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Introduction historique

18e législature, 2e session
(10 janvier 1933 au 13 avril 1933)

Par Christian Blais

Le Québec, le Canada et le monde en 1933

La situation se dégrade dans tous les secteurs de l’activité économique au Québec en 1933; seule l’exploitation aurifère fait figure d’exception. L’industrie, le commerce et le monde des affaires en général font face à la surproduction, à la déflation et à la fermeture des marchés : « bien peu nombreux sont ceux de nos industriels, de nos marchands – peut-on lire dans le Monde Ouvrier – qui parviennent à mettre les deux bouts ensemble1.  » Ailleurs dans l’échelle sociale, la grande dépression et la misère qui en découle affectent non seulement les ouvriers, mais aussi les cols blancs, les petits rentiers, les cultivateurs et les colons.

« La province de Québec fait face à une situation sans précédent. Nous sommes débordés de chômeurs », rappelle le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau aux députés réunis à l’Assemblée législative. (12 janvier) On estime que le taux de chômage atteint près de 27 % dans la province en 1933 et que ce taux dépasse les 30 % à Montréal2. Pour venir en aide aux sans-emploi, les trois paliers de gouvernement, à partir de 1932, privilégient désormais les secours directs aux travaux publics, considérés comme étant trop onéreux.

En 1933, la charité privée demeure tout de même « le grand moyen d’aider les malheureux à supporter patiemment la crise », d’affirmer le premier ministre. (12 janvier) Les chômeurs catholiques, contraints à la privation, obtiennent le secours direct par l’entremise « des mains discrètes d’un officier de la Saint-Vincent-de-Paul3 », et ce, depuis 1931; semblables organismes viennent en aide aux démunis des autres confessions. Or, ces organismes ne suffisent plus à la tâche et, pour comble, leur mode de gestion est dénoncé par les vérificateurs gouvernementaux4.

Le 1er avril 1933, la Société Saint-Vincent-de-Paul cesse la distribution de l’aide gouvernementale5. Ce seront les municipalités qui, dorénavant, se chargeront de délivrer les secours directs financés encore par les gouvernements fédéral, provincial et municipal. D’après le ministre des Travaux publics, Joseph-Napoléon Francoeur, 50 000 familles – soit 400 000 personnes – reçoivent alors des secours directs dans la province. (9 mars)

La ville de Saint-Hyacinthe s’en sort un peu mieux que les autres, d’abord grâce à la diversification de son économie. Au demeurant, son maire, Télesphore-Damien Bouchard, qui est également président de l’Assemblée législative, ne partage pas les vues du gouvernement. Il continue d’opter pour les travaux publics et, dans ses mémoires, il pose un regard sévère sur une certaine catégorie de chômeurs :

Nous étions en pleine crise de chômage et les gouvernements étaient obligés de venir en aide aux municipalités pour soulager la misère publique. Les législateurs crurent opportun d’adopter les méthodes qu’on avait appliquées dans des pays étrangers pour assister les sans-travail. On créa, d’abord, divers chantiers, dans lesquels, par paternalisme, on attribua des conditions de travail et des salaires plus avantageux que dans l’industrie privée. Pour aider les fainéants et les miséreux ordinaires, on établit ensuite le « secours direct » qui était, en somme, une façon indirecte de faire la charité. Toutes ces mesures étaient de nature à ruiner le Trésor public. Les travailleurs désertaient l’emploi privé et encombraient les chantiers de l’État et des municipalités, puis, finalement, quittaient leur travail pour émarger aux fonds mis à leur disposition par les administrateurs de la chose publique. Notre conseil refusa, heureusement, de partager, à ce sujet, les vues du ministère provincial6.

 

La dépression laisse partout son empreinte. Avec sa verve populaire, Mary Travers, La Bolduc, enregistre la chanson Sans travail en juillet 1932. Elle illustre le sentiment de mécontentement qui, sourdement, gronde parmi la population :

Depuis quelque temps, c’est effrayant
On se plaint du gouvernement
On nous promet plus de beurre que de pain
Avec ça on n’avance à rien

Nos députés sont assemblés
Afin de pouvoir discuter
Alors au lieu de nous aider
Ils ne font que se chamailler7

 

La crise, en s’accentuant, pave la voie à de multiples critiques envers le libéralisme et le système capitaliste. En 1932 et en 1933, de nouveaux mouvements de réforme économique et sociale voient le jour. Depuis Québec, le dentiste Philippe Hamel continue sa croisade, lancée en 1929, contre le trust de l’électricité. Il n’est plus seul à mener cette campagne. T.-D. Bouchard est lui aussi invité à prononcer des discours en faveur de la nationalisation de l’électricité8.

Dans la métropole, où les conséquences de la crise se font sentir plus qu’ailleurs, de jeunes étudiants de l’Université de Montréal – des fils de bourgeois inscrits à la Faculté des Lettres et à la Faculté de droit – développent leur pensée autour des idées nationalistes de l’abbé Lionel Groulx. En 1932, la nomination d’un directeur unilingue anglophone au service des douanes à Montréal déclenche une forte réaction d’indignation parmi ce petit groupe d’intellectuels. Sous les auspices d’Armand Lavergne et d’Esdras Minville, ces Jeune-Canada auront à cœur désormais d’éveiller la conscience nationale des Canadiens français.

Par le biais d’assemblées publiques, de conférences radiophoniques ou encore grâce à la couverture qu’en font la revue mensuelle L’Action nationale (fondée en 1933 par l’abbé Lionel Groulx), le Quartier latin de l’Université de Montréal et les quotidiens Le Devoir et L’Action catholique, les Jeune-Canada dénoncent la classe dirigeante qui, selon eux, ne sert pas bien les intérêts nationaux. Le Manifeste de la jeune génération9, composé par un des leurs, André Laurendeau, oriente leurs discours dans un premier temps et, bientôt, le Programme de restauration sociale deviendra leur nouvelle référence.

Le Programme de restauration sociale arrive comme une bouffée d’air frais dans les milieux nationalistes de même que chez les libéraux plus réformistes. En substance, le jésuite Joseph-Papin Archambault et 13 ecclésiastiques se réunissent le 9 mars 1933 dans le cadre de l’École sociale populaire; ces moralistes et sociologues, imprégnés des encycliques Rerum Novarum et Quadragesimo Anno, entreprennent une analyse critique du programme de la Co-operative Commonwealth Federation (CCF, parti politique fédéral fondé à Calgary en 1932, et qui publie le Manifeste de Regina en 193310).

Dans leur programme de restauration chrétienne, des mesures sont présentées afin de sortir les Canadiens français de leur statut d’infériorité économique. Des remèdes sont proposés, en outre la promotion de l’éducation et la nationalisation de certains monopoles. Afin d’orchestrer l’ensemble de ces réformes corporatistes, ils souhaitent la création d’un conseil économique et social composé des meilleurs éléments de la société québécoise11.

À terme, si ce bouillonnement d’idées contribuera à faire écrouler le régime Taschereau, les ministériels n’en font pas de cas particulier durant la session parlementaire de 1933; pour mieux dire, le corporatisme n’est encore qu’à un stade embryonnaire. Ce sont plutôt les mouvements marginaux de gauche qui inquiètent les membres de l’Assemblée législative. Les députés voient d’un mauvais œil tout ce qui tend vers les doctrines socialiste ou communiste. En l’occurrence, l’Université ouvrière, fondée en 1925 par Albert Saint-Martin, est considérée comme un foyer de propagande marxiste. Dans la bibliothèque de l’Université ouvrière, de la rue Montcalm à Montréal, Saint-Martin prononce des discours contre le gouvernement et contre l’Église. Quoiqu’il y ait peu d’adhérents à ce courant révolutionnaire, la menace subversive, elle, semble bel et bien réelle pour les politiciens.

À l’époque, le chômage est au centre des préoccupations, bien sûr, mais d’autres faits d’actualité retiennent l’attention au Québec. L’élévation de Mgr Rodrigue Villeneuve au cardinalat, le 13 mars, est perçue comme un « honneur conféré par Rome » méritant d’être consigné dans les annales de l’Assemblée législative, selon le premier ministre. La même année, la publication du roman Un homme et son péché par Claude-Henri Grignon est couronnée de succès et cette œuvre littéraire marquera plusieurs générations de Québécois. Signalons aussi l’ouverture de la radio CHNC, à New Carlisle en Baie-des-Chaleurs en 1933; c’est à cette antenne que René Lévesque débutera sa carrière d’annonceur et de rédacteur de nouvelles en 1936.

Sur la scène internationale, l’an 1933 correspond à la fermeture de l’agence du Québec en Belgique, ouverte en 1915. L’Europe est, par ailleurs, à un nouveau tournant de son histoire lorsque Adolf Hitler devient chancelier de l’Allemagne. Durant l’année aussi, l’Allemagne et le Japon quittent la Société des Nations (SDN). Au Portugal, le dictateur Antonio Salazar instaure un régime autoritaire, à parti unique, avec la Constitution de 1933. À Cuba, un coup d’État militaire amène Fulgencio Battista à exercer le pouvoir. Aux États-Unis, Franklin Delano Roosevelt devient le 32e président le 4 mars 1933 et, le même mois, instaure le New Deal, un programme économique et social pour affronter la crise.

Au Canada, depuis 1932, le gouvernement conservateur de Richard Bedford Bennett continue sa politique du retour à la terre avec le plan Gordon, du nom du ministre du Travail et ministre par intérim de l’Immigration et de la Colonisation, Wesley Ashton Gordon. Les chômeurs des villes sont invités à s’établir sur un lot de colonisation, recevant pour ce faire une prime de 600 $. Le succès est mitigé, mais, en 1933, des colons vont s’établir à Rivière-Solitaire au Témiscamingue. Les conditions de vie de ces défricheurs ne sont pas de tout repos.

La dépression, le chômage, les secours directs, les travaux publics, le retour à la terre, les « gens qui ne mangent pas trois fois par jour » (6 avril), voilà ce qui meuble l’histoire du Québec cette année-là et qui oriente les débats de l’Assemblée législative de la 2e session de la 18Législature.

 

Les parlementaires

Deux sièges sont vacants à l’Assemblée. D’abord, Victor Marchand, député libéral de Montréal-Jacques-Cartier, est nommé conseiller législatif pour la division de Rigaud, le 15 avril 1932; plus tard au cours de la session, Joseph-Alcide Savoie, député libéral de Nicolet, meurt en fonction, le 4 février 1933. Notons au passage qu’Athanase David, secrétaire et registraire de la province, s’absente souvent durant les travaux parlementaires, pour cause de maladie.

Taschereau conserve une forte majorité en Chambre. Sur un total de 90 députés, 78 (77 si l’on tient compte du décès de Savoie) sont d’allégeance libérale. Les conservateurs sont toujours au nombre de 11 depuis 1931.

Le premier ministre Taschereau entame sa 33e session à titre de député de Montmorency. Il devient, à l’époque, le parlementaire cumulant la plus longue expérience au Parlement québécois. Il bat en effet le record de Félix-Gabriel Marchand qui, avant lui, avait siégé 33 ans comme député de Saint-Jean, de 1867 à 1900.

Au Conseil législatif, en plus de la nomination de Victor Marchand, il y a Gordon Wallace Scott qui revient siéger au Salon rouge pour la division de Victoria, à la suite du décès de Henry Miles survenu le 6 juin 193212. De même, Gustave Lemieux, député libéral de Gaspé de 1912 à 1931, devient conseiller législatif de Montarville, le 2 décembre 1932. Sur les 24 conseillers législatifs présents, les conservateurs Thomas Chapais et Jean Girouard siègent entourés d’une écrasante majorité libérale. Jacob Nicol demeure président du Conseil depuis 1930 et George Bryson fils, ministre sans portefeuille, est nommé leader du gouvernement au Conseil, le 18 novembre 1932.

Au Conseil exécutif, une seule nouvelle figure fait son entrée en la personne de Ralph Frederik Stockwell, assermenté comme trésorier provincial le 26 octobre 1932. Il succède au premier ministre Taschereau qui avait assumé l’intérim depuis 1931. « Le gouvernement rend ainsi à la minorité [anglaise] leur représentation dans le Cabinet », de féliciter le député conservateur de Hungtingdon, Martin Beattie Fisher. (15 février) Enfin, des changements administratifs sont apportés au département de l’Agriculture, dirigé par Adélard Godbout. Le 26 janvier 1933, dans le but de décentraliser son ministère et pour mieux répondre aux besoins des agriculteurs de la province, un bureau de direction est créé ainsi que 20 districts agronomiques régionaux13.

