Par Gilles Gallichan
Le Québec, le Canada et la Seconde Guerre mondiale
Entre la
prorogation de la session de 1939, le 28 avril 1939, et celle de la
session suivante le 22 juin 1940, le Québec et le Canada traversent une
des périodes les plus troublées de leur histoire et sont entraînés dans la
grande tourmente de la Seconde Guerre mondiale. En un an, du printemps 1939 à
l’été 1940, le conflit mondial ébranle les bases de la civilisation occidentale
en Europe, provoque, en Amérique, un choc des consciences et marque la fin de
la grande crise économique des années 1930.
À la suite d’une
tumultueuse campagne électorale, le Québec se donne un nouveau gouvernement qui
annonce un programme de réformes. La session de 1940, qui se déroule de février
à juin, apparaît d’une importance particulière dans l’histoire parlementaire du
Québec. Au milieu d’échanges parfois violents sur fond de campagnes électorales
québécoise et fédérale et de règlements de comptes politiques, le Québec fait
d’importantes avancées législatives, tel le droit de vote des femmes et, avec
l’invasion de la France (mai-juin 1940), assiste en témoin impuissant à l’une
des pages les plus dramatiques de l’histoire de la guerre.
Au printemps
1939, la capitale québécoise ne songe pas encore à la guerre, mais pavoise pour
un grand événement qui veut marquer les mémoires.
La tournée royale
Première
historique en des temps troublés où l’orage gronde : le roi George VI et
la reine Elizabeth ont accepté l’invitation du Canada à effectuer la première
visite officielle d’un roi en son « dominion » canadien. Les
souverains arrivent à Québec, à bord de l’Empress of Australia, par un
beau jour de printemps, le 17 mai 1939.
Au-delà de
l’enthousiasme qui gagne le public, quelques voix expriment des réserves,
devinant la propagande impérialiste qui souhaite que ce voyage « cimente
davantage les liens de l’Empire », selon les mots du premier ministre
britannique Neville Chamberlain1.
À la veille d’un conflit appréhendé avec l’Allemagne, ces propos remettent en
question l’indépendance du Canada, chère aux nationalistes.
Le voyage
représente pourtant un authentique succès et les foules se pressent pour
apercevoir le couple royal qui parcourt le Canada en train. George VI et Elizabeth
prononcent plusieurs discours en français, au Québec comme ailleurs, ce qui,
dit-on dans les journaux francophones, consacre le caractère bilingue de
tout le Canada.
À Québec, le
premier ministre, Maurice Duplessis, et le lieutenant-gouverneur, Ésioff-Léon
Patenaude, accueillent les souverains dans la capitale. Le roi est reçu à
l’hôtel du Parlement et un grand banquet est servi au Château Frontenac. À
l’ouverture de la session de 1940, on se félicitera que la province de Québec
ait rivalisé d’enthousiasme avec toutes les autres provinces du dominion dans
l’accueil réservé à Leurs Majestés.
Au cours du même
voyage, le roi et la reine ne manquent pas de se rendre à Washington pour
saluer le président Franklin Delano Roosevelt et de renforcer les liens entre
les deux pays. Si la Grande-Bretagne se trouve en guerre, elle aura non
seulement besoin du Canada, mais aussi de la puissance étatsunienne. Il convient
donc de cultiver l’amitié anglo-américaine2.
L’Église triomphante
Après le succès
du Congrès eucharistique national de 1938, le cardinal Jean-Marie-Rodrigue Villeneuve
est de nouveau la grande figure religieuse du Canada français, en 1939. En
février, il est appelé à participer au conclave qui élit au trône de saint
Pierre le pape Pie XII. En juin, il est nommé légat papal aux fêtes
commémoratives dédiées au souvenir de Jeanne d’Arc, à Domrémy en France. C’est
la première fois qu’un prélat québécois représente le Saint-Siège hors du
Canada. Cet honneur insigne touche la fierté canadienne-française et on ne
manquera pas de le rappeler à l’Assemblée législative en 1940.
Le cardinal
Villeneuve n’a pas ses entrées qu’à Rome. L’importance de l’archevêque de
Québec se fait discrètement sentir à bien des niveaux. Ainsi, le 15 novembre
1939, il est reçu à Washington, à la Maison Blanche,
par le président Roosevelt. Un honneur que bien des hommes politiques canadiens
pouvaient lui envier.
À cette époque,
l’Église québécoise est à l’apogée de son rayonnement social. Une manifestation
mémorable se déroule à Montréal, au stade Jarry, le 23 juillet 1939. Il
s’agit du mariage collectif de 105 couples de la Jeunesse ouvrière catholique
(JOC). Ce rassemblement souligne la doctrine de l’Église dans le domaine de la
famille et du travail et témoigne de l’action du clergé au cœur de la société québécoise.
À l’archevêché de Montréal, un changement de la garde s’opère; Mgr Georges
Gauthier succède officiellement à Mgr Paul Bruchési, qui décède après une
longue maladie, le 20 septembre 1939. Usé par l’âge et par le travail, le
nouvel archevêque meurt à son tour en août 1940; il sera remplacé par Mgr Joseph
Charbonneau.
Une autre
occasion rappelle le sceau de l’Église catholique sur le Canada français. En
août 1939, on souligne, à Québec, le tricentenaire de l’arrivée des premières
missionnaires religieuses de la Nouvelle-France : les Ursulines, qui ont
fondé la première maison d’enseignement pour filles à Québec, et les
Hospitalières, qui établissent le premier hôpital en Amérique du Nord en 1639.
Le réalignement politique
Cet été-là,
la politique ne prend pas de vacances. En juillet 1939, plusieurs dissidents de
l’Union nationale viennent grossir les rangs du Parti libéral d’Adélard
Godbout. Oscar Drouin, François Leduc, René Chaloult, tous élus sous la bannière
unioniste en 1936, annoncent qu’ils se réclament à présent de l’étendard
libéral. Ainsi, plusieurs, qui avaient déserté le Parti libéral de Louis-Alexandre
Taschereau, en 1935, pour s’allier avec Paul Gouin dans l’Action libérale
nationale (ALN) et qui, en 1936, avaient joint les rangs de l’Union nationale
de Duplessis, se retrouvent de nouveau dans la mouvance libérale.
Ces ralliements
annoncés donnent de l’élan à l’opposition officielle et dégarnissent les
rangs des tiers partis, comme le
Parti national et l’ALN. Adélard Godbout, chef du Parti libéral, et
T.-D. Bouchard, chef de l’opposition
parlementaire, font des tournées dans les régions du Québec3. Ils
prononcent des conférences à la radio pour faire connaître leur programme et
critiquent le gouvernement Duplessis. Pourtant, rien à ce moment ne laisse
présager des élections hâtives.
De son côté,
Paul Gouin, toujours à la tête de l’ALN, tente difficilement de maintenir une
troisième option à l’électorat en renvoyant dos à dos les « vieux partis ».
Il soutient son programme de restauration économique « anti-trust »
et se veut une force de résistance plus efficace que l’Union nationale contre
la centralisation fédérale4.
La guerre et les élections
générales au Québec (septembre-octobre 1939)
Pendant toute l’année 1939,
l’actualité parle du port Dantzig et de son corridor, donné à la Pologne, en 1919, à même le
territoire de la Prusse orientale. Hitler en fait un enjeu de sa politique de
réunification du Reich.
Cette mince bande de territoire sera comparée par certains à une allumette capable d’embraser toute
l’Europe. En août, à la surprise générale, l’Allemagne et l’URSS signent un pacte de non-agression mutuelle, ce qui rend
la Pologne vulnérable à une double invasion sur ses frontières. Dès lors, la France et la Grande-Bretagne, alliées de la
Pologne et qui ont déjà accepté bien des compromis face à Hitler,
devront cette fois intervenir contre ce nouveau partage.
Le 1er septembre
1939, c’est l’invasion nazie et la mobilisation générale alliée. La guerre est
déclenchée. À Ottawa, Mackenzie King convoque le Parlement pour le 7 septembre
1939. La grande question se pose de nouveau : le Canada doit-il
automatiquement entrer en guerre si la Grande-Bretagne s’engage dans un conflit?
Peut-on être loyal envers la Couronne sans aller « mourir pour
Dantzig5 »?
