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Version finale

12e législature, 3e session
(10 janvier 1911 au 24 mars 1911)

Le jeudi 9 mars 1911

Ces débats, reconstitués principalement à partir des comptes rendus des médias de l’époque, ne constituent pas un journal officiel des débats de l’Assemblée législative.

Présidence de l'honorable P. Pelletier

La séance est ouverte à 3 heures.

 

Messages du Conseil législatif:

M. l'Orateur informe la Chambre que le greffier du Conseil législatif a apporté le message suivant:

Le Conseil législatif informe l'Assemblée législative qu'il a voté le bill suivant avec certains amendements pour lesquels il lui demande son concours:

- bill 109 déclarant final et définitif le partage des biens substitués de feu dame Mathilde Leclaire.

Le Conseil législatif informe l'Assemblée législative qu'il a voté le bill E du Conseil législatif pour amender le chapitre 129 intitulé: "Loi autorisant Monklands Limited à ouvrir des rues et chemins publics de moins de soixante-six pieds de largeur, sur la propriété immobilière connue et désignée comme partie du lot no 48, partie du lot no 150 et partie du lot no 213 de la paroisse de Montréal", pour lequel il demande le concours de l'Assemblée législative.

Le Conseil législatif informe l'Assemblée législative qu'il a voté les bills suivants sans amendement:

- bill 39 amendant les statuts refondus, 1909, et le code municipal relativement aux mauvaises herbes;

- bill 41 amendant le code de procédure civile;

- bill 131 amendant la loi constituant en corporation la compagnie d'assurance mutuelle des scieries mécaniques, et changeant le nom de ladite compagnie en celui de La Mercantile, compagnie d'assurance mutuelle contre le feu.

Biens substitués de Mathilde Leclaire

La Chambre procède à la prise en considération des amendements que le Conseil législatif a apportés au bill 109 déclarant final et définitif le partage des biens substitués de feu dame Mathilde Leclaire. Les amendements sont lus deux fois et adoptés sur division. Le bill est retourné au Conseil législatif.

Licences d'embouteilleurs

M. Mousseau (Soulanges) demande la permission de présenter le bill 172 remplaçant l'article 972 des statuts refondus, 1909, relativement aux licences d'embouteilleurs.

Par cette loi, les licences d'embouteilleurs seraient accordées sur paiement fait à un percepteur du revenu, sujettes aux dispositions des articles 561 et 563 du code municipal ou encore et suivant le cas aux dispositions concernant la prohibition de la vente des liqueurs enivrantes.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Annexion de lots au canton Armagh

M. Lavergne (Montmagny) demande la permission de présenter le bill 175 détachant certains lots du comté de Bellechasse et les annexant à la municipalité de la partie est du canton Armagh, dans le comté de Montmagny, pour toutes fins.

C'est le résultat d'un commun accord entre les résidents et le gouvernement. Je serai le seul à en souffrir, puisque les électeurs de ce district sont tous libéraux.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

 

Demande de documents:

Vols à Louiseville en 1909

M. Lafontaine (Maskinongé) propose, appuyé par le représentant de Compton (M. Giard), qu'il soit mis devant cette Chambre copie de documents et correspondance échangés entre le département du procureur général de cette province et les autorités de la ville de Louiseville, relativement à des vols commis dans cette ville, en 1909, par des maraudeurs inconnus.

Il déclare qu'il a déjà fait plusieurs interpellations1 au sujet de vols commis par des individus inconnus dans son comté où il a fallu que des citoyens fassent des dépenses considérables pour retracer les coupables.

Lorsqu'on s'est adressé au procureur général, on nous a répondu que, si les citoyens voulaient garantir les frais et les dépenses de la police provinciale, on mettrait cette dernière à leur service et on enverrait des constables.

Il exprime l'opinion que les districts ruraux et les petites villes ne sont pas assez protégés par l'organisation actuelle de la police provinciale et il invite le gouvernement à s'occuper de la question.

Il profite de l'occasion pour critiquer la protection policière qu'offre le gouvernement aux districts ruraux, et il base son raisonnement sur cela pour démontrer la nécessité d'améliorer le service de la police provinciale.

Le gouvernement devrait augmenter la force de police provinciale pour protéger les campagnes. Par suite de la protection exercée dans les grandes villes, les voleurs se réfugient dans les campagnes où ils peuvent opérer trop facilement.

L'immigration a amené à Québec la racaille d'autres pays qui a été chassée des grandes villes grâce à une force policière ainsi qu'à des détectives vigilants et bien organisés, et elle rôde dans le pays, présentant un grand danger pour les petites villes et les fermes. Les districts ruraux ne sont pas à l'abri des vagabonds et des maraudeurs.

Pendant le temps qu'il faut pour se rendre à l'endroit où ont été commis les vols, les voleurs réussissent à gagner la frontière et à échapper à la police.

Il demande la protection pour la population rurale. Il profite de l'occasion pour attirer l'attention du procureur général sur l'opportunité d'établir un service de protection policière à la campagne. Il pense que le gouvernement devrait établir un service de protection policière efficace.

Il suggère un système dont les frais seraient la moitié à la charge des municipalités et l'autre moitié payée par le gouvernement.

Avec cette amélioration du service, on pourrait s'attendre à de bons résultats, et cela couvrirait les dépenses.

Lorsqu'une série de vols furent commis à Louiseville en 1909, il écrivit au gouvernement, mais on lui refusa toute assistance policière pour la capture des coupables, à moins que la ville n'acceptât de payer toutes les dépenses.

L'honorable M. Gouin (Portneuf) répond qu'il faut y songer à deux fois avant de se lancer dans une pareille innovation.

Il dit qu'il n'a pas suffisamment d'hommes pour assurer l'ordre dans d'aussi petits centres. On a suggéré que diverses municipalités contribuent en partie au soutien de la police, souligne-t-il, et cette question doit être étudiée attentivement.

La création d'une force de police pour la population des campagnes est déjà venue devant la Chambre. Il se propose de la mettre de nouveau devant la Chambre.

Les officiers de son département étudient les moyens d'améliorer le système actuel. Ils ont pris, sur ce point, l'avis des chefs de la police et des détectives de Montréal et de Québec. En attendant que l'on puisse faire mieux, on améliore le service de la police provinciale en y enrôlant les meilleurs hommes que l'on peut trouver.

Si le député de Maskinongé (M. Lafontaine) a l'occasion d'avoir besoin de demander l'aide de la police provinciale, le gouvernement se rendra à son désir; il sera satisfait. Le gouvernement fait tout ce qu'il peut pour rendre le service de la police provinciale hautement efficace.

Le département du procureur général améliore beaucoup son service policier et il y a tout lieu d'espérer que, l'année prochaine, le député de Maskinongé (M. Lafontaine) n'aura plus à se plaindre.

M. Plante (Beauharnois) appuie cette idée en faisant quelques observations.

Il se plaint des mêmes faits pour le district de Beauharnois où des vols nombreux ont été commis. Il rappelle que le district de Beauharnois a eu à se plaindre des maraudeurs.

Il y a une disposition dans la loi qui oblige les victimes d'un vol à faire des déboursés pour obtenir une enquête et la poursuite des voleurs. Il a fallu aux personnes volées dépenser $80 à $100 pour faire enquête et découvrir les voleurs. La conséquence, c'est que trop souvent les coupables ne sont pas recherchés ni punis. Il y a là un abus à réprimer.

Il fait quelques suggestions dans ce but. Il faut prendre en considération le fait que les municipalités rurales ne peuvent se payer le luxe d'une force de police.

Il remercie le député de Maskinongé (M. Lafontaine) d'avoir soumis cette question à la Chambre et exprime l'espoir que l'on fasse quelque chose de pratique. L'organisation d'un service de détectives ne coûterait pas cher à la province et rendrait de grands services dans les districts ruraux.

La motion est adoptée.

Religieuses de l'Hôtel-Dieu de Lévis

M. Blouin (Lévis) propose, appuyé par le représentant de Soulanges (M. Mousseau), que l'honoraire payé pour le bill 53 amendant la loi 56 Victoria, chapitre 86, concernant les religieuses de l'Hôtel-Dieu de Lévis soit remis, moins les frais d'impression et de traduction, vu que ce bill concerne une institution de charité.

Adopté.

District of Bedford General Hospital

M. Vilas (Brome) propose, appuyé par le représentant de Huntingdon (M. Walker), que l'honoraire payé pour le bill 122 constituant en corporation The District of Bedford General Hospital soit remis, moins les frais d'impression et de traduction, vu que ce bill concerne une oeuvre philanthropique.

Adopté.

