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Commission de l'administration de la justice
Bill 10 Régimes matrimoniaux
Séance du 13 août 1969
(Dix heures dix minutes)
M. BERGERON (président de la commission permanente de
l'administration de la justice): A l'ordre, messieurs! Nous nous
réunissons ce matin pour entendre le Protecteur du citoyen, Me Marceau,
à qui nous souhaitons la plus cordiale bienvenue. Inutile de vous dire,
Me Marceau, que nous avons besoin de vos lumières pour tâcher
d'adopter le bill 10 le plus tôt possible. Tous les membres de la
commission sont très heureux de vous accueillir ici ce matin. Nous nous
excusons de vous avoir avisé un peu tard, mais à cause de
l'Intersession, c'est peut-être ce qui explique cet oubli. Me
Marceau.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, je me demande si, avant
d'entendre Me Marceau, il n'y aurait pas lieu de notre part, de ce
côté-ci, de féliciter celui qui est encore
député de Maskinongé mais qui n'était pas ministre
de la Justice lorsqu'il a siégé avant ce jour. Nous sommes
heureux de l'avoir avec nous, qu'il continue le travail. Nous savons que, comme
ministre de la Justice, l'influence qu'il possède sur la
législation est peut-être encore plus grande, et nous avons
confiance qu'avec lui comme capitaine de notre barque, cette loi pourra
être adoptée dans le plus bref délai possible après
que nous aurons étudié chaque article. Alors, je le
félicite, nous sommes très heureux de l'avoir avec nous.
Par la même occasion, je m'en voudrais de ne pas féliciter
un autre membre de la commission, l'honorable Armand Maltais,
député de Limoilou, qui est maintenant ministre des institutions
financières. Alors à nos deux collègues, nos
félicitations.
Comme vous, M. le Président, j'ai vhâted'en-tendre Me
Marceau. Il nous fait plaisir, de notre côté, de lui souhaiter la
plus cordiale bienvenue.
M. THEORET: M. le Président, j'aurais bien accepté que
l'honorable député de Marguerite-Bourgeoys s'exprime au nom de
tout le monde, mais elle a dit: « De notre côté ».
MME KIRKLAND-CASGRAIN: J'ai pensé que c'était
déjà fait du vôtre.
M. THEORET: Nous aurions bien accepté que vous
représentiez tout le monde ce matin, madame. De toute façon, de
ce côté-ci, nous n'avons pas offert nos félicitations
officiellement comme l'a fait Madame Kirkland-Casgrain, Nous sommes heureux du
choix que le premier ministre a fait de ses deux ministres.
J'ajouterai, madame, que le ministre de la Justice semblait sympathique
aux points de vue que nous partagions très souvent depuis l'étude
de ce bill sur les états matrimoniaux. J'espère que dans ses
nouvelles fonctions il ne changera pas d'attitude et qu'il continuera de
piloter, auprès du ministre de la Justice, ce bill qu'il connaît
bien, afin qu'il soit adopté le plus rapidement possible après
les explications que nous aurons de tous ces experts que nous avons
consultés jusqu'à maintenant.
Alors, à vous, M. Paul et M. Maltais, nos
félicitations.
M. PAUL: M. le Président, qu'il me soit permis de remercier
l'honorable député de Marguerite-Bourgeoys pour sa
délicatesse reconnue. Les bonnes paroles qu'elle a eues à mon
endroit et qu'elle a bien voulu m'adresser au nom de toute la deputation
libérale de la Chambre me touchent grandement. Je l'en remercie.
Pour ce qui est de la crainte de l'honorable député de
Papineau, il pourra toujours se consoler, parce que les avocats ont toujours
été les grands protecteurs des notaires.
M. THEORET: Oui, mais cela ne fait rien.
M. PAUL: Nous vous remercions, M. Théo-ret. Je ne suis pas sans
réaliser les difficultés que commande aujourd'hui
l'administration de la justice au Québec. C'est par un travail
d'équipe, c'est par l'espérance de conseils, de suggestions que
j'envisage l'accomplissement de ma tâche.
Je n'ai aucun doute que tous les collègues de l'Assemblée
nationale ne manqueront pas de me signaler certaines erreurs qui peuvent se
glisser dans l'administration de la justice. C'est le propre de l'humain de se
tromper. Ce qui est grave, c'est de continuer à s'enliser dans l'erreur.
Mais par les suggestions, avec la collaboration de tous et chacun, j'ai espoir
de répondre aux aspirations de la population québécoise
assoiffée d'ordre et de paix, et également de justifier la
confiance que vient de me témoigner l'honorable premier ministre.
Je m'en voudrais de ne pas féliciter également mon
collègue, l'honorable député de Limoilou, M. Maltais, qui
s'est vu assigner le poste de ministre des Institutions financières.
Heureusement pour moi, il a bien voulu accepter de cumuler la fonction
de Solliciteur général. Ensemble, nous allons essayer d'accomplir
notre boulot pour prêter le moins souvent possible flanc à la
critique.
Je vous réitère donc, madame, mes chers amis, mes chers
collègues de la commission, mes sincères remerciements.
Je m'en voudrais de ne pas souhaiter la plus cordiale bienvenue au
Protecteur du citoyen, M. Marceau, qui, hier, a très bien compris
l'impasse dans laquelle nous étions placés lorsque Mme
Kirkland-Casgrain m'a signalé que nous devions ce matin avoir la
présence du Protecteur du citoyen.
En homme dévoué qu'il est, il s'est empressé de
venir au secours du peuple de l'Assemblée nationale. Malgré le
peu de délai que notre demande lui laissait pour la préparation
de son mémoire ou de ses remarques, M. Marceau a bien voulu accepter
d'être des nôtres ce matin. Veuillez croire que nous avons
hâte de vous entendre, M. Marceau, parce que vous avez été,
avec un autre juriste bien connu, le notaire Comtois, l'une des chevilles
ouvrières de cette législation. Puisqu'il semble y avoir un
consensus général à l'effet que nous allions de l'avant
avec cette législation, nous sommes désireux de compléter
l'audition de tous les mémoires pour nous attaquer à
l'étude, article par article, du bill numéro 10.
Je m'en voudrais de ne pas saisir l'occasion qui se présente pour
m'excuser d'avance de devoir vous quitter vers dix heures trente, pour
rencontrer l'ambassadeur de Pologne et le recevoir également à
déjeuner.
Je crois que mon collègue, M. Maltais, a quelques remarques
à ajouter.
M. MALTAIS (Limoilou): M. le Président, vous me permettrez de
remercier également le député de Marguerite-Bourgeoys, Mme
Claire Kirkland-Casgrain, de même que tous ses collègues je
sais qu'elle les représente fort bien pour la circonstance des
félicitations qu'elle a bien voulu m'offrir pour le nouveau poste que je
suis appelé à remplir comme membre du gouvernement.
Je voudrais en passant également présenter cela a
déjà été fait, mais je veux le faire encore plus
officiellement publiquement mes félicitations à mon
dévoué collègue, l'honorable Rémi Paul, qui est
devenu, par la volonté du premier ministre, ministre de la Justice.
Doté d'une vaste expérience en tant qu'avocat praticien, il
était tout qualifié pour occuper cette fonction qui est entre
bonnes mains. J'en suis personnellement très heureux et c'est avec la
plus grande joie que j'ai accepté, à sa demande, de le seconder
comme Solliciteur général.
Comme nouveau ministre des Institutions financières, j'ai vu,
tout à l'heure, Me Warren me montrer un document qui déjà
est l'objet de nos préoccupations. Je veux parler du rapport qui vient
d'être publié par la commission Parizeau, concernant les
institutions financières.
Evidemment, il s'agit là d'un vaste domaine, d'un domaine
intéressant, qui est peut-être au centre de toute cette
préoccupation économique qui caractérise notre temps et
ces jours que nous vivons. J'entendais hier soir, comme vous tous, une
émission à la télévision de Radio-Canada, je pense
bien, où il était de nouveau question, non pas
nécessairement de cette question, mais d'une question parallèle
et très intimement liée, c'est la question des investissements
financiers au Québec. Je crois que tout cela se tient II serait
intéressant, avec la coopération de tous, de continuer à
oeuvrer dans ce nouveau champ d'action.
Connaissant particulièrement bien mon confrère de
Québec, Me Marceau, je voudrais d'abord lui adresser publiquement ici
c'est la première fois, après l'avoir fait
privément, que j'ai l'occasion de le faire publiquement mes
félicitations les plus sincères pour le poste de confiance
extraordinaire que vient de lui confier l'Assemblée nationale. Cest le
premier Ombudsman dans les annales politiques du Québec. C'est une
institution qui est dictée par un haut degré de
démocratie, et je suis particulièrement fier qu'il ait
été l'heureux choix, à l'unanimité, de
l'Assemblée nationale. Je le félicite.
Je sais que son poste en est un de très grande
responsabilité et d'immense travail. Je ne voudrais pas avoir à
dénombrer même le nombre de cas ou de lettres qu'il a dû
recevoir depuis qu'il est à son poste. J'imagine qu'il doit y avoir, des
problèmes. Chaque jour, nous-mêmes, dans notre administration
c'est étrange, nous sommes actuellement à préparer
un projet de législation, et même dans le projet de
législation entre l'administratif, le législatif et le judiciaire
nous voyons tout de suite la correspondance, et nous constatons qu'il y
a des cas que nous pouvions transmettre à l'Ombudsman, seulement dans ce
travail. Donc, mes sincères félicitations, Me Marceau, et plein
succès dans votre travail. Je vous félicite aussi pour la
participation active que vous avez prise, en tant qu'avocat éminent et
doyen à la faculté de droit de Laval, à ce travail
particulier
en compagnie de Me Roger Comtois, le président de la Chambre des
notaires, alors que vous nous avez fait parvenir un projet de loi
extrêmement intéressant, dans un domaine particulièrement
difficile.
Nous ne sommes pas sans nous rendre compte des embûches qu'un tel
projet de loi peut soulever à plusieurs points de vue, mais je crois que
vous nous avez orientés d'une façon décisive. Je vous
remercie, à tout événement. Je vous remercie surtout de
votre présence ce matin, afin de nous donner de plus amples explications
dont nous avons réellement un pressant besoin. Merci.
M. PAUL: Excusez, M. Marceau. Pour régulariser cette
procédure, il y aurait lieu de faire une motion d'entente avec les
honorables députés pour que le nom de M. Cadieux soit
substitué à celui de M. Maltais, celui de M. Gilles Houde
à celui de M. Claude Wagner, celui de M. Gérald Harvey à
celui de M. Jean Bienvenue et celui de M. Paul-Emile Sauvageau à celui
de M. Raynald Fréchette.
