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Version préliminaire

43e législature, 1re session
(début : 29 novembre 2022)

Cette version du Journal des débats est une version préliminaire : elle peut donc contenir des erreurs. La version définitive du Journal, en texte continu avec table des matières, est publiée dans un délai moyen de 2 ans suivant la date de la séance.

Pour en savoir plus sur le Journal des débats et ses différentes versions

Le mardi 9 avril 2024 - Vol. 47 N° 43

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 52, Loi permettant au Parlement du Québec de préserver le principe de la souveraineté parlementaire à l’égard de la Loi sur la laïcité de l’État


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Journal des débats

9 h 30 (version non révisée)

(Neuf heures quarante-sept minutes)

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, ayant constaté le quorum, je déclare la Commission des relations avec les citoyens ouverte, et je vous souhaite la bienvenue à tous et à toutes.

La commission est réunie afin de procéder aux consultations particulières et aux auditions publiques sur le projet de loi n° 52, Loi permettant au Parlement du Québec de préserver le principe de la souveraineté parlementaire à l'égard de la Loi sur la laïcité de l'État.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, Mme la Présidente. Mme Prass, D'Arcy-McGee est remplacée par M. Morin, l'Acadie et M. Cliche-Rivard, Saint-Henri—Sainte-Anne par Mme Zaga Mendez, Verdun.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Alors, chers parlementaires, bienvenue à la commission. Nous débuterons ce matin par les remarques préliminaires puis nous entendrons successivement les professeurs Patrick Taillon, Guillaume Rousseau et Louis-Philippe Lampron.

Alors, j'invite maintenant le ministre responsable de la Laïcité à faire ses remarques préliminaires. M. le ministre, vous allez disposer d'une période de six minutes pour cette... vos remarques. Alors, la parole est à vous.

M. Roberge : Merci, Mme la Présidente. Alors, évidemment, je salue les collègues des oppositions, les collègues de la partie ministérielle gouvernementale, les fonctionnaires qui nous aident à bien comprendre tout ce qu'on fait puis à utiliser les bons termes juridiques pour le faire. Je remercie aussi les... les personnes qui vont venir nous présenter des mémoires, des propositions, qui vont nourrir la réflexion, comme on le fait pratiquement chaque fois qu'on étudie des projets de loi.

Le projet de loi qu'on va étudier ensemble est bref... court. Il contient peu d'articles, mais ce serait vraiment une erreur de penser que c'est le nombre d'articles ou le nombre de mots qui fait la valeur d'un projet de loi, même que c'est parfois inversement proportionnel. Je vais vous dire un mot dans les prochaines minutes sur le calendrier, donc les contraintes de temps, sur les objectifs du projet de loi, la légitimité du projet de loi, les considérations légales puis les principes qui nous amènent à arriver ce matin avec quelque chose qui, je pense, est fondamental.

D'abord, pourquoi maintenant? Pourquoi à ce moment-ci précisément? Bien, parce que la Loi sur la laïcité de l'État, qu'on appelle beaucoup la loi 21, qui est maintenant une loi fondamentale pour le Québec, a été dotée, dans sa version initiale, en son sein même, de la disposition de dérogation, qu'on appelle des fois la clause nonobstant. Et cette disposition-là est valide pour cinq ans, mais peut et, dans ce cas-ci, doit être renouvelée, et ça doit être fait absolument avant ou le 16 juin 2019... Pardon, ça a été voté le 16 juin 2019, ça doit donc être fait avant le 16 juin 2024. Donc, voici pourquoi on doit travailler les choses, non pas dans l'urgence, parce qu'on est en avril, mais de manière diligente, et on a quand même une obligation de résultat d'arriver avec quelque chose qui est complet, évidemment, d'ici la mi-juin.

• (9 h 50) •

Maintenant, les objectifs du projet de loi. Bien, c'est de préserver la validité puis l'intégrité du modèle québécois de laïcité. Puis notre modèle québécois de laïcité, il vient opérationnaliser, il vient concrétiser un choix de société, de la nation québécoise, un choix qui est pleinement légitime. Et je vous disais tout à l'heure qu'on fait quelque chose d'important, même si... le projet de loi qu'on va étudier comporte peu d'articles. Bien, justement, on n'est pas dans un projet de loi qui vient apporter des modifications mineures, des correctifs, des ajustements. On est dans un projet de loi qui vient carrément protéger une loi qui est maintenant considérée par plusieurs comme une loi fondamentale ou on peut même dire une loi quasi constitutionnelle.

Maintenant, un mot sur... sur la légitimité. Je pense, c'est important de préciser que la Loi sur la laïcité de l'État n'est pas arrivée comme par surprise ou comme un accident de l'histoire. Les observateurs intéressés l'attendaient. Il y a eu des années, pour ne pas dire plus d'une décennie, de débats avant l'adoption de la Loi sur la laïcité. Souvenons-nous...

M. Roberge : ...du débat, certains diront la crise, mais sur les accommodements raisonnables, la commission Bouchard-Taylor. Mais ça, ce serait même être trop bref. Il faut remonter jusqu'aux Patriotes de 1937-1938 pour voir qu'il y avait des visionnaires bien avant nous qui parlaient d'une République du Québec laïque. Après ça, il faut penser aux années 60 avec le rapport Parent qui amenait une déconfessionnalisation, le début de l'idée de la confessionnalisation, autant dire laïcisation du réseau scolaire québécois. Après ça, il y a eu Mme Marois et le gouvernement qui est arrivé justement avec la déconfessionnalisation de l'administration scolaire. On enseignait encore la religion, mais dans un réseau qui était administré selon des principes laïques, enfin, qui tendaient vers la laïcité. Et donc, après ça seulement, est arrivé le débat sur les accommodements raisonnables, Bouchard-Taylor et tout, et tout. Donc, ça s'inscrit sur des décennies. C'est un débat qui est mature pour une société qui est mature et qui amène une légitimité pleine et entière à ce qu'on fait.

Point de vue de considérations légales, pour ceux qui se diraient : Oui, mais on a... Est-ce qu'on a le droit de faire ça? Bien oui, on a le droit de faire ça. C'est carrément un article de la Constitution qui le prévoit. Ce n'est pas anticonstitutionnel, au contraire, c'est prévu dans la Constitution. Ça faisait partie de l'entente de base. Et Trudeau père n'aurait probablement pas pu rapatrier, même s'il l'a fait bien maladroitement, la Constitution canadienne s'il n'avait pas inséré la clause dérogatoire. Il n'aurait pas pu rassembler les autres provinces s'il n'y avait pas eu ça. Ça a été souligné par Pierre Elliott Trudeau, ça a même été souligné par Jean Chrétien. Il est très rare que je fasse appel à la mémoire de ces deux hommes, mais aujourd'hui, je le fais.

La laïcité de l'État, c'est la séparation de l'État et des religieux, c'est la neutralité religieuse de l'État, c'est l'égalité pour tous les citoyennes et citoyens, la liberté de conscience, la liberté de religion, c'est la protection, la liberté de religion, c'est l'égalité entre les hommes et les femmes. Puis je nous invite donc à voter en faveur de ce projet de loi là, qui est très important. Merci.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le ministre. Alors, je me tourne du côté de l'opposition officielle avec le député de l'Acadie pour vos remarques préliminaires. 3 min 36 s sont accordées, le micro est à vous.

M. Morin : Merci, Mme la Présidente. Alors, M. le ministre, collègue parlementaire, alors je vous salue et très heureux de pouvoir participer aux travaux, aux travaux de cette question, de ce projet de loi qui touche un aspect important de la société québécoise.

M. le ministre y faisait référence, c'est un bien court projet de loi, mais c'est quand même un projet de loi qui suscite des débats, qui suscite un questionnement. Et je pense que c'est la... c'est la raison pour laquelle il est important, justement, d'avoir des consultations particulières pour être capables de nous aider, nous, les parlementaires, dans le travail que nous avons à faire. Bon, ce n'est quand même pas un projet de loi qui est banal, puisque c'est l'invocation d'une clause de dérogation, donc, qui suspend les droits et libertés. Donc, je pense qu'il faut prendre le temps, il faut regarder ça avec, évidemment, attention. Et les experts, les experts vont nous aider dans nos travaux aujourd'hui. Nous allons les écouter avec attention.

Parlant d'experts, je souligne également qu'il y aura malheureusement un grand absent parce que le Pr Benoît Pelletier nous a quittés. Il faisait partie des gens qu'on aurait bien aimé entendre. Il a été ministre, il a participé aux débats. C'est un grand constitutionnaliste. Pour ma part, je connaissais Benoît depuis 1989, alors que nous avons travaillé ensemble à l'époque, et j'aurais bien aimé, évidemment, qu'il puisse nous parler de ça. Je pense que c'est un sentiment qui est partagé par tout le monde et je tenais à souligner brièvement sa mémoire, puis le fait, bon, qu'il va nous manquer, avec ses réflexions qui étaient toujours bien appropriées, à propos puis, évidemment, il parlait à tout le monde, donc il était toujours prêt à aider tout le monde. Ça, je pense qu'il faut le souligner.

Alors, moi, donc, je suis prêt, Mme la Présidente, prêt à commencer les travaux. Et c'est avec plaisir, donc, qu'on va entendre les groupes d'experts qui vont venir nous expliquer leur point de vue aujourd'hui. Je vous remercie.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le député. Alors, on va terminer les remarques préliminaires avec la députée de Verdun. Vous avez une période de 1 min 12 s et le micro est à vous.

Mme Zaga Mendez : Merci, Mme la Présidente. Donc, bonjour à nos collègues de la banquette ministérielle, également à l'opposition officielle. Nous sommes aussi prêts à entendre les différents intervenants...

Mme Zaga Mendez : ...aujourd'hui, mais je pense que, cette fois-ci, nous approchons quand même cette commission déjà avec une idée très, très claire de notre position, c'est-à-dire que, si le gouvernement veut avoir notre appui pour adopter cette loi... ce projet de loi, même s'il est très court, il doit retirer la clause de dérogation de notre charte québécoise afin que les citoyens du Québec puissent contester la loi 21 en vertu de cette charte québécoise. Puis, pour nous, c'est simple, il faut offrir aux citoyens le bon outil. Et, si on ne le fait pas, on n'a pas à verrouiller à double tour la loi sur la laïcité, on ne va pas voter pour cela, même si l'outil de la charte canadienne n'est pas optimal, même si on considère même la légitimité qui est moindre que celle de notre charte québécoise, parce que ça nous a été imposé dans le cadre du rapatriement de la Constitution canadienne, que le Québec n'a jamais entériné. Donc, oui, il faut des gestes de rupture, mais seulement si on le fait aussi... en donnant les outils aux citoyens, c'est-à-dire en enlevant la dérogation dans notre charte québécoise. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci, Mme la... la députée.

Alors, on va commencer la période des auditions. Alors, je souhaite la bienvenue à... au professeur Patrick Taillon, professeur titulaire de la faculté de droit de l'Université Laval. Bonjour. Bienvenue à la commission. Je vais vous rappeler d'entrée de jeu que vous avez une période de 10 minutes pour votre exposé, puis ensuite on va procéder à une période d'échange avec les parlementaires. Alors, la parole est à vous.

M. Taillon (Patrick) : Merci, Mme la Présidente. Merci aux membres de la commission pour cette invitation. Ça va me faire plaisir de répondre à vos questions. Mais, avant tout, trois ou quatre observations qui me tiennent à cœur avant de lancer cette période de questions.

D'abord, un constat : la dérogation existe. Plusieurs y voient une anomalie dans la charte canadienne. Moi, je suis, au contraire, plutôt de ceux qui y voient un révélateur de la véritable et profonde nature des systèmes de protection des droits dans la tradition de Westminster. On parle des pays fortement influencés par le modèle britannique. La disposition de dérogation dans la charte canadienne, tout comme celle dans la charte québécoise, elle est porteuse d'un équilibre, d'un compromis, et, comme tous les compromis, comme tous les équilibres, ce n'est jamais la cohérence parfaite et absolue. Et c'est ça qui fait sa force, c'est qu'elle opère une quadrature du cercle, entre permettre aux juges de s'élever au-dessus de la volonté des élus, de contrôler les lois et en même temps permettre un contre-pouvoir à ce pouvoir des juges en préservant occasionnellement une espèce de reliquat, de résiduel de souveraineté du Parlement. Donc, à travers l'article 33, le Canada s'inscrit en continuité avec les autres États attachés à la primauté des droits fondamentaux par le juge, notamment les pays d'Europe continentale, les États-Unis, mais tout en préservant cette confiance et cet attachement à un résidu de souveraineté du Parlement. Cette absence d'absolu, cette multiplication des contre-pouvoirs, c'est la force de ce modèle, trop souvent mal compris, de protection des droits fondamentaux.

• (10 heures) •

Utiliser la dérogation, ce n'est ni bien ni mal, ça dépend ce qu'on en fait. Il faut, et j'insiste là-dessus, éviter de tomber dans le piège qui consiste à survaloriser la dérogation, à survaloriser la souveraineté du Parlement ou à démoniser la dérogation et démoniser le pouvoir politique. Le projet de loi n° 52, c'est plus qu'une simple formalité, mais ce n'est pas non plus la suspension des libertés civiles équivalente à la... celle qu'on a connue sous la crise d'octobre en 1970. C'est un exercice important qui implique une évaluation par les parlementaires de l'opportunité, par rapport au bien public, au bien commun, de poursuivre dans la voie empruntée en 2019.

Alors, en ce qui me concerne, l'utilisation de la dérogation, son renouvellement, ça apparaît encore nécessaire à ce jour. J'ai espoir que ça ne sera pas toujours le cas. Certes, la jurisprudence canadienne sur la liberté individuelle d'exprimer des convictions religieuses, elle a évolué, surtout depuis les années 2010, de plus en plus de limitations sont jugées valables par la jurisprudence, et, dans mon mémoire, bon, court mémoire, j'expose quelques exemples de décisions qui s'inscrivent dans ce virage-là. N'empêche que ces évolutions-là de la jurisprudence, c'est un signal, mais c'est une évolution qui n'est pas si rapide. Et il y a d'autres indices qui laissent croire que le Québec a encore besoin d'envoyer ce message fort aux tribunaux et de protéger...


 
 

10 h (version non révisée)

M. Taillon (Patrick) : ...l'équilibre des droits et son modèle de laïcité préconisé par la loi 21. Je pense entre autres au sort du... de la loi 62, du projet de loi n° 62 adopté sur le gouvernement de Philippe Couillard, une suspension provisoire, sans que les tribunaux aient même évalué la preuve au dossier. On a vu la rapidité avec laquelle ils ont suspendu cette loi, une loi dont en partie, là, certains des contenus qui étaient dans la loi 62 se retrouvent aussi dans la loi 21.

On a pu lire aussi attentivement les motifs du juge Marc-André Blanchard, en première instance, de la juge Duval-Hesler en appel sur des questions provisoires, même de la juge Dominique-Bélanger, qui sont, à mon avis, des signaux jurisprudentiels assez clairs que, si... selon ces juges-là, s'il n'y avait pas la dérogation, le sort qu'ils réserveraient au modèle québécois de laïcité, ce serait en grande partie de l'invalider.

Mais surtout, outre ces signaux jurisprudentiels, pour moi, la raison pour laquelle le recours... le renouvellement de la dérogation s'impose, c'est en raison de cette tendance malheureuse qui est, à mon avis, contraire à ce que devrait être le fédéraliste... fédéralisme et qui consiste à préconiser une interprétation uniformisante des systèmes de protection des droits fondamentaux, comme si la Charte québécoise, finalement, n'existait pas, comme s'il n'y avait au Canada qu'un seul... une seule conception de l'équilibre des droits et que c'était un modèle unifié à l'ensemble du Canada.

Dans mon mémoire, je vous cite un extrait du... à la page sept, du récent arrêt Ward contre Commission des droits de la personne, où la cour réaffirme deux choses : les différences de mots d'une charte à l'autre, ça ne compte pas, elle ne veut pas accorder d'importance à ces différences terminologiques, et, deuxièmement, il y a une hiérarchisation, il y a une subordination d'une charte à l'autre. Et elle le dit clairement en disant : La Charte québécoise doit être interprétée à la lumière de la Charte canadienne. Donc, je sais que le propos peut sembler polémique, ce n'est pas ce que je souhaite, mais, à mes yeux, il faut être lucide et réaliste, le Québec ne dispose pas d'un véritable système de protection des droits de la personne. Puis, dans la mesure où cette interprétation est uniformisante, cette façon d'uniformiser le contenu des deux chartes empêche le Québec de développer sa propre, son propre, comme une société distincte, sa propre... son propre équilibre des droits.

La dérogation est aussi nécessaire parce que les tribunaux ont de la difficulté à voir l'importance que le législateur québécois, que cette Assemblée a voulu donner à son modèle de laïcité. Le Québec a tout fait pour marquer le fait que la laïcité, c'est un principe constitutif de l'État québécois, c'est une caractéristique fondamentale de l'État québécois. Les gestes sont nombreux, je les énumère dans le mémoire, mais j'en rappelle juste deux ou trois. D'abord, 1997, modification de la Constitution du Canada bilatéral avec le fédéral. Évidemment, on ne parle que de la laïcité à l'école. Évidemment, les mots pour l'inscrire sont par la négative. Le Québec se retire d'une obligation, d'une uniformité en matière de système confessionnel. Mais ce n'est pas tous les jours au Canada que l'on modifie le texte de la Constitution. On l'a fait en 1997 pour enchâsser quoi? Quel principe est derrière la modification en 1997? Malheureusement, les tribunaux ont besoin de temps, ils ont besoin de cheminer. Puis on a peut-être besoin d'aller à la Cour suprême pour essayer de plaider ces choses-là pour marquer que, bien oui, la laïcité, elle est inscrite indirectement, implicitement dans la Constitution du Canada à travers la révision, l'importante révision de 1997. On a besoin de temps pour convaincre les tribunaux qu'en adoptant la Loi sur la laïcité on a aussi modifié la Charte québécoise et que, si cette charte existe, ce que je souhaite, c'est... elle n'est pas que le miroir de la Charte canadienne. Puis il faut que les tribunaux tiennent compte du fait qu'on a inscrit la laïcité parmi l'équilibre des principes dont il faut tenir compte. Il faut aussi se laisser du temps pour convaincre les tribunaux, et, Dieu merci, la Cour d'appel l'a remarqué dans sa plus récente décision, que le législateur québécois a accordé à la Loi sur la laïcité de l'État un rang supralégislatif au-dessus des autres lois du Québec, à l'égal de la Charte québécoise en lui donnant un caractère prépondérant. Tout ça, c'est beaucoup d'efforts pour montrer que ce n'est pas une loi comme les autres, que c'est un principe constitutif de l'État québécois, mais, sans la dérogation, le Québec court un risque que tous ces efforts-là soient mal compris. La dérogation nous permet d'ajouter à tous ces signaux-là un signaux... un signal supplémentaire, et il...

M. Taillon (Patrick) : ...il faut avouer que, jusqu'à présent, c'est surtout celui-là qui est remarqué par nos tribunaux, par l'espace public canadien, et aussi, de façon générale, par l'ensemble des observateurs. Et donc, tant qu'on n'aura pas fini la pédagogie sur les autres efforts pour donner à la laïcité une place spéciale dans la hiérarchie des normes, bien, il va falloir utiliser la dérogation pour que le... pour que ce message puisse porter.

Sur le fond des choses... il ne doit pas me rester beaucoup de temps... je voulais saluer le fait que le projet de loi n° 52 est court, clair et ciblé. Il évite, sur le plan politique, à mon avis, le piège de la réouverture de la loi. Ça pourrait être tentant de donner un petit tour de vis à gauche, de donner un petit tour de vis à droite pour rendre la loi un peu plus large, un peu plus restreinte dans son application. Je pense qu'il faut éviter ce piège. Si, un jour, on veut, au Québec, une paix sociale équivalente à la paix linguistique qu'on a réussi à bâtir dans les années 80 et 90, dans le dossier de la langue, ça nous prend des règles stables, ça nous prend des règles claires, ça nous prend un consensus fort.

Si on veut en faire plus pour la laïcité — je le mentionne rapidement dans mon mémoire — il faut surtout, je pense, faire deux choses. Ne pas baisser la garde sur la promesse d'égalité. Oui, la laïcité a des effets sur les uns et les autres. Les restrictions que la loi comporte, comme toutes les restrictions élaborées par les tribunaux en matière de liberté de religion, ont des conséquences, mais la loi n° 21, elle vient aussi avec une part de noblesse, qui garantit un certain nombre de libertés et, notamment, une promesse d'égalité et de non-discrimination fondée sur la religion. Il est important que l'action du gouvernement du Québec soit au rendez-vous pour livrer, autant que possible, cette promesse d'égalité, qui, au quotidien, n'est pas toujours simple à concrétiser. Il faut aussi situer le principe de la laïcité... il faut mieux situer le principe de laïcité par rapport aux autres fondements...

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : En terminant.

M. Taillon (Patrick) : ...de l'État québécois. La commission Bouchard-Taylor recommandait une loi sur l'interculturalisme. D'autres, notamment, notre regretté collègue Benoit Pelletier, proposaient une constitution québécoise. J'aurais aimé vous parler d'une petite réforme législative que... dont je souhaite, mais elle est dans le mémoire. J'attire votre attention là-dessus et je m'excuse d'avoir débordé un peu de mon temps.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Sans problème. Écoutez, de toute façon, la période d'échange avec les parlementaires débute, alors, du côté du gouvernement. Je me tourne du côté du ministre et de sa banquette. Vous avez une période de 16 min 30 s, au total. Vous pouvez commencer.

M. Roberge : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Merci d'avoir soulevé à la toute fin, dans un dernier souffle, une ouverture sur, peut-être, des bonifications à la loi, éventuellement, peut-être pas dans ce cadre-ci, une ouverture sur une voie constitutionnelle pour le Québec, sur un modèle d'intégration citoyenne. Je pense que c'est intéressant de voir qu'on est capables de traiter de choses très, très importantes, fondamentales avec toute la concentration nécessaire, mais de lever les yeux, aussi, puis de se projeter un petit peu plus loin en avant, pour aller voir quelles sont les autres pièces législatives qui, peut-être, manquent au grand casse-tête, là, québécois.

Petite question pour vous, puis mes collègues, après, pourraient intervenir, bien sûr, on fera ça ensemble. Vous nous avez amenés à la page 7 pour démontrer, avec un extrait, là, d'un jugement, que... puis ça dit : «La charte québécoise devrait s'interpréter à la lumière de la charte canadienne.» Ma collègue, tout à l'heure, de l'opposition disait : Mais il faudrait que la clause dérogatoire ne s'applique qu'au Canada. La clause dérogatoire, ce n'est peut-être pas à la charte canadienne... à la charte québécoise, d'ailleurs, c'est un article différent, mais elle voudrait qu'on suspende cette protection, eu égard à la charte québécoise. Mais, considérant le jugement que vous citez à la page 7, si on n'avait que la clause dérogatoire pour la charte canadienne, puis qu'on n'avait pas d'autres articles, ailleurs, qui parlaient de la charte québécoise, considérant ce que vous nous montrez, est-ce qu'il n'y aurait pas un danger pour faire invalider, ou amoindrir, ou amender, ou éroder notre loi sur la laïcité?

• (10 h 10) •

M. Taillon (Patrick) : Il y a un grand malentendu concernant les rapports entre les deux chartes. Les chartes, ce n'est qu'un texte. Ce qu'il concrétise, c'est le juge qui l'interprète. Or, au Québec et au Canada, oui, on a deux textes, mais ce qui compte, c'est qu'on a un seul juge, un juge chargé de définir et d'interpréter les deux chartes. C'est ce qui me fait dire qu'il n'y a en vérité, qu'un seul système de protection. Alors, oui, je suis de ceux qui souhaitent, comme plusieurs membres de cette Assemblée, qu'il y ait une spécificité du modèle québécois de protection des droits, puis des idées sur la manière de concrétiser une forme d'autonomisation de notre charte par rapport à la charte canadienne. Mais, en l'état actuel des choses, par exemple, de l'arrêt Ford, qui avait invalidé la loi 101, sur la langue d'affichage, jusqu'à l'exemple, que je cite...

M. Taillon (Patrick) : ...à la page 7, on a une jurisprudence qui, elle, va dans le sens contraire de cette volonté du Québec, en disant : Au fond, les droits doivent être les mêmes au Canada, comme si le principe du fédéralisme n'avait pas à se conjuguer à celui de la primauté du droit. Et ça, c'est un grave problème, à mon avis, dans l'évolution du fédéralisme canadien, puisqu'à chaque fois que les juges dégagent un standard uniforme, bien, d'une certaine façon, ils uniformisent les règles de droit. Il va falloir que les tribunaux, je le souhaite en tout cas, apprennent à développer, intègrent, dans leur jurisprudence, une vision du fédéralisme lorsqu'ils interprètent les droits.

Et donc, oui, ne pas déroger à la Charte québécoise, mais déroger à la Charte canadienne, c'est possible, mais ça produirait le même effet que dans la fin des années 80, lorsque la Cour suprême s'est tournée vers la Charte québécoise pour invalider la loi 101, alors que le Québec avait dérogé à la Charte canadienne. Et, dans cet arrêt, on dit noir sur blanc... Les mots ne sont pas les mêmes, mais je vais l'interpréter de manière uniformisante. Je vais appliquer les mêmes standards puisque, au fond, la Charte... québécoise a vocation à être interprétée à la lumière de la Charte canadienne. Donc, il y a une subordination, il y a une hiérarchisation des deux textes, mais il y a surtout un interprète unique qui, vous me permettrez cette critique, n'est pas suffisamment sensible, à mon avis, à la dimension fédérative de notre système constitutionnel.

Alors, oui, pour répondre clairement à votre question, il y aurait un risque pour la loi 21 d'être invalidée sous le régime de la Charte québécoise par les mêmes raisonnements que ceux en vigueur pour la Charte canadienne. Évidemment, certains diront que «alors, rien n'empêcherait le législateur québécois de modifier la Charte québécoise ou de réadopter la loi 21 ou la Loi sur la laïcité avec une dérogation», tout cela serait théoriquement possible. Mais, quand même, ça exige, sur le plan du calendrier parlementaire, un certain nombre de choses, ça complique les choses. Et surtout quand l'issue du débat est évidente, je pense que ce n'est pas nécessaire de se prêter à toutes ces complications. Alors, bref, le risque est présent si on déroge à une seule charte, à mes yeux.

M. Roberge : Merci pour cette question claire. La question, au fond, c'est : Est-ce qu'on veut protéger notre modèle de laïcité, oui ou non? Si la réponse, c'est oui, il ne s'agit pas de dire : On va déroger à une charte, pas à l'autre, parce que là il faudrait se protéger au nom de ci, au nom de ça. En réalité, on la protège ou on ne la protège pas. Puis, après ça, c'est une question de moyens.

Vous avez dit, à un moment donné : J'espère... Vous avez envoyé un espoir dans l'univers, en disant : J'espère qu'un jour la clause dérogatoire ne sera pas nécessaire ou qu'elle ne sera pas toujours nécessaire. Vous avez dit ça dans votre présentation. Quelles seraient les conditions qui devraient arriver pour que, dans cinq ans, dans 10 ans, dans 15 ans, peu importe, ça prendrait... Pour que ça ne soit plus, un jour, nécessaire de ramener la clause dérogatoire, qu'est-ce qui devrait arriver pour que vous arriviez ici, en commission, en disant : Savez-vous, bonne nouvelle...

M. Taillon (Patrick) : On pourrait prendre un risque.

M. Roberge : ...cette fois-ci, il n'est pas nécessaire de renouveler la clause?

M. Taillon (Patrick) : Bien, il faut suivre attentivement l'évolution de la jurisprudence. Et, au tournant des années 2010, la cour a admis de plus en plus souvent que la liberté d'exprimer des convictions religieuses n'était pas absolue. Et ça, c'est un signal qui est positif, puis il est présent, là, et ça, c'est présent à l'actif. Mais je pense qu'il faut surtout porter attention à comment les tribunaux vont recevoir les efforts que le Québec déploie pour bien marquer le fait que la laïcité a une place particulière dans la hiérarchie des normes, à l'égal du reste de la constitution. Par exemple, si les tribunaux concédaient que la révision constitutionnelle de 1997, c'est une manière implicite d'inscrire dans la Constitution canadienne plus qu'une simple... un simple retrait de l'obligation de maintenir des écoles confessionnelles. Mais c'est quoi, la raison d'être de mettre fin aux écoles confessionnelles? C'est la volonté du Québec et du Canada, parce que cette révision constitutionnelle a été adoptée aussi par le fédéral, de marquer une certaine laïcisation du système scolaire québécois. Donc, le jour où les tribunaux reconnaîtraient un sens généreux à cette révision constitutionnelle de 1997, moi, personnellement, je serais porté à y voir les conditions préalables à la levée de la dérogation.

M. Roberge : Merci.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci, M. le ministre. Je vais reconnaître la députée de Vimont. Il reste encore neuf minutes, neuf secondes.

Mme Schmaltz : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, professeur Taillon. Tantôt, je vous ai écouté puis...

Mme Schmaltz : ...vous avez affiché une assurance, une grosse assurance à l'effet que la reconduction de la dérogation, elle était vraiment nécessaire. Puis, dans vos propos, la façon que vous l'avez amené, j'ai eu cette impression... bien, c'est une impression, j'ai eu, cette... Je cherche un petit peu comment je pourrais vous expliquer ça, des exemples derrière ça, parce que, quand on affiche une telle assurance en disant : On doit, c'est nécessaire, il faut la protéger, on n'est pas... Ça vient un petit peu rejoindre, tantôt, ce que le ministre, il disait : Quel serait, dans le meilleur des mondes, dans quelques années... qu'est-ce qu'on... où on devrait arriver? Mais vous vous basez sur quoi, exactement, pour... Je ne veux pas avoir nécessairement des exemples, là, mais peut-être une synthèse, là, de...

M. Taillon (Patrick) : Oui. Oui. Bien, c'est certain que la comparaison avec le dossier linguistique est importante. Quand on regarde les années 70, au Québec, les premières lois en matière linguistique, notamment sous Robert Bourassa, sous le gouvernement de l'Union nationale, celle sur... adoptée par... proposée par Camille Laurin, puis on regarde comment les tribunaux ont reçu ces lois-là, au début, les adjectifs qui ont été utilisés, par moments, pour qualifier ces lois linguistiques, on voit... Puis, aujourd'hui, on regarde comment les tribunaux qualifient l'objectif poursuivi par la Charte de la langue française, on voit que les tribunaux ont cheminé avec le temps.

Donc, comment s'installe, dans les rapports interinstitutionnels entre le politique, les élus et la jurisprudence, une forme de paix, de meilleure compréhension dans les objectifs poursuivis par chacun? C'est un peu sur ce registre que j'essaie de lire la situation actuelle. Quand on regarde, comme lecture attentive de la récente décision de la Cour d'appel du Québec... pour moi, c'est un signal fort en faveur de l'établissement d'une paix semblable à celle qu'on a connue en matière linguistique. On voit la manière dont on décrit la loi, on la décrit de manière appropriée, on lui donne la part de noblesse qui lui revient, on la décrit correctement. À l'inverse, dans d'autres décisions, dans les motifs, ils écrivent plusieurs centaines de pages, nos juges, et, souvent, par exemple, dans la décision du juge Marc-André Blanchard, qui a quand même validé la loi à bien des égards, on voit, dans le choix des mots, la manière de décrire c'est quoi, la laïcité, à certains égards, soit une forme de mépris ou d'incompréhension ou une forme de dissidence que le juge cherche à marquer. Je vous donne un simple exemple. Le juge Marc-André Blanchard définit la laïcité comme tout ce qui est contre la religion, tout ce qui est antireligieux. Bien, ça dénote une compréhension de la laïcité qui, à mon avis, n'est pas la plus généreuse et qui marque une certaine incompréhension ou, en tout cas, une volonté de marquer une dissidence par rapport au modèle. On ne retrouve pas ça dans la décision de la Cour d'appel.

Ça fait que ça prend du temps. Ce n'est pas différent du large débat public au Canada ou dans le reste du Canada. Le choix qui est fait par le Québec est à ce jour encore assez mal compris. C'était pareil avec la loi... la loi 101, à l'origine. Encore aujourd'hui, il reste beaucoup d'incompréhension à l'endroit de nos lois linguistiques, mais, avec le temps, ça s'atténue, il y a des voix qui s'élèvent pour, quand même, interpréter plus généreusement ce que l'on cherche à faire. Et donc c'est un peu cette lecture-là, là, qui m'amène à dire : Bien, on n'est pas encore rendus à ce moment-là.

Mme Schmaltz : Est-ce que j'ai encore un petit moment?

• (10 h 20) •

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Oui, 5min 45s.

Mme Schmaltz : ...peut-être une petite... je veux laisser aussi la place peut-être à mes collègues aussi, j'ai... Peut-être juste revenir sur... vers la fin, là, de votre exposé, tantôt, vous avez mentionné que Québec ne dispose pas véritablement de dispositions de protection. J'ai peut-être mal saisi. Qu'est-ce que vous vouliez dire par ça?

M. Taillon (Patrick) : Bien, peut-être que je faisais référence au fait qu'on a... dans la loi sur la laïcité, on a vraiment utilisé plusieurs marqueurs, procédés juridiques pour dire : Cette loi-là, ce n'est pas une loi comme les autres, elle a un rang privilégié dans la hiérarchie des normes. Et, quand on la conjugue à la révision constitutionnelle de 1997, elle prend... ça prend un sens. En tout cas, si on veut le voir, il est là. Mais moi, ce que je disais, c'est que le climat, ce que je perçois de la jurisprudence, c'est que le cheminement pour voir ce qui est présent, il est long, il est lent, il faut laisser du temps.

Je remarque que, dans la décision de la Cour d'appel, on cite ces procédés-là, donc, sauf peut-être la révision 1997, on la mentionne, mais je pense qu'on pourrait lui donner un sens encore plus significatif. Donc, tranquillement... Ces procédés-là existent, mais pour qu'ils produisent pleinement leurs effets en droit, il faut que l'interprète ait le goût de leur donner du poids, du sens. Et, en ce moment, bien, d'utiliser la dérogation, ça protège tout ça, et ça évite que leur interprétation trop timide des autres procédés ait des effets négatifs, et ça laisse le temps, je pense, au Procureur général du Québec, dans les dossiers qui cheminent vers la Cour suprême, de bien essayer de...

M. Taillon (Patrick) : ...et faire la pédagogie, des autres procédés, le temps qu'ils soient mieux compris.

Mme Schmaltz : Vous avez mentionné, en terminant, on envoie un message fort. À qui s'adresse cet... ce message-là?

