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(Vingt et une heures quatre minutes)
Le Président (M. Gobé): Veuillez prendre place. La
commission de la culture va maintenant entamer ses travaux. Mesdames et
messieurs, s'il vous plaît, les huissiers ferment les portes. À
l'ordre! Alors, les parlementaires étant présents et le quorum
étant établi, je déclare la commission ouverte. Je vous
rappellerai brièvement le mandat de notre commission, ce soir, qui est
de procéder à l'étude des crédits
budgétaires du ministère des Communications - c'a
été fait cet après-midi - et des organismes relevant du
ministre responsable de l'application de la Charte de la langue
française pour l'année financière 1992-1993 - ça va
être ce soir. Nous avons donc une heure, de 21 heures à 22 heures,
et trois heures à partir de demain matin. M. le secrétaire, les
remplacements ont été faits cet après-midi. C'est donc les
mêmes personnes. Je demanderai maintenant à M. le ministre
responsable de l'application de la Charte de la langue française de bien
vouloir faire des remarques préliminaires, s'il y a lieu.
Est-ce qu'on pourrait fermer la porte en arrière, s'il vous
plaît? Alors, M. le ministre, vous avez la parole.
M. Ryan: M. le Président...
Le Président (M. Gobé): M. le ministre.
M. Ryan: ...selon l'habitude, j'ai préparé un
message qui fait le tour du sujet.
Le Président (M. Gobé): Parlant de message, vous
vous êtes entouré de personnes.
M. Ryan: Pardon?
Le Président (M. Gobé): Est-ce que vous pourriez
présenter, pour les membres de la commission, les personnes qui vous
entourent?
M. Ryan: oui. je suis entouré... je vais commencer
à ma gauche, mme la présidente de la commission de protection de
la langue française, mme de fougerolles.
Le Président (M. Gobé): Bonjour, madame.
M. Ryan: À droite, M. Jean-Claude Rondeau,
président-directeur général de l'Office de la langue
française; à la droite de M. Rondeau, M. Pierre-Etienne Laporte,
président du Conseil de la langue française; juste en
arrière, M. Rémi Mayrand, président de la Commission de
topony- mie. Je voudrais présenter également le responsable du
Secrétariat à la politique linguistique, M. Guy Dumas.
Le Président (M. Gobé): Merci, M. le ministre.
M. Ryan: Selon les usages, M. le Président, je vais donner
communication...
Le Président (M. Gobé): Vous avez un certain nombre
de temps pour faire vos remarques préliminaires et nous sommes
prêts à vous écouter maintenant.
M. Ryan: Merci. J'apprécie.
Le Président (M. Gobé): Oui, Mme la
députée.
Mme Blackburn: Est-ce qu'on établit un mode de
fonctionnement qui nous permettra de connaître un peu à l'avance
combien le ministre prendra de minutes pour son exposé?
Le Président (M. Gobé): Oui. Je pense que,
généralement...
Mme Blackburn: II va nous le dire, j'imagine.
M. Ryan: C'est à peu près entre 30 et 40
minutes.
Mme Blackburn: Ça veut dire le temps de finir la
soirée.
Le Président (M. Gobé): Je pense, Mme la
députée, que c'est à la présidence qu'il appartient
de répartir le temps.
Mme Blackburn: Je n'ai pas d'objection.
Le Président (M. Gobé): Si M. le ministre
m'indique qu'il a 40 minutes, c'est évident que vous aurez, vous aussi,
le même temps pour faire... Le temps est partagé à peu
près 50-50, traditionnellement, dans les commissions.
Mme Blackburn: M. le Président, vous n'avez pas compris
les règles du jeu. Lui, il a intérêt à parler
longtemps et, moi, à questionner souvent.
Le Président (M. Gobé): Mme la
députée, la présidence n'a pas à ne pas comprendre,
mais plutôt à appliquer les règles. Je pense que la
tradition est qu'en général c'est 50-50 entre les deux
formations politiques. Si M. le ministre responsable de l'application de la
Charte de la langue française décide ou juge opportun de prendre
40 minutes de son temps pour nous faire part de son message, je pense que nous
allons l'écouter. Par la suite, le même temps vous sera imparti,
jusqu'à épuisement total de l'enveloppe. M. le ministre. (21 h
10)
M. Holden: Et les indépendants, M. le
Président?
Le Président (M. Gobé): Soyez assuré, M. le
député de Westmount, que les droits des indépendants
seront, eux aussi, respectés. Avec le consentement des membres de cette
commission...
M. Holden: On n'a pas besoin de consentement, M. le
Président.
Le Président (M. Gobé): ...nous verrons, M. le
député...
M. Holden: On a des droits aussi.
Le Président (M. Gobé): M. le député
de Richelieu... Nous verrons à respecter vos droits et à vous
donner les droits de parole qui seront nécessaires à l'expression
de vos opinions et de vos idées. M. le ministre responsable de
l'application de la Charte de la langue française, vous avez maintenant
la parole.
Remarques préliminaires M. Claude Ryan
M. Ryan: Merci, M. le Président. Alors, l'année
1991-1992 fut relativement paisible sur le plan linguistique. La publication,
au début de l'année, de la première édition
annuelle des indicateurs de la situation linguistique au Québec permit
d'entrevoir d'une manière plus sereine les tendances récentes et
les perspectives d'avenir de la situation linguistique. Les données
réunies dans les indicateurs démontraient clairement:
premièrement, une nette consolidation de la position relative des
francophones dans la population québécoise, et ce, tant sous
l'angle de la langue maternelle que de la langue d'usage; deuxièmement,
une progression significative du français comme langue connue et
parlée par les citoyens de langue anglaise et les citoyens allophones;
troisièmement, un net renforcement des inscriptions dans les
écoles primaires et secondaires de langue française;
quatrièmement, une préférence croissante des
étudiants allophones de niveaux collégial et universitaire pour
des établissements francophones, cinquièmement, une nette
montée des francophones dans la propriété des entreprises
et dans les postes de commande au sein des entreprises; sixièmement, une
augmentation significative de la part des revenus de travail obtenue par les
francophones; septièmement, une augmentation de la proportion des noms
de lieux en langue française sur le territoire québécois
et, huitièmement, un net accroissement de la place du français
dans les entreprises, principalement attribuable aux programmes mis en oeuvre
par l'Office de la langue française.
