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Version finale

32e législature, 2e session
(30 septembre 1981 au 2 octobre 1981)

Le mercredi 30 septembre 1981 - Vol. 25 N° 1

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Journal des débats

 

(Quinze heures dix-sept minutes)

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît! Moment de recueillement. L'Assemblée est suspendue pour quelques instants.

(Suspension de la séance à 15 h 18)

(Reprise de la séance à 15 h 21)

Le Président: S'il vous plaît, veuillez demeurer debout pour l'entrée de Son Excellence le lieutenant-gouverneur.

Allocution d'ouverture

Le lieutenant-gouverneur: Mesdames et messieurs de l'Assemblée nationale, vous avez été convoqués aujourd'hui en session spéciale pour vous prononcer sur une démarche constitutionnelle entreprise dans un autre Parlement et qui, comme vient de le déclarer la Cour suprême du Canada, affecte d'une manière fondamentale vos droits, vos pouvoirs ou votre statut en tant que membres de l'Assemblée nationale du Québec.

Dans son jugement, la Cour suprême a déclaré notamment, et je cite: "Si le projet de charte des droits devenait loi, chacun des chefs de compétence législative provinciale et fédérale pourrait être touché. En outre, la charte des droits aurait un effet rétrospectivement de même que prospectivement, de sorte que les lois édictées par une province à l'avenir de même que celles édictées dans le passé, même avant la Confédération, seraient susceptibles d'être attaquées en cas d'incompatibilité avec les dispositions de la charte des droits. Cette charte diminuerait donc l'autorité législative provinciale sur une échelle dépassant l'effet des modifications constitutionnelles antérieures pour lesquelles le consentement des provinces avait été demandé et obtenu. "

En tant que dépositaire et fiduciaire de droits qui appartiennent à la nation québécoise, votre Assemblée se doit donc de veiller jalousement et de défendre ses droits contre tout amoindrissement auquel elle n'aurait pas clairement consenti. Le gouvernement espère que cette tâche fondamentale ralliera tous les membres de votre Assemblée de quelque parti ou de quelque origine qu'ils soient, afin que notre peuple puisse trouver dans son Assemblée nationale l'image de la solidarité dont il a besoin pour défendre ses droits et s'assurer des moyens de son plein épanouissement.

Le Président: Veuillez vous asseoir. M. le leader du gouvernement.

Motion pour dispenser le

premier ministre de la

lecture du message inaugural

M. Charron: M. le Président, je voudrais solliciter le consentement de l'Assemblée pour que le premier ministre soit dispensé à ce moment-ci de la lecture du message inaugural, selon les termes de notre règlement, et que je sois reconnu immédiatement, afin de pouvoir présenter une motion à caractère urgent; motion dont vient de faire justement état l'honorable lieutenant-gouverneur.

Le Président (M. Vaillancourt): Est-ce qu'il y a consentement unanime? Consentement accordé. M. le leader du gouvernement, vous êtes reconnu.

Motion sur la suspension de certains articles du règlement

M. Claude Charron

M. Charron: M. le Président, proposant, comme je suis sur le point de le faire, l'utilisation d'une prescription de notre règlement qui prévoit le cas, dans la circonstance actuelle, pour le leader du gouvernement de présenter une motion d'urgence, j'ai l'impression de m'adresser à des gens déjà convaincus. Non seulement aux membres de cette Assemblée, vu l'état actuel des choses, mais également aux citoyens du Québec dans leur ensemble, qui comprendront sûrement très rapidement que nous soyons convoqués cet après-midi, mais qu'en plus nous acceptions tout à l'heure de suspendre les règles pratigues de notre Assemblée, afin de pouvoir le plus rapidement possible discuter entre nous, modifier s'il y a lieu, mais adopter surtout une prise de position conjointe au nom de l'institution la plus importante du peuple du Québec.

En conséguence, je m'adresse à des gens convaincus pour leur dire qu'il serait opportun que nous n'étirions pas ce débat jusqu'à ce qu'il perde le sens politique qu'il doit avoir et que nous acceptions de siéger à des heures, sans qu'elles s'étendent jour et nuit, quand même un peu à l'encontre des règles habituelles de l'Assemblée, autant les députés à qui je m'adresse, M. le Président, que les citoyens du Québec comprendront que

nous le fassions.

Je me permets pour que l'unanimité se fasse, simplement de signaler pourquoi nous avons choisi comme gouvernement - et c'est ce qui nous amène à proposer la motion actuelle - de convoquer la session pour cet après-midi. Notre décision, au Conseil des ministres de lundi dernier, s'est prise dans les quatre ou cinq heures qui ont suivi non pas le jugement de la Cour suprême, car je dirais qu'à lui seul, M. le Président, le jugement du plus haut tribunal du pays ne justifierait pas que nous soyons convoqués d'urgence à l'Assemblée... Il a donné raison à l'Assemblée sur des points sur lesquels celle-ci s'est déjà prononcée. Il serait inutile de reconvoquer les députés pour leur redemander de réentériner les positions que le jugement de la Cour suprême a reconnues. Nous sommes réunis d'urgence, parce que dans les quatre ou cinq heures, même pas, dans les minutes qui ont suivi la lecture du jugement de la Cour suprême, la réaction fédérale s'est fait connaître. Si cette Assemblée est convoquée cet après-midi, c'est pour réaqir à l'intention fédérale qui a été réaffirmée et qui nous oblige à agir d'urgence. Le porte-parole et titulaire de ce dossier au sein de l'administration fédérale a, sans ambages et on ne peut plus clairement, dans les minutes qui ont suivi la lecture par le juge en chef de la Cour suprême du verdict du tribunal, annoncé l'intention ferme du gouvernement de procéder dans les meilleurs délais. Une fois qu'une partie du jugement lui laissait cette mince porte ouverte, il a manifesté son intention de s'y glisser. C'est son droit. Nous ne sommes pas ici pour contester ce droit, mais nous avons pris acte de cette décision. (15 h 30)

Quand, plus tard, de l'autre bout du monde, est venue la confirmation de cette stratégie par le premier ministre du Canada, les précisions gui justifient l'urgence de la convocation de l'Assemblée sont venues. M. Trudeau a non seulement entériné la décision de son ministre, mais a même spécifié les étapes prochaines qu'il entendait suivre, c'est-à-dire rencontrer son groupe de députés; deuxièmement, rencontrer son Conseil des ministres; troisièmement, faire face à la Chambre des communes avec sa motion dès le 14 octobre, lorsque se réunira à nouveau la Chambre des communes.

Le caucus en question, qui est à l'agenda du premier ministre, semble-t-il, à son retour de voyage, est fixé au début de la semaine prochaine. Le Conseil des ministres en question devrait normalement suivre au cours de la semaine prochaine et, la session fédérale, au début de la deuxième semaine qui suit ce jour où nous nous retrouvons à l'Assemblée nationale du Québec. Je dis très clairement que si nous ne voulons pas arriver en retard avec notre réaction ou si, au contraire, nous voulons que notre réaction ne soit pas une réaction pro forma, et si c'est le désir sincère de l'Assemblée de mettre son poids dans la balance avant qu'il soit trop tard, il faut qu'elle s'inscrive le plus rapidement possible comme institution québécoise, je le répète, la plus importante dans la vie de notre peuple, pour que tous ceux, caucus, ministres, députés réunis à la Chambre des communes, qui, selon le calendrier connu, établi et officiel du gouvernement fédéral, seront appelés à considérer à nouveau cette motion sachent et ne soient pas en train d'attendre la position de l'Assemblée nationale du Québec.

Il existe une deuxième raison. Le Québec est, depuis le début de cette aventure, membre d'une équipe qui relie huit gouvernements provinciaux sur dix. Les uns comme les autres sont à ce moment-ci à reprendre le combat avec les nouvelles armes qu'a fournies le jugement de la Cour suprême. Les uns et les autres ont convenu d'une liberté de manoeuvre respective, selon le territoire où se trouve chacun de ces gouvernements, mais aussi d'un effort conjoint pour poser des exigences, si jamais une occasion de bloguer le coup de force par des négociations nouvelles s'entrouvrait, que nous ayons une position commune. Pas plus tard qu'au cours de la journée d'hier, M. le premier ministre et moi-même avons eu l'occasion non seulement de présenter à des collègues de la Colombie britannique gui nous visitaient l'intention du gouvernement de convoquer cette Assemblée, mais de leur esquisser, dans les grandes lignes, ce que nous entendions voir cette Assemblée prendre comme position commune.

Le même ministre de Colombie britannigue, M. le Président, me rappelait, ce matin même, d'une autre province canadienne où il est maintenant rendu où, entre autres, la décision québécoise a été mesurée et, tantôt dans l'une, tantôt dans l'autre, on s'apprête à épouser la même attitude que celle que le gouvernement du Québec a prise, c'est-à-dire de convoguer la Législature provinciale ou, là où la session est déjà en cours, de saisir la Législature provinciale d'une résolution qui ferait connaître une position collective.

Je n'affirme pas que les huit vont faire ce que nous sommes à faire à Québec; je n'ai pas l'information, ni même l'autorité de l'affirmer. Certaines provinces vont même, à ce que l'on sait, beaucoup plus loin qu'une simple convocation de la session et elles parlent déjà d'une convocation populaire, par référendum, dans une des huit provinces dissidentes. Je ne suis pas ici le porte-parole des huit provinces, je dis seulement que notre geste d'aujourd'hui, d'avoir convoqué cette Assemblée, s'inscrit dans les gestes que font conjointement les huit provinces qui,

depuis le début, mènent ce combat, ont reçu justification de leur combat du plus haut tribunal du pays et entendent bien le poursuivre.

En raison donc, M. le Président, de l'urgence de faire connaître notre attitude à nos collègues des autres provinces, mais davantage encore à celui qui s'apprête à diminuer les pouvoirs de cette Assemblée, le gouvernement fédéral, je crois qu'il y a urgence pour l'adoption d'une motion, au nom du premier ministre du Québec, que, selon le règlement, je fais distribuer à l'instant dans les copies française et anglaise et qui nous permettrait de prendre une position commune. Pour que ce débat et l'urgence de la situation soient respectés, conformément à l'article 84 du paragraphe 2 du règlement de notre Assemblée, je propose que soit suspendue l'application des articles suivants de notre règlement: les articles 22, paragraphes 1 et 3, 23, 30, 31, 33, 35, 36, 57, 77, 78, 79, 87, 88 et 91, que nonobstant les dispositions de l'article 47, paragraphe 1, du règlement toutes les séances de notre Assemblée soient ouvertes au public, que l'Assemblée puisse siéger à compter de maintenant jusqu'à 23 heures ce soir avec suspension des travaux quand bon lui semblera au cours de la séance cet après-midi jusqu'à 20 heures ce soir, qu'elle puisse siéger demain, le jeudi 1er octobre, de 10 heures à 23 heures avec suspensions de 13 heures à 15 heures et de 18 heures à 20 heures, qu'elle puisse également siéger le vendredi 2 octobre de 10 heures à 12 h 45, que nonobstant la suspension de l'application des règles ci-dessus énumérées il y ait période de questions orales des députés au début des séances du 1er et du 2 octobre, que la suspension de l'application des règles ci-dessus énumérées soit en vigueur dès maintenant, et ce jusqu'à la mise aux voix de la motion qui est devant nous, mise aux voix qui devrait intervenir à 12 h 45 le vendredi 2 octobre.

Avant d'entendre les membres de l'Assemblée qui voudraient s'exprimer sur cette motion, je termine en disant, M. le Président, que cette motion a été rédigée après des consultations que les conventions imposent.

Le Président: Alors, M. le leader de l'Opposition.

M. Gérard D. Levesque

M. Levesque (Bonaventure): Alors, M. le Président, nous avons été convoqués, comme on le sait, en catatrophe oui, pour une session spéciale, une session d'urgence, et une fois le message du lieutenant-gouverneur entendu, l'étape suivante et immédiate, c'est celle que nous annonce présentement le leader parlementaire du gouvernement, c'est que nous allons mettre de côté plusieurs des règles de cette Chambre qui affectent particulièrement le droit des parlementaires à procéder à un débat normal, en toute sérénité, en toute quiétude. Il nous dit également par les règles qu'il vient de suggérer de laisser tomber, de ne pas parler d'autre chose que de la constitution, non pas de tout ce qui peut concerner la constitution, mais il nous parle uniquement d'un projet de motion, dont nous recevons copie à l'instant en langue anglaise... Ah, voici la copie française: Cela se résume en quatre paragraphes probablement fort importants. Nous aurons à en discuter, sans doute, si cette motion est adoptée. Voyant la présence des uns et des autres et faisant un calcul rapide, il est possible que cette motion soit adoptée au cours de l'après-midi, d'autant plus que le règlement limite le temps accordé au présent débat. (15 h 40)

C'est dire que nous avons été convoqués rapidement. Je pense que ç'a été la convocation la plus rapide dont je me souvienne, et le ministre des Affaires intergouvernementales semble s'en réjouir particulièrement, lui dont on peut évidemment soupçonner - mais je n'ai pas l'intention de faire un procès d'intentions -les intentions qui sont les siennes et qui n'ont pas été cachées, particulièrement depuis quelques années.

Ceci dit, M. le Président, je reviens à l'urgence de la situation. On comprendra qu'on n'a pas, à ce moment-ci, l'occasion de discuter de la motion qui vient d'être déposée. J'imagine qu'une fois que nous aurons disposé de la présente motion de suspension des règles pour cette motion d'urgence, le gouvernement, sans doute, donnera à l'Assemblée, et particulièrement à ceux qui n'ont pas encore eu l'occasion de voir ce texte, quelques minutes avant le dîner pour que chacun des parlementaires ait l'occasion d'en prendre connaissance et d'en étudier les conséquences, les modalités, enfin, faire le travail d'un bon parlementaire.

Mais en attendant, quelques minutes sont mises à notre disposition pour nous demander ce qui s'est passé, ce qui a amené ce caractère d'urgence non seulement grande, mais exceptionnelle, non seulement exceptionnelle, mais, jusqu'à un certain point, urgence qui peut nous amener à nous poser des questions. Je n'ai pas l'intention de sonder les reins et les coeurs, mais vous savez, M. le Président, que c'est lundi de cette semaine, il y a à peine deux jours, que la Cour suprême du Canada a rendu un jugement - et je veux être bien charitable -que la plupart d'entre nous n'ont pas eu l'occasion de lire. Je n'ai pas beaucoup de protestations. Vous savez, un document de plus de 400 pages, avec toutes les implications juridiques que cela comporte...

Je sais que l'excellent juriste que j'ai devant moi l'a lu, j'en suis convaincu, et je peux même aller au pluriel pour certains. Mais je suis convaincu - et je ne veux regarder personne - qu'il y a énormément de parlementaires qui n'ont pas eu l'occasion d'en terminer la lecture; soyons généreux.

Or, M. le Président, vous savez, c'est le gouvernement lui-même qui, par la bouche du premier ministre, il y a à peine quelque 24 ou 48 heures, reprochait au gouvernement fédéral sa précipitation à réagir vis-à-vis de ce jugement. On sait évidemment le nombre de personnes qui peut être au service du gouvernement fédéral pour faire les analyses nécessaires.

Même à cela, le premier ministre du Québec disait: Mais pourquoi le gouvernement fédéral particulièrement le ministre de la Justice n'a-t-il pas pris le temps de lire cela, de l'évaluer, de regarder toutes les conséquences? Ces gens que j'ai en face de moi auraient voulu que le gouvernement fédéral prenne le temps de bien examiner le jugement et de le laisser entrer un peu, de l'approfondir, de le mieux comprendre, d'en mieux saisir les implications.

M. le Président, on sait que, lorsque le gouvernement fédéral, il y a à peine un an ou un an et demi, décidait de procéder rapidement au rapatriement de la constitution, les gens ont dit: Mais c'est trop vite, il faut prendre le temps nécessaire. Toujours, lorsqu'il y a eu ces actions précipitées, le gouvernement actuel, qui est un gouvernement généralement lent à réagir, on le sait... M. le Président, nous avons suffisamment de problèmes importants qui auraient probablement justifié une véritable session, une session où on aurait pu faire face a d'autres urgences au moins aussi importantes pour la population et chacun des citoyens du Québec. On aurait pu évidemment... J'aurai l'occasion, dans quelques instants, de rappeler à nos honorables amis ce qui aurait pu faire également l'objet de nos discussions. Non, précipitation. Pourquoi cette précipitation?

M. le Président, il faut se demander pourquoi un jugement est rendu lundi et, mardi, on nous convoque; mercredi, nous sommes ici. Pourquoi? Qu'est-ce qui travaille ces gens? Il faut se poser la question dans l'intérêt du public. D'ailleurs, la population nous le demande: Qu'est-ce qui pressait comme ça? Parce que, enfin, M. le Président, il faut bien dire que cette situation n'est pas une situation nouvelle. Elle est nouvelle dans le sens qu'il y a eu une décision de la Cour suprême, mais le fait de ces discussions, qui ont duré des semaines, des mois et des années, ce n'est pas une situation nouvelle.

L'intention des uns et des autres de s'opposer à un rapatriement unilatéral ou à une modification substantielle de la constitution sans l'accord des provinces, cette opposition que nous partageons n'est pas tellement nouvelle. Mais qu'est-ce qui est nouveau? Le seul événement qui s'est passé, c'est le jugement de la Cour suprême, il y a 48 heures.

Alors, qu'est-ce que le leader parlementaire du gouvernement dit? Il dit: Vous savez, ce n'est pas à cause du jugement de la Cour suprême qu'on vous a réunis. C'est à cause, dit-il, de l'intention du gouvernement fédéral de poursuivre une démarche que nous n'acceptons pas. Ce n'est peut-être pas dans ces mots, mais c'est substantiellement ce qu'il a dit.

M. le Président, si ce n'est pas le jugement de la Cour suprême, si c'est la démarche du gouvernement fédéral, j'ai alors des questions à poser au gouvernement. Si c'est cela, pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas continué son "homework"? Pourquoi avoir fait ce qu'il a fait depuis des mois, des alliances avec les autres provinces, les huit? Il n'y avait rien qui se passait sans que les huit se rencontrent. On se promenait d'un bout à l'autre du Canada, il fallait que les huit se voient. Il n'y avait rien à faire. Les huit, c'est un front commun et il fallait que nous comprenions, la population, que sans cette consultation des huit, on pouvait craindre le pire. Mais comme il y avait cette union sacrée des huit, on pouvait dormir relativement tranquille.

Qu'est-ce qui est arrivé des autres depuis 48 heures? Mais où sont-ils? Quels sont les déplacements qui ont été faits par ce gouvernement pour tâcher de rencontrer les huit? On a dit: II y en a un qui est en Allemagne; il y en a un autre en élection; et vous savez que les six autres sont fort occupés, on a décidé de faire chacun pour le mieux; on a gardé sa liberté.

Mais quel changement dans quelques heures! Si ce n'est pas à cause du jugement de la Cour suprême, mais pourquoi ce changement tout à coup? Est-ce qu'on aurait craint qu'à la suite du jugement de la Cour suprême, il y ait effritement chez les huit? Est-ce que c'est cela? Mais, en toute transparence, qu'on nous dise que c'est cela qui a amené l'état d'urgence: la crainte de l'effritement des huit. Qu'on nous le dise. On veut faire preuve de transparence. On en fait très peu preuve depuis déjà longtemps. C'est un mot qu'on employait à satiété, lorsqu'on était de ce côté-ci de la Chambre. Est-ce que c'est cela? C'est une question que je pose au leader parlementaire du gouvernement.

Pourquoi n'a-t-on pas attendu que le premier ministre de la Colombie britannique, qui est le président choisi par les huit, ait terminé sa tournée de consultation présentement à la suite du jugement de la Cour suprême? Est-ce que ce n'est pas une exigence tout à fait élémentaire que, si on

est dans une société qui forme un front commun de huit, on laisse au moins le temps aux huit de se rencontrer et d'échanger? Non, cela pressait. Seulement quelques minutes accordées à M. Bennett dans son périple et déjà, avant même que ce dernier puisse venir rencontrer le premier ministre du Québec qui a été le premier qu'il a rencontré, si je ne m'abuse, on décide déjà de la convocation de l'Assemblée nationale, avant même que M. Bennett fasse la première consultation. Voyez-vous cela? Les huit, qu'est-ce qui s'est passé? Il serait important qu'on le sache. (15 h 50)

M. le Président, on sait fort bien que le Parti québécois - je dois le rappeler, même au plus grand plaisir de mes adversaires - dans son programme, dans son discours, dans tous les propos qui sont tenus par les membres du Parti québécois qui s'expriment, toujours, l'objectif no 1, la raison d'être et de vivre de cette formation politique, c'est d'assurer éventuellement et le plus tôt possible la séparation du Québec du reste du Canada.

En même temps, M. le Président, nous avons un gouvernement, à l'intérieur d'un système fédéral, dirigé par ces gens-là. Combien de fois a-t-on parlé des deux chapeaux? Or, M. le Président, la question que je pose est celle-ci: Est-ce que l'urgence - c'est 48 heures à peine - est une urgence du gouvernement du Québec ou est-ce une urgence du Parti québécois? Cette question-là mérite une réponse. Est-ce une urgence qui est reliée de quelque manière que ce soit à la situation des partis politiques en cette Chambre? Est-ce que cette situation d'urgence du Parti québécois est reliée de quelque manière que ce soit à la tenue d'un conseil national du Parti québécois en fin de semaine, à Jonquière, me dit-on? À ce moment-là, est-ce que nous voulions arriver avec une motion déjà toute faite et adoptée avant de consulter les membres du conseil national?

Les gens qui ont toujours la consultation sur les lèvres, ont-ils voulu éviter la consultation ou peut-être même la confrontation?

Il faut se poser ces questions-là et je reviens à l'urgence, M. le Président. Est-ce une urgence dictée par les besoins d'un gouvernement qui veut réellement faire tous les efforts pour renouveler le fédéralisme canadien, pour voir à ce que ce rapatriement soit fait selon les conventions, etc? Je ne vais pas entrer dans le fond du sujet. Est-ce que c'est ça qui motivait le geste en catastrophe d'appeler cette Assemblée nationale, ou était-ce parce qu'il y avait des exigences non pas du gouvernement du Québec, mais du Parti québécois?

Nous savons que le conseil national du Parti québécois se réunit, mais nous avons déjà un message qui nous arrive du président du conseil exécutif national. Je n'ai jamais trop bien compris cela: il y a le président du parti et le président du conseil exécutif national. Il ne faut pas se tromper, ce que je vais vous lire n'est pas un communiqué du premier ministre du Québec, qui est chef du Parti québécois, qui est président du Parti québécois, c'est un communiqué émis par le président du conseil exécutif national du Parti québécois. J'imagine qu'il y a une nuance que mes amis d'en face reconnaissent facilement.

Ceci dit, M. le Président, je tiendrais à vous lire simplement quelques lignes; je n'ai pas envie de faire la propaqande de nos amis d'en face.

Des voix: Non, non, non!

M. Levesque (Bonaventure): Je laisse le soin à mon bon ami, le leader parlementaire du gouvernement, d'en faire la lecture complète s'il manque d'arguments. Je vais simplement lire le dernier paragraphe de ce communiqué qui vient d'être émis, dans les dernières heures. Voici ce qu'il dit: "Mais le Parti québécois réitère sa conviction que ce problème, plus que centenaire, ne sera résolu à l'avantage à la fois du Québec et du Canada que dans le cadre de la souveraineté-association. S'il en avait été besoin, le jugement de la Cour suprême est venu consolider chez tous les militants et les militantes la conviction que l'action en faveur de la souveraineté-association constitue bien la seule façon véritable d'assurer de façon définitive le respect des droits des Québécoises et des Québécois". Non seulement le président du conseil exécutif national du Parti québécois le dit, mais les applaudissements de ces honorables messieurs et dames, pas tellement ceux du conseil exécutif, c'est-à-dire du cabinet des ministres qui sont un peu plus prudents...

Des voix: Oui, oui. Vote enregistré.