Société du parler français au Canada

M. Francoeur (Lotbinière) propose, appuyé par le représentant de Verchères (M. Geoffrion), que l'honoraire payé pour le bill 52 constituant en corporation la Société du parler français au Canada soit remis, moins les frais d'impression et de traduction, vu que ce bill concerne une oeuvre littéraire.

Adopté.

Rebouteurs

M. Tourigny (Arthabaska) propose, selon l'ordre du jour et appuyé par représentant de Soulanges (M. Mousseau), que le bill 145 amendant l'article 4971 des statuts refondus, 1909, relativement aux rebouteurs reconnus comme tels par le public soit maintenant lu une deuxième fois2.

Il donne quelques explications sur ce projet de loi qui aura pour effet de permettre aux rebouteurs reconnus comme tels par le public et qui rendent de grands services dans nos campagnes, de pratiquer.

Il propose d'exempter les rebouteurs reconnus comme tels des pénalités édictées contre ceux qui pratiquent illégalement la médecine.

Il explique qu'il présente cette mesure à la demande d'un grand nombre de personnes.

M. Lafontaine (Maskinongé) approuve entièrement le bill. Il réclame protection pour cette classe de spécialistes reconnus comme très capables en matière de réduction de fractures et qui ont reçu de la nature le don de rendre les mêmes services que le chirurgien. Il faudra cependant se mettre en garde contre les charlatans.

Il félicite le député d'Arthabaska (M. Tourigny) d'avoir présenté ce bill. Il y a, dit-il, un grand nombre de personnes qui rendent de grands services au public et à la population des campagnes comme rebouteurs. Dans le comté de Maskinongé, il y en a qui rendent chaque jour de grands services et qui se proposent de continuer.

Il est d'avis que l'on doit permettre à ceux qui ont réellement du succès dans ce métier de l'exercer.

Il suggère que l'on distingue les bons rebouteurs des charlatans au moyen d'un certificat qui sera émis par les autorités municipales.

M. Morisset (Dorchester), au nom du collège des médecins, parle contre le nouveau bill. Il demande que ce bill soit renvoyé devant le comité de législation, afin que l'on puisse savoir ce que la profession médicale a à dire sur ce bill.

On pourrait, dit-il, inviter le collège des médecins à venir y discuter cette loi. Il ne serait que juste qu'on invitât les médecins à venir discuter ce bill au comité de législation, il semble qu'ils doivent avoir leur mot à dire dans cela. Et pour cela il demande le renvoi du bill au comité de législation.

M. Lavergne (Montmagny): Quand on a passé la loi des médecins, on n'a pas consulté les rebouteurs.

M. Finnie (Montréal no 4) endosse la conduite du député de Dorchester (M. Morisset). Il exprime son étonnement de constater que l'on a permis l'introduction de ce bill. Il demande qu'on le rejette immédiatement.

La motion est adoptée sur division.

M. Morisset (Dorchester) propose, appuyé par le représentant de Pontiac (M. Gaboury), que le bill soit retourné au Conseil législatif3.

La proposition étant mise aux voix, la Chambre se divise. Les noms sont appelés et inscrits comme suit:

Pour: MM. Allard, Bissonnet, Bourassa, Caron (L'Islet), Caron (Matane), Daigneault, D'Auteuil, Décarie, Delâge, Devlin, Dupuis, Finnie, Gaboury, Gault, Godbout, Gouin, Hay, Kaine, Lafontaine (Berthier), Langlois (Montréal no 3), Langlois (Saint-Sauveur), Létourneau, Lévesque, Mackenzie, Morisset, Patenaude, Pennington, Perron, Petit, Robillard, Séguin, Tanguay, Taschereau, Vilas, Walker, Walsh, 36.

Contre: MM. Benoît, Bernard, Blouin, Cardin, Delisle, Dion, Dorris, Francoeur, Gendron, Geoffrion, Giard, Gosselin, Lafontaine (Maskinongé), Lavergne, Mercier, Mousseau, Neault, Pilon, Plante, Robert (Rouville), Robert (Saint-Jean), Sylvestre, Tellier, Thériault, Tourigny, 25.

Ainsi, la proposition est adoptée.

Le bill est, en conséquence, renvoyé au comité de la législation et des lois expirantes.

Incendies de Trois-Rivières

M. Tessier (Trois-Rivières) propose, selon l'ordre du jour et appuyé par le représentant de Châteauguay (M. Mercier fils), que le bill 173 amendant l'article 781 du code de procédure civile soit maintenant lu une deuxième fois.

Adopté sur division. Le bill est renvoyé au comité général.

Exploitation minière

M. Mercier fils (Châteauguay) propose, selon l'ordre du jour et appuyé par le représentant de Trois-Rivières (M. Tessier), que le bill 174 amendant l'article 2160 des statuts refondus, 1909, soit maintenant lu une deuxième fois.

Adopté sur division. Le bill est renvoyé au comité général.

Subsides

L'honorable M. Mackenzie (Richmond) propose, selon l'ordre du jour et appuyé par le représentant de Québec-Ouest (l'honorable M. Kaine), que la Chambre se forme de nouveau en comité des subsides.

Adopté.

 

En comité:

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe) rappelle qu'il a déjà exprimé quelques opinions au sujet des effets probables du traité de réciprocité au point de vue du bois de pulpe.

Il félicite le premier ministre de l'occasion qu'il lui fournit de parler encore de cette question de réciprocité dont il a déjà, il y a quelques jours, entretenu la Chambre.

Il propose en amendement, appuyé par le représentant de Joliette (M. Tellier), que les mots suivants soient ajoutés à la fin de la motion principale:

"En vue des conditions nouvelles que la ratification de l'entente douanière canado-américaine ferait à l'industrie du papier et de la pâte de bois ainsi qu'à l'exploitation forestière; et d'une manière générale, afin d'assurer au capital, au travail et au commerce de la province le bénéfice intégral du peuplement du sol et de l'exploitation de ses richesses naturelles.

"La Chambre espère que le gouvernement va maintenir, dans les règlements du département des Forêts, tout ce qui est de nature à favoriser la fabrication du papier au Canada et dans la province de Québec.

"La Chambre invite également le ministère à adopter, avec l'assentiment de la législature, une politique énergique et progressive à ce sujet, et particulièrement les mesures suivantes:

"1. Procéder incessamment à la séparation réelle du domaine forestier et des régions colonisables;

"2. Faire rentrer dans le domaine public les concessions forestières et les lots de colonisation détenus par des spéculateurs qui ne les gardent que pour bénéficier de leur plus-value;

"3. Assurer au véritable exploitant de la forêt la libre jouissance de sa concession pour une période déterminée et l'intéresser à la conservation des bois autant qu'à leur exploitation judicieuse et méthodique;

"4. Garantir également au colon l'accès facile à la terre, la possession paisible et entière de son terrain et le bénéfice du bois qui le couvre et qui seul peut assurer au colon sa subsistance pendant les premières années de son établissement;

"5. Faire rentrer dans le patrimoine public les chutes d'eau laissées improductives; conserver avec un soin jaloux la puissance hydraulique de la province et ne l'abandonner, même temporairement, à l'exploitation privée que dans des conditions définies qui tendent efficacement à promouvoir l'intérêt général du peuple ainsi que le commerce et l'industrie."

Cette proposition est un peu longue. J'ai voulu en faire l'objet d'un programme. Je ne veux pas qu'elle soit considérée, ni de près ni de loin, comme une motion de non-confiance. Je ne veux pas donner aux arguments que je vais donner à l'appui une forme qui implique une critique du gouvernement. Je voudrais, pour traiter la question de plus haut, que les députés oubliassent en ce moment les luttes que nous avons eu à faire dans le passé. Je demande que toute la députation oublie pour un instant les luttes qui divisent les deux partis pour écouter ce que j'ai à dire.

Il souhaite susciter l'intérêt des deux côtés de la Chambre sur cette question dont l'importance est évidente en soi, inutile de le souligner en cette occasion.

Il est temps en effet d'oublier les différences de partis quand un débat porte sur une question nationale comme celle du bois de pulpe.

Il veut éviter tout ce qui pourrait être interprété comme un argument de parti, et c'est dans cet esprit qu'il a rédigé son amendement. Je ne voudrais pas, dit-il, faire peser sur aucun gouvernement, passé ou présent, les défauts du régime actuel.

Il ne loue ni ne blâme les administrations antérieures pour les actes sages ou imprudents qu'elles ont pu faire en rapport avec l'administration du domaine public; il prend simplement les choses telles qu'elles existent aujourd'hui. La question forestière est importante au triple point de vue agricole, industriel et économique, ce qui veut dire encore quelle influence elle a, elle doit et elle peut avoir sur la politique générale de la province.

