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Version finale

12e législature, 1re session
(2 mars 1909 au 29 mai 1909)

Le lundi 17 mai 1909

Ces débats, reconstitués principalement à partir des comptes rendus des médias de l’époque, ne constituent pas un journal officiel des débats de l’Assemblée législative.

Présidence de l'honorable P. Pelletier

La séance s'ouvre à 4 heures.

 

Messages du Conseil législatif:

M. l'Orateur informe la Chambre que le greffier du Conseil législatif a apporté le message suivant:

Le Conseil législatif informe l'Assemblée législative qu'il a voté le bill suivant avec certains amendements pour lesquels il lui demande son concours:

- bill 133 amendant la charte de la ville de Saint-Louis.

Charte de la ville de Saint-Louis

La Chambre procède à la prise en considération des amendements que le Conseil législatif a apportés au bill 133 amendant la charte de la ville de Saint-Louis.

Les amendements sont lus une première fois.

Construction de l'église de Saint-Gabriel de Brandon

M. Lafontaine (Berthier) propose, appuyé par le représentant de Bagot (M. Daigneault), que l'honoraire payé pour le bill 52 concernant la construction de l'église et de la sacristie de la paroisse de Saint-Gabriel de Brandon soit remis, moins les frais d'impression et de traduction, vu que ce bill concerne une église.

Adopté.

The First Church of Christ Scientist, Westmount

M. Mackenzie (Richmond) propose, appuyé par le représentant de Brome (M. Vilas), que l'honoraire payé pour le bill 85 constituant en corporation The First Church of Christ Scientist, Westmount, soit remis, moins les frais d'impression et de traduction, vu que ce bill a été rejeté par le Conseil législatif.

Adopté.

Instruction publique à Sherbrooke

M. Mackenzie (Richmond) propose, appuyé par le représentant de Brome (M. Vilas), que l'honoraire et l'amende payés pour le bill 83 amendant la loi 40 Victoria, chapitre 23, concernant l'instruction publique dans la cité de Sherbrooke soit remis, moins les frais d'impression et de traduction, vu que ce bill concerne l'instruction publique.

Adopté.

Taxes et obligations scolaires de Montréal

M. Séguin (Montréal no 1) propose, appuyé par le représentant de L'Assomption (M. Reed), que l'honoraire payé pour le bill 101 amendant la loi concernant les taxes scolaires dans la cité de Montréal et les obligations scolaires de ladite cité soit remis, moins les frais d'impression et de traduction, vu que ce bill concerne l'instruction publique.

Adopté.

Taxes scolaires de Montréal

M. Séguin (Montréal no 1) propose, appuyé par le représentant de L'Assomption (M. Reed), que l'honoraire payé pour le bill 102 concernant les taxes scolaires dans la cité de Montréal soit remis, moins les frais d'impression et de traduction, vu que ce bill concerne l'instruction publique et que, de plus, il a été retiré.

Adopté.

Hôpital protestant des aliénés

L'honorable M. Roy (Kamouraska) propose, selon l'ordre du jour et appuyé par le représentant de Nicolet (l'honorable M. Devlin), que le bill 218 concernant l'Hôpital protestant des aliénés soit maintenant lu une troisième fois.

Ce bill pourvoit à la garantie par le gouvernement d'un emprunt de $75 000 de l'asile protestant de Verdun pour son agrandissement. Le gouvernement garantit l'emprunt et l'intérêt, mais sans payer celui-ci qui sera déduit de l'allocation annuelle donnée par le gouvernement à l'institution.

Adopté sur division.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

Terres de certains habitants du district de Gaspé

L'honorable M. Gouin (Portneuf) propose, selon l'ordre du jour et appuyé par le représentant d'Argenteuil (l'honorable M. Weir), que le bill 229 pour garantir à certains habitants du district de Gaspé la possession et la jouissance paisible de leurs terres soit maintenant lu une troisième fois.

Cette loi a pour but de confirmer dans leurs titres de propriété à peu près 300 habitants de la cité de Gaspé, descendants des Acadiens expulsés, descendants des loyalistes et des soldats des dernières guerres entre la France et l'Angleterre au Canada. Ils n'ont pas encore les titres clairs des terres qu'ils cultivent depuis des générations. Ces habitants se rendirent là en trois groupes, les Acadiens en 1745, les Loyalistes en 1776 et un régiment de soldats conjurés en 1764.

En 1820, le gouvernement voulut régulariser leurs titres et confia cette tâche à deux commissaires, MM. Taschereau et Duchesnay. À cause des difficultés de communication, quelques centaines seulement de Gaspésiens purent se présenter devant les commissaires. C'est pour compléter l'oeuvre de MM. Duschesnay et Taschereau qu'il a présenté son bill.

Adopté sur division.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

Aide aux victimes de la conflagration à Trois-Rivières

L'honorable M. Gouin (Portneuf) propose, selon l'ordre du jour, que le bill 206 autorisant la garantie d'un certain emprunt pour venir en aide aux victimes de la conflagration du 22 juin 1908 dans la cité des Trois-Rivières soit maintenant lu une troisième fois.

M. Tessier (Trois-Rivières) explique le but de la mesure: garantir à la ville un emprunt de $400 000 qu'elle mettra à la disposition de ses propriétaires fonciers à un intérêt ne devant pas dépasser 4½ pour cent.

La province ne fait que prêter à la ville des Trois-Rivières son crédit afin de permettre à la ville, si péniblement éprouvée le 22 juin dernier, de prospérer de nouveau. La plus grande partie de l'emprunt sera prêté par la corporation des Trois-Rivières aux sinistrés qui ont l'intention de reconstruire leurs demeures incendiées. Une autre partie sera employée à l'élargissement et au redressement de certaines rues.

Il profite de l'occasion pour remercier le gouvernement, et en particulier le premier ministre et le secrétaire provincial, pour l'encouragement qu'ils ont donné aux citoyens des Trois-Rivières après la catastrophe du 22 juin dernier. Il rappelle comment, en cinq heures, toute la partie commerciale de la cité a été détruite par la conflagration et comment les pertes nettes se sont élevées à $1 500 000.

La cité des Trois-Rivières ne se présente pas ici à la façon d'un mendiant; elle demande seulement au gouvernement de garantir le capital et les intérêts des débentures qu'elle se propose d'émettre au montant de $400 000 afin d'aider aux citoyens dans la reconstruction de leurs demeures ou magasins. Les citoyens de la ville ne font que demander de l'aide en tant qu'hommes d'affaires; ils ne demandent pas la charité. C'est une simple transaction financière. C'est la ville qui sera seule responsable.

Il espère que l'opposition se ralliera aux députés libéraux afin d'apporter de l'aide aux citoyens affligés qui, courageusement, ont commencé à réparer les dommages causés par l'incendie.

M. Tellier (Joliette) ne s'oppose pas à l'adoption du bill. Il y voit plutôt matière à complimenter le gouvernement pour son acte humanitaire envers les sinistrés des Trois-Rivières. Cependant, il trouve l'occasion bonne pour exprimer le regret que le gouvernement ne se soit pas montré aussi généreux envers les citoyens de Louiseville, du comté de Maskinongé qui est représenté par un député de l'opposition, qui se trouvait dans le passé dans le même désastre, mais moins considérable que celui des Trois-Rivières. Jusqu'ici le gouvernement est resté sourd à la voix du député de Maskinongé (M. Lafontaine) mais, après le précédent que l'on va créer pour le bénéfice de la ville des Trois-Rivières, il espère que le gouvernement se montrera également bon pour toutes les parties de la province que le malheur a visitées.

Il comprend que la province ne fait que prêter son crédit à Trois-Rivières et qu'elle aura son recours à la fois contre la corporation et contre les citoyens à qui la corporation aura prêté. Dans ces conditions, il ne peut que souscrire de tout coeur au projet de loi.

M. Lafontaine (Maskinongé) voit aussi avec plaisir le gouvernement venir au secours des citoyens des Trois-Rivières, mais il ne peut s'empêcher de regretter qu'on n'ait pas cru devoir en faire autant pour Louiseville lorsque ce village fut lui aussi victime d'une conflagration, il y a quelques années. Ce qui se passe lui donne l'espoir que le gouvernement finira par traiter tous les comtés de la même manière et que l'on accédera à sa demande.

Il déclare que le gouvernement devrait agir avec égale justice lorsqu'il aide les victimes de tels incendies et ignorer toute politique de parti.

