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(Quinze heures dix-sept minutes)
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
Moment de recueillement. L'Assemblée est suspendue pour quelques
instants.
(Suspension de la séance à 15 h 18)
(Reprise de la séance à 15 h 21)
Le Président: S'il vous plaît, veuillez demeurer
debout pour l'entrée de Son Excellence le lieutenant-gouverneur.
Allocution d'ouverture
Le lieutenant-gouverneur: Mesdames et messieurs de
l'Assemblée nationale, vous avez été convoqués
aujourd'hui en session spéciale pour vous prononcer sur une
démarche constitutionnelle entreprise dans un autre Parlement et qui,
comme vient de le déclarer la Cour suprême du Canada, affecte
d'une manière fondamentale vos droits, vos pouvoirs ou votre statut en
tant que membres de l'Assemblée nationale du Québec.
Dans son jugement, la Cour suprême a déclaré
notamment, et je cite: "Si le projet de charte des droits devenait loi, chacun
des chefs de compétence législative provinciale et
fédérale pourrait être touché. En outre, la charte
des droits aurait un effet rétrospectivement de même que
prospectivement, de sorte que les lois édictées par une province
à l'avenir de même que celles édictées dans le
passé, même avant la Confédération, seraient
susceptibles d'être attaquées en cas d'incompatibilité avec
les dispositions de la charte des droits. Cette charte diminuerait donc
l'autorité législative provinciale sur une échelle
dépassant l'effet des modifications constitutionnelles
antérieures pour lesquelles le consentement des provinces avait
été demandé et obtenu. "
En tant que dépositaire et fiduciaire de droits qui appartiennent
à la nation québécoise, votre Assemblée se doit
donc de veiller jalousement et de défendre ses droits contre tout
amoindrissement auquel elle n'aurait pas clairement consenti. Le gouvernement
espère que cette tâche fondamentale ralliera tous les membres de
votre Assemblée de quelque parti ou de quelque origine qu'ils soient,
afin que notre peuple puisse trouver dans son Assemblée nationale
l'image de la solidarité dont il a besoin pour défendre ses
droits et s'assurer des moyens de son plein épanouissement.
Le Président: Veuillez vous asseoir. M. le leader du
gouvernement.
Motion pour dispenser le
premier ministre de la
lecture du message inaugural
M. Charron: M. le Président, je voudrais solliciter le
consentement de l'Assemblée pour que le premier ministre soit
dispensé à ce moment-ci de la lecture du message inaugural, selon
les termes de notre règlement, et que je sois reconnu
immédiatement, afin de pouvoir présenter une motion à
caractère urgent; motion dont vient de faire justement état
l'honorable lieutenant-gouverneur.
Le Président (M. Vaillancourt): Est-ce qu'il y a
consentement unanime? Consentement accordé. M. le leader du
gouvernement, vous êtes reconnu.
Motion sur la suspension de certains articles du
règlement
M. Claude Charron
M. Charron: M. le Président, proposant, comme je suis sur
le point de le faire, l'utilisation d'une prescription de notre
règlement qui prévoit le cas, dans la circonstance actuelle, pour
le leader du gouvernement de présenter une motion d'urgence, j'ai
l'impression de m'adresser à des gens déjà convaincus. Non
seulement aux membres de cette Assemblée, vu l'état actuel des
choses, mais également aux citoyens du Québec dans leur ensemble,
qui comprendront sûrement très rapidement que nous soyons
convoqués cet après-midi, mais qu'en plus nous acceptions tout
à l'heure de suspendre les règles pratigues de notre
Assemblée, afin de pouvoir le plus rapidement possible discuter entre
nous, modifier s'il y a lieu, mais adopter surtout une prise de position
conjointe au nom de l'institution la plus importante du peuple du
Québec.
En conséguence, je m'adresse à des gens convaincus pour
leur dire qu'il serait opportun que nous n'étirions pas ce débat
jusqu'à ce qu'il perde le sens politique qu'il doit avoir et que nous
acceptions de siéger à des heures, sans qu'elles
s'étendent jour et nuit, quand même un peu à l'encontre des
règles habituelles de l'Assemblée, autant les
députés à qui je m'adresse, M. le Président, que
les citoyens du Québec comprendront que
nous le fassions.
Je me permets pour que l'unanimité se fasse, simplement de
signaler pourquoi nous avons choisi comme gouvernement - et c'est ce qui nous
amène à proposer la motion actuelle - de convoquer la session
pour cet après-midi. Notre décision, au Conseil des ministres de
lundi dernier, s'est prise dans les quatre ou cinq heures qui ont suivi non pas
le jugement de la Cour suprême, car je dirais qu'à lui seul, M. le
Président, le jugement du plus haut tribunal du pays ne justifierait pas
que nous soyons convoqués d'urgence à l'Assemblée... Il a
donné raison à l'Assemblée sur des points sur lesquels
celle-ci s'est déjà prononcée. Il serait inutile de
reconvoquer les députés pour leur redemander de
réentériner les positions que le jugement de la Cour
suprême a reconnues. Nous sommes réunis d'urgence, parce que dans
les quatre ou cinq heures, même pas, dans les minutes qui ont suivi la
lecture du jugement de la Cour suprême, la réaction
fédérale s'est fait connaître. Si cette Assemblée
est convoquée cet après-midi, c'est pour réaqir à
l'intention fédérale qui a été
réaffirmée et qui nous oblige à agir d'urgence. Le
porte-parole et titulaire de ce dossier au sein de l'administration
fédérale a, sans ambages et on ne peut plus clairement, dans les
minutes qui ont suivi la lecture par le juge en chef de la Cour suprême
du verdict du tribunal, annoncé l'intention ferme du gouvernement de
procéder dans les meilleurs délais. Une fois qu'une partie du
jugement lui laissait cette mince porte ouverte, il a manifesté son
intention de s'y glisser. C'est son droit. Nous ne sommes pas ici pour
contester ce droit, mais nous avons pris acte de cette décision. (15 h
30)
Quand, plus tard, de l'autre bout du monde, est venue la confirmation de
cette stratégie par le premier ministre du Canada, les précisions
gui justifient l'urgence de la convocation de l'Assemblée sont venues.
M. Trudeau a non seulement entériné la décision de son
ministre, mais a même spécifié les étapes prochaines
qu'il entendait suivre, c'est-à-dire rencontrer son groupe de
députés; deuxièmement, rencontrer son Conseil des
ministres; troisièmement, faire face à la Chambre des communes
avec sa motion dès le 14 octobre, lorsque se réunira à
nouveau la Chambre des communes.
Le caucus en question, qui est à l'agenda du premier ministre,
semble-t-il, à son retour de voyage, est fixé au début de
la semaine prochaine. Le Conseil des ministres en question devrait normalement
suivre au cours de la semaine prochaine et, la session fédérale,
au début de la deuxième semaine qui suit ce jour où nous
nous retrouvons à l'Assemblée nationale du Québec. Je dis
très clairement que si nous ne voulons pas arriver en retard avec notre
réaction ou si, au contraire, nous voulons que notre réaction ne
soit pas une réaction pro forma, et si c'est le désir
sincère de l'Assemblée de mettre son poids dans la balance avant
qu'il soit trop tard, il faut qu'elle s'inscrive le plus rapidement possible
comme institution québécoise, je le répète, la plus
importante dans la vie de notre peuple, pour que tous ceux, caucus, ministres,
députés réunis à la Chambre des communes, qui,
selon le calendrier connu, établi et officiel du gouvernement
fédéral, seront appelés à considérer
à nouveau cette motion sachent et ne soient pas en train d'attendre la
position de l'Assemblée nationale du Québec.
Il existe une deuxième raison. Le Québec est, depuis le
début de cette aventure, membre d'une équipe qui relie huit
gouvernements provinciaux sur dix. Les uns comme les autres sont à ce
moment-ci à reprendre le combat avec les nouvelles armes qu'a fournies
le jugement de la Cour suprême. Les uns et les autres ont convenu d'une
liberté de manoeuvre respective, selon le territoire où se trouve
chacun de ces gouvernements, mais aussi d'un effort conjoint pour poser des
exigences, si jamais une occasion de bloguer le coup de force par des
négociations nouvelles s'entrouvrait, que nous ayons une position
commune. Pas plus tard qu'au cours de la journée d'hier, M. le premier
ministre et moi-même avons eu l'occasion non seulement de
présenter à des collègues de la Colombie britannique gui
nous visitaient l'intention du gouvernement de convoquer cette
Assemblée, mais de leur esquisser, dans les grandes lignes, ce que nous
entendions voir cette Assemblée prendre comme position commune.
Le même ministre de Colombie britannigue, M. le Président,
me rappelait, ce matin même, d'une autre province canadienne où il
est maintenant rendu où, entre autres, la décision
québécoise a été mesurée et, tantôt
dans l'une, tantôt dans l'autre, on s'apprête à
épouser la même attitude que celle que le gouvernement du
Québec a prise, c'est-à-dire de convoguer la Législature
provinciale ou, là où la session est déjà en cours,
de saisir la Législature provinciale d'une résolution qui ferait
connaître une position collective.
Je n'affirme pas que les huit vont faire ce que nous sommes à
faire à Québec; je n'ai pas l'information, ni même
l'autorité de l'affirmer. Certaines provinces vont même, à
ce que l'on sait, beaucoup plus loin qu'une simple convocation de la session et
elles parlent déjà d'une convocation populaire, par
référendum, dans une des huit provinces dissidentes. Je ne suis
pas ici le porte-parole des huit provinces, je dis seulement que notre geste
d'aujourd'hui, d'avoir convoqué cette Assemblée, s'inscrit dans
les gestes que font conjointement les huit provinces qui,
depuis le début, mènent ce combat, ont reçu
justification de leur combat du plus haut tribunal du pays et entendent bien le
poursuivre.
En raison donc, M. le Président, de l'urgence de faire
connaître notre attitude à nos collègues des autres
provinces, mais davantage encore à celui qui s'apprête à
diminuer les pouvoirs de cette Assemblée, le gouvernement
fédéral, je crois qu'il y a urgence pour l'adoption d'une motion,
au nom du premier ministre du Québec, que, selon le règlement, je
fais distribuer à l'instant dans les copies française et anglaise
et qui nous permettrait de prendre une position commune. Pour que ce
débat et l'urgence de la situation soient respectés,
conformément à l'article 84 du paragraphe 2 du règlement
de notre Assemblée, je propose que soit suspendue l'application des
articles suivants de notre règlement: les articles 22, paragraphes 1 et
3, 23, 30, 31, 33, 35, 36, 57, 77, 78, 79, 87, 88 et 91, que nonobstant les
dispositions de l'article 47, paragraphe 1, du règlement toutes les
séances de notre Assemblée soient ouvertes au public, que
l'Assemblée puisse siéger à compter de maintenant
jusqu'à 23 heures ce soir avec suspension des travaux quand bon lui
semblera au cours de la séance cet après-midi jusqu'à 20
heures ce soir, qu'elle puisse siéger demain, le jeudi 1er
octobre, de 10 heures à 23 heures avec suspensions de 13 heures à
15 heures et de 18 heures à 20 heures, qu'elle puisse également
siéger le vendredi 2 octobre de 10 heures à 12 h 45, que
nonobstant la suspension de l'application des règles ci-dessus
énumérées il y ait période de questions orales des
députés au début des séances du 1er et
du 2 octobre, que la suspension de l'application des règles ci-dessus
énumérées soit en vigueur dès maintenant, et ce
jusqu'à la mise aux voix de la motion qui est devant nous, mise aux voix
qui devrait intervenir à 12 h 45 le vendredi 2 octobre.
Avant d'entendre les membres de l'Assemblée qui voudraient
s'exprimer sur cette motion, je termine en disant, M. le Président, que
cette motion a été rédigée après des
consultations que les conventions imposent.
Le Président: Alors, M. le leader de l'Opposition.
M. Gérard D. Levesque
M. Levesque (Bonaventure): Alors, M. le Président, nous
avons été convoqués, comme on le sait, en catatrophe oui,
pour une session spéciale, une session d'urgence, et une fois le message
du lieutenant-gouverneur entendu, l'étape suivante et immédiate,
c'est celle que nous annonce présentement le leader parlementaire du
gouvernement, c'est que nous allons mettre de côté plusieurs des
règles de cette Chambre qui affectent particulièrement le droit
des parlementaires à procéder à un débat normal, en
toute sérénité, en toute quiétude. Il nous dit
également par les règles qu'il vient de suggérer de
laisser tomber, de ne pas parler d'autre chose que de la constitution, non pas
de tout ce qui peut concerner la constitution, mais il nous parle uniquement
d'un projet de motion, dont nous recevons copie à l'instant en langue
anglaise... Ah, voici la copie française: Cela se résume en
quatre paragraphes probablement fort importants. Nous aurons à en
discuter, sans doute, si cette motion est adoptée. Voyant la
présence des uns et des autres et faisant un calcul rapide, il est
possible que cette motion soit adoptée au cours de l'après-midi,
d'autant plus que le règlement limite le temps accordé au
présent débat. (15 h 40)
C'est dire que nous avons été convoqués rapidement.
Je pense que ç'a été la convocation la plus rapide dont je
me souvienne, et le ministre des Affaires intergouvernementales semble s'en
réjouir particulièrement, lui dont on peut évidemment
soupçonner - mais je n'ai pas l'intention de faire un procès
d'intentions -les intentions qui sont les siennes et qui n'ont pas
été cachées, particulièrement depuis quelques
années.
Ceci dit, M. le Président, je reviens à l'urgence de la
situation. On comprendra qu'on n'a pas, à ce moment-ci, l'occasion de
discuter de la motion qui vient d'être déposée. J'imagine
qu'une fois que nous aurons disposé de la présente motion de
suspension des règles pour cette motion d'urgence, le gouvernement, sans
doute, donnera à l'Assemblée, et particulièrement à
ceux qui n'ont pas encore eu l'occasion de voir ce texte, quelques minutes
avant le dîner pour que chacun des parlementaires ait l'occasion d'en
prendre connaissance et d'en étudier les conséquences, les
modalités, enfin, faire le travail d'un bon parlementaire.
Mais en attendant, quelques minutes sont mises à notre
disposition pour nous demander ce qui s'est passé, ce qui a amené
ce caractère d'urgence non seulement grande, mais exceptionnelle, non
seulement exceptionnelle, mais, jusqu'à un certain point, urgence qui
peut nous amener à nous poser des questions. Je n'ai pas l'intention de
sonder les reins et les coeurs, mais vous savez, M. le Président, que
c'est lundi de cette semaine, il y a à peine deux jours, que la Cour
suprême du Canada a rendu un jugement - et je veux être bien
charitable -que la plupart d'entre nous n'ont pas eu l'occasion de lire. Je
n'ai pas beaucoup de protestations. Vous savez, un document de plus de 400
pages, avec toutes les implications juridiques que cela comporte...
Je sais que l'excellent juriste que j'ai devant moi l'a lu, j'en suis
convaincu, et je peux même aller au pluriel pour certains. Mais je suis
convaincu - et je ne veux regarder personne - qu'il y a
énormément de parlementaires qui n'ont pas eu l'occasion d'en
terminer la lecture; soyons généreux.
Or, M. le Président, vous savez, c'est le gouvernement
lui-même qui, par la bouche du premier ministre, il y a à peine
quelque 24 ou 48 heures, reprochait au gouvernement fédéral sa
précipitation à réagir vis-à-vis de ce jugement. On
sait évidemment le nombre de personnes qui peut être au service du
gouvernement fédéral pour faire les analyses
nécessaires.
Même à cela, le premier ministre du Québec disait:
Mais pourquoi le gouvernement fédéral particulièrement le
ministre de la Justice n'a-t-il pas pris le temps de lire cela, de
l'évaluer, de regarder toutes les conséquences? Ces gens que j'ai
en face de moi auraient voulu que le gouvernement fédéral prenne
le temps de bien examiner le jugement et de le laisser entrer un peu, de
l'approfondir, de le mieux comprendre, d'en mieux saisir les implications.
M. le Président, on sait que, lorsque le gouvernement
fédéral, il y a à peine un an ou un an et demi,
décidait de procéder rapidement au rapatriement de la
constitution, les gens ont dit: Mais c'est trop vite, il faut prendre le temps
nécessaire. Toujours, lorsqu'il y a eu ces actions
précipitées, le gouvernement actuel, qui est un gouvernement
généralement lent à réagir, on le sait... M. le
Président, nous avons suffisamment de problèmes importants qui
auraient probablement justifié une véritable session, une session
où on aurait pu faire face a d'autres urgences au moins aussi
importantes pour la population et chacun des citoyens du Québec. On
aurait pu évidemment... J'aurai l'occasion, dans quelques instants, de
rappeler à nos honorables amis ce qui aurait pu faire également
l'objet de nos discussions. Non, précipitation. Pourquoi cette
précipitation?
M. le Président, il faut se demander pourquoi un jugement est
rendu lundi et, mardi, on nous convoque; mercredi, nous sommes ici. Pourquoi?
Qu'est-ce qui travaille ces gens? Il faut se poser la question dans
l'intérêt du public. D'ailleurs, la population nous le demande:
Qu'est-ce qui pressait comme ça? Parce que, enfin, M. le
Président, il faut bien dire que cette situation n'est pas une situation
nouvelle. Elle est nouvelle dans le sens qu'il y a eu une décision de la
Cour suprême, mais le fait de ces discussions, qui ont duré des
semaines, des mois et des années, ce n'est pas une situation
nouvelle.
L'intention des uns et des autres de s'opposer à un rapatriement
unilatéral ou à une modification substantielle de la constitution
sans l'accord des provinces, cette opposition que nous partageons n'est pas
tellement nouvelle. Mais qu'est-ce qui est nouveau? Le seul
événement qui s'est passé, c'est le jugement de la Cour
suprême, il y a 48 heures.
Alors, qu'est-ce que le leader parlementaire du gouvernement dit? Il
dit: Vous savez, ce n'est pas à cause du jugement de la Cour
suprême qu'on vous a réunis. C'est à cause, dit-il, de
l'intention du gouvernement fédéral de poursuivre une
démarche que nous n'acceptons pas. Ce n'est peut-être pas dans ces
mots, mais c'est substantiellement ce qu'il a dit.
M. le Président, si ce n'est pas le jugement de la Cour
suprême, si c'est la démarche du gouvernement
fédéral, j'ai alors des questions à poser au gouvernement.
Si c'est cela, pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas continué son
"homework"? Pourquoi avoir fait ce qu'il a fait depuis des mois, des alliances
avec les autres provinces, les huit? Il n'y avait rien qui se passait sans que
les huit se rencontrent. On se promenait d'un bout à l'autre du Canada,
il fallait que les huit se voient. Il n'y avait rien à faire. Les huit,
c'est un front commun et il fallait que nous comprenions, la population, que
sans cette consultation des huit, on pouvait craindre le pire. Mais comme il y
avait cette union sacrée des huit, on pouvait dormir relativement
tranquille.
Qu'est-ce qui est arrivé des autres depuis 48 heures? Mais
où sont-ils? Quels sont les déplacements qui ont
été faits par ce gouvernement pour tâcher de rencontrer les
huit? On a dit: II y en a un qui est en Allemagne; il y en a un autre en
élection; et vous savez que les six autres sont fort occupés, on
a décidé de faire chacun pour le mieux; on a gardé sa
liberté.
Mais quel changement dans quelques heures! Si ce n'est pas à
cause du jugement de la Cour suprême, mais pourquoi ce changement tout
à coup? Est-ce qu'on aurait craint qu'à la suite du jugement de
la Cour suprême, il y ait effritement chez les huit? Est-ce que c'est
cela? Mais, en toute transparence, qu'on nous dise que c'est cela qui a
amené l'état d'urgence: la crainte de l'effritement des huit.
Qu'on nous le dise. On veut faire preuve de transparence. On en fait
très peu preuve depuis déjà longtemps. C'est un mot qu'on
employait à satiété, lorsqu'on était de ce
côté-ci de la Chambre. Est-ce que c'est cela? C'est une question
que je pose au leader parlementaire du gouvernement.
Pourquoi n'a-t-on pas attendu que le premier ministre de la Colombie
britannique, qui est le président choisi par les huit, ait
terminé sa tournée de consultation présentement à
la suite du jugement de la Cour suprême? Est-ce que ce n'est pas une
exigence tout à fait élémentaire que, si on
est dans une société qui forme un front commun de huit, on
laisse au moins le temps aux huit de se rencontrer et d'échanger? Non,
cela pressait. Seulement quelques minutes accordées à M. Bennett
dans son périple et déjà, avant même que ce dernier
puisse venir rencontrer le premier ministre du Québec qui a
été le premier qu'il a rencontré, si je ne m'abuse, on
décide déjà de la convocation de l'Assemblée
nationale, avant même que M. Bennett fasse la première
consultation. Voyez-vous cela? Les huit, qu'est-ce qui s'est passé? Il
serait important qu'on le sache. (15 h 50)
M. le Président, on sait fort bien que le Parti
québécois - je dois le rappeler, même au plus grand plaisir
de mes adversaires - dans son programme, dans son discours, dans tous les
propos qui sont tenus par les membres du Parti québécois qui
s'expriment, toujours, l'objectif no 1, la raison d'être et de vivre de
cette formation politique, c'est d'assurer éventuellement et le plus
tôt possible la séparation du Québec du reste du
Canada.
En même temps, M. le Président, nous avons un gouvernement,
à l'intérieur d'un système fédéral,
dirigé par ces gens-là. Combien de fois a-t-on parlé des
deux chapeaux? Or, M. le Président, la question que je pose est
celle-ci: Est-ce que l'urgence - c'est 48 heures à peine - est une
urgence du gouvernement du Québec ou est-ce une urgence du Parti
québécois? Cette question-là mérite une
réponse. Est-ce une urgence qui est reliée de quelque
manière que ce soit à la situation des partis politiques en cette
Chambre? Est-ce que cette situation d'urgence du Parti québécois
est reliée de quelque manière que ce soit à la tenue d'un
conseil national du Parti québécois en fin de semaine, à
Jonquière, me dit-on? À ce moment-là, est-ce que nous
voulions arriver avec une motion déjà toute faite et
adoptée avant de consulter les membres du conseil national?
Les gens qui ont toujours la consultation sur les lèvres, ont-ils
voulu éviter la consultation ou peut-être même la
confrontation?
Il faut se poser ces questions-là et je reviens à
l'urgence, M. le Président. Est-ce une urgence dictée par les
besoins d'un gouvernement qui veut réellement faire tous les efforts
pour renouveler le fédéralisme canadien, pour voir à ce
que ce rapatriement soit fait selon les conventions, etc? Je ne vais pas entrer
dans le fond du sujet. Est-ce que c'est ça qui motivait le geste en
catastrophe d'appeler cette Assemblée nationale, ou était-ce
parce qu'il y avait des exigences non pas du gouvernement du Québec,
mais du Parti québécois?
Nous savons que le conseil national du Parti québécois se
réunit, mais nous avons déjà un message qui nous arrive du
président du conseil exécutif national. Je n'ai jamais trop bien
compris cela: il y a le président du parti et le président du
conseil exécutif national. Il ne faut pas se tromper, ce que je vais
vous lire n'est pas un communiqué du premier ministre du Québec,
qui est chef du Parti québécois, qui est président du
Parti québécois, c'est un communiqué émis par le
président du conseil exécutif national du Parti
québécois. J'imagine qu'il y a une nuance que mes amis d'en face
reconnaissent facilement.
Ceci dit, M. le Président, je tiendrais à vous lire
simplement quelques lignes; je n'ai pas envie de faire la propaqande de nos
amis d'en face.
Des voix: Non, non, non!
M. Levesque (Bonaventure): Je laisse le soin à mon bon
ami, le leader parlementaire du gouvernement, d'en faire la lecture
complète s'il manque d'arguments. Je vais simplement lire le dernier
paragraphe de ce communiqué qui vient d'être émis, dans les
dernières heures. Voici ce qu'il dit: "Mais le Parti
québécois réitère sa conviction que ce
problème, plus que centenaire, ne sera résolu à l'avantage
à la fois du Québec et du Canada que dans le cadre de la
souveraineté-association. S'il en avait été besoin, le
jugement de la Cour suprême est venu consolider chez tous les militants
et les militantes la conviction que l'action en faveur de la
souveraineté-association constitue bien la seule façon
véritable d'assurer de façon définitive le respect des
droits des Québécoises et des Québécois". Non
seulement le président du conseil exécutif national du Parti
québécois le dit, mais les applaudissements de ces honorables
messieurs et dames, pas tellement ceux du conseil exécutif,
c'est-à-dire du cabinet des ministres qui sont un peu plus
prudents...
Des voix: Oui, oui. Vote enregistré.
