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Introduction historique

22e législature, 3e session
(12 février 1947 au 10 mai 1947)


Par Nicholas Toupin

Le monde, le Canada et le Québec en 1947

Les penchants isolationnistes des différents États tendent à s’éroder, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ces rapprochements politiques et économiques sont imputables, notamment, à la création de l’Organisation des Nations unies (ONU), organisme au sein duquel évolue le Canada depuis le 9 novembre 1945. Cette internationalisation des échanges s’observe également avec la signature de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), dont les négociations ont lieu à Genève en avril 1947. Cet Accord implique, pour les 23 pays participant à la rencontre, la libéralisation du commerce par la diminution des barrières tarifaires. Tranquillement, la mise en place d’une politique de libre-échange globalisé voit le jour.

À la même époque, le monde est en train de se polariser, petit à petit, en deux ensembles idéologiques concurrents. À l’Ouest, le bloc capitaliste, mené par les États-Unis, se consolide autour de la doctrine Truman (12 mars 1947). Dans un discours prononcé devant les membres du Congrès américain, le président Harry Truman stipule que la propagation des régimes communistes constitue une menace à la liberté des peuples. Craignant que le « péril rouge » se répande en Grèce et en Turquie, il met en place une stratégie « d’endiguement ». Il s’agit pour les États-Unis d’apporter leur soutien militaire et économique aux pays en difficulté, pour éviter qu’ils ne deviennent des États satellites de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Le plan Marshall, qui sera annoncé le 5 juin 1947, s’inscrit dans cette doctrine. L’objectif est d’assurer la reconstruction de l’Europe au moyen d’une aide financière américaine de plusieurs milliards de dollars en prêts et en dons1.

À l’Est de l’Europe, le bloc communiste, dirigé d’une main de fer par Joseph Staline, se cristallise en un groupe d’États de plus en plus homogènes. L’URSS, vaste ensemble de nations unies sous un régime totalitaire, cherche à poursuivre son expansion vers l’Ouest. Après l’arrivée au pouvoir des partis communistes en Yougoslavie (1945), en Bulgarie (1946), en Albanie (1946) et en Pologne (1946), l’URSS met en place, en septembre 1947, le Bureau d’information des partis communistes (Kominform). Répliquant en quelque sorte au plan Marshall, le Kominform donne une orientation idéologique et politique aux États qui en sont membres.

En cette année 1947, le nouvel échiquier géopolitique mondial, qui s’était peu à peu mis en place à la suite de la conférence de Yalta (1945), s’affermit. Les deux grands pôles se consolident et se confrontent. C’est le début de la guerre froide.

Au Canada, les questions sociales et économiques sont objets de discussions et de dissensions. À deux reprises déjà, le gouvernement libéral de Mackenzie King a convoqué les provinces afin de mettre en place un accord financier renouvelé ainsi qu’un large programme social pancanadien2. La première de ces conférences fédérales-provinciales a lieu du 6 au 10 août 1945; aucune résolution n’est alors signée. La seconde rencontre se déroule du 29 avril au 3 mai 1946, mais le rejet des propositions fédérales par l’Ontario et le Québec conduit à une nouvelle impasse des négociations.

Le premier ministre ontarien, George Alexander Drew, et le premier ministre québécois, Maurice Duplessis, refusent conjointement de céder les principaux revenus de leur province en retour d’une subvention fédérale. Inspiré des recommandations formulées lors de la commission royale d’enquête sur les relations entre le dominion et les provinces (commission Rowell-Sirois, 1940), le gouvernement fédéral propose de modifier le pacte confédératif de 1867 de manière à centraliser les pouvoirs à Ottawa. L’entente, si acceptée, entrerait en contradiction avec les prérogatives provinciales, non seulement en regard du droit de taxation, mais également en matière de santé, d’assurance-chômage, de pensions de vieillesse, etc. Au cours de la seconde conférence, Duplessis affirme que toute modification à la Constitution, sans le consentement unanime des provinces :

constitue une atteinte au respect dû aux contrats et ne peut qu’affecter l’harmonie et la stabilité des relations intergouvernementales canadiennes. Ce qui caractérise notre système fédératif, c’est que la répartition des pouvoirs entre le gouvernement central et les gouvernements provinciaux est le résultat de concessions librement consenties par les provinces. Ce serait donc une erreur historique de prétendre que les provinces tiennent leurs attributions et leurs prérogatives du gouvernement fédéral. C’est, au contraire, d’un acte librement consenti qu’est né le gouvernement fédéral. Il est manifeste que, libres de leurs destinées, les provinces n’ont pas voulu travailler à leur disparition, mais au contraire, elles ont voulu se fortifier3.

 

Constatant qu’il n’obtiendrait pas l’assentiment du Québec et de l’Ontario, le premier ministre canadien entreprend de conclure des ententes séparées avec les sept autres provinces. Cette stratégie portera fruit. Mais le Québec et l’Ontario resteront sur leurs positions.

Au Québec, comme dans le reste de l’Amérique du Nord, l’après-guerre est synonyme de croissance. Sur le plan démographique, la province est en plein baby-boom avec un taux de natalité de 31,3 naissances par 1 000 habitants (1946)4. L’économie aussi se porte bien. Le seuil théorique du plein-emploi est atteint avec seulement 2,7 % de chômage (1947)5. Dans le monde du travail, la syndicalisation s’accélère alors que 24,2 % des Québécois sont syndiqués (1946)6. On assiste à la multiplication des conflits de travail; les revendications ouvrières concernent les conditions de vie en usine et le salaire des ouvriers qui ne progressent pas au même rythme que le développement économique. Entre autres, des grèves secouent l’industrie du textile à Saint-Henri (1946), à Valleyfield (1946) et à Lachute (1947). Le gouvernement réagit rapidement en envoyant la police provinciale « régler » les conflits. On procède à l’arrestation des chefs ouvriers.

Si l’administration Duplessis se montre aussi sévère et expéditive à l’égard des grévistes, c’est que des communistes sont actifs dans les mouvements ouvriers. Au demeurant, les centrales syndicales canadiennes, s’alignant sur leurs consœurs américaines, ont commencé, depuis 1947, à déloger les communistes des principales organisations ouvrières7. Cette « épuration » précède la « chasse aux sorcières », qui sera entreprise quelques années plus tard aux États-Unis et dont la figure de proue sera le sénateur du Wisconsin, Joseph McCarthy8.

Pour le ministre du Travail, Antonio Barrette, il n’y a aucun doute quant à l’infiltration communiste au Québec9 : « Il y a bien une grève à Lachute. Cette grève a été organisée par des communistes notoires et je l’affirme. La femme Bjornson [Madeleine Parent] et Kent Rowley sont reconnus comme communistes et ils n’ont jamais nié faire partie des groupements soumis aux idées de Staline et de Moscou et que leur objectif dans la vie est de susciter des grèves dans la province de Québec. Chaque fois que ces deux-là font leur apparition, il y a des troubles. » (9 mai 1947)

Le communisme a également ses ramifications au niveau politique. Le Parti communiste, illégal au Québec depuis 1931, existe toujours, mais sous un nom d’emprunt : le Parti ouvrier-progressiste (POP). La province compte même un représentant du POP en la personne de Fred Rose, député fédéral de Montréal-Cartier de 1943 à 1946. Son mandat est cependant écourté, puisque des accusations d’espionnage au profit de l’URSS le conduisent en prison en 1946.

Par ailleurs, la sphère culturelle québécoise, à la veille de la publication du refus global, en 1948, s’enrichit du recueil de poèmes de Rita Lasnier, Le Chant de la montée (1947), ainsi que de la parution d’une édition en langue française du magazine américain Sélection du Reader’s Digest. L’année 1947 marque également le lancement des fascicules d’IXE-13, l’as des espions canadiens, qui seront publiés jusqu’en 1966.

La 3e session de la 22e Législature s’ouvre donc dans cette atmosphère imprégnée, d’une part, de l’anticommunisme nord-américain et, d’autre part, de la volonté centralisatrice du gouvernement fédéral qui se heurte à la traditionnelle défense de l’autonomie provinciale.

 

Les parlementaires

Le 12 février 1947, lors de la reprise des travaux parlementaires à Québec, la répartition des 91 sièges à l'Assemblée législative est la suivante : l'Union nationale compte 51 députés, alors que l’opposition est constituée de 34 députés libéraux, de trois membres du Bloc populaire, d’un député de la Co-operative Commonwealth Federation (CCF) ainsi que d’un député indépendant en la personne de René Chaloult. Seul le district électoral de Huntingdon demeure sans représentant durant la session, puisque le député libéral Dennis James O'Connor, décédé le 26 novembre 1946, ne sera remplacé par le député unioniste John Gillies Rennie que lors de l'élection partielle du 23 juillet 1947.

L’Assemblée législative est présidée par Alexandre Taché, député unioniste de Hull, dont l’impartialité est particulièrement mise à mal au cours de la session. À six reprises, l’opposition libérale et bloquiste en appelle de ses décisions. L'Orateur tranche toujours en faveur du parti au pouvoir, ce qui amène l’un de ses prédécesseurs, le libéral Hector Laferté, à déclarer que ce dernier est « le président le plus partial qui ait jamais présidé aux délibérations de l’Assemblée législative10 ».

La Chambre s’est quelque peu renouvelée depuis la précédente session parlementaire. Deux nouveaux députés unionistes font leur entrée à la suite d’élections partielles. Il s’agit, premièrement, de Charles Daniel French, élu dans la circonscription de Compton, le 3 juillet 1946, en remplacement de feu William James Duffy et de Daniel Johnson père, qui succède à Cyrille Dumaine, le 18 décembre 1946, dans Bagot. Maurice Hartt, représentant de Montréal-Saint-Louis, donne quant à lui sa démission, le 18 mars 1947, afin de briguer la circonscription fédérale de Montréal-Cartier, restée vacante depuis l’arrestation de Fred Rose.

Notons que John Samuel Bourque, ministre des Ressources hydrauliques et ministre des Terres et Forêts, pour des raisons de santé, ne participera à aucun débat en Chambre durant la session.

La composition du Conseil législatif se transforme à la suite du décès de Médéric Martin, de Thomas Chapais et de George Gordon Hyde. Thomas Chapais était jusqu’alors le doyen du Conseil, sa nomination remontait au 18 mars 1892. Pour les remplacer, Joseph-Olier Renaud fils, Gérald Martineau et George Buchanan Foster accèdent à la Chambre haute. On dénombre 17 conseillers d’allégeance libérale contre sept unionistes.

 

Les chefs et leur parti

Quatre partis politiques sont représentés à l’Assemblée législative en 1947 : l’Union nationale, le Parti libéral, le Bloc populaire et le CCF. Bien qu’étant éloignées idéologiquement, les trois premières formations se rejoignent dans leurs positions sur les principaux enjeux du moment; elles s’entendent, à divers niveaux, sur le maintien de l’autonomie provinciale, sur le développement de la colonisation et sur la préservation de la moralité publique.

Les quatre organisations reconnaissent l’acuité des problèmes sociaux auxquels fait face le Québec urbain d’après-guerre (délinquance juvénile, insalubrité des logements, alcoolisme, lutte contre la propagation des « idées subversives », etc.). C’est principalement sur les questions constitutionnelles que s’expriment les divergences d’opinions. La pleine collaboration avec les autorités fédérales, souhaitée par les libéraux et le représentant du CCF, s’oppose au refus catégorique des unionistes et des bloquistes de renégocier les droits acquis de la province en 1867. Suivant la même ligne directionnelle qu’au début de la décennie 1940, les bleus accusent les rouges d’être à la solde d’Ottawa. Inversement, les libéraux reprochent aux unionistes d’utiliser abusivement le prétexte de l’autonomie provinciale pour refuser les propositions fédérales.

