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Version finale

14e législature, 2e session
(4 décembre 1917 au 9 février 1918)

Le jeudi 17 janvier 1918

Ces débats, reconstitués principalement à partir des comptes rendus des médias de l’époque, ne constituent pas un journal officiel des débats de l’Assemblée législative.

Présidence de l'honorable A. Galipeault

La séance est ouverte à 3 heures.

M. l'Orateur: À l'ordre, Messieurs! Que les portes soient ouvertes!

 

Lecture de pétitions:

Conformément à l'ordre du jour, la pétition suivante est lue et reçue:

- la pétition de Ernest Edward Fairman, demandant l'adoption d'une loi, ratifiant le titre à une partie indivise du lot numéro 177 de la paroisse de Montréal, et certains lots de subdivision de cette même partie (M. Ashby).

 

Rapports de comités:

M. Francoeur (Lotbinière): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le huitième rapport du comité permanent des bills privés en général. Voici le rapport:

Votre comité a décidé de rapporter, sans amendement, le bill suivant:

- bill 59 constituant en corporation la municipalité de la paroisse de Charette.

Et, avec des amendements, le bill suivant:

- bill 85 amendant la charte de la ville de Joliette.

M. Godbout (Beauce): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le onzième rapport du comité permanent des règlements. Voici le rapport:

Votre comité est d'opinion que la pétition et l'avis sont réguliers et suffisants et que le bill est régulier et conforme à la pétition et à l'avis dans chacun des cas ci-après:

- des exécuteurs testamentaires et fidéicommissaires de feu l'honorable Joseph Masson, demandant l'adoption d'une loi relative à la nomination des exécuteurs testamentaires et fidéicommissaires de cette succession;

- de la Compagnie hydraulique Saint-François, demandant l'adoption d'une loi amendant sa charte.

L'honorable M. Gouin (Portneuf): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le septième rapport du comité permanent des bills publics en général. Voici le rapport:

Votre comité a décidé de rapporter, avec des amendements, les bills suivants:

- bill 57 concernant la succession de feu Éloi Ouimet;

- bill 104 Loi amendant la loi 7 George V, chapitre 28, concernant la Commission des écoles catholiques de Montréal.

Et, sans amendement, les bills suivants:

- bill 80 autorisant la vente des immeubles appartenant aux successions de feu Frederick Thomas Judah et de son épouse feue dame Sarah Caine;

- bill 89 concernant la société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et la société Saint-Jean-Baptiste (Caisse nationale d'économie).

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): J'ai l'honneur de présenter à la Chambre le troisième rapport du comité permanent d'agriculture, d'immigration et de colonisation. Voici le rapport:

Votre comité a siégé et dressé une liste des témoins qu'il désire entendre et s'est ajourné au 18 courant à 10 heures du matin.

Succession Joseph Masson

M. Achim (Labelle) demande la permission de présenter le bill 116 concernant la succession de feu l'honorable M. Joseph Masson.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

Compagnie hydraulique de Saint-François

M. Godbout (Beauce) demande la permission de présenter le bill 67 amendant la loi constituant en corporation la Compagnie hydraulique de Saint-François.

Accordé. Le bill est lu une première fois.

 

Questions et réponses:

École ménagère de Roberval

M. Sauvé (Deux-Montagnes): 1. En quelle année l'école ménagère de Roberval a-t-elle été fondée?

2. Combien de ses élèves ont été diplômées pour l'enseignement ménager?

3. Combien sont employées à l'enseignement ménager?

4. Dans quelles institutions enseignent-elles?

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): 1. 1er août 1882.

2. Aucune. L'école ne donnait pas de diplôme d'enseignement ménager.

3 et 4. Le département l'ignore.

Sociétés coopératives d'éleveurs de moutons et de producteurs de laine

M. Sauvé (Deux-Montagnes): 1. Combien y a-t-il de sociétés coopératives d'éleveurs de moutons et de producteurs de laine dans notre province?

2. Dans quelles parties de la province opèrent ces sociétés?

3. Ont-elles fourni des rapports de leurs opérations en 1917?

4. Quel est le résultat de leurs opérations?

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): 1. 10, dont quatre sont incorporées suivant les lois du département de l'agriculture.

2. Dans les comtés de Richmond, Compton, Sherbrooke, et Mégantic, (incorporées).

Dans les comtés de Pontiac, Stanstead, Argenteuil, Ottawa; dans les districts de Bedford et de Beauharnois, (non incorporées).

3. Une seulement.

4. Très satisfaisant. Uniformité dans la classification de la laine et dans la préparation pour le marché. Plus hauts prix obtenus sur le marché, variant entre 52¼ et 56¼ centins la livre.

Sociétés d'agriculture et cercles agricoles

M. Sauvé (Deux-Montagnes): 1. Est-il vrai que le mot d'ordre a été donné aux écoles d'agriculture, aux agronomes, aux conférenciers et instructeurs d'accorder une attention spéciale aux sociétés d'agriculture et aux cercles agricoles, d'assister à leurs assemblées, de coopérer avec eux, de suivre les expositions?

2. Dans l'affirmative, quand et par qui ce mot d'ordre a-t-il été donné?

3. Ce mot d'ordre a-t-il été suivi?

4. Comment?

L'honorable M. Caron (Îles-de-la-Madeleine): 1. Oui.

2. Par les officiers du département de l'Agriculture, d'après les instructions du ministre, et cela depuis au-delà d'un an.

3. Oui.

4. En rapportant une attention spéciale aux sociétés d'agriculture et aux cercles agricoles, en assistant à leurs assemblées, en coopérant avec eux et en suivant, autant que possible, leurs expositions.

Corporations scolaires et usage de Mon premier livre

M. Sauvé (Deux-Montagnes): 1. Combien y a-t-il de corporations scolaires dans la province de Québec?

2. Combien de commissions scolaires ont ordonné l'usage de Mon premier livre dans leurs écoles respectives?

L'honorable M. Décarie (Maisonneuve): 1. 1691, dont 1319 catholiques et 352 protestantes.

2. 1061.

Écoles modèles

M. Sauvé (Deux-Montagnes): 1. Combien d'écoles modèles dans la province de Québec?

2. Combien de villages de la province de Québec n'ont pas d'écoles modèles?

L'honorable M. Décarie (Maisonneuve): 1. 738.

2. 28 villages de la province de Québec n'ont pas d'écoles modèles ou d'académies.

Nombre de comtés et d'académies

M. Sauvé (Deux-Montagnes): Combien y a-t-il de comtés dans la province de Québec pour la Législature?

2. Combien de comtés dans la province de Québec n'ont pas d'académies?

L'honorable M. Décarie (Maisonneuve): 1. 81 collèges électoraux.

2. Un seul collège électoral n'a pas d'académie.

Inspecteurs d'écoles

M. Sauvé (Deux-Montagnes): 1. Combien y a-t-il d'inspecteurs d'écoles dans la province?

2. Combien chacun de ces inspecteurs a-t-il d'écoles à visiter durant l'année?

3. Combien d'élèves en moyenne dans chaque district?

L'honorable M. Décarie (Maisonneuve): 1. 54, dont 44 catholiques et 10 protestants.

2. La réponse à cette question se trouve aux pages 284 à 293 du rapport du surintendant de l'Instruction publique, pour l'année 1916-17.

3. Pour les catholiques, 8280; pour les protestants, 5372.

Motion Francoeur sur la rupture du pacte fédératif de 1867

M. Francoeur (Lotbinière) propose, appuyé par le représentant de Dorchester (M. Ouellet): Que cette Chambre est d'avis que la province de Québec serait disposée à accepter la rupture du pacte fédératif de 1867 si, dans les autres provinces, on croit qu'elle est un obstacle à l'union, au progrès et au développement du Canada.

Monsieur le Président1, la motion que cette Chambre est appelée à étudier mérite, je crois, une attention spéciale. Depuis que j'en ai donné avis, la presse et un grand nombre de personnes l'ont discutée. Inutile de dire qu'elle a été diversement appréciée. Elle a provoqué des expressions d'opinion tantôt favorables, tantôt défavorables, mais toutes, généralement, intéressantes à analyser. Ces opinions révèlent à différents degrés une mentalité inquiète, soucieuse de l'avenir, où, en même temps que s'affirme la fidélité à des idées, des principes, des passions et même des préjugés, perce et domine le sentiment très net qu'il y a quelque chose de changé dans notre vie nationale, qu'une situation grave existe, qu'un nouveau problème est posé dont l'étude en vue d'une solution définitive s'impose. Les uns admettent l'existence de ce problème et veulent l'aborder résolument sans retard; les autres ne le nient pas, mais préfèrent en ajourner l'étude, croyant sans doute que le temps viendra à notre secours. Les premiers, dans mon opinion, ont raison, mais je n'ai pas l'intention de décréter que les seconds ont tort. Je suis de ceux qui croient qu'il faut faire face à la situation immédiatement et régler le problème une fois pour toutes. Je tiens trop à ma liberté d'opinion pour ne pas respecter celle des autres: aussi bien, au cours des remarques que j'aurai l'honneur de soumettre à l'appréciation de cette Chambre, je désire discuter avec la plus grande réserve possible, évitant de me laisser emporter par les passions ou les préjugés, n'écoutant si possible que la voix de la raison et du bon sens. Qu'il me soit permis de déclarer dès maintenant que ce n'est pas le dépit ni l'amertume de la récente défaite de mon parti qui m'a inspiré l'idée de présenter cette résolution. On voudra bien me concéder des motifs plus élevés et qu'une notion plus exacte de ma responsabilité m'a servi de guide. Le Parti libéral, fût-il sorti victorieux des urnes électorales le 17 décembre dernier, que j'aurais agi de même. Outre sa signification intrinsèque, cette motion n'est pas une plainte contre le résultat de cette élection, mais bien une protestation contre la campagne d'injures, de faussetés et de calomnies dont la province de Québec souffre surtout depuis quelques années et dont il (le résultat de l'élection) a été l'aboutissant.

Je ne m'attarderai pas à examiner toutes les entrevues ou opinions que l'on a données touchant cette motion depuis son inscription à l'ordre du jour de cette Chambre. Il faut, toutefois, en souligner quelques-unes au cas où elles auraient pu créer en certains quartiers une fausse impression.

Let us cite the greatest2. Je commencerai par Sir Georges Garneau. Le journal La Presse de Montréal lui a fait dire d'abord: "Je n'ai pas eu le temps de réfléchir beaucoup à cette résolution que je viens de lire, etc". Et aussitôt, décrétant qu'elle est inopportune, il se lance dans des considérations sur les récentes élections, "la bonne entente", etc. M. Garneau s'est évidemment dit: "Parlons d'abord et nous réfléchirons ensuite". Il a cru que le fait de présenter cette motion devant la Chambre entraînerait immédiatement la rupture du pacte fédératif; séparé des autres provinces, son rôle de pacificateur devenait inutile. Que M. Garneau se rassure: nous ne voulons pas lui enlever ses dernières illusions, à moins que l'avis charitablement signifié par le sénateur Choquette ne l'ait ramené définitivement au sens de la réalité.

L'opinion d'un autre homme d'État, médecin distingué et spécialiste remarqué, professeur à Laval et échevin de Québec, mérite une mention spéciale. Le docteur Dussault, dans un langage d'une concision remarquable et d'un bilinguisme épuré, résume toute sa pensée, lourde d'aperçus lointains, par ces deux mots: "C'est tough". C'est clair, n'est-ce pas. Quel doigté. C'est le coup de scalpel habile qui brise la membrane et rend à l'oeil sa vision et sa beauté! Inutile d'insister davantage.

Un autre homme d'État, mais de date plus fraîche, avocat et professeur lui aussi à Laval, étale dans son organe L'Événement, avec ses traits sympathiques, une opinion non moins remarquable; M. Ferdinand Roy est sorti de sa retraite où il caressait les muses avec son "Appel aux armes et la réponse canadienne-française". On sait que dans cette oeuvre, où la deuxième édition essaie d'expliquer la première, et où la troisième ne réussit pas à expliquer les deux autres, l'auteur, au coin du feu, en pantoufles et en robe de chambre, dicte à ses compatriotes la conduite à tenir vis-à-vis la conscription. Confortablement installé, il les supplie d'aller, sans regimber, dans les tranchées, défendre la France et l'Angleterre menacées et contribuer ainsi à sauver la liberté et la civilisation en péril. Depuis cette publication, surtout remarquable par son appendice, et à laquelle on a fait un accueil silencieux, M. Roy est retourné à "ses habitudes d'insouciances", se remettant sans doute à l'étude des lettres, comprenant que cette culture est toujours profitable. On reste convaincu en lisant son entrevue qu'il a dû travailler beaucoup. C'est une improvisation qui sent bien un peu l'huile, mais décèle un réel progrès chez l'homme d'État et le guerrier. Résumons, si possible, sa pensée: le député de Lotbinière n'est pas sérieux: c'est un "farceur" un "pince sans rire" qui pour s'amuser, veut se payer la tête des Anglais.

On a toujours tort de jouer avec des armes chargées, dit-il. Il en connaît quelque chose. Il ajoute: "La rafale des élections a peut-être fait geindre quelques fenêtres de la maison où nous logeons et qui n'est pas, c'est certain, un "home" confortable, mais il ne semble pas que cette rafale ait ouvert aucune porte de la Confédération par où, en ce temps de guerre, il serait bon ou opportun de nous voir sortir. Il faut savoir attendre et prendre garde, en voulant saisir l'occasion aux cheveux, d'empoigner des perruques." Que n'a-t-il lui-même suivi ce conseil? Il n'aurait pas écrit son chant de guerre dans lequel, pourtant, l'on trouve la réfutation même de ce qu'il vient d'avancer... Il semble l'avoir oublié. Il est donc permis de se demander quel est le plus farceur des deux: le Roy de l'"Appel aux armes" ou bien celui de l'entrevue sur la motion. S'il m'était permis d'être malin, je dirais que ce trait singulier apparaît dans les deux productions. Voyons un peu: à la page 7, 3ième édition de sa brochure, nous trouvons, au titre "Les causes", ces lignes: "La haine de race et la politique nous ont fait tout ce mal. À la faveur de la guerre européenne, les Anglais du Canada - et une fois pour toutes j'entends par là non pas les esprits élevés qui sont nombreux parmi eux, mais tous les autres - les Anglais ont accentué sans pudeur leur lutte anti-française, etc." A la page 8, sous le même titre, je lis: "Notre Confédération qui avait tout de suite fait des pas de géant vers son épanouissement en pays libre de faire et de vivre sa vie propre s'est bientôt vu fondre dans le grand tout qu'est l'Empire britannique, y perdre toute sa personnalité... La même voracité qui en Angleterre nous volait jusqu'à notre nom de Canadien nous la retrouvons ici même sous ces impérialistes nains qui en attendant que l'Empire ait absorbé ses colonies voulaient anéantir tout ce qui a caractère français."

À la page 9: "La guerre de race qu'on nous faisait depuis toujours sourdement, on la déclarait, on la prévenait, on démasquait toutes les batteries. Pendant que nous allions aider à éteindre l'incendie qui fait rage en Europe on mettait le feu à notre maison." Puis, aux pages 24 et 22, sous le titre "Notre devoir", il continue: "Et d'abord que nous devions pratiquer l'égoïsme sacré et, comme peuple, chercher notre bien avant celui des autres, je n'y contredis pas; et je pousserais au besoin ce principe juqu'à cette conséquence-ci: nous devons chercher notre bien et travailler à notre bonheur à nous, nation canadienne-française, d'abord, avant de poursuivre la chimère d'un bonheur collectif de la "nation" canadienne ou anglo-française qui a ce tort radical de ne pas être une nation. Est-ce que les deux familles qui se partagent en maugréant le Canada ont le même idéal, les mêmes origines, les mêmes moeurs? On sait bien que nous sommes de simples associés s'entendant mal entre eux, que retient seule la lettre du contrat qui les lie, et que la faillite de la "firme", imminente depuis trois ans, n'avait pas besoin pour être reconnue d'être officiellement constatée comme elle l'a été au cinquantenaire de la Confédération." À la page 24, M. Roy se demande "Que devons-nous à la Confédération". Et il répond: "D'être des dupes. Que devons-nous à cette fille de la France qui est notre province? D'avoir dans le coeur et de traduire en acte sa devise: Je me souviens, de conserver intact le patrimoine hérité et n'en pas laisser échapper l'honneur." Enfin, à la page 30, l'auteur nous dit: "Nos adversaires anglais pousseront plus loin que jamais les luttes de la rivalité jusqu'aux atrocités; n'est-il pas question de représailles et de faire perdre à notre province son rang dans la Confédération? Notre constitution, n'est-il pas question de la changer pour restreindre son autonomie?"

Tout cela est écrit au mois de juillet 1917 et l'entrevue date du 27 décembre de la même année. Si, au mois de juillet, la Confédération est fondue dans le grand empire et a perdu sa personnalité, si on a mis "le feu dans la maison", si la "firme" a fait faillite, et la Confédération fait de nous des "dupes", si nos adversaires ont poussé les "luttes de la rivalité jusqu'aux atrocités", si on menace de faire perdre à notre province son rang dans la Confédération et même de changer la constitution "pour restreindre notre autonomie", il est bien difficile d'admettre, quatre mois après, qu'il n'y a que quelques fenêtres d'ébranlées, qu'il n'est pas sérieux d'étudier cette situation et qu'en voulant y remédier on risque "d'empoigner des perruques" et de manquer l'essentiel.

N'y a-t-il pas là contradiction flagrante? Et si M. Roy avait pris la peine de lire la résolution qui vous est maintenant soumise, il n'aurait pas, je crois, traité cette question aussi légèrement. Évidemment, M. Roy, comme tout le monde, avait oublié sa brochure. Il est trop modeste. Il ne m'en voudra pas, j'espère, de l'avoir exhumée pour quelques instants de l'oubli. S'il m'était permis toutefois de lui donner un conseil je lui dirais: "Si vous écrivez des brochures, ne donnez pas d'entrevues".

Non, M. l'Orateur, cette motion n'est pas une farce, même si M. Roy l'a nommée ainsi, et la preuve, c'est que la presse en général l'a discutée très sérieusement. De toutes les parties de la province et même d'Ontario il m'est parvenu des adhésions importantes.

Il m'est impossible de les livrer pour le moment à la publicité. Le Star de Montréal feint de n'y attacher aucune importance, venant, comme il le dit, d'un "country member". Eh bien, M. l'Orateur, si ce journal a voulu me faire de la peine en me désignant de la sorte, il s'est trompé. S'il est un titre dont je m'honore et dont je suis fier c'est d'être un député de la campagne. Si les rédacteurs du Star y séjournaient de temps à autres ils bénéficieraient d'une hygiène physique et intellectuelle dont leur organe se ressentirait avec avantage. La Gazette, au début, semble l'ignorer mais finit peu à peu par s'en occuper sérieusement.

Viennent ensuite les journaux torys comme L'Événement et autres organes de même valeur, courtisans aveugles du gouvernement au pouvoir qu'il croit menacé par cette simple résolution. En partisans outrés, ils ont vu aussitôt, dans ces quelques lignes, une manoeuvre oppositionniste dangereuse pour la sécurité de leurs maîtres; ils ont craint pour leur fromage et leur digestion en a été troublée. La peur en a bouleversé quelques-uns au point qu'ils ont oublié la résolution même pour s'attaquer à son auteur, l'injurier et lui prêter des motifs inavouables. Si nous ne connaissions pas le tarif de leurs convictions, il serait impossible d'expliquer leur attitude.

Était-il opportun de faire cette motion? Elle est, à mon avis, la résultante des discours, des écrits, des articles de journaux, de revues et de pamphlets faits et distribués contre la province de Québec depuis trois ans. Une campagne systématique a été entreprise qui a atteint le maximum de violence au cours de la dernière campagne électorale. Dès le début de la guerre, on a commencé, dans les provinces anglaises, surtout dans Ontario, à mettre notre loyauté en doute parce que le recrutement volontaire n'obtint pas ici le même succès qu'ailleurs, parce que les nôtres ne répondaient pas comme on l'aurait désiré à l'appel d'aller combattre, en pays lointains, pour la défense de la liberté et de la civilisation, il est vrai, mais sans connaître exactement les causes qui ont provoqué le conflit.

Cette campagne de faussetés, de sophismes, d'injures, de calomnies et de haine, menée contre notre province, est dirigée par des journaux comme le Toronto Star, le Daily Mail and Empire, le Toronto Globe, le Winnipeg Telegram, le Toronto Telegram, le Toronto News, l'Ottawa Journal, l'Evening Telegram, l'Evening News, Journal l'Union, le Manitoba Free Press, ce dernier poussant la violence si loin à notre endroit que son confrère le Regina Leader, dégoûté, finit par l'avertir charitablement d'abandonner ses tactiques diaboliques (devilish conduct). Ceux qui lisent le Star, la Gazette de Montréal, et le Chronicle et l'Événement de Québec, ont vu les reproductions de ces articles et même les caricatures où nous sommes représentés complotant avec le Kaiser, etc., etc.

Ces articles ont fait le tour de la presse française et anglaise du pays, des États-Unis et même du vieux continent. Il faut en souligner quelques-uns. À leur lecture l'évidence d'une conspiration pour ruiner la réputation de la province de Québec est manifeste. Dès 1914, le Puttingham, sous la signature de Orange Sentinel, conseille ni plus ni moins que la guerre civile:

"L'agitation bilinguiste doit être détruite. Il est temps que notre gouvernement cesse de badiner avec ces traîtres. Notre gouvernement doit chasser du territoire britannique les quelque quarante mille méchants moines et nonnes qui élèvent la jeunesse canadienne-française dans l'idée de rébellion contre l'Empire britannique. Il ne doit jamais y avoir de trêve avec Rome.

"Il nous faut l'écraser ou elle nous écrasera. Il faut nous préparer à la lutte imminente avec ces traîtres français: et le plus tôt nous commencerons la bataille, le mieux se sera pour notre dominion. La Grande-Bretagne doit régner en Canada comme elle règne sur les mers."

Plus loin, il écrit:

"Les Canadiens français n'ont pas de coeur pour la guerre. Ils sont un peuple paisible. Nous ne sommes pas surpris qu'ils n'aient pas de vocation militaire. Cela distingue les hommes d'initiative. Mais le clergé a détruit leur initiative... Le Canadien français ne pense jamais de lui-même. Dans toutes les circonstances importantes, il va demander à ses supérieurs ce qu'il doit faire. Il est réduit à la condition de machine humaine."

Le Kingston Standard écrit avec non moins d'ardeur:

"Les Canadiens français ont eu recours aux méthodes de traîtrise des Huns. Ils trouveront que l'Empire britannique ne souffre dans ses limites aucun imitateur des Huns. Le Toronto Telegram donne le conseil suivant aux soldats canadiens: "Les soldats canadiens et leurs amis ne doivent pas voter épaule à épaule avec les neutres racialistes de Québec et les Austro-Allemands d'Alberta et de la Saskatchewan qui haïssent l'Angleterre... La population de un million de la Nouvelle-Zélande est toute recrutable, en ce sens que la Nouvelle-Zélande est exclusivement britannique. Il n'en est pas ainsi du Canada dont 3,000,000 sur ses 8,000,000 sont des Français de Québec ou des Allemands-Autrichiens."

Le Toronto News continue sur le même ton:

"Nous croyons qu'il est vrai que les ecclésiastiques français s'opposent au recrutement dans le Québec. Ce ne sont pas seulement quelques curés qui sont hostiles. Ce sentiment s'étend des curés aux évêques, aux archevêques. On a fait certains appels dans le but de désarmer des critiques dans les communautés de langue anglaise, mais l'influence du clergé de Québec s'est exercée indiscutablement contre le recrutement. On nous dit que deux ou trois curés seuls, dans toute la province, favorisent la participation du Québec à la guerre et que, dans certains cas, on a menacé de peines spirituelles certains jeunes gens qui avaient fait part de leur désir de s'enrôler... Depuis que la guerre est commencée, ils ont tout simplement écrit un nouveau chapitre dans la vieille conspiration pour dominer le Canada. Le rêve de reconquérir et de dominer le Canada n'a jamais été abandonné. Ils ont mis la race au service de la religion et la religion au service de la race. Ils ont fait l'impossible pour conserver la langue française et pour empêcher l'expansion de l'anglais, sans s'occuper des entraves qu'ils pouvaient mettre à l'avancement de leur peuple. Ils dirigent leur immigration canadienne-française dans Ontario et les provinces de l'ouest. Partout ils cherchent les positions stratégiques et s'efforcent de consolider leur influence politique. Les extrémistes français se réjouissent de ce qu'un nombre considérable de bataillons partent des provinces anglaises pour traverser l'océan. Ils sont indifférents aux pertes et aux sacrifices des gens de langue anglaise. Ils n'y voient qu'une chose: c'est que, plus les provinces anglaises subiront de pertes et feront de sacrifices, plus Québec acquerra de force politique. Ils croient pouvoir ainsi se coaliser avec les Allemands et les Autrichiens."

