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(Quatorze heures douze minutes)
La Présidente (Mme Marois): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Si les membres veulent bien prendre place, nous allons procéder
à nos travaux. Je souhaite la bienvenue à tout le monde. On va se
souhaiter que notre année soit fructueuse, comme membres de la
commission des affaires sociales. Je n'en doute pas parce qu'elle s'engage
particulièrement bien.
J'aimerais d'abord rappeler, bien sûr, le mandat de la commission.
Nous sommes réunis pour procéder à une consultation
générale et tenir des auditions publiques dans le cadre de
l'étude de l'avant-projet de loi, Loi sur les services de santé
et les services sociaux.
J'aimerais d'abord demander à la secrétaire s'il y a des
remplacements.
La Secrétaire: Oui. M. Atkinson
(Notre-Dame-de-Grâce) est remplacé par M. Holden (Westmount).
Organisation des travaux
La Présidente (Mme Marois): Bienvenue, M. le
député. Est-ce qu'il y a d'autres remplacements? Ça
va.
Nous allons nous entendre sur l'ordre du jour d'aujourd'hui. Il y aura,
d'une part, des allocutions d'ouverture. M. le ministre de la Santé et
des Services sociaux a droit à 30 minutes; le leader et porte-parole de
l'Opposition officielle prendra 30 minutes; et le député de
Westmount pourra prendre 15 minutes. C'est bien ce sur quoi on s'est entendu.
Par la suite, nous entendrons M. Claude Castonguay. Là encore, il y a un
temps qui est prévu pour les parties, je crois: une trentaine de minutes
d'intervention de la part de notre invité, 30 minutes du
côté gouvernemental et 30 minutes du côté de
l'Opposition, environ.
M. Chevrette: Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Marois): Oui, M. le
député.
M. Chevrette: Sur le temps de M. Castonguay, ce que je fais comme
suggestion, c'est qu'on finisse à 18 heures, mais qu'on ne soit pas
serrés quant au nombre de minutes pour qu'on puisse aller au fond,
vraiment, des questions fondamentales avec M. Castonguay qui est à
l'origine de cette réforme.
La Présidente (Mme Marois): Ça va? M.
Côté (Charlesbourg): Oui.
La Présidente (Mme Marois): Merci. Alors, on retient cette
remarque, M. le leader de l'Opposition. Avant qu'on engage nos travaux, c'est
la première journée, ce sont les remarques préliminaires,
ce sont donc les grandes orientations que l'on donnera quant à la
perspective que l'on souhaite retenir de part et d'autre dans les
débats. On entendra une personne qui a été à
l'origine du premier grand brassage qui s'est fait en matière de
santé et services sociaux.
J'aimerais peut-être rappeler aux membres de la commission - et ce
sera comme ça pendant tous les jours où nous siégerons; je
suis persuadée que le vice-président partage mon point de vue
à cet égard - qu'on sera très stricts quant au respect des
agendas et des temps prévus, du partage du temps de parole aussi. On
parle de 264 groupes qui seraient inscrits, peut-être 263, me dit la
secrétaire, mais enfin, c'est de cet ordre de grandeur. Ça veut
dire qu'à peu près tout ce qui intervient sur le territoire
québécois au plan institutionnel, les organismes, les personnes,
les collectivités, les institutions veulent être entendus et c'est
normal, mais je pense qu'il faudra le faire d'une façon un peu
disciplinée si on veut justement faire en sorte que chacun puisse
être entendu. Alors, c'est l'orientation que, dès le
départ, je voulais qu'on se signifie ensemble, de telle sorte qu'on
respectera les agendas que l'on se donnera.
Je vais maintenant, si vous le permettez, inviter M. le ministre de la
Santé et des Services sociaux à nous faire part de son point de
vue.
Remarques préliminaires M. Marc-Yvan
Côté
M. Côté (Charlesbourg): Merci, Mme la
Présidente. Nous avons le privilège aujourd'hui de vivre une
étape-charnière du système québécois de
santé et de services sociaux. L'avant-projet de loi soumis à
notre examen représente, en effet, la phase ultime d'une démarche
de consultation engagée maintenant depuis plus de quatre ans. Les
nombreuses consultations de la commission Rochon et celles qui ont
été menées par ma prédécesseure, Mme
Thérèse Lavoie-Roux, ont permis de dégager certains
principes fondamentaux qui doivent orienter les services à la
population.
À la base, deux constats se dégagent des points de vue
exprimés au sein de la collectivité
québécoise: premièrement, l'attachement à
certains acquis des vingt dernières années qui ont fait du
système québécois de santé et de services sociaux
un système remarquable sous plusieurs aspects; deuxièmement, la
nécessité d'adapter des structures et l'organisation des services
pour mieux répondre aux besoins de la population
québécoise. Dans cette perspective, le gouvernement a
proposé un grand nombre de moyens d'action qui ont été
regroupés dans le document "Pour améliorer la santé et le
bien-être au Québec", publié le printemps dernier. Ce
document proposait des orientations qui visaient deux objectifs distincts:
d'une part, apporter des solutions concrètes aux problèmes
immédiats du système de santé et de services sociaux et,
d'autre part, orienter le système pour faire face aux défis de
demain.
Avez-vous des copies du texte? Alors, donnez une copie...
La Présidente (Mme Marois): Oui, si c'était
possible de remettre une copie aux membres de la commission.
M. Côté (Charlesbourg): Ce serait plus facile, en
souhaitant le même traitement.
La Présidente (Mme Marois): Le même traitement de la
part du représentant de l'Opposition.
M. Côté (Charlesbourg): C'est dans la poursuite du
premier objectif, à savoir apporter des solutions concrètes aux
problèmes immédiats du système, que le document
d'orientation se distingue le plus du rapport de la commission Rochon.
La poursuite de ce premier objectif est fondamentale parce qu'il y a des
difficultés importantes auxquelles fait face actuellement le
réseau et pour lesquelles des solutions concrètes, à
court, à moyen et à long terme doivent être
trouvées. Mais il y a plus: La crédibilité des
orientations dépend autant de leur capacité à
préparer le système à faire face aux défis de
demain qu'à solutionner des problèmes immédiats auxquels
fait face le réseau de la santé et des services sociaux.
Pour l'essentiel, les acquis du système qui doivent être
protégés reposent sur ses propres caractéristiques
fondamentales, notamment en matière de financement public,
d'universalité, d'intégration des secteurs de la santé et
des services sociaux, d'implication et de participation de la population et,
enfin, un acquis non négligeable, vous en conviendrez, la
capacité relative du système à contrôler ses
coûts. Mais au-delà de ces acquis que nous devons protéger,
le système de santé et de services sociaux du Québec est
confronté à des difficultés que nous devrons
résoudre. Je me limiterai aujourd'hui à n'en évoquer que
quatre qui m'apparaisssent majeures et fondamentales.
Premièrement, H persiste des obstacles à
l'accessibilité aux services. Ces obstacles sont de plusieurs ordres.
Ils sont notamment d'ordre géographique. On a juste à se
référer à la mauvaise répartition territoriale des
ressources pour s'en convaincre. Ils sont aussi d'ordre culturel. Les
communautés culturelles et les populations autochtones rencontrent des
difficultés à recevoir des services qui leur sont accessibles et
acceptables en fonction de leur langue et de leur culture. Ces obstacles sont,
enfin, d'ordre organisatfonnel. Je fais ici allusion aux obstacles liés
aux listes d'attente en milieu hospitalier, en centre d'accueil ou à la
Protection de la jeunesse. Mais je fais également
référence aux difficultés que rencontre le réseau
à répondre aux besoins en émergence, tels le sida, la
violence conjugale ou encore à intégrer de nouveaux modes
d'intervention. On a juste à se rappeler les débats entourant la
désinstitu-tionnalisation, les sages-femmes et les médecines
douces pour s'en convaincre.
Deuxièmement, il existe un manque de
complémentarité et de concertation dans notre réseau, non
pas uniquement entre les différents types d'établissements, mais
aussi entre les établissements, les organismes communautaires et le
privé. Cela est dû certes, en partie, au fait que les
frontières entre les catégories d'établissements sont
imprécises ou qu'elles se juxtaposent. Mais cela peut être
également dû au fait que les intérêts professionnels
et organlsationnels l'emportent sur les besoins de la communauté: le
débat entre les CLSC et les polycliniques dans la dispensation des
services médicaux courants, entre les CSS et l'écart dans les
champs de la réinsertion et de la réadaptation ou entre les DSC
et les CRSSS sur l'Identification des besoins prioritaires.
Troisièmement, il faut reconnaître qu'il existe une
démotivation et une dévalorisation des ressources humaines de
notre réseau. Les conditions de travail peuvent être en cause,
mais il y a également la façon dont on gère nos ressources
humaines qui doit être interpellée ici.
Enfin, parmi les difficultés majeures, il m'apparaît que
même si le niveau de santé et de bien-être de la population
québécoise s'est amélioré au cours des
dernières décennies, des écarts persistent toujours entre
les différentes régions, les groupes socio-économiques et
les sexes, écarts qui sont aujourd'hui difficilement acceptables.
En plus de préserver les acquis et de s'adresser aux
difficultés, nous sommes forcés aussi de tenir compte des
tendances dans la société québécoise qui auront un
impact tant sur l'évolution des besoins que sur les façons
d'intervenir. Six tendances attirent notre attention.
Le vieillissement de la population constitue la tendance qui risque
d'influencer le plus
l'évolution du système de santé et de services
sociaux. En 1990, 10 % de la population du Québec est âgée
de 65 ans et plus. En l'an 2000, ce pourcentage atteindra 13,7 % pour
s'accroître ensuite à 16,7 % en l'an 2011 et s'acheminer
jusqu'à 27 % en l'an 2031. À titre d'exemple, mentionnons que le
coût des services est de 6,3 fols plus élevé pour une
personne âgée de 65 ans et plus que pour une personne de moins de
65 ans.
La deuxième tendance est le changement profond que subit la
structure familiale. Ce changement a de plus en plus d'impact sur la
capacité de la famille de supporter ses membres en besoin d'aide comme
elle le faisait auparavant. Ce changement social profond a aussi un impact sur
l'émergence et la complexité de problèmes reliés
aux enfants et à la jeunesse.
La troisième tendance est la montée des organismes
communautaires. Cette montée semble là pour rester. Le
système doit nécessairement considérer les organismes
communautaires à titre de partenaires jouant un rôle important et,
dans certains cas, essentiel. Mais ils seront des partenaires du réseau
dans la mesure où ils conserveront leur caractère
bénévole.
La quatrième tendance, quant à elle, consiste dans la
montée des communautés culturelles. Le Québec devient de
plus en plus multi ethnique. Il est donc fondamental, en conséquence,
que nos services de santé et nos services sociaux puissent s'ajuster
pour tenir compte de cette nouvelle réalité.
La cinquième tendance, c'est le développement des
identités régionales. Cette tendance à l'identité
dépasse maintenant le sentiment d'appartenance à un même
territoire. Elle ressemble de plus en plus à une volonté des
régions de chercher elles-mêmes des manières d'intervenir
qui reflètent davantage leurs besoins et leurs
particularités.
La sixième tendance, quant à elle, concerne le
désir et le souci de plus en plus évident de la population de
vivre dans un environnement sain, générateur de qualité de
vie. C'est donc en ayant à l'esprit les deux objectifs à
atteindre, c'est-à-dire apporter des solutions concrètes aux
problèmes immédiats du système et orienter ce
système pour faire face aux défis de l'avenir tout en conservant
aussi à l'esprit les trois fondements à respecter, à
savoir les acquis du système, les difficultés auxquelles il est
confronté et les tendances de la société
québécoise, que les orientations et les mesures ont
été proposées.
Le document "Pour améliorer la santé et le bien-être
au Québec" d'où découle I "avant-projet de loi qui fait
l'objet de notre examen proposait 8 orientations et plus de 240 mesures
spécifiques permettant de répondre aux objectifs
recherchés. Les premières mesures peuvent s'appliquer dans le
cadre légal actuel. C'est le cas par exemple des urgences
hospitalières, de certains services aux régions
éloignées, des services aux com- munautés ethniques et
j'en passe. Ces premières mesures nécessitent des ajustements au
système actuel pour répondre à des problèmes bien
circonscrits d'accessibilité à des services particuliers ou
encore de continuité des services.
Les secondes mesures proposées dans le document d'orientation
commandent une correction de trajectoire importante pour l'ensemble du
système de santé et des services sociaux. Elles visent à
modifier graduellement l'architecture, mais aussi et surtout la façon de
faire au sein du réseau de services. L'accent est ici placé sur
la décentralisation, sur une plus grande démocratisation du
système public et sur de nouveaux mécanismes de gestion et de
financement. Ce sont ces dernières mesures qui vont évidemment
modifier de façon substantielle la dynamique sous-jacente au
fonctionnement actuel de notre réseau, dynamique qui est elle-même
une source importante de difficultés.
Bien sûr, je n'entrerai pas dans le détail des orientations
et des mesures à prendre pour les atteindre. Nous aurons l'occasion de
le faire au cours des longs travaux de cette commission parlementaire.
Laissez-moi cependant vous synthétiser de façon un peu
caricaturale la perception que j'ai développée quant à la
dynamique même de notre réseau.
J'ai acquis la profonde conviction que le système est prisonnier
des innombrables groupes d'intérêts qui le composent: groupes de
producteurs et de professionnels, groupes d'établissements, groupes de
pression issus de la communauté, groupes de fabricants de produits
reliés à la santé, syndicats, etc. Tout semble se jouer
sur la base des rapports de force, des luttes de clocher, et des coups
d'éclat dans les médias. Tout se passe comme si la personne
à aider, la population à desservir, les besoins à
satisfaire, les problèmes à résoudre, bref, comme si le
bien commun avait été oublié au profit des
intérêts propres à ces divers groupes.
En fait, tous ces groupes sont des requérants. Et les demandes
qu'ils formulent ont plutôt comme objectif que comme conséquence
de développer le rôle, la place, le pouvoir, la mission ou les
services offerts par chacun de ces groupes.
On oublie souvent la raison d'être de ces services, de ces
missions et de ces rôles, soit la prévention et la guérison
des maladies, le support à la population et les problèmes
à résoudre. Dans le fond, le développement des moyens est
devenu une fin en soi avec les conséquences qu'une telle situation
entraîne: rivalités interprofessionnelles et
interétablissements, renforcement des chasses gardées,
omniprésence des luttes de pouvoir, absence quasi totale de
collaboration et de concertation.
La production de services est devenue le centre principal des
préoccupations du réseau au détriment des résultats
à atteindre. Elle est tellement au centre, que procurer des services
de
qualité accessibles et continus est devenu un objectif en soi. On
a presque perdu la finalité même de ces services, à savoir
de prévenir et de résoudre des problèmes de santé
et des problèmes sociaux.
Si l'on ne fixe pas d'objectifs précis de résultats
à atteindre, il n'y a pas de limite au développement des
services. C'est tellement vrai que si je demandais aux dirigeants et
professionnels des établissements c'est quoi l'objectif qu'ils
poursuivent, ils risqueraient de me répondre rapidement que c'est de
procurer de meilleurs services, le plus accessibles et le plus continus
possible. Le seul obstacle à cela est évidemment le fait que le
ministère ne met pas assez d'argent.
C'est ainsi que lorsque l'on pose des questions en termes de
résultats à atteindre plutôt qu'en termes de services
à offrir, on se rend vite compte que le réseau n'est pas le seul
intervenant et que les services ne constituent pas le seul moyen d'atteindre
ces résultats. la réponse va èlre évidemment
très différente si on pose la question suivante, savoir. comment
peut-on offrir la meilleure accessibilité, continuité et
qualité de services cardlo-vas-culaires? ou si l'on demande: comment
peut-on réduire de 20 % la mortalité due aux maladies
cardio-vasculaires?
Dans le premier cas, vous allez penser immédiatement et sans
doute uniquement aux services médicaux, aux services hospitaliers, aux
cardiologues, aux laboratoires de cathétérisme cardiaque, et j'en
passe. Dans le second cas, comme vous avez fixé un objectif, vous allez
également penser à la consommation de tabac, à
l'alimentation et à l'exercice physique.
Dans le fond, quand on le regarde en fonction des résultats, on
se rend vite compte que le ministère et son réseau sont au mieux
l'un des multiples contributeurs de la santé et du bien-être.
Voilà donc pourquoi il m'apparaît essentiel de modifier la
dynamique du système dans le sens d'objectifs à atteindre et non
pas celui d'un volume toujours plus grand de services à dispenser. (14 h
30)
Par ailleurs, il m'apparaît également fondamental et
essentiel de doter le réseau de niveaux d'arbitrage en plus de celui du
ministère comme c'est le cas présentement. Je parle ici de la
possibilité de doter le réseau de structures
décisionnelles disposant de réels pouvoirs de décision et
de réelles capacités de les assumer.
Actuellement, le ministère et le ministre sont
régulièrement appelés à faire l'arbitrage, par
exemple, entre les demandes de deux hôpitaux qui veulent maintenir ou
développer leur pédiatrie et tout cela en vue de mieux desservir
les enfants de la même ville qui connaît une baisse de son taux de
natalité. Nous sommes appelés, encore à titre d'exemple,
à faire l'arbitrage dans la demande de deux hôpitaux voulant
chacun acheter un tomographe axial pour desservir une population d'une
même communauté dont le bassin justifierait à peine
l'utilisation d'un demi-tomographe. Nous sommes appelés à faire
l'arbitrage entre un CLSC et un centre d'accueil d'hébergement dans le
partage des budgets d'alourdissement de la clientèle et ce, toujours
pour mieux desservir les personnes âgées de la même
ville.
À mon avis, ça n'a pas de bon sens pour deux raisons: Le
volume d'arbitrages à faire est certainement la première raison.
Faire seul et directement l'arbitrage de l'ensemble des demandes de quelque 900
établissements du réseau, 1300 organismes communautaires et les
12 000 médecins, c'est impensable, malgré toute ma bonne
volonté et celle du personnel du ministère.
Faire seul et correctement l'arbitrage est encore plus difficile, et
c'est la seconde raison. Comment voulez-vous que le ministre ou les gens de son
ministère puissent avoir la même connaissance des besoins, des
particularités, des dyna-mismes et des ressources du milieu que les gens
du milieu eux-mêmes et ce, malgré toute la meilleure
volonté du monde? En effectuant ces tâches qui peuvent être
partagées et très probablement dans la majorité des cas
mieux faites par d'autres, le ministère n'accomplit pas ou n'accomplit
que partiellement des tâches que nul autre ne peut accomplir dans le
réseau.
Si de tels niveaux d'arbitrage devaient être créés,
il existe quatre conditions nécessaires pour que ces niveaux d'arbitrage
puissent agir en toute responsabilité.
Premièrement, les personnes siégeant sur ces structures
d'arbitrage ne doivent pas pouvoir tirer un bénéfice
professionnel des décisions qui sont prises.
Deuxièmement, cette structure d'arbitrage et de décision
devrait reposer davantage sur une population ou une clientèle à
desservir que sur la défense et le développement d'une mission de
production.
Troisièmement, cette structure devrait pouvoir refléter
ces arbitrages par une réelle allocation et réallocation des
ressources.
Quatrièmement, et c'est très important, cette structure
d'arbitrage devra pouvoir assumer l'imputabilité de ses
décisions.
Je voudrais aussi attirer votre attention sur nos façons
d'allouer nos ressources actuellement dans le réseau. Vous allez
convenir que nos façons de faire sont fort susceptibles de favoriser
certains comportements et d'en défavoriser d'autres.
Laissez-moi décrire notre façon d'allouer nos ressources.
C'est simple, plus il y a de producteurs dans un endroit, plus Ils produisent
de services, et plus les services sont lourds et sophistiqués, plus ils
engendrent d'autres nouveaux services, plus on donne de l'argent. Vous
comprendrez qu'à l'inverse, le phénomène est
également vrai, c'est-à-dire que moins il existe de
services à l'heure actuelle que moins ils sont lourds et moins ils sont
sophistiqués, il y a moins d'argent de disponible.
Qu'est-ce que vous pensez que l'on passe comme message à notre
réseau qui est en quête de ressources additionnelles? Et à
votre avis, quel devrait être le message correct à passer et quels
moyens devrions-nous adopter pour le faire passer?
Il est évident que, sur la question des moyens, le débat
est large, ouvert, et toutes les suggestions seront accueillies. Un seul
objectif doit nous guider: respecter le mieux possible les principes et les
orientations générales auxquels nous croyons tous et qui
devraient permettre aux Québécoises et aux
Québécois de mieux vivre en santé.