D'autres données également contenues dans les indicateurs
interdisaient, certes, toute complaisance. C'était le cas, notamment,
des statistiques relatives au déclin de la fécondité chez
les francophones et à la faiblesse relative du pouvoir
intégrateur de la communauté francophone à l'endroit des
immigrants. Tout compte fait, le tableau était néanmoins
très encourageant. Il invitait surtout à poursuivre, dans un
esprit de continuité, le travail patient mais essentiel
d'édification entrepris depuis quelques années.
De nouveau, en 1991-1992, l'action du gouvernement en matière
linguistique s'est surtout déployée à travers les
organismes institués à cette fin par le législateur, soit
l'Office de la langue française, la Commission de protection de la
langue française, la Commission de toponymie et le Conseil de la langue
française. Assistés et soutenus par le Secrétariat
à la politique linguistique, ces organismes ont accompli, en 1991-1992,
un excellent travail. Chacun a soumis pour 1992-1993 des perspectives d'action
qui s'inscrivent sous le signe de la continuité. Nous verrons
brièvement, pour chaque organisme, les faits saillants de la
dernière année et les principaux objectifs entrevus pour
1992-1993.
Parmi les organismes créés en vertu de la Charte, l'Office
de la langue française est celui qui se voit attribuer la part la plus
importante des crédits annuels. Les crédits accordés au
titre de la Charte sont de 28 460 000 $ pour 1992-1993, soit une augmentation
de 5,5 % par rapport aux dépenses probables de 1991-1992. De ce montant,
une somme de 19 503 000 $, soit 68,5 % du budget total, est
réservée à l'Office. Ces chiffres confirment l'importance
que le gouvernement attache au rôle majeur de maître d'oeuvre de la
politique linguistique que s'est vu confier l'Office. Selon la Charte, l'Office
a été institué «pour définir et conduire la
politique québécoise en matière de recherche linguistique
et de terminologie et pour veiller à ce que le français devienne
le plus tôt possible la langue des communications, du travail, du
commerce et des affaires dans l'administration et les entreprises.» Ce
mandat confère à l'Office, dans la famille des organismes
gouvernementaux à vocation linguistique, une prééminence
incontestée au plan de l'action. L'action de l'Office s'exerce
principalement autour de deux objectifs majeurs, soit la francisation des
entreprises et des milieux de travail et la promotion d'usages terminologiques
conformes aux meilleures normes en la matière.
Au plan de la francisation des entreprises, l'action de l'Office se
déploie à l'aide de divers programmes dont certains remontent aux
débuts de l'Office et dont d'autres sont plus récents. Les
programmes les plus connus de l'Office ont trait à la francisation des
entreprises. Suivant la Charte, toutes les entreprises employant 50 personnes
ou plus doivent normalement posséder un certificat de l'Office attestant
qu'elles appliquent un programme de francisation approuvé par celui-ci
ou que le français y possède le statut que les programmes de
francisation ont pour objet d'assurer. À défaut d'un tel
certificat, l'entreprise doit se doter d'un programme de francisation
également soumis à l'approbation de l'Office.
Au cours de l'année 1991-1992, l'Office a délivré
253 certificats de francisation, soit 9 de plus que l'année
précédente. Au 31 mars 1992, sur 4276 entreprises employant plus
de 50 personnes, 3237, soit 75 %, étaient munies d'un certificat de
francisation, contre 73,5 % l'année précédente. Le taux de
certification est plus élevé dans les petites et moyennes
entreprises comptant entre 50 et 99 employés, taux de 82.3 %, que dans
les entreprises comptant plus de 100 employés où le taux de
certification est de 66.4 %. en outre, le taux de certification est très
élevé dans certains secteurs, notamment les assurances, le
bâtiment et les travaux publics, l'industrie du bois, les services
personnels, l'ameublement et la bonneterie, et plus faible dans d'autres
secteurs, notamment le matériel électrique, le matériel et
les équipements de transport, les produits métalliques, les
produits en matière plastique, les produits chimiques, l'habillement, la
transformation des métaux. à la lumière de ces
données, on comprendra facilement l'attention que l'office entend
apporter au cours de la prochaine année aux secteurs où la
certification bat de l'aile. une importance spéciale sera
accordée au secteur du matériel électrique et à
celui de l'aéronautique.
Au 31 mars 1992, 623 entreprises avaient en cours d'application un
programme de francisation visant à les qualifier en vue du certificat.
Grâce à des instruments de mesure mis au point ces
dernières années, l'Office peut désormais évaluer
le rythme de progression de ces programmes. Même si le taux d'avancement
des programmes a été relativement élevé au cours de
la dernière année, 80,6 % dans les grandes entreprises et 83,6 %
dans les petites et moyennes entreprises, l'Office vise à faire
augmenter ce rythme de 5 % à 10 % dans les secteurs prioritaires au
cours de la prochaine année.
Jusqu'en 1988, l'Office décernait des certificats de francisation
aux entreprises mais n'était guère équipé pour
assurer le suivi de l'action. Depuis 1988, un programme de reprise de contact
avec les entreprises munies d'un certificat de francisation a été
institué. Dans le cadre de ce programme, plus de 400 rencontres ont eu
lieu au cours de la dernière année avec des entreprises. Ces
rencontres ont permis d'établir que, de manière
générale, la situation du français s'est maintenue, voire
souvent améliorée dans les entreprises visitées. Les
visiteurs de l'Office ont toutefois constaté que, dans un certain nombre
d'entreprises, il y a eu relâchement au chapitre de l'informatique et du
fonctionnement des comités de francisation.
