Débats de l'Assemblée législative (débats reconstitués)
Version finale
14e législature, 1re session
(7 novembre 1916 au 22 décembre 1916)
Le mercredi 6 décembre 1916
Ces débats, reconstitués principalement à partir des comptes rendus des médias de l’époque, ne constituent pas un journal officiel des débats de l’Assemblée législative.
Présidence de l'honorable E. M. Desaulniers
La séance est ouverte à 3 heures.
M. le Greffier informe la Chambre que M. l'Orateur est absent, et M. l'Orateur suppléant et président des comités prend le fauteuil.
M. l'Orateur suppléant: À l'ordre, messieurs! Que les portes soient ouvertes!
Rapports de comités:
M. Francoeur (Lotbinière): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le treizième rapport du comité permanent des bills privés en général. Voici le rapport:
Votre comité a décidé de rapporter les bills suivants avec des amendements:
- bill 128 amendant la loi constituant en corporation la cité de Québec;
- bill 98 amendant la charte de la cité de Montréal au sujet de l'hôpital Sainte-Justine.
L'honorable M. Gouin (Portneuf): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le dixième rapport du comité permanent des bills publics en général. Voici le rapport:
Votre comité a décidé de rapporter les bills suivants sans amendement:
- bill 172 amendant l'article 3221 des statuts refondus, 1909, au sujet des honoraires des huissiers devant la Cour des commissaires.
Bills privés avec amendements:
- bill 173 amendant l'article 4381 des statuts refondus, 1909, relativement au pouvoir d'emprunt des fabriques;
- bill 77 constituant en corporation l'Institut des soldats blessés;
- bill 80 établissant une nouvelle division d'enregistrement à Mont-Laurier, dans le comté de Labelle, et divisant ce comté en deux divisions pour fins municipales et d'enregistrement.
Questions et réponses:
Culture du mil et du trèfle
M. Turcotte (Lac-Saint-Jean): 1. Le gouvernement sait-il que les cultivateurs du Lac-Saint-Jean cultivent et vendent de la graine de mil et de trèfle pour plusieurs milliers de piastres par année?
2. A-t-il fait quelque chose pour renseigner ces gens sur les soins à donner à cette culture et les moyens à prendre pour produire et fournir sur le marché une qualité recommandable?
3. Dans l'affirmative, qu'a-t-il fait?
L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): 1, 2 et 3. Oui, au moyen de conférences, de démonstrations, de subventions et de prêts pour l'achat de batteuses de trèfle et de trieurs.
Colonisation dans Montmorency
M. Sauvé (Deux-Montagnes): 1. Quels sont les paroisses ou cantons de colonisation dans le comté de Montmorency?
2. En quelle année ces paroisses ou cantons ont-ils été ouverts à la colonisation?
3. Combien de colons se sont établis depuis 1912? Quels sont leurs noms et dans quels cantons ou paroisses?
4. Combien de demandes de lots ont été faites au ministère de la Colonisation et combien accordés depuis 1912?
5. Quels sont les numéros de ces lots?
L'honorable M. Mercier fils (Châteauguay): 1 et 2. Il n'y a pas de terres de la couronne dans le comté de Montmorency, qui relève en partie de la seigneurie du Séminaire de Québec. Les paroisses de Saint-Tite et de Saint-Ferréol et le haut des paroisses de Sainte-Anne et du Château-Richer se développent cependant et il s'y fait de nouvelles terres.
3. Le gouvernement l'ignore.
4 et 5. Tel qu'expliqué ci-dessus, le gouvernement n'y possède aucun lot.
Aqueduc à la prison de Bordeaux
M. Sauvé (Deux-Montagnes): 1. La construction d'un aqueduc complet était-elle comprise dans aucun des contrats octroyés par le gouvernement pour la construction de la prison de Bordeaux?
2. Dans l'affirmative, le cahier des charges ou les devis et spécifications exigeaient-ils le raccordement à l'aqueduc de Montréal ou une prise dans un autre endroit?
3. Quelle est la nature et l'étendue des travaux qui ont été exécutés à cette fin?
4. Y a-t-il eu depuis des modifications apportées à ces travaux tels qu'exécutés primitivement?
5. Dans l'affirmative, quelles sont-elles et pourquoi?
6. Qui fournit maintenant l'eau à la prison de Bordeaux et depuis quand?
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): 1. Oui, dans le deuxième contrat (1909).
2. Dans la Rivière des Prairies.
3. a. Prise d'eau à la Rivière des Prairies.
b. Tuyau de la Rivière des Prairies à un puits dans la bâtisse des pouvoirs.
c. Un puits de 40 pieds de profondeur par 8 pieds.
d. Raccordement de la bâtisse des pouvoirs à un réservoir élevé de 60,000 gallons.
e. Raccordement du réservoir au filtre.
f. Raccordement du filtre au tuyau de service.
g. Pompes, indicateurs, bornes-fontaines, etc., requis pour l'opération du service.
4. Aucuns travaux.
5. Voir réponse précédente.
6. La prison de Bordeaux est approvisionnée d'eau par le système ci-dessus indiqué depuis le mois de mars 1915.
Charte de Verdun
L'honorable M. Gouin (Portneuf) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme maintenant en comité général pour étudier le bill 101 amendant la charte de la cité de Verdun.
Adopté.
Le comité, ayant étudié le bill, fait rapport qu'il l'a adopté avec un amendement. L'amendement est lu deux fois et adopté par la Chambre.
L'honorable M. Gouin (Portneuf) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.
Adopté.
Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.
Charte de Hull
M. Gendron (Ottawa) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme maintenant en comité général pour étudier le bill 81 amendant la charte de la cité de Hull.
Adopté.