M. Levesque (Bonaventure): Employer un mot non parlementaire ne serait pas beau à ce moment-ci. Il ne faut pas parler d'hypocrisie ou de choses comme cela; il faut simplement parler en termes parlementaires. Je dirais que nous avons eu, dans les banquettes d'en avant, un petit silence prudent, mais que nous avons vu le véritable masque du Parti québécois tomber dès que nous arrivions à la deuxième ou troisième banquette. Est-ce la frustration ou simplement la naïveté ou encore une expression de transparence de l'arrière-ban, mais nous avons vu ce que nous voulions voir?

Voici la déclaration du président du conseil. On a parlé de ce conseil national qui se réunit à Jonquière. Je vous invite, M. le

Président, à écouter les discours qui vont se prononcer une fois qu'on aura entamé la discussion de fond. Vous les comparerez avec ce qu'on va dire en fin de semaine à Jonquière. Vous verrez qu'entre le discours officiel et le discours aux militants il y aura là plus qu'une nuance. Je vous le dis d'avance, M. le Président, j'en fais une prédiction sans jamais vouloir passer pour un prophète.

Lorsque le président du conseil national du Parti québécois parle justement de ce jugement comme étant important dans la stratégie souverainiste, péquiste, séparatiste -appelez-la comme vous le voudrez - vous avez, évidemment, le chef du gouvernement qui nous a dit, il n'y a pas longtemps, à peine quelques heures, qu'il se réjouissait aussi. Est-ce qu'il se réjouissait comme chef de gouvernement ou s'il se réjouissait comme président du Parti québécois lorsqu'il disait: Elle nous fournit - la décision de la Cour suprême - des armes plus puissantes que jamais pour tâcher, jusqu'au bout, de faire échouer cette manoeuvre? C'est le premier ministre qui parle, le chef du Parti québécois et son président.

Les armes. Est-ce que les armes sont celles d'un gouvernement voué à la défense du fédéralisme canadien à l'intérieur du système actuel ou est-ce que ce sont plutôt des armes bien importantes pour la stratégie concoctée au conseil national ou dans d'autres officines gouvernementales? Est-ce là l'importance de ces armes? Est-ce la stratégie? Ce que nous voulons savoir, en d'autres mots, avant d'entamer cette discussion que je considère importante, ce débat qui, à mon sens, est important... (16 heures)

Je ne plaide pas actuellement sur l'importance du débat, je plaide sur l'urgence de nous l'avoir amené à l'intérieur des 48 heures. La seule façon dont on puisse expliquer cette hâte fébrile, cette panique presque, c'est qu'il y a là une stratégie et une stratégie qui est celle beaucoup plus, à mon humble avis, du Parti québécois que celle d'un gouvernement conscient de ses responsabilités et qui prendrait le temps nécessaire pour faire des consultations avec les autres provinces qui sont dans le comité des huit, qui prendrait le temps nécessaire pour consulter le conseil national de son parti, qui prendrait le temps nécessaire même pour consulter l'Opposition officielle quant à l'urgence ou à la non-urgence de cet appel de cette convocation de la Chambre.

Le premier ministre ne savait pas ou disait ne pas savoir lundi soir s'il y avait convocation de l'Assemblée. Il est allé au Conseil des ministres. Il est sorti de là le lendemain matin: Ah bien, ça presse! Qu'est-ce qui s'est passé? Est-ce que c'est le Conseil des ministres ou est-ce que ce sont les stratèges du Parti québécois? Mais, en toute transparence, pourquoi devons-nous être réunis ici mercredi, dans les 48 heures qui suivent la décision de la Cour suprême, alors que nous ne sommes pas ici présentement, à l'Assemblée nationale, pour discuter des autres problèmes qui sont extrêmement importants pour les citoyens du Québec?

Ai-je besoin, M. le Président, de rappeler tous ces problèmes? M. le Président, je reviendrai dans quelques instants là-dessus, mais, puisque je parle de cette convocation dans les 48 heures, est-ce que cette convocation était dictée par une stratégie qui serait reliée à une autre arme importante pour le gouvernement actuel, arme dont on s'est servi à combien d'occasions et à coût de combien de millions, c'est-à-dire la publicité? Je ne dis pas l'information, ce gouvernement ne fait pas d'information, ce gouvernement ne fait même pas de publicité, ce gouvernement est un spécialiste de la propagande.

Est-ce que ce sont les exigences de la propagande qui faisaient qu'on doive se réunir ici dans les 48 heures en catastrophe? Est-ce que c'est parce que ceux qui préparent déjà la publicité sont au travail? -On me le dit, j'ai quelquefois des confidences, M. le Président, mais je ne les répète pas en public, je vous le dis, M. le Président, j'ai su aujourd'hui même qu'on avait, au Conseil du trésor, soulevé un peu le sujet. On sait qu'on fait des coupures, mais quand ça arrive à la propagande, surtout celle qui va entourer ou suivre cette présente prise de position à l'Assemblée nationale, apparemment, on aurait dit: Là-dessus, il n'y a pas de sommet, il n'y a pas de limite, vous pouvez y aller. Si je me trompe, on pourra... Mais ça vient de quelqu'un qui est assez près des choses.

M. le Président, dans un effort de transparence, est-ce que le gouvernement peut nous dire, avant qu'on entame le fond de cette question, si cette urgence avait quoi que ce soit à faire avec les exigences d'une propagande qui est déjà bien avancée dans ses préparatifs, tellement avancée, M. le Président, que déjà - et je me demande si je l'ai ici - la propagande était même commencée avant que la Cour suprême se prononce. Déjà, et à combien de milliers sinon de millions d'exemplaires, on avait commencé à prévoir presque le jugement de la Cour suprême.

Du moment qu'on a su que la Cour suprême allait rendre jugement, déjà deux ou trois semaines avant, les fonds publics roulaient pour apporter le message, M. le Président. Je veux savoir quelle est cette partie du message. Est-ce que c'est simplement ce qui apparaît du "iceberg" ou est-ce que c'est tout ou si ça commence? Est-ce qu'on avait besoin de se dépêcher à ce moment-ci d'avoir cette motion adoptée par l'Assemblée nationale? Est-ce que c'était

relié à des exigences de la propagande du Parti québécois?

Autre question, M. le Président, qu'on se pose et que les médias ont posée au gouvernement et au premier ministre: Est-ce que c'est à cause de ce que le gouvernement actuel a promis à un moment donné au cours des élections pour rassurer la population du Québec, parce que la population du Québec, ne vous en faites pas, n'a jamais changé d'idée quant à l'objectif du Parti québécois, quant à son désir d'indépendance du Québec. Pardon? Est-ce que vous avez dit la... Non? Je comprends que le premier ministre lui demande de se taire.

Des voix: Ah! Ah!

M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, est-ce relié... On se rappellera la promesse du Parti québécois, au cours de la dernière élection, qu'il n'y aurait pas de référendum au cours du prochain mandat de ce gouvernement s'il était réélu. La question a été posée par les médias à l'honorable premier ministre. On lui a dit: M. le premier ministre, songez-vous à un référendum? Euh... Sa réponse avant le "euh" a été: Euh... Et là, on a demandé: Mais, dans un avenir immédiat, est-ce quelque chose... ? Ce n'est pas exclu, mais pas dans un avenir immédiat. Peut-être que, dans un effort de transparence, on pourrait se poser la question à ce moment-ci, parce que nous aussi, nous écoutons les conférences du premier ministre. Il y a beaucoup de citoyens qui écoutent cela et ils se disent: j'espère qu'ils ne changeront pas d'idée. Ils ont dit qu'il n'y aurait pas de référendum. À ce moment-là, le premier ministre précise et dit: J'ai promis... Si je ne me trompe, ce ne sera pas dans ce que j'ai compris, ce serait parce que j'ai mal compris, mais ce que j'ai compris, M. le Président, c'est ceci. Le premier ministre a dit: J'ai promis qu'il n'y aurait pas de référendum sur la souveraineté-association, mais cela n'empêche pas d'avoir des référendums sur autre chose, comme, par exemple... Mais le premier ministre pourrait-il nous dire, ou le leader parlementaire du gouvernement lorsqu'il répondra, si cela est entré en considération lorsqu'on a pensé d'amener immédiatement la Chambre? Vite, amenons la Chambre ici, sortons une motion le plus tôt possible. Cette opération en catastrophe était-elle reliée de quelque manière que ce soit? On pourra nous dire: Non, pas du tout. C'est correct. Ou bien dire: Oui, c'est vrai qu'on y a pensé un peu. Le fait d'amener cela immédiatement et de chercher immédiatement à avoir une motion de cette Assemblée nationale, est-ce relié à une intention, même si elle n'est pas arrêtée, mais au moins à la pensée de préparer un référendum sur cette question? Nous avons tellement de questions à nous poser, M. le Président, sur ce caractère d'urgence telle qu'on peut dire que nous avons été convoqués en catastrophe. Je pense bien que c'est le mot qu'emploierait l'honorable premier ministre, lui qui a tellement de mots dans son vocabulaire. Cela en est sûrement un qu'il aurait employé s'il était assis de ce côté-ci de la Chambre. Il dirait: Mon Dieu! Vous auriez pu attendre à la semaine prochaine ou vous auriez pu dire: On va convoquer l'Assemblée nationale pour la véritable session dont on parle pour l'automne ou encore, si on veut être sérieux avec les problèmes que confrontent nos concitoyens, on aurait dit: On ne remettra pas le comité des priorités. On ne remettra pas à une autre semaine, ce qui va faire, justement, que nous allons avoir une session avec un peu de viande, je l'espère. On dirait: On va préparer cette véritable session cette semaine et, la semaine prochaine, on convoquera les gens pour discuter de la question constitutionnelle, mais on va commencer cette semaine à ne pas remettre des choses aussi importantes qui touchent, évidemment, pas seulement l'avenir, mais le présent, l'actuel de tous les citoyens du Québec.

M. le Président, vous pensez peut-être que j'exagère. Regardez la presse. Lisez les éditorialistes. Depuis hier, ils vous disent: Qu'est-ce que c'est que cette histoire de convoquer aussi rapidement? M. Trudeau n'est pas encore revenu.

Des voix: Ah! Ah!

M. Levesque (Bonaventure): C'est vrai. Il n'est pas revenu. M. le premier ministre s'inquiète?

Des voix: Ah! Ah!

M. Levesque (Bonaventure): Oui, on a même dit... Le premier ministre a fait certaines farces avec le rapatriement de M. Trudeau. Je sais cela, mais n'essayez pas de produire une diversion à ce moment-ci, parce que non seulement M. Trudeau n'est pas encore revenu, mais on a même, tout à l'heure, lorsque le leader parlementaire du gouvernement a parlé de l'attitude du ministre de la Justice quelques heures après que la décision fut rendue, dit qu'il n'y avait pas là d'ouverture. Pourtant, ceux qui ont regardé la télé ont entendu, du premier ministre du Canada, certains propos qui nous disaient, par exemple, qu'il faut agir avec prudence. Il y avait là une ouverture pour quelqu'un qui veut réellement rechercher un terrain d'entente, qui veut réellement travailler à un renouvellement du fédéralisme canadien et qui y croit. Il y avait là au moins un commencement, mais non, on dit: II n'y a rien. (16 h 10)

Le ministre de la Justice du Canada parlait aussi dans le même sens que son chef, au lendemain de la déclaration de M. Trudeau. Il y en a plusieurs des autres capitales, des autres provinces, encore là, qui ont tenu des propos qui seraient de nature à nous rendre au moins responsables et qui nous permettraient, M. le Président, de demander au gouvernement où est l'urgence. Pourquoi ne terminez-vous pas votre travail de gouvernement qui doit être un gouvernement qui réponde à la volonté populaire, un gouvernement qui recherche véritablement, à l'intérieur du régime fédéral actuel, les améliorations qu'attendent les citoyens?

J'ai dit, M. le Président, qu'il y avait des éditorialistes, je n'en cite qu'un. On me fait signe que c'est long. Vous trouvez ça long, M. le Président? Pas vous, n'est-ce pas? Les gens d'en face trouvent ca long, mais j'ai à leur dire que je parle au nom de mon parti sur une motion de fond présentée par le leader parlementaire du gouvernement, et si je voulais prendre tout le temps qui est à ma disposition, là, l'impatience de ces messieurs se ferait encore mieux sentir. Mesdames, je sais que vous, vous êtes patientes et je sais fort bien également qu'on me laissera terminer, dans la plus grande sérénité, les propos objectifs que je veux tenir.

Dans ces propos, M. le Président, vous me permettrez de citer un journaliste chevronné, un éditorialiste reconnu pour son objectivité. C'est dans la Presse, Montréal, le mercredi, 30 septembre 1981, et en voici seulement quelques extraits: "Qu'est-ce qu'on fait maintenant que la Cour suprême du Canada a donné son avis sur le projet de rapatriement de la constitution?" Un peu plus loin dans l'article, on dit: "Il faisait plaisir d'entendre, aussitôt après, le premier ministre de la Colombie britannique, M. Bill Bennett, à son titre de porte-parole des huit provinces dissidentes, proclamer qu'il prenait bonne note des propos conciliants du chef du gouvernement canadien et annoncer du même coup qu'il ne se refusait pas à reprendre le dialogue. Bien plus, M. Bennett précisait qu'il discuterait de cette possibilité avec ses collègues des autres provinces au cours d'une tournée qu'il entreprenait dès hier des capitales provinciales. " C'est "le président" du premier ministre qui parle.

Cette branche d'olivier qu'on tendait des deux côtés de la barricade constituait une lueur d'espoir. D'ailleurs, si on se souvient bien des résultats du sondage Gallup commandité par les provinces elles-mêmes l'été dernier, la majorité des Canadiens interrogés d'un océan à l'autre avaient justement exprimé le voeu que, quel que soit l'avis de la Cour suprême, Ottawa reprenne les pourparlers avec les premiers ministres provinciaux. "Malheureusement - et je continue - le cabinet Lévesque n'a pas cru devoir donner suite à pareille ouverture. Avant même que le premier ministre Bennett ne soit arrivé à Québec pour ses consultations, la décision était déjà prise de convoquer d'urqence l'Assemblée nationale pour cet après-midi et de la prier d'adopter une motion de blâme à l'endroit de M. Trudeau. "

Un peu plus loin, je lis et je cite toujours M. Vincent Prince, de la Presse: "Le gouvernement Lévesque a peut-être vu dans la présentation d'une motion de blâme à l'endroit du projet Trudeau une occasion en or d'embarrasser M. Claude Ryan et les libéraux provinciaux. Il semblerait pourtant que, dans les circonstances, les questions de stratéqie devraient céder le pas à des considérations moins partisanes. "

Ce n'est pas moi qui écris, c'est l'éditorialiste. Il termine en disant - et je vous prie de m'écouter parce que vous vous dites: Mon Dieu, est-ce qu'il exagère? -"Non, ce qui me chicote tout simplement, c'est la façon précipitée de réagir du gouvernement Lévesque. L'Ontario et le Nouveau-Brunswick ont péché dans l'autre sens en pressant Ottawa d'en finir au plus tôt avec le rapatriement, mais les erreurs des autres ne justifient pas les nôtres. On devrait faire au moins un brève pause, qu'on consacrerait à un ultime effort dans la recherche d'un compromis, avant de s'engager ainsi dans un corps à corps sans merci. "

M. le Président, je viens de citer M. Vincent Prince, éditorialiste de la Presse. Je pourrais citer Ian MacDonald de la Gazette et d'autres qui ont parlé dans le même sens.

M. le Président, la population nous observe, la population se demande: Mais qu'est-ce qui s'est passé pour que l'Assemblée nationale qui ne pouvait pas être présente, apparemment, parce qu'il y avait trop d'ouvrage à faire... Probablement que les ministres étaient après concorter de nouvelles politiques. Durant les élections, cela fait déjà presque un an, on annonçait des mesures d'accession à la propriété, on annonçait des projets de toutes sortes. On présentait un budget qui devait, évidemment, répondre à tous les besoins. Mais, M. le Président, la population se pose des questions: Qu'est-ce qui arrive de toutes ces coupures budgétaires dont on a parlé tout l'été? Il n'y a jamais une journée sans qu'on parle de coupures budgétaires. On a un spécialiste des coupures budgétaires. Je ne voudrais pas faire de peine au ministre des Finances, mais il y en a un autre qui est devenu encore plus spécialiste des coupures; c'est le président du Conseil du trésor, nommé spécialement pour parler des coupures, M. le Président.

Il y a tellement de choses qui auraient justifié la convocation de l'Assemblée

nationale! Que l'on pense, par exemple, M. le Président, aux difficultés des PME; qu'on pense, M. le Président, aux coupures dans les programmes de nature agricole. Combien de cultivateurs s'inquiètent présentement, nous téléphonent et viennent à notre bureau? Il y a des résolutions, je ne sais pas combien nombreuses, de la part des associations de cultivateurs pour que l'on prenne des décisions non pas pour faire des coupures, mais dans l'intérêt de la classe agricole. Il y a les taux d'intérêts élevés; je n'en blâme pas complètement, évidemment, le gouvernement actuel, mais il faut prendre des mesures, cependant, afin de faire face à une situation qui affecte nos concitoyens particulièrement dans le domaine du logement. Qu'on pense à la situation des caisses d'entraide économique; qu'on pense également aux questions que l'on pourrait poser dans l'intérêt de la population sur certaines choses inquiétantes pour dire le moins; que l'on pense à la Société d'habitation du Québec, que l'on pense à tous ces reportages, que l'on a vus récemment dans les journaux, sur les dessous de la fête nationale. Et je vois ici, par exemple: "La Presse révélera dans cette série d'articles certaines décisions pour le moins étonnantes qui ont été prises par le premier ministre, René Lévesque, et quelques-uns de ses ministres au cours de la préparation de la dernière fête nationale. Il sera également possible de voir au cours des prochains jours comment le Parti québécois s'est servi de la fête nationale du Québec lors du référendum et des dernières élections et comment plusieurs militants péquistes et amis du parti en ont également profité financièrement. " Je vous invite à le lire.

Mais on ne peut pas poser de questions, il n'y a pas de session, M. le Président. Puis, là, on est appelé en catastrophe; parce que la Cour suprême a rendu son jugement lundi, mercredi il faut absolument être rendu ici, il faut absolument commencer à travailler parce que tout est en péril. M. le Président, pour une question qui dure non seulement depuis des jours, des semaines, des années, mais qui est, celle-là, par exemple, étroitement liée à un point de stratégie de la part du Parti québécois, prenons immédiatement cette question-là, amenons-la immédiatement à l'ordre du jour, ramenons les députés. Mais, M. le Président, si on dit qu'Ottawa devrait s'occuper d'économie... Je regardais les adversaires du gouvernement actuel. Qu'est-ce qu'ils disaient? Ils disaient au gouvernement libéral d'Ottawa: Tâchez d'arrêter votre constitution et occupez-vous d'économie". Le premier ministre et les ministres ici disent cela continuellement à Ottawa: Dépêchez-vous, occupez-vous d'économie, occupez-vous de ces problèmes-là. Oui, M. le ministre de la Justice, c'est ce que j'ai entendu de plusieurs de vos collègues: Que le gouvernement du Canada s'occupe de ses afffaires. (16 h 20)

On dit, du côté de la colline parlementaire à Ottawa, lorsqu'on parle du gouvernement actuel, qu'il est en train de couvrir son administration avec ce nuage de la constitution. N'aurions-nous pas raison, nous, ici même, aujourd'hui, de dire à ce gouvernement: Mais venez donc nous parler de votre administration, l'administration du gouvernement du Québec! Qu'on cesse d'employer Ottawa comme le bouc émissaire de tous les maux! Vous avez des milliards à administrer. Vous avez un budget à administrer. Vous avez à répondre dans le domaine social, vous avez à répondre dans le domaine économique, vous avez à répondre dans le domaine culturel de votre administration. Là, il serait temps de venir ici, ce serait urgent, mais l'urgence de 48 heures, pourquoi? Parce que cette question fait bien votre affaire. À ce moment, je me pose des questions au nom de ma formation politique.

M. le Président, je n'ai pas l'intention de poursuivre davantage. Je pense que le point a été fait. Nous allons donner au gouvernement l'occasion de répondre sur cette question d'urgence. Je tiens à vous dire que j'ai évité complètement d'aller au fond de la question. Le fond de la question, c'est la motion qui sera discutée dans quelque deux ou trois heures, j'imagine, où nous entendrons le premier ministre, où nous entendrons le chef de l'Opposition parler du fond de la question, et d'autres de nos collègues. D'après la motion qui est devant nous, vous nous donnez seulement jusqu'à vendredi, 12 h 45, et on est supposé avoir tout dit à la population ce qu'on avait à dire là-dessus! Je ne sais pas si on va continuer ensuite sur les questions plus importantes ou aussi importantes. Cela a l'air de finir là. Il faudrait peut-être nous dire quand on va revenir et à quel moment le gouvernement sera prêt. Je vous le dis tout de suite, quels que soient les doigts levés de l'autre côté, je suis prêt, et les députés libéraux sont tous prêts.

M. le Président, je vais terminer ces quelques remarques que j'ai voulu brèves. Je veux terminer, cependant, en disant que nous nous opposons à cette motion qui est devant nous, une motion qui veut que l'on mette de côté les règles de procédure normale, que l'on soit complètement, exclusivement tournés vers une question et limités à son étude et qu'ensuite on s'en aille chez nous et qu'on attende le bon vouloir du gouvernement pour les autres questions et que, pour discuter de cette question, on doive nous enlever, comme parlementaires, des choses comme des motions d'urgence, par exemple. Pourquoi nous empêche-t-on, dans cette suspension des règles, de pouvoir vous dire ou vous demander, M. le Président,

demain matin: Est-ce qu'on peut discuter d'un problème d'urgence qui survient? Il y en a tellement qui sont survenus que je pense que vous les qualifieriez de recevables. Non, c'est défendu dans la motion actuelle. On n'a pas le droit de parler de motions d'urgence.

Demain matin, cela a l'air qu'on va avoir une période des questions. On ne l'a pas enlevée, je ne sais pas si on a oublié de le faire, mais je pense que nous sommes bons pour la période des questions. Cela va permettre au moins de poser quelques questions et de souhaiter quelques réponses. En dehors de cela, nos mains sont liées. Je comprends que nous avons déjà dans le passé, et j'ai été un de ceux-là, déposé des motions d'urgence - on s'en rappelle - mais, évidemment, c'était dans des moments de véritable urgence. Il y avait, à ce moment, de véritables urgences.

Je soumets respectueusement que nous aurions pu laisser le gouvernement, le comité des priorités continuer son travail de préparation de la session qui s'en vient, j'espère. On aurait pu également permettre au premier ministre, au ministre des Affaires intergouvernementales de terminer ses consultations avec le comité des huit, on aurait pu voir quelles nouvelles ouvertures pouvaient survenir d'ici quelques jours et on aurait pu se réunir la semaine prochaine, non pas dans un mois ou dans un an, mais la semaine prochaine, à moins que certaines questions que j'ai soulevées ne soient à l'origine de cette décision.

M. le Président, je termine simplement en disant ceci: Je ne veux pas être désagréable, mais, j'ai eu l'impression, lorsque le premier ministre parle des "obsédés d'Ottawa", quant à la question constitutionnelle, je le dis, dans cette stratégie, il doit y avoir des obsédés du séparatisme qui se trouvent derrière justement cette convocation en catastrophe de l'Assemblée nationale.

Je termine en vous disant, M. le Président, que, quelle soit la décision qui sera prise éventuellement au cours de cette semaine par l'Assemblée nationale, quel qu'en soit le degré d'unanimité ou de non-unanimité, quel qu'en soit le degré, il y a une chose que je voudrais dire: Jamais celui qui vous parle et jamais aucun des membres de cette formation politique - je pense que je peux le dire - ne vont s'associer à tout geste posé par ce gouvernement, à tout propos de ce gouvernement ou du Parti guébécois qui seraient de nature à nous allier le moindrement à ces visées et à cet objectif qui sont ceux du Parti québécois, c'est-à-dire la séparation du Québec. Jamais nous n'allons dire non au Canada; ce sera oui au Canada, mais oui également au Québec que nous aimons beaucoup.

