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Version finale

42e législature, 1re session
(27 novembre 2018 au 13 octobre 2021)

Le mardi 14 mai 2019 - Vol. 45 N° 38

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 21, Loi sur la laïcité de l’État


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Table des matières

Auditions (suite)

Ligue d'action nationale

M. Guy Rocher

Ville de Montréal

Fédération québécoise des municipalités (FQM)

Syndicat des agents de protection de la faune du Québec (SAPFQ)

Fédération autonome de l'enseignement (FAE)

Association des commissions scolaires anglophones du Québec (ACSAQ)

Autres intervenants

M. André Bachand, président

M. Simon Jolin-Barrette 

M. Richard Campeau

M. Mathieu Lévesque

Mme Hélène David

M. Sol Zanetti

M. Pascal Bérubé

Mme Stéphanie Lachance

Mme Paule Robitaille

Mme Lucie Lecours

M. Louis Lemieux

M. Denis Lamothe

M. David Birnbaum

*          M. Robert Laplante, Ligue d'action nationale

*          M. Denis Monière, idem

*          Mme Valérie Plante, ville de Montréal

*          M. Robert Beaudry, idem

*          Mme Chantal Lamarche, FQM

*          M. Pierre Châteauvert, idem

*          Mme Maryse Drolet, idem

*          M. Martin Perreault, SAPFQ

*          M. Sylvain Mallette, FAE

*          M. Alain Marois, idem

*          M. Rémi Bourget, idem

*          M. Dan Lamoureux, ACSAQ

*          M. Russell Copeman, idem

*          M. Sylvain Racette, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Dix heures trois minutes)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Bonjour et bienvenue. Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je vous souhaite, encore une fois, la bienvenue. Je vous demande, comme vous le savez très bien, d'éteindre la sonnerie de vos appareils électroniques.

La commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 21, Loi sur la laïcité de l'État.

Avant de débuter, y a-t-il des remplacements, Mme la secrétaire?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Lafrenière (Vachon) est remplacé par M. Campeau (Bourget); M. Martel (Nicolet-Bécancour) est remplacé par Mme Grondin (Argenteuil); Mme Anglade (Saint-Henri—Sainte-Anne) est remplacée par Mme David (Marguerite-Bourgeoys); M. Fontecilla (Laurier-Dorion) est remplacé par M. Zanetti (Jean-Lesage); et M. LeBel (Rimouski) est remplacé par M. Bérubé (Matane-Matapédia).

Auditions (suite)

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Ce matin, nous entendrons la Ligue d'action nationale du Québec de même que M. Guy Rocher.

Cela dit, je souhaite donc la bienvenue aux représentants de la Ligue d'action nationale. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé, puis après nous allons procéder à la période d'échange avec les membres de la commission. Alors, encore une fois, bienvenue, et je vous cède la parole.

Ligue d'action nationale

M. Laplante (Robert) : Bonjour, tout le monde. Merci beaucoup de nous donner l'occasion de faire valoir notre point de vue sur ce projet de loi. C'est la deuxième fois que nous avons l'occasion de rencontrer les parlementaires sur le même sujet et nous espérons que, cette fois-ci, ce sera la bonne. Et nous tenons à souligner que nous voulons appuyer fermement la volonté du gouvernement et que nous endossons le projet de loi.

Il est important au bout de 10 ans de tergiversations de doter le Québec d'une base véritablement solide pour aborder son avenir et l'aborder dans des conditions qui vont permettre la véritable expression de la souveraineté populaire. Et c'est dans ce cadre et pour cette raison que nous soutenons fermement la volonté du gouvernement de procéder en recourant à la clause dérogatoire prévue à la Constitution du Canada, Constitution que nous n'avons pas signée, qui nous a été imposée et que, pour notre part, nous ne reconnaissons toujours pas, même si nous concédons que le gouvernement du Québec a choisi de la respecter, même s'il s'agit clairement d'une mise en tutelle de la souveraineté du peuple.

Et, à cet égard, nous pensons qu'il est du devoir des représentants élus du peuple québécois de faire valoir la souveraineté de l'Assemblée nationale et de placer la délibération dans l'enceinte de cette Assemblée et nulle part ailleurs. Nous considérons qu'il est absolument superflu, et, jusqu'à un certain point, illégitime, de concéder à un tribunal une autorité sur la volonté du peuple, un tribunal qui interprète une constitution que nous n'avons pas reconnue et qui va le faire en référence à des critères qui ne sont pas ceux sur lesquels est construite la volonté populaire québécoise.

Ce recours à la clause dérogatoire, il est également justifié de l'accompagner de l'enrichissement de la charte québécoise des droits et libertés de la personne. Introduire, dans cette charte, une déclaration de principes que la laïcité est au fondement des droits et de la configuration des institutions qui font la souveraineté du peuple du Québec est un jugement essentiel, c'est un enrichissement de la charte que nous considérons comme bienvenu.

Cet enrichissement, il est aussi, on le sait, justifiable également pour la mettre à l'abri des éventuelles manoeuvres que le gouvernement canadien et que des groupes, s'en réclamant ou bénéficiant de son soutien, vont nécessairement déclencher contre la charte et contre le projet de loi.

Le soutenant, donc, ce principe de la laïcité dans la charte québécoise, nous allons gagner du temps. Je dis bien gagner du temps puisque nous savons que ce projet de loi, même adopté avec l'appui de l'Assemblée nationale, sera contesté. Il sera contesté pourquoi? Parce que, dans ses principes mêmes, il va à l'encontre de la doctrine d'État canadienne, doctrine qui a fait du multiculturalisme une composante essentielle de l'intégration de ses citoyens.

Et cette matrice d'intégration par le multiculturalisme, c'est essentiellement la négation du statut national du Québec, et c'est également, bien entendu, un élément central de la doctrine canadienne, qui, même si le Canada se targue de ne pas avoir de culture de convergence, et c'est son paradoxe, se fait tout de même le tenant d'une doctrine qui est associée à son identité profonde.

À cet égard, c'est important de rappeler, c'est le Canada qui fait du combat de la laïcité un débat identitaire. Pour notre part, nous en faisons un conflit de légitimité. C'est la volonté du peuple du Québec qui est mise au défi par les institutions fédérales et c'est la raison pour laquelle il faut tenir fermement à la clause dérogatoire.

Il faut le tenir également parce que le principe de la laïcité renvoie nos institutions à un esprit séculaire, celui de la philosophie des lumières qui a inspiré la pensée républicaine. Nous ne rejetons pas seulement la Constitution du Canada, nous en rejetons le régime et les catégories intellectuelles et philosophiques de ce régime. Il faut faire valoir le primat des hommes sur les préceptes religieux, ce qui ne se fait pas dans la monarchie constitutionnelle canadienne et dans la Constitution, que nous n'avons pas signée.

Et, à cet égard, nous saluons la volonté du gouvernement de placer ailleurs que dans l'enceinte de délibération le crucifix. Nous aimerions également qu'il en fasse autant pour les symboles de la religion anglicane. Je vous rappelle que la reine d'Angleterre et du Canada est aussi un chef religieux, et, de ce point de vue, il faudrait traiter la religion anglicane comme toutes les autres et la sortir de l'enceinte.

• (10 h 10) •

La laïcité est absolument consubstantielle à la pensée républicaine, c'est par elle que les citoyens sont tous égaux devant les lois, c'est par elle que la délibération peut se faire sans que personne ne puisse faire prévaloir autre chose que la volonté du peuple. Le communautarisme soutenu par le multiculturalisme ne fait que donner une apparence de tolérance à un régime qui, par définition, place en concurrence les croyances et déplace, dans une éternelle mouvance, les principes qui devraient inspirer la délibération du peuple.

Il faut donc, à cet égard, réaffirmer que le lien social qui est défini par nos institutions se situe dans ce monde et non pas hors du monde, et qu'il tient de la volonté des citoyens et non pas de la puissance concurrentielle des communautés de croyances auxquelles ils pourraient être tentés de se référer.

Il y a donc essentiellement nécessité d'établir un espace neutre. Cet espace, nous le croyons aussi, doit être celui des institutions, et, en particulier, celui de l'institution par excellence de la reproduction sociale, l'école. Et, de ce point de vue, il nous semble essentiel que tous les acteurs en présence des enfants affichent la plus parfaite neutralité. De ce point de vue, les professeurs ne sont pas les seuls qui devraient être soumis à la règle d'exemption des signes ostentatoires, mais bien tous les personnels d'une école, tous ceux et celles qui interviennent auprès de nos enfants, qui doivent être absolument exempts de toute référence à des principes et à des croyances qui viendraient en concurrence avec l'affirmation solennelle : l'école est laïque, et ceux qui la construisent sont tenus à respecter le principe de la laïcité et à tenir un devoir de réserve quant à l'expression, pendant les heures de travail, de leurs croyances et de leurs opinions. Il n'y a pas de différence fondamentale à cet égard, aucune croyance ne peut se substituer au principe de la laïcité.

Le Président (M. Bachand) : Il vous reste deux minutes pour l'exposé, désolé.

M. Monière (Denis) : Merci, M. le Président, de me donner ces quelques minutes pour intervenir plus directement dans le contenu du projet de loi. Auparavant, je dois rappeler que nous sommes la plus vieille revue du Canada et nous sommes la troisième plus vieille revue de langue française au monde. Ceci nous amène donc à introduire un argument historique dans ce débat, à savoir que la question de la laïcité se pose au Québec dans un contexte de domination coloniale, et ce débat existe depuis deux siècles, depuis la querelle entre les écoles de fabrique et les écoles de syndics. Ce débat perdure. Une société ne peut pas évoluer en étant empêchée d'avancer par un autre régime politique.

Ceci dit, nous sommes très heureux de voir que le gouvernement du Québec, avec ce projet de loi, s'inscrit dans la continuité historique des revendications des Patriotes, qui avaient inscrit, dans leur déclaration d'indépendance en 1838, le principe de la séparation de l'Église et de l'État. Ce projet de loi est un bon pas dans la bonne direction, mais il est nécessairement insuffisant. Il est trop limité dans ses objectifs.

Nous aimerions attirer l'attention des membres de cette commission sur ce que devrait être un État laïque. Un État laïque ne s'impose pas simplement par des considérations sur le port de signes ostentatoires. Un État laïque devrait s'attaquer au financement des écoles confessionnelles. Un État laïque devrait aussi établir une justice fiscale, car il est inadmissible que des non-croyants, par leurs impôts, contribuent au financement de la propagation de la foi. Nous sommes en faveur de l'égalité de tous les citoyens, pas seulement les citoyens croyants, mais aussi l'égalité des citoyens non croyants.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Nous allons passer à la période d'échange. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Salutations à vous, aux membres de la commission. M. Laplante, M. Monière, bonjour. Merci de participer aux travaux de la commission aujourd'hui.

Écoutez, lorsque j'ai pris connaissance de votre mémoire, notamment, vous dites dans le cadre de celui-ci qu'on devrait s'inspirer du gouvernement de René Lévesque et enchâsser des dispositions de dérogation sur l'ensemble des lois du Québec. Alors, je crois dénoter par ce propos que vous êtes en accord avec le fait qu'on utilise les dispositions de dérogation prévues à la charte québécoise et à la Charte canadienne, mais aussi vous voudriez qu'on aille beaucoup plus loin et que toutes les lois adoptées par l'Assemblée nationale soient... on utilise les dispositions de dérogation des deux chartes. C'est bien ça?

M. Laplante (Robert) : C'est tout à fait exact, il ne doit y avoir nulle autorité au-dessus de l'Assemblée nationale du Québec, qui est le lieu et la voie d'expression de la souveraineté du peuple du Québec.

M. Jolin-Barrette : Et donc, pour vous, l'idée, c'est de soustraire toutes les lois au fait qu'il y a un contrôle des tribunaux en lien avec, supposons, pour les articles... la charte des droits et libertés, donc pour la Charte canadienne, les articles 2, 7 à 15 ne s'appliquent jamais et que ce soit uniquement le Parlement du Québec qui légifère sur ce dossier.

M. Laplante (Robert) : C'est fondamental, c'est fondamental. Cette Constitution est illégitime, c'est même la Cour suprême du Canada qui a trouvé son rapatriement plutôt mal venu, et il n'y a aucune raison que le Québec y souscrive. Et, tant et aussi longtemps que le Québec n'aura pas sa propre constitution et son indépendance pleine et entière, il faut profiter de toutes les occasions pour affirmer notre volonté, affirmer la souveraineté de l'Assemblée nationale et élargir l'espace de liberté. Il ne faut pas que les représentants élus du peuple québécois soient mis en échec par des juges nommés par un gouvernement étranger.

M. Jolin-Barrette : O.K. Mais, dans le cadre qui nous occupe, là, sur la question de l'utilisation de la disposition de dérogation pour le projet de loi n° 21, là, vous êtes d'accord avec le fait que le débat soit tranché par les parlementaires québécois et non pas que la définition des rapports entre l'État et les religions se fasse devant les tribunaux. Vous trouvez ça légitime que ce soit ici, à l'Assemblée nationale, qu'on détermine c'est quoi, ces rapports-là?

M. Monière (Denis) : Exact. C'est exactement le contenu de notre pensée. Vous savez que tous les partis à l'Assemblée nationale qui ont été au gouvernement ont appliqué la clause dérogatoire, vous ne serez pas le premier à le faire. Ce n'est pas une clause qui a été demandée par le Québec, c'est une clause qui a été demandée par les provinces de l'Ouest pour signer la Constitution. Donc, cette clause dérogatoire, elle est totalement acceptable dans le cadre constitutionnel canadien.

M. Jolin-Barrette : O.K. Sur l'aspect de la charte québécoise, dans le cadre du projet de loi, on vient modifier la Charte des droits et libertés de la personne, appelée la charte québécoise, pour y inclure, dans le préambule, la laïcité de l'État et même chose à l'article 9.1, ajouter également la laïcité de l'État pour que les droits et libertés fondamentaux s'interprètent à la lumière de la laïcité de l'État. Souvent, il y a plusieurs personnes qui vont dire : La charte québécoise, c'est lié à l'identité québécoise. Est-ce que, pour vous, le fait de modifier la charte, ça amène une tension avec l'identité québécoise ou la laïcité, ça devrait faire partie intrinsèquement de la Charte des droits et libertés de la personne?

M. Monière (Denis) : La laïcité devrait faire partie de la charte comme principe d'interprétation des lois votées par le Parlement. Cette charte, comme n'importe quelle charte, va évoluer dans le temps. Il n'y a pas de coulage dans le béton, de principe qui guide l'interprétation des lois; ceci est un processus évolutif. Donc, c'est tout à fait acceptable et même positif pour un État laïque de se référer à ce principe de la séparation entre les religions et l'État. C'est très important que ce principe... parce qu'il fonde, et on rappelle ici, il fonde l'égalité et la liberté des citoyens. Et, à mon avis, ça ne fait pas partie de l'identité québécoise, ça peut vous surprendre que je dise ça, parce que la laïcité n'est pas québécoise, la laïcité est un principe universel qui, depuis le siècle des Lumières, s'établit dans les nations modernes pour gérer les conflits entre croyances. Et donc le Québec a évolué lentement vers la modernité, mais vous allez nous faire faire un pas supplémentaire.

• (10 h 20) •

M. Jolin-Barrette : Espérons que, tous ensemble, nous allons faire faire un pas vers la modernité, comme vous le dites.

Vous avez abordé beaucoup la question de l'univers juridique et intellectuel du monarchisme anglo-saxon dans le cadre de votre mémoire. Vous dites... écoutez, je crois dénoter de vos propos que, pour vous, le Québec est une société distincte qui a des spécificités propres, mais vous nous dites aussi, dans le mémoire : On devrait aller beaucoup plus loin. Alors, pour vous, est-ce que le projet de loi, il est modéré ou il est radical?

M. Monière (Denis) : De toute évidence, très modéré, parce qu'il n'attaque pas les aspects importants de la laïcité de l'État. On les laisse de côté, et je peux comprendre que, stratégiquement, ce soit nécessaire de le faire, mais il faudra revenir à charge. Ce n'est pas une question qui sera réglée après la loi n° 21, il y a d'autres dimensions majeures pour établir une véritable laïcité au Québec, et j'ai parlé tout à l'heure de la justice fiscale. Il est tout à fait inadmissible que des religions, des institutions religieuses profitent d'avantages fiscaux auxquels les simples citoyens n'ont pas droit.

M. Jolin-Barrette : O.K. Et, au niveau de l'histoire du Québec, dans le cadre du projet de loi, à l'article 16, on prévoit une protection pour l'aspect patrimonial. Il y a un groupe qui est venu nous dire : Écoutez, vous devriez peut-être faire référence au patrimoine multiconfessionnel du Québec. Donc, de faire référence, bon, à tout ce qui est de la chrétienté, catholicisme, anglicanisme, le judaïsme, l'islam. Donc, comment vous accueillez ça si on changeait, dans le cadre du projet de loi, la référence au patrimoine multiconfessionnel plutôt qu'au patrimoine confessionnel?

M. Laplante (Robert) : Un principe d'application universel s'applique à toutes les confessions. Et, évidemment, puisqu'on parle de protection du patrimoine religieux, bien, bien sûr, les édifices et les monuments qui mériteraient une protection doivent être avérés d'intérêt patrimonial. Mais je vois très bien la protection des synagogues. Écoutez, le Québec a été à l'avant-garde de l'Occident en ce qui concerne les droits des Israélites, je ne vois pas pourquoi nous ferions preuve d'étroitesse d'esprit et de singulière pensée rétrograde en niant les présences matérielles de ce gain que la société québécoise a réalisé. Donc, la protection du patrimoine est d'un intérêt national, et cet intérêt-là, il est évidemment défini dans les caractéristiques pluralistes de notre société. Le Québec n'a jamais été une société entièrement catholique, et, à cet égard, il ne le sera pas davantage au lendemain de l'adoption du projet de loi n° 21, si j'ai bien lu.

M. Monière (Denis) : J'aimerais ajouter un point supplémentaire. Il faut parler de patrimoine, mais de patrimoine immatériel aussi. Parce que vous avez évacué, dans votre question, la part que les autochtones ont jouée, et donc il est évident que le patrimoine religieux autochtone devrait aussi être pris en considération. Mais ça me semble difficile dans la mesure où ce patrimoine est de nature plutôt immatérielle. Mais, avec l'UNESCO, on sait très bien que le concept de patrimoine immatériel, maintenant, est reconnu, et donc je pense que, si jamais vous alliez dans cette direction, sans trop être détaillé, il faut aussi inclure le patrimoine religieux autochtone animiste, hein, qui est une très grande différence par rapport à notre patrimoine religieux fondé sur la vérité révélée par le livre.

M. Jolin-Barrette : M. le Président, je vous remercie. Je sais que j'ai des collègues qui veulent poser des questions, mais je vous remercie de votre présence en commission parlementaire.

Le Président (M. Bachand) : M. le député de Bourget.

M. Campeau : Merci, M. le Président. M. Monière, M. Laplante, bonjour. Moi, j'ai toujours vu que la position du gouvernement, c'était de vouloir régler un problème relié à la laïcité. J'en entends parler partout, j'en entends parler dans mon comté : On va-tu finir d'entendre parler de ça? Alors, moi, ça date de plus de 10 ans, et c'est tout, si on peut cerner ce problème-là, l'entourer le mieux possible, ce ne sera jamais parfait, ça va être bien.

Ce qui m'inquiète dans votre position, c'est que j'ai peur que vous fassiez dévier le débat en parlant de république... Moi, je vais juste parler de laïcité, juste ça, là, seulement. J'ai peur que vous mettiez de l'huile sur le feu. N'avez-vous pas une crainte vous-même de faire dévier le débat et de mettre de l'huile sur le feu au lieu de régler un problème?

M. Monière (Denis) : Écoutez, nous, nous ne sommes pas des sapeurs-pompiers. Vous savez, comme moi, ou vous l'avez peut-être appris, que gouverner, c'est prévoir, et donc on doit, je pense, quand on est un législateur, envisager toutes les dimensions d'un problème et pas seulement un aspect particulier. Et donc notre but n'est pas de faire peur, notre but est de dire les choses comme nous les pensons. Nous sommes aussi des citoyens, nous avons des opinions et nous croyons que le Québec y gagnerait, à avoir un véritable État laïque, comme l'espéraient les patriotes en 1837. Ceci fera-t-il peur à des gens? Non. Ceci les amènera à réfléchir aux diverses considérations qui sont sous-jacentes au problème de la laïcité. La laïcité, ça ne se limite pas à gérer les habits des gens qui travaillent pour l'État, et il faut que les gens le sachent.

Le Président (M. Bachand) : Ça va? M. le député de...

Une voix : Je pense qu'il y en a d'autres personnes, qui veulent intervenir, n'est-ce pas?

Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le député de Chapleau, s'il vous plaît.

M. Lévesque (Chapleau) : Oui, merci beaucoup. Merci, M. Laplante et M. Monière, chers collègues, bonjour, tout le monde.

À la lumière de votre mémoire, vous dites que «tout citoyen a le droit de recevoir des services publics dans la sérénité sans être obligé de s'exposer à des croyances qu'il ne partage pas». Ça, c'est une de vos lignes... de votre mémoire. Vous avez raison, c'est une des bases du projet de loi, mais cette base est quand même implicite. Pensez-vous que ça devrait devenir de façon explicite dans le projet de loi, donc que ça soit clairement écrit ou dit?

M. Laplante (Robert) : Absolument.

M. Monière (Denis) : Nous avons prévu — on n'a pas eu le temps de le dire, mais vous l'avez dans notre mémoire — qu'il devrait y avoir un considérant supplémentaire au départ, celui-ci étant : que l'État du Québec entend reconnaître la laïcité comme caractéristique fondamentale du régime politique fondé sur l'autorité du peuple, ce qui cadre très bien cet aspect de la question. Mais ça, ça suppose un considérant que vous devriez ajouter comme législateurs.

M. Lévesque (Chapleau) : Merci. Il y en a qui prétendent qu'il n'y a pas vraiment d'analogie à faire entre le projet de loi n° 21 sur la laïcité et la loi 101 à l'époque. Vous qui êtes un groupe ayant un intérêt, une expertise également en matière linguistique, pouvez-vous nous en dire plus, dans le fond, sur ce que vous pensez de l'analogie entre la loi 101 puis le projet de loi à l'étude?

M. Laplante (Robert) : Alors, pour bien comprendre ce lien, il faut réfléchir aux positions et aux postures sous-jacentes. La Constitution du Canada a été rapatriée, on y a enchâssé la charte canadienne pour empêcher la constitution du Québec français. C'était la loi 101 à ce moment-là. Plus tard, ce sera la loi n° 99, et, peut-être, éventuellement, le projet de loi n° 21 subira-t-il le même sort. Ce qui est en cause dans chacun de ces cas, c'est l'affirmation que l'Assemblée nationale du Québec est l'expression suprême de la volonté du peuple du Québec, ce qu'évidemment le régime canadien nie. Le Québec est une nation, mais c'est une nation empêchée par un régime dont l'architecture a été conçue pour en contenir l'expression et l'épanouissement.

Le Président (M. Bachand) : ...s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Bonjour, messieurs. Vous dites, en lien avec l'obligation de recevoir des services à visage découvert, que ce qu'on prévoit dans le cadre du projet de loi, que, pour des motifs d'identification et de sécurité, on doit se découvrir, vous dites : Écoutez, on devrait aller plus loin que ça, on devrait l'exiger en tout temps. Je voudrais vous entendre là-dessus. Pourquoi, et pourquoi vous ne trouvez pas que la position que le gouvernement a prise relativement à la réception des services à visage découvert pour des motifs de sécurité et d'identification, ce n'est pas la bonne approche, selon vous?

M. Laplante (Robert) : Essentiellement, nous avons fait un ajout parce que le texte dit : «lorsque nécessaire». Dans notre compréhension de ce qu'est un État laïque, la prestation des services doit être faite à visage découvert en tout temps dans le contexte de la prestation de services. Si les gens veulent se couvrir le visage en allant au parc, en allant faire leurs emplettes au centre commercial, libre à eux. Mais l'État ne doit pas consacrer, dans sa prestation de services, la reconnaissance d'une ségrégation importée dans l'organisation des services publics.

• (10 h 30) •

M. Jolin-Barrette : Je reviens là-dessus, mais toute la question, dans le fond, des... dans le cadre du projet de loi n° 62, il y a eu un important et un fort long débat par la précédente ministre de la Justice, qui avait présenté le projet de loi, en lien, notamment, avec le fait que la prestation de services, c'était pour l'interaction et la communication, notamment, durant toute la prestation de service. Et on avait vu plusieurs cas notamment d'application de la loi, notamment l'exemple de l'autobus. Est-ce que la personne qui rentre dans l'autobus doit conserver son visage à découvert durant toute la prestation du service? Je voudrais vous entendre là-dessus, au niveau de l'applicabilité, parce que je comprends que vous m'invitez à élargir la portée de l'article que j'ai introduit. Je voudrais savoir comment vous voyez ça, au niveau de l'applicabilité, au niveau, supposons, du critère de communication et d'interaction.

M. Monière (Denis) : Si je saisis bien question, votre intérêt, c'est de savoir jusqu'à quel point les employés de l'État pourraient travailler à visage couvert. C'est bien ça, votre...

M. Jolin-Barrette : Non, non, pas les employés. Les employés, c'est très clair dans le projet de loi, tous les employés de l'État travaillent à visage découvert. C'est au niveau...

M. Monière (Denis) : ...question des usagers.

M. Jolin-Barrette : Les usagers.

M. Monière (Denis) : Bien, dans les questions d'autobus, par exemple, s'il n'y a pas de problème particulier, une personne s'habille comme elle veut. Évidemment, on ne peut pas prévoir toutes les situations dans un projet de loi, mais il n'y a rien qui doit entraver la façon de s'habiller des gens qui sont sur la rue, au parc, à la maison, au théâtre, au cinéma. Les gens font ce qu'ils veulent, mais pas comme employés de l'État. C'est ça.

Le Président (M. Bachand) : En terminant, M. le ministre, oui?

M. Jolin-Barrette : Oui. Bien, ça, c'est très clair, là : dans le cadre du projet de loi, tous les employés de l'État, dans le cadre de leurs fonctions, ont le visage à découvert. C'est relativement aux usagers que l'identification est nécessaire pour des motifs de sécurité ou d'identification. Alors, là-dessus, vous êtes d'accord avec ça?

Des voix : Bien sûr.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.

Mme David : Bonjour, messieurs, chers collègues. M. Monière, bonjour. Écoutez, vous avez un mémoire qui traduit réellement le fond de votre pensée, on peut saluer ça. Comme on pourrait dire en bon québécois : Il n'y va pas avec le dos de la cuillère. Il est exactement là où vous êtes dans beaucoup de positions que vous avez prises, non seulement pour aujourd'hui, mais pour bien d'autres dossiers, je pense qu'on pourrait dire clairement, clairement indépendantiste. Je ne pense pas me tromper.

Ce qui m'embête un petit peu, c'est que vous êtes devant un gouvernement qui se dit fédéraliste; ça, vous êtes conscients de ça. Et il n'y aura pas de référendum et il y aura... et mon collègue me dit : Nationalisme. Encore là, on va prendre facilement 12 minutes pour faire la différence. Il y a eu des gens qui sont très nationalistes qui peuvent être fédéralistes aussi, mais on est dans un gouvernement fédéraliste. Et il doit être un peu déprimé en vous lisant, quand même, parce que, clairement, clairement, vous ne serez pas et vous n'êtes pas satisfaits de... à part le recours à la clause de dérogation pour ce projet de loi ci, vous iriez immensément plus loin.

Puis, quand je lisais votre mémoire, je disais : Mon Dieu! Que dites-vous à notre gouvernement actuel? Parce que... «Nous savons que, sans l'indépendance, jamais le Québec ne pourra se mettre à l'abri du multiculturalisme, que jamais il ne pourra décider de lui-même sans avoir à subir le juridisme de l'illégitime charte canadienne.» On appuie «le projet de loi 21 parce qu'il permettra de préciser l'État que nous voulons tout en faisant apparaître les limites [qu'impose] une constitution qui nous reste étrangère», etc. Donc, je me dis, vous êtes déçus. Ils doivent être déçus peut-être de ne pas être aussi loin qu'ils voudraient, mais ils sont fédéralistes/nationalistes.

Donc, comment vous voyez que le gouvernement peut se gouverner en fonction de ce qu'ils ont dans leur identité de parti? Et vos représentations et votre vision à vous, vous qui êtes quand même, vous l'avez dit, une très vieille, mais dans le bon sens, organisation qui milite pour l'indépendance ou, à l'époque, très grand nationalisme canadien-français, comme on disait.

M. Laplante (Robert) : Bien, on va laisser le gouvernement avec ses états d'âme, le ministre répondra. Nous avons tenu à établir clairement que, dans le contexte politique actuel, l'art du possible, c'est d'aller chercher un petit gain, qui est celui que nous permettra de faire le projet de loi n° 21. Nous savons que l'indépendance n'est pas un événement, c'est un long combat qui se gagnera pouce par pouce et essentiellement par l'adjonction d'espaces de liberté. Alors, à cet égard, bien entendu, nous ne serons satisfaits que lorsque l'indépendance sera réalisée. Mais, entre-temps, nous savons aussi que le réalisme politique nous dicte des choix. Et ces choix, c'est d'abord celui d'affirmer qu'il n'y a personne au-dessus de l'Assemblée nationale du Québec, que le régime canadien n'a pas à interférer. Première chose.

Deuxième chose, une fois que cette affirmation est faite, quelles sont les possibilités d'élargir notre espace de liberté, étant donné ces contraintes, dans lesquelles le gouvernement du Québec, comme ses prédécesseurs, a accepté de fonctionner? Et nous respectons la volonté populaire. Ce n'est pas parce que nous la respectons que nous allons renoncer à ce qui nous apparaît comme essentiel. Et nous allons, sans relâche, expliquer à nos concitoyens comme à vous tous ici qu'il n'y a pas d'espace stable dans le Canada pour la liberté d'expression de la nation québécoise.

Aucun des gains réalisés par le Québec n'a réussi à résister au travail de sape de ce régime. On a charcuté la loi 101 à des centaines de reprises. Au moment où nous nous parlons, il y a contestation de la loi n° 99. Toutes les fois que s'affirme la volonté de l'Assemblée nationale comme expression populaire, il y a contestation, parce que c'est un régime qui ne tolère pas notre existence nationale, qui a une architecture qui nous réduit à être une communauté ethnique parmi les autres, ce que nous refusons farouchement, parce que c'est contraire à ce que nous sommes et à l'histoire.

Le Président (M. Bachand) : ...Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.

Mme David : D'ailleurs, pour aller dans la suite de vos propos, vous commencez, on pourrait dire, en lion, comme on dit. Quand vous dites : «Voilà plus de 10 ans que les débats autour de la laïcité de l'État du Québec s'enlisent dans des arguties innombrables ou les sophismes s'ajoutent...» — ou... ah! bien, ou devrait avoir un accent grave... «où les sophismes s'ajoutent [aux parjures,] aux injures pour empoisonner la vie de la nation et brouiller les esprits.»

Et ça continue : «Dans une constitution qu'il n'a pas choisie», bon. Alors, évidemment, pour les fédéralistes que certains peuvent être et sont au Québec, disons que c'est... on lit ça avec un petit peu de réactions, en disant : Est-ce qu'on injurie? Est-ce qu'on empoisonne la vie de la nation? Alors, disons que c'est un petit peu... C'est sûr que c'est fait pour, un peu, nous faire réagir aussi. Ça polarise un petit peu, peut-être, dans le sens de la question du député de Bourget.

Puis ça continue, mais c'est correct, clairement, vous êtes... La Constitution qu'il n'a pas choisie, etc. On veut «mettre à l'abri [le projet de loi n° 21] des manoeuvres de déconstruction [qui permettront] de mieux circonscrire...» La légitimité vient du peuple, etc., souveraineté... Ça revient beaucoup.

Et là ça m'a vraiment fait dire : Oui, mais il y a quand même un fondement de toute société démocratique, qui est le fondement juridique. Et le ministre va encore être déprimé d'une deuxième... Non seulement ils ne sont pas souverainistes, mais, en plus, vous leur annoncez... Des fédéralistes l'ont annoncé, mais vous, vous leur annoncez que le projet de loi va être contesté, c'est certain.

Alors, bien, aidez-nous à voir comment il va être contesté, parce que peut-être que le ministre, il fait tout ça pour éviter la contestation. C'est clair que le recours à la clause de dérogation, c'est pour ça, c'est évident. Alors, expliquez-nous en quoi vous êtes certain, certain que ce projet de loi va être contesté.

M. Monière (Denis) : Bien. C'est le principe même de la délibération publique. Un projet de loi ne fait pas l'unanimité, c'est très, très rare, et forcément il y a des divergences qui s'expriment, et, dans la société, il y aura des contestations qui prendront toutes sortes de formes. Et probablement aussi des formes juridiques. Il n'y a pas de mystère là-dedans. Je ne vois pas de problème. C'est la vie démocratique qui veut que, lorsqu'on arrive à faire un choix valable pour l'ensemble de la collectivité, il y en a qui ne sont pas d'accord, et donc ils vont continuer à contester.

Et ce problème est encore plus grave au Québec, parce que ces gens vont contester en s'appuyant sur la légitimité d'un autre État, et c'est ça, le vice du fédéralisme canadien. Le Canada vient contrer la volonté populaire du peuple et de ses élus parce qu'il a toutes sortes de moyens d'influence, dont la Cour suprême, le système juridique, la nomination des juges qui est faite par notre cher premier ministre.

Alors, vous trouvez que c'est un système démocratique qui permettra au peuple québécois d'exprimer librement ses aspirations? Nous disons non.

• (10 h 40) •

Mme David : Et donc, par la même occasion, vous dites au ministre qu'il erre grandement un utilisant la clause de dérogation puisqu'elle ne donnera rien, parce que, selon le ministre, c'est absolument ça, son outil pour éviter toute constestation judiciaire.

M. Laplante (Robert) : Le ministre ne se trompe pas, il achète du temps. Nous savons que le régime canadien fera essentiellement son oeuvre, comme il l'a fait pour la fois où Robert Bourassa a décidé de se prévaloir de la clause. Il n'y a pas de gouvernement du Québec à l'abri de ce déploiement du régime fédéral, qui nie l'existence nationale du Québec.

Alors, évidemment, il vaut mieux gagner quelques années, le temps que nous puissions convaincre nos concitoyens que rien n'est acquis de ce que notre Assemblée nationale décide dans un régime qui a pour fonction de la réduire à une grosse agence de services.

Mme David : Alors, je voulais quand même vous entendre un peu sur le rôle des juges, parce que, oui, vous dites à la page 2 : «...la charte canadienne est un instrument conçu pour confisquer leur travail de représentants du peuple, pour réduire les pouvoirs de l'Assemblée nationale.»

Alors, je me suis dit oui, mais on a quand même adopté à l'unanimité, en 1975, une charte québécoise des droits et libertés, mais nulle part, nulle part vous en faites mention, de cette charte québécoise, comme s'il y avait un système au Québec avec des juges nommés, bon, par le Québec, on a une charte québécoise, etc., et ça, vous êtes faites complètement fi.

M. Laplante (Robert) : Au contraire, c'est un acquis précieux, la charte québécoise, mais nous n'avons pas de constitution ni de Cour suprême pour l'évaluer et en juger l'évolution. Nous dépendons d'un tribunal étranger.

Mme David : Est-ce que j'ai raison de vous dire que la charte québécoise protège les droits, la liberté de religion, la charte québécoise?

M. Laplante (Robert) : Absolument.

Mme David : Et que c'est elle qui a inspiré la charte canadienne, parce qu'elle est arrivée avant. Alors, qu'est-ce que vous faites de la liberté de religion dans la charte québécoise?

M. Laplante (Robert) : La liberté de religion, elle n'est pas, ici, remise en cause. Le projet de loi ne remet pas en cause la liberté de religion, il définit de façon un peu plus précise les modalités du devoir de réserve dans la prestation des services — c'est le cas en particulier des clauses qui touchent les codes vestimentaires — mais il établit surtout que l'ensemble des institutions de l'État ne forment pas un lieu d'expression pour les croyances, quelles qu'elles soient, et pour toutes les croyances. Et, à cet égard, l'exigence de la neutralité est une garantie précisément que toutes les croyances peuvent s'exprimer, que toutes les croyances peuvent être acceptables dans les limites de la vie sociale, mais que, dans l'État, elles sont placées sur le même pied d'égalité, même si, dans la société, elles peuvent se concurrencer...

Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le député de Jean-Lesage.

M. Laplante (Robert) : ...et c'est particulièrement le cas pour les non-croyants.

Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Merci, M. le Président. Merci, M. Laplante, M. Monière.

Je partage votre analyse sur la question de l'illégitimité du régime canadien. Québec solidaire considère que la Constitution, les lois constitutionnelles canadiennes sont illégitimes, que la disposition de dérogation par rapport à la charte canadienne a sa légitimité. Ici, par contre, ce qui m'étonne, je reprends un peu ce qui vient d'être soulevé à peine, c'est que la question de la charte québécoise des droits et libertés, bien, elle aussi, on décide d'y déroger. Est-ce que vous la trouvez, elle, légitime?

M. Monière (Denis) : On ne décide pas de déroger, on décide de la compléter, de la développer, et ce n'est pas du tout illégitime.

D'autre part, il ne faut pas non plus s'imaginer que la charte québécoise a une valeur constitutionnelle puisque c'est un autre État qui décide de l'application des principes. Donc, non, la charte québécoise, elle est très bien, mais elle n'a aucune valeur constitutionnelle puisqu'il n'y a pas un tribunal québécois qui l'interprète. C'est un tribunal canadien qui l'interprète. Voilà le problème de légitimité qui est posé et il faut que les Québécois se rendent compte de ces choses, parce que peu de gens, peu de groupes informent la population des rapports de pouvoir qui existent dans un régime fédéral.

Le Président (M. Bachand) : M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Merci. Donc, je comprends votre argument. Évidemment, moi, je veux que le Québec soit un pays et puis qu'on ait une charte qui soit constitutionnalisée, et tout ça. Toutefois, il y a, dans le projet de loi, une disposition de dérogation à la charte québécoise des droits et libertés. Est-ce que vous le trouvez légitime, qu'on déroge à une charte qui a été adoptée à l'unanimité, de façon souveraine par cette même Assemblée nationale?

M. Monière (Denis) : ...cette dérogation?

M. Zanetti : Bien, c'est pour éviter les... Je n'ai pas assez de temps pour aller refouiller et vous donner le numéro, là, mais... parce qu'il me reste 50 secondes. Mais, en tout cas, j'aurais voulu avoir cette réponse-là.

Sinon, je voulais savoir... bon, juste parce que j'aime ça qu'on aborde le sujet de l'indépendance du Québec. Dans un pays indépendant, est-ce que vous souhaitez qu'on ait une charte des droits et libertés de la personne et des tribunaux qui nous soient propres, qui aient été choisis légitimement et qui puissent, bien, protéger la liberté de religion, par ailleurs?

M. Monière (Denis) : Bien, évidemment qu'on veut protéger toutes les libertés de croyance, les religions n'étant qu'une des croyances qui existent. Ce qu'on veut éviter, c'est que la religion soit considérée comme une valeur supérieure aux autres valeurs républicaines. Ça, c'est notre objectif et c'est pour ça qu'on va se battre, dans une future constitution du Québec indépendant, pour que la religion ou Dieu ne soit pas considéré comme au-dessus du citoyen.

M. Zanetti : Et vous considérez que c'est le cas aujourd'hui au Québec?

M. Monière (Denis) : Au Québec, c'est le cas parce que la Constitution canadienne le prévoit.

M. Zanetti : Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Matane-Matapédia, s'il vous plaît.

M. Bérubé : Merci, M. le Président. M. Laplante, M. Monière, je cite votre mémoire : «Nous savons que, sans l'indépendance, jamais le Québec ne pourra se mettre à l'abri du multiculturalisme, que jamais il ne pourra décider de lui-même sans avoir à subir le juridisme de l'illégitime charte canadienne. Nous appuyons le projet de loi 21 parce qu'il permettra de préciser l'État que nous voulons tout en faisant apparaître les limites que nous impose une constitution qui nous reste étrangère. L'esprit républicain au fondement de la conception québécoise de la laïcité est incompatible avec le régime monarchiste et la sacralisation du multiculturalisme comme doctrines [d']État.»