M. MALTAIS (Limoilou): Il s'agit de M. Maltais (Saguenay).
M. PAUL: M. Maltais (Saguenay), oui.
M. MALTAIS (Limoilou): Etant donné les homonymes.
M. LE PRESIDENT: Me Marceau.
M. MARCEAU: M. le Président, madame, messieurs les membres de la
commission de la Justice, je suis extrêmement sensible à cet
accueil et aux propos que l'on vient d'avoir à mon endroit. Je disais
bien, hier, à l'honorable ministre de la Justice, que l'invitation dont
J'étais l'objet de la part de votre commission et qu'il me transmettait
n'était pas sans m'honorer tout particulièrement et que je
l'acceptais avec plaisir.
M. LE PRESIDENT: Me Marceau, vous pouvez vous asseoir.
M. MARCEAU: Merci, M. le Président. Etant un officier de
l'Assemblée, ce dont je suis extrêmement fier, je ne pouvais,
évidemment, refuser de participer à ces travaux, si on jugeait
que ma participation pouvait être de quelque utilité et qu'on me
demandait de la fournir.
D'ailleurs, il me plaisait de revenir, & un moment, à des
préoccupations que j'ai dû abandonner mais pour lesquelles Je
pense ressen- tir parfois une certaine nostalgie. Vos propos d'accueil m'ont
confirmé dans le bien-fondé de cette acceptation enthousiaste que
j'ai donnée à l'honorable ministre, hier.
Seulement, j'avoue en ce moment être un peu mal à l'aise et
rempli d'appréhension, car j'ai peur de vous décevoir quelque
peu. C'est que, d'abord, je me suis rendu compte, ce matin, en regardant mes
notes à vol d'oiseau que le temps rend vite les idées plus
difficilement maniables sur un sujet aussi complexe, et que mon travail sur le
projet commence à dater déjà. Mais c'est surtout que,
prenant connaissance du compte rendu de vos travaux, je regrette de dire
qu'à cause de mes fonctions et du caractère nouveau qu'elles
avaient, mes loisirs étaient très peu nombreux et,
malheureusement, Je n'avais pas pris connaissance de toutes les discussions.
Mais, ce matin, je me suis jeté 1à-dedans et j'ai vu que le ton
et le contenu des échanges et des interventions suscités avaient
permis une réflexion déjà drôlement poussée.
On l'a dit énormément, et, à mon avis, on l'a dit de
façon extrêmementjudicieuse,et je ne vois pas bien ce que je
pourrais vraiment ajouter. En tout cas, je n'ai pas eu le temps de
préparer de communications, ce que je regrette, et je m'en excuse. Tout
ce que Je puis faire, ce à quoi seulement vous vous attendiez, me
rassurait l'honorable Paul, hier et il l'a répété
ce matin c'est que je participe à vos délibérations
en tentant de répondre, à l'occasion, aux questions que vous
pourriez me poser.
Je ne sais pas, M. le Président, si vous jugerez quand même
à propos que je mepermette tout de suite de reprendre à mon
compte quelques observations déjà faites sans doute, mais qui
m'apparalssent si fondamentales qu'on peut difficilement s'empêcher d'y
revenir.
Je ne veux pas, bien évidemment, parler des idées de base
du projet que vous avez devant vous; ces idées-là ont
déjà été partiellement acceptées, comme le
mentionnait l'honorable ministre de la Justice il y a quelques instants, ou du
moins tacitement acceptées. Ce n'est pas mon propos. Je n'aurais rien de
vraiment valable à ajouter, cela ne vaudrait pas la peine que je les
reprenne.
Je voudrais, si étonnant que cela puisse paraître, redire
le sérieux, mais en même temps les limites de cet argument de la
complexité qui revient toujours comme un refrain dans la voix de ceux
qui font valoir des réserves à l'égard du projet que vous
avez devant vous. Je dis sérieux, d'abord, et ce n'est pas une boutade,
si je puis dire. Je pense qu'une législation doit être
éminemment pratique, elle est là pour être vécue. Ce
sont des clichés que je dis là.
Mais, je m'en sers pour essayer de mieux m'expllquer. La
législation est là pour être vécue dans la vie de
tous les jours. Et sa simplicité est incontestablement une des valeurs
qui, à mon avis, doivent être respectées. On ne peut certes
pas mettre de côté, d'un revers de main, un argument comme
celui-là qui peut atteindre l'ensemble d'un projet. Mais le
sérieux de l'argument ne peut être considéré,
à mon avis, que si l'on garde présent à l'esprit un
certain nombre de données. C'est cela que je veux dire par des limites
à l'argument de complexité que l'on a fait valoir et qui est
à la base de toutes les réserves que l'on a plaidées
à l'encontre de l'adoption du projet.
Je dis qu'il y a des limites. La première est d'ordre
général. Encore là, c'est un cliché, je sais bien,
mais nous nous nourrissons peut-être, tous un peu de clichés. Nous
changeons peut-être un peu la façon de le dire. Les idées
vraiment nouvelles ne courent pas tellement les rues. Je veux dire qu'une
certaine complexité est absolument inéluctable dans n'importe
quel domaine de la législation, cela est sûr. La chose la plus
simple que l'on puisse accepter, c'est l'absence de législation. Dans un
domaine où il n'y a absolument aucune loi, c'est évidemment,
apparemment tout au moins, plus simple. Et, à l'état de nature de
Rousseau, il n'y avait pas de juristes.
Il faut admettre que toute nouvelle réglementation pour essayer
d'organiser un champ d'activité, toute nouvelle organisation va apporter
une certaine complexité. Mais cette complexité, à mon
avis, est spécialement inévitable, et spécialement le
propre du domaine qui est ici concerné.
Il y a un immense paradoxe à mon avis, en ce qui concerne les
régimes matrimoniaux. C'est peut-être la partie du droit
privé, du droit civil qui attire le plus les gens en
général, c'est le mariage, c'est la législation relative
au mariage.
On sait bien l'importance que cela peut avoir dans la vie de chacune des
personnes. Et la législation sur les régimes matrimoniaux, de
cette manière-là, s'adresse peut-être plus que n'importe
quelle autre à tout le monde. Et je pense qu'il est tout à fait
normal que tout le monde s'y intéresse et que tout le monde essaie de
comprendre à quoi cela rime, quelles sont les idées qui sont
là et quelles sont, de façon précise, les règles
qui les concernent.
Mais où est le paradoxe? Je dis qu'en même temps que c'est
la partie de la législation peut-être qui attire le plus, à
cause de son caractore qui concerne le mariage, c'est, je pense, la partie la
plus complexe de tout le droit privé. Pour- quoi? Cela se comprend sans
peine, c'est qu'elle est située à un carrefour, un carrefour
d'à peu près toutes les branches du droit civil. Un carrefour du
droit des biens; évidemment, on partage des biens. Un carrefour du droit
de la responsabilité, parce qu'on établit la
responsabilité des époux, à l'égard des tiers,
à l'égard des créanciers en particulier. Carrefour des
droits des biens, carrefour des droits des obligations, carrefour du droit des
successions, on le sait bien, le domaine des successions est mêlé
à toutes les discussions là-dessus. Et ce sont là les
trois grands champs d'action, le carrefour du droit des personnes aussi, bien
sûr. Ce sont là les grands champs d'action du droit privé
et ce qui est plus complexe encore, on ne les établit pas pour un moment
précis, mais pour la durée, pour un temps. On fait des
règles qui s'appliquent au moment du mariage, mais beaucoup d'entre
elles pour être effectivement mises en oeuvre, 20 ans, 30 ans et 40 ans
après.
Si bien que le domaine et je le répète, je reviens
sur ce point-là est le plus complexe peut-être de tout le
droit privé. Voilà le paradoxe auquel je faisais allusion. Il
faut que l'on comprenne tout ce qu'il y a, il faut que je suis en face
de juristes, je le sais bien même des non-juristes essaient de
comprendre ce qu'il y a. Et c'est tout à fait normal qu'on ait
reçu, nous de la commission, une série de rapports de toutes les
associations. Nous en étions extrêmement fiers. Si cela avait
été l'inverse, je pense que quelque chose n'aurait pas
marché.
Seulement, il faut quand même que les non-juristes se disent: Eh
bien, cela ne peut se comprendre en un tournemain. Cela ne peut être
d'une simplicité et d'une limpidité à toute
épreuve. Cela n'aurait aucun bon sens. Il suffit tout simplement de dire
que le chapitre des régimes matrimoniaux s'enseigne dans une
faculté de Droit au terme des études d'un étudiant, dans
une multitude d'heures. On a prévu, je pense, pour le programme
je dis cela en passant pour le programme de l'an prochain prenez
en France, où le domaine est développé, il se donne dans
un an, près de 100 heures d'enseignement strictement là-dessus
à des étudiants qui sont déjà rendus au terme de
leurs études ... Bien, cela ne peut avoir une simplicité
tout à fait complète, et qui saute aux yeux. Qu'on le dise tout
de suite, c'est merveilleux.
Et, mon troisième point là-dessus, c'est que la
complexité du projet du domaine qui nous concerne a été,
peut-être, je pense, un peu trop facilement mise en lumière. Face
du reste, à une apparence de simplicité pour les suggestions que
l'on faisait en remplacement, apparence de simplicité sur laquelle on a
trop facile-
ment joué. Je veux m'expliquer là-dessus, M. le
Président, c'est l'essence même de mon intervention au
départ, et elle a pour moi une importance. Je sais que je
répète ce qu'on a déjà dit, mais je vais le prendre
à mon compte, comme je le disais tout à l'heure.
Je dis complexité qui peut trop facilement être mise en
lumière et faussée. Nous avons voulu au moment où
nous vous avons fait les suggestions qui ont conduit au projet qui est devant
vous, par conséquent je puis dire « le projet »
prévoir à bon droit toutes les hypothèses qui peuvent
venir à l'esprit du législateur au moment où il
légifère certaines ont été oubliées,
c'est certain enfin toutes celles qui lui sont venues à l'esprit,
aidés en cela on le sait bien par une jurisprudence qui
est extrêmement diversifiée si on se sert de la
jurisprudence française, ce qui a été le cas
extrêmement diversifiée et extrêmement riche.
Si on regarde un peu les recueils de jurisprudence en France
parce qu'ici c'est un domaine qui a été un peu
délaissé, nous savons un peu pourquoi la jurisprudence sur
les régimes matrimoniaux nous révêle des situations
absolument fantastiques. C'est un cas classique où la
réalité dépasse souvent la fiction.
Aidés de cette jurisprudence, nous avons voulu prévoir
toutes les hypothèses, même si elles n'étaient susceptibles
d'arriver que dans une très minime proportion de circonstances. Ce qui
fait en sorte qu'en lisant les textes, nous arrivons très souvent
à une disposition particulière qui exige une certaine
réflexion et qui donne une impression de complexité de mauvais
aloi, peut-être. Beaucoup de dispositions ne sont même pas
prévues dans le code actuel; elles sont nouvelles parce
qu'imposées par la jurisprudence. Nous ne voulions pas que pour elles
et le projet lui-même a repris cela des difficultés
se présentent.
