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Commission de l'administration de la justice
Bill no 10
Séance du 21 mai 1969
(Dix heures dix-neuf minutes)
M. THEORET (président de la commission de l'administration de la
justice): Votre attention, s'il vous plaît!
Madame, messieurs de la commission de la Justice, nous allons commencer
cette première séance concernant le bill 10, Loi concernant les
régimes matrimoniaux. Actuellement, je représente Me Marc
Bergeron, président de cette commission. C'est peut-être par un
heureux hasard que ce soit un notaire qui préside au début; c'est
un droit qui nous tient pas mal à coeur, celui des états
matrimoniaux.
Je souhaite la bienvenue à ces dames, aux représentants du
barreau, de la Chambre des notaires et des autres organisations
intéressées. C'est dans une atmosphère sereine, je crois,
que les délibérations auront lieu.
Au tout début, je demanderais au Solliciteur
général, Me Armand Maltais, s'il a quelques mots à dire
avant de commencer l'étude et d'entendre les rapports concernant le bill
10.
M. MALTAIS (Limoilou): M. le Président, l'honorable Bertrand, le
ministre de la Justice, a été retenu momentanément. Nous
sommes réunis pour connaître, de façon plus
détaillée, les implications de ce projet de loi qui constinue un
projet d'une très grande importance; je pense que nous en sommes tous
convaincus. Il est important que nous écoutions, au départ,
l'exposé de la philosophie qui a inspiré ce projet de loi.
Sans aucun doute, nous allons trouver des objections et des objectants
en cours de route. Je n'ai pas de ligne de conduite à tracer à
cette commission ce matin. Je pense que nous sommes réunis pour entendre
un exposé de la philosophie qui a présidé à la
rédaction de ce projet de loi. Quant à l'exposé des
objections, peut-être que cela pourrait venir par la suite.
A tout événement, disons que nous n'avons pas de programme
régulier pour le déroulement de la séance ou des
séances qui auront lieu à cette commission. Si vous êtes de
mon avis, nous pourrions peut-être commencer en demandant à celui
qui a été chargé, en quelque sorte, avec l'Office de
revision du code civil, de s'occuper plus précisément de cette
question, de ce projet de loi, de nous exposer la philosophie de ce projet.
Mais auparavant, vous me permettrez bien d'inviter un membre de
l'Opposition, Mme Claire Kirkland-Casgrain, à vous adresser
également la parole avant que nous procédions,
précisément, à cet exposé de la philosophie de base
qui a animé ce bill ou ce projet de loi numéro 10.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Je remercie le Solliciteur général.
M. le Président, messieurs mes collègues, mesdames et consoeurs
du Barreau, confrères du Barreau et du notariat, mesdames,
mesdemoiselles, messieurs.
Je suis contente de pouvoir joindre ma voix à celle du
Solliciteur général, au nom de l'Opposition, pour souligner
également l'importance que l'on doit accorder à l'étude de
ce bill et aux recommandations de l'Office de revision du code civil
relativement à un sujet qui intéresse toutes les femmes
mariées du Québec. En ce faisant, je pense que l'on répond
à nos nombreuses demandes réitérées.
M. le Président, je pense que nous n'avons pas à faire
l'histoire de l'Office de revision du code civil, formée de juristes
compétents qui, on le sait, avait été créée
en 1961 et remettait en 1963 un premier rapport qui devait, quelques mois plus
tard, donner naissance au bill 16. L'on se souviendra qu'il y a cinq ans, lors
de sa présentation, il était dit que ce bill constituait une
première étape dans le « new deal» qui devait
être accordé aux femmes mariées du Québec
Nous voici, enfin, à la deuxième étape qui, soit
dit en passant, apporterait à mon sens de nombreuses
améliorations et garanties sans pour cela résoudre tous les
problèmes. C'est d'ailleurs la raison de notre présence ici
aujourd'hui pour entendre les représentations des divers corps
intermédiaires et des diverses personnes qui pourraient avoir des
suggestions heureuses à nous offrir. J'en profite pour souhaiter la
bienvenue à mes consoeurs et confrères du barreau, ainsi
qu'à tous les autres qui font preuve d'un intérêt
particulier pour le bill à l'étude ce matin.
J'aimerais également féliciter les commissaires dont les
études ont donné naissance au rapport qui a servi à
préparer le bill 10. Enfin, si on me permet une remarque un peu
personnelle, M. le Président, en constatant la présence ici
d'autant de personnalités féminines, je ne peux m'empêcher
de songer combien il serait heureux qu'il y en ait parmi elles qui soient de ce
côté, et non seulement je l'espère, mais je suis convaincue
qu'à la suite d'une prochaine élection, ce voeu se
réalisera. Ce sont là toutes mes remarques.
M. LE PRESIDENT: Merci, Madame. Nous
pouvons vous permettre plus qu'à d'autres des remarques de ce
genre.
Je crois que le président de l'Office de revision du code civil,
Me Paul A. Crépeau est ici. C'est vous qui êtes à l'origine
de ce bill, Me Crépeau, nous aimerions vous entendre exposer, comme l'a
dit le Solliciteur général, la philosophie générale
qui a inspiré le bill 10 sur les états matrimoniaux.
Me Crépeau on vous écoute.
M. CREPEAU: M. le Président, MM. les ministres, mesdames,
mesdemoiselles, messieurs, tout d'abord qu'il me soit permis de vous dire, M.
le Président, combien à l'Office de revision du code civil, nous
sommes sensibles à l'honneur que vous nous faites de venir ici à
la commission de la justice expliquer les positions fondamentales qui ont
présidé à l'élaboration de ce régime de
biens.
Je voudrais, si vous me le permettez, faire d'abord la genèse du
projet, vous dire quelles ont été les étapes de sa
rédaction et de son élaboration et puis, ensuite, décrire
en quelques mots les dispositions fondamentales, l'esprit dans lequel ce
rapport a été élaboré.
Tout d'abord, il est essentiel de noter que ce rapport est l'oeuvre du
comité des régimes matrimoniaux de l'Office de revision du code
civil. Ce comité avait été créé par mon
prédécesseur, Me André Nadeau, aujourd'hui juge à
la cour Supérieure. Le comité était présidé
par Me Roger Comtois, aujourd'hui président de la Chambre des notaires
du Québec. En faisaient également partie M. Louis Beaudoin,
professeur à la faculté de droit de l'université McGill
à ce moment-là, maintenant à l'Université de
Montréal; Me André Lesage, notaire à Hull et M. le doyen
Louis Marceau, de la faculté de droit de l'université Laval de
Québec, maintenant le protecteur du peuple. Ce dernier agissait comme
rapporteur et il me plaît de souligner que M. Marceau est le grand
inspirateur et le rédacteur de ce projet.
Ce rapport est le fruit de plusieurs années de recherches et de
réflexion. En effet, ce comité a été
constitué en 1963, il a siégé durant trois années
et il soumettait en mai 1966 un rapport à l'Office de revision du code
civil.
Suivant la technique que nous avons cru bon d'instaurer à
l'office de révision, afin de pouvoir obtenir une plus grande
participation du public, afin de pouvoir solliciter des avis, des commentaires
et surtout des critiques, nous avons cru devoir soumettre ce rapport aux
tribunaux, aux associations professionnelles, aux facultés de droit, aux
formations politiques, aux sociétés religieuses, aux associations
fémini- nes, aux sociétés d'assurance, aux
sociétés bancaires et fiduciaires de même qu'aux chambres
syndicales, afin d'obtenir commentaires et suggestions.
La réponse de ces organismes fut encourageante puisque nous avons
reçu, en tout, vingt-deux mémoires. Mémoires
d'associations, mémoires également qui provenaient de demandes
que nous avions faites à certains experts du droit familial, non
seulement au Québec, mais également d'autres provinces,
également d'autres pays, notamment, les experts du droit familial de la
Louisiane qui partagent avec nous l'héritage du droit civil. Egalement
des experts de France où, comme on le sait, le législateur a
adopté récemment un nouveau régime de biens.
L'office, en mars 1967, a tenu une journée d'étude en
séance publique afin de permettre à ceux qui avaient
présenté des mémoires et des observations de faire valoir
leur point de vue devant les membres du comité.
A la suite de ces commentaires, de ces séances d'étude, le
comité a voulu réexaminer son projet et, depuis, voulant tenir
compte d'importantes suggestions et de pertinentes critiques qui avaient
été formulées, le comité a voulu apporter à
son projet d'importantes modifications. Je mentionne pour l'instant nous
pourrons y revenir plus tard, si vous le permettez
l'élargissement considérable de la notion d'acquêts. Je
mentionne également le problème de la mutabilité des
régimes matrimoniaux et je mentionne aussi les règles relatives
à la liquidation du régime afin d'en faciliter le
règlement.
J'ai ensuite soumis ce rapport aux membres du comité du droit des
personnes et de la famille de l'office afin d'obtenir également leurs
suggestions et de coordonner les travaux futurs de ce comité dans
l'élaboration de la réforme de notre droit familial, notamment,
en ce qui concerne la réforme successorale. Car, il est bien entendu, M.
le Président, comme le disait tout à l'heure Mme Casgrain, qu'il
s'agit là d'une deuxième étape, mais une deuxième
étape en appelle nécessairement une troisième. Il faudra
autour d'une éventuelle réforme des régimes matrimoniaux,
si ce rapport est accepté, également prévoir la
réforme de notre régime successoral qui, sur ce plan-là,
à notre avis, a fort besoin d'être repris.
J'avais enfin l'honneur de soumettre le rapport à M. le ministre
de la Justice, le 20 septembre 1968.
Depuis cette date, vous me permettrez, M. le Président, de
signaler ici l'instauration d'une étroite collaboration entre l'Office
de revision du code civil et les hauts fonctionnaires du ministère de la
Justice. Nous avons eu plusieurs
échanges, nous avons eu des rencontres qui nous ont permis de
travailler en toute sérénité et de travailler à
l'élaboration d'un texte qui nous paraîtrait le meilleur.
Je voudrais enfin, pour terminer cette première partie, vous dire
que le projet que nous présentons, nous ne prétendons en aucune
façon qu'il soit la seule réponse aux problèmes qui se
posent. Nous ne prétendons pas qu'il ait des vertus tout à fait
particulières qui doivent l'imposer à l'adhésion du
législateur; nous le proposons comme une solution parmi d'autres. Nous
essaierons d'en exposer les vertus, nous essaierons également de faire
face aux difficultés que l'on pourra présenter. De toute
façon, nous essaierons de vous présenter ce rapport dans la
lumière qui vous permettra de choisir, puisque vous êtes les
maîtres de la politique.
Ce rapport vise essentiellement à proposer, premièrement,
l'adoption d'un nouveau régime légal de biens entre époux
qui serait connu sous le nom de la société d'acquêts. Ce
rapport vise, également, à éliminer les prohibitions
traditionnelles entre conjoints en ce qui concerne les donations de l'article
1265 de notre code, la vente entre époux de l'article 1483 et le
cautionnement, cette règle, cette prohibition qui nous vient directement
du droit romain, de l'article 1301 du code civil.
Ce rapport vise également à assurer la mutabilité
conventionnelle des régimes matrimoniaux. Au lieu du dogme de
l'immutabilité qui a toujours été la règle, nous
avons cru devoir assurer la possibilité, pour les conjoints, de changer
leur régime au gré de leurs intérêts, mais, bien
sûr, dans le respect des intérêts du ménage et dans
le respect également des intérêts légitimes des
créanciers.
Nous avons voulu également instaurer un registre central des
mutations de régimes matrimoniaux afin de mieux assurer la
sécurité des tiers. Il nous a semblé, en effet, que dans
un régime de mutabilité il fallait que les créanciers
fussent protégés, qu'ils puissent facilement connaître
l'état financier de leur débiteur et qu'ils puissent alors, en
ayant recours aux données modernes de l'informatique, avoir accès
à un système qui permettrait, dans un délai rapide, de
connaître l'état de crédit de leur débiteur
conjoint.
Le rapport vise enfin à traduire dans les textes le principe
fondamental de l'égalité du mari et de la femme
conformément à la fois à l'esprit et à la lettre de
la loi du 18 juin 1964, le bill 16, touchant la capacité juridique de la
femme mariée.
Voilà donc, M. le Président, les données
essentielles de ce rapport. Si vous permettez, je peux reprendre chacune de ces
réformes en insistant, si vous me permettez, davantage sur la
réforme fondamentale, celle du régime légal de biens.
Le comité des régimes matrimoniaux avait pour mission
d'examiner l'opportunité de retenir notre régime de biens, tel
qu'il avait été édicté en 1866 ou encore de voir,
à l'aide des études de droit comparé, à l'aide
également de la situation sociale dans laquelle se trouvent les
conjoints au Québec, le comité avait donc pour mission d'examiner
la possibilité de modifier le régime légal de biens et de
trouver un régime qui pourrait davantage convenir aux aspirations des
conjoints au Québec en 1969 et pour une période à
venir.
Le choix d'une politique fondamentale n'était pas aisé.
D'un côté, nous avions la communauté de meubles, telle
qu'elle est inscrite dans le code. Mais, pour des raisons sur lesquelles il n'y
a pas lieu, je pense, d'élaborer ce matin, cette communauté est
tombée endéfaveur. Cette communauté nous rappelait des
statistiques faites par Me Comtois, cette communauté est tombée
en défaveur parce que, dit-on, 70% des ménages
québécois choisissaient de passer devant notaire pour
établir entre eux un régime de séparation
conventionnel.
Le comité devait prendre ce fait et se dire: Si un régime
doit être élaboré, il faut que ce soit un régime qui
puisse être accepté par une majorité. Il faut que ce soit
un régime dont on apprécie les vertus et qui constitue, en fait,
le régime que prendront tous ceux qui soit par inadvertance ou soit par
dessein ou soit encore par absence d'intérêt voudront être
régis par un régime de biens qui puisse convenir à leurs
intérêts.
Donc, la communauté est rejetée. Elle était
rejetée pour divers motifs, sans doute dans une certaine mesure parce
que jusqu'en 1964 était greffé au régime de la
communauté, vous le savez, le principe de l'incapacité de la
femme mariée. Alors, avec toutes les vexations d'une telle situation
pouvait produire dans une société moderne, on estimait qu'un
régime d'incapacité de la femme mariée, associé
étroitement à un régime de communauté, faisait
perdre à ce régime la faveur qu'il avait obtenu en 1866.
Je pense que c'est là une des raisons qui ont motivé ce
rejet sociologique de la communauté. Il faut dire également que
cette communauté est tombée en défaveur parce que la
communauté essentiellement crée un patrimoine commun, crée
une masse commune.
Et comme la société conjugale est une
société à deux, on a cru devoir en 1866 établir
dans le code que l'un des deux aurait le dernier mot
sur l'administration des biens et sur la disposition des biens. Pour
toutes sortes de raisons sur lesquelles il n'y a pas lieu d'élaborer on
avait pensé que celui-là serait le mari suivant le vieux dicton
qui avait cours en Angleterre au 19e siècle: « Man and wife are
one and that one is the husband ».
Ce régime, on ne le voulait plus. Que faire? On pouvait, bien
sûr, se tourner autour de nous, regarder dans les provinces de «
common law » et dire: Puisque tout autour de nous en Amérique du
Nord, à l'exception de quelques Etats américains qui ont subi
l'influence soit française, soit espagnole, on aurait pu choisir un
régime qui soit aux antipodes de la communauté,
c'est-à-dire la séparation complète et totale des
biens...