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader du gouvernement.

M. Claude Charron (réplique)

M. Charron: M. le Président, je vais vous dire tout de suite que je vais profiter, j'espère, de la même tolérance, non pas sur le fond de la motion, mais sur le fond du sujet, je dirais. Je vais essayer de répondre, comme il se doit, dans une circonstance comme celle-là, sur un ton peut-être différent de celui que mon vis-à-vis vient d'emprunter, mais qui sied mieux, je pense, à la circonstance. Je vais essayer de répondre à la partie la plus sérieuse de son intervention, parce que je crois qu'effectivement il y avait des questions qui, autant pour les membres de l'Assemblée que pour les citoyens et citoyennes du Québec, méritent d'avoir une réponse.

Je ne m'attendais pas à une manifestation aussi spectaculaire, à ce qu'il y ait un échange de questions sur l'à-propos de la convocation. Pourquoi, si on prend les mots du député de Bonaventure, nous convoquer en catastrophe? Mais parce que c'est une catastrophe, M. le Président; parce que jamais - j'ai à l'esprit des lignes écrites par le plus haut tribunal du pays et signées par neuf juges sur neuf - une menace aussi importante n'a pesé sur cette Assemblée nationale. Non seulement une menace aussi importante, mais une menace dont le calendrier est connu. Si, un jour, on avait convoqué l'Assemblée nationale, une fois la résolution votée à Ottawa, une fois le cheminement en train de se faire à Londres, avec la même profession de foi et de fidélité au Québec et, je crois, la même sincérité qui l'habite, le député de Bonaventure nous aurait battus en brèche, aurait foncé sur nous pour dire: Beau temps pour réagir, maintenant que le gâchis est fait!

Aujourd'hui, nous savons que ce calendrier existe et nous avons décidé d'intervenir à ce moment-ci, parce que c'est de nous qu'on parle, parce que c'est du pouvoir des Québécois que nous parlons. C'est cela qui est attaqué actuellement. Le député de Bonaventure soupçonne qu'on a fait cette convocation dans les heures qui ont suivi l'annonce de la réaction fédérale, comme il se doit, je crois, il soupçonne qu'on l'a faite, dit-il, en allusion, pour embarrasser son propre parti. Il sait comme moi que ce n'est pas une semaine de plus ou une semaine de moins qui aurait empêché son parti d'être embarrassé par cette question. (16 h 30)

Le député de Bonaventure nous dit: Pourquoi vous n'attendez pas que M. Trudeau soit revenu? Mais quand même, M. le Président, il n'est pas aussitôt revenu qu'il est parti, puis même lorsqu'il est là, il n'est

pas tout à fait là. Qu'est-ce que vous voulez que je fasse? Il a clairement laissé entendre à partir de Séoul, où il a daigné s'adresser à nous, que dans les circonstances, il sent que la mince ouverture, la mince faille que le tribunal impuissant a avoué reconnaître et qui lui permet de faire sans sanction légale un geste inconstitutionnel, il va en profiter, il va s'y faufiler. Et aux dernières nouvelles, à part un unique dissident, l'ensemble de la deputation, que vous connaissez mieux que nous, s'apprête à réaliser ses derniers voeux.

Dans les circonstances, tout le reste des questions du député de Bonaventure... Je veux bien, du mieux que je peux - surtout parce qu'il y en a une certaine qui mérite une réponse convenable - lui répondre, mais le fond de la question il est là. Si nous ne réagissons pas tout de suite... Je sais qu'on a cité un éditorialiste, je l'ai lu moi aussi, j'espère qu'il est à l'écoute et qu'il recevra ma réponse. L'éditorialiste en question disait: Cela me chicote cette session. J'espère qu'il nous suit et qu'il entendra les députés de chaque côté de l'Assemblée, et là-dessus, qu'il soit libéral ou membre du Parti québécois, un membre de cette Assemblée ne doit pas être un membre qui accepte, six mois après avoir sollicité d'entrer ici dans cette Assemblée de la part de la population du Québec, que cette Assemblée devienne plus petite que quand il y est entré.

M. le Président, c'est pour vous répondre à savoir que ce n'est pas un truc de lutte partisane où l'on se donne des crocs-en-jambe. Il s'agit de consulter une fois et solennellement les membres de l'Assemblée nationale parce que c'est cette institution qui est attaquée. Je peux vous en citer aussi des éditorialiste. Le Québec doit faire l'unanimité. Gilles Lesage, dans le Soleil, dit, premières lignes: "Plus que toute autre province le Québec doit rapidement faire l'unanimité pour protéger ses droits historiques et fondamentaux". Il dit même: "Les provinces et au premier chef le Québec doivent en quelque sorte prendre l'initiative avant qu'il ne soit trop tard. Il est par contre, dit-il encore, approprié que l'Assemblée nationale étudie et adopte dans les meilleurs délais une résolution faisant état de sa détermination quant au respect des droits fondamentaux du Québec et de la nécessité de respecter autant les conventions constitutionnelles que la lettre de la loi. "

Si le député n'a pas senti, si son caucus ne lui a pas transmis cette pression de la majorité des Québécois, à savoir que notre réaction ici soit non seulement digne de cette Assemblée, mais soit rapide, comme la gravité de la situation l'exige, alors, il y a quelque chose qui ne marche pas dans les communications entre le Parti libéral et la population du Québec. Mais cela c'est son problème. Quant à nous, nous la sentons cette pression, bien sûr. Depuis lundi matin sans cesse je me suis soumis... Dès dimanche... Ce que je voulais dire au député, c'est que dès dimanche on devait tout de suite répondre à des engagements sans savoir ce qu'allait être le jugement. On avait beau dire aux citoyens: Attendez que le jugement arrive, on voulait, parce que cela intéressait les gens, qu'on prenne tout de suite l'engagement de dialoguer avec la population sur le sujet. J'ai même participé à une émission radiophonique d'un ancien collègue de cette Assemblée, ici même dans la ville de Québec, hier, où dix sur dix des intervenants ont non seulement été loin de s'insurger contre le fait que l'Assemblée nationale se réunissait aujourd'hui; mais nous ont fait des suggestions afin que cette unanimité soit plus forte parce qu'elle est obligatoire dans les circonstances. Mais pourquoi le gouvernement ne fait-il pas son "home work" habituel? Où sont les huit? On les voyait toujours, les huit.

Est-que vous lisez toujours la même chose que moi? M. Bennett va faire en un temps record le tour des dix provinces qu'il se donne le devoir de consulter. Il était ici hier, il était à Charlottetown ce matin, d'où il nous a rejoint à nouveau. Il est à Terre-Neuve cet après-midi. Les journaux aujourd'hui abondent... M. Lyon a pris une position au nom de son gouvernement. M. Lougheed a évoqué la possibilité d'un référendum, et tout cela après que nous sommes en consultation non seulement depuis le début, mais encore dimanche, à Ottawa, les huit ministres étaient ensemble, et encore au moment de la lecture du jugement par le juge en chef de la Cour suprême. Dès lundi après-midi - j'étais présent au bureau du premier ministre - le chef du gouvernement était en communication avec tous ceux-ci, à l'exception de M. Lougheed qui était absent, comme chacun le sait, et de M. Buchanan qui était en campagne électorale. Mais tous ceux qui étaient disponibles ont respecté l'entente intervenue depuis plusieurs mois, à savoir qu'advenant ce jugement nous restions ensemble et que nous le faisions. Dans la ville de Montréal, une autre rencontre des huit ministres des Affaires intergouvernementales ou de leur éguivalent dans les Législatures provinciales est prévue pour vendredi soir et samedi toute la journée.

Nous n'avons rien abandonné parce que chacun de nous répond à l'intérêt de ses concitoyens. Bien sûr, nous travaillons peu, les huit, physiquement ensemble, mais nous faisons politiquement ensemble le même travail; M. Bennett l'a confirmé, hier. Effritement d'un front commun qui vient de recevoir des justifications à son travail? Effritement d'un front commun des provinces qui vient de se faire dire que la thèse qu'il véhicule depuis le début, à savoir que les pouvoirs des provinces étaient diminués par

le projet de charte des droits, ce que le fédéral a nié jusqu'à l'extrême limite, l'extrême limite étant le plaidoyer verbal devant la Cour suprême... Lisez le plaidoyer écrit déposé par le gouvernement fédéral devant la Cour suprême; il se refusait encore à reconnaître cette évidence que neuf juges sur neuf ont soulignée. Pourquoi y aurait-il effritement au moment où nous sommes en train de gagner?

Les huit délégués des gouvernements, à Londres, hier, ont ensemble, y compris sur le plan londonien qui devient plus important que jamais, manifesté leur cohésion. Les images de la télévision nous l'ont rapporté; les huit étaient présents, pour la première fois, à une conférence de presse commune. Laissons donc ces rumeurs d'effritement.

Moi aussi, j'ai une méfiance, je pense aux obsessions. J'ai toujours l'impression que, quand des gens se mettent à parler d'effritement, c'est parce qu'ils le souhaitent. Quand, de l'autre côté, on fait des pseudo-ouvertures, c'est parce qu'on recherche aussi l'effritement. Le plus intéressant dans le débat actuel, c'est précisément cette cohésion. Quand des pseudo-amis se' mettent à dire qu'ils constatent avec angoisse le début d'un effritement, je me demande qui ils servent. Je ne veux pas dire qu'on doit être naïf et que, quand des signes d'effritement arrivent, on ne doit pas les reconnaître et ne pas le dire, mais ne cherchons pas des failles où il n'y en a pas et surtout au moment où il ne doit pas y en avoir.

Il y a un dernier point que je dois reprendre, malheureusement, parce que je ne croyais pas que le débat de cet après-midi allait déborder sur cette question, la motion du premier ministre est terriblement plus importante que ce genre de querelle stérile. Le député de Bonaventure a fait allusion non seulement à notre parti, mais à l'instance de notre parti qui se réunit en fin de semaine et qui, lui, ne procédera à aucun virage en fin de semaine; il continuera à faire son travail comme il l'a toujours fait.

Vous n'avez pas à attaquer le Parti québécois dans cette bataille et vous n'avez pas à souligner la persistance et la consistance du Parti québécois parce que, le 13 avril dernier, quand on a demandé aux citoyens du Québec quel était le parti politique le mieux placé pour défendre les intérêts du Québec, la réponse, vous la connaissez mieux que nous. Je veux bien reprendre, moi aussi - je l'ai fait venir parce que je ne croyais pas à avoir à l'utiliser dans un débat de cette importance puisqu'on y a fait allusion, l'intervention du président du conseil exécutif du parti. Répondant à l'invitation du député de Bonaventure de la citer, je voudrais simplement lui faire remarquer qu'il a escamoté le paragraphe précédant celui qu'il a lu: "Le Parti québécois, dit M. Bernard...

M. Levesque (Bonaventure): Question de privilège.

Le Vice-Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous plaît!

Question de privilège, M. le leader de l'Opposition.

M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, je voudrais très simplement, très gentiment, rappeler au leader parlementaire du gouvernement que je n'ai pas escamoté, mais qu'au contraire j'ai invité le leader parlementaire du gouvernement à lire toute autre partie de ce texte que j'aurais, à ce moment-là, pour les fins de la discussion, passée sous silence. Mais je n'ai pas escamoté. Je pense que cela pourrait être interprété comme si j'avais voulu le cacher.

Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader parlementaire du gouvernement. (16 h 40)

M. Charron: M. le Président, le député de Bonaventure a stratégiquement oublié de lire le paragraphe qui précédait celui qu'il nous a lu. "Le Parti québécois est conscient de l'importance de la bataille qui va de nouveau s'engager. Il veut rappeler à toutes les Québécoises et à tous les Québécois qu'ils sont directement concernés par l'issue de cette bataille. C'est tout l'avenir de notre collectivité qui est en cause; il faut donc resserrer les rangs. "Le Parti québécois appuie de toutes ses forces les efforts déployés par le gouvernement du Québec pour empêcher Ottawa de rogner les pouvoirs, déjà hélas trop limités, dont dispose le Québec et il appelle toute la population du Québec à agir dans le même sens. " On rêve encore du jour où pareille phrase sortira du Parti libéral du Québec.

M. le Président, j'ai l'impression que l'intervention de cet après-midi était - c'est pour ça que je ne lui en voudrai pas -l'occasion pour le député de Bonanventure de marquer quelques remarques préliminaires à un débat qui, je le souhaite, devrait être d'une tout autre nature. C'était de bonne guerre, ça doit être respecté comme tel, mais mettons-y fin le plus rapidement possible car pour le reste, c'est-à-dire le débat sur une motion dont le texte est on ne peut plus clair, je souhaite, M. le Président, que ce débat se fasse avec la dignité que le sujet impose.

Quant à l'organisation matérielle du débat - dernière remarque que je ferai -c'est vrai que le vote interviendra à 12 h 45, vendredi après-midi. J'ai sans doute rêvé quand j'ai entendu des gens me suggérer jeudi soir, mais j'ai cru que 12 h 45, vendredi, permettait effectivement à

chacun... De notre côté, c'est une discipline encore plus sévère, parce que nous pourrions être plus nombreux à intervenir et nous acceptons de nous y ranger. Mais si jamais le désir de l'Opposition changeait et qu'elle choisissait d'étendre le débat de quelques heures, je ne crois pas, en principe, que je m'y opposerais, parce que ce serait tout à notre avantage. Je crois cependant, franchement, après lui en avoir parlé, que le délai ainsi fixé est tout à fait respectueux des droits de chacun, d'autant plus que nous sommes sur le point de nous partager l'enveloppe de temps qui se trouve ainsi fixée. Je crois que c'est tout à fait respectueux des membres de l'Assemblée dans les circonstances. Merci, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Est-ce que la motion du leader du gouvernement est adoptée?

M. Levesque (Bonaventure): Vote enregistré, M. le Président.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Que l'on appelle les députés.

(Suspension de la séance à 16 h 43)

(Reprise de la séance à 16 h 50)

Le Vice-Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous plaît!

Pour bien connaître la motion, je vous la lis. Je mets donc aux voix la motion du leader du gouvernement qui se lit comme suit: "Conformément à l'article 84, paragraphe 2, du règlement, qu'il y ait suspension de l'application des articles suivants: l'article 22, paragraphes 1 et 3 et premier alinéa du paragraphe 3, les articles 23, 30, 31, 33, 35, 36, 57, 77, 78, 79, 87, 88 et 91; que, nonobstant les dispositions de l'article 47, paragraphe 1, du règlement, toutes les séances de l'Assemblée soient publiques; que l'Assemblée puisse siéger à compter de maintenant jusqu'à 23 heures ce soir avec suspension des travaux de 18 heures à 20 heures; qu'elle puisse siéger demain, le jeudi 1er octobre, de 10 heures à 23 heures avec suspensions de 13 heures à 15 heures et de 18 heures à 20 heures; qu'elle puisse également siéger, le vendredi 2 octobre, de 10 heures à 12 h 45; que, nonobstant la suspension de l'application des règles ci-dessus énumérées, il y ait période de questions orales des députés au début des séances des 1er et 2 octobre; que la suspension de l'application des règles ci-dessus énumérées soit en vigueur dès maintenant et ce jusqu'à la mise aux voix de la motion qui est devant nous et qui devrait, selon le leader, intervenir à 12 h 45, le vendredi 2 octobre. "

Que ceux et celles qui sont en faveur de cette motion veuillent bien se lever!

Le Secrétaire adjoint: MM. Lévesque (Taillon), Charron, Mme Marois, MM. Bédard, Parizeau, Morin (Sauvé), Morin (Louis-Hébert), Bérubé, Landry, Lazure, Gendron, Mme LeBlanc-Bantey, MM. Lessard, Marcoux, Biron, Godin, Rancourt, Léger, Clair, Richard, Johnson (Anjou), Chevrette, Bertrand, Marois, Duhaime, Garon, Tardif, Léonard, Fréchette, Martel, Ouellette, Dussault, Gagnon, Mmes Harel, Lachapelle, MM. Paquette, de Belleval, Proulx, de Bellefeuille, Guay, Baril (Arthabaska), Blais, Dean, Fallu, Grégoire, Bisaillon, Mme Juneau, MM. Leduc, Marquis, Boucher, Lavigne, Beauséjour, Lévesque (Kamouraska- Témiscouata), Gauthier, LeMay, Perron, Bordeleau, Gravel, Champagne, Laplante, Brassard, Charbonneau, Baril (Rouyn-Noranda-Témiscamingue), Blouin, Rochefort, Brouillet, Rodrigue, Payne, Tremblay, Beaumier, LeBlanc, Lafrenière, Lachance, Paré et Dupré.

Le Vice-Président (M. Jolivet): Que ceux et celles qui sont contre veuillent bien se lever!

Le Secrétaire adjoint: MM. Ryan, Levesque (Bonaventure), O'Gallagher, Mme Lavoie-Roux, MM. Lalonde, Forget, Mailloux, Vaillancourt (Orford), Mme Bacon, MM. Marx, Bélanger, Bourbeau, Caron, Mathieu, Assad, Vallières, Lincoln, Paradis, Scowen, Picotte, Pagé, Gratton, Rivest, Fortier, Rocheleau, Maciocia, Cusano, Dubois, Sirros, Saintonge, Johnson (Vaudreuil-Soulanges), French, Mme Dougherty, MM. Kehoe, Houde, Middlemiss, Dauphin et Hains.

Le Secrétaire: Pour: 75

Contre: 38

Abstentions: 0

Le Vice-Président (M. Jolivet): La motion est adoptée.

M. le leader du gouvernement.

M. Charron: M. le Président, je voudrais maintenant proposer que l'Assemblée suspende ses travaux jusqu'à 20 heures et qu'à 20 heures, nous puissions reprendre avec l'intervention du premier ministre.

Motion réclamant que le gouvernement

fédéral renonce à sa démarche

unilatérale concernant la constitution

et reprenne les négociations

Le Vice-Président (M. Jolivet): Avant d'accorder cette suspension et de la passer aux voix, j'aimerais lire la motion sur laquelle vous aurez à discuter à partir de 20

heures ce soir. " La Cour suprême du Canada ayant décidé que le projet fédéral concernant la constitution du Canada réduit les pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec et que l'action unilatérale du gouvernement fédéral, bien que légale, est inconstitutionnelle, parce que contraire aux conventions, cette Assemblée réclame du gouvernement fédéral qu'il renonce à sa démarche unilatérale, s'oppose à tout geste qui pourrait porter atteinte à ses droits et affecter ses pouvoirs sans son consentement, et demande au gouvernement fédéral et à ceux des provinces qu'ils reprennent sans délai les négociations dans le respect des principes et des conventions qui doivent régir les modifications du régime fédéral canadien. "

Est-ce que la motion de suspension est adoptée?

Des voix: Adopté.

Le Vice-Président (M. Jolivet): II y aura donc suspension jusqu'à 20 heures ce soir.

(Suspension de la séance à 16 h 57)

(Reprise de la séance à 20 h 22)

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît: Veuillez vous asseoir. M. le premier ministre.

M. René Lévesque

M. Lévesque (Taillon): M. le Président, si l'Assemblée nationale a été convoquée d'urgence aujourd'hui, c'est parce qu'il y a deux jours la Cour suprême donnait enfin son avis sur le projet constitutionnel du gouvernement libéral d'Ottawa et que dans deux semaines le Parlement fédéral se réunit à nouveau avec présumément ce sujet comme première urgence là-bas aussi. Par conséquent, il nous a semblé non seulement indiqué, mais impératif qu'au plus vite ce Parlement-ci, à Québec, dise à nouveau en grande partie, mais redise aussi clairement que possible ce qu'il a à dire sur l'essentiel sans attendre à la dernière minute, afin d'éviter toute confusion et aussi afin que l'opinion chez nous et peut-être ailleurs ait le temps de prendre conscience de ce que nous avons à dire, je crois, au nom des Québécois, afin qu'on prenne conscience plus clairement que jamais de ce qui se passe en ce moment et de ce qui risque de se passer, parce que le coup de force fédéral, bien sûr, c'est au-dessus de nos têtes, nous ici, dans ce Parlement et, s'il fallait qu'il passe, au-dessus des têtes de tous ceux et de toutes celles qui nous suivront ici, qu'il est suspendu. Mais surtout, bien au-delà de ces parlementaires que nous sommes et qui passent, c'est toute la collectivité québécoise qui est menacée dans ses droits et dans ses intérêts les plus fondamentaux, les plus vitaux dont cette Assemblée est dépositaire et dont elle a le devoir d'être le rempart. S'il fallait qu'on l'oublie, s'il fallait qu'on se laisse aller et qu'on laisse faire ce qui s'est perpétré à Ottawa, ce Parlement-ci, à Québec, qui est le seul centre de décision politique qui appartienne en propre au peuple québécois, cet instrument déjà si pauvre, si largement démuni, dont tous les gouvernements du Québec qui nous ont précédés depuis le début du siècle ont souligné l'insuffisance, ce Parlement déjà si pauvre, il aurait accepté de se laisser encore diminuer et se serait condamné lui-même à l'insiqnifiance. Toute la population qu'il représente se trouverait du même coup réduite à une portion encore plus rabougrie que jamais de dignité et de moyens de défense collectifs, et même aussi de chances dans la vie, y compris dans la vie économique.

C'est aussi grave que cela, ce qui se passe et ce qui peut se passer. Il faut que cela soit compris. Il faut, si possible, que cela soit senti par tout le monde, par tous ceux et toutes celles qui ont conscience d'une chose qui est vraie ici, comme partout dans l'univers, c'est que les droits, les aspirations et les chances légitimes de réaliser ces aspirations pour chacun, pour chaque individu et, après lui, le cas échéant, pour ses descendants, ces chances augmentent ou diminuent fatalement - c'est plus ou moins grave, selon les cas, bien sûr, mais c'est inévitable, de toute façon - selon ce qui arrive aux droits, aux espoirs et à la santé de la société humaine dont cet individu fait partie.

Or, ce que la Cour suprême vient de constater et de déclarer, à propos du projet fédéral, devrait nous aider tous à mesurer cette qravité sans précédent de la crise qu'on nous a imposée. Ce que dit le tribunal à ce sujet, sur le fond et sur la manière, correspond précisément à ce que nous nous sommes évertués à dire et à répéter depuis l'an dernier. Cette opinion vient ainsi justifier et renforcer de façon décisive la cause que nous défendons depuis le début, côte à côte avec sept autres provinces, huit sur dix, ou alors huit des onze gouvernements élus dans ce pays.

Sans essayer de tout dire en détail, parce qu'il y en a pour 400 pages, mais sans rien fausser non plus - du moins, je le crois - je voudrais essayer de voir ensemble, si vous le voulez bien, ce qui était en cause devant le tribunal et ce qu'il en est résulté. En se rendant jusqu'à la Cour suprême, ce que le front commun des huit provinces résistantes voulait faire établir, ce sont trois choses bien distinctes: premièrement, on

demandait à la Cour suprême si, à son avis, le projet de résolution constitutionnelle fédéral portait atteinte aux droits et aux pouvoirs des Parlements provinciaux, à commencer, quant à nous, par cette Assemblée nationale où nous sommes. Il était important, il était devenu important de faire confirmer ce point, même si cela devait sauter aux yeux, pour quiconque sait lire et est un peu de bonne foi. C'était important, parce que, jusqu'à la toute dernière minute, jusqu'au moment même d'aller plaider devant la Cour suprême, M. Trudeau et son entourage s'acharnaient à nier cette évidence, à faire semblant de ne pas la voir. C'est seulement en entrant au tribunal, ce matin-là, après combien de mois de déformation des faits, qu'ils ont renoncé à cet effort persistant qu'ils avaient mené encore une fois depuis des mois pour fausser leur propre texte et pour empêcher la population d'en saisir la portée.

