Par Stéphane Savard
Le Québec, le Canada et le monde en guerre en 1944
Entre les mois de juillet 1943 et juin 1944, la Deuxième Guerre mondiale afflige les pays de tous les continents. Après avoir remporté d’importantes batailles en Russie, en Afrique du Nord et en Asie, les forces alliées ouvrent un second front en Europe. Le 10 juillet 1943, le débarquement de la Sicile permet de préparer le terrain en vue d’une attaque continentale. Réunis à Québec du 18 au 24 août 19431, le président américain, Franklin D. Roosevelt, et le premier ministre britannique, Winston Churchill, approuvent les plans du débarquement de l’Italie du Sud, qui a lieu au début du mois de septembre 1943. Plus important encore, leurs discussions au Château Frontenac et à la Citadelle de Québec abordent la planification d’un débarquement dans le nord de la France. Alors que la victoire contre le régime nazi apparaît sur les écrans radars, les pays alliés n’hésitent pas à préparer l’avènement du nouvel ordre mondial, comme le prouve la conférence de Téhéran en novembre 1943. Après quelques retards, le débarquement de Normandie aura finalement lieu le 6 juin 1944. Le succès de cette opération permettra aux troupes alliées d’entreprendre une série de batailles menant à la capitulation de l’Allemagne, en avril 1945.
Dans une perspective canadienne, le pays dirigé par le gouvernement libéral de William Lyon Mackenzie King participe activement au conflit mondial. L’effort de guerre est colossal. La force industrielle destinée à fournir l’approvisionnement militaire et alimentaire des forces alliées oblige la mobilisation de la main-d’œuvre à un niveau sans précédent. La propagande sollicite les femmes, voire les adolescents, à travailler dans les usines et les manufactures. Afin d’assurer un approvisionnement nécessaire à cette industrialisation intensive, le rationnement des ressources est de mise; non seulement le rationnement de la nourriture pour les citoyens, mais aussi et surtout celui des ressources naturelles et énergétiques – entre autres l’électricité2 – pour les industries non rattachées à la guerre.
Sur le front, le Canada déploie une armée de plus en plus moderne et efficace grâce à des dépenses budgétaires jusqu’alors inégalées3. L’armée canadienne a besoin de soldats pour se battre sous le commandement général de la Grande-Bretagne. Alors qu’elle mobilise tous les jeunes hommes pour la défense du territoire national, elle s’en tient, jusqu’à la fin de l’année 1944, au recrutement de « volontaires4 » pour le service outre-mer.
Après avoir participé à la libération de la Sicile, des troupes canadiennes, dont le Royal 22e Régiment de Québec, débarquent en Italie à l’automne 1943 et remontent vers le nord. D’autres encore, dont les Fusiliers Mont-Royal où s’active le commandant en second Paul Sauvé, député de l’Union nationale, participent au débarquement de Normandie et à la vaste opération militaire menant à la libération de la France, de la Belgique et des Pays-Bas. Parmi les correspondants de guerre canadiens, mentionnons la présence de René Lévesque qui agit à titre d’agent de liaison pour le compte de l’armée américaine5.
Le conflit mondial et la mobilisation intensive qu’il engendre permettent à l’État fédéral de poursuivre la consolidation des premiers jalons de l’État-providence en construction depuis la fin des années 1930. En jouant la carte de la sécurité sociale, le gouvernement King continue de centraliser certains pouvoirs à Ottawa. Dans la foulée du rapport de la Commission royale d’enquête sur les relations entre le dominion et les provinces (commission Rowell-Sirois, 1940) et de la création du premier programme d’assurance-chômage (1940), il met sur pied le programme d’allocations familiales destiné, entre autres, à maintenir un niveau respectable de consommation et à prévenir les contractions de l’économie dans l’après-guerre. Avec l’aide des provinces, le gouvernement fédéral souhaite également établir un système pancanadien d’assurance-maladie, comme le montre la conférence fédérale-provinciale du 10 au 12 mai 19446. Ces politiques keynésiennes sont rendues possibles grâce à une entente avec les provinces sur le partage des revenus de taxation (1941) et à une mesure budgétaire modifiant l’impôt sur le revenu7.
Ce faisant, le Parti libéral du Canada tente de couper l’herbe sous les pieds de la Cooperative Commonwealth Federation (CCF), une formation politique socialiste de plus en plus populaire à l'ouest du Québec. En 1943, la CCF devient le parti d’opposition en Ontario, alors qu’en Saskatchewan, elle gagne les élections du 15 juin 1944 et devient ainsi le premier parti socialiste à exercer le pouvoir en Amérique du Nord. Ces victoires électorales laissent présager un avenir intéressant pour les instances fédérales de la CCF, qui obtiennent l’appui d’un nombre grandissant d’électeurs8.
Au Québec, si la guerre sur le front occupe l’attention des responsables politiques9, des médias et des citoyens en général, elle occasionne aussi plusieurs sources de tensions ou de contestations difficilement gérables pour le gouvernement : les « anticonscriptionnistes », qui regroupent, entre autres, les sympathisants du Bloc populaire, s’agitent depuis le plébiscite du mois d’avril 1942; les autonomistes accusent le gouvernement Godbout de céder certains droits provinciaux à Ottawa; les syndicats contestent et des grèves éclatent; les citoyens dénoncent l’insalubrité de certains logements urbains, surtout à Montréal et à Québec. De juin à décembre 1943, les ténors de l’Union nationale participent à plusieurs assemblées régionales où ils préparent la prochaine campagne électorale en dénonçant notamment l’inaction du Parti libéral à ’égard de la conscription, du rationnement et de l’autonomie provinciale10.
Devant ces contestations, le premier ministre Godbout lance un appel au calme aux députés de l’opposition, mais aussi à tous les citoyens en ce début d’année 1944 :
On est, il est vrai, un peu nerveux. Nous sommes dans une période de guerre, une période difficile. Les difficultés que l’on connaît sont peut-être dues au fait que certains ont oublié qu’en temps de guerre et dans des périodes difficiles, il est important de rester calme. Il n’est pas étonnant que dans une période de guerre, où tout le monde qui réalise son devoir s’emploie à prêcher le calme, il y ait un peu de nervosité. Au lieu d’agiter le peuple, on ferait mieux de le calmer. On s’est rendu compte que le gouvernement n’a pas perdu la tête. Il garde ses nerfs. […]
Nous de ce côté-ci de la Chambre, nous croyons que la meilleure façon de gouverner, c’est de poser des actes réfléchis, bien ordonnés. Nous voulons et désirons l’expression des opinions libres en cette Chambre, les opinions de tous, de quelque parti qu’ils appartiennent. C’est la meilleure façon et la plus rapide de régler les problèmes nationaux en pays démocratique. (18 janvier)
Malgré un contexte national et international difficile, le Québec connaît d’importantes avancées culturelles et éducationnelles. La transformation de l’École des sciences sociales, politiques et économiques de l’Université Laval en une faculté des sciences sociales (7 décembre 1943) s’avère primordiale. Sous la direction du père Georges-Henri Lévesque, qui la dirige de 1943 à 1955, une génération de jeunes diplômés de cette Faculté deviendra des experts capables de critiquer la société québécoise des années 1950 et d’œuvrer dans la fonction publique au moment de la Révolution tranquille. En février 1944, à la même université, Luc Lacourcière voit son travail de longue haleine récompensé alors que les Archives de folklore de l’Université Laval sont créées. La discipline de l’ethnologie s’enracine au Québec grâce à cette collection composée majoritairement d’enregistrements sonores.
Sur le plan musical, les premières émissions du Trio lyrique font leur apparition à Radio-Canada. Formé d’Anna Malenfant, de Lionel Daunais et de Jules Jacob, le petit groupe de musiciens classiques interprète à la fois le folklore canadien, les œuvres classiques et leurs propres compositions. Dans le champ littéraire, l’année 1944 foisonne d’activités. Alors que Victor Barbeau fonde l’Académie canadienne-française, trois œuvres retiennent l’attention. Au pied de la pente douce, de Roger Lemelin, fait entrer pour une des premières fois le milieu urbain dans les sujets de prédilection de ce que l’on appellera le « nouveau roman québécois d’après-guerre ». À l’opposé, le premier recueil d’Yves Thériault, Contes pour un homme seul, oppose « à l’idéalisme agraire une vision de la nature plus païenne et plus sauvage » en dépeignant la vie et ses tracas dans un village maritime du Québec. Enfin, le recueil de poésie Les îles de la nuit, d’Alain Grandbois, ouvre la poésie québécoise à la « modernité » et à la « littérature universelle contemporaine »11. Du côté cinématographique, le réalisateur Fyodor Otsep tourne Le père Chopin, « premier long métrage professionnel [de fiction] tourné au Québec ». Ce dernier remporte un succès populaire auprès des cinéphiles de la province12.
C’est dans ce contexte qu’ont lieu les débats parlementaires de l’Assemblée législative du Québec de 1944. Reflétant les préoccupations des membres de la société13, ces débats où s’opposent différentes visions politiques, économiques, sociales, culturelles et identitaires sont de fructueuses sources d’information pour comprendre les forces définissant la société québécoise de l’époque.
Les parlementaires
La session parlementaire qui s’ouvre le 18 janvier 1944 est la cinquième et la dernière de la 21e Législature. Dans l’histoire politique du Québec, très peu de gouvernements ont prolongé leur mandat au-delà de quatre ans. Quelques journaux, dont la Gazette, relèvent d’ailleurs le fait que jamais un gouvernement libéral n’a utilisé le droit de compléter un mandat de cinq ans. En rappelant l’histoire du Parti conservateur qui, après un tel mandat, entre 1892 et 1897, a perdu les élections subséquentes, le journal anglophone souligne le risque que prend le Parti libéral dirigé par Adélard Godbout14. D’autant plus que depuis 1942, le gouvernement Godbout refuse de faire des élections partielles, laissant ainsi plusieurs banquettes vides à l’Assemblée.
Au début de la session 1944, comme tout au long de la session précédente, sept sièges vacants parsèment les rangs libéraux. Du côté de l’opposition, celui de Camillien Houde, député indépendant de Montréal-Sainte-Marie, demeure toujours libre en raison de son emprisonnement par la police militaire. Pendant le débat sur le budget, cette politique de la chaise vide est dénoncée par Jean-Paul Beaulieu, député de Saint-Jean-Napierville, pour qui les ministériels ont tort de justifier l’absence d’élections partielles par le climat incertain de la guerre. Selon le député unioniste, le gouvernement Godbout « s’est rendu coupable d’une des pires banqueroutes possibles : la banqueroute des principes démocratiques ». (29 février)
Depuis les dernières élections générales de 1939, où il avait fait élire 70 députés, le Parti libéral a vu son poids diminuer en Chambre. La situation s’est toutefois stabilisée et le rapport de force en Chambre demeure inchangé entre la session de 1943 et celle de 1944 où s’opposent 60 libéraux, 17 unionistes et un député sans affiliation, René Chaloult, qui affirme représenter les électeurs du Bloc populaire au début de la session, mais qui devient indépendant quelques semaines après le début des travaux parlementaires.
Le Conseil exécutif dirigé par le premier ministre demeure inchangé. Seule exception au tableau : le ministre du Travail et ministre des Mines et des Pêcheries maritimes, Edgar Rochette, s’absente de la Chambre pendant la quasi-totalité de la session, pour cause de maladie. Il est remplacé par Hector Perrier, secrétaire de la province, qui intervient dans les débats relevant du ministère du Travail15. Rochette démissionnera le 21 juin après avoir été nommé juge à la Cour du district de Québec. Quelques semaines après le début de la session parlementaire, soit le 6 mars, la démission du ministre de la Voirie, Télesphore-Damien Bouchard, retient l’attention. Ce dernier accepte un poste de sénateur à Ottawa et devient, le 21 avril, le président de la nouvelle Hydro-Québec. Le 15 mars, le ministère qu’il dirigeait est transmis à l’honorable Georges-Étienne Dansereau, déjà ministre des Travaux publics.
Au Conseil législatif, à l’ouverture de la session, Hector Laferté occupe toujours le poste de président et dirige un conseil composé de 19 libéraux, quatre unionistes et un conservateur – Thomas Chapais. Mais, pendant la session, le libéral Cyrille Vaillancourt démissionne le 3 mars et devient sénateur. Un nouveau conseiller législatif prend sa place le 22 juin : il s’agit de Charles Delagrave, député de Québec-Ouest depuis 1935 et vice-président de l’Assemblée législative depuis 1943.
Trois chefs et leur parti
Dans cette Chambre basse que plusieurs échanges houleux transforment en une véritable arène pré-électorale, trois principaux joueurs cherchent à attirer l’attention et la sympathie des électeurs : Adélard Godbout et le Parti libéral, Maurice Duplessis et l’Union nationale et, enfin, René Chaloult, député « indépendant ». Peaufinant leurs arguments électoraux dans des joutes oratoires parfois répétitives, les trois figures de proue tentent tour à tour d’enfiler l’habit du leader patriote qui respecte le mieux les intérêts de la province.
Adélard Godbout, la quête du patriotisme
Chef du Parti libéral depuis 1936, l’agronome Adélard Godbout est reconnu pour son attachement envers les valeurs libérales. Dans l’adresse en réponse au discours du trône, Claude Jodoin, député de Montréal-Saint-Jacques, clame sa fierté d’être un « libéral », dans la foulée d’un tel premier ministre :
Libéral, dans le vrai sens du mot, je le suis et le proclame fièrement. Un libéral de l’école de l’honorable premier ministre de cette province (M. Godbout), dont Ernest Lapointe disait qu’il est « l’expression même de la gentilhommerie canadienne-française », un homme franc et loyal qui dit la vérité à ses compatriotes et regarde l’avenir avec confiance. Je suis un libéral comme le fut l’ancien député de mon comté à Ottawa, l’honorable Fernand Rinfret, parce que le Parti libéral continue d’être le parti de l’ordre, de la modération et du progrès. (19 janvier)
Ce libéralisme fait de Godbout un ardent pourfendeur du nationalisme « exacerbé » qui rejette l’appartenance au Canada. Pour le premier ministre, le Parti libéral doit promouvoir l’unité canadienne16 au détriment des valeurs et représentations qui contribuent à enflammer l’animosité entre les groupes ethniques.
À la suite de la Deuxième Guerre mondiale, Godbout est inspiré par le courant néo-libéral qui favorise une plus grande intervention de l’État québécois en matière de sécurité sociale, d’éducation et d’économie17. En alliant cette nouvelle philosophie progressiste avec un fédéralisme d’ouverture, le chef du Parti libéral considère engager la province de Québec sur la voie de l’avenir. À cet effet, lors d’un débat entourant les conférences interprovinciales, Godbout rappelle :
Les Pères de la Confédération ont fait preuve d’un patriotisme admirable. Ils ont passé vaillamment à travers la situation qui leur était faite il y a 75 ans, mais ils ne pouvaient pas prévoir toutes les situations qui se présentent aujourd’hui. Nous voulons coopérer dans l’amélioration de la situation actuelle en tâchant de rendre plus efficace le système d’administration publique de notre pays. C’est notre devoir de libéraux. Le progrès, c’est l’essence même du Parti libéral. (1er mars)
Ce patriotisme progressiste lui permet, malgré ce qu’en pensent les autonomistes, de se considérer seul maître à bord en ce qui concerne la définition et l’orientation données aux intérêts du Québec.
