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(Dix heures cinq minutes)
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
Nous allons nous recueillir quelques instants.
Veuillez vous asseoir.
Aux affaires courantes, il n'y a pas de déclaration
ministérielle, ni de présentation de projets de loi.
Dépôt de rapports de commission; il n'y a pas de
dépôt.
M. Bédard: Au nom du ministre de la Justice, qui sera en
retard de cinq ou dix minutes, je voudrais déposer le rapport de la
commission des institutions qui a siégé afin de procéder
à l'étude détaillée des projets de loi
privés 228, 240, 238, 206, 221, 208 et 236.
Le Président: M. le leader parlementaire du gouvernement,
je n'ai pas d'objection à ce que le ministre de la Justice fasse
beaucoup de choses, mais l'usage dans cette Chambre n'est pas à l'effet
que les ministres soient des rapporteurs de commissions. Je comprends que le
ministre de la Justice ait pu être membre de la commission pour la
durée de l'étude de ces projets de loi privés. Il serait
certainement plus orthodoxe de faire en sorte que le président de la
commission ou son vice-président ou un membre de la commission soient le
rapporteur de la commission.
M. Bédard: Pour régulariser dans le sens de ce que
vous dites, on pourrait peut-être faire en sorte que le
dépôt soit réputé avoir été fait par
le député de Vachon.
Le Président: Ou le vice-président de la
commission, M. le député de Jean-Talon. Il s'agit du rapport de
la commission des institutions dont vous êtes vice-président, le
président de la commission étant absent. M. le
député de Vachon.
M. Payne: Si vous permettez, il me ferait plaisir, comme chef
d'équipe de la commission des institutions, de déposer le
rapport. Non? Est-ce que c'est déposé?
Le Président: Nous n'allons pas nous compliquer
l'existence indûment. Nous allons faire le dépôt au nom de
M. le député de Vachon, mais j'attire l'attention de la
commission des institutions, puisque c'est dans le cas de la commission des
institutions que ce genre de situation se produit régulièrement.
Normalement, l'article du règlement dit bien que le président de
la commission et le rapporteur de la commission; bien sûr qu'il peut
désigner quelqu'un d'autre comme rapporteur, et en l'occurrence, le
vice-président serait tout indiqué. Mais la commission des
institutions est la seule commission où ce genre d'incident s'est
produit. J'aimerais bien qu'à l'avenir, soit le président soit le
vice-président présente le rapport de manière plus
orthodoxe. La disposition permettant à un autre membre de la commission
d'être le rapporteur est exceptionnelle, mais ne vise pas à
enlever la responsabilité au président.
M. Bédard: M. le Président, question de
règlement. Nous sommes d'accord avec votre point de vue. Si le
vice-président de la commission, membre de l'Opposition, voulait
déclarer avoir déposé le rapport, nous serions
d'accord.
Le Président: En attendant, M. le député de
Saint-Hyacinthe.
Vérification des engagements financiers
du ministère de l'Agriculture, des
Pêcheries et de l'Alimentation
M. Dupré: M. le Président, j'ai l'honneur de
déposer le rapport de la commission de l'agriculture, des
pêcheries et de l'alimentation qui a siégé le 1er juin 1984
afin de procéder à la vérification des engagements
financiers du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de
l'Alimentation pour les mois de février et mars 1984.
Le Président: Rapport déposé. M. le
président de la commission de l'aménagement et des
équipements.
Étude des projets de loi 243, 215, 213, 210,
207, 242 et 216
M. Fallu: M. le Président, j'ai l'honneur de
déposer le rapport de la commission de l'aménagement et des
équipements qui a siégé les 24, 30 et 31 mai 1984 afin de
procéder à l'étude détaillée des projets de
loi privés 243, Loi concernant l'érection de la
municipalité de Saint-Pierre-de-Lamy, 215, Loi concernant la ville de
Saint-Bruno-de-Montarville, 213, Loi modifiant la charte de la ville de Granby,
210, Loi concernant la ville de Saint-Laurent, 207, Loi modifiant la charte de
la ville de Laval, 242, Loi concernant la ville de Rimouski, et 216, Loi
modifiant la charte de la ville de Québec.
Les projets de loi ont été adoptés avec
amendements.
Le Président: Rapport déposé. M. le
vice-président de la commission des institutions.
Étude des projets de loi 228, 240, 238, 206,
221, 208 et 236
M. Rivest: M. le Président, le président et le
vice-président de la commission des institutions se rendent volontiers
à vos remarques. Nous abandonnerons notre délégation
d'office.
J'ai l'honneur, M. le Président, de déposer le rapport de
la commission des institutions qui a siégé les 24 et 30 mai 1984
afin de procéder à l'étude détaillée des
projets de loi d'intérêt privé 228, Loi concernant les
Soeurs de Sainte-Anne, 240, Loi concernant la Banque Nationale du Canada, 238,
Loi concernant un immeuble situé dans la municipalité de la
paroisse de Saint-Télesphore, 206, Loi concernant la succession de Homer
Morton Jaquays, 221, Loi concernant la Coopérative d'habitation
Artémis de Québec, 208, Loi concernant certains recours de Victor
Auclair en matière de responsabilité médicale ou
hospitalière et 236, Loi concernant certains lots du cadastre officiel
de la paroisse de Pointe-aux-Trembles.
Le Président: Rapport déposé. M. le
vice-président de la commission de l'économie et du travail.
M. Fortier: M. le Président, je devais remettre un
rapport, mais je ne l'ai pas en main. Avec votre consentement, aussitôt
que je l'aurai reçu du secrétariat, il me fera plaisir de le
déposer en Chambre.
Le Président: Y a-t-il consentement pour que ce rapport
soit déposé ultérieurement ou à la prochaine
séance?
M. Rivest: D'accord.
Le Président: II y a consentement pour que nous le
déposions plus tard? Bien.
Ce qui nous mène à la période des questions des
députés avant laquelle je me permets de vous rappeler qu'il y
aura, à l'issue de la période des questions, un certain nombre de
votes qui ont été reportés.
M. le député de Laporte.
Questions et réponses orales La situation de M.
Pierre Allard
M. Bourbeau: Merci, M. le Président. Le ministre de
l'Industrie, du Commerce et du Tourisme nous annonçait hier que M.
Pierre Allard, que le ministre avait nommé à la
Société des alcools du Québec, a remis sa démission
à la suite du rapport d'inspection de la caisse du Mouvement Desjardins
révélant les tractations financières de M. Allard, alors
qu'il dirigeait les destinées de la Coopérative des travailleurs
de Manseau. Cette démission n'a surpris personne puisque le rapport
d'inspection était très incriminant pour M. Allard. Nous avons
demandé au ministre hier si la démission de M. Allard
était définitive ou s'il ne s'agissait que d'une suspension
temporaire de ses fonctions à titre de responsable du dossier de la
transformation des succursales de la Société des alcools du
Québec en coopératives. La réponse du ministre a
été très évasive, mais, selon les journaux de ce
matin, il semble, d'après le président de la
Société des alcools du Québec, que M. Allard n'aurait
été relevé que temporairement de ses fonctions et qu'il
compterait reprendre ses fonctions à la Société des
alcools du Québec dans un, deux ou trois mois, d'après le
journal. Le ministre a-t-il l'intention d'exiger la démission
immédiate et définitive de M. Pierre Allard de ses fonctions
à la Société des alcools du Québec ou de continuer
la politique de patronage qu'il a instituée à l'endroit de son
ex-organisateur ou ex-président de l'association péquiste du
ministre?
Le Président: M. le ministre de l'Industrie, du Commerce
et du Tourisme.
M. Biron: M. le Président, je réalise encore ce
matin que le député de Laporte veut cacher son
incompétence en matière d'industrie et de commerce en continuant
sa campagne de vomissure et de salissage. Je pense que même ses
collègues autour de lui ont, de temps en temps, des haut-le-coeur de
l'entendre et de le sentir. C'est facile de salir un citoyen
québécois en profitant de l'immunité parlementaire et en
lançant n'importe quoi contre lui. M. Allard a demandé au
président de la Société des alcools du Québec
d'être relevé de ses fonctions pour ne pas nuire au projet des
coopératives de commerce. C'est ce que j'ai dit hier. C'est
l'information que j'avais reçue du président de la
Société des alcools. Je n'ai pas parlé hier au
président de la Société des alcools après notre
discussion d'hier matin puisque j'étais au Conseil des ministres et,
hier soir, j'avais un projet de loi ici, à l'Assemblée nationale,
mais ce que je sais du président de la Société des alcools
du Québec, c'est que M. Allard a été relevé de ses
fonctions à sa demande personnelle, afin de ne pas nuire au projet de
coopératives de commerce et à cause de la campagne
démagogique, de salissage et de vomissure du député de
Laporte à l'Assemblée nationale.
Le Président: M. le chef de l'Opposi-
tion.
M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, vous avez
entendu comme moi les propos tenus par le ministre de l'Industrie, du Commerce
et du Tourisme. Ce sont des propos indignes d'être tenus dans cette
Chambre, particulièrement par un ministre. Je demanderais bien
simplement mais avec fermeté que ces propos absolument non
fondés, injustes et non parlementaires soient retirés par le
ministre.
Des voix: Bravo!
Le Président: M. le chef de l'Opposition, j'allais me
lever au moment où vous l'avez fait vous-même, afin d'inviter les
honorables députés à avoir recours au Larousse ou au Petit
Robert ou à quelque dictionnaire de la langue française qu'ils
souhaitent, de manière à trouver des termes plus
élégants. Hier, nous avons eu droit à la diarrhée;
ce matin, nous avons droit à la vomissure. Il me semble que ce que le
corps humain fait de moins élégant n'est pas
nécessairement ce que nous devrions retrouver ici en cette Chambre comme
expressions dans la bouche des députés. Il y a sûrement
d'autres termes, d'autres expressions plus raffinés et plus
élégants que les députés peuvent employer en cette
Chambre. M. le chef de l'Opposition.
M. Levesque (Bonaventure): J'insiste pour que le ministre ait
recours au Petit Robert, comme vous le suggérez, et utilise d'autres
propos et qu'il retire ceux qu'il a tenus ici et qui sont indignes d'un
ministre de la couronne.
Le Président: M. le leader du gouvernement.
M. Bédard: M. le Président, s'il fallait
procéder de cette façon, je pense, en termes de propos
inadéquats et inappropriés tenus par un député en
cette Chambre, que le député qui pose la question de la part de
l'Opposition devrait être capable de retirer les accusations très
graves qu'il a prononcées contre M. Allard. D'autant plus qu'hier le
ministre de la Justice invitait le député de Laporte à
faire parvenir le rapport ou les renseignements qu'il avait en main au ministre
de la Justice pour voir si, effectivement, quelqu'un en cette Chambre pouvait
se permettre de traiter de fraudeur et de tous les qualificatifs M. Allard, un
citoyen québécois qui, à mon sens, est innocent
jusqu'à preuve du contraire.
Si on parle de responsabilité, je veux bien qu'on nous fasse
certaines remarques de ce côté-ci, mais je pense que l'essentiel
des remarques devrait être fait du côté de l'Opposition par
rapport à des accusations qu'on porte et par rapport à des
promesses par lesquelles on s'engage à donner des documents au ministre
de la Justice pour appuyer les dires du député de Laporte.
Le Président: M. le leader du gouvernement.
M. Bédard: Alors, que le député de Laporte
s'exécute, parce que...
Le Président: M. le leader du gouvernement.
M. Bédard: ...que je sache, il n'a pas encore fait
parvenir les documents en question au ministre de la Justice.
Le Président: M. le chef de l'Opposition.
M. Levesque (Bonaventure): Le député de Laporte ne
fait que son devoir. Deuxièmement, il a, en effet, fait parvenir les
documents au ministre de la Justice. Je pense que le leader parlementaire du
gouvernement est mal informé, il devrait s'informer auprès de son
collègue. Troisièmement, cela ne change rien aux propos tenus par
le ministre de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme, propos absolument
indignes dans cette Chambre. S'il y a d'autres propos qui ne font pas l'affaire
du leader parlementaire du gouvernement, il devrait se lever au moment
où ces propos ne font pas son affaire.
Le Président: Sur la question de règlement.
M. Bédard: La question n'est pas de savoir si les propos
dont on parle font l'affaire du leader du gouvernement ou de quelque membre que
ce soit de l'Assemblée nationale. Le chef de l'Opposition a fait
certaines remarques sur le vocabulaire employé par les membres de
l'Assemblée nationale; quand on parle de vocabulaire, on parle aussi de
la réputation de certains individus qui peuvent être
touchés.
Le Président: M. le leader du gouvernement...
M. Bédard: C'est pour cela que je dis que le
député de Laporte ne peut continuer ses accusations en Chambre
sans...
Le Président: ...il me semble que mon intervention,
tantôt, aurait dû avoir pour effet de clore ce chapitre
désagréable. Je considère, quant à moi, que c'est
le cas.
M. le député de Laporte, en complémentaire.
M. Bourbeau: Le refus du ministre de
relever de ses fonctions d'une façon définitive M. Pierre
Allard, à la suite des révélations du rapport d'inspection
et de vérification de la caisse populaire, rapport que j'ai fait
parvenir hier au ministre par messager, et son appui indéfectible
à M. Allard, en dépit de sa démission, jusqu'à
maintenant, signifie-t-il que le gouvernement appuie les pratiques et les
agissements financiers de M. Pierre Allard alors qu'il dirigeait la
coopérative de Manseau?
Le Président: M. le ministre de l'Industrie, du Commerce
et du Tourisme.
M. Biron: Le député de Laporte continue à
sentir la même chose que tout à l'heure.
Le Président: Il me semblait, tantôt, avoir
été très clair et je vous invite à retirer ces
dernières paroles.
M. Biron: Je retire mes paroles, M. le Président. Je
regarderai dans le dictionnaire Robert...
Le Président: Et sans commentaire.
M. Biron: ...pour trouver autre chose.
J'ai dit, hier, comme j'ai toujours dit, que je n'avais pas
engagé M. Allard à la Société des alcools. Ses
services ont été retenus par la direction de la
Société des alcools pour un projet bien spécifique. C'est
M. Allard lui-même, à la suite de la campagne de démagogie
du député de Laporte et pour ne pas nuire au projet de
développement de coopératives de commerce, qui a demandé
au président de la Société des alcools du Québec
d'être relevé de ses fonctions. C'est ce que j'ai dit hier matin,
ce sont les dernières informations que j'ai eues depuis. Pour le reste,
c'est au président de la Société des alcools et à
la direction d'en décider. Ce que je sais, c'est qu'il a demandé
lui-même d'être relevé de ses fonctions. Il s'est ni plus ni
moins sacrifié pour que le projet de coopératives de commerce
puisse continuer. (10 h 20)
Le Président: M. le député de Laporte.
M. Bourbeau: Une dernière question à ce sujet, M.
le Président. Le ministre est-il prêt à reconnaître
que la nomination de M. Pierre Allard à la Société des
alcools du Québec, à la suite de ses déboires nombreux et
continuels à titre de gestionnaire de la Coopérative des
travailleurs de Manseau depuis 1975 et de ses nombreux déboires
personnels, tant sur les plans politique que financier, constituait un acte
adminis-trativement dangereux, tant pour la propre crédibilité du
ministre et du gouvernement que pour la sécurité de la gestion
des fonds publics?
Le Président: M. le ministre de l'Industrie, du Commerce
et du Tourisme.
M. Biron: Dans ce cas-là, ce serait dangereux
d'élire M. Robert Bourassa comme premier ministre, puisque sa famille a
été impliquée dans deux faillites au cours des
dernières années.
Les services de M. Allard ont été retenus pour organiser
un projet spécifique de coopérative de commerce par la direction
de la Société des alcools. Personnellement, je n'ai rien eu
à voir dans ce choix. M. Allard a été choisi par la
Société des alcools pour ce projet spécifique et, hier, il
a demandé d'être relevé de ses fonctions à la suite
de la campagne de salissage et de démagogie du député de
Laporte.
M. Levesque (Bonaventure): M. le Président.
Le Président: M. le chef de l'Opposition.
M. Levesque (Bonaventure): Le ministre continue à parler
de M. Allard comme ayant été relevé de ses fonctions.
Est-ce que le ministre peut dire à cette Chambre s'il a
démissionné définitivement de la Société des
alcools du Québec?
Le Président: M. le ministre de l'Industrie, du Commerce
et du Tourisme.
M. Biron: J'ai dit hier matin, M. le Président, que ma
dernière discussion avec le président de la Société
des alcools a eu lieu hier matin. Le président m'a avisé que M.
Allard avait demandé d'être relevé de ses fonctions. Ce
sont les dernières informations que j'ai. Je n'ai pas reparlé au
président de la Société des alcools dans la journée
d'hier. Alors, je vous livre exactement les informations que j'ai, d'autant
plus que la lettre, ou des parties de la lettre de M. Allard ont
été publiées ce matin dans les journaux.
M. Levesque (Bonaventure): M. le Président.
Le Président: M. le chef de l'Opposition.
M. Levesque (Bonaventure): Étant donné que le
ministre est responsable devant cette Chambre de l'administration de la
Société des alcools du Québec, n'est-il pas troublant de
le voir nous dire ce matin qu'il ne peut répondre à une question
aussi simple que celle-ci: A-t-il, oui ou non, démissionné
définitivement?
Le Président: M. le ministre de l'Industrie, du Commerce
et du Tourisme.
M. Biron: J'ai répondu hier matin très clairement
que j'avais parlé avec le président de la Société
des alcools du Québec à 9 h 55. Je n'ai pas reparlé avec
lui dans la journée d'hier, ni ce matin. Alors, vous me permettrez de
vérifier auparavant s'il y a d'autres développements. Mais je
vous ai fait part de la demande expresse de M. Allard lui-même, pour ne
pas nuire au projet de coopératives de commerce et pour mettre fin
à la campagne de salissage et de démagogie du
député de Laporte.
Le Président: M. le député de Laporte,
question principale?
M. André Roberge
M. Bourbeau: M. le Président, question principale au
ministre de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme. Le 3 mai 1984, il y a un
mois environ, un individu nommé André Roberge plaidait coupable,
à la Cour des sessions de la paix à Québec à une
accusation de détournement de fonds d'une somme excédant 130 000
$, admettant ainsi avoir commis un acte criminel prévu à
l'article 296 du Code criminel. M. Roberge connaîtra sa sentence le 18
juin prochain.
Le même individu avait été radié
provisoirement de la Chambre des notaires du Québec pour les mêmes
raisons qui ont mené subséquemment...
M. Bédard: Question de règlement.
M. Bourbeau: ...à son aveu de culpabilité...
Le Président: Un rappel au règlement, M. le
député.
M. le leader du gouvernement.
Une voix: Attention, attention.
M. Bédard: Question de règlement, parce que je veux
avoir bien compris le député de Laporte qui, je crois, a
mentionné que l'individu n'avait pas eu sa sentence. Est-ce que c'est le
cas?
Des voix: ...
M. Bédard: Non, mais qu'il n'avait pas eu sa sentence?
Des voix: C'est cela.
Une voix: II a plaidé coupable.
M. Bédard: M. le Président, je crois qu'il est tout
à fait normal de s'informer de la teneur correcte des propos du
député de
Laporte, parce qu'à partir du moment où la sentence n'est
pas encore prononcée, je crois qu'on est dans un processus judiciaire et
tout ce qui peut être dit peut être de nature à influer sur
des décisions ultérieures à prendre. Je veux simplement
mettre en garde le député de Laporte sur ses propos de
manière que ce ne soit pas considéré comme une
intervention dans le processus judiciaire.
M. Levesque (Bonaventure): M. le Président.
Le Président: M. le chef de l'Opposition.
M. Levesque (Bonaventure): Le député de Laporte n'a
fait que transmettre à cette Chambre des renseignements qui sont
fondés, qui sont de nature publique, et, à ce moment-ci, jusqu'au
moment où il a été interrompu par le leader parlementaire
du gouvernement, il n'y a rien dans ce qu'avait dit le député de
Laporte qui puisse, en aucune façon, inquiéter, à mon
sens, le leader parlementaire du gouvernement.
M. Bédard: M. le Président.
Le Président: M. le leader du gouvernement.
M. Bédard: Je suis d'accord avec le chef de l'Opposition
que, dans ce qui a été dit, il n'y a rien. C'est simplement en
termes de préavis et de prudence, M. le Président.
Des voix: Ah! Ah! Ah!
Le Président: M. le député de Laporte.
M. Bourbeau: M. le Président, étant donné
que j'ai été interrompu et vu l'importance de la question, je
vais la reprendre. Je tiens en main le document d'aveu de culpabilité.
Cet individu, M. André Roberge, plaidait coupable à une
accusation de détournement de fonds - c'est indiqué dans le
document - d'une somme excédant 130 000 $, admettant avoir commis un
acte criminel. M. Roberge connaîtra sa sentence le 18 juin prochain.
Le même individu avait été radié
provisoirement de la Chambre des notaires du Québec pour les mêmes
accusations qui ont mené subséquemment à son aveu de
culpabilité en vertu du Code criminel, la décision ayant
été rendue par le comité de discipline de la Chambre des
notaires le 11 mars 1981. Je peux déposer le certificat de la Chambre
des notaires.
J'aimerais demander au ministre de l'Industrie, du Commerce et du
Tourisme si M. André Roberge est ce même individu que le ministre
aurait nommé à titre de délégué
spécial à une conférence sur les
possibilités d'investissements au Québec tenue en France en
septembre 1981, soit plus de six mois après que ledit André
Roberge eut été rayé des cadres de la Chambre des notaires
pour des raisons d'escroquerie et de fraude pour lesquelles il a finalement
plaidé coupable le mois dernier. Est-ce vraiment le même
individu?
Le Président: M. le ministre de l'Industrie, du Commerce
et du Tourisme.
M. Biron: M. le Président, si je me souviens, je pense que
cela date de trois ans alors que quelques industriels étaient venus me
voir et se proposaient - ou c'était un commissaire industriel mais cela
fait tellement longtemps qu'il faudrait que je vérifie dans mes notes -
d'aller à une conférence spéciale en France. Ils m'avaient
demandé de nommer M. Roberge comme délégué
spécial - c'était à la demande même des industriels
- pour une période de temps.
Si je me souviens, j'avais répondu oui à leur demande,
quelque chose comme cela. Mais j'ai été informé quelques
jours plus tard par mes fonctionnaires qu'il y avait une suspension de M.
Roberge par la Chambre des notaires. Immédiatement après, j'ai
envoyé un télégramme pour annuler la nomination que
j'avais faite comme délégué spécial. Cela s'est
passé dans l'espace de quelques jours. J'ai été
avisé quelques jours après par mes fonctionnaires et le
télégramme est parti immédiatement pour annuler la
nomination que j'avais faite.
M. Bourbeau: M. le Président.
Le Président: M. le député de Laporte.
M. Bourbeau: Le ministre a-t-il pris connaissance de la
photocopie de la lettre que je viens de lui faire parvenir par
l'intermédiaire d'un messager et signée par M. Rodrigue Biron,
datée du 15 septembre 1981 et adressée à M. Guy Beaudoin,
délégué commercial du Québec à Paris, dans
laquelle il confirme, sous sa signature, la nomination de M. André
Roberge à titre de délégué spécial à
la conférence d'Aix-en-Provence sur les possibilités
d'investissements au Québec? Le ministre pourrait-il nous dire si cette
lettre est bien une photocopie authentique de l'original qui porte la signature
du ministre Rodrigue Biron?
Le Président: M. le ministre de l'Industrie, du Commerce
et du Tourisme.
M. Biron: M. le Président, c'est ce que je viens de dire,
que j'avais donné une lettre à la demande de quelques
industriels. Aussitôt que j'ai été avisé qu'il y
avait une suspension - vous me permettrez de ne pas connaître tous les
notaires qui sont suspendus au Québec. Il y en a peut-être
d'autres qui devraient être suspendus, par exemple! Aussitôt que
j'ai été informé, j'ai immédiatement, la même
journée, dans l'heure qui a suivi, fait parvenir un
télégramme pour annuler la lettre que j'avais émise.
M. Doyon: Question complémentaire, M. le
Président,
Le Président: Question complémentaire, M. le
député de Louis-Hébert.
M. Doyon: M. le Président, ma question s'adresse de
nouveau au ministre de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme. Comment le
ministre peut-il justifier avoir nommé personnellement un tel individu
comme son délégué spécial à une
conférence internationale sur les possibilités d'investissements
au Québec alors qu'il était de notoriété publique
dans les milieux les moindrement informés, dont devrait faire partie le
ministre précisément, que cet individu était un
véritable escroc, ayant été reconnu comme tel par la
Chambre des notaires six mois auparavant? Ce n'était pas la veille. Six
mois auparavant. Le ministre ne considère-t-il pas que la nomination
d'un tel individu pour nous représenter en France a constitué une
véritable insulte à l'intelligence et à
l'intégrité des Québécois? Qu'est-ce que le
ministre a à répondre à cette question?
Le Président: M. le ministre de l'Industrie, du Commerce
et du Tourisme.
M. Biron: Je pense que le député de
Louis-Hébert aurait dû écouter les deux réponses que
j'ai données précédemment. Lorsque des industriels ou des
commissaires industriels ou des promoteurs de développement
économique s'en vont à un congrès, habituellement ils me
demandent une lettre de présentation avant, surtout si c'est un
congrès international. Les gens m'avaient demandé une lettre pour
M. Roberge. Je ne connaissais pas personnellement M. Roberge, mais
aussitôt que j'ai été avisé qu'il y avait quelque
chose contre lui - j'ai agi à la demande d'industriels ou de
commissaires industriels, si je me souviens, mais cela date de trois ans - j'ai
envoyé un télégramme dans l'heure qui a suivi pour annuler
la nomination que j'avais faite. (10 h 30)
Le Président: M. le député de Laporte.
M. Bourbeau: Le ministre ne le connaissait pas mais il l'a
délégué personnellement. M. le Président,
j'aimerais poser une question additionnelle au premier ministre. M. le premier
ministre, compte tenu de
l'attitude invraisemblable du ministre dans le dossier Biron et
frères où il a scandaleusement renversé les
décisions de ses fonctionnaires...
Le Président: M. le député. Il s'agit d'une
question complémentaire. Posez votre question, mais le fait de commencer
une question par "compte tenu" et d'en mettre pendant plusieurs secondes et
même des minutes, cela constitue un préambule qui n'est pas permis
en vertu du règlement. La question, M. le député.
M. Bourbeau: Je pense que tous les députés font des
questions complémentaires avec un "compte tenu". J'en ai entendu
plusieurs.
Le Président: Question principale, M. le
député de Laporte.
La direction du ministère de l'Industrie, du
Commerce et du Tourisme
M. Bourbeau: Question principale au premier ministre. Compte tenu
de l'attitude invraisemblable du ministre de l'Industrie, du Commerce et du
Tourisme dans le dossier Biron et frères, il a scandaleusement
renversé les décisions de ses fonctionnaires pour favoriser
les...
Le Président: M. le député, oui, c'est une
question principale, mais je vous rappelle malgré tout - dans vos
questions, ce n'est pas la première fois que cela se produit -l'article
77 du règlement...
M. Pagé: M. le Président.
Le Président: Oui, M. le député de
Portneuf.
M. Pagé: Je viens d'entendre mon collègue, le
député de Joliette, utiliser un terme qui est non parlementaire,
qui est disgracieux à l'égard de notre collègue et je lui
demande d'être assez gentilhomme pour retirer ses paroles. Vous l'avez
assez bien entendu, vous étiez assis en arrière, vous.
M. Chevrette: M. le Président...
Le Président: M. le ministre du Loisir, de la Chasse et de
la Pêche.
M. Chevrette: J'ai effectivement utilisé un terme
antiparlementaire. Je le retire. Je suis sûr qu'il a été
bien compris.
Le Président: Je vous rappelle que lorsqu'on retire un
terme antiparlementaire, que l'on n'aurait pas dû prononcer, on doit le
faire sans commentaire.
L'article 77, M. le député de Laporte: "Les questions ne
peuvent comporter ni expression d'opinion, ni argumentation; être
fondées sur des suppositions..." Je vous fais grâce du reste. Les
questions qui comportent des commentaires, que ce soit au début, pendant
ou à la fin, constituent une violation du règlement.
M. Bourbeau: Je vais me limiter à des faits. Compte tenu
de l'attitude du ministre dans l'affaire Biron et frères - il avait
favorisé les intérêts financiers de son propre
frère; compte tenu de son attitude dans l'affaire de Pierre Allard,
où il a nommé son organisateur politique à la
Société des alcools du Québec en dépit de ce qu'on
sait; compte tenu de son attitude dans le dossier André Roberge,
où il a délégué en France, pour nous
représenter, un véritable escroc qui a plaidé coupable en
vertu d'une accusation criminelle, le premier ministre est-il prêt
à reconnaître que le député de Lotbinière est
devenu administrativement dangereux pour le gouvernement et pour la
sécurité des finances publiques? Le premier ministre a-t-il
l'intention, en toute décence, de procéder à des
changements à la direction du ministère de l'Industrie, du
Commerce et du Tourisme et dans quel délai?
Le Président: M. le premier ministre.
M. Lévesque (Taillon): M. le Président, je
déplore, pour l'Opposition, qu'on ait nommé le
député de Laporte, sauf erreur, porte-parole du secteur de
l'industrie, du commerce et du tourisme. Je renverrais plutôt la question
au chef de l'Opposition ou au chef extérieur du Parti libéral.
Peut-être serait-il indiqué de trouver quelqu'un qui traite du
sujet industrie, commerce, tourisme, mais pas quelqu'un qui est devenu un
spécialiste de fabrication de calomnies et qui continue à en
tisser tous les jours.
Le Président: M. le chef de l'Opposition.
M. Levesque (Bonaventure): Vu que le premier ministre m'a mis en
cause, je lui demande moi-même, à ce moment-ci, s'il ne croit pas
que les questions posées par le député de Laporte
étaient pleinement justifiées, étant donné les
suites données à ces questions? Sans ces questions, M. Allard
serait probablement encore en fonction. Si les questions n'avaient pas
été posées par le député de Laporte,
d'autres situations inacceptables continueraient. Est-ce que le premier
ministre ne croit pas nécessaire de s'interroger justement sur les
capacités du ministre de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme de
continuer à occuper son poste?
Le Président: M. le premier ministre.
M. Lévesque (Taillon): Je ferai remarquer au chef de
l'Opposition, quant au cas qu'il a invoqué spécialement - le
reste est littéralement de petites allégations sans le moindre
fondement sérieux du député de Laporte - celui de M.
Allard, que depuis trois ou quatre jours, suivant la période des
questions, je me dis qu'il y a des gens qui abusent de l'immunité
parlementaire. Je voyais des commentaires à propos d'un certain incident
aujourd'hui dans les journaux. Je crois que l'Opposition, dans le cas de M.
Allard qui n'a été condamné pour rien, donne un bel
exemple, un exemple juteux, de l'abus de l'immunité parlementaire.
Cela étant dit, je pense que quiconque ayant suivi son action
depuis quelques années serait d'accord avec moi pour dire que, parmi les
ministres de l'Industrie et du Commerce qui ont produit les meilleurs
résultats, qui ont travaillé le plus assidûment à la
promotion du développement économique du Québec, se trouve
l'actuel député de Lotbinière.
Le Président: M. le chef de l'Opposition.
M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, à la
suite des propos que vient de tenir le premier ministre, dois-je conclure ou
est-ce que la population doit conclure que l'exemple donné par le
ministre de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme est celui qui incarne le
mieux - étant donné les applaudissements - le genre de ministre,
la qualité de gouvernement que nous avons devant nous? Autrement dit,
est-ce que le premier ministre identifie son administration à celle du
ministre de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme qu'il cite en exemple?
Le Président: M. le premier ministre.
M. Lévesque (Taillon): En ce qui concerne sa participation
à une équipe, à titre de ministre de l'Industrie, du
Commerce et du Tourisme, ma réponse est oui.
Le Président: Question principale, M. le
député de Saint-Hyacinthe.
Les affirmations du député de Frontenac
dans un document déposé en Chambre
M. Dupré: Merci, M. le Président. Ma question
s'adresse au ministre de la Justice. J'ai lu in extenso le document
déposé en cette Chambre par le député de Frontenac,
document d'intérêt public, sur l'administration de la justice.
Considérant les graves accusations portées contre l'appareil
judiciaire au Québec, je demande au ministre de la Justice ce qu'il a
l'intention de faire à la suite de ces accusations.
Le Président: M. le ministre de la Justice.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, le sujet
soulevé par le député de Saint-Hyacinthe à la suite
du dépôt d'un document par le député de Frontenac,
qui évoque certains événements intervenus dans la vie du
citoyen Grégoire, soulève à mes yeux, a priori, un
problème de fond. Peut-être est-il important de rappeler en cette
Chambre -nous semblons le vivre par rapport à d'autres sujets depuis
quelques jours - qu'il y a un pouvoir exécutif, un pouvoir
législatif et un pouvoir judiciaire dans notre société.
Nous sommes organisés, depuis 400 ans, autour d'un régime qui
présuppose l'indépendance réciproque de ces pouvoirs et
nous devons les respecter les uns et les autres. (10 h 40)
Les allégations du député de Frontenac sont
multiples, nombreuses; elles touchent de nombreux domaines et elles
mêlent indistinctement les responsabilités
alléguées, prétendues ou présumées de
différents aspects relevant de l'exécutif ou du judiciaire. Je
crois que le pouvoir judiciaire doit être respecté dans tous les
sens du mot "respecté", à l'égard de son
indépendance comme à l'égard des comportements que nous
devons avoir à son endroit.
Par ailleurs, en ce qui concerne le pouvoir exécutif, dont je
réponds pour une partie devant cette Assemblée nationale, je
dirai qu'à aucun moment un haut fonctionnaire du ministère de la
Justice n'est intervenu dans le déroulement du processus judiciaire
normal qui affectait le citoyen Grégoire dans ses
démêlés avec la justice dans le cadre des accusations que
nous connaissons, ni au niveau du choix du procureur, ni au niveau du choix du
texte de loi utilisé, ni au niveau du tribunal choisi, ni au niveau, par
définition évidemment, du choix des juges.
Par ailleurs, un certain nombre d'allégations qui
relèvent, elles, directement de l'administration de la justice
toucheraient des pressions présumées qui auraient
été faites auprès d'un avocat associé à
celui qui défendait le citoyen Grégoire et des
vérifications sont en cours. Je peux cependant affirmer à ce jour
qu'aucun haut fonctionnaire du ministère de la Justice n'est intervenu
pour faire des pressions auprès de l'avocat ou de l'associé de M.
Grégoire. Dans les circonstances, M. le Président, je crois qu'il
y aurait peut-être un certain mérite à ce que nous placions
les choses comme elles doivent l'être pour réitérer que, du
côté de l'administration de la justice, l'ensemble des
allégations et de ce tissu assez complexe d'allégations où
se mêlent des sentiments en même temps que des présomptions
de fait seront vérifiées en ce qui concerne la dimension de
l'administration de la justice.
Le Président: M. le député de Frontenac.
M. Grégoire: M. le Président, sur une question de
privilège, je voudrais répéter...
Le Président: M. le député de Frontenac, si
vous voulez évoquer une question de privilège, vous devez me
faire part, en vertu d'une jurisprudence de plusieurs mois déjà,
du privilège que vous évoquez avant même de prendre la
parole. Lequel des privilèges, en vertu de la Loi de l'Assemblée
nationale, en vertu du règlement ou en vertu de la tradition,
évoquez-vous?
M. Grégoire: Sur la tradition, M. le Président. Mon
cas ayant été cité, je voudrais faire une simple mise au
point.
Le Président: M. le député, votre cas a pu
être évoqué, mais il ne l'a pas été de
manière que vos privilèges aient pu être violés a
priori et, à moins que vous ne m'indiquiez quel est le privilège
que vous invoquez, je ne puis vous accorder la parole sur une question de
privilège.
M. Grégoire: Je voudrais poser une question
supplémentaire, M. le Président. Étant donné que je
crois, comme le ministre de la Justice, que nous avons au Québec
peut-être une des meilleures justices au monde et qu'il n'a jamais
été question pour moi dans mon document...
Une voix: ...
M. Grégoire: Oui. ...d'accuser en quoi que ce soit la
magistrature dans son ensemble ou de dénigrer l'appareil
judiciaire...
Le Président: M. le député de Frontenac,
quand je dis "sans préambule", il me semble que les deux mots se
comprennent facilement. La question, s'il vous plaît!
M. Grégoire: Ma question supplémentaire est bien
simple, M. le Président. Le ministre de la Justice veut faire une
enquête pour savoir quel est le haut fonctionnaire - je le
répète - qui n'est pas relié au ministère de la
Justice - et je ne l'ai jamais prétendu non plus...
Le Président: M. le député de
Frontenac, pas de préambule. Cela se comprend. Ce n'est pas
compliqué. Pas de préambule, la question, s'il vous
plaît.
M. Grégoire: Je voudrais dire au ministre de la Justice,
s'il veut savoir le nom du haut fonctionnaire en question, qu'il n'a
qu'à demander à son collègue, l'ancien ministre de la
Justice ou à deux autres... Des voix: ...
Le Président: En dehors du commentaire, vous vous
êtes levé sur une question complémentaire et je n'ai pas
entendu de question. J'ai entendu beaucoup de choses, mais pas de question.
M. Grégoire: L'actuel ministre de la Justice s'est-il
renseigné auprès de l'ancien ministre du nom de ce haut
fonctionnaire?
Le Président: M. le ministre de la Justice.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, j'ai dit et je
répète qu'aucun haut fonctionnaire du ministère de la
Justice n'a fait de pressions, quelles qu'elles soient, auprès du
procureur. Par ailleurs, j'ai dit que ces allégations, celles qui
touchent l'exécutif et qui, encore une fois, sont peu nombreuses, sont
sous vérification et j'aurai sans doute une réponse
précise à donner d'ici 24 heures.
Le Président: M. le député de D'Arcy
McGee.
M. Marx: En question supplémentaire, M. le
Président. Le ministre de la Justice n'est-il pas d'accord que les
allégations et les accusations, dans le document du député
de Frontenac, diffusées par les médias, sont de nature à
jeter le discrédit sur l'administration de la justice? Par
conséquent, n'est-il pas du devoir du ministre et non pas seulement de
l'Exécutif de vérifier ces allégations et ces accusations
et de faire rapport à l'Assemblée nationale?
Le Président: M. le ministre de la Justice.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je me permettrai
d'être un peu étonné de la façon dont le
député de D'Arcy McGee formule sa question en ce qui a trait
à l'administration de la justice, c'est-à-dire le
ministère de la Justice, les fonctions policières et, je dirais,
à un moindre degré, les procureurs de la couronne, qui
bénéficient d'une forme d'indépendance particulière
dans notre système.
Je répondrai effectivement aux allégations qu'on
évoque, que l'ensemble des choses est sous vérification depuis
que nous avons pris copie de ce document de 80 pages. À l'égard
de la magistrature, je demanderais au député de reconnaître
avec moi qu'il faut, par respect de la magistrature, par respect de
l'indépendance du système judiciaire dans notre
société, ne pas évoquer et ne pas revenir ici sur ce qui
relève de la magistrature. Les juges ont cru
bon jusqu'à maintenant de commenter ou de ne pas commenter ce
sujet. Je dois respecter ces décisions.
Effectivement, au fur et à mesure que l'on pousse dans le
contexte que l'on connaît, avec l'utilisation des immunités que
confère l'appartenance à ce corps législatif, si ces
choses continuent, c'est l'ensemble du système de la magistrature, du
système de l'administration de la justice et de la qualité des
relations qui existent dans une société démocratique entre
ces pouvoirs qui peut être mis en cause.
Le Président: M. le député de Portneuf.
M. Pagé: Je puis dire que nous apprécions la
réponse du ministre de la Justice à la dernière question
qui a été posée. Nous avons abordé et nous
discutons depuis quelques jours un sujet qui est fondamental dans notre
société.
Des voix: Question! Question!
M. Pagé: M. le Président, question principale.
Des voix: Question!
Le Président: C'est votre choix, si vous voulez la poser
sous forme de question principale.
L'intégrité et l'indépendance de
la magistrature
M. Pagé: Question principale, M. le Président. Dans
une question précédente, cette semaine, et portant sur un autre
sujet, je me référais au principe fondamental, dans notre
société, du droit pour tout prévenu à un
procès juste et équitable. Ce principe s'appuie évidemment
sur un autre principe qui est aussi fondamental, soit l'indépendance de
la magistrature, magistrature à laquelle on doit croire, comme
société, ce qui commande l'intégrité, le respect,
etc.
À la lumière des déclarations d'un de nos
collègues, sous le couvert de l'immunité parlementaire, où
des attaques et des propos graves et sérieux ont été
portés à l'égard de la magistrature, qu'est-ce que le
ministre de la Justice entend faire pour protéger et sécuriser
surtout l'ensemble des Québécois sur le principe fondamental de
l'intégrité et de l'indépendance de la magistrature au
Québec? Vous ne pouvez pas demeurer silencieux à la suite d'une
telle attaque.
Le Président: M. le ministre de la Justice.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, quant à
l'indépendance et à l'intégrité de la magistrature
ainsi que de l'ensemble du processus judiciaire qui implique les substituts du
Procureur général dans les causes en matière pénale
ou criminelle, je dis et je réaffirme que cette indépendance a
été respectée et que le respect que nous devons à
la magistrature devrait nous amener à utiliser de façon
parcimonieuse, à l'Assemblée nationale, notre temps de parole
là-dessus. (10 h 50)
II est très clair que les allégations nombreuses,
multiples et pas toujours interreliées du député de
Frontenac, sous le couvert de son immunité parlementaire,
éclaboussent ou risquent d'éclabousser le système dans
lequel nous vivons. La meilleure assurance que nous pouvons avoir que
l'autorité, le respect et la crédibilité de la
magistrature sont maintenus est de tenir pour acquis qu'elle est
indépendante et de réitérer pour nous, du Conseil
exécutif, notre foi en ce principe d'indépendance de la
magistrature. Je souhaite, comme membre de l'Assemblée nationale, comme
membre du pouvoir législatif, que nous réitérions notre
foi en cette indépendance de la magistrature; c'est ça, l'arme,
en démocratie, à l'égard de la protection de la
magistrature.
Le Président: Question principale? M. Ryan: Non,
question additionnelle.
Le Président: Question additionnelle, M. le
député d'Argenteuil.
M. Ryan: Le député de Frontenac ayant
affirmé que des témoins se seraient parjurés et auraient
été manipulés par la police à l'occasion du
procès dont il a été l'objet, le ministre de la Justice
peut-il donner l'assurance à cette Chambre qu'il soumettra aux
députés, à l'Assemblée nationale, dans les plus
brefs délais, un rapport complet et circonstancié sur cet aspect
des plaintes qui ont été formulées par le
député de Frontenac?
Le Président: M. le ministre de la Justice.
M. Johnson (Anjou): Je peux donner l'assurance que cette
dimension, la dimension policière qui, elle, relève de
l'administration de la justice proprement dite et de l'Exécutif, fera
l'objet de vérifications; ces choses, d'ailleurs, ont déjà
été enclenchées. Par ailleurs, quant au rapport que je
serai appelé à faire à la Chambre, je dirai que la
situation dans laquelle je serai pour faire un tel rapport pourrait être
extrêmement délicate si devaient découler de cette
enquête des poursuites. On serait encore dans cette même position,
absolument aberrante, où, avant que des gens comparaissent devant les
tribunaux, on se met à parler de cela à
l'Assemblée nationale. Cela implique ça, le respect du
processus judiciaire et le respect du processus de séparation des
pouvoirs.
Cela dit, sous une forme quelconque, je pourrai faire rapport; je ne
peux pas ici, cependant, et on le comprendra pour ces raisons, m'engager
à déposer ce qui pourrait constituer hypothétiquement,
possiblement ou probablement, selon le cas, la base d'une preuve qui, elle,
devrait être, ou pourrait être soumise par la suite à des
tribunaux ou des tribunaux administratifs.
Le Président: M. le député d'Argenteuil.
M. Ryan: Le ministre a-t-il pris l'initiative de demander
à l'auteur de ces plaintes de lui fournir des renseignements plus
détaillés, plus précis que ceux qui sont contenus dans le
document déposé devant cette Assemblée? Est-il prêt
à prendre l'engagement de le faire dans les plus brefs délais,
afin que le devoir de cette Assemblée de faire la lumière par
tous les moyens raisonnables - je comprends les circonstances dont a fait
mention le ministre - soit satisfait?
Le Président: M. le ministre de la Justice.
M. Johnson (Anjou): L'enquête suivra son cours comme elle
doit être faite, et comme elles sont faites habituellement. S'il est
jugé utile, en cours de route, d'interroger un certain nombre de
personnes pour les fins de cette enquête, nous le ferons. Encore une
fois, je ne veux pas rentrer ici dans le détail du quotidien de comment
on procède à l'égard d'une enquête. Je dis
simplement que les vérifications et les enquêtes
nécessaires seront faites.
Le Président: M. le député d'Argenteuil.
M. Ryan: Le ministre pourrait-il dire s'il va donner instruction
aux enquêteurs de la Sûreté du Québec de prendre
contact dans les plus brefs délais avec l'auteur des plaintes dont a
été saisie l'Assemblée?
Le Président: M. le ministre de la Justice.
M. Johnson (Anjou): Mon sous-ministre et mes collaborateurs au
ministère de la Justice, de même que les hauts fonctionnaires du
ministère de la Justice, connaissent le métier. Il n'est pas dans
mes habitudes de traiter directement avec les enquêteurs de la
Sûreté du Québec. J'ai donné des instructions afin
que des vérifications soient faites. Les moyens nécessaires pour
faire ces vérifications seront pris sous l'autorité du
ministère de la Justice et de la Sûreté du Québec,
le cas échéant.
Le Président: M. le député de D'Arcy
McGee.
Saisies de vin vendu illégalement?
M. Marx: Question principale. Je pose à nouveau une
question que j'ai déjà posée le 30 mai et qui concerne la
Société des alcools du Québec qui a l'exclusivité
des vins et des spiritueux sur le territoire du Québec. Or, il semble
qu'il existe au Québec un important commerce illégal où
des individus vendent des vins à vil prix sur un marché noir qui
échappe au contrôle de la Société des alcools du
Québec. Ce trafic prive évidemment le Trésor du
Québec de sommes importantes puisque les taxes forment environ 75% du
coût d'une bouteille de vin.
Ma question, qui s'adresse au ministre de la Justice, est la suivante:
Est-il exact que la Sûreté du Québec et/ou la police de la
Communauté urbaine de Montréal a procédé, au cours
des deux ou trois dernières années, et plus
précisément au cours des derniers mois à plusieurs saisies
de quantités importantes de vin vendu illégalement au
Québec. Si sa réponse est affirmative, combien de saisies ont
été effectuées et quelle quantité de vin a
été saisie?
Le Président: Brièvement, M. le ministre de la
Justice. La période de questions se termine.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je me souviens
effectivement de la question du député. Il m'en a entretenu
d'ailleurs derrière le trône, me demandant si j'allais lui fournir
une réponse. Au moment où nous nous étions quittés
- c'était le 30 mai, je crois - j'avais l'impression que le
député allait inscrire une question au feuilleton, étant
donné qu'elle est extrêmement détaillée, concernant
les quantités, le nombre de saisies, les personnes impliquées,
etc. Il semble qu'il se contenterait plutôt d'une question d'ordre
général. Je dois lui dire que les rapports que j'ai eus
là-dessus ne sont que préliminaires. Oui, effectivement, je peux
confirmer qu'il y a eu un certain nombre de saisies. Quant aux détails
qu'exige le député, je devrais être en mesure de lui en
fournir un peu plus tard, d'ici à quelques jours. Mais je l'assure que
je lui fournirai des détails avant la fin de la session.
Le Président: La période de questions est
terminée.
M. Marx: Oui, mais...
Le Président: Demain, M. le député.
M. Marx: II reste encore deux minutes.
Le Président: Non, non, au contraire.
C'est exactement le contraire, M. le député. Nous sommes
en retard de deux minutes.
M. Marx: Est-ce que je pourrais avoir un consentement pour...
Le Président: Est-ce qu'il y a consentement pour que le
député pose une question complémentaire?
M. Marx: Le ministre est d'accord.
Le Président: Un instant! Est-ce qu'il y a
consentement?
Des voix: Non.
M. Marx: Question de règlement.
Le Président: Oui, M. le député.
M. Marx: Le ministre me signale que je dois poser ma question
additionnelle en arrière du trône.
Le Président: II n'y a pas de rappel au règlement,
en l'occurrence. Si le ministre vous invite à l'en entretenir ailleurs,
c'est une question qui ne concerne pas cette Chambre.
Il y a un certain nombre de votes que nous devons prendre, si les
députés qui sont encore à l'extérieur veulent bien
entrer en Chambre. Tandis que nous attendons les députés, M. le
vice-président de la commission de l'économie et du travail
pourra faire le dépôt du rapport de la commission qu'on attendait
tantôt.
Dépôt du rapport de la commission
qui a procédé à une consultation
de REXFOR sur le projet de loi 66
M. Fortier: M. le Président, il semble que le rapport ait
été retardé sur le bureau des messagers. Il me fait
plaisir de le déposer maintenant. J'ai l'honneur de déposer le
rapport de la commission de l'économie et du travail qui a
siégé le 5 juin 1984 afin de procéder à une
consultation particulière de REXFOR sur le projet de loi 66, Loi
modifiant la Loi sur la Société de récupération,
d'exploitation et de développement forestiers du Québec.
Mise aux voix de la motion de censure,
dé la motion proposant que
l'Assemblée
approuve la politique budgétaire du
gouvernement et des rapports des
commissions qui ont étudié les
crédits
Le Président: Bien. Le rapport est
déposé.
Je vais maintenant mettre aux voix la motion de censure de M. le
député de Vaudreuil-Soulanges: "Que cette Assemblée
blâme sévèrement le gouvernement pour avoir trompé
les attentes de la population en présentant un budget dépourvu de
toute mesure significative propre à réduire le fardeau fiscal
déjà excessif des Québécois, à activer
l'investissement et à soulager des centaines de milliers de nos
concitoyens qui sont présentement victimes du chômage et du
sous-emploi."
