Débats de l'Assemblée législative (débats reconstitués)
Version finale
16e législature, 4e session
(11 janvier 1927 au 1 avril 1927)
Le mardi 11 janvier 1927
Ces débats, reconstitués principalement à partir des comptes rendus des médias de l’époque, ne constituent pas un journal officiel des débats de l’Assemblée législative.
Présidence de l'honorable J.-N. Francoeur
La séance est ouverte à 3 heures.
Prière.
Messages de l'administrateur de la province1:
Le message suivant est apporté par Arthur Saint-Jacques, gentilhomme huissier à la verge noire:
M. l'Orateur, Son Honneur l'administrateur de la province de Québec requiert la présence immédiate de cette honorable Chambre dans la salle du Conseil législatif.
L'Orateur et les députés se rendent à la salle du Conseil législatif et reviennent par la suite à la salle de l'Assemblée.
Prestation des serments d'office
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) demande la permission de présenter le bill 1 relatif à la prestation des serments d'office.
Accordé. Le bill est lu une première fois.
Discours du trône
M. l'Orateur: J'ai l'honneur de faire rapport que, lorsque cette Chambre s'est rendue aujourd'hui auprès de Son Honneur l'administrateur dans la salle du Conseil législatif, il a plu à Son Honneur de lire un discours à l'adresse des deux Chambres de la législature de cette province; et que, pour prévenir toute erreur, j'en ai obtenu une copie dont je vais donner lecture à la Chambre:
Honorables Messieurs du Conseil législatif, Messieurs de l'Assemblée législative, s'il m'est déjà arrivé en l'absence du lieutenant-gouverneur d'exercer les fonctions d'administrateur de la province, c'est par contre la première fois qu'il m'est donné de présider l'ouverture d'une session de notre législature. J'en suis d'autant plus heureux que l'occasion m'est ainsi fournie de participer à vos travaux.
Je suis sûr de formuler les voeux de chacun d'entre vous en souhaitant à l'honorable M. Pérodeau le plus agréable voyage.
Je sais que je traduis également vos sentiments en disant au nouveau gouverneur général du Canada, le très honorable vicomte Willingdon, que le choix que Sa Majesté a fait de sa personne pour représenter la couronne britannique en notre pays nous a tous réjouis et que sa récente visite en notre capitale lui a conquis, ainsi qu'à Lady Willingdon, le coeur de notre population.
Notre premier devoir est de remercier la Providence des bienfaits dont elle a comblé notre province en cette dernière année, tout particulièrement de l'abondante récolte dont elle nous a gratifiés.
S'il est malheureusement impossible de remplir dans nos foyers les vides qu'y a causés la guerre, le Canada a cependant la consolation de triompher graduellement de la crise économique dont il a souffert dans la perturbation d'après-guerre.
L'industrie et le commerce ont pris, dans le Québec, un nouvel essor. La confiance renaît partout, et nous marchons vigoureusement de l'avant. Ce mouvement est activé par le gouvernement, qui s'emploie à seconder les efforts de notre population et qui prend à son compte les initiatives qui s'imposent.
Alors que les peuples européens, et même quelques-unes des provinces voisines de la nôtre, ploient sous de lourdes charges financières, il me fait plaisir de constater que jamais le bilan de Québec n'a été meilleur qu'aujourd'hui.
Cette dernière année fiscale s'est non seulement soldée par un excédent considérable, mais elle a permis au gouvernement de racheter, à même ses revenus ordinaires, un million de dollars de ses obligations.
C'est l'intention du gouvernement, en obtenant le même résultat pour l'exercice en cours, d'effectuer un nouveau rachat d'obligations.
Le développement industriel de la province se poursuit de merveilleuse façon. Partout surgissent de nouvelles usines qui nous apportent un double bienfait économique. Elles contribuent à retenir nos gens chez nous et à créer des marchés pour nos produits agricoles.
L'établissement de ces grandes industries peut parfois toucher à des droits très légitimes. Ce qui s'est passé au Lac-Saint-Jean en fournit un exemple.