Le mariage ainsi ne produirait en fait aucun régime, aucune
incidence pécuniaire dans les rapports entre les conjoints. Chacun
resterait tout à fait séparé et ce pourrait être une
autre façon pour le Québec de manifester qu'il fait partie de ce
monde nord-américian, qu'il doit s'insérer dans ce contexte
nord-américain.
Mais, à y repenser, il est certain qu'un examen appronfondi de ce
qu'on peut appeler le régime de la séparation de biens, n'est pas
tout à fait exempt de difficultés. Il est certain que le
régime de la séparation de biens, s'il est établi sans
aucune formalité conventionnelle, s'il est établi comme
régime de droit commun, dit tout simplement que celui qui gagne quelque
chose, le gagne pour lui. Si l'un des conjoints, le mari ou l'épouse
travaille, s'il rapporte au ménage des gains, et bien, chacun pour
soi.
Il va sembler qu'en regardant la situation sociologique dans la province
de Québec, cela voulait dire que malgré le fait qu'il y a un
nombre croissant de femmes qui travaillent hors du foyer, les statistiques le
montrent, malgré le fait qu'il y a donc une participation de plus en
plus grande de la femme sur le marché du travail, il reste
néanmoins que dans l'état actuel des choses le mari est encore
dans une généralité des cas, celui qui fait vivre le
foyer. Et alors, avec le régime de la séparation de biens, cela
voulait dire que ce que gagne le mari, il le gagne pour lui. Il en fait ce
qu'il veut. Il administre ses biens. Il en dispose à sa guise.
Et alors, l'expérience des autres provinces montre... A ce sujet
nous avons eu des contacts fréquents avec ceux qui sont chargés
de la réforme du droit matrimonial en Ontario. Les contacts avec les
représentants de ce comité de réforme nous ont
montré que ce régime de séparation est en fait une source
d'injustice. Une source d'injustice parce qu'il empêche en quelque sorte
le conjoint qui a participé au fond à la vie conjugale, mais
d'une autre manière, d'une façon qui ne permet pas de ramener
à la maison un salaire ou des biens empêche cette personne de
pouvoir participer aux économies qui ont été
réalisées par les deux, mais chacun à sa
manière.
Alors, c'est ainsi que, dans les autre provinces, on essaie, en quelque
sorte, d'obvier, de parer aux difficultés, aux dangers que
présente la séparation de biens en instituant tout un
réseau de dispositions suivant lesquelles le conjoint qui n'a pas
gagné peut obtenir, soit au moment du décès, soit pendant
la vie de la société conjugale, un réseau de dispositions
qui lui permettent d'empêcher, en fait, que le mari ne dispose de ses
biens contrairement aux intérêts du foyer.
Nous avons cru également que la séparation de biens, tant
qu'elle demeure conventionnelle, peut comporter certains avantages parce que,
vous le savez, lorsqu'il y a séparation conventionnelle où l'on
passe devant le notaire, les notaires, en général, conseillent
aux jeunes conjoints, de bien vouloir et le conseil s'adresse en
général au futur mari compenser les avantages qu'aurait
eus sa future épouse s'ils avaient accepté la
communauté.
En d'autres termes, vous le savez, suivant le régime de la
séparation conventionnelle, il arrive très souvent que le futur
conjoint donne à future femme, lui fait des avantages, par exemple,
contracte en sa faveur une police d'assurance, tout cela en quelque sorte pour
parer aux inconvénients de la séparation par rapport à la
communauté qui, en fait, il faut l'avouer, a son mérite, comporte
tout de même des avantages certains pour le conjoint qui a droit à
la moitié de la masse commune.
Alors, nous nous disions, si le régime de séparation qui
est aujourd'hui conventionnel et qui comporte ces avantages pour le conjoint
devient un régime de droit commun, un régime sous lequel
vivraient les époux qui ne passeraient plus devant notaire, il n'y
aurait même plus ces avantages qu'aujourd'hui offre la séparation
conventionnelle. Les époux n'auraient plus l'occasion de se rencontrer
chez le notaire pour se faire des avantages, se constituer des avantages, se
faire des donations, contracter en faveur de l'autre une police d'assurance ou
encore se donner les meubles meublant ou les effets du ménage.
En d'autres mots, séparation de biens est un régime qui a
ses avantages mais, estimions-nous, dans la mesure où il demeure un
régime conventionnel, un régime où les parties doivent
passer devant notaire.
Maintenant, bien sûr, on aurait pu, encore,
dans l'optique d'une séparation de biens, et cela nous a
été proposé songer à limiter, en quelque
sorte, ces pouvoirs illimités du mari, ou disons, du conjoint qui gagne,
en général le mari. D'abord, par une réserve suivant notre
système qui était le nôtre avant 1866, suivant le vieux
système du droit français, une légitime, en quelque sorte,
en limitant la liberté illimitée de tester qui est notre en vertu
de l'article 831 du code civil, on aurait donc pu, au terme de la
société conjugale, établir un système suivant
lequel 1/3, 1/4 des biens seraient passés au conjoint.
Mais, nous nous disions: C'est très bien, c'est une façon
de résoudre le problème, mais cela ne résout le
problème qu'à demi parce qu'il n'y a pas que le
décès qui mette un terme, il y a le divorce, il y a la
séparation de corps.
Et encore il aurait fallu prévoir non seulement pour le
décès, soit une légitime, soit encore un système
inspiré du droit ontarien ou du « common law » maintenant,
des « Family Maintenance Acts », un système suivant lequel
la femme peut dire: J'ai droit à tant! Ou bien: J'ai droit à une
pension alimentaire telle que la chose est prévue dans les autres
provinces.
Il aurait également fallu prévoir une chose semblable, un
partage des biens ou une pension au moment du divorce, de la séparation,
autant de moyens pour parer aux inconvénients de la
séparation.
Nous estimons également qu'un régime de séparation
est une chose qui, en apparence, peut paraître simple, c'est un
régime qui, au fond, permet à chacun d'aller suivant le
gré de ses intérêts; mais nous nous disions qu'en
régime de séparation, même si nous instaurons une
réserve au décès, bien sûr la réserve ne peut
jouer que dans la mesure où il reste quelque chose sur quoi puisse
s'exercer la réserve. Or, en régime de séparation, chacun
a le droit de faire ce qu'il veut de son patrimoine. Il peut l'administrer, il
peut en disposer à sa guise. L'expérience des autres provinces
nous le prouve. Combien de fois est-il survenu des cas où le conjoint,
qui a les biens, organise et Dieu sait comment les choses peuvent se
faire son patrimoine de façon qu'il ne reste plus rien sur quoi
puisse s'exercer, en fin de compte, la réserve ou la
légitime.
Ce sont là un certain nombre d'arguments. J'ajouterai enfin
l'argument des protagonistes de la séparation de biens qui nous disent:
C'est un régime simple. Bien sûr, c'est simple dans les textes. Il
ne faut pas beaucoup d'articles dans un code civil pour régler la
séparation de biens: Chacun va de son côté.
Mais, on sait que les textes juridiques ne traduisent pas toujours la
réalité dans tout le concret sous lequel elle se présente.
On sait qu'un ménage qui dure dix ans, qui dure vingt ans, qui dure
trente ans et la longévité est une chose qui est de notre
siècle dire qu'ils sont séparés de biens, c'est
très beau, mais après quarante ans de ménage, à
moins d'avoir établi une comptabilité, ce que l'on reproche
à la société d'acquêts, comment peut-on savoir
précisément ce qui a été acheté avec qui,
par qui, et avec quoi? Bien sûr, il peut y avoir des meubles de famille
dont on connaît la provenance. Il peut y avoir des biens dont on sait
exactement qu'ils ont été achetés dans des circonstances
précises; mais il se peut également qu'au cours des années
on ait acheté avec les biens de l'un et de l'autre, dans une confusion
méconnaissable, que l'on ne puisse plus savoir en quelque sorte
d'où viennent les biens.
La division des biens, en réalité, est peut-être
plus difficile qu'on ne l'imagine en fait, et peut-être plus difficile
que ne le laisserait prévoir quelque texte du code civil qui dit: Chacun
est séparé.
En d'autres mots, nous avons examiné sérieusement et
objectivement les avantages et les inconvénients de ce régime de
séparation dans la mesure où il deviendrait un régime de
droit commun, et nous nous sommes dit à tort ou à raison
que ce n'est peut-être pas le régime qu'il faille
adopter.
Essayant de voir ce qui s'est fait aileurs, nous avons trouvé un
certain nombre de régimes récents, les régimes
Scandinaves, les régimes allemands, les régimes proposés
en France en 1932 le projet Renoult et, essayant de voir dans
quelle mesure ces régimes pouvaient être adoptés dans la
province de Québec, nous avons essayé d'adapter et de voir
comment un tel régime pourrait traduire en quelque sorte, une
réalité profonde que nous estimons être le point de
départ fondamental et constituer la philosphle de base de ce
régime que nous proposons.
Cette réalité profonde est la suivante: Un ménage
s'unit et chacun, à sa manière, participe à la
réalisation des économies du ménage. L'unie fait à
l'extérieur, le plus souvent encore, c'est le mari qui rapporte des
biens à la maison; l'autre, le conjoint encore pour un certain
temps la femme participe également, elle, mais d'une autre
manière à l'acquisition des biens de cette association. Nous
partons du postulat fondamental que ce qui est gagné par l'un est
gagné pour les deux. Nous partons du fait que si le conjoint va
travailler à l'extérieur et rapporte, par exemple, un salaire de
$100 par semaine, ce salaire
il l'a gagné, lui, mais il l'a gagné pour lui et son
conjoint. Voilà donc l'idée de base. Seulement, nous nous
disions: Il nous faut éviter les inconvénients de la
communauté, il nous faut éviter les inconvénients de cette
masse commune et, alors, trois idées nous ont guidés.
Premièrement, l'idée d'égalité; comment
traduire cette réalité profonde en respectant le principe de
l'égalité? Deuxièmement, l'idée d'association;
comment traduire cette réalité profonde en instaurant en quelque
sorte une association des conjoints? Enfin, l'indépendance des
conjoints; comment encore traduire cette réalité profonde sur la
base de l'indépendance? Alors, il nous a semblé que la
façon de le faire était de prévoir fondamentalement un
régime qui durant l'existence de la société conjugale,
serait un régime à tous égards semblable au régime
de la séparation de biens. Chacun des époux aurait ses biens, ses
propres, ses acquêts. Ses propres, c'est-à-dire les biens qui lui
viennent avant le mariage, les biens qui lui viendraient à titre gratuit
pendant le mariage. A côté de cela, la notion d'acquêts
mot vieillot peut-être qui fait sourire les uns et irrite les
autres, mot vieillot qui veut tout simplement dire que ce que j'ai acquis du
fruit de mon travail, ce que j'ai acquis par les revenus de mes propres, cela
fait partie de mes biens, mais sujet à partage.
Alors, pendant l'existence de la société conjugale chacun
garde ses propres, ses acquêts, chacun en a l'entière
administration, chacun en a l'entière disposition à une seule
réserve près, c'est-à-dire la prohibition d'avantager des
tiers à titre gratuit, afin d'éviter qu'une personne dilapide ses
biens, ne donne des biens à des tiers pour, précisément,
frauder les droits de ces conjoints. C'est la même préoccupation
que l'on retrouve que dans les provinces de « common law ».
Donc, pendant l'existence de la société conjugale
en fait, séparation de biens mais avec cette différence
essentielle qu'avec le régime de la société
d'acquêts naît, au moment même du mariage, un droit pour
chacun des conjoints à un partage éventuel des économies
de la société conjugale. Donc, d'un côté
séparation avec toute la liberté d'administration et de
disposition que comporte le tel régime avec la réserve que j'ai
donnée. Mais, ajoutez à cela un droit contractuel, un droit
matrimonial qui naît du mariage, un droit à un partage
éventuel des économies.
C'est ainsi que, si la société conjugale est dissoute par
le décès, si la société conjugale est dissoute par
la séparation de corps, si elle est dissoute par le divorce, eh bien,
à ce mo- ment-là, s'opère en quelque sorte, en fait ou
d'une façon comptable, la liquidation de ce régime et de partage
des économies.
C'est là la philosophie fondamentale de ce régime. Il nous
a semblé que ce régime traduisait une réalité
profonde, c'est-à-dire cette participation conjointe aux
économies et que le conjoint qui n'apportait pas au foyer des gains
pécuniaires pouvait, néanmoins, prétendre, non pas se
présenter éventuellement devant un tribunal pour quémander
en quelque sorte une pension alimentaire que lui consentirait, bien sûr,
le tribunal, mais qu'il paierait peut-être à regret ou dans des
conditions très souvent difficiles, mais naîtrait un droit
contractuel, un droit à la moitié des économies
réalisées durant la société conjugale.
C'est là l'essentiel de ce régime qui se liquiderait
ainsi, au moment du décès, du divorce ou de la séparation.
Mais, à cela s'ajoute également une notion qui est importante et
qui, encore à mon avis, assure la protection du conjoint, c'est que ce
régime de société d'acquêts étant un
régime contractuel, en quelque sorte, implicite, à un moment
donné, même en l'absence de divorce ou de séparation, le
conjoint pourrait constater que son conjoint dilapide les biens et que son
conjoint fait des dépenses inutiles qui constituent un danger aux
intérêts légitimes du ménage, le conjoint pourrait
alors demander une liquidation du régime et demander la
séparation pure et simple. C'est là un moyen, estimions-nous,
pour le conjoint, à tout moment dans le mariage, lorsqu'il estime que
les intérêts du ménage sont menacés, lorsqu'il
estime que ses biens sont susceptibles d'être dilapidés, de dire
à son conjoint: Très bien, dilapide, si tu veux, mais dilapide
tes biens. Je demande une séparation de biens.
Voilà donc l'essentiel du projet. Le reste, M. le
Président, mesdames, messieurs, sont problèmes de mise en oeuvre.
Bien sûr, la mise en oeuvre d'un tel régime suscite des
difficultés, cause des problèmes. Nous ne voulons pas esquiver
cette question. Il est certain que des représentations vous seront
faites soulignant les difficultés d'application du régime. Nous
convenons qu'il y a des difficultés. Nous convenons qu'il y aura des
problèmes dans la liquidation. Mais ce que nous voulons dire, c'est
qu'à la suite des représentations qui nous ont été
faites, nous avons cru devoir modifier un certain nombre d'articles,
précisément, pour assurer, pour faciliter la liquidation du
régime au moment venu.
Ainsi, par exemple, à l'article 1266d) du projet, nous avons
considérablement élargi la notion d'acquêts, afin
d'éviter qu'au moment du
partage il y ait cette opération extrêmement complexe
d'avoir à séparer les propres des acquêts. Plus on fait
entrer dans la catégorie des acquêts, des biens moins la
liquidation devient difficile. Nous avons, également, prévu un
certain nombre de dispositions qui essaient de faciliter la liquidation de ce
régime et je mentionne nous pourrons y revenir l'article
1266n), du projet, qui dit: Tout bien est réputé acquêts
sauf preuve contraire établie. En d'autres mots, nous avons
établi une présomption d'acquêts. Chaque fois que l'on ne
pourra pas apporter la preuve qu'un bien est propre, il est
présumé acquêts. Mais se posait également une autre
difficulté à laquelle nous avons voulu faire face à
l'article 1266o), c'est que, et cela se présente également
à l'article 1266 o), à la page 10 du bill, le problème se
présente également en séparation de biens.
