Débats de l'Assemblée législative (débats reconstitués)
Version finale
18e législature, 1re session
(3 novembre 1931 au 19 février 1932)
Le mercredi 11 novembre 1931
Ces débats, reconstitués principalement à partir des comptes rendus des médias de l’époque, ne constituent pas un journal officiel des débats de l’Assemblée législative.
Présidence de l'honorable T.-D. Bouchard
La séance est ouverte à 3 h 20.
Prière.
M. l'Orateur: À l'ordre, Messieurs! Que les portes soient ouvertes!
Présentation de pétitions:
Plusieurs pétitions sont présentées devant la Chambre.
Lecture de pétitions:
Conformément à l'ordre du jour, les pétitions suivantes sont lues et reçues par la Chambre:
- de G. Hector Pettigrew, demandant l'adoption d'une loi autorisant le Collège des chirurgiens dentistes à l'admettre à l'étude de la chirurgie dentaire, à compter du mois de septembre 1930 (M. Casgrain);
- de la compagnie Montreal Trust Company et de dame Jeanne-Elizabeth d'Alton, demandant l'adoption d'une loi les autorisant à retirer du capital de la succession de Roland Wentworth Tupper Robb, une certaine somme annuelle (M. Cohen);
- de John Lapierre et autres, demandant l'adoption d'une loi les constituant en corporation sous le nom de l'Association des maréchaux-ferrants de la province de Québec (M. Drouin);
- de la cité de Sorel, demandant l'adoption d'une loi modifiant sa charte (M. Turcotte).
Rapports de comités:
M. Delisle (Chicoutimi): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le deuxième rapport du comité permanent des règlements. Voici le rapport:
Votre comité est d'opinion que la pétition et l'avis sont réguliers et suffisants et que le bill est régulier et conforme à la pétition et à l'avis dans chacun des cas ci-après:
- de Hyacinthe Côté, demandant l'adoption d'une loi régularisant l'état civil de Marie-Lucienne-Gerda-Simonne Côté et autres;
- de William Andrew Irving et autres, demandant l'adoption d'une loi concernant les successions d'Alexandre Lindsay et de son épouse;
- de Robert Victor Colville Sinclair, demandant l'adoption d'une loi l'autorisant à adopter Allan Colville Dowling et changeant le nom de ce dernier en celui de Allan Colville Sinclair;
- de la ville de Lasalle, demandant l'adoption d'une loi modifiant sa charte;
- de la cité de Montréal, demandant l'adoption d'une loi modifiant sa charte relativement au système de conduits souterrains;
- de la cité de Montréal demandant l'adoption d'une loi modifiant sa charte;
- de la Commission métropolitaine de Montréal, demandant l'adoption d'une loi modifiant la loi la constituant en corporation;
- de Maurice Gauthier et autres, demandant l'adoption d'une loi concernant la succession Chenier Émond;
- de l'hôpital Saint-Luc, demandant l'adoption d'une loi modifiant la loi le constituant en corporation;
- de J.-Arsène Morin, demandant l'adoption d'une loi autorisant le Barreau à l'admettre à la pratique du droit, sans examen.
J.-Arsène Morin
M. Rochette (Charlevoix-Saguenay) demande la permission de présenter le bill 78 autorisant le Barreau de la province de Québec à admettre J.-Arsène Morin, L.S.C., à l'étude du droit, sans examen.
Accordé. Le bill est lu une première fois.
Charte de Montréal
M. Gabias (Montréal-Saint-Henri) demande la permission de présenter le bill 100 modifiant la charte de la cité de Montréal.
Accordé. Le bill est lu une première fois.
Charte de Montréal, système de conduits souterrains
M. Gabias (Montréal-Saint-Henri) demande la permission de présenter le bill 101 demandant l'adoption d'une loi modifiant la charte de la cité de Montréal relativement au système de conduits souterrains.
Accordé. Le bill est lu une première fois.
Commission métropolitaine de Montréal
M. Gabias (Montréal-Saint-Henri) demande la permission de présenter le bill 102 modifiant la loi constituant en corporation la Commission métropolitaine de Montréal.
Accordé. Le bill est lu une première fois.
Succession Chénier Émond
M. Gabias (Montréal-Saint-Henri) demande la permission de présenter le bill 79 concernant la succession Chénier Émond.
Accordé. Le bill est lu une première fois.
Hôpital Saint-Luc
M. Gabias (Montréal-Saint-Henri) demande la permission de présenter le bill 76 modifiant la loi constituant en corporation l'hôpital Saint-Luc.
Accordé. Le bill est lu une première fois.
Régularisation de l'état civil de M.-L.-G.-S. Côté et autres
M. Bachand (Shefford) demande la permission de présenter le bill 86 régularisant l'état civil de Marie-Lucienne-Gerda-Simonne Côté et autres.
Accordé. Le bill est lu une première fois.
Charte de Lasalle
M. Marchand (Jacques-Cartier) demande la permission de présenter le bill 91 modifiant la charte de la ville Lasalle.
Accordé. Le bill est lu une première fois.
Successions d'Alexander Lindsay et de son épouse
M. Marchand (Jacques-Cartier) demande la permission de présenter le bill 84 concernant les successions d'Alexander Lindsay et de son épouse.
Accordé. Le bill est lu une première fois.
Prison des femmes administrée par les soeurs servantes du Coeur immaculé
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose, selon l'ordre du jour et appuyé par le représentant de Châteauguay (l'honorable M. Mercier fils), qu'à sa prochaine séance la Chambre se forme en comité général pour prendre en considération un projet de résolution relative au bill 14 ratifiant le contrat passé entre le gouvernement de la province de Québec et les soeurs servantes du Coeur Immaculé de Marie concernant l'administration de la prison du district de Québec pour les personnes du sexe féminin.
Adopté.
Adresse en réponse au discours du trône
Conformément à l'ordre du jour, la Chambre reprend le débat, ajourné le mardi le 10 novembre, sur la motion proposée le 4 novembre courant, à l'effet d'adopter une adresse en réponse au discours du trône de son Honneur le lieutenant-gouverneur de la province de Québec.
À Son Honneur
le lieutenant-gouverneur
de la province de Québec
Nous, les membres de l'Assemblée législative de Québec, réunis en session, prions Votre Honneur de bien vouloir agréer, avec l'assurance de notre fidélité à sa Majesté, nos humbles remerciements pour le discours qu'il lui a plu de prononcer, afin de faire connaître les raisons de la convocation des Chambres.
M. Duplessis (Trois-Rivières): M. l'Orateur, je veux tout d'abord vous féliciter de votre réélection au poste de président de cette Chambre. C'est un beau témoignage de confiance que vos collègues vous ont accordé. Je veux également m'incliner profondément sur la tombe du cardinal Rouleau et regretter vivement avec toute la population le décès de ce grand archevêque.
À l'honorable député de Saint-Georges (M. Gault), choisi par mes collègues pour diriger l'opposition, mes meilleurs voeux. Aux anciens et nouveaux collègues, mes voeux de succès dans l'accomplissement de leur devoir.
Au proposeur et au secondeur de l'adresse vont aussi mes félicitations les plus sincères. Le député de Montréal-Sainte-Marie (M. Fauteux) appartient à une famille qui fait partie de l'histoire de notre province; il porte un grand nom et je puis l'assurer que, bien que je n'ai pas partagé ses convictions politiques, j'ai toujours été un admirateur de son ancêtre. Il a été fort aimable pour moi. Je lui dirais même qu'il l'a été trop. Il est allé jusqu'à m'offrir ses sympathies. Ces sentiments partent sans nul doute d'un bon naturel, mais qu'il me permette de lui dire que je n'ai pas besoin de ses sympathies. Sa sympathie était probablement une épine qui montre que les fleurs qu'il m'a présentées étaient naturelles.
Le discours du trône est plutôt vague et, même après les quelques explications du premier ministre, il nous est difficile de se faire une idée précise des mesures que le gouvernement se propose de soumettre à la Chambre. L'opposition en fera l'étude.