La gestion des finances publiques est un autre sujet de discorde. Doit-on réduire les taxes du fait que la province engrange des revenus sans cesse croissants? La vision conservatrice suggère qu’il faut épargner, advenant le cas où l’économie devienne incertaine du jour au lendemain. La position libérale laisse entendre qu’un allégement du fardeau fiscal serait bénéfique pour les citoyens et pour les compagnies.

 

Le parti ministériel

L’Union nationale, de retour au pouvoir depuis 1944, est conduite par le député de Trois-Rivières, Maurice Le Noblet Duplessis. Bien au fait de la procédure parlementaire, le premier ministre impose son autorité, par exemple, en relevant l’irrégularité des motions et des amendements présentés par l’opposition et en soulevant de multiples points d’ordre pour orienter les débats à sa convenance.

À de multiples occasions, la gauche exprime son mécontentement quant à l’attitude « autocratique » du premier ministre. On s’en prend à son administration et son programme législatif : « Le régime a des méthodes à la Hitler. » (21 mars 1947); « Si nous continuons dans cette voie, dans une décade, nous vivrons sous un régime totalitaire, et peut-être serons-nous obligés de faire le pas de l’oie. » (27 mars 1947); «  Viennent les élections et le peuple chassera du pouvoir ce régime autocratique, despotique et imprévoyant. » (8 avril 1947)

Le gouvernement unioniste est naturellement la cible des attaques des partis d’opposition. Par exemple, Onésime Gagnon, député de Matane et trésorier, se fait souvent reprocher d’avoir été moins virulent envers la centralisation fédérale, à l’époque où il siégeait parmi les conservateurs fédéraux (1930 à 1935). Adélard Godbout relate : « Il est allé plus loin que ça, le trésorier provincial. Il a dit que s’il fallait exiger le consentement de toutes les provinces pour amender la Constitution, il y en aurait toujours une qui serait une pierre d’achoppement. » (4 mars 1947)

Quant au député de Dorchester, Joseph-Damase Bégin, on lui reproche d’être à la fois ministre de la Colonisation et organisateur de l’Union nationale. Selon René Chaloult, député de Québec, ces deux fonctions ne sont pas compatibles. 

Paul Sauvé, premier titulaire du ministère du Bien-être social et de la Jeunesse (1946), doit lui aussi se défendre des moqueries des libéraux qui font des gorges chaudes de sa nouvelle affectation. Léon Casgrain déclare : « Le député de Deux-Montagnes a la tête un peu gonflée depuis qu’il a été nommé ministre. » (28 février 1947) Fernand Choquette, député de Montmagny, renchérit en affirmant qu’un jour « le ministre des enfants vieillira ». (27 mars 1947)

À peine arrivé en Chambre, Daniel Johnson fait bonne impression. Louis-Philippe Lizotte, député libéral de Kamouraska, dit à son endroit : « Le représentant de Bagot est un jeune homme qui ira loin s’il sort des chemins pleins d’embûches de l’Union nationale. » (25 février 1947) Après avoir indiqué déjà que Johnson ferait un bon candidat au portefeuille de la Jeunesse, le député libéral de Rivière-du-Loup, M. Casgrain, ajoute, le 1er mai 1947, qu’il « serait qualifié pour assumer le portefeuille du secrétariat provincial ».

En 1947, l’autonomie provinciale demeure l'un des sujets de prédilection de l’Union nationale. L’attitude adoptée par le premier ministre lors des conférences intergouvernementales confirme ce positionnement. L'honorable Duplessis se sert de l’autonomie pour justifier l’adoption de ses projets de loi. Sa rhétorique ne change pas : « J’insiste sur le danger de la centralisation fédérale et la nécessité de l’autonomie provinciale. » (25 avril 1947)

Sur le plan de la gouvernance, les unionistes croient en l’entreprise privée et dénoncent le « paternalisme d’État ». Pour eux, Québec ne doit pas être l’unique dépositaire des programmes sociaux. Bien que l’État soit tenu d’assumer une bonne part des dépenses en santé et en éducation, les citoyens ne doivent pas dépendre des allocations provinciales, sans quoi ils se déresponsabiliseraient de leurs obligations. Cette orientation est d’ailleurs inscrite en toutes lettres dans le discours du trône : « Nous considérons que le progrès véritable doit être dégagé du paternalisme d’État. Nous croyons que notre province sera développée de façon plus rationnelle et plus rapide par l’initiative privée bien entendue, c’est-à-dire saine, juste, consciente de ses devoirs et de ses droits, respectueuse de ses obligations envers le peuple, envers la province, envers la nation. » (12 février 1947)

Une autre caractéristique du régime de l’Union nationale : l’attribution de contrats sans appel d’offres. Ce n’est pas en ayant recours à des soumissions publiques que l’on obtient nécessairement, dit-on, de « meilleures garanties ». Le chef de l'opposition, M. Godbout conteste cette façon de procéder qui ouvre, selon lui, la voie au patronage. Duplessis accuse les libéraux d’agir en hypocrites, puisque ces derniers, lorsqu’ils étaient au pouvoir, procédaient de la même manière. Fernand Choquette, député de Montmagny, se scandalise de « l’aveu cynique des représentants du gouvernement qui ne cachent pas leur refus de procéder par appels d’offres ». (7 mai 1947)

 

L’opposition libérale

Sous la direction d’Adélard Godbout, le Parti libéral forme – en dépit de la majorité des voix obtenues aux élections générales de 194411 – une forte opposition parlementaire. Que son leadership soit contesté ou non12, Godbout, en Chambre, peut compter sur le soutien absolu de son équipe. Les libéraux se rangent derrière leur chef lorsqu’il est temps de chercher un compromis constitutionnel avec Ottawa. Malgré le fait que l’alliance avec l’administration King ait nui aux libéraux provinciaux durant la campagne électorale de 1944, le caucus demeure favorable aux propositions fédérales.

Au sujet de l’autonomie provinciale, Godbout mène son parti sur le terrain du premier ministre. Il déclare avoir toujours défendu les droits du Québec : « Le Parti libéral tient fermement à protéger l’autonomie des provinces parce que c’est la garantie de notre foi, de notre langue et de nos traditions françaises. » (18 février 1947) Les rouges appuient, entre autres choses, certaines mesures décentralisatrices, telle l’abolition des appels au comité judiciaire du Conseil privé de Londres concernant les affaires canadiennes. René Chaloult, député de Québec, doute cependant des prétentions de Godbout. Il reproche au chef de l’opposition de « ne pas défendre l’autonomie de la province de Québec et de faire le jeu de ses amis d’Ottawa. Il ne comprend pas qu’il n’ait pas la fibre autonomiste. Le Parti libéral a toujours été, dit-il, plus autonomiste que le Parti conservateur ». (4 mars 1947)

 

Les dernières heures du Bloc populaire

Lors de la session de 1947, l’expérience du Bloc populaire tire à sa fin. Le parti qui, dans le contexte de la guerre, a élu quatre députés en 1944, n’en compte plus que trois13. Également représenté sur la scène fédérale par René Hamel et Maxime Raymond, le Bloc populaire ne fera plus élire aucun député dans l’un ou l’autre des Parlements après 1945.

Les assises du Bloc populaire reposent sur le nationalisme canadien-français. Les députés bloquistes partagent le « flambeau de l’autonomie » avec les élus de l’Union nationale. Ils s’opposent aux mesures centralisatrices d’Ottawa et cherchent à atteindre l’égalité entre les Canadiens de langue différente14. Récoltant peu de succès dans les circonscriptions rurales, les membres du Bloc populaire mettent l’accent sur la résolution des problèmes urbains. L’état du logement dans les grandes villes demeure l’une des principales préoccupations du parti.

André Laurendeau, le chef de l’aile québécoise du Bloc populaire et député de Montréal-Laurier, peine à faire de la politique partisane. Il n’est pas, comme le signalent Lucille Beaudry et Robert Comeau, un « homme de stratégies et de tactiques électorales calculées 15 ». Il semble également que ses discours ne soient pas dans l’ère du temps. Le programme réformiste du Bloc populaire ne cadre pas dans le Québec duplessiste des années 1940 et 1950. Paul-André Comeau fait la lumière sur les raisons de l’échec politique de Laurendeau : « Problèmes sociaux et économiques, le jeune parlementaire propose d’y remédier, entre autres solutions, par des interventions de l’État, plus généreuses, plus justes, moins discrétionnaires. C’est l’essence même d’une pensée sociale. C’est parler un langage qui n’est pas tellement à la mode, en 1947. Un langage qui trouve peu d’échos dans la classe politique d’alors16. »

Laurendeau quittera le Bloc populaire en juillet 1947 pour siéger comme indépendant. Il préférera poursuivre son militantisme en tant que rédacteur en chef du Devoir. Soulignons que ce quotidien change à la fois de propriétaire et d’orientation en 1947. Contrôlé par l’archidiocèse de Montréal, le journal devient, au dire de l’historien Conrad Black, « la source d’opposition la plus substantielle et la plus irréductible que Duplessis devait affronter, celle qui finirait par ternir sa réputation17 ».

Lorsque le Bloc populaire cesse officiellement ses activités en 1948, l’Union nationale récupérera la grande majorité du vote nationaliste de la formation bloquiste.

 

La CCF : un parti isolé

David Côté, unique représentant de la CCF siégeant à l’Assemblée législative pour la circonscription de Rouyn-Noranda, fait figure de mouton noir. Son parti, originaire de l’Ouest canadien, n’arrive pas à prendre racine au Québec. L’historien Michiel Horn explique : « Le caractère anglais du CCF semblait le qualifier d’étranger, son socialisme répugnait à la hiérarchie catholique et même les nationalistes canadiens-français radicaux trouvaient inacceptable son centralisme18. »

Les positions constitutionnelles de la CCF s’inscrivent à l’encontre de l’autonomie provinciale; la formation propose des solutions centralisatrices qui sont contraires aux aspirations de la population québécoise19. Contrairement à l’Union nationale, parti exclusivement provincial, la CCF québécoise doit s’aligner sur les autres organisations cécéfistes20. Tourné vers Ottawa, le parti souffre au Québec de son manque de régionalisme21.

En Chambre, Côté se fait le défenseur des grévistes et de la cause ouvrière. Lors d’un vote sur les subsides, il propose un amendement qui condamne l’attitude du gouvernement envers la classe ouvrière. (6 mai 1947) Il proteste en vain contre le recours à la force pour régler les conflits de travail. Son amendement est jugé irrégulier par l'Orateur et, au moment où Côté veut en appeler de la décision de ce dernier, personne n’accepte de le seconder.

Le peu de sympathie qu’éprouve l’Union nationale envers Côté s’observe par l’attitude du premier ministre qui veille à ce que le cécéfiste s’exprime le moins possible. Le représentant de Rouyn-Noranda proteste : « Chaque fois que je me lève, on m’empêche de parler. Chaque fois que j’essaie de parler en Chambre, on dirait que je suis rappelé à l’ordre, et pourtant, très souvent, je ne fais que parler des mêmes sujets dont discutaient assez librement les autres députés seulement quelques minutes auparavant. » (9 mai 1947)

L’Union nationale fait peu de cas des vitupérations de Côté. À l’occasion d’un débat sur le budget, Antonio Barrette dit à l’endroit du représentant du CCF : « Votre opinion ne compte pas beaucoup pour nous. » (5 mai 1947) Un peu plus tard au cours de la séance, il va jusqu’à le qualifier de communiste. Le politicologue Paul-André Comeau explique que l’anticommunisme des bleus « englobait curieusement le socialisme et visait le parti CCF qui tentait alors de s’implanter au Québec22 ».