Le 7 décembre 1917, le Winnipeg Telegram, parlant de la catastrophe d'Halifax, nous dit très aimablement: "Ça aurait dû être Québec. Au Québec, ça aurait été d'une valeur inestimable comme leçon pour ceux qui voient si peu le danger d'une issue malheureuse de cette guerre pour le Canada".

Toutes ces injures, toutes ces faussetés et ces calomnies sont condensées dans une affiche électorale publiée dans le journal The Union et reproduite dans l'Evening Telegram. C'est "The citizens' Union Committee", dont les quartiers généraux sont à Toronto, qui distribue cette publication sous le titre suivant: "Est-ce qu'un Québec uni dirigera tout le Canada?" Et comme sous-titre:

"Le Comité d'union des citoyens, inquiet pour le maintien des idéaux et des traditions britanniques, envisage avec appréhension la menace de la domination canadienne-française et l'influence inévitable qu'elle exerce au foyer, à l'école et dans l'État... Seul un gouvernement d'union peut sauver le Canada de la menace de la domination canadienne-française."

"Qui poignarde les soldats canadiens dans le dos? Les dirigeants déloyaux au Québec." "Encore le vieux rêve de l'indépendance française"... "Les agitateurs anti-britanniques attendent un Québec unanime dans le but de dominer les affaires de l'État canadien". "Les agitateurs anti-britanniques s'unissent à Laurier", etc. etc.

On nous dira peut-être, ces citations ne prouvent rien. Ces journaux ne reflètent que l'opinion de quelques fanatiques; personne n'ajoute foi à ces appels aux passions et aux préjugés. J'admets que s'il ne s'agissait que de cas isolés, si réellement ces écrits n'étaient que l'expression d'opinion d'un petit nombre de détraqués, nous n'y attacherions aucune importance. Mais cette même presse reproduit complaisamment des discours d'hommes publics qui, dans de grandes assemblées, n'ont pas la bouche assez grande pour expectorer, aux applaudissements de tous, ce que leur coeur distille de fielleux et de haineux contre tout ce qui est français et catholique. On n'a pas oublié les attaques virulentes de Hocken de Toronto, maintenant député au Parlement canadien, qui à une assemblée politique s'écrie: "Je vous dis que notre constitution n'a pas été faite par la race anglaise pour être brisée par les Français, mais pour être obéie par tous; et le temps est venu pour la race anglaise soit de se rendre ou soit de rester debout pour tout ce que nous chérissons. Et je ne pense pas qu'il soit dans le sang de cette race anglaise de s'allonger par terre devant une tâche de cette nature, quand ceux que nous aimons tant donnent leur vie pour nous."

Et que penser d'un Isaac Campbell, qui termine son discours dans Grace Church, en affirmant que Québec était "la peste du dominion". Mais, objectera-t-on encore, ces hommes ou d'autres de même mentalité ne représentent rien. Leurs discours n'expriment que leur opinion personnelle, ils n'ont aucun mandat pour représenter leurs compatriotes et parler en leur nom. Voulez-vous entendre quelqu'un de plus représentatif? Le chef non seulement d'un parti mais d'une province et même de toute une race. Pouvons-nous être aussi complaisants pour celui-ci, l'honorable M. Newton-W. Rowell, ministre dans le cabinet unioniste et président du conseil exécutif du pays? Il parle à North-Bay, le 6 décembre 1917, à une grande assemblée, le soir même que l'évêque Fallon lance son manifeste en faveur du gouvernement unioniste. Nous trouvons son discours reproduit dans le Globe du 7 décembre 1917.

L'honorable M. Rowell va-t-il répudier les écrits, les discours remplis d'erreurs et de calomnies que nous avons citées tantôt? Loin de là, il en reprend le thème, le développe et précise davantage. Écoutons-le:

"L'attitude actuelle de la province de Québec peut être causée par plusieurs facteurs. Sans aucun doute, l'agitation persistante menée par M. Bourassa et ses associés nationalistes contre la Grande Bretagne et la France et la participation du Canada à la guerre ont très fortement influencé les sentiments et l'attitude de la province de Québec. Et apparemment, la majorité des curés dans l'ensemble de la province partagent son attitude nationaliste, cléricale et réactionnaire. Dans cette attitude, ils ont été indubitablement encouragés et incités par les membres de leurs ordres religieux de France, qui ont trouvé asile au Canada et ont utilisé cet asile pour saper la force du Canada au combat. Il est malheureux qu'ils n'aient pas suivi l'exemple des prêtres de l'Église catholique de France qui se sont lancés dans la lutte de leur peuple pour préserver leur existence nationale et, par leur courage et leur sacrifice, se sont forgé une nouvelle place dans les coeurs et les sentiments du peuple français. On peut tout aussi bien confronter l'enjeu. Il y a un mouvement nationaliste, clérical et réactionnaire à l'oeuvre dans la province de Québec qui, aujourd'hui, domine la situation politique dans cette province, et utilise ce moment de grand péril national pour dominer la situation politique dans l'ensemble du dominion du Canada".

M. l'Orateur et Messieurs, ne croirait-on pas relire la prose mensongère et fielleuse du "Citizens' Union Committee?" Ce discours ne résume-t-il pas toute la pensée des détracteurs de la province de Québec et ne dévoile-t-il pas cette conspiration dont nous parlions il y a un instant? Restera-t-il un homme ici qui persistera encore à dire qu'il faut ignorer ces attaques et offrir encore nos deux joues à tous les soufflets? Le résultat des dernières élections démontre jusqu'à quel point ceux à qui on a fait semblables appels y ont répondu. Depuis lors, le ton n'a pas beaucoup changé, et c'est l'Evening Journal of Ottawa qui continue la campagne, se rappelant sans doute le discours de M. Rowell, en disant: "Il faut sauver Québec malgré lui, le conduire dans la bonne voie même si la force est nécessaire. C'est le verdict de lundi dernier et il ne faut pas permettre aux faux appels à l'unité nationale ou au faux rapprochement d'entraver l'application de ce verdict."

Messieurs de l'Assemblée législative, on le voit, la rage et la fureur les animent encore à notre endroit et unissent nos ennemis partout. Nous nous contenterons de leur répondre, avec un auteur célèbre: "La plupart des fureurs humaines ne sont que des souffrances inavouées et la bave que l'on crache aux autres vient d'une plaie dont on souffre soi-même..."

Et je vous demande, messieurs, pourquoi cette campagne contre la province de Québec? A-t-elle mérité qu'on la traite ainsi? Quel est en définitive le grand crime dont elle s'est rendue coupable? A-t-elle été réellement un obstacle à l'union, au progrès et au développement de ce pays?

Son seul crime, c'est d'avoir interprété autrement que ses concitoyens d'autre origine la constitution, c'est d'avoir dénoncé certains actes qui, d'après elle, non seulement ne contribuaient pas au succès de la guerre et au salut de l'Empire, mais en compromettaient plutôt l'issue de l'une et le développement de l'autre. C'est parce que ses habitants se sont montrés avant tout canadiens; parce qu'ils ont cru qu'il fallait d'abord développer ce pays dans l'intérêt même de l'Empire: que plus il sera prospère, plus il sera possible d'atteindre notre destinée: parce que surtout, avant d'accepter la conscription, ils ont demandé que le peuple fût consulté. Apparemment, ce sont là les causes de cette lutte contre nous, mais il y en a de plus profondes et de plus réelles.

Deux races supérieurement douées se partagent ce pays: la race anglaise et la race française. Depuis plus de cent cinquante ans, elles vivent et se développent l'une à côté de l'autre. Il y a eu, à certains moments du moins, collaboration intime pour établir entre elles une entente en vue d'atteindre l'idéal commun. Chacune dirigée par ses chefs a obtenu des succès appréciables qu'il serait futile de nier. Avec des mentalités différentes, en tenant compte de la nature humaine, de ses instincts et de la loi qui les régit, malgré les convoitises, les jalousies, les passions et les préjugés, nous avons pu vivre jusqu'à un certain degré dans une paix relative. Mais il faut bien l'avouer, il n'y a jamais eu pénétration. La différence de caractère est restée vive. Au reste, il n'en peut être autrement. Notre façon de penser et de sentir n'est pas la même que celle de nos compatriotes d'origines différentes; la langue, la croyance, les traditions ancestrales nous inspirant des moyens d'action différents et quelque fois opposés pour arriver au même but. De là, des conflits et des frictions.

La Confédération est un compromis auquel on est arrivé pour essayer de les faire disparaître, il y a cinquante ans. Dans l'esprit de ses auteurs, elle devait assurer le respect des droits, des institutions, de la langue et des croyances des minorités. Les provinces devaient conserver leur autonomie, et chacune, dans l'ardeur d'une émulation réciproque, cherchant à devenir le facteur du progrès commun, devait assurer la prospérité de tous. Et c'est ce que pensait Cartier lorsqu'il disait: "Il n'y a pas à craindre que l'on cherche jamais à priver une minorité de ses droits. Sous le système de la fédération qui laisse au gouvernement central le contrôle des grandes questions d'intérêt général auxquelles les différences de races sont étrangères, les droits de race ou de religion ne pourront pas être méconnus". C'est ce que croyait également Brown lorsque le 8 février, 1865, il disait: "Voici un peuple composé de deux races distinctes parlant des langues différentes, dont les institutions religieuses, sociales, municipales et d'éducations sont totalement différentes; dont les animosités de section à section étaient telles qu'elles ont rendu tout gouvernement presque impossible pendant plusieurs années; dont la constitution est si injuste au point de vue d'une section qu'elle justifie le recours à toutes espèces de moyens pour y remédier... Nous nous efforçons de régler pour toujours des différends à peine moins importants qui ont déchiré la république voisine et qui l'exposent aujourd'hui à toutes les horreurs de la guerre civile." Plus loin, avec une conviction réelle, il ajoutait: "aussi, lorsqu'il nous sera donné de voir la mesure actuelle votée - la justice faite aux deux provinces, tout le monde placé sur un pied d'égalité, les intérêts locaux abandonnés au contrôle de chaque localité et les dépenses locales supportées par chacun - est-ce qu'il n'en résultera pas pour tous un sentiment de sécurité et de stabilité que nous avons cessé depuis longtemps de connaître et dont nous n'aurions pu jouir dans l'état actuel des choses."

À ces hautes considérations en faveur de la Confédération, M. A.-A. Dorion opposait l'opinion suivante: "Comment peut-on espérer que le Bas-Canada puisse avoir une grande confiance dans le gouvernement général qui aura des pouvoirs si immenses sur les destinées de cette province? L'expérience démontre que les majorités sont toujours agressives et portées à être tyranniques et il ne peut pas en être autrement dans ce cas-ci... Je crains fortement que le jour où cette confédération sera adoptée ne soit un jour néfaste pour le Canada." M. J.-F. Perrault prévoit lui aussi des conflits:

"Nous nous trouverons complètement à la merci d'une majorité hostile; elle pourra nous supprimer, assimiler nos lois, suspendre nos juges, armer la milice contre nous et nous envoyer à l'échafaud ou en exil quand il lui plaira, malgré nos protestations et celles de la minorité canadienne-française dans le parlement fédéral." M. Taschereau, plus tard juge en chef de la Cour Suprême, terminait son discours sur cette grave question par ces paroles: "On s'apercevra bientôt que cette confédération sera la ruine de nos institutions. Nos descendants, au lieu de nous avoir de la reconnaissance pour ce que nous faisons aujourd'hui, diront que nous nous sommes gravement trompés et que nous avons fatalement erré en leur imposant cet acte néfaste." M. Joly, député de Lotbinière, craint qu'il n'y ait pas assez d'homogénéité parmi les protestants et les catholiques français, anglais et irlandais parlant deux langues différentes.

"Les liens les plus forts, dit-il, qui puissent réunir les citoyens d'un même État sont une même langue et une religion commune à tous. Nous n'avons ni l'une ni l'autre." Et il termine ainsi son superbe discours: "D'un point de vue comme de l'autre, je considère la mesure comme une erreur fatale; et, comme Canadien français, je fais encore une fois appel à mes compatriotes en leur rappelant qu'ils ont entre leurs mains un héritage précieux sanctifié par le sang de leurs pères et que c'est leur devoir de le transmettre intact à leurs enfants comme ils l'ont reçu." Nous pourrions continuer nos citations qui ont un intérêt considérable dans les circonstances.

Sommes-nous en position de dire maintenant, après cinquante ans, si c'est Cartier et les autres favorables à la Confédération qui ont eu raison, ou si ce sont Dorion, Perrault, Taschereau, Joly et autres? Ni en Europe ni en Amérique ni en aucun pays du monde on n'a pu rien fonder de durable en dehors de la liberté; les auteurs de la Confédération l'avaient compris: ils en ont tenu compte autant que faire se peut lorsqu'ils constituaient en une immense agglomération les différentes provinces du Canada, les associant sur un pied d'égalité, afin de poursuivre et d'atteindre dans le progrès et le développement d'une démocratie indépendante, unie à la couronne britannique, un même but, un même idéal! C'est bien ce que pensait Sir John-A. Macdonald lorsque, le 17 février 1890, répondant à Dalton McCarthy qui proposait l'abolition du français à la Législature du Nord-Ouest, il déclarait éloquemment:

"Je ne partage pas, dit-il, le désir exprimé dans certains quartiers qu'il faudrait, par un moyen quelconque, opprimer une langue ou la mettre sur un pied d'infériorité vis-à-vis d'une autre. Je crois qu'on n'y parviendrait pas si la chose était essayée et ce serait une folie ou malice si la chose était possible. La déclaration faite que le Canada est un pays conquis est une déclaration faite sans à-propos. Que le Canada ait été conquis ou cédé, nous avons une constitution en vertu de laquelle tous les sujets britanniques sont sur un pied d'égalité ayant des droits égaux en matière de langue, de religion, de propriété, et relativement à la personne. Il n'y a pas de race supérieure, il n'y a pas de race conquise ici. Nous sommes tous sujets britanniques et ceux qui ne sont pas d'origine anglaise ne sont pas moins sujets britanniques."

Avons-nous répondu aux voeux des Pères de la Confédération? La province de Québec en particulier a-t-elle respecté les engagements que comportait ce contrat d'association? Les devoirs et les obligations qu'il imposait, s'y est-elle dérobée ou les a-t-elle remplis? Nous pouvons, sans craindre d'être contredit, affirmer que nous n'avons reculé devant aucun devoir et que nous ne nous sommes soustraits à aucune responsabilité.

La liberté que l'on nous a accordée, nous en avons joui, mais en respectant celle des autres; notre autonomie, nous l'avons conservée et défendue sans jamais porter atteinte à celle des autres. Les droits de la minorité nous les avons respectés ici et nous avons exigé qu'ils le fussent ailleurs. Comme Brown l'avait exigé, nous avons voulu que tout le monde fût sur un pied d'égalité!

Aucune idée de domination n'est entrée dans nos revendications en faveur de l'usage de notre langue, du respect de nos droits reconnus par la constitution; aucun désir de conquête ne nous a animés dans nos aspirations. Toutes les luttes que nous avons faites avaient pour but la défense exclusive de ce que nous considérons être l'expression de la constitution. L'histoire impartiale rendra aux Canadiens français le témoignage qu'ils sont demeurés avant tout Canadiens! En certains quartiers, l'on ne peut pas comprendre cette mentalité. Si cette lutte continue, si au lieu de nous traiter comme des associés, on persiste à nous dénigrer, à nous considérer comme le fléau de la Confédération, un obstacle à l'union, au progrès et au développement du pays, cela ne peut aboutir qu'à un seul résultat: la rupture du pacte fédératif. Personne ne soutiendra sérieusement que si l'esprit de la Constitution n'est pas respecté, la lettre seule du contrat puisse suffire à maintenir l'association. Nos compatriotes d'Ontario, depuis la présentation de cette motion, nous demandent d'oublier la lutte qu'ils nous ont faite et de nous unir pour atteindre nos destinées.

Pour réaliser cette union des races, nous sommes allés juqu'à la limite extrême de la conciliation et des concessions; nous avons même, quelquefois, fait des sacrifices au détriment de nos droits acquis et de notre fierté comme race. On ne nous en a pas tenu compte. Au cours des vingt-cinq dernières années surtout, nous avons tout tenté de bonne foi, sans arrière-pensée, pour obtenir cette union indispensable et la cimenter. Au moment où nous croyions nos efforts couronnés de succès, que la paix et l'harmonie étaient établies sur des bases solides, où nous pouvions enfin, dans l'oubli des mesquines querelles, travailler uniquement au progrès et au développement du pays, les mauvaises passions, les préjugés et les haines sont apparus de nouveau, et, véritable fléau, ont détruit à tout jamais la moisson que nous allions recueillir.

On nous a dit qu'en présentant cette motion, c'était s'avouer découragés, et même vaincus; que le temps était mal choisi pour rappeler à cette province dans quelle situation elle se trouve exactement. On nous a dit, de plus, qu'en posant le problème de cette façon nous risquions d'ameuter davantage contre nous ceux qui, depuis des années, nous ont fait la guerre. Nous avons voulu exprimer le sentiment de la très grande majorité de notre population, qui est fatiguée d'être traitée de la sorte et qui croit que le moment est venu, ou de cesser ces luttes stériles, ou d'en accepter toutes les conséquences logiques. Cette résolution signifie à ses détracteurs que si la province de Québec est de trop dans la Confédération, elle est prête à causer de la chose et à prendre ses responsabilités. Elle n'a pas désiré cette éventualité extrême, mais elle n'a jamais reculé devant aucun sacrifice lorsque son honneur est en jeu.

La conclusion qui s'impose, nous la trouvons résumée dans les paroles d'un de nos compatriotes, le regretté Honoré Mercier, qu'il faut rappeler et appliquer à tout le pays: "Cessons nos luttes fratricides, unissons-nous;" autrement, nous courons le danger de voir l'oeuvre de cinquante ans irrémédiablement compromise.

Un journal des États-Unis, discutant il y a quelques jours la situation de la province de Québec, se demandait ce que voulaient en définitive les Canadiens français.

Ce que nous voulons, c'est vivre et laisser vivre. Vivre en observant non seulement la lettre de la Constitution mais surtout son esprit; vivre selon nos goûts, notre tempérament et notre mentalité; vivre en citoyens libres, conscients de nos devoirs et soucieux de nos responsabilités; vivre en travaillant au progrès et au développement de notre province, convaincus que nous assurons ainsi le progrès et le développement du pays; vivre en conservant notre langue, nos croyances, nos traditions, nos institutions et nos lois; vivre enfin, en Canadiens loyaux et dévoués à la couronne britannique! Laisser vivre! Respecter chez les autres ce que nous exigeons que l'on respecte chez nous; leur reconnaître la liberté dont ils veulent jouir dans l'exercice de leurs droits acquis; les laisser parler et enseigner leur langue, garder leurs croyances et leurs traditions, et lutter même avec eux, si c'est nécessaire, pour la défense de cet héritage auquel ils tiennent autant que nous!... C'est ainsi que nous deviendrons véritablement une nation canadienne, où régnera cette "grande solidarité, constituée, comme on l'a dit, par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore". Nous pourrons alors être protégés contre les causes de ruine qui nous menacent à l'intérieur en même temps que nous préviendrons les dangers de l'extérieur. Nous n'aurons plus seulement les apparences extérieures d'une nation dont les intérêts matériels sont le seul lien, mais nous en formerons une par la véritable union des coeurs et des âmes. Pourquoi ne pas réaliser cet idéal? Pendant que nos soldats, sur la terre de France, combattent et meurent héroïquement pour la liberté et la civilisation, le respect des traités et des constitutions, l'indépendance et l'autonomie des peuples, nous ne devons plus donner ici le spectacle des luttes qui aboutissent à la négation de ces principes. Il faut être digne du sacrifice suprême de ces héros! Leur mort est la plus grande leçon de patriotisme, profitons-en!

M. Sauvé (Deux-Montagnes) reproche au député de Lotbinière (M. Francoeur) d'avoir fait des personnalités. Il défend en particulier M. Ferdinand Roy. Le député de Lotbinière a attaqué un homme qui n'est pas présent pour se défendre. Le député de Lotbinière nous avait habitués à plus de talent. Il avait raison de se plaindre que des insultes ont été lancées par les Canadiens des autres provinces contre les Canadiens français et contre le clergé catholique de la province de Québec. Et il est heureux d'entendre la revendication de leurs droits par l'auteur de la motion qui nous a été soumise. Il pense que dans cette province, les Canadiens français feraient mieux de moins parler contre le clergé, et il se rappelle qu'il y a seulement quelque temps il y eut une lutte à mort de la part de Canadiens français - que le député de Lotbinière connaît3 - contre certains réprésentants du clergé du Québec.

Le débat que soulève la motion de l'honorable député de Lotbinière aura un écho sonore qui se répercutera dans l'univers. C'est en dire toute la gravité. C'est avouer aussi combien la prudence et le savoir doivent éclairer chacune de nos paroles. Les exagérations de langage ne sont jamais convenables mais elles le seraient encore moins dans un débat comme celui-ci. Les appels aux préjugés ont été, sont encore la source où vont puiser les exploiteurs de sentiments populaires qui veulent s'édifier des succès. C'est un procédé criminel qui a été trop souvent employé au Canada et qu'il importe d'éviter surtout dans un débat d'une aussi grande envergure. Nous sommes ici dans une situation difficile pour discuter pareil sujet. Nous n'avons pas de Journal des Débats pour rapporter exactement ce que nous disons dans cette Chambre. Nos amis de la presse s'efforceront donc davantage d'analyser fidèlement nos discours. Ma position est des plus difficiles. J'appartiens à un parti qui n'est pas beaucoup en faveur dans ma province, bien que je ne sois ni un tory, ni un impérialiste. Je tiens à faire cette déclaration en toute franchise et sincérité afin que l'on ne donne pas à mon discours une fausse interprétation. Je l'ai proclamé maintes fois et je l'affirme encore, je suis de l'école libérale de Lafontaine, de Morin, de Cartier, de Chapleau. J'en suis après avoir étudié leurs principes et leurs oeuvres immortelles. Je suis du Parti conservateur fondé par Morin, Taché et Cartier sur les remparts qu'ils ont élevés de concert avec Lafontaine. L'alliance libérale-conservatrice était le triomphe des idées de Lafontaine et l'extinction du fanatisme tory. Les Canadiens français qui acceptèrent cette alliance si féconde n'ont rien cédé au fanatisme. Ils l'ont acceptée, cette alliance parce que leur programme était adopté par les alliés qui avaient compris que leur fanatisme ne pourrait jamais présider aux grandes destinées du Canada. Et aujourd'hui encore, je répète ce que je disais avec des organes conservateurs en 1910: "Ceux des torys qui veulent retourner aux idées d'avant 1854 ne respectent pas l'alliance McNab-Morin, et nous ne pouvons marcher avec ceux qui, par leurs injures et leurs actes, se proclament les ennemis des Canadiens français. Cependant, les torys ne sont pas tous des fanatiques. Il y a parmi eux, comme chez nos concitoyens, d'autres origines, des patriotes, des hommes justes."

Je suis Canadien français et j'entends rester Canadien français, avec le même esprit patriotique et les mêmes aspirations nationales qui animèrent mes ancêtres politiques. Je me proclame ainsi, non pour rechercher les faveurs populaires, mais uniquement parce que le sang qui bout dans mes veines n'est pas de l'eau jaune, mais un sang qui ne saurait mentir, un sang qui a fait des martyrs et des héros, un sang qui a fait un peuple dont l'épopée ne peut être comparée qu'à celles des grandes nations du monde.