L'honorable M. Gouin (Portneuf) répond que le gouvernement a dessein de venir en aide à tous ceux qui en ont réellement besoin.

La proposition est adoptée.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

Travaux de la Chambre

M. Tellier (Joliette) fait observer qu'il s'est fait beaucoup d'ouvrage entre midi et demi et 1 heure à la séance extraordinaire de samedi dernier. En moins de 25 minutes, cinq ou six mesures du gouvernement, dont plusieurs étaient contestées, ont traversé plusieurs étapes, jusqu'à la troisième lecture. Il espère que l'on n'a pas voulu profiter de l'absence de l'opposition.

L'honorable M. Gouin (Portneuf) affirme que tout a été fait de la meilleure foi du monde.

Pension au major H. C. Sheppard

L'honorable M. Weir (Argenteuil) propose que la Chambre concoure dans les résolutions concernant l'octroi d'une pension au major H. C. Sheppard.

M. Tellier (Joliette): Mes collègues ne sont pas ici actuellement et cette résolution a déjà été discutée avec beaucoup d'intérêt. Les choses vont un peu trop vite pour moi. Je demanderais au premier ministre de remettre l'étude de cette résolution à ce soir.

L'honorable M. Gouin (Portneuf) accepte de reporter l'étude de cette résolution à la séance du soir.

Le débat est ajourné.

Droits sur les successions

L'honorable M. Weir (Argenteuil) propose, selon l'ordre du jour et appuyé par le représentant de Portneuf (l'honorable M. Gouin), que la Chambre se forme en comité général pour prendre en considération une certaine résolution concernant les droits sur les successions.

Adopté.

Il informe alors la Chambre que Son Honneur le lieutenant-gouverneur a pris connaissance de l'objet de cette résolution et qu'il la recommande à sa considération.

 

En comité:

L'honorable M. Weir (Argenteuil) propose qu'il soit résolu que le percepteur des droits sur les successions ou le percepteur du revenu de la province, selon le cas, ait droit d'exiger les honoraires suivants pour fournir aux représentants des personnes décédées les renseignements et documents ci-dessous spécifiés, lesdits honoraires devant faire partie du fonds consolidé du revenu de la province:

Pour chaque extrait de document concernant une succession etpour chaque certificat délivré, à l'exception du premiercertificat (ou des premiers certificats) donné à cesreprésentants

$0.50

Pour chaque recherche pour un an

0.20

Pour chaque recherche pour toute année additionnelle

0.10

 

M. Lafontaine (Maskinongé) s'oppose à l'augmentation proposée, au nom de la communauté agricole. Il demande au gouvernement, au nom des pères de famille, que les successions en ligne directe soient exemptes de taxes jusqu'au montant de $10 000, au lieu de $5000 comme aujourd'hui.

L'honorable M. Weir (Argenteuil) promet que la suggestion sera prise en sérieuse considération.

La proposition est adoptée.

 

Résolutions à rapporter:

Le comité fait rapport qu'il a adopté une résolution, laquelle est lue une première fois par la Chambre.

Commission des services d'utilité publique de Québec

L'honorable M. Gouin (Portneuf) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme de nouveau en comité général pour étudier le bill 46 établissant la Commission des services d'utilité publique de Québec.

Adopté.

 

En comité:

Le comité étudie l'article 19 qui se lit comme suit:

"19. Les commissaires et le secrétaire reçoivent annuellement la rémunération fixée par le lieutenant-gouverneur en conseil, mais cette rémunération ne doit pas excéder:

"Pour le président de la commission

$3000

"Pour un commissaire

2000

"Pour le secrétaire

1800

 

"Il est aussi loisible au lieutenant-gouverneur en conseil d'accorder à chaque commissaire, en sus de la rémunération annuelle ci-dessus, une somme n'excédant pas dix piastres par chaque séance de la commission à laquelle il a assisté.

"Il est accordé aux experts nommés en vertu de l'article 14 telle rémunération que le lieutenant-gouverneur en conseil croit raisonnable."

Cet article est amendé en remplaçant, dans la quatrième ligne, $3000 par $4000; dans la cinquième ligne, $2000 par $3000; en insérant dans la 10e ligne, après le mot "chaque", les mots "jour de".

Et ledit article est adopté.

Les articles 20, 21 et 22 sont adoptés.

Le comité étudie l'article 31 qui se lit comme suit:

"31. La commission a, relativement à la présence et à l'audition des témoins, à la production et à l'examen des documents, à la mise à exécution de ses ordonnances, à la visite sur les lieux et à l'examen des biens, à la condamnation pour mépris de cour et à toutes autres matières nécessaires ou propres à l'exercice de sa juridiction ou à la mise à exécution de cette loi, tous les pouvoirs, droits et privilèges qui appartiennent à une Cour supérieure."

M. Tellier (Joliette): À mon avis, la Cour supérieure de cette province devrait garder le contrôle sur tous les organismes publics et, donc, sur cette commission.

Il s'objecte à ce qu'on donne à la commission, quant à l'audition des témoignages, les mêmes pouvoirs, droits et privilèges que la Cour supérieure.

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Cette commission n'est pas un organisme public dans le sens ordinaire du terme. Il s'agit plutôt d'un tribunal. Si vous acceptez que les décisions de cette commission soient revues par la Cour supérieure, cela engendrera des retards interminables pouvant même aller jusqu'à plusieurs années. Nous avons prévu que l'appel des décisions rendues par cette commission se ferait à la Cour d'appel et qu'il porterait sur des questions de droit et sur la compétence de la commission. Et c'est tout ce qui est nécessaire.

M. Tellier (Joliette): Tout ceci est très bien, mais la Cour d'appel ne fera que rendre un jugement qui aurait dû être rendu en première instance. Il n'y aura aucune solution pour une personne dont les droits n'auront pas été défendus adéquatement. Voici donc une commission qui jouira de pouvoirs extraordinaires, pratiquement équivalents à ceux du Parlement lui-même, en ce qui concerne les compagnies publiques.

Cet article est suspendu.

Le comité étudie la clause d de l'article 23 qui se lit comme suit:

"d. Toutes contestations relatives aux taux qui peuvent être exigés par les utilités publiques, mais sujet à tout contrat existant entre une utilité publique et une municipalité au sujet de tels taux, et sujet, quant aux compagnies de chemin de fer électrique, aux dispositions des paragraphes 6a et 6b de l'article 5172 des statuts refondus; et, à cette fin, elle peut fixer le tarif qu'elle croit raisonnable pour les services rendus ou les commodités fournies pour telle utilité publique; et, de plus, elle peut désavouer ou modifier de la manière qu'elle croit raisonnable tous tels maux qui, dans son opinion, font des distinctions injustes entre différentes personnes ou différentes municipalités."

Cette clause est amendée en insérant dans la sixième ligne, après le mot "refondus", les mots "tel qu'amendé par la loi 4 Édouard VII, chapitre 35".

Le comité étudie la clause e de l'article 23 qui se lit comme suit:

"e. Toutes questions qui peuvent se soulever quand une utilité publique qui n'a pas le droit d'exproprier une propriété privée nécessaire pour les fins de son entreprise s'adresse à elle pour obtenir ce droit; et, dans ce cas, elle peut accorder le droit d'exproprier dans la mesure qu'elle estime nécessaire; et, si ce droit est accordé, les procédures en expropriation, à moins qu'un autre mode de fixer une compensation ne soit prescrit par la charte, se font d'après les dispositions des statuts refondus relativement à l'expropriation par une compagnie de chemin de fer."

M. Tellier (Joliette) propose de biffer cette clause.

Adopté. Cette clause est retranchée.

Le comité étudie la clause f de l'article 23 qui se lit comme suit:

"f. Toutes questions qui peuvent se soulever quand une utilité publique qui a droit d'entrer dans une municipalité pour y placer, avec ou sans le consentement de la municipalité, ses rails, poteaux, fils, tuyaux, conduits ou autres appareils, sur, le long de, à travers, au-dessus de ou sous tout chemin public, rue, place publique ou cours d'eau ou partie d'iceux ne peut s'entendre avec telle municipalité sur l'utilisation, comme susdit, de la voirie ou des cours d'eau ou sur les termes et conditions de telle utilisation, et s'adresse à la commission pour obtenir l'usage de la voirie ou des cours d'eau ou pour faire fixer les termes et conditions de tel usage; et, dans ce cas, la commission peut permettre, comme susdit, l'usage de la voirie ou des cours d'eau et prescrire les termes et conditions de tel usage."