M. Levesque (Bonaventure): Employer un mot non parlementaire ne
serait pas beau à ce moment-ci. Il ne faut pas parler d'hypocrisie ou de
choses comme cela; il faut simplement parler en termes parlementaires. Je
dirais que nous avons eu, dans les banquettes d'en avant, un petit silence
prudent, mais que nous avons vu le véritable masque du Parti
québécois tomber dès que nous arrivions à la
deuxième ou troisième banquette. Est-ce la frustration ou
simplement la naïveté ou encore une expression de transparence de
l'arrière-ban, mais nous avons vu ce que nous voulions voir?
Voici la déclaration du président du conseil. On a
parlé de ce conseil national qui se réunit à
Jonquière. Je vous invite, M. le
Président, à écouter les discours qui vont se
prononcer une fois qu'on aura entamé la discussion de fond. Vous les
comparerez avec ce qu'on va dire en fin de semaine à Jonquière.
Vous verrez qu'entre le discours officiel et le discours aux militants il y
aura là plus qu'une nuance. Je vous le dis d'avance, M. le
Président, j'en fais une prédiction sans jamais vouloir passer
pour un prophète.
Lorsque le président du conseil national du Parti
québécois parle justement de ce jugement comme étant
important dans la stratégie souverainiste, péquiste,
séparatiste -appelez-la comme vous le voudrez - vous avez,
évidemment, le chef du gouvernement qui nous a dit, il n'y a pas
longtemps, à peine quelques heures, qu'il se réjouissait aussi.
Est-ce qu'il se réjouissait comme chef de gouvernement ou s'il se
réjouissait comme président du Parti québécois
lorsqu'il disait: Elle nous fournit - la décision de la Cour
suprême - des armes plus puissantes que jamais pour tâcher,
jusqu'au bout, de faire échouer cette manoeuvre? C'est le premier
ministre qui parle, le chef du Parti québécois et son
président.
Les armes. Est-ce que les armes sont celles d'un gouvernement
voué à la défense du fédéralisme canadien
à l'intérieur du système actuel ou est-ce que ce sont
plutôt des armes bien importantes pour la stratégie
concoctée au conseil national ou dans d'autres officines
gouvernementales? Est-ce là l'importance de ces armes? Est-ce la
stratégie? Ce que nous voulons savoir, en d'autres mots, avant d'entamer
cette discussion que je considère importante, ce débat qui,
à mon sens, est important... (16 heures)
Je ne plaide pas actuellement sur l'importance du débat, je
plaide sur l'urgence de nous l'avoir amené à l'intérieur
des 48 heures. La seule façon dont on puisse expliquer cette hâte
fébrile, cette panique presque, c'est qu'il y a là une
stratégie et une stratégie qui est celle beaucoup plus, à
mon humble avis, du Parti québécois que celle d'un gouvernement
conscient de ses responsabilités et qui prendrait le temps
nécessaire pour faire des consultations avec les autres provinces qui
sont dans le comité des huit, qui prendrait le temps nécessaire
pour consulter le conseil national de son parti, qui prendrait le temps
nécessaire même pour consulter l'Opposition officielle quant
à l'urgence ou à la non-urgence de cet appel de cette convocation
de la Chambre.
Le premier ministre ne savait pas ou disait ne pas savoir lundi soir
s'il y avait convocation de l'Assemblée. Il est allé au Conseil
des ministres. Il est sorti de là le lendemain matin: Ah bien, ça
presse! Qu'est-ce qui s'est passé? Est-ce que c'est le Conseil des
ministres ou est-ce que ce sont les stratèges du Parti
québécois? Mais, en toute transparence, pourquoi devons-nous
être réunis ici mercredi, dans les 48 heures qui suivent la
décision de la Cour suprême, alors que nous ne sommes pas ici
présentement, à l'Assemblée nationale, pour discuter des
autres problèmes qui sont extrêmement importants pour les citoyens
du Québec?
Ai-je besoin, M. le Président, de rappeler tous ces
problèmes? M. le Président, je reviendrai dans quelques instants
là-dessus, mais, puisque je parle de cette convocation dans les 48
heures, est-ce que cette convocation était dictée par une
stratégie qui serait reliée à une autre arme importante
pour le gouvernement actuel, arme dont on s'est servi à combien
d'occasions et à coût de combien de millions, c'est-à-dire
la publicité? Je ne dis pas l'information, ce gouvernement ne fait pas
d'information, ce gouvernement ne fait même pas de publicité, ce
gouvernement est un spécialiste de la propagande.
Est-ce que ce sont les exigences de la propagande qui faisaient qu'on
doive se réunir ici dans les 48 heures en catastrophe? Est-ce que c'est
parce que ceux qui préparent déjà la publicité sont
au travail? -On me le dit, j'ai quelquefois des confidences, M. le
Président, mais je ne les répète pas en public, je vous le
dis, M. le Président, j'ai su aujourd'hui même qu'on avait, au
Conseil du trésor, soulevé un peu le sujet. On sait qu'on fait
des coupures, mais quand ça arrive à la propagande, surtout celle
qui va entourer ou suivre cette présente prise de position à
l'Assemblée nationale, apparemment, on aurait dit: Là-dessus, il
n'y a pas de sommet, il n'y a pas de limite, vous pouvez y aller. Si je me
trompe, on pourra... Mais ça vient de quelqu'un qui est assez
près des choses.
M. le Président, dans un effort de transparence, est-ce que le
gouvernement peut nous dire, avant qu'on entame le fond de cette question, si
cette urgence avait quoi que ce soit à faire avec les exigences d'une
propagande qui est déjà bien avancée dans ses
préparatifs, tellement avancée, M. le Président, que
déjà - et je me demande si je l'ai ici - la propagande
était même commencée avant que la Cour suprême se
prononce. Déjà, et à combien de milliers sinon de millions
d'exemplaires, on avait commencé à prévoir presque le
jugement de la Cour suprême.
Du moment qu'on a su que la Cour suprême allait rendre jugement,
déjà deux ou trois semaines avant, les fonds publics roulaient
pour apporter le message, M. le Président. Je veux savoir quelle est
cette partie du message. Est-ce que c'est simplement ce qui apparaît du
"iceberg" ou est-ce que c'est tout ou si ça commence? Est-ce qu'on avait
besoin de se dépêcher à ce moment-ci d'avoir cette motion
adoptée par l'Assemblée nationale? Est-ce que c'était
relié à des exigences de la propagande du Parti
québécois?
Autre question, M. le Président, qu'on se pose et que les
médias ont posée au gouvernement et au premier ministre: Est-ce
que c'est à cause de ce que le gouvernement actuel a promis à un
moment donné au cours des élections pour rassurer la population
du Québec, parce que la population du Québec, ne vous en faites
pas, n'a jamais changé d'idée quant à l'objectif du Parti
québécois, quant à son désir d'indépendance
du Québec. Pardon? Est-ce que vous avez dit la... Non? Je comprends que
le premier ministre lui demande de se taire.
Des voix: Ah! Ah!
M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, est-ce
relié... On se rappellera la promesse du Parti québécois,
au cours de la dernière élection, qu'il n'y aurait pas de
référendum au cours du prochain mandat de ce gouvernement s'il
était réélu. La question a été posée
par les médias à l'honorable premier ministre. On lui a dit: M.
le premier ministre, songez-vous à un référendum? Euh...
Sa réponse avant le "euh" a été: Euh... Et là, on a
demandé: Mais, dans un avenir immédiat, est-ce quelque chose... ?
Ce n'est pas exclu, mais pas dans un avenir immédiat. Peut-être
que, dans un effort de transparence, on pourrait se poser la question à
ce moment-ci, parce que nous aussi, nous écoutons les conférences
du premier ministre. Il y a beaucoup de citoyens qui écoutent cela et
ils se disent: j'espère qu'ils ne changeront pas d'idée. Ils ont
dit qu'il n'y aurait pas de référendum. À ce
moment-là, le premier ministre précise et dit: J'ai promis... Si
je ne me trompe, ce ne sera pas dans ce que j'ai compris, ce serait parce que
j'ai mal compris, mais ce que j'ai compris, M. le Président, c'est ceci.
Le premier ministre a dit: J'ai promis qu'il n'y aurait pas de
référendum sur la souveraineté-association, mais cela
n'empêche pas d'avoir des référendums sur autre chose,
comme, par exemple... Mais le premier ministre pourrait-il nous dire, ou le
leader parlementaire du gouvernement lorsqu'il répondra, si cela est
entré en considération lorsqu'on a pensé d'amener
immédiatement la Chambre? Vite, amenons la Chambre ici, sortons une
motion le plus tôt possible. Cette opération en catastrophe
était-elle reliée de quelque manière que ce soit? On
pourra nous dire: Non, pas du tout. C'est correct. Ou bien dire: Oui, c'est
vrai qu'on y a pensé un peu. Le fait d'amener cela immédiatement
et de chercher immédiatement à avoir une motion de cette
Assemblée nationale, est-ce relié à une intention,
même si elle n'est pas arrêtée, mais au moins à la
pensée de préparer un référendum sur cette
question? Nous avons tellement de questions à nous poser, M. le
Président, sur ce caractère d'urgence telle qu'on peut dire que
nous avons été convoqués en catastrophe. Je pense bien que
c'est le mot qu'emploierait l'honorable premier ministre, lui qui a tellement
de mots dans son vocabulaire. Cela en est sûrement un qu'il aurait
employé s'il était assis de ce côté-ci de la
Chambre. Il dirait: Mon Dieu! Vous auriez pu attendre à la semaine
prochaine ou vous auriez pu dire: On va convoquer l'Assemblée nationale
pour la véritable session dont on parle pour l'automne ou encore, si on
veut être sérieux avec les problèmes que confrontent nos
concitoyens, on aurait dit: On ne remettra pas le comité des
priorités. On ne remettra pas à une autre semaine, ce qui va
faire, justement, que nous allons avoir une session avec un peu de viande, je
l'espère. On dirait: On va préparer cette véritable
session cette semaine et, la semaine prochaine, on convoquera les gens pour
discuter de la question constitutionnelle, mais on va commencer cette semaine
à ne pas remettre des choses aussi importantes qui touchent,
évidemment, pas seulement l'avenir, mais le présent, l'actuel de
tous les citoyens du Québec.
M. le Président, vous pensez peut-être que
j'exagère. Regardez la presse. Lisez les éditorialistes. Depuis
hier, ils vous disent: Qu'est-ce que c'est que cette histoire de convoquer
aussi rapidement? M. Trudeau n'est pas encore revenu.
Des voix: Ah! Ah!
M. Levesque (Bonaventure): C'est vrai. Il n'est pas revenu. M. le
premier ministre s'inquiète?
Des voix: Ah! Ah!
M. Levesque (Bonaventure): Oui, on a même dit... Le premier
ministre a fait certaines farces avec le rapatriement de M. Trudeau. Je sais
cela, mais n'essayez pas de produire une diversion à ce moment-ci, parce
que non seulement M. Trudeau n'est pas encore revenu, mais on a même,
tout à l'heure, lorsque le leader parlementaire du gouvernement a
parlé de l'attitude du ministre de la Justice quelques heures
après que la décision fut rendue, dit qu'il n'y avait pas
là d'ouverture. Pourtant, ceux qui ont regardé la
télé ont entendu, du premier ministre du Canada, certains propos
qui nous disaient, par exemple, qu'il faut agir avec prudence. Il y avait
là une ouverture pour quelqu'un qui veut réellement rechercher un
terrain d'entente, qui veut réellement travailler à un
renouvellement du fédéralisme canadien et qui y croit. Il y avait
là au moins un commencement, mais non, on dit: II n'y a rien. (16 h
10)
Le ministre de la Justice du Canada parlait aussi dans le même
sens que son chef, au lendemain de la déclaration de M. Trudeau. Il y en
a plusieurs des autres capitales, des autres provinces, encore là, qui
ont tenu des propos qui seraient de nature à nous rendre au moins
responsables et qui nous permettraient, M. le Président, de demander au
gouvernement où est l'urgence. Pourquoi ne terminez-vous pas votre
travail de gouvernement qui doit être un gouvernement qui réponde
à la volonté populaire, un gouvernement qui recherche
véritablement, à l'intérieur du régime
fédéral actuel, les améliorations qu'attendent les
citoyens?
J'ai dit, M. le Président, qu'il y avait des
éditorialistes, je n'en cite qu'un. On me fait signe que c'est long.
Vous trouvez ça long, M. le Président? Pas vous, n'est-ce pas?
Les gens d'en face trouvent ca long, mais j'ai à leur dire que je parle
au nom de mon parti sur une motion de fond présentée par le
leader parlementaire du gouvernement, et si je voulais prendre tout le temps
qui est à ma disposition, là, l'impatience de ces messieurs se
ferait encore mieux sentir. Mesdames, je sais que vous, vous êtes
patientes et je sais fort bien également qu'on me laissera terminer,
dans la plus grande sérénité, les propos objectifs que je
veux tenir.
Dans ces propos, M. le Président, vous me permettrez de citer un
journaliste chevronné, un éditorialiste reconnu pour son
objectivité. C'est dans la Presse, Montréal, le mercredi, 30
septembre 1981, et en voici seulement quelques extraits: "Qu'est-ce qu'on fait
maintenant que la Cour suprême du Canada a donné son avis sur le
projet de rapatriement de la constitution?" Un peu plus loin dans l'article, on
dit: "Il faisait plaisir d'entendre, aussitôt après, le premier
ministre de la Colombie britannique, M. Bill Bennett, à son titre de
porte-parole des huit provinces dissidentes, proclamer qu'il prenait bonne note
des propos conciliants du chef du gouvernement canadien et annoncer du
même coup qu'il ne se refusait pas à reprendre le dialogue. Bien
plus, M. Bennett précisait qu'il discuterait de cette possibilité
avec ses collègues des autres provinces au cours d'une tournée
qu'il entreprenait dès hier des capitales provinciales. " C'est "le
président" du premier ministre qui parle.
Cette branche d'olivier qu'on tendait des deux côtés de la
barricade constituait une lueur d'espoir. D'ailleurs, si on se souvient bien
des résultats du sondage Gallup commandité par les provinces
elles-mêmes l'été dernier, la majorité des Canadiens
interrogés d'un océan à l'autre avaient justement
exprimé le voeu que, quel que soit l'avis de la Cour suprême,
Ottawa reprenne les pourparlers avec les premiers ministres provinciaux.
"Malheureusement - et je continue - le cabinet Lévesque n'a pas cru
devoir donner suite à pareille ouverture. Avant même que le
premier ministre Bennett ne soit arrivé à Québec pour ses
consultations, la décision était déjà prise de
convoquer d'urqence l'Assemblée nationale pour cet après-midi et
de la prier d'adopter une motion de blâme à l'endroit de M.
Trudeau. "
Un peu plus loin, je lis et je cite toujours M. Vincent Prince, de la
Presse: "Le gouvernement Lévesque a peut-être vu dans la
présentation d'une motion de blâme à l'endroit du projet
Trudeau une occasion en or d'embarrasser M. Claude Ryan et les libéraux
provinciaux. Il semblerait pourtant que, dans les circonstances, les questions
de stratéqie devraient céder le pas à des
considérations moins partisanes. "
Ce n'est pas moi qui écris, c'est l'éditorialiste. Il
termine en disant - et je vous prie de m'écouter parce que vous vous
dites: Mon Dieu, est-ce qu'il exagère? -"Non, ce qui me chicote tout
simplement, c'est la façon précipitée de réagir du
gouvernement Lévesque. L'Ontario et le Nouveau-Brunswick ont
péché dans l'autre sens en pressant Ottawa d'en finir au plus
tôt avec le rapatriement, mais les erreurs des autres ne justifient pas
les nôtres. On devrait faire au moins un brève pause, qu'on
consacrerait à un ultime effort dans la recherche d'un compromis, avant
de s'engager ainsi dans un corps à corps sans merci. "
M. le Président, je viens de citer M. Vincent Prince,
éditorialiste de la Presse. Je pourrais citer Ian MacDonald de la
Gazette et d'autres qui ont parlé dans le même sens.
M. le Président, la population nous observe, la population se
demande: Mais qu'est-ce qui s'est passé pour que l'Assemblée
nationale qui ne pouvait pas être présente, apparemment, parce
qu'il y avait trop d'ouvrage à faire... Probablement que les ministres
étaient après concorter de nouvelles politiques. Durant les
élections, cela fait déjà presque un an, on
annonçait des mesures d'accession à la propriété,
on annonçait des projets de toutes sortes. On présentait un
budget qui devait, évidemment, répondre à tous les
besoins. Mais, M. le Président, la population se pose des questions:
Qu'est-ce qui arrive de toutes ces coupures budgétaires dont on a
parlé tout l'été? Il n'y a jamais une journée sans
qu'on parle de coupures budgétaires. On a un spécialiste des
coupures budgétaires. Je ne voudrais pas faire de peine au ministre des
Finances, mais il y en a un autre qui est devenu encore plus spécialiste
des coupures; c'est le président du Conseil du trésor,
nommé spécialement pour parler des coupures, M. le
Président.
Il y a tellement de choses qui auraient justifié la convocation
de l'Assemblée
nationale! Que l'on pense, par exemple, M. le Président, aux
difficultés des PME; qu'on pense, M. le Président, aux coupures
dans les programmes de nature agricole. Combien de cultivateurs
s'inquiètent présentement, nous téléphonent et
viennent à notre bureau? Il y a des résolutions, je ne sais pas
combien nombreuses, de la part des associations de cultivateurs pour que l'on
prenne des décisions non pas pour faire des coupures, mais dans
l'intérêt de la classe agricole. Il y a les taux
d'intérêts élevés; je n'en blâme pas
complètement, évidemment, le gouvernement actuel, mais il faut
prendre des mesures, cependant, afin de faire face à une situation qui
affecte nos concitoyens particulièrement dans le domaine du logement.
Qu'on pense à la situation des caisses d'entraide économique;
qu'on pense également aux questions que l'on pourrait poser dans
l'intérêt de la population sur certaines choses
inquiétantes pour dire le moins; que l'on pense à la
Société d'habitation du Québec, que l'on pense à
tous ces reportages, que l'on a vus récemment dans les journaux, sur les
dessous de la fête nationale. Et je vois ici, par exemple: "La Presse
révélera dans cette série d'articles certaines
décisions pour le moins étonnantes qui ont été
prises par le premier ministre, René Lévesque, et quelques-uns de
ses ministres au cours de la préparation de la dernière
fête nationale. Il sera également possible de voir au cours des
prochains jours comment le Parti québécois s'est servi de la
fête nationale du Québec lors du référendum et des
dernières élections et comment plusieurs militants
péquistes et amis du parti en ont également profité
financièrement. " Je vous invite à le lire.
Mais on ne peut pas poser de questions, il n'y a pas de session, M. le
Président. Puis, là, on est appelé en catastrophe; parce
que la Cour suprême a rendu son jugement lundi, mercredi il faut
absolument être rendu ici, il faut absolument commencer à
travailler parce que tout est en péril. M. le Président, pour une
question qui dure non seulement depuis des jours, des semaines, des
années, mais qui est, celle-là, par exemple, étroitement
liée à un point de stratégie de la part du Parti
québécois, prenons immédiatement cette question-là,
amenons-la immédiatement à l'ordre du jour, ramenons les
députés. Mais, M. le Président, si on dit qu'Ottawa
devrait s'occuper d'économie... Je regardais les adversaires du
gouvernement actuel. Qu'est-ce qu'ils disaient? Ils disaient au gouvernement
libéral d'Ottawa: Tâchez d'arrêter votre constitution et
occupez-vous d'économie". Le premier ministre et les ministres ici
disent cela continuellement à Ottawa: Dépêchez-vous,
occupez-vous d'économie, occupez-vous de ces problèmes-là.
Oui, M. le ministre de la Justice, c'est ce que j'ai entendu de plusieurs de
vos collègues: Que le gouvernement du Canada s'occupe de ses afffaires.
(16 h 20)
On dit, du côté de la colline parlementaire à
Ottawa, lorsqu'on parle du gouvernement actuel, qu'il est en train de couvrir
son administration avec ce nuage de la constitution. N'aurions-nous pas raison,
nous, ici même, aujourd'hui, de dire à ce gouvernement: Mais venez
donc nous parler de votre administration, l'administration du gouvernement du
Québec! Qu'on cesse d'employer Ottawa comme le bouc émissaire de
tous les maux! Vous avez des milliards à administrer. Vous avez un
budget à administrer. Vous avez à répondre dans le domaine
social, vous avez à répondre dans le domaine économique,
vous avez à répondre dans le domaine culturel de votre
administration. Là, il serait temps de venir ici, ce serait urgent, mais
l'urgence de 48 heures, pourquoi? Parce que cette question fait bien votre
affaire. À ce moment, je me pose des questions au nom de ma formation
politique.
M. le Président, je n'ai pas l'intention de poursuivre davantage.
Je pense que le point a été fait. Nous allons donner au
gouvernement l'occasion de répondre sur cette question d'urgence. Je
tiens à vous dire que j'ai évité complètement
d'aller au fond de la question. Le fond de la question, c'est la motion qui
sera discutée dans quelque deux ou trois heures, j'imagine, où
nous entendrons le premier ministre, où nous entendrons le chef de
l'Opposition parler du fond de la question, et d'autres de nos
collègues. D'après la motion qui est devant nous, vous nous
donnez seulement jusqu'à vendredi, 12 h 45, et on est supposé
avoir tout dit à la population ce qu'on avait à dire
là-dessus! Je ne sais pas si on va continuer ensuite sur les questions
plus importantes ou aussi importantes. Cela a l'air de finir là. Il
faudrait peut-être nous dire quand on va revenir et à quel moment
le gouvernement sera prêt. Je vous le dis tout de suite, quels que soient
les doigts levés de l'autre côté, je suis prêt, et
les députés libéraux sont tous prêts.
M. le Président, je vais terminer ces quelques remarques que j'ai
voulu brèves. Je veux terminer, cependant, en disant que nous nous
opposons à cette motion qui est devant nous, une motion qui veut que
l'on mette de côté les règles de procédure normale,
que l'on soit complètement, exclusivement tournés vers une
question et limités à son étude et qu'ensuite on s'en
aille chez nous et qu'on attende le bon vouloir du gouvernement pour les autres
questions et que, pour discuter de cette question, on doive nous enlever, comme
parlementaires, des choses comme des motions d'urgence, par exemple. Pourquoi
nous empêche-t-on, dans cette suspension des règles, de pouvoir
vous dire ou vous demander, M. le Président,
demain matin: Est-ce qu'on peut discuter d'un problème d'urgence
qui survient? Il y en a tellement qui sont survenus que je pense que vous les
qualifieriez de recevables. Non, c'est défendu dans la motion actuelle.
On n'a pas le droit de parler de motions d'urgence.
Demain matin, cela a l'air qu'on va avoir une période des
questions. On ne l'a pas enlevée, je ne sais pas si on a oublié
de le faire, mais je pense que nous sommes bons pour la période des
questions. Cela va permettre au moins de poser quelques questions et de
souhaiter quelques réponses. En dehors de cela, nos mains sont
liées. Je comprends que nous avons déjà dans le
passé, et j'ai été un de ceux-là,
déposé des motions d'urgence - on s'en rappelle - mais,
évidemment, c'était dans des moments de véritable urgence.
Il y avait, à ce moment, de véritables urgences.
Je soumets respectueusement que nous aurions pu laisser le gouvernement,
le comité des priorités continuer son travail de
préparation de la session qui s'en vient, j'espère. On aurait pu
également permettre au premier ministre, au ministre des Affaires
intergouvernementales de terminer ses consultations avec le comité des
huit, on aurait pu voir quelles nouvelles ouvertures pouvaient survenir d'ici
quelques jours et on aurait pu se réunir la semaine prochaine, non pas
dans un mois ou dans un an, mais la semaine prochaine, à moins que
certaines questions que j'ai soulevées ne soient à l'origine de
cette décision.
M. le Président, je termine simplement en disant ceci: Je ne veux
pas être désagréable, mais, j'ai eu l'impression, lorsque
le premier ministre parle des "obsédés d'Ottawa", quant à
la question constitutionnelle, je le dis, dans cette stratégie, il doit
y avoir des obsédés du séparatisme qui se trouvent
derrière justement cette convocation en catastrophe de
l'Assemblée nationale.
Je termine en vous disant, M. le Président, que, quelle soit la
décision qui sera prise éventuellement au cours de cette semaine
par l'Assemblée nationale, quel qu'en soit le degré
d'unanimité ou de non-unanimité, quel qu'en soit le degré,
il y a une chose que je voudrais dire: Jamais celui qui vous parle et jamais
aucun des membres de cette formation politique - je pense que je peux le dire -
ne vont s'associer à tout geste posé par ce gouvernement,
à tout propos de ce gouvernement ou du Parti guébécois qui
seraient de nature à nous allier le moindrement à ces
visées et à cet objectif qui sont ceux du Parti
québécois, c'est-à-dire la séparation du
Québec. Jamais nous n'allons dire non au Canada; ce sera oui au Canada,
mais oui également au Québec que nous aimons beaucoup.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader du
gouvernement.