Pour nous, au Parti québécois, indépendantistes, nous sommes totalement d'accord avec vous. Il n'y a pas d'ambiguïté. Puis il y a un double message que vous envoyez, d'abord, à toutes les personnes au Québec qui souhaitent que l'État québécois soit laïque ou pleinement laïque, les limites de la Constitution canadienne. Alors, je les invite à faire une réflexion très sérieuse sur les objectifs qu'ils poursuivent et les limites qu'ils atteindront très rapidement. Vous l'avez indiqué : clause dérogatoire, on gagne du temps. Tôt ou tard, il faudra se rendre à l'évidence que la volonté populaire exprimée par les parlementaires québécois et par grand nombre de citoyens québécois est incompatible avec le régime constitutionnel actuel.

L'autre message, il s'adresse à l'ensemble des indépendantistes. Les indépendantistes auraient intérêt à s'unir en bloc derrière le projet de laïcité, ce qui n'est pas le cas. Vous venez d'en avoir une belle démonstration juste avant moi. Alors, aux deux groupes, ceux qui veulent la laïcité sans l'indépendance, c'est une laïcité qui est partielle, qui est compromise, qui est temporaire, intermittente. Et, pour les indépendantistes, il y a là une volonté d'exprimer un message fort au nom du peuple québécois.

Alors, là-dessus, j'aimerais ça vous accorder un moment à nouveau pour nous indiquer en quoi la seule voie possible pour atteindre cet objectif, c'est l'indépendance du Québec.

M. Monière (Denis) : Dans tout mouvement indépendantiste, évidemment, il y a des orientations diverses, et certains adoptent une position au temps x, ils n'adoptent plus cette position au temps y, ce qui met en cause évidemment la crédibilité de leur discours. Parce que, s'ils se sont dit que la laïcité est une grande vertu au temps x et, au temps y, ils disent que ce n'est pas important, bien, à ce moment-là, on peut aussi mettre en cause leur discours sur l'indépendance puisqu'ils nous ont dit dans le passé que l'indépendance, c'était une chose essentielle, alors, demain, peut-être nous diront-ils autre chose. Voilà. Ça, c'est les incohérences de certains politiciens. Ce n'est pas une chose nouvelle non plus en politique, hein?

Le Président (M. Bachand) : En terminant, oui.

M. Bérubé : Sur la laïcité, à toutes ces personnes qui font la réflexion que l'État québécois doit être laïque, puis, au-delà de ce qui est proposé, parce que vous proposez une réflexion sur la financement des écoles confessionnelles, par exemple, sur la fiscalité religieuse, il m'apparaît que cette réflexion-là devrait s'accompagner de la seule clé pour atteindre la laïcité qu'est l'indépendance du Québec. On pourrait aller beaucoup plus loin sans avoir constamment la peur que le gouvernement fédéral ou les tribunaux puissent contester la volonté populaire du Québec.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Malheureusement, désolé, malheureusement, c'est tout le temps qu'on a. Mais je vous remercie infiniment pour votre contribution, messieurs.

Je vais suspendre les travaux pour quelques instants afin d'accueillir notre prochain invité, M. Guy Rocher. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 10 h 50)

(Reprise à 10 h 53)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Alors, au nom de la commission, je souhaite la bienvenue à M. Guy Rocher. Et j'invite M. Rocher à débuter sa présentation...

S'il vous plaît, à l'ordre, merci! M. le député, s'il vous plaît!

Alors, M. Rocher, vous avez la parole pour 10 minutes. Après ça, nous avons un échange avec les membres de la commission. Alors, bienvenue, vous avez la parole.

M. Guy Rocher

M. Rocher (Guy) : Merci, M. le Président, M. le ministre, mesdames messieurs. Je vous remercie de m'avoir invité, je vous remercie de m'écouter, je vous remercie de tout le travail que vous faites dans le but d'améliorer ce projet de loi.

J'ai voulu vous présenter un mémoire et venir vous le présenter avec l'objectif de partager avec vous les raisons pour lesquelles, depuis plus de 50 ans, j'ai appuyé la laïcité, la déconfessionnalisation de nos institutions publiques. Et, dans mon mémoire — comme vous l'avez vu, qui est très court, pour vous éviter trop de lecture — j'ai proposé de regarder ce projet de loi à la fois dans une perspective historique, parce qu'il a une histoire, ce projet de loi, et dans une perspective d'avenir, parce qu'un projet de loi de cette nature est fait pour l'avenir.

Si l'on se tourne vers le passé, il y a deux grandes transformations, deux grands changements qui ont marqué le Québec de manière très profonde. C'est d'abord, évidemment, la démocratisation du système d'éducation, qui a fait que, depuis 50 ans, les Québécoises et les Québécois ont pu accéder à l'enseignement, en grande partie gratuit, à l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur, sans discrimination, et, sur la plus grande partie, et sur tout le territoire du Québec.

Et le deuxième grand changement, c'est la déconfessionnalisation, qui a été un changement majeur, hein? Qui, la déconfessionnalisation, a été absolument nécessaire à la démocratisation. Il est apparu, très clairement, au début des années 60, au début de la Révolution tranquille, que l'on ne pouvait pas démocratiser notre système d'éducation en maintenant les structures confessionnelles que nous avions à l'époque, parce que, ces structures confessionnelles, elles étaient nécessairement, de soi, discriminatoires, et elles ne pouvaient pas favoriser l'ensemble des étudiants et des familles de toute la population québécoise.

Je dirais que ce qui a lancé la déconfessionnalisation, ce sont les années 1967, 1968, 1969. Ces trois années, elles sont charnières dans l'histoire du Québec, parce que c'est dans ces trois années qu'ont été créés les 30 premiers cégeps. C'est dans ces trois années qu'a été créé le réseau des Universités du Québec. Si bien que, dans ces trois années, 1967, 1968, 1969, nous avons établi, au Québec, notre système d'enseignement supérieur collégial et universitaire. Ces trois années sont magiques en quelque sorte dans notre histoire. Et, en même temps qu'elles sont magiques, ce sont les années où l'on a, pour la première fois, institué des institutions neutres, laïques, parce que, quand on a créé les cégeps, on les a créés comme institutions laïques. Quand on a créé l'Université du Québec, on l'a créée comme laïque. Et l'Université Laval et l'Université de Montréal, à leur tour, se sont laïcisées. Ça a été le premier mouvement de déconfessionnalisation.

La suite, évidemment, comme on le sait, a été plus lente. La déconfessionnalisation des écoles primaires et secondaires a été beaucoup plus lente. Elle a pris quelque chose comme 35 ans à se faire, à cause, en particulier, de l'opposition des protestants, qui ne voulaient pas perdre l'autonomie de leurs commissions scolaires protestantes, à cause aussi en partie des catholiques, qui voulaient maintenir ce qu'ils appelaient des écoles à statut catholique. Mais, au primaire et au secondaire, pendant 35 ans, nous avons vécu dans un système très particulier, parce que les structures étaient confessionnelles, les commissions scolaires étaient confessionnelles, les écoles avaient pris un caractère confessionnel ou gardé un caractère confessionnel, mais, dans la réalité, l'enseignement n'était plus confessionnel. Pour une raison bien simple. C'est qu'en particulier, au secondaire, quand on a créé les polyvalentes, on est allé chercher des enseignants qui étaient tous des laïcs, et non seulement qui étaient tous des laïcs, mais des enseignants qui avaient, à l'époque, des convictions religieuses très variées. On avait, dans les premières polyvalentes, des nouveaux professeurs qui, tout à coup, étaient athées, on n'avait jamais vu cela, on avait des professeurs qui étaient maoïstes, il y en avait d'autres qui étaient trotskistes, il y en avait d'autres qui étaient très catholiques. Il y avait donc une variété de convictions religieuses chez les professeurs.

Je dirais que la déconfessionnalisation a d'abord respecté la diversité des convictions religieuses de l'enseignant, mais surtout aussi les convictions religieuses des étudiants. Et cela, c'était le départ de la déconfessionnalisation. C'est vraiment ce principe, et c'est ce que j'appelle, pour moi, le principe fondateur de la déconfessionnalisation, c'est le respect des convictions religieuses des élèves, des étudiants, des parents lorsqu'il s'agit des écoles primaires et secondaires et, j'ajoute, des collègues. Et c'est de principe qui, à mon avis, a fait que, depuis 50 ans, nous avons assisté à une déconfessionnalisation qui s'est faite non sans difficulté, non sans opposition, mais sans crise grave. C'est ce principe qui, à mon avis, est le principe fondateur de notre système démocratique, de notre démocratie scolaire.

Ce qui me frappe depuis quelques années, c'est que ce principe est remis en question et que, maintenant, on veut accorder priorité aux convictions religieuses des enseignants. Je suis absolument opposé à ce virage de 480 degrés, qui, pour moi, est très grave. J'y suis opposé pour au moins trois ou quatre raisons.

• (11 heures) •

La première, c'est que, bien sûr, ce qui va dans le sens de ce qui s'est passé depuis 50 ans au Québec, c'est plutôt la laïcisation, la neutralité complète des institutions publiques, scolaires en particulier. C'est la trame. Ce n'est pas le principe du respect de l'instituteur ou de l'institutrice, c'est le principe du respect des élèves, des étudiants, des professeurs et des collègues. C'est ce grand principe, et je trouve qu'en ce moment on est en train de renier ce principe, en quelque sorte, ou on propose de le renier, mais, pour ma part, je pense que c'est aller à contre-courant de ce qu'a été et de ce qu'a voulu la société québécoise, et en particulier le milieu scolaire depuis 50 ans.

Deuxièmement, dans les années 60, 70, 80, on a laïcisé et déconfessionnalisé notre système d'éducation. Ça s'est terminé vers l'an 2000, à peu près, 1997‑2000. On l'a démocratisé parce qu'on s'était rendu compte que la société québécoise, la population québécoise était pluraliste dans ses convictions religieuses. Eh bien, si, en 1970, il fallait respecter le pluralisme, a fortiori aujourd'hui parce que le pluralisme religieux d'aujourd'hui, il est sans commune mesure avec le pluralisme que l'on observait dans les années 60‑70... Dans les années 70, on était étonnés tout à coup au Québec de constater que, chez les Canadiens français, nous n'étions plus unanimement catholiques. Je me souviens du choc qu'a produit en 1960 la création du Mouvement laïque de langue française. Je me souviens d'un article fameux de Gérard Pelletier, qui, à l'époque, était journaliste au Devoir et qui était directeur de la nouvelle revue qui s'appelait Cité libre, un article qu'il avait intitulé Feu l'unanimité. Et Pelletier s'étonnait que, tout à coup, au Québec, des Canadiens français se présentaient comme athées ou encore des familles canadiennes-françaises catholiques refusaient d'envoyer leurs enfants à l'école catholique parce qu'elle était trop catholique. Eh bien, le pluralisme, aujourd'hui, il est tellement sans commune mesure avec ce pluralisme des années 70.

Troisièmement, je considère qu'on ne peut pas, dans l'état actuel de fragmentation religieuse que nous connaissons maintenant... car c'est le paysage religieux dans lequel nous sommes maintenant, les grandes religions catholique et protestante ne sont plus sur la place publique ni dans le pouvoir public comme elles étaient. Le paysage religieux d'aujourd'hui, c'est celui d'une fragmentation, et d'une fragmentation qui s'en va de plus en plus vers l'avenir dans ce sens-là. Et, dans ce paysage de fragmentation, je considère que le respect des minorités religieuses, parce que c'est elles maintenant qui sont sur la place, le respect des minorités religieuses exige l'égalité entre les minorités religieuses. Si l'on accepte, si l'on accepte qu'une religion, à l'école, soit plus présente, soit plus visible qu'une autre, je crois qu'on manque de respect à l'endroit des minorités religieuses parce que la neutralité de l'État, la neutralité religieuse veut dire que l'on ne favorise aucune religion. Or, si l'on accepte que des enseignants ou des directeurs d'école portent des insignes religieux, on favorise, on offre l'occasion à une religion, entre autres, peut-être d'autres aussi, d'être plus présente.

Or, ce qui est remarquable, c'est que, sociologiquement parlant, les religions ne sont pas égales entre elles. Il y a des religions plus riches que d'autres. Il y a des religions qui ont plus de pouvoir politique que d'autres. Il y a des religions qui ont plus d'adhérents que d'autres. Il y a des religions qui sont plus visibles que d'autres. Le catholicisme a été une religion beaucoup plus visible que le protestantisme, qui était une religion très discrète. Aujourd'hui, c'est l'islam qui est la religion visible, qui veut être visible. Et c'est la situation dans laquelle nous sommes. Et, à mon avis, il faut éviter, bien sûr, que ce projet de loi apparaisse et soit anti-islamique, parce que c'est très important qu'il ne le soit pas. Il se trouve que la conjoncture religieuse actuelle accorde à l'islam une visibilité que les autres religions n'ont pas.

À mon sens, la neutralité des institutions publiques et des écoles publiques de tout le système d'éducation publique, la neutralité que nous avons établie depuis 50 ans exige que l'on tienne compte de ces inégalités et que l'institution établisse une égalité entre toutes les religions dans l'instruction publique, qu'elle ne favorise aucune des institutions, aucune des religions. Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. Rocher. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. M. Rocher, merci d'être présent aux travaux de la commission. Votre présence est grandement appréciée, que vous puissiez nous faire bénéficier de vos commentaires, de votre expérience et de vos observations en lien avec le projet de loi, et c'est un honneur pour les membres de la commission de vous recevoir ici.

D'entrée de jeu, vous avez dit : On a débuté dans les années 60, au niveau de la déconfessionnalisation des écoles, particulièrement avec les cégeps, avec les universités. Est-ce que vous diriez que le début de la sécularisation de la société québécoise débute avec le système scolaire?

M. Rocher (Guy) : ...

M. Jolin-Barrette : Est-ce que vous diriez que le début de la déconfessionnalisation de la société québécoise a commencé avec le système scolaire?

M. Rocher (Guy) : Oui, je le crois, vraiment. Je pense que c'est dans le système scolaire qu'on a compris le plus rapidement, à cette époque, que l'avenir économique du Québec exigeait un système d'éducation démocratique et, pour cela, un système d'éducation non confessionnel. C'était très clair.

Et je me souviens qu'un jour on demandait à Jacques Parizeau : Qu'est-ce qui a le plus contribué à transformer le Québec? Et Jacques Parizeau a dit : Mais c'est la démocratisation du système d'éducation. Si on n'avait pas fait cette démocratisation du système d'éducation, on serait très loin en arrière, on n'aurait pas le Québec d'aujourd'hui, bien sûr, ni sa prospérité ni sa culture. Et, en même temps, il fallait vraiment que... si on voulait démocratiser, il fallait déconfessionnaliser. Et cela, je tiens à le dire, s'est fait évidemment... ne s'est pas fait si facilement que cela, hein, il y avait des oppositions. Les catholiques avaient leur opposition, et, comme je l'ai dit tout à l'heure, les protestants aussi, et d'autres. Mais ce qui est remarquable, c'est qu'il n'y a pas eu de grave crise.

Nous connaissons, en ce moment, une crise beaucoup plus importante que ce que nous avons connu en 1960, 1970. Et je crois que la raison pour laquelle nous n'avons pas connu de crise à l'époque, c'est parce que la notion de démocratie était beaucoup plus présente dans la population québécoise, dans l'idéologie québécoise, qu'aujourd'hui. Aujourd'hui, la démocratie est un peu prise comme un acquis, comme une institution qui est là, alors que, dans les années 60, 70, la démocratie était prise comme un projet, un projet d'égalité, un projet de solidarité. Et donc j'ai entendu beaucoup d'enseignants religieux et de religieuses me dire : Nous acceptons la grande transformation que vous nous imposez pour la démocratie, pour la démocratisation. C'était, je dirais, le mot de passe, en quelque sorte.

Et c'est en ce sens que l'opposition, finalement, s'est de plus en plus réduite, c'est que, au cours des 50 années qui sont passées, on s'est rendu compte que la démocratisation, de plus en plus, se faisait en déconfessionnalisant toutes les institutions... bien sûr, les commissions scolaires confessionnelles, hein, bien sûr, pour des raisons constitutionnelles, pour la protection des protestants.

Le Président (M. Bachand) : M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui. La semaine dernière, M. Gérard Bouchard est venu en commission parlementaire nous dire qu'il ne demandait qu'à être convaincu que les enseignants ne devraient pas porter de signe religieux. Il nous disait : Écoutez, si j'ai des données empiriques, je suis ouvert à ce qu'il y ait une interdiction au niveau du port de signe religieux pour les enseignants. Qu'est-ce que vous diriez à M. Bouchard en lien avec la nécessité, pour lui, d'avoir ces données empiriques là avant d'interdire le port de signes religieux pour les enseignants?

• (11 h 10) •

M. Rocher (Guy) : Pour les enseignants? Parce que, tout d'abord, je dois dire que M. Bouchard demande des preuves scientifiques d'une l'influence possible. À ce sujet, comme chercheur, je vais vous dire, c'est que, si ces preuves n'existent pas, c'est parce qu'il n'est scientifiquement pas possible de les faire. Je crois que — et là je parle en tant que chercheur qui a travaillé beaucoup dans le milieu scolaire, primaire, secondaire, cégep — je crois que la recherche que demande M. Bouchard, elle est méthodologiquement à peu près impossible à faire pour qu'elle soit scientifiquement valable et pour qu'on arrive à des conclusions que l'on peut appeler probantes. Et, même si... parce qu'une telle recherche, ça ne pourrait pas se faire tout simplement en distribuant des questionnaires aux garçons et aux filles des écoles, hein? Il faudrait que cette recherche, elle implique les parents, elle implique les enseignants. Il faudrait surtout qu'elle soit longitudinale, c'est-à-dire qu'on puisse suivre une génération pendant plusieurs années pour savoir combien de temps, sur quelle période de temps, dure cette influence ou ne dure pas cette influence, hein? Or, au bout de la ligne, ce qu'on pourrait dire à ceux qui ont fait la recherche, c'est que vous avez fait une recherche sur une génération, mais maintenant voilà que nous avons affaire à une autre génération. Votre recherche n'est plus valide pour la génération actuelle. Donc, moi, je dis : Non, ce n'est pas possible de faire une recherche scientifique, donc, ne demandons pas cela.

Moi, ma réponse à M. Bouchard, ce serait la suivante : je crois qu'en l'occurrence il faut recourir à ce que l'on appelle le principe de précaution dans les recherches sur l'environnement et la santé. Le principe de précaution, il est le suivant. C'est qu'on dit : Dans l'état d'incertitude, il faut protéger contre les risques possibles. Et je crois que cela s'applique en ce qui concerne l'école, en ce qui concerne les signes religieux. Dans l'incertitude, il faut protéger les élèves et les autres collègues aussi, et les parents, contre l'effet possible, l'effet possible. C'est le principe de précaution qui est utilisé dans le monde de la santé, dans le monde de l'environnement, et, scientifiquement parlant, c'est un principe très important, à la fois de politique scientifique et de science.

Le Président (M. Bachand) : M. le ministre.

M. Jolin-Barrette : Oui. Je sais que j'ai des collègues qui veulent poser des questions. Je reviendrai, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Alors, Mme la députée de Bellechasse, s'il vous plaît.

Mme Lachance : Merci, M. le Président. D'abord, permettez-moi de vous remercier, M. Rocher, d'être là parmi nous aujourd'hui. C'est fort intéressant.

J'ai bien lu votre mémoire, et c'était très intéressant aussi. J'ai constaté que vous aviez une solide expérience. Vous avez fait beaucoup de recherches et vous avez partagé. Vous vous êtes questionné, et vous avez partagé vos connaissances sur des sujets qui, sans être pareils, avaient des grandes similarités. J'ai constaté, à la page 4 de votre mémoire, où vous vous exprimez sur le respect des convictions religieuses, qui est un gage de justice et d'équité pour toutes les religions. Ainsi, vous soutenez que, dans une école, aucune religion ne devrait avoir plus de visibilité qu'une autre, et puis que cette conception fait référence, dans le fond, à l'institution, à l'école.

Ce que j'aimerais savoir, maintenant, c'est... j'aimerais vous entendre au sujet des enfants et des enseignants. En fait, ce que je veux savoir, c'est que, de votre point de vue de sociologue, qu'est-ce qui, dans le rôle des enseignants et dans leur relation avec les enfants, fait en sorte qu'on devrait systématiquement s'abstenir de signes religieux dans nos institutions?

M. Rocher (Guy) : Moi, j'ai enseigné pendant 60 ans. J'ai toujours cru que j'avais de l'influence sur les étudiants à qui j'ai enseigné — et je pense qu'on m'a fait la preuve presque chaque jour, quand je rencontre de mes anciens étudiants — une influence intellectuelle, mais une influence aussi d'exemplarité, une... bon. Donc, j'ai beaucoup de difficultés à croire que des signes religieux, qui sont portés par le personnel enseignant ou par la direction de l'école, n'ont aucune influence sur les enfants, sur les adolescents, à un âge où l'on est influençable, beaucoup plus que les étudiants que j'avais à l'université.

Donc, oui, je... bon, nous... bien sûr, c'est très difficile à faire la preuve de l'un, d'un côté, ou de l'autre. C'est ce que je viens de dire. À mon sens, c'est inutile de faire appel à des preuves scientifiques, elles sont impossibles d'un côté comme de l'autre. Et, si elles existaient, d'ailleurs, ces preuves, je pense que les recherches auraient été faites, mais... ce qui montre bien qu'elles sont très peu probables, scientifiquement peu probables... bien, c'est qu'elles ne sont pas... les recherches n'ont pas été faites. Et je ne suis pas certain qu'un organisme subventionnaire serait prêt à subventionner un tel projet de recherche, ce qui pourrait durer longtemps, plusieurs années, et qui ne serait peut-être pas plus valable au bout du compte. Voilà ma position sur ça.

Et j'ai fait, je le disais, j'ai fait beaucoup de recherches sur le terrain, dans des écoles primaires et secondaires, et des cégeps. Une école, un cégep, c'est une institution qui vit d'une manière très dynamique, hein? Chaque école a sa culture, chaque cégep a sa culture. Quand j'entre dans un cégep pour aller donner une conférence, je touche une nouvelle culture. Et les enseignants, entre eux, ont une dynamique. Et je dirais que cette dynamique, elle est fondée sur le respect les uns des autres.

Et, ce respect des uns des autres, je crois qu'il exige le respect des convictions religieuses de chacun, parce qu'il est bien évident que, dans une école secondaire, aujourd'hui, nous avons affaire à des enseignants qui ont une pluralité de convictions religieuses. Et, dans les écoles primaires et secondaires, quand un enseignant est devant sa classe, il a, devant lui ou elle, des enfants qui ont des convictions religieuses différentes, mais surtout dont les parents ont des convictions religieuses différentes.

Et, aujourd'hui, en 2019, des parents qui envoient leurs enfants à une école publique neutre ont le droit de s'attendre à ce que leurs convictions religieuses soient respectées. Et il y a des parents qui ont des convictions religieuses très fortes. Il y a des parents qui sont athées, ils en sont très convaincus, de leur athéisme, puis il y a des parents qui sont témoins de Jéhovah, il y a des parents qui sont mormons, il y a des parents qui sont bien catholiques. Je pense que la diversité et le pluralisme des convictions religieuses des parents et des enseignants exigent le respect de tous par l'égalité du traitement.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Chapleau, s'il vous plaît.

M. Lévesque (Chapleau) : ...Président. Merci, M. Rocher. Dans une entrevue que vous avez accordée au journal Le Devoir, vous rappeliez, c'est-à-dire, que, lors l'adoption de la Charte de la langue française, en 1977, les débats étaient assez vigoureux, vous vous en rappelez. Mais, on le sait, aujourd'hui, la charte fait quand même consensus et est quand même célébrée. Quels parallèles pouvez-vous tirer avec les débats actuels qui ont cours, entourant le projet de loi n° 21, et ceux de l'époque, puis quelles leçons vous tirez, à ce moment-là?

M. Rocher (Guy) : ...

M. Lévesque (Chapleau) : Désolé. Donc, quels parallèles pouvez-vous faire avec les débats actuels qui ont cours entourant le projet de loi n° 21, et les débats de l'époque entourant la loi 101? Et quels, dans le fond, enseignements vous tirez de cela?

M. Rocher (Guy) : Oui, bien sûr, la loi 101 n'était pas de tout repos, évidemment, hein? Et le gouvernement du Québec de l'époque était accusé de nier les droits pas tellement des anglophones, mais surtout des immigrants, hein? Et le projet de loi n° 101, évidemment, a suscité beaucoup d'émois, parce que, il faut dire qu'en 1977, quand il a été présenté, nous venions de vivre 10 années d'une grande crise linguistique, une crise linguistique qui s'est déclarée en 1967.

Lorsque la commission scolaire de Saint-Léonard a voulu que tous les enfants des familles italiennes aillent à l'école française, c'était le point de départ de la grande crise linguistique, qui a duré jusqu'en 1977, si bien que nous avions un climat, un climat, depuis 10 ans, de crise qui était très important et qui a, en quelque sorte, éclaté autour de la loi 101. Parce que la loi 101, bien sûr, était celle qui allait le plus loin que tout ce qu'on avait fait jusqu'à présent pour la francisation du Québec, et, en ce sens, c'était une loi profondément sociale.

• (11 h 20) •

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Avant de passer la parole à la députée de Marguerite-Bourgeoys, j'aurais besoin d'un consentement pour allonger sept minutes à la séance.

Des voix : Consentement.

Le Président (M. Bachand) : Consentement. Merci beaucoup. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.

Mme David : Merci, M. le Président. Merci, M. Rocher, d'être ici. C'est un grand honneur pour l'Assemblée nationale de vous recevoir, dans la commission aussi. Vous êtes un des grands citoyens de la nation québécoise, et vous avez travaillé depuis très, très, très longtemps. On ne dira pas nécessairement en quelle année vous êtes né, mais il y a beaucoup de gens...

M. Rocher (Guy) : 1924.

Mme David : 1924. Et vous êtes...

M. Rocher (Guy) : J'ai 95 ans et 24 jours.

Mme David : Exactement, et c'est vous qui le dites. Alors, écoutez, je pense qu'on peut tous être très, très fiers de votre contribution à la pensée et d'avoir quelqu'un d'aussi engagé. À l'âge, pourrait-on dire, vénérable de 95 ans, bien, il y a de quoi faire des biographies, et je sais que votre biographe est ici, et, bon, c'est très, très important.

Ceci dit, on peut avoir des questions, des points de vue, et, tout à l'heure, le ministre m'a presque volé une de mes questions, qui était d'aller vers votre grand ami, intellectuel aussi, qui est venu, Gérard Bouchard, et qui, lui, qualifie le projet de radical, et il dit que, bon, effectivement, là, entre chercheurs universitaires, on peut discuter longtemps de ce qui est prouvable, non prouvable, etc. Et vous dites que le principe de précaution devrait prévaloir, parce que c'est à peu près impossible de construire un modèle de recherche qui pourrait, d'avance, dire : Voilà, l'hypothèse, c'est que l'enseignante au hidjab en quatrième année va influencer, à long terme, l'étudiant X ou Y.

Ceci dit, vous savez encore bien mieux que moi le nombre de combats qu'ont fait des minorités au cours des décennies, et ce n'est pas pour rien qu'en 1975 la charte québécoise, québécoise des droits et libertés, qui a précédé la charte canadienne, est arrivée. Et il y a eu des combats énormes, entre autres, entre autres... Je ne vais donner qu'un seul exemple, et je veux vous entendre là-dessus, parce qu'il y a plusieurs droits et libertés qui sont protégés dans la charte. Ce n'est pas seulement les droits et libertés de la religion, mais il y a aussi l'orientation sexuelle et l'identité de genre, qui a fait énormément, évidemment, de... Les gens ont dû faire de très grands combats, et maintenant c'est acquis qu'il ne peut plus y avoir de discrimination sur la base de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre. Mais, quand vous parlez de respect et que la visibilité peut inclure un manque de respect, bien, qu'en est-il du parallèle qu'on pourrait faire avec l'identité de genre, qui peut s'afficher très, très bien chez un enseignant, une enseignante? Et auquel cas, comment procéderiez-vous pour être équivalent, et juste, et équitable entre le respect et l'égalité de l'identité de genre, le respect et l'égalité de l'identité de religion? Parce qu'on va... Est-ce qu'on va dire à tout le monde de s'habiller pareil et de ne pas avoir l'air plus d'une identité de genre que d'une autre? La même neutralité ne devrait-elle pas s'appliquer à la religion et à l'identité de genre à ce moment-là?

M. Rocher (Guy) : Parce que, à mon avis, il y a quand même une importante différence, c'est que nous sommes dans la neutralité religieuse de l'institution publique. Bon. Le genre, c'est autre chose, je pense, bien sûr. Mais là ce qui est en jeu depuis 50 ans, c'est principalement les convictions religieuses, et les convictions religieuses ne sont pas banales, je dirais. Bon. Pour ma part, en tout cas, je ne dirais pas que la religion est supérieure à toute autre chose, à toute autre valeur. Je crois qu'il y a des gens pour qui la politique est plus importante que la religion, il y a des gens pour qui l'environnement est plus important que la religion, il y a des gens pour qui le genre est plus important que la religion, je le concède.

Mais, mais, depuis quelques années, bien sûr, ce à quoi nous avons assisté, c'est une fragmentation de la société à la fois religieuse et, comme vous le dites, civile aussi, où les minorités se sont multipliées. Et la situation dans laquelle, à mon avis, pour l'avenir, parce que c'est l'avenir qu'il faut envisager, la situation à laquelle nous sommes engagés, c'est que nous avons à bien aménager nos rapports entre la majorité et les minorités.

Et c'est le grand problème devant lequel nous sommes, à la fois en ce qui concerne la religion, mais aussi plusieurs autres choses. Et, en ce qui concerne la religion, on peut dire que, par exemple, en ce moment, la majorité des Québécois n'appartient pas à une minorité religieuse. Ils sont plus ou moins catholiques, plus ou moins protestants, ou très catholiques, ou très protestants, mais la majorité n'appartient pas aux minorités religieuses. Il est donc très important pour l'avenir de s'assurer que les relations entre la majorité et les minorités religieuses sont équitables et paisibles.

Or, à mon avis, la manière de réussir cet avenir, c'est d'établir une neutralité totale dans l'école en particulier, entre autres, pour qu'une religion ne soit pas plus favorisée qu'une autre, que ce soit par sa visibilité, par sa présence, par toute autre chose. Or, c'est vers ça qu'on s'en va si on n'adopte pas ce projet de loi, et c'est ce qui m'inquiète. Moi, je serais bien inquiet si ce projet de loi n'était pas adopté. Je serais inquiet pour l'avenir parce que je serais inquiet pour le rapport entre la majorité au Québec et les minorités, et je dirais même pour le rapport entre les minorités entre elles parce que qu'une minorité soit favorisée, c'est aux dépens des autres. Et donc moi, je dis : Le respect de toutes les minorités suppose une égalité de traitement de toutes les minorités.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée, s'il vous plaît. Mme la députée, s'il vous plaît.

Mme David : J'écoutais avec attention votre réponse, et j'avais toujours ma question en tête, et à peu près tout ce que vous avez dit s'applique à ma comparaison parce qu'on ne pourra jamais, il n'y a personne ici, dans cette enceinte et dans la société, qui ne dira pas qu'il y a eu de très, très grandes batailles menées pour la question de la non-discrimination eu égard à l'orientation sexuelle, et que, si on parle d'un mot que certains ont prononcé, vous ne le prononcez pas, mais je vais le prononcer, moi, le principe de précaution contre quoi? Contre une sorte de prosélytisme que pourrait avoir le fait d'une enseignante qui porte un signe religieux.

Bien, je vous dirais qu'il y a beaucoup, beaucoup de parents qui auraient pu s'inquiéter, peut-être moins maintenant, mais peut-être pas, d'un prosélytisme lié à l'orientation sexuelle. Il va ou elle va influencer mon enfant. Et donc vous êtes sociologue, vous savez la question de ce qui est... vous le dites très bien d'ailleurs qu'il y a des religions plus visibles que d'autres, il y a peut-être des identités de genre plus visibles que d'autres aussi, et j'essaie encore de comprendre la différence et pourquoi alors il ne faut pas homogénéiser autant dans un droit et liberté que dans l'autre. Pourquoi c'est si important de ne pas exposer à une liberté de religion, mais que ce n'est pas grave d'exposer à une autre liberté?

• (11 h 30) •

M. Rocher (Guy) : Je ne mesure pas, si vous voulez, le degré d'égalité ou le degré de risque des deux côtés. Vous avez raison de poser la question, je pense que, dans un autre contexte, on pourra reparler des problèmes de respect des genres, c'est en effet un nouveau problème social, bien sûr, tout à fait. Mais, à mon sens, ça n'atteint peut-être pas les convictions profondes des parents autant que la religion. C'est le sentiment que j'ai, en tout cas. La religion atteint des sensibilités, touche des sensibilités, à mon sens, beaucoup plus fortes que l'attitude à l'endroit du genre. Je pense que, dans le contexte actuel, précisément, où, on ne peut pas le nier, il y a un retour religieux qui est important, en ce moment... il y a un retour du religieux et il y a une possibilité de reconfessionnalisation des écoles primaires et secondaires. C'est vers ça qu'on pourrait aller et... Bon.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît.

Mme Robitaille : ...grand merci d'être là, M. Rocher. Moi, mon comté, c'est Bourassa-Sauvé, Montréal-Nord, donc j'ai vraiment une panoplie de diversités de toutes sortes. Et là la commission scolaire me dit qu'il n'y en a pas... il y a quand même quelques femmes qui portent le voile et qui enseignent, mais il n'y en a pas, de problème, il n'y a pas d'inquiétude des parents et il y a justement ce que vous dites, un respect des convictions de chacun, des convictions religieuses de chacun. Qu'est-ce que vous répondez à cette commission scolaire qui dit : Il y a des femmes voilées, mais, chez nous, il n'y en a pas, de problème?

M. Rocher (Guy) : Je dirais que c'est peut-être vrai pour le présent, mais un projet de loi comme celui-ci est pour l'avenir. Et moi, je considère que l'incertitude est du côté du laisser-faire, à mon sens, hein, beaucoup plus. C'est-à-dire que l'incertitude est du côté de ceux qui acceptent que la religion entre dans l'école par des signes ostentatoires.

Et, dans cette perspective-là, je dirais aussi que la commission scolaire de Montréal, elle devrait se réjouir de ce projet de loi parce que c'est elle qui a le plus gagné de la déconfessionnalisation. C'est elle qui a hérité de l'ancienne commission scolaire catholique et c'est elle qui maintenant a l'ensemble d'une partie de la ville de Montréal sous son autorité. S'il y a une commission scolaire au Québec qui a profité de la déconfessionnalisation, c'est bien la commission scolaire de Montréal.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Désolé, le temps file très rapidement. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Merci, M. le Président. Merci beaucoup, M. Rocher, pour votre présence. L'effet que vous pensez qu'aura, sur les élèves, le port d'un hidjab, par exemple, par leur enseignante, concrètement, ce serait quoi? Quel est l'effet concret que vous pensez que le port du hidjab va avoir sur des élèves?

M. Rocher (Guy) : Le premier effet, me semble-t-il, c'est que la personne qui porte cet insigne religieux a une foi religieuse. Cela est quand même bien important. Cela veut dire que, parmi les autres enseignants, il y a cette personne qui a une foi religieuse très particulière.

Quand j'étais au collège, et que tous mes professeurs portaient des soutanes, et que parfois je me demandais si Dieu existait ou que l'enfer existait, je pensais à ces hommes qui manifestent leur foi en Dieu et en enfer par tous les signes qu'ils... Donc, c'est un signe de foi. Cela veut dire quelque chose pour des jeunes, surtout des adolescents. Ce n'est donc pas insignifiant. Il y a une signification.

Et, en tant que sociologue, on a quand même des études qui montrent que le vêtement parle, le vêtement a une signification, et les signes que l'on porte sur un vêtement ont une signification, et une signification qui ne doit pas être prise à la légère, surtout quand c'est une signification religieuse.

Le Président (M. Bachand) : M. le député, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Est-ce qu'il serait conforme à votre pensée de dire que ce signe-là pourrait rendre les enfants plus religieux ou plus croyants? Est-ce que c'est ce que vous dites?

M. Rocher (Guy) : Je m'excuse...

M. Zanetti : Est-ce que vous dites, au fond, que ça pourrait rendre les enfants plus croyants?

M. Rocher (Guy) : Bien, c'est-à-dire aux dépens d'autres religions. Parce que, si une religion s'affiche, c'est aux dépens d'autres religions. Ça peut être aux dépens de la religion des parents. Parce que vous avez des enfants, dans une classe, dont les parents sont Témoins de Jéhovah, vous avez des parents dont les parents sont mormons, des parents sont catholiques, et l'enfant est devant un enseignant qui manifeste sa foi en Islam. Bien, il y a un écartèlement pour l'enfant entre les croyances de sa famille et ce que l'école publique, en principe neutre, vient lui offrir comme témoignage. Et c'est là que je trouve qu'il y a une contradiction grave en ce qui concerne la neutralité de l'État et la neutralité des institutions religieuses... des institutions publiques.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Matane-Matapédia, s'il vous plaît.

M. Bérubé : Merci, M. le Président. C'est un immense privilège, pour moi, comme parlementaire, de m'adresser à vous et d'échanger dans le cadre de ce projet de loi. Vous êtes un des plus grands intellectuels du Québec moderne, vous avez collaboré, amené vos lumières sur le rapport Parent, sur la loi 101 également, dont vous êtes le corédacteur.

Sachez que la Charte de la langue française, ce n'était pas unanime à l'Assemblée nationale, vous vous en souvenez certainement. Je vous annonce, sans être un devin, que ce sera encore le cas pour ce projet de loi. Les gens qui s'opposaient à la loi 101, dans bien des cas, sont les mêmes, des années plus tard, avec des arguments un peu différents... qui s'opposeront à ce projet de loi.

Et je veux saluer deux éléments que vous amenez dans votre mémoire qui font de vous un acteur toujours très actuel de notre vie politique. D'abord, pour les parlementaires, vous nous donnez une indication importante : Il faut légiférer pour l'avenir. De quoi sera fait le Québec dans l'avenir? De davantage de diversité. Et souvent on se fait dire : Bien, quels sont les cas qui existent présentement? C'est une question légitime. Mais quelle sera l'évolution du Québec? Et là un sociologue peut nous amener cet éclairage. Alors, j'apprécie cette indication de légiférer pour l'avenir, d'être capable de prévoir ce que sera le Québec.

Et l'autre, importante, c'est que les religions ne sont pas toutes égales dans le sens que certaines ont des signes ostentatoires visibles, d'autres non. Et, en ce sens, celles qui sont visibles occupent davantage d'espace, l'imaginaire des jeunes. Et on ne parle pas assez souvent de la liberté de conscience des enfants et des parents.

Alors, en ce sens, pouvez-vous m'indiquer comment vous voyez, vous qui avez prédit et analysé le Québec depuis des années, ce que vous voyez, ce que le Québec sera au cours des prochaines années, et pourquoi c'est important de prévoir, dès maintenant, un certain nombre de mesures pour assurer la cohésion sociale au Québec, notamment dans les écoles?

