus mettre des lunettes roses.

Donc, comment est-ce qu'on fait pour garantir aux gens qui nous suivront que ces services existeront encore? Quelles autres solutions voulez-vous proposer? Vous avez parlé des fonds fédéraux. Évidemment, tout le monde veut avoir plus de fonds fédéraux, mais ce n'est pas ça qui va régler le problème structurel à long terme du financement de la santé. Donc, est-ce que vous avez envisagé d'autres solutions?

M. Boucher (Maurice): On est très conscients des problèmes de financement du système de santé et de la façon dont ça compromet sa pérennité. Mais, dans ce domaine-là, il y a beaucoup de gérants d'estrade qui ont des solutions en quantité, et nous, notre position, c'est de dire qu'on doit faire en sorte qu'une commission comme celle-là, qu'une consultation comme celle-ci puisse avoir lieu sur cet important problème, avec toute sa complexité puis tout ce que ça engage pour l'avenir du système de santé et l'avenir du régime de protection sociale des Québécois.

M. Couillard: D'ailleurs, je vous rassure tout de suite, il n'est pas question pour nous de terminer cette consultation sur ce sujet-là; on commence la discussion sur le financement. On est astreints à un certain échéancier pour la partie accessibilité aux services, qu'on va respecter, mais, pour ce qui est du financement, on peut poursuivre et on doit poursuivre cette discussion beaucoup plus largement. Il s'agit de dégager des grands axes puis peut-être des pistes, au moins, où on peut aller plus loin dans la discussion. Parce que, si on regarde les possibilités de financer les soins de santé, en fait, objectivement, il y en a relativement peu.

Quand on dit que ce sont les citoyens qui doivent contribuer, comment peuvent-ils contribuer? Ils peuvent contribuer par la fiscalité générale. Si on attache les impôts à l'augmentation des soins de santé, un jour, on va arriver à une limite, assez rapidement. Ils peuvent contribuer de façon spécifique pour la santé, avec une caisse santé plus large. Ils peuvent contribuer de façon spécifique pour une partie du système de santé, puis c'est là la proposition de M. Ménard, donc qui prend le risque «autonomie», et il le segmente des autres. Je suis d'accord avec vous que certaines critiques nous indiquent qu'il n'y a pas lieu de scinder les risques, dans le système de santé, mais c'est un des risques quand même majeurs au point de vue du financement futur. Puis la quatrième façon, c'est ce que font la plupart des pays autres que le Canada, c'est une contribution à l'utilisation, ce qu'on appelle en jargon le ticket modérateur. C'est ça, dans le monde, qui existe comme contribution, il n'y en a pas beaucoup d'autres. Ou c'est l'assurance privée, puis on sait que l'assurance privée, ça ne réglera pas le problème de financement de la santé.

Donc, à un moment donné, il faut qu'on choisisse, il faut qu'on se fasse une tête, entre Québécois, sur la façon dont on va financer notre système de santé. Est-ce que vous avez évalué ces autres options, ou, pour l'instant, vous en êtes au début peut-être de vos consultations?

M. Salembier (Henri): On est présentement au début et, comme je disais tout à l'heure, on n'a pas étudié... parce que c'est très, très complexe, tout ce dossier-là, et on va se pencher... Cependant, quand... c'est sûr que présentement la démographie fait en sorte qu'il y a une pesanteur qui se fait, et je ne suis pas tout à fait d'accord, par exemple, sur une projection qui peut être à plus long terme où on dit qu'il n'y aura pas... que ça va devenir de plus en plus lourd. Moi, je pense que, si on prend des façons de procéder qui font qu'on augmente la contribution aux familles pour... On a vu que, l'an passé, il y a eu une légère augmentation du nombre d'enfants, et je pense que ça, ça va se développer.

Également, il faudrait se pencher, je pense, sur l'immigration, qui va faire qu'à long terme on va pourvoir rebalancer. C'est sûr qu'on va avoir une période de temps qu'il va avoir un trou, ça, on ne peut pas... Excepté qu'il y a une autre chose qu'il faut penser, c'est que les aînés, qui ont d'abord bâti le Québec, et ceux qui s'en viennent ont des revenus. Et, moi, en tant que citoyen du Québec, je paie mes impôts, je paie ma taxe scolaire, je paie ma taxe municipale, et, moi, je n'ai pas le temps, seulement il y a un paquet de monde qui se promènent à travers le Québec, qui voyagent, alors il y a de l'argent qui est laissé dans le circuit. Et ça aussi, j'aimerais bien qu'on puisse l'analyser à un moment donné, c'est quoi, tout ça, et également la dimension d'achats que produisent les aînés au niveau du Québec.

Alors, il ne faut pas non plus tout balancer dans le fait que les aînés, bon, ils s'en viennent en plus grand nombre, seulement, en même temps, c'est que les baby-boomers qui s'en viennent, qui vont embarquer dans le système prochainement, ils ont des revenus qui sont supérieurs à ceux qu'avaient les gens. Alors, on a une certaine portion présentement, peut-être au niveau de 75 en montant, qui fait qu'ils n'ont peut-être pas contribué au RRQ, parce que les femmes étaient à la maison, ils travaillaient, je pense, très fort, et c'est eux autres qui ont eu des familles nombreuses... Seulement, il faut tenir compte de tous ces facteurs-là.

n(10 h 10)n

M. Couillard: M. le président, vous voyez... je suis d'accord avec vous que les aînés de demain et même, de dans quelques heures, là, vont être plus à l'aise économiquement que ceux des générations précédentes, mais il reste toujours le problème du nombre absolu puis des tranches d'âge. C'est-à-dire qu'on peut raisonnablement penser que, dans la société québécoise de demain, les gens vont être actifs et contributeurs à la société plus longuement qu'ils l'ont été par le passé, peut-être jusqu'à 70 ans; les gens sont en bonne santé maintenant, puis les gens sont en pleine forme puis ils veulent contribuer. C'est la tranche de population qui va augmenter, disons, des 85 à 95 ans, là, cette tranche-là, elle, en nombres absolus, elle va être très grande. Et c'est ces gens-là qu'on va vouloir garder à domicile, pour lesquels on va vouloir soutenir les proches aidants, où on va vouloir donner des services d'aide domestique. Beaucoup plus importants, ces trois éléments-là, que les services professionnels véritablement... à véritablement parler.

Donc, il me semble qu'il y a là une charge... non pas une charge sur le vieillissement, mais une charge en termes de demande de services. Parce que les services professionnels, on va tous en consommer beaucoup dans les mois qui vont précéder notre départ de cette Terre, là ? et ça arrive, comme je le disais l'autre jour, une fois dans une vie ? mais, cette question-là, il n'y aura pas grand changement selon qu'on meure à 95 ans ou qu'on meure à 70 ans. Mais c'est l'augmentation du nombre de personnes dans une situation d'âge où la perte d'autonomie s'accélère qui, à mon avis, doit être regardée. Et, de la même façon qu'il ne faut pas la regarder de façon pessimiste nécessairement, parce que les éléments d'immigration et de natalité, vous l'avez souligné, doivent être pris en considération, il ne faut pas non plus mettre des lunettes roses. C'est un problème réel, qui va être présent au cours des prochaines années. Donc, je pense qu'il faut vraiment se préoccuper de ça. Et puis, moi, je prends, par exemple, les proches aidants. On voit les manifestations, les groupes, de plus en plus, qui voudraient que les proches aidants soient mieux soutenus; si on veut les soutenir mieux, il va falloir qu'on ait un financement spécifique qui soit plus important.

Dans le cadre actuel financier, je ne vois pas comment on peut, autres que des mesures fiscales ou des mesures de répit dans les CSSS, vraiment les soutenir. Est-ce que vous ne pensez pas que ça, c'est un argument, entre autres, pour favoriser une proposition comme celle de M. Ménard? Ou vous y restez réfractaires complètement?

M. Boucher (Maurice): Bien, écoutez, nous, sur la question de l'assurance contre la perte d'autonomie, il y a d'abord le déboursé. C'est le déboursé qu'on envisage, là, quel que soit le mode, et ensuite il y a les préjugés. Il y a les préjugés. Toute de suite, les gens vont réagir en disant: Voilà une assurance, pour les personnes âgées, qui vient encore nous coûter les yeux de la tête. Et il y a aussi la spécificité puis la fragmentation des différents éléments de la santé qui nous préoccupent. Alors donc, c'est tout ça qui fait qu'on veut bien chercher d'autres solutions au financement d'une telle assurance.

M. Couillard: ...d'ailleurs, M. le président, dans les arguments de ceux qui, comme vous, craignent la survenue d'une assurance pour la perte d'autonomie, moi, deux arguments qui me rejoignent, là, plus que la sous-estimation ou la sur-estimation du risque réel, parce qu'il y a des guerres de chiffres, là, sur lesquels il va être difficile de trancher, c'est le fin de scinder les risques et puis de disloquer une partie du financement, alors qu'on est dans une démarche d'intégration du système de santé. Il y a là un élément, là, qui, moi, me préoccupe.

Alors... Je vais terminer là-dessus, M. le Président. Mais, pour le débat, je pense que refaire encore ensemble, pour les gens qui nous suivront également et qui nous écoutent, la liste des façons de financer la santé... en fait, moi, j'en retrouve six. J'en ai ajouté deux pendant qu'on se parlait tantôt. Je ne pense pas qu'il y en ait beaucoup plus. Mais, avec les autres témoins qui viendront ici, on essaiera de voir si on peut avoir d'autres options.

La fiscalité générale. Une contribution générale à la santé avec une caisse santé spécifique. Une contribution ciblée, exemple, la proposition de M. Ménard. Le ticket modérateur, ou copaiement. Les assurances privées, qui, on le sait, ne règleront pas notre problème de financement. Et le système des mutuelles, un peu comme en... le système bismarkien, comme il y a en Europe, où des mutuelles, d'ordres professionnels surtout, prennent en charge, à l'écart des caisses de l'État, le financement de la santé.

Je n'en connais pas beaucoup d'autres, possibilités. Avec le temps, on pourra en ajouter, mais c'est pour guider les discussions puis peut-être vos réflexions avec vos membres. Vous avez amplement le temps. Le débat commence sur le financement de la santé. Donc, de contribuer à ce débat-là, ce serait très bien de votre part. Merci.

Le Président (M. Copeman): Merci. Alors, M. le député de Borduas et porte-parole de l'opposition officielle en matière de santé.

M. Charbonneau: Bien, alors, MM. Salembier et Boucher, bon matin. Merci de votre mémoire. Je vais poursuivre là où le ministre a laissé. Je pourrais au moins en ajouter un septième. La septième option, c'est sans doute... en tout cas, pour plusieurs, si on ajoutait plus de prestations de services privés, donc d'investissements... parce que l'assurance, c'est une chose, mais la prestation de services, c'est-à-dire le fait que certains investissements seraient faits par le privé... En tout cas, certains prétendent que... Mais, moi, ce que je rappelle, c'est que ce qui est dommage, et vous avez dit que finalement toute cette question-là mériterait d'être regardée d'une façon plus approfondie, ce qui est dommage, c'est que, sur la table, le gouvernement n'ait pas cru bon justement d'étayer ces options-là. Ça aurait éclairé le débat puis ça aurait permis à votre organisation puis à bien d'autres qui veulent réfléchir sur ces questions-là de faire une réflexion plus approfondie, parce qu'on aurait mis sur la table: Voici six, sept, huit options, et voici les avantages et inconvénients de chacune d'elles, voici les possibilités de combinaisons, si possible, qui peuvent exister ici ou ailleurs, à l'étranger, puis qu'on a expérimentées.

C'est ça qui nous manque. Ce qui est un peu dommage, c'est que, six après la commission Clair, on a l'impression qu'on est encore... c'est comme si on était au lendemain de la commission Clair puis que là on amorçait quelque chose qui aurait pu être amorcé il y a déjà un bon bout de temps. Bon.

Ceci étant, moi, je crois qu'il faut faire la distinction entre le financement à long terme... ce dont on parle, ça, c'est le financement à long terme. Quand on parlait des aînés de demain, c'est-à-dire, ce n'est pas tellement vous autres comme moi, dans le fond, quand on parle des aînés qui vont... les baby-boomers qui vont avoir des besoins quand ils vont avoir l'âge vénérable de 75, 80, 85 ans. Ça, c'est des gens comme moi qui sont nés en 1950, un peu avant puis un peu après. Mais, à court terme, là, quand vous parliez de vos besoins puis de votre manque de ressources à l'égard, par exemple, des actions de prévention, la semaine dernière, on nous a signalé, un des groupes qui est venu nous rencontrer, que le Québec met à peu près 2 % de son budget pour la santé et les services sociaux en prévention, alors qu'il devrait en mettre 5 % si on voulait avoir un impact réel, significatif. Mais ça, ça veut dire de l'argent maintenant, là, qu'il faudrait avoir de plus dans le système de santé.

Si on pense aux besoins pour les gens qui sont en attente d'une chirurgie ? ils sont nombreux au Québec, pour toutes sortes de pathologies ? mais, eux autres aussi, là, ce n'est pas le financement à long terme qui les intéresse, c'est le financement à court terme. L'accessibilité à un médecin de famille et à toutes sortes de services maintenant, c'est relié au problème du manque de ressources actuel et du financement à court terme, donc ce qu'on appelle le sous-financement.

Et vous avez effleuré la question au début, M. le président, en disant qu'il faut se rappeler qu'il y a des fonds fédéraux, là. Mais, dans les cinq prochaines années... Puis, on en parle aujourd'hui, là, les premiers ministres sont à Montréal, là, des provinces, pour parler du déséquilibre fiscal. On a eu un discours du budget fédéral, là, où on n'a pas finalement mis sur la table une proposition claire. On dit qu'on va imposer aux provinces des garanties d'accès, mais qu'est-ce qu'on va mettre sur la table dans les prochaines années pour permettre que les provinces aient une capacité financière plus grande pour pouvoir intervenir?

Le système de santé, vous avez dit tantôt vous-même que vous avez vu la naissance du système de santé, mais vous devez vous rappeler que, quand le système de santé a été mis sur pied, le fédéral payait presque 50 % des coûts du système. Aujourd'hui, il n'en paie même pas 20 % ou autour de 20 %, puis ça avait même baissé à pas mal plus. Est-ce que finalement on ne devrait pas envisager un refinancement ou un rehaussement de la part du fédéral, de telle sorte que finalement le ministre de la Santé actuel puis ses successeurs auront les moyens de faire face aux besoins?

Parce qu'on peut bien parler de taxation additionnelle, que ce soit par la fiscalité générale ou par une caisse spécifique ou des assurances, de toute façon ça vient de nos poches et de nos impôts, mais le message qu'on envoie, souvent, c'est comme si on n'en payait pas assez et que... On se fait dire qu'on en paie beaucoup puis qu'on en paie trop. Est-ce qu'on peut réaliser qu'on en paie beaucoup, mais qu'on en paie à deux places, et qu'il y a un des deux endroits qui a des énormes surplus? Puis le danger, là, c'est qu'on se retrouve, dans quelques années, à avoir pris des décisions à Ottawa pour finalement... qui auraient comme conséquence de faire baisser ces surplus-là, mais en les envoyant directement dans la poche des citoyens plutôt que de les envoyer dans les coffres des États, de la fédération, des provinces, pour pouvoir... que ces États-là, dont le Québec, aient la capacité de donner le service.

On l'a vu la semaine passée, là, les chefs de partis ont décidé que finalement la baisse de la TPS, il n'y aurait pas une augmentation équivalente de la TVQ; on perd 1,3 milliard là. Est-ce que l'impact sur la consommation va être si grand que ça, pour ce qu'on va avoir chacun dans nos poches? Est-ce que le fait que le gouvernement du Québec aurait eu 1,3 milliard de plus à chaque année ? peut-être une partie importante aurait pu être affectée à la santé ? n'aurait pas été une approche plus adéquate? Et est-ce qu'on ne devrait pas vraiment envisager de créer vraiment une pression plus forte sur le fédéral pour qu'il y ait un retour plus important des surplus fédéraux vers les provinces, pour que les provinces soient en mesure de donner maintenant le niveau de services qui est attendu actuellement par les gens qui attendent pour des chirurgies, là, et pour les services à domicile, puis pour des actions de prévention?

M. Boucher (Maurice): C'est un plancher glissant, puis la glace est mince!

M. Charbonneau: Écoutez, je comprends que vous disiez ça, puis je vous le dis tout de suite, là, il ne s'agit pas de prendre position sur le dossier constitutionnel. On peut être fédéraliste puis avoir le même discours que je viens de tenir, puis on peut être souverainiste puis penser qu'on pourrait y aller différemment, là, en les récupérant toutes à un seul endroit. Mais une chose est certaine, c'est qu'on génère des surplus significatifs, puis, une partie de ces surplus-là, on les a payés, nous, Québécois, avec nos taxes et nos impôts, là.

n(10 h 20)n

M. Boucher (Maurice): Je pense que peut-être qu'une façon de le financer, ce serait peut-être de récupérer justement le 1 %, ou le 1,3 milliard, que vous dites, et de l'envoyer comme tel à la santé; on récupérerait au moins cet argent-là. C'est sûr qu'il y a de l'argent qui doit venir du fédéral. Et je pense que... En tout cas, dans un futur, on verra ce que le gouvernement fédéral présent va vouloir donner au niveau du Québec. Et on doit se battre pour avoir notre bonne part.

Excepté qu'il n'y a jamais personne en tout cas qui m'a prouvé jusqu'à maintenant, autant d'un côté que de l'autre, si on était perdant dans tout le système. Je pense qu'il a eu des études de faites qui ne sont jamais sorties, et, s'il y a un surplus budgétaire fédéral, on devrait pouvoir en récupérer une partie. Je me dis tout de suite, immédiatement: Pourquoi qu'on n'irait pas chercher le 1,3 milliard qu'on va... que le fédéral va dégager pour payer justement... d'offrir 1,3 milliard de plus au niveau de la santé au Québec.

M. Charbonneau: Bien, c'est 1,3 milliard récurrent, là. Ça veut dire que, si on le baisse, là, à chaque année, ce serait... Puis, tu sais, s'ils ont décidé, à Ottawa, de baisser ça de 2 % puis de dire: Dans un an ou dans un an et demi, on va le rebaisser d'un autre 1 %, c'est un autre 1,3 milliard, ça fait, ça fait 2,6 milliards, là, ce n'est pas loin de ce que le ministre puis son parti avaient promis en campagne électorale comme addition dans le système de santé. Tu sais, c'est... Puis, encore une fois, là, on n'est pas obligé d'être... d'embarquer dans le débat: est-ce qu'on est pour ou contre l'indépendance du Québec? Je veux dire, une chose est certaine, c'est qu'on vit dans ce système-là, dans ce pays-là où on paie à deux places. Puis, je veux dire, il y a une loi fondamentale qui fait en sorte que les services de santé, ils sont dispensés par les provinces, pas par le fédéral. Alors, tu sais...

En bout de piste, la question fondamentale est là. C'est un choix politique de savoir qu'est-ce qu'on fait avec nos surplus. Puis, où est-ce qu'elles sont, les priorités politiques? Puis, quels sont les besoins? Quelle lecture on fait des besoins des citoyens puis des citoyennes, puis de leurs priorités?

M. Salembier (Henri): Lors du dernier discours du trône au fédéral, au niveau... on mettait l'emphase sur, entre autres, la santé. Alors, peut-être qu'on va pouvoir récupérer. On l'espère, en tout cas. Seulement, encore là, moi, je pense qu'on devrait immédiatement récupérer le 1 % au niveau de la TVQ, pour qu'on puisse au moins aller chercher cet argent-là pour mettre au niveau de la santé.

M. Boucher (Maurice): Mais c'est-u ça qu'on veut voir faire l'objet d'une vaste consultation comme celle-ci? Il y a une question que je pose, moi: Est-ce que j'ai raison de croire qu'il est plus facile pour un gouvernement de hausser une taxe existante que d'en instaurer une nouvelle?

Alors donc, moi, je pense constamment au fonds consolidé puis au régime de taxation général, au régime d'impôt général, pour l'instant, là, tout en retenant un certain nombre de mesures spécifiques comme celles qu'a mentionnées le ministre.

M. Charbonneau: Vous citiez M. Castonguay. Bon, bien, ce matin, dans La Presse, lui suggère une façon différente de récupérer en disant: On récupérerait la TPS, mais on atténuerait les effets pour les plus défavorisés dans notre société, puis, bon... En tout cas, peu importent les modalités, mais la question, c'est qu'on ne peut pas ne pas parler de ça.

Si on fait une consultation sur les besoins du système de santé, bien c'est maintenant qu'il faut en parler, ce n'est pas dans six mois puis dans deux ans, là. Tu sais, si on ne parle pas de ça, on ne parle pas des vraies affaires, là. On se comprend.

L'autre chose, c'est que vous dites, vous, par rapport au financement à long terme... Là, je passe du financement à court terme au financement à long terme. Vous autres, vous dites: Nous autres, on n'est pas très en faveur de la caisse vieillesse ou d'un régime spécifique d'assurance collective pour perte d'autonomie. Pourtant, la semaine dernière, le Conseil des aînés est venu devant nous puis nous a dit que lui était plutôt favorable. Remarquez que vous nous avez dit d'entrée de jeu que vous avez bien des membres puis qu'ils ne partagent pas tous le même point de vue, là. C'est vrai... c'est vrai dans bien des organisations, je vais vous dire, même dans des partis politiques qui... où en principe tout le monde est supposé de partager la même idée. Ce n'est pas toujours vrai.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Copeman): Ça, c'est la sagesse qui parle, hein?

M. Charbonneau: Alors, néanmoins, comment vous réagissez quand vous voyez le Conseil des aînés nous dire... nous faire cette... nous dire: Écoutez, vous devriez plutôt aller dans cette direction-là? Vous, vous dites: Non, on ne devrait pas y aller. Qu'est-ce... Pourquoi vous dites non par rapport à...

M. Salembier (Henri): Vis-à-vis un éclairage qu'a donné le ministre ce matin concernant cette assurance-là, à ce moment-là, il y a lieu d'y repenser, là. Seulement, je pense qu'immédiatement, là, il y a un financement qu'il faut aller chercher, puis ça presse.

M. Boucher (Maurice): Je reconnais qu'on fait un peu bande à part sur cette position-là à l'endroit de l'assurance contre la perte d'autonomie, mais les organismes...

M. Charbonneau: Pas nécessairement, il y en a plusieurs qui pensent comme vous, hein, c'est partagé actuellement, mais...

M. Boucher (Maurice): Oui, oui. Mais les organismes...

M. Charbonneau: Sauf que ce qu'il faut savoir, c'est pourquoi... c'est: Dans le fond, qu'est-ce qui vous motive? Parce qu'une fois que vous avez dit que vous n'êtes pas en faveur puis que d'autres groupes nous disent qu'ils sont plutôt en faveur, dans le fond, si on veut tirer une conclusion éventuellement, c'est: Pourquoi vous n'êtes pas en faveur? Puis pourquoi eux autres sont en faveur? Puis qui dans le fond... Est-ce qu'il y a des craintes non fondées ou est-ce qu'on évalue les choses pas de la bonne façon, d'un côté ou de l'autre?

M. Boucher (Maurice): Il y a très peu d'organismes représentatifs des aînés qui travaillent en défense de droits comme on le fait. On est en défense de droits, alors on lutte farouchement contre les préjugés à l'endroit des personnes âgées puis contre le fait qu'on nous accuse d'être un fardeau pour la société. C'est ça qu'on rejette.

M. Charbonneau: O.K. Donc, pour vous, à cause de ça, à cause de ce préjugé négatif qui pourrait... vous dites: Dans le fond, on est mieux de ne pas aller dans cette direction-là parce que ça créerait une stigmatisation accrue des personnes âgées, qui auraient à porter une espèce de responsabilité collective des problèmes du système.

M. Salembier (Henri): Oui. Ce qui arrive, entre autres, quand vous parlez Conseil des aînés, le Conseil des aînés est formé, je ne le sais pas, de 15 ou 16 membres, c'est assez facile, autour d'une table, de faire la jonction à un moment donné et de peut-être forcer un peu. Quand vous avez 20 000 membres au niveau du Québec et dans 43 sections, ça veut dire que nécessairement les idées, elles peuvent être différentes, parce que chacune des sections vont se prononcer. Et peut-être aussi parce qu'il manque réellement d'information. Si on donnait des informations nécessaires, on verrait peut-être que les aînés, ils seraient... S'ils savent que ce n'est pas eux autres qui vont être pris à payer ça, mais c'est l'ensemble, à ce moment-là ça change les données énormément.

M. Charbonneau: Bien, c'est évident, puis c'est pour ça que je vous disais ? moi, je l'ai dit au ministre amicalement puis je le dis de temps à autre, quand l'occasion se présente, comme là, je dis: Si on veut faire une discussion éclairée, si vos membres veulent se faire un point de vue, il aurait fallu qu'on leur donne finalement un certain nombre d'indications pour pouvoir se... dans le fond regarder la situation puis évaluer au mérite différentes options. Mais, si, sur la table, on ne met rien, puis on leur dit: Qu'est-ce que vous en pensez?, c'est clair que le citoyen ordinaire, là, il n'y a pas l'expertise, la compétence technique pour dire que c'est telle option plutôt que telle autre. Alors, dans le fond, la réaction, c'est celle que vous dites, c'est: Écoutez, nous autres, on n'est pas des experts, mais a priori ce qu'on craint, c'est qu'on stigmatise une partie de la population, les aînés, en utilisant cette approche-là.

n(10 h 30)n

M. Salembier (Henri): Et quand le ministre a dit, tout à l'heure: Il va y avoir une continuité, je suis heureux de voir que, bon, par rapport... il va y avoir certaines choses qui vont être discutées dans cette commission-là. Sûrement que, par après, on va également voir, je m'imagine, le financement à court terme et également, par après, le financement à long terme.

Seulement, je pense que le financement à court terme doit se régler, peut-être pas dans les prochains jours... seulement, à un moment donné, il va falloir. Parce qu'il y a toute la dimension, comme on disait, des aidants naturels, qui sont épuisés également. Vous avez également, comme je vous disais, les infirmières, les médecins, bon, généralistes, et, à un moment donné, on prend un tournant, là. C'est sûr que ça prend plus d'argent, normalement, présentement, parce qu'on passe d'un système où on dit: On va maintenir les aînés à domicile, et ça, ça demande nécessairement un soutien, soutien au niveau argent.

Quand j'ai écrit, dernièrement, au ministre, au premier ministre et également à des ministres pour leur dire: Moi, je ne suis pas contre l'augmentation de l'Hydro-Québec, seulement il faut que vous pensiez de quelle façon que les gens qui demeurent dans leur résidence et qui n'ont pas les moyens, comment vous allez prévoir que ces gens-là, si vous ne leur donnez pas l'argent nécessaire pour payer les factures, ils vont s'en aller dans les centres, puis c'est ce qu'on ne veut pas, d'une façon, parce qu'on dit: Si les gens demeurent dans leur milieu, à ce moment-là, ils se retrouvent dans ce milieu-là. Et j'ai vu très souvent des gens qui partaient de leur milieu, qui s'en allaient dans des résidences et qui étaient en attente en fait de mourir.

Alors ça, on veut le faire. Seulement, là, on a une espèce de tournant. Quand on dit: Bon, les gens en résidence, par exemple, dans le public, coûtent environ 55 000 à 60 000. Bon. Là, on va diminuer peut-être là, seulement ça va prendre un certain temps, et en même temps il va falloir mettre l'argent. Même si on mettait 30 000 ou 35 000 par personne, à un moment donné, dans ces dimensions-là, on regagne de l'argent en quelque part.

M. Charbonneau: Vous avez raison. Écoutez, juste sur la question des places en centre d'accueil ou en centre d'hébergement, par rapport aux soins à domicile. De toute façon, on avait dit, on mettrait, pendant cinq ans, 625 millions, on en a mis 165, y compris cette année. Je veux dire, c'est clair qu'il y a une conséquence à l'acte, hein? Je veux dire, si vous n'en mettez pas 625, vous en mettez 165, bien, je veux dire, il n'y a pas assez de budget pour les établissements pour augmenter le nombre d'heures de soins à domicile et d'avoir un impact réel.

Une dernière question: Vous avez dit que vous êtes plutôt pour une ouverture limitée aux assurances privées puis que vous craignez un peu que ça crée une dynamique si éventuellement on ouvrait trop. Là, le gouvernement nous dit: Moi, éventuellement je vais ouvrir encore possiblement à plus d'assurance privée, puis je vais le faire par décret. Il y a beaucoup de groupes et nous qui disons: Si jamais vous faites ça, vous devriez le faire par loi et par discussion à l'Assemblée nationale et pas par décision du Conseil des ministres, à huis clos. C'est quoi... Est-ce que vous avez une opinion sur ça?

M. Salembier (Henri): Je regrette, dans ce domaine-là, bon, je n'ai pas eu ces informations-là et je ne peux pas me prononcer.

M. Boucher (Maurice): Ce qu'on en dit, nous, c'est que c'est inquiétant, puis il y a l'élément précédent. Puis on pense que le gouvernement devra... nous devrons être vigilants puis être très attentifs à l'évolution de cette introduction-là, pour l'instant minime, du secteur privé dans le secteur de la santé. Il faudra être très prudent sur ce plan-là, à cause du précédent.

M. Charbonneau: Mais, écoutez, moi, j'ai un conseil à vous donner comme citoyen, c'est-à-dire que, si vous dites d'être prudent, la meilleure façon d'être très prudent, en démocratie, c'est que la décision se prenne après un débat public, pas à huis clos, au Parlement, puis qu'on soit obligés, ici, en commission parlementaire de venir vous entendre, vous et d'autres, pour nous dire: Écoutez, on ajoute plus d'assurance privée dans le système, on a une proposition pour augmenter, qu'est-ce que vous en pensez?

M. Boucher (Maurice): ...avis sur ce plan-là.

Le Président (M. Copeman): M. Salembier, M. Boucher, merci beaucoup pour votre contribution à cette commission parlementaire au nom de l'Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées. Et j'invite immédiatement les représentants de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec à prendre place à la table.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Copeman): Alors, Dr Dutil, bonjour. Il me fait plaisir de recevoir les représentants de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. Comme je le fais pour chaque groupe, malgré le fait que le nombre de fois que vous êtes venus en commission parlementaire dépasse mes doigts des deux mains... mais nous avons décidé de consacrer une heure à l'audition des groupes pour cette commission parlementaire, c'est-à-dire 20 minutes pour votre présentation, et ce sera suivi par un échange d'une durée maximum de 20 minutes avec les parlementaires de chaque côté de la table. Je vous prie de présenter vos collaborateurs, vos confrères, et par la suite d'enchaîner avec votre présentation.

Fédération des médecins
omnipraticiens du Québec (FMOQ)

M. Dutil (Renald): Merci, M. le Président. M. le ministre, M. le critique officiel de l'opposition en matière de santé, Mmes et MM. les parlementaires. Alors, mes accompagnants sont, à ma droite, Dr Louis Godin, qui est le premier vice-président de la fédération, Dr Jean Rodrigue, qui est le directeur de la planification et de la régionalisation, et, à ma gauche, Dr Marc-André Asselin, qui est le deuxième vice-président de la fédération.

Alors, je vous remercie de nous recevoir. Nous allons bien sûr résumer brièvement notre mémoire. Je vous rappelle que la fédération représente les 7 800 médecins omnipraticiens du Québec, qui oeuvrent dans un grand nombre de secteurs de soins, dont les cabinets privés, et, à eux seuls, il y a plus de 5 000 omnipraticiens qui oeuvrent dans l'un ou l'autre des 800 cabinets médicaux privés du Québec. Et, lorsqu'on dit «privé», bien sûr il faut s'entendre, à quelques exceptions près, tous ces médecins sont rémunérés par le système public d'assurance maladie. Dans ces cabinets médicaux, c'est plus de 80 % des services médicaux de première ligne qui y sont dispensés. Ces 5 000 omnipraticiens ont bien sûr également, dans bien des cas, la majorité des cas, une activité dans d'autres milieux de soins, entre autres les hôpitaux.

Alors, au-delà des défis que relèvent presque tous les jours les médecins omnipraticiens, les autres travailleurs de la santé aussi, bien sûr, il y a des questions cruciales qui doivent être débattues maintenant pour assurer la pérennité de notre système de santé. Aussi, nous étions heureux que, dans sa réponse au jugement de la Cour suprême, le ministre ait décidé d'élargir le débat en s'attaquant non seulement aux raisons même du litige ? des délais d'attente déraisonnables ? mais aussi aux défis que nous devons relever pour assurer la pérennité de ce système public de santé. Nous allons traiter brièvement bien sûr dans la présentation de quatre grandes questions, la première étant: Les orientations données au cours des dernières années sont-elles adéquates?

La fédération rappelle que les actions actuelles qu'on décrit dans le document de consultation du ministre s'inscrivent dans les orientations proposées par plusieurs commissions d'études depuis, je dirais, presque 20 ans, notamment la commission Rochon et la commission Clair. Plus récemment, le rapport Ménard a repris certaines de ces recommandations. Et nous avons eu l'occasion de nous exprimer, vous l'avez dit, on est venus souvent en commission parlementaire et nous l'avons fait sur d'autres tribunes, nous avons eu l'occasion de nous exprimer sur ces questions. Les recommandations de la commission Clair, notamment, ont donné lieu à un large consensus, ce qui n'est pas fréquent dans le réseau de la santé. Mentionnons l'importance de la prévention, la hiérarchisation des services, leur intégration, un nouveau partage de tâches entre les professionnels de la santé et la mise en place de moyens pour garantir la qualité des services.

En matière de prévention, la fédération encourage le gouvernement à poursuivre ses efforts. Les médecins de famille sont des intervenants privilégiés dans ces domaines, mais nous déplorons que trop souvent les interventions en santé publique soient planifiées sans consultation ni concertation avec ces derniers. Il y a place pour une plus grande collaboration, plus grande intégration entre la santé publique, particulièrement les directions régionales de santé publique, et les médecins de famille qui oeuvrent sur le terrain.

Quelques mots sur l'organisation et les modes de prestation des services. Nous assistons depuis quelques années, ces dernières années surtout, au développement de nouveaux modes d'organisation. Certaines des nouvelles structures ? mentionnons les CSSS, les RUIS notamment ? sont trop récentes pour en apprécier les effets, eu égard aux mandats qui leur sont donnés.

Les groupes de médecine de famille et les cliniques réseaux sont d'excellents exemples de partenariats public-privé. On fait appel aux ressources de cabinets, de cliniques privées, mais bien sûr toujours des médecins qui oeuvrent à l'intérieur du système public. Ce sont des exemples de partenariat qui permettent d'offrir une offre optimale de services de première ligne.

Les premières évaluations des GMF ? ce qu'on appelle GMF, c'est les groupes de médecins de famille ? montrent une amélioration significative de l'accessibilité de la globalité des soins. Le modèle GMF doit cependant s'assouplir pour qu'il devienne plus accessible à des petits milieux ou encore à des petits groupes de médecins. Il faut en réduire également les contraintes administratives; c'est très lourd, on y reviendra peut-être.

n(10 h 40)n

Même si elles sont plus jeunes et qu'une évaluation formelle n'a pas encore été faite, les cliniques-réseaux, qui pour le moment sont limitées à Montréal ? environ 14 cliniques-réseaux à Montréal maintenant ? ces cliniques nous semblent avoir un effet positif sur l'accessibilité aux soins et l'intégration des ressources. Mais la fédération rappelle qu'il y a encore plus de 4 000 médecins de famille qui exercent dans des cabinets médicaux ou dans des CLSC qui ne sont pas des GMF ou des cliniques-réseaux. Ces médecins de famille sont ceux qui dispensent encore la majorité des soins de prise en charge et de suivi de la clientèle ambulatoire et ils se plaignent à bon droit qu'ils n'ont pas tout le support requis pour leur pratique, notamment un accès rapide et fonctionnel aux ressources diagnostiques et spécialisées. Les CSSS ont une responsabilité dans ce domaine, mais, je le répète, on convient que leur création est trop récente pour apprécier leur bilan en cette matière.

Les cabinets médicaux sont, depuis le début du régime public, les sites où se dispensent la très grande majorité des soins médicaux de première ligne ? et je le répète, c'est important ? dont le suivi régulier des clientèles les plus vulnérables. Ces cabinets médicaux subissent une décroissance inquiétante. Dans les cinq dernières années, ce réseau a perdu 119 médecins en termes d'équivalents temps plein malgré un ajout global de 607 équivalents temps plein omnipraticiens dans la province. C'est d'autant moins d'accessibilité pour la prise en charge et le suivi par un médecin de famille, parce que ceux qui ne viennent pas en cabinet privé ou quittent le cabinet privé n'exercent pas nécessairement à titre de médecins de famille, mais ils concentrent leurs activités dans des établissements de deuxième ligne ou dans des programmes spécifiques.

Les causes sont multiples, mais elles se résument à un manque de support du réseau à la pratique des médecins de famille, des coûts de pratique de plus en plus onéreux et non pris en compte par le gouvernement, une rémunération qui ne tient pas compte de la lourdeur grandissante de leur pratique, des contraintes légales et notamment la non-reconnaissance d'activités médicales particulières pour des activités de prise en charge des clientèles vulnérables. Cela existe depuis ces dernières années, et ce n'est pas étranger, loin de là, au fait qu'on arrive difficilement à recruter des jeunes omnipraticiens dans nos cabinets médicaux ou dans nos CLSC pour exercer, là, à titre de médecins de famille et faire de la prise en charge et suivi de clientèle.

Le réseau public ne sortira pas gagnant de la décroissance des cabinets privés, bien au contraire. Nous en observons déjà les effets négatifs, et, je l'ai dit, c'est l'une des causes principales du peu d'accessibilité à un médecin de famille dans toutes les régions du Québec. Dans nos CLSC, nous avons environ 1 000 omnipraticiens qui y exercent, et ces médecins, même s'ils sont dans un établissement public, ont dénoncé à plusieurs reprises le fait que de nombreux CLSC n'offrent pas le support nécessaire pour assurer des services adéquats en médecine familiale. Hormis les frais de pratique, ils se butent aux mêmes difficultés que leurs collègues des cabinets privés.