La session de 1944 et la campagne électorale qui suivra ne manquent pas d’exemples où les ténors du Parti libéral louangent Godbout, véritable héros libéral, progressiste, fédéraliste et patriotique qui défend l’autonomie de la province, dit-on. Commentant la position à prendre dans les relations fédérales-provinciales, le ministre sans portefeuille Perreault Casgrain considère d’ailleurs l’importance de Godbout pour protéger les intérêts de la province :
Après la guerre, le Canada sera l’un des plus grands pays du monde; les provinces auront une nouvelle Conférence à Ottawa tôt ou tard, où elles réclameront de nouveaux pouvoirs pour accroître nos moyens d’action et notre vitalité ethnique et développer leurs ressources. Certains articles du rapport Rowell-Sirois seront utilisés pour resserrer les liens entre les provinces. C’est alors qu’il faudra un homme de la trempe du premier ministre pour régler l’avenir de notre petite patrie18. (22 mars)
Outre le chef, les libéraux peuvent compter sur plusieurs parlementaires d’expérience au début de la session parlementaire. Trois retiennent particulièrement l’attention parce qu’ils démissionnent pendant ou peu de temps après la session : Télesphore-Damien Bouchard, Oscar Drouin et Edgar Rochette. T.-D. Bouchard est député libéral de Saint-Hyacinthe depuis 1912, à l’exception de la période entre 1919 et 1923. Maire de Saint-Hyacinthe de 1917 à 1930 et de 1932 à 1944, il occupe plusieurs postes au cours de sa carrière politique, dont celui d’Orateur de la Chambre (1930-1935) et de chef de l’opposition officielle (1936-1939). Membre de l’aile réformiste du Parti libéral, sa réputation de franc-maçon et d’anticlérical l’empêche de briguer la direction de son parti en 193819. Avec la réélection des libéraux de Godbout, il devient ministre des Travaux publics (1939-1942) et ministre de la Voirie (1939-1944).
Probablement « le plus nationaliste des membres du cabinet provincial20 », Oscar Drouin, député de Québec-Est, est de ceux qui laissent parler leurs convictions politiques. Élu député libéral en 1928, il se tourne vers l’Action libérale nationale en 1935 avant de se présenter sous la bannière de l’Union nationale en 1936. Organisateur en chef du parti de Maurice Duplessis et ministre des Terres et Forêts, il démissionne en 1937 et joint les rangs du Parti national. Aux élections de 1939, son allégeance va de nouveau aux libéraux. Il occupe alors le ministère des Affaires municipales et celui de l’Industrie et du Commerce (1939-1944). Au sein du cabinet Godbout, il milite notamment pour le « Non » au plébiscite fédéral de 1942 et appuie fortement la création d’une hydro provinciale. Drouin quitte la politique le 29 juin 1944 pour devenir président de la Commission municipale de Québec (1944-1945).
Pour finir, Edgar Rochette, élu député libéral depuis 1927, sauf en 1936, occupe plusieurs ministères dans l’administration Godbout. Il cumule la fonction de ministre des Mines et des Pêcheries (1939-1942), de ministre des Mines (1942-1944) et de ministre du Travail (1939-1944). Malade durant la session 1944, il démissionne le 21 juin alors qu’il est nommé juge à la Cour du district de Québec.
Maurice Duplessis et l’autonomie provinciale
De l’autre côté de la Chambre, les députés oppositionnistes se disent fiers d’appartenir à une formation politique indépendante des partis fédéraux. Las des gouvernements « rouge à Québec, rouge à Ottawa », Duplessis s’efforce de positionner l’Union nationale en dehors des influences politiques visibles : « Quant à moi, les libéraux, lorsque ça fait leur affaire, disent que j’ai tué le Parti conservateur », rappelle le chef de l’opposition dans un débat entourant le projet de loi des palais de justice et prisons. « J’ai fondé l’Union nationale, parce que j’ai été élevé à Trois-Rivières, une ville libérale, où l’on m’a élu. Et l’Union nationale est formée des éléments de la politique provinciale qui placent la patrie au-dessus des partis; je suis indépendant des bleus, des rouges, des bloqués, des archi-bloqués, des contre-bloqués, des débloqués et des C.C.F. ». (9 février)
L’idée de refuser l’affiliation à un parti fédéral permet à Duplessis de se positionner comme le véritable défenseur des droits de la province, comme le champion de l’autonomie provinciale. Depuis plusieurs années, le principe de « l’autonomie » du Québec se veut le fer de lance pour le chef de l’Union nationale21. En cette session de l’année 1944, les oppositionnistes l’utilisent à toutes les sauces. Onésime Gagnon, un des ténors du parti, accuse le gouvernement Godbout de « quatrepattisme à outrance » (1er février) devant Ottawa. Il ne cesse de rappeler le « serment par oubli ou distraction », afin de montrer à quel point le premier ministre ne défend pas l’intérêt des Canadiens français du Québec22.
Le 8 février, dans un débat sur l’embellissement de la ville de Québec, Duplessis fustige le « panaméricanisme » proposé par Godbout. Il affirme que ce concept s’avère inutile dans un contexte où les Canadiens français ne contrôlent pas les droits qui leur reviennent dans la province de Québec : « Je veux bien que les Canadiens français exercent une influence à l’extérieur, mais il faut pour cela que nous soyons maîtres chez nous et que nous récupérions les droits que le gouvernement a abandonnés à Ottawa. La condition essentielle de toute influence à l’extérieur, c’est la maîtrise chez soi23. » Quelques semaines plus tard, précisant davantage la position de son parti, le député de Trois-Rivières clame haut et fort qu’autonomisme ne rime surtout pas avec séparatisme :
Les Pères de la Confédération, composés de gens de différents partis, dans un temps de calme, ont jugé qu’une union législative serait injuste. Ils ont constaté qu’il nous fallait une union fédérative, avec des provinces autonomes. Quand nous défendons ces droits acquis, on nous accuse de songer au séparatisme. Le séparatisme est peut-être la politique d’un petit nombre qui, de bonne foi, ne voit pas loin dans l’horizon national. Quant à nous de l’Union nationale, nous sommes contre le séparatisme. Nous revendiquons fermement le respect de l’autonomie de notre province et le respect de la parole donnée.
La majorité du peuple québécois est contre le séparatisme; il n’y a qu’un petit nombre parmi nos gens qui en veulent, mais elle veut le respect de l’autonomie de la province de Québec selon les termes qui lui ont été garantis par contrat en 1867. L’autonomie n’a rien à faire avec le séparatisme. Il serait temps de veiller à l’autonomie des provinces. La province de Québec ne veut pas simplement l’autonomie pour elle-même, elle la veut, toujours selon les termes de la Constitution, pour toutes les autres provinces de la Confédération. (23 février)
Dans un souci de déstabiliser l’adversaire, certains députés ministériels évoquent une grogne croissante parmi les rangs oppositionnistes. À ce sujet, en plein cœur du débat sur le budget, le libéral Lucien Plamondon laisse entrevoir la possibilité que les conservateurs fédéraux, avec John Bracken à leur tête, souhaiteraient remplacer Duplessis par Onésime Gagnon, celui qui est considéré comme le numéro deux de l’Union nationale (21 mars). Pour contrer ces allusions, les responsables politiques unionistes s’efforcent de présenter un parti uni. De la même façon que leurs vis-à-vis libéraux, ils ne ratent pas l’occasion de soutenir leur chef, de lui rendre hommage, de convaincre les électeurs qu’il représente la meilleure candidature possible pour le poste de premier ministre.
Afin de présenter les députés de l’Union nationale comme des « hommes de cœur » qui protègent l’autonomie provinciale et les droits inclus dans la Constitution de 1867, Duplessis et ses collègues n’ont pas peur d’entretenir des débats sur l’assurance-chômage et sur la représentation des provinces du Canada au Parlement fédéral24. Ils profitent également d’une motion du député libéral François-Joseph Leduc, sur l’amélioration du système de pension de vieillesse – visant à réduire de 70 à 65 ans l’âge des pensionnaires – pour ramener les discussions dans le giron du respect de l’autonomie provinciale. (3 mai)
Selon l’historien Robert Rumilly, la popularité de Duplessis devient de plus en plus dangereuse pour le Parti libéral à partir de l’été et de l’automne 1943. Le député de Trois-Rivières remporte un succès aux assemblées de comté grâce à ses allusions à l’autonomie provinciale, mais aussi grâce à sa capacité de récupérer les événements d’actualité, qu’il juge parfois scandaleux, et de les retourner contre le gouvernement Godbout25. Toujours mordant dans ses remarques pendant la session parlementaire, Duplessis demande souvent au gouvernement Godbout de déclencher les élections. En plus de l’accuser d’être un gouvernement « croupion26 », Duplessis considère que cette longue législature permet au Parti libéral d’engraisser ses amis.
René Chaloult, indépendant mais seul
René Chaloult s’avère un homme politique difficile à saisir. Il ne donne jamais sa place lorsque vient le temps de débattre des questions de l’heure. Ancien député de l’Union nationale en 1936, puis député du Parti national en 1937 avant de devenir indépendant, il se présente comme un sympathisant libéral aux élections de 193927.
Fidèle à lui-même, Chaloult garde son indépendance d’esprit, comme le prouvent les nombreuses critiques qu’il assène et qui lui font rapidement perdre sa place dans les cercles du gouvernement Godbout. En 1942, le député de Lotbinière se tourne vers le Bloc populaire, un parti politique créé la même année en réaction au plébiscite sur la conscription organisé par le premier ministre libéral, Mackenzie King. En janvier 1944, si les instances du parti fédéral sont dirigées par Maxime Raymond, sous l’influence d’Édouard Lacroix, la situation est beaucoup moins claire quant à l’aile provinciale. René Chaloult et ses collègues de Québec, l’ancien chef de l’Action libérale nationale, Paul Gouin, et l’ennemi des trusts de l’électricité, le docteur Philippe Hamel, souhaitent ardemment en assurer la direction. Or, Raymond ne l’entend pas ainsi, et les trois hommes sont écartés du congrès du parti, les 3 et 4 février 1944, au cours duquel André Laurendeau est nommé chef du Bloc populaire au Québec. Le député de Lotbinière redevient alors indépendant28.
En Chambre, Chaloult a ses sujets de prédilection, dont le nationalisme canadien-français et la lutte contre les trusts afin d’assurer la libération économique de ses concitoyens de langue française. C’est sur ce dernier point que les discussions sur la formation d’une section provinciale du Bloc populaire achoppent entre, d’un côté, Maxime Raymond et Édouard Lacroix – « industriel millionnaire » selon Chaloult (29 février) – et le groupe Chaloult-Hamel-Gouin. Pour le député de Lotbinière, l’importance d’Édouard Lacroix au sein du Bloc est la preuve que « les forces occultes de la dictature économique » (29 février) tirent désormais les ficelles de la jeune formation politique. Cette nouvelle orientation, dit-il, va entièrement à l’encontre de son désir de voir le peuple canadien-français s’affranchir du contrôle des trusts, notamment grâce à l’outil que constitue la nationalisation. Chaloult endosse cependant les grandes orientations du Bloc qui exprime un sentiment anti-impérialiste, anti-participationniste et autonomiste – en réaction à la centralisation d’Ottawa dans le domaine de la « sécurité sociale »29.
Seul de son camp à l’ouverture de la session, Chaloult sent le besoin de justifier sa présence et de préciser son action à l’Assemblée :
Je suis mon parti à moi seul, mais j’ai le devoir de parler, ici, non seulement au nom de mes électeurs du comté de Lotbinière, mais aussi d’exposer les idées de tous les nationalistes de cette province que je prétends représenter. Être seul en Chambre pour représenter un parti, ce n’est pas une position facile. […]
J’expliquerai d’abord mes votes. Au cours de la présente session, je voterai, comme dans le passé, tantôt avec le gouvernement, tantôt avec l’opposition, selon que je le jugerai à propos. Il est même possible qu’il m’arrive de m’abstenir de voter. Il n’y a pas que deux couleurs, dit-il. Dans l’arc-en-ciel, on en trouve une multiplicité. Quand on est seul de son parti et qu’on ne peut trouver personne pour seconder, il ne reste souvent qu’à se retirer. (20 janvier)
La position solitaire qu’il occupe l’oblige à demander la collaboration des autres députés afin que ses motions puissent être secondées et débattues en Chambre. (20 janvier)
Bref, Chaloult se plaît à se présenter comme un indépendant de parti, comme un député qui vote toujours selon ses propres convictions. Il tire profit des critiques qu’il reçoit de la part des ministériels et de la part des oppositionnistes :
Ainsi, le chef de l’opposition prétend que nous faisons le jeu du Parti libéral, et le Parti libéral prétend toujours que nous faisons le jeu de l’opposition. C’est la meilleure preuve que nous sommes indépendants. J’ai fait la lutte aux deux partis et je peux me réclamer indépendant vis-à-vis du gouvernement et de l’opposition. Pour ma part, j’ai été élu dans Lotbinière comme libéral nationaliste indépendant et j’ai toujours dit que je garderais mon indépendance. (2 mai)
Le discours du trône
À 15 heures, le 18 janvier, le lieutenant-gouverneur Eugène Fiset convoque au Salon rouge les députés, les conseillers législatifs et les notables du Québec pour le discours du trône inaugurant la session parlementaire de 1944. Par la voix du représentant du roi, les priorités et les principales orientations législatives du gouvernement Godbout sont énoncées. Le discours du trône traite, entre autres, de la modernisation de l’agriculture et de la colonisation, de la poursuite des réformes entreprises dans le domaine de l’éducation, de la nécessité de « résoudre les problèmes de sécurité sociale », dont la crise du logement et l’hygiène publique, du problème ouvrier qui paralyse l’industrie ou les services publics offerts à la population, de la protection et de la consolidation de l’industrie des pêcheries maritimes, du développement minier du Québec et, aussi, du programme de voirie qui « accélérera le développement de notre réseau routier » et de celui des travaux publics qui « demandera d’approuver la construction de nouveaux ponts et l’exécution d’autres travaux importants ». En tout, selon l’appréciation du journal Le Canada, pas moins de 21 « points importants » méritent de retenir l’attention des citoyens québécois30.
Parmi tous les sujets abordés par le lieutenant-gouverneur, le projet de loi visant à exproprier la Montreal Light, Heat and Power (MLHP) est un de ceux qui obtiennent la plus grande visibilité médiatique. Dans leur édition du 19 janvier, les journaux tels que L’Action catholique, The Gazette, Le Canada et L’Événement s’empressent tous d’ébruiter la nouvelle grâce à des titres d’articles plutôt évocateurs31.
