Débats de l'Assemblée législative (débats reconstitués)
Version finale
15e législature, 4e session
(24 octobre 1922 au 29 décembre 1922)
Le mardi 5 décembre 1922
Ces débats, reconstitués principalement à partir des comptes rendus des médias de l’époque, ne constituent pas un journal officiel des débats de l’Assemblée législative.
Présidence de l'honorable J.-N. Francoeur
La séance est ouverte à 3 heures.
M. l'Orateur: À l'ordre, Messieurs! Que les portes soient ouvertes!
Rapports de comités:
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le onzième rapport du comité permanent des bills publics. Voici le rapport:
Votre comité a décidé de rapporter, avec des amendements, le bill suivant:
- bill 95 constituant en corporation la Société coopérative fédérée des agriculteurs de la province de Québec.
M. Létourneau (Québec-Est): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le dix-septième rapport du comité permanent des règlements. Voici le rapport:
Votre comité est d'opinion que la pétition de Julius B. Miller et autres, demandant l'adoption d'une loi les constituant en corporation sous le nom de "Montefiore Hebrew Orphans Home of Montreal" est régulière et suffisante, que le bill qui a été déposé par les pétitionnaires est régulier et conforme à la pétition et aux avis qui en ont été donnés, que cette pétition n'a pas été suffisamment annoncée et que cette irrégularité ne peut cependant porter préjudice aux tiers. En conséquence, votre comité recommande de suspendre les règles à l'égard de cette irrégularité.
Adopté.
Montefiore Hebrew Orphans Home of Montreal
M. Bercovitch (Montréal-Saint-Louis) demande la permission de présenter le bill 107 constituant en corporation The Montefiore Hebrew Orphans Home of Montreal.
Accordé. Le bill est lu une première fois.
Documents non déposés
Conformément à l'ordre du jour, la Chambre reprend le débat sur la motion du représentant de Joliette (M. Dufresne), dont elle a été saisie le mercredi 29 novembre 1922:
Attendu que dès qu'une adresse ou un ordre demandant communication de quelque rapport ou document est voté par la Chambre, il est du devoir des personnes et départements appelés à fournir des documents à le faire avec diligence et de les préparer avec soin;
Attendu que si une personne néglige de fournir les documents demandés, elle viole les privilèges de la Chambre et peut être, à raison de ce fait, réprimandée ou punie;
Attendu que, à la session de 1921, la Chambre a ordonné la production des documents suivants: correspondance concernant l'administration de la justice en 1918, 1919 et 1920; correspondance au sujet de la mort de Blanche Garneau; correspondance, etc., depuis 1920, avec M. Napoléon Laliberté, avocat, concernant le meurtre de Auger Ena; correspondance de la "Dominion Detective Agency" ou Gonzalve Savard au sujet de la loi de prohibition; correspondance concernant l'inapplication de la loi 9 George V, chapitre 18;
Attendu que ces documents n'ont pas été déposés au cours de la session de 1921;
Attendu que dans le cours de la session suivante, du 10 janvier au 21 mars 1922, ces documents n'ont pas été non plus déposés;
En conséquence, cette Chambre déclare que le gouvernement a violé les privilèges de cette Chambre et elle le censure.
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Le député de Joliette a proposé une motion de censure contre le gouvernement, nous accusant de n'avoir pas produit un certain nombre de documents qui avaient été demandés par l'opposition voilà trois ans et dont la Chambre avait voté la production. Plusieurs de ces documents, effectivement, n'ont pas été produits; trois l'ont été hier et deux manquent encore. Nous les cherchons et nous les produirons prochainement, dès que nous les aurons trouvés. La transcription de ces pièces demandées par l'opposition exige un travail considérable. C'est ce qui justifie le retard. Si le chef de l'opposition avait un si grand besoin de ces documents, il aurait su les demander à la session de 1921 et à celle de 1922. Le gouvernement se serait empressé de les produire comme il vient de le faire.
Le député de Joliette a donc demandé à la Chambre de blâmer le gouvernement pour avoir retardé la production de ces documents. On sait que la plupart des documents que l'on demande, au commencement de la session, ont pour but unique de provoquer des discussions, des débats, sans que les documents demandés n'ajoutent rien à la discussion. La plupart des documents, dont on a demandé la production et que l'on se plaint de ne pas avoir encore, ont été demandés dans ce but: provoquer une discussion.
Ces pièces ne sont pas toutes d'égale valeur. Il en est qui ont une importance particulière dans les débats; d'autres sont d'une importance moindre. Lorsque les députés veulent avoir ces documents tout de suite, ils en font la demande au gouvernement qui s'empresse de les leur fournir. Il marque ainsi d'ordinaire sa bonne volonté en pressant le travail, quand un député insiste. Dans le cas qui nous occupe, les documents ont été demandés par des motions.
Si ma mémoire est bonne, les documents ont été demandés vers la fin de la session de 1921. Au cours de la présente session, ni le chef de l'opposition ni ses collègues n'en ont fait mention et, à la session de 1922, l'opposition ne nous en a pas parlé. On n'a pas insisté, une fois la discussion finie, pour avoir ces documents. Je ne sache pas que personne ait demandé de les produire avant la fin de la session. Nous en avons donc conclu que rien ne pressait et nous ne les avons pas produits.
Il y a une chose qui s'est toujours pratiquée à la Chambre, c'est que la discussion sur une motion pour production de documents étant finie, on demande à avoir ces documents si l'on en a absolument besoin. Or, je ne sache pas que l'on ait le moindrement insisté pour avoir les cinq documents dont il est question, dans la motion du député de Joliette. On ne les a même pas demandés à la session suivante; c'est donc dire qu'ils n'étaient pas nécessaires. Si, à la session suivante, on nous les avait demandés, nous les aurions sûrement produits.
Quand on a attiré l'attention ministérielle sur les retards dans la production à la session actuelle, le gouvernement s'est exécuté. On a produit jusqu'ici trois des dossiers demandés; on produira les autres dans quelques jours. Des recherches se font actuellement, afin de produire les deux autres documents demandés. Les députés de cette Chambre peuvent être sûrs d'une chose: c'est que nous faisons tout ce qui est nécessaire de faire pour renseigner la Chambre.
Le gouvernement fait tout son possible pour fournir à l'opposition les documents dont elle a besoin. Dès que l'on nous démontre que l'on a besoin de la production de certains documents autres que pour donner prétexte à une discussion, nous nous empressons de la donner. Il y a longtemps que nous aurions produit ces documents dont le député de Joliette fait mention, si on nous les avait demandés avant aujourd'hui. Je crois que la motion de l'honorable député de Joliette devrait être rejetée par la Chambre.
M. Sauvé (Deux-Montagnes): La déclaration du premier ministre me surprend. Je veux croire que sa mémoire a complètement fait défaut. Pendant la session de 1921, je me suis plaint à plusieurs reprises du fait que les documents n'étaient pas produits et le gouvernement a promis de les produire rapidement. Pourtant, nous ne les avons toujours pas. Au cours de la dernière session, l'hiver dernier, j'ai demandé à plusieurs reprises la production de ces documents sur l'affaire Garneau.
J'ai attiré l'attention de la Chambre sur le fait que des documents, dont la production avait été ordonnée durant la session de 1921, n'étaient pas encore déposés devant la Chambre. Le premier ministre s'est même levé pour promettre de les produire. Quelle que soit la force, la majorité du gouvernement, il doit obéir aux ordres de la Chambre et produire les documents dès qu'il en reçoit l'ordre. Dans ce cas-ci, il n'a obéi à l'ordre de la Chambre que lorsque le député de Joliette a proposé sa motion de non-confiance.
Le gouvernement a violé un ordre de la Chambre, il a violé ses privilèges en refusant de produire des renseignements votés par elle; en cela, le gouvernement n'a pas fait son devoir, il a établi un dangereux précédent et il doit être censuré, quelle que soit la force numérique de ses partisans à l'Assemblée législative. Il se réfère aux règlements parlementaires et constitutionnels ayant trait à la production de documents, lorsque votés par la Chambre.
Il demande instamment à la Chambre de blâmer le gouvernement en votant en faveur de la motion du député de Joliette. Il ne veut pas croire que la Chambre va faire preuve de fanatisme et de partisannerie au point de refuser de blâmer le gouvernement dans cette question où la logique est évidemment du côté de l'opposition. La Chambre qui, dit-il, vient de se prononcer avec éclat sur ce point, se déjugerait en agissant de la sorte, et elle commettrait un acte de parti pris politique. Je trouve étrange que des députés ayant été si indignés, face à la violation des privilèges de la Chambre, soient aujourd'hui si dociles.
Est-ce que la majorité en cette Chambre, pour des raisons partisanes, va appuyer le gouvernement dans cette violation des privilèges de la Chambre? La majorité de la Chambre va-t-elle mettre de côté les règlements par pure partisannerie politique? Je ne le crois pas. Je ne puis croire que la Chambre qui a revendiqué ses privilèges, tout dernièrement, sacrifiera ces derniers par esprit politique. La Chambre n'a pas le droit de commettre cet acte de partisannerie1!
Il est étrange que ceux qui se vantent d'être si fiers de la grandeur et de la splendeur de leur peuple et leur province doivent mettre de côté leurs principes pour le parti. Je ne crois pas que la majorité en cette Chambre puisse se contredire et reculer sur des principes si vivement proclamés récemment au point de voter contre la motion. Il s'agirait d'un précédent dangereux si cette Chambre agissait ainsi par partisannerie politique.
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) soulève une question d'ordre. Je rappelle mon honorable ami à l'ordre. Il n'a pas le droit, par des insinuations, de condamner un acte de la Chambre. Il ne peut dire que la Chambre fait des actes de parti pris et accuser la députation de fanatisme et de partisannerie.
M. Sauvé (Deux-Montagnes): Ce n'est pas ce que j'ai dit. Je dis que la Chambre ferait un acte de partisannerie si elle se déjugeait et si elle votait contre la motion. J'espère même qu'elle ne le fera pas.
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): C'est la même chose. C'est procéder par insinuation.
M. Sauvé (Deux-Montagnes): Je dis que si la Chambre agit ainsi, elle se rendra coupable de partisannerie politique.
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) proteste encore et en appelle à l'Orateur.