J'aimerais préciser, avant de conclure, Mme la Présidente,
que j'ai passé sous silence, dans cette déclaration d'ouverture,
un nombre important de sujets touchés par les dispositions de
l'avant-projet de loi confié à notre examen. Il faut d'abord
comprendre, je le rappelle, que l'avant-projet de loi reprend, en termes
législatifs, les mesures les plus importantes contenues dans le document
gouvernemental d'orientation rendu public en avril dernier par Mme
Thérèse Lavoie-Roux.
Les groupes que nous entendrons sont donc susceptibles d'aborder un
nombre considérable de sujets, étant compris que l'avant-projet
de loi soumis à leur attention englobe la quasi-totalité des
règles qui régissent l'organisation et le fonctionnement du
secteur de la santé et des services sociaux.
Au moment de nous attaquer à cette tâche colossale,
j'aimerais enfin exprimer toute la confiance que je place dans notre
capacité de relever ce défi. J'entends bien, pour ma part,
être particulièrement attentif à l'ensemble des
commentaires qui seront portés à notre attention et tout
spécialement aux éventuelles propositions de
réaménagement qui seront soumises par les membres de cette
commission aussi bien que par les groupes que nous entendrons.
L'importance de l'avant-projet de loi qui nous réunit commande,
en effet, que son examen profite de l'éclairage le plus large et soit
discuté dans le cadre d'un débat qui soit le plus ouvert et le
plus démocratique possible.
J'invite tous les membres de la commission et les groupes qui nous
feront des représentations au cours des prochaines semaines à
dépasser les questions purement structurelles pour aborder
également des questions de fond reliées aux véritables
besoins de nos clientèles et de toute la population en
général.
C'est qu'il faut bien comprendre que pour la mise en oeuvre des
orientations que le gouvernement propose, la voie n'est pas toute tracée
d'avance, qu'il n'existe pas dans tous les cas un modèle idéal.
Nous savons déjà que si la grande majorité convient de
l'opportunité des orientations que nous avons adoptées, plusieurs
s'interrogent sur l'opportunité des moyens choisis. J'assure donc
à l'avance tous et chacun d'une écoute très attentive et
j'invite tout le monde à une franche discussion.
Cependant il ne faudrait pas Interpréter cette volonté
d'écoute comme une intention de tergiverser. À la fin des travaux
de cette commission parlementaire, les étapes d'étude et
d'analyse seront franchies, sans compter que le plan d'action sur lequel nous
appelons les derniers commentaires est lui-même le produit de longues
années de recherche et d'enquête. Vient donc, maintenant, Mme la
Présidente, le temps d'agir. Il ne nous reste qu'à entendre les
derniers points de vue et à recevoir les derniers avis. Je vous remercie
de votre bonne attention. Merci.
La Présidente (Mme Marois): Merci beaucoup, M. le
ministre. Je passerai maintenant la parole au leader de l'Opposition et
critique en matière de santé.
M. Guy Chevrette
M. Chevrette: Mme la Présidente, MM. et Mmes les
députés, chers invités, je suis d'accord avec le ministre
pour dire qu'aujourd'hui commence une consultation d'une importance
singulière pour la société québécoise. Elle
se veut une étape majeure dans l'évolution de notre
système de santé et de services sociaux au Québec. Il
s'agit également d'une occasion unique qu'il ne faut surtout pas
gaspiller. Pourtant, je suis inquiet du risque de verser dans le même
excès que celui reproché au réseau et au ministère,
à savoir la structurite et le cloisonnement. En nous forçant
à nous pencher sur un projet de loi remaniant des structures, ne
risque-t-on pas de manquer la discussion sur les vrais problèmes, sur
les grands enjeux, pour ne s'attarder qu'aux éléments
secondaires?
Après une lecture rapide de quelque 60 mémoires - parce
qu'ils commencent à peine à entrer - force nous est de constater
que rares sont ceux qui discutent en termes globaux de la problématique.
La majorité des mémoires porte plutôt sur la façon
dont chacun voit sa place dans la nouvelle structure. Mais au cours des
prochaines semaines, avant de discuter du nombre d'individus siégeant
à un conseil d'administration, nous devrons entreprendre un vaste
débat de société, débat qui n'a jamais eu lieu sur
la place publique. Nous désirons, comme formation politique, favoriser
la discussion sur un certain nombre de grands thèmes: le financement du
réseau, la régionalisation, la place de l'individu dans le
réseau, l'équité face aux services de santé et
services sociaux dans un Québec qui se casse en deux, la place du
communautaire.
D'entrée de jeu, je voudrais dénoncer la
présence du carcan intellectuel qu'Impose le projet de loi et
duquel il est difficile de s'échapper pour faire une discussion non
seulement plus globale, mais surtout plus critique. Il aurait été
plus productif de tenir cette vaste consultation avec, comme document de
départ, les orientations publiées par le ministère de la
Santé et des Services sociaux. Ici, j'en conviens, le ministre est pris
avec un engagement du gouvernement de tenir une commission parlementaire sur
ledit projet de loi. Une telle approche nous aurait permis, à ce
stade-ci, d'économiser un temps précieux, d'accentuer l'effort de
réflexion et de remise en question. Nous étudions un avant-projet
de loi dont nous ne savons môme pas si le ministre actuel endosse les
principes. Dans l'hypothèse plausible où le ministre apportera
des modifications substantielles à l'avant-projet de loi, j'envisage mal
comment il pourrait poursuivre le processus législatif sans tenir de
nouvelles audiences particulières.
Avant d'élaborer sur les différents enjeux, je me
permettrai quelques commentaires sur l'urgence d'agir. À notre point de
vue, l'étape que nous traversons est une façon de gagner du
temps. Tout le monde sait pourtant qu'il est grandement temps d'agir. La
commission Rochon a reçu un mandat du gouvernement du Québec en
juin 1985 et ce mandat fut élargi en janvier 1986. Deux ans plus tard,
décembre 1987, après un travail considérable, les
commissaires remettaient leur rapport à l'ex-ministre de la Santé
et des Services sociaux. Il aura fallu autant de temps, soit deux ans, pour que
le gouvernement convoque la commission des affaires sociales pour
étudier non pas un projet de loi mais un avant-projet de loi, sans
savoir - et je le répète - si le ministre actuel en partage les
objectifs. Nous ne sommes donc qu'au début du processus
législatif.
Il s'en dégage l'impression que le gouvernement aura, durant ces
longues années, cherché à gagner du temps. Ce faisant,
nous aurons accumulé des retards inacceptables. C'est comme si
l'imminence toujours prochaine de l'avant-projet de loi avait
empêché le gouvernement d'apporter des solutions aux
problèmes pressants que vit notre réseau. Ainsi, nous avons
accumulé des retards quant à la capacité du Québec
à faire face au viellissement de sa population. Il est absolument
incroyable, voire inconcevable, de constater que, depuis trois ans, le
gouvernement actuel a créé seulement 325 places en centres
d'accueil, situation sans commune mesure avec les besoins. Nous avons aussi
enregistré des retards importants en ce qui concerne le plan de
redressement des urgences. Au train où vont les choses, le plan sera
déphasé avant sa pleine entrée en vigueur. D'ailleurs,
comme le soulignait le ministre tout récemment, alors que l'on avait
réussi, tant bien que mal, à réduire le pourcentage des
lits occupés par des malades chroniques dans les hôpitaux de soins
de courte durée. ce pourcentage est de nouveau à la hausse.
Le gouvernement piétine également au niveau du soutien aux
organismes communautaires. Ces derniers, dis-je, doivent former une coalition
pour rencontrer le premier ministre et faire valoir leurs problèmes de
financement.
Et que dire des listes d'attente à la protection de la jeunesse
quant au test de civilisation énoncé par le premier ministre en
1985 et qui porte sur la façon dont une société s'occupe
de ses personnes handicapées? Le gouvernement actuel est en voie de
l'échouer. Ce ne sont là que quelques exemples des retards dont
ce gouvernement doit être tenu responsable.
J'aimerais maintenant aborder certaines questions de fond et tenter
ainsi d'identifier ce qui apparaît être les grands enjeux des
années à venir pour notre système de santé et de
services sociaux. Tout d'abord, le financement du réseau. Alors que nous
discuterons, dans les prochaines semaines, de fusion de conseils
d'administration, la situation sur le terrain sera intenable dans plusieurs
centres hospitaliers du Québec. D'ailleurs, l'Association des
hôpitaux a senti le besoin de lancer le débat et nous y
reviendrons un petit peu plus tard.
Il y a à peine deux semaines, plus de 500 lits étaient
fermés dans la région de Montréal. Raison invoquée:
équilibre budgétaire. Il s'ensuit, évidemment, une
pression sur les salles d'urgence et les listes d'attente pour la chirurgie
élective s'allongent. La religion de l'équilibre
budgétaire ignore les règles les plus élémentaires
de l'humanisme. Les administrateurs pratiquent le dogme au point où la
santé budgétaire prime la santé des
Québécois et des Québécoises. Lorsqu'un
médecin affirme, dans un quotidien montréalais, que la situation
est terrible, au point où des patients meurent parce que les
médecins n'ont pas le temps de les voir, alors nous devons, comme
société, nous interroger plus que sérieusement.
Le ministre a soutenu, tout récemment, que la situation
était comparable à celle de l'an dernier. Doit-on lui rappeler
que, l'an passé, le docteur Dutil, président de l'Association des
médecins omnipraticiens de Montréal, avait déclaré,
au sujet de l'Impact des listes d'attente - et je le cite: "Les patients
subissent d'énormes préjudices parce que leur condition physique
a le temps de se détériorer avant que l'on puisse les traiter."
Référence: Actualité médicale du 15
février 1989.
On parle des hôpitaux, mais que dire des personnes
âgées qui sont en attente d'une place dans un centre d'accueil?
Que dire des enfants en détresse qui attendent, en silence, une
intervention du département de la protection de la jeunesse? En fait,
les besoins sont immenses. En février 1989, la commission politique du
PLQ - du Parti libéral du Québec - évaluait à 1 000
000 000 $ les sommes additionnelles nécessaires pour répondre aux
besoins connus.
Par exemple, l'Association des hôpitaux du Québec, cette
semaine, évalue à 300 000 000 $ les sommes nécessaires
pour effectuer les réparations et les remplacements les plus urgents.
Pour sa part, la Fédération des CLSC estime qu'il faudrait
tripler le budget actuel de 110 000 000 $ pour maintenir la qualité et
la capacité de donner des services. (14 h 45)
On pourrait aussi parler du cas de la Cité de la santé de
Laval qui est absolument débordée et qui ne parvient pas à
atteindre l'équilibre budgétaire du fait qu'elle est le seul
centre hospitalier de soins généraux et spécialisés
à Laval.
La réforme que nous propose le gouvernement est-elle une
réponse à ce besoin criant de ressources financières? Bien
sûr que non. Pour reprendre les mots de M. Claude Bégin,
vice-président exécutif du groupe Raymond, Chabot, Martin,
Paré et Associés - je le cite: "On retombe vite sur nos pieds
lorsqu'on lit dans le document d'orientation que la majorité des sommes
additionnelles requises pour restaurer l'état du réseau de la
santé et des services sociaux québécois proviendra du
gouvernement fédéral et de quelques trouble-fête qui ont
consommé trop d'alcool." N'est-ce pas là une utopie lorsqu'on
connaît l'état des finances du fédéral qui n'a
d'autre choix que de couper dans ses dépenses? Avant de décider
de régionaliser les budgets, ne doit-on pas d'abord discuter de
l'ampleur du budget devant être consacré à la santé
et aux services sociaux? Est-ce que la part du produit intérieur brut
qui est passée de 7,3 % en 1985-1986 à 6,8 % en 1989-1990...
Est-ce que les sommes que Québec consacre aux soins de santé sont
insuffisantes ou excessives? La société québécoise
a-t-elle atteint sa capacité maximale de payer? Est-il possible de
restreindre davantage les dépenses dans le réseau? Voilà
autant de questions qu'il faut se poser.
Si l'on se compare cependant avec nos voisins de l'Ontario - on sait
qu'on est friands de comparaisons avec l'Ontario, on l'a fait pour les frais de
scolarité - on pourrait constater, quand on regarde les dépenses
per capita de l'Ontario, qu'en Ontario, on dépense 1988,11 $ par
habitant pour la santé, alors qu'au Québec, cette somme
s'élevait à 1771,20 $, à savoir 12 % de moins per
capita.
Le débat public n'a jamais eu lieu véritablement. Est-ce
que l'on doit chercher d'autres sources de financement, simplement injecter de
l'argent neuf ou réduire les services? Est-ce que le débat sur le
mode de rémunération des médecins est clos? Est-ce que
celui sur la privatisation est terminé? Est-ce que l'on a
abandonné toute recherche de solution originale? On verra. L'Association
des hôpitaux du Québec, pour sa part, en présentant ses
solutions, aura choisi la voie de la facilité en proposant un ticket
modérateur. À la lumière des analyses
socio-économiques - et mon collègue de i'Abitibi en fera
état tantôt - ce sont les populations défavorisées
qui requièrent le plus de soins de santé, ce sont elles qui
auront le plus à en souffrir.
Être contre le ticket modérateur n'est pas
nécessairement être en faveur des abus cependant. A-t-on
pensé à un carnet-santé ou à une sensibilisation de
la population aux coûts? Est-ce que l'on a songé à
réévaluer le système d'assurance des médecins qui
doivent multiplier les examens pour se prémunir contre les risques de
poursuites? À cet égard, Mme la Présidente, j'aimerais,
puisque le financement du réseau sera au coeur de notre discussion,
formuler le souhait - et j'en ferai sans doute une proposition - que la
commission des affaires sociales invite la Régie de l'assurance-maladie,
le Conseil des affaires sociales et les membres de la commission Rochon, ces
trois grands oubliés de la présente consultation. Je proposerai,
Mme la Présidente, qu'ils viennent partager avec nous leur
expérience et leur savoir.
J'aimerais savoir, par exemple, de la Régie de
l'assurance-maladie - je donne deux exemples - comment il se fait que les
services de santé au Québec augmentent de 4 % par année
dans l'ensemble du Québec, mais de 8 % dans la région de
Montréal? Est-ce à dire que la province s'appauvrit? Est-ce
à dire que c'est à Montréal que les besoins sont les plus
criants? Pourtant, la population est à la baisse. Voilà autant de
questions qu'il faudra poser aux gens de l'assurance-maladie.
La duplication des services. Les hôpitaux se targuent maintenant
d'aller faire du service à domicile sur le territoire d'un CLSC. Est-ce
qu'il y a des études sur le coût de la duplication des services?
Voilà autant de questions sur lesquelles la Régie,
j'espère, a fait des études. Et, si elle n'en a pas fait, il
serait temps qu'elle commence, parce qu'on voudra sans doute la questionner
d'une façon précise sur des sujets aussi précis que
ceux-là.
Également, on pourra regarder à quoi est due l'escalade
dans les coûts, quels sont les facteurs qui font que les coûts de
santé augmentent pour des catégories d'âge, etc.
La commission Rochon a posé, en termes tragiques, Mme la
Présidente, le problème du sous-financement chronique. Et je cite
le rapport Rochon: "On entretient l'illusion que tous les services
médicalement ou socialement requis sont accessibles à tous et ce,
gratuitement. Or, tous les jours des choix tragiques sont implicitement faits.
Qui meurt? Qui vit? Dans quelles conditions? Qui est traité? Qui ne
l'est pas? On s'en remet au professionnel qui, sans avoir de prise sur les
ressources disponibles, doit décider. Pour qu'une société
puisse vivre avec de tels choix, il faut que l'opinion publique soit davantage
sensibilisée et que les décisions reflètent l'ensemble des
valeurs et des principes qui la
gouvernent. Or, disait le rapport Rochon, les débats sur les
priorités sociosanttaires sont rares et quand il y en a, l'opinion
publique est tenue à l'écart la plupart du temps.
Voilà des discussions de base que nous devons avoir. Outre le
financement du réseau qui est la pierre angulaire du fonctionnement de
tout le système, toute la question de la régionalisation
préoccupe particulièrement notre formation politique. La
régionalisation nous apparaît la voie de l'avenir et ce, pour
faire face à un ensemble de problématiques. Cependant, avant de
s'y lancer tôte baissée, il faut s'assurer que la majorité
des intervenants croit en ces vertu et il faut surtout essayer de voir
jusqu'où II peut pousser dans cette direction.
Un premier objectif de la régionalisation est de stimuler le
système par l'entremise du dynamisme régional. A cet
égard, on peut soulever nombre de questions. Les régions sont
prêtes à recevoir de nouvelles responsabilités, mais par
lesquelles faut-il commencer? Afin d'exploiter au maximum ce dynamisme, comment
doit-on délimiter les régions? En fonction du territoire d'un
CLSC, en fonction des MRC ou encore des régions administratives telles
qu'on les connaît? Voilà des questions sur lesquelles on devra se
prononcer.
Un deuxième objectif de la régionalisation peut être
de contrer l'iniquité interrégionale comme par exemple au niveau
de la répartition des effectifs médicaux, et le ministre en a
parié.
Il est bien évident que si l'on veut décentraliser, nous
croyons qu'il faudra assurer au préalable les correctifs aux enveloppes
régionales, sinon on perpétuerait purement et simplement la
situation actuelle. Si la situation s'est améliorée quant au
nombre d'omnipraticiens en régions, il existe encore des
disparités inadmissibles au niveau des médecins
spécialistes.
La rareté de chirurgiens, de radiologistes,
d'anesthésistes ou de psychiatres en régions crée des
iniquités, et les effets de cette absence de services sur la population
des régions sont considérables.
La politique du gouvernement mise sur pied en juin dernier s'est
avérée, du moins dans sa première phase, un
véritable échec. En fait, sur les 70 places d'entrée dans
un programme de spécialisation contre un engagement de quatre ans
à pratiquer en régions éloignées, seulement 39 ont
été comblées cette année.
Quelles sont les autres solutions que le ministère projette? Dans
le document "Orientations", il fonde tous ses espoirs sur l'efficacité
des plans. Il faut souhaiter que l'année 1989 ne soit pas garante de
l'avenir. Mais quoi d'autre? On ne le sait pas.
Il faudra mettre de l'avant un ensemble de mesures qui ne seront pas
uniquement de nature financière. Il est nécessaire que les
médecins en régions éloignées aient accès
à des technologies de pointe, à de la formation continue en cours
d'emploi. Est-ce qu'il sera nécessaire de revoir le processus
d'admissibilité dans nos universités afin d'assurer la
répartition des effectifs? Il faudrait y voir.
Nous favorisons une régionalisation des budgets de la
Régie de l'assurance-maladie comme solution envisageable pour enfin
régler ce problème lancinant. On peut aussi songer à
d'autres modes de rémunération pour les médecins en
régions éloignées.
Des questions se posent aussi au niveau de l'allocation des ressources
en réglons. On se souviendra de la lutte épique - et le ministre
le rappelait - entre deux centres hospitaliers au Lac-Saint-Jean pour
l'acquisition d'un TACO. Une décentralisation des pouvoirs et des
ressources aurait pu faciliter le débat. À ce sujet, nous devrons
analyser de quelle manière les régions se verront allouer les
ressources financières.
La régionalisation pourrait aussi avoir des impacts positifs au
niveau de la gestion des ressources humaines.
La commission Rochon a constaté que les ressources humaines du
réseau de la santé et des services sociaux étaient
démotivées, peu valorisées et mal gérées.
Elle estimait même que cela pouvait, à moyen terme,
entraîner des conséquences sur la qualité des services. En
bref, la commission Rochon portait un jugement fort sévère sur la
gestion des ressources humaines, et je cite le rapport Rochon: "Les
administrateurs sont devenus au fil des ans (de par le système) des
gérants de conventions collectives et de directives plutôt que des
gestionnaires de ressources humaines." Et je vous réfère à
la page 413 du rapport Rochon.
De plus, le rapport de la commission Rochon fait état du climat
de travail détérioré, de morosité ou de relations
interprofessionnelles tendues. Imaginez, ceci, c'était avant la loi
160.
Les orientations font état de la possibilité de
réduire de 20 % le nombre de titres d'emplois d'Ici cinq ans afin de
réduire les frictions interprofessionnelles et d'améliorer la
gestion. Mais cela paraît simpliste comme solution. Ne devrait-on pas
profiter de l'occasion qui nous est offerte pour remettre en question certains
modes de fonctionnement? À cet égard, la position gouvernementale
est plus que timide, et le projet de loi ne fournit que peu de réponses.