Aussi le gouvernement est-il bien déterminé à voir à ce que ces droits soient protégés. Il verra à ce que les personnes qui ont eu à souffrir des travaux effectués reçoivent une indemnité absolument satisfaisante. Dès le début de cette session, il vous demandera de pourvoir à la création d'un tribunal dont il assumera entièrement le coût. Ce tribunal, composé d'hommes compétents et impartiaux, fixera rapidement, sans frais et d'une manière définitive, la juste indemnité à laquelle chacun a droit.
Notre classe agricole, qui est à la base de notre prospérité nationale, a besoin de trois éléments pour maintenir et accroître ses progrès: des chemins, des marchés et des écoles.
On vous demandera de répondre à ces trois besoins.
Grâce à la régie des alcools, l'état de nos finances nous permet, après des années d'une expérience suivie, d'adopter une politique de voirie encore plus généreuse.
Mon gouvernement vous priera de l'autoriser à prendre entièrement à sa charge l'entretien de tous les chemins améliorés de la province et d'assumer également les frais d'entretien des autres routes après qu'elles auront été améliorées. Outre l'économie considérable qui en résultera pour les municipalités, l'unité de direction et de travail qui sera ainsi obtenue nous vaudra une voirie beaucoup meilleure.
Pour que nos produits agricoles puissent s'écouler avantageusement, mon gouvernement vous invitera à voter les crédits nécessaires à la création et au maintien de marchés à l'étranger.
Un projet de loi vous sera aussi soumis, dont l'objet est de permettre au gouvernement de prendre à son compte le paiement de l'amortissement des emprunts contractés pour la construction de certaines catégories d'écoles rurales. Le gouvernement s'acheminera, en faisant largement la part voulue à la petite école, vers l'aide additionnelle qu'il entend accorder très prochainement à l'enseignement supérieur.
J'ose espérer que ces mesures, qui s'inspirent du désir d'améliorer le sort de nos cultivateurs et de nos colons, auront pour effet de les encourager dans leur travail et de les tenir attachés au sol.
Pour aider la colonisation et l'agriculture dans la région du Lac-Saint-Jean, mon gouvernement se propose également de vous demander de voter un subside en argent à une compagnie qui construira et complétera le chemin de fer de ceinture de ce grand lac.
Le chemin de fer de Rouyn est maintenant complété et a déjà inauguré un service régulier. Il permettra aux grands centres commerciaux de notre province d'alimenter cette superbe région minière, où l'un des plus puissants hauts fourneaux du Canada est en voie de construction.
Nous avons raison de croire que bientôt les richesses que l'on extraira des mines de Rouyn assureront à notre province un revenu considérable.
Les succès obtenus dans Québec par l'industrie de la pulpe et du papier y ont amené l'établissement de grandes usines qui font un appel considérable à nos ressources forestières. Le gouvernement entend sauvegarder ces usines en poursuivant activement sa politique de protection de la forêt, de reboisement, de sage exploitation des réserves du Nouveau-Québec et d'inventaire de nos forêts, inventaire maintenant complété sur une étendue de 11 millions d'acres. Toutefois, il croit qu'avant de favoriser l'établissement de nouvelles usines il est bon d'assurer une abondante réserve forestière aux usines déjà en existence ou dont la construction est décidée, sauf cependant dans ces régions nouvelles où de telles usines pourraient devenir la source d'une activité inespérée.
Après avoir été pendant près d'un an à l'étude, la loi des accidents du travail sera mise en force le 1er avril prochain. Le gouvernement a confiance qu'elle donnera satisfaction aux ouvriers et aux patrons, et que les taux d'assurance qu'on est à fixer ne constitueront pas un fardeau trop lourd pour l'industrie.
La commission chargée d'établir le salaire minimum des femmes s'est réunie plusieurs fois et paraît avoir réglé bon nombre de cas, à la satisfaction générale des intéressés.
Mon gouvernement projette de faire un pas de plus dans sa politique de colonisation en ajoutant à la prime de défrichement une prime additionnelle de résidence et de premier labour.
D'autres mesures d'un intérêt moins général réclameront votre attention.