Depuis le début du programme, environ 80 % des 1182 entreprises
certifiées comptant plus de 100 employés ont été
visitées; environ 40 % des 2055 entreprises comptant entre 50 et 99
personnes ont également été rencontrées. L'Office
compte prendre contact avec quelque 500 entreprises additionnelles en
1992-1993. La priorité sera accordée aux entreprises oeuvrant
dans les secteurs où la francisation s'avère la plus ardue et aux
entreprises dont le certificat fut octroyé il y a plus de trois ans.
Dans la même veine, un programme de visites a été
conçu à l'intention des quelque 18 500 entreprises employant de
10 à 49 personnes que l'on trouve au Québec. Depuis le
début du programme en 1989, plus de 2200 entreprises de cette
catégorie ont été visitées. L'Office compte que
plus de 700 entreprises additionnelles seront rencontrées en 1992-1993.
Les visites des représentants de l'Office ont permis d'apporter des
améliorations dans les raisons sociales, l'affichage, les
systèmes informatiques, etc. La réaction des entreprises
visitées a été très généralement
favorable. À l'intention des entreprises employant moins de 50
personnes, il convient de rappeler que, si elles ne sont pas tenues de
requérir le certificat de francisation, elles doivent néanmoins
observer les exigences de la Charte concernant la langue du commerce, la langue
des affaires et la langue du travail. En matière de francisation des
organismes de l'administration, 113 certificats de conformité ont
été émis; en conséquence, 3635 des 3766 organismes
que compte l'administration publique sont désormais certifiés,
soit un pourcentage de 96,5 %. (21 h 20)
Au chapitre de la francisation des entreprises et des milieux de
travail, mentionnons, parmi les autres initiatives de l'Office: le Programme de
soutien financier à la promotion du français dans les
entreprises, qui a de nouveau produit des résultats intéressants
l'an dernier et qui sera reconduit en 1992-1993; le Programme de soutien
à l'action des centrales syndicales en matière linguistique,
lequel a été reconduit pour l'année 1992-1993, et diverses
rencontres et démarches visant à promouvoir des initiatives de
francisation, tantôt à l'échelle d'un secteur
spécialisé de l'économie, tantôt à
l'échelle d'une région.
Conformément au mandat que lui a confié le
législateur, l'Office assume également, depuis sa fondation, un
rôle de leadership majeur au plan
de la terminologie. L'Office s'est doté d'une banque de
terminologie dont l'objet est de centraliser et de diffuser la terminologie
nécessaire à la francisation de l'ensemble des secteurs
d'activité au Québec. Ce système d'information prend la
forme d'un vaste fichier informatisé de termes français et
anglais, lequel compte plus de 2 000 000 de termes et plus de 45 000
références à des ouvrages technologiques. La banque est
utilisée par 609 abonnés provenant de l'administration publique,
des cabinets privés de traduction, de l'entreprise privée et des
établissements d'enseignement. L'Office a enregistré une
augmentation importante des demandes d'assistance en 1991-1992. Il
prévoit une hausse sensible du nombre d'abonnés en 1992-1993. En
1991-1992, la banque de terminologie s'est enrichie de 10 000 nouvelles fiches
linguistiques et terminologiques et de 2100 nouvelles fiches documentaires. En
outre, 45 000 fiches terminologiques existantes ont été mises
à jour. De nouveaux enrichissements sont prévus dans plus de 30
domaines différents en 1992-1993.
En guise de soutien au travail de francisation dans les entreprises,
l'Office offre des services de production d'instruments d'implantation
terminologique dans les divers secteurs de l'activité économique.
En 1991-1992, 19 jeux d'outils d'implantation ont été
réalisés dans les secteurs suivants: mécanisme des
fluides, organes d'assemblage, robinetterie industrielle, plastique, textile,
fruiterie, légumes et français administratif. Des manuscrits
embrassant 16 autres secteurs ont été déposés pour
publication. Au cours du présent exercice, de nouveaux outils
d'implantation terminologique seront préparés dans les domaines
suivants: industrie du plastique, mécanique des fluides,
véhicules du transport routier, chariot élévateur, outils
d'assemblage, mécatroni-que automobile. En plus, 12 nouveaux projets de
lexiques, vocabulaires ou guides seront mis en chantier dans les secteurs de la
sécurité informatique, de la micro-informatique, du dessin
assisté par ordinateur, du génie mécanique, des pompes et
notions essentielles, des convoyeurs, des engins de levage, de la
réfrigération, des conventions collectives et du français
au bureau. L'Office offre enfin aux entreprises, aux organes de
l'administration publique et aux milieux intéressés un service de
consultations linguistiques et terminologiques auquel sont affectés en
permanence une quinzaine de terminologues. Au cours de la dernière
année, ce service a donné lieu à quelque 103 000
consultations, auxquelles sont venues s'ajouter quelque 100 000 consultations
additionnelles directement adressées au service
téléphonique et d'information entièrement
informatisé, accessible 24 heures par jour, qui a été
installé à Montréal, d'abord, en 1991, implanté
ensuite à Québec en mars 1992 et qui sera rendu disponible dans
toutes les régions à compter de la présente
année.
Parmi les autres sujets qui relèvent de la compétence de
l'Office, on ne saurait omettre ceux qui se rattachent à l'article 113f
de la Charte. Cet article permet à l'Office de reconnaître
certains organismes publics et parapublics, dans les secteurs de la
santé, de l'éducation et des affaires municipales, dont les
services sont offerts à une clientèle parlant majoritairement une
langue autre que le français. Sans conférer à ces
organismes un statut officiellement bilingue, la reconnaissance prévue
à l'article 113f leur permet de se doter d'une dénomination
bilingue, d'afficher à la fois en français et dans une autre
langue, sujet à la prédominance de l'affichage en
français, et d'utiliser à la fois le français et une autre
langue dans leurs communications internes et dans leurs communications avec
d'autres organismes jouissant du même statut d'exception. Ces organismes
doivent, en retour de cette reconnaissance, mettre au point un programme
garantissant la disponibilité de leurs services dans la langue
officielle. Ce programme est sujet à l'approbation de l'Office. Au 31
mars 1992, 228 organismes détenaient une reconnaissance de l'Office en
vertu de l'article 113f. Parmi ces organismes, on dénombrait 108
municipalités, 90 organismes du secteur de la santé et des
affaires sociales et 30 organismes scolaires. À la même date, 91 %
de ces organismes avaient soumis un plan de services dans la langue officielle
approuvé par l'Office. Deux organismes de l'administration ont
été reconnus par l'Office en vertu de l'article 113f en
1991-1992. Il s'agit de l'école Saint-Victor de la commission scolaire
Les Écores et du CLSC Côte-des-Neiges.