M. Taillon (Patrick) : Ah! bien, à mon avis, les systèmes de protection des droits, c'est d'abord et avant tout des systèmes de contrôle, de pouvoir et de contre-pouvoirs entre l'institution politique et l'institution judiciaire. Et, à travers ça, bien, quand le législateur légifère, il a des contraintes imposées par la jurisprudence, et donc le signal que l'on veut envoyer, c'est à l'interprète qui va concrétiser la volonté du législateur. Donc, je faisais référence, au fond, au fait que celui qui donne sens à la loi sur la laïcité, c'est celui qui l'interprète. Et donc, pour juger s'il est approprié de renouveler la dérogation, il faut être sensible à comment ce contrepouvoir qu'est le juge a reçu jusqu'à présent le message qu'on a cherché à envoyer.

Mme Schmaltz : Je vais laisser la place...

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci beaucoup, Mme la députée. Je vais reconnaître la députée de Châteauguay. Il reste encore deux minutes, 55 secondes.

Mme Gendron : Je vais faire ça rapidement. Bonjour, M. Taillon. Merci d'être avec nous aujourd'hui. J'aimerais souligner le fait que vous... vous avez reconnu l'efficacité, la clarté du projet de loi, là, vous l'avez mentionné, qui est concis mais centré sur l'égalité, là, des gens. Donc, un grand merci d'avoir apporté ce détail-là. C'est un détail important, là. Je voudrais savoir, moi, point de vue personnellement, au niveau international, si on compare le pouvoir du Québec par rapport à... d'édicter la disposition, est-ce qu'il y a d'autres choses qui ressemblent à la situation du Québec en ce moment au niveau international?

M. Taillon (Patrick) : Oui, bien, sur le plan de la jurisprudence équivalente à la loi 21, bien, je pense qu'il faut se tourner vers les pays européens. Et là-dessus, on voit que l'équilibre entre le devoir de neutralité et liberté personnelle d'exprimer des convictions religieuses, bien, il est bien différent à la Cour européenne des droits de l'homme. Ça ne veut pas dire que la Cour suprême a tort ou que la Cour européenne a tort. C'est... c'est juste pour montrer que, dans ces matières, il y a place pour différentes interprétations. Et là-dessus, j'avais eu la chance de recenser, il y a quelques années, là, c'est... il y avait quoi, autour de 27 décisions, si je me souviens bien, il y en avait 24 qui étaient favorables à la marge... une marge de manœuvre pour le pouvoir politique, pour adopter des lois, souvent, plus... qui... qui restreignaient la liberté individuelle d'exprimer des convictions religieuses, bien au-delà de ce que le Québec peut faire, notamment en Belgique, en France, en Suisse, au Royaume-Uni, dans le secteur privé. Il y avait des décisions, en tout cas... en Turquie, évidemment, qui est membre de la Cour européenne des droits de l'homme aussi. Donc, il y avait toute une série de décisions où on voyait, à l'inverse de la Cour suprême du Canada, un autre équilibre se dessiner.

Quant à la dérogation en tant que telle, ça, c'est une particularité de l'approche des pays attachés à la souveraineté parlementaire, modèle de Westminster. Donc, les équivalents sont dans des pays dans des systèmes comparables, notamment le Royaume-Uni. Il existe des dérogations dans des... internationaux de protection des droits, mais ils reposent sur une tout autre logique. C'est... c'est comme si on dit : Il y a certains droits qui sont plus importants que d'autres, ceux-là sont interrogeables, alors qu'au Canada ce n'est pas de ça dont il s'agit. Les droits... les droits auxquels on peut déroger ne sont pas des droits moins importants. Il y a... il y a une raison d'être de la dérogation qui tient... qui repose sur une toute autre logique, qui s'inscrit davantage dans la tradition politique et constitutionnelle des pays de... rattachée à la tradition de Westminster.

Mme Gendron : O.K. merci beaucoup. Il reste combien de temps?

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Quinze secondes.

M. Taillon (Patrick) : ...j'essayais de...

Mme Gendron : Bien, je vous souhaite une excellente fin de journée, je pense.

M. Taillon (Patrick) : Merci. J'essayais de tout boucler en deux minutes. Merci.

Mme Gendron : C'est très apprécié. Merci.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci beaucoup. Alors, je me tourne du côté de l'opposition officielle. Vous avez une période de 12 minutes 23 secondes. Le micro est à vous.

M. Morin : Merci, Mme la Présidente. Alors, bonjour, Pr Taillon, merci, merci pour votre mémoire et pour vos explications. J'ai quelques questions pour vous. Je reprends peut-être un peu ce que la collègue parlementaire de Vimont, je crois, disait, bon, vous... vous assumez que la clause dérogatoire, elle est… elle est... en fait, elle est essentielle pour, si vous me permettez l'expression, donc, valider la loi adoptée par le gouvernement de la CAQ. Donc, s'il n'y avait pas de clause dérogatoire de mise en vigueur, est-ce que vous croyez que la loi sur la laïcité pourrait être contestée et que certaines de ces dispositions pourraient être déclarées invalides? Parce que...

M. Morin : ...en contradiction avec des droits fondamentaux. Est-ce que mon... mon analyse elle est... elle est bonne ou est-ce que vous... vous croyez ça?

M. Taillon (Patrick) : ...des choses, là, on a des signaux qui laissent croire que la jurisprudence canadienne, je la comparais tout à l'heure avec celle de la Cour européenne des droits de l'homme, bien, elle a sa recette, son équilibre. Et moi, l'interprétation que j'en fais, peut-être que d'autres témoins aujourd'hui en feront une autre, mais moi, je suis de ceux qui pensent qu'au même titre que dans les années 2000 cette jurisprudence soit parce qu'elle allait trop loin ou soit parce qu'elle était mal comprise au Québec, puis peut-être un peu des deux, mais elle avait provoqué cette... cette crise des accommodements raisonnables, la commission Bouchard-Taylor, et tout ça, parce que, justement, elle allait très, très loin dans une conception de la liberté individuelle et subjective d'exprimer des convictions religieuses. Bien, il reste encore quelque chose de cette approche canadienne qui, à mon avis, se démarque par rapport à ce qu'on retrouve en Europe. Et tant et aussi longtemps que le choix du Québec ne sera pas mieux compris ou qu'il n'y aura pas une approche moins uniformisante, le choix de protéger la volonté de... de ce Parlement me semble un choix judicieux.

M. Morin : Est ce qu'on peut aller jusqu'à dire que, justement, l'utilisation de la clause dérogatoire est nécessaire par le gouvernement actuel parce que la loi 21 est discriminatoire, et donc que des gens invoqueraient leurs droits fondamentaux devant les tribunaux? Et vous pensez qu'avec votre analyse que vous faites de la jurisprudence, ils risqueraient de gagner?

M. Taillon (Patrick) : De deux choses l'une, moi, je n'ai pas de problème à dire que la loi 21, comme elle pose des limites, comme toutes les lois qui posent des limites, elle produit des effets différenciés sur les gens qui doivent vivre avec ces limites-là. Alors, moi, je n'ai pas de problème à dire, et je pense, c'est important d'être capable de reconnaître cela, que cette loi-là elle crée un fardeau plus lourd pour des croyants versus des non-croyants. Bon, ça fait partie de toute mesure législative puis c'est la responsabilité des élus d'évaluer puis de tracer des lignes, et de vivre avec le fait qu'il y a des effets aux limites que l'on impose.

Ensuite, il faut... il faut être bon joueur, la jurisprudence aussi lorsqu'elle dit, après avoir dit le contraire une décennie auparavant : Les camionneurs du port de Montréal doivent porter le casque de sécurité malgré le fait qu'ils tiennent absolument à porter un symbole religieux. Bon. Dans la décennie précédente, ils disent : Non, non, ils ont le droit au nom de la liberté de religion, ça serait discriminatoire de leur forcer à porter le casque. La décennie suivante, ils disent : Non, non, ça ne fonctionne pas en pratique, comme l'accommodement n'est pas raisonnable, il faut maintenant être plus restrictifs. C'est... Que ce soit le juge ou que ce soit le législateur, c'est le rôle du droit de poser des limites. Puis, dans une société libérale, on veut qu'il y en ait le moins possible, de ces limites-là. Mais des limites sont nécessaires, ces limites produisent des effets plus grands chez certains que chez d'autres. Oui, si c'est ce que vous appelez un effet discriminatoire, je ne par peur de... on peut adopter ce mot-là, mais à la fin, en droit, ce qui compte c'est est ce qu'on a affaire à une loi qui est conforme ou non à la Constitution canadienne? Parce que des effets discriminatoires, il y en a certains qui se justifient, d'autres pas. Et un jour on saura si la loi 21 est capable de se justifier devant les tribunaux, le jour où il n'y aura plus la dérogation. Moi, je pense que, dans la jurisprudence européenne des droits de l'homme, c'est facile de justifier la loi 21 comme une limite raisonnable aux droits et libertés. Et je pense que, dans l'état actuel de la jurisprudence canadienne, ce serait difficile de la justifier. Mais ce n'est pas parce que... ce n'est pas parce que la loi est bonne ou pas bonne, c'est parce que la... ces jurisprudences-là s'élaborent avec une certaine conception, un ensemble de valeurs, une vision du monde, et c'est tout l'enjeu du Québec d'être capable, dans l'ensemble canadien, d'insérer sa vision, son équilibre, sa... son système de valeurs, ou d'être condamné à ce qu'il n'y ait qu'un seul modèle de rapport entre l'État et les religions au Canada, sans que le Québec dispose d'une certaine marge de manœuvre ici pour consacrer un devoir de neutralité renforcé chez un nombre d'officiers de l'État extrêmement limité, tout en reconnaissant à l'ensemble des autres employés de l'État le droit d'exprimer leurs convictions religieuses par des signes.

• (10 h 30) •

M. Morin : Si... si vous permettez, donc la clause est invoquée, il y a un effet discriminatoire, et on le disait d'emblée : le projet de loi a deux articles. Dans votre mémoire, à la page trois, vous dites qu'on peut recourir à la dérogation pour légiférer dans l'intérêt supérieur de la société. Là, je veux bien, mais, avec le projet de loi que j'ai, je vois la... la volonté du gouvernement, là, ils disent : On va la renouveler, puis c'est ça. Mais j'ai beaucoup de difficulté à saisir. En tout cas, ce n'est pas articulé dans le projet de loi, vous conviendrez avec moi, l'intérêt supérieur de la société. Donc, avez-vous des pistes de solutions pour éclairer...


 
 

10 h 30 (version non révisée)

M. Morin : ...le législateur, est-ce que le gouvernement devrait justifier? Est-ce qu'il devrait déposer des preuves? Est-ce qu'il devrait... Comment... Comment on fait ce débat-là? Parce que là, jusqu'à maintenant, moi, j'ai deux articles, là, puis ça me dit : On... On va reconduire la clause.

M. Taillon (Patrick) : Bien, c'est une question importante, celle qui est soulevée, Mme la Présidente, parce que la manière de déroger, surtout dans un système où les dérogations risquent d'être de plus en plus fréquentes, il y a celle sur la loi no 96 qui sera renouvelée dans quelques mois, ça appelle à une réflexion sur comment cette Assemblée veut procéder. Et c'est pour ça, je n'ai pas eu le temps dans mon message d'ouverture, mais j'attire l'attention des membres de cette commission sur le titre IV du mémoire, qui propose certaines adaptations au règlement de l'Assemblée nationale pour organiser ces débats. Moi, je pense qu'il faut les concentrer. On devrait faire un bilan des dérogations. On devrait le faire le plus proche possible du lendemain de l'élection, parce que le vrai contrôle du pouvoir de déroger, c'est par les électeurs. La jurisprudence le dit et la doctrine le dit. Et donc, assez rapidement, après l'ouverture d'une législature, ça peut être dans les 30 jours qui suivent le discours d'ouverture, qu'on ait un débat où on fait un... Parce que, là, en ce moment, les dérogations à la Charte québécoise tombent dans l'oubli. Elles n'ont pas besoin d'être renouvelées. Donc, on peut oublier qu'elles existent. Celles à la Charte canadienne occupent beaucoup de place parce qu'il faut les renouveler, un projet de loi à la fois. Moi, je dis : Bien, faisons un tableau de bord, l'expression est à la mode, où on va... on va évaluer à un moment précis de la législature l'ensemble des dérogations, et établissons le processus par lequel les députés vont décider s'il est opportun ou pas de renouveler. Ça me semble important parce que c'est... On ne peut pas déroger non plus à la légère, ce n'est pas ce qu'on fait avec le projet de loi no 52, mais c'est important que ce processus-là soit ni escamoté ni qu'il ait lieu, par exemple, dans des circonstances très partisanes à la fin d'une législature, ça ne me semble pas l'idéal. Je peux faire... Pardon.

M. Morin : J'ai bien lu. J'ai bien lu votre mémoire, Pr Taillon, et effectivement, à la fin, vous, vous suggérez ce que j'appellerais finalement un cadre, un processus, une procédure, un moment approprié pour débattre de la question. Mais moi, ma question, ce n'est pas une question de procédure, parce que même si on adopte votre méthode, puis on fait ça au début de la législature, il n'en demeure pas moins que le gouvernement pourrait arriver avec le projet de loi, deux articles, puis dire : Bien, on le fait au début.

Mais sur le fond... Parce que moi, comme parlementaire, là, je vais bien honnête avec vous, là, le projet de loi, je ne l'aime pas, là. C'est clair, là, avec ma formation politique non plus. Mais... Mais, tu sais, je voudrais comprendre. On parle de l'intérêt supérieur, on parle de l'importance. Oui, mais encore, ça vient d'où? Parce que quand on lit d'autres mémoires et qu'on voit ou, en fait, que des gens nous disent quel est l'impact de ce projet de loi sur eux, sur leur vie, sur elle surtout, bien, je me dis : O.K. Si on parle de l'intérêt supérieur de la société, c'est... C'est quoi les preuves que le gouvernement devrait apporter pour qu'on ait un véritable débat? Parce que si on se ramasse avec une procédure en début de... de législature, mais qu'on se ramasse avec deux articles, moi, comme parlementaire, ça ne m'aide pas. Le gouvernement ne m'a pas convaincu. Donc, quand vous parlez de l'intérêt supérieur de la société, qu'est ce qu'il faudrait que le gouvernement fasse pour prouver au monde, puis ça permettrait peut-être une acceptabilité sociale, que c'est vraiment important?

M. Taillon (Patrick) : Ah! Bien, deux choses. Sur la... Sur la forme, je pense que la procédure, ça compte et que, justement, des consultations, des témoignages participent, des débats entre parlementaires participent à cela. Deuxièmement, il ne faut pas dissocier la dérogation. Il ne faut pas faire de la dérogation comme juste une question de principe. On déroge à quoi? Ça compte. Donc, il faut... Inévitablement, il faut s'intéresser à quel est le contenu de la loi, dans le cas qui nous occupe, de la Loi sur la laïcité. Si nous avions, un jour, une décision équivalente à celle des États-Unis qui... qui fait un virage à 180 degrés sur la question de l'avortement, bien, la question d'est-il important de déroger ou pas, recevrait peut-être une réponse différente selon les sensibilités politiques de chacun au sein de cette Assemblée. Peut-être qu'on aurait très rapidement une unanimité des membres de cette Assemblée sur l'opportunité de déroger face à une jurisprudence comme celle qu'on connaît aux États-Unis en matière d'avortement. Donc, il ne faut pas dissocier... Il ne faut pas faire de la question de la dérogation juste une question de principe. Il faut la lier à... le contenu de la loi. Le contenu de la loi, on la connaît.

Sinon, sur le plan politique, en ce qui me concerne comme, du moins comme citoyen et aussi comme observateur quand même de la vie politique québécoise, moi, mon constat, c'est que le... le débat sur... le débat sur le suivi de la commission Bouchard-Taylor a créé plus de stigmates, de divisions et d'effets néfastes sur les rapports entre majorité et minorité, à supposer que la majorité existe, mais vous comprenez, en tout cas dans...

M. Taillon (Patrick) : ...ce débat a précarisé et a eu des conséquences négatives sur la vie de certaines minorités au Québec bien plus importantes que l'application de la loi n° 21. Donc, ça, c'est un constat politique, évidemment, mais... et c'est pour ça que moi, je pense qu'il est opportun de ne pas rouvrir ce débat, ni pour donner un tour de vis à gauche ni pour donner un tour de vis à droite. Et donc je pense que, dans ce débat sur la preuve qu'il est opportun de continuer ou ne pas continuer à déroger, je pense qu'il faut aussi tenir compte que la... une société comme le Québec, surtout une société de droit civil qui est attachée au fait que c'est bien de régler des choses au cas par cas, mais on n'est plus attaché au besoin d'avoir des normes générales et impersonnelles qui viennent tracer un certain nombre de limites. Moi, je pense que pour le Québec, revenir à l'État pas de lois en ces matières avec un débat qui nous divise entre ceux qui en veulent une et ceux qui ne veulent aucune limite, moi, je pense que ce serait un recul pour le débat public, la place des minorités au Québec et que le statu quo nous sert bien.

M. Morin : Écoutez, j'aurais une dernière question parce que mon temps... rapidement...

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : ...secondes.

M. Morin : Oui, c'est ça. Alors, le ministre nous disait : Quand va-t-on cesser de l'invoquer? Et puis votre réponse, si j'ai bien compris, c'est de suivre la jurisprudence pour éventuellement ne plus l'invoquer. Mais le problème, c'est quand on invoque la clause, la jurisprudence n'interprète pas le fond. La Cour d'appel n'a pas interprété le fond. Alors comment... comment on va... comment on va y arriver si on suit cette méthode-là? Moi, je pense qu'on n'y arrivera jamais.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Désolée, M. le député, votre question était un petit peu longue pour la réponse. On doit poursuivre avec la députée de Verdun, 4 min 8 s. La parole est à vous.

Mme Zaga Mendez : Merci, Mme la Présidente. Merci beaucoup, M. Taillon, pour votre présentation. Moi, j'aimerais ça vous entendre un peu plus sur la Charte québécoise. Nous avons tout à l'heure parlé. Vous avez comme reconnu l'importance de cette charte-là. Alors, ma question, c'est : Est-ce que vous croyez que cette charte est un outil nécessaire, indispensable pour les citoyens du Québec pour faire en sorte qu'on peut protéger puis défendre leurs droits?

M. Taillon (Patrick) : Oui, mais il y a un immense écart entre la promesse qu'on s'est faite lors de son adoption, puis on va faire son bilan, là, 50 ans bientôt, puis je pense qu'il faut réfléchir à comment renforcer sa spécificité, son... son peu d'autonomie par rapport à la Charte canadienne. Mais oui, elle a une utilité, notamment dans le domaine privé, là, où la Charte canadienne ne s'applique pas, dans les rapports entre personnes privées. Elle a une utilité aussi parce qu'elle... elle contient explicitement, dans son texte, des droits qui n'ont pas leur équivalent dans la Charte canadienne. Mais, malheureusement, avec l'approche uniformisante, mais on peut bien écrire, dans le texte, que la laïcité est inscrite dans la Charte québécoise, mais qu'il faut en tenir compte, si celui qui donne un sens à tout ça, le pouvoir judiciaire, n'en tient pas compte, bien, on creuse cette espèce d'écart entre la promesse qu'on s'est faite lorsqu'on a adopté la Charte québécoise, puis la réalité juridique qui s'est imposée à nous à partir de l'arrêt Ford, là, donc fin des années 80, puis qui est encore confirmé, c'est-à-dire une charte subordonnée, hiérarchisée, puis qui est... qui fait l'objet d'une interprétation uniformisante.

Mme Zaga Mendez : Et dans ce sens, peut-être vous entendre un peu plus. Vous avez dit, là, la charte, elle n'a plus d'autonomie, on a une approche plus uniformisante. Comment on fait justement pour y donner plus d'autonomie, selon vous, et rompre un peu avec cette uniformité qui nous... en fait, qui nous empêche, dans le fond, de donner plus de mordant à notre charte et nous permettre d'à la fois défendre les droits de nos citoyens et se différencier du Canada?

• (10 h 40) •

M. Taillon (Patrick) : C'est une très vaste question. Puis je ne veux pas prendre trop de votre temps, mais... mais, grosso modo, c'est qu'il faut... Au Québec, on est souvent très attaché au texte, notre tradition civiliste. Par exemple, dans les années 80, on voulait une disposition pour reconnaître la spécificité du Québec parce qu'on se disait c'est inscrit dans la Constitution canadienne, ça y est, on va être reconnus. Mais il faut apprendre à voir l'ordre constitutionnel canadien non pas seulement à partir de ses textes, mais surtout à partir de la manière, la dynamique du juge qui est la concrétise. Et donc par exemple, des réformes quant à la manière de nommer nos juges qui étaient au cœur aussi du... des revendications à l'époque de l'accord du lac Meech, mais ça, ça peut... Si on met plus de fédéralisme dans la... dans la manière de choisir les juges au Canada, donc c'est-à-dire qu'on donne un véritable rôle aux provinces avec le fédéral, bien là, on pourrait davantage avoir un pouvoir judiciaire sensible, comme à la Cour européenne des droits de l'homme, à la nécessaire marge d'appréciation que suppose une fédération. Ça fait que ce n'est pas le seul moyen, mais je vous illustre celui-là en particulier... Pardon, j'attire l'attention, Mme la Présidente, sur celui-là en particulier, parce que c'est... c'est le genre de mécanisme déterminant, mais auquel, au Québec, on a peut-être tendance à accorder moins d'importance parce qu'on a le nez souvent collé sur les textes et peut être pas assez sur les organes qui donnent un sens à ce texte, c'est-à-dire le pouvoir judiciaire.

Mme Zaga Mendez : Est ce que vous avez d'autres choses que vous voulez ajouter... 

Mme Zaga Mendez : ...Je pense qu'il me reste quelques secondes.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : 45 secondes.

Mme Zaga Mendez : 45 secondes. Je vais vous laisser aller... 45 secondes.

M. Taillon (Patrick) : Bien, je sais que, Mme la Présidente, Québec solidaire est attaché à vouloir défendre haut et fort la volonté d'avoir un système québécois de protection des droits puis de miser dans l'originalité de la Charte québécoise, puis, à mon avis, c'est un noble combat. J'en suis, et c'est bien, mais je pense qu'il faut... Dans ce... ce travail pour essayer de renforcer l'autonomie de notre charte québécoise, il faut le voir au-delà du simple projet de loi n° 52. Ce n'est pas... Ce n'est pas dans le projet de loi n° 52 qu'on va régler ce vaste dossier, et il faut rester quand même lucide sur qu'est-ce qui se passe en pratique, si on ne déroge pas aux deux chartes. Et là-dessus, bien, je suis dans l'approche plus pessimiste à l'endroit de notre réelle marge de manœuvre, même si, Mme la Présidente, les membres de cette Assemblée savent combien... oh! combien je suis attaché à la plus vaste... à l'autonomie du Québec. Il faut quand même rester lucide quand cette autonomie-là n'est pas respectée ou en tout cas, elle n'est pas reconnue à sa pleine valeur, bien, il vaut mieux se protéger.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci beaucoup, Pr Taillon. Merci pour votre contribution à nos travaux. Je suspends la commission quelques instants, le temps de recevoir notre prochain invité.

(Suspension de la séance à 10 h 43)

(Reprise à 10 h 45)

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission des relations avec les citoyens poursuit ses travaux. Nous en sommes donc à notre deuxième intervenant, le professeur Guillaume Rousseau, de la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke. Bienvenue, Pr Rousseau.

Donc, vous disposez d'une période de 10 minutes pour votre exposé, et, par la suite, nous allons procéder à la période d'échanges avec les parlementaires. Le temps est à vous.

M. Rousseau (Guillaume) : Bonjour. Merci pour cette invitation à venir vous parler du projet de loi n° 52. Le premier article que j'ai publié concernant les dispositions de souveraineté parlementaire, que je vais appeler simplement les dispositions pour abréger mon exposé, c'était en 2015, puis j'avais découvert à ce moment-là qu'il existe un vaste courant dans la doctrine québécoise, donc chez les constitutionnalistes québécois, au sujet de... de... de ces dispositions. Et en gros, ce que nous disent plusieurs de ses auteurs, Brun, Tremblay, et compagnie, c'est que ça peut tout à fait être approprié d'utiliser cette disposition, même de manière préventive, au nom de la démocratie et de la souveraineté parlementaire, et ce l'est particulièrement lorsqu'il s'agit de promouvoir l'identité québécoise ou encore un progrès social.

Ensuite, dans une étude de 2016 de l'Institut de recherche sur le Québec, j'ai regardé les cas d'utilisation de la disposition d'une des deux chartes entre 1976 et 2016. J'ai trouvé plus d'une centaine de cas d'utilisation d'une des deux dispositions. Et là je ne parle pas de l'usage systématique entre 1982 et 1985, là, que j'ai mis de côté pour les fins de mon étude. Donc, plus d'une centaine de cas d'usage d'une ou l'autre des dispositions des chartes des droits, et dans la très, très grande majorité des cas, soit à des fins liées à des spécificités du Québec, à l'identité québécoise ou encore à des fins liées au progrès social.

Ensuite, en 2017, avec Me François Côté, on a publié un article dans la Revue générale de droit de l'Université d'Ottawa, où on a...

M. Rousseau (Guillaume) : ...développer un petit peu cette étude à la fois théorique et empirique. Mais, lors de l'évaluation par les pairs, on a été un petit peu challengés parce qu'on nous a dit : Vous parlez beaucoup de souveraineté parlementaire, un principe britannique, et, en même temps, vous nous dites que votre théorie, elle est spécifiquement québécoise. N'y a-t-il pas là un paradoxe? Et, pour nous, il n'y en a pas. Pour nous, le parlementarisme britannique, ça fait partie du patrimoine démocratique du Québec. Évidemment, ça n'empêche pas qu'on puisse le québéciser, notamment le démonarchisant. On sait que, récemment, il y a eu l'abolition du serment au roi. On sait qu'il y a quelques décennies déjà on a arrêté, au début des lois québécoises, de dire : Sa Majesté décrète ce qui suit. Il reste plein de lois québécoises qui débutent encore par ces mots-là. Je vous invite un jour à adopter une loi qui abolira ces mentions dans les... plusieurs lois québécoises, dont la loi 101, par exemple, qui débute par : Sa Majesté décrète ce qui suit. Mais je ferme la parenthèse.

Donc, dans notre article de 2017, ce qu'on expliquait, c'est que la... oui, certes, la souveraineté du Parlement québécois, c'est un principe d'origine britannique, mais il y a une spécificité québécoise dans la conception de la souveraineté du Parlement, ne serait-ce que par le fait que l'Assemblée nationale s'appelle Assemblée nationale. Et, si vous regardez le préambule de la loi sur l'Assemblée nationale, vous retrouvez là-dedans des spécificités. On va dire, par exemple, que l'Assemblée nationale est dépositaire des droits, des pouvoirs historiques d'un peuple. Donc, ce n'est pas quelque chose qu'on retrouve dans les lois sur les assemblées législatives des autres provinces ou du fédéral. Donc, il y a une conception québécoise de la souveraineté du Parlement qui en fait un principe vraiment lié à l'existence d'un peuple.

Ensuite, bon, notre article a fait un peu de bruit. On a été invités à publier dans le Supreme Court Law Review vers 2020 et... précisément, donc, au moment où il y avait eu la loi sur la laïcité de l'État. Et là, effectivement, on a été appelés à se prononcer sur cette loi-là, l'usage que cette loi fait de la disposition. Et, nous, ce qu'on a... deux choses qu'on a affirmées, qu'on a démontrées dans cet article-là : de un, l'usage des dispositions dans la loi 21 est parfaitement conforme à la jurisprudence, parfaitement conforme à l'arrêt Ford, qui permet l'usage préventif, et cet usage des dispositions dans cette loi 21 est également conforme à la théorie et la pratique québécoise largement favorable à l'usage préventif. Donc, il faut savoir qu'au Québec les 100 quelques cas d'usage de la disposition dont je vous parlais, dans près de 99 % des cas, dans pratiquement tous les cas, sauf un, un exemple pour la charte canadienne, un exemple pour la charte québécoise, c'est toujours à titre préventif que l'Assemblée nationale adopte les... des références aux dispositions de dérogation. Donc, il n'y a rien de nouveau dans la loi 21 ou dans le projet de loi n° 52.

Ensuite, nos travaux ont été beaucoup repris par différentes personnes, notamment le professeur Benoît Pelletier. Donc, je me joins au porte-parole de l'opposition officielle, là, pour saluer la mémoire de notre collègue, parce que c'était... c'était votre collègue parlementaire, c'était mon collègue professeur de droit, puis je pense qu'on va s'en ennuyer. Et donc, dans un de ses écrits, il reprenait certaines de nos conclusions sur le fait que la disposition peut servir à des fins identitaires, à des fins sociales. Et donc, en quelque part, il se ralliait à ce qu'on... ce qu'on désigne comme étant la théorie québécoise de la disposition, mais, en même temps, il la bonifiait parce qu'il associait beaucoup cette théorie, l'usage que le Québec fait des dispositions, au fédéralisme. Particulièrement, l'article 33 de la charte canadienne, pour lui, c'est l'incarnation du fédéralisme dans la charte canadienne. Donc, ce sur quoi j'avais beaucoup moins insisté dans mes travaux, vraiment, le professeur Pelletier a souligné cela puis a fait avancer nos réflexions.

• (10 h 50) •

Ensuite, très récemment, dans l'arrêt de la cour... dans le jugement de la Cour d'appel, dans l'affaire Organisation mondiale sikhe, donc le jugement de la Cour d'appel du Québec sur la loi 21, clairement c'est marqué, mot pour mot, qu'à la fois l'article 52 de la charte québécoise et l'article 33 de la charte canadienne, donc les dispositions qu'on appelait autrefois et que certains appellent toujours de dérogation, bien, elles reposent sur le principe de la souveraineté du Parlement. Donc, la Cour suprême l'a dit, se base sur nos travaux, les travaux d'autres, et c'est vraiment mentionné tel quel. Autre extrait important de ce jugement-là, c'est lorsque la cour, encore là, citant longuement plusieurs de nos travaux dont je viens de vous parler, sur les dispositions... la Cour d'appel dit que, depuis leur origine, donc depuis milieu des années 70 pour la charte québécoise, début des années 80 pour la charte canadienne, les dispositions ont été utilisées de manière ininterrompue et préventive depuis les origines de ces dispositions-là. Donc, c'est... ça a toujours existé. Et la cour nous cite, cite nos travaux, cite ces résultats de recherche qu'on a pour écarter... c'est un des motifs qui permet à la Cour d'appel d'écarter les arguments de ceux qui auraient voulu que la cour renverse l'arrêt Ford et interdise l'usage préventif et donc limite la souveraineté du Parlement québécois.

Enfin, plus récemment, je vous invite... ça vient tout juste de partir... de paraître, je viens de le recevoir, donc, The Notwithstanding Clause and the Canadian Charter, un ouvrage pancanadien dans lequel on a un article, moi et Maître François Côté. Et là ce qu'on démontre, c'est que l'usage des dispositions...

M. Rousseau (Guillaume) : ...dans les lois 96 et 21 est encore là parfaitement conforme à la théorie québécoise des dispositions de dérogation, en ce que, dans ces lois-là, l'usage des dispositions, c'est lié à la fois à l'identité québécoise et au progrès social, évidemment, tel que conçu par le législateur à l'origine de ces lois-là. Et, dans cet article-là tout récent, 2024, on a un nouvel élément théorique dans nos réflexions auxquelles faisait, je pense, écho le Pr Taillon tantôt, tantôt, c'est que la théorie québécoise de la disposition de dérogation, elle est... on la réfléchit maintenant en lien avec la tradition du droit civil. Et, à notre avis, l'usage préventif des dispositions est parfaitement conforme à notre tradition du droit civil parce que, dans la tradition civiliste, le droit est élaboré principalement par le législateur et il est en amont des faits, alors que, dans la tradition de la common law, le droit était élaboré principalement par les tribunaux en aval des faits. Donc, l'usage préventif avant les faits, avant la contestation, c'est parfaitement conforme à notre tradition civiliste. Donc, c'est pourquoi le Québec utilise très, très, très souvent, à titre préventif, bien, pour relativement souvent, et, lorsqu'il l'utilise, presque toujours à titre préventif, la disposition, alors que c'est quelque chose qui est plus rare dans les autres provinces. Je pense que ça s'explique notamment par les traditions juridiques différentes.

Donc, j'en arrive encore plus directement sur le projet de loi n° 52. Vous l'aurez compris, puisque l'usage de la disposition dans la Loi sur la laïcité, qu'il s'agit ici de renouveler, est lié à la fois à l'identité québécoise à la foi au progrès social, bien, c'est parfaitement conforme à la théorie québécoise, là, de renouveler cette disposition. Donc, j'approuve le projet de loi n° 52, particulièrement son titre. Donc, le fait que le titre du projet de loi réfère à la souveraineté parlementaire, dans la foulée du jugement de la Cour d'appel, ça, c'est très bon. Par contre... bien, avant de dire... En fait, c'est très, très bon parce qu'effectivement les dispositions reposent sur la souveraineté parlementaire, mais c'est aussi... quand on réfère à dérogation, à mon avis, c'est... c'est... c'est fautif, c'est une mauvaise habitude, ça donne une mauvaise perception parce qu'on pense qu'on déroge à des droits. Or, c'est souvent le contraire.

Donc, prenez l'exemple ici de la Loi sur la laïcité. Qu'est-ce qu'elle fait? Elle consacre un droit des services publics laïques à son article quatre, alinéa deux, puis tout, tout ce qui suit les interdictions, et tout, c'est pour assurer le droit à des services publics laïques et des institutions laïques dans la mesure prévue par la loi. Donc, chaque fois qu'on invalide la loi 21, on fait reculer le droit à des services publics laïques. Suite au jugement de la Cour d'appel, bien, maintenant les députés pourraient avoir un visage couvert dans l'exercice de leurs fonctions, ce qui évidemment limite le droit à des institutions publiques parlementaires laïques. Donc, la disposition, elle vient protéger la loi, elle vient donc protéger le droit à des institutions et des services publics laïques et non pas déroger à des droits.

Sinon, autre chose que je voulais souligner rapidement. Au niveau du fait d'associer souveraineté parlementaire et disposition, donc, qu'on appelait autrefois dérogation, c'est très important pour cette raison-là, mais le projet de loi n° 52, c'est simplement une loi annuelle, elle va être adoptée, puis voilà, elle ne sera pas souvent consultée. Il faudrait que le mot «souveraineté parlementaire» soit dans une loi refondu, idéalement la Charte québécoise. Donc, c'est pourquoi je vous propose un amendement à la Charte québécoise.

Et, enfin, je voulais saluer l'exercice d'aujourd'hui. Je pense que c'est sain que l'usage des dispositions soit encadré pas par le judiciaire, parce que c'est des dispositions pour le limiter, mais par les parlementaires eux-mêmes. Donc, de faire cette audition-là chaque fois qu'il y a un renouvellement, chaque fois qu'il y a un non-renouvellement, je pense que ce serait un bon exercice. Et, comme ça, l'Assemblée nationale pourrait continuer de défendre la démocratie, l'identité, la souveraineté du Parlement, progrès social, tradition civiliste et droits fondamentaux. Merci.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Pr Rousseau, merci pour cet exposé. Alors, on commence la période d'échange avec les parlementaires avec le gouvernement dans un premier temps. M. le ministre, 16 minutes 30 secondes.

