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Version finale

13e législature, 2e session
(11 novembre 1913 au 19 février 1914)

Le mercredi 4 février 1914

Ces débats, reconstitués principalement à partir des comptes rendus des médias de l’époque, ne constituent pas un journal officiel des débats de l’Assemblée législative.

Présidence de l'honorable C. F. Delâge

La séance est ouverte à 3 heures.

M. l'Orateur: À l'ordre, Messieurs! Que les portes soient ouvertes!

 

Subsides

L'honorable M. Mackenzie (Richmond) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme de nouveau en comité des subsides.

Adopté.

 

En comité:

L'honorable M. Mackenzie (Richmond) propose qu'un crédit n'excédant pas neuf mille piastres soit ouvert à Sa Majesté pour conférences sur l'agriculture, pour l'exercice finissant le 30 juin 1915.

M. Tellier (Joliette), répondant au ministre de l'Agriculture (l'honorable M. Caron) qui, la veille, protestait contre le fait que le gouvernement d'Ottawa ne laisserait pas au gouvernement provincial la libre gestion du subside qu'il lui accorde, prend la défense du gouvernement conservateur. Tout en admettant que le ministère de l'Agriculture est un des mieux administrés de la province de Québec, il soutient que le gouvernement Borden a le droit et le devoir de voir à ce que l'argent qu'il vote pour l'encouragement de l'agriculture dans la province ne soit pas dépensé autrement que pour des fins agricoles.

Et il félicite M. Borden et ses ministres de cette conduite. Cependant, il avoue l'ignorance de la situation exacte à ce sujet en reprochant au ministre de ne pas lui avoir soumis à temps certains documents qui l'auraient éclairé à ce sujet.

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine) lui réplique en citant les documents de la Chambre qui prouvent que ce que le chef de l'opposition a demandé lui a été accordé depuis quelques jours déjà.

M. Tellier (Joliette) répond que ces documents ne lui sont pas encore parvenus quoique son secrétaire les ait demandés à plusieurs reprises.

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine) rappelle à la Chambre qu'il lui a été impossible jusqu'ici d'obtenir un octroi pour faire inspecter les troupeaux atteints de tuberculose. La maladie a pris des proportions inquiétantes, dit-il, et l'infection est grave dans certains districts. Et ça ne s'arrête pas là.

La maladie s'est répandue à l'industrie porcine et, d'après les experts danois que le gouvernement a invités ici dans l'intérêt de l'industrie du bacon, la moitié des porcs consommés dans la province sont infectés par cette maladie.

Il ajoute qu'il ne serait pas surpris si la faculté médicale en venait à la conclusion que la tuberculose chez les humains dans cette province est en grande partie due à cette cause.

Il tient le gouvernement fédéral responsable de cet état de choses parce que celui-ci n'a pas voulu consentir à affecter une partie de la subvention spéciale pour l'agriculture à l'inspection des troupeaux.

Ottawa nous a dit, raconte-t-il, que le sujet était tellement important qu'il allait s'en occuper lui-même. J'en étais enchanté, mais Ottawa n'a encore rien fait.

M. Tellier (Joliette): Et vous, que faites-vous? Si Ottawa ne fait rien, est-ce une raison pour ne rien faire? Vous dites que vos troupeaux sont tellement infectés que la moitié de la viande que nous mangeons est contaminée, et vous ne faites rien? Vous ne faites rien quand Ottawa vous donne $150,000 de plus pour l'agriculture! Et les surplus dont vous vous vantez tant, vous préférez les garder que de protéger le public contre l'infection que vous dénoncez!

M. Prévost (Terrebonne) dit que le gouvernement provincial a le devoir de protéger la province contre la propagation de la tuberculose chez les troupeaux et que, si l'on faisait des économies, on aurait assez d'argent pour organiser une campagne afin de combattre cette maladie.

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine) répond qu'il n'a pas assez d'argent et que la province n'a pas le droit de faire abattre les animaux infectés.

M. Tellier (Joliette): Demandez de l'argent et une loi et nous allons vous donner les deux. C'est le temps, pendant que la législature siège.

M. Bernier (Lévis) remarque que toute cette question revient à une réglementation d'hygiène et que la province a le droit de faire ce qu'elle voudra.

M. Prévost (Terrebonne) s'étonne que le ministre soutienne que la province n'a pas le droit de faire abattre les animaux infestés quand le statut permet de tuer les chiens dangereux ou seulement "réputés" tels.

M. Lavergne (Montmagny): Les chiens de mauvaise réputation.

Un député demande au ministre comment il se fait que le nombre des troupeaux infectés soit si considérable quand il s'est vanté d'en encourager la vente aux Américains.

M. Prévost (Terrebonne): Vous envoyez des animaux infectés aux Américains, et les Américains nous renvoient des détectives.

M. Lavergne (Montmagny): Vive la réciprocité!

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine) est d'avis que le gouvernement fédéral devrait laisser aux provinces le soin d'appliquer le subside pour les fins de l'agriculture comme elles l'entendraient, parce que les gouvernements provinciaux sont plus en mesure de connaître les besoins.

À la dernière conférence interprovinciale, il a fait part de ses griefs aux représentants des autres provinces, et Sir Richard McBride, premier ministre de la Colombie-Britannique, a jugé la situation par ces paroles: "J'en ai assez de toute cette situation."