Est-ce que c'est une hérésie de penser que l'on pourrait laisser
plus de place à l'initiative locale dans les négociations des
conditions de travail?
En ce qui concerne la régionalisation, la grande question en
définitive se situe au niveau de l'opposition
décentralisation/déconcentration. Il faudra s'assurer que la
volonté du gouvernement tende vers une véritable
décentralisation, et surtout que celle-ci se reflète dans la
rédaction du projet de loi.
Avant de conclure, Mme la Présidente, je glisserai un mot
rapidement sur l'importance de
recentrer le système vers la personne. À cet égard,
la régionalisation, en rapprochant le centre de décision de la
communauté, offre une avenue intéressante. Mais il faudra plus.
Nous devons nous assurer que la réforme opérera le
décloisonnement nécessaire entre les diverses composantes du
réseau. De plus, il faut absolument contrer ce que la commission Rochon
a qualifié de problème de fond, à savoir que le
système est prisonnier de ses groupes, qu'il n'est plus capable
d'arbitrer des demandes en fonction d'un objectif de bien commun plus large et
plus fondamental que les objectifs particuliers des groupes en son sein.
Évidemment, Mme la Présidente, le temps file. Il n'est pas
question pour moi de faire le tour des enjeux de la réforme.
Néanmoins, comme porte-parole de notre formation politique en
matière de santé, j'ai tenté de cibler ce qui nous
apparaît comme trois thèmes majeurs: le financement du
système, la régionalisation de ce dernier et la place de
l'individu en son sein. Ce faisant, j'ai évoqué plusieurs
problématiques de notre réseau de la santé: l'engorgement
chronique des urgences, la religion de l'équilibre budgétaire, la
répartition des effectifs, les relations humaines dans le réseau
pour ne citer que ceux-là.
Dans mon introduction, j'ai signalé que notre parti était
particulièrement préoccupé par l'impact de la
pauvreté sur la santé de même que par l'action
communautaire et que cette problématique guiderait nos interrogations au
cours de cette consultation.
Animé par cette préoccupation, le chef de l'Opposition
officielle a choisi, au lendemain des élections, de nommer un
porte-parole spécifiquement pour l'action communautaire et le volet des
services sociaux. Aussi, j'aimerais passer la parole au député de
Rouyn-Noranda-Témiscamln-gue, M. Trudel, pour qu'il complète ce
trop court 30 minutes.
La Présidente (Mme Marois): Merci, M. le leader de
l'Opposition et porte-parole en matière de santé. J'aimerais
rappeler au député, M. Trudel, qu'il lui reste une dizaine de
minutes de temps de parole.
M. Trudel: On s'est entendus tantôt. La
Présidente (Mme Marois): D'accord. M. Rémy Trudel
M. Trudel: Merci, Mme la Présidente. Mmes, MM. les
députés, M. le ministre et Mmes, MM. nos invités
d'aujourd'hui, toujours dans la même ligne que le porte-parole officiel
de l'Opposition en matière de santé, le rapport Rochon a
longuement insisté sur l'importance pour le réseau de la
santé et des services sociaux de se donner des objectifs et des
orientations. On avait aussi souligné, à l'Intérieur de ce
rapport, l'Importance des buts en matière de santé mais aussi en
fonction de l'efficience du système. Le document gouvernemental d'avril
1989, intitulé "Orientation pour améliorer la santé et le
bien-être au Québec", fixait par ailleurs une vingtaine
d'objectifs en matière de santé. Si de prime abord tous ces
objectifs sont louables, il nous apparaît, du côté de
l'Opposition, qu'il y manque un objectif fondamental. Le premier de tous qui
chapeauterait tous les autres, suffisamment global et important pour
générer un défi de société, c'est celui de
résorber le phénomène de ce qu'il est convenu d'appeler un
Québec qui se casse en deux. Ce défi est en partie
économique mais il est aussi d'abord et avant tout social.
Les récentes études socio-économiques
démontrent des liens indéniables entre la détresse sociale
et le mauvais état de santé. Pauvreté et maladie vont de
pair. Dans les villages, les quartiers et les sous-régions où la
population vit à la limite ou en deçà du seuil de
pauvreté, les indices de morbidité et de mortalité sont de
plus en plus élevés, de même que les taux de
délinquance, d'itlnérance, d'alcoolisme, de toxicomanie, de
violence conjugale et de malaises sociaux de toutes sortes. Dans certains
quartiers urbains et certaines sous-régions, l'espérance de vie
est de dix années inférieure à la moyenne nationale. Selon
les mêmes études, une proportion importante de la population
québécoise est littéralement enfermée dans cette
sous-culture de la pauvreté. (15 heures)
Tout cela est extrêmement dangereux pour notre
société. Nous nous devons de rester vigilants et de réagir
car nous savons maintenant que cette population du Québec, elle est en
panne. Entre 1971 et 1986, elle n'aura augmenté que de 8,4 % par rapport
à 18,2 % du côté de l'Ontario. Un taux de
fécondité qui sera tombé sous le seuil critique du
renouvellement nécessaire; une population en mouvement: 42,1 % de la
population du Québec vit maintenant dans un quartier ou une
municipalité en baisse de population et ceux qui quittent d'abord, et
c'est le plus dramatique, ce sont les 20-34 ans et ceux et celles qui restent
sont plus âgés, peu mobiles et souvent dépendants des
sources privées ou publiques.
En somme, là où il y a déclin démographique,
il existe aussi une situation de sous-développement social au plan du
revenu, de l'habitation, de l'instruction, de l'inoccupation, plus faible
espérance de vie, plus grands handicaps sociopédagogiques, plus
grande inadaptation juvénile, état de santé plus
détérioré. Que l'on vive dans le Bas-du-Fleuve, au
Témiscamingue ou dans le T" de la pauvreté à
Montréal, c'est partout pareil ou à peu près.
Déclin démographique égale sous-développement
social.
Tout cela se confirme de jour en jour: la Commission du
développement économique sur
l'économie locale de Montréal nous confirmait
récemment que 40,3 % de la population de la ville de Montréal vit
dans un quartier, 23 sur 54, avec un taux de chômage de plus de 15 %.
Très récemment, des études fédérales nous
ont indiqué que 615 000 personnes vivent sous le seuil de la
pauvreté à Montréal. Un enfant sur quatre sera
élevé dans un foyer pauvre. Un tiers des pauvres de cette
région sont âgés entre 15 et 34 ans.
Nos propres recherches plus récentes indiquent, par ailleurs, que
la pauvreté dans cette région se répand à une
vitesse vertigineuse: le Plateau-Mont-Royal, le centre-sud, le centre de
Montréal, Vllleray, Saint-Michel, le sud-ouest et môme
Côte-des-Neiges et Notre-Dame-de-Grâce En dehors du milieu urbain,
plus de 20 territoires de MRC seraient en sous-développement.
Cette situation est inacceptable. De notre côté, nous
pensons qu'il faut réagir dans les plus brefs délais et, à
cet égard, cette commission parlementaire offre une occasion unique de
se pencher sur les pistes et les avenues de solution.
Toutefois, toute action devra reposer sur une forte mobilisation de ceux
et celles qui peuvent jouer un rôle significatif. Elle devra
essentiellement reposer sur des personnes et des groupes du niveau local. Et,
bien qu'une coordination centrale soit nécessaire, il est
impératif que le processus ne soit pas régi par des règles
et des normes trop rigides.
La régionalisation des services, comme en a discuté
longuement mon collègue, semble offrir des avantages indéniables
pour analyser les besoins et concevoir des stratégies. Il sera donc
intéressant à cet égard, lorsqu'on discutera de
régionalisation des services, de le faire à travers la lunette du
développement social et de l'urgence de redresser ce Québec qui
se casse en deux. En d'autres termes, pas de régionalisation pour la
régionalisation en soi, mais une régionalisation comme moyen
d'atteindre un objectif global en tenant compte de la réalité des
réglons d'appartenance au Québec.
Outre ces éléments de restructuration, il nous faut tenir
aussi une discussion extrêmement importante, discussion qui risque
d'être agitée, nous en convenons, mais qui s'impose. Comment
assurer la complémentarité des rôles du secteur de la
santé et ceux du secteur des services sociaux? Quels seront les
avantages pour les intervenants en santé d'une action soutenue, bien
financée et revalorisée de notre réseau de service social?
En ayant en tête cet objectif de redresser les iniquités, est-il
possible, Imaginable, de mettre de l'avant des stratégies
concertées de prévention, de dépistage et d'intervention?
La prochaine question, quant à elle, s'adresse plus au ministre de la
Santé et des Services sociaux du Québec. Est-ce que l'on dispose,
par ailleurs, des données suffisantes, claires, sur l'efficience, sur
l'impact de chaque dollar dans le réseau des services sociaux sur les
coûts des services de santé?
La coordination et la collaboration entre les divers services est un des
objectifs de la réforme et c'est peut-être, à mon sens, le
plus Important pour recentrer le système sur la personne qu'il est
censé servir. Pour nous, c'est aussi l'objectif sine qua non pour que
tout plan d'action se concrétise en une Intervention efficace. Dans
cette optique, on peut déjà s'interroger quant à savoir si
les solutions du projet de loi sont suffisantes.
Bref, Mme la Présidente, nous croyons que nous devons tout mettre
en oeuvre afin de nous assurer que tous aient au moins droit au Québec
à la même espérance de vie au départ.
Sous-jacente à cette préoccupation, nous voulons, comme
formation politique, promouvoir et reconnaître à sa juste valeur
l'action communautaire. Notre réseau de services sociaux est
relativement jeune et il contribue à diminuer l'Impact de plusieurs
facteurs négatifs. Cependant, l'on doit reconnaître que les
interventions traditionnelles ont leurs limites: lourdeurs administratives,
rigidité des normes et éloignement des centres de
décision. La distance entre les ressources et les personnes à
secourir est souvent trop considérable.
Depuis longtemps, l'action communautaire autonome intervient pour
corriger certains des pires effets des Inégalités; elle appuie et
complète efficacement les actions du réseau des services sociaux.
Le rôle bénéfique de tous ces gens qui, pour plusieurs, ont
décidé de consacrer leur vie au soutien de leurs citoyens doit
être reconnu.
Nous devons avoir un débat de fond sur la place de l'action
communautaire dans notre société. H est important, et c'est
là une crainte fondée, que le mouvement communautaire ne devienne
pas un simple déversoir du réseau. La
complémentarité est ici le mot clé, car il ne s'agit pas
de créer un réseau parallèle à moindre frais. Dans
cette optique, il est important, voire essentiel, que les groupes
communautaires préservent leur autonomie. Ils en sont jaloux et II nous
faut leur donner raison, car une chose est sûre, il faut éviter
à tout prix de sombrer dans ce que l'on reproche au réseau,
c'est-à-dire une multiplication des normes qui, en bout de course,
déshumanise l'action.
En même temps, il est nécessaire d'accroître leurs
ressources financières. Ainsi, nous avions promis, à l'occasion
de la dernière campagne électorale, qu'un gouvernement de notre
parti consacrerait, d'ici cinq ans, 1 % du budget de l'État. Le
défi est donc de combiner l'allocation des ressources et le minimum de
contrôle que l'État doit effectuer au niveau de l'affectation de
ses dépenses.
Nécessairement, si l'État consacre des sommes importantes,
il doit aussi s'assurer que celles-ci seront utilisées efficacement sans
sombrer dans le dirigisme et le normatif mur à
mur. Au moins s'assurer que l'argent dépensé travaillera
dans le sens des grands objectifs globaux qui auront été
fixés. C'est là un défi important.
On sait, par ailleurs, que certains mémoires de groupes
communautaires ont exprimé des craintes face à une
régionalisation qui risquerait de les absorber. Il sera important d'en
discuter, d'en débattre.
D'autres groupes ont allégué qu'il y aurait lieu de
décréter un moratoire sur les articles concernant le
communautaire en attendant que le gouvernement se donne une véritable
politique.
Compte tenu du temps que le gouvernement a pris - et que mon
collègue a souligné - pour présenter cette réforme
et de la longueur prévisible et nécessaire du présent
débat, je crois plutôt, étant donné la position
financière critique dans laquelle se retrouvent nombre d'organismes
communautaires, qu'il faut plutôt en profiter pour nous présenter
une véritable politique de l'action communautaire et de son financement
au Québec.
Plus de 200 groupes seront donc entendus au cours de cette commission.
C'est le temps de faire le débat. Comment doit-on faire la jonction
entre le réseau et le communautaire? Devons-nous, par exemple,
prévoir un financement de base sur trois ans? Jusqu'où doit-on
aller dans l'encadrement? Voilà autant de questions auxquelles nous
porterons un intérêt particulier.
Mme la Présidente, j'aimerais exprimer et souhaiter, au nom de
notre formation politique, que cette commission engendre un grand débat
qui, sans renier les acquis, comme le soulignait le ministre d'ailleurs,
s'interroge sérieusement sur notre système de santé et nos
services sociaux. Que ce débat que nous entreprenons soit le
prélude d'une réforme qui aura finalement comme objectif de
redonner le système aux personnes qu'il est sensé servir et non
simplement une modification de structure cosmétique.
Lorsqu'on relit le bilan de la commission Rochon, l'on constate que nous
avons du pain sur la planche et je cite la commission, à la page 429:
"La commission a souvent eu l'impression que ceux qui oeuvrent dans le domaine
des services de santé et des services sociaux perdent de vue leur
mission, les objectifs à poursuivre, les problèmes à
régler et les résultats à produire. Certes, un grand
nombre de services et de programmes sont offerts. Mais on oublie souvent
l'objectif: la guérison du malade, le bien-être de la personne, la
réduction de la violence, la réinsertion sociale du
chômeur, de l'assisté social ou du délinquant, le soutien
à la famille et aux proches.
Les moyens sont devenus une fin en soi avec les conséquences
qu'une telle situation entraîne invariablement: exacerbation des
égoïs-mes et des rivalités entre professionnels et entre
établissements, renforcement des chasse gardées et
omniprésence des luttes de pouvoir, absence de collaboration et de
concertation autre que celle imposée d'en haut ou motivée par un
calcul stratégique étroit, démotivation du personnel et
mauvais climat de travail, discontinuité des services, incapacité
des milieux de recherche à déterminer de nouvelles
priorités, incapacité d'opérer des choix judicieux en
matière de diffusion technologique, incapacité de repenser les
modalités de financement et, en bout de ligne, sentiment d'impuissance
de la part des patients et des bénéficiaires. Bref, la personne
à aider et la population à desservir ne sont plus au centre du
système." Quelle lourdeur dans ce bilan!
En terminant, il faut bien comprendre que l'avant-projet de loi qui est
soumis à notre examen évite de faire porter la discussion sur les
structures administratives du ministère de la Santé et des
Services sociaux lui-même.
Le projet de réforme administrative présenté
paraît, de prime abord, soucieux, bien sûr, d'une certaine
régionalisation, mais, dans sa forme actuelle, ne peut-on pas
prévoir que cette régionalisation au sens de la région
administrative n'entraînera pas d'effets pervers, comme nous avons pu
l'observer dans d'autres réseaux majeurs du gouvernement?
La forme que prendra, par exemple, la régie régionale
est-elle un dédoublement de l'appareil administratif du ministère
de la Santé et des Services sociaux? Cette régionalisation ne
risque-t-elle pas de marginaliser encore davantage les sous-régions dont
on sait qu'elles sont les plus mal en point au Québec actuellement?
Bref, l'avant-projet de loi qui nous est présenté pour
discussion laisse de grands pans de notre société
québécoise en dehors de la réalité. C'est pourquoi
il faut y revenir et insister pour que soient convoqués devant nous des
organismes comme le Conseil des affaires sociales, que le projet de
réforme vise par ailleurs à réduire à un simple
organisme d'études épidémiologiques, la Régie de
l'assurance-maladie du Québec et les représentants de la
commission Rochon comme éléments-clés de toute action de
réforme et de réflexion de notre système de santé
et de services sociaux au Québec; et, à cette fin, ils doivent
être convoqués. Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Marois): Merci, M. le
député de Rouyn-Noranda-Témiscamingue. J'inviterais
maintenant le député de Westmount à présenter ses
propos préliminaires. S'il vous plaît, M. le
député.
M. Richard Holden
M. Holden: Merci, Mme la Présidente. J'ai donné des
copies à la madame. J'espère qu'il y en a assez, je ne savais pas
qu'il y aurait autant de représentants du gouvernement à la
commission.
Mme la Présidente, pendant la dernière campagne
électorale, dans les comtés dits anglophones, les candidats du
Parti libéral disaient que l'avant-projet de loi de Mme Lavoie-Roux
était chose du passé. Ils promettaient qu'avec un nouveau
ministre et un gouvernement assagi et bien établi dans son
deuxième mandat, il n'y aurait pas une telle interférence
auprès des institutions des communautés minoritaires.
We were told that the concept of super boards as a territorial model
would be modified particularly as it related to institutions near and dear to
the various cultural communities. But what has happened to those election
promises? They have evaporated in the winter wind and we are once again faced
with the dire Implications of a new avant-projet.
Le vrai problème, Mme la Présidente, comme l'ont
signalé les porte-parole de l'Opposition officielle, ce n'est pas les
structures, c'est l'effondrement de nos institutions de santé par manque
de fonds. Mais s'il faut parler des structures, examinons l'avant-projet du
ministre.
Le modèle territorial que le gouvernement semble avoir choisi
n'est pas approprié à des régions où il existe une
diversité linguistique et culturelle. Le système proposé
dans l'avant-projet présume une population homogène dans un
territoire donné. On prend pour acquis que la clientèle d'une
institution ou l'établissement qui se trouve physiquement dans un
territoire visé habite - c'est-à-dire les clients habitent - le
même territoire et, donc, les directeurs choisis de la population locale
seront plus aptes à refléter les usagers d'une telle
institution.
Or, le fait est, Mme la Présidente, que des milliers de clients
des institutions qui desservent traditionnellement les minorités
linguistiques et culturelles résident très loin de l'endroit
où se trouve l'institution.
The government's draft legislation attempts, in its own words, and I
quote: 'To meet the needs of the population". The real result will be the exact
opposite as far as minority communities are concerned. A territorial model can
only work for a culturally homogenous population. That the Liberal Government
has continued to insist upon this model in the proposed legislation is yet
another indication of this government's lack of concern for the needs and the
importance of the English speaking and multicultural presence in Québec.
The result Is sure to be the eventual absorption of almost all English and
other minority health and social service institutions in the province of
Québec. (15 h 15)
Les institutions dites anglophones - j'ai ici une liste complète
avec les dates de création - sont l'oeuvre d'un grand nombre de
personnes et d'organisations qui se sont dévouées aux services
sociaux et services hospitaliers depuis plus de 100 ans. C'était la
tradition, chez les Anglo-Saxons et les Juifs, de travailler à
différents niveaux, chacun selon leurs aptitudes, pour faire fonctionner
et rayonner leur système d'aide à tous ceux et celles qui en
avalent besoin, mais... et beaucoup de mes contemporains ont tous fait leur
part. Admettons que, depuis la Révolution tranquille, ces institutions
sont de plus en plus financées par l'État. Mais la participation
individuelle parmi les communautés minoritaires au Québec
persiste et, de plus, nous payons nos impôts comme tout le monde. Nous,
du Parti Égalité, voulons que les traditions de nos
ancêtres continuent et même que le volontariat augmente.
Je vous demande. Mme la Présidente, de vous mettre à ma
place. Imaginez pour un instant qu'on est en Ontario et que vous
représentez un comté franco-ontarien. Prenez pour acquis que,
depuis cent ans, votre communauté a bâti et a fait vivre un
réseau de services sociaux et de soins hospitaliers. Tout à coup,
une "gang" de fonctionnaires, à Toronto, décide de
réorganiser vos Institutions et d'enlever votre influence dans vos
propres organisations. Est-ce que vous accepteriez de tels changements sans
rouspéter, Mme la Présidente? Est-ce que vos commettants
s'attendraient à ce que vous contestiez toute tentative de vous enlever
vos propres institutions?
On nous demande d'avoir confiance que le gouvernement va appliquer la
loi en conformité avec le respect pour les droits des minorités
culturelles. Eh bien, Mme la Présidente, je regrette. Le gouvernement
qui m'a enlevé mon droit fondamental d'afficher ma langue en public ne
mérite pas ma confiance ni la confiance des 800 000
Québécois de langues autres que le français.