Alors, dans son mémoire, la fédération fait plusieurs recommandations sur cet objet. Nous croyons que le gouvernement doit mettre en place des moyens pour garantir aux médecins de famille un accès rapide et fonctionnel aux ressources diagnostiques et spécialisées dont leurs patients ont besoin.

Le gouvernement doit également accorder aux médecins qui exercent dans les cabinets médicaux les moyens pour leur permettre de demeurer concurrentiels dans le contexte d'affaires québécois, notamment leur permettant de s'incorporer. Je vous avoue que les omnipraticiens sont exaspérés par les multiples tergiversations du gouvernement et de l'Office des professions en regard de l'exercice en société pour des médecins, alors que ce mode de fonctionnement est permis dans les autres provinces canadiennes et pour la plupart des autres professionnels ici, au Québec.

En bref, la fédération croit qu'on pourrait retirer beaucoup plus du réseau des cabinets privés si on acceptait de mieux les supporter et les outiller. À l'exemple des cliniques affiliées que le ministre propose, les CSSS devraient explorer la possibilité de confier aux cabinets privés la prestation de services spécifiques de première ligne par le biais d'ententes de services.

Deuxième grande question: La proposition gouvernementale en réaction au jugement de la Cour suprême est-elle adéquate? La fédération, je l'ai dit au début, appuie fermement la décision gouvernementale d'apporter une réponse globale à l'ordonnance de la Cour suprême en s'attaquant au problème des délais d'attente. Et la fédération appuie particulièrement le gouvernement dans sa volonté de maintenir un système public fort. L'accès raisonnable d'une personne à des soins de santé ne doit pas être tributaire de son statut économique. C'est un principe qui nous est cher. Et je vous rappelle que, dès 1970, pour les mêmes raisons, la FMOQ a soutenu la mise en place du régime d'assurance maladie. Nos valeurs ne sont pas différentes en 2006.

Mais, ceci étant dit, nous avons de nombreux défis. Et le jugement de la Cour suprême soulève en corollaire tout le débat sur l'apport du privé dans notre système de soins, les défis que nous pose le financement du système public pour les années futures. Ne point reconnaître cette situation et trouver des solutions serait faire preuve d'une imprévoyance que nous reprocheraient à bon droit les générations qui nous suivent.

Cela m'amène à la troisième question, l'accès aux services. Les délais d'attente déraisonnables ne se limitent pas à trois pathologies mais à un grand nombre d'autres, pour des problèmes qui relèvent tant de la médecine générale, tant de la chirurgie, que de la médecine interne. Il faut rappeler qu'avant d'être inscrit sur une liste d'attente pour une chirurgie élective, de longs délais se sont produits, délais qui sont aussi préjudiciables pour les mêmes patients. Le délai pour voir un médecin de famille, dans certaines régions, c'est au-delà de trois mois, à moins d'une urgence. Délai pour passer les examens requis, délai pour être vu par le médecin spécialiste, ces délais préinscription sur la liste de chirurgie sont souvent aussi longs, sinon davantage, que celui qui suit l'inscription et la chirurgie proprement dite. Ces délais sont tout aussi importants et tout aussi préjudiciables pour les patients. Au-delà des changements de structure, qu'a l'intention de faire le gouvernement pour corriger rapidement cette situation?

Le mécanisme de gestion des listes d'attente suffira-t-il à lui seul à réduire les délais sans l'ajout de ressources? Nous posons la question, car les 20 millions mentionnés dans le document de consultation nous apparaissent bien insuffisants.

La FMOQ estime en bref que les solutions mises de l'avant par le gouvernement sont trop restreintes dans l'éventail des pathologies, trop courtes dans sa période d'intervention, trop centrées sur un seul lieu et trop complexes, avec une multiplicité d'organismes en cause.

Encore une fois, nous répétons l'importance, dans la réduction des délais, de mieux outiller le médecin, d'améliorer la liaison entre les services de première ligne et les services spécialisés, les services de liaison entre les médecins de famille et les services spécialisés. Les cabinets médicaux, les CSSS, les hôpitaux doivent se mettre en place ? comme c'est le cas, il y a déjà certaines expériences, à Laval notamment ? ou encore dans les cliniques-réseaux, qui est un modèle, là, qui permet d'améliorer beaucoup ce genre de liaison.

Le recours à l'assurance privée. Par ses propositions, il semble que le gouvernement satisfait techniquement au jugement de la Cour suprême. Je laisserai les juristes en discuter. Mais, pour nous, nous regrettons que le gouvernement n'ait prévu qu'une ouverture très restreinte à l'assurance privée, limitée aux trois conditions qui feront l'objet d'une garantie d'accès et assujettie à des contraintes qui, à toutes fins utiles, vont rendre inopérant le recours à une assurance privée. Cette ouverture serait en sus assujettie à un ensemble de règles afin de protéger l'intégrité du système public. Il aurait fallu ajouter: Et rendre le système privé non viable économiquement.

Le meilleur moyen de protéger l'intégrité du système public et son monopole, c'est de s'assurer que ce système offre un accès raisonnable aux soins, ce qui n'est pas le cas actuellement. S'il offre cet accès raisonnable, n'ayez crainte, il ne se développera pas un réseau privé parallèle. L'assurance privée, donc, pour nous, devrait permettre l'accès à d'autres services, comme ceux rendus par des médecins non participants ou dans certains domaines spécifiques, comme la médecine sportive de pointe, par exemple. Mais l'assurance privée n'est pas la panacée pour résoudre des problèmes de financement actuels et futurs du système de santé.

Les cliniques affiliées. Nous supportons ce concept. Nous pensons qu'il permettra d'améliorer l'offre de services spécialisés, comme c'est le cas dans les GMF et les cliniques- réseaux. Mais nous sommes préoccupés par les règles, normes et contrôle des coûts que veut imposer le gouvernement à ces cliniques. Le gouvernement veut imposer à ces cliniques privées des règles de gestion publique qui risquent de paralyser le fonctionnement de ces cliniques. Que le gouvernement s'assure de la qualité des soins, bien sûr, c'est nécessaire, mais qu'il laisse ces cliniques privées gérer leurs ressources selon leurs règles propres, celles du privé, à l'intérieur d'un contrat de services qui va sans doute intervenir entre ces cliniques et le CSSS, ou l'agence ou un RUIS.

n(10 h 50)n

Quelques mots sur le financement du système privé. D'abord, en introduction, nous trouvons que le document ministériel traite peu du financement actuel et futur du système de santé. Et enfin nous pensons que cette question devrait faire en soi l'objet d'un livre blanc et de d'autres débats publics et peut-être d'une autre commission parlementaire.

Le budget de la santé représente déjà 43 % du budget de l'État, et, si rien n'est fait pour corriger la situation, l'impasse financière entre la croissance des dépenses de santé et celle des revenus va grandir et, il faut être réaliste, elle deviendra insoutenable d'ici peu d'années. Et pourtant le système de santé québécois demeure sous-financé. Le Québec dépense moins per capita que la moyenne canadienne. J'ajouterais, une donnée que le ministre connaît fort bien, que les médecins québécois sont, et de loin, les moins bien rémunérés du Canada.

Il faut... Dans les mesures... le ministre en a énuméré plusieurs tout à l'heure, et chacune de ces mesures a son mérite et mérite d'être regardée, mais il nous faut revenir constamment à la charge sur les transferts fédéraux. C'est presque devenu, là, une panacée que de dire cela, mais, sans faire de partisanerie politique, sans faire de démagogie ? je ne sais pas pourquoi les deux mots sont près l'un de l'autre, ils n'ont pas bien sûr de lien ? mais je dirais que le fédéral, au lieu de vouloir déterminer ses propres politiques de réduction des délais d'attente... que le gouvernement fédéral rétablisse les prestations pour les soins de santé au niveau où elles étaient dans les années quatre-vingt et qu'il nous laisse le soin de décider du comment-faire et où le faire. C'est une juridiction provinciale.

Malgré les gains réalisés à l'automne 2004, la contribution du fédéral au financement des services de santé ne représente encore que 22 % des dépenses des provinces dans ce domaine; c'est bien inférieur à ce que c'était dans les années quatre-vingt. Et en corollaire ? on l'a soulevé tout à l'heure, et vous me permettrez de renchérir un petit peu ? le gouvernement fédéral, semble-t-il, propose de réduire de 1 % la TPS ? est-ce qu'on ne pourrait pas considérer la récupération de cet espace fiscal en l'allouant à notre future caisse santé?

Le Président (M. Copeman): Il vous reste trois minutes.

M. Dutil (Renald): Oui, je termine dans trois minutes, M. le Président. La mise en place d'un compte santé et services sociaux, c'est une excellente mesure qui aurait dû être établie depuis longtemps, mais cela apportera une meilleure transparence mais pas plus d'argent. L'assurance perte d'autonomie, c'est une mesure qui mérite d'être étudiée, mais il y a bien des questions qui doivent être répondues avant d'aller de l'avant. C'est un accroissement du fardeau fiscal. On ne se leurrera pas là-dessus. Alors, quelle sera la base de contribution? Voilà qui est à discuter. Sera-t-elle celle de l'impôt, sera-t-elle celle de la Régie des rentes du Québec? C'est un régime qui arrive peut-être un peu tard, si jamais il est mis en place, pour faire face au pic du vieillissement, qui se situe dans les prochains 15, 20 ans.

Partenariat public-privé, j'insiste là-dessus, je pense qu'il nous faut explorer davantage le recours aux installations privées déjà en place, notamment le réseau des cabinets privés, où se retrouvent des médecins rémunérés par le système public, mais il nous faut respecter la culture propre de ces milieux et, je le répète, ne pas leur imposer des règles de gestion qui sont peut-être adaptées pour des structures publiques mais qui ne le sont pas pour des structures privées.

Les coopératives de santé, quelques mots très rapides. C'est un nouveau modèle de partenariat public-privé, qui est à ses débuts mais qui mérite d'être considéré. Il repose sur l'implication d'une communauté dans l'organisation de soins de santé de première ligne. En soi, c'est un élément intéressant.

Alors, en conclusion, M. le Président, deux brèves conclusions. La fédération demande que les mesures visant à faciliter l'accès aux services s'intéressent à tous les paliers de soins, particulièrement aux services de première ligne, surtout la médecine familiale. Les mesures d'accès ne peuvent se limiter à certaines interventions chirurgicales, et cela, à une période tardive de l'épisode de soins.

Deuxième conclusion: Compte tenu de l'impasse financière cumulative entre la croissance des dépenses de santé et les revenus du gouvernement, il nous apparaît de plus en plus difficile de conserver un financement exclusivement public de ce système. L'ouverture du gouvernement aux ressources privées, cliniques privées, régimes d'assurance privés, est trop timide. Les partenariats public-privé doivent être davantage explorés, d'autant plus que ces ressources existent déjà, et cette avenue, à notre point de vue, ne mettra pas en péril le système public mais viendrait plutôt l'appuyer. Merci.

Le Président (M. Copeman): Merci, Dr Dutil. M. le ministre de la Santé et des Services sociaux.

M. Couillard: Merci, M. le Président, merci, Dr Dutil, Drs Asselin, Godin et Rodrigue, pour votre visite aujourd'hui et votre intéressant témoignage.

Je vous dirais d'entrée de jeu qu'on a reconnu, lors de la conférence de presse qui a lancé le document de consultation que nous avons devant nous, que, si on demandait aux citoyens qui nous écoutent aujourd'hui quel est leur principal problème d'accessibilité, ils ne mentionneraient pas l'accessibilité à une prothèse de hanche, de genou ou une chirurgie de cataracte, ils mentionneraient certainement l'accès au médecin de famille. C'est ce qui se pose dans la réalité, et on l'a dit très clairement. Cependant, on avait un problème spécifique à régler avec ce jugement Chaoulli, qu'on a abordé de la façon dont vous avez décrite. Et, comme vous le savez, des actions sont en cours pour augmenter le nombre de médecins de famille, et notamment une répartition régionale plus équitable.

Vous parlez beaucoup de la question des cabinets privés. Là-dessus, je penserais commencer d'emblée par des échanges ou des questions. Pourriez-vous nous donner votre appréciation de l'intérêt réel des omnipraticiens du Québec pour la pratique en mode désengagé ou non participant de la... puis les expériences? Vous savez qu'il y a quelques expériences, hautement publicisées. Qu'est-ce que ça a donné sur le terrain?

M. Dutil (Renald): Il n'y a pas un grand intérêt pour les médecins de famille à devenir non participants. Il n'y aura pas d'exode, même si on ouvrait davantage aux assurances privées, par exemple. N'ayez crainte, il n'y aura pas d'exode des médecins de famille pour aller vers un statut de non-participant. Il y a actuellement peut-être entre 25 et 50 omnipraticiens, sur les 7 800, qui sont non participants, et je ne crois pas que cela ira beaucoup plus loin. L'intérêt des médecins de famille, c'est d'être bien outillés et mieux supportés pour la prise en charge et le suivi des clientèles de leurs communautés, et je pense que cet intérêt va se continuer si on les aide. Je vous ai parlé de la décroissance des cabinets privés, on peut s'en réjouir dans certains milieux, c'est le réseau de la santé en entier et c'est l'accessibilité à des services dispensés par un médecin de famille qui est en cause là-dedans.

M. Couillard: On se souvient que, dans cette question des cabinets privés, il y a les activités médicales prioritaires ou particulières, selon l'abréviation qu'on utilise, qui ont été rendues nécessaires à l'époque parce qu'il y avait un problème de bris de service dans les salles d'urgence, dans les unités d'hospitalisation, et, comme on a discuté ensemble à quelques reprises, il faut certainement envisager la revalorisation du suivi en cabinet. On est de cette école-là également. Cependant, vous dites: Il faut qu'on refasse un lien de proximité entre le cabinet privé et le centre de santé et de services sociaux, et vous demandez la présence d'infirmières-liaison, comme il y a, par exemple, dans les cliniques-réseaux, cette façon d'accélérer le passage du patient aux hôpitaux publics.

Quel type de relation envisagez-vous puis qu'est-ce que les médecins en cabinet vont, à rebours, offrir au système de santé en termes d'accessibilité et de continuité qui permette d'envisager ce genre d'entente là? Parce qu'une entente prévoit deux partenaires, nécessairement.

M. Dutil (Renald): D'abord, les activités médicales particulières, M. le ministre, dès l'automne 2002, la fédération avait insisté beaucoup avec les représentants du ministère pour faire reconnaître l'importance de reconnaître à quelque part, pas avant la salle d'urgence, mais à quelque l'importance de la prise en charge et du suivi des clientèles vulnérables. Nous avons le même discours aujourd'hui, et les effets pervers, négatifs que nous craignions à l'époque se sont bien manifestés. Alors, il va falloir qu'on regarde ça de très près et ne plus reconnaître seulement par dérogation, en queue de liste, des activités médicales particulières pour l'activité prise en charge et le suivi de clientèles vulnérables. On se limite.

Qu'est-ce que les omnipraticiens veulent faire? Moi, les omnipraticiens me répondent simplement: Qu'est-ce que le CSSS va faire pour m'aider dans ma pratique de médecin de famille, et je vais lui dire ce que je vais faire pour l'aider dans son mandat, là, qui inclut une responsabilité populationnelle. Ce n'est pas par des contraintes nouvelles ou des formulaires, etc., qu'on va réussir cette intégration, c'est en articulant beaucoup mieux, par un meilleur support, meilleur accès aux ressources diagnostiques et thérapeutiques, meilleurs accès aux services spécialisés. Si le CSSS veut travailler dans ce sens-là, je n'ai aucune crainte, les médecins de famille vont être très heureux de s'intégrer aux CSSS. Ils en ont besoin pour leur pratique. Ils se butent constamment à des difficultés. Et, de chaque côté de moi, j'ai deux médecins cliniciens qui sont capables de vous en parler, de ces difficultés qu'ils vivent tous les jours: l'un travaille dans un GMF, il vit quand même ces difficultés-là; l'autre travaille dans une clinique-réseau, et, même s'il y a eu amélioration, ils vivent encore ces difficultés-là.

M. Couillard: Mais, à l'inverse, il y a des gens des établissements publics qui ont certaines remarques à faire sur le style de pratique ou les habitudes des omnipraticiens de leur territoire; il y a lieu de peut-être concilier les deux. Les deux intérêts sont les mêmes, c'est l'intérêt du patient qu'on vise ici.

n(11 heures)n

M. Dutil (Renald): Mais vous avez raison de le souligner, mais je dois vous souligner que jusqu'à ce jour ? et on espère un changement avec les nouvelles structures; jusqu'à ce jour ? l'hôpital pensait d'abord à ses besoins d'hôpital, et, quand il portait un jugement sur, bon, l'écart ou l'absence d'intégration avec les médecins de son milieu, c'était en regard de ses besoins d'hôpital. Là, maintenant, j'ai compris qu'avec la loi n° 25 le CSSS a une responsabilité, une imputabilité envers les services de médecine familiale de son territoire. C'est la même population. Alors, il y a une responsabilité nouvelle qu'on vient de donner, et je souhaite que le discours de nos hôpitaux ? j'ai parlé des hôpitaux surtout ? et même de nos CLSC change et qu'ils veuillent aider la pratique en médecine familiale de leur territoire, médecins en cabinet ou médecins en CLSC, peu importe le lieu, et je suis persuadé que ces médecins de famille vont s'intégrer de plus en plus, parce qu'ils le souhaitent, mais pas par le biais de nouvelles contraintes, entendons-nous, ça a un effet pervers.

M. Couillard: D'ailleurs...

M. Godin (Louis): Si vous me permettez, je pense qu'il y a aussi un nouvel... il y a un autre élément qui permet, là, l'intégration des médecins omnipraticiens par rapport aux nouveaux CSS, c'est tout le rôle des départements régionaux dans la priorisation des services qui doivent être rendus. Parce que, c'est sûr, sur un territoire, les besoins sont immenses. En matière de santé, c'est une liste sans fin, et on est rendu actuellement dans la priorisation de certaines choses, et le département régional peut très bien juger ce qui est important et donner, au niveau des cabinets privés puis aussi au niveau des établissements, et diriger la part des interventions qui doivent être faites par les médecins omnipraticiens. La difficulté actuellement, c'est qu'au niveau des départements régionaux il est très difficile de reconnaître le travail en cabinet, spécialement au niveau des clientèles vulnérables, qui sont les mêmes clientèles prioritaires à la fois dans les CSS que dans les cabinets privés, pour que les médecins puissent y consacrer la majorité de leur part de services.

Donc, nos départements régionaux peuvent nous aider, si on veut, à faire un peu l'arbitrage entre ce que les médecins doivent faire en cabinet privé, quel est leur travail prioritaire, et ce qu'est le travail prioritaire aussi en médecine de première et de deuxième ligne dans les établissements, et notamment dans les nouveaux CSS.

M. Couillard: Oui. D'ailleurs, il y a une place aux médecins de cabinet sur le conseil d'administration du CSSS, qui est en soi un forum où on pourra intervenir directement. Et l'exemple du département régional de médecine générale a donné naissance à la table des chefs de département de médecine spécialisée. Donc, on a quand même profité ensemble de cette structure-là.

Dr Dutil, juste pour clarifier un élément. Parce qu'effectivement on veut renforcer ce lien entre les omnipraticiens en cabinet et les CSSS, en raison du principe même que vous avez souligné qui est la responsabilité de la population. Vous revenez souvent sur le fait de ne pas avoir de nouvelles contraintes; ça pourrait être interprété par «aucune obligation». Il ne faut pas que les obligations soient seulement d'un seul côté. On demande des infirmières-liaison, on demande l'accès au plateau technique, on demandes des éléments qui, oui, vont aider le patient mais facilitent la vie professionnelle des médecins. Les médecins, il faut qu'il y ait également un engagement concret vis-à-vis leur établissement de santé, non pas pour y travailler à l'intérieur, mais pour travailler en synergie avec l'établissement de santé. Il faut nécessairement que, dans l'entente, il y ait une sorte d'échange, là.

M. Dutil (Renald): Vous savez, M. le ministre, je parle de contraintes administratives ou légales, ou même conventionnelles parfois. Mais il faut bien s'entendre, là: les médecins de famille sont prêts à assumer leurs obligations et de nouvelles obligations pour mieux prendre en charge la population, si on les aide un peu plus. Alors ça, il n'y a pas de problème là-dedans.

Mais actuellement, pour exercer comme médecin de famille dans un cabinet, ou dans un CLSC, ou à l'hôpital, il faut bien sûr avoir son permis de pratique, il faut s'inscrire auprès de la Régie de l'assurance maladie, il faut avoir un avis de conformité du département régional, il faut satisfaire au PREM, au plan régional des effectifs médicaux de la région, et il faut satisfaire aux activités médicales particulières. Va-t-on ajouter de nouvelles contraintes réglementaires ou légales? Ça a un effet pervers. Ça a un effet pervers, et, chez nous, ce serait bien mal reçu.

Mais je peux vous assurer que de vouloir assumer l'obligation de prendre en charge et de suivre la population de leur milieu avec l'aide de leur réseau, en s'intégrant davantage à leur réseau sur le plan professionnel, les médecins de famille sont tout à fait disposés à le faire et souhaitent le faire, mais c'est une voie à double sens. Je vous ai dit que le discours était «mes besoins d'hôpital»; les nouvelles structures comportent des éléments intéressants, on vous l'avait dit en commission parlementaire: cette nouvelle responsabilité qu'on donne aux CSSS, il y a là des éléments importants. L'intégration d'un médecin représentant les cabinets privés au conseil d'administration, c'est des éléments intéressants. Je ne peux pas porter encore de jugement sur: Est-ce que ça a donné des résultats concrets?, c'est trop tôt. Mes membres me disent: Il n'y a pas encore de résultats concrets, mais convenons que c'est trop tôt pour porter un jugement de valeur. Ça s'est mis en place très récemment, finalement, ça.

M. Couillard: Mais, dans les 95 CSSS actuellement du Québec, on élabore le projet clinique, qui foncièrement doit prendre en charge les questions de première ligne; il y a là donc un rôle très actif à jouer pour ces représentants au conseil d'administration des cabinets médicaux.

Prenons les formules de groupes de médecine de famille et de cliniques-réseaux ? qui ne sont pas interchangeables, là, la clinique-réseau ne remplace pas le groupe de médecine de famille, ça peut être complémentaire ou même en synergie ? vous avez mentionné dans votre introduction, lorsque vous avez parlé des groupes de médecine de famille, qu'il fallait faire preuve de plus de souplesse pour notamment donner accès aux plus petits groupes de médecins. Vous allez reconnaître qu'on l'a fait, on a accrédité des groupes de médecine de famille avec des nombres de médecins beaucoup plus faibles que ce qui était initialement prévu, dans l'espoir justement de les voir constituer une masse critique qui peut attirer d'autres médecins.

Mais, quels autres éléments de souplesse vous apparaissent nécessaires pour revivifier un peu cet intérêt des médecins envers la formule?

M. Dutil (Renald): On vous dit: il y a beaucoup de moyens, et on en parle dans notre mémoire. Par exemple, il y a 4 000 omnipraticiens qui ne sont pas en GMF et en cliniques-réseaux, et ce sera ainsi pour encore probablement plusieurs années, même si la fédération est tout à fait d'accord de promouvoir le modèle GMF et le modèle cliniques-réseaux, qui est plus adapté à des milieux urbains ou semi urbains. Par exemple, les médecins de famille qui sont solos ou petits groupes ? on en a encore plusieurs, là ? pourraient bénéficier d'une infirmière-réseau, une infirmière rattachée au CSSS du milieu... et qui viennent supporter leur pratique particulièrement dans le suivi, là, le suivi conjoint donc de certains patients chroniques, des diabétiques, des patients qui souffrent de maladies plus lourdes.

Alors, le modèle qu'on a développé en GMF, d'intégration d'une infirmière à un groupe de médecins, pourrait s'étendre en dehors des GMF avec ce modèle d'infirmières-réseaux du CSSS, qui est responsable d'un certain nombre de patients suivis conjointement par des médecins de famille du milieu qui exercent en solo ou petits groupes et qui ne seront peut-être jamais GMF ou cliniques-réseaux. Dans les GMF, là, Dr Godin pourrait vous le dire, là, ce n'est pas la pléthore, hein? Je veux dire, une infirmière pour une dizaine de médecins, c'est nettement insuffisant. On comprend qu'il y a des ressources limitées également au niveau du nombre d'infirmières, mais c'est nettement insuffisant.

Mais il y a plusieurs modalités qu'on peut développer et, quand je vous parle d'infirmières-réseaux supportant la pratique du médecin de famille, il y a des exemples intéressants. Laval, entre autres, a commencé à faire cela, et je pense qu'il faut regarder cela, ce serait bien apprécié. Et le médecin de famille demande bien sûr une amélioration de ses conditions d'exercice. On n'est pas insensibles, c'est le bout qui nous regarde et qui regarde le ministère, et, là-dessus, il va falloir avoir des propositions plus rassurantes que celles qui sont sur la table, je vous le dis d'emblée. Mais je ne développerai pas ce dossier-là à ce forum-ci, ce n'est pas le bon. Mais ils nous disent: On veut un meilleur environnement professionnel, on veut travailler en interdisciplinarité, on a besoin d'aide d'autres professionnels de la santé pour mieux suivre, à titre de médecins de famille, nos patients qui sont âgés, qui sont lourds, qui souffrent de maladie chronique.

M. Couillard: Alors, encore pour quelque temps, M. le Président?

Le Président (M. Paquin): Oui, oui, encore sept minutes.

M. Couillard: Pour ce qui est de la question à l'assurance privée, j'ai de la difficulté à saisir la cohérence entre votre recommandation de maintenir un système public fort et puis votre recommandation parallèle d'ouverture plus large à l'assurance privée. Et il me semble qu'il y a là, peut-être superficiellement du moins, un problème de cohérence. Je vous dirais que, de la part du gouvernement, on considère que le recours à l'assurance privée n'est en rien une panacée, et qu'effectivement ça va être au compte-gouttes, si ça augmente, et on verra l'expérience, après avoir fait pour trois chirurgies, ce que ça donne. Et je retiens, moi, la suggestion de plusieurs groupes qui sont venus ici, de dire que, si ça augmente, il faudrait que ce soit par voie législative, soumis aux débats de l'Assemblée nationale.

Donc, vous voyez, nous, on est dans une démarche d'extrême prudence avec cette question-là, parce que les effets pervers sont immenses et irréversibles, lorsqu'ils se présenteront. C'est le genre de politique qu'on met sur pied, puis que, quelques mois plus tard ou quelques années plus tard, on dit: Je n'aurais pas dû! Là, il est trop tard parce que les habitudes sont prises puis les glissements sont faits. Alors, je dois vous dire que l'orientation d'extrême prudence et de fermeture que vous déplorez, elle va demeurer.

M. Dutil (Renald): Écoutez, M. le ministre, peut-être que ça vous semble un paradoxe, il n'y a pas paradoxe. La fédération ne se fait pas le promoteur de l'assurance privée, loin de là. Mais admettez avec moi que votre ouverture, elle est plus que timide. À toutes fins utiles, je veux dire, elle permet peu ou bien peu, là, d'assurance privée. Quel assureur va assurer des personnes âgées, qui ont souvent déjà les débuts de problèmes d'arthrose de la hanche qui va conduire, bon, à une chirurgie éventuelle? Il n'y en aura pas, on le sait fort bien. Ça nous apparaît bien timide. Et je pense que l'ouverture aurait pu être un peu plus grande, peut-être pour... on vous parle des médecins non participants, avec certaines modalités.

Les assurances privées, ça existe dans certaines d'autres provinces; je pense qu'il y a quatre provinces canadiennes où l'assurance privée est permise pour des services assurés par le régime public. Et on n'a pas assisté là-bas... je veux dire, une pléthore de médecins qui devenaient non participants puis à la mise en péril de leur système public, là. Alors, il faut regarder cela. Je ne serais pas prêt à plonger d'emblée vers une libéralisation importante de l'assurance privée, mais on constate que l'ouverture que vous faites est extrêmement timide, et, à toutes fins utiles, elle ne fonctionnera pas, et que c'est l'objectif que vous visez, M. le ministre.

n(11 h 10)n

M. Couillard: Effectivement, M. le Président, moi, je n'appelle pas ça «timide», c'est un choix politique qu'on fait. On peut ne pas le partager, mais, nous, on a à répondre devant la population, puis on va rester dans cette direction-là certainement, puis je prévois déjà que les augmentations hypothétiques du futur ? je ne suis même pas sûr qu'il y en aura ? vont se faire vraiment de façon très prudente. Vous dites: Est-ce qu'il y aura des assureurs privés qui vont être prêts pour prendre le marché? Honnêtement, Dr Dutil, ça ne me dérange pas beaucoup. Ce n'est pas pour ça qu'on dirige un gouvernement puis qu'on fait de la politique, c'est pour augmenter le service pour l'ensemble des citoyens et non pas ceux qui peuvent avoir accès à une assurance privée, dans une population où 80 % des gens gagnent moins de 50 000 $ par année.

Alors, que les assureurs décident qu'il y a un marché ou pas, c'est leur décision, mais je peux vous dire que notre projet n'a pas été fait dans l'axe de donner un marché ou une étude de marché à l'industrie de l'assurance, là. Ce n'est pas du tout dans cette question-là qu'on était. Nous, on était dans un choix délibéré de protection puis de renforcement du système public de santé au Québec. Et on peut s'objecter pour des raisons philosophiques, mais c'est le choix qu'on fait.

M. Dutil (Renald): Écoutez, on partage votre objectif, mais on constate une chose, c'est que le financement public du système de santé, je veux dire, ne suffira pas, il faut regarder des alternatives. Et c'en est une, mais ce n'est pas une panacée, loin de là. Je ne pense pas que c'est la mesure principe qu'on doit regarder pour mieux réconcilier les ressources publiques et le coût des dépenses de santé qui va grandissant.

M. Couillard: Là-dessus, Dr Dutil, c'est un appel que je lance à vous puis aux autres qui voudraient nous persuader que l'assurance privée, elle va améliorer le problème de financement de la santé: nous sommes convaincus que non. D'ailleurs, je lance un défi ouvert de nous montrer l'exemple d'un pays où l'introduction de l'assurance privée a réduit le rythme d'augmentation des dépenses publiques, a réduit le pourcentage des dépenses publiques par rapport au PIB et a réduit également les besoins du secteur public. D'ailleurs, je vais vous donner un exemple très précis. En Europe occidentale, où la plupart des pays ont des assurances privées complémentaires, il n'y a que deux pays, Chypre et la Grèce, qui ont des pourcentages de dépenses publiques inférieurs à 70 % des dépenses totales de santé.

Donc, l'ajout d'un tiers payeur pour une partie de la population, qui exerce un effet minime sur l'économie générale du système, au mieux, n'a aucun effet, au pire, a un effet d'aggravation ou de dégradation du financement du réseau public. Et ça, c'est des légendes, hein, de dire que l'assurance privée améliore le financement du système de santé. Qu'on nous le prouve. La preuve est loin d'être faite. Et la raison pour laquelle on ouvre de façon aussi réduite, ce n'est en aucune façon pour participer à la solution du financement du système de santé, ça n'aura aucun impact. Et, s'il y a un pays, encore une fois, qui a démontré le contraire, qu'on nous le cite, qu'on le montre en exemple.

Le Président (M. Reid): Dr Dutil.

M. Dutil (Renald): Écoutez, là-dessus, je vous dirais que c'est moins pour le financement de santé... Il y a des gens qui, pour des raisons personnelles ou autres, préfèrent consulter dans le privé ? privé-privé, là, j'entends, là. Bon. On refuse à ces gens le droit de s'assurer pour des services médicalement requis. Il faut le regarder par ce bout-là aussi, là: jusqu'où doit-on refuser à ces gens la possibilité de s'assurer pour des services pour lesquels ils devront défrayer directement s'ils n'ont pas d'assurance? Ils consultent déjà dans le privé, est-ce qu'on veut absolument les contraindre à consulter dans le système public? Je pose la question.

M. Couillard: Bien, encore une fois, notre choix délibéré, c'est d'abord de répondre en ordre hiérarchique, je dirais, aux deux admonestations, aux deux conclusions de la Cour suprême, dont la première était l'objectif, urgent et réel, de protéger le système de santé. Et on a établi, nous, un ordre hiérarchique entre les deux. L'autre élément sur les assurances privées... Si on lit correctement le jugement et si on lit le paragraphe qui réfère à ça, il n'a pas du tout la signification que certains voudraient lui faire porter. Mais vous dites d'ailleurs que, dans quatre autres provinces, l'assurance privée est permise de façon plus large, mais vous allez reconnaître que dans ces provinces l'encadrement de la non-participation est beaucoup plus lourd qu'au Québec.

Ainsi, dans plusieurs de ces provinces, par exemple, il y a une parité tarifaire, c'est-à-dire que le médecin qui quitte l'assurance maladie ne peut réclamer un honoraire plus élevé que celui du système d'assurance public d'où il est sorti. Est-ce que vous pensez qu'il faudrait aller dans cette direction-là? Parce qu'on pourrait fort bien... Puis là, j'irais avec vous en... à la limite, c'est peut-être un discours d'hypocrisie. Si on l'ouvrait largement à l'assurance privée, en encadrant tellement le désengagement qu'il devient à toutes fins pratiques impossible, bien c'est le résultat qu'on a dans les quatre autres provinces, et ce n'est pas ce qui est fait au Québec.

Le Président (M. Reid): Rapidement, Dr Dutil, avant que nous passions aux questions de l'opposition.

M. Dutil (Renald): Oui. Ce que vous dit la fédération, ce n'est pas de... on ne se fait pas les promoteurs de l'assurance privée, pas du tout, ce qui nous intéresse, c'est d'améliorer l'accès aux soins de santé pour tous nos citoyens, citoyennes, là, peu importe leur statut économique, je veux être bien clair là-dessus. On constate que votre ouverture, elle est très, très, restreinte, pour l'assurance privée. Ceci étant dit, vous avez pris une décision politique, un choix politique que je peux respecter. Notre préoccupation première, ce n'est pas d'élargir le champ de l'assurance privée; notre préoccupation première, c'est de s'assurer qu'on va maintenir un système public fort et qui pourra être financé. Il est sous-financé, notre système public, actuellement, parce que nos moyens sont moindres qu'ailleurs, il faut bien le dire. Et ce à quoi s'intéresse la fédération, c'est: Comment en arriver à préserver notre système public de santé? Je ne crois pas, et on vous l'a écrit, que l'assurance privée soit la panacée pour résoudre ce problème-là. Il faut regarder d'autres moyens.

M. Couillard: Peut-être très brièvement, une question que je laisserais ouverte, puis on pourra la reprendre, c'est définir le mot «sous-financement». Évidemment, vous choisissez la définition du financement per capita. On pourrait vous opposer la définition de pourcentage par rapport à la vraie richesse collective du Québec.

M. Dutil (Renald): C'est plus élevé que la moyenne canadienne, mais les revenus du Québec sont bas. Voilà le grand problème.

M. Couillard: Et voilà, et voilà. Voilà.

Le Président (M. Reid): On ajoutera une minute à votre temps, du côté de l'opposition. Alors, la parole est au député de Borduas.

M. Charbonneau: Bien, merci, M. le Président. Alors, Dr Dutil et vos collègues, je voudrais d'abord vous saluer. Vous dire d'entrée de jeu qu'on est, le ministre, et moi, et vous, sur la même longueur d'onde à l'égard de l'assurance privée, à la différence près que, nous, on se pose même la question si c'était nécessaire même de faire une ouverture. Je pense... Nous, notre position, c'est qu'on n'avait pas besoin de répondre au jugement de la Cour suprême, même en faisant une petite ouverture, justement parce que la démonstration n'a pas été faite des avantages financiers pour le système puis des avantages sur les listes d'attente.

Mais, de toute façon, ce qui est le plus important, c'est votre propos et votre engagement à l'égard du système public. Parce que de toute façon vous venez de le redire et vous venez de parler du problème du sous-financement, puis vous l'avez dit très franchement, puis ça, j'apprécie cette franchise-là, il y a une réalité, là, c'est qu'il y a des surplus fédéraux considérables. On les paie, ça, tu sais, ils ne sont pas générés par la magie, là, ils sont générés parce qu'ils sont venus chercher ça dans nos poches par la fiscalité, par les impôts, par les taxes, et maintenant il y a une question de redistribution de ces surplus-là.

Votre collègue... vos collègues de la Fédération des médecins spécialistes disaient qu'il faudrait peut-être questionner le dogme que 43 % des budgets, des dépenses de programmes vont à la santé: est-ce que c'est trop? Eux autres, ils disent: Peut-être que ce n'est pas... ce n'est peut-être pas si trop que ça, et que peut-être que dans le fond ce ne serait pas si dramatique que ça que le Québec consacre peut-être 45 %, 46 % de ses dépenses de programmes en santé. Parce qu'en bout de piste, si on récupérait de l'argent du fédéral puis si on en mettait plus dans le système de santé, évidemment que ça accroîtrait l'importance de la part qui serait dévolue à la santé, mais la question, c'est: Est-ce qu'on en a de besoin ou pas? On ne peut pas faire une campagne électorale puis un engagement, dire: Le système devrait bénéficier d'une augmentation du financement dans les cinq prochaines années, de 8,9 milliards, en mettre juste 3,9 ou 4,2, selon nos versions, puis penser que c'est assez, là. Et c'est clair qu'il y a... le problème du sous-financement, c'est d'abord un problème à court terme. Et je vais revenir tantôt sur votre opinion sur la question du financement à long terme.