M. Claude Charron (réplique)
M. Charron: M. le Président, je vais vous dire tout de
suite que je vais profiter, j'espère, de la même tolérance,
non pas sur le fond de la motion, mais sur le fond du sujet, je dirais. Je vais
essayer de répondre, comme il se doit, dans une circonstance comme
celle-là, sur un ton peut-être différent de celui que mon
vis-à-vis vient d'emprunter, mais qui sied mieux, je pense, à la
circonstance. Je vais essayer de répondre à la partie la plus
sérieuse de son intervention, parce que je crois qu'effectivement il y
avait des questions qui, autant pour les membres de l'Assemblée que pour
les citoyens et citoyennes du Québec, méritent d'avoir une
réponse.
Je ne m'attendais pas à une manifestation aussi spectaculaire,
à ce qu'il y ait un échange de questions sur l'à-propos de
la convocation. Pourquoi, si on prend les mots du député de
Bonaventure, nous convoquer en catastrophe? Mais parce que c'est une
catastrophe, M. le Président; parce que jamais - j'ai à l'esprit
des lignes écrites par le plus haut tribunal du pays et signées
par neuf juges sur neuf - une menace aussi importante n'a pesé sur cette
Assemblée nationale. Non seulement une menace aussi importante, mais une
menace dont le calendrier est connu. Si, un jour, on avait convoqué
l'Assemblée nationale, une fois la résolution votée
à Ottawa, une fois le cheminement en train de se faire à Londres,
avec la même profession de foi et de fidélité au
Québec et, je crois, la même sincérité qui l'habite,
le député de Bonaventure nous aurait battus en brèche,
aurait foncé sur nous pour dire: Beau temps pour réagir,
maintenant que le gâchis est fait!
Aujourd'hui, nous savons que ce calendrier existe et nous avons
décidé d'intervenir à ce moment-ci, parce que c'est de
nous qu'on parle, parce que c'est du pouvoir des Québécois que
nous parlons. C'est cela qui est attaqué actuellement. Le
député de Bonaventure soupçonne qu'on a fait cette
convocation dans les heures qui ont suivi l'annonce de la réaction
fédérale, comme il se doit, je crois, il soupçonne qu'on
l'a faite, dit-il, en allusion, pour embarrasser son propre parti. Il sait
comme moi que ce n'est pas une semaine de plus ou une semaine de moins qui
aurait empêché son parti d'être embarrassé par cette
question. (16 h 30)
Le député de Bonaventure nous dit: Pourquoi vous
n'attendez pas que M. Trudeau soit revenu? Mais quand même, M. le
Président, il n'est pas aussitôt revenu qu'il est parti, puis
même lorsqu'il est là, il n'est
pas tout à fait là. Qu'est-ce que vous voulez que je
fasse? Il a clairement laissé entendre à partir de Séoul,
où il a daigné s'adresser à nous, que dans les
circonstances, il sent que la mince ouverture, la mince faille que le tribunal
impuissant a avoué reconnaître et qui lui permet de faire sans
sanction légale un geste inconstitutionnel, il va en profiter, il va s'y
faufiler. Et aux dernières nouvelles, à part un unique dissident,
l'ensemble de la deputation, que vous connaissez mieux que nous,
s'apprête à réaliser ses derniers voeux.
Dans les circonstances, tout le reste des questions du
député de Bonaventure... Je veux bien, du mieux que je peux -
surtout parce qu'il y en a une certaine qui mérite une réponse
convenable - lui répondre, mais le fond de la question il est là.
Si nous ne réagissons pas tout de suite... Je sais qu'on a cité
un éditorialiste, je l'ai lu moi aussi, j'espère qu'il est
à l'écoute et qu'il recevra ma réponse.
L'éditorialiste en question disait: Cela me chicote cette session.
J'espère qu'il nous suit et qu'il entendra les députés de
chaque côté de l'Assemblée, et là-dessus, qu'il soit
libéral ou membre du Parti québécois, un membre de cette
Assemblée ne doit pas être un membre qui accepte, six mois
après avoir sollicité d'entrer ici dans cette Assemblée de
la part de la population du Québec, que cette Assemblée devienne
plus petite que quand il y est entré.
M. le Président, c'est pour vous répondre à savoir
que ce n'est pas un truc de lutte partisane où l'on se donne des
crocs-en-jambe. Il s'agit de consulter une fois et solennellement les membres
de l'Assemblée nationale parce que c'est cette institution qui est
attaquée. Je peux vous en citer aussi des éditorialiste. Le
Québec doit faire l'unanimité. Gilles Lesage, dans le Soleil,
dit, premières lignes: "Plus que toute autre province le Québec
doit rapidement faire l'unanimité pour protéger ses droits
historiques et fondamentaux". Il dit même: "Les provinces et au premier
chef le Québec doivent en quelque sorte prendre l'initiative avant qu'il
ne soit trop tard. Il est par contre, dit-il encore, approprié que
l'Assemblée nationale étudie et adopte dans les meilleurs
délais une résolution faisant état de sa
détermination quant au respect des droits fondamentaux du Québec
et de la nécessité de respecter autant les conventions
constitutionnelles que la lettre de la loi. "
Si le député n'a pas senti, si son caucus ne lui a pas
transmis cette pression de la majorité des Québécois,
à savoir que notre réaction ici soit non seulement digne de cette
Assemblée, mais soit rapide, comme la gravité de la situation
l'exige, alors, il y a quelque chose qui ne marche pas dans les communications
entre le Parti libéral et la population du Québec. Mais cela
c'est son problème. Quant à nous, nous la sentons cette pression,
bien sûr. Depuis lundi matin sans cesse je me suis soumis... Dès
dimanche... Ce que je voulais dire au député, c'est que
dès dimanche on devait tout de suite répondre à des
engagements sans savoir ce qu'allait être le jugement. On avait beau dire
aux citoyens: Attendez que le jugement arrive, on voulait, parce que cela
intéressait les gens, qu'on prenne tout de suite l'engagement de
dialoguer avec la population sur le sujet. J'ai même participé
à une émission radiophonique d'un ancien collègue de cette
Assemblée, ici même dans la ville de Québec, hier,
où dix sur dix des intervenants ont non seulement été loin
de s'insurger contre le fait que l'Assemblée nationale se
réunissait aujourd'hui; mais nous ont fait des suggestions afin que
cette unanimité soit plus forte parce qu'elle est obligatoire dans les
circonstances. Mais pourquoi le gouvernement ne fait-il pas son "home work"
habituel? Où sont les huit? On les voyait toujours, les huit.
Est-que vous lisez toujours la même chose que moi? M. Bennett va
faire en un temps record le tour des dix provinces qu'il se donne le devoir de
consulter. Il était ici hier, il était à Charlottetown ce
matin, d'où il nous a rejoint à nouveau. Il est à
Terre-Neuve cet après-midi. Les journaux aujourd'hui abondent... M. Lyon
a pris une position au nom de son gouvernement. M. Lougheed a
évoqué la possibilité d'un référendum, et
tout cela après que nous sommes en consultation non seulement depuis le
début, mais encore dimanche, à Ottawa, les huit ministres
étaient ensemble, et encore au moment de la lecture du jugement par le
juge en chef de la Cour suprême. Dès lundi après-midi -
j'étais présent au bureau du premier ministre - le chef du
gouvernement était en communication avec tous ceux-ci, à
l'exception de M. Lougheed qui était absent, comme chacun le sait, et de
M. Buchanan qui était en campagne électorale. Mais tous ceux qui
étaient disponibles ont respecté l'entente intervenue depuis
plusieurs mois, à savoir qu'advenant ce jugement nous restions ensemble
et que nous le faisions. Dans la ville de Montréal, une autre rencontre
des huit ministres des Affaires intergouvernementales ou de leur
éguivalent dans les Législatures provinciales est prévue
pour vendredi soir et samedi toute la journée.
Nous n'avons rien abandonné parce que chacun de nous
répond à l'intérêt de ses concitoyens. Bien
sûr, nous travaillons peu, les huit, physiquement ensemble, mais nous
faisons politiquement ensemble le même travail; M. Bennett l'a
confirmé, hier. Effritement d'un front commun qui vient de recevoir des
justifications à son travail? Effritement d'un front commun des
provinces qui vient de se faire dire que la thèse qu'il véhicule
depuis le début, à savoir que les pouvoirs des provinces
étaient diminués par
le projet de charte des droits, ce que le fédéral a
nié jusqu'à l'extrême limite, l'extrême limite
étant le plaidoyer verbal devant la Cour suprême... Lisez le
plaidoyer écrit déposé par le gouvernement
fédéral devant la Cour suprême; il se refusait encore
à reconnaître cette évidence que neuf juges sur neuf ont
soulignée. Pourquoi y aurait-il effritement au moment où nous
sommes en train de gagner?
Les huit délégués des gouvernements, à
Londres, hier, ont ensemble, y compris sur le plan londonien qui devient plus
important que jamais, manifesté leur cohésion. Les images de la
télévision nous l'ont rapporté; les huit étaient
présents, pour la première fois, à une conférence
de presse commune. Laissons donc ces rumeurs d'effritement.
Moi aussi, j'ai une méfiance, je pense aux obsessions. J'ai
toujours l'impression que, quand des gens se mettent à parler
d'effritement, c'est parce qu'ils le souhaitent. Quand, de l'autre
côté, on fait des pseudo-ouvertures, c'est parce qu'on recherche
aussi l'effritement. Le plus intéressant dans le débat actuel,
c'est précisément cette cohésion. Quand des pseudo-amis
se' mettent à dire qu'ils constatent avec angoisse le début d'un
effritement, je me demande qui ils servent. Je ne veux pas dire qu'on doit
être naïf et que, quand des signes d'effritement arrivent, on ne
doit pas les reconnaître et ne pas le dire, mais ne cherchons pas des
failles où il n'y en a pas et surtout au moment où il ne doit pas
y en avoir.
Il y a un dernier point que je dois reprendre, malheureusement, parce
que je ne croyais pas que le débat de cet après-midi allait
déborder sur cette question, la motion du premier ministre est
terriblement plus importante que ce genre de querelle stérile. Le
député de Bonaventure a fait allusion non seulement à
notre parti, mais à l'instance de notre parti qui se réunit en
fin de semaine et qui, lui, ne procédera à aucun virage en fin de
semaine; il continuera à faire son travail comme il l'a toujours
fait.
Vous n'avez pas à attaquer le Parti québécois dans
cette bataille et vous n'avez pas à souligner la persistance et la
consistance du Parti québécois parce que, le 13 avril dernier,
quand on a demandé aux citoyens du Québec quel était le
parti politique le mieux placé pour défendre les
intérêts du Québec, la réponse, vous la connaissez
mieux que nous. Je veux bien reprendre, moi aussi - je l'ai fait venir parce
que je ne croyais pas à avoir à l'utiliser dans un débat
de cette importance puisqu'on y a fait allusion, l'intervention du
président du conseil exécutif du parti. Répondant à
l'invitation du député de Bonaventure de la citer, je voudrais
simplement lui faire remarquer qu'il a escamoté le paragraphe
précédant celui qu'il a lu: "Le Parti québécois,
dit M. Bernard...
M. Levesque (Bonaventure): Question de privilège.
Le Vice-Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il
vous plaît!
Question de privilège, M. le leader de l'Opposition.
M. Levesque (Bonaventure): M. le Président, je voudrais
très simplement, très gentiment, rappeler au leader parlementaire
du gouvernement que je n'ai pas escamoté, mais qu'au contraire j'ai
invité le leader parlementaire du gouvernement à lire toute autre
partie de ce texte que j'aurais, à ce moment-là, pour les fins de
la discussion, passée sous silence. Mais je n'ai pas escamoté. Je
pense que cela pourrait être interprété comme si j'avais
voulu le cacher.
Le Vice-Président (M. Jolivet): M. le leader parlementaire
du gouvernement. (16 h 40)
M. Charron: M. le Président, le député de
Bonaventure a stratégiquement oublié de lire le paragraphe qui
précédait celui qu'il nous a lu. "Le Parti
québécois est conscient de l'importance de la bataille qui va de
nouveau s'engager. Il veut rappeler à toutes les
Québécoises et à tous les Québécois qu'ils
sont directement concernés par l'issue de cette bataille. C'est tout
l'avenir de notre collectivité qui est en cause; il faut donc resserrer
les rangs. "Le Parti québécois appuie de toutes ses forces les
efforts déployés par le gouvernement du Québec pour
empêcher Ottawa de rogner les pouvoirs, déjà hélas
trop limités, dont dispose le Québec et il appelle toute la
population du Québec à agir dans le même sens. " On
rêve encore du jour où pareille phrase sortira du Parti
libéral du Québec.
M. le Président, j'ai l'impression que l'intervention de cet
après-midi était - c'est pour ça que je ne lui en voudrai
pas -l'occasion pour le député de Bonanventure de marquer
quelques remarques préliminaires à un débat qui, je le
souhaite, devrait être d'une tout autre nature. C'était de bonne
guerre, ça doit être respecté comme tel, mais mettons-y fin
le plus rapidement possible car pour le reste, c'est-à-dire le
débat sur une motion dont le texte est on ne peut plus clair, je
souhaite, M. le Président, que ce débat se fasse avec la
dignité que le sujet impose.
Quant à l'organisation matérielle du débat -
dernière remarque que je ferai -c'est vrai que le vote interviendra
à 12 h 45, vendredi après-midi. J'ai sans doute rêvé
quand j'ai entendu des gens me suggérer jeudi soir, mais j'ai cru que 12
h 45, vendredi, permettait effectivement à
chacun... De notre côté, c'est une discipline encore plus
sévère, parce que nous pourrions être plus nombreux
à intervenir et nous acceptons de nous y ranger. Mais si jamais le
désir de l'Opposition changeait et qu'elle choisissait d'étendre
le débat de quelques heures, je ne crois pas, en principe, que je m'y
opposerais, parce que ce serait tout à notre avantage. Je crois
cependant, franchement, après lui en avoir parlé, que le
délai ainsi fixé est tout à fait respectueux des droits de
chacun, d'autant plus que nous sommes sur le point de nous partager l'enveloppe
de temps qui se trouve ainsi fixée. Je crois que c'est tout à
fait respectueux des membres de l'Assemblée dans les circonstances.
Merci, M. le Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Est-ce que la motion du
leader du gouvernement est adoptée?
M. Levesque (Bonaventure): Vote enregistré, M. le
Président.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Que l'on appelle les
députés.
(Suspension de la séance à 16 h 43)
(Reprise de la séance à 16 h 50)
Le Vice-Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il
vous plaît!
Pour bien connaître la motion, je vous la lis. Je mets donc aux
voix la motion du leader du gouvernement qui se lit comme suit:
"Conformément à l'article 84, paragraphe 2, du règlement,
qu'il y ait suspension de l'application des articles suivants: l'article 22,
paragraphes 1 et 3 et premier alinéa du paragraphe 3, les articles 23,
30, 31, 33, 35, 36, 57, 77, 78, 79, 87, 88 et 91; que, nonobstant les
dispositions de l'article 47, paragraphe 1, du règlement, toutes les
séances de l'Assemblée soient publiques; que l'Assemblée
puisse siéger à compter de maintenant jusqu'à 23 heures ce
soir avec suspension des travaux de 18 heures à 20 heures; qu'elle
puisse siéger demain, le jeudi 1er octobre, de 10 heures
à 23 heures avec suspensions de 13 heures à 15 heures et de 18
heures à 20 heures; qu'elle puisse également siéger, le
vendredi 2 octobre, de 10 heures à 12 h 45; que, nonobstant la
suspension de l'application des règles ci-dessus
énumérées, il y ait période de questions orales des
députés au début des séances des 1er et
2 octobre; que la suspension de l'application des règles ci-dessus
énumérées soit en vigueur dès maintenant et ce
jusqu'à la mise aux voix de la motion qui est devant nous et qui
devrait, selon le leader, intervenir à 12 h 45, le vendredi 2 octobre.
"
Que ceux et celles qui sont en faveur de cette motion veuillent bien se
lever!
Le Secrétaire adjoint: MM. Lévesque (Taillon),
Charron, Mme Marois, MM. Bédard, Parizeau, Morin (Sauvé), Morin
(Louis-Hébert), Bérubé, Landry, Lazure, Gendron, Mme
LeBlanc-Bantey, MM. Lessard, Marcoux, Biron, Godin, Rancourt, Léger,
Clair, Richard, Johnson (Anjou), Chevrette, Bertrand, Marois, Duhaime, Garon,
Tardif, Léonard, Fréchette, Martel, Ouellette, Dussault, Gagnon,
Mmes Harel, Lachapelle, MM. Paquette, de Belleval, Proulx, de Bellefeuille,
Guay, Baril (Arthabaska), Blais, Dean, Fallu, Grégoire, Bisaillon, Mme
Juneau, MM. Leduc, Marquis, Boucher, Lavigne, Beauséjour,
Lévesque (Kamouraska- Témiscouata), Gauthier, LeMay, Perron,
Bordeleau, Gravel, Champagne, Laplante, Brassard, Charbonneau, Baril
(Rouyn-Noranda-Témiscamingue), Blouin, Rochefort, Brouillet, Rodrigue,
Payne, Tremblay, Beaumier, LeBlanc, Lafrenière, Lachance, Paré et
Dupré.
Le Vice-Président (M. Jolivet): Que ceux et celles qui
sont contre veuillent bien se lever!
Le Secrétaire adjoint: MM. Ryan, Levesque (Bonaventure),
O'Gallagher, Mme Lavoie-Roux, MM. Lalonde, Forget, Mailloux, Vaillancourt
(Orford), Mme Bacon, MM. Marx, Bélanger, Bourbeau, Caron, Mathieu,
Assad, Vallières, Lincoln, Paradis, Scowen, Picotte, Pagé,
Gratton, Rivest, Fortier, Rocheleau, Maciocia, Cusano, Dubois, Sirros,
Saintonge, Johnson (Vaudreuil-Soulanges), French, Mme Dougherty, MM. Kehoe,
Houde, Middlemiss, Dauphin et Hains.
Le Secrétaire: Pour: 75
Contre: 38
Abstentions: 0
Le Vice-Président (M. Jolivet): La motion est
adoptée.
M. le leader du gouvernement.
M. Charron: M. le Président, je voudrais maintenant
proposer que l'Assemblée suspende ses travaux jusqu'à 20 heures
et qu'à 20 heures, nous puissions reprendre avec l'intervention du
premier ministre.
Motion réclamant que le gouvernement
fédéral renonce à sa
démarche
unilatérale concernant la constitution
et reprenne les négociations
Le Vice-Président (M. Jolivet): Avant d'accorder cette
suspension et de la passer aux voix, j'aimerais lire la motion sur laquelle
vous aurez à discuter à partir de 20
heures ce soir. " La Cour suprême du Canada ayant
décidé que le projet fédéral concernant la
constitution du Canada réduit les pouvoirs de l'Assemblée
nationale du Québec et que l'action unilatérale du gouvernement
fédéral, bien que légale, est inconstitutionnelle, parce
que contraire aux conventions, cette Assemblée réclame du
gouvernement fédéral qu'il renonce à sa démarche
unilatérale, s'oppose à tout geste qui pourrait porter atteinte
à ses droits et affecter ses pouvoirs sans son consentement, et demande
au gouvernement fédéral et à ceux des provinces qu'ils
reprennent sans délai les négociations dans le respect des
principes et des conventions qui doivent régir les modifications du
régime fédéral canadien. "
Est-ce que la motion de suspension est adoptée?
Des voix: Adopté.
Le Vice-Président (M. Jolivet): II y aura donc suspension
jusqu'à 20 heures ce soir.
(Suspension de la séance à 16 h 57)
(Reprise de la séance à 20 h 22)
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
À l'ordre, s'il vous plaît: Veuillez vous asseoir. M. le premier
ministre.
M. René Lévesque
M. Lévesque (Taillon): M. le Président, si
l'Assemblée nationale a été convoquée d'urgence
aujourd'hui, c'est parce qu'il y a deux jours la Cour suprême donnait
enfin son avis sur le projet constitutionnel du gouvernement libéral
d'Ottawa et que dans deux semaines le Parlement fédéral se
réunit à nouveau avec présumément ce sujet comme
première urgence là-bas aussi. Par conséquent, il nous a
semblé non seulement indiqué, mais impératif qu'au plus
vite ce Parlement-ci, à Québec, dise à nouveau en grande
partie, mais redise aussi clairement que possible ce qu'il a à dire sur
l'essentiel sans attendre à la dernière minute, afin
d'éviter toute confusion et aussi afin que l'opinion chez nous et
peut-être ailleurs ait le temps de prendre conscience de ce que nous
avons à dire, je crois, au nom des Québécois, afin qu'on
prenne conscience plus clairement que jamais de ce qui se passe en ce moment et
de ce qui risque de se passer, parce que le coup de force
fédéral, bien sûr, c'est au-dessus de nos têtes, nous
ici, dans ce Parlement et, s'il fallait qu'il passe, au-dessus des têtes
de tous ceux et de toutes celles qui nous suivront ici, qu'il est suspendu.
Mais surtout, bien au-delà de ces parlementaires que nous sommes et qui
passent, c'est toute la collectivité québécoise qui est
menacée dans ses droits et dans ses intérêts les plus
fondamentaux, les plus vitaux dont cette Assemblée est
dépositaire et dont elle a le devoir d'être le rempart. S'il
fallait qu'on l'oublie, s'il fallait qu'on se laisse aller et qu'on laisse
faire ce qui s'est perpétré à Ottawa, ce Parlement-ci,
à Québec, qui est le seul centre de décision politique qui
appartienne en propre au peuple québécois, cet instrument
déjà si pauvre, si largement démuni, dont tous les
gouvernements du Québec qui nous ont précédés
depuis le début du siècle ont souligné l'insuffisance, ce
Parlement déjà si pauvre, il aurait accepté de se laisser
encore diminuer et se serait condamné lui-même à
l'insiqnifiance. Toute la population qu'il représente se trouverait du
même coup réduite à une portion encore plus rabougrie que
jamais de dignité et de moyens de défense collectifs, et
même aussi de chances dans la vie, y compris dans la vie
économique.
C'est aussi grave que cela, ce qui se passe et ce qui peut se passer. Il
faut que cela soit compris. Il faut, si possible, que cela soit senti par tout
le monde, par tous ceux et toutes celles qui ont conscience d'une chose qui est
vraie ici, comme partout dans l'univers, c'est que les droits, les aspirations
et les chances légitimes de réaliser ces aspirations pour chacun,
pour chaque individu et, après lui, le cas échéant, pour
ses descendants, ces chances augmentent ou diminuent fatalement - c'est plus ou
moins grave, selon les cas, bien sûr, mais c'est inévitable, de
toute façon - selon ce qui arrive aux droits, aux espoirs et à la
santé de la société humaine dont cet individu fait
partie.
Or, ce que la Cour suprême vient de constater et de
déclarer, à propos du projet fédéral, devrait nous
aider tous à mesurer cette qravité sans précédent
de la crise qu'on nous a imposée. Ce que dit le tribunal à ce
sujet, sur le fond et sur la manière, correspond
précisément à ce que nous nous sommes
évertués à dire et à répéter depuis
l'an dernier. Cette opinion vient ainsi justifier et renforcer de façon
décisive la cause que nous défendons depuis le début,
côte à côte avec sept autres provinces, huit sur dix, ou
alors huit des onze gouvernements élus dans ce pays.
Sans essayer de tout dire en détail, parce qu'il y en a pour 400
pages, mais sans rien fausser non plus - du moins, je le crois - je voudrais
essayer de voir ensemble, si vous le voulez bien, ce qui était en cause
devant le tribunal et ce qu'il en est résulté. En se rendant
jusqu'à la Cour suprême, ce que le front commun des huit provinces
résistantes voulait faire établir, ce sont trois choses bien
distinctes: premièrement, on
demandait à la Cour suprême si, à son avis, le
projet de résolution constitutionnelle fédéral portait
atteinte aux droits et aux pouvoirs des Parlements provinciaux, à
commencer, quant à nous, par cette Assemblée nationale où
nous sommes. Il était important, il était devenu important de
faire confirmer ce point, même si cela devait sauter aux yeux, pour
quiconque sait lire et est un peu de bonne foi. C'était important, parce
que, jusqu'à la toute dernière minute, jusqu'au moment même
d'aller plaider devant la Cour suprême, M. Trudeau et son entourage
s'acharnaient à nier cette évidence, à faire semblant de
ne pas la voir. C'est seulement en entrant au tribunal, ce matin-là,
après combien de mois de déformation des faits, qu'ils ont
renoncé à cet effort persistant qu'ils avaient mené encore
une fois depuis des mois pour fausser leur propre texte et pour empêcher
la population d'en saisir la portée.
Ils avaient marché selon un vieux précepte, hélas
trop souvent employé: Mentez, mentez, mentez assez longtemps, il en
restera toujours quelque chose, même si on ne peut pas mentir toujours
jusqu'au bout. Aussi, mieux vaut tard que jamais, il était devenu
très important que la Cour suprême clarifie définitivement
ce point. C'est ce qu'elle a fait à l'unanimité, neuf juges sur
neuf.