M. Tellier (Joliette) trouve que ce pouvoir va trop loin. Il s'oppose aux pouvoirs extraordinaires, presque ceux de la législature, que l'on veut donner à la commission. Si la commission a le pouvoir, si elle le juge à propos, d'accorder aux compagnies électriques ou autres le droit d'entrer dans une municipalité avec leurs fils à haut voltage sans demander la permission à cette même municipalité, il croit qu'il est très peu judicieux de confier de tels pouvoirs à un groupe d'hommes aussi irresponsables que ceux nommés pour cette commission. Si vous voulez donner de tels pouvoirs à la commission, dit-il, vous devriez faire élire les commissaires par la population.

L'honorable M. Taschereau (Montmorency1) fait remarquer que ce n'est pas la première fois que des pouvoirs semblables sont accordés par la législature. La législature a concédé souvent ce droit.

M. Tellier (Joliette): Oui, cette année, mais il ne connaît qu'un autre cas où cela a été fait auparavant. Ce fut en 1901, lorsque des pouvoirs exceptionnels ont été accordés à la Montréal Light, Heat, and Power Company à Montréal. Et tout le monde sait quels abus cela a engendrés et quelles critiques ont suivi. Combien de protestations et de plaintes ont été portées contre cette compagnie depuis qu'elle détient de tels pouvoirs!

L'honorable M. Gouin (Portneuf): Si on lui avait demandé, dit-il, en 1901, de confier à un comité d'experts les pouvoirs conférés au Power, il aurait dit oui. Pourquoi ne pas tenter l'expérience? D'ailleurs, il ne demande rien d'autre pour sa commission que les mêmes pouvoirs que possède déjà la Commission des chemins de fer à Ottawa. Il cite la loi du Parlement fédéral créant la Commission des chemins de fer afin de démontrer que ce sont les mêmes pouvoirs que l'on se propose d'accorder en vertu du bill actuel2.

M. Tellier (Joliette): Si de tels pouvoirs extraordinaires ont déjà été accordés à un organisme et que ces pouvoirs sont trop étendus, ce n'est pas une raison pour les accorder à un autre organisme.

L'honorable M. Gouin (Portneuf) consent à remettre à plus tard l'étude de cette clause.

L'article 23 est suspendu3.

L'article 23a tel qu'ajouté et adopté se lit comme suit:

"23a. 1. Lorsqu'il s'agit d'une utilité publique dont l'objet est de construire, exploiter ou entretenir des lignes télégraphiques, téléphoniques ou de transmission, de livraison ou de vente de la chaleur, de la lumière ou de la force motrice, les conditions suivantes doivent être observées, outre celles qui peuvent être prescrites par la commission, savoir:

"a. L'utilité publique ne doit pas entraver la circulation publique ni obstruer en aucune manière l'entrée d'aucune porte, barrière ou porte cochère, non plus que le libre accès à un bâtiment;

"b. L'utilité publique ne peut permettre qu'il soit posé de fils à une hauteur de moins de vingt-deux pieds au-dessus de ces chemins ou lieux publics, ni planter plus d'une ligne de poteaux le long d'aucun chemin public;

"c. Tous les poteaux doivent être aussi droits et aussi perpendiculaires que possible et, dans les cités et les villes, ils doivent être peints;

"d. L'utilité publique ne doit ni abattre ni mutiler sans nécessité aucun arbre planté pour l'ombrage ni aucun arbre fruitier ou d'ornement;

"e. L'ouverture de toute rue, square ou autre place publique, pour l'érection des poteaux ou pour faire passer les fils sous terre, est assujettie à la surveillance de la personne que le conseil municipal peut désigner, et ces rues, squares ou autres places publiques doivent être remis, autant que possible et sans retards inutiles, dans leur premier état;

"f. Si, pour l'enlèvement de bâtiments ou les besoins de la circulation publique, il devient nécessaire de supprimer temporairement lesdits fils ou poteaux, en les abattant ou autrement, l'utilité publique doit, à ses propres frais et dépens, après avis raisonnable donné par écrit par toute personne qui en fait la demande, enlever ces fils et poteaux; et, à défaut par l'utilité publique de ce faire, cette personne peut les enlever aux frais de l'utilité publique;

"g. Lorsqu'une cité, une ville ou un village veut que les lignes télégraphiques, téléphoniques ou destinées à transmettre, livrer ou vendre de la lumière, de la chaleur ou de la force motrice soient placées sous terre, la commission peut, sur la demande de cette cité ou ville ou de ce village, requérir l'utilité publique de placer ainsi sous terre ses lignes ou ses fils; et peut abroger le droit que le présent article donne ou que la loi spéciale a donné de poser les lignes sur poteaux dans le territoire de la cité, ville ou village, le tout sous les conditions que la commission peut prescrire.

"2. L'utilité publique est responsable de tous dommages qu'elle cause sans nécessité en exécutant, en entreprenant ou en exploitant quelqu'un de sesdits ouvrages.

"3. L'utilité publique n'a droit à aucune indemnité du fait que ses poteaux seraient abattus ou ses fils coupés par ordre de l'officier commandant le corps des pompiers dans un incendie si, de l'avis de cet officier, il était nécessaire qu'ils fussent abattus ou coupés.

"4. Tout ouvrier qui travaille à l'érection ou à la réparation des lignes ou appareils de l'utilité publique doit porter, sur un endroit bien apparent de ses vêtements, un insigne sur lequel sont visiblement inscrits le nom de l'utilité publique et un numéro au moyen duquel on peut facilement le retrouver.

"5. Rien dans le présent article n'est censé autoriser une utilité publique à vendre ou à distribuer de la lumière, de la chaleur, de la force motrice ou de l'électricité dans les cités, villes ou villages sans qu'elle ait au préalable obtenu, par un règlement, le consentement de la municipalité à cet effet, à moins que cette utilité publique n'ait déjà ce droit par sa charte."

Le comité, ayant étudié le bill, rapporte progrès.

 

Dépôt de documents:

Maisons d'écoles dans le comté de Charlevoix

L'honorable M. Roy (Kamouraska) dépose sur le bureau de la Chambre la réponse à un ordre de la Chambre, en date du 12 mai 1909, pour la production de copie de toutes requêtes, correspondance et de tous documents relatifs à tout octroi ou aide demandé ou accordé pour l'amélioration ou la construction des maisons d'écoles dans le comté de Charlevoix depuis le 30 juin 1904. (Document de la session no 155)

Colonisation dans le comté de Maskinongé

L'honorable M. Roy (Kamouraska) dépose sur le bureau de la Chambre la réponse à un ordre de la Chambre, en date du 12 mai 1909, pour la production de copie de toutes correspondances et de documents quelconques échangés entre le gouvernement et les autorités et tout citoyen de Saint-Alexis des Monts concernant la colonisation dans le nord du comté de Maskinongé. (Document de la session no 156)

La séance est levée à 6 heures.

 

Deuxième séance du 17 mai 1909

Présidence de l'honorable P. Pelletier

La séance est ouverte à 8 h 20.

 

Affaire Prévost-Kelly

M. Prévost (Terrebonne) veut savoir du gouvernement quand le comité spécial qu'il a nommé pour faire enquête sur le cas Kelly commencera à siéger. Il demande pourquoi le gouvernement ne procéderait pas immédiatement avec son enquête sur les accusations qu'il a portées contre le député de Bonaventure (M. Kelly). Il aimerait, quant à lui, que l'affaire marche rapidement et que l'enquête s'ouvre dès demain.

L'honorable M. Gouin (Portneuf) répond que tout sera prêt pour commencer mercredi matin, si c'est ce que l'on désire.

M. Prévost (Terrebonne) laisse savoir qu'il est prêt à commencer tôt demain matin. Il fait remarquer qu'il veut qu'une quantité importante de documents ayant trait à cette affaire soit déposée en Chambre.

M. Tellier (Joliette): Pourquoi le comité ne siège-t-il pas aujourd'hui?

L'honorable M. Gouin (Portneuf): La commission spéciale n'a pas procédé plus tôt à cause de l'absence du député de Bonaventure. Celui-ci ne sera de retour que demain après-midi. Le comité spécial chargé de faire enquête sur l'incident Prévost-Kelly tiendra probablement demain soir, mardi, ou mercredi matin, sa première séance pour arrêter les procédures à suivre et commencer la collation des divers documents, si le député de Bonaventure est de retour en Chambre.