M. Rocher (Guy) : Bien, ce qui m'apparaît pour l'avenir, c'est que la grande tendance dans laquelle nous sommes engagés, c'est celle de la fragmentation religieuse en particulier, en ce qui concerne les religions. Il est bien clair que l'avenir n'est pas à l'unité religieuse. Le consensus fidelium, c'est fini. Ce vers quoi nous allons, c'est des religions minoritaires maintenant, c'est la place des religions minoritaires et qui sont plus particulièrement marquantes. Et c'est dans cette perspective-là qu'il faut envisager l'avenir, à mon avis, c'est les rapports entre ces religions minoritaires et la majorité qui ne participe pas à ces religions minoritaires et l'égalité de traitement entre ces religions minoritaires. Et, sociologiquement parlant, je continue à le dire, les religions ne sont pas égales. Elles sont inégales à différents points de vue, elles sont inégales en termes de visibilité, et, pour l'avenir, je crois que c'est très important pour la paix sociale.

Le Président (M. Bachand) : M. Rocher, au nom de la commission, merci beaucoup de votre contribution.

Cela dit, la commission suspend ses travaux jusqu'après les affaires courantes. Merci infiniment.

(Suspension de la séance à 11 h 39)

(Reprise à 15 h 46)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Bienvenue à tous et à toutes. La Commission des institutions reprend ses travaux. Je demande, bien sûr, à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

Nous poursuivons donc les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 21, Loi sur la laïcité de l'État. Cet après-midi, nous allons entendre, entre autres, la ville de Montréal, la Fédération québécoise des municipalités et le Syndicat des agents de protection de la faune du Québec.

Je souhaite, bien sûr, la bienvenue à Mme la mairesse de Montréal et à la personne qui l'accompagne. Je vous invite à prendre la parole pour une période de 10 minutes. Après ça, nous aurons un échange avec les membres de la commission. Bienvenue.

Ville de Montréal

Mme Plante (Valérie) : Merci beaucoup, M. le Président. Je tiens également à saluer Mme la vice-présidente ainsi que M. le ministre. Écoutez, chers députés, Mmes et MM. les députés, merci infiniment de nous accueillir aujourd'hui.

D'entrée de jeu, permettez-moi de souligner que j'endosse entièrement la volonté du gouvernement d'enchâsser la laïcité du Québec dans un projet de loi. C'est donc en souhaitant contribuer de manière positive au débat que je m'adresse à vous cet après-midi.

Soyons clairs, je ne suis pas là pour demander une clause spéciale pour Montréal, mais bien pour amener les réalités montréalaises dans un projet de loi du gouvernement provincial. Cette loi aura un impact important partout au Québec, mais tout particulièrement à Montréal, où plus de 70 % de l'immigration internationale reçue par le Québec choisit de s'établir.

Je tiens aussi à rappeler que, depuis sa fondation, Montréal s'est bâtie grâce à celles et ceux qui l'ont choisie comme terre d'accueil, et c'est aujourd'hui ce qui en fait la ville diversifiée, dynamique, innovante et prospère que nous connaissons et dont nous sommes si fiers. C'est donc pourquoi je suis préoccupée par l'impact de cette loi sur tous les Montréalais et toutes les Montréalaises qui affichent un signe religieux, en particulier les minorités. Ces minorités fondent notre diversité et doivent avoir la possibilité d'accéder aux emplois et aux services sans égard au fait qu'ils ou elles portent ou non un signe religieux.

Bien entendu, je suis totalement consciente que les Montréalais et les Montréalaises ne sont pas unanimes dans leurs positions vis-à-vis de cette loi, tout comme différentes opinions ont cours ailleurs au Québec, mais je considère qu'il est de mon devoir comme mairesse de Montréal de parler au nom de celles et ceux qui seront touchés par ce projet de loi. Après les 10 dernières années de débats parfois déchirants, parfois divisifs, je souhaite insister sur l'importance d'unir nos forces pour que les 10 prochaines années voient l'émergence d'un discours positif et rassembleur sur la mixité, l'inclusion et l'intégration des personnes immigrantes. À Montréal, notre quotidien se vit dans la diversité et c'est ce qui fait notre force.

Montréal est la métropole d'un Québec laïque, une ville dont l'action est fondée sur le respect des droits de la personne. La neutralité de l'État doit favoriser l'inclusion et la manifestation harmonieuses des croyances de ses citoyennes et de ses citoyens. Nous ne croyons pas que l'objectif de la laïcité de l'État doive aller à l'encontre de la liberté de conscience et de religion individuelle. La ville de Montréal considère que toute restriction d'un droit fondamental doit être fondée sur un objectif législatif important et justifié dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Présentement, la nécessité des modifications importantes prévues à la charte par le biais des articles 29 et 30 du projet de loi n'est pas justifiée par des données probantes. De plus, aucune analyse différenciée selon les sexes n'a été effectuée pour évaluer l'impact de ce projet de loi. Une telle analyse permettrait de mieux soulever les enjeux relatifs aux différents groupes, mais déjà nous savons que le taux d'emploi des femmes immigrantes, toutes catégories confondues, est beaucoup plus faible que celui de leurs homologues nées au Canada, soit 72 % contre 82 %. Il faut donc éviter que les immigrants soient perçus comme des groupes homogènes vivant une seule et même réalité.

• (15 h 50) •

En ce sens, je me dois de mentionner que le gouvernement crée un précédent en ayant recours à la clause dérogatoire. Ce faisant, il contourne certains principes fondamentaux de la charte québécoise et de la Charte canadienne des droits et libertés. Parce que, lorsqu'il est question du respect de ses droits fondamentaux, de son emploi ou de sa place dans la société montréalaise, aucun citoyen ne devrait vivre dans la peur ou l'incertitude en raison de ses croyances. Donc, je me questionne : Dans la mesure où le projet de loi a pour objectif d'établir la laïcité de l'État et qu'il vise à établir un consensus social autour du vivre-ensemble, l'utilisation de clause dérogatoire ne vient-elle pas court-circuiter ce processus et envoyer un message contraire? L'utilisation préventive de la clause dérogatoire ne vient-elle pas saper, dans les faits, toute possibilité de convaincre de la raisonnabilité de ce projet de loi?

Maintenant, la laïcité de l'État et la question des signes religieux sont une préoccupation pour un grand nombre de Québécois et de Québécoises, et il s'inscrit dans un contexte sociohistorique propre au Québec. Présentement, un tronc commun se dégage de la réflexion de l'ensemble de la population, soit l'importance accordée à la laïcité de l'État et la nécessité de favoriser la mise en place de mesures qui visent une meilleure cohésion sociale. Mais ce sont les moyens proposés dans ce projet de loi, les moyens pour mettre en oeuvre cette laïcité qui nous divisent. Si notre objectif est de favoriser l'adhésion aux valeurs commune dans notre société québécoise, agissons en ce sens et assurons-nous d'avoir les ressources nécessaires pour assurer l'intégration et l'inclusion de tous et de toutes.

Les investissements consentis par le gouvernement au dernier budget vont d'ailleurs en ce sens, notamment avec les montants additionnels accordés aux programmes Réussir l'intégration, Soutien à la mission et Mobilisation-Diversité. Aussi, Montréal est préoccupée à l'effet de l'applicabilité du projet de loi qui semble difficile, voire impossible, notamment lorsqu'il est question de l'article 6, qui vise l'interdiction du port de signes religieux. D'abord, plusieurs intervenants l'ont souligné, dont M. Louis-Philippe Lampron : le concept même de signes religieux n'est pas clairement défini. Quand on sait qu'en 2011 on recensait plus de 108 religions au Canada et que chacun est susceptible d'avoir un ou plusieurs signes religieux lui étant propres, l'identification même d'un signe religieux peut s'avérer une tâche fort complexe.

Dans un deuxième temps, tous les signes religieux, visibles ou non, sont visés dans le projet de loi. Or, comment assurer la mise en oeuvre d'une telle disposition au quotidien? Est-il réaliste, voire souhaité, d'instaurer un processus d'inspection, d'inspection vestimentaire? Également, bien qu'un droit acquis soit prévu dans le projet de loi, celui-ci est difficilement applicable particulièrement dans la mesure où, de l'aveu même du gouvernement, aucun recensement exhaustif de personnes portant des signes religieux n'est disponible pour les professions visées. Enfin, nous sommes d'avis que la laïcité de l'État de même que la qualité et l'objectivité des services rendus à la population ne sont pas tributaires du port ou non d'un signe religieux.

Je vais maintenant céder la parole à mon collègue M. Robert Beaudry pour qu'il vous entretienne sur le défi de l'intégration économique.

M. Beaudry (Robert) : Merci, Mme la mairesse. Bonjour, mesdames et messieurs, MM. les députés, Mmes les députées.

L'immigration est un levier important pour le développement économique de la région métropolitaine de Montréal et du Québec. Depuis quelques années, la tendance est claire : le nombre de postes vacants s'accroît et la métropole est confrontée à une pénurie de main-d'oeuvre dans plusieurs secteurs et catégories d'emploi. En 2018 seulement, c'est 73 405 postes vacants qui ont été répertoriés dans la région métropolitaine de Montréal. Parallèlement, le Québec est marqué par le vieillissement de la population et un faible taux de natalité. Dans ce contexte, l'intégration des personnes immigrantes au marché du travail contribue indéniablement à la prospérité de Montréal et de la province ainsi qu'à la pérennisation des emplois de qualité dans la métropole. Montréal privilégie une approche inclusive pour faciliter l'intégration, une approche qui favorise l'égalité et l'accès à l'emploi pour tous, sans égard pour le port d'un signe religieux.

Le projet de loi n° 21 défavorise également des groupes déjà marginalisés, notamment les femmes immigrantes. Comme le disait la mairesse un peu plus tôt, le taux d'emploi des femmes immigrantes est beaucoup plus faible que celui de leurs homologues nés au Canada, et le taux de chômage, presque le double, soit 7,2 % contre 4,3 %. Ces statistiques illustrent clairement que les femmes immigrantes sont plus susceptibles de faire face à des obstacles persistants sur le marché du travail. Montréal appréhende que l'article 6 du projet de loi restreigne encore davantage l'accès de ces femmes au marché de l'emploi.

La ville de Montréal est également le plus important employeur de la région métropolitaine, avec près de 28 000 employés. L'article 6 du projet de loi fait fi de l'autonomie de la ville en lui imposant des contraintes sur le recrutement et la gestion de son personnel.

Mme Plante (Valérie) : Merci, M. Beaudry. Ainsi, dans sa forme actuelle, le projet de loi n° 21 risque d'avoir des impacts significatifs dans les collectivités montréalaises et de stigmatiser certains groupes déjà vulnérables. Au-delà de la polarisation actuelle, prenons un pas de recul pour se rappeler qu'il est, d'abord et avant tout, question d'humains. Ce qui est débattu et véhiculé a des impacts dans les quartiers, en contribuant à exacerber le profilage et la discrimination; dans les milieux de travail, en créant des situations d'inéquité entre travailleurs et en limitant l'accès et les possibilités de mobilité professionnelle; et aussi auprès de groupes déjà vulnérables, tels que les nouveaux arrivants, les femmes ainsi que tout Québécois ou toute Québécoise qui verront réduites leurs chances de contribuer à la société québécoise s'ils affichent un signe religieux.

C'est pourquoi je souhaite si ardemment que leur réalité soit reflétée dans ce projet de loi. Mon souhait, pour la suite des choses, est que nous arrivions à tourner la page sur des débats houleux et que nous travaillions pour que l'intégration des personnes immigrantes de toutes générations soit vue comme une richesse. Je souhaite que nous prenions conscience de la force que représente, pour l'État québécois, une diversité qui prend part à la vie active. Pour relever ce défi, je nous propose d'unir nos forces et d'utiliser nos tribunes pour faire valoir l'apport de la diversité dans notre société.

Je vous remercie beaucoup de votre attention.

Le Président (M. Bachand) : Merci infiniment. Nous allons procéder à la période d'échange. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Mme la mairesse, M. Beaudry, bonjour. Merci de votre présence en commission parlementaire pour présenter la position de la ville de Montréal en lien avec le projet de loi n° 21.

D'entrée de jeu, dans le cadre de votre allocution et dans le cadre du mémoire, vous faites beaucoup référence à l'immigration. Je voudrais vous dire que, bien que je sois le ministre de l'Immigration aussi, je porte ce dossier-là en tant que leader du gouvernement parce que c'est un dossier que le premier ministre m'a confié. Bien entendu, à Montréal, principalement, c'est l'endroit où les nouveaux arrivants s'établissent dans une proportion de 70 %, 80 %. Par contre, le projet de loi sur la laïcité de l'État ne vise pas les personnes immigrantes. Ça vise tous les Québécois de toutes les origines et de toutes les confessions.

Alors, l'objectif du projet de loi, c'est vraiment de faire une séparation entre l'État et les religions et, justement, c'est d'inscrire la laïcité de l'État pour une première fois dans nos lois et dans la Charte des droits et libertés de la personne, parce que le Québec est une société qui est distincte, qui a ses particularités. Et on veut clairement indiquer que la laïcité, c'est une valeur fondamentale de la société québécoise.

Mais j'arrive à ma question. Je lisais, ce matin, la lettre d'opinion qui a paru dans La Presse, et vous disiez que le Québec était laïque, également la ville de Montréal était laïque. Cela étant dit, je n'ai pas recensé, moi, dans les lois québécoises ou dans les lois canadiennes, même dans la réglementation de la ville de Montréal, une référence à la laïcité et cette définition-là. Souvent, on réfère au concept de neutralité religieuse de l'État, soit le fait que l'État doit traiter sur le même plan tous les citoyens. D'ailleurs, c'est une des parties... un des principes qu'on met dans la définition de la laïcité de l'État. Mais, concrètement, je n'ai pas constaté que la laïcité était inscrite soit dans nos lois au Québec ou dans la réglementation de la ville de Montréal.

Mme Plante (Valérie) : Donc, votre question...

M. Jolin-Barrette : Bien, c'est parce que vous disiez ce matin, dans la lettre ouverte : Montréal est une ville laïque, le Québec est un État laïque aussi. Mais, pratico-pratique, dans les faits, juridiquement, ce n'est pas le cas, puis c'est une des raisons pourquoi est-ce que je l'inscris dans le projet de loi n° 21.

Est-ce que vous êtes d'accord avec moi pour que je dise que le Québec, incluant Montréal, ce sont des entités qui doivent être laïques?

Mme Plante (Valérie) : Alors, comme vous faites référence à la lettre que j'ai publiée ce matin, en fait, d'entrée de jeu, ça disait spécifiquement qu'en fait que je salue, que la ville de Montréal salue la volonté du gouvernement du Québec d'inscrire, d'enchâsser, dans une loi, la laïcité de la province du Québec. Et donc, si, par la suite, on ressentait le besoin de l'inscrire dans la charte montréalaise, je serais tout à fait d'accord, parce que, pour moi, et ça, je l'ai dit également, nos lois et nos institutions sont laïques au Québec. Mais cette volonté de l'enchâsser dans une loi, pour nous, prend tout son sens. Après ça, dans l'application, bien là, on pourrait en débattre. Mais, sinon, ça ne nous pose aucun problème. Au contraire, c'est une valeur, la neutralité, que nous partageons tous et toutes.

M. Jolin-Barrette : Dans le fond, sur la définition que le gouvernement donne à la laïcité de l'État, moi, je vous dirais, je me suis inspiré notamment du rapport Bouchard-Taylor et des recommandations qu'il faisait en lien avec cette même définition de la laïcité, donc la séparation de l'État et des religions, la neutralité religieuse de l'État, l'égalité de tous les citoyens et citoyennes et la liberté de conscience et la liberté de religion.

Est-ce que la ville de Montréal est d'accord avec cette définition-là de la laïcité de l'État?

Mme Plante (Valérie) : Avec la définition, oui, absolument.

• (16 heures) •

M. Jolin-Barrette : Donc, la problématique pour la ville de Montréal, c'est au niveau de l'application, dans le sens où, au niveau de l'interdiction, supposons, du port de signes religieux pour certaines personnes en situation d'autorité.

Mme Plante (Valérie) : En fait, il y a plusieurs problématiques pour la ville de Montréal. Vous venez de la nommer, cette application, comment est-ce que ça va se matérialiser, comment est-ce que ça va passer le test de la réalité. Parce que, comme vous le savez, les projets de loi sont réfléchis, sont pensés, mais, après ça, elles doivent être appliquées. Et c'est souvent, bien honnêtement, dans les municipalités que ça se passe, au quotidien, avec les gens qu'on rencontre, les gens qui travaillent avec nous ou pour nous.

Mais il y a, bien sûr, d'autres problématiques. J'aimerais attirer votre attention sur, selon nous, le manque de réflexion. On trouve qu'il serait pertinent d'avoir vraiment une analyse différenciée selon les genres parce que, selon nous, ce projet de loi là n'a pas le même impact sur les hommes et sur les femmes. Et je pense que c'est important d'avoir cette réflexion-là critique.

Et, finalement, le premier argument, notre première recommandation est vraiment au niveau de l'utilisation de la clause dérogatoire, comme quoi, selon nous, ce projet de loi là doit passer les tests des tribunaux ou, du moins, il faut laisser... Il faut absolument permettre à la population de pouvoir... de sentir que les mécanismes en place dans une démocratie sont disponibles. Et, présentement, ce qu'on entend beaucoup, c'est un certain sentiment d'impuissance face au projet de loi. Bien, le projet de loi, comme je disais, c'est la prérogative du gouvernement, bien sûr, mais les mécanismes... Et d'utiliser la clause en amont, on sent un certain malaise. Et, pour nous, c'est un malaise. Oui, c'est un problème.

M. Jolin-Barrette : Je comprends. Cependant, je ne le partage pas parce que moi, je crois que c'est aux élus de la nation québécoise de pouvoir prendre cette décision-là et de déterminer de quelle façon vont s'organiser les rapports entre l'État et les religions.

Sur la question du visage à découvert, est-ce que vous êtes en accord avec le fait que les employés de la fonction publique doivent travailler à visage découvert et que les citoyens qui font appel à des services publics, lorsqu'il y a nécessité d'identification ou pour des motifs de sécurité, ils doivent se découvrir le visage?

Mme Plante (Valérie) : Alors, c'est un des aspects. Lorsqu'on a reçu, tout d'abord, le projet de loi, dans les aspects que nous avons relevés qui, selon nous, étaient une amélioration, même, je vous dirais, par rapport au projet de loi précédent, c'était justement cette possibilité de pouvoir recevoir des services peu importe qui on est, peu importe... Pour moi, c'est très important : comme mairesse de Montréal, je veux que tous les Montréalais et Montréalaises, peu importe qui ils sont et ce qu'ils portent, puissent recevoir des services. Pour des fins d'identification ou de sécurité? Je ne vous cacherai pas qu'il y a quand même des défis au niveau de l'application, mais on est capables de trouver un compromis. Pour ce qui est de donner des visages à des... Des visages? Pardon. Donner des services à visage à découvert, ça a toujours été le cas de notre côté. On n'a jamais remis en question ce concept. À tout le moins, on comprend très bien, puis on est d'accord avec le fait de devoir... de donner des services à visage à découvert.

M. Jolin-Barrette : Mais, pour faire ça, je dois notamment avoir recours à la disposition de dérogation. Parce que, dans le cadre du projet de loi n° 62 que Mme Vallée avait déposé en tant que précédente ministre de la Justice, bien, l'article 10 et 11 ont été suspendus par les tribunaux. Et, justement, la ville est en accord, le gouvernement du Québec est en accord et, je vous dirais, pas mal l'ensemble de la population est accord avec le fait que les services publics doivent être donnés à visage découvert et reçus. Et là on reçoit votre appui pour les questions de sécurité et identification. Mais ce qu'on fait, dans le projet de loi n° 21, notamment, c'est, en utilisant la disposition de dérogation, c'est de dire : Bien, écoutez, au Québec, le fait de donner des services à visage découvert et de les recevoir à visage découvert, c'est le minimum. C'est de cette façon-là que les rapports entre l'État et les services publics vont être donnés. Et on fait le choix, ici, à l'Assemblée nationale, de dire : Lorsque vous demandez un service, vous devez montrer votre visage pour les deux motifs. Alors, si je n'avais pas recours à la disposition de dérogation, bien, ça ne serait pas applicable encore aujourd'hui.

Mme Plante (Valérie) : Écoutez, M. le ministre, avec tout mon respect, c'est votre projet de loi. Donc, ce serait à vous d'utiliser les mécanismes disponibles pour pouvoir trouver une façon de pouvoir appliquer cette règle avec laquelle nous nous entendons tous, du visage à découvert, sans utiliser la clause dérogatoire mur à mur. Alors, pour moi, ça... Je ne suis pas prête à dire... Je ne peux pas aller dans votre sens. Comme je disais, c'est vous qui connaissez les tenants et tous les aboutissants. Mais j'aime penser qu'il y a moyen d'améliorer ce projet de loi là sans nécessairement utiliser systématiquement ou d'emblée et tout d'un coup la clause dérogatoire.

M. Jolin-Barrette : J'entends ce que vous me dites. Cela étant dit, dans la réalité des choses, pour s'assurer que les services soient donnés et reçus à visage découvert, il est nécessaire d'utiliser la disposition de dérogation pour que ça soit un choix de l'Assemblée par le biais du législateur.

Et revenons sur la question de la clause. Le recours à la disposition de dérogation a été utilisé à plus d'une centaine de reprises de façon préventive telle que nous le faisons. Alors, de dire qu'il s'agit d'un précédent, je vous dirais, tous les gouvernements successifs l'ont utilisée, que ça soit à la fois le Parti libéral ou le Parti québécois. Alors, le recours à cette disposition-là a déjà été fait. Souvent, on entend l'arrêt Ford, en 1988, en lien avec la loi 101. Cela étant dit, elle a été utilisée après. Mais, encore aujourd'hui, on avait un échange l'autre jour avec certains groupes qu'il y a des dispositions qui doivent être renouvelées, qui ont été renouvelées sous la gouverne du Parti libéral.

Alors, c'est un outil législatif qui est à la portée... Je comprends qu'il y a un malaise du côté de la ville de Montréal à l'utiliser. Cela étant dit, on intervient quand même, et l'objectif est de s'assurer que le débat se fasse ici.

Sur la question de la neutralité, là, de l'État, la ville est d'accord avec le gouvernement à l'effet que la neutralité religieuse de l'État doit s'appliquer dans toutes les circonstances.

Mme Plante (Valérie) : Oui, évidemment.

M. Jolin-Barrette : O.K. Et qu'il ne doit pas y avoir d'accommodement religieux en lien avec le fait pour un fonctionnaire de traiter de façon neutre les citoyens qui se présentent à la ville, supposons, pour recevoir un service.

Mme Plante (Valérie) : Il existe la Charte des droits et libertés justement pour venir baliser notre façon de vivre ensemble. Alors, pour moi, ces règles-là et ces chartes-là sont exactement là pour ces raisons, pour venir baliser.

M. Jolin-Barrette : Mais je me place du point de vue du citoyen, là, qui se présente à la ville de Montréal pour recevoir un service, et le fonctionnaire qui le reçoit décide de ne pas agir d'une façon neutre, O.K., et il invoque un accommodement pour dire : Écoutez, moi, je refuse de le traiter de façon neutre, le citoyen, parce que c'est contraire à mes convictions personnelles. Êtes-vous d'accord avec ça ou non?

Mme Plante (Valérie) : Je pense qu'à ce moment-ci on devrait se positionner sur la notion des comportements ou les agissements d'une personne. Mais, pour moi, ça n'a absolument rien à voir avec le port de signes religieux. Je trouve qu'on doit... Il ne faut pas mélanger les pommes et les oranges non plus.

M. Jolin-Barrette : Bien, je vous dirais que c'est des pommes ou c'est des oranges parce que justement la neutralité de l'État, ça va faire partie intégrante de la laïcité de l'État. Et, dans le cadre de la laïcité de l'État, on ne permettra pas d'avoir, pour les fonctionnaires, des accommodements au niveau de leurs agissements d'une façon neutre politiquement. On dit : Écoutez, lorsque vous êtes un fonctionnaire de l'État... que ce soit provincial ou fédéral, là, on ne parle pas des signes religieux, on parle vraiment de l'action au niveau des gestes qui sont posés... mais, écoutez, vous ne pourrez pas demander une demande d'accommodement si vous êtes un fonctionnaire et que vous avez un citoyen de confession catholique, juive ou protestante et que vous ne voulez pas le servir pour ces raisons-là. Donc, c'est ce que ça fait, entre autres, le projet de loi n° 21.

Sur la question du port de signes religieux, revenons-y. La Fraternité des policiers et des policières de Montréal, eux, disent : Écoutez, nous, on est en faveur du fait qu'il n'y ait pas... bien, en fait, il y ait une interdiction. Ils disent, dans une lettre envoyée à la ministre de la Sécurité publique : «En effet, dans leur travail quotidien, les policiers et policières de Montréal entrent en contact avec des personnes de toutes confessions religieuses. Nous estimons donc que l'apparence de neutralité religieuse représente un atout dans l'exercice de la fonction, évitant que des symboles religieux n'influencent la perception des justiciables quant à l'impartialité des agents de l'État.»

Alors, je comprends que vous n'êtes pas d'accord avec la fraternité des policiers de la ville de Montréal.

Mme Plante (Valérie) : Moi, je respecte absolument l'opinion de la fraternité. D'ailleurs, je dois également mentionner que le Service de police de la ville de Montréal a choisi de ne pas venir se présenter en commission, mais a quand même émis la volonté de respecter le projet de loi ou, du moins, la loi telle qu'elle sera adoptée, comme je l'ai fait, d'ailleurs.

M. Jolin-Barrette : Mais le Service de police de la ville de Montréal relève quand même de l'administration municipale. Et donc ce que je veux dire, c'est le message de la ville de Montréal aussi qui est entendu. Le service de police, il a une certaine indépendance de la part du... comment je pourrais dire, de la ville de Montréal, mais ça constitue quand même un service qui se rapporte au sein de la ville. La fraternité des policiers a décidé de ne pas venir en commission, mais a quand même fait parvenir une lettre qui nous dit : Écoutez... Puis, globalement, c'est le nombre d'employés que vous avez le plus à la ville de Montréal qui vont être visés par le projet de loi, donc les policiers. Vous avez également les procureurs de la cour municipale également, les greffiers aussi. Donc, c'est un nombre limité d'employés également qui vont disposer d'une clause de droits acquis aussi.

• (16 h 10) •

Mme Plante (Valérie) : Bien, écoutez, je pense qu'au final, comme je viens de le mentionner, la fraternité a décidé de se prononcer. Le Service de police de la ville de Montréal ne l'a pas fait. Ils ont dit qu'ils allaient respecter la loi, et, je tiens à le répéter, le réitérer, moi aussi.

Et je pense que, dans ce débat-là... Et vous avez bien raison de parler des différents corps de métier qui sont touchés, mais n'oublions pas non plus les citoyens et les citoyennes, j'aimerais quand même pouvoir ramener ça aussi à celles et ceux qui, directement ou indirectement, vont être touchés par le projet de loi. Alors, pour moi, ici, mon rôle n'est pas de me mettre en opposition avec le corps policier, absolument pas, moi, ma voix, ici, c'est de pouvoir apporter... encore une fois, de participer de façon et positive et constructive, pour, je l'espère, améliorer le projet de loi.

M. Jolin-Barrette : Mais ceux qui vont être touchés par le projet de loi — c'est ma dernière question, ensuite, je sais que j'ai des collègues qui veulent poser une question — ceux qui vont être touchés principalement par le projet de loi pour la ville de Montréal, ce seront les employés. Les gens qui sont visés par l'interdiction de porter des signes religieux, ce n'est pas les citoyens de la ville de Montréal, ce sont les employés de la ville, donc les procureurs, les greffiers ainsi que les policiers. Ça ne touche pas les citoyens de la ville de Montréal, à l'exception du visage à découvert. Donc, ça, je pense que c'est important de le mentionner, la distinction entre les deux. Ceux qui sont vraiment visés, ce sont les employés qui relèvent de votre administration municipale.

Mme Plante (Valérie) : Bien oui, mais vous avez... N'oublions pas non plus que ce sont des citoyens et citoyennes qui peut-être soit sont déjà dans un parcours de pouvoir soit travailler à la ville de Montréal, de se joindre au SPVM, ou de vouloir se joindre à devenir... dans le système... voyons, excusez-moi... le système juridique, devenir enseignant. Donc, ça aussi, il faut les nommer, on parle du maintenant, mais on parle du futur aussi, de là mon point.

M. Jolin-Barrette : Je comprends. Donc, M. le Président, je vous remercie d'être venus en commission parlementaire.

Mme Plante (Valérie) : Merci. Merci beaucoup.

M. Jolin-Barrette : Je sais que j'ai des collègues qui veulent poser des questions.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Très rapidement, parce qu'il reste 1 min 30 s. Mme la députée de Les Plaines, s'il vous plaît.

Mme Lecours (Les Plaines) : Alors, rapidement, 30 secondes, écoutez... Bonjour, bonjour, merci d'être ici aujourd'hui. Toujours dans la même lettre ouverte, vous avez laissé entendre que vous veniez ici aujourd'hui avec, en tête, deux groupes, c'est-à-dire les opposants et les gens qui sont pour. Mais il y a un troisième groupe que vous avez peut-être oublié, c'est ceux qui trouvent qu'on ne va pas encore assez loin. Et on a entendu quand même un certain nombre de groupes qui sont venus dire qu'avec le projet de loi n° 21, on ne va pas encore assez loin. Alors, ma question est bien, bien simple. Justement, M. le ministre vient de vous le mentionner, le projet de loi s'adresse à des gens vraiment qui sont en situation d'autorité. Vous disiez que ça affectait le monde municipal, mais il me semble — et c'est ma question — qu'on va beaucoup moins loin que la charte des valeurs aurait été si elle avait été adoptée, pour le monde municipal, j'entends.

Mme Plante (Valérie) : Vous souhaitez que je me prononce sur la charte des valeurs, précédemment?

Mme Lecours (Les Plaines) : Non, ce que je vous dis, c'est que le projet de loi va beaucoup moins loin, donc affecte beaucoup moins le monde municipal.

Mme Plante (Valérie) : Bien, écoutez, moi, en ce moment, je veux dire que je suis ici pour me prononcer non pas sur les lois du passé ni sur le compromis Bouchard-Taylor, mais vraiment sur le projet de loi que vous proposez.

Mme Lecours (Les Plaines) : ...beaucoup moins loin.

Mme Plante (Valérie) : Honnêtement, moi, j'aimerais ça m'en remettre au fondement même, à savoir, et je vais le répéter, parce que, moi, c'est fondamental, et c'est de se rappeler que le Québec et Montréal, et, enfin, toutes... nous sommes une province avec des lois et des institutions fondamentalement laïques, alors, pour moi, c'est le fondement de toute démarche, c'est comme ça que je suis dans cette approche-là, que je suis ici. Alors, je respecte ceux qui considèrent que ça ne va pas assez loin. Clairement, je ne suis pas de celles-là, de ces personnes-là, mais je les respecte.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je me tourne maintenant vers la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.

Mme David : Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Plante. Bonjour, M. Beaudry. Très contente de vous voir ici participer à ce grand débat démocratique dont vous dites vous-mêmes qu'il peut être houleux. Mais, je vous rassure, ça se passe bien ici, dans cette enceinte, et nous sommes très respectueux de tous les intervenants qui viennent.

On en parlait justement, qu'est-ce que vous pensez... Vous avez beaucoup parlé de la clause dérogatoire, de dérogation, en disant que... enfin, vous n'êtes pas tellement d'accord avec ça. Mais est-ce que je dois comprendre pour ça que, pour vous, le test des tribunaux, ça veut dire quelque chose pour notre vie démocratique?

Mme Plante (Valérie) : Évidemment. Je pense que la clause dérogatoire, encore une fois, met fin au débat de façon vraiment prématurée. Je pense que c'est là le plus grand malaise. M. le ministre, tout à l'heure, vous nous disiez qu'il y avait plusieurs... ça avait été utilisé à de multiples reprises. Mais j'aimerais quand même rappeler que, lorsque ça a été utilisé, c'était pour vraiment bonifier la protection ou par nécessité de protéger d'autres droits ou libertés reconnus, et, dans ce cas-ci, j'ai l'impression qu'on est plutôt en train de diminuer la portée de la protection ou de suspendre des droits, comme le propose le projet de loi. C'est ça, la petite twist, là, qui est très différente pour moi dans le cas actuel. Alors, je souhaite qu'on puisse suivre... C'est un débat tellement fondamental, tellement important, qui va marquer notre ville, notre métropole, notre province pour les siècles... ou enfin pour des générations, en tout cas. Je souhaite vraiment qu'on donne la chance à nos institutions démocratiques et, entre autres, aux chartes des droits et libertés de s'appliquer ou non, si c'est le cas.

Mme David : Oui, bien, écoutez, vous m'enlevez les mots de la bouche justement en parlant de cette clause dérogatoire qui va plutôt enlever des droits qu'en ajouter, comme il a été habituellement fait pour la charte des droits et libertés. Donc, enlever un droit, d'habitude, ça prend une urgence, ça prend un motif supérieur. Et donc on peut être pour ou être contre. Mais c'est habituellement ce qui est dit.

Le ministre, justement, parle d'un projet de loi qui vise toutes les religions et pas les immigrants. Il a commencé en disant ça : Ça vise toutes les religions et pas les immigrants. On avait M. Guy Rocher, juste avant vous, et qui disait justement qu'en visant toutes les religions il y a, par ailleurs, des religions beaucoup plus visibles que d'autres, avec des signes religieux beaucoup plus ostentatoires que d'autres, et que, bon, c'est comme ça.

La religion catholique, comme par hasard, dont nous sommes pas mal issus, dans les Québécois francophones, ce sont des signes beaucoup moins visibles. Et donc vous avez fait référence justement à cette question d'inspection vestimentaire. Alors, le ministre a eu l'occasion de parler de fouille à nu, en disant qu'il n'y en aurait pas. Mais il va falloir toujours bien appliquer une loi. Et on parle... J'aime bien votre expression, «inspection vestimentaire», donc, pour les signes invisibles, qu'ils soient catholiques, où qu'ils soient... L'inspection vestimentaire évidemment pour... Les signes de d'autres religions peuvent être plus ostentatoires, donc très, très faciles à voir et à repérer. Donc, je ne sais pas comment vous allez vous comporter et comment vous vivez avec cette question de l'inspection vestimentaire.

Mme Plante (Valérie) : Bien, écoutez, je pense que le problème... l'application, pour moi, est fondamentale. Je me suis retrouvée dans une commission comme celle-ci pour parler, entre autres, du projet de loi sur le cannabis, et, pour nous, l'important, c'est de dire : Au-delà du principe, comment est-ce que ça s'applique, qu'est-ce qu'on demande aux employés ou aux gens qui viennent recevoir un service de s'identifier ou non, comment est-ce qu'on va organiser ça?

Et c'est fondamental parce que ce qu'on veut éviter dans la notion d'application, c'est, par exemple, que les gens se fassent justice eux-mêmes. Moi, je n'ai pas envie qu'il y ait des personnes... que ce soit une femme musulmane ou quelqu'un avec une croix, peu importe, qu'il se fasse dire, dans l'autobus : Aïe! Enlève ton foulard, ou... Je veux éviter ça. Je veux m'assurer que, dans mes cours d'école, les enfants se sentent bien puis qu'ils savent que leurs parents, peu importe qui ils sont ou ce qu'ils portent, sont des citoyens à part entière.

C'est vraiment... Vous savez, à Montréal, on a une réalité qui parfois peut être assez différente de d'autres villes au Québec. Et ce n'est pas pour nous mettre en opposition, au contraire, c'est une richesse. Et, partout au Québec, on est un peuple tellement accueillant et tellement ouvert, mais il n'en demeure pas moins qu'à Montréal ces cultures qui se mélangent et ces minorités qui sont les unes à côté des autres, on le vit au quotidien. Et je veux m'assurer que la cohésion sociale n'est pas remise en question.

Et, présentement, il y a beaucoup de tension, je ne vous le cacherai pas. On le sent. On le sent beaucoup.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée.

Mme David : Justement, vous venez d'employer un mot... J'ai une déformation professionnelle, mais qui répond au ministre indirectement. Vous avez dit : Dans mes cours d'école. Alors que le ministre, tout à l'heure, vous a un peu... a essayé de vous faire dire que vous êtes la mairesse d'un certain nombre d'employés. En tout respect, je dirais, vous êtes la mairesse de Montréal et des citoyens et citoyennes de Montréal. Vous avez dit : Mes cours d'école, autrement dit, mes citoyens montréalais. Et donc vous êtes préoccupée.

Dans une lettre assez, je dirais même, très humaniste, ce matin, j'oserais la qualifier comme ça, et je vous en félicite, une lettre qui parle justement d'enjeux humains, d'enjeux sociaux, d'enjeux de vivre-ensemble et d'inclusion, et donc, oui, vous parlez d'immigration, c'est vrai, même si le ministre va dire que ça ne s'adresse pas qu'aux immigrants. Mais y aurait-il eu une loi si ça n'avait été que pour des croix catholiques cachées en dessous de la chemise? On peut se poser la question.

Alors, vous dites justement que vous voulez regarder le côté du consensus social et du climat social, et vous êtes la première, à ma connaissance, à mentionner l'ADS, chose qui vraiment n'est pas très souvent regardée, donc l'analyse différenciée selon les sexes — auxquels on peut ajouter le petit plus à la fin. Et vous regardez ça, et vous dites : Non, ça ne franchit pas la barre de l'ADS. Expliquez peut-être, pour ceux qui ne sont pas habitués, la réponse est assez limpide, mais j'aimerais ça vous entendre là-dessus.

• (16 h 20) •

Mme Plante (Valérie) : Merci beaucoup. Bien, écoutez, c'est la... cette analyse, selon les genres, on l'a fait à la ville de Montréal, c'est toujours de réfléchir, dans un programme ou même dans la réfection d'un parc, ça peut être aussi simple que ça, comment est-ce qu'on s'assure que certains critères sont remplis, mais dont un, qui est important, d'une analyse, à savoir est-ce que ça profite de la même façon aux hommes et aux femmes? Est-ce que ça va avoir un impact différencié selon qu'on est un homme ou une femme? Et, clairement, dans les statistiques que mon collègue et moi, on vous a montrées, quand on sait que le taux de chômage est deux fois plus élevé chez les femmes issues de l'immigration versus les femmes natives d'ici, ou celles qui sont arrivées dans les cinq dernières années, c'est majeur. Et même on voit une différence entre les hommes qui sont arrivés dans les cinq dernières années et les femmes arrivées, il y a cinq... cinq dernières années. C'est complètement différent. Il y a une plus grande intégration de la part des hommes sur le marché du travail. Alors, évidemment, on doit se poser ces questions-là. Moi, je m'attends à ce qu'une société qui, justement, fait valoir l'égalité entre les hommes et les femmes se pose la question : Est-ce que cette loi, elle est égale pour les hommes et pour les femmes? Je pense qu'on doit se poser cette question-là, c'est important.

Mme David : Et votre réponse?

Mme Plante (Valérie) : Bien, clairement, avec les chiffres qu'on a, ça serait, de prime abord... Mais, en même temps, je n'ai pas tous les éléments, et c'est pour ça que j'invite le gouvernement à faire cette analyse, à peaufiner l'analyse pour qu'on puisse en arriver avec des réponses claires. De prime abord, je vous dirais que non, mais, bien sûr, il faudrait approfondir le tout.

Mme David : Bien, c'est très intéressant. Je voudrais, justement... De toute évidence, vous avez une vision du vivre-ensemble et vous la pratiquez à tous les jours dans une grande ville, à la si grande diversité culturelle. Alors, le consensus social, le vivre-ensemble, selon vous, n'est pas atteint ou ne sera pas amélioré avec ce projet de loi, et vous vous dites même inquiète de l'actuel... et de la suite des choses. Pouvez-vous m'en parler un petit peu?