Comment sait-on, après 10 ou 20 ans, à qui appartient tel
bien? Nous avons là prévu une règle qui dit: Les biens sur
lesquels aucun des époux ne peut justifier d'une propriété
exclusive sont réputés acquêts indivis à chacun pour
moitié. Ainsi, par exemple, des actions au porteur dans un coffret de
sûreté bancaire, on ne sait plus après un certain temps
à qui sont ces titres; eh bien, si on ne peut pas apporter la preuve,
ils sont réputés acquêts indivis, chacun pour
moitié.
Donc, opérations comptables qui viennent faciliter la
liquidation. Ensuite, nous nous disons que nous avons, dans la province, pour
les cas difficiles, des experts en matière de liquidation successorale.
Il est certain que les notaires ont pris une part active à ce
régime. Je pense ici notamment au président de la Chambre des
notaires qui a pris une part active à l'élaboration de ce
régime. Me Comtois n'estime pas que la liquidation de ce régime
puisse poser des difficultés insurmontables. Il s'agit, comme dans toute
société, d'une liquidation des biens.
Voilà, M. le Président, pour la société
d'acquêts. Si vous le vouliez, je pourrais dire quelques mots des autres
propositions qui sont faites mais je ne veux pas abuser de votre temps.
M. LE PRESIDENT: Je pense, Me Crépeau, que vous pourriez
facilement continuer, et ceci servira à tous les membres de la
commission.
M. CREPEAU: Brièvement, M. le Président, je vous indiquais
tout à l'heure que ce projet vise à éliminer les
prohibitions traditionnelles entre conjoints. Pour des raisons que l'on
connaît, on avait cru prohiber les donations entre époux, on avait
cru devoir prohiber la vente entre époux et on avait cru devoir prohiber
le cautionnement par la femme des dettes de son mari.
Bien sûr, chaque fois que l'on imagine la politique
législative sous-jacente, on pense toujours aux influences indues
qu'aurait pu exercer le mari sur sa femme pour lui soutirer des avan-teges
pécuniaires. Eh bien, il nous a semblé que, dans une
société nouvelle où il ne doit plus être question de
protectionnisme, notion qui est dépassée, notion qui est
surannée, il nous a semblé que les conjoints, chacun prenant ses
responsabilités, devaient avoir parfaite liberté pour
négocier entre eux des opérations pécuniaires telle la
donation, telle la vente, tel le cautionnement.
Il nous a semblé que maintenant la vente, la donation et surtout
le cautionnement pouvaient être des mesures d'entraide entre conjoints et
qu'il n'y avait pas lieu de les prohiber, d'autant plus que l'on sait comment
le droit positif actuel permet très souvent de tourner ces prohibitions
par divers moyens parfaitement légaux d'ailleurs, mais qui, en fait,
permettent de passer outre à ces prohibitions.
Donc, rejet du protectionnisme qui avait présidé à
l'élaboration de ces prohibitions et acceptation pleine et
entière de la responsabilité des conjoints. Bien sûr, cela
ne veut pas dire qu'il n'y aura plus d'influences indues, cela ne veut pas dire
qu'il n'y aura plus de situations délicates; mais bien sûr, cette
mesure qui vise à l'abolition des prohibitions exige un sens accru des
responsabilités et chacun doit apprendre à les prendre.
Troisièmement, la mutabilité conventionnelle des
régimes. Dans le projet qui a été soumis à l'Office
de revision du code civil, les auteurs avaient cru devoir maintenir le principe
de l'immutabilité.
Je pense que l'on peut dire que les auteurs du projet y voyaient
là une façon de protéger les créanciers qui, par la
règle de l'immutabilité, étaient davantage en mesure de
connaître l'état pécuniaire des conjoints. Mais encore
là, et à la suite des représentations qui ont
été faites par des organismes et par des spécialistes de
la matière, et également au regard de la nouvelle
législation française qui admet maintenant la mutabilité
des régimes, nous avons cru également modifier sur ce plan le
projet originaire et adopter le principe de la mutabilité
conventionnelle des régimes.
En regardant l'exemple du droit français, nous avons
constaté la règle qui voulait que l'on ne puisse changer de
convention matrimoniale, changer de régime qu'à tous les deux
ans. Nous nous sommes demandé pourquoi. Pourquoi restreindre la
liberté des conjoints, alors que leur
situation pécuniaire peut fort bien, et en toute
objectivité, changer le lendemain d'une éventuelle modification
du régime?
Nous avons cru ne pas devoir suivre la solution française sur ce
plan et assurer parfaite liberté aux conjoints de modifier leur
convention au gré de leurs intérêts. Si les époux
estiment aujourd'hui qu'une séparation conventionnelle de biens est
préférable, parce que chacun des époux est dans le
commerce, parce qu'ils ont des intérêts différents,
divergents, eh bien, libre à eux d'établir ce régime.
Mais, si pour une raisonou pour une autre au cours du ménage un des
conjoints cesse d'exploiter son commerce, son entreprise, par exemple le cas de
l'épouse qui revient au foyer, qui n'estime plus devoir travailler, si
ces époux, d'un commun accord, estiment que dorénavant il serait
préférable de vivre sous le régime de la
société d'acquêts, rien ne les empêche de modifier
leur régime et d'établir le régime qui convient le mieux
à la situation dans laquelle ils se trouvent au moment du choix.
Mais, bien sûr, assurer la mutabilité conventionnelle des
régimes voulait dire également que l'on devait protéger
les intérêts légitimes des créanciers. On devait,
par des mesures de publicité, faire en sorte que les créanciers
puissent au moins savoir, être au moins mis sur la piste de l'état
financier de leur débiteur conjoint. Alors, nous avons cru devoir
assortir cette mutabilité des régimes matrimoniaux par des
mesures de publicité. D'abord, par des mesures d'authenticité,
c'est-à-dire la passation d'une mutation devant notaire, et c'est
l'article 1265 du projet qui le déclare : « II est loisible aux
époux pendant le mariage de modifier leur régime matrimonial
ainsi que leur contrat de mariage, pourvu que par une modification ainsi faite
ils ne portent pas atteinte aux intérêts de la famille, ni aux
droits de leurs créanciers ».
Article 1266: « Toute convention entre époux ayant pour
objet de modifier leur régime matrimonial ou leur contrat de mariage
doit être constatée par acte notarié portant minutes; elle
n'a d'effet que si elle est homologuée par le tribunal de leur domicile.
« La requête en homologation... » Je vous fais grâce de
cet alinéa.
Il y a donc, d'une part, passation du contrat devant notaire, puis
homologation du tribunal. Mais cela ne nous a pas paru suffisant. Nous avons
cru que, bien sûr, l'authenticité du contrat notarié
était une mesure de précaution, était une mesure qui
permettait aux époux de réfléchir. Nous avons cru
également qu'une méthode de publicité par l'homologation
du tribunal était une façon de préserver les
intérêts légitimes des créanciers. Mais, il nous a
semblé et cela s'insérant dans le contexte
nord-américain nous avons cru devoir proposer l'instauration d'un
registre central des mutations des régimes matrimoniaux.
Ce registre central qui serait, nous oserons l'espérer,
créé suivant les toutes dernières données de
l'informatique avec ordinateurs et tout l'équipement moderne,
électronique; ce registre central qui, au fond ne serait qu'un aspect
plus général d'une autre réforme que nous vous proposerons
en son temps, celle de registre central de l'état civil,
également avec les données modernes de l'informatique,
permettrait à tout créancier de connaître rapidement
l'état financier de ses débiteurs conjoints.
Enfin, le rapport a voulu traduire dans les textes le principe
fondamental de l'égalité entre le mari et la femme. Je ne veux
pas entrer dans le détail des dispositions, M. le Président, mais
je voudrais tout simplement vous rappeler, par exemple, un texte que vous
trouvez dans le bill 10, un projet de loi à l'article 2. Vous vous
rappelez que notre code civil contenait jusqu'en 1964 le principe de
l'incapacité de la femme mariée.
En 1964, le projet a été modifié. Et à cause
du fait qu'il y avait dans le code civil le principe de l'incapacité, il
est certain qu'à l'époque, 1964, il était
nécessaire de dire: La femme mariée a pleine capacité
juridique. C'était là une mesure législative pour venir
faire contrepoids à toute cette tradition d'incapacité
juridique.
Mais, maintenant que ce principe est établi au moins dans des
textes sinon dans des directives bancaires, il nous a semblé que nous
pouvions aller faire un pas de plus et dire à l'article 67: Ne plus
mentionner la capacité juridique de la femme mariée, mais dire
tout simplement que la capacité juridique des époux n'est pas
diminuée par le mariage, seuls leurs pouvoirs peuvent être
limités par le régime matrimonial. Ceci enlève en quelque
sorte tout ce contexte d'incapacité et traduit concrètement le
principe de la liberté.
Je pense qu'au moment de l'analyse des textes du projet, vous noterez
également, M. le Président, mesdames et messieurs, qu'aux
dispositions concernant la communauté de biens, alors là, le
comité vous propose des modifications qui essaient de traduire ce
principe de l'égalité. Et ce sont notamment les articles 1280 et
suivants du projet qui ont permis de le faire. On sait qu'il y avait jusque
là nécessité de consentement dans certains cas, nous avons
crudevoir instaurer un régime différent notamment à
l'article 1297 qui dit: La femme a l'administration et la libre disposition de
tous ses biens propres, mais a charge de verser à la communauté,
sur
demande du mari, les revenus perçus et non consommés, de
même que les biens acquis en en faisant emploi.
Elle exerce seule toutes les actions en justice se rapportant à
ses biens propres.
Ce sont là quelques exemples des dispositions où les
membres de la commission ont essayé de traduire l'esprit de la loi du 18
juin 1964 sur le principe de la capacité de la femme mariée et le
principe de l'égalité des époux.
Voilà donc, M. le Président, je pense, les observations de
base qui peuvent être faites sur ce projet de l'Office de revision du
code civil. Ainsi que je l'ai dit au tout début, nous ne
prétendons pas, il est certain, présenter l'unique façon
de régler un problème, mais nous vous présentons un projet
qui a été sérieusement étudié, qui a
été mûrement réfléchi. Nous espérons
qu'il a quelques vertus.
M. LE PRESIDENT: Nous vous remercions, Me Crépeau,
peut-être que les membres de la commission auraient quelques questions
à poser ou des explications à lui demander.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: J'en aurais une.
M. THEORET: Si vous me permettez, tantôt au début de la
séance, alors que je présidais, Je n'ai pas pu exprimer d'opinion
sur le bill 10. Il est peut-être prématuré de le faire,
mais je vais le faire quand même dès ce moment.
D'abord, je veux personnellement remercier M. Crépeau de ce
brillant exposé qu'il vient de faire. J'ai eu le plaisir de vous
entendre hier au programme « Aujourd'hui », et c'est avec beaucoup
de plaisir également que j'ai vu que vous possédiez votre science
à fond. Et ce matin, vous l'avez encore démontré d'une
façon assez extraordinaire.
Je salue avec plaisir l'avènement de ce bill et, si le grelot a
été attaché en 1964, madame, peut-être grâce
à vous et à d'autres de vos consoeurs, je crois que c'est un bill
extrêmement nécessaire. Après avoir pratiqué pendant
quelque 20 ans, je suis encore praticien, mais au ralenti dans le moment. Je
crois que nous étions embrigadés par cette camisole de force qui
s'appelait le contrat de mariage pour les gens qui ne voulaient pas de la
communauté. Je trouve ici sans aller au fond des choses que, dans ce
bill, vous avez concilié les meilleurs éléments des deux
régimes et la communauté, et la séparation. Et c'est
tellement vrai que, lorsque nous avions des journées d'étude, en
1965 ou 1966 à l'Université de Montréal, Me Comtois
exprimait cet- te opinion: « Je me demande si je ferais un contrat de
mariage après plusieurs années de mariage. » Et je
partageais son opinion. Moi-même, je trouve que nous avons, par des
contrats de mariage, peut-être enlevé une part importante des
biens de nos épouses et, comme vous l'avez expliqué si bien
tantôt, sans aller dans les détails, nous voulons, dans un contrat
de mariage, souvent, réparer le tort qu'on fait à la
communauté en faisant des donations qui sont souvent minimes eu
égard aux moyens des parties qui contractent.
Il est impossible pour deux jeunes époux de faire des donations,
ou du moins ce n'est pas à conseiller, de faire des donations dans les
$100,000. Alors, ce sont toujours des donations très minimes.
Je me souviens également que souvent, l'époux ne veut pas
faire ou veut faire des donations qui sont moins que minimes et j'ai
moi-même refusé, déjà, de faire un contrat de
mariage où l'époux ne voulait absolument pas avantager sa future
épouse, mais seulement avoir les avantages de la séparation de
biens.
Je crois bien qu'à ce point de vue je parle en mon nom
personnel et non pas au nom du parti auquel j'appartiens et pour
beaucoup d'autres raisons... Evidemment, vous allez déranger beaucoup de
nos confrères avec votre nouveau bill. Plusieurs des membres de la
Chambre des notaires et peut-être aussi du barreau seront obligés
d'épousseter leurs volumes et de se remettre à l'heure de 1969.
C'est pour cela que je ne voudrais pas que nous cataloguions ici, comme
à Vatican n, les progressistes et les régressistes. Il y en a
peut-être qui sont plus conservateurs que d'autres, qui s'opposeront avec
force, peut-être, je ne le sais pas, et c'est pour cela que je veux
exprimer cette opinion avant d'avoir l'opinion de ceux qui seront d'une opinion
contraire.
Je crois que c'est un bill qui arrive à son heure, qui,
évidemment, dérange beaucoup l'économie du code civil dans
plusieurs de ses chapitres mais, après avoir entendu votre
exposé, je suis plus persuadé que jamais que c'est un bill qui
s'imposait, que ces prohibitions d'aliénés ne sont plus conformes
aux usages modernes surtout en Amérique, alors que dans les provinces de
droit commun, c'est permis. Je crois que la mutabilité et la
publicité, etc., protégeront aussi les tiers et ceux qui seront
inquiets à ce point de vue.
Pour toutes ces raisons, M. le Président de l'Office de revision,
j'abonde dans votre sens et je suis heureux que le bill ait été
présenté à cette présente session.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, comme je l'ai
déjàdit publiquement, au tout début, lorsque le bill 10 a
été déposé, au prime abord ce bill m'a paru
être une suite logique au travail qui avait déjà
été fait en 1964 lors de la présentation du bill sur la
capacité juridique de la femme mariée.
A l'époque, j'en avais parlé publiquement et j'avais dit,
évidemment, que sans en faire une étude plus appronfondie, je
n'étais pas prête à donner un chèque en blanc au
gouvernement sur tous les détails de ce bill. Ce n'est peut-être
pas dans mon intérêt personnel puisque je ne suis pas marraine de
ce bill, mais je dois dire qu'il y a énormément je me
rallie à l'opinion que vient d'émettre un de mes confrères
de notariat qu'il y a énormément de points avantageux pour
les femmes mariées du Québec dans ce bill.
En particulier, je pense à la mutabilité que l'on
accordera. C 'est donc dire que lorsqu'une femme mariée n'aime pas le
régime que les époux ont actuellement, ils pourront changer de
régime.
Evidemment, il y d'autres points d'importance. Ainsi, dans ce bill, on
élimine les prohibitions traditionnelles entre époux.
Voilà encore d'excellents amendements à mon sens. Je n'entrerai
pas dans tous les autres détails.