L'opposition constitue un rouage essentiel au bon gouvernement. Sans doute, ainsi que l'a déclaré le député de Saint-Georges, elle doit être loyale; elle ne doit pas faire d'obstruction factieuse et bloquer les rouages administratifs, mais elle remplit un rôle important. Et elle l'a prouvé en ces dernières années alors qu'elle a joué un rôle glorieux dans cette Chambre. Grâce à ses efforts, des mesures salutaires nombreuses qui, dans son opinion, étaient nécessaires au bon gouvernement de cette province, ont été adoptées par le gouvernement, même après des luttes très vives: par exemple, séparation du département des terres et de celui de la colonisation, l'arrêt de la vente de nos pouvoirs d'eau, les mesures de réforme sociale, lois ouvrières, etc. C'est donc le rôle de l'opposition de suggérer des mesures qui, à son avis, sont essentielles à la prospérité de la province.
Le discours du premier ministre pourrait se diviser en trois parties: constatation de la crise, ses conséquences et les remèdes suggérés par le gouvernement.
Sans doute la crise vient de causes profondes et générales qui ont produit des effets semblables dans le monde entier. Cependant, cette crise a pu être diminuée ou aggravée par des causes locales. Il sera utile de déterminer quelles sont ces causes, leur gravité, pour en tirer les leçons et les enseignements salutaires.
On présente d'abord comme l'une des causes principales de la crise l'exode des ruraux vers les villes. Nous déplorons tous, M. l'Orateur, l'exode de nos campagnes vers les villes et je crois que certains actes administratifs ont provoqué ce mal. Depuis dix ans, on prêchait l'industrialisation à outrance comme un remède à tous les maux. Avec l'industrie, on nous promettait un véritable pays de Cocagne. Quel a été le résultat de cette politique? C'est qu'à l'endroit même où l'on poussait à l'industrialisation, qui devait amener la prospérité dans la province de Québec, on constate plus qu'ailleurs les effets de la crise: on ne trouve plus aujourd'hui que des chômeurs.
On a même proclamé dans cette Chambre que l'agriculture devait céder le pas à la grande industrie. Au Lac Saint-Jean, on a accordé des chartes à privilèges excessifs à des compagnies. On a établi une industrie factice qui, aujourd'hui, ferme ses portes sur les ruines de l'agriculture. Et si je dis ces choses, M. l'Orateur, ce n'est pas pour critiquer. Je veux simplement indiquer le mal du doigt, afin que le gouvernement puisse en prendre sa leçon et ses enseignements.
Exode de nos campagnes! Les cultivateurs, alléchés par les déclarations de certains ministres, se sont dirigés vers les villes où les industries devaient leur donner de l'or en quantité, le bonheur et la prospérité. Que se produit-il aujourd'hui? Nos villes sont surpeuplées et nos campagnes sont en partie désertes. Cette politique malheureuse et désastreuse est une des causes de l'aggravation de la crise dans la province de Québec.
Dans son remarquable discours, l'honorable premier ministre a parlé des chemins de fer qui sont en mauvaise posture par suite de la concurrence que leur font les autobus et les camions. Notre province occupe le 7e rang dans le pays pour le développement ferroviaire, une situation déplorable qui a retardé notre progrès. S'il faut en croire certains journaux proches du premier ministre, on veut réglementer la circulation des autobus et des camions.
Mais ne croyez-vous pas que l'application d'un remède auquel il manque des ingrédients est plutôt nocive? C'est une question complexe qui relève plutôt des autorités fédérales que du provincial, et un remède apporté dans la province de Québec n'aura pas l'effet désiré ou souhaitable, car il n'aura pas l'appui du fédéral. Le gouvernement provincial devrait faire des démarches auprès du gouvernement fédéral afin d'obtenir un meilleur réseau ferroviaire. Ce dernier a nommé une commission d'experts pour faire une enquête générale. Ne vaudrait-il pas mieux d'attendre les conclusions de cette commission et s'entendre entre les provinces?
Et, en traitant ce sujet, me serait-il permis de dire, non comme partisan mais comme citoyen de cette province, qu'il n'y a peut-être pas assez de collaboration entre le pouvoir fédéral et le provincial et entre les diverses provinces. La province fait partie de la Confédération canadienne et elle est, avec raison, jalouse de son autonomie, de ses droits, de ses privilèges. Je ne veux pas mettre en doute la bonne foi des autorités fédérales, soit libérales, soit conservatrices, mais il me semble que nous avons eu à Ottawa une politique ferroviaire prématurée, et en conséquence, les chemins de fer ont coûté des sommes exorbitantes. On a demandé aux provinces de l'Ontario et du Québec de payer une grande partie de ce que l'on appelle couramment les pots cassés.
La loi des faillites est ruineuse pour la province de Québec, et le crédit agricole fédéral, tout en étant bon en soi, ne donne pas satisfaction aux cultivateurs de notre province. Il en est de même de la loi de pension de vieillesse. Tout cela dénote un manque d'entente et de collaboration entre les deux gouvernements. La province de Québec ne demande pas de faveurs, elle n'en a pas besoin. Mais elle demande que, dans l'élaboration des lois fédérales qui l'intéressent, il soit tenu compte de son caractère et de ses traditions.
On nous répondra: "Mais vos amis sont au pouvoir à Ottawa, pourquoi ne pas vous adresser à eux?" On ne peut demander, M. l'Orateur, à un gouvernement au pouvoir depuis un an seulement, de changer tout ce que les gouvernements précédents, libéraux et conservateurs, ont fait. Je crois que le gouvernement devrait convoquer incessamment une conférence interprovinciale à laquelle participerait le gouvernement d'Ottawa pour étudier les diverses questions qui nous confrontent. Je crois qu'il faudra en venir là et vaut mieux tout de suite que plus tard. Il n'y a pas de doute que les besoins d'aujourd'hui sont différents de ceux d'hier, en particulier quand on tient compte des progrès de la machinerie et du fait que de nombreuses industries de la province sont dans une mauvaise situation. Avec les progrès actuels dans tous les domaines, nous devons faire face à des besoins nouveaux, et c'est pourquoi il est bon qu'il y ait entente entre toutes les parties intéressées.
Le chômage! Je crois que l'une des causes du chômage est la surproduction dans l'industrie du papier. Et pourquoi cette surproduction? Parce que le gouvernement actuel, et je ne veux pas le lui reprocher, car il a peut-être fait de son mieux, a obligé, de 1924 à 1927, les acheteurs de limites à bois à construire de nouvelles usines qui ont augmenté la production de 1,000 tonnes par jour. Aujourd'hui, l'industrie est partiellement inactive dans certains secteurs et totalement inactive dans d'autres. Des milliers de gens qui tirent leur gagne-pain de l'industrie doivent être secourus, à grands frais. À l'aurore d'une nouvelle législature, il ne faut pas faire de reproche injuste. Je n'en fait pas. Je constate un fait. Ce fut une erreur. Le gouvernement devrait éviter de pareilles erreurs; et en tout cas, il lui incombe de les réparer.
Le chômage nous a conduit à quoi? Le premier ministre nous a parlé du communisme. Et il a dit qu'il était disposé à mettre dans la lutte contre cet agent destructeur toutes les ressources de notre province, tous ses talents pour éradiquer ce mal. Je l'en félicite. C'est la meilleure partie du discours du premier ministre. Mais quelles sont les causes de ce communisme? Il est bon de le savoir afin de ne pas combattre uniquement les symptômes, mais de s'attaquer à la racine du mal.
Je vous le demande, M. l'Orateur, comment se fait-il que dans notre province catholique et paisible, le communisme soit en voie de s'implanter? Pourquoi? Le premier ministre nous a dit, et avec combien de raison, que le sentiment religieux était le meilleur rempart contre le communisme. Mais le gouvernement a-t-il fait tout pour enrayer le communisme? J'ai le regret de dire que le gouvernement a quelque peu manqué sur ce point-là. Le respect du repos dominical demeure le meilleur moyen de maintenir le sentiment religieux. Depuis que je représente le comté de Trois-Rivières en cette Chambre, je me suis toujours fait un devoir de demander le respect du repos dominical. Comment se fait-il que le dimanche ne soit pas plus respecté dans la province de Québec? Je demande au gouvernement d'y voir de près.