Permettez-moi de signaler d'autres préoccupations qui me poussent
à m'opposer à ce projet de loi. D'abord, le concept de base,
c'est-à-dire le rassemblement de toutes sortes d'institutions avec des
programmes divers et des buts différents sous une seule gérance,
me semble incohérent et peu praticable. L'étendue des services de
santé et des services sociaux est trop vaste. Il est vain de croire
qu'un seul conseil régional puisse formuler des objectifs compatibles
parmi les programmes innombrables et les usagers de services totalement
disparates.
Secondly, many boards of directors presently consist largely of
volunteers who often have a close or emotional attachment to this specific
institution because a family member may be a patient or resident. Many have had
personal experiences themselves with a particular institution. In these cases,
there is a very strong commitment to the continuing vitality of the
institution, which greatly enhances the quality of its service. By the mere
fact that each institution will no longer have Its own board, this dedicated
representation is discouraged. Instead, territorial boards will be composed of
bureau-
crats, with token representatives from anglophone and other minority
groups. This will erase any personal or human touch that characterizes many of
our institutions, making them less able to meet the particular needs of their
clientele. The very objective of the Bill to respond to the needs of the users
of the system is defeated.
When a community can no longer identify with an establishment as its
own, voiunteerism suffers. Volunteers who handle many of the day-to-day tasks
required for smooth operation of the institution will be discouraged if they
feel that their community no longer has a say in the control and management of
their institution.
Il y a aussi la question de l'exclusion des employés du secteur
public de santé des conseils d'administration. Apparemment, le
gouvernement veut augmenter le niveau de participation communautaire. Il me
semble, Mme la Présidente, que ce n'est pas réaliste de refuser
l'accès à la direction de nos institutions multiples et
spécialisées à un grand nombre d'individus qui ont
l'expérience et l'expertise dont on a besoin. D'ailleurs, la charte des
droits fait référence au droit de chaque citoyen de travailler
librement.
Pour l'usager, c'est-à-dire la clientèle, il est essentiel
que les meilleurs cerveaux soient appliqués à la vraie
tâche, c'est-à-dire améliorer les services de soins. Donc,
l'avant-projet de loi, encore une fois, va produire le contraire de son
but.
Enfin, je veux dire un mot sur les fondations. I would like to associate
myself with the remarks which appear in one of the briefs, the brief 6a, task
force, which reads as follows: "The participation of foundations in public
establishments will be greatly limited and ultimately discouraged. The
contributions that have built up, sometimes over more than a century, will fall
increasingly under the influence of the regional authority. We consider this
will drive away one the major forces that helped create the network and block
one of the principal ways the English-speaking community has of supporting its
public establishments."
En d'autres mots, si vous enlevez de nos institutions l'usage du
véhicule qu'on appelle "la fondation", nos établissements sont
voués à la disparition. Si c'est ça que le gouvernement
veut, ayez au moins le courage et la franchise de nous le dire clairement.
Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Marois): Merci, M. le
député de Westmount.
Maintenant que ces remarques préliminaires ont été
faites, j'inviterais notre...
M. Chevrette: Mme la Présidente, avant...
La Présidente (Mme Marois): Oui, M. le leader de
l'Opposition.
M. Chevrette: ...techniquement, je voudrais demander au ministre
s'il est nécessaire de faire la motion pour inviter le Conseil des
affaires sociales et la RAMQ ou bien s'il l'accepte purement et simplement,
quitte à discuter du temps, du moment, ainsi que les membres de la
commission Rochon.
La Présidente (Mme Marois): M. le ministre.
M. Côté (Charlesbourg): Ce sont des questions que
nous pourrons discuter et, dans la mesure où le député de
Joliette n'obtient pas satisfaction, il y aura toujours possibilité pour
lui de revenir à une proposition formelle.
La Présidente (Mme Marois): Devant les membres de la
commission.
M. Côté (Charlesbourg): Je vous dis d'entrée
de jeu que j'ai des réserves quant à certains groupes.
La Présidente (Mme Marois): Alors, si je comprends, la
commission pourrait être éventuellement saisie d'une proposition
formelle...
M. Chevrette: Bien, je vais attendre la discussion et on
verra.
La Présidente (Mme Marois): D'accord.
M. Chevrette: Pour autant qu'il ne ferme pas la porte à
une discussion, on verra. C'est correct.
La Présidente (Mme Marois): De toute façon, la
commission est toujours souveraine dans l'exercice de ses fonctions et donc a
le choix de ses débats.
J'inviterais maintenant une personne qui a joué un rôle
très important et très significatif dans l'histoire de nos
services de santé et services sociaux au Québec, M. Claude
Caston-guay, à se joindre à nous. Alors, M. Castonguay est
maintenant président du conseil de la corporation du groupe La
Laurentienne mais, bien sûr, il a été le responsable de
cette commission qui a porté son nom et celui de M. Nepveu, la
commission Castonguay-Nepveu, et qui a, je le rappelle, proposé ce grand
brassage d'idées et d'institutions et de projets du début des
années soixante-dix qui nous amène maintenant à nous poser
un certain nombre de questions, bien sûr, sur l'organisation de notre
réseau. Je crois qu'il a été entendu, M. Castonguay, que
vous aviez une déclaration préliminaire à faire, d'environ
une trentaine de minutes, et qu'ensuite les gens, tant les représentants
du gouvernement que de l'Opposition, se gardaient chacun environ une trentaine
de minutes aussi pour discuter, échanger avec vous, poser des questions.
C'est bien cela? Alors, je vous remercie.
Je vous inviterais maintenant à vous
adresser aux membres de la commission.
Audition de M. Claude Cattonguay
M. Cattonguay: Alors, merci, Mme la Présidente, et merci
aux membres de la commission. Depuis que j'ai laissé le ministère
des Affaires sociales, à la fin de 1973, j'ai presque
systématiquement évité de traiter des questions de
santé, considérant que ce n'était pas
nécessairement le rôle d'un ancien ministre d'intervenir à
tout moment sur différents problèmes et qu'il valait mieux
laisser à ceux qui sont impliqués directement le soin de le
faire.
Malgré tout, j'ai gardé un intérêt constant
pour ce secteur. Au milieu des années soixante-dix, avec quelques
collègues, nous avons conçu à l'hôpital Laval le
Pavillon de prévention des maladies cardiaques. Nous sommes allés
chercher les fonds pour le construire et nous avons assuré une
administration de ce pavillon. J'ai été membre aussi, pendant de
nombreuses années, du conseil d'administration du Centre hospitalier de
l'Université Laval et président de ce conseil. Alors j'ai
vécu, à ce niveau, un certain nombre de questions. J'ai
gardé un lien avec le secteur de la santé. J'ai également,
avec quelques autres personnes, créé une fondation au Centre
hospitalier de l'Université Laval pour apporter des ressources
financières supplémentaires. Alors j'ai vécu ce qu'est la
création d'une fondation. Et, depuis quelques années, je suis
membre du conseil et même président du conseil de
l'Université de Montréal. Et, comme vous le savez,
l'Université de Montréal, par sa Faculté de
médecine, sa Faculté de sciences infirmières et de
médecine dentaire, etc., son réseau d'hôpitaux
universitaires, est très impliquée dans toutes les questions de
santé. J'ai donc gardé, malgré tout, un lien assez
étroit.
Aujourd'hui, je ne veux pas discuter des questions de prévention,
d'éducation, d'Information, des habitudes de vie qui sont
extrêmement importantes et qui jouent un rôle, évidemment,
sur toute la question de l'état de santé de la population, de sa
longévité, etc. Ça n'est pas le but de mon propos. Je
voudrais plutôt traiter de l'organisation des services de santé
plus spécifiquement.
Je voudrais vous rappeler d'abord, brièvement, les objectifs de
la réforme des années soixante, soixante-dix, en très gros
plan, dire quelques mots de l'évolution de la situation. J'aimerais
aussi analyser, de mon point de vue, comment évolue un système
comme celui de la santé. Je crois que c'est extrêmement important
d'essayer de comprendre ce qui s'est produit et ce qui se produit si on veut
apporter les solutions les plus appropriées. Et enfin, discuter,
justement, certains moyens ou certaines réorientations qui, à mon
avis, devront être pris.
En ce qui a trait aux objectifs de la réforme. Avant la
réforme des années soixante, soixante-dix, au Québec, il y
avait évidemment des disparités très grandes dans les
services de santé quant à l'accessibilité, selon les
réglons, selon les quartiers dans les grandes villes, selon la
capacité de payer des gens. Et la qualité des services
était aussi très variable selon les établissements. Il
n'existait pas non plus, avant cette réforme, un secteur privé
proprement dit. Les hôpitaux francophones avaient été,
jusque là, la responsabilité des communautés religieuses
alors que, dans le milieu anglophone, les hôpitaux étalent
plutôt sous la responsabilité de corporations sans but lucratif.
Et vous aviez en plus des hôpitaux quelques cliniques isolées et
des médecins en pratique privée. Très peu de
médecins qui pratiquaient en clinique.
Quant aux solutions d'ensemble qui ont été
apportées, ce furent évidemment l'introduction de
l'assurance-hospttalisatlon en 1960 et celle de l'assurance-maladie en 1970.
Dans les deux cas, II s'agissait d'assurer la gratuité des soins ou
l'accessibilité aux soins et, par l'assurance-hospitalisation, par
l'assurance-maladie, de corriger certains problèmes de
répartition des ressources.
En 1970, 1971, 1972, II y a eu également la réforme qui a
été apportée par la Loi sur les services de santé
et les services sociaux, la création des conseils régionaux avec
une certaine régionalisation, la modification des centres hospitaliers,
la création des départements de santé communautaire et des
CLSC. Et, dans toute cette réforme, nous avons visé à
donner un rôle, dans toute la mesure du possible, non seulement à
la population ou à ses représentants, mais aussi à tous
les intéressés, à tous ceux qui participaient à un
titre ou à un autre au bon fonctionnement des services et des
établissements.
Nous avons aussi décidé, à ce moment-là, de
maintenir la possibilité d'une pratique privée de la part des
médecins et de professionnels tels que les physiothérapeutes.
Alors le secteur privé, à ce moment-là, n'a pas
été aboli, sauf que, comme je l'ai mentionné tantôt,
à toutes fins pratiques, il n'existait à peu près pas
avant la réforme. (15 h 30)
La coexistence, qui est demeurée par la suite entre ce qui
restait d'espace pour un secteur privé et les établissements dans
le secteur public a eu, à mon avis, un effet assez positif. On a vu
naître toute une série de cliniques, par exemple, qui ont fait une
certaine concurrence, une concurrence qui était saine, je pense, aux
CLSC. Alors, on a vu différentes formules être utilisées et
ça a créé une certaine émulation qui a
été positive.
Les résultats de la réforme. Je crois que, dans
l'ensemble, les résultats ont été positifs,
particulièrement dans les années qui ont suivi la
réforme. Évidemment, il y a eu, par la suite une
évolution. Ce qui est intéressant, c'est que non seulement
l'accessibilité a été grandement améliorée,
mais les écarts dans la qualité des soins ont été
dans une assez large mesure diminués. Il n'y a pas de système
parfait. Il reste encore évidemment des progrès a accomplir.
Les dépenses publiques et privées dans le secteur de la
santé sont demeurées sous contrôle, si on compare les
dépenses publiques et privées per capita au Québec par
rapport à d'autres endroits comme les États-Unis, par exemple, ou
d'autres pays. La crainte que le régime qui a été
établi à l'époque donnerait lieu à une explosion
des coûts, ça ne s'est pas produit. . Je pense que depuis ce
temps-là, les sondages ou les événements ont
démontré que la population du Québec, dans l'ensemble,
était très attachée aux objectifs d'accessibilité,
aux objectifs de qualité des soins et à une couverture assez
large des soins et services. Mon propos, aujourd'hui - j'insiste, même si
à certains moments, je vais proposer des modifications - n'est pas de
remettre en cause, en aucune façon, ces grands objectifs. Si je donnais
parfois cette impression, c'est que je ne me serai pas expliqué d'une
façon suffisamment claire dans le temps qui m'est donné.
Depuis la création du régime et au cours des
dernières années particulièrement, on a constaté
que la pression sur le système va définitivement en augmentant.
Différentes données ont été citées cet
après-midi. Je ne veux pas en refaire une enumeration complète,
mais il clair qu'il y a des problèmes sur le plan des services qui sont
très achalandés et sous pression. A d'autres endroits, on note
des déficiences sur le plan des équipements. On voit des
bâtiments qui vont en se détériorant. Il y a des besoins
pour lesquels les services disponibles sont de moins en moins adaptés.
Je dirais même que, dans certains cas, les objectifs
d'accessibilité et de qualité, sans changement de philosophie,
sans changements fondamentaux, ne sont plus toujours maintenus. Ceci, on le
voit assez clairement.
Comment fonctionnent en fait les services de santé ou le
système de santé? En définitive, c'est un système
de production de biens et de services. À mon avis, si on veut bien
comprendre ce qui se produit, il faut jeter un coup d'oeil bref sur les deux
éléments d'un tel système, c'est-à-dire la demande
et l'offre de services. Si on analyse la demande, il est clair qu'elle
évolue selon le nombre de personnes, leur âge, leur sexe, leur
état de santé, leur niveau d'éducation, de revenus, leur
attitude envers les services de santé. Cette demande donc évolue
avec le temps et elle change de nature, ce qui est très important. Par
exemple, le vieillissement amène fatalement, nécessairement, des
besoins différents et un volume plus élevé de services.
Alors, même si on fait des progrès sur le plan de l'état de
santé général de la population, on ne diminue pas
nécessairement le volume de services requis. Les gens vont vivre plus
longtemps et en vivant plus longtemps vont développer d'autres besoins
et, avec l'âge, un volume de services plus grand.
Du côté de l'offre, évidemment la quantité et
la qualité des ressources humaines est le premier facteur. Les
équipements, tout ça, c'est beau, mais il reste que les soins
sont dispensés par des médecins, des infirmières, des
physiothé-rapeutes. Ça prend des gens pour gérer ces
ressources. Alors, la quantité et la qualité sont
extrêmement importantes. La quantité, la qualité, la nature
des équipements aussi. Pour répondre à certains types de
services ou de demandes, il faut des hôpitaux de différents types:
spécialisés, de longue durée etc., des cliniques; il faut
des soins à domicile, il faut des urgences. Il faut enfin une
organisation et une gestion pour que le tout fonctionne. La qualité de
la gestion, la capacité d'adaptation du système, la motivation
des ressources humaines, leur productivité sont tous des facteurs
extrêmement importants. C'est sur certains de ces aspects que j'aimerais
revenir cet après-midi.
La qualité et la quantité des ressources humaines est
évidemment conditionnée par les ressources financières qui
vont dans le système. Si la demande et l'offre sont en équilibre,
tout va bien, mais si l'offre de services devient insuffisante ou
inadaptée, évidemment, on constate les problèmes que nous
constatons présentement. Et plus le déséquilibre est
grand, plus évidemment on approche d'une situation qui est tendue,
où les distorsions viennent à se multiplier les unes les
autres.
L'évolution de la demande, au Québec depuis 20 ans, en
gros plan. On a mentionné le taux de natalité qui est très
bas. Alors, évidemment, il y a une série de services qui sont
moins en demande que par le passé. On a signalé le vieillissement
rapide, prononcé qui va se poursuivre. Alors, on doit donc s'attendre
à faire face à une demande qui va continuer d'aller en augmentant
et qui va continuer d'aller en augmentant de façon significative pour
des services de nature différente que les services que demande la
population aujourd'hui. Donc, besoin d'adaptation.
On a vu que la population adulte, elle, même si elle ne change pas
tellement en importance relative, il reste que les problèmes ou les
services dont elle a besoin vont en changeant. Les accidents et les
problèmes de stress vont en augmentant. On constate aussi qu'il y a des
problèmes dus à la drogue, aussi des problèmes
psychiatriques qui sont plus fréquents, probablement dû au mode de
vie. Alors, nous avons donc de ce côté-là, une demande qui
va en évoluant. Si on exclut la jeune population, on doit donc, aussi
bien pour la population adulte que pour la population âgée,
s'attendre à des
besoins qui vont en évoluant et qui vont en augmentant.
Est-ce qu'on peut freiner cette demande? Je pense qu'il y a une question
qui doit être posée. Elle est posée fréquemment.
Est-ce qu'on peut freiner la demande, par exemple, par une meilleure
information, une meilleure éducation de la population?
Évidemment, si les gens sont en bonne santé physique, s'ils se
tiennent en bonne condition, s'ils ont de bonnes habitudes alimentaires, tout
ça va avoir un effet positif. Mais il reste que ce n'est pas suffisant
à cause du phénomène de vieillissement et à cause
de notre mode de vie pour réduire vraiment la demande globale des
services de santé.
Les frais modérateurs. Maintenant que le système est bien
établi, est-ce qu'on doit songer à introduire des frais
modérateurs? À mon avis, s'il y a des abus pour certains types de
services bien identifiés, des abus réels qui sont
identifiés, on pourrait envisager certains frais modérateurs.
Mais si l'objectif est simplement de freiner ou d'essayer de réduire
globalement la demande, je ne crois pas que ce soit le moyen à prendre
en aucune façon.
Alors, la conclusion, c'est que môme s'il est important d'agir sur
le plan de la prévention etc., la demande, et malgré les frais
modérateurs s'il y a certains abus qui sont clairement
Identifiés, va continuer d'aller en augmentant et d'évoluer.
Du côté de l'offre des services. Le système tel
qu'il existe aujourd'hui n'a pas été modifié
fondamentalement depuis 20 ans. Au contraire, je dirais que ce qui a
été fait en gros plan, c'est qu'on a ajouté graduellement
à la réglementation. On l'a rendue de plus en plus rigide et
complexe et le système n'a pas changé fondamentalement. Si on
examine ce qui s'est passé dans tous les autres secteurs
d'activité de la société, des changements profonds se sont
produits, que ce soit au plan de la fabrication des produits, de la
façon de distribuer les services, du mode de vie de gens, des
transports. Il ne m'apparaît pas surprenant qu'aujourd'hui on se pose des
questions, étant donné l'évolution qui a eu lieu, dont on
vient de discuter, et le fait que notre système de santé est
resté fondamentalement le même.
Maintenant je reviens à l'offre de services. La structure du
système n'a pas été modifiée fondamentalement. Du
côté des ressources financières, il est clair que le
gouvernement fédéral, avec ses déficits immenses, sa
dette, ne pourra pas, au cours des prochaines années, apporter des
ressources financières additionnelles dans le secteur de la
santé. On a même vu, au cours des dernières années,
que sa participation est allée graduellement en réduisant.
Au niveau du gouvernement du Québec, je crois qu'on fait face
fondamentalement aux mêmes problèmes On peut peut-être
ajuster un peu, mais il reste qu'on ne peut pas envisager des ressources
financières majeures additionnelles dans le secteur de la santé.
Déjà un tiers du budget, grosso modo, du gouvernement va au
système de santé et je ne crois pas qu'on puisse changer de
façon importante cette allocation. On sait que, dans d'autres secteurs,
il y a de grands besoins, que ce soit dans le domaine de l'éducation, de
l'environnement, etc. On a d'ailleurs vu qu'au cours des dernières
années, des sommes additionnelles ont été ajoutées
dans le secteur de la santé. Elles ont temporairement réduit un
peu la pression, mais elles n'ont pas réglé le problème.
Donc, on peut s'attendre à plus de pression du côté de
l'offre des services au cours des prochaines années.
Du côté des ressources humaines, notre système
d'éducation continue de produire, bon an mal an, des médecins,
des dentistes, des Infirmières, des physiothérapeutes, etc. Je ne
ferai pas la ronde de tous les types de personnels, mais je voudrais simplement
mentionner qu'en ce qui a trait aux médecins, alors qu'en 1975 nous
avions un médecin pour 575 habitants, aujourd'hui nous sommes rendus
à un par 450 et, si on continue comme ça, le nombre va continuer
d'augmenter. Il est clair que, dans certaines réglons, il manque de
médecins. Il est clair que, dans certaines spécialités, il
y a encore des déficiences, mais dans l'ensemble, à mon avis, on
a suffisamment de médecins et on est en train d'en former et d'en
introduire trop dans le système. Avec le régime
d'assurance-maladie où les médecins sont
rémunérés à l'acte, ce système-là est
capable d'absorber un grand nombre de médecins et les médecins
produisent des actes, des services qui n'ajoutent pas grand-chose, à mon
avis, à la qualité globale des services et qui bien souvent,
surtout, ne s'adressent pas aux problèmes les plus aigus que l'on
constate. Il y a une grosse question à se poser: quoi faire sur ce
plan-là?