En Amérique,
tant au nord qu’au sud, l’opinion publique ne souhaite pas intervenir dans ce
conflit européen. À Panama, le 3 octobre 1939, la conférence
interaméricaine proclamera la neutralité des 21 républiques des Amériques
et réclame la sécurité de ses eaux territoriales. Au Canada, la perception est
différente. Si le Québec est au diapason des Amériques sur ce point, le Canada
anglais souhaite une participation active et totale du pays à la guerre. Le 10 septembre
1939, la déclaration de guerre du Canada à l’Allemagne est annoncée. On voit se
redessiner à l’horizon le spectre de la crise de la conscription de 1917.
Au Québec, le
premier ministre Duplessis prend des mesures de sécurité avec la Sûreté
provinciale et active sa fameuse « loi du cadenas » pour contrer
toute propagande communiste ou nazie. Duplessis se méfie par-dessus tout des
libéraux d’Ottawa, qui peuvent gêner ses emprunts sur le marché américain et
profiter du contexte de la guerre pour centraliser les pouvoirs au gouvernement
fédéral. Il sent la nécessité d’agir vite, de surprendre ses adversaires et
d’aller chercher un mandat « de guerre » pour protéger l’autonomie
provinciale contre les appétits d’Ottawa. Le 24 septembre 1939, le
Parlement québécois est dissout et on appelle des élections générales pour le
25 octobre 1939.
Adélard Godbout
souhaite faire une campagne sur le bilan de l’administration Duplessis, mais le
contexte de la guerre donne au scrutin une portée plus large. Ernest Lapointe,
ministre fédéral de la Justice et bras droit de Mackenzie King, intervient pour
faire de ces élections un plébiscite au Québec sur la politique du gouvernement
libéral à propos de la guerre. Avec le ministre des Travaux publics, Arthur
Cardin, et celui des Postes, Charles Power, aidés du respecté sénateur Raoul
Dandurand, Lapointe présente le Parti libéral comme le seul rempart pouvant
empêcher une nouvelle conscription pour le service obligatoire outre-mer. Advenant
une réélection de Duplessis, il laisse planer la menace d’une démission des ministres
québécois au sein du Cabinet fédéral, ce qui ouvrirait la porte aux tendances
impérialistes et « conscriptionnistes » actives au Canada anglais. « Un
verdict en faveur de Monsieur Duplessis serait un verdict contre nous »,
déclare-t-il6.
Les libéraux,
tant provinciaux que fédéraux, s’engagent à ne jamais soutenir et même à combattre
un gouvernement qui imposerait la conscription au pays. Associant l’Union
nationale aux conservateurs, on peut laisser entendre qu’un vote pour les « bleus »
serait un vote en faveur de la guerre et de la conscription. On parle même
d’une éventuelle dévaluation du dollar, qui pourrait signifier la banqueroute
pour le Québec, dont une majorité des emprunts publics ont été transigés sur
les marchés américains.
De son côté, Duplessis
se présente comme le champion de l’autonomie, dénonce Godbout comme la créature
de Lapointe et repousse le « chantage » auquel le ministre de la
Justice soumet la province.
À cette époque, la radio est devenue le grand médium de masse; mais, depuis le début de la guerre, un comité fédéral de censure examine tout ce qui est mis
en ondes7.
Duplessis refuse de se plier à ce dictat, alors que, dit-il, la Société
Radio-Canada diffuse sur ses ondes des discours du Führer avec traduction
simultanée, à titre d’information. L’Union nationale se prive ainsi d’un canal
de diffusion et laisse le terrain à ses adversaires. Les assemblées publiques
de Duplessis sont néanmoins courues par des foules de sympathisants.
Cette question
de la censure radiophonique rebondira pendant la session de 1940. Duplessis
demandera copie des correspondances échangées entre le premier ministre et le
gouvernement fédéral concernant la radio et la radiodiffusion, ce qui fera
l’objet d’un long débat. (24 avril 1940)
Au soir du 25 octobre
1939, l’Union nationale est chassée du pouvoir et
la répartition des 86 sièges à l'Assemblée législative est la suivante : Adélard Godbout accède au gouvernement avec une cohorte de 70 élus libéraux, l’opposition
conserve 15 sièges, et un élu est indépendant, le maire de
Montréal, Camillien Houde, réélu dans
Montréal-Sainte-Marie, mais en rupture de ban avec Maurice Duplessis.
Quant à l’ALN, elle ne fait élire aucun de ses candidats.
À l'ouverture de
la session, le 20 février 1940, le gouvernement ne compte plus que
69 députés libéraux dans ses rangs. Athanase David, député libéral de
Terrebonne, est nommé sénateur de la division de Sorel, le 9 février 1940.
Son siège demeurera vacant tout au long de la session, ce qui fera l'objet d'un
long débat lors de l'étude du bill 83 ayant pour but d'ajourner la tenue
d'élections partielles, à cause de la guerre, jusqu'à la prochaine législature.
(20 juin 1940)
Vingt-six des nouveaux
députés ministériels sont d’anciennes figures élues avant 1935. Cela fait dire
à certains que le régime Taschereau est rentré en grâce. La victoire libérale
est d’ailleurs interprétée différemment par les uns et les autres. Certains y
voient la fin de l’autonomie provinciale, une victoire de King et de Lapointe, et
même un encouragement du Québec à une participation plus active à la guerre.
D’autres, au contraire, se chargent de rappeler aux libéraux leurs promesses
solennelles envers le Québec qui accepte une participation volontaire et
modérée à la guerre8.
Le discours du trône : une première session de guerre
Le 30 décembre
1939, Spencer Wood reçoit de nouveaux châtelains; Sir Eugène et Lady Fiset ont
remplacé l’honorable Patenaude. Fiset, médecin chirurgien militaire, est un vétéran
de la guerre des Boers et de la Grande Guerre de 1914. Choisi en raison de ses
éminents services, il incarne
bien l’esprit militaire de cette époque. Aussi, l’ouverture de la session de
1940 se fait-elle en termes sobres, comme il convient en temps de guerre
et de restrictions. Le Canada parle d’une cérémonie d’une grande
simplicité qui s’est déroulée dans une « atmosphère sereine et empreinte
de dignité9 »
dans la capitale. Parmi les invités, on ne manque pas de signaler la présence
de l’ancien premier ministre Louis-Alexandre Taschereau.
Du côté des
députés unionistes, cette rentrée parlementaire prend un parfum d’humiliation
que l’énergie du chef vient cependant atténuer. Dans ses Mémoires,
Antonio Barrette se souvient avec amertume de cette rentrée :
Le jour de
l’ouverture de la première session après notre défaite, le 20 février [1940],
nous étions au complet dans le bureau du chef de l’opposition, lorsqu’on sonna
le deuxième coup de cloche appelant les députés à l’Assemblée législative.
Maurice Duplessis se leva, comme quelqu’un qui vient de prendre une grande
décision en disant : « Il faut y aller. » Il était résolu et
marchait d’un pas assuré et vif. Nous longions le mur du corridor, à la file
indienne, en rencontrant tous les ministres et députés libéraux, fleuris de rouge,
joyeux et confiants.
Nous étions
les vaincus, les restes de la grande armée : lentement, nous fîmes notre
entrée dans l’Assemblée législative. Nous étions décimés, nous étions devenus
des objets de curiosité10.
Une nouvelle
législature impose aussi l’élection d’un nouvel Orateur ou Président de la
Chambre. On avait d’abord songé pour ce poste à l’honorable Athanase David, élu
dans Terrebonne, mais celui-ci a démissionné pour accepter un siège au
Sénat canadien. Le premier ministre Godbout a porté son choix sur Bernard
Bissonnette, un constitutionnaliste éminent, élu dans L’Assomption et fils d’un
ancien député de Montcalm. Désigner un nouveau député sans expérience
parlementaire à ce poste représente un défi que le nouveau président relèvera
avec tact et compétence. Il rencontre son
véritable baptême du feu, lors des séances des 13 et 14 mars 1940, où
de nombreux points d’ordre sont soulevés. Le président Bissonnette explique
souvent le détail de ses décisions, manifestant sa très bonne connaissance du Règlement,
de la jurisprudence et des bases et principes du droit parlementaire.