M. l'Orateur: Le chef de l'opposition ne doit pas insinuer que la Chambre se rendrait coupable de partisannerie politique aux dépens de principes. Il croit que M. Sauvé n'insistera pas sur ces termes. Je crois que l'honorable chef de l'opposition n'insiste pas, qu'il ne persiste pas à parler ici de partisannerie politique.
M. Sauvé (Deux-Montagnes): Très bien. J'affirme que je ne veux pas croire à de la partisannerie politique de la part de la majorité ministérielle et je me dispose à l'applaudir.
M. Grégoire (Frontenac): M. l'Orateur...
M. l'Orateur: À l'ordre!
M. Sauvé (Deux-Montagnes): Je comprends que l'honorable député de Frontenac, à titre de doyen de la députation, veut se lever pour dire qu'il m'appuie dans notre motion, pour me dire que je n'ai rien à craindre, que la Chambre ne dira pas que le gouvernement a eu raison de ne pas obéir aux ordres de la Chambre. Si le gouvernement avouait qu'il a eu tort, je n'insisterais pas probablement, mais je suis convaincu que les députés ne souffriront pas qu'on les traite de cette façon. Il n'y a pas deux logiques, deux patriotismes.
Le gouvernement doit se soumettre aux règlements, à la Constitution. Et je suis convaincu que la Chambre désapprouvera son action. La parole du député de Frontenac (M. Grégoire) aura d'autant plus de poids qu'il est le doyen de la Chambre. Je le remercie d'avance. Il affirme que le gouvernement aurait pu facilement fournir les documents demandés et que ceci n'aurait pas dû prendre deux ans, après qu'une motion de censure ait été introduite.
Sans rien insinuer, car je ne veux pas être désagréable envers le premier ministre, mais plutôt je veux le rassurer, je ne peux qu'en venir à la conclusion que le gouvernement ne respecte pas la Chambre. Comment pouvons-nous travailler sérieusement, si la Chambre est traitée de cette manière par le gouvernement? Si les membres de cette Chambre se lèvent pour protester et montrer leur indignation envers des mots dont eux ou la Chambre ne sont pas la cible, ne devraient-ils pas se lever maintenant et protester contre cet outrage aux règlements de la Chambre?
Je souhaite que mes compatriotes - pour impressionner certains des députés impressionnables - tiennent compte de ce que j'ai dit, et que le sens de la justice britannique des députés anglais prévaudra et jugera en conformité avec les faits que j'ai cités. Je ne crois pas que la Chambre se rendrait coupable de partisannerie. Les cieux m'empêchent de penser ainsi. S'ils votent contre la motion, ce serait plus que de la partisannerie, ce serait du fanatisme.
Sûrement que le ministre de l'Agriculture (l'honorable M. Caron) votera pour la motion. Il retrouvera sa vieille indépendance et rendra justice là où il faut que justice soit rendue, et condamnera ceux qui doivent être condamnés. Le ministre est entré en politique avec un programme caractérisé par l'indépendance. Il est trop gentilhomme pour reculer et commettre un acte de fanatisme.
J'ai aussi confiance dans le jugement du secrétaire provincial (l'honorable M. David) qui nous parle beaucoup et avec grande éloquence du patriotisme. Il définit avec tant d'éloquence le vrai patriotisme des Canadiens français. Il possède de grandes qualités. Ses mots nous ont fait monter dans le ciel bleu et dans les airs par ses nobles pensées et par ses discours sur la grandeur et le sens moral de notre peuple. Il verra assurément la logique de la motion.
Et l'honorable trésorier (l'honorable M. Nicol) l'accueille avec de bons mots et est confiant que, bien qu'il soit membre depuis peu de temps, il connaît assez bien l'atmosphère de la Chambre pour être en mesure de juger adroitement dans ce cas et que, conséquemment, il votera contre le gouvernement. Bien sûr que la Chambre ne se montrera pas partisanne2...
Après mûres réflexions, il n'est pas facile pour les ministres de voter contre le gouvernement. Il suggère que le gouvernement admette qu'il a manqué à son devoir en ne fournissant pas les documents et qu'il promette de mieux se conduire dans l'avenir. S'il fait ceci, il est prêt à laisser tomber sa motion...
(Personne ne réplique du côté ministériel.)
Si j'étais un homme violent ou un homme de mauvaise disposition, je dirais que la raison pour laquelle le gouvernement n'a pas fourni les documents, lorsqu'ils furent demandés, est que ceux-ci contenaient des choses qu'il ne voulait pas rendre publiques. Si je voulais être malin, si je voulais être violent, je dirais que le gouvernement n'a pas produit ces documents sur l'affaire Garneau, parce que ça n'aurait pas fait son affaire et qu'il avait intérêt à tant retarder. Mais ce n'est pas dans mon caractère.
L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): Il est heureux que le chef de l'opposition ne soit pas un violent. On se félicite de trouver en face un ami aussi doux et pacifique qui ne dit jamais un mot plus haut que l'autre. Peut-être que voilà une bonne chose, sinon le gouvernement serait vraiment en danger. Il n'avait pas besoin, du reste, de protester de sa douceur. Sa voix, modulée, est empreinte, on l'a vu, de la plus exquise douceur. Elle avait tout à l'heure, le ton de la prière attendrie... Avec cette douceur que nous avons admirée, il nous a déclaré que la majorité de la Chambre allait voter avec lui. Il en est certain. Quelle foi!
M. Sauvé (Deux-Montagnes): Je peux me tromper, bien sûr.
L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): Quelle belle foi! Avec une foi semblable, on ne transporte pas une montagne, mais deux montagnes! J'ai bien peur, cependant, que mon honorable ami ne s'envole dans l'azur! (rires). À tout événement, il ne devra pas être trop étonné si la Chambre n'est pas ébranlée par ses prières et ses supplications. C'est une bonne chose que le chef de l'opposition parle doucement, avec modération, car, de cette façon, il a réussi à endormir son collègue le député de Saint-Georges. Je suis heureux de voir que l'honorable député de Montréal-Saint-Georges (M. Gault) vient de sortir du profond sommeil qui ne l'a pas quitté pendant le discours de son chef3.
M. Sauvé (Deux-Montagnes): Il y a un ministre qui dort aussi.
L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): Depuis 22 ans que je siège en cette Chambre, je n'ai jamais entendu proposer une semblable motion. De quoi s'agit-il? Le gouvernement n'aurait pas produit des documents que l'opposition a demandés voilà trois ans. Le gouvernement produit tous les documents que l'opposition lui réclame; il se hâte lorsque les documents lui sont demandés tout de suite. Il n'y a pas eu de violation des règles de la Chambre. Quelle est la pratique en cette Chambre? Généralement on demande des documents pour avoir le prétexte de discuter certaines questions. Il donne la liste des documents en question: la correspondance concernant l'administration de la justice en 1918, 1919 et 1920; la correspondance au sujet de la mort de Blanche Garneau; la correspondance, etc., depuis 1920, avec M. Napoléon Laliberté, avocat, concernant le meurtre de Auger Ena; la correspondance de la Dominion Detective Agency ou Gonzalve Savard, au sujet de la loi de prohibition; la correspondance concernant l'inapplication de la loi 9 George V, chapitre 18.
Ces documents, peut-on penser, dit-il, ont été demandés, comme cela se fait souvent, pour permettre à un député de parler sur un sujet donné ou sur une question quelconque. Dans bien des cas, il n'y a pas de documents relatifs à la question soulevée. Quant à la production de ces documents, c'est l'effet d'une entente entre le gouvernement et ceux qui les demandent. Si on veut les avoir, nous nous empressons de les produire, quand ils n'ont pas seulement servi de prétexte à une discussion. Ceux que mon honorable ami réclame aujourd'hui ont été demandés il y a deux ans, et il ne s'en est pas occupé depuis.
Je ne crois pas que le chef de l'opposition ait demandé ces documents, en particulier à la fin de la session de 1921, mais il arrive souvent que des députés demandent des documents qui, pour une raison ou pour une autre, n'ont pu être produits. Ils (les documents) ont provoqué des discussions; puis, l'on n'en a plus parlé. Ni pendant la session où ils ont été demandés, ni au cours de la session suivante, l'on a insisté pour leur production. Ils n'étaient donc pas si indispensables.
M. Sauvé (Deux-Montagnes): Je les ai demandés l'an dernier.
L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): J'accepte cette déclaration du chef de l'opposition. Il les a eus, hier, enfin, ses documents, et il n'y a pas de raison de voter non-confiance au gouvernement pour cela. Le chef de l'opposition peut être sûr que nous sommes toujours à son entière disposition pour lui donner tous les renseignements que nous pourrons lui donner. Dans l'occurrence, il n'y a donc pas lieu de voter cette motion du député de Joliette (M. Dufresne), les privilèges de la Chambre n'ont pas été le moindrement violés.
M. Smart (Westmount): Le ministre ne prend pas la question au sérieux. Il regrette, dit-il, que le ministre de l'Agriculture ne considère cette question que comme une farce. Pour lui, il croit que la population de cette province la considère tout autrement. Les règles de cette Chambre sont très claires. Elles commandent au gouvernement de déposer devant la Chambre sans aucun retard, les documents que cette Chambre lui ordonne de déposer. Il lui semble étrange que le gouvernement attende jusqu'à la fin de 1922, pour déposer devant la Chambre des documents que cette dernière lui a ordonné de déposer au commencement de 1921. Il est étrange que les documents que le gouvernement n'a pas eu le temps de produire en deux ans, il ait pu les faire transcrire en trois jours, après la présentation de la motion de censure. Le gouvernement, croit-il, ne saurait prétendre qu'il faut près de deux ans pour copier ces documents qui concernent l'administration de la justice.
Il est clair que les critiques de l'opposition sont amplement justifiées. L'opposition est limitée en nombre de députés, mais ceci n'implique pas que ses droits ou ceux de la province soient écrasés. Le gouvernement avait le droit, sous sa responsabilité, de refuser la production des documents; mais une fois que la Chambre a décrété cette production, il doit les produire. Puisque le gouvernement a tant tardé à déposer ces documents devant la Chambre, qu'il en prenne la responsabilité...