Après cette déclaration de foi, j'aborde la question qui nous est si singulièrement soumise par l'honorable député de Lotbinière. Cette motion est tellement compliquée qu'il est assez difficile d'en saisir l'intention et la portée, même après le discours explicatif de son éloquent auteur.

Est-ce l'intention de provoquer dans cette province et dans les autres provinces un mouvement en faveur de la séparation? J'ai pressenti une déclaration à ce sujet.

Les partisans de cette motion veulent-ils la séparation? Devons-nous vouloir, désirer cette séparation? C'est la question que l'on se pose partout depuis que l'avis de cette motion a été donné.

Tenant compte de la surexcitation des esprits au lendemain du cyclone électoral, j'ai déclaré que, dans mon humble opinion, cette motion était inopportune et dangereuse. Inopportune, parce qu'elle n'aurait aucun résultat pratique, et dangereuse, parce qu'elle pouvait déchaîner une nouvelle tempête de préjugés révoltants et de dénonciations désastreuses.

Au lendemain des élections, je crois que nous aurions dû donner le temps au grand vieillard qui représente sa province au Parlement du pays et aux autres chefs les plus autorisés de notre race de bien examiner la situation, de déblayer le terrain et de chercher la clef de notre position. Ce serait préférable plutôt que de lancer aux gens des idées ayant pour but d'engendrer de l'agitation, et ce, sans aucune raison pour cela. La motion ne veut rien dire, et le député qui la présente ne tire aucune conclusion. Aussi n'ai-je pas été surpris de constater que pas un de ses chefs n'avait voulu approuver ce mouvement. Si cette question devait être soulevée, c'est à Ottawa, c'est au Parlement du Canada qu'on aurait dû la soumettre, non pas dans notre province, dans une législature où l'élément anglais n'est que l'infime minorité. C'est là que nous aurions pu savoir si la majorité du pays désirait notre isolement et la rupture de la Confédération. Autrement comment le savoir? Pourquoi parler de séparation à la Législature de Québec. C'est le Parlement fédéral, qui, avec le consentement du gouvernement impérial, a le pouvoir de dissoudre la Confédération.

Je comprends que le député de Lotbinière veuille savoir si la majorité des gens du Canada dans les autres provinces veulent la séparation d'avec nous, mais je ne peux comprendre cette motion. Je pourrais comprendre qu'à la prochaine session de la Chambre fédérale un député canadien-français se lève et dise que, si la majorité du Canada veut que la province de Québec quitte la Confédération, le Québec serait prêt à partir, mais pourquoi ici, dans cette Législature? Nous sommes un Parlement provincial dont les droits ne sont pas attaqués. Il y a 63 représentants de la province de Québec au Parlement fédéral, et si quoi que ce soit est recherché, dans le sens de la motion Francoeur, pourquoi ne pas laisser ces députés le faire? Ainsi, nous pourrions obtenir une réponse des autres provinces par leurs représentants et connaître le sentiment de la majorité du pays à ce sujet.

Est-ce que l'Acte de la Confédération a été amendé depuis la session de 1916? Non. Est-ce que la Constitution fédérale ne nous accorde pas, comme par le passé, notre complète autonomie, les mêmes pouvoirs qui nous ont été conférés en 1867? Oui. Quand l'avis de motion a été donné, avions-nous perdu la moindre parcelle de ces pouvoirs administratifs? Non. Avons-nous encore notre système de judicature unique? Oui. Y a-t-il un projet qui doit être déposé à la prochaine session de la Chambre fédérale affectant nos droits? Est-ce qu'on s'attend qu'à Ottawa un député se lève et demande des amendements à notre Constitution en vue de restreindre les privilèges et les droits que nous avons dans cette province? Non. Est-ce que notre situation aujourd'hui, en tant que province, n'est pas la même qu'hier, et n'est pas la même qu'immédiatement après 1867? Qu'avons-nous perdu, dans la province de Québec, dans les quelques dernières années? N'avons-nous pas encore nos droits, la Législature n'a-t-elle pas encore les mêmes droits pour gérer les questions éducatives et pour préserver, en tous points, nos traditions les plus sacrées?

Rien n'a été changé pour diminuer nos droits. N'avons-nous pas le droit de légiférer comme nous l'entendons? Quelle est donc la raison d'être de la motion de l'honorable député de Lotbinière?

Le député de Lotbinière nous dit: Nous sommes rendus à bout de patience de se laisser insulter de la pire façon sans aucune provocation, par des citoyens d'autres provinces. C'est vrai, et j'ai du mépris envers les fanatiques qui essaient de soulever des groupes de la population afin d'exploiter ces groupes contre les Canadiens français. Il y a des journaux qui nous insultent. Cependant, si des journaux insultent le premier ministre de cette province, va-t-il démissionner? Je ne crois pas, par exemple, qu'un député de la Chambre démissionnerait demain si Le Canada n'avait pas rapporté correctement son discours. Croyez-vous que j'abandonnerais mon poste si on m'apprenait demain que Le Canada, de Montréal, a fait une sortie contre moi?

Est-ce la majorité du pays qui nous traite ainsi? Si cela était, comment les organes libéraux pourraient-ils soutenir que la grande majorité du pays partage les sentiments et la politique de Sir Wilfrid Laurier, qui prêche la conciliation? Si la majorité du pays est loyale et juste, pourquoi nous en séparer?

Je reconnais que nous avons de féroces ennemis, et je les méprise autant qu'ils sont détestables et coupables, qu'ils s'appellent torys ou grits. Mais, comme Laurier et d'autres, j'ai confiance en l'esprit de justice de la majorité du pays. Il s'agit de s'organiser pour l'éclairer, la mettre bien au courant de nos actes, d'éviter de l'induire en erreur par des ambitions politiques, par des mouvements intempestifs et de défendre nos droits là où et quand ils doivent être défendus. Ces droits sont sacrés et nous devons éviter de les accommoder à toutes les sauces de la petite politique. Ne permettons pas de confondre les vrais champions de nos droits avec leurs exploiteurs, et notre race aura son triomphe. Elle n'est pas à ses premières épreuves. Elle a vaincu ses plus grandes difficultés par la modération et la diplomatie politique, et non par des actes d'incendiaires et de dynamitards.

Depuis la cession du Canada à l'Angleterre, nous avons vécu sous six régimes. Les trois premiers, 1760, 1763 et 1841, furent tyranniques. L'acte impérial de 1791 préparé par l'illustre Pitt partage le pays en deux provinces afin de permettre aux Canadiens, dit le grand homme d'État anglais, de jouir de leurs institutions dans le territoire qui leur était assigné: le Haut-Canada pour les Anglais et le Bas-Canada pour les Canadiens français. En 1841, on veut défaire l'oeuvre de Pitt et décréter que le Bas et le Haut-Canada ne formeront qu'une seule province. Ce fut l'oeuvre de Lord Durham, poursuivie par Thompson et que leurs prédécesseurs, Craig et Richmond, avaient tenté d'imposer auparavant. "Il faut que le Bas-Canada soit régi dorénavant par une population anglaise", avait écrit Durham. L'union législative était le grand moyen suggéré.

Comme celui d'aujourd'hui à Ottawa, le cabinet de 1841 était composé de torys et de réformistes. Certains anglais d'aujourd'hui se nourrissent des préjugés d'autrefois. Après Charles Bagot vient Metcalfe au pays. Lafontaine voit tout le danger mais aussi un remède dans la reconnaissance du gouvernement responsable. Il ne veut pas casser les vitres, il préfère chercher des alliances politiques pour assurer le triomphe de la cause des Canadiens français. Il est traité de vendu à l'Angleterre mais les injures ne l'empêchent pas de poursuivre son but.

Un certaine presse anglaise disait alors: "Le sort en est jeté et il faut que l'une des deux races, anglaise ou française, disparaisse. Nous sommes provoqués par la perfidie de Lafontaine qui a enfin jeté le masque et qui, en somme, ne vaut guère mieux que Papineau."

De son côté, le Pays, organe des libéraux partisans de Papineau, disait: "Lafontaine se retire simplement parce qu'il avait abandonné tout espoir de continuer son système d'oppression sur les droits du peuple, d'empiétement sur les privilèges de la Couronne et de l'accroissement des prérogatives de la Couronne. Le Journal de Québec a pris ses idées conservatrices à l'école des Baldwin et des Lafontaine."

Cela ne démontre-t-il pas qu'en ces temps-là comme aujourd'hui, il y avait de mauvais jugements et de noires injustices?

Il s'opéra d'importants changements, à notre avantage, sous l'Acte d'Union; entre autres, l'indemnité aux victimes de 1837, l'abolition de la tenure seigneuriale, la reconnaissance du français comme l'une des langues officielles, la canalisation du Saint-Laurent, la construction du Grand-Tronc, lequel devait s'étendre de l'extrémité sud-ouest du Haut-Canada jusqu'à Québec. On rapprochait les provinces les unes des autres, préparant ainsi la réalisation du grand projet de la Confédération. William Lyon MacKenzie qui combattait Robert Baldwin fut cause de la retraite de ce dernier, auquel certains réformistes reprochaient son alliance avec Lafontaine.

Vint ensuite l'alliance libérale-conservatrice opérée par McNab et Morin, les torys du Haut-Canada, McNab et John MacDonald en tête, acceptant le programme Lafontaine-Baldwin, poursuivi par Hinks et Morin. Le Canada aspirait à son expansion. Ses aspirations prenaient leur essor. Il voulait concentrer dans une même administration, dirigée par un gouvernement responsable au peuple, tous ses intérêts généraux, tout en laissant aux provinces la pleine liberté de sauvegarder leurs intérêts particuliers: l'agriculture, la colonisation, l'instruction publique, l'administration des Terres. Ce projet fut soumis au Parlement, le 3 février 1865, par le premier-ministre Taché. Le Bas-Canada obtint son autonomie complète. La province de Québec conserva son système de judicature, son droit français, tout ce qu'il fallait chez nous pour assurer à notre race sa survivance, son expansion, sa vitalité, ses droits et ses traditions.

Depuis, le Canada s'est développé rapidement, de l'aveu de tous. Nos voies fluviales et ferrées constituent des moyens de transport de premier ordre. Notre commerce a atteint le milliard en 1915. Il s'est fait des travaux publics dans notre province pour des centaines de millions depuis quelques années. Notre subside fédéral a augmenté d'un million en 1906. Comme subside fédéral pour l'agriculture, en vertu de la loi de l'instruction agricole adoptée par le Parlement fédéral en 1913, notre province recevra $805,414.49. Un Canadien français a été premier ministre du Canada pendant quinze ans. Il est encore le chef de son parti aux Communes.

Nous avons eu jusqu'à quatre ministres canadiens-français dans le gouvernement du dominion. Si nous n'en avons pas aujourd'hui, ce n'est pas la faute de la Constitution, c'est parce que notre province ne le veut pas. Nous avons un Sénat présidé tour à tour par un Canadien français et un de langue anglaise. Des Canadiens français ou Acadiens forment partie des gouvernements de l'Alberta, de la Saskatchewan, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse. Nous en avions un dans le gouvernement d'Ontario; il y serait encore s'il n'avait été battu par ses compatriotes, de même au Manitoba. Un Acadien est premier ministre de l'Île-du-Prince-Édouard.

Pourquoi demander la séparation ou insinuer que nous sommes prêts pour la séparation, que ce soit par déclaration ou par insinuation? Je dis: non. Nous devrions dire que nous ne sommes pas prêts et que nous ne voulons pas nous retirer de la Confédération, parce que j'affirme et je dis que la Confédération a été faite par Cartier pour nous, les Canadiens français, pour nous assurer notre autonomie, ici et ailleurs, aussi dans les autres provinces, pour nous conserver nos droits.

Après la guerre, il y aura des problèmes politiques qui pourraient demander des changements à la Constitution, et là nous pourrons discuter si nous devons demeurer dans la Confédération et accepter des changements à la Constitution que l'on chercherait à nous imposer.

De quelle question avons-nous souffert depuis la Confédération? C'est celle des écoles, mais pas des écoles dans cette province."

L'obstacle infranchissable est la question scolaire dans les provinces anglaises, source de toutes nos querelles de races. Depuis la Confédération, elle éclata d'abord au Nouveau-Brunswick en 1873. Après agitation et violence, il fut déclaré par le Conseil privé que les écoles du Nouveau-Brunswick n'avaient jamais eu d'existence légale; elles avaient vécu de la tolérance du pouvoir. Le Conseil privé donne raison à Cartier qui avait refusé de faire désavouer par le Parlement fédéral la loi passée par la Législature du Nouveau-Brunswick. Aux Canadiens français qui le dénoncèrent, Cartier répondit:

"Vous ne devriez jamais réclamer l'intervention du gouvernement fédéral dans les affaires provinciales. Comment ne voyez-vous pas que vous proposez d'établir, au bénéfice de nos amis de la province voisine, un précédent qu'on pourrait invoquer un jour contre nous." Je puise ces renseignements dans le livre pagyrique de Sir Wilfrid Laurier. "C'était, dit-il, la raison d'État, la raison souveraine qui parlait par la bouche de Cartier. On le pressait d'amasser la foudre qui aurait pu éclater sur nos têtes; on voulait qu'il entrouvrit les portes de la citadelle pour y faire passer l'ennemi. Il eut la force de refuser. Personne ne comprit alors son courage et sa perspicacité, et sa conduite dans l'affaire des écoles porta une atteinte terrible à sa popularité. Mais un homme d'État, trop lâche pour résister à un mouvement populaire aveugle, descend par là au niveau du politicien plus préoccupé de préparer sa réélection que de remplir son devoir."

Telles sont les réflexions que je trouve sous la plume du panégyriste de Laurier. Citons encore un passage important de ce livre si intéressant:

"Lorsque le Manitoba devint partie intégrante de la Confédération en 1871, Cartier, instruit par l'expérience, voulu parer à tous les dangers possibles, et mettre les catholiques à l'abri de toute injustice. La constitution, donnée à cette province et préparée par Cartier, garantissait aux catholiques leurs droits de la façon la plus formelle; l'esprit et la lettre de la loi semblaient s'unir pour monter la garde contre l'ennemi. Hélas! Que les préoccupations humaines sont courtes et vaines en face d'hommes en possession de la force et déterminés à tout faire! Vingt ans plus tard, un trait de plume pulvérisait les remparts assez puissants, semblait-il, pour défier toute agression. En effet, la loi votée en 1891 supprimait les garanties accordées par la Constitution en accordant des subventions monétaires aux seules écoles publiques.

"Cette loi attaquée devant les cours de justice du Manitoba, sortit avec tous les honneurs de la guerre; d'après le tribunal, elle ne violait pas la Constitution. La Cour suprême du Canada en jugea autrement et déclara à l'unanimité que l'Acte de 1891 ne devait pas figurer sur les statuts de la province. Comme si les contradictions dussent se suivre dans cette cause célèbre, l'appel interjeté par le Manitoba de cette dernière décision au Conseil privé de Londres réussit. La question semblait close et définitivement jugée. Les catholiques voulurent cependant faire une dernière tentative pour obtenir justice. Le même Conseil privé, auquel ils soumirent leurs griefs, décida que bien que la loi du Manitoba fût constitutionnelle, les catholiques de cette province n'en avaient pas moins un sujet de plainte, un grief qu'il fallait faire disparaître. C'est de ce jugement que sortit le projet de loi, dit rémédiateur, présenté par le gouvernement Tupper à la session de 1896 et que l'opposition du temps ne voulut pas accepter. Ce projet de loi créait, de toutes pièces, un système d'écoles catholiques pour l'imposer à la province rebelle à la loi. Le gouvernement Tupper n'outrepassait pas ses pouvoirs au point de vue de la constitution qui autorisait cette mesure extrême et périlleuse; mais n'était-ce pas un cas où l'on a tort d'avoir raison et où l'exercice suprême d'un droit devient pire que le mal à réparer?" Je ne fais que citer l'auteur sans faire de commentaires ni exprimer d'opinion personnelle. Je continue à citer le point de vue libéral exprimé dans ce livre:

"Établir un système d'écoles indépendant du gouvernement sur nos domaines, n'était-ce pas créer un État dans l'État, placer en face l'un de l'autre deux ennemis, sans moyen de prévenir les choses? N'était-ce pas aussi, pour la province de Québec, courir au-devant du danger que signalait Cartier? N'était-ce pas établir le précédent d'une intervention fédérale redoutable à l'autonomie provinciale? On sait que Sir Charles Tupper retira son projet de loi, parce que l'opposition lui barrait la voie par des obstacles infranchissables. La vie légale du Parlement tirait à sa fin et l'opposition se montrait irréductible, menaçant de faire obstruction jusqu'à la dernière heure.

"L'intransigeance du Manitoba, identique chez les deux partis politiques, imposait donc fatalement une transaction. Elle se produisit sous la pression de Sir Wilfrid qui fit concéder un enseignement religieux dans certaines conditions."

Telles sont les remarques faites par l'orateur sur la question scolaire. C'est le point de vue libéral, du parti auquel appartient, je crois, l'honorable député de Lotbinière, (M. Francoeur). J'ai voulu citer ce passage tout au long parce que je savais qu'il comprenait les vues de l'immense majorité de cette Chambre.

Par la séparation, nos compatriotes des autres provinces seront noyés. Je le répète, nos querelles de race depuis la Confédération ont été suscitées non pas à cause des droits ignorés de notre province, mais à cause des questions scolaires des autres provinces. Jamais on n'a attaqué les droits garantis par la constitution à notre province. Pourquoi la séparation? Séparés, serons-nous plus forts pour protéger nos compatriotes de l'Ouest?

Il nous faut être patients et endurer les maux qui peuvent de temps à autre résulter du régime dont nous sommes dotés.

La séparation est donc contraire à nos intérêts nationaux, et contraire aussi à nos intérêts économiques, parce que, séparés, nous serions assujettis à des obligations onéreuses qui nous empêcheraient de nous développer. Nous serions obligés de rembourser une partie de la dette du pays et notre organisation économique nous imposerait une tâche trop lourde.

Après le conflit scolaire des nouvelles provinces de l'Ouest, vinrent ceux de l'Ontario dirigé par un gouvernement conservateur et du Manitoba gouverné par un gouvernement libéral. Dans Ontario, un nouveau règlement restreint l'enseignement du français. Le gouvernement ontarien soutient qu'aucun statut de l'Acte d'Union ou de l'Acte de la Confédération ne légalise l'enseignement du français. Cet enseignement était toléré. Au Manitoba, le gouvernement abolit radicalement l'enseignement du français. L'opposition libérale d'Ottawa appuya une résolution - la résolution Lapointe - voulant forcer le gouvernement fédéral d'intervenir dans ce conflit; ce qui aviva la querelle de race au Canada. On n'osa rien faire contre le Manitoba. Le Conseil privé décida plutôt en faveur du gouvernement d'Ontario.

N'est-il pas logique, après avoir lu des passages du panégyriste de Laurier, de nous demander pourquoi l'opposition libérale présenta la résolution Lapointe? Les élections provinciales se firent au cri: À bas les traîtres, les vendus qui ont voté contre cette résolution. Depuis, on n'en entend plus parler.

N'est-il pas raisonnable de présumer que la motion Francoeur soit la conséquence du fait que le gouvernement fédéral ait adopté la loi de la conscription? Aurait-elle été proposée pour des motifs politiques?

La querelle de race s'aviva davantage lors de la présentation de la loi du service obligatoire de 1917. C'est une loi générale pour tout le pays. Dans cette loi, il n'y a pas une ligne qui affecte particulièrement notre province. On sait quelle tempête elle déchaîna dans tout le Canada, au moment où on avait le plus besoin du concours de tous les citoyens pour assurer la production si vivement réclamée. Jamais la violence de langage n'avait atteint un pareil degré. Une guerre de race déchaîna les passions les plus malheureuses. On veut profiter de cette question pour faire du capital politique. J'ai été et je suis contre la conscription, non pas comme Canadien français, mais comme citoyen du pays, croyant que cette mesure était et est de nature à paralyser notre production, à ruiner notre jeune organisation économique et croyant aussi mieux servir la cause des Alliés en travaillant à obtenir la surproduction que les autorités des pays alliés demandaient avec tant d'insistance. Je ne m'opposais pas à cette mesure parce que je nourrissais des sentiments anti-britanniques, loin de là. Maintenant qu'elle est mise en application, nous devons être assez courageux pour nous y soumettre. J'ai respecté et je respecte encore ceux qui ne sont pas d'accord avec moi et qui sont les partisans sincères et convenables de la conscription, mais je dirais que nous devrions discuter de cette question sans y introduire une question de race, sans attiser le préjugé national, qui est une calamité dans certaines provinces et dans notre province. C'est une question économique et nous ne devrions pas sortir de cette question. Ce n'est pas une question de déloyauté, à savoir qu'un homme est plus loyal qu'un autre, car dans l'ensemble du pays, et même en Angleterre, il y en a qui pensent que nous devrions agir avec prudence. Je condamne la haine contre l'Angleterre autant que je méprise la haine contre les Canadiens français, et je déplore que l'on confonde l'Angleterre avec les fanatiques du pays, autant que je regrette que ces fanatiques confondent toute une race avec des exploiteurs politiques ou des compatriotes honnêtes mais violents.

En vue d'élections prochaines, la majorité du Parlement adopta une loi électorale de guerre, privant des citoyens du pays de leur droit de vote et accordant ce vote à des gens qui n'ont jamais participé au travail économique du Canada, méconnaissant totalement nos droits, nos obligations et nos aspirations. Le résultat des élections maintient le gouvernement au pouvoir. Le parti dirigé par Sir Wilfrid Laurier soutient que ce résultat n'exprime pas le sentiment de l'électorat normal du pays. Pourquoi, donc, cette motion? Pourquoi insinuer que la majorité des gens sont contre notre province quand le chef du Parti libéral, et les journaux de ce parti, affirment que la majorité normale est en faveur de la politique de Laurier, le conciliateur? Si la majorité des gens du Canada sont pour la conciliation, pourquoi devrions-nous dire que nous ne pouvons vivre avec eux? Il est nécessaire d'être logique sur cette question. Il est nécessaire de savoir si cette motion vise à obtenir du capital politique ou à défendre des principes, peu en importe le prix. Il est bon de connaître les faits réels, particulièrement en ce moment, alors que l'opinion publique est agitée, et le public devrait être rassuré des actions des hommes publics. Il est nécessaire que les hommes publics fassent preuve de sincérité. Il est temps de montrer la logique de notre conduite, de montrer que lorsque nous parlons, ce n'est pas pour tromper le peuple. Quoiqu'on dise, notre province n'est pas le refuge des rebelles.

Le nombre de demandes d'exemption militaire de même que le nombre de ceux qui ont refusé de se rendre à l'appel des autorités militaires établissent que, de toutes les provinces, celle de Québec s'est le mieux conformée à la loi. Voici un tableau de chiffres officiels, à l'appui de mon assertion, tableau fourni par le directeur de l'information, officier du gouvernement. (Voir le tableau ci-dessous)

Célibataires entre 20 et 34 ans
  Requis Rapportés p.c. Non rapportés p.c.
Québec 123,831 117,104 95 6,727 5
Nouvelle-Écosse 35,610 26,354 74 9,256 26
Nouveau-Brunswick 23,370 17,065 73 6,205 27
Île-du-Prince-Édouard 6,706 4,425 66 2,281 34
Saskatchewan 70,571 46,733 66 23,838 34
Ontario 201,400 125,750 62 75,650 38
Alberta 53,979 28,105 54 25,874 46
Manitoba 48,626 22,879 47 25,747 53
Colombie-Britannique 70,354 15,281 32 54,533 78
Yukon 1,705 159      
Territoires 594        
  636,746        

 

Suivant la statistique militaire, le sentiment anticonscriptionniste, dépourvu de tout préjugé, se manifeste donc plus dans Ontario que dans Québec. Le Parti libéral conclut que cette loi, qui a suscité tant de haine dans tout le pays, est encore une cause de désordre social et économique. Tenant compte de la conduite tenue par le Parti libéral et son chef provincial aux dernières élections, je conclus que, pour être logique, ce n'est pas la rupture de la Confédération que le député de Lotbinière ou le gouvernement devrait tenter, mais bien le rappel de la loi du service obligatoire.

