Par Frédéric Lemieux et Aryane Babin
Le monde, le Canada et le Québec en 1922
Dans les pays développés, l’économie, les mœurs, les idées et les mentalités sont encore bouleversées par les contrecoups de la Première Guerre mondiale. Le monde poursuit néanmoins sa marche vers la modernité.
En Europe, certains États refusent de reconnaître les nouvelles frontières territoriales définies par l’armistice de 1918 et les traités de paix de 1919 et de 1920. Ainsi, la Turquie ne sanctionne pas le traité de Sèvres qui signifiait son démembrement. Un soulèvement porte au pouvoir le général Mustafa Kemal qui, par la suite, lance une offensive victorieuse contre les Grecs en 1922.
Aux États-Unis, les exportations agricoles vers l’Europe chutent de manière spectaculaire avec la fin de la guerre. Les cultivateurs qui se sont endettés pour répondre à l’effort de guerre se retrouvent dans une situation économique difficile. Leurs produits ne se vendent plus et ils doivent rembourser les emprunts contractés pour moderniser leur ferme. Pour y remédier, l’administration américaine met en place le tarif Fordney-McCumber, en 1922, une mesure protectionniste. Les cultivateurs canadiens et québécois en sont très affectés car eux aussi se sont endettés pour accroître leur production. Le « bill Fordney » limite la vente de leurs produits sur le marché américain en augmentant les droits de douane de 21 à 38 %.
Au Canada, le premier ministre conservateur Arthur Meighen est défait lors des élections fédérales du 6 décembre 1921. Son successeur, le libéral William Lyon Mackenzie King, l’emporte avec 49,4 % des voix et son parti rafle les 65 sièges que compte le Québec. Les électeurs n’ont pas oublié que Meighen, en 1917, était membre du gouvernement qui imposa la conscription.
Le Canada n’est pas épargné par le ralentissement économique d’après-guerre. La valeur de presque tous les types de production est en baisse. Le chômage n’épargne pas le Québec. En juin 1921, 20,7 % des travailleurs syndiqués sont sans travail et, en décembre, le sommet est atteint avec un taux de 26,8 %1. La reprise économique est rapide cependant; les statistiques de juin 1922 ramènent le chômage à 5,4 %.
L’effondrement des prix des produits agricoles pousse de nombreux agriculteurs à abandonner leur ferme pour émigrer vers les États-Unis, en quête d’un meilleur sort. Plusieurs industries québécoises ne parviennent pas à s’ajuster à l’économie d’après-guerre. À Montmagny, La Machine agricole nationale ltée en est le meilleur exemple. Après une époque de prospérité, ce fleuron de l’entrepreneuriat canadien-français tente sans succès de convertir sa production de munitions en fabrication d’instruments aratoires. La Banque Nationale lui octroie même un prêt de cinq millions de dollars, mais elle fait quand même faillite, en 1922, et laisse des centaines d’ouvriers sans travail2.
La tenue d’élections municipales dans les deux plus grandes villes du Québec n’y a pas changé le paysage politique. Médéric Martin entame son cinquième mandat comme maire de Montréal, le 18 octobre 1921, grâce à une majorité de 30 000 voix sur son adversaire. Dans la capitale, Joseph-Octave Samson est réélu par acclamation le 13 février 1922.
Trois grands édifices sont ravagés par les flammes en 1922. D’abord, le 3 mars, l’hôtel de ville de Montréal devient un véritable brasier; seuls les murs de pierre qui entourent le bâtiment résistent au sinistre. Le maire Martin évalue les dommages à plus de 10 millions de dollars, dont un million seulement pour l’édifice. Puis, le 29 mars, un incendie éclate dans la sacristie de la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré. En fin d’année, le 22 décembre, ce sera au tour de la basilique de Québec d’être réduite en cendres. Dans les deux cas, les dégâts matériels sont évalués à plus d’un million de dollars, sans compter la perte de nombreux objets de culte et d’œuvres d’art anciennes et précieuses.
La Ville de Québec reçoit la visite, en 1921, de trois grandes figures militaires de la Grande Guerre. Victor Cavendish, le duc de Devonshire, et Lord Byng, commandant du Corps d’armée canadien, quittent successivement le pays vers la Grande-Bretagne. Le 12 décembre, le maréchal français Ferdinand Foch est reçu au parlement par le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau. Le discours du trône de janvier 1922 rend d’ailleurs hommage à ces illustres visiteurs.
Les tourments de la guerre passés, le divertissement est à l’honneur dans la société urbaine québécoise. Le recensement de 1921 confirme d’ailleurs que la population urbaine est désormais plus nombreuse que celle des campagnes. Durant ces « années folles », la mode, le cinéma, le théâtre et l’automobile exercent un attrait irrésistible. Le périodique Bonnes soirées, centré sur la mode et les vêtements, paraît pour la première fois en 1921. La même année commencent les Veillées du bon vieux temps au Monument-National de Montréal. Le public peut assister à des sketches, des danses, des chansons et des pièces de théâtre. De nombreux artistes populaires y participent, notamment la chanteuse gaspésienne Mary Travers dite La Bolduc.
Aux yeux du clergé, ces nouvelles activités sont immorales. Dans une lettre pastorale du 18 avril 1921, l’archevêque de Montréal, Mgr Paul Bruchési, dénonce le théâtre, le cinéma, la danse et la mode comme des moyens de perdition pour les catholiques.