La question est pour nous d'une importance capitale puisqu'elle concerne notre richesse nationale, au point de vue du commerce du bois et de l'industrie de la pulpe et du papier, dans l'intérêt de la province.

Ce sont des matières d'une excessive importance et il importe de se demander si leur avenir sera affecté par le traité de réciprocité projeté. Notre province est destinée, par sa nature, à devenir la plus grande productrice de papier du monde entier.

L'avenir de notre province est intimement lié au développement et au progrès de l'exploitation forestière. Celle-ci dépend, dans une large mesure, de nos relations avec nos voisins et le traité de commerce projeté entre le Canada et les États-Unis peut avoir des conséquences énormes pour nous.

Il aimerait savoir quelles seront les conséquences du nouveau traité de réciprocité sur l'industrie du bois de pulpe et du papier, et si cela amènera le gouvernement provincial à modifier substantiellement la loi qu'il a rédigée il y a un an. Le gouvernement fait face à une très grave situation. Est-il assuré qu'avec un tarif de protection sur le papier et le bois de pulpe les manufacturiers américains seront disposés à faire des investissements dans les fabriques de pulpe au Canada? D'autre part, est-il prêt à mettre fin à l'épuisement des ressources et aux pertes que subit le pays par l'exportation du bois de pulpe canadien non transformé?

Il prêche la doctrine de la conservation du domaine national, et plus particulièrement des voies navigables de la province. La déforestation non réglementaire entraînera la diminution et l'assèchement des cours d'eau jusqu'à ce que Québec subisse le même sort que Carthage4.

La province de Québec est un grand fournisseur de bois de pulpe pour les États-Unis et la convention douanière canado-américaine aura pour effet d'affecter considérablement la situation de la province au point de vue de ses forêts et de l'industrie de la pulpe.

Il ne comprend pas que le gouvernement fédéral, gardien des intérêts généraux du pays, ait négligé dans une circonstance aussi grave de consulter les provinces dont les intérêts pouvaient être si sérieusement compromis, ruinés même, par les conditions de la convention.

Le gouvernement d'Ottawa a manqué à son devoir en négociant sur une question qui tombait sous la juridiction des provinces sans daigner demander à ces provinces ce qu'elles entendaient faire.

L'industrie de la pulpe est l'industrie naturelle et nationale de la province de Québec et le gouvernement fédéral n'avait pas le droit de disposer de cette industrie sans connaître les vues de ceux qui sont chargés de l'administration dans la province et sans savoir quel serait le résultat du nouveau régime. La province d'Ontario et la Colombie anglaise, qui produisent aussi du bois de pulpe, avaient aussi le droit d'être consultées.

Afin d'établir la valeur et l'importance de ces richesses nationales pour nous, il donne des statistiques sur la consommation de la pulpe et du papier aux États-Unis et établit la valeur des exportations de bois de pulpe aux États-Unis par la province de Québec.

L'importance de l'industrie du papier n'est plus à démontrer. Dès 1905, M. Biggar la signalait dans une étude traduite par Mgr Laflamme, où il constatait que la valeur de la pulpe destinée à l'alimentation des moulins à papier était de $23,144,000; que la valeur de la pulpe fabriquée pour la production du papier était de $57,000,000; que la valeur des produits des moulins à papier était de $188,000,000, et enfin que la valeur des produits d'impression et de publicité dont un des éléments essentiels est le papier était de $406,000,0005.

Cela démontre l'importance de cette industrie qui a fait des progrès considérables depuis cette date, quoiqu'il ne soit pas possible d'obtenir de chiffres exacts.

L'État de New York seul comptait à cette date (en 1905) 108 fabriques pouvant consommer annuellement 987,000 cordes de bois, représentant la coupe annuelle sur une superficie de cent mille milles carrés (100,000 acres).

Si l'on considère qu'un acre de forêt produit dix tonnes de pulpe, les fabriques consomment chaque année la production de 100,000 acres de forêt et il y a eu, depuis lors, une augmentation de 20 %.

M. Norris, président de l'association des éditeurs américains, ajoute à ces renseignements qu'aujourd'hui les fabriques de papier aux États-Unis produisent 15,000 tonnes de papier par jour et, de ce nombre, 12,120 tonnes, soit les quatre cinquièmes de ces produits, vont être affectées par le nouveau tarif. Quinze mille tonnes représentent par année 5,400,000 tonnes de papier qui, si on l'estime à $70, représente $350,000,000 par année6. Il s'agit de savoir dans quelle mesure cette consommation affectera le marché canadien. Nous voyons donc dans quelle mesure un consommateur aussi gigantesque peut affecter notre province.

Selon les statistiques des États-Unis tirées du livre bleu, soit le rapport présenté à Ottawa, durant l'année fiscale américaine finissant le 31 mars 1910, nous avons exporté pour $5,204,0007 de pâte à pulpe, dont $930,000 en Angleterre et $4,175,000 aux États-Unis8 et $100,000 en divers pays9, et ceci, malgré les charges douanières qui nous étaient imposées. Pour l'année fiscale canadienne finissant le 30 juin 1910, selon nos statistiques, nous avons exporté pour $3,000,000 de papier dont $1,300,00010 aux États-Unis, $900,000 en Angleterre et $900,000 ailleurs dans divers autres pays.

Les États-Unis ont importé de la pâte de bois à papier du Canada pour $8,000,000 en 1908, pour $4,170,000 en 1909 et pour $3,600,000 en 1910. De notre bois, ils ont importé pour $4,000,000 en 1908, $4,800,00011 en 1909 et $6,389,000 en 191012. Ces chiffres sont corroborés par la douane américaine qui estime l'importation du papier canadien en 1910 à $1,660,00013, celle du bois de pulpe à $6,389,000 et celle de la pâte de bois à $3,000,000.

Le Canada a exporté aux États-Unis pour $600,000 de papier en 1908, pour $800,000 en 1909 et pour $1,680,000 en 1910. Remarquons que cette augmentation de 100 % l'année dernière est due au fait qu'il y a eu une grève dans les fabriques des États-Unis.

On peut remarquer que les États-Unis importent beaucoup plus de matière première que de produits finis.

Depuis quatre ans, l'exploitation du bois non manufacturé a presque doublé; en 1907 elle était de $427 et aujourd'hui elle est de $1,160,000 (sic).

Quelle proportion la province de Québec représente-t-elle dans cette production générale? Si l'on veut connaître la part de la province de Québec dans la production canadienne, rappelons-nous qu'il y avait au Canada, en 1906, 31 fabriques de papier avec un capital de $21,000,000 dont 12, avec un capital de $15,000,000 couvrant les deux tiers du capital, sont dans la province de Québec. Nos fabriques emploient 3,486 ouvriers sur les 4,589 employés dans toutes les fabriques du Canada et produisent 6,000,000 des 9,000,000 de produits du Canada. La province possédait déjà, il y a deux ans, la moitié en nombre et en valeur des fabriques de pulpe. Et depuis, deux autres immenses fabriques, celle des Price, à Jonquière, et celle de M. Booth sur la rivière Ottawa, ont été établies, ajoutant encore à la production et au nombre de familles qui vivent de cette industrie.

Ces deux nouvelles fabriques ayant une capitalisation de $4,000,000 et employant 800 ouvriers, c'est dire que notre province tient la première place dans le dominion pour cette industrie.

La province de Québec représente donc une capitalisation, une main-d'oeuvre et une matière manufacturée beaucoup plus fortes, et elle occupe une position particulière.

Encore une fois, il proteste contre l'attitude plutôt cavalière du gouvernement fédéral à l'égard des provinces, étant donné l'importance des intérêts que la convention projetée, et finalement acceptée par le gouvernement de la puissance, mettait en jeu.

Quelle sera la portée du tarif nouveau sur cette industrie si importante chez nous? D'après ces chiffres, il est évident que l'industrie du papier est très importante pour la province, et il est important de savoir quelle pourrait être la conséquence d'un tarif basé sur le traité de réciprocité pour le commerce du bois.

M. Norris a rédigé un rapport sur le traité de réciprocité dans lequel il dit que la province de Québec n'a pas le pouvoir de mettre fin à l'exportation du bois provenant des terrains privés de la province.

Une législation tarifaire adoptée récemment aux États-Unis vise à contraindre les provinces du Canada à se départir du bois des terres de la couronne et ces provinces n'ont pas apprécié une telle contrainte. Le traité de réciprocité permet à chaque province de faire ce qu'elle veut avec ses terres, sans que cela touche la libre entrée immédiate du papier et de la pulpe fabriqués à partir du bois coupé sur les terres privées de la province.