Messieurs de l'Assemblée législative,
Les comptes publics pour l'année fiscale écoulée vous seront soumis. Vous y constaterez un état financier des plus satisfaisants.
Vous serez invités à voter les crédits du prochain exercice.
Honorables Messieurs du Conseil législatif,
Messieurs de l'Assemblée législative,
Je vous prie d'accorder le plus grand soin aux travaux de cette session que j'ai l'honneur d'inaugurer au nom de Sa Majesté et sur lesquels je prie Dieu de répandre ses bénédictions.
Prise en considération du discours du trône
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose, appuyé par le représentant des Îles-de-la-Madeleine (l'honorable M. Caron), que le discours de Son Honneur l'administrateur de la province, prononcé devant les deux Chambres de la législature, soit pris en considération demain.
Adopté.
Formation des comités permanents
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose, appuyé par le représentant des Îles-de-la-Madeleine (l'honorable M. Caron), que les comités permanents suivants soient institués, savoir:
1. un comité permanent des privilèges et élections;
2. un comité permanent des règlements;
3. un comité permanent des comptes publics;
4. un comité permanent des chemins de fer et autres moyens de communication;
5. un comité permanent de l'agriculture, de l'immigration et de la colonisation;
6. un comité permanent des industries et du commerce;
7. un comité permanent du code municipal;
8. un comité permanent des bills privés en général;
9. un comité permanent des bills publics en général;
10. un comité permanent et conjoint de la bibliothèque de la législature;
11. un comité permanent et conjoint des impressions législatives.
Et que chacun de ces comités soit autorisé à délibérer et à s'enquérir de toutes les affaires et matières qui lui seront renvoyées par la Chambre, à faire de temps à autre des rapports exprimant ses observations et ses vues sur ces affaires et matières; et à envoyer chercher les personnes, pièces et dossiers dont il pourra avoir besoin.
Adopté.
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose, appuyé par le représentant des Îles-de-la-Madeleine (l'honorable M. Caron), qu'un comité spécial de 11 membres soit institué pour dresser et présenter, avec toute la diligence possible, une liste des députés qui feront partie de chacun des comités permanents dont la Chambre a décidé la formation, et les honorables MM. Taschereau, Caron et Nicol, MM. Bullock, Daniel, Faucher, Fortier, Pilon, Sauvé, Smart et Thériault forment ledit comité spécial.
Adopté.
Dépôt de documents:
Rapport du ministre des Affaires municipales
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) dépose sur le bureau de la Chambre le rapport du ministre des Affaires municipales, 1925-1926. (Document de la session no 33)
Rapport du ministre de l'Agriculture
L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine) dépose sur le bureau de la Chambre le rapport du ministre de l'Agriculture de la province de Québec, 1925-1926. (Document de la session no 3)
Rapport du ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries
L'honorable M. Perrault (Arthabaska) dépose sur le bureau de la Chambre le rapport général du ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries de la province de Québec, pour l'année finissant le 30 juin 1926. (Document de la session no 7)
Rapport du ministre de la Voirie
L'honorable M. Perrault2 (Arthabaska) dépose sur le bureau de la Chambre le rapport du ministre de la Voirie de la province de Québec, 1926. (Document de la session no 21)
État des cautionnements
L'honorable M. Nicol (Compton) dépose sur le bureau de la Chambre l'état des cautionnements fournis par les officiers publics du gouvernement de la province de Québec, du 7 janvier 1926 au 10 janvier 1927 inclusivement, tel que requis par l'article 41, ch. 9, S. R. Q., 1925. (Document de la session no 15)
Rapport sur les compagnies d'assurances
L'honorable M. Nicol (Compton) dépose sur le bureau de la Chambre le rapport sur les compagnies d'assurances, 1926 (opérations de 1925). (Document de la session no 24)
États de compte des compagnies de fidéicommissaires