Pour sa part, l’abbé Lionel Groulx, professeur d’histoire à l’Université de Montréal, publie le roman L’appel de la race en 1922. Cette œuvre à forte saveur nationaliste est le reflet des opinions politiques de son auteur et annonce son ascendant grandissant sur une portion de la jeunesse canadienne-française.
L’Église catholique romaine est en deuil peu après l’ouverture de la session parlementaire à Québec. Le souverain pontife Benoît XV est mort à Rome le 22 janvier. À l’Assemblée législative, le premier ministre, au nom de la province, parle d’une perte qui « afflige le monde entier ». Le 6 février suivant, les cardinaux choisissent le pape Pie XI comme successeur au trône de saint Pierre.
C’est donc dans un contexte où la tradition et la modernité s’entremêlent que se déroulent les travaux de la 3e session de la 15e Législature.
Les parlementaires
Depuis la prorogation du 19 mars 1921, la composition de l’Assemblée législative est modifiée à la suite de sept élections partielles. Celles-ci sont déclenchées par Taschereau, presque en même temps que les élections fédérales, où King triomphe en décembre 1921. Arthur Sauvé, le chef de l’opposition conservatrice à Québec, reproche à Taschereau cet opportunisme qui rappelle celui de Simon-Napoléon Parent, 20 ans auparavant. Malgré la tenue d’un bon nombre d’assemblées politiques qui font grand bruit à la fin de l’été 1921, Sauvé ne peut empêcher les électeurs de considérer son parti comme l’aile provinciale des conscriptionnistes fédéraux de 1917. La défaite de Meighen à Ottawa instaure d’ailleurs une nouvelle dynamique fédérale-provinciale toute libérale.
Quatre des sept élections partielles se tiennent le 15 décembre 1921. Les conservateurs ne présentent aucun candidat. Dans les comtés de Beauce et de Trois-Rivières, Joseph-Hugues Fortier et Ludger-Philippe Mercier sont élus. Ils succèdent à Arthur Godbout, qui a été nommé juge, alors que Joseph-Adolphe Tessier devient quant à lui fonctionnaire. Dans Wolfe, Joseph-Pierre-Cyrénus Lemieux remplace le défunt Joseph-Eugène Rhéault. Jacob Nicol, qui a été assermenté au poste de trésorier et de ministre des Affaires municipales de la province le 23 octobre, est élu dans le comté de Richmond. Son prédécesseur, Walter George Mitchell, avait démissionné pour devenir candidat aux élections fédérales.
Les trois autres élections partielles se tiennent une semaine plus tard, soit le 22 décembre. Le député de Témiscouata, Louis-Eugène-Aduire Parrot, avait démissionné en juin précédent pour se porter candidat aux élections fédérales. Son remplaçant, le libéral Eugène Godbout (le père du futur premier ministre Joseph-Adélard Godbout), est élu avec plus de 2 000 voix de majorité. Dans Verchères, la victoire va au libéral Jean-Marie Richard et, dans Montréal-Sainte-Marie, c’est un représentant du Parti ouvrier, Joseph Gauthier, qui est élu. Les anciens députés de Verchères, Adrien Beaudry, et de Montréal-Sainte-Marie, Napoléon Séguin, avaient tous deux réorienté leur carrière vers le « service civil », terme signifiant à l’époque la fonction publique.
Le Conseil législatif de 1922 voit lui aussi quelques nouvelles figures apparaître. Lomer Gouin, qui n’y a jamais siégé, démissionne le 20 octobre 1921 pour entrer dans le cabinet fédéral de King. La division de Salaberry qu’il représentait demeurera vacante jusqu’en 1927. Le conseiller de la division de Kennebec, François-Théodore Savoie, meurt le 9 septembre 1921 et est remplacé par Paul Tourigny le 14 décembre suivant. Le siège de la division de Repentigny est vacant pendant la session : Georges-Aimé Simard, qui a été nommé président de la Commission des liqueurs en 1921, reprendra son siège en 1923. Deux autres divisions deviennent vacantes au cours de 1922. Séverin Létourneau, de la division de Rigaud, est nommé juge à la Cour du banc du roi, le 25 janvier, et George Robert Smith meurt en fonction, le 20 février. Ces sièges ne seront comblés qu’en 1923. Sur un total de 24 sièges, deux seulement sont occupés par des conservateurs : Thomas Chapais et Jean Girouard. Les libéraux comptent donc sur une écrasante majorité dans les deux Chambres.
En septembre 1921, le premier ministre et procureur général Louis-Alexandre Taschereau a procédé à un remaniement ministériel. Joseph-Léonide Perron succède à Joseph-Adolphe Tessier au ministère de la Voirie. Ce dernier est nommé à la présidence de la Commission des eaux courantes. Émile Moreau et Aurèle Lacombe accèdent au cabinet comme ministres sans portefeuille.
Les autres ministres conservent leur portefeuille respectif : Joseph-Édouard Caron, ministre de l’Agriculture, Honoré Mercier fils, ministre des Terres et Forêts, Antonin Galipeault, ministre des Travaux publics et du Travail, et Joseph-Édouard Perrault, ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries, conservent tous leur portefeuille, tout comme le secrétaire Athanase David. Les deux autres ministres sans portefeuille sont John Charles Kaine et Narcisse Pérodeau. Joseph-Napoléon Francoeur demeure Orateur de la Chambre tandis que Gustave Lemieux, député de Gaspé, est élu vice-président.