À la dernière session, j'avais le plaisir de faire adopter, par la Chambre à l'unanimité, une résolution par laquelle on disait que la violation du repos dominical produisait une surproduction désastreuse au point de vue matériel et forçait les ouvriers à travailler le dimanche. En autorisant les travailleurs à travailler le dimanche, le gouvernement a contribué à la diminution du sentiment religieux dans cette province et, grâce à cette diminution du sentiment religieux, le terrain était bien préparé pour la diffusion de la propagande communiste. La même résolution portait aussi qu'il fallait augmenter le nombre des inspecteurs chargés de veiller à l'observance de la loi. Qu'a fait le gouvernement depuis ce temps-là? Rien? Je sais, bien sûr, qu'il y a eu des élections, ainsi que d'autres problèmes, qui ont empêché le gouvernement de donner effet à la résolution de la Chambre.
Il n'y a pas assez d'inspecteurs. Les employés ont été renvoyés dans la proportion de 50 % par les propriétaires de moulins. Si aujourd'hui nous avons la crise des industries du papier avec 50 % des ouvriers qui chôment et le reste qui ne travaillent que 60 % du temps, c'est dû à la violation de la loi du dimanche, laquelle violation a augmenté la production de 10 à 15 %.
Je suis un libéral conservateur, ami de l'ordre et ennemi du désordre et de la démagogie, du socialisme et du communisme.
Des voix: Hear! Hear!
M. Duplessis (Trois-Rivières): Je crois que des deux côtés de cette Chambre on s'entendra pour dire que la saine tradition des principes des deux partis est opposée au communisme, mais il ne faut pas créer de caste de privilégiés.
Mais avons-nous tout fait pour empêcher le communisme? Est-ce que la surproduction et la surcapitalisation, la législation privée trop abondante ne sont pas de nature à faire penser au peuple qu'il y a pour les riches et les puissants des droits que les pauvres n'ont pas? On donne l'impression qu'il y a des lois pour les riches et des lois pour les pauvres.
Le capitalisme est nécessaire; il doit être protégé, traité avec considération; il a droit à l'aide nécessaire, et même à certains privilèges, mais il y a deux sortes de capitalisme: le capitalisme sincère, patriotique, et le capitalisme ventriloque. Nous avons malheureusement dans Québec du capitalisme ventriloque. Nous constatons aujourd'hui que dans Québec la surcapitalisation est un mal. Des stocks mouillés ont été vendus aux contribuables ordinaires; l'épargne publique est engagée dans ces stocks mouillés. Ne serait-il pas sage et opportun de convoquer une autre conférence interprovinciale, avec le concours du fédéral, afin d'adopter une législation uniforme pour empêcher la surcapitalisation et prévenir les désastres des années passées? Il ne servirait de rien que Québec soit seule à tenter une pareille réforme.
Le gouvernement prêche le retour à la terre. Très bien. Mais n'aurait-il pas été préférable d'empêcher la désertion de la terre et de ne pas adopter la politique suivie au Lac Saint-Jean? Il vaut mieux prévenir que guérir.
Réalise-t-on qu'il y a environ le tiers des terres octroyées par la couronne qui sont retournées à la couronne, réalise-t-on que la classification des terres de colonisation est loin d'être complète, et qu'à cause de cela, un mouvement mal préparé peut entraîner un second échec qui aurait des conséquences irrémédiables. Le gouvernement aurait dû et devrait classifier les terres de colonisation. Où va-t-on avec un système semblable? Certains de nos colons ont été dirigés sur des terres stériles et improductives. Ils se sont découragés dès les premiers mois. L'homme qui a été découragé une première fois lors d'un premier effort d'établissement sur une terre peut être incité à faire un second essai, mais l'homme qui a fait deux efforts et qui a échoué deux fois sera découragé pour toujours, et ce second échec peut, de manière plus ou moins significative, avoir des conséquences immédiates. Est-ce la façon du gouvernement d'encourager le retour à la terre?
Nous avons à la tête du ministère un ministre sympathique, le plus sympathique de l'administration, il est honnête, il est dévoué, son action est peut-être entravée, mais il est forcé de subir la responsabilité ministérielle. J'espère cependant, qu'il considérera attentivement cette question de classification des terres. Je connais l'honorable ministre de la Colonisation et je lui demande de prendre mes remarques en bonne considération.
Pourquoi les cultivateurs ont-ils laissé la terre? C'est parce qu'ils n'y pouvaient trouver leur subsistance et celle de leur famille. Là réside tout le problème. Le coût de production est trop élevé. C'est aussi parce que les cultivateurs étaient attirés par l'attrait factice des villes et que le gouvernement n'a pas su rendre la vie plus facile aux cultivateurs.
De plus, dans une province qui possède les plus vastes ressources du monde en énergie électrique, nos cultivateurs n'ont pas d'électricité dans les campagnes ou, quand ils l'ont, on la leur vend trop cher. Alors qu'on donne l'électricité de la province de Québec aux autres provinces, et cela sans compensation, nos cultivateurs n'en ont pas dans leurs paroisses. Je vous le demande, M. l'Orateur, est-ce logique? Qu'on donne de l'électricité à meilleur compte; le coût de production sera moindre et les profits des cultivateurs seront plus forts ou moins faibles. Si nos campagnes avaient été électrifiées, je suis d'avis que l'exode eût été moins considérable, car la vie eût été plus attrayante et le coût de production moins élevé.
Le premier ministre dans ses remarques a parlé du problème de la canalisation du Saint-Laurent. Il a dit que le Saint-Laurent était notre plus bel héritage et qu'Ottawa aurait dû consulter Québec avant d'entamer des négociations avec les États-Unis. On peut négocier sans rien régler définitivement. Cela n'était pas nécessaire et Ottawa voulait auparavant prendre l'avis des américains, connaître leurs projets avant de soumettre ceux-ci aux provinces de Québec et d'Ontario, car les négociations sont toujours préliminaires, toujours conditionnelles. Je pense qu'avant de soumettre un projet, toutes les questions de détail devraient être connues. Je dis cependant que cette question est la plus grande qui s'impose à notre province, au point de vue économique. C'est une question fort complexe.
Le sénateur McDougald m'a envoyé un livre sur la question pour prouver que la canalisation ne nuirait pas au port de Montréal. Nous avons eu les résultats du travail de O. Lefebvre, qui fait honneur à cette province et au gouvernement qui l'a nommé à la Commission des eaux courantes de Québec, et nous avons aussi l'opinion du président de la Chambre de commerce du Québec, le distingué journaliste Arthur G. Penny. Personnellement, je crois que cette question devrait être considérée, étudiée, en regard de Québec et d'Ontario seulement, car les vieilles provinces ont fait assez de sacrifices pour qu'on ne leur demande pas de se saigner à blanc pour des avantages aléatoires.
Qu'on me comprenne bien. Je ne suis pas ce que l'on appelle un politicien à l'esprit de clocher. Je sais que nous faisons partie d'une confédération et que nous devrions vivre en paix avec les autres provinces. Je n'ai pas l'esprit de clocher, mais charité bien ordonnée commence par soi-même. Il est temps que les vieilles provinces reçoivent d'Ottawa la part de justice qui leur revient. Le problème du Saint-Laurent est complexe, mais je me demande comment il se fait que, dans notre province, nous devons payer des taux d'énergie électrique deux à trois fois plus élevés qu'en Ontario, alors qu'une bonne partie de l'énergie de l'Ontario provient de chez nous. C'est étrange que, bien que nous ayons concédé des droits sur l'énergie électrique aux compagnies de cette province, nous devions payer l'électricité deux ou trois fois plus cher qu'en Ontario.
Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas pris des mesures pour assurer à notre province des taux raisonnables?. Comme on n'a pas abordé la question, le problème des taux est devenu plus complexe. Je ne veux pas saboter les intérêts légitimes de qui que ce soit, mais la population devrait aussi être protégée. Je suggérerais une commission d'experts pour faire une étude approfondie de la question, pour savoir ce qu'il y a au fond de l'affaire et protéger les droits des compagnies, des consommateurs et des gens qui y ont mis leurs capitaux.