Ils avaient marché selon un vieux précepte, hélas trop souvent employé: Mentez, mentez, mentez assez longtemps, il en restera toujours quelque chose, même si on ne peut pas mentir toujours jusqu'au bout. Aussi, mieux vaut tard que jamais, il était devenu très important que la Cour suprême clarifie définitivement ce point. C'est ce qu'elle a fait à l'unanimité, neuf juges sur neuf.

Oui, le projet fédéral porte atteinte aux droits et aux pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec et, par là même, aux droits et aux pouvoirs et, par conséquent, à certaines des sécurités et des chances de développement les plus essentielles de tous les Québécois.

Je voudrais vous dire, si vous permettez, à quel point maintenant, et très rapidement, à quel point c'est vrai que cela porte atteinte aux droits et aux pouvoirs essentiels. Je vais reprendre très simplement le texte clé de cette opinion unanime de la Cour suprême, qui a été lu d'ailleurs à l'ouverture de la session, cet après-midi, mais pour les gens qui n'étaient pas là - je pense à nos concitoyens en même temps qu'à nous tous ici - ce texte, il est bon de le souligner, émane du tribunal même à qui serait confiée la responsabilité ultime d'appliquer cette réduction massive de nos droits et de nos pouvoirs politiques et leur transfert hors de notre contrôle. (20 h 30)

Voici donc en quels termes ce tribunal particulièrement intéressé à la question pour tout ce qui peut s'ensuivre reconnaît qu'il s'agit d'une diminution qui dépasse en importance tout ce qu'on n'a jamais vu. "La charte des droits - dit la Cour suprême à l'unanimité - aurait un effet rétrospectivement, de même que prospectivement, de sorte que les lois édictées par une province à l'avenir, de même que celles édictées dans le passé, même avant la Confédération, seraient susceptibles d'être attaquées en cas d'incompatibilité avec les dispositions de la charte des droits. Cette charte diminuerait donc l'autorité législative provinciale sur une échelle dépassant l'effet des modifications constitutionnelles antérieures pour lesquelles le consentement des provinces avait été demandé et obtenu. " Cela dépasserait - je le répète - "l'effet des modifications constitutionnelles antérieures. " Tout ce qui a pu être fait avant et tout ce qui avait été fait avant, et qui était infiniment moins que cela, avait toujours obtenu le consentement des provinces avant d'être effectué.

Avant que soit publiée cette opinion énorme, catégorique et unanime de la Cour suprême, nous avions nous-mêmes fait analyser, par des juristes réputés, cet effet évident du projet fédéral sur les compétences du Québec, et le rapport que ces juristes nous ont fait a été déposé ici même, à l'Assemblée nationale, il y a quelque temps. C'est ce rapport qu'on a fait résumer le mieux possible, sans le fausser, j'en suis convaincu, dans cette brochure du gouvernement - non pas une brochure d'un parti, mais du gouvernement - que, malheureusement, le député de Bonaventure, dans l'effervescence de cet après-midi, essayait, un peu tristement, de caricaturer en la traitant de propagande.

Pourtant, le titre de cette brochure, "Minute Ottawa", correspond à peu près exactement - j'y reviendrai dans quelques instants - à ce que la Cour suprême essaie elle-même de dire à l'actuel gouvernement fédéral. Cette brochure n'invente rien. Non seulement elle n'invente rien, mais elle ne déforme rien, non plus, autant que je sache, et elle ne va pas aussi loin que ce qu'implique l'opinion même de la Cour suprême. Je ne la lirai pas en détail, bien sûr, mais j'inviterais tout de même tous nos concitoyens qui le veulent bien à le faire. Ceux qui l'ont fait, à partir des opinions des juristes, se sont vu confirmer - et même au-delà de confirmer - par l'opinion unanime de la Cour suprême, qu'on a essayé de vulgariser, de simplifier, les implications de ce projet fédéral en ce qui concerne nos droits et nos pouvoirs collectifs.

Je vais lire, si vous le permettez, simplement la conclusion: "L'opposition du Québec au projet constitutionnel d'Ottawa et au coup de force qui le caractérise ne résulte pas uniquement de l'inévitable tension entre deux paliers de gouvernement. Les dangers qui pèsent sur le Québec en raison de ce projet sont réels. Le gouvernement du Québec, comme les autres gouvernements provinciaux, doit pouvoir continuer à appuyer les orientations de développement économique qu'il s'est tracées pour le mieux-être de la population qui l'a élu. En conséquence, il

doit conserver son droit de subventionner en priorité les entreprises enracinées sur son territoire, de s'approvisionner en priorité auprès des producteurs et des fournisseurs québécois et d'assurer aux travailleurs du Québec la priorité d'embauche sur les chantiers financés avec leurs propres taxes. " Or - je le soumets à tout le monde ici et à tous les Québécois ou les Québécoises qui peuvent assister à cette séance de l'Assemblée nationale par la télévision - tout ce que, brièvement, je viens d'énumérer devient désormais non seulement contestable, mais contesté à volonté par quiconque, si ce projet fédéral passe, trouverait de son intérêt de nous empêcher de fonctionner, ainsi que je viens de le décrire.

Je reprends rapidement la dernière page de cette brochure que le gouvernement du Québec a publiée il y a quelques jours: "De plus, le gouvernement du Québec, en tant que gouvernement d'une nation ayant une identité propre, a le devoir de lui assurer la sécurité et le développement. Pour ce faire, il doit conserver tous les pouvoirs lui permettant de mettre en place les outils nécessaires à la protection et à la promotion de la langue, de la culture et de tout ce qui fait du Québec une société unique. Il doit aussi en acquérir de nouveaux. " Cela fait longtemps que c'est dit; c'est toute la question du partage des pouvoirs, de l'évolution qui fait les besoins de plus en plus pressants, chez nous en particulier, d'un élargissement du régime au moins. Laissons de côté des pouvoirs nouveaux; ceux qui existent - et depuis 114 ans - dans le projet fédéral, dans ce régime transformé qu'on veut nous imposer, ça pourrait rapidement nous être interdit, même dans ce domaine qui est de l'essence même de notre identité.

La conclusion est celle-ci: "Au cour de la période référendaire, les autorités fédérales ont promis des chanqements constitutionnels. Personne, au Québec, n'a compris que ces changements diminueraient les pouvoirs de l'Assemblée nationale et joueraient contre les Québécois. " Est-ce qu'il y a quelqu'un qui peut dire le contraire, ici, dans cette Chambre ou n'importe où au Québec? "C'est pourquoi le Québec, disons-nous en terminant, a aussi le devoir de refuser la camisole de force qu'Ottawa tente de lui passer ou alors, comme je le disais hier, pour ma part, jamais nous n'accepterons un tel dépouillement de nos droits les plus chers et je crois bien qu'aucune femme, qu'aucun homme politique québécois digne de ce nom ne pourra jamais l'accepter. C'est un devoir national de faire en sorte que jamais ce projet funeste ne se réalise.

Je dois ajouter tout de suite, en pesant bien mes mots, que si cela devait se réaliser tel quel à Ottawa et puis à Westminster, il n'est pas question que le gouvernement du

Québec, il n'est pas question pour ce gouvernement ni pour la majorité ministérielle tant qu'ils seront là l'un et l'autre - j'espère que toute l'Assemblée nationale sera d'accord là-dessus - d'évacuer quelque champ que ce soit de nos compétences législatives ni de renoncer à faire, dans l'intérêt de nos concitoyens québécois, tel que nous le percevons et chaque fois qu'il nous apparaîtra clair, les meilleures lois, les meilleurs règlements, les meilleurs programmes que nous pourrons préparer, même si cela devait mener à la démonstration par l'absurde de l'invivabilité du nouveau régime dans lequel on prétend nous enfermer et, en conscience, je ne vois pas comment on pourrait faire autrement.

Voilà ce qui découle dès maintenant de ce que la Cour suprême unanimement a répondu à la première question qui lui était posée.

Quant à la deuxième à laquelle le tribunal, aux deux tiers cette fois, a également répondu par l'affirmative, il en ressort avec tout autant de clarté qu'en plus d'être totalement inacceptable et de nous mener tout droit à l'absurdité, le projet fédéral est également illégitime, politiquement immoral, parce qu'il va contre une règle de conduite établie, reconnue depuis toujours et que personne, jusqu'à présent, depuis les débuts de la fédération canadienne, n'avait osé enfreindre. C'est cela que déclare la Cour suprême. Cette règle, c'est elle qui s'appelle la convention constitutionnelle. (20 h 40)

Convention, c'est un mot auquel il va falloir s'habituer. Jusqu'ici, dans le contexte politique courant, ce n'était pas un mot qu'on employait souvent. On sait bien, dans tous les secteurs de la vie collective, qu'il y a des conventions. Il y a des conventions sociales, des conventions diplomatiques, des conventions internationales. Elles ne sont pas écrites, mais, sur ces conventions repose quand même très souvent l'essentiel de ce qu'on a pu réaliser comme civilisation, autrement dit, l'essentiel de ce qui rend le monde à peu près vivable parce que ce sont des choses auxquelles on peut, ou, en tout cas, on croit pouvoir se fier, parce qu'elles sont établies, et elles ont été établies et respectées assez longtemps pour que personne, normalement, n'ose les enfreindre.

Dans le domaine constitutionnel, la convention du régime fédéral dans lequel nous sommes, qui n'a jamais été brisée jusqu'à présent, c'est qu'un chambardement unilatéral du système est une chose qui ne se fait pas. Comme on dit en anglais, dans l'anglais classique de ces îles britannigues qui ont inventé le système parlementaire dans lequel nous sommes, "it is not done", ça ne se fait pas.

C'est ce que la Cour suprême dit de la

façon suivante: "Le principe fédéral est irréconciliable avec un état des affaires où l'action unilatérale des autorités fédérales peut entraîner la modification des pouvoirs législatifs provinciaux. Il irait vraiment -ajoute-t-elle - à l'encontre du principe fédéral qu'un changement radical de la constitution soit décidé à la demande d'une simple majorité des membres de la Chambre des communes et du Sénat canadien. "

Il me fait plaisir de souligner, d'ailleurs, que le chef de l'Opposition évoquait il y a trois jours une indication concrète, qui est également fournie par le tribunal, de l'importance fondamentale de cette règle. "La cour nous rappelle - disait M. Ryan - que cette convention constitutionnelle a été acceptée à l'état de principe par le gouvernement fédéral lui-même dans le livre blanc de M. Guy Favreau en 1965". Donc, une convention explicitement acceptée à ce moment-là par le gouvernement fédéral, le même gouvernement d'Ottawa, parce qu'il y a une succession dans le respect des conventions, et il y a une succession dans les engagements des gouvernements, on sait cela.

J'ajouterai juste une illustration qui est également fournie par la Cour suprême de ce poids extraordinaire des conventions établies, sans le respect desquelles on en viendrait à ne plus pouvoir se fier à personne. Pour parler vulgairement, c'est cela que cela veut dire.

La Cour suprême nous donne cet exemple-ci qui est tiré de la vie politique et même de la vie électorale, et qui va sûrement intéresser tout le monde dans cette Chambre et probablement stupéfier aussi beaucoup de gens, beaucoup de Québécois et de Québécoises qui nous écoutent et nous voient fonctionner ici aujourd'hui. Par exemple, dit la Cour suprême, selon une exigence fondamentale de la constitution, si l'Opposition obtient la majorité aux élections, le gouvernement doit offrir immédiatement sa démission, mais si fondamentale soit-elle, cette exigence de la constitution ne fait pas partie du droit constitutionnel. Elle n'est pas écrite et, légalement, on n'est pas obligé. C'est une convention.

Une autre exigence constitutionnelle veut que la personne nommée premier ministre fédéral ou provincial par la couronne et qui est effectivement le chef du gouvernement ait l'appui - une convention, une autre exigence constitutionnelle - de la Chambre élue, de la Législature. En pratique, ce sera, dans la plupart des cas, le chef du parti politique qui a gagné une majorité de sièges à une élection générale. Les autres ministres sont nommés par la couronne sur l'avis du premier ministre fédéral ou provincial lorsqu'il forme ou qu'il remanie son cabinet et les ministres doivent continuellement jouir de la confiance de la

Chambre élue, de la Législature, personnellement et collectivement. S'ils la perdent, ils doivent soit démissionner soit demander à la couronne de dissoudre la Législature et de tenir une élection générale.

La plupart des pouvoirs de la couronne en vertu de la prérogative sont seulement exercés sur l'avis du premier ministre ou du cabinet, ce qui signifie que ces derniers l'exercent effectivement, ainsi que les innombrables pouvoirs délégués par les lois à ce qu'on appelle la couronne, ou le lieutenant-gouverneur en conseil dans notre cas. Tout cela est l'armature même du fonctionnement d'un gouvernement face à la Chambre, etc.

La Cour suprême ajoute ceci: "Pourtant, on peut dire qu'aucune de ces règles essentielles de la constitution n'est du droit constitutionnel. Il n'y a pas de loi écrite nulle part qui oblige à cela. C'est une convention. "

Or, à Séoul, l'autre soir, la seule fois où il a daigné s'adresser à son bon peuple depuis les antipodes et la seule fois, semble-t-il, où cela arrivera jusqu'à son retour vers le 10 octobre, quatre jours à peine avant la convocation du Parlement fédéral, M. Trudeau, - à Séoul, donc - traitait cette règle fondamentale avec une extrême légèreté en disant: Vous savez, les temps changent, il faut s'adapter à l'évolution et cela peut, à l'occasion, nous amener à briser des conventions. C'est malheureux, semblait-il ajouter, mais c'est ainsi. Or, c'est lui qui a décidé cela tout seul, avec l'appui, majoritaire jusqu'à présent, d'une députation, hélas! dont la servilité n'a pas beaucoup d'exemple dans l'histoire. S'il devait persister dans cette voie qui est celle de l'autocratie pure et simple, de l'après moi le déluge, -on remarquera que c'est tout un précédent qu'il établirait - à quoi pourrait-on s'attendre par la suite? Sur quelle bonne foi, sur quelle règle fiable pourrait-on s'appuyer désormais, en tout cas, face, tant qu'il sera là, à ce même gouvernement fédéral? C'est d'autant plus effarant que le prétexte qui est constamment repris par M. Trudeau et ceux qui sont la voix de leur maître, c'est qu'il est devenu absolument nécessaire, indispensable et inévitable qu'on brise toutes les conventions au besoin, parce que cela fait 50 ans - parfois, c'est 54 ans, cela dépend de l'humeur du moment - ou 54 ans que cela dure comme cela, que c'est bloqué et qu'il faut donc en finir.

Je n'ai pas examiné en détail les 54 dernières années, je l'avoue, mais je sais une chose, c'est que, depuis 14 ans, depuis 1968, depuis l'arrivée du gouvernement de M. Trudeau à Ottawa, si cela n'a jamais débloqué, c'est justement parce que toujours, sans arrêt, jusqu'à Ottawa l'an dernier et depuis, et jusqu'à ce jour, toutes les demandes le moindrement substantielles des

provinces, si justifiées fussent-elles depuis des générations parfois, se sont heurtées à un mur et que, de son côté, ce gouvernement fédéral n'a jamais abandonné son idée constante, fixe de diminuer les provinces, de réduire leurs droits, de réduire leurs pouvoirs et de centraliser tout ce qui peut l'être entre les mains du fédéral. À cela, de notre côté, à Québec et dans sept autres provinces en ce moment, on n'a pas pu faire autrement que d'opposer, nous aussi, un mur. Incapables absolument de briser son refus total, global de tout renouveau qui corresponde à leur évolution, à leurs besoins de plus en plus pressants, les provinces ont mis de l'eau dans leur vin, ont accepté d'attendre d'abord, tout en continuant à essayer de convaincre Ottawa. Mais M. Trudeau, lui, l'an dernier, a décidé de ne plus attendre sa propre satisfaction dans le respect des règles et des conventions. Il a froidement décidé de briser les conventions établies et, ne pouvant quand même, dans ces conditions, faire cela complètement ici, au pays, il s'est vite décidé de tourner la difficulté en faisant compléter l'ouvrage à l'étranger. L'étranger, c'est le Royaume-Uni qui, curieusement, n'a aucune constitution écrite, n'a pas de droit constitutionnel écrit, le Royaume-Uni dont tout le régime repose essentiellement sur le respect des conventions; comme quoi on n'en est pas à une absurdité près. (20 h 50)

Seulement, il faut dire, comme le dit la motion qui est devant nous, que tout en étant absolument inacceptable et invivable, tout en étant totalement illégitime et inconstitutionnel, il arrive qu'au sens strict, comme l'a dit la majorité de la Cour suprême dans la réponse à la troisième question qui lui était posée, le coup de force fédéral n'est pas illégal. Il est tout ce que je viens de dire, tout le monde est d'accord là-dessus et la Cour suprême, par deux jugements le confirme, mais au sens strict, ce n'est pas illégal, parce que n'ayant jamais imaginé qu'on irait jusque-là, personne n'a songé dans le passé à faire passer cela dans le droit écrit, à boucher ce qui est en quelque sorte, en termes de profane, un vide juridique. C'est par cette fente, aussi étroite et foncièrement répugnante, à part cela, en démocratie, qu'à Ottawa, MM. Chrétien, Trudeau et ceux qui les entourent semblent, pour l'instant, décidés à passer pour se rendre dans cet état jusqu'à Westminster où, si j'ai bonne mémoire, quelqu'un, un jour, a eu cette remarque terrible: Si cela vient comme cela chez nous, on sera peut-être obligé de le passer, mais en se bouchant le nez. C'est à cela que peut nous réduire, dans l'état où il est, le projet fédéral.

Pour les gens que le mot "légalité", surtout l'abus qui en a été fait dix minutes après le jugement de la Cour suprême, une heure après, par tous les porte-parole fédéraux, même je dois dire par certains tons et certains accents qu'ont pris automatiquement certains des porte-parole de l'information, dans certains médias d'information, pendant quelques heures, on entendait dire seulement: C'est légal. On ne parlait pas du reste. Entre autres, s'il y a un personnage qui, dans sa première réaction, n'a dit pas un traître mot du reste, c'est le ministre de la Justice fédéral, M. Chrétien.

Un des meilleurs observateurs, je crois, de la scène politique et un des meilleurs commentateurs de la réalité, en termes qui, je crois, peuvent rejoindre tout le monde et qui ne faussent rien, M. Décary, dans le Devoir, il y a une couple de jours, disait ceci sur tout cet ensemble: "La victoire légale est mince, parce qu'elle est négative. La cour ne dit pas qu'Ottawa a le droit d'agir unilatéralement, elle dit qu'aucune loi ne l'empêche de le faire et va même jusqu'à reconnaître, dans sa réponse à la question québécoise, qu'aucun statut ne permet - c'est sûr - à Ottawa de faire ce qu'il fait. C'est donc sur le silence de la loi que peut s'appuyer Ottawa, ainsi que sur le fait que la cour n'entend pas se mêler d'une chose qui, à son avis, relève de la compétence du Parlement britannique et qui, puisqu'elle n'est qu'à l'état de résolution, échappe au contrôle des tribunaux; les tribunaux ne se préoccupent que de lois. C'est d'une victoire procédurale, par conséquent, qu'il faut parler, la cour reconnaissant même que le Parlement fédéral n'aurait pu accomplir, par une loi, ce que le silence de la loi lui permet d'accomplir par résolution. "La cour, ajoute M. Décary, met un soin particulier à rappeler qu'une convention fait partie intégrante de la constitution du pays et même que certaines conventions ont plus d'importance que des lois et, en constatant que le principe fédéral est irréconciliable avec une démarche unilatérale, la cour porte un jugement dont la sévérité surprend et qui échappe à ce qu'il est convenu d'appeler la réserve judiciaire -l'espèce de discrétion à laquelle s'obligent en général les tribunaux. "Cette partie du jugement, dit encore M. Décary, prend parfois l'allure d'un véritable sermon: Minute Ottawal adressé à l'autorité fédérale comme si les juges, sachant qu'ils prêchent dans le désert, voulaient quand même faire passer leur message. "

Est-ce que, si c'est un peu cela qui est entre les lignes - je crois que c'est très clairement cela - le tribunal avait raison de penser qu'il passait son message, mais que cela s'en allait dans le désert? Jusqu'à présent, hélas, je dois dire que rien ne permet de penser le contraire. D'une part, le ministre fédéral de la Justice se précipite, avant même d'avoir commencé à lire les

opinions de la Cour suprême, lundi, en début d'après-midi, pour nous avouer sans ménagement, sans aucune précaution, sans distinction, que la seule chose qui lui importe, c'est la stricte légalité ou la non-illégalité de la manoeuvre unilatérale et que, par conséquent, il va, je le cite, procéder "le plus tôt possible à aller au Parlement et à Westminster puisque, selon lui, l'étape des consultations avec les provinces est terminée et que le temps, je le cite encore, est venu de mettre fin au débat constitutionnel".

À aucun moment M. Chrétien n'a semblé envisager qu'il pouvait même être question de quoi que ce soit qui puisse s'appeler des négociations. On était quelque peu loin des mises en garde d'une sévérité sans précédent de la Cour suprême.

Quelques heures plus tard, dans sa déclaration de Séoul, le premier ministre fédéral nous confiera pour sa part, comme je l'ai dit, que la convention constitutionnelle est devenue, quant à lui, inapplicable. Et il donne les preuves, les cinquante ans ou les cinquante-quatre ans, ou les treize derniers mois, etc. Pour lui, il n'y aurait donc plus d'autre choix que de procéder. D'ailleurs, les étapes à franchir sont déjà précisées par M. Trudeau: Lire le jugement - ce qui n'est pas inutile, il ne peut pas le lire entre la Corée et l'Australie - recevoir l'avis de Mme Thatcher, qu'il va rencontrer en Australie, consulter à son retour, vers le 10 octobre, le cabinet fédéral - sans compter le téléphone, je suppose - et le caucus des députés de son parti, "examiner" les réactions des provinces, et puis faire jouer le Parlement et Westminster.

Là-dedans, y a-t-il vraiment encore place pour une reprise des négociations, comme le demande, mais conditionnellement, la motion qui est devant l'Assemblée nationale? J'allais oublier, c'est vrai, ce que certains ont tenu tout de suite à appeler une ouverture spectaculaire, qu'on dit plutôt en anglais, "an overture", c'est-à-dire, tout à coup, une espèce d'attitude accompagnant la phrase où M. Trudeau disait: "Je vais quand même voir si on ne peut pas agir prudemment. " D'aucuns ont baptisé cela tout de suite un rameau d'olivier. Tout en disant lui aussi, comme M. Chrétien, qu'il est très pressé et que ça urge de tout finir ça, c'est vrai que M. Trudeau a dit ceci, cette phrase historique: "Je n'ai pas écarté absolument la possibilité d'écouter ce que les provinces ont à dire. " Comme si les provinces - en tout cas, huit d'entre elles - ne l'avaient pas dit et redit inlassablement depuis l'an dernier, et comme si on n'avait pas fait beaucoup de chemin, aussi souvent, extrêmement douloureux.

Premièrement, devant l'imminence du danger créé par le projet fédéral, nous avons dû nous résigner à laisser tomber jusqu'à nouvel ordre, jusqu'au dénouement de cette crise en tout cas, toute la question fondamentale au Québec, qui est au fond de tout depuis au moins une ou deux générations, toute la question fondamentale, dis-je, du partage des pouvoirs réclamé depuis tant d'années. Pour le Québec, en particulier, ça voulait dire aller aussi loin dans la voie du compromis qu'on n'a jamais pu y aller en tout cas de mémoire d'homme. Après quoi, avec les sept autres provinces, nous avons fini par nous résigner, aussi, pour limiter les dégâts, encore une fois, à accepter un rapatriement qui pourrait être immédiat, sans autre "renouveau", entre guillemets, que ce complément quand même indispensable d'une formule d'amendement, et une formule d'amendement qui soit acceptable, et non pas unilatéralement imposée.