Les forces en présence
En Chambre, sur un total de 81 sièges, 72 sont occupés par les libéraux, cinq par les conservateurs et trois par le Parti ouvrier. Le comté de Saint-Hyacinthe devient vacant au cours de la session avec la démission d’Armand Boisseau, le 8 février 1922.
La puissante majorité libérale oblige Sauvé à redoubler d’effort pour offrir une opposition digne de ce nom. Le Devoir estime avec justesse que la session signifie pour lui « une somme de travail écrasante, une dépense d’énergie physique terrible, si l’on songe qu’il parle à lui tout seul deux fois plus que tous les autres ministres ensemble3 ».
Le chef de l’opposition est assurément de tous les débats, tant ses collègues sont discrets : Joseph-Olier Renaud (Laval), Pierre-Joseph Dufresne (Joliette), ou encore les anglophones Charles Ernest Gault (Montréal-Saint-Georges) et Charles Allan Smart (Westmount). Quand il est absent de la Chambre, Sauvé est remplacé par Gault ou par Renaud. D’un commun accord avec le chef conservateur, le gouvernement ne propose alors aucune étude de bills sur lesquels le chef conservateur voudrait s’exprimer.
Cette faiblesse numérique de l’opposition augmente le taux d’absentéisme chez les parlementaires. Souvent, c’est devant une Chambre vide aux deux tiers que se tiennent les débats. Sauvé est alors le seul député d’opposition présent, surtout lors des séances du lundi et du vendredi. Les libéraux s’assurent déjà d’une majorité écrasante avec le quorum minimal.
Du côté du gouvernement, hormis le premier ministre, les David, Caron, Perrault, Mercier et Galipeault sont les ministres les plus actifs. Plusieurs députés prononcent de grands discours comme Fabien Bugeaud (Bonaventure) au sujet des pêcheries, le 7 février. Le 2 mars, Léonide-Nestor-Arthur Ricard (Saint-Maurice) se prononce sur le crédit agricole et Henry Miles, sur le suffrage féminin, le 9 mars. Le nouvel élu du comté de Beauce, Joseph-Hugues Fortier, s’exprime sur l’uniformité du prix des liqueurs alcooliques. Soulignons également les nombreuses interventions faites dans les débats par les députés Ernest Poulin (Montréal-Laurier), Georges-Stanislas Grégoire (Frontenac), Peter Bercovitch (Montréal-Saint-Louis), Joseph-Henri Lemay (Sherbrooke) et Hector Laferté (Drummond).
Quant aux trois députés ouvriers, Adélard Laurendeau (Maisonneuve), Joseph Gauthier (Montréal-Sainte-Marie) et Aurèle Lacombe (Montréal-Dorion), ce dernier étant ministre sans portefeuille, ils votent presque toujours avec la majorité.
Discours du budget
Cette session est également le baptême de feu du nouveau trésorier provincial, Jacob Nicol. Nicol, un Canadien français protestant qui évolue avec aisance tant dans les cercles anglophones que francophones, prononce en anglais son discours sur le budget le 24 janvier.
Le gouvernement va dégager un surplus d’environ 1,2 million de dollars sur un revenu prévu de 15 millions de dollars pour l’année financière se terminant le 30 juin 1921. Grâce aux succès de la loi des liqueurs qui lui rapporte plus de quatre millions de dollars, le gouvernement peut donc se permettre de rembourser un million de dollars de la dette provinciale qui s’élève à environ 49 millions de dollars. Malgré les difficultés économiques d’après-guerre, le gouvernement affiche une bonne santé financière, et cela, même si le Québec est la province la moins taxée du dominion.
Pour l’année financière 1922-1923, le trésorier estime les revenus de la province à 15,5 millions de dollars et prévoit dépenser 15,3 millions de dollars. Les surplus probables seront de 202 450 $. La majeure partie de l’assiette fiscale sera attribuée à la dette publique avec 3,5 millions de dollars, soit 23 % des dépenses ordinaires. Ensuite, 1,8 million de dollars (12 % du budget) seront consacrés à l’Instruction publique. Les autres dépenses majeures seront l’Administration de la justice avec 1,4 million de dollars (9,3 % du budget) et l’Agriculture avec 910 000 $ (6 % du budget).
Durant le débat, Nicol répond en français aux questions de Joseph Dufresne. L’Action catholique souligne que « cette délicatesse du trésorier a fait oublier l’incident qui s’est passé à la dernière session alors que l’ancien trésorier Mitchell répondait en anglais au même député qui demandait des explications en français4 ».
Les faits marquants de la session
La 3e session de la 15e Législature s’amorce le 10 janvier et elle est prorogée le 21 mars. En un peu plus de deux mois, la Chambre a adopté un total de 158 bills. Sur certaines questions, les libéraux manifestent ouvertement leur divergence d’opinions. Mais ces interventions ne menacent d’aucune façon l’équilibre du gouvernement. Taschereau n’a aucune difficulté à asseoir son autorité, et ce, même sur des questions aussi délicates que la loi des liqueurs.