Mais je pense que... Je suis content que le message de la Fédération des médecins omnipraticiens ? vous êtes en première ligne, vous êtes sur la ligne de front ? que vous disiez aujourd'hui très clairement, à l'occasion... Écoutez, le hasard fait que vous témoignez en commission au moment où les premiers ministres provinciaux sont à Montréal pour parler du déséquilibre fiscal. Mais, encore une fois, là, je ne veux même pas vous embarquer dans une discussion, là, constitutionnelle, savoir si on est pour ou contre l'indépendance du Québec, là, mais la question, c'est qu'on est citoyens de ce pays-là, on paie de taxes à deux endroits; il y a des endroits où il y a un surplus. Puis, vous l'avez dit vous-même, la juridiction de donner les services de santé, c'est une juridiction provinciale. On ne peut pas faire de magie. Si on reste à 22 % de l'apport du fédéral dans le financement du système public de santé, on ne s'en sort pas, on ne s'en sort pas. Et, dans ce contexte-là, moi, je pense que le message, il doit être très fort. Et à cet égard-là j'espère qu'il y en a qui vont allumer avec votre déclaration, aujourd'hui, parce que c'est un message de gens qui sont sur la ligne de front puis qui disent: Écoutez, nous, là, nos besoins, là, ils sont énormes, et on ne peut pas faire de magie.

Qu'est-ce que vous pensez de l'opinion de vos collègues spécialistes, qui disent: Ce n'est pas un dogme, le 43 % des dépenses de programmes en santé, c'est assez, puis c'est peut-être trop? Moi, je pense que cette question-là, il va peut-être falloir en débattre très franchement. Est-ce qu'on en met trop en santé ou pas assez en santé en proportion des autres dépenses, par rapport aux besoins aussi puis à la priorité qu'on accorde ou pas à la santé, puis à la prévention, puis aux services sociaux?

n(11 h 20)n

M. Dutil (Renald): Écoutez, ce n'est pas un dogme, 43 %. Je ne connais pas le chiffre magique. Si j'étais ministre de l'Éducation, j'aurais probablement une réponse différente. Je trouverais que je me serre beaucoup la ceinture pour m'acquitter de ma mission, qui est aussi très importante, l'éducation. Et, si j'étais ministre des Transports, j'aurais probablement un autre discours, et ainsi de suite.

Je constate, quand je regarde le rapport Ménard et bien d'autres documents, que l'impasse financière entre les dépenses de santé puis les revenus du Québec va aller grandissant, puis ça va devenir insoutenable. L'État a plusieurs missions, la santé étant la plus importante, peut-être et sans doute, mais l'éducation aussi en est une. Puis il y a d'autres responsabilités aussi.

Alors, comme citoyens et citoyennes, on fait quoi vis-à-vis cela? Je veux dire, moi, je constate d'autre part qu'il y a des surplus fédéraux bien importants, bien importants, puis ces surplus-là, c'est nos taxes et nos impôts, aussi, du Québec. Alors, il faut aller chercher des sources nouvelles d'argent, parce que, malgré 43 %... Et je ne pense pas qu'on peut aller à 60 %, 70 % du budget de l'État, à moins qu'on veuille faire du budget de la santé le budget de l'État à un moment donné. Il faut aller chercher des argents supplémentaires. Le système, il est sous-financé, et je suis tout à fait d'accord avec mes collègues spécialistes là-dessus. On le constate tous les jours; presque dans nos activités quotidiennes, on constate cela.

Alors, quelles sont les avenues pour améliorer le financement? Est-ce que c'est d'augmenter le budget de la santé de 43 % à 50 %? Je laisserai le gouvernement décider de cela. Mais ça va poser des problèmes ailleurs, là. Il faut être réaliste, cesser de faire du dogmatisme avec cette question-là. Il faut être pragmatique, pragmatique dans les mesures puis les actions qu'on va prendre.

Et on a besoin d'aller chercher davantage d'argent, bien sûr du fédéral. Il y a une... On n'a pas besoin d'être partisan politique pour le dire, là. On voit les surplus fédéraux, d'une part, et puis les difficultés qu'ont les provinces, dont le Québec, d'autre part, et particulièrement le Québec. On investit plus, en pourcentage du PIB, que la moyenne canadienne, mais on dépense moins per capita que la moyenne canadienne.

Bon. La réponse est simple: c'est les revenus du Québec qui sont insuffisants. Je veux bien, moi, accroître la richesse du Québec; on le veut tous. Mais ce n'est pas simple, là, je veux dire. Et entre-temps il faut que notre système de santé fonctionne et qu'il améliore son accessibilité.

M. Charbonneau: Parce que dans le fond il y a deux réalités. Ce n'est pas si compliqué que ça. Ou on en génère assez, de taxes et d'impôts, mais que ce n'est pas redistribué là où les services sont dispensés... Ça, c'est la problématique... On peut penser qu'on n'en paie pas assez. Alors là, on peut envisager toutes sortes de solutions pour nous faire payer plus. Mais peut-être qu'avant de nous faire payer plus la question, c'est de se demander: Ce qu'on paie déjà, là, pourquoi que ce ne serait pas plus équilibré, au niveau de la responsabilité de ceux... de l'État, qui a la responsabilité, dans la fédération, de donner le service direct de santé, des soins médicaux puis hospitaliers?

Parce qu'en bout de piste, là, ou bien vous taxez plus ou vous tarifez plus, de toutes sortes de façons, donc vous dites... vous allez en chercher, vous faites une ponction additionnelle dans la poche des citoyens, ou bien vous dites: Vous en avez payé pas mal, puis, avant d'en chercher plus dans votre poche, on va s'organiser pour que ce que vous avez payé aille là où ça devrait aller. Tu sais, en bout de piste, je veux dire, les deux... les différents types de solutions, ils se raccrochent à ces deux piliers-là, hein?

M. Godin (Louis): Moi, j'aurais juste un commentaire que j'aimerais faire par rapport à l'ajout de nouvelles ressources. Il y a une chose qui est claire, là. Pour les gens qui... pour les médecins omnipraticiens, qui sont donc près de leurs patients, s'il y a une chose qu'on ne peut pas faire plus, c'est d'en faire plus avec ce qu'on nous donne actuellement.

On a vraiment besoin, nous, de ressources supplémentaires en première ligne, surtout pour nous aider dans nos cabinets à donner des services à la population. On ne peut pas le faire différemment pour augmenter l'efficience. Je pense que cet exercice-là a déjà été fait. On est vraiment au moment où on doit investir des ressources supplémentaires, particulièrement des ressources d'autres professionnels pour venir nous aider dans nos cabinets.

Quant au financement, c'est clair que, lorsqu'on voit qu'il y a des surplus à Ottawa, probablement que c'est une belle place pour aller les chercher. À savoir comment le faire, moi, je vous laisse ça, maintenant, là, je veux dire. Mais c'est sûr qu'à prime abord, s'il y a une partie de nos impôts qui est là et qui ne sert à je ne sais pas trop quoi, bien, qu'on nous les retourne et qu'on puisse, nous, s'en servir et réinvestir dans le domaine de la santé. Probablement que c'est une bien bonne façon de le faire. Savoir comment faire pour aller les chercher, je vous laisse cette tâche-là. C'est votre travail.

M. Charbonneau: Je comprends, mais je pense qu'on se comprend. C'est-à-dire qu'à un moment donné on ne peut pas faire abstraction de cette réalité-là. On peut décider, à Ottawa, qu'on va-tu mettre de l'argent pour acheter des Hercules, ou on va la mettre pour mettre... pour permettre aux provinces de donner des soins de santé plus efficaces? On va-tu en mettre plus dans certains domaines ou moins dans d'autres? Puis, à la limite, on va-tu finalement les redonner au consommateur citoyen, au citoyen consommateur, pensant que, comme ça, il va consommer plus, il va faire rouler plus l'économie, ou si on va le donner plutôt à son État provincial qui... Parce que, lui, le citoyen, il demande aussi des services de santé additionnels puis il se cogne le nez parce qu'il est obligé d'attendre pour avoir un médecin de famille, il est obligé d'attendre pour avoir une chirurgie puis il est obligé d'attendre un certain nombre de soins. C'est ça, l'enjeu.

Je voudrais revenir sur une autre chose, parce que vous avez dit tantôt, vous avez beaucoup insisté, parce que, dans le fond, vous dites, si j'ai bien compris votre mémoire: Nous autres, le privé dans la santé, c'est deux choses, c'est le financement; les assurances privées, vous auriez dû ouvrir plus. Mais c'est aussi la prestation de services. Vous dites, vous prenez... Le gouvernement, dans son livre blanc, ouvre à l'utilisation, dans le fond, de cabinets privés de spécialistes, donc des cliniques de spécialistes affiliées, et vous devriez dans le fond prendre ce modèle-là puis l'appliquer, dans le fond, aux cabinets des omnis, des médecins omnipraticiens. Et vous dites, dans le fond: Par contrat.

La question que je voudrais vous poser, c'est: Est-ce que les GMF, ce n'est pas la formule? Ou vous pensiez à d'autre chose que l'entente contractuelle qui s'est développée entre justement des médecins omnis puis l'État ou les instances du réseau public?

M Dutil (Renald): Bien, je pense que GMF et cliniques-réseaux, ce sont des exemples de partenariat public-privé intéressants. C'est trop lourd dans les GMF, mais je pense que, de part et d'autre, on souhaite, là, en arriver à alléger cela.

Bon, cliniques-réseaux, c'est très intéressant. On ne peut pas en faire une évaluation, ils ont débuté il y a six mois, là. Mais, déjà, là, le Dr Asselin pourrait vous le dire, on constate une nette amélioration au niveau de l'accessibilité, un meilleur cheminement du patient entre les divers niveaux de soins, ce qui était également... ce qui était également dans l'esprit, là, en arrière de la loi n° 25.

Mais il y a tous les autres, cabinets solos, petites cliniques, etc., on trouve, nous, qu'on n'exploite pas suffisamment ce réseau de cabinets médicaux qui existe, qui est en place, ce sont des médecins rémunérés par le système public, les gens n'ont pas à débourser. Ce réseau, s'il était mieux outillé, mieux supporté, pourrait aider davantage à l'accessibilité. Et on mettrait un frein, là, à cette décroissance rapide.

Je pourrais vous parler des médecins de CLSC, hein, parce qu'eux autres aussi quittent la médecine familiale parce qu'ils n'ont pas été supportés. Ce n'est pas rien que dans le réseau des cabinets privés, là. Si on supportait mieux cette pratique, je pense qu'on pourrait améliorer notre accessibilité. On n'exploite pas suffisamment ce grand réseau des cabinets privés pour améliorer l'accessibilité puis peut-être produire des services à moindres coûts également, là. De faire une chirurgie mineure.... une chirurgie mineure, par exemple, dans une clinique privée, ça coûte moins cher que de la faire à l'hôpital. Mais encore faut-il être un peu outillé. Suivre un patient qui souffre de maladie chronique, ça coûte moins cher, souvent, là, certainement moins cher que de l'institutionnaliser, mais on a besoin de ressources, infirmières-réseaux, par exemple, qui viendraient travailler. Et ce serait une belle liaison entre le réseau des cabinets privés et les CSSS du territoire. Alors, on pourrait continuer là-dedans.

Il y a le grand dossier de l'informatisation. Bon, on le mentionne un petit peu dans notre mémoire, hein, c'est un peu la recherche du Saint-Graal, avec beaucoup de coûts, mais, sur le terrain, on n'a pas vu encore beaucoup de choses. C'est un dossier lourd, c'est un dossier complexe, c'est un dossier coûteux, on le sait fort bien. Mais on en parle depuis bien des années, M. le ministre, bien avant que vous soyez là.

M. Charbonneau: ...Dr Dutil, si je comprends bien ce que vous dites, c'est que, là, on a eu tendance, ces dernières années, pour régler les problèmes qui existaient dans les urgences puis à l'hôpital, de prendre une série d'actions qui ont eu pour effet de drainer une partie des effectifs qui étaient en première ligne, dans des cabinets privés ou même dans des CLSC, et de les amener vers l'hôpital. Là il faudrait... Puis c'est allé un peu trop loin. Et là, dans le fond, il faudrait ramener un peu le balancier.

Comment on peut faire pour éviter de recréer le problème qui existait avant, c'est-à-dire, à la limite, de dégarnir les hôpitaux pour que... donc, il y a une espèce de, tu sais... Je suis conscient, là, qu'il manque de...

n(11 h 30)n

M Dutil (Renald): Les contextes ont changé, il faut dire, depuis un certain nombre d'années. On ne questionnera jamais le fait que l'urgence arrive en priorité, on ne questionnera jamais. Ce qu'on questionne, c'est certains programmes spécifiques ou un certain délestage, là, vers les omnipraticiens dans les hôpitaux, ce qui fait que ça draine du temps omnipraticien. Puis, ces médecins-là, on oublie qu'ils ont une mission dans leur milieu, c'est celle d'exercer à titre de médecin de famille, prendre en charge les suivis de la clientèle. Il faut que le pendule revienne dans le milieu; il faut qu'on crée un environnement intéressant pour la pratique du médecin de famille; il faut qu'on reconnaisse des activités médicales particulières pour le suivi de la clientèle vulnérable. On se bat encore constamment, dans presque tous les milieux, pour faire reconnaître cela. Alors, il y a plusieurs petits moyens comme ça qui peuvent nous permettre de ramener le pendule dans le milieu, d'avoir un sain équilibre entre la première et la deuxième ligne, en se souvenant que la mission première d'un omnipraticien, c'est de prendre en charge et de suivre une clientèle. Bon. Et, avec l'aide d'une infirmière, bon, ça va dégager un peu de la responsabilité professionnelle. Nous autres, on ne tient pas à sortir tous nos omnipraticiens des hôpitaux, puis on a toujours été bien présents dans les hôpitaux, là, mais le pendule est allé trop loin.

M. Godin (Louis): Je le mentionnais tout à l'heure, je pense qu'un des outils que l'on a pour justement nous mettre... nous éviter, je veux dire, de retourner complètement à l'opposé, c'est tout le rôle des départements régionaux et puis des tables territoriales qui ont été crées, au niveau des CSS, qui nous permettent à un moment donné d'arbitrer un peu, si on veut, où doit aller principalement la prestation de services des médecins omnipraticiens. Personne ne veut revivre de crises dans les urgences, ça, on est tous d'accord avec ça. En contrepartie, on s'est aperçu que l'arrivée des AMP et la gestion au cours des dernières années ont amené une grave crise au niveau des cabinets privés, et là on a des gros problèmes en prise en charge. Probablement qu'il faut retourner un peu et orienter le travail vers la prise en charge. Et le département régional, qui est là pour justement gérer, si on veut, les AMP, peut aider et garantir qu'on ne retournera pas vers d'autres excès et s'assurer qu'on va avoir une liste de choses prioritaires à faire dans chacun des territoires de CSS, et d'avoir un régime qui est relativement harmonieux et qu'on ne retrouvera pas dans les... de retourner vers les problèmes qu'on avait il y a quatre ou cinq ans.

M. Charbonneau: ...pour répondre à la question clairement, là, parce qu'il y a à la fois, dans ce que vous dites, une dimension de ressources financières puis il y a aussi une dimension de ? comment je pourrais dire? ? d'accueil, c'est-à-dire, d'attitude. Tu sais, tu peux avoir ? puis, le Dr Dutil, vous parliez de l'expérience de Laval, positive; tu peux avoir ? dans le fond, dans un CSSS, dans certains territoires, des dirigeants qui ont une ouverture d'esprit puis vont être... qui vont accueillir favorablement des points de vue comme ceux que vous exprimez, puis, dans d'autres, on peut avoir une résistance très forte à... puis on peut avoir une attitude beaucoup plus fermée. En général, là, actuellement, est-ce qu'on peut penser qu'il y a une ouverture d'esprit à ce que vous dites, ou s'il y a plutôt actuellement, je veux dire, un conflit d'attitudes ou de valeurs ou de compréhensions du fonctionnement du système qui pourrait ralentir ou bloquer cette ouverture ou ce changement que vous souhaitez, là?

M. Dutil (Renald): Bon. Tout dépend de là où on se place. Je pense que les nouvelles structures, même si on ne peut pas encore les évaluer, encore une fois, vont être facilitantes, très facilitantes pour l'intégration de ce qui se fait en médecine familiale sur le territoire et ce qui se fait en deuxième ligne dans l'hôpital, par exemple, là, ou même dans un CLSC, parce que, là aussi, il y avait des problèmes d'intégration. Alors, il y a des structures qui devraient être facilitantes. Il y a ces nouveaux mandats qu'on donne aux CSSS. Puis, les médecins de famille, bon, on a le même discours depuis deux ans chez nous, et c'est un discours que je retrouve aussi chez le ministère: l'importance de la prise en charge et du suivi. J'attends des moyens concrets, mais, au niveau du discours, ça va. Mais il faut être pragmatique, c'est les moyens qui manquent, là.

M. Charbonneau: ...pas sur la table, là. Je sais que vous ne voulez pas faire la négociation, mais il y a une réalité pareil: les moyens. On en revient à la question du sous-financement, je veux dire, tu sais, à la limite, le ministre, pour vous les donner, là, les moyens, là, il va falloir qu'à quelque part on accepte, je veux dire, d'en mettre plus dans le système, sinon, ce n'est pas compliqué, il n'y en aura pas, de moyens.

M. Dutil (Renald): Oui. Écoutez, moi, là, je comprends qu'il faut regarder nos manières de faire, puis on les a regardées pas mal depuis quelques années, et on peut créer un certain degré d'efficience. Mais elle a ses limites, l'efficience. On va avoir besoins de moyens supplémentaires ? on ne se le cachera pas, on en a besoin ? et de moyens concrets qui vont se traduire par un financement plus important pour la première ligne.

M. Charbonneau: Une autre question. Vous avez parlé tantôt, bon, bien, parmi les différents éléments, il y avait les coûts de pratique, puis vous avez parlé de la formule des coopératives, là, vous avez dit: Ça, ça peut être intéressant. Dans quel sens ce peut être intéressant, là?

M. Dutil (Renald): Bien, écoutez, on assiste... Là, on est au tout début, hein, dans certaines régions. Il y en a trois dans la région de la Mauricie, il y en a un autre, je pense, dans l'Outaouais. C'est un modèle nouveau, une communauté qui finalement décide de fonder une coopérative. Je comprends que ça a pu présenter certains problèmes a Shawinigan dernièrement, là, parce qu'on partait d'une clinique déjà en place. Mais c'est un modèle qui mérite d'être regardé. Il y a là une espèce partenariat public-privé ? une coopérative, c'est privé ? mais c'est une communauté qui décide: Nous, on va essayer de s'organiser pour nos services de première ligne à tout le moins. En soi, c'est un élément intéressant. Et, bon, ils vont dire: On va l'équiper, notre coopérative, là, on va se rendre attractif pour des médecins, des nouveaux médecins qui vont venir parce qu'on va l'équiper, notre clinique, on va lui donner davantage de moyens, on va créer un environnement professionnel, là-dedans, qu'il ne pourra pas se créer, lui, en cabinet privé; il n'a pas les moyens, en cabinet privé, de se le créer. Les frais de pratique, c'est une réalité dont le gouvernement devra être plus conscient qu'il ne l'a été jusqu'à date, dans les cabinets et les cliniques privés. Alors, la coopérative, il y a cet élément-là qui est bien intéressant, une communauté qui décide et qui va investir dans sa coopérative pour rendre le milieu attrayant.

M. Charbonneau: Comment... Est-ce que vous avez, pour regarder ou analyser... Je comprends qu'il n'y a pas encore beaucoup d'expériences... Parce que, dans le fond, le problème le plus important à cet égard-là, c'est de dire: Dans une population territoriale qui déciderait de se donner une coopérative, disons, de médecins de première ligne, là, puis qu'il y aurait plus d'infirmières, plus d'équipements, etc., dans le fond, il y a une part sociale. Puis c'est cette part sociale là qui est... quand une famille ou un individu n'a pas les moyens de payer le niveau de la part sociale qui est exigée, qu'est-ce qu'on ferait?

M. Dutil (Renald): Bon, c'est une très bonne question. Écoutez, je pense que c'est au conseil d'administration de la coopérative de répondre à cela, à partir du principe qu'on ne doit pas limiter les soins parce qu'on n'a pas de sous, ça, on est bien clairs. Mais je pense qu'un conseil d'administration issu d'une communauté peut être sensible à cette réalité et trouver des moyens pour que, je veux dire, personne ne se voit limiter l'accès à un médecin de la coopérative parce qu'ils n'ont pas de sous, mais avec une certaine responsabilité également de l'individu ou de la personne.

C'est sûr que, si on charge 300 $ pour une famille, ça peut être beaucoup trop lourd pour une famille et créer des problèmes, mais qu'on lui demande, bon, une contribution presque symbolique, je serais capable de vivre avec ça, là; ça permet une certaine responsabilisation, aussi. Alors, il y a des modalités comme ça qu'il appartiennent au conseil d'administration de la coopérative de regarder, avec toujours en tête que l'accès ne doit pas être limité pour des raisons purement économiques.

Le Président (M. Reid): Je vous demande pardon. Le temps est vraiment écoulé, avec la minute supplémentaire. Alors, Dr Dutil, Dr Rodrigue, Dr Godin et Dr Asselin, merci beaucoup. Et je vais suspendre les travaux pour laisser le temps à nos nouveaux invités de prendre place.

(Suspension de la séance à 11 h 38)

(Reprise à 11 h 40)

Le Président (M. Reid): À l'ordre, s'il vous plaît! Nous allons entendre maintenant la Fondation des maladies du coeur, et j'invite le Dr Gilles Paradis... Est-ce que c'est M. Paradis qui... Non?

Mme Sacks Silver (Gloria): Mme Sacks Silver.

Le Président (M. Reid): Mme Silver? D'accord. Vous nous présenterez, Mme Silver, les invités qui vous accompagnent. Je voudrais juste vous dire que vous avez une vingtaine de minutes pour faire votre présentation. On vous avertira quand il restera trois minutes, et par la suite on procédera à un échange avec les membres de la commission pendant une quarantaine de minutes. Alors, je vous cède la parole.

Fondation des maladies du
coeur du Québec (FMCQ)

Mme Sacks Silver (Gloria): Merci. M. le Président, M. le ministre de la Santé, membres de la commission et membres du Parlement, bonjour. La Fondation des maladies du coeur du Québec tient à remercier le gouvernement du Québec à lui permettre de réagir au contenu du document Garantir l'accès: un défi d'équité, d'efficience et de qualité, présenté en février 2006. Avec mes collègues, Mme Roxane Guindon, nutritionniste à la fondation, et Dr Gilles Paradis, épidémiologiste et porte-parole de la fondation, nous nous pencherons sur le premier chapitre, qui traite de prévention.

En tant qu'organisme de santé implanté dans la collectivité québécoise depuis plus de 50 ans, nous nous sentons interpellés par l'état de santé de la population et particulièrement par les ravages causés par les problèmes reliés au poids dans la population québécoise. La fondation, organisme sans but lucratif principalement financé par le grand public, joue un rôle de rassembleur qui agit en consultation avec plusieurs partenaires, notamment le réseau de santé public, les organisations non gouvernementales et le secteur privé. Nous assurons également un rôle de leader au sein de regroupements tels que la Stratégie contre l'AVC, l'Alliance québécoise pour la santé du coeur et les Soins d'urgence cardiorespiratoire.

Forte de l'engagement de ses donateurs, de ses bénévoles et de ses employés, la fondation a pour mission de contribuer à l'avancement de la recherche et de promouvoir la santé du coeur afin de réduire les invalidités et les décès dus aux maladies cardiovasculaires et aux accidents vasculaires cérébraux. La fondation possède une expérience considérable en matière de promotion des saines habitudes de vie et de prévention des maladies cardiovasculaires, et ce, à différents niveaux d'intervention. Ainsi ont été développées les actions dont la portée visait les individus, l'environnement, les professionnels de la santé et les politiques publiques, notamment lors de l'adoption de la Loi sur la protection des non-fumeurs, en 1987.

Au cours des dernières années, la fondation a réalisé des interventions en prévention primaire et secondaire particulièrement avec son programme d'éducation et de réadaptation cardiaque La vie à coeur, ses programmes de promotion de la santé En route, en coeur, Sautons en coeur, Dribblons avec coeur, auprès des jeunes, et Au coeur du travail. Elle a réalisé aussi le bottin triannuel Les actualités du coeur, qui est expédié gratuitement à 16 500 professionnels de la santé et traite les dernières stratégies en cardiologie préventive. Également, dans le cadre de la stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme, la fondation a bénéficié de deux subventions de Santé Canada afin de développer une intervention de cessation tabagique pour rejoindre les femmes multiethniques et de milieux défavorisés au Québec. Cette dernière a présentement un projet pilote sur l'île de Montréal et à Laval.

Avec ce mémoire, la fondation désire appuyer les intentions du gouvernement du Québec d'accentuer les efforts en prévention, tout en émettant des recommandations et en mettant de l'avant la lutte aux problèmes reliés au poids. La fondation espère pouvoir allier ses actions et celles du gouvernement et ainsi renverser la tendance ascendante des problèmes causés par un excès de poids. Ensemble, nous pourrons améliorer la santé de nos jeunes et celle de notre population active, tout en réduisant les coûts de santé.

L'obésité, une menace à la santé publique. Les données les plus récentes sur le poids, publiées en 2005, indiquent que 57 % de la population québécoise de 18 ans et plus présente un excès de poids, soit 35 % d'embonpoint et 22 % d'obésité. La situation est tout aussi grave chez les enfants de deux à 17 ans, dont près d'un quart affichent un excès de poids, soit de 18 % d'embonpoint et 8 % d'obésité.

L'Enquête sociale et de santé auprès des enfants et adolescents québécois mentionne que, chez les garçons et les filles de neuf ans, 13 ans et 16 ans, près de 7 % présentent une pression artérielle «borderline». Ces pressions artérielles élevées sont directement associées à l'indice de masse corporelle. De plus, cette enquête mentionne que 22 % des jeunes de neuf ans possèdent au moins un facteur de risque de maladie cardiovasculaire, soit: le tabagisme, l'inactivité physique, l'obésité, le cholestérol, les triglycérides élevés, la glycémie limite ou élevée ou l'hypertension. À l'âge de 12 ans, c'est la majorité des enfants qui présentent au moins un de ces facteurs de risque.

Pour les adultes, la situation n'est pas plus rassurante. Le lien entre l'obésité et l'excès d'adipeux, notamment celui intra-abdominal, et le développement des maladies chroniques est maintenant bien reconnu. Selon certains auteurs, 51 % des cas de diabète de type 2, 32 % des cas d'hypertension et 18 % des maladies coronariennes, au Canada, seraient attribuables à l'obésité. Les coûts directs de santé associés à l'obésité sont estimés à environ 2,4 % des dépenses de soins de santé au Canada, soit 1,8 milliard de dollars en 1997. Ceci ne tient pas compte des coûts indirects et autres conséquences associées à l'obésité, notamment le fardeau psychosocial lié à la discrimination, au préjugé social, l'isolement, au chômage et au rejet social.

Les maladies cardiovasculaires sont la cause de près de un décès sur trois au Québec. De ce nombre, 80 % des décès auraient pu être évités en modifiant des habitudes de vie. Contrôler certains facteurs de risque tels que le tabagisme, une alimentation inadéquate et la sédentarité peut réduire non seulement les décès reliés aux maladies cardiovasculaires, mais tous ceux reliés aux maladies chroniques tels que les cancers, le diabète de type 2 et les maladies cardiorespiratoires. Les chercheurs et les scientifiques de la communauté internationale s'entendent sur le fait que les mauvaises habitudes alimentaires et la sédentarité sont des causes directes de l'obésité.

La prévention passe par l'environnement. Depuis ses débuts, la fondation est un acteur dynamique qui joue un rôle prépondérant dans sa collectivité en encourageant la population à adopter des saines habitudes de vie. Bien avant l'épidémie d'embonpoint et d'obésité, la fondation a compris l'importance d'encourager la population à faire de l'activité physique et à s'alimenter sainement. Depuis plusieurs années, nous encourageons les municipalités et les milieux scolaires et de travail à modifier leur environnement pour faciliter des changements des habitudes individuelles. En effet, de nombreux experts s'entendent sur cette question: l'obésité n'est pas seulement un problème individuel, mais bien un problème collectif. Un récent sondage démontrait que, même au sein de la population, cette idée est de plus en plus répandue. Le Groupe de travail provincial sur les problèmes de poids, duquel est membre la fondation, rapporte, dans le document Un appel à l'action, que 33 % de la population considère dorénavant que le surplus de poids est un problème à la fois individuel et de société. Plusieurs des programmes en promotion de la santé de la fondation donc s'inspirent de l'approche des environnements facilitants.

n(11 h 50)n

Intervention auprès des jeunes. Comme chacun sait, mieux vaut prévenir que guérir, et c'est très tôt que nous devons sensibiliser les jeunes à l'importance d'adopter de saines habitudes de vie. Ainsi, les programmes Sautons en coeur et Dribblons avec coeur sont offerts à des milliers de jeunes du primaire et du secondaire au Québec. Depuis plus que 20 ans, ces élèves sont initiés à des notions de santé tout en participant à des activités de saut à la corde et de basketball.

Toujours soucieux de la santé des jeunes et conscients qu'ils sont sollicités de toutes parts par la malbouffe, même au sein de leurs écoles, la fondation a créé le programme En route, en coeur pour les élèves du primaire. Ce programme, qui a bénéficié de l'appui financier de Santé Canada, vise à favoriser les saines habitudes de vie par la création de milieux de vie favorables à la santé. Cet outil d'intervention adopte une approche ludique et encourageant la participation du milieu scolaire, tels les enseignants, la famille et les amis.

Vous avez avec vous une copie du document En route, en coeur qui est adressé aux élèves de premier cycle. Ce document sera en évaluation prochainement. Le programme existe aussi pour les élèves de deuxième et troisième cycle.

Recommandation, jeunes. La fondation demande que le gouvernement du Québec élabore une politique d'alimentation dans le but de procurer des environnements alimentaires sains aux jeunes. Cette politique pourrait comprendre les éléments suivants: intégrer dans le programme scolaire primaire et secondaire des notions de nutrition; instaurer des politiques alimentaires respectant le Guide alimentaire canadien pour manger sainement dans les cafétérias des écoles et dans les milieux de garde; s'assurer que les menus sont équilibrés et sains. À ce sujet, nous tenons à souligner l'initiative que vient de prendre le gouvernement Charest.

L'intervention auprès le milieu de travail. Sachant que plus de 3 millions de Québécois passent la moitié de leur journée active au travail et que l'environnement a un impact significatif sur la santé d'un individu, la Fondation des maladies du coeur du Québec a développé un programme de promotion des saines habitudes de vie en milieu de travail, Au coeur du travail. Les problèmes de santé représentent des coûts considérables pour l'État et pour les entreprises: diminution de la productivité, absentéisme, augmentation des taux de roulement, augmentation des coûts des médicaments. Au coeur du travail est né d'une démarche évaluative basée sur les recommandations des professionnels du milieu de travail et de la santé. Vous avez aussi une copie de la pochette Au coeur du travail. Ce programme met à la disposition des dirigeants, des responsables des ressources humaines ou de la santé au travail un éventail de guides, d'outils et d'activités afin de créer un environnement de travail favorisant la pratique de l'activité physique et l'adoption de saines habitudes alimentaires. Cette année, près de 25 000 travailleurs ont été touchés par ce programme.

L'évaluation du projet a donné des résultats forts positifs. En effet, 82 % des répondants affirment que le programme Au coeur du travail les a aidés à passer à l'action en termes de promotion de la santé dans leur milieu de travail, et 71 % révèlent que ce programme a contribué à améliorer leur environnement de travail. Nous croyons fermement que ce programme est une avenue prometteuse qui vise à améliorer l'environnement de travail des Québécois.

Recommandation. La fondation demande que le gouvernement s'engage à instaurer des mesures encourageant le milieu de travail à créer un environnement favorisant la saine alimentation et la pratique d'activités physiques. Ces mesures devraient comprendre les éléments suivants: accorder des avantages économiques et fiscaux aux entreprises qui mettent en place des mesures favorisant la pratique d'activités physiques, tels que le financement du transport en commun et les coûts d'inscription à une activité physique.

Intervention de l'environnement bâti. La fondation encourage aussi les municipalités à développer des sentiers pédestres balisés, par son programme Coeur en mouvement. Cette initiative vise à encourager la pratique de la marche en installant à intervalles de 1 km une signalisation piétonnière distincte et colorée qui permet aux marcheurs de connaître les distances parcourues. Au Québec, huit municipalités ont un sentier Coeur en mouvement: Beauport, Chibougamau, Longueuil, Rimouski, Sherbrooke, Saint-Adolphe-d'Howard, Saint-Hyacinthe et Trois-Rivières.

Recommandation. La fondation demande que le gouvernement intensifie la modification de l'environnement physique et social pour favoriser un mode de vie plus actif. Ces mesures devraient comprendre les éléments suivants: financer les infrastructures et les projets de transport en commun qui favorisent une vie active; encourager de nouvelles formes d'urbanisme qui feront en sorte que les nouveaux quartiers et les nouveaux développements facilitent un mode de vie sain. Interventions médiatiques. En plus de conférences, de kiosques qu'elle anime afin d'informer la population, la fondation émet chaque année un bulletin de santé du coeur de la population. Constatant l'ampleur de la situation, la fondation a traité des problèmes reliés au poids dans ses trois derniers bulletins de santé. Ainsi, en 2004, nous avons affirmé que le gras corporel était le nouveau tabac.

En 2005, nous avons comparé l'état de santé des gens provenant de la ville et celui des gens de la banlieue. Les derniers étaient en moins bonne condition physique, principalement dû à l'urbanisme, qui décourage la pratique de l'activité physique quotidienne au profit de l'automobile. Ce bulletin indique que 91 % des Québécois vivant en milieu urbain faisaient leurs commissions à pied ou en vélo, contrairement à 66 % de ceux vivant hors des centres urbains.

Enfin, en 2006, la fondation a lancé un signal d'alarme aux baby-boomers, qui sont maintenant en moins bonne santé que leurs aînés. Depuis les 10 dernières années, l'obésité chez les baby-boomers a progressé de près de 60 %. La Fondation des maladies du coeur du Québec demande au gouvernement d'investir 5 % du budget de la santé aux initiatives de prévention, compte tenu de l'urgence de la situation. Cette recommandation s'appuie sur les études des experts internationaux. Mettre en place des politiques publiques visant à créer des environnements facilitants pour encourager l'adoption des saines habitudes de vie. Financer la recherche appliquée appuyant les interventions locales et susceptibles de mesurer l'efficacité et l'efficience des interventions mises en place.

En conclusion, nous croyons que de simples gestes faits par chacun auraient un impact considérable sur l'ensemble de la collectivité, mais ces changements ne pourront se réaliser sans des changements importants à notre environnement, lequel incite actuellement à un comportement sédentaire et à de mauvaises habitudes alimentaires.

Étant depuis longtemps un acteur de premier plan en prévention auprès de l'ensemble de la population québécoise, la Fondation des maladies du coeur du Québec est persuadée de l'urgence d'agir maintenant. Il faut interrompre cette malheureuse ascension qui brime des millions de jeunes vies non seulement sur le plan physique, mais aussi sur le plan psychologique et émotionnel.

Nous sommes responsables face à ces jeunes, qui sont plus vulnérables aux stratégies des géants de l'alimentation et des concepteurs de loisirs électroniques. Ensemble, renversons la tendance et agissons en sorte que nos jeunes générations soient à l'abri d'un sévère diagnostic dû à un excès de poids. La Fondation des maladies du coeur du Québec, avec l'appui du gouvernement du Québec, pourrait s'étendre et intensifier son travail de prévention auprès de la population. C'est avec vous que nous atteindrons des résultats enviables. Merci.

Le Président (M. Copeman): Merci, Mme Silver. Alors, M. le ministre de la Santé et des Services sociaux.

M. Couillard: Merci, M. le Président. Merci, Mme Silver, M. Paradis, Mme Guindon, pour votre présentation. Je dirais que c'est un signe des temps que la présentation de la Fondation des maladies du coeur parle de prévention. On sait que c'est un domaine dans lequel l'accès aux soins est devenu beaucoup plus facile au cours des dernières années. Et bien sûr, là on se trouve à parler beaucoup d'agir en amont de toutes ces interventions qu'on veut rendre plus accessibles à la population.

Je note que vous avez un manuel pour les écoles primaires. Je pense que nos collègues voudront s'en inspirer également, s'ils voudraient rédiger par aventure d'autres manuels pour la même clientèle. Et il y a également un manuel pour la santé au travail. Et, dans un des échanges parlementaires que le député de Borduas et moi avons eus, échange intéressant d'ailleurs, on a convenu, tous les deux, qu'on avait du travail à faire en prévention. Moi, sur mon indice de masse corporelle et ? je lui ai souligné amicalement ? lui, pour la gestion du stress.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Couillard: Donc, on est... Je dois vous dire qu'on est tous les deux au travail de façon très assidue, chacun de notre côté. Et on en fera un bilan un jour, dans une session spéciale de l'Assemblée nationale.

M. Charbonneau: J'apprécie. J'aurai un droit de réplique.

Des voix: Ha, ha, ha!

n(12 heures)n

M. Couillard: Évidemment, vous parlez beaucoup de la question justement du poids chez les jeunes. C'est à la base de votre présentation. La question de la malbouffe chez les jeunes dans les écoles. Je vois que, dans votre mémoire, vous n'êtes pas vraiment du côté d'une intervention autoritaire. Les gens aiment bien... des fois aimeraient bien qu'on dise: On va interdire la malbouffe dans les écoles. Je ne suis pas certain que ça fonctionnerait, parce qu'il y a des ressources autour de l'école qui sont très, très présentes. Et puis en général les adolescents, quand on leur dit: Tu n'as pas le droit de faire ça, c'est reçu avec le message inverse: Ça doit être intéressant!

Alors, comment est-ce que, vous, vous envisagez d'arriver au résultat qu'on veut tous, c'est que, dans nos écoles, nos polyvalentes tout particulièrement, les étudiants aient des bonnes habitudes alimentaires?

Mme Sacks Silver (Gloria): Je pense que je vais passer la parole à Mme Guindon, qui est la nutritionniste à la fondation.

Mme Guindon (Roxane): O.K. Bien, moi, je pense qu'au niveau... quand on cible les adolescents, vous avez raison, M. le ministre, de dire que les interdits, ça engendre l'inverse, l'effet inverse. Par contre, je pense qu'il y a quand même... on peut arriver, par une politique alimentaire quand même assez serrée, avec des principes directeurs qui sont bien cadrés, faire en sorte qu'on va réduire par contre l'accessibilité à la malbouffe. Alors, je pense qu'il y a comme un juste milieu à atteindre. Et le fait de justement réglementer, par exemple, l'offre de malbouffe en réduisant progressivement l'accès, par exemple, je ne le sais pas, moi, si c'est des frites, bien, au lieu d'en offrir cinq jours-semaine, je pense qu'on pourrait réduire cette accessibilité-là et puis aussi faire en sorte qu'il y ait...

