Débats de l'Assemblée législative (débats reconstitués)
Version finale
13e législature, 2e session
(11 novembre 1913 au 19 février 1914)
Le mardi 10 février 1914
Ces débats, reconstitués principalement à partir des comptes rendus des médias de l’époque, ne constituent pas un journal officiel des débats de l’Assemblée législative.
Présidence de l'honorable C. F. Delâge
La séance est ouverte à 3 heures.
M. l'Orateur: À l'ordre, Messieurs! Que les portes soient ouvertes!
Véhicules-moteurs
L'ordre du jour appelle la prise en considération des amendements que le Conseil législatif a apportés au bill 33 amendant les statuts refondus, 1909, concernant les véhicules-moteurs. Les amendements sont adoptés et le bill est retourné au Conseil législatif.
Comité d'enquête sur les accusations de corruption
M. Lavergne (Montmagny) soulève une question de privilège pour savoir s'il ne serait pas à propos d'élargir les cadres de la juridiction du comité d'enquête pour lui permettre de forcer M. Beck de nommer les avocats qui auraient dit que tous les législateurs se vendaient à la législature de Québec.
On calomnie les membres de la législature depuis longtemps et il serait temps de faire enquête à ce sujet. C'est devenu monnaie courante chez une certaine catégorie de gens, des avocats surtout, de déclarer qu'il faut payer pour faire adopter certains bills à Québec. Ces avocats ont dit la même chose à M. Beck, qui nous en a fait part afin que nous fassions enquête sur ces questions et que nous vérifiions s'il y a eu corruption.
Cette partie du témoignage de M. Beck contient, dit-il, des insinuations beaucoup plus graves que les accusations portées par MM. Nichols et Macnab.
Des doutes ont été soulevés à savoir si cette question est du ressort de la présente commission d'enquête. Si c'est le cas, elle doit procéder à une enquête. Sinon, il faudra élargir ses pouvoirs pour qu'elle puisse en faire une et, si elle obtient les noms des avocats, ils devront alors porter leurs accusations devant la barre de la Chambre.
Il est de l'intérêt de la province et de la législature de connaître les noms de ces avocats, afin de les forcer à venir ou prouver leurs avancés ou retirer leurs paroles. Notre honneur à tous est en jeu, et je demanderai au premier ministre de donner les pouvoirs nécessaires à la commission d'enquête pour lui permettre de tirer toute cette affaire au clair.
Il est vrai qu'on risque de faire connaître les noms d'innocents, mais c'est un risque qu'on a déjà couru et qu'on ne doit pas craindre de courir encore, dans l'intérêt du bon renom de la province.
L'honorable M. Gouin (Portneuf): Je ne connais pas la décision rendue par le comité, ce matin, relativement à cette question, non plus que l'incident dont parle le député de Montmagny (M. Lavergne), mais, si j'en juge par ce qu'il vient de dire, je me demande à quoi cela nous avancera de permettre au comité d'enquêter sur les racontars que l'on sait.
Si on laisse la porte ouverte à toutes les questions secondaires, indirectement liées aux accusations portées contre la législature, cette enquête n'aura pas de fin. Le rôle de cette commission est de faire enquête sur toutes les accusations faites publiquement et qui portent atteinte au corps législatif, ainsi qu'auprès des gens ou des journaux responsables.
Si quelqu'un a des accusations précises à porter, qu'il fasse comme un brave et qu'il porte ces accusations, et nous lui accorderons une enquête comme nous l'avons fait pour le cas de l'ex-député Mousseau.
M. Lavergne (Montmagny): Il n'y a pas de gens très braves dans le public.
L'honorable M. Gouin (Portneuf): Non. Il y a beaucoup trop de lâches, malheureusement, qui ne craignent pas d'agir dans l'ombre et qui se drapent dans le manteau de la vertu pour faire des insinuations sur des gens beaucoup plus honnêtes qu'eux-mêmes.
Je crois que toute la province et tout le pays, que tous les hommes de bonne foi admettront que nous n'avons pas mis d'entraves à la preuve des accusations faites contre certains membres de la législature par le Mail. Nous entendons suivre la même ligne de conduite si d'autres accusations spécifiques sont portées. Mais je ne crois pas que l'on puisse aller jusqu'où le veut le député de Montmagny (M. Lavergne).
M. Lavergne (Montmagny): Tout ce que nous demandons, c'est de connaître les noms des avocats qui ont dit à M. Beck que la législation se vendait à Québec. Nous les ferons venir ensuite et nous les obligerons d'accuser ou de passer pour des calomniateurs.