En temps normal, le retour des députés dans la Chambre basse à la suite du discours du trône permet de compléter quelques considérations techniques avant l’ajournement de la séance. Suivant cette tradition, Godbout présente deux motions : la première proposant que l’adresse en réponse au discours du trône « soit faite à la prochaine séance » et la seconde proposant l’ajournement de la séance au lendemain. Or, pour une des premières fois depuis fort longtemps, possiblement depuis la Confédération32, ces motions suscitent un acrimonieux débat politique. Passant rapidement à l’offensive, Duplessis souhaite « suspendre le débat sur l’adresse [en réponse au discours du trône] et les règlements de la Chambre ». Il souhaite que les parlementaires se concentrent immédiatement à l’étude et au règlement des « problèmes angoissants à résoudre : la question des relations entre les ouvriers et leurs patrons et la question angoissante de la carence de logements dans les grands centres ». En plus de reprocher au gouvernement d’avoir commencé trop tard la présente session, ce qui retardera selon lui le vote sur le budget, il fustige l’inaction d’un gouvernement qui « pérore » :
La prise en considération du discours du trône peut attendre. Le gouvernement fait lire un discours du trône qui n’engage à rien, qui ne comporte aucune sanction. Le premier ministre dit que, dans le discours du trône, il est question de logements. Eh bien, qu’il envoie des milliers de copies du discours du trône aux gens qui sont dans les écuries, dans les garages ou dans les taudis et l’on verra si cela aura pour effet de remédier à la situation et ne rendra pas les logements salubres. Cela ne leur sera pas d’un grand secours et cela n’empêchera pas ceux qui sont forcés d’y vivre de souffrir. (18 janvier)
Répondant à ces critiques, le premier ministre rappelle l’importance pour la Chambre de procéder à un débat sur l’adresse, quitte à réduire sa longueur au minimum en se limitant aux interventions du chef de l’opposition. Il en va de l’intérêt à « suivre les règlements démocratiques d’une Chambre démocratique », clame Godbout.
L’adresse en réponse au discours du trône se déroule, comme prévu, le 19 janvier. Claude Jodoin, le « benjamin » de la Chambre, secondé par Charles M. Bullock, présente la motion et félicite le gouvernement pour ses interventions compétentes de même que pour ses préoccupations bienveillantes envers le peuple. Fait remarquable, malgré la volonté du premier ministre d’entendre l’opinion du chef de l’opposition avant de suspendre le débat, ni Duplessis ni aucun des députés de son parti ne se lèvent en Chambre pour débattre des grandes orientations sélectionnées par le gouvernement.
De son côté, René Chaloult ne se gêne pas pour exposer ses vues dans un long discours où il en profite pour écorcher au passage l’impérialisme de la Grande-Bretagne et le zèle de ceux qui veulent entretenir un sentiment britannique au Canada. Il tente d’ailleurs d’amender la motion de l’adresse en y ajoutant les mots suivants : « Nous vous soumettons respectueusement que la contribution du Canada à la guerre est excessive et qu’il y a lieu de prier le gouvernement fédéral de la limiter à nos intérêts et à nos moyens. » (20 janvier) Cette motion ne peut être prise en considération, faute de secondeur. Cet incident clôt le débat et l’adresse en réponse au discours du trône est adoptée deux jours seulement après l’ouverture de la session.
Les finances publiques
Trésorier de la province de Québec depuis 1939, James Arthur Mathewson présente son cinquième budget le 24 février. Rompant avec la tradition, le gouvernement Godbout préfère ouvrir la séance par l’étude et le vote du bill 5 relatif au crédit accordé aux colons. Lorsque le ministre prend enfin la parole, peu après 17 heures, des parties de son discours se éjà dans les journaux de l’après-midi33.
Signe que les élections approchent à grands pas, ce discours sur le budget est l’occasion pour le trésorier de critiquer les finances de l’État sous le précédent gouvernement Duplessis (1936-1939). Une présentation de la situation budgétaire de cette période permet à Mathewson de braquer les projecteurs sur les réalisations accomplies par le Parti libéral depuis 1939. Rappelant le devoir du gouvernement libéral « d’équilibrer le budget graduellement, et ceci, dans les limites d’une période de trois ou quatre années » et « d’imposer des taxes pour acquitter les dettes dont il avait hérité du régime précédent et pour faire face aux besoins accrus du service public », ce n’est pas sans fierté qu’il annonce pour la troisième année d’affilée un budget équilibré. Ainsi, sur un budget de 92 559 129 $ de revenus, les dépenses atteignent 92 283 181 $, laissant alors la place à un léger surplus de 275 000 $.
Dans son discours, Mathewson insiste sur deux importantes réalisations : la diminution de taxes et l’augmentation des fonds pour l’éducation34. Puisque de « saines finances constituent le fondement d’une économie prospère », l’argentier se targue « d’éviter le gaspillage » afin de faciliter « un développement progressif ». Il annonce donc une diminution de taxes de l’ordre de 1 458 000 $ grâce à une exemption de plusieurs « articles d’usage courant ». Quant à l’éducation, le trésorier rappelle « que l’instruction constitue le bien le plus précieux qu’il puisse offrir à la génération qui monte. L’éducation représente une forme de richesse qui ne perd jamais sa valeur ». (24 février) Cette orientation force le gouvernement Godbout à augmenter de 8 500 000 $, entre l’année fiscale 1939-1940 et 1944-1945, le budget de l’Instruction publique et du Secrétariat de la province.
Dans une approche plus statistique, le gouvernement prévoit allouer 23,8 % du budget global pour le Trésor public, le département qui demande toujours, année après année, les plus grosses sommes allouées. Symbole par excellence du patronage et des promesses électorales visant à attirer les électeurs dans le giron du parti ministériel, la Voirie et les Travaux publics, deux ministères visés par le discours du trône, accaparent respectivement 16,1 % et 5 % du budget total, soit une faible diminution des sommes allouées dans le cas de la Voirie et une augmentation dans celui des Travaux publics (respectivement 18 % et 3,5 % du budget provincial 1943-1944). Les autres départements les plus importants financièrement sont ceux de l’Instruction publique (10,4 %), du Travail (8,6 %), de l’Agriculture (7.4 %) et de la Santé et du Bien-être social (6,3 %).
Le débat entourant l’adoption du budget 1944-1945 commence dès le 29 février et se poursuit jusqu’au 13 avril. Prenant exemple sur l’attitude du gouvernement Godbout, l’opposition unioniste utilise son temps de parole pour critiquer les finances publiques sous les gouvernements libéraux avant 1936 et entre 1939 et 1944. Le critique oppositionniste en matière fiscale est Jean-Paul Beaulieu, député de Saint-Jean-Napierville. Dans un bilan du régime libéral, il critique à la fois « l’augmentation formidable des revenus de la province soutirés dans une proportion de 50 % des goussets du contribuable en taxes nouvelles », depuis 1939, et l’augmentation de la dette provinciale qui, selon lui, atteint « des proportions considérables ». (29 février) Il reproche au gouvernement d’avoir augmenté de plus de 79 millions de dollars la dette de la province entre 1940 et 1943. Il fustige le trésorier Mathewson pour ne pas avoir inclus, à l’intérieur du budget de l’année 1944-1945, les sommes qui seront requises pour l’expropriation de la Montreal Light, Heat and Power (MLHP).
Enfin, mentionnons que le changement apporté à l’année fiscale par l’administration Godbout, en 1940, qui remplace le 1er juillet par le 1er avril en ce qui a trait au début de l’exercice financier, agace sérieusement le chef de l’opposition. Si cette mesure est prise afin de « faciliter les comparaisons avec les gouvernements du Canada et de l’Ontario », comme le souligne le politologue Louis Massicotte, elle oblige l’adoption d’une « guillotine réglementaire permettant à l’Assemblée d’accorder au gouvernement, avant le début de l’année financière, des crédits provisoires en attendant que soit complétée, parfois huit ou dix semaines plus tard, l’étude du budget principal35 ». La confusion qui règne autour du montant réel de ces subsides se voit donc dénoncée par Duplessis lors d’une discussion sur les subsides pour les crédits provisoires 1944-1945. Selon lui :
[Le] gouvernement a changé l’année fiscale pour la faire débuter le 1er avril, le jour du poisson d’avril. Il ne remet pas en question la sagesse du changement comme telle, mais le gouvernement n’a pas harmonisé l’ouverture de la session avec le changement, et donc afin de pouvoir considérer les crédits, les députés doivent consulter les Comptes publics de l’année finissant le 31 mars 1943, et non ceux de la dernière année fiscale, pour fins de comparaison. (24 mai)
Les faits marquants de la session
Marquante, la session parlementaire de 1944 l’est à tous points de vue. Avant même que les députés ne pénètrent dans le Salon vert, elle se veut, à coup sûr, « préélectorale », note Louis Robillard du journal Le Devoir36. Cette cinquième session étant obligatoirement la dernière de la 21e Législature, les députés ministériels et oppositionnels fourbissent leurs armes en vue de la prochaine campagne électorale. Durant les débats entourant des projets de loi ou des motions de demandes de documents, les attaques parfois sournoises visent à discréditer le parti adverse en démolissant l’image de ses éalisations antérieures et en rappelant sans cesse les erreurs passées.
La session réussit à combler les attentes des commentateurs et analystes politiques qui la considéraient comme prometteuse avant même son ouverture, entre autres avec l’annonce, à l’automne 1943 ou au tout début de l’hiver 1944, de la création d’une hydro provinciale et de la réglementation des conflits ouvriers37. « Fructueuse », « mémorable »38, la session qui se termine le 3 juin, quatre mois et demi après le discours du trône, présente des statistiques impressionnantes : 107 séances en 67 jours de travail; 103 projets de loi présentés à l’Assemblée législative, dont 99 reçoivent la sanction royale; 205 avis de questions ou de motions, où plusieurs débats politiques et idéologiques ont lieu; 30 séances où le Conseil législatif s’est réuni pour évaluer les législations proposées. En bref, le correspondant parlementaire Maurice Bernier soutient que la session « aura été l’une des plus longues depuis la Confédération […]. Chose certaine, écrit-il, c’est qu’elle a de beaucoup dépassé la durée des sessions parlementaires de toutes les autres provinces du Canada, qui sont l’affaire de quelques semaines ordinairement39 ».
Des grandes mesures législatives aux luttes idéologiques sur les problèmes d’actualité, les éléments retenus ont tous le mérite d’avoir contribué à rendre unique la session parlementaire de 1944. Très utiles pour comprendre la société québécoise de l’époque, ses aspirations, ses valeurs et ses intérêts, plusieurs d’entre eux sont toujours d’actualité au XXIe siècle.
Paix sociale et conflits ouvriers
Les conflits ouvriers marquent fortement l’année 1943. Avec l’effort de guerre qui bat son plein, la stabilité ouvrière s’avère nécessaire afin d’assurer une productivité maximale et le maintien de l’ordre public. La situation n’est pas particulière à la province de Québec, alors que « depuis un an et même deux ans, comme le précise le ministre Hector Perrier, on entend parler de grèves et de difficultés entre patrons et ouvriers partout en Amérique du Nord, comme en Amérique du Sud » (25 janvier). Toutefois, au Québec, il semble qu’elle atteigne un point culminant en 1943. Comme le raconte l’historien Robert Rumilly, trois grandes fédérations ouvrières s’arrachent littéralement l’adhésion des travailleurs, soit la Committee of Industrial Organization (CIO), la Fédération américaine du travail (FAT) et la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC).
De nombreux conflits ouvriers paralysent les grandes villes, dont Montréal, ainsi que la production militaire : la grève des tramways à Montréal au printemps 1943, la grève des usines Price au Lac-Saint-Jean, le conflit des usines Cherrier dans les chantiers maritimes de Québec, celle des usines Angus où 17 000 employés ont déclenché la grève de l’avionnerie, de même que la grève dans les usines de l’Alcoa à Shawinigan40. Nombreux et virulents, les conflits forcent le gouvernement Godbout à intervenir : à l’été 1943, il crée la Commission chargée de faire enquête sur la grève des papeteries du Saguenay-Lac-Saint-Jean (Commission Prévost) qui, par ses recommandations, influence l’élaboration des projets de loi grandement attendus41. Le 14 décembre 1943, la situation s’aggrave encore lorsque les pompiers et policiers de Montréal déclenchent une grève. Rapidement réglée par arbitrage, où les grévistes obtiennent le droit de s’affilier à la CTCC, la situation redevient catastrophique lorsque 2000 fonctionnaires municipaux débraient pendant 23 jours à partir du 21 décembre 194342.
En l’absence du ministre du Travail, Edgar Rochette, le secrétaire de la province, Hector Perrier, présente les deux mesures législatives qui permettront de maintenir la « paix sociale » à l’intérieur de la province. Le 25 janvier, il présente le bill 3 visant la création d’une Commission de relations ouvrières. Le projet de loi « a pour objet la sécurité et la protection de la société tout entière », s’empresse de spécifier le ministre qui présente les cinq principes de sa législation : « reconnaître le droit naturel d’association, non seulement aux ouvriers, mais aussi aux patrons »; assurer « la protection du salarié » en obligeant l’employeur à reconnaître le syndicat; « multiplier les moyens de persuasion, d’arbitrage et de conciliation possibles pour empêcher les conflits inutiles et toujours coûteux »; respecter le « droit des ouvriers à la grève » lorsque les moyens persuasifs ont échoué; et, enfin, créer une commission des relations ouvrières « chargée de l’administration de la nouvelle ».
Deux jours plus tard, le gouvernement présente le bill 2 concernant l’arbitrage des relations de travail dans les services publics. Dans la foulée de la grève de la fonction publique municipale de Montréal, le ministre Perrier juge utile d’enlever le droit de grève aux employés des services publics, « c’est-à-dire les pompiers et les policiers et tous les employés des corporations municipales et scolaires, les employés des hôpitaux et des asiles d’aliénés, des compagnies de téléphone, de télégraphe, des usines d’électricité et de gaz, de chemins de fer, de tramway, de navigation et les fonctionnaires de la province ». « Dans tous ces cas de service public », poursuit le ministre, « le projet rend la sentence arbitrale obligatoire et, en conséquence, interdit complètement tout recours à la grève ou à la contre-grève. » Enfin, si le projet de loi permet aux policiers et aux fonctionnaires provinciaux et municipaux le droit d’association, il leur refuse le droit de s’affilier avec une autre organisation. Fini l’époque où ils pouvaient « servir deux maîtres », comme le soulignent Perrier et Godbout, tour à tour, en utilisant l’exemple des policiers qui ont le devoir de servir l’État et non pas une organisation extérieure (27 janvier).