Oui, le projet fédéral porte atteinte aux droits et aux
pouvoirs de l'Assemblée nationale du Québec et, par là
même, aux droits et aux pouvoirs et, par conséquent, à
certaines des sécurités et des chances de développement
les plus essentielles de tous les Québécois.
Je voudrais vous dire, si vous permettez, à quel point
maintenant, et très rapidement, à quel point c'est vrai que cela
porte atteinte aux droits et aux pouvoirs essentiels. Je vais reprendre
très simplement le texte clé de cette opinion unanime de la Cour
suprême, qui a été lu d'ailleurs à l'ouverture de la
session, cet après-midi, mais pour les gens qui n'étaient pas
là - je pense à nos concitoyens en même temps qu'à
nous tous ici - ce texte, il est bon de le souligner, émane du tribunal
même à qui serait confiée la responsabilité ultime
d'appliquer cette réduction massive de nos droits et de nos pouvoirs
politiques et leur transfert hors de notre contrôle. (20 h 30)
Voici donc en quels termes ce tribunal particulièrement
intéressé à la question pour tout ce qui peut s'ensuivre
reconnaît qu'il s'agit d'une diminution qui dépasse en importance
tout ce qu'on n'a jamais vu. "La charte des droits - dit la Cour suprême
à l'unanimité - aurait un effet rétrospectivement, de
même que prospectivement, de sorte que les lois édictées
par une province à l'avenir, de même que celles
édictées dans le passé, même avant la
Confédération, seraient susceptibles d'être
attaquées en cas d'incompatibilité avec les dispositions de la
charte des droits. Cette charte diminuerait donc l'autorité
législative provinciale sur une échelle dépassant l'effet
des modifications constitutionnelles antérieures pour lesquelles le
consentement des provinces avait été demandé et obtenu. "
Cela dépasserait - je le répète - "l'effet des
modifications constitutionnelles antérieures. " Tout ce qui a pu
être fait avant et tout ce qui avait été fait avant, et qui
était infiniment moins que cela, avait toujours obtenu le consentement
des provinces avant d'être effectué.
Avant que soit publiée cette opinion énorme,
catégorique et unanime de la Cour suprême, nous avions
nous-mêmes fait analyser, par des juristes réputés, cet
effet évident du projet fédéral sur les compétences
du Québec, et le rapport que ces juristes nous ont fait a
été déposé ici même, à
l'Assemblée nationale, il y a quelque temps. C'est ce rapport qu'on a
fait résumer le mieux possible, sans le fausser, j'en suis convaincu,
dans cette brochure du gouvernement - non pas une brochure d'un parti, mais du
gouvernement - que, malheureusement, le député de Bonaventure,
dans l'effervescence de cet après-midi, essayait, un peu tristement, de
caricaturer en la traitant de propagande.
Pourtant, le titre de cette brochure, "Minute Ottawa", correspond
à peu près exactement - j'y reviendrai dans quelques instants -
à ce que la Cour suprême essaie elle-même de dire à
l'actuel gouvernement fédéral. Cette brochure n'invente rien. Non
seulement elle n'invente rien, mais elle ne déforme rien, non plus,
autant que je sache, et elle ne va pas aussi loin que ce qu'implique l'opinion
même de la Cour suprême. Je ne la lirai pas en détail, bien
sûr, mais j'inviterais tout de même tous nos concitoyens qui le
veulent bien à le faire. Ceux qui l'ont fait, à partir des
opinions des juristes, se sont vu confirmer - et même au-delà de
confirmer - par l'opinion unanime de la Cour suprême, qu'on a
essayé de vulgariser, de simplifier, les implications de ce projet
fédéral en ce qui concerne nos droits et nos pouvoirs
collectifs.
Je vais lire, si vous le permettez, simplement la conclusion:
"L'opposition du Québec au projet constitutionnel d'Ottawa et au coup de
force qui le caractérise ne résulte pas uniquement de
l'inévitable tension entre deux paliers de gouvernement. Les dangers qui
pèsent sur le Québec en raison de ce projet sont réels. Le
gouvernement du Québec, comme les autres gouvernements provinciaux, doit
pouvoir continuer à appuyer les orientations de développement
économique qu'il s'est tracées pour le mieux-être de la
population qui l'a élu. En conséquence, il
doit conserver son droit de subventionner en priorité les
entreprises enracinées sur son territoire, de s'approvisionner en
priorité auprès des producteurs et des fournisseurs
québécois et d'assurer aux travailleurs du Québec la
priorité d'embauche sur les chantiers financés avec leurs propres
taxes. " Or - je le soumets à tout le monde ici et à tous les
Québécois ou les Québécoises qui peuvent assister
à cette séance de l'Assemblée nationale par la
télévision - tout ce que, brièvement, je viens
d'énumérer devient désormais non seulement contestable,
mais contesté à volonté par quiconque, si ce projet
fédéral passe, trouverait de son intérêt de nous
empêcher de fonctionner, ainsi que je viens de le décrire.
Je reprends rapidement la dernière page de cette brochure que le
gouvernement du Québec a publiée il y a quelques jours: "De plus,
le gouvernement du Québec, en tant que gouvernement d'une nation ayant
une identité propre, a le devoir de lui assurer la
sécurité et le développement. Pour ce faire, il doit
conserver tous les pouvoirs lui permettant de mettre en place les outils
nécessaires à la protection et à la promotion de la
langue, de la culture et de tout ce qui fait du Québec une
société unique. Il doit aussi en acquérir de nouveaux. "
Cela fait longtemps que c'est dit; c'est toute la question du partage des
pouvoirs, de l'évolution qui fait les besoins de plus en plus pressants,
chez nous en particulier, d'un élargissement du régime au moins.
Laissons de côté des pouvoirs nouveaux; ceux qui existent - et
depuis 114 ans - dans le projet fédéral, dans ce régime
transformé qu'on veut nous imposer, ça pourrait rapidement nous
être interdit, même dans ce domaine qui est de l'essence même
de notre identité.
La conclusion est celle-ci: "Au cour de la période
référendaire, les autorités fédérales ont
promis des chanqements constitutionnels. Personne, au Québec, n'a
compris que ces changements diminueraient les pouvoirs de l'Assemblée
nationale et joueraient contre les Québécois. " Est-ce qu'il y a
quelqu'un qui peut dire le contraire, ici, dans cette Chambre ou n'importe
où au Québec? "C'est pourquoi le Québec, disons-nous en
terminant, a aussi le devoir de refuser la camisole de force qu'Ottawa tente de
lui passer ou alors, comme je le disais hier, pour ma part, jamais nous
n'accepterons un tel dépouillement de nos droits les plus chers et je
crois bien qu'aucune femme, qu'aucun homme politique québécois
digne de ce nom ne pourra jamais l'accepter. C'est un devoir national de faire
en sorte que jamais ce projet funeste ne se réalise.
Je dois ajouter tout de suite, en pesant bien mes mots, que si cela
devait se réaliser tel quel à Ottawa et puis à
Westminster, il n'est pas question que le gouvernement du
Québec, il n'est pas question pour ce gouvernement ni pour la
majorité ministérielle tant qu'ils seront là l'un et
l'autre - j'espère que toute l'Assemblée nationale sera d'accord
là-dessus - d'évacuer quelque champ que ce soit de nos
compétences législatives ni de renoncer à faire, dans
l'intérêt de nos concitoyens québécois, tel que nous
le percevons et chaque fois qu'il nous apparaîtra clair, les meilleures
lois, les meilleurs règlements, les meilleurs programmes que nous
pourrons préparer, même si cela devait mener à la
démonstration par l'absurde de l'invivabilité du nouveau
régime dans lequel on prétend nous enfermer et, en conscience, je
ne vois pas comment on pourrait faire autrement.
Voilà ce qui découle dès maintenant de ce que la
Cour suprême unanimement a répondu à la première
question qui lui était posée.
Quant à la deuxième à laquelle le tribunal, aux
deux tiers cette fois, a également répondu par l'affirmative, il
en ressort avec tout autant de clarté qu'en plus d'être totalement
inacceptable et de nous mener tout droit à l'absurdité, le projet
fédéral est également illégitime, politiquement
immoral, parce qu'il va contre une règle de conduite établie,
reconnue depuis toujours et que personne, jusqu'à présent, depuis
les débuts de la fédération canadienne, n'avait osé
enfreindre. C'est cela que déclare la Cour suprême. Cette
règle, c'est elle qui s'appelle la convention constitutionnelle. (20 h
40)
Convention, c'est un mot auquel il va falloir s'habituer. Jusqu'ici,
dans le contexte politique courant, ce n'était pas un mot qu'on
employait souvent. On sait bien, dans tous les secteurs de la vie collective,
qu'il y a des conventions. Il y a des conventions sociales, des conventions
diplomatiques, des conventions internationales. Elles ne sont pas
écrites, mais, sur ces conventions repose quand même très
souvent l'essentiel de ce qu'on a pu réaliser comme civilisation,
autrement dit, l'essentiel de ce qui rend le monde à peu près
vivable parce que ce sont des choses auxquelles on peut, ou, en tout cas, on
croit pouvoir se fier, parce qu'elles sont établies, et elles ont
été établies et respectées assez longtemps pour que
personne, normalement, n'ose les enfreindre.
Dans le domaine constitutionnel, la convention du régime
fédéral dans lequel nous sommes, qui n'a jamais été
brisée jusqu'à présent, c'est qu'un chambardement
unilatéral du système est une chose qui ne se fait pas. Comme on
dit en anglais, dans l'anglais classique de ces îles britannigues qui ont
inventé le système parlementaire dans lequel nous sommes, "it is
not done", ça ne se fait pas.
C'est ce que la Cour suprême dit de la
façon suivante: "Le principe fédéral est
irréconciliable avec un état des affaires où l'action
unilatérale des autorités fédérales peut
entraîner la modification des pouvoirs législatifs provinciaux. Il
irait vraiment -ajoute-t-elle - à l'encontre du principe
fédéral qu'un changement radical de la constitution soit
décidé à la demande d'une simple majorité des
membres de la Chambre des communes et du Sénat canadien. "
Il me fait plaisir de souligner, d'ailleurs, que le chef de l'Opposition
évoquait il y a trois jours une indication concrète, qui est
également fournie par le tribunal, de l'importance fondamentale de cette
règle. "La cour nous rappelle - disait M. Ryan - que cette convention
constitutionnelle a été acceptée à l'état de
principe par le gouvernement fédéral lui-même dans le livre
blanc de M. Guy Favreau en 1965". Donc, une convention explicitement
acceptée à ce moment-là par le gouvernement
fédéral, le même gouvernement d'Ottawa, parce qu'il y a une
succession dans le respect des conventions, et il y a une succession dans les
engagements des gouvernements, on sait cela.
J'ajouterai juste une illustration qui est également fournie par
la Cour suprême de ce poids extraordinaire des conventions
établies, sans le respect desquelles on en viendrait à ne plus
pouvoir se fier à personne. Pour parler vulgairement, c'est cela que
cela veut dire.
La Cour suprême nous donne cet exemple-ci qui est tiré de
la vie politique et même de la vie électorale, et qui va
sûrement intéresser tout le monde dans cette Chambre et
probablement stupéfier aussi beaucoup de gens, beaucoup de
Québécois et de Québécoises qui nous
écoutent et nous voient fonctionner ici aujourd'hui. Par exemple, dit la
Cour suprême, selon une exigence fondamentale de la constitution, si
l'Opposition obtient la majorité aux élections, le gouvernement
doit offrir immédiatement sa démission, mais si fondamentale
soit-elle, cette exigence de la constitution ne fait pas partie du droit
constitutionnel. Elle n'est pas écrite et, légalement, on n'est
pas obligé. C'est une convention.
Une autre exigence constitutionnelle veut que la personne nommée
premier ministre fédéral ou provincial par la couronne et qui est
effectivement le chef du gouvernement ait l'appui - une convention, une autre
exigence constitutionnelle - de la Chambre élue, de la
Législature. En pratique, ce sera, dans la plupart des cas, le chef du
parti politique qui a gagné une majorité de sièges
à une élection générale. Les autres ministres sont
nommés par la couronne sur l'avis du premier ministre
fédéral ou provincial lorsqu'il forme ou qu'il remanie son
cabinet et les ministres doivent continuellement jouir de la confiance de
la
Chambre élue, de la Législature, personnellement et
collectivement. S'ils la perdent, ils doivent soit démissionner soit
demander à la couronne de dissoudre la Législature et de tenir
une élection générale.
La plupart des pouvoirs de la couronne en vertu de la prérogative
sont seulement exercés sur l'avis du premier ministre ou du cabinet, ce
qui signifie que ces derniers l'exercent effectivement, ainsi que les
innombrables pouvoirs délégués par les lois à ce
qu'on appelle la couronne, ou le lieutenant-gouverneur en conseil dans notre
cas. Tout cela est l'armature même du fonctionnement d'un gouvernement
face à la Chambre, etc.
La Cour suprême ajoute ceci: "Pourtant, on peut dire qu'aucune de
ces règles essentielles de la constitution n'est du droit
constitutionnel. Il n'y a pas de loi écrite nulle part qui oblige
à cela. C'est une convention. "
Or, à Séoul, l'autre soir, la seule fois où il a
daigné s'adresser à son bon peuple depuis les antipodes et la
seule fois, semble-t-il, où cela arrivera jusqu'à son retour vers
le 10 octobre, quatre jours à peine avant la convocation du Parlement
fédéral, M. Trudeau, - à Séoul, donc - traitait
cette règle fondamentale avec une extrême
légèreté en disant: Vous savez, les temps changent, il
faut s'adapter à l'évolution et cela peut, à l'occasion,
nous amener à briser des conventions. C'est malheureux, semblait-il
ajouter, mais c'est ainsi. Or, c'est lui qui a décidé cela tout
seul, avec l'appui, majoritaire jusqu'à présent, d'une
députation, hélas! dont la servilité n'a pas beaucoup
d'exemple dans l'histoire. S'il devait persister dans cette voie qui est celle
de l'autocratie pure et simple, de l'après moi le déluge, -on
remarquera que c'est tout un précédent qu'il établirait -
à quoi pourrait-on s'attendre par la suite? Sur quelle bonne foi, sur
quelle règle fiable pourrait-on s'appuyer désormais, en tout cas,
face, tant qu'il sera là, à ce même gouvernement
fédéral? C'est d'autant plus effarant que le prétexte qui
est constamment repris par M. Trudeau et ceux qui sont la voix de leur
maître, c'est qu'il est devenu absolument nécessaire,
indispensable et inévitable qu'on brise toutes les conventions au
besoin, parce que cela fait 50 ans - parfois, c'est 54 ans, cela dépend
de l'humeur du moment - ou 54 ans que cela dure comme cela, que c'est
bloqué et qu'il faut donc en finir.
Je n'ai pas examiné en détail les 54 dernières
années, je l'avoue, mais je sais une chose, c'est que, depuis 14 ans,
depuis 1968, depuis l'arrivée du gouvernement de M. Trudeau à
Ottawa, si cela n'a jamais débloqué, c'est justement parce que
toujours, sans arrêt, jusqu'à Ottawa l'an dernier et depuis, et
jusqu'à ce jour, toutes les demandes le moindrement substantielles
des
provinces, si justifiées fussent-elles depuis des
générations parfois, se sont heurtées à un mur et
que, de son côté, ce gouvernement fédéral n'a jamais
abandonné son idée constante, fixe de diminuer les provinces, de
réduire leurs droits, de réduire leurs pouvoirs et de centraliser
tout ce qui peut l'être entre les mains du fédéral.
À cela, de notre côté, à Québec et dans sept
autres provinces en ce moment, on n'a pas pu faire autrement que d'opposer,
nous aussi, un mur. Incapables absolument de briser son refus total, global de
tout renouveau qui corresponde à leur évolution, à leurs
besoins de plus en plus pressants, les provinces ont mis de l'eau dans leur
vin, ont accepté d'attendre d'abord, tout en continuant à essayer
de convaincre Ottawa. Mais M. Trudeau, lui, l'an dernier, a
décidé de ne plus attendre sa propre satisfaction dans le respect
des règles et des conventions. Il a froidement décidé de
briser les conventions établies et, ne pouvant quand même, dans
ces conditions, faire cela complètement ici, au pays, il s'est vite
décidé de tourner la difficulté en faisant
compléter l'ouvrage à l'étranger. L'étranger, c'est
le Royaume-Uni qui, curieusement, n'a aucune constitution écrite, n'a
pas de droit constitutionnel écrit, le Royaume-Uni dont tout le
régime repose essentiellement sur le respect des conventions; comme quoi
on n'en est pas à une absurdité près. (20 h 50)
Seulement, il faut dire, comme le dit la motion qui est devant nous, que
tout en étant absolument inacceptable et invivable, tout en étant
totalement illégitime et inconstitutionnel, il arrive qu'au sens strict,
comme l'a dit la majorité de la Cour suprême dans la
réponse à la troisième question qui lui était
posée, le coup de force fédéral n'est pas illégal.
Il est tout ce que je viens de dire, tout le monde est d'accord
là-dessus et la Cour suprême, par deux jugements le confirme, mais
au sens strict, ce n'est pas illégal, parce que n'ayant jamais
imaginé qu'on irait jusque-là, personne n'a songé dans le
passé à faire passer cela dans le droit écrit, à
boucher ce qui est en quelque sorte, en termes de profane, un vide juridique.
C'est par cette fente, aussi étroite et foncièrement
répugnante, à part cela, en démocratie, qu'à
Ottawa, MM. Chrétien, Trudeau et ceux qui les entourent semblent, pour
l'instant, décidés à passer pour se rendre dans cet
état jusqu'à Westminster où, si j'ai bonne mémoire,
quelqu'un, un jour, a eu cette remarque terrible: Si cela vient comme cela chez
nous, on sera peut-être obligé de le passer, mais en se bouchant
le nez. C'est à cela que peut nous réduire, dans l'état
où il est, le projet fédéral.
Pour les gens que le mot "légalité", surtout l'abus qui en
a été fait dix minutes après le jugement de la Cour
suprême, une heure après, par tous les porte-parole
fédéraux, même je dois dire par certains tons et certains
accents qu'ont pris automatiquement certains des porte-parole de l'information,
dans certains médias d'information, pendant quelques heures, on
entendait dire seulement: C'est légal. On ne parlait pas du reste. Entre
autres, s'il y a un personnage qui, dans sa première réaction,
n'a dit pas un traître mot du reste, c'est le ministre de la Justice
fédéral, M. Chrétien.
Un des meilleurs observateurs, je crois, de la scène politique et
un des meilleurs commentateurs de la réalité, en termes qui, je
crois, peuvent rejoindre tout le monde et qui ne faussent rien, M.
Décary, dans le Devoir, il y a une couple de jours, disait ceci sur tout
cet ensemble: "La victoire légale est mince, parce qu'elle est
négative. La cour ne dit pas qu'Ottawa a le droit d'agir
unilatéralement, elle dit qu'aucune loi ne l'empêche de le faire
et va même jusqu'à reconnaître, dans sa réponse
à la question québécoise, qu'aucun statut ne permet -
c'est sûr - à Ottawa de faire ce qu'il fait. C'est donc sur le
silence de la loi que peut s'appuyer Ottawa, ainsi que sur le fait que la cour
n'entend pas se mêler d'une chose qui, à son avis, relève
de la compétence du Parlement britannique et qui, puisqu'elle n'est
qu'à l'état de résolution, échappe au
contrôle des tribunaux; les tribunaux ne se préoccupent que de
lois. C'est d'une victoire procédurale, par conséquent, qu'il
faut parler, la cour reconnaissant même que le Parlement
fédéral n'aurait pu accomplir, par une loi, ce que le silence de
la loi lui permet d'accomplir par résolution. "La cour, ajoute M.
Décary, met un soin particulier à rappeler qu'une convention fait
partie intégrante de la constitution du pays et même que certaines
conventions ont plus d'importance que des lois et, en constatant que le
principe fédéral est irréconciliable avec une
démarche unilatérale, la cour porte un jugement dont la
sévérité surprend et qui échappe à ce qu'il
est convenu d'appeler la réserve judiciaire -l'espèce de
discrétion à laquelle s'obligent en général les
tribunaux. "Cette partie du jugement, dit encore M. Décary, prend
parfois l'allure d'un véritable sermon: Minute Ottawal adressé
à l'autorité fédérale comme si les juges, sachant
qu'ils prêchent dans le désert, voulaient quand même faire
passer leur message. "
Est-ce que, si c'est un peu cela qui est entre les lignes - je crois que
c'est très clairement cela - le tribunal avait raison de penser qu'il
passait son message, mais que cela s'en allait dans le désert?
Jusqu'à présent, hélas, je dois dire que rien ne permet de
penser le contraire. D'une part, le ministre fédéral de la
Justice se précipite, avant même d'avoir commencé à
lire les
opinions de la Cour suprême, lundi, en début
d'après-midi, pour nous avouer sans ménagement, sans aucune
précaution, sans distinction, que la seule chose qui lui importe, c'est
la stricte légalité ou la non-illégalité de la
manoeuvre unilatérale et que, par conséquent, il va, je le cite,
procéder "le plus tôt possible à aller au Parlement et
à Westminster puisque, selon lui, l'étape des consultations avec
les provinces est terminée et que le temps, je le cite encore, est venu
de mettre fin au débat constitutionnel".
À aucun moment M. Chrétien n'a semblé envisager
qu'il pouvait même être question de quoi que ce soit qui puisse
s'appeler des négociations. On était quelque peu loin des mises
en garde d'une sévérité sans précédent de la
Cour suprême.
Quelques heures plus tard, dans sa déclaration de Séoul,
le premier ministre fédéral nous confiera pour sa part, comme je
l'ai dit, que la convention constitutionnelle est devenue, quant à lui,
inapplicable. Et il donne les preuves, les cinquante ans ou les
cinquante-quatre ans, ou les treize derniers mois, etc. Pour lui, il n'y aurait
donc plus d'autre choix que de procéder. D'ailleurs, les étapes
à franchir sont déjà précisées par M.
Trudeau: Lire le jugement - ce qui n'est pas inutile, il ne peut pas le lire
entre la Corée et l'Australie - recevoir l'avis de Mme Thatcher, qu'il
va rencontrer en Australie, consulter à son retour, vers le 10 octobre,
le cabinet fédéral - sans compter le téléphone, je
suppose - et le caucus des députés de son parti, "examiner" les
réactions des provinces, et puis faire jouer le Parlement et
Westminster.
Là-dedans, y a-t-il vraiment encore place pour une reprise des
négociations, comme le demande, mais conditionnellement, la motion qui
est devant l'Assemblée nationale? J'allais oublier, c'est vrai, ce que
certains ont tenu tout de suite à appeler une ouverture spectaculaire,
qu'on dit plutôt en anglais, "an overture", c'est-à-dire, tout
à coup, une espèce d'attitude accompagnant la phrase où M.
Trudeau disait: "Je vais quand même voir si on ne peut pas agir
prudemment. " D'aucuns ont baptisé cela tout de suite un rameau
d'olivier. Tout en disant lui aussi, comme M. Chrétien, qu'il est
très pressé et que ça urge de tout finir ça, c'est
vrai que M. Trudeau a dit ceci, cette phrase historique: "Je n'ai pas
écarté absolument la possibilité d'écouter ce que
les provinces ont à dire. " Comme si les provinces - en tout cas, huit
d'entre elles - ne l'avaient pas dit et redit inlassablement depuis l'an
dernier, et comme si on n'avait pas fait beaucoup de chemin, aussi souvent,
extrêmement douloureux.
Premièrement, devant l'imminence du danger créé par
le projet fédéral, nous avons dû nous résigner
à laisser tomber jusqu'à nouvel ordre, jusqu'au dénouement
de cette crise en tout cas, toute la question fondamentale au Québec,
qui est au fond de tout depuis au moins une ou deux générations,
toute la question fondamentale, dis-je, du partage des pouvoirs
réclamé depuis tant d'années. Pour le Québec, en
particulier, ça voulait dire aller aussi loin dans la voie du compromis
qu'on n'a jamais pu y aller en tout cas de mémoire d'homme. Après
quoi, avec les sept autres provinces, nous avons fini par nous résigner,
aussi, pour limiter les dégâts, encore une fois, à accepter
un rapatriement qui pourrait être immédiat, sans autre
"renouveau", entre guillemets, que ce complément quand même
indispensable d'une formule d'amendement, et une formule d'amendement qui soit
acceptable, et non pas unilatéralement imposée.