Subséquemment, le 9 avril, une pétition signée par 6 000 électeurs de Rouyn-Noranda est présentée à l'Orateur. Les pétitionnaires demandent à ce que le député soit dépossédé de son siège. Le document est jugé non conforme et la requête reste lettre morte.

 

L’indépendant

Par le passé, René Chaloult a siégé avec l’Union nationale (1936), avec le Parti libéral (1940-1942), et il a compté parmi les membres influents du Bloc populaire entre 1943 et 1944. Candidat indépendant lors des élections générales de 1944, il demeure proche des bloquistes et des unionistes. Nationaliste, Chaloult soutient les politiques autonomistes du gouvernement. Dans ses mémoires, il affirme :

De 1944 à 1948, la période la plus fructueuse de Duplessis, je persistai dans mon rôle d’opposition, ce qui ne m’empêcha pas, jusqu’en 1952, de collaborer éventuellement avec le premier ministre, non dans un esprit de confiance, mais dans un effort mutuel de compréhension et de tolérance, afin de travailler ensemble à une meilleure législation. Instruits par l’expérience peut-être, nous nous accordions des concessions réciproques. Pourquoi prolonger en vain une querelle 23

 

Malgré ses appuis fréquents au premier ministre, Chaloult se tient loin de la politique partisane. Bien souvent, il temporise les débats en soulignant la qualité de l’argumentaire de chacun des chefs, ou encore en mettant en relief les torts de chaque parti. Mais c’est avec Laurendeau que Chaloult semble avoir le plus d’affinités :

Nous nous sommes toujours entendus, Laurendeau et moi. Jamais le moindre petit nuage n’est venu assombrir nos relations amicales. Je n’ai pas sous les yeux les procès-verbaux de l’Assemblée, mais je suis à peu près certain que nous avons toujours voté dans le même sens24, sans d’ailleurs nous consulter. Comme nous partagions alors des doctrines analogues dans leurs moindres nuances, c’est d’instinct que nous suivions une voie identique. […] C’est en vain qu’on a souvent cherché à nous diviser. Godbout courtisait Laurendeau, Duplessis me courtisait, si invraisemblable que cela puisse paraître25

 

Le discours du trône

L’incendie de l’hôtel Saint-Louis a relégué dans l’ombre la cérémonie de l’ouverture de la session. Devant le spectacle des nuages de fumée opaque qui obscurcissaient le firmament, juste au moment où la pompe traditionnelle se déroulait au Conseil législatif, les journalistes, accrochés aux fenêtres du parlement, pensaient au mot célèbre : "Rome brûle pendant que César festoie"26.

 

En présence des archevêques Mgr Joseph Charbonneau et Mgr Georges Courchesne, le lieutenant-gouverneur, Eugène Fiset, fait la lecture du discours du trône, le 12 février 1947. « La question de l’heure » porte sur le degré de coopération entre le gouvernement provincial et l’État fédéral. Le lieutenant-gouverneur laisse entendre que malgré l’absence de résolutions à la suite de la dernière conférence intergouvernementale, Québec désire collaborer avec Ottawa.

La suite du discours constitue un vaste canevas où sont énoncées les principales positions de l’Union nationale, positions qui encadreront les politiques gouvernementales au cours des douze prochaines années : immuabilité de la Constitution canadienne; rejet de l’État-providence fédéral; étouffement des idées subversives, des doctrines communistes; équilibre entre la ville et la campagne – l’agriculture devant toutefois rester « la pierre angulaire de la stabilité économique nationale »; développement de la colonisation; mise en valeur des régions minières; amélioration du réseau routier, dont la voirie rurale, etc.

Cette première séance est ajournée, en mémoire du cardinal Jean-Marie-Rodrigue Villeneuve, décédé le 17 janvier 1947, tout juste après que Duplessis, les chefs des trois partis ainsi que les représentants des minorités juive et protestante lui eurent rendu un dernier hommage.

Le lendemain, l’adresse en réponse au discours du trône est proposée par le nouveau député de Bagot, Daniel Johnson. Ce dernier insiste pour que les discussions entourant l’adresse ne s’éternisent pas : « Les jeunes ne veulent plus de ces longs discours qui ne veulent rien dire et qui font perdre un temps précieux à la Chambre. » Il approuve la politique autonomiste que son chef a défendue lors de la conférence fédérale-provinciale : « L’autonomie provinciale, c’est l’appellation moderne de la survivance. » Selon lui, les impôts payés par les Québécois doivent continuer d’être administrés par Québec27.

Charles Daniel French, député de Compton, seconde l’adresse et revient également sur les relations fédérales-provinciales. Il critique le gouvernement fédéral qui préfère faire des ententes individuelles plutôt que de convoquer une nouvelle conférence : « La province est menacée par la politique de centralisation illimitée et anti-démocratique que mène par tous les moyens l’administration fédérale. […] Ottawa agit délibérément de mauvaise foi, pour tromper l’opinion publique et nuire à la province en usant de ruses. […] Ce n’est pas sur les épaules de Québec que repose la responsabilité de l’impasse actuelle. »

Puis, un nouvel ajournement est demandé par Duplessis à l’occasion des décès de messieurs Chapais, Martin, Hyde, Dumaine et O’Connor. Dans ses mémoires, Hector Laferté, alors membre du Conseil législatif, indique que « ceci créait un précédent, l’habitude ayant toujours été jusque-là de ne faire qu’un seul ajournement pour tous les disparus28 ».

 

Longs débats autour des relations fédérales-provinciales

Nombreux sont les députés libéraux qui se prononcent au cours de ce débat d’ouverture. En revanche, Duplessis est désireux d’en finir le plus rapidement possible avec l’adresse, afin d’entamer son vaste programme législatif qui, avec ses 25 projets de loi inscrits au Feuilleton dès l’ouverture de la session, est considéré, selon lui, comme étant le plus volumineux jamais présenté. L’opposition n’entend toutefois pas laisser l’Union nationale dicter sa conduite.

Adélard Godbout ouvre le bal le 18 février 1947. Il critique l’inaction du premier ministre durant la conférence interprovinciale de 1946 : « Au cours des débats avec Ottawa, la voix de ma propre province n’a pas été entendue; on n’a rien entendu, sauf le cri de l’autonomie. Jamais le premier ministre n’a dit ce qui, dans les propositions fédérales, portait atteinte à l’autonomie des provinces. » Godbout croit que les propositions amenées par l’administration King sont avantageuses et que la province doit collaborer. La compensation financière offerte par Ottawa (63 millions de dollars) permettrait au Québec, dit-il, d’instaurer les mesures sociales attendues depuis longtemps. En particulier, Godbout s’oppose à la double taxation (impôts payés à Québec et à Ottawa). Pour lui, les provinces, en délaissant leurs principales sources de revenus, ne porteraient nul préjudice à leurs droits.

Le chef de l’opposition soutient, en plus, qu’il a toujours protégé l’autonomie de la province en défendant les champs de compétence sociaux et culturels : « Pendant les cinq années de mon administration, je n’ai pas permis au fédéral de s’emparer et d’empiéter sur les droits et prérogatives de la province. De 1939 à 1944, je n’ai rien cédé. […] Dans le domaine social, religieux, familial, dans les domaines de l’éducation et du travail, la province a des droits exclusifs, et on n’a pas le droit d’y toucher. » (18 février 1947)

Duplessis réplique : « Si le chef de l’opposition sortait et faisait enquête, il pourrait entendre même ses propres amis libéraux dire que nous sommes chanceux d’avoir un gouvernement, avec comme chef Duplessis, qui se tient debout devant Ottawa, au lieu d’avoir le régime qui, en l’espace de cinq ans, a fait de la Législature de Québec, forteresse de nos droits, le tombeau de nos prérogatives. » (18 février 1947) Le premier ministre se déclare en faveur d’une législation sociale québécoise, mais il faut pour cela, argue-t-il, conserver les revenus de la province.

André Laurendeau, le chef du Bloc populaire, approuve le combat mené par le premier ministre pour la défense de l’autonomie provinciale. Il craint la centralisation fédérale telle que pratiquée par l’administration King.

L’indépendant René Chaloult, à l’instar de Laurendeau, félicite Duplessis29 de l’attitude qu’il a tenue à l’égard des propositions fédérales : « Le premier ministre a fait preuve de ténacité quant aux droits de la province. » (19 février 1947) Chaloult est convaincu d’avance qu’il ne faut faire « aucun compromis avec Ottawa ». Il affirme ne pas avoir confiance envers le premier ministre King et suggère une alliance entre le Québec et l’Ontario, pour « engager une lutte constitutionnelle et forcer le fédéral à se retirer de notre champ de la taxation ».

David Côté, de la CCF, a des opinions bien tranchées : « Les propositions du gouvernement fédéral sont le plus grand développement économique jamais offert aux provinces du Canada. […] Je crois que nous devons envisager ces propositions fédérales comme une aide économique et sociale et non comme un acheminement vers la centralisation. » (19 février 1947)

Le débat se poursuit. Le député libéral de Terrebonne, Valmore Bienvenue, critique la faible représentation québécoise durant cette rencontre interprovinciale30. Il s’interroge sur les raisons pour lesquelles le Québec fut la dernière province à y déposer un mémoire. Il termine en disant que la situation n’est plus ce qu’elle était en 1867, au moment où fut rédigée la Constitution, et c’est pourquoi, à son avis, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique doit être modifié.

Encore davantage, pour Fernand Choquette, député libéral de Montmagny, l’administration Duplessis a fait preuve de partisannerie dans le dossier des relations fédérales-provinciales. Il affirme que lorsque le conservateur Richard Bedford Bennett était au pouvoir à Ottawa (1930-1935), Duplessis ne protestait pas contre l’empiétement du fédéral sur les droits des provinces. L’attitude non collaboratrice du premier ministre, affirme-t-il, est dictée du fait que ce sont les libéraux qui gouvernent présentement à Ottawa.

 

Ajournement de l’adresse en réponse au discours du trône

Le 27 février 1947, l’opposition libérale propose trois amendements à l’adresse. Les deux premiers sont jugés irréguliers par Duplessis. Suivant la volonté du premier ministre, l'Orateur les rejette après que Godbout en eut, sans succès, appelé à la Chambre de la décision de ce dernier. La droite s’esclaffe lorsque Duplessis ajourne la séance, et ce, parce qu’il n’est pas en mesure d’écarter le troisième amendement pour les mêmes motifs.

Le chef libéral s’inquiète : « J’espère que personne ne veut mettre un terme indu aux délibérations de la Chambre. Le premier ministre serait mal venu ici, devant les députés et la province tout entière, d’utiliser la force brutale de sa majorité en Chambre, d’une majorité qui ne représente pas la majorité des voix, pour imposer un bâillon aux députés de l’opposition et pour empêcher les mandataires du peuple d’exercer leurs prérogatives. »

Duplessis riposte : « Les chefs libéraux et autres ont été autorisés à discuter sur des sujets qui n’ont rien à voir avec le débat sur l’adresse. La gauche gaspille le temps de la Chambre et les deniers publics en retardant la session par des discours oiseux. » Les accusations à l’endroit du premier ministre fusent ensuite de part et d’autre. Devant le désordre, l'Orateur quitte temporairement la Chambre pour ramener l’ordre, puis, à son retour, ajourne la séance.