En second lieu, nous avons voulu et cela était encore plus
important, il me plaît de le souligner ici couvrir pleinement les
tiers, et les couvrir de façon un peu nouvelle. Notre idée
et le projet la reprend était que le régime matrimonial ne
puisse en aucune circonstance constituer un obstacle à l'action,
commerciale ou autre, de l'un ou l'autre des époux. Et nous voulions que
personne ne puisse dire: Nous hésitons à contracter avec cette
personne parce qu'elle est mariée sous un régime et que nos
garanties ou que notre situation de cocontractants peuvent en être
affectées.
Et là, je demande qu'on me montre un point où cette
idée n'a pas été respectée. Il est fort possible
que quelque chose ait été oublié. Mais j'ai dit que notre
préoccupation était celle-là et que nous croyions, au
moment où le rapport a été fait à l'honorable
ministre de la Justice, et à partir duquel le projet a été
fait, avoir réalisé cela.
Je ne sais pas si cela peut intéresser entre
parenthèses nous avons fait des comparaisons avec le
système mis de l'avant par la Commission de réforme de l'Ontario
et ma réflexion à cet égard est de dire qu'on n'a pas eu
à ce point de vue les mêmes préoccupations que nous.
L'intérêt des tiers, l'intérêt des créanciers,
qui était toujours présent à notre esprit quand nous
faisions des textes, n'a pas tout aussi directement et tout aussi pleinement
intéressé les Ontariens.
Eh bien! cela a amené l'adoption d'un certain nombre de
règles qui, de prime abord tout au moins, apportent un certain
caractère de complexité. Mais c'est, à mon avis, une
préoccupation extrêmement importante et qui est nouvelle, parce
que nous ne pouvions pas dire cela d'aucun régime matrimonial... Je
parle à l'imparfait, mais nous ne pouvons pas dire cela d'aucun des
régimes matrimoniaux actuellement prévus au code civil de 1866.
Il y a toujours une situation particulière qu'un créancier ou un
tiers doit prévoir lorsqu'il fait affaire avec quelqu'un qui est
marié, même sous la séparation.
Mais quant au problème technique nous y reviendrons
peut-être éventuellement je dis que dans le système
préconisé ici, et même sous la communauté
réformée, nous avons essayé de le corriger, nous avons
essayé d'éviter tout problème relatif aux tiers.
Nécessairement, il en a résulté une apparence de
complexité.
Cette complexité, je la reconnais, mais Je crois qu'on a
joué peut-être un peu trop là-dessus. J'avais ici une note
que j'ai prise tout à l'heure. Il y a une certaine complexité de
l'expression, c'est incontestable, parce qu'on a cherché à avoir
des textes vous l'avez réalisé qui étaient
brefs et conformes à l'idée que nous nous faisions du droit civil
français.
Il ne faudrait pas confondre la complexité de l'expression avec
celle de la réalité. Quand tout à l'heure, je disais:
L'argument de la complexité est extrêmement important, je visais
la complexité dans la réalité. Je disais qu'une loi doit,
évidemment, se vivre et cela, quotidiennement. Il faut
nécessairement qu'elle ait, à cet égard, une certaine
simplicité. Si l'on complique les relations entre les gens, on commet
une erreur extrêmement grave. Mais ce que je visais, c'était la
complexité dans la réalité et non pas la
complexité, peut-être, de l'expression ou le fait de savoir si on
lit cela comme un roman ou si on ne lit pas cela comme un roman. En somme, la
complexité
de l'expression peut être un défaut de forme. Je suis bien
prêt à entendre les remarques qu'on pourrait faire à cet
égard. Par ailleurs, ce n'est pas celle-là qui est la plus
dangereuse au niveau de la réalité.
Il faut faire la distinction. Je crois que, très souvent, le
texte actuel apparaît beaucoup plus complexe que la réalité
qui en résulte. Et cela étonne, parce que
généralement, en droit M. le Président, madame et
messieurs, vous le savez bien, vous qui êtes juristes c'est
l'Inverse, la plupart du temps, qui arrive. L'expression est simple, mais,
quand on essaie d'appliquer la loi, cela se complique.
Juriste ou pas, tout le monde connaît le texte de base du droit
privé 1053 ou l'on dit: « Toute personne qui cause un dommage par
sa faute doit réparer ». Tout le monde dit: Voilà qui est
bien. C'est un texte très simple et tout le monde est prêt
à comprendre cela; cela fait une image qui est belle. Mais, attention,
strictement sur cette phrase-là... Encore là, je fais appel
à mes souvenirs. On pense à travers son prisme; chacun de nous
est comme cela. Je fais donc appel à l'enseignement. Eh bien, lorque
j'enseignais cette matière, je consacrais trente heures de cours
strictement pour expliquer la complexité d'application de cette petite
règle qui semble très simple. Cela se répète dans
beaucoup de domaines du droit privé.
Si étonnant que cela paraisse j'aurai peut-être
l'occasion, au contact des textes, de le démontrer je pense que
c'est l'Inverse ici. Je pense que, très souvent, c'est l'expression qui
donne une impression de complexité ou qui l'est et qu'il faut relire,
deux ou trois fois. On a essayé de condenser et d'écrire cela
comme doivent l'être des textes de loi, de façon extrêmement
succinte. Cependant, le dire était, d'une certaine façon,
difficile et il faut relire la loi deux et trois fois pour la comprendre. Il
reste que, dans la réalité, la complexité n'est pas la
même.
Cela, on l'a souligné, je le sais; je l'ai vu en relisant en
diagonale les débats qui ont eu lieu, mais je veux y revenir parce que
cela a, à mon avis, une importance très grande. Donc,
complexité sur laquelle on a joué, mais, parallèlement,
une simplicité des solutions de rechange suggérées,
simplicité qui, à mon avis, était tout aussi trompeuse que
la complexité de tout à l'heure.
Evidemment, on sait bien que ce qu'on fait valoir, c'est la
séparation. La séparation, nous l'avons même dit, nous,
dans notre rapport préliminaire, c'est, en pratique, l'absence de
régime. On se dit: La séparation, c'est très simple. On a
vécu sous ce régime depuis X années et tout le monde
connaît cela. Soit, il y a certainement quelque chose là-dedans et
je suis d'accord en partie. Mais Je dis: Attention, la séparation, chez
nous, a fonctionné correctement, à mon avis, pour un motif: c'est
qu'elle était toujours coulée dans un contrat de mariage, comme
l'exige le droit actuel.
Les notaires avaient pris l'habitude, dans le contrat, de prévoir
des clauses qui en rendaient la mise en oeuvre plus simple même si, comme
solution de rechange, on propose la séparation comme régime de
droit commun et comme régime légal, comme cela existe dans les
pays qui nous entourent n'ayant pas le même système de droit de
succession, n'ayant pas le même système de droit réel,
n'ayant pas le même système de droit des obligations encore que,
dans ce dernier domaine, ils se ressemblent beaucoup plus. Mais, quand
même, si on demande la séparation comme régime de droit
commun, il n'y aura plus de contrat. A ce moment-là, cette belle
simplicité que l'on met en lumière, Je pense qu'elle sera
drôlement mise en péril. Il y aura quand même des biens
Je prends l'expression à dessein communs. Il y aura quand
même encore une obligation de partage. Il y aura quand même encore
une obligation de preuve si on ne veut pas faire de partage pour dire que tel
bien possédé en commun appartenait à tel époux. Il
y aura encore des problèmes qui vont se soulever.
La simplicité, J'ai admis qu'elle existait parce que c'est quasi
une absence de régime. Mais elle est beaucoup plus grande aujourd'hui
qu'elle ne le sera demain si on accepte la proposition de rechange, et elle est
souvent, peut-être, à mon avis, un peu trompeuse.
Il en est ainsi des autres systèmes suggérés en
remplacement. Il y a le système de la réserve ou du partage
mathématique. Oh, ça va assez bien pour l'exprimer... On dit: Une
proportion des biens du mari va aller à la femme et vice versa. Alors,
là, il n'y aura pas le problème de texte où vous jouez
avec les récompenses, où vous jouez avec les proportions. C'est
très très beau aussi cette expression. Mais quand on s'y
arrête à deux fois, on dit: Quand même, cela ne vous
évitera pas d'être obligé d'organiser le patrimoine. Cela
ne vous évitera pas l'obligation d'évaluer le patrimoine. J'ai
l'impression qu'on oublie pas mal de problèmes quand on présente
cela comme étant d'une simplicité beaucoup plus grande. Cette
simplicité est assez discutable. Il en est ainsi même du domaine
familial protégé. Cela n'entre pas directement dans nos
préoccupations, j'en conviens. Mais j'ai vu que cela
avait été soulevé par certains. J'ai l'impression
que l'on Joue là-dessus.
Je conclus. M. le Président, je regrette d'avoir
été aussi long. Je ne voulais pas. Mais vous voyez comment c'est
quand je suis entraîné par mes anciens péchés. J'y
retombe avec aisance, enfin, relativement,... Je parle trop, quoi. Je dis que
la complexité est un argument de poids. Je viens de parler de la maison
familiale, même si ce n'est pas le domaine ici, mais Mme Casgrain sait
bien que j'ai déjà fait des réserves quant à
l'adoption d'une loi comme celle-là. C'était
précisément à cause de l'argument de la complexité.
Je disais: Vous introduisez une complexité dans les affaires qui est
trop grande pour le bien que vous voulez en retirer. Il y a, ce que connaissent
bien les juristes, le problème du « balance of
inconvénients ». Il faut savoir si la complexité que l'on
introduit est trop grande pour les besoins que l'on veut combler ou les fins
que l'on veut atteindre. C'est vrai, ça. Et pour la maison familiale,
c'est un petit peu l'argument que je faisais valoir. Je laisse cela de
côté, mais je dis qu'il faut nécessairement
l'envisager.
Il importe, d'une part, et je reste là-dessus, de distinguer
entre la complexité dans la réalité, dans les faits, et
dans la mise en oeuvre. C'est celle-là qui doit nous retenir et qui a
son importance, soit, mais qui a son importance au niveau de la
compréhension et non pas au niveau de la vie. C'est, dans une certaine
mesure, relativement secondaire. Cela prend un peu plus de temps et c'est tout.
Il faut relire. C'est tout. Il faut donc faire cette distinction. Il importe
aussi, cette complexité, de la bien mesurer et de ne pas se laisser
ce sont mes derniers mots leurrer souvent par des apparences.
C'était quelques propos, M. le Président, que Je voulais
faire valoir au début. Je sais bien que j'ai répété
ce qu'on a dit, mais j'espère, néanmoins, qu'ils auront
été de quelque utilité.
M. LE PRESIDENT: Merci beaucoup, Me Marceau. Maintenant, les membres de
la commission ont-ils des questions à poser?
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Sur, justement, la question... A moins que
l'honorable M. Maltais ait quelques questions à poser avant moi?
M. MALTAIS (Limoilou): Allez-y, madame.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Je suis contente que Me Marceau ait
soulevé cette question de complexité car pour ma part, j'y ai
songé assez longuement. J'ai suivi de très près les
travaux qui ont été faits par les juristes de la commission. Il
m'a semblé à moi que cette question de complexité que l'on
soulevait à l'encontre du bill 10 était un peu de la poudre aux
yeux. Ce qui me fait penser cela, c'est justement le travail qui se fait
actuellement en Ontario.