Alors qu’à Ottawa le ministre du Travail Humphrey Mitchell ouvre les négociations avec les provinces dans le but d’établir un véritable Code du travail43, Godbout présente les deux lois comme une preuve que son gouvernement respecte l’autonomie du Québec. Ses interventions outrepassent même les initiatives d’Ottawa. Godbout s’en montre fier. Quant à Perrier, il reconnaît que les deux bills visent à anéantir le fléau de la grève. Il a bon espoir que ces conflits improductifs deviennent hors d’usage. (25 janvier)
Dans le secteur public, où l’État – le peuple – est patron, les libéraux tiennent à éviter le chaos et à maintenir « la bonne renommée de la province au point de vue de l’ordre, de l’égalité, de la justice et de la paix » (27 janvier). Perrier explique l’importance de bannir la grève : « L’employé qui s’est engagé, par la prestation de son serment d’office, à bien servir le peuple, à maintenir l’ordre et à sauvegarder la vie humaine n’a pas le droit de se révolter contre le peuple lui-même, qui se trouve son employeur, lorsqu’il s’agit d’un service public. C’est une raison de plus pour qu’il lui soit interdit de faire la grève. » (27 janvier)
De l’autre côté de la Chambre, Duplessis et l’opposition vantent les vertus du « seul gouvernement qui ait apporté à notre législation ouvrière une orientation nouvelle, progressive » (25 janvier) : celui de l’Union nationale entre 1936 et 1939. Antonio Barrette, le critique unioniste du Travail, dénonce la mollesse socialiste du gouvernement qui laisse se multiplier les grèves. Celles-ci remettent d’ailleurs en question « le principe d’autorité » et « [l]’équilibre entre les classes » (27 janvier). Dans le cas des employés des services publics, il accuse même le gouvernement Godbout « de ne pas suivre ses promesses et de ne pas honorer ses engagements ». Sur ce point, il fait référence aux policiers de Montréal qui ont reçu l’autorisation de s’affilier à une union avant de se voir interdire le même droit par le bill 2 (25 et 27 janvier).
Malgré la position critique de l’opposition, Duplessis reconnaît la nécessité et l’urgence d’agir « pour réparer l’imprévoyance, l’incurie et l’incompétence du gouvernement actuel et pour remédier aux abus provoqués par la faiblesse de l’administration » (26 janvier). L’Union nationale vote alors pour le principe du bill en deuxième lecture, mais contre le bill en troisième lecture. Les bills 2 et 3 obtiennent la sanction royale le 3 février. Malgré ces nouvelles lois du travail, plusieurs grèves continuent de surgir durant la session parlementaire, dont celle des tramways, à Montréal, dans la fin de semaine du 19 et 20 février44.
Logement salubre
La crise du logement attire l’attention des parlementaires qui soulignent le problème majeur des grandes villes, surtout Montréal, et qui débattent sur la façon d’y remédier. Brièvement abordée par Duplessis dans le débat sur l’ajournement de la première séance, la question refait surface le 2 février dans une motion de demande de documents au sujet de l’insalubrité et de l’insuffisance des logements ou des habitations.
Jouant la corde sensible des députés et des électeurs, le chef de l’opposition parle de ce « problème d’une extrême gravité » qui « est intimement lié à la survie de la nation ». Duplessis rappelle que plusieurs familles « sont plus mal logées que bien des animaux ». Il affirme que « [c]’est un devoir social de résoudre ce problème, car les enfants des familles pauvres ont droit à l’air et à la lumière, au soleil et à la santé comme les riches. Les pauvres ont le droit comme les autres au soleil du bon Dieu ». Demandant au gouvernement d’entreprendre des mesures pour contrer cette crise, il recommande de mettre sur pied un « système coopératif pour permettre l’achat des maisons ».
Godbout réplique que « le gouvernement est parfaitement conscient de la gravité du problème du logement ». Deux objectifs gouvernent les actions de son administration : « donner des logements salubres aux familles en supprimant les taudis et faire en sorte que le nombre de petits propriétaires augmente dans la province de Québec ». Sur ce dernier point, le premier ministre annonce que le système coopératif est présentement à l’étude pour une implantation au Québec. « Les propriétaires sont les meilleurs conservateurs de l’ordre. Nous voulons avoir des propriétaires nombreux », souligne Godbout qui laisse présager l’orientation des mesures législatives.
Voté le 2 juin et entériné par le lieutenant-gouverneur le 3 juin, le bill 53 répond à cette préoccupation en favorisant les prêts aux corporations ou syndicats coopératifs afin que ces derniers prêtent à leur tour aux futurs propriétaires pour la construction de maisons d’habitation.
Protection de l’enfance
En décembre 1943, après plusieurs morts d’enfants dans les garderies clandestines de la région de Montréal, le gouvernement Godbout demande à la Commission d’assurance-maladie (commission Garneau)45 d’enquêter non seulement sur ces milieux de gardes, mais aussi sur le problème général de la protection de l’enfance46. Le 2 février, la situation ne s'étant guère améliorée dans les garderies clandestines, le sujet refait surface devant l'Assemblée législative.
Avec une motion de demande de documents touchant les garderies montréalaises, le Dr Albiny Paquette, député unioniste dans Labelle, dénonce l’utilisation des garderies par les familles qui voient le père s’enrôler de gré ou de force dans l’armée et la mère travailler dans les usines. Ce travail de la femme hors du foyer, dit-il, s’avère grandement néfaste pour la famille, « cellule de la nation ». Il considère que l’envoi des enfants en garderies officielles, dont les premières ouvrent leur porte en mars 1943, ne permet pas de contrer le fléau des garderies clandestines et des enfants laissés dans la rue lorsque la mère travaille. Si Paquette n’est pas fermé à l’idée d’établir des garderies d’État, il préfère que la société encourage les femmes à rester au foyer : « La meilleure garderie ne peut remplacer les soins de la mère au foyer. Même les garderies de l’État ne sont qu’un moindre mal. Elles ne peuvent empêcher la dislocation de la famille et mettent en danger l’une de nos institutions ancestrales, la vie au foyer, animée de l’esprit de famille, un des bastions les plus solides de notre survivance. »
La réaction des parlementaires évoque les valeurs hégémoniques – mais qui seront de plus en plus contestées par la suite – des années 1940. Henri Groulx, ministre de la Santé et du Bien-être social, partage les opinions du critique unioniste : « Tous les députés de cette Chambre sont opposés au travail féminin dans les usines et, tous, nous déplorons ce qui s’est produit dans certaines garderies de la métropole. » Ce problème des garderies oblige le gouvernement Godbout à légiférer en matière de protection de l’enfance, où subsistent des lacunes législatives. Les bills 39 et 38 sont proposés à l’Assemblée législative, en l’occurrence la loi concernant la protection de l’enfance et la loi relative aux écoles de protection de l’enfance.
Avec le bill 39 suivent les recommandations de la commission Garneau. Henri Groulx reconnaît d’emblée que son gouvernement cherche à « sauver notre capital humain et ce qui en est le plus précieux, nos enfants ». (16 mai) Les dispositions de la loi, qui créent un conseil supérieur de la protection de l’enfance, visent les enfants abandonnés ou dont les parents ont commis des crimes.
Pour Duplessis et l’opposition, la législation contrevient d’une manière flagrante à la tradition canadienne-française. « Dans la province de Québec, dit le chef de l’opposition, les enfants appartiennent d’abord à la famille et non à l’État. » (16 mai) Reprenant les arguments évoqués dans les débats antérieurs, le député de Trois-Rivières considère que la protection de l’enfance doit passer par « le retour de la mère au foyer ». (16 mai)
Outré par les propos de Duplessis, Godbout entreprend un plaidoyer en faveur de l’intervention de l’État. Tous les enfants, croit-il, ont le droit de devenir de bons citoyens :
Rien dans le projet de loi n’est contre la famille. Le chef de l’opposition ne s’est pas encore rendu compte que le devoir de la société, ce n’est pas seulement de se protéger elle-même contre certains enfants dévoyés qui peuvent être un danger parce qu’ils n’ont pas de parents ou qu’ils n’ont pas eu la chance d’avoir de bons parents ou des tuteurs dignes de ce nom, c’est encore et surtout de prendre ces petits malheureux, ces jeunes déshérités de la vie qui ne sont pas du tout responsables de cet accident de naissance, de cet accident d’éducation, et d’en faire de bons citoyens utiles à leur pays et qui rendront des services à leur société. Lorsque la famille faillit à sa tâche pour quelque raison que ce soit, l’État a l’obligation de veiller à leur bien-être. (16 mai)
Le bill 38 complète la première loi en remplaçant les « écoles d’industrie » ou « écoles de réforme », par des « écoles de protection de l’enfance », beaucoup plus adaptées à la réhabilitation des enfants admis. Une disposition particulière permet alors au secrétaire de la province d’inspecter les écoles avant de donner son aval à l’ouverture de ces dernières. (16 et 23 mai) Là encore, Duplessis peste contre cette « loi tyrannique et bolchevique » qui « viole les droits des commissions scolaires et des parents ».
Recevant la sanction royale le 3 juin, dernier jour de la session, la loi instituant des cours juridiques familiales (bill 41) vient compléter les deux bills sur la protection de l’enfance entérinés le même jour. Cette nouvelle responsabilité de l’État n’est pas étrangère à la création d’un département du Bien-être social (bill 37) afin de s’occuper, selon Godbout, de « la santé du peuple » et de soulager la « misère » qu’on appréhende dans l’après-guerre. (19 mai)
La création d’une hydro provinciale
Imaginée depuis 1929 par les pourfendeurs des trusts de l’électricité tels que le Dr Philippe Hamel, propulsée sur la scène politique avec le Programme de restauration sociale en 193347 et la mise sur pied, par Louis-Alexandre Taschereau, de la Commission de l’Électricité (Commission Lapointe) en 193448, l’idée de créer une commission hydroélectrique provinciale se concrétise peu à peu dans les années subséquentes. Proposée par le programme électoral de l’Union nationale en 1936, elle se voit rapidement abandonnée dès 193749. Telle l’épée de Damoclès, elle pend au-dessus du Parti libéral qui en a fait une promesse électorale en 1939. Le 8 octobre 1943, le premier ministre annonce enfin le projet de nationalisation de la Montreal Light, Heat and Power (MLHP).
Le 23 mars 1944, sous des applaudissements nourris, le ministre des Terres et Forêts, Wilfrid Hamel, présente la motion de première lecture du bill 17 créant la Commission hydroélectrique de la province de Québec50. Subissant déjà les attaques d’une opposition pointilleuse sur les questions de règlement, Godbout met immédiatement cartes sur table :
La présentation de ce projet de loi marque une date importante dans l’histoire de notre province. Lorsque le projet sera étudié, le gouvernement espère avoir l’assentiment complet de la Chambre sur cette question. Voici un bill qui va transformer la vie économique et sociale de la province. Il s’agit d’une chose qui va tellement changer la situation économique de la province que j’espère que nous aurons la coopération de toute la Chambre.
Le débat qui s’anime renferme certainement les plus belles envolées oratoires de la session.
Intensives, les discussions entourant la deuxième lecture en Chambre et en comité plénier s’étirent du 28 au 31 mars. Hamel présente les trois dispositions majeures du bill, toutes aussi importantes les unes que les autres sur les plans économique et social : nationalisation de la MLHP et de la Beauharnois Light, Heat and Power (BLHP), création d’une hydro provinciale chargée de fournir l’électricité et le gaz aux citoyens de l’île de Montréal, et adoption d’une politique d’électrification rurale de 10 000 000 $ par année.
Au sujet de la nationalisation, Hamel et Godbout justifient l’intervention de l’État dans le domaine de l’électricité par la présence d’« un monopole nuisible à l’intérêt public », en l’occurrence la MLHP. Ses taux d’électricité trop élevés incommodent les citoyens montréalais. Avec la création d’une hydro provinciale, les taux d’électricité seront contrôlés « vigoureusement ». La « dictature économique crapuleuse et vicieuse », comme l’affirme Godbout un peu plus tard dans le débat, se voit sacrifiée sur l’autel de la liberté du peuple, et les « bandits », « qui ont exploité nos ressources à leur profit », seront punis à souhait. (28 mars)
En contrôlant une partie des ressources hydroélectriques de la province, le Québec peut enfin mettre la main sur un important « facteur d’industrialisation et de progrès économique », comme le souligne le ministre des Terres et Forêts. L’hydro québécoise devient alors un symbole de rattrapage, servant à mettre le Québec « sur un pied d’égalité avec ses voisins ». Ce faisant, Godbout compte bien éviter que les « industries aillent s’établir en Ontario comme par le passé pour transformer des matériaux et des matières premières venant du Québec et à l’aide d’énergie électrique importée du Québec ». (28 mars)
Quant aux dispositions assurant l’électrification rurale, Hamel espère qu’elles permettent de sortir la province de « la position de second plan qu’occupe[nt] […] dans un domaine si intimement apparenté à deux des plus grandes sources de richesses du Québec, l’agriculture et les forces hydrauliques ». Dans une envolée oratoire grandiloquente, le ministre associe étroitement cette politique à la volonté du gouvernement Godbout de moderniser les campagnes afin de freiner l’exode rural :
De nos jours, l’électricité est presque une nécessité de la vie. Elle rendra plus agréable et plus humaine la vie des cultivateurs et colons qui en bénéficieront. Le rendement des fermes sera accru, les labeurs du paysan deviendront moins pénibles, les travaux domestiques plus faciles aux mères de famille nombreuse. Ils pourront jouir des avantages de la radio, par exemple, qui est devenue un journal parlé et une distraction à la portée de tous.
Des voix ministérielles: Très bien, très bien!
L’honorable M. Hamel (Saint-Sauveur): Par conséquent, certaines régions paraîtront moins éloignées du fait que leur population aura à tout instant du jour un lien avec les centres urbains. Non seulement l’électricité rurale aura un effet moral excellent chez nos cultivateurs, mais en plus elle amènera sans doute avec elle des industries qui en ont besoin pour s’installer à certains endroits reculés. (28 mars)
Fortement opposés au bill 17, les députés de l’Union nationale formulent plusieurs critiques envers le « capitalisme d’État », une « forme de bolchevisme ». Ils dénoncent les dispositions financières de la loi dont on ne trouve aucune mesure dans le budget provincial dévoilé le mois dernier51. Selon Duplessis, la somme d’argent imprécise servant à racheter les actions de la MLHP et de la BLHP ne sert qu’à engraisser les amis libéraux, les grands propriétaires de ces compagnies ayant bénéficié par le passé des largesses du Parti libéral :
Si la Montreal Power combat le gouvernement, comme le prétend le ministre, je lui réponds que ce n’est pas la première fois qu’un serpent jette du venin sur son père. La Montreal Light, Heat & Power, c’est un serpent qui est venu au monde dans le berceau de l’iniquité, et la Beauharnois est née dans la vallée de l’humiliation dont parlait M. Mackenzie King, à la suite d’une enquête faite par Ottawa dans les affaires de cette compagnie. Et c’est avec ces deux enfants cancéreux et grevés de toutes les tares que le gouvernement dit, aujourd’hui, vouloir pratiquer le droit et la justice. (28 mars)
Pour le chef de l’opposition, la nouvelle hydro provinciale doit recevoir le qualificatif d’« hydro électorale ». L’indépendance de la Commission n’est pas assurée par ce type de loi. Pour lui, « l’électricité, c’est très important, mais il y a d’autres problèmes qui le sont tout autant, sinon davantage, comme donner du travail et du pain à la population, ou comme la question des logements salubres. Le gouvernement pourrait en effet employer les $150,000,000, coût approximatif de l’expropriation, pour construire des logements salubres ». (28 mars) Ou encore, poursuit-il un peu plus loin en utilisant les mêmes arguments qu’en 1937, « [i]l serait préférable d’abolir la taxe de vente plutôt que d’adopter ce bill. Il vaut mieux manger son pain à la lumière de la lampe à l’huile que de mourir de faim sous l’éclairage éclatant d’une ampoule électrique ». Il suggère même aux députés d’en face de faire des élections avant l’adoption de ce bill, ce qui donnerait au gouvernement le mandat clair pour faire l’expropriation.