L'honorable M. Nicol (Compton) dépose sur le bureau de la Chambre les états de compte annuels des compagnies de fidéicommissaires pour l'année finissant le 31 décembre 1925. (Document de la session no 35)
Messages de l'administrateur de la province:
Nominations au service civil
L'honorable M. David (Terrebonne) remet à M. l'Orateur un message de Son Honneur l'administrateur, lequel message est lu par M. l'Orateur comme suit:
M. l'Orateur: F.-X. Lemieux, l'administrateur de la province de Québec, transmet à l'Assemblée législative copie des rapports de l'honorable Conseil exécutif, concernant certaines nominations dans le service civil. (Document de la session no 12)
Hôtel du gouvernement,
Québec, ce 11 janvier 1927
Rapport de l'Imprimeur du roi
L'honorable M. David (Terrebonne) transmet à M. l'Orateur un message de Son Honneur l'administrateur signé par Son Honneur et ledit message est lu par M. l'Orateur comme suit:
M. l'Orateur: F.-X. Lemieux, l'administrateur de la province de Québec, transmet à l'Assemblée législative de cette province le rapport de l'Imprimeur du roi, indiquant le nombre d'exemplaires des actes de la dernière session qu'il a imprimés et distribués, les départements, corps administratifs, officiers et autres personnes auxquels ils ont été distribués, le nombre d'exemplaires livrés à chacun d'eux, et en vertu de quelle autorisation, puis le nombre d'exemplaires des actes de chaque session qui lui restent en main avec un compte détaillé des frais par lui réellement encourus pour l'impression et la distribution desdits statuts. (Document de la session no 20)
Hôtel du gouvernement,
Québec, ce 11 janvier 1927
Ajournement
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose, appuyé par le représentant des Îles-de-la-Madeleine (l'honorable M. Caron), que, lorsque cette Chambre s'ajournera, elle soit ajournée à 3 heures demain après-midi.
M. Tétreau (Montréal-Dorion) se lève sur une question de privilège. Il annonce qu'il ne peut plus siéger avec l'opposition et a demandé un fauteuil entre les deux groupes de la Chambre, mais plus près du Parti libéral.
M. l'Orateur, je dois à l'Assemblée législative, mais particulièrement aux membres de l'opposition et à ceux qui m'ont fait l'honneur de me confier le mandat du comté Dorion, des explications pour m'être fait assigner une place nouvelle dans cette Chambre.
Le fait que j'occupe maintenant un siège sur la limite des deux partis, mais plus rapproché du Parti libéral, indique clairement que je suis ici à titre de libéral indépendant. (Applaudissements)
Lorsque j'ai brigué les suffrages des électeurs de Dorion, j'ai déclaré que dans le domaine central j'avais toujours professé, par conviction, par tradition et par tempérament, la doctrine politique de Sir Wilfrid Laurier et de son successeur, Mackenzie King, et que j'entendais lui continuer, à l'avenir, ma complète et fidèle adhésion.
J'ai aussi nettement défini ma future attitude politique dans cet asile sacré où, selon la pensée des Pères de la Confédération, "nous sommes chez nous".
J'ai toujours été d'opinion que tous les hommes de bonne volonté, appelés à y élaborer les destinées de notre groupe ethnique et à assurer une vie heureuse et paisible à nos concitoyens d'origine différente, devaient aux gouvernants, quels qu'ils soient, le concours désintéressé de leur patriotisme dans la poursuite de l'idéal commun.
En effet, voici le texte des paroles que je prononçais au cours de la campagne électorale de 1923 et que je répétais le 19 avril de la même année, en présence du chef de l'opposition et de la plupart de ses députés: "Je suis un libéral, je l'ai toujours été, mais un libéral libre de toute attache servile au parti et à ses chefs." Et je concluais ainsi: "Ce que je veux pour les nôtres, c'est le progrès moral, intellectuel et matériel poussé jusqu'à ses plus lointaines limites, ce que je désire, c'est faire briller de l'éclat le plus pur le nom de la province de Québec, c'est grandir son prestige et l'imposer au respect des autres provinces du Canada, c'est travailler à la conservation de notre nationalité et ajouter, si possible, à la valeur de la race française en Amérique et, chaque fois, je le répète, que le gouvernement libéral s'y appliquera vraiment et patriotiquement, il aura mon appui loyal."
