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Introduction historique

24e législature, 4e session
(16 novembre 1955 au 23 février 1956)

Par Marc-André Robert

Le Québec, le Canada et le monde en 1955 et en 1956

Dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la polarisation du monde se poursuit. Plusieurs grandes conférences internationales se tiennent en 1955, dont deux plus marquantes. Le 14 mai, les huit pays d’Europe de l’Est, dont l’URSS, la Pologne et la République démocratique d’Allemagne (RDA), se réunissent à Varsovie pour signer un traité d’alliance. Le Pacte de Varsovie se veut une réponse au traité de l’Atlantique Nord (OTAN), signé par les pays de l’Ouest, le 4 avril 1949. Le 21 juillet a aussi lieu la Conférence des « Quatre Grands » à Genève, réunissant les États-Unis, l’URSS, la France et la Grande-Bretagne. C’est la première conférence au sommet depuis celles de Yalta en février 1945 et de Potsdam en juillet et août de la même année. Les puissances y discutent notamment de la réunification de l’Allemagne et des relations Est-Ouest.

Au niveau social, l’événement le plus marquant de cette année, en Amérique du moins, est certainement l’incident Rosa Parks, à Montgomery dans l’État de l’Alabama, qui devient vite un symbole pour la lutte contre la ségrégation raciale aux États-Unis. Le 1er décembre 1955, Rosa Parks, une couturière afro-américaine, refuse de céder sa place à un Blanc alors qu’elle prenait place sur un siège à l’avant d’un autobus. Condamnée à payer une amende pour ce geste, Rosa Parks fait appel de ce jugement. L’incident provoque bientôt un large mouvement de mobilisation au sein de la communauté noire, présidé par le pasteur Martin Luther King. Le 13 novembre 1956, la Cour suprême déclare finalement anticonstitutionnelle la ségrégation dans les transports publics d’Alabama et donne raison à Rosa Parks. Les lois ségrégationnistes américaines seront par la suite abolies en 1964 par le Civil Rights Act.

L’année 1955 correspond aussi aux décès de deux personnalités importantes. Le célèbre physicien Albert Einstein est victime d’une rupture d’anévrisme au cerveau le 18 avril, et meurt dans sa demeure à Princeton au New Jersey. L’acteur James Dean, connu pour ses rôles dans East of Eden et Rebel Without a Cause, décède, le 30 septembre, au volant de sa voiture Ford Sedan en Californie, immortalisant du coup la légende d’une jeunesse indomptée.

Au Canada, l’économie domine la scène politique fédérale. Deux conférences intergouvernementales retiennent l’attention. Convoquées par le premier ministre libéral Louis Saint-Laurent, ces rencontres fédérales-provinciales s’amorcent respectivement les 26 avril et 3 octobre. On y discute de règlement fiscal, sans toutefois parvenir à une entente. Deux commissions royales d’enquête sont également mises sur pied : la commission royale d’enquête sur les perspectives économiques du Canada (commission Gordon) d’abord, qui voit le jour le 17 juin, est chargée d’enquêter sur l’acquisition des ressources et des entreprises canadiennes par les compagnies étrangères; et la commission royale d’enquête sur la radio et la télévision (commission Fowler), créée le 2 décembre, laquelle doit se pencher sur les problèmes de financement du réseau canadien de radiodiffusion et télévision. On note aussi l’acceptation, par Duplessis, du plan fédéral de pensions aux invalides, le 28 mars, ainsi que l’adoption, par la Chambre des communes, de la loi sur l’assurance-chômage, le 2 octobre.

Au Québec, l’année 1955 est marquée par la fameuse émeute du Forum qui éclate le 17 mars à Montréal, à la suite de la suspension du hockeyeur et joueur étoile du Canadien, Maurice Richard. Peu de temps avant les séries de fin de saison, Richard est suspendu pour avoir asséné un coup de poing au juge de lignes Cliff Thompson, lors du match opposant le Canadien aux Red Wings de Détroit, le 13 mars. Cette révolte du public contre une pénalité jugée exagérée et injuste prendra valeur de symbole pour tout le Canada français.

Le domaine de la peinture et des arts monopolise la scène culturelle provinciale. On note l’exposition « Espace 55 », en février, au Musée des beaux-arts de Montréal, qui constitue une fenêtre pour la peinture plasticienne, mettant en vedette les œuvres de Paul-Émile Borduas, de Louis Hémon et de Jean-Paul Mousseau1. Au même moment, le 10 février, un groupe de peintres, dont Jauran et Louis Belzile, signent un manifeste « plasticien » et exposent à la galerie L’Échourie. L’Actuelle, première galerie d’art non figuratif, ouvre également ses portes la même année. Dans le domaine du cinéma, deux films de l’abbé Maurice Proulx2 paraissent au cours de l’année : Waconichi, documentaire touristique traitant de la pêche dans le Grand Nord québécois, et Vers la compétence, film offrant un regard sur les institutions d’enseignement professionnel et technique au Québec3. En Chambre, Duplessis fera d’ailleurs l’éloge de l’abbé Proulx et de son travail. (15 février)

C’est dans ce contexte que s’ouvre, le 16 novembre 1955, la 4e session de la 24e Législature à Québec. On note une assistance record à la première séance. Le Nouvelliste rapporte que 700 invités se sont présentés pour assister aux cérémonies d’ouverture et qu’environ 500 personnes ont pu prendre place sur le parquet de la Chambre et dans les tribunes4.

Cette première séance est également très brève; les députés ne siègent qu’une quinzaine de minutes. Calixte Dumas, de L’Action catholique, se demande « si ce n’est pas le calme avant la tempête, car toutes les sessions qui précèdent des élections générales sont généralement orageuses5 ».

 

Les parlementaires

Depuis la prorogation des Chambres le 22 février 1955, deux députés unionistes sont décédés, ce qui a forcé la tenue d’élections complémentaires en juillet 1955. Les unionistes Ernest-Joseph Chartier, député de Saint-Hyacinthe, et Paul Provençal, député de Montréal-Laurier, sont remplacés respectivement par Jacques Bousquet et Arsène Gagné, deux autres unionistes. Le libéral John Richard Hyde est aussi élu, dans Westmount-Saint-Georges, pour remplacer George Carlyle Marler, qui avait démissionné le 30 juin 1954, rejoignant le Cabinet fédéral de Louis Saint-Laurent à titre de ministre des Transports. Contrairement à son prédécesseur, Hyde est relégué à l’arrière-ban.