La Commission de protection de la langue française.
Instituée pour traiter des questions se rapportant au défaut de
respect de la Charte, la Commission de protection de la langue française
s'est surtout fait connaître par les dossiers dont elle a
été saisie au cours des dernières années en
matière d'affichage public. De fait, ces dossiers représentent
plus des deux tiers des plaintes dont est saisie la Commission. Mais la
Commission est également saisie de plaintes concernant les droits
linguistiques fondamentaux, la langue de l'administration, la langue des
catalogues et dépliants, la langue des raisons sociales, des contrats,
des factures et reçus, etc.
Sur les 3380 demandes d'enquête reçues en 1991-1992, 590
furent jugées irrecevables, 28 furent rejetées parce qu'elles
émanaient de sources anonymes et 115 donnèrent lieu à une
préenquête. Il restait ainsi 2647 demandes d'enquête qu'on
peut qualifier de réelles, lesquelles ont donné lieu à
l'ouverture de 2475 dossiers d'enquête, 172 autres demandes se rattachant
à des dossiers déjà ouverts. Sur les 2475 dossiers ainsi
ouverts, 1607 ont été résolus et fermés pendant
l'année, c'est-à-dire les deux tiers; 868 étaient toujours
en traitement à la fin du dernier exercice budgétaire; à
ce nombre venaient s'ajouter 240 dossiers en provenance
d'années antérieures et toujours en traitement, pour un
total de 1160 dossiers actifs à la clôture de l'exercice. Au cours
de la dernière année, la Commission de protection a transmis au
Procureur général 16 dossiers portant sur des violations de la
Charte relatives à l'affichage. Il y a eu 14 poursuites pénales;
2 dossiers demeurent à l'étude. Treize sentences pénales
ont été rendues en 1991-1992, dont 12 sentences assorties
d'amende.
En matière d'affichage commercial, la Commission de protection a
effectué, au début de février 1992, un relevé de la
langue des affiches commerciales sur les artères suivantes de la
région métropolitaine: rue Sainte-Catherine ouest, boulevard
Saint-Jean - ça, c'est du côté de West Island - chemin
Chambly sur la rive sud du Saint-Laurent, avenue Sherbrooke ouest, boulevard
Taschereau, boulevard des Laurentides, avenue Monkland, rue Saint-Hubert et
avenue Jean-Talon ouest.
Ce relevé, comprenant 22 683 affiches réparties dans 3924
établissements de la région métropolitaine, a permis de
constater un taux de conformité de 96,05 % dans les affiches permanentes
et de 96,2 % dans les affiches temporaires. Un relevé semblable a
été effectué dans quatre autres secteurs urbains du
Québec, soit à Chicoutimi, parce qu'on voulait assurer la paix
d'âme de la députée de Chicoutimi...
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Ryan: ...à Hull, à Trois-Rivières et
à Québec. Ce relevé de 10 401 affiches rencontrées
dans 1921 établissements a permis de constater des taux de
conformité allant de 97,3 % à Hull à 100 % à
Chicoutimi dans ces centres.
Mme Blackburn: II y en a une! Ha, ha, ha!
Une voix:...
M. Ryan: Depuis quelques années, la Commission... Par
conséquent, si vous faites des dépenses de déplacement de
ce côté-là, Mme la Présidente, on vous
réprimandera.
La Présidente (Mme Hovington): C'est ça.
M. Ryan: Depuis quelques années, la Commission de
protection met l'accent, dans son travail, sur le soutien éducatif. La
direction de la Commission insiste auprès de son personnel pour qu'il
adopte une approche constructive plutôt que rigidement légaliste.
Cette méthode a permis d'éviter, dans de nombreux cas, des
affrontements stériles et coûteux. Elle a également permis
de régler de façon civilisée des situations non conformes
à la loi. (21 h 30)
Toujours au chapitre de l'affichage, une décision devra
être prise d'ici décembre 1993 concernant le renouvellement de la
clause de dérogation inscrite dans la loi 178 adoptée en
décembre 1988 par l'Assemblée nationale. Le gouvernement
préparera ce rendez-vous en procédant à diverses
consultations et études sur l'impact de la législation
adoptée en 1988. Le Conseil de la langue française sera
invité, au cours des prochains mois, à soumettre un avis à
ce sujet. Le gouvernement sera à l'écoute de tous les avis qu'on
voudra lui soumettre en cette matière.
La Commission de toponymie. Ainsi que le soulignait le président
de la Commission dans une allocution récente, «la nomenclature
géographique d'un pays est, en somme, un grand livre d'histoire et
d'aventures» pour celui qui veut partir à la découverte...
Les noms de lieux sont bien davantage que des points de repère sur des
cartes géographiques. Ils sont des moyens de communication, des
éléments de patrimoine qui, avec le temps, s'inscrivent au plus
profond de la mémoire collective».