M. Roberge : Merci, Mme la Présidente. J'ai l'impression qu'au fil des présentations les 16 minutes 30 secondes vont paraître de plus en plus court parce que les présentations nourrissent les réflexions puis les questions. Donc, vous avez apporté quelque chose de particulier peut-être en réponse à la question précédente du député de l'Acadie, qui tenait absolument à affirmer puis à utiliser le mot «discrimination», «discriminatoire», essayait de le faire dire aux précédents... aux précédents interlocuteurs. Vous avez été un peu en amont de ça. Fidèle à ce que vous dites, la tradition civiliste, c'est d'agir à titre préventif, donc vous avez peut-être prévenu la question à venir tantôt. Vous dites : Dites «discriminatoire», dites-le. Alors, on voit bien que vous avez dit : Non, non, écoutez, on vient... ce n'est pas... ce n'est pas une loi qui vient retirer des droits, c'est une loi qui vient consacrer des droits, reconnaître des droits et que, si on n'appliquait pas cette mesure de souveraineté parlementaire, bien, ce serait un recul des droits, hein, pour le Québec. C'est ce que je comprends de votre intervention, vous me corrigerez évidemment si... si je ne suis pas...

M. Roberge : ...vous mettre des mots dans la bouche, mais c'est ce que j'en comprends.

Il y a un autre élément que je trouve intéressant, dans vos réflexions, c'est que, en tout respect, les tribunaux sont saisis habituellement d'un cas, d'une cause, une cause particulière, hein, une personne contre X, puis là, bien, il y a une personne ou un groupe qui partent d'un exemple et qui vont avec ce cas-là, qui en font un cas d'exemple, qui veulent infléchir, après, tout système légal puis créer une jurisprudence qui s'applique non plus au cas, mais à la société, aux milliers de personnes, même, les personnes ne sont pas encore nées, elles pourraient subir ça. Versus le législatif, les parlementaires, qui sont imparfaits, bien sûr, mais qui sont obligés d'être animés d'une vision qui est plus globale, qui est plus transversale, où on regarde, bon, bien, cette loi-là a quel impact sur tous ces groupes-là, sur les citoyens? On a dans notre circonscription, on parle à des groupes de gauche, de droite, de centre, des nouveaux arrivants, des gens qui sont ici depuis longtemps.

Pourtant on a besoin des tribunaux, il ne s'agit pas de dire qu'on n'a plus besoin des tribunaux, évidemment, mais, une fois qu'on considère que des questions fondamentales comme celles-là peuvent être portées au plus haut tribunal sous la base d'un cas, versus voté en Assemblée par plus de 125 personnes, lesquelles ont tous des circonscriptions de 50 quelque mille électeurs, qui ont une vision globale, est-ce qu'il n'y a pas là aussi un argument supplémentaire pour dire que ce genre de questions là renvoie à des droits collectifs, et non pas à des droits individuels, et qu'il appartient donc au collectif, c'est-à-dire aux élus qui représentent le peuple, de tracer la ligne? Qu'en dites-vous?

M. Rousseau (Guillaume) : Oui. Donc, très bon point. Sur droits collectifs, droits individuels, j'aurais probablement une réponse en deux temps, c'est-à-dire qu'on pourrait faire abstraction de la question des droits collectifs et réfléchir strictement en droit individuel, puis quand même en déduire que la loi no 21 fait avancer les droits individuels, que la disposition de souveraineté parlementaire est nécessaire pour le droit individuel, à des institutions et des services publics laïques, qui, par ailleurs, peut aussi être conçu comme un droit qui a un aspect collectif, mais donc on pourrait réfléchir strictement en termes de droits individuels et défendre la loi no 21 et le projet de loi no 52.

Si on y ajoute, effectivement, la dimension des droits collectifs, je pense qu'il y a plusieurs droits collectifs dont on pourrait parler, mais celui du Québec d'avoir ses propres lois, de décider collectivement d'avoir des rapports entre l'État et les religions, je pense qu'on peut voir ça comme un droit collectif qui appartient à l'ensemble des Québécois, et, bien, à ce moment-là, de s'assurer que ce droit collectif là est protégé contre des tribunaux qui pourraient être amenés à le limiter, je pense que c'est parfaitement légitime.

• (11 heures) •

Puis, par rapport à la première partie de votre intervention, de votre question, effectivement, c'est un vrai enjeu que, si le Parlement n'intervient pas, la question du droit relatif aux religions en général évolue beaucoup par des jugements des tribunaux, et tout, par des précédents, et tout. Ça a ses avantages, ses inconvénients. Un des inconvénients, c'est qu'il y a des groupes puissants dans la société qui peuvent exercer une influence disproportionnée sur les tribunaux, de par les moyens qu'ils ont pour se payer des avocats, pour être très concret. Donc, par exemple, les syndicats ont beaucoup d'influence, tous les accommodements raisonnables, il y a beaucoup de syndicats qui se paient des avocats qui ont beaucoup d'influence. Les groupes religieux sont nombreux, ils donnent, beaucoup de gens donnent de l'argent, extrêmement grande influence sur la jurisprudence des groupes religieux. Les bénéficiaires des services publics, beaucoup moins. Pas très bien organisés, en termes de gros lobbys puis d'argent pour les avocats. Des lobbys de bénéficiaires de services publics, là, ce n'est pas particulièrement puissant. Donc, si le législateur n'intervient pas pour assurer le respect des droits des bénéficiaires des services publics, puis il ne s'agit pas de mettre de côté les droits de gens appartenant à des religions ou de travailleurs du secteur public, il s'agit de trouver l'équilibre, mais l'équilibre n'est pas évident à trouver pour les tribunaux, où l'accès très difficile, aux tribunaux, pour les bénéficiaires des services publics, qui ne sont pas organisés dans des lobbys, avec des avocats.

Alors, je pense que c'est important pour le législateur d'arriver, de, oui, tenir compte des points de vue et... des représentants des employés du secteur public, des groupes religieux, et tout, qui sont en mesure de faire leurs représentations, et devant les tribunaux, et devant le Parlement, mais le Parlement peut rétablir un peu cet équilibre-là, dans ce cas-ci, en faveur de bénéficiaires des services publics.

M. Roberge : J'avais une question un petit peu plus... un petit peu plus philosophique, mais, en même temps, qui a des bases juridiques importantes. Au Canada, ils ont... ils se sont doté une politique...


 
 

11 h (version non révisée)

M. Roberge : ...multiculturalisme, ils ont carrément une loi sur le multiculturalisme qui est porteuse de valeurs, qui n'est pas dénudée d'intérêts, mais qui est comme un objet un peu étranger à notre manière d'organiser notre vie au Québec. Est-ce que cette vision multiculturaliste canadienne est réconciliable, est facilement conjugable avec les principes puis la mise en œuvre de la Loi sur la laïcité au Québec?

M. Rousseau (Guillaume) : Donc, dans les faits, ce qu'on peut remarquer, c'est que toute la jurisprudence favorable aux accommodements religieux, à une interprétation très, très large du libre exercice religieux, parfois aux dépens du devoir de neutralité religieuse, tout ça, c'est notamment au nom du multiculturalisme. Dans tous les motifs qu'on voit dans les jugements, il y a soit l'article 27 de la Charte canadienne ou soit, plus largement, on évoque là l'existence d'une société multiculturelle, et tout. Donc, à la base, dans cette jurisprudence-là qui, à certains moments, est allée trop loin et pour laquelle il y a une réponse qui s'appelle la loi n° 21, donc a forcément un peu une tension, bon, donc forcément, puisque c'est cette jurisprudence-là avec laquelle la loi n° 21 répond puis est d'accord en partie, mais corrige certains aspects, bien, donc, forcément, puisque sur cette jurisprudence antérieure là, il y avait l'influence du multiculturalisme, on peut penser qu'il y a à certains égards peut être des tensions.

Mais en même temps, ensuite, multiculturalisme, patrimoine multiculturel à l'article 27, ensuite, ça veut dire ce que les juges décident ce que ça veut dire. Donc, si les juges décident : Bien, le multiculturalisme, c'est l'existence de plusieurs cultures, il existe une culture nationale au Québec, est associée à celle-ci une certaine conception de la laïcité, et au nom du multiculturalisme, on veut respecter le Québec et sa conception de la laïcité, bien, des juges pourraient décider ça. Ce n'est pas l'état actuel de la jurisprudence, ce n'est pas l'état actuel de la littérature sur le multiculturalisme en général, mais à la limite, donc, de manière complètement théorique, ce serait possible. Mais à l'heure actuelle, c'est vrai qu'il y a une tension entre le multiculturalisme et l'approche québécoise qui, à mon sens, est potentielle de l'interculturalisme, que je considère très, très proche du multiculturalisme. Moi, je prône dans mes travaux une approche plus de convergence culturelle, je pense que c'est ce qu'il y a derrière la loi n° 21, la loi n° 96, mais là, ça nous amènerait peut-être dans un autre débat.

M. Roberge : O.K. Bien, merci pour cet éclairage, qui peut avoir l'air d'une digression, mais on est quand même au cœur de l'enjeu quand même. Est-ce que vous avez analysé la loi en tant que telle, pas seulement la mesure de souveraineté parlementaire pour la préserver et, bref, sur la Loi sur la laïcité elle-même, pour une réflexion ultérieure? Parce qu'on a le plaisir et la chance de vous avoir avec nous ce matin. Est-ce que vous avez des propositions de bonifications, d'amendements, d'ajustements pour plus tard?

M. Rousseau (Guillaume) : Très bonne question. Bien, il y a différentes hypothèses qu'on peut mettre sur la table. On sait qu'il y a eu l'adoption, il y a quelques mois ou tout près d'un an déjà, d'une directive en matière de salles de prière dans les écoles, donc qui a été adoptée sous forme de directive, non pas dans la loi. Elle est contestée. Si jamais ça devait être invalidé, je ne pense pas que ce soit le cas, je pense que le premier jugement ne l'a pas suspendu, là, de mémoire. Donc, voilà.

Donc, on peut penser que cette directive, qui est parfaitement conforme à Loi sur la laïcité, la Loi sur la neutralité religieuse, et tout, et tout, pourrait passer le test des tribunaux, mais peut être pas. Donc, auquel cas, si jamais cette directive devait être invalidée à un stade quelconque ou ultimement dans jugement de fond, là, qui, à un moment, deviendrait sans appel, bien, à ce moment-là, ce serait... l'hypothèse se poserait d'intégrer cette directive-là ou, disons, certains de ses principes ou sa règle de base dans la Loi sur la laïcité et, du coup, la mettant... la protégeant par les dispositions de souveraineté parlementaire. Donc, ça, je pense que c'est une question qui va se poser. Mais pour l'instant, le choix, le choix du gouvernement, c'est de laisser... de l'avoir adoptée sous forme de directive, et donc n'est pas couverte directement par une protection au niveau des dispositions de souveraineté parlementaire. Mais donc c'est une affaire à suivre.

Puis sinon, moi, j'ai toujours trouvé que, dans les principes, les quatre principes de la Loi sur la laïcité, donc neutralité religieuse de l'État, séparation de l'État et des religions, liberté de conscience et de religion, égalité citoyens-citoyennes, peut-être que la question de l'émancipation citoyenne en est une autre valeur qui n'était pas dans le rapport Bouchard-Taylor, alors que, là, pour cet article-là, le législateur s'est inspiré du rapport Bouchard-Taylor, tout en mettant les principes dans un ordre inverse de celui du rapport Bouchard-Taylor. Mais disons que, si on poussait la réflexion, on pourrait arriver avec... à penser que la loi n° 21, il y a une volonté d'émancipation citoyenne. Donc...

M. Rousseau (Guillaume) : ...que la personne, nécessairement, parce que t'allais à l'école au Québec, elle renie la religion de ses parents, ce n'est pas ça, mais que cette personne-là soit amenée à... qu'elle ait les outils pour se questionner de manière critique sur sa religion, sa communauté d'origine, et tout, pour mieux y adhérer consciemment ou pour la quitter, c'est quelque chose qui relève de la liberté de conscience. Donc, il y aurait peut-être une réflexion à faire pour ajouter un quatrième principe, là, à l'article 2, de mémoire.

M. Roberge : Il reste combien de temps, Mme la Présidente? 

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Il reste cinq minutes, un petit peu moins. 

M. Roberge : Cinq minutes. O.K. C'est bon. O.K. Il y a des gens qui nous disent : Bien, peut-être que ça passerait le test, peut-être que, même contestée, sans disposition de dérogation ou de souveraineté parlementaire, la loi serait validée, approuvée, etc. Puis ils disent : Bien, écoutez, laissez ça aller, tout à coup que ça passe. Moi, j'ai comme l'impression que c'est un peu jouer aux apprentis sorciers, comme avec quelque chose de pas important, comme avec un brouillon qu'on enverrait à notre prof pour qu'il le précorrige. Mais ce n'est pas un vrai travail, tu sais, il peut le corriger, il peut le déchiqueter, puis, si ce n'est pas bon, ce n'est pas grave. Moi, j'y vois un danger. Mais des gens disent : Oui, mais, s'il fallait que ça passe, elle serait d'autant plus reconnue et valorisée parce qu'en plus elle aurait le supposé magnifique sceau de la Cour suprême.

Quelle est votre analyse par rapport à cette proposition de dire : Ça serait formidable de la faire valider par les tribunaux? Quelle est votre impression par rapport à cet argument-là?

M. Rousseau (Guillaume) : C'est une très bonne question. J'aurais peut-être quelques notes discordantes par rapport à mon précédent collègue, que je respecte beaucoup, évidemment. Donc, moi, mon propre... mon Premier élément de réponse, c'est qu'on n'a pas besoin de la validation par la Cour suprême ou autre pour que ce soit légitime. Je pense que l'instance légitime d'élaboration du droit, ultimement, c'est l'Assemblée nationale du Québec et le peuple, donc... et le peuple québécois que l'Assemblée incarne. Donc, pour moi, il n'y a aucun problème. Autrement dit, au-delà du détail de l'évolution de la jurisprudence, c'est parfaitement légitime pour le Parlement québécois de décider en matière de laïcité, en matière de rapports entre l'État et les religions. Je pense que l'Assemblée nationale est parfaitement outillée et légitime pour décider. Moi, je ne crois pas au monopole des tribunaux sur la protection des droits fondamentaux. Je pense que le Parlement québécois a un rôle à jouer.

Et un autre problème avec cette hypothèse-là, c'est que ça nous plonge dans l'insécurité juridique. Certains juristes vont vous dire : C'est sûr que la loi serait inconstitutionnelle. D'autres vont vous dire : C'est sûr qu'elle serait constitutionnelle. La réalité, c'est qu'il y aurait une insécurité juridique, et notre tradition civiliste est très opposée à l'insécurité juridique, beaucoup plus que la tradition de la Common law.

Ensuite, pour ce qui est de renouveler 10, cinq, 10, 15, 20 ans, aucun problème avec ça, là, je veux dire, en matière de régimes de retraite, il y a cinq lois en matière des régimes de retraite qui ont des dispositions de souveraineté parlementaire depuis 40 ans. Tous les partis politiques qui ont été au pouvoir la renouvellent sans arrêt depuis 40 ans. Ça ne pose aucun problème. Donc, il n'y a pas de problème à renouveler une clause à tous les cinq ans, pendant des décennies et des décennies. Et, ultimement, l'autre point, moi, à mon avis, le point de la loi n° 21, qui est invalide, qui est inconstitutionnel, qui est discriminatoire, ce sont les droits acquis au port de signes religieux.

• (11 h 10) •

Donc, à mon avis, à la lumière de l'arrêt Mouvement laïque du Québec contre Saguenay, lorsqu'un représentant de l'État, dans l'exercice de ses fonctions, pratique sa religion, ça porte atteinte à la liberté de conscience des bénéficiaires des services publics, des citoyens. Ça porte atteinte à leur droit à l'égalité, même dans certains cas, comme le maire de Saguenay qui fait sa prière, ça porte atteinte aux droits à l'égalité des gens dans la salle, même chose pour un représentant de l'État qui porte un signe religieux. Donc, le droit acquis de la loi n° 21 potentiellement pourrait sauter. Si on n'a pas de dispositions de souveraineté parlementaire, on pourrait conclure que les droits acquis au port de signes religieux, ça porte atteinte à la liberté de conscience. Et c'est donc le législateur québécois qui a choisi cet équilibre-là, interdiction du port de signes religieux, mais en même temps droits acquis. L'équilibre, il est là. Puis là de penser que la Cour suprême va arriver exactement au même équilibre, exactement à la même énumération d'interdictions puis exactement aux mêmes droits acquis, c'est faire beaucoup confiance aux tribunaux puis penser que les tribunaux font preuve de déférence puis accordent une marge d'appréciation au Québec, ce qui, malheureusement, n'est pas suffisamment le cas.

M. Roberge : Merci. Je vais laisser ma collègue rapidement... vas-y.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Oui. Mme la députée de Vimont, une minute.

Mme Schmaltz : En fait, ma question... je vais y aller rapidement. Vous avez mentionné souvent que la disposition de la dérogation se faisait de façon... à titre préventif. Vous avez démontré plusieurs exemples aussi, tantôt, en disant que vous aviez recensé plus d'une centaine de cas. En fait, comment on explique à ce moment-là l'interprétation tellement différente des tribunaux des chartes canadiennes-québécoises? Je ne sais pas si on peut...

M. Rousseau (Guillaume) : Je ne suis pas sûr de...

M. Rousseau (Guillaume) : ...pas compris la question.

Mme Schmaltz : O.K., je vais répéter. J'aimerais comprendre, sachant qu'on utilise la dérogation de la disposition à usage préventif, comment ça se fait que les tribunaux l'interprètent différemment, dépendamment de...

M. Rousseau (Guillaume) : Donc, deux choses, donc, à cet égard-là, autant pour la Charte canadienne que québécoise on... les tribunaux disent : La disposition de souveraineté peut être utilisée à titre préventif. Donc, c'est la même chose d'un côté et de l'autre, parce que les textes... rien dans le texte de 33 de la Charte canadienne ou 52 de la Charte québécoise ne tend à penser qu'on ne peut pas l'utiliser à titre préventif. Donc, c'est pour ça que c'est la même interprétation.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci beaucoup. Je dois malheureusement arrêter... le temps imparti au gouvernement est terminé. Je me tourne du côté du député de l'Acadie, 12 minutes 23 secondes.

M. Morin : Merci, Mme la Présidente. Alors, bonjour, Professeur Rousseau. Merci. Merci pour votre mémoire et vos explications ce matin. Dans votre travail, dans vos recherches, vous avez fait un travail assez exhaustif de l'utilisation des clauses de dérogation. Vous avez fait référence tantôt aux régimes de retraite où les clauses sont remises, évidemment, en vigueur. Ma compréhension, c'est que, dans le cas des régimes de retraite, une fois qu'on a utilisé les clauses de dérogation, c'était quand même pour des domaines assez ciblés et pour des articles ciblés d'une loi et non pas pour l'ensemble de la loi, ce qui n'est pas le cas ici.

Est-ce que vous avez recensé beaucoup de cas, sauf peut-être pour la période où M. Lévesque était premier ministre, après 1982m et où il a... le gouvernement du Parti québécois à utiliser systématiquement les clauses pour toutes les lois québécoises, là? Est-ce qu'il y a beaucoup d'autres cas que vous avez dénotés, où le gouvernement utilise d'une façon globale générale, avec les deux chartes, les clauses... les clauses de dérogation, ou si c'est quelque chose qui est assez exceptionnel? Et puis l'impact que ça a sur les droits des personnes, étant entendu qu'ici on ne parle que de la Charte fédérale. Parce que, pour la Charte québécoise, bien évidemment, c'est réglé, il n'y a pas... il n'y a pas de période de cinq ans. Alors, une fois que c'est invoqué, puis c'est invoqué pour l'ensemble des dispositions, si vous regardez les droits de la Charte québécoise qui sont... dont on fait la dérogation, là, ils sont multiples. Alors, dans vos recherches, qu'est-ce que... qu'est-ce que vous avez constaté là-dessus? Est-ce que c'est assez exceptionnel ou c'est utilisé fréquemment, ou... Puis quel est l'impact sur les droits des individus?

M. Rousseau (Guillaume) : Merci. Merci pour votre question. Effectivement, puis j'étais sur mon téléphone, vous avez compris que je suis allé chercher mon article avec en annexe tous les cas pour bien répondre à votre question. Donc, je vous encourage à aller voir, là. Je vais y répondre le plus possible, là, de mémoire puis en regardant mon tableau. Mais sinon, effectivement, en annexe de mon article de 201, là, dont le titre, là, vous le retrouverez dans mon mémoire, là, vous pourrez avoir tous ces cas-là.

Donc, en gros, ce qu'on retrouve, c'est que, pendant la période entre 1982 et 1985, donc au moment où, comme vous le mentionnez, le gouvernement Lévesque mettait à la disposition des dérogations, comme on l'appelait à l'époque, de souveraineté parlementaire, donc dans toutes les lois, bon, bien, en même temps, il y a eu beaucoup de cas d'usage entre 1982 et 1985, des dispositions de souveraineté... de la disposition de souveraineté parlementaire de la... de la Charte québécoise. Donc, ce qui fait qu'on avait les deux en même temps, forcément, parce qu'il y avait déjà celle de la canadienne. Donc, à chaque fois qu'on utilisait celle de... la disposition de la québécoise entre 1982 puis 1985, forcément, c'étaient les deux en même temps. Donc, premier... premier élément de réponse, là, c'est quelque chose qui est déjà arrivé.

Ensuite... et là, j'avoue que, dans mon tableau, je pense que ce que je mentionne, c'est le nombre d'articles des chartes des droits qui étaient visés et non pas nécessairement le nombre d'articles de la loi. Donc, je pense que la... pour répondre très, très, très spécifiquement à votre question, je pense que, dans mon tableau, qui a plein d'autres statistiques, il n'y a peut-être pas celle-là, mais je pense qu'à la limite votre question a les deux volets, c'est-à-dire le fait de déroger de 1 à 38 dans la Charte québécoise, 2, 7 à 15 de la Charte canadienne, qui est un volet de... volet quantitatif, si on veut, de la dérogation ou de l'application de la disposition de souveraineté, puis, de l'autre volet, c'est combien d'articles de la loi sont protégés. Donc, les volets quantitatifs, il y a deux volets quantitatifs.

Et, pour le premier volet, donc le 1 à 38 ou le 2, 7 à 15 ou juste deux ou juste... ou juste 15, ou juste sept, il y a beaucoup de cas d'utilisation globale. Donc, du deux, 7 à 15, il y en a eu beaucoup. Puis, pour la charte québécoise, il y a eu quelques cas de 1 à 38. Puis il y a même eu des cas où c'est toute la Charte québécoise, non pas seulement 1 à 38, mais toute la Charte québécoise, ce qui est particulier, parce qu'au-delà de 38 il n'y a pas de supralégislativité, mais il y a quand même des droits économiques et sociaux, donc, à 38, 39 et suivants. Là, ça pose la question : Qu'est-ce qu'une disposition de dérogation de souveraineté parlementaire peut avoir comme effet sur 39 et suivants, considérant que 39 et suivants pas de supralégislativité? Donc là, ça nous amènerait dans un débat technique. Mais autrement dit, il y a eu des cas d'usage de la disposition de souveraineté parlementaire...

M. Rousseau (Guillaume) : ...de la Charte québécoise beaucoup plus large que celui de la loi 21. Donc, la loi 21, c'est 1 à 38. Je pourrais vous donner des cas, des cas encore en vigueur, donc je ne vous parle pas de trucs dans les archives, là. La loi sur les jurés, donc, qui est applicable en ce moment, là, qu'on peut aller voir sur Google, qu'on applique dans les tribunaux tous les jours, c'est toute la charte québécoise auquel... pour laquelle il y a la disposition de souveraineté, et non pas seulement 1 à 38. Donc, il y a des usages plus larges eu égard à ce volet quantitatif.

Et, eu égard à l'autre volet quantitatif de toute la loi, là j'avoue que je n'ai pas la réponse. Je réalise que ça ne figure pas sur mon... sur mon... sur mon tableau, dans mon article, mais de mémoire, il existait... je pense qu'il existait des cas, mais pas une tonne. Pour être très honnête avec vous, je pense... je pense qu'il n'y a pas une tonne de cas où on dit : toute la loi est protégée par les dispositions de souveraineté parlementaire. Souvent, c'était tel article, tel ou tel article. C'est le cas, par exemple, pour les lois sur les régimes de retraite, où on spécifie que c'est tel article, tel article.

Pour reprendre l'exemple de la loi sur les jurés, de mémoire, ce n'est pas toute la loi mais c'est des grands pans de la loi, donc ce n'est pas juste tel alinéa ou tel article, c'est quand même assez large, combiné au fait que ce n'est pas seulement 1 à 38 mais 1 à 100 quelques, là, toute la charte québécoise. Donc, voilà un peu la réponse que je pourrais vous faire, là, vite, comme ça.

M. Morin : Je vous... Je vous remercie. J'aimerais vous poser la question que j'ai posée à votre collègue, le professeur Taillon. Dans son mémoire, le professeur Taillon disait que le recours à la dérogation permet au Parlement du Québec de légiférer dans l'intérêt supérieur de la société. Or, ici, le gouvernement veut à nouveau invoquer la clause de dérogation, mais dans le projet de loi, on a deux articles. Et vous l'avez souligné vous-même, la société change, hein? On est en constante évolution. Donc, qu'est-ce... Comment on pourrait définir l'intérêt supérieur? Qu'est-ce que le gouvernement devrait démontrer pour invoquer à nouveau la clause dérogatoire? Parce qu'on s'entend que l'effet pratique de cette clause-là, ça va être d'empêcher des citoyens ou des citoyennes d'avoir recours à leurs droits fondamentaux, ce qui n'est pas banal. Je comprends que la clause est dans la loi, donc le Parlement peut l'utiliser, mais ça a quand même un impact sur les gens. Donc, qu'est-ce qu'il faudrait faire pour convaincre et éclairer l'ensemble des parlementaires à ce niveau-là?

M. Rousseau (Guillaume) : Oui. Merci. Très bonne question. Donc, moi, je suis un petit peu plus précis que mon collègue, le professeur Taillon. Lui, il parle d'intérêt supérieur. Moi, à la lumière de... bien, les revues de littérature, là, des... de plusieurs auteurs et également des archives parlementaires de la pratique de l'Assemblée nationale, j'en conclus que les deux motifs qui, dans la théorie, chez les constitutionnalistes québécois, plusieurs d'entre eux, chez les parlementaires, qui, avant... avant vous, ont utilisé les dispositions, les deux grands motifs qui ressortent, c'est l'identité québécoise, donc souvent les questions de langue ou de culture, et le progrès social. Donc, c'est, par exemple, la disposition de souveraineté parlementaire pour la Cour sur les... des petites créances, pour les régimes de retraite qui avantagent des femmes qui ont été autrefois désavantagées. Donc, essentiellement, c'est ces deux raisons là.

Donc, à mon sens, ce qu'il faudrait, c'est que le gouvernement nous dise, à chaque fois que lorsqu'il utilise une de ces dispositions-là, c'est lié soit à l'identité nationale et ou au progrès social. Donc, ça, c'est la... Donc, très, très précisément.

• (11 h 20) •

Ensuite, concrètement, comment il le fait? Bien, je pense que... je pense qu'on ne peut pas réinventer la roue. Je pense qu'une audition publique comme celle d'aujourd'hui, ça devrait exister idéalement chaque fois qu'il y a un renouvellement ou un non-renouvellement ou une abrogation ou une adoption d'une référence à une disposition de souveraineté parlementaire.

Et, concrètement, je pense que, dans le cas de la loi 21, bien, c'est qu'il y a des gens qui vont venir vous expliquer que... qu'ils veulent porter un signe religieux, puis que, si vous les empêchez, ça va les empêcher de progresser dans leur carrière, puis d'autres vont vous expliquer qu'au contraire ils veulent que leurs enfants soient protégés des pressions religieuses dans les écoles, etc. Donc, vous aurez les deux points de vue comme parlementaires puis vous serez amenés à décider. Mais je vous dirais que, dans le cas de la loi 21 et de sa disposition de souveraineté parlementaire, et donc dans le cas du projet de loi n° 52, vous ne manquez pas de matériel. Vous avez tous les rapports d'experts déposés au procès de la loi 21, avec tout plein d'experts qui se prononcent pour ou contre la loi, qui établissent des liens avec pour ou contre le fait que la loi soit pour le progrès social. Il y a... Il y a différentes... Il y en a qui vont vous dire que c'est de la discrimination, d'autres vont vous dire que ça protège, d'autres rapports d'experts vont démontrer les liens avec l'identité québécoise, avec son histoire, le rapport d'Yvan Lamonde, par exemple. Donc, je pense que vous avez largement le matériel pour vous prononcer.

M. Morin : Et quand on a à travailler en commission parlementaire, justement, pour ce type de projet de loi, et puis, évidemment, on apprécie beaucoup votre témoignage, celui du professeur Taillon, vous êtes d'éminents constitutionnalistes, mais est-ce que ce serait aussi intéressant d'avoir, par exemple, des sociologues, anthropologues, ethnologues, d'autres... bien, en fait, même des membres de groupes religieux pour que le gouvernement puisse avoir... puisse faire, en fait, une consultation qui est plus large...

M. Morin : ...pour éclairer davantage les parlementaires?

M. Rousseau (Guillaume) : C'est sûr que, dans un monde idéal, les consultations seraient encore plus longues, il y aurait encore plus de gens... entendus. Maintenant, ensuite, bon, c'est une question un peu, là, de gestion de l'agenda du gouvernement, des oppositions, et tout. Dans un monde idéal, oui, il pourrait y avoir plus de... de... de consultations. Je sais que, dans les dernières années, avec l'usage plus fréquent... bien, un tout petit peu au Québec, mais surtout dans d'autres provinces, des dispositions, il y a plus de gens qui se prononcent dans la communauté juridique et même à l'extérieur. Mais... Mais même, traditionnellement, il y a eu, par exemple, des éthiciens qui ont pu se prononcer sur la disposition.

Donc, effectivement, on pourrait élargir un petit peu le débat puis aller voir ce que d'autres... d'autres spécialistes... Je pense que des politologues auraient sans doute beaucoup de choses à dire également. Puis, sur le fond de la question de la loi 21, au-delà du projet de loi n° 52, là évidemment, il y a beaucoup d'expertise dans toutes sortes de disciplines, là, qui sont super... super pertinentes pour mieux comprendre la loi 21.

M. Morin : Parfait. Je vous... Je vous remercie.

M. Rousseau (Guillaume) : Merci à vous.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci beaucoup. Alors, on va terminer cet échange avec la députée de Verdun. Vous avez quatre minutes, huit secondes.

Mme Zaga Mendez : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Merci beaucoup, Pr Rousseau, pour la présentation et déjà la discussion que nous avons commencé à entamer. Moi, j'aimerais faire référence à une... d'abord à une partie de votre mémoire, que je vais lire et qui va amener une question par la suite. Donc, vous dites que «cela ne veut toutefois pas dire que le pouvoir législatif peut utiliser ces dispositions comme bon lui semble, sans avoir de bonnes raisons et sans suivre une procédure appropriée. Cela veut dire qu'il doit s'imposer à lui-même l'obligation de les utiliser que pour des bonnes raisons...» On parle ici, là, bien sûr, de l'application de la dérogation aux chartes. De ce que je comprends, puis peut-être vous pouvez m'éclairer là-dessus, est-ce que ça voudrait dire qu'on applique la dérogation lorsque nous sommes d'accord sur le fond de la loi ou on ne l'applique pas donc quand nous ne... sommes en désaccord?

M. Rousseau (Guillaume) : Très bonne question. Non. Effectivement, moi... Mon point de vue, c'est comme parlementaire avec le projet de loi n° 52, puis dans tous les cas où il y a une disposition de souveraineté parlementaire. Dans le fond, la... Moi, je pense que la question... Il y a deux questions qui se posent, mais je pense que la plus importante, c'est : Qui doit décider? Qui décide? Est-ce que c'est en matière de laïcité? Est-ce que c'est l'Assemblée nationale qui doit décider ou les tribunaux? Donc, un parti politique des parlementaires pourrait très bien dire : Nous, on pense que c'est l'Assemblée nationale qui doit décider, donc on est favorables aux dispositions des deux chartes. Et là je rejoins mon collègue pour dire que, si on utilise les dispositions de juste une des deux chartes, politiquement, ça a du sens, mais juridiquement, ça n'en a pas. Mais un parlementaire pourrait très bien dire : Je pense que l'Assemblée nationale doit décider, donc je suis pour les dispositions de souveraineté des deux chartes, mais je suis contre sur le fond avec le choix de cette majorité parlementaire du gouvernement. Puis le jour où... Parce que les... souvent les parlementaires de l'opposition se projettent comme alternative pour prendre le pouvoir. Le jour où nous serons au pouvoir, nous aurons une autre conception de la laïcité, mais ce sera toujours nous, la majorité parlementaire et le Parlement du Québec en général, qui allons décider, et non pas les tribunaux.

Donc, ce serait parfaitement possible, à mon sens, pour des parlementaires, d'être pour la disposition de souveraineté parlementaire contre des détails ou des éléments importants de ce qui est protégé par la disposition. Effectivement, je pense qu'il faut faire la nuance.

Mme Zaga Mendez : O.K. Merci. J'ai une autre question, peut-être un peu technique, là. Lorsqu'on fait recours à la clause dérogatoire, selon l'article 33 de la Charte canadienne, ceci permet d'écarter un ensemble d'articles. On parle de l'article 2. Après, l'article 7 à 15. Or, à part l'article 2 et l'article 15... nous, on voit mal le lien de déroger les autres articles avec l'application de la loi 21. Quel est votre avis là-dessus? Pourquoi on dérogerait sur l'ensemble d'articles et pas seulement à demander une dérogation sur 2 et 15?

M. Rousseau (Guillaume) : Donc, le point, c'est que c'est un choix politique de dire : C'est le Parlement qui décide. Donc, l'argument... le raisonnement du législateur derrière la loi 21, ce n'est pas de dire : Il y a un petit problème technique entre tel article de la loi puis tel article d'une charte, donc on met une disposition de souveraineté parlementaire de manière chirurgicale pour régler ce problème technique. Non, c'est un choix macroconstitutionnel politique de dire : C'est le Parlement qui décide. Donc, on fait un usage le plus large possible de la souveraineté... de la disposition de souveraineté parlementaire. Donc ça, c'est le premier point.