Le programme du député de Trois-Rivières sur cette question, c'est le programme adopté à la convention conservatrice de 1929: le développement rationnel de nos forces hydrauliques, pour l'avantage du peuple et sans entraver l'initiative privée. C'est le programme que j'entends suivre sur cette question et je crois que ce programme devrait être adopté par le gouvernement, parce que je le crois basé sur des données sûres et l'expérience du passé. Cette question de la Beauharnois sera peut-être discutée plus tard et il n'y a pas lieu d'y revenir pour le moment. Mais je regrette que le gouvernement ait aliéné la plupart de nos pouvoirs d'eau dans la plus grande partie des cas.
L'aide aux chômeurs? Ne croyez-vous pas que le gouvernement pourrait adopter quelques idées à ce sujet? Le premier ministre nous dit que les revenus baissent, disparaissent, que les revenus de la Commission des liqueurs s'en vont, ainsi que les revenus des Terres et Forêts. C'est malheureux. Le gouvernement sent le besoin cette année d'imposer de nouvelles taxes.
Quand le gouvernement actuel sent le besoin de mettre cela dans le discours du trône, lui qui a augmenté les taxes depuis 15 ans, on peut se faire une idée de ce que sera la taxe. Mais où sont les surplus? Depuis dix ans, le gouvernement s'est créé des surplus à même nos forêts. Il a retiré du domaine forestier une somme de $50,000,000. Ils nous coûtent cher ces surplus! On peut se demander comment le gouvernement pourrait manquer d'argent, même si les revenus de la Commission des liqueurs étaient beaucoup moins élevés et si les forêts rapportaient beaucoup moins. Diminution des revenus? Le gouvernement actuel n'a-t-il pas accaparé tous les revenus, même ceux qui devaient aller aux municipalités? L'an dernier encore, à la faveur des travaux du chômage, le gouvernement épargnait 25 % dans le coût des travaux de la voirie. Au lieu de payer la part ordinaire de 50 %, il ne payait que 25 % et ainsi se ménageait 25 % au détriment des municipalités. On parle même de nommer une commission pour contrôler les emprunts des municipalités, et faire enquête. Mais le premier ministre, qui est le ministre des Affaires municipales, et le sous-ministre, M. Morin1, n'auraient-ils pas pu faire cela? Mais que fait-on du ministère des Affaires municipales? Est-il question de remplacer le premier ministre qui est en tête?
L'honorable M. David (Terrebonne): L'opposition le voudrait bien.
M. Duplessis (Trois-Rivières): La province s'en porterait mieux. Le premier ministre a-t-il trop de ministères? Il a trop d'ouvrage. Il y a quelque chose qui ne va pas. C'est pourquoi il faut une commission.
Les statistiques municipales de 1928 pour les dettes municipales et de 1929 pour les dettes scolaires, dettes payées par les mêmes contribuables, forment une dette per capita de $166.75. Il me semble que le gouvernement retire assez des municipalités sans imposer de nouvelles taxes.
Nous touchons du doigt, avec cette question des finances, une des plus graves erreurs de la législation de ces dernières années. Savez-vous que, dans Québec, les exemptions de taxes aux compagnies ont été accordées tellement à l'aveuglette que le gouvernement me répondait, l'an dernier, qu'il ne pouvait pas dire la valeur des exemptions. Dans Québec, il y a des corporations industrielles qui jouissent de nos ressources et qui sont exemptes de taxes municipales et scolaires pour une période de 40 ans. Ce n'est pas raisonnable.
Aidons-les, accordons-leur des exemptions de taxes pour quelques années, fort bien, mais pas pour aussi longtemps. Je ne crains pas de dire que les biens des compagnies exempts de taxes s'élèvent actuellement à $200,000,000. Si nous prenons une base de 2 %, ceci représente une somme de $4,000,0002 qui, chaque année, va dans le gousset des industriels, pendant que les ouvriers voient leurs salaires diminuer. C'est une des causes du malaise dont les municipalités souffrent. Il faudrait abandonner cette politique.
Le premier ministre, dans le discours du trône, parle d'un autre sujet. Il dit qu'il va falloir augmenter les taxes à cause de la construction de certains grands ponts. Il faut aider la misère d'une façon convenable. Il ne faut pas mesquiner. Mais ne croyez-vous pas que certains travaux en préparation et non commencés pourraient attendre, par exemple, le pont de l'Île d'Orléans, qui avec les approches, va représenter une dépense de $4,000,0003. Pourquoi ces travaux? Pour détruire le caractère de l'Île, son panorama! Je crois que l'on devrait affecter cet argent à d'autres fins utiles. On pourrait ainsi éviter les nouvelles taxes projetées.
Nous avons un gouvernement sinon "de jure" du moins "de facto".
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): (Souriant) Il y a des députés "défaits" aussi.
M. Duplessis (Trois-Rivières): Si l'honorable premier ministre regarde de son côté, il verra qu'il y a les disparus.
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Moins.
M. Duplessis (Trois-Rivières): Le premier ministre a parlé des contestations d'élections. M. le Président, mon opinion est bien connue sur ce point. Ce que je pensais hier, je le pense encore aujourd'hui. Je considère que les contestations d'élections en bloc sont pour le moins inopportunes. Je crois qu'un nombre considérable de conservateurs influents, comme moi, s'opposent aux contestations d'élections en bloc. Je sais qu'il n'y a pas de mal à ce qu'un électeur se prévale de son droit de contester, s'il croit qu'il y a eu des abus. Mais je dis que l'exagération des réclamations affaiblit la cause. Contester les élections en bloc est chose désastreuse et ruineuse à tous les points de vue. C'est une attitude déplorable et je tiens encore une fois à dégager ma responsabilité.
Mais je veux être conséquent et logique. Le premier ministre l'est-il quand il dit qu'il va soumettre ces contestations au comité des privilèges et élections?
Si les contestations en bloc sont un mal, ce n'est pas en leur faisant écho que l'on va améliorer la position. Il y a un autre point important à cela. Je demande au premier ministre de bien penser aux conséquences de l'acte qu'il veut poser. Référer cette question au comité des privilèges et élections, c'est une insulte aux tribunaux que de leur substituer la Législature. Nos tribunaux sont saisis de la question et je ne reconnais pas à la Chambre le pouvoir de substituer son autorité à celle de nos tribunaux. Je crois que le premier ministre, qui a de grandes qualités, comprendra qu'il est procureur général et ce n'est pas le temps, au moment où nous sommes menacés du communisme, de donner cet exemple du mépris du pouvoir judiciaire à la population de cette province.
Je pense que le premier ministre, qui a de très grandes qualités, se rendra compte qu'en tant que procureur général, il devrait démontrer aux autres provinces, aux États-Unis et à ceux qui connaissent notre province qu'il tient beaucoup à ce que l'on respecte le pouvoir judiciaire. Le gouvernement est le pouvoir exécutif, la Législature constitue le pouvoir législatif et les juges forment le pouvoir judiciaire. Respectons le pouvoir judiciaire qui est saisi de ces questions. Peut-être qu'après y avoir réfléchi, le premier ministre abandonnera son idée. Je crois que ce mouvement serait plutôt nuisible à la bonne renommée du gouvernement et une atteinte à l'autorité judiciaire, qu'il faut respecter et qui mérite notre confiance. On encourage le bolchévisme en agissant autrement.
Le premier ministre a parlé des affaires de l'opposition. J'ai dit l'an dernier: "Quand nous serons à votre place." C'est vrai, je l'ai dit. Mais je prends exemple sur le premier ministre, qui a fait des promesses qu'il a négligé de tenir. En 1923, alors que le Parti conservateur provincial, sous la direction de monsieur Sauvé, un vrai conservateur, celui-là, revenait en Chambre avec 23 députés, le premier ministre avait dit: "Si l'opposition revient en Chambre avec 5 députés, je démissionne." L'opposition est revenue avec 23 et le premier ministre n'a pas démissionné.