Que les députés qui sont pour cette motion de censure
veuillent bien se lever.
Le Secrétaire adjoint: MM. Levesque (Bonaventure),
O'Gallagher (Robert Baldwin), Scowen (Notre-Dame-de-Grâce), Ciaccia
(Mont-Royal), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), MM. Ryan (Argenteuil), Vaillancourt
(Orford), Mme Bacon (Chomedey), M. Marx (D'Arcy McGee), Mme Dougherty
(Jacques-Cartier), MM. Middlemiss (Pontiac), Assad (Papineau), Caron (Verdun),
Blank (Saint-Louis), Hains (Saint-Henri), Polak (Sainte-Anne), Saintonge
(Laprairie), Fortier (Outremont), Rivest (Jean-Talon), Pagé (Portneuf),
Johnson (Vaudreuil-Soulanges), Bourbeau (Laporte), Lincoln (Nelligan), Dubois
(Huntingdon), Sirros (Laurier), Bissonnet (Jeanne-Mance), Dauphin (Marquette),
Kehoe (Chapleau), Houde (Ber-thier), Mme Bélanger
(Mégantic-Compton). (11 heures)
Le Président: Que les députés qui s'opposent
à cette motion veuillent bien se lever.
Le Secrétaire adjoint: MM. Lévesque (Taillon),
Bédard (Chicoutimi), Jolivet (Lavio-lette), Mme Marois (La Peltrie), MM.
Pari-zeau (L'Assomption), Laurin (Bourget), Johnson (Anjou), Landry
(Laval-des-Rapides), Bé-rubé (Matane), Marcoux (Rimouski), Lazure
(Bertrand), Gendron (Abitibi-Ouest), Biron (Lotbinière), Dean
(Prévost), Ouellette (Beau-ce-Nord), Martel (Richelieu), Bordeleau
(Abi-tibi-Est), Tardif (Crémazie), Garon (Lévis), Léonard
(Labelle), Fréchette (Sherbrooke), Brassard (Lac-Saint-Jean), Duhaime
(Saint-Maurice), Chevrette (Joliette), Paquette (Ro-semont), Rancourt
(Saint-François), Leduc (Fabre), Proulx (Saint-Jean), Gauthier
(Rober-val), Blouin (Rousseau), Boucher (Rivière-du-Loup), Rodrigue
(Vimont), Gagnon (Champlain), Beaumier (Nicolet), Dussault
(Château-guay), Desbiens (Dubuc), Fallu (Groulx), Perron (Duplessis),
Rochefort (Gouin), Marquis (Matapédia), Baril (Arthabaska), Laplante
(Bourassa), Charbonneau (Verchères), Champagne (Mille-Îles), Blais
(Terrebonne), Lévesque (Kamouraska-Témiscouata), Dupré
(Saint-Hyacinthe), Lachance (Bellechasse), Brouillet (Chauveau),
Beauséjour (Iberville), Payne (Va-chon), Paré (Shefford),
Tremblay (Chambly), Lafrenière (Ungava), Grégoire
(Frontenac).
Le Secrétaire: Pour: 30
Contre: 55
Abstentions: 0
Le Président: La motion de censure est donc
rejetée.
Je mets maintenant aux voix la motion de M. le ministre des Finances
proposant que l'Assemblée approuve la politique budgétaire du
gouvernement. Même vote mais inversé. Alors, la motion de M. le
ministre des Finances est donc approuvée. Bien sûr, sur
division.
Je mets maintenant aux voix les rapports des commissions qui ont
étudié les crédits budgétaires des
ministères du gouvernement du Québec pour l'année
1984-1985. Ces rapports sont... Même vote que pour la politique
budgétaire? Adopté sur division.
M. le député de D'Arcy McGee, je m'excuse. On est en plein
vote et vous devez conserver votre siège. M. le ministre
délégué à l'Aménagement et au
Développement régional, très heureux de vous voir de
retour mais il faut que vous restiez à votre siège.
Projet de loi 89 Adoption
M. le ministre des Finances présente le projet de loi 89, Loi 3
sur les crédits, 1984-1985. L'Assemblée accepte-t-elle de se
saisir de ce projet de loi? Adopté.
L'Assemblée adopte-t-elle ce projet de loi, le projet de loi sur
les crédits? Adopté?
Des voix: Adopté.
Le Président: Adopté sur division.
Mise aux voix du principe du projet de loi 70
II reste maintenant à mettre aux voix la motion de M. le ministre
de l'Énergie et des Ressources proposant que le principe du projet de
loi 70, Loi sur la location de forces hydrauliques de la rivière
Péribonca à Aluminium du Canada, Limitée, soit maintenant
adopté. Y a-t-il lieu de voter? Adopté à
l'unanimité? Un vote? C'est unanime. C'est ce que je demande. J'ai
plusieurs intervenants à ma droite. Peut-on me dire si on veut ou non
avoir un vote par appel nominal?
M. Bédard: Vote enregistré, M. le
Président.
Le Président: Bien. Que les députés qui sont
favorables à cette motion veuillent bien se lever.
Le Secrétaire adjoint: MM. Lévesque (Taillon),
Bédard (Chicoutimi), Jolivet (Laviolette), Mme Marois (La Peltrie), MM.
Parizeau (L'Assomption), Laurin (Bourget), Johnson (Anjou), Landry
(Laval-des-Rapides), Bérubé (Matane), Marcoux (Rimouski), Lazure
(Bertrand), Gendron (Abitibi-Ouest), Biron (Lotbinière), Dean
(Prévost), Ouellette (Beauce-Nord), Martel (Richelieu), Bordeleau
(Abitibi-Est), Tardif (Crémazie), Garon (Lévis), Léonard
(Labelle), Fréchette (Sherbrooke), Brassard (Lac-Saint-Jean), Duhaime
(Saint-Maurice), Chevrette (Joliette), Paquette (Rosemont), Rancourt
(Saint-François), Leduc (Fabre), Proulx (Saint-Jean), Gauthier
(Roberval), Blouin (Rousseau), Boucher (Rivière-du-Loup), Rodrigue
(Vimont), Gagnon (Champlain), Beaumier (Nicolet), Dussault (Châteauguay),
Desbiens (Dubuc), Fallu (Groulx), Perron (Duplessis), Roche-fort (Gouin),
Marquis (Matapédia), Baril (Arthabaska), Laplante (Bourassa),
Char-bonneau (Verchères), Champagne (Mille-Îles), Blais
(Terrebonne), Lévesque (Kamouraska-Témiscouata), Dupré
(Saint-Hyacinthe), Lachance (Bellechasse), Brouillet (Chauveau),
Beauséjour (Iberville), Payne (Vachon), Paré (Shefford), Tremblay
(Chambly), Lafrenière (Ungava), Lévesque (Bonaventure),
O'Gallagher (Robert Baldwin), Scowen (Notre-Dame-de-Grâce), Ciaccia
(Mont-Royal), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), MM. Ryan (Argenteuil), Vaillancourt
(Orford), Mme Bacon (Chomedey), M. Marx (D'Arcy McGee), Mme Dougherty
(Jacques-Cartier), MM. Middlemiss (Pontiac), Assad (Papineau), Caron (Verdun),
Blank (Saint-Louis), Hains (Saint-Henri), Polak (Sainte-Anne), Saintonge
(Laprairie), Fortier (Outremont), Rivest (Jean-Talon), Pagé (Portneuf),
Johnson (Vaudreuil-Soulanges), Bourbeau (Laporte), Lincoln (Nelligan), Dubois
(Huntingdon), Sirros (Laurier), Bissonnet (Jeanne-Mance), Dauphin (Marquette),
Kehoe (Chapleau), Houde (Berthier), Mme Bélanger
(Mégantic-Compton), M. Grégoire (Frontenac).
Le Secrétaire: Pour: 85
Contre: 0
Abstentions: 0
Le Président: La motion est donc adoptée.
Aux avis touchant les travaux des commissions, M. le leader du
gouvernement, à moins qu'il n'y ait une motion de
déférence.
M. Bédard: M. le Président...
Le Président: Je vais attendre que la gare centrale se
calme. Ni ajournée, ni suspendue mais certainement en effervescence.
Peut-on laisser les députés qui désirent poursuivre le
travail législatif le faire en silence?
M. le leader du gouvernement.
M. Bédard: M. le Président, j'ai quelques avis
à donner touchant les travaux de l'Assemblée nationale. Tout
d'abord,
jusqu'à 13 heures...
Le Président: Je m'excuse, y a-t-il lieu de faire une
motion de déférence du projet de loi dont nous venons d'adopter
le principe?
M. Bédard: Oui, M. le Président.
Le Président: La commission de l'économie et du
travail.
Renvoi à la commission de l'économie et
du travail
M. Bédard: Je ferais motion pour déférer le
projet de loi à la commission de l'économie et du travail.
Le Président: Le projet de loi 70. Cette motion est-elle
adoptée?
Des voix: Adopté. (11 h 10)
Le Président: Adopté.
M. le leader du gouvernement.
Avis touchant les travaux des commissions
M. Bédard: M. le Président, jusqu'à 13
heures aujourd'hui, à la salle 91, je voudrais donner l'avis selon
lequel la commission de l'aménagement et des équipements se
réunira afin de procéder à l'étude
détaillée du projet de loi 76, Loi modifiant diverses
dispositions législatives concernant les transports.
Également, jusqu'à 13 heures, de 15 heures à 18
heures et de 20 heures à 24 heures, à la salle 81, la commission
de l'économie et du travail se réunira afin de procéder,
d'abord, à l'étude détaillée du projet de loi 70,
Loi sur la location de forces hydrauliques de la rivière
Péribonca à Aluminium du Canada, Limitée, pour ensuite
poursuivre ses travaux avec l'étude détaillée du projet de
loi 87, Loi sur les permis de distribution de bière et de boissons
gazeuses.
Conformément à l'article 136 du règlement de
l'Assemblée nationale, cette commission sera présidée par
le président de séance.
Enfin, M. le Président, de 16 heures à 18 heures, la
commission de l'aménagement et des équipements sera
réunira afin de procéder à l'étude
détaillée des projets de loi d'intérêt privé
suivants: le projet de loi 239, Loi concernant la ville de Saint-Eustache et le
projet de loi 224, Loi concernant la ville de Val-d'Or.
Le Président: Pour ce qui est de la présidence de
la commission par un président de séance, c'est dans la motion de
déférence que la chose doit être faite. C'est une
décision de l'Assemblée et non pas un avis du leader du
gouvernement. J'ai eu l'occasion de le signaler l'autre jour et, s'il y a
consentement à cet effet de la part de l'Assemblée, la motion de
déférence que nous avons adoptée tantôt à la
commission de l'économie et du travail pourrait inclure la disposition
en vertu de laquelle la commission sera présidée par un
président de séance. Il faut que cela fasse partie de la motion.
M. le député d'Outremont.
M. Fortier: Oui. Étant donné que je suis
concerné - on m'a dit que la présidente était absente - je
n'aime pas beaucoup la façon dont cela a été fait, mais,
dans un esprit de collaboration, je vais donner mon consentement.
M. Bédard: M. le Président.
Le Président: Oui, M. le leader du gouvernement.
M. Bédard: Concernant les deux avis en ce qui a trait aux
projets de loi 239 et 224, ce sont des avis aux fins que la commission de
l'aménagement et des équipements se réunisse, mais qui
valent pour le 13 juin, de 16 heures à 18 heures.
Le Président: Je conclus que la motion de tantôt a
été adoptée telle que modifiée et que le
président de séance en fait partie.
D'autre part, de 20 heures à 22 heures ce soir, à la salle
80, la commission de l'éducation et de la main-d'oeuvre poursuivra la
vérification des engagements financiers dans le domaine de sa
compétence.
Aux renseignements sur les travaux de l'Assemblée.
Renseignements sur les travaux de
l'Assemblée
M. Pagé: M. le Président.
Le Président: M. le député de Portneuf.
M. Pagé: Nous avons eu au début de la semaine le
plan de travail de la semaine. Des changements sont survenus ou seraient
survenus. Le leader du gouvernement pourrait-il à ce moment-ci nous
confirmer les projets de loi qui seront appelés aujourd'hui et dans quel
ordre? Quelles sont vos intentions pour aujourd'hui?
M. Bédard: M. le Président, je crois que tout a
été dit hier soir par le leader adjoint et, jusqu'à preuve
du contraire, il n'y a pas de changement.
M. Pagé: Devons-nous comprendre, M. le Président -
il aurait peut-être été plus simple pour le leader du
gouvernement de répéter pour le bénéfice des
députés qui sont
ici - qu'on amorcera ce matin l'étude en deuxième lecture
du projet de loi 75, tout d'abord; ensuite, l'étude en deuxième
lecture du projet de loi 83 concernant le Code de procédure civile, et,
par la suite, l'étude du projet de loi 80 créant l'Ordre national
du Québec. C'est cela? C'est ce qui vient aujourd'hui?
M. Bédard: M. le Président, tel que je l'ai dit
tout à l'heure, ce que vient de nous dire le whip de l'Opposition est
très conforme aux avis qui avaient été donnés hier
et à l'ordre qui avait également été indiqué
par le leader adjoint. Cela demeure dans cet ordre-là, à moins
que des circonstances nous amènent à intervenir au moment de la
présentation de chacun des projets de loi, mais j'en avertirai d'avance
l'Opposition pour qu'elle puisse agir en conséquence.
Le Président: M. le député de Portneuf.
M. Pagé: On m'avait informé à
l'entrée de la Chambre, avant le début de la période de
questions, par le biais du bureau du leader, que possiblement, le projet de loi
80 serait appelé seulement demain, après la période de
questions, lors de la séance de vendredi.
Le Président: M. le leader du gouvernement.
M. Bédard: Cela demeure dans l'ordre des
possibilités, parce qu'on ne peut pas prévoir ce qui va arriver
pour les deux projets de loi qui précèdent. Normalement, si on a
le temps, on devrait engager l'étude du projet de loi 80. S'il y a un
changement, j'en informerai suffisamment à l'avance l'Opposition pour
qu'elle puisse agir en conséquence.
Le Président: M. le député de Portneuf.
M. Pagé: M. le Président, dernière question.
Pour le bénéfice des collègues qui doivent se rendre dans
leur comté, ce soir ou demain, pour y faire du bureau et rencontrer
leurs électeurs ou pour participer à des activités, est-ce
que le leader du gouvernement prévoit que l'Assemblée nationale
se réunira le lundi 11 juin prochain?
Le Président: M. le leader du gouvernement.
M. Bédard: M. le Président, je serai en mesure
demain ou vers la fin de l'après-midi de mieux répondre à
cette question. Mais, normalement, je donne une première indication dans
le sens que l'Assemblée nationale se réunirait mardi prochain,
à 10 heures. Par contre, je ne voudrais pas que cela soit coulé
dans le ciment. C'est sous réserve d'autres évaluations qui
pourraient être faites. Je donne simplement une indication.
Projet de loi 75 Adoption du principe
Le Président: Cela va. Ce qui nous mène donc aux
affaires du jour et à l'adoption du principe du projet de loi 75, Loi
modifiant la Loi sur les assurances et d'autres dispositions
législatives. Je cède la parole à M. le ministre des
Finances.
M. Jacques Parizeau
M. Parizeau: M. le Président, le projet de loi que nous
avons devant nous vise à modifier assez profondément les pouvoirs
des compagnies d'assurances qui sont sous juridiction du gouvernement du
Québec.
C'est l'aboutissement d'un très long cheminement et, d'autre
part, une sorte de point de départ vers d'autres changements qui
s'appliqueront à d'autres types d'institutions financières. On me
permettra donc d'essayer de tracer un peu les perspectives de ce qui a
amené la loi 75 et d'indiquer, à partir de cette loi, certaines
des étapes que nous entendons franchir dans les mois qui viennent.
Le système financier canadien, comme celui de beaucoup de pays, a
été longtemps basé sur ce qu'on a appelé "les
quatre piliers", c'est-à-dire les banques, les compagnies d'assurances,
les compagnies de fiducie et le courtage mobilier, qui peut prendre d'un pays
à l'autre la forme de banques d'affaires, par exemple. Les lois ont
habituellement traduit cette division très stricte entre les quatre
piliers, étant bien entendu qu'une catégorie d'entreprises
voyait, de par sa loi, ses activités définies et ses pouvoirs de
placement également définis. Ce type de législation
séparait en quelque sorte les quatre piliers, les quatre secteurs, de
façon très claire, les uns des autres.
Certaines de ces lois sont fort anciennes et n'ont pas été
substantiellement changées depuis un très grand nombre
d'années, sauf cependant au Canada, la Loi sur les banques. La Loi sur
les banques a été profondément remaniée depuis - je
pense que, si on peut situer le moment des premiers grands remaniements, il
faudrait le placer en 1954. On se souviendra peut-être qu'avant cette
date les banques à charte, par exemple, ne faisaient pas de
crédit hypothécaire comme elles en font maintenant. Elles avaient
le droit de faire des prêts personnels, mais avec un plafond de taux
d'intérêt de 6%, qui faisait que la plupart des banques n'en
faisaient pas. Sauf erreur, il n'y avait, je crois, qu'une seule banque
à charte qui faisait des prêts
personnels avant 1954. (11 h 20)
À l'occasion de la révision de la Loi sur les banques, en
1954, en 1967 et à plusieurs reprises depuis, on a élargi
constamment les pouvoirs des banques à charte. Alors que, au contraire,
dans le cas des trois autres piliers, peu de choses étaient faites. On a
vu, dans ces conditions, la concurrence provoquer des déplacements de
poids, dans le système financier, d'une très grande ampleur.
Permettez-moi de vous rappeler, à cet égard, qu'en 1967 encore,
de l'ensemble des actifs des sociétés financières, les
banques à charte en faisaient à peu près 37% et les
compagnies d'assurances, avec les caisses de retraite qu'elles administrent,
à peu près 37% aussi, alors qu'aujourd'hui, l'actif total de
toutes les compagnies d'assurances représente à peu près
la moitié de l'actif total de la Banque Royale. On voit tout de suite le
déplacement considérable qui s'est fait sur le plan des
masses.
Des pressions sont exercées depuis déjà un certain
temps de la part d'institutions financières, comme les
sociétés d'assurances et les sociétés de fiducie,
pour demander un élargissement de leurs pouvoirs. Ce sont des pressions
qui se sont manifestées partout au Canada et dont on a vu - j'en
parlerai tout à l'heure aussi - aussi certains effets très
puissants aux États-Unis. Essentiellement, les sociétés
d'assurances ou les sociétés de fiducie disaient: Nous sommes
placées graduellement dans une situation concurrentielle de plus en plus
défavorable, nous n'avons pas l'élargissement périodique
des pouvoirs dont disposent les banques à charte et nous voudrions que
la législation soit modifiée.
Est apparu à travers ces pressions et à travers ces
discussions un concept dont l'expression maintenant circule partout, encore
qu'elle soit fausse, qu'elle soit tout à fait inappropriée, mais
puisqu'elle circule partout, il faut bien l'utiliser. On a commencé
à parler de déréglementation en ce sens que chaque type
d'institution financière pourrait graduellement faire non seulement ses
opérations traditionnelles, mais certaines opérations des autres
catégories d'institutions financières. Les compagnies
d'assurances, par exemple, pourraient faire des opérations de fiducie,
ramasser des dépôts, s'engager dans des valeurs mobilières
et en vendre, comme si c'était un courtier. La
déréglementation, c'est cela.
Le mot, évidemment, est tout à fait inapproprié. Ce
n'est pas parce qu'on ouvrirait les portes entre les types d'institutions
financières que les pouvoirs publics les réglementeraient moins.
La déréglementation, cela ne veut pas dire que les pouvoirs
publics cessent de surveiller les entreprises financières en question;
cela veut tout simplement dire qu'on fait tomber les barrières entre les
quatre piliers. Je tenais à préciser cela; comme j'aurai à
parler de réglementation à plusieurs reprises et que l'on s'en
sert maintenant, dans ce débat, dans un sens aussi précis, il est
important de ne pas créer de confusion.
Aux États-Unis, ce type de déréglementation a
beaucoup avancé. On sent vraiment, bien que le rythme soit
différent, parce que les États, et non seulement le pouvoir
fédéral, ont des pouvoirs dans ce domaine, qu'ils avancent plus
ou moins rapidement. Il est clair, par exemple, que l'État de New York a
pris une grosse avance par rapport à d'autres États
américains. Mais le sens du mouvement est très clair.
Au Canada, on a eu tendance davantage à hésiter. En
dépit des pressions faites par les institutions financières
depuis de nombreuses années, il est clair que le gouvernement
fédéral n'est pas convaincu qu'il doit s'orienter vers une
déréglementation rapide et importante. Il a de la
difficulté, j'en conviens, à dire s'il est pour ou s'il est
contre. Il hésite. Les déclarations du ministre d'État aux
Finances, chargé des institutions financières, M. MacLaren,
depuis quelques mois, traduisent assez bien ce degré
d'hésitation. Un comité de conseillers du ministre MacLaren,
à Ottawa, a été constitué de représentants
de diverses espèces d'institutions financières pour lui
présenter certaines recommandations. Mais on sent très bien - je
pense que c'est tout à fait clair pour tout le monde - que des gestes un
peu importants à Ottawa ne sont pas pour demain.
La réflexion au Québec est avancée depuis
déjà pas mal de temps à cet égard. En fait, sans
faire de bruit et sans que cela soit toujours noté, il y a eu une forme
de déréglementation à l'égard du grand concurrent
au Québec du système bancaire, c'est-à-dire les
coopératives d'épargne et de crédit. Le Mouvement
Desjardins, par exemple, s'est fait consentir, depuis maintenant 18 ans des
élargissements de pouvoirs continuels pour être en mesure, en
particulier par ses filiales, de faire des transactions qui ne sont pas
seulement de la réception de dépôt. Je vous rappelle que
c'est seulement depuis 1966 ou 1967 que le Mouvement Desjardins a pu
acquérir en bonne et due forme une société de fiducie, la
Société de fiducie du Québec. Il a développé
son secteur des assurances par l'Assurance-vie Desjardins, par exemple, et par
d'autres sociétés.
En somme, le législateur ici, à Québec, a toujours
compris - et c'était tout à fait normal - que, puisque les
banques et les caisses populaires étaient à ce point en
concurrence, puisque les banques relevaient exclusivement de la juridiction
fédérale, il était normal que ce qui relève de la
juridiction du Québec, c'est-à-dire les caisses
populaires, ne soit pas brimé ou encarcané dans la
concurrence que ces institutions livrent tous les jours au système
bancaire. Mais à l'égard du reste des institutions
financières, nous avons jusqu'à maintenant peu avancé,
disons, jusqu'à il y a deux ans. Un certain nombre de choses ont
été mises en branle au Québec depuis deux ans.
Je vous rappellerai, M. le Président, que nous avons eu de
longues discussions ici, à l'Assemblée nationale - discussions
fort intéressantes, d'ailleurs - quant au rôle du ministère
des Institutions financières. Ce ministère, qui date aussi de
1967, avait comme caractéristique de suivre, si vous me passez
l'expression, plusieurs lièvres à la fois. Il était
engagé dans la protection du consommateur, il avait à livrer des
permis dans toute espèce de groupes professionnels et, d'autre part, il
avait à assurer la surveillance d'un certain nombre d'institutions
financières. Nous avons, comme vous le savez, aboli ce ministère.
On a envoyé au ministère de l'Habitation, qui est devenu le
ministère de l'Habitation et de la Protection du consommateur, tout ce
qui concernait la protection du consommateur. Nous avons envoyé aussi la
surveillance du secteur immobilier à ce ministère et on a
créé le poste d'inspecteur général des institutions
financières au Québec. C'est donc dire que, par cette institution
- si vous me passez l'expression - nous avons été en mesure de
beaucoup mieux nous équiper pour surveiller le fonctionnement des
institutions financières et, d'autre part, préparer un certain
nombre de modifications à la législation dans le sens de la
déréglementation.
Il y a eu plusieurs lois dans le secteur des institutions
financières qui ont été adoptées depuis quelques
années ici, mais je pense que cela n'est que petit à petit que
cette idée de déréglementation a commencé à
être perçue dans un cercle assez grand comme avançant assez
rapidement au Québec. Je vous rappellerai, par exemple, qu'en juin 1983,
dans le sillage de sa nouvelle loi, la Commission des valeurs mobilières
autorisait des prises de contrôle des courtiers en valeurs
mobilières par d'autres sociétés et, en particulier, bien
sûr, par d'autres institutions financières. C'était un
geste très important. Pour la première fois, on permettait qu'une
institution financière puisse acheter le contrôle d'un courtier,
chose qui peut se faire aux États-Unis mais qui, jusqu'à
maintenant, était impossible chez nous, comme d'ailleurs dans le reste
du Canada. Je vous rappelle que dans le reste du Canada, par exemple, un
courtier d'une autre institution financière ne peut prendre plus de 10%
du capital-actions d'un courtier. C'est encore le concept de bien
séparer les piliers qui continue de jouer dans les autres provinces
canadiennes.
D'autre part, nous avons permis par règlement - je ne parle pas
des changements de lois - récemment, il y a deux mois, sauf erreur - je
me trompe peut-être un peu de date, mais enfin, il y a deux mois ou deux
mois et demi - la création par les sociétés d'assurances
sous juridiction du Québec de holdings en aval en nous inspirant,
d'ailleurs, d'une formule mise au point dans l'État de New-York,
substantiellement modifiée, qui permet pour la première fois aux
mutuelles d'assurances au Québec - et Dieu sait si nous avons des
mutuelles intéressantes et importantes - de pouvoir, grâce
à ce holding en aval, trouver des fonds sur le marché public
autres que leurs fonds propres. Il ne faut pas oublier qu'une mutuelle ne peut
émettre des actions par définition, puisqu'elle n'a pas
d'actions. Mais, par le truchement d'un holding en aval, il est possible
maintenant pour les mutuelles sous juridiction québécoise, les
sociétés d'assurances mutuelles, de s'alimenter en fonds sur le
marché public pour la première fois. Il y a d'autres avantages
d'ailleurs au holding en aval que celui-là, mais celui-là est
important. (11 h 30)
Donc, nous avons posé des gestes qui ne représentaient
pas, comment dire? sur le plan de la législation des amendements
majeurs, mais qui indiquaient dans quel sens nous nous orientions. Nous avons
devant nous aujourd'hui le premier pan de législation important dans le
sens d'une déréglementation assez rapide,
déréglementation qui n'est pas totale. Je pense que, bien qu'il
faille avancer dans ce domaine, il ne faut pas non plus prendre le mors aux
dents, si on me passe l'expression.
Bien sûr - j'y reviendrai tout à l'heure - dans certains
milieux, on considère qu'au Québec on avance très
rapidement parce que ces milieux ont l'habitude d'autres juridictions qui
n'avancent pas du tout, ce qui ne veut pas dire qu'encore une fois nous devons
ouvrir toutes les vannes avant d'avoir quand même
expérimenté certaines formules. Je vais vous en donner un
exemple, M. le Président.
On a longuement réfléchi à cette question de savoir
si on devrait permettre à une société d'assurances de
recevoir des dépôts directement. On a préféré
faire en sorte que, si une société d'assurances veut recevoir des
dépôts, elle doit passer par le contrôle d'une
société apte à recevoir des dépôts. En somme,
on dit à une compagnie d'assurances - je reviendrai sur les pouvoirs
tout à l'heure: Si vous voulez acheter une société qui,
elle, est habilitée à recevoir des dépôts, en
acheter le contrôle, très bien, mais c'est trop tôt pour
mettre dans un projet de loi que toute société d'assurances
pourrait recevoir des dépôts, disons, comme une banque. Donc, il
n'est pas question de dire: Nous passons d'une façon de
compartimenter très rigide à quelque chose où tout
est possible demain matin. Non, pas à ce point-là, mais,
néanmoins, nous avançons passablement. Examinons certaines des
dispositions du projet de loi 75 à cet effet.
Il y a un changement, je pense, très important dans les pouvoirs
d'une société d'assurances. Elle pourra, à partir du
projet de loi 75, entrer dans des champs d'activité qui, jusqu'à
maintenant, lui étaient fermés; j'en donnerai quelques exemples.
Elle pourra, en vertu de ce nouveau projet de loi, exercer à
l'égard des contrats de rente qu'elle administre et des sommes
assurées qu'elle conserve pour les bénéfices d'autrui, les
activités qu'une compagnie de fidéicommis peut exercer en vertu
de la Loi sur les compagnies de fidéicommis et pour lesquelles d'autres
lois lui reconnaissent compétence, fournir le financement des primes
d'assurance et des cotisations de rente, offrir des services de
dépôt et de garde de valeurs, offrir en vente les produits d'une
institution financière - c'est important comme disposition, offrir en
vente les produits d'une autre institution financière -faire du
crédit-bail, gérer des immeubles. Il y a un pouvoir
intéressant qui n'est pas nouveau dans notre loi, et qui n'est pas
nouveau, d'ailleurs, dans la loi canadienne, mais qu'il importe de souligner,
c'est-à-dire que le ministre peut autoriser les sociétés
financières, comme ces compagnies d'assurances visées par le
projet de loi 75, à faire d'autres activités. Le ministre a un
droit d'ouvrir le champ davantage. C'est une disposition qui nous vient,
d'ailleurs, de la loi fédérale des assurances où ce
pouvoir existe. Il n'a pas été exercé jusqu'à
maintenant, mais il existe là-bas de façon précise.
Changement aussi quant au pouvoir de placements d'une compagnie
d'assurances. Traditionnellement, les compagnies d'assurances sont soumises
à des espèces de standards de critères qualitatifs. Voici
quel genre de placements sont autorisés, dit la loi actuelle. Que ce
soient des actions, des obligations, que ce soient des titres de cet ordre, la
loi actuelle définit des critères qualitatifs qui permettent de
considérer que ceci est un placement régulier et que cela n'est
pas un placement régulier autorisé et doit entrer dans ce qu'on
appelle la clause omnibus.
Nous avons, après passablement de réflexion et de
consultation là-dessus, décidé de nous débarrasser,
dans la nouvelle loi, de ces vieux critères et de remplacer cela par des
critères plus souples qui font appel essentiellement à une
gestion normale de portefeuille avec cependant un certain nombre de ratios qui
assurent une diversification suffisante de l'actif de la société
d'assurances entre un certain nombre de placements. Mais il n'y a pas de doute
que nous nous appuyons considérablement sur une forme d'administration
des placements qui, à première vue, doit être responsable,
sans être liée aux critères qualitatifs d'autrefois. Des
ouvertures comme celle-là sont évidemment considérables.
Elles sont très importantes pour le caractère concurrentiel, le
développement, la croissance des institutions financières
visées.
D'autre part, ces avantages qui sont donnés sont liés
à un autre aspect du projet de loi tout aussi important et qui est celui
d'une extension et d'un approfondissement des contrôles de l'inspecteur
général des institutions financières. On ne peut donc pas
considérer ici qu'il n'y a que des avantages pour les compagnies, d'un
côté, et que, d'autre part, les contrôles de l'inspecteur
resteraient ce qu'ils sont en vertu de la loi actuelle ou même
reculeraient. J'y faisais allusion précédemment. Au contraire. Ce
dont nous parlons ici, c'est une sorte... Je ne pourrais pas présenter
cela comme un échange mais, enfin, objectivement c'en est un. Nous
élargissons vos pouvoirs mais, d'autre part, l'inspecteur
général des institutions financières, au nom de
l'intérêt public, va vous suivre d'une façon très
précise et aura des pouvoirs d'intervention qui sont assez
musclés. Je pense d'ailleurs qu'une opération ne va pas sans
l'autre.
À partir du moment où cette loi 75 a été
déposée, il fallait s'attendre à beaucoup de
réactions, des réactions qui seraient manifestement de nature ou
d'orientation opposée. Je le disais tout à l'heure et je le
souligne à nouveau, il faut comprendre que ces dispositions s'appliquent
aux institutions qui sont sous juridiction du Québec. Elles ne
s'appliquent donc pas aux autres. Toute institution qui serait sous
juridiction, par exemple, du gouvernement de l'Ontario ou du gouvernement
fédéral canadien n'a pas accès à ces dispositions
et continue d'être soumise à des restrictions très
précises.
Nous pourrons y revenir lorsque nous examinerons article par article le
projet de loi mais les réactions, on peut en dire, aujourd'hui en tout
cas, à peu près ceci: Les institutions d'assurances sous
juridiction québécoise ont été très
consultées sur le projet, ont fait des représentations
extrêmement favorables dans un bon nombre de cas, des modifications de
propositions dont un bon nombre ont été adoptées parce que
cela relevait du sens commun et, dans certains cas, de règles de
prudence qui nous étaient tout à fait acceptables. Dans
l'ensemble, cependant, on peut dire que le milieu québécois des
entreprises visées considère ceci comme un projet de loi qui fait
considérablement avancer la législation de leur point de vue.
On me reproche, parmi certains d'entre eux, de ne pas aller assez loin.
Par exemple, sur la question de la réception directe des
dépôts, il y en a qui auraient bien aimé que j'aille
plus loin encore. Mais enfin! Il vaut tout de même mieux ne pas aller
trop vite dans ce domaine.
À l'opposé, certaines institutions financières qui
ne sont pas sous juridiction du Québec sont à la fois
embarrassées par ce que nous sommes en train de faire ici, reconnaissant
cependant que le gouvernement fédéral devrait bouger et qu'il
n'est pas normal que le gouvernement fédéral n'ait pas fait
avancer sa législation de son côté. Depuis quelque temps,
nous avons eu droit à un certain nombre de représentations. Par
exemple, après avoir reçu de l'Association canadienne des
compagnies d'assurance de personnes, toute la société canadienne
et non pas le chapitre de Québec - le chapitre de Québec, bien
sûr, a fait des commentaires dont je parlais tout à l'heure - les
associations canadiennes, après nous avoir envoyé une lettre nous
disant: C'est très bien ce que vous faites et voici un certain nombre de
propositions de changement dont nous avons adopté plusieurs d'ailleurs,
tout récemment, il y a trois ou quatre jours, on commençait
à mettre la pédale douce en disant: Vous allez bien vite au
Québec, compte tenu de ce qui se passe de l'autre côté. (11
h 40)
D'autre part, l'Association des banquiers, hier, me remettait un
mémoire qui a été rendu public ce matin disant:
Arrêtez tout au Québec. Vous devriez participer aux
négociations fédérales-provinciales pour mettre au point
une sorte de loi commune. Remarquez, qu'à l'heure actuelle, en
dépit des offres de collaboration que j'ai déjà
présentées lors d'une réunion
fédérale-provinciale des ministres des Finances, il n'y a pas
d'invitation de ce genre sur la table. Le comité qui a été
organisé en janvier dernier par M. MacLaren, à Ottawa, ne
sollicite aucune province à venir y participer. C'est un peu
embêtant de voir qu'une association de banquiers préjuge du fait
qu'il y a un cénacle fédéral-provincial pour discuter de
ces choses alors qu'il n'y en a pas.
Évidemment, il faut comprendre ce qui se passe. Nous sommes en
face d'intérêts, dans l'état actuel des lois
fédérales et dans la loi 75, je ne dirais pas qu'ils sont
incompatibles, mais ils sont très différents. Il est clair que
nous allons donner au Québec des- avantages sur le plan financier qui
sont considérables et que les sociétés sous juridiction
ailleurs qu'au Québec n'auront pas. Depuis quelque temps, je
reçois toute espèce d'articles de journaux venant d'un peu
partout au Canada qui reflètent cela de façon tout à fait
remarquable et, à certains moments, d'ailleurs, je dois dire un peu
exagérée. Le président de l'Association des banquiers
canadiens qui m'envoyait ce mémoire, hier, a déjà
indiqué dans le
Financial Times ceci. Je le citerai en anglais: "Robert Macintosh -
c'est tiré du Financial Times du 27 février dernier -president of
the Canadian Bankers Association, claims it is destructive for one province to
grant special powers to local firms. Obviously, the whole strategy is to
booster Québec based institutions." Toute la stratégie, dit M.
Macintosh - je traduis librement la dernière phrase - est
destinée à renchausser, appuyer les institutions qui sont
basées au Québec.
Oui, M. le Président, et bien sûr. Je n'ai pas fait cela
pour renchausser les entreprises du Manitoba. Je m'excuse, je suis le ministre
des Finances ici. Ce genre d'intervention, on l'a vue revenir à
plusieurs reprises au mois de mai dernier toujours -dans le Globe and Mail -de
M. Macintosh, président de l'Association des banquiers canadiens.
"Financial institutions are sap if they cannot see the game of the Pequiste
Government of Québec. We are going to tear this country to pieces if we
allow the province to continue to intervene." C'est-à-dire, les
institutions financières sont des imbéciles si elles ne peuvent
pas voir le jeu du gouvernement péquiste du Québec. Nous allons
littéralement détruire ce pays si nous permettons aux provinces
de continuer à intervenir. C'est tout de même extraordinaire. Les
pouvoirs sur certaines institutions financières que nous avons au
Québec, nous les avons toujours eus, ce n'est pas des pouvoirs que nous
avons depuis trois ans. La première Loi sur les assurances du
Québec remonte, j'imagine probablement à la fin du XIXe
siècle. Devant ce conflit, c'est-à-dire devant cette loi que nous
préparons et le mouvement que nous amorçons, il est tout à
fait clair qu'il y a un certain nombre de gens, ailleurs qu'au Québec,
qui n'aiment pas cela.
Nous avons certains commentaires charmants à cet égard et
j'allais dire tout à fait explicites de gens qui disent: Les entreprises
au Québec vont faire davantage d'argent et cela va changer les
règles de la concurrence dans tout le Canada. C'est bien possible, mais
il faudrait aussi constater que certains de ceux qui le critiquent de
l'extérieur du Québec, ce projet de loi 76, ils sont les
premiers, d'ailleurs, à reconnaître que le gouvernement
fédéral devrait bouger.
Je citerais à nouveau M. Macintosh qui m'envoyait ce document
hier en me demandant d'attendre et de ne pas bouger. Je cite toujours l'article
du Globe and Mail que je mentionnais tout à l'heure: "The situation
would not have happened if the Federal Government had had the guts to define
banking, Mr. Macintosh said. The lack of a definition in federal banking laws
left the door open for Québec to give the widest possible interpretation
to what it could do in
the financial field." Tout cela vient, dit M. Macintosh, du fait que le
gouvernement fédéral n'a pas eu les "guts" de définir ce
qu'est l'activité bancaire et c'est ce manque de définition qui
permet au Québec de donner l'interprétation la plus large quant
à ce qu'il peut faire dans le domaine financier. Voilai Nous sommes
devant un projet de loi qui, je pense, sert les intérêts des
institutions financières québécoises remarquablement et
qui provoque les réactions que je viens d'indiquer en dehors du
Québec, mais je pense que c'est compréhensible.
Il y a cependant une question qu'il faut aborder. Tout cela,
jusqu'à maintenant, peut sembler très technique et mettre en
cause l'équilibre entre les institutions financières, mais nous
n'avons pas parlé du consommateur. Il faut quand même, chaque fois
qu'on dépose un projet de loi de ce genre, se poser la question
suivante: Le consommateur sera-t-il mieux servi? Or, le fait est que,
justement, un des problèmes de la fragmentation des institutions
financières en différentes catégories, c'est que cela a
amené le consommateur à être forcé de s'adresser
à beaucoup d'intermédiaires financiers successifs pour
régler ses propres affaires. Le monde a évolué. Il fut un
temps où les transactions financières de la plupart des gens
étaient relativement simples. On prenait une police d'assurance-vie, une
police d'assurance-incendie et, pour beaucoup de gens, cela s'arrêtait
là, peut-être avec un fonds de retraite dans l'entreprise
où on travaillait.
Or, là, il s'est passé bien des choses. Une foule de gens
dans notre société ont des régimes enregistrés
d'épargne-retraite, achètent des actions, ont de l'argent
à placer - parce qu'il y a quand même pas mal de gens qui ont
commencé à avoir de l'argent à placer - veulent emprunter
des sommes assez importantes de temps à autre, autrement que par le
truchement, par exemple, d'une hypothèque. Devant la multiplicité
des besoins financiers des gens se dessine, grâce à la
déréglementation, la possibilité d'avoir - appelez cela
des magasins à rayons financiers, si l'on veut -en tout cas, des
établissements ou quelqu'un peut entrer et dire: Voici ce dont j'ai
besoin. On lui dit: Allez au guichet 3 ou allez au bureau 4 et on vous fournira
tous les services dont vous avez besoin, ou la plupart, en tout cas, des
services dont vous avez besoin. Cela me paraît un élément
important: un meilleur service au consommateur.
Deuxièmement, nous allons, bien sûr, renforcer, grâce
à des lois comme le projet de loi 75, certaines institutions
financières; elles vont devenir plus solides. Dans ce sens, cela va
contribuer à une meilleure concurrence. La concurrence entre de
très grandes entreprises financières, qu'elles soient
canadiennes, américaines ou d'envergure mondiale, et de petites
entreprises locales québécoises, ce n'est pas souvent, en tout
cas, véritablement de la concurrence. Nous avons besoin, au
Québec, d'un certain nombre d'institutions de chez nous qui ont atteint
une grande taille et qui sont en mesure de livrer une concurrence et
d'augmenter le degré de concurrence qui existe à l'heure
actuelle. La concurrence ne consiste pas à avoir quelques géants
et une multiplicité de petites entreprises. La concurrence consiste
à être en mesure d'avoir passablement d'entreprises qui ont du
muscle, des opérations diversifiées et l'aptitude à
servir, de façon diversifiée, le client. Est-ce que cela veut
dire que toutes les petites entreprises disparaîtraient? Non. Ce que cela
va amener, bien sûr, c'est le maintien d'un bon nombre de petites
entreprises, mais probablement beaucoup plus spécialisées
qu'elles ne le sont. Il ne faut pas oublier que la loi 75 n'oblige pas; elle
autorise. Nous allons sûrement avoir un certain nombre d'institutions
financières qui vont essentiellement avoir à se
spécialiser pour continuer leurs opérations, ce qui, là
encore ne serait, je pense, qu'utile dans la société où
nous vivons.
Donc, ce n'est pas seulement une loi qui a des implications
financières sur les institutions. C'est une loi qui, je pense, au fur et
à mesure que les années vont passer, va avoir des
répercussions intéressantes quant au consommateur lui-même,
au citoyen. (11 h 50)
Où allons-nous à partir de là? Je pense que la voie
est tout à fait claire. Nous devons maintenant donner aux
sociétés de fiducie des pouvoirs élargis, comme ceux qui
apparaissent dans la loi 75 à l'égard des sociétés
d'assurances. Nous allons, en somme, étape par étape, modifier un
certain nombre de lois dans un cadre plus large que celui de la loi 75,
à proprement parler. Sur quel genre de périodes de temps? Je
pense qu'il serait utile, simplement pour assurer la cohérence au
mouvement que nous donnons et pour maintenir un équilibre correct entre
les catégories d'institutions, que, d'ici un an ou un an et demi,
l'essentiel du travail soit terminé, quitte ensuite à voir de
quelle façon - ces lois ne sont jamais parfaites, n'est-ce pas? On ne
peut pas tout prévoir -la situation évolue et à
procéder, dans les années qui suivront, à des ajustements,
mais qui, à ce moment-là, seraient peut-être plus marginaux
que les changements, quand même assez fondamentaux, que représente
la loi 75.
Voilà la présentation en deuxième lecture que je
pensais devoir faire de cette loi. Je vous remercie.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le
député de Notre-Dame-de-Grâce.
M. Reed Scowen
M. Scowen: Merci, M. le Président. Nous sommes devant un
projet de déréglementation d'une partie importante d'une
industrie qui est en évolution rapide. Ce n'est certainement pas la
première ni la dernière étape de cette
déréglementation ou de ce décloisonnement. Quant à
moi, le ministre n'a pas très bien éclairé cette Chambre,
aujourd'hui, quant aux conséquences de ce projet de loi.
Au départ, je dois vous dire que, il y a quelques semaines, j'ai
demandé au ministre d'accepter de convoquer une commission parlementaire
portant sur le sujet de ce décloisonnement des institutions
financières, des quatre piliers, ce qu'il a refusé du revers de
la main. En réponse, il a dit: Laissons la mise en marche là
où elle est. Elle est trop directement dans l'intérêt du
Québec pour chercher à la reporter. Je dois vous dire que j'ai
trouvé cette attitude arrogante et mal avisée, en tenant compte
de l'importance de ce projet de loi et des conséquences pour toute la
population.
Donc, nous avons l'intention, ce matin, de soulever un certain nombre de
questions assez importantes au ministre, duquel nous allons exiger des
réponses avant de prendre position pour ou contre ce projet de loi, en
troisième lecture. Quand même, nous pouvons dire, au
départ, qu'on n'est pas ici dans le blanc ou le noir. Nous recherchons
un équilibre. Cet équilibre, le ministre croit l'avoir
trouvé dans son projet de loi. Nous recherchons un équilibre
entre la liberté d'action des compagnies et la protection du
consommateur, entre la concurrence et un désir d'éviter la
concentration excessive des pouvoirs dans les institutions, un désir de
favoriser les compagnies d'assurances sans trop défavoriser les autres
institutions financières, un désir de donner quelques droits aux
actionnaires et de les assurer, sans entraîner des coûts
administratifs trop élevés, un désir de donner aux
institutions une plus grande flexibilité en garantissant aussi la
solvabilité, une plus grande ouverture envers le reste du monde dans ces
domaines qui sont en grande transformation partout, sans permettre un
contrôle étranger trop étendu, un désir d'encourager
la diversification sans trop entraîner des conflits
d'intérêts.
Je vous donne cette liste seulement pour indiquer que nous ne sommes pas
ici dans le blanc ou le noir. C'est une question d'un juste équilibre.
C'est sur la recherche de cet équilibre et les conclusions du ministre
à la recherche de cet équilibre qu'on va juger le projet de loi.
Il est nécessaire de le juger dans le temps de même qu'à
l'endroit où cela se situe aussi. C'est cet aspect que je veux aborder
immédiatement.
Je veux répéter que cela ne doit pas être non plus
une loi de politique partisane. Je pense que le ministre, sauf pour les
quelques flèches qu'il a envoyées aux institutions centrales, a
évité cela ce matin et je vais essayer de l'éviter moi
aussi.
Je veux, au départ, remercier les membres de l'industrie, les
avocats et les autres personnes qui m'ont renseigné - et mes
collègues, dernièrement - sur les différents aspects de ce
projet de loi. J'ai bien apprécié leur collaboration.
Pour situer la proposition et l'industrie du Québec dans son
contexte, je pense que tout le monde doit comprendre que l'industrie des
institutions financières est une vaste entreprise au Canada. C'est un
secteur qui compte des actifs qui dépassent 500 000 000 000 $. Il y a
les assurances, les fiducies, les banques, les courtiers en valeurs
mobilières et d'autres institutions. Les institutions à charte
québécoise comptent pour à peu près 35% à
40% des actifs de toutes les compagnies d'assurances ici, au Québec.
Effectivement, nous avons ici des compagnies à charte
québécoise dont les sièges sociaux sont au Québec;
nous avons des compagnies québécoises à charte
fédérale, comme l'Assurance-vie Desjardins, et nous avons,
finalement, des compagnies d'assurances qui sont des compagnies de l'Ontario
surtout, comme la London, la Manufacturers, la Sun, qui sont très
importantes au Québec.
Nous avons à peu près le tiers des compagnies qui seront
touchées par le projet de loi 75. Je le dis parce que je veux qu'on
comprenne que nous avons une grande obligation à respecter sur deux
points: nous devons regarder notre situation concurrentielle, nous devons
accepter le fait que les compagnies qui sont touchées par ce projet de
loi sont minoritaires au Québec, sont minoritaires en ce qui concerne
les polices d'assurance des Québécois, mais elles sont quand
même très importantes.
Je le dis pour deux raisons: il est, premièrement, très
important que l'on offre à ces compagnies l'occasion d'entrer en
concurrence avec les autres compagnies qui font affaires ici; pour ces raisons,
on appuie en principe l'idée du ministre de déréglementer,
de décloisonner par ce projet de loi. Il faut aussi admettre que nous ne
sommes pas seuls. Si on décide de faire cavalier seul dans ce domaine,
on doit le faire pour le bénéfice de ces compagnies, mais on doit
savoir aussi qu'il y a beaucoup de détenteurs de police d'assurance au
Québec qui ne sont pas liés à ces 33 compagnies
québécoises touchées par ce projet de loi. Si on
décide de faire la guerre avec une association comme l'Association
canadienne des banquiers, il faudra attendre qu'eux, un jour, décident
de faire cavalier seul avec des conséquences qui pourraient
même être néfastes pour les compagnies qu'on veut
encourager. Il est donc essentiel qu'on se rende bien compte de la situation
concurrentielle dans laquelle les compagnies impliquées dans ce projet
de loi se trouvent.
Il faut tenir compte aussi qu'au Québec, il existe des
différences de taille entre les compagnies à charte
québécoise. Nous avons une compagnie, La Laurentienne, qui a des
actifs qui dépassent 3 000 000 000 $. Nous en avons d'autres qui sont
régies par le même projet de loi et qui ont des actifs qui ne
dépassent pas 50 000 000 $ ou encore moins. Le ministre a
brièvement mentionné que les petites compagnies vont s'arranger
en se spécialisant. Nous n'avons pas été très
impressionnés par cette analyse superficielle des conséquences
qu'un tel projet de loi peut avoir pour les petites et moyennes
sociétés ou compagnies québécoises d'assurance-vie
et d'assurances générales. Nous y reviendrons tantôt pour
poser des questions.
Je veux aussi situer le projet de loi dans le temps. Comme l'a dit le
ministre, nous sommes dans une période de grand décloisonnement
de ces quatre piliers des institutions financières partout, aux
États-Unis, en Europe et, dans un sens, dans le reste du Canada.