En tant que premier ministre, Duplessis a le privilège d’assigner un siège à chaque député en début de session. Selon le député René Chaloult, « [il] rapproche de lui les ministres qui lui paraissent les plus dignes [et si] un mandataire lui déplai[t], il l’éloign[e] et le re[ègue] parfois au fond de la Chambre, parmi les back-benchers6 ». C’est une fonction à laquelle il accorde beaucoup d’importance. Lors de la rentrée parlementaire, Duplessis nargue ainsi l’opposition, feignant la surprise de voir le député Hyde au fond de la Chambre, alors que Marler occupait une place dans les premiers rangs. (16 novembre)

À l’ouverture de la session, sur le parquet de l’Assemblée, on compte 68 unionistes, 23 libéraux et un indépendant, Frank Hanley, député de Montréal-Sainte-Anne, qui appuie constamment l’Union nationale. Un seul siège est vacant à la suite de la démission, le 17 mai 1955, de Gaston Ledoux, député libéral de Shefford. Arrêté puis accusé de recel une semaine après sa démission, Ledoux est condamné à deux mois de prison, le 23 août 1955. Des 92 sièges à l’Assemblée législative, 91 sont ainsi occupés. Sauf qu’au cours de la session, le 10 décembre 1955, le député unioniste de Roberval, Antoine Marcotte, décédera.

Alexandre Taché occupe de nouveau la fonction d’Orateur, mais seulement pendant la première moitié de la session. Il démissionne le 15 décembre 1955, après avoir été nommé juge à la Cour de magistrat des districts de Hull, Terrebonne et Pontiac. Il est alors remplacé par Maurice Tellier, qui agissait déjà comme Orateur suppléant depuis 1945. C’est Daniel Johnson, député de Bagot, qui est nommé Orateur suppléant.

Le cabinet demeure inchangé et comprend 20 ministres, dont Paul Sauvé au Bien-être social et à la Jeunesse, Onésime Gagnon aux Finances, Antonio Talbot à la Voirie, et Laurent Barré à l’Agriculture.

Au Conseil législatif, à la suite du décès, le 6 octobre 1955, de Pamphile-Réal Du Tremblay, conseiller d’allégeance libérale de la division de Sorel, le gouvernement nomme Jean Barrette, rédacteur sportif, pour lui succéder. Selon l’historien Robert Rumilly, « Barrette n’a aucune aptitude au discours public […]. Grand ami de Maurice Duplessis, il l’accompagne aux séries mondiales de baseball à New York. […] Mais surtout, il est le fils de J.-A. Barrette, l’ancien député de Berthier, et cette nomination, de la part de Duplessis, est un nouveau trait de fidélité7 ». Ce dernier occupera ses fonctions jusqu’à l’abolition du Conseil législatif en 1968. Sur un total de 24 membres à la « Chambre haute », on dénombre donc 13 libéraux et 11 unionistes.

 

Duplessis et l’Union nationale : l’assurance de la majorité

Avec l’attitude que nous tenons, nous continuons l’œuvre des grands chefs libéraux. Nos revendications sont l’écho de celles des grands chefs politiques d’autrefois, bleus ou rouges, tandis que le chef de l’opposition se fait l’écho de ceux qui s’opposent au fédéralisme et favorisent le gouvernement unitaire. Tous les premiers ministres libéraux de la province, jusqu’à M. Godbout, ont été des autonomistes. Tradition au-dessus des intérêts de parti! Nous voulons faire respecter nos droits dans la paix, dans la concorde. (22 novembre)

 

Ces paroles du premier ministre Duplessis résument bien l’attitude de l’Union nationale. L’autonomie provinciale demeure la principale préoccupation de son gouvernement. En marge des deux conférences fédérales-provinciales tenues en avril et en octobre 1955, Duplessis assouplit toutefois ses positions face à Ottawa. Le chef de l’Union nationale entend maintenant collaborer avec le gouvernement Saint-Laurent. Dans ses mémoires, en novembre et décembre 1955, le conseiller législatif Hector Laferté écrit :

Évidemment, les difficultés se sont aplanies depuis que Saint-Laurent a défendu la politique de l’Ungava, a accédé aux demandes de Duplessis et n’a fait aucun éloge de Lapalme, dont il n’a même pas prononcé le nom lors du congrès des libéraux. […] Évidemment la collaboration entre le premier ministre Saint-Laurent et le premier ministre Duplessis, que la chose paraisse vraisemblable ou non, ne semble pas faire de doute. Autrefois, Duplessis tombait à bras raccourcis sur les autorités centrales et aujourd’hui il y a entre les deux premiers ministres un rapprochement assez prononcé8.

 

Au cours de la présente session, l’autonomie provinciale en est une d’ouverture. Dans son bref discours clôturant la session le 23 février 1956, au lendemain de la publication de précisions quant à la nouvelle formule fédérale de partage des impôts, le lieutenant-gouverneur Gaspard Fauteux souligne à nouveau « l’espoir que les problèmes constitutionnels à l’ordre du jour reçoivent une solution qui assure le respect intégral des prérogatives et des droits provinciaux et fédéraux ». (23 février) Ce souhait est formulé au moment où il est question d’une nouvelle conférence fédérale-provinciale en mars de la présente année. Mais, comme le souligne Dostaler O’Leary dans La Patrie du 24 février :

[Il] nous semble qu’une nouvelle conférence intergouvernementale ne peut qu’aboutir à un échec. On ne craint pas de dire, dans les cercles politiques de la capitale provinciale, que l’intransigeance que paraît manifester maintenant Ottawa après les bonnes dispositions qu’il montra en octobre, risque de recréer le climat de guerre froide qui existait l’an dernier. M. Duplessis a clairement indiqué que les positions du Québec n’avaient pas changé. Québec demeure sur ses positions fédéralistes contre tous ceux qui auraient tendance à redonner une impulsion nouvelle au mouvement centralisateur. À la lueur de ces faits, on est donc autorisé à penser que le problème de l’autonomie demeure entier et qu’il sera encore une fois le grand argument électoral de l’Union nationale9.

 

Lapalme et le Parti libéral : le long règne de l’opposition

Cette session préélectorale est décisive pour les libéraux, et surtout pour leur chef. Georges-Émile Lapalme, à la tête du Parti libéral depuis le 20 mai 1950, n’avait pas réussi à mener les siens au pouvoir lors des élections générales de 1952. Comme les libéraux sont confinés dans les « froides régions » de l’opposition depuis bientôt dix ans, l’impatience se fait sentir en vue des élections prochaines en 1956. Lapalme y joue sa carrière de chef libéral; il le sait.

Minoritaires, les libéraux sont également affaiblis par un manque d’appui de la part du Parti libéral fédéral. Lors du congrès de la nouvelle Fédération libérale provinciale, qui a eu lieu les 4 et 5 novembre 1955 à Montréal, le premier ministre Saint-Laurent, « qui semblait craindre de se compromettre, […] n’a pas soufflé un mot de politique et n’a pas du tout demandé aux délégués d’appuyer notre chef M. Lapalme », écrit Hector Laferté dans ses mémoires10.