Les provinces de Québec et d'Ontario offrent des primes et des encouragements pour le transfert de l'industrie américaine du papier vers le Canada. La Brown Bros of Berlin Mills, N. H., a récemment implanté une usine à La Tuque, et ce sont les terres de la couronne qui assurent son approvisionnement en bois. L'International Paper Company a flirté avec le gouvernement de la province de Québec afin d'obtenir des concessions semblables. La clause de réciprocité n'encouragera aucunement un tel détournement des industries américaines vers le Canada.

Dans son rapport, M. Norris disait qu'au Canada nous produisions 15,000 tonnes de papier par jour; et il conclut que le traité va amener le gouvernement à enlever les dispositifs adoptés pour restreindre l'exportation du papier du Canada. Nous exportons aux États-Unis 1,000,000 de cordes de bois. Si nous l'estimons à $6 la corde, cela fait $6,000,000. Nous exportons 1,000,000, mais nous gardons $6,000,000.

Si nous le transformions en papier, nous obtiendrions une valeur de $40,000,000 au lieu de nous contenter des $6,000,000 provenant de la vente de bois. Mais, si nous transformions ce bois en pulpe et le vendions, la province pourrait recevoir $18,000,000 et, si nous le transformions en papier, on produirait 800,000 tonnes à $50 la tonne, ce qui rapporterait la somme totale de $40,000,000.

Quant au bois des terres de la couronne, on estime que 200,000 cordes, pour lesquelles des droits sont payés, y sont exportées annuellement.

Sans rien changer à la situation, le gouvernement peut exercer une certaine influence sur cette industrie, puisque 191,000 cordes de bois provenant des terres de la couronne vont encore aux États-Unis, rapportant à nos gens $1,147,000, tandis que ce bois converti en papier pourrait nous donner $7,652,000 environ. Ce qui me justifie amplement de répéter combien imprudent a été le gouvernement central qui n'a pas consulté les provinces dont l'héritage pouvait être si considérablement compromis.

En résumé, il dit que les terres privées du Canada peuvent fournir annuellement 1,000,000 de cordes de bois de pulpe aux États-Unis et que le nouveau tarif stimulerait le commerce. Aux yeux des Américains, la province de Québec est le pivot de la situation. C'est elle qui possède les plus grandes forêts de bois de pulpe. Cet expert (M. Norris) exprime l'opinion, après d'autres, que la province va être forcée d'enlever de ses lois les dispositifs qui ont pour but d'amener ici l'industrie, en restreignant l'exportation du bois des terres de la couronne.

On voit le profit énorme qu'il y a pour la province à amener la fabrication du papier dans la province. Quand on considère que le traité proposé va aider à l'exportation de notre bois, on trouve presque inconcevable que le gouvernement fédéral ait négocié un traité et discuté la situation des provinces sans prévenir celles-ci.

Il cite une lettre dans laquelle les honorables MM. Fielding et Paterson exposent la situation dans Québec, Ontario et en Colombie anglaise, les trois provinces qui ont des règlements spéciaux relativement à l'exportation du bois.

Dans une lettre adressée au secrétaire d'État américain, M. Knox, le 21 janvier dernier, MM. Fielding et Paterson écrivent ce qui suit: Nous n'avons ni le droit ni le désir d'intervenir dans le libre exercice des pouvoirs constitutionnels des autorités provinciales en matière d'administration des terres publiques. Les dispositions que vous proposez d'adopter concernant l'importation en franchise de ces catégories de pulpe et de papier aux États-Unis ne peuvent absolument pas être mises en vigueur pour le moment. Il revient aux autorités provinciales de modifier ou non leurs règlements en vue d'assurer la libre entrée de leur pulpe et de leur papier sur le marché américain. Dans un même temps, les droits actuels sur la pulpe et le papier importés des États-Unis par le Canada seront maintenus.

Au point de vue strictement constitutionnel, M. Fielding a raison, mais il est des circonstances où il vaut mieux être moins rigoureux sur le principe et plus attentif au côté pratique de la question en débat, et dans l'espèce, pour avoir été extrêmement correct au point de vue constitutionnel, le ministre des Finances s'est exposé à placer les provinces dans une position très grave.

Il dit que le gouvernement fédéral n'aurait pas dû s'engager dans le traité de réciprocité sans avoir consulté l'Ontario et le Québec sur cette question.

Étant donné les circonstances, il trouve extraordinaire que le gouvernement fédéral n'ait pas consulté le gouvernement provincial avant d'aborder la question du traité de réciprocité, puisque cela le concerne si directement.

(Vigoureux applaudissements.)

Ce qui importe maintenant pour la province, c'est de savoir si les restrictions des gouvernements provinciaux sur l'exportation du bois de pulpe provenant des terres de la couronne seront maintenues et, si c'est le cas, quel effet cela aura-t-il sur l'établissement, dans la province, des fabriques des manufacturiers américains. Il craint, il l'avoue, que cela soit dangereux. Le manufacturier américain a au moins $200,000,000 de capitaux engagés dans ses fabriques à domicile et, naturellement, il se demandera si cela vaut la peine de déplacer cet argent en transférant sa fabrique dans la province, ou s'il ne serait pas plus sage, en ce qui le concerne, et compte tenu de l'instabilité tarifaire, de continuer à exploiter sa fabrique aux États-Unis tout en s'approvisionnant avec du bois du Canada, soit de façon régulière, en payant les droits, les coûts de transport, etc., soit par des moyens irréguliers, en pillant nos forêts. C'est là que réside le danger.

Voici maintenant comment les Américains considèrent l'effet du nouveau tarif sur l'industrie de la pulpe et du papier.

Nous laissons le Canada faire ce qu'il entendra au sujet de l'entrée de la pulpe et du papier chez lui, dit M. Hill, un membre du comité des voies et moyens. Le bois à papier est admis en franchise et tout produit du bois à pulpe, jusqu'à concurrence de quatre cents par livre, est admis en franchise de n'importe quelle partie du Canada, s'il provient d'un domaine non sujet à restriction.

Cela veut dire, ajoute la revue Pulp and Paper, que la pulpe et le papier fabriqués avec le bois coupé sur les terres privées, même d'Ontario et de Québec, qui imposent des restrictions sur l'exportation du bois à pulpe coupé sur les terres de la couronne, seront admis en franchise. M. Norris dit de son côté que le papier à imprimer fabriqué avec le bois coupé sur les terres sujettes à restriction sera frappé d'un droit de $5.75 par tonne. Ce droit prohibera des compétitions au papier fabriqué avec le bois coupé sur les terres privées.

Et ce qui dissipe tout doute sur ce point, c'est le bill McCall comportant l'arrangement tarifaire entre le Canada et les États-Unis dont le dernière clause stipule que le bois à pulpe, la pâte de bois et le papier provenant du Canada n'entreront en franchise aux États-Unis que s'ils sont exempts de toutes restrictions au Canada, et non plus s'ils viennent d'une province qui impose quelques restrictions. C'est-à-dire que, pour des fins d'importation aux États-Unis, l'on sépare complètement ce qui vient du domaine privé de ce qui vient du domaine de la couronne.

Le but évident est de s'assurer une source d'alimentation au Canada, et particulièrement dans la province de Québec.

Or le tarif américain actuel frappe d'un droit de $1.66 par tonne la pulpe mécanique sèche et de $5 par tonne la pulpe chimique, auxquels droits il faut encore ajouter le montant du droit prohibitif si la pulpe vient d'une province qui impose un droit d'exportation quelconque. Pour le papier, le droit imposé par le tarif américain est de $3.75, $6 et $10 la tonne, suivant la valeur du produit, en plus de $2 la tonne si les éléments constitutifs de ce produit sont atteints d'une restriction quelconque.

De sorte que la situation est celle-ci: le fabricant américain va-t-il avoir intérêt à transporter son usine dans la province de Québec ou trouvera-t-il assez de bois sur les terres privées de cette province pour alimenter son usine chez lui?

L'enquête faite à la demande de M. Norris a démontré que la production au Canada coûte $2 de moins qu'aux États-Unis.

La fabrication du papier coûte 3 % ou 4 % plus cher aux États-Unis qu'au Canada. Il faut ajouter la différence amenée par les frais de transport et de manutention qui sont beaucoup plus élevés pour le bois que pour la pulpe et le papier.

Seulement, il y a le capital investi dans l'industrie américaine du papier et l'incertitude au sujet de la durée des conditions actuelles qui poseront, pour quelque temps encore, un gros point d'interrogation dans l'esprit des industriels américains.

Et alors la tendance de ceux-ci ne sera-t-elle pas de venir chercher ici tout le bois qu'ils pourront avoir sur les terres privées et d'éviter la concurrence du papier canadien provenant des terres de la couronne?