Enfin, les députés unionistes critiquent vertement l’orientation donnée aux mesures d’électrification rurale. Duplessis estime que la seule manière de concevoir efficacement l’électrification des campagnes, « c’est en établissant des coopératives de cultivateurs » et non en donnant de l’argent à la Commission hydroélectrique qui, de toute façon, ne peut rayonner qu’à partir de Montréal. (28 mars) Quelques mois plus tard, de retour au pouvoir, Duplessis réalisera cet objectif en amputant la nouvelle hydro provinciale de cette tâche promise par les libéraux.
Seul de son camp, René Chaloult joue gros. Militant de longue date pour la nationalisation de l’électricité et la lutte contre les trusts, il se voit dans l’obligation d’adopter une position ambiguë qui lui vaut d’ailleurs des remarques ironiques de la part des deux côtés de la Chambre. S’il vote pour le principe du bill en deuxième lecture, il se positionne contre le texte de la loi en troisième lecture. De ce fait, il affirme recevoir l’appui de ses fidèles collaborateurs, dont le Dr Philippe Hamel52, lorsqu’il juge inconcevable, inacceptable et scandaleux que les « bandits » du trust de la MLHP reçoivent un dédommagement – l’achat d’actions – de la part de l’État québécois. (29 mars)
Un autre point sur lequel Chaloult a maille à partir avec le gouvernement Godbout touche la question des commissaires et du personnel de l’hydro provinciale. Pour ce nationaliste, il est grand temps que « les Canadiens français obtiennent justice » en donnant à la majorité du Québec les moyens et le pouvoir de diriger la province. (29 mars) Pour lui, l’hydro provinciale doit devenir un symbole de cette libération; ce qui lui fait dire que les quatre cinquième (80 %) des commissaires (4 sur 5) et du personnel doivent être francophones. (30 mars)
Le 14 avril, le Conseil législatif soumet aux députés plusieurs amendements du bill 17, dont celui d’utiliser l’appellation « Hydro-Québec » pour nommer la Commission hydroélectrique de Québec et celui d’autoriser la compagnie publique à acquérir d’autres compagnies d’électricité. La panoplie de modifications proposées soulève l’ire des députés oppositionnistes qui n’ont pas le temps de bien étudier les nouvelles dispositions, la loi devant entrer en vigueur le jour même pour que l’expropriation ait lieu le lendemain.
Malgré la sanction royale du 14 avril, la loi d’Hydro-Québec continue de susciter la controverse. Le 18 avril, Duplessis s’indigne devant la nomination de T.-D. Bouchard – ancien ministre et défenseur de longue date de la municipalisation de l’électricité – comme commissaire et président d’Hydro-Québec : « C’est évident que le gouvernement veut donner des jobs à ses amis, à la veille des élections. C’est la troisième commission qu’il crée et chaque fois il assure des salaires plantureux à des amis politiques. » De son côté, Chaloult attaque le gouvernement pour avoir refusé sa demande au sujet de la représentation des Canadiens français à Hydro-Québec, notamment à la direction où deux commissaires anglophones sont nommés. Chaloult propose une motion qui critique le gouvernement pour ne pas donner la place qui revient aux Canadiens français, alors que Godbout se défend en expliquant que les candidats choisis le sont en fonction de « leur compétence seulement ». (10 mai)
Colonisation et progrès
Annoncé dans le discours du trône, le gouvernement cherche à rendre plus moderne et plus efficace le travail de colonisation. Le bill 5 accorde les crédits nécessaires à l’exploitation des lots et permet aux colons d’emprunter l’argent nécessaire pour l’acquisition d’outils technologiques de défrichage et d’instruments aratoires modernes. L’argent est emprunté auprès des syndicats coopératifs et des caisses populaires qui offrent de faibles taux d’intérêt grâce à l’aide gouvernementale. Ministre de l’Agriculture et de la Colonisation, Godbout exprime ainsi son enthousiasme : « Si une loi a jamais été destinée à permettre à la colonisation de se développer normalement, au colon de progresser, de conquérir son indépendance et de devenir rapidement un bon cultivateur, c’est bien cette loi-ci. » (9 février)
Dans la foulée d’une agriculture qui entreprend les premiers pas vers la mécanisation et la modernisation53, Godbout saisit l’occasion qui se présente avec la planification d’après-guerre pour encourager un processus similaire pour les terres de défrichement. Débordant du strict cadre de la loi, il rappelle les négociations qui se sont déroulées avec Ottawa pour « que des usines spéciales soient organisées afin de transformer l’outillage des usines de guerre, qui pourra être utilisé à des œuvres de paix, et afin qu’on puisse le mettre à la disposition des colons et des cultivateurs dans la province de Québec ». (9 février) Au-delà de l’outillage technique, il précise les grands projets d’après-guerre que son ministère veut entreprendre afin de donner un second souffle au mouvement de colonisation :
Mon ministère veut préparer des terres colonisables et mettre à la disposition des soldats démobilisés ou des employés d’industries de guerre qui voudront s’établir sur la terre des lots sur lesquels on aura déjà fait, au moyen d’un outillage puissant, un certain défrichement et sur lesquels ils pourront gagner leur vie. On donnera à chacun des lots convenablement ouverts et préparés. Nous voulons qu’après la guerre tous ceux qui sortiront des usines ou reviendront des champs de bataille aient l’avantage de venir prendre part au grand mouvement de colonisation que nous préparons dans la province de Québec et qui ne pourrait réussir sans la loi que nous demandons au comité d’adopter. (9 février)
Du côté de l’opposition, les unionistes critiquent durement le projet de loi et la politique générale de colonisation des libéraux. Ils reprochent au gouvernement Godbout d’autoriser les prêts aux colons par le biais des caisses populaires. Selon Joseph-Damase Bégin, député unioniste dans Dorchester, le projet de loi n’est qu’un « bill de camouflage pré-électoral [sic] » qui n’est d’aucune utilité pour les colons installés dans les nouvelles paroisses sans caisse populaire.
Voté en troisième lecture avant la présentation du budget provincial, le projet de loi reçoit la sanction royale le 9 mars. Son application sera de courte durée, Duplessis et son nouveau gouvernement réorientant les politiques de colonisation dès 1945.
Impérialisme et nationalisme
La bureaucratie fédérale en croissance s’avère discriminatoire à l’égard des Canadiens français. Ceux-ci trouvent très peu de place dans l’armée, dans l’industrie de guerre et dans l’administration fédérale en général54. Parfois à l’unanimité, d’autres fois très divisés, les parlementaires éagir sur ce sujet.
Dans une motion de demande de documents, René Chaloult dénonce ce « traitement d’infériorité » dirigé à l’égard des Canadiens français. Selon lui, deux causes peuvent expliquer ce comportement : « on n’accepte pas le fait français au Canada et nous avons une mentalité de vaincus, ce que les Anglais ne peuvent tolérer ». (11 avril) Appuyées par Oscar Drouin, ministre libéral de l’Industrie et du Commerce, les dénonciations de Chaloult sont toutefois rejetées par le libéral François-Joseph Leduc pour qui les Canadiens français sont bien traités depuis la guerre. Selon ce dernier, ses compatriotes doivent cesser de « pleurnicher » au sujet des supposées inégalités dont ils seraient victimes et doivent plutôt « travailler davantage » pour faire leur place. (11 avril)
Deux autres sujets connexes retiennent l’attention des députés : l’impérialisme britannique de Lord Halifax et des manuels d’histoire, ainsi que les projets d’immigration massive pour l’après-guerre. D’autant qu’à cette époque le symbolisme canadien est encore tourné vers la Grande-Bretagne55.
Le nationalisme canadien de Chaloult lui dicte de mettre un frein aux velléités impérialistes encore en vigueur durant la Deuxième Guerre mondiale. Le 2 février, il dénonce vertement les propos de Lord Halifax qui évoquent la mise en place d’une politique en faveur de la Grande-Bretagne56. Pour le député de Lotbinière, la déclaration du lord ne fait que confirmer sa théorie voulant que « le Canada [soit] entré en guerre parce que l’Angleterre est en guerre; que le Canada doit participer aux guerres de l’Angleterre, étant donné que nous l’avons fait au cours des dernières guerres ». Chaloult craint surtout que le gouvernement King, qui renferme plusieurs « impérialistes forcenés » dans son cabinet, revienne sur sa déclaration condamnant la position de Lord Halifax.
Le 3 mai, Chaloult revient à la charge sur le même sujet alors qu’il critique un manuel d’histoire québécois dans lequel il est écrit que le Canada appartient à la Grande-Bretagne. Ces « traces de colonialisme », de « servilisme » sont la preuve, une fois de plus, qu’« il faudrait rompre définitivement tout lien qui nous rattache à l’Empire », argumente-t-il. Insinuant que Chaloult fait partie de ces gens « qui prêchent la haine, la désunion et qui essaient de répandre la fausse prétention que nous appartenons à l’Angleterre », le secrétaire de la province, Hector Perrier, reconnaît toutefois qu’une erreur de la sorte est déplorable. Il en profite pour exposer son projet personnel concernant l’éducation de l’histoire et la rédaction de manuels scolaires en histoire : l’uniformisation de l’histoire du Canada où les « deux grandes cultures » y trouveraient leur place (3 et 11 mai). Ce à quoi sont totalement opposés René Chaloult et Onésime Gagnon, pour qui une histoire uniforme sera sous la tutelle de la majorité. « L’histoire n’est pas un compromis, elle est la narration des faits » (11 mai), rappelle Gagnon pour souligner l’incongruité de ce projet57.
Au sujet de l’immigration, Duplessis fait une motion de demande de documents le 16 février. Dans un contexte où le Canada participe à des conférences d’après-guerre où il est question pour le pays d’accueillir des réfugiés, ce qui pourrait relancer l’immigration massive au pays, la motion de Duplessis déchaîne les passions. Liant l’immigration à la question de l’autonomie provinciale et de l’influence du Québec au sein du Canada, le chef de l’opposition expose son point de vue :
Notre province est opposée à une immigration massive, parce que notre représentation au Parlement fédéral est basée sur le nombre des habitants de la province du Québec. Or, si nous avons une politique d’immigration mal mûrie, intempestive et mal organisée, qui augmenterait la population des autres provinces, se figure-t-on la diminution d’influence pour la province de Québec? Une politique d’immigration qui augmenterait la population des autres provinces voudrait dire pour nous une diminution de notre représentation et, en conséquence, de notre influence au sein de la Confédération.
Les immigrants, selon le député de Trois-Rivières, n’ont pas les mêmes « aspirations patriotiques » que ceux qui font partie du peuple fondateur. Ils peuvent avoir, poursuit-il, une « mentalité anti-canadienne ». Parmi tous les immigrants potentiels, les réfugiés de guerre en provenance de l’Europe centrale et les Juifs occupent l’attention de Duplessis. Il rappelle le projet d’immigration massive de Juifs, projet qu’il a lui-même dénoncé dans un « cri d’alarme » lors d’une assemblée publique à Sainte-Claire, le 7 novembre 194358. Appuyant les dire du chef de l’opposition, Chaloult dénonce les politiques d’immigration massive qui s’activent, selon lui, à « tenir le Canada britannique » pour « faire échec à la menace canadienne-française »59. (16 février)
Du côté des ministériels, la motion du chef de l’opposition donne lieu à des interventions contradictoires, preuve que les députés parlent selon leurs propres convictions et non pas uniquement en fonction d’une quelconque ligne de parti. Trois exemples montrent bien la multiplicité des prises de position. Indigné par les propos du chef de l’opposition, Maurice Hartt, seul député juif de l’Assemblée législative, réfute les allégations concernant un projet d’immigration juive de 100 000 colons. Il fustige cette discrimination envers les Juifs, eux qui « ont le droit de demander d’être traités équitablement par leurs compatriotes » (16 février). S’il se positionne contre les projets d’immigration massive, François-Joseph Leduc plaide plutôt en faveur d’une « immigration saine, réfléchie » qui favoriserait l’expansion du Canada français par l’assimilation des immigrants. (16 février) Quant à Jacques Dumoulin, il est « catégoriquement opposé à tout projet tendant à diriger une immigration intensive vers notre pays ». (9 mars)
De choses et d’autres…
Outre les grandes mesures législatives qui apportent des éléments nouveaux au visage politique québécois, le gouvernement Godbout présente d’autres projets de loi qui méritent quelques mots. L’augmentation du budget de la Commission d’embellissement de Québec – créée en 1942 – devient l’occasion pour les parlementaires de s’entendre sur la nécessité, comme le rappelle Duplessis, « de faire de la ville de Québec la plus belle du continent », confirmant ainsi son caractère touristique. (3 février) Or, les différents partis ont chacun leurs idées précises pour l’embellissement. Godbout cherche à endosser la Commission et à lui donner davantage de moyens pour la réalisation de son plan d’ensemble. Duplessis et Gagnon veulent moins de boulevards et d’édifices laids et plus d’experts pour limiter le patronage des libéraux. Chaloult réclame la conservation des « caractéristiques proprement françaises » de Québec, dont l’architecture et la présence de la langue française60. (3 et 8 février)
La ville de Montréal reprend son « autonomie la plus complète » grâce au bill 16 qui approuve la réorganisation des finances de la ville et qui redonne aux conseillers leur « liberté d’action ». En fait, depuis 1940, la métropole avait été mise en tutelle par la Commission municipale de Québec en raison de ses dettes. Débattue en Chambre les 2, 7 et 8 mars, sanctionnée par le lieutenant-gouverneur le 9 mars, cette loi suscite l’indignation des députés de l’Union nationale pour qui l’intervention du gouvernement dans les affaires municipales se poursuit.
Le bill 29 concernant les districts électoraux de la province vient modifier une loi similaire de 1939 qui a amputé la carte électorale de quatre circonscriptions, dont le nombre est passé de 90 à 8661. Le 26 avril, en première lecture, le premier ministre propose un projet de loi avec 90 districts. Or, le 9 mai, il demande à la Chambre la permission de révoquer ce projet de loi et d’en étudier un nouveau avec 91 districts. Proposées par le gouvernement et adoptées par le lieutenant-gouverneur le 26 mai, les cinq nouvelles circonscriptions permettent, entre autres, de doubler la représentation de l’Abitibi-Témiscamingue, d’augmenter celle de la grande région de Montréal et de recouvrer le district de Kamouraska62.