Le rôle de la Commission de toponymie consiste à
inventorier les normes géographiques en usage sur le territoire du
Québec et à les officialiser. En date du 31 mars 1992, la
Commission avait inventorié et officialisé 154 713 noms de lieux,
dont 120 000 en langue française, 16 865 en langue anglaise, 8160 en
langues amérindiennes, 2492 en langue inuktitut et 7139 en d'autres
langues ou sans identification linguistique. Au cours de la dernière
année, la Commission de toponymie a officialisé 5532 noms de
lieux, dont 1558 toponymes et 3934 odonymes. Les décisions ont surtout
porté sur des noms de lacs, de ponts, de parcs municipaux,
d'équipements d'Hydro-Québec. Des dossiers municipaux importants
ont été résolus à Saint-Jérôme,
Sherbrooke, Gatineau et La Prairie.
Dans le plan d'action qu'elle a soumis pour 1992-1993, la Commission de
toponymie entend poursuivre l'examen des quelque 85 000 toponymes et des
quelque 30 000 odonymes qui n'ont pas encore été traités,
tandis que des centaines de milliers de lieux restent innomés. La
Commission sera appelée à étudier de nombreux dossiers
concernant les voies de communication, HydroQuébec, des immeubles
classés comme biens culturels, des ponts, des lacs, etc. Elle sera
également appelée à identifier des lieux dépourvus
de nom et à constituer à cette fin une banque de noms. Les noms
de voies municipales et de lieux dans les pourvoiries seront l'objet d'une
attention particulière. La Commission de toponymie entend
également poursuivre, en 1992-1993, son projet de publication d'un
dictionnaire illustré des noms de lieux du Québec. Ce projet est
très avancé, la presque totalité des quelque 6000
rubriques que contiendra le dictionnaire étant maintenant
complétée. La publication du dictionnaire sera assurée par
Les Publications du Québec. Elle est souhaitée pour juin
1993.
Le Conseil de la langue française a livré,
en 1991-1992, un avis important sur la place du français dans
l'activité scientifique et technique, lequel a eu le mérite de
présenter, dans une perspective réaliste, les données
relatives à ce dossier. Il a aussi livré deux avis sur des
projets de règlement de l'Office traitant de la langue du commerce et
des affaires et de la francisation des entreprises. Nonobstant la pertinence de
ces deux derniers avis, lesquels favorisaient l'implantation des
règlements projetés, le gouvernement a décidé de
reporter sa décision à plus tard concernant ces dossiers. Il a
été jugé que le gouvernement sera mieux en mesure d'agir
sur ces dossiers lorsque aura été prise la décision
attendue en 1993 concernant l'avenir de la clause dérogatoire inscrite
dans la loi 178.
Au cours de la prochaine année, plusieurs travaux de recherche
entrepris sous la responsabilité du Conseil de la langue
française devraient donner lieu à des publications. La liste des
projets en cours de réalisation compte des projets sur les comportements
linguistiques des immigrants, sur les jeunes anglophones et le fait
français, sur le français langue de travail, sur la
mobilité linguistique au Québec, sur l'aspect linguistique de la
mondialisation des échanges économiques, sur l'usage du
français dans l'informatique.
Le Conseil s'est en outre entouré de deux comités
chargés de mandats spéciaux en vue du présent exercice. Un
premier comité se penchera sur le phénomène de
l'immigration examiné dans ses implications pour l'avenir culturel et
linguistique du Québec. Un second comité étudiera la
politique et les responsabilités du Québec à l'endroit des
communautés francophones et aca-diennes du Canada. Ce dernier
comité aura pour mandat: a) d'étudier les liens que le
Québec a entretenus et entretient avec la francophonie des autres
provinces et territoires canadiens; b) d'étudier l'impact des
initiatives québécoises sur la vitalité du
français; c) de proposer des actions à mettre en oeuvre pour
promouvoir la vitalité du français au Québec et dans les
communautés francophones.
En plus de l'avis que je compte demander au Conseil sur l'avenir de la
clause dérogatoire contenue dans la loi 178, j'ai indiqué au
Conseil qu'il m'intéresserait de recevoir un avis sur l'apprentissage du
français langue seconde au Québec et, de manière plus
large, sur l'apport du Québec au progrès des connaissances en
matière d'apprentissage des langues secondes.
Le Secrétariat à la politique linguistique.
Créé pour seconder le ministre dans son action auprès des
organismes chargés de l'application de la Charte, le Secrétariat
à la politique linguistique s'inscrit nettement dans un rôle de
soutien et de coordination auprès des organismes. Il assure avec
souplesse et doigté la liaison entre les organismes et le ministre,
d'une part, et entre les organismes et l'administration gouver- nementale,
d'autre part.
Le Secrétariat dispose d'un modeste budget pour assurer la
promotion linguistique dans divers secteurs de la vie collective. Au cours de
la dernière année, les ressources du Secrétariat ont servi
à: favoriser des achats d'équipements informatiques à
l'OLF, à la Commission de toponymie et au Conseil de la langue
française; favoriser la réalisation d'événements
consacrés à la promotion du français; implanter un
programme de perfectionnement du français à l'intention des
membres des communautés culturelles oeuvrant au sein de la fonction
publique; faciliter la participation des organismes de la langue à la
réalisation de projets reliés au plan d'action gouvernemental en
matière d'immigration et d'intégration des immigrants et, enfin,
coordonner la préparation des indicateurs de la situation linguistique
au Québec.
Le ministre s'était vu attribuer, en 1989-1990, des
crédits additionnels récurrents de 10 000 000 $ pour la promotion
de la langue française. De ce budget, la plus grande partie, soit 9 000
000 $, fut transférée en permanence au ministère de
l'Éducation et au ministère de l'Enseignement supérieur et
de la Science pour la réalisation de projets jugés prioritaires
en matière de formation linguistique. Le ministre disposait ainsi, l'an
dernier, d'un solde de 1 000 000 $ à même ce budget pour fins de
promotion. Il s'est vu attribuer le même budget en 1992-1993. Au cours de
la dernière année, les projets suivants ont été
financés à l'aide de ce budget: ministère de la
Santé et des Services sociaux, Programme de perfectionnement en
français pour le personnel allophone du réseau, 150 000 $; Office
de la langue française, Programme de soutien financier à la
promotion du français dans les entreprises, 415 000 $, et divers
ministères pour des centres d'aide en français à
l'intention du personnel, 21 748 $.