Puis ensuite, sur le plan technique, bien, c'est que, dès que vous avez un droit qui n'est pas visé par la souveraineté parlementaire... par la disposition de souveraineté parlementaire, les avocats des groupes qui contestent la loi vont en faire une interprétation complètement... extrêmement large, qui sort absolument de nulle part pour... valider la loi, puis ça se peut qu'un juge leur donne raison. Je veux dire, personne... Au moment des débats sur la loi 21, personne ne pensait que le fait d'interdire le visage couvert par des professeurs, ça portait atteinte aux... aux droits des anglophones à... à l'éducation en anglais. Tu sais, personne ne pensait ça. Ils ont plaidé ça, ça a fonctionné en première instance.

Donc, on ne peut pas se protéger contre toutes les interprétations extrêmement créatives des avocats qui peuvent être reprises par des juges. Alors, à ce moment-là, il faut mettre la disposition de manière très, très large, sinon on n'est pas à l'abri des interprétations créatives des plaidoiries...

M. Rousseau (Guillaume) : ...créative.

Mme Zaga Mendez : Combien qu'il nous reste...

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : ...encore du temps, deux minutes.

Mme Zaga Mendez : Encore du temps? Oui, rapidement, vous entendre... Vous connaissez un peu notre position d'enlever la dérogation sur la charte québécoise. Moi, je pose la même question : Est-ce que vous voyez que la charte québécoise est un outil suffisant et important pour défendre les droits des citoyens au Québec?

M. Rousseau (Guillaume) : Donc, c'est un peu... la charte québécoise, c'est une courroie de transmission de la jurisprudence dans la Charte canadienne, donc, si on ne met pas la disposition de la charte québécoise, c'est... directement, on invite la charte canadienne à s'appliquer. C'était comme ça dans Ford contre la loi 101, ce sera comme ça contre la loi 21. C'est plate, mais c'est ainsi, puis c'est ainsi, entre autres, parce qu'il y a la hiérarchie itou, mais c'est aussi une question de tradition juridique. C'est-à-dire que les droits fondamentaux au Canada, c'est de la common law, donc au Québec, idéalement, ce serait du droit civil, puis notre charte québécoise, elle s'applique en droit privé. Normalement, ça devrait être une logique de droit civil, dans l'interprétation du droit à l'égalité, mais ce n'est pas ça qui arrive, c'est... Ça fait 40 ans de jurisprudence où on met de côté la tradition du droit civil, en grande partie, on applique la common law. Donc, renverser ça, bonne chance. Puis, de toute façon, des chartes des droits, c'est hypervague. Tu sais, le droit à l'égalité, le droit à la liberté de religion, c'est des principes hypervagues, qui veulent dire ce que les juges disent que ça veut dire. Très concrètement, c'est des chèques en blanc aux juges.

Donc, si vous voulez une autonomie de la charte québécoise, créez un conseil constitutionnel, qui aura le monopole sur son interprétation, complètement à l'extérieur du système juridique, judiciaire canadien. Est-ce que c'est possible, avec 1996 et suivants, la constitution de 1967? Il y aurait des limites à ça, mais c'est la seule façon. Si vous ne sortez pas le pouvoir d'interpréter la charte québécoise du système canadien, la charte québécoise, c'est seulement la courroie de transmission de la charte canadienne.

Mme Zaga Mendez : Je vous remercie.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : 45 secondes, si vous voulez conclure.

Mme Zaga Mendez : Ah! il reste 45 secondes? Bien, je vous offre les 45 secondes, si vous voulez ajouter quelque chose sur votre amendement à la charte québécoise, ou d'autres...

M. Rousseau (Guillaume) : Oui, effectivement. Donc, merci, merci de m'offrir cette chance. Donc, à la fin, là, vous trouverez, en annexe de mon mémoire, donc, une proposition de modification. Parce qu'effectivement, je pense que c'est important de souligner que ce n'est pas une disposition de dérogation, mais de souveraineté parlementaire, et si on le met juste dans un projet de loi, qui, après ça, devient une loi annuelle puis disparate, à toutes fins pratiques, ça n'a pas d'effet. Il faut vraiment modifier la charte québécoise à 52. Mais 52, c'est particulier, c'est difficile de le modifier pour mettre le mot «souveraineté parlementaire», donc je propose de le mettre au titre du chapitre V, dans lequel il y a l'article 52, et là, vraiment, ça enverrait le message dans une loi reconnue. Même si, judiciairement, elle est une courroie de transmission de la charte canadienne, elle est connue, quand même, des citoyens. Donc là, on viendrait vraiment affirmer que l'article 52, la disposition qu'on disait, autrefois, de dérogation, c'est une disposition de souveraineté parlementaire, et que c'est le rôle du Parlement de s'en servir pour mieux protéger les droits. Merci.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci beaucoup, Pr Rousseau, merci pour votre contribution à nos travaux.

Je suspends quelques instants, le temps de recevoir notre prochain invité.

(Suspension de la séance à 11 h 29)


 
 

11 h 30 (version non révisée)

(Reprise à 11 h 35)

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Alors, nous recevons le professeur Louis-Philippe Lampron, de la Faculté de droit de l'Université Laval. Pr Lampron, bienvenue à la commission. Alors, comme, comme vous le savez fort probablement déjà, vous avez 10 minutes pour votre exposé, et, par la suite, nous allons procéder à la période d'échange avec les parlementaires. Alors, la parole est à vous.

M. Lampron (Louis-Philippe) :Très bien. Merci beaucoup, Mme la Présidente. Merci pour l'invitation. C'est un plaisir d'être ici pour discuter avec vous du projet de loi no 52. D'emblée, je m'excuse, et je vous vois fouiller dans mon mémoire, je l'ai terminé tard hier soir et il est quand même assez mastoc. Alors, voilà, désolé, vous aurez l'occasion de le lire peut-être plus en détail après. Je voudrais prendre un court moment pour souligner la perte du collègue Benoit Pelletier, hein, qui nous a récemment quittés. Je voulais donc saluer devant la commission son intégrité, sa compétence et son engagement dans les affaires de l'État, autant comme professeur de droit constitutionnel que comme, bien sûr, député et ministre. Là-dessus, je suis tout à fait d'accord avec mon collègue Taillon, ça prendrait plus de Benoit Pelletier au Québec.

Alors, voilà, donc, discuter du projet de loi no 52, un très court projet de loi, hein, comme on en a parlé dans les deux auditions de ce matin, qui a pour vocation de renouveler la dérogation uniquement à la Charte canadienne en raison du fait que la Constitution l'exige. L'article 33 prévoit effectivement que la dérogation à la Charte canadienne expire après cinq ans, donc ça force l'Assemblée nationale, si elle souhaite le renouvellement de la dérogation, la canadienne... à renouveler la clause, à en réadopter une nouvelle. De là la nature du projet de loi no 52, mais je pense qu'il faut quand même souligner le fait qu'on ne peut pas faire abstraction, même si on ne voit nulle part...

M. Lampron (Louis-Philippe) :...dans le projet de loi  no 52 de mention à la charte québécoise, du fait qu'on propose de renouveler la dérogation à la charte canadienne pour, ouvrez les guillemets, «protéger» la Loi sur la laïcité de l'État dans un contexte où va se poursuivre la validité de la dérogation à la charte québécoise, qui, effectivement, là, n'est pas soumise à la même limite de temps que celle qui est exigée par l'article 33 de la charte canadienne.

Alors, à mon sens, le projet de loi no 52, donc, le moment de se demander si, oui ou non, on souhaite renouveler la dérogation à la charte canadienne dans le contexte où il y a aussi un renouvellement... pas le renouvellement, mais une dérogation mur à mur et préventive à la charte québécoise, là, bien, ce serait une opportunité, pour moi, de corriger une brèche qui a été ouverte en 2019 avec l'intégration de deux dispositions préventives et mur à mur de dérogations aux deux chartes. Donc, ce serait l'opportunité de le corriger. Alors, la présentation d'aujourd'hui, évidemment, je vais essayer de vous exposer en quoi est-ce qu'à mon sens le recours à ces deux dispositifs de dérogation là constitue une brèche dans le régime québécois de protection des droits fondamentaux. On aura peut-être l'occasion de parler des interactions entre la charte québécoise, la charte canadienne, et ce qu'on entend justement par le régime, le contre-pouvoir que représentent, en fait, les deux chartes, là, la charte québécoise et la charte canadienne.

À mon sens, et je vais insister là-dessus, là, les motifs mis de l'avant pour justifier l'utilisation maximale du pouvoir de dérogation, à l'époque et aujourd'hui, ne tiennent pas et affaiblissent de manière inquiétante et, pour moi, injustifiée, bien sûr, là, le fameux régime québécois de protection des droits.

Alors, avant d'aller dans l'analyse de ces trois motifs-là, je voudrais faire trois précisions, que je fais par ailleurs dans mon mémoire, là. Première précision, il faut rappeler que la loi no 21 n'a pas créé de régime de séparation du religieux et de l'État au Québec, c'était un régime qui était préexistant. Autrement formulé, si on abrogeait demain matin la loi no 21, on ne tomberait pas dans un régime, au Québec, où le religieux n'est pas séparé des affaires de l'État. Et donc j'aimerais préciser aussi que, concrètement parlant, là, le seul changement notable ou tangible qui découle de l'adoption de la loi no 21 en 2019, bien, prend la forme de deux interdictions de port de signes religieux qui s'appliquent à certains agents de l'État. Alors, ça, c'est la première précision.

Deuxième précision, donc, en lien avec ces interdictions-là, hein, seul changement tangible qui découle de l'adoption de cette loi-là, bien, ces interdictions-là, on y a fait référence dans les deux interventions, là, imposent un désavantage aux membres de groupes religieux minoritaires, si on les compare avec l'écrasante majorité de la population du Québec qui n'a aucun effort à faire pour respecter des interdictions de port religieux... de port de signes religieux, en fait, sur le lieu de travail ou autre part. Donc, il y a une tension claire avec le droit à l'égalité réelle des membres de ces groupes religieux minoritaires.

Et, finalement, dernier élément, j'insiste, là, même si le projet de loi no 52 ne porte que sur la charte canadienne, il faut garder en tête que la dérogation mur à mur et préventive à la charte québécoise, elle doit également être prise en considération dans son analyse et dans le choix qui se pose aux députés de l'Assemblée nationale.

Alors, les trois arguments en faveur du maintien de la disposition de dérogation à la charte canadienne et donc de la validité de la dérogation à la charte québécoise, quels sont-ils, et on pourra me détromper, bien sûr, peut-être qu'il y en a que j'oublie, en fait, mais, moi, j'ai fait vraiment le résumé des trois que j'ai vu passer dans l'espace public, là, dans le débat entourant l'adoption de la Loi sur la laïcité de l'État.

• (11 h 40) •

Alors, je les nomme, et ensuite on les analyse. D'une part, il y avait, évidemment, éviter de longues contestations judiciaires. On ne va pas passer beaucoup de temps là-dessus. Deuxièmement, et c'est dans le texte de la loi, hein, protéger le principe de la souveraineté parlementaire ou encore les droits de la majorité québécoise. On voit souvent une adéquation entre l'Assemblée nationale qui doit décider, la majorité de la population du Québec qui est en faveur de la loi sur la laïcité, et ceci justifierait le recours à la disposition de dérogation de manière préventive. Et le dernier motif, c'est d'empêcher qu'elle soit suspendue temporairement. Il faut déroger de manière préventive parce qu'on court le risque, sinon, qu'un tribunal suspende l'application de la loi pendant le temps nécessaire à la contestation, au fond, devant les tribunaux.

Alors, premier motif, donc, je disais que ça ne tient pas, je vous explique maintenant pourquoi, on pourra ensuite en discuter, bien sûr, éviter de longues contestations judiciaires. Alors, c'était déjà le cas au départ, là, dans les débats qui entouraient l'adoption en 2019 de la Loi sur la laïcité de l'État, on laissait entendre qu'il allait y avoir des contestations, utilisation de la disposition de dérogation ou pas. Alors, maintenant, on est cinq ans... on est jusqu'au nez dans les contestations judiciaires. On a deux décisions, une de la Cour supérieure et de la Cour d'appel. Alors, si l'objectif était vraiment de les éviter, ça n'a pas fonctionné, mais je dirais que, de manière encore plus paradoxale, l'effet net du recours aux dispositions de dérogation, ça a eu pour effet de déplacer le débat, et on n'a jamais aussi peu parlé de la laïcité de l'État et jamais autant des dérogations, en fait. Alors, devant les tribunaux, les opposants, donc, les arguments qui sont mis de l'avant par les opposants, ce ne sont pas des arguments, au fond, sur l'incompatibilité alléguée ou potentielle de certaines dispositions de la loi no 21 avec, par exemple, la liberté de religion et le droit à...

M. Lampron (Louis-Philippe) :...égalité, mais on tente, on le voit dans les différents arguments, de contourner le recours aux dispositions de dérogation, voire on demande aux tribunaux de faire évoluer les fameux critères de l'arrêt Ford. Alors, le choix de déroger aux droits fondamentaux, dans un contexte où la laïcité de l'État est une valeur très importante, évidemment, même constitutive de l'État québécois, là, ça fait en sorte qu'on ne débat pas de la raisonnabilité du modèle québécois de laïcité qui est proposé par la loi sur la laïcité, mais on débat presque exclusivement, en fait, du droit de suspendre de manière préventive les droits et libertés protégés par la Charte canadienne et par la Charte québécoise.

Deuxième élément donc, l'argument de la protection du principe de souveraineté parlementaire et les incidents en droit de la majorité, là. D'une part, il faut rappeler qu'il s'agit ici d'une dérogation préventive. Alors, si on veut parler du droit du dernier mot, là, quand on regarde le libellé de l'article 33 de la Charte canadienne et 52 de la Charte québécoise, le droit du dernier mot, là, il est clair, il revient à l'Assemblée nationale, il revient aux législatures partout au Canada.

Maintenant, la fameuse théorie du dialogue entre le législatif et le judiciaire, qui est au cœur de l'effectivité d'un régime de protection des droits fondamentaux, hein? Ça ne peut pas être l'institution publique qui est chargée de respecter les droits fondamentaux, de déterminer quand est-ce qu'elle les respecte, quand est-ce qu'elle ne les respecte pas, hein? C'est l'équivalent d'être juge et partie, et donc on a besoin d'un tiers indépendant. Mais donc ici, il n'y a pas de dialogue puisqu'on a dérogé de manière préventive aux droits et libertés de la personne, on n'a pas laissé les tribunaux se prononcer sur la proposition qui avait été faite par la loi 21. On n'a pas de décision de justice qui se serait prononcée au fond, là, sur les deux interdictions ou encore le modèle québécois de laïcité qui se trouvent à l'intérieur de la loi 21.

Au niveau du temps, comment ça va?

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Deux minutes.

M. Lampron (Louis-Philippe) :Deux minutes. On accélère. Droit de la majorité. Donc, l'adéquation entre le fait que la loi 21 étant appuyée par la majorité de la population québécoise, ça fonderait la légitimité du recours à la dérogation, ça, c'est l'argument la plus faible et le plus dangereux, à mon sens, parce qu'il est antinomique avec ce qui est au cœur d'un régime de protection des droits fondamentaux, où, grosso modo, l'un des piliers depuis 1948, depuis la Déclaration universelle des droits, c'est justement de s'assurer que les groupes majoritaires n'abusent pas de leurs prérogatives en démocratie à l'encontre de groupes minoritaires. Alors, l'appui de la majorité pour suspendre des droits fondamentaux, c'est antinomique avec l'idée même de protection des droits fondamentaux.

Dernier élément, empêcher qu'elles soient suspendues temporairement. Alors, à mon sens... et j'ai évidemment, là... je deviens un Speedy Gonzalez de la parole, mais c'est plus détaillé dans mon mémoire, que vous... auquel je vous renvoie, à mon sens, cet argument-là découle du fait qu'on a monté en épingle une décision de la Cour supérieure concernant la loi 62 adoptée par le gouvernement libéral de Philippe Couillard, qui avait effectivement été suspendue temporairement, le temps qu'on entende les arguments au fond. Mais ce faisant, on se trouve à généraliser un processus qui est exceptionnel, hein, je veux dire, qui a toujours été considéré comme tel. Il y a peut être eu, entre 2018 et 2019, un flottement laissant entendre que certains tribunaux ou encore les tribunaux québécois allaient se permettre de plus souvent suspendre temporairement une loi, le temps qu'on entende au fond les arguments de contestation de sa validité constitutionnelle, mais au Canada et au Québec, on fonctionne selon le régime de la présomption de constitutionnalité des lois. Et l'effet net de cela, c'est que, sauf de très, très rares exceptions, bien, quand on conteste la validité constitutionnelle d'une loi, pendant toute la durée de la contestation, cette loi produit des effets. Et là, on est cinq ans, on a un arrêt de la Cour d'appel, on verra si la Cour suprême se prononcera, mais donc l'effet net... Et c'est la Cour d'appel, dans l'arrêt Hak, hein, qui l'a confirmé, le caractère exceptionnel, la suspension temporaire d'une loi. Bien, la loi 21, elle produit des effets, malgré le fait qu'on en conteste la validité constitutionnelle. Alors, je m'arrête ici et je... j'attends vos questions.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci beaucoup, Professeur Lampron. Alors, on débute la période d'échange avec les parlementaires. À nouveau 16 minutes 30 secondes pour le gouvernement.

M. Roberge : Merci beaucoup. Merci pour votre présentation, votre éclairage. C'est très complémentaire parmi les... par rapport aux personnes qui sont passées avant vous. Puis c'est ça qui est intéressant, en commission parlementaire, justement, d'avoir des points de vue qui sont divergents, parce que, je pense, c'est nécessaire pour coconstruire, là, quelque chose qui soit solide, être capables de... d'échanger avec des points de vue qui sont différents.

Page 10 de votre mémoire, vous dites, à la fin, «le fait que l'impact principal de l'adoption de la loi sur la laïcité, formulé en termes de deux interdictions de port de signes religieux, heurte les droits de groupes minoritaires protégés par le droit à l'égalité», bon, etc. Vous dites que l'impact principal de l'adoption de la loi, c'est de heurter des droits. Mais est-ce que vous ne reconnaissez pas la validité aussi d'une affirmation d'un de vos prédécesseurs, qui dit que la loi sur la laïcité crée de nouveaux droits aussi? À moins que vous ne le mentionniez, je l'ai... je ne l'ai pas vu, que vous voyez qu'il y a aussi...

M. Roberge : ...de nouveau droit, le droit de recevoir des services qui sont davantage laïques ou le droit de recevoir des services par quelqu'un qui interne l'autorité de l'État en affichant cette neutralité-là, est-ce que ce n'est pas aussi un nouveau droit puis est-ce que vous en parlez quelque part?

M. Lampron (Louis-Philippe) : Alors, je n'en parle pas quelque part pour la simple et bonne raison que, pour moi, il ne s'agit pas d'un nouveau droit. Mais mon analyse de la loi n° 21, là, est le fait que c'est un peu... pas une boutade, mais un résumé, en fait. Si on abrogeait demain matin la loi n° 21, là, qu'est-ce qui se passe, en fait? C'est quoi, l'état du droit qui précédait l'adoption de la loi n° 21? Et, pour moi, donc, il y avait, selon les règles de la neutralité religieuse de l'État, déjà un devoir de réserve en matière religieuse qui avait été mis de l'avant, établi clairement par la jurisprudence. Évidemment, on était dans un régime qui est davantage au cas par cas, et il peut y avoir un intérêt à codifier les principes, ce que fait en large partie la loi n° 21, parce que ça permet de préciser certaines choses, notamment de préciser dans un texte de loi. On faisait référence plutôt à la tradition civiliste en droit québécois, là. Donc, la codification de principes jurisprudentiels, c'est quelque chose qui peut avoir une valeur ajoutée, en fait.

Maintenant, sur les changements concrets, le fait que le principe de neutralité religieuse de l'État imposait déjà aux agents de l'État, au sens très, très large, un devoir de réserve quant à la manifestation de leurs convictions religieuses, notamment en ce qui concerne le prosélytisme dit actif, là, ça fait en sorte qu'il n'y a pas de changement avec les principes qui sont enchâssés dans la loi n° 21, sauf les deux interdictions. Le seul changement concret, puis là je vous ai... comme je manquais de temps pour écrire mon mémoire, j'ai référé à d'autres papiers que j'avais écrits, alors vous avez l'embarras du choix si vous souhaitez me lire, mais grosso modo, pour les agents de l'État québécois, le seul changement concret qui touche à leurs conditions de travail depuis l'adoption de la loi n° 21, c'est qu'avant ils avaient le droit de porter certains signes religieux, pas tous, sur l'espace de... sur le lieu de travail. Et maintenant, bien, il y a certains agents de l'État qui viennent de perdre ce droit-là.

À l'inverse, donc, ce que ça implique et ce que ça offre à la population, c'est qu'ils ne seront plus exposés, lorsqu'ils font affaire avec certains agents de l'État, à des signes religieux, alors qu'avant, effectivement, il y avait cette situation-là. Mais on vient préciser, je dirais, et c'est ça, les changements en termes d'interdictions, là, la portée d'un devoir préexistant de réserve en matière d'expression des convictions religieuses qui existait et qui était reconnue dans la jurisprudence. On fait référence notamment à une décision de la... là, je ne l'ai pas en tête, la référence, là, mais de la Cour d'appel de Saskatchewan concernant une requête qui avait été formulée par un commissaire au mariage qui, au nom de ses convictions religieuses, souhaitait refuser de marier des conjoints de même sexe. Ça a été rejeté justement en raison du principe du devoir de réserve en matière d'expression des convictions religieuses. C'était incompatible avec sa fonction. Alors, il n'y avait pas un vide qui a été comblé par la loi n° 21, il y avait des principes généraux et on en a débattu longuement entre 2006, 2007 jusqu'à 2019. C'est pour ça que, pour moi, puis j'en parle dans mon mémoire, il y avait une occasion à saisir pour régler effectivement le débat des accommodements religieux, de la laïcité qui durait depuis très, très longtemps.

Mais ce faisant, est-ce que d'affecter ou d'ouvrir une brèche dans le régime de protection des droits fondamentaux, c'était souhaitable? À mon sens, on s'est trouvé, là, de manière assez difficile à justifier pour moi, à essayer de régler le problème de la laïcité de l'État, en largement codifiant des principes préexistants, mais aussi en allant plus loin, en faisant une proposition qui peut être tout à fait raisonnable, hein? Ce n'est pas parce qu'il y a une atteinte aux droits fondamentaux des groupes minoritaires qu'elle ne peut pas se justifier, hein? C'est le raisonnement en deux étapes, là, qui structure tout litige fondé sur les chartes des droits et libertés, mais en dérogeant de manière préventive aux droits fondamentaux, bien, l'État n'a pas à faire cette preuve-là de démonstration, voire peut même, et je l'ai entendu dans quelques contextes, avancer la thèse assez audacieuse qu'il n'y a aucune atteinte aux droits fondamentaux. Il n'y a aucun retrait, là, de droit qui était préexistant qui découle de l'adoption de la loi n° 21. Alors, c'est pour ça que le dialogue est aussi fondamental.

• (11 h 50) •

Maintenant, quand on discute, là, de tout ce qui se passe devant les tribunaux et devant la Cour d'appel du Québec et des thèses qui ont été avancées pour remettre en cause le droit du dernier mot qui est offert à l'article 33 de la Charte canadienne et à l'article 52 aux législatures au pluriel, bien, je comprends que ça puisse être insécurisant, mais on n'aurait pas eu ce débat-là si on n'avait pas dérogé mur-à-mur et qu'on consacrait nos efforts actuellement, le gouvernement comme les opposants, à débattre du fond. Est-ce que le modèle proposé par la loi n° 21 constitue un exercice raisonnable de la discrétion et en vertu de l'objectif de vivre ensemble, là, est inclusif puis il n'abuse pas des prérogatives des majorités par rapport aux groupes minoritaires? Et ce n'est pas ça qu'on fait. En ce moment, on se fait l'économie de ce débat-là.

M. Roberge : Vous dites qu'avant la loi n° 21, il y avait quand même une obligation d'afficher une neutralité religieuse pour plusieurs personnes. Moi, j'enseignais dans le réseau public scolaire...

M. Roberge : ...très concret, là, sur le terrain, là. On nous parlait dans le cadre de l'enseignement, puis mon employeur me disait : Je dois afficher une certaine posture de neutralité. Il fallait... On nous... On nous recommandait de faire attention dans des choses que l'on dit. On nous disait très clairement qu'on ne pouvait pas porter, afficher un symbole d'appartenance à un parti politique ou à une idéologie quelconque.

Cependant, je peux vous témoigner, là, que, dans les écoles publiques de la Montérégie, cette posture de neutralité n'impliquait nullement de retirer ou de ne pas porter de symbole religieux.

M. Lampron (Louis-Philippe) :Tout à fait.

M. Roberge : Dans le réseau public, au début des années 2010, je vous confirme : Les symboles religieux étaient ostensiblement visibles. Donc, quand vous nous dites : Oui, mais préexistant à la loi 21, il y avait déjà la neutralité.

M. Lampron (Louis-Philippe) :Oui.

M. Roberge : Il y a quand même un avant, un après...

M. Lampron (Louis-Philippe) :100 %.

M. Roberge : C'est ça.

M. Lampron (Louis-Philippe) :Oui.

M. Roberge : Donc, on ne peut pas dire, là, que ça n'a rien changé, à part qu'il y a des gens qui ont perdu le droit de porter quelque chose. Une fois que des gens ont perdu ce droit de porter quelque chose, bien, il y a des gens qui ont gagné le droit d'avoir devant eux quelqu'un qui ne porte pas ce symbole-là.

M. Lampron (Louis-Philippe) :Bien, je suis d'accord, mais, dans les faits, ce que je vous dis,en fait, c'est que... ça fait un peu mon point. Évidemment, il y a toujours un effet qui peut être considéré comme positif, quand on décide d'imposer une interdiction, mais ce que je vous dis, en fait, puis l'exemple que vous me donnez, je suis complètement d'accord avec ça... est-ce qu'avant la loi no 21 on interdisait aux agents de l'État de porter des signes religieux sur le lieu de travail? Bien non, effectivement, sauf certains signes qui sont au cas par cas, on pourrait parler, là, du cas du niqab ou de la burqa, dans certaines circonstances, en raison d'atteinte à la sécurité ou quoi que ce soit, mais, sur un signe religieux, là, qui n'est pas contraignant puis qui permet l'identification de la personne, quoi que ce soit, bien sûr que la loi no 21 a changé la donne, mais elle ne l'a changée que là-dessus, et c'est pourquoi le seul changement constitue une... impose un désavantage quand on compare, là, c'est ça le droit à l'égalité, hein, c'est un concept qui est comparatif, si on compare les membres de groupes minoritaires qui croient sincèrement devoir porter des signes religieux visibles pour respecter leur foi par rapport à la majorité de la population du Québec, athée, agnostique, chrétienne, qui n'a aucun effort à faire pour respecter cette interdiction-là, il y a un désavantage.

Maintenant, ce désavantage-là peut se justifier, en autant qu'on soit capable de convaincre de la raisonnabilité de la proportionnalité. C'est ça qui a cours, dans un litige fondé sur les chartes, quand on ne déroge pas aux chartes des droits fondamentaux, et qu'on n'a pas le bénéfice de faire actuellement. L'arrêt de la Cour d'appel le montre par mille, c'est un arrêt qui est très, très ferme, où on fait l'impasse, en fait, sur tout commentaire sur les droits auxquels l'Assemblée nationale a dérogé. On ne parle que des conditions de légalité, de la dérogation au droit. Mais, ce faisant, ce qui est au cœur de la Loi sur la laïcité de l'État, parce que l'objectif est quand même d'être le plus rassembleur possible, bien, c'est qu'on n'a pas l'opportunité, on l'a perdue, au cours des cinq dernières années, de faire cet exercice-là d'arrimage.

Puis au moment de la justification de l'atteinte au droit, quand on parle des droits collectifs, là, bien, moi, j'ai entendu beaucoup d'arguments dans les deux présentations de mes confrères qui pourraient tout à fait valablement être plaidés comme étant des éléments qui devraient tendre vers la justification du modèle québécois de laïcité qui pourrait se distinguer du modèle qui est applicable ailleurs au Canada.

M. Roberge : Mais aller le plaider, bon... Parfois, mon père disait, en une boutade fréquente : Si tu demandes la permission à quelqu'un, tu lui donnes le droit de te dire non, donc penses-y deux fois, il me disait : Penses-y deux fois, Jean-François, avant de me demander la permission, ça se pourrait, en même temps, que tu me donnes le droit de te dire non. Alors, j'y pensais avant d'aller le voir. Souvent, j'y allais quand même, mais, des fois, je n'y allais pas. Puis, après ça, il disait : Décide, avec un beau silence de papa, puis assume. Je pense que le Québec a décidé. On a décidé puis, aujourd'hui, on assume.

M. Lampron (Louis-Philippe) :O.K., mais je ne suis pas certain de l'analogie du père de famille, concernant le rapport avec le tribunal, c'est-à-dire qu'à la limite elle pourrait tenir, chaque analogie a des limites, mais donc je vais me servir...

M. Roberge : Je ne prétends pas qu'il faut baser toute la politique québécoise sur cette anecdote, là, c'était une petite anecdote.

M. Lampron (Louis-Philippe) :Non, non, c'était bien, mais vous l'avez lancée, je vais me permettre...

M. Roberge : Ça a ses limites. Ça a ses limites.

M. Lampron (Louis-Philippe) : Oui, mais je vais me permettre de répondre quand même. Donc, l'analogie pourrait tenir davantage si, par exemple, on prétendait que l'Assemblée nationale devait demander la permission au gouvernement fédéral. Parce qu'il y a beaucoup, quand même, d'amalgames entre les tribunaux et les juges de nomination fédérale, avec le fait qu'il y aurait deux régimes, je dirais, de discrétion par rapport aux projets qui peuvent être mis de l'avant au sein de l'État québécois. Le tribunal, c'est la séparation des pouvoirs. Ce sont des pouvoirs qui sont côte à côte, en fait, hein, c'est le mot de mon...

M. Lampron (Louis-Philippe) :...là, pour que le pouvoir puisse... je ne me rappelle plus du mot de Montesquieu, mais, grosso modo, il faut que le pouvoir puisse arrêter le pouvoir. Alors, ce n'est pas une permission à donner, c'est qu'on doit charger si on croit... C'est ça, le régime de protection des droits fondamentaux. Si on croit à l'effectivité des droits et libertés de la personne, bien, nécessairement, il faut qu'on se tourne, quand on veut prendre une mesure, quand on prend une décision, vers un tiers indépendant, puis qu'on lui donne les... pour dire est-ce que là, on va trop loin ou pas.

Après ça, la dérogation, là, là-dessus, je suis complètement d'accord avec mes deux collègues. Ce n'est pas en toutes circonstances, bien sûr, que c'est illégitime, et l'exemple de la clause omnibus de dérogation de Lévesque, par exemple, après le rapatriement de 1982, est un très, très bon exemple. Alors, je suis d'accord qu'il ne faut pas démoniser la disposition de dérogation, mais là, en l'espèce, là, on parle quand même d'une dérogation préventive, où il y a beaucoup de risques, et de ci, et de... et c'est à peu près certain que notre modèle va être considéré comme étant invalide en vertu de la jurisprudence canadienne. À mon sens, c'est mettre un petit peu beaucoup la charrue avant les bœufs, et le grand problème de la pente glissante découle de là. Surtout qu'on met de l'avant l'idée selon laquelle la légitimité du recours à la dérogation, de manière préventive, découle du fait que la majorité de la population du Québec est en accord avec cette loi là, ce qui est, je le rappelle, une assertion qui est antinomique avec un régime de protection des droits fondamentaux.

Alors, moi, c'est ces éléments-là, là, moi, qui me posent passablement problème, plus, je le dirais, hein, puis je l'ai défendu dans d'autres interventions préalablement, que le modèle de laïcité qui est mis de l'avant dans la loi n° 21. Moi, c'est vraiment... on est en train... Puis on parle du projet de loi n° 52. Alors, on a... on parle moins du contenu de la loi n° 21 que de la dérogation aux droits fondamentaux, parce que c'est de ça dont il est question actuellement. Mais c'est là où il y a une brèche qui est ouverte dans le régime de protection des droits fondamentaux, parce que, dans le contexte d'un gouvernement majoritaire, je comprends, là, que l'opposition a toujours un rôle fondamental pour éclairer les débats puis, parfois, faire pression, mais dans les faits, au bout du compte, là, s'il n'y a pas de frein à l'utilisation de ce pouvoir exorbitant là, bien, c'est un pouvoir qui est... c'est un contre-pouvoir qui se trouve à être affaibli par rapport à la situation qui prévalait dans un régime où on n'utilisait pas, de manière préventive, ce pouvoir.

M. Roberge : Quand vous parlez, justement, de pouvoirs, de contre-pouvoirs, on parle beaucoup des législateurs puis du judiciaire. Dans ce cas-ci, les législateurs, on est là avec le Code civil, puis le judiciaire, quand on arrive à la Cour suprême, il est là avec le common law. Il y a quand même... il y a comme une espèce de dualité. Mais on parle de judiciaire, puis du législateur, puis on parle de la pondération des pouvoirs, des contre-pouvoirs. Mais on dirait qu'on oublie qu'une fois aux quatre ans il y a un autre contre-pouvoir, qui s'appelle la démocratie, puis il y a les élections. Puis c'est correct qu'il n'y ait pas unanimité au Parlement, puis dans l'opposition, puis tout ça, parce qu'un gouvernement peut arriver ensuite, après quatre ans, après huit ans, peu importe, et puis venir changer les choses. Et est-ce que vous balayez ça du revers de main, en disant : Oui, mais ça ne compte pas, parce que ça plaît à la majorité? Tu sais, est-ce que votre argument... Parce que vous ne parlez que du judiciaire, du législatif. Vous oubliez le démocratique, comme si le démocratique, parce que, peut-être, il s'appuyait sur la majorité, il ne viendrait pas protéger la minorité. Mais ça se peut, des majorités qui veulent protéger des minorités. La preuve, les chartes ont été votées par les majorités.

• (12 heures) •

M. Lampron (Louis-Philippe) :Tout à fait. On est entièrement d'accord.

M. Roberge : Qu'est-ce que vous faites de cet argument-là?

M. Lampron (Louis-Philippe) :L'argument est très bon, mais j'ai essayé de réfléchir, en fait, à la... l'étude qui a été faite par... il y a plusieurs années, là, et à laquelle faisait référence le collègue Rousseau tout à l'heure, c'est-à-dire qu'il y a eu beaucoup d'utilisation des dispositions de dérogation dans le passé. Et qu'est-ce qui distingue, en fait, celles de la loi n° 21 des dérogations, par exemple, qui ont été utilisées pour créer le Tribunal des petites créances, où on va déroger, notamment, au droit à l'assistance d'un avocat, bien, je dirais que c'est vraiment un des piliers de la refonte du pacte démocratique après 1948, qui distingue la dérogation mur à mur qui a été faite, en 2019, pour la Loi sur la laïcité de l'État.