Isolé par ses collègues fédéraux, Lapalme doit composer avec plusieurs problèmes à l’intérieur même de son parti : un manque de fonds, un manque de personnel et de locaux. « La caisse est vide, le parti a des dettes, » rappelle l’historien Jean-Guy Genest11. Le Parti libéral est ni plus ni moins dans une période de transition, ce qui n’aide en rien son chef. Malgré tout, Lapalme essaie de maintenir la cohésion dans son parti. L’expulsion du Conseiller législatif Raoul-Ovide Grothé des rangs libéraux, le 14 février 1956, après que ce dernier eut voté en faveur d’une loi de l’Union nationale, le démontre bien. Lapalme entend réformer son parti par l’intérieur. Il entend également affirmer l’autonomie des libéraux provinciaux par rapport au Parti libéral fédéral.

La création de la Fédération libérale provinciale du Québec en 1955 montre tout l’effort de modernisation déployé par le Parti libéral de Lapalme à cette époque. Cette nouvelle organisation a pour but « d’allier les objectifs démocratiques à ceux d’une plus grande autonomie du parti provincial et aux nécessités d’une lutte électorale », souligne le politologue Robert Boily12. Les libéraux regroupent ainsi leurs diverses associations régionales, convertissent les travailleurs d’élection en militants et démocratisent le financement de leur parti en créant une carte de membre qui officialise l’adhésion des membres. La Fédération « est la fierté du parti et de Lapalme. Le Parti libéral constitue désormais une organisation démocratique, il n’est plus le lieu du patronage et de la clandestinité en raison des liens organiques qui sont maintenant établis entre la base et la direction13 ».

Pour la présente session, le Parti libéral axe son programme sur une gestion stricte de l’État, sur la justice sociale, et entend continuer à critiquer la politique des octrois discrétionnaires de Duplessis et de l’Union nationale.

 

Le discours du trône

Le lieutenant-gouverneur Gaspard Fauteux14 prononce l’habituel discours inaugural de la session. Le cérémonial et le faste des temps de paix se déroulent en conformité avec la tradition britannique. La Tribune écrit que « le discours du trône n’exposait aucun geste spécifique de la part du gouvernement provincial15 ». Par rapport à l’année précédente, on ne dénote aucun changement majeur dans le plan du gouvernement, ni aucune mesure particulière.

Le lieutenant-gouverneur rappelle les bienfaits de l’Office du crédit agricole depuis 1937 ainsi que ceux de l’électrification rurale. Le gouvernement entend tirer profit des réalisations dans ces domaines. Duplessis adopte ni plus ni moins la bonne vieille méthode préélectorale qui a fait le succès de l’Union nationale depuis 1944. La voirie, les corporations municipales et scolaires, la vente de certains produits agricoles ainsi que le réseau des hôpitaux demeurent les principaux centres d’intérêt du gouvernement pour la présente session.

Le seul fait saillant du discours concerne l’attention que le gouvernement entend porter aux relations fiscales fédérales-provinciales, que l’on dit être « la grande question de l’heure ». Fidèle à la rhétorique de son chef, le nouveau député unioniste de Saint-Hyacinthe, Jacques Bousquet, ne manque pas de souligner l’importance de cette question lors de sa première allocution en Chambre :

[À] un moment critique de notre histoire le premier ministre actuel de la province […] a su non seulement sauver le Québec des malheurs irréparables d’une centralisation dangereuse, mais il a aussi contribué à sauvegarder le véritable fédéralisme dans le Canada tout entier. Est-il besoin de rappeler, de nouveau, les arguments historiques constitutionnels et, surtout, les arguments de bon sens qui rendent inattaquable la position de la province de Québec? En 1867, lorsque les deux grandes races se sont entendues pour créer un pays de nouveau, on n’a pas voulu que l’une écrase l’autre, et ce n’est certes pas pour que les provinces disparaissent. Les Pères de la Confédération ont voulu au contraire confier au gouvernement central les pouvoirs qui lui étaient nécessaires pour représenter le Canada naissant dans le concert des nations et pour administrer l’ensemble du pays, mais ils ont laissé aux provinces tout ce dont elles avaient besoin pour le bien commun des citoyens. (17 novembre)

 

L’adresse en réponse au discours du trône se déroule pendant les huit séances qui suivent. Comme à l’habitude, les députés libéraux critiquent le discours et les mesures du gouvernement. Ils accusent l’Union nationale de trafiquer certains chiffres, notamment au sujet de la dette provinciale et du nombre de nouvelles industries établies au Québec depuis la dernière année. Ils critiquent également le développement économique du gouvernement, alors que le taux de chômage est élevé, et suggèrent plus de coopération avec Ottawa.

Le 29 novembre, le discours du trône est subitement adopté, dans un climat de tourmente et d’agitation générale. Henri Dutil, dans Le Soleil, décrit la scène :

C’est alors que se produisit la surprise de la journée. Le député de Lévis [Raynold Bélanger] s’étant assis, applaudi par les députés libéraux, on se surveillait des deux côtés de la Chambre pour voir qui se lèverait pour continuer le débat. La rumeur voulait que MM. René Hamel, du côté libéral, et l’hon. Antoine Rivard, du côté ministériel, se livrent un duel oratoire. Mais rien ne se produisit. Le président de la Chambre, M. Maurice Tellier, (...) ne voyant rien venir, se leva pour demander si la motion en discussion était adoptée. Personne ne disant mot, le président prononça les mots fatidiques: "Adoptée-Carried" mettant fin officiellement au débat sur l’adresse16.

 

Les finances publiques

Le ministre des Finances, Onésime Gagnon, se targue de rompre avec la tradition. Le dépôt des comptes publics pour l’année fiscale terminée le 31 mars 1955 se fait dès la rentrée parlementaire, le 16 novembre 1955. Sous les applaudissements des ministériels, Gagnon déclare qu’il s’agit là d’un « geste sans précédent. Jamais les comptes publics n’ont été déposés le premier jour de la session. Sous les administrations antérieures, nous les avions des semaines et même des mois après l’ouverture de la session17 ».

La lecture du discours sur le budget se fait le 3 février 1956. Gagnon rappelle d’abord l’importance des relations intergouvernementales pour son gouvernement :

[Les] années 1955 et 1956, je l’espère, marqueront un tournant décisif dans l’histoire des relations financières entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des États et des provinces du continent nord-américain. […] Lors des conférences fédérales-provinciales d’avril et d’octobre 1955, il a été définitivement admis que le régime actuel des accords financiers n’était pas satisfaisant pour les provinces. Le premier ministre du Canada [Louis Saint-Laurent] a manifesté le désir de revenir à un système plus conforme à l’esprit et à la lettre de l’Acte de 1867. […] Aujourd’hui, même si notre province conserve l’amour et le respect de ses traditions, même si elle reste toujours attachée à ses origines françaises, elle évolue profondément pour devenir dans la Confédération canadienne une entité économique et industrielle de toute première importance.