Sans doute, ajoute-t-il, c'est le devoir du donateur de s'enquérir du fait que le subside a bel et bien été affecté à ce à quoi il avait été destiné, mais là devrait se borner son intervention.

La province de Québec a tout particulièrement raison de se plaindre de la façon dont elle a été traitée par le gouvernement fédéral à ce sujet. Ainsi, ce dernier a envoyé dans toutes les autres provinces un officier spécial chargé de s'enquérir de la façon dont on désirait voir employer le subside, tandis que, dans notre province, cet officier n'est venu prendre aucun renseignement.

De plus, il n'y a que dans la province de Québec que l'on ait envoyé un surintendant qui soit chargé de voir si ce subside est bel et bien dépensé pour les fins auxquelles il est affecté.

Pourquoi, demande le ministre avec raison, ce traitement différent à l'égard de notre province? Est-ce parce que nous sommes canadiens-français ou parce que nous sommes libéraux? Ce serait intéressant de le savoir.

Nous serions autorisés à dépenser cet argent sans être supervisés par un surintendant qui réduit un député du cabinet provincial à un rôle de subalterne face à Ottawa.

M. Cousineau (Jacques-Cartier): Pourquoi alors ne pas avoir protesté lors du vote de ce subside?

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine) réplique que, s'il l'avait fait, ses amis de la gauche lui auraient fait un grief de cette conduite. Et il répète que, tant qu'on ne mettra pas la province de Québec sur un pied d'égalité avec les autres provinces, il continuera de protester.

M. Tellier (Joliette): Peut-être le gouvernement fédéral ferait-il mieux de dépenser son argent directement. Les provinces s'en trouveraient aussi bien, et le gouvernement central s'en trouverait assurément mieux. C'était ce que faisait le gouvernement Laurier en donnant des subventions directes pour l'industrie laitière, les voitures et les chambres frigorifiques, et personne n'a eu à redire.

Le gouvernement Borden préfère donner de l'argent aux provinces, mais c'est son droit et même son devoir de s'assurer comment cet argent est dépensé, parce qu'il en est responsable aux députés qui votent cet argent.

S'il posait des conditions quant aux détails de cette dépense et s'il demandait que l'argent soit dépensé dans une localité plutôt qu'une autre, les reproches du ministre s'expliqueraient, mais il se borne à dire à quelles fins agricoles cet argent sera employé, que $13,000 devraient être accordés à l'industrie fruitière, $17,000 à l'agriculture, $60,000 aux écoles d'agriculture, etc.

C'est-à-dire qu'il ne fait rien autre chose que ce que le gouvernement provincial fait à l'égard des cercles agricoles quand il leur donne $50 ou $100 à condition qu'ils les affectent à telle ou telle chose. Et, si Ottawa ajoute un officier chargé de vérifier la dépense, c'est peut-être qu'il a appris par nos documents publics que certains ministères distribuaient les deniers publics avec trop de partialité.

Il termine son discours en émettant l'opinion que le gouvernement devrait méditer sur l'adage: "À cheval donné on ne regarde pas la bride."

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine) réplique qu'il est vrai que "à cheval donné on ne regarde pas la bride", mais à condition que le donateur du cheval cesse de vouloir le conduire après s'en être départi. Il se plaint que la province de Québec soit la seule qui soit traitée de cette façon.

C'est une injure. M. Burrell1 est bien disposé, mais il ne peut être aussi bien renseigné que les gens sur place, et c'est peut-être pourquoi il nous défend une année ce qu'il a permis l'année précédente.

Par exemple, il nous a défendu cette année de donner de l'argent pour la culture du trèfle, et nous avons été obligés de discontinuer, bien que ce soit une bonne politique.

M. Labissonnière (Champlain): Pourquoi ne prenez-vous pas sur votre propre budget pour encourager cette culture?

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): Parce que tout notre argent est engagé.

M. Lavergne (Montmagny): Je suis d'accord avec le ministre sur le principe de la liberté de la dépense de cette subvention, bien que je considère que le ministre l'administre mal, mais je trouve étrange qu'il soit si à court d'argent pour l'agriculture, précisément depuis qu'Ottawa lui donne $150,000 de plus.

M. Prévost (Terrebonne) ajoute que, si un de ses employés administrait ses finances comme le ministre administre cette subvention, il ne lui nommerait pas seulement un tuteur, mais un curateur et trois gardiens.

M. Bernier (Lévis) prend la défense des conservateurs d'Ottawa, répétant les mêmes arguments que son chef (M. Tellier).2

M. Prévost (Terrebonne) et M. Lavergne (Montmagny) égaient la séance3 avec d'amusantes citations tirées de rapports officiels sur des noms d'insectes et des membres de la famille des rampants dont les noms latins font penser à une formidable armée d'envahisseurs étrangers.

M. Dorris (Napierville): Qui a baptisé ces animaux?

M. Prévost (Terrebonne): C'est le gouvernement.

Le comité fait rapport qu'il n'a pas terminé l'examen de la résolution et demande la permission de siéger de nouveau.

La séance est levée à 6 h 30.

__________

NOTES

1. L'honorable Martin Burrell est ministre de l'Agriculture dans le cabinet Borden.

2. Selon La Presse (5 février, p. 5), M. Bernier aurait fait un long discours.

3. La Gazette (5 février, p. 20) signale que les remarques humoristiques de MM. Prévost et Lavergne se sont poursuivies pendant la dernière demi-heure de la séance.