 

Dissensions au Parti libéral

Des chercheurs tels que l’historien Bernard Vigod et le professeur de science politique Vincent Lemieux ont vu dans la « loi Dillon », un signe avant-coureur du déclin de Louis-Alexandre Taschereau14. Adoptée à la session de 1931-1932, cette loi avait pour objet d’empêcher la contestation en bloc, devant les tribunaux, de 63 députés libéraux élus lors des élections générales de 1931. Cette politique arbitraire avait entaché la réputation de Taschereau.

« Monsieur Taschereau n’est pas éternel. Je considère qu’il a vu le sommet de sa gloire15. » C’est l’opinion que rédige le lieutenant-gouverneur George Henry Carroll dans son journal personnel, au surlendemain de l’ouverture de la session de 1933. Il remarque que la crise a semé un vent de discorde au sein de l’équipe libérale du Québec. Le lieutenant-gouverneur poursuit : « Tout allait bien lorsque les revenus dépassaient les dépenses de deux, trois et même quatre millions. Mais aujourd’hui, il [Taschereau] lui faut refuser toute demande d’argent qui lui vient des députés. Ces derniers, qui ont été traités trop largement, ne lui pardonneront pas ces restrictions. À l’heure actuelle, en politique, c’est le présent et c’est l’avenir qui comptent. Le passé ne vaut rien. »

Le mot d’ordre du premier ministre, c’est-à-dire « la politique de la plus stricte économie possible » (9 février), est suivi par les membres du Cabinet dans l’administration de leur ministère. Ces compressions ne calment pas le jeu des députés ministériels d’arrière-ban; sans compter qu’à l’ouverture de la session de 1933, « M. Taschereau manque de portefeuilles » – comme le titre le journal L’Autorité – et ne peut contenter tous les aspirants au ministère16. Au Conseil législatif, des libéraux tels qu’Élysée Thériault, Joseph-Charles-Ernerst Ouellet ou encore John Hall Kelly se laissent aller à quelques critiques acerbes contre l’Exécutif de la province.

Quant aux jeunes libéraux de la région de Montréal, plusieurs sont las d’attendre une promotion. Depuis trop longtemps, certains demandent aux ministres québécois de leur ouvrir « les portes dorées du patronage », tel que le publie Le Devoir17. D’autres jeunes libéraux, Paul Gouin et Jean Martineau à leur tête, s’impatientent plutôt de ne pas jouir davantage d’influence auprès des instances décisionnelles du parti. Tout porte à croire au contraire que le premier ministre préfère les députés et les aspirants candidats complaisants à ceux plus ambitieux18. Rien donc pour apaiser les jeunes esprits libéraux réformistes.

La question de l’électricité vient compléter le tableau. Chez les libéraux, deux écoles de pensée s’opposent au sujet de la municipalisation ou encore de l’étatisation des compagnies d’électricité. La situation est résumée dans Le Petit Journal en 1933 :

[…] Alors certains éléments pensent à remplacer dans notre province l’exploitation privée de l’électricité par un régime analogue à celui de l’Ontario. Plusieurs personnalités politiques, y compris des chefs libéraux comme M. [Ernest] Lapointe, se montrent plutôt favorables à cette solution. Et l’on ajoute, dans les milieux bien informés, que de jeunes libéraux à tendance réformiste le suivraient. Ils estiment qu’en agissant de cette manière ils feraient baisser les taux de l’électricité dans notre province, et qu’à l’heure actuelle il faut procurer à chacun de nos foyers toutes les économies possibles.

Par contre, l’on s’aperçoit à Québec que M. Taschereau s’en tient au régime actuel de l’exploitation privée, du monopole. Il invoque les droits acquis, les chartes concédées. La plupart des députés libéraux le suivent encore, mais certains, désireux de satisfaire avant tout l’électeur, prêtent l’oreille aux arguments opposés.

Il se confirmerait donc que, sur ce point important comme sur plusieurs autres, il y aurait divergence de vues entre hommes politiques libéraux et formation de deux écoles : celle de M. Lapointe et celle de M. Taschereau19.

 

Partisan de la première heure de la municipalisation de l’électricité, T.-D. Bouchard est d’emblée favorable à la « lutte entreprise contre les abus des monopoles de l’électricité ». Son titre de président de l’Assemblée législative le pousse cependant à la prudence. Avec la même retenue, Joseph-Napoléon Francoeur, ministre des Travaux publics, appuie également la municipalisation20.

Oscar Drouin, pour sa part, est un réformiste de 42 ans qui siège à l’Assemblée législative, à titre de député libéral de Québec-Est. Il est reconnu comme l’un des protégés d’Ernest Lapointe, député libéral à la Chambre des communes et avocat engagé par la Ville de Québec pour plaider en faveur de la municipalisation de l’électricité21. Durant la session de 1933, Drouin ronge difficilement son frein, mais se dit fier d’appartenir « à un parti dont une des raisons principales d’existence est la liberté de parole reconnue à tous. Je compte m’en servir », dit-il. Après avoir assuré le premier ministre de sa loyauté, il livre un discours qui fait état de ses convictions profondes :

La législation sociale, c’est le moyen pour une société de se purifier, de se sanctifier : c’est le moyen pour l’autorité de se pencher sur les misères humaines. Nous ne sommes pas des socialistes, mais nous voulons une meilleure répartition des biens de la terre, de la richesse dans le monde, sans pour cela vouloir niveler l’inégalité entre les classes, mais nous voulons faire du socialisme libéral, du socialisme comme celui prôné par le chef de la chrétienté. Dans sa dernière encyclique, Quadragesimo Anno, le Pape, le premier des humains, réclame une meilleure distribution de la richesse et condamne l’accaparement des biens par un petit groupe d’hommes. Après la publication d’un tel document, ceux qui désirent une meilleure répartition des richesses n’ont pas peur d’être appelés socialistes. (21 février)

Mais le feu couve sous la braise : les éléments qui mèneront à la formation de l’Action libérale nationale en 1934 sont en germe, en quelque sorte.

En ces années de crise économique, où les monopoles de l’électricité font l’objet de critiques virulentes, le premier ministre prête flanc à la critique. La « loyale opposition de Sa Majesté » et les journaux d’opposition, tels que Le Devoir et L’Action catholique, se plaisent à dépeindre Taschereau comme le serviteur des trusts. C’est connu, le premier ministre, des membres de sa famille et plusieurs de ses amis politiques ont des intérêts dans de grandes compagnies d’électricité. Le Devoir en rajoute. Dans un éditorial, Alexis Gagnon écrit que des députés libéraux ont « exprimé assez rudement l’opinion que si l’on veut ruiner le parti en l’associant de façon définitive aux trusts, ils n’y consentiront pas22 ».

La famille libérale s’entre-déchire sur d’autres matières : le crédit rural, le trust de l’essence, la réforme de la loi des accidents du travail, le port obligatoire de lumières sur les véhicules à traction animale, etc. En Chambre, la ligne de parti ne tient plus lorsque ces questions sont débattues; les députés libéraux expriment leur opinion avec beaucoup d’indépendance en 1933. Ce qui fait dire à Hector Authier, député libéral d’Abitibi, « qu’on peut être ministériel sans être servile ». (21 février)

La solidarité ministérielle est mise à rude épreuve à l’occasion. Par exemple, à la deuxième lecture du bill 187 modifiant le Code civil relativement aux ventes à tempérament, Taschereau tient à déclarer que son ministre du Travail, Charles-Joseph Arcand, « vient d’exprimer une opinion qui est une opinion personnelle et non celle du gouvernement ». (28 février) C’est tout dire23.

Plus encore, le 27 janvier 1933, le Journal fait courir la rumeur selon laquelle « les députés de Montréal et des environs se réunissent en ce moment en conciliabule pour tenter de renverser le premier ministre, pour […] "détaschereauter" la province et le parti, dans l’espoir de le sauver de la défaite ». Parlant au nom de la députation libérale, des ministres du gouvernement s’empressent de réitérer leur confiance et leur désir de collaborer avec le premier ministre. Mais à première vue, le Parti libéral est grugé de l’intérieur. Maurice Duplessis le sait fort bien : « Je ferai remarquer que s’il y avait autant d’unanimité chez nos collègues de la droite qu’il y en a chez nous, le premier ministre aurait moins d’inquiétudes », dit-il. ( 23 mars)

Faisant fi des circonstances difficiles, le premier ministre conduit l’administration de la province avec son flegme habituel : ce qui fait dire au lieutenant-gouverneur Carroll que « M. Taschereau, par ces temps de dépression, a un grand avantage, c’est qu’il ne voit pas loin dans l’avenir. Il fait une politique au jour le jour, et ça ne le fatigue pas trop24 ». Quand bien même, en dépit des attaques personnelles, le premier ministre a le sentiment d’accomplir pleinement son devoir qui, à la base, consiste à empêcher d’acculer la province à la ruine : « On ne sait pas ce que c’est que de gouverner dans une époque comme celle que nous traversons », finit-il par s’exclamer. (9 mars)

Sur un autre front, durant la session de 1933, Taschereau et certains ministériels ont maintes occasions de définir leur conception du rôle de l’État. La devise du Parti libéral devrait être « le progrès dans l’ordre et l’ordre dans le progrès », résume Hector Laferté, ministre de la Colonisation, de la Chasse et des Pêcheries. (23 février) Joseph-Édouard Perrault, ministre des Mines et de la Voirie, complète le propos :

En ces temps de difficultés accrues, tous les citoyens se tournent vers l’État. L’État apparaît plus que jamais comme le sauveur, et c’est aux hommes politiques que l’on demande d’apporter des remèdes aux maux dont souffre l’humanité et d’adopter les mesures propres à redonner aux activités de chacun un élan nouveau. Depuis que la crise est venue, tous appellent les gouvernants à leur aide. Quelqu’un souffre-t-il? Est-il dans le besoin? Vite, il a recours à l’État.

On a trop la tentation de recourir au paternalisme d’État. Certes, l’État ne peut demeurer indifférent et il se doit d’aider dans toute la mesure dont il est capable. Il est opportun toutefois de rappeler les dangers qu’entraînerait une intervention excessive de l’État dans les affaires privées. Les parlements et les individus doivent demeurer dans leur domaine respectif et ne pas méconnaître leurs devoirs particuliers à la faveur des difficultés de tout ordre, amenées par le trouble économique actuel.

On ne saurait trop souvent redire que le malaise présent ne disparaîtra que par l’effort individuel, par l’esprit d’entreprise de chacun, par le retour de chaque citoyen aux seules façons de penser, d’agir et de vivre qui assurent le progrès durable aux individus et aux nations. (15 février)

 

Robert Taschereau, député de Bellechasse et fils du premier ministre, rejoint les idées de son père :

Il ne faut pas confondre les lois sociales avec l’étatisme, la coopération, et l’assistance avec le secours direct. Pour certains, une loi est une loi sociale si elle attribue à l’État des fonctions qui, à mon sens, relèvent de la collectivité. Les rôles ne doivent pas être renversés. L’État a ses fonctions, l’individu les siennes. L’État ne doit pas empiéter sur les fonctions de l’individu et ce dernier ne doit pas empiéter sur les fonctions de l’État. Une loi est une loi sociale lorsqu’elle traite des rapports des individus entre eux, mais elle devient de l’étatisme lorsque les individus, cessant d’agir, se reposent sur elle et en attendent tous les bienfaits et les soulagements.

La première est une loi qui favorise la coopération et l’assistance mutuelle entre les individus et les diverses classes de la société. L’autre, l’étatisme à outrance, fait perdre l’initiative en mettant à la charge de l’État ce qui relève des individus. Elle engendre l’inactivité, l’oisiveté, le désœuvrement et fait jouer à l’État un rôle qui n’est pas le sien. Le véritable rôle de l’État, M. l’Orateur, ce n’est pas de faire des pensionnaires de ses sujets, mais de créer des facilités d’association, de coopération et d’assistance, afin que la collectivité puisse en bénéficier dans tous les champs où s’exerce son activité. (15 mars)

 

En définitive, après 36 années consécutives au pouvoir, le Parti libéral vit une crise d’identité. L’ancienne garde et les réformistes ne partagent plus les mêmes idées, mais tout cela se fait encore sous le couvert de l’unité en 193325. Pendant ce temps, le Parti conservateur se montre sous un jour nouveau.