Moi-même, je veux féliciter le président de l'Office
de revision du Code civil pour son exposé. Si vous me le permettez,
j'aurais une question à poser à Me Crépeau, à moins
que d'autres membres aiment faire des remarques d'ordre
général.
M. LE PRESIDENT: Vous pouvez y aller.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Nous savons Me Crépeau, que l'Ontario
vient de terminer une étude assez détaillée je ne
sais pas le titre exact de cette étude, mais cela se rapporte au droit
familial et en particulier un travail sur les régimes
matrimoniaux. Vous serait-il possible de nous faire part des recommandations
importantes qui pourraient avoir une certaine analogie avec le bill qui est
devant nous aujourd'hui?
M. CREPEAU: M. le Président, si vous me le permettez, je voudrais
faire une observation préliminaire. Le problème des
régimes matrimoniaux n'entre pas dans le cadre précis de mes
préoccupations professionnelles. Je vous dis en toute
objectivité, en toute vérité, que je ne suis pas un expert
de droit matrimonial. Je regrette vivement que, par suite de circonstances,
l'auteur de ce rapport, Me Marceau, ne puisse pas être avec nous pour
vous faire bénéficier d'explications d'un expert qui pourrait
vous donner le sens précis des dispositions et des incidences que ces
dispositions peuvent avoir. Je regrette également que le
président du comité n'ait pu venir aujourd'hui, parce qu'il est
en dehors du pays; il ne reviendra que le 29 prochain. Cependant, dans toute la
mesure du possible, je veux bien essayer de répondre, mais avec cet
avertissement que vous n'aurez pas le bénéfice d'explications
d'une personne qui est experte en cette matière.
Ce que je peux vous dire, madame, c'est que, l'an dernier, nous avons
échangé une correspondance avec le président de la
commission de réforme du droit ontarien, Me Allan Neil. Nous avons pu
constater, à ce moment, que la commission de réforme du droit
ontarien avait commandé au professeur Baxter une étude portant
sur la réforme des régimes matrimoniaux, ou des relations
pécuniaires entre conjoints.
De prime abord, peut-être était-ce le vieil instinct de
préservation, de conservation de civiliste, nous nous disions: Bien
sûr, nous sommes civilistes, nous avons une tradition culturelle, nous
avons un héritage de droit français, nous ne pouvons pas nous
entendre avec ces personnes qui vivent tout autrement que nous dans les autres
provinces du Canada. Marchant, en quelque sorte, sur ces
préjugés, nous avons rencontré le professeur Baxter et son
équipe; nous avons rencontré les représentants de la
commission de réforme de droit ontarien, et nous nous sommes rendu
compte que, loin d'être séparés par l'histoire ou par les
conditions économiques, nous avions exactement les mêmes
problèmes, nous avions exactement les mêmes préoccupations.
Partant peut-être d'une terminologie différente, partant de
concepts différents, partant également d'une certaine
mentalité dans la rédaction des lois, nous nous sommes rendu
compte qu'au fond nos projets aboutissaient à peu près aux
mêmes conditions.
Nous, nous partions d'une masse commune: la communauté. Eux,
partaient de la séparation totale.
Or, nous nous sommes rendu compte que ces deux régimes avaient
à la fois des inconvénients et des avantages et voulaient faire
disparaître les grands inconvénients de la séparation de
biens, c'est-à-dire la possibilité pour un conjoint de
réduire presqu'à néant son patrimoine pour que l'autre ne
puisse avoir rien sur lequel exercer quelque droit.
Alors, le comité du professeur Baxter a proposé à
la commission de réforme de droit ontarien ce que l'on pourrait appeler,
nous, dans notre terminologie, un régime de biens de droit
commun qu'ils appellent eux le système du « balancing claim
» où, en lisant le texte, nous nous rendions compte qu'ils avaient
à peu près les mêmes règles fondamentales de la
division des biens acquis.
Je ne voudrais pas, madame, entrer dans les détails parce que je
craindrais de ne pas faire justice au régime qui est proposé en
Ontario, mais, sous réserve, si vous le voulez, de la
présentation à cette commission du rapport ontarien
lui-même, sous réserve également d'une présentation
par nos experts d'une comparaison, mais alors scientifique, des avantages et
des inconvénients, je puis vous dire en gros que nous nous sommes rendu
compte que, loin d'être divisés, nous étions très
près les uns des autres et que nous avions sensiblement un régime
qui répondait aux mêmes préoccupations.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, j'aurais une question
additionnelle. Peut-être Me Crépeau pourrait-il nous dire, de
mémoire, vers quelle date ce rapport a été rendu public?
Je voudrais établir le moment de cette étude.
M. CREPEAU: Oui, je m'en souviens vaguement, je crois que c'est au tout
début de l'année 1968, parce que nous avions été
invités au printemps dernier. Vous vous rappelez, madame, nous avions eu
l'honneur de siéger à une table ronde ensemble, à Toronto,
lors de la régionale du Canadian Bar où le comité Baxter a
présenté son rapport aux praticiens de l'Ontario. A la suite des
représentations qui ont été faites, le professeur Baxter
et son équipe ont procédé à des modifications,
à des remaniements de son projet. Nous avons reçu, il y a
quelques semaines, un nouveau document qui essaie de tenir compte des
observations qui avaient été faites. Si vous le voulez, M. le
Président, je pourrai vous faire parvenir un exemplaire de ce
rapport.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: J'imagine que mes collègues ont des
questions à poser, j'en aurais une autre, mais je veux bien en laisser
d'autres s'adresser au président de la commission.
M. LE PRESIDENT: Y a-t-il d'autres membres de la commission qui veulent
poser des questions? M. le député de Verdun veut-il dire quelques
mots?
M. PAUL: M. le Président, je voudrais Joindre ma voix à
celle de Mme Kirkland-Cas-grain et du notaire Théoret pour
féliciter M. le président de l'Office de la refonte du code civil
pour l'exposé juridique clair qu'il nous a livré ce matin. Cette
législation nouvelle que nous sommes appelés à
étudier, ne sera pas sans créer un remous parce que c'est faire
table rase sur des institutions qui sont séculaires.
Il nous faut, à cette période de nos travaux, envisager
l'adoption ou l'acceptation de cette philosophie nouvelle du droit matrimonial.
Certainement que des corps très importants ne partageront pas
nécessairement les opinions que la commission a pu émettre. Mais
veuillez croire qu'ici, dans cette commission, nous sommes désireux
d'entendre toutes les opinions d'approbation ou d'amendement à ce projet
de loi.
Quant à moi, je me permettrais de poser une question à M.
Crépeault, pour lui demander si les experts qui ont travaillé sur
ce projet de loi ont pensé que le régime de communauté
d'acquêts pouvait présenter un certain intérêt
marqué pour amener beaucoup de conjoints à opter pour une
séparation ou le divorce ou de procédures judiciaires de nature
à permettre immédiatement la division des biens que peuvent
posséder les conjoints. En un mot, est-ce que cette législation
ne peut pas présenter un certain attrait chez les gens non
sérieux pour les inviter à prendre des procédures
judiciaires et, en quelque sorte, attaquer un peu la stabilité du
mariage?
M. CREPEAU: Pour répondre d'une façon nette à la
question que vous avez posée, je crois pouvoir dire qu'au cours des
discussions que nous avons eues, cette question n'a pas fait l'objet d'une
étude approfondie. Nous ne nous sommes pas demandé si au fond, si
j'ai bien compris votre question, cela pouvait être un moyen
peut-être même de collusion pour essayer d'obtenir un partage des
biens. Je pense tout de même, sans que la question ait été
l'objet d'une discussion précise, qu'il est tout à fait dans la
pensée du projet que ces changements de régime ne peuvent pas se
faire sur la foi d'un caprice. Puisqu'il faut que la mutation soit faite par
devant notaire, puisqu'il faut qu'il y ait une homologation du tribunal
où le tribunal doit considérer l'intérêt du
ménage, je pense qu'il y a là une garantie de même,
également pour répondre plus précisément, chaque
fois qu'il y aurait une séparation judiciaire de corps ou une
séparation de biens ou un divorce. Le problème de la liquidation
pouvant éventuellement être soumis à l'appréciation
du tribunal, on pourrait voir là une garantie contre,
précisément, ce que vous craignez.
M. PAUL : L'aspect, Me Crépeau, de la muta-
bilité conventionnelle des régimes matrimoniaux a-t-il
été envisagé quant à la sauvegarde des
intérêts des créanciers et des tiers qui peuvent être
affectés par ces changements...
M. CREPEAU: Tout à fait...
M. PAUL: ... qui peuvent intervenir dans le régime
matrimonial?
M. CREPEAU: Alors là, cette question a été
longuement débattue. Elle a été longuement débattue
dans la première étape, alors que les auteurs du projet avaient
cru devoir maintenir l'immutabilité précisément pour
donner une plus grande sécurité. Mais, à la suite des
observations qui nous avaient été présentées, nous
avons repris le projet et nous avons longuement discuté ce
problème de la mutabilité et, en essayant de peser les
intérêts légitimes des conjoints qui, devant un changement
dans les circonstances de leur ménage, favoriseraient un changement de
régime, d'une part et d'autre part, la protection des
intérêts légitimes des créanciers, il nous a
semblé qu'assorti de garanties de publicité et de mesures de
contrôle judiciaire, il semblait que l'on pouvait là
réaliser un équilibre harmonieux entre la protection des
intérêts des époux qui veulent changer parce que les
circonstances ont changé et également la situation des tiers.
M. PAUL: Une troisième et dernière question. La
création d'une centrale de contrôle de régimes matrimoniaux
dont il est question dans votre projet de loi serait-elle un régime de
district judiciaire ou seulement une centrale pour toute la province?
Dans le cas d'une centrale unique pour toute la province, quelle serait,
d'après vos études, la conclusion à laquelle vous en
êtes venu quant à sa situation et quel serait le meilleur endroit
pour permettre une référence rapide à tous ceux qui
seraient désireux d'obtenir des informations?
M. CREPEAU: M. le Ministre, à cette question, je ne peux
malheureusement pas encore vous donner une réponse nette parce que les
auteurs du projet, ayant d'abord accepté le principe de
l'immutabilité et ensuite revenant au principe contraire de la
mutabilité, ont dû ne prévoir dans le projet que la
disposition visant à empêcher que les modifications aux
conventions n'aient d'effet à l'égard des tiers à moins
qu'elles ne soient enregistrées, inscrites au régime matrimonial.
Mais à la suite de la présentation officielle du rapport,
j'y faisais mention au début de l'exposé, c'est dans ce domaine
précis où s'est ins- taurée une collaboration
extrêmement fructueuse sur cette question nous avons
constitué, à l'Office de revision, un comité
spécial où ont participé des représentants du
ministère de la Justice, des hauts fonctionnaires du ministère de
la Justice, des représentants également du Secrétariat de
la province. Nous avions même l'honneur de recevoir M. le sous-ministre
et ensuite nous avons également eu des représentants de divers
comités de l'Office de revision du code civil pour voir au niveau
j'ai oublié de mentionner également les représentants du
service de la démographie qui sont de très près
liés à cette question et nous avons tâché
d'examiner ce problème à savoir comment constituer un registre
central des régimes matrimoniaux suivant les données les plus
récentes.
Sur ce plan-là, vous comprendrez que nous y allons encore un peu
à tâtons parce que nous essayons de bénéficier des
expériences de nos voisins, et l'Ontario est précisément
en train de mettre un tel système sur pied. Nous avons
déjà averti, par des notes au ministère, que nous
voudrions prévoir un tel registre des mutations de même d'ailleurs
que dans le contexte élargi un registre central de l'état
civil.
Maintenant, comment l'organiser sur le plan matériel, comment le
mettre en oeuvre? Malheureusement, je ne peux pas vous répondre.
Où situer ce registre central de l'état civil. Il est certain que
cela cause des difficultés de divers ordres, mais je pense
qu'aujourd'hui, d'après les opinions des experts qu'on nous a
transmises, la localisation du dispositif central, en quelque sorte, où
se trouvent les fiches, où se trouvent les données, ne
revêt pas l'importance que cela pouvait avoir autrefois. C'est un peu
comme une centrale de radio où vous pouvez avoir un bureau dans une
ville, mais avoir, en fait, la centrale émettrice à la campagne,
quelque part.
Il semble que dans une question comme celle-là, il y a des
impératifs d'ordre politique et il y aurait également des
impératifs d'ordre purement technique, purement matériel. On nous
signalait, par exemple, si mon souvenir est bon, peut-être pourra-t-on me
corriger, que sur le plan pécuniaire, cela dépend de la distance
d'où proviennent les renseignements si bien que peut-être y
aurait-il lieu d'établir l'endroit qui serait le plus favorable à
l'établissement du système. Mais ce que nous pouvons promettre,
c'est que nous fournirons aux autorités gouvernementales, à M. le
ministre de la Justice et à M. le Solliciteur général, les
données essentielles sur lesquelles vous aurez à prendre une
décision.
M. PAUL: Je vous remercie, monsieur. M. LE PRESIDENT: Le
député d'Outremont.
M. CHOQUETTE: M. le Président, je voudrais poser une question
à Me Crépeau. Tout à l'heure en parlant de la
mutabilité des conventions matrimoniales au cours du mariage, vous avez
insisté sur le fait que ce droit de changer le régime matrimonial
serait assorti d'un contrôle judiciaire.
Vous avez insisté sur ce point-là plus
particulièrement en rapport avec la protection des intérêts
des créanciers.
Maintenant, M. Crépeau, en élargissant les dispositions
actuelles du code civil qui interdisent la vente entre époux, le
cautionnement de la femme pour son mari et toutes les autres conventions qui
peuvent intervenir entre les époux, à part le prêt
évidemment, est-ce que vous ne pensez pas qu'à ce
moment-là vous introduisez la possibilité très
immédiate de fraude aux dépens des créanciers? D'autant
plus qu'à l'occasion de ces conventions qui seraient maintenant
autorisées par le projet, il n'y a aucun contrôle judiciaire.
M. CREPEAU: Vous avez parfaitement raison de soulever un problème
qui a fait l'objet d'ailleurs de discussions et qui, je puis vous le dire, a
fait l'objet d'une divergence d'opinion au sein du comité. Les auteurs
n'étaient pas unanimes sur cette question parce que, disaient-ils, il
est fort possible que ces transactions entre époux soient l'occasion de
collusion pour frauder les créanciers.
Si je me permets de faire référence à
l'introduction du rapport, à la page XI, vous verrez que l'un des
auteurs... Nous avons cru devoir faire état précisément de
cette dissidence de l'un des auteurs, en l'occurrence, Me Marceau. « Le
projet propose l'abolition pure et simple de ces dispositions qu'on dit
restreindre inutilement et vainement la liberté des époux. Il
faut dire toutefois que l'un des auteurs du projet se déclare fermement
opposé à une telle argumentation et aux conclusions qu'on en
tire. S'il reconnaît qu'il n'y a aucune raison d'empêcher la femme
de s'engager pour son mari le cautionnement, malgré le danger
qu'il recèle, étant avant tout un acte d'entraide tout à
fait conforme à l'esprit du mariage il est toutefois d'avis que
les autres prohibitions sont de nature à protéger, non seulement
les époux et les tiers, mais aussi et surtout l'union conjugale
elle-même qui, pour s'épanouir et se maintenir, requiert un climat
difficilement comparable à celui qui convient aux tractations
d'affaires. »
M. CHOQUETTE: Je ne sais pas si je situerais ça sur ce
plan-là...