Et c'est l'impact de la Loi sur la laïcité de l'État sur les droits, essentiellement, là, de membres de groupes minoritaires, qui découle de la loi à 2019, et l'argument concurrent, en disant : La majorité est en faveur avec ce régime-là, qui posent problème dans l'utilisation préventive de la disposition de dérogation, je dirais. Parce que, si le seul contre-pouvoir à l'utilisation d'une dérogation par un gouvernement majoritaire, c'est que, dans quatre ans, il pourra se faire battre, et que la mesure qui est adoptée, et pour laquelle on déroge aux droits fondamentaux, affecte les membres de groupes minoritaires, bien, donc, la majorité, en principe, elle est d'accord avec cette loi-là. Ça fait que le contre-pouvoir, il est un peu affaibli.

Et, grosso modo, la...


 
 

12 h (version non révisée)

M. Lampron (Louis-Philippe) :...Je ne sais pas comment dire. Il y a eu beaucoup de... d'analyses tout à fait justes et intéressantes qui ont été faites sur des analyses comparatives, en disant : la loi 21 serait légitime parce que plus raisonnable à ce qui se fait notamment en Europe. Mais le contexte québécois, pour moi, il est déterminant. C'est-à-dire qu'il y avait une situation qui prévalait avant 2019. On décide, et c'est tout à fait légitime, c'est le rôle de l'Assemblée nationale de proposer un modèle, on décide de proposer le modèle. Mais la conséquence de ce modèle-là, c'est qu'il y a des impacts sur les membres de groupes minoritaires. Et là, le choix qu'on fait pour ne pas se faire casser notre modèle, c'est de suspendre l'application des droits fondamentaux en alléguant le fait que c'est à l'Assemblée nationale de décider.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci beaucoup...

M. Lampron (Louis-Philippe) :C'est là où j'ai un peu de problème avec l'approche.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci, Professeur Lampron. Je dois vous arrêter pour cette portion-là. On poursuit avec l'opposition officielle, 12 minutes 23 secondes. Vous pouvez y aller.

M. Morin : Merci, Mme la Présidente. Alors, bonjour, professeur Lampron. Merci pour vos explications. J'aimerais... J'aimerais continuer un peu sur les explications que vous étiez en train de donner suite à la... à la question de M. le ministre, qui mettait dans la balance évidemment le fait qu'il y a des élections démocratiques après un certain nombre d'années puis que donc la majorité, finalement, une fois élue, le gouvernement majoritaire va décider. Mais quel serait, par exemple, si on prend cet argument-là et qu'on le pousse, quel va être l'impact sur les droits des minorités pendant ces quatre ans là?

M. Lampron (Louis-Philippe) :Bien, moi, il y a quelque chose auquel je suis très sensible aussi, là, c'est... puis j'essaie toujours, là, de... Mon Dieu! Je sors des vieux auteurs des Lumières, là, Diderot, là, mettre le point de vue opposé dans... sous son meilleur jour, mais grosso modo, là, l'argument de la tyrannie des minorités, en fait. Les majorités ne... seraient paralysées, en fait, par une lecture trop individualiste des droits et libertés de la personne, et donc il revient, à un certain moment, aux majorités d'être capables de réutiliser les droits démocratiques qui leur reviennent.

À mon sens, là, il faut revenir vraiment, là, à la nature des textes sur les droits fondamentaux, qui sont inextricablement liés à la... à la... aux sociétés démocratiques au pluriel. Et les sociétés démocratiques, leur essence, en fait, puis on le voit tous les jours, on le voit dans l'adoption des projets de loi qui se fait par des gouvernements majoritaires, dans les rapports de force, etc., ça permet aux groupes, et là au pluriel, majoritaires d'imposer ses normes, ses coutumes, ses valeurs. Ce que... Là où on parle de contre-pouvoir... Et c'est pour ça que, des fois, contre-pouvoir, si on l'étire trop largement, ça pourrait mener à une interprétation un peu caricaturale puis laisser entendre que ça va paralyser, en fait, le gouvernement puis on ne sera plus capables de rien faire. Mais l'idée de contre-pouvoir est la raison et l'importance d'être capable d'avoir un tiers indépendant auquel on fait confiance... ça, si on veut débattre de la légitimité du tiers indépendant qui est chargé de l'application des chartes au Canada, on pourra le faire, mais ce n'est pas de ça qu'on parle actuellement. Alors, le tiers indépendant, là, l'objectif, c'est de s'assurer que les groupes majoritaires n'abusent pas de leurs prérogatives à l'encontre de groupes minoritaires, au pluriel. C'est pour ça que le dialogue est aussi important et c'est pour ça qu'on est chanceux au Québec et dans d'autres États comme les États-Unis, d'avoir des gouvernements, des législatures qui ont accepté de se lier les mains et de dire, d'adhérer au... à la refonte du Pacte démocratique post 1948, puis de dire : Écoutez, il y a un socle de légitimité, là, et on s'engage, même quand on a l'appui de la majorité de la population, à ne jamais abuser de nos prérogatives à l'encontre des membres de groupes minoritaires. Puis, pour être capable d'arriver à ce pacte-là, bien, nécessairement, ça prend un tiers indépendant. Sinon, quand on propose un modèle, bien, on est toujours sûr que c'est un bon modèle. Puis ce n'est pas être de mauvaise foi, c'est d'être certain qu'il est raisonnable. Mais c'est pour ça qu'on a besoin d'un dialogue avec quelqu'un qui n'a pas les mêmes intérêts politiques, idéologiques que nous pour dire : ici, il y a un frein. C'est la nature même du contre-pouvoir.

Et là, je... j'aimerais ramener, là, parce qu'on parle beaucoup de dérogation. On n'en a jamais autant parlé que depuis 2019, là. Mais grosso modo, les critères de l'arrêt Ford, en 1988, là, qui ont été établis, qui donnent une discrétion, soyons clairs, totale aux législatures, en fait, pour être capables de suspendre l'application des droits fondamentaux, hein, il n'y a même pas besoin de s'en justifier, pas besoin d'être dans une situation de crise comme d'autres juridictions, là, on écrit ça dans une loi et c'est réglé, ça met les tribunaux hors jeu. Bien, le texte de 33, à moins qu'on change la Constitution du Canada, il va demeurer le texte de 33. Alors, s'il y a une marge de manœuvre pour faire évoluer les critères, elle ne pourra pas remettre en cause le fait que le droit du dernier mot va revenir aux législatures. C'est le texte de 33.

Maintenant, là où il y a peut-être de la marge à faire évoluer, puis ce serait quand même... excusez-moi l'expression, je ne sais pas si j'ai le droit de le dire à l'Assemblée nationale, mais je vais le dire quand même, bien maudit que...

M. Lampron (Louis-Philippe) :...que le gouvernement du Québec soit responsable d'un recadrage des critères de Ford en raison de son utilisation préventive des deux dispositions de dérogation, parce que dans les faits c'est la seule marge de manœuvre. Est-ce que... Quand il y a une atteinte qui découle d'une décision gouvernementale - puis c'est au cœur du régime de protection des droits fondamentaux - avec les droits de groupes minoritaires, est-ce qu'on ne devrait pas restreindre le droit d'avoir un recours préventif à la dérogation, pour laisser au moins le dialogue s'amorcer avant que le droit du dernier mot puisse s'exercer? Parce que, là, il n'y a pas de droit du dernier mot, là, on empêche le dialogue, on empêche les tribunaux de se prononcer sur le fond de la loi n° 21.

M. Morin : Je vous remercie. Dans votre mémoire, à la page 8, en haut, vous parlez des raisons principales qui ont été avancées à l'époque pour faire adopter le projet de loi n° 21 et vous parlez de l'importance de faire primer la volonté de la majorité. C'est quelque... Vous y avez... Vous avez fait référence à ça. C'est quelque chose dont on entend beaucoup... C'est quelque chose que le gouvernement de la CAQ utilise beaucoup : Donc, on est la majorité. Nous, on sait ce qui est bon, c'est la majorité, puis on va aller comme ça. Mais, dans un contexte d'une société démocratique avec des chartes, ce n'est pas un peu bizarre de faire une telle affirmation? Parce que les chartes ne sont pas là justement pour faire un contre-pouvoir à cette volonté de la majorité?

M. Lampron (Louis-Philippe) :Oui. Bien, ça, ça me permet de parler des droits collectifs, là, qui peuvent tout à fait être pris en considération dans le régime canadien et québécois actuel de protection des droits fondamentaux. Grosso modo, là, si on revient, là, au... à la structure d'un raisonnement propre à un litige fondé sur les chartes, là, c'est-à-dire quand on... je suis le gouvernement, je propose une loi, elle entre en vigueur, et là elle est contestée par les membres de groupes minoritaires, là, c'est toujours en deux étapes.

La première étape, c'est qu'il faut qu'il y ait la preuve qu'il y a une vraie atteinte à un droit fondamental. Il y a une interprétation large et libérale de plusieurs droits, surtout les libertés fondamentales, le fardeau n'est pas si élevé. Mais ensuite, ce que ça implique, c'est un renversement du fardeau de preuve. Ensuite, le juge va se tourner vers l'État en disant : Très bien. Là, vous avez entravé un droit ou plusieurs droits fondamentaux. Quels sont les motifs que vous pouvez faire valoir pour justifier, dans une société libre et démocratique, l'atteinte dont vous êtes responsables, en fait? Et là on peut faire valoir les arguments qui ont été mis de l'avant par mes collègues plus tôt ce matin pour justifier le fait que... la spécificité de la nation québécoise, la modification constitutionnelle de 1997, etc., pour convaincre en fait que, même s'il y a une atteinte aux droits de groupes minoritaires, bien, elle se justifie, elle est modérée, elle est proportionnée, elle est raisonnable, et, compte tenu des valeurs de l'État puis du gouvernement qui l'a mise de l'avant, c'est une atteinte qui se justifie dans une société libre et démocratique.

Mais ce débat-là, là, qui serait à mon sens beaucoup plus rassembleur, puis là je vais reprendre l'analogie du devoir brouillon remis - je m'excuse, je reprends toutes vos analogies, M. le ministre - mais, grosso modo, ce n'est pas ça. En fait, c'est que le gouvernement... Moi, je m'attends à ce que le gouvernement, s'il fait adopter une loi, il n'ait pas l'impression qu'il remet un brouillon, là, il ait l'impression qu'il remet quelque chose auquel il a réfléchi, puis là, tous les arguments qu'on entend dans l'espace public, on a eu le débat avec Bouchard-Taylor, on est rendu là puis on trouve que c'est proportionné ou raisonnable, ensuite il va aller le défendre devant un tribunal.

• (12 h 10) •

Ça fait qu'après ça, je veux dire, si tu le défends, puis que tu es sincère, puis que tu y crois, je veux dire, bien, il y a des chances que ça passe. Puis, dans... moi, le cadre constitutionnel canadien, je pense qu'il y avait une voie de passage, en fait, pour que les deux interdictions, là... Je ne sais pas si l'entièreté aurait pu passer le test des tribunaux, mais une portion importante, à mon sens, il y avait des bonnes chances.

M. Morin : Sauf qu'ici, ce... en fait, les critères auxquels vous faites référence, c'est les critères de l'arrêt Oakes, mais... avec l'article 1er. Mais ça, ici, ce débat-là, on ne l'aura pas...

M. Lampron (Louis-Philippe) :Non.

M. Morin : ...parce que la clause dérogatoire nous empêche de le faire, et elle est applicable mur à mur dans ce cas-ci.

L'autre élément sur lequel j'aimerais vous entendre... Parce qu'on lit beaucoup de ce qui se passe dans l'espace public, et, quand on parle des droits de la majorité, des droits des minorités, on dit tout le temps : Bien, on vit dans une société... un parlement, un... en fait, un parlement des juges, une société des juges. Personnellement, je trouve ça toujours un peu surprenant. Je ne pense pas que les juges ont demandé à avoir la clause dérogatoire ni la charte, d'ailleurs, ils sont là pour dire le droit basé sur la preuve. Puis qu'est-ce que vous pensez de ça, de cet argument-là, qui dit : Au fond, ça empêche le Parlement d'avancer?

M. Lampron (Louis-Philippe) :Bien, écoutez, encore une fois, là... Et je veux revenir, puis je le fais dans mon mémoire... Il faut reconnaître, et le regretté collègue Benoît Pelletier le faisait très, très bien, là, le rôle central de l'inclusion de l'article 33 dans la Constitution du Canada pour qu'on ait une charte constitutionnelle. Alors, le régime de protection des droits fondamentaux... La charte québécoise, elle a été adoptée en 1975, mais il y a quand même eu la révolution de 1982 qui a eu un impact sur la charte québécoise. Ça, il faut le reconnaître, en fait. Maintenant, le rôle... le fait qu'on donne le droit du dernier mot aux législatures, c'est certain que ça aussi, ça a eu un rôle central dans la...

M. Lampron (Louis-Philippe) :...de la jurisprudence des tribunaux qui a donné une... On a un régime généreux de protection des droits et libertés de la personne. Maintenant, là où je vous rejoins, c'est le fait qu'interpréter de manière généreuse les droits fondamentaux de la personne, ça ne se fait pas juste... ce n'est pas un truc fait par des créatures du gouvernement fédéral et il faut l'arrimer avec le principe de l'universalisme des droits et libertés de la personne. La charte canadienne et les droits et libertés de la personne, on peut être en désaccord avec la légitimité de son application sur le territoire québécois, considérant le fait que le Québec n'a toujours pas ratifié la Constitution de 1982, mais les droits et libertés qui sont enchâssés, je dirais, à l'exception des droits linguistiques, là qui sont plus particuliers à la canadienne, dans la charte canadienne, bien, c'est les mêmes droits ou à peu près qui sont enchâssés dans la Déclaration universelle des droits, dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils préexistent largement le véhicule normatif de protection que représente la Charte canadienne des droits et libertés. Et, encore une fois, un régime de protection des droits fondamentaux passe nécessairement par l'existence d'un tiers indépendant.

Alors, ça peut être, comme le disait le collègue Rousseau, un conseil constitutionnel. Il existe des voies de passage permettant d'autonomiser la charte québécoise puis de s'attaquer symboliquement à l'illégitimité. C'est ce qu'on défend de la charte canadienne et son application sur le territoire québécois. Mais il n'y a pas... sinon, on va revenir à un régime déclaratoire. Si on veut que les droits et libertés vaillent plus que le papier sur lequel on les a imprimés, en fait, il faut nécessairement, et j'y reviens, on est chanceux au Québec d'avoir ça, que les gouvernements aient accepté de se lier les mains quant à l'effet de la reconnaissance de ces garanties là. Mais pour ça, pour que ça ait un effet concret, que ça ait des dents, ça implique un tiers indépendant qu'on n'est pas capable d'écarter uniquement quand ça fait notre affaire, à quelque part.

M. Morin : Et il me reste une minute?

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : 1 min 30 s.

M. Morin : Une minute. Alors, très, très rapidement. Dans son mémoire, le Pr Taillon parlait de l'intérêt supérieur de la société quand vient le temps de recourir à la dérogation. Là, on a un projet de loi avec deux articles. D'après vous, est-ce que ce serait utile que le gouvernement nous démontre pourquoi il veut utiliser à nouveau la clause dérogatoire et quels sont les éléments qu'il devrait soumettre aux parlementaires pour qu'on puisse prendre évidemment une décision en toute connaissance de cause?

M. Lampron (Louis-Philippe) :Bien, moi, je dirais que, sur la question des intérêts supérieurs, je trouverais ça pas mal plus intéressant que le gouvernement qu'on parle des intérêts supérieurs, non pas pour suspendre les droits fondamentaux, mais bien pour adopter et défendre le modèle québécois de laïcité de l'État. Alors là, là-dessus, je rejoins le collègue Taillon puis le collègue Rousseau, en fait, de dire : La loi n° 52, elle est très, très courte. Je comprends que les parlementaires n'ont pas grand chose à faire, mais qu'on doit lier, en fait, le projet de loi n° 52 avec la loi pour laquelle on adopte le projet de loi n° 52, et donc tous les débats parlementaires, tous les rapports, les motifs mis de l'avant par le gouvernement pour adopter la loi n° 21, bien, motus... J'allais parler latin, mais j'ai raté mon expression. Donc, grosso modo, ça s'applique, ça se transpose, en fait, au projet de loi n° 52. Là dessus, je ne vois pas tellement de difficultés.

M. Morin : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci beaucoup. Alors, on va terminer cette ronde d'échange avec la députée de Verdun, 4 min 8 s.

Mme Zaga Mendez : Merci, Mme la Présidente. Merci beaucoup, Pr Lampron, pour l'exposé. Tout à l'heure, vous avez dit, de garder des dérogations mur-à-mur, ça nous empêche d'avoir un débat de société. On fait l'économie, justement, de ce débat là, d'être capable de dire s'il existe une discrimination, bon, tout le principe de discrimination justifiable à des objectifs supérieurs. Est-ce que, selon vous, enlevez la dérogation à notre charte québécoise, à nous ici, nous permettrait justement d'avoir ce dialogue et voir, comme vous le dites, est-ce que la charte québécoise, en elle même, est suffisante pour, comme, contrepouvoir aux citoyens qui veulent défendre leurs droits fondamentaux?

M. Lampron (Louis-Philippe) :À mon sens, absolument. Puis je dirais aussi, malheureusement que... Parce que, je vais peut-être vous étonner, mais j'ai déjà fait une proposition d'adoption, je le rappelle dans mon mémoire, par ailleurs. La meilleure solution pour autonomiser la charte québécoise, bien, c'est de déroger... de ramener la clause omnibus du gouvernement Lévesque dans l'entièreté de la législation du Québec pour la charte canadienne. Puis ensuite, bien, les juges... J'entends bien, là, que, dans l'état actuel des relations entre la charte québécoise et la charte canadienne pour les droits qui sont coprotégés par la canadienne et la québécoise, effectivement, la jurisprudence canadienne, sauf exceptions, a tendance à faire une interprétation qui est bonnet blanc, blanc bonnet. Mais si on est sérieux, en fait, dans le désir d'autonomiser la charte québécoise et qu'on est sérieux dans le désir de définir concrètement ce qui distinguerait le modèle québécois de gestion de la diversité culturelle et religieuse, on a parlé de l'interculturalisme, ça pourrait être la convergence culturelle ou que sais-je encore, bien, il y a possibilité de couper, en fait, le lien de subordination qui existe par l'utilisation de la disposition de dérogation uniquement à la charte canadienne. Et c'est ça aussi qui distingue complètement la clause omnibus du gouvernement Lévesque de celle qui a été adoptée dans la loi de 2019. Parce que, dans les faits, Lévesque...

M. Lampron (Louis-Philippe) :...n'a dérogé qu'à la Charte canadienne, alors qu'en 2019 on a dérogé autant à la nôtre, qui a été adoptée en 1975, qu'à celle de 1982. Et c'est pour ça que ça devient une brèche au régime québécois de protection des droits fondamentaux, justement, en raison de tout ce dont on est privé comme citoyen quant aux preuves, quant aux arguments qui devraient être mis de l'avant de manière sérieuse par le gouvernement pour défendre la raisonnabilité, en fait, du modèle québécois de laïcité. Alors, je dirais que là, évidemment, on est après l'adoption de la Loi sur la laïcité puis des dérogations, alors il faudrait qu'on rétropédale, puis ça prendrait quand même certaines, à mon sens, années, là, si on veut y aller dans un modèle pluraliste, que... je persiste à croire que la société québécoise demeure une société qui est attachée au pluralisme, là, d'autonomisation de la Charte québécoise. Il y a un avant et après loi sur la laïcité de l'État, à mon sens, c'est très, très clair.

Mme Zaga Mendez : Merci. C'est superintéressant d'avoir justement une opportunité de travailler cette... aller vers l'autonomie, plus d'autonomie à notre charte.

J'ai une autre question. Tout à l'heure, je la posais à votre collègue. Le recours à la clause dérogatoire, on le fait en écartant l'application de tous les articles, dont impossibles, donc 2, 7 à 15?

M. Lampron (Louis-Philippe) :Oui.

Mme Zaga Mendez : Qu'est-ce que vous pensez de ça, de la... de déroger pour cet ensemble des articles là puis peut-être pas le faire pour les articles 7 à 14 de la Charte canadienne?

M. Lampron (Louis-Philippe) :C'est une belle question. Je dirais que, clairement, c'est une intention symbolique, en fait, qu'il y a derrière la dérogation mur à mur. Là-dessus, j'adhère à la description qui a été faite par le collègue Rousseau, là, plus tôt, en disant que l'objectif, c'est vraiment d'affirmer le fait que c'est l'Assemblée nationale qui décide. Et comme c'est l'Assemblée nationale qui décide, bien, on veut se prémunir de l'examen des tribunaux et donc on coupe, on met les tribunaux hors jeu autant qu'on peut le faire. C'est pour ça que moi, je parle vraiment d'une utilisation maximale du mécanisme de dérogation. À mon sens, ça serait beaucoup plus souhaitable, considérant l'importance de la suspension, qui est l'effet net, hein, d'une dérogation, des droits fondamentaux, là, que, si on a à s'en servir, bien, de le faire de manière absolument ciblée autant que possible. Mais je pense que l'objectif est clairement davantage symbolique, là, que... qu'opérationnel.

Mme Zaga Mendez : Je vous remercie. Il reste 10 secondes, si vous voulez ajouter quelques mots. Sinon, merci beaucoup.

M. Lampron (Louis-Philippe) :Non, je pense, j'ai déjà trop parlé, en fait. Alors, voilà, je vais... je vais me reposer. Merci.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Professeur Lampron, merci beaucoup pour votre exposé. Merci pour l'apport à nos travaux.

Alors, je suspends la commission jusqu'après les avis touchant les affaires courantes, cet après-midi. Bon dîner à tous, toutes.

(Suspension de la séance à 12 h 19)


 
 

15 h (version non révisée)

(Reprise à 15 h 22)

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission des relations avec les citoyens reprend ses travaux. Je vous rappelle le mandat, donc, nous allons poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques sur le projet de loi no 52, Loi permettant au Parlement du Québec de préserver le principe de la souveraineté parlementaire à l'égard de la Loi sur la laïcité de l'État.

Cet après-midi, nous entendrons donc les représentants des organismes suivants... suivants, pardon : Droits collectifs Québec, Me Christiane Pelchat et la Ligue des droits et libertés. Nous commençons donc avec les représentants de Droits collectifs du Québec, qui sont le Pr Daniel Trump, président...

Des voix : ...

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Turp. Oh mon Dieu! Je m'excuse. Je reprends. On coupe. Non, non, ne coupez pas.

M. Turp (Daniel) : Je n'ai en commun avec l'ancien président des États-Unis d'Amérique que les initiales.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Qui apparaît un peu trop dans l'actualité, actuellement. Donc, je reprends complètement. Donc, le professeur Daniel Turp, qui en est le président, M. Etienne-Alexis Boucher, directeur général, ainsi que Maître François Côté. Donc, bienvenue à la commission, messieurs, mes excuses à nouveau, et vous allez bénéficier d'une période de 10 minutes pour votre exposé, et, par la suite, nous allons commencer l'échange avec les parlementaires. Alors, le temps est à vous.

M. Boucher (Etienne-Alexis) : Bien, je vous remercie beaucoup, Mme la Présidente. D'ailleurs, je tiens à vous... à remercier l'ensemble des parlementaires membres de cette commission pour l'invitation que vous avez adressée à Droits Collectifs Québec afin de permettre à l'organisme de venir échanger ses vues avec vous sur... quant à l'adoption, quant à l'étude du projet de loi no 52, qui vise à renouveler les clauses de souveraineté parlementaire à l'égard de la Loi sur la laïcité du Québec. Pour Daniel et moi, c'est toujours un plaisir de revenir dans cette enceinte dans laquelle nous avons travaillé, nous avons eu le privilège d'être élus par les citoyens et citoyennes de nos circonscriptions respectives. On est bien heureux de se retrouver parmi vous à nouveau.

Je... Vous avez, Mme la Présidente, débaptisé, mais, malgré tout, présenté M. Turp, qui est président du conseil d'administration, je vous en remercie. Je suis accompagné par maître François Côté, qui est avocat et docteur en droit. Il travaille désormais à temps plein pour Droits collectifs Québec, et enfin, moi-même, Étienne-Alexis, le fondateur de l'organisme et directeur général de l'organisme.

En fait, notre mission est de permettre... je vais vous décrire brièvement l'organisme, et Daniel et François vont plus parler du contenu du mémoire qu'on vous a soumis ce matin, avec un peu de retard, je tiens à m'en excuser, en espérant que vous ayez pu peut-être, là, le lire rapidement au cours de l'heure du dîner. Donc, de la mission de l'organisme est de permettre à la nation québécoise un meilleur vivre ensemble fondé sur ses valeurs communes et ses choix de société, cela en contribuant à défendre et à promouvoir les droits collectifs du peuple québécois et de son droit fondamental à l'autodétermination. Notre approche s'inscrit dans... notre action, s'inscrit dans une approche non partisane et implique de nombreux champs d'intervention, dont la représentation politique que nous faisons aujourd'hui. Elle s'appuie aussi sur le Pacte relatif aux droits civils et politiques, dont l'article 1 porte sur le pouvoir des peuples à s'autodéterminer. Le droit à l'autodétermination des peuples est donc le droit collectif fondamental duquel découle l'ensemble des autres droits que l'on dit collectifs.

Au Québec, cette notion se retrouve, par exemple, dans le préambule de la Charte des droits et libertés de la personne, qui stipule que les droits et libertés de la personne humaine sont inséparables des droits et libertés d'autrui et du bien-être général. Je reprends d'ailleurs une définition qu'avait la Ligue des droits et libertés en 1974 pour l'enchâssement des droits collectifs dans la charte québécoise, à savoir qu'une charte des droits de l'homme au Québec, qui serait fondée sur un respect inconditionnel des droits individuels au détriment des droits collectifs constituerait, en ce domaine comme en d'autres, une base injuste, voire immorale, car il en va du droit de la vie même de la collectivité québécoise de langue française.

Je conclurais simplement cette courte portion présentation qui résume l'organisme en citant Malraux, André, un fier compagnon de Charles de Gaulle, qui dit : "L'individu s'oppose à la collectivité, mais il s'en nourrit, et l'important est bien moins de savoir ce à quoi il s'oppose, mais bien ce dont il se nourrit."

M. Côté (François) :Merci beaucoup, M. le Directeur. Chers membres de la commission, c'est un honneur que de comparaître de nouveau devant vous, cette fois-ci, pour vous parler du projet de loi no 52, qui traduit l'intention du législateur de renouveler le recours aux dispositions de souveraineté parlementaire destinées à protéger la Loi sur la laïcité de...

M. Côté (François) :...l'État d'un éventuel contrôle et d'une éventuelle remise en question devant l'appareil judiciaire canadien. Comme vous le savez, le recours aux dispositions de souveraineté parlementaire, qu'on connaît aussi sous le nom de dispositions dérogatoires ou dispositions nonobstantes, mais souveraineté parlementaire est le terme approprié, doit être renouvelé aux cinq ans. Le projet de loi n° 52 a pour objectif de faire ce renouvellement et, selon nous, il s'agit d'une action parfaitement légale et légitime. Pourquoi? Renvoyons au préambule de la Loi sur la laïcité de l'État qui, dans ses... deux de ses premiers considérants rappellent que la nation québécoise a des caractéristiques propres, dont sa tradition civiliste, des valeurs sociales distinctes et un parcours historique spécifique l'ayant amené à développer un attachement particulier à la laïcité de l'État, ainsi que, considérant qu'en vertu du principe de la souveraineté parlementaire, il revient au Parlement du Québec de déterminer selon quels principes et de quelle manière les rapports entre l'État et les religions doivent être organisés au Québec.

L'intention du législateur en 2019 était claire et elle l'est toujours aussi et maintenant. C'est au Québec, c'est à l'Assemblée nationale de déterminer par elle-même et pour le peuple québécois comment elle entend aménager l'encadrement des libertés fondamentales ici, la libre pratique de... la libre manifestation des pratiques religieuses en faisant davantage confiance à ses élus pour le respect d'une tradition juridique distincte plutôt qu'à neuf juges — en réalité, il n'en faut que cinq pour une décision majoritaire — nommés par Ottawa où le Québec est par définition minoritaire.

La tradition civiliste, notre droit civiliste, qui fonde le fondement de notre pensée juridique et de notre droit commun, qui nous est reconnu constitutionnellement depuis l'Acte de Québec de 1774, est une façon de penser, le droit distinct. Nous n'avons pas la même mentalité juridique, nous n'avons pas les mêmes prémisses, nous n'avons pas les mêmes sources, structures et méthodes que la Common law anglo-canadienne, ce qui amène à penser le droit d'une manière différente. Et lorsqu'on regarde les jugements rendus par la Cour suprême du Canada dans tant de matières de haute importance pour le Québec, il n'est pas déraisonnable de craindre que les juges de la Cour suprême risquent de méconnaître les particularités de la tradition civiliste, les particularités et le génie spécifique du droit québécois, comme c'est le cas empiriquement mesuré depuis l'adoption de la Charte des droits et libertés. Le Québec tient à affirmer sa souveraineté parlementaire et à protéger la capacité démocratique du législateur d'aménager par et pour lui-même l'équilibre entre les droits collectifs de la nation et les libertés fondamentales de la personne. C'est absolument lié à notre distinction, au principe démocratique et au droit du Québec d'être différent, si les mots «société distincte» veulent encore dire quelque chose à l'intérieur du fédéralisme canadien. Je vais céder la parole à monsieur.

M. Turp (Daniel) : Merci, M. Côté. Je suis très heureux d'être de retour dans cette salle, Louis Papineau, où j'ai passé des moments formidables. On le sait, travailler en commission parlementaire, c'est probablement le travail le plus intéressant pour les parlementaires. Alors, je suis très heureux d'être des vôtres et de représenter ici notre organisme, qu'a bien décrit Étienne-Alexis Boucher.

• (15 h 30) •

Alors, quand j'ai lu le projet de loi n° 52, j'étais très heureux. J'étais très heureux qu'on lui donne le titre que mérite un projet de loi qui vise à reconduire une clause de souveraineté parlementaire. Elle est bien nommée maintenant. Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous sommes d'accord avec notre collègue, Guillaume Rousseau, qui a porté, à notre connaissance, son mémoire sur l'idée, peut-être, que vous ajouteriez un deuxième article pour modifier l'intitulé du chapitre de la Charte des droits et libertés pour très clairement mentionner que l'article 52 est une clause de souveraineté parlementaire, de souveraineté parlementaire. Vous verrez peut-être dans le mémoire que je proposerais, mais là ce serait peut-être d'aller trop loin, et ce n'est peut-être pas dans le mandat de la commission, que cet article 52 soit d'ailleurs rendu beaucoup plus clair, parce que c'est intéressant, il contient une clause de souveraineté parlementaire, mais il contient une clause de primauté législative qui fait que les dispositions de la Charte des droits et libertés l'emportent sur d'autres dispositions, d'autres lois. Alors, je ne sais pas, notre législateur n'a pas très bien rédigé cette clause en 1975, malgré qu'il y avait des très bons législateurs à l'époque, y compris mon collègue Jacques-Yvan Morin, le regretté Jacques-Yvan Morin.

Mais je crois que c'était important de rappeler que l'exercice que vous faites aujourd'hui est un exercice... un autre exercice de souveraineté parlementaire où vous choisissez de dire que c'est l'Assemblée nationale...


 
 

15 h 30 (version non révisée)

M. Turp (Daniel) : ...qui est responsable de déterminer le régime québécois de la laïcité, et qu'il le fait tout de suite, d'abord, de façon préventive, de façon à ce qu'il ait le dernier mot. Et il a le droit au dernier mot. C'est même la Constitution du Canada qui lui donne ce dernier mot, et ils en avaient profité. Et, comme l'a dit mon collègue, je ne veux pas le rappeler, à la fin, le dernier mot, ce serait neuf juges de la Cour suprême, et peut-être seulement cinq. Et ça, ce n'est pas normal que ce soient des individus, qui ne sont pas aussi indépendants, tiers indépendants, comme on le suggérait ce matin, qui devraient déterminer et dicter le contenu de notre régime québécois de la laïcité.

Un dernier mot, parce que je veux aussi souligner ou, en tout cas, dire à quel point j'ai été peiné par le décès de notre collègue Benoît Pelletier. Vous avez peut-être lu le témoignage que j'ai fait, dans Le Devoir d'hier, à l'égard de M. Pelletier. Je le mentionne, parce que M. Pelletier voulait aussi que nous ayons une constitution québécoise, et c'est dans une constitution québécoise que devrait être enchâssé le principe de la laïcité. Il s'agit d'une valeur de notre société québécoise. Je crois qu'un jour notre Assemblée devrait être à l'origine d'un projet de constitution québécoise. Je le dis au ministre, peut-être qu'il pourra partager nos vues avec ses collègues du Conseil des ministres et le premier ministre. Merci.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci, M. Turp, merci, messieurs. Alors, on entame la deuxième partie, c'est-à-dire la discussion avec les parlementaires. On va se... Voyons... Je vais me tourner du côté du gouvernement, 16 min 30 s, pour M. le ministre.

M. Roberge : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Alors, bienvenue et rebienvenue à l'Assemblée nationale et en salle de commission parlementaire. Effectivement, quand des... les commettants me parlent du travail de député, parfois ils entendent parler de la période de questions, moi, je leur dis : Ce que je préfère le plus, c'est les périodes de caucus où on échange, puis on débat, puis on discute, et les séances de travaux en commission parlementaire, autant les consultations particulières que les périodes d'étude article par article, les commissions où on va au fond des choses.

Allons-y donc au fond des choses. D'abord, merci, pour votre présentation puis votre mémoire. J'aimerais ça revenir sur une déclaration faite ce matin par un collègue, le Pr Louis-Philippe Lampron, avec qui j'ai apprécié beaucoup, beaucoup les échanges, mais qui disait que, puis je veux vous entendre là-dessus, il disait qu'il fallait absolument protéger les groupes minoritaires de la majorité, en quelque sorte, je veux faire attention ne pas lui prêter des intentions, mais je pense que c'était le sens de son propos : protéger absolument les groupes minoritaires, même des parlementaires, lesquels représentent la majorité, puis que le rempart, là, contre... contre les... les dispositions incorrectes à l'égard de ces groupes-là, c'étaient les tribunaux. Puis il fallait, d'après lui, absolument, absolument que toutes les lois passent à travers le filtre des tribunaux, peut-être avant d'être protégées par une clause de souveraineté parlementaire ou pas, mais il fallait d'abord tester devant les tribunaux pour protéger les groupes minoritaires. Qu'est-ce que vous répondez à cet argument-là, vous qui s'appeler les droits collectifs Québec? Donc, vous êtes évidemment des défenseurs des droits. Qu'est ce que vous répondez aux gens qui diraient qu'il y a... certains droits de certains groupes minoritaires pourraient, d'une manière ou d'une autre, là, ne pas être respectés?