Le comité, ayant étudié le bill, fait rapport qu'il l'a adopté avec certains amendements. Les amendements sont lus deux fois et adoptés par la Chambre.
M. Gendron (Ottawa) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.
Adopté.
Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.
Ville de Sainte-Thérèse
M. Lévesque (Laval) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme maintenant en comité général pour étudier le bill 52 constituant en corporation la ville de Sainte-Thérèse.
Adopté. Le comité étudie le bill et en fait rapport sans amendement.
M. Lévesque (Laval) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.
Adopté.
Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.
Union Saint-Joseph de Saint-Hyacinthe
M. Bouchard (Saint-Hyacinthe) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme maintenant en comité général pour étudier le bill 64 amendant la loi constituant en corporation l'Union Saint-Joseph de Saint-Hyacinthe.
Adopté. Le comité étudie le bill et en fait rapport sans amendement.
M. Bouchard (Saint-Hyacinthe) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.
Adopté.
Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.
Municipalité scolaire de Cartierville
M. Bercovitch (Montréal-Saint-Louis) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme maintenant en comité général pour étudier le bill 127 concernant les limites de la municipalité scolaire de Cartierville.
Adopté. Le comité étudie le bill et en fait rapport sans amendement.
M. Bercovitch (Montréal-Saint-Louis) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.
Adopté.
Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.
Union nationale française et de refuge
M. Lemieux (Gaspé) propose, selon l'ordre du jour, que le bill 139 amendant la charte de l'Union nationale française et de refuge soit maintenant lu une deuxième fois.
Adopté. Le bill est renvoyé au comité permanent des bills publics en général.
Privilèges des ouvriers et constructeurs
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose, selon l'ordre du jour, que le bill 30 amendant le Code civil relativement aux privilèges des ouvriers constructeurs ou autres personnes soit maintenant lu une deuxième fois.
Adopté. Le bill est renvoyé au comité permanent des bills publics en général.
National Jockey Club Limited
M. Mayrand (Montréal-Dorion) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme maintenant en comité général pour étudier le bill 53 concernant la National Jockey Club Limited.
Adopté.
Le comité, ayant étudié le bill, fait rapport qu'il l'a adopté avec un amendement. L'amendement est lu deux fois et adopté par la Chambre.
M. Mayrand (Montréal-Dorion) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.
Adopté.
Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.
Admission des femmes au Barreau
M. Cannon (Dorchester) propose, selon l'ordre du jour et appuyé par le représentant d'Arthabaska (M. Perrault), que le bill 170 modifiant l'article 4524 des statuts refondus, 1909, au sujet du Barreau de la province de Québec soit maintenant lu une deuxième fois.
J'invite la Chambre, dit-il, à abandonner les arides débats qui l'ont jusqu'ici employée et à étudier un problème plus agréable et plus attrayant, celui de l'admission de la femme au Barreau.
L'an dernier, j'ai soumis ce bill à l'étude de la Chambre, mais aux derniers jours de la session, alors que les députés n'ont pas eu le temps suffisant de se rendre compte de son importance et de l'opportunité de voter le principe qui y est consacré. Cependant, le bill fut alors battu par une voix seulement. Cette année, j'espère que le résultat sera heureux et j'ai confiance dans le verdict que rendront mes collègues.
La loi que nous proposons est courte. Elle demande simplement d'admettre les femmes à la pratique du droit aux mêmes conditions qui s'appliquent aux hommes.
Cette mesure a déjà soulevé un grand nombre de critiques et l'on a craint, en certains quartiers, que l'admission des femmes au Barreau n'entraînât une nouvelle révolution de 1789.
Ce sont là des opinions exagérées, émises, entre autres, par un certain journal de la vieille capitale1.
On a aussi invoqué les principes du catholicisme. Je conteste que ma loi soit contraire aux principes catholiques. Le catholicisme est assez large et assez généreux pour admettre une législation particulière qui ne met aucunement en danger ses dogmes.
À mon avis, il y a trois arguments qui militent en faveur de ce projet de loi. C'est d'abord une mesure qui s'impose comme conclusion pratique de la position de la femme dans la société. En second lieu, elle est rendue nécessaire par les conditions économiques actuelles et, enfin, c'est une mesure libérale dans l'acceptation la plus large de ce mot. Nous ne sommes plus dans ces temps où la femme jouait un rôle tellement effacé et servile qu'elle ne comptait pas. Nous sommes forcés aujourd'hui de reconnaître la femme comme un membre actif de la société, ayant ses besoins et ses aspirations. La femme n'occupe plus une position inférieure comme être humain.
En effet, nous ne sommes plus au temps où la femme jouait un rôle effacé, secondaire et souvent méprisé. De nos jours, la femme occupe les hautes sphères sociales, elle est un membre actif de la société ayant ses aspirations et ses privilèges.
Il serait trop long de refaire l'historique des évolutions de la situation de la femme dans la société depuis le jour où on en était rendu à se demander si elle avait véritablement une âme.
La femme est aujourd'hui le plus bel ornement de la famille et de la société.
Dans la famille, où elle était anciennement l'esclave, elle est aujourd'hui la tête dirigeante et la gardienne principale. Dans la société, son rôle est tellement important que la législation doit lui reconnaître les mêmes droits que l'homme. Elle a d'ailleurs donné de nombreuses preuves de sa capacité. Dans la société politique, cependant, elle ne joue pas ici le rôle qu'on lui accorde ailleurs. Je ne suis pas prêt à admettre les théories extrêmes de madame Pankhurst2 et je verrais difficilement la femme arriver au gouvernement.
Nous devons cependant admettre qu'aux États-Unis, en France et même dans les autres provinces du dominion elle remplit avec la capacité nécessaire les fonctions d'avocat.