M. Prévost (Terrebonne) demande que l'on produise immédiatement, si possible, certains documents dont il aura besoin à l'enquête.

Commission des chemins à barrières et des ponts de péage

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose, selon l'ordre du jour, que le bill 202 autorisant l'organisation de la Commission des chemins à barrières et des ponts de péage soit maintenant lu une troisième fois.

Adopté.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

 

Messages du Conseil législatif:

M. l'Orateur informe la Chambre que le greffier du Conseil législatif a apporté le message suivant:

Le Conseil législatif informe l'Assemblée législative qu'il persiste dans ses amendements au bill 221 concernant The North Eastern Railway Company.

The North Eastern Railway Company

M. Langlois (Montréal no 3) propose, appuyé par le représentant de Gaspé (M. Lemieux), que le bill 221 concernant The North Eastern Railway Company soit inscrit sur l'ordre du jour de la prochaine séance, pour examen des amendements du Conseil législatif.

Adopté.

Commission des services d'utilité publique de Québec

L'honorable M. Gouin (Portneuf) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme en comité général pour étudier le bill 46 établissant la Commission des services d'utilité publique de Québec.

Adopté.

 

En comité:

Le comité reprend l'étude de la clause f de l'article 23 qui se lit comme suit:

"f. Toutes questions qui peuvent se soulever quand une utilité publique qui a droit d'entrer dans une municipalité pour y placer, avec ou sans le consentement de la municipalité, ses rails, poteaux, fils, tuyaux, conduits ou autres appareils, sur, le long de, à travers, au-dessus de ou sous tout chemin public, rue, place publique ou cours d'eau ou partie d'iceux ne peut s'entendre avec telle municipalité sur l'utilisation, comme susdit, de la voirie ou des cours d'eau ou sur les termes et conditions de telle utilisation, et s'adresse à la commission pour obtenir l'usage de la voirie ou des cours d'eau ou pour faire fixer les termes et conditions de tel usage; et, dans ce cas, la commission peut permettre, comme susdit, l'usage de la voirie ou des cours d'eau et prescrire les termes et conditions de tel usage."

M. Tellier (Joliette) trouve étrange que le premier ministre, si violent pour dénoncer ce pouvoir extraordinaire entre les mains de la Montreal Light, Heat, and Power, propose maintenant de le donner à une commission qui ne sera même pas responsable à la législature. Bien que le premier ministre ait prétendu que des pouvoirs similaires à ceux proposés dans son bill aient déjà été accordés à la Commission des chemins de fer, il estime quant à lui que le précédent créé avec cette commission fédérale ne s'applique pas, car cette dernière ne concerne que les questions fédérales et n'affecte pas les droits provinciaux. Et ce n'est pas un exemple à suivre dans une législation provinciale.

On donne à la commission trop de pouvoirs et pour les lui donner on les enlève à la législature. Avec la loi proposée, il n'y a pas de remède possible contre les abus que pourrait commettre la commission tandis que, si la législature provinciale veille à garder ces pouvoirs pour elle-même, un remède pourra être apporté sans retard dans le cas où une injustice serait commise par la commission. Autrement, si la législature perd ces pouvoirs, elle se retrouvera sans aucun remède en cas d'injustice et les municipalités perdront le contrôle de leurs propres chemins.

Si l'on considère tous les droits qui ont déjà été accordés par cette législature, il est de notre devoir d'exiger une halte, de préserver ce qu'il nous reste, et spécialement l'autorité de la législature elle-même. Après tout ce qui a été dit au cours de la session sur les différentes compagnies d'électricité, je suis surpris que le gouvernement propose cette mesure.

L'honorable M. Gouin (Portneuf) prétend qu'une commission d'experts techniques ou aidée par des experts est un organisme des plus souhaitables lorsqu'il s'agit de régler des questions de ce genre entre les compagnies d'utilité publique et les municipalités. C'est le même droit que celui que possède la Commission des chemins de fer à Ottawa.

Il vaut mieux accorder ce droit à des hommes compétents comme les commissaires que de le laisser uniquement aux députés qui ne sont pas experts en ces matières. Le bill stipule que ces questions seront référées à la commission seulement lorsque tous les autres moyens possibles d'arriver à une entente entre la municipalité et la compagnie d'utilité publique auront échoué.

Il nie le fait que l'on veuille enlever à la législature certains pouvoirs qu'elle possède à l'heure actuelle. Mais, même si c'était le cas, il considère que cela vaudrait la peine d'essayer ce qui semble être la dernière façon de régler cette difficile question. Nous n'avons qu'à suivre la ligne tracée par Ottawa lors de la rédaction de ses lois concernant les chemins de fer. Dans tous les cas, si l'on découvre plus tard, dans une année ou deux, que toutes les erreurs appréhendées par l'opposition ont été commises et que l'on a eu tort de donner à la commission des pouvoirs aussi étendus, la législature pourra facilement reprendre ses pouvoirs et adopter une loi réparatrice qui amende les statuts concernant cette question. En attendant, il croit sage de faire l'expérience de la nouvelle loi.

M. Tellier (Joliette): Que devra-t-on faire si on essaie le nouveau système et qu'il ne marche pas? Il ne faut pas compter sur le fait qu'on pourra amender la loi plus tard. Des précédents auront été créés et des privilèges accordés, et il sera très difficile de les abolir. On invoquera alors les droits acquis comme on l'a fait à cette session pour la Montreal Light, Heat, and Power. Les raisons que l'on invoque ne sont pas suffisantes pour que l'on porte une atteinte aussi grave à l'autonomie des municipalités. Le gouvernement est-il prêt à invoquer comme raison que les chemins des municipalités servent avant tout à la transmission électrique à haut voltage?

Pour ce qui est des compagnies de téléphone et de télégraphe, dont les fils sont comparativement moins lourds et moins dangereux, ce n'est pas aussi grave, car la loi générale leur accorde déjà tous les pouvoirs dont ils ont besoin. Mais pour les compagnies dont les fils transportent 25 000 ou 50 000 volts et qui représentent une menace constante pour la vie des gens, comme ceux de la Shawinigan Power Company entre Shawinigan et Montréal, c'est une chose bien différente. Et la preuve, c'est que la Shawinigan Company, qui possède deux lignes de transmission entre Shawinigan et Montréal, a exproprié le droit de couper les arbres qui se trouvent à moins de 40 pieds de chaque côté de ses lignes, reconnaissant que ces arbres étaient dans un endroit dangereux en raison de leurs fils en charge. Pourquoi de telles compagnies devraient-elles avoir le droit d'utiliser librement les chemins, cela est en effet très difficile à comprendre, surtout si l'on considère que la Shawinigan Company a dû payer $25 4 par poteau pour avoir le droit d'en installer sur les terres agricoles où devaient passer leurs fils.

Il termine en disant qu'il ne veut pas faire d'opposition inutile à une loi que le gouvernement a décidé de faire adopter par la Chambre et qu'il fera adopter malgré tout ce qu'il pourrait dire. Seulement, comme il l'a déjà fait pour les chartes accordées aux compagnies électriques, il proteste de toutes ses forces contre la loi qui est injuste pour les municipalités auxquelles elle enlève le contrôle de leurs chemins.

Nous faisons par cette loi un cadeau aux compagnies, au détriment de l'autonomie des municipalités.

La clause f de l'article 23 est adoptée et ledit article est adopté.

Les articles 24 à 32 sont adoptés.

Le comité étudie l'article 33 qui se lit comme suit:

"33. La commission peut charger toute personne de faire une enquête et de lui faire rapport sur toute affaire pendante devant elle ou au sujet de toute question de sa compétence; et la personne ainsi nommée a, relativement à cette enquête, tous les pouvoirs conférés à la commission par la présente loi, quant à la comparution et à l'examen des témoins, la production et l'étude des documents, la mise à exécution des ordonnances, la descente sur les lieux, l'inspection des biens et les autres choses nécessaires à l'accomplissement de ses devoirs."

Cet article est retranché.

Les articles primitifs 34, 35, 36 et 37 sont adoptés.