On sait que là c'est le régime automatiquement,
c'est le « common law », de la séparation de biens.
On sait également qu'un certain nombre de juristes, dont le professeur
Baxter, ont été nommés à une commission pour
étudier des amendements possibles au régime existant ainsi
qu'à d'autres lois dans le domaine du droit familial.
J'aimerais avoir l'opinion de Me Marceau à ce sujet-là.
Est-ce que, au contraire, la complexité du régime de
séparation de biens qui existe comme régime légal en
Ontario n'est pas telle qu'à cause de cela les juristes qui l'ont
étudié ont récemment fait des recommandations qui
justement, iraient à l'encontre de ce régime de séparation
et seraient de nature à se rapprocher de certaines recommandations
faites par les juristes de votre comité, Me Marceau?
M. MARCEAU: M. le Président, Madame, ce que vous venez d'affirmer
est tout à fait fondé, mais je ferai une petite réserve.
D'abord, disons que nous avons, nous du comité québécois
de l'Office de revision, sous la présidence de M. Comtois qui
pourrait peut-être répondre à cela mieux que moi, mais
puisque la question m'est posée, je le fais été mis
en contact avec l'office correspondant de la province voisine. Nous sommes
allés rencontrer les On-tariens et ils sont venus eux-mêmes ici.
Nous avons eu des discussions assez élaborées, extrêmement
utiles, extrêmement intéressantes sur notre projet aussi bien que
sur le leur. Cela étant dit, je dirai que les motifs pour lesquels la
Commission de revision des lois de l'Ontario a adopté le système
que vous a exposé M. Baxter à la dernière réunion
sont divers. Le principal était l'impression qu'elle avait que le
régime de séparation conduisait à des injustices qu'il y
avait lieu de réprimer. C'était très clairement et
très nettement cela. La philosophie qui a guidé la commission
était exactement la même que celle qui a guidé votre
commission ici et qui, évidemment, a guidé la rédaction du
projet qui est là. Cela est très net.
Je ne puis pas dire, par conséquent, qu'il s'agit de la
complexité du régime de séparation, mais plutôt des
problèmes de justice sociale, si on veut prendre le mot dans son sens
très large, que la séparation présentait. J'ajoute tout de
suite, et cela est dans la ligne de Mme Kirkland-Casgrain, que la
simplicité du régime de séparation dont nous faisons tant
état, les juristes de l'Ontario sont loin d'en faire tellement
état.
Pour ma part, je n'ai jamais entendu, dans mes discussions avec les gens
de l'Ontario, considérer cela comme étant une valeur quelconque,
de quelque poids et de nature à être invoquée pour
s'opposer au système qu'ils préconisaient. Pour eux,
effectivement, comme le disait le député de Marguerite-Bourgeoys,
c'est une simplicité qui est beaucoup moins grande que pour nous, en
apparence, et qu'on ne met pas de l'avant tellement souvent.
En résumé, ce n'est pas à mon avis, pour
éviter les complexités du régime de séparation
qu'on a présenté le projet que vous connaissez bien, mais la
pseudo-simplicité de la séparation n'a jamais été
mise de l'avant comme pouvant s'opposer à leur proposition.
Par ailleurs, je voudrais aussi signaler puisqu'on me donne
l'occasion de parler du régime ontarien; tout à l'heure j'y
faisais allusion, mais la question est trop directement posée pour que
je ne saute pas sur l'occasion que le régime ontarien fait partie
de la même philosophie, mais qu'il y a des choses assez fondamentales
qu'il n'a pas... Les gens de la « common law » ne connaissent pas
ce qu'est un régime matrimonial. Ils n'en ont pas eu. On dit que c'est
la séparation de biens qui existe là-bas. Mais attention, ce
n'est pas la séparation de biens telle que nous la connaissons ici,
encore qu'elle ait les mêmes conséquences. C'est l'absence de
régime. Il n'y a pas de régime matrimonial dans les pays de
« common law ». Il y a un certain nombre de règles qui vont
organiser les rapports pécuniaires, mais il n'y a pas de régime
comme tel. Les propositions qu'on a faites ne créent pas, en
définitive, un régime, comme nous le faisons. Nous sommes,
à cet égard-là, dans une pensée un peu
différente. C'est un véritable régime matrimonial que nous
devons adopter si nous voulons respecter l'esprit de notre loi en
général, tandis qu'eux pouvaient adopter beaucoup plus
aisément des dispositions de caractère successoral ou des
dispositions visant la dissociation, indépendamment du
régime.
C'est ainsi que leur régime a une certaine apparence je
reviens avec ma marotte de tout à l'heure, je regrette de
simplicité.
Mais, je le disais tout à l'heure et Je le répète:
J'ai l'impression qu'ils ont oublié un certain nombre
d'éléments auxquels nous, nous sommes plus habitués parce
que nous vivons dans un régime de communauté autrement plus
complexe que ce que suggère comme régime légal le projet
actuel. Nous savons les problèmes que cela soulève comme tel et
nous voulons y faire face.
Partant d'extrêmes opposés, j'ai l'impression qu'ils ont
ignoré beaucoup de problèmes. C 'est pourquoi cela a l'air plus
simple. Je regrette, encore là, d'avoir sauté sur l'occasion;
c'est mon défaut. Pour revenir à la question posée, la
simplicité n'est certainement pas aussi importante pour eux que pour
nous, avec le même régime.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Merci.
M. LE PRESIDENT: D'autres membres du comité auraient-ils des
questions à poser?
M. MALTAIS (Limoilou): Me Marceau, il y a une question qui a
été posée au cours de l'une des séances ici, je
crois, par le député d'Outremont, Me Choquette. Il demandait s'il
était possible, dans l'état actuel de notre droit civil, de
concevoir un régime matrimonial qui serait du genre conventionnel,
à l'exclusion de tout régime légal.
M. MARCEAU: C'est une belle question. Seulement, ma réponse est:
Je ne le crois pas. Pourquoi? Premièrement, parce qu'on ne peut pas
imaginer que les rapports de caractère pécuniaire des
époux ne soient pas sujets î un certain nombre de règles,
si simples qu'elles puissent être.
Il faut des règles. Il faut organiser les rapports
pécuniaires des époux qui, par hypothèse, enfin,
Jusqu'à maintenant vivent ensemble, ont un foyer commun, ont des choses
en commun. A l'égard des tiers, ils sont ensemble. Il y a lieu de se
demander lequel des deux va pouvoir lier ce qui est commun, lequel des deux va
pouvoir agir, si les deux peuvent agir. Bref, il y a un certain nombre de
règles qui doivent régir les rapports pécuniaires des
époux entre eux, aussi bien que des époux à l'égard
des tiers.
Ces règles-là, il faut qu'elles se trouvent quelque part.
Votre question dit: Est-ce qu'on ne pourrait pas laisser les époux les
définir eux-mêmes? Primo, si on était certain qu'aucun
mariage ne pouvait être contracté sans qu'effectivement on adopte
ces règles; secundo, si on était certain que tous les
époux étaient en
mesure d'adopter des règles en connaissance de cause, de
façon suffisamment judicieuse pour qu'on puisse dire qu'ils sont libres
parce que, pour être libre, pour faire un choix, il faut savoir au
juste quelles sont les deux possibilités qui se présentent et
être capable de les jauger si donc on était certain de
ça, soit, mais on sait bien que tel n'est pas le cas. Il y aura toujours
des gens qui se marieront sans pouvoir adopter des règles et, surtout,
il y aura toujours des gens qui ne seront pas en mesure d'adopter en
connaissance de cause ces règles de base.
Il faut substituer quelque chose à cette volonté qui peut
devenir défaillante ou même être inexistante. Alors,
ça donne tout de suite l'idée de dire: Si vous n'adoptez pas des
règles ou si vous ne savez pas quoi adopter, c'est la deuxième
proposition qui jouera le plus souvent, J'en conviens. Mais, si vous ne savez
pas quoi faire, si c'est trop compliqué pour vous, si vous n'êtes
pas capables de déterminer cette organisation de vos affaires entre
vous, voici ce que nous vous suggérons. C'est ça le régime
légal, strictement ça. Voici ce que le législateur
suggère pour ceux qui ne sont pas en mesure d'adopter des règles
comme ils le veulent.
Je dois ajouter une troisième donnée. C'est la suivante:
le législateur, à mon avis encore là, c'est un
cliché, je regrette de le dire, mais c'est pour greffer mon argument
ne peut pas se contenter d'assurer une complète liberté et
de maintenir un ordre minimal. Le législateur se doit de conduire le
groupe qu'il dirige vers un certain idéal. Autant que possible et
c'est le propre, je pense, de nos pays démocratiques la
liberté doit être la première valeur, mais il y en a
d'autres aussi.
Il y a la possibilité de relever l'ensemble vers un certain
idéal.
Je pense que le législateur doit avoir en vue l'idéal de
ce que doivent être les rapports pécuniaires d'époux, il
doit avoir en vue l'idéal de ce que doit être la famille. Les
rapports pécuniaires des époux, ont évidemment, une
influence immédiate sur la famille. Il se doit donc, dans ce
régime de droit commun qu'il suggère, respecter un certain
idéal. Cela doit être un régime qui convient à la
majorité, oui soit, mais en même temps ce n'est pas strictement
une pure liberté; il doit y avoir une suggestion, tout au moins. On ne
force pas, mais on suggère.
Voilà une troisième idée qui est peut-être
moins forte, si vous voulez, en faveur d'un régime de droit commun
ce sont les deux premières qui le rendent inévitable, Je
crois mais quand même, il ne faut pas l'oublier, c'est pour cela
qu'il en faut un et c'est impossible qu'il n'y en ait pas.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président,...
M. LE PRESIDENT (M. Bergeron): Si vous me permettez, je m'excuse. Le
régime légal, comme tel, je pense que tout le monde est d'accord
qu'il doive répondre aux aspirations de la majorité. Mais,
croyez-vous que, si nous adoptons ce régime de société
d'acquêts, l'ensemble de la population ne préférera pas
plutôt retourner encore à la tradition de la
séparation?
M. MARCEAU: M. le Président, c'est peut-être la question la
plus embêtante et la plus difficile qui pouvait m'être
posée. En toute simplicité, je vous dirai que je ne le sais pas.
Ce que je puis ajouter, c'est qu'il y a un certain nombre de conditions pour
qu'il en soit autrement et que la population ne veuille pas retourner à
ses habitudes. Ces conditions, nous pouvons les réaliser. Si les
conditions se réalisent il y a un « si », bien
sûr, c'est pourquoi j'ai dit au début: Je ne le sais pas
mais si les conditions se réalisent, j'ai l'impression que l'adoption du
projet de loi serait un succès en ce sens qu'effectivement,
éventuellement, la majorité pourrait l'adopter.