Mme Plante (Valérie) : C'est évident que, présentement, je pense qu'on a tous... on lit les journaux, on regarde les médias sociaux, je veux dire, c'est très, très, très polarisé et polarisant. Et je ne peux pas m'empêcher de réfléchir à celles et ceux qui sont directement visés par certains propos, certaines attaques, ça m'interpelle énormément. Et c'est là que je souhaite qu'on soit... Je pense qu'il y a quelque chose qui ressort de très fort, c'est qu'on a... il y a un consensus, il y a un tronc commun de valeurs qui sont importantes pour nous, oui, la laïcité, oui, l'égalité entre les hommes et les femmes, mais ça, c'est... entre autres choses, mais ce sont des choses sur lesquelles on peut travailler de façon très constructive. Et c'est pour ça que je tenais à saluer le gouvernement du Québec, qui investit énormément d'argent dans des programmes de maillage, d'intégration à l'emploi, des programmes sociaux qui visent à, justement, favoriser le vivre-ensemble. Donc, je ne veux pas réduire... je ne veux pas quelque chose de... je souhaiterais quelque chose qui n'est pas restrictif, mais plutôt expansif, quelque chose qui vise le vivre-ensemble, mais dans le positif, dans le constructif, plutôt que d'aller dans l'autre direction.

Mme David : Vous avez déjà, vous-même, fait un appel au calme par rapport aux réseaux sociaux vous concernant. C'est dire la situation que ça peut créer par rapport à un certain nombre de réactions de gens, dans un sens ou dans l'autre, d'ailleurs.

Mme Plante (Valérie) : Vous avez raison. Ceci étant dit, je ne suis pas visée, je ne suis pas une femme racisée, je ne suis pas une femme qui porte ni une croix, ou qui porte le voile, ou qui est une... Je n'ai pas ces signes-là. Alors, même si je suis visée, je ne le vis pas à l'intérieur, je ne me sens pas jugée personnellement. Ça me fait mal, je trouve ça difficile, ça, c'est clair, puis ça me fait peur, parce que ça... il faut faire un appel au calme. Mais, dans ces moments-là, je pense à celles et à ceux qui, dans la rue, se sentent directement visés ou qui se sentent insécures. Et je pense que, dans nos rôles d'élus, ce qu'on veut, c'est une société où chacun et chacune, peu importe, encore une fois, quel est son parcours, se sent en sécurité — je pense que c'est la base — et sent qu'on lui donne les moyens pour pleinement participer à la vie en société. C'est ça, la cohésion sociale, c'est ça, pour moi, le vivre-ensemble, c'est de se donner les moyens collectifs pour favoriser la pleine participation à la vie citoyenne. Et ça, ça passe par des emplois, entre autres choses.

Mme David : Et vous avez parlé du lourd fardeau que vous donne, dans le fond, le fait de déléguer, à la plus haute autorité administrative, l'application de la loi et de vérifier, comme vous dites, l'inspection vestimentaire.

Mme Plante (Valérie) : ...encore, en fait, parce que... on ne sait pas quel est le cadre d'application et si... Pour nous, c'est un des problèmes, c'est qu'on a un projet de loi, mais on ne sait absolument pas comment ça va s'appliquer réalistement. Quelqu'un ne respecte pas la loi, on appelle qui, on fait quoi? On arrive au bureau... Mais c'est des choses que je ne sais pas, M. Jolin-Barrette, je vous le dis en toute honnêteté. Alors, si vous avez les réponses, je vais les prendre, mais c'est vrai que, pour nous, on est préoccupés par ça, surtout qu'on ne sait... c'est très difficile, pour nous, même, d'évaluer qu'est-ce qu'un signe religieux. Un intervenant était venu en parler, j'en ai parlé dans mon mémoire. Mais de quoi on parle, à ce moment-ci, en termes de signes religieux?

Le Président (M. Bachand) : Merci. Je cède la parole au député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Merci, M. le Président. Merci beaucoup, Mme Plante. Quelles seront, selon vous, les conséquences du p.l. n° 21 sur le sentiment d'appartenance à la société québécoise chez les personnes touchées?

Mme Plante (Valérie) : Écoutez, les Québécois et les Québécoises, on est des gens... il y a tellement de diversité, on est tellement pluriels, donc je ne peux pas me prononcer sur... c'est difficile pour moi de répondre à une question où on... je disais justement... mémoire, il ne faut pas voir les gens comme quelque chose de monolithique. Alors, je veux faire attention, je ne veux absolument pas généraliser. Ce que je sais, c'est que les Québécois et les Québécoises, peu importe où ils sont, qu'ils soient à Montréal ou à travers le Québec, on est des gens justement accueillants, curieux, qui ont envie de bâtir le Québec de demain, au final.

Mais c'est évident qu'en ce moment le projet de loi tel que présenté... et, comme je disais, je pense que le fait d'utiliser la clause dérogatoire d'emblée a créé beaucoup d'inquiétude et de suspicion par rapport au projet de loi, où certains ont vraiment senti que ce n'est pas possible de le remettre en question ou de le... de le remettre en question ou de le questionner. Alors, c'est sûr que, pour certaines personnes qui vont être directement visées, encore une fois, ce n'est pas moi, ça, c'est clair, mais... ces gens-là se sentent plus insécures ou se demandent parfois quelle est leur place dans notre société.

Le Président (M. Bachand) : M. le député, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Merci. Vous parliez de tensions tout à l'heure à Montréal qui sont soulevées par le débat sur le p.l. n° 21. Est-ce que vous pensez que l'adoption du p.l. n° 21 tel qu'il est aujourd'hui va apaiser les tensions ou est-ce qu'il va les exacerber?

Mme Plante (Valérie) : En étant ici, dans cette commission, notre souhait, je le disais, c'est d'y participer de façon constructive. Et, quand je vous parle de cette analyse différenciée selon les sexes, c'est vraiment important. Moi, je veux qu'on puisse l'avoir justement pour répondre à des préoccupations qu'on entend, que les gens nous partagent sur le terrain.

Encore une fois, la question de la clause dérogatoire, selon moi, viendrait apaiser, viendrait justifier, ou, du moins, permettrait à beaucoup de gens de dire : O.K. Le processus suit son cours en bonne et due forme. Je pense que c'est important de... je sais qu'il y a une volonté, d'une certaine façon, de passer à autre chose, c'est quelque chose que j'entends aussi, hein, on veut passer à autre chose. Mais, passer à autre chose, ça ne veut pas dire sauter les étapes. Et, moi, c'est ce que je souhaite en ce moment pour m'assurer que, bien sûr, mes citoyens et citoyennes à Montréal se sentent partie prenante de ce projet de loi.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Matane-Matapédia, s'il vous plaît.

M. Bérubé : Merci, M. le Président. Salutations à la mairesse de Montréal, à M. Beaudry.

D'entrée de jeu, soyons de bon compte. Contrairement à la croyance populaire, la ville de Montréal n'a jamais demandé de statut particulier, il faut le préciser. Je l'avais indiqué à la mairesse, on s'est vus jeudi dernier à l'UMQ. Et je veux saluer la contribution de la ville de Montréal. C'est toujours apprécié qu'il y ait des mémoires de déposés et qu'on puisse avoir un échange, d'avoir un réflexe Montréal en toutes circonstances lorsque la ville de Montréal a des besoins. Je pense que ça devrait animer l'ensemble de la classe politique. Quand la ville de Montréal fait des demandes, je pense qu'il n'y a jamais trop d'alliés pour la ville. Je me permets ce commentaire éditorial dans le cadre des demandes de la ville de Montréal.

En matière de laïcité, j'entends les arguments, j'entends, par exemple, la clause dérogatoire, c'est une première, pas nécessairement une première. Puis pourquoi on choisit ce mode de protection, c'est parce qu'on est dans un régime qui fait en sorte que ça peut constamment être contesté par le gouvernement fédéral, par les tribunaux. L'État québécois n'est pas souverain, alors il est assujetti à une autre nation. Alors, c'est normal, on gagne du temps, on essaie d'avoir une protection, mais on n'a pas tous les pouvoirs nécessaires.

En fait, ce qui est au centre de votre réflexion puis de votre propos, c'est : Pourquoi ne pas laisser aller les choses? La bonne entente, l'intégration, et tout ça. Ce n'est pas si simple que ça. Si on n'avait pas passé la loi 101 en 1977, vous seriez à la tête d'une grande ville diversifiée, mais anglophone. C'est ça, la vérité. Alors, pourquoi on décide de légiférer en matière de laïcité? Pour prévoir l'avenir. Et l'avenir, c'est que tout le monde puisse vivre ensemble, oui, mais, dans les lieux publics, que tout le monde doit égal.

Je vous pose la question suivante : N'êtes-vous pas d'accord que là où devrait s'exercer le culte ou devrait se porter les vêtements de culte ou associés à une religion, c'est dans les lieux de culte, dans la famille et dans le privé? Pourquoi ça serait un droit de s'afficher de façon religieuse lorsqu'on a un emploi dans la fonction publique? Il me semble que c'est un lieu qui devrait être totalement neutre. Il ne suffit pas de dire que l'État est neutre ou laïque, les individus doivent l'incarner aussi. Alors, d'où vient cette volonté que les religions apparaissent également dans le cadre des heures de travail lorsqu'on travaille pour l'État? Il me semble que ce n'est pas un droit, ça.

• (16 h 30) •

Mme Plante (Valérie) : Tout d'abord, j'aimerais rectifier que je n'ai jamais dit que nous aurions laissé aller les choses. Ce n'est absolument pas ce que j'ai dit. Ce que je dis, c'est qu'on doit mieux connaître les impacts. Ça, c'est très différent. Également, j'aimerais, quand vous dites : Pourquoi on devrait accepter les religions ou les signes religieux?, j'aimerais rappeler que les données que nous avons à la base pour plusieurs personnes, pour plusieurs minorités, que ce soient des personnes racisées, des personnes qui sont arrivées... les personnes immigrantes, il y a des personnes qui sont ici depuis longtemps, il y a des barrières systémiques à la vie en société, dont l'accès à des emplois. Alors, selon moi, de rajouter une barrière supplémentaire qui est celle de ne pas pouvoir afficher une conviction religieuse, c'est une barrière de plus.

Le Président (M. Bachand) : Mme la mairesse, M. Beaudry, merci beaucoup de votre contribution.

Mme Plante (Valérie) : Merci infiniment.

Le Président (M. Bachand) : Je suspends les travaux quelques instants. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 16 h 31)

(Reprise à 16 h 34)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Je souhaite la bienvenue à la Fédération québécoise des municipalités et vous invite immédiatement à débuter votre exposé pour une période de 10 minutes. Merci beaucoup et bienvenue.

Fédération québécoise des municipalités (FQM)

Mme Lamarche (Chantal) : Merci. Bonjour, tout le monde. M. le Président, M. le ministre, Mmes, MM. les députés, bonjour.

Je me présente, Chantal Lamarche, je suis préfète à la MRC Vallée-de-la-Gatineau, élue au suffrage universel en Outaouais, administratif et comité exécutif à la Fédération québécoise des municipalités. Permettez-moi de vous présenter les personnes qui m'accompagnent : M. Châteauvert, directeur des Politiques, Mme Maryse Drolet, conseillère politique. Merci d'accueillir la Fédération québécoise des municipalités dans le cadre de cette commission parlementaire sur le projet de loi n° 21.

J'aimerais d'abord dire quelques mots sur la Fédération québécoise des municipalités. Fondée en 1944, nous célébrons cette année nos 75 ans d'existence. La fédération est la porte-parole des régions en regroupant près de 1 000 municipalités locales et régionales au Québec. Ce sont quatre municipalités sur cinq et la totalité des MRC qui, sur une base volontaire, forment nos rangs. Notre rôle est de faire entendre la voix des régions, de porter les ambitions locales et régionales et de défendre les intérêts des gouvernements de proximité. La FQM constitue le plus grand rassemblement du monde municipal du Québec.

Lors de sa dernière rencontre, le conseil d'administration de la Fédération québécoise des municipalités a analysé le projet de loi n° 21, Loi sur la laïcité de l'État. À l'instar de la société québécoise, le débat sur le sujet a été intense. Au-delà des opinions, force est de constater que l'incapacité observée ces dernières années des autorités des gouvernementales et de l'Assemblée nationale d'établir clairement les bases de laïcité de l'État a créé un problème. À titre d'élus, nous connaissons le coût des débats occultés et, surtout, la nécessité du courage politique pour faire avancer les choses. Les commentaires et recommandations de la FQM porteront spécifiquement sur les articles touchant le milieu municipal.

Par ailleurs, pour répondre à la question si des difficultés quant au respect de la laïcité de nos institutions ont déjà été observées chez nos membres, l'évidence est là. Ces situations ne constituent pas une problématique chez les membres de la FQM. Toutefois, cela ne diminue en rien l'importance d'appliquer un cadre clair de fonctionnement tel que proposé pour éviter d'éventuellement problèmes.

En tout premier commentaire, la FQM appuie sans réserve les quatre principes fondamentaux énoncés au projet de loi appuyant la laïcité de l'État, soit la séparation de l'État et des religions, la neutralité religieuse et l'État... l'égalité de tous les citoyens et citoyennes ainsi que la liberté des consciences, de la liberté de la religion. Ces principes correspondent aux valeurs de la fédération que sont la neutralité, l'égalité, l'ouverture et l'inclusion. Pour cette raison et en fonction des propos tenus en introduction, la FQM appuie la démarche initiée par le gouvernement. Le projet de loi prévoit que toutes les institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires sont tenues de respecter les principes fondamentaux énoncés au chapitre I.

La séparation de l'État et des religions, la neutralité religieuse de l'État ainsi que la liberté de conscience et la liberté de religion sont des principes acquis depuis plusieurs décennies au Québec, bien décrits dans le premier considérant du projet de loi. Ainsi, la FQM est tout à fait d'accord avec le principe de laïcité de l'État. En tant que gouvernements de proximité reconnus à l'Assemblée nationale du Québec, le principe de laïcité doit s'appliquer également aux municipalités et aux municipalités régionales de comté, MRC.

L'annexe II du projet de loi vient préciser les personnes touchées par l'interdiction du port de signes religieux dans l'exercice de leurs fonctions concernant le monde municipal. Les personnes touchées : les agents de la paix, les greffiers et les greffières adjoints des cours municipales. La fédération est à l'aise avec cette interdiction. Pour la FQM, la nature de ces fonctions oblige une image de neutralité afin de transmettre un message d'ouverture à tous les citoyens et citoyennes qui doivent desservir la municipalité, spécifiquement en contexte d'autorité.

Le projet de loi aborde la question des services à visage découvert. L'article 8 indique qu'un membre du personnel d'un organisme, dont les municipalités, doit exercer ses fonctions à visage découvert, cette proposition du projet de loi s'inscrivant dans la foulée de l'obligation faite aux personnes de s'identifier lorsqu'elles reçoivent un service ou qu'elles s'apprêtent à voter. Il est donc tout à fait normal d'exiger que l'employé qui donne les services se conforme à la même règle. La fédération est donc en accord avec cette obligation d'imposer aux employés des municipalités et des MRC qui donnent des services aux citoyens.

Dans la foulée de ce qui précède, le projet de loi prévoit que toute personne qui désire recevoir un service par un membre du personnel de la municipalité devra être le visage découvert. La fédération est également en accord avec cette disposition du projet de loi, notamment pour permettre à la vérification de l'identité ou pour des motifs de sécurité. À ce chapitre, il est justifié de prévoir des exceptions pour les personnes dont le visage est couvert en raison d'un motif de santé, d'un handicap ou des exigences propres à des fonctions ou à l'exécution de certaines tâches.

• (16 h 40) •

L'article 12 du projet de loi indique qu'il appartient à la personne qui exerce la plus haute autorité administrative de prendre les moyens nécessaires pour assurer le respect de ces mesures prévues. Cette approche respecte le fonctionnement interne de nos municipalités et MRC. En outre, la FQM étudiera avec intérêt l'approche choisie par les responsables de la fonction publique pour appliquer les nouvelles règles qui découleront la loi, advenant son adoption à l'Assemblée nationale et en son entrée en vigueur.

L'indépendance des cours municipales est une condition essentielle à notre système. Aussi, la FQM accueillit favorablement la mesure qui confie au Conseil de la magistrature la responsabilité d'établir des règles traduisant les exigences de laïcité de l'État et d'assurer leur mise en oeuvre pour ce qui est des cours municipales.

Le 8 mars 2019, la Fédération québécoise des municipalités rendait publique sa toute première politique d'égalité et de parité entre les femmes et les hommes. Par ce geste, la fédération affirmait ainsi haut et fort ses valeurs d'égalité entre les femmes et les hommes qu'elle porte et a toujours défendues.

Dans la déclaration de principe de sa politique, la FQM affirme que l'égalité est un droit fondamental et constitue une valeur essentielle de la démocratie québécoise. Malgré tous les acquis des dernières décennies et l'adoption de lois qui garantissent l'égalité de droit, les inégalités existent au plan social, économique et politique. C'est dans une de ces optiques que l'adoption d'une politique d'égalité et de parité entre les femmes et les hommes vise à établir les balises concrètes qui permettront de préserver les acquis et de progresser vers l'égalité. C'est une façon de reconnaître qu'il faut amorcer le changement et de témoigner de notre volonté d'y parvenir.

Ainsi, la FQM appuie sans réserve le quatrième principe de ce projet de loi qui reconnaît l'égalité de tous les citoyens et citoyennes. D'ailleurs, le premier principe directeur de la politique d'égalité et de parité de la FQM est celui de l'égalité. Ainsi, la FQM affirme dans sa politique que l'égalité entre les femmes et les hommes est un thème transversal qui doit être considéré comme faisant partie intégrante de toutes les politiques, stratégies, programmes et projets de la Fédération québécoise des municipalités.

Incidemment et en concordance avec ses valeurs et sa politique d'égalité et de parité entre les femmes et les hommes, la fédération défendra, dans toutes ses positions, l'égalité entre tous les citoyens et citoyennes. Le projet de loi prévoit enfin que la loi ne peut être interprétée comme ayant un effet sur des éléments emblématiques ou toponymiques du patrimoine culturel du Québec, notamment du patrimoine religieux. La FQM est en accord avec cette disposition qui reconnaît ainsi l'histoire du Québec dans ce patrimoine toponymique, historique et culturel qui n'est plus porteur de sens religieux.

La Fédération québécoise des municipalités remercie les membres de la commission de lui avoir permis d'exprimer sa position sur le projet de loi sur la laïcité de l'État et souhaite que le présent débat soit une occasion de mettre davantage en valeur les spécificités de la société québécoise, qui prend appui sur l'égalité entre tous les citoyens et citoyennes ainsi que la neutralité de l'État québécois et de ses institutions.

La FQM croit que le projet de loi correspond aux valeurs promues dans la fédération et considère que celles-ci permettraient le mieux-vivre dans la neutralité et l'ouverture. Merci de votre attention.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, Mme la préfète. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui. Merci, M. le Président. Mme Lamarche, Mme Drolet, M. Châteauvert, bonjour. Bienvenue. Merci, dans un premier temps, d'être à l'Assemblée nationale. Bienvenue également d'être ici.

Écoutez, je vous remercie pour la présentation de votre mémoire. À la lecture de celui-ci, je constate que vous souhaiteriez qu'on applique le projet de loi n° 21 autant aux municipalités locales qu'aux MRC.

Mme Lamarche (Chantal) : C'est exact.

M. Jolin-Barrette : O.K. Donc, actuellement, on ne l'avait pas construit de cette façon-là, le projet de loi, mais pourquoi vous souhaiteriez qu'on l'étende aux municipalités régionales de comté?

Mme Lamarche (Chantal) : Parce qu'on est service aux... comme les municipalités font, c'est... une MRC, c'est les municipalités, dans le fond, là. C'est un comté des municipalités.

M. Jolin-Barrette : O.K. Nous, à la lecture... bien, en fait, quand on l'avait construit, c'était implicite que les MRC étaient visées, mais, si on indiquait expressément les MRC, vous seriez en accord avec cette modification-là.

Mme Lamarche (Chantal) : Oui.

M. Châteauvert (Pierre) : M. le ministre, c'est simplement, dans le langage, effectivement, supposons, c'est au Code municipal, lorsqu'on parle d'une municipalité, ça s'applique également aux MRC. Nous, on l'a compris de cette façon-là. Mais, effectivement, dans nos mémoires et partout, on indique toujours de façon très claire la municipalité et la MRC en tant que regroupement et aussi qui dessert la population par territoires.

M. Jolin-Barrette : O.K. Bien, en fait, ce qu'on va faire, on va faire les vérifications avec les légistes, tout ça, mais, s'il y a lieu d'apporter un amendement là-dessus, on apportera un amendement pour clarifier la situation.

Il y a beaucoup de gens qui sont venus critiquer le recours à l'utilisation de la disposition de dérogation. Ça fait 10 ans qu'on parle du dossier. Est-ce que vous avez une opinion sur le fait que ça soit les élus des l'Assemblée nationale qui viennent déterminer de quelle façon vont s'organiser les rapports entre l'État et les religions et que, notamment, on utilise la disposition de dérogation pour ça?

M. Châteauvert (Pierre) : Non. En fait, la discussion qui a eu lieu au conseil d'administration par rapport à l'ensemble de ce projet de loi là, les membres en ont intensément discuté, effectivement, ils ont regardé les dispositions et se sont dit que ça prenait... pour ce qui est du monde municipal, le législateur évaluait l'importance de faire appel à cet outil, qui est un outil législatif. Donc, la responsabilité de la définition du vivre-ensemble revient aux élus de l'Assemblée nationale. Vous avez été élus le 1er octobre dernier, donc, là-dessus, ça allait de soi, pour les membres du conseil d'administration, de procéder de cette façon-là. Mais il n'y avait pas... à ce niveau-là.

M. Jolin-Barrette : Le monde municipal est particulièrement visé dans le cadre du projet de loi n° 21. Notamment, vous avez, dans le fond, les policiers des sûretés municipales ou de la Sûreté du Québec. Je sais qu'il y a certains membres chez vous qui sont membres à la FQM, que c'est la SQ, exemple, dans mon comté aussi, j'ai des municipalités qui sont desservies par la SQ. Vous avez également les cours municipales, les greffiers qui sont à la cour municipale, les procureurs également qui exercent en matière pénale dans les cours municipales. Au niveau de l'application de la loi, est-ce que, pour vous, c'est un enjeu que ce soit la plus haute autorité administrative qui soit chargée de l'application de la loi?

Mme Lamarche (Chantal) : Non, c'est qu'est-ce qu'il est écrit dans le... puis qu'est-ce que j'ai dit tantôt, non.

M. Jolin-Barrette : O.K. Donc, vous êtes habitués à l'effet que, dans les municipalités ou dans les MRC, ça soit, j'imagine, le D.G. qui soit la personne qui applique les lois d'ordre public à travers les municipalités.

Mme Lamarche (Chantal) : Oui, vas-y.

M. Châteauvert (Pierre) : Si vous permettez, effectivement, il y a des procédures à l'intérieur, il y a des conventions, et tout ça. Nous, on fait appel au service de la Sûreté du Québec puis aussi on a des municipalités et des MRC qui ont des corps, leur propre corps de police. Il y a des règles à l'intérieur de ça. Mais il est certain qu'on va observer avec intérêt la façon que l'État, que le gouvernement du Québec va appliquer la règle pour voir s'il n'y a pas des idées, la façon. Donc, on va beaucoup s'inspirer de la façon que vous allez... que l'État va appliquer la loi.

Mais, à première vue, lors de la discussion lors du conseil d'administration, ça n'a pas posé problème. C'était comme... On respectait la hiérarchie et la façon de faire. Donc, ça ne causait pas nécessairement de problème.

Mme Lamarche (Chantal) : Exactement.

M. Jolin-Barrette : Donc, déjà, actuellement, pour tous les maires et les mairesses du Québec, lorsqu'il y a lieu d'appliquer des règles avec les employés, c'est déjà le directeur général qui fait appliquer les lois et les règlements qui s'appliquent à l'intérieur de la municipalité dans les contrats de travail.

Mme Lamarche (Chantal) : Exactement. C'est le directeur général. Des fois, il y a des directeurs de service, ça peut devenir le directeur général ou le directeur des services en voirie, peu importe, mais oui.

M. Jolin-Barrette : O.K. Donc, parfois, le directeur général délègue sa responsabilité au supérieur immédiat qui est chargé de l'application de la règle. C'est ça?

Mme Lamarche (Chantal) : Exactement.

M. Jolin-Barrette : O.K. Puis ça s'applique, ça, autant au niveau des MRC que des municipalités?

Mme Lamarche (Chantal) : Exactement. La même chose.

M. Châteauvert (Pierre) : Ça, ça va avec la grosseur de la municipalité. Effectivement, une petite municipalité n'a pas nécessairement de direction de ressources humaines. Mais il y a des MRC maintenant qui ont 150, 200 employés; vous comprendrez qu'ils ont des organisations assez bien structurées pour gérer les ressources humaines, et tout ça. Et il y a des délégations à l'intérieur de la structure, mais tout ça relève du directeur général qui fait rapport au conseil des maires.

M. Jolin-Barrette : O.K. Au niveau des services... Bien, en fait, premièrement, les employés municipaux qui donnent les services à visage découvert, ça, il n'y a pas d'enjeu pour vous?

Mme Lamarche (Chantal) : Pas d'enjeu, comme que j'ai lu puis comme qui est dans notre mémoire non plus.

M. Jolin-Barrette : O.K. Même chose pour les citoyens qui doivent recevoir des services publics à visage découvert pour les motifs d'identification et de sécurité, ça aussi, ça va?

Mme Lamarche (Chantal) : La même chose, ça va.

M. Jolin-Barrette : O.K. Est-ce que, pour vous, c'est préférable, l'approche qu'on a prise dans le cadre du projet de loi n° 21, le fait que ça soit pour des questions de sécurité et d'identification, ou vous auriez préféré qu'on mette également, comme c'était le cas dans le projet de loi n° 62, l'identification et la communication?

Mme Lamarche (Chantal) : Nous, c'est comme qui est dans le projet de loi n° 21. Comme que j'ai dit tantôt, question de sécurité, d'identifier, on est d'accord avec ça. La FQM est d'accord avec ça.

• (16 h 50) •

M. Jolin-Barrette : O.K. Et vous faites référence beaucoup au conseil d'administration pour la prise de position du mémoire de la Fédération québécoise des municipalités. Au conseil d'administration, il y a combien de membres dans la FQM?

Mme Lamarche (Chantal) : On est 43 membres au conseil d'administration de la FQM, donc, des membres partout dans le Québec, puis ces membres-là sont élus quand qu'il y a eu des élections en novembre 2017... sont élus par leurs pairs chez eux pour représenter leur région. Comme moi, en Outaouais, on est deux pour représenter l'Outaouais. Ça fait que c'est comme ça dans chaque région, on est 43 au total à la FQM.

M. Jolin-Barrette : O.K. 43 des 17 régions administratives du Québec?

Mme Lamarche (Chantal) : Exactement.

M. Jolin-Barrette : O.K. Donc, vous êtes élus directement par les maires et les mairesses de chacune des MRC, de chacune des régions.

Mme Lamarche (Chantal) : Exactement.

M. Jolin-Barrette : O.K. Donc, vous portez véritablement la voix de l'ensemble du Québec à l'échelle provinciale.

Mme Lamarche (Chantal) : Oui. Puis on a consulté le conseil d'administration avec... long en large, ça a été très étudié, analysé. Et, moi, chez nous, en Outaouais, j'ai consulté aussi les élus.

M. Jolin-Barrette : O.K., parfait. Écoutez, je vous remercie. Je sais que j'ai des collègues qui veulent poser des questions. Je crois que le député de Chapleau veut poser des questions. Je reviendrai par la suite.

Le Président (M. Bachand) : Sûrement un député que vous connaissez bien. M. le député de Chapleau, s'il vous plaît.

M. Lévesque (Chapleau) : Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, Mme Lamarche. C'est un plaisir de vous voir ici, là, en commission, également M. Châteauvert et Mme Drolet.

Peut-être une petite question. Dans votre mémoire, vous écrivez, donc, je vais citer : «L'article 12 du projet de loi indique qu'il appartient à la personne qui exerce la plus haute autorité administrative de prendre les moyens nécessaires pour assurer le respect des mesures prévues. Le projet de loi ne prévoit aucune autre modalité en la matière. Cette approche respecte le fonctionnement interne de nos municipalités et MRC.»

Est-ce que nous devons comprendre que, selon vous, si le projet de loi prévoyait des moyens d'application et un processus plus précis à suivre, il pourrait porter atteinte à l'autonomie municipale?

Mme Lamarche (Chantal) : Bien, on va s'inspirer du gouvernement, là, qu'est-ce qu'il va apporter comme application. Là, présentement, ce qui est dans le document, c'est les personnes en... les directeurs généraux, puis ça dépend de la grosseur de la municipalité ou de la MRC, là. Des fois... un directeur, puis il y en a qui ont des directeurs de ressources humaines, voirie, peu importe. Mais on va s'inspirer du gouvernement, selon l'application. Mais présentement on appuie qu'est-ce qui est dans le document, directeur général, ceux qui ont la plus haute autorité au niveau municipal.

M. Lévesque (Chapleau) : Parfait. Merci beaucoup. Je pense que mon collègue de Saint-Jean aurait une question également.

Le Président (M. Bachand) : M. le député de Saint-Jean, s'il vous plaît.

M. Lemieux : Merci, M. le Président. Mme Lamarche, j'ai vérifié avec le député de Chapleau juste avant de poser la question parce que... vous êtes une des rares préfètes au Québec qui est élue au suffrage universel, n'est-ce pas?

Mme Lamarche (Chantal) : Exactement, oui.

M. Lemieux : Ce que j'ai toujours trouvé remarquable.

Mme Lamarche (Chantal) : Sans faire d'erreur, on est 17 MRC élues au suffrage universel au Québec sur 87. Donc, moi, c'est en Outaouais.

M. Lemieux : Ce sera pour une autre conversation, mais ça colore quand même votre témoignage dans la mesure où il y a une imputabilité et une légitimité particulières quand on est élu au suffrage universel. Vous n'êtes pas juste désignée par vos pairs...

Mme Lamarche (Chantal) : Les maires. La population qui vote pour moi. Oui, exactement.

M. Lemieux : C'est là où je voulais en venir. Et, de là, j'allais vous demander... Il y a eu, dans l'actualité... puis il y a des gens qui vont venir ici qui disent, d'ores et déjà — je parle de commissions scolaires, municipalités, on verra — qu'ils n'appliqueraient pas nécessairement la loi si le projet de loi n° 21 devient la loi. Pensez-vous que les municipalités, MRC, commissions scolaires peuvent choisir de ne pas respecter les lois qui s'appliquent à elles?

Mme Lamarche (Chantal) : Bien, pour les commissions scolaires, je ne répondrais pas parce que moi, je suis vraiment volet municipal. Au niveau municipalités, je...

Une voix : On l'applique.

Mme Lamarche (Chantal) : On l'applique. Il va falloir l'appliquer. Il faut faire suivre la loi.

M. Lemieux : Mais parce que c'est la loi ou... même... C'est parce qu'il y a des questions sur l'applicabilité. À partir du moment où le projet de loi n° 21 devient la loi, vous n'avez pas de misère à trouver la façon de l'appliquer telle que vous la comprendrez?

Mme Lamarche (Chantal) : Non. Comme j'ai dit à M. Lévesque tantôt, on va s'inspirer de vous, au gouvernement, pour l'application, si vous faites des changements. Présentement, c'est la plus haute autorité municipale. On va s'inspirer de vous. Mais, non, on est d'accord avec ça. Mais, au niveau scolaire, je ne peux pas parler, là, c'est...

M. Châteauvert (Pierre) : Si vous permettez...

Mme Lamarche (Chantal) : Oui, allez-y.

M. Châteauvert (Pierre) : Je vais vous faire un parallèle. À l'automne dernier, il y a eu un mouvement sur le registre des armes à feu, où est-ce qu'il y a beaucoup de groupes qui débarquaient dans les conseils municipaux puis qui demandaient, justement, d'une remise en question. Or, le conseil exécutif de la FQM en a discuté et a envoyé un message, différents éléments, à l'ensemble des membres, et le premier élément, c'est : La loi s'applique, nous sommes des élus, et on doit la suivre, et on est là pour appliquer la loi et les règlements. Donc, c'était très clair, à ce moment, ça, c'est un principe inébranlable au niveau de la FQM. Des fois, on ne partage pas toujours les éléments, mais c'est fondamental dans notre système.

Mme Lamarche (Chantal) : Très bon exemple.

Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le ministre.

M. Jolin-Barrette : Oui. Bien, écoutez, M. Châteauvert, je pense que vos propos sont empreints de sagesse parce que c'est vrai que, lorsqu'on est à la tête d'une organisation municipale ou quelconque organisation québécoise, on se doit de respecter la loi. Et j'invite, dans le fond, tous les partenaires, qu'ils soient du milieu municipal, scolaire ou organisationnel autre, qui sont visés par le projet de loi, à s'assurer d'appliquer la loi. Parce que, vous savez, dans notre démocratie, ça fonctionne comme ça. Et c'est vrai également pour les règlements municipaux. Un conseil municipal, ça parle par résolution, donc, à partir du moment où le conseil prend une résolution, adopte un règlement, c'est la loi de la municipalité, c'est la réglementation municipale, et, en ce sens-là, on ne voudrait pas que des citoyens ne respectent pas la loi. C'est la même chose au niveau des lois provinciales et au niveau des lois fédérales.

Vous indiquez, dans votre mémoire, que... en lien avec l'interdiction concernant les agents de la paix, les greffiers, les greffiers adjoints des cours municipales, que «la nature [des] fonctions oblige une image de neutralité afin de transmettre un message d'ouverture à tous les citoyens et citoyennes que doit desservir la municipalité et spécifiquement en contexte d'autorité». Alors, pour la FQM, le fait que ces personnes-là ne puissent pas porter de signe religieux, c'est un message de neutralité. C'est ce que je comprends.

Mme Lamarche (Chantal) : Exactement.

M. Jolin-Barrette : O.K. Donc, ça veut dire...

Mme Lamarche (Chantal) : D'ouverture aussi.

M. Jolin-Barrette : D'ouverture aussi.

Mme Lamarche (Chantal) : Exactement.

M. Jolin-Barrette : Du fait que tous les citoyens vont être traités équitablement, de la même façon.

Mme Lamarche (Chantal) : Exact. C'est ça. Très important.

M. Jolin-Barrette : Donc... oui.

Mme Lamarche (Chantal) : La neutralité.

M. Jolin-Barrette : O.K. Donc, il n'y a pas d'apparence non plus de partialité dans le traitement. Ce que vous dites, c'est que l'image est aussi importante que le fond aussi du traitement.

Mme Lamarche (Chantal) : Oui.

M. Jolin-Barrette : O.K. En lien avec les valeurs de la FQM au niveau de la parité, au niveau de l'égalité entre les femmes et les hommes, vous faites un lien entre la laïcité et l'égalité entre les femmes et les hommes dans votre mémoire aussi.

Mme Lamarche (Chantal) : Oui, c'est ça qui... comme que j'ai dit tantôt, exactement.

M. Jolin-Barrette : O.K., pourquoi vous faites ce lien-là? Comment vous le rattachez entre... l'égalité entre les hommes et les femmes et la question de laïcité?

M. Châteauvert (Pierre) : La démarche de la FQM, lors de la discussion, ce qui est sorti clairement, lors du conseil d'administration, c'est que ça fait très longtemps que tout ça traîne, c'est dans le mémoire, c'est assez clair, c'est que ça prend un cadre clair pour avancer. Donc, la FQM a été la première organisation municipale à adopter ce genre de politique là, et, lors du débat, il était clair que — en fait, clair, effectivement, le mot revient souvent — le contexte dans lequel tout ça doit s'appliquer, la clarté des conditions d'application à tous les niveaux devenait un élément pour réaliser... pour permettre la réalisation des objectifs qu'on a mis dans la politique de parité et d'égalité.

Ce que les membres du conseil ont dit par rapport au fonctionnement des municipalités, ce qui était apprécié, c'était que, pour une fois, on va avoir un contexte clair dans lequel on va pouvoir fonctionner et qui... Bon, c'est évident qu'il n'y a pas nécessairement de problématique intense dans nos milieux, là, les municipalités qu'on représente, en très grande majorité, mais que, quand même, pour éviter des problèmes éventuels, l'application de cette loi-là allait fournir un cadre de fonctionnement suffisamment clair pour nous permettre d'avancer dans ces politiques-là.

M. Jolin-Barrette : Est-ce que vous avez des enjeux, parfois, au niveau des accommodements raisonnables, au niveau de la clarté? Parce que je vous donne l'exemple, dans le cadre du projet de loi, pour le visage à découvert, les services publics à visage découvert et la réception de services, maintenant, ce ne sera plus possible de faire des accommodements religieux. Dans le fond, la personne devra se découvrir le visage pour des motifs de sécurité ou d'identification, il n'y a pas de possibilité d'accommodement. Même chose pour le fonctionnaire ou l'agent de la municipalité qui donne un service, bien, il devra respecter le principe de laïcité de l'État, il ne pourra pas ne pas agir, supposons, d'une façon neutre avec un citoyen qui viendrait. Exemple, supposons, moi, j'avais ma croix catholique, et quelqu'un refuserait de me servir, un employé municipal refuserait de me servir, bien, ça ne sera pas possible, il ne pourra pas dire : Je ne veux pas servir Simon parce que... il a un signe religieux, donc je ne le traite pas d'une façon neutre sur le plan religieux. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça, le fait qu'on ne permette plus d'accommodement religieux sur le visage à découvert?

Mme Lamarche (Chantal) : Oui.

M. Jolin-Barrette : O.K. Et est-ce que ça entraîne parfois des difficultés d'application, les accommodements religieux, pour vos municipalités?

Mme Lamarche (Chantal) : Non.

• (17 heures) •

M. Châteauvert (Pierre) : Actuellement, dans nos communautés, il n'y a pas véritablement de problématique à laquelle on assiste. Pourquoi les gens du conseil tenaient à appuyer cet élément-là aussi, c'est parce que c'est le climat, le climat qui, après 10, 12, 15 ans de tergiversations, ça a créé qu'à un moment donné il fallait fournir une réponse parce que ce climat-là, il faut répondre à ces craintes-là. C'est certain que l'ensemble de nos municipalités ont un besoin immense d'accueillir des citoyens, d'attirer des gens extrêmement accueillants, ils font tout pour accueillir tout le monde sur les problématiques.

Et c'est vrai que la dynamique qu'on a actuellement dans nos communautés, là, on ne voit pas cette problématique-là, mais on pense que c'est clair, il y a un choix qui a été fait de mettre fin... en fait, on a établi un système laïque suite à ce que le Québec était, donc il faut le conserver. Ça, c'était une condition essentielle que, pour l'ensemble des citoyens, quels qu'ils soient, quelle que soit sa religion, que les choses soient claires que ça doit être la laïcité, puis que les éléments qui sont inscrits au projet de loi doivent s'appliquer pour avoir un cadre clair et un contexte clair de relations entre les personnes en autorité et les citoyens dans nos municipalités.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.

Mme David : Merci, M. le Président. Bonjour, messieurs. Bonjour, mesdames. Merci d'être ici pour représenter, comme vous dites, la force des régions. Écoutez, vous avez fait des représentations par rapport à ce projet de loi là, bon, en même temps, en disant : Écoutez, ça ne nous touche pas à tous les jours vraiment dans notre réalité. Mais j'aimerais ça que vous nous parliez un peu de votre réalité. Est-ce que vous avez déjà eu ne serait-ce qu'un cas où vous avez eu à gérer quelque chose lié à l'accommodement religieux ou à...

Mme Lamarche (Chantal) : Écoutez, c'est difficile à répondre pour toutes les régions du Québec, là, parce qu'il y en a beaucoup, mais, à ma connaissance à moi, présentement, non, pas présentement. On le voit moins dans les régions, mais, pour le futur, ça va être un encadrement de neutralité nécessaire. Mais, tu sais, il y a beaucoup de régions au Québec, peut-être qu'il y a un cas qui s'est vécu spécifique à quelque part. À ma connaissance à moi, non.

Mme David : Puis vous n'avez jamais eu de plainte.

Mme Lamarche (Chantal) : Pas moi, mais, tu sais, je ne peux pas... il y a peut-être eu des cas isolés, là, mais, en tout cas, au niveau de la fédération, on n'a pas eu de plainte qui est arrivée à la table au conseil d'administration, là, personne n'a rapporté ça.