Même si je suis d'accord pour dire avec le ministre qu'à Ottawa,
ils vont tranquillement pas vite. Ces changements sont causés par le
développement de nouvelles technologies qui permettent le transfert des
actifs et des sommes d'argent à gauche et à droite, un peu
partout dans le monde, souvent, sans le contrôle d'aucune juridiction
politique. (12 heures)
C'est aussi une conséquence des changements dans les attitudes et
les valeurs des consommateurs. Je pense qu'un exemple spécifique, ce
sont les attitudes changeantes de la population envers les diverses formes de
produits des compagnies d'assurance-vie. Il y a aussi le désir de
plusieurs compagnies en Amérique du Nord d'intégrer leurs
activités et de faire des fusions avec d'autres. Il est impensable
d'imaginer que le gouvernement doit essayer d'empêcher cette
restructuration du marché par la réglementation. Quant à
moi, la réglementation gouvernementale doit être neutre, ne doit
ni encourager ni décourager ces changements structurels dans notre
économie, pas plus dans le domaine financier que dans n'importe quel
autre domaine de notre économie. Dans ce sens, je ne peux qu'être
en accord avec le ministre, mais j'aimerais qu'il regarde davantage d'autres
secteurs de notre économie au Québec qui sont aussi
eux-mêmes trop réglementés et qu'il applique le même
dosage de médicaments à ces industries aussi.
Comme le ministre l'a dit: Sans consultation, sauf avec lui-même,
il a décidé il y a quelques années d'amorcer cette
réforme. Je le répète: On trouve de notrecôté irresponsable qu'il l'ait fait en cachette, qu'il ait
refusé de discuter avec la population, qu'il ait refusé de
soulever les questions très importantes qui sont implicites ces
changements, et on répète qu'il n'esdanst pas trop tard pour
ouvrir tous ces changements à un plus grand débat public.
Pour répondre directement au projet de loi et aux
éléments qui y sont contenus, je vais maintenant passer à
quelques critères que, je pense, on doit regarder attentivement dans
cette évaluation. Premièrement, il faut accepter que, dans ce
projet de loi, on cherche un équilibre quant à la liberté
pour nos compagnies québécoises d'évoluer selon leurs
propres exigences et leurs propres opportunités dans le marché.
Les exigences du marché doivent être primordiales, et on doit les
laisser libres. Cependant, nous avons une autre responsabilité, parce
que la réglementation gouvernementale existe surtout pour
protéger les assurés, les actionnaires et les compagnies
elles-mêmes. Si la solvabilité des compagnies n'est pas garantie
par la réglementation gouvernementale, c'est l'industrie
québécoise qui peut en souffrir, non seulement les
détenteurs de polices d'assurance. Si nous avons une loi qui laisse trop
de trous, qui permet aux compagnies de faire les choses qui vont lesmettre en position financière difficile, c'est la
crédibilité de toute l'industrie et du gouvernement qui sera en
cause.
Je n'ai qu'à vous rappeler l'expérience malheureuse des
caisses d'entraide il y a deux ans. Vous vous souvenez combien cela peutavoir de conséquences pour l'industrie même. Il est important
pour les compagnies québécoises, autant que pour les
actionnaires, que cet équilibre ne permette pas une latitude dans la
réglementation qui conduise à des choses malheureuses pour tout
le monde.
J'aimerais examiner le projet de loi sur la base de six critères,
si vous voulez. Deux touchent la question de la liberté et quatre
touchent la question de la protection. Du côté de la
liberté des compagnies, je vais examiner le projet de loi en me
demandant si nous avons donné assez de flexibilité à ces
compagnies. Deuxièmement, je voudrais parler brièvement de la
question d'équité. Est-ce que ce sont des changements
équitables?
Du côté de la protection et de la solvabilité des
compagnies, il y a quatre éléments: la solvabilité
même - est-ce que les règlements vont garantir cette
solvabilité? - les possibilités de conflits
d'intérêts qui n'ont pas été touchées par le
ministre, les droits des actionnaires ou des "mutualistes", si vous
préférez - c'est une question importante que le ministre n'a pas
abordée dans son discours - et un aspect
secondaire mais important, soit les parties du projet de loi qui
n'étaient pas touchées, surtout toute la question des droits de
vente de ces produits qui est assez importante.
Je commence par la question de la flexibilité. Le ministre a dit
- je pense qu'on peut être d'accord - qu'il va très loin. Il a mis
une dose importante de changements dans la flexibilité qui est
accordée aux sociétés. Il a parlé brièvement
de l'État de New York qui est allé très loin. Si vous
faites une analyse comparative entre le projet du ministre des Finances et
celui de New York, vous allez voir qu'à plusieurs égards on va
même plus loin que l'État de New York qui, d'après
l'opinion du ministre lui-même, est allé beaucoup plus loin que la
plupart des États américains. Donc, s'il y a des gens qui se
posent des questions sur l'étendue de ces changements, je pense qu'on ne
peut pas les traiter d'irresponsables. Il y a des changements dans le champ
d'action des compagnies, les activités qu'elles peuvent faire. Il y a
des changements dans la manière dont elles peuvent faire leurs
investissements. Il y a des changements dans la structure financière,
autant pour le côté passif que pour le côté
actif.
Nous avons un certain nombre de questions.
La première a peut-être été un peu
éclaircie par le ministre dans son discours. Il a dit: Nous n'avons pas
l'intention de permettre aux compagnies d'assurances de prendre les
dépôts. Malheureusement, avec une rédaction malhabile ou
peut-être incompétente, qui est devenue un peu la marque de
commerce du ministère des Finances récemment, on lit, à
l'article 33.1, que toute compagnie d'assurances peut offrir des services de
dépôt. Le ministre nous dit que les mots ne veulent pas dire ce
qu'ils disent, mais, pour tous ceux qui n'étaient pas partie à la
rédaction de ce projet de loi, offrir des services de
dépôt, cela veut dire offrir des services de
dépôt.
Il y a un autre article qui donne le droit aux compagnies d'assurances
d'exercer les activités d'une compagnie de fidéicommis, au
complet. J'ai reçu l'assurance par d'autres personnes que ce
n'était pas l'intention du ministre. Il y a, finalement, un article qui
dit qu'une compagnie d'assurances peut exercer toute autre activité
autorisée par le ministre. Il nous donne une liste de sept
activités et il ajoute une clause qui lui permet d'ajouter n'importe
quelle autre activité. Je pense que le bon sens dicte qu'il aurait pu
dire simplement "exercer toute activité permise par le ministre", et il
n'aurait pas eu besoin de faire une autre liste. Il y a beaucoup de questions
à poser à ce sujet.
Il y a d'autres questions, entre autres, concernant les pourcentages
qu'il a finalement décidé d'utiliser dans ce projet de loi pour
limiter les catégories d'investissements que les compagnies peuvent
faire. Je ne vais pas tous les répéter. C'est surtout basé
sur le principe des 4% de l'actif d'une compagnie dans une seule institution,
une compagnie de qui il veut acheter les actions. Pourquoi 4%? Comment se
fait-il qu'il est arrivé à 4%? À New York, si je ne
m'abuse, c'est 2%. Nous avons l'intention de demander beaucoup
d'éclaircissement au ministre pour justifier les pourcentages qu'il a
utilisés.
Du côté du passif, il y a deux éléments qu'on
trouve inquiétants et sur lesquels on pose des questions, l'un plus que
l'autre. Il y a une capacité pour les compagnies d'augmenter leur
pouvoir d'emprunt - c'est quelque chose qu'on peut discuter - mais il y a, pour
la première fois, le droit pour des compagnies d'assurance mutuelle
d'émettre des actions privilégiées. On n'a pas
été capable de trouver une seule personne au Québec qui
soit capable de justifier cet aspect du projet de loi. Le ministre
lui-même, dans son discours, a dit qu'un des avantages d'un holding en
aval, c'est précisément parce qu'une mutuelle ne peut pas
émettre des actions et qu'un holding en aval va donner le droit à
ces compagnies de chercher du financement à l'extérieur. Dans le
projet de loi, cet aspect pose de nombreux problèmes et on n'a
trouvé personne qui soit capable de comprendre comment le ministre va
les régler.
Il y a aussi la question des holdings en aval. Ce n'est peut-être
pas une mauvaise idée, mais cela remet en question, pour nous, tout le
rôle des sociétés mutuelles et de leurs dirigeants. Cela
peut donner lieu à une espèce de "pyramidage" qu'il sera
très difficile de contrôler, même avec un inspecteur
général très compétent et bien
équipé. (12 h 10)
En résumé, nous avons une série de questions
à poser à propos de la flexibilité que le ministre propose
d'accorder. J'ai mentionné les plus importantes. Nous avons une autre
question à poser dans ce même domaine. Pourquoi le ministre a-t-il
permis aux compagnies d'assurances générales d'avoir droit aux
mêmes critères d'investissements que les compagnies
d'assurance-vie? Tout le monde accepte le fait que la structure
financière et l'échéancier des polices des compagnies
d'assurances générales ne sont pas du tout les mêmes, mais
les deux sont dans le même panier de lois et de réglementations et
il y a même des dirigeants de compagnies d'assurances
générales qui ne comprennent pas du tout pourquoi ou comment ce
projet de loi pourrait être utile à cette partie très
importante de l'industrie.
Je passe maintenant au deuxième aspect que je voulais soulever
qui touche liberté qui est donnée à ces compagnies par
ce projet de loi: la question de l'équité. Le ministre n'a
presque rien dit dans son discours. Mais je le répète: Nous
avons, au Québec, une grande diversité de compagnies en ce qui
regarde leur taille, qui sont de charte québécoise. Il y a des
compagnies qui représentent le un soixantième de la taille des
plus grandes compagnies établies chez nous et ce projet de loi va avoir
des effets très importants sur ces compagnies.
Le ministre a dit: Ce n'est pas à nous de décider ce
qu'ils vont faire. Je le comprends mais si le ministre adopte cette attitude,
à la limite, il devra dire, un jour, plus tard, quand l'Association
canadienne des banquiers proposera au gouvernement fédéral que
toutes les banques à charte au Canada aient le droit de vendre des
polices d'assurance-vie et d'assurances générales, qu'il a fait
son lit, aujourd'hui, face aux écarts entre les grandes et les petites
au Québec. Il ne peut pas légitimement dire qu'on ne peut pas
permettre aux banques à charte de vendre des polices d'assurance parce
qu'elle sont trop grandes et ont trop de pouvoir s'il a posé un geste
contraire dans l'application d'une loi qui met des compagnies qui ont 60 fois
plus d'actifs que d'autres dans le même panier de ce projet de loi.
Il y a aussi - je le répète - la nécessité
de regarder attentivement la question de l'équité entre les
compagnies d'assurances, les fiducies et les banques. Le ministre nous dit
qu'on va amender la Loi sur les fiducies peut-être dans un an ou un an et
demi. C'est assez long, un an et demi. Il y a un paquet de choses qui peuvent
arriver. Je pensais que le ministre aurait pris ses responsabilités en
déposant une loi sur les fiducies dans les prochaines semaines ou les
prochains mois. Il reste à voir si le ministre peut nous expliquer
comment cette grande distinction entre les niveaux à la recherche d'une
espèce de concurrence illimitée peut se justifier et comment il
entend mener la bataille pour les compagnies québécoises face aux
grandes institutions non seulement canadiennes, mais internationales qui vont
faire affaire ici. Il est essentiel que les choses qui sont dites à
l'intérieur du Québec au sujet de ce projet de loi puissent
être défendues à l'extérieur aussi. On ne peut pas
avoir deux poids, deux mesures; nous ne serons pas crédibles.
Je passe maintenant à l'aspect de la protection. Je dois dire que
la protection est, pour nous, l'aspect le plus important et le plus
inquiétant dans le projet de loi. Parce que le ministre, de son propre
aveu, est allé très loin dans le sens de libéraliser la
réglementation au bénéfice des sociétés, je
pense qu'il est essentiel que l'Opposition aille assez loin dans l'autre sens
afin de s'assurer que les épargnants, les détenteurs de polices,
les actionnaires dans ces compagnies soient protégés.
J'espère, mais je doute fortement que le ministre de l'Habitation
et de la Protection du consommateur va intervenir dans ce débat. Je
trouve que ce serait normal parce que la société La Laurentienne,
seulement, a 300 000 détenteurs de polices au Québec. Si le
ministre de l'Habitation et de la Protection du consommateur est absent du
débat, je pense que cela sera une indication même plus claire que
c'est malheureusement le rôle de l'Opposition de prendre la part des
centaines et des centaines de milliers de Québécois qui vont voir
leur protection changer d'une façon radicale dans ce projet de loi.
Je veux parler de cette question de la protection sous l'angle de quatre
critères, si vous voulez. Le premier, c'est la question de la
solvabilité. Comme vous le savez, on a été témoin
récemment de la faillite non seulement des caisses d'entraide, mais de
quelques compagnies d'assurances générales ici au Québec
et ailleurs. On parle de la possibilité qu'il y en ait d'autres.
Jusqu'à maintenant, le détenteur d'une police d'assurance au
Québec avait toujours l'impression que sa police d'assurance
était quelque chose de solide. Je pense qu'il faut accepter que ce
projet de loi va la rendre moins solide. Le ministre propose deux choses pour
garantir la solvabilité. Il propose une autosurveillance accrue de la
part des compagnies, le comité de vérification, une
évaluation indépendante annuelle un peu plus serrée et
d'autres aspects qu'on retrouve en général raisonnables et
acceptables.
Il y a une deuxième question sur laquelle on se pose beaucoup
plus de questions. C'est le rôle d'un inspecteur général.
Je dois vous dire que c'est l'inspecteur général des institutions
financières au Québec qui va avoir le droit d'assurer le
gouvernement, l'Assemblée nationale et la population que ces compagnies
sont gérées d'une façon responsable et que toutes ces
libertés nouvelles qu'on va leur accorder ne vont pas créer de
problème. Cela est une grosse commande. Je veux me situer dans le
contexte, parce que le poste d'inspecteur général des
institutions financières a été créé il y a
à peine 18 mois. C'est une institution toute nouvelle. Quand le ministre
l'a créée, dans son discours, il a lui-même
mentionné qu'il avait des inquiétudes quant au système
d'administration et de surveillance des institutions financières au
Québec. Il a dit: "Jusqu'ici nous n'avions vraiment pas réussi
à mettre au point le genre d'organismes, et de structures de
surveillance des institutions financières qu'il fallait."
Il disait qu'il avait remarqué à l'intérieur de
notre système de surveillance des sociétés d'assurances au
Québec - il ne
disait pas le laxisme - des possibilités de s'arranger que
traditionnellement on trouve au Québec à l'égard des
mécanismes de surveillance. Cela est inquiétant, parce que le
ministre a remarqué l'existence de ce laxisme - j'appelle cela ainsi -
il y a à peine 18 mois quand il a décidé de reconstituer
le bureau de l'inspecteur général des institutions
financières et du Surintendant des assurances. Il a dit: "Ce que nous
proposons aujourd'hui -c'était il y a à peine 18 mois - consiste
essentiellement à démanteler le ministère des Institutions
financières et des Coopératives et à le remplacer par
quelque chose qui nous paraît un peu plus efficace et un peu plus utile
que ce que nous avions jusqu'à maintenant." Le ministre lui-même,
il y a 18 mois, indiquait qu'il était très insatisfait du
système de surveillance et qu'il était obligé de le
refaire complètement. Maintenant, il donne à cette institution
toujours fragile un projet de loi qui va entraîner la
nécessité de surveiller des choses qui n'ont jamais
été surveillées.
Je pense surtout à toute cette question de regarder les
investissements et les prêts dans toutes sortes de filiales, les holdings
en aval, qui sont beaucoup plus libres que ce qu'on a dans le projet de loi
actuel. Sur la question de la possibilité de maintenir la
solvabilité de ces compagnies par les inspections et la surveillance des
institutions gouvernementales, on a besoin d'être rassurés. (12 h
20)
Un deuxième sujet qui n'est pas moins important c'est la question
des conflits d'intérêts. C'est une question qui a
été soulevée dans le mémoire soumis hier par
l'Association canadienne des banquiers au ministre et le simple fait que c'est
venu d'Ottawa ou de Toronto ne minimise pas son importance. Avec
l'élargissement des pouvoirs et du champ d'activité des
compagnies d'assurances, il est inévitable qu'on va assister à la
possibilité de conflits d'intérêts accrus. Ils existent
déjà et on peut imaginer toutes sortes de possibilités que
ces conflits d'intérêts augmentent. Je sais que ce n'est pas
l'intention de la Législature, ce n'est même pas possible
d'éviter toutes ces possibilités, mais le fait de proposer un
projet de loi semblable et de ne pas dire un seul mot ce matin au sujet
même de la préoccupation du ministre, avec les conflits
d'intérêts qui peuvent arriver et qui peuvent créer des
problèmes que même le meilleur inspecteur général au
monde ne peut pas prévenir, je trouve cela légèrement
irresponsable.
Il y a un troisième aspect de la protection qu'il faut affermir
au Québec et c'est la question des droits des actionnaires. Le ministre
a fait quelques efforts. Il y a un article dans le projet de loi qui essaie de
reconnaître davantage les droits des personnes qui sont des
détenteurs de polices d'une compagnie mutuelle ou des détenteurs
de polices de participation et de leur donner plus de
représentativité, mais, si je ne m'abuse, les
représentations qui ont été faites par les compagnies
d'assurances du Québec elles-mêmes avaient pour but d'encourager
le ministre à biffer ces articles. Elles voyaient là des
problèmes d'administration. Elles disaient que ces articles pouvaient
créer des inconvénients et elles voulaient donc que le ministre
les enlève. Reste à voir si le ministre va accepter leur
proposition, mais, même avec les articles qui sont dans le projet de loi
pour protéger et donner des droits aux personnes qui sont, finalement,
les propriétaires des épargnes investies, le ministre aurait
été obligé d'aller beaucoup plus loin qu'il ne va
même dans le projet de loi.
Il y a, par exemple, comme je l'ai dit, dans certaines de ces
compagnies, des centaines de milliers d'actionnaires, des mutualistes, entre
guillemets et on voit souvent aux assemblées générales 200
ou 300 personnes ou plus. En effet, je pense que, dans un sens, les compagnies
mutuelles veulent le meilleur des deux modes. Elles veulent continuer de garder
leur statut de compagnie mutuelle qui a, si vous parlez des principes et de la
philosophie d'une société ou d'une compagnie mutuelle, des
implications quant à la nature de la compagnie qui sont très
importantes. Entre autres choses, on peut imaginer que la responsabilité
d'une telle société doit être simplement de s'assurer que
les polices d'assurance peuvent être payées quand elles arrivent
à échéance et le fait que ces compagnies commencent
à s'installer dans d'autres genres de commerces de toutes sortes n'est
pas prévu dans l'esprit d'une mutuelle.
Je ne dis pas que c'est quelque chose de très clair, mais il y a
quand même un tas de questions qui sont posées depuis longtemps et
auxquelles on n'a jamais trouvé de réponse. Mais comment
justifier le décloisonnement pour tous les actionnaires de toutes ces
compagnies et comment s'assurer qu'ils peuvent avoir un droit de regard sur
l'administration de leur compagnie dans une industrie qui est assez complexe?
C'est là toute une autre série de questions auxquelles le
ministre n'a pas touché dans son discours. Je serais
étonné - c'est possible que je me trompe - que le ministre de
l'Habitation et de la Protection du consommateur arrive dans les prochaines
minutes pour parler en profondeur de ces questions. Je pense que c'est un
aspect auquel le gouvernement n'a simplement pas touché et pour lequel
il n'a manifesté aucun intérêt jusqu'à
maintenant.
Finalement, dans la Loi sur les assurances, il y a le chapitre VI qui
parle
des responsabilités et de la réglementation des agents et
des courtiers. La distribution de ces produits d'assurance est assujettie
aujourd'hui à des bouleversements aussi radicaux que l'industrie ou les
compagnies. Pas un mot n'est dit sur cet aspect. Il y a un article dans le
chapitre VI - je pense que c'est l'article 334 - qui donne la permission au
Surintendant des assurances d'approuver des activités additionnelles de
la part des agents et des courtiers. Mais quelles sont les activités
additionnelles qu'on leur permettra de faire? Qu'est-ce qu'on va faire avec les
compagnies qui vont commencer à utiliser leur propre personnel
plutôt qu'un agent ou un courtier? Toutes ces questions sont très
importantes dans le sens où vous voulez suivre l'évolution du
marché de ces produits qui n'est pas touchée du tout.
Voilà pour les grandes questions.
Il y a des sujets additionnels qui sont aussi soulevés dans le
projet de loi. Je vais mentionner les plus importants et les moins importants.
Je pense qu'il faut simplement rappeler au ministre que nous avons l'intention
de poser aussi quelques questions sur ces derniers.
Il y a la nécessité de revoir la législation, ici
à l'Assemblée nationale, tous les cinq ans. Chapeau! Je trouve
que c'est une initiative qui suit un peu la politique bancaire d'Ottawa qui est
bonne. Il y a une nouvelle série de règles pour la constitution
d'une corporation, incluant le capital qui doit être versé au
départ. Il y a des personnes qui trouvent que le chiffre de 3 000 000 $
mentionné par le ministre est excessif; d'autres trouvent que ce n'est
pas assez. Sur ce point, on pourra discuter du problème avec le
ministre.
Il y a le transfert de la responsabilité du gouvernement au
ministre pour la création et la surveillance de ces compagnies avec
lequel on est en accord. Par ailleurs, il y a un élément que je
dois mentionner ici en passant et c'est un point absent du projet de loi. Le
chapitre IV du titre 3 touche les sociétés mutuelles et les
sociétés de secours mutuel, les petites sociétés
mutuelles, qu'on retrouve un peu partout au Québec. Le ministre ne les a
pas mentionnées. Pour ma part, je pense à ces compagnies parce
qu'elles sont présentes ici depuis longtemps. Elles sont bien
enracinées dans notre système d'institutions financières.
Avec le projet de loi qui va rendre les grandes compagnies beaucoup plus
concurrentielles, ces compagnies vont voir leur rentabilité et leur
marché touchés d'une façon directe. Nous aimerions savoir
pourquoi le ministre n'a pas touché cet aspect très important
pour essayer de rendre plus souple le fonctionnement de ces petites compagnies
qui sont quand môme très importantes. Est-ce qu'il ne pense pas
que faire l'une sans faire l'autre peut créer des distorsions et des
problèmes très importants?
En conclusion, nous pouvons dire, comme point de départ, que nous
trouvons que le ministre a raison de proposer un amendement à la Loi sur
les assurances à ce moment-ci. Je trouve aussi que l'orientation
générale est bonne. Qu'on appelle cela le décloisonnement,
qu'on appelle cela la déréglementation ou une nouvelle
réglementation, c'est assez clair. La direction est bonne. C'est
pourquoi nous avons l'intention d'appuyer le projet de loi en deuxième
lecture.
Quand même, nous avons un nombre très important
d'interrogations dont quelques-unes sont plus importantes que les autres. Au
bénéfice du ministre, je vais les énumérer avant de
terminer. Premièrement, l'équité entre les grandes
compagnies, les petites compagnies et les autres institutions
financières, ici et au Canada, et les effets qu'une telle
démarche unilatérale, sans consultation avec le
fédéral, peuvent avoir dans l'avenir. En effet, quand vous faites
quelque chose unilatéralement, il faut attendre une réaction qui
sera probablement unalitérale à son tour. Est-ce que le ministre
a pensé à ces possibilités et aux effets que cela peut
avoir pour les mêmes compagnies qu'on veut aider aujourd'hui? (12 h
30)
Deuxième question: Pourquoi ce projet de loi, conçu pour
les compagnies d'assurance-vie surtout, va-t-il s'appliquer aux compagnies
d'assurances générales?
Troisième question: Quelles sont les possibilités de
conflit d'intérêts à l'intérieur des nouvelles
compagnies qui vont voir le jour à la suite de cette loi?
Quatrième question: Toutes les questions qui touchent le droit
des actionnaires.
Cinquième question: Pourquoi ne pas avoir prévu quelque
chose pour le contrôle et la réglementation des ventes?
J'arrive au moment le plus important de ma réplique. L'aspect le
plus important sur lequel nous avons l'intention d'insister est celui-ci. Je
dois dire à ce moment-ci que nous allons insister à un point tel
que, si nous ne sommes pas satisfaits, nous avons l'intention de le dire
vigoureusement et publiquement lors du débat sur le rapport de la
commission parlementaire ici, en Chambre, et en troisième lecture. On
s'intéresse à la protection du consommateur et aux
détenteurs de polices au Québec. Si le ministre ne peut nous
satisfaire, si les droits et la sécurité de ces personnes,
Québécois et Québécoises, ne sont pas
protégés d'une façon adéquate par ce projet de loi,
on va le dire ici, en Chambre, lors de l'étude en troisième
lecture.
Pour que ce soit très clair, cinq aspects nous inquiètent
beaucoup: 1) le droit d'une société mutuelle d'émettre des
actions
privilégiées; 2) le pourcentage en équité,
en immobilier, en filiale, en holding en aval, en toutes sortes de choses,
toutes sortes d'investissements qu'on ne peut réaliser vite, au besoin;
est-ce que les pourcentages assez généreux sont justifiés?
3) les problèmes que peut entraîner la création des
holdings, ce qui peut possiblement encourager les dirigeants de ces entreprises
à oublier les épargnants et les actionnaires dans les
sociétés au profit d'une course à la gloire dans plusieurs
domaines économiques; 4) une meilleure définition des champs
d'activité prévus à l'article 33.1, que j'ai
déjà mentionnée; 5) une assurance de la capacité de
surveillance du bureau de l'inspecteur général.
Je répète que si, sur ces points, le ministre ne peut
rassurer l'Opposition, après avoir refusé de convoquer une
commission parlementaire, après avoir négligé d'en parler
dans son discours - je suis presque certain qu'on aura droit à un
discours du ministre de la Protection du consommateur qui va nous indiquer que
le gouvernement n'a pas pensé à cela non plus - si, à la
fin de ce débat, il reste encore des inquiétudes, nous sommes
profondément convaincus que nous avons la responsabilité
d'éviter un autre désastre financier des épargnes des
Québécois. Nous allons souligner ces points d'une façon
vigoureuse et soutenue.
En attendant que le ministre puisse nous rassurer, je lui souhaite bonne
chance avec son projet de loi.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député
de Roberval et adjoint parlementaire du ministre des Finances.
M. Michel Gauthier
M. Gauthier: Je suis un peu, beaucoup, profondément
déçu de l'intervention de mon bon ami et collègue, le
député de Notre-Dame-de-Grâce, car je me serais attendu, au
cours d'un débat en deuxième lecture, qu'il nous dise, comme
porte-parole officiel de l'Opposition en cette matière, si l'Opposition
était pour ou contre le principe. Bien sûr, normalement, les
règles parlementaires veulent qu'on discute du principe d'un projet de
loi à ce moment-ci. Les règles parlementaires veulent
également qu'on évite de faire l'étude de la loi article
par article, mais il m'a semblé, sauf le respect que je dois à
mon collègue, que c'était là l'essentiel du propos qu'il
tenait. Il s'est posé énormément de questions, mais des
questions qui avaient trait à des aspects très fragmentaires de
la loi sans véritablement indiquer les véritables couleurs, les
véritables intérêts qu'entend défendre le parti de
l'Opposition dans ce débat. Bien sûr, on nous a entretenus de la
protection du consommateur. C'est une chose à laquelle nous avons
songé et pour laquelle nous avons prévu un certain nombre de
mesures, mais fort peu sur le principe lui-même.
Il y a un projet de loi qui prévoit un décloisonnement -
je préfère le terme "décloisonnement" à celui de
"déréglementation" dans le domaine financier. Tellement souvent
a-t-on eu l'occasion dans cette Chambre d'entendre des discours fort
intéressants et fort pertinents sur une déréglementation,
sur un élargissement du champ d'activité dans différents
domaines que j'aurais cru que, devant ce geste extrêmement important pour
l'avenir des institutions financières québécoises, ce
geste extrêmement important également dans le service aux citoyens
du Québec, l'Opposition se serait dite enchantée du principe
même de déréglementer un secteur d'activité qui,
malheureusement, depuis trop longtemps, vit ou évolue dans le même
cadre législatif. On reviendra plus tard aux interventions et aux
interrogations du député de Notre-Dame-de-Grâce, si le
temps nous le permet, pour présenter à la population l'essentiel
de ce qui doit être compris dans ce projet de loi.
Il fut un temps hélas trop rapproché, où les
activités financières de la plupart des Québécois
étaient réduites, à toutes fins utiles, à
échanger leur chèque de paie à la fin de la semaine,
à faire un dépôt souvent modeste dans une caisse populaire
et à se payer, bien malgré soi dans certaines circonstances, un
fonds de retraite. C'était à peu près dans bien des cas
l'essentiel de notre activité économique. Pendant ce temps,
d'autres, soit en raison de facteurs historiques ou pour des questions de
formation, investissaient. D'autres personnes ici au Québec ou au Canada
s'intéressaient davantage à l'ensemble des activités du
monde financier. Il aura fallu attendre la révolution tranquille au
Québec, avec l'accroissement de la scolarité des gens et un
éveil plus particulier autour des questions financières,
principalement autour des thèmes de prise en main des
Québécois, de l'économie même du Québec par
les Québécois, il aura fallu attendre, dis-je, toute cette
période assez longue pour que l'évolution fasse en sorte que les
Québécois soient maintenant de grands consommateurs de produits
financiers. On se rappellera le succès phénoménal du
régime d'épargne-actions que le ministre des Finances a introduit
dans un récent budget et qui a fait en sorte que ces
Québécois et ces Québécoises qui, auparavant,
étaient en minorité à investir dans le domaine du
financement des entreprises, se sont tout à coup montrés
intéressés à une nouvelle activité d'ordre
financier. (12 h 40)
Compte tenu de cette évolution sociale, compte tenu de cet
intérêt manifeste des Québécois à mieux
gérer leur portefeuille, puisque de plus en plus de
Québécois ont maintenant un portefeuille à gérer,
que ce soit dans le domaine des assurances, de l'achat d'actions, d'obligations
ou de toute autre activité financière, il fallait bien ajuster
tout le système financier aux services nouvellement exigés.
Également, on a fait état tout à l'heure de la triste
expérience, de la dure expérience des caisses d'entraide
économique. Il aura peut-être fallu une expérience aussi
dure pour montrer l'urgence de retoucher en profondeur l'ensemble du
fonctionnement du système financier québécois et du
contrôle financier.
Dans cette perspective, le gouvernement a présenté un
ensemble de mesures législatives dont le projet de loi 75 est partie
intégrante et il y aura également une suite dans d'autres
domaines du monde financier. Qu'il me suffise de rappeler aux citoyens la
création, l'an dernier, du bureau de l'inspecteur général
qui était un premier geste, peut-être le plus spectaculaire
à ce moment-là, de rajeunissement et de modernisation de tout
l'appareil de contrôle et de surveillance pour assurer la
sécurité des citoyens qui semblait tant préoccuper le
député de Notre-Dame-de-Grâce. Cette structure nouvelle du
bureau de l'inspecteur général a permis, en simplifiant bien des
procédures, en simplifiant aussi l'appareil, la complexité de
l'appareil, d'assurer un contrôle unifié des institutions
financières, un contrôle qui est beaucoup plus sérieux, qui
est beaucoup plus rigide à certaines occasions et qui permet une
meilleure protection du public et en même temps aussi aux institutions
financières, à cause de la légèreté des
services offerts, de penser à d'autres activités, se sachant
mieux encadrées, mieux protégées et mieux
surveillées de la part du gouvernement. Il y a eu également la
Loi sur les valeurs mobilières et la Loi sur l'assurance
dépôts. Il y a eu quelques mesures législatives importantes
qui étaient les premiers pas dans cette perspective d'adapter le
système financier aux besoins nouveaux des Québécois et
des Québécoises qui, maintenant, gèrent des portefeuilles.
C'étaient les premières étapes.
Il y a aussi des changements à venir. Je reviendrai tout à
l'heure sur le projet de loi 75, mais il y a une loi qui s'en vient sur les
caisses d'épargne et de crédit, qui est attendue par cette
section du monde financier avec beaucoup d'impatience. Il y aura
également une loi sur les sociétés de fiducie ainsi qu'un
certain nombre de modifications qui seront apportées aux lois pour
faciliter tout le travail de surveillance de l'inspecteur
général.
Dans un contexte où, déjà, des pas
législatifs importants ont été faits pour adapter le
système aux Québécois et aux Québécoises
épargnants, gérants de portefeuille - il y a aussi d'autres pas
à venir - nous voilà au coeur du débat sur le principe
d'accepter le projet de loi 75, celui qui permet et qui donne aux compagnies
d'assurances des pouvoirs beaucoup plus étendus et beaucoup plus
adaptés à ce nouveau contexte.
Le projet de loi permettra un certain nombre de choses aux compagnies
d'assurances qu'il convient de rappeler rapidement et que nous aurons
l'occasion, pour le bénéfice du député de
Notre-Dame-de-Grâce qui se pose des questions très
légitimes à ce sujet, d'expliquer davantage en commission
parlementaire, à l'étude article par article. Nous l'aurons
l'occasion de préciser la nature de toutes ces activités
nouvelles afin de satisfaire pleinement tous ceux qui pourraient se poser des
questions.
Cependant, les compagnies d'assurances pourront dorénavant
exercer certaines activités de fiducie, par exemple, pour la gestion des
fonds de retraite et également des activités de fiducie qui
permettront de gérer des montants d'argent qu'ils ont
déjà, des montants d'assurances.
M. le Président, les compagnies d'assurances pourront
également offrir un service de garde des valeurs, ce qui n'est pas
possible actuellement. Ce projet de loi permettra également à ces
géants du monde financier que sont les compagnies d'assurances de faire
- c'est peut-être là un aspect extrêmement
intéressant de la loi - la mise en marché de produits financiers
offerts par d'autres institutions. Bref, cela leur permettra d'élargir
leur champ d'action aux besoins des Québécois et des
Québécoises qui épargnent, qui ont de l'argent à
placer, qui ont des emprunts à faire, qui veulent gérer
convenablement leur portefeuille. Ils pourront également faire de la
gestion d'immeubles. Cela n'était pas autorisé avant. Il y avait
énormément de dispositions législatives qui étaient
contraignantes à ce niveau. Ils pourront faire du prêt
hypothécaire conjoint. Ils pourront étendre leurs
activités, multiplier les occasions de faire fructifier l'argent de ceux
et celles qui leur confient leurs économies.
Outre ces aspects techniques, il y a un certain nombre d'effets qui vont
être produits par la loi 75. Tout d'abord, comme on le sait, il y a des
compagnies qui sont à charte fédérale, d'autres, à
charte provinciale. Il y a des compagnies qui sont de l'extérieur du
Québec, d'autres du Québec même, qui ont leur siège
social ici et dont la majeure partie des activités se déroulent
ici. Les effets de la loi seront certainement d'intéresser davantage
d'institutions financières d'abord à posséder une charte
du Québec parce que la loi vise ces entreprises.
Cela intéressera également les entreprises à avoir
des activités réelles au Québec, à être
présentes, à être des entreprises
québécoises. Cette loi 75 permettra à des entreprises
québécoises qui appartiennent à des
Québécois de conserver la ou les premières places dans le
monde financier, de conserver une place prépondérante, place
qu'on a voulu qu'elles occupent bien consciemment.
Les Québécois et les Québécoises sont fiers
de savoir que des entreprises québécoises sont dans les
premières positions dans le monde financier. Ce sont des géants
du monde financier. Je pense qu'elles trouvent correct que leur gouvernement se
préoccupe que ces mêmes institutions conservent leur place
privilégiée et, même, améliorent, si c'est possible,
leur position concurrentielle sur les marchés financiers. Le temps est
fini où la finance se faisait par les autres et où les
Québécois se contentaient des travaux d'autre nature. Maintenant,
chacun et chacune des citoyens et citoyennes du Québec est conscient que
le monde financier, ce n'est pas sorcier; on est capable d'y occuper une place
et le gouvernement doit faire en sorte de protéger nos institutions pour
que la place qu'on y occupe s'améliore constamment.
Également, M. le Président, cela permettra à des
entreprises qui ont des surplus importants d'argent de placer de façon
plus polyvalente cet argent, dé travailler différemment avec les
économies des contribuables. Cela est souhaitable. Cela permettra
à d'autres entreprises d'aller se chercher des fonds, d'aller se
chercher le capital nécessaire pour prendre une expansion à
laquelle ils ont droit et qui est bien légitimement
désirée.
Je me servirai d'une traduction d'un article du Financial Times, du 27
février, où on faisait état de la
déréglementation qui se produit au Québec maintenant. On
va essayer de voir de quelle façon, si les effets qu'on prévoit
dans la loi sont perçus comme ça outre frontières.
Premièrement, M. MacLaren, ministre d'État aux Finances dans le
cabinet fédéral, avait désigné une commission
consultative chargée d'étudier la question. La réaction
n'a pas tardé, puisque M. Jean-Pierre Bernier, qui est conseiller
auprès de l'Association canadienne des assureurs-vie, a dit: Plus
MacLaren attend, plus notre agonie se prolonge. Ce qui se fait actuellement au
Québec nous rappelle tout simplement depuis combien de temps nous
attendons du gouvernement - fédéral, dans ce cas - qu'il modifie
nos lois. Je peux dire qu'un conseiller spécial auprès de
l'Association canadienne des assureurs-vie regardant ce qui se passe au
Québec rappelle que cela fait 50 ans qu'il n'y a pas eu de modification
importante dans ces lois et que le fait que le ministre d'État au
fédéral attende pour mettre sur pied un comité
d'étude a prolongé l'agonie des compagnies d'assurances. Je crois
que cela prouve une chose c'est que les entreprises québécoises
à partir de la même logique devraient, normalement,
bénéficier très largement d'une
déréglementation comme celle qu'on étudie aujourd'hui. (12
h 50)
On cesse leur agonie. On leur permet de se mettre à la page,
selon les dires mêmes d'un conseiller spécial auprès de
l'Association canadienne des assureurs-vie. Également, les pouvoirs
spéciaux qui sont donnés aux entreprises du Québec dans le
domaine des assurances sont perçus dans cet article comme un geste
destructif parce que, en quelque sorte, c'est un soutien aux entreprises
québécoises. On dit: Le président de l'Association des
banquiers canadiens, M. Macintosh, affirme que l'octroi par une province de
pouvoirs spéciaux aux entreprises relevant d'elle est un geste
destructif. Pourquoi est-ce un geste destructif? Manifestement, dit-il, toute
cette stratégie vise à soutenir les institutions
québécoises. Pour le président de l'Association des
banquiers canadiens, tout projet de loi qui vise à soutenir les
institutions québécoises plus rapidement qu'on ne le fait
ailleurs est un geste destructif. Il va falloir que certains des citoyens et
des citoyennes qui nous écoutent se posent des questions quant à
la perception que certaines personnes du monde financier canadien ont du
développement au Québec. Le moins qu'on puisse dire, en tout cas,
c'est qu'on peut s'interroger là-dessus.
Également, une troisième citation du même article.
Celle-là est tout à fait particulière. M. John Rhind, le
président de la compagnie Confederation Life de Toronto, se dit inquiet
par les mesures prises par le Québec parce que, selon lui, celles-ci
pourraient entraîner une expansion soudaine des affaires dans la province
de Québec et susciter le chaos dans le système financier. M. le
Président, encore là, si les mesures qui sont susceptibles
d'entraîner une expansion soudaine des affaires au Québec
sèment le chaos dans le monde financier canadien, ne devrait-on pas se
poser des questions comme citoyens du Québec? Ne devrait-on pas se
demander si ceux et celles qui n'osent pas se prononcer en faveur du principe
d'une déréglementation au Québec et, par la même
occasion, n'osent pas se prononcer sur le principe d'un élargissement
des affaires financières au Québec et par le fait même,
leur intérêt serait d'éviter qu'on ne fasse le chaos dans
le monde financier? Trop longtemps, au Québec, il y a eu des gens qui
ont empêché les Québécois et les
Québécoises de faire le chaos dans le monde financier. Cette
période est terminée. Le gouvernement du Québec,
désirant soutenir les nouvelles préoccupations des
Québécoises et des Québécois qui sont
maintenant
devenus des épargnants, des hommes d'affaires et des femmes
d'affaires, va de l'avant et rajeunit les institutions financières. En
terminant, M. le Président - puisque vous m'indiquez que mon temps
achève, malheureusement - je dois dire que, si ce projet de loi est bon
pour les entreprises... Et les titres des journaux le prouvent: "Le projet de
loi 75 pourra générer une explosion des affaires pour les
institutions québécoises." C'est le Devoir économique.
"Parizeau exaucera la plupart des voeux des sociétés d'assurances
à charte québécoise". Les affaires du samedi 24 mars.
C'est un projet de loi qui est bon pour les institutions financières
québécoises, qui va amener une explosion des affaires dans les
institutions financières québécoises, qui se soucie
également de donner aux citoyens et aux citoyennes du Québec la
protection et les services dont ils ont besoin dans la perspective d'une prise
en charge de leur économie. Si voter pour un principe de loi comme
celui-là, c'est semer le chaos dans le système canadien, ce
gouvernement est bien prêt, à l'avantage des
Québécoises et des Québécois, à semer le
chaos dans le monde financier canadien. Merci, M. le Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Le député de
Notre-Dame-de-Grâce m'a demandé, en vertu de l'article 205, de
faire une brève intervention prévue par l'article.
M. Scowen: C'est en vertu de l'article 205 de notre
règlement, M. le Président, qui permet à un
député de donner une brève explication sur des propos qui
ont été mal compris ou déformés. Je ne ferai aucun
commentaire sur la qualité du discours du député qui m'a
précédé, mais, au début de son discours, il a
prétendu qu'au nom de mon parti je n'avais pas parlé du principe
du projet de loi et que je n'avais pas pris position pour le parti sur le
projet de loi. Je dois lui dire que j'ai parlé pendant au moins cinq
minutes de notre appui au principe de ce projet de loi. J'ai donné une
longue série de raisons expliquant notre appui. J'ai annoncé que
le Parti libéral, l'Opposition, avait l'intention de voter pour ce
projet de loi en deuxième lecture. S'il ne m'a pas écouté,
il me fera plaisir de le refaire n'importe quand.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député
de Vaudreuil-Soulanges.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): M. le Président,
étant donné l'heure à laquelle nous nous trouvons, je
demanderais la suspension du débat, quitte à réserver mon
intervention lorsque nous reviendrons à la séance suivante.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Merci.
Adopté. M. le leader adjoint du gouvernement.
Adoption de rapports de commissions
M. Blouin: Conformément à l'article 259, paragraphe
2, nous devons mettre aux voix les rapports des commissions qui ont
procédé à l'étude détaillée de
projets de loi privés qui ont été déposés ce
matin. Après m'être entendu à ce sujet avec le leader de
l'Opposition, nous en proposons maintenant l'adoption.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Cette motion est-elle
adoptée?
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Adopté.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Adopté.
M. Blouin: Je propose alors que nous suspendions nos travaux
jusqu'à 15 heures.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Cette motion est-elle
adoptée? Adopté. Donc, suspension de nos travaux jusqu'à
15 heures.
(Suspension de la séance à 12 h 57)
(Reprise de la séance à 15 h 3)
Le Vice-Président (M. Rancourt): À l'ordre, s'il
vous plaît!
Veuillez prendre place. M. le ministre.
M. Brassard: M. le Président, je comprends que c'est le
député de Vaudreuil-Soulanges qui a demandé la suspension
du débat.
Projet de loi 75
Reprise du débat sur l'adoption du
principe
Le Vice-Président (M. Rancourt): Nous allons donc
poursuivre sur l'adoption du principe du projet de loi 75, Loi modifiant la Loi
sur les assurances et d'autres dispositions législatives. M. le
député de Vaudreuil-Soulanges.
M. Daniel Johnson
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Je vous remercie, M. le
Président. Je suis content, comme beaucoup d'entre nous ici, qu'il y ait
eu une suspension de quelques heures depuis que le député de
Roberval a parlé; cela va me permettre, même à cause de la
provocation dont il a fait preuve, de parler un peu moins longtemps de lui et
un
peu plus longtemps du projet de loi. Je vais dire tout de suite, comme
mon collègue de Notre-Dame-de-Grâce l'a dit et comme le ministre
d'ailleurs, que nous sommes pour le principe de cette loi 75 et que nous allons
voter pour ce principe en deuxième lecture.
Je dirais même que nous avons expliqué - je le ferai quant
à moi et mon collègue de Notre-Dame-de-Grâce l'a
certainement fait -beaucoup plus longuement que le ministre, et de façon
beaucoup plus organisée et cohérente, pourquoi nous sommes pour
ce projet de loi en deuxième lecture. On attend encore, du
côté des ministériels, les raisons qui
démontreraient qu'ils comprennent quelque chose au marché
financier et qui font qu'ils acceptent d'appuyer ce projet de loi. Une chose
est certaine, le député de Roberval a manifesté
très rapidement quelles étaient les limites de ses connaissances;
il a remplacé son discours d'appui au principe de ce projet de loi par
une charge à fond de train, dont lui-même et quelques-uns de ses
collègues ont le secret, quant à l'existence d'un régime
de services financiers partout au Canada.
Je n'en veux comme exemple que la façon dont il a
interprété les oppositions que manifestent notamment les
banquiers à ce qu'ils disent être un morcellement du marché
financier parce que le Québec, à ce moment-ci, fait un pas en
avant - je le dis, c'est pour cela qu'on appuie le projet de loi -solitaire,
sans coordination avec le fédéral qui, incidemment, ne bouge pas
tellement rapidement, et sans coordination avec d'autres provinces. Ce dont se
plaignent les institutions financières canadiennes, c'est qu'on n'en
soit pas encore rendu à un degré de coordination qui permettrait
à tout le monde d'avancer à la même vitesse, donc, de
s'assurer d'un certain équilibre. Ce n'est pas une charge à fond
de train contre le Québec que font par exemple les banques et leurs
représentants, c'est une charge ou très certainement une
série de plaintes particulièrement virulentes dans certains cas
à l'endroit du morcellement potentiel que les provinces, les dix
provinces prises individuellement, pourraient créer sur le marché
financier.
Je n'en prends qu'un seul exemple et on verra, en l'occurrence, qu'il
n'est pas de l'intérêt du Québec de procéder de
cette façon quant à un autre secteur, celui du courtage en
valeurs mobilières, les courtiers qui nous vendent des actions. Le
décloisonnement, la déréglementation permettrait - la Loi
sur les assurances le confirme - à des compagnies qui ne sont pas des
courtiers en valeurs d'acheter plus de 10% des actions d'un courtier en
valeurs. Or, dans tout le Canada, ces règlements ne sont pas
changés. Les règlements administrés par l'Association des
courtiers en valeurs, le corps réglementaire de ces mêmes
courtiers - on ne parle pas de gouvernement - prévoit qu'il ne faut pas,
pour des raisons de conflit d'intérêts, pour toutes sortes de
raisons, qu'un courtier en valeurs soit la propriété, quant
à plus de 10%, d'une seule personne. L'effet pour une compagnie
d'assurance du Québec d'acheter plus de 10% d'une boîte de
courtage en actions fait en sorte que cette boîte, basée au
Québec, dont la propriété quant à plus de 10% est
dans les mains d'une seule personne ne peut fonctionner ailleurs qu'au
Québec. Je ne trouve pas que ce soit à l'avantage d'un courtier
en valeurs de limiter son marché au marché
québécois. Quand on parle de morcellement, d'absence de
coordination, c'est à ces choses-là qu'on pense. À tel
point que, d'ailleurs, une compagnie d'assurances, La Laurentienne, a
acheté une participation dans une maison de courtage, mais elle a
limité son intervention financière à moins de 10%,
parfaitement consciente que les règlements de l'industrie n'ont pas
encore changé pour permettre un décloisonnement plus massif que
celui qui existe aujourd'hui au Canada.
Deuxièmement - et vous verrez pourquoi nous sommes pour le projet
de loi 75 - je refuse d'accepter ce que le député de Roberval a
dit, que les Québécois étaient des ignorants et des
rétrogrades en matière d'administration financière, en
matière de compétence dans le monde des affaires jusqu'à
l'arrivée du PQ au pouvoir. C'est essentiellement l'objet des propos du
député de Roberval tout à l'heure qui prétend que,
jusqu'à ce que le PQ arrive au pouvoir, les Québécois
n'étaient nulle part en matière de services financiers, qu'on
avait absolument de gens comme lui qui ne connaissent rien là-dedans
pour nous développer.
Il y a des maisons qui sont rendues aujourd'hui à des stades de
développement tel dans certaines industries de services financiers que
c'est manifestement depuis 10 ans, 15 ans ou 20 ans que ces
sociétés sont en train de se développer. Donc, le projet
de loi 75 reflète beaucoup plus une réalité
financière, une réalité du monde des affaires qui s'est
bâti depuis 20 ou 25 ans. C'est dans ce sens que la loi 75, étant
donné qu'elle permet à des sociétés de se lancer
dans des activités beaucoup plus diversifiées, de faire des
acquisitions qu'autrement elles ne pouvaient pas faire, de permettre aux
consommateurs d'avoir accès à certains services au même
endroit, en théorie, ce qui était impossible autrefois, c'est
pour cela que, les conditions du côté de l'industrie, du
côté de l'offre de services étant maintenant
réunies, la loi reflète cette réalité. Elle
reflète cette réalité des compétences nouvelles
qu'on retrouve quand même depuis presque une génération au
Québec dans des institutions financières qui administrent
l'épargne des Québécois, des institutions
financières qui ont créé des instruments
nouveaux d'épargne pour répondre à certains
éléments de changement, la sophistication et la
préparation des consommateurs comme tels, qui peuvent avoir des besoins
nouveaux, mais également dans beaucoup de cas, y compris ce que le
député et le ministre avant lui ont cité, le fait que la
complexité incroyable des impôts un peu partout en
Amérique, dans le monde moderne, a rendu presque nécessaire
l'utilisation de formules extrêmement compliquées pour les gens
qui veulent faire des investissements à un coût raisonnable.