Le comité étudie l'article 38 qui se lit comme suit:

"38. Quand la commission ordonne la fourniture ou l'établissement, la construction, la reconstruction, la modification, la réparation, l'installation, l'usage ou l'entretien de quelque ouvrage, appareil, équipement ou travail, elle peut ordonner par quelle compagnie, municipalité ou personne intéressée, quand et dans quel délai et à quels termes et conditions de paiement d'indemnité ou autre, et sous la surveillance de qui doivent s'effectuer les travaux ordonnés."

Cet article est amendé en insérant après le premier mot "quand" les mots "dans l'exercice de tous pouvoirs à elle conférés par la présente loi ou une loi spéciale".

Et ledit article est adopté.

Le comité, ayant étudié le bill, rapporte progrès.

Subsides

L'honorable M. Weir (Argenteuil) propose, selon l'ordre du jour et appuyé par le représentant de Portneuf (l'honorable M. Gouin), que la Chambre se forme en comité des subsides.

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Avant que la Chambre n'accorde d'autres subsides à Sa Majesté, j'aimerais attirer l'attention du gouvernement et de la Chambre sur un sujet qui, même s'il n'est pas nouveau, revêt une certaine importance en raison de toute l'agitation publique qu'il soulève depuis deux ans.

La question n'est pas nouvelle, mais il est bon d'y revenir parce qu'elle comporte certaines dispositions administratives comportant des négociations de première importance et, aussi, parce qu'elle a donné lieu à des soupçons et finalement à des accusations de malversation contre un ancien membre de l'administration, l'honorable M. Turgeon. Je fais allusion ici à la question de l'Abitibi ou, en d'autres mots, à la correspondance échangée entre le gouvernement et les investisseurs belges, représentés ici par le baron de l'Épine. De l'aveu de ceux qui ont pris part aux enquêtes motivées par cette transaction, c'est la législature qui doit juger. Et c'est pour cela qu'il entreprend de refaire l'histoire de ces négociations telle qu'on la trouve dans les dépositions des témoins et dans les pièces officielles. Il ne s'appuiera guère sur le témoignage du baron de l'Épine qu'il n'a jamais connu et que M. Turgeon trouve si peu recommandable maintenant qu'il a tiré du baron médailles et rubans. L'histoire sera un peu longue, malheureusement, mais elle sera aussi intéressante. Il sera aussi bref que possible et prouvera ses déclarations à l'aide de documents. Il est vrai que la question a déjà fait l'objet d'une enquête judiciaire, mais il prétend que cette enquête n'a donné aucun résultat tangible. Il se déclare peu satisfait de la commission royale qui a enquêté sur cette affaire, commission dont les pouvoirs avaient été par trop restreints.

Il n'a pas l'intention de s'attaquer au tribunal qui a été saisi de cette affaire; il veut simplement signaler que ce tribunal n'a pas reçu toutes les preuves qui auraient dû lui être soumises. L'enquête n'est pas complète. Je ne dis pas que les commissaires ont supprimé quoi que ce soit, mais ils n'ont pas entendu tous les témoins et ils n'ont pas interrogé les témoins principaux.

Il fait remarquer que, s'il fait l'analyse de cette transaction, ce n'est pas à cause d'un mesquin esprit de parti. Cependant, il veut parler du personnage principal dans cette affaire (M. Turgeon) et de sa disparition significative du cabinet et de la branche populaire de l'Assemblée législative. Il va attaquer un homme absent de la Chambre, l'honorable M. Turgeon, mais il veut rendre tous les autres ministres solidaires de la conduite de celui-ci.

Il poursuit en lisant des documents échangés entre M. Turgeon et les représentants du syndicat belge, y compris le baron de l'Épine. Ces documents ont trait à la fameuse transaction qui eut lieu avec le département des Terres de la couronne. Son but en faisant cela est d'attirer l'attention de la Chambre sur les contradictions flagrantes qui existent entre la correspondance déposée en Chambre et les déclarations sous serment de l'ancien ministre des Terres de la couronne (l'honorable M. Turgeon). L'autre objectif est de prouver que le premier ministre (l'honorable M. Gouin) était au courant des détails de la transaction.

Cette transaction projetée, connue sous le nom de scandale de l'Abitibi, naquit de la longue et assidue collaboration de M. Turgeon, du ministre et du garçon d'écurie avec M. de l'Épine. Celui-ci fut délégué officiellement pour représenter la province de Québec à l'exposition de Liège. Et, dès le 8 janvier 1905, l'on voit poindre le projet d'amener des colons belges dans la province de Québec. À cette date, le baron de l'Épine annonce à M. Turgeon l'organisation d'une société pour coloniser le nord de la province de Québec. Dans l'été de 1905, M. Turgeon se rend en Belgique et M. de l'Épine met le ministre en communication avec M. De Jardin et M. Jacob qui formeront plus tard partie du syndicat qui devait se livrer à ces exploitations et que M. Turgeon dira ne pas connaître. M. Turgeon revient au pays et M. de l'Épine reste en Belgique. Le 24 août 1905, M. de l'Épine écrit au ministre Turgeon qu'il est de la plus haute importance de prolonger son séjour en Belgique. Le ministre comprend et obtient le prolongement de séjour demandé. Et il a admis sous serment que la principale raison pour prolonger le séjour de M. de l'Épine était la formation du syndicat d'études belge. Donc, M. Turgeon est au courant de la formation de ce syndicat. Dans le procès Asselin-Prévost, M. Turgeon a déclaré sous serment le contraire de ce qui est écrit dans les 20 lettres qui portent sa propre signature; et il ne l'a pas fait qu'une seule fois, ni 5 fois, ni 10 fois, mais au moins 15 ou 25 fois.

Finalement, le syndicat se forme avec M. de l'Épine comme l'un de ses membres et le 13 octobre 1905 ledit syndicat autorise M. de l'Épine à le représenter auprès du gouvernement de la province de Québec. Après avoir déclaré que le bois valait $3 l'acre dans la région convoitée par les financiers d'Anvers, il déclara ensuite autre chose, car c'était un homme habitué à se contredire. Ensuite, le baron accrédité, mais accrédité seulement auprès du gouvernement de Québec, par ses mandataires d'au-delà de l'Atlantique, veut traiter, comme si c'était pour son propre compte, d'une concession de 200 000 à 500 000 acres de terre. Il s'embarque immédiatement pour le Canada et, dès le lendemain de son arrivée à Québec, le 27 octobre 1905, il se met à l'oeuvre.

Vous voyez que les choses marchaient et que le projet chauffé à Québec par M. Turgeon, chauffé en Belgique par M. de l'Épine, prenait vite de la consistance. M. Turgeon croyait tellement à l'existence du syndicat alors qu'il proposait même à M. de l'Épine d'engager le syndicat à débarrasser M. Rodolphe Forget d'une concession forestière qu'il avait alors sur les bras dans le comté de Charlevoix.

Le 15 novembre 1905, le baron de l'Épine fait sa première demande d'option au nom des capitalistes belges. Il ne reçoit pas de réponse. Des pourparlers ont lieu, et le 28 novembre le baron fait une nouvelle demande, cette fois en son nom. Chose étrange, cet homme prétendu sans foi ni loi, ne croyant ni à Dieu ni à diable, ne reçoit pas de réponse lorsqu'il parle au nom du syndicat, mais, aussitôt qu'il demande la même chose pour lui, le ministre lui donne de ses nouvelles et lui promet une option.

Des voix: Écoutez!

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Tout joyeux, le baron écrit à son syndicat qu'une option lui est promise et qu'il rentrera en Belgique aussitôt qu'il l'aura obtenue. Et, déjà à ce moment, alors que le baron n'a aucun intérêt à nuire à M. Turgeon, il écrit au baron Goëthals, son ami, membre du syndicat, qu'il faudra faire quelque chose pour la C. E., pour la caisse électorale. Le baron, dans une lettre, avertit ses mandataires entre-temps que la caisse électorale existe au Canada comme la caisse diocésaine en Belgique. Tout cela se passe en 1905. Un document qui, en janvier 1906, avait été présenté soi-disant au cabinet ne le fut pas. Preuve que l'on s'est trompé en croyant que la caisse électorale avait été mentionnée pour la première fois dans la lettre de Charneuse.