La loi des liqueurs
Le bon fonctionnement de cette loi novatrice – alors que la prohibition règne aux États-Unis – donne raison au pari fait par Taschereau en 1921. Solution mitoyenne entre le laisser-aller et une dure prohibition, la loi demeure très critiquée par l’opposition tout au long de la session. Le gouvernement a cependant le beau rôle. Après seulement huit mois d’opération, la Commission des liqueurs a engrangé un bénéfice d’environ quatre millions de dollars en réinvestissant dans la santé publique5.
Les conservateurs ont beau insister sur l’immoralité de cette source de revenus, la « farine du diable », il leur est bien difficile de désapprouver tous les usages bénéfiques que la province en tirera : réinvestissement des sommes dans la colonisation, l’hygiène provinciale, la voirie, les travaux publics. Cette législation ne fait pas l’unanimité au sein même du Parti libéral, et les critiques de Sauvé cherchent à attiser ces dissensions.
En effet, au tout début de la session, un groupe de députés montréalais demandent au premier ministre la tête du président de la Commission, Georges-Aimé Simard. Comme le souligne Le Devoir, on se plaint de la rigidité de cet officier lorsque vient le temps de distribuer les faveurs et le patronage6. Mais Simard peut compter sur l’appui indéfectible du premier ministre, d’autant plus que Taschereau, à la session précédente, a lié son sort à la réussite ou à l’échec de la loi des liqueurs. Au reste, ces libéraux mécontents sont minoritaires et finissent par rentrer dans le rang. Toutefois, selon Le Devoir, « il va de soi que toute une fraction du Parti libéral voit dans la régie du commerce des alcools une arme puissante dont le gouvernement ne tire pas tout le parti voulu ».
Taschereau est conscient du mécontentement dans les rangs de son parti. Il y fait même allusion au cours d’un débat sur les élections à date fixe : « Le Parti libéral n’a rien à craindre des ennemis de l’extérieur; ses ennemis, s’il en a, sont dans la place. C’est la position stratégique où l’on peut faire le plus de mal.7 » Est-ce là un quelconque avertissement?
La politique culturelle d’Athanase David
Le secrétaire provincial Athanase David fait adopter plusieurs projets de loi importants en 1922. Le 26 janvier, il prononce un éloquent discours présentant la loi pour encourager la production d’œuvres littéraires ou scientifiques. Le gouvernement va récompenser annuellement les auteurs canadiens-français pour l’excellence de leurs travaux. La Chambre salue unanimement cette mesure destinée à asseoir l’existence d’une littérature canadienne-française.
Parmi les orateurs, Joseph-Henri Lemay (Sherbrooke) se distingue en disant que ce prix littéraire démontrera « aux générations futures que les législateurs de 1922 ont travaillé pour la gloire et la grandeur de notre race et de notre province ». Lemay appuie de tout cœur la suggestion d’Hector Laferté de donner au prix le nom du secrétaire provincial et conclut en ces mots : « Le prix David vaincra, je l’espère, le Goliath des préjugés que l’on tente d’amonceler contre nous, contre notre langue.8 »
David fait également adopter une loi créant la Commission de conservation des monuments historiques. La liquidation récente de la bibliothèque personnelle de Louis-Joseph Papineau est l’une des raisons justifiant cette mesure. L’affaire avait fait grand bruit dans les journaux, certains déplorant que personne au Québec ne puisse rien y faire. Désormais, le gouvernement exercera un contrôle minimal sur tout objet jugé patrimonial, pour en éviter la dispersion ou la disparition.
En fin de session, David ajoute à son actif l’adoption du nouveau programme d’enseignement primaire, le 13 mars, et le bill sur le Service d’hygiène, adopté le 20 mars. La peur de l’épidémie de grippe espagnole de 1919 est toujours présente, et l’on veut appuyer les efforts des apôtres de la lutte contre la tuberculose, un fléau qui provoque des milliers de décès chaque année.
Le suffrage féminin
Le débat sur le suffrage féminin est le résultat de démarches de militantes féministes. Le 9 février, L’Événement mentionne que l’ouverture de la séance a été quelque peu retardée, car la Législature a reçu vers 2 h 30 la visite d’une délégation d’environ 200 féministes venues demander le droit de vote pour les femmes9. Parmi elles, on signale, entre autres, Marie Gérin-Lajoie, Idola Saint-Jean et Mme J.-P. Casgrain. Le Soleil rapporte qu’en raison de la venue de cette délégation « tout l’espace du parquet de la Chambre qui n’est pas réservé aux députés était occupé par les dames et dans les galeries des jeunes filles et des jeunes femmes s’offraient à l’admiration des députés tout en essayant de s’intéresser à ce qui se passait plus bas10 ».
Fortes de pétitions totalisant près de 2 000 noms, ces femmes ont pour alliés Jacob Nicol et Henry Miles. Celui-ci plaide en leur faveur, le 9 mars, mais ne parvient pas à convaincre la Chambre du bien-fondé de cette mesure. Il faut dire que Taschereau, qui a reçu la délégation en février, a clairement fait savoir que jamais il n’accorderait en tant que premier ministre le droit de vote aux femmes. L’Église catholique, de son côté, proclame avoir réuni les signatures de 25 000 personnes, dont de nombreuses femmes, opposées à cette mesure. Cette contre-pétition a d’ailleurs été déposée sur le bureau de la Chambre par le premier ministre avant l’étude du bill 145 modifiant la loi électorale de Québec relativement au suffrage.