À ce moment-là, je ne partageais pas toutes les idées du gouvernement, particulièrement sur des questions intéressant Montréal et les travailleurs au sort desquels je me suis toujours sincèrement intéressé.
Cependant, sans vouloir diminuer le mérite des autres députés et du chef de l'opposition, je serais injuste si je ne déclarais pas que, par sa compréhension des besoins les plus importants de notre province et par sa courageuse volonté de la bien servir, le premier ministre n'a pas d'égal dans cette Chambre. (Applaudissements)
Comme je ne fis la rencontre du chef de l'opposition qu'après les élections de février 1923, que je ne connaissais de ses idées que ce que j'en pouvais lire dans les journaux et que je faisais ma lutte électorale sans son aide d'aucune sorte...
M. Houde (Montréal-Sainte-Marie): Mais avec son prestige3...
M. Tétreau (Montréal-Dorion): Attendez, M. Houde4, et vous en aurez pour votre argent.
Je crus que tout ce qu'il appelait son programme ne comprenait qu'une seule formule claire et précise, qui se résume ainsi: Les hommes et les choses de la politique fédérale et les hommes et les choses de la politique provinciale seront séparés par une "cloison étanche".
Et c'est tout confiant dans la sincérité de cette déclaration et croyant de bonne foi qu'aucun geste capable de porter atteinte, de quelque façon que ce soit, à la politique du Parti libéral central et de ses chefs, ne serait pas même esquissé de la part du chef de l'opposition, que j'allai m'asseoir sur les banquettes de la gauche.
À ma grande surprise, je me vis encadré par tout ce qu'il y avait de plus conservateur dans l'opposition; mais je m'incline profondément devant la mémoire de ce député d'une intelligence remarquable qu'il avait mise au service de sa province et de ses concitoyens avec un zèle et une sincérité qu'on ne pouvait pas ne pas admirer. La disparition du représentant de Témiscouata est véritablement une grande perte pour le pays et pour les siens5.
Je n'abdiquai pas, à cause de mon entourage, ma liberté d'action, et nombreuses sont les mesures présentées par le gouvernement Taschereau que j'appuyai de mon vote.
Je ne fus pas lent à comprendre, à la froide mine du chef de l'opposition, aux mots d'ordre qui me furent soufflés à l'oreille mais que je repoussai avec indignation, que mon esprit d'indépendance contrariait fortement certains membres de l'opposition.
Les élections fédérales approchaient. Afin d'aider à la victoire de monsieur Meighen, les conservateurs estimaient qu'il était de bonne guerre de faire flèche de tout bois pour soulever l'opinion publique du Québec contre le gouvernement King. Celui-ci avait dit, pour les raisons que personne n'ignore, qu'un changement dans la constitution du Sénat était désirable.
Or le 27 mars 1925, le chef de l'opposition, qui connaissait mes opinions libérales, soumit à la considération de cette Chambre, sans m'en avertir, une résolution et fit un discours protestant contre toute tentative de modifier le Sénat. C'était une manoeuvre évidemment dirigée contre le Parti libéral d'Ottawa. Il est bon de se rappeler qu'il y avait alors au Sénat 54 conservateurs et 44 libéraux. Je trouvai la mesure prématurée; et je la combattis; et, n'eût été une remarque de l'honorable premier ministre qui arrêta net le mouvement de colère auquel le chef de l'opposition avait commencé de se laisser aller contre mon attitude, la rupture se serait faite ce jour-là irrémédiablement entre nous deux.
Le chef de l'opposition venait de pratiquer la première brèche de sa fameuse cloison étanche.
Nos relations devinrent plus tendues; c'est à peine si, depuis, le chef de l'opposition et moi avons échangé quelques paroles. Alors, afin que l'on ne pût m'accuser d'indiscrétion, je m'abstins d'assister davantage aux caucus de l'opposition.