 

Reconstruction au Parti conservateur

Camillien Houde, chef du Parti conservateur, n’a plus la cote. Plusieurs éléments de son parti entretiennent des divergences de vues avec lui et, en plus, son image est ternie à la suite d’une enquête menée par Le Devoir. Le principal intéressé finit par remettre sa démission le 19 septembre 1932.

Charles-Ernest Gault, député de Montréal-Saint-Georges, agissait comme chef intérimaire de l’opposition, depuis la défaite de Houde aux élections de 1931. Mais, le 7 novembre 1932, à la suite d’un caucus du Parti conservateur tenu à Montréal, Maurice Duplessis est choisi pour lui succéder. Les conservateurs remettent par contre à plus tard la convention pour désigner le nouveau chef permanent du parti. Aimé Guertin, député conservateur de Hull, aurait préféré tenir une convention immédiatement et se lancer lui-même dans la course à la direction.

Apprenant la nomination de Duplessis par les journaux, Taschereau se fait un devoir de le féliciter. Il écrit : « Évidemment nous aurons à différer d’opinions, probablement très souvent; il ne saurait en être autrement; mais je suis sûr que nos relations seront amicales et courtoises comme elles l’ont été dans le passé26. » Duplessis lui répond avec la même politesse.

Sans le savoir, Duplessis devait peut-être sa propre réélection de 1931 à Taschereau lui-même. C’est ce que relate l’historien Jean-Guy Genest : il écrit que Charles Gavan « Chubby » Power – député fédéral de Québec-Sud et organisateur en chef pour les libéraux du Québec lors de l’élection provinciale de 1931 – avait été mandé par les organisateurs libéraux de Trois-Rivières « pour obtenir une aide financière supplémentaire qui, affirmaient-ils, apporterait la victoire au candidat libéral « :

Mis au courant de la situation, Taschereau dissuada Power de fournir des fonds supplémentaires : « Ne pensez-vous pas, dit-il, qu’il serait mieux de laisser élire Duplessis? Après tout nous espérons défaire M. Houde dans le district où il est candidat, et dans l’éventualité, Duplessis deviendrait naturellement chef de l’opposition. Houde est un mauvais garnement et un polisson tandis que Duplessis est un monsieur de bonne famille et serait un chef de l’opposition beaucoup plus acceptable en ce qui nous concerne. Ce serait peut-être mieux de laisser la situation comme elle est27. »

Le fait est que Duplessis fut élu avec une majorité de 41 voix seulement. Taschereau s’était donné un adversaire à sa taille.

En Chambre, les libéraux reconnaissent d’office que « le nouveau chef de l’opposition a du brio, quelques bons lieutenants et de l’étoffe ». (16 février) En a-t-il assez? La question se pose alors. Le ministre Joseph-Napoléon Francoeur connaît le talent et la vaste expérience juridique de Duplessis, mais il lui semble que l’œuvre de reconstruction du Parti conservateur est en soi immense. C’est sans compter que le nouveau chef de l’opposition, âgé de 42 ans, est « jeune, enthousiaste et travailleur », d’ajouter le ministre Hector Laferté. (23 février)

Duplessis se consacre presque tout entier à sa nouvelle tâche, c’est-à-dire qu’il délaisse peu à peu ses activités à son bureau d’avocat. Il aspire à devenir politicien à plein temps, ce qui le distingue des hommes politiques de son époque. Le député conservateur de Chambly, Hortensius Béïque, tient d’ailleurs à le féliciter « du sacrifice qu’il s’est imposé en acceptant la charge de chef de l’opposition, sacrifices personnels de toutes sortes, sacrifices de son bureau, auquel il a donné 20 ans de sa vie […] ». (14 février)

Durant les débats de 1933, Duplessis est moins prompt à l’attaque qu’à la précédente session. À titre de nouveau chef de l’opposition, il perçoit son rôle ainsi :

L’opposition a un devoir, un rôle nécessaire à remplir, et elle le remplira. Elle a rendu à la province des services signalés en préconisant des réformes urgentes, tardivement mises à exécution. Nous sommes prêts à aider le gouvernement dans toutes les mesures économiques qu’il proposera, à faciliter l’expédition des affaires publiques. L’opposition est nécessaire, elle n’entend pas faire obstruction, mais elle a des devoirs, des obligations et elle a aussi des droits. Elle en exigera le respect. […] L’opposition entend faire une lutte courtoise et elle compte recevoir du gouvernement la même courtoisie. La courtoisie bien comprise ne doit exclure ni la fermeté nécessaire ni l’énergie qui s’impose en certaines occasions. (12 janvier)

 

 

Dans ce même discours, Duplessis brosse à grands traits les politiques mises de l’avant par son parti. Il dénonce d’abord la « politique d’industrialisation à outrance, que le gouvernement présentait comme une panacée à tous les maux ». S’il ne tient évidemment pas le gouvernement comme responsable de la grande dépression, il lui reproche néanmoins « son imprévoyance, son incurie et sa négligence » pour avoir aggravé la crise en sacrifiant l’agriculture au profit de la surindustrialisation. Autrement dit, le gouvernement aurait dû, dans ses actes et sa législation, reconnaître le principe que « la province de Québec a toujours été et doit toujours être essentiellement agricole ». Laurent Barré, député de Rouville, fait de même : ardent promoteur du crédit rural, il proclame « l’agriculture comme planche de salut ». (15 février)

L’opposition conservatrice, c’est son rôle, s’applique à montrer les imperfections du gouvernement libéral. Tout compte fait cependant, les travaux de la session parlementaire de 1933 sont menés sans trop d’excès de langage, comme en témoignent les deux extraits suivants :

M. Duplessis (Trois-Rivières): Je reconnais, dans le premier ministre, une intelligence de premier ordre et, dans ses collègues du ministère, des hommes de grande valeur. Pour moi leur responsabilité n’en est que plus grande d’avoir, en connaissance de cause et de plein gré, amené la province au bord du gouffre, à un doigt de la ruine. Mais, en présence d’une situation aussi grave que celle à laquelle le gouvernement doit faire face, j’estime que la politique doit faire trêve. J’offre donc au premier ministre ma collaboration, et celle de mes amis, chaque fois qu’elle lui apparaîtra utile. (12 janvier)

L’honorable M. Taschereau (Montmagny): Je tiens à profiter ici de l’occasion pour rendre à mon honorable ami le chef de l’opposition l’hommage du témoignage que ni lui ni ses amis n’ont essayé de retarder la session ou de faire de l’obstruction. Ils ont critiqué avec violence. Nous les avons trouvés injustes parfois, mais ils n’ont rien fait pour obstruer le travail de la Chambre. (6 avril)

 

Le discours du trône

« Note grave dans le discours du trône. » C’est le titre donné par Edmond Chassé à sa chronique parue dans L’Événement. Il écrit que ce discours « est le plus grave que nous ayons entendu depuis vingt-six ans que nous assistons à l’ouverture de sessions parlementaires à Québec ou à Ottawa28 ».

Dans ce discours, le lieutenant-gouverneur Carroll résume l’état général de la situation économique de la province :

À l’ouverture de chaque session, le gouvernement a coutume d’annoncer des mesures législatives importantes qui contribuent à la prospérité et à l’avancement de la province. Il n’en saurait être ainsi, cette année. L’heure n’est pas aux initiatives nouvelles qui demandent des dépenses considérables d’argent. Il s’agit plutôt de conserver les positions que nous avons acquises aux jours de grande prospérité, de nous y maintenir et de faire face aux obligations que nous avons assumées alors, sans ajouter, cependant, au fardeau très lourd qui pèse sur nous.

Les revenus baissent de façon considérable, beaucoup de fortunes privées se sont écroulées, des institutions, parmi les plus solides, chancellent et nous sommes appelés à résoudre des problèmes nouveaux. […]

Le gouvernement a donc décidé de pratiquer l’économie la plus sévère dans tous les domaines, de ne pas ajouter un seul sou de taxe au fardeau qui pèse sur notre population, de garder les municipalités dans les limites les plus strictes de leur crédit et de n’entreprendre aucun travail nouveau qui puisse faire appel à nos ressources, sauf quant au chômage, si la chose devient nécessaire.

 

Carroll énonce ensuite les remèdes que le gouvernement entend étudier au cours de la présente session pour contrer la crise : moratoire au paiement des dettes, crédit agricole, retour à la terre, aide aux chômeurs autrement que par des secours directs, etc. En terminant, il dévoile que le dernier exercice financier se soldera par un déficit29.

L’adresse en réponse au discours du trône débute le 11 janvier avec les discours du proposeur de la motion, Joseph-Alphida Crête, député de Laviolette, et celui du secondeur William James Duffy, député de Compton. Le lendemain, Maurice Duplessis livre son premier discours à titre de chef intérimaire de l’opposition. Retors, il annonce ceci : « Un seul discours sera fait sur l’adresse du côté de l’opposition, c’est celui que je prononce en ce moment. » Taschereau lui répond brièvement. Pour finir, Lucien Lamoureux, député libéral d’Iberville, ne peut s’empêcher de parler en faveur de l’établissement d’un crédit agricole.

Le débat sur l’adresse est adopté le jour même. Les cinq députés qui ont pris la parole auront abordé, en surface, les thèmes suivants : l’agriculture, la crise, la menace communiste et la collaboration fédérale-provinciale.

Puis les travaux de l’Assemblée législative reprennent après le retour du premier ministre, parti assister à la conférence fédérale-provinciale à Ottawa. Le menu législatif est mince en ce début de session. Les affaires vont rondement, les séances sont ajournées en moins d’une heure. Duplessis se montre habile :

M. Duplessis (Trois-Rivières): Il est regrettable que le gouvernement n’ait pas jugé à propos de préparer sa législation. Dans un temps comme celui où nous sommes, où le gouvernement prétend ne pas avoir d’argent, il n’est pas raisonnable de tenir des séances comme celles que nous avons depuis deux jours. Il faut pratiquer une sévère économie, et quand on sait ce que coûte une journée de session, le gouvernement n’est pas excusable de convoquer les Chambres, sans avoir plus de travail à leur soumettre. Hier, nous n’avons siégé qu’un quart d’heure et aujourd’hui, nous sommes forcés d’ajourner à 4 h 10. Ce n’est pas à coups de séances de 30 ou 40 minutes par jour que nous pouvons arriver à disposer de manière satisfaisante des affaires du peuple. Que le gouvernement présente au plus tôt ses mesures législatives.

L’honorable M. Taschereau (Montmorency): Nous venons de référer au comité des bills publics quatre projets de loi du gouvernement. Nous en sommes, à vrai dire, au quatrième jour de la session. Nous sommes un peu désorganisés, parce que nous avons été pris par surprise et quelque peu désarmés. Avec, de l’autre côté, un chef de l’opposition bouillant, vigoureux, jeune, zélé, actif, intelligent, plein de force et d’ardeur et une opposition qui ne demande qu’à se battre, nous nous attendions que le débat sur l’adresse durerait deux semaines. Nous avons été trompés. (Rires)

 

Il a préféré s’abstenir. Cela aurait permis au gouvernement de mettre toute la machine en marche et de préparer le travail en temps voulu. Nous essaierons de faire mieux à l’avenir. Nous avons, au feuilleton, plusieurs mesures du gouvernement pour demain et nous avons du travail sur la planche pour les comités pour plusieurs séances à venir.

M. Duplessis (Trois-Rivières): Le premier ministre manque donc d’adresse. (Rires)

L’honorable M. Taschereau (Montmorency): Mon honorable ami a manqué d’autre chose: d’opposition. (Rires à droite) (25 janvier)

 

Au demeurant, Duplessis fait de nombreuses demandes de documents et, jour après jour, se plaint de ne pas obtenir les renseignements demandés. « Vous faites toujours la même scène », finit par lui dire Taschereau à la séance du 23 février, qui soutient au contraire que le gouvernement fait preuve de diligence. Sans jamais élever le ton, en somme, le chef de l’opposition parvient au but qu’il s’était fixé en montrant, à tort et à travers, qu’il règne un certain laxisme du côté du gouvernement.