M. Tellier (Joliette): Est-ce que la Chambre ne croit pas qu'il est temps de faire la lumière complète? Inutile de se le cacher, nombre d'avocats disent partout qu'ils ont été obligés d'acheter de la législation à Québec. Interrogé par M. Laflamme, M. Beck nous a dit ce matin que ces assertions à lui faites par des avocats de bonne réputation ont été l'une des raisons qui l'ont décidé à organiser ce qu'on est convenu d'appeler la souricière. Sur ce, le député de Montmagny est intervenu, et je l'approuve. Pourquoi ne pas aller tout de suite au tréfonds de l'affaire? Le gouvernement devrait permettre, même forcer M. Beck à donner les noms de ces avocats.
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Quel vent souffle actuellement sur notre province et que va-t-il sortir de tout cela? On porte à plaisir de tous les côtés des accusations contre les membres de la législature. Si cela continue, les hommes qui s'occupent de la chose publique vont avoir honte de marcher le front haut dans la rue et de rentrer chez eux, car ils ne peuvent sortir sans être éclaboussés d'insinuations aussi lâches que viles.
Jusqu'ici, il n'y a que deux hommes qui ont eu le courage de préciser leurs accusations; ce sont MM. Nichols et Macnab, et nous leur avons donné l'occasion de prouver ce qu'ils avançaient. Les autres se dissimulent comme des bandits pour salir tout le monde par l'insinuation. Ils font planer les doutes sur tous les membres de la législature. Ils veulent nous faire passer pour des voleurs et des gens qui se vendent à propos de tout.
C'est là un acte de lâcheté inqualifiable. Que ceux qui se font ainsi accusateurs aient donc le courage de donner les noms de ceux qu'ils visent par leurs insinuations.
Si un député de cette Chambre croit savoir que certains membres de la législature, des collègues de la Chambre basse ou de la Chambre haute, se sont rendus coupables de quelque faute que ce soit, il ne peut rester muet; qu'il porte les accusations de son siège en cette Chambre et qu'il prenne comme un homme la responsabilité de telles accusations. Si d'autres journaux ont aussi quelque chose à dire de tel, c'est leur devoir de ne plus garder le silence et de faire entendre leur puissante voix, comme l'a fait le Mail.
À suivre le raisonnement du député de Montmagny (M. Lavergne), il faudrait remonter 15 ans en arrière, même jusqu'à la Confédération pour se rendre compte de la vénalité de tous les députés qui se sont succédé dans cette enceinte parlementaire.
Il n'y a que dans la province de Québec où l'on demande, comme Le Devoir l'a fait hier, une enquête sur ce qui s'est passé depuis 15 ans. Si quelqu'un en dehors de Québec, dans les provinces anglaises, osait faire une demande semblable, l'indignation publique serait telle qu'il ne pourrait plus se montrer.
M. Lavergne (Montmagny): Évidemment, l'article du Devoir a produit sur l'esprit du ministre des Travaux publics (l'honorable M. Taschereau) un effet particulier. Le même article m'a laissé plus froid.
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Le comité d'enquête n'a pas refusé de faire parler M. Beck par mauvaise volonté. Il a fait son devoir dans les limites de ses attributions, de ses pouvoirs et de sa juridiction. Il ne peut faire plus, à moins que la Chambre ne lui donne d'autres attributions, d'autres pouvoirs et une plus ample juridiction.
Je ne crois pas qu'on ait le droit de faire porter l'enquête sur le point que demande le député de Montmagny (M. Lavergne).
M. Lavergne (Montmagny) prétend que le ministre des Travaux publics (l'honorable M. Taschereau) déplace la question. La commission, dit-il, a reçu l'ordre de faire enquête sur les accusations et la conspiration. Or, M. Beck nous dit que l'un des motifs qui l'ont décidé à faire cette enquête, c'est le fait que des avocats lui avaient déjà dit qu'ils avaient été obligés d'acheter la législation à Québec. Cette déclaration ne nous justifie-t-elle pas d'exiger les noms afin de châtier les coupables ou de punir les calomniateurs?
Le ministre s'indigne. Pourquoi? M. Beck n'a pas dit qu'on accusait les députés ministériels plus que les autres. Notre honneur à tous est en jeu et celui de l'Assemblée législative aussi. Voilà pourquoi il faut faire la lumière. Le refus de la faire n'empêche pas ces gens de parler, d'insinuer ou d'accuser en arrière. On dira qu'on a eu peur de la lumière. Quant à moi, je n'ai comme capital que mon honneur politique et je tiens à le conserver.