Le discours du
trône résume les faits d’actualité. On évoque bien entendu la visite royale et
la mort récente du gouverneur général, lord Tweedsmuir. En effet, quelques jours
auparavant, les Canadiens, en général, et les Québécois, en particulier, ont
appris avec surprise et émotion la mort accidentelle du gouverneur général du
Canada (11 février 1940)11.
Lord Tweedsmuir surprenait par la grande sympathie qu’il entretenait envers les
Canadiens français. Son respect de la langue française, son pacifisme, sa
compréhension pour les Canadiens qui faisaient passer la loyauté envers le
Canada avant celle due à l’Empire pouvaient choquer les uns, mais confortaient
les autres.
Le discours du
trône évoque aussi le départ du lieutenant-gouverneur Patenaude, les honneurs
du cardinal légat et, bien sûr, la guerre, pour laquelle le Québec « fait
noblement sa part », dit le texte du discours. Le programme législatif
s’annonce chargé : le nouveau gouvernement veut des réformes dans
l’économie, le travail, l’éducation et la santé.
Prémices des
temps difficiles qui s’annoncent, pendant la lecture du discours du trône par
l’Orateur de l’Assemblée, une panne d’électricité plonge l’hôtel du Parlement
dans la pénombre d’un demi-jour de février. On ouvre les persiennes pour faire
entrer un peu de lumière et permettre la suite des procédures.
Les acteurs de 1940
En 1940, les
Québécois découvrent leur nouveau premier ministre qui siège pour la première
fois à ce titre à l’Assemblée législative. Adélard Godbout se révèle très
habile parlementaire et bon orateur12.
Contrairement à son adversaire, il laisse beaucoup de latitude à ses ministres.
Comme il n’est pas juriste, il ne peut cumuler le poste de chef de gouvernement
et de procureur général, comme l’ont fait plusieurs de ses prédécesseurs. C’est
Wilfrid Girouard qui remplit cette fonction. Le premier ministre, agronome de
profession, se réserve les postes de ministre de l’Agriculture et de la Colonisation.
À l’Assemblée, le
nouveau chef du gouvernement dresse un triste bilan du régime précédent. L’œuvre
de l’Union nationale? « Un monument de turpitudes », déclare-t-il
(27 février 1940). Il critique les désordres des débats et procédures et
l’improvisation de la gestion de l’État. L’administration libérale a « un
esprit et un but », et elle veut restaurer la dignité du seul Parlement
francophone d’Amérique, ajoute-t-il.
Pour Maurice
Duplessis, le nouveau chef de l’opposition que plusieurs appellent encore par
mégarde « le premier ministre », la session est l’occasion de
justifier ses politiques, de répondre à ses adversaires et d’attaquer les
initiatives libérales. Toujours pugnace, il ne cède pas malgré sa défaite
d’octobre et lance crânement ses critiques au gouvernement13. Son leitmotiv est « J’avais raison »!
Même ses lois les plus contestées étaient, selon lui, légitimes et nécessaires.
Il n’exprime aucun regret et justifie chacune de ses mesures dans le contexte
de la crise.
T.-D. Bouchard
qui a connu, sous le régime précédent, les « froides régions de l’opposition »
est maintenant le numéro deux du gouvernement. Avec d’autres témoins libéraux
des sessions précédentes, il fait régulièrement, dans ses discours et ses
interventions, le procès de l’administration unioniste et du style de
gouvernement de Maurice Duplessis. Même les fleurons de son administration que
sont le Jardin botanique de Montréal et le parc de l’île Sainte-Hélène sont à
ses yeux de bonnes choses mal faites, en ce qu’elles ont coûté beaucoup trop
cher à la province.
Oscar Drouin,
dissident du Parti libéral en 1935, puis dissident de l’Union nationale en 1937,
a accédé au Cabinet libéral à titre de ministre des Affaires municipales et de
l’Industrie et du Commerce. Il se sent plus à l’aise sous la férule de Godbout
que sous celle du « chef », tout comme René Chaloult, également, que
Duplessis avait voué aux orties en supprimant son comté de Kamouraska, et qui
revient à l’Assemblée du côté ministériel, élu par les citoyens de Lotbinière.
Chaloult harcèle
le chef de l’opposition comme une mauvaise conscience, lui rappelant toujours
ses compromis et ses compromissions, voire ses abandons, à propos de ses
promesses électorales et de son programme de restauration nationale de 1936. Toujours
indépendant, il déclare s’inspirer d’Honoré Mercier et d’Henri Bourassa et
souhaite coopérer avec les libéraux à la réalisation de ses idées nationales14.
Camillien Houde,
réélu comme conservateur indépendant, fait son dernier tour de piste sur la
scène nationale. Il est profondément touché par la mise en tutelle de sa ville
acculée à la banqueroute. Son poste de maire lui semble vidé de sa substance. Quelques
semaines après la session, ses appels à la désobéissance civile contre le
registre d’enregistrement des hommes mobilisables le conduiront en prison pour
toute la durée de la guerre.
Les principales
figures de l’opposition sont Onésime Gagnon (Matane) et Joseph-Mignault-Paul Sauvé (Deux-Montagnes). Ils savent
prendre habilement le relais de leur chef lorsque la chose est nécessaire. Gagnon
est sans doute le meilleur orateur – au sens classique du terme – au sein de
l’opposition. John Bourque, député de Sherbrooke et fidèle entre les fidèles à
son chef, prend aussi du galon pendant cette première session dans
l’opposition.
Les élections fédérales (26 mars 1940)
À Ottawa, le 25 janvier
1940, à la suite d’une session éclair de quelques heures, Mackenzie King
dissout le Parlement fédéral et appelle des élections pour le 26 mars 1940.
Le chef de l’opposition conservatrice, Robert Manion, tente de former une
coalition, comme l’avait fait Robert Borden en 1916.
À la question de
la conscription, toujours d’actualité, s’ajoute celle des lucratifs contrats de
guerre dont les libéraux veulent faire profiter le Québec. Même un conservateur
bon teint comme Camillien Houde encourage les siens à voter « du bon bord »,
pour ne pas priver Montréal et ses citoyens des retombées positives de la
guerre. Lapointe tient solidement l’organisation du parti au Québec.
L’Assemblée législative ayant ajourné ses travaux du 14 mars au 2 avril
1940 pour les célébrations pascales, plusieurs députés et ministres – et
on n’en fait pas mystère – peuvent aller prêter main-forte aux candidats
fédéraux en campagne.
Les résultats ne
causent pas de surprise. Les libéraux font élire 180 de leurs candidats, les
conservateurs n’en récoltent que 37, et les autres partis, 28. Au
Québec, les libéraux raflent 62 sièges sur 65. Plusieurs d’entre eux ont
renouvelé devant les électeurs leur engagement contre la conscription15. À la reprise des travaux, le 2 avril
1940, on remarque que plusieurs élus fédéraux sont présents à Québec pour
assister aux débats.
Les relations fédérales-provinciales
Maurice
Duplessis continue de proclamer son credo autonomiste. Le 8 mai 1940, sur
une demande de document, il fait une longue intervention sur l’autonomie
provinciale qu’il situe à la base même de la Constitution de 1867. Il redoute les
volontés centralisatrices d’Ottawa renforcées à l’occasion de la guerre et met
le gouvernement en garde contre le pouvoir fédéral.
Le premier
ministre reproche à son prédécesseur de n’avoir pas collaboré avec les
enquêteurs de la Commission
royale d’enquête sur les relations entre le dominion et les provinces (commission
Rowell-Sirois), dont on attend la publication du rapport d’un jour à l’autre.
Il considère que le Parti libéral n’a pas de leçons à recevoir pour la défense
des intérêts du Québec. En fait, les deux leaders disent s’entendre sur le fond
des choses.
René Chaloult se
réjouit que l’Assemblée législative du Québec soit unanime en faveur de la
cause nationale. Il refait à son tour l’histoire de l’autonomie provinciale
depuis Honoré Mercier et se prononce en faveur de l’abolition des appels
judiciaires au Conseil privé de Londres.
Le chef de
l’opposition n’a pas tort de craindre les visées centralisatrices du
gouvernement fédéral. Le débat à ce sujet s’est engagé en mars, pendant la
campagne électorale, et occupe de nouveau l’actualité avec la parution du rapport
tant attendu de la commission Rowell-Sirois (16 mai 1940). La parution de
cet important rapport est quelque peu éclipsée par les nouvelles de la guerre,
mais plusieurs y voient une charte de centralisation reniant l’esprit du « pacte »
confédératif de 186716.