Pour reprendre les termes de M. Trudeau, ce que les provinces ont
à dire, est-ce qu'elles ne l'ont pas dit, huit sur dix? Qu'est-ce qu'on
pourrait offrir de plus qui soit agréable au prince? Jusqu'à
preuve du contraire, il faudrait tout simplement s'effondrer
complètement devant son bon plaisir, et ça, c'est exclu,
absolument. (21 heures)
Pour ce qui est de négocier, si le mot veut encore dire quelque
chose, s'il y a quelqu'un d'un côté et quelqu'un de l'autre et que
l'un écoute l'autre et vice versa et qu'on en tient compte. Si le mot
veut encore dire quelque chose, nous n'avons jamais refusé - pas plus
nous du Québec, au gouvernement ici, de ce côté-ci de la
Chambre, que les sept autres provinces avec lesquelles nous avons établi
un front commun - et nous ne refuserons pas non plus dans l'avenir, mais il
faudra qu'il s'agisse tout de même de véritables
négociations où l'on reconnaît et accepte la dignité
de l'autre, son droit d'avoir ses revendications, où, en tout cas, c'est
littéralement la défense de ses intérêts les plus
vitaux et, dans notre cas, les droits du Québec.
La Cour suprême a maintenant déclaré que le
consentement des provinces est constitutionnellement nécessaire pour
autant qu'on veuille encore avoir une constitution respectable.
L'unanimité de ce consentement, que beaucoup ont entretenue comme une
des conditions essentielles, n'est même plus là, mais au moins un
consentement qui est appelé par quelqu'un une double majorité.
Pas seulement une majorité unilatérale dans les deux Chambres du
Parlement fédéral, mais une majorité des deux
côtés au moins. Sinon, qu'est-ce qui peut s'appeler un
consentement? C'est nécessaire, si les droits de ces mêmes
provinces sont mis en cause. Même si M. Trudeau, jusqu'à
présent, refuse absolument de reconnaître cette
nécessité. Autrement dit, il est terriblement clair que nous ne
pourrons pas reprendre les négociations à moins que M. Trudeau
ne
commence lui-même par accepter le jugement de la Cour
suprême, qu'il reconnaisse la nécessité du consentement
provincial et qu'il renonce à agir unilatéralement. Parce que,
autrement, en se rendant à une table de négociation, non
seulement on se trouverait à abdiquer, à renoncer à nos
droits, mais, à toutes fins utiles, à faire sombrer tout le
processus dans le ridicule final.
D'ailleurs, ce préablable que je pose de nouveau ici, dans cette
Chambre, n'est pas nouveau. Ce n'est pas nous seuls, ici au Québec, qui
l'avons inventé. C'est celui qui était et qui demeure inscrit
dans l'accord qu'à huit, en laissant trois places ouvertes pour les deux
gouvernements provinciaux et le fédéral, s'ils voulaient se
joindre à nous éventuellement, nous avons signé en avril
dernier.
C'est donc un préalable qui est accepté par les autres
provinces au nombre de huit, avec nous. Quant à nous, nous nous en
tenons à cet accord qui, si le gouvernement Trudeau acceptait de s'y
rallier, constituerait une façon acceptable de résoudre cette
crise qui s'enfonce dans l'absurde.
J'ajoute, à cet égard, que cet accord, qui a
déjà reçu l'assentiment de huit gouvernements sur onze,
nous permettrait de rapatrier - si quelqu'un tient vraiment d'urgence à
ce rapatriement - la constitution sans délai. Il contient
également une formule d'amendement qui, tout en garantissant, à
notre avis, pleinement les droits du Québec et des autres provinces, est
beaucoup plus flexible et dynamique que celle de Victoria. Mais, enfin, c'est
une base possible de négociation. Qu'au moins on en arrive à un
consentement là-dessus; on sait à quel point c'est central de
s'entendre sur ça.
Enfin, on y prévoit un mécanisme pour poursuivre les
négociations de façon intensive sur l'ensemble d'une
éventuelle réforme ou d'un éventuel renouveau
constitutionnel. M. Trudeau n'a qu'à signer cet accord et le
problème, actuellement insoluble, serait résolu, au moins pour
débloquer l'impasse.
Mais, si tel n'est pas le cas, par tous les moyens légitimes, il
faut résister. Et l'un des moyens les plus solennels et les plus
significatifs est justement celui qui nous réunit aujourd'hui; c'est la
voix et le poids de l'Assemblée nationale du Québec. Il faut que
l'Assemblée dise non, clairement et massivement, à ce que tous
les gouvernements et Parlements du Québec ont toujours refusé,
sauf que, cette fois-ci, c'est pire que tout ce qu'on a tenté de nous
infliger dans le passé.
Le chef de l'Opposition a lui-même confirmé, de
façon éclatante, son accord avec cette constante de la politique
québécoise, lorsqu'il rappelait, lundi dernier, que
lui-même et son parti refusaient toute solution qui aurait pour effet de
diminuer les pouvoirs actuels du Québec. Je le cite: "Nous autres, du
Parti libéral du Québec, n'avons jamais consenti, ne pouvons pas
consentir et ne pourrons pas consentir à ce que l'Assemblée
nationale du Québec soit dépouillée du pouvoir
législatif qu'elle détient en vertu de la constitution ou que ses
pouvoirs soient amoindris ou diminués ou transférés. Le
Parti libéral ne peut pas accepter une chose comme celle-là.
C'est un point qui doit être bien clairement établi et qui a
été ratifié, comme vous le savez, par notre conseil
général tenu la semaine dernière", soit le moment
où le chef de l'Opposition répétait l'essentiel de ces
propos. Or, la mise en application du pouvoir fédéral, ai-je
besoin de le répéter, diminuerait effectivement et tragiquement
nos pouvoirs dans une foule de domaines, remettant en cause l'équilibre
atteint dans notre société, si souvent péniblement
d'ailleurs, que ce soit dans sa vie sociale, culturelle ou économique,
sans oublier qu'on assisterait aussi à une chute brutale et, dans le
régime tel qu'il serait transformé, en tout cas,
irrémédiable de notre poids politique dans l'ensemble
canadien.
Il nous arrive constamment, et il va nous arriver encore aussi souvent,
de ne pas être d'accord entre nous sur certaines politiques, sur les
modalités, encore plus, d'application de nos politiques, sur des
stipulations de nos lois ou de nos règlements. Mais comment ne pas faire
l'unanimité entre nous lorsqu'on nous propose rien de moins que de nous
tronquer notre pouvoir de faire des lois selon nos compétences reconnues
depuis au-delà de 100 ans, lorsqu'on nous propose rien de moins que de
nous retirer le libre exercice de notre démocratie dans des secteurs
aussi vitaux de la vie collective? C'est une parenthèse, mais une
parenthèse que je voudrais souligner: J'ose croire également que
les députés élus par les citoyens et les citoyennes du
Québec pour les représenter à Ottawa l'ont
été, au moins dans les moments cruciaux sûrement, pour
faire entendre là-bas d'abord et avant tout la voix du Québec et
les droits de ce peuple. Il leur incombe, à eux aussi, d'exprimer
l'opposition des Québécois et d'influencer le cours des choses -
ils sont bien placés pour le faire s'ils en avaient la moindre
volonté, s'ils en retrouvent la moindre volonté - dans le sens
des aspirations et de la volonté clairement majoritaire de leurs
commettants. On peut espérer, au moins, qu'ils s'en souviendront avant
qu'il soit trop tard.
En terminant, je reviens forcément à nous, à nous
autres dans cette Assemblée, qui assumons la dignité de
députés québécois à Québec. Je suis
sûr que nous saisissons tous l'importance primordiale en ce moment de
toute la solidarité possible et, si possible, cette fois, de
l'unanimité en pareille circonstance. Est-ce que nous saurons, cette
fois-ci, nous rallier à un idéal commun qui, bien que
souverainement important, demeure aussi terriblement modeste, qui est celui de
conserver, tout juste de conserver aux Québécoises et aux
Québécois l'humble, le très humble acquis de leur
histoire? Aurons-nous suffisamment de détermination pour exiger tous
ensemble que notre consentement soit nécessairement requis avant qu'on
procède ailleurs à des modifications qui nous affectent
directement? J'ose croire, M. le Président, que les membres de
l'Assemblée nationale sauront taire ce qui les divise d'ici à
vendredi, 12 h 45, pour exprimer ce qui, là-dessus, me semble-t-il, doit
tous les unir.
Par cette voie démocratique de l'adoption d'une résolution
ici à l'Assemblée, au premier ministre du Canada, à ceux
qui l'entourent, aux gouvernements et aux Législatures des autres
provinces, un jour, le cas échéant, au Parlement
fédéral et aux députés britanniques dont certains
ici, justement ces jours-ci, sont en train d'évaluer la
réalité comme jamais auparavant et ce qui les attend selon telle
ou telle décision, à tous ces gens-là, on peut faire
entendre et comprendre une position qui est fondamentale pour le présent
et pour l'avenir de notre peuple. (21 h 10)
Je crois bien, en terminant, ne dénaturer aucun des propos
exprimés récemment, soit de ce côté-ci de la
Chambre, soit par les membres de l'Opposition, en affirmant que tous, nous
ressentons fortement l'urgence - quelques jours de plus, quelques jours de
moins, mais cela presse ici aussi - et l'importance du moment. Et
d'entrée de jeu, je me permets de lancer un appel pour que tous ensemble
pendant cette session extraordinaire de l'Assemblée nationale, nous ne
perdions pas de vue un seul instant les intérêts supérieurs
de la société québécoise, que nous essayions
d'atteindre tous le mieux possible le ton et le niveau que cela exige parce que
cette société québécoise, c'est la seule à
laquelle nous ayons des comptes à rendre, la seule qui nous ait
octroyé ces sièges que nous occupons et la seule qui nous ait
confié non pas tant des pouvoirs, pas plus d'un côté que de
l'autre, que des devoirs. Et la façon dont nous remplirons ces devoirs
d'ici deux jours, je suis profondément convaincu que cela va nous suivre
jusqu'à la fin, tous et chacun, non seulement de notre vie politique,
mais de notre vie tout court.
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): M. le
chef de l'Opposition.
M. Claude Ryan
M. Ryan: M. le Président, nous avons contesté cet
après-midi la précipitation avec laquelle le gouvernement a
procédé à la convocation de l'Assemblée nationale,
mais nous n'entendons point contester la gravité de la situation
à laquelle est affronté le Québec dans les circonstances
qui viennent d'être évoquées par le discours du premier
ministre.
Le sujet qui nous réunit, c'est le projet fédéral,
les modifications de la constitution canadienne comportant, d'abord, le
rapatriement de la constitution au Canada, ensuite, l'instauration d'une
formule devant permettre la modification de la constitution au Canada et,
troisièmement, l'insertion dans la constitution canadienne d'une charte
des droits fondamentaux comportant, entre autres, la garantie de certains
droits linguistiques fondamentaux.
L'occasion qui nous réunit, c'est le jugement que vient de porter
sur ce projet fédéral le plus haut tribunal du pays, la Cour
suprême. Ainsi que l'a rappelé le premier ministre tantôt,
et je n'entends pas faire les mêmes citations du jugement de la Cour
suprême parce que je pense que nous avons tous entendu, à
plusieurs reprises ces jours-ci, les passages qui viennent d'être
cités, mais une chose est claire, et je pense qu'elle s'impose à
l'évidence pour tout esprit loyal, la Cour suprême a conclu que le
projet fédéral, dans sa teneur actuelle, affecterait, s'il
devenait loi, à peu près tous et chacun des champs de
compétence présentement occupés par les provinces et
aurait plus de conséquences sur les pouvoirs des provinces que toutes
les autres modifications constitutionnelles auxquelles on a
procédé dans le passé avec le consentement des provinces,
lorsque les pouvoirs de celles-ci devaient être affectés. Cette
fois-ci, on se propose de procéder sans même le consentement des
provinces. Alors, la Cour suprême nous dit clairement que ce projet
comporte des conséquences très graves pour
l'intégrité des pouvoirs provinciaux dans la
fédération.
Deuxièmement, le jugement conclut -c'est une partie du jugement,
évidemment, sur laquelle le premier ministre s'est moins longuement
arrêté - à la légalité de la démarche
qui est envisagée par le gouvernement fédéral.
Je disais l'autre jour, en citoyen de bonne foi, que si l'on veut rendre
justice à la Cour suprême il faut tenir compte de toutes les
dimensions du jugement qu'elle vient de porter et je rappelle simplement pour
mémoire que dans la réponse qu'elle a donnée aux questions
1 et 3, qui lui avaient été soumises par le gouvernement du
Manitoba, la Cour suprême a conclu, qu'on soit d'accord avec elle ou non,
c'est une tout autre chose, mais elle a conclu que la démarche
envisagée par le gouvernement fédéral ne soulevait pas
d'obstacle légal insurmontable au jugement de sept magistrats
sur neuf. Troisièmement, la Cour suprême avait
été invitée à examiner une question
extrêmement intéressante, la question des conventions
constitutionnelles dont a parlé le premier ministre tantôt.
Beaucoup de commentateurs dans la presse, dans les milieux de sciences
juridiques, dans les milieux gouvernementaux fédéraux et
même dans d'autres provinces, avaient soutenu que les conventions
constitutionnelles n'ont aucune valeur juridique et n'existent que suivant le
bon plaisir des gouvernements.
Fort heureusement, la Cour suprême va beaucoup plus loin. Elle
reconnaît l'existence de certaines conventions et en mentionne plusieurs,
d'ailleurs, dans la réponse qu'elle donne à la question 2 qui lui
a été posée. Elle reconnaît en particulier
l'existence d'une convention qui était particulièrement
visée dans les questions qui lui ont été soumises. C'est
une convention, c'est-à-dire une règle de conduite non
écrite, mais qui lie moralement, politiquement et constitutionnellement
les gouvernements concernés, règle de conduite en vertu de
laquelle on ne procède pas à des changements constitutionnels
devant affecter les pouvoirs des provinces sans le consentement des
provinces.
C'est une chose qu'on pensait acquise. Je l'ai récitée
moi-même pendant 25 ans et j'étais sûr de réciter la
doctrine la plus orthodoxe et la plus durable jusqu'à ce qu'on vienne me
dire depuis quelque temps qu'il y avait une nouvelle doctrine qui
effaçait toutes les autres et cela me fait penser que souvent il est
arrivé qu'on balayait du revers de la main tout ce qui s'était
dit avant soi pendant un siècle. Nos amis de l'autre côté
l'ont fait à quelques reprises. J'ai toujours soutenu dans cette Chambre
et ailleurs qu'en abordant avec respect l'expérience de ceux qui nous
ont précédés, on donne généralement des
gages de progrès plus solides et plus assurés à tout le
monde. De toute façon, la Cour suprême reconnaît et affirme
l'existence de cette convention constitutionnelle en ajoutant qu'elle
procède directement du principe fédéral lui-même qui
est à la base de tout le régime politique qui nous
régit.
Le premier ministre a rappelé tantôt que le gouvernement
fédéral dans le livre blanc publié sous l'autorité
du regretté Guy Favreau en 1964, je pense, 1965...
Une voix: 1965.
M. Ryan:... avait reconnu l'existence de cette convention
constitutionnelle. Il l'avait même évoquée en en parlant
comme d'un principe d'ailleurs. Savez-vous qu'en relisant cette publication du
gouvernement fédéral intitulée "Modifications de la
constitution du Canada", cet après-midi, j'ai trouvé plus loin,
à la page 48, un passage qui est encore plus éloquent et dont je
vais me permettre de vous donner lecture. Le livre blanc publié sous
l'autorité de M. Favreau, qui était alors ministre
fédéral de la Justice, rappelait qu'il y avait six domaines qu'on
considérait comme soumis à la règle du consentement qu'on
disait unanime des provinces à ce moment-là. On parlait des
pouvoirs législatifs des provinces, évidemment. On parlait de la
représentation des provinces dans la Chambre des communes. On parlait
également des clauses de la constitution qui traitent des langues
anglaise et française, l'article 133, que nos amis d'en face auraient
voulu supprimer de la réalité juridique québécoise
qui leur a été rappelée par la Cour suprême. Je dois
reconnaître qu'ils ont accepté le jugement de la Cour
suprême avec plus d'empressement qu'on ne le constate de l'autre
côté actuellement.
Des voix: Ah! Ah!
M. Ryan: L'an dernier, dans l'espace de 24 heures, nous avons
réglé le problème ensemble dans un esprit de collaboration
et en essayant d'oublier des choses peu intéressantes qui avaient
été dites de l'autre côté. Au moins, nous sommes
arrivés rapidement à redresser la situation de manière que
l'ordre légal québécois soit conforme à la
décision de la Cour suprême.
L'autre article, c'est évidemment l'article 93, qui traite de
l'éducation. Voici ce que dit le livre blanc fédéral de
1965. C'est très intéressant. "À ces six dispositions
fondamentales est accordée la protection spéciale du consentement
unanime des Législatures provinciales pour leur modification. D'aucuns
pourraient soutenir que la règle de l'unanimité est trop rigide
pour être appliquée à la répartition des pouvoirs
législatifs, mais cette répartition est le fondement même
de la fédération canadienne. En fait, au cours des 97
années qui se sont écoulées depuis la
Confédération, aucune modification de nature à changer les
pouvoirs des Législatures provinciales définis à l'article
92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique n'a été
effectuée sans le consentement de toutes les provinces. Il faut voir
là la preuve du fait fondamental de l'histoire constitutionnelle
canadienne: aucune modification de la constitution ne peut
déposséder les provinces de leurs pouvoirs législatifs
sans qu'elles y consentent. La loi est muette à ce sujet, mais les
réalités de la vie nationale ont imposé la règle de
l'unanimité, et l'expérience depuis la
Confédération l'a ériqée en une règle qu'un
gouvernement ou Parlement ne saurait méconnaître qu'à ses
risques et périls, etc. " (21 h 20)
C'est un extrait de ce livre blanc qui avait été
publié en 1965, qui confirme, s'il
en était besoin, l'avis exprimé par la Cour suprême,
voulant que le gouvernement fédéral, en d'autres temps, ait
déjà donné son accord, son assentiment formel et explicite
à cette convention dont il niait l'existence dans les
représentations qu'il a faites à la Cour suprême à
travers les juristes qui le représentaient.
Ceci étant dit, quel est l'enjeu essentiel du débat que
nous avons ce soir? On peut entretenir à ce sujet des opinions diverses.
Selon le gouvernement fédéral, l'enjeu essentiel, c'est la
nécessité d'introduire un certain mouvement dans une situation
constitutionnelle qui a été trop longtemps stagnante, immobile.
Suivant d'autres, il y aurait, derrière la démarche qu'on nous
invite à faire, un plan obscur, dangereux du gouvernement pour embobiner
toute la population et l'entraîner progressivement - j'y reviendrai plus
tard -dans les voies de la séparation politique.
Je crois qu'il faut faire preuve de plus de maturité. Je crois
qu'il faut être encore capable, surtout quand on est adulte, de lire un
texte à sa face même, de l'examiner dans son contenu objectif, de
se former une opinion à même le texte. Quand les ftats-Unis vont
discuter avec l'Union soviétique de désarmement, s'il fallait
qu'ils se demandent continuellement ce que M. Brejnev pense, ils n'arriveraient
jamais à aucun accord. Les menaces de conflits mondiaux seraient encore
beaucoup plus grandes. L'administration de M. Reagan a commencé à
discuter avec la Russie. Elle avait dit au début: Jamais, on va les
traiter durement, ils vont y passer. À peine six mois après
être entrés au pouvoir, ils sont obligés de se rendre
à l'évidence. Des problèmes entre des forces aussi
considérables doivent s'aborder par la voie de la négociation. Je
ne veux pas prétendre que nos amis d'en face représenteraient
l'Union soviétique, pas du tout...
Ce que je veux souligner, c'est que tôt ou tard, après
avoir affirmé des doctrines absolument rigides, les hommes d'action et
les gouvernants, en particulier, doivent se rendre à l'évidence;
il faut qu'ils soient capables de se rencontrer en examinant des textes
à partir de leur contenu objectif. C'est à chacun d'y mettre
toutes les sauvegardes qu'il veut. On ne peut pas apprécier un texte en
faisant uniquement allusion à des choses qui seraient en dessous, qu'on
ne voit pas, qui échappent à la perception de tout homme
intelligent.
Ici, je lis le texte de la motion, je pense surtout à la
situation avec laquelle nous sommes aux prises, et il me semble que l'enjeu est
clair et simple. L'enjeu, c'est la défense des pouvoirs
législatifs du Québec, la défense des pouvoirs
constitutionnels du Québec qui sont gravement menacés par le
projet mis de l'avant, à l'heure actuelle, par le gouvernement
fédéral. La Cour suprême dit en toutes lettres, à la
fin de son opinion en réponse à la question 2, que le projet du
gouvernement fédéral est inconstitutionnel, au point de vue des
conventions, et qu'il aurait des répercussions très importantes
sur les pouvoirs législatifs des provinces. C'est là-dessus que
nous allons être appelés à voter et que le public attend de
connaître notre opinion et notre option.
Devant ce problème, il serait absolument inconcevable que
l'Assemblée nationale reste silencieuse ou indifférente.
L'Assemblée nationale est l'organe suprême de la communauté
québécoise dans les domaines qui relèvent de sa
compétence. Par conséquent, c'est à elle et à elle
seule, en dehors du peuple lui-même, qu'il incombe et qu'il appartient de
prendre des décisions, surtout s'il devait être question
d'altération ou de diminution de ses pouvoirs. L'Assemblée
nationale est en plus l'instrument politique privilégié dont
dispose le peuple québécois pour aménager son
présent et son avenir d'une manière conforme à la
perception qu'il se fait de ses intérêts légitimes et de
ses aspirations bien comprises. L'Assemblée nationale est directement
touchée et mise en question dans ses pouvoirs, dans ses attributions et
prérogatives constitutionnelles par le projet mis de l'avant par nos
collègues du gouvernement et du Parlement fédéral. Nous
devons conclure avec beaucoup de fermeté que chaque fois que
l'Assemblée nationale est atteinte dans ses prérogatives
essentielles, c'est le peuple du Québec lui-même qui est atteint.
Être indifférent à une atteinte faite aux pouvoirs de
l'Assemblée nationale, c'est être indifférent ou traiter
à la légère les aspirations et la réalité
fondamentale du peuple québécois lui-même.
Nous aurions souhaité, comme je l'ai dit tantôt, moins de
précipitation, quelques jours de réflexion additionnels pour
être assurés que toutes les coordinations, toutes les
concertations nécessaires soient recherchées dans le meilleur
esprit mais, ceci étant dit, nous n'hésitons aucunement à
reconnaître la gravité de la situation. J'affirme personnellement,
sans la moindre hésitation, que nous devons, devant cette situation,
agir avec clarté, avec courage, sans détour, sans faux-fuyant,
avec le seul souci d'obéir à notre devoir qui est de
défendre avant tout les droits du Québec et de son
Assemblée nationale et d'agir aussi avec la conscience que, quand
l'Assemblée nationale est atteinte, c'est le peuple lui-même du
Québec qui est directement impliqué.
J'espère, M. le Président, que nous pourrons en venir
à un vote unanime et fort. Je l'espère d'autant plus que, de part
et d'autre, les consultations qui ont précédé la
rédaction du texte de la motion qui est devant nous ont
été moins empreintes de
calculs et de considérations partisanes que cela n'avait
été le cas une première fois, à l'occasion d'un
débat sur le même sujet, en novembre 1980.
Je ne sais pas si j'exagère, mais j'ai eu l'impression, au cours
des rencontres que nous avons eues, que, de part et d'autre, la conscience
nationale, dans ce qu'elle a de plus essentiel, de plus fondamental, avait
peut-être progressé quelque peu. En tout cas, c'est l'impression
que j'ai eue et c'est la contribution que mon collègue, le leader de
l'Opposition, et moi-même avons essayé de fournir à
l'occasion de ces conversations.
Avant d'en venir au vote qui nous est demandé par la motion du
gouvernement, je voudrais examiner de plus près le problème
auquel nous sommes affrontés. Je vous dirai d'abord à quelle
enseigne loge le parti que j'ai l'honneur de diriger et, à la
lumière de ses orientations que j'aurai assez brièvement
rappelées, je voudrais ensuite voir un peu plus clair dans l'imbroglio
auquel nous sommes affrontés actuellement.
La position du Parti libéral du Québec en matière
constitutionnelle a été définie à maintes reprises.
De tous les partis qui défendent, sur les scènes provinciale et
fédérale, l'option fédéraliste canadienne, je pense
que le Parti libéral du Québec est le seul qui se soit
donné la peine de se doter, en matière constitutionnelle, d'un
programme cohérent, complet, articulé, démocratiquement
adopté par ses membres. On ne prétend pas qu'il soit parfait sur
toute la ligne; on en a fait des critiques. Il est susceptible
d'amélioration, c'est évident, mais au moins je pense que nous
avons eu l'honnêteté et la loyauté envers nos concitoyens
de leur présenter un projet clair, honnête et loyal.