Mme David : O.K. Alors, quand on vous pose des questions sur : Que pensez-vous de la clause de dérogation, sur l'applicabilité, ce n'est pas quelque chose... ou des choses auxquelles vous avez à réfléchir à tous les matins, en vous levant, là.

Mme Lamarche (Chantal) : Non. Non, mais c'est bon que ce soit là pour plus tard, si éventuellement...

Mme David : Et le plus tard étant, au cas où, quoi, quoi arrive?

Mme Lamarche (Chantal) : Bien, c'est la neutralité, c'est important, le projet de loi n° 21, pour être neutre pour tout le monde, c'est ça qui est important. Ça fait que, peu importe qui arrive chez nous, dans les régions, peu importe qui, parce que c'est ça qu'on veut, attirer les gens, les Québécois, les Québécoises dans les régions le plus possible, pour la main-d'oeuvre, fait que ça va être là, ça fait que ça va être déjà appliqué, en tout cas, on va voir, là, mais... Ça fait que, donc, on va déjà avoir des outils pour travailler avec ça.

Le Président (M. Bachand) : ...qui voulait intervenir?

Mme Lamarche (Chantal) : Oup! Allez-y.

Mme Drolet (Maryse) : Peut-être en complément... au niveau de la fédération, au niveau de la permanence, d'enjeux comme ça qui nous ont été apportés ou que des municipalités nous auraient signalés, il faudrait qu'on travaille sur cet enjeu-là. Je vous dirais, depuis plusieurs années, on ne nous a pas alertés là-dessus. Alors, c'est un peu un signe que, non, probablement que l'intégration se vit très bien en région, c'est plutôt ça qu'on entend. Il y a beaucoup, beaucoup de milieux qui font énormément d'initiatives, de stratégies de séduction pour attirer les communautés de l'extérieur à venir s'établir dans les différentes régions du Québec.

Alors, au contraire, justement, c'est ça, alors, on trouvait que, justement, le projet de loi, avec le message d'ouverture et d'accueil, parce que ça va s'appliquer à l'ensemble du Québec, ça devient un message à... lequel, vraiment, on n'a pas de difficulté à adhérer.

Mme David : Merci. Vous parlez de message d'ouverture et d'accueil, alors que d'autres qui sont venus témoigner parlaient plutôt que c'était un message de fermeture et d'exclusion, c'est-à-dire qu'on empêche des femmes de travailler ou d'occuper certains postes. Alors, je suis très, très heureuse, et je pense que vous avez tout à fait raison que les Québécois, qui ne sont pas nécessairement de souche ou qui sont des nouveaux arrivants, sont très bien accueillis en région, ils s'intègrent, que les régions font d'immenses efforts et, avec le besoin de main-d'oeuvre, c'est encore plus présent.

Alors, on entend des très belles histoires, mais on entend aussi, et particulièrement dans les grands centres, que ce projet de loi là va, au contraire, atteindre à quelque chose qui vous semble très cher.

Et, je vous félicite, vous avez adopté une politique d'égalité le 8 mars 2019, donc tout, tout, tout récemment. Et on avait la mairesse de Montréal, juste avant vous, et vous avez peut-être entendu ses commentaires sur le fait que, justement, ça allait atteindre, au contraire, l'égalité hommes-femmes, puisque les femmes sont beaucoup plus touchées que les hommes, ce sont les femmes qui n'auront plus accès à un certain nombre d'emplois, dont l'enseignement. Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus.

Mme Lamarche (Chantal) : Bien, c'est sûr que moi, je ne peux pas vous parler pour la mairesse de Montréal qui est venue parler, elle, tantôt. Je ne me prononcerai pas sur Montréal. Mais je vous ai entendu dire tantôt que ça empêche les gens de travailler. Ça n'empêche pas, pour nous, personne de travailler. Aucunement. Tout le monde peut travailler...

Mme David : Parce que vous n'avez pas de...

Mme Lamarche (Chantal) : Si le projet de loi a lieu en juin, c'est l'application, puis tout le monde peut travailler dans un État neutre.

Mme David : J'aimerais ça vous poser une question sur l'application. Parce que vous avez parlé... je pense que c'est M. Châteauvert qui a parlé de la clarté des conditions d'application. Comment, par exemple, vous allez appliquer la condition de signe religieux invisible? Vous êtes en région, ça se peut qu'il y ait des gens qui portent une croix catholique.

Mme Lamarche (Chantal) : Mais on parle toujours, là, en position d'autorité là.

Mme David : Oui.

Mme Lamarche (Chantal) : S'il y a quelqu'un qui va dans une municipalité ou peu importe puis il marche sur un trottoir ou s'en vient pour quelque chose, il n'y a pas personne qui va être empêché. On parle de position d'autorité, là. C'est important de maintenir le cap là-dessus, là.

Mme David : Oui. Ah! je suis d'accord avec vous. Mais, justement, monsieur, disons qu'il est D.G., il est en position d'autorité puis qu'il porte une croix religieuse, comment vous allez organiser ou comment vous voyez ça, l'applicabilité de cette future...

Mme Lamarche (Chantal) : Bien, comme on a dit tantôt, on va regarder le gouvernement, là, on va s'inspirer d'eux autres, la façon qu'ils vont nous diriger pour l'application. Présentement, c'est le directeur général. La façon, votre question, on va voir, on va s'inspirer du gouvernement, comment qu'ils vont nous apporter cette façon-là. Mais présentement, c'est la direction générale. Mais, déjà, dans les municipalités, peu importe, on applique plein de lois, plein de règlements, là, puis, des fois, les inspecteurs municipaux sont... Et là on ne parle pas de laïcité. Peu importe, là, c'est des gens qui ne sont pas toujours bien accueillis parce qu'ils doivent appliquer des règles. Bien, ça, ça va être une règle qu'on va appliquer, puis on va s'inspirer du gouvernement, qu'est-ce qu'ils vont nous emporter pour...

Là, présentement, dans le projet, c'est les hautes autorités, les directeurs généraux, en gros. On va voir, là, puis on va s'inspirer au fur et à mesure que ça va avancer.

Mme David : ...disons qu'il y a un greffier — parce que ça va vous toucher, ça, les greffiers — qui porte une croix catholique en dessous de sa chemise. Comment vous voyez ça, vous, l'applicabilité de ça?

M. Châteauvert (Pierre) : Bien, ce que je comprends, c'est que, si elle est en dessous de sa chemise, elle ne sera pas visible, puis on ne saura pas nécessairement si effectivement la croix est là. Et ce n'est pas une question d'enquête. La façon, c'est toujours avec discernement que tout ça... Quand on gère une équipe, et tout ça, on y va avec discernement. Les directeurs généraux appliquent déjà des conventions, des règlements, des règles de gestion, et tout ça, et ça se fait avec discernement. Et on ne voit pas nécessairement, en fonction de ce qu'on connaît, nous, de problématique.

Puis ce qu'on sait en plus, c'est que, chez nos employés, parce que ça a été discuté, ça ne cause pas de problème. Et, tu sais, on est une communauté, ça, c'est des communautés qui vivent ensemble, ça va bien, nous, communauté ouverte. Ces choses-là ne causent pas... C'est plus nous. Le cadre clair est synonyme d'ouverture et de vivre-ensemble avec des règles communes. Donc, ça ne nous cause pas nécessairement de problème. On comprend que, peut-être, ailleurs, il y a d'autres opinions. Puis, ça, on est ouverts à toutes les opinions puis on les comprend. Mais, là-dessus, il n'y a pas de problématique. Mais, comme Mme Lamarche le disait, on va observer avec intérêt le gouvernement sur la façon qu'ils vont appliquer la règle.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée de Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît.

Mme Robitaille : Bonjour. Merci d'être là. Oui, c'est vrai, dans les municipalités du Québec, on est accueillants puis on veut aider. Ça, c'est sûr. J'essaie juste d'imaginer. Il y a un poste de greffière adjointe qui est ouvert, et là il y a une petite madame, une immigrante, qui est la seule dans la municipalité, et elle porte un voile, et puis elle a tout ce qu'il faut pour être greffière adjointe, et puis elle répond à toutes les conditions, puis elle est là, là, elle est là pour vous. Qu'est-ce que vous allez faire?

Mme Lamarche (Chantal) : Il faut appliquer la loi. Le gouvernement, si la loi, en juin, le projet de loi...

Une voix : L'Assemblée nationale.

Mme Lamarche (Chantal) : ...l'Assemblée nationale, il va falloir l'appliquer, comme tout autre règlement.

Mme Robitaille : Alors, vous allez faire quoi? Vous allez lui demander de retirer son voile, c'est ça?

• (17 h 10) •

Mme Lamarche (Chantal) : Bien, la personne en autorité puis selon les règles d'application, là, qu'on va s'inspirer du gouvernement, on va y aller de façon... Oui. Puis, quand qu'on parle d'immigrants, ce n'est pas... La religion n'est pas associée à immigrants, là, tu sais. Tu peux être né au Québec puis avoir une religion... peu importe, là. C'est pour tout le monde, la neutralité. Tu sais, il ne faut pas mélanger...

Mme Robitaille : Mais M. le ministre en parlait tout à l'heure, il parlait de la clause dérogatoire. La liberté de religion, on s'entend, hein, c'est un droit fondamental, et, pour suspendre un droit fondamental... on l'a écouté ici souvent, on nous l'a expliqué, pour suspendre un droit fondamental, bien, il faut une urgence. Il faut une raison sérieuse, une urgence. Là, je vous écoute, en fait, il n'y en a pas, d'urgence, si je comprends bien, dans les municipalités du Québec, là, pour appliquer une loi comme ça, pour interdire des signes religieux.

Mme Lamarche (Chantal) : Mais, comme je vous... Bien, je ne sais pas à qui répondu tantôt...

Mme Robitaille : Bien non... Bien, vous me répondez. Mais il n'y a pas d'urgence, si je comprends bien.

Mme Lamarche (Chantal) : Mais, comme c'est là, il y a des... Il y a peut-être des situations qui ont eu lieu, mais, comme c'est là, présentement, les gens qui arrivent en région, peu importe, Québécois, Québécoises, immigrants, s'adaptent aux règles en région comme présentement, là.

Mme Robitaille : Mais là il n'y en a pas, d'urgence, on s'entend?

Mme Lamarche (Chantal) : Non.

M. Châteauvert (Pierre) : Si vous permettez un complément?

Mme Robitaille : Oui?

M. Châteauvert (Pierre) : Nous, on pense que... ce qui a été discuté au conseil d'administration, c'est qu'on pense que le contexte, l'absence de décision cette dernière décennie, bon, 12, 15 ans, là, grosso modo, là, du dossier, crée un problème, a créé un problème, et que ça, il est important de le régler, de mettre, en fait, un point, qui ne sera peut-être jamais un point final, ce genre de question là, mais, quand même, de franchir une étape pour avancer, comme on fait référence à d'autres expériences, et que l'Assemblée nationale, dont vous êtes les élus, vous êtes les personnes que les citoyens ont choisies pour définir ces règles-là, pour appliquer cette étape-là, pour nous permettre, au Québec, de franchir cette étape-là, demande l'utilisation de cet outil-là. Nous, ce qu'on vous dit, c'est qu'on n'a pas de problème — on ne fait pas référence au caractère d'urgence — on n'a pas de problème avec l'utilisation de cet outil-là pour permettre au Québec de franchir cette étape. C'est en ce sens-là que nous, on n'a pas de problème avec l'utilisation de la clause dérogatoire sur ce cas-là, et, comme on a dit, qui a déjà été utilisée dans d'autres lois, d'autres cas, puis par à peu près tous les gouvernements depuis que les clauses dérogatoires existent.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée, oui.

Mme Robitaille : ...pourquoi il faut aller de l'avant avec une interdiction des signes religieux. C'est la question que je me pose.

M. Châteauvert (Pierre) : Mais ça s'applique à toutes les religions, comme Mme Lamarche le disait, catholiques, mormons, et tout ça, et ça ne fait pas référence à une religion en particulier, ça s'applique à tout le monde, et c'est la même chose pour tout le monde. Donc, en ce sens-là, c'est égal.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Merci, M. le Président. Merci beaucoup pour votre contribution. C'est très apprécié.

Mme Lamarche (Chantal) : Bonjour.

M. Zanetti : Comment formuler ça? Depuis le début de la commission, souvent, on soulève un enjeu qui est celui justement du motif pour lequel on veut réduire les droits et libertés dans le cadre du projet de loi n° 21. Alors, si on interdit les signes religieux, on réduit des droits et libertés. C'est pour ça qu'il y a une disposition à la charte, parce que ça ne passerait probablement pas le test de la charte, les droits et libertés de la personne du Québec. Et là je cherche le pourquoi, la raison pour laquelle on fait ça. Alors, je veux savoir un peu qu'est-ce qui va arriver au Québec si on n'interdit pas les signes religieux, selon vous, dans votre réalité, là.

Mme Lamarche (Chantal) : Bonne question. Bien, ça va faire comme depuis voilà 10, 15 ans où on en parlait, ça va susciter plein de motifs, plein de chicanes, plein d'éléments, plein de problèmes que ça fait de 10 à 15 ans que tout le monde en parle partout au Québec. Donc là ça va régler une situation, puis on va passer à autre chose.

M. Zanetti : Bien, moi, j'aimerais penser que ça va faire ça aussi. Parce que moi aussi, je suis tanné de la chicane. Tout le monde est tanné de la chicane. On veut juste passer à autre chose. Mais tous les groupes qui sont venus ici, là, la plupart de ceux qui disent qu'ils sont pour le projet de loi, la plupart, là, qui disent qu'ils veulent aller plus loin, bien, ils disent : Ça ne sera pas fini, c'est une bonne première étape, on va aller plus loin, etc. Et ça va être dans les tribunaux, puis tout ça. J'ai l'impression que ça ne mettra pas du tout le couvercle. Alors, je me demande : Tant qu'à ne pas mettre le couvercle dessus de toute façon quoi qu'il arrive... Qu'est-ce qui va arriver si on ne le faisait pas? Tu sais, si on faisait juste le statu quo, là, c'est-à-dire, en ce moment, là, c'est quoi, le danger à laisser aller, entre guillemets, la situation actuelle sur l'enjeu des signes religieux, pas des affaires dans d'autres pays, là, les signes religieux? Parce que vous, vous ne l'avez pas évoqué, mais d'autres ont parlé d'autres pays, puis je ne trouvais pas ça pertinent. Qu'est-ce qui va arriver si on n'interdit pas les signes religieux?

Mme Lamarche (Chantal) : Bien, moi, je vais répondre, et M. Châteauvert peut répondre. Moi, je pense que, pour ceux qui me connaissent comme politicienne, de la chicane comme on a dit tantôt, ça va continuer, ça va empirer. Puis moi, je suis quelqu'un qui est juste et équitable pour tout le monde, ça fait que faire une loi, c'est pour tout le monde, puis on l'applique pour tout le monde pareil.

Là, c'est difficile. Et on l'écoute, on l'entend, ça fait des années, ça fait que moi, je pense que les problèmes vont s'empirer, les chicanes, les guerres vont s'empirer, les manifestations, peu importe qu'ils sont ou pas... Puis je crois, comme politicienne, le meilleur intérêt de la majeure collectivité, il faut être juste et équitable pour tout le monde, puis on a besoin d'un projet de loi comme celui-là.

M. Châteauvert (Pierre) : Et, si vous permettez d'ajouter que ce genre de débat là ne s'est... C'est une simple réalité, c'est un simple fait que ce genre de débats sociaux là ne s'arrête jamais. La langue, au Québec, c'est un exemple. Et les élus, lors du conseil d'administration, ils ont dit que... puis on l'a cité... une citation, c'est : «À titre d'élus-es, nous connaissons le coût des débats occultés et surtout la nécessité du courage politique pour faire avancer les choses.» Donc, là-dessus... Et c'est pour ça qu'on pense qu'à un moment donné, effectivement, il faut franchir une étape, et de là, la marche...

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Matane-Matapédia, s'il vous plaît.

M. Bérubé : Merci, M. le Président. Bienvenue. Tout à l'heure, Mme la préfet, vous avez indiqué... vous avez même corrigé la représentante du Parti libéral en disant : Il n'y a personne qui va perdre son emploi, à moins de le vouloir. L'avantage, avec une loi, c'est que les règles sont connues. Si quelqu'un décide que sa religion doit primer sur son emploi, bien, il y a une conclusion à avoir, et ça touche seulement les personnes en autorité — vous l'avez indiqué tout à l'heure, c'est limité — et les enseignants.

Alors, parfois, j'entends ici et ailleurs que les gens vont perdre leur emploi ou vont être empêchés d'aller en emploi. Bien, seulement les personnes qui vont prioriser leur religion face à leur emploi pour vivre. Ça, c'est la réalité. Je voulais le corriger parce que j'entends toutes sortes de choses là-dessus.

45 municipalités, dans mon comté, alors la FQM, je la connais à travers les maires, les mairesses. Et on a aussi une préfet élue au suffrage universel, Mme Chantale Lavoie, que vous connaissez, de la Matapédia. Et vous êtes des pragmatiques, à la FQM, puis vous appliquez les lois, puis vous appliquez les règlements.

Et j'en arrive à ça : Vous avez indiqué plusieurs fois que vous allez attendre de voir comment le gouvernement va appliquer la loi puis les règles. Nous, on ne le sait pas. Nulle part on n'a ça, c'est quoi, les sanctions, comment ça va s'appliquer. J'ai entendu ce matin que le ministre se référait aux lois du travail. Aimeriez-vous avoir plus d'indications sur qu'est-ce qu'il va arriver si quelqu'un qui est à votre charge décide de ne pas respecter la loi?

Parce que, tout à l'heure, le gouvernement va demander à la commission scolaire : Appliquez la loi. Mais moi, j'aimerais ça savoir qu'est-ce qu'il va arriver si on n'applique pas la loi.

Mme Lamarche (Chantal) : O.K. Deux choses. Première chose, dans le document, c'est écrit qu'on va se fier aux autorités, les directeurs généraux. Après ça, on va attendre, parce qu'on a élu les personnes, les politiciens qui sont là, on a élu, bien, en tout cas... Et il faut avoir confiance en qu'est-ce qu'ils vont nous apporter pour appliquer la loi.

M. Bérubé : Mais vous n'aimeriez pas qu'on le sache tout de suite, comment ça va fonctionner?

Mme Lamarche (Chantal) : Bien, il faut... On va le savoir bientôt, probablement, là.

M. Bérubé : ...pas sûr.

Mme Lamarche (Chantal) : C'est un peu comme moi, élue au suffrage universel, j'ai 17 maires à mon conseil des maires, ils ont confiance en moi, on travaille en équipe. Ça fait que je vais croire que vous allez travailler en équipe pour une belle application de la loi.

M. Bérubé : Mais, Mme la préfet, vous avez une grande confiance, parce qu'on est dans un moment où on doit légiférer, on doit étudier un projet de loi puis on ne connaît pas les règles. Alors, je note votre confiance, mais j'aimerais mieux avoir confiance une fois après avoir vu les règles. Et on ne les a toujours pas. Il ne m'apparaît pas prématuré de les avoir non plus.

M. Châteauvert (Pierre) : ...à la base, en regardant ça, s'il n'y a pas nécessairement de problématique, donc, actuellement, là, sur la façon qu'on procède, et tout. Mais effectivement le message qu'on lance, c'est que, s'il y a de très bonnes idées qui sortent de la gestion de l'État, bien, on va s'en inspirer aussi...

M. Bérubé : J'en ai une à vous suggérer...

M. Châteauvert (Pierre) : ...on verra.

M. Bérubé : ...une bonne idée : Le gouvernement va appliquer une loi, qu'il nous dise c'est quoi, les sanctions, si on ne la respecte pas. Ça, c'est l'idée que j'amène au débat. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Châteauvert (Pierre) : Il faut regarder. On attendra...

M. Bérubé : Vous avez confiance? Moi, je demeure toujours prudent là-dessus. L'intention du législateur, on la questionne, mais, en même temps, sur le pragmatique, sur ce que je peux lire sur l'application d'une loi, c'est important. Ça fait 12 ans que je suis législateur, je peux vous le dire, ce serait important pour un projet de loi de cette nature-là. On demande de l'appliquer, de savoir qu'est-ce qui arrive si ce n'est appliqué. Pour tout le monde, là, ça m'apparaît important.

M. Châteauvert (Pierre) : M. le député, vous avez fait référence à la sagesse des élus... le pragmatisme des élus de la FQM.

M. Bérubé : On en est.

M. Châteauvert (Pierre) : Nous, on fait confiance à la sagesse des 125 membres de l'Assemblée nationale.

Le Président (M. Bachand) : Merci.

M. Bérubé : Gardez-vous une retenue.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Sur ces bons mots, merci infiniment de votre participation aux travaux de la commission.

Je vais suspendre quelques instants. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 17 h 20)

(Reprise à 17 h 22)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Merci. Veuillez prendre siège. S'il vous plaît!

Alors, je souhaite la bienvenue au Syndicat des agents de protection de la faune. Je vous rappelle que vous avez 10 minutes de présentation et, par après, nous allons passer à la période d'échange. Alors, merci beaucoup d'être ici, et la parole est à vous. Merci infiniment.

Syndicat des agents de protection de la faune du Québec (SAPFQ)

M. Perreault (Martin) : Merci beaucoup. Je vais commencer par faire mon cursus professionnel. Mon nom est Martin Perreault, président du Syndicat des agents de la faune du Québec et agent de protection de la faune. J'ai débuté mes fonctions d'agent de protection de la faune en 2008 et j'ai oeuvré au bureau de la protection de la faune de Salaberry-de Valleyfield jusqu'en 2017. J'ai obtenu un transfert au bureau de la protection de la faune de Thetford Mines en décembre 2017, où je suis toujours attitré.

Mon parcours syndical a débuté en 2009 dans la région Estrie-Montréal-Montérégie et se poursuit toujours dans la région Capitale-Nationale—Chaudière-Appalaches. En 2014, je suis élu premier vice-président au sein du syndicat avant d'être élu directeur aux griefs en janvier 2015. En octobre 2018, je suis élu président provincial du syndicat, où j'occupe toujours les mêmes fonctions aujourd'hui.

Le syndicat des agents de la faune... La profession d'agent de la faune existe depuis 1867, mais le syndicat des agents de conservation de la faune a vu le jour en 1982, suite à la dissolution du Syndicat des agents de la paix du Québec. En janvier 2013, le syndicat obtient l'autorisation des autorités compétentes afin de changer son appellation. Dorénavant, le syndicat s'appellera le Syndicat des agents de protection de la faune du Québec. Une fois les autorisations légales obtenues, le syndicat en profitera pour moderniser et revamper son logo. Depuis ce temps, le syndicat oeuvre indépendamment dans toutes les sphères syndicales qui lui sont permises de veiller et veille au respect des droits conventionnés de ses membres.

En date d'aujourd'hui, le syndicat compte environ 380 membres répartis partout sur le territoire québécois et le ratio hommes-femmes se situe à environ 15 %, 57 agentes de protection de la faune au Québec. Leur travail consiste à protéger, éduquer et prévenir la population qui pratique des activités de chasse, de pêche, de piégeage ou toute autre activité réglementée par l'État où nous avons juridiction.

Pour le résumé, les agents de protection de la faune du Québec sont appelés à être en contact avec toute personne présente sur le territoire québécois. De par leurs fonctions, ceux-ci doivent intervenir auprès des personnes qui pratiquent une activité réglementée par l'État, donc ils doivent suivre et obéir aux règles qui sont établies par celle-ci. Le projet de loi n° 21 assujettit les agents de protection de la faune, les agents de la paix, à ne pas porter de signes religieux dans l'exercice de leurs fonctions. La population devra également se conformer à certaines règles de ce projet de loi afin d'obtenir le service auquel ils ont droit.

Par ce mémoire, je veux vous faire part de mes explications face à la notion du port d'uniforme, la notion d'identification d'un individu interpelé, l'importance de la clarté du projet de loi déposé par le gouvernement et l'impact sur les membres que je représente.

L'uniforme de travail. Dans le cadre de leur travail, les agents de protection de la faune du Québec portent un uniforme et le décorum de celui-ci est important et bien défini par le gouvernement. Que ce soit lors d'une patrouille régulière, lors d'une comparution à la cour ou tout simplement en lien avec les saisons, l'uniforme doit être porté tel qu'il est décrit et demandé, et ce, sans ajouter aucune autre pièce d'équipement. Le fait d'y ajouter une autre pièce d'équipement ou un signe religieux viendrait en contravention avec ce qui nous est demandé en lien avec l'uniforme.

L'identification d'un individu. Une partie du travail des agents de protection de la faune du Québec consiste à vérifier et identifier des personnes en activité de chasse, de pêche, de piégeage ou toute autre activité réglementée par l'État où nous avons juridiction. Certaines lois que nous faisons appliquer nous amènent à intervenir directement à la résidence ou sur les terrains des personnes. Dans les cas précédemment mentionnés, et plus particulièrement lorsqu'il s'agit d'identifier une personne, nous devons s'assurer que celle qui se trouve en face de nous est bel et bien la personne qui est observée lors des faits reprochés. Dans le cas où la personne à identifier n'ait pas le visage découvert et que, par la nature de notre intervention, nous soyons en mesure d'exiger une identification positive de cette personne, nous pourrions nous retrouver dans une situation désagréable pour les parties en cas de refus. Je crois que les balises du projet de loi feront en sorte de simplifier le volet d'identification dans le travail des agents de protection de la faune du Québec et mettront les règles claires aux citoyens avec qui nous devrons traiter.

La clarté du projet de loi. Comme dans toutes les lois que nous devons faire appliquer, le présent projet de loi devra être clair afin que les membres que je représente ainsi que la population avec qui nous devrons traiter comprennent ce qui est établi et qu'il n'y a pas place à interprétation de part et d'autre.

L'impact de la loi. Pour le moment, les conditions du projet de loi n° 21 n'ont pas d'incidence au sein des agents de protection de la faune du Québec. Avant de prendre connaissance dudit projet de loi, je me suis interrogé sur les tatouages à connotation religieuse, mais je comprends qu'il ne s'agit pas d'un signe religieux. De plus, les règles établies devront être précises et claires pour tous et ne certainement pas y aller du cas par cas. Dans notre travail, nous faisons appliquer des lois, et, lorsque nous interpelons un individu, tant l'application de ces lois ou de nos pouvoirs et devoirs sont pareils pour toute la population. Ce projet de loi devra être uniforme pour tous comme il est bien décrit à l'annexe II, le point 9 du projet de loi. On assujettit tous les agents de la paix exerçant leurs fonctions principalement au Québec.

En conclusion, suite à mes commentaires sur le projet de loi n° 21, je crois que le gouvernement du Québec vient bien établir... bien encadrer sa volonté de rendre l'État laïc. Malgré le fait que les agents de protection de la faune du Québec ne soient pas réellement touchés par cette modification, ils devront tous respecter ce qui est établi par le gouvernement. Comme dans chaque modification d'envergure, la clarté du message et l'absence de zones grises devront être analysées et corrigées s'il y a lieu afin que les employés de l'État et la population soient bien informés... bien au fait de ce qui a été décidé.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. Perreault. Avant d'aller plus loin, nous devions terminer à 17 h 45. J'aurais besoin d'un consentement pour ajouter à peu près 22 minutes au débat. Est-ce qu'il y a consentement?

Des voix : ...

Le Président (M. Bachand) : Consentement. Merci beaucoup. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui. M. Perreault, bonjour. Bonjour également à la personne qui vous accompagne. Écoutez, merci beaucoup de venir en commission parlementaire pour venir dire le point de vue du Syndicat des agents de protection de la faune du Québec, c'est apprécié.

Je voudrais qu'on revienne sur les fonctions d'agents de la faune. Tout à l'heure, vous avez dit : Bon, on est en action directement sur les lieux mais, aussi, on va à la cour, aussi. Pouvez-vous me définir, là, les grandes fonctions que vous exercez en tant qu'agents de protection de la faune?

M. Perreault (Martin) : Quand qu'on est appelés à aller à la cour, c'est généralement parce qu'on a émis un constat d'infraction à une personne, on l'a soit prise à la chasse, la pêche ou différentes lois qu'on fait appliquer. On émet une infraction, la personne a le choix de plaider coupable ou non coupable, puis c'est là qu'on peut être appelés à aller témoigner devant le tribunal ou sur une infraction qu'on a émise.

M. Jolin-Barrette : O.K. Est-ce que, généralement, quand les agents vont témoigner, ils portent leur uniforme ou ils sont en civil?

M. Perreault (Martin) : Oui, on porte notre uniforme. C'est bien précisé dans les directives qu'une fois qu'on est à la cour on est habillés de telle manière. Si on est sur le terrain, c'est une autre manière. Mais, oui, on porte notre uniforme quand on va à la cour.

M. Jolin-Barrette : O.K. Donc, toujours dans le cadre de l'exercice de vos fonctions, vous portez toujours l'uniforme et vous représentez, dans le fond, l'État parce que vous êtes investi d'un pouvoir particulier. Vous, vous pouvez, en vertu... vous êtes un agent de la paix, c'est bien ça, donc vous avez un pouvoir d'intercepter les gens pour vérifier la conformité.

• (17 h 30) •

M. Perreault (Martin) : Dépendamment des lois. Si on fait appliquer les lois fédérales, il faut être sûr de l'infraction pour pouvoir intercepter; lois provinciales, on peut intercepter si on a un motif d'intercepter, si on veut.

M. Jolin-Barrette : O.K. Quand vous dites «loi fédérale», ça veut dire, vous avez constaté une violation d'une disposition d'une loi fédérale.

M. Perreault (Martin) : Une infraction à la Loi sur les pêches, par exemple, là on peut procéder à l'interception.

M. Jolin-Barrette : O.K. Puis là, quand arrive l'interception, comment ça se passe? Dans le fond, que ce soit une loi fédérale ou provinciale, là, vous interpelez le citoyen et là vous lui demandez de s'identifier? Comment ça se passe?

M. Perreault (Martin) : Bien, nous, on lui explique pourquoi qu'on... Tu sais, on parle d'interception. Ça, c'est si quelqu'un est en véhicule. Mais, si on va procéder à la vérification de quelqu'un sur le bord de l'eau, exemple, qui est à la pêche, on s'identifie, c'est certain.

Je veux peut-être faire une petite parenthèse. On peut être appelés aussi à travailler en civil. On est habillés comme on est habillés à tous les jours, et, à ce moment-là, on va s'identifier avec notre insigne de travail, là, c'est certain. Mais on va arriver sur la personne, on s'identifie, on lui explique pourquoi qu'on est là, qu'est-ce qu'on s'en vient faire, qu'est-ce qu'on a constaté, ou ça peut être juste une vérification d'usage qu'on va aller faire.

M. Jolin-Barrette : À savoir, supposons, si la personne a les permis requis pour chasser ou pêcher.

M. Perreault (Martin) : Oui.

M. Jolin-Barrette : O.K. Dans le cadre de leurs fonctions, les agents de la faune, est-ce qu'ils sont armés?

M. Perreault (Martin) : Oui, on est tout le temps armés.

M. Jolin-Barrette : O.K., en tout temps. Au palais aussi?

M. Perreault (Martin) : Oui.

M. Jolin-Barrette : O.K., au palais aussi. Donc, vous avez un pouvoir de coercition sur les citoyens, dans le fond, vous... Quand, supposons, vous constatez une situation d'illégalité à la loi, l'étendue de vos pouvoirs va jusqu'où? Vous donnez des constats d'infraction? Est-ce que vous pouvez arrêter la personne? Comment ça fonctionne?

M. Perreault (Martin) : Notre pouvoir d'arrestation est assez limité. Mais, si on prend l'exemple de l'identification, une personne qui refuserait de s'identifier, on pourrait la mettre en état d'arrestation pour ensuite l'amener aux corps policiers puis là procéder officiellement.

M. Jolin-Barrette : O.K. Ça fait que vous détenez le pouvoir d'arrestation dans certaines situations...

M. Perreault (Martin) : Dans certaines situations limitées, oui.

M. Jolin-Barrette : O.K., particulières. Est-ce que, pour le Syndicat des agents de la protection de la faune, le fait d'avoir un uniforme et le fait de ne pas porter de signe religieux, ça assure une neutralité?

M. Perreault (Martin) : Oui. C'est certain que l'uniforme, ça, ça le dit, il faut que tout le monde soit uniforme, on ne... C'est même... Comme je disais tantôt dans le mémoire, c'est défini que, dans telle situation, uniforme, c'est, bien, les pantalons de ville, la chemise de ville, la cravate, les insignes... comment on porte nos insignes par rapport à nos qualifications. Tu sais, notre nom... tout est déjà défini où ça va, puis on nous dit comment nous habiller, puis on y va, puis c'est comme ça que c'est établi.

M. Jolin-Barrette : O.K. Donc, implicitement, c'est comme si c'était déjà interdit, le port de signe religieux, dans l'uniforme.

M. Perreault (Martin) : Bien, ça, il y a des directives qui encadrent notre travail. Il y a des directives par rapport aux bijoux. Je ne la connais pas par coeur, là, par rapport aux bijoux, jusqu'à quel niveau elle pourrait venir dire : Bien, tel bijou est autorisé ou pas. Je sais qu'il y a des choses en lien avec les boucles d'oreille, mais c'est plus par motif de sécurité. Si on a une altercation puis on a des boucles d'oreille, ça ne fonctionnera pas, là, on pourrait se les faire arracher.

M. Jolin-Barrette : O.K. Tout à l'heure, avec la mairesse de Montréal, je faisais référence à une lettre qui a été envoyée à la ministre de la Sécurité publique par la Fraternité des policiers de la ville de Montréal, puis ils disaient, la fraternité, ils disaient : «Nous estimons donc que l'apparence de neutralité religieuse représente un atout dans l'exercice de la fonction, évitant que des symboles religieux n'influencent la perception des justiciables quant à l'impartialité des agents de l'État.» Est-ce que vous êtes d'accord avec la Fraternité des policiers, qui dit que, pour eux, l'apparence aussi, c'est important, le fait de ne pas porter de signe religieux, pour les justiciables?

M. Perreault (Martin) : Oui. Étant donné aussi qu'on a un certain... une partie de notre travail qui est répressive, bien, on arrive devant quelqu'un, on est neutres, on est en uniforme : moi, je suis en uniforme, mon partenaire est en uniforme. La personne qu'on va aller vérifier, la loi est là pour cette personne-là comme pour n'importe qui au Québec. Donc, on ne fait pas de différence avec ça. Oui.

M. Jolin-Barrette : O.K. Dans votre mémoire, vous dites : Il faut faire preuve de clarté. Selon vous, est-ce que la loi, elle est claire relativement à l'interdiction du port de signes religieux pour les agents de la paix?

M. Perreault (Martin) : Bien, pour nous, c'est une interdiction d'avoir un signe religieux. Donc, c'est assez clair si on nous dit : Tu n'as pas le droit d'avoir de signe religieux. Nous, dans notre travail, on n'est pas là pour juger ce que le législateur a écrit; nous autres, on fait appliquer la loi. Ça fait que, si on nous dit, dans la directive, bien : Pas de port de signe religieux, «that's it», il n'y en a pas, là, les agents... D'abord, s'il y en a qui en ont, une croix sur une chaîne, ils devront l'enlever.

M. Jolin-Barrette : O.K. Ça fait que, donc, dans le fond, tel que formulé dans le projet de loi, vous trouvez ça clair, dans le fond. Tu sais, dans le fond, c'est...

M. Perreault (Martin) : À notre niveau à nous, oui.

M. Jolin-Barrette : O.K. Parfait. Je sais que j'ai des collègues qui veulent poser des questions, M. le Président. Je pense que le député d'Ungava voulait poser des questions.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député d'Ungava.

M. Lamothe : ...M. le Président. M. Perreault, j'ai aimé tantôt quand vous avez dit que l'ajout d'un signe religieux contreviendrait au port de l'uniforme. L'uniforme, je l'ai porté, l'uniforme, antérieurement, dans un autre métier ...sauf, ce que je veux dire, c'est que, quand on dit uniforme, moi, je vous rejoins, dans le sens... il y a le mot, c'est : uniforme, tu sais?

Ma question, c'est de savoir... vous représentez les agents de la faune au Québec, est-ce qu'ils ont la même vision que vous, face aux signes religieux, pour le port de l'uniforme?

M. Perreault (Martin) : Je ne parlerais pas pour les agents de chez nous. Je n'ai pas questionné les agents. Nous, je sais que, dans notre travail, c'est établi comment que notre uniforme doit être porté. Que la personne pense x, y, z sur les religions, ou différentes religions, quand on entre en service, ce qu'on pense, ou nos croyances, ou quoi que ce soit sont mis à côté puis on a un travail à faire, d'intervenir auprès de la personne. La loi est comme ça pour tout le monde, puis on nous demande de faire appliquer la loi. Donc, qu'est-ce que les agents pensent... je n'ai même pas à questionner qu'est-ce qu'ils pensent parce que, dans notre travail, on fait appliquer les lois, puis que ça soit une religion ou une autre, là, c'est la même chose.

M. Lamothe : Mais leur perception face à un ajout de signes religieux... Moi, je respecte ce que vous avez dit tantôt, mais vous êtes président du syndicat, vous devez sûrement avoir... vous devez avoir eu le pouls, là, je veux dire, de vos membres?

M. Perreault (Martin) : On n'en a pas eu. Honnêtement, on n'a pas eu de commentaires ou de dire : Aïe! Non, moi, je pense que ci ou je pense que ça, ou ça n'a pas de sens, ou quoi que ce soit. Ils savent que, comme je dis, là on parle de l'uniforme, on parle de ce projet de loi là, mais, par rapport à telle intervention, bien, il y a une procédure, par rapport aux véhicules, il y a une procédure, ça fait que, tu sais, c'est déjà tout encadré comment qu'il faut qu'on travaille, donc, une chose de plus ou une de moins, nous, on nous demande de travailler comme ça, de cette manière-là, puis de faire appliquer telle et telle loi.

M. Lamothe : Non, mais je comprends ce que vous dites. Moi, ma question, peut-être, je me suis mal exprimé, c'est de savoir : Pensez-vous que les agents, suite à l'ajout d'un port d'un signe religieux à l'uniforme, ça les dérangerait? Avez-vous eu une opinion de vos agents?

M. Perreault (Martin) : Non, là-dessus, honnêtement, je n'ai pas d'opinion, puis je n'ai pas eu d'agent qui m'a dit : Ah! j'aimerais ça, oui ou non, ou quoi que ce soit.

M. Lamothe : Ça fait que l'opinion que vous m'avez dit tantôt, c'est votre opinion à vous. Ce n'est pas nécessairement...

M. Perreault (Martin) : Non, non, c'est... Moi, je représente les agents. Mais de dire qu'un agent dit : Aïe! Ça n'a pas de sens, cette chose-là, ou quoi que ce soit, je n'ai pas eu de commentaire, je n'ai pas eu de «comeback» là-dessus, là.

M. Lamothe : O.K., merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui. Je veux qu'on revienne sur la question du visage à découvert. Pour vos membres, là, le fait qu'ils doivent servir avec le visage à découvert, ça, vous êtes en accord avec ça? O.K.

Pour le public, dans le fond, les gens que vous interpelez, le fait d'offrir des services publics, que, pour bénéficier d'un service public, il faut avoir le visage découvert pour des questions d'identification et de sécurité, est-ce que vous considérez ça comme une bonne chose, qu'on inscrive ça dans la loi?

M. Perreault (Martin) : L'identification de sécurité, oui. La seule chose qu'on pourrait peut-être se poser comme question, c'est : La personne qui refuse d'obtempérer, qu'est-ce qu'on fait avec? La personne qui demande une question réglementaire, a utilisé tous les moyens pour se renseigner puis se conformer à la loi, je donne un exemple, sur la chasse ou la pêche, refuse de retirer son signe religieux, je ne lui réponds pas, mon collègue du bureau voisin le prend en infraction, il dit : Oui, mais je te l'ai demandée, la question, mais il n'a pas voulu me répondre parce que j'avais ma chaîne ou ma croix. Ça fait que c'est là que peut-être... il y a peut-être quelque chose à voir sur le service que la personne va refuser ou accepter de donner.