Le rapport Rowell-Sirois
amorce un nouveau chapitre des relations constitutionnelles tumultueuses entre
le gouvernement fédéral et celui des provinces canadiennes, et en particulier
avec le Québec.
Un débat annonce
déjà les couleurs de futurs contentieux, le 29 mai 1940, quand on discute
le bill 29, qui permet aux municipalités du Québec de profiter de la loi
fédérale les autorisant à emprunter du gouvernement central à 2 % d’intérêt
pour certains projets, le gouvernement provincial garantissant le remboursement
de ces prêts. L’Union nationale avait décliné ce « cadeau » jugé
empoisonné, qui pouvait contribuer à l’érosion du pouvoir des
provinces. Oscar Drouin se fait
rassurant, car il ne veut pas priver les municipalités des avantages de
ce prêt. Le gouvernement fait preuve de confiance naïve, fulmine Duplessis,
car le droit anglais se base toujours sur les
précédents et une loi devient la consécration d’un état de choses. Au lieu de
financer les municipalités, le gouvernement fédéral devrait soutenir les
provinces pour leur permettre d’assumer cette responsabilité qui est la leur.
Les finances publiques
Une grande
nouveauté de cette session est la modification du calendrier financier et
fiscal, lequel, au lieu de se terminer le 30 juin, se terminera désormais
le 31 mars. (bill 149) L’ancienne pratique, qui remontait au XIXe siècle,
ne répondait plus aux activités de l’État moderne, notamment dans le domaine
des travaux publics. Ainsi, les travaux saisonniers de voirie se déroulant
pendant la belle saison, souvent entre avril et novembre, pourront être
comptabilisés sur un seul budget. De plus, le gouvernement fédéral, ceux de
l’Ontario, de l’Alberta, de la Colombie-Britannique et de nombreux États
américains avaient déjà ajusté leur année fiscale d’avril à mars. Il sera donc
plus facile d’établir des comparaisons comptables. Cette réforme était à
l’étude depuis 1934.
Duplessis plaide
qu’il faudra également que toutes les sociétés d’État, comme la Commission des
liqueurs, adoptent aussi cette pratique. Il croit que le calendrier
parlementaire en sera également affecté.
En pratique, le
Parlement de 1940 votera donc exceptionnellement des crédits pour une période
de neuf mois, allant du 1er juillet 1940 au 31 mars 1941.
L’opposition y voit une possibilité pour le gouvernement de jouer avec les
finances pour distraire l’opinion publique.
Les députés
attendent longtemps le premier budget du ministre Mathewson. Le trésorier
dépose son bilan le 21 mai 1940, trois mois après l’ouverture de la
session. L’opposition ne manque pas d’en faire lourdement le reproche au
gouvernement. Ce budget de trois trimestres s’élève à 85 millions de
dollars. Pour le boucler avec un léger surplus de 258 000 $, le
gouvernement doit annoncer des augmentations de taxes et d’impôts pour 12 millions
de dollars. Le ministre établit une taxe sur le tabac et une nouvelle taxe de
vente de 2 %. Mais on augmente surtout les revenus de l’État en doublant
la taxe sur les profits des entreprises, qui passe de 2,5 % à 5 %, et
en instituant un impôt sur le revenu de 17 %. C’est le seul moyen, dit-il,
de restaurer les finances du Québec. Dans une charge contre le gouvernement
Duplessis, le trésorier accuse l’Union nationale d’avoir augmenté la dette du
Québec de 209 millions de dollars, en 1936, à 420 millions de dollars,
en 1939.
Le discours
économique de René Chaloult peut surprendre. Il appelle un changement de priorités
au Québec, pour donner davantage un soutien économique et matériel aux valeurs morales
et spirituelles. Il prône des nationalisations « faites avec modération et
justice », pour s’affranchir des puissances d’argent devenues trop fortes
sur la société. Il s’insurge devant une société qui n’est pas parvenue à trouver une solution
décente à la crise, mais qui investit à présent sans compter dans
l’industrie de guerre. « On n’a pas d’argent pour vivre, dit-il,
mais on a des milliards pour tuer. » Il souhaite la fin des « dictatures
économiques », « l’État doit prendre sa place et mettre la banque à
la sienne », car « le rôle de la banque est de servir et non
d’asservir ». (28 mai 1940)
On parle aussi
de la tradition voulant que le portefeuille des finances soit presque toujours
confié à un anglophone ayant reçu l’aval des milieux financiers. William Duffy,
député libéral de Compton, apprécie au contraire cette tradition, puisque les
employés du ministère sont également des anglophones et que le temps de guerre
n’est pas propice aux changements, argue-t-il. (4 juin 1940)
En fin de
session, on adoptera les crédits, mais les événements de la guerre enlèveront
toute saveur à cette étape parlementaire. Les crédits de 1940-1941 seront
adoptés avec fort peu de questions de la part des députés.
Le rappel des lois unionistes contestées
La volonté du
gouvernement Godbout de retirer des Statuts des lois unionistes qu’il juge
nuisibles à la province soulève des passes d’armes avec l’opposition et donne à
cette session son caractère de procès en règle du gouvernement précédent.
Ainsi, le 12 mars
1940, le ministre du Travail et des Mines, Edgar Rochette, présente le bill 9
sur les ressources naturelles qui rappelle une loi de 1937. Sa présentation en
première lecture devient un réquisitoire qui fait bondir le chef de
l’opposition. Ce dernier voulant répliquer à l’attaque, il s’ensuit un débat
inusité de procédure qui oblige l’Orateur à intervenir. Le débat sur cette loi
s’annonce dur. (2 avril 1940) Les unionistes plaident qu’on voulait
limiter les appétits des compagnies étrangères à exploiter le sous-sol
québécois; les libéraux parlent de la baisse des revenus miniers que la loi de
1937 a imposée au Québec et dénoncent les « masques du nationalisme »
derrière lesquels l’ancien premier ministre a caché des « apostasies »
de la cause nationale.
Le gouvernement
rappelle aussi des dispositions des bills 19 et 20, tant décriés par
les libéraux, qui exemptaient des dispositions
générales de la loi sur les contrats de travail (bill 10) et sur les salaires raisonnables (bill 11) le gouvernement ainsi que les
entreprises engagées pour réaliser des travaux
publics. Incidemment, la « Loi des salaires raisonnables » devient
désormais la « Loi du salaire
minimum », évitant des abus d’interprétation dont les travailleurs
faisaient les frais. (bill 34)
Au discours
d’Edgar Rochette, Duplessis répond qu’il ne s’agit que de contradictions et
d’arguties. La loi du gouvernement, dit-il, ne
retire qu’un article de la loi de 1938, preuve que l’ensemble de la loi était
valable. (9-10 avril 1940) Les exceptions à la loi étaient faites
pour donner rapidement du travail aux chômeurs dans le besoin. Plusieurs
députés prennent part à ce débat, dont René Chaloult qui cherche dans la loi
unioniste une part de justice sociale. Il fait le bilan ouvrier du gouvernement
Duplessis, notamment au chapitre des grèves du textile en 1937. Il se
questionne également sur l’utilité du Conseil législatif qui a voté la loi en
1938 et qui votera maintenant son contraire.
On abroge
également une autre loi unioniste de 1939 sur la Coopérative fédérée. (bill 16)
Des réformes annoncées
Un député comme
René Chaloult contribue à développer une pensée politique à travers les actions
à venir. Selon lui, le libéralisme est naturel dans la pensée politique au
Canada français, mais non pour son volet économique qui n’est qu’une
justification de la loi du plus fort. Il souhaite la création d’un conseil
économique pour guider les choix de l’État. Il veut une commission du service
civil pour libérer les députés d’une gestion du « patronage » et
améliorer la compétence professionnelle de la fonction publique québécoise. Il
rend hommage au travail visionnaire de Philippe Hamel, qui plaide toujours une
appropriation nationale de l’hydroélectricité pour affranchir le Québec de la « dictature
économique des trusts ».
Comme le premier
ministre Godbout, il appelle de ses vœux un corporatisme soutenu par l’État,
selon les doctrines énoncées par le pape Pie XI, pour trouver une issue à
la grande crise économique. On considère alors le corporatisme comme une
réponse aux abus de la démocratie et du libéralisme économique.