M. CREPEAU: Peut-être l'auteur a-t-il...
M. CHOQUETTE: Je pense que Me Marceau est assez idéaliste, enfin,
dans sa conception des choses. Mais je pense à la fraude,
particulièrement aux possibilités de fraude aux dépens des
créanciers.
M. CREPEAU: C'était la préoccupation essentielle de ce
membre du comité et il est certain que le problème que vous
soulevez est très réel. La levée de ces prohibitions peut
certainement être l'occasion de fraude. Mais, dans un cas comme
celui-là, je suppose que nous en revenons aux droits communs et qu'il
n'est pas impossible que les dispositions de l'action pau-lienne, de l'article
1,032 et suivants du code civil, puissent intervenir, dans une certaine mesure,
pour assurer la protection des créanciers. Mais, bien sûr,
l'action paulienne est un moyen un peu aléatoire parce qu'il faut
connaissance de la fraude.
M. CHOQUETTE: D y a des délais également, n'est-ce pas
à observer, et il y a les cas de faillite également où il
y a des prescriptions très courtes dans ce domaine-là. On sait
que ces fraudes-là se préparent de longue main, surtout si les
intérêts sont substantiels.
M. CREPEAU: Bien sûr, il y a des inconvénients. Si nous
levons ces prohibitions, nous remettons ce domaine dans le champ du droit
commun. Alors, dans le champ du droit commun, vous avez certaines mesures de
précaution que peuvent prendre les créanciers, soit l'action
paulienne ou soit les mesures qui leur sont concédées par la Loi
de faillite; mais vous avez parfaitement raison de soulever le problème,
il est là. Seulement, en voyant d'un côté les
inconvénients résultant de possibilités de fraude, nous
avons également, de l'autre côté, pensé que ces
prohibitions répondaient à une politique sociale qui n'est plus,
à notre avis, de notre société.
Nous estimions que les conjoints doivent apprendre à être
responsables et doivent apprendre à vivre selon les règles du
droit.
M. LE PRESIDENT: Le député de
Notre-Dame-de-Grâce.
M. TETLEY: M. le Président, professeur Crépeau, lors de la
préparation de votre bill, dont je dois vous féliciter, avez-vous
eu l'acceptation générale des dames de la province, des groupes
féminins, etc. ou croyez-vous que dans deux ou trois ans il y aura une
autre mar-
che au parlement ou, à l'Assemblée nationale, d'autres
demandes? Est-ce que vous prévoyez d'autres changements? Est-ce que tout
le monde accepte votre régime d'acquêts?
M. CREPEAU: Dire, monsieur, que les femmes du Québec acceptent
d'emblée le régime serait certainement une très grosse
exagération. Nous avons, lors des discussions en séances
publiques que j'ai mentionnées, reçu les mémoires de
groupements féminins. En toute objectivité j'ai ici copie
des mémoires qui nous ont été soumis je crois
pouvoir dire que les mémoires qui étaient présentés
par des groupements féminins étaient opposés au projet. Je
le dis, c'est la vérité. Je pense qu'elles pourront mieux que moi
exprimer leur opinion sur ce sujet. Seulement, ce que je voudrais dire, c'est
qu'il y a opposition et opposition. Il y a opposition au projet tel qu'il a
été présenté au début par le comité
des régimes matrimoniaux et précisément nous voulions
recevoir les observations, nous voulions recevoir les critiques et nous les
avons reçues.
On nous a fait des représentations concernant, par exemple, la
complexité du système. On nous a adressé des reproches;
c'était normal, nous avions invité ces personnes à faire
des représentations. On nous a reproché l'immutabilité du
régime que nous avions conservée au début. On nous a
reproché un certain nombre de dispositions touchant à la
liquidation. On nous a reproché également de ne pas avoir assez
songé à résoudre le problème d'une autre
manière par la limitation de la liberté de tester de l'article
831.
Alors, nous avons pris ces mémoires où, comme je vous l'ai
dit tout à l'heure, il y avait une opposition à l'ensemble. Nous
avons réexaminé ces propositions, nous avons
réexaminé ces observations. Nous avons estimé que
certaines des critiques étaient parfaitement justifiées, que
certaines observations étaient parfaitement normales et que nous devions
changer. Nous avons changé. Par exemple j'ai essayé de le
montrer pour répondre à l'argument de complexité
qui avait également été présenté par le
conseil général du Barreau de la province, nous avons cru devoir
tenir compte de ces observations en élargissant la notion
d'acquêts, en prévoyant des règles pour la liquidation,
pour la présomption d'acquêts, la présomption de la
règle d'indivis, tout cela pour faciliter aux notaires, dans les cas
difficiles, la liquidation du régime. Parce que nous estimons que dans
une large majorité des cas, au fond, on sera en présence
d'acquêts. Les jeunes ménages arrivent au mariage sans beau- coup
de biens. L'un gagne et, à moins d'une découverte sensationnelle
ou à moins d'une entrée dans un établissement commercial
ou d'une montée rapide, en général on passe une vie
conjugale avec les économies.
Quand arrive le règlement, je pense que les notaires pourraient
corroborer, on se trouve, dans un très grand nombre de cas, devant de
petits règlements de succession.
Alors, tenant compte de ces observations, nous avons modifié
considérablement le rapport. Nous avons également répondu
à la critique de l'immutabilité, nous avons changé la
règle si bien qu'aujourd'hui, monsieur, il ne m'est pas possible de dire
dans quelle mesure les associations féminines manifesteront leurs
senti-mots à l'égard du projet tel qu'il a été
remanié. J'aimerais, comme vous, avoir l'occasion de les entendre et de
voir quels sont aujourd'hui leurs sentiments.
M. LE PRESIDENT: Très bien, Me Crépeau. L'heure avance
rapidement. Je sais que le député de Marguerite-Bourgeoys a
l'intention de poser une autre question.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: C'était plutôt un commentaire. Parce
que je me souviens, M. le Président, avoir assisté à cette
journée où il y a eu une audition publique et où les corps
intermédiaires sont venus présenter des mémoires à
Montréal. J'aimerais dire que, lorsque j'ai pris connaissance du bill
10, j'ai été agréablement surprise de voir que, justement,
plusieurs des recommandations qui avaient été faites par
différents corps intermédiaires qui s'étaient fait
entendre ce jour-là avaient été suivies.
Je sais, par contre, qu'il y a certaines recommandations et suggestions
qui avaient été faites qui n'ont pas été suivies.
Mais justement, avant qu'on en fasse mention, j'allais demander à Me
Crépeau de nous dire mais il l'a fait quels étaient
les changements qui avaient été apportés à la suite
de l'audition publique.
Il y aurait, par exemple, une question. Je ne me souviens pas de la date
où avait été tenue cette enquête publique. Est-ce
que de mémoire...
M. CREPEAU: En mars 1967, madame.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: En mars 1967. Merci.
M. LE PRESIDENT: Alors, merci beaucoup, Me Crépeau. Nous
pourrions peut-être maintenant céder la parole à Me Claude
Gagnon qui, je crois, représente le Barreau du Québec.
M. MALTAIS (Limoilou): M. le Président, à titre de
suggestion, tout simplement, si vous me le permettez, il serait peut-être
intéressant, à ce moment-ci, de savoir quelles sont les
représentations et peut-être d'en établir également
la liste afin que nous puissions déterminer l'ordre des séances
que nous aurons à tenir, etc.
M. TETLEY: II faut savoir qu'il y a des éléments masculins
ici aussi.
M. LE PRESIDENT: Est-ce que ceux qui ont l'intention de se faire
entendre à la commission pourraient s'identifier et nous dire qui ils
représentent, s'il vous plaît?
Me Claude Gagnon, vous représentez le barreau?
M. GAGNON: Oui avec Me Georges Emery.
M. LE PRESIDENT: Me Coupai est-il ici? De la Chambre des notaires?
Est-ce qu'il y a d'autres personnes?
MME CASGRAIN: Je suis Mme Casgrain.
M. THEORET: Pardon, M. le Président, Mme Casgrain, qui
représente-elle?
MME THERESE CASGRAIN: Je représente j'ai ici des
télégrammes, vous pouvez vérifier l'Association
féminine d'éducation et d'action sociale groupant 31,650
membres...
Je représente également la Fédération des
travailleurs du Québec.
Je représente également la Ligue des droits de l'homme
dont j'ai déjà été présidente. Et au moment
où on a présenté un mémoire devant la commission
dont M. Crépeau est le président, à ce moment-là,
j'étais la présidente et c'est Claude Forget qui a
présenté le mémoire.
Nous avons ici également des associations qui se sont
groupées avec nous pour faire certaines réserves. Il y a la ligue
des droits de l'homme, comme je le disais tantôt, la
Fédération des unions de familles dont la présidente est
ici, la Confédération des syndicats nationaux, M. Marceau est
là, et la Voix des femmes du Québec, l'Association des femmes de
carrière de la province de Québec, la Fédération
des femmes du Québec qui a eu un mémoire très important
qui a été présenté et dont la présidente est
ici.
M. THEORET: M. le Président, je ferai remarquer que Mme Casgrain
représente beaucoup plus d'électeurs que le barreau et la Chambre
des notaires ensemble.
MME THERESE CASGRAIN: Vous avez dit « d'électeurs
».
UNE VOIX: Et d'électrices, madame.
M. THEORET: Cela prendra les deux, évidemment.
Me CLAIRE L'HEUREUX-DUBE: Je suis Me Claire l'Heureux-Dubé et je
représente l'Association des femmes de carrière de la province de
Québec Inc., et je voudrais parler en mon nom personnel.
M. LE PRESIDENT: Très bien.
M. CAPARROS: Mon nom est Ernest Caparros.
M. LE PRESIDENT: Pardon?
M. CAPARROS: Caparros. Je suis professeur à la faculté de
droit, et je voudrais parler en mon nom personnel.
M. LE PRESIDENT: M. Saint-Laurent.
M. SAINT-LAURENT: M. Saint-Laurent, je représente l'Association
canadienne des compagnies d'assurance-vie.
M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'il y a d'autres personnes?
MME MORE LAND; Mme Charles Moreland, en mon nom personnel, si j'ai des
choses à ajouter quand les autres auront fait leur intervention.
M. PAUL: M. le Président, nous constatons que le bill 10
crée beaucoup d'intérêt. Il nous faudrait cependant
nécessairement nous limiter ce matin, et si cela convenait à
madame et à mes collègues, ainsi qu'à vous, M. le
Président, nous pourrions peut-être entendre ce matin, Mes Gagnon
et Emery, pour convenir d'un ajournement que l'on pourrait fixer au 4 juin.
Madame, je comprends que vous soyez peut-être déçue de ce
délai, même si c'est une commission importante, cela en est une
importante parmi toutes celles qui fonctionnent. Nous en avons jusqu'à
deux et trois dans la même matinée. Alors, il est impossible pour
nous de pouvoir accomplir un travail et de nous multiplier. C'est pour cela que
nous mentionnons la date du 4 juin, parce que le 3 juin, il y aura
également une autre séance d'une autre commission de la justice,
une commission spéciale, qui a encore un travail extraordinaire à
abattre, c'est la loi concernant la copropriété des
immeubles.
II ne faut pas oublier non plus que Me Comtois ne sera de retour que le
27 mai. Et nous voulons profiter du passage du notaire Comtois ici à
Québec pour l'entendre tant sur le bill de la copropriété
que sur le bill 10. Je crois que cette suggestion est bien justifiée, de
reporter la prochaine séance de la commission au 4 juin.
M. THEORET: M. le Président, si vous me le permettez, sans savoir
quelle est la vigueur de l'intervention des membres du barreau, je crois que la
désapprobation de la part de ces dames, ne vient pas du fait, M. le
Ministre, que cela soit reporté au mois de juin, mais qu'elles ne
puissent pas se faire entendre ce matin. Et si le barreau ne prenait pas trop
de temps, est-ce que nous pourrions siéger jusqu'à une heure et
entendre le point de vue des dames qui sont ici représentées, qui
ont fait des voyages, etc.
M. WAGNER: Pourrions-nous faire une suggestion, M. le Président?
Peut-être que les membres du barreau aimeraient céder leur place
à ces dames afin qu'elles se fassent entendre ce matin?
M. GAGNON: M. Wagner, M. le président l'a suggéré,
et il me semble tout à fait légitime, cela nous ferait
énormément plaisir de céder la parole à Mme
Thérèse Casgrain et à celles qui l'accompagnent.
M. PAUL: Me Gagnon, d'autant plus que je crois que vous serez
également intéressé par le bill de la
copropriété, alors que nous tiendrons une séance le 3
juin. Peut-être pourriez-vous à ce moment faire des
représentations le lendemain pour le bill 10?
M. LE PRESIDENT: Nous cédons déjà le pas aux dames.
Mme Casgrain.
MME THERESE CASGRAIN: Je tiens à souligner que je ne
représente pas uniquement des femmes. Je représente la
Fédération des travailleurs du Québec, la Ligue des droits
de l'homme, alors je ne peux pas dire que je parle au nom des femmes.
M. LE PRESIDENT: Madame Casgrain.
MME THERESE CASGRAIN: M. le Président, mesdames et messieurs, je
voudrais d'abord remercier le barreau qui permet à une femme de ne pas
avoir le dernier mot, et je voudrais vous dire que je suis très heureuse
de cette occasion d'exprimer notre opinion sur le bill 10. Comme je vous l'ai
dit tout à l'heure, je parle au nom de tous ces groupements qui se sont
réunis et entendus sur plusieurs points que je voudrais vous soumettre
ici.
D'abord nous voudrions protéger le domicile familial, en faisant
un amendement quelconque et, deuxièmement, la liberté de tester.
M. Cré-peau n'en a pas parlé tantôt dans son brillant
exposé, mais nous voulons d'abord parler du domicile familial. 1)
Domicile familial. En effet, il nous a paru qu'il était
nécessaire, sous tous les régimes matrimoniaux, conventionnel ou
légal, qu'une protection soit accordée à la famille comme
telle, en obligeant, quant à certains actes d'administration courante,
les époux à concourir dans ces décisions qui se
révèlent souvent d'importance capitale pour un ménage.
Qu'il s'agisse d'aliéner ou d'hypothéquer l'immeuble
servant de domicile familial ou de consentir, d'annuler ou de modifier un bail
au sujet de cet immeuble ou d'aliéner les meubles meublant ce domicile,
le concours des deux époux devrait être absolument requis et ce,
sous tous les régimes. Nous citons, à titre d'exemple, l'article
215 de la loi française de 1965. Si vous voulez je peux vous le lire
mais il est là dans le texte: « Les époux ne peuvent, l'un
sans l'autre, disposer des droits par lesquels est assuré le logement de
la famille, ni des meubles meublant dont il est garni. Celui des deux qui n'a
pas donné son consentement à l'acte peut en demander
l'annulation: L'action en nullité lui est ouverte dans l'année
à partir du jour où il a eu connaissance de l'acte, sans pouvoir
jamais être intentée plus d'un an après que le
régime matrimonial s'est dissous. » 2) La liberté de
tester. De plus les régimes matrimoniaux, quels qu'ils soient, doivent
protéger les intérêts fondamentaux de la famille. C'est
pourquoi c'est à cette occasion que nous avons jugé à
propos d'attirer votre attention sur la nécessité de faire
perdurer cette protection après le décès de l'un des
conjoints. La liberté absolue de tester pour nous contredit l'essentiel
de cette protection. C'est pourquoi il faut la limiter en faveur du conjoint
survivant mais aussi peut-être surtout en faveur des enfants de la
famille.