Comme les élections de 1925 n'allaient pas tarder et qu'il fallait, coûte que coûte, renverser le gouvernement King et élire M. Meighen, M. Patenaude devint le commandant en chef de l'aile québécoise du Parti conservateur. L'engouement des conservateurs pour la nouvelle doctrine d'"indépendance vis-à-vis Meighen et vis-à-vis King" fut considérable. Aussi, à la première assemblée tenue à Saint-Laurent le 20 septembre 1925, et que l'on organisa avec une prodigalité inouïe afin d'ouvrir la campagne électorale comme par un formidable coup de tonnerre, nombreux sont les députés de la gauche provinciale qui voulurent en amplifier l'éclat par leur présence; et le Devoir, journal bien informé, dans son édition du 21 septembre 1925, eut le soin de souligner en gros caractères que le chef de l'opposition assistait à cette assemblée. Je ne sache pas que cette nouvelle ait jamais été démentie.
La brèche dans la cloison étanche allait s'élargissant.
La défaite de M. Patenaude et de M. Meighen abattit l'enthousiasme de tous les conservateurs indépendants de notre province, ils l'étaient tous devenus, mais la menace de nouvelles élections générales fit vite renaître leur espoir, et ils résolurent un suprême assaut contre le Parti libéral.
Aussi, à une assemblée de l'association conservatrice de Montréal tenue à l'hôtel Mont-Royal le 21 avril 1926, les chefs conservateurs les plus notoires des diverses provinces se trouvaient-ils réunis, comme par enchantement. La perspective d'une prochaine victoire rendit plus hardis les conservateurs du Québec qui résolurent de démasquer leurs positions.
Malgré l'avertissement, déjà donné par le Devoir le 29 décembre 1923 au chef de l'opposition (M. Sauvé), d'éviter ces rencontres compromettantes, celui-ci prenait publiquement place, non plus comme chef de l'opposition, mais comme chef du Parti conservateur provincial, entre MM. C.C. Ballantyne et Bob Rogers, en compagnie de MM. Blondin, sénateur, Bury, député d'Edmonton, Rodolphe Monty et d'une foule d'autres. On y fit des discours dans lesquels on vanta le génie de M. Meighen, on appuya sur la nécessité d'un Sénat intangible pour contrecarrer l'action du gouvernement King, sur le besoin d'une grande organisation conservatrice commune, et on critiqua sévèrement l'administration libérale. Le chef de l'opposition provinciale répondit entre autres choses et d'une façon énigmatique, par les paroles suivantes tirées du Star: Je peux assurer votre association qu'à l'avenir je ferai tout mon possible pour me rallier à ses idées et à ce qu'elle considérera comme bénéfique pour le pays6.
M. Sauvé (Deux-Montagnes): L'honorable député me permettra-t-il de l'interrompre pour lui demander de bien vouloir citer mon discours? Je n'ai parlé que deux minutes, mais j'aimerais qu'il répète tout ce que j'ai dit. Ce serait plus loyal envers celui que vous avez si bien servi.
M. Tétreau (Montréal-Dorion): J'ai cité la partie du discours qui visait à l'union des conservateurs d'Ottawa et de Québec.
M. Sauvé (Deux-Montagnes): L'honorable député devrait citer toutes mes brèves remarques.
M. Tétreau (Montréal-Dorion): Bref, cette rencontre de MM. Rogers, Blondin, Sauvé, Ballantyne, Monty, attestait bien l'union réalisée du Parti conservateur du pays et démontrait clairement qu'il ne restait plus rien de la "cloison étanche" qui n'avait été jusque-là, c'est mon inébranlable conviction, qu'une façade derrière laquelle les conservateurs fourbissaient discrètement leurs armes, afin de s'emparer plus sûrement de l'administration de notre province pour s'en faire une place forte d'où ils pourraient mieux aider à renverser le gouvernement libéral d'Ottawa.
La meilleure preuve de l'union de toutes les forces conservatrices du pays et du but commun qu'elles poursuivent, c'est le communiqué que le 31 août 1926, à la veille des dernières élections fédérales, le chef de l'opposition du Québec publiait, et dans lequel il exaltait les qualités de M. Meighen, il soulignait l'importance pour les minorités d'être représentées par des hommes de cette valeur...