Le 15 décembre 1905, le baron, et non le syndicat, reçoit son option non transférable pour un délai de six mois, le prix des terres étant fixé à 70 cents l'acre, payable en cinq versements annuels, les explorations et arpentages étant à charge du syndicat qui aura la préférence sur les pouvoirs hydrauliques inférieurs à 1000 forces et qui pourra acquitter ses droits de coupe avec le bois de commerce. Il démontre que la valeur de ce territoire a été estimée à 70 sous l'acre, d'après d'anciens rapports qui disaient que la plus grande partie du bois brûlé, et en ne tenant nullement compte du rapport récent de MM. Obalski et Thompson qui faisaient une évaluation de $3 l'acre pour le seul bois, sans compter les mines et les pouvoirs hydrauliques ... que, le premier ministre y consentant, il eût été convenu entre MM. Turgeon et De Jardin que le syndicat ne serait tenu d'établir des colons qu'après le parachèvement du Transcontinental.

Dans ce marché la part du lion revenait au syndicat belge. Alors que le marchand de bois ordinaire achète pour plus d'une piastre l'acre des territoires sur lesquels il lui faut payer les droits de coupe, les droits d'adjudication et la rente foncière, avec en plus, le désavantage de voir les colons venir s'installer dans ses limites, le syndicat belge, lui, acquérait pour 70 sous l'acre - et plus tard ce chiffre baissait à 50 sous - le bois, les mines et les pouvoirs hydrauliques, avec spécification expresse qu'il n'aurait pas à établir de colons avant le parachèvement du Transcontinental.

Le 21 décembre, une autre option remplace celle-ci; les conditions sont quelque peu modifiées. Par exemple, les pouvoirs hydrauliques sur lesquels le syndicat aura la préférence sont élevés à 1500 forces au lieu de 1000 et le nombre de colons à établir est aussi changé. M. Turgeon a déclaré sous serment que les termes de cette option avaient été soumis au Conseil des ministres et qu'elle avait même été rédigée en séance. Et le ministre, en donnant cette option à M. de l'Épine, lui défendit formellement, par écrit, de la transmettre à qui que ce soit sans son consentement. Cependant, le même jour, le même ministre glissait dans la poche du baron une option en blanc non soumise au cabinet et portant une fausse date permettant au baron de transférer l'option à n'importe qui. C'est-à-dire que le ministre autorisait le baron à faire ce qu'il lui avait défendu de faire dans l'option qu'il avait soumise à ses collègues.

Vous êtes autorisé, disait M. Turgeon à M. de l'Épine, à transférer l'option sur 250 000 acres à n'importe qui. De l'Épine peut avoir bien des défauts, mais il est assez prudent. Il comprit qu'avec un document semblable, rendu en Belgique, sa bonne foi serait probablement mise en doute, et il alla faire légaliser la signature du ministre par M. le consul de Belgique à Québec, M. Andrew Joseph. Puis il partit pour la Belgique. Quand les grands conquérants de la terre partaient en voyage autrefois, ils mettaient leurs expéditions sous la protection d'une sibylle ou d'un oracle. Le baron, plus moderne, alla faire bénir la sienne par le sénateur Choquette. Et quand le souffle du sénateur eut conduit cette galère nouvelle jusqu'au port d'Anvers, M. Turgeon, qui devait dire plus tard qu'il ne connaissait pas le syndicat, écrivait au baron dès le 20 janvier 1906: J'attends avec impatience des nouvelles du syndicat. M. Obalski, ingénieur minier du gouvernement, écrivait lui aussi au baron pour lui souhaiter succès dans toutes ses entreprises. Le projet était donc connu déjà. Le baron, aussitôt arrivé, obtient la convocation du syndicat et lui soumet l'option.

Il écrit le lendemain au ministre Turgeon que la proposition a été acceptée en principe. Et M. De Jardin a déclaré devant la commission royale que ce jour-là M. de l'Épine leur avait dit qu'il faudrait payer 70 cents à la province et 30 cents l'acre à la C. E., caisse électorale. Plus tard, cet arrangement est modifié et l'on propose d'acheter 200 000 acres à 30 cents par acre, dont 10 cents par acre iront à la province et 20 cents à la caisse électorale. Ces deux affirmations sont catégoriquement niées et par M. Turgeon et par le gouvernement. Sur réception de la lettre du baron, M. Turgeon, qui devait prétendre plus tard ne pas connaître le syndicat, le connaissait assez ce jour-là pour écrire trois documents de suite. Il câble d'abord au baron de marcher, de se dépêcher. Puis les choses ralentissent, et le baron qui devient moins noble, mais plus pratique, propose au ministre de s'arranger de façon à faire une proposition à M. Macquet qui doit organiser un syndicat et qui permettrait, au moment psychologique, de mettre le couteau sur la gorge du syndicat.

M. Lavergne (Montmagny): Ah! le couteau ...

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): M. Turgeon a déclaré sous serment qu'il n'a jamais entretenu cette proposition et qu'il avait même fait un voyage avec M. Macquet sans lui souffler mot de cette affaire. Cela paraissait bien dans le temps, mais il oubliait de dire qu'à cette date M. de l'Épine l'avait informé que M. Macquet n'avait pas réussi à former son syndicat.

Des voix: Écoutez!

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Cette analyse est un peu longue, mais j'ai tenu à la faire complète pour détruire la légende, créée par la parole assermentée de l'ex-ministre, qu'il ne connaissait pas le syndicat, qu'il en avait probablement entendu parler, mais qu'il ne savait pas s'il était réel ou fictif, et pour montrer aussi que les journalistes indépendants qui ont dit que, volontairement ou non, M. Turgeon n'avait pas rendu un témoignage conforme aux faits, étaient autorisés à parler ainsi par les pièces au dossier et dont le juge n'a pas permis la production lors du procès Turgeon vs le Nationaliste.

Il lit une autre lettre en détail pour prouver le bien-fondé de son affirmation selon laquelle M. Turgeon, lorsqu'il a déclaré en 1907 qu'il ne connaissait pas le fameux syndicat belge, connaissait en réalité tous les membres et que ce syndicat était lui-même né d'une idée de M. Turgeon.

Je (M. Bourassa) déclare devant les journalistes indépendants de la province que M. Turgeon n'a pas dit la vérité lorsqu'il a prêté serment devant les commissaires nommés afin d'enquêter sur cette question de l'Abitibi où il (M. Turgeon) a joué un rôle proéminent et que toutes les lettres n'ont pas été produites à ce procès.

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Toutes les pièces ont été produites à ce procès devant les commissaires.

M. Lavergne (Montmagny): Non.

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Oui.

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Le député de Montmagny (M. Lavergne) qui était avocat dans cette cause réglera ce point avec le ministre.

Il prétend que la plupart des lettres qu'il a lues n'ont jamais été produites, et encore moins celle qui était la plus compromettante.

Il arrive au moment où M. De Jardin revient de l'Ouest canadien. C'est au mois de juin 1906 que M. De Jardin rencontre le premier ministre une fois, et M. Turgeon deux fois. L'option expirait le 21 juin, et M. De Jardin demande un renouvellement qu'il charge le baron de l'Épine d'obtenir. L'option est renouvelée le 7 juin, avec une variante dans les conditions quant au bois de commerce. Or pendant tout ce temps-là il n'est pas question du prix entre le vendeur et l'acheteur. M. De Jardin rencontre les ministres et leur parle de tout autre chose, excepté du prix. Pourquoi? Parce que, dit-il, le syndicat ne connaissait pas encore la valeur des terrains. C'est un argument, encore qu'il se trouve joliment affaibli par le fait que le syndicat et son agent de l'Épine discutaient constamment la question du prix.

Le 1er juillet, de l'Épine écrit à son syndicat que le payement en cinq annuités ne sera pas accepté et qu'il faudra $150 000 en argent comptant. Le 26 juillet, le syndicat belge, en gens pratiques, répond qu'il payera le pot-de-vin en deux versements, et la province en cinq versements. Puis l'exploration des terrains est faite par M. Thompson pour le département des Terres et par M. Obalski pour le syndicat, ce qui indique que le syndicat entendait exploiter la concession au point de vue forestier, minier, aussi bien qu'au point de vue agricole, et ce qui contredit encore le témoignage de M. Turgeon qui affirme qu'il ne s'agissait de rien autre chose que d'une concession agricole. M. Obalski, du département des Mines, reçut $2000 du syndicat, outre $2400 qu'il recevait annuellement du gouvernement, avant de commencer des exploitations qui n'étaient pas de son ressort, à lui fonctionnaire, puisque dans l'option le syndicat s'en était chargé. Et le 27 août, M. de l'Épine n'offre plus que 30 cents l'acre. À cette date le syndicat, déclare M. De Jardin sous serment, a décidé de ne payer que 50 cents l'acre, prix global, ce qu'il explique en disant que l'on payait 30 cents pour les terres et 20 cents pour la caisse électorale.