Du côté des infirmières, leur nombre est allé
en augmentant au Québec et au Canada, et quant à savoir
exactement si nous en avons assez ou si nous n'en avons pas assez, je ne suis
pas en mesure de répondre à cette question-là, mais une
chose qui m'apparaît importante, c'est que le statut qui est le leur, les
conditions de travail qui sont les leurs ne correspondent pas aux
responsabilités qu'elles assument dans le système. Aujourd'hui,
les infirmières assument des responsabilités de plus en plus
grandes. Il s'agit d'aller dans les hôpitaux pour le voir, ce sont elles
qui font fonctionner, en dehors de la prestation des services par les
médecins, nos services de santé. Ce sont elles qui en ont la
responsabilité sur une base continue. Ce sont elles qui ont la
responsabilité du soin continu des malades. Le système ne
reconnaît pas, à mon avis, de façon suffisante cette
réalité et ce n'est pas surprenant qu'elles soient
démotivées et qu'on sente de plus en plus de tension de ce
côté-là.
Sur le plan de l'organisation et de la gestion des ressources, c'est
clair que les équipements nouveaux, les nouvelles technologies, les
nouveaux programmes de soins sont de plus en plus sophistiqués, de plus
en plus dispendieux. Alors, on a, sur le plan de l'organisation et la gestion
des ressources, à la base, une pression additionnelle sur les
coûts et on ne peut pas l'éviter, on ne peut pas freiner le
progrès. C'est une des données avec laquelle nous devons agir.
(15 h 45)
Par contre, on constate, sur le plan de l'organisation et de la gestion
des ressources, à mon avis, un système dont la
productivité, l'efficacité est faible. Cela provient d'un certain
nombre de facteurs. D'abord, le financement des hôpitaux, de nos
établissements, ne met aucunement l'accent sur l'efficacité, la
performance, la prestation des services vraiment nécessaires. Il n'y a
pas de mesure réelle, à ma connaissance, de performance et de
productivité. Et aussi, on doit signaler la rigidité qu'introduit
dans le système le monopole que possèdent les syndicats. Il en
résulte un système qui est rigide, qui est peu perméable
à l'innovation et au changement et qui ne s'adapte que lentement
à l'évolution de la demande. La description des tâches, la
répartition des fardeaux de travail, la mobilité du personnel,
son évaluation, toutes ces questions font, à ma connaissance,
l'objet de conventions collectives et dans un tel contexte, l'utilisation plus
efficace des ressources, l'augmentation de leur rendement sont à peu
près impossibles.
Maintenant, sur le plan de l'allocation des ressources, on constate
encore qu'il y a énormément, à mon avis, de
dédoublements entre les ressources dans le système. Ce
problème perdure, et j'y reviendrai un petit peu plus tard.
Il y a aussi un problème, à mon avis, de bonne
connaissance du système par la population. J'ai constaté, moi,
à plusieurs reprises, et j'ai posé des questions, qu'alors qu'on
déplore dans les urgences, par exemple, en fin de semaine ou à
certaines heures, des encombrements dans les hôpitaux, dans d'autres
ressources, comme les CLSC, le volume de soins, de services est très
bas. Jamais vous ne verrez dans un hôpital, ou très rarement,
à ma connaissance, des systèmes de référence pour
faire en sorte qu'on dirige les gens vers d'autres ressources.
Le bilan, c'est que nous avons une augmentation rapide du
côté de la demande et une grande rigidité du
côté de l'offre de services. On a un système de
santé dont la productivité est faible et qui est de moins en
moins adapté. On a des problèmes d'allocation, d'utilisation des
ressources et on a aussi une pression financière qui va continuer de
s'exercer puisqu'il n'est pas, à mon avis, possible d'anticiper des
ressources financières additionnelles publiques. La situation va
évidemment en se détériorant et elle va continuer d'aller
en se détériorant si un sérieux coup de barre n'est pas
donné.
On a vu, par exemple, que malgré ce qui a été fait
sur le plan des urgences, plusieurs continuent d'être surchargées.
On a noté, par exemple, le fait qu'il y a de la demande, alors qu'il y a
des lits qui sont presque fermés de façon chronique, maintenant,
ou très souvent, en tout cas, en grand nombre. On rationne parce qu'on
n'a pas les ressources financières. Les équipements, on a
mentionné les problèmes... On a mentionné que les services
pour les soins de longue durée sont insuffisants. Les soins à
domicile ne répondent pas à la demande; ils sont
inadéquats et m'apparaissent insuffisants. Et dans bien des cas, on
retrouve des malades au mauvais endroit. On a signalé, par exemple, des
malades chroniques dans des lits de courte durée. C'est un
problème qui dure depuis longtemps, d'ailleurs.
Les problèmes, à mon avis, sont beaucoup plus
prononcés dans les grands centres que dans les petits centres. Je
comprends que dans les régions, II y a des manques d'effectifs, mais les
vrais problèmes les plus aigus, ils sont vécus dans les grands
hôpitaux, dans les grands centres, et il faut y aller pour voir de quoi
il s'agit. La situation ne changera pas, comme je l'ai mentionné, et
à mon avis, il ne s'agit pas d'un problème de structure. Il ne
s'agit pas de commencer à jouer de nouveau dans les conseils
d'administration, de regrouper ces conseils et, dans le fond, de perdre la
bonne volonté, l'apport des gens qui travaillent
bénévolement et qui apportent une contribution positive au niveau
des conseils.
Il ne s'agit pas, non plus, à mon avis, d'un problème qui
va être solutionné en créant des régies qui vont
devenir des petits ministères dans les régions et qui vont
ajouter à la lourdeur du système. Si on veut
décentraliser, il faut décentraliser et permettre davantage aux
établissements eux-mêmes de se gérer et d'avoir plus de
latitude dans leur gestion.
Il va falloir aussi ajouter, de différentes façons,
à la capacité d'augmenter la productivité du
système et sa capacité d'adaptation. Ceci n'est pas Impossible,
au contraire. Ça va demander, par contre, comme je l'ai dit, une
certaine remise en cause des moyens qui ont été adoptés
depuis ou qui ont été développés d'habitude et qui
se sont incrustés au cours des dernières années. J'insiste
de nouveau, avant d'entrer dans les moyens, sur le fait que je crois qu'on peut
envisager ces moyens sans remettre en cause les objectifs fondamentaux du
système.
D'abord, il faudrait ouvrir davantage différents aspects du
système à la concurrence. J'ai parlé de la loi de l'offre
et de la demande; si on veut qu'elle joue un peu plus, il va falloir qu'on lui
permette de jouer et qu'on ouvre le système à un peu plus de
concurrence. Il n'y a personne encore qui a trouvé de meilleur moyen
d'améliorer la productivité et l'efficacité des
systèmes. Si
vous me permettez, je pense qu'on a une leçon absolument
extraordinaire sur ce plan-là qui nous vient des pays socialistes qui
ont essayé, Justement, de fonctionner en s'isolant de l'offre et de la
demande qu'ils identifiaient avec les régimes capitalistes. Ils sont
obligés, après 50 ans - et on voit que c'est le désastre -
d'ouvrir la place à la concurrence, à l'offre et à la
demande, à la motivation des Individus, à la recherche par les
individus d'une certaine rémunération additionnelle s'ils
performent davantage ou de certains avantages additionnels.
Dans le secteur de la santé, je voudrais faire une exception qui,
à mon avis, est très importante. Pour les grands hôpitaux
d'enseignement, pour les hôpitaux spécialisés et les
hôpitaux généraux, il est bien clair que ces
établissements doivent demeurer des hôpitaux publics sans but
lucratif. Il n'est pas question de commencer à créer, en
parallèle, d'autres hôpitaux. Par contre, pour bien d'autres types
de ressources, je ne vois pas pourquoi on n'ouvrirait pas la porte, maintenant
que nous avons un système bien établi, à d'autres
Initiatives, que ce soit sur le plan des services d'hébergement, des
cliniques, des hôpitaux de soins légers et de courte durée,
des soins à domicile. On aurait là, déjà, une
première façon de permettre à des ressources provenant non
seulement des finances publiques d'ajouter à l'offre des services dans
le secteur de la santé.
Évidemment, si on envisage la création d'autres types de
services, il va falloir qu'il y ait des normes, il va falloir qu'il y ait une
certaine surveillance, et ça demeure, évidemment, le rôle
et la responsabilité du gouvernement.
On va devoir aussi, à mon avis, réviser les
modalités de financement de nos services de santé. Comme je l'ai
mentionné tantôt, non seulement les budgets ne mettent pas
l'accent sur la performance, sur l'efficacité de nos
établissements, mais on finance directement les établissements.
Pour un certain nombre de services, il me semble qu'on va devoir envisager de
rembourser les bénéficiaires de telle sorte que ce sera eux qui
vont décider à quel endroit ils vont aller chercher leurs
services. Je peux vous assurer d'une chose, c'est qu'ils vont aller les
chercher dans les endroits où c'est le plus efficace. Ceci va ajouter
une certaine pression sur le système. Encore là, on ne remet pas
l'accessibilité en cause, mais on canalise les finances ou le
financement d'une façon différente, on donne plus de choix aux
individus et on ajoute un peu de pression sur le système.
Dans la gestion des établissements, évidemment, chaque
établissement a une certaine mission. On doit, par tous les moyens
possibles, donner à ces établissements une plus grande latitute
dans le cadre de cette mission. C'est clair que le ministère ne peut pas
gérer à distance 900 établissements et prendre des
décisions sur toute une série de décisions qui doivent
être prises au niveau local. Ce financement qui doit être
apporté, devrait être calibré par des critères de
performance et de productivité. Aujourd'hui, on a des systèmes
d'information sophistiqués, on a des ordinateurs, on a tout ce qu'il
faut. Le financement devrait être orienté davantage dans ce sens.
Les établissements qui fonctionnent bien, ceux qui répondent
vraiment aux besoins auraient plus de ressources et les autres, bien, ils en
auraient moins. Et la population, vous allez voir qu'elle va suivre, elle va
aller aux endroits les plus efficaces.
De la même manière, le financement pourrait
privilégier l'élimination des dédoublements. Je l'ai
mentionné tantôt, II y a encore des dédoublements. J'ai
vécu des efforts de rationalisation de certains services. On a
travaillé pendant des mois, des mois et des mois presque sans
résultat. La seule façon dont les établissements vont
éliminer les dédoublements, vont se coordonner davantage, c'est
s'ils ont un Intérêt financier à le faire et une
récompense s'ils le font, mais si les systèmes de financement
sont neutres, Ils ne le feront pas. Et même, je dirais, si les
systèmes de financement encouragent une certaine inefficacité,
ils vont le faire encore moins.
Sur ce plan, aussi, je pense que, dans les rapports entre le
gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral, il y a
une question qui va se poser. A mesure que le gouvernement
fédéral réduira sa part de financement, il va falloir,
qu'il mette l'accent davantage sur une allocation plus grande de ses ressources
vers les provinces qui se gèrent mieux. Présentement, les
formules de partage des coûts, pour autant que je sache, ne vont pas dans
ce sens, elles vont même à rencontre. Et si une province se
gère mal, elle a des chances d'avoir un petit peu plus de fonds de cette
source-là.
Du côté des services d'hébergement, maintenant. J'ai
dit qu'on pourrait envisager une ouverture, qu'on pourrait verser aux gens des
allocations, directement, quitte à eux de choisir. Il me semble aussi
qu'on devrait ouvrir la porte et permettre aux gens qui, sur le plan de leur
hébergement, veulent payer davantage de pouvoir le faire. Si une
personne a travaillé toute sa vie, qu'elle a accumulé une
pension, je ne vols pas pourquoi elle ne pourrait pas en profiter à un
moment donné, et qu'on lui ouvre un peu la porte pour choisir
elle-même le niveau de qualité d'hébergement qu'elle
désire. C'est très difficile présentement.
Sur le plan des ressources professionnelles et plus
particulièrement des médecins, c'est clair qu'on ne peut pas
fermer une faculté de médecine au Québec, mais II me
semble que, temporairement, on pourrait peut-être Inviter un plus grand
nombre d'étudiants - à titre d'exemple, c'est une suggestion - en
provenance des pays en voie de développement et demander, par exemple,
à l'ACDI, au lieu de financer des
programmes là-bas, de financer la formation d'un plus grand
nombre de médecins. Nos facultés de médecine, donc, ne
seraient pas appelées à réduire leurs effectifs
temporairement, ne seraient pas appelées à prendre des
décisions extrêmement pénibles et difficiles. Elles
pourraient, par contre, pendant un temps, jouer un rôle utile
vis-à-vis de l'extérieur et corriger le
déséquilibre de nos ressources sur ce plan. Il y aurait des
économies substantielles. Le nombre de médecins additionnels, qui
entrent chaque année dans le régime d'assurance-maladie,
crée une pression constante sur l'augmentation des coûts de ce
régime.
Du côté des infirmières, j'en ai dit quelques mots
tantôt. Finalement, sur le plan de la rémunération des
personnels, et surtout les personnels de direction, de gestion, je crois qu'on
devrait introduire des formules d'incitation. Si on a donné à un
établissement certains objectifs et qu'il les atteint, il devrait y
avoir une certaine récompense; il n'y a rien qui s'oppose à
ça. Malheureusement, lorsqu'on a découvert, il y a une couple
d'années, que, dans certains hôpitaux, on avait commencé a
donner des bonis à ceux qui atteignaient leur objectif, on s'est vite
empressé de bannir ça à tout jamais et de fermer toutes
les portes possibles de ce côté-là. Il me semble que c'est
aller dans le mauvais sens. (16 heures)
Est-ce que tout ça est possible? À mon avis, oui. Il y a
bien des initiatives qui ont été prises dans d'autres pays. Ce
que je propose, moi, ici, c'est un plus grand accent sur l'innovation,
permettre à de nouvelles ressources de venir apporter leur apport au
secteur public, une plus grande motivation, une plus grande efficacité.
Tout ça, c'est possible et on l'a vu dans d'autres juridictions. Vous
avez entendu parler de certaines initiatives: aux États-Unis, les HMO,
je n'y reviendrai pas. On a vu ici, au Québec, parce que c'est toujours
bon aussi de revenir chez nous, le régime de santé et de
sécurité du travail qui, il n'y a pas tellement longtemps,
était en complet déséquilibre financier et, avec une
meilleure gestion, sans couper dans les bénéfices, on a
sauvé des centaines de millions de dollars. Sur un budget dans la
santé qui approche les 10 000 000 000 $, il y a des centaines de
millions - et je pèse mes mots - qui pourraient être
utilisés pour d'autres fins qu'elles ne le sont présentement dans
notre système si on change l'orientation et si on donne les coups de
barre qui s'imposent.
En conclusion, je dis, Mme la Présidente, que le ministre et le
secteur public ne peuvent pas tout faire dans notre système. Il ne faut
pas aller dans le sens d'un régime de plus en plus rigide; au contraire,
il faut ouvrir. Il faut permettre à un plus grand nombre de personnes de
participer au financement, à la gestion, au développement des
ressources. Si on fait ça, on a des chances de se sortir de
l'impasse.
Dans le secteur de l'éducation - j'aimerais faire un
parallèle, en concluant - on a créé d'abord un secteur
public. Au cours des dernières années, on a permis certaines
ouvertures vers le privé. Je pense que c'a eu de bons résultats
et cela n'a pas remis les objectifs du système de l'éducation en
cause. Sur le plan de notre économie, lorsqu'on a commencé au
début des années soixante, on a commencé par des
mécanismes publics: la Caisse de dépôt, la SDI, et d'autres
mesures d'ordre public. Lorsqu'elles ont commencé à donner des
résultats et des résultats de plus en plus valables, on s'est
rendu compte que, graduellement, la relève était en voie
d'être prise et est maintenant prise, dans une large mesure, par
l'initiative des gens dans le secteur privé de l'économie.
Ici, je ne propose pas que l'on remette en cause notre système
public, mais je crois qu'on devrait suivre, dans une certaine mesure, le
même pattern et ouvrir maintenant notre système. Merci.
La Présidente (Mme Marois): C'est nous qui vous
remercions, M. Castonguay. J'inviterais maintenant M. le ministre de la
Santé et des Services sociaux.
M. Côté (Charlesbourg): Merci, Mme la
Présidente. Je veux d'abord remercier M. Castonguay de s'être
prêté à cet exercice compte tenu de l'expérience
qu'il a, de ce qu'il a vécu en dedans et vu de l'extérieur
aussi.
Ma première question, étant moi-même un
régionaliste convaincu, s'adressera à la fois à celui qui
a vécu la commission Castonguay-Nepveu, à celui qui a
été ministre et à celui qui, aujourd'hui, prête son
concours à notre commission pour trouver des solutions à nos
problèmes.
Dans le rapport Castonguay-Nepveu, il était question, à
l'époque, d'office régional de services de santé qui
visait à décentraliser davantage et à donner des pouvoirs
de décision à un organisme, donc, régional qui pourrait
trancher un certain nombre de litiges. Lorsque la réforme a
été faite par vous, vous avez décidé de
créer des CRSSS, des conseils régionaux qui avaient un objectif
de planification, consultatifs. Vous avez donc laissé de
côté cette Idée-là, à l'époque, de
leur donner plus de pouvoirs avec des moyens pour être capables de
trancher et d'arbitrer. Une première question: Pourquoi, à
l'époque? Est-ce qu'on n'était pas prêt à cette
deuxième étape? Si jamais telle était la réponse -
je n'ai pas cru déceler dans vos propos que si on allait vers ça,
ce serait la solution idéale - est-ce que vous ne croyez pas
qu'aujourd'hui on est davantage prêt pour une décentralisation de
ces pouvoirs-là?
M. Castonguay: D'abord, au moment de la commission
d'enquête sur la santé, nous étions
huit membres à cette commission et le président d'une
commission d'enquête n'a pas beaucoup plus d'autorité que de
présider les séances. Il ne peut pas imposer ses vues aux autres.
Alors, ce qui s'est dégagé de ce rapport, c'étaient les
points de vue de l'ensemble de la commission. À certains moments,
même, moi, s'il y a des choses sur lesquelles j'aurais aimé mettre
un peu plus l'accent pour gagner l'assentiment des membres, il faut essayer de
s'entendre entre nous.
Sur cette question-là, si c'était à
réécrire et si j'étais le seul à écrire le
rapport, on n'écrirait pas la môme chose qu'on a écrit dans
ces années-là, d'abord. Lorsque je suis arrivé au
ministère, là, je n'avais plus les autres membres de la
commission et je pouvais faire un peu plus ce qu'il m'apparaissait
nécessaire et important de faire. Et une des choses qu'il m'apparaissait
extrêmement complexe et difficile à réconcilier, c'est que
ces Conseils régionaux de la santé ou ces offices n'avaient pas
de pouvoir de taxation. Alors ils pouvaient, eux, examiner les situations,
faire des demandes pour tout ce qu'il y avait de mieux, éviter de
régler les problèmes de dédoublement au besoin et se
retourner et demander, demander, demander.
Au début, nous nous sommes dit: On va créer des Conseils.
On va faire en sorte, d'abord, que les gens apprennent à travailler
ensemble, connaissent un peu mieux notre système, demandent aux
établissements de travailler de concert davantage et, graduellement, on
pourra leur donner de nouvelles responsabilités au fur et à
mesure que l'expérience indiquera que c'est possible de le faire. Et
c'est ce qui s'est fait, d'ailleurs. Graduellement, on leur a confié de
nouvelles fonctions. Mais lorsque sont arrivés les problèmes
difficiles d'allocation de ressources dans une région - à moins
qu'il n'y ait eu des choses nouvelles qui se soient produites récemment
- les Conseils régionaux n'ont pas été, à mon avis,
un instrument efficace pour faire en sorte que ces problèmes de
répartition des ressources entre les établissements soient
réglés. On a essayé de faire des consensus, de faire
plaisir un peu à tout le monde dans les cas que j'ai vus, et les
problèmes ont perduré sans être réglés.