De cette façon, on a vu qu'à la longue des maisons de
spécialistes - comme on l'a souligné un peu plus tôt - se
sont amenées, sont maintenant dans le portrait et que, par ailleurs, on
s'en va également dans la direction où de grands groupes
contrôlés par quelques personnes, sur la force des épargnes
de centaines de milliers de Québécois, sont en mesure de mettre
leurs ressources au bénéfice des consommateurs par des programmes
de formation beaucoup plus complets afin de rendre un meilleur service. C'est
cela la loi de la concurrence. Si on veut s'assurer que l'épargne des
Québécois soit attirée vers certains véhicules - il
y a déjà dans le marché des maisons de spécialistes
qui s'adressent à ces services -les très grandes maisons doivent
faire un effort de formation et s'assurer de la meilleure compétence
possible de leurs représentants, de leurs employés qui transigent
avec le public. De cette façon, on en arrive à avoir un
marché extrêmement complet où il y en a pour tout le monde.
Dans l'intérêt du consommateur, c'est très certainement ce
qu'il faut avoir à l'esprit. Est-ce que le consommateur,
l'épargnant, qui a besoin de différents services financiers a
devant lui un marché où il y a quand même assez de
variété et où il pourra se servir selon ses besoins?
C'est vrai qu'on est en train d'offrir beaucoup de variété
aux consommateurs, mais ce que j'aimerais dire à ce moment-ci, c'est que
la loi, qui reflète, comme je le disais, l'état de
préparation des institutions financières, précède
beaucoup le marché. Le marché, les consommateurs, les
épargnants n'en sont pas encore rendus à être
grimpés dans les rideaux ou sur les toits de leur maison pour
réclamer le décloisonnement des institutions financières.
C'est parce que les institutions sont prêtes à offrir ce service,
que la technologie de communication requise est en place ou peut l'être
très rapidement, que le degré de technologie d'information
nécessaire pour l'administration de sociétés regroupant
toutes sortes de services financiers est disponible, que des gens sont
formés pour l'administrer. C'est ce qui est en train d'arriver. Ce ne
sont pas les consommateurs qui sont en train de demander que le projet de loi
75 soit adopté le plus rapidement possible. Chose certaine dans ce cas,
si ce n'est pas parce que les consommateurs réclament que des compagnies
regroupent sous leur parapluie un tas de services financiers ce n'est
très certainement pas pour s'assurer, comme on peut le dire à
quelques reprises, comme on a pu le voir, pour créer ce qu'on appelle en
anglais un "one stop financial market", c'est-à-dire ce que le ministre
appelait un magasin à rayons qui, sous un même toit, regrouperait
tous les services financiers possibles et imaginables pour les
consommateurs.
La loi 75 n'a donc pas véritablement cet effet. C'est beaucoup
plus par des permissions qu'elle donne maintenant. Elle donne à des
sociétés, qui sentent qu'elles en ont les moyens et la
capacité, l'occasion de se diversifier, de ne plus être une simple
mutuelle d'assurances mais également d'avoir un intérêt
dans une compagnie de courtage, dans une compagnie de fiducie et, à la
lecture même du projet de loi, une compagnie mutuelle d'assurances
pourrait être propriétaire de plusieurs magasins McDonald ou de
dépanneurs ou de quoi que ce soit jusqu'à certaines limites de
pourcentages de ses actifs.
Donc, à mon sens, ce qui est susceptible de se produire à
moyen terme très certainement, c'est d'assister à une
diversification des sociétés d'assurances, notamment les
sociétés mutuelles d'assurances qui vont se servir des
dispositions permissives qui sont dans la loi maintenant afin de modifier les
caractéristiques qu'on leur connaît maintenant.
Mais cela appelle un commentaire, à savoir si toutes les
sociétés d'assurances vont pouvoir se diversifier de cette
façon. La loi ne fait aucune distinction entre les différentes
sortes de compagnies d'assurance-vie, d'assurances générales.
Elle ne fait pas de différence quant à la grosseur. Mon
collègue de Notre-Dame-de-Grâce a souligné que certaines
ont 50 000 000 $ d'actif. La plus grosse a 3 000 000 000 $ d'actif parmi la
trentaine de sociétés qui peuvent se prévaloir de ces
dispositions. Il y en a qui sont 60 fois plus grosses que d'autres dans le
marché. Il faut donc voir quelles sont celles qui sentent qu'elles ont
les capacités, l'expérience, la compétence de se
diversifier.
Mais il existe un risque là-dedans. On peut éternellement
faire confiance à des gens qui ont bâti des grosses entreprises
qui les ont fait prospérer, qui en ont fait bénéficier les
épargnants, sauf que, si on permet à tous, quel que soit le
degré de compétence et de capacité de se diversifier
qu'ils ont atteint, de le faire, on devra nécessairement s'assurer que
les plus polyvalents, les plus compétents le feront, en s'assurant, par
ailleurs, que ceux qui ne pourraient peut-être pas le faire avec autant
de succès soient mieux surveillés et contrôlés.
C'est à ce titre que nous avons surtout parlé de notre
appui au principe, évidemment. Je viens de dire pourquoi: l'industrie
est prête et c'est souhaitable. Nous espérons très
certainement que le ministre, dans sa réplique, pourra commencer
à ouvrir des voies de réponse à nos questions. Nous avons
parlé de la nécessité du contrôle et de la
surveillance de ces institutions. Contrôle parce que c'est primordial.
Tout le succès des services financiers repose sur le degré de
confiance que les consommateurs peuvent avoir dans la survie, la
solvabilité, la qualité de l'administration, la qualité
des succès possibles, la performance en général qu'une
société qui administre nos épargnes peut atteindre. Dans
ce sens, c'est tellement important de jouer avec l'épargne des gens, car
l'épargne, c'est ce qui reste lorsqu'on a gagné sa vie, qu'on a
payé pour des besoins essentiels, qu'on a commencé à
dépenser pour se loger et toutes ces choses. Il en reste quelquefois un
peu. On l'épargne et on compte dessus pour plus tard. C'est ce morceau
de travail, si on veut, qu'on met de côté pour l'avenir afin de se
procurer une protection pour sa famille, pour ses biens ou pour sa
retraite.
C'est à ce titre qu'il est parfaitement important, surtout
parfaitement pertinent d'abord, de parler des mesures de contrôle et de
surveillance qui doivent être importantes, qui doivent être, je
dirais, un souci constant d'un gouvernement responsable à l'égard
de la façon dont les sociétés qui administrent nos
épargnes se comportent. Cette surveillance peut prendre deux formes: des
éléments de contrôle qu'on retrouve dans la loi; les
plafonds d'investissements qu'une société visée par la loi
75 peut atteindre: 4% des actifs de cette société au maximum dans
une seule filiale, à titre d'exemple, ou 15% des actifs d'une telle
société dans une forme, un ensemble d'activités
composé de plusieurs filiales. C'est ce genre de limites qui ont
été fixées dans la loi et qu'on y retrouve et qui se
distinguent - on aura des réponses éventuellement, je le
présume, du ministre - de la législation, fort progressive
déjà, que l'État de New York a adoptée sur
laquelle, à maints égards, le projet de loi 75 est calqué.
Les seuils d'investissement permis dans l'État de New York pour les
sociétés d'assurances semblables à celles visées
par le projet de loi 75 sont respectivement de 2% et 10%, alors que c'est de 4%
et de 15% qu'on parle ici dans le projet de loi 75. De cette façon, on
peut par la loi fixer certains mécanismes ou seuils de
contrôle.
On peut également le faire par les institutions qu'on met en
place. Au point de vue de la surveillance de ces institutions, il s'agit,
évidemment, de l'Inspecteur général des institutions
financières dont il faut souhaiter, pour un sain équilibre, pour
un maintien de la confiance dans la santé de nos institutions
financières, qu'il sera doté des ressources adéquates, des
moyens, des budgets, des inspecteurs et des programmes de formation, parce que
le marché change beaucoup. Nous parlions de nouveaux instruments de
services financiers. Il faudrait quand même que le contrôleur et
l'inspecteur soient au moins aussi compétents que ceux qui offrent au
consommateur ces nouveaux services financiers.
Donc, nous avons parlé assez longuement des questions qui nous
préoccupaient quant aux mécanismes de contrôle et de
surveillance qui viendront compléter le projet de loi 75 qui, dans son
principe même, n'appelle pas de discussions. Quant à moi, c'est un
progrès. Cela reflète l'état d'avance, de succès
d'un grand nombre, de quelques dizaines d'institutions financières
basées ici au Québec. Dans ce sens, je ne vois pas pourquoi on
devrait s'opposer à ce que des gens qui ont démontré leur
compétence grâce à leurs talents - comme on peut le voir
d'après la croissance de ces entreprises et le succès qu'elles
ont connu -puissent se diversifier s'ils peuvent le faire avec
compétence, offrir ainsi une gamme plus large de services aux
consommateurs.
(15 h 20)
Mais je reviens au point initial: les consommateurs n'ont pas
demandé de changement. Les consommateurs, donc, doivent être
assurés, devant les effets de concentration, auxquels on ne peut
absolument pas échapper, entre les mains d'un nombre restreint de
personnes de certains pouvoirs d'administrer notre épargne, que ces
pouvoirs qui ont des effets directs sur le degré de concurrence, donc,
sur la liberté de choix du consommateur, doivent être l'objet de
certains contrôles et de certains mécanismes de surveillance sur
lesquels nous entendons passer un peu de temps, chose certaine, en commission
parlementaire.
Tout en ayant à l'esprit, en conclusion, qu'en matière de
services financiers il faut s'assurer qu'on maintient un équilibre, on
aura un marché complet, un marché efficace s'il y a, d'une part,
un certain choix pour les consommateurs et, d'autre part, un maintien de la
confiance des consommateurs que toutes les sortes de services financiers leur
sont disponibles, qu'ils sont également encadrés et donnent les
mêmes chances aux mêmes coureurs ou à des coureurs qui sont
sur la même piste.
C'est dans ce sens-là que nous avions, à l'origine,
trouvé que le ministre, quant à la loi 75, allait très
rapidement, beaucoup trop rapidement, dans la mesure où on n'avait
encore rien fait ou rien décidé quant aux sociétés
de fiducie. Encore une fois, ce sont des institutions très fortes qui
administrent des milliards de dollars
d'épargne au Québec, qui sont contrôlées par
des sièges sociaux ici même au Québec, en nombre croissant
- même situation que dans le monde de l'assurance - mais qui, du jour au
lendemain, le lendemain de l'adoption de la loi 75, de son entrée en
vigueur, seront désavantagées parce qu'il y aura maintenant dans
le portrait des institutions qui auront le droit de se lancer dans toutes
sortes de services financiers pendant que d'autres institutions, alors qu'elles
pourront être l'objet de tentatives de prise de contrôle par des
sociétés d'assurances, ne pourront pas, quant à elles,
diversifier leurs services autant que les sociétés
d'assurances.
Dans ce sens-là, nous prétendions que le ministre allait
trop rapidement, étant donné qu'il n'allait que dans une seule
voie à la fois, alors que les sociétés de fiducie
également réclament le même genre de traitement. Le
ministre nous a promis que, d'ici un an, un an et demi, il verrait à
faire adopter des modifications aux lois constitutives qui régissent les
sociétés de fiducie, de telle sorte qu'elles pourront, elles
aussi, profiter des efforts, des pas en avant que la
déréglementation ou le décloisonnement fait depuis
quelques années. Sauf que tout ce que je sais des promesses du ministre
des Finances, c'est que les livres blancs se font attendre malgré des
promesses répétées, que la loi sur le Vérificateur
général remonte maintenant, quant à sa promesse de
révision, à 1977. Sept ans, cela me paraît très
long. Le ministre parle d'un an ou d'un an et demi. Nous le prions, cette
fois-ci, de faire diligence, après lui avoir demandé de retarder,
afin que tout ce paquet de diversifications de nos services financiers, qui
reflètent la nouvelle réalité de la compétence des
Québécois dans ces matières, que cet équilibre
entre les différents services financiers soit maintenu. Je vous
remercie, M. le Président.
Une voix: Très bien.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le
député de Roberval.
M. Gauthier: En vertu de l'article 205 du règlement,
j'aimerais corriger brièvement certains propos que le
député de Vaudreuil-Soulanges m'a attribués au
début de son intervention. Le député de
Vaudreuil-Soulanges a dit que le député de Roberval avait
affirmé que les Québécois étaient des ignorants
dans le monde financier. Ce que j'ai dit, effectivement - j'ai la
vérification ici - c'est que de plus en plus de Québécois
étaient impliqués dans le domaine, entre autres, de l'achat
d'actions à cause du programme d'épargne-actions du ministre.
J'ai également dit que les Québécois étaient de
plus en plus habiles et impliqués dans le monde financier et que, pour
cela, il fallait apporter les ajustements législatifs qu'on apporte
aujourd'hui. J'ai dit également, en terminant, que même si outre
Outaouais on disait que provoquer une explosion d'affaires au Québec,
c'était faire le chaos...
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Question de règlement,
M. le Président.
Le Vice-Président (M. Rancourt): S'il vous plaît;
J'ai un rappel au règlement du député de
Vaudreuil-Soulanges.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): En vertu de l'article du
règlement qu'invoque le député, il s'agit de
rétablir les paroles qu'il aurait dites et à l'égard
desquelles il aurait été mal cité. Il répète
essentiellement les mêmes propos qu'il a tenus un peu plus tôt
aujourd'hui. Je ne vois pas en quoi il redresse quoi que ce soit.
Le Vice-Président (M. Rancourt): Pour la bonne
compréhension de chacun, l'article 205 se lit comme suit: "Tout
député estimant que ses propos ont été mal compris
ou déformés peut donner de très brèves explications
sur le discours qu'il a prononcé."
Deuxième paragraphe: "II doit donner ces explications
immédiatement après l'intervention qui les suscite", tel que M.
le député de Roberval l'a fait. "Elles ne doivent apporter aucun
élément nouveau à la discussion, ni susciter de
débat."
Je prie donc le député de Roberval de ne rien ajouter
à ce qu'il a déjà dit.
M. Gauthier: J'avais terminé, M. le Président, sauf
qu'on a coupé ma dernière phrase. Je voudrais simplement la
compléter, tel que me le permet le règlement.
Le Vice-Président (M. Rancourt): Rapidement, M. le
député.
M. Gauthier: J'avais dit que, même si de l'autre
côté de l'Outaouais, on disait que cette loi provoquerait beaucoup
d'affaires au Québec et que cela créerait le chaos dans les
marchés financiers canadiens, ce gouvernement était prêt,
à cette condition, à créer le chaos.
Le Vice-Président (M. Rancourt): Un nouvel intervenant, M.
le député de Shefford.
M. Roger Paré
M. Paré: Merci, M. le Président. Il me fait
plaisir, à mon tour, d'intervenir quelques minutes sur le projet de loi
75, Loi modifiant la Loi sur les assurances et d'autres dispositions
législatives. Le projet de loi 75, à mon avis, est très
important parce qu'il a justement pour objet d'élargir les pouvoirs des
compagnies d'assurances et
d'adapter en conséquence la surveillance et les contrôles
des institutions financières. C'est important, il ne faut pas se le
cacher, étant donné qu'il faut s'assurer un juste contrôle
sur l'épargne de tous les Québécois et de toutes les
Québécoises. Pour s'assurer cette surveillance et ce
contrôle, on retient dans la loi, entre autres, qu'on oblige tous les
assureurs à former un comité de vérification au sein de
leur conseil d'administration et à aviser sans délai l'Inspecteur
général des institutions financières de la
démission, du non-renouvellement de mandat ou de la destitution en cours
de mandat du vérificateur ou de l'actuaire responsable de
l'évaluation.
On s'aperçoit donc que si, par la loi 75, on donne à nos
institutions financières québécoises plus de pouvoirs,
c'est pour s'assurer en même temps une vérification et un
contrôle afin que l'épargne des Québécois soit entre
bonnes mains et afin qu'il n'y ait pas plus de danger pour les gens de
continuer à placer leur argent.
Il est aussi important de rappeler que la loi donne des pouvoirs
à beaucoup d'entreprises, parce qu'il y a au Québec
présentement 33 compagnies d'assurances à charte
québécoise et les actifs de ces 33 compagnies sont
d'au-delà de 3 300 000 000 $. C'est un montant d'actif excessivement
important pour ces entreprises et c'est de l'argent qui doit être
précisément réinvesti au Québec.
Dans le domaine financier, à mon avis, les
Québécois ont déjà fait leurs preuves. On n'a
qu'à penser à quelques entreprises pour s'en rendre compte. Qu'on
pense aux caisses populaires Desjardins, qu'on retrouve sur tout le territoire
québécois au service des Québécois et qui
gèrent des dizaines de milliards de dollars, en plus d'être
partout, comme je viens de le dire, et d'offrir toute une gamme de services aux
Québécois. Donc, on a fait nos preuves sur l'ensemble du
territoire.
Il y a la Caisse de dépôt et placement aussi,
gérée par les Québécois et qui a une force telle
aujourd'hui que même le gouvernement fédéral se sent
obligé d'intervenir pour l'empêcher de prendre le contrôle
de certaines grandes entreprises pancanadiennes. Il y a aussi la
Société générale de financement qui gère un
portefeuille - et je pense que c'est important de le rappeler à certains
moments - qui est presque l'équivalent de celui de Power Corporation.
Dans le domaine des finances, les Québécois ont donc fait leurs
preuves. Ils sont capables, ils l'ont prouvé de façon tangible au
sein des entreprises que je viens de nommer, mais aussi au sein de beaucoup
d'autres entreprises, dont les 33 compagnies d'assurances à charte
québécoise. (15 h 30)
Si l'expérience est reconnue, la capacité a
été prouvée, les institutions, à l'heure actuelle,
sont prêtes à ces changements. À titre d'exemple,
j'aimerais seulement citer quelques coupures de journaux - je pense que c'est
important de le faire. On en retrouvait un écho dans le journal "Les
Affaires" du samedi 24 mars 1984, sous le titre "Parizeau exaucera la plupart
des voeux des sociétés d'assurances à charte
québécoise." On ajoutait que "Le ministre est prêt à
satisfaire à peu près à toutes les demandes des compagnies
d'assurances à charte québécoise." On retrouvait aussi le
titre suivant dans le journal "La Presse" de Montréal du jeudi 26 avril
1984: "Les assureurs ne craignent pas les supermarchés financiers." On
peut y lire: "Les compagnies d'assurances ne craignent pas la formation de
supermarchés financiers avec décloisonnement des secteurs
d'activité à l'exemple américain, car elles sont
présentement déjà dans la quasi-totalité des
familles canadiennes avec leurs douze millions d'assurés.
Il ne faut pas s'inquiéter de la venue du projet de loi 75, parce
que, comme je viens de le citer avec des exemples d'extraits de journaux, les
entreprises sont prêtes et désirent ces changements et ce que fait
le ministre en proposant le projet de loi 75 répond, finalement,
à des demandes et à des besoins.
Vous savez que notre système financier repose, en fait, sur
quatre piliers qui sont, entre autres, les banques et les caisses populaires,
les fiducies, les sociétés d'assurances et les courtiers en
valeurs mobilières. Il est évident que, pour que ces quatre
piliers puissent fonctionner et donner un service complet à l'ensemble
des citoyens qui investissent leur argent, il doit y avoir des normes et une
réglementation. La réglementation des institutions
financières est née et s'est propagée un peu partout dans
le monde pour atteindre deux objectifs principaux. De ces douze objectifs le
premier est de protéger les consommateurs et d'instaurer la confiance
dans le système financier. C'est la première des choses; c'est
important, parce que c'est l'argent, précisément, des
consommateurs qui est déposé dans ces institutions qui forment
les quatre piliers de notre système financier.
Le deuxième objectif principal, c'est de permettre aux
différentes institutions financières de répondre aux
besoins de l'offre et de la demande de capitaux sur la base d'une saine
concurrence. C'est évident qu'il faut permettre aussi à ces
entreprises qui gèrent l'argent des contribuables d'être bien
gérées et de faire des profits avec cet argent, de façon
à donner un meilleur service à toute la collectivité.
Pour atteindre ces deux objectifs, le ministre des Finances a
présenté, depuis
quelques années, plusieurs projets de loi. Le dernier qu'on est
en train de discuter, c'est le projet de loi 75, mais il y en a eu plusieurs au
cours des dernières années et je pense qu'il serait bon,
brièvement, d'en rappeler quelques-uns.
Il y a eu la Loi sur les sociétés d'entraide
économique sanctionnée en 1981, la Loi sur
l'assurance-dépôts, adoptée en 1981; la Loi concernant
certaines caisses d'entraide économique, adoptée en 1982; la Loi
sur les coopératives, sanctionnée en juin 1982, la Loi sur les
valeurs mobilières et la Loi sur l'Inspecteur général des
institutions financières, en 1982 et, finalement, en 1983, la Loi
modifiant la Loi sur l'assurance-dépôts. Comme on peut le voir, au
ministère responsable des institutions financières on s'occupe
vraiment de ce secteur d'activité qui est primordial. Il ne faut pas
oublier -c'est reconnu - que les Québécois sont des gens qui
économisent beaucoup et, par le fait qu'on économise beaucoup et
qu'on dépose l'argent dans des institutions qui, souvent, sont
contrôlées par des gens de l'extérieur du Québec,
cela fait en sorte que les Québécois sont exportateurs d'argent.
Les Québécois sont reconnus comme un des peuples au monde qui
s'assurent le plus. Si on met notre argent entre les mains de
sociétés, c'est normal qu'on s'assure que ces
sociétés vont l'administrer le mieux possible, que les
sociétés vont aussi être en mesure de faire fructifier le
plus possible cet argent et aussi de participer au développement
économique du Québec avec l'argent qu'elles ont à leur
disposition.
Comme on l'a vu, l'ensemble du secteur est prêt à ces
changements. Le projet de loi 75 vient s'insérer dans un ensemble de
mesures, de lois adoptées depuis 1980. Aujourd'hui, on complète
ou on continue, parce que ce ne sera pas tout à fait complet. D'autres
mesures devront venir au cours de l'automne 1984 et en 1985, mais on va dans le
même sens de donner plus de pouvoirs aux institutions
québécoises.
Le projet de loi 75, qu'on étudie présentement, est
basé ou repose sur plusieurs points importants. Entre autres, on profite
de l'expérience vécue avec les caisses d'entraide
économique. C'est évident qu'il fallait en tenir compte et cela
nous permet d'apporter des changements. On tient compte aussi de la Loi
canadienne sur les banques. Pour l'élaboration du projet de loi 75, on a
tenu compte du projet de loi fédéral sur la révision de la
Loi sur les compagnies fiduciaires et, évidemment, de la réforme
de la législation de l'État de New York qui a été
adoptée en juillet 1983. Ce n'est pas quelque chose qui n'a pas
été étudié ou quelque chose qui apporte beaucoup de
risques. C'est un changement qui a fait ses preuves ailleurs, aux
États-Unis, et qu'on retrouve même à l'intérieur de
certaines lois fédérales qui n'ont pas été
adoptées, mais qui font quand même partie de projets de
révision. Ce sont des choses qui, à mon avis, vont dans la bonne
direction.
Le projet de loi 75 permet aux institutions québécoises de
mieux répondre aux besoins nouveaux du marché. Il ne faut pas
l'oublier, il faut que nos institutions se modernisent, parce que les besoins
des contribuables, des consommateurs, des épargnants
québécois changent. C'est comme le reste.
Il y a une foule de choses qui changent dans la société
québécoise. C'est sûr qu'il y a le vieillissement de la
population. Donc, si la population vieillit, peut-être qu'il y aura moins
de constructions résidentielles; s'il y a moins de ménages, c'est
évident. Il y a donc le vieillissement de la population qui vient
changer une foule de choses. Il y a le développement industriel et
commercial aussi qui est changeant, qui évolue constamment. Il y a le
fait qu'on offre continuellement de nouveaux programmes financiers, que ce
soient les régimes d'épargne-retraite, que ce soient les
régimes d'épargne-actions. Il y a aussi la diversification des
produits financiers. Cela évolue continuellement, constamment.
Finalement, ce que fait le projet de loi 75, c'est qu'il vient nous
permettre de moderniser, d'adapter nos institutions financières
québécoises, de répondre aux besoins de 1984. À mon
avis, c'est clair et net dans le projet de loi 75, cela va permettre aux
institutions d'assurances québécoises, les compagnies
d'assurances à charte québécoise, de participer à
l'expansion économique du Québec. Si on est en pleine relance, si
on a besoin d'argent, si on a besoin d'investir chez nous, faisons-le par
l'entremise d'institutions financières québécoises.
Pour ce faire, le projet de loi 75 accorde aux compagnies d'assurances,
que ce soient des compagnies d'assurances de personnes ou des compagnies
d'assurances générales, le pouvoir d'exercer les activités
non reliées à l'assurance, donc d'exercer de nouvelles
activités qui étaient réservées à d'autres
auparavant.
À titre d'exemple des nouveaux pouvoirs qui sont accordés
aux sociétés d'assurances à charte
québécoise, il y a les pouvoirs d'emprunt qui sont
élargis. Il y a les pouvoirs d'hypothéquer qui, eux, sont
limités. Il est maintenant autorisé par le projet de loi 75
d'émettre des obligations non garanties et les restrictions concernant
le capital-actions sont abolies. Ce sont quelques-uns des points importants du
projet de loi 75 qui permettent ainsi aux entreprises d'avoir plus de pouvoir,
d'exercer d'autres activités qui vont leur permettre, comme je le disais
tantôt, de répondre mieux aux besoins des Québécois,
de gens qui mettent leur argent dans ces entreprises,
mais qui vont surtout permettre précisément aux
sociétés d'assurances à charte québécoise de
participer à l'expansion économique du Québec.
M. le Président, grâce au projet de loi 75, les
consommateurs peuvent effectuer toutes leurs transactions financières au
même endroit, donc à un guichet unique. Dans un contexte moderne
comme celui qu'on connaît en Amérique du Nord, dans un contexte de
1984 où on connaît les guichets automatiques, où la
rapidité est à la mode, où les gens veulent avoir un
service complet partout où c'est possible dans des domaines similaires,
au niveau des investissements, à partir de maintenant, il y aura un
guichet unique. On pourra effectuer toutes ses transactions financières
à un seul et même endroit grâce au projet de loi 75.
Comme je le disais un peu plus tôt dans mon intervention, ceci
permettra progressivement la création de supermarchés financiers
qui offriront une gamme complète de services financiers. Ces changements
profonds éviteront des démarches aux épargnants, leur
permettant de trouver au même endroit tous les services auxquels Us sont
en droit de s'attendre, et favoriseront la concertation des institutions
financières et la naissance, je l'espère, d'un nouveau
géant dans ce domaine.
De plus, il était écrit dans le projet de loi, et c'est
retenu que les compagnies d'assurances à charte fédérale
ou d'une autre province pourront être converties en compagnies à
charte québécoise si elles y sont habilitées par la loi en
vertu de laquelle elles sont formées. J'espère que cela va se
produire sur une grande échelle pour permettre précisément
qu'au Québec on investisse davantage et qu'il y ait de plus en plus
d'entreprises de ce genre qui puissent profiter de la loi 75, pour le
développement économique de tout le Québec. (15 h 40)
Ainsi, grâce à cette loi, le Québec se met à
l'heure des États-Unis. Encore une fois, dans un secteur aussi
névralgique que le domaine traitant des institutions financières
donc du capital de l'investissement de l'argent, le Québec innove et
donne l'exemple aux autres gouvernements du pays. J'en suis fier et je suis
certain que ce sera un autre levier important pour le développement
économique du Québec. C'est la raison pour laquelle je vais voter
avec fierté pour le projet de loi 75. Merci.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le
député de Nelligan.
M. Clifford Lincoln
M. Lincoln: À l'instar de mes collègues, qui ont
parlé sur ce projet de loi, le député de
Notre-Dame-de-Grâce et le député de
Vaudreuil-Soulanges, je suis certain que tous ceux qui ont
étudié ce projet de loi ou qui ont travaillé dans ce
domaine se réjouissent du principe d'une libéralisation d'un
secteur qui, pendant beaucoup d'années, a été
surréglementé, il faut l'admettre, et qui a peut-être
été surprotégé. Il est un fait que le mouvement
mondial tend à déréglementer le secteur des assurances
comme le secteur financier des compagnies de fiducie, des banques, etc. On a vu
ici même au Canada le grand départ, par exemple, du secteur
banquier ce qui a permis à une soixantaine de banques
étrangères de venir s'établir chez nous et faire
concurrence à nos banques à charte dans de nombreux secteurs. En
fait, le secteur des banques s'élargit de plus en plus avec les
conditions favorables qui sont faites à ces banques
étrangères pour transiger.
Ce mouvement, de déréglementation graduelle de tout notre
système économique, nous les libéraux qui nous plaignons
que le gouvernement s'ingère de plus en plus dans les affaires des
compagnies privées, nous ne pouvons que nous en réjouir. Le fond
même du principe, de créer un secteur d'assurances qui sera moins
réglementé, qui aura plus de flexibilité, de favoriser nos
compagnies d'assurances au Québec qui ont démontré au
cours des années beaucoup d'innovation, beaucoup d'intelligence et qui
ont fait une concurrence à la fois innovatrice, originale à des
compagnies étrangères beaucoup plus grosses qu'elles-mêmes,
tout ce qui pourrait solidifier ce secteur, tout ce qui pourrait le rendre plus
dynamique, plus diversifié dans ses actions, nous ne pouvons que nous en
réjouir.
Tout de même, nous ne pourrions passer sous silence, comme
Opposition, les avantages à quelque chose, comme ce projet de loi dont
le principe est sûrement un pas en avant. Il y a aussi beaucoup de choses
qu'il faudrait souligner, mais il y a toujours l'autre côté de la
médaille qui est peut-être plus important surtout lorsqu'on a
tendance, comme l'a fait le député de Shefford, à regarder
seulement le côté de la médaille qui présente les
avantages d'un projet de loi. On a peut-être tendance à oublier
qu'un projet de loi de 450 articles, est de nature à susciter beaucoup
de questions. Il me semble que c'est notre rôle ici et non pas seulement
de dire: bon, c'est très bien, il faut déréglementer les
compagnies d'assurances; l'État de New York l'a fait, le
fédéral va le faire bientôt. Nous on est à
l'avant-garde, on le fait, et, à ce moment, on se dit bon, on va se
donner une médaille parce qu'on est à l'avant-garde du
progrès au Québec et il faut le faire avant les autres. Il faut
le faire parce que c'est la chose qui va décupler le pouvoir de nos
compagnies d'assurances, de nous créer un supermarché financier
où toutes nos transactions pourront se faire au
même guichet. On dit: tout est pour le mieux dans le meilleur des
mondes.
Je pense qu'il y a des questions fondamentales qu'il faut se poser,
qu'il faut poser au ministre des Finances avant que le projet de loi ne soit
étudié article par article pour que nous puissions savoir
vraiment si les anxiétés, si aux questions que se sont
posé mes collègues ici - le député de
Notre-Dame-de-Grâce et le député de Vaudreuil-Soulanges -
on aura des réponses étoffées et si on va pouvoir
répondre à nos préoccupations quant à ce projet de
loi.
En fait, la question clé, c'est le système
économique dans lequel nous vivons. Le système économique
ne se vit pas en vase clos. Les compagnies d'assurances, comme tous les
secteurs de services, sont, par la nature même de leurs affaires, le
secteur le plus internationalisé qui existe au monde. C'est
peut-être les compagnies d'assurances qui sont le secteur le plus
international qui existe dans le commerce international, parce que l'assurance
n'existe que par rapport à la réassurance. La réassurance
n'existe que par rapport à la réassurance des réassureurs.
C'est un secteur qui, vraiment, s'échelonne dans tous les pays. Ce n'est
pas un secteur qu'on peut réduire et mettre en vase clos. C'est un
secteur immense, vaste, où toutes les compagnies d'assurances
s'entretiennent et s'enchevêtrent dans un secteur de réassurance
qui est immense et qui est à l'échelle mondiale.
Donc, même le sens profond de l'assurance est international. C'est
certainement un sens interprovincial. Ce qui, peut-être, nous incite
à nous interroger, c'est le fait de dire: Ici, nous avons des compagnies
à charte provinciale et alors là, la charte
québécoise qu'il faudra favoriser par ce projet de loi,
naturellement, c'est bénéfique pour notre société
québécoise; donc, nous allons les appuyer. Là, nous sommes
tout à fait d'accord, mais, en posant ce geste, il faut nous dire aussi
qu'en créant un genre de "cross holdings", de compagnies de fiducie, de
compagnies financières, de compagnies d'assurances, de notre Caisse de
dépôt qui est enchevêtrée dans toutes celles des
grosses sociétés multinationales - par exemple, Power
Corporation, qui a des intérêts très significatifs dans
certaines compagnies d'assurance-vie et autres - on met sur pied un grand
secteur de supermarchés financiers, comme l'a décrit un peu le
député de Shefford, qui a des avantages en vertu du projet de loi
75.
Il faut donc se dire que ce genre de chose est une forme quelconque
d'une espèce de politique d'achat chez nous, un genre de protectionnisme
dans l'industrie des services qui, en même temps, donne l'idée
à d'autres de faire la même chose. On peut concevoir qu'à
la longue, la même chose se fera dans les autres provinces. On a
déjà vu, dans l'État de New York, que la chose s'est
faite. Mais là, il faut ouvrir une parenthèse. Par exemple, dans
l'État de New York, où un projet similaire a été
fait, la question des chartes des compagnies aux États-Unis est bien
moins dictincte qu'elle ne l'est au Québec et au Canada, où on a
des compagnies à charte provinciale et à charte
fédérale. Là, il faudrait se poser la question suivante:
Qu'arrive-t-il aux compagnies qui ont des chartes étrangères et
qui ont apporté un acquis vraiment positif au développement des
investissements au Québec? On peut parler de la Prudentielle
d'Amérique ou des grosses compagnies d'assurance-vie ou d'assurance
générale américaines et autres qui sont arrivées
ici, qui sont de bons citoyens corporatifs, qui ont investi des millions et des
centaines de millions, peut-être même des milliards de dollars au
cours des années dans notre économie. Va-t-on en arriver,
à un moment donné, à faire un genre de compromis qui ne
les défavorisera pas par rapport à leurs acquis comme citoyens
corporatifs chez nous?
Il faut se dire que nous aussi, on va vendre chez nous, que nous aussi,
à un moment donné, quand on aura créé notre
supermarché financier, où on aura des "cross holdings" de toutes
ces compagnies bancaires, de fiducie, d'assurances, de finance, lesautres aussi feront la même chose et qu'il faudra transiger avec
elles. Nous nous demandons en même temps, comme l'a souligné mon
collègue de Vaudreuil-Soulanges, si, en créant ce genre de grand
système financier où les compagnies d'assurances, de fiducie et
autres compagnies financières vont s'enchevêtrer dans un grand
système, on ne va pas en même temps priver le consommateur d'une
concurrence qu'on essaie de provoquer par le projet de loi 75. Peut-être
que le paradoxe même du projet de loi 75 sera de créer un genre de
monopole où les plus gros de ce système, qui ont des actifs
parfois quatre ou cinq fois plus gros que les actifs des plus petits, se
trouveront presque dans une situation de monopole, où ils pourront
investir à leur gré dans un système qui sera beaucoup plus
libre, où un genre de déréglementation va favoriser les
gros au détriment des petits, faire un monopole où toutes les
compagnies de fiducie, les compagnies financières, les grosses
compagnies d'assurances, vont détenir un tel pouvoir dans le
marché qu'elles vont pratiquement être en position de
délimiter les coûts que paieront les consommateurs. (15 h 50)
Est-ce qu'il ne faut pas se poser la question: comment allons-nous
permettre que ce monopole ne se crée pas? Le député de
Shefford disait: Peut-être qu'il faudrait élargir la loi 75 pour
permettre à toutes les compagnies des autres provinces, aux compagnies
étrangères de venir ici. Mais
alors, là, il faudrait savoir comment on va faire cela et
favoriser en même temps nos compagnies québécoises. C'est
la grande question. On ne peut pas avoir les deux. Il faut établir un
certain équilibre à un moment donné. Il faut se demander
comment cet équilibre se fera. Il faudra aussi se demander, comme l'a
déjà fait mon collègue de Notre-Dame-de-Grâce, si on
parle d'un guichet financier unique, comme le soulignait le
député de Shefford tout à l'heure, où quelqu'un va
faire le "shopping" de toutes ses affaires financières, que ce soient de
l'épargne-actions, que ce soit des polices d'assurance, que ce soit du
crédit-bail ou des dépôts financiers dans un système
où une compagnie d'assurances sera la même chose qu'une banque,
sera la même chose qu'une compagnie de fiducie. Si l'on crée un
système d'uniformité à un moment donné où on
aura un guichet unique, il faut alors se poser une question: Quand nous avons
au Canada un système de banques à charte fédérale
qui est tellement puissant - car il y a des compagnies qui ont des actifs de
milliards et de milliards de dollars, qui concurrenceront peut-être avec
une toute petite compagnie d'assurances dont l'actif sera de 50 000 000 $ - qui
va gagner cette bataille de guichet unique?
Est-ce que, précisément, le système que nous
favorisons, où nous essayons de favoriser l'industrie de chez nous, sera
maintenant en compétition avec des superbanques qui vont, elles aussi,
pouvoir entrer sur ce marché financier, si la logique suit le cours des
choses? On ne peut pas faire une déréglementation dans un seul
sens. Toute déréglementation doit se faire sur une échelle
uniforme, d'une façon logique. Autrement, ce n'est pas de la
déréglementation. Si on commence cela dans un secteur, il faut le
poursuivre dans tous les secteurs, comme on l'a fait dans les secteurs
fiduciaires et autres, ici et ailleurs.
C'est là qu'à un moment donné il faudra qu'il y ait
une étude approfondie de ce qui se fait là-dedans. Cela m'avait
frappé, en lisant le rapport de l'État de New York sur toute la
question de la déréglementation de l'industrie de l'assurance
à New York... Le rapport soulignait ceci et je pense que cela vaut la
peine d'être cité: "Moreover, we do not pretend to be able to
foresee the changes in the world of financial services that may take place in
the future. For these reasons, we believe that the Insurance Board should
provide the Superintendant, the Governor of the State and the legislature with
supplementary studies and advices on the questions that we have suggested for
further study. In addition, we believe that it should monitor the economic and
regulatory setup affecting financial institutions and recommend any further
changes in insurance law that may be needed to keep New York domicile
compagnies strong and competitive". Ils finissent par dire: "And to protect
policy holders and consumers".
En fait, dans l'étude new-yorkaise, c'est la constatation
première de dire: Ce qu'il faut d'abord faire, par notre
déréglementation, c'est de ne pas oublier la personne pour
laquelle les compagnies d'assurances oeuvrent en premier lieu, la personne pour
laquelle, nous, comme gouvernement, nous servons en fait. C'est la personne qui
s'assure, le client, le consommateur. En fait, on citait ici l'historique de
l'État de New York. C'est un historique riche en protection du
consommateur où l'État de New York, pardessus tout, a eu un
historique d'une protection du consommateur par rapport à l'industrie de
l'assurance qui va très loin et qui a été très
rigide à un certain moment et qui continue à être rigide.
Ce rapport fait état de l'association très étroite qu'il y
a entre le surintendant des assurances à New York, qui a des pouvoirs
très grands au sein de la commission de l'assurance de New York, et les
mouvements de consommateurs, soit les deux grands mouvements de consommateurs
dans l'État de New York qui sont soutenus par l'État, le Consumer
Protection Board et le Consumer Advisory Council.
C'est sur ce point que nous nous posons quelques questions.
Moi-même, j'ai eu l'occasion, pendant l'étude des crédits
des institutions financières d'antan, avant que le ministère soit
aboli, d'avoir des discussions sur cette question de la protection de
l'assureur et de l'assuré avec le ministre des Finances. Par exemple, il
faut faire une distinction entre le système qui régit nos
compagnies d'assurance-vie et nos compagnies d'assurances
générales. Là, notre loi ne fait pas de différence.
On pourrait dire que l'État de New York non plus n'a pas fait de
différence entre les compagnies d'assurance-vie et les compagnies
d'assurances générales, mais pourquoi ne nous poserions-nous pas
la question? Je sais qu'en Amérique - le fait est que c'est un secteur
dans lequel j'oeuvrais moi-même, je parle donc en connaissance de cause -
on se pose beaucoup de questions depuis qu'on a
déréglementé le secteur financier et le secteur des
assurances pour permettre à des compagnies d'assurances de
posséder des compagnies dans le secteur financier et vice versa. De gros
trusts se sont formés, les compagnies d'assurances ont été
achetées par de grosses multinationales, comme IT&T, etc., justement
pour leur fournir un véhicule à travers le secteur financier.
C'était une façon pour elles d'avoir un "cash flow"
additionnel.
Que s'est-il passé? Je peux citer un cas présent qui est
en instance de vérification par la Securities and Exchange
Commission
des États-Unis, de l'État dans New York. Une compagnie se
trouve aujourd'hui dans une position presque critique par rapport à ce
que l'on appelle des "long term liabilities". Ce sont des
responsabilités civiles portant sur plusieurs années, 20, 30 ou
40 ans, des responsabilités qu'on ne peut calculer très
scientifiquement du point de vue de leur passif. Il y avait un tel passif de
"long term liabilities" dans cette compagnie d'assurances
générales qu'on a été obligé de revendre le
passif à des réassureurs spécialisés dans ces cas.
En fait cela a produit une manigance des états financiers et c'est
simplement après, par une recherche du Securities and Exchange
Commission, qui a remarqué qu'il y avait quelque chose de drôle
dans ce passif par rapport aux actions en Bourse, que cette compagnie a subi
une enquête sur cette question.
Je souligne ce cas pour vous dire que dans le secteur des assurances
générales, nous avons eu plusieurs faillites au Canada. Une ou
deux se sont produites très récemment parce que ces compagnies
n'étaient peut-être pas assez surveillées; il y avait un
manque de surveillance. Là, nous allons dire: On passe tout cela
à un vérificateur, à un système de
vérification interne. Nous sommes d'accord pour dire qu'il devrait y
avoir un système de vérification interne, mais nous avons affaire
à un secteur tout à fait particulier où il esttrès difficile de contrôler les actifs par rapport à ce
qui est dû à des clients. Ce n'est pas quelque chose qui se passe
à court terme, c'est quelque chose, dans l'assurance-vie, qui a des
échéances parfois remises à 30 ans, 40 ans et même
50 ans plus tard. Dans l'assurance générale, c'est la même
chose pour les cas de responsabilité civile.
C'est pourquoi nous disons au ministre qu'il nous faudra revoir cette
question. Je sais que l'article 425 de la loi prévoit une
révision de tout le système prévu par la loi 75 dans cinq
ans. Je pense qu'il faudra se demander s'il ne faudrait pas faire cela à
plus brève échéance. Je me souviens, lorsque je m'occupais
de l'environnement, avoir suggéré au ministre, dans une loi,
qu'on fasse rapport à l'Assemblée nationale à chaque
année... Je m'excuse, c'était dans le cadre de l'étude du
régime des pensions, avec le ministre qui est maintenant le ministre
délégué aux Relations avec les citoyens, qui avait
accepté ma suggestion.
Dans un secteur où on se dirige vers quelque chose de tout
à fait nouveau, qui n'a pas été testé, comme
ça n'a pas été testé pour l'État de New
York, comme ce ne sera pas testé pour nous et comme ce ne sera pas
testé pour le fédéral, à moins de le revoir
d'année en année, on devrait penser à un système de
révision à chaque année. On ne peut dire, dans une
situation tellement complexe, qu'on connaît toutes les
réponses.
Pourquoi ne pas faire une révision de cette loi à chaque
année? On pourrait peut-être faire une révision en
profondeur tous les trois ans ou tous les cinq ans. Laisser cette loi, sans en
connaître les effets et les conséquences, pour cinq ans
d'affilée, ce qui veut dire pour un autre mandat, peut-être celui
d'un autre gouvernement - espérons-le -c'est trop loin. Il faudra le
faire avec beaucoup plus de fréquence.
Nous posons beaucoup de questions au ministre. Nous lui demandons
pourquoi, par exemple, comme l'a souligné mon collègue de
Notre-Dame-de-Grâce, il a permis des placements dans l'actif des holdings
des compagnie en aval jusqu'à 50% quand les compagnies d'assurances
elles-mêmes avaient été très satisfaites de demander
30%. Elles n'espéraient pas avoir 30%. Pourquoi leur donner
jusqu'à 50%? Il faut au moins faire un test de cette loi avant d'aller
plus loin. On a posé des questions concernant le bureau de l'inspecteur
général qui est tout à fait nouveau pour suivre une loi
qui a tellement de conséquences, qui est tellement complexe. (16
heures)
Si on se réfère encore une fois à l'État de
New York, historiquement, le système de surveillance et de
contrôle de l'État de New York a peut-être été
le plus fort dans tous les États-Unis, et peut-être dans le monde
entier et nous démontre qu'il faut un système de contrôle.
Je pourrais aussi citer au ministre les derniers problèmes qu'a connus
Lloyds, le plus gros - et de loin -conglomérat d'assurances dans le
monde entier, qui a un historique qui va depuis le XVIIIe siècle, qui a
été créé en 1790. Lloyds a connu des
problèmes financiers tellement graves récemment que le
gouvernement britannique a été obligé de s'ingérer
dans la chose. Il y avait beaucoup de situations complexes où des
réclamations à long terme ne pouvaient pas être suivies. Il
y a eu des fraudes dans le système et, à un moment donné,
ils ont réalisé qu'il fallait réorganiser toute la
machine.
Ce sont des questions tellement complexes qu'on se demande s'il ne
faudrait pas, précisément, faire des contrôles beaucoup
plus sérieux. C'est pourquoi nous demandons au ministre, en plus de
toutes les questions qu'ont posées mes collègues, une
révision beaucoup plus fréquente de cette loi, peut-être
d'année en année, avec une révision plus profonde à
tous les trois ou cinq ans. J'espère que nous, à ce
moment-là, on sera en mesure de faire cette révision, parce qu'on
sera du côté où vous êtes aujourd'hui. Je suis
sûr que ce sera le cas. Merci, M. le Président.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le
député de Bellechasse.
M. Claude Lachance
M. Lachance: Merci, M. le Président. Depuis quelques
années, le Québec a entrepris de moderniser ses lois en
matière d'institutions financières. Je pense que cette
décision était bien à-propos et adéquate. Avec le
projet de loi 75, nous voyons que le ministre des Finances ne craint pas
d'innover, d'aller de l'avant dans un secteur très important pour
l'économie du Québec.
La nécessité de revoir ces lois est apparue assez
clairement, par exemple, avec le dossier des caisses d'entraide
économique. La loi sur les sociétés d'entraide est venue,
en plus de résoudre un problème précis, établir des
méthodes de contrôle des institutions en ce qui concerne les
normes de liquidité, d'excédent, d'inspection des affaires, etc.
Il y a eu aussi la création du bureau de l'inspecteur
général des institutions financières qui a mis en place un
système de surveillance et de contrôle unifié de diverses
institutions financières exerçant leurs activités au
Québec. Par la suite, on a eu la Loi sur les valeurs mobilières
et la Loi sur l'as-surance-dépôts qui ont également
été revues.
On peut penser que, selon les indications du ministre des Finances, la
Loi sur les caisses d'épargne et de crédit et la Loi sur les
fiducies seront, à leur tour, un peu plus tard d'ici la fin de
l'année 1984, apportées devant cette Chambre pour être
modernisées afin de faire un tour d'horizon qui va compléter les
efforts dans ce sens.
Le projet de loi 75 que le ministre des Finances a déposé
dans cette Chambre le 19 avril dernier n'est pas très volumineux en ce
qui concerne le nombre d'articles: il y en a 84. Quant à sa
portée, par exemple, il aura des effets très importants par
rapport à ce que nous connaissons présentement. Ainsi, il va
permettre aux compagnies d'assurances à charte québécoise
d'offrir dorénavant toute une gamme de services comme le prêt
hypothécaire, la gestion des fonds de pension, la gestion des
régimes d'épargne-actions, la gestion de régimes
enregistrées d'épargne-retraite ainsi que la garde des
valeurs.
Les avantages qui vont découler de l'adoption de cette mesure
sont, à mon avis, très concrets. Ainsi, le décloisonnement
des services financiers au Québec va permettre aux institutions
québécoises de mieux répondre aux nouveaux besoins du
marché qui, comme dans n'importe quelle sphère de
l'activité, évoluent au rythme des ans. En effet, certains
phénomènes comme le vieillissement de la population, le
développement industriel et commercial, la création de programmes
fiscaux tels le REER et le régime d'épargne-actions, la
diversification et la personnalisation des produits financiers font en sorte
que la clientèle souhaite de plus en plus être capable d'organiser
son épargne de façon intégrée.
Deuxièmement, les changements apportés par le projet de
loi 75 vont permettre aux capitaux québécois de participer
à l'expansion économique dans divers champs d'activité au
bénéfice de la clientèle et de l'ensemble de la population
du Québec, en somme de faire fructifier les capitaux des
Québécois au Québec.
Dans cette nouvelle pièce législative, on note, M. le
Président, le souci du gouvernement du Québec de permettre aux
institutions financières québécoises de profiter d'une
meilleure capitalisation et, dans cette optique, le projet de loi 75 permettra
aux compagnies mutuelles d'assurance sur la vie, par exemple, d'avoir
accès à des sources de capitalisation à la mesure de leurs
activités. Elles seront, en effet, autorisées à
émettre des actions privilégiées.
Je me suis plu à regarder dans les médias d'information
quel a été l'impact de l'annonce de ces différentes
mesures qui ont été présentées en cette Chambre en
avril. Les réactions, dans l'ensemble, sont fort positives,
principalement de ce côté-ci de la frontière
québécoise. Quant aux réactions de l'autre
côté de la frontière, j'en ferai état tout à
l'heure. Évidemment, elles sont diverses et elles ont plutôt
tendance à être négatives.