En conclusion, le gouvernement a choisi d'agir en matière
linguistique suivant une méthode qui met foncièrement l'accent
sur l'action constructive et le respect des mandats confiés par le
législateur aux organismes responsables de l'application de la Charte.
Les résultats de cette méthode parlent par eux-mêmes. Nous
possédons de plus en plus une connaissance plus précise des faits
relatifs à notre situation linguistique, et ce, grâce aux
données abondantes que colligent les organismes dans l'exercice de leur
mandat. Cette connaissance plus approfondie des faits invite à une
action plus critique, plus réaliste, mieux ciblée. Elle permet
d'éviter les débats qui tournent à vide. De l'approche de
la rhétorique, nous passons graduellement à l'approche de
l'édification, c'est-à-dire à l'approche qui consiste
à construire jour après jour, à l'aide d'actions
précises et concrètes, le type de société que nous
voulons nous donner.
Dans chaque grand secteur de l'activité, qu'il s'agisse de la vie
des entreprises, de
l'administration publique, des corps municipaux et scolaires ou du
réseau des établissements de santé et de services sociaux,
nous disposons désormais d'orientations et de programmes concrets qui
entraînent jour après jour des applications pratiques
vérrfiables. (21 h 40)
À tous les paliers d'intervention, nous mettons de plus en plus
l'accent sur l'information objective et impartiale, sur l'incitation à
la participation libre et responsable de chacun à l'édification
d'un Québec où le français sera de plus en plus la langue
commune de tout le monde, mais ce, dans un climat de compréhension et
d'acceptation réciproque et suivant des aménagements qui
assureront également la reconnaissance raisonnable des droits
linguistiques minoritaires.
Le Président (M. Gobé): Merci, M. le ministre. Nous
allons maintenant demander à Mme la députée de Chicoutimi,
pour une vingtaine de minutes encore de temps disponible, si elle a des
remarques préliminaires.
Mme Blackburn: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Gobé): En vous rappelant que nous
devrons terminer à 22 heures.
Mme Jeanne L. Blackburn
Mme Blackburn: Merci, M. le Président. À la lecture
des premières pages du texte de l'allocution du ministre responsable de
l'application de la Charte de la langue française, on serait
porté à se demander qu'est-ce qu'on fait ici. Ça va bien,
il y a une consolidation, il y a une progression significative, il y a un net
renforcement des inscriptions, il y a une préférence croissante
des étudiants, une nette montée des francophones dans la
propriété des entreprises, une augmentation significative de la
part des revenus de travail chez les francophones, une augmentation de la
proportion des noms et lieux de langue française, un net accroissement
de la place du français. Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur
des mondes. Messieurs Dames, avec le rapport Poulin, on va commencer à
questionner votre utilité.
Vous vous rappellerez que le rapport Poulin demandait de
dégraisser l'appareil d'État et un peu de libérer les
postes qui s'avéraient inutiles dans la société
québécoise.
Le Président (M. Gobé): M. le député
de Richelieu, s'il vous plaît. Madame a la parole.
Mme Blackburn: Trêve de plaisanterie, je pense que, bien
qu'il y ait eu des progrès remarquables, les choses ne sont pas aussi
nettes et aussi claires, je dois le dire en même temps pour le
déplorer.
M. le Président, l'étude des crédits
budgétaires, c'est, en fait, l'un des moments forts de notre vie de
parlementaires, car il permet aux députés, tant des deux
côtés de la Chambre, et je le dis parce que même les
députés ministériels le savent, d'apprendre des choses
intéressantes et d'être un peu plus au fait des décisions
qui sont prises par les ministres. Ça nous permet de passer en revue
l'activité des ministères. Ça permet également de
questionner les choix et priorités du gouvernement.
Ce travail, d'une importance majeure pour la vitalité de nos
institutions, demande une étude sérieuse des documents qui nous
sont fournis par les autorités ministérielles. Je dois avouer
qu'il arrive, et j'ai eu l'occasion de le constater, que cette étude
soit parfois laborieuse, surtout dû à la piètre
qualité des informations qui sont remises aux parlementaires. Dans
d'autres cas, notre tâche est facilitée parce que les documents
à notre disposition sont généralement d'une bonne
qualité. C'est le cas de ceux que nous a fait parvenir le ministre
responsable de l'application de la Charte de la langue française.
Je veux féliciter le ministre parce que, il faut le dire, et je
le dis tant pour la langue que ça a été vrai
également pour les dossiers de l'Éducation et de l'Enseignement
supérieur, les documents sont généralement bien
préparés, bien montés. Ils nous cachent peut-être
des choses, mais il faut chercher longtemps parce que,
généralement, ils sont assez limpides.
J'aimerais pouvoir en dire autant en ce qui concerne l'activité
et le leadership gouvernemental pour les dossiers de la langue, mais je ne peux
malheureusement le faire. Une bien faible augmentation des crédits pour
les organismes de la Charte de la langue française. Globalement, cette
année, les crédits alloués aux organismes de la Charte
connaissent une croissance de 2,1 %. Cette majoration des crédits ne
parvient cependant pas à couvrir l'indice des prix à la
consommation qui était de 2,4 pour la période de février
1991 à février 1992. Ça s'explique peut-être par
l'enthousiasme que met le ministre à faire état des
progrès réalisés en matière linguistique. On peut
donc conclure de cette situation que chacun des organismes se consacrera
à des activités régulières. On ne dort donc pas
espérer d'initiatives pour la prochaine année, même si ce
n'est pas le travail qui manque. Les exemples sont nombreux, en
commençant par la francisation des entreprises. Le ministre est au fait
de ma position sur ce dossier, mais je crois qu'à force de le lui
répéter il finira par se rendre à mes arguments.
D'ailleurs, certaines données que l'on retrouve dans les indicateurs de
la situation linguistique, publiés par le Conseil de la langue
française en avril 1991, viennent confirmer mes
appréhensions.