Le crédit agricole
Léonide-Nestor-Arthur Ricard (Saint-Maurice) plaide, le 2 mars, en faveur de l’instauration du crédit agricole. Deux semaines plus tard, Sauvé dépose une motion pour hâter l’étude des différents modes de crédit et en accélérer l’implantation dans la province. Caron, ministre de l’Agriculture, propose plutôt un amendement qui transforme la motion de Sauvé en un « vœu pieux ». Le chef des bleus est offusqué de voir que le gouvernement, encore cette année, repousse l’adoption du crédit agricole. Il l’est encore davantage lorsque Ricard rentre dans le rang en appuyant sans réserve la proposition de Caron. Il faut attendre jusqu’en 1936 avant que Maurice Duplessis instaure une telle mesure. D’ici là, il arrivera souvent que des députés libéraux en réclament l’adoption, toujours sans succès.
La colonisation
Les attaques de Sauvé surviennent le plus souvent lors du dépôt de motions plutôt que durant l’étude de bills. Cette stratégie lui permet de choisir ses angles d’attaque. Plutôt que de courir le risque d’être accusé de museler cette faible opposition, le gouvernement est conciliant et répond à Sauvé sans pour autant se rendre nécessairement à ses demandes.
Le meilleur exemple est l’affaire Louis-Eugène Parrot, député libéral de Témiscouata de 1916 à 1921. Cette année-là, il fut forcé de démissionner après avoir été accusé par un jeune avocat de Rivière-du-Loup, Jean-François Pouliot, de s’être enrichi aux dépens des colons du comté et du Trésor provincial. Depuis ce temps, l’opposition accuse le gouvernement de protéger les spéculateurs et d’étouffer les rumeurs de corruption autour du département des Terres.
Avec ses questions successives sur cette affaire, Sauvé se bâtit un dossier incriminant la gestion des lots de colonisation par le département des Terres et Forêts. Les efforts du chef de l’opposition culminent, le 17 mars, avec le dépôt de deux motions demandant une enquête royale à la fois sur l’affaire Parrot ainsi que sur la spéculation entourant l’administration des terres de la Couronne. Le gouvernement n’hésite pas un instant à bloquer ces demandes et, choqué par ces coups de force, Sauvé crie qu’on impose le bâillon à l’opposition. Il est fort probable que Sauvé prévoyait que le gouvernement agirait ainsi, mais, compte tenu de la faiblesse de ses effectifs, le chef de l’opposition peut difficilement faire davantage.
L’affaire Blanche Garneau et autres crimes
À plusieurs reprises, Sauvé remet l’affaire Blanche Garneau à l’avant-plan lors des discussions. L’histoire du viol et du meurtre de la jeune Garneau, trouvée dans le parc Victoria, à Québec, le 28 juillet 1920, couve comme une braise alors que l’enquête policière piétine. Sauvé reproche au premier ministre et procureur général d’avoir condamné trop tôt de présumés meurtriers, Binet et Palmer, dont l’enquête n’a pas prouvé hors de tout doute la culpabilité. Cette délicate affaire rend le premier ministre inconfortable. Il répond avec une certaine impatience aux assauts de son adversaire qui prétend que l’on veut étouffer l’enquête pour protéger certains personnages importants.
Le 8 février, à la surprise générale, l’Orateur de la Chambre lit la démission écrite du député libéral Armand Boisseau, représentant de Saint-Hyacinthe. Celui-ci a été arrêté à la suite d’une plainte du maire de Saint-Hyacinthe et ancien député libéral, Télesphore-Damien Bouchard. Le procès de Boisseau se tiendra plus tard, après la fin de la session. Bouchard va faire un retour en Chambre peu de temps après et va régner sur Saint-Hyacinthe pendant plus de 30 ans.
Toujours dans le domaine des histoires scabreuses, Sauvé et Taschereau vont unir leurs protestations, le 24 février, pour condamner le jaunisme de certains journaux autour de l’affaire Delorme, un prêtre soupçonné de l’assassinat de son frère.
La question agricole
Un long débat a lieu, le 2 février, autour de la Coopérative centrale des agriculteurs du Québec. Sauvé reproche au ministre de l’Agriculture Caron son ingérence dans les affaires de la Coopérative. Celui-ci se défend, mais avoue que Trudel, le directeur de la Coopérative, a abusé de sa confiance en utilisant les fonds de la Coopérative pour prendre le contrôle du Bulletin des agriculteurs et tenter de se faire élire comme député du Parti des Fermiers-Unis à l’élection fédérale de décembre.
À ce moment, le gouvernement Taschereau craint beaucoup l’émergence de ce parti agraire. Caron avoue d’ailleurs avoir travaillé à la défaite électorale de son ancien homme de confiance. Les accusations de Sauvé, qui veut tabler sur le mécontentement du monde agricole, visent les règles que Caron a imposées autour de l’élection d’un nouveau conseil d’administration pour empêcher que de tels abus se reproduisent.