 

Les finances publiques

Ralph Frederik Stockwell, le nouveau trésorier de la province, livre son discours sur le budget le 9 février. Il parle d’abord d’agriculture, des forêts, du développement hydroélectrique, des mines, des manufactures, de l’assurance-vie, des placements, du tourisme et de l’inflation. Il en vient ensuite au vif du sujet. L’heure des tristes bilans a sonné :

L’année fiscale terminée le 30 juin, 1932, et dont je vous donnerai les résultats au cours du présent exposé, n’a vu aucune diminution de ces demandes; elles ont plutôt augmenté d’intensité, et je n’hésite pas à affirmer qu’en face des déficits, variant de centaines de millions à plusieurs millions de dollars, qui ont été annoncés par presque tous les gouvernements fédéraux, provinciaux, les états et les grandes municipalités du continent de l’Amérique du Nord, sans parler du reste de l’univers, personne en cette Assemblée ne devrait être surpris, ni critiquer plus qu’il ne faut sa province, si je déclare que, pour la première fois depuis trente-quatre ans, votre trésorier doit annoncer un déficit dans les revenus ordinaires destinés à solder les dépenses ordinaires de l’année fiscale terminée le 30 juin dernier.

 

Le surplus probable de plus de 158 000 $, estimé dans les prévisions fiscales terminées le 30 juin 1932, s’est plutôt soldé en un déficit de 584 708 $. Les recettes prévues ont été inférieures de presque deux millions de dollars. Stockwell explique que les principales diminutions de revenus concernent les droits sur les successions ainsi que les recettes provenant habituellement du département des Terres et Forêts. Par conséquent, comparativement à l’année fiscale terminée le 30 juin 1930, il y eut une réduction des dépenses de 5 % pour la Voirie et les Mines et une réduction de 3 % pour les Travaux publics et pour le Travail.

Pour l’année courante, le trésorier annonce qu’il « est encore trop tôt pour que l’on puisse faire des prédictions exactes, en ce qui regarde la question de savoir si le modeste surplus, prévu dans le discours sur le budget de la dernière session, sera atteint ». Quant aux prévisions de 1933-1934, il fait montre d’optimisme. En tenant compte des conditions financières existantes, il estime que les recettes ordinaires seront de 34 304 286 $ et les dépenses ordinaires, de 34 242 071 $, ce qui correspond à un surplus de 62 214 $. Il dicte enfin les éléments qui ont présidé à la préparation de son budget prévisionnel :

1. Attention donnée aux services raisonnables et essentiels.

2. Conservation des biens de la province, tels que les forêts, les routes et, par-dessus tout, les biens primordiaux qui se rattachent à l’encouragement de l’enseignement et à l’amélioration de l’hygiène publique.

3. Continuation des travaux déjà commencés et autorisés, afin de permettre au gouvernement de maintenir sa politique de secours indirects aux chômeurs.

4. Stricte économie, celle que nous dicte l’époque où nous vivons.

 

Les discours qui s’ensuivent jusqu’au 23 février touchent de nombreux sujets : les causes de la crise, le chômage, les travaux de chômage, les secours directs, l’agriculture, le retour à la terre, le drainage des terres, les taxes, l’inventaire des ressources naturelles, le premier ministre canadien Bennett, la voirie, l’importance du tourisme, l’hydroélectricité, sans oublier les coûts de construction du pont de l’île d’Orléans et du boulevard Taschereau à Longueuil. Un discours capte l’attention, celui d’Oscar Drouin prônant une réforme du système bancaire canadien. (21 février) Signalons également ceux du libéral Ernest Poulin, député de Montréal-Laurier, et du conservateur Aimé Guertin, député de Hull, qui se rejoignent au sujet du fardeau supporté par la classe moyenne en ces temps de crise. (14 et 21 février)

On retient surtout que le budget est déficitaire. Puisque Taschereau ne veut pas emprunter, par défaut, les « contribuables de la province ne peuvent pas s’attendre à ce que le gouvernement leur donne plus qu’il ne reçoit d’eux, car le trésor de l’État est fait des contributions du peuple ». (12 janvier) L’étude détaillée des crédits, à la fin de la session, est d’ailleurs là pour prouver que le gouvernement sabre dans ses dépenses. L’historien Vigod tire cette conclusion :

Ainsi qu’il devait l’admettre ouvertement dès 1933, cela n’avait aucun sens de proclamer des budgets équilibrés ou une faible dette « provinciale » tandis que des municipalités mettaient en péril leur réputation de solvabilité à coups d’emprunts qu’elles pourraient ne jamais rembourser. La province devait au moins faire bon usage de l’excellent statut financier que lui et Gouin avaient établi avec tant de soin; la dépression avait créé un fardeau qu’il fallait partager avec des générations à venir30.

 

Les faits marquants de la session

Selon leur allégeance respective, les journaux de la province qualifient cette session différemment. Les uns félicitent le gouvernement de « sa politique inspirée par la prudence31 », les autres mettent en sellette les points de rupture qui tenaillent les libéraux de l’intérieur. Tous s’accordent néanmoins sur le fait que le travail législatif a été dominé par « l’ombre menaçante32 » de la dépression économique. Comme le dit Taschereau lui-même à la séance du 12 janvier : « Ceux qui écriront l’histoire constateront que nous traversons actuellement une grande période d’histoire de l’humanité. Nous vivons une période de l’histoire montrant plusieurs côtés sombres […] ».

De nombreux problèmes ont sollicité l’attention des parlementaires en 1933. Sur un total de 218 projets de loi présentés à l’Assemblée législative et deux au Conseil législatif, 179 sont sanctionnés par le lieutenant-gouverneur.

 

Conférence fédérale-provinciale

Quelques jours avant la tenue de la conférence du dominion et des provinces à Ottawa, Maurice Duplessis est catégorique : « Coopérer avec Ottawa à l’heure actuelle est un devoir patriotique. » (12 janvier) Il précise que le gouvernement fédéral « représente l’autorité qu’il faut respecter à Québec comme ailleurs et lui donner son support sans distinction de parti ». Faut-il rappeler que les conservateurs de Bennett sont au pouvoir là-bas et que les « bleus » du Québec y comptent plusieurs alliés? Duplessis insiste néanmoins sur l’importance de préserver l’autonomie provinciale.

Du 17 au 19 janvier 1933, les premiers ministres des provinces rencontrent le premier ministre canadien au parlement d’Ottawa. Sur l’ordre du jour : 1. le chômage; 2. les compétences des deux paliers de gouvernements en matière de pensions de vieillesse, de chômage et d’assurance sociale; 3. l’impôt; 4. le droit des compagnies; 5. les pouvoirs des sociétés d’assurance; 6. les chevauchements des juridictions fédérale et provinciale, en agriculture et en santé notamment; 7. la concurrence du camionnage et des autobus au transport ferroviaire; l’uniformisation des données statistiques canadiennes33.

À son retour, Taschereau donne quelques renseignements concernant cette conférence. Il confirme que la question relative à l’assurance-chômage et celle de la juridiction en matière d’assurance « sont restées sans solution ». Il enchaîne ensuite sur l’importance de la sauvegarde de l’autonomie provinciale :

La province de Québec continuera de défendre les droits et les privilèges qui représentent un héritage sacré et que nous nous devons de préserver pour le bénéfice des générations futures. C’est ce que nous avons fait à Ottawa, et nous n’avons aucunement à rougir de notre position sur cette question. S’il y a une chose que nous voulons défendre, c’est bien l’intégrité de nos lois. Les nouveaux admis au sein du Canada qui ne comprennent pas la mentalité et les lois des vieilles provinces et qui n’ont pas les mêmes motifs que celles-ci pour insister sur l’intégrité de l’Acte de l’Amérique britannique du Nord ne devraient pas être autorisés à modifier la Constitution. (26 janvier)

 

L’hydroélectricité

Autant la question de l’électricité déchire certains membres du Parti libéral au Québec, autant cette question demeure omniprésente dans les débats parlementaires durant la session. Libéraux comme conservateurs expriment une diversité d’opinions au sujet des riches pouvoirs hydrauliques de la province.

Duplessis ouvre le bal. Il parle en faveur de l’électrification rurale dans son discours sur l’adresse. Mais le débat véritable est amené par le député libéral de Pontiac, Wallace Reginald McDonald : « Depuis quelques années, à tort ou à raison, il y a une bonne partie de la population qui croit que nous sommes exploités par les compagnies d’électricité, les power trusts, ainsi qu’elle les désigne ». (14 février) Pour dissiper ce malaise, dit-il, il suggère qu’une enquête soit menée par la Commission des services publics; mais le gouvernement ne répond pas à sa demande.

Plus tard, lorsque la Chambre étudie le bill 118 concernant une commutation de taxes pour la Quebec Power, les députés conservateurs se braquent contre le projet du gouvernement. « Voici encore une nouvelle exemption pour les grosses compagnies », de s’exclamer Duplessis. (8 mars) Et le fait que le premier ministre et son fils se portent à la défense du projet de loi contribue – en apparence du moins – à les cataloguer davantage. D’autant qu’à la même époque la Quebec Power est objet de controverse dans la ville de Québec.

En 1933, le conseil municipal de Québec demande de nouveau à l’Assemblée législative la permission de municipaliser l’électricité. Au comité des bills privés, lors de l’étude de la loi modifiant la charte de la cité (bill 99), les avocats de la Quebec Power confrontent l’avocat de la Ville de Québec, Ernest Lapointe. Avec éloquence, ce dernier présente un argumentaire qui brosse tous les avantages de la municipalisation de l’électricité34. Il ne parvient quand même pas à ébranler les convictions du premier ministre à cet égard.

Oscar Drouin, parrain du bill 99, s’incline. Par un vote de 40 contre 10, la clause accordant le droit à la Ville de Québec de municipaliser le service d’éclairage électrique et la force motrice est biffée du projet de loi35 : « Le débat a été assez long au comité des bills privés et a suffi à éclairer tous les membres. Comme tous les députés siègent dans ce comité et qu’ils se sont opposés, je ne crois pas nécessaire de reprendre l’étude de cette question en Chambre, car le résultat serait le même », termine Drouin. (21 mars) Pour finir, le maire de Québec, Henri-Edgar Lavigueur, accepte un nouveau contrat de 12 ans avec la Quebec Power. Le dentiste Philippe Hamel soupçonnera le fils du premier ministre d’avoir rédigé cette entente36.

« L’effet Hamel » est bien audible dans les discours des députés conservateurs. Duplessis – qui est contre la municipalisation et pour « les compagnies au capital honnête », tient-il à préciser – demeure aux aguets en ce qui a trait aux « taux élevés, excessifs et scandaleux » chargés par les compagnies d’électricité. (22 mars) L’opinion publique est en éveil, constate le chef de l’opposition. Il croit qu’il faudrait faire une enquête :

L’heure est arrivée, et il est urgent, d’établir dans Québec un organisme indépendant et compétent pour enquêter et étudier profondément la situation de l’énergie électrique sur les taux en particulier, et de donner à cet organisme tous les pouvoirs nécessaires.

On pourrait nommer une commission indépendante composée de trois hommes, bien payés, qui prendraient leur temps et qui étudieraient le sujet à fond : le Dr Philippe Hamel de Québec un représentant de ceux qui ont des griefs à faire valoir, qui a fait une étude fouillée de la question, un représentant des compagnies d’électricité et une tierce personne libre d’esprit et indépendante des deux autres. (7 avril)

Taschereau est conscient de l’ampleur que prend le débat : « Je m’accorde en grande partie avec ce que vient de dire le chef de l’opposition. À tort ou à raison, il est évident que l’opinion publique n’est pas satisfaite des taux actuels. Il est certain que s’il y avait moyen de satisfaire l’opinion publique sur la question des taux raisonnables, un grand pas serait fait. » Cela dit, il lui faudra une année encore avant de céder aux pressions populaires : à l’été 1934, il annoncera la formation d’une commission d’études sur la question hydroélectrique37.

La « houille blanche », comme on dit alors, est abordée encore à l’occasion de l’étude du bill 250 relatif à l’exportation de la force hydroélectrique. Taschereau recule cette fois sur un principe qui lui est cher, son gouvernement s’étant toujours opposé depuis 1926 à l’exportation de l’énergie électrique aux États-Unis. On justifiait naguère cette politique, disant qu’une telle exportation causerait préjudice à l’industrie de la province. Les circonstances ont changé, dit-on.

Honoré Mercier fils, ministre des Terres et Forêts, raconte que le prolongement de la crise mondiale a forcé le gouvernement à venir en aide à l’industrie hydroélectrique. La Beauharnois, en outre, sollicite cette aide parce qu’elle craint l’annulation d’un contrat passé avec l’Hydro-Ontario. Sans compter que les usines de papier – de grandes consommatrices d’électricité – se tirent fort mal d’affaire durant la même période. Il en résulte une surproduction d’électricité. En dépit des critiques de l’opposition, le maximum fixé pour l’exportation sera de 300 000 chevaux-vapeur.