Les grandes lignes de cette orientation que nous défendons sont
les suivantes: D'abord, nous sommes un parti premièrement et
résolument québécois. La plupart d'entre nous aurions pu
choisir d'oeuvrer sur une autre scène ou de rester dans le secteur
privé. Ceux qui en sont sortis faisaient très bien,
réussissaient très bien professionnellement. Si nous avons
accepté de servir dans l'arène politique
québécoise, c'est parce que nous croyons qu'il y avait un travail
très important à faire là et que nous avions choisi
délibérément de servir nos concitoyens à ce niveau,
qui est celui où on doit défendre d'abord les
intérêts du Québec. C'est parce que nous avons voulu que
notre première loyauté soit envers le Québec, ses citoyens
et envers le Québec d'hier, le Québec d'aujourd'hui et le
Québec de demain que nous avons opté pour le service sur la
scène québécoise.
Je voudrais rappeler à ce sujet une résolution qui fut
adoptée, si mes souvenirs sont bons, à l'unanimité par le
conseil général de notre parti lors de sa dernière
réunion tenue les 19 et 20 septembre, à Québec: "II est
résolu que le Parti libéral du Québec adopte, quant
à la question nationale, la position suivante: Dans la gestion des
affaires constitutionnelles courantes et de toutes les questions ayant une
incidence constitutionnelle - y compris, par conséquent, la question que
nous discutons ce soir - nous devons nous percevoir, penser, agir et prendre
position comme un parti fondamentalement et résolument
québécois. La perspective concrète et journalière
de notre parti doit être la défense, la promotion et
l'illustration des droits et des intérêts du Québec. " (21
h 30)
Deuxième point: Nous croyons profondément au
fédéralisme canadien, à ses avantages passés et
présents, à ses chances d'avenir. Nous croyons d'abord au pays
canadien. Nous avons constaté, à l'occasion du
référendum, que beaucoup plus important que le type de
régime que nous avons est l'attachement de nos concitoyens du
Québec envers le pays canadien, envers sa réalité
géographique, sa réalité politique, sa
réalité économique, sa réalité historique,
etc. Nous croyons au pays canadien. On peut contester notre croyance, nous
respectons celle de nos adversaires, de nos amis d'en face. Nous, c'est notre
croyance profonde. Nous croyons également que le système
fédéral de gouvernement est la forme de gouvernement la plus
appropriée à la réalité infiniment variée du
Canada et, en particulier, aux aspirations propres du Québec qui doivent
être préservées et développées de
manière très fortement autonome à l'intérieur du
cadre fédéral plus large que propose le Canada.
C'est pourquoi le deuxième volet de la résolution
adoptée à notre conseil général ajoute qu'en plus
d'être résolument québécois le Parti libéral
du Québec demeure, sur la scène québécoise, le
défenseur attitré et le promoteur de l'option
fédéraliste canadienne. Il ne doit rien négliger pour
mettre cette option en valeur, mais il devra aussi souligner qu'à ses
yeux, comme à ceux de milliers de Québécois,
l'adhésion au fédéralisme canadien postule que ce
régime doit évoluer vers des formes et des modes de
fonctionnement plus acceptables au Québec.
Parmi les changements que nous proposons - je ne veux pas m'attarder
trop longtemps là-dessus, mais je rappellerai brièvement
quelques-uns des changements ou, parfois, des confirmations de choses qui sont
bonnes dans le système que nous connaissons - la première
affirmation que je ferais serait la suivante: "Nous affirmons que le
régime fédéral canadien doit assurer l'existence de deux
ordres de gouvernement dont chacun doit être souverain dans son ordre de
compétence et dont chacun doit tirer sa
légitimité et son autorité du suffrage direct et
universel. " Vous verrez tantôt pourquoi je rappelle ce passage de notre
programme constitutionnel.
À ceci, j'ajoute le passage suivant: "La constitution devra
établir un partage clair et exhaustif des responsabilités
législatives et fiscales entre les deux ordres de gouvernement. Elle
éliminera la subordination d'un palier de gouvernement à un
autre. Elle encadrera les pouvoirs fédéraux
généraux qui se prêtent aux intrusions dans des
matières de compétence provinciale et le partage des pouvoirs
entre les deux paliers de gouvernement sera fondé sur le double principe
de l'égalité et de la souveraineté de chaque ordre de
gouvernement dans son champ de compétence. " À ceux que
l'évocation du mot "souveraineté" pourrait effrayer, je
recommanderais de lire la jurisprudence de la Cour suprême et du Conseil
privé. Dès le XIXe siècle, on employait ce mot, et on
l'employait dans un sens tout à fait différent de celui que nos
amis d'en face lui donnent aujourd'hui.
En plus de ceci, nous voulons un nouveau partage des pouvoirs qui
conférerait au Québec des compétences accrues dans
plusieurs domaines. Nous voulons un droit de regard pour le Québec sur
l'exercice, par le Parlement fédéral, de certains pouvoirs
particuliers de caractère général qui lui sont
confiés et qui ne peuvent pas lui être enlevés totalement.
Je pense au pouvoir de dépenser, par exemple. Nous avons toujours
soutenu, en tout réalisme, qu'il est impossible d'en dépouiller
totalement quelque gouvernement que ce soit. Nous disons que l'exercice de ce
pouvoir, s'il doit affecter des champs de compétence provinciale, doit
être assuré sous le regard et le contrôle des provinces.
Nous favorisons aussi - là-dessus, nous nous distinguons
profondément de nos amis ministériels - l'insertion dans la
constitution canadienne d'une charte des droits fondamentaux. Nous n'avons pas
peur d'une charte des droits fondamentaux pour le peuple canadien. Nous
n'approuvons pas la charte qui est actuellement mise de l'avant par le
gouvernement fédéral parce que le gouvernement légitime du
Québec n'a pas participé à son élaboration et ne
l'approuve pas. Il n'est pas question que nous allions nous substituer au
gouvernement légal du Québec pour essayer de faire des ententes
avec qui que ce soit en dehors du Québec. Nous disons que, dans le
programme de notre parti, nous soutenons une charte des droits moins
élaborée que la charte présentée par le
gouvernement, une charte qui concentrerait vraiment son attention sur des
libertés fondamentales dont j'avais cru comprendre, il y a un an, que le
Parti québécois était prêt à
considérer l'insersion dans une future constitution canadienne.
Là-dessus - je tiens à l'affirmer clairement - il y a
beaucoup d'articles dans le projet fédéral de charte qui
entraînent des conséquences comme celles dont on a parlé
tantôt, sur lesquelles je ne reviens pas, mais je reviens sur cette
idée que nous favorisons la protection constitutionnelle de certains
droits fondamentaux, y compris de certains droits linguistiques.
Je me souviens d'avoir demandé au premier ministre, au ministre
des Affaires intergouvernementales et, je crois, au ministre de la Justice,
à diverses reprises, quels dangers pourrait contenir pour l'avenir du
peuple québécois l'existence d'un droit constitutionnel
garantissant par exemple le libre usage des deux langues devant les tribunaux
du pays. Je n'ai jamais eu de réponse claire.
Une clause qui garantirait l'accès des citoyens de tout le pays
à des émissions de radio ou de télévision en langue
française ou en langue anglaise ne ferait de tort à personne. Il
faut une réglementation, il ne faut pas qu'il y ait une situation
où une langue soit noyée par l'autre, où le
français serait noyé par l'anglais au Québec, mais, ceci
étant dit, je pense qu'on peut regarder ces choses avec un esprit
ouvert, sans tout de suite se promener avec le drapeau pour faire croire
à tout le monde que la nation québécoise va mourir dans 25
ans. De ce côté, on a agité des épouvantails
à maintes reprises, de l'autre côté.
Je voudrais rappeler ce soir qu'il y a moyen d'examiner ce
problème dans un esprit ouvert et, encore une fois, je n'accepterais pas
que les pouvoirs de la Législature, de l'Assemblée nationale du
Québec, soient réduits unilatéralement même pour la
promotion d'un objectif auquel, moi, je souscris, parce que, avant l'avancement
de mes idées propres, j'aime mieux que les droits du Québec
soient garantis et que nos idées progressent dans le respect des
prérogatives qui ont été confiées
constitutionnellement à l'Assemblée nationale du
Québec.
Nous favorisons évidemment l'instauration d'une formule
d'amendement -j'y reviendrai tantôt, je ne voudrais pas m'attarder
davantage là-dessus - et nous avons par conséquent, en
matière de modifications constitutionnelles, un programme défini
et, en conséquence de notre option, tout ce qui arrive à notre
régime fédéral nous intéresse au plus haut point.
Les difficultés que ce régime rencontre, au lieu de nous
réjouir secrètement et de provoquer de notre part des explosions
spontanées de joie prouvant la valeur d'une certaine thèse, nous
causent au contraire une peine profonde et sincère. Aussi, au lieu de
chercher à utiliser ces difficultés à des fins politiques,
nous cherchons plutôt à les résoudre dans un
esprit constructif.
Maintenant, je voudrais me demander, M. le Président,
par-delà toute considération particulière traitant de tel
ou tel sujet, d'où vient le drame dans lequel nous sommes tous
plongés actuellement. Comment se fait-il que nous en soyons
arrivés à cette situation qui a inspiré au gouvernement de
nous convoquer d'urgence et qui nous oblige chacun à prendre position
d'une manière encore très partielle, il faut bien le
reconnaître, parce que la résolution n'entraîne pas de
changements radicaux?
On pourrait essayer d'expliquer cette question en tentant une
exégèse du jugement de la Cour suprême. Ce serait
très intéressant. J'ai toujours été très
intéressé à lire les jugements des tribunaux et à
les commenter en toute liberté, mais ce serait très
intéressant, cette fois-ci, parce que le jugement est très dense,
il est très riche et comporte certaines apparences de contradiction, ici
ou là, qu'il serait très intéressant de commenter. Mais je
ne pense pas que ce soit ça que le public attende de nous; il lira le
Devoir, s'il veut lire des analyses exhaustives - ou d'autres journaux aussi
que je ne minimise point - mais ce n'est pas ça que le public attend de
nous.
Nous pourrions nous lancer dans un examen détaillé du
projet fédéral, en faire la critique point par point. Moi, j'ai
refusé jusqu'à maintenant de faire un examen
détaillé du projet fédéral, parce que je
considérais que c'était un projet qui était dans
l'arène fédérale et qu'aussi longtemps qu'il n'est pas
reçu comme matière à discussion par le gouvernement du
Québec, ce n'est pas une chose que je suis enclin à discuter de
manière élaborée. Nous perdrions vite notre temps
d'ailleurs dans une forêt de nuances où nous aurions tous des
problèmes à nous retrouver.
Par-delà ces questions, nos concitoyens attendent de nous une
explication de la crise qui empoisonne depuis plusieurs années les
rapports entre Québec et Ottawa et de la stagnation à peu
près complète qui a marqué les relations et les
négociations constitutionnelles au cours des cinq dernières
années en particulier, surtout depuis que le Parti
québécois est au pouvoir à Québec. (21 h 40)
Beaucoup de réunions, beaucoup de documents ont marqué ces
cinq années d'évolution, M. le Président, mais très
peu de résultats tangibles ont été obtenus, très
peu de progrès a été accompli et nous sommes aujourd'hui
plongés dans une situation plus envenimée que jamais. La raison
de cette situation, je la trouve dans l'explication suivante. Les deux
conceptions que l'on propose de l'avenir du pays, à partir d'Ottawa et
de Québec, ne sont pas conformes aux vues et aux attentes de la
véritable majorité de la population du
Québec.
Je traiterai d'abord de la vision d'Ottawa. La vision d'Ottawa a
été exprimée dans plusieurs documents, mais je crois que
l'expression la plus éloquente en a été fournie dans un
discours que le premier ministre du Canada, M. Trudeau, prononçait
à Toronto à l'occasion d'un dîner de la
Confédération réunissant des hommes d'affaires et des
sommités de Toronto, le 5 novembre 1980. Je voudrais citer un passage de
ce discours qui va servir d'introduction au reste. M. Trudeau souligne d'abord
qu'une caractéristique du régime canadien de gouvernement, c'est
la coexistence dans ce même régime du parlementarisme britannique
et du fédéralisme. Il dit que c'est très rare qu'on voie
la coexistence de ces deux éléments et que cela pose des
problèmes d'harmonisation particulièrement difficiles. Jusque
là, je pense que le vice-premier ministre, qui est un expert en droit
constitutionnel, se régale déjà. Je pense qu'on n'aura pas
de misère à tomber d'accord sur une affirmation comme celle-ci.
M. Trudeau continue. La clé pour résoudre les problèmes
qui sont susceptibles de surgir, c'est le partage des pouvoirs selon lequel
tous les Parlements sont suprêmes, mais chacun dans des sphères
différentes: autrement dit, le fédéralisme. Là, je
cite pour deux minutes: "Les questions d'ordre local relèvent des
Parlements locaux. Les questions d'ordre national relèvent du Parlement
national. Vous connaissez bien la formule. Nous savons tous que c'est la
formule de John A. Macdonald, un des pères de la
Confédération. Les pères de la Confédération
ont reconnu que quelque minutieux qu'ils aient pu être, des conflits
pourraient quand même surgir parce que les deux paliers de gouvernement
ont des intérêts qui s'opposent. Ils ont reconnu que le pouvoir le
plus important de tous était celui de résoudre les conflits entre
ces Parlements suprêmes qui ont juridiction suprême dans des
domaines différents. Avant et par-dessus tout, ils voulaient
régler les conflits. Ils ont donc attribué le plus important des
pouvoirs - je cite toujours le discours du premier ministre
fédéral - celui de résoudre les conflits, au gouvernement
national. Comme pour tous les autres pouvoirs dans une fédération
parlementaire, il faut qu'un gouvernement soit entièrement comptable de
l'usage qu'il fait de ce pouvoir devant toute la population. Ce faisant, ils
ont établi clairement et sans équivoque que la division des
pouvoirs serait fondée sur un critère suprême, le bien
commun: bien commun local, Législature locale; bien commun provincial,
Législature provinciale; bien commun national, Parlement national. "
M. le Président, c'est là une vision du Canada à
laquelle je ne souscris pas. C'est là une vision du Québec que je
récuse
profondément. Pour moi, le Parlement fédéral n'a
pas le monopole des questions d'importance nationale et les provinces ne sont
pas davantage confinées à de strictes questions
d'intérêt local. Les provinces sont responsables des
problèmes d'éducation, des problèmes de bien-être,
des problèmes de santé, des problèmes d'aménagement
de systèmes de transport sur leur territoire, des problèmes de
développement économique et régional dans une grande
mesure et de combien d'autres. Est-ce qu'on peut dire que tous ces domaines
sont moins d'importance nationale que la taxe d'accise, que le commerce
interprovincial ou le commerce international, que la radiodiffusion que la
jurisprudence a confiée à la compétence du Parlement
fédéral? Je pense que poser la question, c'est y répondre.
En régime fédéral, il y a des questions
d'intérêt national qui relèvent des Parlements, des
Législatures provinciales. Il y a des questions d'intérêt
national qui relèvent du Parlement fédéral, et
l'intérêt national complet relève de la compétence
combinée et harmonisée des deux ordres de gouvernement. Il me
semble qu'il y a une grande équivoque ici; je dirais même un
sophisme, M. le Président. Il faut identifier cela clairement si on veut
comprendre la suite des événements.
La différence entre la conception que mon parti préconise
et la conception mise de l'avant dans ce discours du premier ministre
fédéral, c'est qu'en cas de litige entre Ottawa et les provinces,
l'arbitrage doit se faire suivant notre conception, et je pense qu'elle sera
partagée par les députés de l'autre côté de
la Chambre aussi longtemps qu'ils n'auront pas réussi à
réaliser leur rêve d'indépendance. L'arbitrage doit se
faire tantôt par la négociation, tantôt par le recours aux
pouvoirs judiciaires, mais jamais par action unilatérale de la part du
Parlement fédéral, à plus forte raison aussi de la part
des Législatures provinciales.
Cette vision de l'État fédéral
prépondérant on en trouve des vestiges dans la constitution
actuelle, vestiges qui, heureusement, sont devenus passablement
desséchés au cours des années et auxquels le Parlement
fédéral n'ose même plus recourir. Je pense au pouvoir de
désaveu, par exemple, au pouvoir d'intervention en vertu de l'article 93
sur les droits des minorités confessionnelles. Ces pouvoirs sont
là quant à la lettre. Il y a longtemps qu'ils ont cessé
d'être des pouvoirs vivants parce qu'on s'est rendu compte que
l'évolution de la fédération s'était faite beaucoup
plus dans le sens dont il vient d'être question.
C'est cette vision de l'État fédéral
prépondérant que véhicule le projet fédéral
qui est à l'étude actuellement et la clé du projet - je le
mentionne parce qu'on n'a pas eu l'occasion d'en parler souvent - c'est ce
fameux article qui instituerait la procédure d'un
référendum pour ainsi dire permanent. On institue une formule
d'amendement - on en parlera tantôt - mais on dit: Au cas où
celle-ci ne fonctionnerait pas au goût du Parlement
fédéral, celui-ci aurait le droit d'instituer n'importe quand un
référendum qui lui permet de passer par-dessus le dos de ses
partenaires dans la formule d'amendement et d'en imposer une autre.
C'est toute cette conception qui est au fond, je crois, du débat
qui nous divise profondément, qui nous déchire tous depuis un
certain nombre de mois, et je veux dire que ce n'est pas la conception à
laquelle adhère le Parti libéral du Québec et son
chef.
À l'opposé de la vision d'Ottawa, il y a, à l'autre
pôle, la vision du Parti québécois que véhicule
présentement le gouvernement du Québec. L'autre jour un
journaliste, qui se voulait astucieux, a posé au premier ministre la
fameuse question des deux chapeaux. Il lui a demandé: Comment
arrivez-vous à réconcilier ces deux chapeaux que vous devez
obligatoirement porter, le chapeau d'un chef d'un gouvernement qui
défend le renouvellement du fédéralisme dans le respect
des principes et des conventions de notre système canadien de
gouvernement -comme le dit la motion de ce soir - et, deuxièmement,
votre chapeau de chef d'un parti qui vous engage, même comme
gouvernement, à promouvoir l'option de la souveraineté?
De cette conception, M. le Président, nous avons eu l'expression
la plus récente dans ce projet de manifeste que rendait public le
premier ministre, je pense que c'est vendredi dernier, en prévision de
la réunion du conseil exécutif national du Parti
québécois qui doit avoir lieu en fin de semaine chez vous, M. le
Président...
Une voix: Ce n'est pas bien loin d'ici.
M. Ryan: Nous l'apprécierons.
Je voudrais donner lecture de la résolution qui termine ce long
texte dans lequel on a retrouvé la réédition des arguments
maintes fois entendus: " Attendu que les Canadiens français constituent
l'un des peuples fondateurs de ce qui est devenu le Canada actuel et qu'ils ne
peuvent accepter le rôle de minorité perpétuelle,
même privilégiée, que l'évolution des faits et la
volonté d'Ottawa leur réservent dans le cadre constitutionnel
actuel; "Attendu que le territoire du Québec est le seul sur lequel les
Canadiens français peuvent accéder à un statut majoritaire
et que c'est ainsi qu'ils en sont venus désormais à se dire
Québécois d'abord; "Attendu que la souveraineté du
Québec constitue pour ce peuple la seule alternative au refus et de
l'assimilation et de la
minorisation; "Attendu qu'il y aurait avantage à ce que
l'accession à ce statut majoritaire s'effectue suivant des
modalités qui soient conformes à ce qu'est destiné
à être le Québec des prochaines décennies; "Attendu
que les groupes ethniques autres que francophones constituent une source
d'enrichissement culturel pour la majorité; (Je vous dis tout de suite
que je n'aime pas cette expression, j'espère que vous aurez l'occasion
de la retoucher. Il me semble que les groupes ethniques, c'est beaucoup plus
qu'un enrichissement culturel pour la majorité; c'est un enrichissement
culturel pour le Québec tout court. ) "Attendu que le gouvernement du
Québec - je cite toujours le texte, M. le Président, pour
illustrer l'argument que je mentionnais... C'est moins bon, ça - doit,
en toute circonstance et, quel que soit le cadre constitutionnel
prévalant, défendre et promouvoir les intérêts du
Québec et pour le présent et pour le futur parce que tout
accroissement des pouvoirs du Québec va dans le sens de ce que nous
recherchons; (21 h 50) "En conséquence, le conseil exécutif
national du Parti québécois, rappelant... etc., demande:
Troisièmement; que le gouvernement du Québec, tout en
apportant sa contribution à la promotion de la souveraineté,
veille activement à la défense et à la promotion des
droits et pouvoirs du Québec dans le cadre constitutionnel actuel. "
Je pense que dans cette phrase on a une illustration parfaite de
l'ambiguïté dans laquelle baigne l'action du gouvernement actuel,
ambiguïté qui n'a jamais été clairement
dissipée. Cette conception, que privilégient foncièrement
le parti ministériel et le gouvernement qui les représente
à la tête des affaires de la province, a été soumise
au peuple québécois par voie de référendum le 20
mai 1980. Elle a été rejetée par une majorité de
60% contre 40%. Nonobstant ce verdict référendaire, le Parti
québécois n'a absolument rien changé à son option
fondamentale. Il vient d'en présenter une version qui est l'exacte et
fidèle reproduction de thèses et d'arguments mille fois entendus
et mille fois réfutés et jugés.
Le gouvernement feint, pour l'instant, de vouloir participer
sincèrement au renouvellement du fédéralisme canadien
mais, fondamentalement, il ne croit pas à cette entreprise. Il ne pourra
jamais y participer autrement qu'avec une sincérité de surface,
tant qu'il maintiendra son option actuelle. La preuve de ceci est assez facile
à faire. Plusieurs orateurs auront l'occasion de prendre la parole au
cours de ce débat au nom du parti ministériel. J'aimerais qu'ils
nous citent des documents où l'on décrirait le programme du Parti
québécois en matière de renouvellement du
fédéralisme canadien. Le Parti québécois fait ce
qu'on appelle en langue anglaise du "ad hockery". On fait de l'adaptation aux
situations particulières. On réagit aux propositions de tel ou
tel gouvernement. On fera même parfois des suggestions sur tel ou tel
projet ou problème précis, mais nous ne trouvons nulle part un
texte le moindrement élaboré dans lequel on décrirait les
projets de ce gouvernement, en ce qui touche le renouvellement du
fédéralisme canadien.
Il y a une chose assez éloquente. Je vous pose une question, M.
le Président. Vous aurez peut-être l'occasion de suivre par les
journaux ce qui va se passer à Jonquière. Je vous demanderais de
surveiller s'il y a un article à l'ordre du jour du conseil national du
Parti québécois qui traitera du renouvellement du
fédéralisme canadien. S'il s'agit de dénoncer une chose,
je ne doute pas qu'il y ait des résolutions, M. le vice-premier
ministre, mais je doute qu'on ait une séance où on étudie
sérieusement le renouvellement du fédéralisme canadien. Je
doute, par exemple, qu'on inscrive à l'ordre du jour des travaux le
projet de formule d'amendement, auquel le premier ministre a déjà
apposé sa signature sans qu'il n'ait jamais été
discuté nulle part au Québec, sauf dans les officines du bureau
du premier ministre, pas davantage en cette Assemblée nationale.
Deuxièmement, il m'est arrivé souvent de poser des
questions à nos amis du gouvernement. J'en ai posé au ministre
des Affaires intergouvernementales quand nous avons discuté, l'an
dernier, à la commission parlementaire de la constitution. J'avais
été obligé de lui dire à la fin des séances:
C'est nous qui avons fourni toutes les idées. Vous avez
été très réceptif. Vous nous avez fourni une bonne
documentation, pour une fois; auparavant, c'était plus chiche, comme
vous le savez. Avant le référendum, c'était très
difficile, mais cette fois-là nous avions été bien servis.
Nous vous l'avions dit, d'ailleurs, en toute loyauté, mais c'est nous
qui avons fourni des suggestions et vous preniez des notes. Jamais on n'a
entendu de suggestions précises.
J'avais posé peut-être une centaine de questions à
M. le premier ministre, un jour. Je les ai rappelées une fois en
commission parlementaire où l'on étudiait les crédits du
Conseil exécutif. J'ai eu une série de réponses: Je ne
sais pas, je ne suis pas prêt, nous verrons, nous examinons cette chose.
Je vous le dis, de ce point de vue, vous n'avez pas de programme et c'est pour
cette raison que la population vous a peut-être confié un mandat
pour défendre les intérêts du Québec et que je
reconnais en bon démocrate. Elle ne peut pas vous avoir donné un
mandat de renouvellement du fédéralisme canadien, parce que vous
n'avez jamais présenté de
programme. Vous n'en avez pas et vous n'en voulez pas, à part
cela. C'est une approche équivoque. On vise toujours à obtenir
des résultats qui ne viendraient pas compromettre la
souveraineté-association, mais des résultats vraiment nouveaux;
des résultats inédits qui pourraient ouvrir des horizons qu'on
n'aurait pas connus jusque là, on veille soigneusement à les
prévenir. Je me souviens d'avoir posé des questions de ce
côté-là. La seule réponse que j'ai pu avoir, c'est:
Nous acceptons de marcher dans cette voie à condition que cela nous
donne des choses qui ne seraient pas incompatibles avec la
souveraineté-association.