Le 28 février 1947, Duplessis décide, « après avoir entendu une trentaine de discours sur les mêmes sujets », d’ajourner les débats sine die31. Les protestations reprennent de plus belle. L'Orateur quitte de nouveau son fauteuil pour faire cesser le « tapage ». Le débat sur l’adresse est alors ajourné à une date indéterminée.

 

Enquête royale sur le jeu et le vice

Le débat sur l’adresse reprend le 5 mars 1947. Les discussions portent exclusivement sur le troisième amendement libéral proposé six jours auparavant. Le député de Montréal-Outremont, Henri Groulx, avait pour lors réclamé la tenue d’une enquête sur la propagation du vice et du jeu ainsi que sur l’émission de permis de vente d’alcool. Cet amendement comporte une accusation formulée à l’endroit de l’Union nationale. On impute aux bleus de s’être enrichis en exigeant des détenteurs de permis de vente de boissons alcooliques des souscriptions de 500 $ à la caisse électorale du parti.

Le député unioniste de Laviolette, Charles Romulus Ducharme, propose un sous-amendement qui recommande à la fois la mise en application des meilleurs moyens de combattre le vice et le jeu, l’annulation de l’amendement Groulx et l’adoption de l’adresse.

Godbout entame son plaidoyer en faveur d’une enquête en admettant d’emblée que l’Union nationale n’est pas l’unique responsable de l’accroissement du vice dans les villes, la guerre ayant également apporté son lot de misère. Il affirme cependant être en possession de documents qui incriminent le parti au pouvoir d’avoir improprement facturé 500 $ aux hôteliers et autres tenanciers de débits de boissons.

Face à ces accusations, Duplessis y va d’une remarque particulière : « C’est meilleur marché que du temps des rouges! » Il nie malgré tout être au courant de tels agissements et demande à l’opposition de lui fournir des preuves concrètes.

Chaloult entre dans le débat : « Il est rigoureusement vrai que l’on vend des licences au profit de la caisse électorale, et cela existait aussi au temps des libéraux. Cela se pratique sous tous les partis au pouvoir. Seulement, le Parti libéral était plus prudent. Il s’arrangeait pour ne pas se faire prendre. » (5 mars 1947)

Une semaine plus tard, le 12 mars, les discussions se poursuivent autour de la sauvegarde de la moralité publique. Le premier ministre continue de réclamer qu’on porte des accusations précises contre son parti, ce à quoi le député de Montmagny répond : « Je la porte immédiatement, l’accusation! J’accuse le gouvernement de prélever de l’argent de tous les taverniers de Québec pour leur accorder leurs permis. Tous les détenteurs de taverne de la ville de Québec doivent payer quelque chose à la caisse électorale de l’Union nationale. » Duplessis, pour faire taire son adversaire, défie le député de mettre son siège en jeu sur la question32. Relevant la provocation, Choquette rétorque : « Sans hésitation. » La bravade demeure sans conséquence. La séance s’achève avec l’adoption du sous-amendement et de l’adresse.

 

Les finances publiques

La foule est venue nombreuse pour entendre, le 25 mars 1947, le discours sur le budget du trésorier Onésime Gagnon. D’une durée de deux heures et demie, cette longue allocution fait état, dans un premier temps, des progrès réalisés dans le domaine de l’éducation depuis les cent ans de la loi sur l’instruction élémentaire au Bas-Canada (1846). Gagnon fait part des réalisations de son gouvernement dans ce domaine ainsi que des sommes importantes qui y ont été consenties. Au dire du député de Matane, l’année 1947 est celle de l’éducation.

Pour l’année fiscale en cours, les revenus sont évalués à 139 113 000 $, tandis que les dépenses représentent 112 861 000 $, ce qui laisse un surplus d’un peu plus de 26 millions de dollars. De cet excédent, 25 millions sont consacrés au compte capital de la province.

Les principales sources de revenus proviennent de la taxe sur la gazoline (11,6 %), de la taxe sur les corporations (11,3 %) et des profits réalisés par la Commission des liqueurs de Québec (15,5 %). Le ministère de la Voirie reçoit la plus grosse part des subsides (28,3 %), devant le Bien-être social et la Jeunesse (16,2 %) et l’Instruction publique (12,6 %). La dette est, quant à elle, réduite à 291 312 000 $; le trésorier rappelle que, per capita, la province se classe première au Canada à ce chapitre.

L’année financière de 1947-1948 s’annonce aussi sous le signe de la prospérité. Après des investissements portés au capital, l’excédent budgétaire est estimé à 9 590 364 $. Le trésorier annonce une augmentation des dépenses pour la santé et pour l’éducation. La grande particularité de ces prévisions est le remboursement, par le gouvernement fédéral, d’un peu plus de 20 millions de dollars en arrérages de taxes cédées à Ottawa en 194233. Lors de cette entente, le gouvernement du Québec aurait, de l’avis de Gagnon, réalisé un « marché de dupes » en cédant plus de deux milliards de dollars en retour d’une compensation de seulement 100 millions de dollars.

La réplique au discours du budget vient, le 8 avril 1947, de la part du député de Montréal-Notre-Dame-de-Grâce, James Arthur Mathewson. Il attribue les surplus budgétaires à la hausse des profits réalisés par la vente des boissons alcooliques. Il propose au gouvernement d’employer l’argent accumulé pour abolir la taxe de vente.

Antonio Barrette, le ministre du Travail, comprend mal qu’on accuse le gouvernement d’avoir un excédent budgétaire jugé trop élevé, d’autant qu’aucune nouvelle taxe n’a été imposée aux contribuables. Il explique la position de l’Union nationale : « Nous administrons avec un surplus de façon à ce que, s’il survient des imprévus, nous sachions y faire face. » Suit le discours de Laurendeau qui réaffirme la primauté des provinces dans le domaine de la taxation directe. Puis les débats sont suspendus pour une période indéterminée, ce qui, pour Léon Casgrain, député libéral de Rivière-du-Loup, constitue une première depuis la Confédération.

Les discussions reprennent le 28 avril 1947 pour se terminer le 6 mai 1947 avec l’adoption du budget.

 

Les faits marquants

Quatre partis politiques et un indépendant s’expriment sur les dossiers de l’heure, ce qui laisse place à une grande diversité d’opinions. Les nombreux projets de loi sont passés au crible par l’opposition et plusieurs discours dignes d’intérêt ont été prononcés. Le programme législatif de la session de 1947 est assez substantiel. Au total, 167 bills sont présentés à l’Assemblée législative. De ce nombre, 163 sont sanctionnés.

 

Les 25 bills

Voyant le débat sur l’adresse s’éterniser, le premier ministre procède à un ajournement afin d’amorcer la discussion concernant 25 projets de loi présentés au début de la session. Il avait alors fièrement déclaré : « Pour la première fois dans les annales de la Législature de Québec, le gouvernement a inscrit 25 projets de loi sur le Feuilleton dès l’ouverture de la session; il y a, en outre, à l’ordre du jour, 30 projets de loi privés de députés prêts à être étudiés qui ont été distribués aujourd’hui. Cela ne s’est jamais vu. » (19 février 1947)

Parmi les législations qui suscitent le plus de commentaires, il y a les bills 8 et 9 relatifs aux commissions scolaires catholiques de Montréal et de Québec. Il est question de changer le nombre de commissaires pour le faire passer de neuf à sept membres. Quatre membres (au lieu de trois) seront nommés par le gouvernement et trois autres, par l’archevêque de chacune de ces villes. Sont retranchées les trois personnes désignées par le comité exécutif municipal.

Fortement décriés, ces deux bills représentent, pour l’opposition, une mesure de centralisation administrative qui risque de conduire aux pires abus. Choquette déclare : « Le bill consacre un principe extrêmement mauvais : celui de l’intrusion de la politique dans l’éducation au moyen d’une majorité de membres nommés par le gouvernement. » (4 mars 1947) On s’inquiète du fait que les pères de famille ne soient pas représentés à ce conseil. On craint également que le gouvernement fasse de la partisannerie politique en choisissant les nouveaux commissaires.

Les ministériels se justifient du fait qu’en ayant remboursé les dettes des commissions scolaires, l’État s’est mérité le privilège d’avoir un plus grand droit de regard, afin d’éviter que s’accumulent les déficits au sein de cette institution. Les deux projets de loi sont adoptés en troisième lecture, le 14 mars 1947.

Plusieurs de ces 25 bills à l’étude ont pour objet d’encourager le monde agricole (bill 3 : hausse de crédit pour le drainage des terres; bill 4 : aide à l’établissement d’aqueducs; bill 25 : prêt à l’Office du crédit agricole; bill 2 : octrois favorisant l’établissement de médecins dans les campagnes). L’opposition est généralement en accord avec cette législation. Elle considère toutefois que son impact auprès des cultivateurs sera négligeable.

Les mêmes critiques sont soulevées contre le bill 21 qui propose de faire un inventaire général des ressources forestières de la province et qui, selon Godbout, « ne change rien et n’ajoute rien aux pouvoirs du ministre des Terres et Forêts ». (6 mars 1947) Cette loi est sanctionnée par le lieutenant-gouverneur le 20 mars 1947.

Libéraux, bloquistes et cécéfiste votent rapidement la plupart des bills présentés par le gouvernement. Casgrain en donne la raison : « Le premier ministre s’est ingénié à mettre au Feuilleton des lois sans importance, des lois non urgentes, uniquement pour se vanter d’avoir présenté plusieurs lois dès le début de la session. Ce n’est pas nécessaire de tant se vanter, car il y a 10 lois de ce genre sur le Feuilleton. À part une ou deux lois, les 35 dont le premier ministre fait grand état, à chaque séance, ne sont que des lois de camouflage. Nous aurions pu tout voter cela dans une demi-heure. » (4 mars 1947)

Une autre mesure a une plus grande portée. Il est question de faire de l’Ungava un territoire électoral à part entière. Le bill 22 vient donc annexer l’Ungava au reste du Québec au niveau de la représentation démographique et électorale, ce qui n’était pas le cas depuis l’intégration de ce territoire au Québec en 1912. Duplessis explique :

Ce projet de loi […] sera le complément logique de la loi fédérale sur le remaniement des comtés, votée le printemps dernier. Il s’agira d’intégrer dans la population électorale de la province de Québec, en vue de la représentation à la Chambre des communes, tous les habitants de l’extrême nord québécois. (13 février 1947)

Le projet de loi est sanctionné le 20 mars 1947.

 

Loi sur les relations fédérales-provinciales

Le 21 février 1947, Duplessis présente le bill 30 en première lecture, afin de donner au gouvernement le droit de faire des ententes avec le gouvernement fédéral, en matière constitutionnelle. Cette loi a pour but, dit-il, de mettre « un frein aux manœuvres centralisatrices de la bureaucratie fédérale ». Elle vise à obtenir l’assentiment de la Chambre afin que le premier ministre puisse parler en son nom devant les autorités fédérales, dans l’optique de préserver les droits de la province, plus particulièrement celui relatif à la taxation directe.

Chaloult (Québec) approuve les paroles du chef unioniste : « Le premier ministre a prononcé à la séance du matin le meilleur discours de sa carrière, et il a fait des efforts louables pour maintenir la question au-dessus de la politique. » (29 avril 1947) Le député de Québec, par contre, ne souhaite pas que Québec fasse une entente avec Ottawa, car il redoute que la province perde ainsi ses prérogatives.