Les qualifications requises pour l'admission au Barreau ne s'appliquent pas, d'ailleurs, aux différences de sexes, mais elles s'appuient sur la compétence intellectuelle. Veut-on prétendre que la femme ne possède pas les qualités nécessaires quand on la voit réussir souvent mieux que son compagnon dans nos examens universitaires?
Par les résultats obtenus aux examens des écoles normales, par exemple, et dans les diverses autres institutions enseignantes, la femme a démontré qu'elle peut aspirer à exercer les professions libérales. Le Barreau ne fait pas de distinction de sexe; il demande de l'intelligence et une préparation particulière. Or, on ne peut prouver que la femme n'ait pas les aptitudes nécessaires à l'exercice de la profession.
Nous n'exigeons pas de l'aspirant au Barreau des capacités physiques extraordinaires. La seule valeur intellectuelle est considérée. Nous demandons qu'on fasse la même chose pour la femme.
M. Émile Faguet3 a d'ailleurs développé de façon excellente cet argument, qui est ridicule dans la bouche de nos adversaires.
La loi de l'existence est de gagner son pain à la sueur de son front.
Si on admet que la femme doit aujourd'hui gagner sa vie, pourquoi lui refuserait-on le moyen de la gagner le plus viablement possible? Si elle peut travailler dans les usines, dans les manufactures, comme sténographe, même comme médecin, pourquoi ne serait-elle pas avocat, si ses aptitudes lui permettent d'aspirer à l'exercice de cette belle profession? Pourquoi lui refuserions-nous ce travail noble et les moyens les plus faciles de pourvoir à sa subsistance?
L'admission de la femme au Barreau mettrait-elle le foyer en danger? On l'a prétendu. Je considère cependant que le danger est beaucoup plus imminent pour les foyers de ces milliers de femmes qui travaillent chaque jour dans les usines et industries.
Depuis le commencement de la guerre, la femme a remplacé l'homme dans les différentes sphères de l'activité agricole, industrielle et commerciale. En Angleterre, on lui fait jouer tous les rôles depuis celui de policier, d'opérateur de chemins de fer, jusqu'aux rôles plus difficiles de l'organisation sociale.
Il ne s'agit pas de faire sortir la femme de son foyer. Celle qui a sa famille, qui vit heureuse au milieu des siens, ne songera pas à affronter les difficultés de la lutte pour la vie. Il s'agit d'ouvrir une carrière nouvelle à celles qui ont besoin de gagner leur subsistance et qui ont l'intelligence et les aptitudes voulues pour aspirer aux plus nobles rôles.
L'admission de la femme aux professions libérales serait plutôt, à mon avis, une sauvegarde et une protection pour le foyer. N'useraient d'ailleurs de la permission que les femmes qui n'ont pas pour les retenir à la maison un mari et des enfants réellement attachés. Nous avons d'ailleurs l'exemple de la France, où l'on ne voit que les femmes malheureuses ou délaissées s'adonner aux professions libérales.
Puisqu'on reconnaît à la femme le droit de gagner sa vie dans la promiscuité des usines, il n'est pas juste qu'on lui refuse de le faire dans une profession honorable et lucrative.
Puisqu'on reconnaît la nécessité du travail pour la femme, pourquoi ne pas la munir des mêmes outils que l'homme et lui refuser ceux qui sont les plus faciles à manier?
Enfin, nous parlons de libéralisme et nous avons toujours sur les lèvres le mot "libéral". Il convient une bonne fois d'appliquer les principes libéraux comme l'ont fait en d'autres pays les grands hommes que furent O'Connell et Abraham Lincoln.
Toutes les grandes réformes, toutes les grandes innovations ont été réalisées par les libéraux. Chaque fois, il fallut renverser des obstacles, vaincre des difficultés; c'est la sanction de tout progrès.
Il cite des faits de l'histoire de plusieurs peuples qui démontrent que les grandes réformes, les progrès remarquables, ont toujours exigé des efforts considérables, des luttes parfois très violentes et très passionnantes.
Il rappelle le souvenir d'Honoré Mercier, personnification vivante du plus généreux libéralisme, et se déclare assuré de l'appui moral du grand homme.
Si Mercier, dit-il, le grand Mercier, le martyr du parti, était là, il donnerait à ce bill le plus éloquent et le plus chaleureux appui.
Cette mesure pourra paraître réactionnaire, mais, pour assurer le développement de la race humaine, il faut heurter et briser les préjugés.
Des hommes véritablement imbus de libéralisme, appartenant aux deux grands partis canadiens, ont déjà fait des réformes qui ont assuré notre prospérité actuelle. Il ne faut pas craindre de les imiter.
Pourquoi nous arrêter en chemin et pourquoi reculer devant le devoir qui s'impose? Nous reconnaissons que la femme représente chez nous l'idéal et que ses sages conseils aussi bien que son appui ont aidé des hommes à réaliser le but de leur vie.
Dans bien des cas, elle a contribué aux succès des hommes publics.
C'est donc pour nous une question de justice que celle qui se pose en ce moment et nous devons la résoudre d'après les principes libéraux qui nous ont toujours guidés.
M. Perrault (Arthabaska): Je désire voter en faveur de la proposition du député de Dorchester et je voudrais donner quelques-unes des raisons qui me font lui accorder mon appui. Laissez-moi vous dire de suite que, si je croyais cette mesure destructrice de la famille, je m'y opposerais. Mais les temps sont changés.