M. Boucher (Etienne-Alexis) : Bien, une première répondre... première réponse puis très... Je pense qu'une des grandes victoires de ceux qui sont contre l'affirmation de l'identité québécoise d'une identité distincte, une de leurs plus grandes victoires, c'est d'avoir réussi à convaincre les Québécoises et les Québécois qu'ils étaient une majorité. C'est incroyable, quand on y pense, hein. Alors que, finalement, des francophones en Amérique du Nord, il y en a à peine 8 à 9 millions. Évidemment, on associe la nation québécoise à son fait francophone, et donc les lois qui visent à protéger cette culture minoritaire qu'est celle de la nation québécoise en Amérique, eh bien, c'est des lois qui visent à protéger une minorité. Donc, c'est... Le fait de se dire : Non, non, non, c'est la tyrannie de la majorité sur la minorité parce qu'on adopterait des lois comme la Charte de langue française, c'est une victoire éminemment politique pour les adversaires de l'identité québécoise, puisque, ce faisant, ils... ils font porter le fardeau aux Québécoises et aux Québécois de la protection de leur culture minoritaire en les accusant finalement d'agir comme une majorité, ce qui n'est pas le cas. Je... je finirais là-dessus puis je prêterais la parole à Daniel pour compléter la réponse.

M. Turp (Daniel) : Écoutez, je crois que les droits collectifs...

M. Turp (Daniel) : ...et l'équilibre entre les droits collectifs et les droits de la personne. D'ailleurs, il est fait référence à cet équilibre dans le préambule du projet de la loi sur la laïcité, c'était important. D'ailleurs, c'était une des premières références aux droits collectifs dans les lois québécoises. Il y a eu ensuite le préambule de la loi 96, où il y a une nouvelle référence aux droits collectifs, ce qui... ce qui était, à mon avis, tout à fait judicieux et heureux. On a, dans notre corps législatif québécois, maintenant, une référence aux droits collectifs, bien, je crois que c'est un Parlement qui peut décider des droits collectifs.

Et regardez, ne soyons pas naïfs, là, la notion de droits collectifs, elle n'existe pas dans la Charte canadienne. Elle n'existe pas, alors donc les juges ne sont même pas capables de prendre en compte les droits collectifs, les juges de la Cour suprême, en finale, parce que la notion n'est pas là. Ils n'ont pas à faire l'équilibre droits collectifs et droits individuels, et, par conséquent, on ne peut pas se fier aux juges de la Cour suprême pour faire cet équilibre-là. Il ne faut pas leur donner le dernier mot sur cet équilibre. Et c'est des parlementaires, tu sais, qui ont une légitimité nettement plus grande que les juges, surtout quand on tient compte du processus de nomination des juges de la Cour suprême et d'autres juges, qui devraient avoir le dernier mot.

Puis, si vous me permettez, vous savez, quand on dit : Non, non, il faut les laisser juger d'abord, puis vous aurez quand même le dernier mot à la fin, là, s'ils jugent, parce que vous pouvez utiliser la clause de souveraineté parlementaire de façon réactive, mais oui, mais pourquoi nous priver de le faire au début, si on peut le faire aussi à la fin? Et c'est là où on dit, finalement, la souveraineté du peuple, c'est ici qu'elle se définit, et pas par neuf ou cinq juges d'un tribunal dont on n'a pas nommé les juges.

M. Côté (François) :Si je peux rajouter quelque chose de très rapide pour conclure. D'abord, rappelons que la loi sur la laïcité de l'État ne vise pas un groupe en particulier. Elle est universaliste, elle s'applique à l'ensemble des Québécois et elle vise à garantir à l'ensemble de la population le droit fondamental à des services publics laïques dans certaines des institutions du gouvernement. Elle s'applique à tous.

Ensuite, pour ce qui est de protéger les droits des minorités de n'importe quel segment de la société, il faut se poser la question : faites-vous plus confiance à la population, à la société ou à neuf juges nommés qui ne sont pas démocratiquement redevables devant la démocratie québécoise? Rappelons-le, les tribunaux ne sont pas des dieux, ils n'ont pas la science infuse. Et il faut garder en tête que sur certaines questions d'importance intellectuelle, épistémologique, traditionnelles au sens des traditions juridiques, les conflits de visions peuvent amener légitimement le Québec à craindre que son génie ne soit méconnu dans l'interprétation des libertés fondamentales qui serait faite par les tribunaux canadiens au nom de certains groupes qui s'en plaindraient. Et il faut voir ici, il faut garder en tête que notre tradition civiliste, notre droit québécois fonctionne avec une logique de rationalisme universel. Nos lois sont des règles de logique, elles ne sont pas des évaluations au cas par cas faites par un juge en aval d'une situation. Nous formons nos règles par des propositions logiques. Et, au travers de ces propositions logiques, on peut tout à fait dire que nous invoquons la souveraineté parlementaire, en amont, pour éviter justement que le débat ne soit capturé par une assemblée de neuf juges qui jugeraient en fonction de principes, d'une structure de sources, structures et méthodes qui ne sont pas nécessairement celles du Québec.

• (15 h 40) •

Et j'aimerais, j'aimerais qu'il ne soit ici qu'une crainte surfaite, mais j'ai réalisé ma thèse de doctorat depuis la dernière fois que j'étais ici, donc, maintenant, c'est terminé, et je peux vous le dire...

Une voix : ...

M. Côté (François) :...merci beaucoup, empiriquement, que dans... juste dans les questions de droit privé, depuis les 40 dernières années de jurisprudence de la Cour suprême du Canada... alors, normalement, les tribunaux devraient respecter à 100 % l'intégrité de la tradition civiliste... 55 % seulement, 45 % des décisions rendues par la Cour suprême ignorent la spécificité du droit civil et préfèrent juger en matière de common law, et ça, c'est uniquement... avec des principes, sources et méthodes de common law. Et ça, c'est uniquement en droit privé, alors que ça devrait être un respect intégral. Qu'on ne nous reproche pas de ne pas faire confiance aveugle aux tribunaux et de vouloir invoquer la souveraineté parlementaire pour, comme mes estimés collègues l'ont dit, avoir véritablement le dernier mot sur une question hautement démocratique pour la société québécoise.

M. Roberge : Merci pour cette triple réponse, mais c'est très bien, c'est très, très bien, je n'ai pas... Il y a une notion que je vous soumets. Évidemment qu'il faut protéger tous les groupes, il faut prendre garde à l'équilibre des droits des uns et des autres, mais...

M. Roberge : ...Il me semble qu'il faut penser aussi à une personne qui est en position de vulnérabilité. Par exemple un détenu devant un agent de la paix. L'agent de la paix incarne l'autorité de l'État. Le détenu, peut-être appartient-il à un groupe minoritaire ou pas, mais peu importe que lui appartienne ou pas un groupe minoritaire, il est en situation de vulnérabilité devant un agent de la paix qui pourrait porter un signe religieux puis peut-être projeter une image différente face à ce détenu-là. Même chose pour un élève, par exemple, de douze ans, ou de dix ans, ou de treize ans qui appartient ou pas à un groupe minoritaire, peu importe, et qui se trouve dans une situation où le pouvoir, c'est l'adulte qui l'a. Il y a même, dans la Loi sur l'instruction publique, la délégation de l'autorité parentale, à la fois à la direction d'école et à l'enseignant. Et ce jeune-là se retrouve en situation de vulnérabilité devant quelqu'un qui a le pouvoir et incarne l'autorité de l'État. Et ici, on n'est pas une question de droit collectif, de droit individuel, mais plutôt de droit à un service laïc. Mais même, je dirais, droit à une confiance, pour la personne vulnérable, que la personne en autorité sera neutre et ne posera pas un geste ou une action qui pourrait être teintée par sa croyance religieuse. Qu'est-ce que vous pensez de ce raisonnement?

M. Côté (François) :Donc, tout d'abord, pour ce qui est des personnes vulnérables, vous citez avec juste titre les enfants face aux enseignants ou aux personnes en autorité, mais effectivement, toute personne face aux représentants de l'Etat énumérés dans l'annexe II de la Loi sur la laïcité de l'État se retrouve dans un certain... dans un rapport de, je n'irais pas jusqu'à dire de dépendance, mais de vulnérabilité face à un représentant civique de l'État qui incarne l'autorité. Et à ce titre, on pourrait dire qu'il s'agit véritablement d'un droit collectif, parce qu'il s'agit d'un droit qui est accordé à l'ensemble des citoyens du Québec de se revendiquer d'un service public laïc, là où c'est prévu par la loi. Et il y a quelque chose d'absolument légitime à chercher une telle... une telle approche. Et après ça, quand vous parlez des enfants qui sont exposés à leur enseignante et qui cherchent à avoir une neutralité de l'État au travers du comportement de l'enseignante pour s'assurer qu'elle va toujours agir de manière neutre et impartiale, c'est quelque chose qui dépasse les simples actes. On parle d'une neutralité de fait et d'apparence car, ne l'oublions pas, le port d'un symbole religieux, indépendamment des actes, des gestes, des paroles, vous pourriez avoir une personne qui, de bonne foi, agit le plus neutrement du monde, mais en raison du symbolisme qu'elle arbore, et il y a des études qui ont été réalisées là dessus en Europe, le symbolisme religieux envoie un message indépendant de la volonté de son porteur que l'on ne peut pas ignorer. Et c'est sa raison d'être d'ailleurs. Alors, comment pouvez-vous justifier avoir un état qui serait religieusement neutre s'il y a un ses représentants, notamment en contexte scolaire, mais également en contexte policier, en contexte...

Une voix : Juridique.

M. Côté (François) :...contexte juridique, voilà, avec les juristes du gouvernement, comment pouvez-vous parler d'un état neutre si un de ses représentants en position d'autorité se retrouve à passivement diffuser un message d'approbation religieuse qui vient, ne l'oublions pas, les religions viennent toujours avec une conception de la vie bonne et un code normatif, qui puisse donc faire concurrence à l'État dans l'exercice de ses fonctions. Ce n'est pas cela la neutralité de l'État. La neutralité de l'État, c'est une neutralité de fait et d'apparence dans toutes les sphères qui sont visées par la loi.

M. Turp (Daniel) : Moi, j'ajouterais, on ne le cite pas souvent, là, mais un des articles les plus importants de cette Loi sur la laïcité de l'État que vous voulez protéger en reconduisant la clause de souveraineté parlementaire, c'est l'article 4, deuxième paragraphe : «La laïcité de l'État exige également que toute personne ait droit à des institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires laïques ainsi que des services publics laïcs.» Quand on laisse entendre qu'il n'y a pas de droits de cette nature, de nouveaux droits, on n'a pas lu l'article 4. Toute personne a droit à des institutions laïques. Alors, dans votre cas et dans tous les cas, de rapports entre des individus vulnérables ou non, aujourd'hui, on peut invoquer le droit à des institutions laïques, et ça, c'est tellement fondamental que l'on devrait vouloir protéger ça, parce que ça, c'est notre régime, la laïcité : des droits...

M. Turp (Daniel) : ...et c'est vrai, il y a des interdictions, mais c'est parce que notre régime québécois de la laïcité veut, par des interdictions, mais limitées, tellement limitées qu'on veut protéger le droit des institutions laïques. Il me semble qu'un régime comme celui-là devrait être vu comme étant légitime et justifié.

M. Boucher (Etienne-Alexis) : Et j'ajouterais progressiste.

M. Turp (Daniel) : Et progressiste, même, pas raciste et pas sexiste.

M. Boucher (Etienne-Alexis) : Ça, c'est clair.

M. Roberge : Il reste encore un peu de temps, Mme la Présidente?

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Oui, 2 min 38 s.

M. Roberge : Vous avez parlé... vous avez dit : Légitime. Bon, on a le pouvoir constitutionnel, en vertu de l'article 33 de la Constitution, de faire ce qu'on fait, la clause de souveraineté parlementaire, mais certains disent que, par contre, justement, ce ne serait pas légitime. J'ai même vu certains élus au gouvernement fédéral dire qu'il faudrait baliser, encadrer, parce qu'on en ferait une utilisation un petit peu trop... trop avantageuse ou trop fréquente. Qu'est-ce que vous pensez de cet argument-là? Comme quoi, c'est possible, mais ne le faites pas. Vous avez le droit, mais, si vous le faites, on va vous culpabiliser. Qu'est-ce que vous pensez de cette approche-là?

M. Côté (François) :Si vous me permettez, je pense qu'en tout respect cette approche ne me convainc pas. Tout simplement qu'il s'agit d'un exercice légitime pour deux raisons. D'abord et avant tout, c'est écrit dans la Constitution. Nous avons... l'Assemblée nationale a le pouvoir politique, tout à fait légitime, de le poser. Et deuxièmement, si vous cherchez la légitimité, que faisons-nous dans cette salle aujourd'hui? Il y a des consultations, il y a des recours à des expertises. Regardez tout ce qu'il y a eu dans le récent jugement, dans... le jugement d'appel sur la Loi sur la laïcité de l'État, il y a eu des expertises qui ont été déposées sur l'utilisation des dispositions dérogatoires. Vous tenez aujourd'hui des consultations publiques sur la question de l'utilisation des dispositions dérogatoires.

Je... qu'on me permette de ne pas du tout y voir un acte autoritaire politique. Vous êtes en train de consulter la population, vous faites appel à des experts, vous faites appel à la société civile pour vous donner cette légitimité que vous possédiez déjà. Je trouve que ce recours à la souveraineté parlementaire est un exercice qui, en soi, est entièrement légitime. Et, au travers de notre histoire, depuis les 40 dernières années, je n'ai pas trouvé un seul cas d'utilisation de la disposition dérogatoire... de la souveraineté parlementaire, pardon, au Québec qui ait été teinté d'une quelconque forme d'autorité politique illégitime. Et on s'en est servi plus de 100 fois. Alors, l'histoire, les institutions et les démarches, nous sommes... nous sommes témoins, la légitimité, elle est là.

• (15 h 50) •

M. Turp (Daniel) : Et j'ajouterais, M. le ministre, pas après réflexion, puis après, même, avoir lu puis même été associé à des amendements à la Charte des droits et libertés, à l'époque où il y avait d'autres ministres de la Justice et... Même le mot «dérogation», vous savez, le mot «dérogation», là, déroger au droit, ça ne reflète pas la réalité de ce que l'on fait, là, comme, ce que vous faites là maintenant. Pourquoi? Parce qu'en fait c'est un emprunt très, très...

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Je dois vous arrêter. Le temps imparti au gouvernement est épuisé depuis quelques secondes déjà.

M. Turp (Daniel) : Je poursuivrai la réponse en répondant...

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Alors... mais exactement, c'est ce que j'allais dire. On va poursuivre les discussions avec les parlementaires, avec le député de l'Acadie, pour une période de 12 minutes, 23 secondes.

M. Morin : Merci. Merci, Mme la Présidente. D'abord, permettez-moi de m'excuser pour mon retard. Ce n'est pas par manque d'intérêt ou manque de respect. Suite à la période de questions, j'ai eu une rencontre avec le ministre de la Justice et une victime d'actes criminels, et c'était important que cette... cette rencontre-là se tienne là. Donc, c'est ce qui explique mon retard. Je m'en excuse. Maintenant, Pr Turp, vous aviez commencé à parler de l'utilisation du mot «déroger», et, en fait, vous vous êtes arrêté par manque de temps, mais je comprends que, pour vous, la clause de souveraineté parlementaire, ce ne serait pas une dérogation au droit. Est-ce que je vous ai bien compris? Est-ce que c'est vers là que vous vous en alliez?

M. Turp (Daniel) : Écoutez, d'où vient le mot «dérogation»? D'où vient le mot «déroger»? Il vient de l'article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le traité que le Canada... a adhéré, le Québeca même... s'est déclaré lié en 1976 et il y a un article 4 dans cet... dans ce traité qui...

M. Turp (Daniel) : ...et relatifs aux pouvoirs de dérogation, de dérogation. Donc, c'est le mot qui est utilisé. Dérogation. Mais c'est des dérogations aux droits dans des périodes de dangers publics exceptionnels qui menacent l'existence de la nation. Et là, les parties à ce traité ont le droit de déroger, de suspendre les droits. Et c'est ça une clause de dérogation.

Nous, quand on a adopté la Charte des droits et libertés en 1975, on a mis le mot dérogation, là, dans l'article 52. Et en définitive, quand on y pense, ce n'est pas des dérogations au droit. Ce que l'on fait quand on utilise le pouvoir dit de déroger... de déroger ou de dérogation, ce vocabulaire qu'on... c'est que, finalement, on cherche à faire l'équilibre entre ce que nous prétendons être important, des droits collectifs et des droits individuels, et que c'est l'Assemblée nationale qui décide de cet équilibre. En fait, même si, avec mon collègue Rousseau, on peut peut-être ne pas nécessairement s'entendre sur la relation entre le devoir de neutralité et la liberté de religion, on doit parfois, selon la Cour suprême, très privilégier le devoir de neutralité sur la liberté de religion, on pourrait même aussi raisonner en termes de... Quand on utilise la clause de souveraineté parlementaire, finalement, ce que l'Assemblée fait, c'est de déterminer elle-même les limites aux droits et libertés qui sont enchâssés. C'est elle qui décide que l'interdiction de porter des signes religieux est une limite raisonnable dans une société libre et démocratique de manifester sa religion. Et c'est l'Assemblée qui détermine ces limites, et non pas les tribunaux, et décide que sur cette question des limites à la liberté de religion et de la manifester, quand on est un fonctionnaire d'État dans nos rapports d'autorité, c'est ici que ça va se décider et pas devant un tribunal.

M. Boucher (Etienne-Alexis) : Je me permettrais, je me permettrais d'ajouter, M. le député de l'Acadie, que, dans le fond, les adversaires de la loi 101 disent : Bien, on attaque des droits individuels ou des droits et libertés. Or, on l'a vu dans l'avant-midi précédent de l'audience, puis on le savait quand même depuis quelques mois, même depuis quelques années, la Loi sur la laïcité crée des droits aussi, notamment le droit pour les citoyens et les citoyennes de pouvoir bénéficier d'institutions politiques, juridiques entièrement laïques. Donc, on abroge la Loi sur la laïcité de l'État ou on la rend... elle n'est plus protégée par la clause de souveraineté parlementaire, et ça pourrait avoir un effet d'avoir un impact sur des droits, vous savez. Donc, ça pourrait être non progressiste, on pourrait dire. Et non seulement ça, mais qui plus est, c'est comme de dire qu'il y a des droits plus importants que d'autres. Pourquoi le droit... Pourquoi qu'au Canada on a décidé que la liberté de religion était plus importante que la liberté de conscience? Je n'en ai aucune idée. Et pour... pour dire ce que... Et lorsqu'on regarde les religions qui ne sont pas des, comment dire, pour certaines d'entre elles, un terreau de progressisme en matière d'égalité des sexes, par exemple, ou encore de tolérance des... des différentes orientations sexuelles que l'on peut voir, bien, pourquoi ce serait des religions qui dicteraient l'équilibre entre des droits individuels et des droits collectifs? Alors, il y a... il y a toute cette nomenclature-là qui est particulière, on pourrait dire, qui a teinté ce débat et qui a... qui fait dire à certains que la Loi sur la laïcité de l'État est discriminatoire, ce qui est... ce qui est inconcevable, tout simplement. Elle, au contraire, elle protège plusieurs droits chez les citoyens et citoyennes du Québec.

M. Morin : Merci.

M. Côté (François) :Et pour compléter avec un petit complément de réponse, si vous me le permettez.

M. Morin : Oui, bien sûr.

M. Côté (François) :Merci beaucoup. Ce n'est pas déroger, c'est affirmer différemment. Je parlais des traditions juridiques et des manières de concevoir le droit. Je vais vous sortir simplement un exemple, un seul petit exemple. Quand on parle de liberté de religion, il y a deux éléments qui en font partie, la liberté de croyance et la liberté de pratique. La liberté de croyance, c'est la liberté de croire en une foi dans son for intérieur. La liberté de pratique, c'est la manifester par des comportements sociaux. Et au travers de la tradition civiliste, on considère, à titre de théorie de droit ancrée dans le rationalisme et la volonté, que la liberté de croyance, elle est absolument souveraine. Mais la liberté de pratique, elle, il s'agit d'un choix. Un individu n'est pas prisonnier de sa religion. Un individu a son libre arbitre et il peut choisir quand et comment il exprime sa foi religieuse. Et l'aménagement de tel choix...

M. Côté (François) :...à la régulation d'un comportement social, comme l'expression «ses convictions politiques» en société. Et cette manière de voir le droit, elle n'est pas partagée de la même manière par la common law, où la manifestation de ses pratiques religieuses est fusionnée en... dans une certaine partie, avec celle des croyances religieuses. Alors, pour le civiliste, il est tout à fait légitime de dire : Vous n'exprimez pas vos convictions religieuses au travers de telle pratique, dans tel contexte, du 9 à 5 au travail, et c'est parfaitement valable. Mais, en common law, en vertu des prémisses de départ et des différences de pensée juridique, demander à une personne d'enlever ses symboles religieux de 9 à 5 est à peu près aussi odieux que de demander à une personne handicapée de... pourriez-vous arrêter d'être handicapé pendant les heures de travail et laisser votre chaise roulante au vestiaire? Ce qui fait absolument scandale, mais pourquoi? Parce que les deux modes de pensée sont différents. Est-ce qu'affirmer notre différence c'est déroger aux droits fondamentaux? Pas du tout. C'est simplement les affirmer différemment, comme nous avons tout à fait le droit de le faire au sein d'une société pluraliste comme la Fédération canadienne, qui reconnaît l'autonomie des provinces de le faire chacune et de préserver leur distinction sociale.

M. Morin : Si vous me permettez, parce que vous avez fait... Pr Turp, vous avez souligné qu'en bout de piste c'est l'Assemblée nationale qui décide, en fin de compte, de l'utilisation ou pas de la clause de dérogation. Est-ce que vous pensez qu'il est préférable de l'utiliser d'une façon prospective ou curative, étant entendu que, de toute façon, l'Assemblée nationale, en dernier, en bout de piste, aura toujours le dernier mot?

M. Turp (Daniel) : Bien, comme je l'ai dit à votre collègue tout à l'heure, pourquoi attendre? Pourquoi attendre un jugement pour avoir le dernier mot, alors qu'on peut l'avoir avant, au début? Et je crois que c'est effectivement important qu'une assemblée décide que... sur une question, d'avoir le dernier mot, quand elle le peut, quand elle le veut. Elle ne le veut pas toujours. Ce n'est pas toutes les lois québécoises qui contiennent des clauses de souveraineté parlementaire. Puis l'Assemblée a adopté des lois qu'elle était disposée à faire examiner par les tribunaux, en n'y incluant pas des clauses de souveraineté parlementaire.

Mais il y a des lois fondamentales, hein, c'est une loi fondamentale, quasi constitutionnelle, où on décide que c'est l'Assemblée, que c'est les... c'est vous, c'est 125 personnes qui représentent le peuple du Québec qui devraient, sur une question comme celle-là, avoir le dernier mot. Et, comme je l'ai dit tout à l'heure, je regrette, là, mais faire une confiance aveugle à neuf juges de la Cour suprême, qui peuvent se diviser comme ils le font fréquemment à cinq contre quatre sur des questions fondamentales, c'est donner à cinq juges, cinq juges... et il se pourrait que ce soient cinq juges du Canada anglais, le dernier mot sur notre régime québécois de la laïcité. Non, moi, je trouve que le Parlement qui choisit d'avoir le dernier mot est un Parlement qui exprime du courage.

• (16 heures) •

M. Morin : Est-ce que... Bien, en fait, comme le soulignait le Pr Lampron, je crois, ce matin, de toute façon, l'économie des recours aux tribunaux, même en utilisant la clause de dérogation d'une façon, appelons-la prospective, ne fait pas en sorte qu'il n'y aura pas de débats judiciaires. On s'est quand même ramassé avec une décision de la Cour d'appel de 300 pages, là. Donc, est-ce que ce ne serait pas préférable, dans certains cas, de demander un renvoi, par exemple, à la Cour d'appel pour éclairer le gouvernement?

Puis, une fois que la clause est utilisée cinq ans plus tard, parce qu'on disait, ce matin : Écoutez, quant aux éléments qu'il faut... qu'il faut démontrer pour justifier, par exemple, la clause, bien, il y a tous les débats qui ont été déposés dans le cadre de la... du projet de loi n° 21, par exemple, sauf que, cinq ans après, ou si la clause est reconduite 10 ans après, la société peut changer. Donc, est-ce que ce serait pertinent, selon vous, que, quand le gouvernement veut utiliser à nouveau la clause de dérogation, il n'y ait pas une explication, il n'y ait pas des preuves qui soient déposées pour aider les parlementaires à comprendre si c'est toujours pertinent ou pas?

M. Côté (François) :J'aimerais répondre à cette question, si vous me le permettez. Tout d'abord, bon, pour ce qui est de la question du renvoi, c'est une démarche parallèle que rien n'interdit au gouvernement de faire. Je ne vois… il ne s'agit pas de solutions mutuellement exclusives. Maintenant, ensuite, vous avez parlé du fait qu'on doit renouveler le recours à la disposition dérogatoire à tous les cinq ans. Est-il possible que la société ait changé au travers des cinq ans? Eh bien, c'est une possibilité, oui, et c'est justement pour ça qu'elle est renouvelable aux cinq ans dans la Charte canadienne. Et ça se retrouve à réitérer...


 
 

16 h (version non révisée)

M. Côté (François) :...de confiance envers la société civile. À tous les cinq ans, le législateur va devoir renouveler son recours à la disposition de souveraineté parlementaire. Et le fait que, durant les cinq ans, la société va changer, ça se retrouve à valider cet exercice.

Et également, très rapidement, je vois qu'on me fait signe pour le temps, un autre intérêt de l'utilisation des dispositions dérogatoires de manière prospective plutôt que curative est au niveau de l'effectivité des lois. Vous regardez actuellement la Loi sur la laïcité de l'État, elle a été contestée depuis, essentiellement, le jour un de son adoption. Mais, avec un recours à la souveraineté parlementaire, espérons que les recours ne seront pas aussi vivement contestés. J'estime que l'affaire en cours va finir par établir un précédent solide. Il était supposé en avoir un depuis Ford, mais cette loi aurait été suspendue et sans effet et cinq ans se serait écoulé sans qu'on puisse répondre au problème social.

Le recours à la souveraineté parlementaire permet de dire : Écoutez, il s'agit d'une question à ce point importante pour la société qu'on ne peut pas mettre le progrès social en pause pendant cinq, 10, plusieurs années encore, le temps que les tribunaux se prononcent là-dessus.

Et quant à l'idée de devoir renouveler la disposition de souveraineté parlementaire, ma foi, une déclaration serait suffisante. Mais s'il faut la renouveler à cinq ans, 10 ans, 15 ans, 20 ans, 25 ans, et ainsi de suite, je n'ai aucun problème avec ça.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci beaucoup. Merci. Alors, on termine l'échange avec la députée de Verdun pour une période de 4 min 8 s.

Mme Zaga Mendez : Merci. Merci beaucoup. Mme la Présidente. Merci, MM. Turp, Côté et Boucher, pour votre présentation puis pour l'échange. Alors, moi, j'ai deux... bien, plutôt une question puis, peut-être, je pensais avoir un peu plus de précisions. Vous dites depuis tout à l'heure : Il faut bien avoir un équilibre sur, entre autres, nos droits collectifs et l'exercice... et le respect des droits individuels. Je fais référence, depuis le début des échanges que vous avez assistés, à notre charte québécoise. Est-ce que la charte québécoise serait cet outil qu'on pourrait donner pour avoir un équilibre et tout en ayant un caractère autonomiste du Québec entre les droits collectifs et le respect des droits individuels?

M. Turp (Daniel) : Bien, écoutez, la charte québécoise, là, son interprétation a été alignée sur celle de la charte canadienne. Les juges de la Cour suprême, à la fin, là, que ce soit la liberté d'expression dans la charte canadienne ou la charte québécoise, ça finit par être la même chose : ils acceptent ou non des limites raisonnables ou non.

Alors, tu sais, moi, j'aimerais bien que ce soit juste la charte québécoise qui régisse ces questions-là puis qui sont... on soit exemptés de l'application de la charte canadienne, mais c'est impossible. Même si on le faisait, les juges qui détermineraient enfin, à la fin, quelles sont les limites raisonnables ou non, si c'est invalide, inopérant, c'est des juges qui interprètent la charte québécoise comme la charte canadienne. Et là on l'avait dit dès que la charte canadienne avait été adoptée en 1982 que c'est ça qui se produirait. Et c'est ce qui s'est produit.

Et dans la charte canadienne, il y a une disposition d'interprétation qui dit qu'au Canada l'importance qui doit être accordée au patrimoine culturel, multiculturel, donc au multiculturalisme est déterminante. Et l'interprétation de notre charte québécoise, elle serait déterminée aussi par cette importance du patrimoine culturel qui me semble assez incompatible quand on... elle a été interprétée par la Cour suprême avec notre notion et notre régime québécois de la laïcité.

Mme Zaga Mendez : Merci. Tout à l'heure, vous avez insisté aussi, dans l'échange, sur cette importance pour les élus de l'Assemblée nationale d'avoir le dernier mot en ce qui concerne l'application puis... des droits collectifs, mais dans tout ça, moi, je me demande, avec l'utilisation des clauses dérogatoires, puis surtout la clause dérogatoire dans notre charte québécoise, n'est-ce pas plutôt d'avoir... de donner aux élus québécois le seul mot?

M. Turp (Daniel) : Bien, écoutez, les élus québécois sont réélus tous les cinq ans.

Une voix : ...

M. Turp (Daniel) : Ou quatre. Et donc, quelque part, on peut les remplacer par d'autres si on n'est pas très heureux des décisions qu'ils ont prises. D'ailleurs, c'est pour ça qu'on justifie la... la clause des cinq années, là.

Vous savez, quand on y pense, est-ce que c'est même vraiment nécessaire une clause de renouvellement aux cinq ans? Est-ce que c'est... Mon collègue semble être d'accord, là. Il n'y en a pas dans la charte québécoise, il n'y en a pas d'article 52 dans notre charte québécoise.

Puis vous êtes élus à tous les cinq ans, puis si on voulait sanctionner un gouvernement qui aurait abusé de sa possibilité de limiter des droits, on peut ne pas l'élire. Alors, même à ça, ça paraît comme une exigence qui n'est pas raisonnable même d'obliger le renouvellement tous les cinq ans, quand un Parlement a décidé que...

M. Turp (Daniel) : ...c'est lui qui déterminait quel est le régime et quelles sont les limites à certaines grandes libertés fondamentales, comme notamment dans notre cas, la liberté de manifester sa religion en portant des signes religieux.

Mme Zaga Mendez : Et rapidement, juste, ça va dans le même sens...

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Il reste 15 secondes.

Mme Zaga Mendez : Ah bon! Finalement, je ne pourrai pas poser ma question. Mais je vous remercie pour votre présentation et vos réponses.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci beaucoup, messieurs, pour votre apport à nos travaux. Je vous souhaite un bon retour. Et je vais suspendre quelques instants, le temps de recevoir la prochaine personne. Merci.

(Suspension de la séance à 16 h 08)

(Reprise à 16 h 10)

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Alors, à l'ordre s'il vous plaît! La Commission des relations avec les citoyens reprend ses travaux. Nous recevons donc Me Christiane Pelchat. Bienvenue, Mme... Me Pelchat, à la Commission des relations avec les citoyens. Vous allez avoir une période de 10 minutes pour votre exposé et, par la suite, nous allons échanger avec les parlementaires. Alors, votre chronomètre commence maintenant. Allez-y.

Mme Pelchat (Christiane) : Merci beaucoup, Mmes les députées, MM. les députés, M. le ministre, et néanmoins député, ça me fait plaisir d'être avec vous aujourd'hui. Je vous parle du Sénégal puisque je suis en ce moment en mission pour les élections au Sénégal. Alors, me voilà. J'ai accepté de venir témoigner de l'importance de la clause dérogatoire et maintenant ce qu'on peut appeler la clause souveraineté... de la souveraineté parlementaire. Vraiment, Benoît Pelletier le faisait de manière éloquente. Maintenant, la Cour d'appel est venue parler, elle aussi, de clause de... de la souveraineté parlementaire. Alors, c'est en... ça ne fait encore plus plaisir de parler de la souveraineté parlementaire. Moi aussi, je voudrais rendre hommage à Benoît Pelletier, qui était un ami et qui m'a beaucoup, beaucoup inspiré dans ma carrière, et même aussi comme juriste et comme collègue dans la défense de la loi no 21. Benoît Pelletier a été un des experts mandatés par le gouvernement pour expliquer particulièrement comment la loi était... ne contrevenait pas au fédéralisme canadien. Il l'a fait d'une... avec une éloquence qu'on n'a pas vue beaucoup dans les tribunaux. Alors, je souligne, moi aussi, la mémoire de mon ami Benoît Pelletier.

Alors, vous me permettrez de vous rappeler rapidement que j'ai été députée à l'Assemblée nationale de 1985 à 1994...

Mme Pelchat (Christiane) : ...Pourquoi je le rappelle? C'est parce que j'étais députée en 1988, députée libérale, donc, avec M. Robert Bourassa, j'étais députée libérale à la suite de l'arrêt Ford. Alors, j'ai voté, moi aussi, sur la clause dérogatoire de souveraineté parlementaire à ce moment-là. Et ça a été un moment très important pour moi, et je peux vous en parler. Mais c'est important de le dire.

L'autre élément. J'ai été présidente du Conseil du statut de la femme pendant cinq ans, c'est un privilège extraordinaire de génie, qui concordait avec la période des accommodements raisonnables. Et on a vu au conseil, à ce moment-là, combien il était facile de brader le droit des femmes à l'égalité au profit de la liberté de religion. Alors, j'ai moi même, avec... Sous les conseils spéciaux de Henri Brun, qui était notre juriste-conseil, et la belle plume de Caroline Beauchamp, nous avons élaboré trois avis sur l'égalité des sexes et la liberté de religion, et nous en sommes venus à des recommandations, dont celle de l'adoption d'une loi et dont celle de la modification de la Charte québécoise, et nous avions recommandé au gouvernement, à ce moment-là, d'interdire tous les signes religieux ostentatoires pour tous les fonctionnaires, non seulement pour une partie des fonctionnaires. On avait recommandé aussi, bien sûr, la gestion des accommodements raisonnables. Et j'entendais... j'ai eu le plaisir d'écouter tout à l'heure Louis-Philippe Lampron, que j'aime beaucoup, Louis-Philippe, on a eu beaucoup d'échanges, je l'entendais vous dire que, dans le fond, le régime, on a déjà la neutralité religieuse, vous avez tort, on n'avait pas besoin d'une loi. Ce n'est pas tout à fait exact, hein? Ce que la Cour suprême nous a dit dans l'affaire du Saguenay, c'est que c'est... La laïcité au Québec et la neutralité religieuse, c'est une laïcité de fait, ce n'était pas une laïcité de droit. Et la Cour suprême nous l'a dit et elle l'a répété : Il n'y a pas de balise pour guider l'application de la laïcité et encore plus les balises de l'accommodement raisonnable. Parce que ce qu'on oublie de la loi 21, c'est qu'elle incorpore les balises de la loi 62 comme pour gérer les accommodements raisonnables. Donc... Et nous, au Conseil du statut de la femme, à ce moment-là, nous étions outrés de la facilité, comme je vous dis, avec laquelle on bradait l'égalité des femmes pour le droit à la liberté de religion. Alors, on a dit : Il ne peut y avoir... Un accommodement ne peut être raisonnable s'il porte atteinte aux droits, à la liberté, à l'égalité des sexes. Ce n'est pas un droit qui... Ce n'est pas raisonnable de donner cet accommodement.