Justement, ce qu'on veut, c'est qu'il y ait des choix santé qui soient offerts. Et je sais que, dans la région d'Ottawa, il y a un projet particulièrement très intéressant qui a été développé entre secteur privé et secteur public, et c'était l'offre dans les machines distributrices d'aliments sains. Et ça a été vraiment fait, là, comme je vous dis, en partenariat avec la santé publique et le privé, donc les responsables de machines distributrices qui se sont dit: O.K., on va le faire, mais on va en même temps promouvoir. Alors, ils ont développé avec les jeunes... ils les ont impliqués dans le choix des aliments sains, ils ont établi un comité de dégustation. Ils ont aussi fait de la promotion des produits sains et ils ont aussi développé un genre de code de couleurs où les jeunes pouvaient... ça pouvait les aider aussi dans leurs choix, donc un peu la classique jaune, rouge, vert. Donc, de telle sorte que les jeunes étaient sensibilisés, ils avaient... on leur montrait, on leur faisait goûter, et je pense que ça, c'est important, et on les impliquait dans cette modification-là.

Alors, je pense qu'il y a un paquet de belles expériences qui se font présentement un peu partout, là, je vous donne... je vous cite un exemple en Ontario, mais il s'en fait aussi au Québec. Alors, il faut capitaliser sur ces expériences-là positives et faire en sorte qu'on améliore l'offre de produits sains, et ça, de la tendre enfance jusqu'à l'université ou dans les cégeps, où ce n'est pas beaucoup plus beau, là, ce qui est offert à nos jeunes. Donc, je pense que, ça, il faut prendre..

Et je dirais que, de ce côté-là, nous, comme organisation qui intervenons, qui développons... Bon, vous avez vu là, on a développé des programmes comme En route, en coeur. Ça, c'est le premier cycle, alors c'est tout chaud, là, il vient de sortir de l'impression, on va l'expérimenter en septembre. On a déjà développé pour les plus vieux, 5e, 6e année, et aussi la même chose pour les 3e, 4e année. Alors, on a fait des beaux produits.

Nous, ce qu'on demande aussi, c'est évidemment qu'on nous aide dans la diffusion de ce matériel-là. Ça peut être une aide financière, mais ça peut être aussi de nous supporter, de nous inviter à la table, lorsqu'il y a des initiatives qui se créent et que vous devez, comme vous disiez tantôt, définir des programmes en milieu de travail, définir des programmes auprès des jeunes. Nous, on a l'expertise terrain, on est là depuis 50 ans, donc on est prêts à collaborer. Puis on le fait déjà puis on est prêts à le faire encore davantage pour pouvoir bénéficier de part et d'autre de nos expériences.

M. Couillard: M. le Président, pour ce qui est des milieux de travail, on en parle beaucoup moins, on parle beaucoup des écoles, bien sûr on veut agir au niveau des jeunes, mais, au niveau des milieux de travail, également il y a du travail à faire. Vous avez l'expérience de ces milieux, de la jonction avec les entrepreneurs, quelles sont les idées qui leur apparaissent les plus facilement intégrables à leurs habitudes? On parle beaucoup de transport en commun, ou valoriser la participation à des activités d'activité physique, par exemple. On a même soumis l'idée d'un crédit d'impôt pour l'inscription à un gymnase.

Mais la question que je me suis toujours posée, moi, c'est que, si on faisait ça... je vois tout de suite les inscriptions non suivies de la pratique. C'est facile d'avoir un reçu, qu'on s'est inscrit ? je ne nommerai pas de noms, mais ? à une chaîne de gymnases connue, puis qu'on n'y est pas allé une fois dans l'année. Alors, comment est-ce qu'on fait pour que ça veuille dire quelque chose, ce genre de mesure là?

Mme Guindon (Roxane): Bien, moi, je dirais que, bon ? tout dépendant, évidemment, il y a des petites, moyennes et grandes entreprises, elles n'ont pas toutes non plus les mêmes ressources ? alors je dirais que, si je prends les... pour les grandes entreprises, au niveau, par exemple, des cafétérias, je pense qu'un crédit d'impôt qui aiderait, qui soutiendrait les efforts faits par les entrepreneurs pour offrir des choix santé, pour moi, ça, ça aurait d'excellentes répercussions pour l'ensemble des travailleurs. Parce que, dans le fond, encore une fois, c'est de permettre une offre de choix santé, et c'est ça qu'on veut, donc je pense que ça pourrait aller dans ce sens-là.

La question du transport en commun, je trouve ça très, très bien. Encore une fois, ça va cibler des entreprises qui sont situées dans des régions où elles sont évidemment bien desservies par les transports en commun, mais personnellement je trouve ça excellent. Le seul petit bémol que je dirais, c'est par rapport à cette mesure-là que vous allez probablement mettre en application: des organismes comme le nôtre, sans but lucratif, qui ne payons pas d'impôt, nous n'aurons pas droit à ce crédit-là, parce qu'on... puis il n'y a pas juste notre organisme, tous les organismes sans but lucratif qui sont des organismes communautaires, où vous savez fort bien que c'est des gens qui n'ont pas nécessairement des salaires énormes, alors je pense que... je ne sais pas si ça a été pris en considération, mais, moi, je salue cette mesure-là, mais il faudrait aussi penser à des organismes qui sont des plus petites entreprises et des très petites entreprises, et, à ce moment-là, il y a certainement d'autres mesures qui peuvent être prises.

Mais, moi, je dirais, la mise sur pied, par exemple, de clubs de marche, aussi, dans les entreprises, c'est une activité aussi qui fait en sorte... qui va les motiver à ce que les gens puissent davantage faciliter, là, la pratique de l'activité physique. Alors, ce n'est pas nécessairement des... ça ne demande pas des investissements énormes, mais je pense que, si on voit qu'il y a une volonté politique de voir à faciliter la pratique de l'activité physique et de l'alimentation dans le milieu du travail, bien on va avoir encore une meilleure réception, là, de la part des entrepreneurs.

Mme Sacks Silver (Gloria): Si je peux juste ajouter quelque chose. Pour les petites et moyennes entreprises, certainement des initiatives qui vont encourager les gens de prendre les escaliers, de marcher un peu plus dans l'entreprise, avec la bonne signalisation partout. Pour les questions d'être membre d'un gymnase, je suis d'accord avec vous, M. le ministre, et c'est facile d'inscrire, pas toujours facile de continuer. Certainement, avec les grandes entreprises, s'il y a une infirmière en santé au travail qui peut suivre l'individu qui fait cette initiative, ça, c'est un moyen. L'autre façon, c'est qu'il faut responsabiliser aussi les gens à prendre un peu charge de leur vie. Bien, ces initiatives peuvent aider d'encourager à faire ces gestes. Je ne sais pas si vous avez autre chose?

M. Couillard: D'ailleurs, récemment, je suis allé dans le comté de Saint-Jean avec mon collègue, où on est allé au cégep, qui occupe l'ancien séminaire, qui est un immense bâtiment, et ils ont aménagé un trajet de marche qu'on peut faire lors des pauses-café ou de la pause-midi ? qui, quoi, prend à peu près 20 minutes, si on fait le trajet au complet en marche rapide ? et on voit comment, dans une entreprise, on peut se doter d'une incitation, qui semble d'ailleurs très bien fonctionner, hein, d'après ce qu'on en a appris. Et je suis certain qu'également vous serez avec nous sur le terrain, au mois de juin, pour la mise sur pied de la Loi sur le tabac, hein, que certainement vous accueillez favorablement. Et c'est une nouvelle ère, sans jeu de mots, d'air plus pur, au Québec, hein, qui va s'ouvrir avec ça.

Je terminerais sur le 5 %. Effectivement, l'OMS puis certains experts internationaux recommandent que 5 % des dépenses de santé soient attribuées à la prévention. Il faut juste voir quel est le dénominateur, parce qu'au Québec l'enveloppe budgetaire globale, c'est santé et services sociaux; en général, les dominateurs utilisés dans les autres pays sont les dépenses médico-hospitalières. Alors, à ce moment-là, la situation change, en termes de pourcentage, mais je pense qu'il faut continuer les efforts quand même dans ce sens-là. Merci.

Le Président (M. Copeman): M. le député de Borduas et porte-parole de l'opposition officielle en matière de santé.

n(12 h 10)n

M. Charbonneau: Merci, M. le Président. Mesdames, monsieur. Souvent, je fais ça, je poursuis sur la lancée. Alors, puisque le ministre fait une nuance sur le pourcentage, je voudrais d'abord rappeler que finalement, dans le domaine des services sociaux aussi, on parle beaucoup de l'importance de la prévention. Et finalement, quand on pense à l'impact des problématiques sociales sur la santé physique ? le ministre parlait de gérer mon stress ? il y a bien du monde qui ont des problématiques psychosociales qui finalement affectent leur santé physique. Et, dans ce sens-là, ce n'est peut-être pas superflu de laisser le 5 % sur les budgets de la santé et des services sociaux. Parce que je suis convaincu que sa collègue qui est à la Protection de la jeunesse et qui se fait dire depuis des mois, en protection de la jeunesse, que la clé de tout le succès de la loi qui est actuellement à l'étude à l'Assemblée, c'est finalement: Est-ce qu'on va mettre les ressources financières notamment en prévention?

Juste à penser finalement au reportage, la semaine dernière, sur les gangs de rue à Montréal pour penser comment finalement les problématiques sociales sont énormes et comment elles ont un impact majeur sur la santé des personnes. Et, la santé, c'est un concept holistique, là, ce n'est pas juste la santé physique; le coeur, c'est aussi relié aux émotions. C'est pour ça que, moi, gérer mon stress, je trouve que finalement ma capacité d'indignation, peut-être, fait peut-être pas très cool dans certaines situations, ou pas très zen, mais c'est peut-être très bon pour ma capacité cardiaque d'évacuer finalement et d'exprimer cette capacité d'indignation.

Ceci étant, vous ne parlez pas, je ne sais pas pourquoi... Parce que, dans le fond, quand vous parlez de ce problème-là... Moi, je l'ai chiffré tantôt, là, 5 %, c'est près de 1 milliard de dollars; on en met à peu près 400 millions, si on regarde santé et services sociaux, puis je ne joue pas sur les chiffres, santé et services sociaux, parce qu'il y a des besoins, encore une fois, de prévention. Mais où on la prend, l'argent?

Et, quand des groupes comme le vôtre, qui sont des groupes de citoyens qui allient des permanents puis beaucoup de bénévoles qui s'activent à faire de la sensibilisation puis l'éducation du public, sans vous amener à faire de la partisanerie, mais vous avez finalement une responsabilité politique, la politique étant l'organisation du bien commun dans la société, est-ce qu'il n'y a pas un message plus fort ou plus direct à donner aussi à nos concitoyens ou concitoyennes: Écoutez, là, si on veut mettre plus d'argent à la prévention, à la hauteur de ce que vous pensez qu'il devrait se faire, il va falloir qu'on accepte d'en payer le prix et il va falloir que des autorités politiques, puis pas juste à Québec, là, à l'autre niveau de gouvernement, là, où il y a des surplus, on accepte que finalement on va-t-u mettre de l'argent dans la prévention des problématiques dont vous parlez ou si on va la mettre, par exemple, pour acheter plus d'Hercules ou renouveler la flotte d'avions militaires? C'est ça, les choix politiques, à un moment donné. Ça finit par être aussi fondamental puis aussi simple que ça. C'est-à-dire «simple» dans le sens où, quand on a une série de besoins, il y a une priorisation des besoins qui doit être faite, puis ceux qui ont la responsabilité de faire ça, c'est ceux qui sont élus pour le faire, donc qui se retrouvent dans des parlements puis dans des gouvernements.

Et j'aurais aimé ça que vous abordiez le problème, tu sais, dans le fond: Où est-ce qu'on la prend, l'argent? Vous n'avez pas voulu toucher à cette question-là, vous avez éloigné le calice, mais je vous le présente néanmoins, le calice. Parce que, si vous n'en parlez pas, à quelque part, finalement ça reste, tu sais, ça reste une situation où les citoyens ne réalisent pas que quand on leur dit d'avoir des meilleures habitudes, quand on leur dit qu'il faudrait peut-être mettre plus d'argent dans la prévention, quand on dit ça à leurs élus, il y a une conséquence à ça. C'est-à-dire que pour que ça, ça arrive, il va falloir qu'il y ait des décisions politiques qui se prennent, puis il va falloir qu'il y ait des réaffectations ou des affectations budgétaires qui se prennent, puis il va falloir que les citoyens se disent: Ou bien j'ai à payer assez de taxes et d'impôt à un, puis il y a un endroit où il y a des surplus, il faudrait qu'il en ramène là où les services sont dispensés, ou bien je vais devoir en sortir plus de mes poches comme citoyen, comme contribuable, comme payeur de taxes.

M. Paradis (Gilles): J'aimerais peut-être dire quelques mots là-dessus. Vous avez tout à fait raison. La Fondation des maladies du coeur canadienne fait le même genre de représentation au niveau des élus fédéraux pour l'augmentation des investissements en prévention. On essaie ici, aujourd'hui, de donner la parole, à l'intérieur du grand champ qui est discuté, l'organisation du système de santé, au parent pauvre du système qui est la prévention. Et même, pour faire suite à l'idée que vous évoquez, si on réussit d'aller chercher des crédits additionnels ailleurs pour augmenter donc notre capacité d'agir, on sait bien que l'immense majorité de ces crédits-là vont servir à éteindre des feux, et les feux sont ceux qu'on voit dans les journaux, dans La Presse, et tout ça. Et donc, un problème dans une salle urgence va créer beaucoup plus de pression d'investissement qu'un problème qui évolue graduellement comme celui dont on parle ce matin.

Et donc, par contre, ces problèmes-là à long terme vont avoir autant, sinon plus d'impact, que tout ce qu'on peut faire à court terme. L'exemple le plus frappant, qu'on connaît probablement tous, est le fait qu'au début du siècle les maladies cardiovasculaires telles qu'on les connaît aujourd'hui n'existaient pas, à toutes fins pratiques, n'existaient pas. Et donc il n'y avait pas de nécessité pour une fondation des maladies du coeur, ça n'existait pas. Avec l'apparition, bon, on ne fera pas l'histoire du monde en quelques minutes ici, mais, avec les phénomènes qu'on connaît, d'industrialisation, etc., bien les maladies cardiovasculaires ont augmenté de façon exponentielle, ont atteint des taux inédits dans les années soixante, soixante-dix. Et, suite à des mouvements de masse, reconnaissance de problèmes, changements dans les habitudes de vie de la population, on a assisté à ? amélioration des traitements aussi évidemment, il ne faut pas le nier, au contraire, c'est très important ? donc une amélioration de la mortalité par maladies cardiovasculaires.

Ces maladies de masse résultent de mouvements sociaux importants comme... On parle de l'obésité ce matin. L'obésité résulte de phénomènes sociaux aussi importants que ceux qui ont créé l'épidémie de maladies cardiovasculaires au début du siècle. Cette épidémie de maladies cardiovasculaires, on est rendu 100 ans plus tard maintenant, elle continue, un déclin. Notre crainte, c'est que l'épidémie d'obésité, on est à ses débuts, elle augmente de façon faramineuse. Lorsque j'ai fait mon cours de médecine, il y a 20 ans, on parlait de diabète adulte et de diabète juvénile; maintenant, cette terminologie-là n'a plus lieu, parce que le diabète qu'on disait adulte apparaît maintenant chez des adolescents à cause de l'obésité. Des études récentes soulignent que peut-être, pour la première fois de l'histoire, les nouvelles générations de jeunes vont avoir une espérance de vie moindre que leurs parents.

Pour affecter l'espérance de vie d'une population, ça prend des phénomènes de masse. L'hygiène publique, les égouts, ces genres de trucs là, c'est ça qui a affecté, au début du siècle, l'espérance de vie de la population; ce sont des trucs immenses qui affectent l'espérance de vie de la population. Alors, pour qu'un problème de santé influence l'espérance de vie de nos jeunes, de dire qu'il va avoir une diminution, pour la première fois de l'histoire, de l'espérance de vie d'une nouvelle génération, c'est un problème immense, c'est un problème de grande envergure.

M. Charbonneau: Dans ce contexte-là, puis, moi, je suis d'accord avec vous que c'est un problème de grande envergure, dans le fond, c'est une pandémie, tu sais, majeure. Et on se prépare, on stocke des médicaments qu'on n'est même pas sûrs qui vont être efficaces pour une éventuelle pandémie de grippe aviaire, mais, je veux dire, on a beaucoup de résistance à mettre de l'argent de façon significative en prévention. Je regarde dans le document gouvernemental, à deux endroits, on dit: Augmenter la pratique d'activités physiques puis augmenter l'accès et la qualité des services préventifs. Je veux dire, nulle part, on chiffre ça.

Et dans le fond vous êtes le deuxième groupe à nous dire: Québec devrait établir, adopter un standard mesurable, c'est-à-dire: on est à 2 %, on devrait être à 5 %, et si... Ce que vous nous dites, c'est que dans le fond le gouvernement et les partis politiques tous confondus devraient se commettre à l'égard de cet objectif-là pour que dans l'avenir on puisse mesurer les efforts publics et les choix politiques qui seront faits. Parce que, si on n'adhère pas à cette mesure-là, on va rester dans les voeux pieux constamment, on n'aura jamais une mesure adéquate pour savoir si les gouvernements, quels qu'ils soient, et les partis politiques sont à la hauteur des exigences de la situation de santé publique dont vous parlez.

n(12 h 20)n

M. Paradis (Gilles): Tout à fait, tout à fait. Il n'existe pas de recette miracle. Par contre, les meilleurs estimés sont ceux qu'on disait tantôt. On a un programme national de santé publique qui trace en partie, à tout le moins, là, des directions pour le secteur public et auquel la fondation contribue par ses actions spécifiques dont on a entendu parler. Et je pense qu'on doit, si on veut espérer infléchir la courbe ascendante dans laquelle on est maintenant vis-à-vis l'obésité, investir de façon considérable, oui.

M. Charbonneau: Je vais vous donner juste deux exemples. Regardez, là, on a aboli le programme Ça bouge après l'école, puis c'était un investissement de 102 millions sur trois ans. Bon, bien, ça, à partir du moment où on l'abolit, bien, je veux dire, il y a une conséquence négative donc.

La Fondation Chagnon ? j'imagine que vous connaissez probablement la Fondation Chagnon ? au cours... entre 2004 et 2006 ? puis ça s'est terminé le 31 mars dernier ? elle a investi, avec le gouvernement, 24 millions, mais leur intervention s'est limitée à 140 écoles dans 30 communautés. 35 000 enfants dans les milieux défavorisés ont été rejoints. Mais ils nous disent que dans le fond on serait en mesure de rejoindre beaucoup plus d'enfants des milieux défavorisés. Dans le fond, ils ont ciblé à peu près 120 communautés puis à peu près 500 écoles. Mais, pour vraiment atteindre... pour avoir une intervention signifiante dans ces milieux-là, dans ces 500 écoles là, ça voudrait dire, sur une période de quatre ans, 100 millions de dollars. Tu sais? Ça, 100 millions, plus l'autre 100 millions qu'on a mis de côté, si finalement ils ne sont pas là, là, on va se retrouver, dans cinq ans, dans 10 ans, ce sera peut-être d'autres, autour de la commission... ici, autour de la table, puis d'autres qui seront à la tête de la fédération ou porte-parole, mais vous viendrez dire puis on entendra la même chose.

Moi, je vais vous dire, j'ai été élu il y a 30 ans, là, pour la première fois, puis je vais vous dire, les trucs sur la prévention, ça fait longtemps que j'en entends parler, là. Et le problème, c'est ça.

Je fais une analogie avec l'aide internationale. Les États s'étaient engagés il y a un certain nombre d'années, aux Nations unies, à mettre... je pense que c'était 1 % ou 0,5 %, je ne me rappelle pas trop... 0,8 % de leur budget par année pour l'aide internationale. La majorité ne l'ont pas fait, y compris le Canada, là, mais, je veux dire, il y avait un engagement, puis on peut mesurer. Et dans le fond ce que vous nous dites, c'est qu'il faudrait qu'il y ait un engagement politique, là; ce n'est pas juste d'avoir un document gouvernemental qui dit: «Augmenter la pratique d'activités, augmenter l'accès et la qualité des services préventifs, protéger la population en cas de menace de la santé, maintenir et créer des environnements...» Ça, c'est bien beau, là, mais ça se fait avec du fric, là, hein? Et ce que vous nous dites aujourd'hui, c'est que, s'il n'y a pas un engagement ferme de la part de l'État québécois ? puis encore là, là, tous partis confondus, là, c'est le gouvernement actuel, ce sera un autre dans l'avenir ? si on ne le fait pas, la pandémie dont vous parlez, qui est une double pandémie, à la fois les problèmes cardiaques, les problèmes d'obésité, les problèmes de cancer aussi, hein, parce que finalement la Coalition Priorité Cancer dit un peu la même chose, parce qu'il y a une série de problématiques de santé qui sont convergentes, reliées autour des mauvaises habitudes de vie, puis... Alors, si on veut infléchir cette espèce de pandémie multiforme, d'une certaine façon, au plan de la santé, que ça nous sorte par un problème de cancer, ou problème cardiaque, ou... tu sais, en bout de piste, là, finalement les sources de... les solutions passent par, à quelque part, les mêmes interventions de prévention. Mais ça, pour que ce soit efficace, il va falloir qu'on y mette les moyens, sinon, je veux dire, on va se retrouver à...

Tu sais, ce qui est incroyable, là, c'est que, pour la première fois dans l'histoire, on va avoir une génération nouvelle qui va vivre... dont l'espérance de vie serait moins grande. Tu sais. Je n'ai pas vu un journal faire la manchette avec ça, moi, au cours des dernières semaines, des derniers mois, tu sais, mais j'en ai vu pas mal faire la manchette sur la pandémie de grippe aviaire appréhendée, là.

M. Paradis (Gilles): Il ne faut pas négliger les problèmes. Je suis un médecin de santé publique, alors la grippe aviaire aussi, là, on s'en inquiète...

M. Charbonneau: Non, non. Je ne dis pas que ce n'est pas important, mais je veux dire...

M. Paradis (Gilles): ...mais effectivement...

M. Charbonneau: ...le virus n'est même pas encore... tu sais, il n'existe même pas encore, là, tu sais, je veux dire, ce n'est pas transmissible à humain. Mais ce que je veux dire, c'est que... On se comprend: il y a une pandémie qui nous frappe maintenant, puis on n'a pas l'impression, ni chez les décideurs politiques, ni chez les citoyens, qu'il y a une conscience éveillée à la mesure de la gravité de la situation.

Mme Sacks Silver (Gloria): Mais, certainement, je pense que la fondation essaie le mieux possible de faire savoir à la population ce problème. Comme on a dit, dans les bulletins de santé, les trois dernières années, on a parlé fortement de cette problématique.

Et, pour moi, je veux parler que certainement on a toujours les choix à faire sur les priorités, notamment où on met notre argent. Mais, si on ne veut jamais penser qu'on va contrôler les coûts des dépenses dans le système de santé, il faut commencer avec la prévention. Parce que, si on peut voir nos jeunes déjà avec des facteurs de risque importants, bon, qu'est-ce qu'il va arriver dans cinq, 10, 15 ans de maintenant? Le taux de coûts de santé, ça va juste augmenter, avec les traitements de ces enfants, que probablement on peut prévenir si ces mesures sont mises en place et si on a un vrai «commitment» qu'on peut mesurer. Certainement, il faut mesurer tout ça. Et, les interventions, pour moi, il faut évaluer comme il faut, pas toutes les initiatives de tout le monde. C'est pourquoi la fondation croit énormément dans tout le programme, parce qu'on a fait le développement, un pré-test, on a évalué et on a fait les changements nécessaires... qu'on était certains que, si on implantait quelque chose, ça va faire une différence.

M. Charbonneau: ...je vous écoute, là, est-ce que... Oui, allez-y, docteur.

M. Paradis (Gilles): Je m'excuse, je voulais juste rajouter une chose: On a des données québécoises, aussi, extrêmement sérieuses dont Mme Silver faisait état un peu plus tôt. Chez les enfants de neuf ans, donc des enfants qui sont prépubères, on a déjà 10 %, au moins, de ces jeunes-là ? c'est une enquête de l'Institut de la statistique du Québec, de 1999 ? qui présentent ce qu'on appelle un syndrome métabolique, c'est-à-dire un phénomène qui conduit ultimement au diabète de type 2. Autrefois, il y a 20 ans, quand j'ai fait mon cours de médecine, encore une fois, on disait: C'est un phénomène, ça, qui se développe sur 20, 30 ans. On avait un patient obèse puis on disait: Bon, dans 20 ans, cette personne-là va être diabétique. Mais maintenant on voit ces jeunes-là qui vont développer un diabète dans l'adolescence. Dans certaines communautés québécoises, communautés autochtones en particulier, qui ont une histoire d'obésité qui est antérieure, dis-je, à celle qu'on connaît dans l'ensemble de la population, ces gens-là ont déjà du diabète dans leur population d'adolescents. Alors, on est en train... On déplace, dans le fond, toute la période de risque. Les jeunes diabétiques, à 16 ans, là, vont faire leur crises cardiaques beaucoup plus tôt que les adultes maintenant.

M. Charbonneau: Avez-vous l'impression que dans le fond on prend... on aborde... Tous ceux qui parlent de la problématique du financement à long terme puis qui nous disent de créer une caisse de perte d'autonomie puis une caisse vieillesse puis, tu sais, prendre de l'argent pour, dans l'avenir... maintenant puis la mettre de côté, que dans le fond, compte tenu, tu sais... Néanmoins, on aurait beau en mettre plus... on ne peut pas tout mettre dans la santé. Est-ce que la priorité à la... Tu sais, je vous écoute puis je me dis: Est-ce que la priorité, c'est de mettre de l'argent dans une caisse pour l'avenir, pour des gens qui vont être encore plus malades parce que finalement ils ne s'occupent pas de leur santé maintenant ou si on ne devrait pas finalement investir maintenant d'une façon signifiante pour augmenter le niveau d'investissement à la hauteur dont vous parlez pour que, demain ? quand je dis «demain», dans quelques décennies ? ces gens-là puissent vivre plus longtemps mais en santé? Un jour ou l'autre, on va tous y passer, là, mais le problème, c'est que ça va coûter pas mal cher de les soigner si en plus leur situation de santé se sera détériorée parce que pendant des décennies on les aura amenés ou encouragés ou en tout cas on n'aura rien fait pour les amener à avoir des habitudes de vie plus saines et plus... tu sais, moins coûteuses au plan de leur vie, de leur santé, mais aussi moins coûteuses au plan des coûts de soins? Parce que ou bien on prévient ou bien on soigne après coup, là, hein?

M. Paradis (Louis): Vous avez tout à fait raison, je crois qu'on doit impérativement investir de façon massive si on veut infléchir ce problème d'obésité. Je pense qu'avec les ressources qu'on a actuellement on n'y arrivera pas.

M. Charbonneau: On n'y arrivera pas. Bien, merci, docteur, merci...

Le Président (M. Copeman): Mme Silver, Mme Guindon, Dr Paradis, merci beaucoup pour votre présentation devant la commission au nom de la Fondation des maladies du coeur du Québec. Et, malgré le fait qu'il est prévu que nous siégeons cet après-midi, j'ajourne les travaux de la commission sine die. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 29)

 

(Reprise à 15 h 27)

Le Président (M. Copeman): À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, la commission poursuit ses travaux. Nous avons quatre intervenants cet après-midi. Nous allons débuter dans quelques instants avec les représentants de l'Action démocratique du Québec; autour de 16 h 30, l'Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec; autour de 17 h 30, M. Jacques Chaoulli; et, autour de 18 heures, malgré le règlement, compte tenu qu'on accuse déjà une demi-heure de retard, terminer la journée avec M. Paul Clifford Blais.

J'avise les collègues qu'il y aura également, cet après-midi, des votes concernant le budget. Et nous serons dans l'obligation à ce moment-là de suspendre nos travaux afin de permettre aux députés de se présenter au salon bleu pour exercer leur droit de vote. Évidemment, dès que je suis avisé de ces faits-là, dès qu'on entend les cloches, nous allons suspendre. Ça devrait prendre probablement une quinzaine de minutes. Alors, si j'additionne le retard dans sa totalité, on parle probablement de 45 minutes. Alors...

Une voix: ...

Le Président (M. Copeman): Tout à fait.

Une voix: ...

Le Président (M. Copeman): Mais, écoutez, moi, je ne vois pas d'autre solution. On va faire de notre mieux, on va imposer une certaine discipline entre nous autres pour tenter... tenter de faire rouler la commission dans la plus grande efficacité possible.

Alors, je vous rappelle que les téléphones cellulaires devraient déjà être mis hors tension. Et c'est avec plaisir que nous accueillons les représentants de l'Action démocratique du Québec. M. Nobert, bonjour.

M. Nobert (Jean): Bonjour.

Le Président (M. Copeman): Vous avez 20 minutes pour votre présentation, et ce sera suivi par un échange d'une durée maximale de 20 minutes avec les parlementaires des deux côtés de la table. Je vous prie de présenter les personnes qui vous accompagnent et d'enchaîner immédiatement après avec votre présentation.

Action démocratique du Québec (ADQ)

M. Nobert (Jean): Merci, M. le Président. Donc, premièrement, je veux remercier la commission de l'opportunité qui nous est donnée, à l'Action démocratique du Québec, de venir présenter le fruit de nos réflexions quant au document qui a été présenté par le gouvernement.

Je vous présente tout de suite les gens qui m'accompagnent et qui feront la présentation comme telle. Donc, à l'extrême droite, le Dr Pierre Harvey, citoyen de Rivière-du-Loup depuis 13 ans, médecin spécialiste en microbiologie et infectiologie. Il est aussi président de l'exécutif du comté ? de l'ADQ ? de Rivière-du-Loup et coauteur du mémoire de l'ADQ. Et, à ma droite, Me Philippe Trudel, associé chez Trudel & Johnston, avocats, et a représenté M. Zeliotis dans la cause Chaoulli, que tout le monde connaît, devant la Cour suprême. Donc, sans plus tarder, je passe à parole au Dr Harvey.

n(15 h 30)n

M. Harvey (Pierre): Merci, M. le Président. M. le ministre, M. Charbonneau, de l'opposition officielle, membres de la commission parlementaire, je tiens, moi aussi, à vous saluer et à vous remercier pour cette opportunité de vous transmettre le point de vue de notre formation politique, l'Action démocratique du Québec. Nous prenons trop souvent pour acquis ce privilège associé à la démocratie. Au nom de notre formation et en tant que citoyen et médecin, je vous félicite pour l'initiative de former cette commission parlementaire.

Nous avons l'obligation de saisir l'opportunité de réorienter de façon significative notre système de santé afin qu'il puisse rencontrer les défis magistraux qui l'attendent au cours des prochaines années, et ce, en s'élevant au-dessus des intérêts politiques à court terme. Cette situation est en voie de devenir la plus grave maladie de notre système de santé. La tâche est titanesque, mais l'inaction n'est pas une option. Nos déficits accumulés à tous les niveaux de la société, la mondialisation des marchés, le vieillissement de la population, le retard dans la modernisation de l'économie québécoise dans plusieurs secteurs nous obligent à innover.

Le vieillissement de la population est fondamentalement lié à cette réflexion. Au cours des prochaines décennies, il ne restera que deux travailleurs pour chaque personne de plus de 60 ans, alors qu'au cours des dernières années ça se chiffre à peu près à cinq; sans parler qu'être centenaire deviendra routinier. Comment va-t-on financer un système en croissance permanente? Le temps est limité, mais il est essentiel de faire valoir une fois de plus le besoin que nos autorités investissent sérieusement dans la prévention. C'est une des portes de sortie inévitables. Le statu quo n'est pas une option, et nous le devons à nos enfants.

Le Dr Yves Lamontagne, président du Collège des médecins, publie aujourd'hui un livre intitulé Si le système de santé m'appartenait? Il y fait les mêmes constats que nous: le système de santé est malade, et il est urgent de réagir. Nous sommes une société pauvre en comparaison avec les autres États d'Amérique du Nord. Le Québec est la province qui investit le moins en proportion dans les soins de santé et celle où les dépenses en administration, au niveau de tous les ministères, sont les plus élevées au Canada, 77 $, alors qu'en Ontario on en dépense 38 $ et, au Canada, 49 $. Il faut donc innover avec courage et détachement pour le bien collectif. Nous n'avons pas le droit de ne pas étudier toutes les options, même si a priori elles sont non rentables politiquement. Voilà.

D'ailleurs, un sondage de la firme Léger & Léger publié la semaine dernière à la demande de l'Association médicale du Québec fait état d'une réceptivité remarquable de la population québécoise face à un rôle accru du secteur privé en santé. L'ADQ est la seule formation qui semble représenter l'opinion majoritaire de la population. Bien que la démocratie participative ait ses limites, ce sondage témoigne minimalement d'une évolution des moeurs de notre société qui nous permet d'explorer ces avenues jusqu'à maintenant taboues.

Nous sommes conscients que le mot «privé», au Québec, fait peur et génère chez certaines personnes une vision négative et menaçante. L'ADQ reconnaît l'évidence qu'un système de santé privé livré à lui-même est potentiellement générateur de situations d'inéquité que nous souhaitons et devons tous éviter. C'est le rôle du gouvernement de faire en sorte qu'il n'en soit rien. Nous croyons que le privé en santé est inévitable. Bien qu'il réponde déjà à 30 % des besoins actuels, des pressions encore jamais vues s'exerceront sur le système de santé au cours de la prochaine décennie et rendront l'expansion du rôle du privé incontournable. Il nous faut donc faire face à cette situation maintenant et de façon humaine, réaliste et responsable. Nous avons le choix d'encadrer un apport civilisé du secteur privé ou encore repousser l'échéance et nous retrouver, à plus ou moins brève échéance, dans une situation de crise, où il est toujours plus difficile de réagir.

Nous prétendons que le mythe de la médecine à une vitesse de notre imaginaire collectif est entretenu par les intérêts politiques. Il faut présenter la réalité de façon complète à la population afin qu'elle puisse se faire une opinion éclairée dans ce débat. Sinon, le réflexe normal de beaucoup de citoyens est de rejeter d'emblée une option si elle pouvait générer une médecine à deux vitesses. Malheureusement, elle existe depuis longtemps, reconnaissons-le.

Maintenant, que fait-on avec la situation afin de respecter nos valeurs fondamentales au Québec? Notre système de santé public offre déjà un accès inégal aux services médicaux... aux services médicalement requis ? pardon ? en fonction non des besoins cliniques, mais à l'occasion d'attributs socioéconomiques du patient. Prenons pour exemple... les services d'imagerie médicale, les analyses de laboratoire médicalement requises faites en laboratoire privé, les bilans de santé payés par l'employeur sont tous des exemples d'une forme d'inéquité. Les personnes indemnisées par la SAAQ et la CSST coûteraient trop cher à ces régimes si elles devaient attendre leur tour comme tout le monde. Elles passent donc avant les autres. Bref, le discours égalitariste des partisans du statu quo ne reflète pas la réalité de notre système public de santé. L'ADQ croit qu'il est possible d'augmenter, et non de déplacer, l'offre de service par un apport accru en provenance du secteur privé. Cependant, il est incontournable qu'un encadrement strict doit être élaboré par les autorités gouvernementales afin de protéger les valeurs fondamentales de notre société. L'équité, la solidarité, l'universalité et la qualité constituent les assises de notre position.

L'équité est continuellement remise au premier plan par les gens qui s'opposent farouchement au secteur privé en santé. Le seul système de société équitable est celui où tout le monde a tout ce qui lui est nécessaire en temps opportun afin de maintenir son équilibre mental, psychologique et social. C'est un but, mais évidemment on n'y arrive jamais. Peut-on empêcher quelqu'un de bien manger parce qu'il peut ou a décidé d'investir ses ressources dans une saine, c'est-à-dire plus dispendieuse, alimentation? On parlerait alors d'alimentation à deux vitesses. L'accès à la réadaptation, aux psychologues, aux orthopédagogues et bien d'autres professionnels indispensables dans notre société n'est pas assuré pour tous les citoyens du Québec. Ceci est inéquitable, mais encore faudrait-il se l'avouer collectivement.

Il est important de faire la distinction entre équité et égalité. Actuellement, tout le monde est égal devant l'attente, mais ce n'est pas toujours équitable, étant donné leurs situations différentes.

Prenons l'exemple d'un bijoutier dans la soixantaine souffrant d'une cataracte. Cet individu se trouve bien plus handicapé dans son métier que d'autres types de travailleurs. Sa vue défaillante se traduira rapidement par un manque à gagner. Ce travailleur devrait avoir le droit de choisir entre le coût additionnel pour une opération accélérée en clinique privée et les revenus perdus du fait de l'attente dans le système public. Ou encore, pour un ouvrier qui travaille de jour, une attente interminable à la clinique externe d'un hôpital peut entraîner la perte de plusieurs heures de travail rémunérées. Son ami travailleur autonome, plus libre de son temps, peut passer la journée à attendre et rattrapera son travail le soir. Il perdra tout au plus quelques heures de sommeil. Pourquoi brimer l'ouvrier qui veut prendre une partie de l'argent qu'il perd pour se faire traiter à sa convenance?