Chaque jour, le courant de la vie économique et sociale force les filles et les femmes à gagner leur vie hors du foyer. À des nécessités nouvelles, il faut des remèdes nouveaux, et c'est à la solution partielle de ce problème que tend la loi qui nous est présentement soumise. Il ne faut pas oublier ces deux vérités proclamées par M. René Doumic4, que l'humanité est toujours la même et la société toujours différente.
Dans ce perpétuel changement, c'est au législateur qu'il appartient d'apporter l'appoint de sa législation qui corrige certains abus, refait certaines institutions et ouvre des avenues nouvelles à certaines classes de la société. Ne nous étonnons pas des objections que soulèvent ces revendications inaccoutumées, car l'histoire nous enseigne qu'aucune idée ne s'est manifestée au monde, qu'aucun progrès ne s'est réalisé sans que maintes voix se soient fait entendre pour crier à la destruction de la société et à la déchéance de l'humanité.
Le bill souligne simplement qu'après des siècles de lents progrès dans leur lutte pour l'obtention des droits qui leur sont maintenant acquis, les femmes de cette province désirent franchir une nouvelle étape. Dans la foulée du mouvement appelé "féminisme", les femmes ont été propulsées vers certaines sphères d'activité jusqu'ici réservées aux hommes. Les causes de ce phénomène sont nombreuses, notamment de sérieux impératifs économiques qui ont forcé un grand nombre de femmes à gagner leur vie. Si ces conditions économiques existent, de quel droit peut-on refuser aux femmes l'accès aux professions libérales?
Les femmes veulent faire aujourd'hui un pas en avant. Elles désirent comparaître devant nos cours de justice non plus seulement pour affirmer à titre de témoin tel ou tel fait et faire ainsi pencher la balance du côté du demandeur ou du défendeur. Elles veulent se constituer le défenseur de l'une des parties, elles veulent, en un mot, plaider pour autrui.
Je ne vois aucune raison sérieuse de s'opposer à cette demande et j'en vois plusieurs qui la justifient. La question à décider est de savoir s'il est opportun d'ouvrir aux femmes les carrières libérales et si le temps est venu de les admettre aux professions indépendantes.
Des milliers de femmes et de filles sont obligées de travailler. De quel droit leur fermerons-nous la porte des professions libérales? De quel droit les forcerons-nous à ne gagner leur vie que dans la carrière de servante, de sténographe ou de commis?
Ouvrons-leur toutes les carrières que leurs aptitudes, leur intelligence et leur talent peuvent leur permettre de poursuivre.
N'oublions pas que l'ancien droit français, le code Napoléon et notre Code civil ont déjà créé un précédent en admettant que la femme puisse devenir commerçante. Plus tard, il y a quelques années, notre législation fit davantage pour la femme qui travaille hors du foyer en édictant des lois pour la protéger dans l'industrie où il lui faut travailler pour subvenir à ses besoins ou à ceux de sa famille.
Puisqu'il est évident que, dans la classe moyenne ou supérieure de notre société, il y a des filles qui doivent travailler pour subsister, quelle raison majeure nous empêcherait de les admettre dans les professions libérales?
Il y a quelques jours, un journal de cette ville5 a prétendu que la législation proposée par le député de Dorchester (M. Cannon) n'était pas conforme à la doctrine catholique. Ce n'est pas l'opinion de M. l'abbé Bolo, dans son ouvrage intitulé La femme et le clergé.
Ce prêtre n'hésite pas à permettre aux femmes l'entrée des professions libérales et de la nôtre en particulier. Il écrit:
"Il faut ouvrir aux jeunes filles instruites, intelligentes, décidées, toutes les carrières qui sont à la mesure de leurs moyens [...]
"Leur permettra-t-on d'être avocates, médecins? Leur laissera-t-on la faculté de professer dans les universités ou de siéger aux tribunaux? Pourquoi non si, d'une part, il le faut pour qu'elles puissent toutes gagner honnêtement leur vie, si, d'autre part, elles font preuve de capacités suffisantes, si enfin ces professions n'ont par elles-mêmes rien d'immoral? J'ai toujours admiré la candeur avec laquelle des gens respectables et que l'on serait tenté de croire infaillibles si l'on en jugeait à leur assurance affirment a priori qu'une femme peut être médecin, mais non avocat; que la science ne lui sied point; qu'on ne la voit pas siégeant à un tribunal, etc. Ils ne songent pas à se révolter contre des réalités qui jettent les femmes dans les mines, dans les usines, dans la promiscuité des ateliers; ils n'ont jamais trouvé étrange que les cantinières d'autrefois vécussent dans les casernes sous l'habit militaire; ils sourient avec indulgence à la culotte cycliste; ils acceptent sans étonnement que les hommes soient couturiers, tailleurs, vendeurs de dentelles barbus; ils trouvent tout naturel que ces hommes, parmi les métiers féminins ainsi usurpés, aient choisi seulement les plus avantageux pour laisser aux femmes ceux qui humilient trop ou ne rapportent pas assez; ils supportent sans remords que des femmes victimes de tels préjugés meurent de faim ou se prostituent; ils se scandaliseraient de les voir passer honnêtement par-dessus les susdits préjugés pour avoir du pain et du travail!6 "
Il convenait, M. l'Orateur, que les avocats fussent les premiers à permettre aux femmes l'entrée des professions libérales. Habitués à développer en nous le sens de la justice, luttant chaque jour pour que chacun eût son dû, nous devions être les premiers à reconnaître sur ce terrain, entre l'homme et la femme, l'égalité des droits.
Vous connaissez comment le bâtonnier du Barreau de Paris accueillit la loi que le Parlement français adopta, le 1er décembre 1900, pour accorder aux femmes la faculté de plaider devant les tribunaux:
"Nous, avocats, disait-il, nous, gens de robe, nous sommes tous féministes."
