L'utilisation du calendrier requiert que Javascript soit activé dans votre navigateur.
Pour plus de renseignements

Introduction historique

12e législature, 2e session
(15 mars 1910 au 4 juin 1910)

Par René Castonguay

Les événements de l'année 1910

L'année 1910 est une des plus actives sur le plan politique dans l'histoire du Canada, principalement en raison des événements se déroulant sur la scène fédérale. Elle marque en effet le début d'une confrontation entre le gouvernement libéral de Wilfrid Laurier et une alliance plutôt curieuse composée des conservateurs de Borden et du groupe nationaliste du Québec, mené par Henri Bourassa. Ces deux groupes, qui n'ont strictement rien en commun destiné à les unir, ont dû faire un mariage de raison pour combattre une politique mise de l'avant par le gouvernement fédéral, à savoir la création d'une marine de guerre canadienne pour appuyer l'effort de restructuration de la marine impériale. La marine canadienne créée par cette loi est organisée et payée par le Canada dans le but de défendre ses côtes. Advenant qu'une demande soit faite par l'Angleterre, une clause prévoit que le Canada pourra prêter ses navires et ses équipages à l'Empire, mais que ce prêt devra avant tout être voté par le Parlement canadien.

Les conservateurs, dont l'électorat est majoritairement probritannique, croient que le Canada devrait simplement payer pour que l'Angleterre se fasse construire des navires, puisque la défense du Canada passe par la défense de l'Angleterre. Les nationalistes du Québec croient que le fait que le Canada puisse prêter ses navires à l'Angleterre rendrait la marine canadienne dépendante du bon vouloir de l'Angleterre et qu'Albion pourrait en tout temps entraîner le Canada dans ses guerres. Les deux groupes d'opposants décident de s'unir pour combattre cette loi. Mais cette alliance est très artificielle: le groupe conservateur combat le projet parce que trop nationaliste, alors que le groupe nationaliste le combat parce que trop impérialiste.

Le dossier de la marine de guerre a eu bien entendu des répercussions sur la vie politique québécoise. Dès la présentation du projet, les opposants s'organisent autour de Bourassa et de Lavergne, son lieutenant, pour monter une campagne contre la marine de Laurier. Ce dossier de la marine prend beaucoup de temps et d'énergie aux nationalistes puisqu'ils s'occupent à combattre le projet dans des assemblées publiques ou à produire une série de pamphlets distribués à travers la province. De plus, Bourassa vient tout juste de fonder son propre quotidien, Le Devoir, organe destiné à lutter contre les libéraux de tous les niveaux. Il doit sans doute regretter sa décision de quitter les Communes en 1907, à l'heure où un projet de loi aussi important pour lui y est présenté; il ne peut que regarder les débats se dérouler sous ses yeux du haut des galeries pendant que les libéraux l'y voient, heureux qu'il ne soit pas devant eux.

 

La législature provinciale

La reconstitution des débats de la session de 1909 montre bien toute l'agressivité dont font preuve Henri Bourassa, Armand Lavergne et Jean Prévost1 envers le gouvernement, et toute la force que doivent démontrer Gouin et son groupe pour y résister. Les interventions des nationalistes pendant la session de 1910 sont moins fougueuses, moins agressives qu'à la session de 1909, principalement à cause de leur implication dans le dossier de la marine, bien qu'elles restent quotidiennes et farouches2. Il faut se rendre compte que, encore cette année, les deux députés nationalistes, avec Prévost en plus, forment le corps le plus efficace de l'opposition. Cette opposition parlementaire est complétée par les membres du Parti conservateur, c'est-à-dire son chef Mathias Tellier, le dauphin Arthur Sauvé, Ésioff-Léon Patenaude et quelques autres députés. Les conservateurs sont assez faibles en Chambre et ils comptent beaucoup sur l'agressivité des nationalistes pour embêter le gouvernement.

De l'autre côté de la Chambre, le Parti libéral trône sans interruption sur les destinées de la province depuis 1897. Le premier ministre Lomer Gouin, appuyé par le gouvernement de Laurier à Ottawa, entretient d'excellentes relations avec le chef fédéral. Il a grimpé les échelons politiques en compagnie de plusieurs personnes qui ont l'oreille du chef, notamment Rodolphe Lemieux, Raoul Dandurand et Louis-Philippe Brodeur, ses entrées à Ottawa sont donc nombreuses et assurées. On peut parler d'une osmose entre les ailes fédérale et provinciale du parti.

À Québec, Gouin est secondé par des ministres solides comme L.-A. Taschereau aux Travaux publics et Travail, Charles Devlin à la Colonisation ou Jérémie Décarie comme secrétaire provincial. Il compte également deux nouveaux ministres à des sièges importants : J.-É. Caron à l'Agriculture (il conservera ce poste pendant 20 ans) et Peter Mackenzie comme trésorier provincial. Mais, malgré la force du gouvernement, de ses membres et de la représentation libérale, l'opposition réussit à les maltraiter suffisamment pour les mettre sans cesse sur la défensive.