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Avec la différence que je n'ai pas dit cela.
M. Duplessis (Trois-Rivières): Oui, oui, c'était rapporté dans les journaux.
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Quel journal? Oui, dans vos journaux.
M. Duplessis (Trois-Rivières): Le Soleil lui-même. Mais je ne blâme pas le premier ministre de douter de ce que l'on dit dans ce journal. Le premier ministre est un homme très occupé, toujours en bonne santé et alerte. Il occupe les postes de premier ministre, procureur général, ministre des Affaires municipales, ministre des Finances. Mais en plus de cela, il est devenu ministre des Affaires étrangères, en prononçant un discours à Montréal, alors qu'il s'est chargé de conseiller aux Britanniques de voter pour M. Baldwin et contre M. Lloyd George. Il semble que les gens là-bas ont suivi son conseil. Ne pense-t-il pas qu'il devrait se limiter à nos propres problèmes sans se mêler des affaires des autres? Qu'il n'oublie pas que le meilleur moyen de s'enrichir, comme disent les Américains, c'est de se mêler de ses affaires.
Nous avons des ressources immenses dans cette province. Nous avons déjà réclamé un inventaire national, comme la chose devrait se faire dans toute maison d'affaires.
Il y a eu un inventaire décrété au ministère des Terres et Forêts, mais malheureusement sans effet, à cause de la multitude d'ordres en conseil adoptés pour accorder des limites aux compagnies, avant que l'inventaire fût fait. Je dis que c'est le désordre en conseil.
M. l'Orateur, je termine en saluant le nouveau ministre du Travail (M. Arcand) et lui offre ma collaboration. Cela fait de nombreuses années que le gouvernement aurait dû faire une telle nomination.
Il (M. Duplessis) déclare que, en dépit des maux actuels, il n'était pas pessimiste parce que la province, malgré les fautes et les erreurs commises par ses gouvernements, avait des ressources inépuisables et un peuple bien doté pour les développer. Il invite les députés à s'élever au-dessus des mesquines considérations partisanes, lorsqu'ils chercheront des solutions aux problèmes actuels.
Ceux qui ont doté le palais législatif l'ont fait d'un endroit d'où l'on voit des montagnes et des collines et n'ont-ils pas voulu que nous nous élevions au-dessus des mesquines luttes.
(Applaudissements)
En ce qui me concerne, je suis prêt à coopérer avec le gouvernement à la mise en oeuvre de bonnes mesures et à ne pas faire d'opposition simplement pour le plaisir de m'opposer. Je désire encourager le gouvernement à améliorer la situation actuelle et favoriser l'application de toutes les bonnes mesures qui sont dans l'intérêt de la province. J'ai confiance en mon parti, le Parti libéral-conservateur. Nous avons connu des revers, oui c'est vrai, mais les idées demeurent, elles sont souveraines et elles nous vengeront.
L'honorable M. David (Terrebonne): L'armistice! 11 novembre 1918! Les cloches chantent et leur tintement annonce au monde épuisé qu'il peut enfin respirer. Les soldats sortent des tranchées, les drapeaux flottent au vent, les mères, les épouses, les fils sourient. Les veuves, les mères endeuillées pleurent plus doucement. Le monde vient d'affirmer que c'en est fini de la guerre. Il ne veut plus que ce cauchemar alourdisse sa vie, assombrisse sa pensée. Tout est joie, tout est consolation.
11 novembre 1931! Treize ans se sont passés. Les politiques ont tout fait pour réaliser le souhait d'hier. Les diplomates ont raisonné, mais ils n'ont pu dompter l'ambition, cette maîtresse des hommes et des nations et aujourd'hui, en cet anniversaire, les yeux tournés vers l'orient, certains peuples astiquent leurs armes.
Jour d'Armistice qui nous fait nous incliner sur nos morts et souhaiter que l'on comprendra enfin dans un univers éclairé toute la malédiction d'une guerre.
Dix ans dans la vie d'un peuple, c'est peu de chose, c'est énorme dans la vie d'un homme! Dix ans, collaborer et sentir une volonté loyale s'attacher à la nôtre. Dix ans, sans se démentir, dompter une maladie qui nous mine. Ne jamais se trahir et ne jamais trahir. Toujours soucieux d'accomplir son devoir, désireux d'attacher son nom à une oeuvre, lui sacrifier les heures de sommeil, lui donner toutes les heures du jour. Esprit sans cesse en activité, inlassable, presque tourmenté.
Voilà l'homme qu'hier matin je conduisais au cimetière. Pourrais-je, au début de ce premier discours que je fais en Chambre, ne pas m'incliner sur la terre que le froid de l'hiver n'a pas encore durcie et qui gardera éternellement la tombe de C. J. Simard4.
M. l'Orateur, je ne vous surprendrai pas si, au début de mes remarques, j'affirme une vérité qui peut paraître paradoxale mais qui, toutefois, n'en constitue pas moins la constatation d'un état de choses qui s'offre à tout esprit averti ou observateur. C'est au moment où tout semble aller le plus mal que l'humanité se montre la meilleure.
Le monde ne vit jamais s'abattre sur lui une crise plus tenace que celle qui le bouleverse actuellement, mais jamais le monde vit l'humanité ressortir à son fond de sanité mieux qu'elle le fait aujourd'hui. Elle fait appel à ses sentiments de devoir, de dévouement, de charité et de bonté.
Les richesses se sont écroulées, les fortunes se sont abîmées, les industries périclitent, les finances des nations sont entamées, et cependant, jamais les appels à la charité n'ont entendu une réponse plus rapide, plus sympathique, plus efficace.
Ne serait-ce pas le résultat de cette fausse conception du bonheur que l'humanité se fait, lorsqu'elle se croit heureuse. Ivre de prospérité et d'argent, grisée par les succès, elle s'oublie elle-même en oubliant les qualités qui sont en elle. Viennent les moments tristes, graves, où la réflexion et le raisonnement s'emparent d'elle; alors on la voit se pencher avec plus de miséricorde sur les petits, les humbles, les opprimés et ceux qui souffrent.
Tout d'abord, dans ces moments-là, les peuples ayant réfléchi, reviennent à un état d'esprit plus sain. Ils font trève sur le terrain politique, considérant que le salut du pays est au-dessus des succès du parti, et c'est alors que l'on voit des hommes ne partageant pas toujours les opinions des dirigeants et des gouvernants, se refuser à accepter des théories ou des modes de pensée nouveaux qui pourraient mettre en péril, plus sérieux encore, l'avenir du territoire qu'ils habitent.
Voilà synthétisé, si je peux dire, le résultat de l'élection du 24 août dernier. Le Parti libéral se présentait devant le peuple de Québec sans autre promesse que celle de considérer son passé comme garant de sa politique d'avenir; politique sans intransigeance, sans préjugé, éclairée par la lumière qui jaillit toujours de principes fondamentalement sains, et désireuse de coopérer avec toutes les classes de la société, pour trouver des remèdes et des solutions aux maux qui assaillent notre province.
À quoi bon servirait de revenir sur la lutte maintenant terminée. À quoi servirait de se plaindre des attaques injustifiables faites contre nous? N'est-il pas suffisant que le peuple nous ait donné raison et nous ait vengés des affronts, des injures et des insultes? Pour ma part, j'ai, toute ma vie, tâché de me mettre au-dessus de l'attaque lorsque je la croyais injuste, toute ma vie j'ai essayé d'oublier l'insulte, lorsque je la crois faite dans un moment d'emportement ou de véhémente passion; toute ma vie, j'ai fermé l'oreille à la calomnie corrosive, l'attribuant à un manque de jugement, de raisonnement ou à une mauvaise foi basée sur des préjugés.
Ce dont le Parti libéral a droit de s'enorgueillir, ce dont il a droit d'être fier, surtout au lendemain de cette campagne, - la plus violente jamais faite contre lui - c'est que tout un peuple, pourtant mal à son aise, gêné dans ses affaires, regardant avec anxiété le présent, doutant presque de l'avenir, s'est accroché à lui comme à une planche de salut. De cela, messieurs de la droite, nous avons le droit d'être heureux, car outre que c'est pour nous une marque de confiance que nous ne pouvons pas mésestimer, c'est aussi l'affirmation la plus parfaite, la plus absolue et la plus complète que Québec pouvait donner de nouveau de sa sanité d'esprit.