Ces gens-là ne répondent pas directement à la
population comme vous le faites. Ils n'ont pas à aller chercher les
ressources financières et ce sont tous des gens qui, aussi, sont
appelés à travailler ensemble à d'autres niveaux et ils ne
veulent pas faire ces choix difficiles entre eux. Ça m'apparaît,
à moi, assez évident. Alors, sur le plan de l'allocation des
ressources, les Conseils régionaux, à mon avis, si on a tant
tardé à leur donner des fonctions de ce
côté-là, c'est que ce n'est pas le bon endroit pour le
faire. Et ma crainte, si on créait des régies et qu'on voulait
leur donner cette responsabilité, c'est qu'on va alourdir encore
davantage le système et les vrais problèmes vont remonter
éventuellement jusqu'au ministère. Les Conseils peuvent
évidemment apporter leur voix dans bien des choses, sur l'identification
des besoins, faire travailler davantage les établissements ensemble,
développer certains programmes sur le plan de la gestion, mais, à
mon avis, on ne devrait pas aller au-delà de ça.
Quant à l'idée de décentraliser, comme je l'ai dit
tantôt, si on veut vraiment décentraliser davantage, on devrait
décentraliser au niveau de ceux qui gèrent les ressources et leur
donner plus de marge de manoeuvre pour qu'ils puissent se gérer plus
efficacement et qu'ils puissent adapter davantage leurs ressources aux besoins
de la population. C'est là que se passe l'action. C'est au niveau des
établissements. Ce n'est pas au niveau régional.
M. Côté (Charlesbourg): Si je vous saisis bien, s'il
n'y a pas un lien direct sur le plan financier avec les organismes sur le plan
régional, l'imputabilité est moins grande et, par
conséquent, l'arbitrage pour les Conseils régionaux, selon votre
expérience ou ce que vous connaissez, s'est fait en tentant de contenter
tout le monde. Donc, ça n'a pas atteint l'objectif que vous vous
étiez fixé, si je comprends bien...
M. Castonguay: Oui.
M. Côté (Charlesbourg):... au moment où vous
avez reconnu ces CRSSS-là.
M. Castonguay: Oui. Et j'ai vécu ces
problèmes-là lorsque j'ai été impliqué dans
le système, moi aussi. J'ai vu des efforts pour rationaliser certains
types de services. On a fait des consultations. Cela a remonté au
Conseil, c'est allé au ministère, ça a redescendu au
Conseil et le problème s'est promené comme ça. Et, pendant
ce temps-là, rien ne changeait dans la réalité, parce que,
justement, les Conseils régionaux, à mon avis, n'ont pas ce qu'il
faut pour faire l'allocation des ressources entre les établissements. Ce
n'est pas eux qui vont chercher les ressources, ce n'est pas eux qui
répondent devant la population. Ce sont tous des gens qui sont
impliqués dans la prestation des services, qui sont appelés
à travailler ensemble, et il n'y en a pas un qui peut imposer sa
volonté aux autres.
M. Côté (Charlesbourg): II y a donc deux
problèmes. Fondamentalement, ce que je comprends, c'est que,
n'étant pas des percepteurs de ressources financières, il y a un
problème là. Le deuxième, c'est qu'ils ne répondent
pas devant la population.
Dans la proposition qu'il y a sur la table, ce qu'on visait, ce que le
gouvernement visait, c'est de donner davantage de pouvoir d'arbitrage aux CRSSS
ou aux régies régionales sans nécessairement aller
jusqu'à la reconnaissance d'un
pouvoir de taxation. Mais il y avait là un pas assez important.
Dans ces conditions-là, s'il n'y a pas ces changements de base, est-ce
que vous iriez jusqu'à dire qu'il faudrait tout simplement
éliminer les CRSSS?
M. Castonguay: Je ne pense pas qu'on devrait éliminer les
CRSSS, mais je pense qu'on doit leur faire jouer des rôles qu'ils peuvent
jouer. Mais on ne devrait pas leur demander de se substituer au
ministère et d'assumer des rôles qui sont des rôles
d'allocations de ressources et qui reviennent au ministère, à mon
avis.
M. Côté (Charlesbourg): évidemment, il y a eu
dans les mandats confiés aux crsss une certaine déviation par
rapport à l'objectif de départ qui était
consultatif...
M. Castonguay: Oui.
M. Côté (Charlesbourg):... et on a en cours de route
donné des budgets pour allocations de ressources au niveau des CRSS, que
ce soit des projets inférieurs à 1 000 000 $ ou 250 000 $ dans le
social. Est-ce que vous avez personnellement une certaine expérience de
la manière dont ça a pu se passer ou si ça vous
paraît avoir donné des résultats ou dévié de
l'objectif de consultation de départ?
M. Castonguay: Je ne suis pas assez près du
système... il ne m'apparaît pas... ce type d'approche ne m'a pas
semblé être suffisant en tous les cas pour réduire la
pression et régler les problèmes les plus sérieux que l'on
retrouve dans le système. Ça a peut-être eu des effets
positifs. Ça, je n'en doute pas, mais ce n'est pas là qu'est la
clé de la solution des problèmes sérieux auxquels le
système fait face.
M. Côté (Charlesbourg): Je vais changer de sujet
parce qu'évidemment, les conseils d'administration avec participation du
public sont nés de la réforme des années soixante-dix avec
un objectif qui était fondamental sur le plan de la participation des
bénéficiaires de services, à l'administration des
différentes institutions un peu partout à travers le
Québec. Dans la proposition de la réforme, on dit: Parfait, pour
une meilleure performance, unissons les conseils d'administration. Ce que je
comprends dans vos propos, c'est que pour vous, ce n'est pas souhaitable. Mais
est-ce qu'on a véritablement atteint les objectifs que nous nous
étions fixés à l'époque en ouvrant la porte aux
bénéficiaires de participer aux conseils d'administration? Est-ce
que vous ne croyez pas qu'aujourd'hui, ces bénéficiaires qui sont
sur des conseils d'administration ne sont pas noyés par l'amplitude des
problèmes et des documents à analyser avant de prendre une
décision? Est-ce qu'ils ne sont pas noyés aujourd'hui? Si oui,
qu'est-ce qu'on doit faire pour être capable de leur redonner un pouvoir?
Parce qu'un conseil d'administration, c'est fait pour décider, en
règle générale. Je n'ai pas l'Impression qu'aujourd'hui,
ce sont les gens qu'on nomme du public ou qui sont élus par le public
qui décident.
M. Castonguay: Bon. D'abord, les conseils d'administration, avant
1960, 1970, à part des hôpitaux anglophones qui avaient une
tradition, c'étaient des corporations sans but lucratif et les conseils
d'administration jouaient un rôle réel. Du côté
francophone, la plupart de nos hôpitaux étaient sous la direction
des communautés religieuses. Les conseils d'administration, lorsqu'il y
en avait, jouaient un rôle extrêmement limité et
s'intéressaient aux questions médicales vraiment. Alors, il y a
eu une tradition à créer, ça prend un certain temps, et
des habitudes à développer. Tout cela ne se fait pas du jour au
lendemain. Je crois qu'on a fait des progrès. On a constaté...
D'abord, on a voulu non pas seulement retrouver des représentants de la
population sur les conseils, mais donner une voix aussi à ceux qui sont
dans la gestion pour que l'on sache vraiment, au niveau des conseils, quels
sont les problèmes, quelles pourraient être les voles de solution
et essayer de créer un équilibre dans tout ça. On n'a
peut-être pas réussi parfaitement. D'ailleurs, peu d'années
après, vers 1976-1977, je pense qu'on apportait déjà
certaines modifications à la composition des conseils pour essayer
d'améliorer un peu cet équilibre-là. Est-ce
qu'aujourd'hui, on devrait apporter d'autres améliorations? Je n'en
doute pas. Il est fort probable qu'on pourrait améliorer le
fonctionnement de nos conseils d'administration, mais de là à
dire, par contre, qu'on les met de côté, que l'on regroupe
au-dessus d'un certain nombre d'établissements un conseil composé
uniquement de gens qui ne sont pas impliqués dans la gestion, là,
je pense qu'on fait une erreur majeure, a mon avis, pour toutes sortes de
raisons. On se prive vraiment de la part de toute une série de
personnes, qui, à mon avis, ont apporté et apportent encore une
contribution positive. Et les gens s'identifient avec un établissement.
Ils ne s'identifieront pas de la même manière en chapeautant
plusieurs établissements. Les établissements ont chacun leurs
objectifs, leurs traditions, leur culture même; ils répondent
à des besoins différents, des populations différentes. Et
si on essaye d'homogénéiser ça, on va manquer notre coup.
A mon avis, si on essaie d'aller dans la voie qui est indiquée, ce qui
va résulter c'est qu'il n'y aura plus de rôle utile pour les
conseils d'administration et ça va être encore davantage le
ministère et les fonctionnaires qui vont agir directement avec les
directeurs généraux et on va s'être privés d'un
apport, à mon avis, extrêmement utile et important. (16 h 15)
M. COté (Charlesbourg): Dans la mesure où on
retiendrait en phase finale, qu'il n'y ait pas de conseil d'administration
unifié, mais qu'on en revient et qu'on garde le conseil d'administration
de l'institution, on arrive encore avec un phénomène qui doit
être discuté. On a souvent l'impression que c'est l'administratif
qui gère le conseil d'administration. Ce n'était pas ça
qu'on cherchait à l'époque, j'imagine, lorsqu'on voulait donner
une voix au bénéficiaire et aux autres. Évidemment, quand
vous êtes sur un conseil d'administration d'un hôpital de courte
durée, que vous avez à faire face à des
représentants des médecins de l'administration et que vous
êtes, bien sûr, un bénévole qui est au conseil
d'administration, il me semble que ça m'apparaît difficile
d'être capable de faire valoir votre point de vue et de changer des
tendances que vous voulez changer puisque vous êtes en présence
des producteurs de services alors que vous êtes
bénéficiaire. Est-ce qu'il n'y a pas là des ajustements
très importants à faire, selon votre opinion?
M. Castonguay: Comme je vous l'ai dit, j'ai été au
conseil du CHUL ici et je peux vous dire que la marge de manoeuvre
laissée au conseil n'était pas toujours très, très
grande. On recevait toute une série de directives et on était
encadrés d'une façon assez rigide. C'est un peu à
ça que je fais allusion. Il reste qu'au début, il fallait
établir un système. Il fallait le faire fonctionner, lui donner
un certain cadre de fonctionnement. Mais, comme je l'ai mentionné, je
pense qu'on a continué d'ajouter, d'ajouter et d'ajouter à la
rigidité. Aujourd'hui, d'après ce que je peux voir, les
conversations et tout ce que j'ai eu comme écho et ce que j'ai pu voir
et entendre, c'est encadré de façon de plus en plus rigide. Si on
veut réviser le fonctionnement des conseils d'administration,
peut-être d'abord qu'on devrait offrir aux gens qui vont servir sur ces
conseils, certains cours sur la façon que ça peut fonctionner.
Comme je l'ai mentionné, à ma connaissance, on envoie des gens
sur les conseils d'administration sans préparation et on s'attend que,
du jour au lendemain, ils vont entrer dans une machine assez compliquée
et qu'ils vont performer. Ça prend du temps. Et, si on les aidait, s'il
y avait des cours qui étalent donnés, s'il y avait une certaine
littérature qui leur était remise, déjà on ferait
quelque chose d'utile.
Il y a des problèmes que vous avez mentionnés qui
m'apparaissent des problèmes authentiques. Ce n'est pas mon but
d'essayer de les nier. Est-ce qu'on ne pourrait pas demander à des
conseillers en administration d'aller les examiner et de proposer certaines
façons de solutionner ces problèmes? Je vois ici M. Gautrin. Je
sais que je devrais l'appeler M. le député de... Mais je ne me
souviens pas de son comté. On a été ensemble au conseil de
l'Université de Montréal. C'est une institution, un
établissement où on a des gens qui nous viennent de
l'extérieur. La masse de documents, si on n'y volt pas, peut enterrer
à peu près tout le monde rapidement. On s'est arrêté
à quelques reprises sur le problème. On a analysé le
fonctionnement de - notre conseil et on a décidé d'apporter un
certain nombre de changements pour nous assurer que les questions que l'on
discutait au conseil de l'université sont les bonnes questions et qu'on
n'était pas submergé par les documents qui nous arrivaient des
professeurs, comme notre bon ami, ici. Alors, on a trouvé un meilleur
équilibre et on a eu un meilleur fonctionnement de ce conseil-là.
Moi, il m'apparaît que ce ne sont pas des problèmes insolubles que
ceux-là.
La Présidente (Mme Marois): M. Gautrin est le
député de Verdun.
M. Castonguay: De Verdun? Bon, j'aurais dû m'en
souvenir.
M. Côté (Charlesbourg): Laissons un peu les
structures parce qu'il y a quand même autre chose. Je pense qu'on
pourrait parier longtemps des structures. On a évoqué beaucoup,
et vous l'avez fait, qu'on est pris dans un système où il y a
l'offre et la demande et qu'à toutes fins pratiques, on a des mesures
d'évaluation plus ou moins fortes ou adaptées aux besoins
actuels. Par conséquent, nos allocations de ressources se font en
fonction de celui qui en demande le plus et qui a un pouvoir de persuasion en
incluant les grandes institutions qui, en règle générale,
ne se gênent pas non plus pour mettre de la pression sur le
système. Est-ce que je dois comprendre que vous partagez l'idée
de certains qu'on devrait avoir des objectifs de résultats et que
l'allocation de ressources puisse se faire par programme et avec des objectifs
de résultats?
M. Castonguay: Évidemment, et je crois qu'on a les moyens
aujourd'hui de développer ces approches avec les systèmes
d'information que nous avons. On a des systèmes d'information
extrêmement sophistiqués, des équipements qui nous
permettent aujourd'hui de faire ces choses-là et je crois qu'on devrait
les faire.
M. Côté (Charlesbourg): Mais c'est ce qui n'a pas
été le cas jusqu'à maintenant. Donc, l'allocation de
ressources, jusqu'à maintenant, s'est faite en fonction de ce qui
existe; je prends un exemple dans le quotidien. Il y a des budgets
d'alourdissement de clientèles. Les budgets d'alourdissement de
clientèles sont effectivement attribués aux Institutions qui
existent. Donc, plus il y en a, plus le budget est grand, plus on donne
d'alourdissement de clientèles, et on se retrouve dans des situations
où, effectivement, des régions sont très peu desservies au
plan des services et en ont moins. Donc ce qu'on fait, c'est qu'on engraisse
celui qui est plus gros
et celui qui est plus pauvre reste encore plus pauvre. On agrandit les
écarts quant à la qualité de l'offre de services que nous
offrons un peu partout. C'est pour ça que ça m'a
inquiété un petit peu lorsque je vous ai entendu dire tout
à l'heure qu'il y avait de grandes institutions qu'il fallait maintenir,
et vous avez bien dit de statut universitaire.
M. Castonguay: Tout d'abord, j'aimerais juste faire un
commentaire. Une des distorsions que vous avez mentionnées, et c'en est
une parmi d'autres, le système actuel de remettre les ressources. Si,
à un endroit, le volume de services va en augmentant, on en donne
davantage, vous dites que l'autre à côté s'appauvrit. Il
reste qu'à certains endroits le volume des services va en augmentant
parce qu'il y a aussi une demande réelle qui se manifeste et il y a des
établissements qui répondent davantage à l'augmentation de
la demande réelle que d'autres. Alors il faut évidemment faire
certaines nuances.
L'autre point, je m'excuse... J'ai mentionné que les grands
hôpitaux, les hôpitaux généraux tels qu'on les
appelait dans le passé, les hôpitaux spécialisés,
les hôpitaux d'enseignement, devraient, évidemment, demeurer des
hôpitaux publics gérés par des corporations sans but
lucratif. Je pense bien que personne dans le secteur privé ne viendrait
prétendre qu'il pourrait établir de tels hôpitaux, les
financer en concurrence avec le secteur public, et que ça donnerait de
bons résultats. Alors quand je parlais de développer d'autres
ressources en plus du secteur public, je voulais bien prendre soin qu'il n'y
ait pas d'ambiguïté, ces grands établissements ou ces
établissements devraient demeurer clairement à caractère
public et sous le contrôle, la propriété, la gestion de
corporations sans but lucratif.
M. Côté (Charlesbourg): Vous nous avez
signifié qu'il fallait peut-être ouvrir davantage la voie à
la compétition. Évidemment, j'écoutais et cela m'a
rappelé les OSIS.
M. Castonguay: Les quoi?
M. Côté (Charlesbourg): Les OSIS.
M. Castonguay: Ah bon!
Une voix: Les HMO québécois.
M. Côté (Charlesbourg): Oui, qui ont circulé
un peu dans le décor québécois et qui voulaient
effectivement offrir une alternative, mais la réaction au niveau du
Québec était assez claire. On ne semble pas prêt,
maintenant, à accepter que le privé puisse compétitionner.
Évidemment, je comprends que lorsque vous mettez de la
compétition, et vous êtes dans un secteur pour le savoir,
ça rend les gens beaucoup plus productifs, plus imaginatifs, plus
innovateurs quant aux solutions à offrir.
Est-ce que vous iriez jusqu'à dire - parce que vous avez
évoqué la présence des CLSC - qu'il faudrait permettre une
plus grande ouverture de cliniques privées en compétition directe
avec les CLSC pour des soins de première ligne?
M. Castonguay: Sûrement. Je n'ai pas d'hésitation
sur ce plan-là. C'est clair que le système et les gens dans le
système n'aiment pas l'idée d'une concurrence plus grande, mais
ça ne veut pas dire que c'est un argument valable. Quand on a fait
l'assurance-maladie, en 1970, on a eu une grève des médecins.
Ça ne veut pas dire que, parce qu'ils ont été
jusqu'à faire la grève, leur motif était valable. Alors,
c'est clair que des changements comme il y en a qui s'imposent vont
créer des réactions. On ne change pas des systèmes comme
ceux-là. Si on veut les changer un peu en profondeur et vraiment donner
certains coups de barre, on ne peut pas le faire sans qu'il y ait des
réactions et des résistances. Ça m'apparaît
très clair. Si vis-à-vis de certaines initiatives on a
déjà manifesté de la résistance, ça ne me
surprend pas.
M. Côté (Charlesbourg): Je reviendrai.
La Présidente (Mme Marois): Vous reviendrez s'il y a lieu?
Oui. M. le leader de l'Opposition.
M. Chevrette: M. le Président...
La Présidente (Mme Marois): Mme la Présidente.
M. Chevrette: ...je voudrais, moi aussi, remercier M. Castonguay.
Vous avez omis, au niveau de votre analyse, certains éléments. Je
voudrais vous demander votre réaction à mon point de vue
vis-à-vis de certains points précis. Par exemple, sur le
prolongement de l'espoir de vie, au moment où vous avez conçu la
réforme, je pense bien que l'espoir de vie chez les femmes était
de 72 ans, si ma mémoire est fidèle. Il est maintenant de 78, 79
ans. Chez les hommes, il était en bas de 70. Il est rendu à 72,
73. N'est-ce pas là un des facteurs aussi importants dans l'escalade des
coûts, dans le coût de la santé au Québec? Je
voudrais savoir votre opinion vis-à-vis de ça.
La deuxième chose: est-ce que la réforme n'a pas
contribué, sans le vouloir - ce n'étaient sans doute pas les
objectifs au départ - à développer un sentiment de
dépendance totale de l'individu vis-à-vis de l'institution, au
lieu de lui demander de se prendre en main, d'être plus autonome, puis
d'avoir des ressources qui feraient en sorte que l'individu n'ait pas le
réflexe, dès la fin de sa période active de
travailleur ou de travailleuse, de penser à s'en aller dans les centres
d'accueil pour se reposer? Parce que c'était l'idée, au
départ, des centres d'accueil, vous vous rappellerez. Il y a des gens
qui ont vécu 26, 27 ans dans les centres d'accueil. Je pourrais vous
nommer des personnes. Est-ce que ce ne sont pas là aussi deux facteurs
qui ont contribué largement à l'accroissement des coûts
dans le domaine de la santé?
M. Castonguay: La première question, l'accroissement de la
longévité, à mon avis, c'est beaucoup plus des facteurs
comme les habitudes de vie, d'alimentation, bon, le conditionnement, la
capacité de faire face au stress, le niveau de revenus des individus, la
façon dont Ils se logent, ce sont tous ces facteurs-là qui,
à mon avis, influent le plus sur la longévité.
Évidemment, quand des gens sont malades, il est important d'avoir de
bons services, mais ça, c'est l'aspect curatif. L'aspect
préventif, l'aspect positif qui influe le plus sur la
longévité, il n'est pas dans ce que nous discutons tellement
aujourd'hui, à mon avis.