Cette différence dans le prix de revient compenserait-elle la perte subie par le manufacturier qui abandonnerait son usine des États-Unis pour venir s'installer ici? Question difficile à résoudre et que complique encore l'instabilité des tarifs.

Normalement et naturellement, l'industrie du papier devrait se fixer dans notre province où se trouvent en abondance la main-d'oeuvre, la matière première, le pouvoir moteur.

Par essence, la fabrication du papier est l'industrie nationale de cette province et le gouvernement fédéral n'aurait pas dû traiter avec les États-Unis avant de s'entendre avec les autorités de Québec et d'Ontario.

Et, s'il y a des dangers sérieux que le fabricant américain ne vienne pas fixer son industrie ici, il y en a de grands aussi que les Américains viennent en grande hâte chercher ici autant de matière première que possible.

L'exportation de la pulpe et du papier canadiens ne recevra pas la même impulsion, car les droits américains vont rester les mêmes, y compris la surcharge, aussi longtemps que les provinces n'aboliront pas les restrictions qu'elles ont établies. Il est possible aussi que nos produits subissent une forte concurrence de la part des pays scandinaves, la Suède et la Norvège, qui fabriquent une pulpe supérieure. C'est regrettable, car l'exportation du bois ne laisse ici que 12 % de ce que laisserait l'exportation du papier.

Les frais de transport du papier, comparés aux frais de transport du bois, sont moins disproportionnés qu'on ne le croyait d'abord, mais les frais de manutention, dans le cas du transport de la matière brute, sont beaucoup plus élevés que dans le cas du produit fabriqué qui part de l'usine pour aller directement à l'endroit de consommation, ce qui fait que l'avantage reste encore de notre côté et que le fonctionnement normal de l'industrie devrait amener l'industrie américaine dans notre province.

Le fait que nous n'ayons ici que la matière première pour empêcher les fabricants de se diriger vers la province de Québec... Il s'agit de savoir si le traité aura pour effet d'encourager l'immigration des fabricants américains vers la province de Québec. Évidemment le fabricant préférera peut-être rester dans le même pays que son acheteur, où il n'a aucun droit à payer, que de se voir à la merci d'une convention qui, d'un jour à l'autre, pourra être brisée et qui le forcera à retourner dans son pays. Alors, ce que le fabricant fera, ce sera de venir chercher ici tout le bois et de le transporter chez lui aussi rapidement que possible.

Le gouvernement n'a pas sauvegardé les intérêts du Canada en ne demandant pas l'avis des gouvernements provinciaux avant d'entamer les négociations. Il s'agissait de l'industrie nationale de la province de Québec et il n'avait pas le droit de la discuter sans connaître à fond sous quel jour elle envisageait cette question.

S'il y a un danger sérieux que le fabricant ne vienne pas s'établir au Canada, il viendra alors chercher notre bois le plus rapidement possible, car il a besoin du bois de la province de Québec.

S'il n'amène pas le fabricant au Canada, le traité aura pour résultat de diminuer l'exportation de la pulpe qui ne grandira pas aussi vite que l'exportation du bois.

Il demande que les 125,000,000 d'acres de terres sous concessions restent dans le domaine du gouvernement pour l'exploitation forestière. Les États-Unis ont besoin de notre bois brut. La Scandinavie, notre seule rivale sur le marché américain, peut bien fournir la pulpe et le papier. Mais les Américains ne peuvent importer de là le bois brut pour alimenter leurs industries, parce qu'il en coûte trop cher pour la manutention et pour le transport, qui sont pratiquement impossibles à une telle distance.

De là l'importance de veiller plus que jamais à l'observance des bons règlements qui existent déjà pour la protection du domaine public et de les supplémenter au fur et à mesure que l'intérêt de l'industrie forestière l'exigera.

Le rapport du ministre des Terres pour 1910 donne 70,000,000 d'acres de terres patentées et 70,000 milles de terres sous permis d'exploitation forestière.

Combien d'acres de terres faudra-t-il garder pour les besoins légitimes des marchands de bois et combien d'acres devrons-nous exploiter à des fins spéculatives? Il est certain que les marchands des États-Unis surveillent la situation avec intérêt. Le gouvernement doit adopter des mesures qui inciteront les industries manufacturières américaines à venir s'établir ici, ce qui diminuera l'exportation de la matière première.

Il prétend que le traité de réciprocité, s'il est adopté pour la province tel quel en enlevant le droit sur l'exportation du bois de pulpe, ruinera notre richesse nationale, sera cause que le nombre des faux colons augmentera.

Combien de ces terres détenues soit par les marchands de bois, soit par de prétendus colons, sont réellement exploitées dans l'intérêt public? Or, si la seule activité de nos nationaux a pu conduire à un état de choses déplorable sous ce rapport, n'est-il pas à craindre que les conditions actuelles aggravent encore cette situation?

Dans son rapport mis devant la convention forestière, M. Piché disait que la forêt privée et la forêt de la couronne étaient exploitées d'une façon désastreuse. M. Piché, dont la compétence est reconnue, évalue à 60,000,000 nos forêts. Il dit que la manière dont ces forêts sont exploitées est déplorable. Il faudrait prendre des mesures pour y remédier.

Les concessionnaires du domaine public ont coupé, il y a deux ans, 200,000,000 de pieds de bois dans leurs limites et 90,000,000 sur les terres privées.

L'opinion de M. Piché est confirmée par un rapport de M. Blouin, chef de la section des forêts au ministère des Terres, où il est démontré qu'une quantité de bois de commerce se coupe sur les lots détenus par des soi-disant colons qui ne sont que des spéculateurs entretenus par les concessionnaires, précisément pour se protéger contre les inconvénients qui résultent de la double occupation du même terrain.

Un marchand de bois du district de Québec me disait lui-même qu'il possédait plus de terres à bois sous le nom des colons que sous permis du ministre des Forêts. Le remède, c'est d'abord la séparation effective des terres du domaine colonisable et du domaine forestier.

Et pourquoi tant le différer?

Le principe est admis par la commission de conservation, et c'est le seul qui puisse assurer le progrès véritable des industries essentielles, du développement de la province en même temps que la conservation parfaite de nos plus belles richesses nationales.

Si l'on ne veut pas l'appauvrissement de nos richesses naturelles, il faut conserver nos forêts. À plusieurs endroits, on voit les cours d'eau desséchés à certaines périodes de l'année et n'offrant aucun avantage à l'industrie. Ailleurs, où la forêt est belle, les cours d'eau sont aussi bien conservés et propres à l'industrie.

Quel contraste affligeant que de comparer des rivières du versant sud de l'Ottawa desséchées hiver et été, torrents le printemps, avec les rivières du versant nord de l'Ottawa et du Saint-Laurent d'un cours à peu près toujours régulier, assurant au sol une meilleure répartition d'eau! Les études des géologues démontrent aujourd'hui que la dévastation de certaines contrées d'Afrique est due précisément au dessèchement des terres par la disparition des forêts. La guerre n'est plus le pire fléau qui détruit les nations. Une nation peut être détruite et renaître 20 fois tant qu'elle reste maîtresse de son sol et qu'elle sait en conserver les richesses.

Les exigences de l'industrie, de l'agriculture et de la colonisation demandent cette séparation absolue, et le plus tôt elle se fera, le mieux ce sera pour la province.

Il demande des mesures énergiques pour faire rentrer dans le domaine national les terres non exploitées.

Il faut une politique large pour tous. Il ne faut pas que l'industrie forestière l'emporte sur la colonisation, mais il ne faut pas non plus que les industries meurent pour la colonisation.

Encore une fois, s'écrie-t-il, je ne veux rien dire qui ait l'apparence d'un reproche, mais il n'est pas bon qu'un système qui favorise les colères et les préjugés dure plus longtemps.

Nous devrions conserver nos forêts dans un véritable état de culture, comme on le fait en Suède et en Norvège. Pour cela, il faut la séparation de la forêt et des terres de colonisation; que celle-ci soit ouverte et facile; que l'exploitation forestière soit bien réglée. C'est un état difficile à établir, mais aucun gouvernement n'échappera à la colère et aux préjugés populaires aussi longtemps que le colon et le marchand de bois seront laissés sur le même lot.

Il comprend que, si le gouvernement n'a pas toujours réussi, c'est qu'il avait à lutter contre une tradition et un système trop longtemps tolérés, dont les conséquences sont difficiles à contrôler. Le gouvernement doit faire tous ses efforts pour que les 125,000,000 d'acres de terres du domaine forestier restent sous le contrôle de la couronne.