Une première réflexion, avant de parler de ces conditions
auxquelles je vais faire allusion, c'est que cela ne peut pas se faire
rapidement. Cela est certain. On ne change pas des habitudes
j'étais pour dire des façons de penser, mais je crois que mon
expression était excessive aussi aisément, ou le quart
d'une population tout particulièrement, je pense je crois que
cette phrase-là est de trop, mais chez nous et n'importe
où. Cela ne se fera pas dans un ou deux mois. Les résultats
vraiment bénéfiques de la loi nouvelle, si elle était
adoptée, dans le sens de votre question, où vous venez de le
suggérer, ne peuvent être attendus véritablement
qu'après un certain nombre d'années.
Cela étant dit, les conditions dont je parle sont
premièrement: Qu'on s'efforce de dépasser la complexité
sur laquelle on a joué. Une fois la loi adoptée, ce serait
beaucoup plus facile; aujourd'hui on entend à la fois ceux qui
présentent des réserves, de très bonne foi et tout
à fait correctes, à la fois ceux-là et ceux qui
défendent le bill. Alors, comme je le disais tout à l'heure, on
joue sur la complexité. La population qui essaie de comprendre devient
aussi perdue après s'être fait exposer les données
générales du régime. Immédiatement il y a quelqu'un
qui s'en vient parler des petites complexités de certains petits
articles ou du partage; alors, on est perdu et on ne comprend pas. Mais, si la
loi est adoptée, je pense que
tout le monde dira: Essayons d'en sortir ce qu'il y a de bon. Les
adversaires, peut-être, resteront un petit bout de temps adversaires,
mais ce serait quand même une bataille de don Quichotte qu'il y aurait
là.
On pourrait beaucoup plus, J'ai l'impression, faire une certaine
campagne à ce moment-là, je dis bien une certaine campagne
d'éducation des gens pour leur dire ce que c'est et les
convaincre. Je crois qu'il y a des arguments pour le faire. La première
condition est de les convaincre de la valeur de ce qui est passé. Il
faut qu'on le fasse par tous les moyens qui sont mis à la disposition de
ce qui est passé.
Il faut qu'on le fasse par tous les moyens qui sont mis à la
disposition du législateur et de ceux qui, avec lui, travaillent
et là, ça me permet de faire mon lien les facultés.
Je pense qu'à l'intérieur des facultés, quand on aura
réussi à former un certain nombre de promotions, de futurs
notaires... eux ont une influence énorme. Quand on aura pu former des
notaires dans l'esprit de la loi nouvelle et que ce seront eux qui
conseilleront les gens, quoique là J'ai peur, mon expression peut
porter à faux je crois que même les notaires actuellement
peuvent être aisément gagnés pour le moment à la
valeur de la loi nouvelle, si elle devient loi, à la valeur du projet et
qu'ils pourraient avoir dès maintenant une très forte influence
sur la population.
Les notaires, à cet égard, sont extrêmement
importants à considérer. De toute façon, les notaires
actuels, c'est un problème. Mais les futurs notaires sortent des
facultés et c'est là que le joint peut véritablement
être atteint. Si cela est donc, et si les notaires sont gagnés
évidemment, je n'oublie pas les avocats, mais les avocats ce
n'est pas la même histoire, ils fonctionnent dans un cadre de litiges
beaucoup plus que dans le cadre de contrats comme cela si, donc, les
notaires peuvent être gagnés le président de la
Chambre des notaires a un rôle à jouer à cet égard,
Je pense, et il l'a déjà joué en grande partie, c'est
certain et si, en second lieu, les étudiants et Je puis le
garantir de ce côté-là sont formés dans
l'esprit de la nouvelle loi, le succès sera atteint sans aucun
doute.
M. le Président, malgré le « si » des
conditions, je suis pour ma part très optimiste, quoiqu'il faille
compter sur un certain temps.
MME KIKRLAND-CASGRAIN: M. le Président, sur le point que vous
avez soulevé, il m'est venu à l'idée un cas
intéressant c'est un fait : à l'Université
de Montréal, deux étudiants en droit, une femme et un homme, ont
été diplômés il y a quelques mois et se sont
mariés par la suite. Etant donné que le régime
proposé par la commission n'est pas encore loi, mais après une
étude qu'ils ont faite, ils l'ont trouvé tellement
supérieur au régime existant ou aux autres régimes qui
pourraient être proposés, comme la séparation, qu'ils l'ont
adopté dans leur contrat de mariage.
J'ai aussi reçu de la correspondance de certains notaires qui me
disent qu'à l'heure actuelle, ils recommandent ce régime, mais
que ce dernier doit être constitué dans un contrat, étant
donné qu'il n'a pas force de loi. Remarquez que Je n'ai pas fait
d'enquête sur ce point-là. Je m'accorde avec Me Marceau sur le
point qu'étant donné la complexité du problème, une
certaine publicité devra être faite par les législateurs,
si cette formule est adoptée, afin de la faire comprendre au public.
Même alors, il s'en trouvera pour trouver des bêtes noires et des
objections. Nous avons quand même des options et un choix à faire.
Il s'agit de choisir ce qui apporte le plus d'équité au
partenaire et ce qui est le plus avantageux malgré certains
désavantages, parce qu'il y a toujours des désavantages à
toute loi.
Maintenant, voici un autre point sur cette même question:
l'absence de régime qui a été soulevée par
l'honorable Maltais. Il me semble, Me Marceau, vous me corrigerez si Je fais
erreur, qu'à l'heure actuelle, dans notre droit, il n'y a pas de droit
de compagnie, où il y a des associations entre partenaires, où on
ne prévoit pas un partage pécuniaire ou une formule quelconque
pour avoir un partage, s'il y a dissolution. A mon sens, ce serait le
désordre complet, la cohue, si nous n'adoptions pas une formule
quelconque et si nous ne la suggérerions pas aux citoyens. Maintenant,
ai-je tort ou raison? C'est à vous d'en juger.
M. MARCEAU: M. le Président, Mme Cas-grain a plus que raison. Je
joue exactement le même jeu et je répète ce qu'elle vient
de dire en prenant d'autres exemples. On vient de m'en souffler un. C'est comme
si on ne réglementait pas la succession ab intestat, c'est à dire
la succession de gens qui meurent sans avoir fait de testament, en disant: Il
faut que vous fassiez un testament. C'est bien beau, au point de vue de la
liberté, mais il y en aura toujours qui mourront sans avoir fait de
testament. Nous ne sommes pas pour avoir des problèmes à chaque
fois.
Mais la moitié ou les trois quarts même du droit
privé, c'est un peu comme cela. Annulons donc les règles
savantes. Disons, pour
respecter le principe de la liberté: Chaque fois que vous ferez
un contrat de vente, vous devrez prévoir toutes les règles qui
s'appliquent à vous, au niveau du contrat, des obligations que vous
assumez, etc., et au niveau des conséquences pour vice caché ou
enfin pour ce qui fait la substance des règles relatives au contrat.
C'est la même chose. Le législateur ne peut pas ne pas
prévoir les cas où des parties n'adopteront pas de règles
suffisantes pour régler les rapports particuliers qu'elles ont
créés entre elles. C'est absolument impensable. Aussi, remarquons
bien qu'il y a des règles d'ordre public qui doivent
nécessairement être adoptées dans le sens oft je le disais
tout à l'heure.
Alors, pour les sociétés, pour les contrats, pour la
succession et pour le régime matrimonial, il est impossible de ne pas
avoir de règle. Et si J'ai dit qu'en Ontario, il n'y avait pas de
régime comme ici, Je n'ai pas dit qu'il n'y avait pas de rlgles. J'ai
dit qu'il n'y avait pas de régime, en tant qu'un tout, qui organise les
rapports pécuniaires des époux, à compter du mariage
jusqu'au moment de la dissolution.
C'est ce que j'ai dit. Mais c'est impossible de ne pas avoir des
règles qui s'appliquent parce que des gens n'auront pas
réglementé autrement.
M. LE PRESIDENT: On pourrait souhaiter que les notaires,
reçoivent des cours de recyclage le plus tôt possible.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Au moins sur le bill 16.
M. THEORET: Ne provoquez pas les notaires.
M. LE PRESIDENT: Je vois que mon collègue de Papineau ne semble
pas mordre à l'appât.
M. COMTOIS: Est-ce que je pourrais ajouter quelques remarques?
M. LE PRESIDENT: Certainement, Me Comtois.
M. COMTOIS: Au sujet de la question du contrat obligatoire qui a
été soulevée par M. Cho-quette et reprise ce matin par
l'honorable Maltais, je voudrais vous communiquer un renseignement qui est
valable, je pense. Si on oblige les gens à fixer eux-mêmes, dans
un contrat de mariage, leurs relations pécuniaires, cela oblige les
parties à passer un contrat de mariage, au point que l'officier
d'état civil qui préside au mariage n'aurait même pas le
droit de célé- brer le mariage s'il n'avait pas la preuve qu'un
contrat a été exécuté. Lors d'un congrès
international à Bruxelles, en 1963, cette question a été
discutée. On a constaté, en étudiant les
législations des trente et quelques pays qui font partie de l'Union
internationale du notariat latin, qu'il y avait trois ou quatre pays où,
Justement, le contrat est obligatoire.
On a constaté aussi que la où le contrat est obligatoire,
il fallait le laisser à la surveillance d'un officier d'état
civil qui n'était pas un juriste. Alors vous voyez la situation dans
laquelle se trouveraient les époux s'ils étaient obligés
de faire un contrat, et s'ils n'ont pas, pour les conseiller, un homme de loi.
D'autre part, les obliger à faire les frais d'un contrat dont Ils n'ont
pas besoin peut-être, puisque le droit commun leur convient parfaitement,
me paraît exorbitant. Une des conclusions d'un comité de ce
congrès c'était qu'il ne fallait pas rendre le contrat de mariage
obligatoire, mais au contraire, établir un régime de base, un
régime de droit commun dans toutes les législations. Cela, c'est
un premier point.
Le deuxième, la question que M. le Président de ce
comité a posée, d'après moi c'est la question et elle me
préoccupe de plus en plus. Il ne sert à rien d'adopter une loi si
elle n'obtient pas l'acquiescement, l'adhésion libre et volontaire de la
très grande majorité des citoyens. Quoi qu'il en soit, même
si cela me préoccupe, des expériences récentes
démontrent que plus les gens sont ignorants, plus il est difficile de
leur enlever des préjugés. La semaine dernière, je faisais
deux contrats de mariage, par accommodement, pour des secrétaires,
d'université dans un cas, de la Chambre des notaires dans l'autre. J'ai
essayé de les convaincre je me croyais persuasif que la
séparation de biens n'était pas la fin du monde, puis j'ai
échoué lamentablement. Et je dois dire que plus les gens sont
ignorants, plus il est difficile de déraciner chez eux ce
préjugé de la séparation de biens. Mais malgré ces
épreuves récentes, je reste convaincu que nous devons croire
à la société d'acquêts, nous devons être
optimistes, nous devons espérer qu'elle réussira.