L’automobile et la voirie
Léonide Perron, ministre de la Voirie et conseiller législatif, est représenté à la Chambre basse par Joseph-Édouard Perrault. Un énorme budget de 7,5 millions de dollars est attribué cette année à la voirie. Le gouvernement n’est pas peu fier de son réseau routier et compte bien le maintenir en bon état. Or, l’augmentation du nombre d’automobiles sur les routes cause des maux de tête à de nombreuses municipalités qui voient leurs chemins se détériorer très rapidement. Elles pointent du doigt les automobilistes urbains qui envahissent leurs routes. Pour régler ce problème, le gouvernement augmente les taxes pour les véhicules lourds comme les camions. On met également un terme à la possibilité qu’ont les conducteurs de poursuivre les municipalités pour leur faire payer les dommages subis à leur automobile.
Montréal alimente la province
Pour les conservateurs et bon nombre de députés montréalais, la métropole fournit davantage de revenus au gouvernement que ce qu’elle reçoit en retour. Montréal est « la vache à lait de la province », disent-ils souvent, ce qui expliquerait selon eux sa mauvaise situation financière. Le conseil municipal, plusieurs journaux dont Le Devoir et le Montreal Star, et surtout le coloré maire Médéric Martin endossent cette thèse. Pour le moment, l’enjeu est le lucratif produit des taxes sur les théâtres et sur les véhicules-moteurs. Le député conservateur de Laval, Joseph Renaud, soulève la question, le 28 février, et prétend que le gouvernement retire à la Ville des revenus dont elle a grandement besoin.
Taschereau attend le 9 mars pour répondre. Entre-temps, un incendie majeur détruit complètement l’hôtel de ville de Montréal. Le premier ministre assure que le gouvernement aidera la métropole dans cette épreuve et, en même temps, repousse les prétentions de Renaud dans un discours comparant le bilan des revenus et des dépenses relatifs à la métropole. Le premier ministre ne convainc toutefois pas les conservateurs Smart et Gault qui relèvent avec justesse quelques failles dans l’argumentaire du chef libéral.
La grève des typographes
Les travailleurs de l’Union typographique déclenchent une grève, le 14 février. Ces typographes affiliés à l’Union internationale exigent une réduction de la semaine de travail et une augmentation de salaire. L’ordre de déclencher la grève semble provenir d’Indianapolis, chef-lieu de ce syndicat.
Dès le lendemain, le premier ministre fait une sortie en règle contre ces chefs syndicaux étrangers qui dictent leur ligne de conduite aux ouvriers canadiens et, par ricochet, compromettent le travail de la Chambre. Le travail parlementaire en souffre, car le gouvernement avait confié aux typographes l’impression des bills et ordres du jour destinés à la Chambre.
Plusieurs journaux sont également affectés par cette grève, et ce n’est que grâce aux ateliers de L’Action catholique, dont les typographes « nationaux » ne font pas partie de l’Union internationale, que la Législature peut se tirer de ce mauvais pas. La Chambre est unanime à condamner cette ingérence étrangère, et les trois députés ouvriers sont mal à l’aise en raison de leur affiliation idéologique à ces mouvements syndicaux.
Le 21 février, le maire de Montréal, Médéric Martin, et le député ouvrier de Montréal-Sainte-Marie, Joseph Gauthier, parviennent à négocier un règlement partiel du conflit. Les typographes recommencent dès lors à effectuer le travail commandé par l’Assemblée législative.
Les syndicats ouvriers
Le 16 mars, Smart remet à l’avant-scène la question des unions ouvrières en déposant une motion voulant obliger les ouvriers canadiens à se regrouper au sein d’unions ouvrières nationales. Bercovitch, qui fut dans le passé avocat des syndicats internationaux, défend avec vigueur l’action de ces unions. Ce débat, le plus long de la session, se poursuit jusqu’au lendemain et plusieurs députés dénoncent les méfaits des syndicats étrangers qui ne partagent ni la mentalité ni les intérêts des travailleurs de la province.
Le contrôle des pêcheries
À la suite d’un vibrant plaidoyer du député Bugeaud (Bonaventure) en faveur d’une amélioration de l’industrie des pêcheries, le ministre Perrault ramène d’Ottawa l’annonce selon laquelle le fédéral donne à Québec le contrôle de ses pêcheries. Pour la province, il s’agit du règlement d’une vieille querelle de juridiction remontant au début du siècle. On peut deviner que l’aboutissement de cette question est d’autant plus facilité par l’arrivée récente au pouvoir du gouvernement libéral de Mackenzie King11.
Faits divers, faits cocasses
Le 12 janvier, le premier ministre fait un parallèle entre les fauteuils vides des députés récemment décédés et celui, « bien rempli », du chef de l’opposition. Un journal indépendant de Montréal qualifie d’ailleurs Arthur Sauvé de « bon gros garçon ».