Les libéraux refusent d’appuyer la mesure puisque celle-ci constitue, selon eux, un chèque en blanc remis à Duplessis. Le député de Montréal-Verdun, Lionel-Alfred Ross, déclare : « Par cette mesure, le premier ministre veut s’arroger des attributs qui, constitutionnellement, appartiennent à la Législature. Par ce bill, le chef du gouvernement veut renverser l’ordre établi et ravir au Parlement son droit d’approuver, modifier ou désapprouver les actes posés par le gouvernement. Le gouvernement veut tout centraliser entre ses mains. » (30 avril 1947)

En troisième lecture, Duplessis propose d’amender la loi : en cas d’entente avec le fédéral, cet accord sera soumis à la Législature avant d’être entériné. Godbout se rallie à cet amendement, ce dont le premier ministre se réjouit. Le bill est adopté le 1er mai 1947.

 

Souveraineté judiciaire

Le 12 mars 1947, Jacques Dumoulin, député libéral de Montmorency, présente une motion afin que le Canada obtienne son entière souveraineté judiciaire. Cette proposition a pour objet de mettre un terme au droit d’appel au Conseil privé de Londres en matière civile et constitutionnelle34. Ce tribunal, croit-il, ne sert pas les intérêts de la province comme l’illustre le jugement qui légua le Labrador à Terre-Neuve en 1927. Il ajoute : « Pour le Canada, les meilleurs juges sont des Canadiens. »

Chaloult croit que le Conseil a jadis défendu la cause des minorités au Canada, mais que ce n’est plus le cas actuellement. L’Angleterre favorise désormais la centralisation, les milliards de dollars offerts par Ottawa à l’Empire durant la guerre donnant, selon lui, l’avantage au fédéral. Chaloult craint que les intérêts religieux et nationaux du Québec soient menacés par les juges du Conseil privé pour lesquels l’Église et l’État sont deux pouvoirs complètement séparés. Il s’inquiète, d’autant plus que le gouvernement britannique n’est pas catholique.

Le débat reprend le 16 avril 1947, alors que le député bloquiste de Beauharnois, Albert Lemieux, rappelle à la Chambre qu’il a déjà proposé l’abolition des appels à ce tribunal lors de la session de 1945. Son avis n’a pas changé depuis et il s’engage à présenter un projet de loi qui réclame l’autonomie judiciaire non pas du pays, mais de la province.

Parlant au nom des ministériels, Germain Caron, député de Maskinongé, soumet un amendement en faveur de l’établissement d’un tribunal d’appel essentiellement canadien, constitué par des représentants des provinces. Duplessis explique que cet amendement dénonce le fait que la nomination des juges se fasse par le premier ministre fédéral. Il affirme que les provinces devraient décider seules de la composition de ce tribunal d’appel.

L’opposition libérale voit, dans cet amendement, un subterfuge de la part du gouvernement pour éviter qu’il n’ait à se prononcer sur l’abolition des appels au Conseil privé. Pour Laurendeau, il n’y a aucune contradiction entre la motion à l’étude et les modifications proposées par Caron.

Le 22 avril 1947, Duplessis surprend la gauche en annonçant que son gouvernement a un projet de loi inscrit au Feuilleton qui décrète l’abolition des appels au Conseil privé en matière civile et pénale. Casgrain est satisfait de la décision du premier ministre. Il se demande toutefois si ce retournement de situation ne vise pas plutôt à enlever aux députés Lemieux et Dumoulin le crédit d’avoir, les premiers, suggéré cette législation.

Le lendemain, le chef de l’Union nationale déclare : « Il ne peut y avoir deux lois sur le même sujet et la Chambre aura à considérer la plus complète des deux. Je verrai le député de Beauharnois (M. Lemieux) pour m’entendre avec lui. Nous ne voulons pas lui enlever sa part de gloriole. » Par conséquent, la motion Dumoulin devient le bill 75 modifiant le Code de procédure civile et la loi des renvois à la Cour du banc du roi. C’est à l’unanimité que les membres de l’Assemblée législative adoptent, le 24 avril 1947, la deuxième lecture du bill. Le bill est sanctionné le 10 mai 1947.

 

Les lois d’imposition

Bien que l’Union nationale n’impose pas de nouvelles taxes aux citoyens, des changements sont apportés aux lois existantes afin d’accroître les revenus de la province.

D’abord, afin d’assurer le progrès de l’éducation, le bill 41 exige que les compagnies raffinant le pétrole et celles exploitant un réseau téléphonique versent une taxe de un tiers de un pour cent sur leur capital. Le fonds de l’éducation, déjà alimenté par les compagnies de bois et d’électricité, bénéficie donc de ces nouveaux « investisseurs ». La loi implique aussi le rachat de la dette des commissions scolaires, ce qui ne plaît pas à l’opposition qui appréhende la mise en tutelle de ces institutions. Le bill est entériné par le lieutenant-gouverneur le 18 mars 1947.

L’administration Duplessis trouve un nouveau moyen de remplir les caisses de l’État en récupérant la taxe fédérale sur la gazoline qui était de trois cents le gallon35. Avec le bill 45, la taxe provinciale passe ainsi de huit à onze cents. Pour le premier ministre, il s’agit là d’une affirmation de droits. L’argent amassé sera consacré au développement de la voirie.

Les libéraux protestent contre cette taxe qu’ils jugent non nécessaire. André Laurendeau, de son côté, trouve cette imposition parfaitement justifiable, car les besoins routiers du Québec sont importants. Chaloult renchérit : « Il me paraît normal que le gouvernement provincial récupère pour lui-même les champs de taxation dont il a forcé Ottawa à se retirer par son attitude énergique. » (20 mars 1947) Le 28 mars 1947, le projet de loi reçoit la sanction royale.

Une dernière mesure fiscale mise en place par le gouvernement a pour objet non seulement de se réapproprier la taxe sur les corporations, mais de la porter à 7 %, plutôt qu’à 5 %, comme c’était le cas avant qu’elle soit cédée au fédéral en 1942. Le bill 44 ajoute également une cotisation de un dixième de un pour cent sur le capital des compagnies, de même qu’un prélèvement additionnel de 50 $ pour chaque place d’affaires.

Le député libéral de Rivière-du-Loup, Léon Casgrain, ne voit pas pourquoi le Québec devrait imiter l’Ontario en haussant la taxe sur les corporations de 2 %. Il critique ce projet de loi qui enlève à la province l’occasion d’avoir un avantage concurrentiel par rapport à l’Ontario. Ce bill est adopté en troisième lecture, le 17 avril 1947.

 

Les lois morales

En 1947, l’Union nationale propose une série de lois sociales dans l’intention d’encadrer la moralité publique. Ces mesures témoignent de la responsabilité grandissante d’un État pleinement dévolu à assumer son rôle de gardien des vertus civiques et des valeurs chrétiennes.

Le 7 mars 1947, Bona Dussault, député unioniste de Portneuf, présente le bill 38 modifiant le Code municipal. Plusieurs restrictions sont ajoutées aux règlements en vigueur. Il est notamment question de prohiber le port d’un maillot de bain et autres vêtements « indécents » dans les chemins et places publiques.

Un second article prévoit l’interdiction de la distribution de circulaires, annonces ou prospectus dans les lieux publics, de même que sur les propriétés privées, sans avoir obtenu au préalable un permis de la municipalité. Le gouvernement affirme que cette mesure vise la distribution des ouvrages des Témoins de Jéhovah, dont la propagande est considérée comme néfaste. Duplessis s’exprime à ce titre :

Il y a actuellement dans la province des gens qui se pensent les missionnaires de Jéhovah, qui empestent les villes d’une littérature malsaine et séditieuse, qui violent les foyers, importunent tout le monde, font perdre le temps des ménagères et paralysent même la force policière et les tribunaux. […] Les Témoins de Jéhovah sont un danger pour l’ordre public et constituent une provocation continuelle. Il faut faire respecter les domiciles et l’autorité établie. Les tactiques de ces gens sont une insulte continuelle aux croyances que nous chérissons avec raison. La population va finir par perdre patience. Les gens n’endureront pas ça tout le temps et il faut donner aux conseils municipaux le pouvoir de se défendre. Il faut, de toute nécessité, que les corporations municipales aient le pouvoir de mettre fin à ces abus. Mais le but à atteindre est tellement sérieux, les dangers à réprimer sont si considérables, qu’il faut faire quelque chose. (18 mars 1947)

 

Godbout trouve que cet article mériterait d’être précisé : « Les termes du projet de loi sont trop larges. Il ne faut pas restreindre la liberté religieuse au point de supprimer la liberté du bien avec la liberté du mal. Encourageons plutôt les gens à rester dans les limites de l’ordre. N’allons pas trop loin. Puisque c’est la littérature subversive et antireligieuse dont on veut empêcher la distribution, pourquoi ne pas le dire? » (18 mars 1947) Après avoir subi un léger amendement de la part du Conseil législatif, la loi est adoptée le 28 mars 1947.

Le cinéma est également dans la mire du gouvernement. Tout d’abord, le bill 46 apporte des changements à la loi des vues animées de façon à ce que les représentations en plein air soient interdites, sauf pour des motifs éducatifs ou patriotiques. Le premier ministre explique : « Les autorités religieuses ont de plus affirmé que de telles représentations fournissent des occasions de péché parmi les jeunes. » (13 mars 1947)

En ce qui a trait au contrôle des projections cinématographiques, tel qu’exercé par le Bureau de censure du cinéma de la province de Québec36, Chaloult, député de Québec, présente une motion de protestation. Il dénonce l’attitude de l’ambassadeur de France, Jean de Hauteclocque, qui est outré par l’annulation de la diffusion du film Les Enfants du Paradis, devant un public de l’Université de Montréal, et qui critique la décision du gouvernement. Le député de Québec est offensé : « Je n’entends pas discuter, pour l’instant, dit-il, de la valeur morale des Enfants du Paradis, ce n’est pas la question, mais je demande de quel droit le représentant du gouvernement étranger se permet de juger notre Bureau de censure et d’ameuter contre lui l’opinion publique de chez nous et des autres personnes. » (9 avril 1947)

Chaloult joint à cette motion une charge contre les collèges Stanislas et Marie-de-France dont les programmes scolaires, d’inspiration française, propagent selon lui un enseignement « laïque, sectaire, nettement tendancieux, souvent athée et complètement contrôlé par l’État ». (9 avril 1947) Les députés libéraux de Compton et de Laval, Joseph-Achille Francoeur et François-Joseph Leduc, dont les enfants étudient respectivement dans l’une et l’autre de ces institutions, trouvent les propos de Chaloult inappropriés, ayant eux-mêmes constaté la qualité du programme d’enseignement ainsi que le caractère religieux de ces établissements. Le député de Québec, n’ayant rien à ajouter, retire sa motion.

 

Motion proposant l’adoption d’un drapeau

René Chaloult présente, le 19 mars 1947, une motion hautement significative pour les parlementaires et pour la population québécoise : l’adoption d’un drapeau national. Le représentant de Québec rappelle à la Chambre que la province utilise toujours l’Union Jack comme emblème et que ce drapeau étranger implique une forme de servage et de colonialisme. Il déclare : « Nous avons le droit de réclamer pour la province de Québec un drapeau nettement distinctif, parce que le drapeau signifie l’unité, la fraternité des peuples; il représente les aspirations et les traditions d’une nation; il est l’image de la patrie. » (19 mars 1947) Il suggère, appuyé par Laurendeau, la formation d’un comité chargé d’étudier la question.