Le Journal de Québec du samedi 10 mars 1984, environ un mois
avant la présentation du projet de loi, titre: "Institutions
financières, Parizeau s'oriente sur les États-Unis". L'article
fait référence à une déclaration du ministre des
Finances, à une allocution qu'il prononçait devant le
congrès annuel de l'Institut canadien des actuaires. M. Parizeau disait,
à ce moment-là, qu'il avait l'intention de s'orienter sur ce qui
se passe particulièrement aux États-Unis et dans l'État de
New York en particulier.
Le journal Les Affaires du samedi 24 mars 1984 titre: "Parizeau exaucera
la plupart des voeux des sociétés d'assurances à charte
québécoise". Encore là, on fait allusion aux
démarches que les compagnies d'assurances ont faites au cours des
derniers mois et des dernières années auprès du
gouvernement du Québec et en particulier auprès du ministre des
Finances, afin de revoir, de moderniser tout ce qui touche ce secteur important
de notre économie.
Le Soleil du vendredi 20 avril 1984 titre: "Décloisonnement des
institutions financières; compagnies d'assurances plus libres".
Le Devoir, section économique, du samedi 21 avril 1984 titre:
"Assurances: certains observateurs canadiens sont inquiets" et, en plus gros
titre, "Le projet de loi 75 pourra générer une explosion des
affaires pour les institutions québécoises".
Enfin, la Presse du jeudi 26 avril 1984, sous la signature de Jean
Poulin, titre: "Les
assureurs ne craignent pas le supermarché financier".
M. le Président, il y a beaucoup d'épargnants, vous le
savez sans doute, qui possèdent plusieurs comptes de banque ou de caisse
populaire, un régime d'épargne-retraite auprès d'une
fiducie, un régime d'épargne-actions avec un courtier. Ils
doivent aussi rencontrer leur assureur pour acquérir une police
d'assurance. Avec ce que nous amène le ministre des Finances, tout cela
va changer. Oui, parce que, bientôt, les consommateurs vont pouvoir
effectuer toutes ces transactions au même endroit, à un guichet
unique, à mesure que va se poursuivre le processus de
décloisonnement des marchés financiers québécois.
En gros, ce décloisonnement consiste à permettre à un type
d'institutions financières de poursuivre des activités qui
étaient auparavant la chasse gardée d'un autre type
d'institutions. Ainsi, une fiducie pourra jouer le rôle de courtier en
valeurs mobilières de la même façon qu'un
supermarché vend des graines pour le potager et qu'une pharmacie peut
vendre des billets de Loto-Québec. On va arriver ainsi progressivement
à la création de supermarchés financiers qui vont offrir
une gamme complète de services financiers. Ces changements profonds
n'ont pas pour but unique d'éviter des pas et des démarches aux
petits épargnants, mais ils vont - c'est important - favoriser la
concentration des institutions financières et la naissance de nouveaux
géants. C'est certainement ce qui va se produire au cours des prochains
mois et des prochaines années. (16 h 10)
Je pense que le temps où on se contentait ici au Québec de
regarder passer le train ou de se faire dire par d'autres de
l'extérieur: "Vous, les Québécois, vos bebelles et dans
votre cour", ce temps est révolu. Non seulement on veut prendre le train
des années quatre-vingt, quatre-vingt-dix et de l'an deux mille, mais on
veut construire le train, on veut construire également la voie
ferrée pour savoir où on va, comment on y va, de quelle
façon on y va.
À la lumière des réactions qui existent de l'autre
côté de l'Outaouais, je constate qu'il y a des inquiétudes.
Je vais en faire état ici. Par exemple, je vais faire
référence à un article paru dans The Financial Times du 27
février 1984 et je vais me permettre de citer des propos contenus dans
cet article en français, où le journaliste, Jacquie McNish a dit
ceci en parlant du président de la compagnie Confederation Life de
Toronto, M. John Rhind.
M. Rhind se dit inquiet devant les mesures prises par le Québec
parce que, selon lui, celles-ci pourraient entraîner une expansion
soudaine des affaires dans la province et susciter le chaos dans le
système financier. C'est bien évident que lorsqu'il parle de
chaos c'est une façon de dire que cela va les déranger quelque
part. Je cite toujours l'article en question: "Le Québec est en train de
détraquer le système entier, affirme M. Rhind. Tous vont profiter
de cette énorme brèche dans la digue. Ils vont faire leurs
affaires à partir du Québec." Que c'est donc terrible! Que c'est
donc dérangeant! Que c'est donc inquiétant!
M. le Président, si c'est le genre d'inquiétude que M.
Rhind peut avoir, cette inquiétude me sourit, elle me plaît parce
que si cela les dérange, j'interprète cela comme étant un
bon signe que le Québec veut maintenant prendre sa place au soleil comme
toutes les nations industrialisées.
Hier, je recevais, à titre de président de la commission
du budget et de l'administration, une copie d'un mémoire de
l'Association des banquiers canadiens qui touche précisément le
projet de loi 75. Je vais vous faire grâce de tout ce qu'il y a
là-dedans. C'est quand même assez volumineux. Je vais simplement
vous citer l'article 1 de ce mémoire. On y dit ceci: "Le Québec
devrait retarder temporairement l'adoption du projet de loi 75 et participer,
de concert avec le gouvernement fédéral et les autres provinces,
à une révision de la réglementation des marchés
financiers."
Lorsqu'on constate une telle chose de l'Association des banquiers
canadiens, on voit jusqu'à quel point ce qui est devant la Chambre, le
projet de loi 75, peut vraiment déranger. J'interprète cela,
encore une fois, comme une façon de vouloir tenter de noyer le poisson
et tenter de s'aligner sur quelque chose qui n'a pas été
prévu ailleurs, en particulier du côté d'Ottawa.
M. le Président, non seulement je demande au ministre des
Finances d'aller de l'avant avec le projet de loi 75 qui va nous permettre
vraiment d'innover et d'être à l'avant-garde au Québec,
mais j'incite très fortement le ministre des Finances, qui est
responsable devant le gouvernement de tout ce secteur, à aller de
l'avant avec d'autres mesures du même genre, ce qui va permettre au
Québec de faire sa place et permettre aussi aux centaines et aux
milliers de jeunes qui sortent de nos universités, de nos cégeps,
de nos écoles, et qui ont une orientation du côté
économique de pouvoir s'affirmer dans le futur. Merci, M. le
Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le député
de Ungava.
M. Marcel Lafrenière
M. Lafrenière: Merci, M. le Président. Nous
discutons aujourd'hui de la loi modifiant la Loi sur les assurances et d'autres
dispositions législatives. Ce projet de loi a pour objet
d'élargir les pouvoirs des compagnies d'assurances et d'adopter, en
conséquence,
les règles de surveillance et de contrôle de ces
institutions financières. Ce projet favorisera leur expansion en leur
permettant d'offrir un éventail plus varié de services et de
diversifier leur orientation.
Il est vrai que ce projet de loi modifie profondément les cadres
juridiques connus en ce qui a trait aux compagnies d'assurances. En effet,
lorsque la réglementation des institutions financières a
commencé à se préparer au cours du siècle dernier,
au Québec comme un peu partout dans le monde, cette
réglementation s'est articulée autour de deux objectifs
fondamentaux. Tout d'abord, protéger le consommateur et instaurer la
confiance dans le système financier. Deuxièmement, permettre aux
différentes institutions financières de répondre aux
besoins de l'offre et de la demande de capitaux sur la base d'une saine
compétition. Ces objectifs ont été atteints par
l'institution du principe de la séparation des fonctions. Il existait
alors des besoins précis auxquels le respect de ces principes permettait
de répondre, comme le financement industriel et commercial,
l'administration fiduciaire ou la protection de l'assurance.
À la fin des années soixante, en 1969, le gouvernement
fédéral terminait la refonte de la Loi sur les banques et
permettait à ces institutions d'envahir le champ du prêt
hypothécaire et du prêt à la consommation en levant la
limite imposée sur les taux d'intérêt qui pouvaient
être demandés. La conséquence directe en fut la
quasi-disparition des compagnies de finances et le déclassement des
compagnies d'assurances comme rivales des banques. Les banques ont vu ainsi
leurs pouvoirs libéralisés et ont pu envahir les champs
d'activité nouveaux alors que les autres institutions financières
ne pouvaient riposter à cause des contraintes légales qui
continuaient de s'appliquer à elles. De plus, certains besoins
identifiés au siècle dernier n'ont plus la même importance
aujourd'hui, que ce soit l'administration fiduciaire, qui ne représente
plus la principale activité des compagnies de fiducie, ou la protection
d'assurances largement assurée aujourd'hui par les régimes d'Etat
ou par des régimes d'avantages sociaux offerts par les employeurs qui ne
sont pas toujours assurés.
Les compagnies d'assurance-vie étaient spécialisées
dans la collecte d'épargne à long terme et leurs contrats
garantissaient un rendement fixe sur de longues périodes. Exemple, les
contrats individuels de rentes. Avec la flambée des taux
d'intérêt, les compagnies d'assurances, qui n'ont pas le droit
d'accepter de dépôts, ont été coincées par
les compagnies de fiducie et les banques autorisées à participer
au régime enregistré d'épargne-retraite. Enfin, la
population manifeste des besoins d'assurances qui s'orientent vers d'autres
besoins d'épargne que les compagnies d'assurance-vie pourraient combler
à cause de leur expertise, de leur force de vente et de l'ampleur encore
intéressant de leur actif, pour peu que le législateur leur
permette d'acquérir une certaine polyvalence. Le projet de loi fait donc
partie d'une importante réforme des institutions financières
entreprise au Québec depuis 1981. La nécessité de revoir
les lois en matière d'institutions financières est apparue
clairement avec le dossier des caisses d'entraide économique. Il y a eu
aussi la création du bureau de l'inspecteur général des
institutions financières qui a mis en place un système de
surveillance et de contrôle unifié de diverses institutions
financières exerçant leurs activités au Québec. Ce
regroupement permet d'envisager une plus grande polyvalence des institutions
québécoises sans que le public épargnant risque
d'être lésé.
Déjà la Loi sur les valeurs mobilières et la Loi
sur l'assurance-dépôts ont été revues. Comme
annoncé, d'ailleurs, par le député de l'Assomption, la Loi
sur les caisses d'épargne et de crédit et la loi sur les fiducies
seront modernisées au plus tard cette année et l'an prochain pour
compléter le tout. Ce projet devrait permettre le décloisonnement
entre les quatre principales sortes d'institutions financières: banques
à charte, sociétés de fiducie, compagnies d'assurances et
compagnies de valeurs mobilières. Le projet de loi propose donc qu'une
compagnie d'assurances ne soit autorisée à pratiquer, en sus des
catégories d'assurances prévues à sa charte, que des
activités relevant clairement de la juridiction
québécoise, comme des activités fiduciaires, des
activités de financement de primes, de mise en marché de
produits, d'autres institutions ou d'autres activités autorisées
par le ministre.
Par le biais des filiales, les compagnies d'assurances pourraient
diversifier leurs activités. Traditionnellement, on a
considéré que les actifs des compagnies d'assurances devaient
servir à la protection des assurés et qu'en conséquence
ils ne devraient pas être engagés au profit d'autres
créanciers. Cette notion a pris des proportions telles que le
financement des compagnies d'assurances, spécialement des compagnies
mutuelles est devenu très difficile. En effet, par définition,
une compagnie mutuelle, est une compagnie sans capital-actions. Or 15 des 33
compagnies québécoises et parmi les plus importantes sont des
compagnies mutuelles. Il faut donc tenter d'innover pour enrayer la
difficulté, introduire une forme de capitalisation sans renoncer au
caractère mutualiste des entreprises. (16 h 20)
Dans le cas des compagnies à capital-actions, la diversification
peut se faire au
sein d'un groupe dirigé par un holding. Toutefois, dans le cas
d'une compagnie mutuelle d'assurances, l'absence de capital-actions
empêche la participation à un groupe. Or, nos principales
compagnies d'assurances, comme je viens de le mentionner, sont des compagnies
mutuelles. Cet aspect prend donc une importance primordiale. Le projet de loi
devrait donc permettre aux compagnies d'assurances sur la vie d'avoir
accès à des sources de capitalisation à la mesure de leurs
activités. Elles seront, en effet, autorisées à
émettre des actions privilégiées. D'ailleurs, les
modifications récentes au règlement d'application de la Loi sur
les assurances visaient aussi à permettre à ces compagnies de
créer des holdings en aval, connus aussi sous l'expression de
"downstream holdings". Ces holdings permettraient de créer des
compagnies destinées à gérer leurs placements, tout en
étant autorisées à émettre du capital-actions. Avec
le décloisonnement des activités, le contrôle de l'actif et
du passif de chacune des compagnies d'assurances deviendrait primordial. Il est
donc nécessaire de se donner des moyens d'intervention rapides et
efficaces pour pallier toute situation d'insuffisance avant que la situation ne
devienne alarmante.
En assurance générale, la stabilité
financière des compagnies est un problème constant. Cette
industrie est soumise à des soubresauts cycliques. Depuis quelques
années, on parle beaucoup d'exiger que les réserves en assurance
générale soient établies par les actionnaires,
responsables de l'évaluation comme c'est le cas en assurance de
personnes. Il s'agit d'une évaluation souhaitable qui répond
à un besoin, non seulement d'une certification professionnelle de
réserve, mais aussi d'une divulgation complète des
données, méthodes et hypothèses sous-jacentes à
leurs calculs. Le projet de loi oblige tous les assureurs à former un
comité de vérification au sein de leur conseil d'administration
et à en aviser sans délai l'inspecteur général des
institutions financières de la division du non-renouvellement de mandat
et de la destitution en cours de mandat du vérificateur ou de l'actuaire
responsable de l'évaluation. Selon le projet de loi, les courtiers de
compagnies d'assurances devront comme les compagnies d'assurances sur la vie,
maintenir des réserves certifiées par un actuaire responsable de
l'évaluation. En outre des états requis par la loi, tout assureur
devra fournir sur demande de l'inspecteur général les
états de renseignements supplémentaires qu'il estime
nécessaires.
Je voulais souligner quelques-uns des changements importants introduits
par le projet de loi. En terminant, je ne saurais passer sous silence que cette
réforme est une autre manifestation de la préoccupation du
gouvernement du Québec à l'égard de l'assouplissement de
la loi ou, pour reprendre un terme cher au député de D'Arcy
McGee, de notre volonté de déréglementer le secteur des
institutions financières. Merci.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le ministre des
Finances, dans votre droit de réplique.
M. Jacques Parizeau (réplique)
M. Parizeau: M. le Président, pour terminer ce
débat en deuxième lecture au sujet d'un projet de loi dont nous
avons eu l'occasion, je pense, de constater l'importance aujourd'hui, je
voudrais revenir à l'intervention du député de
Notre-Dame-de-Grâce qui était le premier intervenant de
l'Opposition et qui posait un certain nombre de questions quant aux intentions
sous-jacentes du projet de loi. Il demandait, d'autre part, un certain nombre
d'éclaircissements. Je pense qu'un bon nombre des questions qu'il a
posées présentent beaucoup d'intérêt et si on me le
permet, en réplique, j'aimerais essayer de répondre aux questions
qu'il avait soulevées. Je ne voudrais d'ailleurs pas trahir l'expression
qu'il a donnée de certaines questions et si, à un moment
donné, pour une raison ou pour une autre, le député de
Notre-Dame-de-Grâce pense que je ne traduis pas correctement sa
pensée et qu'il veut me corriger, je l'accepterai très volontiers
au fur et à mesure que le discours se déroulera.
La première question qui a été soulevée, je
pense, avait trait à la facilité ou à la
possibilité pour des compagnies sous juridiction
québécoise qui sont de taille tout à fait
différente de profiter également des dispositions de la loi. Il
est tout à fait clair que de très grandes sociétés
- je pense à l'Industrielle ou à la Laurentienne - vont profiter
des dispositions de la nouvelle loi. Sans aucune espèce de
difficulté, elles pourront s'adapter très rapidement. Mais ce que
soulevait le député de Notre-Dame-de-Grâce, c'est dans
quelle mesure une société qui, par exemple, aurait 50 000 000 $
d'actif est capable d'en profiter autant. Est-ce qu'on ne va pas créer
une sorte de déséquilibre entre les deux catégories?
Pour une part, je pense qu'il est inévitable qu'il y ait une
sorte de déséquilibre de cet ordre-là, simplement parce
qu'il est dans la nature des choses qu'une petite entreprise ne peut pas avoir
autant de facilité à se diversifier qu'une très grande.
Cependant, il ne faut pas oublier que beaucoup de ces petites
sociétés ont comme caractéristique de fonctionner dans les
régions, auprès de clientèles qui sont relativement bien
circonscrites. Elles ont probablement le même intérêt, ces
sociétés plus petites, à fournir une grande
variété de
services à cette clientèle très circonscrite ou
dans la région où elles oeuvrent. Je pense qu'il ne faut pas
tenir pour acquis qu'il y aurait une sorte de déséquilibre trop
prononcé dans l'utilisation de la loi.
La deuxième question qui a été soulevée
avait trait à ces sociétés, québécoises
indiscutablement, mais qui ont une charte fédérale. Qu'est-ce qui
va leur arriver? L'exemple donné par le député de
Notre-Dame-de-Grâce était l'Assurance-vie Desjardins,
L'Assurance-vie Desjardins, pour diverses raisons - il y a fort longtemps
d'ailleurs - a effectivement eu une charte fédérale. La charte
fédérale est un peu comme une trappe à homards. Il est
très facile de l'obtenir. On l'obtient sur simple demande, mais, pour la
changer, il faut une loi privée à Ottawa. On aura noté
d'ailleurs que dans la loi 75, nous prévoyons une disposition en vertu
de laquelle une société qui voudrait changer de charte, enfin,
changer le lieu de sa charte, pourrait, sur simple demande, être admise
à une charte québécoise.
Cependant, il n'y a pas de doute que les avantages de la loi 75 sont
tellement grands que certaines sociétés qui fonctionnent au
Québec, dont l'essentiel des activités se fait au Québec,
auraient probablement un avantage ou découvriront assez rapidement un
avantage à avoir une charte québécoise. Je vous avouerai
que je ne vois pas beaucoup d'autres solutions que de simplement faire en sorte
qu'elles demandent un projet de loi privé à Ottawa, pour changer
le lieu de leur charte. Je ne serais pas étonné que cela se
fasse. Il faudra, je pense, considérer cela comme quelque chose de tout
à fait normal, si cela se produit et quand cela se produira.
Il faut bien comprendre que la loi 75 ne peut pas s'appliquer à
autre chose qu'à des sociétés qui sont sous la juridiction
du Québec; autrement, nous poserions un geste qui violerait à la
fois la constitution et les lois du pays. Je ne pense pas que cela pose de
problème sérieux, sauf celui d'avoir à demander un projet
de loi privé à Ottawa, en disant: Nous ne voulons pas avoir notre
charte d'Ottawa mais plutôt l'avoir de Québec.
J'ai actuellement quelques exemples. J'ai un certain nombre de
réactions de sociétés à charte
fédérale, dont je sais qu'elles se posent sérieusement la
question de savoir où leur charte devrait être localisée
dorénavant.
La troisième question était très importante. Il
s'agit essentiellement de ceci: Si nous déréglementons, dans le
sens que je donnais à cette expression ce matin, entre les institutions
financières non bancaires, est-ce qu'il ne sera pas normal que les
banques demandent le même genre de déréglementation et
puissent entrer dans ce genre de secteur? Je pense: Oui, effectivement. Je
pense qu'on aurait tout à fait tort de s'imaginer qu'on va
déréglementer entre un certain nombre d'institutions
financières et que l'on tenterait une sorte d'opération pour
empêcher les banques, si tant est qu'elles puissent obtenir cela
d'Ottawa. Là, évidemment, nous n'avons rien à dire comme
gouvernement de province à cet égard, mais, enfin, il serait tout
à fait paradoxal que, comme gouvernement de province, nous cherchions
à exercer des pressions pour décider Ottawa à ne pas
permettre aux banques à charte de diversifier leurs activités. Je
pense qu'il faut une certaine cohérence ici. Dans la mesure où on
juge que la concurrence est profitable aux consommateurs, il faut qu'elle
s'applique aux quatre piliers, non pas seulement à trois sur quatre. Il
y a simplement une question à la fois de logique et de cohérence
et de savoir quel objectif on poursuit. (16 h 30)
Le député de Notre-Dame-de-Grâce a examiné un
certain nombre de dispositions très spécifiques de la loi, en
particulier, de l'article 33.1. Je pense ici pouvoir lui fournir un certain
nombre de réponses qui me paraissent, dans le temps qui m'est imparti,
peut-être un peu simples, mais que nous pourrons poursuivre en commission
davantage quand nous examinerons ces articles l'un après l'autre.
La première question a trait à la perception directe de
dépôts. J'ai indiqué que cela ne me paraissait pas
très mûr ni acceptable pour le moment que les institutions
financières non bancaires acceptent directement des dépôts.
Qu'elles achètent une société habilitée à
recevoir des dépôts, qu'elles en prennent le contrôle, oui,
très bien, mais pas pour recevoir des dépôts
directement.
La position à cet égard demeure. Évidemment, dans
l'article 33.1, il est prévu qu'une société
financière pourra vendre le produit d'une autre institution
financière. En somme, rien n'empêcherait une compagnie
d'assurances de dire à telle banque: Voulez-vous installer une
succursale dans mes locaux? Bien sûr. Est-ce que vous m'autorisez
à vendre en votre nom certains produits? Bien sûr. Mais là,
il faut bien comprendre qu'il s'agit d'un contrat passé par une
institution financière avec une autre institution financière et,
sur le plan de la gestion, cela reste tout à fait distinct.
Si je comprends bien l'interrogation du député de
Notre-Dame-de-Grâce, il disait: Oui, mais pourtant, à un endroit
dans la loi paraît cette idée qu'une institution financière
peut recevoir des dépôts. Ce n'est pas tout à fait
ça. L'allusion qu'il faisait à cet effet à l'un des
paragraphes de l'article 33.1 est que l'institution financière peut
assurer des services de dépôt et de garde de
valeurs. Il y a une ambiguïté terrible là-dedans, il
faudra qu'en commission on examine cela. Ce que je veux dire ici, ce n'est pas
le dépôt d'argent, c'est le dépôt de valeurs et leur
garde. Peut-être qu'effectivement la rédaction est ambiguë;
il faudra la corriger.
Je note que dans la traduction anglaise du texte, c'est encore plus
ambigu. J'ai eu un certain nombre de représentations à cet
égard et il est clair qu'on doit corriger cela. Ce que l'on veut dire
ici, c'est le coffret de sûreté, ce n'est pas le
dépôt bancaire.
Autre question, toujours dans l'élargissement des champs
d'activité des sociétés d'assurances. Il y a une
ambiguïté ici. Je pense que le député de
Notre-Dame-de-Grâce est sous l'impression qu'une société
d'assurances pourrait exercer tous les pouvoirs d'une société de
fidéicommis et sans limite. Il ne s'agit pas de cela. Nous avons
essayé d'être aussi clairs que possible; s'il faut l'être
davantage, on le sera encore. Il s'agit de pouvoirs de fidéicommis
complémentaires qui découlent d'autres lois que la
fidéicommis proprement dite; par exemple, des lois fiscales,
l'administration des REER. Il ne s'agit pas, pas pour l'instant en tout cas, de
donner tous les pouvoirs d'une compagnie de fidéicommis à une
compagnie d'assurances, mais un certain nombre de pouvoirs de
fidéicommis et, en particulier, des pouvoirs qui relèvent
d'autres lois comme les lois fiscales.
Une autre question qui a été soulevée a trait au
pourcentage établi dans la loi quant à la répartition des
actifs. On me demandait de justifier chacun de ces pourcentages. Là, je
pense qu'on serait peut-être mieux de faire cela en commission, compte
tenu du temps qui m'est imparti. Il faudrait qu'on prenne chacun des
pourcentages; je pense pouvoir fournir un certain nombre de justifications,
d'explications pourquoi chacun de ces pourcentages est ce qu'il est et pas
autre chose. Cela me paraîtrait un peu difficile, cet après-midi,
de reprendre chacun des pourcentages un à un. On fera sûrement
cela en commission. Il devrait y avoir moyen de satisfaire nos amis d'en face
de l'utilité et du bien-fondé d'un bon nombre de pourcentages que
nous avons mis dans ce projet de loi.
Autre question qui a été posée: Pourquoi donne-t-on
aux compagnies mutuelles d'assurances sur la vie le droit d'émettre des
parts privilégiées, alors que le holding en aval a aussi le droit
de faire la même chose? Là, on revient à une des
observations antérieures qui avaient été faites où
on disait: Est-ce qu'une compagnie de 50 000 000 $ d'actif va pouvoir profiter
de la loi autant qu'une compagnie qui a 3 000 000 000 $ d'actif? Une compagnie
ayant 3 000 000 000 $ d'actif va avoir un avantage indiscutable à
organiser un holding en aval et, vraisemblablement, va faire émettre les
parts privilégiées à ce niveau, alors que la compagnie qui
n'a que 50 000 000 $ d'actif peut trouver un intérêt,
évidemment, à émettre les parts privilégiées
directement. On ouvre donc les deux portes, parce qu'on se rend très
bien compte qu'il peut y avoir des situations différentes à cet
égard.
Il faut bien comprendre que puisque la loi n'oblige pas, qu'elle permet
l'émission d'actions privilégiées à deux niveaux,
il n'y a pas de raison de s'inquiéter des conséquences
susceptibles de se produire. Chacune des compagnies déterminera à
quel niveau elle veut intervenir.
On m'a posé une autre question quant à l'uniformisation
des critères applicables aux compagnies d'assurance-vie et aux
compagnies d'assurances générales. Pourquoi sont-ils les
mêmes? En effet, je reconnais ici qu'on pourrait avoir des
critères différents, sauf que dans une optique de
déréglementation, cela paraîtrait un peu bizarre, cela
irait vraiment dans le sens contraire du mouvement. D'autre part, il faut bien
reconnaître que, dans l'ensemble, ces compagnies d'assurance-vie ou
d'assurances générales ont été traitées
jusqu'à maintenant de façon assez uniforme quant aux
critères. Rétablir une distinction entre les deux
catégories de compagnies ne me paraît pas nécessairement
approprié.
Je pense que le député de Notre-Darne-de-Grâce avait
tout à fait raison de souligner que dans le cas des mutuelles, les
exigences administratives qu'on leur imposait à l'égard de leurs
propriétaires, c'est-à-dire les propriétaires de polices,
les exigences administratives quant aux convocations d'assemblée ou de
choses comme cela étaient vraiment trop lourdes. Depuis que le projet
est connu publiquement, on nous a fait un certain nombre de
représentations à cet égard et nous avons accepté
de faire des modifications. L'Opposition recevra probablement à la fin
de l'après-midi ou demain matin au plus tard les papillons qui ont trait
à ces amendements. Je pense qu'en tout état de cause,
l'observation du député de Notre-Dame-de-Grâce était
parfaitement justifiée.
Il me reste à discuter de deux ou trois questions qui sont de
nature un peu différente. On fait beaucoup état, parmi ceux qui
trouvent que la loi 75, et, d'une façon générale, la
déréglementation, qu'elle se fasse aux États-Unis ou
qu'elle se fasse ici, va trop vite et va peut-être un peu trop loin. On
fait grand état de la question des conflits d'intérêts.
Lorsqu'on parle de conflits d'intérêts au niveau des entreprises -
je ne parle pas ici du service public ou de la vie politique dans laquelle on
vit - il y a des situations de fait qu'on ne peut éviter.
Le conflit d'intérêts a une signification
tout à fait différente. Mais cela garde un sens assez
spécifique à l'égard des activités de fiduciaires,
par exemple, indiscutablement. C'est une des raisons pour lesquelles il me
paraît tellement important que la déréglementation
procède surtout par filiale plutôt que par activité
directe. On aura noté dans ce projet de loi que, dès que les
activités autres que les activités jusqu'à maintenant
traditionnelles d'une société d'assurances dépassent 2% du
chiffre d'affaires, le ministre peut imposer l'établissement d'une
filiale. L'établissement de filiales présente un avantage. C'est
que les rapports deviennent plus facilement observables et que les
contrôles, les examens deviennent beaucoup plus faciles à faire.
Dans ce sens, tout en reconnaissant, premièrement que, dans le cas
d'institutions financières existantes, le conflit
d'intérêts est très fréquent, qu'il peut y avoir une
sorte d'élargissement de ce problème par la
déréglementation, je pense qu'il y a, dans la mesure où on
continue de mettre l'accent sur les filiales et le contrôle des filiales
par les autorités publiques, moyen de réduire le problème
assez substantiellement. Pas complètement; je ne serais pas prêt
à dire qu'on peut le réduire complètement, mais je ne vois
pas, de toute façon, comment, même dans la vie de tous les jours
et dans l'état des lois existantes, on pourrait éviter ces
conflits totalement.
Le député de Notre-Dame-de-Grâce posait une question
tout à fait pertinente à l'égard des intermédiaires
dans le domaine des assurances. La loi, telle que nous l'avons devant nous,
porte sur les compagnies d'assurances. Il est évident que le
gouvernement reçoit des pressions depuis fort longtemps de groupes
d'intermédiaires, agents d'assurances, courtiers d'assurances -
essentiellement courtiers d'assurances d'ailleurs pour modifier leurs pouvoirs,
pour modifier les rapports que ces courtiers peuvent avoir entre eux, d'une
part, et entre les compagnies, d'autre part.
M. le Président, c'est une question à laquelle je ne peux
pas toucher et je préfère être ici tout à fait
candide à cet égard comme, pour des raisons essentiellement
familiales - je suis né dans un milieu de courtiers d'assurances; je
suis dans cette famille, dans la famille à laquelle j'appartiens, une
sorte de mouton noir; ils sont tous courtiers - ce serait, pas crédible,
en un certains sens invraisemblable que, comme ministre, je m'adresse à
des questions qui touchent ce genre de personnes. Ce que j'ai dit d'ailleurs,
de façon très générale, à tous ces milieux -
et j'adopte exactement la même attitude à leur égard que je
peux adopter en cette Chambre - c'est: Attendez le prochain ministre; vous
verrez cela avec lui, à moins qu'il y ait un consensus.
C'est-à-dire que je n'hésiterais pas à venir en cette
Chambre proposer des amendements, à un moment donné, à la
loi qui régit ces personnes si un consensus apparaissait et était
facile à démontrer, mais, autrement, on comprendra, M. le
Président, pour des raisons évidentes, que, là, je dois
dire: Suite au prochain ministre.
M. le Président, il reste une question que je voulais traiter
rapidement, mais de façon quand même suffisamment
accentuée, et qui a trait à l'inspection et au contrôle,
par les pouvoirs publics, par l'Inspecteur général des
institutions financières, de ces nouvelles structures que nous allons
voir apparaître.
Comme je le disais ce matin, il me paraît absolument essentiel
qu'au nom de l'intérêt public, les contrôles, la
surveillance et l'inspection deviennent, d'année en année, le
plus accentué possible, le plus rigoureux possible. Nous avons connu un
accident très sérieux dans notre société qui a
été la crise des caisses d'entraide. Cette crise des caisses
d'entraide aura révélé, je pense, à quel point il
est fondamental que nous ayons, d'une part, les pouvoirs juridiques
nécessaires d'intervention dans le fonctionnement des institutions
financières et, d'autre part, l'expertise, le personnel et les
connaissances nécessaires pour être capables de suivre ces
institutions financières à la piste.
J'ai déjà eu l'occasion de dire en cette Chambre à
quel point j'avais été frappé de voir qu'au fur et
à mesure des années, l'Inspecteur général des
banques à Ottawa a acquis une connaissance du fonctionnement des
banques, une qualité de surveillance du fonctionnement bancaire qui est
tout à fait exceptionnelle. Le Surintendant des assurances, à
Ottawa, pendant des dizaines d'années, a aussi réussi à
surveiller de très près le fonctionnement du régime. Qu'il
y ait eu des accidents, je n'en disconviens pas. Ce que nous avons
cherché à faire au Québec depuis deux ans, c'est
d'établir un poste d'inspecteur général des institutions
financières qui soit aussi craint - je n'hésite pas à
utiliser cette expression - que les deux personnes en poste à Ottawa,
dont je parlais tout à l'heure, l'ont été, qui soit aussi
efficace dans le travail d'inspection que ce que nous avons été
en mesure d'observer à Ottawa depuis plusieurs dizaines
d'années.
Lorsque des exemples remarquables apparaissent quelque part, il n'y a
pas de raison de ne pas les suivre. Lorsque des lois sont adoptées et
fournissent les pouvoirs nécessaires d'inspection, il n'y a pas de
raison de ne pas les imiter. Lorsque des structures administratives sont mises
au point, qui ont l'efficacité qu'on a vue à Ottawa, je ne vois
pas pourquoi on ne viserait pas le même objectif. C'est dans ce sens,
comme on le sait, M. le Président, que, depuis deux ans, j'ai
adopté une loi à l'égard de l'Inspecteur
général des institutions
financières. Nous avons aboli l'ancien ministère. Nous
avons modifié la Loi sur l'assurance-dépôts. Il y a toute
une série de gestes qui ont été posés,
destinés précisément à faire en sorte qu'au moment
où la déréglementation commence à prendre une
certaine vigueur au Québec, l'inspection, la surveillance des
institutions financières, au nom de l'intérêt public, par
l'inspecteur général, peut être aussi rigoureuse et aussi
efficace que possible.
M. le Président, je pense que mon temps est épuisé.
Je remercie l'Opposition de ses remarques et ceux qui en ont fait du
côté ministériel. Je conclus ma réplique de cette
façon. Merci, M. le Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Est-ce que le principe du
projet de loi 75, loi modifiant la Loi sur les assurances et d'autres
dispositions législatives, est adopté?
Des voix: Adopté.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Adopté. M. le
leader adjoint du gouvernement.
Renvoi à la commission du budget et de
l'administration
M. Fréchette: M. le Président, le principe ayant
été adopté, je fais motion pour que le projet de loi soit
déféré à la commission du budget et de
l'administration pour en faire l'étude détaillée. Dans la
même motion, je voudrais que la commission soit présidée
par un président de séance.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Cette motion est-elle
adoptée?
Une voix: Adopté.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Adopté. M. le
leader adjoint.
M. Fréchette: Peut-être est-il utile de signaler
dès maintenant que l'étude en commission devrait normalement se
faire mardi après la période de questions. M. le
Président, je vous prierais d'appeler l'article 10) du feuilleton, s'il
vous plaît!
Projet de loi 83 Adoption du principe
Le Vice-Président (M. Jolivet): Article 10). C'est donc
l'adoption du principe du projet de loi 83, Loi modifiant le Code de
procédure civile et d'autres dispositions législatives. La parole
est au ministre de la Justice.
M. Pierre-Marc Johnson M. Johnson (Anjou): M. le
Président, le lieutenant-gouverneur a pris connaissance du projet de loi
83 et en recommande l'adoption par l'Assemblée nationale.
M. le Président, le projet de loi 83 que nous étudions
aujourd'hui a pour objet principal d'apporter au Code de procédure
civile des modifications qui, à nos yeux, sont de nature à
réduire les délais préalables à l'audition des
causes, principalement en Cour supérieure, et plus
particulièrement dans le district de Montréal. Ces mesures se
situent dans le prolongement de celles qui étaient apportées en
1982 et 1983 et qui avaient eu pour effet d'augmenter la juridiction de la Cour
provinciale, d'augmenter le nombre de juges de la Cour supérieure, de
modifier la procédure applicable en matière d'injonction et de
recours extraordinaire ainsi que de favoriser une plus grande utilisation de la
procédure de l'interrogatoire au préalable.
Avant de nous arrêter sur ces mesures que nous apportons par ce
projet de loi, je crois qu'il convient de dresser un tableau de la situation
qui a prévalu et qui prévaut toujours à la Cour
supérieure et, particulièrement celle qui prévaut dans le
district judiciaire de Montréal en matière civile.
En effet, le problème des délais préalables
à l'audition n'est pas nouveau. Si on se rapporte aux allocutions
prononcées par les différents juges en chef ou juges en chef
associés ou adjoints de la Cour supérieure, il s'agit d'un
problème chronique qui remonte au moins à la fin de la Seconde
Guerre mondiale. Plus spécifiquement, il ressort qu'au début des
années soixante-dix, les délais approchaient déjà
près de trois ans à la Cour supérieure à
Montréal alors qu'aujourd'hui ils sont globalement inférieurs
à deux ans. Cependant, nous savons que cela constitue des moyennes et,
à ce titre, ces moyennes ne permettent pas de rendre compte
complètement de l'acuité particulière de certains
problèmes auxquels la Cour supérieure de Montréal est
confrontée actuellement.
Ainsi, en matière familiale, quelque 15 000 demandes de mesures
provisoires dans le seul district judiciaire de Montréal sont
portées chaque année au rôle de cette cour. On sait que ces
demandes portent principalement sur la garde des enfants, sur l'obligation
alimentaire et sur l'obligation de cohabitation pendant que les conjoints sont
en instance de divorce ou de séparation de corps. En raison de
l'importance de ces demandes, de la très forte charge émotive qui
se rattache à ce contexte du débat de rupture familiale, on
devrait pouvoir normalement entendre ces questions d'une façon urgente.
Or, on constate qu'elles ne peuvent l'être avant cinq ou six semaines,
lorsqu'elles ne sont pas contestées, et avant près de trois mois,
lorsqu'elles sont contestées. On imagine facilement dans quelle
situation
difficile sont alors situées les personnes impliquées dans
ce qui est déjà une situation assez dramatique sur le plan
familial. Ces délais, au lieu de favoriser la conciliation des parties,
accroissent les tensions, les tiraillements souvent au détriment des
enfants. Dans ces conditions, comment s'étonner que ces délais
soient considérés par certains comme une atteinte à leurs
droits en tant que justiciables pour ne pas dire un délit de justice.
(16 h 50)
De même, en matière civile générale, les
délais qui sont préalables à l'audition sont
inacceptables. Ainsi, parmi les quelque 5600 causes qui étaient
portées au rôle de la Cour supérieure à
Montréal en 1983, seulement 30% ont été entendues.
Évidemment, 49% ne l'ont pas été parce qu'il y a eu des
règlements hors cour, mais il y avait également des
désistements pour 21% des cas, ou des désistements dans les 49%
que j'évoquais, ou encore 21% qui ont fait l'objet de remise. On
constate que des causes ne sont pas près d'être entendues ou
n'auraient pas dû être portées au rôle parce qu'elles
auraient pu être réglées hors cour. Et tout cela encombre.
Les rôles retardent l'audition des causes qui sont réellement,
elles, prêtes à être entendues. Il en résulte que le
délai préalable à l'audition des causes dont on estime la
durée d'audition à deux jours est de plus de trois ans et demi,
et celui qui est relatif à des causes dont on estime que la durée
d'audition sera entre trois et neuf jours peut être de sept ans et demi.
Même les causes urgentes qui sont placées sur un rôle
spécial doivent attendre deux ans avant d'être entendues, si la
durée prévue de l'audition est de trois à neuf jours. En
comparaison, les délais de la Cour provinciale à Montréal
sont globalement de neuf mois et demi.
Toutefois, ces problèmes que je viens d'évoquer, si
importants qu'ils soient pour justifier notre intervention, ne doivent pas nous
amener à conclure que les délais sont
généralisés à la Cour supérieure de
Montréal ou encore que les délais sont
généralisés sur le territoire à toutes les cours
supérieures, et ce en toutes les matières. Hormis les deux
domaines que je viens de mentionner, à savoir, les mesures provisoires
en matière familiale et les catégories de causes civiles exigeant
une plus longue durée d'audition, on ne saurait parler d'un
problème dans les matières qui touchent l'administration, les
faillites, ou la cour de pratique. De même, à la chambre
criminelle: on sait que la chambre criminelle, à Montréal en
particulier, fait presque l'envie de l'ensemble des autres provinces.
À titre d'exemple, en matière de faillite, les
requêtes pour libération sont entendues en trois semaines. Dans le
cas des assises criminelles, deux mois. Dans le cas des procès de
nouveau en Cour supérieure, deux semaines, sans compter, on le sait,
nous n'y touchons pas ici, le remarquable travail qui a été fait
à la Cour des sessions de la paix, depuis un certain nombre
d'années. La Cour des sessions, en particulier, encore une fois, dans le
district très encombré de Montréal, fonctionne à un
rythme beaucoup plus qu'acceptable, à un rythme remarquable. C'est donc
à la situation particulière qui touche les délais en
matière familiale ou en matière civile générale
à la Cour supérieure et plus particulièrement à
Montréal que nous tentons de remédier par ce projet.
Quels sont les moyens que nous nous donnons? Nous apportons, notamment,
une augmentation du nombre de juges à la Cour supérieure de
district. Il est évident qu'avec un nombre accru de juges, la Cour
supérieure de Montréal pourra entendre un plus grand nombre de
causes, pourra donc ainsi réduire les délais préalables
à l'audition, dont j'ai fait état tout à l'heure.
Cependant, l'expérience des dernières années a
démontré que cette mesure ne saurait à elle seule
s'avérer efficace, en raison d'une situation qui s'est malheureusement
constamment maintenue au fil des années. Ainsi, tous s'accordent
à déplorer le fait que trop souvent une partie tente de prendre
par surprise l'autre partie, ce qui n'encourage pas les parties à
divulguer leurs preuves réciproquement. Un tel système n'est pas
de nature à inciter les parties à se parler, à
échanger des informations et à rechercher des règlements
à l'amiable.
Faute de dispositions précises au Code de procédure
civile, des causes qui ne sont manifestement pas prêtes à
être entendues sont portées au rôle, ce qui retarde
l'audition des autres causes qui, elles, pourraient être entendues. Un
des objectifs importants, donc, de ce projet de loi vise à amener les
parties à préparer réellement leur cause à l'avance
et à divulguer l'ensemble de la preuve qu'elles entendent
présenter et, donc, de produire tous les documents au soutien de leurs
prétentions. Le dossier étant alors complet, les parties seront
à même de mieux circonscrire le débat, d'évaluer le
bien-fondé de leur cause et de décider avant même la mise
au rôle si elles doivent passer à l'étape de l'audition ou,
au contraire, en arriver à un règlement hors cour ou se
désister.
Dans une allocution qu'il prononçait devant l'Association du
Jeune Barreau de Montréal en 1981, M. le juge en chef Jules
Deschênes, à l'époque, faisait de cette obligation de bien
préparer sa cause un des premiers devoirs qui s'imposent au procureur.
"L'observance, disait-il, de ce commandement implique des conversations
antérieures avec l'avocat adversaire, une entente sur des questions non
contestées, l'échange de documents, toutes choses
extrêmement
recommandables." Et il soulignait: "Le temps des surprises est
passé."
Pour parvenir à cet objectif, le projet de loi vient donc
préciser le pouvoir des juges d'adopter des règles de pratique
qui touchent la mise au râle des causes et le délai de production
des documents. Ces règles de pratique pourront prévoir, selon les
besoins particuliers d'une cour ou d'un district judiciaire, l'obligation qui
est faite aux parties de produire un certificat d'état de cause, fixer
les conditions et les modalités de la production de ce certificat ainsi
que préciser les documents qui doivent être préalablement
produits. C'est ainsi, par exemple, que les rapports médicaux ou les
rapports d'un employeur sur l'état du traitement d'un employé,
les dépositions d'interrogatoires préables, les rapports
d'examens médicaux et les rapports de témoins experts devront
être produits au greffe dans le délai et suivant les conditions et
les modalités prévues dans les règles de pratique,
à moins, évidemment, que le tribunal n'en décide autrement
dans un cas particulier, cette disposition étant là pour assurer
plus de souplesse.
L'obligation qui est faite aux parties de produire préalablement
tous les documents au soutien de leurs prétentions, donc, de
procéder à la divulgation préalable de leur preuve est,
j'en suis conscient, une nouvelle façon de procéder qui
impliquera un changement réel dans la pratique quotidienne des avocats,
en général, et dans la mentalité de celles et ceux d'entre
eux qui s'opposent à la divulgation préalable des preuves.
Cependant, dans la mesure où les causes ainsi préparées
à l'avance pourront être entendues rapidement, je peux affirmer
qu'il y a, à cet égard, un consensus qui, on le sait, tant chez
les juges que chez les avocats, dans le cas de la préparation de ce
projet de loi, a fait l'objet de longues consultations par celui qui vous
parle. Par ailleurs, la divulgation préalable des preuves aura un effet
positif sur le déroulement de l'instruction en permettant aux parties
d'évaluer d'une façon plus réaliste leur cause et en
favorisant des règlements hors cour avant la mise au rôle. De
plus, le certificat d'état de cause étant plus complet et
permettant une meilleure appréciation du temps d'audition des causes, le
maître des rôles pourra alors préparer les rôles d'une
façon plus réaliste. Quant aux causes qui se rendront à
l'étape de l'enquête et audition, la durée de leur
instruction s'en trouvera donc diminuée. Dans ce contexte, il y a lieu
de s'attendre à une réduction qu'évalue, en particulier,
le juge en chef Gold de la Cour supérieure du Québec à
environ 30% du nombre des causes qui, actuellement, sont portées au
rôle et font, par la suite, l'objet d'un règlement hors cour ou
d'un désistement. À moyen terme, il est donc permis
d'espérer, grâce à cette mesure, une réduction
équivalente des délais qui sont préalables à
l'audition, dans la mesure où la cause dans laquelle ils sont
impliqués en matière civile est portée au rôle et
doit avoir une audition, les justiciables obtenant ainsi, je crois, un meilleur
service de l'appareil judiciaire. (17 heures)
Le projet de loi vise également à réduire les
délais qui sont préalables à l'audition des demandes de
mesures provisoires en matière familiale. Comme je l'ai mentionné
tout à l'heure, les demandes en divorce, en séparation de corps,
et, généralement, les demandes principales en matière
familiale sont habituellement accompagnées de demandes de mesures
provisoires qui demandent au tribunal de statuer, entre autres, sur la garde
des enfants, sur l'obligation alimentaire et sur l'obligation de cohabitation.
Le tribunal ne se prononce alors que provisoirement, afin de sauvegarder les
droits en attendant évidemment l'instruction de la cause de divorce ou
de séparation.
Les demandes de mesures provisoires constituent environ 60% des 25 000
requêtes qui sont mises annuellement au rôle de pratique de la Cour
supérieure en matière familiale dans le district judiciaire de
Montréal. L'audition d'une de ces demandes se poursuit parfois sur
plusieurs jours. L'encombrement des rôles qui en résulte est tel
que, dans ce dernier district judiciaire, encore une fois, il importe de le
rappeler, le délai moyen avant que ces demandes, lorsqu'elles sont
contestées, puissent être entendues est de plus de trois mois.
Encore une fois, nous sommes ici en matière provisoire. Or, il s'agit
ici de requêtes qui devraient être entendues d'urgence. Ces longs
délais ne contribuent certainement pas à réduire la charge
émotive qui est sous-jacente à la plupart de ces
procédures en matière familiale. Ils contribuent, au contraire,
à accroître, comme je le disais, les tiraillements et les tensions
entre les parties qui, à toutes fins utiles, dans bien des cas, ont
décidé de mettre un terme à leur vie commune. Ils
s'adressent alors à la justice pour assurer, pendant le
déroulement de cette procédure, qu'on y sauvegarde les
intérêts pécuniaires des uns et des autres ainsi qu'on
statue provisoirement sur les droits des enfants.
Les demandes de mesures provisoires impliquent actuellement la
présentation d'une preuve qui, parfois, s'étend sur plusieurs
jours. Par la suite, cette preuve est reprise lors de l'audition de la demande
principale. Il en résulte souvent une répétition, un
dédoublement des procédures qui entraîne des délais
supplémentaires. De plus, la présentation d'une preuve orale
n'est pas toujours de nature à inciter les parties à
bien circonscrire le débat ni à favoriser la conciliation
entre elles, notamment dans les questions de nature matérielle au niveau
des obligations alimentaires.
Afin de contribuer à une diminution des délais en cette
matière, le projet de loi introduit donc, lors de l'audition de ces
demandes provisoires, un mode de preuve qui, à nos yeux, sera plus
efficace puisqu'il privilégiera la preuve écrite. C'est ainsi que
les parties feront leur preuve notamment au moyen d'affidavit qui soit
détaillé en établissant tous les faits au soutien de leur
prétention. Ce mode de preuve a été introduit en
matière d'injonction et de recours extraordinaires par le chapitre 28
des lois de 1983 et s'est avéré un succès. Il devrait en
être de même en matière familiale où, tout comme en
matière d'injonction, ce sont surtout des questions de fait qui sont en
cause ici.
Toutefois, contrairement à la règle qui est applicable en
matière d'injonction, où les parties ont le choix entre la preuve
par affidavit et la preuve orale, le projet de loi prévoit que la preuve
orale sera soumise à l'autorisation du tribunal, sauf, cependant,
lorsque la mesure provisoire qui est en cause se rapporte à la garde,
à la surveillance ou à l'éducation de l'enfant. Dans ce
dernier cas, en effet, les parties pourront présenter une preuve orale
sans permission du tribunal, car les mesures qui y sont visées ont
habituellement une incidence importante sur le plan humain. Il importe que les
parties et leurs témoins aient la possibilité, si elles le
désirent, de se faire entendre de vive voix par le tribunal qui statuera
sur ces questions.
Quant aux mesures plus économiques, comme le versement d'une
pension alimentaire, l'attribution du domicile conjugal ainsi que toute la
preuve en termes de besoins comme de revenus que cela sous-tend, les parties
devront obtenir l'autorisation du tribunal, si elles veulent recourir à
une preuve orale. L'introduction de ce mode de preuve devrait donc contribuer
à diminuer les affrontements émotifs entre les parties, à
encourager des règlements hors cour et à accélérer
l'audition des demandes de mesures provisoires, amenant ainsi la
réduction de délais préalables à l'audition.
Par ailleurs, la conférence préparatoire à
l'instruction constitue, quant à elle, un instrument très utile
pour accélérer l'audition des causes. Celle-ci a pour objet de
circonscrire le débat, c'est-à-dire de déterminer quels
sont les points en litige et de permettre aux parties d'évaluer la
durée probable de l'instruction.