 

Cette intervention est tout à propos, puisqu’à ce moment la commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels (commission Tremblay) est sur le point de déposer son rapport18.

Pour l’année budgétaire se terminant le 31 mars 1956, Gagnon présente un état provisoire des revenus ordinaires de l’ordre de 389 millions de dollars, et des dépenses ordinaires de l’ordre de 306 millions de dollars. Ces revenus dépassent de 50 millions de dollars les prévisions annoncées dans le précédent budget. Considérant les dépenses d’immobilisation, le surplus budgétaire présenté est de 75 000 $.

Pour l’année fiscale 1956-1957, les revenus ordinaires estimés sont à plus de 374 millions de dollars et les dépenses ordinaires projetées, à plus de 317 millions de dollars. En soustrayant les dépenses d’immobilisation, le surplus escompté est d’un peu plus de 165 000 $. Les secteurs de dépenses les plus importants demeurent les mêmes que l’année précédente, soit la Voirie (19 % du budget), la Santé (19 %), l’Instruction publique (17 %) et le Bien-être social et la Jeunesse (11 %). Cependant, on note une baisse significative du budget attribué à la Voirie, lequel passe de 25 % à 19 % du montant total. Comme le budget de l’année 1954-1955 était préélectoral, on suppose que Duplessis et Gagnon avaient augmenté, dans le précédent budget, le financement de la Voirie en vue de s’attirer des votes pour les élections attendues en 1956. Les autres secteurs varient légèrement, mais demeurent stables.

La réponse des députés libéraux au discours du budget est brève. La Presse note que « [le] débat de cette année a été, au fait, l’un des plus courts jamais vus. Seulement huit membres de la Chambre y ont pris part19 », ce que L’Événement confirme à son tour20. Le chef de l’opposition Georges-Émile Lapalme insiste sur les écarts budgétaires de l’Union nationale et condamne le financement du gouvernement à même la caisse d’Hydro-Québec pour un montant de 25 millions de dollars. (7 février) Émilien Lafrance, député de Richmond, suggère la création d’organismes permanents pour collaborer à l’élaboration d’une politique économique, comme un Conseil d’orientation économique et un ministère des Affaires familiales. (14 février) À la fin de son discours, il exprime l’impatience et la lassitude des libéraux :

Le gouvernement est assoiffé de louanges et de compliments; c’est la caractéristique d’un régime qui n’a plus l’âme en paix. On comprend ainsi l’intransigeance d’un gouvernement qui ne peut plus tolérer ni accepter aucune critique ni aucune suggestion. On ne comprend pas que la vérité est comme le médicament qui déplaît au goût, mais qui est salutaire pour la santé. Je crois que le gouvernement actuel a besoin d’une bonne cure d’humilité. Nous aurons l’occasion, dans quelque temps, de la lui donner. C’est le premier ministre actuel qui a déjà dit que le gouvernement qui demeurait au pouvoir plus de 10 ans était un gouvernement corrompu.

 

Les débats et les faits saillants de la session

Les travaux parlementaires se déroulent dans une ambiance tendue. Les députés libéraux, dans l’opposition depuis 1944, assiègent le gouvernement, espérant s’attirer la faveur populaire. Les plus virulents, René Hamel, Émilien Lafrance et Raynold Bélanger, y vont de quelques passes d’armes vigoureuses et échangent de rudes coups avec les députés de la droite. Les nombreux « points d’ordre » soulevés par Duplessis et ses ministres attisent l’ardeur des débats. Les députés libéraux en appellent constamment des décisions du président, mais en vain. Fort de sa majorité et de l’appui inconditionnel de l’Orateur (Taché, puis Tellier à partir du 15 décembre), Duplessis contrôle entièrement le déroulement des travaux de la Chambre.

Un total de 209 projets de loi sont présentés à l’Assemblée législative au cours de la session. De ce nombre, 193 sont sanctionnés par le lieutenant-gouverneur, ce qui lui fait dire, lors de son allocution de clôture, que la session a été « particulièrement remarquable par la qualité et la quantité des lois qui ont été adoptées ». (23 février)

 

Relations fédérales-provinciales et commission Tremblay

La question du règlement fiscal et des relations fédérales-provinciales entre Ottawa et Québec n’est pas chose nouvelle pour l’Union nationale. Depuis le dépôt du rapport de la commission royale d’enquête des relations entre le dominion et les provinces (commission Rowell-Sirois) en 1940, la position de Duplessis est on ne peut plus claire. Il condamne les visées centralisatrices d’Ottawa, revendiquant l’application du fédéralisme tel que prescrit dans la Constitution. Le rapport de la commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, des lettres et des sciences au Canada (commission Massey) en 1951, qui suggère le financement des universités par Ottawa, vient mettre le feu aux poudres. Duplessis critique de nouveau l’intrusion progressive du fédéral dans les champs de compétence provinciale. Dès 1952, au nom de l’autonomie provinciale, il refuse les subventions d’Ottawa. L’opinion publique est en désaccord, la tension monte. En réaction, Duplessis met sur pied, en janvier 1953, la commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels (commission Tremblay) pour étudier la question des relations fiscales fédérales-provinciales. Et, comme la commission doit déposer son rapport en février 1956, cela donne lieu à plusieurs débats.

À l’ouverture de la session, on remarque que la position du gouvernement à cet égard est plus ouverte qu’avant :

Le gouvernement reconnaît les droits et les obligations de l’autorité fédérale; il réitère que la province ne demande pas de faveurs mais bien le respect intégral de ses droits, prérogatives et libertés. Il est indéniable qu’au point de vue matériel un des éléments indispensables du gouvernement démocratique et responsable réside dans les pouvoirs fiscaux nécessaires à chaque autorité gouvernementale. (Discours du trône, 16 novembre)

 

Cette attitude de collaboration n’est, selon Lapalme, rien de plus qu’une façade. Il recommande plutôt la création d’un secrétariat des provinces21, afin d’homogénéiser les positions provinciales :

Les différents points de vue exprimés lors de la dernière conférence fédérale-provinciale, tenue à Ottawa le mois dernier, indiquent la nécessité de rencontrer toutes les provinces avant de s’asseoir de nouveau avec les autorités fédérales. L’an dernier, j’ai parlé d’un secrétariat permanent des provinces. Et voilà que, cette année, on parle de créer un conseil des provinces. Il serait utile d’avoir un secrétariat permanent des provinces pour permettre aux provinces de trouver leurs points d’entente et leurs points de désaccord sur des sujets comme les taxes. Un tel organisme renforcerait le point de vue des provinces au moment de négocier avec les autorités fédérales. Il y a nécessité d’une telle entente entre les provinces, car étant donné qu’il est vrai que les 10 provinces peuvent ne pas être d’accord sur tous les sujets, il doit y avoir des points de vue communs sur lesquels les premiers ministres provinciaux peuvent s’entendre. (22 novembre)