Et M. De Jardin revient encore une fois à Québec. C'est au mois de novembre 1906. Cette fois, il connaît la valeur du terrain, il sait que la concession est boisée, que les terres valent les meilleures de l'Ouest et, s'il ne discute pas le prix avec les ministres, nous avons le droit de nous demander pourquoi il rencontre M. Turgeon, il rencontre le premier ministre au Viger, à Montréal.

Avec M. Turgeon il parle du prix, il offre 30 cents, et M. Turgeon décide d'accepter. Et alors, chose étrange, M. De Jardin ne pense pas à demander au ministre s'il faudra payer plus que 30 cents. Non, M. De Jardin préfère laisser cette partie des négociations à M. de l'Épine, à qui il dit: Nous payerons 50 cents, laissant ainsi 20 cents par acre pour le pot-de-vin. Le 20 novembre il rencontre le premier ministre, et au sortir de son entrevue avec le premier ministre, M. De Jardin écrit à M. de l'Épine: Nous sommes d'accord sur tous les points, excepté les conditions d'établissement, et le premier ministre va s'efforcer de trouver la formule destinée à se couvrir et à nous protéger contre toute dépossession plus tard. Et il recommande à de l'Épine de tâcher d'obtenir payement du pot-de-vin par versements. Puis M. Turgeon écrit au baron que la formule n'est pas facile à trouver et, après mûre réflexion du génie créateur qui avait déjà fondé l'empire du Mississippi, l'on fait découvrir par M. Lanctôt que la province n'a pas le droit de proposer une législation pour autoriser le gouvernement à vendre. Ainsi finissent les négociations. Quelle est maintenant l'explication du gouvernement? Il en a donné deux, l'une à Saint-Michel, par la bouche de l'accusé, M. Turgeon, l'autre à Saint-Eustache, par la bouche du procureur général et du premier ministre de cette province.

Après plusieurs mois d'hésitation, M. Turgeon tenait une assemblée à Saint-Michel de Bellechasse le 18 août 1907 et, plaidant sa cause, disait pour montrer combien il avait défendu l'intérêt public que, au moment où la loi l'autorisait à vendre 30 cents l'acre, il forçait le syndicat à payer 70 cents. Et cependant il y avait près d'un an, comme le prouvent les documents, que ce même M. Turgeon avait consenti à vendre pour 30 cents en donnant aux acquéreurs plus d'avantages que n'en ont jamais eu le colon ou le marchand de bois puisque pour 30 cents l'acre le syndicat aurait le sol, le bois, les minerais et préférence pour les pouvoirs hydrauliques inférieurs à 1500 forces. Il disait encore: J'ai été inflexible sur les conditions d'établissement. Et il y avait un an qu'il avait consenti à chercher une formule pouvant favoriser les conditions d'établissement. Toutes ces transactions se sont accomplies pendant que le ministre des Terres consultait une seule fois ses collègues et, pendant ce temps, on donnait pour rien la terre, le permis des mines, etc., sur une superficie de 500 000 acres.

Il s'attaque ensuite au premier ministre et au discours qu'il prononça en août 1907, à Saint-Eustache, à ce sujet. Il s'en sert afin de prouver, en comparaison avec d'autres faits et d'autres documents, que ce dernier était au courant des principaux détails de la transaction. Une semaine auparavant, le premier ministre, à Saint-Eustache, avait fait son plaidoyer pour le gouvernement et lui, l'homme grave, prudent, après avoir employé deux colonnes du Canada à reproduire l'interrogatoire de M. Taschereau sur les croyances religieuses de M. de l'Épine, il déclarait que le gouvernement vendait ses terrains à 70 cents l'acre, que les frais de l'exploration étaient à charge du syndicat, ainsi que les frais d'arpentage. Or le premier ministre savait à ce moment-là que le ministre des Terres avait consenti à faire payer les frais d'arpentage par la province, à réduire le prix de vente, et que la province avait déjà payé les frais d'exploration. Il savait, en outre, que les terres ne seraient plus isolées de la civilisation après la construction du Transcontinental et qu'elles ne pouvaient pas être considérées comme isolées quant au prix de vente puisqu'il était entendu, de l'aveu de M. De Jardin et de l'aveu de M. Turgeon, qu'elles ne seraient colonisées que 10 ans après le parachèvement du Grand Tronc Pacifique.

Les deux explications, celle de M. Turgeon à Saint-Michel et celle du premier ministre à Saint-Eustache, sont donc démenties par les faits. L'on dit que les grands acteurs ont des absences de mémoire et l'on raconte que Talma, par exemple, oublia sur la scène l'un des plus beaux passages de Corneille. Le premier ministre souffrait-il de cette étrange maladie à Saint-Eustache? Les affirmations du premier ministre à Saint-Eustache sont fausses les unes après les autres. Le premier ministre a trié dans la correspondance et il n'a choisi que les pièces qui lui convenaient. Le premier ministre et M. Turgeon ont manipulé les dossiers afin de se faire une façade.

Il est sévère pour le premier ministre qui, en 1907, déclara à Saint-Eustache et publia ensuite dans une brochure que ces conditions étaient extrêmement avantageuses pour la province puisqu'elles devaient constituer une colonisation beaucoup plus payante que celle qui se fait à l'ordinaire lorsque le colon prend un lot à 30 cents l'acre. Lorsqu'il parlait de la sorte, le premier ministre savait que le syndicat belge ne pouvait s'assimiler au colon puisqu'il avait le bois que le colon n'a pas, qu'il avait les mines et les pouvoirs hydrauliques et que, d'après un accord intervenu entre MM. Turgeon et De Jardin, accord ratifié ensuite par le premier ministre dans une conservation privée qu'il eut avec M. De Jardin, le syndicat n'était tenu à établir des colons sur ses terres que dans une limite de 10 ans après le parachèvement du Transcontinental. Plus tard, au procès Prévost-Asselin, le premier ministre affirma sous serment qu'il ignorait cette dernière particularité. C'était une étrange absence de mémoire car, immédiatement après son entrevue avec le premier ministre, M. De Jardin adressa au baron de l'Épine une lettre où il lui disait que le premier ministre avait agréé l'accord déjà intervenu entre M. Turgeon et lui (De Jardin), à savoir que l'établissement des colons ne se ferait pas avant le parachèvement du Transcontinental. Il veut lire cette lettre.

L'honorable M. Gouin (Portneuf) s'y oppose et en appelle au président de la Chambre. Je n'ai jamais dit ça dans mon témoignage. Il lit son propre témoignage devant la commission et déclare qu'il n'a jamais fait une telle promesse5.

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Le premier ministre me permettra de dire que, dans les circonstances, le témoignage du témoin, M. De Jardin, vaut le sien. Or M. De Jardin dit cela expressément dans une lettre que j'ai ici, et cette lettre était écrite au sortir d'une entrevue avec le premier ministre au Viger, lorsque le premier ministre, lui, parlait de souvenir après 14 mois.

L'honorable M. Gouin (Portneuf): J'ai affirmé sous serment que je ne connaissais pas cette particularité et les règles de la Chambre interdisent à l'honorable député de contester de quelque manière que ce soit ou par n'importe quel document cette déclaration assermentée.

M. Prévost (Terrebonne) se lève à l'appui du député de Saint-Hyacinthe. Il n'est pas personnellement intéressé dans le débat, mais comme la procédure parlementaire a toujours eu beaucoup d'attraits pour lui, il ne saurait taire ce qu'il pense de la prétention de l'honorable premier ministre et lui demande sur quelle règle il peut bien baser sa prétention. Il prétend que rien n'empêche de discuter et de contrôler par un autre document la déposition assermentée d'un député ou d'un ministre lorsque cette déposition a été donnée hors de la Chambre.

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Dans le cas présent il ne s'agit pas de mettre en doute la sincérité du premier ministre, mais de citer un document que j'ai le droit de citer.