Ce droit d'appel nous est conféré par l'article 56 de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord qui nous autorise à pétitionner (voir Bourinot), 3e édition, p. 354 et 4e édition, p. 240.

Nous ne sommes donc pas isolés dans notre antipathie à cette mesure et conséquemment nous n'avons pas raison de vouloir nous séparer des autres provinces.

Le premier ministre me permettra de lui dire que sa conduite violemment dénonciatrice au cours des élections jurait avec le silence étrange qu'il alla garder à l'étranger pendant tout le temps que se discutait cette loi au Parlement. Quand la loi fut présentée au Parlement fédéral, n'était-ce pas alors que le premier ministre devait employer toutes les ressources de son talent et de son prestige pour en empêcher l'adoption? Il regrette qu'au moment où la conscription était discutée au Parlement, quand d'importantes organisations ouvrières et autres faisaient des représentations à Ottawa sur le sujet, le premier ministre de cette province ait dû partir en vacances pour s'amuser. Pendant que ses compatriotes réclamaient son influence, le premier ministre allait, les lèvres scellées, prendre un agréable repos, loin du bruit, dans un vrai petit paradis. Il en revint quand la conscription eut force de loi et quand Sir Wilfrid Laurier avait déclaré qu'il fallait obéir à la loi. Quelque temps plus tard, il protesta avec une grande violence contre cette mesure qu'il qualifiait de révoltante. Il annonça la venue d'un Cromwell. Un Cromwell, c'est encore plus terrible qu'un premier ministre de la province de Québec, même au 20ème siècle. Hume dit que Cromwell a débuté par le fanatisme pour aboutir à l'hypocrisie.

"En cet ambitieux, ajoute-t-il, on trouve un mélange extraordinaire de grandeur et de bassesse, de fourberie et d'enthousiasme, de générosité et de cruauté, de tolérance et de fanatisme, et peut-être a-t-il mérité tous les éloges et tous les reproches qui lui ont été prodigués."

Plus tard, le premier ministre déclara avec véhémence "qu'aucun pouvoir au monde ne pouvait imposer une loi à un peuple quand il n'en voulait pas." Il fut applaudi.

Pour ma part, je ne sais jusqu'à quel point on a besoin de soldats au front, ne connaissant pas exactement la situation; mais le premier ministre a été mis au courant de cette situation par le chef du gouvernement du Canada qui l'a invité à faire partie de son ministère de guerre. C'est après plus d'une rencontre avec Sir Robert Borden que le premier ministre de la province de Québec devint si violent contre le gouvernement fédéral et prit part activement à la lutte électorale, contrairement à son passé depuis 1908. C'est après avoir été mis bien au courant de la situation que le premier ministre fit les éclatantes déclarations si applaudies de ses nombreux admirateurs.

Il n'y a pas que la province de Québec qui a exprimé son dissentiment. Des journaux de Londres et du Canada désapprouvèrent cette loi.

Le fonctionnement de la loi, et l'exploitation qu'en font des employés militaires, des avocats et des juges sont plus dangereux, plus injustes que la loi elle-même, dont le principe est bien moins discutable que son opportunité et sa praticabilité. La menace d'un Cromwell par le premier ministre fit sensation. Le mot sonore fit son effet. Ah! M. l'Orateur, un Cromwell c'est plus terrible qu'un premier ministre...

M. l'Orateur: L'honorable chef de l'opposition n'est pas dans l'ordre et ne l'a pas été depuis un bon moment. Je regrette de le rappeler à votre attention.

M. Sauvé (Deux-Montagnes) soutient que la question de la conscription est reliée à la motion Francoeur, étant l'un des principaux sujets qui ont éventuellement mené à la motion.

M. l'Orateur: Le chef de l'opposition n'est pas dans l'ordre. Je dis que ce n'est pas dans l'ordre lorsqu'il rappelle les paroles du premier ministre de la dernière campagne à propos de la conscription.

M. Sauvé (Deux-Montagnes): Je demande pardon, mais en vertu de quel article du règlement ne suis-je pas dans l'ordre?

M. l'Orateur: Le règlement est simple. C'est en dehors de la question.

M. Sauvé (Deux-Montagnes): Je ne fais qu'expliquer les causes du différend dont il est question dans le débat.

M. l'Orateur, je crois que la cause de nos maux, c'est la question de la conscription. Eh bien, je vais parler de la campagne menée pendant la dernière élection et je ne mentionnerai pas le premier ministre. En raison de la campagne qui fut menée dans cette province, et qui souleva toutes sortes de haines dans les autres provinces et amena les pires insultes contre nous, des déclarations qui ont été faites par des personnes importantes qui occupent les plus hautes positions dans cette province et qui ont soulevé la population de cette province, comme elles ont soulevé aussi, d'une autre façon, les populations des autres provinces. Et à cause des déclarations faites par des députés de cette Chambre pendant la campagne, et aussi par certains qui siègent aujourd'hui à la Chambre des communes, et par des hommes qui sont à la tête des plus grosses municipalités, en raison donc des violentes affirmations d'hommes qui ont dit que ce serait préférable de se séparer de la Confédération et qui ont promis que, si le gouvernement était défait, la loi de la conscription serait rappelée, je dis que pour toutes ces choses, il est nécessaire d'être logique maintenant. Et si nous sommes sincères, nous devrions prendre les moyens mis à notre disposition dans notre Constitution, tel le droit de pétition à Sa Majesté le roi, et demander s'il n'y a pas moyen de rappeler cette loi. Certains affirment que la loi n'est pas constitutionnelle.

M. l'Orateur dit que la constitutionnalité de la loi n'affecte pas la Chambre. Le chef de l'opposition n'est pas dans l'ordre. Il n'a évidemment pas compris les remarques que je lui ai faites tout à l'heure. L'honorable chef de l'opposition s'éloigne complètement de la question, et je suis obligé de le rappeler de nouveau à l'ordre.

M. Sauvé (Deux-Montagnes): J'affirme que c'est relié à la motion parce que ça provoque et soulève les enjeux soulevés par la motion elle-même. Si l'Orateur dit que ce n'est pas un fait, je suis prêt à arrêter le discours. Si nous n'avons pas le droit, au moment présent, de discuter de cette question, je demanderais pourquoi la motion a été déposée? Je comprends qu'il y a des hommes qui préfèrent parler d'une plateforme publique, mais ce n'est pas mon idée.

Eh bien, M. l'Orateur, puisque je suis forcé de me taire sur ce sujet, laissez-moi ajouter ceci: Cette motion, je crois, a été proposée à la suite de la dernière campagne électorale et j'ai voulu que le premier ministre et tous les membres du gouvernement fussent conséquents avec leur attitude dans leur dernière campagne.

C'était presque annoncer la révolte et l'on voyait déjà venir l'effrayant à travers les ombres agitées du premier ministre. Le premier ministre était-il mû par la conviction quand il tenait un pareil langage? Pourquoi a-t-il employé un langage aussi violent? Depuis les élections, ses organes continuent à dénoncer la conscription comme la loi la plus néfaste, la plus révoltante et la plus ruineuse que l'on n'ait jamais vue.

Parlant de la gravité de la situation agricole, l'honorable ministre de l'Agriculture (l'honorable M. Caron) a déclaré, mardi dernier, en plein comité "qu'on ne pouvait augmenter la production et faire en même temps du militarisme à outrance." On ne cesse donc de décourager les citoyens du pays: les uns, en poussant trop loin et les autres, en dénonçant cette loi comme cause de nos plus grands maux et de la misère qui est à nos portes.

Étiez-vous, Monsieur le Premier Ministre, sincère quand vous dénonciez le gouvernement fédéral sur la question de la conscription? Si oui, vous ne devez pas avoir d'objection à avouer que c'est cette loi qui est la cause de notre différend avec les autres provinces. Si le premier ministre est convaincu de ce qu'il a dit au pays avec ses organes et ses lieutenants, pourquoi, au lieu de laisser vos députés parler sur un projet de séparation dont vous ne voulez plus et laisser discuter une motion qui n'a de portée que celle d'induire en erreur nos compatriotes et de nous diminuer encore dans les autres provinces et à l'étranger et, puisqu'il a permis la discussion de la motion dans cette Chambre, pourquoi, dis-je, le premier ministre n'a-t-il pas proposé ou fait proposer tout de suite franchement à cette Chambre de demander respectueusement à notre estimé Souverain le rappel de la loi qui, suivant les déclarations du Parti libéral, cause le désordre dont nous souffrons tant? La loi du service obligatoire n'affecte-t-elle pas l'administration de notre province?

Si notre respecté Souverain rejette notre appel, mû par l'intérêt qu'il porte à son glorieux Empire, nous nous soumettrons avec respect, lui promettant de le servir, comme toujours, avec loyauté et fidélité. Et le Parti libéral cessera alors de dénoncer cette loi comme révoltante. Le verdict de l'Australie ne nous autorise-t-il pas davantage à agir ainsi?

Avant de terminer, je souhaite que la Chambre me permette de dire, dans un langage plus parlementaire, si la chose est possible, que je trouve étrange que le député de Lotbinière n'ait pas pensé à présenter une motion demandant à la Chambre d'adresser une pétition à Sa Majesté pour rappeler cette loi.

Il informe la Chambre qu'il a rencontré le premier ministre ce matin et a discuté avec lui d'un amendement.

Voulant connaître la conviction de la conduite que le premier ministre et ses collègues ont tenue aux dernières élections, ne voulant nullement chercher un avantage personnel, et sachant que le préjugé politique me priverait de l'influence nécessaire pour le faire adopter moi-même, je suis retourné cet après-midi, en compagnie de mon honorable collègue du Lac Saint-Jean (M. Turcotte) demander au chef de la province s'il aurait des objections à présenter lui-même l'amendement suivant dont je lui ai fait connaître la substance: que tous les mots après "Québec" dans la motion principale soient rayés et remplacés par les suivants:

"En face de l'hostilité marquée que lui témoignent certains esprits dirigeants des provinces situées à l'ouest de la capitale de notre pays, et des injures que lui lancent quotidiennement des grands journaux qui façonnent ou dirigent l'opinion publique dans ces provinces; et comme conséquence de l'attitude adverse prise par l'immense majorité de l'électorat du Québec et par un nombre considérable de citoyens des autres parties de notre pays, au sujet de la Loi du service militaire 1917 et des lois qui en découlent, croit de son devoir, dans l'intérêt de la paix et de l'harmonie qui doivent régner dans les différentes provinces de la Confédération canadienne, de s'adresser à Sa Majesté le Roi en Conseil pour lui demander, en vertu de la clause 56 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, de désavouer la Loi du service militaire 1917, cette loi étant la cause du différend entre les provinces et mettant en danger les intérêts des diverses provinces qui forment la Confédération, les intérêts de la Confédération elle-même et ceux de l'Empire britannique dont nous sommes toujours les loyaux sujets. Et que le Président de cette Chambre est autorisé au nom d'icelle à signer la pétition demandant à Sa Majesté le Roi en Conseil le désaveu de la loi précitée, laquelle pétition doit être transmise à S. E. le Gouverneur Général pour être, par lui, adressée en la manière ordinaire à Sa Majesté."

Le premier ministre a refusé cet amendement que je lui proposais pour savoir s'il croyait à la gravité des dénonciations qu'il a faites contre cette loi. Il a peut-être raison, mais s'il a raison de refuser cette proposition aujourd'hui, il avait bien tort de tenir le langage qu'il a tenu pendant la campagne électorale. N'est-il pas temps de savoir à qui l'on a affaire? N'est-il pas temps de connaître la sincérité de nos hommes publics. N'est-il pas temps de répondre à ceux qui disent: "Pauvres compatriotes! Comme vous êtes toujours victimes d'une savante exploitation!" Il est temps de répondre à ceux qui disaient ces autres paroles: Vos ennemis ne sont pas où vous les croyez: vos ennemis ne sont pas à vos portes; ils sont dans vos murs et vous les acclamez!

Cet amendement que j'ai lu est rattaché à la motion. Je ne veux pas en retirer du mérite, ni du capital politique, mais je l'ai soumis au premier ministre parce que je pense que c'est l'issue logique de la campagne que lui et ses amis entreprirent dans cette province l'année dernière.

Le premier ministre pensait qu'il était de son devoir que l'amendement ne soit pas adopté, que ce n'était pas dans l'intérêt de la province, ni de la Chambre, de l'adopter. Sachant qu'il ne pourrait être passé que s'il avait l'approbation du premier ministre, je le lui ai fait parvenir.

Du moment que cet amendement ne peut être accepté par le chef de la majorité, il est inutile de le présenter puisqu'il n'atteindrait pas son but.

Il ajoute que le député de Lotbinière aurait été plus logique s'il avait déposé sa motion dans le sens de l'amendement. M. l'Orateur, j'ai fait mon devoir en donnant au premier ministre une chance de le présenter.

Je n'en chercherai pas un avantage politique; je n'ai pas de presse à ma dévotion, obligée de chanter mes louanges. Je ne demande qu'une chose à la presse libre, (et nous verrons demain quelle presse libre nous avons) c'est de rapporter fidèlement mes paroles; c'est de commenter honnêtement ma conduite; et, si le peuple veut continuer à suivre le premier ministre, moi, je continuerai à servir ma province.

M. David (Terrebonne): Il félicite d'abord le chef de l'opposition de s'être déclaré anti-conscriptionniste, par conséquent antiunioniste, ni impérialiste, ni tory.

Monsieur l'Orateur, il y a maintenant un peu plus de cinquante ans, des hommes dont l'histoire a enregistré les noms réunissaient en des conférences interprovinciales les représentants de toutes les provinces du Canada.

Le but était de donner au Canada une constitution qui, dans leur espoir, concentrerait les efforts individuels et les ferait tous se joindre dans un effort commun tendant au développement, à la prospérité et à la grandeur que déjà ils entrevoyaient pour notre pays.

Ce projet de confédération avait suscité, plus particulièrement dans la Nouvelle-Écosse et dans le Québec, une opposition assez vive, et les représentants de ces deux provinces demandaient qu'avant d'être acceptée et sanctionnée, cette constitution fût soumise au peuple par voie de référendum.

Je ne crois pas qu'il soit utile d'entrer dans la discussion des raisons qui portèrent Howe, le représentant accrédité de la Nouvelle-Écosse, à s'opposer au pacte de 1867, mais il importe de considérer l'une des raisons qui plus particulièrement engagea une grande partie de la jeunesse canadienne-française de 1865, 1866, et 1867 à s'opposer à la nouvelle constitution. Ils prévoyaient que, tôt ou tard, la représentation canadienne-française serait impuissante, vu le nombre fixe de soixante-cinq députés, de lutter avec avantage contre les représentants des autres provinces dont le nombre s'augmenterait par le fait d'une immigration intensive qui ne pourrait pas manquer de se diriger vers les provinces anglaises.

C'était là, je ne dirai pas la raison la plus puissante de l'opposition, mais celle que les événements présentés semblent le plus justifier.

Aussi, ce ne fut qu'après des efforts puissants des politiciens de l'époque et, surtout dans notre province, de Sir George-Étienne Cartier, aidé du clergé catholique presqu'unanimement, que le Québec se résigna à accepter, non sans murmures, ce nouveau mode du gouvernement du Canada par un pouvoir central.

C'est donc le cas d'un contrat signé avec enthousiasme par l'une des parties et avec méfiance par l'autre, mais les parties contractantes avaient semblé mettre dans ses termes tant de bonne foi qu'il eût semblé alors déraisonnable de persister et de nous refuser à croire à la bonne foi de la majorité de ce pays.

Les déclarations des parlementaires de l'époque avaient convaincu quelques-uns de nos hommes politiques que la Confédération était un moyen d'obtenir une indépendance plus grande pour le présent et entière pour l'avenir. C'est guidées par cette espérance et confiantes dans cet avenir que, le jour où le pacte fut signé, les parties se donnèrent la main, oubliant les luttes de la veille, pour tracer au Canada la route qu'il devait parcourir s'il voulait atteindre la grandeur que les Pères de la Confédération semblaient rêver pour lui.

Pourquoi faut-il que ce soit en l'année du cinquantième anniversaire de cette Confédération, que nous voyions la Constitution ébranlée à sa base même, les provinces soulevées les unes contre les autres, les individus animés d'un fanatisme qu'elle devait éteindre, en un mot notre pays agité depuis les bords de l'Atlantique jusqu'au Pacifique?

J'ai posé la question, mais je vous avoue que je ne me réjouis pas d'avoir à discuter la réponse. Pourtant, je ne crois pas devoir me soustraire à l'obligation qu'a tout citoyen canadien aujourd'hui, abstraction faite de son origine ou de sa croyance religieuse, d'exprimer franchement et ouvertement ce qu'il pense.

N'oublions pas que c'est maintenant le temps de déterminer ce que seront les destinées futures de notre pays. Nous sommes à la croisée des chemins, et cet avenir dépend de la route que nous accepterons, dans notre jugement, comme étant celle qui peut nous permettre d'atteindre notre but. Ce qui rend ce choix difficile, c'est que notre pays contient les éléments non assimilables de deux races parfaitement distinctes d'origine, de tempérament, de caractère et pour le moment aussi, malheureusement, de mentalité.

C'est dans cette différence de mentalité qu'il faut rechercher les raisons de la faillite de la Confédération aujourd'hui.

C'est rendre justice, il me semble, à ceux qui ont fait la Confédération que de déclarer que l'espoir de la majorité d'entre eux était de développer, par cette centralisation des pouvoirs, l'harmonie, la paix, la concorde entre les provinces atlantiques, les provinces de Québec, d'Ontario et de l'Ouest, qui unies par une même ambition et un même intérêt commercial joindraient leurs efforts pour atteindre le maximum du développement industriel, commercial et intellectuel.

De plus, leur affirmation au sujet de l'autonomie parfaite dont notre pays devait jouir, et qu'ils déclaraient avoir déterminée par le texte même de la Constitution, n'était pas sans satisfaire les aspirations de ceux qui, avant tout, mettaient les intérêts du Canada. Pour eux, de cette satisfaction à la réalisation de leur but de devenir une nation jouissant d'une autonomie politique et nationale parfaite, il n'y avait que la distance qui sépare une conclusion évidente d'une prémisse bien posée.

L'on a toujours dit et affirmé que ce qui fait la grandeur d'un peuple ou, plus exactement, que les éléments nécessaires à la grandeur d'un peuple sont un grand territoire, une grande population, mais aussi une vaste navigation intérieure et un immense littoral où peuvent être développés de grands havres capables d'accommoder des flottes puissantes pour que le commerce puisse se développer à l'aise, sans interruption durant les douze mois de l'année.

Nul doute que, si nous reconnaissons la justesse de cette proposition et si nous acceptons comme une nécessité de grandeur, ces quatre éléments, l'addition aux provinces de Québec et d'Ontario des provinces atlantiques, avec leurs havres immenses et leur magnifique littoral sur l'Atlantique, était un appoint qui ajoutait à la richesse nationale et qui le rendait non seulement désirable mais, au point de vue de l'intérêt commun, nécessaire.

L'Ouest, avec ses prairies immenses où se ferait l'approvisionnement des grains et que des lignes de chemins de fer pouvaient sillonner en tous sens, était un actif qu'un pays en formation n'a pas le droit de se refuser.

Québec offrait le trait d'union entre ces provinces de l'Ouest et les provinces atlantiques, grâce au Saint-Laurent qui, durant la plus grande partie de l'année, est la grande voie par où viendrait le commerce de l'Europe et par où s'écouleraient, avant longtemps, les blés et les grains de l'Ouest.

L'Ontario, avec son développement industriel et ses grands lacs internationaux, offrait une vaste navigation intérieure qui complétait la chaîne des éléments jugés nécessaires à la grandeur du Canada.

En effet, au point de vue strictement commercial, que ferait l'Ouest durant les cinq mois de l'année durant lesquels le Saint-Laurent se couvre de glace, si les havres de Saint-Jean et de Halifax n'offraient leur sécurité au commerce océanique, de même que, durant les mois qu'il est débarrassé de l'étreinte de l'hiver, le Saint-Laurent, en diminuant le coût du transport, est un actif puissant dans la réalisation de la richesse canadienne.

C'était là, il faut l'admettre, des raisons susceptibles d'engager les hommes de l'époque à désirer cette union ou, après l'avoir repoussée, à l'accepter lorsqu'elle fut contractée. C'était un effort vers l'harmonie, la concorde, mais aussi un effort vers le développement d'une mentalité canadienne que tentaient, en 1867, les hommes politiques qui rédigèrent, proposèrent et firent accepter la Confédération. Ils avaient pour eux cet argument que l'union de Québec et de l'Ontario était devenue un état de chose politique intolérable, vu l'instabilité des gouvernements et l'agitation continuelle dans laquelle se trouvaient les deux provinces. Ils avaient de plus, au point de vue commercial et matériel, cet argument que la Confédération offrait les prémisses d'une organisation contenant elle-même les germes d'un développement certain, d'une prospérité assurée et d'une grandeur facile à prévoir.

Aussi après avoir combattu avec une vigueur et une persévérance que nous devons admirer, Dorion et ses amis, qui s'étaient opposés à ce projet, lorsqu'ils eurent été vaincus, c'est-à-dire lorsque, malgré leur opposition, le pacte eut été signé, croyant que le sort des vaincus, politiquement comme militairement, est de tirer le meilleur parti possible de la position créée par le changement, essayèrent par une modération et une tolérance admirables de conserver la sympathie, la bonne volonté de ceux-là qui faisaient partie de la majorité mais qui, pour cela, ne méconnaissaient pas les droits de la minorité canadienne-française et avaient pour elle un profond respect et une sincère sympathie.

Loin de moi la pensée de vouloir offrir la période qui suivit l'adoption de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique comme la période exempte de tout choc ou de tout heurt entre la province de Québec et les autres provinces de la Confédération, mais je me complais à retenir de l'histoire des cinquante dernières années que les problèmes qui surgirent et qui agitèrent notre pays dans les vingt premières années revêtirent un caractère purement canadien et si, quelques fois, trop souvent hélas pour tous, le fanatisme religieux ou politique se manifesta, toutes attaches et toutes sympathies, lorsque le calme se rétablissait, n'étaient pas disparues. C'était l'époque où une pléiade d'hommes politiques représentant notre race, la firent valoir et lui donnèrent du prestige; c'était l'époque aussi où les provinces anglaises étaient représentées par les hommes les plus capables de comprendre notre état d'âme et de le juger. Aussi l'entente entre eux devenait-elle facile car, dans les hautes sphères de l'intellectualité comme de la science ou de la philosophie, les amitiés se créent et les sympathies naissent facilement.

Malheureusement, ces problèmes politicaux-religieux ont surgi trop souvent dans notre pays. Que l'on ne prenne pas, de grâce, cette affirmation comme une condamnation pour ceux qui en furent la cause, mais comme une simple constatation que, dans leur récurrence périodique, nous retrouverons le germe des préjugés, le germe de l'union des majorités anglaises des différentes provinces contre nous.

Ce qui nous a sauvés jusqu'à aujourd'hui, c'est qu'à toutes ces époques de crise, des hommes qui ne partagaient pas notre foi religieuse, qui n'étaient pas de notre origine, acceptèrent de lutter avec nous pour les principes que nous voulions faire prévaloir, pour les libertés que nous voulions faire respecter. Malheureusement le nombre de ces amitiés diminue en proportion de la fréquence des problèmes et, lentement, insensiblement, dans un but politique, se créa cette doctrine perverse, néfaste, cause de la désunion qui existe aujourd'hui, que nous voulions affirmer dans ce pays la domination du français.

Quelle erreur et quelle absurdité, et pourquoi faut-il avoir, pendant cinquante ans, dans le but d'éviter des crises nationales, accepté des compromis, conclu des ententes, abandonné des parcelles de droit, pour en arriver à un tel résultat, à une telle doctrine. Nous n'avons, il me semble, jamais affirmé autre chose que nos droits à certains privilèges que nous nous sommes plu longtemps à attribuer à la générosité de nos compatriotes anglais, et longtemps l'Angleterre, les institutions et nos compatriotes anglais n'eurent d'admirateurs plus sincères et plus francs que les Canadiens de Québec.