François-Joseph Leduc, député de Laval, est d’accord avec le député indépendant. Il veut toutefois que le drapeau soit canadien et qu’il soit hissé à la grandeur du pays. Son collègue libéral James Arthur Mathewson, quant à lui, voit plutôt dans l’Union Jack un symbole de liberté, dans lequel sont enveloppés des milliers de Canadiens morts au combat.

Albert Lemieux, s’exprimant au nom du Bloc populaire, appuie la proposition de Chaloult. Il se veut rassurant : « Nous ne réclamons pas un drapeau strictement et exclusivement canadien-français, mais un drapeau essentiellement québécois. […] Et cela n’implique aucunement que nous voulions nous séparer de la Confédération. » (19 mars 1947)

Le premier ministre se montre ouvert et promet d’étudier le dossier. En amendement à la motion de Chaloult, Hercule Riendeau, député unioniste de Napierville-Laprairie, propose qu’un comité de 12 députés soit chargé d’approfondir la question au cours de la présente session.

Durant les travaux du comité du drapeau, Chaloult suggère l’adoption du fleurdelisé qui, à son avis, symbolise les aspirations de la population québécoise depuis 40 ans. Onésime Gagnon, présidant le comité, déclare cette proposition irrégulière. Par un vote de 7 contre 3, il est résolu que la motion n’est pas susceptible d’être exécutée immédiatement. En conclusion, le comité formule l’idée que les autorités canadiennes choisissent d’abord un drapeau pour le pays avant que la province délibère sur le choix du sien.

Le 24 avril 1947, le deuxième rapport de ce comité est déposé sur la table du greffier de l’Assemblée législative. Chaloult prend la parole. Il s’inquiète des conclusions tirées par le comité : « Sommes-nous un peuple serf? Nous devrions choisir notre drapeau immédiatement. Une remise me paraît être une fatalité. » Duplessis a toutefois le dernier mot :

Nous sommes en 1947, et c’est la première fois qu’à la Législature de Québec on se prononce officiellement pour le choix d’un drapeau canadien et québécois. […] J’affirme que nous avons droit aux deux. Nous devrions avoir un drapeau essentiellement canadien-français et, aussi, un drapeau distinctif pour le Québec. Nous voulons pour le Canada un drapeau essentiellement et exclusivement canadien, et nous voulons pour la province un drapeau ne comportant aucun signe de séparatisme, mais symbolisant nos droits et nos aspirations. […] Personne ne nous empêche d’arborer le fleurdelisé, mais quand il s’agit de choisir officiellement un drapeau, il faut prendre des précautions et ne pas procéder avec précipitation. (24 avril 1947)

 

C’est au début de la session de 1948 que Duplessis, contre toute attente, adoptera le fleurdelisé par décret ministériel. Le premier ministre ne manquera pas, à ce moment, de consulter le député de Québec, Chaloult, dans le choix du drapeau37.

 

Autres motions spéciales

L’opposition soumet à l’attention de la Chambre des motions qui dénoncent des situations qu’elle juge déplorables. Parmi celles-ci, il y a la demande du chef du Bloc populaire réclamant, le 9 avril 1947, l’interdiction du Parti ouvrier-progressiste. Selon lui, cette formation politique n’est nulle autre que le Parti communiste qui poursuit ses activités subversives : « Il faut en venir à la conclusion que les dirigeants communistes sont des agents d’un pays étranger, sont aussi des agents de désordre et d’insécurité, qui peuvent amener des problèmes, et que même ces hommes travaillent contre le Canada. » (24 avril 1947) Godbout appuie la proposition de Laurendeau, bien qu’il craigne que le parti ne renaisse sous un autre nom. La motion est adoptée le 24 avril 1947.

Le 7 mars 1947, l’unique représentant de la CCF, David Côté, suggère des modifications à la loi des accidents du travail. La législation existante accorde des indemnités pour les mineurs souffrant de certaines maladies liées à leur travail. Les personnes affectées par l’amiantose ou la silicose, souvent considérées comme des victimes de la tuberculose, n’ont droit à aucune compensation. Par sa motion, le député de Rouyn-Noranda espère que « tout ouvrier ayant été à l’emploi d’une exploitation minière pour une période totale d’au moins cinq années, et souffrant d’une infection pulmonaire tuberculeuse après cette période, ait droit à tous les bénéfices et privilèges de ladite loi ». Par voie d’amendement, l’Union nationale s’engage alors à ce que les ouvriers atteints de ces maladies pulmonaires « puissent profiter de tous les bénéfices et privilèges de la loi des accidents du travail ». (23 avril 1947) La motion amendée est adoptée le 23 avril 1947.

Chaloult, appuyé par Laurendeau, propose une nouvelle motion, le 25 avril 1947. Constatant avec regret que la représentation canadienne-française au sein de la fonction publique fédérale va en décroissant, le député de Québec demande que l’Assemblée législative proteste contre cette injustice auprès du gouvernement d’Ottawa. Pour étayer son propos, Chaloult s’appuie sur diverses statistiques qui démontrent la sous-représentation canadienne-française aussi bien dans les hauts échelons que dans les affectations de moindre envergure du fonctionnariat fédéral. Son constat personnel est le suivant : « C’est qu’à Ottawa, on n’accepte pas le fait français. On n’accepte pas la Constitution canadienne. On n’accepte pas le pacte de 1867. Théoriquement, oui, mais, en fait, non. On n’accepte pas à Ottawa qu’il y ait au Canada deux races ayant les mêmes droits. » (25 avril 1947)

Alors que Duplessis est favorable à la motion, l’opposition libérale veut rectifier certains faits. MM. Leduc et Godbout s’entendent pour dire qu’une des raisons de ce déséquilibre est que la fonction publique fédérale désintéresse bon nombre de Canadiens français. Le chef de la gauche défend le premier ministre King qui, selon lui, a toujours été à l’écoute des Canadiens de langue française. Après que ces précisions eurent été apportées, la motion est adoptée à l’unanimité.

 

L’industrie forestière

Un débat d’envergure se met en branle autour du bill 24, dont le principe vise à protéger à la fois les ressources et l’industrie forestières. Afin d’empêcher l’exportation abusive de bois non ouvré vers les autres provinces canadiennes et vers les États-Unis, Duplessis propose, le 25 mars 1947, de contrôler cette industrie en rendant obligatoire le travail du bois.

Les libéraux soupçonnent un marchandage abusif entre le gouvernement et les compagnies forestières qui auront la possibilité d’obtenir un permis d’exportation. C’est la caisse électorale de l’Union nationale qui, disent-ils, en profiterait. Ils dénoncent également que l’État québécois puisse, par cette législation, dresser une barrière tarifaire à l’endroit des autres provinces.

Tout comme les libéraux, les bloquistes et Chaloult s’accordent également sur l’aspect arbitraire des exemptions accordées à certaines compagnies. Cela risque d’entraîner, croient-ils, des cas de patronage.

Le premier ministre explique de nouveau le but de sa loi :

Nos ouvriers ont droit [à ce] que les ressources naturelles de la province soient exploitées à leur bénéfice. Elles n’ont pas été données aux marchands de bois ou aux industriels, mais au peuple du Québec. C’est pour cela qu’on exigera à l’avenir que tout le bois qui sortira de nos forêts soit ouvré chez nous, pour le bénéfice de tous. Pour que le peuple du Québec en retire les bénéfices légitimes qu’il est en droit d’en attendre, il ne nous reste qu’un moyen: il faut contrôler le produit manufacturier. (27 mars 1947)

 

Le bill est adopté en troisième lecture, le 28 mars 1947, après qu’un amendement ministériel eut suggéré que les mesures d’exemption soient publiées dans la Gazette officielle de Québec dans les dix jours après avoir été sanctionnées par le lieutenant-gouverneur.

 

La Montreal Light, Heat & Power Consolidated

Le bill 79 concernant le rachat des actions de la Montreal Light, Heat & Power Consolidated donne lieu à des discussions animées. Depuis la nationalisation de cette compagnie, qui entraîna la création d’Hydro-Québec en 1944, plusieurs titres (17 % à 18 %) sont restés dans les mains des actionnaires. La loi propose donc de débourser une somme de 25 $ par action pour un coût total d’environ 112 millions de dollars.

L’opposition libérale reproche au gouvernement d’avoir trop attendu avant d’annoncer ce rachat. Godbout profite du débat pour inciter l’administration Duplessis à revenir sur la politique financière d’Hydro-Québec dont les profits servaient initialement à diminuer les coûts en électricité des consommateurs et non à offrir à l’État une source de revenus supplémentaire.

Avant de voter en faveur de la loi, la gauche veut être en possession des renseignements expliquant sur quelles bases le montant de 25 $ a été établi. Formulée dans un amendement, cette requête est rejetée par l’Union nationale et le bill est adopté le 1er mai 1947.

 

M. Duplessis contre M. Choquette

À de nombreuses reprises, la session est animée par une confrontation qui sème le désordre en Chambre. Maurice Duplessis et Fernand Choquette, les deux antagonistes, s’accusent mutuellement de tous les vices. Invectives, tapage et hurlements traduisent le manquement au décorum qui règne durant plusieurs séances.

Les hostilités débutent le 21 mars 1947, alors que Choquette qualifie l’administration Duplessis de trafiquants de permis de la Commission des liqueurs. Le premier ministre demande au député de Montmagny de prouver ses dires en identifiant un coupable parmi les députés ministériels. Choquette s’y refuse. Il refuse aussi de satisfaire à la demande de l'Orateur qui l’invite à se rétracter. Les discussions dégénèrent et l'Orateur (Alexandre Taché) se voit dans l’obligation de nommer le député provocateur38.

Duplessis ajoute à la disgrâce du député libéral en proposant son expulsion par le biais d’une motion. Godbout prend la défense de son collègue et, en invoquant un vice de procédure, déclare la motion d’expulsion injuste et hors normes. Dans le feu de l’action, Duplessis demande à l'Orateur de nommer le chef de l’opposition. Godbout, refusant de se conformer aux exigences de l'Orateur, se fait lui aussi appeler par son nom. The Quebec Chronicle-Telegraph écrit qu’Adélard Godbout devient ainsi le premier chef de l’opposition à être nommé dans l’histoire de la Législature québécoise39. Duplessis présente une nouvelle motion d’expulsion, cette fois-ci à l’endroit de Godbout. Il abandonne toutefois cette démarche « par magnanimité ».

Lorsque, le 27 mars 1947, Choquette reprend une première fois la parole après avoir été nommé, Duplessis relance la charge contre ce dernier. Seul l’ajournement de la séance permet de rétablir l’ordre. Plus tard, le 15 avril 1947, le premier ministre quitte son siège à la suite d’accusations proférées par Choquette à son endroit et, le lendemain encore, le député de Montmagny est de nouveau rappelé à l’ordre. Une fois de plus, le 1er mai 1947, l'Orateur menace d’expulser Choquette quand, soudain, les lumières s’éteignent, faisant par la même occasion abaisser le niveau d’agitation des députés.