Le 13 février, les journalistes de L’Événement et du Quebec Chronicle s’accordent pour dire qu’il faisait très froid dans la Chambre ce jour-là. Le premier des deux y va d’ailleurs de cette observation : « Les journalistes n’ont pas d’objection à ce que le débat sur le budget soit long, pourvu qu’on chauffe un peu la Chambre. Hier, on y gelait et ce n’est pas l’éloquence de messieurs les députés qui peut nous réchauffer.12 »
Pendant une séance du comité des bills privés, le 16 février, Henry Miles s’inflige une blessure au cou. Lorsqu’il se rassoit après un discours, sa chaise se brise et le député perd connaissance en se cognant la tête. Selon La Patrie, Miles se rétablit vite de son accident, mais, le 9 mars, alors que Miles veut reprendre place sur son siège, il ne s’aperçoit pas que sa chaise est déplacée. Il tombe et se cogne la tête de nouveau. Dans ses mémoires, Thérèse Forget-Casgrain est persuadée que ce sont des collègues de Miles qui lui jouent ce tour parce qu’il a défendu la cause du vote des femmes en Chambre. Rien dans nos sources ne nous permet de corroborer d’une quelconque façon cette affirmation13.
Critique des sources
Par Frédéric Lemieux
En 1922, la Tribune de la presse compte 15 journalistes et est présidée par Jean-Marie Fortin, du Soleil. Les vice-présidents sont Robert R. Parsons, du Montreal Daily Star, et Irénée Masson, de L’Action catholique. Le poste de secrétaire trésorier est confié à Damase Potvin, lui aussi du Soleil. Les autres membres connus de la Tribune de la presse sont : Edmond Chassé, de L’Événement; Alonzo Cinq-Mars, de La Presse; E. T. Cinq-Mars, de La Patrie; John A. Davis, du Quebec Chronicle; Ewart E. Donovan, du Quebec Telegraph; Louis Dupire, du Devoir; Joseph-Amédée Gagnon, du Quotidien; Hervé Lapierre, du Canada; William R. O’Farrell, de Canadian Press; Jade J. O’Flaherty, du Montreal Herald; et Abel Vineberg, du Montreal Gazette.
À quelques reprises durant la session, L’Événement et La Patrie publient des comptes rendus incomplets ou trop courts des travaux législatifs. Les autres quotidiens comme La Presse et Le Soleil fournissent des résumés assez substantiels qui nous ont permis de compléter l’information.
Les sources sont divisées en quatre groupes distincts : la presse favorable au gouvernement, les journaux généralement neutres, ceux favorables à l’opposition, puis finalement les journaux régionaux et hebdomadaires.
La presse partisane
Dans le cas du Soleil, son association avec le gouvernement libéral est plus qu’évidente. Habituellement, les articles relatifs à la session commencent par un éloge au gouvernement et le dénigrement systématique du chef de l’opposition.
Le chef de l’opposition est sensible aux critiques du Soleil et se plaint continuellement du traitement que lui inflige la presse du gouvernement. Seule la création d’un journal des débats pourrait « assurer au public des comptes rendus fidèles des séances et des débats de l’Assemblée législative ». Pour lui, « la presse stipendiée trompe le peuple, fausse les actes, les paroles et les gestes des législateurs, trouve que tous les ministres sont des parangons de vertu et des génies, que tout ce qui est ministériel est bon et que cette presse déforme tout ce que fait l’opposition, ne se contente même pas de faire le silence sur ses actes, mais encore l’injurie quotidiennement14 ».
Le journal Le Canada est lui aussi d’allégeance libérale tout en fournissant moins d’informations sur les débats que Le Soleil. La Tribune de Sherbrooke, propriété du trésorier Nicol, publie des comptes rendus très courts qui reprennent des portions d’articles du Canada ou du Soleil. Généralement, lorsqu’un ministériel donne la réplique au chef de l’opposition, ces journaux écrivent qu’il est « applaudi par toute la Chambre » comme si les autres députés conservateurs, même peu nombreux, appuyaient le gouvernement.
Les journaux généralement neutres
L’Événement offre des comptes rendus détaillés des échanges et n’hésite pas à publier des échanges piquants que ses concurrents omettent. Les discours des deux partis sont rendus sans trop de partisanerie.
Durant cette session, La Presse traverse une nouvelle tourmente avec la question de la succession entre les héritiers de Trefflé Berthiaume. Ces déchirements ne traversent cependant pas le seuil de la salle du comité des bills privés. Malgré ces querelles, les comptes rendus de La Presse sont généralement complets. Il penche légèrement du côté ministériel comme en témoigne un éditorial (25 janvier) saluant les réalisations économiques du gouvernement.
L’Action catholique est la propriété de l’épiscopat de Québec et son organe officieux. Ses comptes rendus y sont presque identiques à ceux de La Presse et de La Patrie. Il est cependant intéressant de remarquer que lors du débat sur l’assassinat de Blanche Garneau, ce journal mentionne que « le premier ministre, sous le couvert de son immunité parlementaire, fait sur le compte de Binet et de Palmer des déclarations que nous ne pouvons répéter sans nous exposer à la vindicte des lois ». Les autres journaux n’ont pas la même retenue, bien qu’on ne puisse savoir si leur version reproduit tout ce que dit Taschereau15.
Quant à La Patrie, ce journal offre sensiblement les mêmes comptes rendus que les deux précédents. Plutôt neutre, il fractionne en plusieurs petits articles un même débat. La « Lettre parlementaire » d’André Laforest est d’un ton très littéraire et apporte souvent des précisions importantes sur certains points de détail. Enfin, Le Nouvelliste présente de courts comptes rendus qui reproduisent des passages des articles de L’Événement.
Les journaux favorables à l’opposition
Les journaux de ce groupe témoignent d’une certaine sympathie envers les conservateurs pour des motivations très différentes.