Dans le domaine de l’éducation, le gouvernement Godbout poursuit ses réformes de deux façons. Il vote d’abord le bill 44 modifiant la loi de l’Instruction publique, adoptée un an auparavant, lequel obligeait les enfants de cinq ans et plus à fréquenter les établissements scolaires. La loi de 1944 rectifie le tir et cible désormais les enfants de six ans et plus. Il présente ensuite le bill 43 concernant la gratuité de l’enseignement et des livres de classe pour « les écoles sous contrôle du Conseil de l’instruction publique », comme le précise Hector Perrier en tentant de rassurer les institutions scolaires – qu’elles soient religieuses et privées. Le ministre plaide d’ailleurs pour une « uniformité relative » des manuels grâce à la gratuité :
Il faut en effet tenir compte de nos conditions sociales et économiques et de nos traditions. Il y a aussi des différences à établir entre les milieux urbains et ruraux; il est évident qu’on ne peut se servir des mêmes manuels à la ville qu’à la campagne. Si on veut ruraliser l’enseignement, chose désirable, il faut donner aux écoles rurales des manuels différents, dans lesquels les exemples se rapporteront à la campagne. (2 juin)
Les parlementaires traitent aussi de l’enquête sur la police provinciale, à Montréal, et de son inefficacité à faire la lutte aux institutions illégales, telles les maisons de jeux et les maisons de prostitution63. Le respect de la loi du dimanche est un sujet brièvement abordé, d’autant plus qu’il touche une faute commise par une nouvelle entreprise d’État, Hydro-Québec, sous la responsabilité de l’ancien ministre de la Voirie, T.-D. Bouchard.
Tout au long de la session, quelques hommages sont rendus à des personnalités jugées dignes de ces honneurs, ce qui permet de détendre l’atmosphère en réunissant la classe politique autour de coquetteries ou d’éloge funèbres. Le 8 février, on souligne le décès d’Arthur Sauvé, père de Paul Sauvé et ancien chef du Parti conservateur devenu sénateur. Le 7 mars, le major Paul Triquet, héros de la bataille de Casa Berardi (campagne d’Italie) et détenteur de la croix de Victoria, reçoit les honneurs de l’Assemblée législative. Le même jour, les députés soulignent la carrière de T.-D. Bouchard, ministre démissionnaire du gouvernement Godbout. Enfin, le 23 mars, la Chambre célèbre le 86e anniversaire de Thomas Chapais, doyen du Salon rouge.
Faits divers, faits cocasses
Des scènes font sourire durant les travaux de la session. La prise en considération du discours du trône suscite, par exemple, un fou rire général lorsque le premier ministre échappe ce lapsus :
L’honorable M. Godbout (L’Islet): Je propose que le discours de l’honorable Monsieur le lieutenant-gouverneur de la province, prononcé devant les deux Chambres de la Législature, soit pris en considération à la prochaine session...
(Rire général)
M. Duplessis (Trois-Rivières) veut se lever pour soulever un point d’ordre.
L’honorable M. Godbout (L’Islet): ... pardon, que la discussion en soit faite à la prochaine séance. (18 janvier)
D’autres fois, des débats houleux opposent les députés de la droite et de la gauche. Une des scènes les plus orageuses de la session a lieu le 22 février, en comité plénier pour l’étude de la loi assurant aux colons le crédit nécessaire à la bonne exploitation de leur lot. Alors que Tancrède Labbé accuse le gérant général des caisses populaires et membre du Conseil législatif, Cyrille Vaillancourt, d’être un « organisateur libéral d’élection » qui fait « de la petite politique rouge », Perreault Casgrain soulève un point d’ordre à l’égard du fait qu’« un député n’a pas le droit de faire des attaques directement ou indirectement contre aucun membre de l’une ou l’autre Chambre ». Duplessis se lève alors pour défendre son collègue unioniste. Il affirme que Vaillancourt « est un petit politicien, un cabaleur politique » qui cumule à lui seul « 25 positions ».
Ces remarques font sursauter T.-D. Bouchard qui se rappelle l’ambiance qui régnait à l’Assemblée législative lorsque Duplessis était au pouvoir et que lui-même était chef intérimaire de l’opposition : « Nous sommes revenus à la période malheureuse de 1936 à 1939. Le chef de l’opposition est en train de répéter les scènes disgracieuses dont nous avons été témoins en Chambre sous le règne de l’Union nationale, quand il disait que la Chambre était le salon de la race; c’est plutôt le salon de la crasse. »
Critique des sources
Par Stéphane Savard
Les membres de la Tribune de la presse à Québec64
Reconstitué et non retranscrit intégralement par des sténographes, le travail de recherche et d’édition des débats de l’Assemblée législative est tributaire des journalistes de la Tribune de la presse. Ces derniers assistent à chacun des débats parlementaires et citent ou résument les interventions en Chambre. En 1944, les membres de la Tribune, formée cette année-là des 18 correspondants parlementaires, choisissent Henri St-Pierre, du journal The Montreal Daily Star, comme président. Ce dernier est secondé par le vice-président Henri Dutil, pour Le Soleil, et par le secrétaire Damase Potvin, de La Presse.
Les autres membres travaillent pour les plus grands quotidiens de la province : Maurice Bernier de L’Événement-Journal, Jean-Marc Denault, Ewart E. Donovan et Jack Dunn du Quebec Chronicle Telegraph, Raymond Dubé du Soleil, Calixte Dumas et Jacques Verrault de L’Action Catholique, Guy Gagnon de la Presse canadienne, Arthur-W. Langlais de La Presse, Joseph Lavergne de La Patrie, Lévis Lorrain de L’Écho du Nord, Charles-Eugène Pelletier du Droit, Louis Robillard du Devoir, Abel Vineberg de la Gazette et P.-E. Samson65.
La reconstitution des débats de 1944 a également nécessité la consultation de chroniques ou d’articles publiés dans ces quotidiens ou hebdomadaires : L’Action Populaire, L’Autorité, L’Avenir du Nord, Le Bien Public, Le Bloc, La Bonne Parole, La Boussole, Le Bulletin des agriculteurs, Le Canada, Le Canada français, le Canadian Labor Press, Le Canadien (Thetford Mines), Le Clairon de Saint-Hyacinthe, Le Colon, Le Courrier de Berthierville, Le Courrier de Saint-Hyacinthe, Le Courrier de Montmagny-L’Islet, Le Dorchester, Le Droit, L’Écho de Frontenac, L’Écho de Saint-Justin , L’Éclaireur, L’Étoile du Nord, La Frontière, La Gazette du Nord, Le Guide, Le Jour, Le Journal de Waterloo, Le Monde ouvrier, The Montreal Daily Herald, le Montréal-Matin, Le Nicolétain, Le Nouvelliste, La Parole (janv, fév, mars.), Le Petit Journal, Le Peuple, Le Progrès du Golfe, Le Progrès du Saguenay, Le Progrès de Valleyfield, le Rouyn-Noranda Press, Le Saint-Laurent, Le Salaberry, The Sherbrooke Daily Record, Le Temps, La Terre de chez nous, La Tribune, L’Union des Cantons de l’Est, Vers demain, La Voix des Bois Francs, La voix de l’Est, La Voix des Milles-Îles.
Une source reconstituée
Même s’il est connu des députés et des lecteurs que certains journaux affichent ouvertement leur couleur politique, les courriéristes parlementaires tendent vers l’objectivité et la neutralité dans leur travail. Bien que la division des tâches en pools de journalistes permette déjà d’atténuer les sympathies politiques66, les motivations personnelles et institutionnelles qui tendent vers le professionnalisme montrent aussi cette recherche de l’exactitude. Peu avant l’ouverture de la session, Le Devoir présente aux lecteurs le correspondant parlementaire qu’il a délégué et rappelle le rôle objectif du journal : « Le Devoir, il va de soi, donnera de ces débats le compte rendu le plus exact possible. Il sera représenté à Québec, pendant cette session, par M. Louis Robillard, journaliste d'expérience et qui connaît bien le milieu67. »
Cet effort d’impartialité se reflète dans l’attitude des députés vis-à-vis des membres de la Tribune. En 1944, il existe deux cas où les hommes politiques se permettent de souligner l’exactitude d’un compte rendu rédigé par un courriériste, et ce, afin de justifier une erreur commise par un éditorialiste et de mieux illustrer l’impartialité du membre de la Tribune.
Ainsi, le 15 février, Onésime Gagnon revient sur une émission de Radio-Canada dans laquelle ses propos du 10 février auraient été mal rapportés. Traitant le reportage de la radio d’État d’« insidieux », de « tronqué », de « fallacieux », il défend le compte rendu de La Presse canadienne (Guy Gagnon) qui aurait supposément influencé celui de Radio-Canada :
M. Gagnon (Matane) soulève une question de privilège à propos d’un débat qui eut lieu jeudi dernier et qui a été rapporté le même soir par les postes de Radio-Canada. Jeudi soir dernier, le poste de Radio-Canada a donné de cette discussion un compte rendu insidieux et contraire aux faits du débat soulevé l’après-midi, avec sa motion sur le développement et les communications de la Gaspésie.
Il déclare que sa motion concernant la déposition de la correspondance sur les facilités de transport dans le Bas-du-Fleuve a été bien accueillie à la Législature et appuyée par tous les députés.
Il cite le texte d’une émission de Radio-Canada, jeudi soir, comme disant: « L’honorable Onésime Gagnon a dit à l’Assemblée législative, hier, que le fleuve Saint-Laurent avait été mieux protégé et qu’aucun navire n’avait été torpillé. D’un autre côté, l’honorable Perreault Casgrain, député de Gaspé-Nord, a demandé que le chemin de fer du golfe et de la péninsule soit acheté par le Canadien National. »
Les rapporteurs de Radio-Canada ont mis dans la bouche du député de Gaspé-Nord (l’honorable M. Casgrain), ministre sans portefeuille dans le cabinet Godbout, des paroles qu’il avait lui-même prononcées et des idées qui se trouvaient dans sa motion.
Il s’est informé de la cause de ces inexactitudes et Radio-Canada a jeté le blâme sur la Presse canadienne. Mais, après avoir parcouru le compte rendu de cette agence de presse, il a constaté qu’il était parfaitement exact.
Conséquemment, il impute aux employés de Radio-Canada toute la responsabilité de ce compte rendu tronqué et fallacieux. Je veux protester contre le fait que Radio-Canada a dénaturé les faits.
Le 30 mars, c’est au tour d’Adélard Godbout de vouloir rectifier les propos d’un éditorialiste qui cite faussement le premier ministre sans consulter le compte rendu des débats publié dans le même journal :
L’honorable M. Godbout (L’Islet): Question de privilège, M. l’Orateur. On vient de me signaler un article éditorial de la Gazette de Montréal de ce matin, qui me prête des expressions que je n’ai pas tenues lors de mon discours sur le bill de la Montreal Power, à l’endroit des administrateurs actuels de cette compagnie; on a mis dans ma bouche des expressions dont je ne me suis jamais servi. D’après ce journal, j’aurais traité de bandits les directeurs actuels de la Montreal Light, Heat & Power. D’ailleurs, le compte rendu de la séance donné par le même journal ne dit pas la même chose que l’article éditorial.
Tout le monde sait, et la Gazette le sait aussi parce qu’elle a rapporté mes paroles, que je n’ai parlé que des anciennes administrations de la compagnie. J’ai bien spécifié que je ne voulais pas parler de l’administration actuelle dans laquelle il y a de parfaits gentilshommes.
Je suis prêt à croire qu’ils le sont tous, mais il s’est commis des actes de banditisme dans l’administration de la Montreal Power. On ne peut les qualifier autrement. Ceux qui en sont responsables se connaissent.
C’est tout ce que j’ai dit. Je n’ai jamais prononcé en Chambre ces propos que rapporte aujourd’hui le journal The Gazette au sujet des directeurs actuels de la Montreal Power, et dont les noms ont été mentionnés en éditorial. Je veux donc faire cette mise au point.
Malgré ces bonnes volontés, il arrive parfois que des courriéristes soient critiqués. Témoignages de simples erreurs involontaires? Choix partiaux et subjectifs qui visent à influencer l’opinion du lecteur? S’agit-il plutôt de cas où certains parlementaires tentent ainsi de se rétracter parce qu’ils ne veulent plus endosser leurs propos? Quoi qu’il en soit, une seule de ces erreurs est relevée pendant la session. Le 22 mars, le chef de l’opposition se lève en Chambre pour critiquer les informations contenues dans un journal montréalais; cela lui permet de rectifier le tir et de réitérer son point de vue mal interprété :
M. Duplessis (Trois-Rivières) se lève à son tour sur une question de privilège, et déclare qu’un journal de Montréal a publié un compte rendu inexact de ce qu’il a dit en Chambre au sujet de la falsification des Comptes publics et de l’incident Lamarche, la semaine dernière. Il soutient qu’il avait parfaitement raison de critiquer et de démontrer les erreurs des Comptes publics. Je répète la même accusation aujourd’hui, dit-il. J’ai dit que les Comptes publics de la province comportaient depuis 1940 le nom de M. J. P. Lamarche, inscrit en toutes lettres, comme shérif, à Montréal et que l’on dit que ce M. Lamarche a reçu à cette fin une somme considérable d’argent pendant quatre années consécutives, $330,000 qui, de fait, ne lui ont jamais été payés. Il n’est pas honnête de faire figurer dans les Comptes publics, comme ayant reçu $330,000, le nom d’un homme qui n’a rien reçu.
Les particularités de la source
La très grande majorité des interventions rapportées par les courriéristes se présentent sous la forme de citations. Les propos des députés sont alors rapportés à la première personne du singulier ou du pluriel. Or, il arrive parfois que le travail de reconstitution présente des passages où les débats et les interventions s’avèrent plutôt résumés par l’ensemble des correspondants parlementaires qui traitent du sujet. C’est le cas, par exemple, du passage où Duplessis critique, en comité plénier, la loi sur la réorganisation financière de Montréal : « M. Duplessis (Trois-Rivières) fait un discours sur l’ensemble des 13 articles du projet de loi. » (8 mars).
Il peut aussi arriver que les correspondants parlementaires n’entendent pas toujours bien, perchés qu’ils sont dans les tribunes d’une Assemblée législative qui ne possède aucun micro68. Est-ce le cas de cette phrase plutôt laconique, « [d]es députés discutent », insérée entre la lecture en comité plénier des articles 4 et 5 de la loi sur la division territoriale de la Gaspésie et la relecture de ces mêmes articles amendés grâce à cette discussion dont nous ne savons rien? Ou encore est-ce plutôt un exemple de cas où les quotidiens des grands centres se désintéressent des enjeux régionaux?