 

Les libéraux fustigent le gouvernement de ne pas prendre l’argent offert par Ottawa, en dépit d’un règlement. Pour le député libéral Émilien Lafrance, il est clair que l’attitude de Duplessis ne sert pas la province :

Si jamais un jour la question est réglée et qu’un règlement définitif de la question fiscale est conclu, la province de Québec commencera à zéro, alors que la province voisine aura bénéficié de montants énormes qui lui auront permis de solidifier son économie. Les autres provinces continueront ainsi leur route avec les millions accumulés auparavant. Le premier ministre a retardé expressément un règlement des problèmes fiscaux entre le fédéral et le provincial pour faciliter ses propres ambitions politiques. (23 novembre)

 

Le rapport de la commission Tremblay est déposé quelques jours avant la prorogation des Chambres, le 15 février 1956, mais Duplessis « en retarde la diffusion pendant plusieurs mois. Certains chapitres, notamment sur les relations avec les municipalités et les commissions scolaires, ne lui plairaient pas », explique le politologue Gérard Boismenu22.

La question de l’assurance-santé vient également jeter de l’huile sur le feu, dans les relations fédérales-provinciales. En octobre 1955, Duplessis refuse le programme fédéral d’hospitalisation, prétextant encore l’ingérence d’Ottawa. Dès le début de la session, les libéraux accusent le gouvernement de faire de la politique sur le dos des malades. Selon eux, le régime d’assistance publique en vigueur au Québec n’aide que les indigents et n’est pas suffisant. Sans refuser l’idée d’un tel programme d’assurance-santé, Duplessis se dit « prêt à accepter les suggestions les meilleures, à la condition que les droits de la province soient sauvegardés » (23 novembre). Mais cette réponse, Duplessis la sort maintes et maintes fois pour lui éviter de se confondre, ce qui a pour effet d’exaspérer les libéraux :

M. Montpetit (Maisonneuve): J’accepte la parole du premier ministre. Mais n’a-t-il pas vu, tout aussi bien que nous, des centaines de gens se plaindre de recevoir des comptes d’hôpitaux de $500, et même davantage, qu’ils ne pouvaient payer? Nombreux sont les gens incapables de payer leurs notes d’hôpital, notamment les ouvriers. Les familles au Québec sont, en général, plus nombreuses qu’ailleurs et leurs charges sont d’autant plus lourdes. L’ouvrier moyen est incapable de payer ses frais d’hospitalisation dans de nombreux cas et s’endette pour des années à venir. C’est pourquoi la population de cette province demande, à grands cris, que nous adoptions un système d’assurance-santé. Si le gouvernement actuel s’y refuse, le Parti libéral le lui accordera, une fois au pouvoir. (24 novembre)

 

L’autonomie provinciale demeure le prétexte par excellence de Duplessis pour justifier la position de son parti sur la question des relations fédérales-provinciales. Les libéraux décrient toutefois ce qui leur semble n’être que des paroles vides sans action concrète.

 

Le prix du bois de pulpe et l’Office provincial des marchés agricoles

Le 2 février 1956, dans le cadre du discours sur le budget, le député de Frontenac, Gérard Noël, présente une motion de blâme. Il « regrette que le gouvernement n’ait pas pris les mesures nécessaires, eu égard aux moyens dont il dispose, pour assurer un meilleur prix de vente aux cultivateurs et aux colons qui coupent du bois de pulpe, et pour protéger aussi les intérêts des petits expéditeurs de bois de pulpe ». (2 février) Tandis que le prix du papier journal augmente, il souhaite que le gouvernement adopte une loi pour fixer le prix de la corde de bois et assurer un revenu décent aux cultivateurs et aux colons. Duplessis accuse le député Noël de faire de la « politicaillerie » et de ne pas connaître le sujet :

Le député de Frontenac paraît ignorer que dans la province de Québec, la coupe du bois se fait dans une proportion de plus des deux tiers sur les terres de la couronne. Le député a dit que les compagnies ont trop de limites. Ces limites, elles ont été cédées par ses amis de l’ancien régime. C’est certain que les cultivateurs ne reçoivent pas ce qu’ils devraient recevoir, mais le gouvernement n’a pas de contrôle sur le domaine privé. Le mal réside dans cette combine entre les compagnies et les intermédiaires. Si nous fixons des prix, qu’est-ce qui va forcer les compagnies à acheter? (2 février)

 

Duplessis essaie de détourner la discussion arguant que c’est plutôt une motion de non-confiance et qu’il ne peut, logiquement, voter contre son propre gouvernement. La motion est naturellement rejetée. Le gouvernement règle cependant la question en adoptant, le 16 février, le bill 44 établissant un office provincial pour aider à la vente des produits agricoles. En créant l’office des marchés agricoles, Duplessis et l’Union nationale font d’une pierre deux coups. Ils s’attirent d’abord l’appui des cultivateurs et des colons en mettant en place une mesure démocratique qui permet à ces derniers de discuter et de régler, entre eux, les questions concernant le prix de vente des produits agricoles, mais ils s’évitent aussi d’avoir à intervenir à nouveau sur la question.

Pour les libéraux, c’est l’occasion de blâmer le retard du gouvernement dans ce dossier; et de condamner aussi l’inaction de l’Union nationale alors qu’une loi similaire avait déjà été adoptée, en 1948, sans être appliquée.

 

Anglo-Canadian Pulp and Paper Mills

À plusieurs reprises, Duplessis avait demandé aux compagnies de papier journal de « servir » les journaux de la province en leur offrant un tarif préférentiel. En 1955, Elliot Little, président de l’Anglo-Canadian Pulp and Paper Mills, défie le gouvernement deux fois plutôt qu’une en haussant ses prix. Il n’en faut pas plus pour provoquer Duplessis. Il présente d’abord, le 13 décembre 1955, le bill 28 concernant la production, la vente et la distribution du papier journal fabriqué dans la province avec les bois provenant du domaine public de la province. Cette loi prévoit la création d’une régie du papier journal. Le discours que livre Duplessis, en deuxième lecture, se veut punitif23 :

Il s’agit d’une législation extraordinaire rendue nécessaire par l’incompréhension extraordinaire et l’entêtement irréfléchi de certains magnats de l’industrie du papier journal. Il n’y a pas de doute, et je l’ai dit souvent, le meilleur contrôle, c’est le contrôle de soi-même et le contrôle de l’État ne doit avoir lieu que lorsqu’il est devenu nécessaire d’appliquer certains principes fondamentaux essentiels. Il n’y a pas de doute que le système par excellence est celui de l’entreprise privée, système dans lequel le gouvernement actuel a toujours cru; mais, d’autre part, il s’agit ici d’une industrie particulière et un des bons moyens de sauvegarder l’industrie libre, l’entreprise privée, c’est de faire comprendre leur devoir à ceux qui ne veulent pas le comprendre. (25 janvier)