Nous croyons aussi que la limitation du panier de services, limité par la garantie de soins, menace le succès du projet ministériel, car il n'y a pas nécessairement de corrélation entre le besoin d'une chirurgie hospitalière et l'impact que peut avoir une maladie sur la vie d'une personne. À titre d'exemple, citons les besoins en orthophonie, en ergothérapie, en physiothérapie, psychologie et toxicomanie ou éducation spécialisée, et j'en oublie encore beaucoup. L'impact des problèmes de santé reliés à l'expertise de ces professionnels de la santé autres que les médecins peut être aussi grand que celui d'un genou non fonctionnel. L'ADQ estime que le gouvernement doit offrir à tout citoyen l'accès aux soins de santé à l'intérieur d'un délai médicalement raisonnable, et ce, pour toutes les conditions nécessitant des soins urgents ou semi-urgents, et non seulement pour trois interventions bien spécifiques.

n(15 h 40)n

Nous souhaitons mettre à l'avant-scène les droits fondamentaux des citoyens du Québec: premièrement, la primauté d'un système de santé public et universel, mais aussi le droit d'être traité, tout en respectant le droit des gens démunis d'avoir accès aux mêmes standards de qualité et d'accessibilité. Nous faisons le pari que ceci est réalisable si les autorités gouvernementales adoptent une approche responsable afin d'éviter les débordements que tous craignent d'un système de santé privé laissé à lui-même. À cet effet, nous partageons les positions émises la semaine dernière par l'Association médicale du Québec et le Collège des médecins du Québec. Notre position est claire, le privé doit permettre une amélioration de l'accès au système de santé et non pas un glissement de l'offre de service publique vers le privé. Ainsi, il doit y avoir une augmentation nette du nombre de patients traités annuellement, de sorte que, pour chaque patient ayant un accès lié à sa capacité ou à son choix de payer, un citoyen de plus sera traité dans le système public. Nous sommes convaincus qu'il est possible d'ouvrir plus largement la porte à la contribution du privé au secteur de la santé, tant sur le plan du financement que dans la prestation de services, tout en respectant les valeurs historiques de notre société. La contribution du privé n'est pas une fin en soi. C'est un moyen parmi d'autres pour accroître la quantité totale de soins dispensés et ainsi réduire l'attente au bénéfice de tous les Québécois. C'est le refus de cette plus large contribution, encadrée comme il se doit, qui constitue une attitude doctrinaire. Merci, M. le Président. Je laisse maintenant la parole à Me Trudel.

M. Trudel (Philippe): Alors, bonjour, M. le Président, M. le ministre, Mmes, MM. les députés. Lorsque j'ai lu le document de consultation préparé par le gouvernement, il y a cinq choses principalement qui m'ont frappé. Et je dois dire que je l'ai regardé du point de vue d'un juriste. Alors, je vais vous parler un peu plus d'arguments légaux cet après-midi.

La première chose qui frappe, puis elle frappe fort, celle-là, c'est de constater que la proposition contenue dans le document de consultation ne respecte aucunement le jugement de la Cour suprême du Canada, et je vous explique pourquoi. Ce qui était attaqué en Cour suprême, c'était la prohibition de l'assurance privée et la prohibition de payer pour des services hospitaliers. Il n'y avait pas... Ce n'était pas une prohibition qui était limitée à seulement certains services, c'était la prohibition générale de l'assurance. Et on lit dans la proposition que «l'assurance privée va être permise uniquement pour certaines chirurgies électives de hanche, genou et cataracte».

Or, la preuve qui avait été présentée devant la Cour suprême était beaucoup plus large que ça, non seulement en orthopédie sur ces deux conditions-là ou en ophtalmologie pour les cataractes, il y avait beaucoup plus que ça, mais aussi il y a eu une preuve élaborée en matière de radio-oncologie et en matière de chirurgie cardiaque et vasculaire, pour ne nommer que ceux-là. Alors, la proposition du gouvernement est très étonnante à ce niveau-là, et je pense que c'est manifeste que quelqu'un va devoir refaire ses devoirs à ce niveau-là.

Maintenant, la deuxième chose, qui déborde l'aspect santé et qui est beaucoup plus grave, concerne selon moi les fondements mêmes de la démocratie. C'est qu'à deux endroits dans le document de consultation on nous dit que le jugement de la Cour suprême devra être subordonné aux décisions que le gouvernement va prendre pour préserver le système public. Tout le monde s'entend que le système public doit être préservé. Mais de dire que la décision de la Cour suprême va être subordonnée à un impératif politique, c'est, pour un juriste, c'est proprement extraordinaire. Parce que ça remet en question même les fondements de la démocratie et la séparation des pouvoirs. Il n'y a pas 56 000 façons de se conformer à un jugement de la Cour suprême: on doit le respecter ou on doit utiliser la clause dérogatoire. Or, le gouvernement a annoncé clairement qu'il n'allait pas utiliser la clause dérogatoire, et c'était tout à son honneur, parce que c'est une question qui touche aux libertés fondamentales. Maintenant, on ne peut pas faire par la porte d'en arrière ce qu'on ne peut pas faire directement. Et j'invite fortement cette commission à réfléchir sur cette question-là.

La troisième chose qui m'a frappé, c'est qu'on met des nouvelles barrières. O.K.? On en avait qui existaient, et là on en introduit de nouvelles. Celle qui est la plus évidente, c'est qu'on dit que les médecins qui vont travailler en privé devront... ne pourront facturer que le tarif prévu aux ententes entre les médecins omnipraticiens et les médecins spécialistes. Or, d'une part, ces tarifs-là ne reflètent aucunement la réalité économique... Par exemple, le tarif qui prévoit un avortement, on donne 28 $ pour faire un avortement, alors que le gouvernement sait très bien que ça en coûte 400 $, pour ne donner qu'un exemple. Et, deuxièmement, par là, on démotive les médecins à pratiquer en privé. Quel avantage économique auront-ils, s'ils ne peuvent pas faire plus d'argent que le tarif de la RAMQ? Alors, ça...

Et ça, c'est... je pense que ça touche à l'incompréhension du jugement de la Cour suprême. La Cour suprême, ce qu'elle a dit, c'est très simple, et ce n'est pas uniquement... ça ne s'applique pas uniquement pour les assurances privées, ce qu'elle a dit, c'est que «toute mesure qui limite la possibilité d'accès à des soins viole le droit à la liberté et à l'intégrité des personnes, si la mesure ne procure par ailleurs aucun avantage au système public». Alors, autrement dit, vous ne pouvez pas... on ne peut pas s'amuser à mettre des freins au système privé si le système public n'en bénéficie pas. Et ça, c'est un exemple patent, de limiter le montant des honoraires des médecins, c'est un exemple évident de ce que... d'aller contrairement au message de la Cour suprême.

Le quatrième point... Et ça, justement ça m'amène à discuter justement de l'opportunité de maintenir l'étanchéité entre le système privé et le système public. C'est vrai que la Cour suprême n'a pas abordé ce point-là dans ce jugement-là, mais j'invite cette commission à réfléchir justement sur l'opportunité de cette étanchéité si on ne peut pas démontrer qu'elle est nécessaire pour préserver l'intégrité du système public. Et cette limite-là selon moi va beaucoup trop loin, et on aurait intérêt à s'inspirer de l'expérience de nombreux autres pays de l'OCDE à ce niveau-là.

On va vous citer, je suis certain, je n'ai pas fait le tour de ce qui vous a été soumis jusqu'à maintenant, on va vous citer de façon répétitive une étude anglaise, du Dr John Yates, qui avait également été produite à la Cour suprême du Canada. Cette étude-là concluait que de permettre aux médecins de fonctionner dans les deux systèmes allait provoquer une augmentation du temps d'attente au niveau des patients qui restaient dans le système public. Or, je l'ai apportée avec moi, ça a été déposé devant la Cour suprême, ça me fera plaisir d'en fournir un exemplaire à ceux qui le demanderont, l'auteur de cette étude-là ? mais personne ne va jamais la lire, cette étude-là ? mais l'auteur dit: il y a d'autres éléments qui manquent pour conclure de façon définitive que c'est ça, et j'invite à une réflexion supplémentaire. Et le Dr Yates avait constaté aussi que, s'il y avait plus de procédures dans le privé, c'est parce que les plateaux, au niveau du public, étaient limités. Les médecins, comme c'est le cas ici, ne pouvaient opérer que quelques journées par semaine ou... bien, en fait, pas quelques journées, une journée par semaine, de sorte qu'évidemment il y avait plus de procédures dans le public. Alors, lisez cette étude-là.

Le Président (M. Copeman): Il reste à peu près deux minutes et demie dans la présentation.

M. Trudel (Philippe): Je vais finir dans deux minutes et demie. Je vous remercie de me le signaler.

La quatrième chose qui m'a frappé, c'est de lire dans le document de consultation justement, et Dr Harvey en a parlé, la fameuse question de la médecine à deux vitesses. C'est incroyable, après avoir passé huit ans d'une bataille juridique pour détruire ce mythe-là et d'avoir réussi à le détruire devant la Cour suprême du Canada, de s'apercevoir qu'il revient à la surface. La Cour suprême n'a pas été impressionnée par l'argument de médecine à deux vitesses et par l'argument d'équité. La médecine à une vitesse, ça n'existe pas et selon moi c'est un leurre et c'est un obstacle au changement et à une attitude progressiste en matière de santé de prétendre que ça existe.

La dernière chose qui m'a frappé évidemment, c'est que, dans plusieurs endroits dans le document de consultation, on retrouve des arguments qui ont déjà été plaidés par le Procureur général devant la Cour suprême du Canada. On nous dit qu'il faut contrôler les dépenses totales en matière de santé. Cet argument-là a été rejeté et balayé du revers de la main. C'est illogique de dire aux gens: Vous ne pouvez pas dépenser en matière de santé, mais les encourager à dépenser leur argent au casino. Non seulement c'est illogique, mais c'est immoral. Alors, les gens devraient avoir le droit de dépenser leurs propres ressources pour sauver leur peau, et c'est le message de la Cour suprême.

Maintenant, je conclus là-dessus, c'est certain que des limites doivent être imposées, mais ces limites-là doivent avoir une utilité pour le système public. Et la nécessité... je lis à plusieurs reprises dans le document de consultation qu'on ne veut pas plus de privé parce qu'il va falloir le réglementer, ça va être compliqué puis ça va être des coûts. C'est comme si on nous disait: Vous ne pouvez pas exercer une activité... on va proscrire une activité économique parce que c'est dur de la réglementer. Ça non plus, ça n'a pas de sens.

Je vous remercie de votre attention.

Le Président (M. Copeman): Merci beaucoup. M. le ministre de la Santé et des Services sociaux.

M. Couillard: Merci, M. le Président. Merci, messieurs, pour votre présentation aujourd'hui. Me Trudel, je dois vous dire qu'on prendra des exemples au cours de notre conversation, mais on ne parlera pas de la question de l'avortement. Je dois divulguer à la commission que vous êtes le procureur pour le recours collectif actuellement. Ça, cette question-là, alors je pense qu'il ne faudrait pas nous laisser entraîner dans des propos sur une question qui est devant les tribunaux.

On va commencer peut-être, Me Trudel, par votre interprétation juridique. Vous avez dû suivre nos travaux, notamment la déposition de Me Prémont, de l'Université McGill. Elle est en total désaccord avec ce que vous, vous avancez. Elle dit même, Me Prémont, qu'on aurait pu même nous contenter de poursuivre les actions visant à améliorer l'accessibilité dans le système public. On n'avait même pas à ouvrir l'assurance privée pour ces trois procédures-là. Et, sans me permettre d'être un arbitre entre vos capacités juridiques respectives, elle a quand même une certaine notoriété en la matière. J'aimerais savoir si vous avez lu son mémoire et si vous avez des commentaires à faire là-dessus.

n(15 h 50)n

M. Trudel (Philippe): Je n'ai pas lu son mémoire. J'ai lu les articles que son groupe a publiés dans les journaux et je dois vous dire également mon étonnement sur cette analyse juridique là. C'est comme de conclure que le jugement de la Cour suprême finalement n'a aucune valeur et qu'on n'a aucune obligation de se conformer si par ailleurs, et c'est son raisonnement, si les services médicaux ? médicalement requis ? sont délivrés dans les délais acceptables. Or, c'est clair que les services médicalement requis ne sont pas délivrés dans les temps raisonnables et dans les délais acceptables. Et ce n'est sûrement pas la garantie de soins, qu'on fixe à neuf mois, qui va faire qu'un délai va être acceptable au point de vue médical. Alors, c'est comme si on nous demande... le raisonnement des gens qui défendent la thèse opposée... ils prennent pour postulat que le problème de temps d'attente va être réglé. Non, mais, O.K., réglons-le, mais, en attendant, vous ne pouvez pas faire de barrière au développement d'une offre privée de soins, et c'est ma position là-dessus.

M. Couillard: Donc clairement il y a un différend d'interprétation juridique; je ne pense pas que c'est ici qu'on va être en mesure de le clarifier. Mais, nous, on est allés clairement du coté... je ne dirais pas aussi prudent que Me Prémont, qui dit qu'on aurait pu ne rien faire du tout... D'ailleurs, c'est le propre de l'exercice du gouvernement, c'est d'avoir une position d'équilibre entre, d'un côté, ceux qui trouvent qu'on va trop loin et d'autres qui trouvent: pas assez loin. Alors, votre présentation d'aujourd'hui d'ailleurs nous indique où doit se trouver l'équilibre.

Vous parlez de la situation du jugement qui se base sur des situations en radio-oncologie puis en chirurgie cardiaque. En fait, vous savez encore mieux que moi que le cas date de 1997. La situation aujourd'hui en radio-oncologie puis en soins cardiaques, là, elle n'est plus du tout la même; il n'y a à toutes fins pratiques plus de délais ou très peu de procédures hors délai dans ces deux situations-là. Donc, la situation actuelle du système de santé n'est pas ce qu'elle était en 1997. Je dois reprendre là-dessus parce que vous avez cité spécifiquement la radio-oncologie puis la chirurgie cardiaque, qui sont les deux éléments dans lesquels le système de santé a montré qu'il était le plus en mesure d'améliorer, et de façon substantielle, les délais d'attente.

M. Trudel (Philippe): Ce que vous dites est exact. Mais ce que je vous réponds là-dessus, c'est que la situation de 1997, dans peu importe le type de procédure de chirurgie élective ou de chirurgie non élective, a évolué. Et de dire que parce que la situation a évolué on n'a plus à tenir compte des effets du jugement de la Cour suprême, selon moi, c'est un argument qui ne tient pas la route. Mais vous avez raison, M. le ministre, il y a des améliorations sensibles du temps d'attente, et je ne serais pas prêt à dire, par contre, que les délais d'attente, encore une fois, quand il s'agit de procédures qui peuvent sauver notre vie, sont acceptables.

Lorsqu'on est sur une liste d'attente pour un traitement de radio-oncologie, quel est le délai acceptable? Les organisations médicales vont nous dire: Bien, c'est normal d'attendre quatre semaines, huit semaines. Pour le patient dont la vie est en jeu, et au niveau des chartes, au niveau du principe des libertés, du droit à la sécurité, à l'intégrité de sa personne, les délais ne sont pas acceptables. Même les délais qu'une organisation médicale va nous présenter comme étant acceptables, il faut être très prudent, au niveau des droits protégés par la charte, ce n'est pas la même chose.

M. Couillard: Là, je suis en désaccord, je trouve que c'est justement des normes scientifiques et la profession médicale qui doivent déterminer ces délais médicalement acceptables.

Vous avez également parlé de la parité tarifaire entre les médecins désengagés et ceux qui sont dans le système d'assurance maladie. On n'en fait pas une proposition, on l'illustre. D'ailleurs, la Cour suprême donne, dans son jugement, l'exemple d'autres provinces canadiennes dans lesquelles il n'y a aucune restriction à l'assurance privée, et elle prend même soin de les indiquer, ces provinces-là. Mais, dans ces provinces-là, il n'y en a pas, d'assurance privée, du tout, en pratique, parce que le désengagement est tellement encadré qu'il n'intéresse à toutes fins pratiques aucun médecin, entre autres parce qu'ils ont institué la parité tarifaire entre ceux qui sont désengagés ou engagés dans le système d'assurance maladie.

Mais j'ai cru comprendre de votre présentation, vous, que vous vous opposiez à cette parité tarifaire. Ce n'est pas ce qui existe actuellement, la parité actuellement n'existe pas. Le médecin qui est non participant peut demander le tarif qu'il ou elle choisit de demander, et c'est au patient de décider si, oui ou non, il ou elle veut payer ce tarif-là. Mais vous vous opposez donc à cette question de parité tarifaire?

M. Trudel (Philippe): Tout à fait. Tout à fait parce que c'est un frein au développement, à l'offre de services de soins de santé, et tout ce qui est un frein à l'offre de soins de santé, qui n'a pas, qui ne procure pas un avantage équivalent au système public est inutile et donc viole le droit à la vie et à l'intégrité des gens. Maintenant, il y a d'autres moyens que le gouvernement... dont le gouvernement dispose, dont celui de limiter le nombre de médecins non participants, mais, au-delà de ça, je trouve que l'occasion était belle à saisir de s'interroger sur la possibilité que les médecins puissent fonctionner dans les deux systèmes, avec un encadrement réglementaire adéquat.

En Angleterre, ça se faisait, et c'est comme ça que les délais d'attente... c'est une des causes qui a fait en sorte qu'il y a eu une certaine compétition dans le système qui s'est installée, que les délais d'attente dans ce réseau public ont été fortement réduits. Alors, je pense qu'on a intérêt à s'inspirer de cette expérience-là. Mais, oui, effectivement cette mesure-là de limiter la tarification des médecins hors du système... du réseau public, selon moi, est totalement inutile et n'est qu'une mesure pour limiter l'offre de soins de santé.

M. Couillard: Il y a un autre élément qui est apporté lorsqu'on regarde le jugement de la Cour suprême, c'est que les juges, même dans leur opinion majoritaire, sont très au courant de l'existence de ce principe d'étanchéité du payeur unique, sont très au courant du nombre de médecins non participants au Québec, actuel, et de la règle d'étanchéité. Donc, comment pouvons-nous penser que c'est vers eux, vers ces 100 médecins, qu'ils vont se tourner pour faire en sorte de réaliser quelque chose que 17 000 ne peuvent réaliser? Il y a quelque chose là qui m'apparaît réel. Je suis certain que, si la cour avait voulu nous influencer dans cette direction... connaissant très bien, parce que ça a été plaidé, la question d'étanchéité, ça a été d'ailleurs expliqué, elle aurait fait des remarques là-dessus. Or, il n'y a aucune remarque de la cour dans son jugement sur la remise en question du principe d'étanchéité, avec lequel, en passant, moi, je n'ai pas d'objection fondamentale, sur le plan philosophique, quand on aura les effectifs nécessaires.

Actuellement, ce qui nous bloque pour avoir cette question de double pratique, c'est, dans une grande mesure, les effectifs médicaux. Parce que, moi, j'ai souvent dit, à cette question-là, que si, aujourd'hui, des citoyens britanniques, français ou scandinaves nous entendaient dire que la double pratique est un synonyme de recul social, ils rigoleraient pas mal, parce que dans leurs pays c'est une norme qui est établie depuis longtemps, puis personne ne remet en question la justice sociale de ces systèmes de santé là. Mais la grosse différence avec l'Angleterre et la France ? parce que c'est l'Angleterre que vous avez citée ? c'est les effectifs médicaux. En France, il y a un médecin de plus par 1 000 habitants. Il y aurait à peu près 1 500 ou 2 000 médecins de plus au Québec, au moins, là, si on avait le même ratio de médecins, puis là la situation change complètement.

M. Trudel (Philippe): J'entends bien ce que vous dites, et vous avez raison, premièrement, de dire que la Cour suprême n'a pas traité de la question de l'étanchéité. Ce n'est pas une question qui était devant elle. Par contre, ce n'est pas parce que, au niveau juridique, ça n'a pas été contesté que l'occasion n'est pas belle pour voir quelle serait la meilleure façon de tirer une efficacité maximum des ressources médicales.

Et, lorsque vous dites, M. le ministre, que le ratio de médecins ne permet pas de fonctionner, ne permet pas cette mobilité entre le système privé et le système public, j'ai deux choses à dire. C'est que, d'après votre document de consultation, le ratio au Québec est de 2,3 médecins par 1 000 habitants et, au Royaume-Uni, c'est de 2,2. Donc, ce ratio-là est supérieur, au Québec. Et l'autre chose, c'est que les effectifs médicaux sont sous-utilisés, et c'est la preuve que nous avons apportée devant la Cour suprême et c'est ce qui l'a convaincue, c'est de dire: Vous ne pouvez pas prétendre avoir besoin de toutes les ressources si vous ne les utilisez pas par ailleurs pour le système public.

Alors, tant qu'il y aura des plafonds, tant qu'il y aura des plateaux opératoires qui sont... des plateaux de chirurgie qui sont limités, tant qu'on limitera le nombre de prothèses, ou toutes sortes de mesures pour limiter l'offre de soins, le gouvernement ne peut pas dire: J'ai besoin de tout ce qui se fait dans l'économie, mais je ne les utilise pas. Et c'est ça que la cour, c'est ça qui a été plaidé devant la Cour suprême, et je vous soumets que cet argument-là est difficilement... c'est difficile de le contrer. Comment justifier d'avoir toutes les ressources si on ne les utilise pas?

M. Couillard: On peut le contrer. Moi, je le contre très facilement. J'aime mieux traiter plus de gens que de permettre à une minorité d'être traitée à temps, pour dégrader l'accessibilité des autres patients, et c'est le gros danger qui nous guette. Et, quand vous dites: On pourrait, on aurait pu parier, on aurait pu parier, faire l'expérience de, on ne fait pas de paris puis d'expériences avec un système de santé. Ça se gère avec énormément de prudence et il faut s'assurer, particulièrement en région... Le Dr Harvey est de Rivière-du-Loup, là, la situation à Rivière-du-Loup, là, je ne sais pas combien il y a de monde, à Rivière-du-Loup, qui sont capables de se payer une assurance privée. Est-ce qu'on a déjà fait ce relevé-là? Moi, j'ai une bonne idée du nombre de personnes, à Rivière-du-Loup, qui sont capables de se payer une assurance privée, du nombre de médecins qui seraient intéressés à s'installer en pratique à Rivière-du-Loup, s'il y avait une possibilité de faire une double pratique dans les grandes villes. Il me semble que ces questions-là, sur le plan de la justice sociale, là, qui doit nous animer, doivent faire partie de votre réflexion.

Donc, est-ce que vous avez envisagé cette question de la capacité réelle des citoyens de payer pour ces assurances-là? Juste pour l'assurance dont il est question, de trois procédures, là, et...

M. Harvey (Pierre): En fait, monsieur...

M. Couillard: Je veux juste terminer, juste pour ces trois procédures-là, les prix minimums qu'on nous indique, on verra les assureurs plus tard, c'est quasiment 6 000 $ par année, juste pour l'assurance. Alors, combien de monde, à Rivière-du-Loup, dans le comté de M. Dumont, là, qui sont capables de se payer ça?

n(16 heures)n

M. Harvey (Pierre): Bien, la question n'est pas tant de... On ne pourra pas faire une analyse comté par comté, c'est d'abord et avant tout... et c'est ça, mon souhait, vous dites: On ne peut pas jouer avec la santé et la sécurité des gens, et ça, je ne peux pas faire... vous comprendrez que, nous avons fait la même profession à une certaine période, on ne peut pas être médecin sans être animé par ce souhait-là, et c'est pour ces mêmes raisons que, par honnêteté et rigueur intellectuelle, je me dis: On doit l'explorer et non pas... je ne peux pas en faire la preuve, on ne l'a pas essayé, et ce n'est pas de voir combien il y a de citoyens à Rivière-du-Loup qui peuvent se le payer. S'il y a une contribution, aussi faible ou grande soit-elle, qui nous est accessible, tout en respectant les valeurs auxquelles nous tenons tous, tant à l'ADQ, qu'au Parti québécois, qu'au Parti libéral et dans la population, si on peut aller chercher des ressources nouvelles de cette nature-là, bien, moi, je trouve immoral ou, en tout cas, illogique, à tout le moins, que l'on s'en prive.

Alors, je pense que le gouvernement a, par définition, une latitude très grande pour encadrer une offre de soins. Ça s'est fait ailleurs. Et il va de soi que ce ne sera pas un marché libre, hein, et ça, quiconque présente cet argument, bien c'est simplifier et détourner le débat. Il faut être au-dessus de tout ça, je l'ai dit tantôt, ce n'est pas tant pour nous... Parce qu'au cours des prochaines années, à Rivière-du-Loup, à Montréal, à Gatineau, tout le monde va avoir les soins dont il a vraiment besoin, les soins d'urgence. Et ça, je tiens à le rappeler, jamais je n'adhérerai à une quelconque formation qui fait la promotion d'une privatisation de quelque chose que l'on considère médicalement critique ou essentiel en termes de temps ou de service.

Donc, c'est beaucoup plus une question que, dans cinq, 10, 25 ans, c'est un grand mur qui est devant nous, hein? Des gens, des centenaires, il va y en avoir. Et ça, on n'en parle pas beaucoup, du vieillissement de la population. Que va-t-on faire? On ne peut pas... je salue votre démarche que vous avez entreprise avec le mémoire Garantir l'accès; par contre, il faut saisir l'opportunité d'aller beaucoup plus loin que ça et non pas seulement se conformer à l'arrêt Chaoulli. Je crois que la population est prête à recevoir... à entendre une discussion honnête. M. Dumont a mis ce point-là à l'agenda il y a une dizaines d'années, il a été ostracisé pendant longtemps, a persévéré. Et là, je pense que le fait que le parti au pouvoir choisisse de poser la question, bien c'est qu'il y a une certaine évolution des moeurs au Québec.

Et nous devons, nous devons l'examiner dans son entité et pas seulement dire que les gens à Rivière-du-Loup n'ont pas les moyens de se le payer. S'il y en a 1 000, bien ce sera 1 000 personnes, et nous... je pense qu'il est très important... moi, ma préoccupation, c'est M. Tout-le-monde, ce sont les patients, ce sont les citoyens, c'est ce qui m'anime à tous les matins, c'est mon plan de carrière, c'est ce que je souhaite faire le plus longtemps possible, traiter les gens. Et il y a... je n'ai aucun intérêt à ce que les gens démunis soient moins bien traités. Ma vision de la proposition que nous faisons, c'est que, si on réussit collectivement à se restructurer et non pas juste faire un petit changement dans trois chirurgies, on redéfinit ce qu'on veut faire avec notre système de santé, bien il sera possible de dégager les fonds qui actuellement sont utilisés de façon inefficiente et de faire face à ce défi devant lequel on fait l'autruche parce que c'est vraiment épeurant.

Sur le plan purement mathématique, nous tous, ici, là, les chances sont que dans 40 ans on va tous être vivants, ou la grande majorité, on va tous avoir 40 ans de plus. Il va y avoir fort peu de jeunes pour payer des taxes. Et, si on ne s'est pas réorganisé, ce ne sera pas une question: Est-ce qu'on a des assurances privées pour passer avant? C'est: Est-ce qu'on a de l'argent pour faire des pontages cardiaques et payer des ambulances puis les infirmières?

Et, si vous permettez, on parle beaucoup de l'argument de l'offre de service, qu'il y a un déficit de médecins au Québec, qu'il y a un déficit des autres professionnels. C'est un déficit en bonne partie lié à l'organisation de services. Des infirmières, moi, je les entends régulièrement me dire: La moitié des infirmières chez nous sont temps partiel occasionnel, c'est des TPO, hein? On leur offre 14 heures par deux semaines garanties, mais c'est difficile d'aller s'acheter une maison avec 14 heures semaine, ça, ou par deux semaines. Alors, les gens se désintéressent de la profession, mais celles qui y restent, il y a une offre de service, elles sont là, là, elles sont disponibles, mais elles ne savent jamais quand elles vont être appelées.

Alors ça, non pas comme homme politique, parce que ce n'est pas mon métier, mais, comme citoyen et médecin, c'est ce que je vois tout le temps: il y a du personnel, les salles d'opération sont sous-utilisées; dans notre hôpital, comme tous les autres hôpitaux régionaux, on a un TACO, le ministre Couillard nous a autorisé une résonnance magnétique qui est en voie d'installation, mais elle va être utilisée 30 heures semaine alors qu'il y a 100 et quelques heures dans une semaine.

Pourquoi... On les a, les ressources. Est-ce qu'on peut se questionner sur la façon de les réutiliser sans nécessairement ajouter, ajouter de l'argent? Parce que, tout comme vous, un taux de taxation à 120 %, là, ce ne sera pas viable longtemps.

M. Couillard: Bien, merci pour votre prédiction encourageante sur nos espérances de vie respectives. J'espère que ça va se réaliser! Je faisais le calcul, je suis quand même pas pire: 40 ans de plus, je me satisferais de ça.

Je pense qu'avec une deuxième résonance, en passant, le Bas-Saint-Laurent va être bien servi, là; il n'y aura pas beaucoup de délais pour les examens.

Je vais terminer sur un sujet qui à mon avis, moi, est un peu mythique. Je comprends qu'on ne soit pas d'accord ? c'est normal, dans une société, qu'on ne soit pas d'accord sur certains points ? mais il y a certains mythes qui circulent avec lesquels il y a très peu de démonstrations réelles. Par exemple, quand on dit: Bien, si un patient se fait opérer dans le privé, ça va donner une place de plus; le monde répète ça un peu comme un mantra, là, alors qu'il n'y a absolument aucune évidence internationale qui prouve ça. C'est même parfois le contraire; il y a des études de l'OCDE qui montrent que c'est le contraire.

Alors, moi, j'ai encore besoin de voir un exemple dans le monde d'un pays moderne avec un système de santé où l'accessibilité ne s'est pas améliorée d'abord et avant tout parce qu'on a plus de professionnels et parce qu'on investit massivement dans le système de santé. Tony Blair, en même temps qu'il a fait l'équivalent des cliniques associées, en même temps qu'il a donné le choix aux patients, il a investi de façon très importante dans le NHS. Même chose en France. En fait, il n'y a pas un pays de l'Europe de l'Ouest, auxquels on se réfère souvent, qui a moins de pourcentage de dépenses publiques que nous par rapport aux dépenses de santé.

Et la question de libérer une place sur la liste d'attente, en pratique, ça ne marche pas, surtout quand on est en pénurie d'effectif. Si, un jour, on est en équilibre ou en léger surplus d'effectif, je suis d'accord avec vous, à ce moment-là ça peut avoir un certain impact. Parce que ce n'est pas juste le chirurgien que ça prend pour une opération, vous le savez aussi bien que moi, ça prend un anesthésiste. Puis j'avais, l'autre jour, je ne sais pas si je l'ai avec moi, la liste des endroits où aujourd'hui, aujourd'hui, on est en rupture de service en anesthésie, au Québec, parce qu'il n'y en a pas. À Matapédia ? je parlais à notre consoeur la députée de... Matapédia, je crois, oui? ? et ils n'ont pas d'anesthésiste là depuis trois, quatre jours.

Alors, avant qu'on en ait assez pour se permettre d'avoir une double cédule opératoire, une double liste opératoire, à la fois dans les hôpitaux publics puis à la fois dans les cliniques privées, moi, je dirais, avant, il faudrait qu'un gouvernement responsable s'assure que les salles d'opération, comme vous le dites vous-même, que les salles d'opération soient bien utilisées, qu'il y ait des anesthésistes pour les faire fonctionner. Puis, s'il y a des anesthésistes et des chirurgiens qui veulent travailler en plus à ce moment-là, bien, oui, peut-être; mais je pense qu'on n'en est pas là actuellement.

M. Harvey (Pierre): À ça, M. le ministre, je vous répondrais deux choses. Les comparaisons avec les autres pays, je pense qu'on peut aller... ce sont des éléments de réflexion, mais, un autre pays, là, c'est d'une complexité! Il y a... vous êtes un scientifique, vous savez qu'on ne peut pas faire une comparaison avec 17 variables qui... des deux côtés, on met... tout doit être comparable, puis il y a une seule variable. Alors, un système de santé dans un autre pays, d'autres moeurs, un autre système fiscal, etc., on ne peut pas transposer le... Bon, ça, c'est la première des choses, mais c'est... Tout parti ou organisation responsable doit faire l'étude de ce qui s'est fait ailleurs.

Deuxièmement...

Le Président (M. Copeman): Le deuxième rapidement, docteur, s'il vous plaît.

M. Harvey (Pierre): Oui. Vous parlez de la pénurie d'anesthésistes comme exemple, ça illustre le principe que, si on veut garantir l'accès, il faut faire une réforme globale du système de santé. Le lien qui unit le médecin à la société, il est... il y a une partie historique puis il y a une partie où on a tenté de le moderniser puis de le rendre efficace pour servir la société, mais il y a encore des anachronismes dans le lien qui lie le médecin. C'est un travailleur autonome, puis, s'il rentre dans les plans d'effectif, il s'installe dans un endroit, mais il peut faire... pas tout ce qu'il veut, mais il n'est pas obligé de faire ce qu'on a besoin qu'il fasse. Et c'est pour ça que je dis: on doit faire une étude beaucoup plus globale pour arriver à notre défi qui est l'accès. Voilà.

Le Président (M. Copeman): Merci. M. le député de Borduas et porte-parole de l'opposition officielle en matière de santé.

n(16 h 10)n

M. Charbonneau: Bien. M. le Président, bien, disons d'entrée de jeu, là, que, puisqu'on est entre représentants de partis politiques différents, vous avez fait campagne sur cette base électorale là, les deux partis qui sont ici ont fait campagne sur une autre base, avec des variantes, là, mais, dans les deux autres cas, on disait qu'on était contre le financement privé dans la santé, alors... et on a un mandat politique dans ce sens-là, on n'a pas un mandat politique d'aller dans la direction que vous proposez. Ça, c'est la première chose.

La deuxième... Mais ça ne veut pas dire qu'on ne doit pas en parler, là, je veux dire, le débat, il a le droit de se faire, et puis il n'y a rien, il n'y a pas de dogme, dans une société démocratique, qui tient, sauf des principes fondamentaux qui ne doivent jamais être remis en cause. Mais ce n'est pas le cas là.

D'autre part, dans le fond, on retrouve un peu la logique, à la fin de votre mémoire, quand vous dites: «Additionner les contributions». Et là, dans le fond, ce que vous dites, c'est qu'on ne doit pas s'attendre à de l'argent d'Ottawa, puis, de toute façon, quand on plaide pour du financement accru d'Ottawa, c'est comme si on est des partisans du statu quo. Vous dites d'ailleurs: «...la solution des partisans du statu quo consiste toujours à accroître le financement public, idéalement en provenance d'Ottawa plutôt que de Québec.» Sauf que je rappelle que vous êtes supposément un parti autonomiste qui en principe considère que sa position politique devrait faire en sorte que, quand il y a 98,9 milliards de surplus fédéraux annoncés pour les cinq prochaines années, c'est assez surprenant d'entendre les partis politiques québécois... ne pas dire un seul mot de ce qu'on devrait faire avec ces surplus-là, d'une part. Puis...

M. Harvey (Pierre): ...

M. Charbonneau: Attendez, juste une seconde, là...

M. Harvey (Pierre): Pardon.

M. Charbonneau: ...je vais juste terminer mon propos ? d'une part. Deuxièmement, ce que vous dites dans le fond: On ne s'occupe pas de ça, alors il va rester le financement privé. Parce que dans le fond la solution, vous dites: Il ne faut pas aller chercher trop d'argent d'Ottawa, il ne faut surtout pas faire une bataille en règle pour aller en chercher plus, il ne faut pas augmenter le fardeau fiscal des Québécois, parce que les Québécois sont déjà trop taxés. À cet égard-là, on est tous d'accord, mais on dit: D'ailleurs, on en paie pas mal, puis le problème, c'est qu'on en paie à deux places, puis qu'il y a un endroit où il y en a pas mal plus qui devrait y en avoir, par rapport à leurs responsabilités constitutionnelles, puis la responsabilité constitutionnelle de donner des soins de santé puis des soins médicaux et hospitaliers, c'est ici, au niveau provincial, pas à Ottawa. Puis là vous dites: Bon, bien, finalement, si on ne va en chercher vraiment beaucoup à Ottawa, si on ne fait pas la bataille, parce que c'est être un partisan du statu quo que de faire ça, puis si on ne veut pas accroître finalement le fardeau fiscal des jeunes, bien il reste le financement privé. Comme si, par la magie du Saint-Esprit, là finalement l'argent qu'on récupérerait parce qu'on introduirait du financement privé, c'est-à-dire qu'on permettrait à des assureurs d'introduire le marché, là, là, on aurait le fric nécessaire pour faire fonctionner le système.

La réalité, c'est que... puis là, là, je ne me prétends pas un expert, mais, moi, j'ai dit des choses d'entrée de jeu: Vous avez le fardeau de la preuve, puis, le fardeau de la preuve, d'une autre façon le ministre l'a dit aussi: Il n'y a personne qui est capable de faire la démonstration. Mais, moi, j'ai deux avis devant moi, là, un du Conseil de la santé et du bien-être, remis au gouvernement du Québec, sur le financement privé des services médicaux et hospitaliers, avis adopté par le Conseil de la santé et du bien-être à la séance spéciale du 18 décembre 2002 et transmis au ministre de la Santé et des Services sociaux le 23 décembre 2002. Et la conclusion est assez claire: «Bien que les questions soulevées par la production ainsi que celles posées par le financement privé de services de santé soient liées à plusieurs variables, leur importance commande qu'elles soient traitées séparément. Un examen des expériences menées ailleurs et des connaissances disponibles fait ressortir à quel point le financement privé des services médicaux et hospitaliers s'avère un choix peu judicieux pour le Québec. Ou bien il l'introduit modestement, et sa contribution est nulle ? et c'est ce que le gouvernement fait, il introduit modestement ? ou bien il l'introduit massivement, et les changements qu'il commande dans l'économie générale du système de santé québécois en entravent la bonne marché. L'accès à des services de qualité est réduit pour la majorité de la population. La santé des personnes vulnérables est davantage menacée. Les personnes économiquement défavorisées, les malades doivent consacrer une part plus importante de leurs dépenses aux services de santé, tandis que le fardeau fiscal des plus riches sera diminué, l'appareil de gestion des services des services de santé est alourdi», etc.

Puis là, bien il enchaîne; «Trois aspects du diagnostic retiennent notre attention», puis je vous fais grâce de la lecture, parce que j'aurais le goût de vous la lire au complet, là. La conclusion: «Et le conseil conclut que le financement privé des services médicaux et hospitaliers s'avère au mieux inutile, au pire, nuisible.»