Faisant ce mot d'ordre nôtre dans le sens le meilleur et seulement nécessaire pour l'adoption de cette loi, accordons à la femme ce qu'elle demande. Durant les temps difficiles que nous traversons, à l'heure où la femme, à l'égal de l'homme, assume sa part de sacrifices et de travail dans toutes les sphères de l'activité humaine afin d'assurer le triomphe de la civilisation, mettons dans nos statuts une loi destinée à augmenter son développement moral et social.
M. Philps (Huntingdon) déclare qu'il est en faveur du bill du député de Dorchester (M. Cannon).
Comme la province de Québec, dit-il, est la plus progressive de la Confédération, elle doit mettre dans ses statuts une loi qui tient du progrès, qui assure à la femme tout le bien-être auquel elle a droit.
Il n'est pas seulement disposé à accorder aux femmes le droit de faire partie du Barreau; il veut qu'on leur permette de voter. Les femmes méritent cette faveur; elles ont accompli des actes dont le souvenir passera à la postérité parce qu'ils furent nobles et courageux.
Personne n'a autant contribué à servir la cause de la liberté et de la justice dans le monde que les femmes. Elles se sont imposées à la fois dans les bureaux et dans les champs.
Certaines des actions les plus nobles qui aient marqué non seulement cette génération, mais toutes les générations, ont été accomplies par des femmes. Personne ne peut prétendre aujourd'hui que les femmes ne sont pas dignes de cette profession, puisque pendant la guerre elles ont défendu la justice et la liberté au sein de toutes les professions.
Il évoque le naufrage d'un navire-hôpital dans la Manche et le cri des femmes: "Les blessés d'abord!"7 Ces incidents démontrent incontestablement que la femme n'est pas moins digne d'occuper une place dans la société aujourd'hui qu'elle ne l'était dans le passé. Il n'est pas d'accord avec cette idée dépassée que propagent certaines personnes et selon laquelle la femme doit toujours demeurer à la maison et dans la cuisine. En réalité, la place de la femme ne se limite pas à sa cuisine. Et il évoque l'expérience d'un avocat montréalais qui a récemment rencontré une avocate aux États-Unis et qui a dû admettre qu'elle était plus brillante que lui.
Si toutes les autres provinces permettent aux femmes de pratiquer le droit, le Québec ne devrait pas se montrer moins généreux.
Il demande aux membres de la Législature de démontrer qu'ils favorisaient une position canadienne préconisant l'égalité des chances pour tous, hommes ou femmes.
M. Grégoire (Frontenac) dit qu'il est un traditionaliste et c'est sur la tradition canadienne-française et catholique qu'il s'appuie pour refuser aux femmes la pratique du droit. L'an dernier, rappelle-t-il, il avait plaidé contre ce bill et il n'a pas changé d'opinion. Le projet de loi amènerait des perturbations désastreuses dans la famille et compromettrait l'inextinguibilité du foyer.
Il développe longuement sa thèse et affirme que, du point de vue catholique, ce principe ne peut pas être consacré.
La pratique du droit par les femmes ou l'exercice de professions similaires constitue une menace pour le foyer, dit-il.
Il croit de son devoir de demander à ses collègues de ne pas consacrer un principe dangereux pour la famille canadienne et, partant, pour la nation tout entière.
Il propose donc, appuyé par le représentant de Labelle (M. Fortier)8, que la motion en délibération soit amendée en en retranchant le mot "maintenant" et en y ajoutant les mots "dans six mois".
M. Fortier (Labelle) s'oppose à l'adoption du bill qui, dit-il, n'est pas autre chose qu'un chapitre du féminisme dont la vague déferle depuis quelques mois sur le monde.
Je ne crois pas que ce soit un mouvement dont le résultat sera le progrès de la civilisation et le bonheur de l'humanité. Cette mesure aura pour effet de tirer la femme du foyer pour la jeter littéralement sur la place publique, ce qui serait un danger pour la société. La place, la fonction, la royauté de la femme, c'est au foyer domestique où elle a toujours régné.
Il demande à la Législature de ne pas attaquer par une législation malheureuse le royaume de la femme. Il ajoute que l'admission au Barreau n'est pas demandée par les femmes de la province, mais par une femme qui ne voit là que le moyen de terminer normalement de longues études de droit. Il demande donc à ses collègues de voter contre le bill.
M. Tessier (Rimouski) défend le projet de loi. Il est d'avis, comme d'autres, que, si l'on admet le principe du travail pour la femme, on ne doit pas lui refuser la possibilité d'un travail rémunérateur en même temps que plus noble que ceux auxquels elle est astreinte actuellement.
Puisqu'on reconnaît à la femme le droit de travailler, pourquoi ne lui faciliterait-on pas la lutte pour l'existence en multipliant les moyens à sa disposition? Je ne vois pas quelle objection on peut avoir à permettre à une femme de pratiquer le droit si elle a les qualifications requises et si elle se conforme aux lois de l'admission au Barreau tout comme les candidats du sexe masculin.
Le Code ne s'oppose pas à l'admission des femmes au Barreau.
M. René Viviani, ancien premier ministre de France, écrivait au sujet de la loi française adoptée en 1900 et portant sur cette question:
"Les femmes majeures ont l'exercice total et complet de leurs droits civils. Elles ont l'exercice de leurs droits publics. Seuls les droits politiques leur sont ravis par des dispositions spéciales. La femme majeure a donc, comme l'homme majeur, la jouissance des droits civils, qu'ils touchent aux biens ou à la personne, et la jouissance des droits publics, par lesquels il faut entendre le droit naturel et supérieur de penser, de parler, d'écrire, de manifester une croyance, d'accéder à une profession, le droit de travailler. Ces droits civils et publics ne fléchissent en la femme que par le fait du mariage."