 

Lapalme conteste le projet de loi, prétextant la liberté de presse. Il soutient que la loi ne profitera qu’aux producteurs de papier journal et non à la population québécoise. Il suggère au gouvernement d’agir plutôt à la source du problème, sur les forêts et la coupe du bois. Le député de Lévis, Raynold Bélanger, va plus loin :

Ce bill révèle aussi l’esprit de dictature du régime. Il constitue une entrave au commerce. Il donne au gouvernement le pouvoir de tout régir, mais pas au bénéfice de la province, qui n’en retirera pas un sou. La mesure viole aussi la liberté de la presse. Partout où l’on a voulu contrôler les journaux, on a employé comme premier moyen la répartition du papier. C’est ce qu’on a fait en Argentine, en Russie, en Allemagne. (25 janvier)

 

La loi est adoptée le 26 janvier. Duplessis ne s’arrête pas là. Le 10 janvier 1956, il présente en Chambre le bill 37 concernant les contribuables municipaux et scolaires de la cité de Québec et Anglo-Canadian Pulp and Paper Mills Limited. Avec ce projet de loi, il double l’évaluation municipale de la compagnie Anglo-Canadian Pulp, la faisant passer de 3,5 millions à 7 millions de dollars, afin d’augmenter ses taxes municipales et scolaires. Duplessis est sans équivoque; il entend faire de l’Anglo-Canadian Pulp and Paper Mills et de son président Elliot Little un exemple pour quiconque souhaiterait défier son gouvernement.

 

De choses et d’autres…

En 1955, la ville de Nicolet subit deux catastrophes majeures : le 21 mars, un violent incendie ravage la municipalité, détruisant 35 établissements commerciaux et jetant 75 familles à la rue; huit mois plus tard, elle est à nouveau dévastée par un important glissement de terrain. Duplessis et Lapalme offrent leurs sympathies aux sinistrés et promettent d’agir rapidement pour offrir l’aide de l’État. Le 6 décembre, Duplessis présente le bill 26 intitulé  « Loi pour venir en aide aux victimes du sinistre survenu à Nicolet en novembre 1955 ». L’Assemblée l’adopte unanimement le 14 décembre.

La décision du Canadien national (CN) d’utiliser le nom Queen Elizabeth pour son nouvel hôtel, en l’honneur de la reine Elizabeth II, soulève un mouvement de contestation populaire, parmi lequel on compte la Ligue d’action nationale et son président François-Albert Angers24 ainsi que l’ancien député provincial René Chaloult25. Les tenants du mouvement tentent de faire plier la direction pour qu’elle adopte plutôt le nom Château-Maisonneuve, en l’honneur de fondateur de Montréal. Cette contestation populaire a des échos en Chambre. Le 29 novembre 1955, Yvon Dupuis, député libéral de Montréal-Sainte-Marie, présente une motion recommandant justement au CN le nom Château-Maisonneuve pour son nouvel hôtel :

En présentant une motion à cet effet, je réponds à un vœu quasi-unanime de la population. […] Montréal, métropole du Canada, est la 3e ville française du monde. À ce titre, il importe de lui conserver son caractère français. Le tourisme, par exemple, a tout à gagner à maintenir cette atmosphère française. Il importe de donner aux Américains qui viennent chez nous ce qu’ils désirent, c’est-à-dire quelque chose de différent. (29 novembre)

 

Duplessis s’oppose à cette motion. Comme la décision a été prise par un organisme relevant de l’autorité fédérale, selon Rumilly, « Duplessis se garde bien de pratiquer, sur le terrain fédéral, l’ingérence qu’il reproche au gouvernement d’Ottawa sur le terrain provincial26 ». La motion de Dupuis est en conséquence rejetée.

Un mot sur les bills 30 et 42 : le gouvernement octroi des montants pour le financement et le développement des universités québécoises. L’Université Laval et l’Université de Sherbrooke reçoivent respectivement 1 500 000 $ et 750 000 $ pour la construction de deux écoles des sciences. De part et d’autre de la Chambre, les partis reconnaissent l’importance de ces mesures pour assurer la formation de nouveaux ingénieurs. L’Union nationale avait déjà octroyé un montant de six millions de dollars pour la construction d’une nouvelle école polytechnique sur le terrain de l’Université de Montréal, en 1954. Les deux bills sont adoptés à l’unanimité.

Notons enfin qu’une loi modifiant le titre des députés de l’Assemblée législative est présentée par Duplessis. Adoptée le 29 novembre, cette loi prévoit le remplacement de l’acronyme M.A.L. (membre de l’Assemblée législative) par M.P.P. (membre du Parlement provincial) dans le titre des députés. Selon Duplessis, « d’abord, M.A.L. peut se dire « Mal » et cela ne convient certainement pas à la situation. Ensuite, la Législature de Québec est un véritable Parlement, avec un Sénat et une Chambre des communes, habiletés à faire des lois ». (17 novembre) Selon le politologue Louis Massicotte, cette initiative est signifiante dans un contexte d’affirmation de l’autonomie provinciale27. Ce titre change encore en 1968 pour M.P.Q. (membre du Parlement québécois), puis à nouveau en 1971 pour M.A.N. (membre de l’Assemblée nationale). En 1982, la loi sur l’Assemblée nationale remplace l’ancienne loi sur la Législature et élimine, du coup, l’article concernant la désignation des députés28.

 

Faits divers, faits cocasses…

À la deuxième séance de la session, un page dépose sur le pupitre du premier ministre Duplessis une gerbe de roses rouges. Celle-ci symbolise la gratitude des électeurs du comté de Montréal-Laurier envers le chef du gouvernement, qui avait bien voulu désigner leur nouveau député pour seconder l’adresse au discours du trône. Le député en question, Arsène Gagné, venait tout juste de terminer son discours.

Duplessis détache alors une rose de la gerbe qui se trouve devant lui et la fait parvenir au chef de l’opposition, Georges-Émile Lapalme, lui envoyant, au passage, un de ses habituels jeux de mots. Lapalme s’en défend bien, mais la réplique de l’Orateur Taché provoque l’hilarité générale des parlementaires :

L’honorable M. Duplessis (Trois-Rivières): J’envoie une de ces roses rouges au chef de l’opposition. Elle lui rappellera les jours anciens et dira à son parti qu’il doit se contenter d’une rose rouge et de "la palme".