Cette conférence est alors l'occasion pour les parties de faire
certaines admissions, d'accepter de réduire à l'essentiel la
présentation de leur preuve à l'audience et parfois même
d'en arriver à un règlement de la cause sans pour autant qu'il y
ait eu audition et procès proprement dit devant le juge.
De plus, dans la mesure où ces conférences sont tenues
dans les types de causes où les délais préalables à
l'audition sont les plus longs, elles peuvent favoriser une meilleure gestion
de la préparation des rôles. La conférence
préparatoire constitue donc un excellent instrument de réduction
des délais qui sont préalables à l'audition; cependant,
certaines lacunes dans son fonctionnement en réduisent actuellement
l'efficacité.
Premièrement, cette conférence doit être
nécessairement présidée par un juge, ce qui exige donc que
celui-ci soit disponible pour ce faire. S'il est disponible pour ce faire, il
n'est pas disponible pour entendre des causes. Or, le temps qu'il y consacre en
pratique est autant de temps de moins à réserver à
l'audition de la cause dont il est saisi.
Deuxièmement, les parties sont tenues de déterminer les
points en litige, mais elles ne s'en tiennent malheureusement, parfois, afin de
ne pas révéler tous les arguments à la partie adverse,
qu'à des généralités, ce qui diminue par
définition, encore une fois, l'efficacité du processus de la
conférence préparatoire.
Ce projet de loi modifie donc le Code de procédure civile afin de
prévoir que la conférence préparatoire puisse être
convoquée et présidée non seulement par le juge du
procès ou un autre juge désigné par le juge en chef, mais
également pour que l'on puisse procéder à la nomination,
pour les fins d'une conférence préparatoire, d'un juge à
la retraite ou d'un avocat d'un certain nombre d'années de pratique,
ceux-ci étant nommés par le juge en chef pour les fins de ces
conférences.
Par ailleurs, afin d'amener les parties à discuter le plus
précisément possible du litige, le projet de loi vient
préciser que cette conférence a pour but de définir non
pas les points véritablement en litige, qui est la formulation que l'on
retrouve aujourd'hui, mais bel et bien les questions de droit et de fait
véritablement en litige et notamment, donc, de discuter de
l'opportunité, pour les parties, de fournir la liste des
autorités qu'elles entendent soumettre.
Sur le fait qu'une conférence préparatoire puisse
être présidée par une personne autre qu'un juge, je
voudrais souligner une expérience pilote en cours, encore une fois, dans
le district judiciaire de Montréal, à la Cour supérieure.
Un certain nombre de juristes éminents, dont d'anciens juges de la Cour
suprême ou d'anciens bâtonniers, s'occupent et s'activent à
cette expérience. Le bilan définitif ne pourra être
dressé que lorsque l'expérience aura pris fin, c'est bien
évident, mais les indications
préliminaires que nous avons - c'est ce que nous confirmait le
juge en chef Gold lors de nos entretiens - sont extrêmement
positives.
Toutefois, l'expérience repose sur une base essentiellement
volontaire puisque, en vertu du Code de procédure civile, actuellement,
les parties ne peuvent être obligées de se soumettre à la
convocation d'une conférence préparatoire que si elle est
présidée par un juge. Le fait de permettre à une personne
autre qu'un juge de convoquer et de présider des conférences
préparatoires permettra donc de réduire de façon
systématique l'utilisation de ces conférences quand le besoin
s'en fera sentir.
Ainsi, la tenue systématique de conférences
préparatoires dans le cas de causes dont la durée prévue
d'audition est de trois à neuf jours permettra une réduction des
délais, croit le juge en chef, de 20%. Cette réduction n'est pas
négligeable si on considère que le délai préalable
à l'audition dans cette catégorie de causes était, comme
je l'ai mentionné au début, 1983, en Cour supérieure, de
sept ans et demi. (17 h 10)
Toujours dans l'optique d'une réduction des délais
d'audition en Cour supérieure, le projet de loi propose également
une augmentation de la juridiction de la Cour provinciale. Cette cour, comme on
le sait, qui abat un boulot assez remarquable, a vu sa juridiction
financière augmenter d'une façon connue des membres de cette
Assemblée depuis quelques années. Nous porterons donc la
juridiction de la Cour provinciale en matière civile de 10 000 $
à 15 000 $. Cependant, nous conserverons l'appel dans le cas des causes
de plus de 10 000 000 $ entendues en Cour provinciale.
Afin que cette augmentation de juridiction, qui se traduira notamment en
matière civile par une réduction de près de 35% des causes
en Cour supérieure qui seront transférées en Cour
provinciale, afin, dis-je, que cette augmentation de la juridiction de la Cour
provinciale n'occasionne pas un blocage et, à toutes fins utiles, nous
fasse passer le problème dans des vases communicants d'une cour à
l'autre, nous ferons passer la juridiction de la division des petites
créances de cette cour de 800 $ à 1000 $. Il en résultera
une réduction de près de 4500 dossiers de la Cour provinciale sur
une base annuelle. Ces dossiers seront désormais entendus devant cette
division des petites créances et le délai d'audition, on le sait,
est plus court, malgré certaines difficultés qu'on a connues
Il y a quelque temps, mais au sujet desquelles des mesures
administratives seront prises, notamment au niveau de la médiation.
Le projet de loi modifie également le Code de procédure
civile afin de permettre au tribunal de rejeter en tout état de cause
une action ou une procédure qui est frivole ou manifestement mal
fondée lorsque l'interrogatoire le démontre, ou lorsque la partie
qui a intenté l'action ou produit la procédure refuse de se
soumettre à un tel interrogatoire. Cette mesure, qui élargit une
exception déjà prévue au Code de procédure civile
et qui est relative au rejet d'une défense frivole, permettra de
réduire le nombre des actions ou procédures qui allongent
inutilement l'audition des causes.
Enfin, si je mentionnais précédemment qu'une augmentation
du nombre des juges ne constitue pas la seule solution au problème des
délais préalables, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit
là d'une mesure qui devrait avoir des effets positifs, et le nombre de
juges de la Cour supérieure du district de Montréal sera donc
porté de 71 à 78.
Telles sont donc les modifications principales que nous proposons au
Code de procédure civile afin de contribuer à la réduction
des délais préalables à l'audition des causes et, encore
une fois, je le dis, en collaboration pour ne pas dire presque à la
demande du juge en chef de la Cour supérieure, le juge Gold, et avec je
ne dirais pas l'unanimité, peut-être même pas le consensus,
mais sûrement le concours à des compromis de l'ensemble des
intervenants du monde du barreau et de la magistrature par le biais du
comité tripartite qui réunit les représentants du
ministère de la Justice, de la magistrature et du barreau.
Je dirai que si cela en dérangeait un certain nombre, qu'on me
permette de citer cette phrase du juge en chef Gold récemment. Il disait
que "pour réussir, il n'est pas suffisant d'exprimer des voeux pieux, il
faut changer les attitudes, les habitudes et les préjugés." Il ne
le disait pas, mais il parlait aussi des lois. Mais surtout, disait le juge
Gold, "il faut lutter avec acharnement contre la tyrannie du statu quo."
Le projet apporte par ailleurs un certain nombre de modifications
à d'autres dispositions qui ne sont pas directement relatives aux
délais. Il permet, par exemple, à titre exceptionnel, la
représentation des parties par avocats devant la division des petites
créances de la Cour provinciale.
Par ailleurs, le projet de loi, sans affecter en lui-même le
principe du huis clos, modifie le Code de procédure civile afin de
permettre aux juges de déterminer par des règles de pratique les
conditions et les modalités d'application du huis clos à
l'égard des avocats et des stagiaires. En effet, malgré une
décision de la Cour suprême en 1981, qui indiquait que le huis
clos ne s'appliquait pas aux avocats et aux officiers de justice lorsqu'ils
agissent aux fins de l'administration de la justice, certaines
difficultés d'application de cette règle sont survenues et il y a
lieu d'y remédier.
Enfin, le projet de loi modifie la Loi sur les connaissements sous deux
aspects. D'abord, il simplifie et déjudiciarise les règles de
publicité des avis de vente et de l'enchère des biens en stock
qui ont fait l'objet d'une cession de façon à ce qu'il ne soit
plus nécessaire que les journaux dans lesquels ces avis sont
publiés soient désignés par le juge ou le protonotaire.
Deuxièmement, compte tenu de l'existence d'un registre central pour tout
le Québec des cessions de biens en stock et de la
nécessité d'uniformiser les heures durant lesquelles ces cessions
peuvent être enregistrées, le projet de loi autorise le ministre
de la Justice à fixer, par arrêté ou pour toutes les
divisions d'enregistrement, les heures pendant lesquelles ces avis pourront
être présentés pour enregistrement. Nul doute que ces
modifications permettront une entrée en vigueur prochaine plus
harmonieuse des dispositions qui sont relatives aux cessions de biens en
stock.
En terminant, M. le Président, je voudrais signaler que je
déposerai un amendement au projet de loi 83 afin de modifier le Code
civil en ce qui concerne les baux emphytéotiques. Je n'ai pas à
vous rappeler l'importance qu'a prise, depuis un certain nombre
d'années, cet instrument juridique qu'est le bail emphytéotique
dans la réalisation de projets d'envergure de nature immobilière
au Québec. Il suffit de mentionner, pour s'en convaincre, Place
Desjardins, Place Ville-Marie, Bonaventure ou Dupuis, Jardins Mérici ou
aménagement du mont Sainte-Anne. Il est commun, dans la pratique des
baux emphytéotiques, de stipuler diverses clauses qui imposent au
preneur ou au locataire certaines obligations reliées notamment au
paiement des taxes, aux assurances, au partage des indemnités
d'expropriation, à la cession de ses droits ou à la
sous-location.
Or, la Cour d'appel du Québec, dans un récent jugement, a
décidé qu'un bail emphytéotique ne peut contenir de
dispositions limitant ou restreignant les droits de propriété du
preneur emphytéotique pour la durée du bail. De telles
dispositions seraient incompatibles avec la notion de bail emphytéotique
et il en résulterait que la quasi-totalité des baux ainsi
contractés dans les 20 ou 30 dernières années pourraient
être considérés comme des baux ordinaires. La situation
juridique des parties actuellement liées par un tel contrat est donc
absolument bouleversée par ce jugement et, en effet, puisque ces baux
sont considérés comme des baux ordinaires, le preneur n'a donc
acquis que des droits personnels et ne pouvait consentir de sûreté
sur le fond. Quant à ceux qui envisagent d'avoir recours au bail
emphytéotique, ils en perdent la possibilité faute de pouvoir
assurer une certaine garantie des droits du bailleur.
L'insécurité juridique de cette situation n'est pas de
nature à rassurer les investisseurs immobiliers. Or, ne pas intervenir
aurait pour effet de laisser les parties incertaines sur leurs droits et les
créanciers incertains sur leurs créances. C'est pourquoi
l'amendement au projet de loi proposera de reconnaître la pratique
actuelle du bail emphytéotique et de rendre compatibles avec la nature
de ce bail les dispositions restrictives au droit de propriété du
preneur. Cet amendement viserait non seulement les contrats qui interviendront
à l'avenir, mais également ceux qui sont en cours
d'exécution. Somme toute, l'amendement proposé déclare
quel a toujours été l'objet du droit à cet égard,
étant compatible avec l'intention des parties lors du contrat.
Les mesures qui sont donc contenues dans ce projet de loi apportent des
solutions concrètes, notamment à cet important problème
des délais préalables à l'audition devant nos tribunaux,
et devraient favoriser à nos yeux une meilleure administration de la
justice au profit des justiciables du Québec. Merci, M. le
Président.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le
député de D'Arcy McGee. (17 h 20)
M. Herbert Marx
M. Marx: Merci, M. le Président. Le projet de loi 83 est
intitulé, Loi modifiant le Code de procédure civile et d'autres
dispositions législatives. Le but de ce projet de loi est bien
décrit aux notes explicatives, au premier paragraphe, et je cite: "Ce
projet de loi a pour objet principal de modifier le Code de procédure
civile afin de réduire les délais préalables à
l'audition des causes, notamment en Cour supérieure." Pour vraiment
compléter ce paragraphe, il faudrait ajouter: dans le district de
Montréal.
M. le Président, l'Opposition a soulevé ce problème
des délais à maintes reprises. L'Opposition a eu à rendre
publics des documents et des conférences de presse pour souligner ce
problème. Nous avons à Montréal, en matière civile,
une justice escargot. Avec ce projet de loi, le ministre n'est guère
sorti de sa coquille. En effet, le ministre est bien timide dans ses
réformes. Je ne veux pas être dur pour le ministre parce qu'il est
nouveau à ce poste. Ce n'est pas lui qui est vraiment responsable de ce
projet de loi. C'est un projet de loi qui, j'en suis sûr, était
déjà au ministère quand il a été
nommé ministre.
Ce gouvernement est maintenant au pouvoir depuis sept ans. Ils avaient
un ministre de la Justice, le député de Chicou-timi, qui a
été ministre de la Justice pendant sept ans. Depuis sept ans,
nous
n'avons jamais vu un plan d'ensemble, un plan cohérent en ce qui
concerne l'administration de la justice, l'administration des palais de justice
et l'administration de la justice par rapport aux délais. Depuis que je
suis député à l'Assemblée nationale, depuis presque
cinq ans maintenant, à chaque session, le ministre vient avec un petit
projet de loi pour faire des modifications au Code de procédure civile
ou au Code civil ou, même, il fait des modifications au bill omnibus
qu'il dépose à chaque session. Mais ce sont des réformes
de "patchage". C'est pour boucher un trou ici et là. Le ministre n'a
jamais présenté un plan d'ensemble, un plan cohérent. Je
pense qu'on souffre de cela maintenant.
En mai 1982, l'Opposition a rendu public un rapport intitulé "Les
lenteurs de la justice, une injustice." Je répète que
c'était en mai 1982. Le ministre - pas ce ministre-ci, mais son
prédécesseur - a déjà donné suite à
un certain nombre de suggestions de l'Opposition. Le 5 janvier 1984,
l'Opposition a produit un deuxième rapport qu'elle a intitulé "La
Cour supérieure de Montréal, une justice difficilement
accessible." Dans ce rapport de janvier 1984, nous avons cité un certain
nombre de chiffres en ce qui concerne les délais à la Cour
supérieure de Montréal. Ce sont des chiffres que nous avons eus
du ministère de la Justice. Par exemple, nous avons souligné
qu'en matière civile il y avait des délais de 88 mois. Je pense
que c'est un peu exagéré d'avoir des délais de 88 mois,
mais nous avons souligné toutes ces statistiques qui se trouvent dans ce
rapport.
M. le Président, cela me gêne de répéter ce
que l'ancien ministre de la Justice a donné en réponse à
ce rapport. Cela me gêne parce que l'ancien ministre de la Justice a
blâmé tout le monde. Sa réaction était que les
délais étaient la faute de tout le monde, la faute des avocats,
la faute de l'Opposition, la faute des justiciables, mais ce n'était pas
la faute du ministre de la Justice. On voit aujourd'hui que le ministre de la
Justice a une certaine responsabilité en ce qui concerne ces
délais et même si l'ancien ministre de la Justice, au mois de
janvier 1984, n'a pas voulu prendre ses responsabilités en disant: Je
vais essayer d'améliorer la situation. On voit aujourd'hui que
c'était nécessaire pour lui de déposer un projet de loi et
d'essayer de trouver des solutions à un certain nombre de
problèmes.
Ce projet de loi traite, comme je l'ai dit, du problème des
délais à la Cour supérieure dans le district de
Montréal. À mon avis, il y a cinq modifications importantes.
J'aimerais discuter de ces cinq modifications. Premièrement, on fait des
modifications à ce qu'on appelle communément la Cour des petites
créances.
On va augmenter la juridiction de cette cour de 800 $ à 1000 $.
Cela ne va pas changer grand-chose parce que la Cour des petites
créances est une division de la Cour provinciale; donc, les dossiers
seront en quelque sorte acheminés d'un bureau à l'autre dans la
même cour. Cela ne va pas changer quoi que ce soit en ce qui concerne les
délais. De toute façon, il n'y a pas de problème grave de
délais à la Cour provinciale dans le district de Montréal.
On prévoit aussi que ce sera possible pour le juge qui siège en
Cour des petites créances, de nommer des avocats pour les adversaires,
avec un avocat pour la défense, quand il s'agit d'une question de droit
et ces avocats seront payés par le gouvernement. De plus, il sera
nécessaire, pour qu'on nomme ces avocats, d'avoir le consentement du
juge en chef. Je ne sais pas pourquoi on a proposé ces modifications. Le
ministre n'en a pas expliqué la nécessité. On n'a pas de
préjugé contre et on va poser ces questions au ministre lors de
l'étude article par article du projet de loi.
Il y a un autre problème en Cour des petites créances que
le ministre n'a même pas soulevé. Prenons la petite et la moyenne
entreprise. Supposons qu'on a une petite compagnie et cette compagnie a des
créances de 100 $, de 200 $, de 250 $, etc. Si cette compagnie
décide de poursuivre pour être payée de ses
créances, il faut qu'elle engage un avocat et que l'avocat dépose
un bref d'assignation en Cour provinciale, que le bref soit signifié par
huissier, etc. Il va de soi que cela coûte cher. Il y a des
déboursés. Engager un avocat pour aller en Cour provinciale, cela
coûte de l'argent. Pour une créance de 100 $, souvent, cela ne
vaut pas la peine. Il arrive que, souvent, les compagnies ne peuvent pas faire
valoir leurs droits de poursuivre quelqu'un pour une créance de 100 $,
200 $ ou 250 $. Il y a beaucoup d'individus, de citoyens qui, malheureusement,
savent cela et qui se foutent de leurs dettes de 100 $, de 200 $ envers une
compagnie parce qu'ils savent qu'en pratique ils ne seront pas poursuivis.
Je pense qu'il faut que le ministre se penche sur ce problème. En
effet, j'ai une lettre du cabinet du ministre, datée du mois de
février 1984, où quelqu'un dans son cabinet a dit que le
ministère va étudier l'opportunité de modifier la Loi des
petites créances pour combler le problème que je viens de
souligner. J'ai reçu moi-même beaucoup de plaintes d'individus qui
sont souvent des propriétaires de compagnie et qui disent qu'il faut que
la loi soit changée. J'aimerais aussi demander au ministre de
peut-être faire une étude comparative pour voir ce qu'on fait
ailleurs, parce que la Cour des petites créances, quoique cela ait
été proposé et adopté par un gouvernement
libéral il y a une dizaine d'années, n'a pas
été inventée au Québec; cela a plutôt
été inventé aux États-Unis. Je pense qu'il serait
utile que le ministre commande une étude comparative pour voir comment
cela fonctionne dans d'autres provinces et surtout aux États-Unis, dans
d'autres juridictions, quels sont les problèmes et comment ils ont
résolu les problèmes que je viens de souligner et que nous avons
ici.
Deuxième modification. Le ministre a dit qu'on va augmenter la
juridiction de la Cour provinciale de 10 000 $ à 15 000 $. Cela aura
très peu d'effet sur la Cour supérieure dans le district de
Montréal et dans d'autres districts, parce qu'il y a très peu de
causes entre 10 000 $ et 15 000 $ qui seront transférées de la
Cour supérieure à la Cour provinciale. Peut-être que dans
le district de Montréal, cela va éliminer la
nécessité d'entendre les causes qui seront entendues par un juge
qui travaille à la Cour supérieure à mi-temps, mais cela
n'aura pas un grand effet sur le rôle de la Cour supérieure du
district de Montréal.
De plus, en augmentant la juridiction de la Cour provinciale comme on le
fait, on risque de se heurter à un problème constitutionnel. Vous
savez que par la constitution, la Loi constitutionnelle de 1867, on ne peut pas
transférer la juridiction ou des causes qui sont de la juridiction de la
Cour supérieure à la Cour provinciale; la juridiction que la Cour
supérieure a exercée en 1867 ne peut pas être
transférée à un autre tribunal comme la Cour provinciale.
Il y a un argument, bien sûr, qui permettrait une augmentation de la
juridiction de la Cour provinciale. Car il y a une quinzaine d'années
peut-être on a augmenté la juridiction de la Cour provinciale de
200 $ à 400 $. Or la Cour suprême du Canada s'est prononcée
sur cette augmentation et sur ce transfert de juridiction de la Cour
supérieure à la Cour provinciale et, entre autres, les juges de
la Cour suprême ont dit que l'Assemblée nationale pouvait faire
une telle modification étant donné l'inflation qu'on avait depuis
des années. Donc, c'était permis. Depuis, on a augmenté la
juridiction de la Cour provinciale jusqu'à 10 000 $ en 1982 et
aujourd'hui, on est en train d'augmenter la juridiction de cette cour de 10 000
$ à 15 000 $. Je me demande si nous avons vraiment eu au Québec
une inflation de 50% depuis deux ans. Je vais poser cette question au ministre
des Finances, mais je pense que c'est peut-être un peu
exagéré. J'aimerais seulement m'assurer que le ministre a bien
pris la précaution de demander un avis juridique à ses
conseillers en ce qui concerne le problème possible de la
constitutionnalité d'une augmentation de cette nature en ce qui concerne
la juridiction de la Cour provinciale.
Troisième modification, nous avons ici l'institution de
conférences préparatoires à l'instruction
présidée par des avocats d'expérience, des juges à
la retraite, etc. C'est une pratique qu'on a essayée à
Montréal, depuis quelques mois. Je pense que cela fonctionne assez bien
à Montréal. Ce sont des conférences en vue d'une meilleure
préparation des dossiers. Je pense que c'est une bonne idée. Il
va sans dire que cela va avoir l'effet de réduire les délais.
C'est une modification souhaitable que l'Opposition appuie sans
réserve.
La quatrième modification, c'est aussi une modification
souhaitable. On prévoit l'introduction de la preuve par affidavit de
certaines demandes. La modification a pour objet de simplifier la
procédure. C'est le député de Sainte-Anne qui explicitera
ce sujet, étant donné son expérience comme plaideur devant
les cours de justice. Il a une certaine expérience et il va nous
expliquer quelles sont les difficultés de procéder de cette
façon et quels sont les avantages et, en somme, quels en sont les
désavantages.
Comme cinquième modification, on prévoit l'addition de
sept nouveaux juges à la Cour supérieure de Montréal,
c'est-à-dire qu'on va porter le nombre des juges de 71 à 78. Vous
savez que ces nominations à la Cour supérieure de Montréal
sont faites par le gouvernement fédéral. Est-ce qu'on a trop de
juges à Montréal ou pas assez? Le ministre n'a pas produit une
étude. Le ministre n'a jamais produit une étude pour nous dire
quel est le problème. Est-ce qu'on en a trop ou est-ce qu'on n'en a pas
assez? Dans quelle cour, etc.?
J'aimerais vous suggérer qu'il y a de telles études. Dans
le journal "The National", d'octobre 1981 - le "National" est le journal du
barreau canadien - Me René Dussault, qui est professeur de droit, mais
qui est aussi un ancien sous-ministre de la Justice, a comparé le nombre
de juges en Ontario avec le nombre de juges au Québec. Il s'agit d'un
tableau qui se trouve à la page 30 de ce journal. Il ne faut pas oublier
que l'Ontario a 30% de plus de population que le Québec. On y donne le
total des juges, le total pour 1981, j'imagine. Le total au Québec
était de 400 juges. 126 juges nommés par le gouvernement
fédéral et 274 juges nommés par le gouvernement
provincial. En Ontario, il y avait 404 juges; 187 nommés par le
gouvernement fédéral et 217 nommés par le gouvernement
provincial de l'Ontario. Donc, la comparaison est qu'en Ontario, où il y
a 30% de plus de population qu'au Québec, il y avait 404 juges et que
nous en avions 404, à ce moment-là.
Il me semble qu'il est bien clair qu'en Ontario, il y a moins de juges
per capita qu'au Québec. À cela, le ministre peut
rétorquer que cela est vrai mais qu'en Ontario, il y a plus de juges
nommés par le fédéral, c'est-à-dire plus de juges
dans les
cours dites supérieures ou dans les cours de comté. Cela
est vrai. Mais s'il y a plus de juges dans une cour et que nous avons
peut-être trop de juges dans une autre cour, c'est-à-dire que si
on prend le nombre global de juges au Québec et en Ontario et si nous
avons le même nombre de juges qu'en Ontario, peut-être faudrait-il
couper un certain nombre de juges au Québec. J'ai déjà
dit, lors de l'étude sur les lenteurs de la justice, que dans certains
districts judiciaires certains juges attendent les procès, attendent les
dossiers. (17 h 40)
Pour conclure sur ce sujet, on attend que le ministre de la Justice nous
propose un plan d'ensemble en ce qui concerne la nomination des juges, le
nombre de juges dont on a besoin au Québec, dans quelle cour et ainsi de
suite, ce qu'il n'a jamais fait. Le Parti libéral du Québec a
déjà suggéré, il y a quelques années, qu'il
serait souhaitable de modifier la constitution afin de permettre au
Québec de nommer les juges de la Cour supérieure. La raison,
c'est pour éviter des conflits de juridiction qu'on appelle, en droit
constitutionnel, les conflits de l'article 96.
Vous savez bien, M. le Président, que l'article 96 de la
constitution du Canada prévoit que les juges des Cours
supérieures et des Cours de comté - nous n'avons pas de Cours de
comté au Québec - sont nommés par le gouvernement
fédéral. Le problème se pose, par exemple, quand nous
établissons une régie ou un office au Québec. Avons-nous
la compétence de le faire? Il y a quelques mois, quelqu'un a
contesté la juridiction de la Régie du logement du Québec.
Heureusement, la Cour suprême du Canada a déclaré que
l'Assemblée nationale avait la compétence voulue pour
établir cette régie. En Ontario, dans une cause semblable, la
Cour suprême du Canada a dit que l'Ontario n'avait pas la même
compétence que le Québec pour établir une telle
régie.
Si nous voulons établir au Québec, par exemple, un
tribunal de la famille, nous sommes empêchés de le faire à
cause de ce problème de juridiction entre la Cour supérieure et
la Cour provinciale et, en ce qui concerne le pouvoir de l'Assemblée
nationale, la compétence de l'Assemblée nationale de nommer des
juges. C'est pourquoi nous avons suggéré que les juges des Cours
supérieures au Québec soient nommés par le gouvernement du
Québec.
Comme je viens de le dire, le ministre propose la nomination de sept
nouveaux juges. Aujourd'hui - je l'ai déjà souligné
à maintes reprises - les juges que nous avons au palais de justice de
Montréal n'ont pas assez de soutien administratif, c'est-à-dire
qu'il y a des juges qui manquent de secrétaire, il y a des juges qui ne
peuvent travailler après leur nomination parce qu'ils n'ont pas de
bureau, ils n'ont même pas de bureau avec un pupitre pour travailler. Par
exemple, essayez de téléphoner à un juge; il n'y aura pas
de réponse. Savez-vous pourquoi? Parce qu'il y a des juges qui n'ont pas
de secrétaire à temps plein dans leur bureau. Imaginez-vous un
député ou un ministre qui n'aurait pas de secrétaire
à temps plein! Le problème aussi, c'est qu'il y a des jugements
qui traînent parce que les juges n'ont pas de secrétaire à
temps plein pour dactylographier ces jugements. Récemment, j'ai appris
que des juges qui ont été nommés à la Cour
supérieure de Montréal n'avaient même pas de bureau. Tout
était dans des boîtes sur le tapis, parce qu'ils n'avaient pas
d'étagères, etc. Je pense que c'est au ministre de corriger cette
situation pour prévoir des conditions adéquates pour que les
juges puissent travailler. On va nommer plus de juges, mais on ne
prévoira pas de soutien administratif pour ces juges.
Nous avons aussi suggéré qu'il faudrait penser à
donner plus de pouvoirs aux juges en ce qui concerne l'administration des
palais de justice. Je vous réfère, par exemple, à
l'étude de l'ancien juge en chef de la Cour supérieure du
Québec, M. le juge Jules Deschênes. Son étude s'intitule
"Maîtres chez eux". Dans cette étude, le juge en chef a
suggéré qu'on donne plus de pouvoirs aux juges de contrôler
surtout l'administration des palais, des rôles, etc.
Si on fait la comparaison avec d'autres juridictions, avec d'autres
cours, on verrait qu'ailleurs, effectivement, on donne plus de pouvoirs aux
juges de contrôler, par exemple, l'administration de leur palais de
justice. Je peux vous donner l'exemple de la Cour suprême du Canada et de
certains États américains, ou même de certaines provinces
canadiennes où les juges ont plus de pouvoirs dans certains domaines que
nos juges du Québec.
Un autre point concernant ces modifications. J'ai ici le document de
travail du 26 avril 1984, "Modifications au Code de procédure civile".
C'est l'avant-projet de ce projet de loi. Il m'est tombé entre les mains
par hasard, parce que vous savez que le ministre le fait circuler à tout
le monde sauf à l'Opposition. C'est toujours comme cela. Dans cet
avant-projet de loi, on a prévu de donner un certain pouvoir aux
protonotaires, c'est-à-dire qu'on a prévu de donner aux
protonotaires le pouvoir de décider des mesures provisoires,
c'est-à-dire de donner aux protonotaires du Québec le même
pouvoir que les "masters" de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick. Je vois que,
dans le projet de loi tel que déposé, cette disposition est
disparue. J'aimerais demander au ministre pourquoi. Pourquoi a-t-on mis cette
disposition sur les protonotaires dans l'avant-projet de loi et quand on arrive
au
projet de loi, cette disposition disparaît? En donnant un tel
pouvoir, par exemple, aux protonotaires de la Cour supérieure de
Montréal, cela ferait une économie de quelques juges. Cela est
sûr et certain. J'aimerais, encore une fois, demander au ministre
pourquoi c'est disparu et de fournir à l'Opposition et à la
population en général des études qu'il a sûrement
commandées sur cette question de donner plus de pouvoirs au
protonotaire.
J'ai parlé de cinq modifications, mais j'en ajoute une
sixième qui touche le huis clos. En effet, l'article premier du projet
de loi prévoit que ce serait possible pour les juges d'établir
des règles en ce qui concerne le huis clos à l'égard des
avocats et des stagiaires, au sens de la Loi sur le Barreau. Car des juges ont
interprété la règle du huis clos comme ayant l'effet
d'exclure les avocats. D'autres juges ont dit: Non, cela n'exclut pas les
avocats. D'autres juges ont dit que cela exclut les stagiaires. D'autres juges
ont dit: Non. Donc, il y avait plus d'une jurisprudence en ce qui concerne le
huis clos à l'égard des avocats et des stagiaires. Il a fallu que
le ministre intervienne et statue sur ce problème. Ici, on donne au juge
le pouvoir d'adopter des règles de pratique en ce qui concerne les
avocats et les stagiaires sur cette question.
Le huis clos soulève d'autres problèmes. Vous savez, M. le
Président, qu'en matière familiale, l'ancien ministre de la
Justice, pas l'actuel ministre de la Justice, a introduit dans notre droit le
huis clos intégral, c'est-à-dire qu'en toute matière
familiale il y a le huis clos intégral. À l'époque, nous
n'étions pas d'accord avec le huis clos intégral et nous ne
sommes pas d'accord avec le huis clos intégral aujourd'hui non plus.
Nous avons souligné, dans le journal des Débats du 29 avril 1982,
et je cite: "Finalement, sur le plan pratique, prenons le palais de justice de
Montréal. La plupart des divorces au palais de justice de
Montréal sont des divorces non contestés. Aujourd'hui, un juge
peut passer environ 40 à 50 divorces par jour. Avec le projet de loi du
ministre de la Justice, cela sera impossible parce que, après chaque
procès non contesté, il sera nécessaire de faire entrer
les avocats, les parties et, après chaque procès, il sera
nécessaire de vider la salle d'audience. (17 h 50) "J'ai
déjà consulté des juges sur cette question, M. le
Président, mais je vous assure que les juges qui passent de 40 à
50 divorces non contestés aujourd'hui, au Palais de justice de
Montréal, auront la possibilité d'en passer seulement 10 à
15, peut-être 20, mais cela va rendre la justice plus inefficace au
Palais de justice de Montréal. J'aimerais demander au ministre où
on va mettre les 200 personnes qui se trouvent aujourd'hui dans une salle
d'audience à Montréal en attendant leur divorce non
contesté? Est-ce qu'on va les mettre dans les couloirs? Est-ce que le
ministre a déjà pensé à cela? S'il faut vider les
salles d'audience, où va-t-on mettre tout ce monde au Palais de justice
de Montréal?" Fin de la citation.
En effet, cela pose un certain nombre de problèmes et je ne pense
pas que le ministre ait résolu ces problèmes encore. Il y a
d'autres problèmes. Le problème des témoins experts que
cette règle du huis clos exclut de la salle d'audience. Est-ce que ce
serait souhaitable pour le témoin expert d'être présent
lors du témoignage des autres témoins? Je vous pose cette
question parce qu'elle m'a été posée par des avocats qui
pratiquent au Québec.
En 1982, nous avons proposé qu'en première instance les
audiences concernant les procédures en matière familiale se
tiennent à huis clos, à la demande d'une des parties, à
moins que le tribunal n'ordonne une audience publique s'il l'estime utile dans
l'intérêt de la justice. Dans le cas de l'alinéa
précédent, le tribunal doit toutefois admettre tout journaliste
qui en fait la demande. Je pense qu'il va de soi qu'un procès est
public. Pour sauvegarder ce procès public, il faut prévoir que
tout journaliste ait accès aux procès devant nos tribunaux.
J'ajouterai qu'il n'est pas nécessaire de permettre aux
journalistes de publier tout. On peut bien prévoir l'interdiction de la
publication des noms des parties. Je conviens que, même si un journaliste
a le droit d'assister à un procès en matière familiale,
cela ne justifie pas qu'il publie les noms des parties. Mais de prévoir
la possibilité pour les journalistes d'assister au procès, cela
nous garantit un procès public et ouvert. Avec la règle du huis
clos intégral - je me demande si cela existe ailleurs en Amérique
du Nord; je ne pense pas qu'un règlement de huis clos intégral en
matière familiale existe - je me demande si on peut parler encore d'un
procès public, d'un procès ouvert. Je souligne ce problème
pour la cinquième ou sixième fois dans cette Chambre.
J'espère que le ministre va reprendre ce règlement, ces articles
et revoir si ce n'est pas utile et nécessaire de faire d'autres
changements à part ceux qu'on trouve dans le projet de loi devant la
Chambre.
M. le Président, j'aimerais souligner -je pense que c'est
important de le souligner - que les procès en matière criminelle
ne souffrent pas de délais, c'est-à-dire que les délais
sont normaux au Québec en ce qui concerne le droit criminel. Devant la
Cour supérieure de juridiction criminelle, dans le district de
Montréal, les choses vont très bien, c'est-à-dire que le
juge en chef a mis le nombre de juges qu'il faut en matière criminelle
pour que tout aille vite et il faut aussi ajouter qu'à la Cour des
sessions de la paix la justice est une justice expéditive. Je
pense que c'était important de souligner ces faits à la
population parce que le problème est que c'est surtout en matière
civile devant la Cour supérieure de Montréal que le ministre
essaie de régler en partie ce projet de loi.
Il y a d'autres problèmes dans d'autres districts judiciaires que
le ministre ne touche pas par son projet de loi. J'ai toujours des plaintes de
certains barreaux ruraux. J'espère qu'à un moment donné,
le ministre va se pencher sur les problèmes qui se trouvent dans
d'autres districts judiciaires.
Nous avons parlé de l'augmentation du nombre des juges, mais il
faut aussi prévoir la meilleure utilisation des ressources, la meilleure
utilisation du personnel administratif dans nos palais de justice, une
meilleure utilisation et une meilleure répartition des salles
d'audience. Par exemple, en 1982, les 87 salles du palais de justice de
Montréal étaient utilisées en moyenne à 65% du
temps. Il était possible d'utiliser ces salles pour encore 35% du temps.
Enfin, nous voterons pour le projet de loi parce qu'il y a des
améliorations et surtout des améliorations qui vont modifier
d'une façon avantageuse la situation à Montréal. On attend
toujours un plan global et cohérent sur le problème de
l'administration des palais de justice en ce qui concerne les délais,
etc. Depuis sept ans, on manque de planification au Québec. Il n'y a
jamais eu de planification depuis sept ans, jamais un livre blanc. Le dernier
livre blanc remonte à 1975 et cela a été fait par le
ministre de l'époque, Me Jérôme Choquette. J'ai
l'impression que, depuis ce temps le ministre réagit aux
problèmes soulevés soit par les médias, soit par
l'Opposition et, à chaque session, il revient avec une petite
modification à tel code, à l'autre session, avec une petite
modification à l'autre code, et ainsi de suite. Je pense qu'il est
souhaitable que le ministre se penche d'une façon cohérente et
globale sur le problème de l'administration de la justice. Merci, M. le
Président.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le
député de Saint-Hyacinthe.
M. Dupré: Merci, M. le Président.
Considérant l'heure, je demande la suspension du débat, s'il vous
plaît.
Le Vice-Président (M. Rancourt): Cette motion de
suspension est-elle adoptée?
Des voix: Adopté.
Le Vice-Président (M. Rancourt): Adopté. M. le
ministre et leader adjoint.
M. Fréchette: M. le Président, avant de vous
soumettre une motion pour suspendre nos travaux, avec le consentement du leader
adjoint de l'Opposition, je fournirais certains renseignements ou avis touchant
les travaux de la semaine prochaine quant aux commissions parlementaires. Dans
la soirée, nous allons continuer le débat qui est en cours
actuellement et, si le temps nous le permettait, nous devrions aborder le
projet de loi 80.
Quant à la semaine prochaine, je voudrais donner les avis
suivants. Le mardi 12 juin, après la période des questions, la
commission du budget et de l'administration procédera à
l'étude détaillée des projets de loi
d'intérêt privé suivants: les projets de loi 231, 202, 209,
211 et 212. Finalement, je veux modifier l'avis qui a été
donné ce matin concernant les projets de loi 239 et 224. La commission
de l'aménagement et des équipements se réunira, tel que
mentionné ce matin, afin de procéder à l'étude
détaillée des projets de lois privés que je viens de
mentionner, mais la date qui aurait dû être mentionnée est
le mercredi 13 juin 1984, de 16 à 18 heures.
Le Vice-Président (M. Rancourt): Donc, avis...
M. Fréchette: Ces choses étant dites, je fais
motion pour la suspension de nos travaux.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le whip de
l'Opposition.
M. Pagé: Nous avons reçu des indications il y a
quelques minutes au bureau du leader de l'Opposition à savoir que le
projet de loi 80 ne serait pas appelé après l'adoption du projet
de loi qui fait l'objet de l'étude en deuxième lecture
actuellement.
Deuxièmement, le ministre nous a confirmé les travaux de
la semaine prochaine. Est-ce qu'il pourrait nous indiquer les travaux qu'il
entend appeler demain, après la période de questions, parce qu'on
doit siéger jusqu'à 13 heures, compte tenu que vous avez un
congrès en fin de semaine?
Troisièmement, pourriez-vous nous confirmer si l'Assemblée
se réunit lundi ou si, par l'avis que vous venez de donner, on doit
comprendre que la Chambre va se réunir seulement mardi et auquel cas,
à quelle heure?
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le ministre et leader
adjoint.
M. Fréchette: M. le Président, quant à la
dernière question du député de Portneuf, je ne sais pas si
celui-ci était ici ce matin quand cette question a été
abordée par un de vos collègues ou par vous, le leader du
gouvernement vous a indiqué à ce moment-là que, toutes
choses étant normales, nous
devrions nous réunir mardi matin, à 10 heures. Toujours au
moment où on se parle, le député de Portneuf a des
renseignements qui ne me sont pas parvenus encore. Mais quant à la
troisième question, cela resterait ce qui a été
annoncé ce matin. Donc, les travaux de la Chambre devraient reprendre
mardi à 10 heures, sous réserve que des changements puissent se
produire, ce dont je ne suis pas informé au moment où on se
parle.
Quant aux deux autres aspects, aux deux autres questions du
député de Portneuf, je devrai, immédiatement après
la suspension des travaux, aller aux renseignements, renseignements que je
pourrais sans délai transmettre au bureau du député de
Portneuf ou au bureau du député de Charlesbourg.
Le Vice-Président (M. Rancourt): Donc, nos travaux sont
suspendus jusqu'à 20 heures.
(Suspension de la séance à 18 h 3)
(Reprise de la séance à 20 heures)
Le Vice-Président (M. Rancourt): À l'ordre, s'il
vous plaît!
Veuillez prendre place. M. le leader adjoint.
M. Blouin: M. le leader adjoint, nous poursuivons donc le
débat sur le Code de procédure civile; à cet égard,
je vous demande, M. le Président, de reconnaître le
député de Saint-Hyacinthe, s'il vous plaît.
Le Vice-Président (M. Rancourt): Avant de céder la
parole au député de Saint-Hyacinthe, j'aimerais vous indiquer que
nous poursuivons le débat sur le principe du projet de loi 83, Loi
modifiant le Code de procédure civile et d'autres dispositions
législatives.
M. le député de Saint-Hyacinthe.
M. Maurice Dupré
M. Dupré: Merci, M. le Président. Juste avant la
suspension des débats, j'écoutais le député de
D'Arcy McGee. Il est peut-être un grand théoricien, je ne connais
pas son passé, mais je doute qu'il ait, pendant plusieurs années,
parcouru les corridors et les chambres du palais de justice. Quand vous parliez
des délais et des remises, dont je discuterai tantôt, de ce
côté, vous étiez pas mal loin. Comme grand
théoricien, cela faisait très bien, mais dans la
réalité, c'est une tout autre chose.
Vous avez émis un souhait, à un moment donné. Vous
avez dit qu'il serait bon de demander un changement de la constitution
canadienne afin que nous puissions, au Québec, avoir le choix de nos
juges à la Cour supérieure et dans les autres cours. Je tiens
à dire au député de D'Arcy McGee qu'il y a un moyen
très simple pour qu'au Québec on puisse choisir nos juges et
être maîtres dans nos cours, c'est de faire la souveraineté
du Québec.
Le projet de loi 83 que nous étudions ce soir modifie le Code de
procédure civile et d'autres dispositions législatives. Les
grandes lignes de ce projet de loi ont pour objet principal
premièrement, de réduire certains délais;
deuxièmement, de porter la juridiction de la Cour provinciale de 10 000
$ à 15 000 $ en maintenant toutefois l'appel de plein droit à 10
000 $.
Il introduit aussi un nouveau mode de preuve que j'aborde
immédiatement; je reviendrai un peu plus tard sur les deux premiers
points.
Une chose est certaine, la présentation d'une preuve orale n'est
pas toujours de nature à circonscrire les débats ni à
favoriser la conciliation. Afin de contribuer à une diminution des
délais en matière de demande de mesures provisoires lors de ces
auditions, notre projet de loi 83 introduit donc un mode de preuve plus
efficace, privilégiant la preuve écrite. C'est ainsi que les
parties feront leur preuve notamment au moyen d'affidavits
détaillés établissant tous les faits au soutien de leurs
prétentions. Ce mode de preuve a été introduit en
matière d'injonction et de recours extraordinaire par le chapitre 20 des
lois de 1983 et s'est révélé un franc succès.
Considérant qu'en matière familiale tout comme en matière
d'injonction, ce sont surtout des questions de fait qui en sont la cause, il
devrait en être de même.
En matière d'injonction, on a tout de même un choix entre
la preuve par affidavit et la preuve orale. Mais notre projet de loi
prévoit que la preuve orale est soumise à l'autorisation du
tribunal, sauf lorsque la mesure provisoire en cause se rapporte à la
garde, à la surveillance ou à l'éducation des enfants.
Dans ce dernier cas, les parties pourront présenter une preuve orale
sans permission du tribunal car les mesures qui y sont visées ont une
incidence importante sur le plan humain et il importe que les parties et leurs
témoins aient la possibilité, s'ils le désirent, de se
faire entendre de vive voix par le tribunal.
Au cours de son allocution, le député de D'Arcy McGee a
fait mention, lorsqu'il a parlé du huis clos, qu'il était dommage
de voir les gens dans les corridors au lieu de les voir à
l'intérieur. Je pense que lorsque des drames familiaux se
déroulent, le côté humain est beaucoup plus important que
de savoir si les gens doivent être assis à l'extérieur, ou
dans les corridors, ou à l'intérieur de la chambre.
Quant aux mesures plus économiques, comme le versement d'une
pension
alimentaire ou l'attribution du domicile conjugal pendant l'instance,
les parties devront obtenir l'autorisation du tribunal pour recourir à
la preuve orale. L'introduction de ce mode de preuve devrait contribuer
à diminuer les affrontements émotifs entre les parties,
encourager les règlements hors cour et accélérer
l'audition des demandes de mesures provisoires, amenant ainsi une
réduction des délais préalables à l'audition.
L'expérience en droit administratif nous indique clairement que les
résultats sont excellents et dépassent même toutes les
prévisions, ayant moi-même été président d'un
tribunal administratif pendant plus de dix ans.
Considérant les retards, les arrérages de la Cour
supérieure se retrouvent dans le district de Montréal; dans le
reste du Québec, sauf quelques exceptions, on peut affirmer qu'il n'y a
pas trop de problèmes, la concentration de plus de 60% des avocats du
Québec, c'est-à-dire au-delà de 6000 d'entre eux,
pratiquant effectivement dans le district de Montréal. Bien que nous ne
fassions pas exception en Amérique du Nord, nous ne faisons que suivre
la frénésie du litige. Les gens croient que c'est à la
cour que tout doit se régler et même les gouvernements s'orientent
dans le même sens. Nous n'avons qu'à nous rappeler la nouvelle
constitution canadienne; elle n'était pas sitôt signée que
les politiciens fédéraux s'engagaient à défrayer
les frais de cour et les honoraires de n'importe qui voulant bien le leur
demander, et ce pour à peu près n'importe quelle raison et sous
le moindre prétexte. Juste un exemple: l'argent offert aux
aborigènes pour poursuivre les gouvernements provinciaux.
Si nous parlions de nos retards à Montréal. C'est
véridique, mais dans deux domaines seulement: premièrement, en
matière familiale, surtout les mesures provisoires et,
deuxièmement, en matière civile ordinaire au fond, surtout dans
des causes de longue durée. Dans les autres domaines, il est tout de
même bon de savoir et souhaitable que tout le monde sache que la Cour
supérieure de Montréal est plutôt à jour, à
commencer par la chambre criminelle, qui fait mieux que toutes les cours
supérieures au Canada et même ailleurs, la chambre de pratique, la
cour administrative, la chambre des faillites, les chambres civiles dans les
matières urgentes.
Émile Cola, dans le Devoir, en janvier 1984, disait: "II est
cependant toujours heureux pour certains de trouver des boucs émissaires
afin de se donner bonne conscience. Pour les uns, c'est la faute des juges;
pour les autres, ce sont les avocats et pour les malins, c'est la faute du
gouvernement provincial qui a su créer toutes sortes de tracasseries
administratives, etc. Tout ce beau monde, ensemble, doit faire chacun sa part
et le dépôt de ce projet de loi sera certes un pas en avant."
Bien que beaucoup d'efforts au début de l'année furent
faits par les juges de la Cour supérieure en acceptant 40 causes en
rôle supplémentaire, cela faisait tout de même un total
impressionnant de plus de 2000 dossiers sans pour autant régler tous les
problèmes. Le fait d'augmenter de 7 le nombre de juges à la Cour
supérieure avec ce projet de loi 83 et de passer de 71 à 78 juges
ne fera sans aucun doute qu'améliorer la situation dans le district de
Montréal.
Ces nouveaux juges se consacreront en grande partie aux demandes de
mesures provisoires en matière familiale. On sait qu'il y a au moins 500
avocats par année de plus dans la province et que la majorité de
ces avocats pratiquent à Montréal. C'est un peu en
corrélation avec les médecins. En somme, plus il y a d'avocats
à Montréal, plus la cour est congestionnée. Plus il y a de
médecins à Montréal, plus il y a de malades. C'est un
exemple, mais il reste que plus il y a de médecins, chaque année,
chaque fois qu'il y en a des nouveaux, ils font toujours 100 000 $ ou 200 000 $
de plus. Puis, l'année suivante on arrive avec une autre série,
avec un autre groupe de finissants. Ils s'installent encore dans la
région de Montréal, ils font encore entre 150 000 $ et 200 000 $
et, pendant tout ce temps, il y a encore plus de malades. C'est un peu la
même chose pour les avocats.
Je voudrais tout de même rappeler à cette Chambre que la
division des petites créances, pour les plus profanes, relève de
la Cour provinciale. Le nouveau montant maximal des petites créances va
passer de 800 $ à 1000 $. Au début c'était 300 $ et
lorsque j'étais, entre autres, à l'aide juridique, ce montant est
passé à 500 $, puis à 800 $, et aujourd'hui il passera
à 1000 $ avec le projet de loi 83. Cela permettra à des centaines
de citoyens et de citoyennes d'avoir recours à ce tribunal assez
expéditif et à faibles frais. (20 h 10)
Jusqu'à maintenant, les justiciables n'avaient pas le droit de se
faire représenter ou accompagner par un avocat à la Cour des
petites créances. Cependant, encore avec cette loi, M. le
Président, de façon exceptionnelle, lorsqu'une cause
soulèvera une question complexe sur un point de droit seulement, la
représentation par avocat sera permise et les coûts de
représentation seront entièrement facturés au ministre de
la Justice, tout en respectant les honoraires qui sont payés pour l'aide
juridique.
Poursuivant les buts premiers de cette procédure de recouvrement
des petites créances et, en même temps, apportant une certaine
solution à ces problèmes, et dans le prolongement de ce que cela
a rapporté ces dernières années qui n'avait, entre
autres,
qu'étendu la juridiction de la Cour provinciale, augmenté
le nombre de juges de la Cour supérieure tout en touchant à
l'injonction et aux recours extraordinaires comme l'évocation et le
mandamus, ces mesures dont j'ai discuté et quelques autres que renferme
le projet de loi 83, ne feront qu'améliorer l'administration de la
justice, des juges, des avocats; mais, en premier, ce sont les citoyens qui en
bénéficieront.