Pour répondre à un argument des orateurs précédents, il donne lecture d'une lettre de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, composée de femmes épouses et mères de famille qui le félicitent de l'attitude qu'il a prise, l'an dernier, et qui souhaitent que le bill, cette année, ait tout le succès qu'il mérite.
Il conclut donc que la demande exprimée par le député de Dorchester est celle d'un grand nombre de femmes de la province. Parlant du point de vue intellectuel de la question, il fait remarquer que les femmes enseignent dans toutes nos écoles primaires et qu'elles ont, par conséquent, les capacités requises pour l'étude du droit.
Un grand nombre de femmes possèdent sans aucun doute les capacités intellectuelles nécessaires à la réussite des examens de droit et, lorsque c'est le cas, on ne devrait pas leur refuser les privilèges qui sont accordés aux hommes ayant les mêmes capacités.
M. Beaudry (Verchères): Je crains qu'on ne me fasse deux reproches parce que je suis contre le bill: d'abord, d'y chercher mon intérêt personnel, puis de manquer de galanterie à l'égard du beau sexe. Mais je vais au-devant de l'un et de l'autre de ces reproches.
D'abord, je suis trop vieux pour redouter le jour où la profession sera encombrée par les femmes, pour craindre, en somme, la concurrence féminine dans la profession; elle ne pourrait, en effet, se faire sentir avant quelques années. Ce jour-là, je serai descendu dans la tombe. De plus, j'ai la prétention d'être un galant homme, je suis un admirateur des femmes.
À la vérité, non seulement je respecte la femme, mais je lui rends un culte, je l'adore, même, et c'est pour cela que je ne veux pas lui imposer une peine de déchéance qu'elle ne mérite pas.
C'est parce que je ne veux pas la voir se départir de ce charme qui fait sa royauté que je veux qu'elle reste à son foyer.
On a dit que la femme a droit au travail. C'est vrai, mais c'est malheureux qu'il en soit ainsi.
Quand on dit que la femme doit être admise au Barreau parce qu'elle doit travailler, que, si elle a droit au travail dans les magasins, elle a aussi droit aux professions libérales, on oublie une grande chose: la femme est libre de travailler, mais c'est un mal, et un mal pour rétablir un autre mal passager.
Ce mal, il ne peut être que passager et il faudrait le laisser tel. Pourquoi ouvrir aux femmes des carrières qui, par leur caractère de permanence, les invitent à y rester et les détournent de leurs fonctions naturelles?
Si on lui donne la liberté de pratiquer les professions libérales, qui sont de longue haleine, nous allons la détourner complètement de sa fonction naturelle et normale qui est le mariage.
Si la jeune fille admise au Barreau y réussit, elle est tentée de s'y fixer, et alors elle s'éloigne de la maternité, du mariage qui est le but naturel vers lequel elle doit tendre. Autrement, si elle a pénétré dans cette profession en attendant "l'épouseur", auquel rêvent toutes les jeunes filles, vous l'avez condamnée à subir des examens difficiles, à entrer dans une profession que tous ceux qui y sont admettront pleine de danger, pleine d'écueils pour une jeune fille, puisqu'elle n'en est pas exempte pour le jeune homme.
Nous n'avons pas le droit d'exposer des jeunes filles aux tentations qui les attendront après leur admission au Barreau. Les avocats savent combien sont dures les premières années de leur pratique et ils devraient être les premiers à éviter aux femmes les tribulations dont ils ont souffert.
Donc, celle qui étudiera le droit se trouvera dans deux alternatives: ou bien elle en fera une carrière et elle aura du succès, et alors elle s'y attachera, laissant son rôle naturel d'épouse et de mère, ou bien elle se mariera et elle aura perdu le temps qu'elle aura consacré à cette étude.
L'argument portant qu'on doit adopter cette pratique ici, puisqu'elle est en vigueur ailleurs, ne tient pas chez nous à cause de la disparité des situations.
Aux États-Unis, les avocats sont notaires aussi bien que plaideurs, et les jeunes filles qui se sont dirigées vers cette profession ont compris qu'elles avaient plus de facilité et plus d'agrément à exercer les fonctions de notaire. En pratique, c'est ce qu'elles font presque toutes.
Ainsi donc, aux États-Unis, la femme avocat se confine à la besogne du notaire en ce sens qu'elle reste au bureau et ne s'avise jamais de plaider.
On n'a pas non plus en France une situation identique à la nôtre. En France, la profession se partage en quatre catégories: l'avocat, l'avoué, le notaire et l'huissier; l'avocat plaide, l'avoué prépare les causes, entend les clients, fait les enquêtes, prépare les dossiers. On connaît le rôle du notaire et de l'huissier. Pour la femme, le rôle le plus acceptable serait celui de l'avoué ou du notaire.
Il faut avouer, en effet, qu'ici nous exerçons, dans la profession d'avocat, quelques-unes des fonctions dévolues aux huissiers en France.
En France, où la profession d'avocat consiste exclusivement dans la plaidoirie, la femme ne fait que plaider et elle s'évite ainsi la besogne souvent malpropre et toujours fatigante qui précède l'exposé de la cause devant le juge. Dans ces deux pays, la femme peut donc pratiquer les professions libérales sans grands inconvénients. Dans la province de Québec, elle sera forcée de faire la besogne de tous nos avocats et l'on sait trop qu'elle ne lui convient pas.
La situation n'étant pas la même, on ne peut s'en servir pour argument.
La mesure est pour le moins prématurée. Il faudrait révolutionner notre Code civil.