M. Lapalme (Montréal-Outremont): Je dois faire remarquer au premier ministre qu’il n’y a pas de roses bleues.

M. l’Orateur: Je ne veux pas vous interrompre, mais je me permets d’intervenir, car il ne faudrait pas que cet échange dégénère et que la guerre des Deux-Roses reprenne à ce sta[d]e de la session. (17 novembre)

 

Critique des sources

Par Marc-André Robert

Les membres de la Tribune de la presse en 1955-1956

Richard Daignault, du Herald, de La Presse, de la Gazette et de La Presse canadienne, co-vice-président de la Tribune pour la session de novembre 1954 à février 1955, est élu président en 1955. Wilbur Arkinson, de la Gazette, est quant à lui réélu co-vice-président pour un deuxième mandat. Jacques Monnier, de La Presse et de La Presse canadienne, complète la vice-présidence. Henri Dutil, du Soleil et de L’Événement-Journal, est réélu secrétaire-trésorier pour un 10e mandat.

Les autres membres connus de la « Galerie de presse » sont : Dostaler O’Leary, de La Patrie; Calixte Dumas, de L’Action catholique; Pierre Laporte et Marcel Thivierge, du Devoir; Charles-Eugène Pelletier, du Droit; Maurice Bernier, du Montréal-Matin; Vincent Prince, de La Presse; Bill Bantey, du Herald; Cyrille Guay, de La Tribune; René Lagacé, du Quebec Chronicle; Jean-Jacques Saint-Onge, du Nouvelliste; Fernand Renaud, du Montreal Star; Jacques Trépanier, de La Patrie; Bernard Massicotte, du Progrès du Saguenay; Mark-Edmond Thivierge, de la United Press International; et Adalbert Trudel, du Quebec Chronicle, Record et du Toronto Telegraph.

 

Les hebdomadaires et autres documents d’archives

En plus des grands titres connus, la reconstitution des débats pour la session 1955-1956 s’appuie parfois sur des informations trouvées dans les chroniques parlementaires des journaux et hebdomadaires suivants : le Joliette Journal, L’Avenir du Nord, L’Éclaireur, L’Étoile du Nord, La Bonne Parole, La Frontière, La Gazette des Campagnes, La Parole, La Réforme, La Terre de Chez Nous, La Tribune de Lévis, La Victoire de Deux-Montagnes, La Voix de l’Est, La Voix de Shawinigan, La Voix des Bois-Francs, La Voix des Milles-Iles, L’Action populaire, L’Avant-poste gaspésien, Le Bien Public, Le Bulletin des Agriculteurs, Le Clairon maskoutain, Le Courrier de Berthier, Le Courrier de Montmagny, Le Courrier de Saint-Hyacinthe, Le Dorchester, Le Guide, Le Journal de Waterloo, Le Monde Ouvrier, Le Petit Journal, Le Peuple (Montmagny), Le Progrès de l’Islet, Le Progrès du Golfe, Le Progrès du Richelieu, Le Progrès du Saguenay, Le Réveil, Le Salaberry, L’Écho de Lotbinière, L’Écho de Louiseville et du comté de Maskinongé, L’Écho des Laurentides, L’Écho du Nord, L’Étoile du Lac, L’Union des Cantons de l’Est, le Shawinigan Standard, le Sherbrooke Daily Record et le Stanstead Journal.

 

Les comptes rendus des débats29

Dans leurs comptes rendus, les chroniqueurs parlementaires se font un devoir de ne pas laisser paraître l’allégeance politique des journaux pour lesquels ils travaillent. Même pour les éditoriaux et les articles, ils font preuve d’une surprenante neutralité en 1955-1956. Pierre Laporte, du Devoir, reconnu pour ses critiques à l’attention de Duplessis et du gouvernement de l’Union nationale, adopte, lui aussi, une certaine impartialité. À tout le moins dose-t-il davantage ses propos, bien que, çà et là, on trouve des marques d’intention dans ses éditoriaux :

Il est compréhensible qu’à la veille des élections l’Union nationale veuille endormir encore la classe agricole en défendant de colorer la margarine. Mais un jour les cultivateurs cesseront de croire à M. Duplessis. Et ils auront raison. Car, comme dit le proverbe, on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps30.

 

Pour certains débats, les courriéristes parlementaires font des résumés, surtout lorsque les débats durent plusieurs heures. Comme pour la séance du 22 février 1956, Le Soleil rapporte qu’« il a fallu trois heures de discours pour disposer de cette législature…31 », alors que le compte rendu du débat est un peu mince. Autre exemple, lors de la séance du 19 janvier 1956, le compte rendu rapporte que le député libéral de Lévis, Raynold Bélanger, « fait des observations », mais sans en dire davantage. Ou encore, à la séance du 2 février 1956, les chroniqueurs soulignent seulement que le chef de l’opposition « pose des questions ». Ces omissions surviennent généralement dans le cadre de débats sur des questions de moindre importance. Il arrive également que les chroniqueurs n’arrivent tout simplement pas à suivre la vitesse à laquelle les débats se déroulent quand la Chambre est agitée ou que plusieurs députés s’expriment en même temps.

 

Débat autour du hansard

Le 10 janvier 1956, Georges-Émile Lapalme demande au gouvernement que soit instauré un journal des débats officiel, comme c’est le cas au Parlement fédéral. Selon Lapalme, les journaux ne rapportent pas l’intégralité des discours à l’Assemblée :

Actuellement, nous devons nous référer aux journaux pour citer des débats antérieurs; nous n’avons rien d’officiel. Certaines choses sont peu rapportées parce que les journalistes y attachent peu d’importance, parce que le débat a été très court, ou pour toute autre raison. Il est donc impossible de nous référer à ces journaux pour nous documenter sur ce qu’un député a pu dire. Les Parlements les plus importants du monde ont un Hansard ou, quelle que soit l’appellation que l’on donne à ce document, un compte rendu sténographique de leurs débats. Pourquoi n’aurions-nous pas le même service ici? (10 janvier)

 

Il soutient que l’implantation d’un journal officiel des débats accorderait plus de crédibilité aux propos des députés. L’importance est telle pour lui qu’il en fera même un point de son programme électoral pour les élections de 195632. De son côté, Duplessis s’y oppose toujours, prétextant des coûts d’implantation trop élevés. Il essaie même de s’en défiler par quelques sarcasmes visant à piquer l’opposition :

Je ne voudrais pas, avec un Hansard, faire de la peine à l’opposition en rapportant des discours comme celui du chef de l’opposition, qui déclarait que le débat sur le discours du trône c’était une perte de temps, ou comme celui du député de Saint-Maurice (M. Hamel) qui déclarait que le Parti libéral tient les gens qu’il contrôle dans la pauvreté. On avouera que je veux ménager l’opposition! (10 janvier)

 

Au surplus, Duplessis affirme que les documents de l’Assemblée législative fournissent des renseignements suffisants et qu’il n’y a donc aucune raison de dépenser ainsi l’argent de l’État. Les lois, les procès-verbaux et les votes en Chambre, dit-il, sont déjà publiés. Et pour Duplessis, « [l]a parole n’a pas l’importance d’une loi, d’un vote ». (10 janvier)

Fait ironique, on constate que le compte rendu de ce débat n’est pas complet. Le Montréal-Matin du 11 janvier 1956 rapporte qu’il aurait duré plus d’une heure et qu’il a été « ponctué de plusieurs points d’ordre que le nouveau vice-président de la Chambre, M. Daniel Johnson (Bagot) a tranchés33 ». Le Devoir du même jour ajoute que « les députés ministériels et ceux de l’opposition se sont dit des choses assez désagréables. Commencé sur un ton sérieux, le débat a fini par des personnalités, des points d’ordre, presque du chahut34 »! Comme quoi cette revendication d’un journal des débats était à propos.