Pourquoi faut-il que, dans le but, eux, d'affirmer une doctrine impérialiste, ils aient de toutes pièces créé le spectre d'une domination française? Ai-je besoin, Monsieur, de vous dire que cette conception de notre idéal est d'invention assez récente et que, dans les premières périodes du gouvernement confédéré, jamais un homme politique d'une province anglaise eût osé faire, en public, une telle affirmation, car immédiatement il se serait trouvé d'autres hommes, dans ces provinces, qui eussent eu le courage de se lever et de démontrer le ridicule de la proposition. Et c'est la cause que bien modestement j'assigne à l'état précaire dans lequel se trouve le Canada, que la mentalité canadienne dans les provinces anglaises a été réduite à ne pas se manifester, si elle ne veut pas venir en conflit et exposer ceux qui la conservent, et la retiennent, à l'ostracisme de ceux-là qui veulent substituer la mentalité impérialiste.

Je crois encore, malgré la vague immense qui semble menacer notre pays et qui, pendant près de vingt ans, fut tenue en échec par un homme à qui l'histoire reconnaîtra une sagesse que ses contemporains méjugent quelques fois, et prennent pour un abandon de principe, je crois, dis-je, que la vague passera et que la réaction que provoquera son passage fera renaître, dans les provinces à qui il est inutile de demander aujourd'hui de se recueillir et de penser, le désir intense de refaire à notre pays, une mentalité conforme à ses aspirations et à ses destinées.

Que, pour le moment, Québec devienne le point de mire qui centralise contre lui tous les efforts et toutes les attaques, devons-nous réellement en être surpris? Notre mentalité, notre compréhension du devoir canadien nous empêchent actuellement d'être au diapason de l'enthousiasme des provinces qui, avant le Canada, mettent les intérêts de l'empire? Quelle superbe occasion offre notre attitude à ceux-là pour qui le pouvoir dans un pays est l'ultime pensée et pour qui la domination est une nécessité afin que les grandes entreprises conservent un monopole, et pour que la guerre puisse continuer à leur profiter, eux qui l'exploitent depuis quatre ans. Aussi a-t-on saisi cette occasion et en profite-t-on pour unir la majorité anglaise contre la minorité canadienne.

Que ce soit blâmable, est-il nécessaire que je l'affirme? Que ce soit condamnable, est-il besoin que je l'expose? Mais tant que la politique se servira de notre race pour servir ses buts, nous sommes exposés à subir ce genre de réaction, suivant que nous aiderons les partis à obtenir le pouvoir ou que nous causerons leur défaite.

Tout, dans le but de servir ces intérêts dont je parlais, a été mis à profit. Je n'entends pas refaire ici le procès de la politique canadienne depuis le début de la guerre, je n'entends pas défendre nos compatriotes pas plus que ma province. Je crois qu'ayant agi comme nous avons agi, animés purement et simplement par notre désir de ne pas mettre en danger l'avenir économique de notre pays et l'avenir national de notre race, nous avons fait notre devoir, en ne sacrifiant pas dans une guerre qui cependant nous intéresse au point de vue moral, autant que toute autre nation du globe, les hommes nécessaires à notre développement agricole et industriel, et en ne permettant pas que cent cinquante ans d'efforts pour conserver notre force agissante dans cette partie de l'Amérique où la Providence nous a placés soient amoindris, ruinés, brisés pour qu'au lendemain de la guerre, notre province déchiquetée ne soit plus capable de continuer les traditions que nous avons accepté comme une mission de perpétuer.

Nous n'avons fait que suivre la ligne de conduite que nous trace notre mentalité canadienne qui, nous inspirant de développer notre action économique, nous permettait d'être un auxiliaire puissant des armées alliées. Que, pour cela, l'on nous taxe de déloyauté, que l'on nous insulte, que l'on nous injurie, vraiment, Monsieur, il faut que l'on ait bien oublié l'histoire de notre pays et de notre race.

L'on prétend que le drapeau de l'Angleterre nous est indifférent, et n'est-on pas allé jusqu'à affirmer, en certains milieux, que nous n'avions pour lui aucun respect, aucune loyauté. Me permettez-vous, Monsieur, de répondre en toute franchise à cette affirmation que l'on se plaît à répéter pour que petit à petit se crée cette impression que nous sommes ici, sur les bords du Saint-Laurent, un groupe de révoltés qui n'attend que le moment pour prendre les armes.

Au drapeau d'Angleterre, tous tant que nous sommes, nous accordons la plus entière, la plus absolue loyauté et le respect le plus sincère car c'est un devoir, et je ne sache pas qu'un peuple, fût-il vaincu, ait jamais maudit le drapeau du vainqueur si, dans ses plis, il a trouvé la liberté qu'il désire, les garanties assurées, les privilèges consentis par le traité qui l'a soumis. Mais que l'on fasse un devoir au peuple vaincu d'aimer le drapeau du vainqueur, il me semble que c'est là mal connaître l'âme humaine, car ce principe ne pourrait être sérieusement soutenu.

La loyauté est un devoir, l'amour est un sentiment. Si la loyauté se commande, le second se gagne, l'on ne peut l'imposer; l'on peut à force de bonne volonté, à force de sympathie, se l'attirer, mais ce ne sera jamais en injuriant ou en insultant ceux à qui on l'a imposé que l'on arrachera cet amour.

Que l'on ne se méprenne pas, de grâce, sur ces affirmations qui précèdent. Loin de moi de dire ici que nous n'avons pas aujourd'hui, autant que dans le passé, un attachement national au drapeau britannique, non pas parce qu'il est le drapeau de l'Angleterre, mais parce que, pour nous, il représente les institutions britanniques qui, quoi que l'on puisse dire des hommes qui les administrent et qui les reflètent, demeurent le modèle des institutions parlementaires humaines. Elles ont de bon que, venant du peuple qui les a gagnées et chèrement payées, il conserve sur elles une emprise qu'aucun pouvoir ne peut briser, ne peut enlever. Il se peut que, dans des moments de crise et d'agitation nationales ou politiques, les institutions accaparées par des agioteurs, des profiteurs ou des financiers semblent chancelantes; ceci ne prouve rien de plus que tout ce qui est humain est susceptible d'erreur et de servir, par moments, à des fins auxquelles il n'était pas destiné.

Ne nous faut-il pas reconnaître, Monsieur, que dans le passé, nous avons eu, dans notre pays, le gouvernement le plus démocratique qu'un pays puisse désirer, et je crois qu'à la lumière de notre histoire, il nous est encore permis, lorsque nous jugeons les institutions qui nous valurent ce mode de gouvernement, d'affirmer que, pour être injuste, notre constitution doit être violée.

En effet, ne nous faut-il pas admettre que presque chaque fois que nous avons eu à nous plaindre dans le passé du gouvernement de notre pays, et aujourd'hui encore plus qu'autrefois, ce dont nous nous plaignons le plus amèrement et avec le plus de raison, c'est que le texte de notre Constitution et, plus souvent encore, l'esprit qui l'inspira, est effrontément violé par ceux-là qui s'en servent pour leur bénéfice politique ou personnel.

Le respect de la Constitution canadienne dans le passé lui a valu notre loyauté, car nous étions habitués à penser que jamais aucun gouvernement canadien ne l'ignorerait dans ses rapports avec le peuple. Le dernier Parlement canadien s'est chargé de nous enlever cette illusion et de nous prouver une fois de plus que les institutions humaines, quelles qu'elles soient, en elles-mêmes, peuvent servir au développement de ceux qui les acceptent, pourvu qu'elles soient confiées à des hommes capables de les comprendre et de les administrer, suivant le but que par elle un peuple se propose d'atteindre, mais peuvent aussi servir de jouet entre les mains de politiciens qui, pour arriver à leur but, ne se laisseront pas arrêter même par leur violation.

Ces violations de notre Constitution, cette direction donnée à notre politique en marge du but que ses institutions lui indiquaient, proviennent de raisons extérieures qui lentement ont influencé nos politiques anglais canadiens qui ont accepté comme une possibilité le panbritanisme qui met au-dessus des intérêts canadiens les intérêts de l'Empire et qui, pour parvenir à son but, est prêt à sacrifier l'avenir économique canadien. Pour reprendre le mot cyniquement patriotique anglais lancé dans notre pays, il est prêt à "Mettre le Canada en banqueroute, s'il le faut, pour sauver l'Empire".

C'est la thèse de ceux qui sont convertis à la doctrine de Charles Dilke, reprise sous une forme plus facile à accepter par Joseph Chamberlain, et plus tard propagée par Lord Milner, que le temps était venu de concentrer les efforts individuels des colonies dans un magnifique effort commun tendant à affirmer la suprématie mondiale à l'Empire anglais.

Cet impérialisme a jeté dans notre pays des ferments de discorde d'où sont nés les problèmes qui se dressent aujourd'hui devant nous, problèmes capables le mieux et le plus de diviser les races qui l'habitent, les provinces qui le composent.

Me gardant de prétendre refléter l'opinion de nos compatriotes anglais, je ne crains tout de même pas d'affirmer qu'ils sont encore nombreux, parmi eux, ceux qui croient que l'impérialisme est un danger, qui ne l'acceptent pas, et l'accepteront encore moins demain, mais qui, pour le moment, entraînés, les uns par un sincère et ardent patriotisme, considèrent un devoir d'aider par tous les moyens possibles l'Empire, pour empêcher qu'il ne subisse dans le présent conflit un échec, une déchéance. Devant ceux-là, Monsieur, nous n'avons qu'à nous incliner, ils peuvent à notre point de vue perdre contact avec notre mentalité, mais pouvons-nous leur reprocher de conserver un amour sincère pour un pays qu'ils viennent à peine de quitter. D'autres ne voient malheureusement dans le présent conflit et dans l'acceptation de la doctrine impérialiste qu'un moyen de s'enrichir facilement à même la guerre. Dispensons-nous de juger ce patriotisme. Laissons ce soin à l'avenir, ce sont là des fortunes qui ne font pas honneur à ceux qui les possèdent et, un jour ou l'autre, ils l'apprendront de leurs compatriotes.

Mais pour nous, ni l'une ni l'autre de ces deux raisons ne pouvait, Monsieur, même dans un moment de crise mondiale, nous faire accepter cette infiltration profonde de l'impérialisme dans la politique canadienne. En effet, nous croyons à la nécessité d'une mentalité canadienne. Comment pouvons-nous alors concevoir pour notre pays d'adopter une doctrine dont l'élément essentiel est d'empêcher que se fonde et se forme cette mentalité canadienne? Comment pouvons-nous concevoir qu'une doctrine qui est cause aujourd'hui de l'effroyable guerre qui bouleverse l'Europe puisse être avantageuse à notre pays? L'impérialiste anglais n'est pas plus tolérable que le pangermanisme.

En effet, c'est le pangermanisme, impérialisme allemand, nous dit-on, qui est la cause immédiate du conflit actuel, et c'est le désir d'empêcher cet impérialisme d'affirmer sa puissance sur le monde qui a groupé contre lui presque tout le continent européen.

Me serait-il permis d'affirmer que l'impérialisme, quel qu'il soit, est un danger pour le monde, qu'il soit romain, qu'il soit grec, qu'il soit allemand ou anglais, ou même que se rapprochant de nous, qu'il soit américain, il crée dans le monde un élément de puissance qui, asservissant des faibles, prive quelque part quelqu'un de ses libertés, en le subjuguant à ses volontés, en l'entraînant dans sa politique de conquête ou d'accaparement, dans un simple but de lucre et d'intérêt matériel.

Chamberlain ne se gênait pas, d'ailleurs, de le reconnaître lui-même lorsqu'il affirmait à Londres, le 9 juin 1896, que "l'Empire ne serait qu'une immense société coopérative de production et de consommation dont l'Angleterre, ayant les parts de fondateur, aurait aussi les plus clairs bénéfices".

Nous ne pouvons comprendre l'intérêt que peut avoir notre pays à accepter cette thèse d'égoïsme qui met à contribution les petits peuples pour faire la grandeur et la puissance d'un grand... Certes, s'il ne s'agissait que d'assurer à l'Angleterre des bénéfices matériels, malgré notre répugnance à les assurer aux dépens de notre développement économique, notre opposition ne revêtirait peut-être pas le caractère opiniâtre qu'elle revêt actuellement. Mais nous savons, pour l'avoir maintes fois lu, que le but ultime que veut atteindre l'impérialisme est la création d'un conseil que les relations commerciales rendront tôt ou tard nécessaire. Alors, comme le commerce d'une grande nation doit nécessairement être protégé, tous les membres qui constituent cette nation ou cet empire doivent contribuer à la défense de ce commerce.

La conclusion est facile à tirer, acceptant le principe de l'impérialisme commercial, et plus tôt que tard, dans un but de protection commune, il faudra contribuer au maintien d'une marine capable de protéger le commerce de l'Empire.

Ne serait-ce pas là reculer de cent ans en arrière et devenir un État tributaire de la Grande-Bretagne. Nous ne serions plus les citoyens d'un pays que nous avons eu l'orgueil de considérer quelque temps une nation. Nous serions les citoyens d'une colonie payant redevance annuelle à la mère-patrie. Certes que l'ambition de ceux qui désirent affirmer cette doctrine dans le monde anglais reflète un ardent patriotisme, je le crois; que cette pensée d'un grand empire sur lequel le soleil ne se couche jamais soit une expression d'orgueil admirable, c'est bien, mais que nous importe à nous cette grandeur et cette puissance, si elle est faite de notre faiblesse et de notre asservissement!

Serait-ce, par hasard, manquer de loyauté à l'Angleterre que de croire que l'état de colon ne peut pas être un état permanent, que tout au plus il est un stage dans la vie d'un peuple. "Qu'il est à peine une transition, un passage de l'enfance à la virilité des peuples". S'en convaincre est facile à quiconque ouvre l'Histoire, il y verra qu'ils sont rares les pays qui ont résisté à cette loi universelle. Dans le lointain de l'histoire, les colonies de la Phénicie et de la Grèce affirment cette vérité historique, ainsi que, plus près de nous, les États-Unis, le Mexique et le Brésil nous la démontrent aussi.

Animés de cette suprême pensée que nous suivons cette loi universelle et que, du rang de colonie, nous passerons un jour au rang des nations libres de l'univers, devons-nous accepter de nous forger des chaînes qui nous empêcheront de préparer notre avenir, tel que nous le devons?

Je ne suis pas actuellement un séparatiste mais je crois que notre pays a le droit d'aspirer pour le moment à la somme d'autonomie la plus parfaite possible et que, dans un avenir que détermineront les circonstances et le temps, l'Angleterre s'enorgueillira d'avoir donné au Canada le rang d'une nation libre et indépendante.

Nous ne devons jamais oublier que nous vivons l'histoire et que ceux-là qui viendront après nous l'écriront; il pourront, eux, avec impartialité, relater nos actes, commenter nos paroles, ils nous béniront ou nous exécreront, selon que nous aurons écouté la voix intérieure qui dicte à tout homme son devoir, ou selon que, sourds à cet appel de la voix intérieure qui est la conscience nationale, nous aurons orienté notre politique et notre pays vers des destinées que la Providence n'avait pas prévues pour lui. Ah, je me souviens de cette parole que "L'homme s'agite et Dieu le mène", mais nous n'avons tout de même pas le droit d'espérer que cette Providence, en qui nous croyons, nous conduira dans la voie qu'elle avait prévue et préparée pour nous si, nous obstinant à ne pas vouloir dessiller nos yeux, nous ne nous laissons pas diriger par la lumière qu'Elle verse sur nous. Et la lumière qui le plus facilement indique à un peuple la voie qu'il doit suivre, c'est celle que l'histoire projette lorsqu'on la consulte et qu'on l'étudie. Tout dans l'histoire nous indique notre rôle. Nous sommes actuellement à faire un stage, nous sommes dans l'enfance d'un peuple; préparons notre virilité.

Il pourrait peut-être sembler à quelques-uns que je me sois bien écarté de la question que nous avons à discuter, et qui me faisait au début jeter un aperçu rapide sur notre politique canadienne depuis la Confédération. Pourtant, j'affirmais que ce qui rendait nos problèmes dans ce pays difficiles, c'était le fait qu'il était habité par des races d'origines distinctes, de fois différentes, de mentalités ne s'harmonisant pas. C'est pourquoi les enseignements de l'histoire ne peuvent être dans notre pays acceptés par les diverses races de la même manière et, surtout, avec autant de facilité. Aussi faudrait-il que, lorsque surgissent des problèmes qui affectent notre avenir, ceux-là seuls qui croient aux destinées du Canada soient ceux à qui la solution de ces problèmes soit confiée.

Comment veut-on que ceux-là qui ne sont ici qu'en passant puissent considérer un problème affectant notre vie économique, au même point de vue que nous, les enracinés, qui y sommes ici pour y vivre et qui y mourrons?

Pour les premiers, la patrie, ce n'est pas le Canada, le "Home" est au-delà des mers, dans quelque montagne d'Écosse ou quelque ville d'Angleterre qu'ils aspirent à revoir et où il ont conservé des affinités puissantes. Nous, où que nous vivions, sur les bords de la Gaspésie ou dans les Laurentides, que nous demeurions sur les bords du Saint-Laurent ou dans quelque humble village éloigné des villes, notre patrie à nous, c'est le pays où, depuis trois cent ans, ont vécu nos ancêtres, c'est le pays où sont nés nos petits enfants. Notre seule ambition, notre seul espoir, notre idéal suprême, c'est d'assurer la grandeur de ce pays.

Oh, que l'on ne croie pas pour cela que, superbement isolés, nous méconnaissons les devoirs des relations extra-territoriales, que l'on ne s'imagine pas non plus que, pour nous, il n'existe pas de France et pas d'Angleterre, mais notre désir de les aider ne peut aller jusqu'à leur sacrifier l'avenir du Canada. C'est pourquoi nous ne comprenons pas que des immigrés, qui n'ont jamais vu notre pays, soient appelés, grâce à une violation flagrante de notre Constitution, à se prononcer sur des problèmes qui nous affectent et qui mettent en danger, à notre point de vue, la vie politique, économique et nationale de notre pays, eux qui ne viendront jamais sur nos rives et qui, de nos besoins et de notre situation, ne connaîtront jamais rien.

Nous ne comprenons pas, non plus, que dans un moment d'effervescence politique et nationale, dans le but avoué et déclaré ouvertement d'étouffer la voix d'électeurs à qui, jusqu'à aujourd'hui, avait été confiée la solution de nos problèmes politiques et nationaux, le droit de vote soit accordé à des milliers et des milliers d'électeurs à qui jusqu'à aujourd'hui ce privilège avait été refusé4.

Nous ne comprenons pas non plus qu'au prix d'une violation nouvelle de la constitution, des hommes que l'on avait attirés dans notre pays en leur affirmant sur l'honneur national que la maxime qui veut que: "Sujet britannique un jour, sujet britannique toujours" serait ici respectée, se voient nier le droit qu'a tout citoyen britannique d'exprimer son approbation ou sa désapprobation des lois, au moyen du vote.

Pourquoi ces violations, cette exagération? Est-ce que le salut de la patrie l'exige, est ce que, reprenant la parole des Girondins, l'on veut affirmer que "Périsse la patrie plutôt qu'un principe", et que le principe impérialiste vaille que l'on sacrifie pour lui le Canada, ou n'est-ce pas purement et simplement parce que, dans l'opinion de ceux qui la partagent et qui l'acceptent comme un Évangile, la doctrine impérialiste doit être imposée de force au Canada, puisque le peuple canadien ne veut pas l'accepter de bonne grâce.

Si c'est là, et il semble, bien malheureusement pour notre pays, que ce soit l'arrière-pensée qui a dicté les violations que je viens de mentionner bien rapidement, qu'il me soit permis bien modestement et bien humblement d'affirmer que les oeuvres fondées sur la violation de traités ou de constitutions portent en elles-mêmes un germe de destruction qui les empêchera d'atteindre leur but et, gangrenant leur organisme plus tôt que l'on ne pense, les conduira à leur perte et à leur disparition. L'on ne peut molester les peuples, pas plus que les individus, sans que la justice innée en l'homme se révolte un jour et, faisant taire même au prix de sacrifices énormes l'intérêt personnel, se fasse entendre et, ce jour-là, vous le savez, Monsieur, rien ne peut résister à la voix d'un peuple satisfait d'avoir pour lui cette justice. On peut bien pendant quelque temps le maintenir dans les limites qu'on lui a assignées, on peut bien par la peur ou grâce à l'affolement le réduire à une obéissance qu'il endure, tout comme l'on peut bien par la force maintenir un esclave dans ses chaînes, mais lorsque le sentiment de justice se manifeste en l'homme, surtout lorsque cet homme est libre, l'on ne peut l'empêcher de crier sa révolte au monde.

Je ne veux rien affirmer de plus que ceci, c'est que les causes de révolte et de décadence sont à peu près les mêmes pour toutes les oeuvres et tous les empires fondés dans la violence. Ce qui peut faire aujourd'hui la force de l'impérialisme anglais dans notre pays, l'acceptation du militarisme, sera demain la cause de sa faiblesse et de sa décadence. Rome résista à la poussée de ses colonies révoltées jusqu'au jour où ses soldats enivrés de gloire refusèrent de reconnaître les droits du gouvernement civil et, avant de lui obéir, demandèrent l'opinion de leurs généraux. Je ne souhaite pas que l'Angleterre traverse les jours tragiques de la décadence romaine, mais elle se prépare des lendemains bien dangereux, elle qui crée dans ses colonies une caste militaire qui ne doit actuellement sa puissance qu'à l'affolement des esprits.

En fait, qui peut dire quelle sera la réaction en Angleterre et dans ses colonies après la guerre quand, après s'être incliné d'admiration devant ceux qui reviennent du champ de bataille où ils ont soutenu l'effort que leur devoir leur inspirait, ils évaluent leur nombre et décident de devenir un facteur dans la vie politique de l'Angleterre et de ses colonies. Où va mener cette réaction? Souhaitons que le futur, dans lequel se retrouvera la réponse à cette question que nous ne pouvons qu'offrir à la discussion, sera en mesure de résoudre le problème dans les intérêts de tous. Me sera-t-il permis d'espérer que nous ne commettrons pas l'erreur d'accepter comme une nécessité la permanence de ce militarisme créé en quelques années. Car toute notre politique est fondée et puissamment appuyée sur ce principe démocratique qui veut qu'il n'y ait pas chez nous de classes et surtout qu'il n'y ait pas de castes. Que l'époque que nous vivons les ait vues s'ériger, les ait vues se développer, notre espoir est que la paix les fera disparaître et alors notre pays reprendra son caractère profondément démocratique.

Si ce n'est pas le cas, et si la caste essayait de devenir une force permanente, il serait temps de dire avec Montesquieu qu'il y a dans chaque nation un esprit général sur lequel la puissance même est fondée; quand elle choque cet esprit, elle se choque elle-même et elle s'arrête nécessairement5. Il y a dans la nation anglaise cet esprit général démocratique, bien que son gouvernement soit une monarchie constitutionnelle, mais si l'Angleterre choque cet esprit du peuple et cherche à le diminuer par une puissance qu'elle crée à son détriment, elle choquera cet esprit général et, ce jour-là, ce n'est que logique, c'en sera fait de la monarchie anglaise. Il en sera de même pour les colonies. Tout en se confinant à l'intérieur de frontières bien déterminées et fixes, le peuple, dont les demandes n'allèrent jamais jusqu'à menacer le pouvoir établi, comme cela a été fait il n'y a pas si longtemps en Angleterre, ce peuple, je dis, ne permettrait pas à un gouvernement colonial de dévier des principes démocratiques acceptés par lui et de devenir une autocratie.

Nous devons malheureusement reconnaître que des événements récents dans notre pays donnent matière à réflexion à ceux qui souhaitent que les principes de saine démocratie, de gouvernement du peuple par le peuple, conforme à ses besoins et aspirations, devraient continuer de mener notre politique.