M. Jolin-Barrette : Oui. Mais, juste pour spécifier, là, dans le fonds, le citoyen peut porter des signes religieux. Dans le fond, ce n'est pas interdit de porter des signes religieux pour le citoyen qui demande un service ou qui est en interaction avec un agent de la faune. C'est le fait que, lorsqu'il demande un service public, la personne doit avoir le visage à découvert. Je donne l'exemple : des fois, quand on va à la chasse, ça peut arriver qu'on se camoufle, tout ça, mais, dans le fond, maintenant, on aurait une exigence que, lorsqu'on demande un service public, pour identifier ou une question de sécurité, là, la personne, il faut qu'elle se découvre le visage.

M. Perreault (Martin) : L'identification, c'est surtout ça qui peut amener quelque chose. Tu sais, on parle de signes religieux, oui, puis, comme vous mentionnez, il y avait le camouflage. Ça arrive qu'on arrive sur du monde qui ont juste une cagoule, puis : Non, enlève-la, là, tu sais, il faut identifier la personne. Si on la prend surtout en infraction, il faut avoir une identification positive de cette personne-là.

• (17 h 40) •

M. Jolin-Barrette : O.K. Puis, dans le fond, ce qu'on fait dans le projet de loi aussi, c'est qu'on fait en sorte qu'il n'y a pas d'accommodement là-dessus. Ce qu'on dit, c'est : Vous devez absolument, pour une question d'identification, de sécurité, vous découvrir le visage. On doit pouvoir vous identifier, ou pour la question de sécurité. Donc, il n'y a pas d'accommodement possible là-dessus. Ça aussi, vous êtes d'accord avec ça?

M. Perreault (Martin) : Oui.

M. Jolin-Barrette : O.K. Parfait.

Là, vous, vous êtes répartis sur l'ensemble du territoire québécois, 380 agents de la faune. Est-ce qu'il y a des régions où il y a plus d'agents de déployés ou c'est pas mal...

M. Perreault (Martin) : C'est sûr qu'il y a plus d'agents de déployés à certaines régions, mais le territoire québécois en entier est couvert par les agents de la faune, que ça soit l'île d'Anticosti, Îles-de-la-Madeleine, Kuujjuaq, ils sont répartis partout. Il y a des bureaux qui sont plus gros, il y a plus d'agents. Les bureaux les plus gros ont peut-être une dizaine, 10, 11 agents, gros maximum.

M. Jolin-Barrette : O.K. Je vous remercie grandement d'être venu témoigner en commission parlementaire. C'est grandement apprécié de recevoir vos commentaires sur le projet de loi n° 21.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.

Mme David : Oui, bonjour. Merci beaucoup, messieurs, de vous prêter à l'exercice. Écoutez, vous êtes considérés comme des agents de la paix. Donc, vous avez une autorisation de port d'arme, si je comprends bien.

Est-ce que, vous, vous vous considérez comme étant dans la catégorie que le ministre appelle de l'autorité coercitive?

M. Perreault (Martin) : Oui. On est appelés à intervenir sur des personnes par rapport à différentes lois. On peut mettre des personnes en état d'arrestation, comme j'ai dit tantôt, là, pour certaines choses bien précises. On donne des infractions...

Mme David : ...curieuse sur le port d'arme. C'est en prévision de quoi?

M. Perreault (Martin) : Bien, nous, à la base, quand on va voir un pêcheur, un couteau, 99 % du temps... un chasseur est armé systématiquement.

Mme David : Donc, c'est parce que votre clientèle est armée que vous êtes armé au cas où. Est-ce qu'on peut dire ça comme ça ou...

M. Perreault (Martin) : Bien, c'est au cas où. Il faut tout le temps l'avoir, là. La journée que je vais aller vérifier une gang de chasseurs, il faut que je sois capable... Ça n'arrive pas, puis on ne veut pas que ça arrive, des situations comme ça, mais, si la journée, on a à se pointer avec des armes à feu, si je sors rien que mes mains, là, ça ne fonctionnera pas. Ça fait qu'on est armés parce qu'on fait affaire avec des personnes armées. Dans 99,9 %... bien, 100 % pratiquement, on va utiliser notre arme sur un animal malade, blessé ou quoi que ce soit, là.

Mme David : Oui. O.K. Oui, eux, on n'a pas d'interdiction de port de signes religieux, sur la faune et la flore. Mais donc vous avez beaucoup insisté, puis ça, c'est une vraie question, là, vous avez beaucoup insisté sur le fait que c'est très encadré, votre port de l'uniforme, puis qu'il n'y a pas tellement de dérogation possible.

Alors, à quoi vous pensez que ce projet de loi là va vous servir puisque vous avez déjà un uniforme strict, précis prévu? En quoi ça va vous aider d'avoir un projet de loi comme ça?

M. Perreault (Martin) : Ce n'est pas nécessairement de nous aider. Quand on fait des lois, les lois sont là pour tout le monde. Donc, à notre niveau, nous, c'est encadré. On n'a pas de problématique, comme je l'ai dit, au sein des troupes. Mais on ne peut pas dire : Bien, à nous autres, ça ne s'appliquera pas parce que ça ne touche pas ou, vu que c'est bien encadré par rapport à l'uniforme, ça ne nous touchera pas. La loi, il faut qu'elle soit là pour tout le monde, elle va être claire pour tout le monde. Puis les citoyens qui vont faire affaire avec un agent de la paix... comme il est écrit dans le projet de loi, on ne sépare pas tel agent de la paix, oui, puis l'autre, non. C'est là pour tout le monde. Il ne faut pas faire du cas par cas.

Mme David : O.K., mais il y avait d'autres... Le rapport Bouchard-Taylor, par exemple, n'allait pas jusqu'aux agents de la faune, si je ne m'abuse. Je pense qu'il arrêtait aux policiers puis à certaines personnes qui, bon... dans de l'autorité coercitive, mais pas nécessairement aller jusqu'à vos fonctions à vous. Mais ce que... Je vais poser ma question autrement. Votre encadrement et vos balises de port de l'uniforme pourraient vous donner suffisamment d'encadrement pour agir s'il y avait un port de signe religieux.

M. Perreault (Martin) : Bien, nous, à notre niveau, l'uniforme, comme je disais tantôt, est fait... tu portes l'uniforme de telle et telle manière, tel et tel insigne de travail sur notre uniforme est précis, est là. Puis il y a une directive sur les bijoux. Donc, mettons, quelqu'un qui aurait une chaîne avec une croix, je ne l'ai pas par coeur, là, mais, tu sais, avec les boucles d'oreilles, puis tout ça, c'est déjà tout encadré.

Donc, nos directives vont-u être changées suite à ce projet de loi là? Je ne peux pas le dire. Ça fait que ça va être de voir comment que ça va être défini, mais, à notre niveau à nous autres, par rapport au port de l'uniforme, bien, c'est l'uniforme, c'est ça, puis «that's it». On n'est pas là pour juger de qu'est-ce que l'employeur va nous demander de faire. On est là pour faire appliquer la loi, puis, dans telle situation, la directive est claire, c'est comme ça.

Mme David : Et vous dites, pour faire appliquer la loi, justement, que c'est que vous allez faire si vous soupçonnez, parce qu'on parle de signes autant invisibles que visibles... Alors, comment vous allez faire si vous soupçonnez que quelqu'un a un port de signe religieux invisible ou que vous n'êtes pas sûr si c'est un signe religieux ou pas?

M. Perreault (Martin) : Bien là, à ce niveau-là, moi, je vais faire appliquer mes lois sur la conservation, mise en valeur de la faune, les lois fédérales, puis tout ça. Mais c'est quoi, mon pouvoir d'aller jusque-là? Je n'ai pas le pouvoir d'aller... je pense que peut-être cette personne-là a une chaîne avec une croix, par exemple. Je ne pousserai probablement pas ma réflexion jusque-là. Moi, je vais faire appliquer mes lois que je fais appliquer généralement, mais c'est quoi, mon motif de dire : Je pense que cette personne-là... C'est juste en lui regardant la face? Tu sais, je ne peux pas faire ça.

Mme David : On se comprend bien, je parle d'un de vos membres, là, d'un agent...

M. Perreault (Martin) : O.K., nos membres, nos membres, O.K.

Mme David : ...qui pourrait avoir un port de signe religieux. Mais votre collègue vous dit : Il porte une petite croix, je le sais, il la porte depuis 30 ans, là, qu'est-ce que vous faites?

M. Perreault (Martin) : Bien là, ça va être de voir, le gouvernement, au sein des troupes, comment ils vont décider. La personne qui va contrevenir ou qui refuse... qui cache, si on veut, sa chaîne, bien là, ça va être l'employeur qui va décider s'il y a des sanctions à apporter ou quoi que ce soit, là. Ça va être de voir...

Mme David : Alors, vous ne serez pas, vous-même, l'autorité administrative...

M. Perreault (Martin) : Non.

Mme David : ...qui doit appliquer la loi? Vous venez... mais vous protégez vos membres quand même si quelqu'un refuse d'enlever...

M. Perreault (Martin) : Bien, si la personne...

Mme David : ...en disant : Ce n'est pas un signe religieux, c'est un souvenir de ma grand-mère, puis c'est une main de Fatima, ce n'est pas un vrai signe religieux.

M. Perreault (Martin) : Mais, à ce niveau-là, ça va être de... si la personne a un signe religieux sur elle, puis le gouvernement a dit : Bien, regarde, dans ta position d'autorité, si on veut, tu n'as pas droit d'avoir de signe religieux, la personne refuse de l'enlever, bien là, les sanctions, c'est-u des sanctions administratives puis avoir... Ça, à notre niveau, je ne peux pas dire ce que l'employeur va décider de faire avec ça.

Mme David : Mais est-ce que vous, vous avez comme mission aussi de défendre vos membres?

M. Perreault (Martin) : Oui, on va défendre nos membres, mais la personne qui va refuser d'adhérer à une directive, que ce soit à une directive ou à une loi qu'on... pas qu'on fait appliquer, là, mais que le gouvernement a mis, peut avoir des sanctions.

Mme David : Mais est-ce que vous la trouvez claire, la loi, au niveau de qu'est-ce que c'est, un signe religieux?

M. Perreault (Martin) : À notre niveau, à nous autres, c'est assez clair, parce que, comme je dis, ça s'en va tout le temps au principe de l'uniforme. L'uniforme, c'est ça. Donc, tu ne peux pas rajouter rien.

Mme David : Donc, ce n'est pas parce que c'est religieux ou pas religieux, c'est n'importe quoi de plus qui n'est pas cadré dans vos balises, c'est interdit. Alors, c'est dans ce sens-là que vous me dites : Dans le fond, je n'ai pas besoin du projet de loi, puisque tout est tellement balisé que le moindre signe qui ne fait pas partie de l'uniforme, c'est out.

M. Perreault (Martin) : Mais, comme je disais tantôt, on ne peut pas aller faire du cas par cas. Bien, nous autres, vu que ça ne s'applique pas, puis que c'est vraiment balisé, bien, on ne le fera pas à vous autres, on va le faire à d'autres, puis à d'autres. Puis à d'autres ça va être différent. Ça fait que la population, il faut qu'elle soit au courant. Regarde, c'est clair, un agent de la paix, on ne les sépare pas. C'est des agents de la paix? Ça s'applique pour eux.

Mme David : Mais, comme vous protégez vos membres, c'est normal, c'est une organisation dite syndicale. Si le membre, il dit : Ce n'en est pas un, signe religieux, j'ai ça en dessous, ça ne fait pas partie de l'uniforme, puis ce n'est pas un signe religieux, pour moi, c'est un souvenir de ma grand-mère, qu'est-ce que... Vous allez être obligé de le défendre, non?

M. Perreault (Martin) : Ça va peut-être être d'établir qu'est-ce qui est un signe religieux. Ça va-tu être écrit : Telle chose, c'est un signe religieux, telle chose, non? Ça, ça sera à vous à décider puis...

Le Président (M. Bachand) : Merci, Mme la députée de Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît.

Mme Robitaille : Bonjour, monsieur, bonjour, messieurs, merci d'être là aujourd'hui. Écoutez, juste pour qu'on s'entende, là, vous, là, la liberté de religion, c'est un droit fondamental, est-ce que c'est un droit fondamental?

M. Perreault (Martin) : Bien, pour l'instant, ça me semble que oui. Il y a des modifications qui ont l'air de vouloir être demandées...

Mme Robitaille : Non, mais... Oui, mais croire en Dieu ou avoir une religion en particulier, vous pensez que c'est quand même...

M. Perreault (Martin) : Bien, chaque personne peut croire en ce qu'il veut.

Mme Robitaille : ...chaque personne a le droit. Oui, dans ce sens-là, c'est un droit fondamental.

M. Perreault (Martin) : Oui.

Mme Robitaille : Les 380 membres, là, est-ce que... Évidemment, personne ne porte de signe... Est-ce qu'il y a du monde, là-dedans, qui porte des signes religieux?

M. Perreault (Martin) : Visibles, je ne pourrais pas dire s'il y en a qui n'ont pas une croix sur le... Je ne peux pas dire, je n'ai pas fait le tour de chaque personne. On n'a pas de femme voilée au sein des troupes, ça, c'est certain.

Mme Robitaille : Des gars avec des turbans, des sikhs.

M. Perreault (Martin) : Non plus, non plus, on n'en a pas, non.

Mme Robitaille : Puis ça, ce n'est jamais... Donc, ce n'est pas un problème maintenant, du tout, du tout?

M. Perreault (Martin) : Non. Pour l'instant, je n'ai pas rien à signaler.

Mme Robitaille : Comme j'expliquais à... Comme on disait, tout à l'heure, avec la fédération des municipalités, et on l'a entendu beaucoup, là, la semaine dernière, il y a un principe en droit qui dit qu'on peut suspendre un droit fondamental s'il y a une urgence. Tu sais, il faut une raison sérieuse, il faut qu'il y ait une urgence, un danger. En ce moment, là, chez vous, il n'y en a pas, de danger.

• (17 h 50) •

M. Perreault (Martin) : Il n'y a pas d'urgence, il n'y a pas de danger, mais ça revient à faire du cas par cas. Selon moi, quand on fait une loi, elle doit s'appliquer à tout le monde. Nous, quand on fait appliquer la loi, Loi sur les pêches, Loi sur conservation, mise en valeur de la faune, elle s'applique à tout le monde. Les règles sont là pour tout le monde. Puis on ne sépare pas personne.

Mme Robitaille : Je comprends. Vous savez, la GRC, il y a le fameux cas du gars avec un turban, là, le sikh. Et je pense à ça. Je me dis... Et puis je me pose des questions. Le garde-chasse qui porte un turban, un signe religieux, une kippa, par exemple, est-ce que ça cause préjudice au droit du chasseur, par exemple? Est-ce que ça lui causerait préjudice? Est-ce que ça entraverait l'exercice d'un de ses droits, selon vous?

M. Perreault (Martin) : Bien, on n'en a pas.

Mme Robitaille : Oui, mais disons, là. Disons que, là, vous avez un garde-chasse qui a un turban, ça ne l'empêchera pas de faire un bon travail, si je comprends bien.

M. Perreault (Martin) : Bien, c'est parce que, présentement, on n'en a pas. Tu sais, on peut supposer plein de choses que, si, à un moment donné, il y a ci ou ça, mais là, présentement, on n'en a pas au sein des troupes.

Mme Robitaille : Mais, bon, disons que... Bien, pour faire un bon travail, on n'est pas obligé de... Pour faire un bon travail, même si on porte un turban ou quoi que ce soit, ou on porte un signe religieux, on ne va pas nécessairement... Ça n'entrave pas le bon travail qu'on peut faire, si je comprends bien.

M. Perreault (Martin) : Ça n'entrave peut-être pas le bon travail, mais, présentement, on n'en a pas. Il n'y a pas de problématique avec ça. Ça fait que...

Mme Robitaille : Alors, pourquoi, selon vous, c'est important, cette loi-là, cette interdiction-là de signe religieux?

M. Perreault (Martin) : Comme je dis, à notre niveau, nous, on fait appliquer une loi. On nous demande d'être comme ça. Puis je reviens encore au cas par cas, il faut que ça soit balisé pour tout le monde, pas juste pour...

Mme Robitaille : Mais pour vous, là, pour vous...

M. Perreault (Martin) : Bien, pour nous... Moi, je parle pour les agents de la faune, là. Je ne parle pas personnellement, là. Nous, on est habitués de... On n'est pas là pour qu'est-ce qu'on pense de ça ou c'est quoi, mes croyances religieuses. Quand on arrive au travail, bien, on fait appliquer ça, puis on laisse ça de côté, puis...

Mme Robitaille : Mais pourquoi votre organisme, votre association pense que ce projet de loi là, l'interdiction, en particulier l'interdiction de porter un signe religieux, c'est nécessaire, c'est important?

M. Perreault (Martin) : Parce que, nous, quand on fait appliquer nos lois, on doit être neutres envers n'importe qui. N'importe quelle personne qu'on va rencontrer, que ça soit un homme, une femme, la religion qu'il pratique, on fait appliquer la loi. Donc, on doit être neutres dans notre travail puis dans ce qu'on pense cette personne-là. Je la regarde, cette personne-là, je n'ai pas à donner mon opinion sur ce que je pense de cette personne-là, ou sa religion, ou quoi que ce soit. Puis, en même temps, de mon côté, je dois être neutre quand j'arrive face à quelqu'un.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Merci, M. le Président. Merci beaucoup pour votre présentation. J'aimerais savoir juste comment vous avez pris une position dans le syndicat sur le sujet du projet de loi n° 21.

M. Perreault (Martin) : Comment qu'on a pris la position?

M. Zanetti : Est-ce que vous avez fait, mettons, une assemblée générale où vos membres ont été appelés à voter puis à échanger sur la proposition que vous défendez aujourd'hui?

M. Perreault (Martin) : Non. Nous, à notre niveau, comment ça fonctionne, on est élus. L'exécutif du syndicat est élu. Il y a deux délégués par région. On a neuf régions dans le Québec... 10 régions. Ça fait qu'on est une vingtaine de personnes. Puis on est élus par ces délégués-là. Donc, en exécutif provincial, on a parlé, voir c'était quoi, notre position à ce niveau-là. Puis c'est comme ça qu'on...

M. Zanetti : O.K. Et, si on n'interdisait pas les signes religieux, là, est-ce que ça poserait un problème concret dans l'exercice de vos fonctions?

M. Perreault (Martin) : Je ne pense pas qu'il y aurait un problème nécessairement, mais on doit, nous, quand... Comme je viens de dire, on doit intervenir face aux personnes en étant neutres. Que ça soit à tous les niveaux. À mon opinion, que je n'aime pas les personnes qui sont comme ça, ou j'aime une autre sorte de personnes ou la religion, quoi que ce soit, ça n'a pas... C'est mis de côté, c'est laissé dans le véhicule ou à la maison, les perceptions où... Nous, on est là pour faire appliquer la loi, que ça soit n'importe qui face à nous.

Une voix : ...

M. Perreault (Martin) : Non, c'est ça. Que ça soit n'importe quel agent, que ça soit un agent à Kuujjuaq, à Matane, à Valleyfield, à Thetford, c'est la même chose pour tout le monde.

M. Zanetti : Puis mettons que, si, un jour, il y en a un qui voulait mettre un turban, mettons, là, qu'est-ce que ça ferait sur le service que vous donnez à la population? Quelle influence ça aurait? Quel problème concret ça soulèverait?

M. Perreault (Martin) : Si j'en comprends bien, au mois de juin, ça ne sera pas possible. Si les discussions vont dans le sens que le projet de loi est adopté, ça ne sera pas possible à ce niveau-là.

M. Zanetti : Mais ça ne ferait rien.

M. Perreault (Martin) : Bien, pour l'instant, non. Mais, encore là, nous, on est des employés du gouvernement. Donc, dans les directives, s'ils viennent dire : Bien, regarde, l'uniforme, vous devez le porter comme ça, puis aucun signe religieux...

M. Zanetti : Donc, si je vous demande, mettons, de me pointer un problème concret, vous dites : Je ne peux pas le pointer.

M. Perreault (Martin) : Je ne peux pas le pointer?

M. Zanetti : O.K.

M. Perreault (Martin) : Bien, non, non, non. Bien, tu sais, je vous relance la question. Vous dites que, si je dois identifier qui ne fonctionne pas, je ne le pointerai pas? C'est ça que vous m'avez posé comme question?

M. Zanetti : Ha, ha, ha! Je pense que vous m'avez mêlé.

M. Perreault (Martin) : Oui, hein?

M. Zanetti : Mais, écoutez, ça me va et je n'ai pas d'autre question. Je vous remercie.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le député de Jean-Lesage. M. le député de Matane-Matapédia, s'il vous plaît.

M. Bérubé : Merci, M. le Président. Je veux vous saluer à mon tour et vous témoigner, au nom de ma formation politique, toute l'estime qu'on a à l'égard de votre profession. On vous connaît bien, on vous a toujours accompagné dans votre travail, essentiel pour notre territoire, pour la faune. Et il n'y a aucun doute dans ma tête que votre travail est un travail qui comporte des risques. C'est pour ça que vous êtes armé, c'est pour ça que vous avez un uniforme, pour bien être identifié. Et je trouve ça cohérent de la part du gouvernement que vous soyez assujetti à la loi.

Ceci étant dit, il a été beaucoup question de l'uniforme, qui est réglementé, comme celui d'un policier, comme celui de d'autres fonctions. Toutefois, vous émettez souvent le questionnement suivant : On va voir ce qu'il va arriver, quels sont les risques, comment l'employeur va appliquer. Alors, ma question, et je l'ai posée précédemment à d'autres intervenants : Il me semble, en tout cas, je ne sais pas si vous partagez ça avec moi, ça serait bien de savoir de quoi on parle, des signes visibles, des signes invisibles. Outre le terme, là, ça veut dire quoi, concrètement? Puis, aussi, bien, comment ça va s'appliquer par l'employeur? L'employeur étant vos directeurs, par exemple, de secteur ou de région.

Moi, je n'en sais pas plus que vous. Comme parlementaire, là, on ne nous fournit pas ces informations-là. Est-ce que ça pourrait vous aider à apprécier comment ça va se passer dans le réel après la loi, si on précisait davantage c'est quoi, un signe visible, c'est quoi, un signe invisible, donner des exemples très concrets.

Juste vous indiquer que moi, j'étais membre d'un gouvernement qui a proposé une législation. On avait clairement identifié par pictogramme et les sanctions aussi. Alors, est-ce que c'est des informations qui vous apparaîtraient pertinentes pour apprécier en quoi le projet de loi va changer le travail de vos membres?

M. Perreault (Martin) : C'est sûr qu'au niveau de l'organisation syndicale, quand qu'il va venir le temps de défendre un membre qui ne respecterait pas ce qui est identifié comme un signe religieux, le porterait, c'est certain que ça serait une bonne idée de définir qu'est-ce... Ça, c'en est-u un? Je pense que c'est madame, tantôt qui disait : C'est-u un souvenir ou c'est un signe religieux? Il faudrait peut-être que ça soit défini.

M. Bérubé : Vous êtes d'avis avec moi que ça serait une bonne idée de, au moment où on étudie un projet de loi, dire de quoi on parle.

M. Perreault (Martin) : De dire quels signes religieux, puis c'est surtout peut-être le visible et le non visible. Comment qu'on va venir... J'ai une chaîne, mais qui sait si j'ai quelque chose, une croix, dessus?

M. Bérubé : On ne le sait pas non plus. Vous vous questionnez même sur les tatouages dans votre mémoire.

M. Perreault (Martin) : Je me suis questionné, oui.

M. Bérubé : Vous vous êtes questionné là-dessus?

M. Perreault (Martin) : Je ne suis pas un expert là-dedans...

M. Bérubé : À défaut d'une définition claire du gouvernement, toutes les spéculations vont bon train, de la chaîne qui appartenait à la grand-mère évoquée par la députée de Marguerite-Bourgeoys jusqu'à votre questionnement sur les tatouages, on se pose des questions puis vos réflexions valent les miennes.

Alors, je profite de cet échange pour indiquer au gouvernement qu'il ne serait pas prématuré d'indiquer de quoi il parle, pour le bénéfice des parlementaires, des gens qui prennent le temps de faire des mémoires, de venir se présenter devant puis pour le public qui nous suit. C'est ce que je vous suggère, que votre questionnement n'est pas seulement le vôtre, mais celui de d'autres groupes également.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le député. Malheureusement, c'est tout le temps qu'on a. Je voulais vous remercier, encore une fois, de votre participation aux travaux de la commission.

Je suspends les travaux jusqu'à 19 h 30. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 17 h 59)

(Reprise à 19 h 34)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Bonsoir et bienvenue. La Commission des institutions reprend ses travaux. Comme d'habitude, je vous demande, s'il vous plaît, de bien éteindre la sonnerie de vos appareils électroniques.

Nous poursuivons donc les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 21, la Loi sur la laïcité de l'État. Ce soir, nous allons entendre la Fédération autonome de l'enseignement et l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec.

Alors, on va débuter avec la Fédération autonome de l'enseignement. Bienvenue, et vous avez maintenant 10 minutes pour faire votre présentation. M. le président, s'il vous plaît.

Fédération autonome de l'enseignement (FAE)

M. Mallette (Sylvain) : M. le Président, M. le ministre, Mmes, MM. les députés, je suis un enseignant d'histoire au secondaire et président de la Fédération autonome de l'enseignement. Participera à la présentation : M. Alain Marois, enseignant en adaptation scolaire au primaire et vice-président à la vie politique. Nous accompagnent : Me Séverine Lamarche, conseillère au service des Relations de travail de la FAE ainsi que Me Rémi Bourget, associé chez Mitchell Gattuso.

La FAE représente près de 45 % des enseignantes et enseignants de commissions scolaires francophones, soit plus de 44 000 femmes et hommes qui travaillent dans tous les secteurs d'enseignement. La FAE est présente en Outaouais, Laval, Montréal et Québec, dans lesquelles se trouvent les quatre plus grands pôles urbains du Québec, ainsi que dans les Laurentides, l'Estrie et la Montérégie. La FAE, comme organisation syndicale, a la responsabilité fondamentale de défendre le droit au travail des personnes qu'elle représente. Il en va de son essence, de sa raison d'être. Agir autrement serait contraire à ses obligations, notamment celles prescrites par le Code du travail.

La FAE reconnaît qu'il est légitime pour le gouvernement d'entreprendre un débat sur la laïcité et sur la place qu'occupent les religions dans l'espace public. On le constate, plusieurs expriment des points de vue divergents qui témoignent de convictions profondes. Le fait qu'une citoyenne ou qu'un citoyen se questionne sur la place des religions dans l'espace public ou sur la signification du port de signes religieux dans notre société est tout à fait acceptable. S'interroger sur les conséquences du projet de loi porté par le ministre de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion, notamment dans un secteur d'emploi qui compte plus de 75 % de femmes, est tout aussi légitime.

La FAE est d'avis que de débattre contribue à la vitalité démocratique d'une société. Cependant, le débat sur la laïcité ne peut, en aucun cas et en aucun temps, justifier l'usage de propos sexistes, racistes, islamophobes ou xénophobes. Il n'est pas plus tolérable de voir certaines personnes chercher à faire croire que ce projet de loi serait le fruit d'un gouvernement gagné par le totalitarisme. Agir en ce sens relève soit de la malhonnêteté intellectuelle ou témoigne d'une ignorance profonde de ce qu'est le totalitarisme. Une femme, une philosophe, Hannah Arendt, a cherché à comprendre les rouages de ce mal absolu. Comme le souligne le philosophe Pierre Bouretz : «Pour Arendt, ce qui [importe], c'est l'idéologie, la logique d'une idée, une idée qui se détache de ce qu'est le fonctionnement des idées et qui finit par adopter sa propre logique, qui devient folle au sens où elle ne reconnaît plus [des] choses qui peuvent l'arrêter.Et, sur le plan plus empirique, la terreur : de la terreur quotidienne jusqu'au camp de concentration, l'endroit où le système totalitaire vérifie l'hypothèse de l'idéologie que l'homme est superflu...» Quoiqu'en disent certains agitateurs, le projet de loi ne s'alimente pas à cette source.

Cependant, l'opération menée à l'automne 2018 et qui visait à connaître, au sein des commissions scolaires, le nombre d'enseignantes qui portent le hidjab contribue à alimenter la suspicion et la méfiance à l'endroit du gouvernement. Selon nous, le gouvernement est incapable de démontrer que le port de signes religieux empêche une enseignante ou un enseignant d'effectuer, avec professionnalisme, son travail. D'aucune façon le port de signe religieux n'influe sur la capacité stricte de transmettre des connaissances à un élève. La situation selon laquelle l'une ou l'un de nos membres aurait fait l'objet de mesures disciplinaires pour avoir cherché à convertir ses élèves ou ses collègues n'a jamais été portée à notre connaissance.

Le gouvernement tente de prouver que le seul port de signe religieux par une enseignante ou un enseignant peut influencer implicitement et indûment l'élève. Aucune étude ne fait état du risque d'influence religieuse que le port de signes religieux par une enseignante ou un enseignant pourrait représenter pour un élève. Dans le cadre de l'exécution de son travail, l'enseignante et l'enseignant doivent, entre autres, respecter le Programme de formation de l'école québécoise, mis en place en 2000 par François Legault, alors ministre de l'Éducation. L'école y assume un rôle d'agent de cohésion qui doit aussi contribuer à l'apprentissage du vivre-ensemble et au développement d'un sentiment d'appartenance à la collectivité. Comment le gouvernement actuel peut-il penser concrétiser l'apprentissage du vivre-ensemble dans un contexte qu'il souhaite à ce point aseptiser?

Le projet de loi remet en question l'un des fondements du Programme de formation de l'école québécoise. Aux prescriptions prévues à ce dernier s'ajoutent celles de la Loi sur l'instruction publique, qui prévoient notamment que le personnel enseignant a le devoir, je cite, «de prendre les moyens appropriés pour aider à développer chez ses élèves le respect des droits de la personne; d'agir d'une manière juste et impartiale dans ses relations avec ses élèves; [et] de respecter le projet éducatif de l'école», celui-ci devant, à son tour — je cite encore — «respecter la liberté de conscience et de religion des élèves, des parents et des membres du personnel de l'école».

Mmes, MM. les députés, en d'autres termes, nul besoin de contraindre davantage les enseignantes et enseignants par ce projet de loi. Le seul fait de porter un signe religieux ne peut et ne doit être considéré comme menaçant de porter atteinte à l'intégrité du système scolaire québécois, et, par conséquent, à la laïcité ou à la neutralité de l'État.

J'invite M. Marois à poursuivre.

• (19 h 40) •

M. Marois (Alain) : Bonsoir. L'article 3 du projet de loi exige le respect en fait et en apparence de principes fondamentaux. Un de ces principes est la neutralité religieuse, pour laquelle la FAE est en accord. Toutefois, que seuls les employés des écoles publiques doivent assumer cette responsabilité est une incohérence, voire même une injustice. Au Québec, selon un rapport de recherche, les écoles se rattachant à une religion accueillent 71 % des élèves du réseau privé, et, sur 252 établissements, 138 mettent en oeuvre des modes d'expression religieuse. Le gouvernement, en maintenant le financement public de l'ensemble du réseau privé, soustrait ce dernier à l'obligation de neutralité religieuse. À notre avis, le financement public d'écoles qui promeuvent une religion en particulier est, quant à lui, en totale contradiction avec le principe de laïcité et l'obligation de neutralité religieuse de l'État. Rien ne justifie le statu quo, si ce n'est le manque de courage politique que manifeste une grande partie de la classe politique québécoise.

L'article 6 vise l'interdiction de porter un signe religieux dans l'exercice de leurs fonctions aux directeurs, directeurs adjoints ainsi qu'aux enseignants dans un établissement d'enseignement d'une commission scolaire. Pour la FAE, cette suggestion restreinte est génératrice d'incohérences, car elle engendre, dans un même lieu et avec la même présumée intention législative de protection des élèves, une application différente selon que l'on soit visé ou non par le projet de loi. Bref, dans le contexte scolaire, l'élève que l'on prétend vouloir protéger à tout prix pourrait quotidiennement être en contact avec d'autres personnels, qui, eux, ne seraient pas soumis aux mêmes obligations que les enseignantes et enseignants. La différence de traitement crée un désavantage certain pour celles et ceux portant un signe religieux, d'autant plus que la Cour suprême du Canada nous enseigne qu'en raison de l'obligation qu'il a de protéger la liberté de conscience et de religion de chacun l'État ne peut utiliser ses pouvoirs d'une manière qui favoriserait la participation de certains croyants ou incroyants à la vie publique au détriment des autres.

Quant à lui, l'article 15 indique qu'«une disposition d'une convention collective, d'une entente [...] ou de tout autre contrat relatif à des conditions de travail qui est incompatible avec les dispositions de la présente loi est nulle de nullité absolue». Ainsi, même la reconnaissance du caractère distinct et particulier du droit du travail ne saurait préserver une clause qui aurait été négociée de bonne foi par les parties. Dans les faits, notre contrat de travail serait modifié sans notre accord par l'ajout d'une interdiction qui vise le port de signes religieux qui consacrerait la violation d'un droit fondamental.

L'article 27 réfère à ce qui est communément appelé clause grand-père. Par son libellé, le législateur choisit de soustraire de l'application de la loi une personne qui autrement serait normalement visée en raison de l'unique fait qu'à la date de l'adoption du projet de loi celle-ci portait déjà un signe religieux. Ce droit acquis serait tout de même restreint puisqu'il s'appliquerait seulement si l'enseignant continue d'exercer la même fonction au sein de la même commission scolaire. La FAE a le devoir de protéger tant le droit au travail que l'accès à ce dernier. Dans les faits, cette disposition aurait pour effet de créer deux classes d'enseignants, ce qui, aux yeux de la FAE, est inéquitable, donc inacceptable.

Les articles 29 et 30 marquent le recours aux dispositions de dérogation. Plus précisément, on y prévoit que la loi s'appliquera malgré des articles de la charte québécoise des droits et libertés et de la Loi constitutionnelle de 1982. En recourant aux dispositions dérogatoires, le gouvernement admet qu'il contrevient aux chartes québécoise et canadienne. La FAE reconnaît que les dispositions dérogatoires sont enchâssées dans lesdites chartes, mais elle est d'avis qu'il est faux de croire que le recours à ce mécanisme favorisera une paix sociale, comme semble l'imaginer l'actuel gouvernement. D'ailleurs, l'exercice devra, en ce qui concerne la Charte canadienne, être répété à tous les cinq ans. L'action que mène le gouvernement n'empêchera pas la multiplication de recours juridiques, puisque l'objectif du projet de loi n° 21 est de suspendre les droits fondamentaux pourtant protégés par les chartes.

Enfin, concernant le principe souvent évoqué de l'égalité entre les femmes et les hommes, la FAE tient à mettre en garde celles et ceux qui seraient tentés de croire que ce projet de loi assurerait cette égalité. La laïcité a pour seul objectif d'assurer que les personnes qui croient ou pas en une religion ne soient pas discriminées par l'État, et non de faire cesser la discrimination dont sont encore victimes les femmes. Au surplus, une telle législation pourrait même avoir l'effet pervers d'exclure certaines femmes de la profession enseignante et d'encourager leur ghettoïsation. Ce projet de loi pourrait, à terme, exacerber les inégalités en discriminant à l'embauche certaines personnes, particulièrement des femmes.

Ainsi, la FAE réclame du gouvernement québécois qu'il ne remette pas en question l'accès et le droit au travail des enseignantes et enseignants ni celui des autres personnels des établissements scolaires du simple fait de porter un vêtement ou un accessoire ayant une connotation religieuse ou culturelle, à moins que celui-ci ne contrevienne aux règles de base de sécurité et du professionnalisme qui régissent déjà les différents métiers et professions. Dans cette optique, nous réclamons que le personnel enseignant soit soustrait des dispositions de ce projet de loi.

Le Président (M. Bachand) : ...infiniment. Maintenant, je cède la parole à M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui. Merci, M. le Président. Madame messieurs, bonjour. Merci d'être en commission parlementaire pour partager votre point de vue sur le projet de loi n° 21, c'est apprécié.

D'entrée de jeu, je crois dénoter de votre mémoire que vous êtes en accord avec le fait que les services publics doivent être donnés avec le visage découvert, notamment en matière d'enseignement. C'est bien ça?

M. Mallette (Sylvain) : Tout à fait.

M. Jolin-Barrette : O.K. Que les services publics aussi doivent être reçus à visage découvert dans le cadre des questions d'identification et de sécurité, vous êtes à l'aise aussi avec ça?

M. Marois (Alain) : Tout à fait. Pour des raisons de sécurité et de communication, surtout comme enseignant, c'est important de pouvoir voir ce que nos élèves ressentent et ce que nous aussi, on a à faire comme enseignement, là, qu'ils puissent voir nos réactions.

M. Jolin-Barrette : O.K. Mais vous, vous diriez qu'il faut obliger les élèves à avoir le visage découvert durant la classe?

M. Marois (Alain) : Oui, tout à fait.

M. Jolin-Barrette : O.K. Parce qu'actuellement le projet de loi ne prévoit pas ça, là, le projet de loi prévoit l'identification et le motif de sécurité. Mais vous, ce que vous dites, c'est, dans le domaine de l'éducation, là, vous, particulièrement, c'est primaire secondaire, mais, supposons... parlons de l'ensemble de l'éducation, là, jusqu'à l'université, vous êtes d'avis que tous les élèves ou tous les étudiants devraient avoir le visage découvert dans la classe.

M. Mallette (Sylvain) : C'est une position que nous avons adoptée lors de notre congrès en 2013, ça concerne la communication qui doit se faire entre l'élève et son enseignant et ça va dans les deux sens. Pour nous, c'est non discutable.

M. Jolin-Barrette : O.K. Est-ce que, dans le cadre de... Ça, c'est le critère de la communication, est-ce que le critère de l'interaction est un critère que la FAE partage aussi au niveau du visage à découvert?

M. Marois (Alain) : Tout à fait.

M. Jolin-Barrette : O.K. Donc, si je résume, c'est : motif de sécurité, identification, communication, interaction.

M. Marois (Alain) : Oui.

M. Jolin-Barrette : O.K. Vous savez, dans le cadre du projet de loi n° 62 qui a été présenté par le précédent gouvernement, ces articles-là du projet de loi sont suspendus par les tribunaux. Une des façons de faire en sorte de s'assurer qu'on puisse faire en sorte que les enseignants, mais aussi les fonctionnaires, dans le cadre de leurs fonctions, aient le visage à découvert, et que les utilisateurs, les usagers aient le visage à découvert aussi, c'est l'utilisation de la disposition de dérogation. Et là, dans votre mémoire, vous êtes contre l'utilisation de la disposition de dérogation. Comment est-ce qu'on réconcilie tout ça?

M. Mallette (Sylvain) : Bien, si vous me permettez, puis je permettrais à Me Bourget de réagir aussi, c'est en réaction au projet de loi tel qu'il est libellé, pas en fonction d'un projet de loi qui a été adopté mais qui a été contesté, ça, on est tout à fait d'accord avec vous. Mais ce qu'on lit du projet de loi que vous soumettez, c'est... vous n'abordez pas la question du service à visage découvert, pour un élève, par exemple, de recevoir à visage découvert le service. Et moi, je pense que, dans ce contexte-là, toute la question que vous posez sur la clause dérogatoire, on la regarde en fonction des effets qu'aurait le projet de loi que vous présentez sur les membres que nous représentons. Et donc c'est dans ce sens-là.

Mais là je comprends que vous voulez que nous participions à un débat théorique sur des dispositions d'une loi qui a été adoptée qui ont été contestées, mais je vais céder la parole à Me Bourget si vous me le permettez.