Maintenant, il y a sûrement des moyens plus précis, plus
techniques, plus matériels à employer pour qu'elle
réussisse. Il y a une campagne d'éducation à faire, une
campagne de publicité. Je me souviens très bien que, lors de la
présentation des mémoires, une sociologue, qui occupe
maintenant une fonction à Ottawa, au sein d'un organisme qui
étudie la situation de la femme, J'ai oublié son nom,
m'avait vivement impressionné en me disant: Votre
société d'acquêts ne réflète pas une
réalité et vous n'avez qu'une chose à faire, c'est de
l'expliquer, de l'illustrer. Utilisez les techniques de publicité, la
télévision s'il le faut Alors j'ai songé à certains
scénarios de films, je n'ai pas encore mis le point final I ce projet.
De toute façon, il faudra de la publicité. Le gouvernement a un
office de publicité, on pourra lui mettre du pain sur la planche.
Pour ce qui est des notaires, je crois les connaître assez
bien.
Ils n'ont pas tous l'esprit aussi ouvert que mon collègue, M.
Théoret. Je sais que cela va être extrêmement difficile
d'éduquer ces gens qui sont censés être
éduqués.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Notaire, permettez-moi d'ajouter qu'il y a
certains avocats aussi qu'il va falloir...
M. COMTOIS: Ahl les avocats, ils sont encore pires que les notaires!
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Ah bien non, n'exagérons rien!
M. COMTOIS: Mais il y a de petits moyens peut-être bien terre
à terre. Qu'on dise, par exemple, qu'il y a pour le contrat de mariage
un tarif maximal. Fixez un tarif maximal pas élevé et Je vous
garantis qu'il ne s'en fera plus beaucoup de contrats de mariage. Ce n'est pas
que cela paie tellement, actuellement, mais c'est devenu de la production
à la chaîne et c'est très mauvais.
D'ailleurs, Je pense bien que mon confrère, M. Théoret,
confirmerait que plus on prend de temps à expliquer le contrat de
mariage, plus cela coûte cher et plus cela complique les choses. Il faut
pratiquement ne pas soulever de doutes. Il faut pratiquement s'en remettre
à l'ingénuité de l'expérience et au régime
de droit commun. Il y a une chose sûre, c'est que chez les jeunes
notaires il y a une ouverture d'esprit là-dessus qui est cultivée
et nourrie dans les facultés. Cela va être de plus en plus facile.
Le fait que des gens remarquables au point de vue de l'expérience, au
point de vue des connaissances Juridiques, adoptent vous l'avez signalé,
Madame, la société d'acquêts, conditionnellement, ou encore
adoptent pour le moment, ce qu'il est possible de faire, une communauté
réduite aux acquêts et aussi rapprochée que possible de la
société d'acquêts, le fait par exemple, que des Jeunes
collègues de la faculté de droit récemment mariés,
ont tous rejeté la séparation, je crois que c'est impressionnant.
Le jour où le projet sera de- venu loi, où l'on pourra changer de
régime, peut-être pourra-t-on faire, comme il y a quelques
années cent mariages, cent contrats de mariage nouveaux. Moi, en tout
cas, je serai le premier à passer de la séparation à la
société d'acquêts, je vous l'assure. Si l'ombudsman et
peut-être beaucoup d'autres gens parmi vous, disons, pouvaient donner
l'exemple en adoptant ce régime que nous croyons bon, Je ne dis pas que
cela n'impressionnerait pas. De toute façon, il y a l'Ontario qui a ce
régime-là. Cela impressionne beaucoup les Canadiens. Si l'Ontario
trouve cela bon, il doit y avoir quelque chose là-dedans.
Essayons donc d'utiliser tous ces arguments pour faire adhérer la
population à un régime qui me paraît encore, j'en suis
personnellement très convaincu, un régime d'équité
et un régime d'avenir.
M. LE PRESIDENT: Merci, Me Comtois. Est-ce que le député
de Papineau aurait quelque chose à ajouter?
M. HOUDE: M. le Président, je suis presque tenté de
féliciter nos hommes de loi en cette Chambre. N'étant pas
moi-même avocat, je dois vous avouer, Me Marceau, que j'avais noté
un mot, le mot complexité. Etant simplement un profane, j'avais
noté également deux questions.
Je pense que l'on vient d'y répondre. J'avais d'abord noté
dans votre allocution un petit passage qui disait qu'en France, je crois, au
moins une centaine d'heures d'études sont consacrées, par des
étudiants déjà préparés dans le domaine de
la loi, aux régimes matrimoniaux. En dessous, J'avais noté: Deux,
le peuple?
Si des étudiants en droit ont besoin d'une centaine d'heures pour
essayer de comprendre un peu ce qu'est un régime matrimonial, je me
posais la question à savoir comment nous, du peuple, allions faire pour
comprendre. Cela m'intriguait de savoir si présentement, dans nos
universités, dans nos facultés de droit, les étudiants
avaient l'équivalent, ou à peu près, d'une centaine
d'heures d'étude et si vraiment les hommes de loi étaient
disposés à ne pas garder cette complexité pour eux tout
seuls comme une espèce de secret, une espèce de petit signe,
à la manière des chevaliers de Colomb. Mais au cours de la
deuxième demi-heure, j'ai eu l'occasion d'entendre des avocats et des
notaires qui se préoccupent vraiment de vouloir lancer une campagne
d'éducation. Je pensais je disais cela à madame
Kirkland-Casgrain tantôt à l'oreille éga-
lement à ces nombreux cours, qui, qu'on le veuille ou non, je ne
veux pas discuter si c'est bon ou pas bon, sont encore très populaires
au niveau de nos paroisses un peu partout; les cours de préparation au
mariage.
Je pense qu'il y a là un secteur de jeunes couples, de jeunes
fiancés qui devraient être très bien renseignés,
mais encore là, être renseignés par des gens, des hommes de
loi qui voudront bien essayer de simplifier, en autant que faire se peut, la
complexité du problème tout en donnant les explications
juridiques officielles. Ce sont les deux ou trois points qui me
préoccupaient. Quant à moi, je ne suis pas avocat, je le
réplte. Si la loi est adoptée, j'es-pêre que
premièrement, dans les facultés de Droit on inscrira des cours
importants peut-être pas seulement pour les hommes de droit, mais
également pour tous ceux qui se spécialisent ou qui se
spécialiseront dans le travail social. Je pense aux sociologues, aux
travailleurs sociaux de différents ministères. Je pense
également que tous les organisateurs ou organisatrices de cours de
préparation au mariage devraient être réunis
éventuellement et être mis au courant de cette nouvelle loi, de
telle sorte... Probablement, tous les députés pourront, un moment
donné, avoir une session spéciale avec quelques hommes de loi qui
pourraient leur expliquer tout ce problème-là afin que si
ceux qui sont spécialisés dans ce domaine-là
considèrent que c'est important pour la population on puisse en
faire vraiment, pas une oeuvre, mais, en tout cas, que tous ensemble on puisse
faire au moins un travail d'éducation populaire.
M. LE PRESIDENT: Me Marceau.
M. MARCEAU: Je voudrais, M. le Président, dans le sens de
l'honorable député, déclarer qu'une campagne peut
être faite et que nous pouvons faire comprendre à la population ce
qu'elle doit comprendre, malgré la complexité qui résulte
des cent heures. Bref, ce à quoi je veux en venir, j'ai
prêté flanc à la première partie, si je puis dire,
de votre réponse, en disant: Comment voulez-vous faire comprendre aux
gens si, même dans les facultés de Droit, cela prend autant de
temps? On va au-delà de la compréhension dans le cadre d'une
faculté. C'est probablement le domaine qui est, au point de vue de la
gymnastique juridique, le plus valable, du moins d'après les professeurs
français. C'est dans cela qu'on fait pratiquer, par l'étudiant,
le raisonnement juridique. C'est pourquoi on y revient.
En second lieu, il faut qu'un avocat en con- naisse quand même
plus que la population. Parce que l'avocat est là pour régler des
problèmes, régler des conflits et appliquer le droit à des
situations de faits, par hypothèses innombrables et extrêmement
diversifiées et complexes. Mais nous n'avons pas affaire à des
avocats dans toute une population. Si bien que, malgré ce que je n'ai
pas, la complexité, en dépit de l'importance qu'on lui attribue
dans certaines facultés parce que c'est une matière
difficile et formatrice il y a moyen, de façon beaucoup plus
simple, de faire comprendre à une population en général ce
qu'elle doit comprendre, n'est-ce-pas, pour pouvoir juger de ce qu'on lui offre
et faire un choix libre et judicieux par la suite.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Sur un point de vulgarisation du bill 10, s'il
est adopté, je ne sais pas si l'Office d'information et de
publicité du Québec écouterait les suggestions d'un humble
député de l'Opposition... mais il me semble qu'il y aurait
peut-être lieu à ce moment-là de préparer une
brochure explicative du bill 10. Nous l'avons fait pour le bill 16 à
l'époque. Je pense que cela a rendu d'immenses services, sans toutefois
répondre à toutes les questions, parce que nous aurons toujours
besoin d'avocats et de notaires. Cela serait une façon de vulgariser et
de faire comprendre les points les plus simples du régime
proposé. A mon sens, il y a trois choses que nous n'avons pas
suffisamment soulignées pour le public et que nous devrions souligner,
ce sont les avantages du régime proposé.
Par exemple, la question de mutabilité des régimes
matrimoniaux. C'est quelque chose d'inouï comme avantages, non seulement
pour la femme mais pour l'époux également. Ensuite, l'extinction
des prohibitions contractuelles entre époux. A l'heure actuelle, je
connais un nombre imposant de femmes mariées qui sont vraiment
vexées dans leurs capacités juridiques, justement parce qu'elles
ne peuvent pas contracter. Il y aurait certains contrats qui s'imposeraient
entre elles et leurs époux. Et elles ne peuvent pas contracter, parce
que c'est prohibé par la loi actuelle. Ensuite, il y a la protection du
conjoint. Ce que j'ai beaucoup aimé dans le dernier projet, c'est la
notion élargie d'acquêts qui fait disparaître la
complexité de la comptabilité. Je pense que c'est d'ailleurs dans
ce but..., le changement que vous avez apporté au premier projet
était justement pour l'améliorer. Alors, il faudrait
peut-être que nous fassions ressortir cela, de sorte que l'on cesse de
parler de complexité, parce qu'î mon sens la complexité
existerait dans un cas
de séparation de biens lorsque c'est le régime
légal. Je ne veux pas prendre mon cas personnel, mais prenons le cas de
deux époux qui travaillent ou qui ont des biens personnels.