Pour reprendre les termes de M. Trudeau, ce que les provinces ont à dire, est-ce qu'elles ne l'ont pas dit, huit sur dix? Qu'est-ce qu'on pourrait offrir de plus qui soit agréable au prince? Jusqu'à preuve du contraire, il faudrait tout simplement s'effondrer complètement devant son bon plaisir, et ça, c'est exclu, absolument. (21 heures)

Pour ce qui est de négocier, si le mot veut encore dire quelque chose, s'il y a quelqu'un d'un côté et quelqu'un de l'autre et que l'un écoute l'autre et vice versa et qu'on en tient compte. Si le mot veut encore dire quelque chose, nous n'avons jamais refusé - pas plus nous du Québec, au gouvernement ici, de ce côté-ci de la Chambre, que les sept autres provinces avec lesquelles nous avons établi un front commun - et nous ne refuserons pas non plus dans l'avenir, mais il faudra qu'il s'agisse tout de même de véritables négociations où l'on reconnaît et accepte la dignité de l'autre, son droit d'avoir ses revendications, où, en tout cas, c'est littéralement la défense de ses intérêts les plus vitaux et, dans notre cas, les droits du Québec.

La Cour suprême a maintenant déclaré que le consentement des provinces est constitutionnellement nécessaire pour autant qu'on veuille encore avoir une constitution respectable. L'unanimité de ce consentement, que beaucoup ont entretenue comme une des conditions essentielles, n'est même plus là, mais au moins un consentement qui est appelé par quelqu'un une double majorité. Pas seulement une majorité unilatérale dans les deux Chambres du Parlement fédéral, mais une majorité des deux côtés au moins. Sinon, qu'est-ce qui peut s'appeler un consentement? C'est nécessaire, si les droits de ces mêmes provinces sont mis en cause. Même si M. Trudeau, jusqu'à présent, refuse absolument de reconnaître cette nécessité. Autrement dit, il est terriblement clair que nous ne pourrons pas reprendre les négociations à moins que M. Trudeau ne

commence lui-même par accepter le jugement de la Cour suprême, qu'il reconnaisse la nécessité du consentement provincial et qu'il renonce à agir unilatéralement. Parce que, autrement, en se rendant à une table de négociation, non seulement on se trouverait à abdiquer, à renoncer à nos droits, mais, à toutes fins utiles, à faire sombrer tout le processus dans le ridicule final.

D'ailleurs, ce préablable que je pose de nouveau ici, dans cette Chambre, n'est pas nouveau. Ce n'est pas nous seuls, ici au Québec, qui l'avons inventé. C'est celui qui était et qui demeure inscrit dans l'accord qu'à huit, en laissant trois places ouvertes pour les deux gouvernements provinciaux et le fédéral, s'ils voulaient se joindre à nous éventuellement, nous avons signé en avril dernier.

C'est donc un préalable qui est accepté par les autres provinces au nombre de huit, avec nous. Quant à nous, nous nous en tenons à cet accord qui, si le gouvernement Trudeau acceptait de s'y rallier, constituerait une façon acceptable de résoudre cette crise qui s'enfonce dans l'absurde.

J'ajoute, à cet égard, que cet accord, qui a déjà reçu l'assentiment de huit gouvernements sur onze, nous permettrait de rapatrier - si quelqu'un tient vraiment d'urgence à ce rapatriement - la constitution sans délai. Il contient également une formule d'amendement qui, tout en garantissant, à notre avis, pleinement les droits du Québec et des autres provinces, est beaucoup plus flexible et dynamique que celle de Victoria. Mais, enfin, c'est une base possible de négociation. Qu'au moins on en arrive à un consentement là-dessus; on sait à quel point c'est central de s'entendre sur ça.

Enfin, on y prévoit un mécanisme pour poursuivre les négociations de façon intensive sur l'ensemble d'une éventuelle réforme ou d'un éventuel renouveau constitutionnel. M. Trudeau n'a qu'à signer cet accord et le problème, actuellement insoluble, serait résolu, au moins pour débloquer l'impasse.

Mais, si tel n'est pas le cas, par tous les moyens légitimes, il faut résister. Et l'un des moyens les plus solennels et les plus significatifs est justement celui qui nous réunit aujourd'hui; c'est la voix et le poids de l'Assemblée nationale du Québec. Il faut que l'Assemblée dise non, clairement et massivement, à ce que tous les gouvernements et Parlements du Québec ont toujours refusé, sauf que, cette fois-ci, c'est pire que tout ce qu'on a tenté de nous infliger dans le passé.

Le chef de l'Opposition a lui-même confirmé, de façon éclatante, son accord avec cette constante de la politique québécoise, lorsqu'il rappelait, lundi dernier, que lui-même et son parti refusaient toute solution qui aurait pour effet de diminuer les pouvoirs actuels du Québec. Je le cite: "Nous autres, du Parti libéral du Québec, n'avons jamais consenti, ne pouvons pas consentir et ne pourrons pas consentir à ce que l'Assemblée nationale du Québec soit dépouillée du pouvoir législatif qu'elle détient en vertu de la constitution ou que ses pouvoirs soient amoindris ou diminués ou transférés. Le Parti libéral ne peut pas accepter une chose comme celle-là. C'est un point qui doit être bien clairement établi et qui a été ratifié, comme vous le savez, par notre conseil général tenu la semaine dernière", soit le moment où le chef de l'Opposition répétait l'essentiel de ces propos. Or, la mise en application du pouvoir fédéral, ai-je besoin de le répéter, diminuerait effectivement et tragiquement nos pouvoirs dans une foule de domaines, remettant en cause l'équilibre atteint dans notre société, si souvent péniblement d'ailleurs, que ce soit dans sa vie sociale, culturelle ou économique, sans oublier qu'on assisterait aussi à une chute brutale et, dans le régime tel qu'il serait transformé, en tout cas, irrémédiable de notre poids politique dans l'ensemble canadien.

Il nous arrive constamment, et il va nous arriver encore aussi souvent, de ne pas être d'accord entre nous sur certaines politiques, sur les modalités, encore plus, d'application de nos politiques, sur des stipulations de nos lois ou de nos règlements. Mais comment ne pas faire l'unanimité entre nous lorsqu'on nous propose rien de moins que de nous tronquer notre pouvoir de faire des lois selon nos compétences reconnues depuis au-delà de 100 ans, lorsqu'on nous propose rien de moins que de nous retirer le libre exercice de notre démocratie dans des secteurs aussi vitaux de la vie collective? C'est une parenthèse, mais une parenthèse que je voudrais souligner: J'ose croire également que les députés élus par les citoyens et les citoyennes du Québec pour les représenter à Ottawa l'ont été, au moins dans les moments cruciaux sûrement, pour faire entendre là-bas d'abord et avant tout la voix du Québec et les droits de ce peuple. Il leur incombe, à eux aussi, d'exprimer l'opposition des Québécois et d'influencer le cours des choses - ils sont bien placés pour le faire s'ils en avaient la moindre volonté, s'ils en retrouvent la moindre volonté - dans le sens des aspirations et de la volonté clairement majoritaire de leurs commettants. On peut espérer, au moins, qu'ils s'en souviendront avant qu'il soit trop tard.

En terminant, je reviens forcément à nous, à nous autres dans cette Assemblée, qui assumons la dignité de députés québécois à Québec. Je suis sûr que nous saisissons tous l'importance primordiale en ce moment de toute la solidarité possible et, si possible, cette fois, de l'unanimité en pareille circonstance. Est-ce que nous saurons, cette

fois-ci, nous rallier à un idéal commun qui, bien que souverainement important, demeure aussi terriblement modeste, qui est celui de conserver, tout juste de conserver aux Québécoises et aux Québécois l'humble, le très humble acquis de leur histoire? Aurons-nous suffisamment de détermination pour exiger tous ensemble que notre consentement soit nécessairement requis avant qu'on procède ailleurs à des modifications qui nous affectent directement? J'ose croire, M. le Président, que les membres de l'Assemblée nationale sauront taire ce qui les divise d'ici à vendredi, 12 h 45, pour exprimer ce qui, là-dessus, me semble-t-il, doit tous les unir.

Par cette voie démocratique de l'adoption d'une résolution ici à l'Assemblée, au premier ministre du Canada, à ceux qui l'entourent, aux gouvernements et aux Législatures des autres provinces, un jour, le cas échéant, au Parlement fédéral et aux députés britanniques dont certains ici, justement ces jours-ci, sont en train d'évaluer la réalité comme jamais auparavant et ce qui les attend selon telle ou telle décision, à tous ces gens-là, on peut faire entendre et comprendre une position qui est fondamentale pour le présent et pour l'avenir de notre peuple. (21 h 10)

Je crois bien, en terminant, ne dénaturer aucun des propos exprimés récemment, soit de ce côté-ci de la Chambre, soit par les membres de l'Opposition, en affirmant que tous, nous ressentons fortement l'urgence - quelques jours de plus, quelques jours de moins, mais cela presse ici aussi - et l'importance du moment. Et d'entrée de jeu, je me permets de lancer un appel pour que tous ensemble pendant cette session extraordinaire de l'Assemblée nationale, nous ne perdions pas de vue un seul instant les intérêts supérieurs de la société québécoise, que nous essayions d'atteindre tous le mieux possible le ton et le niveau que cela exige parce que cette société québécoise, c'est la seule à laquelle nous ayons des comptes à rendre, la seule qui nous ait octroyé ces sièges que nous occupons et la seule qui nous ait confié non pas tant des pouvoirs, pas plus d'un côté que de l'autre, que des devoirs. Et la façon dont nous remplirons ces devoirs d'ici deux jours, je suis profondément convaincu que cela va nous suivre jusqu'à la fin, tous et chacun, non seulement de notre vie politique, mais de notre vie tout court.

Merci, M. le Président.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le chef de l'Opposition.

M. Claude Ryan

M. Ryan: M. le Président, nous avons contesté cet après-midi la précipitation avec laquelle le gouvernement a procédé à la convocation de l'Assemblée nationale, mais nous n'entendons point contester la gravité de la situation à laquelle est affronté le Québec dans les circonstances qui viennent d'être évoquées par le discours du premier ministre.

Le sujet qui nous réunit, c'est le projet fédéral, les modifications de la constitution canadienne comportant, d'abord, le rapatriement de la constitution au Canada, ensuite, l'instauration d'une formule devant permettre la modification de la constitution au Canada et, troisièmement, l'insertion dans la constitution canadienne d'une charte des droits fondamentaux comportant, entre autres, la garantie de certains droits linguistiques fondamentaux.

L'occasion qui nous réunit, c'est le jugement que vient de porter sur ce projet fédéral le plus haut tribunal du pays, la Cour suprême. Ainsi que l'a rappelé le premier ministre tantôt, et je n'entends pas faire les mêmes citations du jugement de la Cour suprême parce que je pense que nous avons tous entendu, à plusieurs reprises ces jours-ci, les passages qui viennent d'être cités, mais une chose est claire, et je pense qu'elle s'impose à l'évidence pour tout esprit loyal, la Cour suprême a conclu que le projet fédéral, dans sa teneur actuelle, affecterait, s'il devenait loi, à peu près tous et chacun des champs de compétence présentement occupés par les provinces et aurait plus de conséquences sur les pouvoirs des provinces que toutes les autres modifications constitutionnelles auxquelles on a procédé dans le passé avec le consentement des provinces, lorsque les pouvoirs de celles-ci devaient être affectés. Cette fois-ci, on se propose de procéder sans même le consentement des provinces. Alors, la Cour suprême nous dit clairement que ce projet comporte des conséquences très graves pour l'intégrité des pouvoirs provinciaux dans la fédération.

Deuxièmement, le jugement conclut -c'est une partie du jugement, évidemment, sur laquelle le premier ministre s'est moins longuement arrêté - à la légalité de la démarche qui est envisagée par le gouvernement fédéral.

Je disais l'autre jour, en citoyen de bonne foi, que si l'on veut rendre justice à la Cour suprême il faut tenir compte de toutes les dimensions du jugement qu'elle vient de porter et je rappelle simplement pour mémoire que dans la réponse qu'elle a donnée aux questions 1 et 3, qui lui avaient été soumises par le gouvernement du Manitoba, la Cour suprême a conclu, qu'on soit d'accord avec elle ou non, c'est une tout autre chose, mais elle a conclu que la démarche envisagée par le gouvernement fédéral ne soulevait pas d'obstacle légal insurmontable au jugement de sept magistrats

sur neuf. Troisièmement, la Cour suprême avait été invitée à examiner une question extrêmement intéressante, la question des conventions constitutionnelles dont a parlé le premier ministre tantôt. Beaucoup de commentateurs dans la presse, dans les milieux de sciences juridiques, dans les milieux gouvernementaux fédéraux et même dans d'autres provinces, avaient soutenu que les conventions constitutionnelles n'ont aucune valeur juridique et n'existent que suivant le bon plaisir des gouvernements.

Fort heureusement, la Cour suprême va beaucoup plus loin. Elle reconnaît l'existence de certaines conventions et en mentionne plusieurs, d'ailleurs, dans la réponse qu'elle donne à la question 2 qui lui a été posée. Elle reconnaît en particulier l'existence d'une convention qui était particulièrement visée dans les questions qui lui ont été soumises. C'est une convention, c'est-à-dire une règle de conduite non écrite, mais qui lie moralement, politiquement et constitutionnellement les gouvernements concernés, règle de conduite en vertu de laquelle on ne procède pas à des changements constitutionnels devant affecter les pouvoirs des provinces sans le consentement des provinces.

C'est une chose qu'on pensait acquise. Je l'ai récitée moi-même pendant 25 ans et j'étais sûr de réciter la doctrine la plus orthodoxe et la plus durable jusqu'à ce qu'on vienne me dire depuis quelque temps qu'il y avait une nouvelle doctrine qui effaçait toutes les autres et cela me fait penser que souvent il est arrivé qu'on balayait du revers de la main tout ce qui s'était dit avant soi pendant un siècle. Nos amis de l'autre côté l'ont fait à quelques reprises. J'ai toujours soutenu dans cette Chambre et ailleurs qu'en abordant avec respect l'expérience de ceux qui nous ont précédés, on donne généralement des gages de progrès plus solides et plus assurés à tout le monde. De toute façon, la Cour suprême reconnaît et affirme l'existence de cette convention constitutionnelle en ajoutant qu'elle procède directement du principe fédéral lui-même qui est à la base de tout le régime politique qui nous régit.

Le premier ministre a rappelé tantôt que le gouvernement fédéral dans le livre blanc publié sous l'autorité du regretté Guy Favreau en 1964, je pense, 1965...

Une voix: 1965.

M. Ryan:... avait reconnu l'existence de cette convention constitutionnelle. Il l'avait même évoquée en en parlant comme d'un principe d'ailleurs. Savez-vous qu'en relisant cette publication du gouvernement fédéral intitulée "Modifications de la constitution du Canada", cet après-midi, j'ai trouvé plus loin, à la page 48, un passage qui est encore plus éloquent et dont je vais me permettre de vous donner lecture. Le livre blanc publié sous l'autorité de M. Favreau, qui était alors ministre fédéral de la Justice, rappelait qu'il y avait six domaines qu'on considérait comme soumis à la règle du consentement qu'on disait unanime des provinces à ce moment-là. On parlait des pouvoirs législatifs des provinces, évidemment. On parlait de la représentation des provinces dans la Chambre des communes. On parlait également des clauses de la constitution qui traitent des langues anglaise et française, l'article 133, que nos amis d'en face auraient voulu supprimer de la réalité juridique québécoise qui leur a été rappelée par la Cour suprême. Je dois reconnaître qu'ils ont accepté le jugement de la Cour suprême avec plus d'empressement qu'on ne le constate de l'autre côté actuellement.

Des voix: Ah! Ah!

M. Ryan: L'an dernier, dans l'espace de 24 heures, nous avons réglé le problème ensemble dans un esprit de collaboration et en essayant d'oublier des choses peu intéressantes qui avaient été dites de l'autre côté. Au moins, nous sommes arrivés rapidement à redresser la situation de manière que l'ordre légal québécois soit conforme à la décision de la Cour suprême.

L'autre article, c'est évidemment l'article 93, qui traite de l'éducation. Voici ce que dit le livre blanc fédéral de 1965. C'est très intéressant. "À ces six dispositions fondamentales est accordée la protection spéciale du consentement unanime des Législatures provinciales pour leur modification. D'aucuns pourraient soutenir que la règle de l'unanimité est trop rigide pour être appliquée à la répartition des pouvoirs législatifs, mais cette répartition est le fondement même de la fédération canadienne. En fait, au cours des 97 années qui se sont écoulées depuis la Confédération, aucune modification de nature à changer les pouvoirs des Législatures provinciales définis à l'article 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique n'a été effectuée sans le consentement de toutes les provinces. Il faut voir là la preuve du fait fondamental de l'histoire constitutionnelle canadienne: aucune modification de la constitution ne peut déposséder les provinces de leurs pouvoirs législatifs sans qu'elles y consentent. La loi est muette à ce sujet, mais les réalités de la vie nationale ont imposé la règle de l'unanimité, et l'expérience depuis la Confédération l'a ériqée en une règle qu'un gouvernement ou Parlement ne saurait méconnaître qu'à ses risques et périls, etc. " (21 h 20)

C'est un extrait de ce livre blanc qui avait été publié en 1965, qui confirme, s'il

en était besoin, l'avis exprimé par la Cour suprême, voulant que le gouvernement fédéral, en d'autres temps, ait déjà donné son accord, son assentiment formel et explicite à cette convention dont il niait l'existence dans les représentations qu'il a faites à la Cour suprême à travers les juristes qui le représentaient.

Ceci étant dit, quel est l'enjeu essentiel du débat que nous avons ce soir? On peut entretenir à ce sujet des opinions diverses. Selon le gouvernement fédéral, l'enjeu essentiel, c'est la nécessité d'introduire un certain mouvement dans une situation constitutionnelle qui a été trop longtemps stagnante, immobile. Suivant d'autres, il y aurait, derrière la démarche qu'on nous invite à faire, un plan obscur, dangereux du gouvernement pour embobiner toute la population et l'entraîner progressivement - j'y reviendrai plus tard -dans les voies de la séparation politique.

Je crois qu'il faut faire preuve de plus de maturité. Je crois qu'il faut être encore capable, surtout quand on est adulte, de lire un texte à sa face même, de l'examiner dans son contenu objectif, de se former une opinion à même le texte. Quand les ftats-Unis vont discuter avec l'Union soviétique de désarmement, s'il fallait qu'ils se demandent continuellement ce que M. Brejnev pense, ils n'arriveraient jamais à aucun accord. Les menaces de conflits mondiaux seraient encore beaucoup plus grandes. L'administration de M. Reagan a commencé à discuter avec la Russie. Elle avait dit au début: Jamais, on va les traiter durement, ils vont y passer. À peine six mois après être entrés au pouvoir, ils sont obligés de se rendre à l'évidence. Des problèmes entre des forces aussi considérables doivent s'aborder par la voie de la négociation. Je ne veux pas prétendre que nos amis d'en face représenteraient l'Union soviétique, pas du tout...

Ce que je veux souligner, c'est que tôt ou tard, après avoir affirmé des doctrines absolument rigides, les hommes d'action et les gouvernants, en particulier, doivent se rendre à l'évidence; il faut qu'ils soient capables de se rencontrer en examinant des textes à partir de leur contenu objectif. C'est à chacun d'y mettre toutes les sauvegardes qu'il veut. On ne peut pas apprécier un texte en faisant uniquement allusion à des choses qui seraient en dessous, qu'on ne voit pas, qui échappent à la perception de tout homme intelligent.

Ici, je lis le texte de la motion, je pense surtout à la situation avec laquelle nous sommes aux prises, et il me semble que l'enjeu est clair et simple. L'enjeu, c'est la défense des pouvoirs législatifs du Québec, la défense des pouvoirs constitutionnels du Québec qui sont gravement menacés par le projet mis de l'avant, à l'heure actuelle, par le gouvernement fédéral. La Cour suprême dit en toutes lettres, à la fin de son opinion en réponse à la question 2, que le projet du gouvernement fédéral est inconstitutionnel, au point de vue des conventions, et qu'il aurait des répercussions très importantes sur les pouvoirs législatifs des provinces. C'est là-dessus que nous allons être appelés à voter et que le public attend de connaître notre opinion et notre option.

Devant ce problème, il serait absolument inconcevable que l'Assemblée nationale reste silencieuse ou indifférente. L'Assemblée nationale est l'organe suprême de la communauté québécoise dans les domaines qui relèvent de sa compétence. Par conséquent, c'est à elle et à elle seule, en dehors du peuple lui-même, qu'il incombe et qu'il appartient de prendre des décisions, surtout s'il devait être question d'altération ou de diminution de ses pouvoirs. L'Assemblée nationale est en plus l'instrument politique privilégié dont dispose le peuple québécois pour aménager son présent et son avenir d'une manière conforme à la perception qu'il se fait de ses intérêts légitimes et de ses aspirations bien comprises. L'Assemblée nationale est directement touchée et mise en question dans ses pouvoirs, dans ses attributions et prérogatives constitutionnelles par le projet mis de l'avant par nos collègues du gouvernement et du Parlement fédéral. Nous devons conclure avec beaucoup de fermeté que chaque fois que l'Assemblée nationale est atteinte dans ses prérogatives essentielles, c'est le peuple du Québec lui-même qui est atteint. Être indifférent à une atteinte faite aux pouvoirs de l'Assemblée nationale, c'est être indifférent ou traiter à la légère les aspirations et la réalité fondamentale du peuple québécois lui-même.

Nous aurions souhaité, comme je l'ai dit tantôt, moins de précipitation, quelques jours de réflexion additionnels pour être assurés que toutes les coordinations, toutes les concertations nécessaires soient recherchées dans le meilleur esprit mais, ceci étant dit, nous n'hésitons aucunement à reconnaître la gravité de la situation. J'affirme personnellement, sans la moindre hésitation, que nous devons, devant cette situation, agir avec clarté, avec courage, sans détour, sans faux-fuyant, avec le seul souci d'obéir à notre devoir qui est de défendre avant tout les droits du Québec et de son Assemblée nationale et d'agir aussi avec la conscience que, quand l'Assemblée nationale est atteinte, c'est le peuple lui-même du Québec qui est directement impliqué.

J'espère, M. le Président, que nous pourrons en venir à un vote unanime et fort. Je l'espère d'autant plus que, de part et d'autre, les consultations qui ont précédé la rédaction du texte de la motion qui est devant nous ont été moins empreintes de

calculs et de considérations partisanes que cela n'avait été le cas une première fois, à l'occasion d'un débat sur le même sujet, en novembre 1980.

Je ne sais pas si j'exagère, mais j'ai eu l'impression, au cours des rencontres que nous avons eues, que, de part et d'autre, la conscience nationale, dans ce qu'elle a de plus essentiel, de plus fondamental, avait peut-être progressé quelque peu. En tout cas, c'est l'impression que j'ai eue et c'est la contribution que mon collègue, le leader de l'Opposition, et moi-même avons essayé de fournir à l'occasion de ces conversations.

Avant d'en venir au vote qui nous est demandé par la motion du gouvernement, je voudrais examiner de plus près le problème auquel nous sommes affrontés. Je vous dirai d'abord à quelle enseigne loge le parti que j'ai l'honneur de diriger et, à la lumière de ses orientations que j'aurai assez brièvement rappelées, je voudrais ensuite voir un peu plus clair dans l'imbroglio auquel nous sommes affrontés actuellement.

La position du Parti libéral du Québec en matière constitutionnelle a été définie à maintes reprises. De tous les partis qui défendent, sur les scènes provinciale et fédérale, l'option fédéraliste canadienne, je pense que le Parti libéral du Québec est le seul qui se soit donné la peine de se doter, en matière constitutionnelle, d'un programme cohérent, complet, articulé, démocratiquement adopté par ses membres. On ne prétend pas qu'il soit parfait sur toute la ligne; on en a fait des critiques. Il est susceptible d'amélioration, c'est évident, mais au moins je pense que nous avons eu l'honnêteté et la loyauté envers nos concitoyens de leur présenter un projet clair, honnête et loyal.