Comme je le disais tantôt, le nombre d'avocats augmente de plus de
500 et les procédures se multiplient - c'est sûr que certains de
ces tribunaux s'engorgent - en plus de la venue de nombreuses créations
depuis un certain nombre d'années, comme l'aide juridique, qui affectent
indirectement les recours spéciaux. C'est sûr que plus il y a de
cours de tribunaux administratifs - à un moment donné il y a le
bref d'évocation, il y a d'autres procédures qui sont entendues
par la Cour supérieure - à ce moment, indirectement, cela
amène des charges supplémentaires au tribunal de la Cour
supérieure. Pour évaluer le système, il faut le vivre
quotidiennement, avec ses délais, avec ses remises, entre autres, le
choix des juges - cela arrive souvent que les avocats, sachant que ça va
être tel ou tel juge qui va être sur le banc, vont essayer de faire
des remises qui, malheureusement et trop souvent, sont acceptées - avec
ses absences et bon nombre de causes mal préparées. Le monde des
juges et des avocats est un monde bien à part avec ses traditions, avec
ses us et coutumes et que l'on ne peut évidemment pas transformer en un
tour de main. Aujourd'hui même, on pourrait réduire les
délais si la procédure était beaucoup plus souple ce qui
n'est pas impossible.
Les exceptions préliminaires devraient se faire toutes en
même temps et au début des procès. L'honorable juge Gold se
demande bien pourquoi on persiste à croire ce mythe et c'est un mythe
qu'en gardant sa preuve jusqu'à la dernière minute, on est
capable de passer un sapin à la partie adverse et quelquefois au juge
pour gagner une mauvaise cause et faire perdre à son adversaire une
bonne cause. Est-ce qu'une cause est un jeu de cache-cache où l'on fait
l'impossible pour éviter que la vérité sorte? Enfin, la
vérité sortira quand même, mais dans notre système
actuel, on paiera un prix extrêmement lourd pour ce privilège.
Encore une fois, je mentionne que les remises demandées et
accordées, les procès scindés et une justice de plus en
plus lente et plus lourde. La force de l'un fait la faiblesse de l'autre. Le
vieux dicton est toujours aussi vrai qui dit que "les pires règlements
valent le meilleur jugement." Merci.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le
député de Sainte-Anne.
M. Maximilien Polak
M. Polak: Merci. On parle sur le principe du projet de loi 83,
Loi modifiant le Code de procédure civile. Il s'agit d'un projet de loi
fait pour réduire les délais dans les causes devant la Cour
supérieure et surtout devant la Cour supérieure du district de
Montréal. Notre porte-parole en la matière, M. le
député de D'Arcy McGee, je suis très content qu'il soit
venu ici ce soir pour m'écouter et vérifier si tout ce que je dis
est vrai; évidemment, c'est lui l'expert en la matière. Ce soir,
je ne donne qu'un peu de mon expérience comme avocat, parce que,
savez-vous, M. le Président, je suis encore avocat à temps
partiel à Montréal. De temps en temps, on pense qu'on ne sait pas
ce qu'il y a de certain pour l'avenir en politique. La pratique légale,
au moins, c'est très souvent plus certain.
Quant à ce projet de loi, comme le député de D'Arcy
McGee l'a dit cet après-midi, nous sommes en principe favorables
à une telle réforme pour accélérer les
délais des procès parce que la situation était vraiment
devenue très difficile et très pénible pour les
justiciables. Comme il l'a dit, il a considéré cela comme un pas
timide et je voudrais analyser un peu ce que veut dire ce projet de loi; sur le
plan pratique, pour les Québécois et les
Québécoises qui doivent en bénéficier.
M. le Président, en préparant mon discours, il y a
à peu près sept ou huit aspects que je voudrais toucher. Je ne
sais pas si j'aurai le temps de le faire, mais je vais tenter de le faire.
Le premier aspect, c'est ce qu'on appelle le huis clos. Je me rappelle
très bien, M. le Président, comme le député de
D'Arcy McGee l'a dit cet après-midi, quand on avait parlé du huis
clos, que nous avions averti le ministre de la Justice. On avait dit: Soyez
prudent avec votre fameux huis clos, parce qu'il disait: Le huis clos, cela
concerne les matières familiales, les procès de séparation
et de divorce. Désormais, on aura des procès à huis clos.
Personne ne peut entrer, sauf les avocats, pas d'autres personnes, pas de
journalistes ni même un autre avocat, ni même un stagiaire ou un
jeune avocat qui veut apprendre le métier. On l'avait averti. Le
député de D'Arcy McGee avait donné un avertissement. Il a
lu, cet après-midi, ses notes de 1982 et, moi, je l'avais averti dans le
temps sur le plan pratique.
Le ministre a ri de nous dans le temps. Il a dit: Vous ne connaissez
rien là-dedans. Vous ne comprenez pas. Moi, je sais cela mieux que vous.
On avait raison parce que, ce soir, on nous présente des amendements
dans le projet de loi 83. Qu'est-ce qu'on dit maintenant? On vous avait
avertis, il y a deux ans. On a dit: Soyez prudent, monsieur.
Vous allez voir. On avait la tête dure, mais, maintenant, on voit
qu'on avait raison, parce qu'on dit dans le projet de loi: En ce qui concerne
les avocats et les stagiaires, il y aura maintenant une exemption. Ils peuvent
assister à un procès en droit familial, en matière
familiale, et ils ne sont pas liés par le huis clos.
Évidemment, c'est bien normal, parce que pour un jeune avocat
stagiaire la meilleure manière d'apprendre comment plaider devant un
tribunal, c'est d'écouter une cause. J'ai un fils qui travaille à
mon bureau maintenant comme jeune avocat à Montréal et il n'a pas
tellement d'expérience de la façon de plaider devant les
tribunaux dans des causes de divorce ou de séparation parce qu'il
n'avait pas le droit, comme stagiaire, comme jeune avocat, de voir un autre
procès. Le député de D'Arcy McGee et moi-même avions
déjà parlé de cela, dans le temps. Maintenant, on dit:
Vous aviez raison, messieurs. On va changer le projet de loi et ils auront
désormais le droit d'aller écouter ces causes, justement pour
apprendre. Les autres avocats ont le droit d'écouter une cause devant un
tribunal. C'est très important parce que, comme avocat, on apprend
très souvent en écoutant et en assistant au procès d'une
autre personne. Beaucoup de choses sont dites au point de vue de la
jurisprudence.
Je suis très content de voir que le député de
Trois-Rivières arrive en Chambre. C'est probablement pour me faire
l'honneur d'écouter ce discours, parce qu'il est un homme qui veut
apprendre et qui doit apprendre. Je sais qu'il est pour une réforme
parlementaire qui contribue au mieux-être des justiciables
québécois. Je ne suis pas habitué à être
applaudi par les péquistes. S'il vous plaît! Je suis tout de
même un homme partisan, mais j'apprécie bien que vous
réalisiez que j'ai bien préparé mon discours de ce soir.
Quand même, réalisez, messieurs, que je suis un libéral et
que je suis là pour vous faire quitter vos fonctions parce que nous
voulons prendre votre place bientôt, dans l'avenir. (20 h 20)
Le deuxième aspect de la réforme est qu'on augmente la
juridiction de la Cour provinciale de 10 000 $ à 15 000 $. C'est inscrit
dans le projet de loi. Quand j'ai commencé à pratiquer le droit,
je m'en souviens très bien, la Cour provinciale s'appelait la Cour de
magistrat. La juridiction, à l'époque, était de 200 $. On
plaidait des causes de 1 $ à 200 $ devant la Cour de magistrat. On
préparait la cause comme on prépare maintenant une cause de 5000
$ ou 10 000 $. Le député de D'Arcy McGee a fait
référence, cet après-midi, au problème
constitutionnel parce que c'est bien beau pour la province de dire: On augmente
la juridiction de la cour. On est parti de 200 $ et on est maintenant rendu
à 15 000 $. Il a fait référence à un
problème constitutionnel parce que vous allez vous brûler les
doigts, à un moment donné, comme il l'a dit cet
après-midi. Quand la cause a été plaidée devant la
Cour suprême, celle-ci a décidé que la province de
Québec avait le droit d'augmenter la juridiction de la cour parce que le
facteur de l'inflation a vraiment nécessité une augmentation de
la valeur. Cela a plus de bon sens qu'on ait une cour qui ne juge pas que les
causes de 200 $. Jusqu'à 10 000 $, cela va encore, mais jusqu'à
15 000 $, je n'en suis pas certain.
J'avertis le ministre de la Justice, comme le député de
D'Arcy McGee l'a fait déjà cet après-midi:
Préparez-vous à une autre contestation devant les tribunaux. Un
avocat va attaquer cette juridiction, qui est augmentée de 10 000 $
à 15 000 $, en demandant aux tribunaux: Où est-ce qu'on
arrête, à 15 000 $, à 30 000 $, à 50 000 $? À
quel moment doit-on arrêter? Où est le maximum?
Quoi qu'il en soit, on veut augmenter la juridiction de 10 000 $
à 15 000 $ pour enlever un fardeau à la Cour supérieure et
le transmettre à la Cour provinciale. Comme le député de
D'Arcy McGee l'a dit: Combien de causes sont en jeu? Pas tellement.
Personnellement, je pense qu'on peut faire confiance à nos juges de la
Cour provinciale, les juges nommés par le gouvernement provincial, de
notre compétence, pour dire: On peut augmenter la juridiction et
peut-être enlever un part du fardeau qui pèse sur la Cour
supérieure, bien que cela ne réglera pas le problème de la
congestion des rôles.
Il y a une mesure que je trouve très intéressante dans le
projet de loi. Très souvent, les péquistes nous disent: Vous, de
l'Opposition, n'êtes là que pour critiquer; vous êtes
négatifs, pas une de nos lois n'est bonne, vous ne voulez pas
l'admettre, pas du tout. Le député de D'Arcy McGee l'a dit et je
le répète, quand il y a quelque chose de bon dans vos lois, on
est là pour vous dire: Oui, on vous félicite, même si vous
êtes en train de copier les idées du député de
D'Arcy McGee.
Je me rappelle très bien la Loi sur les coroners. Le
député de D'Arcy McGee avait émis tellement d'idées
là-dessus que le ministre a copié ses idées pour
rédiger une nouvelle loi. Je ne me gêne pas, je félicite le
député de D'Arcy McGee d'avoir réussi à convaincre
le ministre de la Justice de présenter une nouvelle Loi sur les
coroners. C'est un peu la même chose ici. Le député de
D'Arcy McGee est tout de même un homme qui a beaucoup d'expérience
en la matière, c'est un professeur de l'Université de
Montréal que je respecte beaucoup et qui a poussé le ministre de
la Justice à accepter ses idées pour régler nos
problèmes. Si vous
réglez les problèmes à l'aide de nos suggestions,
tant mieux pour la population. Il y a une mesure intéressante dans ce
projet de loi par laquelle un avocat pourra aller devant la cour, après
l'adoption de ce projet de loi, sur une simple requête. On
présente une requête devant la cour de pratique, on dit au juge:
Voici, M. le juge, j'ai poursuivi quelqu'un et je pense que la défense
est frivole. Quelqu'un conteste ma demande d'une manière frivole et je
vous demande, M. le juge, de rejeter cette demande.
Auparavant, cette possibilité existait seulement dans les cas de
défense frivole contre des actions sur compte, sur chèque, sur
loyer, sur salaire. Maintenant, c'est devenu plus large et,
indépendamment de la nature de la réclamation, on a le droit
d'aller devant la cour sur simple requête et de demander à la cour
de rejeter une demande parce qu'elle est frivole. C'est une bonne mesure, nous
y sommes favorables et nous l'appuyons. Nous ne sommes pas gênés
de dire: On vous félicite, c'est quelque chose de positif, de bon,
même si cela vient de notre côté.
Une autre amélioration: devant la Cour supérieure - et
surtout à Montréal où le problème est très
grave - quand une cause est prête à être plaidée,
avant de la plaider, il faut produire ce qu'on appelle un certificat
d'état. Les avocats disent: Je suis prêt à appeler la
cause, j'ai tant de témoins, la cause va prendre tant de temps; je
prévois que j'aurai six témoins, que la cause va durer deux
jours; il y aura deux témoins experts et quatre témoins
ordinaires. Ensuite, la défense répond en disant: Nous, on pense
que notre cause va prendre une journée, parce qu'on a tant de
témoins, tant d'experts. Ensuite, les causes sont jointes et sur ce,
inscrites au rôle.
Qu'est-ce qui arrive avec ce fameux certificat d'état de cause?
Les avocats en défense ne sont pas fous. Très souvent, un avocat
en défense - c'est peut-être malheureux de le dire - son devoir,
c'est d'essayer de bloquer la cause et plus cela prend du temps avant que la
cause soit plaidée, tant mieux. Si je poursuis quelqu'un pour 25 000 $
devant la Cour supérieure, que j'ai un bon droit d'action et que l'autre
partie se défend en disant: Je ne vous dois pas cet argent, ayant toutes
sortes de motifs, toutes sortes de raisons pour ne pas payer, je prépare
mon certificat d'état de cause. Je dis, comme avocat de la demande, que
j'ai besoin de trois témoins pour faire ma preuve, que cela peut prendre
une journée et que je suis prêt à plaider cette cause.
L'avocat en défense appelle alors le maître de rôle et
demande quel est le délai le plus long des causes. Le maître de
râle dit: La cause qui prend deux jours et demi demande quatre ans avant
d'être entendue. Il reçoit mon certificat et voit que, pour moi,
cela prend une journée. Il n'est pas fou, il dit: Moi, je pense que cela
prend une journée et demie pour faire ma défense, avec tant de
témoins, tant d'experts, etc. Il peut toujours faire une erreur et
personne ne peut le blâmer. Donc, la cause vient devant le maître
de rôle après un total de deux jours et demi, parce que j'ai pris
une journée pour moi; lui, une journée et demie; total: deux
jours et demi. Cela veut dire trois ans et demi ou quatre ans. Cela veut dire
pour lui en défense quatre ans de paix, quatre ans sans faire face
à la justice, quatre ans pour se cacher, quatre ans pour se faire
départir de son actif, quatre ans pour s'organiser, quatre ans pour
faire vraiment - quand je gagne ma cause - les démarches de telle
manière que mon recours, à toutes fins utiles, devienne inutile.
C'était la situation. Ce sont peut-être des avocats non scrupuleux
qui se servent de ces procédures, mais, soyons très
honnêtes, cela arrive surtout dans un grand district comme celui de
Montréal où toutes sortes de choses se passent.
Maintenant, on change un peu ce système dans le projet de loi 83,
parce qu'on dit que, quand on prépare le certificat d'état de
cause, il faut que l'avocat dise en même temps qu'il est prêt
à plaider la cause. C'est une amélioration. Cela veut dire que,
du moment qu'il signe le certificat, théoriquement, il doit être
prêt à plaider le lendemain, tandis que, jusqu'à
maintenant, on pouvait dire: Oui, j'ai préparé mon certificat,
mais je ne suis pas prêt à plaider tout de suite, parce que cela
me prend du temps à m'organiser, à obtenir des témoins,
etc. Ce sont des améliorations certaines en faveur de la justice pour
qu'une cause soit entendue plus tôt qu'auparavant.
Il y a la fameuse conférence préparatoire. J'ai
déjà assisté à ce genre de conférence et
auparavant, ce n'était pas une chose qui avait du poids. On a mis un peu
de dents à cette fameuse conférence préparatoire, parce
que le juge appelle les avocats pour dire: Venez devant moi dans une
conférence préparatoire pour expliquer quelle sorte de cause,
combien de témoins cela prendra. Il va vérifier le certificat et
il va dire: Vous avez dit que vous aviez besoin de douze témoins, mais
vous pourriez le faire avec trois témoins. Ne me dites pas que cela
prend trois jours; je pense que vous pouvez faire votre preuve dans une
journée. Donc, il y a une manière de réduire les
délais dans cette conférence préparatoire. De plus, on
donne maintenant une possibilité aux avocats qui ont une
expérience de plus de dix ans - donc, théoriquement, je pourrais
être invité à devenir l'un de ces avocats qui... Je ne suis
pas un juge à la retraite, comme le député de D'Arcy McGee
le sait, mais un avocat d'au moins dix ans de pratique. Donc,
théoriquement, je pourrais être appelé pour,
précisément, présider une
conférence préparatoire.
Dans le projet de loi, je cherchais à savoir ce qu'on fait avec
ces avocats d'au moins dix ans de pratique qui président de telles
conférences. Est-ce qu'ils sont payés? Est-ce qu'ils font cela
gratuitement par devoir vis-à-vis du barreau et la population?
Très souvent, les avocats font très souvent des devoirs pour
aider le barreau, pour aider les justiciables. Je n'ai rien trouvé dans
le projet de loi. J'étais curieux. Lorsqu'on étudiera plus tard
le projet de loi article par article, je suis certain que le
député de D'Arcy McGee va demander: Pour attirer des avocats de
première classe, qu'est-ce que vous allez faire avec ces
messieurs-là, parce qu'ils vont donner de leur temps, ils vont
être là tout un lundi après-midi pour écouter des
gens en conférence préparatoire? Est-ce qu'ils sont
remboursés par le gouvernement? Est-ce qu'ils sont payés ou s'ils
font cela par bonté ou par devoir civique? (20 h 30)
M. le Président, un autre point très important et,
là, je vais avertir le ministre de la Justice. Quand je parle de droit
familial, en matière familiale, je parle des séparations et des
divorces. Vous savez, à Montréal, c'est malheureux de le dire,
mais de nos jours, l'institution du mariage, ce n'est pas fort. Il y a beaucoup
de problèmes. Il y a beaucoup de séparations. Il y a beaucoup de
divorces. Il y a des problèmes concernant la garde des enfants, les
pensions alimentaires, le domicile, à qui cela appartient, etc. Parce
que cela prend énormément de temps, il y a des juges qui sont
entièrement occupés à écouter ces
demandes-là qui, très souvent, prennent beaucoup de temps et
exigent beaucoup de témoins et beaucoup d'énergie.
On fait une innovation par le projet de loi. On dit: Monsieur,
désormais, vous pourrez procéder par affidavit. Par affidavit,
cela veut dire que quelqu'un fait une déclaration sous serment,
signée sous serment, sur la Bible, en disant: J'affirme le fait suivant;
je suis la femme requérante et mon mari m'a trichée. J'ai trois
enfants; j'aimerais bien avoir la garde des enfants parce que je suis mieux en
mesure de prendre soin de mes enfants que mon mari qui est parti avec une autre
femme, etc. Au lieu de faire toute cette preuve avec témoins, comme on
le fait présentement, on pourra procéder par affidavit. Il y a un
certain avantage à procéder par affidavit. Cela va plus vite. On
n'a pas besoin de produire des témoins physiquement devant la cour. Je
veux avertir le ministre de la Justice et lui dire qu'il y a tout de même
un danger. Par exemple, un témoin témoigne personnellement devant
la cour; je peux l'interroger ou le contre-interroger. Si quelqu'un
témoigne, je peux dire: Madame ou monsieur, vous avez dit tout à
l'heure telle et telle choses; voulez-vous confirmer? Je peux l'interroger; la
personne est devant moi. Maintenant, par affidavit, on a un document. C'est
facile. Je ne dis pas que les gens vont mentir en procédant par
affidavit, mais ils vont dire: Au meilleur de ma connaissance, je crois que. Il
y a toujours moyen d'y échapper et c'est peut-être plus facile,
dans un document, dans un affidavit, de ne pas dire toute la
vérité que directement devant un tribunal, devant un juge qui
vous regarde, devant l'avocat de l'autre partie qui peut vous
contre-interroger.
Évidemment, le projet de loi a prévu qu'on permette
maintenant une preuve orale - cela veut dire interroger les témoins
-mais c'est seulement en matière de garde des enfants, de surveillance
et d'éducation des enfants. Quand il s'agit de garde d'enfants, de
surveillance et d'éducation des enfants, la loi permet,
indépendamment de la preuve par écrit, une preuve orale. Donc,
j'ai le droit d'amener un professeur qui dirait: Je pense que c'est mieux que
la garde de l'enfant soit accordée à monsieur plutôt
qu'à madame, parce que c'est mieux pour la sécurité et le
bien-être de l'enfant. Je peux encore faire cette preuve-là. Mais,
dans d'autres domaines, par exemple, la pension alimentaire - c'est un
élément grave -l'argent que la personne paie, le juge a le droit
de dire: Je défends la preuve orale; je ne vous le permets pas; j'en ai
assez; j'ai vu le document concernant les revenus de monsieur; j'ai vu le
document, l'affidavit concernant les besoins de madame; je juge qu'il doit
payer tant à sa femme. Je vous avertis. Je vous le dis: Soyez prudent
avec cela, M. le ministre; permettez toujours que quelqu'un puisse être
contre-interrogé verbalement devant la cour.
M. le Président, je vois que vous me faites signe. Il me reste
une minute ou une minute et demie. Je voudrais simplement dire que les
réclamations à la Cour des petites créances, division
petites créances de la Cour provinciale, sont augmentées, par le
projet de loi, de 800 $ à 1000 $. Je souscris entièrement au
raisonnement du député de D'Arcy McGee quand il dit: Qu'est-ce
que cela change? C'est le même juge. C'est le juge de la Cour provinciale
qui change de chapeau. Au lieu d'être juge de la Cour provinciale, devant
des parties représentées par des avocats, il est juge devant des
personnes qui plaident en équité. Mais c'est encore le même
juge. Ils sont tout le temps occupés.
C'est malheureux que j'aie seulement 20 minutes parce que c'est une
matière fascinante, même si c'est technique. Je suis très
heureux que le député de D'Arcy McGee m'ait demandé de
l'appuyer, de faire un petit discours sur le plan pratique. Quant à
nous, nous sommes pour le principe et on le dit carrément, surtout quand
on est en train
de copier les initiatives du député de D'Arcy McGee, mais
toujours en vous avertissant et en disant: II y a des problèmes
là-dedans. Écoutez-nous pour que, la prochaine fois, vous n'ayez
plus besoin de revenir avec des amendements comme aujourd'hui. Merci.
Le Vice-Président (M. Rancourt): J'ai deux personnes. M.
le ministre du Travail et député de Sherbrooke...
M. Raynald Fréchette
M. Fréchette: M. le Président, j'aurais volontiers
cédé mon droit de parole au député de Vachon. Je le
vois me concéder le même droit.
Permettez-moi quelques commentaires sur le projet de loi en discussion,
la loi 83 qui, de toute évidence, va faire l'unanimité de cette
Chambre. Je voudrais, si vous me le permettiez, revenir quelque peu sur
l'intervention du député de D'Arcy McGee à
l'intérieur de laquelle on a retrouvé des questions fort
intéressantes. Le député de D'Arcy McGee a soulevé
des points qui nécessitent une réflexion et qui permettent
également d'approfondir certains des aspects de cette loi 83.
Par exemple, il s'est posé des questions sur la
constitutionnalité de la loi au niveau de cette augmentation de la
juridiction de la Cour provinciale, qui passerait de 10 000 $ à 15 000
$. Il a également soulevé une question relativement à la
possibilité pour les petites et moyennes entreprises de se
prévaloir des dispositions de la loi et de pouvoir présenter des
recours, particulièrement en matière de poursuite sur comptes
devant la cour d'accès ou la Cour des petites créances. Je suis
convaincu que le ministre de la Justice, lorsqu'il exercera son droit de
réplique, va revenir sur les questions qu'a posées le
député de D'Arcy McGee.
Quant à moi, je voudrais retenir une conclusion
générale qui se dégage des observations ou de
l'argumentation qu'a développée le député de D'Arcy
McGee. J'espère qu'il ne considérera pas que mes propos sont de
mauvais goût quand je lui dirai, par exemple, que ses remarques
procèdent de l'évaluation de quelqu'un qui a sans doute une
connaissance approfondie de la théorie du droit, de la façon dont
c'est écrit dans nos différents codes, mais qui n'a sans doute
pas souvent pris sa mallette le matin pour aller de son bureau jusqu'au palais
de justice. Si je me trompe, tant mieux, mais je vous réitère que
c'est la conclusion générale à laquelle j'arrive
après analyse de l'intervention du député de D'Arcy
McGee.
Je me permets de relever un exemple ou un aspect de son intervention qui
m'amène à la conclusion dont je viens de parler. Le
député de D'Arcy McGee a soulevé le fait qu'il ne faudrait
pas qu'il y ait de huis clos en matière matrimoniale et, à
l'appui de son argumentation, il a invoqué deux raisons bien
précises. Je les ai notées. Je ne crois pas faire erreur en les
relevant.
Il a d'abord dit: On ne peut inscrire dans la loi qu'il y ait huis clos
parce que, dit-il, il n'y aurait plus de place dans les corridors des palais de
justice. C'est là un des premiers arguments qu'a soulevés le
député de D'Arcy McGee. Le deuxième argument, toujours
à l'appui de cette même thèse a été de nous
dire que, parce qu'il y a ce huis clos et parce qu'il doit y avoir un
va-et-vient continuel dans chacune des causes à l'intérieur des
chambres d'audience, les juges ne pourraient pas rendre plus de 40 à 50
jugements par jour en matière de divorce. (20 h 40)
Ce sont les deux arguments que le député de D'Arcy McGee a
invoqués quant à la thèse qu'il soutient en matière
de huis clos. Quant à moi, j'ose espérer qu'il n'est pas
allé au fond de sa pensée, qu'il n'a pas, non plus,
développé son argumentation jusqu'à la limite pour
soutenir cette thèse parce que - je reviens à mes remarques
préliminaires -quiconque a eu l'occasion d'aller dans les palais de
justice pour des parties, en matière matrimoniale, sait très bien
que les traumatismes, les charges émotives dont parlait le ministre de
la Justice cet après-midi proviennent très
précisément et dans plusieurs cas, sinon dans tous les cas, du
fait que les auditions sans huis clos se font en présence de tout le
public qui est intéressé à assister à cette
audition.
Il me semble que c'est moins traumatisant pour des personnes de pouvoir
attendre dans les corridors que de devoir étaler toute leur histoire
personnelle devant un auditoire qui est là pour attendre que son tour
vienne. Il faut aussi avoir pratiqué ce métier pendant un certain
temps - et le député de Sainte-Anne y a fait
référence, d'ailleurs - pour réaliser, savoir
reconnaître que ce traumatisme dont je parle s'empare très
facilement des hommes, des femmes et des enfants à qui on fait appel
pour agir comme témoins ou qui sont les parties impliquées dans
les causes. Pour plusieurs justiciables, le simple fait de savoir que demain,
par exemple, on doit se rendre au palais de justice, qu'on va devoir aller
devant le juge pour raconter son histoire, cela devient, en soi, très
traumatisant et c'est la raison pour laquelle je ne comprends
véritablement pas les motifs qu'invoque le député de
D'Arcy McGee, encore une fois, à l'appui de sa thèse sur le huis
clos.
Sa deuxième argumentation est encore plus inquiétante, si
je l'ai bien interprétée et bien comprise. Il nous signale que du
fait qu'il y ait ce huis clos - et je présume qu'il faisait
référence de façon plus particulière à
la situation qui prévaut au palais de justice de Montréal
- les juges, dans l'état actuel des choses ou dans l'état qui
prévalait avant l'adoption de la loi, au mois de juin dernier, pouvaient
rendre, dit-il, de 40 à 50 jugements par jour et, maintenant, ce lot de
jugements dans une même journée va diminuer parce qu'il y a le
huis clos. Faut-il comprendre de l'observation du député de
D'Arcy McGee que la qualité de la justice est proportionnelle à
la quantité de jugements qu'une cour va rendre? Je comprends et je suis
très heureux de voir, de réaliser que le député de
D'Arcy McGee est en train de me dire que non, ce n'est pas cela et que c'est
à une autre situation qu'il faisait référence lorsqu'il a
développé cette argumentation. J'espère que, dans le cours
du débat, il aura l'occasion de préciser sa pensée
à cet égard.
Le député de D'Arcy McGee a aussi fait une autre
affirmation qui m'a vraiment surpris. Cela me surprend d'autant qu'il a
affirmé avec une certaine autorité, avec une certaine conviction
- j'espère qu'à cet égard aussi il aura le temps et
l'occasion de préciser sa pensée... J'ai compris que le
député de D'Arcy McGee, dans les études qu'il a
menées, dans les statistiques qu'il a recueillies, en était venu
à la conclusion que dans certains districts judiciaires les juges
attendent les causes. Là, il y a une double question qui se pose. Est-ce
que, dans certains districts judiciaires, les juges attendent les causes parce
qu'il n'y en a pas sur les rôles ou, alors, parce que les parties ne sont
pas prêtes à procéder? Dommage que je sois un avocat de
campagne. Je ne connais pas un seul district judiciaire pour en avoir
visité passablement, où les juges attendent les causes parce
qu'il n'y en a pas. C'est sans doute une exception et une rare exception
à laquelle le député de D'Arcy McGee
référait, mais encore une fois, je n'ai jamais été
témoin, quant à moi, d'une semblable situation et je ne sache pas
que cela existe. Si mon évaluation n'était pas exacte, M. le
Président, et si l'affirmation du député de D'Arcy McGee
était conforme aux faits, conforme à la réalité et
qu'effectivement, dans certains districts judiciaires du Québec, les
juges - je présume que ce sont des juges permanents de ces districts -
doivent attendre les causes, doivent attendre qu'un rôle relativement
normal soit confectionné avant de siéger, je me pose de
sérieuses questions sur l'opportunité de conserver un district
judiciaire dans lequel il n'y aurait pas suffisamment de matière pour
occuper, si l'on parle de la Cour supérieure, un juge à plein
temps. J'espère que là-dessus également, le
député de D'Arcy McGee aura l'occasion de préciser
davantage les informations générales qu'il nous a fournies, nous
indiquer où des situations comme celles qu'il a décrites
existent, quelle est la proportion ou l'évaluation de cette
situation.
Une dernière observation, quant à moi, pour vous dire ma
satisfaction de voir le ministre de la Justice insister sur la
nécessité des conférences préparatoires qui doivent
précéder l'audition d'une cause. Je fais une espèce de
parallèle, peut-être par déformation, entre la
nécessité de tenir une conférence préparatoire et
ce qu'on pourrait convenir d'appeler en matière de relations du travail,
la médiation préventive. La médiation préventive
est un exercice permettant généralement d'éviter des
litiges, d'éviter des conflits de travail. Or, la conférence
préparatoire peut avoir exactement le même effet et il est heureux
de voir que maintenant, dans la loi, par l'effet de la loi, des juges à
la retraite, des avocats ayant accumulé dix ans et plus de pratique,
pourront présider ces conférences préparatoires, parce que
là encore - et le député de Sainte-Anne a mis le doigt
là-dessus tout à l'heure - l'expérience démontre
très clairement qu'une cause qui est inscrite devant la Cour
supérieure, qui prend un an, 18 mois, deux ans ou plus avant
d'être prête pour audition devant le tribunal, une grande
proportion de ces causes se règlent la veille, l'avant-veille ou
quelques jours avant la date prévue pour l'audition. Or, si le
mécanisme de la conférence préparatoire est
institutionalise, si les pouvoirs qui sont incorporés dans la loi -
pouvoirs qui sont donnés au juge - sont utilisés jusqu'au
maximum, je pense qu'il n'y a pas d'autre conclusion à tirer que celle
qui nous permet de présumer qu'un nombre considérable de litiges
portés devant le tribunal pourront trouver un dénouement sans
qu'il soit nécessaire de procéder à une audition. Et
encore là, c'est l'expérience qui le démontre.
M. le Président, c'est exact que le phénomène des
délais en matière de justice et plus particulièrement en
matière civile devant la Cour supérieure est un
phénomène qui, dans certains cas, peut devenir
l'équivalent d'un déni de justice. Je comprends que le
phénomène peut varier d'intensité suivant que l'on se
retrouve dans un district judiciaire plutôt que dans un autre, mais les
mesures que l'on retrouve dans le projet de loi 83 vont très
certainement avoir pour effet d'accélérer le processus de la
justice et de faire en sorte que ce qui était l'équivalent d'un
déni de justice n'en soit plus un maintenant. Finalement, je
réitère encore une fois au député de D'Arcy McGee
que je suis fort désireux de l'entendre expliciter les observations
qu'il a faites tout à l'heure. (20 h 50)
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le
député de D'Arcy McGee.
M. Marx: Question de règlement.
L'article 205 de notre règlement prévoit que tout
député estimant que ses propos ont été mal compris
ou déformés peut donner de très brèves explications
sur le discours qu'il a prononcé. Il doit donner ces explications
immédiatement après l'intervention qui les suscite. Elles ne
doivent apporter aucun élément nouveau à la discussion, ni
susciter de débat.
Le Vice-Président (M. Raneourt): M. le
député de D'Arcy McGee, je souhaite que vous vous en teniez
justement à l'article 205 et surtout au deuxième paragraphe.
M. Marx: Oui, c'est que je n'ai rien de nouveau à ajouter
parce que j'ai déjà tout dit quand j'ai fait mon discours, il y a
une ou deux heures. Je sais que le ministre n'a pas déformé mes
propos volontairement, parce qu'il n'est pas seulement ministre, il est aussi
député et leader adjoint. J'imagine qu'il a fait autre chose que
de m'entendre quand j'ai fait mon discours.
Sur la question du huis clos, je n'ai jamais dit que nous sommes contre
le huis clos. J'ai dit que nous sommes pour le huis clos, à la demande
d'une des parties. Ce n'est pas la même chose. Si quelqu'un veut avoir le
huis clos, je suis prêt à l'accorder. Quand j'ai parlé du
huis clos, où le travail des juges est réduit de 40 ou 50
jugements par jour à 10 ou à 15, c'est pour des causes de divorce
non contestées. C'est ce que j'ai dit, M. le ministre. Je me demande
où est l'intérêt public, où est
l'intérêt des parties d'avoir une cause de divorce non
contestée entendue à huis clos. Il n'y a pas
d'intérêt parce que ce sont souvent les avocats. Il n'y a pas de
témoin. Il n'y a pas de plaidoirie, etc.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le
député de D'Arcy McGee.
M. Marx: II ne faut pas oublier qu'un journaliste peut consulter
le dossier pour voir les faits.
Le Vice-Président (M. Rancourt): S'il vous
plaît;
M. Marx: J'aborde le deuxième point. Je pense que j'ai
épuisé le premier point. Je vois que le ministre est d'accord
avec moi qu'il a vraiment mal interprété mes propos.
Je serai très bref sur le deuxième point. Le ministre a
parlé de mes propos en ce qui concerne les juges qui attendent leurs
causes. C'est une expression et la preuve se trouve dans un document que
l'Opposition a rendu public. Il est intitulé: "Les lenteurs de la
justice: une injustice". Je vais envoyer une copie de ce document au ministre
pour qu'il puisse prendre connaissance de ces faits. Merci, M. le
Président.
Le Vice-Président (M. Rancourt): M. le
député de Vachon.
M. David Payne
M. Payne: Assez brièvement, je voudrais ajouter mon nom
à ceux qui appuient le projet de loi. Je pense qu'il y a un
intérêt pour tous les électeurs de voir dans ce projet de
loi les objectifs qu'on a recherchés depuis plusieurs années. Je
pense qu'on ne peut souligner suffisamment la situation actuelle où, par
exemple, les trois derniers juges en chef, le juge Alan Gold, le juge Challies,
le juge Deschênes, ont bien signalé les failles et les
délais du système actuel. Je pense que les électeurs
seront très intéressés à bien constater avec nous
que, annuellement, la Cour supérieure a environ 15 000 demandes de
mesures provisoires qui concernent particulièrement la garde des
enfants, l'obligation alimentaire et l'obligation de cohabitation pendant
l'instance de la séparation ou du divorce.
Tout le monde peut aussi constater que les délais, à
certains endroits, sont en moyenne de cinq à six semaines pour les
causes qui ne sont même pas contestées et de trois mois pour
celles qui sont contestées. Comme l'a bien signalé le
député-ministre qui me précédait, la situation est
d'autant plus grave lorsque l'on discute de matière civile. En 1983, sur
5600 causes portées au rôle de la Cour supérieure,
seulement 30% ont été entendues, 49% ont été
réglées hors cour et 21% ont été remises.
Lorsque l'on voit les délais et que l'on fait un "breakdown", si
on essaie de décortiquer les chiffres, on voit que les délais
pour les causes de deux jours sont en moyenne de trois ans et demi; pour les
causes de trois à neuf jours, on peut compter sept ans et demi; pour les
causes supposément urgentes, de trois à neuf jours, on calcule
deux ans. Cela représente, au fil des années, 2300 causes civiles
qui n'ont pu être entendues et se sont accumulées. C'est ce qu'on
appelle en anglais un "backlog".
Donc, je pense que les objectifs du projet de loi, bien
articulés, vont attaquer directement ce genre de problèmes.
D'ailleurs, lorsque l'on parle, aux articles 36 et 37, d'augmenter le nombre
des juges de 71 à 78, c'est manifestement une illustration non seulement
de la bonne foi du gouvernement, mais une claire volonté politique de
régler le problème en grande partie. Au moins, cela va nous
donner l'occasion de juger de la situation d'ici une couple
d'années.
Il y a aussi quelques mesures ad hoc extrêmement importantes qui
touchent la préparation des causes. Ce qui m'a frappé dans le
projet de loi, c'est la manière dont on essaie de mieux préparer
les causes avant l'inscription d'une cause au rôle d'audition.
Je pense que tout le monde pouvait s'entendre sur la valeur, dans un
deuxième temps, d'offrir par le fait même une meilleure
visibilité de la preuve visant à faciliter la recherche et
faisant en sorte que certaines questions de droit en litige puissent être
réglées préalablement.
On pourrait, par exemple, regarder l'article 10, là où on
parle de la production des documents, je parle des documents utilisés
pour soutenir les prétentions des parties. Cela aura l'effet bien
évident de mieux définir le débat, de mieux le
circonscrire. Cela aide aussi à couper au plus court les délais
et évaluer préalablement le bien-fondé de la cause et
même faciliter la prise de certaines décisions avant l'inscription
au rôle.
J'ai regardé également l'article 6, où on parle des
pouvoirs des juges d'adopter les règles de pratique. Cela aussi, c'est
une possibilité de mieux planifier les travaux de nos tribunaux, par
exemple pour discuter et planifier les règles adoptées pour la
mise au rôle, pour discuter des délais convenus pour la production
des documents. Selon les besoins, s'il s'agit d'un district judiciaire ou d'une
cour, on peut prévoir l'obligation - je souligne "l'obligation" - de
produire un certificat d'état de cause ou de produire les documents
précisés dans les règles de pratique, permettant ainsi de
vérifier si les parties sont prêtes à être entendues.
Souvent, comme on le sait très bien, on constate trop tard que les
parties ne sont pas prêtes, ce qui signifie un délai accru pour la
cause en question et, bien sûr, ceci implique une accumulation de travail
pour les juges. (21 heures)
On parle dans le même sens des articles 12 et 17 concernant les
rapports médicaux ou les rapports qu'on pourrait obtenir de
l'employé concernant, par exemple, sa convention collective, pour mieux
planifier, pour mieux s'informer avant que la cause soit entendue. L'article
18, dans le même sens, suggère que les rapports d'experts puissent
être produits préalablement pour permettre la divulgation de
certains documents. Je parcours le projet de loi et, moi, cela m'impressionne.
L'article 22, par exemple, touche la preuve au moyen d'affidavits, pour
établir les faits au soutien de leurs prétentions.
On a aussi parlé... Je n'ajouterai rien là-dessus mais,
à l'article 11, la conférence préparatoire, si je
comprends bien, pourrait être une expérience intéressante
si on peut inviter non seulement le juge du procès, mais
également - continuons l'expérience, je pense qu'elle est
déjà enclenchée - un juge à la retraite, ou
même un avocat d'expérience ayant dix ans de pratique.
I could also go into a few illustrations in English, because I think it
is a matter of sufficient importance for our electors to understand that this
is an attempt, a modest attempt, but a very important and serious attempt to
reduce the delays particularly before, the Superior Court.
I have to underline before this Assembly the excellent work which has
been done by my friend and colleague, the deputy for D'Arcy McGee, in bringing
to the attention of this House, throughout a number of years - because it is
not something which is proper to this Government - the ways in which delays can
be shortened. It should be pointed out - as he would be the first one to admit
it - that the problem is specifically in the Superior Court in the Montreal
Area, a point to which the previous minister alluded a short while ago.
Also - he is documented and we substantiate it - relatively blameless
are the Québec Provincial Court where it is pointed out that the delays
are seldom more than six months and the Québec Superior Court, Criminal
Division, in Montreal where the time is much shorter, in the area of about 100
or 112 days. Particularly in the area of the Superior Court, for example, in
1983, in civil matters, out of 5600 cases taken to the role, 30% only were
heard and 49% of those - almost half of them - were settled out of court; 21%
were deferred. When you look at the delays, for cases lasting two days, for
example, you have three and a half years; for three to nine days, it is seven
and a half years and for so-called urgent dossiers -three to nine days - it
would take two years. So, obviously, if you increase from 71 to 78 the number
of judges on the bench for these cases, it will attack the problem, in part, at
its source.
Also, the measures which are brought in, particularly articles 10 and
12, regarding the obligation to produce documents prior to a case being heard,
will obviously work out a method whereby better information can be given to the
parties, first of all, and to the public, at least before the actual case is
heard. Certain rules and basic operating procedures can be worked out between
the parties if you look at article 6, and this is particularly useful in the
outlining areas where certificates can be produced, agreements can be reached,
for example, with respect to medical reports, or if, let us say, an employer
had to produce a report concerning the working conditions of his employee, it
would be of significant use to the court if this information, these documents
could be prepared beforehand.
This kind of shopkeeping measures, some would call them housekeeping
measures, to work out a way in which the delays can be reduced, obviously,
would be seen as a very progressive way of improving the situation in the
Superior Court.
J'aimerais terminer mes remarques,
parce qu'il y a un consentement très agréable ce soir en
cette Chambre sur les améliorations à apporter par le projet de
loi. J'apporte mon appui entier, parce que je considère que les
objectifs de ce projet de loi méritent l'appui de la Chambre dans la
mesure qu'il apporte des éléments de solutions à un grand
nombre de problèmes que connaissent nos tribunaux depuis fort longtemps.
C'est la raison pour laquelle je voudrais appuyer ce projet de loi.
Une voix: Adopté, M. le Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader adjoint du
gouvernement.
M. Blouin: M. le Président, le ministre de la Justice fera
sa réplique dans quelques instants. Le voici qui entre à
l'instant.
Le Vice-Président (M. Jolivet): La parole est à M.
le ministre.
M. Marx: Je crois que le ministre de la Justice suit les
débats à la télévision et pas en Chambre.
M. Blouin: M. le Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader adjoint du
gouvernement.
M. Blouin: Je pense que le député de D'Arcy McGee
n'a pas de leçon à nous donner pour la présence en
Chambre. Il est le seul libéral actuellement.
Le Vice-Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! Je
pense que nous allons régler le problème en donnant la parole
à M. le ministre.
M. Pierre-Marc Johnson (réplique)
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je relèverai
un certain nombre de remarques qui nous viennent du député de
D'Arcy McGee en particulier. D'abord, je veux remercier mes collègues de
ce côté-ci de la Chambre qui ont pris la parole, dont deux ont eu
une expérience pratique des tribunaux. Je pense, notamment, au
député de Saint-Hyacinthe ainsi qu'au député de
Vachon qui, sans être praticien du droit, s'intéresse aux
questions de droit, et particulièrement le député de
Sherbrooke qui a 20 ans de pratique du droit devant les tribunaux.
M. le Président, je remarque que le député de
D'Arcy McGee et son collègue, M. Polak, de Sainte-Anne nous ont,
à toutes fins utiles, dit, je crois, qu'ils sont d'accord avec le projet
de loi et qu'ils voteront pour le projet de loi en deuxième lecture.
Donc, il semble, pour l'essentiel, que ce projet de loi soit acceptable
même pour l'Opposition, ce qui n'est pas négligeable, compte tenu
du genre de propos qu'on entend de l'autre côté habituellement. Je
relèverai un certain nombre des appréciations du
député de D'Arcy McGee relativement à la politique
gouvernementale en matière de justice et de législation dans ce
secteur.
Le député de D'Arcy McGee qui, comme on le sait pour
l'essentiel, a comme mode de réflexion le déclenchement de
conférences de presse instantanées toutes les fins de semaine, a
affirmé que l'absence de logique ou de cohérence dans l'approche
gouvernementale avait caractérisé ce qui se passe à la
justice depuis un certain nombre d'années. Je lui dirai que seulement
à l'égard des cours civiles et du Code de procédure
civile, une série de réformes extrêmement importantes - et
ce n'est pas parce qu'elles sont étalées dans le temps que cela
signifie qu'elles ne sont pas cohérentes - a été
entreprise. Je pense, notamment, en 1982, à l'augmentation de la
juridiction de la Cour provinciale, toujours à l'égard des
délais. Je pense, en 1982, à l'augmentation du nombre de juges en
Cour supérieure. Je pense, en 1982 également, à cette
importante réforme de la procédure civile en matière
d'appel qui, au dire même des juges, a apporté une
réduction de 60% des délais en Cour d'appel, les délais
étant maintenant inférieurs à deux modifications au Code
de procédure civile qui sont relatives aux recours extraordinaires, les
brefs d'évocation, de mandamus, l'injonction, en vue de permettre la
preuve par affidavit et d'éliminer l'étape de l'autorisation
préalable, et ce, d'ailleurs, conformément à des
suggestions qui nous étaient faites par les tribunaux eux-mêmes
ainsi que le barreau. Si bien qu'aujourd'hui, en matière de
délais sur ces recours extraordinaires, on parle d'un mois à un
mois et demi de délai, ce qui est quand même remarquable.
Quant aux statistiques, le député de D'Arcy McGee tourne
ici les coins un peu rond. Il insiste sur les 88 mois de délai. Je lui
dirai que, pour les causes ordinaires de trois jours d'audition, ce
délai est de 91 mois et que de présenter 88 mois comme une
moyenne ou de laisser entendre que c'est une moyenne relève
évidemment de l'inexactitude la plus totale, étant donné
que le délai moyen dont il s'agit en Cour supérieure est bel et
bien de 21 mois, si l'on additionne les causes avec une journée
d'audition, deux jours d'audition, trois jours d'audition ou dix jours et plus
et si l'on intègre les causes urgentes. Je crois qu'il y a quand
même des limites à caricaturer les faits et les situations comme
cela arrive à notre collègue. Je comprends qu'il y a là
peut-être une volonté de démontrer certaines choses sur le
plan pédagogique.
Quant à la juridiction de la Cour
provinciale, dire que cela ne changera rien relève, encore une
fois, à mon avis, d'une préhension un peu limitée de la
réalité. L'évaluation qui en est faite, c'est qu'il y
aura, dans le seul district judiciaire de Montréal, un allégement
de 16% des causes devant la Cour supérieure, ce qui devrait donc se
traduire par une réduction sensible des délais dans la
région de Montréal en particulier.
Quant au nombre de juges, il est exact que les comparaisons entre
l'Ontario et le Québec ne fusent pas. Cela dépend notamment de
l'organisation différente des tribunaux ontariens qui, comme on le sait,
ont un autre palier de juridiction, en plus de la Cour supérieure, qui
est un peu analogue à celui de la Cour supérieure et qui entend
des causes qui sont ici dévolues à notre Cour
supérieure.
Deuxièmement, le fait qu'il y ait un régime de ce qu'on
appelle les "masters" en Ontario et qui sont plus ou moins ce qu'on appellerait
ici les protonotaires spéciaux, qui ont une juridiction plus large que
les nôtres et que nous avions initialement envisagé à la
suggestion du juge Gold, mais que nous avons décidé de reporter,
vu les objections assez fondamentales qui provenaient notamment du barreau
jusqu'à ce qu'un certain nombre d'études et, de
préférence, des études conjointes, soient faites dans ce
domaine, je dirai qu'étant donné la difficulté de
comparaison des pommes et des oranges dans les circonstances, regardons ce que
demandait le juge en chef Gold: il voulait 30 juges de plus pour la Cour
supérieure. Nous en accordons sept, M. le Président. Je pense que
cela n'est pas exagéré.
En ce qui concerne le soutien administratif, le député de
D'Arcy McGee se souviendra peut-être d'un commentaire d'un
ex-bâtonnier concernant ses critiques au sujet de l'administration de la
justice, commentaire qu'on retrouvait, je crois, dans un article de la "Revue
du Barreau" de février 1984 dans lequel le bâtonnier Gérard
Beaupré s'étonnait, et je cite: "Le député Marx
s'attaque au gouvernement. À première vue, cela paraît
normal de la part d'un membre de l'Opposition, mais les raisons qu'il
évoque sont ahurissantes. Il nous parle de l'absence de papier de
toilette dans les W.-C. pour expliquer les lenteurs du processus judiciaire.
À croire que la longueur des délais dans l'audition des causes se
mesure au temps pris par les juges pour s'essuyer les mains." Je ferme les
guillemets.
Un peu plus tard, M. Beaupré, l'ex-bâtonnier de
Montréal dit que, de la même manière, l'honorable
invité - en faisant référence au député de
D'Arcy McGee -semble attribuer au huis clos intégral en matière
de droit familial le délai de quelque 24 mois pour l'audition des
divorces contestés. Et d'ajouter l'ex-bâtonnier
Beaupré: "Les corridors du seizième étage du palais
de justice sont remplis à pleine capacité alors que les salles
d'audience ont perdu leur auditoire", citant ici M. Marx. M. Beaupré
continue en disant: "Aurait-on oublié que le procès se tient dans
les salles d'audience et non pas dans les corridors encombrés?"
Il est exact, et nous n'en disconvenons pas, qu'il y a eu un certain
problème, une certaine quantité d'ajustements nécessaires
pour la magistrature à l'égard des contraintes budgétaires
dont elle a fait l'objet comme l'ensemble, d'ailleurs, des secteurs public et
parapublic, quels que soient les services fournis par l'État aux
citoyens. Il est vrai que ces contraintes budgétaires ont
ébranlé les habitudes de la magistrature comme les habitudes des
avocats de la couronne, comme les habitudes des gardiens de prison dans le
système judiciaire, comme les habitudes de tous ceux et celles qui
travaillent au service de l'État, quelle que soit la mission dont il
s'agit. Nous tentons de régler ces problèmes dans la mesure
où ils sont importants et qu'ils ne témoignent pas simplement
d'un refus du changement.