(Applaudissements)
(Le discours du député de Westmount (M. Smart) est interrompu par l'ovation faite à MM. Madden et Paquet qui reviennent d'une comparution devant la Commission d'enquête sur l'affaire Blanche Garneau.)
M. Madden (Québec-Ouest) et M. Paquet (Saint-Sauveur) se lèvent et saluent leurs collègues4.
M. Smart (Westmount): Jamais je n'ai entendu d'aussi chaleureux et enthousiates applaudissements en cette Chambre. C'est la plus longue ovation que j'aie reçue en cette Chambre.
Le premier ministre a dit que la production de ces documents n'a été demandée que dans les derniers jours de la session. Il serait plus juste de déclarer que la discussion sur la motion n'a été fixée par le gouvernement que dans les derniers jours de la session. Il raconte à ce sujet des faits personnels. Il a demandé la production de certains documents concernant la Commission des liqueurs, dès les premiers jours de la dernière session. Il n'a pu la discuter qu'à la fin de la session, le jour même de la prorogation. Ce n'est pas de la faute de l'opposition mais du gouvernement. Il a réclamé ces mêmes documents au commencement de la présente session; et les documents ont été produits au bout de deux ou trois jours. Le gouvernement, en refusant de produire les documents que l'on demandait, qu'on en ait ou non besoin, a violé les privilèges de la Chambre. Le gouvernement viole l'esprit de la loi et je crois que la Chambre doit voter la motion de censure.
Et la motion étant mise aux voix, la Chambre se divise et, sur la demande qui en est faite, les noms sont enregistrés ainsi qu'il suit
Pour: MM. Dufresne, Gault, Renaud, Sauvé, Smart, 5.
Contre: MM. Bédard, Bercovitch, Bissonnet, Bouthillier, Bugeaud, Cannon, Caron (Îles-de-la-Madeleine), Cédilot, Conroy, Daniel, David, Farand, Forest, Forget, Fortier, Galipeault, Gaudrault, Gauthier, Godbout, Grégoire, Hamel, Lacombe, Laferté, Lafrenière, Lahaie, Laurendeau, Lemieux (Gaspé), Lemieux (Wolfe), Létourneau, Madden, McDonald, Mercier fils (Châteauguay), Mercier (Trois-Rivières), Miles, Moreau, Nicol, Oliver,Ouellet (Dorchester), Ouellette (Yamaska), Paquet (Saint-Sauveur), Péloquin, Perrault, Phaneuf, Philps, Pilon, Reed, Ricard, Richard, Roy, Saurette, Simard, Taschereau, Thériault, Vautrin, 54.
La motion est ainsi rejetée.
Questions et réponses:
Contrats de routes
M. Sauvé (Deux-Montagnes): 1. Combien de contrats ont été octroyés en 1921 pour la construction de routes provinciales ou régionales dans la province?
2. Par qui furent signés ces contrats?
3. Quels sont les noms et résidences des entrepreneurs pour ces routes?
4. Quels sont les noms et résidences des compagnies ou sociétés qui ont construit certaines de ces routes ou parties de routes?
5. Combien de ces entrepreneurs ont fait eux-mêmes ces travaux et quels sont leurs noms?
6. Combien de ces entrepreneurs ont fait faire les travaux par sous-contrats?
7. Quels sont leurs noms et demeures?
8. Quels sont les noms et demeures des sous-entrepreneurs?
9. Mêmes questions pour 1922.
L'honorable M. Perrault (Arthabaska): 1. Sur le système des grandes routes de la province, 13 contrats ont été octroyés en 1921, et 104 en 1922.
2. Ces contrats furent signés, en 1921, d'une part, par les personnes suivantes: Dave Devito, Jos. Surprenant; William I. Bishop Ltd, Associated avec P. Lyall & Sons Construction Co. Ltd, par William Lyall; William I. Bishop, I. Duquette; "Newton-Dakin Construction Co.", par F. W. Dakin, président, J. W. French; "The Kennedy Construction Co", par J. Kennedy; J.-E. Paquin; Jos. Blais; Rod. Potvin; J. P. Lachapelle & Cie.
D'autre part, par les personnes suivantes: B. Michaud, sous-ministre de la voirie; Ernest Plaisance, maire et Donat Beaudet, secrétaire-trésorier de St-Louis-de-Lotbinière; J.-S. Beaudet, maire, et L.-E. Tousignant, secrétaire-trésorier de Leclercville; Alex. Blais et J.-A. Gagné, échevins de Lévis; Adélard Bégin, maire et Thomas Saint-Laurent, conseiller de St-Télesphore; Émile Gaudreau, maire, et D. H. Noiseux, secrétaire-trésorier de Farnham-Ouest; Jos. Harpin, maire et Geo. Paquette, secrétaire-trésorier de St-Ours; W. J. Riely, maire et Henri Dutil secrétaire-trésorier de St-Romuald.
Ces contrats furent signés, en 1922, d'une part par les personnes suivantes: I. Duquette; Alphonse Létourneau; N. Bucciarelli; Gédéon Pomerleau et Édouard Lemieux; Léger & Charlton Ltd par L. Léger, président; Pacifique Baillargeon; "The Kennedy Construction Co", par St-George Harvey, secrétaire ou J. Kennedy; Jos. Arthur Brouillette; Joseph Blais Enr. par Jos. Blais; Uldéric Paris; Cie de Construction de St-Ours, par J. P. Lachapelle; Jos. Trudeau et Jos.-Euclide Messier; Harry L. St-George; Nap. Trudel & Fils; J. Raoul Boulanger; "Veilleux Construction Co", par Henry Veilleux et William H. Veilleux; T. E. Rousseau Ltée, par T. E. Rousseau, président et J.-A. Careau, secrétaire-trésorier; Frank Walters & Co, par W. A. McCarthy et Frank Walters; "Universal Contractors Inc", par Thomas Cozzolino; "Engineers & Contractors Ltd", par E. R. Reid, président; C. Gauthier; F. Laroche; Rousseau & Guertin par J.-E. Guertin; "Nova Scotia Construction Co. Ltd" par Thomas Cozzolonio; Adélard Lizotte, "Montreal Road Construction Co. Ltd" par J.-E. Paquette; Armand Sicotte & Cie, par Armand Sicotte; Arthur Maynard; Normand & Normand par J. Normand; N. A. McDonald; "Terminal Construction Co. Ltd", par G. A. McLeod, président; Laganière, Houde & Cie par C. H. Laganière; J. A. Brouillette et Alex. Venne, père; Frs Cordeau; Jacob A. Jacobs; O'Connors Ltd" par W. P. O'Connor, sec. trés.; "O'Connor Bros", par D. J. O.; Dave Devito; Alex. Lavigne; "Canada Construction Co", par W. H. Kelley, président; Damase Lagacé; "Newton-Dakin Construction Co", par W. F. Dakin, président.
D'autre part, par J.-L. Perron, ministre de la voirie, B. Michaud, sous-ministre de la voirie, John Doré, sec.-trés. de St-Edmond-de-Grantham; J.-E. Demers, maire de Lévis.
3. (Voir la liste ci-dessous)
En 1921:
Dave Devito, Neuville, comté de Portneuf.
J. Surprenant, Farnham, comté de Missisquoi.
"W. I. Bishop, Limited", Édifice New Birks, Montréal.
I. Duquette, Lac-Mégantic, comté de Frontenac.
"Newton-Dakin Construction Co.", 181 rue King-Ouest, Sherbrooke.
J. W. French, Cookshire, comté de Compton.
"The Kennedy Construction Co.", Édifice Shaughnessy, Montréal.
Jos.-E. Paquin, Lotbinière, P.Q.
Jos. Blais, Lévis, P.Q.
R. Potvin, J. P. Lachapelle & Cie, St-Ours, comté de Richelieu.
En 1922:
I. Duquette, Lac-Mégantic, comté de Frontenac.
Alphonse Létourneau, Disraéli, comté de Wolfe.
N. Bucciarelli, Aylmer, comté de Hull.
Gédéon Pomerleau, St-Victor-de-Tring, comté de Beauce.
Édouard Lemieux, Ste-Marie, comté de Beauce.
Léger & Charlton Ltd, 458 rue St-Joseph, Lachine, P.Q.
Pacifique Baillargeon, St-Jean, P.Q.
"The Kennedy Construction Co.", édifice Shaugnessy, Montréal.
J.-A. Brouillette, L'Assomption, P.Q.
Jos. Blais, Enr., Lévis, P.Q.
Uldéric Paris, Deschaillons, comté de Lotbinière.
Cie de Construction de St-Ours, St-Ours, comté de Richelieu.
J. Trudeau, et J.-E. Messier, Varennes, comté de Verchères.
H. L. St-George, 127 rue Stanley, Montréal.
N. Trudel & Fils, St-Irénée, comté de Charlevoix.
J.-R. Boulanger, Montmagny, P.Q.
Veilleux Construction Co., 76 rue London, Sherbrooke.
T. E. Rousseau, Ltée, Édifice Québec Railway, Québec.
Frank Walters & Co., Lennoxville, comté de Sherbrooke.
"Universal Contractors Inc." Édifice Drummond, Montréal.
"Engineers & Contractors Ltd", Annapolis Royal, N. E.
C. Gauthier, Weedon, comté de Wolfe.
F. Laroche, Coaticook, comté de Stanstead.
Rousseau & Guertin, Lambton, comté de Frontenac.
"Nova Scotia Construction Co", 59 rue St-Pierre, Montréal.
A. Lizotte, Ham-Sud, comté de Wolfe.
"Montreal Road Construction Co. Ltd", 29 rue Hermine, Montréal.
A. Sicotte & Cie, 83 rue Craig-Ouest, Montréal.
A. Maynard, Chambly canton, comté de Chambly.
Normand & Normand, L'Islet, P.Q.
N. A. McDonald, Dalhousie-Station, comté de Soulanges.
"Terminal Construction Co., Ltd", Édifice Roy, Halifax, N.E.
Laganière, Houde & Cie, 319 rue St-Paul, Québec.
Alex. Venne, père, L'Assomption, P.Q.