Le Devoir a tendance à dénoncer les excès du gouvernement et à prendre la défense d’Arthur Sauvé. Comme les autres journaux, il faut distinguer le compte rendu des débats, relativement neutre, des éditoriaux de Louis Dupire où la position est nettement plus favorable au chef de l’opposition sans toutefois tomber dans la partisanerie.
Un fait inusité : aucun journal ne rapporte le très long discours d’Achille Bergevin (Beauharnois) sur la canalisation du Saint-Laurent16. Est-ce en raison de l’heure tardive de la soirée? Parce que la prorogation s’annonce pour le lendemain et que les correspondants décident qu’ils en ont assez fait? Peut-être est-ce parce que ce député, éclaboussé en 1914 par le scandale Mousseau, n’a plus aucune crédibilité auprès de ses collègues. C’est du moins ce qu’affirme Le Devoir qui ne se prive pas lui non plus de le ridiculiser au passage. Heureusement, Sauvé préserve de l’oubli ce discours en en proposant le dépôt officiel pour examen.
Pour leur part, The Montreal Daily Star et The Gazette ont beaucoup contribué à enrichir la reconstitution des débats de 1922. Ils rapportent souvent des protestations de députés que d’autres journaux n’ont pas cru bon de signaler. Ils donnent beaucoup de place aux interventions des anglophones Gault et Smart, que l’on résume brièvement dans les quotidiens francophones. Le Star appartient à Lord Atholstan, conservateur et impérialiste, alors que The Gazette est l’organe des conservateurs fédéraux. Cela n’en fait pas un allié de Sauvé, car ce dernier cherche à se dissocier des conservateurs fédéraux en affirmant qu’il est possible de voter conservateur au Québec sans nécessairement être d’accord avec la conscription.
The Quebec Chronicle reprend presque mot pour mot les comptes rendus du Montreal Star. À la mort de sir David Watson en février, sir William Price, lui aussi d’allégeance conservatrice, prend le contrôle du Chronicle. Ce changement n’influence pas la nature des comptes rendus des débats. Complètement opposé à Sauvé, le Montreal Herald ressemble beaucoup à L’Événement et met lui aussi beaucoup d’accent sur les discours de Gault et de Smart, unilingues anglophones.
Les journaux régionaux et hebdomadaires
Quelques journaux régionaux et hebdomadaires fournissent des informations que les grands quotidiens ne publient pas.
L’hebdomadaire La Minerve, dirigé par Arthur Sauvé, reproduit intégralement les discours du chef de l’opposition, notamment lorsqu’il demande des élections à date fixe17. La substantielle réplique de Taschereau publiée dans les autres journaux est ici expédiée en un seul paragraphe, après quoi la riposte de Sauvé suit. Quand Taschereau déclare la motion rejetée, on ajoute même en conclusion : « Quelle démocratie tout de même que la démocratie libérale! » Les procédés sont semblables aux journaux stipendiés que Sauvé dénonce, mais avec un très faible tirage en comparaison des organes gouvernementaux18.
Favorable aux conservateurs, Le Bien public déplore toutes les louanges faites aux ministériels par la presse gouvernementale. Le 19 janvier, on peut lire que « les braves gens qui ne lisent que les journaux dévoués au gouvernement, c’est-à-dire presque la totalité de notre presse, ignoreront toujours qu’il se trouve quelqu’un en Chambre pour ne pas admettre que tout est beau dans l’œuvre du gouvernement, et pour protester contre ce que le chef de l’opposition affirme avec raison être de criantes injustices19 ».
L’Étoile du Nord, de Joliette, et le Progrès du Golfe, de Rimouski, reproduisent les discours de députés locaux souvent ignorés par les grands quotidiens. C’est le cas de Pierre-Joseph Dufresne, député de Joliette, dont l’intervention du 22 février est rapportée dans l’hebdomadaire de sa région, le 2 mars. Pour sa part, le discours du député de Bonaventure, Joseph-Fabien Bugeaud, est repris dans le Progrès du Golfe le 6 mars et le 10 mars 1922.
Notes de l’introduction historique et de la critique des sources
1. Jacques Lacoursière, Histoire populaire du Québec : 1896-1960, Québec, Septentrion, 1995, p. 145.
2. Bernard Vigod, Taschereau, Septentrion, Québec, 1996, p. 153; Alain Laberge (dir.), Histoire de la Côte-du-Sud, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 1993, p. 265.
3 . Le Devoir, 16 février, p. 1.
4 . « On respecte le français à la Chambre », L’Action catholique, 26 janvier 1922, p. 1.
5 . Séance du 12 janvier.
6 . Le Devoir, 26 janvier 1922, p. 1.
7 . Séance du 25 janvier.
8 . Séance du 26 janvier.
9 . L’Événement, 9 mars 1922, p. 3.
10. Le Soleil, 9 mars 1922, p. 1.
11. Séance du 7 février.
12. L’Événement, 13 février 1922, p. 10 et Quebec Chronicle, 13 février 1922, p. 2.
13. La Patrie, 16 février 1922, p. 10.
14. Séance du 17 mars.
15. Séance du 30 janvier.
16. Séance du 20 mars.
17. Séance du 25 janvier.
18. La Minerve, 28 janvier 1922.
19. Le Bien public, 19 janvier 1922, p. 1.