Finalement, à l'égard des recommandations que le
député de D'Arcy McGee nous dit être les siennes pour faire
une réforme majeure de la justice, je citerai un document du
député de D'Arcy McGee daté du 5 janvier 1984 dans lequel,
pour l'essentiel, il explique la grande réforme qu'il ferait pour
améliorer la situation en Cour supérieure du Québec et qui
serait composée de trois volets.
Premièrement, les juges devraient avoir plus de pouvoirs pour
régler les problèmes administratifs à l'intérieur
des palais de justice. Le député de D'Arcy McGee, dans ce
dossier, comme dans quelques autres, est au courant de la démarche, de
l'approche que le ministère partage avec tous les intervenants, à
savoir que la perspective de voir la magistrature contrôler
elle-même une partie de ses budgets, notamment celle qui touche son
secrétariat et les huissiers audienciers, c'est une chose qui est en
branle depuis un certain temps au ministère.
Deuxièmement, il affirme que des mesures devraient être
prises afin d'assurer une meilleure utilisation, une meilleure
répartition des salles d'audience des palais de justice comme celui de
Montréal. Je ne doute pas que le juge en chef de la Cour
supérieure, en ce qui concerne ces salles, soit en train de le
faire.
Troisièmement, il suggère qu'un comité tripartite
regroupant des représentants du ministère de la Justice, de la
magistrature et du barreau devrait être établi alors que le
comité tripartite existe depuis dix ans. S'il avait fallu que nous nous
contentions des suggestions du député de D'Arcy McGee pour
faire cette réforme, ma foi, elle aurait été bien
mince. Nous avons donc choisi, encore une fois en concertation avec le barreau,
et je dirai très largement à la demande, aux suggestions
insistantes du juge en chef de la Cour supérieure, le juge Gold
nouvellement arrivé, de procéder à ce projet de loi qui
vise non seulement à prétendre régler le problème
des délais par une simple augmentation du nombre de juges et à
faire en sorte que la preuve entre les parties soit plus accessible et
transmise, donc que les débats soient mieux circonscrits, que nous nous
donnions des instruments comme la conférence préparatoire pour
que les parties se préparent mieux, de telle sorte qu'il y ait, en
pratique, moins de causes qui se rendent au stade de l'audition, étant
donné que les parties pourront avoir décidé de
régler hors cour ou de se désister et que les causes qui se
rendront au niveau de l'audition, elles, seront fixées pour des
durées plus raisonnables permettant ainsi aux justiciables de voir leur
procureur et le chef du tribunal, le juge, trancher dans des objets de droit ou
des questions de fait qui auront été bien circonscrites et sur
lesquelles les parties se seront entendues quant à l'arbitrage qu'elles
attendent du juge. (21 h 20)
L'ensemble de ces mesures, encore une fois, ne prétend pas
garantir de façon quasi automatique et instantanée la
réduction des délais en Cour supérieure, mais
sûrement y contribuera d'une façon sensible, d'une façon
sérieuse et d'une façon acharnée. Merci, M. le
Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Le principe du projet de
loi 83, Loi modifiant le Code de procédure civile et d'autres
dispositions législatives, est-il adopté?
Des voix: Adopté.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Adopté. M. le
leader adjoint du gouvernement.
Renvoi à la commission des institutions
M. Blouin: M. le Président, je propose donc maintenant que
nous déférions ce projet de loi à la commission des
institutions, qui procédera à son étude
détaillée. Elle sera présidée par un
président de séance.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Cette motion est-elle
adoptée?
Des voix: Adopté.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Adopté. M. le
leader adjoint.
M. Blouin: M. le Président, nous allons donc maintenant
parler de pêcheries et d'aquaculture commerciales. À cet
égard, je vous demande d'appeler l'article 21 de notre feuilleton, s'il
vous plaît!
Projet de loi 48 Adoption
Le Vice-Président (M. Jolivet): C'est l'adoption du projet
de loi 48, Loi sur les pêcheries et l'aquaculture commerciales et
modifiant d'autres dispositions législatives. La parole est au ministre
de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation. M. le ministre.
M. Jean Garon
M. Garon: M. le Président, je préférerais
beaucoup faire ce soir cette troisième lecture aux
Îles-de-la-Madeleine, sur la Côte-Nord ou en Gaspésie
à cause du désert qu'il y a en face de moi, à savoir
l'absence complète des libéraux. Le secteur des pêches,
comme le secteur de l'agriculture, ne les intéresse pas. J'ai pour seuls
auditeurs ce soir, du côté de l'Opposition libérale, le
député de Huntingdon, où on ne peut pas dire que la
pêche est l'industrie dominante, et le député de
Charlesbourg, où on ne peut pas dire non plus que la pêche est
l'industrie dominante. Ce qui veut dire au fond que le député de
Bonaventure, qui devrait être ici, est absent, que le
député de Saguenay, qui devrait être ici, est absent...
M. Côté: M. le Président, question de
règlement.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Un instant! Un instant!
J'ai d'abord l'obligation d'écouter, si une question de règlement
est soulevée, en vertu de quel article du règlement. M. le
député de Charlesbourg.
M. Côté: M. le Président, j'invoquerai
l'article 205, lorsque le ministre aura fini d'"élucubrer" et de dire
n'importe quelle sottise.
Le Vice-Président (M. Jolivet): S'il vous plaît!
D'une façon ou de l'autre, je serai dans l'obligation de vous le
refuser. M. le ministre.
M. Garon: M. le Président, je me serais attendu au moins,
dans cette soirée où on parle d'une loi très importante,
du projet de loi 48 sur les pêcheries et l'aquaculture commerciales, de
trouver le député de Bonaventure et le député de
Saguenay en cette Chambre. Il me semble que ce serait la moindre des choses
puisqu'ils disent s'intéresser aux pêches. Je comprends que le
chef hors les murs a décidé de ne pas venir à
l'Assemblée nationale, d'aller aux Îles-de-la-Madeleine, comme
c'est la tradition libérale, pendant le temps de la pêche au
homard, étant bien certain de ne pas rencontrer les pêcheurs,
parce qu'ils sont au large, en train de pêcher. C'est pour cette raison
que j'ai eu la surprise de ma vie, hier, d'avoir une question en Chambre sur
les Îles-de-la-Madeleine et le zonage agricole. Je me serais attendu
davantage, après une visite du chef du Parti libéral aux
Îles-de-la-Madeleine. Dans une vaste assemblée où il
attendait 500 personnes - il y avait plus de 400 chaises vides... Il y a -
d'après ce qu'on me dit - autour de 70 ou 75 personnes qui sont
allées entendre parler le chef hors les mûrs de propos
complètement étrangers aux Îles-de-la-Madeleine. Les gens
des îles m'ont dit, quand j'ai été nommé ministre
des Pêcheries: M. Garon, on espère qu'on va vous voir en d'autres
temps que dans les périodes de l'année où on voyait les
libéraux. Habituellement, on les voyait entre le 10 mai et le 10
juillet, pendant le temps de la pêche aux homards. Là, ils
venaient faire de la pêche. Ils venaient à bord de l'avion du
gouvernement. Ils remplissaient leurs coffres de homards. Ils ramenaient du
homard à Québec, lors de leurs voyages. Ensuite, on ne les voyait
plus du reste de l'année.
Ils ont dit: J'espère, M. Garon, que vous allez venir aux
îles pendant l'hiver, parce qu'on aura le temps de jaser avec vous. Je me
suis fait un devoir d'aller aux Îles-de-la-Madeleine surtout pendant
l'hiver pour parler avec les gens, alors qu'ils ont le temps de parler de ces
questions sur les pêches. Comme les pêcheurs des
Îles-de-la-Madeleine ne pêchent pas l'hiver à cause des
glaces, nous avons l'occasion de parler de ces questions.
Évidemment, le chef du Parti libéral, M. Bourassa, le chef
hors les murs, n'a jamais été renommé entre 1970 et 1976
pour s'intéresser beaucoup à l'agriculture ou aux
pêcheries. Aujourd'hui d'ailleurs, je suis persuadé que les gens
qu'il rencontre constatent qu'il ne pose pas beaucoup de questions parce qu'il
faut avoir une certaine connaissance même pour poser des questions aux
gens qu'on rencontre dans le secteur des pêches. Il n'est pas
véritablement intéressé par ces questions. Il en parle peu
et, en plus, il ne veut pas que les gens de son parti en parlent. Puisqu'il a
dit que dans le domaine agricole, entre autres, aucun des députés
du Parti libéral n'avait le droit de parler de ces questions, sauf le
député de Maskinongé et lui-même. Ce qui veut dire,
au fond, que le chef lui-même n'est pas trop au fait de ces questions. Il
reste seulement le député de Maskinongé finalement qui
peut en parler un peu. Cela ne fait pas une équipe forte dans le secteur
agricole.
Dans le secteur des pêches, nous avons le député de
Saguenay qui en parle très peu...
Le Vice-Président (M. Jolivet): S'il vous plaît!
M. Garon: J'aimerais, M. le Président, que le
député de Charlesbourg arrête...
Une voix: Un peu de modération...
M. Garon: ...de parler de fumier. On est dans les pêches,
M. le Président. Je pense que c'est...
Le Vice-Président (M. Jolivet): S'il vous plaît!
J'ai bien entendu et je pense que le droit de parole appartient à M. le
ministre. Si vous voulez l'utiliser par la suite, vous avez le droit de
l'utiliser, M. le député. J'ai entendu des choses qui sont des
bruits de fond. M. le député de Charlesbourg, je ne niaiserai pas
ici. Non, M. le député...
Une voix: Question de règlement, M. le
Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): II n'y a pas de question
de règlement sur cette question. M. le ministre était en train de
parler. Je vais protéger son droit de parole. Je ne voudrais en aucune
façon qu'il soit, en vertu du règlement, par des menaces verbales
ou autres, dérangé. M. le ministre, vous avez la parole.
M. Pagé: Question de règlement, M. le
Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Oui, M. le whip de
l'Opposition.
Une voix: Quel article?
M. Pagé: En vertu de notre règlement, est-ce qu'un
député, peu importe le fauteuil qu'il occupe, a le droit de
qualifier...
M. Blouin: Article 39, M. le Président...
M. Pagé: ...les propos des députés de
niaiseries?
M. Blouin: Question de règlement, M. le
Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Je m'excuse. S'il vous
plaît! J'essaie simplement de protéger le droit de parole de M. le
ministre. S'il vous plaît! Cela ne m'empêche pas... Je m'excuse.
Mais je veux simplement vous dire que, de mon siège ici, je n'aime pas
que l'on m'interpelle de cette façon non plus. La présidence a
aussi ses droits. C'est tout ce que je demande de sauvegarder. M. le ministre,
vous avez la parole.
M. Garon: Je ne comprends pas que les députés du
Parti libéral qui sont présents soient offusqués que je
dise que leur chef est un chef hors les murs et qu'il n'est pas présent
à l'Assemblée nationale. Je pense bien que je ne suis pas le seul
à constater cela. Nous sommes au moins 122 à constater cela.
L'Assemblée nationale le constate. La population le constate. Les
journalistes le constatent. De plus en plus, on voit les éditorialistes
qui commencent à se demander comment il se fait qu'un chef d'une
formation politique ne veuille pas être présent à
l'Assemblée nationale.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le ministre, tout ce
que je vous demande, c'est de revenir à la pertinence du débat.
S'il vous plaît, M. le ministre. (21 h 30)
M. Garon: Si je souligne ce fait, c'est que j'aurais aimé
que dans le débat sur la loi 48, le chef du Parti libéral puisse
se prononcer sur la loi 48. Vous comprendrez qu'il est assez important que le
chef du Parti libéral puisse se prononcer sur un sujet aussi
fondamental; le chef du Parti libéral n'a pas été reconnu
pour sa défense des droits du Québec en matière de
pêches. En 1976, il s'est réparé ou bâti trois
bateaux au Québec sous l'administration libérale pour une somme
de 75 000 $, ce qui veut dire à peine trois grosses chaloupes. Sous le
gouvernement actuel, depuis 1977, nous avons construit 168 bateaux de plus de
45 pieds, pour des millions de dollars chaque année. J'aurais
aimé pouvoir rencontrer en cette Chambre le chef du Parti
libéral; c'est avec une certaine tristesse que je constate que le chef
du Parti libéral ne veut pas venir parler de la loi 48, des pêches
et de l'aquaculture commerciales en cette Chambre.
Le projet de loi 48 a été déposé au mois de
novembre; ce n'est pas d'hier qu'il a été déposé.
C'est un projet de loi qui affirme les droits du Québec dans le secteur
des fonds marins, dans le domaine des pêcheries et de l'aquaculture
commerciales, domaine qui était, à toutes fins utiles, vacant
auparavant et sur lequel les gouvernements antérieurs n'avaient pas
véritablement affirmé les droits du Québec. Le
gouvernement actuel estime que la loi 48 est une loi fondamentale parce que,
pour la première fois dans l'histoire du Québec, le gouvernement
du Québec assumera ses droits constitutionnels dans le secteur des
pêches et de l'aquaculture commerciales. C'est l'une des lois les plus
fondamentales qui auront été adoptées depuis 1867 dans le
Parlement de Québec puisqu'elle déterminera que le Québec,
en matière de pêcherie et d'aquaculture, occupera les droits que
lui donne la constitution.
Non seulement je pense, mais je sais que c'est une des lois qui sont
suivies avec le plus d'intérêt par les gens de Terre-Neuve, par
les gens de Nouvelle-Écosse, par les gens de
l'Île-du-Prince-Édouard, par les gens du Nouveau-Brunswick, parce
qu'ils savent que, lorsque la loi 48 sera adoptée, le Québec aura
décidé d'assumer ses droits constitutionnels sur les fonds marins
en matière de pêcheries et d'aquaculture commerciales. Je peux
vous dire que, même si les gens du Nouveau-Brunswick sont venus ici pour
dire: Avec cette loi, vous pensez trop québécois, officieusement,
ils nous disaient: Si nous étions Québécois, nous
voterions pour cette loi 48 parce qu'elle défend véritablement
les intérêts du Québec. Mais ils sont du
Nouveau-Brunswick.
Les gens de Terre-Neuve m'ont dit: Aussitôt que votre loi sera
adoptée et qu'elle aura commencé à fonctionner, nous ne
tarderons pas à en adopter une pareille. Pourquoi? Parce que, pour une
fois, le Québec, en matière de pêches et d'aquaculture,
assumera la direction du mouvement. En Nouvelle-Écosse, ils ne sont pas
insensibles à cette loi 48, non plus. À
l'Île-du-Prince-Édouard, ils ne sont pas insensibles à
cette loi 48, car, grâce à la loi 48 que nous voterons à
l'Assemblée nationale, éventuellement, il y aura un Conseil des
pêches du Nord-Est atlantique ou de l'Est du Canada.
Que le Québec devienne souverain ou non... C'est ce que le chef
du Parti libéral n'a pas compris, puisque la seule fois qu'il en a
parlé, il a dit: C'est une loi indépendantiste. Bien, voyons
donc! Faudra-t-il attendre la souveraineté ou l'indépendance du
Québec pour assumer les droits du Québec? C'est pour cela que
j'aurais aimé que le chef hors les murs du Parti libéral se
retrouve ici afin que je puisse lui dire directement, en pleine face - pour
cela, il faudrait pouvoir lui voir la face - ceci: Vous êtes contre les
droits du Québec en ne voulant pas voter pour la loi 48.
Que l'on soit fédéraliste, nationaliste ou souverainiste,
la loi 48 est bonne parce qu'elle va mener à un Conseil des pêches
de l'Est du Canada. Le Québec assumant ses responsabilités et ses
juridictions pourra, à l'avenir, parler à la table des
pêches de l'Est du Canada. Il ne sera plus un mendiant, il ne sera plus
un "téteux". Il pourra affirmer ses droits et les faire respecter par sa
police maritime. Il pourra faire respecter sa loi et sa réglementation
plutôt que de mendier.
À la suite des décisions du gouvernement
fédéral de juillet 1983, alors que le ministre
fédéral des Pêches, au nom de son gouvernement, a
annoncé que l'entente qui a régné de 1922 à 1983,
durant 61 ans, était brisée par le gouvernement
fédéral unilatéralement, sans aucun avertissement, en
pleine période estivale, étant certain qu'à peu
près tous les Parlements étaient fermés, au mois de
juillet, comme d'habitude -
c'était une mesure très importante - la réaction du
gouvernement du Québec, le gouvernement du Parti
québécois, a été de dire: Nous devons assumer nos
juridictions. Maintenant qu'il n'y a plus d'entente, nous nous retrouvons dans
la situation antérieure à 1922 où les tribunaux
supérieurs, qui, à ce moment-là, étaient le Conseil
privé de Londres jusqu'à 1949 - donc, avant 1922, c'était
le Conseil privé de Londres - ont déterminé que la
juridiction sur les pêches du gouvernement fédéral devait
être interprétée dans le cadre du respect des autres
attributions constitutionnelles et, notamment, de la section sur les droits
civils et la propriété. Cela veut dire que le gouvernement du
Québec a une juridiction sur les fonds maritimes dont il est le
propriétaire, dont il est le garant, dont il assume au nom de notre
collectivité la responsabilité. C'est pourquoi l'entente de 1922
étant abolie par le gouvernement fédéral, il devenait
nécessaire pour le Québec d'assumer toutes ses juridictions dans
le secteur maritime. C'est ce que nous avons voulu faire. Nous aurions
préféré que l'entente demeure, puisqu'une entente qui dure
61 ans, avec des gouvernements de toute catégorie, libéraux ou
conservateurs à Ottawa, libéraux...
M. Pagé: Question de règlement, M. le
Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le ministre, question
de règlement de la part du whip de l'Opposition.
M. Pagé: Je m'excuse, M. le Président. M'est-il
permis avec insistance, avec grande conviction, de vous signaler que nous
sommes seulement neuf députés à l'Assemblée
nationale, dont cinq libéraux et quatre péquistes, et qu'on n'a
pas quorum pour entendre le ministre?
Le Vice-Président (M. Jolivet): Vous avez raison. Qu'on
vérifie le quorum.
M. Pagé: Merci. Appelez les députés.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Blouin: M. le Président...
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader adjoint du
gouvernement.
M. Blouin: ...je vous signale que nous sommes maintenant six
députés de la majorité et que...
Une voix: Ah oui, c'est beaucoup.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Je ne permettrai pas cela.
M. le ministre.
M. Garon: M. le Président, il est évident que le
gouvernement du Québec devait assumer ses droits en matière de
pêches, en matière d'aquaculture ou en matière de fonds
marins. En matière d'aquaculture, il faut aller plus loin. Quand la
constitution de 1867 détermine que le gouvernement fédéral
a juridiction en matière de pêcheries, il faut bien constater que,
quand il s'agit d'aquaculture, il ne s'agit pas de pêche, il s'agit
d'élevage. Il ne s'agit pas d'une capture, de courir après le
poisson. Il s'agit d'élever le poisson dans un enclos
déterminé et, à ce moment-là, le
propriétaire du fonds qui élève du poisson dans un enclos
déterminé, avec des agrès attachés au fonds, sur
son territoire, sur son sol, relève d'une juridiction totalement
québécoise, juridiction que, jusqu'à maintenant, nous
n'avions jamais assumée, juridiction qui n'avait jamais
été clairement déterminée dans des textes de loi.
C'est pourquoi le projet de loi 48 est si important, parce qu'il
détermine que l'aquaculture, c'est un vaste domaine avec des
possibilités extraordinaires. (21 h 40)
On n'a qu'à penser à toutes les espèces de poisson
que nous pourrons élever au Québec. On n'a qu'à penser
qu'il sera possible de déterminer des concessions de fonds marins
à des gens pour faire l'élevage. Je disais, hier, en parlant du
crédit aquacole, en commission parlementaire, qu'avec une dizaine de
milliers de dollars d'investissement une personne pourra faire l'élevage
des moules aux Îles-de-la-Madeleine, grâce à une concession
du gouvernement. À ce moment-là, avec un bassin ou un territoire
d'eau, il sera possible de faire l'élevage et d'expédier des
moules sur le marché de Québec. Auparavant, les moules
consommées au Québec, les moules d'élevage, étaient
toutes importées. Actuellement, deux personnes des
Îles-de-la-Madeleine se préparent à entreprendre
l'élevage des moules et, pour ce faire, elles devront détenir un
permis. Elles auront accès, avec l'adoption du projet de loi sur lecrédit aquacole, à un crédit du gouvernement du
Québec pour développer cet élevage. Des dizaines de
personnes pourront gagner leur vie ainsi.
Évidemment, il faut avoir les pieds sur terre. En Amérique
du Nord, on trouve des grandes entreprises comme IBM, General Motors et Ford.
Par ailleurs, la majorité des gens qui habitent l'Amérique du
Nord gagnent leur vie dans des entreprises qui comptent moins de 100
employés. Il est important, au Québec, de développer la
petite et moyenne entreprise parce qu'elle va donner des emplois. Le projet de
loi 48 a précisément pour but de permettre de développer
le secteur des pêches.
Ceux qui pensaient qu'il était suffisant d'avoir une loi
fédérale constateront, au cours des semaines, que, bien que la
gestion fédérale ne s'occupe de la protection du secteur des
pêches au Québec que depuis le 1er avril, les malheurs ont
commencé à pleuvoir dru. Les rapports qui me parviennent du
territoire maritime gaspésien révèlent que, dans le
secteur de la pêche au homard, il n'y a pas beaucoup de protection et
l'année 1985 ne donnera pas de si bons résultats de pêche
si les agents fédéraux de la protection laissent tout le monde
pêcher des petits homards et ne tiennent pas compte de la dimension des
homards. On me dit, par exemple, qu'aux postes de triage nos agents sont
surpris de constater à quel point il peut y avoir des petits homards qui
sont pêchés. Pourquoi? Parce que le gouvernement
fédéral a assumé cette année la
responsabilité dans le secteur des pêches en abolissant l'entente
de 1922 sans être organisé pour le faire, sans avoir les
ressources pour le faire. Résultat: on est en train de dilapider la
ressource du homard dans le territoire maritime.
Dans le secteur de la pêche au crabe, on est en train de faire la
même chose. Le gouvernement fédéral a été
obligé d'intervenir presque immédiatement après
l'ouverture de la pêche, puisqu'il ne reste quasiment plus de crabes
à pêcher. Les quotas auront été pris en l'espace de
quelques semaines et, au début de juin, il ne reste quasiment plus de
quotas. Résultat: on est obligé de donner des quotas par bateau,
mais après, puisque le crabe est pris. Au moment où je vous
parle, plus de 75% des quotas ont déjà été pris. La
plupart des travailleurs ou des pêcheurs n'auront pas pêché
assez longtemps pour payer leurs timbres d'assurance-chômage.
Voilà ce que cela donne une gestion improvisée,
inorganisée.
Vous savez, quand j'étais allé rencontrer des dirigeants
du gouvernement fédéral à Ottawa, il y avait un
sous-ministre, M. Parsons, lorsque j'avais demandé de répartir
les cages de crabes différemment. Au lieu de permettre à chaque
pêcheur d'avoir 150 cages, ce qui, à notre avis, est un trop grand
nombre de cages, au lieu d'avoir quatre personnes à 150 cages, donc 600
cages pour quatre personnes, cela serait mieux d'avoir peut-être six
pêcheurs avec 100 cages. On permettrait à plus de gens de gagner
leur vie honorablement en même temps qu'on aurait une meilleure
cueillette de la ressource.
M. Parsons, lui-même responsable de ce secteur, m'avait dit: Vous
savez, je ne voudrais pas permettre cela parce que, même à 150, on
n'est pas capable de vérifier cela. J'ai été
estomaqué de constater qu'il admettait qu'il était incapable
d'assurer la protection de la ressource. Les résultats qu'on voit
aujourd'hui, c'est que la ressource est en train d'être dilapidée.
Au rythme où on fait les choses actuellement dans le secteur du crabe,
avec la pêche faite par des gens qui viennent dilapider la ressource
qu'on trouve sur le territoire québécois, on est en train de
miner l'avenir dans le secteur des pêches.
Les gens savent qu'actuellement au Québec ces choses ne sont pas
permises. Les gens qui viennent d'ailleurs pêcher sur notre territoire
pêchent sans aucune limite puisque les inspecteurs fédéraux
ne font pas leur travail. Dans les prochains jours, j'aurai l'occasion
d'émettre un communiqué où je dirai à quel point la
gestion des pêches dans le secteur du crabe, cette année, dans le
golfe, est un massacre, est un désastre.
Cette situation explique, entre autres, que cette année la part
du Québec dans les débarquements de crabes capturés dans
le golfe a chuté en moyenne de 30%. Il y a toujours des limites à
voir à quel point la ressource est dilapidée. Heureusement, avec
la loi 48, nous obligerons les gens qui déposent des cages à
crabe dans le fond du golfe à avoir une autorisation de déposer
leurs cages à crabe sur nos fonds marins et sans autorisation, ils ne
pourront le faire.
M. le Président, la solution à ce problème est
simple: c'est la loi 48. La solution aux questions du homard, c'est
également la loi 48 pour donner une sécurité au point de
vue de l'utilisation des fonds marins pour des activités de
pêche.
Je sais bien que ceux qui parlent du secteur des pêches au sein du
Parti libéral n'ont jamais approfondi la question. J'ai eu l'occasion,
ce midi encore, de dîner avec un représentant d'une association
importante de pêche dans le domaine des pêches hauturières;
nous avons conversé ensemble sur les pêches.
Les gens dans le territoire maritime actuellement sont
traumatisés de voir à quel point la gestion de la ressource est
inefficace. J'avais prédit que ceci se réaliserait et c'est ce
qui se réalise actuellement. Parce que les libéraux n'ont pas
permis l'adoption de la loi 48 au mois de décembre, en 1984, parce qu'il
faudra adopter les règlements après l'adoption de la loi, faire
les consultations nécessaires après l'adoption de la loi, mettre
en vigueur des permis seulement pour 1985 parce que pour 1984, à toutes
fins utiles, cela n'est plus possible, il y aura eu une destruction de la
ressource dont ils auront été la cause en se faisant les
complices du gouvernement fédéral. (21 h 50)
La loi 48 était absolument nécessaire. À mesure que
les semaines vont s'écouler au cours du mois de juin ou juillet, les
gens vont se rendre compte à quel point la loi 48 était
nécessaire. Les gens vont se rendre
compte - et ils commencent de plus en plus à s'en apercevoir -
à quel point la gestion faite dans les pêches actuellement par le
gouvernement fédéral, qui assume cette responsabilité
depuis le 1er avril 1984, est un désastre parce qu'il n'a pas le
personnel, il n'a pas les équipements, il n'a pas l'organisation
nécessaire pour le faire. Au lieu de poser des gestes
inconsidérés, de faire des déclarations
unilatérales, on aurait dû essayer de s'entendre avec le
gouvernement du Québec. Mais non, nous avons appris la nouvelle dans les
journaux comme tout le monde. C'est absolument anormal de la part d'un
gouvernement voisin. Le gouvernement américain ne traite pas de cette
façon le gouvernement canadien. Le gouvernement fédéral
traite les Québécois de cette façon. Aujourd'hui, dans le
secteur des pêches, nous nous trouvons avec une gestion
inadéquate.
Au cours des prochaines semaines, une fois la loi 48 adoptée,
nous aurons l'occasion de discuter avec les gens du territoire maritime des
différents règlements concernant l'utilisation des fonds marins
au Québec et l'utilisation de permis de concessions pour des fins
d'aquaculture. Je suis convaincu que les gens verront tous les avantages que
leur procurera la loi 48, toute la sécurité que leur accordera la
loi 48 parce que cette loi est faite en fonction de nos intérêts.
Je n'ai rien contre les gens de Terre-Neuve qui défendent leurs
intérêts. Je n'ai rien contre les gens de la
Nouvelle-Écosse qui défendent leurs intérêts. Je
n'ai rien contre les gens de l'île-du-Prince-Édouard ou du
Nouveau-Brunswick qui défendent leurs intérêts. Mais le
rôle du gouvernement du Québec, c'est de défendre les
intérêts des Québécois. Si les gens des autres
provinces veulent aussi défendre leurs intérêts, ils
adopteront rapidement une loi comme la loi 48. D'ailleurs, chacun à sa
façon, ils nous ont dit: Nous vous regardons faire et, quand vous aurez
mis en place des instruments, nous vous imiterons.
Pourquoi? Parce qu'ils savent que le Québec, à cause de sa
population de 6 500 000, à cause de son organisation dans le secteur des
pêches, qu'il a administré depuis 1922, a une connaissance plus
grande de la gestion des pêches, de la gestion du territoire maritime,
des fonds marins, et que la ligne de conduite qu'il va prendre servira
d'exemple aux autres. C'est pourquoi j'ai mal compris que le chef du Parti
libéral, le chef hors les murs, ait dit que c'était une loi
indépendantiste. Au contraire, c'est une loi qui va fonctionner aussi
bien, que le Québec soit souverain ou ne le soit pas. Dans le cadre de
la Confédération, y a-t-il quelque chose de mal à assumer
les pouvoirs que nous donne la constitution? Y a-t-il quelque chose de mal
à décider que les pouvoirs constitutionnels du Québec
doivent être assumés par le Québec? Évidemment, les
libéraux, dans ce domaine, ont une longue tradition depuis Godbout qui a
abandonné des pouvoirs de taxation du Québec à la faveur
de la guerre, pouvoirs qui n'ont jamais pu être
récupérés à 100% par les Québécois.
Il a sacrifié ces droits pour un plat de lentilles. C'est une longue
tradition. Mais pour nous, il est fondamental d'occuper ces juridictions pour
protéger le secteur des pêches au Québec.
Qu'on regarde le travail accompli. Évidemment, on partait de
loin, avec une flotte complètement inadéquate, M. le
Président. Savait-on qu'il n'y avait aucun bateau de pêche au
Québec où il y avait une douche pour des gens qui passaient
plusieurs jours à travailler à bord de leur bateau? Savait-on que
c'était l'exception de trouver une toilette à bord d'un bateau de
pêche? Aujourd'hui, nous avons commencé par construire des bateaux
modernes, avec des cales modernes. Je pense à M. Cotton, qui
était à mon bureau et qui me disait: M. Garon, il faut absolument
refaire les cales de nos bateaux; autrement, il est impossible de fournir la
qualité de poisson que vous demandez et que les consommateurs sont en
droit d'avoir. Il faut moderniser les cales. Il faut moderniser les bateaux. Il
faut moderniser les usines et, à partir de 1985, toutes les usines du
Québec qui fonctionneront en 1985 auront été
modernisées.
Je me rappelle les discours du député de Bonaventure qui
disait: Mission impossible. Vous demandez trop. Vous allez trop vite. M. le
Président, je peux vous dire qu'actuellement le territoire maritime est
en train de se moderniser à un rythme tel que nous n'aurons pas honte de
dire, dans quelques mois, que nous prenons la tête du peloton dans le
secteur des pêches en Amérique du Nord. Au Canada, sûrement.
C'est déjà fait, au Canada. Avec les systèmes d'inspection
et de triage que nous avons mis en place, les gens nous font des rapports et me
disent: C'est surprenant, les progrès qui ont été
accomplis au cours des derniers mois. Pourquoi? Parce qu'aujourd'hui il y a un
système de contrôle de la qualité du poisson. Il n'y en
avait pas auparavant. Nous avons adopté des lois dans ce secteur.
Croyez-le ou non, la Loi sur la préparation des produits de la mer au
Québec avait un article, deux, pardon, 1. l'article fondamental, 2.
l'article de la mise en vigueur. Cela faisait une belle loi! Cela montrait un
peu le temps qu'on donnait aux pêches sous le régime
libéral.
Aujourd'hui, il faut d'abord se donner des institutions, des
instruments, des droits, assumer les droits que nous avons. C'est pourquoi nous
avons, d'abord, fait de la Loi sur les produits agricoles, les produits marins
et les aliments, pour que nous puissions faire en sorte que, dans le secteur
des pêches, il
y ait un contrôle de la qualité. Nous sommes allés
plus loin au mois de décembre dernier par la loi 49. Nous avons dit:
Toutes les fabriques à glace devront détenir un permis et
respecter les normes de qualité pour que l'eau utilisée dans les
fabriques à glace soit une eau de première qualité pour
travailler avec du poisson. Les entrepôts pour la bouette aussi devront
respecter un certain nombre de normes. Tout le secteur des pêches sera
modernisé et je peux vous dire que les projets de loi qui sont devant le
Parlement actuellement, comme celui sur la commercialisation des produits
marins, vont permettre de faire la distribution sur le marché
québécois des produits marins produits sur le territoire
québécois.
Mais, comme nous produisons seulement 80 000 tonnes de poisson, alors
que nous en consommons 140 000 tonnes, il faut faire le développement du
secteur des pêches pour nous nourrir nous-mêmes en produits marins.
Actuellement, nous importons la plus grande partie de nos produits marins de
l'étranger alors que nous avons dans le golfe des ressources qui sont
achetées par d'autres. Imaginez-vous! Imaginez-vous que le ministre
fédéral permet aux bateaux russes d'apporter au Québec des
crevettes qui sont pêchées dans des zones où devraient
pêcher nos bateaux et qu'il tarde à émettre le permis de
pêche à la crevette au Kristina Logos et au Lumaaq qui sont nos
deux bateux de 150 pieds qui peuvent pêcher dans la zone de 200 milles.
Le gouvernement fédéral avait déterminé des permis
de pêche dans la zone de 200 milles lorsque le Canada a eu accès
à la zone de 200 milles, deux permis pour le Nouveau-Brunswick, deux
permis pour l'Île-du-Prince-Édouard, deux permis pour la
Nouvelle-Écosse, deux permis pour Terre-Neuve, deux pour le
Québec et trois pour le Labrador. (22 heures)
M. De Bané arrive. Il ne veut pas réémettre les
permis de pêche à la crevette au Kristina Logos et au Lumaaq, mais
il émet ceux des autres provinces. Apparemment, la grande
difficulté serait que, lorsque nous avons formé la compagnie qui
groupait des gens du Québec, Pêcheurs unis, Les fruits de mer de
l'Est, dont la propriété est à Londres, SOQUIA, un
investisseur privé, des Danois qui avaient un fort pourcentage
d'actions, SOQUIA, au nom des Québécois, a racheté les
parts des Danois. Résultat: M. De Bané n'est pas heureux parce
que les Québécois ont la majorité des actions par SOQUIA
et il refuse actuellement d'émettre les permis.
Nous avons acheté le Lumaaq, un bateau qui était la
propriété des Esquimaux, qui avait eu des problèmes
financiers, pour utiliser le deuxième permis au Québec. Nous
avons pu nous entendre, finalement, et le permis a été
émis. Au lieu de l'émettre au nom du propriétaire, M. De
Bané a eu le génie - imaginez-vous! - de l'émettre au nom
d'une compagnie qui n'avait aucune action dans la compagnie qui avait
acheté le Lumaaq. Il a émis le permis comme promis, mais, au lieu
de l'émettre à ceux qui étaient propriétaires du
bateau, il l'a émis à une autre compagnie, Pêcheurs unis,
qui n'avait aucune action dans le Lumaaq. On en est resté
estomaqué. Cette année, il n'émet pas jusqu'à
maintenant de permis de pêche à la crevette. C'est incroyable.
Madelipêche doit demander ses permis au voyage. Six bateaux de
plus de 100 pieds, en fer, avec des équipements sophistiqués, qui
ont été modernisés cette année au coût de 3
000 000 $. Les permis doivent être demandés au voyage. Dans le cas
des deux autres bateaux, le Rallye II et le Nadine, qui avaient
été acquis d'une compagnie du Québec par une autre
compagnie possédée par la Nouvelle-Écosse, mais qui ne
pêchaient pas depuis deux ans et dont les propriétaires ne
payaient au gouvernement du Québec ni les intérêts ni le
capital, nous avons décidé de vendre les bateaux. Le gouvernement
fédéral augmente les quotas de pêche dans le golfe pour les
bateaux hors golfe mais, en même temps, refuse de réémettre
les permis aux nouveaux propriétaires, afin que les bateaux
québécois ne pêchent pas au Québec, dans le
territoire québécois du golfe Saint-Laurent.
Mais, en faisant cela, M. De Bané ne fait pas que nuire au
Québec. Il sait surtout qu'en n'émettant pas les permis il permet
aux gens des autres provinces de venir prendre le poisson des
Québécois dans le territoire québécois. Incroyable,
mais vrai! C'est incroyablel II n'y a pas une compagnie au Canada qui est
traitée de cette façon. Pas une compagnie au Canada ne doit
demander son permis au voyage. Pas une, à chaque voyage, n'est
obligée de demander un nouveau permis, pas une compagnie au Canada.
Mais, pour Madelipêche, qui est une entreprise québécoise,
M. De Bané a trouvé ce truc génial de dire: Je vais lui
faire tort le plus possible.
Je pensais que, quand il arriverait comme ministre des Pêches
à Ottawa, il aurait l'intention d'aider les Québécois.
Mais non! Constamment, ce sont des coups bas pour nuire au Québec. Cela
se fait par 74 députés sur 75 à Ottawa, des
députés qui viennent du Québec, qui ont la majorité
du caucus, soit 74 sur 147, mais qui font en sorte de nuire au maximum aux
Guébécois. Incroyable!
Et pour comble, l'entente de 1922 est abolie. J'aurais pensé que,
face à cela, le Parti libéral dirait, avec le gouvernement du
Québec, le Parti québécois: Assumons, à ce
moment-ci, le maximum des juridictions du Québec dans ce secteur. Mais
non, il se fait le complice du ministre fédéral des
Pêches
et il a retardé au maximum l'adoption du projet de loi 48 qui va
permettre des développements. Si le projet de loi 48 avait
été adopté au mois de décembre, nous pourrions
actuellement procéder à des développements dans certains
secteurs; nous aurions pu effectuer des développements sur tout le
territoire maritime, lesquels nous ne pourrons pas faire en 1984 parce que la
loi n'est pas adoptée. Ces projets seront retardés d'un an parce
que l'Opposition libérale n'a pas voulu, parce que les émissaires
fédéraux sont venus rencontrer les membres de l'Opposition pour
leur dire: Non, retardez la loi 48. On a même présenté des
pétitions bidon, on a même voulu faire une tournée pour
raconter toutes sortes de sornettes aux gens. Les gens de Gascons, les
pêcheurs hauturiers, les gens de différents villages où ils
sont allés m'ont raconté ce qu'ils leur ont dit. Ils ont dit: Ce
que Garon veut faire par sa loi, c'est vous obliger à installer vos
cages à homard à un endroit précis dans l'eau.
Des voix: Ah! Ah! Ah!
M. Garon: Exactement comme si un pêcheur, installé
sur le bout du quai, avait le droit de pêcher l'éperlan à
un endroit précis. Je leur ai demandé: Avez-vous cru cela? Ils
ont répondu: M. Garon, nous prenez-vous pour des fous? Mais cela s'est
dit quand même, on a essayé de faire croire que l'utilisation du
fonds marin voudrait dire qu'on donnerait un carré à chaque
pêcheur où il pourrait pêcher, mais seulement dans ce
carré.
J'ai été estomaqué. Par la suite, on a
remplacé le député de Nelligan par le député
de Saguenay, parce qu'il a l'air plus crédible, il vient du coin. Mais
on ne s'improvise pas dans le secteur des pêches, il faut savoir ce qui
se passe dans ce secteur. C'est pourquoi une loi comme la loi 48 n'est pas une
loi improvisée, c'est une loi qui a demandé des mois de travail
aux gens les plus compétents au Québec tant dans le domaine du
droit constitutionnel que dans le secteur des pêches. C'est une loi qui
va permettre au Québec de progresser considérablement dans le
secteur des pêches parce qu'elle va, pour la première fois,
favoriser l'utilisation rationnelle du fonds marin. Mais non pas en donnant un
petit carré à chacun; on ne fera pas poser des clôtures au
fond de l'eau! Le penseur libéral qui a imaginé de dire cela aux
gens a abusé un peu. Heureusement, les gens ne l'ont pas cru.
Les règlements sur la loi 48 sont avancés et nous ferons
des consultations avec les gens du territoire maritime sur les modalités
d'application, le mode de fonctionnement. Ceux qui pêchent le homard
savent que la gestion se fait par baie, en traçant des points sur la
côte pour déterminer les baies ou les grands territoires où
les pêcheurs peuvent pêcher. Cela se fait déjà comme
cela. La gestion du homard s'est toujours faite comme cela quand, au
Québec, on a décidé de faire une pêche
rationnelle.
Quant à la pêche au crabe, quand on voudra déposer
des casiers, il faudra obtenir des autorisations pour déposer des
casiers sur le fonds marin québécois. Y a-t-il quelque chose
d'anormal là-dedans? Évidemment, les gens demandent: Allez-vous
donner une préférence aux Québécois? Je demanderai
aux libéraux: Pensez-vous que, sur les fonds marins
québécois, les pêcheurs québécois devraient
avoir le droit de pêcher en premier? Oui ou non? Je pense que de poser la
question, c'est y répondre. Ce n'est pas anormal. (22 h 10)
Il est possible de faire des ententes avec chacune des provinces qui
sont contiguës au Québec. Il sera possible de faire des ententes
par lesquelles nous pourrons échanger des avantages de part et d'autre.
C'est vrai qu'il y a des lieux de pêche traditionnels. Il est possible de
s'échanger des lieux de pêche traditionnels, parce que c'est
avantageux de part et d'autre. Il n'y a rien qui s'oppose à cela. Mais
il ne faut pas échanger un cheval contre un lapin.
Faire des ententes en vertu desquelles on recevra autant qu'on donnera.
Dans le secteur des pêches, M. De Bané me disait: Pourquoi veux-tu
avoir plus de 6%? Le Québec, dans le secteur des pêches, n'avait
pas plus de 6%. J'ai dit: Oui, mais est-ce que c'est parce qu'on s'est fait
organiser depuis des générations qu'on doit accepter comme une
tradition historique de se faire faire? Est-ce qu'il est normal qu'en face de
chez nous, ce soient les gens de chez nous qui pêchent plutôt que
les gens d'ailleurs?
Pensez-vous que M. De Bané, qui aime donner des quotas de
pêche aux Européens, aux Russes, ne devrait pas d'abord nous en
donner à nous, les Québécois? Pensez-vous que le
gouvernement fédéral devrait donner un seul quota de pêche
à des pays étrangers quand il n'en donne pas aux bateaux
québécois? Il y a des bateaux à quai actuellement aux
Îles-de-la-Madeleine, parce que le gouvernement fédéral ne
veut pas donner de permis, mais il en a pour les pays étrangers. Il en a
pour les bateaux russes. Il n'en a pas pour les bateaux
québécois. Comment se fait-il? Évidemment, le
député de Huntingdon va défendre cela.
Une voix: Ce n'est pas normal.
M. Garon: S'il ne trouve pas cela normal, il devrait dire que le
ministre fédéral des Pêches doit donner des permis aux
bateaux québécois. Avec la crevette qu'il y a sur le banc
d'Anticosti, collée sur le banc d'Anticosti et dans les eaux
québécoises, on devrait donner des permis de pêche
aux bateaux québécois.
Quand j'ai dit à M. De Bané: Dans le fond, vous avez des
quotas par province, mais vous ne donnez pas ce nom aux permis. Pour moi, c'est
simple, j'ai seulement à additionner les quotas que nos entreprises du
Québec ont et cela fait le total du quota québécois. Il
m'a dit: II ne faut pas regarder cela de cette façon. Voyons donc! quand
tu donnes des quotas à cinq bateaux de la Nouvelle-Écosse et que
tu ne nous en donnes pas, je pense que tu viens d'augmenter le quota de la
Nouvelle-Écosse et que le nôtre est resté le même.
Quand un bateau étranger vient pêcher dans nos eaux, c'est parce
que le ministère fédéral des Pêches lui donne un
permis de pêcher. Est-ce que c'est anormal qu'on permette de pêcher
des ressources en territoire canadien à des pays étrangers, alors
que nous n'avons pas de permis pour pêcher la crevette actuellement pour
le Kristina Logos et le Lumaaq? C'est cela, la question fondamentale. Il ne
faut pas chercher de midi à quatorze heures.
M. De Bané dit dans Le Soleil d'aujourd'hui: Je voudrais
m'entendre avec Garon. Il m'a dit cela vendredi. Je lui ai dit: J'en suis fort
aise. Émets des permis à nos bateaux et la chicane est finie.
Moi, je ne la fais pas, la chicane. J'ai dit: Tu enlèves les permis
à nos bateaux. Moi, tout ce que je fais, c'est de défendre les
citoyens du Québec. Émets des permis à nos bateaux et le
problème est réglé. Il a dit: Ah non. Là, il
faudrait que je t'échange cela contre autre chose. Bien oui, c'est cela,
on a un bateau qui a un permis; tu enlèves le permis et après
cela, tu dis: Viens négocier et je vais te redonner le permis à
condition que tu me donnes autre chose. Sur cette base-là, on peut
négocier longtemps. Chaque fois que je veux demander quelque chose
à quelqu'un, je vais lui enlever quelque chose pour lui redonner contre
ce que je veux avoir. C'est cela qui se passe, M. le Président. C'est
absolument anormal. C'est pourquoi, dans le secteur des pêches, il est
important d'adopter le projet de loi 48, pour occuper nos juridictions, pour
que le Québec ne soit pas obligé de négocier à
genoux, pour arrêter d'avoir le mouton comme symbole, pour
décider, une fois pour toutes, d'occuper nos juridictions.
J'ai voulu, ce soir, en troisième lecture, concentrer toute
l'argumentation essentiellement sur le point central du projet de loi 48, qui
est l'occupation des juridictions constitutionnelles du Québec par le
Québec. Le Québec a des droits constitutionnels. Les tribunaux
l'ont interprété, les tribunaux de Londres, à part cela,
M. le Président. Faut-il avoir des droits à notre goût
quand c'est le tribunal de Londres qui le dit!
Une voix: C'est du solide.
M. Garon: Le Conseil privé a réussi à nous
enlever le Labrador, dans un jugement. Ils ont dit, par ailleurs, que, dans le
secteur des pêches, le fédéral devait tenir compte des
autres responsabilités données au Québec, notamment en
matière de droit civil et de propriété. Faut-il avoir des
droits véritablement pour que le Conseil privé de Londres dise
qu'on les al Ce sont les décisions qui ont précédé
1922, qui ont mené à une entente entre Ottawa et Québec en
1922. C'est seulement parce que le gouvernement fédéral n'a pas
voulu respecter cette entente que nous avons dû procéder. Mais, en
même temps, cela nous a obligés à faire un effort
considérable, qui n'avait jamais été fait
antérieurement par des gouvernements, pour approfondir toute la question
de la juridiction québécoise sur le territoire maritime. Nous
avons mis au travail les meilleurs cerveaux juridiques du Québec au
ministère de la Justice et en dehors du ministère de la
Justice.
Une équipe de conseillers juridiques a travaillé durant
des mois pour déterminer quels étaient les droits du
Québec. À ceux qui pensent qu'on a tiré à la
mitraillette, qu'on a tiré des articles à peu près, je
vous dirai une chose: Chaque fois qu'un juriste disait: Cela peut être
douteux, je répondais: Je ne veux rien de douteux. Je veux qu'on assume
au Québec, en matière de fonds marins et d'aquaculture, des
droits sûrs. Les avocats au contentieux du ministère ont
également travaillé là-dessus. Ils ont approfondi ces
questions depuis quelques années. Les droits que nous avons mis
là-dedans sont des droits, selon tous les juristes qui ont
travaillé là-dessus, sur lesquels il n'y a aucun doute. Chaque
fois qu'il y avait un doute, je demandais de ne pas mettre l'article.
M. le Président, je sais que mon temps achève et je
voudrais, avant de terminer, pour ne pas l'oublier, remercier tous ceux qui ont
travaillé avec moi depuis le mois de juillet, depuis la
déclaration unilatérale du gouvernement fédéral,
à bâtir ces projets de loi que nous avons présentés
depuis l'automne dernier à l'Assemblée nationale. Vous n'avez pas
idée du nombre d'heures de travail que ces gens-là y ont
consacrées, le jour, le soir et les fins de semaine. Des équipes
importantes ont travaillé. Évidemment, il y en a un certain
nombre qui ont travaillé beaucoup plus. Je pense à Me
Gagné du ministère et à Me Brière. Je pense
à Me Ducharme, à Me Cantin et à Me Samson. Je ne veux pas
mentionner tous ceux qui ont travaillé à ce projet de loi, mais
je peux vous dire qu'ils ont travaillé très fort avec l'objectif
de faire en sorte que, par ce projet de loi, le Québec assume les droits
qui lui ont été dévolus par la constitution en
1867 et qui ont été interprétés par les
tribunaux entre 1867 et 1920.
C'est le but du projet de loi, de faire en sorte que le Québec,
qui a quelque chose à dire dans ce secteur, le dise, que le
Québec, qui a des pouvoirs qui... Souvent, les pouvoirs du Québec
sont limités, mais au moins, que les petits pouvoirs que nous avons sur
le plan constitutionnel soient assumés par le gouvernement du
Québec. C'est pourquoi ce projet de loi doit être adopté.
Il aurait dû l'être au mois de décembre mais, à
défaut de mieux, il doit être adopté au mois de juin 1984
pour faire en sorte que les Québécois aient en main les
instruments légaux pour assurer leur développement dans le
secteur maritime. Merci, M. le Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader adjoint de
l'Opposition et député de Charlesbourg.
M. Côté: M. le Président, je demande
l'ajournement du débat.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Cette motion est-elle
adoptée?
Des voix: Adopté.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Adopté. M. le
leader adjoint du gouvernement.
M. Blouin: M. le Président, je propose donc que nous
ajournions nos travaux à demain matin, dix heures.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Cette motion est-elle
adoptée?
Des voix: Adopté.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Adopté. Ajournement
de nos travaux à demain, dix heures.
(Fin de la séance à 22 h 21)