Une modification
à la loi électorale (bill 17) soulève un débat sur une question toujours
sensible et qui se termine par une bataille de points d’ordre. (30 mai
1940)
Éducation
Le discours sur
l’éducation n’est pas dominant pendant cette session, sauf à propos du dossier
de l’Université de Montréal. Le secrétaire provincial, Henri Groulx, présente
le bill 49 sur l’Université pour régler les difficultés de l’institution
qui attend toujours l’achèvement de son nouvel édifice du Mont-Royal. Le
premier ministre Godbout dénonce la situation misérable de l’université et de
son personnel. Il décide que ce dossier sera prioritaire pour son gouvernement
au cours de son mandat.
Le 28 mai
1940, René Chaloult souligne les carences de l’éducation au Québec,
laquelle entretient des mentalités de colonisés
et ne nourrit que des ambitions subalternes. Il critique vertement le Conseil
de l’instruction publique et prône une réforme de l’éducation dans son
financement et dans ses structures. La main-d’œuvre canadienne-française
perpétue la misère et ne fournit que des armées de « nègres blancs »
qui travaillent pour des salaires de famine, dit-il.
Même si son
discours répète parfois des poncifs traditionalistes et conservateurs sur
l’agriculture et la mission catholique du Canada français, force est de reconnaître
au député de Lotbinière une vision claire et juste des faiblesses de
l’éducation nationale. La réforme qu’il appelle de ses vœux en 1940 ne se
réalisera que 25 ans plus tard.
Le débat à
propos du salaire minimum ramène la question du revenu des instituteurs.
Duplessis et Godbout se disputent pour savoir qui, des unionistes ou des
libéraux, a le plus contribué à l’amélioration du sort des institutrices
rurales. (11 juin 1940)
Travail
Dans le domaine
du travail, on peut signaler la création d’un Conseil supérieur du Travail. (bill 22)
L’initiative québécoise s’inspire de ce qui a été fait en ce domaine en France,
en Belgique et aux Pays-Bas. Une autre promesse de l’Union nationale que le
Parti libéral réalise, déclare René Chaloult. C’est une institution inutile, de
la poudre aux yeux, réplique Duplessis.
Justice et tribunaux
Le procureur général, Wilfrid Girouard, présente, le 9 avril
1940, le bill 15 sur les cours juvéniles. Le gouvernement désire améliorer
la réhabilitation des jeunes délinquants et éviter de les considérer sur le
même pied que les criminels adultes. Les juges, déclare le ministre, doivent
prendre en considération la pauvreté matérielle et morale et la misère humaine
qui poussent les jeunes vers le crime. Il
procède aussi à une réforme des tribunaux judiciaires, faisant passer
de 21 à 25 le nombre de
magistrats, pour desservir plus adéquatement les régions plus éloignées. (bill 32)
L’affaire Piuze-Jargailles
Plusieurs destitutions
ont suivi l’arrivée de la nouvelle administration à Québec. T.-D.
Bouchard répète que les sous-sols du parlement étaient encombrés de
fonctionnaires inutiles, engagés par pur patronage par l’Union nationale. On
opère aussi des changements à différents niveaux de l’administration. Le commissaire
de la Sûreté provinciale, le lieutenant-colonel P.-A. Piuze, est nommé
commissaire inspecteur des prisons et son poste est donné à Louis Jargailles,
qui occupait ce poste avant 1936.
Onésime Gagnon
lance l’affaire à la séance du 28 février 1940; et le 30 avril 1940,
à l’occasion du débat sur le bill 23 sur la Sûreté provinciale et la
police des liqueurs, Maurice Duplessis dénonce le renvoi de Piuze et le retour
de Jargailles, considérant ce dernier comme un individu louche ayant des
accointances avec les milieux criminels de la métropole. T.-D. Bouchard
défend la réputation de Jargailles, demandant à Duplessis, ancien procureur
général, pourquoi il ne l’a pas mis en accusation, entre 1936 et 1939, s’il
était si compromis. Pour les libéraux, Jargailles est une victime du régime
unioniste.
Ce débat sur
l’intégrité de Louis Jargailles et sur le renvoi du lieutenant-colonel Piuze
sera constamment ranimé par Duplessis au cours des séances suivantes. Une
brochure anonyme circule même pour dénoncer l’ingérence politique dans
l’administration policière et municipale à Montréal17. L’animosité partisane autour de
cette affaire nourrira la chronique politique pendant encore de nombreuses
années18.
Le droit de vote des femmes
La grande
réforme, qui inscrit la session de 1940 dans l’histoire du Québec, est sans
doute l’insertion dans les Statuts du bill 18 accordant le droit de
suffrage et d’éligibilité aux Québécoises. Depuis 20 ans, le mouvement des
suffragettes avait pris de l’ampleur avec l’action de femmes énergiques comme
Marie Gérin-Lajoie, Thérèse Forget-Casgrain et Idola Saint-Jean. Depuis 1922,
de nombreux projets de loi avaient été rejetés d’un haussement d’épaules par
l’Assemblée, souvent avec un mépris qui manquait d’élégance. Ministériels et
oppositionnistes s’entendaient en majorité pour refuser aux femmes l’exercice de
leurs droits politiques.
Depuis
l’inscription du projet au programme libéral en 1938, l’affaire est prise au
sérieux et Godbout entend bien tenir parole sur ce point. Le temps de cette
réforme est venu; le Québec est le dernier bastion au Canada qui résiste
encore sous la pression de l’Église catholique. Bien des femmes attendent
l’aboutissement de leurs efforts et, en apprenant l’inscription du bill à l’ordre
du jour de l’Assemblée, des centaines de femmes réclament des cartes pour
assister aux débats. Le 11 avril 1940, le premier ministre prononce un
discours historique sur le principe de cette loi. Il accrédite l’idée qu’il a
mis son poste en jeu pour convaincre les autorités religieuses et il souhaite
l’unanimité de la Chambre sur cette question.
Albany Paquette
et Maurice Duplessis ne manquent pas de rappeler que le premier ministre a
naguère voté contre le droit de vote des femmes et que des libéraux reconnus,
tels Wilfrid Laurier, Rodolphe Lemieux ou Ernest Lapointe, ont combattu ce
principe. Justement, répond Godbout, les temps ont changé et la société
québécoise est maintenant prête à faire une place aux femmes.
Malgré
l’opposition des unionistes – qui ne sont pas unanimes sur ce point –
et un dernier baroud de résistance au Conseil législatif, la loi est adoptée le
18 avril et sanctionnée le 25 avril 1940. Il faudra néanmoins
attendre encore 21 ans avant qu’une première femme soit élue à l’Assemblée
législative.
Des agents à Paris, à Londres
à New York
Une action que
l’histoire empêchera de mettre au crédit du gouvernement d’Adélard Godbout est
votée à la session de 1940. C’est la création de délégations du Québec à Paris,
à Londres et à New York. (bill 14) Godbout souhaite profiter d’une
nouvelle dynamique commerciale due à la guerre pour stimuler l’économie du
Québec par des agents au service de la province en Europe et aux États-Unis. Il
envisage aussi d’ouvrir un bureau à Ottawa et éventuellement aux Antilles et en
Amérique du Sud. Le but en est de profiter des occasions d’affaires, de
stimuler les exportations en fournissant des biens sur des marchés autrefois
occupés par des produits allemands.
Maurice
Duplessis s’oppose farouchement à cette initiative, trop onéreuse au budget,
selon lui. Il considère que ces agences coûtent cher et ne rapportent rien et
qu’elles sont de la juridiction d’Ottawa. La loi est néanmoins adoptée, mais le
sort des armes empêchera l’ouverture de bureaux à Paris et à Londres. Seul le
bureau de New York sera ouvert au Rockefeller Center, à Manhattan.
Cette initiative
préfigure la politique internationale du Québec qui se mettra en place avec la
Révolution tranquille, 20 ans plus tard. Lorsqu’il ira ouvrir la Maison du
Québec à Paris en 1961, le premier ministre Jean Lesage négligera cependant de
reconnaître à son prédécesseur Godbout le mérite d’avoir exprimé, avant lui,
l’ouverture du Québec sur le monde.