Le groupe de recherche interdisplinaire en santé de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal, certains de ces chercheurs sont venus la semaine dernière. Au mois de décembre, ils ont publié un texte dans les journaux, ils ont analysé l'assurance privée dans certains pays, entre autres en France, en Grande-Bretagne puis en Australie. Regardez ce qu'ils disent pour la France: «Si les Français bénéficient de plus de services pour leur argent que les Québécois, ça s'explique non pas par la concurrence et le secteur privé, mais par des revenus inférieurs pour les médecins et tout le personnel de la santé, une solution politiquement impensable dans le contexte québécois.» Pour la Grande-Bretagne, ils ont dit: «En Grande-Bretagne, ce n'est pas le recours au privé qui a contribué à réduire l'attente pour les soins publics, mais un investissement accru dans le système public et la volonté de gérer avec plus de détermination les problèmes de santé.» En Australie: «L'introduction de l'assurance privée en Australie a accru les coûts des services de santé, augmenté l'inégalité du financement des services de santé et n'a eu aucun effet observable sur l'efficience des services. L'effet sur les listes d'attente est à peu près nul.» En somme, ils disent: «Ni les tickets modérateurs français, ni l'assurance privée dans les soins hospitaliers en Australie ou au Royaume-Uni n'ont réduit les listes d'attente. Dans ces deux pays, les médecins ont réduit leur offre de service dans le système de public, et, en Australie, l'argent est littéralement pompé des services publics vers les poches des plus aisés. Autre leçon à tirer de ces expériences pour régler le problème des listes d'attente: investissons dans le régime public.»

Face à des opinions de gens qui ont analysé des choses, là, comment vous pouvez soutenir que finalement, là, par magie, on offrirait, demain matin, des assurances privées, on permettrait à tous ceux, là, qui actuellement... enfin tout le panier de services qui est couvert par l'assurance publique, on dirait aux gens: Vous pouvez vous assurer, payer une deuxième fois une assurance, privée celle-là, là, alors que tous ceux qui actuellement sont en attente, là, dans la plupart des cas, ne sont même pas assurables. Comment vous pensez que ça va pomper assez d'argent dans le système pour que finalement tous les problèmes d'accessibilité, de listes d'attente, de qualité de soins puis d'investissement additionnel qu'on mettre en prévention, que vous dites qu'on devrait mettre, soient au rendez-vous?

M. Trudel (Philippe): Comme votre introduction à votre intervention mentionnait le fardeau de la preuve, je vais permettre de prendre juste une minute avant de céder la parole pour parler de fardeau de la preuve. Le fardeau de la preuve, ce n'est pas ? et c'était abordé devant la Cour suprême aussi; le fardeau de la preuve, ce n'est pas ? aux citoyens de démontrer que l'introduction de l'assurance privée va régler les problèmes. Le fardeau de la preuve, c'est le gouvernement qui l'a, de démontrer que les mesures qui limitent l'offre de soins ne violent pas le droit à la vie et à la sécurité des gens. Alors, le fardeau de la preuve, ce n'est pas nous qui l'avons, c'est vous qui...

M. Charbonneau: ...c'est vous qui l'avez. C'est vous qui l'avez, puisque vous venez devant la commission pour nous dire qu'on devrait changer le système.

Le Président (M. Copeman): Cher collègue, cher collègue, on va donner toute l'occasion nécessaire à nos invités de terminer leurs représentations. Allez-y, M. Trudel.

M. Trudel (Philippe): Parce que ce qui est fondamental et les enseignements à tirer du jugement de la Cour suprême, c'est que le droit à la vie et à l'intégrité des personnes est bafoué par les limites de l'offre de soins de santé. Et le fardeau de la preuve, il est à ce niveau-là.

La deuxième chose, c'est qu'on semble s'entendre tous ici pour dire que, qu'on rapatrie de l'argent d'Ottawa ou qu'on investisse plus en santé, ça va améliorer le système. Mais comment peut-on prétendre ça? Si on dit qu'il n'y a plus de ressources disponibles, qu'on peut utiliser dans le système, pourquoi mettre de l'argent dedans? Moi, je pense, c'est la première...

M. Charbonneau: Je ne comprends pas ce que vous dites, là, ce n'est pas clair du tout, là.

M. Trudel (Philippe): Ce que je vous dis, c'est qu'on nous dit d'une part qu'on a besoin de toutes les ressources, toutes les ressources sont utilisées, mais en même temps on dit: On va mettre plus d'argent pour améliorer le système. Alors, si toutes les ressources sont utilisées, ça ajoute quoi d'ajouter de l'argent dans le système? Il n'y en a plus, de ressources, il n'y en a plus, d'anesthésistes, il n'y en a plus, de médecins spécialistes, on manque de médecins.

Une voix: ...

M. Trudel (Philippe): Ce que je vous dis, et je reviens à ce que j'ai tantôt, les médecins, c'est un mythe, c'est faux de dire que les ressources et les capacités sont utilisées, elles ne sont pas utilisées, et il est là le problème.

M. Charbonneau: Justement, Me Trudel. Si vous dites qu'elles ne sont pas utilisées, à ce moment-là, si on rajoute des ressources dans le système public, elles pourraient être plus utilisées. C'est ce que la Fédération des médecins spécialistes nous a dit, c'est ce que la Fédération des médecins omnipraticiens nous a dit ce matin, c'est ce que l'Ordre des infirmières nous a dit.

M. Trudel (Philippe): Oui. C'est sûr, et je ne me battrai pas là-dessus. Si on ajoute des ressources, c'est sûr que l'offre va augmenter. Maintenant, les ressources vont venir où? Est-ce que l'État a la capacité, étant donné les projections de vieillissement de la population, de l'augmentation des coûts de santé, est-ce qu'il a les capacités d'aller chercher ces ressources-là à lui seul? Nous, l'assurance au privé, ce que ça va faire, l'ouverture au privé, ce que ça va faire, c'est ajouter des nouvelles ressources, et donc logiquement ça va augmenter l'offre de services médicaux. Et je me dis: On nous dit qu'on a le fardeau de la preuve de démontrer que ça a réglé les problèmes, mais il faut, je pense, regarder ce qui se passe partout ailleurs où la coexistence des deux systèmes fonctionne, est complémentaire, et on obtient des meilleurs résultats.

n(16 h 20)n

M. Charbonneau: Mais ce n'est pas exact, Me Trudel. Je viens de vous citer l'avis du Conseil de la santé et du bien-être du Québec, je viens de vous citer des chercheurs de l'Université de Montréal qui ont analysé ce qui se passe en Grande-Bretagne, en Australie, en France, et les conclusions sont le contraire de ce vous venez de me dire, puis vous continuez de répéter que finalement la preuve a été faite. La preuve n'a pas été faite. Faites-la, la preuve. Quand je dis «le fardeau de la preuve», là, c'est les partisans d'un changement de système qui ont le fardeau de la preuve. Vous ne pouvez pas prétendre être un citoyen ordinaire; actuellement, vous êtes devant la commission comme porte-parole d'un des partis représentés à l'Assemblée nationale du Québec.

M. Trudel (Philippe): Et je suis aussi un citoyen ordinaire, M. le député. Et c'est évident qu'en tant que citoyen ordinaire et en tant que porte-parole ce qui est important et ce qui est crucial, c'est que le droit à la vie, et à la sécurité, et à l'intégrité des personnes soit respecté.

Alors ? je reviens encore là-dessus ? le fardeau de la preuve, il n'est pas ici, il est du côté du gouvernement, de respecter les droits et libertés fondamentales.

M. Charbonneau: Mais, moi... Vous n'avez pas répondu, disons, à la mise en garde et aux analyses qui se font... qui ont été faites dans ces trois pays-là.

Puis, est-ce que vous allez prétendre que finalement les attentes pour des genoux, des hanches, c'est le droit à la vie? Je veux dire, c'est le droit à la santé; ça, tout le monde s'entend pour ça, là, et tout le monde s'entend qu'il y a des attentes trop grandes. Mais est-ce que l'ADQ nous dit aujourd'hui, là, que les surplus budgétaires, à Ottawa, là, ça ne vous intéresse pas puis que vous n'êtes pas... vous n'avez pas de position sur ça?

M. Harvey (Pierre): Évidemment, on ne vous répondra pas ça, M. Charbonneau. Nous sommes autonomistes, et, si le Canada évoluait comme nous le souhaitons, ce serait une vraie confédération, où le fédéral serait le pourvoyeur de services communs, mais la province serait pratiquement un petit pays, comme ça se fait dans les... On serait un peu une sorte d'Europe. Mais on n'en est pas là. Et ça, c'est l'autonomisme.

Si on revient à Ottawa, c'est la responsabilité des autorités d'aller le chercher, cet argent-là, mais on ne peut pas compter là-dessus. Moi, je ne peux pas m'acheter une maison en disant: Il y a quelqu'un que j'ai décidé qu'il me doit de l'argent, puis, s'il ne me le remet pas, bien c'est... Il faut le prouver, ça, là. C'est un débat qui existe depuis des décennies.

Alors, on ne peut pas faire confiance au fait qu'on va réussir, un jour, à aller le chercher, cet argent-là. On a le devoir d'y aller ? première des choses.

Le privé, ensuite. Vous dites: C'est une solution miracle. Évidemment, non. Et notre argument, ce n'est pas tant qu'on va sauver le système de santé avec le privé; sa contribution risque, de la façon dont nous le voyons, d'être relativement... je ne dirais pas minimale, mais on ne peut pas compter là-dessus. Et c'est pourquoi on parle d'additionner les contributions. C'est une succession de petites choses et de grandes choses qui vont faire sauver notre système.

Et là ce qui... Le problème, c'est que... C'est une question de principes: comment peut-on défendre à quelqu'un de se faire traiter? Comment on pourrait vous empêcher de manger la nourriture qui coûte plus cher mais parce qu'elle est bonne pour la santé? On va vous dire: C'est fini, l'huile d'olive, vous allez manger du beurre. C'est ça...

M. Charbonneau: ...

M. Harvey (Pierre): Mais c'est ce principe-là, M. Charbonneau, qui est...

M. Charbonneau: ...ce que je ne veux pas, c'est que, parce que vous êtes chirurgien puis que vous avez les moyens, que vous passiez en avant de mon beau-frère qui n'a pas les moyens que vous avez. C'est ça que je ne veux pas.

M. Harvey (Pierre): Bien, moi non plus, je ne veux pas ça. Mais, moi, ce que je souhaite...

M. Charbonneau: Bon, bien, si vous ne voulez pas ça, il y a un problème, là.

M. Harvey (Pierre): ... ? non ? c'est que...

M. Charbonneau: ...parce que, ce que vous proposez, c'est exactement ce qui va arriver.

M. Harvey (Pierre): Non. Comme citoyen, ce que je vous dis, c'est que, moi, je ne peux le faire. Le gouvernement... Écoutez, le gouvernement a décidé quelle hauteur et couleur serait la clôture chez nous; il est certainement capable d'encadrer la pratique médicale. Il est capable de légiférer dans pas mal d'endroits dans la société, notre gouvernement.

Alors, la dernière chose que je voudrais vous dire à cet égard-là: Vous me dites: le privé, le privé. Il y a mille façons de faire du privé, hein? Et ce serait une... Comment je vous dirais? Il est simpliste de nous accuser du privé et de dire: Vous ne vous préoccupez pas des gens qui n'ont pas les moyens. Et ça, si, un jour, j'en arrivais à la conclusion que soit notre solution ou que la réalité mène à ça, bien je n'y adhérerai pas, parce que ce n'est pas mon but comme citoyen. Et l'action que je fais à l'ADQ, c'est d'essayer d'aller au-delà des émotions et des principes.

Parce que, là, vous me parlez du Conseil de santé et bien-être, de M. Contandriopoulos, que j'ai eu comme professeur il y a une vingtaine d'années, qui est un homme que je respecte beaucoup, mais où, dans ses analyses, en partant, il y a des valeurs qui sont en toile de fond et en prémisse à l'analyse. Et vous savez tout comme moi qu'on peut analyser à peu près n'importe quelle situation dans la société puis arriver à une conclusion dans ce sens-là, puis l'autre va arriver... C'est... On voit ça quotidiennement, là, dans la vie parlementaire.

Alors, je pense qu'il est important justement de se détacher des émotions liées au privé. Notre société québécoise a beaucoup évolué dans les années soixante, soixante-dix. On avait des ressources et une richesse collectives petites. On a fait des pas de géant; votre parti en a... en a été l'auteur pour les années soixante-dix et quatre-vingt.

M. Charbonneau: Pour quelques-uns.

M. Harvey (Pierre): Voilà. Mais maintenant on surfe là-dessus depuis 15 ans, puis il faut se renouveler. Voilà.

Le Président (M. Copeman): Alors, il reste cinq minutes. Mme la députée de Lotbinière.

Mme Roy: Merci, M. le Président. Une chose qu'on entend souvent, que j'aimerais vous entendre à ce sujet, c'est que l'ouverture au privé va faire une désaffection des médecins dans le public vers le privé. Actuellement, on a aussi des médecins qui partent pour l'étranger. Pourriez-vous nous parler de ça? Vous n'avez pas peur?

M. Harvey (Pierre): Il faut... J'avais déjà travaillé sur un comité, avec M. Tétrault, sur la police des urgences, comme on l'appelait à l'époque, et, lors d'une réunion comme ça, on avait dit: Les médecins ressemblent étrangement à des humains! Alors, il ne faut pas penser que, demain, si on peut prendre tous les employés d'un hôpital, mettre ça privé, ils vont tous devenir des entrepreneurs. Ça, c'est la première des choses. Les médecins répondent à un code de déontologie. Ce n'est pas parce que le privé est là que les gens vont laisser les patients souffrir.

Donc, il n'y a pas cette inquiétude a priori. On ne doit pas le rejeter du revers de la main, parce qu'il y a ce risque-là. C'est le devoir du gouvernement de faire en sorte que ce glissement-là ne se fasse pas. Et, lors de notre conseil général, en novembre, on a élaboré des propositions qui mettent la... qui mettent des balises, justement, parce que le mot «balise» est fondamental dans ce débat-là.

Il doit y avoir des balises pour éviter ce glissement. Et je dirais que la situation actuelle, où on parle, où on crée un glissement, actuellement il y a, mettons, une centaine de médecins désaffiliés, mais, si on prend le nombre de médecins qui ont quitté le Québec depuis 10 ans, c'est au-delà de 100, là. Ça fait qu'il y a une perte d'offre de service significative, au Québec, liée aux contraintes... et surtout dans les spécialités chirurgicales.

Un chirurgien, là, ce n'est pas... c'est un choix de carrière qui est très particulier, très demandant. Bien, la satisfaction vient en partie de l'acte chirurgical, qui, dans... Moi, j'ai un beau-frère qui était allé se former pour faire des greffes hépatiques en Europe, puis, quand il est revenu, il n'avait pas de priorité opératoire dans le CHUM. Et finalement, bien il s'est retrouvé ailleurs. Il a quitté la région montréalaise pour aller dans une autre ville au Québec. Mais c'est vous dire que cette... Il y aussi une perte de spécialistes et d'omnipraticiens de par les conditions actuelles du système.

Mme Roy: Bon. Qu'est-ce que vous pensez au niveau de l'étanchéité? Un médecin pourrait pratiquer au niveau du privé et du public?

M. Harvey (Pierre): Moi, si je regarde tant les... Si on prend l'orthopédie, parce que c'est vraiment l'image la plus évidente, je ne connais pas beaucoup d'orthopédistes qui ne pourraient pas pratiquer dans les deux, après qu'ils aient effectué une prestation de services complète dans le service public.

Et notre principe est simple. C'est que, si ? prenons pour exemple des chiffres simples ? on traite 1 000 patients par année au Québec, nous voulons que le privé permette d'en traiter 1 100 ou 1 050, donc faire une addition de nouveaux patients. Alors, si on en traite 100 de plus à cause du privé, il y en a 100 dans le public qui vont y avoir accès, à cette offre de service public. Et ça, c'est fondamental.

Et vous me dites: Oui, mais ça ne s'est pas passé comme ça en Nouvelle-Zélande ou en Suède. Bien, ils ont pris leur recette. Je l'ai dit, il y a mille façons de se rendre vers le privé, de l'utiliser. On doit exploiter le privé pour le public. Et, si je résumais le tout, moi, je dirais que l'ADQ souhaite une contribution du privé pour le public et non pas le privé pour le privé.

Mme Roy: Merci.

Le Président (M. Copeman): Bien, Me Trudel, Dr Harvey et M. Nobert, merci pour votre contribution à cette commission parlementaire au nom de l'Action démocratique du Québec. Et je suspends les travaux de la commission quelques instants.

(Suspension de la séance à 16 h 29)

 

(Reprise à 16 h 31)

Le Président (M. Copeman): Alors, la commission reprend ses travaux, et c'est avec plaisir que nous accueillons les représentants de l'Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec. M. le président-directeur général Paradis, bonjour.

M. Paradis (Régis): Bonjour, M. le Président.

Le Président (M. Copeman): Comme je le fais pour chaque groupe, je vous rappelle que vous avez 20 minutes pour faire votre présentation, et ce sera suivi par un échange d'une durée maximale de 20 minutes avec les parlementaires de deux côtés de la table. Et je vous prie de présenter les personnes qui vous accompagnent, de débuter votre présentation, en signalant qu'il est fort possible qu'on sera obligé de suspendre les travaux pendant une brève période pour des votes à l'Assemblée nationale. Allez-y, M. Paradis.

Ordre des infirmières et infirmiers
auxiliaires du Québec (OIIAQ)

M. Paradis (Régis): Merci, M. le Président. Tout d'abord, à ma droite, Mme Diane Levasseur, qui est directrice des relations professionnelles à l'Ordre des infirmières auxiliaires, ainsi qu'à ma gauche, Me Georges Ledoux, qui est directeur du service juridique, à notre ordre.

Alors, M. le ministre, M. le porte-parole de l'opposition, MM., Mmes les députés, l'Ordre des infirmières auxiliaires vous remercie de nous donner l'occasion de se faire entendre sur cet important document de consultation, Garantir l'accès: un défi d'efficience, d'équité et de qualité. C'est une consultation importante non seulement pour alimenter la réflexion du gouvernement dans la réponse à donner suite au jugement de la Cour suprême, mais également l'occasion de formuler des commentaires sur des choix courageux qu'il faudra faire pour maintenir la qualité de notre système de santé.

D'entrée de jeu, M. le Président, l'Ordre des infirmières auxiliaires entend demander haut et fort le maintien puis prendre les moyens nécessaires pour conserver le réseau de santé public ainsi que protéger les fondements et valeurs, notamment son accessibilité, son accessibilité équitable également et sa gratuité. Nous souscrivons également à l'idée défendue par plusieurs à l'effet que l'interdiction de souscrire une assurance privée soit liée au maintien de soins de santé publics de qualité.

Nous rejoignons ainsi plusieurs auteurs qui indiquent que le fait d'autoriser un système de santé parallèle entraînerait une détérioration de la situation dans le secteur public. C'est pourquoi on ne peut pas au départ s'opposer à la mise en place de mécanismes prévoyant l'offre par notre système de santé de garantir à un patient le droit d'avoir accès à une intervention chirurgicale dans un délai dit raisonnable. Cependant, nous notons que le document demeure silencieux quant à la garantie d'accès à un médecin spécialiste. On peut lui reprocher de ne pas aborder l'épisode de soins, également, comme un tout. De plus, il ne prévoit pas le calcul des délais d'attente de consultation de médecins généralistes ou spécialistes, les délais de la garantie n'étant computés qu'à compter de l'établissement d'un diagnostic. De plus, si l'on se base sur les délais préconisés par des experts dans plusieurs études, il faudrait donc réduire les délais, dans la proposition du gouvernement, à un délai maximal de six mois, si l'on veut que cette dernière réponde adéquatement et complètement aux exigences du jugement rendu par la Cour suprême.

La lecture du document de consultation nous amène à qualifier la garantie d'accès de garantie modulée. Nous n'avons pas vu dans le document une affirmation claire et non équivoque indiquant que la garantie d'accès sera une obligation de résultat, ainsi que l'identification des moyens financiers sur lesquels le ministère de la Santé et des Services sociaux pourra compter pour y parvenir.

Concernant, maintenant, les sommes inscrites au dernier budget plus particulièrement pour réduire la liste d'attente, c'est-à-dire une injection de 20 millions additionnels, nous jugeons qu'elles ne seront sans doute pas substantielles... assez substantielles pour faire face aux nombreux besoins de notre réseau de la santé. Il va sans dire que le statu quo en matière de financement des services de santé n'est pas acceptable non plus, mais nous souhaitons aussi remettre en question l'affirmation à l'effet que la solution idéale pour améliorer le système de santé ne consiste pas à l'ajout de sommes additionnelles. Cela ne veut pas dire qu'aucun effort additionnel ne devra être fait pour atteindre les cibles inscrites dans le document et réduire les délais d'attente pour l'ensemble des services médicaux et hospitaliers.

Selon l'OCDE, il semble que plusieurs pays devront, d'ici 2050, augmenter leurs dépenses en santé de plus de 3 points du PIB pour faire face aux nouvelles exigences de leurs populations. On ajoute que les pays désirant réduire leurs délais d'attente d'élevés à faibles devront augmenter de 2 % la part de leur PIB pour atteindre cet objectif.

Nous mettons également en garde le gouvernement contre les effets pervers pouvant découler de la mise en place de la garantie d'accès. Nous ne souhaitons pas que la réduction des délais d'attente pour les chirurgies visées par le plan gouvernemental ait des répercussions sur les autres chirurgies dont les délais d'attente sont aussi jugés excessifs.

En tentant de répondre au jugement de la Cour suprême, le gouvernement propose de permettre aux citoyens québécois de s'assurer dans le secteur privé pour certains services hospitaliers qui seraient déterminés par règlement. Conséquemment, nous recommandons que cette solution ne soit envisagée qu'en dernier recours.

Le Groupe de recherche interdisciplinaire en santé de l'Université de Montréal a identifié certaines causes entraînant des délais d'attente et mentionne ce qui suit: «Ces mesures de rationnement sont des mesures qui visent, par exemple, à ne pas remplacer le personnel lors des congés, à restreindre les heures d'ouverture des salles d'opération ou des services diagnostiques, ou bien encore à fermer des lits pendant certaines périodes.» D'ailleurs, ce genre de mesures est utilisé dans pratiquement tous les hôpitaux du Québec et vise principalement à répondre aux pressions budgétaires. Le rationnement des services a des conséquences certaines sur la disponibilité des services et également, aussi, sur les listes d'attente.

De plus, ce même groupe de recherche a aussi noté que plusieurs pays préconisent trois types de mesures pour résorber les listes d'attente. Tout d'abord, l'ajout des ressources humaines, financières et matérielles; l'amélioration de la gestion de l'attente; l'amélioration de l'organisation des services ainsi que de l'utilisation des ressources. Nous croyons que l'organisation des soins infirmiers en salle d'opération doit continuer de faire l'objet d'une attention particulière. On pourrait ainsi aller beaucoup plus loin que le rapport récemment préparé par un groupe de travail en prévoyant un ratio d'utilisation des infirmières auxiliaires en salle d'opération supérieur à celui de 15 % qui a été suggéré et qui d'ailleurs est encore loin d'avoir été atteint. En fait, en clair, c'est un groupe de travail qui a été mis sur pied il y a environ deux ans par l'hôpital Maisonneuve-Rosemont. On a embauché sept infirmières auxiliaires en salle d'opération, et ceci a permis d'ouvrir deux salles d'opération additionnelles. Alors, c'est un projet vraiment qui a été très intéressant.

Et également, aussi, nous tenons à mentionner qu'une plus grande collaboration interprofessionnelle serait aussi l'une des mesures à préconiser pour réduire les listes d'attente. En terminant sur cet aspect, nous croyons que la gestion des listes d'attente devrait faire l'objet d'une attention particulière, notamment en prévoyant leur gestion centralisée et l'élaboration de critères objectifs pour établir l'ordre de priorité de traitement des patients.

n(16 h 40)n

À l'instar de plusieurs, nous sommes d'avis que l'investissement de 54 millions pour l'amélioration du crédit d'impôt, porté de 22 % à 25 %, pour les soins à domicile ne va pas dans le sens d'accroître les investissements publics en soins à domicile. Cette mesure ne permettra pas de réduire d'ailleurs l'écart avec les autres provinces canadiennes, notre effort étant même inférieur à celui observé à Terre-Neuve. Je pense que l'effort, en Alberta, est de 224 $, 94 $ pour le Québec, et 50 $ de plus même que cela à Terre-Neuve. Elle aura aussi pour effet de privatiser les soins à domicile en incitant la population à recourir à des services offerts par le secteur privé.

En ce qui concerne, maintenant, les cliniques spécialisées affiliées. Même si cette question n'a pas été commentée dans le cadre de notre mémoire, nous croyons qu'il faudra, par règlement ou par le biais d'ententes, clarifier les modalités de fonctionnement des cliniques spécialisées affiliées. Les obligations des médecins devront être précisées de manière à s'assurer de la qualité des services qui y seront dispensés et également à préserver tout le potentiel opératoire de l'établissement de santé devant contracter avec elles.

Notre ordre ne souscrit pas à l'idée non plus de créer un compte santé et services sociaux, tel que cela a été recommandé par le rapport Ménard. Par souci d'une plus grande transparence et d'un meilleur contrôle des dépenses publiques, nous soumettons que le ministère de la Santé et des Services sociaux devrait continuer à financer les coûts de fonctionnement du réseau de la santé, incluant les soins devant être dispensés aux personnes âgées, et ce, à même le budget global de l'État. Nous ne sommes pas convaincus, également, que la mise en place d'un compte santé et services sociaux présenterait davantage de transparence.

Le gouvernement soumet à la discussion également une mesure de financement ciblée, soit la création d'un régime d'assurance contre la perte d'autonomie. Son caractère dédié à des dépenses spécifiques et sa gestion par un tiers ne présentent pas non plus à nos yeux des garanties suffisantes à l'effet que l'exercice de sa mission et le contrôle de ses dépenses seraient mieux assurés. D'autre part ? et bien franchement en raison de l'expérience la plus récente et pas nécessairement la plus concluante observée dans le cas du régime public d'assurance médicaments, où les primes ont augmenté, ont bondi, je devrais dire, de plus de 50 % depuis sa mise sur pied ? nous craignons de nous retrouver dans une situation ne permettant plus le contrôle rigoureux de ce système. Nous nous opposons donc à l'instauration d'un régime d'assurance contre la perte d'autonomie.

Pour finir, vous savez que les enjeux sont très importants et impliqueront des choix difficiles dans les mois, les années à venir, sur le plan politique. Beaucoup d'élus n'ont peut-être pas eu toute la détermination puis la volonté de faire ces choix alors qu'ils étaient au gouvernement. Et évidemment il faudra être réaliste. On ne pourra certainement pas à la fois promettre des réductions d'impôt substantielles, le remboursement de la dette publique et des investissements majeurs en santé, en éducation et en environnement.

La santé de la population doit être et doit demeurer l'un des plus importants enjeux de notre société, parce que je pense que c'est ce que nous avons, chacun d'entre nous et collectivement également, de plus précieux. Merci, M. le Président. Ça met fin à notre présentation.

Le Président (M. Copeman): Excellent. M. le ministre de la Santé et des Services sociaux.

M. Couillard: Merci, M. le Président. Merci, M. Paradis, Mme Levasseur et Me Ledoux, pour votre présentation. Juste quelques points de clarification, et ensuite j'aimerais qu'on parle spécifiquement des trois moyens que vous identifiez, et d'autres également, pour améliorer l'accessibilité aux soins.

D'abord, lorsqu'on parle de compte santé et services sociaux, il y a une certaine confusion, qui n'était probablement pas volontaire, dans notre document, elle s'y est glissée. Mais, ce que M. Ménard présente, c'est, d'une part, un compte illustratif des dépenses et revenus du système de santé et, d'autre part, une proposition d'assurance perte d'autonomie. C'est deux choses distinctes. Donc, en bref, ce qu'il suggère de faire, c'est de publier, chaque année, dans les comptes publics ou dans les documents du ministère qui sont publiés à l'Assemblée nationale la colonne revenus et dépenses du système de santé. Ça ne m'apparaît pas inutile de faire ça, parce qu'on est rendu à plus de 22 milliards de dollars, cette année, en santé, et il faut savoir exactement d'où viennent les sommes qui permettent d'arriver à ce 22 milliards de dollars là, qu'est-ce qui vient des contributions fédérales, qu'est-ce qui vient des contributions des usagers ? on oublie qu'il y a déjà des contributions des usagers, sous forme de copaiement, en hébergement, par exemple, dans le transport ambulancier, dans les médicaments ? et également quelles sont les autres sources de revenus, comme le fonds de santé des entreprises, qui sert à financer le système de santé.

Ça disperse beaucoup d'idées reçues puis ça montre d'où vient l'argent et où il va, parce que, dans la question dépenses, on illustre de façon assez rapide, puis ce n'est pas long de le faire, où on se rend à 22 milliards, comment on se rend à 22 milliards, qu'est-ce que qui va où, quelle partie va dans le réseau de la santé lui-même, dans les établissements, quelle partie va dans les mesures de santé publiques, par exemple. Et ça nous apparaît avoir une valeur, je dirais, surtout de pédagogie.

Le Président (M. Copeman): M. le ministre, malheureusement je dois vous arrêter à ce moment-ci.

M. Couillard: Nous devons accourir pour le vote.

Le Président (M. Copeman): Exact. Monter. Alors, je suspends les travaux de la commission quelques instants.

(Suspension de la séance à 16 h 45)

 

(Reprise à 17 h 14)

Le Président (M. Copeman): À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, la commission reprend ses travaux.

M. le ministre, vous avez utilisé à peu près 1 min 30 s de votre période d'échange de 20 minutes, alors la parole est toujours à vous.

M. Couillard: Merci, M. le Président. J'attends que... Oui. Merci, M. le Président. Donc, on s'excuse pour notre absence.

Donc, on parlait du compte santé, qui n'avait qu'une visée pédagogique d'illustration. Ce n'est pas un compte à contribution, c'est un compte illustratif. Vous avez très bien résumé... d'ailleurs, c'est des... d'autres groupes également qui ont très bien identifié les déterminants de l'accessibilité. Vous avez dit trois choses: l'ajout de ressources, la gestion de l'attente, notamment de la liste d'attente, puis, troisièmement, l'utilisation efficiente des ressources, et notamment vis-à-vis votre profession, là. Je pense que c'est un point que vous voudriez aborder avec nous aujourd'hui.

Pour ce qui est de l'ajout de ressources, effectivement les 20 millions de dollars ne servent pas à régler tout le problème d'accès au Québec, là; ils servent à mettre en place la garantie pour les trois procédures dont il est question. Compte tenu du fait qu'en radio-oncologie et en chirurgie cardiaque on est déjà, dans la plupart des cas, on est arrivé à destination, il faut maintenir cette performance cependant, et que, dans les trois chirurgies, la cataracte... et on a entendu, l'autre jour, le chef d'ophtalmologie de Maisonneuve-Rosemont, il y a une bonne amélioration, le gros problème, c'est avec les prothèses articulaires, là, une demande qui augmente beaucoup. Et on est capable de calculer le nombre de chirurgies que ça prend de plus pour faire basculer les gens dans les délais acceptables, de sorte qu'il est relativement simple de calculer le montant nécessaire.

La gestion de l'attente des listes, je suppose que vous allez être d'accord avec notre proposition de ne plus avoir de listes privées dans les sarraus d'hôpital mais une gestion centralisée des listes? Est-ce que c'est votre opinion?

M. Paradis (Régis): Évidemment... évidemment, M. le ministre, on pense que l'ajout de ressources, là, financières, humaines, matérielles va certainement permettre d'accroître la production et de résorber par le fait même les listes d'attente. Vous avez parlé effectivement de la possibilité d'introduire, dans le privé, les trois types de chirurgie; on espère cependant que vous allez éviter de succomber à la tentation concernant les services sur les traitements oncologiques et également les maladies cardiaques, également cardiovasculaires, parce qu'on pense que c'est des types de maladie importants qu'il faudrait demeurer et garder aussi dans le secteur public.

Maintenant, effectivement, la gestion des listes d'attente, le problème actuellement, et je pense que tout le monde le sait dans cette salle, c'est que la personne va voir un médecin généraliste, un spécialiste. Par la suite, elle est placée sur une liste d'attente en chirurgie, puis là elle n'entend plus parler de personne pendant des mois. Elle est abandonnée, en quelque sorte, à son sort. Ça dure des mois. On voyait récemment, n'est-ce pas, dans Le Journal, je pense, de Montréal ou La Presse quelqu'un qui était en attente d'une chirurgie, 858 jours d'attente, et puis finalement est sortie publique, puis là on lui a trouvé une place rapidement par la suite. Mais on convient tous, je pense, que ça n'a pas de bon sens. Maintenant, effectivement, si on a une liste centralisée d'attente, ça va certainement permettre à tout le monde de garder son tour, mais de ne pas perdre son tour non plus. Je pense que ça permettrait de régulariser effectivement l'attente. Ce serait pour le mieux-être de l'ensemble.

L'amélioration de l'organisation des services, qui est notre troisième point également pour tenter d'améliorer la situation. Évidemment, il faut ? on en a parlé dans notre mémoire; il faut ? augmenter la dispensation, les possibilités de recevoir des services, des soins à domicile. On trouve vraiment qu'on n'injecte pas assez d'efforts budgétaires et de ressources humaines non plus dans ce secteur d'activité là. Et ma collègue, à droite, pourrait vous donner peut-être un exemple là-dessus assez éloquent, assez intéressant.

Mme Levasseur (Diane): M. Paradis fait référence au rapport, là, du groupe de travail qui a travaillé l'utilisation des ressources en salle d'opération. Le rapport préconise l'utilisation d'un pourcentage de 15 % d'infirmières auxiliaires. Nous, bon, on est contents des conclusions du rapport parce que le rapport préconise l'utilisation d'infirmières auxiliaires. Cependant, on trouve que le maximum de 15 % d'infirmières auxiliaires à titre de... au service interne est insuffisant. D'ailleurs, l'Association des infirmières de salle d'opération au Canada, eux préconisaient d'ailleurs un ratio d'environ 70 % infirmières, 30 % infirmières auxiliaires ou techniciens de salle d'opération. Donc, on pense qu'il y a encore de l'espace pour permettre une plus grande utilisation des infirmières auxiliaires en salle d'opération que le nombre, là, préconisé par le rapport, au Québec.

M. Paradis (Régis): Si je poursuis...

M. Couillard: Oui.

n(17 h 20)n

M. Paradis (Régis): Vous permettez? Si je poursuis sur l'amélioration de l'organisation des services, il y a un problème important, c'est la difficulté pour la population de trouver un médecin de famille, hein? Ce qui... Puis évidemment ce qui entraîne des délais pour la mise en place de meilleure qualité de services de première ligne. Puis une autre, je pense ? ça ne veut pas dire que ça règle l'ensemble de la situation, mais qu'on préconise depuis extrêmement longtemps, et il y a des progrès qui se font dans ce sens-là, je dois l'admettre ? c'est toute la meilleure répartition des tâches, interprofessionnelle, ce que j'appelle une meilleure collaboration interprofessionnelle. Là-dessus, je dois vous dire que nous avons des discussions toujours, des pourparlers intéressants, avec nos collègues de l'Ordre des infirmières, et la situation à ce niveau-là s'améliore. Mais il faudrait quand même toujours pousser au maximum sur l'utilisation optimale de l'ensemble des ressources, parce que je suis convaincu que, pour améliorer la qualité des services, la collaboration interprofessionnelle est incontournable, et ça a pour effet également, aussi, outre d'améliorer la qualité des soins, ça a l'effet de valoriser également, aussi, les professionnels de la santé, que ce soient infirmières auxiliaires, infirmières, etc. Et, là-dessus, je pense qu'il va falloir mettre la pédale à fond là-dessus.

Le Président (M. Copeman): Merci. M. le député de Borduas et porte-parole de l'opposition officielle en matière de santé.

M. Charbonneau: Merci, M. le Président. Alors, messieurs, madame, bienvenue à la commission. Vous avez parlé à un moment donné, tantôt, dans votre présentation, des effets pervers des garanties d'accès accordées, là. Vous craignez qu'il se développe des effets pervers. J'aimerais ça que vous élaboriez un petit peu plus sur ça.

M. Paradis (Régis): ...élaborer là-dessus, Me Ledoux, s'il vous plaît.

M. Ledoux (Georges): Merci. Alors, oui, M. le député, on citait dans notre document, par exemple, une situation qui s'est produite en Grande-Bretagne. On en a fait largement état, là, dans la présentation de groupes précédents... où, par exemple, les administrateurs locaux étaient évalués pour vérifier si justement ils atteignaient des garanties d'accès qui avaient été proposées dans les systèmes de santé. Or, ce qu'on a observé dans certains cas, c'est qu'effectivement ils les atteignaient, mais souvent ça se faisait au détriment de d'autres types de services, où on allongeait ou encore on créait des délais supplémentaires.

Alors, c'est ça, nous, effectivement qui nous préoccupe par rapport à ce qui s'est vécu ailleurs, c'est que permettre des garanties d'accès sur un certain nombre de chirurgies ciblées, identifiées dans le document de consultation, il faut toujours avoir à l'esprit qu'on ne va pas causer des effets préjudiciables à d'autres types de services ou d'autres types de chirurgies qui, eux, pourraient à ce moment-là enregistrer des délais dits déraisonnables ou excessifs. Alors, il faut garder ça toujours en tête, là, permettre un certain équilibre et gérer de façon plus efficace, centraliser les listes d'attente pour ne pas qu'il y ait un déséquilibre, à ce moment-là, entre les chirurgies qui seraient atteintes en termes de résultat, avec le document de consultation, et au détriment d'autres services qui en souffriraient.

M. Charbonneau: Tantôt, vous déploriez qu'il y a plusieurs mesures encore de rationnement des services, pour des raisons budgétaires, qui affectent la performance ou la livraison de services actuellement, là.