L’ultime prise de bec entre les deux hommes a lieu le 8 mai 1947. Choquette réagit lorsque Duplessis attaque la réputation de son père. Choqué, il porte des accusations de corruption contre le gouvernement et met son siège en jeu. Des épithètes peu flatteuses sont lancées de part et d’autre de la Chambre. Puisque le député de Montmagny refuse de retirer ses paroles jugées non parlementaires, il est nommé pour la seconde fois au cours de la session. Duplessis propose ensuite une motion d’expulsion de huit jours. Léon Casgrain est consterné :

J’ai été témoin de bien des scènes dans cette Chambre depuis que je siège ici, mais c’est, ce soir, la plus pénible, la plus triste à laquelle il m’ait été donné d’assister. Le ministre [Paul Sauvé] a tort de demander que l’on prenne le vote immédiatement. Il s’agit d’une motion de censure excessivement sévère, beaucoup plus que ne le méritait le député de Montmagny (M. Choquette). Ses paroles étaient inspirées par l’indignation que doit avoir tout homme qui aime et respecte son père et que tout homme de cœur aurait ressentie. Il y a des gens de l’autre côté de la Chambre qui ont perdu la tête.

 

Par un vote de 46 contre 22, Choquette est chassé pour huit jours.

Hector Laferté commente également l’événement dans ses mémoires : « [Choquette] dut sortir de la Chambre et Duplessis fit motion pour l’expulser pendant une certaine période, ce qui ne s’était jamais vu à l’Assemblée législative. Taché a commencé à donner raison à Choquette mais, sous la pression du premier ministre, il l’a nommé. […] Cette affaire fit sensation dans toute la province, les réactions furent nombreuses et Duplessis fut considéré comme loin d’avoir le beau rôle40. »

L’Événement-Journal affirme que « ce nouveau drame parlementaire, survenant à la veille de la prorogation, a soulevé une effervescence inconnue jusqu’ici, au palais législatif, et pourrait bien retarder la session de quelques jours41 ». Contrairement aux prédictions du quotidien de Québec, la fin de la session est annoncée le surlendemain, réduisant ainsi l’exil forcé de Choquette à deux journées seulement.

 

Faits divers, faits cocasses

La session de 1947 commémore le 20e anniversaire de vie parlementaire de Maurice Duplessis et de Léon Casgrain. C’est l’occasion pour les députés d’échanger de belles paroles entre collègues et adversaires. Après un hommage de Godbout à son endroit, Duplessis réitère les liens d’amitié qui les unissent. (16 avril 1947) Plus surprenant encore, lors de l'étude de la loi des accidents du travail, le 7 mars 1947, le premier ministre témoigne d’une grande considération envers l’ancien premier ministre du Québec, Louis-Alexandre Taschereau, dont la Chambre souligne le 80e anniversaire de naissance : « Et, en faisant son éloge aujourd’hui, je n’hésite pas à lui donner le plein crédit pour avoir été le plus ardent défenseur de l’autonomie provinciale que le Québec n’ait jamais eu. »

Fernand Choquette, dans ses attaques souvent partisanes, recourt parfois à des exagérations qui amusent les membres de l’Assemblée législative : « Je ne dis pas que l’Union nationale a inventé la prostitution; la prostitution existe depuis des lustres. Mais nous disons que si elle n’avait pas été inventée, c’est l’Union nationale qui l’aurait inventée. » (12 mars 1947)

Quelques semaines plus tard, au cours de la session, René Chaloult, dont les idées sont souvent avant-gardistes, fait part à la Chambre d’un projet un peu trop futuriste :

Il fait très froid aujourd’hui. De fait, à Québec, on est en hiver. On dira que je verse dans l’utopie, mais je me demande si nous ne devrions pas chercher un moyen d’adoucir notre climat. Il serait peut-être souhaitable de réchauffer notre climat. J’ai assisté à une conférence du commandant Lucien Beaugé, de l’École des pêcheries de Sainte-Anne de la Pocatière, un savant français de grande réputation, et je me suis intéressé à une théorie exposée par le conférencier. D’après ce dernier, il serait possible de prolonger l’été canadien de deux mois, soit un mois au commencement, au printemps, et un mois à la fin, à l’automne, en fermant le détroit de Belle-Isle. À cause de la rotation de la terre, les glaces qui descendent des régions arctiques ont tendance à y entrer et nous avons des eaux glacées dans le golfe douze mois par année. Des savants américains et ontariens partagent l’avis de M. Beaugé. Il s’agit d’un projet dont le coût serait de $100,000,000 ou un peu plus. Ça peut paraître paradoxal, mais ce n’est pas irréalisable. Je dois dire que, l’an prochain, j’ai l’intention d’inscrire une motion au Feuilleton pour discuter la question soulevée par M. Beaugé et y intéresser Ottawa et Québec. (28 avril 1947)

 

Pour finir, les fiançailles du ministre des Travaux publics, Roméo Lorrain, sont abordées au cours d’un vote sur les subsides survenant le 7 mai 1947. Choquette vient clore l’échange avec un jeu de mots qui résume, par la même occasion, la position du premier ministre pour ce qui est de l’obtention de contrats.

M. Casgrain (Rivière-du-Loup): J’ai entendu dire que le ministre allait convoler en justes noces.

L’honorable M. Lorrain (Papineau): Je suis l’exemple de mon chef.

M. Casgrain (Rivière-du-Loup): (Souriant) Ne suivez que les bons.

M. Choquette (Montmagny): Pas de soumissions?

(Hilarité générale)

 

Critique des sources

Par Nicholas Toupin

La Tribune de la presse en 1947

Maurice Bernier, de L’Événement-Journal, est le président de la Tribune de la presse; Abel Vineberg, de la Gazette, en est le vice-président et Henri Dutil, du Soleil, occupe le poste de secrétaire. Les autres courriéristes parlementaires connus sont : Edmond Chassé, du Canada; Richard Daignault, du Herald; Jean-Marc Denault, Ewart E. Donovan et Jack Dunn, du Quebec Chronicle-Telegraph; Raymond Dubé, du Soleil; Calixte Dumas et Jacques Verrault, de L’Action catholique; Guy Gagnon, de La Presse canadienne; Arthur-W. Langlais, de La Presse; Joseph Lavergne, de La Patrie; ainsi que Charles-Eugène Pelletier, Louis Robillard et Marcel Thivierge, du Devoir.

 

Explications sur des propos exprimés par M. Godbout

Le 6 mars 1947, le chef de l’opposition déclare : « Ceux qui violent la loi des liqueurs et entraînent la jeunesse dans le vice ne sont pas de notre peuple, ce ne sont pas des Canadiens français. La plupart de ces gens sont des étrangers, des Juifs, des Italiens, des Russes et des Tchécoslovaques, et autres étrangers qui sont ici depuis peu. Ils contrôlent la vente des liqueurs illégales et la traite des blanches. Il y en a de toutes les nationalités étrangères. »

À la suite de ces propos, le Congrès juif canadien dénonce les affirmations de Godbout. Ce dernier dément avoir tenu de telles allégations en Chambre. Dans un article paru dans Le Canada42, organe du Parti libéral, il est dit qu’uniquement les journaux sympathiques à l’Union nationale ont rapporté ces paroles attribuées à tort au chef libéral. Dans les faits, Le Soleil, The Montreal Daily Star et The Gazette rapportent les dires de Godbout. Pour Le Devoir, L’Événement-Journal, Le Canada, L’Action catholique, La Patrie et La Presse, il n’est question que de « la crapule étrangère », sans plus de précisions. L’accusation de « traite de blanches » se retrouve uniquement dans The Gazette.

Chose certaine, bien que les courriéristes parlementaires publient parfois des erreurs dans leurs comptes rendus ou, encore, de mauvais résumés des débats, il arrive également qu’un député, après coup, décide de renier telle ou telle parole prononcée sur le parquet de l’Assemblée.

 

Protestation contre un article paru dans The Gazette

Le député libéral de Montmorency, Jacques Dumoulin, n’est pas satisfait d’un éditorial rédigé par un membre de la Tribune de la presse :

[Je proteste] contre un article de la Gazette de Montréal, qui apparaissait en première page, sous la signature de son courriériste parlementaire, et dans lequel il est dit que le gouvernement fait tout son possible pour hâter le travail sessionnel, mais que ce sont les députés de l’opposition qui font perdre le temps de la Chambre, temps qu’on pourrait employer plus utilement à faire de la législation.

Le même journal ajoute qu’il faudra sans doute prendre d’autres mesures pour remédier à la situation. (25 février 1947)

 

Dumoulin considère cet article comme une menace indirecte inspirée par le premier ministre aux députés de l’opposition et une atteinte à la liberté qui doit entourer leurs délibérations.

Pour le premier ministre, Dumoulin n’a pas raison d’invoquer une question de privilège sur cette affaire. Duplessis ajoute par ailleurs que le courriériste qui est accusé, Abel Vineberg, ne fait qu’exprimer son opinion en accord avec le principe de la liberté de la presse.

Le député de Montmorency réplique : « Si la liberté de presse existe, il y a tout de même une liberté antérieure, dont dépend la liberté de presse elle-même, et c’est la liberté de discussion de l’Assemblée législative. »

L’Orateur met fin à l’échange en se rangeant du côté du gouvernement.

 

Le siège de M. Choquette

Au cœur des confrontations entre le député de Montmagny et le premier ministre, on retrouve le défi lancé par Duplessis à Choquette de mettre son siège en jeu. Le leader de la droite revient en Chambre, le 21 mars 1947, sur cette question : « J’en profite pour dire que certains journaux ont dénaturé, tronqué les faits, la semaine dernière, en disant que le député de Montmagny (M. Choquette) avait mis son siège en jeu. »

En analysant les différents quotidiens, on constate que ceux-ci sont partagés sur la réponse qu’aurait formulée Choquette, le 12 mars 1947, au premier ministre. La Patrie et The Gazette du 22 mars 1947 avancent que le député de Montmagny ne répond pas à la bravade de Duplessis. Les autres journaux soutiennent, à l’inverse, qu’il répond sans hésiter. L’Événement- Journal du même jour, quant à lui, se rétracte d’avoir affirmé que Choquette avait relevé le défi.

 

Transcription sonore

Il arrive qu’un courriériste parlementaire transcrive au son les paroles d’un député. Souvent, pour le journal, c’est l’occasion d’attaquer indirectement la crédibilité d’un membre de l’Assemblée législative. Deux cas retiennent l’attention pour la session de 1947. Les victimes sont des unionistes.

Le 24 avril 1947, Camille Côté, député de Montréal-Sainte-Marie, s’exclame : « Y est-y ennuyant! Ça fait trois fois qu’y répète la même chose (sic). » Cette remarque est tirée du Soleil, un quotidien favorable au Parti libéral.

Le 28 avril 1947, c’est au tour d’Omer Côté, député de Montréal-Saint-Jacques, de s’exprimer d’une manière peu soutenue : « Y a rien que vous autres qui braillez. À Montréal, personne braille. Tout le monde sont contents (sic). » Ces propos sont rapportés par Le Canadien libéral.