Les grandes lignes de cette orientation que nous défendons sont les suivantes: D'abord, nous sommes un parti premièrement et résolument québécois. La plupart d'entre nous aurions pu choisir d'oeuvrer sur une autre scène ou de rester dans le secteur privé. Ceux qui en sont sortis faisaient très bien, réussissaient très bien professionnellement. Si nous avons accepté de servir dans l'arène politique québécoise, c'est parce que nous croyons qu'il y avait un travail très important à faire là et que nous avions choisi délibérément de servir nos concitoyens à ce niveau, qui est celui où on doit défendre d'abord les intérêts du Québec. C'est parce que nous avons voulu que notre première loyauté soit envers le Québec, ses citoyens et envers le Québec d'hier, le Québec d'aujourd'hui et le Québec de demain que nous avons opté pour le service sur la scène québécoise.

Je voudrais rappeler à ce sujet une résolution qui fut adoptée, si mes souvenirs sont bons, à l'unanimité par le conseil général de notre parti lors de sa dernière réunion tenue les 19 et 20 septembre, à Québec: "II est résolu que le Parti libéral du Québec adopte, quant à la question nationale, la position suivante: Dans la gestion des affaires constitutionnelles courantes et de toutes les questions ayant une incidence constitutionnelle - y compris, par conséquent, la question que nous discutons ce soir - nous devons nous percevoir, penser, agir et prendre position comme un parti fondamentalement et résolument québécois. La perspective concrète et journalière de notre parti doit être la défense, la promotion et l'illustration des droits et des intérêts du Québec. " (21 h 30)

Deuxième point: Nous croyons profondément au fédéralisme canadien, à ses avantages passés et présents, à ses chances d'avenir. Nous croyons d'abord au pays canadien. Nous avons constaté, à l'occasion du référendum, que beaucoup plus important que le type de régime que nous avons est l'attachement de nos concitoyens du Québec envers le pays canadien, envers sa réalité géographique, sa réalité politique, sa réalité économique, sa réalité historique, etc. Nous croyons au pays canadien. On peut contester notre croyance, nous respectons celle de nos adversaires, de nos amis d'en face. Nous, c'est notre croyance profonde. Nous croyons également que le système fédéral de gouvernement est la forme de gouvernement la plus appropriée à la réalité infiniment variée du Canada et, en particulier, aux aspirations propres du Québec qui doivent être préservées et développées de manière très fortement autonome à l'intérieur du cadre fédéral plus large que propose le Canada.

C'est pourquoi le deuxième volet de la résolution adoptée à notre conseil général ajoute qu'en plus d'être résolument québécois le Parti libéral du Québec demeure, sur la scène québécoise, le défenseur attitré et le promoteur de l'option fédéraliste canadienne. Il ne doit rien négliger pour mettre cette option en valeur, mais il devra aussi souligner qu'à ses yeux, comme à ceux de milliers de Québécois, l'adhésion au fédéralisme canadien postule que ce régime doit évoluer vers des formes et des modes de fonctionnement plus acceptables au Québec.

Parmi les changements que nous proposons - je ne veux pas m'attarder trop longtemps là-dessus, mais je rappellerai brièvement quelques-uns des changements ou, parfois, des confirmations de choses qui sont bonnes dans le système que nous connaissons - la première affirmation que je ferais serait la suivante: "Nous affirmons que le régime fédéral canadien doit assurer l'existence de deux ordres de gouvernement dont chacun doit être souverain dans son ordre de compétence et dont chacun doit tirer sa

légitimité et son autorité du suffrage direct et universel. " Vous verrez tantôt pourquoi je rappelle ce passage de notre programme constitutionnel.

À ceci, j'ajoute le passage suivant: "La constitution devra établir un partage clair et exhaustif des responsabilités législatives et fiscales entre les deux ordres de gouvernement. Elle éliminera la subordination d'un palier de gouvernement à un autre. Elle encadrera les pouvoirs fédéraux généraux qui se prêtent aux intrusions dans des matières de compétence provinciale et le partage des pouvoirs entre les deux paliers de gouvernement sera fondé sur le double principe de l'égalité et de la souveraineté de chaque ordre de gouvernement dans son champ de compétence. " À ceux que l'évocation du mot "souveraineté" pourrait effrayer, je recommanderais de lire la jurisprudence de la Cour suprême et du Conseil privé. Dès le XIXe siècle, on employait ce mot, et on l'employait dans un sens tout à fait différent de celui que nos amis d'en face lui donnent aujourd'hui.

En plus de ceci, nous voulons un nouveau partage des pouvoirs qui conférerait au Québec des compétences accrues dans plusieurs domaines. Nous voulons un droit de regard pour le Québec sur l'exercice, par le Parlement fédéral, de certains pouvoirs particuliers de caractère général qui lui sont confiés et qui ne peuvent pas lui être enlevés totalement. Je pense au pouvoir de dépenser, par exemple. Nous avons toujours soutenu, en tout réalisme, qu'il est impossible d'en dépouiller totalement quelque gouvernement que ce soit. Nous disons que l'exercice de ce pouvoir, s'il doit affecter des champs de compétence provinciale, doit être assuré sous le regard et le contrôle des provinces.

Nous favorisons aussi - là-dessus, nous nous distinguons profondément de nos amis ministériels - l'insertion dans la constitution canadienne d'une charte des droits fondamentaux. Nous n'avons pas peur d'une charte des droits fondamentaux pour le peuple canadien. Nous n'approuvons pas la charte qui est actuellement mise de l'avant par le gouvernement fédéral parce que le gouvernement légitime du Québec n'a pas participé à son élaboration et ne l'approuve pas. Il n'est pas question que nous allions nous substituer au gouvernement légal du Québec pour essayer de faire des ententes avec qui que ce soit en dehors du Québec. Nous disons que, dans le programme de notre parti, nous soutenons une charte des droits moins élaborée que la charte présentée par le gouvernement, une charte qui concentrerait vraiment son attention sur des libertés fondamentales dont j'avais cru comprendre, il y a un an, que le Parti québécois était prêt à considérer l'insersion dans une future constitution canadienne.

Là-dessus - je tiens à l'affirmer clairement - il y a beaucoup d'articles dans le projet fédéral de charte qui entraînent des conséquences comme celles dont on a parlé tantôt, sur lesquelles je ne reviens pas, mais je reviens sur cette idée que nous favorisons la protection constitutionnelle de certains droits fondamentaux, y compris de certains droits linguistiques.

Je me souviens d'avoir demandé au premier ministre, au ministre des Affaires intergouvernementales et, je crois, au ministre de la Justice, à diverses reprises, quels dangers pourrait contenir pour l'avenir du peuple québécois l'existence d'un droit constitutionnel garantissant par exemple le libre usage des deux langues devant les tribunaux du pays. Je n'ai jamais eu de réponse claire.

Une clause qui garantirait l'accès des citoyens de tout le pays à des émissions de radio ou de télévision en langue française ou en langue anglaise ne ferait de tort à personne. Il faut une réglementation, il ne faut pas qu'il y ait une situation où une langue soit noyée par l'autre, où le français serait noyé par l'anglais au Québec, mais, ceci étant dit, je pense qu'on peut regarder ces choses avec un esprit ouvert, sans tout de suite se promener avec le drapeau pour faire croire à tout le monde que la nation québécoise va mourir dans 25 ans. De ce côté, on a agité des épouvantails à maintes reprises, de l'autre côté.

Je voudrais rappeler ce soir qu'il y a moyen d'examiner ce problème dans un esprit ouvert et, encore une fois, je n'accepterais pas que les pouvoirs de la Législature, de l'Assemblée nationale du Québec, soient réduits unilatéralement même pour la promotion d'un objectif auquel, moi, je souscris, parce que, avant l'avancement de mes idées propres, j'aime mieux que les droits du Québec soient garantis et que nos idées progressent dans le respect des prérogatives qui ont été confiées constitutionnellement à l'Assemblée nationale du Québec.

Nous favorisons évidemment l'instauration d'une formule d'amendement -j'y reviendrai tantôt, je ne voudrais pas m'attarder davantage là-dessus - et nous avons par conséquent, en matière de modifications constitutionnelles, un programme défini et, en conséquence de notre option, tout ce qui arrive à notre régime fédéral nous intéresse au plus haut point. Les difficultés que ce régime rencontre, au lieu de nous réjouir secrètement et de provoquer de notre part des explosions spontanées de joie prouvant la valeur d'une certaine thèse, nous causent au contraire une peine profonde et sincère. Aussi, au lieu de chercher à utiliser ces difficultés à des fins politiques, nous cherchons plutôt à les résoudre dans un

esprit constructif.

Maintenant, je voudrais me demander, M. le Président, par-delà toute considération particulière traitant de tel ou tel sujet, d'où vient le drame dans lequel nous sommes tous plongés actuellement. Comment se fait-il que nous en soyons arrivés à cette situation qui a inspiré au gouvernement de nous convoquer d'urgence et qui nous oblige chacun à prendre position d'une manière encore très partielle, il faut bien le reconnaître, parce que la résolution n'entraîne pas de changements radicaux?

On pourrait essayer d'expliquer cette question en tentant une exégèse du jugement de la Cour suprême. Ce serait très intéressant. J'ai toujours été très intéressé à lire les jugements des tribunaux et à les commenter en toute liberté, mais ce serait très intéressant, cette fois-ci, parce que le jugement est très dense, il est très riche et comporte certaines apparences de contradiction, ici ou là, qu'il serait très intéressant de commenter. Mais je ne pense pas que ce soit ça que le public attende de nous; il lira le Devoir, s'il veut lire des analyses exhaustives - ou d'autres journaux aussi que je ne minimise point - mais ce n'est pas ça que le public attend de nous.

Nous pourrions nous lancer dans un examen détaillé du projet fédéral, en faire la critique point par point. Moi, j'ai refusé jusqu'à maintenant de faire un examen détaillé du projet fédéral, parce que je considérais que c'était un projet qui était dans l'arène fédérale et qu'aussi longtemps qu'il n'est pas reçu comme matière à discussion par le gouvernement du Québec, ce n'est pas une chose que je suis enclin à discuter de manière élaborée. Nous perdrions vite notre temps d'ailleurs dans une forêt de nuances où nous aurions tous des problèmes à nous retrouver.

Par-delà ces questions, nos concitoyens attendent de nous une explication de la crise qui empoisonne depuis plusieurs années les rapports entre Québec et Ottawa et de la stagnation à peu près complète qui a marqué les relations et les négociations constitutionnelles au cours des cinq dernières années en particulier, surtout depuis que le Parti québécois est au pouvoir à Québec. (21 h 40)

Beaucoup de réunions, beaucoup de documents ont marqué ces cinq années d'évolution, M. le Président, mais très peu de résultats tangibles ont été obtenus, très peu de progrès a été accompli et nous sommes aujourd'hui plongés dans une situation plus envenimée que jamais. La raison de cette situation, je la trouve dans l'explication suivante. Les deux conceptions que l'on propose de l'avenir du pays, à partir d'Ottawa et de Québec, ne sont pas conformes aux vues et aux attentes de la véritable majorité de la population du

Québec.

Je traiterai d'abord de la vision d'Ottawa. La vision d'Ottawa a été exprimée dans plusieurs documents, mais je crois que l'expression la plus éloquente en a été fournie dans un discours que le premier ministre du Canada, M. Trudeau, prononçait à Toronto à l'occasion d'un dîner de la Confédération réunissant des hommes d'affaires et des sommités de Toronto, le 5 novembre 1980. Je voudrais citer un passage de ce discours qui va servir d'introduction au reste. M. Trudeau souligne d'abord qu'une caractéristique du régime canadien de gouvernement, c'est la coexistence dans ce même régime du parlementarisme britannique et du fédéralisme. Il dit que c'est très rare qu'on voie la coexistence de ces deux éléments et que cela pose des problèmes d'harmonisation particulièrement difficiles. Jusque là, je pense que le vice-premier ministre, qui est un expert en droit constitutionnel, se régale déjà. Je pense qu'on n'aura pas de misère à tomber d'accord sur une affirmation comme celle-ci. M. Trudeau continue. La clé pour résoudre les problèmes qui sont susceptibles de surgir, c'est le partage des pouvoirs selon lequel tous les Parlements sont suprêmes, mais chacun dans des sphères différentes: autrement dit, le fédéralisme. Là, je cite pour deux minutes: "Les questions d'ordre local relèvent des Parlements locaux. Les questions d'ordre national relèvent du Parlement national. Vous connaissez bien la formule. Nous savons tous que c'est la formule de John A. Macdonald, un des pères de la Confédération. Les pères de la Confédération ont reconnu que quelque minutieux qu'ils aient pu être, des conflits pourraient quand même surgir parce que les deux paliers de gouvernement ont des intérêts qui s'opposent. Ils ont reconnu que le pouvoir le plus important de tous était celui de résoudre les conflits entre ces Parlements suprêmes qui ont juridiction suprême dans des domaines différents. Avant et par-dessus tout, ils voulaient régler les conflits. Ils ont donc attribué le plus important des pouvoirs - je cite toujours le discours du premier ministre fédéral - celui de résoudre les conflits, au gouvernement national. Comme pour tous les autres pouvoirs dans une fédération parlementaire, il faut qu'un gouvernement soit entièrement comptable de l'usage qu'il fait de ce pouvoir devant toute la population. Ce faisant, ils ont établi clairement et sans équivoque que la division des pouvoirs serait fondée sur un critère suprême, le bien commun: bien commun local, Législature locale; bien commun provincial, Législature provinciale; bien commun national, Parlement national. "

M. le Président, c'est là une vision du Canada à laquelle je ne souscris pas. C'est là une vision du Québec que je récuse

profondément. Pour moi, le Parlement fédéral n'a pas le monopole des questions d'importance nationale et les provinces ne sont pas davantage confinées à de strictes questions d'intérêt local. Les provinces sont responsables des problèmes d'éducation, des problèmes de bien-être, des problèmes de santé, des problèmes d'aménagement de systèmes de transport sur leur territoire, des problèmes de développement économique et régional dans une grande mesure et de combien d'autres. Est-ce qu'on peut dire que tous ces domaines sont moins d'importance nationale que la taxe d'accise, que le commerce interprovincial ou le commerce international, que la radiodiffusion que la jurisprudence a confiée à la compétence du Parlement fédéral? Je pense que poser la question, c'est y répondre. En régime fédéral, il y a des questions d'intérêt national qui relèvent des Parlements, des Législatures provinciales. Il y a des questions d'intérêt national qui relèvent du Parlement fédéral, et l'intérêt national complet relève de la compétence combinée et harmonisée des deux ordres de gouvernement. Il me semble qu'il y a une grande équivoque ici; je dirais même un sophisme, M. le Président. Il faut identifier cela clairement si on veut comprendre la suite des événements.

La différence entre la conception que mon parti préconise et la conception mise de l'avant dans ce discours du premier ministre fédéral, c'est qu'en cas de litige entre Ottawa et les provinces, l'arbitrage doit se faire suivant notre conception, et je pense qu'elle sera partagée par les députés de l'autre côté de la Chambre aussi longtemps qu'ils n'auront pas réussi à réaliser leur rêve d'indépendance. L'arbitrage doit se faire tantôt par la négociation, tantôt par le recours aux pouvoirs judiciaires, mais jamais par action unilatérale de la part du Parlement fédéral, à plus forte raison aussi de la part des Législatures provinciales.

Cette vision de l'État fédéral prépondérant on en trouve des vestiges dans la constitution actuelle, vestiges qui, heureusement, sont devenus passablement desséchés au cours des années et auxquels le Parlement fédéral n'ose même plus recourir. Je pense au pouvoir de désaveu, par exemple, au pouvoir d'intervention en vertu de l'article 93 sur les droits des minorités confessionnelles. Ces pouvoirs sont là quant à la lettre. Il y a longtemps qu'ils ont cessé d'être des pouvoirs vivants parce qu'on s'est rendu compte que l'évolution de la fédération s'était faite beaucoup plus dans le sens dont il vient d'être question.

C'est cette vision de l'État fédéral prépondérant que véhicule le projet fédéral qui est à l'étude actuellement et la clé du projet - je le mentionne parce qu'on n'a pas eu l'occasion d'en parler souvent - c'est ce fameux article qui instituerait la procédure d'un référendum pour ainsi dire permanent. On institue une formule d'amendement - on en parlera tantôt - mais on dit: Au cas où celle-ci ne fonctionnerait pas au goût du Parlement fédéral, celui-ci aurait le droit d'instituer n'importe quand un référendum qui lui permet de passer par-dessus le dos de ses partenaires dans la formule d'amendement et d'en imposer une autre.

C'est toute cette conception qui est au fond, je crois, du débat qui nous divise profondément, qui nous déchire tous depuis un certain nombre de mois, et je veux dire que ce n'est pas la conception à laquelle adhère le Parti libéral du Québec et son chef.

À l'opposé de la vision d'Ottawa, il y a, à l'autre pôle, la vision du Parti québécois que véhicule présentement le gouvernement du Québec. L'autre jour un journaliste, qui se voulait astucieux, a posé au premier ministre la fameuse question des deux chapeaux. Il lui a demandé: Comment arrivez-vous à réconcilier ces deux chapeaux que vous devez obligatoirement porter, le chapeau d'un chef d'un gouvernement qui défend le renouvellement du fédéralisme dans le respect des principes et des conventions de notre système canadien de gouvernement -comme le dit la motion de ce soir - et, deuxièmement, votre chapeau de chef d'un parti qui vous engage, même comme gouvernement, à promouvoir l'option de la souveraineté?

De cette conception, M. le Président, nous avons eu l'expression la plus récente dans ce projet de manifeste que rendait public le premier ministre, je pense que c'est vendredi dernier, en prévision de la réunion du conseil exécutif national du Parti québécois qui doit avoir lieu en fin de semaine chez vous, M. le Président...

Une voix: Ce n'est pas bien loin d'ici.

M. Ryan: Nous l'apprécierons.

Je voudrais donner lecture de la résolution qui termine ce long texte dans lequel on a retrouvé la réédition des arguments maintes fois entendus: " Attendu que les Canadiens français constituent l'un des peuples fondateurs de ce qui est devenu le Canada actuel et qu'ils ne peuvent accepter le rôle de minorité perpétuelle, même privilégiée, que l'évolution des faits et la volonté d'Ottawa leur réservent dans le cadre constitutionnel actuel; "Attendu que le territoire du Québec est le seul sur lequel les Canadiens français peuvent accéder à un statut majoritaire et que c'est ainsi qu'ils en sont venus désormais à se dire Québécois d'abord; "Attendu que la souveraineté du Québec constitue pour ce peuple la seule alternative au refus et de l'assimilation et de la

minorisation; "Attendu qu'il y aurait avantage à ce que l'accession à ce statut majoritaire s'effectue suivant des modalités qui soient conformes à ce qu'est destiné à être le Québec des prochaines décennies; "Attendu que les groupes ethniques autres que francophones constituent une source d'enrichissement culturel pour la majorité; (Je vous dis tout de suite que je n'aime pas cette expression, j'espère que vous aurez l'occasion de la retoucher. Il me semble que les groupes ethniques, c'est beaucoup plus qu'un enrichissement culturel pour la majorité; c'est un enrichissement culturel pour le Québec tout court. ) "Attendu que le gouvernement du Québec - je cite toujours le texte, M. le Président, pour illustrer l'argument que je mentionnais... C'est moins bon, ça - doit, en toute circonstance et, quel que soit le cadre constitutionnel prévalant, défendre et promouvoir les intérêts du Québec et pour le présent et pour le futur parce que tout accroissement des pouvoirs du Québec va dans le sens de ce que nous recherchons; (21 h 50) "En conséquence, le conseil exécutif national du Parti québécois, rappelant... etc., demande:

Troisièmement; que le gouvernement du Québec, tout en apportant sa contribution à la promotion de la souveraineté, veille activement à la défense et à la promotion des droits et pouvoirs du Québec dans le cadre constitutionnel actuel. "

Je pense que dans cette phrase on a une illustration parfaite de l'ambiguïté dans laquelle baigne l'action du gouvernement actuel, ambiguïté qui n'a jamais été clairement dissipée. Cette conception, que privilégient foncièrement le parti ministériel et le gouvernement qui les représente à la tête des affaires de la province, a été soumise au peuple québécois par voie de référendum le 20 mai 1980. Elle a été rejetée par une majorité de 60% contre 40%. Nonobstant ce verdict référendaire, le Parti québécois n'a absolument rien changé à son option fondamentale. Il vient d'en présenter une version qui est l'exacte et fidèle reproduction de thèses et d'arguments mille fois entendus et mille fois réfutés et jugés.

Le gouvernement feint, pour l'instant, de vouloir participer sincèrement au renouvellement du fédéralisme canadien mais, fondamentalement, il ne croit pas à cette entreprise. Il ne pourra jamais y participer autrement qu'avec une sincérité de surface, tant qu'il maintiendra son option actuelle. La preuve de ceci est assez facile à faire. Plusieurs orateurs auront l'occasion de prendre la parole au cours de ce débat au nom du parti ministériel. J'aimerais qu'ils nous citent des documents où l'on décrirait le programme du Parti québécois en matière de renouvellement du fédéralisme canadien. Le Parti québécois fait ce qu'on appelle en langue anglaise du "ad hockery". On fait de l'adaptation aux situations particulières. On réagit aux propositions de tel ou tel gouvernement. On fera même parfois des suggestions sur tel ou tel projet ou problème précis, mais nous ne trouvons nulle part un texte le moindrement élaboré dans lequel on décrirait les projets de ce gouvernement, en ce qui touche le renouvellement du fédéralisme canadien.

Il y a une chose assez éloquente. Je vous pose une question, M. le Président. Vous aurez peut-être l'occasion de suivre par les journaux ce qui va se passer à Jonquière. Je vous demanderais de surveiller s'il y a un article à l'ordre du jour du conseil national du Parti québécois qui traitera du renouvellement du fédéralisme canadien. S'il s'agit de dénoncer une chose, je ne doute pas qu'il y ait des résolutions, M. le vice-premier ministre, mais je doute qu'on ait une séance où on étudie sérieusement le renouvellement du fédéralisme canadien. Je doute, par exemple, qu'on inscrive à l'ordre du jour des travaux le projet de formule d'amendement, auquel le premier ministre a déjà apposé sa signature sans qu'il n'ait jamais été discuté nulle part au Québec, sauf dans les officines du bureau du premier ministre, pas davantage en cette Assemblée nationale.

Deuxièmement, il m'est arrivé souvent de poser des questions à nos amis du gouvernement. J'en ai posé au ministre des Affaires intergouvernementales quand nous avons discuté, l'an dernier, à la commission parlementaire de la constitution. J'avais été obligé de lui dire à la fin des séances: C'est nous qui avons fourni toutes les idées. Vous avez été très réceptif. Vous nous avez fourni une bonne documentation, pour une fois; auparavant, c'était plus chiche, comme vous le savez. Avant le référendum, c'était très difficile, mais cette fois-là nous avions été bien servis. Nous vous l'avions dit, d'ailleurs, en toute loyauté, mais c'est nous qui avons fourni des suggestions et vous preniez des notes. Jamais on n'a entendu de suggestions précises.

J'avais posé peut-être une centaine de questions à M. le premier ministre, un jour. Je les ai rappelées une fois en commission parlementaire où l'on étudiait les crédits du Conseil exécutif. J'ai eu une série de réponses: Je ne sais pas, je ne suis pas prêt, nous verrons, nous examinons cette chose. Je vous le dis, de ce point de vue, vous n'avez pas de programme et c'est pour cette raison que la population vous a peut-être confié un mandat pour défendre les intérêts du Québec et que je reconnais en bon démocrate. Elle ne peut pas vous avoir donné un mandat de renouvellement du fédéralisme canadien, parce que vous n'avez jamais présenté de

programme. Vous n'en avez pas et vous n'en voulez pas, à part cela. C'est une approche équivoque. On vise toujours à obtenir des résultats qui ne viendraient pas compromettre la souveraineté-association, mais des résultats vraiment nouveaux; des résultats inédits qui pourraient ouvrir des horizons qu'on n'aurait pas connus jusque là, on veille soigneusement à les prévenir. Je me souviens d'avoir posé des questions de ce côté-là. La seule réponse que j'ai pu avoir, c'est: Nous acceptons de marcher dans cette voie à condition que cela nous donne des choses qui ne seraient pas incompatibles avec la souveraineté-association.