 

« Pitons » et « dettes d’honneur » de la province

En manchette dans les journaux, en 1933, il est abondamment question des bons impayés, appelés « pitons », du gouvernement provincial38. Les conservateurs font grand cas de ces retards de paiement. Il s’agit d’un « régime de pitons », au dire de Pierre-Auguste Lafleur, député de Verdun.

Taschereau résume la situation à la séance du 12 janvier :

La province de Québec fait face à une situation sans précédent. Nous sommes débordés de chômeurs. Il n’y avait pas d’autre chose à faire que de les placer sur des terres. Tout ce que nous avons fait a été de suivre les méthodes des marchands de bois qui donnent des pitons à leurs employés qui peuvent les échanger contre des marchandises. Le ministère de la Colonisation fait un travail de géant.

Des chômeurs ont été placés sur des lots de colonisation, dans des régions où il n’y a pas de banque. Lorsqu’un colon arrive sur une terre nouvelle, il faut bien lui donner des pitons, afin qu’il puisse s’acheter du bois, des clous, un poêle, une vache, des instruments aratoires.

 

Le député conservateur de Huntington, Martin Beattie Fisher, voit les choses d’un autre œil :

Le […] gouvernement de la province de Québec est le seul gouvernement qui a eu recours à l’inflation, et encore, à la pire sorte d’inflation. Ainsi, l’été dernier, le gouvernement de Québec s’est trouvé à court de fonds pour payer ses dettes. Il a utilisé un système dangereux et illégal de bons, qu’en français on appelle pitons. Le système des pitons n’est rien autre chose que de l’inflation. Ces morceaux de papier ont été donnés aux ouvriers de ce pays en paiement pour du travail honnête. Les banques ont refusé de l’escompter et les détenteurs les ont alors échangés aux marchands pour des marchandises.

Des millions de dollars de pitons n’ont pas encore été rachetés à l’heure présente. Si des particuliers avaient tenté d’exploiter un pareil système pour payer leurs dettes ou pour payer un travail honnête et que les pitons aient été refusés ensuite aux banques et chez les marchands, ils auraient été vite mis au pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul. (15 février)

Il y a plus. Duplessis répète sans cesse que le gouvernement libéral « refuse de payer ses dettes d’honneur ». (voir : bill 11 et bill 40) Avec insistance, le chef de l’opposition talonne le gouvernement pour savoir quand il paiera les montants dus aux hôpitaux de la province.

Pour ce faire, Taschereau doit modifier la loi de l’assistance publique de Québec. Le premier ministre explique d’abord que les sources de revenus du gouvernement sont taries. À cause de la crise, le fonds de l’assistance publique est déficitaire et, selon la loi, il est interdit de le renflouer à même les fonds consolidés du revenu. Le bill 40 vient remédier au problème en permettant désormais d’y puiser les sommes nécessaires.

 

Limitation des heures de travail

Dans le discours du trône, Carroll l’avait annoncé :

Il est indéniable que l’usage, toujours plus étendu, de la merveilleuse mécanique moderne a causé une surproduction que les consommateurs ne sauraient absorber. On ne peut arrêter ni le génie inventif, ni les améliorations et les progrès qu’il crée. Toutefois, les statistiques établissent que 25 % des ouvriers sont sans travail. Le gouvernement croit qu’en diminuant le nombre des heures de travail dans certaines industries qui ne subissent pas la concurrence étrangère, et pour telles périodes que les circonstances justifieront, on pourra en arriver à donner à beaucoup plus d’ouvriers l’occasion de trouver de l’emploi; car nous n’oublions pas que le chômage est le pire des fléaux, tant au point de vue économique que moral. (11 janvier)

 

Le bill 29 relatif à la limitation des heures de travail est présenté par le ministre du Travail, Charles-Joseph Arcand. L’intention du gouvernement est de redonner du travail à un plus grand nombre d’ouvriers. Dans les circonstances, « le lieutenant-gouverneur en conseil pourra déterminer la durée du travail pour telles régions de la province, tels genres d’industries et de travaux, telles catégories d’ouvriers et pour telles périodes de temps jugées convenables ». Le ministre confirme que cette nouvelle mesure ne s’appliquera « que pour les industries et les travaux qui ne subissent pas la concurrence des autres pays ou des autres provinces ». (1er mars)

L’opposition est peu impressionnée par le principe de cette loi. En pratique, de commenter Duplessis, « toutes les industries ont à subir une concurrence quelconque de l’étranger et, par le fait, échappent donc à la loi ».

 

Femmes et société

Une nouvelle fois encore en 1933, un projet de loi relatif au droit de vote des femmes est présenté à l’Assemblée législative. Comme à la dernière session, Anatole Plante, député de Montréal-Mercier, parraine le bill. Il résume ses arguments en deux points : premièrement, les femmes devraient voter parce qu’elles paient des taxes, « no taxation without representation »; deuxièmement, elles devraient voter parce qu’elles sont soumises aux mêmes lois que les hommes. Peine perdue, par un vote de 53 contre 20, le projet ne franchit pas la deuxième lecture.

Le travail des femmes et des jeunes filles est un autre thème abordé à l’Assemblée législative, à la demande expresse du député libéral de Montréal-Dorion, Joseph-Achille Francoeur. Celui-ci considère que le travail dans les usines, dans les ateliers, dans les magasins et dans les bureaux est nuisible à la santé de la main-d’œuvre féminine. En cette période intense de chômage, il croit de plus que ces dernières constituent une concurrence de trop pour les hommes.

Le député conservateur de Hull, Aimé Guertin, reconnaît volontiers que les hommes doivent faire des concessions et reconnaître certains droits aux femmes. En retour, il est convaincu d’avance qu’il « est des travaux moins adaptés à la femme, que la nature destine plutôt aux ouvrages domestiques; ouvrages d’ailleurs qui sauvegardent admirablement l’honneur de son sexe et répondent mieux de leur nature, à ce que demandent la bonne éducation des enfants et la prospérité de la famille ». (7 février)

Le ministre du Travail, Charles-Joseph Arcand, clôt le débat du travail féminin en dressant le bilan de la législation libérale en cette matière. Il rappelle que les filles ne peuvent être admises au travail avant l’âge de 14 ans et que le travail de nuit « est absolument interdit à toutes les personnes de l’autre sexe ». Il table ensuite sur l’importance du travail des femmes :

Il y a toute une question de technique industrielle importante à considérer. Dans l’industrie textile, dans l’industrie du vêtement, dans celles du tabac, de la confiserie et autres, dans ce qu’on est convenu d’appeler l’industrie légère, les femmes se sont rendues nécessaires. Il faut admettre qu’elles y excellent, en raison de la délicatesse de beaucoup d’opérations. Non seulement il y a des raisons techniques, mais il y a aussi des raisons de tradition. Par tradition, par la nature même du travail, certains genres d’emplois sont réservés aux femmes. Le travail industriel de la femme a connu son début à l’avènement du machinisme et au commencement du dernier siècle. Tous les pays l’ont laissé pratiquer. À moins d’adopter une législation pour tous les pays du monde, nous ne pouvons pas renvoyer ces femmes chez elles. (7 février)

 

Arcand convient avec ses collègues « que la place de la femme est à son foyer et que le travail féminin n’est à supporter que lorsque la femme a absolument besoin de gagner pour faire vivre des personnes qui dépendent d’elle ». Conformément avec l’encyclique Quadragesimo Anno, il est d’avis que ce qui est « condamnable et antisocial », c’est d’abord « le travail de la femme mariée ».

 

Assurances sociales et pensions de vieillesse

Instituée par arrêté en conseil le 29 octobre 1930, la Commission des assurances sociales avait été chargée d’étudier les législations pouvant être adoptées relativement à l’assistance, l’assurance sociale et l’hygiène industrielle. Présidée par Édouard Montpetit, directeur de l’École des sciences sociales de l’Université de Montréal, la « commission Montpetit » dépose le dernier de ses sept rapports en 1932. Tous les parlementaires s’entendent pour féliciter le travail effectué par les membres de cette Commission.

Du 7 au 21 mars 1933, les députés commentent les conclusions de la Commission. Le ministre du Travail, Charles-Joseph Arcand, est particulièrement frappé par le tableau donné sur « le virage social de notre province ». Il cite le second rapport :

La population de la province de Québec a, pendant des siècles, mené une existence simple, reposant sur la famille et sur la paroisse. Sauf dans les centres les plus peuplés, à Montréal, par exemple, ou à Québec et à Hull, elle n’était pas atteinte par les maux qui naissent de l’industrialisme.

La vie de famille se suffisait et elle pouvait toujours compter sur l’appui des voisins ou du groupement qui s’était formé autour d’elle. L’aide intelligente et pratique de nos institutions et communautés religieuses venait ensuite à la rescousse pour le soin des enfants et des vieillards. Ce régime admirable a fonctionné avec succès pendant des siècles, mais aujourd’hui il est impuissant devant les complications et les dangers de la vie moderne; et l’armature sociale de la province de Québec est insuffisante, en ce qui concerne au moins la protection du foyer.

Les progrès du machinisme et la surpopulation des villes en sont les causes principales : la famille est isolée, quand elle n’est pas brisée, et si quelque malaise social la touche, elle ne peut plus compter sur ses propres ressources et doit se tourner vers les services dont l’objet est de lui venir en aide.

 

À la lumière de la situation qui prévaut en ce premier tiers du XXe siècle, les conservateurs et les libéraux ont des idées divergentes sur le rôle que doit adopter l’État en matière sociale. Notamment, alors que les premiers croient que le gouvernement devrait adhérer au programme de pensions de vieillesse mis en marche par le gouvernement fédéral, les seconds ne partagent pas cet avis. En vain, Aimé Guertin, député conservateur de Hull, présente d’ailleurs une motion demandant que le gouvernement accepte « comme mesure temporaire et transitoire la mise en vigueur de la loi fédérale des pensions de vieillesse ». (30 mars et 12 avril)

 

La langue française

À deux reprises, la Chambre prend note de l’état de la langue française dans la province de Québec. Un sentiment d’inquiétude règne.

Joseph-Édouard Perrault, ministre des Travaux publics, cherche en outre à « conserver le caractère français de notre province » par la création d’un conseil du tourisme (bill 55). Ce caractère, dit-il, est menacé par les enseignes anglaises qui ornent les hôtels de la province, du genre « Continental » ou « Imperial Hotel ». Bref, le conseil du tourisme « suggérera aux propriétaires de les changer pour des noms français ». (24 mars)

Oscar Drouin, représentant de Québec-Est, poursuit sur cette lancée. Le 4 avril, il demande au gouvernement une copie de toute correspondance échangée relativement à la « campagne de refrancisation » entreprise en 1932 par la Société des arts, sciences et lettres de Québec. Drouin cherche à « donner un caractère officiellement provincial à cette œuvre patriotique ». Soulignons également que le premier ministre avait d’ores et déjà donné son appui à cette entreprise39.

En terminant, Drouin insiste pour que les parlementaires prêchent par l’exemple :

Notre système parlementaire, par exemple, découle des institutions britanniques et toute la procédure de nos parlements en porte la marque et son esprit en est imprégné. Les deux langues sont officielles à Ottawa et dans notre Chambre la langue française est loin d’être dédaignée au contraire. Nous en faisons un usage approprié et, à l’occasion, nous voyons les Anglais et autres éléments qui siègent en cette Chambre nous répondre en français, et il nous fait plaisir de leur rendre la politesse. C’est de bon aloi.

[…] Nous, les législateurs, nous donnons souvent un mauvais exemple sans pour cela cependant, comme on l’a prétendu, que notre langage parlementaire soit absolument pourri d’anglicismes. […] Nous employons presque couramment les mots usuels dont on se sert si souvent à la Chambre et en comité tels "Drop", "carried", "chair", "stand", "hear", etc. Ne serait-il pas temps pour nous, législateurs canadiens-français, pour emboîter le pas et correspondre à cette campagne de « refrancisation » de la province, de faire un effort pour éviter ces expressions et d’employer les termes français correspondants? Parlons français ou anglais, mais quand nous parlons français, ne parlons pas métis.