D'après notre Code, la femme doit obéissance à son mari et le mari protection à sa femme. Comment concilier cela avec toutes les restrictions apportées à la liberté civile de la femme, sans changer totalement notre Code civil?
Que fera-t-on de ce principe quand la femme pourra, sans le consentement de son mari, quitter le foyer pour aller exercer sa profession?
Si les femmes étaient admises en droit, on pourrait assister à une scène étrange dans laquelle une femme rédigerait un acte relié à une perte de plusieurs milliers de dollars alors qu'elle ne jouirait d'aucun droit légal de disposer de biens ne valant que quelques dollars. Le Code civil en entier devrait alors être révisé afin de tout harmoniser.
C'est par cela, si l'on veut être logique, que l'on devrait commencer.
On devrait faire graduellement les réformes qui conduisent à cette émancipation de la femme.
Je favoriserais peut-être un remaniement du Code de façon à augmenter les droits de la femme.
En attendant, je voterai pour la proposition du député de Frontenac (M. Grégoire) pour le renvoi à six mois.
M. Bercovitch (Montréal-Saint-Louis): Le député de Verchères (M. Beaudry) affirme que le but de ce bill, s'il était atteint, serait contraire à l'ensemble des dispositions du Code civil du Québec concernant le statut de la femme. Cependant, les dispositions du Code civil concernant le statut de la femme n'accordent pas plus de droits à cette dernière qu'à une personne ordinaire frappée d'une interdiction légale en raison d'aliénation mentale.
On pourrait dire - pour paraphraser Jean-Jacques Rousseau - qu'en vertu du droit actuel les femmes sont nées libres, mais ont plus tard été réduites à l'esclavage.
La loi de la province fait de la femme une esclave, ni plus ni moins.
Il cite un éminent juriste de la province qui affirme que le Code civil est barbare en ce qui concerne les droits des femmes.
Ce bill a été présenté dans le but d'enlever l'une des chaînes, dit-il. C'est là un bon moyen d'enlever la femme à l'esclavage qui la tient honteusement courbée devant l'homme.
Qu'on s'empresse donc, puisque l'occasion s'en présente, de lui donner au moins cette miette de liberté que réclame pour elle ce bill du député de Dorchester (M. Cannon).
Le bill permettrait aux femmes de la province capables de pratiquer le droit de gagner leur vie en exerçant de façon honorable une profession honorable.
Les femmes de la province ont demandé à la Législature de leur donner les moyens de vivre et de gagner leur vie lorsque c'est nécessaire. Elles ne veulent pas vivre en parasites et dépendre de la générosité des hommes. Il n'est aucunement question de désunir leur foyer.
Cela ne veut pas nécessairement dire que dans l'avenir les femmes ne s'occuperont pas de leur foyer comme dans le passé, mais simplement que les femmes de la province de Québec qui ont des aptitudes et qui sont instruites et capables de réussir des examens devraient avoir la chance de gagner leur vie honnêtement.
Nous voulons que la femme soit libre, qu'on lui donne tous les moyens de gagner sa vie suivant ses aptitudes et ses dispositions naturelles. Depuis la guerre surtout, l'état de la femme a changé, elle est plus que jamais au niveau des hommes.
Cette mesure est particulièrement opportune en ce moment, lorsque les ravages de la guerre en Europe entraînent une pénurie d'hommes et, par conséquent, forcent un plus grand nombre de femmes à travailler pour subsister. Toutes les possibilités de se rendre utiles devraient leur être offertes afin de leur permettre de conserver leur fierté, de les empêcher de devenir un fardeau pour la société et de les aider à éviter les pièges du vice organisé.
En France, les femmes sont admises en droit depuis de nombreuses années. Il est vrai qu'en Angleterre le statut de la femme est insatisfaisant. Cependant, M. Asquith9 a récemment admis qu'en raison du rôle joué par les femmes pendant la guerre, il est essentiel que leur situation soit entièrement modifiée.
Il affirme qu'après la guerre, en raison de la contribution qu'ont apportée les femmes au soutien du pays, leur situation devrait être améliorée.
Il y a quelques semaines seulement, Lord Haldane a proposé une mesure au Parlement britannique permettant aux femmes de devenir membres des écoles de droit.
En Ontario, les femmes sont autorisées à pratiquer le droit et, aux États-Unis, elles exercent cette profession depuis plusieurs années.
Aux États-Unis, la loi que nous proposons existe dans la plupart des États et personne n'a entendu dire que les femmes encombraient cette profession, car, dans la majorité des cas, le mariage constitue une sorte de soupape de sûreté.
Le mariage est une soupape de sûreté pour les femmes et, après le mariage, elles abandonnent la profession.
De mon côté, je serais heureux en tout temps d'avoir une belle jeune femme compétente comme adversaire devant les tribunaux.
Ce bill est certainement tout aussi juste, équitable et honorable, tout aussi justifié, dans la province de Québec, qu'il l'est dans certains des pays les plus importants du monde.
En conclusion, le bill s'avère une requête présentée par les membres féminins de notre société qui revendiquent le droit à un traitement égal à celui qu'obtiennent les hommes. Elles réclament le droit de gagner leur pain comme les hommes et nous ne pouvons légitimement leur nier ce droit.
M. Francoeur (Lotbinière) propose que le débat soit ajourné.
Adopté.