Il est enfin plausible d’interpréter ces résumés comme un jugement de valeur sur le contenu des débats. De ce fait, les courriéristes peuvent parfois décider de ne pas relever tel ou tel passage qui n’apporte rien de nouveau au débat, qui est jugé interminable ou inutile pour une meilleure compréhension des débats. Par exemple, le 30 mars, lors de l’étude en comité plénier du projet de loi sur la Commission hydroélectrique de Québec, une intervention de Duplessis est présentée comme suit : « M. Duplessis (Trois-Rivières) résume ses arguments contre le projet et pose bon nombre de questions au ministre des Terres et Forêts. Combien d’obligations il y a pour la Beauharnois et pour la Montreal Power? », demande-t-il.
Bref, même si les courriéristes effectuent leur travail avec rigueur, il leur arrive parfois de passer au « filtre journalistique » certains discours jugés trop longs, redondants ou de peu d’intérêt pour les lecteurs. N’empêche, les débats parlementaires de 1934 couvrent l’essentiel des travaux de la session.
Notes de l’introduction historique et de la critique des sources
1. À ce sujet, il est intéressant de constater que le discours du trône revient sur cette conférence, plus particulièrement sur les déclarations de Franklin D. Roosevelt et Winston Churchill au sujet de l’égalité et de la liberté des peuples au Canada : « Depuis la dernière session, notre Vieille Capitale a été le siège d’une conférence qui marquera dans l’histoire une des importantes étapes du conflit mondial dont nous avons lieu d’espérer la fin prochaine. Des témoignages significatifs ont été rendus à notre province. Pendant que le président des États-Unis citait en exemple aux autres pays les relations harmonieuses que deux grandes races s’appliquent à entretenir en les faisant découler d’un principe d’égalité, le premier ministre de Grande-Bretagne retrouvait sur nos rives le fondement des libertés qui doivent rester à jamais, dans notre pays, à l’abri des mouvements totalitaires. » (18 janvier)
2. Matthew Evenden, « La mobilisation des rivières et du fleuve pendant la Seconde Guerre mondiale : Québec et l’hydroélectricité, 1939-1945 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 60, nº 1-2 (2006), p. 125-162.
3. Pour plus de renseignements concernant la mobilisation de la main-d’œuvre industrielle et les dépenses militaires pour les années 1943-1944, voir : Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert et François Ricard, Histoire du Québec contemporain. Tome II : Le Québec depuis 1930, Montréal, Boréal Express, 1989, p. 142 (tableau 1).
4. Alors que le plébiscite sur la conscription a lieu le 27 avril 1942, dont les résultats garantissent à King de pouvoir appeler la conscription au moment opportun, le premier ministre utilise ce pouvoir deux ans et demi plus tard. Entre temps, il oblige la mobilisation des hommes pour un service militaire obligatoire, à l’exception théorique des fils de cultivateurs. C’est pendant ce service militaire que les hommes subissent de grandes pressions pour qu’ils acceptent de servir l’armée hors des frontières canadiennes. Le 23 novembre 1944, le gouvernement King entérine la loi de la mobilisation des conscrits, franchissant ainsi la dernière étape menant à la conscription totale. Voir : Ramsay Cook, « Triomphe et revers du matérialisme, 1900-1945 », dans Craig Brown (dir.), Histoire générale du Canada, Montréal, Boréal, 1990, p. 560-561; Jacques Paul Couturier, Un passé composé : le Canada de 1850 à nos jours, Moncton, Les Éditions d’Acadie, 1996, p. 257.
5. Pierre Godin, René Lévesque, un enfant du siècle, tome 1, Montréal, Boréal, 1994, p. 155-177.
6. Robert Rumilly, Histoire de la province de Québec. Tome 41 : La guerre de 1939-1945. Duplessis reprend les rênes, Montréal, Fides, 1969, p. 22, 57-58 et 73; John A. Dickinson et Brian Young, Brève histoire socio-économique du Québec, Québec, Septentrion, 1995, p. 302-303.
7. J.P Couturier, Un passé composé…., p. 252.
8. R. Cook, « Triomphe et revers du matérialisme… »., p. 563-564; Robert Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome 41, p. 92.
9. Comme le souligne Claude Jodoin, député de Montréal-Saint-Jacques, dans l’Adresse en réponse au discours du trône, « 1944 sera une année grave. On annonce l’invasion prochaine du continent européen. Nous avons tous des parents et des amis dans nos forces actives. J’ai confiance que leurs sacrifices ne seront pas vains. 1944 verra le triomphe des Nations unies sur le front international et la victoire du gouvernement Godbout sur le front provincial. » (19 janvier)
10. Jean-Guy GENEST, Godbout, Québec, Septentrion, 1996, p. 256-257.
11. Pour les informations en lien avec les trois œuvres littéraires, voir : P.-A. Linteau, R. Durocher, J.-C. Robert et F. Ricard, Histoire du Québec contemporain…, p. 189-190.
12. Ibid., p. 178.
13. Voir : Jérôme Ouellet et Frédéric Roussel-Beaulieu, « Les débats parlementaires au service de l’histoire politique », Bulletin d’histoire politique, vol. 11, nº 3 (2003), p. 23-24.
14. Voir: Abel Vineberg, « Next Session Last of 21st Assembly »The Gazette, mardi 11 janvier 1944, p. 11.
15. Dans les discussions entourant la législation ouvrière, le chef de l’opposition laisse entrevoir la possibilité que le ministre Rochette, sous pression populaire à la suite des conflits ouvriers, feigne une maladie pour ne pas venir en Chambre défendre ses projets (25 janvier).
16. En pleine campagne électorale, à l’été 1944, il appelle d’ailleurs au respect de « la grandeur du Canada », considérant que « [n]ous ne sommes pas simplement des Québécois, mais aussi des Canadiens. ». Ces interventions de Godbout, en juillet 1944, sont citées par Réjean Pelletier, « Le Parti libéral et l’Union nationale à l’époque du Bloc populaire : À quelle enseigne logent-ils? », dans : Robert Comeau et Lucille Beaudry (dir.), André Laurendeau : Un intellectuel d’ici, Québec, Presses de l’Université du Québec, 1990, p. 70. Voir aussi : J.-G. Genest, Godbout…, p. 168.
17. P.-A. Linteau, R. Durocher, J.-C. Robert et F. Ricard, Histoire du Québec contemporain…, p. 124-125.
18. Voir aussi : R. Pelletier, « Le Parti libéral et l’Union nationale… », p. 71.
19. J.-G. Genest, Godbout…, p. 47.
20. Ibid., p. 210. Voir aussi p. 216, 264 et 281.
21. En 1939 et 1944, l’autonomie occupe une place de choix dans les programmes politiques de l’Union nationale et le demeurera jusqu’à la fin des années 1950. R. Pelletier, « Le Parti libéral et l’Union nationale… », p. 74-75; Jean-Louis Roy, Les programmes électoraux du Québec. Un siècle de programmes politiques québécois. Tome II : 1931-1966, Ottawa, Éditions Leméac, 1971, p. 300-303 et 314-317.
22. Ces allusions font référence à deux éléments. Dans la campagne électorale de 1939, Adélard Godbout s’engage à défendre l’autonomie provinciale et à lutter contre toute conscription. « [S]ur l’honneur », il promet de quitter et de combattre son parti « si un seul Canadien français, d’ici la fin des hostilités en Europe, est mobilisé contre son gré sous un régime libéral ». Or, en juin 1940, le gouvernement King entérine la loi permettant la mobilisation des ressources humaines pour la défense du pays. À la suite d’une motion de René Chaloult condamnant ce qu’il appelle la conscription, Godbout revient sur son engagement : « Quand bien même j’aurais fait par oubli ou distraction le serment de ne pas défendre ma famille contre tout agresseur, mon devoir serait là quand même. Et si, au moment où le Canada lui-même est menacé, le gouvernement canadien ne réclamait pas de chacun des fils du Canada le devoir de participer jusqu’à la dernière goutte de son sang à la défense du pays, il manquerait à son devoir. » Cité dans J.-G. Genest, Godbout…, p. 168-169.
23. Jean-Paul Beaulieu (29 février) et Joseph-Damase Bégin (18 avril) utilisent aussi le slogan « maîtres chez nous ». Pour de plus amples informations sur la paternité du slogan attribuée à Maurice Duplessis, et non à Jean Lesage, voir : R. Pelletier, « Le Parti libéral et l’Union nationale… », p. 74.
24. Vers la fin de la session parlementaire fédérale de 1943, qui s’est terminée le 24 juillet, le gouvernement King adopte une résolution visant à remettre à plus tard le remaniement – redistribution des comtés selon les réalités démographiques – de la carte électorale qui, normalement, se fait à tous les recensements. Depuis ce temps, Duplessis accuse Godbout de servilité envers King, le pourfendeur de l’autonomie provinciale. Le Bloc populaire aussi critique cette résolution. Voir : R. Rumilly, Histoire de la province de Québec. Tome 40 : La guerre de 1939-1945. Le Bloc Populaire, Montréal, Fides, 1969, p. 194-209.
25. Robert Rumilly, Maurice Duplessis. Tome 1 (1890-1944), Montréal, Fides, 1973, p. 646.
26. Repris couramment par Duplessis et les membres de l’Union nationale, le qualificatif de « croupion » accolé au gouvernement aurait été utilisé par Ernest Lapointe, selon les dires de Joseph-Damase Bégin (18 avril). Dans la séance du 30 mars, Duplessis compare le « Parlement croupion » dirigé par Godbout à celui d’Oliver Cromwell, despote britannique du XVIIe siècle.
27. Dans ses mémoires, Chaloult précise les motivations qui l’animaient pendant sa campagne électorale de 1939 où il jongle avec l’étiquette de « libéral indépendant » : « Sous quelle étiquette devais-je me présenter? Nationaliste libéral? Libéral indépendant? C’était un peu confus, à dessein peut-être. À mon avis, cela ne comportait aucune signification, mais il fallait tout de même afficher un peu de sens pratique et glisser le mot libéral quelque part. J’y répugnais d’autant moins que plusieurs de mes idées politiques, comme le droit de vote aux femmes, l’instruction obligatoire, la nationalisation de certaines ressources naturelles étaient des mesures libérales au sens large du terme. ». Voir : René Chaloult, Mémoires politiques, Montréal, Éditions du Jour, 1969, p. 114. Voir aussi R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome 40, p. 170-171.
28. En ce qui a trait à l’histoire du Bloc populaire et les demandes de René Chaloult, voir : Paul-André Comeau, Le Bloc populaire, 1942-1948, Montréal, Boréal, 1998, p. 237-251; R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome 41, p. 11, 26 et 41.
29. P.-A. Comeau, Le Bloc populaire., p. 212; P.-A. Linteau, R. Durocher, J.-C. Robert et F. Ricard, Histoire du Québec contemporain, p. 125; R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome 41, p. 26.
30. « Vingt et un points importants du discours du trône prononcé hier par le lieutenant-gouverneur », Le Canada, mercredi 19 janvier 1944, p. 1-2.
31. Calixte Dumas, « Le discours du Trône a annoncé un projet d’hydro », L’Action catholique, 19 janvier 1944, p. 2; Maurice Bernier, « La session provinciale : En plus du projet d’organisation d’une hydro provinciale, le discours du Trône parle de plusieurs mesures importantes », L’Événement-Journal, 19 janvier 1944, p. 3 et 9; « Vingt et un points importants du discours du Trône prononcé hier par le lieutenant-gouverneur. Remède à la crise du logement et création d’une hydro-provinciale – Une commission des relations ouvrières – Prévention de certains conflits ouvriers », Le Canada, mercredi 19 janvier 1944, p. 1-2; « M.L.H. & P. Bill also to Cover a State Hydro. Both Linked Together in Throne Speech as Quebec Legislature Session Opens », The Gazette, mercredi le 19 janvier 1944, p. 1 et 6.
32. Plusieurs journaux soulignent cette particularité. Calixte Dumas, dans L’Action catholique, commente l’inattendu débat en cette première journée normalement très protocolaire : « La session de 1944 s’est ouverte de façon exceptionnelle. D’ordinaire, dans les deux Chambres, les premières séances sont pour la forme seulement. Elles durent quelques minutes tout au plus. Le Conseil législatif est resté fidèle à la coutume parlementaire, mais l’Assemblée législative s’est payé le luxe d’un débat sur la motion d’ajournement. Les premiers points d’ordre ont été soulevés et les députés ont quitté la salle dans une atmosphère de bataille. Un pareil début ne fait pas présager une session brève, calme et dépourvue d’incidents. » Voir : Calixte Dumas, « On suspendra le débat sur l’adresse pour étudier une nouvelle loi ouvrière dès la semaine prochaine », L’Action catholique, 19 janvier 1944, p. 3. Quant au Quebec Chronicle-Telegraph, il souligne le fait exceptionnel de cette escarmouche: « For the first time in a great many years, and maybe for the first time since Confederation, the motion made in the Legislative Sssembly [sic] by the Premier in office, to propose that the Throne Speech be considered at the next sitting of the House, gave rise to warm debate in the Green Chamber here yesterday afternoon. ». Voir « Duplessis fails to get housing studied at once », Quebec Chronicle-Telegraph, 19 janvier 1944, p. 6.
33. À ce sujet, L’Événement-Journal explique le caractère inédit entourant la présentation du budget :
Il était 5 heures et 5 minutes exactement lorsque le Trésorier de la province s’est levé, hier après-midi, pour prononcer son discours du budget. C’est probablement un fait sans précédent. D’habitude, le ministre des Finances provincial se lève au début de la séance afin de soumettre son exposé budgétaire.
Mais, hier, il avait été convenu que la Chambre serait invitée d’abord à voter le projet de loi relatif aux colons. Le gouvernement, il va sans dire, ne s’attendait pas à ce que le débat durât une heure et demie. M. Mathewson attendit patiemment, jetant de temps à autre un regard vers l’horloge.
Lorsque le trésorier se leva, les dernières éditions des journaux de l’après-midi circulaient sur la rue depuis quelque temps avec le texte ou, du moins, les parties essentielles du discours du budget.
Voir : « Sur la colline parlementaire », L’Événement-Journal, 25 février 1944, p. 3; « Budget to Public Before Delivery : Mathewson Speech at Quebec Published Before It Is Given House », The Gazette, 25 février 1944, p. 11; Joseph LaVergne, « À Québec : Le projet de crédit aux colons, adopté. Un journal publie le discours du budget avant M. Mathewson », La Patrie, 25 février 1944, p. 12.
34. Également relevé par R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome 41, p. 38.
35. Louis Massicotte, Le Parlement du Québec de 1867 à aujourd’hui, Québec, Presses de l’Université Laval, 2009, p. 103.
36. Louis Robillard, « Ouverture de la session provinciale cet après-midi », Le Devoir, 18 janvier 1944, p. 3.
37. « La prochaine session », Le Devoir, 8 janvier 1944, p. 3; « La session de la Législature de Québec commence demain », Le Soleil, 17 janvier 1944, p. 1.
38. « La session provinciale qui a été prorogée samedi aura connu une grande œuvre », Le Canada, lundi 5 juin 1944, p. 2; Louis Robillard, « La session de Québec : Cent septième et dernière séance et cent bills », Le Devoir, lundi 5 juin 1944, p. 1; Maurice Bernier, « Prorogation de la session provinciale », L’Événement-Journal, 5 juin 1944, p. 3.