 

La menace communiste : l’Université ouvrière

« Même dans notre province, l’ours moscovite a réussi à s’introduire et il souffle à l’oreille de nos gens des propos qui les troublent. » (11 janvier) C’est en ces termes que Joseph-Alphida Crête, député de Laviolette, exprime sa crainte envers le communisme.

Considérée comme étant une perturbatrice de l’ordre, l’Université ouvrière de Montréal est dans la mire des parlementaires. Et, lorsqu’il est question du maintien de l’ordre social dans la province, les libéraux et les conservateurs sont d’un commun accord.

Le 28 mars, Duplessis s’inquiète donc que l’Université ouvrière « sème des principes subversifs », contraires à ceux qui, selon lui, guident la population de la province. Taschereau est de cet avis. Il promet de réagir au cours de la session.

Parce que l’Université ouvrière est incorporée comme une association de bibliothèques, le ministre du Travail, Charles-Joseph Arcand, présente le bill 248 abrogeant la loi des bibliothèques afin de décréter un nouveau mode de constitution en corporation. L’objectif est de permettre au gouvernement d’exercer un contrôle sur certaines universités ouvrières en les obligeant à s’enregistrer de nouveau. Une seconde loi, le bill 171 modifiant la loi des compagnies de Québec, la loi des clubs de récréation et la loi des sociétés nationales de bienfaisances vient compléter l’autre loi. Le premier ministre explique : « Si un juge de la Cour supérieure trouve quelque chose de séditieux dans ces règlements ou documents, après qu’une plainte aura été portée, il pourra obliger cette association à se dissoudre. » (12 avril)

 

Annales parlementaires

En ce qui a trait aux votes nominaux enregistrés à l’Assemblée législative, si les défaites du gouvernement étaient choses courantes au XIXe siècle, elles étaient de moins en moins fréquentes au début du XXe siècle. Une tendance lourde se dessinait40. Or, à la session de 1933, le Journal de l’Assemblée législative enregistre deux défaites pour Taschereau.

Malgré la désunion qui règne au sein du Parti libéral, ces défaites ne peuvent être interprétées comme un signe de non-confiance à l’encontre du premier ministre. Elles révèlent peut-être davantage que les députés se sentent bien aise de défier la ligne de parti lorsque des questions particulières vont à l’encontre de leurs principes ou de ceux de leurs électeurs.

La première de ces défaites survient le 8 mars au moment de la troisième lecture du bill 176 modifiant l’article 27 de la loi des véhicules automobiles. Amédée Caron, député libéral des Îles-de-la-Madeleine, revient à la charge – pour une deuxième session consécutive – afin d’obliger les propriétaires de véhicules à traction animale à installer des lumières ou des réflecteurs.

Les députés libéraux sont toujours autant divisés sur la question. Au lieu d’adopter la loi, Pierre Gagnon, député libéral de Kamouraska propose « que la motion en discussion soit amendée en en retranchant le mot "maintenant" et en y ajoutant les mots "dans six mois" ». Le vote est enregistré comme suit :

Pour: MM. Authier, Barré, Bédard, Béïque, Bertrand, Casgrain, Charbonneau, Chouinard, Côté (Gaspé-Nord), Dufour, Dugas, Duplessis, Élie, Farand, Fillion (Lac-Saint-Jean), Francoeur (Lotbinière), Frigon, Gagnon (Kamouraska), Gauthier, Godbout, Grant, Laferté, Lamoureux, Lemieux, Lortie, McDonald, Messier, Moreault (Rimouski), Morel, Perrault, Phaneuf, Piché, Sabourin, Saintonge, Samson, Sauvé, Thisdel, Turcotte, 38.

Contre: MM. Arcand, Bélanger, Bouthillier, Caron, Dillon, Filion (Laval), Fisher, Fortier, Fortin, Gault, Guertin, Lafleur, Mercier fils, Plante, Poulin, Power, Reed, Smart, Taschereau (Montmorency), 19.

 

L’amendement est adopté, ce qui a pour effet de faire mourir le bill au Feuilleton. Le premier ministre Taschereau se retrouve du côté de la minorité. Dans les quotidiens, les chroniqueurs parlementaires sont unanimes pour expliquer ce résultat : les députés ruraux ont voté contre les représentants des villes, voilà tout41. Edmond Chassé, de L’Événement, interprète les choses ainsi : « Ceux qui disent que les gens de la ville ont toujours le dessus sur les gens de la campagne à la Législature de Québec ne connaissent pas les sentiments des députés de notre province42. »

L’autre vote enregistré perdu par Taschereau en 1933 se déroule dans des circonstances encore plus exceptionnelles. Le 13 avril – jour même de la prorogation –, la Chambre étudie les amendements apportés par le Conseil législatif au bill 187 modifiant le Code civil relativement aux ventes à tempérament. Duplessis exprime son opposition quant à ces modifications. Sa proposition étant mise aux voix, les parlementaires se divisent ainsi :

Pour: MM. Authier, Barré, Bélanger, Caron, Côté (Gaspé-Nord), Dufour, Duplessis, Élie, Grant, Laferté, Lahaie, Lapierre, Legault, Mercier fils, Perrault, Sauvé, Smart, Taschereau (Bellechasse), Taschereau (Montmorency), Turcotte, 20.

Contre: MM. Arcand, Casgrain, Chouinard, Côté (Bonaventure), Drouin, Dugas, Duval, Fauteux, Fortin, Francoeur (Montréal-Dorion), Gagnon (Kamouraska), Lortie, Moreau, Piché, Power, Saintonge, Samson, Stockwell, Thisdel, Vautrin, 20.

 

Égalité! En vertu du Règlement, le président de l’Assemblée législative, T.-D. Bouchard, doit trancher. Il vote contre la motion du chef de l’opposition, et ce, même si le premier ministre a voté en faveur de la motion de Duplessis. Encore une fois, cette décision ne provoque aucune commotion chez les ministériels. Bien au contraire. Louis-Philippe Roy, chroniqueur de L’Action catholique, écrit que le « travail des députés s’est terminé en un immense éclat de rire, dans une harmonie parfaite, à la suite d’un incident tout à fait rare. […] En effet, les leaders ont sympathisé dans une défaite que leur a affligée l’hon. T.-D. Bouchard, Orateur de l’Assemblée législative43 ».

Les membres de la Tribune de la presse sont avares de commentaires pour expliquer les raisons ayant motivé l’ultime décision du président. Voulait-il empêcher que le projet de loi ne meure au Feuilleton? Était-ce par conviction personnelle? Moins probable encore, T.-D. Bouchard est-il demeuré fidèle à une coutume parlementaire ancienne? À titre informel seulement, rappelons que dans le Lex Parlementaria – datant de 1690 et traduit à Québec en 1803 –, on peut lire : « C’est la règle ordinaire de la loi que quand les nombres de l’affirmative et de la négative sont égaux, Semper presumetur pro negante. La négative suivant la coutume doit l’emporter, c’est-à-dire que la loi ancienne ne doit pas être changée44. »

 

Juge de paix et Grand jury

Parmi les autres mesures adoptées durant la session de 1933, des modifications sont apportées à l’administration judiciaire. D’abord, le bill 9 concernant la fonction de juges de paix des membres des conseils municipaux est étudié en janvier. En vertu de la loi de l’époque, tous les conseillers municipaux devenaient juges de paix ex officio. Taschereau désire qu’à l’avenir seuls ceux qui ont une commission spéciale distincte, après une nomination régulière, occupent la fonction de juge de paix : parce que, dit-il, il a reçu de nombreuses plaintes contre certains juges de paix qui se servent de leur titre « pour faire de la petite politique de village ».

Duplessis parvient à le faire changer d’idée. Entre autres choses, il indique que tous les conseillers ont le devoir de maintenir l’ordre dans leur municipalité, aux assemblées du conseil notamment. Le projet de loi est donc référé au comité des bills publics pour être refait entièrement. On coupe la poire en deux : « Le maire d’une municipalité gardera son titre de juge de paix ex officio, d’après le nouveau projet, tandis que les conseillers ne le seront qu’après avoir été nommés selon la filière administrative ordinaire, au lieu de le devenir en devenant conseillers. » (27 janvier) La loi est sanctionnée le 15 mars.

Au menu législatif également, le Grand juré, une institution instaurée en 1764 sous le gouvernement civil de James Murray, est aboli par le gouvernement Taschereau. (bill 74) Composé de 12 à 23 citoyens et présidé par un juge de paix, le Grand jury avait naguère pour fonction d’examiner un acte d’accusation porté contre un prévenu, afin d’établir si l’accusation était justifiée avant d’intenter ou non un procès. Taschereau considère ce rouage inutile. De toute manière, dit-il, « [l]’enquête préliminaire devant un magistrat et le procès devant le petit jury assurent l’impartialité à tous les accusés ». (30 mars) Duplessis plaide, quant à lui, pour le maintien de cette institution, rappelant que les membres d’un Grand jury « doivent avoir des qualifications particulières ». Malgré cette opposition, le projet de loi est sanctionné le 13 avril.

 

Hitler et les Juifs

Le 1er avril 1933, débutent en Allemagne les violences contre les Juifs et le boycott des magasins juifs. Le 11 avril à l’Assemblée législative de Québec, Peter Bercovitch, député de Montréal-Saint-Louis, de confession judaïque, profite de sa tribune pour adresser sa reconnaissance sincère à l’archevêque de Paris, le cardinal Verdier, qui a demandé des prières aux Français « pour supplier Dieu de faire cesser la persécution menée par Hitler contre les juifs en Allemagne ».

 

Abolition du Conseil législatif

Dans une motion présentée à la dernière séance de la session, le député libéral de Laval, Joseph Filion, invite le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour abolir le Conseil législatif. Le débat est toutefois ajourné, mettant un terme à la discussion.

La même année, Gustave Turcotte, greffier adjoint du Conseil législatif, publie son livre intitulé Le Conseil Législatif de Québec, 1774-1933. Il explique pourquoi le Québec est la seule des provinces canadiennes à posséder encore une Chambre haute. À son avis, le maintien de ce corps illustre « le tempérament de la race canadienne-française et le caractère particulièrement traditionaliste que celle-ci a hérité de ses ancêtres45 ».

 

Faits divers, faits cocasses…

Dans l’ensemble, les travaux de la session se déroulent dans un climat de bonne entente. Quand l’occasion s’y prête, Taschereau et Duplessis aiment bien se taquiner l’un l’autre.

À la séance du 9 mars, le chef de l’opposition parvient à déjouer le premier ministre en l’amenant sur une fausse piste. Alors que Taschereau est absent, Duplessis demande au ministre des Travaux publics, Joseph-Napoléon Francoeur, s’il est d’avis que le gouvernement peut payer la part des municipalités en vertu de la loi du chômage; il lui pose plusieurs fois la même question. Pour réponse, le ministre lui rétorque que non, sans avoir l’air trop convaincu cependant. C’est alors que le premier ministre fait son entrée en Chambre :

M. Duplessis (Trois-Rivières): Je suis heureux de voir le procureur général. Il me fait plaisir de lui donner ce titre comme d’ailleurs ses autres titres: premier ministre, procureur général et presque chef de l’opposition.

L’honorable M. Taschereau (Montmorency): C’est un titre que je vous abandonne entièrement.

M. Duplessis (Trois-Rivières): J’ai demandé tout à l’heure au ministre des Travaux publics si le gouvernement pouvait payer la part des municipalités en vertu de la loi du chômage, s’il l’avait voulu.

L’honorable M. Taschereau (Montmorency): Et qu’est-ce que le ministre des Travaux publics a répondu?

M. Duplessis (Trois-Rivières): Il a dit oui.

L’honorable M. Taschereau (Montmorency): Eh bien, je dis oui moi aussi.

 

Un courriériste parlementaire rapporte alors que Duplessis s’amuse ferme de cette réponse ne concordant pas avec celle du ministre. Taschereau lui remettra la pareille le 17 mars, durant l’étude du bill 68 modifiant l’article 6 de la loi du département du Trésor. Il est question de faire apposer la signature de l’assistant trésorier et de l’auditeur général de la province par une machine automatique :

L’honorable M. Taschereau (Montmorency): La machine offre toutes les garanties possibles.

M. Duplessis (Trois-Rivières): Très bien. Mais puisque le gouvernement achète une machine pour signer les chèques, ne pourrait-il pas en acheter une pour payer ses dettes? (Rires)

L’honorable M. Taschereau (Montmorency): (Souriant) Il y a une autre machine que nous devrions peut-être acheter pour l’opposition et pour accommodation de tout le monde, c’est le "Maxim Silencer", une machine à faire silence. (Rires)

 

Un « Maxim Silencer » est un appareil que l’on plaçait sur la bouche des canons pour assourdir la détonation.