M. Jolin-Barrette : Non, mais juste avant, là, sur cette assertion-là, là, c'est fort important, là, dans le projet de loi n° 21, là, c'est prévu, à l'article 7 et 8, que la prestation de services et la réception de service est à visage découvert, donc on ne parle pas d'une autre loi, là, on parle vraiment dans le cadre du projet de loi n° 21 et on utilise la disposition de dérogation notamment pour s'assurer que c'est applicable, qu'au Québec, dans les enseignants, ils enseignent le visage à découvert et que les personnes qui reçoivent des services le fassent à visage découvert lorsque c'est nécessaire pour des fins d'identification et de sécurité. Donc, on va moins loin que ce que vous souhaitez au niveau de l'identification et de la... excusez, au niveau de la communication et de l'interaction, mais c'est dans le cadre du projet de loi n° 21, là, qu'on fait ça.

M. Mallette (Sylvain) : Votre question... j'ai de la difficulté à saisir votre question, M. le ministre, peut-être... Rémi.

M. Jolin-Barrette : Bien, en fait, ma question, là, pour faire clair, là : Si on n'utilise pas la disposition de dérogation, là, bien, au Québec, là, on peut enseigner avec le visage couvert. C'est ça, l'enjeu. Puis là vous dites, dans le cadre du projet de loi, on n'est pas d'accord avec l'utilisation de la disposition de dérogation. J'essaie juste de vous suivre.

• (19 h 50) •

M. Bourget (Rémi) : Je crois que la... D'abord, une petite clarification sur le recours qui a été entrepris sur la loi qu'on appelle la loi n° 62, le visage à découvert, sauf erreur, il n'y a toujours pas de jugement au mérite qui a été rendu dans ce dossier-là, puis je crois que vous êtes bien au courant de ça. C'est qu'il y a un jugement qui est venu suspendre l'application de la loi pour différentes raisons, entre autres, le fait qu'il n'y avait aucun accommodement possible, que les accommodements n'avaient pas été définis, et ce qui fait que cette loi-là n'a pas encore été analysée sur son mérite. Et effectivement, une fois qu'il y aura un jugement au mérite, après ça, qui vient dire si, oui ou non, les droits sont violés, bien, après ça, que ce soit la FAE, ou le gouvernement, ou tous les autres intervenants... pourront agir en sachant quel était le verdict sur le fond.

Ce qui s'est produit, c'est qu'avant même, à cause des délais judiciaires qui sont très longs, on le sait, le juge n'a pas voulu qu'il y ait une situation où il y avait une apparence de violation des droits qui perdure pendant tout le débat judiciaire. Donc, on a suspendu l'effet de la loi, mais on n'a pas encore jugé cette loi-là sur le fond, dans un premier temps.

Et, dans un deuxième temps, la FAE représente des enseignants. Ici, on a un débat qui est différent et qui touche beaucoup plus de personnes que les quelques cas anecdotiques, là, de burqa ou de niqab qu'on a peut-être déjà aperçus à Montréal dans un autobus, là. On parle des enseignantes qui portent des symboles religieux et qui vont devoir choisir entre leur foi ou leur emploi, et c'est à ça qu'on s'oppose et c'est là-dessus qu'on conteste l'utilisation d'une clause dérogatoire.

M. Jolin-Barrette : Deux choses l'une : ce que vous avez dit, ce n'est pas vrai, la fin de ce que vous avez dit, ce n'est pas vrai. Ce n'est pas vrai que les personnes qui sont en situation d'enseignement doivent choisir entre leur foi et leur emploi. La vérité, c'est qu'il y a une disposition de maintien en emploi. Alors, toutes les personnes qui portent actuellement un signe religieux actuellement en emploi qui décident de le conserver conservent leur emploi, et ça, c'est important de le répéter. Dans le cadre du projet de loi, on a prévu une clause grand-père ou clause de maintien en emploi. Ça, c'est important de le mentionner.

Deuxièmement, la loi n° 62, elle ne s'applique pas. Depuis que ça a été contesté, elle ne s'applique pas. Il y a un sursis sur le visage à découvert. L'état du droit au Québec, là, c'est à l'effet que, lorsqu'on va pour des services publics, on pourrait faire face à quelqu'un qui a le visage couvert. Vous êtes d'accord avec le fait que la loi, elle ne s'applique pas présentement, et que, lorsqu'on aura adopté le projet de loi n° 21, on va s'assurer que les gens puissent donner des services à visage découvert et les recevoir aussi à visage découvert. Ça, je pense que c'est la base de la société québécoise de dire qu'au Québec, quand on veut des services publics, bien, ils sont donnés et reçus à visage découvert. Vous n'êtes pas d'accord avec ça?

M. Mallette (Sylvain) : Si vous me permettez, M. le ministre, d'abord, se rappeler que, lorsque nous nous sommes présentés en commission parlementaire au moment où le projet de loi n° 62 était débattu, la FAE a indiqué qu'elle était en accord avec l'interdiction du visage couvert, là, pour donner ou recevoir des services.

Et là moi, j'aimerais bien qu'on m'explique : Avez-vous déjà vu une enseignante porter un... Parce qu'on semble revenir systématiquement à cette question-là. Bien là, le projet de loi ne vise pas que le voile, il vise aussi les autres signes religieux. Et, quand vous dites, par exemple, qu'un enseignant ne pourra plus porter, par exemple, la kippa, bien là, on parle de... vous obligez l'enseignant ou l'enseignante qui voudrait entrer dans la profession à faire un choix entre sa foi et sa pratique enseignante. Donc, le gouvernement ne peut pas nier que son projet de loi, s'il était appliqué tel quel, aurait des effets dans la réalité.

Maintenant, il n'y a pas un cas qui nous a été rapporté qu'un prof avait cherché à convertir ses élèves ou ses collègues. C'est donc que le problème n'existe pas, M. le ministre.

M. Marois (Alain) : De plus, vous faites allusion à la clause de maintien en emploi, et cette clause est restrictive. Aussitôt que l'enseignant va bouger, ça ne s'appliquera plus. Donc, il y a des contraintes là aussi. Il devra, à ce moment-là, choisir entre changer de milieu de travail ou perdre son emploi.

Le Président (M. Bachand) : M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui. Bien, encore une fois, il faut dire les choses telles qu'elles sont. La clause prévoit du maintien en emploi pour la même fonction au sein de la même organisation. Alors, quand vous dites que, s'il change d'emploi... il pourrait enseigner à la fois au niveau primaire, au niveau secondaire pour la même commission scolaire, le droit au maintien en emploi demeure aussi, ça, c'est important de le dire, à l'intérieur de la même commission scolaire.

Cela étant dit, M. le Président, je sais que j'ai des collègues qui veulent poser des questions.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le ministre. Je regarde... Faites-moi signe, s'il vous plaît. Mme la députée de Bellechasse. Merci, j'apprécie.

Mme Lachance : Merci, M. le Président. Merci beaucoup. Merci, madame, merci, monsieur, d'être là... messieurs, d'être là ce soir. J'ai bien lu attentivement votre mémoire. Et, d'ailleurs, dans votre mémoire, vous dites que le projet de loi pourrait avoir des effets discriminatoires envers les femmes, bien qu'un jugement d'un tribunal international nous confirme que ces mesures-là ne sont pas discriminatoires ou que des mesures semblables ne sont pas discriminatoires. Plus important encore, à la page 9 de votre mémoire, et je vous cite : «La laïcité a pour seul objectif d'assurer que les personnes qui font le choix de croire — ou pas — en une religion ne soient pas discriminées par l'État, et non de faire cesser la discrimination, tout à fait condamnable, dont sont encore victimes les femmes.» Je dois avouer qu'à cette lecture-là j'ai été un peu estomaquée.

En fait, au cours de la dernière semaine, la première semaine des auditions, on a eu Me Julie Latour, ancienne présidente du Conseil du statut de la femme, qui est venue nous rencontrer, et Me Pelchat aussi, et tous deux nous ont mentionné, sans équivoque, que, sous prétexte, si on veut, parfois... des jugements ont été un peu discriminatoires envers les femmes... Elles ont expliqué clairement que des règles de l'État favorisant l'égalité hommes-femmes sont parfois mises de côté par les tribunaux au nom de la liberté de religion, et qu'un renforcement de la laïcité aurait pour effet, sur le plan juridique, de contrer ce phénomène-là. Or, selon vous, dans ce que je lis, la laïcité ne doit en rien faire pour contrer les discriminations privées dont sont victimes les femmes. Ne pensez-vous pas que cela illustre bien la conception de la laïcité et que votre conception de la laïcité est très faible?

Le Président (M. Bachand) : Attention aux mots, s'il te plaît, aux qualificatifs. M. Mallette, s'il vous plaît... Maître, oui, maître.

M. Bourget (Rémi) : Oui, pardon, excusez-moi. Je serais curieux de connaître les références, là, de jugement où, par exemple, sous le couvert d'un droit à la liberté de religion, on est venu violer des principes comme l'égalité hommes-femmes. Les droits fondamentaux, dans notre système, ne sont pas supposés être en opposition, on n'est pas supposés en avoir un qui est plus fort que l'autre. Si on regarde l'objectif de laïcité, c'est la neutralité de l'État. Les droits fondamentaux, on veut protéger autant l'égalité, dans laquelle on trouve l'égalité entre les sexes, et la liberté, dans laquelle on trouve la liberté de religion. On n'a pas à faire le choix entre l'un ou l'autre, on devrait protéger l'un et l'autre.

M. Mallette (Sylvain) : Et, en complément, très rapidement, parce que le concept de laïcité, qui est malheureusement galvaudé... Prenons la France, hein, qu'on cite beaucoup en exemple comme étant un modèle à suivre, la France, la loi de 1905 ne visait pas à assurer l'égalité entre les hommes et les femmes, c'est tellement vrai que les femmes devront attendre la fin de la Deuxième Guerre mondiale pour obtenir le droit de vote, d'abord, aux élections municipales. C'est tellement vrai que les femmes françaises ne bénéficient pas d'une loi sur l'équité salariale et que les femmes, les politiciennes françaises sont encore victimes de misogynie.

Donc, le concept de laïcité n'a pas pour mission d'assurer l'égalité entre les hommes et les femmes, et ce qu'on défend, c'est le droit au travail, qui, lui, permet le droit à la dignité, parce que c'est par le travail que les citoyennes et les citoyens vont se réaliser.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée de Bellechasse, s'il vous plaît.

Mme Lachance : Oui. Bien, écoutez, ce que vous dites, dans le fond, c'est que la laïcité ne doit pas faire cesser la discrimination, ça fait que, finalement, la discrimination doit encore continuer puis les femmes en seront victimes.

M. Mallette (Sylvain) : Ce qu'on dit, c'est que la laïcité n'a pas pour mission... la laïcité, là, c'est d'assurer que l'État, dans ses rapports avec les citoyens, ne privilégie ou n'agisse pas de façon discriminatoire envers les gens qui croient puis envers les gens qui ne croient pas. C'est ça, le concept de laïcité. Maintenant, aussi, comme société, on s'est donné des règles, des lois.

Mais moi, je vais vous poser une question, si vous me permettez : Comment se fait-il qu'au Québec on accepte que, parce que le corps enseignant est composé à plus de 75 % de femmes... comment se fait-il qu'on les traite inéquitablement dans le dossier des relativités salariales? On nous a dit, il y a quelques années : Vous n'aurez pas droit à ce que vous avez droit parce que vous êtes trop nombreuses. Ça, dans les faits, là, on traite les enseignantes, au Québec, différemment parce qu'elles sont plus nombreuses, alors que, dans d'autres corps d'emploi, ils ont obtenu des règlements satisfaisants dans le dossier des relativités salariales.

Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le ministre, s'il vous plaît.

• (20 heures) •

M. Jolin-Barrette : Alors, j'ai bien noté, il n'y a pas un droit au-dessus de l'autre. Donc, vous allez être d'accord avec le fait qu'on incorpore, dans la Charte des droits et libertés de la personne, le concept de laïcité, notamment à l'article 9.1, pour dire que les droits fondamentaux vont s'interpréter notamment à la lumière de la laïcité. Et, je pense, ce qui est important aussi de réaliser, c'est que ce que vous citez relativement à l'obligation de laïcité de l'État, vous faites référence à la neutralité de l'État. Or, ça, c'est le concept déterminé par la jurisprudence jusqu'à ce jour. La laïcité, là, malgré... quoi qu'en disent plusieurs politiciens, ce n'est pas incorporé dans nos lois, ce n'est pas incorporé non plus dans les jugements de la Cour suprême. Quand vous lisez certains jugements de la Cour suprême, on mélange laïcité et neutralité. Or, ce qu'on fait, c'est : pour la première fois, on vient définir qu'est-ce que la laïcité, donc, la séparation de l'État et des religions, la neutralité religieuse de l'État, l'égalité de tous les citoyens et citoyennes et la liberté de conscience et de religion. Donc, c'est un concept qu'on vient inscrire dans nos lois pour la toute première fois.

L'autre élément qui est important aussi : c'est un modèle de laïcité québécoise qu'on fait. Quand vous faites référence à la France, ça leur appartient. Chacun des États a droit à son propre concept de laïcité. Mais, par contre, ça appartient quand même aux élus de l'Assemblée nationale à définir ça va être quoi, les rapports entre l'État et les religions, donc, qu'est-ce que la laïcité.

Le Président (M. Bachand) : M. Mallette.

M. Mallette (Sylvain) : À ce moment-là, pourquoi vous excluez du périmètre d'application de la loi les écoles privées religieuses subventionnées? Pourquoi les élèves des écoles publiques seraient plus, eux, vulnérables, que les écoles privées subventionnées? Pourquoi? Probablement parce que près de 80 % de ces écoles-là sont des écoles à vocation religieuse et que le gouvernement refuse de faire ce choix-là.

Et, d'autant plus, pourquoi... Un élève qui rentre dans une école, là, un élève qui rentre dans une école publique au Québec voit un certain nombre d'adultes. Pourquoi cibler systématiquement les profs, donc essentiellement, majoritairement, très majoritairement des femmes, alors que d'autres corps d'emploi, eux, ne seront pas visés?

C'est le gouvernement qui est incohérent dans l'architecture de son projet de loi. Le gouvernement est incohérent parce qu'il maintient un statut particulier pour les écoles privées religieuses subventionnées et il impose aux enseignantes, particulièrement aux enseignantes de l'école publique, le poids de la laïcité ou de son modèle de neutralité religieuse. Dans les faits, ce sont les profs qui vont porter le poids de ce modèle-là.

Le Président (M. Bachand) : En terminant, M. le ministre. Il ne reste plus beaucoup de temps.

M. Jolin-Barrette : Oui. Mais est-ce que vous nous invitez... parce qu'on ne vise pas le privé, notamment parce que la fréquentation n'est pas obligatoire au niveau du privé, là, mais ça, c'est un autre débat... mais est-ce que vous nous invitez à ne pas du tout légiférer parce qu'on ne vise pas le privé? Est-ce que vous dites : Bien, écoutez, vu que vous ne visez pas le privé, on ne visera pas le public, qui est obligatoire?

M. Mallette (Sylvain) : Nous, ce qu'on vous demande, c'est de retirer du périmètre d'application les enseignantes et les enseignants des écoles publiques.

M. Marois (Alain) : Et, si vous voulez vraiment vous attaquer à la laïcité...

M. Jolin-Barrette : Les enseignants soient... portent un signe...

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je cède la parole à la députée de Marguerite-Bourgeoys. Mme la députée, s'il vous plaît.

Mme David : Oui. Je vous laisserais finir votre phrase parce que je m'en allais sur le même sujet.

M. Marois (Alain) : Donc, si on veut vraiment appliquer la laïcité, qu'on cesse de financer des écoles religieuses qui font du prosélytisme, alors que, dans nos écoles publiques québécoises, il n'y en a pas, de prosélytisme, c'est des écoles laïques en ce moment. Il n'y a personne qui tente, entre guillemets, de bourrer le crâne des enfants avec la religion, alors que des écoles privées, que vous subventionnez comme État, sont religieuses pour la très grande majorité.

Mme David : Alors, j'irais justement sur cette question de prosélytisme parce que vous avez des choses très intéressantes dans votre mémoire, et je vais vous amener tout à l'heure à la page 7, 8, 9, mais vous parlez justement de prosélytisme. Mais est-ce que vous lisez... la lecture du projet de loi, c'est : On interdit les signes religieux, particulièrement plus ostentatoires, les moins ostentatoires sont mis dans ça pour donner l'impression que c'est tout le monde, mais ils sont quand même moins visibles, et que, donc, le signe religieux ostentatoire serait égal à prosélytisme, attention! danger, il y a danger d'exposer à une religion en particulier, donc les enfants vont en être trop influencés.

Le Président (M. Bachand) : Oui, allez-y.

M. Marois (Alain) : C'est ce que semble dire effectivement le projet de loi, on tente de protéger les enfants d'un certain danger. Donc, il y aurait un danger de voir un signe religieux ostentatoire, et... par contre, on n'est pas capable d'en faire la démonstration, mais c'est ce que le projet de loi nous amène à penser.

Mme David : Et vous allez sur la notion fort intéressante, c'est... vous êtes les seuls à aller là, alors moi, j'aime toujours des choses nouvelles, c'est pour ça que c'est intéressant de rencontrer beaucoup de groupes, la question des dissonances cognitives, et là ça devient vraiment intéressant et intellectuellement un challenge, j'ai l'impression, pour le ministre.

Vous parlez de l'arrêt Chamberlain, où il était question de manuels scolaires illustrant des familles monoparentales. Et j'ai posé la question ce matin, justement, à Guy Rocher, sur la question d'un droit versus un autre. Qu'en est-il, donc, de cette question de droit à ne pas exposer les enfants aux signes religieux versus le droit à ne surtout pas les exposer à un enseignant qui pourrait être d'une orientation sexuelle qui dérangerait les parents ou qui ne serait pas en accord avec la croyance des parents?

Et là il n'y avait pas vraiment une réponse très, très précise là-dessus, mais j'aimerais vous entendre, justement, sur cette question de dissonance cognitive, que c'est peut-être intéressant, au contraire, d'exposer des enfants, parce que la vie en société... puis là vous allez même sur une citation de celui qui est maintenant premier ministre dans ce sens-là. Alors, je voudrais vous entendre là-dessus.

M. Mallette (Sylvain) : Bien, d'abord, il faut se rappeler, hein, je l'ai dit d'entrée de jeu, le Programme de formation de l'école québécoise, qui a été mis en place au début de l'an 2000, on lui a confié... on a confié à l'école publique une mission, là, au nom de la nouvelle réforme, là, qu'on a imposée aux profs, là, mais on a confié à l'école publique la mission d'assurer le vivre-ensemble. Bien, le vivre-ensemble, ce que l'enfant voit à l'extérieur de l'école, il va nécessairement le voir à l'intérieur de l'école, d'autant plus que c'est en fréquentant l'école publique, qui, elle, ne sélectionne pas comme l'école privée, il faut quand même le rappeler, c'est en fréquentant l'école publique que l'enfant va être appelé à côtoyer des réalités avec lesquelles lui-même n'est pas habitué, hein, qu'il n'est pas habitué de côtoyer.

Donc, c'est dans ce sens-là qu'on dit que, bien, c'est l'école publique qui assure la mixité sociale. Et donc, à partir du moment où on lui a confié cette mission-là, bien, comment se fait-il que dans certains cas, bien là, la mixité sociale ne devrait pas jouer?

Et ce qui m'a étonné de M. Rocher, pour qui j'ai le plus grand respect, c'est lorsqu'il a utilisé le concept de prévention, hein? Il a utilisé ce concept-là de prévention. C'est un concept qui est utilisé d'abord en sciences, parce que, quand on mène des expériences scientifiques, on doit, quand on pense que l'expérience peut mal tourner, on doit appliquer un principe de précaution. Et, en 1992, avec le Sommet de la Terre, on va élargir ce concept-là à toute la question environnementale, là, les dégâts environnementaux.

Et je me suis posé la question : Est-ce qu'on est après dire que, parce qu'un enfant voit un prof porter un signe religieux, ça peut causer des dommages — c'est donc ça, parce que c'est ça, le principe de précaution — alors qu'il n'y a aucune étude? Il n'y a pas d'étude qui a été... Comment se fait-il que, depuis 50 ans, au Québec, il n'y a personne au ministère de l'Éducation qui a pensé à ça? Puis ils sont capables de penser à beaucoup de choses au ministère de l'Éducation. Comment se fait-il que personne n'a réfléchi à ça? Et là, tout d'un coup, on veut nous faire croire que de placer des enfants devant une réalité qui existe, ça peut être dommageable pour lui.

Alors, ce n'est pas à nous à faire la démonstration. C'est au gouvernement à faire cette démonstration-là.

Mme David : Et vous citez le premier ministre, il y a 13 ans, en disant : «De fait, il met l'accent sur l'exploration et l'approfondissement des dimensions de la vie quotidienne, amenant les élèves à tisser des liens entre leurs apprentissages et les situations de la vie courante.»

Si je comprends bien, vous faites cette citation-là en disant : Les situations de la vie courante, entre autres, c'est l'exposition à la diversité culturelle. Est-ce que je me trompe?

M. Mallette (Sylvain) : Tout à fait, et je tiens à préciser que les enseignants doivent se comporter de façon professionnelle. C'est prévu dans le contrat de travail, c'est prévu dans la Loi sur l'instruction publique. Bien, le premier ministre... M. Legault, qui est aujourd'hui premier ministre, alors qu'il était ministre de l'Éducation, nous disait qu'il fallait mettre en place des conditions qui allaient permettre aux enfants de vivre ce genre d'expérience là.

Mme David : Et vous dites, et là je veux vous entendre un peu là-dessus : Il y a des recours juridiques probables, qu'il va y avoir des situations... J'aimerais ça vous entendre là-dessus.

M. Bourget (Rémi) : Bien, c'est-à-dire qu'on a vu qu'il n'y a aucune démonstration qui a été faite à l'effet que porter un symbole religieux équivalait à faire du prosélytisme, hein? Il n'y a aucune preuve.

Donc, le seul raisonnement qui peut fonder cette interdiction-là, c'est celui de la dissonance cognitive, comme vous le souleviez. À au moins deux reprises, la Cour suprême a été saisie de cet argument-là. Le premier, comme vous le faisiez remarquer à juste titre, c'étaient des parents d'élèves en Ontario... pardon, c'était une commission scolaire qui ne voulait pas utiliser le matériel scolaire, parce qu'il y avait des illustrations de familles homoparentales. Les parents disaient : Moi, ça me dérange que mon enfant soit exposé à cette différence-là. Et, sur la base de ce malaise-là, on tentait de l'interdire, hein?

On a eu la même chose lorsque des gens ont pris un recours contre le cours d'Éthique et culture religieuse en disant : Moi, par exemple, j'élève mon enfant dans telle foi, je ne veux pas qu'il soit exposé aux autres fois. Cet argument-là a déjà été présenté à la Cour suprême, qui l'a rejeté à deux reprises. Et je crois que les gens ici ont fait leurs devoirs et qu'ils savent que ça ne peut pas justifier une atteinte aux droits, et c'est pour ça qu'on utilise les clauses dérogatoires.

À partir du moment où on utilise les clauses dérogatoires, on vient admettre, pas implicitement, explicitement, qu'on viole les droits. Et c'est certain que les gens dont les droits sont violés vont vouloir saisir les tribunaux pour faire valoir leurs droits, que ce soit en droit interne ou en droit international. Et rappelons-nous que la clause dérogatoire a une durée maximale de cinq ans, ce qui veut dire qu'à chaque cinq ans ce débat-là va devoir être repris.

• (20 h 10) •

Mme David : ...vous faites un lien, vous, assez direct, vous le mettez dans le mémoire, là, justement, à cet arrêt de la Cour suprême concernant le malaise face à des images de couples homophobes et le malaise que des parents pourraient ressentir ou des enfants ou le prosélytisme peut-être pressenti d'une enseignante qui porte le hidjab.

M. Mallette (Sylvain) : Bien, écoutez, sur ces questions-là, parce que... sensible, hein? Parce que c'est... Puis ce qui est quand même aussi fascinant, c'est qu'on dit... supposément que les enfants disposeraient, là, de la liberté de conscience, alors qu'il y a des enfants qui viennent au monde qui sont baptisés, moi, je ne suis pas certain que l'enfant qui est baptisé a décidé par lui-même d'être baptisé. C'est probablement ses parents qui ont décidé de le baptiser.

Et, sur la question, là, tout le malaise que peut créer par exemple la réalité homoparentale, vous savez, quand on est en présence de gens qui n'ont pas été eux-mêmes mis en présence de la différence, bien, on voit, dans certains milieux, l'intolérance qui peut conduire au refus de l'autre, hein, au refus de l'acceptation de l'autre.

Et donc moi, je veux faire très attention, je ne veux pas lier le malaise que des gens peuvent avoir exprimé puis qui va conduire la Cour suprême à se prononcer, là, sur l'utilisation de matériel qui présente la réalité homoparentale. Je veux faire très attention parce que c'est très nuancé, c'est lié à l'être humain, ce qu'il ressent, comment il comprend lui-même la réalité avec laquelle il doit composer. Donc, si vous me permettez, là, je vais être très, très, très prudent sur ces questions-là.

Mme David : Juste une dernière question, l'article 15, vous êtes bien inquiet avec l'article 15, parce qu'on dit : «...les dispositions de la présente loi est nulle et de nullité absolue.» Alors, «dans les faits, notre contrat de travail serait modifié, sans notre accord, par l'ajout d'une interdiction qui vise le port de signes religieux et qui consacrerait la violation d'un droit fondamental». Alors, ça, c'est à la page 6, où vous commentez l'article 15. Donc là, on parle vraiment de convention collective?

M. Marois (Alain) : Bien, tout à fait, là. Cet élément-là, on l'a regardé en tant que syndicat. Donc, on a un contrat de travail. Dans notre contrat de travail, on ne prévoit pas de clause qui pourrait amener à de la discrimination. Mais, par le fait même, avec cet article-là, c'est l'équivalent d'introduire, sans notre accord, sans une négociation, même, la possibilité, là, dans le fond, d'avoir un élément de discrimination à l'intérieur même de notre contrat de travail. Alors, comme syndicat, ça, c'est inacceptable parce qu'on ouvre unilatéralement notre contrat de travail.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée de Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît.

Mme Robitaille : Brièvement, une loi comme celle-là, quel genre d'impact elle aurait dans vos écoles?

M. Mallette (Sylvain) : ...c'est de créer un climat de suspicion, puis là... Parce qu'il faut quand même aussi voir comment le gouvernement veut outiller les milieux pour faire appliquer la loi. Il y a des gens qui portent des croix qui ne sont pas visibles. Et donc qu'est-ce qu'il va se passer? Est-ce que la direction d'école... puis il y a du roulement, hein, ce qu'on appelle du roulement. Dans une école, là, ça bouge, hein? Ça rentre, ça sort, particulièrement dans les écoles secondaires. Bien, comment ça va fonctionner? Qui va avoir la responsabilité? C'est de ça dont on a besoin au Québec actuellement, là? C'est de ça dont on a besoin, là? C'est de ça dont ont besoin les enfants les plus vulnérables, là? Qu'ils prennent connaissance de situations conflictuelles dans des écoles sur le simple fait qu'un individu fait le choix de porter un signe religieux alors qu'il se comporte de façon professionnelle, qu'il accompagne les élèves, qu'il n'a jamais eu un problème au niveau disciplinaire? C'est ça qu'on veut au Québec, là, aujourd'hui? Se lancer là-dedans?

Le Président (M. Bachand) : En terminant, Mme la députée de Bourassa-Sauvé, vous avez du temps encore.

Mme Robitaille : Oui, donc, ça complique les choses bien plus que ça les améliore.

M. Mallette (Sylvain) : Bien, en tout cas, ça ne change pas le quotidien des élèves qui se font refuser des services, ça ne change pas le quotidien des profs qui tombent au combat puis qui se font refuser des congés sans traitement parce qu'il y a une pénurie de personnel. Demain matin, ce projet de loi là, ça n'améliore pas le quotidien des profs, puis encore moins celui des élèves.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Merci. Je trouve ça vraiment important ce que vous dites. Y a-tu quelque chose que vous n'avez pas dit puis que vous voudriez avancer? Sinon, j'ai des questions aussi, mais vous êtes sur une bonne lancée.

M. Mallette (Sylvain) : Bien vous savez, nous, on s'est posé la question de... d'abord, on est une organisation syndicale, puis nous, on est très, très... la posture qui est la nôtre, c'est celle de défendre le droit au travail. Pourquoi? Parce qu'on pense que le droit au travail, c'est le droit à la dignité puis que c'est par le travail que les gens vont se réaliser, qu'ils vont contribuer à la vie citoyenne, qu'ils vont pouvoir venir enrichir l'expérience québécoise. Et donc qu'est-ce qui fait que le gouvernement... comment expliquer la fixation du gouvernement sur les enseignantes et les enseignants des écoles publiques? Qu'est-ce qui motive cette fixation-là? Elle doit pouvoir s'expliquer.

Le gouvernement est incapable de nous dire qu'un prof a déjà été discipliné parce qu'il a cherché à convertir ses élèves ou ses collègues. Le gouvernement est incapable de faire la démonstration que le fait de placer un enfant devant un individu qui porte un signe religieux lui nuit, l'empêche de faire ses apprentissages. Donc, qu'est-ce qui justifie cette fixation?

Puis on est dans un monde rationnel, on doit nous-mêmes... parce que, quand on est avec des élèves, on doit expliquer les choses à nos élèves. Il n'y a rien de pire pour un élève que, lorsqu'il est devant nous, puis qu'il nous regarde, puis qu'il pense qu'il y a quelque chose d'incohérent... Il n'est pas toujours capable de l'expliquer clairement, mais il le sent, qu'il y a une incohérence.

Donc, puis je le répète, je vais prendre un exemple. Un élève rentre dans une école, il croise la secrétaire, elle peut porter un signe religieux; il croise le concierge, il peut porter un signe religieux. Oh! là il va rencontrer peut-être l'orthophoniste, quand il y en a, ah! porte un signe religieux. Il rentre dans la classe, plus de signe religieux. Pour un enfant, tous les adultes sont signifiants, tous les adultes doivent être des figures d'autorité. Et donc pourquoi s'acharner sur les profs, alors que ce n'est pas de ça dont on a besoin? Les profs ont besoin d'être reconnus.

Puis je ne dis pas que le débat ne nous déchire pas, ne nous divise pas dans nos milieux, là. Oui, c'est un débat, parce que les profs sont aussi des citoyens, puis, oui, il y a des points de vue divergents. Mais les profs, ce dont ils ont besoin, c'est d'être reconnus, d'être valorisés, pas de se lancer les uns contre les autres puis dire à certains : Toi, tu as le droit puis toi tu n'as pas le droit. Il y a quelque chose là qu'on ne réussit pas à expliquer.

Puis, à la limite, je pourrais vous dire que ce n'est pas à nous à l'expliquer, c'est au gouvernement. Mais le gouvernement fait des choix. Maintenant, c'est à lui de faire la démonstration du bien-fondé de sa loi. En quoi cela va-t-il améliorer le quotidien des profs avec lesquels on travaille?

M. Zanetti : Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député Matane-Matapédia, s'il vous plaît.

M. Bérubé : Merci, M. le Président. Bienvenue à l'Assemblée nationale. Pour le Parti québécois, il y a un enjeu de cohérence, puis vous l'avez évoqué un peu. Notre position ressemble à celle du gouvernement mais est différente aussi, et elle se rapproche de la vôtre mais est différente. Je m'explique.       

Nous, on est en faveur de l'application pour les enseignants. C'est notre vraie position, là, elle n'a pas changé, là, c'est celle de notre caucus, 100 % des gens. Mais on est pour l'application dans le privé aussi, par souci de cohérence. S'il y a une liberté de conscience qu'on doit accorder aux élèves du secteur public puis à leurs parents, pourquoi on ne l'accorderait pas dans le secteur privé, financé à 500 millions de dollars par le public, 60 % pour chaque élève? Alors, c'est un beau cadeau qu'on leur fait.

Moi, je soupçonne le gouvernement de le faire par clientélisme. C'est moi qui dis ça. Je dis ça, je ne dis rien en même temps. Mais on est pour l'application au privé, on est pour l'application aux directions d'école, et le gouvernement a retenu notre proposition, donc, d'autres personnes significatives. Et ça pourrait être les psychologues, ça pourrait être d'autres corps de métier.

Donc, nous, on ne dit pas qu'il y a un acharnement. On dit que, par cohérence, on devrait identifier, dans notre processus législatif, toutes les personnes significatives, et vous allez vous sentir moins seuls. Parce que moi, je l'appliquerais à toutes les personnes en autorité dans l'école, toutes les personnes que vous avez croisées, je l'appliquerais à tout le monde. Donc, ça ne règle pas votre opposition avec le projet de loi, mais ça ne serait pas seulement les enseignants quant à nous.

Ma question : À combien vous pouvez évaluer le taux d'appui de vos membres à cette mesure-là pour les enseignants? La moitié? Les deux tiers? Vous avez sondé, j'imagine?

M. Mallette (Sylvain) : Bien, je peux vous dire en toute transparence que, lorsqu'on a fait le congrès, ça a été excessivement... un débat très, très, très passionné, hein, comme les congrès du Parti québécois savent l'être. Et il y a eu une décision qui a été prise parce qu'on est en démocratie...

M. Bérubé : Un pourcentage, un ordre de grandeur...

M. Mallette (Sylvain) : Ça a été à l'image de la société québécoise, ça s'est divisé comme à l'image de... Mais, vous savez, puis je vais me permettre... vous savez, même si c'était minoritaire... Puis je l'ai dit, la posture qui est la nôtre, c'est celle d'être une organisation syndicale à la défense du droit au travail. Vous savez, le Parti québécois défend une idée actuellement qui...

M. Bérubé : O.K. Je n'ai pas beaucoup de temps, M. le Président...

M. Mallette (Sylvain) : ...recueille 30 % d'intention de vote, puis ça ne vous empêche pas de la défendre.

Le Président (M. Bachand) : M. le député de Matane-Matapédia, s'il vous plaît.

M. Bérubé : Ce n'est pas votre argument le plus convaincant. Je vous suggère que les deux coups de sonde les plus importants suggèrent que de 60 % à 66 % sont en faveur de l'application pour les enseignants. Vous suggérez que ça serait totalement différent pour vos membres?

M. Mallette (Sylvain) : Ce n'est pas ça que je suggère...

M. Bérubé : Merci. J'ai une autre question...

M. Mallette (Sylvain) : ...je suggère, c'est que la décision qui est la... la position qui est la nôtre, elle est conforme aux règles démocratiques que nous nous sommes données.

M. Bérubé : Très bien. J'ai une autre question. Selon moi, les enseignants, c'est des personnes en autorité. Il nous apparaît que la place de la religion ou la place des vêtements religieux, c'est dans les lieux de culte, dans la communauté, dans le privé. Pourquoi il faudrait que ça soit normalisé à l'école? Pourquoi il faudrait que les enseignants puissent avoir une totale liberté là-dessus? Il m'apparaît que la liberté de conscience des élèves et de leurs parents doit primer sur celle des enseignants. Et je comprends que vous êtes un syndicat. Vous défendez vos membres. Mais je vous invite à poursuivre la réflexion. Et ce que Guy Rocher nous a dit ce matin n'est pas banal, sur qu'est-ce qui devrait être primé dans le système scolaire.

Le Président (M. Bachand) : Malheureusement, c'est tout le temps qu'on a. Je voudrais vous remercier infiniment pour votre contribution aux travaux de la commission.

Je vais suspendre quelques instants. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 20 h 20)

(Reprise à 20 h 24)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux.

Alors, nous allons continuer avec l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec. Alors, bienvenue. Alors, vous connaissez les règles. Vous avez 10 minutes pour faire votre présentation. Par après, nous aurons une période d'échange avec les membres de la commission. M. Lamoureux, merci beaucoup d'être ici, à vous la parole.

Association des commissions scolaires anglophones du Québec (ACSAQ)

M. Lamoureux (Dan) : Merci. M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, nous vous remercions de nous entendre à cette heure tardive sur le projet de loi n° 21, Loi sur la laïcité de l'État.

I am Dan Lamoureux, president of the Québec English School Boards Association. And I am accompanied this evening by our executive director, Russell Copeman, by the president of the Association of Directors General of English School Boards of Québec, Sylvain Racette, and by Me Perri Ravon, of Power Law.

M. Copeman (Russell) : Alors, l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec se réjouit d'être l'un des organismes ayant l'occasion de présenter son point de vue lors des audiences publiques en commission parlementaire sur le projet de loi n° 21. Nous avons émis, plus tôt, aujourd'hui, une position conjointe du réseau d'éducation anglophone que nous vous avons remise avec le mémoire que vous avez en main.

Notre association et les commissions scolaires anglophones qu'elle représente sont profondément déçues que le projet de loi devant nous inscrive des enjeux aussi légitimes et importants que constituent l'inclusion, l'identité, les droits individuels et la laïcité de l'État dans une perspective négative qui, selon nous, sème inutilement la discorde. Cette perspective regrettable fait fi, ultimement, de la générosité, de l'ouverture et du respect dont nous, comme peuple québécois, avons constamment fait preuve à l'égard de ces questions fondamentales.

Les neuf commissions scolaires membres de l'ACSAQ desservent quelque 100 000 élèves dans 340 écoles primaires et secondaires, centres de formation professionnelle et centres de formation pour adultes partout au Québec et emploient plus de 20 000 personnes. Toutes offrent des services d'enseignement public avec une sensibilité qui accorde une même importance à toutes les croyances, religions ou cultures. Cette sensibilité est extrêmement pertinente au débat sur le projet de loi n° 21, qui, à notre avis, aura une influence néfaste sur la manière dont les Québécois et Québécoises vivront ensemble à l'avenir.

Le projet de loi n° 21 semble reposer sur la supposition qu'il existe un affrontement majeur, au sein du Québec, opposant des valeurs religieuses et culturelles à la laïcité ou la neutralité religieuse de l'État. L'ACSAQ n'a guère constaté de preuves à l'appui de la nécessité de légiférer en matière de laïcité tel qu'il est proposé dans le projet de loi n° 21.

M. Racette (Sylvain) : La sécularisation progressive de l'enseignement public au Québec, à laquelle nous souscrivons pleinement, est en cours depuis des décennies. Le remplacement de l'enseignement confessionnel par un programme Éthique et culture religieuse aide nos éleves à apprendre la leçon importante que la diversité ethnique et religieuse enrichit le Québec et qu'elle complète plutôt qu'elle ne menace un sens des valeurs québécois partagé.

L'inclusion, la pensée critique et l'équité sont des principes fondamentaux qui guident l'enseignement dispensé au sein des neuf commissions scolaires anglophones au Québec et correspondent aux valeurs qui sont enseignées à nos élèves. L'ACSAQ appuie la séparation de l'État et des religions. Nos commissions scolaires et nos écoles assurent cette séparation. Nous soutenons la capacité de nos enseignants et administrateurs de transmettre ce respect au sein de toutes nos institutions.

Nous sommes d'avis que le projet de loi n° 21 est superflu et source inutile de discorde. S'appuyant sur le professionnalisme des administrateurs scolaires et enseignants de même que sur l'existence de lignes directrices claires dans le régime pédagogique, nous pouvons affirmer avec certitude que nos écoles sont laïques. Le prosélytisme dans notre réseau n'est pas accepté. Ce message a été reçu et compris il y a de cela plusieurs années déjà.

En outre, les défenseurs et partisans du projet de loi n° 21 n'ont pas, à notre connaissance, présenté une preuve convaincante selon laquelle le port d'un signe religieux en soi a une influence sur la façon dont une personne enseigne, ou encore qu'elle exerce une influence sur les élèves dans le système scolaire.

M. Copeman (Russell) : Diverses mesures législatives fournissent déjà un cadre solide, résilient et approprié du vivre-ensemble au Québec. La charte québécoise des droits et libertés de la personne constitue un des piliers fondamentaux de notre société. Sa modification ne devrait pas être entreprise à la légère et sans avoir fait l'objet d'un vaste consensus au sein de la législature.