La séparation des deux domaines, forestier et colonisateur, s'impose. Loin de moi l'idée d'accuser le gouvernement de favoriser le marchand de bois au détriment du colon. Mais, si l'on veut faire disparaître ce préjugé qui tend à se propager, il importe de séparer les deux domaines. Pour y arriver, on n'a qu'à se baser sur la valeur des terrains au point de vue de la colonisation, sur les essences des bois qui se trouvent sur tel terrain et sur la conservation qu'on doit assurer aux cours d'eau en protégeant la forêt qui les entoure.

M. Kelly (Bonaventure): Comment pourrait-on reprendre une partie d'une concession sous licence pour la mettre dans le domaine de la colonisation? Quel moyen pratique le député de Saint-Hyacinthe (M. Bourassa) suggère-t-il pour faire la part de la colonisation et de l'exploitation forestière là où le permis d'exploitation forestière existe déjà?

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Il y a plusieurs moyens, entre autres celui employé par le ministre des Terres d'Ontario.

Le cas s'est présenté dans Ontario. On a retrait certaines parties des concessions, mais on a donné des avantages nouveaux aux concessionnaires sur le reste des limites. Il suffit d'offrir des avantages suffisants, des garanties de stabilité de droits de coupe.

Le ministre des Terres d'Ontario avait besoin d'une certaine partie des terres sous permis de coupe de bois pour fins d'utilité publique et il la demanda aux concessionnaires. Ceux-ci refusèrent. Alors, M. Cochrane dit à ces messieurs: Vous avez droit de refuser, mais j'ai droit de vous imposer les règlements que je voudrai et je vais vous augmenter vos droits de coupe. La question fut vite réglée. Le ministre et les concessionnaires conclurent une entente avantageuse aux deux parties.

Il y a aussi les concessions exclusives aux concessionnaires pour une certaine période.

L'honorable M. Gouin (Portneuf): De combien? Pour combien d'années?

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Pour diverses périodes, selon le cas. Disons de 25 ans, 35 ans, mais à la condition toujours que la coupe varie suivant l'âge des bois. En tout cas, je suis convaincu que 99 % des concessionnaires sérieux seraient heureux de retourner à la couronne 10 %, 15 % et 20 % de leur concession en échange d'un titre qui les débarrasserait de l'obligation de courir ici et là pour tout raser, sans discrétion, de crainte d'être importuné par un colon de bonne ou de mauvaise foi.

Le jour où un gouvernement aura le courage de faire cette réforme, je serai prêt à mettre ma force morale pour l'aider, sur cette question du moins.

En parlant14 ici et comme député et comme citoyen, je n'hésite pas à dire que, sans approuver toutes les mesures d'un gouvernement qui ferait loyalement, sincèrement cette réforme, je donnerais de grand coeur le concours du peu d'influence morale que je puis avoir dans cette province pour l'aider à vaincre les préjugés que cette politique pourrait provoquer.

Le malheur dans notre province, c'est que ces grandes questions nationales ont été rapetissées trop souvent à la mesure des mesquines querelles des partis.

La province de Québec doit rester le centre du commerce au Canada. On parle d'annexion à la Confédération impériale. La province de Québec seule veut rester le centre du pays sans vendre sa nationalité aux États-Unis ou son autonomie aux appétits impérialistes. Par sa situation géographique, la province de Québec doit rester le débouché du commerce de la puissance et le Saint-Laurent, l'artère principale de la Confédération canadienne, et si elle le veut elle peut assurer le succès de ses destinées politiques sans vendre sa nationalité aux convoitises des annexionnistes ou céder son autonomie aux impérialistes dont les théories compromettent plutôt qu'elles ne favorisent les intérêts de l'Empire.

Nous avons les moyens de grandir et de prospérer. Nous n'avons pas la houille de la Nouvelle-Écosse, du Nord-Ouest ou des États-Unis, mais nous avons des sources d'énergie inépuisables dans nos pouvoirs d'eau. Conservons-les. Gardons-en la propriété à la province.

On peut et on doit ajouter une politique énergique dans tous ces domaines. Nos gouvernements ont été victimes jusqu'ici de traditions toutes-puissantes.

Il me semble qu'il y a moyen d'adopter une politique nouvelle énergique. Car je considère que ce serait assurer la réalisation du grand idéal national qui doit s'imposer à tous ceux qui s'intéressent à l'avenir de notre province.

N'adoucissons pas les règlements actuels sur l'exportation de la pulpe, dit-il, exprimant ses craintes devant la possibilité que des milieux intéressés exercent des pressions pour que soient favorisés les grands manufacturiers américains. On entend parler d'annexion présentement, mais Québec est en mesure de conserver son centre industriel sans pour autant vendre ses richesses aux États-Unis.

La province de Québec doit plus que toute autre conserver ses forces hydrauliques qui seront les meilleures sources de l'énergie électrique à mesure que ses besoins de tout genre se transformeront avec l'évolution des méthodes agricoles et industrielles.

Je ne dis pas que nous devons accepter la loi d'Ontario sur ce point sans y bien réfléchir, mais je prétends que nous devons autant que possible conserver nos forces hydrauliques pour la communauté des citoyens et n'en disposer qu'avec beaucoup de parcimonie. Ne soyons pas marchands d'électricité, disent quelques-uns. Et pourquoi pas? La province de Québec est bien marchande de bois depuis 40 ans, pourquoi ne serait-elle pas marchande d'électricité si elle y trouve son avantage? Elle le sera aussi longtemps qu'elle possédera des forêts, c'est-à-dire toujours, j'espère. Et enfin, ayant donné à chacun son dû, assuré à chacun un avenir plus certain, il nous sera plus facile de faire de la colonisation. Je ne suis pas de ceux qui disent que tout notre effort doive se porter exclusivement sur la colonisation, mais je ne pense pas non plus qu'il faille l'abandonner. D'ailleurs, notre territoire est assez large, nos ressources assez considérables et assez fécondes, notre énergie assez active pour permettre le libre développement des aspirations d'un chacun et assurer à notre province le rôle qu'elle a le droit et le devoir de jouer dans ce pays.

Il me semble qu'il y a moyen d'établir un système qui, tout en pourvoyant à l'exploitation raisonnable de nos richesses forestières, assure l'expansion de notre province et de notre race par une colonisation intensive.

Non plus que pour moi-même je n'ambitionne pour ma province le périlleux honneur de dominer. Je désire la réalisation d'un idéal national qui est de voir ma province et ma race savoir équilibrer toutes ses forces morales et matérielles.

Je la veux au moins libre, fière et forte, marchant le front haut au milieu de ses soeurs dans la Confédération, et contribuant, dans toute la mesure des ressources dont la Providence l'a comblée, au progrès du Canada tout entier.

Voilà mon idéal et l'idéal, ce n'est ni le rêve ni le songe creux de l'homme incapable de fortes résolutions et d'efforts persévérants. C'est au contraire la concentration de toutes les forces d'un individu ou d'une nation sur la réalisation du voeu qui répond le mieux aux aspirations de son âme. L'idéal, pour une nation, c'est l'équilibre des forces morales.

Il veut que la province de Québec soit le centre de l'expansion nationale et exprime le voeu que la Chambre soit unanime en faveur de sa motion.

Ce n'est pas un blâme ni une critique que j'exprime aujourd'hui, c'est un voeu dont je voudrais que cette Chambre demande la réalisation, et je laisse aux hommes de bonne volonté le soin de le réaliser. Je demande à cette Chambre de ne pas rejeter cette motion, qui n'est pas une motion de non-confiance et que je crois utile à ma province.

L'honorable M. Allard (Drummond), laissant au premier ministre le soin de répondre au discours-programme du chef nationaliste, se contente de répondre à la partie du discours du député de Saint-Hyacinthe (M. Bourassa) qui concerne son département.

Il félicite le député de Saint-Hyacinthe sur la façon amicale dont il a traité la question forestière et la question de la colonisation. C'est la première fois que j'entends parler de la colonisation de la façon dont vient de parler le député de Saint-Hyacinthe. Je ne saurais trop le féliciter du ton qu'il a pris. Son discours ne ressemble pas à ceux auxquels le chef nationaliste avait habitué la Chambre depuis une couple d'années.

Il rappelle les attaques injustes auxquelles il a été en butte lorsqu'il fit passer la nouvelle loi des terres destinée à combattre la spéculation et à atteindre ainsi les fins que recherche le député de Saint-Hyacinthe lui-même.

Depuis son arrivée à la direction de son important département, il eut maintes fois l'occasion d'apprécier la grande valeur des ressources de notre province. La province de Québec possède des richesses incalculables sous forme de forêts, de pouvoirs hydrauliques, de minerais et de terres fertiles. Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de protéger ces ressources et d'apporter le plus grand soin au développement de ces richesses par des lois et des méthodes judicieuses, mais là où nous différons, c'est sur les manières à prendre et les méthodes à suivre.