Le premier ministre fait de l’humour aussi pour répondre à Duplessis qui le critique très souvent quant à la pertinence de faire construire le pont de l’île d’Orléans en cette période de crise économique. Le 13 avril, Duplessis demande que «  les travaux du pont soient suspendus ». À brûle-pourpoint, en souriant, Taschereau lui répond: « C’est un pont suspendu que nous faisons construire! »

Pour terminer, un échange entre le premier ministre et le député conservateur de Hull, Aimé Guertin, fait également sourire :

 

M. Guertin (Hull): […] Au chapitre des légumes, on nous a souvent persiflés parce que nous aimions la soupe aux pois, et bien que nos concitoyens de la langue anglaise se plaisent à nous appeler des pea soup, ils l’aiment autant que nous. Si vous en doutez, faites le tour de tous les quick lunch de l’est du Canada. Vous croyez généralement que ce plat succulent et populaire, qui s’appelle maintenant la soupe nationale, est fait avec des pois canadiens? Et pourquoi pas?

L’honorable M. Taschereau (Montmorency): (Souriant) C’est un vrai discours de carême.

M. Guertin (Hull): Je l’aurais prononcé avant, si l’honorable premier ministre l’avait voulu.

L’honorable M. Taschereau (Montmorency): Nous l’avons gardé pour le dessert.

 

Guertin parle enfin de la production de tabac dans la province. Il s’inquiète : « Qu’a fait notre ministère de l’Agriculture pour maintenir la position de sa province dans cette production? […]. Qu’a fait le ministère pour le populariser chez le consommateur? » Le monde a bien changé!

 

Critique des sources

Par Christian Blais et Nathalie Cartier

La Tribune de la presse

Au tout premier jour de la session, Le Devoir associe la rentrée parlementaire à une publicité pour son abonnement : « On a pu voir par nos primeurs d’hier tout l’intérêt que présenteront nos comptes rendus de la session parlementaire provinciale. C’est le temps de s’abonner au Devoir et d’y faire abonner ses amis46. »

En 1933, Louis-Philippe Roy, de L’Action catholique, est président de la Tribune de la presse du Parlement de Québec; Damase Potvin, de La Presse, en est le secrétaire. Les autres membres connus de cette institution sont : Thomas Caouette, du Quotidien; Edmond Chassé, de L’Événement; Henri Dutil, du Canada; Alexis Gagnon, du Devoir; Staffard Green, du Chronicle Telegraph; J.-Alfred Hardy, de La Patrie; Paul Lemoyne47, du Soleil; Gérard Ouellet, du Nouvelliste; Gordon Roberts, du Montreal Daily Herald; Thomas Conët, du Quotidien48; Henri St-Pierre, du Montreal Daily Star; et Abel Vineberg, du Montreal Gazette49.

 

La reconstitution des débats50

C’est dans Le Soleil que l’on trouve les versions les plus complètes des débats de la session de 1933. Les discours des libéraux y sont reproduits en priorité, ceux des conservateurs étant résumés parfois. Le Devoir, un journal d’opposition, pallie cette lacune en rapportant plus fidèlement les discours des conservateurs. L’Action catholique vient compléter le portrait en mettant cependant l’accent sur certains débats. Il y a aussi L’Événement qui, avec force détails, parvient à reproduire les interventions de manière plus vivante. La Presse et La Patrie, quant à elles, publient les mêmes comptes rendus, mot pour mot, mais il s’agit surtout de résumés51. Les quotidiens anglophones se distinguent aussi les uns des autres, mais ils ont en commun également de publier des résumés des débats. Soulignons enfin que le Bulletin des agriculteurs est sensible aux propos tenus par Laurent Barré, député conservateur de Shefford, puisqu’il est le seul à publier une version complète de son discours à la séance du 31 mars.

 

Le libelle

En 1933, le premier ministre Taschereau présente le bill 28 modifiant le Code de procédure civile relativement au libelle diffamatoire52. Sans nommer de journaux en particulier, le premier ministre explique :

Il y a des journaux qui se rendent coupables de libelle diffamatoire de façon continue contre des citoyens de cette province. Le projet a le but suivant : mettre un terme aux campagnes libelleuses persistantes faites par certaines publications. Il pourvoit aussi à ce que l’on puisse empêcher de circuler dans la province de Québec les publications du dehors enfreignant continuellement la loi du libelle. Il ne s’agit pas dans tout cela de libelle occasionnel. L’injonction ne sera pas permise à l’égard d’un journal ou autre publication qui écrira une fois ou l’autre des choses libelleuses. Elle ne vaudra que lorsqu’il aura été prouvé qu’il y a "libelle continu". Donc, si un journal commet un libelle diffamatoire continu, il y aura droit d’émission d’un bref d’injonction contre le journal, conformément aux dispositions du Code de procédure civile53. (21 février)

 

S’il appert que Le Goglu et le Miror font encore des siennes en publiant, entre autres choses, des propos antisémites, le premier ministre fait toutefois marche arrière à la fin de la session. Un état de choses déplorable est disparu, dit-il, depuis que le projet de loi a été inscrit à l’ordre du jour deux mois plus tôt :

Il existait certains journaux indignes de ce nom qui attaquaient continuellement les partis les uns après les autres d’une manière diffamante. Tous, nous y avons subi des coups. Des citoyens étrangers à notre foi y ont été attaqués. Nos amis pour qui le cardinal Verdier demandait récemment ont aussi eu à s’en plaindre.

Mais l’état des choses dont on avait à se plaindre n’existe plus. Les journaux qui restent encore ne partagent pas toutes nos convictions, mais leur façon d’agir est convenable.

Cette loi pourrait être nécessaire si l’état de choses dénoncé revenait. Mais dans les circonstances, je crois que nous n’avons pas lieu de présenter ce bill et je demande que le bill soit retiré. (12 avril)

 

La ligne éditoriale

Les parlementaires critiquent la ligne éditoriale des journaux, surtout quand celle-ci ne correspond pas à leur propre allégeance politique.

Le jour même de la présentation du bill 28, la Gazette fait parler d’elle. Louis-Philippe Roy de L’Action catholique précise : « La gauche et la droite se sont même donné la main pour venger l’hon. C.-J. Arcand, son sous-ministre et la Commission des assurances sociales, contre un article de la Gazette qui en veut à l’hon. premier ministre d’avoir fait quelque chose pour les ouvriers de la province54. » En comité des subsides, le député de Québec-Est, Oscar Drouin, est cinglant :

Mais, M. le Président, on nous a dit que la province était menacée de perdre sa réputation d’être la plus saine en autant que les questions ayant trait au travail de l’ouvrier sont concernées. C’est The Gazette qui nous a dit cela, parce que le gouvernement de Québec a mis un ouvrier syndiqué à la tête du ministère du Travail (l’honorable M. Arcand) et un unioniste au poste de sous-ministre du Travail (M. Gérard Tremblay), et que tous deux ont des idées socialistes. Je considère cet article comme un des articles les plus réactionnaires, des plus sordides pour reprendre l’expression de M. Olivar Ascelin, qui aient été écrits et publiés au pays. […]

The Gazette a un bon système d’information. Elle a un représentant au Parlement qui est le gentilhomme personnifié. Elle reflète la pensée de la haute finance. Je proteste contre cet article qui est une tentative d’intimidation. C’est un ultimatum, une mise en demeure pour que le gouvernement de Québec cesse notre législation sociale. Cet éditorial de The Gazette est dangereux et peut avoir de fâcheuses répercussions. Voilà comment j’interprète cet article. Eh bien! Cela dit, nous ne l’endurerons pas! Le Parti libéral a bâti cette province, a commencé à faire de la législation sociale, et il peut la diriger sans permettre à un petit groupe de financiers torys de l’arrêter. Cet article n’est pas dû à un incident de mauvaise humeur, mais il démasquait la pensée de ces puissantes organisations qui sont en arrière de ce journal. (21 février)

 

Gardien de la mémoire parlementaire

Les députés s’accordent sur le fait qu’il est « du devoir des journalistes de dire des choses vraies ». (27 janvier) C’est du moins l’opinion exprimée en Chambre par Irénée Vautrin, député de Montréal-Saint-Jacques, pour dénoncer le Journal lorsque celui-ci publie une rumeur à l’effet que les députés libéraux de Montréal voulaient renverser le premier ministre.

En 1933, le chroniqueur parlementaire de la Gazette se plaint qu’aucun hansard n’existe en la province de Québec pour conserver les bons discours. Il demeure que les membres de la Tribune de la presse ont conscience de jouer ce rôle. Autrement dit, les courriéristes sont les yeux et les oreilles de la province. Les députés sont également de cet avis, comme en fait foi ce passage tiré de la séance du 28 mars 1933. Il est alors question d’améliorer les conditions de travail des députés dans la salle des comités et, d’ajouter Duplessis, celles des journalistes :

M. Duplessis (Trois-Rivières): Les journalistes travaillent eux aussi dans des conditions pénibles et l’honorable ministre des Travaux publics devrait essayer de les améliorer.

L’honorable M. Francoeur (Lotbinière): Il est certain que les journalistes devraient pouvoir travailler dans de bonnes conditions, car ils remplacent le Hansard à la Législature de Québec, en donnant le compte rendu de nos débats. La difficulté est de leur trouver une salle de travail près de la Chambre des députés. Nous leur avons offert un nouveau bureau, mais il n’est pas très près de leur galerie et c’est un inconvénient pour eux.

M. Guertin (Hull): Ne pourrait-on pas abolir le Conseil législatif, afin de donner une bonne salle de travail plus vaste aux journalistes? […]

M. Taschereau (Bellechasse) soulève un point d’ordre.

On vient de nous parler de la galerie de la presse et immédiatement après on parle des secours directs. Je proteste car je ne crois pas que nos amis les journalistes en soient rendus aux secours directs.

Des journalistes: Presque... Ça s’en vient.

 

Haut perchés dans leur galerie, les courriéristes interviennent donc – à de très rares occasions – pour répondre aux parlementaires. Bien singulièrement aussi, ces journalistes exercent une pression sur certains députés du Salon vert. C’est ce que dévoile Gontran Saintonge, député libéral de Beauharnois, avant de commencer son discours :

M. l’Orateur, depuis que certain journal s’est plu laconiquement à citer diverses tournures de phrases, employées habituellement par les honorables députés de cette Chambre, au début de leurs discours, l’incertitude, en ce moment, assaille mon esprit, je vous l’avoue, et paralyse le choix de mes mots pour féliciter comme il le faut mon honorable ami de Saint-Jacques. (7 mars)

 

Parfois, ce sont les attentes qui sont trop élevées au goût des députés. Selon Hector Authier, député libéral d’Abitibi :

Le correspondant de la Gazette de Montréal a annoncé mon discours d’aujourd’hui en des termes qui constituent une présentation vraiment trop forte. J’en ai retenu seulement qu’il m’invite à raconter à cette Chambre la vie du colon, en ces jours de dépression, et à exposer les résultats du grand mouvement de retour à la terre, avec la dépense qui s’ensuit, en millions et en encre d’imprimerie. Je me rends à cette invitation. J’ajouterai quelques considérations qui me paraissent s’imposer sur la crise générale. (21 février)

 

Critique des sources

Par Christian Blais et Nathalie Cartier

Les comptes rendus des débats de l’Assemblée législative, publiés dans les quotidiens durant la session, ne font l’objet que de critiques en mode mineur en 1933. Il y a d’abord une erreur d’homonymie qui est notée à la séance du 3 février : le Chronicle Telegraph avait attribué un discours à Joseph-Napoléon Francoeur, député de Lotbinière, plutôt qu’à son frère Joseph-Achille Francoeur, député de Montréal-Dorion. Avec humour, Taschereau commente cette erreur : « C’est l’inconvénient de faire des bons discours, on les attribue aux ministres; ça vous passe sur le dos. »

Les députés portent une constante attention au travail des courriéristes. Autre exemple, à la séance du 2 février 1933, Oscar Drouin demande au Chronicle Telegraph de rectifier une information. Selon le journal, le député de Québec-Est se serait « déclaré opposé à la construction d’une école pour les filles de langue anglaise », ce que nie formellement Drouin. Mais ce débat s’est produit au comité des bills publics et non pas durant une séance de l’Assemblée législative.