La deuxième question, la création des centres
d'hébergement, je ne sais pas d'où était venue cette
pression, mais je peux vous dire qu'avant 1970, lorsque je suis arrivé,
moi, au ministère, il y avait déjà un bon nombre de
centres d'hébergement qui avaient été construits, et
môme lorsque je suis arrivé là, on avait quelque chose
comme 250 demandes et je ne sais pas combien qui avaient été
approuvées. On a établi un moratoire dans tout ça et il y
a même des projets qui avaient été commencés qui ont
été arrêtés et on a essayé, justement, de
freiner cette tendance à l'hébergement surtout des personnes
âgées dont l'état de santé n'était pas
nécessairement déficient. (16 h 30)
Si l'impression existe aujourd'hui que c'est notre réforme qui a
créé cette approche, ce n'était sûrement pas le but
et c'était déjà commencé. C'était beaucoup
plus un phénomène culturel qu'un phénomène qui a
trouvé sa source dans la réforme des services de santé. On
a essayé de le combattre, à part ça.
Tantôt, je mentionnais les soins à domicile, la bonne
organisation, le fonctionnement des soins à domicile, ça
m'apparaît être une des choses absolument essentielles si on veut,
justement, éviter une trop grande institution-realisation. Si on veut
avoir de bons soins à domicile, il va falloir ouvrir la porte pour que
bien d'autres gens puissent organiser de ces soins et de ces services que ce
n'est le cas présentement.
M. Chevrette: Sur la façon d'augmenter la concurrence -
ça m'a frappé beaucoup, cet aspect-là - sans remettre en
cause les objectifs fondamentaux, dont la gratuité, comment peut-on
réintroduire une forme de concurrence dans la fourniture de soins sans
privatiser le paiement des soins de santé? Je voudrais peut-être
continuer, pour bien me faire comprendre. Est-ce qu'on peut songer à des
formes de concurrence différentes de ce que l'on peut voir dans le
privé, par exemple? Vous avez dit que le ratio médecin-population
était en constante diminution et vous avez dit, aussi, qu'on formait
trop de médecins. Pourtant, si je regarde l'élément qui
augmente le plus, c'est précisément le budget de la RAMQ, 2 200
000 000 $ sur 8 000 000 000 $.
Pourtant, si je regarde la moyenne des salaires des médecins,
ça n'a pas diminué, elle a une tendance même à
légèrement augmenter. Donc, à mon point de vue, quand on
regarde le problème de la répartition des effectifs
médicaux en région, en plus, si j'ajoute ça, on volt que
ça persiste encore à vouloir demeurer dans les grands centres.
Ça ne baisse pas, la moyenne salariale ne baisse pas. Par exemple, si
vous regardez le nombre de psychiatres qu'il y a à Montréal et
à Québec par rapport au reste du Québec... Ça n'a
pas baissé la moyenne salariale; pourtant les clients diminuent, la
population a eu une chute dramatique.
Est-ce que l'offre et la demande n'est pas contrôlée par
les médecins plutôt que par les besoins des individus? Je ne sais
pas quelle est votre réaction à ça, mais face à une
régionalisation des services, comment voyez-vous ça?
M. Castonguay: Là, iI y a beaucoup
d'éléments dans ce que vous avez dit. Sur la question, d'abord,
d'introduire de la concurrence dans la distribution de certains services,
j'aimerais reprendre un exemple, celui du régime de santé et
sécurité au travail. La commission se fiait principalement...
M. Chevrette: On entend difficilement, ici.
La Présidente (Mme Marois): Je ne sais pas si vous...
M. Castonguay: Je m'excuse.
M. Chevrette: C'est bien malcommode d'avoir... On n'a pas tout
l'élément de la réponse.
La Présidente (Mme Marois): II faudrait peut-être
l'approcher un peu...
M. Castonguay: Non, c'est fixe. M. Chevrette: II ne
s'approche pas.
La Présidente (Mme Marois): II ne s'approche pas.
M. Castonguay: C'est fixe, on ne veut pas qu'on l'apporte.
Le régime de santé et de sécurité du travail
faisait traiter ses gens principalement dans les établissements
hospitaliers, mais les gens devaient attendre, bien souvent, alors qu'ils
auraient pu commencer les traitements tout de suite. Il fallait qu'ils se
mettent en ligne et là, bien souvent, quand les traitements
étaient terminés avant d'avoir ce qu'il fallait pour certifier
que la personne était en bon état et pouvait retourner au
travail, il y avait d'autres délais. Tout ça coûtait
très cher. On a ouvert la porte et on a permis que ces soins, ces
services soient donnés par des physiothérapeutes hors des
établissements hospitaliers. Ça a créé une
réaction et il y a des cliniques de physiothérapie qui se sont
créées et on a donné un certain "incentive" aux cliniques,
des paiements un peu plus élevés si les services avaient lieu
rapidement, si la personne était certifiée rapidement comme
étant apte à retourner au travail. Il y a eu des économies
substantielles qui ont été développées. On a permis
à d'autres de donner les services et on a créé une
certaine émulation entre les cliniques et les centres hospitaliers.
De la même manière, il me semble, on pourrait penser la
même chose dans les soins à domicile, par exemple, pour revenir
dans le domaine dont on parlait. Présentement, les soins à
domicile sont financés, autant que je sache, bien souvent, par le
truchement des établissements, des hôpitaux. Si on remboursait les
gens qui ont besoin de ces soins, alors, on n'a pas... Au lieu de financer les
établissements pour organiser des programmes, si on remboursait les gens
qui en ont besoin - alors, on ne va pas contre l'accessibilité, sur le
plan financier - et qu'on permettait à d'autres que les centres
hospitaliers ou certains CLSC de créer des organisations de services de
soins à domicile, les gens pourraient aller où c'est le plus
efficace et où ils ont le meilleur service, alors que, dans le moment,
ils sont obligés, ils sont prisonniers, il faut qu'ils s'adressent
à l'organisme, dans leur territoire, qui a la responsabilité de
ça. Ça, c'est une saine concurrence qu'on pourrait introduire et
qui ne va pas contre le principe de l'accessibilité aux soins.
Maintenant, lorsqu'on parie des médecins, ce que j'ai dit, c'est
que le nombre total de médecins va en augmentant. On est rendus... Je
pense que j'ai cité un par 450 de population. On pourrait continuer, on
va arriver à un par 400, un par 350 et, avec un régime de
rémunération à l'acte, vous allez avoir l'impression
qu'ils sont tous occupés, mais ce qu'ils vont faire ne sera pas
nécessairement utile. Alors, à un moment donné, je pense,
il faut mettre un frein et le problème de la répartition dans les
régions en est un autre. Si on a trop de psychiatres à tel
endroit et qu'il n'y en a pas assez ailleurs, je pense qu'on devrait
peut-être laisser un peu les établissements, avec un petit peu
plus de marge de manoeuvre, essayer de régler ces problèmes-
là. Mais si tout ça est négocié par des conventions
collectives centrales, c'est bien clair qu'on est pris dans des espèces
de régimes extrêmement rigides. Laissez un petit peu plus de marge
de manoeuvre aux établissements pour régler aussi ce genre de
problème d'allocation de ressources et vous allez voir que ça va
jouer un rôle utile.
M. Chevrette: Mais sur ce point précis, M. Castonguay, si
le ministre décidait de décentraliser les enveloppes de la RAMQ
au niveau des régions et qu'on laissait un petit peu plus de marge, on
assiterait peut-être à de la surenchère, par exemple, un
peu comme au baseball. Je sais, par exemple, que pour avoir un
gynécologue ou un anesthésiste dans un hôpital, à
proximité de Montréal, il y a eu, sans que la loi le permette,
des pots-de-vin de 25 000 $, 30 000 $, 50 000 $, en dessous de la table,
payés par rétablissement hospitalier. Et ne croyez-vous pas, si
on dit: Faites-le ouvertement, que des régions éloignées
seront fort pénalisées parce qu'elles devront payer plus cher
pour attirer et devront donner des bonis pour attirer, parce que ce sera une
question de piastres pure et simple et non de motivation? Alors que, dans une
société, quand on forme trop d'enseignants, par exemple, c'est
bien de valeur, mais ils n'enseignent pas et quand on forme des
médecins: Formons "at large" parce que c'est une profession
libérale et arrangeons-nous, après, pour que les citoyens paient,
ne pensez-vous pas que c'est un principe qui est faux à sa base et que
les régions probablement les plus démunies, les plus
éloignées auraient à payer plus cher à même
leur enveloppe, contrairement aux enveloppes d'un grand centre urbain où
il y a concentration, où il y a population? J'aimerais vous entendre
là-dessus parce que je n'accroche pas.
M. Castonguay: Écoutez, dans le moment,
déjà, il y a eu des primes d'introduites pour essayer d'attirer
les médecins dans les régions. On a vu que ce n'est pas
suffisant. Ce n'est pas juste une question financière. Alors, ce n'est
pas uniquement sur ce plan que je parle, mais il y a la façon, aussi,
d'incorporer, dans un système, dans un établissement, les gens,
le statut qu'on leur donne, le mode de vie qu'ils peuvent avoir dans un milieu
donné. Il y a toute une série de mesures. Mais si tout est
encadré de façon tellement rigide qu'à peu près
personne, dans le milieu, ne peut intervenir, que ce sont des choses qui se
négocient à distance, vous ne verrez pas ce
phénomène-là. Ce n'est pas juste une question d'argent.
Les médecins n'iront pas s'établir en région juste parce
qu'on les paie 5000 $, 10 000 $ ou 15 000 $ de plus par rapport à
Montréal. Ils n'iront pas nécessairement à Montréal
par rapport à une région parce qu'ils vont gagner un petit peu
plus. Il ne faut pas oublier qu'à Montréal le coût du
logement est
extrêmement plus élevé, le coût des
transports, le coût de la vie est extrêmement plus
élevé. Alors, les rémunérations sont pas mal, d'une
région à l'autre, entre les grands centres et les milieux ruraux,
avec la Régie, assez uniformisés. Et le médecin en
région a généralement un revenu disponible plus
élevé que le médecin dans le grand centre, à cause
des facteurs que je viens de mentionner. Alors, ce n'est pas juste une question
de rémunération. Au contraire, c'est une question de statut dans
son milieu, une question de façon de fonctionner et d'être
reçu.
M. Chevrette: Vous avez parlé aussi de frais
modérateurs, mais en les restreignant aux abus, à certains abus,
avez-vous dit. J'aimerais que vous puissiez me donner un exemple d'un abus et
comment ça pourrait fonctionner en prenant pour acquis qu'on a la
responsabilité de répartir la richesse le plus
équitablement possible et que c'est dans les milieux pauvres qu'on
retrouve les plus grands consommateurs de médications, par exemple?
J'aimerais..
M. Castonguay: D'abord, j'ai bien...
M. Chevrette: ...que vous donniez un exemple où
l'individu, la personne n'est pas pénalisée.
M. Castonguay: La question est toujours posée: qu'est-ce
que vous pensez des frais modérateurs? je suis rentré ici, avant
votre séance, il y a certains journalistes qui m'ont attrapé, ils
m'ont demandé: qu'est-ce que vous pensez des frais modérateurs?
alors, c'est pour ça que j'en ai dit un mot.
M. Chevrette: O.K.
M. Cactonguay: J'ai bien pris soin de dire qu'à mon avis,
ce n'est pas là qu'est la solution des problèmes du
système. J'ai dit que, dans certains cas, comme vous l'avez
mentionné, s'il y a des abus, ça pourrait être
utilisé. Je me souviens, par exemple, qu'au début du
Régime d'assurance-maladie, les injections pour les veines, les varices,
c'était en train de prendre une proportion absolument extraordinaire. On
a demandé aux médecins de réviser le tarif. Heureusement,
ils ont dit oui. Alors, on a révisé le tarif et le nombre
d'injections a baissé automatiquement. S'ils avaient refusé, au
lieu de faire une guerre avec eux sur ça, peut-être qu'on aurait
pu dire: Écoutez, ça va coûter 5 $ chaque fois que vous y
allez. Je pense bien qu'il n'y a pas beaucoup de monde qui n'est pas capable de
débourser, à un moment donné, quelques dollars dans notre
société. Je comprends qu'il y a de la pauvreté, mais il y
a de la marge aussi. S'il y avait quelques cas où ça deviendrait
un problème, il y a bien des organismes qui pourraient aider les gens
dans des situations comme ça.
De toute façon, ça mapparaîl une question marginale,
celle des frais modérateurs, dans un système comme celui que nous
avons. Ce n'est pas un moyen de régler les grands problèmes
auxquels nous faisons face.
M. Chevrette: Vous parlez beaucoup de démotivation des
personnels ou même de certains professionnels. Sans le dire, j'avais
compris que vous vouliez parler de paie au mérite ou de "merit pay",
comme on s'exprime, ou encore des bonis. Vous avez parlé de bonis. Dans
un contexte où même les corps médicaux, les corps
professionnels ont une reconnaissance juridique pour négocier, c'est,
à toutes fins pratiques, un double chapeau que vous avez devant vous.
Vous avez une corporation professionnelle et vous avez un syndicat. Comment
voyez-vous cette possibilité d'introduire ce "merit pay" maintenant sans
créer, à l'Intérieur même de ces
syndicats-là, des bouleversements épouvantables et des
affrontements majeurs, exclusivement sur la façon d'introduire d'abord
ce mode de paiement?
M. Castonguay: D'abord, en tout premier lieu, il me semble que
dans un système comme celui des services de santé, il va falloir
que les syndicats, comme tous les autres, se demandent ce qu'eux peuvent
apporter comme contribution pour l'amélioration du système. Ils
ne peuvent pas toujours être contre et réagir négativement
devant tout changement. Ils ont une responsabilité également.
C'est clair, dans le système de santé comme dans d'autres
secteurs, que des changements vont devoir être apportés. Tous
devraient essayer d'apporter leur contribution. Alors, le fait que les
syndicats soient mécontents si on essaie de faire des changements,
ça ne m'apparaît pas plus valable que le fait que les
médecins étaient mécontents à d'autres moments ou
que les infirmières peuvent l'être pour d'autres raisons
Maintenant, lorsque j'ai parlé de cette question, j'ai
essayé de faire des distinctions. Je pense que les réponses qu'on
apporte pour un type de personnel ne sont pas nécessairement les
mêmes qu'on apporte pour d'autres types de personnel. Dans le cas des
infirmières, j'ai essayé de mettre en relief le fait qu'à
mon avis, ce n'est pas uniquement un problème de
rémunération, mais un problème de statut, de
responsabilité, d'organisation de leur travail. Le travail des
infirmières a évolué énormément, au cours
des années. La responsabilité qu'elles assument dans les
établissements est une responsabilité importante. Elles ont la
charge des malades et ça devrait être reconnu davantage, je pense.
J'ai examiné, j'ai essayé d'examiner, en tout cas, le plus
attentivement possible leur point de vue, au cours des mois, et je pense qu'il
y a des éléments dans leurs représentations qui sont
très authentiques et qu'on devrait écouter avec beaucoup de soin.
Et ça, ce n'est pas un problè-
me de rémunération, à mon avis.
Du côté du personnel qui a la responsabilité de la
gestion du fonctionnement, je pense que dans ces cas-là ça
s'adapte assez bien, la rémunération avec certains types d
"Incentive", disons, ou d'encouragement à la performance. Et, de
façon générale, de toute façon, à ma
connaissance, ces personnels-cadres ne sont pas syndiqués, et
heureusement. Alors, la possibilité d'introduire ces
modalités-là ne se bloquera pas nécessairement à
des objections des syndicats.
Si on veut aller plus loin et le faire pour les personnels, à ma
connaissance, ça peut être fait. On l'a fait d'ailleurs dans le
secteur privé, dans des endroits où il y avait des syndicats,
mais en discutant avec eux, en s'entendant sur les objectifs, et ça a
été possible.
Finalement, si on parie des autres personnels, les médecins, par
exemple, ils ont choisi, eux, un système de rémunération
qui leur laisse beaucoup de latitude. Je ne pense pas que dans leur cas on
parte de la même chose et mes propos ne s'adressaient pas aux
médecins. Alors je pense qu'on doit faire des distinctions.
M. Chevrette: Sur le secteur privé, Mme la
Présidente, je voudrais vous poser deux questions. Si on ouvre la porte
au privé, comment voyez-vous qu'on pourra favoriser l'intégration
des services, dans une première question? Et, dans une deuxième,
la commission Rochon a insisté énormément sur l'importance
de se donner des objectifs puis des plans d'action pour améliorer la
santé. Est-ce qu'on pourrait vraiment - comment dirais-je? - poursuivre
ces objectifs-là en ayant un secteur privé puis un secteur
public?
M. Castonguay: Bon. D'abord, les objectifs dont il est question,
je pense bien que ce sont ceux que l'on rappelle au début du document
d'orientation. Comme je l'ai mentionné tantôt, ces
objectifs-là, pour la plupart, on va pouvoir les atteindre et tendre
vers eux non pas tellement par ce qui va se faire au niveau des services de
santé, mais sur le plan de l'éducation, de l'alimentation, des
meilleures conditions d'habitation, tous ces facteurs-là, la
réduction des accidents, la réadaptation des individus. Ce ne
sont pas les services de santé curatifs qui vont jouer le rôle le
plus important dans l'atteinte de ces objectifs-là.
Deuxièmement, dans l'intégration - vous dites
l'intégration des services - les besoins de services de soins à
domicile, ça n'a pas besoin d'être tellement
intégré. J'ai vu bien des personnes âgées, moi, qui
cherchaient désespérément à avoir des services
à domicile. S'il y avait eu quelque chose qui avait été
disponible, elles auraient pris le téléphone puis les gens y
seraient allés. C'est clair que, quand il y a un certain besoin de
coordination, lorsqu'on entre dans des ressources plus
spécialisées, j'ai men- tionné tantôt que les grands
hôpitaux, les grands établissements, les hôpitaux
généraux, ça doit demeurer du secteur public, et c'est eux
autres qui ont vraiment besoin de se coordonner et de travailler d'une
façon beaucoup plus intégrée ensemble.
La Présidente (Mme Marois): Oui, M. le
député de Rouyn-Noranda-Témiscamingue, s'il vous
plaît.
M. Trudel: Vous nous avez averti, d'entrée de jeu, de
toute façon, M. Castonguay, que vous parleriez moins de
prévention, d'habitudes de vie, de tous ces éléments
auxquels il faut aussi faire appel lorsqu'on rappelle les objectifs du document
d'orientation publié par le gouvernement, tout en nous décrivant
très bien l'espèce d'augmentation faramineuse au niveau de la
demande, en termes de services au Québec.
En ce qui regarde la possibilité de réduire, en quelque
sorte, le volume de la demande, est-ce que ça vous apparaît
significatif, ça, l'action communautaire, l'action des groupes, l'action
des personnes sur le terrain localement pour agir sur ces dimensions que vous
venez de mentionner comme étant probablement les plus grands facteurs
qui, si j'ai bien compris, contribueraient à la réduction de la
demande? Est-ce que ça apparaît significatif et est-ce qu'il faut
accorder de l'importance à ça dans la réorientation ou la
réorganisation de nos services toujours en vue de faire baisser la
pression?
M. Castonguay: Tantôt, j'ai mentionné que
l'état de santé est affecté par les facteurs dont on a
parlé: l'éducation, le niveau de vie, les conditions
d'habitation, l'alimentation, le conditionnement, la bonne santé
mentale, etc. Ça, c'est une chose, la façon de fonctionner en
société de façon générale et les
individus.
L'action communautaire, à mon avis, n'aura pas tellement d'effet
sur ces choses-là, mais elle peut être fort importante pour
apporter des réponses aux problèmes des gens. Il m'apparaît
qu'elle est importante pour venir compléter, complementer ce que le
système public peut apporter comme services, comme réponse aux
problèmes des gens. Alors, ça m'apparaît important, tout ce
qui s'est fait depuis quelques années. Un peu partout, il y a eu nombre
d'initiatives intéressantes. Ça doit continuer, ça doit
être stimulé, mais ça ajoute, à mon avis, à
l'offre des services ou à la façon de répondre aux
problèmes des gens, ça ne diminue pas tellement l'incidence de
ces problèmes-là.