Au moment du décès de l'un des époux, il y aura une
complexité considérable. A mon sens, cela sera moins complexe
avec le régime proposé, parce que les futurs époux seront
conscients du fait qu'ils devront tenir une certaine comptabilité, alors
qu'à l'heure actuelle je pense bien qu'il y a très peu de
comptabilité qui se tient pour les époux qui sont mariés
sous un régime de séparation de biens. C'étaient les
remarques que je voulais faire. J'aurais d'autres questions, mais je ne veux
pas être la seule à retenir la commission; je vais en laisser
d'autres parler.
M. THEORET: Me Marceau, vous avez semblé, au cours de
l'étude de ce projet de loi, être très
préoccupé par le point de vue commercial et par la protection des
tiers. Maintenant, j'aimerais connaître votre opinion sur une autre
préoccupation qui me hante depuis de nombreuses années; c'est
celle de l'équité entre les époux. Vous avez très
peu parlé de l'équité entre époux. Je serais
presque tenté de dire, en constatant l'état matrimonial dans
lequel je vis avec mon épouse... Nous en avons souvent causé
à la Chambre des notaires et lors de cours de perfectionnement. M. le
Président appelerait peut-être cela des cours de recyclage. Cela
existe déjà chez nous. J'espère que cela pourra se faire
également au Barreau.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: C'est déjà fait pour un bon nombre
d'avocats.
M. THEORET: Nous avons déjà causé longuement de
cette question d'équité. En voyant mon contrat de mariage, je
suis presque porté à dire, comme Deschamps dans sa chanson:
« La mère de mes sept enfants, moi, ben! chez nous, a fa rien
». II dit cela comme cela dans sa chanson: « A fa rien ». Si
ma femme allait au fond des choses, j'ai l'impression qu'elle serait
drôlement déçue de constater qu'elle ne « fa »
rien, parce qu'au point de vue des affaires, au point de vue commercial, elle
est drôlement handicapée par son contrat de mariage. Alors, je
crois qu'en parlant de vulgarisation, il y a cette grande question
d'équité qu'il faudra faire valoir. J'aimerais connaître un
peu votre pensée, Me Marceau, au sujet de cette équité, si
cette notion vous a aussi drôlement influencé.
M. MARCEAU: Evidemment, la pensée de l'honorable
député, c'est le départ, c'est, disons, le ciment sur
lequel on s'est placé avant de construire. Au tout début on s'est
demandé quel idéal, au point de vue de la justice et de
l'équité devrait être réalisé. Si je n'en ai
pas parlé ce matin, c'est que je savais que tous les membres de cette
commission étaient déjà très sensibilisés
à la philosophie de base qui est justement celle d'introduire un peu
plus d'équité dans les rapports entre époux,
indépendamment de l'acte libre de l'un ou de l'autre.
Quand je pense à l'épouse de l'honorable
député, évidemment, il peut se dire que tout sera remis en
place par c'est évidemment un peu pénible d'y penser
le système successoral ou par le système de liberté
bien utilisé. Il reste que ce n'est pas tout à fait bien. C'est
là le point de départ. C'est pour cela qu'après
s'être arrêté sur le régime de séparation...
Moi aussi, je suis marié en séparation; mol aussi, j'ai
été, disons, éduqué en faveur de ce régime.
J'ai participé à ces concepts qui, dans le monde juridique, dans
le monde du Barreau, ont force de loi, aujourd'hui, quasiment en faveur de ce
régime.
Mais, ce qui nous a conduits, à rejeter le régime de
séparation dans notre projet, c'est justement l'équité,
là, qui, à notre avis, est mise en péril par le
régime de séparation. C'est cela l'idée fondamentale,
c'est cela la philosophie de base. Si, je ne m'y suis pas arrêté,
et je le répète, ce n'est pas parce que... C'est le fondement,
quoi, c'est la base de toute notre construction. Si on n'admet pas que le
système proposé est en soi plus équitable et qu'il va
véritablement introduire plus de Justice dans les rapports entre
époux, il n'y a plus aucun fondement. Qu'on n'adopte pas le
système qui est là; cela n'a aucun sens. Je profite de l'occasion
pour ajouter ceci.
Jusqu'à maintenant, j'ai l'impression je dépasse
peut-être mes connaissances, mais puisque nous discutons assez librement,
j'ai l'impression que la cohésion familiale, qui était une des
caractéristiques de notre groupe qui l'est encore, sans aucun
doute a empêché beaucoup d'iniquités, malgré
ce que l'on dit, à la suite du régime. Mais, je me demande
je répète que je dépasse mes connaissances s'il
n'est pas temps de ne pas autant compter sur la cohésion morale ou
sociale ou religieuse vous pouvez y mettre l'épithète que
vous voulez de cette famille chez nous, dans notre milieu.
Et si, naturellement on ne l'a pas, eh bien, il faut que la loi soit
organisée de façon à combler des lacunes de cet ordre.
Enfin, laissant de côté cette dernière
réflexion, je le répète, qui vous concerne vous-
mêmes, messieurs les membres de la Chambre, beaucoup plus que moi,
tout notre projet, tout ce que f ai pu, pour ma part je parle pour moi
déployer en faveur du projet, tout ce que j'ai pu plaider ici
j'en vis de cela, j'en ai vécu pendant un certain temps
mais c'est strictement à cause de l'équité qui est au
point de départ et qui, à mon avis, exige que nous fassions
quelque chose. C'est strictement cela.
M. THEORET: M. le Président, je ne voulais pas insinuer, M.
Marceau, que vous aviez oublié de parler de cela. Mais je trouvais
tellement important de vous l'entendre dire vous-même, parce qu'on a
parlé tout à l'heure de publicité au sujet de ce bill.
Avec le prestige qui est attaché à votre situation et à
votre nom, il est beaucoup plus facile de citer vos paroles que celles de
l'humble député de Papineau pour faire cette publicité.
Cest dans ce sens que f avais posé ma question.
M. LE PRESIDENT: Est-ce que d'autres personnes auraient des questions
à poser?
MME KIRKLAND-CASGRAIN: J'en aurais, je m'excuse de revenir à la
charge. Il y a une chose que j'aimerais qui soit inscrite dans le journal des
Débats, c'est la période de temps pendant laquelle les juristes
de votre comité, du comité du notaire Comtois, ont
travaillé. Depuis combien d'années travaillez-vous au projet qui
a été d'abord soumis une première fois et qui a
été revisé après enquête publique? Me Marceau
est-ce que vous pourriez nous le dire? Approximativement?
M. MARCEAU: Immédiatement, lors de l'adoption de cette fameuse
loi dont l'honorable député de Marguerite-Bourgeoys a
parlé. Immédiatement après cela...
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Après le 14 juin, c'est-à-dire que
le rapport a été remis au printemps de 1963, si ma mémoire
est fidèle; le rapport qui a donné naissance au bill 16 ou la loi
du 14 juin 1964.
M. MARCEAU: Cest cela. Les membres du comité d'alors, plus
particulièrement, M. le juge Nadeau, qui en était le
président, et madame Kirkland-Casgrain, qui était
évidemment derrière, avaient bien réalisé que le
bill 16 n'était qu'un point de départ, ce qui pressait le plus.
Nous ne pouvions pas en rester la. Nous reconnaissions même qu'il y avait
des lacunes qui, dans le cadre même du bill 16, avaient persisté
et qu'il importait de conduire l'étude beaucoup plus loin, de la
poursuivre dans tout ce qui concerne les régimes matrimoniaux, ce qui
était un peu plus complexe.
Immédiatement après, pour ma part, il m'a
été demandé par le président d'alors, M. Nadeau, et
par Mme Kirkland-Casgrain, de faire partie d'un comité ad hoc pour cette
étude, et M. le président Comtois également. Alors, nous
nous sommes mis à l'oeuvre.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Alors, ce serait en 1963. Je m'excuse de vous
interrompre, mais...
M. MARCEAU: C'est bien cela. A peu près.
M. COMTOIS: Si vous me le permettez, les premières
réunions du comité ont eu lieu à l'automne 1963. Je crois
que c'était...
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Je pense que c'est pour cela que c'est
important.
M. COMTOIS: ... à la fin d'octobre, et M. Louis Marceau s'est
joint au comité un mois ou deux après. Je crois que Me Marceau
n'était pas à la première réunion. Mais,
c'était à l'automne de 1963, cela veut dire que cela fait plus de
cinq ans.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Merci. Je ne sais pas si Me Marceau a quelque
chose à ajouter là-dessus.
M. MARCEAU: Non, sauf de dire que cela démontre peut-être
encore que ce n'était pas facile. Cela démontre aussi, je me
permets de le signaler, que toutes les possibilités qui se
présentaient, aussi bien suggérées par notre imagination
que par le droit comparé parce qu' il y en a plusieurs, quand on
fait un peu le tour du jardin toutes les possibilités, dis-je,
ont été, M. le Président, assez minutieusement
examinées par nous si l'occasion m'est donnée, je me
permets de le dire parce que c'est un travail qui paraît long aux
gens de l'extérieur, lorsque l'on dit que cela fait cinq ans, bien que
le rapport ait été remis depuis assez longtemps.
Mais, tout de même, c'est un travail long. C'est un travail que
nous ne pouvions pas faire rapidement; c'est un travail que nous avons
essayé de faire avec le plus de minutie possible. C'est ce qui explique
chacun de nous, du reste, faisait autre chose en même temps
que cela ait pris autant de temps. Mais j'ajoute que nous l'avons fait avec
beaucoup d'attention.
M. CADIEUX: M. Marceau, est-ce que le rapport de votre comité a
été unanime?
M. MARCEAU: Le rapport comme tel, oui. J'avoue que sur une des
suggestions approuvées j'ai tenu à mentionner une petite
dissidence, mais, sur une petite chose très simple. Je le dis simplement
par excès d'honnêteté, en réponse S votre question.
Le rapport est certes unanime. Cette unanimité n'a pas été
acquise sans certaine peine, le président du comité pourra
élaborer là-dessus. Nous avons discuté de façon
assez acerbe pendant un bon moment. Une fois Je n'ai pas voulu, pour ma part,
céder sur un petit point. C'est ce à quoi je faisais allusion.
Mais le rapport, incontestablement, est unanime dans son ensemble.
M. PLAMONDON: Me Marceau, dans les notes explicatives, quand on parle de
la mutabilité des régimes, on dit: Ils en sont venus à la
conclusion qu'une mutabilité judiciairement contrôlée et
soumis à une publicité, etc.
Pourriez-vous m'expliquer un peu ce que signifient ces deux mots «
judiciairement contrôlée »?
M. MARCEAU: Voici le point. On a sur cette question, dans un petit
domaine, une démonstration de ce que j'essayais d'expliquer gauchement
tout à l'heure dans mes remarques, c'est-à-dire des
intérêts divers qui sont mis en cause.
Jusqu'à maintenant, comme vous le savez puisque je parle
à des juristes, encore là c'est pour baser mon raisonnement
nous avons vécu sous un régime d'immutabilité,
c'est-à-dire que les époux, une fois le mariage contracté,
ne pouvaient plus d'aucune manière, ni directement, ni indirectement,
porter atteinte à leur régime matrimonial, qu'il ait
été stipulé dans un contrat ou imposé par la loi.