Pour finir, à la séance du 28 février, Taschereau soulève une question de privilège pour attirer l’attention de la Chambre sur une nouvelle parue dans L’Action catholique :

On y disait que les comptes de la province avaient été soutirés de $29,079,307, du 10 janvier au 17 janvier de la présente année. Pour arriver à ce résultat extraordinaire, on a fait l’addition des montants dont les comptes étaient soutirés chaque jour, croyant que l’on soutirait chaque jour pour le montant indiqué.

Le courriériste parlementaire de ce journal m’informait ce matin que L’Action catholique corrigerait aujourd’hui l’erreur commise. Un péché avoué est à demi pardonné, pourvu qu’à l’aveu de la faute on joigne l’attrition. J’espère donc que L’Action catholique corrigera cette erreur qui a échappé à la direction. Je constate qu’il n’y a eu aucune malice dans tout cela, mais l’erreur s’est tout de même très vite répandue, puisque nous avons reçu plusieurs lettres à ce sujet.

Cela pour démontrer que les parlementaires ont l’habitude de relire les comptes rendus des débats publiés dans les journaux et, le cas échéant, ils n’hésitent jamais à se lever en Chambre pour signaler les erreurs. Et, puisque les députés ne font, somme toute, aucune remarque quant au contenu des comptes rendus des débats de la session de 1933, on doit comprendre que ceux-ci constituent un portrait fidèle des discours prononcés en Chambre. Dans les débats reconstitués de la session de 1933, on retrouve donc l’essentiel des échanges entre les députés.

 

Notes de l’introduction historique et de la critique des sources

1. « La session provinciale et la législation sociale », Le Monde Ouvrier, 7 janvier 1933, p. 1.

2. Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert et François Ricard, Histoire du Québec contemporain : Le Québec depuis 1930, Montréal, Boréal Express, 1989, p. 79-80; Jacques Lacoursière, Histoire populaire du Québec, Sillery, Septentrion, 1997. p. 205.

3. Le 12 janvier 1933, dans son discours sur l’adresse, Taschereau dit : « Il faut que les citoyens aident la Saint-Vincent-de-Paul. Il ne faut pas laisser cette Société dans l’obligation de s’adresser au gouvernement ou à l’Hôtel de Ville. Nous avons parmi nous des pauvres honteux, des collets blancs. C’est peut-être chez eux que nous trouvons la misère la plus noire. Ils recevront des mains discrètes d’un officier de la Saint-Vincent-de-Paul des secours qu’ils n’auraient pas osé aller demander. La charité privée est le grand moyen d’aider les malheureux à supporter patiemment la crise. »

4. P.-A. Linteau, R. Durocher, J.-C. Robert et F.Ricard, Histoire du Québec contemporain…, p. 86-87.

5. Antonin Dupont, Taschereau, Montréal, Guérin, 1997, p. xxix.

6. Télesphore-Damien Bouchard, Mémoires de T. D. Bouchard : « Quarante ans dans la tourmente politico-religieuse », Montréal, Éditions Beauchemin, 1960, p. 94.

7. Bolduc, Mary, Sans travail, 1932, Starr 15864, http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/musique_78trs/mt1291.htm.

8. T.-D. Bouchard, Mémoires…, p. 96.

9. Ce manifeste sera publié en février 1933 dans l’Action nationale, note Lacoursière, Histoire populaire du Québec…, p. 208.

10. P.-A. Linteau, R. Durocher, J.-C. Robert et F.Ricard, Histoire du Québec contemporain…, p. 111; Co-operative Commonwealth Federation, http://www.thecanadianencyclopedia.com

11. Richard Arès, « Le Père Joseph-Papin Archambault, S.J., et l’École Sociale Populaire : témoignages », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 35, no 4, 1982, , p. 563-587.  

12. Rappelons que Scott avait démissionné de la division de Wellington, le 4 août 1931, pour se porter candidat libéral aux élections provinciales du 24 août suivant. Il avait été défait dans le comté de Montréal-Saint-Georges par le conservateur Charles-Ernest Gault.

13. Jean-Guy Genest, Vie et œuvre d’Adélard Godbout, Québec (Ph. D. histoire, Université Laval), 1977, p. 175-176; Bilan du siècle, Université de Sherbrooke, http://www.bilan.usherbrooke.ca

14. Vincent Lemieux, Le Parti libéral du Québec : Alliances, rivalités et neutralités, Québec, PUL, 2008, p. 38; Bernard Vigod, Taschereau, Sillery, Septentrion, 1996, p. 231.

15. Journal personnel du lieutenant-gouverneur Henry George Carroll, vol. VI, 12 janvier 1933, p. 912, Fonds Henry George Carroll, 1888-1939, Archives de l’Assemblée nationale du Québec, P22.

16. « M. Taschereau manque de portefeuilles », L’Autorité, 14 janvier 1933, p. 1.

17. « Des jeunes libéraux las d’attendre », Le Devoir, 11 janvier 1933, p. 1.

18. J. A. A. Lovnik, « Le pouvoir au sein du Parti libéral provincial du Québec, 1897-1936 », dans Réjean Pelletier (dir.), Partis politiques au Québec, Montréal, Éditions Hurtubise HMH, 1976, p. 113.

19. « Deux Écoles chez les Libéraux », Le Petit Journal, 19 mars 1933, p. 3.

20. Robert Rumilly, Histoire de la province de Québec, XXXIII : La plaie du chômage, Montréal, Fidès, 1961, p. 140-141. Il y a aussi Wallace Reginald McDonald, député de Pontiac, qui demande une enquête sur les trusts.

21. B. Vigod, Taschereau…, p. 256; Christian Blais, Gilles Gallichan, Frédéric Lemieux et Jocelyn Saint-Pierre, Québec : quatre siècles d’une capitale, Québec, Publication du Québec, 2008, p. 432-439.

22. « La victoire du Quebec Power en est-elle une? », Le Devoir, 23 mars 1933, p. 9.

23. Un autre exemple. À la troisième lecture du bill 2 modifiant la loi du salaire minimum des femmes, le ministre des Travaux public, Joseph-Napoléon Francoeur, contredit le ministre du Travail en appuyant les propos du député conservateur de Hull, Aimé Guertin : « Je suis porté à croire que mon honorable ami de Hull, avec lequel je ne m’accorde pas souvent, a raison de réclamer une loi du salaire minimum des hommes, car le travail féminin fait tort aux ouvriers. » (2 mars)

24. Journal personnel du lieutenant-gouverneur Henry George Carroll, vol. VI, 30 janvier 1933, p. 920, Fonds Henry George Carroll, 1888-1939, Archives de l’Assemblée nationale du Québec, P22.

25. Aussi, à la dernière séance, Taschereau rappelle-t-il sa plus grande admiration et sa plus haute estime vis-à-vis d’Ernest Lapointe qu’il qualifie de « chef du Parti libéral de la province de Québec au fédéral »; il précise cependant que cette amitié disparaît lorsque vient le moment de juger la question de la municipalisation de l’électricité.

26. Robert Rumilly, Maurice Duplessis et son temps, Montréal, Fides, 1973, vol. 1, p. 113 .

27. J.-G. Genest, Vie et œuvre d’Adélard Godbout…, p. 149-150.

28. « Note grave dans le discours du trône », L’Événement, 11 janvier 1933, p. 3.

29. Henry George Carroll est cynique dans ses mémoires lorsqu’il écrit : « Il y a un contraste entre la sévère économie prêchée dans le discours que l’on m’a fait lire et la liste des noms de ceux qui assistaient au dîner d’État et à la réception. Mais j’avais autorisé qu’on donne les noms, parce que c’était une affaire absolument officielle, et que ceux qui sont invités aiment autant ne pas l’être si leur nom ne paraît pas sur la gazette. Journal personnel du lieutenant-gouverneur Henry George Carroll, vol. VI, 11 janvier 1933, p. 909, Fonds Henry George Carroll, 1888-1939, Archives de l’Assemblée nationale du Québec, P22.

30. B. Vigod, Taschereau…, p. 234.

31. « La session de Québec », L’Avenir du Nord, 21 avril 1933, p. 1.

32. « À propos de la session provinciale », L’Étoile du Nord, 27 avril 1933, p. 1.

33. Secrétariat des conférences intergouvernementales canadiennes, Conférences des premiers ministres, 1906-2004, Ottawa, Secrétariat des conférences intergouvernementales canadiennes, 2004, p. 9.

34. C. Blais, G. Gallichan, F. Lemieux et J. Saint-Pierre, Québec : quatre siècles d’une capitale…, p. 432.

35. R. Rumilly, Histoire de la province de Québec…, p. 147.

36. B. Vigod, Taschereau…, p. 266.

37. Richard Lapointe, La politique au service d’une conviction. Philippe Hamel : Deux décennies d’action politique, Québec, Université Laval (M. A en histoire), 1987, p. 28-29.

38. R. Rumilly, Histoire de la province de Québec…, p. 110.

39. Jean-Marie Lebel et Alain Roy, Québec, 1900-2000 : le siècle d’une capitale, Sainte-Foy, MultiMondes / Québec, Commission de la capitale nationale, c2000, p. 43-44.

40. À titre de premier ministre, Taschereau n’avait enregistré que deux défaites : une en 1921 et une autre en 1923-1924.

41. « Pas de lumières sur les voitures à la campagne », Le Canada, 9 mars 1933, p. 1.

42. « La Chambre, 38 à 19, tue le projet Caron », L’Événement, 9 mars 1933, p. 9. Pour alimenter la réflexion, citons Le Peuple qui publie, dans un autre contexte, une interprétation divergente : « Nous comprenons parfaitement pourquoi l’agriculture n’a jamais été l’enfant gâté du régime démocratique. D’abord, la finance, l’industrie et le commerce possèdent, auprès des représentants du peuple, des moyens de conviction – même honnêtes – qui ne sont pas à la disposition de la classe agricole. Ce sont des puissances organisées qui ont à leur service le nerf de la guerre comme de la politique, qui disposent d’une formidable publicité et qui réussissent à intéresser personnellement dans leurs combinaisons un trop grand nombre de dirigeants. C’est indéniable : ceux qui détiennent l’influence économique et sociale exercent une action prépondérante sur la législation. » « En marge de la Session Provinciale », Le Peuple, 20 janvier 1933, p. 2.

43. « Nombreux incidents à la clôture d’une longue et très importante session », L’Action catholique, 15 avril 1933, p. 2.

44. Joseph F. Perrault (trad.), Lex Parlementaria, Québec P. E. Desbarat, 1803, p. 314. (Westminster anno 43 Eliz. Reginæ, 21 novembre 1601)

45. Gustave Turcotte, Le Conseil Législatif de Québec, 1774-1933, Beauceville, L’Éclaireur, 1933, p. vii; Christian Blais, « Le Québec n’est pas une province comme les autres » : le Conseil législatif, 1775-1968 », Cap-aux-Diamants, hors série, août 2008, p. 14-19.

46. Le Devoir, 11 janvier 1933, p. 1.

47. Georges Léveillé selon « M. Duplessis, hôte des journalistes », Le Journal, 24 février 1933, p. 3.

48. Ibid.

49. Jocelyn Saint-Pierre, Les membres de la Tribune de la presse : liste chronologique, 1871-1989, Québec, Bibliothèque de l’Assemblée nationale, 1990, Bibliographie et documentation, no 34.

50. Sur la méthodologie relative à la reconstitution des débats, voir : Gilles Gallichan, « Le Parlement "rapaillé". La méthodologie de la reconstitution des débats », Les Cahiers des Dix, no 58 (2004), p. 275-296; sur les pools, voir : Jocelyn Saint-Pierre, Histoire de la Tribune de la presse à Québec, 1871-1959, Montréal, VLB éditeur, 2007, 315 p.

51. La Presse avait acheté La Patrie le 19 juillet 1933.

52. Un projet similaire est d’ailleurs réclamé à Ottawa par E. Nichols, président de la Canadian Press, pour que le gouvernement fédéral établisse un bureau de censure. « Pour prévenir le jaunisme », Le Devoir, 20 février 1933, p. 3.

53. La menace avait de quoi inquiéter venant du même premier ministre qui, onze ans plus tôt, avait fait emprisonner John Roberts pendant un an pour un de ses articles sur l’affaire Blanche Garneau, son journal The Axe. Voir l’introduction historique de la session 1922b.

54. « Le débat sur le budget se poursuit avec entrain », L’Action catholique, 22 février 1933, p. 10.