F. Cordeau, Bon-Conseil, Drummond.
Jacob A. Jacobs, 282 rue Ste-Catherine-Ouest, Montréal.
"O'Connors Ltd", 204 rue St-Jacques, Montréal.
"O'Connor Bros", Huntingdon, P.Q.
Dave Devito, Neuville, comté de Portneuf.
Alex. Lavigne, Aylmer-Est, comté de Hull.
"Canada Construction Co", Buckingham, comté de Labelle.
Damase Lagacé, L'Abord-à-Plouffe, comté de Laval.
"Newton-Dakin Construction Co", 181 rue King-Ouest, Sherbrooke.
4. Réponse au no 3.
5. Tous les entrepreneurs énumérés ci-haut.
6. Aucun à la connaissance du département.
7. Réponse au no 6.
8. Réponse au no 6.
Honoraires de Charles Lanctôt
M. Smart (Westmount): Combien le gouvernement a-t-il payé M. Charles Lanctôt, depuis cinq ans, pour services comme assistant-procureur général ou autres, divers, etc.?
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Cet état apparaîtra lors de la production de l'état demandé par l'item no 55, de l'ordre du jour.
Dépôts bancaires de la Commission des liqueurs
M. Sauvé (Deux-Montagnes): 1. Quelle somme minimum la Commission des liqueurs a-t-elle eu en dépôt à la Banque Nationale pendant chacun des mois écoulés depuis le 1er mai 1921?
2. Quels intérêts la Commission a-t-elle reçus sur ces dépôts depuis le 1er mai 1921?
L'honorable M. Nicol (Richmond): 1922
1.
Février | $50,000.00 |
Mars | 102,061.85 |
Avril | 104,665.40 |
Mai | 107,584.72 |
Juin | 104,257.54 |
Juillet | 5,658.70 |
Août | 7,776.70 |
Septembre | 6,661.09 |
Octobre | 6,199.34 |
2. $1,329.11.
Tunnel au palais de justice de Montréal
M. Renaud (Laval): 1. À quelle date a été passé l'ordre en conseil approuvant le contrat de la construction d'un tunnel, allant du palais de justice de Montréal à l'annexe actuellement en construction?
2. Quel est le nom de l'entrepreneur? Si c'est une compagnie, quels en sont les directeurs? Si c'est une société commerciale, quels en sont les membres?
3. À quelle date et devant quel notaire le gouvernement a-t-il signé le contrat pour lesdits travaux?
4. À quelle date les travaux de construction ont-ils été commencés? A quelle date ont-ils été terminés? Quel est le montant du contrat accordé?
5. Y a-t-il eu des soumissions publiques de demandées?
L'honorable M. Galipeault (Bellechasse): 1. Pas d'ordre en conseil, construction du tunnel exécutée en même temps que le contrat des fondations et aux mêmes conditions.
2. Même entrepreneur. Pour les noms des directeurs de cette compagnie, voir Procès-verbaux de cette chambre, 3 novembre 1922, page 5.
3. Aucun contrat signé.
4. 12 septembre 1922. Terminé le 24 novembre 1922, à l'exception du lambris intérieur qui sera fait après la plomberie. A coûté jusqu'à date $19,577.
5. Non.
Permis d'alcool dans Richmond
M. Sauvé (Deux-Montagnes): 1. A-t-il été accordé des licences suivant la loi des liqueurs, dans le comté de Richmond, pour l'année ou partie de l'année 1922?
2. Si oui, dans quelles municipalités et quels sont les noms des personnes qui ont recommandé ces licences?
L'honorable M. Nicol (Richmond): 1. Oui.
2. Bromptonville, aucune recommandation; Richmond, aucune recommandation; Windsor, le conseil municipal.
Expropriations
M. Ouellet (Dorchester) propose, selon l'ordre du jour, que le bill 162 amendant le Code municipal, relativement aux expropriations pour fins municipales, soit maintenant lu une deuxième fois.
Adopté. Le bill est renvoyé au comité permanent du Code municipal.
Loi des faillites
M. Létourneau (Québec-Est) propose selon l'ordre du jour, appuyé par le représentant de Québec-Comté (M. Leclerc), que cette Chambre regrette que l'Acte des faillites, tel qu'amendé, invite à la malhonnêteté et à la fraude, cause au commerce et à l'industrie des embarras sérieux, qui sont de nature à ruiner les crédits, et elle invite le gouvernement fédéral à révoquer cette loi.
Il dit qu'il ne provoquerait pas cette discussion, s'il était convaincu que la loi des faillites sauvegarde les intérêts commerciaux et industriels du Canada en général et ne présente d'inconvénients que pour notre province. En affirmant, dit-il, que la loi des faillites invite à la malhonnêteté et à la fraude, je parle d'un mal dont les conséquences existent dans toutes les parties du pays. Je sais fort bien que la loi des faillites regarde toutes les provinces et je n'entends pas faire le plaidoyer des provinces-soeurs qui sont capables de se protéger elles-mêmes.
Je veux parler pour la province de Québec; je ne veux pas non plus me servir d'arguments qui heurteraient les sentiments de nos concitoyens des autres provinces. Je veux simplement démontrer que, dans la province de Québec, la loi actuelle des faillites invite à la malhonnêteté et à la fraude. C'est ici la place où il faut en parler. C'est un mal dont les conséquences sont aussi déplorables dans la Colombie Anglaise que dans l'Ontario et dans la Nouvelle-Écosse.
Les mêmes causes produisent partout les mêmes effets. Il n'est pas nécessaire de faire de longues enquêtes au dehors pour être fixés sur les ravages de cette loi.
Les faits recueillis dans la province démontrent que la loi a eu pour but de pervertir nos populations. Grâce à des intermédiaires peu scrupuleux pour ne pas dire plus, elle a encouragé, chez trop de nos gens, le désir de se débarrasser de leurs dettes, par des méthodes illégales et par des moyens d'une honnêteté douteuse. La première question que j'essaierai d'étudier et de résoudre, parce que je la crois d'importance capitale pour tout le monde, est si la loi des faillites favorise par sa constitution même et par ses dispositions essentielles les opérations malhonnêtes et frauduleuses dans toutes les classes de notre société; je dis que cela constitue un danger national contre lequel il appartient à cette Chambre de réagir énergiquement et sans délai.
Si d'un autre côté, à un point de vue plus matériel, cette même loi menace de désorganiser notre commerce et notre industrie et de ruiner notre crédit, ce que je crois également et ce que les faits démontrent, cette Chambre est justifiable d'entendre mes raisons, d'exprimer ses regrets qu'un tel état de choses puisse exister, et de prendre les mesures qu'elle jugera efficaces pour le faire disparaître.
Je parle ici non comme marchand et manufacturier, mais comme législateur dont la mission est d'aider à faire de bonnes lois et à supprimer les mauvaises. Je prêche pour la société en général. Les sollicitations de quelques-uns de mes amis, le silence des autres, l'indifférence du plus grand nombre m'auraient découragé depuis longtemps, si j'avais eu plus de souci de mon repos que de mon devoir.
Je ne me dissimule pas non plus qu'un politicien, qui parle de morale en public, court le risque de provoquer les moqueries des sceptiques et les défiances plus ou moins déguisées des défenseurs officiels des bons principes. Je voudrais que notre population soit préservée des tentations séduisantes offertes par les brasseurs d'affaires, grâce à cette loi qui menace de désorganiser notre commerce et notre industrie et de ruiner notre crédit. Il n'est peut-être pas inutile de commencer par un court historique de la loi de faillite dans notre pays.
Trois ans avant la confédération des provinces, en 1864, on crut le moment venu d'uniformiser la législation relative aux commerçants insolvables. La population du Haut et du Bas-Canada était alors d'un peu plus de 2,500,000 âmes. L'élément anglais était en majorité, et ce fut l'honorable John A. Macdonald, alors procureur général du Haut-Canada, qui introduisit cette législation en Chambre. Cinq années plus tard, en 1869, la loi était abolie, probablement parce qu'elle ne répondait plus aux besoins du commerce, mais surtout parce que les provinces de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, entrées dans la Confédération en 1867, nécessitaient des arrangements nouveaux, correspondant au nouvel état de choses. La première loi fut remodelée après cinq ans, sans donner de meilleurs résultats.
L'acte de faillite de 1869 ne contenait pas moins de 155 clauses. La dernière, qui n'était pas la moins importante, en limitait la durée à quatre années, à partir du 1er septembre 1869, date à laquelle elle était entrée en vigueur. Si cette loi de faillite avait donné satisfaction au commerce et au public en général, elle aurait certainement été maintenue. Il y a lieu de croire qu'elle ne correspondait plus aux besoins du pays, car elle mourut de sa belle mort, le 1er septembre 1873. Les provinces retombaient, par le fait, sous la juridiction et les lois qui leur étaient propres, quant à ce qui concerne la personne et les biens des insolvables.
Mais les partisans quand même de l'ingérence fédérale, principalement les syndics officiels dont le rôle était déjà important, n'allaient pas abandonner la partie. L'essai des deux premières lois de faillite avait été fait sous le régime conservateur. On résolut de tenter une expérience nouvelle sous l'administration libérale Mackenzie, et nous eûmes la loi de faillite de 1874, qui fut sanctionnée le 8 avril de cette année-là5. Apparemment, elle ne fit pas merveille, car moins de cinq ans plus tard, le 1er avril 1880, elle passait de vie à trépas. Ces trois essais infructueux de loi de faillite, dans l'espace de 16 ans, paraissaient avoir mis un terme aux initiatives du pouvoir fédéral dans ce sens, puisqu'il ne les a pas renouvelées durant les quarante années qui ont suivi (1880-1920).
Le Canada a éprouvé bien des fortunes diverses pendant cette période: tour à tour soumis au régime tarifaire protectionniste ou de simple revenu, au régime politique conservateur ou libéral, à ces crises sérieuses du commerce et de l'industrie, dans la paix comme dans la guerre, dans la disette ou la prospérité, jamais, durant quarante années consécutives, le Canada n'a senti le besoin d'une loi de faillite. Voilà un fait matériel qui doit nous faire réfléchir.
Que faut-il conclure de là? Trois choses, M. l'Orateur.