Ces deux éléments clés sur une législation
relative à la famille auxquels devraient éventuellement s'ajouter
beaucoup d'autres points nous semblent un prérequis vital minimal.
Pour ce qui est des régimes matrimoniaux maintenant, les notes
introductives du projet de loi reflètent le souci des auteurs de
traduire dans la législation un régime qui « tout à
la fois respecterait l'autonomie, l'égalité et
l'indépendance des deux époux et permettrait à
chacun de participer , lors de la dissolution du régime, aux
bénéfices réalisés pendant sa durée.
»
Tout en étant absolument d'accord avec les buts recherchés
par les auteurs de la revision du code civil, nous faisons certaines
réserves que nous jugeons essentielles.
Une de ces réserves nous est connue, les autres vous seront
communiquées par des personnes ici présentes que notre action
commune a permis de faire entendre: ce qui, pour nous, constitue une condition
sine qua non du travail législatif bien fait.
La question du nom. Le nom de « société » est
si près de celui de « communauté » qu'à la
lecture du texte, ces deux termes portent facilement à confusion,
surtout lorsqu'on parle de « communauté de meubles et
d'acquêts » et « société d'acquêts
». Si le régime proposé était adopté, nous
suggérons donc le nom suivant: « Régime de participation
aux acquêts ».
Alors sur ces points, toutes les associations que je vous ai
nommées tantôt sont d'accord. Maintenant, au nom de la Ligue des
droits de l'homme, je dois souligner le fait qu'elle s'est prononcée en
faveur de la séparation de biens pour autant que la liberté de
tester serait brimée un peu. Parce que nous trouvons que c'est
extrêmement dangereux pour le conjoint et les enfants qui survivent
à la disparition de l'un d'entre eux.
Maintenant nous sommes d'accord, et quant à moi je suis
sûre que toutes les femmes sont d'accord, comme tous les hommes de bonne
volonté, les bien pensants, que tout ce qui peut prévoir
l'égalité du statut de la femme serait une excellente chose.
Si vous me permettez d'ajouter une note personnelle. Je me souviens
d'être venue ici il y a près de trente ans alors que
déjà nous avions sonné non pas une sonnette mais des
cloches, et je suis heureuse aujourd'hui de voir qu'enfin on est en train
d'amender les conventions matrimoniales. Quand j'ai lu les prémisses
qu'il y avait dans le projet de loi no 10, je voyais qu'on avait
consulté les régimes matrimoniaux en Suède, qui datent de
1920, en Norvège je crois, de 1925. Alors, je suis ravie de voir qu'en
1967 et 1969 vous faites des efforts énormes pour amender ces
régimes qui, d'après moi et d'après mon expérience
sociale, ce que j'ai vu dans la vie, sont tellement nécessaires.
C'est parce qu'il y a tellement de ménages malheureux et de
femmes qui souffrent. Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'hommes aussi. Mais, je me
souviens d'une phrase dans un des rapports qui avaient été faits
sur les amendements au code civil, l'un des commissaires avait dit que
l'adultère était peut-être une injure aussi grave au point
de vue moral, était une offense, mais que c'était plus dur pour
l'homme de l'endurer parce que le coeur a des raisons que la raison ne comprend
pas.
Alors, je vois qu'aujourd'hui tout le monde a compris.
Maintenant le bill 8. Je voudrais vous dire aussi que vous demandez une
participation et de plus en plus les gouvernements sont soucieux de
connaître l'opinion du public. Je suis très heureuse aujourd'hui
que vous nous donniez l'occasion de parler sur le projet de loi numéro
10 parce que le projet de loi numéro 8 sur le divorce est passé
sans que nous ayons pu pratiquement dire quoi que ce soit là-des-sus et
nous avions de grandes réserves à faire à ce sujet.
Surtout à l'article 11 du bill. Des avocates et des personnes mieux
qualifiées que moi pourront vous dire ce qui en est.
Voilà les quelques remarques que je voulais faire. Je voulais
remercier tous ceux qui sont ici de leur obligeance et de leur amabilité
pour avoir bien voulu m'écouter et le barreau de m'avoir
cédé sa place. Merci.
M. PAUL: Mme Casgrain, quand vous vous référez à un
mémoire que vous auriez présenté il y a environ 30 ans,
est-ce que c'était devant la commission Péladeau?
MME THERESE CASGRAIN: Non, c'était la commission que M.
Taschereau avait instituée avec le juge Dorion, le notaire Sirois. A ce
moment-là nous avions demandé à Me Lafleur qui
était un des grands avocats du temps de parler pour nous. J'ai le
rapport imprimé, qui avait été publié en 1932, je
crois.
ME CLAIRE L'HEUREUX-DUBE: Puis-je me permettre de vous demander la
parole? Je me suis déjà identifiée.
M. LE PRESIDENT: Certainement.
ME CLAIRE L'HEUREUX-DUBE: Ce n'est pas que cela ait été
planifié d'avance, mais le barreau a été aussi gentil
envers mois qu'envers Mme Thérèse Casgrain et me permet de
m'exprimer tout de suite.
Si vous me le permettez, M. le Président, celui qui vous a
précédé tout à l'heure a indiqué, a ouvert
une porte disant qu'il était très large pour les femmes. Alors je
me permettrais de faire part à la commission de ma très grande
admiration pour la grande dame qu'est Mme Thérèse Casgrain. Je
pense qu'il y a lieu, pour moi, quand je sais que c'est elle qui m'a
fait admettre au barreau parce que c'est elle qui a fait changer, il y a
dix ans, la Loi du barreau vingt ans à peu près qui
me permet, aujourd'hui de lui parler...
M. LE PRESIDENT: Me Dubé, si vous me permettez...
ME CLAIRE L'HEUREUX-DUBE: Je suis au barreau depuis 17 ans. Alors
ça doit faire 27 ans.
M. LE PRESIDENT: ... Mme Casgrain n'a pas été simplement
gentille pour vous en vous donnant l'occasion de vous faire admettre au
barreau, mais aussi à nous, qui faisons partie du barreau et qui avons
le plaisir d'avoir des personnes du sexe féminin. C'était autant
pour nous.
ME CLAIRE L'HEUREUX-DUBE: Ah, c'est gentil! Voici, disons que j'aimerais
tout de suite clarifier ma position sur le bill 10. Moi, je l'aime beaucoup et
je suis très favorable aux principes qui y sont exposés. Je l'ai
dit à Me Crépeau et j'ai beaucoup de respect pour ceux qui ont
conçu cette législation. Je me permettrai de faire seulement
quelques remarques. Je pense, c'est normal, qu'on ait des réserves
à apporter et des remarques à faire. D'abord, en
commençant, les remarques que Mme Thérèse Casgrain a
faites me semblent absolument utiles. Je voudrais peut-être expliquer un
peu cette remarque, par exemple, sur le nom. La société
d'acquêts tout à l'heure j'ai remarqué justement, M.
le Ministre Paul, quand vous en avez parlé, vous-même avez
confondu société et communauté et c'est tellement
facile.
J'ai lu le bill dix fois et Je vous assure que quand je lis le code, je
confonds communauté et société d'acquêts. Alors, je
pense que la confusion se fera automatiquement.
Et aussi disons qu'il y a un autre aspect à cela, c'est que ce
n'est pas une société du tout. C'est tout simplement une
séparation pendant le vivant. On ne peut pas dire, si cela induit en
erreur, que ce n'est pas une société. Si par contre, on met le
mot « séparation » qui avait déjà
été suggéré dans certains mémoires, le mot
«séparation » n'est pas juste non plus parce que quand an
arrive pour demander un partage, c'est assez illogique de demander le partage
d'une chose qui est déjà séparée.
Alors, je pense qu'on voudrait éliminer les deux objections en
enlevant le mot « société » en disant: Régime
de participation aux acquêts. Cela existe en Allemagne
fédérale si mes renseignements sont bons. Je ne vois pas pourquoi
on ignorerait cette confusion-là, disons que c'est assez technique pour
le nom et c'est assez mineur comme remarque.
Les autres remarques que j'aimerais faire d'abord au nom de
l'association que je représente ici concernent la substance. Je pense
qu'il faut, pour véritablement voir quel est le test d'un régime,
le voir au moment où cela ira mal. Quand cela va bien, il n'y a jamais
de problème, c'est quand cela va mal. Quand cela va-t-il mal? C'est au
décès d'abord, ensuite en cas de séparation et de divorce
et ensuite au moment où il y a faillite, où les affaires vont
mal.
Alors, au point de vue de décès, je crois que le projet me
satisfait, moi, quoiqu'il y ait beaucoup de complexité que j'admets et
je pense que d'autres organismes feront d'autres représentations sur ce
point-là. Moi, personnellement, je ne fais pas un gros problème
des complexités mais j'admets que cela sera très difficile quand
on a un propre de le suivre pendant 40 ans. Si la femme a $20,000 au
début, il sera très difficile de le suivre. Qu'a-t-elle fait avec
cet argent, elle l'a employé pendant 40 ans, temps que durent les
ménages. Mais quand même disons que je n'en fais pas un point.
Le problème que je veux soulever est le problème des
séparations et des divorces. Disons que le projet contient une
très bonne chose que j'aimerais souligner, c'est l'article 1442 que j'ai
souligné ici, c'est l'article du bill je ne sais pas quoi
à la page 30: La séparation de biens prononcée en justice
remonte quant à ses effets, au jour de la demande. Je crois que c'est
très bien parce que les demandes, nécessairement, traînent
en justice. Mais, disons qu'il faut aussi se poser le problème sur ce
plan-ci à supposer que des gens ne s'entendent pas et vivent
séparément de fait pendant 10 ou 15 ans et que la demande n'est
prise qu'après 15 ans de séparation de fait. Le patrimoine a
changé, on ne peut pas dire que ces deux personnes ont contribué
à l'acquisition d'un patrimoine pendant ces 15 ans. Je me demande s'il
n'y aurait pas lieu que ces effets-là remontent au jour de la
séparation de fait. Parce qu'il ne faut pas oublier que cela va
créer des problèmes énormes. On peut ruiner une personne
avec ce système, autant une femme qu'une homme, remarquez.
Vous voyez, j'ai deux cas actuellement chez moi, je peux en parler. Un
homme qui est riche dans le moment et qui s'est séparé de sa
femme, il y a 20 ans, voudrait régler sa situation. Il vaut $300,000, il
est marié en communauté de biens, ce serait la même chose
d'ailleurs sous le régime d'acquêts. Qu'est-ce qui arrive à
ce moment-là? C'est qu'il est ruiné. Il ne peut pas se permettre
de donner $150,000 à sa
femme. Et l'inverse peut se produire.
Je vais vous poser un cas concret, je suis très pragmatique.
Quand arrive par exemple une femme abandonnée, son mari la laisse avec
plusieurs enfants. Il n'y a pas eu annulation et, pour une raison ou une autre,
elle néglige de demander une séparation ou un divorce, pour
différentes raisons. Quinze ou vingt ans après, elle se refait
une fortune, elle a ses enfants cela est dans mon bureau dans le moment
et le mari revient et demande le divroce. A ce moment-là, elle
doit donner la moitié de tout ce qu'elle a acquis de peine et de
misère avec ces sept ou huit enfants. Je crois que cela créera
des problèmes dans la pratique.
J'aimerais les souligner parce que je pense qu'il faut penser à
ce qu'il va se passer comme mécanisme, vous introduisez un régime
que les gens auront choisi par absence ou, enfin sans se prononcer, qui va leur
amener des mécanismes extrêmement lourds et qui peuvent leur
coûter, à un moment donné, leur fortune.
Je pense qu'il faut y réfléchir.
L'autre aspect qui m'a assez frappée dans cette
législation, c'est qu'on ne parle jamais de lorsque ça va mal en
affaires. Or, on sait très bien que la raison pour laquelle le
régime de séparation de biens a tant de vogue, c'est qu'on peut
brandir son contrat de mariage, à un moment donné, et dire, si on
est saisi : on ne touche pas aux meubles. à on est saisi, ce qui est au
nom de la femme, on n'y touche pas.
Alors, dans ce régime-là, s'il y a une faillite ou quoi,
tout y passe. Il n'y a aucune réserve pour le domicile familial ou pour
l'immédiat dans l'intérêt de la famille, l'essentiel
à l'intérêt de la famille. Je pense que ça devrait
être pensé. Justement Mme Kirkland-Casgrain a pertinemment
posé le problème à Me Crépeau qu'est-ce qui
se fait en Ontario?
Justement,en Ontario, on a réglé ce
problème-là dans le rapport. En fait, j'ai le rapport devant moi.
Il est daté du 5 janvier 1968 et, le 12 mars 1969, on le soumettait. Il
n'a pas été adopté encore, remarquez. Ce n'est qu'un
projet. A la page 566 de ce rapport, on dit et j'aimerais vous le citer
pour vous montrer comment ces problèmes, en Ontario, ont eu une
considération: « In many families, the matrimonial home is
regarded as a somewhat special item of property, with a sentimental, in
addition to an economic, value. Moral feelings are opposed to events such as a
summary removal of a spouse and children from a matrimonial home or the sale of
the home by a husband to his mistress. « It is the view of the Family Law
Project that whatever way the legal title is held, one spouse alone should not
be able to sell or create a security interest over a house in Ontario which the
other spouse is occupying as a matrimonial home. By a matrimonial home is meant
a dwelling in which the spouses are cohabiting, or, if they are separated, a
dwelling is which they were cohabiting prior to separation, or else a dwelling
occupied in substitution therefore. « It is recommended that a sale of or
a security over the matrimonial home should require that both spouses consent
in writing to the sale or security. »
Ce problème-là a donc été
étudié. C'est vraiment une manne dans l'intérêt de
la famille et j'ai peur, moi, que ce régime... Je ne crois pas que les
législateurs soient intéressés à faire un
régime ou à faire toute cette législation pour 2% ou 3% de
la population. Je pense qu'on veut que ça devienne un régime
populaire auquel les gens s'adonnent sans crainte et sans problème. Eh
bien, j'ai peur que, justement à cause du manque de ces
mécanismes de protection minimale pour la famille, il ne soit pas
populaire.
Je ne vois pas comment, moi, je recommanderais à ma fille et
à mon fils de se marier sous ce régime, dans ces circonstances
actuelles. Et si ce n'est pas bon pour mon fils et ma fille, je ne crois pas
que ce soit bon pour le reste de la population.
Disons que c'est dans cet esprit que je fais ces remarques. Si vous me
permettez, je ne voudrais pas prendre le micro pour moi seule, surtout qu'il
est tard. Je me limiterai, pour le moment, à ces observations, quitte,
au fur et à mesure, à en faire d'autres, si ça se
présente.
Mais vu que nous avons l'honneur d'avoir la présence du ministre
de la Justice, je me permettrai, étant donné que j'ai un
intérêt extrêmement personnel dans ces questions
personnel, pas pour ma vie privée, je vous prie de le croire, mais pour
mes clients de lui demander qu'après que la commission aura
terminé l'étude de cette législation extrêmement
importante qu'est le bill 10, de se pencher sur le problème des
déshérités de la vie, qui sont les séparés
et les divorcés, ce que les journalistes ont appelé le ghetto des
séparés.
Je ne fais que cette allusion et je demande au ministre d'en faire
personnellement son problème.
Merci.
M. LE PRESIDENT: Merci, Me Dubé.
Est-ce qu'il y aurait quelqu'un d'autre qui aurait des remarques?
MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, avant que ne partent Mme
Thérèse Cas-grain et Me Claire L'Heureux-Dubé, ma
consoeur, je m'en voudrais de ne pas saisir l'occasion pour les remercier de
leurs remarques pertinentes et de leurs suggestions constructi-ves et, en
même temps, les féliciter.
Je me souviens qu'en 1940 les femmes ont obtenu le droit de vote et l'on
se souvient de l'apport de Mmes Thérèse Casgrain et Renée
Vautelet. Je mentionne seulement ces deux femmes parce que je les connais
personnellement toutes les deux. Il y en a plusieurs autres, je le sais. Mais
je m'en voudrais de ne pas saisir l'occasion pour la remercier parce
qu'évidemment, comme Claire L'Heureux, si on n'avait pas donné le
droit de vote et d'éligibilité aux femmes je ne serais pas ici
à cette table. Alors, il me fait plaisir de voir leur
intérêt et leur participation aux débats. Enfin, je
terminerai pour dire que nous avons besoin dans la province de Québec de
femmes, et nous en avons des femmes de ce calibre qui s'intéressent
à la chose publique et qui n'ont pas peur de s'exprimer. Alors, je les
félicite et je les remercie.
MME MORELAND: Jeanne Moreland, comme j'ai participé à la
rédaction du mémoire que Mme Casgrain a lu, inutile de vous dire
que je partage tout ce qui y est écrit.
Je parle maintenant en mon nom personnel. Je vois beaucoup de bonnes
choses dans le projet de loi numéro 10. Par contre, je fais les
mêmes réserves, étant dans l'exercice du droit depuis,
j'ose le dire, au-delà de vingt ans; je suis la doyenne des avocates du
Barreau de Québec. Maintenant, au Barreau de Montréal, dans ma
pratique, j'ai eu sussi des cas semblables à ceux que citait Mme
Dubé. Alors je partage les réserves faites par Mme Dubé.
Depuis quelques semaines, évidemment, je pense beaucoup à la
société d'acquêts; je ne dirais pas que f en rêve,
mais j'ai fait quelques sondages et j'ai demandé, par exemple, à
des gens qui doivent marier leur fille très prochainement en leur
expliquant le régime, si eux conseilleraient à leur fille de se
marier sous ce régime-là et, malheureusement, on me dit, devant
la complexité: On ne prendra pas de chance, on va quand même aller
chez le notaire. Je pense que le régime de la séparation de biens
est plus près de notre mentalité nord-américaine.
Alors, je fais ces réserves quitte aux législateurs
évidemment à réfléchir encore davantage et à
prendre les décisions les plus sages. Maintenant, si le projet de loi
est adopté, j'aurais une question à poser. A l'article 1437, qui
est suggéré au chapitre portant sur la séparation de
biens, je me demande pourquoi le deuxième paragraphe a été
ajouté. Je sais qu'en 1964 nous avons obtenu la pleine capacité
juridique pour la femme mariée. Alors, je me demande pourquoi est-ce
nécessaire d'ajouter que la femme peut tester en justice et contracter
sans autorisation? C'est admettre implicitement, à mon sens, que la
femme a certaines incapacités encore, ou est-ce pour essayer de faire
évoluer la mentalité des gérants de banque? Je ne sais pas
pourquoi cela a été ajouté. Il y a sûrement une
raison, mais je n'en vois pas la nécessité si nous avons vraiment
la pleine capacité comme nous en sommes convaincues depuis 1964. C'est
une remarque que je voulais faire lorsque vous étudierez paragraphe par
paragraphe. Je vous remercie de votre bonne attention.
M. LE PRESIDENT: Très bien. Il y a M. Ernest...
M. CAPARROS: Je préférerais participer le 4 juin.
M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'il y a d'autres personnes qui seraient
prêtes à se faire entendre immédiatement?
M. SAINT-LAURENT: Je n'ai pas toutes les informations que je veux
présenter, avec moi.
M. LE PRESIDENT: Alors, est-ce qu'il y a d'autres personnes qui
souhaiteraient se faire entendre aujourd'hui?
M. GAGNON: M. le Président, nous sommes toujours à la
disposition de la commission.
M. CHOQUETTE: Est-ce qu'on peut féliciter les dames de leur
brièveté?
M. GAGNON: C'est un salutaire avertissement pour ceux qui suivent!
M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'on pourrait demander à M. Gagnon,
approximativement, durant combien de temps il veut s'exprimer?
M. GAGNON: M. le Président, quant à mol, ce sera
très court, c'est simplement une brève introduction. Quant
à Me Emery, qui ira peut-être un peu plus dans les détails,
j'ai l'impression que cela peut être assez court.
M. LE PRESIDENT: Approximativement combien de temps?
M. EMERY: C'est simplement sur le principe; actuellement, nous n'allons
pas discuter des articles. Le barreau fait voir ses positions, les motifs
d'ordre général et c'est tout, quitte à reprendre plus
tard le débat.
M. LE PRESIDENT: Très bien. Alors, Me Gagnon.
M. GAGNON: M. le Président, Je rappelle simplement que nous
représentons le barreau du Québec. Je suis accompagné de
Me Georges Emery qui depuis plusieurs années est président du
comité de législation du barreau.
D'abord, avant d'exposer dans les grandes lignes quelle est la position
du barreau, je m'en voudrais de ne pas rappeler la vieille amitié qui me
lie à Me Paul Crépeau. Et, même avant de l'entendre, je
savais qu'il rendrait entière justice au travail énorme que s'est
imposé l'Office de revision pour la préparation de ce projet de
loi.
La position du barreau est assez claire. C'est évident que nous
ne sommes pas ici pour plaider une cause. Comme tous ceux qui participent
à cette réunion aujourd'hui, nous n'avons qu'un
intérêt, c'est l'intérêt public. Et je peux vous
assurer, M. le Président, que les avocats comme les autres se feront le
devoir d'épous-seter leur code lorsque cela sera nécessaire.
Comme question de fait, j'ajouterais même que la position que le
barreau prend est assez claire. Nous avons eu l'occasion de faire des
représentations en 1966 et tout récemment au ministre de la
Justice. Je tiens à rappeler les principes directeurs de notre
position.
Le premier principe que le barreau appuie, c'est que nous repoussons le
statu quo, dans ce sens que nous ne croyons pas que le régime de la
communauté de biens devrait subsister comme régime légal.
Nous croyons que l'évolution du droit de la famille marquée
spécialement par la loi de 1964 doit continuer et nous sommes
entièrement d'accord avec les postulats qui sont la base du travail
effectué par l'office de revision.
En d'autres mots, nous sommes d'accord sur le point de départ et
sur les objectifs que tous poursuivent en la matière. Mais, nous
formulons des réserves sérieuses à l'endroit du projet de
loi qui est devant vous et pour deux raisons principales.
La première raison, c'est qu'à notre humble avis et
nous avons eu l'occasion de le rappeler à plusieurs reprises au
gouvernement de la province depuis plusieurs années nous croyons
que le fait de légiférer par morceau peut présenter des
inconvénients et même des dangers très sérieux. Et
je crois que l'intervention de Mme Casgrain illustre d'une façon assez
claire ce que nous voulons dire. Mme Casgrain a attiré l'attention des
membres du comité sur le problème de la liberté de tester.
Nous croyons que cette question, comme bien d'autres, est intimement
liée au problème qui est devant vous, et nous invitons
sérieusement cette commission et l'Assemblée nationale à
songer à ce problème où nous réalisons et
reconnaissons le désir du législateur de faire avancer sa
législation.
Nous ne pouvons pas, évidemment, prendre ou forger un nouveau
code civil du jour lendemain. Nous réalisons ces problèmes, mais
nous croyons de notre devoir de rappeler le danger que peut susciter un
amendement, spécialement dans le droit de la personne, d'une partie du
code, alors que l'autre n'a pas été étudiée en
regard du problème que cela pose.
Notre deuxième raison d'être ici aujourd'hui est parce que
évidemment, le barreau est un terme très large, nous avons
un éventail d'idées, de pensées, et même d'opinions
sur le bill qui est devant vous le barreau comme corps a pris une
certaine attitude et nous croyons devoir présenter à la
commission les vues qui se joignent à ceci dans les grandes lignes. Me
Emery vous donnera beaucoup plus de précisions avec beaucoup plus de
savoir que je ne peux le faire. Mais nous entrevoyons beaucoup de litiges lors
de la liquidation de la société d'acquêts.
En d'autres mots, notre souci principal est d'éviter ce que nous
croyons des complications au stade de liquidation. Nous croyons en ce sens
servir l'intérêt public en attirant l'attention des membres sur ce
danger qui nous semble extrêmement sérieux. Nous croyons que,
malheureusement, le régime de la société d'acquêts
n'est pas le régime idéal. Il est peut-être le
régime idéaliste, mais dans le contexte de la vie de tous les
jours et en particulier, de la vie du praticien de tous les jours, qu'il soit
notaire ou qu'il soit avocat, nous entrevoyons j'espère que nous
ne sommes pas trop pessismistes de sérieuses difficultés.
C'est mon introduction, je voudrais maintenant demander à Me Emery de
nous faire part de certains autres commentaires du barreau.
M. LE PRESIDENT: Permettez, Me Gagnon, le député de
Marguerite-Bourgeoys aurait quelques mots à dire.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, lorsque mon
confrère du barreau a fait un énoncé, je n'ai pas pu
m'empêcher de sursauter lorsqu'il a dit qu'il ne comprend pas ou qu'il
trouve difficilement acceptable que l'on légifère
par morceau. Alors que l'Office de revision du code civil doit reviser
tout le code civil, comment peut-on s'attendre qu'on légifère
autrement? En France même où l'on a apporté des amendements
seulement sur les questions des droits de la femme mariée, on a
légiféré en 1938 et après en 1942 pour
régler la question de capacité et, récemment sous le
gouvernement de Gaulle, on avait légiféré également
sur les régimes matrimoniaux. C'est ainsi que l'on procède
partout où il y a un code civil, on a au-delà de 2,000 articles,
comment peut-on penser qu'il y ait possibilité qu'on en arrive, à
moins d'attendre 25 ans?
UNE VOIX: Non, non.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: La on a déjà attendu cinq ans le
bill 10 après le bill 16. Alors moi, j'aimerais que vous m'expliquiez
ça.
M. GAGNON: Je suis parfaitement d'accord, madame, sur ce que vous venez
de dire. Je n'ai pas dit que ça ne doit pas être fait, que c'est
une chose qui ne doit pas être faite dans aucun cas, qu'il faut faire
bien attention si l'intérêt public exige qu'on règle un
problème particulier aujourd'hui ou demain. Je suggère qu'il faut
faire extrêmement attention à cause des implications que cela a
sur d'autres parties du code. Je ne veux pas du tout suggérer qu'on
doive renvoyer ces bills-là aux oubliettes, ce n'est pas là mon
intention.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Non, parce que je pense en particulier au droit
de la femme mariée de signer une autorisation pour son enfant qui a
besoin d'une intervention chirurgicale ou pour elle-même. S'il n'y avait
pas eu le bill en 1964 bien, vous voyez là, on serait encore à
étudier et nous n'aurions pas cette législation. Je ne parlerai
pas des autres avantages que nous a donnés le bill 16.
M. GAGNON: Je suis parfaitement d'accord.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Mais je ne peux pas me rallier à
l'idée, telle qu'émise au tout début, mais là je
comprends.
M. GAGNON: Madame, j'ai peut-être dépassé ma
pensée.
M. LE PRESIDENT: M. Emery.
M. EMERY: M. le Président, mesdames, MM. les membres de la
commission, je voudrais au tout départ me joindre à M. le
bâton- nier pour louer les membres de l'Office de revision du code civil
de même que les membres du comité des régimes matrimoniaux,
pour l'excellent travail qu'ils ont fait. Je ne crois pas que le rôle du
barreau soit de critiquer ce travail. Au contraire, c'est un travail monumental
et qui est très bien fait.
Il s'agit de savoir si ce régime-là doit être le
régime légal.
En 1966, le barreau a répondu à l'appel de Me
Crépeau et a examiné le projet qui avait été soumis
par le comité des régimes matrimoniaux. Et le comité de
législation a soumis un rapport au barreau qui l'a
entériné, rejetant comme régime de base le régime
de la communauté de biens actuel et suggérant, comme
régime, le régime légal de la séparation de biens
et aussi suggérant à l'Office de revision du code civil de
considérer et de proposer un nouveau régime légal, soit la
réserve en faveur de la légitime, soit la quote-part et, aussi,
la restriction de la liberté illimitée de tester. C'était
en 1966. Depuis lors, nous avons compris du brillant exposé de Me
Crépeau que le projet, qui est actuellement déposé, a
été remis à l'automne 1968 et qu'il y a eu, à la
suite de ce dépôt du projet ou de sa remise entre les mains des
autorités, de nombreux échanges de vues.
Je dois dire à ce sujet que le barreau n'a été
invité à participer à aucun de ces échanges
d'idées. Le barreau, a pris connaissance il y a environ une quinzaine de
jours du projet qui a été déposé ici en
première lecture. Des changements ont été apportés
au rapport du comité des régimes matrimoniaux, des changements
d'importance comme celui de la mutabilité des conventions matrimoniales
et, aussi, certaines prohibitions ont été annulées. Sur la
question des mutabilités des conventions matrimoniales, le barreau n'a
pas eu le temps de se réunir, n'est pas prêt à s'exprimer,
quoique personnellement je ne sois pas, en principe, opposé à la
mutabilité des conventions matrimoniales. Par contre, il est à se
demander quelle sera la portée de cette mutabilité possible de
conventions matrimoniales dans le contexte actuel de ceux qui vivent sous le
régime de la séparation de biens ou même de la
communauté de biens et qui veulent changer. Quelle sera, entre les
époux, la façon de procéder pour convaincre son conjoint
de changer son contrat de mariage pour choisir un nouveau système ou un
nouveau régime?
Il a été dit que 70% des gens avaient rejeté ce
qu'on appelle le régime légal de la communauté de biens.
Un questionnaire des notaires a établi que seulement 2% des notaires qui
avaient répondu au questionnaire avaient des clients qui
avaient opté pour ce qu'on appelle le régime
communautaire, le régime contractuel de la communauté de biens,
soit la communauté réduite aux acquêts ou d'autres
régimes de communauté qui sont des régimes conventionnels
et qui ne sont pas le régime de la communauté de biens qui est
actuellement au code.
Dans les 28% qui restent il est à se demander, si on avait connu
exactement le régime sous lequel on avait vécu, quel aurait
été le pourcentage des conjoints qui auraient accepté de
se marier sans contrat de mariage.
Je crois qu'on peut dire qu'au moins 20% à 25% auraient
préféré passer un contrat de mariage. Ce qui fait que l'on
vit sous un régime actuel de communauté de biens depuis 100 ans
qui est rejeté par près de 95% de la population.
Là on veut installer un nouveau régime qui est, à
mon sens, un régime idéal, il n'y a pas d'erreur, mais qui est,
dans sa réalisation, difficile. Et on veut l'imposer comme un
régime légal et c'est à cela, je crois, que le barreau
s'oppose.
Quand on vit en société ce n'est peut-être
pas une société de conjoints ou association, appelons l'union
comme on veut quand on se joint ou qu'on veut former une
société, on s'en-quiert des avantages financiers qu'on peut en
retirer je parle d'une société d'affaires actuellement
alors on s'enquiert aussi des textes de loi qui vont faire que l'on
aimerait vivre sous tel ou tel régime ou telle ou telle
société.