C'était l'immutabilité. Et pourquoi l'immutabilité
était-elle ainsi imposée? Pour plusieurs raisons dont la plus
importante était l'intérêt des tiers. C'est qu'on se disait
et, à mon sens, avec raison que si les époux
étaient libres de modifier comme ils le voulaient pendant le mariage le
régime de leurs biens, ils pourraient se servir de cette
possibilité, à cause de l'intimité qui caractérise
leur union, au détriment de leurs créanciers, au détriment
des tiers. C'était pour cela qu'on disait: Vous ne pourrez pas, une fois
le mariage fait, vous ne pourrez pas le changer, votre régime. C'est
là la base principale de l'immutabilité qui existait jusque
là.
Vous avez dû remarquer aussi que cette immutabilité, dans
notre projet initial, nous l'avions maintenue. Elle limite la liberté
des époux, c'est bien évident. Elle empêche les
époux, en certaines hypothèses, de modifier faussement,
puisque nous avons changé d'i- dée leur régime,
sans fraude aux tiers, c'est bien évident également. Mais nous
étions d'avis que les avantages de la mutabilité étaient
moins importants que les risques possibles de fraude à l'égard
des tiers. Et nous avons produit le rapport comme tel.
Or, à la suite du rapport, comme vous le savez, il y a eu toute
une série d'interventions. Nous avons été conduits
à repenser le problème, tout ce problème du «
balance of inconvénients » je regrette l'expression, mais
comme pour nous, juristes, elle est tellement fréquente, je l'utilise
comme telle nous avons été conduits, dis-je, à le
repenser à la lumière des interventions multiples qui avaient
été faites là-dessus.
Finalement, nous en sommes venus à l'idée suivante que les
inconvénients, les risques de fraude, en d'autres termes, pouvaient, si
on canalisait, comme cela avait été le cas à
l'extérieur nous étions aidés, bien
évidemment, par le droit comparé dans cette réflexion;
nous n'avons pas inventé tellement car, je le disais au début,
les inventions, au point de vue des idées, cela ne court pas les rues;
il y a du particulier, quand même, dans notre texte, mais au point de
départ, nous étions aidés de l'extérieur.
Nous avons pensé qu'une mutabilité limitée,
contrôlée par les juges, bien qu'un peu plus lourde que si elle
était parfaitement libre, pouvait éviter les risques de fraude et
faire en sorte que les inconvénients deviennent moins importants que les
avantages éventuels d'une liberté judicieusement exercée.
Je dis judicieusement exercée, parce que je ne veux pas jouer sur le mot
judiciairement.
Cela implique quoi, donc? Cest qu'un juge, dans une certaine mesure,
car j'ai été un de ceux qui, au sein de cette commission,
se sont fait le plus tirer la langue pour arriver à cela. Mais je me
suis rangé et aujourd'hui, je défends l'idée dans
une certaine mesure, un juge peut déceler les motifs qui seraient,
disons, ré-préhensibles chez des époux qui veulent changer
leur régime. Alors, on a dit simplement ceci: La mutation est possible,
en principe, seulement elle devra être faite en vertu d'un certain
formalisme. Ce n'est pas nouveau, ça, que le contrat de mariage exige un
certain formalisme. La mutation devra être homologuée par un juge.
Qui pourra déceler cela?
Je dis, dans une certaine mesure. Il ne faut pas se leurrer car
l'essence même de notre système judiciaire, c'est ce qu'on appelle
le système de l'adversaire. C'est le système contradictoire.
Alors dans le cas de deux époux qui sont d'accord pour changer leur
régime, il n'y
a pas beaucoup d'adversaires. Sauf, peut-être, les
créanciers qui auront eu un avis par les journaux. Alors cet «
adversary system », ce système d'adversaires anglais n'est pas
beaucoup en question. C'est pourquoi je dis: dans une certaine mesure. Mais,
quand même, je crois aussi que le risque de fraude est moins grand que
les avantages qu'on peut en retirer. Et vous avez tout ce système de
mutabilité qui a été adopté.
M. PLAMONDON: Je vous remercie.
M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'il y a d'autres questions?
MME KIRKLAND-CASGRAIN: J'aurais une autre question à poser,
à moins que les ministériels en aient. A l'époque
où le bill 16 a été adopté, la loi du 14 juin 1964,
comme on s'y réfère dans le projet du bill 10, il avait
été dit qu'il s'agissait d'une première étape
devant régler la question de capacité légale de la femme
mariée. Et on avait bien spécifié qu'il devait suivre une
deuxième étape devant régler la question des
régimes matrimoniaux. Alors, ma question est la suivante, Me Marceau:
Considérez-vous que le bill 10, s'il est adopté à
brève échéance en 1969 ou 1970, constituerait une suite
logique au bill 16 qui a été adopté en 1964?
M. MARCEAU: Sans aucun doute. Le bill 16 a été
fondé sur l'idée d'égalité des époux et, je
dirais, de remettre la femme dans la situation où nous croyons qu'elle
doit être aujourd'hui, dans ce cadre d'égalité des deux.
Nous avons voulu, par notre projet et le bill qui est devant vous, et dans ce
sens-là, donner suite à cela de façon complète,
afin que cette égalité ne soit pas qu'une égalité
de capacité de principes ou de mots, mais une égalité qui
puisse se traduire dans les faits eux-mêmes...
MME KIRKLAND-CASGRAIN: ... dans les rapports pécuniaires.
M. MARCEAU: Pour ce qui concerne les rapports pécuniaires, je dis
qu'il était essentiel d'y arriver pour pouvoir mettre en oeuvre à
plein les idées de 1964, encore qu'on ait peut-être, en adoptant
le régime de société d'acquêts, mis en oeuvre les
idées. Nous sommes allés un peu au-delà peut-être de
ce qu'il y avait, mais incontestablement, c'est dans la ligne. Si vous lisez
les notes qui accompagnent les textes du projet et qui ont été,
du reste, reprises encore dans le bill, si vous voyez les notes, constamment,
on se réfère à l'esprit, à la philosophie et
à l'idée que l'Assemblée nationale avait mise en oeuvre
dans le bill sur la capacité, le bill 16.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Probablement vous y avez songé, mais je
pose la question... Est-ce que vous, et disons, les juristes comme le notaire
Comtois et ceux qui l'assistent ont songé à une troisième
étape qui, je l'imagine, traiterait, cette fois, de la question du
domicile conjugal, à moins qu'on ne fasse intervenir cette question dans
le bill 10 et en particulier, de la puissance parentale devant remplacer la
puissance paternelle qui existe à l'heure actuelle et qui est un
reliquat de l'ancien droit romain?
M. COMTOIS: Pour ma part, je n'ai pas pensé à cela. Je
pensais que vous alliez plutôt dire; Voulez-vous compléter cette
deuxième étape par une troisième qui disposerait du droit
successoral avec une légitime et une réserve. Cela, je sais que
c'est la préoccupation du comité de la famille.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Cette question-là aussi me vient à
l'idée; je serais intéressée...
M. COMTOIS: Cela ne relève pas de la commission chargée
d'étudier les régimes matrimoniaux. Très souvent, on nous
a reproché de ne pas modifier le droit successoral en même temps.
Nous avons toujours répondu que, pour le moment, ce n'était pas
notre rôle et qu'on devait... Notre commission s'occupe de la
révision des régimes matrimoniaux.
Maintenant, pour votre question, je crois qu'elle relève
plutôt du comité de la famille qui oeuvre là-dessus pour
donner une pleine capacité au point de vue du domicile, de
l'autorité, ainsi de suite.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Je comprends. Il y a une chose qui nous
paraît, de prime abord, absolument irraisonnable: c'est qu'avec les
amendements qu'on a apportés au bill 16 on a fait, pour ainsi dire,
disparaître la puissance maritale, en bonne partie.
M. COMTOIS: Oui.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Et, aujourd'hui, on conserve la puissance
paternelle au détriment de l'autorité de la mère. Il faut
relire les articles du code civil. Il y en a sept ou huit qui, à mon
sens, sont absolument désuets et dé-
passés. En effet, si on les suivait à la lettre, il
faudrait que l'épouse appelle son mari au bureau pour lui demander la
permission de corriger son enfant à la maison, et je ne donne qu'un seul
exemple. Alors, je le souligne comme cela, en passant. Je connais votre
autorité, notaire Comtois, et j'espère que...
M. COMTOIS: ... paternelle.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Votre autorité au sein du travail qui se
fait dans le domaine. Peut-être, y aurait-il lieu, si ce n'est pas
déjà fait, de souligner la nécessité de ce travail
auprès des membres.
Maintenant, en terminant, M. le Président, nous n'avons pas eu,
de notre côté, le temps de féliciter, et Me Marceau, et le
notaire Comtois pour le magnifique travail qui a été fait
à l'occasion de cette étude des régimes matrimoniaux. J'ai
beaucoup apprécié la remarque faite par l'honorable
député de Limoilou je pense que c'est lui qui l'a faite
à l'effet que le choix de l'ombudsman qui était
d'ailleurs unanime parmi les membres de l'Assemblée nationale non
seulement nous a réjouis à l'époque et continue à
le faire, mais lui donne une force encore plus persuasive, si l'on peut dire,
auprès de la population et du public en général, quand on
considère que c'est la question d'équité qui a
donné naissance au projet qui nous a été soumis, le bill
10. L'on sait la tâche considérable devant laquelle l'ombudsman,
qui est devant nous aujourd'hui, est placé.
Nous profitons de cette occasion pour le féliciter publiquement
et lui souhaiter bon courage et bon succès dans sa tâche, ce dont
je ne doute en aucune façon.
M. MARCEAU: Je vous remercie.
M. LE PRESIDENT: Je pense que, ce matin, nous avons aussi des
représentants de l'Association canadienne des compagnies d'assurance. Je
ne sais pas si Me Dubé aurait...
M. DUBE: Non.
M. LE PRESIDENT: Je sais que le rapport a été
consigné au procès-verbal...
M. DUBE: Consigné au procès-verbal et nous avons eu une
rencontre avec Me Crépeau qui a communiqué avec le ministre de la
Justice au sujet des modifications possibles.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Nous avons les papillons.
M. LE PRESIDENT: Je pense que tout le monde est d'accord.
M. DUBE: Oui.
M. LE PRESIDENT: Vous en êtes venu à un accord avec Me
Crépeau pour suggérer les amendements?
M. DUBE: C'est cela.
M. LE PRESIDENT: Alors, messieurs, notre séance va se terminer et
nous siégerons à nouveau le 28, je crois.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: L'honorable ministre de la Justice et
moi-même avons convenu d'une date, oui, c'est le jeudi 28 août.
M. LE PRESIDENT: A dix heures du matin.
M. MALTAIS (Limoilou): C'est cela.
M. LE PRESIDENT: Nous commencerons, à ce moment-là,
l'étude du projet de loi article par article.
M. MALTAIS (Limoilou): Parfait.
(Fin de la séance: 11 h 50)