Premièrement, que nos hommes d'État ont fait eux-mêmes faillite dans les trois premières tentatives qu'ils ont faites pour doter le pays d'une loi de faillite.
Deuxièmement, que dans le passé, nos lois de faillite ont été plutôt une nuisance publique, et condamnées comme telles par l'opinion publique et par leurs propres auteurs.
Troisièmement, que le Canada peut facilement se passer d'une loi de faillite. Telle est la leçon de l'histoire. La création et l'abolition successive de trois lois de faillite dans l'espace de 16 ans est un phénomène remarquable dans nos annales parlementaires; il s'explique par le fait que ces lois avaient un vice radical et portaient en elles un germe de mort.
Et voilà que, tout à coup, après 40 ans de prospérité sous le droit commun, une quatrième loi de faillite a pris naissance parmi nous. Un projet de loi, venu on ne sait d'où, demandé par on ne sait qui, ne faisant partie ni du programme de l'opposition, ni de celui du gouvernement, ne portant la recommandation d'aucun corps public intéressé, a été présenté au Parlement. Il ne m'appartient pas de rechercher l'étude qui s'en est faite dans les comités et en Chambre, non plus que de relater l'état de crise par lequel passait alors le monde gouvernemental et parlementaire, à la suite et comme conséquence de la Grande Guerre. Que voyons-nous cependant. Le même rouage usagé, néfaste et condamné des syndics, toujours et plus que jamais intéressés à se tenir à l'affût des débiteurs insolvables.
Le même mépris de nos lois civiles et de nos règles de procédure, avec cette conséquence, fatale pour nous de la province de Québec, que dans tout conflit de législation, la loi fédérale est souveraine et met à néant nos lois provinciales.
Je m'arrête ici un instant. Je me tourne vers l'honorable premier ministre, procureur général de la province de Québec, et, comme tel, gardien sacré de nos privilèges et de nos lois, et je lui demande s'il ne s'est pas indigné parfois de constater avec quelle désinvolture la loi de faillite fait litière de l'esprit et de la lettre de nos Codes. Tous les juges et les avocats dignes de ce nom, et à la hauteur de leurs professions, ne déplorent-ils pas tous les jours ce camouflage de la justice?
Je me demande si le temps n'est pas venu de placer toute cette question sur son véritable terrain, j'en ai fini pour ma part, avec l'épouvantail d'un gouvernement fédéral se proclamant maître absolu en toutes matières, et faisant main basse sur les attributions des Législatures. Il est temps que les Législatures provinciales revendiquent l'usage de leurs attributions et empêchent le gouvernement fédéral de mettre la main sur tous leurs pouvoirs. Jamais il ne s'est élevé un mouvement sérieux parmi les marchands et les industriels.
Au contraire, les anciens parlent encore avec terreur du temps où fonctionnait la loi de faillite de 1875. Notre loi de cession de biens, qui n'était pas parfaite, sans doute, mais qui pouvait le devenir avec des retouches, répondait aux exigences générales, était bien comprise et bien appliquée, fonctionnait normalement devant les tribunaux par l'entremise des curateurs et des officiers de justice, et, enfin, dans l'ensemble comme dans le détail, ne maltraitait pas outre mesure les parties en cause. Les bordereaux de collation n'étaient pas toujours conformes aux espérances du créancier, mais il subissait sa perte sans trop de mauvaise humeur, ayant tiré tout le parti possible d'une mauvaise affaire, et conservant son recours pour la balance de sa créance à sa discrétion.
Notre commerce, notre industrie, notre agriculture, nos finances étaient menacés d'une catastrophe. Le temps était bien mal choisi pour opérer une révolution dans notre système de règlement des faillites. Des problèmes internationaux, la baisse alarmante du change de notre dollar sur le marché américain, des divisions intestines dans le cabinet et dans les rangs du parti au pouvoir, le désordre qui régnait dans l'administration, le surcroît de travail d'une opposition réduite en nombre et forcément absorbée par les questions les plus pressantes d'intérêt public, tout cela rendait difficile, pour ne pas dire impossible, l'étude raisonnée d'une question aussi complexe que celle qui fait le sujet de mon discours.
C'est cependant au milieu de ce désarroi général que la sanction royale fut donnée à la loi de faillite le 7 juillet 1919. Par le fait même, toute notre loi de cession de biens était supprimée et devenait lettre morte. Toute l'économie de notre système laborieusement perfectionné durant 40 ans, fortifié par l'expérience et par la jurisprudence de nos tribunaux, imprégné de l'esprit de notre Code civil, était mise à néant et était remplacée par une législation fédérale dont le mécanisme nous était inconnu.
Quand il s'est agi de la mise en opération de la nouvelle loi de faillite, chose singulière, ce ne sont pas les commerçants qui se sont les premiers aperçus de ses défauts, mais ce sont les législateurs eux-mêmes. Ils ont d'abord pris un an, de juillet 1919 à juillet 1920, pour mettre la machine en fonctionnement. Ils ont vite constaté que les 98 clauses de la loi primitive étaient pour la plupart défectueuses. Dix-neuf changements ont été jugés nécessaires. Ils ont été faits au cours de la session de 1920, et sanctionnés le jour même que la loi entrait en vigueur, le 1er juillet 1920. Depuis ce temps-là, aux deux sessions suivantes de 1921 et 1922, pas moins de 74 nouveaux amendements sont venus compliquer cette loi, ce qui fait jusqu'à aujourd'hui, pour ses deux premières années d'existence, 93 altérations d'une loi comportant en tout 98 articles.
Je me trompe, M. l'Orateur. La loi de faillite ne compte pas seulement 98 articles. Un 99ième lui a été ajouté en 1921. Il se lit comme suit: "La présente loi sera administrée par le ministre de la Justice." Or, le ministre de la Justice, par un concours providentiel de circonstances, est aujourd'hui, à Ottawa, celui-là même qui fut, dans notre province, le prédécesseur immédiat de notre procureur général et premier ministre actuel. N'y a-t-il pas, dans ce seul fait, M. l'Orateur, une raison d'espérer que l'heure est bien choisie pour faire parvenir au Parlement fédéral la voix de la Législature de Québec, avec certitude d'être bien entendu et bien compris?
Ai-je besoin, maintenant, de citer des exemples? Jusqu'au 1er juillet 1920, il n'en existait pas, pour la bonne raison que, avant cette date, il n'était venu à l'idée d'aucun législateur d'inventer une semblable machine. Dans les très rares cas où un non-commerçant insolvable s'exposait aux rigueurs d'un "capias" et était mis en prison, notre loi civile lui procurait le moyen de recouvrer sa liberté en faisant une cession de biens. C'était loin d'être un acte volontaire de sa part.
Je plaide l'intérêt général et non l'intérêt de la province de Québec. Je mets de côté les arguments qui ne seraient applicables qu'à une face et à une province. J'ai établi que, durant quarante années consécutives de 1880 à 1920, le Canada tout entier, au point de vue commercial et industriel, s'est développé et a prospéré sans qu'il ait eu besoin d'aucune loi de faillite fédérale. J'ai insisté sur le fait que, durant quarante ans, la province de Québec a su régler, au moyen de sa loi de cession de biens, toutes les difficultés résultant de l'insolvabilité des commerçants, et cela, à la satisfaction des intéressés. J'ai établi, d'une manière irréfutable, je crois, par les données de l'histoire, que la loi de faillite de 1864, passée sous le Canada-Uni, ainsi que celles de 1869 et 1875, votées par le Parlement du Canada, n'avaient évidemment pas donné satisfaction au commerce et à l'industrie, puisque le Parlement lui-même les avait abolies, ce qui n'arrive pas d'habitude pour les bonnes lois.
J'ai indiqué enfin le vice radical de ces lois et le germe mortel qu'elles contenaient, à savoir: la remise des affaires de faillite entre les mains d'une classe de gens directement intéressés à les multiplier, et la mise au rancart de notre droit civil et de nos règles de procédure traditionnelles. Le vice radical des trois premières lois de faillite résidait dans un des rouages essentiels de leur organisme, à savoir l'institution d'une classe de syndics directement intéressés à multiplier les faillites et qui n'étaient pas toujours à la hauteur des fonctions délicates qui leur étaient assignées.
Le germe de mort, c'était l'abandon des principes fondamentaux du droit civil et de procédure qui sont le patrimoine inaliénable des deux grandes races qui peuplent le Canada pour y substituer une machine administrative qui est pratiquement la négation de ces mêmes principes.
C'est à peu près le même rouage qui subsiste pour le fonctionnement de la loi actuelle extrêmement défectueuse. J'ai affirmé et démontré le fait que la nouvelle loi de faillite a été proposée et adoptée dans un temps de crise politique financière et parlementaire, et qu'elle n'avait pas reçu l'attention requise, vu les circonstances, ni de la part des intéressés, ni de la part des pouvoirs publics.
J'ai enfin encore établi que le Parlement fédéral avait déjà essayé de corriger l'erreur de sa loi primitive, en y remaniant, ajoutant ou supprimant des clauses nombreuses de telle sorte que 93 articles nouveaux sont venus modifier les 98 qu'elle contenait d'abord.
Avec ces amendements, la loi continue à être mauvaise. Elle viole la Constitution du pays, parce qu'elle foule aux pieds les droits et prérogatives des Législatures en matière de droit civil, parce qu'elle soustrait arbitrairement à la juridiction provinciale la personne et les biens des non-commerçants insolvables, et en particulier, la classe si intéressante des cultivateurs, ces pères nourriciers du pays.
Depuis 1920, sous l'opération de la nouvelle loi de faillite, administrée aujourd'hui par l'un des nôtres, Sir Lomer Gouin, ministre de la Justice à Ottawa, nous avons journellement le scandale de non-commerçants, professionnels, salariés, cultivateurs, etc., dont les noms s'étalent des les colonnes des journaux, faisant une sinistre réclame à notre province.
Je ne crains pas de dire que rien n'empêcherait légalement un prêtre catholique, un ministre d'une religion quelconque, une communauté religieuse, etc., de se servir de cet expédient pour se libérer de leurs dettes.