M. Sauvé (Deux-Montagnes): Je n'ai jamais dit cela.
M. Tétreau (Montréal-Dorion) lit des extraits d'un journal dans lequel le député de Deux-Montagnes (M. Sauvé) déclarait que, bien que M. Meighen ait commis des erreurs qu'il n'appréciait guère, il a également fait preuve de compétence, il a témoigné de la sympathie aux Canadiens français et il a fait des efforts louables pour apprendre le français, ce qui méritait d'être pris en considération.
M. Sauvé (Deux-Montagnes): Ce n'est pas si mal.
M. Tétreau (Montréal-Dorion): Mais il ne permettrait à aucun d'entre nous d'être présent aux conférences de Versailles. Il (M. Sauvé) vantait les personnalités qui s'appelaient Patenaude et Fauteux, et s'excusait de ne pouvoir assister à la grande assemblée tenue au Forum par M. Meighen, non plus à cause de "la cloison étanche" mais parce que son état de santé ne le lui permettait pas.
Le plus grand nombre des membres de l'opposition provinciale répondirent à ce mot d'ordre discret en se jetant ardemment dans une lutte qui devait se terminer par une nouvelle défaite.
L'union des forces conservatrices que la Gazette célébrait déjà en 1923 comme "la fin d'un "estrangement" de six ans entre conservateurs provinciaux et conservateurs fédéraux est donc un fait accompli. C'est ce qui a permis au Montreal Conservative Club, nouvelle association conservatrice créée pour des fins de politique fédérale, de commencer ses activités par une conférence de M. Guthrie, chef de l'opposition conservatrice d'Ottawa, qui, fâché de l'échec de son parti, a repris à son compte la théorie de "la représentation basée sur la population", si contraire aux intérêts de la race canadienne-française, à son influence et à ses droits, et si sincèrement combattue par Cartier, et il n'a pas craint de la proclamer en pleine Chambre de communes, au début de cette session. Cette première conférence donnée par M. Guthrie fut naturellement suivie par une deuxième conférence donnée, cette fois, par le chef de l'opposition provinciale du Québec qui, tous le savent, s'était empressé de provoquer dans cette Chambre une discussion sur les amendements du Sénat auxquels avait fait allusion M. King, mais qui sut bien ce jour-là éviter de désavouer la doctrine pernicieuse énoncée par son chef M. Guthrie, comme d'ailleurs il n'a jamais dégagé sa responsabilité des paroles audacieuses prononcées par un député, son voisin de pupitre7, qui n'a pas manqué une occasion d'exprimer sa gratitude vis-à-vis de nous qui le traitons avec tant de générosité, en nous manifestant des sentiments les plus mesquins que peut lui inspirer le torysme le plus imprudent et qui a osé dire dans cette Chambre que le régime qu'il préférait pour notre province c'était une union législative avec l'Ontario.
J'ai également relevé dans un autre communiqué du chef de l'opposition publié par le Devoir, le 21 décembre 1926, certaines allusions malignes à l'adresse de MM. King et Lapointe, qui représentaient notre parti à la dernière conférence impériale, de même que quelques traits acérés dirigés contre un auguste personnage nouvellement débarqué sur notre sol, parce qu'en homme bien élevé il avait adressé à ses hôtes quelques paroles flatteuses8.
Comme je l'ai clairement établi d'une façon irréfutable, la promesse de maintenir hermétiquement fermée "la cloison étanche" entre les hommes et les choses du domaine fédéral et les hommes et les choses du domaine provincial, condition qui me permettait de m'asseoir dans l'opposition, n'a pas été tenue par son chef. Je ne lui conteste pas le droit de consentir à la fusion des forces conservatrices du pays, mais j'ai aussi le droit de faire en sorte qu'on ne puisse pas même me soupçonner de vouloir diminuer en quoi que ce soit, ne serait-ce que par ma présence dans les rangs de l'opposition, l'autorité de la politique libérale fédérale et le prestige de ses dirigeants que je considère les seuls capables de mettre du bonheur et de la prospérité là où le parti des Borden, des Meighen s'est évertué à semer comme à plaisir les misères de toutes sortes et des difficultés financières qui ont failli conduire le pays à la ruine, et c'est la raison qui m'a fait m'asseoir ici.