Le débat sur la question se poursuivra entre unionistes et libéraux jusqu’au début des années 1960. Ce n’est qu’en 1963 que le gouvernement Lesage fera les premiers tests pour que les débats en Chambre soient sténographiés; la session de 1964 devient la première à faire l’objet d’un compte rendu officiel35.

 

Notes de l’introduction historique et de la critique des sources

1. Voir : Laurier Lacroix, « Gilles Corbeil, un passeur tranquille », Les Cahiers des Dix, no 63 (2009), p. 217-256.

2. Maurice Proulx (1902-1988) est prêtre, agronome et cinéaste, pionnier du cinéma documentaire québécois. Entre 1934 et 1968, il réalise et produit près d’une cinquantaine de documentaires pour le compte des gouvernements Godbout et Duplessis.

3. Pour plus d’information sur Maurice Proulx et son œuvre cinématographique, voir : Marc-André Robert, La société rurale québécoise dans l’après-guerre : un pont entre tradition et modernité. Le cinéma de l’abbé Maurice Proulx comme témoignage historique, 1946-1959, mémoire (histoire), Université de Sherbrooke, 2009, 100 p., et Marc-André Robert, « L’abbé Maurice Proulx : pionnier du film documentaire québécois. Portrait d’un cinéaste militant… opportuniste! », Séquences, 2009.

4. Le Nouvelliste, 17 novembre 1955, p. 1.

5. Calixte Dumas, « La première séance de l’Assemblée législative n’a duré que 15 minutes », L’Action catholique, 17 novembre 1955, p. 3.

6. René Chaloult, Mémoires politiques, Montréal, Éditions du Jour, 1969, p. 183.

7. Robert Rumilly, Maurice Duplessis et son temps, Montréal, Fides, 1973, p. 545.

8. Hector Laferté, Derrière le trône : mémoires d’un parlementaire québécois, 1936-1958, Sillery (Québec), Septentrion, 1998, p. 411.

9. Dostaler O’Leary, « Nos parlementaires à l’action », La Patrie, 24 février 1956, p. 12.

10. H. Laferté, Derrière le trône…, p. 409.

11. Jean-Guy Genest, « Lapalme, chef du Parti libéral », dans Jean-François Léonard, (dir.), Georges-Émile Lapalme, Montréal, PUQ, 1988, p. 194.

12. Robert Boily, « La transformation du Parti libéral du Québec sous Georges-Émile Lapalme », dans J.-F.  Léonard, (dir.), Georges-Émile Lapalme…, p. 224.

13. Fernand Dumont, Jean Hamelin et Jean-Paul Montminy, Idéologies au Canada français, 1940-1976. Tome 3 : Les partis politiques, l’Église, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, 1981, p. 195.

14. Gaspard Fauteux a occupé les fonctions de lieutenant-gouverneur de la province de Québec du 3 octobre 1950 au 14 février 1958.

15. « $75 millions pour la construction de routes et de ponts », La Tribune, 17 novembre 1955, p. 14.

16. Henri Dutil, « M. R. Bélanger suggère la formation d’un ministère des Ressources naturelles », Le Soleil, 30 novembre 1955, p. 16.

17. Calixte Dumas, « La première séance de l’Assemblée législative n’a duré que 15 minutes », L’Action catholique, 17 novembre 1955, p. 3.

18. Le rapport de la commission Tremblay est déposé le 15 février 1956, mais Duplessis en retarde la diffusion pendant quelques mois.

19. La Presse, 15 février 1956, p. 60.

20. L’Événement, 15 février 1956, p. 1.

21. Cette idée de Georges-Émile Lapalme en 1956 préfigure la création en 2003-2004 du Conseil de la Fédération (Canada) initié par le premier ministre du Québec, Jean Charest.

22. Gérard Boismenu, « Politique constitutionnelle et fédéralisme canadien : la vision de la Commission Tremblay », Bulletin d’histoire politique, vol. 16, no 1, automne 2007, p. 24.

23. En 1935, le gouvernement de Louis-Alexandre Taschereau avait adopté le bill 32 pour assurer la protection des ressources forestières de la province, et ce, afin de punir les compagnies St. Lawrence Paper et McLaren, parce qu’elles avaient vendu leur papier trop cher.

24. François-Albert Angers (1909-2003) est un économiste et fervent nationaliste. Il a dirigé la revue L’Action nationale de 1959 à 1963, la Ligue d’action nationale de 1955 à 1985, et la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal entre 1969 et 1973.

25. René Chaloult est élu député de l’Union nationale dans Kamouraska en 1936, député libéral de Lotbinière en 1939, et député indépendant de Québec en 1944 et 1948.

26. R. Rumilly, Maurice Duplessis…, p. 550.

27. Louis Massicotte, Le Parlement du Québec de 1867 à aujourd’hui, Sillery (Québec), PUL, 2009, p. 31.

28. Gaston Deschênes et Gary Levy, « Désignation des parlementaires fédéraux et provinciaux », Revue parlementaire canadienne, été 1983, p. 27.

29. Sur la méthodologie relative à la reconstitution des débats, voir : Gilles Galichan, « Le Parlement "rapaillé". La méthodologie de la reconstitution des débats », Les Cahiers des Dix, no 58 (2004), p. 275-296.

30. Pierre Laporte, « Blocs-Notes : Encore la margarine », Le Devoir, 22 février 1956, p. 4.

31. Le Soleil, 23 février 1956, p. 3.

32. Jean-Louis Roy, Les programmes électoraux du Québec. Tome 2 : 1931-1966, Ottawa, Léméac, 1971, p. 372.

33. Montréal-Matin, 11 janvier 1956, p. 5.

34. Le Devoir, 11 janvier 1956, p. 1.

35. Jocelyn Saint-Pierre, « La reconstitution des débats de l’Assemblée législative du Québec, une entreprise gigantesque de rattrapage historique », Bulletin d’histoire politique, vol. 11, no 3, printemps 2003, p. 14.