Ce qu'il y a d'odieux, c'est que, après avoir expressément exempté, par l'article 8, les salariés et les personnes s'occupant exclusivement d'agriculture ou de culture du sol des conséquences désastreuses d'une faillite obligatoire, elle leur laisse, à l'article 9, une porte large ouverte qui leur permet d'accomplir volontairement ce qu'on ne peut les forcer de faire, et de se livrer aux mains des syndics autorisés par une cession de leurs biens, au profit général des créanciers.
Les statistiques officielles des faillites des neuf premiers mois de 1922 démontrent que, sur le nombre total de 229 faillites enregistrées dans le pays, la seule province de Québec en compte 1,083, soit 40 %. Durant l'année 1921, le nombre des faillites pour tout le dominion du Canada avait été de 2,451. On calcule que, dans les deux années 1921-1922, les faillites égaleront en nombre celles des sept années précédentes. Il n'est pas exagéré de dire que, sur le nombre de 1,083 faillites dans les neuf premiers mois de 1922, il y a au moins 300 faillites de cultivateurs. Dans les neuf premiers mois de 1922, les fidéicommissaires ont manipulé une somme de $53,000,000, comprenant des recettes au montant de $22,201,000 et des dettes au montant de $31,156,000 en immeubles, matériaux, crédits, marchandises, argent, etc. Les intéressés ont perdu 75 % de leurs créances et, je crois, dit-il, qu'il est temps de mettre un terme à ceci.
Je sais, d'après des renseignements puisés à bonne source, qu'il y a eu 5 faillites de cultivateurs dans la seule paroisse de Saint-Ferdinand d'Halifax, 5 aussi au Lac Noir, 5 à Sainte-Germaine, 4 à Thetford, 3 à Robertson, soit en tout 22 faillites de cultivateurs dans 5 paroisses. Ceci comporte la vente publique, à sacrifices considérables, de 22 fermes, avec animaux et roulant. Ceci veut dire que 22 familles ont été chassées de leur foyer, pour prendre le chemin des autres provinces ou de l'exil aux États-Unis.
Pour vous prouver que je n'exagère pas, M. l'Orateur, laissez-moi vous lire l'article de tête d'un journal indépendant de cette ville, L'Événement, du 18 novembre 1922.
"On nous donne l'explication suivante de l'épidémie de faillites chez une certaine classe de cultivateurs: Les cultivateurs qui ont des dettes criardes, mais qui travaillent bien et entendent payer les avances qui leur ont été faites, sont souvent mal avisés, pour ne pas dire perfidement, par de soi-disant amis qui les induisent à essayer une liquidation pour se dégager de leurs créanciers, sous l'impression qu'une vente à l'encan leur rapportera 100 % de ce que valent leurs biens; ces pauvres gens acceptent de subir l'épreuve, qui, au lieu d'améliorer leurs affaires, ne sert généralement qu'à consommer leur ruine.
"On doit pourtant savoir que, depuis un an ou deux, ce n'est pas le bon temps de vendre une ferme et son roulant. Les perspectives sont que la propriété rurale se vendra beaucoup mieux dans un an ou deux que cet automne. La situation générale du commerce et de l'industrie va de mieux en mieux, ce qui veut dire que bientôt les producteurs du sol vendront leurs produits beaucoup mieux qu'aujourd'hui et constateront une plus-value appréciable de leurs biens-fonds. Il importe donc que les agriculteurs qui ont des dettes prennent patience et fassent entendre raison à leurs créanciers. Ceux-ci, neuf fois sur dix, préfèreront attendre un honnête homme que de le voir s'abandonner à des expédients ruineux.
"Si nos renseignements sont exacts, une partie des Canadiens français qui quittent nos campagnes pour aller tenter fortune aux États-Unis appartiennent à cette catégorie de cultivateurs malheureux que des circonstances ont jetés dans des embarras passagers. Pour avoir manqué de courage ou pour avoir écouté de faux amis, ils ont essayé une vente à l'encan et se sont vus bientôt acculés à la banqueroute. La plupart de ceux qui ont subi ce malheur auraient pu se tirer d'affaires, en trimant quelques mois encore, un an tout au plus. Et il est à noter, dans la plupart des cas, que leur ruine n'a même pas servi à désintéresser complètement leurs créanciers."
Vous avez remarqué les mots: "épidémie de faillites chez une certaine classe de cultivateurs, souvent mal avisés pour ne pas dire perfidement par de soi-disant amis qui les induisent à essayer une liquidation pour se dégager de leurs créanciers." "Pour avoir écouté de faux amis... ils se sont vus bientôt acculés à la banqueroute..."
Dans la plupart des cas, concluait L'Événement, "leur ruine n'a pas même servi à désintéresser complètement leurs créanciers."
Cette expression d'opinion d'un journal, dont la direction commerciale est sous la surveillance d'un des hommes d'affaires les plus avertis de Québec, révèle un état de choses qui ne saurait être toléré plus longtemps, sans avoir le plus dégradant effet sur notre population, aux bénéfices de gens qui en font un commerce et non une profession.
Quand on réfléchit que ces gens-là, dans les neuf premiers mois de 1922, ont manipulé à leur guise, dans notre province, la somme énorme de $53,358,029, comprenant un actif de $22,201,990 et un passif de $31,156,039 en immeubles, matériaux, créances, marchandises, argent, etc., appartenant à des cultivateurs, à des marchands, à des industries, et que, certainement les intéressés ont perdu au moins 75 % de leur avoir, c'est-à-dire près de $25,000,000. N'est-il pas vrai, M. l'Orateur, que le temps est sérieusement arrivé de nous demander: Où allons-nous?
Il ne sera pas difficile maintenant d'établir la seconde partie de ma proposition, savoir: que la loi de faillite cause des embarras sérieux au commerce et à l'industrie de nature à ruiner le crédit.
Il y a un facteur dont il faut savoir tenir compte dans les affaires: c'est l'ambition et la course vers la suprématie commerciale. "La fortune sourit aux audacieux", dit le proverbe. Sans doute, le marchand a le devoir de ne pas semer sa marchandise au hasard des exploiteurs, mais il doit aussi savoir discerner l'homme courageux, économe et honnête, qui a besoin de crédit, ne pouvant pas réaliser tous les jours l'argent nécessaire à ses besoins. Le marchand de gros agira de la même manière et pour les mêmes raisons envers le marchand de détail. L'un et l'autre se doivent un appui mutuel, et comptent, pour rencontrer leurs obligations, sur les bonnes récoltes et l'honnêteté du cultivateur.
D'un autre côté, l'industriel est là avec ses centaines d'ouvriers et sa production abondante. Il a les yeux tournés vers le commerce dont il attend la clientèle pour payer les matériaux et la main d'oeuvre, agrandir son usine, perfectionner ses machines et tenir un rang honorable dans le monde. Lui aussi, à son tour, est obligé de faire crédit et d'attendre que ses clients aient de l'argent par la vente des produits manufacturés. En attendant les remboursements, il lui faut pourvoir aux salaires de ses ouvriers. Il a recours aux banques, ces grandes institutions de crédit qui font fructifier les épargnes du peuple.
Tout se tient dans ces diverses activités, par le ciment du crédit. Cultivateurs, marchands de détail et de gros, industriels, ouvriers, banquiers; vous ne pouvez disjoindre ces éléments, sans faire crouler l'édifice de la prospérité nationale. Eh bien! J'affirme que la loi des faillites actuelle a déjà commencé l'oeuvre de démolition.
Tout l'échafaudage de notre prospérité industrielle et commerciale est sapé par la base par la loi actuelle. Grâce à elle, le marchand de la campagne ne peut plus compter sur le remboursement de ses avances aux cultivateurs, parce qu'il n'est jamais sûr qu'il ne trouvera pas un beau matin, dans son courrier, un avis de syndic l'informant que tel cultivateur de ses clients, a fait une cession autorisée de ses biens, avec les frais, délais, ennuis de toute sorte que cela occasionne. Le marchand de détail de la campagne est dans cette alternative insupportable: ou couper net le crédit du cultivateur et forcer la rentrée de sa créance, au risque de précipiter la catastrophe, ou bien continuer ses avances à tout hasard, avec la presque certitude de se faire jouer par les moyens que procure la loi des faillites.
D'un autre côté, l'industriel et le marchand de gros sont dans les transes continuelles. L'expérience de ces deux dernières années les a mis au courant des lacunes et des trucs de la loi des faillites. Ils connaissent les ravages qu'elle a déjà accumulés et ils la voient suspendue sur leurs têtes comme une menace perpétuelle. Ils ont beau agir séparément ou se concerter entre eux pour se renseigner sur la solvabilité de leurs clients, ils se sentent incapables d'y voir clair.
Il cite l'opinion de l'Association des marchands détaillants du Canada contre la loi actuelle. La confiance est perdue, le crédit est mort, parce que la loi de faillite les guette comme un voleur embusqué au coin d'un bois. C'est ce qui explique pourquoi, durant les premiers neuf mois de 1922, la province de Québec compte 40 % en nombre de faillites de tout le Canada, et près de 60 % en passif, soit un peu plus de $31,000,000 sur $54,000,000.
En résumé, comme je viens de l'établir, la loi de faillite, en détruisant la confiance mutuelle que se doivent entre eux cultivateurs, manufacturiers et marchands, porte un coup fatal à l'existence même de ces institutions et diminue d'autant notre prestige économique et social. Voilà le régime sous lequel nous vivons, contrairement aux lois fondamentales de notre droit civil et de notre conscience de chrétien, dans la province de Québec. Remarquez que ces dispositions cyniques des articles 13 et 58 de la loi de faillite s'appliquent dans le cas de cession de biens par nos cultivateurs.
Je ne voudrais pas être méchant pour la classe des syndics, mais je parle ici par devoir et comme député du peuple. Je n'ai pas le droit de sacrifier l'intérêt public à des sympathies personnelles. Un des vices de cette loi de faillite a été, je l'ai déjà dit, de rendre nécessaire, pour sa mise en fonctionnement, la création de certains intermédiaires spéciaux, exclusifs et obligatoires, entre les débiteurs et les créanciers, souvent sans la volonté et contre les intérêts des uns et des autres. Ce sont les syndics autorisés.