Montréal en tutelle
La crise
économique a durement frappé les finances de la ville de Montréal. Le soutien
aux miséreux et les travaux de chômage ont lourdement obéré le crédit de la ville.
En 1940, Concordia, comme on appelle souvent l’Administration de la métropole,
ne peut plus rencontrer ses engagements et les institutions lui refusent de
soutenir davantage son budget. Québec doit intervenir.
Le 16 mai
1940, Oscar Drouin dépose le projet de loi 38 qui élabore le système
d’administration pendant cette prise en charge de la ville par l’État. À la
séance du soir, le député de Montréal-Sainte-Marie
et maire de Montréal, Camillien Houde, prononce un long discours où il
évoque les difficultés qu’il a rencontrées pour gérer sa ville dans la
tourmente de la crise économique, chargée des miséreux, confrontée à des choix
déchirants, étranglée par les banques et les pouvoirs d’argent. En quelques
jours, dit-il, on a réussi à voter 200 millions de dollars au Canada
pour l’effort de guerre, mais, pour les affamés, au cœur de la misère, il n’y
avait rien. L’émotion est grande dans la salle quand il termine en
disant : « Je ne suis pas mort. J’attends… »
Le premier
ministre lui fait une réponse empathique et digne. Il compatit à sa situation, soulignant que la
tutelle est devenue une mesure nécessaire et que la loi ne constitue en rien un
blâme envers lui ou envers le conseil municipal.
Houde fera
encore quelques interventions jusqu’à la fin de la session. Il reprend
notamment la parole sur ce bill de Montréal, le 6 juin 1940, pour
détailler de nouveau les raisons du marasme de sa ville, mais son discours du
16 mai 1940 constitue presque son chant du cygne à l’Assemblée législative19.
Des routes et des autoroutes
Le ministre des
Travaux publics et de la Voirie, T.-D. Bouchard, annonce un vaste
programme de construction de routes. Comme le règne de l’automobile s’impose
désormais, on projette aussi la construction d’autoroutes à voies séparées,
comme il en existe aux États-Unis et dans certains pays d’Europe.
Par le bill 27,
le ministre annonce que des expropriations seront faites pour de futurs tracés « d’autostrades »
et de « speedways » modernes. Une route sera ainsi planifiée sur la
rive sud, entre Québec et Montréal. Pour limiter les frais d’expropriation, le
gouvernement veut acquérir le fond des terres seigneuriales, à la limite des
zones concédées en cantons aux XVIIIe et XIXe siècles.
Ce qui deviendra
25 ans plus tard l’autoroute 20 se situe donc essentiellement à la
limite sud des terres qui étaient occupées à la fin du Régime français et en
bordure de celles qui furent par la suite cultivées par des loyalistes
américains. Pour des raisons économiques et pratiques, on a tracé cette route à
l’intérieur des terres à une frontière historique entre deux époques de
l’histoire du Québec.
On ne s’étonne
pas que la route passe à Saint-Hyacinthe, le fief électoral de Bouchard et
la ville dont il est le maire.
Drôle de guerre et année terrible
Après le choc de
l’invasion de la Pologne et l’entrée en guerre du Canada, le temps semble
s’être arrêté sur le front de ce qu’on appellera bientôt la « Drôle de
guerre ». Entre la ligne Siegfried et la ligne Maginot, on semble davantage
s’observer que s’attaquer. L’URSS et l’Allemagne se partagent la Pologne, et
les combats se déroulent du côté de la Finlande qui résiste à une invasion
russe. Ailleurs, à part les raids aériens, la guerre s’annonce plus sous-marine
que terrestre et le front ouest semble figé. Un malin peut même écrire que les
seules choses que l’on attaque dans cette guerre, ce sont les propositions de paix.
Les choses
changent au printemps 1940. Le 8 avril 1940, Hitler envahit la Norvège
pour se garantir un accès à la mer Baltique et à ses ressources20. Le 9 mai 1940, débute
l’invasion des Pays-Bas et de la Belgique; en quelques semaines, les défenses françaises
sont renversées et le pays est envahi. On ordonne sur Dunkerque un retrait des
forces britanniques et alliées, entièrement submergées par les armées
allemandes. À la mi-juin, les Allemands entrent à Paris et le gouvernement de
Philippe Pétain demande l’armistice.
On a longtemps
répété que le Québec n’avait manifesté qu’indifférence devant la défaite de la
France. Il n’en fut rien. Cette invasion, largement médiatisée par la presse,
par la radio et par le cinéma, a provoqué une onde de choc douloureuse et
bouleversante pour les Québécois de toutes les tendances, de tous les milieux et
de toutes les régions. Quelques mois plus tard, les Québécois, comme les
Français eux-mêmes, chercheront les voies de l’avenir entre la France libre et
celle de Vichy. Mais, en juin 1940, pendant les jours d’épreuve et d’angoisse,
il n’y avait pas encore une France pétainiste contre une France gaulliste se
disputant la légitimité et la noblesse du combat, il n’y avait qu’une France
tombée.
À l’Assemblée
législative du Québec, les premières allusions aux difficultés des Alliés sont entendues
à la séance du 21 mai 1940, lorsque le trésorier, George Mathewson, un
ministre francophile, ouvre son discours sur le budget avec un appel au courage
et au soutien de la France. Par la suite, on suit de jour en jour et d’heure en
heure le fil des événements, mais on évite d’épiloguer sur les malheurs
autrement que par des appels convenus à la prière et aux vœux de succès qui
accompagnent toujours les troupes alliées.
Le 23 et le 29 mai
1940, on parle des ravages de la cinquième colonne, ces Cassandre qui parlent
ou qui agissent pour aider objectivement l’ennemi. L’ancien trésorier Robinson
affirme détenir une liste de 26 noms de personnes occupant des postes clés
et qui seraient des agents de cette cinquième colonne. En temps de guerre et de
défaite, la psychose s’installe rapidement et il est facile de voir des ennemis
partout.
Le 4 juin
1940, le député des Îles-de-la-Madeleine fait allusion aux héros de Dunkerque. Le
13 juin, quelques jours plus tard, une déclaration du roi George VI
donne au premier ministre et au chef de l’opposition l’occasion de parler de
loyauté et de victoire. Presque tous les discours des dernières semaines de la
session débutent par un appel à la victoire.
Le 17 juin
1940, lorsqu’on apprend la demande d’armistice, la Chambre porte peu attention
à l’ordre du jour. L’Assemblée réunie est « sous le coup d’une profonde
émotion », déclare le premier ministre. « Tous les cœurs saignent des
blessures de la France », ajoute Paul Sauvé, qui s’enrôlera peu de temps
après et partira faire la guerre.
Un malaise
certain plane lorsqu’on étudie la motion de René Chaloult, qui rappelle au
ministère ses promesses de limiter la participation canadienne à la guerre. (19 juin
1940) Chaloult lui-même fait profession de solidarité dans les circonstances,
mais il demande au gouvernement fédéral de respecter ses engagements. Sa motion
est défaite et bien des observateurs, comme André Laurendeau, qui, en d’autres
temps, auraient soutenu Chaloult, ressentaient à ce moment précis un profond
malaise à débattre de la participation canadienne quand la France était touchée
au cœur21.
En fin de
session, le gouvernement adopte une loi pour contrôler les forces motrices en
temps de guerre (bill 72) dans le but de rationner éventuellement l’eau,
le gaz et l’électricité et, nonobstant, les dispositions de contrats déjà
signés. Et le premier ministre remet à plus tard la tenue d’élections
partielles. Duplessis crie à l’abus de pouvoir, le débat est vif et des députés
en viennent pratiquement aux poings (20 juin 1940), témoignant des
tensions extrêmes en ces jours de lourde gravité ,
empreints d'émotion et de grande inquiétude.
De choses et d’autres…
En 1940, les
parlementaires décident de s’occuper enfin de leur Bibliothèque. Depuis
longtemps, en début de session, on formait un comité conjoint des deux
Chambres, mais qui s’en remettait au bibliothécaire, souvent sans même prendre
la peine de se réunir. En 1940, le comité compte
neuf conseillers législatifs et 16 députés, en plus des deux Orateurs. L’Orateur
du Conseil législatif, Hector Laferté, prend l’initiative de
l’opération. On réforme le Règlement, on poursuit le catalogage des collections
et on prend des mesures de sécurité contre l’incendie. (30 mai 1940)
Vestige d’une
époque révolue, une loi de 1940 abolit les dernières rentes seigneuriales
encore en vigueur, près d’un siècle après l’abolition du régime. Le bill 31
ordonne un rachat définitif qui sera établi par une commission d’évaluation.