Nous croyons... Je crois, encore aujourd'hui, que l'affirmation de la laïcité est plus importante que ce que notre droit de fait disait, c'est-à-dire qu'il a constaté dans les faits qu'il y avait une neutralité religieuse d'État. Et qu'est-ce que la cour nous a dit dans cette constatation de fait qu'il y a une neutralité religieuse? Elle nous a dit que la neutralité religieuse de l'État faisait partie de la liberté de religion et que la liberté de religion sans neutralité religieuse de l'État ne pouvait exister, mais aussi, elle a rappelé dans Saguenay contre... MLQ contre Saguenay que la liberté de conscience fait partie de la liberté de religion.

Alors, ici, les gens qui s'offusquent de la souveraineté parlementaire, on a l'impression qu'ils en ont que pour les droits à la liberté de religion et que pour les droits à l'égalité des femmes... bien, ça, écoutez, il faut... il faut le marteler souvent parce que le droit à l'égalité des femmes, encore aujourd'hui, et même en 2023, on a facilement bradé le droit à l'égalité des femmes. Mais le droit à la liberté de conscience, le droit à la liberté de croire et ne pas croire, ça fait aussi partie de la liberté de religion. Alors, quand on affirme, donc, dans la loi : La laïcité de l'État, c'est plus que la neutralité religieuse de l'État, la laïcité des institutions, ça, ce n'est pas dans le droit actuel, on vient de dire que la laïcité est assise... elle est inspirée...

Mme Pelchat (Christiane) : ...et par l'égalité entre les femmes et les hommes, ce qui vient donner une balise encore plus importante depuis la modification à la charte québécoise en 2010, d'y inclure l'égalité comme principe pour interpréter la charte québécoise, l'égalité entre les femmes et les hommes. Donc, non seulement, contrairement à ce que dit mon ami Pr Lampron, la loi comble un vide législatif sur le devoir de neutralité religieuse de l'État, elle vient donner des droits additionnels. Elle vient donner des droits additionnels comme l'a dit... je dois... je dois dévoiler que Guillaume Rousseau, c'est mon... c'est mon professeur. Je suis en train de faire ma maîtrise sur le droit à l'égalité. Alors, je l'ai écouté. Puis, quand il dit que la loi donne des droits additionnels, donc, en consacrant le droit aux services publics dans... par des fonctionnaires neutres, je pense que ça, c'est un droit additionnel qu'elle donne, la... la loi protège, donne le droit, je dirais, une... je n'ai pas le droit de dire ça, parce que les chartistes vont me taper sur les droits, mais quand... sur les lois, mais protège le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes, c'est aussi très important. Le fait de ne pas être discriminé du seul fait d'être une femme.

Elle protège aussi, la loi, la liberté de conscience des enfants en ce qui a trait aux enseignants, ça aussi, c'est important. C'est une clientèle qu'on oublie, mais c'est aussi... les enfants, je pense que c'est fondamental de prendre en compte leurs... leurs intérêts. Alors, je pense que ça, c'est un élément que je voulais mentionner.

Il n'y a... il n'y a rien, et ça, c'est Robert Bourassa qui me l'a enseigné, il n'y a rien d'odieux à protéger le droit collectif du Québec de définir... et le droit, je dirais, le droit des parlementaires de légiférer. Il n'y a absolument rien d'odieux. Et c'est ce que fait la clause dérogatoire. Et, quand on dit qu'on protège le droit des femmes par la loi 21, entre autres, on dit aussi que... Il ne faut pas oublier que la loi, elle s'étend à toutes les institutions. La laïcité s'étend. Les signes religieux, c'est une petite partie des fonctionnaires qui n'auront pas le droit à porter cet... les signes religieux ostentatoires. La majorité des autres fonctionnaires pourront porter des signes ostentatoires. On a... on oublie ça. Et ça, personnellement, je suis obligée de vous dire que je suis contre cette discrimination pour les fonctionnaires, puisque j'ai recommandé, particulièrement dans le dernier avis que j'ai signé en 2011, que tous les fonctionnaires de l'État ne soient pas autorisés à porter les signes religieux ostentatoires...

• (16 h 20) •

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : En terminant.

Mme Pelchat (Christiane) : ...pour maintenir et pour respecter la neutralité religieuse de l'État. Alors, voilà, bien, je ne veux pas aller plus loin, sauf que vous dire que la souveraineté parlementaire que Benoît Pelletier a défendue, elle est protégée par la loi 21, et c'est aux députés de décider et non pas aux juges. Merci.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci beaucoup, Maître Pelchat. C'est un petit clin d'œil à la petite phrase consacrée, «en terminant», vous la connaissez celle-là.

Mme Pelchat (Christiane) : ...

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Alors, on est rendus à l'échange avec les parlementaires. On commence par le gouvernement, avec le ministre, 16 minutes, 30 secondes.

M. Roberge : Merci, Mme la Présidente. Merci beaucoup, Mme Pelchat, d'avoir trouvé du temps, de la disponibilité comme ça, à partir de l'autre bout du monde, alors que vous faites quelque chose d'extrêmement important pour la démocratie là-bas aussi, on est très fiers d'avoir... de vous avoir comme Québécoise, à travailler comme ça pour permettre que la démocratie prenne sa place et garde sa place partout ailleurs. Donc, je vous remercie.

C'est amusant de voir que, pour une deuxième présentation de suite, vous êtes la troisième ex-parlementaire. Donc il y a une vie après la vie parlementaire, donc ça donne espoir, c'est très bien, et... et vous avez toute une carrière depuis, d'ailleurs, effectivement, vous avez tout un... tout un parcours depuis votre vie de parlementaire. Vous avez parlé, mentionné, évoqué, à quelques reprises, dans votre présentation, les droits des femmes. Or, je me souviens très bien, lors de la question, justement, des accommodements raisonnables, puis peut-être même, a fortiori, pendant les débats...

M. Roberge : ...importants, normaux et sains pendant les débats où on préparait la loi n° 21. C'était mon collègue, on ne l'a même pas nommé depuis le début de la journée, c'est Simon Jolin-Barrette. Je pense qu'il faut quand même le nommer puis le remercier pour sa contribution historique dans le débat, quand même.

Mme Pelchat (Christiane) : Absolument. Je suis d'accord.

M. Roberge : Pendant tout ce temps-là, il y a des gens qui disaient : Oui, mais, attention, là, si vous faites la laïcité de l'État, attention aux droits des femmes. Or, vous avez présidé, pendant plus de cinq ans, le Conseil du statut de la femme et vous venez nous dire que la laïcité ne vient pas heurter les droits des femmes. Pouvez-vous expliquer, préciser, argumenter pour... préciser pourquoi, d'après vous, on peut tout à fait réconcilier laïcité de l'État, et respect du droit des femmes, et peut-être, même, émancipation du droit des femmes?

Mme Pelchat (Christiane) : En fait, je dirais que la laïcité, telle qu'elle est introduite dans la loi n° 21 et protégée à l'article 9.1 de la charte québécoise, est un préalable à l'égalité entre les femmes et les hommes. Pourquoi? Parce que, trop souvent, on oppose... Et c'est ça qui est arrivé dans la période des accommodements raisonnables, et la... tout le monde a dit : Oui, mais le problème avec les accommodements raisonnables, c'est qu'il y a aucun guide, il n'y a pas de guide, il n'y a pas de balises, on peut faire ça n'importe comment. Et c'est pour ça qu'on avait proposé le projet de loi n° 94, qui a inspiré une partie du projet de loi n° 21. Alors, si on voit qu'il y a une bataille entre la liberté de religion et l'égalité entre les femmes, rapidement, les fonctionnaires ont rapidement donné une préséance au droit à la liberté de religion.

Je vous donne l'exemple de la Société d'assurance automobile. Qu'est-ce qui est arrivé quand un monsieur de confession juive a dit : Moi, je ne peux pas passer mon examen de conduite avec cette femme-là parce que... avec l'examinatrice, qui est une femme, parce que ma religion m'interdit d'être avec une femme dans un cubicule fermé. Pas de problème, monsieur, pas de problème. Madame, si vous voulez bien vous tasser, vous, agente de service de l'État, on va faire servir le monsieur par un homme, hein? Ça, ça nous a jetées à terre, là, au Conseil du statut de la femme.

La même chose lorsque la demande a été faite, au YMCA de Montréal, de givrer les vitres, parce qu'on ne pouvait supporter de voir... Certaines personnes de la communauté... d'une confession ont eu du mal à supporter la vue de femmes en petite tenue, en shorts, hein... ce n'étaient pas des maillots de bain, c'étaient des shorts... parce que ça portait atteinte à leur liberté de religion. Tout de suite, pas de problème, on givre ça, ces vitres-là, les madames ont... Pourquoi? Bien, alors, parce qu'on a fait... on a donné préséance à la liberté de religion, même si, moi, je pourrais défendre que c'est... ça ne relève pas de la liberté de religion. Mais, un, il n'y avait pas de guide pour les accommodements raisonnables avant la loi n° 62, maintenant, intégrée à la loi n° 21, et, deux, on donne la préséance parce que l'égalité entre les femmes et les hommes, l'égalité des femmes, ce n'est pas important, alors. Et, je m'excuse de dire ça, mais dans mes recherches, comme chercheuse en droit, je peux vous dire que j'ai découvert que c'est seulement en 2018 que la Cour suprême a reconnu une atteinte au droit à l'égalité des sexes et a donné réparation, 2018, et l'article 15 est adopté depuis... est en vigueur depuis 1985.

Alors donc, pour nous, il ne peut pas y avoir de conflit entre la liberté de religion et l'égalité entre les sexes. S'il y en a, il va falloir que la laïcité, dans une loi, dise : On ne peut pas déroger au droit à l'égalité entre les femmes et les hommes. Et c'est la base de la démocratie, la laïcité, et c'est la base de l'égalité entre les sexes. Sinon, on va toujours faire primer la liberté de religion.

M. Roberge : Je vous remercie. Donc, je comprends que vous êtes en... d'accord avec les principes de la loi actuelle sur la laïcité, vous êtes d'accord pour l'utilisation de la clause dérogatoire ou, disons, mieux encore, la clause de souveraineté parlementaire. L'autre question, c'est : Qu'en est-il de votre opinion par rapport à l'utilisation préventive? Donc, devrait-on laisser les gens contester la loi, la traîner devant les tribunaux, l'amener jusqu'à la Cour suprême, attendre qu'elle soit peut-être invalidée avant d'avoir... de dire : Ah! tut-tut-tut... et puis, finalement, les parlementaires ont le dernier mot, ou devrions-nous plutôt agir en amont, comme nous le faisons en ce moment, et pourquoi?

Mme Pelchat (Christiane) : Écoutez, là, ça, là, c'est une espèce de...

Mme Pelchat (Christiane) : ...lubie, là. Je ne sais pas qui a inventé le mot «préventif», là. La clause de souveraineté parlementaire, c'est une clause de souveraineté parlementaire, point à la ligne.

La Cour suprême, dans l'arrêt Ford, qu'est-ce qu'elle nous a dit en 1988? Elle a dit... Et là j'ai relu le beau discours de mon collègue Gilles Rémillard à ce moment-là, elle a dit la Cour suprême : Bien. Vous avez été gentil avec la loi 101. Vous avez utilisé la clause dérogatoire pour la Charte canadienne. Alors donc la... la loi 101 est à l'abri de la Charte canadienne, mais vous avez omis d'utiliser la clause dérogatoire pour la Charte québécoise. Alors, la... la... la Cour suprême nous a tapé sur les droits... sur les doigts parce qu'on ne l'a pas utilisée préventivement.

Une clause de souveraineté parlementaire, ce que ça fait, comme l'a dit Benoît Pelletier dans un article extraordinaire dans Le Devoir, c'est une clause qui permet aux parlementaires, aux législateurs élus d'exprimer le souhait de... bien, oui, de la majorité. Imaginez-vous donc que c'est... le gouvernement est élu par la majorité, et c'est le gouvernement, c'est les députés majoritaires qui... qui... qui... qui dirigent le Québec. C'est ça la démocratie, alors moi, je ne peux pas...

Alors, l'histoire de «préventif», c'est un nouveau débat, ça vient de naître, ça. On utilise la clause... puis Guillaume vous l'a bien expliqué. La clause de souveraineté parlementaire, c'est pour protéger souvent des valeurs collectives, mais ici, c'est aussi des droits individuels que la souveraineté parlementaire protège. Et on ne pourrait pas... Si on dit que l'État est représenté par ses fonctionnaires, et que certains fonctionnaires doivent montrer non seulement une apparence de neutralité, c'est-à-dire une neutralité dans les faits, mais aussi une apparence de neutralité, alors ils ne peuvent porter de signes religieux et qu'en même temps on accorde le droit... la clause grand-père à... aux personnes qui portent des signes religieux, on fait une discrimination encore une fois entre des catégories de personnes, puis, en plus, on dit que la majorité des fonctionnaires peuvent porter des signes religieux.

Alors, on a différentes catégories de personnes, alors ça prend la clause de souveraineté parlementaire, de dérogation, pour permettre aux droits... aux personnes qui portaient des signes religieux avant la mise en vigueur de la loi 21 de poursuivre le port des signes religieux, et des personnes qui ne sont pas visées par les articles sur l'interdiction des signes religieux de porter des signes religieux.

• (16 h 30) •

Alors, c'est... c'est... c'est pour ça qu'il faut l'utiliser, et c'est les parlementaires qui... qui affirment le... ce droit-là. Et Benoit Pelletier disait : «...l'on ne doit pas laisser aux juges, si bien intentionnés, sages et philosophes qu'ils puissent être, le soin de décider d'un projet de société pour l'ensemble du Québec, enraciné dans le principe de démocratie. Dans la mesure où la laïcité est exprimée par l'État québécois dans la sphère qui relève de celui-ci, les tribunaux devraient déférer aux choix faits par les Québécois et les Québécoises pour la neutralité de l'appareil étatique.» Ce sont... Et l'arrêt Andrew, M. le ministre, l'arrêt Andrew, que... Je ne peux pas vous le citer, mais l'arrêt Andrew... L'arrêt Edward Books, on dit que, d'autre part... on dit qu'ayant reconnu l'importance de l'objectif du législateur en l'espèce, on se doit dans le présent contexte de reconnaître que, si l'objectif du législateur doit être atteint, il ne pourra l'être au détriment de certains, hein? En outre, toute tentative de protéger les droits d'un groupe grèvera inévitablement les droits d'autres groupes. Il n'y a pas de scénario parfait qui puisse permettre de protéger également les droits de tous. Ça, c'est la Cour suprême dans Edward Books qui nous dit ça.

Alors, des distinctions... Et pour protéger les droits des différents groupes, on a besoin de la clause dérogatoire autant dans la Charte québécoise que dans la Charte canadienne.

M. Roberge : Il me reste combien de temps, Mme la Présidente?

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Il reste encore... 48 secondes.

M. Roberge : Excellent. Vous nous avez parlé des... des droits collectifs. Certaines personnes ont dit aussi qu'on créait de nouveaux droits plutôt que de penser qu'on primait des droits. En réalité, la laïcité, la Loi sur la laïcité créait un droit, un droit de recevoir un service laïc. Mais vous avez aussi mentionné, c'est bon, les droits individuels : Ah! le débat parfois...


 
 

16 h 30 (version non révisée)

M. Roberge : ...sur la laïcité a été posé comme étant un débat où on opposait des droits collectifs à des droits individuels. Pouvez-vous nous expliquer en quoi la loi sur la laïcité vient, d'une certaine manière, protéger ou conférer des droits individuels?

Mme Pelchat (Christiane) : En fait, le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes est à la fois un droit individuel, à la fois un droit collectif, donc il est protégé par la déclaration, l'affirmation de la laïcité et de la neutralité. Donc, c'est autant comme femme individuellement que je suis protégée contre des accommodements raisonnables, par exemple, dans mon institution scolaire, ou dans... Par exemple, si un enseignant... c'est-à-dire un parent voulait ne pas recevoir... que ses enfants reçoivent l'enseignement par une femme, parce que, dans leur religion, une femme ne représente pas l'autorité, bien, on dirait que cet accommodement raisonnable est discriminatoire parce qu'il porte atteinte au droit à l'égalité des femmes en général, mais aussi à mon droit comme enseignante, par exemple, à... au droit à l'égalité des sexes, de ne pas être discriminée juste du fait que je sois une femme.

L'autre élément, c'est... encore une fois, c'est la liberté de religion. Le droit à la liberté de religion, je rappelais qu'il y a trois composantes, qui a été... qui ont été décrites par la Cour suprême du Canada, est aussi protégé à titre collectif, mais aussi à titre individuel. Saguenay, par exemple, la Cour suprême, dans Saguenay contre MLQ, elle a dit : le droit de M.... j'ai oublié son nom, je pense, c'est Pinsonneau, Boissonneau, en tout cas, j'imagine qu'un de mes collègues, là, est dans la... dans la salle, qui pourra le rappeler, d'être obligé de dénoncer ou de déclarer sa foi ou pas, est atteint. Alors, la loi sur la laïcité vient protéger le droit à la liberté de conscience de ce M.-là comme individu, mais aussi le droit à la liberté de conscience de tous les individus.

Alors c'est un... c'est... c'est... Puis, en plus, c'est la même chose pour l'article qui protège le droit des services laïques et neutres, parce que pour moi il y a une distinction, donc c'est comme individu récipiendaire des services de l'État, mais aussi c'est pour tous les éventuels serviteurs de l'État ou les... plutôt les gens qui viennent consommer des services de l'État.

M. Roberge : Exactement, autant les personnes qui reçoivent aussi les services.

Mme Pelchat (Christiane) : C'est ça.

M. Roberge : Je pense, c'est M. Rousseau qui l'a mentionné avant, mais je peux me tromper, qui nous disait que les mesures de souveraineté parlementaire étaient souvent utilisées dans le cas de défense de l'identité québécoise ou alors de progrès social. Avec...

Mme Pelchat (Christiane) : C'est ce que Benoît Pelletier disait aussi.

M. Roberge : Oui, effectivement. Avec la loi sur la laïcité, est-ce que vous pensez qu'on touche davantage un, l'identité, davantage l'autre, le progrès social, ou vous pensez qu'on fait avancer les deux à la fois?

Mme Pelchat (Christiane) : Bien, moi, je pense que le... l'identité québécoise et la protection de l'identité québécoise. Puis je vais vous dire comment. Dans un... Le premier arrêt qu'on a fait sur la... le conflit de droits entre la liberté de religion et l'égalité des sexes, j'ai rappelé, depuis 1960, tous les premiers ministres du Québec ont dit qu'il y avait trois valeurs fondamentales au Québec, et c'étaient évidemment la neutralité religieuse de l'État, la protection du fait français et l'égalité entre les femmes et les hommes. Et ça, quand... Et ça, c'est les parties intégrantes de l'identité québécoise. Et l'interculturalisme, qui synthétise l'identité québécoise, fait avancer le progrès, la justice sociale. Je pense que, pour moi, c'est clair.

M. Roberge : Vous mentionnez le terme «interculturalisme», que quelqu'un précédemment a mentionné, le mot «convergence culturelle», mais est-ce qu'on peut dire que tout ça est difficilement conciliable avec un multiculturalisme? Est-ce que la laïcité s'accommode bien du multiculturalisme ou est-ce que ce n'est pas un peu antinomique?

Mme Pelchat (Christiane) : Non. Oui, c'est certainement antinomique, mais absolument. Le problème avec le multiculturalisme, c'est aussi souvent la façon dont il est... il est appliqué. Mais le multiculturalisme est une grande menace au droit à l'égalité entre les sexes. Et c'est pour ça que...

Mme Pelchat (Christiane) : ...Et ça, c'est le sujet de ma recherche depuis deux ans, entre autres, en plus du... de l'égalité réelle et l'égalité formelle, mais les féministes de 1982 ont demandé au gouvernement de M. Trudeau d'adopter l'article 28 dans la Charte canadienne pour s'assurer que les droits qui... qui sont dans cette charte soient accordés également aux femmes et aux hommes, particulièrement quand ils ont vu l'introduction de l'article 27 du multiculturalisme, de l'article 27 qui protège le multiculturalisme. Pourquoi?

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Me Pelchat, je dois malheureusement vous arrêter dans votre envolée. Le temps pour le gouvernement est terminé.

On va poursuivre cette discussion avec le député d'Acadie, représentant de l'opposition officielle, qui bénéficie de 12 minutes 23 secondes.

M. Morin : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Me Pelchat. Merci... Merci de vous rendre disponible. C'est quand même pratique, la technologie. La distance nous sépare, mais... mais vous êtes... vous êtes avec nous. Bien... Et merci également pour le travail que vous faites présentement. Vous avez mentionné un peu plus tôt que, pour vous, la laïcité de l'État, c'était plus que la neutralité de l'État, et... Est-ce que vous pouvez développer davantage sur la façon dont vous voyez ces deux concepts?

Mme Pelchat (Christiane) : Écoutez, je... je... je vais vous dire... Et là je ne veux pas faire de l'autopromotion, M. le député, mon cher confrère, mais dans le dernier avis que le conseil, sous ma gouverne, a... a déposé, qui s'appelle Affirmer la laïcité, un autre pas vers l'égalité entre les sexes, qui est encore, ma foi, tout à fait d'actualité, on fait bien la distinction entre les deux. La laïcité, c'est un mode de gestion de... du vivre ensemble, disons. C'est vraiment... Alors, si je parle des accommodements raisonnables, c'est un mode de gestion des accommodements raisonnables. C'est un mode de gestion de... de l'affirmation de la neutralité religieuse de l'État dans les institutions publiques, par exemple. C'est un... C'est une... Et on le définissait justement comme un mode de gestion.

Donc, ces deux éléments... La neutralité religieuse de l'État, c'est un élément du mode de gestion du vivre ensemble et de l'affirmation de... de la séparation, entre autres, du... du... du... de la religion et de l'État. Alors, en gros, c'est ça, mais je vous référerais... Je n'ai pas la définition, mais si on fait une recherche au Conseil du statut de la femme, définition de la laïcité, vous allez voir, c'est très clair et il y a une distinction qui est... encore une fois. Et la neutralité religieuse de l'État est l'une des raisons pourquoi il fallait avoir une loi. Souvenez-vous, M. le député, que notre Constitution commence par la reconnaissance de la suprématie de Dieu. ...dire que les féministes de... anglophones, parce que le Québec, on n'a pas participé à aucun des débats sur la Charte, ont été très insécurisées par cette suprématie de Dieu.

• (16 h 40) •

Donc, affirmer la laïcité et affirmer qu'elle doit s'exercer et s'appliquer en fonction de principes spécifiques, c'est d'affirmer que la neutralité religieuse et l'État fait partie de cette organisation-là. C'est... Donc, la neutralité religieuse de l'État en droit fait partie de la laïcité.

M. Morin : Parfait. Je vous... Je vous remercie. Vous avez souligné également que vous, vous iriez plus loin, si je vous ai bien compris, pour le... en fait la possibilité pour les fonctionnaires de porter des signes religieux. Donc, vous voyez, avec la loi actuelle même une discrimination à ce... ou, en fait, des catégories de fonctionnaires dans cette... dans la loi actuelle.

Mme Pelchat (Christiane) : ...absolument. Bien, écoutez, toute loi... Et là je vais vous citer le juge McIntyre dans l'arrêt Andrew. J'imagine que ça va vous rappeler des années de pratique. Qu'est-ce que dit le juge McIntyre dans l'arrêt Andrew? Il prend même la peine... Il dit :  Il faut cependant reconnaître que le Parlement et les législatures ont le pouvoir et le devoir d'adopter des lois pour l'ensemble de la collectivité. Ce faisant, ils doivent établir d'innombrables distinctions... d'innombrables...

Mme Pelchat (Christiane) : ...distinction, et catégorisations législatives en remplissant le rôle du gouvernement. En établissant les distinctions entre des groupes et des individus en vue d'atteindre des objectifs sociaux souhaitables, il sera rarement possible de dire d'une distinction législative qu'elle constitue clairement le bon choix ou le mauvais.

Le juge, dans l'arrêt Andrews, nous dit que les distinctions sont nécessaires au droit à l'égalité. Et là il ne parle pas du droit d'égalité des sexes, bien sûr, il parle du droit à l'égalité générale de l'article 15. Donc, si un parlement ne fait pas de distinction, il ne reconnaît pas la spécificité des personnes ou des groupes... et là on va prendre l'article 15 de la charte canadienne... des groupes qui sont visés pour la discrimination. Ce que dit le juge McIntyre... dans Andrews, ce qu'il dit... Quand la Cour suprême a dit que les femmes enceintes n'avaient pas le droit à des prestations d'assurance chômage, la Cour suprême, à ce moment-là, basé sur la Déclaration canadienne des droits, a dit : Il n'y a pas de distinction, il n'y a pas de discrimination, parce que toutes les femmes enceintes sont traitées pareil. Le juge McIntyre... et l'arrêt a été... dans Brooks, l'arrêt a été défait après, mais avant que l'arrêt soit défait, le juge, Andrews, a dit ça, justement, l'idée de ne jamais faire de distinction ou de discrimination, hein? C'est une idée qui est contre l'atteinte du droit à l'égalité. Dans le cas de Bliss, on aurait dû faire une distinction et donner à toutes les femmes enceintes un droit aux prestations d'assurance chômage, même si les hommes n'avaient pas le droit aux congés ou aux mêmes congés. Alors voilà une distinction qui est essentielle pour assurer le droit à l'égalité.

Même que Gil Rémillard, dans son discours, au débat d'urgence sur la loi 178, qui introduisait, bien sûr, la clause dérogatoire... Qu'est-ce que dit le ministre Gil Rémillard? Il dit : La Charte canadienne des droits et libertés ne s'applique pas à la Charte québécoise de la langue française, à son article 58, sur l'affichage, parce qu'elle est protégée par la clause nonobstant. Cependant, il y a la Charte québécoise des droits et libertés, et la charte québécoise des libertés comprend la liberté d'expression. Il nous dit : Elle peut être utilisée, la clause dérogatoire. Le gouvernement l'a utilisée à cinq reprises, je dirais, à ce moment-là, confirmé une discrimination que l'on appelle positive, dans un cas, évidemment, où on doit favoriser un groupe ou une personne, parce que ça comprend fort bien... ça se comprend fort bien, dans une société démocratique, de favoriser ce groupe, ici, la majorité française. C'est même la Cour suprême qui a dit : Vous avez tout à fait le droit de protéger la prééminence du fait français au Québec. Et, pour ça, vous devez utiliser la clause dérogatoire. Vous ne l'avez pas fait, c'est votre erreur. Alors, maintenant, moi, ce que je vous dis, comme Cour suprême : S'il vous plaît, utiliser la clause dérogatoire pour la charte québécoise, pour protéger le fait français.

Dans toutes les lois, il y a des distinctions, et il y a... Le fait de voter à 18 ans, c'est une discrimination. Pourquoi on empêche les jeunes de moins de 18 ans de voter? C'est un choix de société que le gouvernement a fait. C'est un choix de société que le gouvernement fait à tous les jours, que le Parlement fait à tous les jours. Alors... Et moi, je suis vraiment... Et s'il n'y avait pas ces discriminations et ces distinctions, qui sont même constitutionnalisées par l'article 15.2 de la charte canadienne, bien, le droit des femmes à l'égalité, ça n'existera pas... ça n'existerait pas. Et le droit des femmes à l'égalité, comme je l'ai dit tout à l'heure, est né de la charte canadienne, est né avec la charte québécoise, mais l'interprétation n'avait pas été... en tout cas, jusqu'alors, je n'ai pas vu beaucoup... mais moi, je me concentre sur 15... Le droit d'égalité des femmes n'existerait pas, le même droit à l'égalité des mariages homosexuels n'existerait pas, etc...

Mme Pelchat (Christiane) : ...distinctions et les discriminations sont l'essence même du droit à l'égalité. C'est ce qu'on appelle le droit à l'égalité réelle plutôt que l'égalité formelle, ce que... Bon. Avant l'égalité formelle, on disait : les pareils traités pareils. Et ça avait même permis au ministre Fulton, lors de l'adoption de la déclaration canadienne, de dire : les femmes ne seront jamais traitées pareil... pareil comme les hommes parce qu'elles sont différentes. Donc, les pareils traités pareil, les femmes vont être traitées pareil, les hommes vont être traités pareil. Ce que ça voulait dire, c'est que les hommes vont avoir plus de droits que les femmes parce qu'on ne fera pas de distinction, on va les traiter pareil. Alors, les distinctions et les discriminations, c'est à la base du droit à l'égalité.

M. Morin : Parfait. Je vais vous... Je vous remercie. En terminant, parce qu'il doit me rester deux minutes, c'est ça, après vous, je pense qu'on va entendre la Ligue des droits et Libertés, qui, dans leur mémoire, souligne que, justement, en faisant certaines distinctions et en utilisant la clause de dérogation, il y a des groupes de femmes qui vont être discriminés. J'aimerais vous entendre là-dessus.

Mme Pelchat (Christiane) : O.K. Merci, M. le député, ça me donne l'occasion de dire que je ne suis pas d'accord. C'est la religion qui fait la discrimination des femmes. Ce n'est pas... Et je vous invite à lire l'expertise de feue Yolande Geadah, qui est décédée, malheureusement, il y a un an, sur justement comment les religions sont discriminatoires à l'endroit des femmes. Et c'est pour ça qu'on avait si peur de l'article 27 de la Constitution canadienne, parce que favorisant les religions et les traditions patriarcales, on porte atteinte au droit des femmes à l'égalité, alors les femmes qui décident de porter un signe religieux, au même titre que les hommes qui décident de porter un signe religieux. Le juge Mainville l'a bien dit dans la... son jugement, il dit que les policiers... probablement que ça va être des hommes qui vont être plus discriminés, en tout cas, qu'on pourrait dire. Mais c'est toujours la religion qui discrimine. Là, dans ce cas-ci, parce qu'il y a plus de femmes enseignantes. Ces femmes décident de porter un signe qui est attentatoire à l'égalité entre les sexes. La Cour européenne l'a dit dans l'affaire Leyla, ça a été répété, c'est un signe de soumission, c'est un signe... Et on l'a... je l'ai démontré en Cour supérieure et en cour d'appel puisque je représente un groupe aussi, que ces signes-là, c'est des signes de soumission des femmes. Et malheureusement, qu'elles le veuillent... que les femmes acceptent ou pas de le porter volontairement. Qu'elles ne soient pas forcées... Moi, j'ai plein d'amies ici, au Sénégal... portent le voile, puis je n'ai pas de problème avec. Sauf que, dans les institutions publiques, pour moi, c'est un choix du Québec pour les enseignantes. Je l'étendrais à tous les fonctionnaires, mais bon, c'est un choix que le gouvernement a fait. C'est le signe religieux comme tel qui est discriminatoire, qui catégorise les femmes, qui dit aux femmes : Vous devez, pour vous conformer à la loi de Dieu, couvrir vos cheveux parce que c'est des signes qui sont... Puis j'ai... On a des... huit témoins qui sont venus témoigner à la cour pour expliquer, des femmes musulmanes, entre autres, que, pour elles, c'était un signe discriminatoire et ça infériorisait les femmes...

• (16 h 50) •

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Mme Pelchat, je dois vous...

Mme Pelchat (Christiane) : Bien, je peux-tu juste dire que ça fait en sorte que les femmes sont sexualisées. Voilà.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Merci. Vous savez, je suis maître du temps, alors... Et il nous reste un dernier bloc, toutefois, quatre minutes huit secondes pour la députée de Verdun et représentante de la deuxième opposition. Allez-y.

Mme Zaga Mendez : Merci, Mme la Présidente. Merci beaucoup, Me Pelchat, pour vos... l'échange et les explications.

Moi, j'ai une question principale. Tout à l'heure, mon collègue faisait référence, mais si vous avez entendu les présentations, Maître Lampron nous parlait de... du rôle des tribunaux comme un rôle dans la recherche d'un certain équilibre entre certains dialogues qui pourraient s'établir et peut-être nécessaires lorsque, vous le disiez tout à l'heure, la clause dérogatoire ou le principe de souveraineté parlementaire donne le mot aux élus. Ceci étant dit, est-ce qu'on n'est pas en train de donner un peu le dernier mot aux élus plutôt que permettre aux citoyens d'avoir recours à un outil, un outil qui pourrait justement entamer un dialogue en ce qui concerne le respect de leurs droits individuels, par exemple, à l'égard... à l'application de notre charte québécoise? Donc, j'aimerais ça vous entendre un peu là-dessus.

Mme Pelchat (Christiane) : Comment répondre. Bien, comme j'ai déjà dit, la... l'utilisation de la clause dérogatoire...

Mme Pelchat (Christiane) : ...la Cour suprême du Canada nous a... comme députée, j'ai voté en faveur de cette clause — elle nous a sermonnés pour ne pas avoir utilisé la clause dérogatoire pour la Charte québécoise. Le dernier mot, vous savez, les citoyens qui votent à chaque quatre ans, ils ont le dernier mot. Ça, c'est ça la démocratie. Et ici, au Canada, au Québec, on ne vote pas pour nos juges. Ça, c'est un autre problème. Je peux vous dire que devant les tribunaux, j'ai vécu des choses qui n'étaient absolument pas démocratiques et j'aurais aimé pouvoir voter éventuellement pour exclure le juge qui était devant moi. Alors, je me sens beaucoup plus rassurée sur... sur les choix du législateur que le choix des tribunaux. Et la Cour suprême du Canada nous le dit constamment qu'il faut respecter le choix du législateur, à moins que ce soit vraiment une grosse inconstitutionnalité. Et je pense qu'il y a que la clause dérogatoire vient protéger aussi les autres droits.