Subsides
L'honorable M. Mackenzie (Richmond) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme de nouveau en comité des subsides.
Adopté.
En comité:
L'honorable M. Mackenzie (Richmond) propose: 1. Qu'un crédit n'excédant pas mille piastres soit ouvert à Sa Majesté pour traitement de l'Orateur, Conseil législatif, pour l'exercice finissant le 30 juin 1915.
Adopté.
2. Qu'un crédit n'excédant pas dix-huit mille deux cent quatre-vingt-une piastres et cinquante cents soit ouvert à Sa Majesté pour traitements, dépenses contingentes, etc., du Conseil législatif, pour l'exercice finissant le 30 juin 1915.
Adopté.
3. Qu'un crédit n'excédant pas cent un mille sept cent soixante-dix piastres soit ouvert à Sa Majesté pour traitements, dépenses contingentes, etc., Assemblée législative, pour l'exercice finissant le 30 juin 1915.
M. Bernier (Lévis) soulève un débat autour des messagers de la Chambre qu'il prétend en nombre insuffisant, car il a constaté la disparition de certains documents sur son bureau.
M. l'Orateur explique qu'il y a suffisamment de messagers, mais qu'il a pu y avoir quelque négligence. Il promet d'y voir.
M. Dorris (Napierville) demande l'augmentation du salaire des messagers des palais de justice de la province.
La résolution est adoptée.
L'honorable M. Mackenzie (Richmond) propose: 4. Qu'un crédit n'excédant pas trois mille piastres soit ouvert à Sa Majesté pour achat de livres, Bibliothèque de la législature, pour l'exercice finissant le 30 juin 1915.
M. Bernier (Lévis) trouve que cette somme n'est pas suffisante.
La résolution est adoptée.
L'honorable M. Mackenzie (Richmond) propose: 5. Qu'un crédit n'excédant pas huit mille sept cents piastres soit ouvert à Sa Majesté pour traitements, dépenses contingentes, etc., Bibliothèque de la législature, pour l'exercice finissant le 30 juin 1915.
Adopté.
6. Qu'un crédit n'excédant pas six cents piastres soit ouvert à Sa Majesté pour dépenses contingentes des élections, pour l'exercice finissant le 30 juin 1915.
M. Cousineau (Jacques-Cartier) croit que le système actuel de révision des listes électorales est défectueux.
M. Langlois (Montréal-Saint-Louis) considère qu'il est non seulement défectueux, mais onéreux pour le député dans les villes surtout où la révision ne se fait qu'à tous les deux ans, s'il arrive qu'il y a des élections dans l'intervalle.
Il demande au gouvernement de nommer un officier spécial pour étudier le fonctionnement du système de l'Ontario.
L'honorable M. Gouin (Portneuf) répond que la question sera considérée.
M. Tellier (Joliette) est d'avis que la liste électorale devrait se faire après l'émission des brefs d'élection. Tous les intéressés y verraient.
M. Dorris (Napierville) reproche aux deux partis de gaspiller le temps de la Chambre en débats oiseux.
M. l'Orateur le rappelle à l'ordre, car il parle pour la deuxième fois et en dépit des règlements de la Chambre.
M. Dorris (Napierville): Qu'est-ce que ça me fait, ça?
La résolution est adoptée.
L'honorable M. Mackenzie (Richmond) propose: 7. Qu'un crédit n'excédant pas huit cents piastres soit ouvert à Sa Majesté pour greffier de la couronne en chancellerie, traitement, pour l'exercice finissant le 30 juin 1915.
Adopté.
8. Qu'un crédit n'excédant pas six mille piastres soit ouvert à Sa Majesté pour impression, reliure et distribution des statuts, Imprimeur du roi, pour l'exercice finissant le 30 juin 1915.
Des députés de l'opposition soulèvent un débat sur les contrats d'impression aux journaux.
La résolution est adoptée.
L'honorable M. Mackenzie (Richmond) propose: 9. Qu'un crédit n'excédant pas quatre mille sept cents piastres soit ouvert à Sa Majesté pour traitements, gouvernement civil, pour l'exercice finissant le 30 juin 1915.
Adopté.
10. Qu'un crédit n'excédant pas quatre-vingt-un mille cent cinquante piastres soit ouvert à Sa Majesté pour dépenses contingentes, gouvernement civil, pour l'exercice finissant le 30 juin 1915.
Adopté.
Résolutions à rapporter:
Le comité fait rapport qu'il a adopté plusieurs résolutions et demande la permission de siéger de nouveau. Lesdites résolutions sont lues deux fois et adoptées.
La séance est levée à 6 h 10.