L'esprit général sur lequel la puissance même du Canada est fondée se trouve profondément choqué par des mesures auxquelles il est soumis. Si cet esprit ne se manifeste pas présentement, c'est qu'une telle manifestation est réprimée par un sentiment plus puissant que son désir d'exprimer sa volonté. Aussitôt finie la guerre qui l'a contraint à accepter ce qu'il n'aurait jamais permis en temps de paix, l'esprit canadien désapprouvera cette politique néfaste et exigera des hommes politiques une voie compatible avec la mentalité qui requiert que tous les efforts de la nation, autant collectifs qu'individuels, tendent au meilleur pour le Canada. La guerre finie, il y aura une renaissance canadienne animée d'un désir unique et d'une formidable espérance.

La paix européenne qui, nous en conservons malgré tout l'espoir, rétablira l'équilibre mondial, devra, il nous semble, avoir sa répercussion chez nous. Tous les pays, grands ou petits, puissants ou faibles, devront dans la période de l'après-guerre, faire l'examen des ruines causées par le conflit. L'amour de la patrie, petite ou grande, partout où cette patrie existe, inspirera aux individus une volonté et une énergie nationales qui leur feront surmonter toutes les difficultés et les unira dans un suprême dessein de reconstituer dans sa forme matérielle la patrie d'avant-guerre.

Pourquoi ne pas espérer que le même amour inspirera la même énergie nationale dans l'ordre moral et rapprochera les individus de certains pays, que la guerre avait éloignés les uns des autres, par suite d'une compréhension différente de l'idée même du devoir à la Patrie.

Il n'y aura plus alors qu'une question, qu'un but, qu'une idée, que tous pourront accepter comme une nécessité vivifiante et nationale, ramener entre les individus d'un même pays la paix, l'harmonie et la bonne entente que le monde entier connaîtra lui-même après en avoir été privé si longtemps.

Ce jour-là, l'impérialisme et le militantisme seront écartés comme des éléments capables de nuire à cette oeuvre de reconstruction matérielle et morale. C'est pourquoi je vous répète avec Whickham Steed, "Il faut dorénavant regarder vers l'avenir et non pas avec le regret au coeur, vers le passé, Il faut regarder vers l'aube pour entrevoir le moment où le soleil va paraître et ne pas penser aux soleils qui sont déjà couchés".

Je regarde vers l'aube avec tout mon amour de la patrie canadienne, je regarde cette aube avec tout mon enthousiasme, parce que je crois que le jour n'est pas si lointain que nous le croyons où le soleil dont les rayons sont nécessaires pour réchauffer l'âme canadienne se lèvera enfin sur notre pauvre pays déchiré, divisé, meurtri. Il ne nous est pas permis de désespérer du soleil de demain. Ce sera celui de la liberté dans le monde, celui qui fera respecter les droits et les obligations réciproques des peuples, celui qui réchauffera l'enthousiasme des individus, celui qui fera oublier par sa splendeur nouvelle les rayons des derniers jours d'angoisse nationale et, réconfortant les âmes, reliera la chaîne des traditions en unissant les coeurs et les volontés dans un effort commun. C'est alors que montera jusqu'au plus haut des voûtes éternelles, et de toutes les maisons canadiennes, un Te Deum d'allégresse entonné par toute une nation prenant conscience enfin de sa force et qui, toutes grandes ouvrant les ailes, pourra sans craindre qu'il ne l'éblouisse regarder l'avenir; la nation canadienne sera élevée, l'âme canadienne le fera vivre et l'idéal canadien la guidera. (Applaudissements)

Je sens que cet optimisme surprendra un grand nombre de mes compatriotes qui, s'arrêtant à considérer le mal que le fanatisme aveugle a fait dans notre pays, ne peuvent croire qu'il soit possible de conserver une espérance. Qu'ils me permettent, ceux-là qui pensent ainsi parce qu'ils ont beaucoup trop souffert, que la souffrance rend sceptiques, ceux qui se complaisent à la nourrir et qui l'avivent de leurs souvenirs attristés, de leur dire qu'elle est un enseignement et qu'elle trace une ligne de conduite à ceux-là qu'elle fait recueillir et qu'elle fait penser. Tous tant que nous sommes, nous avons souffert de l'insulte et de l'injure, tous nous nous sommes raidis sous les outrages, nous avons tous essuyé la tempête, et le choc a avivé chez tous notre susceptibilité nationale.

Nous avons regardé notre race et nous l'avons vue pleurer.

Nous avons lu ce que disait de nous la presse d'Angleterre et nous nous sommes demandé si nous étions sujets britanniques.

Voyant les attaques qu'en France les journaux se plaisaient à diriger contre nous, nous nous sommes demandé si notre origine est ce que nous la croyons.

Regardant la presse américaine, nous nous sommes demandé pourquoi, quelques fois, les États-Unis nous étaient apparus dans nos rêves d'avenir.

En lisant la presse canadienne-anglaise, nous nous sommes demandé si nous étions chez nous dans ce pays.

Eh bien, malgré tout cela, je suis un optimiste, je crois en l'avenir canadien et je crois en la possibilité d'une mentalité canadienne, parce que, à ces questions multiples que nous nous sommes posées, une réponse a suffi, une réponse qui est une affirmation de foi nationale, un crédo, une espérance d'avenir politique. Dans l'affolement général, il faut que nous ayons conservé notre calme, il faut que nous soyons restés profondément canadiens pour avoir subi le choc et être encore capables aujourd'hui de résister.

Il faut que notre position ait été bien forte et bien logique pour que ceux-là qui jugeaient antipatriotiques nos revendications et notre attitude n'aient eu en guise d'arguments à nous offrir que des injures et des insultes.

Si nous avons avec nous la logique et si notre conscience individuelle et nationale nous a dicté ce que nous croyons avoir été un devoir et si, voyant ce devoir, nous l'avons accompli, confiants que nous sauvions notre pays de la ruine vers laquelle des théories extravagantes l'entraînaient, n'ai-je pas raison d'espérer qu'attirés par cette logique, un jour ou l'autre, l'on nous dira qu'après tout, nous n'avions pas tort, et ne croyez-vous pas avec moi, Monsieur, que le jour où nous aurons raison, nous pourrons nous flatter d'avoir préparé la résurrection de l'âme canadienne.

Rien n'est plus changeant que l'esprit humain. Il s'accommoderait mal d'une constance qui le lierait et qui limiterait son évolution. S'il n'en était ainsi, jamais dans le monde il ne serait possible d'espérer une réaction et, au lendemain des guerres qui le soulèvent et qui l'agitent, il ne pourrait se remettre à la tâche ardue qui l'attend et qui doit, comme condition précédente de son succès, lui faire, je ne dirai pas pardonner mais, temporairement, oublier les motifs qui l'ont agité et qui l'ont soulevé.

C'est pourquoi au lendemain des guerres, les peuples renouent les relations nécessaires à leur grandeur respective et confient au temps le soin de cicatriser les blessures dont ils souffrent et c'est dans ce moment que chaque nation produit des hommes qui s'élèvent au-dessus des préjugés de la foule, indiquant comme un devoir national, le renoncement, l'oubli des injures et des insultes.

Je crois que c'est aimer le Canada de dire que la crise actuelle passée, passera avec elle la vague de patriotisme impérialiste qui le menace, que c'est l'aimer sincèrement de croire que les relations entre les différentes provinces seront renouées.

Pour cela, j'admets qu'une condition soit nécessaire. Il faut que dans les provinces anglaises se lèvent des hommes puissants qui se mettent au-dessus des préjugés de la foule et qui s'adressent à ceux-là qui n'ont pas oublié l'idéal qui les animait tous, et qu'ils regardent comme nous l'aurore des jours nouveaux et sachent inculquer, à ceux dont ils prendront la direction, l'idéal canadien que nous croyons être le seul qui puisse fondre en un tout magnifique, les différents groupes et les différentes races qui se partagent notre pays.

Ce sera alors le moment de réaffirmer les principes sur lesquels nous croyons assise la Constitution de notre pays, et ces hommes de provinces anglaises nous donneront la main, répétant le geste de leurs ancêtres, et renoueront avec nous des traditions que nous n'avons jamais voulu briser.

L'on me dira peut-être que j'ai tort d'espérer que des provinces anglaises surgiront des hommes capables de s'élever au-dessus des préjugés de la foule. Je me permets de répondre que je crois qu'il y a, chez nos compatriotes anglais, une minorité puissante dont le secret désir est de voir cesser l'état de chose actuel. Je crois qu'il y a chez eux une secrète ambition que le Canada demeure maître de ses destinées et que la doctrine que nous préconisons reprenne son emprise sur le peuple canadien.

Je crois à cela parce qu'à toutes les époques de notre histoire, chaque fois que notre pays a traversé une crise nationale ou politique, des hommes, je l'ai dit au début de mes remarques, qui ne partageaient pas notre foi religieuse et qui n'étaient pas de notre origine, ont joint leurs efforts aux nôtres pour faire prévaloir un principe, pour promouvoir une grande idée, pour empêcher une injustice ou pour défendre un droit.

C'est ainsi qu'en 1837, pour assurer le principe de la responsabilité ministérielle, McKenzie joint ses efforts à ceux de Papineau. Sous l'Union, Baldwin s'allie à Lafontaine dans la revendication des droits du français et de cette union féconde naissent les droits de la langue française au Parlement. En 1867, pour affirmer le droit qu'a le peuple d'approuver ou désapprouver un changement de constitution, Howe et Dorion se donnent la main et réclament un référendum.

En 1885, pour empêcher que se commette un crime, celui de Régina, Blake joint son éloquence à la voix de Laurier, et sur toutes les questions qui ont agité l'opinion publique de notre pays, nous avons toujours vu des hommes politiques anglais, risquant leur avenir politique pour prendre fait et cause pour une idée, un principe, une revendication que Québec voulait affirmer.

Voilà pourquoi, monsieur l'Orateur, je ne désespère pas et je conserve cet espoir qui m'anime et dévoile un avenir qu'il me permet d'envisager avec confiance.

L'on me dira encore, peut-être, la menace d'isoler le Québec dont font grand état les journaux des provinces anglaises, et l'on s'interrogera s'il n'y a pas lieu de craindre que tous nos sentiments de modération et de tolérance ne serviront, en somme, qu'à ceux- là qui en abuseront pour promouvoir leur oeuvre de fanatisme que nous nous efforçons d'oublier.

Lorsque depuis si longtemps, en effet, certains journaux dressent devant nous ce qu'ils croient être un épouvantail, aussi bien, peut-être, leur répondre que nous ne craignons pas l'isolement de Québec.

Ce serait la déchéance du commerce des provinces anglaises et en revanche aucun autre marché où les comptes se soldent avec plus d'honnêteté, ne s'offrent à elles. En effet, ne craignons pas d'affirmer que Québec est un superbe marché dont on ne peut se désintéresser sans risquer que le coup qu'on nous portera ne fasse à ceux qui nous le porteront plus de mal qu'à nous-mêmes.

Le commerce n'est pas une question de sentiment, mais une question d'intérêt et quelles que soient les relations entre les individus partout où le commerce est possible, les individus entre eux tenteront de le faire tout comme les peuples. C'est ce qui faisait affirmer à Lord Cecil qu'au lendemain de la guerre, il n'y aura pas en Angleterre de boycottage des produits allemands et qu'on importerait d'Allemagne ce qui serait nécessaire à l'Angleterre, tout comme on exportera à l'Allemagne ce dont elle pourra avoir besoin.

Laissons de côté l'intérêt entre les provinces, les relations commerciales entre les individus, contentons-nous de nous demander quels sont ceux qui, dans Québec, souffriraient de l'isolement, si toutefois il était possible, quels sont les propriétaires des plus grands établissements industriels, quels sont les directions des plus fortes banques du Québec? Ce sont nos compatriotes anglais de Montréal et de Québec. Ne croyez-vous pas, Monsieur, que notre isolement serait un coup direct porté à cette suprématie financière anglaise dans notre province? Et s'il se faisait, tout ce que la puissance commerciale anglaise a de ressources serait mis en oeuvre pour le faire cesser dans son propre intérêt.

Quant à nous, je n'ai pas la prétention de vouloir soutenir que notre organisation économique nous permette d'être isolés.

D'ailleurs, nous ne le voulons pas, nous ne l'avons jamais voulu.

Nous ne voulons pas être la Superbe Isolée, mais en intensifiant notre production, nous pourrions peut-être développer pour nous des industries qui n'existent pas à l'heure qu'il est, et souffririons-nous pendant quelques temps, qui sait si notre malheur ne serait pas en définitive source de bien, source de développement matériel et financier.

Non, vraiment, ceux-là qui en souffriraient le plus seraient nos compatriotes anglais de notre province, et je ne cache pas que s'ils avaient à s'exprimer, ils n'oseraient pas se prononcer en faveur d'un tel isolement.

Je me permets donc d'affirmer qu'au point de vue économique, l'on ne tentera pas d'isoler Québec, et le tenterait-on, cet isolement serait de très courte durée.

L'isolement politique, celui-là, dit-on, est plus facile; on affirme d'ailleurs qu'il existe du fait que notre race n'est pas représentée dans l'exécutif de ce pays, et qui est plus, en certains quartiers, l'on trouve dans notre situation une certaine satisfaction.

Aussi bien ne pas laisser durer l'équivoque au point de vue politique, nous sommes maîtres de la situation, nous étions libres de ne pas la créer, il nous suffisait pour cela de trahir ce que nous avons cru et continuons à croire, notre devoir. Avoir dans l'exécutif de ce pays, actuellement, des hommes de notre race, ce serait un malheur, car ces hommes ne partagent pas l'opinion que Québec a bien clairement exprimée et ils ne représenteraient pas la population du Québec. (Applaudissements prolongés)

Des voix: Très bien!

M. David (Terrebonne): Nous ne nous plaignons pas de notre situation, nous l'avons voulue et ce qui est mieux, nous ne regrettons rien.

Des voix: Bravo!

M. David (Terrebonne): S'il est possible de faire croire à un sentiment que plusieurs trouveront d'une noblesse exagérée, dans notre défaite, Monsieur, au point de vue canadien, nous trouvons une certaine satisfaction, une certaine fierté, lorsque nous nous comptons parmi ceux qui sont si nombreux à partager une saine idée et une saine politique. Si donc l'isolement politique du Québec consiste à ne pas avoir trahi un idéal, nous sommes superbement isolés.

Je disais tantôt que nous éprouvons une certaine satisfaction de la situation politique qui nous est faite; en effet, cette absence de représentant protégera peut-être notre politique de certaines erreurs et nous empêchera de commettre certaines fautes. Elle fera peut-être découvrir à quelques-uns que la politique doit être quelque chose de plus qu'une simple question de patronage...

Des voix : Très bien!

M. David (Terrebonne): ...et si cette absence de patronage, pour quelque temps, pouvait épurer nos moeurs et peut donner des questions politiques, une vision plus claire et plus vraie, étant dégagée de tout intérêt personnel, ne croyez-vous pas, Monsieur, que notre province y aurait gagné?

Mais si d'un autre côté, l'isolement politique consiste à nous empêcher de prendre part à la discussion des problèmes touchant à notre vie politique et nationale, alors ne laissons personne y croire. Nous avons droit à soixante-cinq députés, nous avons exercé notre privilège et notre droit de les élire, et sur ce nombre, soixante-deux ont reçu de nous le mandat exprès et absolu de faire prévaloir au Parlement de notre pays l'idée canadienne et d'enrayer le mal que fait actuellement dans notre pays l'idée impérialiste.

À ceux-là que nous avons choisis parce que nous les avons crus capables de soutenir la lutte, nous demanderons d'être fidèles à la tâche qu'ils ont assumée, de continuer la bataille pour l'idée qui les a fait élire, et de joindre leurs efforts à ceux de nos compatriotes anglais qui prouveront avant longtemps que le Québec n'est pas isolé politiquement, mais qu'il continue à représenter les idées qui présidèrent à la signature de l'acte fédératif, idées qui sont demeurées dans les traditions canadiennes et qui inspirèrent MacDonald et Cartier.

L'isolement de ceux qui ont raison n'est pas possible, car je continue à croire que le bon sens et la logique finissent toujours par avoir raison du préjugé et du fanatisme, et que même ici, au Canada, cette heure viendra et nous pourrons alors nous flatter, je l'ai déjà dit, d'avoir sauvé notre pays.

Au point de vue national, nous tenons entre nos mains, nos destinées. L'on ne peut pas nous isoler plus que ne l'a fait l'acte confédératif, mais que l'on essaie ou que l'on n'essaie pas, on ne changera rien à notre condition ethnique. Nous constituons une entité par nous-mêmes, entité qui doit se développer dans un but d'altruisme et qui doit tenter de se faire comprendre, car se faire comprendre, c'est petit à petit, donner à notre politique comme à notre vie, la mentalité essentiellement canadienne qui leur est due.

Quelle admirable situation que celle d'une minorité comme la nôtre, animée de cette grande idée, de cet ardent désir de continuer les traditions du passé et qui, satisfaite de son rôle, se prépare à le jouer pour doter le pays qu'elle habite d'une mentalité qu'elle s'est créée, qu'elle possède actuellement avec certaines provinces touchant à l'océan, qui ayant un vaste horizon, conçoivent qu'une province n'est pas tout un pays, qu'il y a au-delà des individus, des peuples qui ont droit à la vie et ont droit à une mentalité qui soit conforme à leurs besoins et à leurs aspirations.

Le jour n'est pas éloigné où l'on saura gré dans notre pays, à la minorité que nous sommes, d'avoir su développer, conserver et propager cette mentalité seule capable de permettre au canada de se développer suivant les besoins de sa situation géographique et de lui faire atteindre les destinées que lui tracent ses origines.

Superbe isolement temporaire que nous regrettons pour ceux qui l'ont créé mais dont notre fierté canadienne s'exalte et se console.

C'est à cause de ce rôle que nous jouons et de cette fierté que nous en ressentons, qu'il est de notre devoir de demeurer sur le champ de bataille sur lequel la Providence nous a placés, champ de bataille que nous avons accepté depuis 1763, malgré les occasions fréquentes que nous avons eues de l'abandonner si nous l'avions voulu.

Les grandes victoires de l'Histoire ne sont pas toujours celles des grands conquérants; elles ne sont pas non plus, toujours le résultat d'actions éclatantes, mais souvent elles sont le résultat de résistances opiniâtres qui finissent par vaincre la persévérance d'une majorité. La Pologne, se libérant du joug moscovite, ne remportera-t-elle pas une des plus grandes victoires que l'histoire ait mentionnées, une victoire digne d'un peuple comme le peuple polonais? Et la Hongrie dont la langue et les institutions avaient été bannies, n'est-ce pas aussi une grande victoire qu'elle remporta grâce à sa ténacité, à sa constance et à son refus immuable d'abdiquer sa fierté nationale à l'Autriche qui l'avait subjuguée.

La race canadienne se doit à elle-même et doit au Canada de remporter elle aussi une victoire que l'histoire puisse enregistrer, et elle la remportera le jour où règnera dans ce pays la paix, l'harmonie que développera cette mentalité canadienne qu'elle aura su par sa modération et sa tolérance, faire accepter par tous les groupes et toutes les races.

Je suis de ceux qui croient que la vie sans un grand idéal est dépourvue de satisfaction, je suis de ceux qui croient qu'en un siècle comme le nôtre, lutter pour un idéal politique ou national, est une lutte méritoire.

Notre race a ce grand idéal qui anime sa vie nationale et qui lui donne une claire vision des dangers qui peuvent assaillir notre pays. Ce n'est donc pas le moment de songer à lui faire abandonner la lutte pour cet idéal, elle doit persister avec une ténacité et une constance nouvelles, car plus la résistance sera longue, plus la victoire sera grande.

Et c'est pourquoi, M. l'Orateur, je suis convaincu que j'accomplis mon devoir envers ma race, ma province et mon pays, en affirmant que je conserve malgré les dangers qu'elle offre et que la crise récente nous a fait voir, pour la Constitution de notre pays, je ne dirai pas un attachement profond, mais le respect que l'on doit à la Constitution qui nous régit lorsque l'on se convainc que ses clauses renferment assez de justice et assez de garantie pour offrir un redressement des torts que l'on cause en la violant.

Quels que soient les modes de gouvernement ou les constitutions, tous sont capables, temporairement au moins, de servir aux besoins, aux aspirations du peuple qui les accepte et qui ne cherche pas à les faire dévier du but pour lequel ils ont été acceptés. Il suffit donc de les confier aux mains d'hommes désintéressés, à l'esprit assez large pour les interpréter suivant l'esprit qui a présidé à leur acceptation. Pour ma part, et je n'ai pas la prétention de représenter dans cette affirmation plus que mon humble opinion personnelle, mais je crois qu'il est préférable pour une minorité d'être gouvernée en vertu d'une constitution qui peut comporter pour elle des dangers, mais en vertu d'une constitution dont elle connaît les dangers, que d'accepter un système politique nouveau, qui apparemment lui offrirait une satisfaction nationale plus grande, mais qui recèlerait peut-être dans l'avenir des malheurs plus grands encore pour elle.

Des voix: Très bien!

M. David (Terrebonne): Nous continuerons à croire, Monsieur, que nos hommes politiques qui ont su inculquer à notre peuple dans la discussion des problèmes du passé, une modération et une tolérance qui pourtant ne doivent jamais aller jusqu'à l'abandon d'un principe, connaissaient et comprenaient la situation dans laquelle se trouvait notre province.

Ils croyaient alors comme nous continuerons, je l'espère, à croire que pour une minorité cette modération et cette tolérance sont deux vertus nationales, plus puissantes qu'une épée lorsqu'on sait s'en servir.

Ne nous laissons donc pas entraîner par le peuple, ne le suivons pas dans ses moments d'aigreur ou même dans ses moments d'animosité légitime, si nous croyons qu'il peut résulter pour lui, de cette agitation un affaiblissement national, politique et moral. Il n'y a qu'une chose qui ajoutée à un idéal, profondément ancré dans l'âme d'une nation, puisse ajouter à sa puissance, c'est un optimisme réfléchi et raisonné, car rien ne déprime plus un peuple que le pessimisme.

C'est donc à ceux qui ont le devoir de le diriger, de dissiper ce pessimisme qui l'aigrit et qui peut finir par créer chez lui un état d'apathie et d'indifférence. Que les hommes politiques se souviennent du rôle qu'ils doivent jouer, c'est à eux de donner une direction, c'est à eux de dire au peuple toute la vérité et sans cesse attirer ses yeux, son intelligence et sa volonté sur le but à atteindre.

Or notre but, le seul que nous puissions envisager sans trahir nos traditions, c'est de perpétuer au Canada l'idée qui a présidé à la fondation de ce pays. Il est impossible de croire que la Providence permettrait que les sacrifices multiples faits par l'ancienne France ne porteraient pas ici des fruits et que le pays qu'elle est venue fonder sur les rives du Saint-Laurent devrait sombrer un jour dans une catastrophe nationale.

J'ai confiance que notre Confédération sortira de ce chaos comme tous les peuples du monde, instruite par la souffrance, éclairée d'une expérience nouvelle, et que trouvant sa voie et ayant besoin de l'effort de chacun des groupes et de chacune des races, elle fera l'appel nécessaire qui ralliera tous les groupes et toutes les races.

Se dégageant alors de l'étreinte de l'autocratie dans laquelle elle jugera elle-même qu'elle est demeurée trop longtemps, et comprenant les dangers de l'avenir si elle ne consolide pas immédiatement toutes les forces, toutes les énergies et toutes les volontés, elle unira dans une grande idée de démocratie politique canadienne, tous ceux qui sous son égide veulent continuer à vivre pour assurer sa grandeur. (Applaudissements prolongés)

Le débat est ajourné6.

La chambre interrompt ses travaux à 6 heures.

 

Reprise de la séance à 7 h 30

 

Fonds de secours des forestiers catholiques

M. Létourneau (Montréal-Hochelaga) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme de nouveau en comité général pour étudier le bill 109 constituant en corporation le Fonds de secours des forestiers catholiques de la province de Québec.

Adopté. Le comité étudie le bill et fait rapport qu'il n'en a pas terminé l'examen.

M. J.-E. Robitaille

M. Francoeur (Lotbinière) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme en comité général pour étudier le bill 96 autorisant le Barreau de la province de Québec à admettre Joseph-Ernest Robitaille à l'exercice de la profession légale, et à lui accorder son diplôme à cet effet.