N'y a-t-il pas lieu pour ceux qui viendront après nous, de tirer une autre leçon? Je vous la soumets tout simplement, humblement, c'est qu'il n'y a pas de place dans Québec pour les partis de réaction violente. Notre mentalité est telle qu'une tradition pour nous a toute la valeur d'un programme, que nous verrions dans l'effacement de l'une d'elles quelque chose de notre vie nationale qui disparaîtrait.
Aussi bien, lorsque cette réaction violente se traduit en discours irréfléchis, en paroles audacieuses, en appels véhéments, le peuple de Québec, gentilhomme, poli, y voit une dérogation à des coutumes, des habitudes qu'il entend garder.
Que n'a-t-on pas fait pour soulever le peuple contre nous, dans la dernière lutte. Je ne mentionnerai qu'en passant, et sans aucun désir de me défendre, les appels faits au nom de la religion.
M. l'Orateur, je voudrais bien savoir lequel de nos adversaires d'hier, ici ou absents, a le droit sur ce point de discuter. Je voudrais bien savoir lequel a droit d'enquêter sur nos principes, notre religion et notre conscience. Je voudrais bien savoir lequel encore a le droit de recourir à de vieux cris de bataille que l'on entendait dans les mauvais jours d'avant 1896, pour prétendre à une différence religieuse entre libéraux et conservateurs. Je n'entends pas sur ce point ajouter davantage. Si je l'ai mentionné, c'était pour tirer la conclusion suivante: Que ceux qui se préparent aux luttes de l'avenir retiennent la leçon d'hier.
Il est fini le temps où le peuple peu instruit se laissait enflammer, emporter, par des appels politico-religieux. Il est fini le temps où le peuple se plaisait à juger les opinions religieuses de ses mandataires par les attaques que l'on dirigeait contre eux. Il lit, il sait les actes que nous posons, il apprécie, il juge, et son jugement dans la dernière lutte prouve de façon irrévocable qu'il n'a jamais regretté la confiance que, depuis 34 ans, il accorde au Parti libéral dans Québec.
Si je ne craignais de prendre le temps de cette Chambre, et si je ne craignais de porter au comble votre indulgence, M. l'Orateur, je tracerais en quelques grands traits, la politique libérale dans Québec.
Tout d'abord son évolution, tout en demeurant dans les cadres de la doctrine qu'il s'est imposée, a toujours été éclairée par le respect du passé, et j'oserais affirmer qu'il n'est pas de parti plus franchement, ouvertement traditionaliste que le nôtre. Il reconnaît ce qui fait la force de notre peuple, il le respecte. Il s'attache depuis 34 ans à maintenir les droits religieux, il s'applique à faire prévaloir les droits éducationnels. Il ne veut pas que l'on entame, même indirectement, l'intégralité de son territoire. Il tâche à faire respecter partout et toujours les droits constitutionnels de la province. Il cherche, dans une coopération bienveillante mais toujours aux aguets, à empêcher qu'un seul des droits provinciaux ne lui soit enlevé.
Parti né de la liberté, il la respecte sous toutes ses formes: liberté de parole, liberté de presse, liberté en matière religieuse, liberté en matière éducationnelle, liberté en matière d'associations, liberté en matière de langue, liberté pour les minorités.
Le Parti libéral, de plus, cherche toujours à améliorer le sort du peuple, mais en ce faisant, il ne veut pas mettre en péril l'avenir du peuple. Accessible au progrès, il le recherche, mais ne tâche pas de l'atteindre par des lois réactionnaires ou révolutionnaires. Il va vers l'avenir pas à pas et non pas à la course, se défiant de la rapidité qui quelquefois met en péril l'édifice construit.
Les idées nouvelles, en matière politique bien entendu, ne lui répugnent pas; il les étudie et les juge. Il les applique, non pas pour faire plaisir au peuple, mais parce que nécessaires au peuple, et quelquefois, s'il résiste au désir de lui plaire, c'est qu'il sent que le plaisir qu'il lui ferait, le peuple lui-même qui a demandé cette réforme dans un moment de murmure ou de mécontentement, serait le premier, plus tard, à lui reprocher son manque d'énergie et de volonté.
Le Parti libéral, c'est celui de la jeunesse, cette jeunesse instruite qui conçoit l'avancement dans les bornes de la légalité et de la dignité; de cette jeunesse, qui heureuse d'avoir été instruite grâce au Parti libéral, désire lui en savoir gré et lui en témoigner sa reconnaissance. Jeunesse qui apprécie que jamais un parti a fait pour les éducateurs de cette province autant que le Parti libéral, jeunesse qui se souvient que c'est grâce à ce parti que les collèges classiques peuvent aujourd'hui envoyer chacun dans certaines maisons d'éducation de France, d'Angleterre, des États-Unis ou même du Canada, certains de leurs professeurs, afin de leur permettre d'acquérir une compétence plus grande.
Parti de la jeunesse aussi parce qu'elle sent, cette jeunesse que, dans le Parti libéral, certains principes animent notre politique, qu'elle est faite, non pas de haine mais du désir de servir; qu'elle n'a pas pour but de démolir mais de construire, et que l'homme politique de notre parti n'a qu'un désir, quand viendra le soir et qu'il devra disparaître, de pouvoir se dire: J'ai fait mon devoir.
Le Parti libéral n'est pas un parti de soulèvement populaire, c'est un parti d'apaisement populaire. Ce n'est pas un parti de préjugés, c'est un parti de jugement. Ce n'est pas un parti de dissension, c'est un parti de calme, de modération, de pondération et d'union. Et voilà pourquoi, M. l'Orateur, encore une fois, le 24 du mois d'août dernier, le peuple, satisfait que c'est bien là la doctrine, les principes, l'état d'âme et d'esprit du Parti libéral, a permis que sur 90 représentants de la province de Québec, 11 seulement ne fussent pas de notre parti.
Je ne peux m'empêcher, regardant de l'autre côté de la Chambre, ceux qui, il y a six mois, étaient bien convaincus d'être de ce côté, de constater un autre fait. D'habitude, les partis au pouvoir pendant un certain nombre d'années recueillent, le long de leur route, certains éléments de désunion qui éclatent devant le public, certains éléments d'ambition personnelle qui veulent se faire jour et qui deviennent des obstacles et des difficultés. Est-il nécessaire que je conclue en disant que, de ce côté de la Chambre, jamais union plus parfaite n'a régné, entente plus complète n'a existé. Fiers du chef que nous avons, pas un d'entre nous hésiterait, quel que soit le sacrifice qui nous serait demandé.
(Applaudissements)
Mais venons à l'autre côté de la Chambre. J'y vois des éléments auxquels je ne fais que toucher en passant, comprenant que leurs ennuis leur suffisent, sans que nous les étalions devant le public. Mais je vois un homme qui, parce que faisant son devoir pendant les trois ou quatre dernières sessions, parce que toujours à son poste, parce que discutant les lois à la lumière de sa raison sans avoir toujours raison, parce que remplaçant brillamment celui qui n'y était jamais, se voit aujourd'hui relégué non pas dans l'ombre, car l'injustice quelquefois grandit ceux qui en sont les victimes, mais tout de même relégué de côté, à droite du chef temporaire, ce qui peut sembler pour quelques-uns une préséance, mais ce qui, pour ceux plus au courant, constitue une régression. C'est l'un des chefs; il est la saine, la bonne tradition conservatrice. Appelons-le, si vous le voulez bien, le chef tradition5.
(Murmures d'approbation à la droite de la Chambre)
Il y en a un autre, il est à gauche du chef temporaire; il est, comment dirai-je, désireux que je suis de ne pas être injuste vis-à-vis de lui, le chef, disons, réaction. On n'a qu'à se souvenir de ses splendides envolées dans cette Chambre, de sa dialectique toujours inspirée des auteurs les plus sains et des plus saints auteurs, on n'a qu'à le voir, certaines nuits, s'imposant le sacrifice du jeûne et du sommeil pour faire prévaloir le droit qu'avait son comté d'obtenir un pont. Ce dévouement chez un député n'est pas nouveau, mais le pousser jusqu'à ce point de sacrifice, c'est rare. Nous avons donc le chef réaction6.