Jamais, on n'a dit: On veut des choses qui seraient compatibles avec
l'avancement de ce pays, avec son développement, suivant au besoin des
avenues qui n'auraient pas été explorées jusque-là.
Tout cela conduit à une approche défensive, une approche
négative, une approche stérile.
Le Parti québécois n'a généralement que
très peu de choses à dire quand il s'agit de formuler des
propositions constructives, mais, lorsqu'il s'agit de réagir à un
événement dangereux comme celui qui nous réunit, il
retrouve soudain toute sa vitalité, tout son dynamisme. S'il s'agit
d'évoquer le moindre danger qui poindrait à l'horizon à
cause des gros méchants qui peuvent loger ailleurs, il est très
énergique dans ce temps-là, mais quand il s'agit de formuler des
propositions constructives, je vous avertis que le menu est chiche, et si on
vivait seulement sur une pareille diète, il y a longtemps que cela
serait l'asphyxie totale.
Une approche tendancieuse et biaisée! Il y a de vos ministres, M.
le premier ministre, qui vont se vanter un peu partout en province: Quand les
choses ne fonctionnent pas, on met cela sur le dos d'Ottawa. C'est devenu un
mécanisme, une espèce d'automatisme extrêmement
désagréable. Chaque fois qu'il y a eu une faute du
côté du gouvernement, qu'une situation a surgi, qui crée
des problèmes véritables, on essaie de l'éviter en mettant
la faute sur l'autre.
Qu'il y ait des responsabilités du côté du
gouvernement fédéral, nous sommes prêts à en
convenir, à les examiner en toute objectivité, mais il y a chez
vous, messieurs, cette espèce d'automatisme, cette déformation de
l'esprit qui vous amène à toujours chercher ce prétexte
commode pour éviter d'avoir souvent à expliquer les gestes que
vous avez posés vous-mêmes et les responsabilités que vous
avez encourues.
Ceci vous a conduit à vous servir de la propagande aussi à
même les fonds publics, à même les deniers publics d'une
manière que j'ai souvent réprouvée dans cette Chambre,
reproches au sujet desquels je n'ai jamais été capable d'obtenir
un engagement loyal du chef du gouvernement, en vertu duquel nous obtiendrions
la garantie que les fonds dépensés pour l'information du public
seraient dépensés pour la diffusion d'une information objective,
d'une information véritable, de caractère utile, et non pas pour
la propagande au service de thèses politiques.
M. le Président, ce sont ces deux approches dont j'ai
parlé, l'approche émanant d'Ottawa et l'approche émanant
de nos amis d'en face, qui sont en présence dans des négociations
constitutionnelles depuis cinq ans. Il n'est pas étonnant, quand on
considère le point et les postulats d'où elles procèdent,
et quand on considère leurs aboutissements logiques à toutes les
deux, il n'est pas étonnant qu'elles aient sans cesse engendré
méfiance, scepticisme, frustration, échec. Elles sont
destinées à ne jamais se rencontrer, en stricte logique, et je ne
mets pas en cause les motifs des personnes, pas du tout. Elles sont
destinées à ne jamais se rencontrer en stricte logique tant qu'il
n'y aura pas d'un côté et de l'autre changement d'attitude,
changement de programme, et j'allais dire, à défaut de changement
d'attitude ou de programme, changement de gouvernement.
Le Président: À l'ordre, s'il vous plaît!
Est-ce que je pourrais demander aux députés de prendre leur
siège, s'il vous plaît?
M. le chef de l'Opposition.
M. Ryan: Je pense qu'il était important d'aller au coeur
du problème. J'en viens maintenant à la motion qui nous est
présentée par le gouvernement. Je la commenterai le plus
simplement et le plus brièvement possible, mais en toute franchise,
comme je l'ai toujours fait dans cette Chambre.
En raison des divergences profondes qui nous opposent au Parti
québécois, nous abordons de ce côté de la Chambre
avec une extrême circonspection toute démarche commune devant nous
amener à faire route ensemble, avec le parti ministériel, en
matière constitutionnelle. Les différences qui opposent nos deux
partis sur ce plan sont fondamentales, elles nous ont valu de la part de nos
adversaires de l'autre côté, à combien de reprises, des
épithètes indignes d'adversaires civilisés et respectueux
de l'autre.
Mais ceci est un premier point et je voudrais que vous compreniez qu'il
y a chez plusieurs militants de notre parti et chez plusieurs de nos
concitoyens qui partagent notre option constitutionnelle une répugnance
très profonde à faire route commune avec un adversaire qui n'a
jamais hésité à leur appliquer les épithètes
de traîtres, les épithètes de vendus, les
épithètes de colonisés, tout ce qu'on veut, au cours des
années. (22 heures)
Nonobstant cette méfiance profonde que
je veux, pour ma part, m'employer à faire reculer au cours des
années, une des choses que j'ai constatées en politique et qui
m'ont fait énormément de peine, c'est que les politiciens
irresponsables cultivent souvent la méfiance dans l'intention à
courte vue de gagner des votes et des élections. J'espère que
nous saurons tous nous élever à une attitude qui nous
amènera à faire reculer la méfiance et le soupçon
parce qu'ils sont la source de bien des malentendus et de bien des reculs dans
l'histoire des peuples.
Ceci étant dit, il y a des moments dans l'histoire des peuples,
dans l'histoire de tous les peuples, où l'intérêt
supérieur de la communauté doit l'emporter sur les
préjugés, les méfiances et les intérêts
légitimes des groupes et des partis. La situation créée
par le projet fédéral, la modification unilatérale et
inconstitutionnelle, au sens des conventions, de la constitution canadienne
actuelle, fournit la matière de l'un de ces moments historiques que, je
l'espère, nous aurons l'occasion de vivre ensemble. Ainsi que nous
l'avons dit tantôt, c'est l'intégrité des pouvoirs
législatif et constitutionnel de l'Assemblée nationale qui est en
cause. Nous n'avons pas le droit de jouer à l'autruche lorsque l'enjeu
est aussi fondamental.
Je voudrais à ce sujet rappeler une résolution qui fut
adoptée a l'unanimité lors de la réunion du conseil
général de mon parti tenue les 19 et 20 septembre dernier,
à Québec: "Attendu l'existence au Québec d'une
société profondément distincte du reste du Canada, en
raison de son caractère principalement français,
société qui est toujours, à cause de cela, à la
recherche des meilleures voies de son épanouissement; "Attendu que le
Parti libéral du Québec est convaincu que les
intérêts de la population du Québec se situent dans le
cadre d'un Canada fédéral; "Attendu que le Parti libéral
du Québec est convaincu de la nécessité pour le
Québec de s'assurer d'un renouvellement substantiel de la constitution
canadienne; "Attendu que le Parti libéral du Québec s'est
doté d'un projet de réforme constitutionnelle apte à
produire ce renouvellement par voie de négociation; "II est
résolu que le Parti libéral du Québec exprime clairement,
avec force et à toutes les occasions possibles, son opposition à
toute démarche unilatérale visant à modifier les
compétences constitutionnelles du Québec et demande en
conséquence, de façon pressante, au gouvernement
fédéral de reprendre dans les plus brefs délais les
négociations constitutionnelles avec les provinces. "
La motion qui nous est soumise, M. le Président, nous invite
à trois choses. Elle demande d'abord que nous réclamions du
gouvernement fédéral qu'il renonce à sa démarche
unilatérale. Je suis parfaitement d'accord sur cette demande; je n'ai
aucune espèce de réserve. Je pense que c'est le devoir de
l'Assemblée nationale de réclamer du gouvernement
fédéral qu'il renonce à sa démarche actuelle dans
tout ce qu'elle a d'unilatéral. Qu'il conserve son projet de bonifier la
constitution canadienne, de la ramener au Canada, de la doter de toutes les
améliorations possibles, je pense que c'est non seulement sa
prérogative, mais sa responsabilité, mais que nous lui demandions
de renoncer au caractère unilatéral de cette démarche, je
pense que non seulement c'est justifié, mais que cela s'impose avec
force.
Je profite de l'occasion pour joindre ma voix à celle que le
premier ministre a fait entendre tantôt pour de demander à nos
collègues québécois qui siègent au Parlement du
Canada de prendre eux aussi leurs responsabilités.
Je vous dirai une chose, M. le Président. J'ai reçu des
appels, ces derniers jours, d'hommes politiques qui militent sur la
scène fédérale. Je ne vous dirai pas ce qu'ils me
demandaient, mais je vous dirai ce que je leur ai dit. Je leur ai dit que mon
parti leur rendra un très grand service en leur laissant entendre
clairement qu'il n'accepte pas et n'acceptera pas une démarche
unilatérale comme celle qui est imposée ou envisagée par
le gouvernement fédéral. Premier point.
La résolution nous demande en second lieu de nous opposer, comme
Assemblée nationale, à tout geste qui pourrait porter atteinte
aux droits du Québec et affecter ses pouvoirs sans son consentement. Je
pense que cela va de soi; cela découle de ce qui a été dit
tantôt, de ce que j'ai essayé de dire moi-même, de ce que la
Cour suprême a dit, surtout, pour notre instruction à tous. Par
conséquent, je suis d'accord, sans la moindre hésitation, sur
cette seconde affirmation.
Troisièmement, la résolution demande au gouvernement
fédéral et aux gouvernements provinciaux de reprendre les
négociations sans délai dans le respect -j'essaie de citer comme
il faut cette partie, M. le premier ministre - des principes et des conventions
qui doivent régir les modifications du régime
fédéral canadien. "
C'est une évidence. Je disais, l'autre jour, devant un groupe: Ce
sont des choses que j'aurais signées sans la moindre hésitation
quand j'étais directeur du Devoir, il y a déjà plusieurs
années. Cela m'étonne que vous ne m'en ayez pas cité
aujourd'hui, M. le premier ministre. Je souscris sans la moindre
hésitation à cette affirmation, également. Je veux
ajouter, encore une fois, que, dans la recherche d'une formulation qui pourrait
être acceptable aux différents points de vue qui s'affrontent
quotidiennement dans cette Chambre, il y a eu, de la part du gouvernement, un
esprit de collaboration de
bon aloi, auquel nous avons essayé de répondre de notre
côté.
Comme nous sommes aussi d'accord avec le jugement de la Cour
suprême voulant qu'il existe une convention constitutionnelle exigeant le
consentement substantiel des provinces pour tout changement devant affecter
leurs pouvoirs, comme il existe aussi un jugement de la Cour suprême
établissant que le projet fédéral viole la convention
constitutionnelle existante, il ne nous reste plus, une fois que nous avons
fait le tour à la fois des énoncés de la motion et des
grandes conclusions du jugement de la Cour suprême, qu'à conclure
qu'il convient, dans les circonstances, de voter pour la motion qui est
présentement à l'étude devant cette Chambre. En agissant
ainsi, nous serons fidèles à une longue tradition en vertu de
laquelle l'Assemblée nationale a très souvent été
capable de faire l'unité, pour des moments précis, autour
d'objets précis, lorsqu'il s'agissait de valeurs essentielles que
voulaient défendre les parlementaires d'un côté et de
l'autre de la Chambre.
Je voudrais rappeler une chose élémentaire. S'il n'y avait
pas un certain nombre de valeurs fondamentales que nous sommes résolus
à défendre ensemble par-delà nos intérêts
particuliers comme groupes politiques, la vie démocratique ne vaudrait
pas la peine d'être vécue et les institutions politiques ne
résisteraient pas longtemps à l'usure de la critique et aux
assauts des divisions et des conflits d'intérêts qui divisent les
citoyens entre eux.
Je veux bien préciser, cependant, qu'en donnant mon consentement
à cette motion je donne mon assentiment à un texte précis,
celui qui est devant nous actuellement. Il s'agit d'un vote sur une question
précise d'une gravité exceptionnelle. Ce vote ne doit pas
être interprété comme un endossement implicite, indirect ou
par anticipation de toute initiative que le gouvernement voudrait prendre de
son côté, suivant des méthodes que nous avons souvent
critiquées dans le passé et que nous pourrions encore
critiquer.
Je précise, cependant, que le vote que chacun donnera comporte
l'obligation d'être fidèle à lui-même et
conséquent avec lui-même au cours des prochains mois. Il ne s'agit
pas d'un vote que nous donnons ce soir pour nous débarrasser ou pour
éliminer un problème. Si nous votons pour cette motion, nous
contractons l'engagement implicite de continuer à lutter, chacun dans la
mesure de nos moyens, avec nos méthodes propres, pour empêcher que
ce danger qui plane sur la souveraineté de l'Assemblée nationale
ne devienne une réalité. Je voudrais dire que, pour ma part,
ayant longuement réfléchi aux implications de tout ceci, je vais
donner mon assentiment à la motion qui nous est présentée
et j'espère que tous nos collègues de l'Assemblée
nationale feront de même.
Il serait dangereux, cependant, M. le Président - j'achève
- de nous en tenir à une approche purement négative. C'est dans
cet esprit que mon parti a insisté auprès du gouvernement pour
que soit ajouté, à la fin de la motion que nous avons devant
nous, ce paragraphe qui demande que reprennent dans les meilleurs délais
les négociations entre les deux ordres de gouvernement.
En conclusion, je voudrais aller un peu plus loin dans cette voie et
insister pour qu'on essaie de reprendre ces négociations, toujours
délicates et toujours extrêmement difficiles, surtout dans le
contexte actuel, en pensant à l'extrême bienfait qui
découlerait pour le Canada de certains résultats concrets dans un
avenir prévisible. Le premier ministre avait ouvert la voie, ces
derniers temps, à une approche qui consisterait à favoriser le
rapatriement de la constitution accompagné d'une formule d'amendement.
Je pense que le parti ministériel a fait une évolution sur cette
question depuis un an. Je me souviens de la première fois où j'ai
posé la question au chef du gouvernement; j'avais été
incapable d'obtenir une réponse claire mais, depuis ce temps, cela a
fini par tomber par bribes, nous en sommes très heureux. J'espère
que le gouvernement est prêt à confirmer cet engagement. Nous
aurons l'occasion de le lui demander au cour des prochains jours, devant cette
Chambre et devant tout le peuple du Québec, s'il est prêt à
dire: Nous, nous sommes disposés à rechercher honnêtement
le rapatriement de la constitution canadienne, pourvu qu'il soit
accompagné d'une formule d'amendement acceptable. (22 h 10)
J'ajouterais ceci à ce que le premier ministre a dit. Le premier
ministre a donné sa préférence à la formule des
huit; je ne veux pas allonger le débat ce soir, j'ai beaucoup de
critiques à faire au sujet de cette formule. Nous, de ce
côté-ci de la Chambre, nous sommes davantage portés
à favoriser une formule qui garantirait le droit de veto du
Québec, c'est-à-dire sa participation obligatoire à tout
développement constitutionnel important, tandis que la formule des huit,
s'inspirant de l'esprit de la souveraineté-association, regarde
plutôt vers la porte de sortie et vise à favoriser le droit de
retrait facultatif. Mais, nous, nous voulons plus que ça du partenaire
québécois dans la fédération canadienne. De toute
manière, c'est une chose qui doit être discutée et j'ose
penser qu'il devrait être possible et acceptable, des deux
côtés de la Chambre, et pour les autres provinces
également, que le choix soit donné au peuple canadien, par voie
de référendum assorti des garanties nécessaires, au point
de vue majorité régionale, par exemple, entre les deux formules
pour qu'un jour, dans un avenir prévisible et concret, on puisse
disposer de ce projet.
Je pense qu'il n'est pas acceptable qu'on envoie le problème aux
calendes grecques et qu'on se repose continuellement sur le Parlement
britannique du soin de porter une affaire dont il ne veut pas et qu'il porte
pour la plus grande gêne du peuple canadien, y compris évidemment
le peuple québécois. C'est ma première suggestion, mon
premier voeu. Je l'ajouterais - je n'ai pas insisté dans nos
conversations avec le gouvernement pour qu'on l'insère dans le texte de
la motion de ce soir, mais je l'ajoute là - et je pense parler au nom
d'un très grand nombre de mes collègues en disant ceci.
J'émets un deuxième voeu à l'intention du
gouvernement fédéral. Je crois qu'il serait très opportun
et très souhaitable que le gouvernement fédéral accepte de
modifier son projet, de manière que la charte des droits soit
insérée dans la constitution canadienne, mais s'applique
seulement au Parlement et aux institutions fédérales ainsi qu'aux
provinces qui en auront fait le libre choix, soit par une résolution de
leur Législature, soit par une décision
référendaire de leur population respective. C'est une position
que je suis personnellement prêt à défendre longtemps et
qui me paraît procéder à un respect
élémentaire des choses, de la diversité d'opinions qui
existent dans ce pays et je pense que si le gouvernement pouvait annoncer
clairement sa disposition à entamer des négociations autour
d'objectifs très modestes, très limités comme
ceux-là quitte à reprendre les autres ensuite - on pourrait
peut-être franchir cette étape autrement qu'en qualifiant l'autre
d'ennemi.
J'entendais le ministre de l'Éducation à la radio, l'autre
jour, dire: Ces gens ne sont plus des adversaires, ils sont des ennemis.
J'aimerais mieux qu'on change de langage et j'aimerais mieux qu'on essaie ceci,
sans chercher d'aucune manière à retarder les procédures
qui sont engagées devant cette Chambre.
En conclusion générale, M. le Président, je
voudrais d'abord, au nom de mes collègues du Parti libéral et de
l'Opposition, rendre hommage à la Cour suprême et à notre
système judiciaire dont elle est l'expression la plus haute. Nous venons
d'avoir l'exemple d'un jugement empreint d'impartialité,
d'indépendance d'esprit, de science juridique, de sensibilité
également aux réalités historiques, sociologiques,
culturelles et même politiques. La magistrature vient de démontrer
une fois de plus qu'elle est l'une des pierres d'assise du régime
démocratique sous lequel nous vivons et je manquerais à mon
devoir en n'exprimant pas à l'endroit de la Cour suprême, dont
j'ai admiré très souvent la qualité professionnelle,
l'admiration que j'ai éprouvée en prenant connaissance de cette
dernière décision qu'elle a rendue.
Deuxièmement, je voudrais affirmer une fois de plus la foi
profonde que je conserve envers le Canada, envers le régime
fédéral qui gouverne notre pays et envers ses chances d'avenir,
ses chances de progrès et d'adaptation aux réalités
d'aujourd'hui. L'évolution constitutionnelle, M. le Président,
est une oeuvre de longue haleine, elle ne fleurira jamais dans la
précipitation et les coups de force, elle fleurira dans la mesure
où, de part et d'autre, on acceptera que les décisions doivent
être le fruit d'une maturation procédant de la discussion loyale
et respectueuse de points de vue différents. Or, je continue de croire
en ce pays qui a progressé énormément. Nous n'avons pas eu
de formule d'amendement depuis 112 ans. Cela n'a pas empêché le
Canada de devenir le pays du monde qui se classe au tout premier rang pour la
qualité du respect qu'on y a des libertés des citoyens et cela
fournit un argument, j'en conviens, à ceux qui nous diront en
contrepartie qu'il n'est peut-être pas urgent d'avoir la charte des
droits demain matin, j'en conviens volontiers. J'ai toujours dit que c'est un
objectif éminemment désirable et je ne voudrais pas d'une charte
des droits qui me serait imposée en violation des droits de notre
Assemblée nationale. C'est un deuxième point. La perspective de
longue haleine demeure fondamentale et je pense que personne ne me reprochera
de m'être jamais éloigné trop de cette perspective. Quand
je l'ai fait, j'ai payé pour.
Troisièmement, je voudrais exprimer mon attachement
indéfectible et premier à l'endroit du Québec, à
l'endroit de ses citoyens, de sa population, de ses institutions politiques, de
ses droits et surtout de son Assemblée nationale que nous sommes
réunis ce soir pour défendre ensemble. Je voterai pour la motion.
J'espère, encore une fois, que nous pourrons tous faire de même.
Je voudrais qu'on puisse dire en toute vérité dans quelques jours
que c'est vraiment tout le Québec, par la voix de son Assemblée
nationale et de ses législateurs, par-delà les différences
de partis, qui s'oppose avec force, dignité, respect de la loi et
confiance en la capacité des citoyens d'en venir à des solutions
raisonnables et responsables, au projet qui est présentement mis de
l'avant.
Je me souviens, qu'un auteur pour qui j'ai beaucoup d'admiration, le
cardinal John Henry Newman, avait coutume de dire, pour le plus grand scandale
d'un autre cardinal de l'époque, le cardinal Manning, dont la
loyauté première était à Rome: "Je porterai
volontiers un toast au pape, mais j'en porterai d'abord un à ma
conscience. " Je pense que, ce soir, il conviendrait que je propose que nous
portions tous un toast à notre parti respectif, mais que nous en
portions un premier au Québec et à son Assemblée
nationale.
Le Président: Est-ce qu'il y a d'autres orateurs? M. le
ministre de la Justice.
M. Marc-André Bédard
M. Bédard: M. le Président, comme tous mes
collègues des deux côtés de la Chambre, j'ai
écouté avec beaucoup d'attention les propos de l'honorable
premier ministre et du chef de l'Opposition, qui a terminé en exprimant
son intention de voter pour la motion présentée à cette
Assemblée.
Sur une motion aussi importante, malgré les divergences d'opinion
sur la manière de façonner l'avenir du Québec, qu'on sente
l'urgente nécessité de s'élever au-dessus des
barrières partisanes comme l'ont fait avant moi le premier ministre et
le chef de l'Opposition pour essayer d'en arriver à l'unanimité,
je crois que cette unanimité qui semble vouloir se dégager
illustre éloquemment le danger que représente le projet
fédéral pour le Québec, pour les droits fondamentaux du
peuple québécois, qui doivent être défendus avec
acharnement par les membres de cette Assemblée nationale.
En effet, la motion que nous étudions aujourd'hui est d'autant
plus importante, d'autant plus fondamentale qu'elle permet d'exprimer
clairement la position du Québec sur les effets de la résolution
que le gouvernement fédéral tente de faire adopter et de nous
exprimer sur la démarche inconstitutionnelle que ce même
gouvernement persiste à vouloir suivre en s'accrochant à un
aspect partiel du jugement de la Cour suprême du Canada.
L'Assemblée nationale doit donc exprimer clairement et fermement, et
nous en sentons la nécessité, une position qui soit de nature
à constituer une garantie pour l'avenir même du Québec. (22
h 20)
J'ajouterais que l'Assemblée nationale se doit de le faire le
plus rapidement possible, tenant compte des droits de s'exprimer des uns et des
autres.
Cet après-midi, M. le Président, j'étais surpris de
voir le leader de l'Opposition s'interroger sur la nécessité de
convoquer d'urgence l'Assemblée nationale, alors que, disait-il, il y a
des promesses de réouverture de négociations de la part du
premier ministre, M. Trudeau.
Même si l'histoire récente amène les
Québécois à se méfier des engagements solennels de
M. Trudeau, justement parce qu'il y a une ouverture, si mince soit-elle, de
reprise des négociations, il est impérieux que ces
négociations ne se fassent pas sur n'importe quelle base qui serait
élaborée par un parti ou par un gouvernement seul, mais qu'elles
se fassent, si elles doivent avoir lieu, sur des bases essentielles,
déterminées par l'ensemble des parlementaires du
Québec.
Je crois que pour l'interlocuteur fédéral possible, de
même que pour l'ensemble des gouvernements des autres provinces, il est
de toute première importance de faire connaître les balises
fixées non pas, encore une fois, par un gouvernement ou un parti seul,
mais fixées par l'Assemblée nationale. Je pense que c'est
là le sens même de la résolution qui est devant nous, qui
exprime très clairement au fédéral que le Québec
n'acceptera pas de voir diminuer ses droits sans son consentement et qu'il
réclamera qu'Ottawa renonce à sa démarche
unilatérale et reprenne sans délai les négociations, pas
n'importe comment - c'est le contenu même de la résolution - mais
dans le respect des principes et des conventions qui doivent régir les
modifications du régime fédéral canadien.
En ce sens, M. le Président, je crois qu'il était
nécessaire que non seulement les parties et le gouvernement fassent
connaître leur opinion, comme ils l'avaient déjà fait avant
la convocation d'urgence de cette Assemblée nationale, mais que, plus
que cela, il était nécessaire que l'Assemblée nationale
elle-même et tous ses parlementaires réunis, de quelque parti
auquel ils appartiennent, se prononcent sans équivoque sur l'attitude du
Québec et les conditions du Québec face à des
négociations qui pourraient possiblement reprendre.