M. Paradis (Régis): Évidemment, on pensait à un certain nombre de situations là-dessus, mais l'une, entre autres, c'est que l'amélioration des postes à temps complet dans le réseau... Regardez au niveau des infirmières auxiliaires, presque les deux tiers finalement de nos 18 758 membres sont à temps partiel. Donc, la conversion, là, de toutes les heures que ces gens-là travaillent en postes à temps complet ne se fait pas, donc ça amène une plus grande mobilité et une moins bonne continuité également, aussi, dans les soins. Et je pense que, là-dessus, ce serait un pas intéressant de fait si on pouvait notamment améliorer cette situation-là.

M. Charbonneau: Est-ce que... vous ne parlez pas beaucoup... parce que vous avez parlé un peu des réserves que vous avez sur certaines propositions pour le financement à long terme, mais, à l'égard du financement à court terme, comment vous voyez la... parce que, bon, finalement, si on croit qu'en ouvrant aux assurances privées on aurait plus d'argent à court terme, c'est une chose; si on n'est pas convaincu de ça, finalement il reste quoi? Il reste ou aller chercher plus d'argent dans les poches des citoyens et des contribuables ou bien, considérant qu'ils en paient déjà pas mal mais qu'ils en paient à deux places, aller chercher une part plus importante des surplus là où ils existent.

M. Paradis (Régis): Oui. Effectivement, on pensait beaucoup à régler le déséquilibre fiscal. On sait tous que l'argent est à Ottawa puis les besoins sont dans les provinces, à part l'Alberta. Je pense qu'on peut s'entendre là-dessus, et effectivement... et puis on se trouve également... On a tous des conversations parfois dans nos familles, et tout le monde... ça tombe toujours sur le tapis qu'on est très taxés, au Québec, mais il y a toujours quelqu'un qui rajoute: Mais si au moins ça peut servir à avoir des bons soins de santé!

Ce que je veux dire par là, M. le député de Borduas, c'est que les gens sont prêts à faire des efforts importants pour conserver finalement leur intégrité physique ou celle de leurs familles également. Donc, on est prêts à faire collectivement des efforts financiers plus importants. Mais là... dans le privé, pour nous, je pense que ce n'est une situation... j'écoutais tout à l'heure les intervenants avant nous, puis effectivement, écoutez, au Québec, ça ne pleut pas, les gens qui ont 12 000 $ pour aller se faire opérer pour un genou ou une hanche, là. Je pense qu'on est tous d'accord. Il y a certaines cliniques, comme la clinique du Dr Duval, que vous connaissez, qui fonctionne, celle-là, relativement bien, mais il n'en pleut pas quand même... Il n'en pleut pas au Québec. Mais il est certain dans notre esprit... puis bien qu'on sait que vous y avez travaillé pendant longtemps, puis le gouvernement actuel aussi, qu'il va falloir aller chercher l'argent là où elle est, à Ottawa. Et il y a un nouveau gouvernement, alors on espère finalement avoir des ouvertures d'esprit plus grandes et plus favorables en termes de préjugés pour les provinces.

M. Charbonneau: Nous autres aussi, on l'espère. On a pris du retard, alors on essaie de comprimer un peu. Au niveau... Je sais que le ministre finalement a fait une ouverture, aujourd'hui, intéressante, mais je voudrais que vous lui disiez votre opinion pour que, si jamais il changeait d'idée encore, là, pour qu'il garde cette ouverture-là, parce que dans le fond ce qu'il nous a dit aujourd'hui, c'est qu'à bien y penser vous avez raison, vous puis bien d'autres, là, qui sont venus dire que, si on voulait augmenter l'ouverture aux assurances privées dans le futur, on serait mieux de le faire par une loi que par un décret ministériel et qu'il y ait un débat public. Et, comme c'est mentionné dans le livre... dans le document de consultation, est-ce que vous vous êtes penché un peu sur cette approche-là, là?

M. Ledoux (Georges): On ne s'est pas spécifiquement penchés là-dessus dans le cadre de notre mémoire, mais c'est sûr que, si on veut accroître la transparence, là, puis avoir un débat plus large sur cette question-là, le faire par un amendement à la loi serait peut-être une solution préférable. Mais, de toute façon, on sait que le document de consultation avait indiqué que c'est par règlement qu'on viendrait effectivement déterminer les ouvertures.

Vous vous souvenez aussi que, dans notre mémoire, on a précisé qu'on souhaitait que cette ouverture-là ne soit envisagée qu'en toute dernière solution, là, qu'en dernier recours. Et il n'est peut-être pas nécessaire, puis je sais qu'il y a des experts, malgré ce qu'on a entendu tantôt, il n'est peut-être pas nécessaire d'aller ouvrir de ce point de vue là pour répondre adéquatement et complètement au jugement de la Cour suprême. Si ce n'est pas nécessaire, ce serait complètement académique, à ce moment-là, de vérifier si c'est par règlement ou par un amendement à la loi. Alors, une fois qu'on aura vidé ça, si ce n'est pas nécessaire d'ouvrir du côté des assurances pour les trois chirurgies qui sont visées par le plan, on n'aura pas besoin, à ce moment-là, de se questionner: Est-ce que c'est une loi ou un règlement qui sera le véhicule pour y parvenir?

M. Charbonneau: Juste vous faire remarquer une chose, par exemple, c'est que, même si le ministre a fait une ouverture en disant que: peut-être que je devrais réviser mon affaire, puis que ça se ferait par législation, il n'a jamais dit qu'il n'ouvrirait pas plus. Il a dit: Pour tout de suite, non, puis peut-être que ça va prendre du temps. Mais, moi, je crois qu'il faut que le message soit clair. Ce genre de changement ne peut pas se faire par décret ministériel, à huis clos, là, au Conseil des ministres, là. Il faut qu'il se fasse d'une façon transparente et dans un... et qu'il y ait un débat public, et que donc, si jamais il doit y avoir une consultation à l'occasion, une nouvelle pour voir si c'est opportun d'élargir, bien ça devra se faire par une loi, pour que vous puissiez venir en commission. Autrement, là, finalement, là, ni l'opposition, ni les citoyens, ni les organismes comme le vôtre pourront dire quoi que ce soit sur ça. On sera placés devant un fait accompli, là.

M. Ledoux (Georges): Mais, là-dessus, on ne peut pas être contre la vertu, contre un débat plus large, un débat plus important sur une question qui constitue une première brèche depuis fort longtemps, là, au caractère public de notre régime de santé. Effectivement, il y a peut-être, là-dessus, un précédent qui mérite de faire l'objet d'une étude très attentive et d'un vaste débat.

M. Paradis (Régis): M. le Président, si vous me permettez... Oui? Je lisais attentivement, en fin de semaine, l'article donné par le ministre à Carole Beaulieu et à Michel Vastel, et le ministre parlait de soins de santé à géométrie variable. Je vous avoue que je n'étais pas trop sûr d'avoir bien compris là-dessus. M. le ministre, je ne sais pas si vous pouvez nous donner des éclaircissements? Vous vous souvenez de l'article donné récemment?

M. Charbonneau: ...sur mon temps, mais...

M. Paradis (Régis): Ah! O.K. Ce n'était pas une bonne idée, comme ça, de ma part!

M. Charbonneau: Mais ça ne me dérange pas de lui donner deux minutes. Pas plus.

M. Paradis (Régis): Pas plus. Ce n'était pas trop une bonne idée.

M. Couillard: Il est généreux, mais on le mérite. C'est...

M. Charbonneau: Ça, il y aura un temps pour vérifier si...

M. Couillard: Il faudrait nous donner le contexte, parce qu'honnêtement, là, ça...

M. Paradis (Régis): Ah, c'était l'article...

M. Couillard: Non, mais lisez-moi la phrase au complet.

Le Président (M. Copeman): Bien, je pense que, collègues, à ce moment-ci, ce serait peut-être mieux à un moment ultérieur.

Une voix: D'accord. O.K.

M. Couillard: À un moment ultérieur. On en débattra, le député de Borduas et moi.

Le Président (M. Copeman): Exact. Ça va...

M. Charbonneau: Alors, je vais parler de la citation, et je lui donnerai ça éventuellement. Bien, merci, M. le Président.

n(17 h 30)n

Le Président (M. Copeman): Alors, M. Paradis, Mme Levasseur, Me Ledoux, merci pour votre patience et pour votre participation à cette commission parlementaire au nom de l'Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec. Et j'invite M. Jacques Chaoulli à prendre place à la table.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Copeman): Alors, au nom de mes collègues membres de la commission, je souhaite bonjour à Dr Jacques Chaoulli. Dr Chaoulli, votre nom nous est familier, pour des raisons qu'on connaît tous. Dans le cas des individus, la commission a décidé de consacrer 30 minutes aux auditions, c'est-à-dire 10 minutes pour votre présentation et une période d'échange d'une durée maximale de 10 minutes avec les parlementaires de chaque côté de la table. Alors, la parole est à vous.

M. Jacques Chaoulli

M. Chaoulli (Jacques): Merci. MM. et Mmes les parlementaires, je vous remercie pour votre invitation. Deux questions distinctes sont ici soulevées: Premièrement, peut-on avoir un système de santé universel sans problème de délais d'attente? Oui, comme je l'ai exposé dans mon mémoire, en passant d'un système universel fondé sur les impôts à un système universel fondé sur des payeurs multiples, dans lequel tous les citoyens ont un accès en temps opportun. Dans ces pays-là, les patients ne souffrent pas et ne meurent pas à cause de listes d'attente, et le panier des services assurés y est plus large qu'au Québec. Certains de ces pays, comme le Japon, l'Autriche et la Belgique, dépensent même moins que le Québec en pourcentage du produit intérieur brut.

L'OCDE a écrit, et je cite: «Dans les pays de l'OCDE sans délais d'attente observés pour les chirurgies électives, tels que les États-Unis, la France, la Suisse, le Japon, la Belgique et l'Allemagne, toutes les personnes assurées jouissent d'un accès aux soins en temps opportun sans égard au fait que leur principale couverture d'assurance santé soit publique ou privée. Des pays sans délais d'attente ont souvent des ratios similaires de médecins en comparaison avec les pays présentant des délais d'attente. Cependant, le premier groupe de pays a un nombre considérablement plus élevé de lits de soins de courte durée.» Fin de citation. L'Australie et l'Irlande, qui vont jusqu'à subventionner l'assurance privée duplicative, dépensent même moins que le Québec en pourcentage du PIB. Et, sur le système de santé canadien, l'OCDE a écrit, et je cite: «Si l'expansion de l'assurance privée coïncidait avec un accroissement de la capacité d'offre, elle pourrait aussi réduire les délais d'attente pour les patients dépourvus d'une assurance privée complémentaire.» Fin de citation.

L'OCDE a écrit qu'une pratique double et régulée, avec un ratio accru de lits de soins de courte durée grâce à l'ajout d'hôpitaux privés, permettrait de diminuer les délais d'attente dans le secteur public. Or, de nombreux investisseurs sont prêts à investir dans des hôpitaux privés au Québec; c'est une chance pour les Québécois.

Deuxièmement, est-ce que les propositions du gouvernement respectent le jugement de la Cour suprême du Canada? Non, et je suis stupéfié ? excusez-moi de le dire ? devant les incohérences dans la réponse du gouvernement à ce jugement. Comme bien des Québécois, je suis un père de famille, et je me soucie de l'avenir de ma fille âgée aujourd'hui de 14 ans. Le gouvernement me dit que je pourrais acheter une assurance privée pour la protéger au cas où, lorsqu'elle sera devenue une personne âgée, elle souffrirait de la hanche, du genou ou de la cataracte. Mais ma fille, comme bien des Québécois, risque de souffrir bien avant l'âge de la retraite pour une foule d'autres raisons à cause des délais d'attente du régime public. Et vous me dites que je n'ai pas le droit de lui acheter une assurance privée pour la protéger au cas où elle souffrirait d'une autre affection?

Le 31 janvier 2006, Statistique Canada a établi que de nombreux Canadiens continuent de souffrir en raison des délais d'attente, une situation que le gouvernement du Québec et l'opposition reconnaissent publiquement. De nombreux sondages indépendants ont montré que les Québécois apprécieraient que le gouvernement restaure les libertés individuelles en matière de santé tout en intervenant de manière à ce que l'exercice de ces libertés soit conforme aux valeurs démocratiques, à l'ordre public et au bien-être général des citoyens du Québec. Or, justement, la Cour suprême du Canada a jugé que l'autorisation de l'assurance privée duplicative est conforme à ces valeurs. Elle a aussi statué, et je cite: «Il est reconnu que l'interdiction de souscrire à une assurance fait en sorte que seuls les gens très riches, qui n'ont pas besoin d'assurance, ont accès à des soins de santé privés leur permettant d'éviter les délais du système public.» Fin de citation.

Advenant que le législateur maintienne l'interdiction de l'assurance privée duplicative, il va continuer de favoriser les gens très riches, comme l'a dit la Cour suprême. Une telle situation serait incohérente avec l'objectif déclaré du gouvernement de maintenir un système de santé où on ne relève pas d'écart en termes d'accès. Les Québécois savent très bien qu'il existe des écarts en termes d'accès. En suivant la définition de l'assurance maladie privée donnée par l'OCDE, il appert que les programmes de la CSST et de la SAAQ sont des assurances maladies privées obligatoires dont l'assureur est public. Une autre assurance santé privée obligatoire est celle qui couvre les députés de l'Assemblée nationale du Québec et dont les primes sont payées par les contribuables québécois. Autoriser l'assurance privée duplicative réduirait l'écart en termes d'accès en faveur des gens ordinaires, comme la juge de la Cour suprême l'a écrit dans son jugement, la juge en chef.

Il serait dans l'intérêt des patients que les assureurs privés soient placés en situation de concurrence sur la base de normes volontaires de qualité à être définies par des agences privées indépendantes d'accréditation. Dans son document de consultation, le gouvernement a reconnu, et je cite: «Le jugement de la Cour suprême ouvre la voie au développement d'un réseau privé de prestation de services où les personnes disposant de moyens financiers suffisants pourraient obtenir les services médicaux et hospitaliers plus rapidement que celles qui utilisent les services financés par le secteur public.» Fin de citation.

Dans la mesure où le gouvernement a décidé de ne pas invoquer la clause dérogatoire, une personne bien informée en déduirait que la position du gouvernement est à l'effet que l'autorisation d'une assurance privée duplicative serait conforme aux valeurs démocratiques, à l'ordre public et au bien-être général des citoyens du Québec, selon l'expression utilisée dans l'article 9.1 de la Charte québécoise. Or, de manière incohérente, le gouvernement a annoncé son intention de maintenir cette interdiction pour la quasi-totalité des services couverts par le régime public. Quant aux groupes qui prétendent parler au nom des patients, dans la mesure où ils sont financés par l'État, ils ne sont pas indépendants de l'État. Dès lors, ils ne sauraient valablement parler au nom des patients. Moi, je n'ai pas été payé par l'État pour parler au nom des patients devant la Cour suprême du Canada, et celle-ci a reconnu mon intérêt à agir pour défendre les patients.

D'un point de vue juridique, ce n'est pas le libellé d'une disposition législative qui est déterminante, mais bien l'effet pratique de la disposition consistant à empêcher un accès à un service de santé privé. Toute nouvelle mesure législative qui aurait le même effet pratique sans être nécessaire à la viabilité du régime public serait aussi contraire aux chartes, y compris une nouvelle restriction qui imposerait à un médecin du régime public d'exercer exclusivement dans le régime public, chose que les articles 1c et 1d de la Loi sur l'assurance maladie n'imposent pas. La Cour suprême a statué que le gouvernement peut décourager l'établissement d'un système de santé parallèle. Cela a été mal interprété par le gouvernement. En limitant l'assurance privée à quelques procédures seulement, le gouvernement ne décourage pas, il empêche de nouveau, de sorte que cela va carrément à l'encontre du jugement.

Au sujet du critère juridique d'un délai acceptable, c'est l'appréciation du patient lui-même qui attend pour un service de santé qui est le fondement de ce critère, tel qu'il appert du jugement. En effet, la Cour suprême s'est fondée sur l'appréciation des patients eux-mêmes lorsqu'elle a écrit, et je cite: «En 2001 ? pas seulement en 1997; en 2001 ? ces patients souffrent, éprouvent des malaises tous les jours. Ces patients ont dit avoir souffert, ont déclaré que l'attente pour l'obtention de soins avait eu des conséquences néfastes sur leur vie.» Fin de citation.

Sur la question des effectifs en professionnels de la santé, l'OCDE a indiqué que les preuves d'un effet nuisible d'une pratique double des médecins... est très limitée. Le fait que dans certains pays les médecins hospitaliers soient payés à salaire rend plus difficile la tâche de l'État de s'assurer que ces médecins ne diminuent pas leur productivité dans le régime public. Pourtant, depuis plus de 10 ans, le gouvernement du Québec surveille déjà que chaque médecin consacre un volume minimum de services dans le cadre du programme des activités médicales particulières, et tous les gouvernements successifs ont dit que ce programme avait bien fonctionné.

De toute façon, la réalité au Québec est différente en ce que les médecins hospitaliers, ils sont généralement payés à l'acte par l'État. Cette différence est cruciale pour les fins qui nous occupent. En effet, l'État pourrait facilement s'assurer que tous les médecins fassent un nombre minimum d'actes en dedans d'une année comme condition de pouvoir s'adonner à une pratique double.

n(17 h 40)n

Le Président (M. Copeman): ...à peu près 1 min 30 s.

M. Chaoulli (Jacques): D'ailleurs, la pratique double existe déjà au Québec pour les médecins radiologistes, pour tous ceux qui exercent en vertu de l'article 22i du Règlement d'application de la Loi sur l'assurance maladie, pour tous les services de santé, et pour tous les professionnels. C'est justement le fait qu'ils soient payés à l'acte dans les hôpitaux publics qui explique que les médecins radiologistes n'ont pas déserté les hôpitaux publics.

Au sujet des honoraires des médecins dans le secteur privé, la loi interdit déjà à ces médecins de facturer des montants abusifs. Je propose toutefois de maintenir l'étanchéité pour les médecins non participants, tout en autorisant les médecins qui acceptent de travailler pour le régime public à avoir une pratique double.

Au sujet des effectifs médicaux, en 2002, l'Institut canadien d'information sur la santé a indiqué qu'en dépit d'une diminution du nombre de médecins il est possible qu'une augmentation de l'activité des médecins se traduise pour les patients par un accès inchangé aux soins.

Vous avez des pays comme la Belgique ou d'autres pays qui ont des ratios inférieurs et qui n'ont pas de problème de délai d'attente, qui dépensent même moins que le Québec.

L'avantage pour le gouvernement à une pratique double serait, premièrement, d'augmenter la motivation et l'ardeur au travail des professionnels et donc de réduire les délais d'attente, et, deuxièmement, de donner à tous les médecins qui le souhaitent l'occasion de fournir des efforts supplémentaires, sans rien enlever au secteur public, et de permettre également de réduire les délais d'attente.

On retrouve des situations avec faibles taux d'effectifs en Belgique, en France, en Allemagne, en Autriche et au Japon. Ces données réfutent, je le soumets, l'argument selon lequel une diminution des effectifs mettrait en péril le régime public au Québec. Je vous remercie.

Le Président (M. Copeman): Merci beaucoup. M. le ministre de la Santé et des Services sociaux.

M. Couillard: Merci, M. le Président. Bonjour, Dr Chaoulli. Merci d'être avec nous aujourd'hui. Effectivement, votre nom est associé au nom d'un patient aussi, M. Zeliotis, là, qui est au coeur des procédures légales. Et je rappelle quand même qu'il s'est déclaré satisfait de la réponse gouvernementale, le patient dont nous parlions, dont on a parlé au cours de ces dernières années.

Et bien sûr, pour ce qui est de l'interprétation que vous faites et que vous avez déjà faite publiquement de notre réponse au jugement, nous considérons qu'elle est en tous points conforme au jugement. Et d'ailleurs nous ne sommes pas les seuls à le dire, des juristes nous le disent également. Et là il y a un débat entre juristes. Et on ne le tranchera pas aujourd'hui, n'étant, ni vous ni moi, juristes, ça va être difficile d'aller très loin dans cette question-là. Mais, ici même, lors de la commission, on a eu, par des juristes, des interprétations diamétralement opposées quant à cette question.

M. Chaoulli (Jacques): Les juristes étaient aussi opposés à mes arguments avant le jugement, et j'ai quand même eu gain de cause en plaidant moi-même, en créant moi-même mes arguments juridiques.

M. Couillard: Et on vous félicite. Vous avez dû passer beaucoup de temps à plaider vous-même.

M. Chaoulli (Jacques): Effectivement. Je vous remercie.

M. Couillard: Mais l'interprétation du jugement qu'en font certains et la vôtre en particulier me semblent beaucoup plus larges que ce que le jugement dit véritablement, si on lit les mots qu'il y a dans le jugement. Et ça ne me dit pas qu'il faut ouvrir largement à l'assurance duplicative. Ça dit qu'on peut le faire. On peut... On peut avoir les mêmes résultats en levant l'interdiction mais en prenant toutes sortes d'autres méthodes pour ne pas nuire à l'accessibilité des patients.

D'ailleurs, la cour note même que, dans quatre provinces canadiennes, l'assurance est permise mais qu'il n'y a aucun marché privé, parce qu'il y a tellement d'encadrement de la non-participation qu'en pratique il n'y a pas de médecins qui sont non participants.

Je voudrais quand même faire trois corrections de faits, là, Dr Chaoulli, sur les éléments que vous avez amenés. D'abord, il ne faut plus dire qu'on meurt sur les listes d'attente, au Québec. Ce n'est plus conforme à la réalité. Les patients qui sont en danger de mort, dont la vie est menacée, sont traités dans les délais acceptables actuellement et à l'intérieur des délais.

Deuxièmement, vous avez fait allusion au régime d'assurance privée collective des membres de l'Assemblée nationale. Je veux juste vous souligner qu'il n'est en aucun cas différent des autres régimes privés collectifs qui existent et qu'il n'y a pas de paiement de fonds publics supplémentaires pour les actes médicaux assurés. Ce qui est permis à l'intérieur du régime public collectif, du nôtre comme des autres d'ailleurs, c'est d'avoir accès à des régimes, des frais... des services non assurés.

Et, troisièmement, la pratique double, elle n'existe pas. Vous avez assigné des radiologues. Il n'y a pas de pratique double pour les radiologues. Ils n'ont pas une pratique publique et privée pour les actes assurés. Encore une fois, c'est parce qu'il y a une confusion dans les esprits. Il y a des examens radiologiques en cabinet; ce ne sont pas des actes assurés par l'assurance maladie du Québec. Donc, il n'y a pas de pratique double, en pratique. Je pense que c'est des éléments qui sont importants à régler.

Maintenant, vous avez abordé la question très intéressante de la pratique double et régulée. Et je répète que personnellement je n'ai pas d'objection fondamentale, parce qu'il y a d'autres pays qui ont la pratique double. Mais on a un problème actuel de ressources qui rend toute expérimentation extrêmement dangereuse, là. Parce qu'il y a une réalité au Québec qui n'est pas celle de la Belgique, ou de la France, ou de l'Angleterre, ou de l'Allemagne, c'est la géographie. L'Angleterre, ils n'ont pas la Gaspésie ni la Côte-Nord, tout le monde est près les uns des autres puis il n'y a pas de régions. Alors, c'est beaucoup plus facile de diversifier l'offre de services, d'avoir même des prestations privées avec des effectifs médicaux qui sont quand même soit comparables soit plus élevés. La France, par exemple, a beaucoup plus de médecins. Vous savez, il n'y a pas beaucoup de pays au monde dont une partie du budget de la santé est constituée de combustible pour les avions, et c'est notre cas ici, au Québec, alors qu'ailleurs ce n'est pas le cas.

Alors, il faut, quand on se préoccupe de la direction de notre système de santé, se préoccuper non seulement des gens qui habitent à Montréal ou à Québec, mais également ceux qui habitent dans les régions éloignées comme la Côte-Nord, la Gaspésie et l'Abitibi, qui ne seront en rien aidées par l'introduction de l'assurance privée.

Alors, moi, je veux bien qu'on permette aux médecins d'avoir une pratique double éventuellement, lorsqu'on pourra nous démontrer et démontrer à la population que les systèmes publics de santé sont adéquatement pourvus en effectifs dans ces régions-là. La députée de la Mauricie, la députée de Champlain, ça va prendre quelques années encore avant que... ça va arriver cependant, parce qu'il y a tellement d'étudiants en médecine actuellement en formation que dans quelques années je crois qu'on va arriver enfin à la situation normale où il y aura, pour chaque poste de médecin, deux ou trois postulants. Malheureusement, ça aurait toujours dû être comme ça; ça va redevenir comme ça. Lorsqu'on sera arrivés dans cet état d'équilibre là, je pense que personne au Québec n'aura véritablement d'objection, autre que dogmatique, là, envers la pratique double ou la pratique mixte, bien encadrée, réglementée, comme ça se fait en Europe.

Mais il y a d'autres éléments de différence ? je vais vous laisser, après, répondre là-dessus; il y a d'autres éléments de différence ? entre notre société et les autres pays. D'ailleurs, ceux qui sont venus présenter pour l'ADQ l'ont un peu dit, ce qui venait un peu débâtir ou déconstruire l'argumentaire qu'ils présentaient: c'est très difficile de comparer les systèmes de santé de sociétés différentes et de pays très différents en termes de valeurs par rapport à l'Amérique du Nord. Si vous regardez, par exemple, les pays européens, les médecins dans les hôpitaux publics sont à rémunération fixe, ils sont salariés. Et je peux vous dire que les médecins français qui arrivent au Québec, ils trouvent qu'ils sont pas mal mieux payés qu'en France, hein, premièrement.

Deuxièmement, les écarts de revenus. Lorsqu'on parle des pays scandinaves, par exemple, qui ont également des systèmes privés très minimes puis qui ont un copaiement, les écarts de revenus de la population sont beaucoup plus étroits qu'en Amérique du Nord. Alors, c'est très risqué de faire des comparaisons globales, dire: Bien, parce que la France, l'Angleterre, les pays scandinaves le font, bien on peut faire de la même façon, il faut tenir en compte les caractéristiques de notre société.

Mais, pour cette question, encore une fois, de pratique double, vous voyez que, sur le plan philosophique, on n'est pas tellement loin. Moi, je n'ai pas d'objection... Puis d'ailleurs je le dis souvent: si un Européen nous écoutait actuellement, il trouverait bizarre qu'on discute même de la possibilité d'avoir une pratique double. Parce que, pour là-bas, pour les citoyens de ces pays, c'est quelque chose qui a toujours été, qui fait partie de la vie et qui est acceptable sur le plan social; d'ailleurs, les gens ont accès aux soins.

Mais il y a un moment où on va devoir juger qu'on est prêts à faire un mouvement dans cette direction-là, et ce moment n'est pas arrivé encore. Et c'est foncièrement la disponibilité des effectifs et des ressources dans nos établissements publics. Lorsqu'ils seront bien pourvus, je pense qu'on pourra réouvrir ce débat-là, mais on est à peu près, d'après moi, à neuf ou 10 ans de cette époque-là.

M. Chaoulli (Jacques): M. le ministre, pour ce qui est de la question des pénuries d'effectifs médicaux, vous dites que le Québec est beaucoup plus vaste que d'autres pays de l'OCDE, mais le Japon est un pays également où il y a des pénuries d'effectifs médicaux, dans certaines régions du Japon. Je connais très bien, pour l'avoir étudié, ce systèmes en détail.

Et, entre parenthèses, les gens de l'ADQ que vous avez eus, il n'y avait aucune des personnes à la table qui était un expert en système de santé. Moi, j'en suis un. J'ai développé une expertise en systèmes de santé et je suis en mesure de répondre aux préoccupations que vous avez exprimées à cet égard, au niveau de la comparaison des systèmes de santé. Je vais reprendre dans l'ordre de vos commentaires.

D'abord, au sujet de... Vous dites qu'il n'y a pas de gens qui décèdent sur les listes d'attente aujourd'hui. Permettez-moi d'en douter, M. le ministre. Parce que les gens décèdent en silence. Quand j'ai évoqué ces éléments-là, déjà, il y a une dizaine d'années, personne ne me croyait. Moi, je le voyais parce que je suis un médecin, j'exerce la médecine, et j'exerce encore la médecine, et je suis témoin de ces choses-là. Et je sais très bien, et je ne suis pas le seul à le dire, qu'il y a des patients dont... ne serait-ce que les diagnostics retardés par les délais d'attente pour voir un spécialiste, notamment des gens qui développent un cancer, les délais d'attente génèrent, en silence, des événements dramatiques comme des décès en raison des délais d'attente.

n(17 h 50)n

Maintenant, vous mentionnez que, pour les députés de l'Assemblée nationale, c'est des services qui ne sont pas assurés par le régime public, soit! Mais, la juge Deschamps, dans le jugement de la Cour suprême, a bien établi qu'il y avait un système de santé à deux vitesses pour les services non assurés et que ça n'avait jamais fait l'objet d'un... pour les services non assurés, la juge Deschamps l'a écrit dans son jugement. Alors, la juge Deschamps a dit: On ne fait pas de cas d'une médecine à deux vitesses pour les services non assurés, mais on en fait cas pour les services assurés.

Maintenant, pour ce qui est des radiologues, vous dites qu'il n'y a pratique double. Mais, M. le ministre, avec beaucoup de respect, c'est une façon de jouer sur les mots, parce que des examens de résonance magnétique sont des examens de résonance magnétique. Vous les avez désassurés, c'est un fait, mais ça n'en reste pas moins des examens de résonance magnétique. Alors, un radiologue qui est dans le régime public, il travaille à l'hôpital public avec des... il facture la Régie d'assurance maladie pour une résonance magnétique, il traverse la rue et il va en cabinet, et il vend le même service de résonance magnétique. Vous pouvez l'appeler comme vous voulez, désassuré ou pas assuré, mais c'est le même service, et, dans ce sens-là, il y a une pratique double, et ça n'a pas fait... ça n'a pas eu d'effet néfaste sur les effectifs en radiologie, de radiologues, à l'intérieur des hôpitaux privés, à ce que je sache.

Pour ce qui est des problèmes de ressources en effectifs médicaux, M. le ministre, je vous invite à relire dans le détail, dans mon mémoire, les rapports de l'Institut canadien d'information sur la santé, où il démontre que le fait qu'il y ait un niveau plus bas d'effectifs n'empêche pas de répondre à la demande des patients. Et on le retrouve dans d'autres pays, comme j'ai mentionné dans mon mémoire, où les effectifs, les ratios de médecin-population sont même inférieurs à ce qu'ils sont au Québec, comme le Japon, par exemple, ou même la Belgique, pour les infirmières notamment, et en dépit d'une diminution... d'un niveau plus bas d'effectifs en professionnels de la santé, on n'a pas d'effet néfaste sur l'accès aux services de santé. Donc, M. le ministre, avec respect, je vous soumets qu'il n'y a pas là matière à attendre 10 ans, au Québec, pour moderniser notre système de santé ou respecter le jugement de la Cour suprême et autoriser l'assurance privée duplicative sans restriction autre qu'une réglementation pour les effectifs médicaux, comme je l'ai indiqué dans mon mémoire, proposé dans mon mémoire également.

Le Président (M. Copeman): M. Chaoulli, malheureusement, nous avons déjà dépassé de quelque peu le temps à ma droite. Je dois aller avec le député de Borduas et porte-parole de l'opposition officielle en matière de santé.

M. Charbonneau: Alors, Dr Chaoulli, dans le fond, ce qu'on a devant nous, puis c'est très correct, parce que c'est ça, la discussion puis le débat public, c'est deux conceptions, deux conceptions, et dans le fond ce qu'on doit faire, c'est une appréciation des avantages et des inconvénients de chacune de ces deux conceptions. Et vous dites que vous êtes un expert en systèmes de santé, mais il y en a d'autres, experts en systèmes de santé, qui ont une opinion différente de la vôtre.

Vous avez parlé, par exemple, du cas australien, puis je citais tantôt les chercheurs du Groupe de recherche interdisciplinaire en santé de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal, et leur conclusion sur le cas australien est claire: l'effet sur les listes d'attente est à peu près nul; l'adhésion au régime privé d'assurance est surtout le fait des personnes à plus hauts revenus; 30 % des plus riches des Australiens on reçu la moitié de la subvention fiscale de 2,3 milliards australiens; le gouvernement australien soutient avec l'argent du public le droit des plus riches de sauter les files d'attente; l'introduction de l'assurance privée, en Australie, a accru les coûts des services de santé, augmenté l'inégalité du financement des services de santé et n'a eu aucun effet observable sur l'efficacité des services.

Quand vous avez ces conclusions-là... Le Conseil de la santé et du bien-être, qui a donné son avis au gouvernement du Québec en décembre 2002, allait dans la même direction. Moi, je veux bien que vous ayez votre thèse et que vous disiez: Moi, je suis un expert et j'ai regardé ça, mais il y en a d'autres que vous qui prétendent exactement le contraire puis qui ont une analyse totalement différente des effets des systèmes... de l'application de votre conception à l'étranger. Alors, à un moment donné, on est obligé aussi de regarder l'envers de la médaille. L'envers de la médaille, c'est qu'il y a d'autres analyses et d'autres conclusions qui doivent être tirées des expériences étrangères, et ce n'est pas évident qu'il y a une seule conception puis que dans le fond la modernisation du système de santé passe par l'adhésion à votre conception.

M. Chaoulli (Jacques): Je vous soumets, M. le député de Borduas, que ce n'est pas ma conception seulement, c'est celle de l'OCDE, et je vous réfère à mon mémoire, à la page 23, où l'OCDE a écrit, en 2004, sur le Canada, sur le système de santé canadien, et je cite ? c'est l'OCDE qui parle, ce n'est pas moi: «Si l'expansion de l'assurance privée coïncidait avec un accroissement de la capacité d'offre, elle pourrait aussi réduire les délais d'attente pour les patients dépourvus d'une assurance privée complémentaire.» Fin de citation.

Maintenant, sur l'augmentation de la capacité d'offre, j'ai dit tout à l'heure, et c'est dans mon mémoire...

M. Charbonneau: Mais, docteur...

M. Chaoulli (Jacques): ... ? permettez-moi de terminer, s'il vous plaît ? ...

M. Charbonneau: Oui, oui. Allez-y.

M. Chaoulli (Jacques): ...que l'augmentation de la capacité d'offre, qui est cruciale pour ce qui nous concerne, c'est l'augmentation du nombre de lits hospitaliers. Et là, l'intervention du secteur privé, en mettant sur pied des hôpitaux privés, sera un élément crucial.

Comme je vous l'ai dit tout à l'heure ? et c'est l'OCDE, les chiffres de l'OCDE, les chiffres de l'Institut canadien d'information sur la santé qui le démontrent ? le fait d'avoir un faible niveau d'effectifs n'empêche pas de répondre à la demande. Donc, on peut diminuer les délais d'attente, et c'est l'OCDE qui le dit. Alors, les rapports que vous me mentionnez sont des rapports qui sont faits par des universitaires, je comprends bien, mais qui ne sont pas des organismes qui ont la crédibilité de l'OCDE.

M. Charbonneau: Bien ça, je m'excuse, mais ça, c'est une question d'opinion, parce que, je vais vous dire, le Groupe de recherche interdisciplinaire en santé de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal, je pense qu'ils sont capables d'accoter n'importe quel expert de l'OCDE. Puis l'OCDE, là, ça a l'air bien beau, là, sur... Tu sais, c'est l'organisation, tu sais, des... Tu sais, mais...

M. Chaoulli (Jacques): L'OCDE, c'est une émanation des gouvernements.

M. Charbonneau: Oui, oui. Je comprends que c'est une émanation, là, mais là, ici, là, au lieu d'une émanation d'un gouvernement...

M. Chaoulli (Jacques): Alors, c'est une crédibilité incontestable.

M. Charbonneau: ...j'ai une émanation d'un groupe de recherche interdisciplinaire d'une faculté de médecine d'une de nos plus prestigieuses universités.

M. Chaoulli (Jacques): C'est ça, qui ont le biais idéologique que nous connaissons, qui est contraire...

M. Charbonneau: Bien, vous, vous n'en avez pas, de biais idéologique?

M. Chaoulli (Jacques): Pas du tout. Moi, je n'ai aucun biais idéologique, M. le député de Borduas. Mon biais, moi, ça a été d'être affligé de voir les patients souffrir, depuis que j'ai commencé mon combat pour défendre l'intérêt des malades. Depuis 12 ans, quand j'ai vu des patients souffrir à domicile, qu'on empêchait les médecins de répondre à leurs besoins, c'est ça qui m'a affligé; il n'y avait aucune idéologie là-dedans. Le droit à la vie et à la sécurité des malades, ce n'est pas une idéologie, ça.

M. Charbonneau: Bon, bien, je m'excuse, Dr Chaoulli. Je vais vous dire une chose: on peut tous être empathiques, et on a tous connu des gens qui souffrent, puis probablement que la plupart des gens ici, dans la salle, ont déjà souffert dans leur vie, aussi. La question, dans le fond, c'est que, une fois qu'on est face à la souffrance humaine, quelle est la réponse qu'on donne puis comment on se situe par rapport à la réponse?

Vous, dans le fond, vous dites: C'est à l'appréciation des patients. Moi, je pense qu'une société, et un État de droit, une société qui fonctionne avec des règles pour permettre l'équité dans une société, ne peut pas laisser à l'appréciation des patients.

Moi, je peux très bien décider de passer... puis je voudrais bien, si je souffre, passer plus vite que mon voisin. Il y a quelqu'un qui va devoir m'empêcher de passer avant mon voisin. Et ça, c'est... Si j'ai un médecin comme vous qui me pousse dans le dos pour me dire: Passe avant ton voisin, parce que tu as le droit, tu souffres; oui, mais il y a quelqu'un doit m'arrêter, il y a quelqu'un qui doit m'empêcher de faire ça. Ça, c'est la responsabilité de l'État. Sinon, là, c'est au plus fort la poche. C'est ça qui va arriver.