Jamais, on n'a dit: On veut des choses qui seraient compatibles avec l'avancement de ce pays, avec son développement, suivant au besoin des avenues qui n'auraient pas été explorées jusque-là. Tout cela conduit à une approche défensive, une approche négative, une approche stérile.

Le Parti québécois n'a généralement que très peu de choses à dire quand il s'agit de formuler des propositions constructives, mais, lorsqu'il s'agit de réagir à un événement dangereux comme celui qui nous réunit, il retrouve soudain toute sa vitalité, tout son dynamisme. S'il s'agit d'évoquer le moindre danger qui poindrait à l'horizon à cause des gros méchants qui peuvent loger ailleurs, il est très énergique dans ce temps-là, mais quand il s'agit de formuler des propositions constructives, je vous avertis que le menu est chiche, et si on vivait seulement sur une pareille diète, il y a longtemps que cela serait l'asphyxie totale.

Une approche tendancieuse et biaisée! Il y a de vos ministres, M. le premier ministre, qui vont se vanter un peu partout en province: Quand les choses ne fonctionnent pas, on met cela sur le dos d'Ottawa. C'est devenu un mécanisme, une espèce d'automatisme extrêmement désagréable. Chaque fois qu'il y a eu une faute du côté du gouvernement, qu'une situation a surgi, qui crée des problèmes véritables, on essaie de l'éviter en mettant la faute sur l'autre.

Qu'il y ait des responsabilités du côté du gouvernement fédéral, nous sommes prêts à en convenir, à les examiner en toute objectivité, mais il y a chez vous, messieurs, cette espèce d'automatisme, cette déformation de l'esprit qui vous amène à toujours chercher ce prétexte commode pour éviter d'avoir souvent à expliquer les gestes que vous avez posés vous-mêmes et les responsabilités que vous avez encourues.

Ceci vous a conduit à vous servir de la propagande aussi à même les fonds publics, à même les deniers publics d'une manière que j'ai souvent réprouvée dans cette Chambre, reproches au sujet desquels je n'ai jamais été capable d'obtenir un engagement loyal du chef du gouvernement, en vertu duquel nous obtiendrions la garantie que les fonds dépensés pour l'information du public seraient dépensés pour la diffusion d'une information objective, d'une information véritable, de caractère utile, et non pas pour la propagande au service de thèses politiques.

M. le Président, ce sont ces deux approches dont j'ai parlé, l'approche émanant d'Ottawa et l'approche émanant de nos amis d'en face, qui sont en présence dans des négociations constitutionnelles depuis cinq ans. Il n'est pas étonnant, quand on considère le point et les postulats d'où elles procèdent, et quand on considère leurs aboutissements logiques à toutes les deux, il n'est pas étonnant qu'elles aient sans cesse engendré méfiance, scepticisme, frustration, échec. Elles sont destinées à ne jamais se rencontrer, en stricte logique, et je ne mets pas en cause les motifs des personnes, pas du tout. Elles sont destinées à ne jamais se rencontrer en stricte logique tant qu'il n'y aura pas d'un côté et de l'autre changement d'attitude, changement de programme, et j'allais dire, à défaut de changement d'attitude ou de programme, changement de gouvernement.

Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît! Est-ce que je pourrais demander aux députés de prendre leur siège, s'il vous plaît?

M. le chef de l'Opposition.

M. Ryan: Je pense qu'il était important d'aller au coeur du problème. J'en viens maintenant à la motion qui nous est présentée par le gouvernement. Je la commenterai le plus simplement et le plus brièvement possible, mais en toute franchise, comme je l'ai toujours fait dans cette Chambre.

En raison des divergences profondes qui nous opposent au Parti québécois, nous abordons de ce côté de la Chambre avec une extrême circonspection toute démarche commune devant nous amener à faire route ensemble, avec le parti ministériel, en matière constitutionnelle. Les différences qui opposent nos deux partis sur ce plan sont fondamentales, elles nous ont valu de la part de nos adversaires de l'autre côté, à combien de reprises, des épithètes indignes d'adversaires civilisés et respectueux de l'autre.

Mais ceci est un premier point et je voudrais que vous compreniez qu'il y a chez plusieurs militants de notre parti et chez plusieurs de nos concitoyens qui partagent notre option constitutionnelle une répugnance très profonde à faire route commune avec un adversaire qui n'a jamais hésité à leur appliquer les épithètes de traîtres, les épithètes de vendus, les épithètes de colonisés, tout ce qu'on veut, au cours des années. (22 heures)

Nonobstant cette méfiance profonde que

je veux, pour ma part, m'employer à faire reculer au cours des années, une des choses que j'ai constatées en politique et qui m'ont fait énormément de peine, c'est que les politiciens irresponsables cultivent souvent la méfiance dans l'intention à courte vue de gagner des votes et des élections. J'espère que nous saurons tous nous élever à une attitude qui nous amènera à faire reculer la méfiance et le soupçon parce qu'ils sont la source de bien des malentendus et de bien des reculs dans l'histoire des peuples.

Ceci étant dit, il y a des moments dans l'histoire des peuples, dans l'histoire de tous les peuples, où l'intérêt supérieur de la communauté doit l'emporter sur les préjugés, les méfiances et les intérêts légitimes des groupes et des partis. La situation créée par le projet fédéral, la modification unilatérale et inconstitutionnelle, au sens des conventions, de la constitution canadienne actuelle, fournit la matière de l'un de ces moments historiques que, je l'espère, nous aurons l'occasion de vivre ensemble. Ainsi que nous l'avons dit tantôt, c'est l'intégrité des pouvoirs législatif et constitutionnel de l'Assemblée nationale qui est en cause. Nous n'avons pas le droit de jouer à l'autruche lorsque l'enjeu est aussi fondamental.

Je voudrais à ce sujet rappeler une résolution qui fut adoptée a l'unanimité lors de la réunion du conseil général de mon parti tenue les 19 et 20 septembre dernier, à Québec: "Attendu l'existence au Québec d'une société profondément distincte du reste du Canada, en raison de son caractère principalement français, société qui est toujours, à cause de cela, à la recherche des meilleures voies de son épanouissement; "Attendu que le Parti libéral du Québec est convaincu que les intérêts de la population du Québec se situent dans le cadre d'un Canada fédéral; "Attendu que le Parti libéral du Québec est convaincu de la nécessité pour le Québec de s'assurer d'un renouvellement substantiel de la constitution canadienne; "Attendu que le Parti libéral du Québec s'est doté d'un projet de réforme constitutionnelle apte à produire ce renouvellement par voie de négociation; "II est résolu que le Parti libéral du Québec exprime clairement, avec force et à toutes les occasions possibles, son opposition à toute démarche unilatérale visant à modifier les compétences constitutionnelles du Québec et demande en conséquence, de façon pressante, au gouvernement fédéral de reprendre dans les plus brefs délais les négociations constitutionnelles avec les provinces. "

La motion qui nous est soumise, M. le Président, nous invite à trois choses. Elle demande d'abord que nous réclamions du gouvernement fédéral qu'il renonce à sa démarche unilatérale. Je suis parfaitement d'accord sur cette demande; je n'ai aucune espèce de réserve. Je pense que c'est le devoir de l'Assemblée nationale de réclamer du gouvernement fédéral qu'il renonce à sa démarche actuelle dans tout ce qu'elle a d'unilatéral. Qu'il conserve son projet de bonifier la constitution canadienne, de la ramener au Canada, de la doter de toutes les améliorations possibles, je pense que c'est non seulement sa prérogative, mais sa responsabilité, mais que nous lui demandions de renoncer au caractère unilatéral de cette démarche, je pense que non seulement c'est justifié, mais que cela s'impose avec force.

Je profite de l'occasion pour joindre ma voix à celle que le premier ministre a fait entendre tantôt pour de demander à nos collègues québécois qui siègent au Parlement du Canada de prendre eux aussi leurs responsabilités.

Je vous dirai une chose, M. le Président. J'ai reçu des appels, ces derniers jours, d'hommes politiques qui militent sur la scène fédérale. Je ne vous dirai pas ce qu'ils me demandaient, mais je vous dirai ce que je leur ai dit. Je leur ai dit que mon parti leur rendra un très grand service en leur laissant entendre clairement qu'il n'accepte pas et n'acceptera pas une démarche unilatérale comme celle qui est imposée ou envisagée par le gouvernement fédéral. Premier point.

La résolution nous demande en second lieu de nous opposer, comme Assemblée nationale, à tout geste qui pourrait porter atteinte aux droits du Québec et affecter ses pouvoirs sans son consentement. Je pense que cela va de soi; cela découle de ce qui a été dit tantôt, de ce que j'ai essayé de dire moi-même, de ce que la Cour suprême a dit, surtout, pour notre instruction à tous. Par conséquent, je suis d'accord, sans la moindre hésitation, sur cette seconde affirmation.

Troisièmement, la résolution demande au gouvernement fédéral et aux gouvernements provinciaux de reprendre les négociations sans délai dans le respect -j'essaie de citer comme il faut cette partie, M. le premier ministre - des principes et des conventions qui doivent régir les modifications du régime fédéral canadien. "

C'est une évidence. Je disais, l'autre jour, devant un groupe: Ce sont des choses que j'aurais signées sans la moindre hésitation quand j'étais directeur du Devoir, il y a déjà plusieurs années. Cela m'étonne que vous ne m'en ayez pas cité aujourd'hui, M. le premier ministre. Je souscris sans la moindre hésitation à cette affirmation, également. Je veux ajouter, encore une fois, que, dans la recherche d'une formulation qui pourrait être acceptable aux différents points de vue qui s'affrontent quotidiennement dans cette Chambre, il y a eu, de la part du gouvernement, un esprit de collaboration de

bon aloi, auquel nous avons essayé de répondre de notre côté.

Comme nous sommes aussi d'accord avec le jugement de la Cour suprême voulant qu'il existe une convention constitutionnelle exigeant le consentement substantiel des provinces pour tout changement devant affecter leurs pouvoirs, comme il existe aussi un jugement de la Cour suprême établissant que le projet fédéral viole la convention constitutionnelle existante, il ne nous reste plus, une fois que nous avons fait le tour à la fois des énoncés de la motion et des grandes conclusions du jugement de la Cour suprême, qu'à conclure qu'il convient, dans les circonstances, de voter pour la motion qui est présentement à l'étude devant cette Chambre. En agissant ainsi, nous serons fidèles à une longue tradition en vertu de laquelle l'Assemblée nationale a très souvent été capable de faire l'unité, pour des moments précis, autour d'objets précis, lorsqu'il s'agissait de valeurs essentielles que voulaient défendre les parlementaires d'un côté et de l'autre de la Chambre.

Je voudrais rappeler une chose élémentaire. S'il n'y avait pas un certain nombre de valeurs fondamentales que nous sommes résolus à défendre ensemble par-delà nos intérêts particuliers comme groupes politiques, la vie démocratique ne vaudrait pas la peine d'être vécue et les institutions politiques ne résisteraient pas longtemps à l'usure de la critique et aux assauts des divisions et des conflits d'intérêts qui divisent les citoyens entre eux.

Je veux bien préciser, cependant, qu'en donnant mon consentement à cette motion je donne mon assentiment à un texte précis, celui qui est devant nous actuellement. Il s'agit d'un vote sur une question précise d'une gravité exceptionnelle. Ce vote ne doit pas être interprété comme un endossement implicite, indirect ou par anticipation de toute initiative que le gouvernement voudrait prendre de son côté, suivant des méthodes que nous avons souvent critiquées dans le passé et que nous pourrions encore critiquer.

Je précise, cependant, que le vote que chacun donnera comporte l'obligation d'être fidèle à lui-même et conséquent avec lui-même au cours des prochains mois. Il ne s'agit pas d'un vote que nous donnons ce soir pour nous débarrasser ou pour éliminer un problème. Si nous votons pour cette motion, nous contractons l'engagement implicite de continuer à lutter, chacun dans la mesure de nos moyens, avec nos méthodes propres, pour empêcher que ce danger qui plane sur la souveraineté de l'Assemblée nationale ne devienne une réalité. Je voudrais dire que, pour ma part, ayant longuement réfléchi aux implications de tout ceci, je vais donner mon assentiment à la motion qui nous est présentée et j'espère que tous nos collègues de l'Assemblée nationale feront de même.

Il serait dangereux, cependant, M. le Président - j'achève - de nous en tenir à une approche purement négative. C'est dans cet esprit que mon parti a insisté auprès du gouvernement pour que soit ajouté, à la fin de la motion que nous avons devant nous, ce paragraphe qui demande que reprennent dans les meilleurs délais les négociations entre les deux ordres de gouvernement.

En conclusion, je voudrais aller un peu plus loin dans cette voie et insister pour qu'on essaie de reprendre ces négociations, toujours délicates et toujours extrêmement difficiles, surtout dans le contexte actuel, en pensant à l'extrême bienfait qui découlerait pour le Canada de certains résultats concrets dans un avenir prévisible. Le premier ministre avait ouvert la voie, ces derniers temps, à une approche qui consisterait à favoriser le rapatriement de la constitution accompagné d'une formule d'amendement. Je pense que le parti ministériel a fait une évolution sur cette question depuis un an. Je me souviens de la première fois où j'ai posé la question au chef du gouvernement; j'avais été incapable d'obtenir une réponse claire mais, depuis ce temps, cela a fini par tomber par bribes, nous en sommes très heureux. J'espère que le gouvernement est prêt à confirmer cet engagement. Nous aurons l'occasion de le lui demander au cour des prochains jours, devant cette Chambre et devant tout le peuple du Québec, s'il est prêt à dire: Nous, nous sommes disposés à rechercher honnêtement le rapatriement de la constitution canadienne, pourvu qu'il soit accompagné d'une formule d'amendement acceptable. (22 h 10)

J'ajouterais ceci à ce que le premier ministre a dit. Le premier ministre a donné sa préférence à la formule des huit; je ne veux pas allonger le débat ce soir, j'ai beaucoup de critiques à faire au sujet de cette formule. Nous, de ce côté-ci de la Chambre, nous sommes davantage portés à favoriser une formule qui garantirait le droit de veto du Québec, c'est-à-dire sa participation obligatoire à tout développement constitutionnel important, tandis que la formule des huit, s'inspirant de l'esprit de la souveraineté-association, regarde plutôt vers la porte de sortie et vise à favoriser le droit de retrait facultatif. Mais, nous, nous voulons plus que ça du partenaire québécois dans la fédération canadienne. De toute manière, c'est une chose qui doit être discutée et j'ose penser qu'il devrait être possible et acceptable, des deux côtés de la Chambre, et pour les autres provinces également, que le choix soit donné au peuple canadien, par voie de référendum assorti des garanties nécessaires, au point de vue majorité régionale, par exemple, entre les deux formules pour qu'un jour, dans un avenir prévisible et concret, on puisse

disposer de ce projet.

Je pense qu'il n'est pas acceptable qu'on envoie le problème aux calendes grecques et qu'on se repose continuellement sur le Parlement britannique du soin de porter une affaire dont il ne veut pas et qu'il porte pour la plus grande gêne du peuple canadien, y compris évidemment le peuple québécois. C'est ma première suggestion, mon premier voeu. Je l'ajouterais - je n'ai pas insisté dans nos conversations avec le gouvernement pour qu'on l'insère dans le texte de la motion de ce soir, mais je l'ajoute là - et je pense parler au nom d'un très grand nombre de mes collègues en disant ceci.

J'émets un deuxième voeu à l'intention du gouvernement fédéral. Je crois qu'il serait très opportun et très souhaitable que le gouvernement fédéral accepte de modifier son projet, de manière que la charte des droits soit insérée dans la constitution canadienne, mais s'applique seulement au Parlement et aux institutions fédérales ainsi qu'aux provinces qui en auront fait le libre choix, soit par une résolution de leur Législature, soit par une décision référendaire de leur population respective. C'est une position que je suis personnellement prêt à défendre longtemps et qui me paraît procéder à un respect élémentaire des choses, de la diversité d'opinions qui existent dans ce pays et je pense que si le gouvernement pouvait annoncer clairement sa disposition à entamer des négociations autour d'objectifs très modestes, très limités comme ceux-là quitte à reprendre les autres ensuite - on pourrait peut-être franchir cette étape autrement qu'en qualifiant l'autre d'ennemi.

J'entendais le ministre de l'Éducation à la radio, l'autre jour, dire: Ces gens ne sont plus des adversaires, ils sont des ennemis. J'aimerais mieux qu'on change de langage et j'aimerais mieux qu'on essaie ceci, sans chercher d'aucune manière à retarder les procédures qui sont engagées devant cette Chambre.

En conclusion générale, M. le Président, je voudrais d'abord, au nom de mes collègues du Parti libéral et de l'Opposition, rendre hommage à la Cour suprême et à notre système judiciaire dont elle est l'expression la plus haute. Nous venons d'avoir l'exemple d'un jugement empreint d'impartialité, d'indépendance d'esprit, de science juridique, de sensibilité également aux réalités historiques, sociologiques, culturelles et même politiques. La magistrature vient de démontrer une fois de plus qu'elle est l'une des pierres d'assise du régime démocratique sous lequel nous vivons et je manquerais à mon devoir en n'exprimant pas à l'endroit de la Cour suprême, dont j'ai admiré très souvent la qualité professionnelle, l'admiration que j'ai éprouvée en prenant connaissance de cette dernière décision qu'elle a rendue.

Deuxièmement, je voudrais affirmer une fois de plus la foi profonde que je conserve envers le Canada, envers le régime fédéral qui gouverne notre pays et envers ses chances d'avenir, ses chances de progrès et d'adaptation aux réalités d'aujourd'hui. L'évolution constitutionnelle, M. le Président, est une oeuvre de longue haleine, elle ne fleurira jamais dans la précipitation et les coups de force, elle fleurira dans la mesure où, de part et d'autre, on acceptera que les décisions doivent être le fruit d'une maturation procédant de la discussion loyale et respectueuse de points de vue différents. Or, je continue de croire en ce pays qui a progressé énormément. Nous n'avons pas eu de formule d'amendement depuis 112 ans. Cela n'a pas empêché le Canada de devenir le pays du monde qui se classe au tout premier rang pour la qualité du respect qu'on y a des libertés des citoyens et cela fournit un argument, j'en conviens, à ceux qui nous diront en contrepartie qu'il n'est peut-être pas urgent d'avoir la charte des droits demain matin, j'en conviens volontiers. J'ai toujours dit que c'est un objectif éminemment désirable et je ne voudrais pas d'une charte des droits qui me serait imposée en violation des droits de notre Assemblée nationale. C'est un deuxième point. La perspective de longue haleine demeure fondamentale et je pense que personne ne me reprochera de m'être jamais éloigné trop de cette perspective. Quand je l'ai fait, j'ai payé pour.

Troisièmement, je voudrais exprimer mon attachement indéfectible et premier à l'endroit du Québec, à l'endroit de ses citoyens, de sa population, de ses institutions politiques, de ses droits et surtout de son Assemblée nationale que nous sommes réunis ce soir pour défendre ensemble. Je voterai pour la motion. J'espère, encore une fois, que nous pourrons tous faire de même. Je voudrais qu'on puisse dire en toute vérité dans quelques jours que c'est vraiment tout le Québec, par la voix de son Assemblée nationale et de ses législateurs, par-delà les différences de partis, qui s'oppose avec force, dignité, respect de la loi et confiance en la capacité des citoyens d'en venir à des solutions raisonnables et responsables, au projet qui est présentement mis de l'avant.

Je me souviens, qu'un auteur pour qui j'ai beaucoup d'admiration, le cardinal John Henry Newman, avait coutume de dire, pour le plus grand scandale d'un autre cardinal de l'époque, le cardinal Manning, dont la loyauté première était à Rome: "Je porterai volontiers un toast au pape, mais j'en porterai d'abord un à ma conscience. " Je pense que, ce soir, il conviendrait que je propose que nous portions tous un toast à notre parti respectif, mais que nous en

portions un premier au Québec et à son Assemblée nationale.

Le Président: Est-ce qu'il y a d'autres orateurs? M. le ministre de la Justice.

M. Marc-André Bédard

M. Bédard: M. le Président, comme tous mes collègues des deux côtés de la Chambre, j'ai écouté avec beaucoup d'attention les propos de l'honorable premier ministre et du chef de l'Opposition, qui a terminé en exprimant son intention de voter pour la motion présentée à cette Assemblée.

Sur une motion aussi importante, malgré les divergences d'opinion sur la manière de façonner l'avenir du Québec, qu'on sente l'urgente nécessité de s'élever au-dessus des barrières partisanes comme l'ont fait avant moi le premier ministre et le chef de l'Opposition pour essayer d'en arriver à l'unanimité, je crois que cette unanimité qui semble vouloir se dégager illustre éloquemment le danger que représente le projet fédéral pour le Québec, pour les droits fondamentaux du peuple québécois, qui doivent être défendus avec acharnement par les membres de cette Assemblée nationale.

En effet, la motion que nous étudions aujourd'hui est d'autant plus importante, d'autant plus fondamentale qu'elle permet d'exprimer clairement la position du Québec sur les effets de la résolution que le gouvernement fédéral tente de faire adopter et de nous exprimer sur la démarche inconstitutionnelle que ce même gouvernement persiste à vouloir suivre en s'accrochant à un aspect partiel du jugement de la Cour suprême du Canada. L'Assemblée nationale doit donc exprimer clairement et fermement, et nous en sentons la nécessité, une position qui soit de nature à constituer une garantie pour l'avenir même du Québec. (22 h 20)

J'ajouterais que l'Assemblée nationale se doit de le faire le plus rapidement possible, tenant compte des droits de s'exprimer des uns et des autres.

Cet après-midi, M. le Président, j'étais surpris de voir le leader de l'Opposition s'interroger sur la nécessité de convoquer d'urgence l'Assemblée nationale, alors que, disait-il, il y a des promesses de réouverture de négociations de la part du premier ministre, M. Trudeau.

Même si l'histoire récente amène les Québécois à se méfier des engagements solennels de M. Trudeau, justement parce qu'il y a une ouverture, si mince soit-elle, de reprise des négociations, il est impérieux que ces négociations ne se fassent pas sur n'importe quelle base qui serait élaborée par un parti ou par un gouvernement seul, mais qu'elles se fassent, si elles doivent avoir lieu, sur des bases essentielles, déterminées par l'ensemble des parlementaires du Québec.

Je crois que pour l'interlocuteur fédéral possible, de même que pour l'ensemble des gouvernements des autres provinces, il est de toute première importance de faire connaître les balises fixées non pas, encore une fois, par un gouvernement ou un parti seul, mais fixées par l'Assemblée nationale. Je pense que c'est là le sens même de la résolution qui est devant nous, qui exprime très clairement au fédéral que le Québec n'acceptera pas de voir diminuer ses droits sans son consentement et qu'il réclamera qu'Ottawa renonce à sa démarche unilatérale et reprenne sans délai les négociations, pas n'importe comment - c'est le contenu même de la résolution - mais dans le respect des principes et des conventions qui doivent régir les modifications du régime fédéral canadien.

En ce sens, M. le Président, je crois qu'il était nécessaire que non seulement les parties et le gouvernement fassent connaître leur opinion, comme ils l'avaient déjà fait avant la convocation d'urgence de cette Assemblée nationale, mais que, plus que cela, il était nécessaire que l'Assemblée nationale elle-même et tous ses parlementaires réunis, de quelque parti auquel ils appartiennent, se prononcent sans équivoque sur l'attitude du Québec et les conditions du Québec face à des négociations qui pourraient possiblement reprendre.