Voyons d'abord le pourcentage de l'ensemble des grandes entreprises qui
ont obtenu leur certificat. Entre 1979 et 1990, le résultat est
d'environ 64 %, après plus de 10 ans d'application de la loi. Il
me semble qu'on devrait avoir de meilleurs résultats, et ce, même
s'il s'ajoute quelques entreprises chaque année. Il faudrait, de plus,
multiplier les efforts dans le secteur manufacturier qui est largement en
retard sur les autres secteurs avec un pourcentage de certification de 53 %.
Plus sérieux encore, les entreprises dans ce secteur qui utilisent
fortement la technologie ne sont certifiées qu'à 32,4 %, les
secteurs les plus prometteurs. Quand on sait que ce sont les entreprises les
plus performantes au niveau technologique qui ont les meilleures chances de
passer à travers la crise économique actuelle, on doit
s'inquiéter de ces chiffres et se donner les moyens d'intervenir plus
fortement et plus fermement auprès d'elles.
En ce qui a trait aux entreprises de taille moyenne de 50 à 99
personnes, on doit dire que le travail est bien amorcé. Il faut
cependant ajouter que la faible croissance de la certification par rapport
à l'année dernière, soit environ 3 %, est plutôt
inquiétante parce qu'il y a risque de stagnation, voire de recul en ce
domaine. Ici encore, les fortes utilisatrices de technologie, en parlant des
entreprises, sont les moins certifiées.
Malheureusement, on ne peut se prononcer sur les entreprises de 50
employés et moins car le ministre s'entête à ne pas s'en
occuper ou à s'en occuper de façon insuffisante. Les chiffres
qu'il nous a livrés tout à l'heure nous montrent qu'une
entreprise sur six a été l'objet d'intervention de la part de
l'Office. C'est fort peu parce que ces entreprises à elles seules
représentent une partie, un pourcentage très élevé
de la population de travailleurs au Québec. Il ne se contente encore que
de mesures incitatives. Bien qu'elles puissent avoir un certain impact,
ça ne permet pas d'espérer une réelle francisation.
Rappelons ici que, selon des données du Conseil de la langue
française, 21 % seulement du secteur privé est touché par
les programmes de francisation, en partie parce que les entreprises de 50
employés et moins ne sont pas visées par les mesures de
francisation, par les dispositions à l'intérieur de la loi. Ce
choix a des effets importants sur la situation réelle du français
au travail. C'est d'ailleurs ce que l'on constate lorsqu'on consulte le rapport
du Conseil de la langue française sur le français langue de
travail. Parmi les données rapportées, plusieurs méritent
d'être une fois de plus répétées au ministre. Entre
1979 et 1989, le pourcentage des francophones qui travaillent
généralement en français dans la région de
Montréal - on parle ici des entreprises privées - est
demeuré le même; 62 % en 1979, 63 % en 1989. On a une croissance
de 1 %.
En ce qui concerne les communications avec un supérieur
anglophone, en 1979 ce sont 57 % des travailleurs qui les faisaient
fréquemment en anglais et, en 1989, ils étaient 59 %. Là,
on voit qu'il y a un recul. De plus, il faut rappeler que l'usage du
français diminue avec la profession-nalisation des emplois. Alors que 66
% des ouvriers travaillent généralement en français, le
pourcentage chute à 37 % quand il s'agit des professionnels et à
36 % quand il s'agit des administrateurs. On remarque, à regret, que la
réussite professionnelle au Québec, pour deux professionnels sur
trois, passe par l'utilisation de l'anglais.
Comme on le constate donc, le français au travail n'est pas
encore une réalité pour une part importante des
Québécois et des Québécoises. Les crédits
accordés à l'Office de la langue française ne nous
permettent pas d'espérer une nette amélioration. Le ministre
devra nous convaincre que les choix budgétaires sont, à cer
égard, justifiés. Pour le moment, nous sommes sceptiques et nous
ne nous contenterons pas de quelques statistiques. Il faudra démontrer
clairement qu'il y a une progression telle que le signale le ministre dans son
texte, ce qui n'est manifestement pas le cas si l'on tient compte des
données disponibles, particulièrement, je le rappelle, dans les
entreprises privées. (21 h 50) le cas de rosemère. nous ne
saurions passer à travers les crédits alloués à
l'application de la charte de la langue française sans discuter du
dossier chaud d'actualité qu'est le cas de rosemère. bien que le
ministre ait déjà déclaré que ce cas soulève
l'importante question des critères qui doivent présider au
retrait d'une reconnaissance déjà accordée en vertu de
l'article 113f de la charte de la langue française, il me semble que
nous devons aller un peu plus loin. à cet égard, j'ai bien
l'intention de m'en-quérir de l'état d'avancement de la
réflexion du ministre. devrons-nous procéder par
référendum dans toutes les municipalités? a-t-il
l'intention de tenir compte des statistiques sur la langue maternelle des
citoyens ou encore a-t-il l'intention d'utiliser les critères de la
langue d'usage? autant de questions qu'il me semble important de soulever dans
l'état actuel du débat car si, comme le suggère la
déclaration du ministre faite à la presse aujourd'hui, le retrait
du statut de ville bilingue peut reposer sur un pourcentage moins
élevé de résidents anglophones, jusqu'où est-il
prêt à aller pour maintenir le statut de ville bilingue?
rosemère, c'est 24 % d'anglophones. ira-t-il à 20 %, 10 %, 5 %?
je pense que la question se pose.
Sur cette base des droits acquis qu'invoquait le ministre aujourd'hui,
comment pourra-t-on refuser le statut de ville bilingue à toutes celles
qui en font la demande? Le ministre a certainement été saisi de
demandes qui nous sont venues de différentes municipalités,
particulièrement en Estrie et dans les villes du comté de Johnson
de Mme Juneau.