M. le Président, on l'a dit tout à l'heure, l'enjeu est
vital pour le Québec. Les conséquences du projet
fédéral sont énormes pour ses citoyens et citoyennes, si
bien que la position que nous sommes appelés à exprimer comme
Assemblée nationale, comme parlementaires, dépasse largement
l'énoncé de principe auquel certains pourraient être
tentés de la restreindre.
Il est clair et sans équivoque que le projet
fédéral aurait pour effet de diminuer sensiblement, très
sensiblement, les pouvoirs de l'Assemblée nationale sans son
consentement.
Il est aussi clair que l'interprétation obtuse donnée par
le premier ministre Trudeau au jugement de la Cour suprême
démontre son intention, malgré peut-être certains propos
dans le sens contraire, de vouloir agir sans "retenue, d'une façon
indécente et carrément inconstitutionnelle, bafouant, violant les
règles fondamentales sur lesquelles reposent toute notre structure
juridique, toute notre organisation sociale.
Cette attitude obstinée des autorités
fédérales place donc le Québec - et l'expression n'est pas
trop forte - en état de légitime défense et l'oblige
à réagir avec vigueur devant une telle agression de ses droits
les plus fondamentaux. Au départ, il importe que la vérité
garde ses droits. Les raccourcis fallacieux utilisés par le premier
ministre fédéral pour justifier la poursuite de
son équipée doivent être dénoncés, ne
serait-ce que pour assurer la population d'un éclairaqe que lui refuse
Ottawa sur une question aussi fondamentale. Ce n'est pas une bataille de mots.
Ce n'est pas un débat de sémantique. C'est un
énoncé de faits clairement exprimés par la Cour
suprême et volontairement mis de côté par M. Trudeau qu'il
importe de faire ici. C'est cet ensemble de faits auxquels a
référé le chef de l'Opposition, analysés par le
plus haut tribunal du pays, qui constituent l'ensemble dont il faut être
conscient. Bien sûr, M. le Président, la Cour suprême
affirme que le geste est légal au sens étroit de la seule lettre
de la constitution, mais M. Trudeau, qui devrait être le citoyen le plus
respectueux de la constitution, néglige de retenir que, du même
souffle, le tribunal affirme aussi clairement que la démarche n'en
demeure pas moins inconstitutionnelle en regard des conventions, en regard de
l'esprit et en regard du sens même du régime politique qui nous
gouverne depuis la Confédération.
Quant aux effets concrets et pratiques que pourrait avoir le projet
fédéral, la Cour suprême, M. le Président, est
également sans équivoque. Je me permets de rappeler - et M. le
premier ministre y a fait référence tout à l'heure - que
l'automne dernier, devant cette Assemblée, j'avais évoqué
l'effet que le projet de charte fédérale pourrait avoir sur la
validité des lois, de nos règlements et directives. Ces
appréhensions, qui étaient aussi signalées par les
juristes experts du gouvernement dans un document rendu public, sont
aujourd'hui confirmées. Nous ne nous en réjouissons pas, mais ces
appréhensions sont aujourd'hui confirmées par tous les juges de
la Cour suprême sans exception quand ils déclarent notamment:
"Indubitablement, les termes du projet de loi inclus dans la résolution
auraient un effet sur les pouvoirs législatifs des Législatures
provinciales qui seraient, de fait, limités par la charte des droits et
libertés. "
Il ne faut surtout pas oublier que les avocats du gouvernement
fédéral lui-même avaient finalement admis devant la Cour
suprême que le projet fédéral portait atteinte à
l'autorité législative des provinces, même si les
ténors fédéraux, au moment du dépôt du projet
de loi fédéral, essayaient de faire croire à la population
que ce projet de loi ne diminuait pas les pouvoirs de l'Assemblée
nationale. Que la charte fédérale ampute les droits du
Québec, cela ne fait plus aucun doute, surtout lorsqu'on lit le passage
suivant des six juges de la majorité: "Si le projet de charte des droits
devenait loi, chacun des chefs de compétence législative
provinciale et fédérale pourrait être touché. En
outre, la charte des droits aurait un effet rétrospectivement de
même prospectivement, de telle sorte que les lois édictées
par une province à l'avenir, de même que celles
édictées dans le passé, même avant la
Confédération, seraient susceptibles d'être
attaquées en cas d'incompatibilité avec les dispositions de la
charte des droits. " M. le Président, je comprends qu'on l'a
déjà citée et que beaucoup d'autres reviendront à
cette citation qui est de toute première importance puisque c'est
là qu'on réalise l'ampleur du projet fédéral. Pour
la majorité de la Cour suprême, c'est donc chacun des chefs de
compétence législative provinciale qui pourrait être
touché. C'est donc tous les niveaux de l'activité de
l'Assemblée nationale et du gouvernement qu'il faudrait maintenant
réexaminer s'il fallait que cette charte fédérale soit
adoptée telle qu'on la connaît présentement. (22 h 30)
Ce que la Cour suprême nous confirme, c'est que toutes les lois du
Québec doivent être revues, les plus anciennes comme les plus
récentes, qu'il s'agisse du Code civil voté en 1866 ou de la plus
récente loi de notre Assemblée. Toutes ces lois devront
être revues, examinées, étudiées sous tous leurs
aspects pour en vérifier la conformité avec cette nouvelle charte
des droits, si elle était acceptée. Toutes ces lois aussi
pourraient être contestées, en partie ou en totalité,
devant les tribunaux; pourtant chacune de ces lois a été
adoptée dans la plus stricte légalité et dans la plus
stricte constitutionnalité. Pourquoi deviendraient-elles subitement
invalides ou inopérantes par le seul geste unilatéral du
gouvernement fédéral?
M. le leader de l'Opposition soulignait à bon droit cet
après-midi la préoccupation majeure qui devrait animer cette
Assemblée à l'égard des questions économiques.
Précisément parce que nous sommes conscients de cet
impératif, il faut voir les effets de l'application d'une constitution
ou de l'application de la Charte des droits et libertés sur le contexte
économique. Il ne faut pas s'imaginer qu'une charte des droits, ce ne
sont que des mots ou ce ne sont que des principes qui y sont contenus; au
contraire, c'est un ensemble de dispositions qui auraient une influence
très directe même du point de vue économique.
Je me permettrai d'illustrer mes propos par quelques exemples. Comme
vous le savez, le gouvernement a établi des politiques de
préférence aux contribuables québécois:
travailleurs, hommes d'affaires, professionnels, fournisseurs ou entrepreneurs.
Le gouvernement, le nôtre et ceux qui nous ont
précédés ont cru bon d'édicter des politiques de
préférence envers ces catégories de citoyens dans le but
évident de favoriser la croissance économique et l'embauche au
Québec. Ce sont tous ces règlements concernant les contrats
d'achat
du gouvernement qui privilégient le contenu
québécois, les contrats du gouvernement pour l'allocation des
biens meubles, les contrats de construction, de services et de concessions du
gouvernement qui exigent de l'entrepreneur qu'il ait sa principale place
d'affaires au Québec.
À ces règlements qui sont d'ordre économique, il
faut ajouter trois directives qui confèrent l'exclusivité aux
professionnels résidant et exerçant au Québec et,
également, des directives qui visent à accorder, par exemple, une
priorité aux produits du Québec. Dans un autre domaine, pour
favoriser l'ouvrier de la construction du Québec sur les chantiers, le
gouvernement a prévu certaines dispositions qui accordent un certificat
de classification aux seuls salariés qui sont domiciliés au
Québec. Toutes ces mesures n'ont pas que des consonances légales.
Elles ont des conséquences d'ordre proprement économique. Elles
sont faites dans le sens d'aider, soit les travailleurs, soit les entreprises
québécoises.
Dans ce sens, il y aurait des conséquences économiques
très graves pour les citoyens québécois, je dirais
même pour les entreprises québécoises, s'il fallait que la
charte des droits, telle que connue, soit appliquée. Qui contestera
l'ensemble ou le bien-fondé de ces politiques que je viens de
mentionner, qui ont été manifestement promulguées dans le
but de permettre la naissance et le développement des entreprises
québécoises? Pourtant, il faut en être conscient,
même si ces politiques sont souhaitables pour notre
société, l'article 6 du projet de loi fédéral
pourrait les rendre inopérantes. Pourraient aussi être sujettes
à des remises en question, à cause de l'article 6 de la charte,
la Loi sur l'acquisition des terres agricoles par des non-résidents,
celle de l'assurance-édition, la Loi sur la santé publique qui
exige un domicile de douze mois au Québec pour l'obtention d'un permis,
la Loi sur la qualification d'une entreprise en construction et celle sur les
licences, qui établissent toutes deux des barèmes ou des
régimes différents selon qu'on réside ou non au
Québec.
Le secteur agricole, je pense que ce ne sont pas des mots, est une
réalité d'ordre proprement économique. Le secteur
agricole, s'il fallait que cette charte fédérale nous soit
appliquée sans notre consentement, pourrait aussi être
affecté. En effet, la Loi sur l'assurance-stabilisation des revenus
agricoles a établi des régimes de stabilisation des revenus pour
certains types de producteurs, ceux du boeuf de boucherie, ceux des
céréales, ceux du maïs-grain, ceux de pommes de terre ou
ceux du porcelet, etc. Les cultivateurs s'y retrouvent facilement.
Eh bien, on a établi des politiques où le domicile au
Québec est l'une des conditions qui donnent ouverture aux
bénéfices et avantages des régimes. Ces dispositions sont
manifestement remises en question par l'article 6 de la charte des droits et
libertés, s'il fallait qu'elle soit acceptée.
On pourrait, M. le Président, citer de nombreux autres exemples,
mais je pense qu'il serait superflu de continuer une telle
énumération. J'ai voulu le faire pour quand même montrer
une partie des effets que pourrait avoir l'application de la charte
fédérale. Cette charte fédérale, je ne l'avais pas
encore mentionné jusqu'à maintenant, pourrait même avoir
des effets très directs sur la Charte des droits et libertés de
la personne du Québec, parce qu'à ce moment-là, il y a des
droits et libertés qui sont reconnus à l'ensemble des citoyens
dans notre Charte des droits et libertés de la personne du Québec
et qui ne sont pas reconnus dans la charte fédérale, celle qu'on
veut nous imposer sans notre consentement. N'oublions jamais que la Charte des
droits et libertés de la personne du Québec est beaucoup plus
détaillée, beaucoup plus complète que la charte
fédérale des droits et libertés qu'on veut nous imposer
sans notre consentement. À ce moment-là, ce seraient les citoyens
et les citoyennes du Québec qui seraient privés de leurs
droits.
Autrement dit, la charte fédérale, telle qu'on la
connaît présentement, protège moins bien les citoyens et
les citoyennes du Québec que ne le fait la Charte des droits et
libertés de la personne qui a été adoptée par cette
Assemblée nationale et qui évolue constamment, qu'on
étudiera en commission parlementaire dans quelques jours et que nous
pourrons à ce moment-là rendre encore plus large, concernant le
respect des droits et libertés.
Quand je vois le ministre fédéral de la Justice et le
premier ministre du Canada se promener, en essayant de faire croire que c'est
un cadeau inestimable que la charte des droits et libertés qu'on veut
donner à l'ensemble des Canadiens, il faudrait se rappeler que toutes
les provinces ont une charte des droits et libertés, que celle du
Québec est plus détaillée et meilleure en termes de
protection que celle que veulent nous imposer le ministre fédéral
de la Justice et le premier ministre fédéral. Je pense qu'ils ne
peuvent en aucune façon à ce moment-là se poser en
défenseurs des droits et libertés par rapport aux citoyens et aux
citoyennes du Québec, parce que nous, notre Assemblée nationale,
nous avons trouvé le moyen de les protéger encore mieux par notre
Charte des droits et libertés de la personne.
M. le Président, je sais que mon temps expire et je voudrais
terminer en disant simplement que ce que nous contestons et ce qui est
inacceptable, c'est que le
gouvernement fédéral réduise les droits et les
pouvoirs du Québec sous le couvert de la promulgation d'une telle charte
des droits. À ce sujet, qu'il me soit permis encore de citer les six
juges de la majorité, qui écrivent notamment: "Cette charte
diminuerait donc l'autorité législative provinciale sur une
échelle dépassant les effets des modifications constitutionnelles
antérieures pour lesquelles les consentements des provinces avaient
été demandés et obtenus. " (22 h 40)
M. le Président, je pense qu'il y a des principes de toute
première valeur qui doivent être défendus par les membres
de cette Assemblée nationale, entre autres les droits et pouvoirs de
l'Assemblée nationale qui sont, en définitive, les droits et
pouvoirs du peuple québécois. Je pense qu'aujourd'hui ce que nous
cherchons à faire - et nous le ferons à l'unanimité, nous
l'espérons - c'est de protéger les droits fondamentaux pour la
nation québécoise, ces droits reconnus par plus de 200 ans de vie
collective.
C'est donc avec conviction, je pense, que la population du Québec
exige que nous préservions ces droits. C'est pourquoi, en réponse
à cette demande de la population du Québec, je crois, tous et
chacun de nous voterons favorablement à la proposition du premier
ministre du Québec. Merci, M. le Président.
Le Président: M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Fernand Lalonde
M. Lalonde: M. le Président, je voudrais simplement,
pendant quelques minutes, après avoir entendu les personnages qui, outre
leur fonction de député, occupent des fonctions officielles, soit
au gouvernement, soit de chef de l'Opposition, vous faire part de la
réflexion d'un simple député - je suis fier de
l'être - de cette Assemblée nationale face à la motion qui
nous est présentée et aux événements qui ont
entouré sa présentation.
La précipitation suspecte du gouvernement à convoquer
cette session spéciale de l'Assemblée nationale, moins de 24
heures après le jugement de la Cour suprême du Canada, ne peut
nous faire oublier l'importance de la question qui nous est posée par
les événements récents. Après 53 ans de tentatives
infructueuses pour donner au Canada sa propre constitution bien canadienne,
l'élection, en 1976, au Québec, d'un gouvernement voué
à la séparation du Québec sonnait le glas des espoirs que
nourrissaient les Canadiens de régler prochainement cette question.
Ensuite, le choix largement majoritaire des Québécois, au
référendum de 1980, de demeurer Canadiens dans une
fédération renouvelée ouvrait la porte à la
tentation de profiter de la faiblesse du gouvernement péquiste pour
régler le problème en vitesse et unilatéralement.
Malheureusement, on sait que le gouvernement fédéral a
succombé à cette tentation et, sans consulter ses partenaires
référendaires au Québec, a fait passer, au Parlement
d'Ottawa - il reste seulement quelques formalités pour que ce soit
terminé - une résolution qui, sans le consentement des provinces,
enlève plusieurs des pouvoirs qu'elles ont exercés depuis 1867.
La Cour suprême du Canada, invitée à se prononcer sur les
effets et la validité de la démarche unilatérale d'Ottawa,
rendait un jugement qui, s'il ne règle rien à court terme,
contient toutefois des décisions extrêmement importantes pour la
marche à suivre, à l'avenir, dans la modification de notre
constitution.
D'abord, quant aux effets de la résolution d'Ottawa, la Cour
suprême, unanimement, affirme que cette résolution
fédérale, si elle devient la constitution, affectera de nombreux
pouvoirs du Québec et des autres provinces. Je ne reviendrai pas en
détail là-dessus, le ministre de la Justice a fait état de
quelques-uns, quoique j'aimerais l'inviter à nuancer ses propos en ce
qui concerne la Charte des droits et des libertés du Québec. Il
n'y a aucun doute que si la charte fédérale entrait en vigueur,
dans le cas de conflits, la charte provinciale serait inapplicable. Mais je ne
pense pas - et j'aimerais inviter le ministre à donner des
précisions là-dessus - qu'on interdirait à une province
d'aller au-delà pour protéger davantage, pour donner des droits
et des libertés au-delà de ce qui serait contenu dans la charte
fédérale et qui ne viendraient pas en conflit avec cette charte.
Je pense que ces nuances sont importantes.
Donc, ce verdict unanime de la Cour suprême selon lequel la
démarche fédérale change et réduit les pouvoirs des
provinces est important en soi, mais il prend sa vraie dimension par l'effet
d'une autre décision rendue lundi dans le même jugement. Ainsi, la
Cour suprême, le plus haut tribunal de notre pays, affirme que la
constitution est constituée de deux éléments essentiels
et, au risque d'ajouter à la confusion qui ne pourrait pas aider
à la compréhension, il faut quand même préciser que
cet élément est très important. Ces deux
éléments essentiels de la constitution du Canada, d'après
la Cour suprême, sont la loi constitutionnelle et les conventions
constitutionnelles. Or, la cour décrète que la démarche
fédérale enfreint la convention constitutionnelle qui exige que
de tels changements de pouvoirs ne soient faits qu'avec le consentement
substantiel des provinces.
Qu'est-ce que c'est que le consentement substantiel? La Cour
suprême
s'est déclarée incapable d'en définir, de
façon précise, les tenants et aboutissants, mais il n'y a aucun
doute dans mon esprit -et je pense que c'est la tradition au Québec
qu'un consentement substantiel devra inclure le consentement du Québec.
C'est d'ailleurs dans ce sens que les procédures d'amendement qui ont
été concoctées au fil des années incluaient un
droit de veto du Québec au cas de changements constitutionnels.
Enfin, la cour reconnaît qu'il n'existe dans la loi
constitutionnelle aucune interdiction formelle d'agir comme le gouvernement
fédéral le fait.
Donc, dans le sens légal strict, c'est légal. En d'autres
mots, d'après la Cour suprême, la constitution canadienne repose
sur deux bases essentielles: la loi et la convention, aussi essentielles l'une
que l'autre. La loi ne requiert pas le consentement des provinces, mais la
convention exige le consentement substantiel des provinces, donc du
Québec, en ce qui nous concerne.
Or, il n'y a pas eu de tel consentement en ce qui concerne le projet
fédéral. Huit provinces se sont opposées, on le sait, et
je ne ferai pas d'élaboration là-dessus, et quelles que soient
les raisons de leur opposition, je pense que, au départ, on doit
respecter leur décision de ne pas donner un consentement à
quelque changement qui leur est proposé.
La démarche d'Ottawa ne repose donc que sur une des deux bases
essentielles de notre constitution; elle devient boiteuse, elle souffre
d'invalidité constitutionnelle. Et la question qu'on doit se poser tout
d'abord est la suivante: Est-ce que c'est sage de créer un nouveau
Canada sur l'absence évidente de consensus de Victoria à
Terre-Neuve? Mais au-delà de toute autre considération, M. le
Président, et fort de l'avis de la Cour suprême qui déclare
inconstitutionnelle au sens des conventions la résolution
fédérale, je crois, à titre de simple député
de cette Assemblée nationale, que la motion pose une question
fondamentale. À titre de député, membre de
l'Assemblée nationale du Québec, est-ce que je puis permettre que
les droits et les pouvoirs de notre Assemblée nationale soient
réduits sans notre consentement? La seule réponse que je puis
donner, c'est non. Et personne de nous, ici, n'échappe à cette
question, car ce n'est pas le gouvernement qui doit répondre seul
à cette question, ce sont les droits et pouvoirs de notre
Assemblée nationale qui sont menacés et qui seraient
affectés. C'est donc aux membres de ce Parlement de se prononcer et de
répondre à la question. Cette question transcende les individus
et les partis, elle se situe au niveau de l'institution suprême du
pouvoir législatif qu'est l'Assemblée nationale des
Québécois, car cette Assemblée ne nous appartient pas
à nous, députés, nous n'en sommes que les gardiens, les
serviteurs et nous devons en protéger les pouvoirs et le bon
fonctionnement comme la prunelle de nos yeux. Personne ici n'a reçu de
ses électeurs le mandat de laisser réduire sans notre
consentement les pouvoirs de l'Assemblée nationale. Nous appartenons
tous, les 122 députés, à deux partis dont le programme
exprime l'opposition à tout geste unilatéral qui pourrait
affecter les pouvoirs de l'Assemblée. Personne n'échappe à
ce devoir fondamental. (22 h 50)
J'ai longtemps souhaité, comme beaucoup de mes électeurs,
de mes amis, de mes proches, que le problème constitutionnel se
règle dans la concertation et la sérénité, mais je
suis convaincu que mes électeurs de Marguerite-Bourgeoys, qui ont
travaillé si ardemment pour éviter aux Québécois
l'abîme de la séparation lors du référendum,
comprendront que je me sentirais indigne de siéger ici si ma
première loyauté ne s'adressait pas à conserver les
pouvoirs de cette Assemblée. D'ailleurs, supposons un moment que ce soit
l'Assemblée nationale qui adopte une loi à demi valide pour
réduire les pouvoirs du Parlement canadien. Tous les
députés fédéraux de tous les partis s'uniraient
au-delà des partis pour s'opposer à notre démarche et ils
auraient raison. Il est possible que mon vote en faveur de cette motion
crée des doutes et des inquiétudes dans l'esprit de nos partisans
libéraux. Certains pourraient craindre qu'il s'agit d'un vote pour les
péquistes, contre Trudeau, pour Lévesque. Je ne puis accepter une
simplification aussi abusive de la question qui nous confronte.
L'extrême méfiance que m'inspirent les sépulcres
blanchis d'en face, M. le Président, reste entière. Ils ont la
langue fourchue et le Parti québécois en porte une terrible
responsabilité dans la crise que nous vivons. Le PQ a saboté la
révision constitutionnelle depuis cinq ans. En camouflant son option
séparatiste le 13 avril dernier, il a trompé les
Québécois. Le PQ est incapable, donc, de remplir le mandat du
référendum de renouveler le fédéralisme canadien.
Pour ma part, je suis convaincu plus que jamais que l'avenir des
Québécois sera mieux assuré dans un Canada
renouvelé où les divers ordres de gouvernement seront respectueux
les uns les autres. Je sais que le PQ ne peut pas nous donner ce Canada. Seul
le Parti libéral du Québec pourra travailler en toute franchise
à construire le Canada que nous voulons. Mais nous ne mériterons
jamais de construire un Canada juste et respectueux si nous n'avons pas le
courage de défendre d'abord et contre qui que ce soit les droits des
Québécois à leur Assemblée nationale.
Mon vote n'est pas pour le PQ. Mon vote est pour les
Québécois, pour le Québec,
pour permettre au Québec de trouver sa place dans ce Canada que
nous voulons. Si je crois au Canada, c'est parce que je crois que les
intérêts des Québécois résident dans cet
ensemble canadien plus grand, plus vaste, mais pas au prix de voir
réduire sans leur consentement les pouvoirs de leur Assemblée
nationale. Le Canada équilibré que nous, libéraux du
Québec, recherchons passe par le respect les uns des autres.
C'est donc comme Canadien que je vote pour le Québec, comme l'ont
fait d'ailleurs les députés d'autres gouvernements provinciaux
qui se sont joints au front commun pour s'opposer à la démarche
fédérale. C'est aussi comme Canadien attaché d'abord
à sa terre québécoise que je demande, dans cette motion,
à tous les gouvernements de revenir à la table de
négociation pour trouver une solution conforme au principe du
fédéralisme canadien. C'est contenu dans la motion du
gouvernement. Est-ce qu'on pourrait espérer, quoique la méfiance
soit grande, qu'une fois ce gouvernement sera franc? On verra. On jugera ses
actes parce que c'est cette Assemblée nationale qui va demander au
gouvernement séparatiste de travailler, d'aller s'asseoir à la
table de négociation pour renouveler la constitution conformément
aux principes du fédéralisme canadien. Est-ce que, messieurs les
péquistes, vous vous êtes rendu compte de la tâche à
laquelle vous vous engagez?
Une voix: Pas de problème.
M. Lalonde: J'invite mes électeurs à
réfléchir et à comprendre que leur député
doit, d'abord et avant tout, s'acquitter de son devoir de protéger les
droits et les pouvoirs des Québécois par leur Assemblée
nationale et que ce devoir passe avant toute appréhension,
stratégie, méfiance et même intérêt
partisan.
C'est donc en toute sérénité que j'appuie cette
motion qui vise à protéger les droits et les pouvoirs de
l'Assemblée nationale dont je ne suis qu'un des serviteurs. Ce vote est
conforme à ma conscience, à mon attachement à
l'Assemblée nationale du Québec, conforme aussi aux objectifs du
Parti libéral du Québec de construire le Canada que nous voulons
avec un Québec fort, ouvert au monde, juste et tolérant.
Mon appui à cette motion, j'y crois profondément, si
modeste soit-il, s'inscrit dans le sens des intérêts et des
aspirations des Québécois et du Canada.
Je vous remercie, M. le Président.
Le Président: M. le député de Vachon.
M. Payne: M. le Président, je demande l'ajournement.
Le Président: Est-ce que cette motion sera
adoptée?
Des Voix: Adopté.
Le Président: M. le leader du gouvernement.
M. Charron: M. le Président, je propose à mon tour
l'ajournement de la Chambre à demain matin 10 heures.
Le Président: Les travaux de l'Assemblée sont
ajournés à demain, 10 heures.
(Fin de la séance à 22 h 57)