Dans le cas présent, un couple, par exemple, qui voudra se marier
et qui sera complètement ignorant de la loi se verra imposer un
régime de société d'acquêts. Nous croyons que, si
nous voulons tenter ce régime et ne pas mettre de côté un
travail monumental et un travail efficace, nous devrions, à titre
d'essai, le proposer comme régime conventionnel de la
société d'acquêts, de participation d'acquêts ou
autrement, c'est-à-dire un régime que les conjoints
eux-mêmes décideraient de choisir sans se le voir imposer par la
loi; c'est-à-dire un régime où on pourrait, au
départ, faire l'inventaire des biens, parce qu'on ne rentre pas dans ce
nouveau régime proposé de la société
d'acquêts, sans dresser un inventaire.
Alors, on se présente chez un avocat, un notaire ou un comptable
et on dresse le bilan de ses biens. Là, on a l'intention de se marier
sous le régime de la société d'acquêts. Et ensuite,
on dit, par le projet, la femme ou l'homme ou les conjoints peuvent administrer
et leur propre et leurs acquêts, c'est-à-dire qu'on vit en
société d'acquêts sous le régime de la
séparation de biens. Je crois qu'il est difficile de concevoir que l'on
puisse, en société, au point de vue des biens, en
société de gestion, avoir quatre patrimoines que deux personnes
géreraient d'une façon complètement parallèle.
Alors, il faudrait donc qu'il y ait quelqu'un pour que cette
société ou cette nouvelle société des époux
puisse bénéficier aux époux, qu'il y ait un gérant.
Alors, la loi prévoit que la femme peut nommer son mari mandataire ou
que le mari peut nommer sa femme mandataire.
Là, immédiatement, on va aller chez le notaire ou chez
l'avocat, et on va passer un contrat de mandat parce qu'il est bien important
de savoir quelle est la nature du mandat.
Ce mandat-là, pourra-t-on faire la preuve testimoniale sans aveu?
La question se pose, la question n'est pas prévue. Il y a donc un
contrat qui normalement, suivant tout contrat de mandat, devrait être
établi par écrit.
Si par contre le mandataire, soit la femme ou soit le mari, outrepasse
ses pouvoirs qui pourraient être déterminés par un contrat
bien précis, à ce moment-là, il pourrait y avoir une .
action de nullité. Tout geste posé par le mandataire, que ce soit
le mari ou la femme, pourrait être attaqué par les tribunaux. Nous
sommes déjà au tout début du mariage et nous avons
déjà des difficultés.
Nous avons après cela, les propres. Les propres qui appartiennent
aux époux, soit à la femme, soit à l'homme, et nous avons
les acquêts. Si à même la vente d'un propre, on
achète un autre bien, ce bien est un propre. Mais, si à un moment
donné, on joint un propre à un produit d'acquêts, là
il faut se demander: Quel est le montant qui est supérieur? Est-ce que
c'est le propre qui est supérieur ou est-ce que ce sont les
acquêts qui sont supérieurs?
Si c'est le propre qui est supérieur, à ce
moment-là, cela reste un propre et il faut une récompense pour
les acquêts. Et si ce sont les acquêts qui sont supérieurs,
le bien reste acquêts, mais il faut une récompense ou une soul-te
ou un excédent de prix pour le propre. Alors, nous avons là une
comptabilité continuelle pendant tout le cours du mariage. Et nous avons
aussi des difficultés entre mari et femme.
Nous arrivons après ça à la dissolution. S'il y a
une dissolution par divorce, là se posent d'autres problèmes
à cause du bill 8 qui vient d'être sanctionné. Le bill 8
prévoit qu'un juge peut maintenant changer des conventions
matrimoniales.
M. CHOQUETTE: Des donations.
M. EMERY: Des donations. Il peut déclarer des donations
parfaites. Maintenant, il peut aussi, en vertu de la loi
fédérale, de la loi concer-
nant le divorce, y avoir un accord financier entre les parties. Il
s'agit de savoir si cet accord financier peut préjudicier aux
conventions matrimoniales. La question se pose. La question peut être
débattue devant les tribunaux: Est-ce que la loi, est-ce que l'accord
financier ou le partage des intérêts financiers qui est dans la
Loi du divorce, peut modifier, indépendamment de la mutabilité
des conventions matrimoniales, les conventions matrimoniales?
Vous arrivez, aussi, après cela, à la liquidation. A la
liquidation, c'est suivre ce bien, diviser les propres, diviser les
acquêts, faire le jeu des récompenses, faire le jeu des soultes et
c'est à ça que le barreau s'est arrêté et c'est sur
cela que le barreau s'est penché pour se demander: Est-ce
réellement la solution au problème?
Pour nous, étant donné le contexte nord-américain,
nous croyons que la séparation de biens... Et je crois comprendre du
rapport de l'Ontario que l'on a recommandé de nouveau de maintenir un
genre de régime contractuel de séparation. Et il faut aussi et
nous croyons éviter de légiférer pour la minorité.
Il ne semble pas, je crois, dans le continent américain que la
séparation de biens ou que le régime légal de la
séparation de biens ait été si mauvais, car certaines
statistiques aux Etats-Unis disent que 60% des investissements
américains sont détenus par les femmes. Ce qui voudrait dire que,
dans les cas où les conjoints ont vécu sur la séparation
de biens, au lieu d'avoir la moitié, elles ont tout eu.
M. CHOQUETTE: La longevitél
M. EMERY: Alors, c'étaient les motifs que nous voulions exposer
brièvement sans vouloir entrer dans le détail du bill.
M. CHOQUETTE: M. Emery, seulement une question. Dans la plupart des
Etats américains où, je pense, on a la séparation de biens
comme régime légal matrimonial, la maison familiale en
général est protégée à un régime
différent, n'est-ce pas?
M. EMERY: Pour ma part, je suis entièrement d'accord avec la
suggestion qui est faite à. l'effet que le domicile familial soit
protégé sous tous les régimes. Il va de soi aussi que, si
le régime de la séparation de biens devait être
accepté, si la proposition du barreau était acceptée comme
un régime légal, il faudrait nécessairement apporter
certaines modifications aux articles.
M. CHOQUETTE: Qu'est-ce que vous faites de l'argument que Me
Crépeau a soulevé ce matin au sujet des donations qui sont faites
traditionnellement lorsqu'on adopte le régime de la séparation de
biens? Ce qui serait l'évidence suivant lui de ce qu'en
général on accepte que le mari, pour compenser son épouse,
avant le fait du mariage pour sa contribution financière au
succès financier du mariage, eh bien, qu'il accepte de faire cette
donation à l'origine du mariage.
M. EMERY: Mais rien n'empêcherait sur tous les régimes
d'avoir de ces conventions prévoyant des donations.
M. CHOQUETTE: Je suis d'accord avec vous, mais si le régime est
la séparation de biens, les gens n'iront pas chez le notaire et ne
passeront pas de contrat. Mais par conséquent, le mari ne fera pas de
donation à son épouse...
M. EMERY: Je suis d'accord.
M. CHOQUETTE: ... en quelque sorte pour lui assurer au moins un
minimum.
M. EMERY: Je crois que le seul régime qui soit le régime
parfait, c'est le bonheur.
M. CHOQUETTE: Tout le monde est d'accord, M. Emery, sur cela, mais
l'expérience nous enseigne que cela s'est rarement
réalisé.
M. EMERY: C'est pour cela qu'il y aura toujours des difficultés
sur tous les régimes.
M. CHOQUETTE: Je suis entièrement d'accord. Mais qu'est-ce que
vous faites de cet ar-gument-là?
M. EMERY: C'est-à-dire que c'est un argument que je retiens mais,
entre les deux, je préfère ce danger au risque de la
société d'acquêts.
ME L'HEUREUX-DUBE: M. Choquette, est-ce que vous me permettriez de
répondre à cette objection? C'est que, moi, je crois que les
contrats de mariage ne donnent que $2,000 à $5,000. Ce n'est pas
grand-chose. Quand on voit ce qui se passe dans le public, ce n'est pas une
fortune. Alors, somme toute, c'est presque rien dans le contexte actuel.
M. CHOQUETTE: Je suis d'accord avec vous. Je ne dis pas que les
donations sont proportionnées au travail et aux efforts de la femme, en
général, je ne dis pas cela. Mais j'ai tiré de
l'exposé de Me Crépeau cet argument en faveur du
régime qui nous est proposé par le bill 10. Je l'opposais
à Me Emery qui préconise un régime de séparation
légale comme régime conventionnel. Je dis: Qu'est-ce que vous
faites, à ce moment-là, de la contribution de la femme au
succès financier du mariage?
M. EMERY: A ce moment-là, d'ailleurs, vous avez cet argument qui
vaudra aussi pour la société d'acquêts, si vous me
permettez de reprendre l'argument par l'autre côté. Si vous avez,
en société d'acquêts, une femme qui a un important
commerce, je ne serais pas surpris, de nombreuses fois, de voir le mari
attendre à la maison de voir gonfler les acquêts à son
profit. Je veux dire que cela joue des deux côtés.
J'écoutais justement Mer soir le brillant exposé de Me
Crépeau au programme « Aujourd'hui » où, justement,
une des participantes posait la question: Moi, j'ai un négoce, qu'est-ce
qui arrive? A ce moment-là, le femme devra s'attendre que le mari
partage les fruits du négoce.
M. CHOQUETTE: J'espère]
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Ce sont des droits réciproques.
M. EMERY: Mais elle ne semblait pas heureuse de la réponse.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Les avantages sont réciproques.
Me WARREN: Est-ce que je pourrais essayer de répondre...
M. LE PRESIDENT: Je m'excuse, Me Warren, on ne peut pas permettre
à l'assistance de parler, parce qu'à ce moment-là nous
allons perdre le contrôle et cela deviendra une assemblée...
M. CHOQUETTE: Cela va être comme à la Chambre!
M. EMERY: Si vous permettez, M. le Président, je ne crois pas que
la position du barreau soit à l'encontre. Je crois que ce régime
doit être essayé, mais comme régime conventionnel. Et
après cela, on verra. Si on prend un régime actuel, un
régime qui est la société d'acquêts et si on
s'aperçoit dans cinq ans que 1% de la population l'a accepté, ce
sera ennuyeux. Mais si, par contre, dans cinq ans ou dans dix ans, on
réalise que la majorité se dirige vers ce
régime-là, il sera tellement facile de le faire devenir
légal par la suite.
M. LE PRESIDENT: Le député de Marguerite-Bourgeoys.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: J'aurais une question à mon
confrère, Me Emery. Il a naturellement préconisé la
séparation avec une protection pour la femme comme celle qui existe en
France, la légitime.
Je ne sais pas si l'étude que j'ai faite du bill 10 est exacte,
mais à la lumière de cette étude, supposons que le mari
prédécède à sa femme et qu'ils ont ce
régime, évidemment nous parlons dans l'hypothèse de
ce qui est préconisé dans le bill 10, c'est-à-dire si la
société d'acquêts deviendrait loi, et qu'un ménage a
la société d'acquêts j'ai l'impression qu'à
ce moment la femme est protégée pour une portion des
acquêts. Mais n'est-il pas exact de croire qu'au moment du divorce ou de
la séparation, la femme est encore protégée, parce que la
division des acquêts arrive juste à ce moment. Alors, qu'avec la
légitime, cela ne peut arriver qu'après la mort.
M. EMERY: Oui, il peut y avoir une législation...
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Je pense qu'il est extrêmement important de
souligner ce fait, parce que c'est bien beau de suggérer la protection
de la légitime, mais elle n'est pas protégée en cas de
divorce ou en cas de séparation, à moins d'apporter une autre
formule.
M. EMERY: II y a une formule de quote-part au moment de la dissolution,
pour faire un partage égal.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Mais, c'est parce que cela n'a pas
été mentionné. Je demandais ce que vous envisagiez...
M. EMERY: Nous avons parlé de quote-part, de réserve ou de
restreindre la liberté limitée de tester, à la condition
que ce soit au moment de la dissolution par divorce ou par séparation de
corps, ou au moment du décès.
M. GAGNON: M. le Président, il serait juste de dire que, si
c'était le régime de la séparation de biens qui
était adopté comme un régime légal, cela ne veut
pas dire qu'il faudrait tout simplement prendre la séparation de
biens telle quelle dans notre code aujourd'hui et dire;
Dorénavant, c'est le régime légal. Comme l'intervention
que le député vient de faire, il faudra regarder le régime
de la séparation légale et voir quels sont les problèmes
qu'il pose, si elle devient légale.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Alors, les amendements ne sont pas pour
demain!
M.GAGNON: Nous essayons, madame...
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Nous sommes là pour vous
écouter.
M. GAGNON: Nous savons que cela pose des problèmes si c'est le
régime de la séparation de biens. Seulement, le barreau ne dit
pas; Prenez la séparation de biens, c'est le régime légal.
Et tout le monde s'en va chez soi. Ma conclusion de tout à l'heure, dit
qu'il faut le régime légal de la séparation de biens. Je
crois qu'il faudrait le regarder un peu, au moins, pour l'accommoder au
problème que vous avez soulevé, madame, il y a un instant.
M. CHOQUETTE: M. le Président, puis-je poser une question
à Me Crépeau? Est-ce qu'on a pensé à votre
commission ou ailleurs à une solution en vertu de laquelle il n'y aurait
pas de régime légal et que tous les régimes seraient
conventionnels? Est-ce qu'on a déjà songé à cette
façon d'aborder le problème? C'est-à-dire qu'en somme les
parties à un mariage seraient obligées de conclure le
régime matrimonial, d'une façon conventionnelle, et elles ne
seraient pas obligées de rentrer dans un moule qui serait le
régime légal.
M. CREPEAU: M. le Président, je vais vous dire que cette question
a été abordée au comité. Nous nous sommes
posé la question: Est-ce qu'on pourrait éliminer le régime
légal et obliger les personnes à faire une déclaration
lors de la célébration du mariage, ou les obliger à se
présenter devant un notaire pour dire: Je prends le régime X,
régime no 3 du code civil? Mais le problème est que, si
l'officier de l'état civil oublie de poser la question, comme ça
peut se présenter, si les personnes, pour une raison ou pour une autre,
choisissent un régime et qu'il y a une erreur qui pourrait
peut-être entraîner la nullité de cette déclaration,
et ensuite, le problème des personnes qui viendraient de
l'étranger, nous nous sommes dit: Au fond, n'y a-t-il pas lieu de
prévoir quelque chose, ne serait-ce que pour ceux qui, dans l'erreur ou
à cause d'une nullité d'un régime conventionnel, seraient
obligés de vivre, d'organiser leurs relations pécuniaires? Mais,
bien sûr, si elles le veulent, elles peuvent le faire. Seulement nous
nous sommes dit: Est-ce qu'on ne pourrait pas le faire? Alors chaque fois
qu'arrivait une difficulté, alors nous avons crû devoir en arriver
à la conclusion que cette règle qui veut qu'en l'absence d'un
régime ou qu'en l'absence de déclaration ou en cas d'erreur, en
cas de nullité ou d'étourderie, il faut bien que les rapports
pécuniaires soient organisés d'une façon.
MME KIRKLAND-CASGRAIN: Merci.
M. LE PRESIDENT: Avant de terminer je voudrais remercier tous les
participants. Je pense que vos lumières vont être utiles à
tous les membres de la commission. Je remercie d'une façon
particulière Me Crépeau et tous les autres membres qui ont bien
voulu se faire entendre devant cette commission. La séance est
ajournée au 4 juin, 10 heures.
(Fin de la séance: 12 h 56)