Vous savez, je vous ai dit que le droit... que la clause grand-père pour femmes et hommes qui sont visés par les articles d'interdiction de signes religieux, on dit qu'il y aura une clause grand-père pour celles et ceux qui auront commencé à porter des signes religieux. Ah! si on n'a pas la clause dérogatoire, ces personnes-là ne peuvent pas porter leurs signes religieux, même chose pour les autres fonctionnaires. Pourquoi? Parce qu'on dit que l'État... la laïcité de l'État s'exprime par la neutralité religieuse de ses fonctionnaires. La Cour suprême nous a dit, avec Saguenay contre... contre... je devrais dire... contre Saguenay... alors, si c'est ça, la logique, malheureusement, on permet aux autres fonctionnaires, de porter des signes religieux. Alors, pour préserver leur droit de... des signes religieux, ça prend la clause dérogatoire. Alors, voyez-vous, c'est complexe. Les citoyens pourront, dans quatre ans voter, pour quelqu'un d'autre et changer le gouvernement et demander qu'on change les lois. Les tribunaux, les juges sont nommés jusqu'à l'âge vénérable et qu'ils n'ont pas de compte à rendre à personne, sauf des fois au juge en chef, mais même encore là. Je... Je ne suis pas d'accord avec cette perspective-là. C'est les élus qui... c'est ça la démocratie, hein? Malheureusement, c'est la majorité qui vote les lois, et les gens peuvent voter et changer de gouvernement comme ça s'est fait plusieurs fois.

Mme Zaga Mendez : Je pense qu'il reste peut-être...

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : C'est terminé, terminé.

Mme Zaga Mendez : Terminé. Bon, merci beaucoup pour vos réponses. Merci.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Alors, Mme Pelchat, merci beaucoup pour votre présence.

Mme Pelchat (Christiane) : Merci, merci beaucoup, ça m'a fait plaisir.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : On vous souhaite un bon retour éventuel ici. Merci, au revoir.

Alors, je vais suspendre les travaux quelques instants, le temps que le prochain groupe s'installe. Merci.

(Suspension de la séance à 16 h 55 )

(Reprise à 16 h 59)

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : À l'ordre, s'il vous plaît!  La Commission des relations avec les citoyens reprend ses travaux. Alors, comme dernier intervenant, nous avons la Ligue des droits et libertés qui... La ligue est représentée par M. Sam... Boskey, je m'excuse. Est-ce que j'ai bien nommé votre nom? Vice-président. Je suis partie à débaptiser les gens, je m'en excuse. Ainsi que Mme Laurence Guénette, coordonnatrice et porte-parole.

Alors, madame, monsieur, vous allez bénéficier d'une période de 10 minutes pour votre exposé, et, par la suite, on procède à l'échange avec les parlementaires. Alors, la parole est à vous pour 10 minutes.

Mme Guénette (Laurence) : Parfait. Merci beaucoup. Merci pour l'invitation. Donc, la Ligue des droits et libertés, c'est une organisation indépendante, non partisane et à but non lucratif, qui défend et promeut les droits humains depuis plus de 60 ans maintenant. Donc on a été créé en 1963 puis on a influencé de nombreuses politiques publiques et projets de loi et notamment vers l'adoption de la Charte québécoise dans les années 70.

La Ligue des droits et libertés, on va le dire sans détour, on s'oppose fermement au projet de loi n° 52, qui a pour objet de renouveler le recours à la clause dérogatoire à la Charte canadienne. Et on était très opposés également, en 2019, au projet de loi n° 21. Pour nous, c'est inacceptable que le gouvernement du Québec s'entête à faire fi des droits et libertés de la population québécoise qui sont garantis par les deux chartes, la québécoise et la canadienne, alors que son rôle devrait être d'en assurer l'entière protection et le plein respect. Pour nous, les chartes québécoise et canadienne constituent vraiment le socle de notre société démocratique, et, vraiment, la population a tout à craindre d'un gouvernement qui se permet de déroger ainsi aux droits humains.

• (17 heures) •

La notion de souveraineté parlementaire, qu'on entend beaucoup ces dernières semaines puis beaucoup aujourd'hui également, donc souveraineté vis-à-vis du fédéralisme, souveraineté vis-à-vis des tribunaux, pour nous, c'est vraiment un écran de fumée qui sert à détourner l'attention du problème réel, à savoir qu'une loi qui est en vigueur depuis maintenant presque cinq ans viole les droits et libertés. On rétorque à cette notion de souveraineté parlementaire que la séparation des pouvoirs et l'équilibre entre ces mêmes pouvoirs, c'est au fondement d'un État de droit démocratique. Donc, je sais qu'on a déjà entendu parler de cette dimension-là plus tôt dans la journée. Contrairement à ce que... à ce qu'ont laissé entendre les représentants de Droits collectifs Québec précédemment, avec une citation vieille de 50 ans, donc la Ligue des droits et libertés est simplement pour préciser qu'on ne place jamais les droits en opposition entre eux. On travaille vraiment depuis une perspective d'interdépendance des droits, laquelle a été consacrée notamment en 1993 à la conférence de Vienne puis qui reconnaît comment l'exercice de tous les droits humains sont interconnectés ensemble. Donc, on travaille vraiment depuis cette perspective-là.

J'aimerais qu'on revienne brièvement sur le contexte de l'adoption du projet de loi n° 21, donc Loi sur la laïcité en 2019. Donc, ce projet de loi a été adopté, il faut le rappeler, sous bâillon, sans l'unanimité de l'Assemblée nationale. Et c'était la première fois, en fait, que le gouvernement québécois dérogeait aux chartes dans des circonstances aussi peu démocratiques. Il faut rappeler aussi que le projet de loi n° 21 dérogeait de façon mur-à-mur, ce qui signifie que le législateur a choisi de déroger à tous les droits auxquels...


 
 

17 h (version non révisée)

Mme Guénette (Laurence) : ...il est possible de déroger aux deux chartes, alors qu'on devrait... peut-être qu'on pourrait se demander pourquoi ne pas choisir, plutôt, de déroger avec le plus de parcimonie possible, étant donné l'importance de ces instruments de protection des droits et libertés.

Également, le gouvernement a choisi de déroger de façon préemptive ou préventive, de sorte à éviter que les tribunaux puissent se prononcer ultérieurement sur le caractère raisonnable ou non des atteintes aux droits et libertés. Donc, de cette façon-là, le gouvernement escamote à la fois les débats dans l'arène judiciaire et les débats dans l'arène politique, en 2019, et... ce qui est alarmant au plus haut point. Et là on va renouveler aujourd'hui... ou on va réfléchir au renouvellement de la clause dérogatoire de la charte canadienne, et, pour nous, c'est extrêmement inquiétant qu'un gouvernement tente de placer les pouvoirs législatif et exécutif au-dessus des chartes, donc à l'abri d'un dialogue démocratique, et qui tient compte de l'équilibre des divers pouvoirs qui composent un État de droit.

Pour faire un petit détour vers le plan international, avoir une charte qui protège les droits tout en permettant de les écarter, c'est assez particulier et pas tellement répandu. En droit international, le fait de déroger aux droits, c'est pris plutôt comme une mesure absolument exceptionnelle, qu'il faut prendre en respectant des critères extrêmement stricts. Donc, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Canada et le Québec sont liés, énonce, parmi les conditions à respecter pour déroger aux droits : il faut qu'il y ait un danger public qui menace la vie de la nation. Les dérogations qu'on choisit de mettre en place doivent être proportionnelles à ce que la situation exige, et doivent être temporaires, et toujours, toujours, doivent respecter le principe de non-discrimination. Donc, pour nous, il y a aussi une incohérence profonde entre la façon de déroger aux droits, dans le cadre de la Loi sur la laïcité de l'État, et nos engagements par rapport au pacte international des droits civils et politiques.

Donc, si on revient à la charte canadienne, donc, le renouvellement de la dérogation, d'une part, ce qu'on voudrait souligner, c'est qu'en prévoyant un renouvellement aux cinq ans la charte canadienne reconnaît que la suspension des droits humains doit être temporaire et a besoin de renouveler une décision politique, à savoir si on doit prolonger ou non. Et donc, pour nous, aujourd'hui, c'est nécessaire de se repencher sur la nécessité de déroger, de cette façon-là, aux droits. C'est une nécessité qui n'a pas été démontrée en 2019, lors de l'adoption de la loi sur la laïcité, et qui ne l'a pas été, démontrée, depuis, et c'est pour cette raison qu'on invite le gouvernement du Québec à ne pas renouveler le recours à la clause dérogatoire de la charte canadienne. Pour la ligue, c'est vraiment ce qu'un gouvernement responsable doit faire.

(Interruption) Pardon. Donc, on va se permettre de revenir sur deux éléments, qui ne sont pas directement l'objet du projet de loi n° 52, qui est très succinct, évidemment, mais qui sont très, très pertinents dans le contexte. Donc, d'abord, de rappeler que la loi sur la laïcité déroge également... la charte québécoise. La charte est une loi... découle d'une loi, en fait, qui a été adoptée par l'Assemblée nationale en 1975, donc la charte approche de son anniversaire, symboliquement très fort, de 50 ans. Donc, c'était une décision des parlementaires, à l'unanimité, de placer les droits et libertés au cœur du système politique et juridique du Québec. Donc, ça dotait le Québec d'une charte et, par la suite, d'une commission des droits de la personne, également, d'un tribunal spécialisé sur les droits de la personne. Et donc, depuis son adoption, presque 50 ans, la charte québécoise a été... a connu quelques modifications, mais ça allait toujours dans le sens de reconnaître davantage de droits, mieux protéger les droits. C'est la première fois, avec la loi sur la laïcité, que la charte a subi une modification qui permet plutôt de les... d'affaiblir la protection des droits. Et, puisque la dérogation à la charte québécoise ne prévoit pas de mécanisme de renouvellement, ce qui est quand même un peu problématique, donc, nous, on inviterait carrément le gouvernement du Québec, par le biais d'une nouvelle législation, à abroger ou à révoquer le recours à la clause dérogatoire de la charte québécoise.

L'autre élément sur lequel on va se permettre de revenir, c'est, bien entendu, les conséquences de la loi sur la laïcité. Excusez, je veux surveiller le temps.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : ...26 s.

Mme Guénette (Laurence) : Parfait. Donc, en termes de droits humains, c'est des conséquences qu'on craignait déjà en 2019. Donc, on a nommé plusieurs droits. Je vous inviterais à lire le mémoire pour plus de détails. Mais donc ce qu'on veut dire aujourd'hui, c'est que, maintenant que presque...

Mme Guénette (Laurence) : ...presque cinq ans se sont écoulés, ces conséquences en termes de droits humains que l'on craignait sont maintenant avérées et ont commencé à être documentées à travers différentes études et sondages. Donc, on parle des conséquences directes et indirectes sur l'emploi, les études, les aspirations professionnelles, la sécurité économique des personnes, le sentiment d'appartenance à la société québécoise, des personnes qui ont dû quitter le Québec pour pouvoir pratiquer leur emploi tout en exerçant leur liberté de religion, et on parle aussi d'une exacerbation de l'islamophobie et de la stigmatisation de certaines personnes dans la société.

J'aimerais rappeler à cet égard, donc, que le Québec est également lié, sur le plan international à la Convention pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et à celle pour toutes les formes... Pardon pour l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale donc qui... à cet égard, la Loi sur la laïcité va dans la direction inverse de ce que prescrivent ces conventions-là depuis la fin des années 70. Et finalement, encore une fois, le Pacte international sur les droits civils et politiques, qui lui garantit le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, précisant que ce n'est pas un droit auquel on peut déroger et que ça implique la liberté de manifester sa religion, sa conviction, notamment de porter les vêtements ou couvre-chefs distinctifs.

Donc, pour terminer, comme elles n'ont pas voix au chapitre aujourd'hui, comme on ne les entend pas, on a fait l'exercice de récolter quelques témoignages de personnes directement affectées par la Loi sur la laïcité depuis 2019. Donc, principalement, on a réussi à avoir les témoignages, en quelques jours, de plusieurs femmes musulmanes, enseignantes, et on vous invite vraiment, à la fin de notre mémoire, à lire ces témoignages qui sont peut-être un format un peu différent de ce qu'on retrouve habituellement dans nos mémoires, mais je pense que c'est important d'avoir le courage d'entendre concrètement les impacts, ce que ça signifie pour ces personnes. Donc, je vous invite fortement à aller lire les quelques témoignages qui se trouvent à la fin du mémoire et d'oser entendre concrètement ce que ça signifie.

Donc, pour nous déroger ainsi au droit, comme le fait la loi depuis 2019 de façon préemptive, mur-à-mur sans aucune limite de temps en ce qui a trait...

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Je dois vous arrêter, le temps... le 10 minutes est écoulé. Alors, merci pour votre exposé. On va débuter la période d'échange.

Mme Guénette (Laurence) : Merci.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Alors, je me tourne du côté du gouvernement, une période de16 minutes. Mais, c'est ça, allez-y. Je ne me souviens jamais.

M. Roberge : Merci, Mme la Présidente. Depuis le début de la journée, on a entendu plusieurs intervenants qui se sont présentés ici en personne, en virtuel. On a regardé plusieurs mémoires qu'on a reçus. On n'avait pas entendu, de la part de d'autres intervenants, des motifs indignes. Personne ne nous avait prêté des motifs indignes, personne n'avait fait des raccourcis intellectuels, personne n'avait proféré des insultes. Et pourtant, ce matin, j'ai lu un article dans le Journal de Québec dont le titre était Renouveler la protection de la loi 21, c'est prolonger une loi raciste, sexiste. Une journaliste crédible, établie, qui a écrit ça, donc je me suis dit : Mais voyons de quoi on parle. Je suis allé voir, et il y a les guillemets : «Si le gouvernement du Québec réitère sa décision de déroger aux droits humains, il prolonge l'existence d'une loi... d'une loi raciste, sexiste, discriminatoire.».

• (17 h 10) •

Je me suis demandé ça sortait d'où cette affaire-là? Ça sort de votre mémoire page 5, «Une loi raciste, sexiste, discriminatoire». C'est très... c'est heurtant. Ce sont des... des accusations qui sont graves. Ce sont des... c'est inacceptable. C'est insultant pour les personnes qui travaillent sur cette loi, qui ont travaillé sur cette loi, pour les experts qui sont passés avant vous qui... qui la défendent et qui lui reconnaissent une valeur, qui sont capables de débattre, de critiquer, de s'opposer, de débattre même avec vigueur, mais sans prêter des intentions comme ça à personne. C'est une insulte aussi aux juristes qui ont travaillé sur la loi 21 et à ceux qui étaient là, dans la précédente législature, qui ne sont même plus ici pour s'en défendre, qui... qui ne se sont pas représentés en 2022, qui ne sont pas là mais qui ont voté en faveur de cette loi-là. C'est comme si vous disiez : Vous avez voté une loi raciste et sexiste. Et qui votent des lois racistes, qui votent des lois sexistes? J'imagine que ce sont des gens qui pensent qu'il y a certaines races qui sont supérieures à d'autres qui pensent que les femmes sont inférieures aux hommes...

M. Roberge : ...c'est quand même quelque chose. Et à ce que je sache, une croyance religieuse, on peut se convertir à une religion, on peut changer d'idée, on peut difficilement changer de couleur de peau. Je ne vois pas comment on pourrait associer une race, excusez-moi le terme, une origine ethnique en particulier à une religion. Enfin, moi je connais des gens de différentes religions qui ont toutes sortes de pays d'origine. Donc, c'est quand même particulier. En plus, on sait très bien que des symboles religieux peuvent être portés à la fois par des hommes et par des femmes dans certaines religions. Je pense à des gens où ce sont des femmes qui peuvent porter le voile. Mais je sais que, dans la religion sikhe, on sait que ce sont surtout les hommes qui portent la coiffe traditionnelle. Je ne veux pas utiliser de mauvais mots. Puis on pourrait parler pour chaque religion de personnes. Donc, je ne pense pas qu'il s'agisse de savoir si on est blanc ou noir, si on a des traits asiatiques ou si on a des traits latinos. Je ne pense pas que c'est à savoir si on est des hommes ou des femmes, si on adhère à une religion ou pas. Je ne la comprends pas, comme on dit en bon français. Puis vendredi dernier, j'étais avec Djemila Benhabib, Ensaf Haidar. Ce sont des femmes. Je ne pense pas qu'elles soient sexistes. En tout cas, si elles sont racistes, je ne sais pas à l'égard de qui. Puis c'est comme si, vous, vous défendiez mieux les femmes que ces femmes-là, que celles aussi qui ont voté pour la loi ou qui l'ont amendée, qui l'ont critiquée, mais avec peut-être une certaine hauteur. C'est comme si vous défendiez mieux les femmes que Mme Christiane Pelchat, qui a présidé le Conseil du statut de la femme pendant cinq ans. C'est vraiment particulier.

Bien sûr, on a le droit de débattre. Bien sûr, on a le droit d'être en désaccord, c'est très bien comme ça. Même tout à l'heure, il y a eu un intervenant avec qui on avait des différends idéologiques, puis j'ai vraiment apprécié cet échange-là parce que ça m'a confronté un peu. J'ai pris beaucoup de notes, comment on pourrait revoir notre position. Peut-être que cette personne-là aussi, je l'espère, a peut-être revu certaines de ses positions. Puis quand la rencontre est finie, la rencontre n'est pas finie parce qu'on continue d'y penser, parce qu'on grandit dans le débat. Mais si on se fait dire en partant... Vous n'utilisez pas le terme xénophobe. On pourrait dire raciste, sexiste. En tout cas, pour moi, ce n'est pas mal au sommet des insultes, là, qu'on peut faire. Je trouve ça particulier. Je comprends que vous ayez d'importantes réserves par rapport à la loi no 21, d'importantes réserves par rapport à la mesure de souveraineté parlementaire. C'est très bien comme ça, mais je pense qu'il y a une manière de faire les choses. Puis de voir dans un grand média québécois des termes aussi forts et aussi insultants, je vous le dis, ce n'est pas quelque chose que je pouvais laisser passer. Et vous vous êtes exprimé préalablement dans vos remarques préliminaires. Vous aurez la chance de le faire avec les oppositions. Moi, je n'ai pas de question. Merci.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Est ce que je comprends qu'il n'y a pas de questions du côté du gouvernement? Merci. Je me tourne du côté de l'opposition officielle pour une période de 12 min 23 s. Le temps est à vous.

M. Morin : Merci. Merci, Mme la Présidente. J'ai lu. J'ai lu votre mémoire avec attention. Je vous remercie d'abord de l'avoir produit, puis du temps que vous consacrez à la commission qui étudie ce projet de loi là aujourd'hui. Selon vous, parce que vous vous êtes exprimé clairement et vous vous opposez fermement au projet de loi no 52, quel est l'impact de la clause de dérogation sur les droits des gens? Vous donnez... Vous donnez quelques exemples. Est-ce que, vous, vous pouvez nous en parler davantage?

M. Boskey (Sam) : Certainement. Mme la Présidente, je veux remercier le député de l'Acadie pour sa question, parce que je pense qu'effectivement, ça, c'est le cœur des débats qui doivent se passer aujourd'hui. Jusqu'à maintenant, on a entendu les gens qui parlent de la question comme le seul enjeu, ici, c'était est-ce qu'on a un outil pour frapper le fédéral, pour frapper les juges, pour frapper les Anglais. Et je pense que qu'est-ce qu'on doit regarder sur le terrain des vaches, c'est quoi les impacts, c'est quoi les effets de cette loi sur les gens qui doivent la subir quotidiennement. Mme Guénette a mentionné que dans l'annexe de notre mémoire, on a des témoignages d'un certain nombre de personnes, mais c'est très clair, je pense, depuis cinq ans, que dans les communautés racialisées, c'est-à-dire dans les communautés des immigrants et des gens qui, soit des hindous, soit des sikhs, soit des musulmans, et d'une certaine façon, certains catholiques et certains juifs qui ont une tendance de porter des...

M. Boskey (Sam) : ...qu'on se sent exclu, on se sent rejeté par le Québec et on se sent qu'il y a des politiques gouvernement qui ne disent pas avec ses mots, mais les actions dissent : Vous êtes un ennemi de notre nation. Et, pour nous, on trouve ça pas acceptable.

Je pense que les gens qui portent des signes religieux ne sont pas là pour essayer de faire le prosélytisme. Les enseignants qui sont là ne sont pas là pour essayer de convaincre les catholiques ou les juifs et les athées qui sont là de devenir des musulmans.

Il y a 40 ans, au moment où... avant la charte a reconnu comme libertés publiques le droit à l'orientation sexuelle. Si quelqu'un annonçait, un enseignant annonçait qu'il était homosexuel, gay, il y avait une présomption qu'il était un pédophile. Heureusement, il n'y a plus cette... cette présomption, et il y a beaucoup des... des homosexuels, des gens gays qui occupent les positions d'autorité dans les écoles, et il n'y a jamais eu des plaintes concernant le fait qu'ils sont en train de manipuler leur pouvoir.

Pour présumer qu'un enseignant dans une école primaire qui pousse ses propres sentiments de sa relation avec son Dieu veut porter un hijab, que ça, ça va attaquer la nation québécoise et la neutralité de l'État, je pense que c'est dépourvu de bon sens.

On croit dans neutralité dans l'État, mais neutralité de l'État, c'est une question, je pense, de qu'est-ce qu'ils font les institutions, ce n'est pas le comportement d'une personne. Il y a tout... Le gouvernement n'a pas déposé il y a cinq ans un plan d'action sur neutralité d'État pour qu'on peut examiner les comportements et les politiques dans tous les ministères. On aurait trouvé beaucoup de choses. Ce n'est pas difficile d'en trouver.

Évidemment, on parle beaucoup de la question de... le financement des écoles privées religieuses. Dans toutes les municipalités du Québec, dans les règlements de zonage, il y a des règles particulières pour les lieux de culte. La commission municipale donne des dispensations de payer des taxes foncières à toutes sortes de groupes religieux. Le ministère du Revenu permet des dégrèvements fiscaux pour les gens qui donnent à des charités qui n'ont pour que seul but de promouvoir des activités religieuses. Donc, l'État n'est pas... de tout face à des questions... pas qu'on doit abolir toutes ces choses, mais un État responsable, un gouvernement responsable, au lieu de taper sur la tête de plusieurs femmes immigrantes a la responsabilité de voir c'est quoi vraiment les composants de notre État, est-ce que c'est neutre ou pas?

Et je veux... je ne peux que répéter que les... les croyances de certains individus n'ont rien à faire avec la neutralité de l'institution. On ne peut pas dire que parce qu'il y a quelques juifs religieux ou quelques femmes musulmanes qui... que l'État prend forme pour une autre religion. La neutralité, c'est que l'État ne prend pas de position. Donc, j'espère que ça commence à répondre à votre question.

• (17 h 20) •

M. Morin : Je vous...

Mme Guénette (Laurence) :Si je peux me permettre.

M. Morin : Oui, oui, bien sûr.

Mme Guénette (Laurence) : Si je peux me permettre de compléter. Très brièvement, simplement pour dire que cette... cette réaction me... nous étonne un peu, parce que ce n'est pas nouveau que non seulement la ligue mais d'autres organisations aussi étaient alarmées par les impacts et les effets racistes et discriminatoires envers les femmes de cette loi-là depuis 2019, c'est quelque chose qui a été dit, déposé. Vous... Repensez à la Commission des droits de la personne en 2019 qui était fortement opposée à la Loi sur la laïcité à cause de ses effets discriminatoires sur les personnes racisées, sur les femmes, également la Fédération des femmes du Québec, et la ligue aussi qui était présente à l'époque.

Ce qu'on dit aujourd'hui, M. Roberge, ce n'est pas... ce n'est pas par rapport aux intentions, on n'est pas en train d'insulter des parlementaires, simplement de constater les effets de la loi qui, selon nous, ont des impacts de nature raciste, discriminatoire envers les femmes, donc sexistes. Donc, voilà. Merci.

M. Morin : Merci. On a entendu, il y a... il y a plusieurs groupes, plusieurs experts qui aujourd'hui nous ont... nous ont parlé évidemment des pouvoirs du Parlement, de la souveraineté parlementaire, de l'importance de la démocratie, de l'importance des débats parlementaires. Sauf que, si mon souvenir est bon, la loi 21, elle a été adoptée sous le bâillon, qui est quand même une restriction assez grande à la liberté des parlementaires qui est prise par le gouvernement en place. J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Boskey (Sam) : Bon. Par définition, le bâillon, c'est quand on coupe les débats. Je pense que c'est important dans quelque chose...

M. Boskey (Sam) : ...de cet ordre, où on... effectivement, on veut suspendre les éléments de la Constitution, la Charte canadienne fait partie de la Constitution du Canada, que ce n'est pas quelque chose qui est fait d'une façon de favoriser et d'abuser les pouvoirs qu'un gouvernement peut détenir, un gouvernement qui peut être éphémère, majoritaire d'une façon éphémère.

Je note que la... une grande... une grande proportion des gens qui sont touchés, qui se sentent discriminés par cette loi, on parle des femmes, qui sont des immigrants récents, n'ont pas même le droit de vote pour ou contre le gouvernement, mais le gouvernement décide d'utiliser ses pouvoirs pour installer des lois qui ont des impacts un peu discriminatoires.

On regrette beaucoup aujourd'hui que le gouvernement et la commission n'a pas jugé ça correct d'inviter ici des groupes de femmes musulmanes, des individus ou leurs associations pour témoigner de qu'est-ce qu'ils ont vécu et comment ils regardent la loi. C'est très bon d'avoir des débats philosophiques entre professionnels du droit constitutionnel, nous autres, on a pignon sur rue sur la rue Jean-Talon et Parc, où on a des gens de toutes les cultures, avec voile et sans voile, qui passent devant nos bureaux tous les jours, et c'est important que les personnes qui sont affectées ont leur droit de participer, de parler au gouvernement. Et, on regrette beaucoup que ces personnes ne sont pas ici aujourd'hui.

M. Morin : Le projet de loi qui est... qui est devant nous, en fait, a deux articles, là. J'ai posé cette question-là à d'autres groupes, d'autres experts plus tôt aujourd'hui. On refait l'exercice après... après cinq ans, mais tout ce que le gouvernement nous donne, c'est de dire : Bien, il y a deux articles, on va renouveler la clause de dérogation. D'après vous, est-ce que le gouvernement devrait faire plus? Est-ce que le gouvernement devrait présenter des éléments aux parlementaires pour qu'on puisse débattre de ces... de ces questions-là ou simplement se dire : Écoutez, il y a eu un débat avec la loi 21 à l'époque, ces éléments-là sont encore là, donc on peut renouveler la clause? J'aimerais... J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Boskey (Sam) : Je dirais brièvement, certainement, oui. Certainement, parce que l'idée que la... une dérogation, une clause nonobstant peut être en vigueur pendant seulement cinq ans à la fois, c'est l'indication que, normalement, ça prend une nouvelle décision politique, pas juste une question de «rubber stamp». Qu'est-ce qui est impliqué ici, c'est quelque chose de sérieux. On enlève des droits. Depuis des siècles, soit en France, soit en Angleterre, soit aux États-Unis et ici, les gens qui se sentent lésés par le gouvernement ont le droit d'aller devant les tribunaux, et on enlève ce droit. Les femmes musulmanes, leur capacité d'ester en justice est enlevée par la clause dérogatoire.

Et on continue, sans débat, sans justification, sans regarder si c'est toujours valable de renouveler ça. Normalement, dans une société de droit, si on va priver les gens de leurs droits, on doit décider si c'est toujours pertinent. Quand il y a un prisonnier qui arrive devant la commission des libérations conditionnelles, on va regarder son dossier, on va regarder qu'est-ce qui s'est passé depuis sa condamnation. On va voir des effets sociologiques sur lui, sur sa famille, pour décider s'il représente toujours aujourd'hui un danger pour la société.

Il n'y a aucun examen que le gouvernement a déposé. Le gouvernement n'a même pas établi des critères, des indicateurs pour mesurer c'est quoi, une société, un gouvernement qui est neutre ou laïque. Il y a juste une déclaration qui était surtout politique. Et évidemment, il avait besoin de quelque chose politique, suite à la... «you know», la tournée Bouchard-Taylor, et tous les propos racistes qui étaient expliqués là avec la charte des valeurs, c'était important, pour le gouvernement... ça prenait... quelque chose, et ils ont décidé pour ça.

Mais la situation aujourd'hui, ce n'est pas nécessairement la même situation politique qu'il y a cinq ans. On peut regarder la situation, je pense, avec beaucoup plus de sérénité. S'il y a toutes sortes d'attaques sur les droits des gens, sur le droit de logement, sur les droits de santé, sur les libertés des prisonniers, et tout ça. Est-ce que la priorité pour le gouvernement sur les droits, c'est de chercher une dérogation de la Constitution pour empêcher quelques enseignantes de porter une voile dans une école primaire? Ça n'a pas de bon sens, ce n'est pas proportionnel. Ce n'est pas... D'après nous autres, ce n'est pas justifié. Et le plus... au-delà de ces personnes individuelles qui se sentent lésées, c'est pour toutes les autres personnes dans la société pour savoir qu'on ne vit plus dans une société de droit. Si...

M. Boskey (Sam) : ...la pierre angulaire de notre Constitution, la Charte des droits est précaire, qu'un gouvernement peut sans justification n'importe quelle journée enlever les droits. On ne peut pas mentir à nous autres pour dire qu'on vit dans une société qui est vraiment une société démocratique. Une société sans des limites, un gouvernement, qui pense qu'il est au-delà des tribunaux, n'est pas question des deux parties de la même État, de la même constitution, devient autoritaire. Et on a déjà eu des gouvernements autoritaires dans le passé et, heureusement, si on rappelle Duplessis, et les Témoins de Jéhovah, ou la Loi... il y avait des tribunaux qui ont cassé ça, et ça, ça a permis la Révolution tranquille de commencer. On ne voudra pas retourner à des gouvernements autoritaires, et c'est pourquoi, quand on voudrait démanteler...

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Je...

M. Boskey (Sam) : ...une des chartes qui existent depuis 50 ans...

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Je dois...

M. Boskey (Sam) : ...basée...

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Je dois vous arrêter.

M. Boskey (Sam) : O.K.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Le temps imparti à l'opposition officielle est... s'est écoulé.

M. Boskey (Sam) : Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : Il reste une dernière période d'échange avec la députée de Verdun pour une période de quatre minutes huit secondes.

Mme Zaga Mendez : Merci. Merci beaucoup. Merci de votre présence. Rapidement, tout à l'heure, vous n'avez pas eu la chance de compléter votre exposé. Si vous voulez prendre une minute pour le compléter, s'il y a des choses à ajouter, sinon je vais poser ma... ma question.

Mme Guénette (Laurence) : Bien, c'était... oui. Je ne sais pas si mon... mon collègue veut ajouter quelque chose, mais c'est un peu pour ça le choix... Pour aller dans le même sens que la dernière intervention de M. Boskey, c'est un peu ça le choix du titre de notre mémoire. C'est qu'on croit qu'en tant que démocratie, on doit faire... faire mieux. On doit faire mieux par rapport au respect de nos chartes. On doit éviter le plus possible, voire ne jamais déroger aux droits, surtout dans une situation comme ça qui... qui ne le justifie pas du tout. À notre avis, on doit éviter de légaliser une discrimination, une législation qui a pour effet de discriminer certaines personnes plus que d'autres dans la société et qui, globalement, fragilise nos instruments de protection des droits humains. Là, on a cette conversation-là quelques mois après le 75ᵉ anniversaire de la Déclaration universelle des droits. On a cette conversation-là quelques mois avant... bien, non, un an avant le 50ᵉ anniversaire de la Charte québécoise. Pour nous, c'est alarmant au plus haut point, et on invite vraiment à faire mieux en tant que démocratie puis à replacer les chartes des droits au cœur de nos systèmes politiques et juridiques.

Mme Zaga Mendez : Merci. Parlons de la Charte québécoise. Notre position, en tant qu'indépendantistes, ça serait de soumettre la loi 21 à la Charte québécoise tout en affirmant la souveraineté parlementaire face à la Charte canadienne. Moi, j'aimerais vous entendre un peu là-dessus. Selon vous, si on... l'examen des tribunaux, par exemple, en vue de la Charte québécoise, est-ce que le projet de loi n° 21 pourrait-il être invalide ou quel serait le sort de la...

• (17 h 30) •

M. Boskey (Sam) : Pour nous, ce n'est pas une question pertinente, avec tout le respect, et je l'explique pourquoi. Pour nous, ce n'est pas une question constitutionnelle, ce n'est pas un choix que... Est-ce que ça doit être le gouvernement fédéral ou le gouvernement provincial qui aura le droit de supprimer des droits des Québécois, O.K.? Pour nous, ce n'est pas une question... on ne veut pas entrer dans les débats sur la question. On est contre les clauses dérogatoires. À Québec... la clause dérogatoire qui existe dans la Charte canadienne. Je pense qu'ils ont fait leur effet dans les derniers 50 ans. On est loin d'être un système parfait, mais ça commençait tranquillement à bâtir une sensibilité des droits, et on ne doive pas, soit au niveau provincial, soit au niveau fédéral, les diluer, les attaquer et créer le message qu'ils ne sont pas importants. J'espère que ça répond un petit peu à votre question.

Mme Zaga Mendez : Ça répond à ma question. Aussi, ce qu'on fait... on a recours à la clause dérogatoire de... avec l'article 33 de la Charte canadienne en écartant l'ensemble des articles. J'aimerais ça vous entendre un peu plus là-dessus. Est-ce que... pensez-vous qu'à certains articles qu'on pourrait ne pas... ne pas déroger, par exemple les articles qui sont entre le 7 et 14?

M. Boskey (Sam) : Bon, on a mentionné... Vous pouvez lire les quelques paragraphes dans notre mémoire qui touchent à cette question que... en dérangeant à la fois à Québec et à la fois au Canada de toutes sortes de droits... mur-à-mur avec des choses qui ne... absolument rien à faire. Cette... On voit ça comme un exercice de... de pouvoir de la part du gouvernement qui veut montrer qu'il est très puissant et qu'ils n'ont vraiment... de moins en moins de respect pour... pour le gouvernement. Ma collègue a mentionné... l'utilisation parcimonieuse de ses pouvoirs exceptionnels. Je suggère finalement que ce qu'un gouvernement devrait faire, avant d'utiliser la Charte, de s'assurer...


 
 

17 h 30 (version non révisée)

M. Boskey (Sam) : ...il n'y a pas d'autres choses qu'il peut faire. On a eu... le gouvernement du Québec a eu un couvre-feu pendant la pandémie, une chose exceptionnelle qui limitait les droits, mais ce n'était pas nécessaire de suspendre la Constitution pour le faire. Le gouvernement a des outils et une décision pour invoquer la charte. C'est une décision politique, et il y a des alternatives, toujours des alternatives à ça.

La Présidente (Mme Lecours, Les Plaines) : La période de la deuxième opposition vient de se terminer. Mesdames, Messieurs, merci. Madame, monsieur, merci pour votre présence aujourd'hui.

Alors, la commission ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 17 h 33)


 
 

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