Si je n'ai pas attendu une autre session pour prendre ce fauteuil, c'est que, malgré l'avertissement donné le 12 novembre 1926 aux membres du club dont le chef de l'opposition est le patron et qui porte son nom, certains d'entre eux qui tiennent de très près à l'honorable député des Deux-Montagnes n'en continuent pas moins de dire à qui veut les entendre que l'esprit d'indépendance du député de Dorion est réprouvé par le chef de l'opposition et que, conformément à un mot d'ordre tombé de haut, il faut me faire disparaître.
M. Sauvé (Deux-Montagnes): Si l'honorable député veut bien me le permettre encore, je lui ferai observer que, s'il avait des griefs à formuler, il aurait pu le faire en s'adressant au chef de l'opposition.
M. Tétreau (Montréal-Dorion): J'ai prononcé au Club Sauvé un discours que l'honorable chef de l'opposition ne pouvait ignorer.
Je continue: Ce mouvement a tout l'air d'une menace à ma liberté d'action, mais ce "Crois ou meurs" ne m'effraie pas. On se trompe si on espère me cadenasser ainsi à mon fauteuil lorsqu'il s'agira de me lever pour appuyer de mon vote toute mesure avantageuse du gouvernement que ma conscience me dira avantageuse pour notre province.
Afin de protester hautement contre les paroles insultantes pour la religion juive et injustes pour nos amis italiens, qui ont été dites au cours d'une séance du Club Sauvé le 12 novembre 1926 et qui n'ont pas encore été désavouées par son président, j'ai d'abord donné ma démission comme membre de ce club, la seule association politique non libérale dont je fasse partie.
Ensuite, pour permettre au chef de l'opposition d'être plus à son aise dans la préparation de sa lutte contre le Parti libéral et contre le député de Dorion, j'ai pensé qu'il valait mieux m'éloigner immédiatement de lui.
Voilà mes explications. Je ne les ai étayées sur aucune confidence reçue alors que je siégeais avec les oppositionnistes, mais uniquement sur des faits livrés à la publicité. J'espère que la leçon qui s'en dégage profitera aux libéraux de cette province. (Longs applaudissements à droite)
M. Sauvé (Deux-Montagnes): Et nous aussi.
La proposition d'ajournement est adoptée.
La séance est levée à 4 h 30.
__________
NOTES
1. Le lieutenant-gouverneur de la province, Narcisse Pérodeau, est à ce moment en voyage en Europe, voyage qui se prolonge pendant toute la durée de la présente session. Comme le prévoit la Constitution, c'est alors le juge en chef de la Cour supérieure du Québec qui prend sa place et reçoit temporairement le titre d'administrateur de la province. Il s'agit ici de l'ex-député provincial et avocat de Louis Riel, en 1885, et d'Honoré Mercier, en 1892, lors de ces fameux procès: François-Xavier Lemieux.
2. Alors que les sources nous donnent le ministre Perrault comme présentateur du rapport à la place du ministre Perron qui siège au Conseil législatif, le Canada nous dit qu'il s'agit plutôt du trésorier Nicol (Le Canada, 17 janvier, p. 7).
3. Le Star et la Gazette attribuent ces paroles au député de Laval (M. Renaud). Voir The Montreal Daily Star, 12 janvier, p. 4, et The Gazette, 12 janvier, p. 2.
4. Il est des plus antiparlementaire d'appeler un député de toute autre façon que par le nom de son comté. Il est donc plus probable que M. Tétreau ait dit: "Attendez, M. le député..."
5. Pendant la période intersessionnelle, deux députés sont morts. Il s'agit du député de Témiscouata Jules Langlais (décédé le 11 août 1926) et du député de Québec-Ouest et ministre Martin Madden (décédé le 1er juin 1926). Comme le veut d'ailleurs la coutume, on avait déposé sur leurs pupitres des couronnes de fleurs.
6. Citation en anglais dans le discours.
7. M. Gault (Montréal-Saint-Georges).
8. L'"auguste personnage" dont il est question est Lord Willingdon, nouveau gouverneur général du Canada.