Messages du Conseil législatif:
M. l'Orateur informe la Chambre que le greffier du Conseil législatif a apporté les messages suivants:
Le Conseil législatif informe l'Assemblée législative qu'il a voté les bills suivants sans amendement:
- bill 23 amendant la loi des assurances de Québec au sujet des agents d'assurances;
- bill 32 modifiant l'article 687 du Code civil et l'article 1741 des statuts refondus, 1909, relativement à certains biens en deshérence;
- bill 54 concernant la succession de Pierre-Edmond Paquette;
- bill 62 autorisant Ernest Brault à pratiquer la médecine après avoir subi devant le collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec les examens médicaux requis pour la licence;
- bill 66 constituant en corporation The Plymouth Congregational Church of Sherbrooke;
- bill 78 amendant la charte de la ville de Hampstead;
- bill 88 autorisant le collège des médecins et chirurgiens de la province de Québec à admettre Léonide-François Lavigne à la pratique de la médecine, de la chirurgie et de l'obstétrique;
- bill 106 amendant la charte de la ville de L'Île-Dorval;
- bill 122 autorisant le collège des chirurgiens dentistes de la province de Québec à admettre Charles Henry Barr à la pratique de la profession de dentiste;
- bill 123 autorisant le collège des chirurgiens dentistes de la province de Québec à admettre Frederic William Saunders à l'exercice de la profession de dentiste;
- bill 126 autorisant le Barreau de la province de Québec à admettre Nathaniel William Jacobs à exercer la profession légale et à lui accorder son diplôme à cet effet.
Le Conseil législatif informe l'Assemblée législative qu'il a voté les bills suivants avec certains amendements qu'il la prie d'agréer:
- bill 112 amendant la charte de The Anglo American Trust Company;
- bill 71 accordant certains pouvoirs à la paroisse de Saint-Patrice, Montréal;
- bill 51 amendant la charte de The Hervey Institute;
- bill 70 concernant l'Orphelinat catholique de Montréal;
- bill 63 amendant la charte de la ville de Saint-Léonard-de-Port-Maurice et ratifiant le règlement no 51 de ladite ville;
- bill 61 concernant la ville de Baie Saint-Paul;
- bill 60 érigeant en municipalité le village du Petit-Lac-Magog.
The Anglo American Trust Company
La Chambre procède à la prise en considération des amendements que le Conseil législatif a apportés au bill 112 amendant la charte de The Anglo-American Trust Company. Lesdits amendements sont lus deux fois et adoptés. Le bill est retourné au Conseil législatif.
Paroisse Saint-Patrice de Montréal
La Chambre procède à la prise en considération des amendements que le Conseil législatif a apportés au bill 71 accordant certains pouvoirs à la paroisse de Saint-Patrice, Montréal. Lesdits amendements sont lus deux fois et adoptés. Le bill est retourné au Conseil législatif.
The Hervey Institute
La Chambre procède à la prise en considération des amendements que le Conseil législatif a apportés au bill 51 amendant la charte de The Hervey Institute. Lesdits amendements sont lus deux fois et adoptés. Le bill est retourné au Conseil législatif.
Orphelinat catholique de Montréal
La Chambre procède à la prise en considération des amendements que le Conseil législatif a apportés au bill 70 concernant l'Orphelinat catholique de Montréal. Lesdits amendements sont lus deux fois et adoptés. Le bill est retourné au Conseil législatif.
Charte de Saint-Léonard-de-Port-Maurice
La Chambre procède à la prise en considération des amendements que le Conseil législatif a apportés au bill 63 amendant la charte de la ville de Saint-Léonard-de-Port-Maurice et ratifiant le règlement no 51 de ladite ville. Lesdits amendements sont lus deux fois et adoptés. Le bill est retourné au Conseil législatif.
Baie Saint-Paul
La Chambre procède à la prise en considération des amendements que le Conseil législatif a apportés au bill 61 concernant la ville de Baie Saint-Paul. Lesdits amendements sont lus deux fois et adoptés. Le bill est retourné au Conseil législatif.
Petit-Lac-Magog
La Chambre procède à la prise en considération des amendements que le Conseil législatif a apportés au bill 60 érigeant en municipalité le village du Petit-Lac-Magog. Lesdits amendements sont lus deux fois et adoptés. Le bill est retourné au Conseil législatif.
Travaux de la Chambre
L'honorable M. Gouin (Portneuf) propose, appuyé par le représentant de Montmorency (l'honorable M. Taschereau), que, lorsque la Chambre s'ajournera aujourd'hui, elle soit ajournée à demain, le jeudi 7 décembre, à midi.
Adopté.
La séance est levée vers 6 h 30.
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NOTES
1. Allusion à l'article intitulé Le féminisme au Barreau et paru dans L'Action catholique du 28 novembre 1916, p. 1.
2. Emmeline Goulden Pankhurst (1858-1928), femme politique britannique qui milita longtemps pour la reconnaissance de l'égalité politique des femmes. Elle fut arrêtée à plusieurs reprises et obtint gain de cause en 1918.
3. Émile Faguet (1847-1916), critique littéraire français. Il écrivit de nombreux ouvrages de théorie politique. Les opinions évoquées ici se retrouvent dans son ouvrage Le féminisme, Paris, Société française d'imprimerie et de librairie, 1910, aux pages 1 à 60 et 347 à 380.
4. René Doumic (1860-1937), critique littéraire français, académicien et directeur de la Revue des Deux Mondes.
5. Voir note 1.
6. Henry Bolo. La femme et le clergé. Paris, Huton, 1901, 18e édition, 324 p.
7. Le député fait sans doute référence au naufrage du navire-hôpital Britannic survenu le 22 novembre 1916. Cependant, ce navire ne fut pas torpillé dans la Manche, mais dans la mer Égée.
8. Tous les journaux mentionnent que c'est le représentant de Gaspé, M. Gustave Lemieux, qui a appuyé cette motion. Seul le journal de l'Assemblée cite M. Fortier.
9. Herbert Henry Asquith (1852-1928), premier ministre de Grande-Bretagne replacé le 7 décembre 1916 par Lloyd George.