M. Chaoulli (Jacques): Mais la Cour suprême du Canada n'a pas dit cela, M. le député de Borduas. Vous interprétez mal le jugement, avec respect. Ce que la Cour suprême a dit, c'est que vous n'avez pas le droit, justement, vous, les législateurs, vous n'avez pas le droit d'empêcher un individu d'utiliser ses propres ressources financières pour se soigner lorsque le gouvernement n'est pas capable de faire la preuve que le contraire serait nécessaire pour protéger le régime public. On vous l'a dit tout à l'heure, et je vous le répète encore une fois.

Et les opinions juridiques différentes ne m'émeuvent pas, parce qu'encore une fois les opinions juridiques étaient opposées à mes arguments pour lesquels la Cour suprême m'a donné raison.

Alors, il faut bien faire la différence entre l'intérêt général, que je respecte bien entendu, et l'intérêt des libertés fondamentales d'un patient d'utiliser ses propres ressources financières pour sauver sa peau lorsque ça ne dérange personne d'autre.

M. Charbonneau: Mais regardez ce que la juge Deschamps disait: «On ne peut réclamer l'introduction de l'assurance privée pour les soins hospitaliers et médicaux et exiger aussi l'abolition de la règle qui interdit aux médecins du Québec d'être rémunérés à la fois par les fonds publics et privés.» Dans...

n(18 heures)n

M. Chaoulli (Jacques): C'est une... Oui. Alors, c'était une analyse sommaire. La juge Deschamps, si vous continuez de lire le motif, vous allez voir qu'elle a qualifié son motif d'«appréciation», «commentaire sommaire».

Ce que j'ai dit, moi, à la Cour suprême, j'ai dit qu'il y a des médecins non participants qui ne peuvent pas vendre des services de santé parce qu'il y a l'obstacle de l'assurance privée. Mais il est clair ? et je n'avais pas besoin de le plaider, parce que c'est clair dans la loi ? l'article 1c et 1d de la Loi sur l'assurance maladie n'imposent pas l'exclusivité. Un médecin du régime public, en vertu du droit actuel, de la loi, a le droit de faire, par exemple, quatre jours en secteur public et un jour à financement privé. Ce n'est pas interdit par la Loi sur l'assurance maladie aujourd'hui. Ce que la loi interdit ? c'est l'article 22 qui l'interdit ? c'est un patient qui vient, pour un mal de gorge, voir un médecin public, de se faire facturer la régie avec la «castonguette» et de payer 5 $ de plus dans la poche du médecin ? la surfacturation. Ça, c'est interdit par la Loi sur l'assurance maladie aujourd'hui.

Mais, si le gouvernement veut ajouter une restriction supplémentaire en imposant l'exclusivité, ce sera une disposition législative nouvelle qui va venir encore restreindre l'accès à l'assurance privée et qui sera, je vous le soumets respectueusement, M. le ministre, très vulnérable sur le plan constitutionnel.

M. Charbonneau: Écoutez, je vais vous dire une chose. Moi, je suis prêt à prendre le pari puis le risque que les choix de l'Assemblée nationale soient à nouveau contestés. Mais en bout de piste, je vais vous le dire comme législateur, là, puis comme mandataire des citoyens et des citoyennes, j'ai été élu et j'ai une responsabilité comme élu politique, et ce n'est pas la même responsabilité qu'un juge, non élu, fût-il un juge de la Cour suprême.

Et encore une fois la question en bout de piste, c'est: l'appréciation de l'équité. Vous, vous dites... Et c'est ça qui à mon avis, je veux dire, est le fond du débat, c'est que vous prétendez que votre fille, par exemple, dont vous parliez tantôt, vous, vous avez les moyens de faire en sorte de lui prendre une assurance privée à 14 ans pour que... pour toutes sortes de problèmes de santé, elle puisse passer avant les autres. Moi, je vous dis: Je peux très bien comprendre éventuellement la réaction du père qui ne voudrait pas que sa fille souffre, puis qui a les moyens, puis qui dit: Je vais éviter ça. Je pourrais même comprendre ma propre réaction devant ma propre souffrance puis qui voudrais passer avant les autres, tu sais. Je...

Mais la réalité, c'est que c'est un peu comme dans le domaine de la justice. S'il fallait qu'on laisse les citoyens se faire justice eux-mêmes, ce serait les règlements de comptes. Pourquoi il y a un système de justice? Parce qu'on... On dit qu'à un moment donné il faut que l'appréciation se fasse par un tiers parce qu'on est trop poigné dans ça.

Et ce n'est pas... Ce n'est pas vrai qu'il ne peut pas y avoir... il ne doit pas y avoir des critères qui doivent mesurer finalement le niveau d'intervention puis quand. Il n'y a rien de parfait. Mais...

M. Chaoulli (Jacques): M. le député de Borduas, vous dites que ma fille passerait avant les autres. Excusez-moi, mais ce n'est pas le cas. C'est inexact, ce que vous... ce que vous dites.

Ma fille ne passerait pas avant les autres; ma fille aurait un soin rapidement, plus rapidement que ce qui serait offert en régime public, mais sans nuire à personne dans le régime public. Donc, ça ne rallongerait pas l'accès dans le régime public.

M. Charbonneau: Oui, mais, Dr Chaoulli, il n'y a pas... il n'y a pas surplus de médecins au Québec. La réalité, c'est que, si le médecin qui opérait votre fille, dans trois ans ou dans cinq ans, pour un... je ne sais pas quel problème qu'elle pourrait avoir, là, mais, pendant qu'il ferait ça, là, il ne serait pas à l'hôpital public ou dans une clinique affiliée, contractuellement lié par un hôpital pour faire une opération. Et dans le fond c'est ça, la médecine à deux vitesses. C'est exactement ça.

M. Chaoulli (Jacques): Excusez-moi, je n'ai pas bien compris ce que vous vouliez dire, là.

M. Charbonneau: Bien, ce que je dis, c'est que finalement, si vous faisiez ça, là, bien la ressource, le médecin qui opérerait votre fille, bien pendant ce temps-là il n'opérerait pas dans le public, il n'opérerait pas dans un hôpital puis il n'opérerait pas dans une clinique.

M. Chaoulli (Jacques): Mais c'est...

M. Charbonneau: C'est ça, la médecine à deux vitesses, dans un contexte où il n'en pleut pas, des médecins.

M. Chaoulli (Jacques): Mais la médecine à deux vitesses, M. le député de Borduas, elle a toujours existé. Ce n'est pas la question. La question n'est pas une question de médecine à deux vitesses. La question, c'est que l'accès à un financement privé ne se fasse pas en nuisant au régime public. C'est ça, la question.

Et le jugement de la Cour suprême a démontré que l'ouverture des assurances privées duplicatives ne nuirait pas au régime public. Ça a été démontré à la Cour suprême. Alors, vous pouvez bien prétendre le contraire, mais vous allez à l'encontre du jugement.

M. Charbonneau: Bien, il y a d'autres démonstrations... Il y a d'autres démonstrations qui ont été faites ailleurs, mais en tout cas.

M. Chaoulli (Jacques): Maintenant...

Le Président (M. Copeman): Et, moi, je fais... Moi, je suis donc obligé, messieurs, de couper court à cet échange. Nous avons déjà passé, dépassé le temps.

Je remercie le Dr Chaoulli pour sa participation à cette commission parlementaire. J'invite immédiatement M. Paul Clifford Blais à prendre place à la table afin de terminer notre journée.

Alors, dans un premier temps, chers collègues, je présume, il y a consentement afin de dépasser l'heure prévue. Consentement pour dépasser 18 heures?

Une voix: ...

Le Président (M. Copeman): C'est ça que j'avais compris.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Copeman): Je souhaite la bienvenue à Dr Blais. Bonjour.

M. Blais (Paul Clifford): Bonjour.

Le Président (M. Copeman): Vous avez 10 minutes pour votre présentation, et ce sera suivi par un échange d'une durée maximale de 10 minutes avec les parlementaires des deux côtés de la table. La parole est à vous, Dr Blais.

M. Paul Clifford Blais

M. Blais (Paul Clifford): Merci. Alors, je sais qu'il est tard puis que je passe le dernier, alors je vais essayer d'être comme du dessert.

Bonjour, M. Couillard. Tel que vous me l'avez proposé, je vous transmets ce mémoire en réponse à votre projet de garantir l'accès aux soins de santé au Québec, dans le contexte d'un changement à notre loi-cadre du Québec en réponse au jugement de la Cour suprême du Canada, qu'il est convenu d'appeler l'arrêt Chaoulli, statué au mois de juin 2005.

Notre premier ministre, le très honorable Jean Charest, a écrit dans son message introductif que le travail doit se poursuivre, en citant le rapport Ménard, sur le financement à long terme de notre système de santé, le rapport Perreault, en insistant sur l'importance de la prévention. J'aimerais ici rappeler le rapport Clair, où la notion de partenariat public-privé fut introduite dans le débat, ainsi que le rapport de la commission Rochon, où, en 1985, il faisait état que notre système de santé, au Québec, était pris en otage. Oui, 20 ans plus tard, c'est ma perception que notre système de santé, au Québec, est encore pris en otage par certains groupes de pression. Car, si l'évidence clinique est ce qui est enseigné aux médecins de famille à l'université, ce n'est pas toujours cette évidence qui motive la pratique d'un médecin.

Votre projet parle de garantir l'accès quand environ 25 % de la population du Québec n'a pas de médecin de famille, et qu'il n'est pas rare que je reçoive à mon cabinet de nouveaux patients qui n'ont pas été pris en charge depuis deux et même quatre ans, et qu'à ma première lecture de votre document de travail je comprends que vous n'encouragez que de poursuivre la création de groupes de médecins de famille, GMF, et de cliniques-réseaux et des campagnes de sensibilisation de la population pour répondre à cette demande.

Mais où est l'évidence clinique que des campagnes de sensibilisation ont diminué la morbidité sur l'obésité, le diabète, les maladies cardiaques ou autres troubles chroniques de la santé? Où est l'évidence clinique qu'une clinique-réseau ou un GMF a diminué la morbidité mieux qu'un bon médecin de famille qui prend le temps d'écouter et de régler les problèmes du patient, et ce, de façon concomitante? Où est la démonstration clinique que 10 médecins attachés à un GMF ou à une clinique-réseau prendront mieux en main la prévention et le traitement à long terme de gens à multiples pathologies qui se présentent de façon concomitante, par rapport à un médecin généraliste qui prend le temps de le faire? Et que répondre aux patients qui préfèrent raconter leur histoire médicale plutôt à un professionnel qui gère le tout qu'à 10 différents professionnels qui ne prendront pas toujours le temps de considérer le tout dans son ensemble mais constamment référer les questions à des collègues.

Les cliniques-réseaux devront répondre aux urgences, mais on ne les oblige plus à prendre en charge les clientèles orphelines. Bien que les cliniques-réseaux répondent à un besoin de consommation qui favorise l'industrie pharmaceutique, où est l'évidence clinique que celle-ci diminue la morbidité des maladies chroniques ou l'occurrence de cancers, l'obésité, le diabète, les maladies cardiaques ou améliore de façon efficiente le travail ou la prévention de maladies mentales? L'image de la porte tournante est plutôt l'image qui me vient à l'esprit quand je constate les faits.

Je crois que l'industrie de la pharmaceutique encourage cette forme de médecine aux portes tournantes, cela augmente son chiffre d'affaires, cela lui permet de conquérir le marché américain, d'absorber des compagnies pharmaceutiques compétitrices pour une plus grande part du marché local, national ou mondial. Mais où est l'intérêt envers le patient qui commande à ce qu'on s'attarde à l'aider à régler ses problèmes de santé, qui augmentent de façon concomitante avec l'âge? Quant à moi, cette façon de faire est encore une façon de prendre un patient en otage, car quelle alternative se présente-t-il à celui ou celle-ci?

Dans votre projet, je ne vois pas de solution alternative avancée pour améliorer l'accès ou garantir l'accès à la prise en charge par un médecin de famille. De plus, notre président, le Dr Renald Dutil, de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, qui a le monopole de négocier les tarifs monétaires de la rémunération des médecins généralistes au Québec, dénie qu'un médecin généraliste puisse facturer à l'assurance maladie du Québec plus d'un examen lors de la même visite d'un patient à son cabinet, même si celui-ci devra traiter plusieurs maladies, et ce, de façon concomitante, durant l'heure et demie que le patient sera à son cabinet, si le patient sera traité de façon efficiente pour les troubles qu'il présente de façon concomitante quand il se présente au cabinet du médecin généraliste.

J'assiste à des congrès médicaux où des jeunes médecins de famille refusent de s'installer en cabinet à l'extérieur des hôpitaux, CLSC ou cliniques sans rendez-vous car la prise en charge des patients est rendue telle que ce n'est pas rentable financièrement pour le jeune médecin. Il ne faut pas avoir peur de dire où le problème se situe. J'assiste à d'autres séminaires donnés par des spécialistes à des omnipraticiens, et, quand un spécialiste décrit ce qu'un omnipraticien devrait faire dans le dépistage ou le traitement de certaines maladies, souvent l'on entend la remarque que nous n'avons qu'environ 15 minutes à donner au patient et qu'on ne peut pas faire tout ce qui est suggéré, faute de temps, car le patient n'a pas qu'une seule pathologie, quand il se présente au cabinet pour le suivi de la prise en charge. Ce n'est pas payant de faire de la médecine de façon compréhensive au Québec.

n(18 h 10)n

Pourtant, sans changer aucune loi, l'entente entre la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec et la Régie de l'assurance maladie du Québec prévoit déjà, et je cite, à l'article 2.2 du préambule, que cette entente... «que les honoraires fixés par les examens tiennent compte du temps consacré par le médecin et des caractéristiques du service rendu au patient».

De plus, l'article 2.2.1 du même préambule stipule qu'un examen ordinaire comprend le questionnaire et l'examen nécessaire au diagnostic et au traitement d'une affection mineure, à l'appréciation d'un traitement en cours, à l'observation de l'évolution d'une maladie et la consignation des données significatives et que le médecin juge pertinentes.

De plus, l'article 2.2.2 du même préambule stipule qu'un examen complet comporte les éléments suivants: le questionnaire portant sur la raison médicale du recours au médecin; les antécédents de la maladie actuelle et de son évolution; le fonctionnement d'un ou des ensembles ou systèmes reliés à la raison médicale du recours au médecin. Parmi les suivants: l'examen clinique d'une ou des régions reliées à la raison médicale du recours au médecin, parmi les suivants... Cet examen comprend au moins l'examen du cou, du thorax et de l'abdomen; les recommandations au patient; la consignation au dossier des données significatives que le médecin juge pertinentes.

Enfin, l'article 2.2.3 décrit l'examen complet majeur que le régime ne paie qu'une seule fois en 365 jours aux médecins en cabinet hors les hôpitaux et qui stipule qu'il doit être en moyenne d'une durée de 45 minutes, stipule encore une fois qu'il comporte les éléments dont, entre autres, le questionnaire sur la raison médicale du recours au médecin.

Donc, à ma compréhension de l'entente existante, si les raisons médicales qu'un patient présente de façon concomitante lors de la visite médicale à un cabinet de médecin hors milieu hospitalier et de CLSC sont prévues à cette entente d'être facturées à la Régie de l'assurance maladie, et ce, lors de la même visite à ce cabinet par le même médecin, la Fédération des omnipraticiens du Québec prend la population en otage en déniant encourager cette façon de facturer des médecins généralistes ou des médecins de famille. Encore récemment, ce 30 novembre 2006, lors de notre réunion annuelle de notre Association des médecins omnipraticiens de Montréal, et ce, même s'il fut rappelé que son propre contentieux, en 2002, trouvait cette façon de facturer légitime auprès de la régie mais refusait de l'annoncer à grande échelle de crainte d'abus de la part des médecins omnipraticiens...

Mais n'y a-t-il pas abus dans l'autre sens en n'encourageant qu'une rémunération efficiente qu'aux médecins omnipraticiens dans les cliniques-réseaux, cliniques sans rendez-vous, sans plafond de rémunération aux médecins en tel cabinet dit privé mais où le médecin reçoit 98 % de sa rémunération par la Régie de l'assurance maladie du Québec et où celui-ci peut facturer facilement des honoraires de plus de 250 $ de l'heure? Et l'on s'étonnera qu'il est difficile de recruter des médecins qui prennent en charge des patients aux multiples pathologies en cabinet dit privé!

Une simple campagne d'information auprès de la population et des médecins concernés sur leurs droits déjà existants dans l'entente-cadre entre les omnipraticiens du Québec et la Régie de l'assurance maladie ne demanderait pas un grand changement à nos lois-cadres déjà existantes, et ce, sans faire appel à l'assurance privée. Mais, si telle démarche ne suffit pas à garantir l'accès à un médecin généraliste ou de famille qui prendra en charge les patients qui le consulteront, alors le gouvernement, s'il veut répondre à l'arrêt Chaoulli, devra permettre que les gens qui le désirent puissent s'acheter une assurance privée qui couvrira les services de la médecine générale, chose que votre document sur la garantie de l'accès ne préconise pas.

Enfin, en terminant, j'aimerais vous rappeler que le principe de l'étanchéité, que vous préconisez dans votre document, tuera dans l'oeuf l'impact que notre système privé pourrait avoir en complémentarité à notre système public. Car, vous le savez très bien, ce n'est pas la centaine de médecins déjà désengagés ou désaffiliés qui viendra apporter une aide significative dans l'amélioration de la santé de notre population au Québec. Alors, pourquoi ne pas permettre à tous de pouvoir participer à deux systèmes et d'alors d'enrichir ces deux des avantages que les deux cultures d'entreprise apporteront de différent à chacun? Il ne suffira que de mettre des balises à la rémunération des systèmes privés pour éviter la crainte que le système privé ne vide le système public de ses médecins.

La Régie de l'assurance maladie a réussi à monopoliser les champs de pratique des médecins par des plans d'effectifs médicaux régionaux et en mettant des activités médicales particulières obligatoires à tous les médecins. Le gouvernement, en mettant un cadre efficient à la complémentarité des activités des médecins dans un système mixte privé et public, pourra arriver à maintenir une cohésion dans la production de la prestation de soins médicaux au Québec. Par exemple en mettant un plafond à la rémunération qu'un médecin généraliste ou spécialiste pourrait tirer des revenus privés et publics. Exemple: 20 % de sa rémunération de source privée déclarée au ministère du Revenu lors de sa déclaration d'impôt annuelle ne devra pas dépasser ses revenus professionnels de la somme des revenus professionnels dits publics, tels provenant d'assurance maladie du Québec, d'hôpitaux publics, de CLSC, de CSST, SAAQ ou autres qu'elle pourra déterminer, à défaut de quoi il se verrait donner une cotisation égale à tous les revenus annuels qu'il aurait pu obtenir du système dit public et rembourser telle cotisation au ministère du Revenu.

Cet incitatif à partager sa pratique en milieu privé et public aura son effet de répartir la tarte de la capacité de payer que le Québec pourra. Je ne connais pas de chirurgien qui opère cinq jours par semaine dans nos hôpitaux, et un temps complet en CLSC est déterminé à 37,5 heures par semaine. Il y a de la place pour rendre plus productifs nos médecins québécois. Ils le feront si on leur en donne les bons moyens.

Merci de votre attention.

Le Président (M. Copeman): Merci, Dr Blais. M. le ministre de la Santé et des Services sociaux.

M. Couillard: Merci, M. le Président. Merci, Dr Blais, pour votre présentation. Évidemment, on a votre mémoire. Il y a juste quelques points que je voudrais clarifier pour qu'on comprenne bien la nature de vos recommandations. Vous ne pensez pas vraiment que les GMF, les cliniques-réseaux sont encouragés ou... par l'industrie pharmaceutique. Je n'ai pas compris le lien que vous faites entre la pratique en GMF, en clinique-réseau et l'industrie pharmaceutique

M. Blais (Paul Clifford): Bon, c'est parce que, de l'expérience que j'ai, il y a des GMF qui sont organisés où est-ce qu'il y a déjà une grosse, disons, industrie pharmaceutique qui est installée là, pour ne pas les nommer, et ça favorise beaucoup... les cliniques sans rendez-vous favorisent beaucoup, bon, une prescription par patient, ou des fois deux, et ça favorise le nombre. J'ai personnellement vécu, chez moi, dans mon édifice professionnel, le départ d'une clinique sans rendez-vous, et le pharmacien m'a envoyé une taloche d'une poursuite de 180 000 $ parce qu'il avait moins de prescriptions.

Alors, vous comprenez que l'industrie pharmaceutique apprécie le nombre de prescriptions, et je pense qu'en tant que médecins, nous, on a à décider si le patient, en sortant, c'est d'une prescription de médicament dont il a besoin ou autre chose. Et la prise en charge fait prendre le temps justement aux médecins à faire de la prévention, qui bien souvent n'est pas une prescription de médicament, là.

M. Couillard: Mais là on mélange deux choses, là. Vous parlez des cliniques sans rendez-vous, GMF puis la clinique-réseau, c'est basé sur la prise en charge, donc ça devrait plutôt aller contre cette pression, là, de...

M. Blais (Paul Clifford): Bon, regardez les cliniques-réseaux. Au départ, elles devaient prendre en charge les patients orphelins; ils ont laissé tomber ça en ce moment. Au départ, il devait y avoir... là on permet... je crois, 50 % des heures devront être du suivi et 50 % devra être le sans rendez-vous.

Ce qui finance en ce moment les cliniques, c'est le sans rendez-vous. Regardez le nombre d'heures que les médecins offrent à leurs patients en suivi et vous allez voir que parfois, en nombre d'heures, ils vont pouvoir faire plus d'heures au sans rendez-vous pour compenser pour les heures qu'ils font en rendez-vous, parce que ce n'est pas payant, faire de la médecine compréhensive.

M. Couillard: Mais il faut parler plus largement. On a tendance, les médecins ? puis je dis «on», puis... mais je suis un peu à l'écart de ça ? à toujours revenir à des questions financières, économiques. Parce que dans votre communiqué il est beaucoup question de tarifs puis de combien on est payés pour ci et pour ça, et il faut aller plus loin que ça, non? On ne peut pas parler de la façon plus large dont on voit la médecine, comment on pense qu'elle devrait s'organiser?

M. Blais (Paul Clifford): Oui, je suis d'accord avec vous, Dr Couillard, mais le «bread-and-butter», quand j'ai des jeunes qui veulent venir travailler chez moi et qui me demandent, en clinique: Avez-vous une clinique sans rendez-vous?, je dis non... Docteur, je pourrais offrir des bureaux à des jeunes médecins qui veulent faire du suivi... on a plein de patients qui veulent être suivis, on ne sait pas à qui les donner, on a seulement trois docteurs qui font du suivi; les médecins me disent tous: Non, si tu n'as pas de sans rendez-vous, je ne suis pas intéressé à venir.

Alors, il faut être pratico-pratique. Les médecins préfèrent faire 250 $ de l'heure au sans rendez-vous que n'en faire peut-être 70 $ de l'heure si on fait de la prise en charge.

M. Couillard: Personnellement, je trouve qu'une vie basée sur ces considérations est une vie bien triste.

M. Blais (Paul Clifford): Mais il faut être pratico-pratique et regarder ce qui se passe dans la réalité.

M. Couillard: Mais donc vous devez être d'accord avec nos priorités de la négociation avec votre fédération actuellement, qui est justement de trouver des mécanismes pour renforcer la prise en charge puis le suivi des...

M. Blais (Paul Clifford): Je fais appel à la commission. Écoutez, si l'entente permet qu'un médecin et que... Dans le suivi de la lettre, vous verrez, là, j'ai pris des exemples concrets, là, dans ma pratique. Écoutez, un patient qui arrive à mon bureau: MPOC décompensé, diabète décompensé, à 20, il fait une infection, il fume, je prends le temps... le patient, il dit: Je ne veux pas aller à l'hôpital; je prends le temps de lui traiter, prendre son «peak flow», le mettre sur la cortisone, lui montrer... excusez, là, une échelle variable de... comment se piquer à l'insuline, je prends 45 minutes avec, et je demande à mon président: Je peux-tu charger deux examens? J'ai traité la MPOC puis le diabète, il me dit: Non. Il y a un problème!

Or, quand Dr Rochon disait, en 1985, que le système de santé est pris en otage par des groupes de pression, j'ai l'impression que c'est la même chose en 2005.

M. Couillard: Mais vous ne pensez pas... Parce qu'il me semble que là il y a un problème de double logique, c'est-à-dire que beaucoup de gens s'entendent pour dire que le système à l'acte n'est pas compatible probablement avec la prise en charge des gens qui ont des pathologies multiples, des pathologies complexes, puis ce que vous nous recommandez, c'est de décupler le système à l'acte pour répondre à ces situations-là?

M. Blais (Paul Clifford): Non. Non. Regardez, regardez mon exemple. Si vous permettez ? et c'est ce que je fais depuis quatre ans déjà; si vous permettez ? au médecin de famille au bureau qui fait de la prise en charge, qui passe une heure et demie avec son patient, O.K., alors il charge, disons, un examen complet pour, je ne sais pas, moi, l'hypertension, mais il traite en même temps l'ostéoporose, il charge un examen ordinaire, il traite en même temps l'hypothyroïdie, un autre examen ordinaire, il fait en même temps un examen, parce que le patient est déprimé, un examen psychiatrique, il fait en même temps une psychothérapie, si on laisse le médecin de famille charger toutes ces petites choses là de façon concomitante, bien, écoutez, ça devient rentable de pouvoir, et c'est ce que je fais... Ça devient rentable, faire de la prise en charge.

M. Couillard: Moi, je trouve ça épouvantable, être obligé de faire tout ça. Pourquoi on ne fait pas tout simplement un tarif global pour la prise en charge de patients complexes?

n(18 h 20)n

M. Blais (Paul Clifford): O.K. Alors, les forfaits, là, vous savez que, quand on paie quelqu'un le même prix s'il est très productif ou il n'est pas productif, je ne pense pas que ça va encourager la productivité. Alors, tout est dans une question de tarifs.

Je suis d'accord avec vous, là, si on met très haut le tarif d'un examen ordinaire, on va retomber dans le même problème, les gens vont faire traiter deux, trois petites maladies puis auront fait leur argent. Alors, il y a une question d'équilibre. Mais il y a un certain avantage à générer de la productivité. Et c'est ça, le travail d'un généraliste, Dr Couillard, vous qui êtes spécialiste. La beauté d'un travail d'un généraliste, c'est de traiter en même temps l'hyperthyroïdie, la maladie cardiaque, le cancer, le trouble psychiatrique, parce que les patients, aujourd'hui, quand ils ont âge X, ils arrivent avec tous ces problèmes de façon concomitante.

M. Couillard: Il y a également... Puis on parle de la beauté de la médecine, le fait d'avoir la chance, au Québec, d'avoir fait des études de médecine, d'être largement subventionnés par la population, d'ailleurs, d'avoir accès à une profession qui nous place au cinquième percentile des revenus de la population... D'après moi, il y a des récompenses à la pratique de la médecine, et il ne faut pas toujours essayer de monnayer ça à la pièce, là.

M. Blais (Paul Clifford): Non, non, non. Justement, Dr Couillard, tout ce que je veux essayer de dire, là, c'est que, sans changer aucune loi, de dire aux médecins généralistes que: vous pouvez prendre le temps, une heure et demie, si vous voulez, pour traiter vos patients, avec une grille tarifaire comme ça, je pense que ça pourrait peut-être... Parce que, vous savez, moi, j'ai des jeunes qui ont quitté le pays, qui ont dit: Dr Blais, si jamais ça, ça devient publicisé, rappelle-moi, et je reviendrai travailler dans le pays. Parce qu'il y a certains généralistes qui, de la façon de... Écoutez, quand on se fait dire: Il faut que tu restes juste cinq minutes avec un patient à l'urgence, sinon ça ne marche pas. Et, même dans des CLSC, quand les gens se font dire: Ça va être seulement neuf minutes, maintenant, avec un patient, sinon ça ne marche pas... Je vais vous dire une chose, Dr Couillard: Moi, j'ai ma licence pour pratiquer en Californie depuis 1985, et je suis encore ici, et je suis resté ici parce qu'en tant que généraliste je pouvais faire plus ici, au Québec, que si j'avais été aux États-Unis.

Le Président (M. Copeman): M. le député de Borduas et porte-parole de l'opposition officielle en matière de santé.

M. Charbonneau: Bien, dans le fond, ce que vous dites, c'est qu'il faudrait revoir la rémunération en regard de la prise en charge pour les médecins généralistes, parce que, si on veut faire... encourager une prise en charge plus signifiante, il faut que les médecins prennent plus de temps, et ce n'est pas payant actuellement quand ils le font. Ils préfèrent faire du sans rendez-vous, puis d'ajouter des actes, et puis de charger, et puis d'encaisser. Bon. Je comprends ça puis je pense qu'effectivement il y a un problème là qui va devoir être pris en considération. Le ministre dit: Bon, bien, on essaie de négocier actuellement avec la fédération justement pour les prises en charge. Je sais que c'est pour la prise en charge des clientèles vulnérables, mais la réponse qu'on m'a faite chez plusieurs médecins, c'est qu'il n'y a pas juste les clientèles dites vulnérables, il y a tout le monde.

M. Blais (Paul Clifford): ...avec les exemples que vous aurez dans les pages qui continuent, les exemples que je donne, ce n'est patients vulnérables, c'est le «bread-and-butter» de tous les jours. Parce que le «bread-and-butter» de tous les jours, pour quelqu'un qui a, mettons, 65 ans, pour ne pas tomber dans la classe de gens vulnérables, écoutez, il y a le dépistage, tu sais, du cancer de la prostate, dépistage du cancer du sein, dépistage du cancer du côlon; on essaie de faire arrêter les gens de fumer. C'est toutes des choses en même temps, ça, qu'on fait, là, en pratique générale. Et mon point, c'est que, si mon président de fédération dit que je n'ai pas le droit de charger deux examens en cabinet privé quand l'entente le permet, il y a un problème!

M. Charbonneau: O.K.

M. Blais (Paul Clifford): Si ce n'est pas ma fédération qui peut régler le problème, est-ce que le gouvernement peut le régler?

M. Charbonneau: Est-ce que vous acceptez le fait que, pour faire ça, dans le fond il va falloir qu'on mette plus d'argent dans le système? Autrement dit, il va falloir que...

M. Blais (Paul Clifford): Mais non! On a déjà des plafonds, les généralistes. Alors, on va...

M. Charbonneau: Vous dites: La fédération..

M. Blais (Paul Clifford): Tu sais, travailler, comme je fais, à 125 $ de l'heure, contrairement à 250 $ de l'heure, j'atteins moins vite les plafonds que si je fais du sans rendez-vous. Alors, vous n'avez pas besoin de craindre, il y a déjà des plafonds.

M. Charbonneau: O.K. Mais, si vous les enlevez, les plafonds, ça va... De toute façon, la conséquence...

M. Blais (Paul Clifford): À 125 $ de l'heure, on va atteindre moins vite le 250 000 $ qu'à 250 $ de l'heure.

M. Charbonneau: Oui. Mais, en bout de piste, si on veut faire une prise en charge plus globale, et puis il y a 500 000 Québécois qui n'ont pas de médecin de famille, qui sont poignés pour aller dans les cliniques sans rendez-vous...

M. Blais (Paul Clifford): C'est ça. Alors, ça nous prend plus de médecins de famille. Il faut former plus de médecins de famille. O.K.?

M. Charbonneau: Oui. Mais, c'est aussi des ressources additionnelles.

M. Blais (Paul Clifford): Oui.

M. Charbonneau: La fédération... votre fédération nous disait ? quand est-ce? ? ce matin, qu'il faudrait qu'ils soient plus équipées, qu'ils soient plus soutenus, qu'ils aient plus d'infirmières à leur disposition pour pouvoir...

M. Blais (Paul Clifford): Écoutez, moi, j'ai seulement une secrétaire qui a un secondaire V, et j'en vaccine 300, patients par année. Vous savez, il y a bien des choses qu'on peut faire comme généraliste, il s'agit juste de prendre le temps de le faire. Vous savez, prendre un téléphone... Vous savez, j'ai entendu tantôt, là, des gens qui meurent en attente. Bon Dieu! Je n'ai jamais eu un patient, moi, de cancer qui est mort en attente. Je prends le téléphone puis j'appelle le chirurgien oncologique à Notre-Dame ou à l'Hôtel-Dieu puis je lui dis: Mon patient... puis il est vu la semaine d'après. Il y a des choses bien simples qui n'ont pas besoin d'une infirmière puis qui se font. Moi, je parle, il y a moyen de faire une médecine efficiente, il s'agit juste d'informer les médecins qu'ils peuvent le faire. Quand ma fédération dit: Non, tu ne peux pas le faire, il y a un problème.

M. Charbonneau: Là, moi, ce que je trouve un peu incroyable, c'est que finalement, si c'est vrai, ce que vous dites, pourquoi tant de médecins ne font pas des représentations auprès de la fédération? Je ne suis pas sûr que l'interprétation que vous faites...

M. Blais (Paul Clifford): Parce qu'il y a une chose qui s'appelle... je vais vous répondre, maître... M. Charbonneau...

M. Charbonneau: Je ne suis pas avocat, non.

M. Blais (Paul Clifford): Je vais vous répondre, très simple: il y a une chose qui s'appelle les profils de pratique, et la crainte des médecins, c'est d'être un médecin aberrant. Vous savez, en langage statistique, quelqu'un est aberrant quand il est 10 déviations standard de la moyenne. Ma pratique, elle est 10 déviations standard par rapport à la moyenne. Quand vous prenez une heure et demie de temps pour traiter vos patients... il n'y en a pas gros au Québec qui prennent le temps de faire ça. Moi, ce que je dis, c'est que j'aimerais ça ne pas être tout seul, au Québec, et ce que je fais, d'autres peuvent le faire. Il s'agit juste de dire que c'est permis par la loi de le faire, et à ce moment-là la crainte d'être hors profil va diminuer.

M. Charbonneau: En tout cas, je peux vous dire que le mien fait ça aussi.

M. Blais (Paul Clifford): Parfait.

M. Charbonneau: Je ne sais pas s'il fait beaucoup d'argent, mais en tout cas il fait ça.

M. Blais (Paul Clifford): Il en fait moins que d'autres.

M. Charbonneau: Parce qu'il y avait cette dimension-là dans votre mémoire. Puis la deuxième, c'est que vous dites que dans le fond on devrait lever l'étanchéité. J'ai de la difficulté à comprendre pourquoi, si on levait l'étanchéité, on aurait une plus-value dans notre système, puis que finalement tout à coup, là, la problématique d'attente ou de financement serait peut-être pas résolue complètement, mais qu'il y aurait un effet bénéfique, là.

M. Blais (Paul Clifford): Je reprends votre exemple de tantôt que vous a donné le Dr Chaoulli. Vous savez, ce que vous oubliez de dire dans votre prémisse, c'est que le médecin, dans le système public, est déjà toppé, il n'a pas plus de temps opératoire. Alors, si l'industrie privée permet d'avoir des temps opératoires de plus, c'est quoi, le problème? Vous savez, même, je disais à des gens, là, même des jumeaux ne sortent pas en même temps de l'utérus d'une dame, ils sortent un après l'autre. C'est quoi, le problème, quand un patient, disons, qui serait traité dans, mettons, une clinique privée a, disons, sa chirurgie de hanche en dedans d'un mois, et, parce que maintenant on pourvoit plus de services, bien celui du service public, maintenant, au lieu d'attendre deux ans, va l'avoir en six mois?

Vous savez, c'est ça qu'il faut que la population se dise. Est-ce que, parce que quelqu'un aura sa hanche dans un mois, ça va être mal que moi je l'aie dans six mois? Je vais l'avoir quand même cinq mois après. Mais, écoutez, sans augmenter la productivité des médecins, il y en a qui attendent deux ans.

M. Charbonneau: Oui. Mais pourquoi ? écoutez, je termine avec ça parce que je sais qu'on est conscrits par le temps, là; mais pourquoi ? fonder un système sur finalement l'iniquité? Parce que c'est ça, là, ce que vous dites, c'est que vous faites un plaidoyer en disant: Comme il n'y a personne de pareil, de toute façon, ce n'est pas trop grave s'il y en a qui passent avant, ça va aider les autres, même s'ils ne sont pas opérés aussi vite que celui qui a les moyens, ça va être mieux que ce qu'ils peuvent attendre actuellement. Mais dans les faits, parce que...

M. Blais (Paul Clifford): C'est ça. Si, médicalement parlant, il n'y a pas de problème... Vous savez, je suis entièrement d'accord avec vous qu'on ne doit pas se baser sur l'appréciation du patient à savoir si quelque chose médicalement était bon ou pas; on a des évidences cliniques qui le disent, O.K.? Alors, je suis entièrement d'accord avec vous, il doit y avoir un juge, un arbitre quelque part. Mais, vous savez, la crainte des gens: L'autre va passer avant moi, l'autre va passer avant moi, vous savez, si les deux vitesses sont plus vites que la seule vitesse qu'on a en ce moment, moi, je pense que c'est une amélioration du système.

Et j'aimerais faire un point. Quand j'ai écrit le mémoire, au mois de février, je n'avais pas assisté à un colloque où Michel Clair a présenté différentes choses qui se font dans d'autres pays, dont la Suède, où le système de santé est très près au niveau communautaire, et une chose que j'aimerais peut-être qu'on pousse ici, au Québec, c'est les systèmes de coops de santé.

Vous savez, je disais, à l'assemblée générale de notre coopérative, il y a deux semaines: ce n'est pas tout le monde qui vont être assurables par les assureurs privés, même si les assureurs privés arrivent, mais tout le monde, par exemple, va peut-être être capable de mettre un petit 20 $ dans une coopérative de santé; puis, 20 $ fois 50 000 $, ça fait 1 million. Avec 1 million par année, on est capables d'en gérer, des cliniques. Alors, le système coopératif de santé en est une, prestation privée, qui pourra faire plus que le gouvernement.

M. Charbonneau: En tout cas, votre président de fédération en a parlé ce matin.

M. Blais (Paul Clifford): Parfait.

Le Président (M. Copeman): Dr Blais, je vous remercie pour votre participation à cette commission parlementaire. Et, sur ce, j'ajourne les travaux de la commission jusqu'à 9 h 30, demain matin, à la salle du Conseil législatif. Merci.

(Fin de la séance à 18 h 30)


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