Les rentes restantes seront converties en taxes municipales. Dans les faits
cependant, ce ne sera qu’en 1950 que la dernière seigneurie, la seigneurie de
Mingan, disparaîtra.
Parmi les
demandes du député Chaloult en 1940, on trouve la création d’un « office
de géographie » qui s’occuperait de la toponymie, qui veillerait à
normaliser l’affichage directionnel sur les routes et qui travaillerait à
franciser les cartes et le paysage québécois. La Commission de toponymie et l’Office
de la langue française rempliront plus tard ces rôles.
Le Québec aura
bientôt une version à jour de ses lois publiques. Le premier ministre a modifié
la composition de la Commission de refonte des Statuts, pour accélérer le
travail qui a pris beaucoup de retard. (11 juin 1940) La version
précédente remonte à 1925.
En 1940,
Louis-Philippe Geoffrion fête ses 65 ans et ses 25 ans à titre de
greffier (secrétaire général) de l’Assemblée législative. T.-D. Bouchard
ne manque pas de souligner ce double
anniversaire aux députés. (28 février 1940) On marque également avec
courtoisie, le 18 avril 1940, le 50e anniversaire
du chef de l’opposition (né le 20 avril 1890) avec une gerbe de 50 roses
rouges. C’est l’occasion d’une courte trêve où les députés échangent les
compliments d’usage.
Au terme de
cette longue session de 79 séances, le Parlement québécois a adopté 144 lois sur les 154 bills déposés.
L’importance des événements qui se déroulent alors en Europe a fait passer au
second plan bien des épisodes de l’actualité parlementaire. Les hommes
politiques de 1940 pouvaient méditer sur le titre du grand succès
cinématographique de cette année-là, le film américain Gone with the
wind, et se répéter : Autant en emporte le vent.
Les bons mots de la session
Le contexte
dramatique de la guerre n’a pas empêché l’humour et les boutades d’être au
rendez-vous de la session.
À propos des
députés libéraux qui ont ouvert le débat sur l’adresse en réponse au discours
du trône, Maurice Duplessis leur dit : « Le proposeur est un jeune
député qui a beaucoup de talent et qui, s’il veut bien étudier, apprendra à
servir de meilleures causes. […] le secondeur, avocat de talent, a l’habitude
des mauvaises causes. » (27 février 1940)
Onésime Gagnon,
fatigué des interruptions des députés libéraux pendant son discours, leur
lance : « le Salon de la race n’est pas un endroit où l’on laisse
aboyer les chiens. » (28 février 1940)
Le 28 février
1940, le président Bissonnette doit décider si le terme « Ponce Pilate »
adressé à un député constitue une injure non parlementaire. Il déclare ne pas
en savoir assez sur le degré de « mécréance » du personnage pour
obliger le ministre à retirer ses paroles. Au cœur d’un autre débat fort animé,
où chacun parle de tout et de rien, on demande au président de ramener tel
député dans le sujet du débat. L’Orateur, un peu dépassé, décide qu’il permet
au député d’être hors du sujet parce que tout le monde est en dehors du sujet.
(10 avril 1940)
Le ministre de
la Chasse et des Pêcheries, Pierre-Émile Côté, dit que le gouvernement
encourage toutes les sortes de pêche sauf la pêche en eaux troubles. (16 avril
1940 ) Et pour justifier auprès de l'opposition
l'impossibilité d'inscrire dans la loi les nombreuses exceptions, il raconte
qu'un pêcheur à la ligne attrape un petit poisson dans un lac. Voyant le
mouvement à la surface de l'eau, un martin-pêcheur s'élance sur la prise et
s'envole; c'est ainsi que le pêcheur prit un oiseau en plein vol avec sa ligne.
(17 avril 1940)
Pendant le débat
sur le vote des femmes, Roméo Lorrain reproche au premier ministre
d’avoir changé de camp à propos de cette question :
« le premier ministre a changé d’idée sur le vote féminin. Il a
trouvé son chemin de Damas en cherchant le chemin des dames. » (18 avril
1940)
Le 24 avril
1940, on peut rappeler ce coup de griffe de Godbout à Duplessis : « le
chef de l’opposition grandit toutes les causes qu’il attaque et rabaisse toutes
celles qu’il défend ».
Le 17 mai 1940, une querelle
de procédure tourne à la cacophonie du côté de l’opposition. Le ministre
Bouchard la compare à un chant de grenouilles. Duplessis, insulté, lui demande
de retirer ses paroles injurieuses. Le ministre remplace alors « grenouilles »
par « ouaouarons ».
À propos de la
loi sur les expropriations, le chef de l’opposition demande au ministre devant
quelle cour il faudra produire les avis. « Sûrement pas devant une cour à
bois! », lui lance T.-D. Bouchard. (21 mai 1940)
Pendant le débat
sur la voirie, Duplessis constate que l’on s’éloigne du sujet. « Nous
sommes loin du projet de loi », dit-il. « On va loin sur nos
routes! », lui répond le ministre Bouchard. (14 mai 1940)
Le 28 mai
1940, Chaloult lance à l’adresse de Duplessis : « S’il n’y avait pas
de dames dans cette enceinte, je lui répondrais par le mot de Cambronne. »
Le lendemain, parlant d’Onésime
Gagnon, le député Francoeur, de Montréal-Mercier, dit que « [c]elui-ci
est très éloquent, mais
il ne dit pas grand-chose ».
Le 6 juin
1940, Duplessis est fâché de ne pas avoir reçu copie d’un amendement. Il s’ensuit
cet échange avec T.-D. Bouchard :
M.
Duplessis (Trois-Rivières): Quand j'étais premier ministre, si j'avais un amendement, je le soumettais toujours au chef de l'opposition et je lui en envoyais une copie.
L’honorable M. Bouchard (Saint-Hyacinthe): Aie! Aie! Je me suis toujours taché les mains sur l'encre qui n'était pas sèche.
M.
Duplessis (Trois-Rivières):Que le ministre se soit taché les mains, ça ne me surprend pas.
L’honorable M. Bouchard (Saint-Hyacinthe): Oui!
C’était tellement sale.
Le même jour, Duplessis constate qu'en représentation démocratique « la quantité ne fait pas la qualité ». Ainsi, à l'Assemblée, dit il, « la qualité est à gauche et la quantité à droite », et il poursuit en riant : « d'ailleurs, les gens de gauche sont à droite et les gens de droite sont à gauche ».
Le 7 juin
1940, l’opposition réclame à grands cris des explications sur un article du
bill de Montréal. À bout d’arguments, le ministre Drouin lance : « Que
l’opposition continue de parler, puisqu’ils aiment ça! »; et Paul Sauvé
lui réplique : « Si le ministre parlait davantage, l’opposition
parlerait moins. »
Critique des sources
Par Gilles Gallichan
Portrait de la Tribune de la presse en 1940
Le premier jour
de la session, les journalistes de la Tribune de la presse élisent leurs
représentants. Guy Jasmin, du Canada, est élu président en remplacement
de Willie Chevalier, du Soleil. On salue également le travail de Damase
Potvin, journaliste de La Presse, reconduit à son poste de
secrétaire-trésorier. Potvin couvre sa 29e session parlementaire
àQuébec.
Les autres
membres connus de la Tribune de la presse en 1940 sont les suivants :
Edmond Chassé, de L’Événement-Journal; Alexis Gagnon, du Devoir;
Henri Saint-Pierre, de The Montreal Daily Star, Carroll Campbell et Abel
Vineberg, de The Gazette; Calixte Dumas, de L’Action
catholique; et Joseph Lavergne, de La Patrie.
La Gazette,
que plusieurs considèrent comme la voix des grands milieux financiers de la
métropole, réagit mal au discours du budget de Mathewson. L’impôt sur le revenu
et sur les profits des entreprises déplaît considérablement aux milieux d’affaires
appelés à contribuer davantage au Trésor public. Le trésorier, qui était vu
comme l’ambassadeur de la rue Saint-Jacques au sein du cabinet Godbout, est
soudain considéré comme un redoutable réformiste capable de modifier l’ordre
économique séculaire.