M. le Président, on l'a dit tout à l'heure, l'enjeu est vital pour le Québec. Les conséquences du projet fédéral sont énormes pour ses citoyens et citoyennes, si bien que la position que nous sommes appelés à exprimer comme Assemblée nationale, comme parlementaires, dépasse largement l'énoncé de principe auquel certains pourraient être tentés de la restreindre.

Il est clair et sans équivoque que le projet fédéral aurait pour effet de diminuer sensiblement, très sensiblement, les pouvoirs de l'Assemblée nationale sans son consentement.

Il est aussi clair que l'interprétation obtuse donnée par le premier ministre Trudeau au jugement de la Cour suprême démontre son intention, malgré peut-être certains propos dans le sens contraire, de vouloir agir sans "retenue, d'une façon indécente et carrément inconstitutionnelle, bafouant, violant les règles fondamentales sur lesquelles reposent toute notre structure juridique, toute notre organisation sociale.

Cette attitude obstinée des autorités fédérales place donc le Québec - et l'expression n'est pas trop forte - en état de légitime défense et l'oblige à réagir avec vigueur devant une telle agression de ses droits les plus fondamentaux. Au départ, il importe que la vérité garde ses droits. Les raccourcis fallacieux utilisés par le premier ministre fédéral pour justifier la poursuite de

son équipée doivent être dénoncés, ne serait-ce que pour assurer la population d'un éclairaqe que lui refuse Ottawa sur une question aussi fondamentale. Ce n'est pas une bataille de mots. Ce n'est pas un débat de sémantique. C'est un énoncé de faits clairement exprimés par la Cour suprême et volontairement mis de côté par M. Trudeau qu'il importe de faire ici. C'est cet ensemble de faits auxquels a référé le chef de l'Opposition, analysés par le plus haut tribunal du pays, qui constituent l'ensemble dont il faut être conscient. Bien sûr, M. le Président, la Cour suprême affirme que le geste est légal au sens étroit de la seule lettre de la constitution, mais M. Trudeau, qui devrait être le citoyen le plus respectueux de la constitution, néglige de retenir que, du même souffle, le tribunal affirme aussi clairement que la démarche n'en demeure pas moins inconstitutionnelle en regard des conventions, en regard de l'esprit et en regard du sens même du régime politique qui nous gouverne depuis la Confédération.

Quant aux effets concrets et pratiques que pourrait avoir le projet fédéral, la Cour suprême, M. le Président, est également sans équivoque. Je me permets de rappeler - et M. le premier ministre y a fait référence tout à l'heure - que l'automne dernier, devant cette Assemblée, j'avais évoqué l'effet que le projet de charte fédérale pourrait avoir sur la validité des lois, de nos règlements et directives. Ces appréhensions, qui étaient aussi signalées par les juristes experts du gouvernement dans un document rendu public, sont aujourd'hui confirmées. Nous ne nous en réjouissons pas, mais ces appréhensions sont aujourd'hui confirmées par tous les juges de la Cour suprême sans exception quand ils déclarent notamment: "Indubitablement, les termes du projet de loi inclus dans la résolution auraient un effet sur les pouvoirs législatifs des Législatures provinciales qui seraient, de fait, limités par la charte des droits et libertés. "

Il ne faut surtout pas oublier que les avocats du gouvernement fédéral lui-même avaient finalement admis devant la Cour suprême que le projet fédéral portait atteinte à l'autorité législative des provinces, même si les ténors fédéraux, au moment du dépôt du projet de loi fédéral, essayaient de faire croire à la population que ce projet de loi ne diminuait pas les pouvoirs de l'Assemblée nationale. Que la charte fédérale ampute les droits du Québec, cela ne fait plus aucun doute, surtout lorsqu'on lit le passage suivant des six juges de la majorité: "Si le projet de charte des droits devenait loi, chacun des chefs de compétence législative provinciale et fédérale pourrait être touché. En outre, la charte des droits aurait un effet rétrospectivement de même prospectivement, de telle sorte que les lois édictées par une province à l'avenir, de même que celles édictées dans le passé, même avant la Confédération, seraient susceptibles d'être attaquées en cas d'incompatibilité avec les dispositions de la charte des droits. " M. le Président, je comprends qu'on l'a déjà citée et que beaucoup d'autres reviendront à cette citation qui est de toute première importance puisque c'est là qu'on réalise l'ampleur du projet fédéral. Pour la majorité de la Cour suprême, c'est donc chacun des chefs de compétence législative provinciale qui pourrait être touché. C'est donc tous les niveaux de l'activité de l'Assemblée nationale et du gouvernement qu'il faudrait maintenant réexaminer s'il fallait que cette charte fédérale soit adoptée telle qu'on la connaît présentement. (22 h 30)

Ce que la Cour suprême nous confirme, c'est que toutes les lois du Québec doivent être revues, les plus anciennes comme les plus récentes, qu'il s'agisse du Code civil voté en 1866 ou de la plus récente loi de notre Assemblée. Toutes ces lois devront être revues, examinées, étudiées sous tous leurs aspects pour en vérifier la conformité avec cette nouvelle charte des droits, si elle était acceptée. Toutes ces lois aussi pourraient être contestées, en partie ou en totalité, devant les tribunaux; pourtant chacune de ces lois a été adoptée dans la plus stricte légalité et dans la plus stricte constitutionnalité. Pourquoi deviendraient-elles subitement invalides ou inopérantes par le seul geste unilatéral du gouvernement fédéral?

M. le leader de l'Opposition soulignait à bon droit cet après-midi la préoccupation majeure qui devrait animer cette Assemblée à l'égard des questions économiques. Précisément parce que nous sommes conscients de cet impératif, il faut voir les effets de l'application d'une constitution ou de l'application de la Charte des droits et libertés sur le contexte économique. Il ne faut pas s'imaginer qu'une charte des droits, ce ne sont que des mots ou ce ne sont que des principes qui y sont contenus; au contraire, c'est un ensemble de dispositions qui auraient une influence très directe même du point de vue économique.

Je me permettrai d'illustrer mes propos par quelques exemples. Comme vous le savez, le gouvernement a établi des politiques de préférence aux contribuables québécois: travailleurs, hommes d'affaires, professionnels, fournisseurs ou entrepreneurs. Le gouvernement, le nôtre et ceux qui nous ont précédés ont cru bon d'édicter des politiques de préférence envers ces catégories de citoyens dans le but évident de favoriser la croissance économique et l'embauche au Québec. Ce sont tous ces règlements concernant les contrats d'achat

du gouvernement qui privilégient le contenu québécois, les contrats du gouvernement pour l'allocation des biens meubles, les contrats de construction, de services et de concessions du gouvernement qui exigent de l'entrepreneur qu'il ait sa principale place d'affaires au Québec.

À ces règlements qui sont d'ordre économique, il faut ajouter trois directives qui confèrent l'exclusivité aux professionnels résidant et exerçant au Québec et, également, des directives qui visent à accorder, par exemple, une priorité aux produits du Québec. Dans un autre domaine, pour favoriser l'ouvrier de la construction du Québec sur les chantiers, le gouvernement a prévu certaines dispositions qui accordent un certificat de classification aux seuls salariés qui sont domiciliés au Québec. Toutes ces mesures n'ont pas que des consonances légales. Elles ont des conséquences d'ordre proprement économique. Elles sont faites dans le sens d'aider, soit les travailleurs, soit les entreprises québécoises.

Dans ce sens, il y aurait des conséquences économiques très graves pour les citoyens québécois, je dirais même pour les entreprises québécoises, s'il fallait que la charte des droits, telle que connue, soit appliquée. Qui contestera l'ensemble ou le bien-fondé de ces politiques que je viens de mentionner, qui ont été manifestement promulguées dans le but de permettre la naissance et le développement des entreprises québécoises? Pourtant, il faut en être conscient, même si ces politiques sont souhaitables pour notre société, l'article 6 du projet de loi fédéral pourrait les rendre inopérantes. Pourraient aussi être sujettes à des remises en question, à cause de l'article 6 de la charte, la Loi sur l'acquisition des terres agricoles par des non-résidents, celle de l'assurance-édition, la Loi sur la santé publique qui exige un domicile de douze mois au Québec pour l'obtention d'un permis, la Loi sur la qualification d'une entreprise en construction et celle sur les licences, qui établissent toutes deux des barèmes ou des régimes différents selon qu'on réside ou non au Québec.

Le secteur agricole, je pense que ce ne sont pas des mots, est une réalité d'ordre proprement économique. Le secteur agricole, s'il fallait que cette charte fédérale nous soit appliquée sans notre consentement, pourrait aussi être affecté. En effet, la Loi sur l'assurance-stabilisation des revenus agricoles a établi des régimes de stabilisation des revenus pour certains types de producteurs, ceux du boeuf de boucherie, ceux des céréales, ceux du maïs-grain, ceux de pommes de terre ou ceux du porcelet, etc. Les cultivateurs s'y retrouvent facilement.

Eh bien, on a établi des politiques où le domicile au Québec est l'une des conditions qui donnent ouverture aux bénéfices et avantages des régimes. Ces dispositions sont manifestement remises en question par l'article 6 de la charte des droits et libertés, s'il fallait qu'elle soit acceptée.

On pourrait, M. le Président, citer de nombreux autres exemples, mais je pense qu'il serait superflu de continuer une telle énumération. J'ai voulu le faire pour quand même montrer une partie des effets que pourrait avoir l'application de la charte fédérale. Cette charte fédérale, je ne l'avais pas encore mentionné jusqu'à maintenant, pourrait même avoir des effets très directs sur la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, parce qu'à ce moment-là, il y a des droits et libertés qui sont reconnus à l'ensemble des citoyens dans notre Charte des droits et libertés de la personne du Québec et qui ne sont pas reconnus dans la charte fédérale, celle qu'on veut nous imposer sans notre consentement. N'oublions jamais que la Charte des droits et libertés de la personne du Québec est beaucoup plus détaillée, beaucoup plus complète que la charte fédérale des droits et libertés qu'on veut nous imposer sans notre consentement. À ce moment-là, ce seraient les citoyens et les citoyennes du Québec qui seraient privés de leurs droits.

Autrement dit, la charte fédérale, telle qu'on la connaît présentement, protège moins bien les citoyens et les citoyennes du Québec que ne le fait la Charte des droits et libertés de la personne qui a été adoptée par cette Assemblée nationale et qui évolue constamment, qu'on étudiera en commission parlementaire dans quelques jours et que nous pourrons à ce moment-là rendre encore plus large, concernant le respect des droits et libertés.

Quand je vois le ministre fédéral de la Justice et le premier ministre du Canada se promener, en essayant de faire croire que c'est un cadeau inestimable que la charte des droits et libertés qu'on veut donner à l'ensemble des Canadiens, il faudrait se rappeler que toutes les provinces ont une charte des droits et libertés, que celle du Québec est plus détaillée et meilleure en termes de protection que celle que veulent nous imposer le ministre fédéral de la Justice et le premier ministre fédéral. Je pense qu'ils ne peuvent en aucune façon à ce moment-là se poser en défenseurs des droits et libertés par rapport aux citoyens et aux citoyennes du Québec, parce que nous, notre Assemblée nationale, nous avons trouvé le moyen de les protéger encore mieux par notre Charte des droits et libertés de la personne.

M. le Président, je sais que mon temps expire et je voudrais terminer en disant simplement que ce que nous contestons et ce qui est inacceptable, c'est que le

gouvernement fédéral réduise les droits et les pouvoirs du Québec sous le couvert de la promulgation d'une telle charte des droits. À ce sujet, qu'il me soit permis encore de citer les six juges de la majorité, qui écrivent notamment: "Cette charte diminuerait donc l'autorité législative provinciale sur une échelle dépassant les effets des modifications constitutionnelles antérieures pour lesquelles les consentements des provinces avaient été demandés et obtenus. " (22 h 40)

M. le Président, je pense qu'il y a des principes de toute première valeur qui doivent être défendus par les membres de cette Assemblée nationale, entre autres les droits et pouvoirs de l'Assemblée nationale qui sont, en définitive, les droits et pouvoirs du peuple québécois. Je pense qu'aujourd'hui ce que nous cherchons à faire - et nous le ferons à l'unanimité, nous l'espérons - c'est de protéger les droits fondamentaux pour la nation québécoise, ces droits reconnus par plus de 200 ans de vie collective.

C'est donc avec conviction, je pense, que la population du Québec exige que nous préservions ces droits. C'est pourquoi, en réponse à cette demande de la population du Québec, je crois, tous et chacun de nous voterons favorablement à la proposition du premier ministre du Québec. Merci, M. le Président.

Le Président: M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Fernand Lalonde

M. Lalonde: M. le Président, je voudrais simplement, pendant quelques minutes, après avoir entendu les personnages qui, outre leur fonction de député, occupent des fonctions officielles, soit au gouvernement, soit de chef de l'Opposition, vous faire part de la réflexion d'un simple député - je suis fier de l'être - de cette Assemblée nationale face à la motion qui nous est présentée et aux événements qui ont entouré sa présentation.

La précipitation suspecte du gouvernement à convoquer cette session spéciale de l'Assemblée nationale, moins de 24 heures après le jugement de la Cour suprême du Canada, ne peut nous faire oublier l'importance de la question qui nous est posée par les événements récents. Après 53 ans de tentatives infructueuses pour donner au Canada sa propre constitution bien canadienne, l'élection, en 1976, au Québec, d'un gouvernement voué à la séparation du Québec sonnait le glas des espoirs que nourrissaient les Canadiens de régler prochainement cette question. Ensuite, le choix largement majoritaire des Québécois, au référendum de 1980, de demeurer Canadiens dans une fédération renouvelée ouvrait la porte à la tentation de profiter de la faiblesse du gouvernement péquiste pour régler le problème en vitesse et unilatéralement.

Malheureusement, on sait que le gouvernement fédéral a succombé à cette tentation et, sans consulter ses partenaires référendaires au Québec, a fait passer, au Parlement d'Ottawa - il reste seulement quelques formalités pour que ce soit terminé - une résolution qui, sans le consentement des provinces, enlève plusieurs des pouvoirs qu'elles ont exercés depuis 1867. La Cour suprême du Canada, invitée à se prononcer sur les effets et la validité de la démarche unilatérale d'Ottawa, rendait un jugement qui, s'il ne règle rien à court terme, contient toutefois des décisions extrêmement importantes pour la marche à suivre, à l'avenir, dans la modification de notre constitution.

D'abord, quant aux effets de la résolution d'Ottawa, la Cour suprême, unanimement, affirme que cette résolution fédérale, si elle devient la constitution, affectera de nombreux pouvoirs du Québec et des autres provinces. Je ne reviendrai pas en détail là-dessus, le ministre de la Justice a fait état de quelques-uns, quoique j'aimerais l'inviter à nuancer ses propos en ce qui concerne la Charte des droits et des libertés du Québec. Il n'y a aucun doute que si la charte fédérale entrait en vigueur, dans le cas de conflits, la charte provinciale serait inapplicable. Mais je ne pense pas - et j'aimerais inviter le ministre à donner des précisions là-dessus - qu'on interdirait à une province d'aller au-delà pour protéger davantage, pour donner des droits et des libertés au-delà de ce qui serait contenu dans la charte fédérale et qui ne viendraient pas en conflit avec cette charte. Je pense que ces nuances sont importantes.

Donc, ce verdict unanime de la Cour suprême selon lequel la démarche fédérale change et réduit les pouvoirs des provinces est important en soi, mais il prend sa vraie dimension par l'effet d'une autre décision rendue lundi dans le même jugement. Ainsi, la Cour suprême, le plus haut tribunal de notre pays, affirme que la constitution est constituée de deux éléments essentiels et, au risque d'ajouter à la confusion qui ne pourrait pas aider à la compréhension, il faut quand même préciser que cet élément est très important. Ces deux éléments essentiels de la constitution du Canada, d'après la Cour suprême, sont la loi constitutionnelle et les conventions constitutionnelles. Or, la cour décrète que la démarche fédérale enfreint la convention constitutionnelle qui exige que de tels changements de pouvoirs ne soient faits qu'avec le consentement substantiel des provinces.

Qu'est-ce que c'est que le consentement substantiel? La Cour suprême

s'est déclarée incapable d'en définir, de façon précise, les tenants et aboutissants, mais il n'y a aucun doute dans mon esprit -et je pense que c'est la tradition au Québec qu'un consentement substantiel devra inclure le consentement du Québec. C'est d'ailleurs dans ce sens que les procédures d'amendement qui ont été concoctées au fil des années incluaient un droit de veto du Québec au cas de changements constitutionnels.

Enfin, la cour reconnaît qu'il n'existe dans la loi constitutionnelle aucune interdiction formelle d'agir comme le gouvernement fédéral le fait.

Donc, dans le sens légal strict, c'est légal. En d'autres mots, d'après la Cour suprême, la constitution canadienne repose sur deux bases essentielles: la loi et la convention, aussi essentielles l'une que l'autre. La loi ne requiert pas le consentement des provinces, mais la convention exige le consentement substantiel des provinces, donc du Québec, en ce qui nous concerne.

Or, il n'y a pas eu de tel consentement en ce qui concerne le projet fédéral. Huit provinces se sont opposées, on le sait, et je ne ferai pas d'élaboration là-dessus, et quelles que soient les raisons de leur opposition, je pense que, au départ, on doit respecter leur décision de ne pas donner un consentement à quelque changement qui leur est proposé.

La démarche d'Ottawa ne repose donc que sur une des deux bases essentielles de notre constitution; elle devient boiteuse, elle souffre d'invalidité constitutionnelle. Et la question qu'on doit se poser tout d'abord est la suivante: Est-ce que c'est sage de créer un nouveau Canada sur l'absence évidente de consensus de Victoria à Terre-Neuve? Mais au-delà de toute autre considération, M. le Président, et fort de l'avis de la Cour suprême qui déclare inconstitutionnelle au sens des conventions la résolution fédérale, je crois, à titre de simple député de cette Assemblée nationale, que la motion pose une question fondamentale. À titre de député, membre de l'Assemblée nationale du Québec, est-ce que je puis permettre que les droits et les pouvoirs de notre Assemblée nationale soient réduits sans notre consentement? La seule réponse que je puis donner, c'est non. Et personne de nous, ici, n'échappe à cette question, car ce n'est pas le gouvernement qui doit répondre seul à cette question, ce sont les droits et pouvoirs de notre Assemblée nationale qui sont menacés et qui seraient affectés. C'est donc aux membres de ce Parlement de se prononcer et de répondre à la question. Cette question transcende les individus et les partis, elle se situe au niveau de l'institution suprême du pouvoir législatif qu'est l'Assemblée nationale des Québécois, car cette Assemblée ne nous appartient pas à nous, députés, nous n'en sommes que les gardiens, les serviteurs et nous devons en protéger les pouvoirs et le bon fonctionnement comme la prunelle de nos yeux. Personne ici n'a reçu de ses électeurs le mandat de laisser réduire sans notre consentement les pouvoirs de l'Assemblée nationale. Nous appartenons tous, les 122 députés, à deux partis dont le programme exprime l'opposition à tout geste unilatéral qui pourrait affecter les pouvoirs de l'Assemblée. Personne n'échappe à ce devoir fondamental. (22 h 50)

J'ai longtemps souhaité, comme beaucoup de mes électeurs, de mes amis, de mes proches, que le problème constitutionnel se règle dans la concertation et la sérénité, mais je suis convaincu que mes électeurs de Marguerite-Bourgeoys, qui ont travaillé si ardemment pour éviter aux Québécois l'abîme de la séparation lors du référendum, comprendront que je me sentirais indigne de siéger ici si ma première loyauté ne s'adressait pas à conserver les pouvoirs de cette Assemblée. D'ailleurs, supposons un moment que ce soit l'Assemblée nationale qui adopte une loi à demi valide pour réduire les pouvoirs du Parlement canadien. Tous les députés fédéraux de tous les partis s'uniraient au-delà des partis pour s'opposer à notre démarche et ils auraient raison. Il est possible que mon vote en faveur de cette motion crée des doutes et des inquiétudes dans l'esprit de nos partisans libéraux. Certains pourraient craindre qu'il s'agit d'un vote pour les péquistes, contre Trudeau, pour Lévesque. Je ne puis accepter une simplification aussi abusive de la question qui nous confronte.

L'extrême méfiance que m'inspirent les sépulcres blanchis d'en face, M. le Président, reste entière. Ils ont la langue fourchue et le Parti québécois en porte une terrible responsabilité dans la crise que nous vivons. Le PQ a saboté la révision constitutionnelle depuis cinq ans. En camouflant son option séparatiste le 13 avril dernier, il a trompé les Québécois. Le PQ est incapable, donc, de remplir le mandat du référendum de renouveler le fédéralisme canadien. Pour ma part, je suis convaincu plus que jamais que l'avenir des Québécois sera mieux assuré dans un Canada renouvelé où les divers ordres de gouvernement seront respectueux les uns les autres. Je sais que le PQ ne peut pas nous donner ce Canada. Seul le Parti libéral du Québec pourra travailler en toute franchise à construire le Canada que nous voulons. Mais nous ne mériterons jamais de construire un Canada juste et respectueux si nous n'avons pas le courage de défendre d'abord et contre qui que ce soit les droits des Québécois à leur Assemblée nationale.

Mon vote n'est pas pour le PQ. Mon vote est pour les Québécois, pour le Québec,

pour permettre au Québec de trouver sa place dans ce Canada que nous voulons. Si je crois au Canada, c'est parce que je crois que les intérêts des Québécois résident dans cet ensemble canadien plus grand, plus vaste, mais pas au prix de voir réduire sans leur consentement les pouvoirs de leur Assemblée nationale. Le Canada équilibré que nous, libéraux du Québec, recherchons passe par le respect les uns des autres.

C'est donc comme Canadien que je vote pour le Québec, comme l'ont fait d'ailleurs les députés d'autres gouvernements provinciaux qui se sont joints au front commun pour s'opposer à la démarche fédérale. C'est aussi comme Canadien attaché d'abord à sa terre québécoise que je demande, dans cette motion, à tous les gouvernements de revenir à la table de négociation pour trouver une solution conforme au principe du fédéralisme canadien. C'est contenu dans la motion du gouvernement. Est-ce qu'on pourrait espérer, quoique la méfiance soit grande, qu'une fois ce gouvernement sera franc? On verra. On jugera ses actes parce que c'est cette Assemblée nationale qui va demander au gouvernement séparatiste de travailler, d'aller s'asseoir à la table de négociation pour renouveler la constitution conformément aux principes du fédéralisme canadien. Est-ce que, messieurs les péquistes, vous vous êtes rendu compte de la tâche à laquelle vous vous engagez?

Une voix: Pas de problème.

M. Lalonde: J'invite mes électeurs à réfléchir et à comprendre que leur député doit, d'abord et avant tout, s'acquitter de son devoir de protéger les droits et les pouvoirs des Québécois par leur Assemblée nationale et que ce devoir passe avant toute appréhension, stratégie, méfiance et même intérêt partisan.

C'est donc en toute sérénité que j'appuie cette motion qui vise à protéger les droits et les pouvoirs de l'Assemblée nationale dont je ne suis qu'un des serviteurs. Ce vote est conforme à ma conscience, à mon attachement à l'Assemblée nationale du Québec, conforme aussi aux objectifs du Parti libéral du Québec de construire le Canada que nous voulons avec un Québec fort, ouvert au monde, juste et tolérant.

Mon appui à cette motion, j'y crois profondément, si modeste soit-il, s'inscrit dans le sens des intérêts et des aspirations des Québécois et du Canada.

Je vous remercie, M. le Président.

Le Président: M. le député de Vachon.

M. Payne: M. le Président, je demande l'ajournement.

Le Président: Est-ce que cette motion sera adoptée?

Des Voix: Adopté.

Le Président: M. le leader du gouvernement.

M. Charron: M. le Président, je propose à mon tour l'ajournement de la Chambre à demain matin 10 heures.

Le Président: Les travaux de l'Assemblée sont ajournés à demain, 10 heures.

(Fin de la séance à 22 h 57)

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