Adopté. Le comité étudie le bill et en fait rapport sans amendement.

M. Francoeur (Lotbinière) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.

Adopté.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

Civic Investment & Industrial Company

M. Finnie (Montréal-Saint-Laurent) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme en comité général pour étudier le bill 93 amendant la charte de la Civic Investment and Industrial Company.

Adopté. Le comité étudie le bill et en fait rapport sans amendement.

M. Finnie (Montréal-Saint-Laurent) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.

Adopté.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

Corporation des Juifs anglais, allemands et polonais de Montréal

M. Bercovitch (Montréal-Saint-Louis) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme en comité général pour étudier le bill 110 amendant la charte de la corporation des Juifs anglais, allemands et polonais de Montréal.

Adopté. Le comité étudie le bill et en fait rapport sans amendement.

M. Bercovitch (Montréal-Saint-Louis) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.

Adopté.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

Union Saint-Joseph et Saint-Michel

M. Péloquin (Richelieu) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme en comité général pour étudier le bill 106 amendant la Loi 57 Victoria, chapitre 81, régissant l'Union Saint-Joseph et Saint-Michel.

Adopté. Le comité étudie le bill et en fait rapport sans amendement.

M. Péloquin (Richelieu) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.

Adopté.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

The Quebec and Atlantic Railway Company

M. Cannon (Québec-Centre) propose, selon l'ordre du jour, que la Chambre se forme en comité général pour étudier le bill 70 constituant en corporation The Quebec and Atlantic Railway Company.

Adopté. Le comité étudie le bill et en fait rapport sans amendement.

M. Cannon (Québec-Centre) propose que le bill soit maintenant lu une troisième fois.

Adopté.

Il est ordonné que le greffier porte le bill au Conseil législatif et demande son concours.

Motion Francoeur sur la rupture du pacte fédératif de 1867

La Chambre continue le débat sur la motion proposée, ce jour:

Que cette Chambre est d'avis que la province de Québec serait disposée à accepter la rupture du pacte fédératif de 1867 si, dans les autres provinces, on croit qu'elle est un obstacle à l'union, au progrès et au développement du Canada.

M. David (Terrebonne) termine son discours.

M. Laferté (Drummond): Monsieur l'Orateur, représentant un comté où l'on voit des religions et des nationalités diverses se coudoyer quotidiennement, sans que l'on soit jamais témoin de la moindre friction et du plus léger mécontentement, j'aurais mauvaise grâce de vouloir me soustraire à cette discussion. Et, tout en étant le benjamin de cette Chambre, je crois de mon devoir de me lever de mon siège pour exprimer mon humble manière de voir sur la motion qui nous est maintenant soumise.

La question que l'on discute est assurément l'une des plus importantes, sinon la plus importante, qui soit jamais venue devant l'Assemblée législative. Aussi bien, je comprends plus que jamais la parole de Napoléon 1er qui disait: "Le coeur d'un homme d'État doit être dans sa tête."

En effet, il ne s'agit pas de faire appel aux préjugés et aux passions populaires, il ne s'agit pas d'attiser le fanatisme et de s'adresser au sentiment, il ne s'agit pas de brusquer les choses, d'échanger des mots aigres-doux et de tomber à bras raccourcis sur le dos des autres provinces, il ne s'agit pas non plus de demander ou d'exiger, directement ou indirectement, la rupture du pacte fédéral, mais il importe de parler le langage de la raison et de s'adresser à l'intelligence plutôt que de chercher à faire vibrer les fibres les plus intimes du coeur humain.

Pour ma part, je ne suis pas de la politique de ce citoyen d'Ontario qui récemment adressait au leader de cette Chambre un message lui demandant s'il allait faire sortir Québec de la Confédération et requérant une réponse immédiate. Je ne partage pas la théorie de ce brave ouvrier qui, l'autre jour, affirmait à un de ses compagnons que nous pouvions nous séparer des autres provinces en leur donnant un avis de trente jours. Je ne suis pas non plus de l'opinion de l'échevin qui, à l'hôtel de ville de Québec, proposait la rupture de la Confédération et suggérait une alliance avec les Provinces maritimes sans que ces dernières aient été consultées sur l'opportunité d'une semblable mesure.

Passant au député de Deux-Montagnes (M. Sauvé) qui s'était inquiété des journaux, il dit: s'il peut museler ses journaux, qu'il n'essaie pas ici. Les journaux de Québec rapporteront demain fidèlement ses paroles.

Je prends donc la motion telle que rédigée, savoir, "Que cette Chambre est d'avis que la province de Québec serait disposée à accepter la rupture du pacte fédéral de 1867 si, dans les autres provinces, on croit qu'elle est un obstacle à l'union, au progrès et au développement du Canada", et c'est à son mérite que je désire et entends la discuter.

En passant, permettez-moi, Monsieur l'Orateur, de féliciter sincèrement l'honorable député de Lotbinière (M. Francoeur) au sujet de la fière attitude qu'il vient de prendre, comme il convient de le féliciter de la réserve et de la modération dont il a fait preuve et des termes dont il s'est servi.

Je crois devoir affirmer sans détours et sans ambages que, selon moi, cette motion est opportune et vient à son heure, étant surtout donné le fait que nous nous sommes toujours montrés de loyaux et fidèles sujets de Sa Majesté et des institutions britanniques et qu'en dépit d'une loyauté à toute épreuve dans la mauvaise comme dans la bonne fortune, on semble s'être évertué depuis 1760 à vouloir appliquer à notre province la maxime : "aux vainqueurs les dépouilles", travaillant sous une forme ou sous une autre à noyer notre influence et à nous faire disparaître comme entité nationale.

Notre loyauté, Monsieur, il est à peine nécessaire de le dire et de le répéter, elle a toujours été, et elle est encore proverbiale.

Abandonnés par la noblesse et la classe instruite, les 60,000 Canadiens français qui restèrent au pays en 1763 furent toujours attachés à la couronne anglaise, malgré les traitements qu'ils eurent trop souventes fois à subir. Lors de l'invasion américaine en 1775, bien qu'ils eurent à lutter contre les soldats de Lafayette et de Rochambeau, ils ne craignirent pas de prendre les armes pour défendre l'Angleterre, cependant que les marchands anglais de Québec se réfugiaient dans l'Île d'Orléans, où ils étaient plus en sûreté que sur les hauteurs de Québec.

La même chose s'est répétée en 1812, et nous avons raison d'être fiers des exploits de Salaberry et de ses 300 voltigeurs.

À partir de cette époque, toujours et partout les Canadiens se sont montrés à la hauteur des circonstances, et Lord Durham, qui était pourtant loin de nous être sympathique, ne pouvait s'empêcher dans son fameux rapport sur l'union du Haut et du Bas-Canada, en parlant du défaut d'institutions municipales chez nous, d'attirer l'attention des autorités impériales sur la loyauté dont nous avions toujours fait preuve à l'endroit de la couronne britannique.

Si des esprits sectaires se sont plu à nous dénigrer et à nous calomnier, par contre il est réconfortant de constater que même dans la province voisine il se rencontre parfois des esprits impartiaux qui veulent bien rendre à César ce qui appartient à César. Pas plus tard que le 19 juillet dernier (1917) une revue de Toronto, The Presbyterian and Westminster, publiait sous le titre "Canadian Loyalty" un article où je lis:

"...it would be wrong to suppose that the French-Canadians are entirely wanting in British loyalty or that they recognize no obligation as British subjects. The events in connexion with the present war throw light on the matter. The French-Canadians have assented to large taxation for war purposes and they have enlisted in considerable numbers because they have a measure of British loyalty and to recognize a certain obligation. They are not willing to go as far as other Canadians and they have enlisted in much smaller numbers, because their loyalty in that direction is not so intense nor their sense of obligation so keen. If they were convinced that the safety and well-being of Canada were directly involved in the war their response would be much more hearty7."

Et plus loin on ajoute : "The educational authorities in Ontario and the other English-speaking provinces should do all they can to promote the study of French as a spoken language in the high schools and even in the public schools. Travel and business intercourse between the provinces should be encouraged. Every good Canadian should constitute himself, in heart if not in form, a member of the Canadian Unity League8."

Nous avons le droit de nous attendre de la part des autres provinces à autres choses que des insultes et des injures, et à être traités convenablement dans la Confédération. Voilà pourquoi il n'est pas de l'avis du chef de l'opposition qui prétend que nous ne pouvons pas raisonnablement nous séparer parce que nous avons été insultés.

Les Canadiens français se sont toujours montrés loyaux et à cause de cela nous voulons être respectés comme les autres citoyens de ce pays; nous n'avons pas mérité les injures que l'on nous prodigue.

Je ne m'attarde pas davantage sur ce point, parce que non seulement nous avons toujours donné nos preuves de loyauté, mais qu'il faut bien admettre que nous avons hélas! été trop souvent payés d'ingratitude, quand l'injustice et la persécution n'ont pas été employées contre nous.

Lors Durham admettait lui-même dans son rapport que c'est une lutte de race et de nationalité qui s'est toujours livrée au Canada.

Cette constatation n'a pas lieu de nous surprendre outre mesure, puisqu'à partir de la conquête la tendance des vainqueurs fut l'assimilation du peuple canadien, sa disparition, son anglicisation ou son asservissement.

Dotés d'abord d'un conseil militaire, nous eûmes en 1774 l'Acte de Québec, qui abolissait, il est vrai, le serment du test, rétablissait les lois civiles françaises et garantissait aux catholiques le libre exercice de leur religion; mais, Monsieur l'Orateur, il s'est avéré que cette nouvelle Constitution nous fut donnée par intérêt, cet intérêt qui est toujours la base, la mesure et la limite des actions, et dans le seul et unique but de nous empêcher de prendre fait et cause pour les Américains dans leur guerre contre la mère-patrie.

L'Acte constitutionnel de 1791 divisant le Canada en Haut et en Bas-Canada était assurément fait en vue d'amoindrir l'influence des Canadiens français, et l'on verra plus tard le Haut-Canada demander son union avec le Bas-Canada, pour lui permettre de faire payer ses dettes par ce dernier et de pouvoir sortir d'un état voisin de la banqueroute.

Il n'est pas nécessaire de rappeler ici la période mouvementée de 1837, non plus que les événements qui l'ont précédée. Qu'il me suffise de dire que vers 1810 plusieurs membres du Parlement furent emprisonnés, à la suite de débats sensationnels, et qu'une soldatesque soudoyée par le Gouverneur Craig, alla jusqu'à briser les presses du Canadien.

Vingt-quatre patriotes furent plus tard déportés à la Jamaïque, sous l'injuste et fallacieux prétexte qu'aucun jury ne les aurait condamnés.

Quant à l'Union de 1840, elle fut considérée comme un acte d'injustice et de despotisme, vu qu'elle nous était imposée sans notre consentement, nous faisait payer une dette que nous n'avions pas contractée, ne nous allouait pas le nombre de représentants auxquels nous avions droit et surtout nous privait de l'usage officiel de la langue française dans la Législature.

Pour faire adopter ce nouveau système de gouvernement, on alla jusqu'à prétendre que jamais on ne verrait la minorité anglaise du Bas-Canada se soumettre à la domination de la majorité française et l'on osa même ajouter que la population anglo-saxonne du Bas-Canada n'aurait aucune hésitation à s'allier avec les États-Unis pour demander l'annexion du Canada.

Deux pétitions, dont l'une couverte de 140,000 signatures, furent adressées au Gouvernement impérial pour s'objecter au projet d'union, mais ce dernier n'en fut pas moins adopté par un vote de 156 à 6, en dépit d'une vigoureuse défense faite en notre faveur par le grand patriote irlandais, O'Connell.

Je n'ai pas besoin d'ajouter, pour prouver de quelle façon nous avons été traités, que le collège des Jésuites fut lors de la conquête fermé aux sciences et aux lettres, que l'Ordre fut supprimé et ses biens confisqués.

Laissez-moi aussi vous rappeler, Monsieur l'Orateur, qu'en débit d'une adresse votée par la Chambre et recommandant l'exercice de la clémence royale envers les patriotes prisonniers en Australie depuis deux ans, le gouvernement canadien et la métropole jugèrent à propos de prolonger leur exil pendant plusieurs années encore.

Laissez-moi vous rappeler également qu'après la disparition de Sir Charles Bagot, ce gouverneur aimé et respecté, qui comprenait si bien l'application du gouvernement responsable, Metcalfe crut bon de faire des nominations politiques sans consulter ses ministres, ce qui eut pour effet d'entraîner la résignation du ministère Lafontaine-Baldwin, qui avait tant fait pour le progrès matériel du pays et la concorde entre ses divers citoyens.

Combien de fois dans la suite n'a-t-on pas tenté et accompli de véritables coups d'État à notre détriment?

Sans entrer dans les détails au sujet des attaques injustifiables dont nous avons été l'objet au cours de la récente campagne électorale, qu'il me suffise de dire que le fanatisme dont on a fait preuve à notre égard, particulièrement dans la province d'Ontario, a produit ses fruits jusqu'au sein même de notre population. En effet n'a-t-on pas vu la prude cité de Westmount voter le bannissement de l'un de ses plus distingués citoyens, M. A.R. McMaster, K.C., parce qu'il avait osé se porter candidat dans le comté de Brome contre un candidat unioniste! Après une telle aberration, il n'y a plus qu'à tirer le rideau et à s'apitoyer d'une mentalité aussi étroite.

Pourtant, Monsieur l'Orateur, "l'égalité dans la différence" (Ernest Legouvé), comme il serait facile de l'avoir, si on voulait seulement y mettre un peu de bonne volonté!

Je tenais à m'étendre un peu sur ce point, pour mieux étayer ma proposition, savoir que la motion Francoeur est opportune, parce que, encore une fois, notre loyauté ne s'est jamais démentie, tandis que, d'autre part, les luttes que l'on nous a livrées n'ont guère eu de ralentissement depuis au-delà d'un siècle.

C'est le distingué père de notre estimable collègue de Terrebonne (l'honorable M. David) qui a dit: "En politique l'imprévu joue un grand rôle et soulève tous les jours les problèmes les plus émouvants."

En 1867, il était certainement à présumer et à prévoir que le système fédératif comme toutes les institutions humaines, ne pouvait durer indéfiniment et que son opportunité prêterait certainement à discussion, sous une forme ou sous une autre. Qui aurait pu croire cependant ce qui arrive après cinquante années, encore que je ne sois pas prêt, pour ma part, à demander la rupture du pacte fédéral?

D'un autre côté, ne nous illusionnons pas, mais rappelons-nous que l'histoire se répète et que ce qui nous arrive aujourd'hui est le résultat et la conséquence des luttes du passé.

Mais il est temps de se demander: le fruit est-il assez mûr pour se détacher de l'arbre et doit-on aspirer à l'indépendance? Si non, y a-t-il intérêt à demander notre annexion aux États-Unis ou est-il préférable de rester attachés à la couronne britannique, soit en conservant notre statu quo ou en faisant modifier le système qui nous régit?

Il ne pense pas que le fruit de la Confédération soit si mauvais que Québec doive se séparer de l'arbre. Il croit que les Canadiens français et les Anglais sont en bons termes, meilleurs que ce que l'on pense, et il réfère aux discours faits par les députés anglais de la Chambre au début de la présente session.

Pour moi, je n'hésite pas à dire, tout en ayant la plus grande confiance dans les destinées et l'avenir de ma province, que nous ne sommes pas mûrs pour l'indépendance, et que je le serais encore moins pour l'annexion.

De là à conclure que nous ne devons pas modifier notre modus vivendi, il y a évidemment de la marge.

Si la rupture de la Confédération avait lieu, nous aurions assurément à subir certains désavantages. Ainsi, il y aurait à craindre de la part d'une partie de la population des mécontentements qui pourraient peut-être amener une demande d'annexion aux États-Unis. Et cette séparation, si elle avait lieu, pourrait avoir pour résultat une forte émigration des nôtres dans la république voisine, et partant notre désagrégation nationale.

Je laisse à d'autres orateurs plus expérimentés et plus avertis le soin de discuter davantage cet aspect de la question, et je dis que, quels que soient les inconvénients d'une rupture, je ne suis pas en politique partisan de la doctrine évangélique qui veut que lorsqu'on est frappé sur la joue gauche, on présente la joue droite. Je partage plutôt les vues de Sir Wilfrid Laurier, qui émettait un jour le principe, bien élémentaire du reste, que le pays ne doit pas être gouverné par la province de Québec, que le pays ne doit pas être gouverné par la province d'Ontario, mais que le pays doit être gouverné par le pays, c'est-à-dire que chaque race, c'est-à-dire que chaque nationalité a le droit de jouir des mêmes privilèges et des mêmes avantages.

Malheureusement, on semble vouloir reléguer Québec à l'arrière-plan. Le vote donné au cours des dernières élections dans Ontario et dans les provinces de l'Ouest en est la preuve palpable et indéniable, et ces élections ont été indubitablement une cause de scission et de désunion, particulièrement entre deux provinces voisines. Si la même chose a eu lieu sous l'Union et que l'on ait eu recours à la séparation, il me semble que le remède est encore bon.

N'oublions pas, Monsieur l'Orateur, que la Confédération est un pacte et que chacune des parties contractantes doit en respecter non seulement la lettre, mais surtout l'esprit. Or, depuis trop longtemps déjà, on se plaît à répandre sur le compte de la province de Québec les calomnies les plus noires et les plus viles.

S'adressant aux journaux anglo-canadiens, il dit: Ou bien ce que l'on a dit et écrit de nous est vrai, ou bien c'est faux. Si c'est vrai, comment peut-on tenir encore à vivre avec nous. Si c'est vrai, une telle union ne peut durer plus longtemps.

Si c'est vrai, il n'y a plus d'accord possible et ces braves loyalistes d'Ontario devraient être les premiers à se joindre à nous pour demander et exiger sans retard la rupture de la confédération.

Si c'est faux, que la presse répare et ravale ces outrages.

S'ils ont affirmé des faussetés, leur devoir est de se rétracter sans délai. Et lorsqu'ils en auront fait l'apologie, nous verrons ce que nous aurons à faire.

Si ces messieurs d'Ontario veulent nous voir continuer à vivre avec eux, partageant les mêmes responsabilités, qu'ils cessent leurs attaques et qu'ils se rétractent.

La motion Francoeur a déjà fait beaucoup parler d'elle, spécialement dans la province d'Ontario, pays pratique, où l'on n'a pas l'habitude de s'occuper d'oeuvres purement spéculatives. Je m'étonne à juste titre de l'émoi causé parmi les marchands et les financiers de la province voisine, par le simple avis de la motion de l'honorable député de Lotbinière.

D'après tout ce qu'on a dit de nous dans la presse, sur les tréteaux politiques et ailleurs, il y a raison de s'étonner que ces représentants de la race supérieure ne soient pas très heureux d'accepter la proposition que nous leur faisons et ne soient pas bien aises de se séparer de cette race de lâcheurs et d'arriérés qui est la nôtre. En effet, ce doit être très humiliant pour eux de vivre en contact avec une province aussi déloyale et aussi dégénérée.

Ne perdons pas de vue que le grand homme d'État qui pendant quinze ans a présidé aux destinées de notre pays et qu'Asquith surnommait avec raison le Mentor des conférences coloniales, a dévoué le meilleur de ses énergies et de ses talents à faire régner l'union et la bonne entente entre les différentes races qui habitent ce dominion. Cependant, dès le lendemain du 21 septembre 1911, les choses ont pris une toute autre tournure, et l'on a eu alors la preuve que les compromis et les concessions avaient fait faillite et qu'il ne servait à rien de compter sur le bon vouloir de gens qui auraient pourtant dû apprendre à nous connaître et à nous mieux estimer.

Les véritables coupables d'un pareil état de choses sont les journalistes et les chefs politiques de la province d'Ontario, qui connaissent bien le sentiment du Québec envers cette dernière, qui sont au courant de la façon dont nous traitons ici les minorités, mais qui ont tellement faussement renseigné le public que le mal est maintenant quasi irréparable et qu'il n'est pas surprenant que ce public ajoute la plus grande foi à tout ce qui a été dit et publié sur notre compte.

Ce qui arrive aujourd'hui est, encore une fois, le résultat et la conséquence inévitable des luttes de jadis.

Non seulement les divers systèmes de gouvernement qui nous ont régis avaient pour objet notre anéantissement national, non seulement la province d'Ontario changea aussi souvent d'opinion que la chose faisait son affaire, spécialement en ce qui concernait la question de la représentation basée sur la population, mais la Confédération elle-même fut considérée comme injuste et injurieuse à l'égard de la province de Québec.

Injuste elle était, parce qu'elle constituait un acheminement vers l'union législative, si redoutable pour nous. C'est le grave reproche que faisait Sir Antoine Aimé Dorion au gouvernement d'alors, et si l'on réfère aux débats qui eurent lieu à cette époque, on constate que dans un discours remarquable de forme et de pensée il cita le voeu exprimé en faveur d'une union législative par l'honorable M. Gald, député de Sherbrooke et ministre des Finances, et ce, à un dîner donné aux délégués des diverses provinces à Toronto, et que pas un membre de la droite n'osa nier une semblable accusation.

Le système fédératif était encore injuste pour la province de Québec parce que, comparativement aux autres provinces et proportionnellement à nos ressources, nous ne touchions pas le montant auquel nous avions droit. Je n'en veux pour preuve que l'admission de M. Tilley, délégué du Nouveau-Brunswick à la conférence de Québec et celle de M. Whelan, délégué de l'Île du Prince-Édouard, lesquels se réjouirent du fait que la Confédération était une excellente affaire pour chacune de ces provinces, vu que le Nouveau-Brunswick devait retirer $34,000 de plus que ses besoins et l'Île du Prince-Édouard $48,000.

Le pacte fédéral fut non seulement injuste, mais injurieux à notre endroit. En effet, d'après l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, le nombre des représentants du peuple aux législatures de l'Ontario et du Québec fut respectivement fixé à 82 et à 65, avec privilège pour chacune desdites législatures de modifier et d'augmenter la représentation populaire. N'empêche qu'en ce qui nous concernait, on fit exception pour douze circonscriptions électorales (Pontiac, Ottawa, Argenteuil, Huntingdon, Missisquoi, Brome, Shefford, Stanstead, Compton, Wolfe, Richmond, Mégantic et Sherbrooke), dont les limites ne pourraient être altérées ni changées sans le consentement de la majorité des représentants de ces comtés.

Je vous le demande, Monsieur l'Orateur, pourquoi cette distinction arbitraire? On craignait sans doute que nous profitions de notre force numérique pour noyer l'élément anglais. Mais jamais, au grand jamais, nos compatriotes anglo-saxons n'eurent à souffrir de nous dans Québec. Au contraire, nous nous sommes toujours fait un titre de gloire et d'orgueil de leur rendre pleine et entière justice. Ils le reconnaissent d'ailleurs, et je n'en veux pour preuve qu'un récent débat qui a eu lieu ici même et au cours duquel tous les orateurs de langue anglaise se sont plu à défendre notre province contre les attaques injustifiables dont elle était l'objet.

J'espère que l'on ne m'accusera pas, en faisant de l'histoire vécue, de vouloir conspirer contre les autres provinces du dominion. Si on me faisait ce reproche, je pourrais répéter la parole de Lamartine, auquel on reprochait une trop grande amitié pour les révolutionnaires de 1845 et qui disait: "Si j'ai conspiré, c'est à la façon du paratonnerre qui conspire avec les nuages pour écarter la foudre!"

La rupture de la Confédération, je ne la recherche pas, je ne la demande pas, mais je ne la crains pas.

Je ne la crains pas, parce que, nonobstant les dispositions de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, qui est notre magna charta et constitue en quelque sorte les palladium de nos libertés politiques et constitutionnelles, il y aura toujours conflit plus ou moins accentué entre la juridiction du Parlement fédéral et celle des législatures locales.

Je ne la crains pas, parce que tôt ou tard, et plus tôt peut-être qu'on ne croît, les populations hétérogènes de l'Ouest canadien, par suite d'une immigration sans cesse grandissante constitueront pour nous un véritable danger contre lequel il importe dès maintenant de se mettre en garde.