Notre province a des ressources incalculables, pouvoirs hydrauliques, forêts, terres arables. Comment en diriger le développement? C'est difficile. Voilà pourquoi on a souvent critiqué les lois les plus parfaites possible. Le premier fondement des lois, c'est une opinion publique éclairée et bien disposée.

Cependant, il est certaines idées qui, très jolies en théorie, sont d'application difficile. Celle de la séparation du domaine forestier du domaine de colonisation est de celles-là. Nous avons fait tout ce qu'il était possible pour obtenir de bons résultats qui sont satisfaisants.

Étant donné l'état d'esprit de la population travaillée par une fièvre intense de spéculation, je crois qu'il faut que la loi reste ce qu'elle est, du moins pour quelques années, et que nous développions les méthodes qui ont été inaugurées depuis quelques mois dans le service forestier. Lorsque nous aurons un nombre suffisant de jeunes gens instruits et formés par l'école forestière, nous pourrons opérer des réformes.

On nous reproche d'avoir une loi laissant trop de latitude aux marchands de bois, mais cependant on semble ignorer que la province d'Ontario offre aux licenciés plus d'avantages encore que notre province.

On a critiqué la loi qui donne au ministre des Terres l'autorité nécessaire pour l'administration de son département en disant que cette loi était arbitraire. Dans Ontario, les droits sont encore plus étendus qu'à Québec. Il y a aussi des restrictions pour fins agricoles. Avant de concéder un lot sur terrains licenciés, on demande l'avis du possesseur de la licence.

Dans la province d'Ontario, les détenteurs de limites à bois ont plus de latitude qu'ils n'en ont dans notre province. Malheureusement, chez nous, une certaine presse se plaît à injurier le ministre des Terres en essayant de le montrer comme le complice des spéculateurs. En travaillant ainsi, on fait une mauvaise besogne et l'on passera de plus les officiers du gouvernement pour ce qu'ils ne sont pas.

Il croit que, si l'on ne criait pas si fort que les marchands de bois sont des voleurs et que le gouvernement est leur complice, une certaine partie de la population ne serait pas disposée à piller nos forêts comme on le fait en disant: Puisque les marchands se servent sans se gêner, servons-nous!

Si le peuple ne croyait pas ce que l'on crie dans les journaux, à savoir que le ministre des Terres est l'esclave des marchands de bois, chacun ne se dirait pas: Prenons, nous aussi, notre part.

Pour faire une excellente colonisation, il faut d'abord former l'opinion publique, et c'est là le point important auquel on ne travaille hélas pas.

On a dit que le gouvernement favoriserait le dépouillement des forêts. Le gouvernement a pourtant prouvé en ces derniers temps quel intérêt il porte à la conservation de nos forêts. Il a envoyé, à ses frais, des jeunes gens de talent se former dans les grandes universités étrangères dans la science forestière. Il a fondé une école forestière destinée à former des élèves qui sauront faire une classification intelligente et scientifique de nos terrains forestiers.

Quant à la théorie de la séparation du domaine forestier, il ne croit pas qu'il y ait lieu de s'alarmer du système actuel. Il pourrait se faire que la séparation du domaine forestier du domaine agricole devienne un jour la politique du gouvernement, mais avec l'état actuel des esprits ce n'est pas possible. Aussi, il faudrait une organisation beaucoup plus complète que celle que nous avons actuellement.

Dans le système actuel, ce qui a scandalisé l'opposition, c'est la discrétion accordée au ministre de refuser la vente de certains lots quand il le veut. Ce système a pourtant obtenu d'excellents résultats, puis il a permis de vendre des lots dans des endroits véritablement propres à la culture.

La classification par région, préconisée par le député de Saint-Hyacinthe (M. Bourassa), se fait depuis quelques années. Quant aux difficultés entre les colons et les marchands de bois, il n'en a pas constaté cinq cas depuis qu'il est ministre des Terres. Ces difficultés n'existent pas. Il est impossible d'adopter une loi pour empêcher les colons d'être de mauvaise foi. Le gouvernement a établi l'obligation des affidavits; il peut difficilement faire plus.

Auparavant je croyais que la légende du colon persécuté par le licencié était fondée sur quelque chose. Eh bien, tel n'est pas le cas.

Pour faire un bon ministre des Terres, il n'est pas absolument nécessaire d'avoir reçu une instruction académique ni le don de faire de belles phrases; ce qu'il faut d'abord, c'est une bonne dose de courage. Je fais de mon mieux.

Il rappelle alors ce qu'il a fait depuis qu'il est ministre des Terres et Forêts.

Il traite de chimérique la légende qui a longtemps existé, à savoir que le marchand de bois n'est autre chose que le bourreau du colon. Le colon qui se plaint le plus souvent est un petit spéculateur.

M. Lavergne (Montmagny) fait observer que la plupart des lots détenus pour spéculation le sont en vertu de lettres patentes.

L'honorable M. Allard (Drummond): Depuis que je suis ministre des Terres, il ne s'est pas accordé 15 lettres patentes contre lesquelles l'on puisse protester. Il n'y a pas eu de lettres patentes qui aient été accordées sans que les conditions exigées aient été accomplies, à savoir le défrichement d'un dixième du lot et la résidence pendant deux ans sur ce lot. Et qu'ai-je reçu pour cela? Des reproches.

Il cite le cas de la région de Coleraine où il a refusé des lots qu'on demandait pour coloniser bien qu'ils soient impropres à la culture. C'et afin de protéger les pouvoirs d'eau que nous avons cru devoir conserver la forêt à cet endroit. Le département continuera à faire respecter la loi actuelle, qu'il croit la meilleure qu'on puisse désirer.

Il est favorable à l'idée de conserver les forêts autour des têtes des rivières, mais il trouve que la chose est souvent difficile. Il mentionne certains lots dans le canton Coleraine, sur le bord du lac Saint-François, qui lui ont déjà été demandés avec instance. Il faut parfois beaucoup d'énergie pour résister à des demandes pressantes faites dans l'intérêt de l'agriculture.

Parlant des pouvoirs d'eau, il dit que la province de Québec est certainement la plus riche du monde entier et que le gouvernement fait tout ce qu'il est possible de faire pour la protection du domaine national.

Quant à l'aliénation des forces hydrauliques, il est bon maintenant de l'éviter, mais elle était nécessaire au commencement, lorsque les pionniers de l'industrie électrique consentaient à risquer des capitaux. Le gouvernement a commencé par aliéner des pouvoirs d'eau, plus tard il en a affermé.

Il croit que le louage des chutes est une meilleure méthode que leur exploitation par la province. Il déclare que le gouvernement ne consent aujourd'hui à les affermer que sous des conditions très sévères et pour une période limitée. Il ne croit pas que la province doive se charger elle-même d'exploiter ses forces hydrauliques.

En terminant, il déclare qu'il n'a pas voulu répondre à tout le discours du député de Saint-Hyacinthe (M. Bourassa). Il n'a tenu qu'à exposer que le gouvernement désire l'exploitation rationnelle des forêts et entend mettre à la disposition des vrais colons les terrains nécessaires à l'expansion de notre province.

Le gouvernement a fait tout ce qu'il est possible de faire pour le développement des ressources naturelles de la province.

L'honorable M. Gouin (Portneuf) déclare qu'il a entendu avec plaisir le député de Saint-Hyacinthe (M. Bourassa) lire sa motion et la commenter de façon fort intéressante et très éloquente. En l'entendant et en considérant les événements de ces derniers mois, j'ai reconnu combien est juste le dicton anglais: Les grands événements projettent toujours leur ombre à l'avance. Je constate avec regret15 que nous allons perdre le député de Saint-Hyacinthe et que les rumeurs de son départ pour Ottawa sont fondées.

En entendant le député de Saint-Hyacinthe (M. Bourassa), surtout après avoir lu ses derniers articles, on se disait: La rumeur se confirme, et c'est son testament qu'il nous fait aujourd'hui. Il vient, en effet, de nous faire son discours d'adieux.

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Pas si vite, cela fait tant de fois qu'on m'enterre. Ça n'est pas si sûr que cela.

M. Tellier (Joliette): En tout cas, si le testament ne vous convient pas, vous n'avez pas l'habitude de vous gêner pour les changer, les testaments.

L'honorable M. Gouin (Portneuf): Puisque nous sommes ses légataires, il nous est permis de le considérer avant de l'accepter. Ce programme, ce testament, nous allons l'examiner.

Il poursuit en disant que, étant donné que le Québec a sans aucun doute un avenir prometteur dans l'industrie de la pulpe et du papier, cette question est d'une importance vitale. Il accepte volontiers le programme contenu dans cette proposition.