Mais dans tout parti, s'il n'y a pas d'ambition apparente ou voilée, le parti nécessairement ne pourra progresser. J'en vois un - il n'est pas dans cette Chambre, il siège à la tête d'une grande municipalité; son nom, pendant quelque temps, vola, oui, vola de bouche en bouche - il devait sur son passage dans Québec tout révolutionner, puis un jour, ce sont ses amis qui le disaient et il le crut, après avoir planté son drapeau sur la vieille forteresse de Québec; il devait, paladin nouveau, s'emparer des collines de Bytown. Mécontent du résultat, ce grand incompris, qui ne manquait pas de talent, ajoutons-le pour être juste, s'est trouvé le lendemain du 24 août dans une situation où il ne pouvait pas exercer une option qu'il avait prise sur une résidence de la Grande-Allée, à Québec, près de la maison du premier ministre, et il manifeste maintenant de son amour de sa race, de son pays, de son parti, en traitant toute une province, de province corrompue. Je n'entends pas pour le moment, en dire plus long, il demeure ce qu'il a toujours été, ce qu'il est, le chef ambition7.
(Rires du côté ministériel)
Un autre, celui-là, modeste, simple, inoffensif, doux, incapable de faire mal à qui que ce soit, répondant si bien à la définition que je vais vous lire, que donne Todd, d'un chef de l'opposition:
"Tout comme une opposition légitime constitue le vrai contrepoids de la Constitution, le leadership du gouvernement se reflète comme il convient dans un leadership de l'opposition qui mobilise et contrôle les forces du parti de l'opposition. Sans chefs efficaces, aucun parti ne peut connaître le succès ou être complet.
"Un chef de l'opposition est habituellement choisi selon des considérations personnelles et pour les qualités qui font de lui l'homme le plus apte à être désigné pour diriger l'État ou, en tout cas, pour exercer le leadership de la Chambre à laquelle il siège, au cas où le premier ministre ferait partie de l'autre Chambre, lorsque son parti arrive au pouvoir. Entre-temps, il doit être capable de gagner l'appui de ses partisans grâce à ses conseils judicieux et à son empressement à agir. Comme l'a dit Lord Bolingbrooke: "les gens suivront comme des chiens de meute l'homme qui leur montrera le gibier, mais un chef politique doit être prudent et énergique."
Remarquez les deux derniers mots, M. l'Orateur: "Prudent et énergique". D'ailleurs qui de nous ne l'a pas envié, lorsque sa méditation au cours de la séance de jeudi, par un effet d'acoustique merveilleuse arriva jusqu'à nous. Son énergie, sa volonté, l'affirmation de ses principes, sa combativité lui méritent bien le titre de chef exécution8.
Pauvre vieux et bon Parti conservateur, dans quelle position s'est-il mis et combien il doit regretter aujourd'hui de s'y être mis. Pourtant, regardant le passé, il a droit d'être encore fier de ses grands hommes et même de certaines législations qui ne déparent pas la nôtre. Il aura appris à ses dépens ce qu'il en coûte à un groupe d'hommes, qu'il s'appelle parti, société ou association, d'abandonner les traditions pour accepter les réactions.
M. l'Orateur, tout le monde, à juste titre, depuis bientôt six mois, ne parle que de crise. Où que nous allions, bureaux, salons, clubs, la crise! Où que nous marchions, terrasses, rues, la crise! Où que nous passions, le premier mot que l'on se dit: la crise! Et pourtant quand l'on parle d'elle, où que l'on se trouve, une réflexion, toujours la même, est faite: Québec est peut-être, du monde entier, l'endroit où la crise se fait le moins sentir. J'entends par là, désireux que je suis de ne pas amenuiser les ennuis, même les souffrances que l'on y endure, qu'elle entraîne avec elle, moins de mécontentement, de murmures et de violence que partout ailleurs. S'est-on suffisamment demandé à quoi cela tient?
Je répondrai que si les moments difficiles que nous traversons n'ont pas empêché le calme et la modération de régner dans notre province, c'est que l'éducation familiale continuée par l'instruction de l'école, poursuivie par l'enseignement de la chaire, a fait de nous un peuple capable d'accepter, après les années de prospérité, les années mauvaises, avec courage.
D'ailleurs notre peuple n'ignore pas que presque toutes les décades voient déferler sur le monde, une crise d'une nature quelconque. Ce qui rend celle-ci plus grave, c'est que tous les pays sont atteints en même temps. Je n'entends pas poser à l'économiste, pas plus qu'au moraliste. Durant les crises passées, les peuples ont réfléchi comme ils réfléchissent maintenant, ont décidé de rétablir les bases de leur vie sur des données nouvelles, ont consenti à considérer que l'argent n'est pas la source infinie du bonheur, mais la crise passée, ils se sont tous rués à l'assaut de l'argent.
Quel est celui aujourd'hui qui ne réalise pas que si l'argent est utile, que s'il est même nécessaire dans l'agencement des forces économiques, nationales et politiques, il n'est pas suffisant, à cause de son caractère qui ne revêt aucune permanence, à assurer le bonheur national. Il peut bien donner une prospérité qui nous plaise et nous endorme, mais il ne donnera jamais au peuple le contentement que lui donnera une instruction complète. Voilà la source, l'unique source, si je peux dire, du bonheur, car dans cette instruction, je ne manque pas d'allier l'éducation religieuse nécessaire.
J'ai dit souvent, voulez-vous souffrir, M. l'Orateur, que je le répète, que le malheur est aussi nécessaire aux peuples que la souffrance à l'individu. Trop heureux, les uns comme les autres n'ont pas le temps de s'arrêter et de réfléchir. Poursuivant leur route dans une course effrénée, ils n'ont pas le temps de regarder, d'observer, de penser. Nous sommes à un point d'arrêt, arrêt temporaire; il ne peut en être autrement dans un pays comme le nôtre où la Providence a semé les richesses les plus abondantes. Recueillons-nous donc un peu, pensons-y et réfléchissons beaucoup.
Et puisque le malheur rend meilleur, puisqu'il fait réfléchir et que la réflexion dictera à tout homme comme à tout peuple, que lorsqu'il disparaîtra, son souvenir vivra qu'autant qu'il aura été bon et que sa bonté se sera traduite par de la charité, regardons autour de nous ceux qui, dans ces moments que nous traversons, ont le plus besoin de nous. L'ouvrier sans travail fort, vigoureux, qui ne veut pas, on l'a dit souvent, la charité, mais qui désire que sa force physique ne demeure pas inactive et qu'elle se traduise en des heures de travail et en des jours de paie, mérite certes la sollicitude des gouvernements et des individus. Mais je pense à une classe de notre société, à celle-là qui, pour notre province, a fait le plus beau geste, celle-là qui n'a jamais démérité de nous, celle-là à qui nous disons encore et toujours que c'est sur elle que nous comptons, les mères canadiennes.
Je pense dans le moment, aux femmes d'ouvriers, chômeurs, pauvres, vivant quelques-unes dans des taudis et cependant se préparant à faire pour le pays, le geste le plus beau qui soit, l'offrande d'un enfant. Je pense à l'angoisse de cette mère de demain qui, tous les soirs voit revenir son homme à la maison, les traits tirés, le front assombri, les yeux mouillés, et qui, désireuse de ne pas aviver le mécontentement qu'elle perçoit, dans un silence magnifique, se contente de souffrir pour trois.
N'est-ce pas le devoir de la société, elle qui veut une perpétuité et qui ne le peut pas sans l'apport nouveau de ces forces nouvelles, de se pencher plus que jamais sur les berceaux qui attendent. N'est-ce pas son devoir aussi, elle qui se penche avec commisération et bonté sur les malades, les orphelins, les vieillards, de se pencher plus bas encore sur ces femmes mal nourries, mal vêtues, mal chauffées, mal logées, dont le physique se détériore en même temps que se détériore le physique de celui qui va naître.