Le malheur est que la loi fédérale a fait surgir, dans tous les petits centres, une nuée de syndics, qui n'ont ni la compétence voulue ni l'entrainement nécessaire pour régler ce genre d'affaires. Il y a d'honorables exceptions, heureusement, mais l'expérience a démontré que les complications et les chinoiseries de la loi fédérale étaient plus difficiles à comprendre et à expliquer que les prescriptions claires et précises de notre loi de cession de biens. Cela serait leur supposer autant de connaissances sur cette loi que les juges et les avocats qui diffèrent souvent d'opinion.
Comment un homme qui n'appartient pas d'ordinaire à la profession légale et qui n'a généralement que des connaissances superficielles en matières commerciales et industrielles peut-il devenir, du jour au lendemain, un expert en législation de faillite?
Mais il y a quelque chose de pire que cela: le syndic a besoin d'un avocat pour certaines procédures. Il s'arrange de façon à ne se servir de l'avocat que pour des signatures, faisant personnellement toute la besogne. Cela est au vu et au su de tout le monde. En d'autres termes, je ne crains pas de le dire, nous avons, dans l'ensemble de cette organisation syndicale, l'un des plus dangereux monopoles, exercé au bénéfice de gens qui en font un commerce et non une profession. Le remède serait la création de tribunaux de commerce, comme cela existe en France. Il demande à la Législature d'autoriser le gouvernement à faire les démarches nécessaires pour induire le gouvernement fédéral à rappeler la loi des faillites à la prochaine session.
J'ai accepté le rôle ingrat de jeter le cri d'alarme. Je ne le regrette pas, pourvu que l'opinion publique soit avertie de ce qui se passe, et que mes électeurs, les ouvriers, les commerçants et les manufacturiers ne m'accusent pas d'être resté muet au moment du danger. Je me reprocherais, cependant, d'avoir donné à mes remarques un ton pessimiste, et trop en désaccord avec celui de quelques-uns de mes confrères de l'industrie et du commerce, si je ne m'étais pas fait une règle de me renseigner et de penser par moi-même, après avoir étudié les problèmes qui se posent ou plutôt qui s'imposent à l'attention.
Je n'en connais pas de plus angoissant et de plus alarmant que celui dont j'ai l'honneur de saisir cette chambre: j'ose espérer que mes honorables collègues adopteront ma proposition et donneront au gouvernement un mandat exprès, l'autorisant à faire les démarches nécessaires et immédiates auprès du gouvernement d'Ottawa, afin d'obtenir, dès la prochaine session du Parlement, l'abolition de la loi de faillite.
L'honorable M. Perrault (Arthabaska): Je félicite l'honorable député de Québec-Est de ramener à l'attention du public et du gouvernement fédéral la loi de faillite adoptée en 1919. Je partage entièrement son opinion: cette loi ne doit pas être amendée, elle doit être abrogée et disparaître. Une loi de faillite a une importance considérable. Elle a nécessairement une répercussion sur la vie économique et commerciale d'un pays, et j'ajouterais, même sur sa moralité.
La loi dont nous nous plaignons a ouvert la porte à la fraude, à la spéculation; elle a nui au crédit des individus et des sociétés commerciales, et elle n'a pas peu contribué à augmenter la dépression commerciale et financière en ce pays. Aussi, le mécontentement est-il général! Et je pourrais répéter ce que M. Colby, député de Stanstead, disait à l'égard de l'ancienne loi de faillite qui fut abolie en 1880: "L'idée de protéger le débiteur malheureux mais honnête est certainement une idée humanitaire, mais en Angleterre, aux États-Unis et au Canada, où l'on a essayé de favoriser le commerçant malheureux mais honnête, l'on a ouvert la porte à la démoralisation, à la témérité et à de si nombreux abus qu'il est nécessaire dans l'intérêt public de mettre fin à ce système." (Débats de la Chambre de communes, 1879, p. 1614).
Une dépêche de Winnipeg faisait dire il y a quelques semaines à M. H. Detchon, gérant de la Canadian Credit Men's Association, qui a agi comme syndic dans une centaine de cas, que la présente loi de faillite favorise le commerçant malhonnête qui s'en sert pour se débarrasser de ses dettes et garder son argent. Bon nombre de syndics ont sans doute fait leur devoir, mais certains ont été accusés de chercher des affaires sous cette loi en encourageant les commerçants et les non commerçants à faire faillite.
Certains sont allés jusqu'à passer par les maisons des cultivateurs pour savoir s'ils étaient embarrassés dans leurs affaires et les encourager à régler leur situation en faisant faillite. Plusieurs se sont laissés prendre; ils ont cru que leur situation s'améliorerait et ils ont trouvé la ruine. D'autres ont réussi à régler leurs dettes en payant de vingt-cinq cents à quarante cents dans la piastre et ont réalisé des bénéfices. Dans tous les cas, les frais sont très élevés, et la lenteur des procédures est considérable. Des frais inutiles sont faits.
Il est des cas où un créancier a poursuivi son débiteur pour obtenir jugement contre la loi et fait saisir sa propriété par le shérif. Les avis de vente ont été publiés dans la Gazette officielle. La veille du jour où cette propriété devait être vendue, l'affaire se passait dans un district rural, un syndic, ou représentant de syndic de l'une de nos grandes villes se rendit dans cette campagne, ayant connu la vente par la Gazette officielle, et décida le débiteur à faire faillite. On en informa de suite le shérif, tel que prévu par la loi de faillite, et la vente du shérif fut arrêtée. Tous les frais du shérif étaient faits. Ces frais, y compris ceux faits pour obtenir jugement s'élèvent à environ une somme de $300. Voici les frais rendus complètement inutiles; la liquidation va se faire sous la loi de faillite et les frais de vente vont recommencer. Les frais sont ainsi faits en double partie, et il n'y a rien d'étonnant que les créanciers, dans maints cas, ne reçoivent rien.
Nous pourrions citer de nombreux cas de spéculation, de fraude et de frais inutiles. Il y a plus. En permettant aux non-commerçants de faire faillite, on a ruiné le crédit d'un grand nombre. Combien de non-commerçants auraient pu faire face, l'an dernier et cette année, à la dépression commerciale et industrielle que nous subissons, si ce n'eût été cette loi de faillite? Combien auraient pu emprunter des banques ou des particuliers le montant nécessaire qui leur aurait permis de régler leurs affaires et qui n'ont pu avoir l'argent voulu, à cause de cette loi de faillite?
Combien souvent avons-nous entendu dire à des débiteurs: la banque ou un tel me prêterait mais ils ont peur que je fasse faillite. La loi de faillite décrète que l'hypothèque prise dans les trois mois qui précèdent la faillite ne vaut rien, qu'il n'est pas permis au créancier de se faire payer au rang où les hypothèques doivent être payées. La conséquence est que les cultivateurs, momentanément embarrassés, ne peuvent pas emprunter et donner leur terre en garantie du remboursement du prêt, parce que les prêteurs craignent une faillite dans les trois mois qui suivent le prêt en question et qu'ils perdront leur argent.
Combien de marchands ont refusé de vendre à crédit des marchandises nécessaires aux cultivateurs, parce qu'ils craignaient la faillite? Ce sont là quelques cas entre des centaines. L'honorable député de Québec-Est (M. Létourneau) nous a d'ailleurs établi que le commerce, l'industrie, les hommes d'affaires et tous ceux qui s'intéressent à la bonne santé de notre vie économique et commerciale réclament l'abrogation de cette loi. Aussi, je voudrais m'arrêter de préférence sur les inconvénients de cette loi, au point de vue juridique. Elle est une tentative d'uniformité et elle est venue saboter le Code civil de cette province, de même que le Code de procédure civile.
Depuis l'abolition de l'ancienne loi de faillite en 1880, la loi des provinces avait régi la cession de biens. Cette loi avait donné satisfaction et avait suffi à régler la distribution entre les créanciers des biens du débiteur insolvable. Ces lois étaient sans doute susceptibles de quelques changements de façon à rendre la liquidation plus économique et plus expéditive, mais il n'était pas nécessaire d'avoir le bouleversement que cette loi de faillite est venue créer.
La loi fédérale de 1919 a virtuellement abrogé les articles 853 à 892 du Code de procédure civile de cette province touchant la cession de biens. La loi de faillite diffère de notre cession de biens sur plus d'un point, et je crois que ces différences comportent plus d'inconvénients que d'avantages.
Ainsi, l'article 891 du Code de procédure civile posait le principe que la cession ne libère le débiteur de ses dettes que jusqu'à concurrence de ce que les créanciers ont touché sur le produit de la vente de ses biens. Au contraire, l'article 58 et suivants de la loi de faillite permettent au failli d'obtenir une libération des dettes qui n'ont pas été acquittées par la vente de ses biens. Il est facile de prévoir les abus auxquels peut donner lieu un tel principe juridique. Au lieu d'obliger chacun à remplir ses obligations, à respecter les transactions, elle encourage à faire des dettes et favorise la spéculation en laissant entrevoir la libération ou un concordat à bon marché avec les créanciers.
Et les créanciers, soit qu'ils n'aient pas le temps ou soit qu'ils croient pouvoir faire meilleur usage de leur argent que de le dépenser pour recouvrer d'un débiteur malhonnête, se ruinent et perdent ou refusent de faire des affaires. Et qui peut se prévaloir de si favorables dispositions. À peu près tout le monde. Ici encore, la loi fédérale s'écarte d'un principe posé par nos articles 853 et suivants du Code de procédure civile. L'article 853 ne permettait de demander la cession de biens qu'au débiteur arrêté sur "capias" et aux commerçants qui avaient cessé leurs paiements.
Si, en vertu de la loi fédérale, la faillite ne peut pas être demandée aux salariés gagnant moins de $1,500 par année et aux agriculteurs (les seules personnes exemptées de faillite) du moins, même ces personnes, même ces salariés et ces agriculteurs peuvent céder leurs biens aux créanciers, en vertu de cette même loi fédérale et se prévaloir ensuite du droit de demander leur libération. Est-ce que la portée de cette loi n'est pas trop large? Et faut-il en faire bénéficier tout le monde, les professionnels tout comme les commerçants? La même situation n'existe pas pour les uns et pour les autres.