Pour des milliers de Québécois, le port d'un signe religieux comme une kippa, un turban ou un hijab est un article de foi. Les restrictions prévues au projet de loi n° 21 empêcheront ces personnes de devenir un enseignant dans une école publique. Comme l'ont indiqué nos collègues de l'Association provinciale des enseignantes et enseignants du Québec, à un moment où il y a pénurie d'enseignants, le fait de refuser une personne qui possède les qualifications, la passion et le dévouement pour devenir un enseignant n'a aucun sens. Nous avons besoin plus d'éducateurs et d'administrateurs issus des communautés variées, pas moins.

M. Racette (Sylvain) : Nous sommes de l'avis que le projet de loi n° 21 est difficilement applicable. Les éducateurs du service de garde en milieu scolaire et les surveillants, les professionnels et le personnel de soutien, et les enseignants et direction déjà en poste peuvent continuer à porter des signes religieux. Les nouveaux enseignants ainsi que les directeurs embauchés en date du 28 mars 2019 ne pourraient pas faire de même. Établir une distinction entre ces personnes, dans les corridors, les salles de classe et les centres de formation, ne sera pas une simple affaire et sera source de plus de tension, pas de moins.

Nos collègues de l'Association des administrateurs des écoles anglaises du Québec représentent quelque 400 administrateurs d'écoles et de centres au sein de l'ensemble des neuf commissions scolaires anglophones. Ils ont indiqué qu'ils ne croient pas qu'ils devraient être appelés à superviser cette loi. Demander aux policiers de faire respecter les dispositions de l'article 21 a, fort heureusement, été écarté.

• (20 h 30) •

M. Copeman (Russell) : Comme bien d'autres organismes, nous sommes convaincus que le projet de loi empiète sur un certain nombre de droits individuels garantis par les chartes. En invoquant les clauses dérogatoires comprises dans les deux chartes, même le gouvernement semble concéder que le projet de loi n° 21 ne pourrait pas survivre à une contestation devant les tribunaux.

Mais il y a une autre question juridique importante qui semble avoir été négligée par le gouvernement du Québec sur laquelle nous désirons attirer l'attention des membres de cette commission parlementaire. Nous sommes d'avis que non seulement certains aspects du projet de loi portent atteinte à des droits individuels fondamentaux, mais que certains articles constituent également un empiètement sur le droit constitutionnel de la minorité linguistique anglophone de contrôler et gérer ses établissements d'enseignement. La décision historique sur l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, rendue par Cour suprême du Canada en 1990, dans l'affaire Mahe contre Alberta, identifie, et je cite, «le recrutement et l'affectation du personnel, notamment des professeurs» comme relevant, et je cite de nouveau, du «pouvoir exclusif» des représentants de la minorité linguistique.

Considérant qu'au Québec les représentants de la minorité linguistique sont, dans les faits, le conseil des commissaires démocratiquement élu des commissions scolaires anglophones, nous affirmons que l'article 6 du projet de loi n° 21, qui interdit aux nouveaux directeurs et enseignants de porter un signe religieux dans l'exercice de leurs fonctions, empiète sur le droit constitutionnel de la communauté anglophone de recruter et d'affecter notre personnel. Par conséquent, en vertu des droits constitutionnels de la communauté anglophone québécoise, tels qu'interprétés par diverses décisions de la Cour suprême, et en particulier Mahe contre Alberta, le Québec ne peut interdire les symboles religieux portés par les enseignants et les directeurs dans le réseau des écoles publiques anglophones.

Nous tenons aussi à rappeler à tous que l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés n'est pas assujetti à la clause dérogatoire de la charte canadienne.

M. Lamoureux (Dan) : Les objections que nous avons exprimées concernant le projet de loi n° 21 restent encore sans réponse... satisfait à ce jour. L'ACSAQ estime que les écoles publiques anglophones du Québec, tout comme la plupart des établissements publics au Québec, trouvent leurs propres réponses, des réponses qui sont à la fois équitables, inclusives et tournées vers l'avenir, des réponses afin de vivre et apprendre ensemble dans un esprit qui est respectueux de notre histoire commune et en constante évolution ainsi que des valeurs qui définissent le milieu dans lequel nous vivons.

For all these reasons, the Québec English School Boards Association, and as demonstrated earlier today, all its partners believe that the National Assembly of Québec should not adopt Bill 21. Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole à M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Madame messieurs, bonsoir. Merci d'être présents ici, ce soir, pour nous communiquer vos commentaires en lien avec le projet de loi n° 21.

D'entrée de jeu, je voudrais vous demander, si l'Assemblée nationale adoptait le projet de loi, est-ce que l'Association des commissions scolaires anglophones et les commissions scolaires anglophones vont appliquer le projet de loi, vont faire respecter le projet de loi, la loi, en fait?

M. Copeman (Russell) : Nous soutenons, M. le ministre, qu'en vertu des décisions de la Cour suprême du Canada, entre autres dans l'affaire Mahe contre Alberta, que le gouvernement du Québec, l'Assemblée nationale ne peut pas légiférer ou réglementer concernant le port de symboles religieux pour nos enseignants et nos directeurs. La question serait tranchée par les commissions scolaires individuellement et potentiellement par les cours.

M. Jolin-Barrette : Mais ce que je veux savoir... Ma question est quand même très claire. Je comprends votre prétention. Mais, à partir du moment où la loi va être sanctionnée, est-ce que, dans l'éventualité où il n'y a pas de sursis, où il n'y a pas de contestation judiciaire... Parce que vous avez été député pendant longtemps ici, à l'Assemblée nationale, et vous savez que la loi est présumée valide. Donc, tant qu'un tribunal ne ferait pas en sorte de donner une ordonnance de sauvegarde ou un sursis, elle serait applicable, la loi. Alors, ce que je veux savoir, est-ce que les membres de votre association vont se conformer à la loi qui va avoir été votée ici, à l'Assemblée nationale?

M. Copeman (Russell) : Effectivement, M. le ministre, j'ai été député longtemps, et une des règles qu'on m'a déjà communiquées, c'est de ne jamais répondre à des questions hypothétiques.

Mais, je répète, il serait la responsabilité de chaque commission scolaire de décider comment ils vont agir à l'avenir si jamais le projet de loi est sanctionné.

Mais nous sommes ici pour plaider avec vous, avec le gouvernement et avec les députés, de ne pas aller de l'avant avec le projet de loi n° 21 dans sa forme actuelle.

M. Jolin-Barrette : Ça, j'ai très bien compris. Mais ce que je souhaite quand même savoir — puis ce n'est pas une situation hypothétique — je souhaite savoir si vos membres ou si même l'association va recommander aux membres de ne pas appliquer la loi n° 21.

M. Copeman (Russell) : Ça ne revient pas à nous de recommander l'application ou pas des lois, M. le ministre, nous sommes une association de commissions scolaires. Le corps public responsable de ces choses-là est la commission scolaire, les neuf commissions scolaires. La décision reviendra à eux.

M. Jolin-Barrette : Mais ici, là, ce soir, là, vous êtes devant l'Assemblée nationale en commission parlementaire, vous représentez ces neuf commissions scolaires là. Moi, ce que je souhaite savoir, là, comme élu de l'Assemblée nationale, et pour le bénéfice de tout le monde ici, s'il y a une loi qui est votée ici, à l'Assemblée nationale... puis supposons, prenons le cas du projet de loi n° 21, là, supposons qu'il n'y avait pas de modification, est-ce que les commissions scolaires anglophones vont appliquer le projet de loi n° 21?

M. Copeman (Russell) : M. le ministre, vous avez posé la même question à peu près trois fois, j'ai la même réponse. Il revient à chaque commission scolaire de se comporter comme il décide approprié dans les circonstances.

M. Jolin-Barrette : M. le Président, je vous dirais que je suis très déçu. Je suis très déçu, parce que, lorsque des lois sont votées à l'Assemblée nationale, on a le devoir, à la fois comme élus, aux différents paliers, municipaux, provinciaux ou même scolaires, de soutenir l'autorité de la règle de droit, puis notre processus démocratique fonctionne de cette façon-là.

Si jamais les commissions scolaires souhaitent... ou l'Association des commissions scolaires anglophones souhaite contester la loi en vertu de 23 de la charte canadienne, ils pourront le faire, les tribunaux sont là pour... là.

Mais, à partir du moment où, en commission parlementaire, on ne peut pas me dire que... on vient faire des représentations ici, au salon rouge, pour dire : Bien, écoutez, on ne le sait pas, s'ils vont l'appliquer ou non, ça leur appartiendra. Il m'apparaît qu'il y a, au niveau de la crédibilité du discours... il y a une petite problématique à ce niveau-là. Mais je comprends que c'est votre choix, puis vous dites : Bien, écoutez, ils s'arrangeront eux-mêmes puis ils prendront leurs propres décisions.

J'aurais aimé entendre... de dire, écoutez, à partir du moment où la loi est votée à l'Assemblée nationale, bien, on va s'assurer que nos membres la fassent respecter, l'appliquent aussi, parce que c'est comme ça que ça fonctionne au Québec. Un coup que la loi est adoptée par l'Assemblée nationale, on l'applique. Je suis un peu déçu. Je suis un peu déçu.

M. Copeman (Russell) : Il est intéressant, M. le Président, que le projet de loi ne s'applique pas déjà ou ne s'appliquerait pas à des grands pans d'établissements et d'institutions au Québec, hein? Ça ne s'appliquerait pas aux écoles privées. Ça ne s'appliquerait pas à la commission scolaire Kativik. Ça ne s'appliquerait pas à la commission scolaire crie. Alors, ces territoires-là, là, c'est à peu près la moitié du Québec. Le Nunavik, ça représente le tiers du Québec. Quand on ajoute le territoire de la première nation crie, on frôle à peu près 50 % de le territoire du Québec, et votre projet de loi exempte ces deux commissions scolaires là de son application.

M. Jolin-Barrette : Effectivement, et c'est un choix du gouvernement du Québec de viser les écoles publiques, notamment. Vous avez cité l'arrêt Mahe, hein, tout à l'heure, mais vous invoquez l'article 23 de la charte canadienne. Écoutez, j'ai pris connaissance de la jurisprudence, je peux vous dire que je suis en désaccord avec vous, et il y a une série de décisions, notamment dans Mahe, il y a certains passages qui nous indiquent également que le gouvernement doit disposer de pouvoirs discrétionnaires «le plus vastes possible dans le choix des moyens institutionnels dont il usera pour remplir ses obligations». Il y a également la décision Arsenault-Cameron contre l'Île-du-Prince-Édouard, il y a la commission scolaire francophone du Yukon en 2015 aussi et il y a une décision du conseil scolaire francophone aussi contre la Colombie-Britannique.

Ma question introductive visait justement l'application de la loi, parce que, si les commissions scolaires anglophones veulent contester la loi en vertu de 23, elles pourront le faire devant les tribunaux. Mais, entre-temps, moi, je souhaiterais que, dans le cadre d'un débat comme celui-ci, on puisse affirmer concrètement qu'on respecte les lois qui sont votées à l'Assemblée nationale.

Sur le principe même des règles qui nous gouvernent, c'est prévu dans la Constitution canadienne qu'on peut avoir recours à la disposition de dérogation. C'est ce que nous faisons parce qu'on considère que ça appartient à l'Assemblée nationale, par le biais de ses élus, de faire le choix de légiférer sur les rapports entre l'État et les religions. Justement, c'est pour ça qu'on intègre le principe de la laïcité. Manifestement, vous êtes en désaccord avec le fait qu'on vienne inscrire la laïcité dans nos lois.

• (20 h 40) •

M. Copeman (Russell) : Nous considérons, M. le ministre, que c'est déjà l'état de la situation. Nos établissements sont laïques, nos institutions sont laïques. Là où il n'y a manifestement pas de convergence d'opinion, c'est, oui, les institutions de l'État doivent être laïques, mais est-ce que les personnes qui travaillent dans ces établissements et ces institutions-là doivent, en apparence, éviter de porter des symboles religieux? Et là c'est là où il y a divergence d'opinions. Intéressant, également, M. le ministre, que, pendant vos remarques, vous avez noté l'utilisation de la clause «nonobstant». Vous savez pertinemment bien que l'article 23 de la charte canadienne n'est pas assujetti aux clauses «nonobstant».

M. Jolin-Barrette : Oui, tout à fait. Et c'est pour ça que je vous dis que ça pourra fonder la base d'un recours si vous souhaitez agir en ce sens-là.

Pour la question du visage à découvert, là, est-ce que vous êtes en faveur du fait que les services publics soient donnés à visage découvert et qu'ils soient reçus également à visage découvert pour des motifs d'identification et de sécurité, notamment dans le domaine de l'enseignement, du fait que les enseignants devraient enseigner avec le visage découvert?

M. Racette (Sylvain) : Bien, sur ce point-là, il faudrait qu'on ait... que je comprenne d'où vient la préoccupation d'identification et de sécurité. Bien sûr, identification et sécurité, si c'est la première fois que l'élève vient pour faire un examen, on veut s'en assurer, un exemple. Mais il faut vraiment se limiter à identification et sécurité. La majorité du cas, puis là on s'entend que c'est... Encore une fois, je vais répéter ce qui a été dit avant nous, ce qu'on a dans notre mémoire, puis c'est... On parle au niveau des neuf commissions scolaires anglophones, ce n'est jamais venu à notre oreille, aucune préoccupation à ce niveau-là. Les commissions scolaires gèrent ces situations-là, le peu de cas qu'il y a, à la pièce quand ça arrive. Puis on est très capables de le faire avec tout le bon sens qui est requis dans ces cas-là, là.

M. Jolin-Barrette : Mais vous êtes d'accord avec le fait qu'il soit requis pour les enseignants qu'ils doivent enseigner avec le visage à découvert.

M. Racette (Sylvain) : Je ne vois pas en quoi c'est une préoccupation de sécurité ou d'identification. On reconnaît, moi, une enseignante ou un enseignant. Bien, dans ce cas-là, une enseignante qui ne serait pas à visage découvert, on la reconnaît, là, on l'a entendue une fois, on l'a vue une fois, on la reconnaît. Il n'y a pas... On ne voit pas de danger d'identification dans ce cas-là.

M. Jolin-Barrette : Donc, ce que vous nous dites, c'est que vous êtes favorable au fait que les enseignants, au Québec, enseignent avec le visage couvert.

M. Racette (Sylvain) : Ce que je suis en train de dire, c'est que ce n'est pas une préoccupation. On n'a jamais entendu parler de ça, là, jamais.

M. Jolin-Barrette : On établit des règles, là. Puis, dans le cadre du projet de loi n° 21, c'est notamment là. Je comprends que vous dites : On n'a pas eu de cas d'application, là, mais, sur le fond des choses, là, il faut se positionner. Il faut savoir, est-ce qu'au Québec c'est le minimum des minimums du fait de dire, quand il y a un service public qui est donné par un employé de l'État, on doit avoir le visage à découvert?

M. Racette (Sylvain) : Pour des raisons de sécurité et identification, oui. Mais, en dehors de ça, non.

M. Jolin-Barrette : Pour des raisons pédagogiques, on n'a pas besoin d'avoir le visage découvert?

M. Racette (Sylvain) : Je vous ramène à votre projet de loi qui parle de sécurité et identification.

M. Jolin-Barrette : Non, non, non. Dans le projet de loi, ce qui est prévu, c'est que les employés de l'État, tous les employés de l'État doivent exercer leurs fonctions à visage découvert en tout temps. Ce sont les usagers qui, eux, auront le visage découvert pour des questions de sécurité ou d'identification. Alors, je repose ma question. Est-ce que vous êtes en faveur avec le fait qu'au Québec, pour enseigner, on doive le faire à visage découvert?

M. Copeman (Russell) : M. le ministre, l'ACSAQ n'a pas de position là-dessus. Nous sommes une association. Il faut consulter nos membres. Mais je suggérerais que, si le gouvernement pense que c'est essentiel qu'un enseignant agisse dans l'exercice de ses fonctions avec... une enseignante avec le visage découvert, que ça pourrait être plaidé comme une limite raisonnable aux droits fondamentaux des individus, sans même avoir recourir aux clauses «nonobstant». C'est, il me semble, une certaine logique dans cette approche, sans dire qu'il y a une valeur là-dedans ou pas. Mais, si le gouvernement insiste, pour des raisons qui lui sont propres, de légiférer que les enseignants doivent enseigner à visage découvert, que ça pourrait facilement être interprété ou plaidé comme une limite raisonnable sur les droits individuels fondamentaux sans avoir recours aux clauses «nonobstant».

M. Jolin-Barrette : Mais, vous savez, la réalité de la chose, c'est que, depuis plus d'un an, la loi n° 62, qui avait été adoptée par la prédécesseure, la précédente ministre de la Justice, la députée de Gatineau, mais elle est suspendue. Alors, la loi, elle n'est pas applicable actuellement. Alors, nous, ce qu'on fait notamment, c'est qu'on dit : Au Québec, les services publics sont donnés et reçus à visage découvert, et donc, pour ce faire, on utilise notamment la disposition de dérogation pour s'assurer qu'au Québec, dans les classes du Québec, les enseignants aient le visage découvert. Et ça, honnêtement, je pense qu'au Québec ça fait pas mal consensus du fait que, lorsqu'on enseigne, on doit avoir le visage découvert.

Je sais que j'ai des collègues qui veulent poser des questions, M. le président.

Le Président (M. Bachand) : M. le député d'Ungava, s'il vous plaît.

M. Lamothe : M. le Président, bonsoir. Quand j'entends Inuit... ça vient me chercher, c'est mon comté. Peut-être, juste à titre informel, le Kativik School Board, les Inuits, le Cree School Board, les Cris, ont été créées suite à la Convention de la Baie James, signée en 1975, de là qu'ils ne sont pas assujettis à l'abolition des commissions scolaires. Juste comme information.

M. Copeman (Russell) : Oui, nous sommes au courant, M. le député. Je vous remercie pour ces informations-là. Mais, pour nous, ça indique très clairement que, dans le cas d'une première nation et dans le cas des Inuits, le gouvernement a décidé qu'ils ne devraient pas être assujettis en fonction de la loi sur la Convention de la Baie James et le Nord-du-Québec. Ce qu'on plaide, nous, également, que, si déjà une nation autochtone et la nation inuite et les Inuits sont exemptés, il y a un argument très légitime en vertu de la Constitution canadienne afin de plaider que la loi ne devrait pas s'appliquer en fonction de nos droits de contrôle et gestion, et de gérer nos institutions... que l'Assemblée nationale n'a pas de compétence pour légiférer en matière du port des symboles religieux.

M. Lamothe : Je dirais peut-être en conclusion, c'est que la Convention de la Baie James, c'est un traité signé. Je doute fort qu'on puisse arriver puis non respecter un traité semblable.

M. Copeman (Russell) : Oui, la Constitution canadienne et la charte des droits et libertés canadienne s'appliquent sur le territoire du Québec également.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Interventions du côté ministériel?

M. Jolin-Barrette : Oui.

Le Président (M. Bachand) : M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Alors, au-delà du retrait, là, du projet de loi, là, que vous souhaitez, au niveau de la définition même de laïcité, là, êtes-vous en accord avec le fait qu'on vienne définir clairement dans la loi que l'État et les religions, c'est séparé, que l'État doit agir d'une façon neutre, et qu'il y a une égalité de tous les citoyens, citoyennes devant la loi et qu'on garantit la liberté de religion et de conscience? Êtes-vous d'accord avec cette définition-là de la laïcité?

M. Copeman (Russell) : Oui.

M. Jolin-Barrette : O.K. Mais...

M. Copeman (Russell) : Je dis ça sans mandat mais ça me semble assez clair...

M. Jolin-Barrette : Mais c'est engageant, là, ça, par exemple.

M. Copeman (Russell) : Oui, je m'avance.

M. Jolin-Barrette : O.K. En ce qui concerne l'application aux enseignants, on a fait en sorte, dans le cadre du projet de loi, de mettre une clause de droit acquis, une clause de maintien en emploi. J'aimerais vous entendre sur... je comprends que vous ne souhaitez pas que les enseignants soient visés, mais j'aimerais quand même vous entendre sur cette disposition-là qui fait en sorte que les enseignants peuvent demeurer en poste, pour ceux qui portent des signes religieux, mais à l'intérieur de la même commission scolaire. Ils peuvent bouger de niveau mais ils doivent rester pour la même commission scolaire s'ils souhaitent conserver leurs droits acquis. Qu'est-ce que vous pensez de cela?

M. Racette (Sylvain) : Comme je représente les administrateurs des commissions scolaires, disons que, pour l'instant, à la lecture du projet de loi, ça nous semble extrêmement difficile à appliquer. Honnêtement, les directions d'école bougent, les enseignants bougent. Qui va être visé par la clause grand-père, on connaît la date, mais, exactement, qu'est-ce qui est considéré être un signe religieux, jusqu'à quel point ça va... ça nous semble très difficile à appliquer au niveau, là, des commissions scolaires en ce moment.

M. Jolin-Barrette : C'est difficile à cause de la date d'embauche?

M. Racette (Sylvain) : Bien, qu'est-ce qui est un signe religieux exactement? Qu'est-ce qu'on considère comme étant un signe religieux? À partir de quel moment on peut dire que la personne... Je sais qu'on a entendu tous les extrêmes, là, dans les considérations. On ne parle pas juste du voile. On parle de quoi? On parle des bijoux. Ça va jusqu'à quel niveau?

Puis, après ça, bien, comme je vous dis, une fois que la personne est embauchée, les gens changent d'école, les directeurs changent d'école, il y a des très grosses écoles secondaires, des fois, il y a du personnel qui se promène, professionnels qui se promènent dans plusieurs... bien, professionnels, ça ne s'applique pas, mais des enseignants, des fois, qui ont des tâches de contrat. C'est très difficile à appliquer au niveau, là, concret.

• (20 h 50) •

Le Président (M. Bachand) : En terminant, M. le ministre.

M. Jolin-Barrette : Oui. C'est difficile parce qu'il y a plusieurs écoles, mais ce que je veux dire, c'est le même employeur, c'est la même commission scolaire. Donc, au niveau de vos différents employés, vous gérez les employés même s'ils changent de classe ou ils changent d'école.

M. Racette (Sylvain) : Oui. Mais là, la direction d'école qui doit... Comment ça va fonctionner? On essaie de le visualiser, là. Les administrateurs, l'association des directeurs d'école qui était avec nous cet après-midi, nous disent : On fait quoi? On va aller voir les enseignants pour avoir ce débat-là très sensible en avant des élèves? Ça va nous tomber dessus. Le directeur général peut bien faire une politique pour forcer cette application-là, mais disons... Ça va tout à fait à l'encontre de ce qu'on apprend à tous nos élèves, qui est de ne pas stigmatiser, d'enlever les barrières, d'éviter la discrimination. On apprend ça en classe, puis, après ça, on va voir devant le personnel faire des applications contraires à ce qu'on enseigne à l'école. On trouve ça très difficile à comprendre.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Avant d'aller plus loin, j'aurais besoin d'un consentement pour ajouter huit minutes à la séance de travail de la commission. Consentement.

Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.

Mme David : Oui, bonsoir. Merci beaucoup d'être là avec nous ce soir, terminer la journée avec nous. Donc, vous faites référence à plusieurs notions sur lesquelles d'autres sont revenus effectivement.

Je vais vouloir vous entendre sur la spécificité effectivement dans vos commissions scolaires. Mais je pense que ce qui sous-tend tous vos points de désaccord, c'est le fait qu'il y a une différence entre, on pourrait dire... la laïcité individuelle versus la laïcité collective. Alors, vous dites dès le début que vous êtes tout à fait d'accord pour... et que ça fait très longtemps que les écoles sont laïques, et que l'État est séparé de la religion, et les écoles sont séparées de la religion à titre collectif, on pourrait dire.

Et là où, je pense, vous rejoignez beaucoup de gens qui sont contre l'application aux enseignants, c'est que c'est une chose de parler de laïcité de l'État, et de neutralité, et de séparation entre l'État et les individus, et puis c'en est une autre de dire : Chaque individu représentant l'État, dans le cas qui nous occupe, les enseignants, doit donc être soumis à ce principe de neutralité totale par rapport à leurs... alors, je ne pense pas me tromper en disant que vous faites une différence importante.

M. Copeman (Russell) : Mme la députée, je veux vous donner un exemple. On semble être fixé énormément sur les apparences. Hein? Qu'est-ce qu'un enseignant porte. Si je mets ma kippa sur ma tête, je suis exactement la même personne qui vous adresse des paroles depuis à peu près une demi-heure. J'ai les mêmes croyances, j'ai la même foi, j'ai les mêmes principes, j'agis de la même façon. Alors, en quoi est-ce que ma kippa sur ma tête change la situation? En quoi est-ce que ça rend, en quelque part, en quelque sorte, menaçant d'avoir un enseignant qui porte une kippa dans une école publique? Si je ne le porte pas, je répète, j'ai les mêmes approches, je suis la même personne. On ne pense pas que ça change quelque chose. On semble être fixé sur les apparences inutilement avec un projet de loi qui est superflu.

Mme David : Et donc vous faites une nette différence entre ce qui pourrait être justement l'apparence et les convictions, qui, elles, des convictions, qu'elles soient religieuses ou des convictions non visibles, mais... ou des opinions sur quelque état de situation que ce soit. Ça peut être de l'homophobie, ça peut être être pro ou antiavortement, ça peut être plein d'exemples comme ça. Ça, ce n'est pas visible, ce n'est pas ostentatoire, mais c'est, comme on dit bêtement, entre les deux oreilles plutôt que visible. Alors, vous dites : Pourquoi alors s'attaquer ou vouloir faire cette apparence alors que l'apparence ne dirait pas grand-chose de l'individu?

M. Copeman (Russell) : L'apparence n'en est pas pour grand-chose selon nous. Et là on a entendu même l'éminent sociologue M. Rocher, cet après-midi, dire que... il admettait qu'il n'existe aucune preuve que les signes religieux influencent ou peuvent avoir un effet sur les enfants qui y sont exposés. Alors, pourquoi est-ce qu'on semble déterminés à légiférer si c'est le cas?

Mme David : C'est intéressant, parce que la FAE, qui était avant vous, citait le premier ministre actuel, mais il y a à peu près 20 ans, et vous, vous citez l'ex-première ministre, Mme Marois, il y a aussi 24 ans, et en disant : Elle était, elle aussi, décidément, ministre de l'Éducation, en 1998, et vous... bon, la citation est assez longue, à la page 4, mais : «On admet ainsi que la diversité ethnoculturelle, linguistique et religieuse imprègne la société québécoise et a droit d'expression. À cet égard, l'école permet de cultiver chez les élèves l'estime de soi, le sentiment de leur identité et le sentiment d'appartenance à la société québécoise, au-delà des origines et des références identitaires.» Pouvez-vous le commenter à la lumière du projet de loi n° 21?

M. Racette (Sylvain) : Oui. Je pense que le... c'est très important, puis il faut vraiment revenir un peu là-dessus. Je faisais le commentaire un peu plus tôt. On est absolument pour la reconnaissance de l'égalité des sexes, on est absolument pour la neutralité de l'État, on est absolument contre les propos homophobes. Si ça, ça arrive, peu importe comment la personne est habillée, on intervient. Les commissions scolaires et les écoles doivent préparer les élèves pour la société dans laquelle ils vivent. On rejoint les propos de Mme Marois. On ne comprend pas, devant l'absence de preuve de problème ou d'influence sur les élèves, soit que ça les dérange d'apprendre par quelqu'un qui a des signes religieux ou soit que ça change le type de pédagogie, on ne comprend pas pourquoi on prive les élèves de cette opportunité d'apprendre là. Il y a des discussions. Nous, dans nos commissions scolaires, puis, vous n'êtes pas sans savoir, on dit tout le temps : On a des très hauts taux de réussite. Le vivre-ensemble est enseigné depuis longtemps. On a une belle cohabitation. Nos élèves apprennent d'élèves d'autres cultures et d'autres religions. On voit ça comme une force et une diversité.

Mme David : Vous dites, justement, à la page 5, qu'il n'y a eu aucune plainte dans les 20 dernières années. C'est quand même un long échantillon. Dans les 20 dernières années, une seule plainte déposée par un employé, et non résolue, concernant une demande en vue de s'absenter du travail pour des motifs religieux. Alors, selon vous, ça va beaucoup trop loin pour un problème qui serait inexistant?

M. Racette (Sylvain) : Le point est : «et non résolu». Est-ce qu'il y a des difficultés de vivre ensemble? Peut-être. Puis les difficultés de vivre ensemble peuvent venir de croyances religieuses, peuvent venir de plusieurs motifs. C'est géré dans les commissions scolaires de façon harmonieuse, sans problème. On revient encore à notre point : Pourquoi passer le message à nos élèves... Nous élèves vous voient, puis le commentaire a été fait plus tôt : Pourquoi passer le message aux élèves : il y a quelque chose de pas correct avec ça? Ça va à l'encontre de ce qu'on enseigne aux élèves.

Mme David : ...

M. Copeman (Russell) : ...Mme la députée, nous croyons que le projet de loi est une solution — projet de loi n° 21 — est une solution à la recherche d'un problème. Il n'y a pas de problème.

Mme David : Et vous dites, à la page 5, le dernier paragraphe que là on est dans l'application et dans l'applicabilité de, et vous dites que les «400 administrateurs d'école et de centres de formation et 100 administrateurs des commissions scolaires — bon — [...]ont indiqué qu'ils ne croient pas qu'ils devraient être appelés à superviser la loi, qualifiant son application comme étant de "mauvais goût"».

Donc, si on suit ce que le ministre dit, la plus haute autorité compétente, est-ce que ça serait ces gens-là? Et, le cas échéant, comment vous vous attendez qu'ils vont gérer ça ou qu'ils vont se...

M. Copeman (Russell) : Bien, quand l'association des administrateurs des écoles anglophones du Québec nous indique qu'ils voient mal comment ils vont surveiller la loi, comment ils vont faire appliquer la loi, il nous semble, la direction de l'école est le premier... un des responsables, possiblement la commission scolaire également. Mais, quand les administrateurs, les directions d'école nous indiquent formellement qu'ils voient mal comment ils vont appliquer la loi... et on prend ça à coeur.

Mme David : O.K. Alors, on va laisser la parole au député de D'Arcy-McGee, si ça vous convient.

Le Président (M. Bachand) : Alors, avec le consentement des membres, M. le député de D'Arcy-McGee. Consentement? M. le député, s'il vous plaît.

• (21 heures) •

M. Birnbaum : Merci, M. le Président. MM. Copeman et Lamoureux, Racette, et Me Ravon, bienvenue à l'Assemblée nationale.

Écoutez, moi, j'ai eu une visite, il y a à peu près un mois, d'un enseignant qui porte la kippa dans une école française publique sur l'île de Montréal. J'ai été attristé d'entendre qu'il ne voulait pas me donner son nom. Il trouvait le climat engendré par le débat actuel... ne le rendait pas à l'aise à le faire. C'est son constat, pas nécessairement le mien. Mais qu'on se rappelle qu'on parle de nos enfants, et comment ils subiraient ce changement si c'était instauré. Et ce monsieur m'a parlé, c'est un prof du primaire, il m'a parlé de l'émerveillement de ses élèves. Ils lui posaient des questions : Ça signifie quoi, le taleth? Ça signifie quoi dans votre religion? Comment ça marche? Et, deux minutes après, il leur posait des questions sur la science parce que c'est un prof hors pair en science, mais c'était son rôle. Il m'a parlé avec tristesse et il avait l'air d'un prof formidable, donc, probablement, le directeur général de la commission scolaire va avoir son oeil là-dessus pour songer à l'inviter à être directeur d'école un jour. Et ce monsieur a constaté comme il faut que... ne se présenterait pas, advenant l'adoption de ce projet de loi.

Écoutez, moi, j'ai eu l'honneur d'occuper le poste actuel de M. Copeman pour 10 ans, en étant directeur général de... ancien de l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec. Et, au fil de ces années, je n'ai jamais entendu le moindre, le moindre grief au sein des profs, au sein des directions d'école, au sein des parents sur ce genre de question là, même les questions plus élargies dont on ne parle pas assez, l'accommodement raisonnable, et le mot «raisonnable» s'impose. Des fois, il y a des accommodations à faire. Mais jamais, mais jamais est-ce que je n'aurai entendu la moindre difficulté. Et ce que j'ai entendu souvent, c'était que le Programme de formation à l'école québécoise nous exigeait de parler de notre diversité au sein du Québec. Et ce programme, un des éléments qui était pris et toujours pris à coeur par les quelque 350 écoles anglaises du Québec, c'est leur responsabilité d'accompagner leurs jeunes à maîtriser la langue commune du Québec, le français. Alors, on parle des écoles qui sont impliquées dans l'épanouissement collectif du Québec.

Alors, je vous invite, dans le peu de temps qu'il reste, d'essayer de comprendre pourquoi on est devant cette loi-là, ce projet de loi là, et peut-être de répondre brièvement à la suggestion qu'il y a une majorité de Québécoises et de Québécois qui sont à l'aise avec cette loi-là. Est-ce qu'on a une justification là qui vous convient?

Le Président (M. Bachand) : Très, très, très, rapidement, parce que le temps est déjà dépassé.

M. Copeman (Russell) : Oui. Bien, nous croyons que le projet de loi va à l'encontre effectivement, là, du programme de formation des écoles québécoises. Ça ne reflète pas les valeurs qu'on est demandés à enseigner.

Deuxièmement, il me semble, M. le député, que légiférer pour suspendre des droits individuels ne devrait pas se faire, selon des sondages.

Le Président (M. Bachand) : O.K. Merci. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Je vous remercie, M. le Président. Merci beaucoup pour votre présence ici. Je vous avoue, j'ai, bien, ressenti une certaine tristesse aujourd'hui, pas par rapport à votre opposition au projet de loi n° 21, que je partage évidemment, mais par rapport aux arguments invoqués pour s'y soustraire. Et on en est rendus, avec ce projet de loi, à cause de ce projet de loi là, ici, à opposer la souveraineté du Québec aux protections des droits de la personne, et c'est ça qui m'attriste. Oui, c'est ce qu'on remet en cause, quand on dit que le Québec ne peut pas légiférer dans les commissions anglophones, on est en train de dire que le Canada ne permet pas ça, etc. On est en train de créer des conflits constitutionnels autour d'un enjeu de droits et libertés de la personne, et ça, ça me rend triste. Je voudrais, moi, qu'on puisse concilier les deux, la souveraineté, pas juste de la province de Québec, mais la souveraineté du pays du Québec, la souveraineté pleine et entière, avec la protection des droits de la personne.

Mais, en attendant — on n'est pas rendus là — je voudrais vous entendre sur une question importante : Quelle est, selon vous, là, la conséquence réelle que vous constatez sur le terrain, pour un enfant, de voir des enseignants avec des signes religieux? Vous en avez parlé un peu. Mais est-ce qu'il y a un risque de conversion ou est-ce que c'est autre chose que vous voyez? Qu'est-ce que vous voyez avec votre regard terrain sur les conséquences des signes religieux portés par les corps enseignants?

M. Racette (Sylvain) : Moi, je reviens au point que j'ai fait un peu plus tôt. Nous, on voit une formidable opportunité d'apprendre. Ça fait partie du programme d'école québécois, c'est un bel exemple de diversité et ça donne une belle occasion d'en parler. Alors, un peu comme le député de D'Arcy-McGee disait plus tôt, ça ouvre aussi la discussion. Encore une fois, s'il y a du prosélytisme, s'il y a des propos déplacés, on intervient. Mais, dans la majorité des cas, dans la totalité des cas — parce que ça ne vient pas à mes oreilles, ça ne vient pas à nos oreilles — c'est une opportunité d'apprendre. Alors, c'est comme ça en ce moment, c'est ce que c'est.

On revient encore à la même question. Vous étiez attristé, là, du fait que la souveraineté s'oppose un peu... puis vous demandiez comment est-ce qu'on pourrait rallier... Je pense que ça prend un projet mobilisateur. Vous entendez les représentants des commissions scolaires venir vous dire, un après l'autre — j'ai vu, on a vu la FAE juste avant — venir vous dire : Vous faites fausse route avec cet aspect-là du projet de loi, c'est un... Vous faites fausse route.

Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le député de Matane-Matapédia, s'il vous plaît.

M. Bérubé : Merci, M. le Président. Bienvenue à l'Assemblée nationale. Au Parti québécois, on a des convictions, et on les assume, puis on ne fait pas de distinction. Alors, les enseignants sont des personnes en autorité. Quant à nous, la loi devrait s'appliquer au public comme au privé, chez les francophones comme chez les anglophones. Ça, c'est un principe sacré. Vous habitez sur le territoire du Québec, les lois s'appliquent à vous où que vous soyez. Alors, notre souhait... Je suis heureux que le gouvernement ait considéré les enseignants, c'est notre position également. Il a fait le choix de ne pas considérer le privé, je vous annonce que ça va être de plus en plus intenable pour lui, ça ne tient pas la route. La liberté de conscience, c'est pour tout le monde.

Mais j'ajoute que je suis également déçu comme le ministre de la réaction annoncée de votre regroupement sur deux choses.

D'abord, la loi ne s'appliquerait pas à vous. Bien, l'arrêt Mahe, la décision Mahe est davantage sur les droits linguistiques que sur les signes religieux, quand on la relit comme il faut. Vous pourrez le tester, mais il m'apparaît que les lois québécoises devraient s'appliquer partout. D'ailleurs, si on s'était fiés à chaque fois qu'un groupe était venu s'opposer sur les pièces législatives importantes, il y a bien des lois qu'on n'aurait pas adoptées. La communauté anglophone s'était opposée massivement à la loi 101, je pense qu'on a bien fait de l'adopter pareil.

Ensuite, j'ai quand même entendu quelque chose de grave, que la loi ne s'appliquerait pas. Et là je suis totalement en accord avec le ministre là-dessus : à partir du moment où la loi sera sanctionnée, elle doit s'appliquer.

Ma question à mon tour : Allez-vous l'appliquer? Allez-vous encourager à l'appliquer? Parce que, si c'est les commissions scolaires qui prennent une décision, vous allez certainement en faire une recommandation. Voici ma question.

M. Copeman (Russell) : M. le député, moi, je me trouve difficilement recommander à un corps public de ne pas respecter la loi. Mais ce n'est pas notre rôle. Les commissions scolaires sont élues... sont gérées par des conseils de commissaires dûment élus par la population. Cette question-là revient à eux.

M. Bérubé : D'accord. M. le Président, je ne suis pas membre de ce gouvernement. J'ai des divergences importantes avec ce gouvernement sur plein d'enjeux fondamentaux : sur l'avenir du Québec, sur cette loi, sur plusieurs façons de voir le Québec. Mais il y a quelque chose de fondamental, et vous avez été parlementaire comme moi : lorsque la loi sera votée, qu'importe ce qu'on aura voté, c'est important qu'elle puisse s'appliquer, et nul ne saurait ignorer cette loi qui serait adoptée. Et je vous invite fortement à corriger cette impression répandue chez les personnes qui suivent ce projet de loi à l'effet que vous pourriez, les commissions scolaires — vous pourrez leur... Je suis convaincu qu'elles suivent ce débat-là. Alors, je m'adresse à elles à travers vous, je les invite fortement à respecter la loi. Ce n'est que la normalité, et je suis convaincu qu'elles sauront l'entendre. Si ce n'était pas le cas, je pense qu'elles se placent dans une position qui va être difficile. Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. C'est tout le temps qu'on a. Je voudrais juste...

M. Copeman (Russell) : ...ni la dernière que je déçois...

Le Président (M. Bachand) : Je veux juste... S'il vous plaît!

Une voix : ...

Le Président (M. Bachand) : Alors, on a... S'il vous plaît! C'est tout le temps qu'on a. Je vous remercie beaucoup pour les travaux... votre contribution aux travaux.

Et nous allons ajourner les... la commission ajourne ses travaux. Merci beaucoup.

(Fin de la séance à 21 h 10)

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