39. Maurice Bernier, « Prorogation de la session provinciale », L’Événement-Journal, 5 juin 1944, p. 3. Henri St.Pierre, du Montreal Daily Star, va plus loin en affirmant que la session est la plus longue depuis la Confédération, alors que le Quebec Chronicle-Telegraph de Québec, demeurant vague, préfère la présenter comme « one of the longest in many years ». Voir : « Fiset prorogues last session of legislature », Quebec Chronicle-Telegraph, 5 juin 1944, p. 3; Henri St-Pierre, « Longest Quebec Session Since Confederation Ends », The Montreal Daily Star, 5 juin 1944, p. 2. Par contre, comme le précisent La Presse et la Gazette avant le discours du trône, il ne faut pas oublier que le gouvernement Godbout a l’habitude des longues sessions qui s’étirent entre trois et quatre mois, voire quatre mois et plus. Voir : The Gazette, 11 janvier 1944, p. 11; « L’ouverture officielle de la session à Québec », La Presse, 18 janvier 1944, p. 15.
40. R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome 41, p. 7-8.
41. Selon Robert Rumilly, dans la deuxième moitié de l’année 1943 : « La société tout entière subit les contrecoups des grands conflits du travail. La Commission Prévost souhaite qu’une législation réglemente la conclusion et l’application des contrats collectifs. Elle recommande l’institution d’un tribunal permanent, dont les membres inspireraient confiance aux patrons et aux ouvriers, et qui trancherait les difficultés surgies dans la conclusion ou dans le renouvellement des contrats collectifs. […] Le mémoire de la Commission Prévost préconise l’arbitrage obligatoire dans tous les cas. Le tribunal permanent recevrait pouvoir « de prononcer une sentence finale et sans appel ». La confédération des Travailleurs Catholiques prie le gouvernement provincial de convoquer une session d’automne, pour adopter les recommandations des trois juges. » Voir : R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome 40, p. 238. Voir aussi : J.-G. Genest, Godbout…, p. 251-252 et 254.
42. Voir : R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome 41, p. 19; « Les fonctionnaires municipaux acceptent le projet d’entente suggéré par le gouvernement », Le Canada, 13 janvier 1944, p. 1-2; « Le travail reprend ce matin, à Montréal », L’Événement-Journal, 13 janvier 1944, p. 1 et 9. Voir aussi Bilan du siècle, Université de Sherbrooke. http://www.bilan.usherb.ca/
43. R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome 40, p. 238-239 et 267.
44. Cette grève est perçue par Duplessis comme la manifestation du caractère très imparfait des bills 2 et 3. Pour Godbout, l’interprétation est à l’inverse. Avec une durée de 30 heures, la grève a été écourtée grâce aux lois 2 et 3 qui ont prouvé leur efficacité (22 février).
45. Créée en 1943 afin de réfléchir sur la mise en place d’un plan universel d’assurance-maladie, la Commission d’assurance-maladie réunit Antonio Garneau, avocat, le Dr Roméo Blanchet et P.E. Durnford, courtier. Voir R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome 40, p. 268.
46. Comme l’expliquent Renée Joyal et Carole Chatillon, « [c]e mandat spécial s’explique par la nécessité de faire la lumière sur les nombreux décès survenus parmi les jeunes enfants fréquentant des garderies privées de la région de Montréal. En effet, en cinq semaines, 16 bébés meurent des suites d’otites, de bronchites, et de gastroentérites. » Renée Joyal et Carole Chatillon, « Chapitre 5 : La loi québécoise de protection de l’enfance de 1944 », dans Renée Joyal (dir.), L’évolution de la protection de l’enfance au Québec : des origines à nos jours, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2000, p. 133.
47. Rédigé par de nombreuses personnalités publiques et politiques, dont Esdras Minville, le Dr Philippe Hamel et René Chaloult, des figures de proue dans la lutte contre les trusts, ce manifeste préconise une intervention de l’État sous le signe d’un « corporatisme davantage social que politique ». Il souligne d’ailleurs la nécessité urgente de « [l]utter tout spécialement contre le trust de l’électricité » et d’« [o]rganiser la concurrence [dans le domaine de l’électricité] par la création d’une commission provinciale hydro-électrique [sic] qui aménagerait, au fur et à mesure des besoins, les chutes non encore concédées ainsi que les chutes concédées mais non exploitées ». Voir : Esdras Minville et al., « Le Programme de restauration sociale (Novembre 1933) », dans Yvan Lamonde et Claude Corbo, Le rouge et le bleu : une anthologie de la pensée politique au Québec de la Conquête à la Révolution tranquille, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1999, p. 400-406.
48. Devant les pressions de la coalition du « Programme de restauration sociale » et devant les critiques et exacerbations d’une partie non négligeable de la population de l’île de Montréal, le gouvernement Taschereau met sur pied la Commission de l’électricité. Dirigée par Ernest Lapointe, Augustin Frigon et George C. McDonald, cette commission a le devoir de se pencher sur les questions entourant la nationalisation et la municipalisation de l’électricité, les tarifs adéquats ainsi que l’électrification en milieu rural. Le rapport de la commission souligne que les tarifs d’électricité sont trop élevés dans la province et recommande la création d’un organisme de contrôle : la Commission de l’électricité, qui deviendra dès 1936, sous l’Union nationale, la Régie provinciale de l’électricité. Contrairement aux attentes du mouvement anti-trust, la commission Lapointe ne recommande pas la nationalisation des compagnies d’électricité, dont la MLHP, ce qui permet certainement aux responsables politiques du gouvernement Taschereau de justifier leur inaction en ce domaine. Voir : Ernest Lapointe, Augustin Frigon et George C. McDonald, Rapport de la Commission de l’Électricité (Commission Lapointe) de la province de Québec au Premier ministre de la province, 21 janvier 1935, Québec, s.é., 1935. Voir aussi : Clarence Hogue, André Bolduc et Daniel Larouche, Québec, un siècle d’électricité., Montréal, Libre Expression, 1984, p. 112-115; Gilles Gallichan, « De la Montreal Light, Heat and Power à Hydro-Québec », dans Yves Bélanger et Robert Comeau, Hydro-Québec : Autres temps, autres défis, Québec, Presses de l’Université du Québec, 1995, p. 63-70.
49. En 1937, quelque temps après sa victoire électorale, M. Duplessis propose la création du Syndicat national de l’électricité, une compagnie publique chargée de construire des centrales électriques en Abitibi. Les interventions du Syndicat national de l’électricité se limitant à l’Abitibi et au Témiscamingue, plusieurs observateurs estiment que M. Duplessis a abandonné sa promesse électorale et qu’il a ainsi relégué aux oubliettes la création d’une commission hydroélectrique provinciale faisant directement concurrence aux trusts de l’électricité. Voir : Archives de l’Université Laval (AUL), Fonds de Philippe Hamel (P160), H.12 : C. L’H., « Au jour le jour : le discours du Trône à Québec », Le Droit, 27 février 1937; AUL, P160, H.12 : « M. Layton et la question de l’Hydro », L’Action catholique, 3 mars 1937; AUL, P160, H.12 : « Cette initiative d’étatisation », L’Événement, 8 mars 1937.
50. Selon La Patrie du 24 mars, tous les libéraux applaudissent, à l’exception de Georges Carlyle Marler et de Thomas Guerin. Si Guerin appuie par la suite le projet de loi (30 mars), Marler se prononce contre la loi qui favorise « la propriété publique » (29 mars). Joseph LaVergne, « Le bill de l’hydro est adopté en 1ere lecture », La Patrie, 24 mars 1944, p. 12.
51. L’estimation préliminaire du ministre Hamel est la suivante : 150 000 000 $ pour l’expropriation et 10 000 000 $ pour l’électrification rurale. (28 mars)
52. Le 14 avril, le Dr Philippe Hamel dénonce la loi d’Hydro-Québec sur les ondes radiophoniques. Voir : R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome 41, p. 57. Voir aussi J.-G. Genest, Godbout…, p. 266.
53. P.-A. Linteau, R. Durocher, J.-C. Robert et F. Ricard, Histoire du Québec contemporain…, p. 38-39.
54. Robert Rumilly commente en ces termes la situation discriminatoire qui représente en fait un terreau fertile à la contestation de cette situation : « La situation entretenue dans l’armée – malgré les belles promesses de feu Ernest Lapointe –, dans l’administration fédérale et dans l’industrie de guerre était proprement révoltante. Les Canadiens français comptaient 10 hauts fonctionnaires sur 204 au ministère des Munitions et des Approvisionnements, 0 sur 10 au bureau de l’auditeur général, 0 sur 10 à la Commission du blé, 0 sur 12 au ministère des Finances. Les postes élevés leur paraissaient fermés, dans toutes les entreprises fédérales, jusque dans la province de Québec. Le dépôt de Longueuil, où défilaient 80 pour cent de Canadiens français parmi les conscrits, comptait plusieurs Juifs, dont le colonel, mais ne comptait pas de Canadiens français parmi ses officiers. Les immenses usines Bouchard, exploitées par la Defense Industries, avec contrats et mise de fonds de l’État, près de Sainte-Thérèse, offraient une part dérisoire aux Canadiens français dans les postes supérieurs. Cette part fut encore réduite, au profit d’Ontariens et de Manitobains mis à pied dans des usines fermées. Des Canadiens français furent congédiés. Le Bloc populaire dénonça ce scandale, dans une assemblée tenue à Saint-Jérôme, puis dans plusieurs causeries radiodiffusées. ». Voir : R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome 41, p. 46.
55. Voir José E. Igartua, The Other Quiet Revolution : National Identities in English Canada, 1945-71, Vancouver, UBC Press, 2006.
56. En janvier 1944, Lord Halifax, ambassadeur britannique aux États-Unis, se rend à Toronto et fait des déclarations dans le but, entre autres, d’influencer la politique extérieure canadienne. Souhaitant un rapprochement entre tous les dominions de l’Empire britannique, il propose que ces derniers s’engagent à poursuivre l’application d’une politique internationale qui viserait à aider l’Empire britannique à demeurer, dans l’après-guerre, sur un même pied d’égalité avec les États-Unis et l’U.R.S.S. Voir, entre autres, Henri St-Pierre, « Jewish Refugee Charge Renewed by Duplessis », The Montreal Daily Star, 17 février 1944, p. 6; « Assembly Hits "Imperialism" », The Gazette, 17 février 1944, p. 1.
57. Robert Rumilly établit le lien entre ce débat québécois sur les manuels d’histoire et celui similaire qui fait rage à Ottawa où le sénateur Athanase David présente « une motion souhaitant la rédaction d’un manuel d’histoire uniforme pour tout le pays ». Voir : R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome 41, p. 68-69. Un débat semblable a également lieu le 29 avril 1943 à l’Assemblée législative du Québec. Dans ses mémoires, T.-D. Bouchard traite de ce débat sénatorial où, en guise d’appui à David, il a livré un discours enflammé teinté d’anti-cléricalisme. Ce discours lui a valu les critiques des nationalistes canadiens-français et du clergé catholique. Il a été la cause principale de sa destitution comme président d’Hydro-Québec, en juin 1944. Voir : Télesphore-Damien Bouchard, Mémoires, vol. III, Montréal, Éditions Beauchemin, 1960, p. 171-178.
58. À Sainte-Claire de Dorchester, Duplessis « lit un document, d’après lequel une association juive internationale projette de financer la prochaine campagne fédérale des libéraux, moyennant la promesse d’établir cent mille réfugiés juifs sur des fermes de la province de Québec ». Voir : R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome 40, p. 269. Par la suite, Duplessis s’est souvent fait demander le document en question, sans jamais le fournir à qui que ce soit. Tout au long du débat sur l’immigration, Duplessis soutient que le document en question est authentique, ce qui s’avère finalement faux. Rumilly relate cette bévue, planifiée ou non : « C’est un obscur organisateur qui avait remis à Duplessis le document accusateur. Duplessis n’est pas facile à tromper, mais le texte était si bien forgé et cadrait si bien avec la situation d’ensemble – avec la propagande de la sénatrice Wilson en particulier – que le Trifluvien s’est laissé prendre. Il sera doublement circonspect à l’avenir. Le projet précis dénoncé par Duplessis n’existe pas, mais l’intention d’attirer des immigrants juifs et britanniques au Canada n’est pas imaginaire. La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, où le notaire Fréchette cède la présidence à Roger Duhamel, réitère, à son congrès du 25 novembre (1943), son opposition à l’immigration des réfugiés politiques. » R. Rumilly, Maurice Duplessis, tome 1, p. 658.
59. R. Chaloult fait notamment référence à Stephen Leacock, l’humoriste le plus connu du monde anglophone entre 1915 et 1925, devenu historien et spécialiste d’économie politique. Selon Chaloult, Leacock travaille à « conserver un Canada "britannique" ».
60. Pour de plus amples informations sur la Commission d’embellissement et sur son abolition par le gouvernement Duplessis quelques mois plus tard, en 1944, voir : Christian Blais, Gilles Gallichan, Frédéric Lemieux et Jocelyn Saint-Pierre, Québec : quatre siècles d’une capitale, Québec, Les publications du Québec, 2008, p. 443-445.
61. Voir bill 83, débats de l’Assemblée législative de 1939.
62. Selon Robert Rumilly, « [l]es comtés du Témiscamingue et de l’Abitibi, remaniés, forment désormais quatre circonscriptions : Témiscamingue, Rouyn-Noranda, Abitibi-Est, Abitibi-Ouest. Le district électoral de Châteauguay renaît dans ces anciennes limites. Richelieu et Verchères, Kamouraska et Rivière-du-Loup, sont de nouveau séparés. » Voir : R. Rumilly, Histoire de la province de Québec, tome 41, p. 69.
63. L’ancien chef de la police provinciale, Louis Jargailles, devient d’ailleurs l’objet de railleries alors que Duplessis s’amuse à utiliser son nom dans un contexte plutôt péjoratif : il emploie l’expression « tout s’est fait à la Jargailles » (14 mars) pour dire que tout s’est fait d’une façon malhonnête.
64. Pour de plus amples informations sur la Tribune de la presse, voir : Jocelyn Saint-Pierre, Histoire de la Tribune de la presse, 1871-1959, Montréal, VLB éditeur, 2007, 319 p.
65. Concernant les membres de la Tribune de la presse en 1944, voir Les membres de la Tribune de la presse : liste chronologique (1871-1989), Québec, Bibliothèque de l’Assemblée nationale, 1990, Bibliographie et documentation, no 34.
66. En ce qui a trait aux pools de journalistes, voir : J. Saint-Pierre, Les membres de la Tribune…, p. 95-101.
67. « La session provinciale », Le Devoir, 14 janvier 1944, p. 1.
68. Voir J. Saint-Pierre qui aborde ce problème de l’acoustique déficiente dans Les membres de la Tribune…, p. 7.