Le commerce repose sur le crédit. On peut dès lors supposer que le commerçant a des dettes, et la loi doit tenir compte de cette éventualité. Cette préoccupation ne doit pas exister pour le non-commerçant, car son crédit ne doit pas dépasser sa fortune. S'il a des dettes, chaque créancier est présumé attendre ses rentrées et doit supposer qu'elles sont suffisantes pour les satisfaire. (Voir Thaller, Vol. I, p. 130). Mais la loi fédérale ne touche pas seulement au Code de procédure civile, elle sabote plusieurs articles de notre Code civil.
À titre d'exemple, on peut citer un article publié dans Le Devoir par M. Ernest Guimond, avocat, sur les droits du locateur. En cas de cession de biens, ses droits étaient protégés par les articles 19916 et 2005 du Code civil, plus favorables et plus équitables que l'article 52 de la loi de faillite touchant les droits du syndic, relativement au bail possédé par le failli.
En ce qui concerne les contrats de mariage, la loi de faillite en annule certaines clauses, au préjudice de la famille (voir l'article 29 de la loi de faillite). On rejette également d'autres réclamations entre mari et femme, et qui cependant peuvent être parfaitement justes (voir l'article 48 de la loi de faillite).
Les articles 1032 et suivants du Code civil, reproduisant les principes de l'action paulienne, et qui pouvaient s'appliquer à la cession de biens, étaient beaucoup plus équitables pour tout le monde, débiteurs et créanciers. La fraude seule permettait de faire annuler les contrats consentis par leur débiteur à leur préjudice.
À ce sujet, l'hypothèque mérite une mention spéciale. L'article 2023 du Code civil défend de prendre hypothèque, au préjudice des créanciers, sur les immeubles d'un insolvable, ni sur ceux d'un commerçant dans les trente jours qui précèdent sa faillite.
L'article 2090 du Code civil complète cette règle en décrétant nul l'enregistrement d'un titre d'acquisition de droits réels sur les biens immobiliers d'une personne fait dans les trente jours qui précèdent sa faillite.
La loi de faillite (article 31 tel qu'amendé par la loi fédérale 10-11 George V, chapitre 34) décrète, en résumé, que tout transport ou transfert de biens ou charge sur ces biens fait par une personne insolvable en faveur de l'un de ses créanciers sont censés être frauduleux et nuls, si la personne qui les fait est déclarée en faillite sur une pétition en faillite présentée dans les trois mois, à compter de la date de ce transport, ou si elle fait une cession autorisée dans les trois mois, à compter de cette même date.
Voilà quelques points qui indiquent suffisamment les atteintes portées par cette loi de faillite à notre droit civil et à notre procédure civile. Cette loi adoptée par le Parlement fédéral en 1919 est un exemple du danger que constitue la législation fédérale pour le droit des provinces canadiennes. Plusieurs des articles de cette loi de faillite, je viens de le démontrer, ont pour effet de mettre de côté maintes dispositions de notre Code de procédure civile et de restreindre d'autant le champ de notre droit privé.
Le comité judiciaire du Conseil privé, si l'on s'en rapporte à ses plus récentes décisions touchant le Canada, paraît d'opinion que les droits de légiférer, accordés par les articles 91 et 92 de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord au Parlement fédéral et aux législateurs, ne sont pas exclusifs les uns des autres. Il semble d'opinion, par exemple, que les provinces, en se prévalant de leur droit de légiférer en vertu de l'article 92, n'ont la voie libre qu'en autant qu'une loi fédérale, adoptée en vertu de l'article 91, ne vient pas, même indirectement, mettre à néant la loi provinciale. Les lords du comité judiciaire du Conseil privé ont émis l'opinion qu'en cas de conflit entre une loi fédérale et une loi provinciale, c'est la première qui doit triompher.
L'Acte de l'Amérique britannique du Nord de 1867 aurait pu être plus complet à ce point de vue et décréter que les provinces seraient souveraines dans le domaine législatif qui leur était réservé par l'article 92, et que, sur ces points, la législation fédérale ne pouvait, ni directement ni indirectement, faire échec aux décisions des Législatures provinciales. Si la menace de ce côté augmente, si l'ingérence fédérale continue, la question se soulèvera de savoir s'il ne serait pas opportun de faire amender l'Acte de l'Amérique britannique du Nord par le Parlement impérial. Ce temps est peut-être venu, afin de mettre fin à un système de législation qui tend à ruiner l'une des bases de l'entente de 1867, qui menace de détruire un des piliers de ce pacte, à savoir la juridiction exclusive laissée aux provinces pour tout le champ législatif compris dans l'article 92, qui définit les droits des diverses provinces.
Il est temps que le Parlement fédéral et le gouvernement comprennent que certaines de leurs lois causent beaucoup d'ennuis aux différentes provinces et qu'elles causent aussi une perturbation dans leur droit privé. Il y aura profit pour tous, en ce pays, le jour où le Parlement fédéral se contentera de légiférer sur des matières d'intérêt général au Canada et au sujet desquelles il ne risque pas de troubler l'organisation juridique que se sont faites les diverses provinces canadiennes. Une loi comme la loi de faillite n'aurait jamais dû être adoptée. Le jour où elle sera révoquée, tous, juristes et hommes d'affaires, en remercieront le gouvernement d'Ottawa et le Parlement fédéral. (Applaudissements)
M. Sauvé (Deux-Montagnes) propose, appuyé par le représentant de Montréal-Saint-Georges (M. Gault), que le débat soit ajourné.
Adopté.
Women's Hospital of Montreal
M. Conroy (Montréal-Sainte-Anne) propose, selon l'ordre du jour, que le bill 109 exemptant The Women's Hospital of Montreal du paiement de la taxe scolaire à la cité de Montréal soit maintenant lu une deuxième fois.
Adopté. Le bill est renvoyé au comité permanent des bills privés.
Dépôt de documents:
Élections et colonisation dans Labelle
L'honorable M. David (Terrebonne) dépose sur le bureau de la Chambre la réponse à un ordre, en date du 7 novembre, pour copie de toute correspondance, etc., entre M. Pierre Lortie, du Lac-des-Écorces, et le gouvernement, depuis le 1er janvier 1922, au sujet des travaux de colonisation dans le comté de Labelle et aussi au sujet de l'élection parlementaire, qui a eu lieu le 17 août dernier. (Document de la session no 55)
Fermes à vendre
L'honorable M. David (Terrebonne) dépose sur le bureau de la Chambre la réponse à un ordre, en date du 2 novembre, pour copie de relevé préparé par le bureau de Colonisation de Montréal, comprenant le nombre de fermes à vendre dans notre province. (Document de la session no 56)
Créances de la Montreal Dump Truck Company
L'honorable M. David (Terrebonne) dépose sur le bureau de la Chambre la réponse à un ordre, en date du 29 novembre pour copie de toute correspondance, contrats, etc., entre le gouvernement et la Montreal Dump Truck Co. Ltd, de Montréal, pour le contrat de la route Montréal-Sherbrooke. (Document de la session no 57)
Chemin de Notre-Dame-du-Laus dans Labelle
L'honorable M. David (Terrebonne) dépose sur le bureau de la Chambre la réponse à un ordre, en date du 24 novembre 1922, pour copie de toute correspondance entre le gouvernement et toute personne depuis 1916, au sujet d'un chemin de Notre-Dame-de-la-Salette, de Val-des-Bois ou de Notre-Dame-du-Laus à la gare de Gracefield. (Document de la session no 58)
La séance est levée peu après 6 heures.
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NOTES
1. Le journaliste de L'Action catholique précise que le chef de l'opposition fait ici directement référence à l'affaire Roberts et à la motion sur le discours d'Armand Lavergne.
2. M. Sauvé a interpellé le trésorier, alors que celui-ci entrait sur le parquet de l'Assemblée, selon The Gazette, 6 décembre 1922, à la page 8. Selon Le Soleil du 6 décembre 1922, à la page 1, le chef de l'opposition a parlé pendant une demi-heure.
3. Sur cette boutade, The Gazette du 6 décembre 1922, à la page 8 écrit: "M. Gault, les yeux couverts de ses mains, jeta un regard au ministre de manière apathique, comme si cette attaque ne valait vraiment pas la peine d'y répondre."
4. Voici en quels termes La Patrie du 6 décembre 1922, à la page 4, résume cet épisode dans sa Lettre parlementaire, signée par le journaliste André Laforest: "Un incident domine la journée: c'est la démonstration spontanée, émue et significative qui accueillit deux députés, messieurs Martin Madden et Arthur Paquet, qui rentraient de la séance de la Commission royale où tous deux avaient témoigné.
"Ces deux citoyens éminents et respectables, tous deux chevaliers de Saint-Grégoire-le-Grand et qui, subissant la morsure de l'odieuse calomnie et atteints depuis deux ans dans ce qu'ils ont de plus cher, ont souffert l'agonie, venaient de venger devant le public leur honneur et celui de leur famille. L'un d'eux, dans son témoignage n'avait pu retenir une parole d'amertume. "Voilà, a-t-il dit, le salaire de ceux qui songent à se dévouer pour le public!" Mais, il y a peut-être, dans la vie publique autre chose que l'austère satisfaction de se dévouer. Et c'est cela que signifiait la démonstration spontanée de ses collègues, démonstration bruyante, interminable, à laquelle ne se joignit pas l'opposition, mais qui prit tout de même l'ampleur d'un témoignage.
"Les deux députés émus jusqu'à pleurer, remercièrent de la tête pendant que le général Smart, interrompu dans sa harangue, remarquait avec un esprit qui manquait au moins d'à propos, qu'il n'avait jamais été aussi applaudi dans la Chambre."
5. Plusieurs journaux parlent de la loi de faillite de 1875. Comme certaines dispositions de cette loi entrèrent en vigueur en 1875, il est possible qu'elles aient été connues sous l'appellation de "loi de faillite de 1875". Toutefois, le député se trompe à propos de la date de sanction; cette loi fut sanctionnée le 26 mai 1874.
6. L'article 1994, selon Le Devoir, 6 décembre 1922, à la page 7 et l'Union des Cantons de l'Est, 14 décembre 1922, à la page 1.