Les commentaires
de la Gazette peuvent être interprétés comme un baromètre de l’opinion
des grands barons des affaires à Montréal. D’autres réformes à venir d’Adélard
Godbout vont aussi déplaire en ces milieux, et l’Union nationale pourra se
présenter comme une alternative beaucoup plus rassurante pour la protection des
fortunes.
En juin, Camillien Houde et René
Chaloult joignent leurs protestations à propos d’un éditorial
de la Gazette, paru à la suite du débat sur
la motion relative à la conscription. Chaloult déclare que ce n’est pas
tant lui que la Gazette qui fomente des dissensions civiles en plein
temps de guerre.
Comme Houde, il
estime que « la Gazette est une vieille prostituée qui change avec
chaque gouvernement pour obtenir des contrats. Elle a toujours été d’ailleurs
l’organe des trusts et elle a toujours combattu les revendications des
Canadiens français dans la province de Québec ». (20 juin 1940)
The Montreal Daily
Star est sans doute le journal anglo-québécois le plus ardent pour la
participation active et pour la conscription outre-mer. Un chroniqueur du Devoir appelle le Star, le « soleil impérial22 ». Le 12 juin 1940,
pendant le débat sur le bill de Montréal, Duplessis s’en prend à M. McConnel,
propriétaire du Star et un des gouverneurs de l’Université McGill. C’est
pourtant un journal conservateur, lui répond Godbout.
René Chaloult
doit souvent se défendre contre la mauvaise image que les journaux
anglophones du Québec et du
Canada projettent de lui. Le 28 mai 1940, s’adressant spécifiquement aux journalistes anglophones, il se défend d’être anti-anglais ni fanatique. Il
répudie, affirme-t-il, le nationalisme outrancier qui a conduit à
la guerre.
Après avoir
connu des années fastes au début du gouvernement unioniste, L’Action
catholique s’est permis une critique qui lui a coûté fort cher23. À la séance du 23 mai 1940, à
la suite d’une question du député Chaloult, on apprend qu’en 1938-1939, le
gouvernement Duplessis a consacré 264 000 $ en contrats d’impression à
des journaux francophones et 211 000 $ à des journaux anglophones.
À lui seul, The
Quebec Chronicle-Telegraph a reçu plus de 78 000 $; L’Événement-Journal,
plus de 41 000 $; et L’Action catholique, quant à elle, n’a
rien reçu. Le député Léon Casgrain revient sur cette attitude de Duplessis
envers la presse. Il affirme même que l’ancien premier ministre avait fait
changer des courriéristes parlementaires parce que ceux qui étaient en fonction
ne lui plaisaient pas. (30 mai 1940)
Le 5 avril
1940, L’Événement-Journal, qui fut longtemps un journal d’opposition aux
régimes libéraux, est acquis par Le Soleil et entre dans la
mouvance du Parti libéral. Le changement de propriétaire amène des changements
de personnel et de nombreux départs. Bona Arsenault, président et directeur
général du quotidien, quitte bientôt ses fonctions.
Le Jour fait l’objet d’une plainte du député de Montréal-Mercier, J.-A. Francoeur,
pour le contenu de l’un de ses articles.
Outre les grands
quotidiens, les journaux suivants ont aussi servi à reconstituer les matériaux
de cette session : Le Droit, La Tribune, The Sherbrooke Daily
Record, L’Illustration nouvelle, Le Nouvelliste,
Rouyn-Noranda Press, La Terre de Chez Nous, L’Écho du Bas-Saint-Laurent,
L’Avenir du Nord, La Bonne parole et Le
Bulletin des agriculteurs.
On apprend qu’en
début de session un journaliste japonais, M. Ichitaro Takato,
correspondant d’un journal de Tokyo, assiste aux séances de la Chambre parmi
ses confrères québécois. Il ne nous a pas été possible cependant de retrouver
et d’utiliser ses reportages pour reconstituer les débats.
Notes de l’introduction
historique et de la critique des sources
1. Le Devoir, 3 mai
1939, p. 1.
2. Pour le récit détaillé
de la tournée royale de 1939 en Amérique, voir : Gordon Young, Voyage
of State, Londres, Hodder and Stoughton, 1939, 319 p.
3. « MM. Godbout et
Bouchard à Hull », Le Devoir, 4 juillet 1939, p. 6;
« M. Adélard Godbout à Mont-Laurier », Le Devoir, 14 août
1939, p. 6.
4. Paul Gouin, Pour la
libération nationale par l’ALN, « un parti jeune, intègre, libre, unique… ».
Texte intégral du discours prononcé à la radio par M. Gouin, mercredi, 4 octobre
1939, s.l., [1939], 15 p.
5. Expression rendue
célèbre par le titre d’un article de Marcel Déat, dans le journal L’Œuvre,
en août 1939, et qui exprimait le pacifisme de plusieurs Français de l’époque.
Alors néo-socialiste, Déat est plus tard devenu un ténor de la collaboration.
6. Le Devoir,
2 octobre 1939, p. 2.
7. « Nouvelle
politique de Radio-Canada pour les campagnes électorales », Le Devoir,
27 juillet 1939, p. 4; « Radio-Canada, les campagnes électorales
provinciales et les controverses », Le Devoir, 28 juillet
1939, p. 7; « M. Duplessis ne soumettra aucun texte », Le
Devoir, 27 septembre 1939, p. 3.
8. Début janvier 1940,
Godbout demande au fédéral de limiter la publicité pour l’enrôlement militaire
dans les campagnes, pour ne pas vider les fermes des jeunes travailleurs
agricoles. Cette déclaration soulève la colère du Globe & Mail, de
Toronto, suivie d’une réplique du premier ministre du Québec. « De
M. Godbout au Globe & Mail », Le Devoir,
15 janvier 1940, p. 12.
9. Le Canada,
21 février 1940, p. 1.
10. Antonio Barrette, Mémoires,
Montréal, Librairie Beauchemin, 1966, p. 63-64.
11. Il est remplacé par le
comte d’Athlone, oncle maternel du roi George VI. Le nouveau gouverneur
général arrive au Canada en juin.
12. De l’aveu même d’Antonio
Barrette, Godbout était l’un des meilleurs orateurs qu’ait connus le Québec. Mémoires,
op. cit., p. 64.
13. Antonio Barrette fait
état d’une tentative, au sein du parti, de pousser Duplessis et de faire
renaître le Parti conservateur québécois. Cette mutinerie visant à renverser le
chef, au lendemain de la défaite de 1939, a fait long feu et ne s’est jamais
concrétisée. Mémoires, op. cit., p. 57.
14. Le Devoir,
27 octobre 1939, p. 3.
15. Léopold Richer,
correspondant du Devoir à la Tribune de la presse à Ottawa, a publié, en
1940, une galerie de portraits des principaux acteurs de la scène fédérale. Silhouettes
du monde politique, Montréal, Éditions du Zodiaque, 1940, 266 p.
16. Voir : http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/634.html (consulté en mai 2009)
17. Montréal sous la botte
du régime Godbout, Bouchard, Jargailles : Que deviendra Montréal ?,
[Montréal, s.n., 1940], 12 p.
18. Le nom de Louis
Jargailles est récurent dans les débats des années 1940 et 1950. Le
13 mars 1951, il était encore question de lui à l’Assemblée, le premier
ministre Duplessis l’accusant alors d’un complot et de corruption auprès de la
police provinciale.
19. Le député de
Montréal-Sainte-Marie préconisait pour Montréal un système d’arrondissements
qui permettrait une meilleure gestion.
20. La capitulation de la
Norvège a une incidence sur l’approvisionnement de poisson de la Baltique. Le
député unioniste des Îles-de-la-Madeleine, H. Langlais, espère que le
poisson des îles trouvera davantage de débouchés.
21. Sur le choc de la
capitulation de la France et sur l’atmosphère qui régnait au parlement de
Québec en juin 1940, voir : Gilles Gallichan, « Le
"bouleversement intime" : le Québec et la France vaincue de juin
1940 », Les Cahiers des Dix, no 59 (2005),
p. 239-283.
22. Le Devoir,
27 octobre 1939, p. 1.
23. L’Action catholique aurait fait cette critique à la suite d’une assemblée tenue au Manège militaire
de Québec.