Alors, particulièrement dans ces deux comtés, celui du
député Paré et de Mme Johnson, il
y a eu plusieurs demandes. Comment le ministre-Dans le cas de
Rosemère, le jugement a été rendu il y aura bientôt
deux ans. Au moment où on examinait les crédits, à peu
près à la même date l'an passé, on attendait un
règlement de l'Office permettant de réviser le statut de la ville
de Rosemère. Vous savez, il en est de cette question comme dans toute
autre question. Lorsque les décisions traînent, elles risquent de
s'envenimer. On peut poser sérieusement deux questions à cet
égard. Comment l'Office n'a-t-il pas réussi à
procéder dans les délais qu'il s'était lui-même
donnés, c'est-à-dire l'automne dernier? Est-ce que, par hasard,
le fait que le ministre soit aussi responsable des affaires municipales, il n'y
a pas eu une invitation faite à cette municipalité de tenir un
référendum? Est-ce qu'il y aura référendum dans
toutes les municipalités? Mais, plus sérieusement et plus
fondamentalement, la déclaration du ministre cet après-midi, en
Chambre, invitant l'Office de la langue à faire preuve à la fois
de générosité et de souplesse, ce avec quoi on pourrait
être d'accord si ça était il y a quelques mois que la
décision avait été prise, mais, deux ans plus tard,
ça m'apparaît un peu long.
L'impression que ça laisse en regard de cette question,
c'est-à-dire le statut des villes bilingues qui devrait être
révisé compte tenu de la composition démo-linguistique de
ces villes, c'est que l'Office est en tutelle du ministre. Le message
était clair cet après-midi: Je leur ai dit de faire preuve de
souplesse et de générosité et, généralement,
ils entendent bien le message. À bon entendeur, salut. Si vous n'avez
pas compris, il faudrait peut-être venir me voir. Je trouve ça
plutôt inélégant et plutôt discourtois à
l'endroit d'un organisme dont le ministre a par ailleurs fait longuement
l'éloge tout à l'heure.
D'autre part, la loi 101 fait l'objet d'attaques incessantes. Les
tenants du libre choix ou du bilinguisme n'auront de cesse que cette loi soit
réduite à un symbole. Le ministre reste silencieux. Les
adversaires, parce qu'il en existe encore, du Québec distinct par sa
langue, par sa culture, par ses aspirations, distinct parce que peuple,
agiteront encore le squelette de la loi 101 pour discréditer le
Québec. Le ministre n'intervient pas souvent, même lorsque les
discours sont particulièrement... non pas disgracieux,
complètement démagogiques à certains égards. Je
trouve ça infiniment déplorable, compte tenu des
responsabilités qu'il a.
Tous les prétextes sont bons pour discréditer la loi et,
surtout, pour demander des assouplissements. On invoque aussi bien les droits
individuels que collectifs. Quand ça fait son affaire, ce sont les
droits individuels et, quand ça fait l'affaire, on invoque aussi les
droits collectifs. La Charte des droits, on invoque l'économie, parler
anglais aux touristes, comme si le français était une langue
vernaculaire parlée par quelques nostalgiques. Le français est
une langue internationale et une langue véhiculaire. Alors, quand on
invoque l'utilité ou le développement économique pour
exiger, par exemple, qu'à Montréal on affiche et on parle
anglais, curieusement, je relisais le rapport de M. Scowen, qui a
été déposé en 1986, sur la
déréglementation, qui réaffirmait que la loi 101 avait eu
peu d'effets sur la compétitivité des entreprises.
Alors, j'aimerais que le ministre responsable de la langue, responsable
de se porter à la défense de la langue et du français au
Québec puisse, à l'occasion, remettre les choses dans leur
perspective. À cet égard, j'aimerais aborder avec le ministre les
récentes déclarations du maire de Montréal sur un
éventuel assouplissement à la loi 178. Par la même
occasion, nous discuterons des propos de M. Scowen. Curieusement, entre 1986 et
1992, il me semble qu'il y a une évolution dans son discours qui a de
quoi inquiéter, d'autant qu'on sait que cette personne est pressentie
comme un futur représentant du Québec à New York. Bref,
nous nous demanderons s'il est opportun de faire de Montréal une enclave
linguistique au Québec.
Je veux enfin dire au ministre que j'aborderai également la
question de l'affichage commercial et des enquêtes de la Commission de
protection de la langue. Cette année, le nombre de plaintes est
très important, au total 3380. Pourtant, plusieurs d'entre elles, 590,
ont été jugées irrecevables. Je crois qu'il y a là
matière à réflexion. Les Québécois et les
Québécoises sont très préoccupés par le
respect de la Charte de la langue française, mais il semble plus
qu'évident qu'ils sont très mal informés quant aux
modalités de son application puisque les plaintes qu'ils font pour
s'assurer de son respect ne sont pas recevables. Et, là, il me semble
qu'il y a un manque d'information sur les critères. Il faudra, certes,
analyser de très près cette situation.
Voilà, M. le Président, en quelques mots, quelques-uns des
dossiers que j'ai l'intention d'aborder avec le ministre tout au long des
quelques heures que nous avons à notre disposition pour discuter de
l'important dossier de la langue. Je vous remercie.
Le Président (M. Gobé): Merci beaucoup, Mme la
députée de Chicoutimi. Étant donné l'heure tardive,
je vais ajourner les travaux à demain matin, en vous rappelant que,
demain, M. le député de Westmount, vous aurez droit, comme tout
membre de cette commission, à des remarques n'excédant pas 20
minutes dans votre cas, ainsi que les autres membres de la commission, vous
aurez droit aussi à 20 minutes chacun de remarques préliminaires,
si vous le jugez opportun et utile.
Ceci étant dit, je tiens à remercier les membres de cette
commission, ainsi que les gens qui accompagnent M. le ministre en
arrière,
pour leur présence ce soir. Je vais donc ajourner les travaux
à demain matin, 9 h 30, en cette salle. La commission est maintenant
ajournée.
(Fin de la séance à 21 h 58)