 

Discours sur le budget

Le critique libéral en matière de finance, James Arthur Mathewson, dénonce un vice de procédure dans la livraison du discours sur le budget :

Il y a eu deux discours sur le budget. Le discours que le trésorier a prononcé, le 25 mars dernier, était en réalité le second discours sur le budget, une conférence, puisque le premier ministre avait décidé, une semaine auparavant, de confier aux courriéristes parlementaires, et non pas aux députés, ce qui est contraire aux coutumes parlementaires, au cours d’une conférence de presse, les faits principaux de la politique financière du gouvernement. On a fait part aux journaux de la politique financière du gouvernement avant d’en faire part à la Chambre. Je proteste contre cette façon de procéder. C’est une atteinte aux droits et prérogatives des représentants du peuple. (8 avril 1947)

 

Les courriéristes tenus au secret

Dans le cadre du débat entourant les relations fédérales-provinciales, certains commentaires peuvent s’avérer préjudiciables à la bonne marche des négociations entre les deux paliers de gouvernement. C’est la raison pour laquelle Godbout demande aux membres de la Tribune de la presse de faire preuve d’une certaine retenue dans leur compte rendu des résolutions prises par la Chambre sur cette question : « Pour assurer plus de liberté aux expressions d’opinions, [je] demande aux journalistes d’observer de la discrétion sur certains échanges de vues au sujet des provinces et du pouvoir central43. » (30 avril 1947)

Duplessis est du même avis : « Il ne serait pas diplomatique de révéler au public le jeu de la province de Québec, de mettre cartes sur table, à ce stade des négociations. »

Le Devoir du 1er mai 1947, à la page 10, est le seul journal qui fait part de cette demande de réserve formulée par Godbout. Dans l’ensemble, les quotidiens donnent peu de détails quant aux discussions qui ont animé le comité plénier. Nous savons que le premier ministre entend toutefois adopter une attitude « ferme et courtoise » lors d’une éventuelle reprise des négociations entre le fédéral et les provinces. Il est donc probable que, sur cette question, plusieurs discussions aient été tenues sous silence.

Au demeurant, en dehors de quelques possibles erreurs commises par certains membres de la Tribune de la presse, la couverture journalistique semble refléter avec justesse le contenu des échanges de la session de 1947. À preuve, les députés ont rarement pris la parole pour dénoncer un journaliste qui aurait, soit par partisannerie, soit par négligence, improprement retranscrit des propos exprimés en Chambre.

 

Notes de l’introduction historique et de la critique des sources

1. À ce titre, le Canada n’est pas en reste puisqu’il verse aux pays européens, entre 1945 et 1948, « plusieurs centaines de millions de dollars en crédits à l’exportation ». Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert et François Ricard, Histoire du Québec contemporain, tome II : Le Québec depuis 1930, 1989, p. 226.

2. Au cours des années 1940, le rôle de l’État canadien se modifie. Le gouvernement King, inspiré par les théories keynésiennes, cherche à assurer le bien-être de la collectivité par l’instauration de diverses mesures sociales. Ottawa devient ainsi le promoteur de l’édification d’un État-providence.

3. Conrad Black, Maurice Duplessis, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 1999, p. 330.

4. P.-A. Linteau, R. Durocher, J.-C. Robert et F. Ricard, Histoire du Québec contemporain…, p. 213.

5. Ibid., p. 204.

6. Yves-Henri Nouailhat, Le Québec de 1944 à nos jours : un destin incertain, Paris, Imprimerie nationale, 1992, p. 74.

7. Robert Comeau et Bernard Dionne, Le droit de se taire : Histoire des communistes au Québec, de la Première Guerre mondiale à la Révolution tranquille, Outremont, VLB éditeur, 1989, p. 383.

8. Un climat de craintes à l’égard du communisme et de l’URSS secoue la société américaine peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’administration Eisenhower (1953-1961) est passablement obnubilée par la menace soviétique. Dans ce contexte, le sénateur Joseph McCarthy se voit confier la présidence du Sous-comité sénatorial d’enquête permanente (1953-1954) chargé d’investiguer le niveau de subversion au sein des institutions gouvernementales. Le maccarthisme, de plus en plus décrié, prend fin en 1954.

9. La pensée communiste est expliquée par l’historien et militant marxiste, Stanley Ryerson, dans son ouvrage A World to Win : An Introduction to the Science of Socialism (1946). À l’opposé, la Chambre de commerce du Canada diffuse une brochure propagandiste intitulée La menace communiste au Canada (1947) : « Les communistes sont, pour notre genre de vie canadien, une menace évidente et indéniable. Dans un Canada soviétique, tout citoyen survivant serait soumis à un contrôle rigidement tyrannique de tous les détails de son existence. Il ne lui serait pas permis de choisir ou de changer d’emploi. S’il osait maugréer, il pourrait être expulsé de son logis. Pour retard, il pourrait être envoyé dans un camp de concentration au Yukon. Pour tenter de s’évader d’un tel Canada, il serait fusillé et sa famille innocente serait condamnée à cinq ans de service pénal. » Cité dans Marcel Fournier, Communisme et anticommunisme au Québec (1920-1950), Laval, Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1979, p. 110.

10. Cité dans Louis Massicotte, Le Parlement de Québec de 1867 à aujourd’hui, Les Presses de l’Université Laval, 2009, p. 50.

11. En 1944, les libéraux obtiennent 39,5 % des votes contre 35,8 % pour l’Union nationale.

12. L’historien Robert Rumilly affirme que les libéraux ont songé à remplacer Godbout à la suite de la défaite subie lors de l’élection partielle tenue dans le comté de Compton, le 3 juillet 1946. Robert Rumilly, Maurice Duplessis et son temps, tome II (1944-1959), Montréal, Fides, 1973, p. 151. À l’inverse, Jean-Guy Genest soutient que « le leadership de Godbout ne fut pas contesté pendant ces années 1944-1948. Aucun politicien québécois n’aspirait ouvertement à supplanter le chef libéral ». Jean-Guy Genest, Vie et œuvre d’Adélard Godbout, tome II, Québec, (thèse de doctorat en histoire, Université Laval), 1977, p. 596.

13. Édouard Lacroix, représentant de la Beauce, quitte ses fonctions, le 14 mai 1945, sans jamais avoir siégé à l’Assemblée législative.

14. Paul-André Comeau, Le Bloc populaire, 1942-1948, Les Éditions du Boréal, 1998, p. 153.

15. Lucille Beaudry et Robert Comeau, « André Laurendeau : leader exceptionnel et penseur actuel », André Laurendeau : un intellectuel d’ici, Presses de l’Université du Québec, 1990, p. 3.

16. Paul-André Comeau, Le Bloc populaire, 1942-1948, Les Éditions du Boréal, 1998, p. 408.

17 . Conrad Black, Maurice Duplessis…, p. 277.

18 . Michiel Horn, « Lost Causes: The Leagues for Social Reconstruction and the Co-operative Commonwealth Federation in Quebec in the 1930s and 1940s », Journal of Canadian Studies / Revue d’études canadiennes, vol. 19, no 2, 1984, p. 132.

19. Michel Sarra-Bournet, « L’échec électoral du CCF-NPD au Québec : Les leçons de l’histoire », Revue parlementaire canadienne, vol. 9, no 3, 1986, p. 11.

20. La représentation du CCF hors Québec se démarque au fédéral avec 28 élus (1945) et en Saskatchewan où le parti forme le gouvernement avec 47 députés (1944).

21. Michiel Horn, « Lost Causes… », p. 139.

22. Paul-André Comeau, Le Bloc populaire…, p. 162.

23. René Chaloult, Mémoires politiques, Montréal, Éditions du Jour, 1969, p. 23.

24. Au cours de la session de 1947, Chaloult et Laurendeau voteront différemment à deux occasions. Il ne s’agit pas de projets de loi, mais plutôt de la décision du président qui est contestée. Les deux fois, Chaloult vote en faveur du verdict du président (le fauteuil est occupé par Alexandre Taché dans le vote du 27 février et par Maurice Tellier, dans celui du 22 avril), tandis que Laurendeau en appelle de sa décision.

25. René Chaloult, Mémoires politiques…, p. 160.

26. « La session à Québec », Le Canada, 2 février 1947, p. 3.

27. Bien que les débats n’en fassent pas mention, Johnson aurait, de l’avis de son biographe, terminé son discours d’une manière imprudente en soulignant que c’était sa première prise de parole, mais que ce ne serait pas sa dernière. Pierre Godin ajoute : « Il attendra plus de dix ans avant de pouvoir prononcer un autre discours! Le jeune naïf ne sait pas encore que, pour Duplessis, le rôle du député d’arrière-ban consiste surtout à voter, à applaudir à son signal et à se tordre de rire à chacun de ses calembours. » Pierre Godin, Daniel Johnson : 1946-1964, la passion du pouvoir, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 1980, p. 52.

28. Hector Laferté, Derrière le trône : Mémoires d’un parlementaire québécois, 1936-1958, Sillery, Septentrion, 1998, p. 286.

29. « Sa plaidoirie à l’occasion de la conférence fédérale-provinciale de 1946 amène le député indépendant à écrire chaleureusement au premier ministre : "J’ai fort apprécié… le cran et le panache que vous [y] avez affichés." » Denis Chouinard et Richard Jones, « La carrière politique de René Chaloult : l’art de promouvoir une politique nationaliste tout en sauvegardant son avenir politique », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 39, no 1, 1985, p. 46.

30. Notons que lors de la première conférence fédérale-provinciale, ayant lieu du 6 au 10 août 1945, le Québec ne comptait que 8 représentants par rapport à 75 pour le gouvernement fédéral, 35 pour l’Ontario, 13 pour la Nouvelle-Écosse, 23 pour le Nouveau-Brunswick, 12 pour la Colombie-Britannique, 7 pour l’Île-du-Prince-Édouard, 10 pour la Saskatchewan et 9 pour l’Alberta. Secrétariat des conférences intergouvernementales canadiennes, Conférences fédérales-provinciales des premiers ministres 1906-1985 , Ottawa, 1986, p. 17-18.

31. Sans fixer de date.

32. À plusieurs occasions au cours de la session, Duplessis recourra à ce procédé. C’est toutefois la seule fois où un membre de l’opposition relève le défi. Cependant, les journaux ne s’entendent pas sur le fait que Choquette ait bel et bien mis son siège en jeu. Voir la critique des sources pour de plus amples détails.

33. En 1942, le gouvernement Godbout a cédé à Ottawa, pour une durée temporaire de cinq ans, la double taxe perçue sur les corporations, en plus de l’impôt sur le revenu provincial et municipal. Cet argent, réclamé par l’administration King, devait servir à subvenir à l’effort de guerre du Canada.

34. Les appels au Conseil privé pour toute affaire de droit pénal ont été abolis par le Parlement canadien en 1933. La pleine autonomie de la Cour suprême du Canada sera effective en 1949.

35. Cette législation fait suite à une décision du fédéral. Depuis le 1er avril 1947, le gouvernement King a consenti à abandonner cette taxation directe de trois cents prélevée sur la gazoline.

36. Notons qu’en 1947 le Bureau de censure est très actif : « Si nous considérons la liste des films refusés par période de 5 ans, nous voyons qu’entre le 1er janvier 1945 et le 31 décembre 1949, il y en a eu 153. » Yves Lever, Anastasie ou la censure du cinéma au Québec, Québec, Septentrion, 2008, p. 138.

37. Voir : René Chaloult, Mémoires politiques…, p. 287-290.

38. En 1945, Choquette avait également perdu son droit de parole après avoir été nommé par l'Orateur.

39 . « Godbout First Opposition Leader ‘Named’ In Legislature History », The Quebec Chronicle-Telegraph, 22 mars 1947, p. 3.

40. Hector Laferté, Derrière le trône…, p. 287.

41. « Expulsé pour 8 jours », L’Événement-Journal, 9 mai 1947, p. 13.

42. « M. Godbout et les minorités », Le Canada, 10 mars 1947, p. 4.

43. Le Devoir du 1er mai 1947, à la page 10, est le seul quotidien à faire mention de cette demande de M. Godbout.