Je ne la crains pas parce que si nous étions indépendants des autres provinces, tout en étant sous la tutelle de la couronne britannique, nous serions aussi loyaux et attachés à cette dernière que peut l'être l'île de Terre-Neuve.

Je ne la crains pas parce qu'en cas d'attaque par une puissance étrangère, nous serions intéressés à défendre tout le territoire canadien, comme les autres provinces seraient intéressées à nous protéger et qu'advenant une guerre où il faudrait défendre la mère-patrie, le recrutement de nos soldats pourrait se faire avec beaucoup plus de facilité pour la bonne raison que ceux-ci seraient assurés d'avoir le vrai mérite qui leur est dû et de ne pas être noyés dans des régiments étrangers dont les chefs n'agissent que trop souvent comme de véritables potentats.

Je ne la crains pas, parce que je suis loin de partager le pessimisme de L'Événement, qui osait dire le 7 janvier courant (1918): "... notre malheureuse province, sans le régime apathique qu'elle subit n'est seulement pas capable de fabriquer par elle-même une boîte de conserve. Nous obtenons tout de l'Ontario."

Non, Monsieur, nous n'obtenons pas tout de l'Ontario. Grâce à Dieu, à cause de nos ressources, nous sommes capables de nous subvenir à nous-mêmes. Car, telle est la disposition de notre territoire que nul pays au monde, je crois, ne peut rivaliser avec ses richesses naturelles. Nous avons des mines inépuisables, des forêts immenses, des terrains d'une fertilité étonnante et des montagnes qui recèlent dans leurs masses altières des richesses inappréciables.

Malgré les contributions de guerre que nous avons généreusement versées, Québec est la seule des provinces de la Confédération dont les finances se soldent par des surplus.

Nous avons un climat idéal dont la rigueur même semble donner à la terre une force de production remarquable.

La superficie de notre province est d'à peu près un quart de celle des États-Unis et elle est égale à environ le cinquième de celle du Canada.

Nous avons d'immenses réserves de colonisation et nos rivières, comparables à des fleuves, font l'admiration et l'envie des étrangers.

Nos lois ne laissent pratiquement rien à désirer et nous allions ici le système anglais au système français, suivant qu'il s'agit de droit public ou de droit privé.

L'instruction est répandue partout et si elle peut être améliorée, on peut dire qu'elle a donné de bons résultats, surtout depuis la création des écoles techniques et de l'École des hautes études commerciales, qui permettent à notre jeunesse de compléter la somme de ses connaissances sans avoir besoin de recourir à des pays étrangers.

L'agriculture, qui est la base et le fondement de notre prospérité, marche à pas de géants, et nos nombreux pouvoirs d'eaux, de même que nos principaux barrages, entre autres celui du Saint-Maurice, que j'ai eu le plaisir de visiter, constituent une richesse incalculable.

Notre commerce est florissant, nos pêcheries nous rapportent une valeur annuelle d'environ deux millions de dollars, et notre système de banque n'a rien qui puisse nous faire envier le sort des autres provinces.

Si ces dernières, et particulièrement Ontario, produisaient des choses beaucoup différentes de celles que nous produisons nous-mêmes, il y aurait peut-être lieu de craindre une dissolution du pacte fédéral. Mais notre production est à peu près semblable à celle des autres parties du dominion. Du reste, en supposant et en admettant le contraire, il serait toujours facile de contracter avec nos voisins une union commerciale, tout en vivant séparés d'eux au point de vue politique. Ontario, par exemple, ne refuserait assurément pas cette union, surtout si elle y trouve son avantage, et quant à nous, nous pourrions au moins vivre en paix sur notre propre territoire.

J'irai plus loin et j'ajouterai que même si nous avions de grands sacrifices à faire, notre population serait disposée à se soumettre au nouvel état de choses provenant d'une rupture avec les autres provinces.

J'aime mieux, pour ma part, être le capitaine d'une goélette ou d'un petit navire côtier, que de remplir la besogne de chauffeur au fond de cale dans un grand transatlantique. Il en est des peuples comme des individus, et je comprends mieux que jamais les vers de Cyrano: "Sois satisfait des fleurs, des fruits même des feuilles, si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles! Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard, ne pas être obligé d'en rien rendre à César. Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite. Bref, dédaignant d'être le lierre parasite. Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul. Ne pas monter bien haut, peut être, mais tout seul!" (Cyrano à Le Bret. - Cyrano de Bergerac par Edmond Rostand, deuxième acte, scène VIII)

Monsieur l'Orateur, je sais que j'ai dépassé, et de beaucoup, des limites que l'on ne m'a pas fixées, il est vrai, parce qu'ici le baillon n'est pas mis, limites que toutefois je n'aurais pas dû franchir. Nous avons toutes les libertés et nous disons ici ce qui nous plaît.

M. Sauvé (Deux-Montagnes): Ça dépend de celui qui parle9!

M. Laferté (Drummond): Avant de reprendre mon siège laissez-moi cependant vous faire part de mon optimisme et rappeler à cette Chambre que quel que soit l'avenir qui nous est réservé, nous n'avons aucune crainte à entretenir.

Mais, comme le disait le premier ministre de cette province au cours de la dernière campagne électorale, nous sommes ici les doyens et nous n'entendons aucunement abdiquer nos droits. Nous entendons rester attachés au sol.

Non seulement nos ancêtres ont été les découvreurs de ce sol, non seulement ils ont à l'origine planté leur tente dans Ontario et jusque dans les vastes plaines de l'Ouest, mais ils ont été les pionniers de cet immense territoire qui nous avoisine.

N'oublions pas que les Pères Jogues et Raimbault s'aventurèrent sur les bords du Lac Supérieur dès 1641, soit trente-trois ans à peine après la fondation de Québec; que le Père Allouez établit la mission de La Pointe en 1665 et que le célèbre Père Marquette fonda celle du Sault Sainte-Marie trois ans plus tard. N'oublions pas que l'un des premiers pionniers du Michigan et du Wisconsin fut le Père Mesnard. N'oublions pas que l'un des fondateurs de Saint-Paul, Minnesota, fut Charles Bazile, lequel était originaire de Nicolet. N'oublions pas que Jean-Baptiste Beaubien fut l'un des premiers colons de Chigago. N'oublions pas que Julien Dubuque a été le fondateur de la ville de l'Iowa et que, dès 1785, il était déjà établi dans l'État du Wisconsin, à l'endroit appelé Prairie-aux-Chiens. N'oublions pas que Milwaukee a été fondée en 1813 par Laurent Salomon Juneau et que ce courageux colon venait de l'Assomption. N'oublions pas que la ville de Détroit fut fondée en 1701 par M. de Lamothe Cadillac, alors qu'un poste y était déjà établi depuis 1685.

Je n'en finirais plus si je voulais énumérer tous les noms glorieux des nôtres qui ont largement contribué, non seulement au développement du Canada, mais de toute l'Amérique du Nord.

Vous savez, Monsieur, que pendant longtemps l'on s'est plu à dire de nous que nous n'étions bons qu'à être des "porteurs d'eau" et des "scieurs de bois". Grâce à Dieu! Les temps ont bien changé. Nous comptons dans nos rangs des industriels distingués et plusieurs millionnaires, et le capital canadien-français a pris à la bourse une importance considérable, au point que les maisons anglaises le recherchent de plus en plus. Aussi bien, les sentiments antipathiques que l'on entretenait autrefois à notre égard ne peuvent plus résister à la force montante d'une race, qui a su prendre ses armes à ses vainqueurs, à ses maîtres d'hier, à ses égaux d'aujourd'hui.

Et maintenant que dire de notre population? Ils n'étaient pas rares les faux prophètes qui, il y a cinquante ans, prédisaient la fin prochaine de notre influence au Canada. Heureusement pour nous, leurs sombres prévisions ne se sont pas réalisées, car aujourd'hui l'élément français est le groupe ethnique le plus important du peuple canadien. Non seulement nos rangs ne sont pas entamés, mais c'est nous qui pénétrons dans ces deux autres groupes. Nous entrons partout où l'on nous refusait naguère l'entrée.

Ainsi, dans la Colombie britannique, nous étions 4,600 en 1901 et 8,907 en 1911: augmentation de 93 %.

Dans l'Alberta, nous étions 4,511 en 1901 et 19,825 en 1911: augmentation de 340 %.

Dans la Saskatchewan, nous étions 2,634 en 1901 et 23,251 en 1911: augmentation de 782 %.

Dans le Manitoba, nous étions 16,021 en 1901 et 30,944 en 1911: augmentation de 92 %. L'accroissement de tous les autres groupes réunis n'a été que de 78 % et celui du groupe britannique de 62 %.

Dans l'Ontario, nous étions 158,671 en 1901 et 202,442 en 1911: augmentation de 27 %. L'accroissement de tous les autres groupes réunis n'a été que de 14 % et celui du groupe britannique de 11 %.

Dans le Québec, nous étions 1,322,115 en 1901 et 1,605,339 en 1911: augmentation de 21 %. L'accroissement du groupe britannique n'a été que de 8 %.

Dans le Nouveau-Brunswick, nous étions 79,979 en 1901 et 98,611 en 1911: augmentation de 23 %. L'accroissement des autres groupes réunis n'a été que de 1 % et le groupe britannique a diminué de 3 %.

Dans la Nouvelle-Écosse, nous étions 45,161 en 1901 et 51,746 en 1911: augmentation de 14 %. L'accroissement de tous les autres groupes réunis n'a été que de 6 %.

Ces chiffres, à première vue, semblent peut-être ennuyeux, mais ils démontrent et prouvent hors de tout doute que, pendant la dernière décade, le groupe d'origine française s'est fortifié dans chacune des provinces de la Confédération canadienne.

Jamais, Monsieur l'Orateur, nous n'avons voulu empiéter sur les droits d'autrui, mais toujours nous nous sommes efforcés de vivre avec nos concitoyens d'origine et de religion différentes dans le plus grand esprit d'harmonie et de concorde. D'un autre côté, nous ne voulons souffrir aucune injustice à notre détriment. C'est tellement vrai que lors de la rébellion des Métis, dans les Territoires du Nord-Ouest, quand ce pauvre Louis Riel fut accusé du crime énorme d'avoir résisté à l'oppression et d'avoir trop aimé ses compatriotes, Honoré Mercier ne put rester insensible à la douleur des Métis et, sans hésiter, il se fit le défenseur de leur chef. Mercier parcourut la province de Québec en tous sens, et au nom d'un million de canadiens en pleurs, il protesta avec toute la force dont il était capable contre l'insulte que l'on venait de faire à toute une race pourtant loyale et fidèle à ses institutions et à ses lois. Il n'eut pas en cette circonstance douloureuse le succès que son coeur de patriote eût désiré, et les supplications de tout un peuple en larmes ne purent empêcher le sombre gibet de se dresser à Régina. Mais une chose au moins doit nous consoler : c'est que chaque fois que, sur ce sol du Canada, foulé et colonisé par nos ancêtres, les valeureux pionniers de l'ancienne France d'Amérique, chaque fois, dis-je, qu'une atteinte sera faite à nos sentiments intimes ou à nos libertés si péniblement gagnées, si vaillamment conquises, il se trouvera des hommes de coeur et d'honneur qui se dresseront spontanément devant l'oppresseur pour lui démontrer que la vielle province de Québec n'est pas morte, qu'elle a son mot à dire dans tout ce qui regarde le dominion et que ses citoyens, de même que leurs coreligionnaires des autres provinces, unis par les liens d'une noble solidarité, réclament la reconnaissance de leur droit au soleil de la justice, sur cette libre terre du continent américain.

Il n'a aucune hésitation à appuyer la motion Francoeur et à voter pour elle. Il espère que pas un seul membre de cette Chambre votera contre. Rejeter cette motion, ce serait de l'aplatissement devant les autres provinces et un manque de dignité. Nous leur dirions: vous ne voulez pas de nous mais gardez-nous et nous allons faire tout en notre pouvoir pour vous plaire.

Nous offrons simplement aux autres provinces de prendre notre chapeau et de nous en aller, si elles ne sont pas contentes de nous.

C'est une attitude fière d'autant plus que notre position dans la Confédération est plus forte que jamais, étant donné, ainsi que le dernier recensement en fait foi, que la population canadienne-française grandit à travers tout le dominion et non pas seulement dans la réserve du Québec.

M. Bouchard (Saint-Hyacinthe) est d'opinion que la motion Francoeur sera utile à la province.

Comme député et comme journaliste ayant suivi avec attention le développement de la crise actuelle qui s'est traduite par la motion qui occupe la Chambre, je dois dire que je ne suis pas sûr que je pourrais voter pour cette motion, mais je crois que le débat qui se fait, à cette occasion, sera de nature à éclairer l'opinion publique sur une question qui la passionne peut-être outre mesure et aura de bons effets par tout le pays.

Il est contre la motion pour plusieurs raisons. L'une d'elle est que si on en considère la rédaction, on trouve que la province de Québec remet au soin des autres provinces le règlement de la question de la rupture du pacte fédératif.

Elle dit que si, dans les autres provinces, on croit que la province de Québec est un obstacle à l'union, au progrès et au développement du Canada, l'Assemblée législative est prête à accepter la rupture de la Confédération.

Même si l'on croyait dans les autres provinces que nous sommes un obstacle au progrès du pays, l'Assemblée législative ne devrait pas accepter la rupture du pacte fédératif parce que cette opinion des autres provinces serait absolument erronée. Il ne serait pas sage de se baser sur une erreur des autres provinces pour changer le régime de la province de Québec.

La province de Québec n'est pas et ne peut pas être un obstacle à l'union et au progrès du Canada. Et, ceux qui peuvent partager cette opinion dans les autres provinces ne sont pas des gens qui connaissent la province de Québec, ou sont des gens aveuglés par le fanatisme.

Je me demande l'utilité et la portée de cette motion basée sur une hypothèse.

Qu'arriverait-il si toutes les autres provinces adoptaient des résolutions analogues?

Est-il opportun, d'ailleurs, pour nous de demander la rupture du pacte fédératif? Car on semble croire, dans le public, que c'est ce dont il s'agit en ce moment.

Le sujet aurait dû être porté à la Chambre de la manière normale, en demandant une opinion directe, comme ce que les gens croient en ce moment.

Les gens s'attendent généralement à ce que les députés se prononcent carrément pour ou contre la rupture du régime politique actuel. Quant à lui, il est absolument opposé à ce que notre province cesse de faire partie de la Confédération.

Il ne voit aucun avantage, soit au point de vue de la race, soit au point de vue économique, à isoler notre province des provinces anglaises. Sous le régime actuel, nous jouissons, dans Québec, de la liberté de culte la plus entière, et de la plus complète indépendance, quant à ce qui concerne l'usage de nos institutions, de notre langue et de nos lois civiles. On ne saurait améliorer notre situation, sur ces divers points, en nous séparant.

S'il y a des Canadiens français qui ont à se plaindre d'une restriction de libertés sous quelques-uns de ces rapports, ce ne sont pas ceux de notre province, et nous ne saurions améliorer leur condition en nous isolant des provinces où ils vivent.

Sous le rapport économique, la Confédération a fait beaucoup de bien à la province de Québec, en utilisant le commerce interprovincial. Si nous nous séparions, nous nuirions à la liberté dans le commerce, et notre agriculture et nos industries en souffriraient. Les dernières statistiques établissent que notre production industrielle est aujourd'hui plus considérable que notre production agricole et nous vendons une grande partie de nos produits manufacturés dans les provinces anglaises.

Il cite le cas de l'industrie à Saint-Hyacinthe. Quatre-vingt-dix pour cent des cuirs et des chaussures qui sont manufacturés dans notre ville, sont vendus dans les autres provinces. Il en est de même des produits de notre grande manufacture de tricots et de lainages. Cinquante pour cent au moins des instruments fabriqués par nos manufactures d'orgues sont aussi expédiés dans les provinces anglaises.

Une forte proportion de nos produits laitiers et agricoles sont aussi vendus aux anglais et si nous voulons faire bande à part, peut-on croire que cela améliorera ce commerce qui a fait la fortune de nos campagnes?

Il est de l'intérêt de notre race de continuer à habiter un pays dont le territoire s'étend d'un océan à l'autre; il ne croit pas qu'il soit sage de demander à diminuer l'étendue de notre sphère d'activité nationale, dans le seul but de protester contre les élucubrations de quelques fanatiques habitant les autres provinces.

Les événements de ces derniers temps n'ont pas la portée qu'on veut leur attribuer en certains milieux et ne nécessitent pas la rupture du pacte fédéral.

Ce n'est qu'une tourmente passagère qui a agité les eaux de surface; les eaux profondes n'ont pas été remuées par la tempête. On aurait bien tort de prendre au sérieux les attaques dirigées contre nous. Après que la crise de folie qui s'est emparée de l'humanité se sera apaisée, le calme se rétablira.

Il blâme les attaques injustifiables qui nous viennent de certains fanatiques d'Ontario, ou de politiciens à courte vue. Mais, si nous avons à nous plaindre de l'étroitesse de vue de certains de nos compatriotes de races différentes, nous ne pouvons pas dire que nous sommes exempts de tous reproches sous ce rapport.

Comme journaliste, il a eu à parcourir, en ces dernières années, les volumes de presque tous les journaux de notre province et croit que dans cette province, les Canadiens français devraient arrêter de calomnier les autres provinces s'ils veulent que celles-ci fassent de même.

D'abord, les appels aux préjugés de race et de religion étaient relégués dans les petits journaux de campagne, mais cette campagne a fini par envahir notre grande presse.

Les journaux anglais nous ont attaqués. Mais il importerait de dire à certains journaux français le tort qu'il nous ont fait en attaquant les fanatiques d'Ontario.

Les journaux à sensation d'Ontario font une oeuvre antinationale en attaquant à tout propos les Canadiens français, mais nous ne gagnerons rien à suivre ce mauvais exemple.

Il reproche à la presse de Québec d'avoir parfois excité le fanatisme de l'Ontario. Même si les Anglais ont commencé, la province de Québec prouverait sa sagesse en faisant cesser ces causes de désordre.

Il cite des extraits typiques d'un journal montréalais.

Ne nous étonnons pas "si les Anglais des autres provinces ne nous aiment pas, s'ils lisent toutes les bêtises qui paraissent sur leur compte dans nos journaux. Nous les injurions tous les jours, à pleines colonnes, et nous sommes surpris qu'ils ne nous aiment pas."

C'est une querelle d'enfants. Chaque côté a ses torts.

Si nous voulons que la paix et la bonne entente règnent dans ce pays, il faut que chaque province mette de la bonne volonté, et nous devrions, nous de la province de Québec, donner le bon exemple en faisant cesser chez-nous toute cause de reproche.

Nous pouvons revendiquer nos droits sans nous porter à des excès, qui ne sont de nature qu'à envenimer la querelle.

On devrait aussi cesser de prêcher le boycottage des produits de la province d'Ontario. Conseiller le boycottage d'Ontario est une folie antinationale. Cette restriction voulue du commerce anglais ne saurait nous être avantageuse si les provinces anglaises nous répondent en boycottant nos produits du Québec.

Ce n'est pas en restreignant notre commerce canadien que nous rendrons notre province prospère.

Il s'alarme des conséquences que peut avoir sur la vente de notre fromage la motion Francoeur. Il assure que si nous ne le vendons pas en Ontario, l'Angleterre n'en voudra pas non plus.

C'est un humble ouvrier bottier de Saint-Hyacinthe qui l'a éclairé sur notre dépendance économique envers Ontario.

Il fait appel à l'union des bonnes volontés et il exprime l'espoir que si chaque race veut y mettre un peu du sien, les jours de calme et de concorde luiront sur notre pays pour son plus grand bien.

On agite d'une part le spectre de la domination et de l'autre le spectre de la persécution.

L'on a tort, en certains milieux, de vouloir nous faire passer pour une race de persécutés. La persécution présuppose toujours, chez le peuple qui en souffre, une faiblesse quelconque, et notre race est trop nombreuse et trop forte dans la province pour que nous fassions cette admission.

Nous devons vivre ici comme des frères. Il ne doit pas y avoir d'esclaves ni de persécutés.

Il cite l'auteur anglais Carlisle pour demander à tous de travailler à réaliser dans notre pays une union juste et forte des diverses races qui l'habitent, comme celle qui unit le frère à son frère.

M. Tessier (Rimouski) propose, appuyé par le représentant de Montréal-Hochelaga (M. Létourneau), que le débat soit ajourné.

Adopté.

 

Messages du Conseil législatif:

Monsieur l'Orateur informe la Chambre que le greffier du Conseil législatif a apporté les messages suivants, lesquels sont lus ainsi qu'il suit:

Le Conseil législatif informe l'Assemblée législative qu'il a voté, sans amendement, les bills suivants:

- bill 11 amendant les articles 2161 et 2162 du Code civil relativement à la tenue de certains registres dans les bureaux d'enregistrement;

- bill 16 amendant l'article 3098 des statuts refondus, 1909, concernant les shérifs et les protonotaires.

Le Conseil législatif informe l'Assemblée législative qu'il a voté, avec certains amendements qu'il la prie d'agréer, le bill suivant:

- bill 54 constituant en corporation la ville de Maple Grove.

Ville de Maple Grove

La Chambre prend en considération les amendements que le conseil législatif a apportés au bill 54 constituant en corporation la ville de Maple Grove. Lesdits amendements sont lus pour la première fois.

La séance est levée à 10 h 30.

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NOTES

 

1. Ces discours se retrouvent dans les brochures canadiennes. Puisés dans les quotidiens québécois, en particulier Le Soleil, ces textes ont été traduits en anglais, à l'époque, par messieurs Savard et Playfair, membres de la galerie de la presse de Québec et d'Ottawa. Nous avons cependant ajouté certains passages dont les auteurs n'avaient pas tenu compte.

2. Ce qui pourrait se traduire: À tout seigneur tout honneur!

3. Selon The Gazette, M. Sauvé aurait fait allusion à un récent débat sur la prohibition survenu dans la ville de Québec.

4. M. David fait allusion à l'adoption du "Military Voters Act" qui donnait le droit de vote à tous les sujets anglais faisant partie des forces canadiennes et à tous ceux qui s'étaient enrôlés dans certaines forces anglaises pendant leur séjour au Canada. De plus, une autre loi le "War Time Election Bill" donnait le droit de vote aux parents féminins des soldats tout en l'enlevant aux néo-canadiens venus de pays ennemis et aux objecteurs de conscience.

5. Il s'agit ici d'une citation de Montesquieu modifiée quant au texte original et tirée de son ouvrage Politique de Montesquieu, p. 47, 1965, Jean Ehrard, Armand Colin.

6. Selon les journaux, M. David aurait terminé son discours à la séance du soir.

7. Le texte ayant été lu en anglais, nous en reproduisons la traduction en note; "...il serait faux de prétendre que les Canadiens français sont complètement étrangers à la loyauté britannique ou qu'ils ne se reconnaissent aucune obligation en tant que sujets britanniques. Les événements reliés à la guerre actuelle font la lumière sur ce sujet. Les Canadiens français ont consenti à une importante taxation en vue de la guerre et se sont enrôlés en nombre considérable parce qu'ils ont une idée de la loyauté britannique et se reconnaissent une certaine obligation. Ils ne sont pas prêts à aller aussi loin que d'autres Canadiens. Ils se sont enrôlés en nombre beaucoup plus petit, parce que leur loyauté dans cette direction est moins intense et leur sens du devoir moins enthousiaste. S'ils étaient convaincus que la sécurité et le bien-être du Canada étaient directement en jeu dans la guerre, leur réponse serait beaucoup plus vigoureuse."

8. Le texte, ayant été lu en anglais, nous en reproduisons la traduction en note: "Les autorités scolaires en Ontario et dans les autres provinces anglaises devraient faire tout ce qu'elles peuvent pour promouvoir l'étude du français comme langue parlée dans les écoles secondaires et même dans les écoles publiques. Des échanges de vacances et d'affaires entre les provinces devraient être encouragés. Tout bon Canadien devrait devenir, de coeur sinon de forme, un membre de la Ligue de l'unité canadienne."

9. M. Sauvé fait ici allusion à l'Orateur qui l'avait fait taire deux fois pendant son discours de l'après-midi.