Quant à cette motion, il faut la juger selon son mérite mais, si elle est acceptable, nous l'accepterons. Si, après mûre réflexion, la motion du député de Saint-Hyacinthe (M. Bourassa) est recevable, le gouvernement pourra l'accepter.

La question en jeu touche au tarif. Elle est d'une importance capitale pour la province. C'est ourquoi il demande l'ajournement du débat à la séance suivante. Il n'a aucune objection à dire ce qu'il pense sur la question de réciprocité ni à définir la position du gouvernement. Il ne sait pas si le ministère acceptera toutes les idées du député de Saint-Hyacinthe, mais il est disposé à prendre toutes celles qui lui paraîtront acceptables.

J'aborderai la question sans crainte et je dirai en toute sincérité quelle sera l'attitude du gouvernement. Je demande d'ajourner le débat à demain pour me permettre de réunir les quelques notes que j'ai préparées à ce sujet et de prendre connaissance de la proposition du député de Saint-Hyacinthe. Il a besoin de réfléchir, dit-il.

Il propose, appuyé par le représentant de Drummond (l'honorable M. Allard), que le débat soit ajourné.

Adopté.

Monklands Limited

M. Perron (Gaspé) propose, appuyé par le représentant de Bellechasse (M. Galipeault) et avec le consentement unanime de la Chambre, que toutes les règles de cette Chambre relatives aux bills privés soient suspendues et qu'il lui soit permis de présenter le bill E du Conseil législatif pour amender le chapitre 129 intitulé: "Loi autorisant Monklands Limited à ouvrir des rues et chemins publics de moins de soixante-six pieds de largeur, sur la propriété immobilière connue et désignée comme partie du lot no 48, partie du lot no 150 et partie du lot no 213 de la paroisse de Montréal", et que ce bill soit lu une première fois.

Adopté.

M. Perron (Gaspé) demande la permission de présenter le bill E du Conseil législatif pour amender le chapitre 129 intitulé: "Loi autorisant Monklands Limited à ouvrir des rues et chemins publics de moins de soixante-six pieds de largeur, sur la propriété immobilière connue et désignée comme partie du lot no 48, partie du lot no 150 et partie du lot no 213 de la paroisse de Montréal".

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Article de l'Action sociale

M. Daigneault (Bagot) se lève de son siège, soulève une question de privilège et se plaint d'un article de l'Action sociale, journal publié à Québec.

Il veut donner des explications personnelles au sujet de l'incident arrivé la veille et mentionné dans l'Action sociale.

Ce journal dit qu'il a voté sur une question qu'il ne connaissait pas, parce qu'il était absent durant la discussion, et ajoute qu'à la demande du député de Montmagny (M. Lavergne) il a consenti à retirer son vote. Il trouve que l'Action sociale a cherché à lui nuire en consignant l'histoire de son vote retranché. Et l'Action sociale n'a pas dit la vérité en disant qu'il avait voté sans connaître la question. L'Action sociale a dit qu'il n'avait pas compris la question discutée, tandis que c'est la question posée qu'il n'a pas comprise.

C'est là une erreur, attendu que, si je n'ai pas voté, c'est simplement parce que j'étais absent de la Chambre lors de la discussion. Voilà le point tel qu'il devait être rapporté.

Il était au courant de la question débattue, mais c'est la question posée par l'Orateur qu'il n'a pas entendue et à laquelle il a répondu oui.

Il déclare qu'il était présent durant toute la discussion, comme tout le monde le sait, mais qu'il a accepté de retirer son vote pour se conformer à une règle de la Chambre qui défend à un député de voter s'il est absent, comme c'est le cas normal, au moment où l'Orateur lit la motion. Le député de Montmagny (M. Lavergne) avait fait remarquer qu'il était absent au moment où la question fut posée et il consentit à retirer son vote. C'est toute la question.

Il déclare pour le bénéfice de l'Action sociale que, quand il vote avec le gouvernement, c'est qu'il a confiance en lui. Il ne croit pas que l'Action sociale ait le droit de mentir aussi effrontément.

M. Lafontaine (Maskinongé) veut parler sur le même sujet.

M. Lavergne (Montmagny) insiste (pour avoir la parole).

M. l'Orateur déclare que le député de Maskinongé (M. Lafontaine) n'a pas soulevé de question de privilège.

M. Lavergne (Montmagny) lui fait remarquer que, pour une explication personnelle, il n'a pas le droit de soulever une question de privilège. S'il trouve que le correspondant de l'Action sociale l'a traité injustement, il doit le citer à la barre de la Chambre, d'après les règles parlementaires. Dans ce cas, le journaliste incriminé aurait le privilège de se défendre. Il est d'opinion que l'Action sociale ne s'est pas écartée de la vérité.

M. Bernard (Shefford) veut dire un mot sur la question.

Des voix ministérielles font du bruit et crient: À l'ordre! À l'ordre!

M. Bernard (Shefford) déclare que ses collègues ont tous compris, comme l'Action sociale, que le député de Bagot n'avait pas compris la question. Il croit que, s'il l'avait comprise, il aurait dû le dire.

Des voix ministérielles: À l'ordre! À l'ordre!

M. Lavergne (Montmagny) parvient à les dominer et demande à l'Orateur si un député n'a pas le droit de parler en Chambre. Il croit que le député de Bagot (M. Daigneault) n'avait compris ni la motion ni la question et que l'Action sociale n'est pas à blâmer.

S'il y avait une question de privilège à soulever, ce serait pour demander comment il se fait qu'un député de la Chambre ait voté sans en avoir le droit.

M. Daigneault (Bagot) répond qu'il ne veut pas faire le procès de l'Action sociale, mais qu'elle n'a pas le droit de faire des comptes rendus qui ne sont pas véridiques.

M. Bernard (Shefford) réplique que le député de Bagot (M. Daigneault) devrait commencer par demander un peu d'exactitude aux journaux ministériels qui mettent dans la bouche des membres de l'opposition des paroles qu'ils n'ont jamais prononcées. Il rend hommage à l'exactitude constante des comptes rendus de l'Action sociale qui donne crédit au gouvernement de tout ce qu'il fait de bon.

L'honorable M. Gouin (Portneuf) propose que le débat soit ajourné.

M. Cousineau (Jacques-Cartier) s'y objecte quelque peu.

La proposition est adoptée. Le débat est ajourné.

La séance est levée.

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NOTES

 

1. Ce passage est tiré du Soleil du 10 mars 1911, à la page 1. L'Événement du même jour indique: "une interpellation".

2. Au sujet de l'étude de ce projet de loi, la Gazette du 10 mars 1911, à la page 16, dit que cette question a semé la bonne humeur dans la Chambre, que l'on a dit des rebouteurs qu'ils sont des gens doués, qu'ils connaissent les arts de la nature, et que l'on a fait d'autres gentilles remarques du genre qui ont triomphé de l'abrupte appellation de ramancheurs d'os cassés dont ils font l'objet.

3. La Tribune de Sherbrooke du 10 mars 1911 précise à la page 1 que le vote est pris "après un instant de tumulte".

4. Il s'agit bien sûr de la fameuse ville d'Afrique du Nord fondée au IXe siècle avant Jésus-Christ et dont le déclin est partiellement attribuable à l'exploitation abusive de la forêt.

5. La plupart des journaux donnent le chiffre de $406,000,000. Pourtant le Devoir, le Quebec Chronicle et l'Action sociale parlent de $496,000,000. (Le Devoir, 10 mars 1911, p. 3; Quebec Chronicle, 10 mars 1911, p. 8; L'Action sociale, 10 mars 1911, p. 5.)

6. Ce chiffre est tiré de l'Événement et de la Patrie; l'Action sociale et le Quebec Chronicle, déjà cités, donnent $380,000,000 et la Presse du 10 mars 1911, à la page 3, $400,000,000.

7. C'est le Devoir qui donne ce chiffre, alors que la Presse indique "un peu plus de cinq millions" et l'Événement, $5,400,000.

8. La plupart des journaux mentionnent le chiffre de $4,175,000. Par contre, Le Devoir, l'Action sociale et le Quebec Chronicle parlent plutôt de $4,075,000.

9. Chiffres tirés de la Presse. D'après l'Événement, il s'agit de $98,000.

10. La Gazette est plus précise: $1,380,000.

11. Ce chiffre est contredit par la Gazette et le Star qui parlent de $4,500,000.

12. La plupart des journaux donnent ce montant. Cependant, la Patrie parle de $6,388,000.

13. Le Quebec Chronicle donne $1,666,000.

14. L'Action sociale écrit: "pourtant".

15. À la suite de ce passage, la Gazette ajoute que cette remarque fait sourire à belles dents le chef nationaliste.