Il lit la lettre. Il cite ensuite le témoignage assermenté de M. Turgeon devant la commission royale, déclaration corroborant entièrement la lettre de M. De Jardin. Voilà donc deux témoignages contre un6.

Il démontre que les terres concédées avaient une très grande valeur et que le prix auquel elles ont été vendues était beaucoup trop bas, sans compter qu'on donnait en plus pour rien au syndicat les permis de miner, l'usage des chutes d'eau, etc. De plus, il y avait entente avec M. Turgeon pour que le syndicat ne fût pas obligé de couper son bois avant le parachèvement du chemin de fer Transcontinental. Ce délai était même appuyé de la promesse du premier ministre.

L'honorable M. Gouin (Portneuf): Rien ne prouve ça. J'ai dit à M. De Jardin que nous ne pouvions pas passer par-dessus nos statuts et que, pourrions-nous le faire, il faudrait encore s'assurer que c'est dans l'intérêt de la province de le faire. Quand il a été question de cette affaire j'ai dit: M. Turgeon est absent; en attendant préparez votre projet et, si la loi le permet, nous vous accorderons une extension de temps.

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe) fait observer que la déposition de M. De Jardin vaut celle du premier ministre. Du reste, ce que je dis a été écrit par M. De Jardin lui-même au sortir de son entrevue avec le premier ministre. Dans cette affaire de délai, personne ne dit la même chose que les documents; néanmoins, il faudrait accepter la parole du premier ministre.

Bien que le député de Terrebonne (M. Prévost) ait été ministre de la Colonisation au moment de la transaction, pas une seule fois le ministre de la Colonisation du temps n'a été consulté. Il n'a entendu parler de l'affaire qu'à une assemblée du Conseil des ministres, tenue le 21 décembre 1906. En résumé, dans cette transaction où M. Turgeon prétendait que les Belges avaient fait un marché de dupes, c'est en somme le ministre qui paraît s'être montré le plus accommodant et a fini par accepter.

Il signale une autre contradiction de M. Turgeon. Quand on demande au ministre Turgeon pourquoi il défendait à de l'Épine de transférer la première option, il répond qu'il ne voulait pas que celui-ci trafiquât avec des financiers véreux. Mais alors, que faisait-il donc un instant après lorsqu'il donnait à ce prétendu misérable de l'Épine une option en blanc dont de l'Épine était maître de trafiquer à son gré? Ce qui a amené la rupture, c'est qu'on exigeait $150 000 comme versement comptant pour la caisse électorale. M. Goothals écrivait au baron de l'Épine que, si son gouvernement se montrait trop âpre au gain, il pourrait bien tuer la poule aux oeufs d'or. C'est alors qu'il est question du pot-de-vin mentionné dans la lettre de Charneuse où il est question de caisse électorale et de gens qui comprennent les choses.

Parlant de la disparition de la lettre de Charneuse expédiée à M. Turgeon et qui précisait le montant qui devait aller au gouvernement et celui prévu pour la caisse électorale, il démontre qu'il existe suffisamment de preuves attestant que M. Turgeon avait accusé réception de ce document. À l'enquête, M. Turgeon nie avoir jamais reçu cette lettre qu'il dit avoir été fabriquée pour lui-même. Plus tard, quand on lui fit une couple de réponses, il admet le contenu de la lettre, à part le paragraphe parlant de la caisse électorale. Après avoir laissé dire dans les journaux ministériels que le baron était un parjure, il n'ose pas affirmer à l'enquête que le baron s'est parjuré. Si on avait envoyé une commission rogatoire en Belgique, on aurait pu jeter plus de lumière sur cette affaire et entendre des témoins intéressants.

Il veut produire une nouvelle lettre provenant de Belgique afin de démontrer que, là-bas, il y a des témoins prêts à jurer que la lettre perdue a été expédiée à M. Turgeon et qu'elle était identique à la copie fournie. Il veut lire un affidavit de la baronne de l'Épine dans lequel cette dame dit qu'elle a pris connaissance du paragraphe de la lettre de Charneuse concernant la caisse et qu'on dit n'avoir jamais existé et que la copie produite est authentique.

L'honorable M. Taschereau (Montmorency) s'oppose énergiquement à ce que des députés transportent dans leurs poches de supposés documents d'importance publique jusqu'au moment où ils jugent opportun de les produire, et ce sans avis de motion. Il soulève une question d'ordre.

Je m'oppose à la lecture de cette lettre. Le député de Saint-Hyacinthe n'a pas le droit de produire des documents nouveaux, quand même ils viendraient d'une baronne quelconque, sans les avoir auparavant déposés sur la table de la Chambre.

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): C'est la première fois que pareille objection est soulevée. Dans tous les cas je déposerai la lettre.

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): L'honorable député ne pourra lire sa lettre qu'en suivant la procédure régulière. Qu'il donne un avis de motion et, si la Chambre lui permet de déposer sa lettre, il pourra la lire.

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Si le gouvernement s'adresse à sa majorité pour empêcher la production de cette lettre, il est évident qu'elle ne pourra pas être lue ici, mais c'est une tactique dangereuse. Mais elle pourra être publiée dans les journaux. Si le gouvernement avait l'intention de faire la lumière, il ne soulèverait pas de pareilles objections. (Il met la lettre dans sa poche.)

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): L'honorable député remet la lettre dans sa poche; c'est sa place. J'aimerais savoir pourquoi le député de Saint-Hyacinthe n'a pas donné un avis de motion pour la production de la nouvelle lettre.

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Le ministre n'a pas le droit de dire que je garde des documents dans ma poche. Je ne manipule certainement pas les documents comme ils l'ont été entre M. Turgeon et le baron de l'Épine. Voilà bien le procédé déloyal dont use trop souvent l'honorable ministre. Voulez-vous ou non que je lise cette lettre?

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Suivez la procédure.

M. Tellier (Joliette): Il est permis de se demander ce que veut l'honorable ministre. Veut-il, oui ou non, que la lettre soit produite?

L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Je m'oppose à la lecture de ce document. Que l'honorable député donne avis de production et la Chambre se prononcera. Nous demandons justice pour notre collègue, M. Turgeon, qui est attaqué ici.

M. l'Orateur décide qu'un avis doit être donné avant que le député de Saint-Hyacinthe puisse produire le nouveau document.

M. Bourassa (Saint-Hyacinthe): Bien. Alors, M. le Président, je donne avis que je produirai, à une prochaine séance, cette lettre de la baronne authentiquée par le consul anglais à Bruxelles et par le bureau des affaires étrangères de Belgique, que je produirai de plus quatre lettres de M. F.-A. Gendron, député d'Ottawa, à M. de l'Épine et à M. Turgeon, parlant de plans des terres à concéder que M. Turgeon prétend n'avoir jamais vus.

On me dira: Comment se fait-il que, si les conditions étaient si favorables aux Belges, les Belges n'aient pas accepté le marché? C'est que le gouvernement était par trop âpre au gain, qu'il voulait trop pour la caisse noire, la caisse électorale.

Il parle ensuite des relations entre M. Turgeon et le syndicat. L'ancien ministre prétendait ne pas connaître l'existence du syndicat belge quand il savait que le baron de l'Épine en était le mandataire au Canada, quand M. Dubord y était entré à sa demande, etc.

Il demande l'ajournement du débat. Il terminera demain son réquisitoire en traitant la question de la prétendue caisse noire et en produisant des documents nouveaux. Il vient de terminer la première partie de son discours et s'efforcera de prouver que les négociations n'ont été rompues que par les conditions relatives à la caisse électorale.

Il propose, appuyé par le représentant de Montmagny (M. Lavergne), que le débat soit ajourné.

Adopté.

La séance est levée à 1 heure du matin.

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NOTES

 

1. Les journaux The Gazette et le Quotidien attribuent ces propos à M. Gouin.

2. Ces pouvoirs sont décrits dans la loi canadienne des chemins de fer (S. R. C. 1906, chapitre 37, articles 26 à 39).

3. Selon le rapport du comité général, cet article aurait été adopté à cette étape mais, selon les journaux, il aurait été suspendu jusqu'à la séance du soir. D'ailleurs, les interventions sur cet article pendant la séance du soir confirment cette suspension.

4. Le Montreal Daily Herald cite le chiffre de $35.

5 Le texte de ces témoignages se trouve dans un document déposé à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale et intitulé: Commission royale "re" Abittibi. Copie de la preuve. Pièces du dossier.

6 Voir note 5.