M. Trudel: Sur une autre dimension, j'ai compris, étant
originaire et vivant dans une région périphérique, je suis
assez effrayé par votre perspective d'introduction de la privatisation
en y ajoutant qu'il faudrait réserver, bien sûr, la nature
publique des institutions aux
grandes institutions et que d'autres de moins grande envergure
pourraient faire l'objet de privatisation. Toute comparaison cloche. J'ai
déjà vécu ça, par exemple, dans le domaine des
transports aériens et on pourrait très bien voir les effets au
niveau des coûts, et ce que ça veut dire, et de la nature du
service. Et je sais que toute comparaison cloche là-dessus. Vous n'avez
pas l'impression, M. Castonguay, que, nous lançant là-dedans,
nous nous dirigeons vers la création de deux niveaux d'institutions,
deux niveaux d'établissements au Québec, de grandes institutions,
avec, forcément, parce qu'ils recèleraient des
spécialistes, plus d'équipements, de meilleurs services - il faut
le dire, plus on est équipé, plus il y a de monde; plus on a de
meilleur monde dans l'établissement, mieux on peut donner de meilleurs
services - et aussi, avec la touche que vous y ajoutez, que, dans certains cas,
on pourrait peut-être introduire le système de "vouchers" pour les
services à acheter là où on pense que ça va
être le mieux? Vous n'avez pas l'impression qu'on se dirige avec cela
irrémédiablement vers la création de deux niveaux de
qualité d'établissements en matière de santé ou de
services sociaux au Québec, assez rapidement?
M. Castonguay: D'abord, je n'ai pas parlé de privatisation
des services. J'ai mentionné qu'en plus des services qui sont là,
on devrait permettre d'en créer davantage parce que le problème,
c'est qu'il n'y en a pas suffisamment. Je n'ai pas parte d'enlever les CLSC, de
réduire leur financement, de changer leur mission. J'ai parlé de
la possibilité qu'en plus on ouvre un peu plus la porte à la
possibilité que d'autres types de services soient créés.
L'Idée de penser qu'on a un seul modèle unique, que tout va
être réglé uniquement par un financement public selon un
modèle rigide préétabli, moi, je crois qu'on voit vers
où ça nous mène. C'est en train d'être de plus en
plus rigide et de créer de plus en plus de difficultés. Alors, je
ne propose pas... Vous avez dit que la comparaison avec les transports
aériens était boiteuse. Sans vouloir être
désagréable, j'ajouterais qu'il n'y a aucune comparaison entre ce
qui s'est fait dans ce secteur-là et ce dont je parie. Ici, il s'agit
d'ouvrir la porte à des apports additionnels. Ça pourra prendre
la forme de corporations sans but lucratif. Quand je parie du secteur
privé, je ne parie pas nécessairement de corporations à
but lucratif, mais je parie de choses qui pourraient être
créées dans le milieu sans que ce soit nécessairement avec
l'initiative gouvernementale. Ça peut prendre différentes formes.
Vous avez vu les cliniques médicales qui ont été
créées suite à l'assurance-maladie. Je pense qu'elles ont
joué un rôle très utile. Elles sont venues donner une forme
de pratique aux médecins blon plus efficace que lorsqu'ils pratiquaient
de façon isolée. C'en est une, ça, une forme
additionnelle.
Il y en a plusieurs. Alors, c'est dans ce sens-là que je parie.
Et je crois que, justement, une certaine émulation, comme on l'a vu
à ce moment-là, les cliniques de médecins, ça va
créer des systèmes plus efficaces. On ne peut pas rêver et
penser que si on essaie d'enfermer tout le monde dans un même moule,
là, on va avoir exactement le niveau de qualité
désiré. Je pense, mol, que c'est par l'émulation, par une
certaine ouverture, par des ressources additionnelles qu'on va hausser le
niveau général de qualité. Il y en a qui seront moins
efficaces que d'autres, mais je ne pense pas qu'on va voir deux niveaux, un
pour les riches et un pour les pauvres, parce que c'est ça qui est
toujours l'Idée sous-jacente dans ce genre de question.
M. Trudel: Une dernière question, Mme la
Présidente, à M. Castonguay. Vous nous indiquez qu'au niveau de
l'allocation des ressources, il faudrait, grosso modo, et je raccourcis un
petit peu en raison du temps que nous avons utilisé, introduire les
critères de performance, d'efficacité, d'efficience, de rendement
dans l'offre de services. Dans la mesure où nous déciderions,
où l'État déciderait ou continuerait à dire: Ce qui
est important, c'est la personne à servir, vous ne croyez pas que
peut-être que le meilleur système ou une autre façon de
voir les choses, ce serait que les allocations de ressources soient
plutôt dirigées compte tenu du niveau de risque des populations
là où elles vivent sur le territoire? Je pense que vous comprenez
bien, un peu, la question. Est-ce qu'on y va sur la performance des
établissements surtout ou, si on a une population qui est plus à
risques dans tel ou tel secteur géographique, c'est là qu'on
devrait surtout placer les ressources? Ça va de soi si, donc, par
définition, on centre le système sur la personne. Et vous avez
vous-même dit tantôt que l'on possédait, somme toute,
maintenant d'assez bons mécanismes qu'il reste peut-être à
perfectionner au niveau des indicateurs. Alors, compte tenu de cette
Information qui serait disponible, vous ne pensez pas que l'une des
façons de voir les choses, ce serait de diriger les ressources
financières plutôt vers les populations à risques que sur
le rendement des institutions qui reçoivent, par ailleurs, des
bénéficiaires?
M. Castonguay: Quand j'ai parié de performance, j'avais
à l'idée, évidemment, des critères qui ont trait
à la mission des établissements: le traitement des malades, la
capacité de les guérir, la capacité de les traiter
rapidement. C'est ce genre de critères que j'avais à l'esprit et
c'est ça qui se mesure. Au lieu de donner, comme on le disait
tantôt, les budgets à partir de critères historiques ou
selon le nombre de lits, ça m'apparaîl beaucoup plus important
d'ajuster les budgets selon le nombre de personnes traitées, la
gravité des traitements qui leur sont donnés, ta
durée de leurs traitements, des critères comme
ceux-là. Maintenant, j'ai mentionné qu'on a des outils qui nous
permettent de mesurer, mais, en même temps, ce n'est pas infini cette
capacité. Je suis bien d'accord avec vous qu'il y a peut-être
certains problèmes qui sont plus aigus dans certains milieux que dans
d'autres, mais de là à dégager de ça comment on
pourrait ajuster, à partir de ces éléments, les budgets
entre des établissements hospitaliers, je pense qu'on n'est pas rendus
là encore.
La Présidente (Mme Marois): Oui, M. le leader de
l'Opposition.
M. Chevrette: Merci. Moi, c'est une sous-question. À
partir d'un exemple, je voudrais bien comprendre ce que vous voulez dire.
Prenons un service de physiothérapie. Il se part une clinique
privée en physiothérapie. C'est payé par le gouvernement
puisque c'est gratuit. Vous ne remettez pas en cause le principe de la
gratuité. Donc, c'est gratuit pour y aller. L'hôpital, c'est trois
mois, quatre mois d'attente; c'est long; tu attends dans les corridors, alors
que, là, ça roule à la planche. Qu'est-ce qui arrive avec
le service de physiothérapie de l'hôpital, tout le personnel qui
est engagé, qui est permanent, qui ne donne pas de services et qui se
traîne les pieds, et tout le monde se tire ou à peu près en
clinique? (17 heures)
M. Castonguay: Écoutez! Je pense qu'on doit tenir pour
acquis d'abord que la direction des hôpitaux, ce sont des gens en qui on
peut avoir confiance ou en qui on devrait avoir confiance. Ce sont des gens
généralement compétents. Et si, vraiment, à un
moment donné, leur clientèle dans un service comme
celui-là, les quitte pour aller ailleurs, normalement, ils devraient se
dire: II y a un problème. On va aller examiner et voir ce qui se passe
et on va essayer de donner un service plus efficace. Il y a des
médecins, à l'intérieur, qui vont dire: Aïe! Un
instant! Nous, on avait ici des physiothérapeutes; nos patients
pouvaient faire de la physiothérapie et, aujourd'hui, ils ne le peuvent
plus. C'était long, c'était inefficace, mais au moins, on les
avait et aujourd'hui, on ne les a plus. Alors il va s'exercer des pressions. Le
milieu n'est pas un milieu absolument neutre. Il y a bien d'autres
éléments impliqués. C'est dans ce sens-là que je
dis qu'une certaine concurrence, une certaine émulation, ça
ajoute de la pression et c'est comme ça qu'une plus grande
efficacité peut être obtenue.
M. Chevrette: Mais, tout en...
M. Castonguay: Je pense que le régime de santé et
de sécurité au travail, les modifications qui y ont
été apportées en sont un exemple absolument
extraordinaire.
M. Chevrette: Ça fait plusieurs fois que vous vous
référez à la CSST. Si j'avais le temps, je vous poserais
quelques questions sur la CSST. Je ne suis pas sûr aussi qu'elle n'a pas
épargné un gros 1 000 000 $ en refusant systématiquement,
dans la première instance, toute demande. On pourrait s'en parler
longtemps. Je vous remercie énormément d'avoir contribué
à cette commission parlementaire.
La Présidente (Mme Marois): Merci. M. le
député de Westmount, M. Holden, s'il vous plaît.
M. Holden: M. Castonguay, si j'ai bien compris, vous étiez
impliqué avec la Fondation de l'Université Laval ou de
l'hôpital. Vous l'aviez créée.
M. Castonguay: Le Centre hospitalier de l'Université
Laval, le CHUL.
M. Holden: Pourriez-vous expliquer à la commission
l'utilité de fondations en général et l'importance de
cette institution dans le financement des hôpitaux?
M. Castonguay: La raison pour laquelle nous l'avons
créée à l'époque, c'est qu'il y avait des besoins
qui nous apparaissaient des besoins authentiques qu'il n'était pas
possible de satisfaire avec les budgets que nous recevions du gouvernement. Au
lieu d'essayer uniquement de faire pression pour avoir des budgets plus
élevés, on a dit: On va aller chercher une nouvelle source de
fonds. On a créé la Fondation et, non pas à notre
surprise, ça a été extrêmement intéressant de
constater que les gens ont réagi de façon très positive.
De toutes sortes de façons, les gens ont contribué.
Après quelques années, nous allions déjà
chercher environ 500 000 $ par année, en peu de temps, trois ou quatre
ans suivant la création de la Fondation. Cela nous permettait de jouer
un rôle extrêmement utile sur le plan de l'achat
d'équipements et de donner des services additionnels. Bien souvent, ce
qu'on faisait, c'est que vis-à-vis d'un équipement, par exemple
une pièce qui coûtait 50 000 $, on disait aux médecins du
service: On va vous donner 25 000 $; allez chercher les autres 25 000 $. Alors
non seulement on faisait fonctionner, on obtenait du rendement avec les fonds
que nous avions recueillis, mais on mettait la pression sur les gens de
l'hôpital pour qu'ils aillent en chercher en plus. On multipliait d'une
certaine façon notre apport.
En plus de la partie financière, on a intéressé de
cette façon un grand nombre de personnes au bon fonctionnement du CHUL.
Cela a créé à l'intérieur de l'établissement
un climat positif. Les gens étaient contents, à
l'intérieur, de penser qu'il y en avait d'autres qui venaient les aider
à résoudre des problèmes difficiles. Il s'est
établi une espèce de dynamique qui était
très positive. Le personnel qui, au début, se demandait un
peu ce qu'on était pour faire, si on ne s'introduisait pas dans le
milieu pour se mêler de choses qui nous regardaient plus ou moins, peu de
temps après, travaillait étroitement avec la Fondation. On a
organisé des initiatives où le personnel participait, de
façon extrêmement active. On a même fait des collectes de
fonds auprès du personnel pour ajouter aux revenus de la Fondation. Je
crois que ce type d'organisme peut jouer un rôle extrêmement
utile.
M. Holden: En principe, vous êtes en faveur de la
continuation de ce genre de...
M. Castonguay: Ah bien oui! Évidemment. M. Holden:
Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Marois): Merci, M. le
député de Westmount. Si vous me le permettez, M. Castonguay,
j'aurais une question à vous poser. J'ai l'impression que le
président du conseil d'administration d'institutions a
goûté à la médecine du ministre et qu'il nous fait
des commentaires dans ce sens-là, dans le sens où les
orientations que vous aviez données, vous les avez aussi
appliquées et vous dites: Maintenant, je fais un certain nombre de
commentaires sur ça. Il y en a un, en particulier, que vous avez fait
à quelques reprises. Vous semblez beaucoup plus d'accord pour laisser
une marge de manoeuvre plus grande aux institutions. Vous êtes venu sur
ça. Bon. Marge de manoeuvre plus grande, une marge de manoeuvre, plus de
souplesse, etc.
Évidemment, ça risque de créer des distorsions un
peu dans le régime. J'aimerais que vous commentiez ça. Est-ce que
vous voyez ce risque comme étant présent? D'autre part, dans quel
champ d'action particulièrement souhaiteriez-vous qu'il y ait une plus
grande décentralisation vers les institutions? Est-ce que c'est du
côté de la gestion du personnel, de la planification des
programmes? Bon, quel champ d'action vous apparaît le plus important
à privilégier à cet égard-là et
jusqu'où imaginez-vous que cette marge de manoeuvre puisse aller? En
soi, est-ce en termes financiers ou en termes de capacité de prise de
décision?
M. Castonguay: D'abord, au départ, comme je l'ai
mentionné, lorsque la Loi sur les services de santé et les
services sociaux a été adoptée, on avait des grandes
disparités dans tous les établissements, dans leur fonctionnement
II y avait toutes sortes de choses. On a essaye d'établir un certain
cadre assez uniforme pour les conseils, les comités et tout ça,
et une certaine réglementation. On est peut-être allé un
peu loin sur le plan de la réglementation On se questionne après
coup et si c'était à refaire, je pense que, pour ma part, je
mettrais la pédale un petit peu plus au ralenti.
Mais, depuis ce temps-là, je pense que l'accent a continué
dans ce sens-là. On n'a pas changé, comme je le disais,
fondamentalement le système, mais on a ajouté à la
réglementation constamment. C'est devenu de plus en plus rigide. Alors,
quand je parle de décentralisation, ce serait de réduire la
réglementation, donner plus de marge de manoeuvre aux
établissements, surtout pour se gérer, pas nécessairement
pour partir dans toutes sortes de directions. Les établissements doivent
évidemment avoir une certaine mission et ça ne peut pas
être le fouillis et on ne peut pas les laisser aller dans tous les sens.
On sait que, quand ils assument certains nouveaux services, ça prend des
équipements, ça prend du personnel. Ça, c'est l'allocation
des ressources et c'est ça que je crois qui doit demeurer dans une large
mesure une responsabilité du ministère, surtout en ce qui a trait
aux hôpitaux généraux, aux hôpitaux
spécialisés, aux hôpitaux d'enseignement.
Les autres, qui donnent les services beaucoup plus simples, il n'y a pas
des grands problèmes d'allocation de ressources. C'est beaucoup plus des
problèmes de budget de fonctionnement et si on leur laisse plus de marge
de manoeuvre aux établissements dans le cadre de leur mission, à
mon avis, que ce soit sur le plan de la gestion de leurs ressources humaines,
de l'utilisation des espaces qu'ils ont, des équipements, du
renouvellement des équipements, de l'entretien des bâtiments, et
tout ça, normalement ils vont faire un meilleur travail. Il est
impossible d'essayer de régler ces questions-là par voie de
réglementation ou par voie de directive à distance.
Ce sont des problèmes qui doivent être réglés
au niveau local. Et ça va créer, comme vous dites, certaines
disparités, mais, à mon avis, ce que ça va faire, c'est
que ces disparités-là, il y en a qui vont aller en
s'améliorant et ça va hausser l'ensemble alors que là. on
essaie de maintenir un peu tout le monde au même niveau et on sait que,
quand on fait ça, bien souvent l'effet est de ramener au plus
La Présidente (Mme Marois): Au plus commun
dénominateur.
M. Castonguay: ...commun dénominateur.
La Présidente (Mme Marois): Je vous remercie, M.
Castonguay. Oui, M le ministre.
M. Côté (Charlesbourg): Une petite
complémentaire. Je m'informais parce que je ne le savais pas. Je
l'apprends; alors, c'est toujours instructif en même temps de se poser
des questions nous-mêmes. Les budgets des centres hospitaliers, me
dit-on, c'est à peu près 80 % en salaires ou reliés aux
conventions collectives. Il reste donc une marge de manoeuvre qui est
très, très mince par la suite Évidemment, est-ce que
ça irait jusqu'à reconnaître à
l'établissement son pouvoir de négocier lui-même des
conventions collectives? Parce que c'est ià que pourrait être la
marge de manoeuvre parce que autrement la réglementation dont on parle,
ça s'applique à peut-être 20 % du budget, et encore
là, il ne reste pas grand-chose.
Effectivement, il y a beaucoup de réglementation, il y a beaucoup
de lois. C'est clair. Je pense que tout le monde a toujours dit qu'il y en
avait trop et qu'il fallait tenter de minimiser tout ça. Mais moi,
l'impression que j'avais, vu de Québec, là, installé dans
le fauteuil, c'est qu'évidemment ils ont beaucoup d'autonomie. Ils n'ont
jamais suffisamment d'argent, mais j'avais l'impression que les conseils
d'administration avaient beaucoup d'autonomie sur le plan de la gestion des
allocations de ressources qu'ils ont pour chacun des établissements.
Votre perception à vous qui avez vécu - parce que je n'ai pas
vécu, moi, au niveau d'un conseil d'administration - c'est qu'ils sont
trop encadrés. Mais si on regarde les salaires... Excluant les salaires
et les frais fixes, il ne reste plus grand-chose, finalement, à ce que
je comprends.
M. Castonguay: Mais il n'y a pas juste le niveau des salaires, il
y a le nombre de personnels, leur mobilité et ce qu'ils produisent.
C'est ça qui est important. Vous avez des services, des fois, qui sont
surchargés et, à côté, vous avez un autre service
où il n'y a à peu près rien qui se passe, et où ii
n'est pas question de demander à qui que ce soit d'aller prêter
main forte. Vous avez la mobilité, aussi, dans les emplois. À un
moment donné, si une personne est malade ou si elle est en vacances, il
n'est pas question de déplacer un individu pour aller suppléer le
rendement, aussi, du personnel, le volume d'activité qu'ils peuvent
assumer.
Vous avez aussi des équipements extrêmement importants qui
sont utilises chaque semaine pendant un nombre d'heures très limite.
Dans les entreprises, si on avait à mettre des ressources de la
même importance et du même coût que celui investi dans les
centres hospitaliers, je vous dis qu'on les ferait fonctionner joliment plus
longtemps que le nombre d'heures très limité où ça
fonctionne. Les gens entrent à l'hôpital
généralement le lundi, on commence les examens; bien souvent,
ça commence à rouler le lundi après-midi ou le mardi et,
déjà, rendu au jeudi soir ou au vendredi, on commence à
retourner les gens et, en fin de semaine, c'est à peu près fini.
Le soir, à part des urgences, ça ne fonctionne à peu
près pas. Ça, c'est important, aussi. Alors, c'est tout ça
qui est en cause.
M. Côté (Charlesbourg): Je comprends davantage,
maintenant. Effectivement, il y a de la marge, là, pour du travail. Ce
que vous dites, c'est que, dans la mesure où les centres hospitaliers,
par exemple, auraient cette autonomie, eux-mêmes pourraient faire cet
arbitrage à l'intérieur des hôpitaux.
M. Castonguay: C'est là, si vous me le permettez, que les
syndicats aussi ont une responsabilité. Évidemment, si on dit: On
ne change rien aux conventions collectives, on combat tout changement, on
empêche toute mobilité, on garde un système le plus rigide
possible, ce dont on discute ne sera pas possible. Je pense qu'ils ont une
responsabilité comme les autres.
M. Côté (Charlesbourg): Ça, ça
règle le problème du personnel. Évidemment, quand on fait
référence à des équipements sophistiqués
très dispendieux, à ce moment-là, on doit parler de
complémentarité et de concertation au niveau d'une région
pour ne pas que tout le monde veuille avoir le même appareil dans chaque
hôpital et, évidemment, qu'il reste à ne rien faire la
moitié du temps. Je saisis maintenant très bien la proposition.
Merci de votre participation.
La Présidente (Mme Marois): Merci beaucoup de votre
intervention.
M. Castonguay: Merci.
La Présidente (Mme Marois): Si je comprends bien, nous
avons fini nos travaux pour aujourd'hui. Nous ajournons à demain, 10
heures.
(Fin de la séance à 17 h 13)