Certes j'admets, M. l'Orateur, que voilà des remarques qui seraient plutôt du cadre d'une conférence, mais s'il est un endroit où l'on doive penser tout haut et dire les vérités, si cruelles soient-elles, qui puissent toutefois réconforter surtout en ce moment, n'est-ce pas ici? Je ne fais d'ailleurs que suivre l'exemple magnifique de mon chef qui s'adressait, il n'y a pas longtemps, à la charité privée, pour venir en aide à la pauvreté cachée, en m'adressant aux femmes de notre province, qui elles, dans ces moments pénibles connaissent le luxe et l'aisance, les attentions les plus délicates, les mets les meilleurs et les soins les plus compétents. Je m'adresse à celles qui ont connu les angoisses de la maternité, pour qu'aujourd'hui elles se rallient au mouvement qui se déclenchera dans Québec, pour venir en aide aux femmes des chômeurs qui demain seront mères.
Voilà, il me semble, une oeuvre digne de retenir l'attention de toutes les classes de notre société, le clergé, les laïques et les politiciens.
Ajouterais-je une pensée, celle-ci: qu'au point de vue strictement matériel, laissant de côté toute sentimentalité, le soin que l'on donne à la femme avant qu'elle soit mère, prépare des enfants sains, robustes, forts et vigoureux, qui, honnêtes et bons citoyens, ne seront jamais une charge pour la société, tandis que l'enfant qui naît dans des conditions mauvaises, rachitique, scrofuleux, est la proie facile de la tuberculose ou de tout autre maladie qui un jour ou l'autre en fait un sujet d'hôpital et une charge pour l'État.
Je ne veux pas continuer à développer ce côté matériel, ce serait, il me semble, déparer une pensée généreuse de ce qu'elle a de meilleur, le sentiment.
Vous voulez, M. le Premier Ministre, et avec combien de raison, que dans Québec on ne se laisse pas attirer par des doctrines nouvelles, qu'elles s'appellent communisme, qu'elles s'appellent bolchévisme. Vous voulez que le citoyen de Québec reste l'honnête, l'intègre, le patriotique citoyen qu'il est. Vous voulez que pacifique, modéré, et pondéré, il continue à être l'actif qu'il est aujourd'hui. Vous voulez, en un mot, que règne chez nous la paix. M. l'Orateur, rien ne peut assurer ce désir du premier ministre, mieux, que de contrebalancer ou compenser l'apparente indifférence du capital vis-à-vis le chef de famille que par une attention bienveillante et douce vis-à-vis sa compagne.
L'homme de chez nous comme d'ailleurs, je veux bien le croire, est sensible à la bienveillance que l'on montre à sa compagne dans les moments difficiles de la vie. Il y voit plus que de la charité, plus que de la philanthropie, il y voit un geste patriotique auquel il s'associe. Que voulez-vous, le patriotisme des humbles est simple, et combien souvent, j'ai entendu moi-même des hommes de la campagne et de la ville, me dire avec fierté: Je suis un bon patriote, j'ai cinq, j'ai six ou j'ai sept enfants. Et bien, si leur patriotisme consiste parfois à répondre à notre appel et à donner à la patrie des enfants, respectons ce patriotisme en respectant la source.
Voilà, M. l'Orateur, ce qu'aujourd'hui j'ai cru devoir vous dire. Quand bien même, des idées que j'ai pu énoncer, une seule pénétrerait les coeurs, les ferait compatir davantage, je serai satisfait. Le moment est venu et je m'adresse ici au chef de l'opposition et à ses collègues, tout autant que je m'adresse à nos amis de la droite, de nous unir dans une coopération qui nous aidera à sortir des difficultés que nous traversons, par leur étude sérieuse et dépouillée de tout parti pris. Nous vaincrons l'obstacle qui nous arrête, à force d'énergie et de volonté. Nous reprendrons notre marche en avant, grâce à l'acceptation de cette vérité que c'est par l'union, la paix et la réflexion que se prépare la prospérité d'un peuple.
Il n'y pas place ici pour un pessimisme délétère et dissolvant; tout nous invite au contraire à conserver cette force qui constitue le courage éclairé d'un sain et raisonné optimisme. Qui ne se souvient du mot de Cervantes, "Perdre son argent c'est quelque chose, perdre un ami c'est beaucoup, perdre courage c'est tout perdre."
Et bien, je suis un optimiste quand je regarde l'immense territoire de ma province. Je suis un optimiste lorsque je juge la population de ma province. Je suis un optimiste quand je constate la calme campagne des ouvriers de ma province. Je suis un optimiste quand je vois l'énergique confiance du cultivateur dans ma province. Je suis un optimiste quand s'affirme devant moi l'union de toutes les classes de ma province. Je suis un optimiste enfin quand je sais que chacun de nous, regardant l'avenir, peut sans témérité répéter le vers de Racine: "Je crains Dieu cher Abner et n'ai point d'autre crainte".
(Une longue ovation souligne le discours du député de Terrebonne (l'honorable M. David). Des mains se tendent vers lui pour le féliciter, mais le secrétaire provincial quitte la Chambre tout de suite après avoir parlé.)
M. l'Orateur proclame la motion sur l'adresse adoptée.
Nomination de Irénée Vautrin comme président des comités
généraux de la Chambre et Orateur suppléant
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): J'ai l'honneur de proposer, secondé par le représentant de Châteauguay (l'honorable M. Mercier fils), que M. Irénée Vautrin, député de Saint-Jacques, soit élu Vice-président de cette Chambre.
Adopté.
Subsides
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose, appuyé par le représentant de Châteauguay (l'honorable M. Mercier fils), qu'à la prochaine séance, cette Chambre se forme en comité pour prendre en considération les subsides à accorder à Sa Majesté.
Adopté.
Voies et moyens
L'honorable M. Taschereau (Montmorency) propose, appuyé par le représentant de Châteauguay (l'honorable M. Mercier fils), qu'à la prochaine séance, cette Chambre se forme en comité pour prendre en considération les voies et moyens de payer les subsides à accorder à Sa Majesté.
Adopté.
Comptes publics
M. Gault (Montréal-Saint-Georges) s'informe auprès du premier ministre de la date à laquelle les comptes publics seront prêts.
L'honorable M. Taschereau (Montmorency): Ce ne sera pas long. Je pense que la version française est disponible. Bien sûr, je présume que le chef de l'opposition est versé dans les deux langues.
M. Gault (Montréal-Saint-Georges) réplique en souriant qu'il aimerait savoir s'il y a des différences entre les deux versions.
(Rires des députés)
Dépôt de documents:
Rapport du ministre des Mines
L'honorable M. Perrault (Arthabaska) dépose sur le bureau de la Chambre le rapport du ministre des Mines de la province de Québec pour l'année fiscale 1930-1931. (Document de la session no 24)
La séance est levée à 5 h 30.
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NOTES
1. M. Oscar-Jules Morin, sous-ministre au ministère des Affaires municipales.
2. The Gazette du 12 novembre 1931, à la page 2, écrit $400,000,000 et conclut que 2 % de ce montant donne $4,000,000. Compte tenu de cette erreur, nous nous en tenons au texte du Devoir.
3. The Gazette du 12 novembre 1931, à la page 2, fait dire à M. Duplessis que le pont de l'Île d'Orléans coûterait au total $7,000,000. C'est le seul journal qui avance une somme semblable.
4. Monsieur Charles-Joseph Simard fut pendant dix ans sous-ministre au secrétariat de la province de Québec, et ce, sous la gouverne du député de Terrebonne (l'honorable M. David).
5. Allusion au député de Trois-Rivières (M. Duplessis)
6. Allusion au député de Hull (M. Guertin). L'Événement du 12 novembre 1931, à la page 14, signale qu'à ce moment M. Guertin, qui était absent, réapparaît.
7. Allusion à M. Camillien Houde.
8. Allusion au député de Montréal-Saint-Georges (M. Gault), chef temporaire de l'opposition.