La session de 1910 a la particularité d'être une des rares qui connaissent un deuil royal. En effet, en plein cœur de la session, le roi Édouard VII rend l'âme. Cette nouvelle ne manque pas de frapper l'Assemblée législative, d'autant plus que le roi Édouard, lors de son règne, a mis fin à la guerre des Boers et a conclu l'Entente cordiale avec la France, deux événements chers au cœur des habitants du Québec. Unanimement, la Chambre regrette la perte du monarque et présente ses hommages touchants par l'entremise de ses principaux orateurs. Comme le mentionne Lomer Gouin dans son style caractéristique :

Mais ce n'est pas, Monsieur l'Orateur, par des plaintes et des lamentations qu'il convient de célébrer ceux qui laissent une grande mémoire; c'est plutôt par de fortes et de mâles louanges qui peignent leur vie et leurs œuvres sous des traits saisissants et les offrent en exemple aux générations qui passent3.

Ce décès royal crée un précédent: c'est effectivement la première fois dans l'histoire du Parlement de Québec qu'une session est ouverte par un monarque et prorogée par un autre4.

 

La législation sessionnelle

Le menu législatif de 1910 comporte peu de mesures importantes. Il s'agit d'une session assez calme, bien que certaines lois se démarquent du reste.

Parmi les principales mesures législatives de la session, il faut mentionner une série d'amendements aux lois gérant le domaine forestier, le principe de ces amendements étant l'interdiction d'exportation du bois qui est coupé sur les terres de la couronne et l'obligation de le manufacturer au Canada. Cette mesure vise particulièrement le bois de pulpe pour les papeteries. De plus, le gouvernement fonde une école forestière, affiliée à l'Université Laval, où seront formés les ingénieurs forestiers de la province. Cette annonce est assez bien reçue.

Une autre mesure importante est votée à la session de 1910 alors qu'on voit naître la Commission des eaux courantes qui vise à contrôler l'exploitation des cours d'eau de la province et particulièrement leur exploitation énergétique. C'est en effet cette Commission qui décidera quand et comment exploiter les ressources hydrauliques des cours d'eau.

Le nouveau ministre de l'Agriculture, M. Caron, ne perd pas de temps à se faire connaître. Dès son entrée en fonction, il propose un projet de loi qui impose un système de permis d'exploitation et d'inspection de l'industrie de transformation des produits laitiers. De plus, chaque nouveau producteur devra posséder un diplôme de l'école de laiterie de Saint-Hyacinthe. Le but de cette loi est d'améliorer la qualité des produits laitiers pour en remonter la valeur sur les marchés et ainsi permettre aux exploitants de faire des bénéfices égaux à ceux des agriculteurs ontariens ou américains. C'est la première d'une série de mesures implantées par le ministre Caron lors de son passage au ministère.

Trois lois importantes à caractère social sont adoptées par la législature. D'abord, la loi 151 crée un tribunal de la jeunesse, pour le district de Montréal, chargé d'entendre et de juger les causes impliquant les mineurs. Ces derniers ne seront plus considérés comme des criminels, mais plutôt comme des jeunes en difficulté qui ont besoin de l'aide de la société pour s'en sortir. C'est du moins le vœu exprimé par cette loi.

La deuxième loi sociale est la création de bureaux de placement pour les ouvriers. De tels bureaux existent déjà, mais ils sont sous une direction privée, et l'ouvrier doit payer pour ces services. Il s'ensuit souvent des fraudes dont l'ouvrier est la victime. Ces nouveaux bureaux sont ainsi placés dans les villes de la province et sont sous la responsabilité du gouvernement, ce qui devrait éliminer les abus et les fraudes et aider les ouvriers. Ces services sont gratuits.

La troisième loi à caractère social, la loi 17, restreint les heures de travail et améliore les conditions des femmes et des enfants dans les industries. Le nombre d'heures de travail hebdomadaire passe de 60 à 58, avec un maximum de 10 heures et demie par jour, en plus d'un congé le samedi après-midi. Il est désormais interdit d'avoir à son emploi des enfants âgés de 14 à 16 ans si la preuve n'est pas faite qu'ils savent lire et écrire. Cette loi vise à améliorer les conditions générales de travail dans cette industrie et ainsi rendre moins attrayantes les usines américaines.

Parmi les lois importantes de la session, il y a la loi 128 modifiant la charte de Montréal, qui prévoit l'annexion de certaines villes de l'île de Montréal à la métropole : Notre-Dame-de-Grâce, Saint-Paul, Ahuntsic, Ville-Émard, Longue-Pointe, Bordeaux, Côte-des-Neiges et Rosemont.

 

Les dossiers majeurs

Certains dossiers ont aussi laissé leur marque dans les débats de la session. D'abord, et comme à chaque session, l'opposition revient presque quotidiennement sur ses critiques de la politique de colonisation du gouvernement Gouin. Toute discussion, quel que soit le sujet de base, est bonne pour revenir sur le sujet, le seul que l'opposition semble vraiment posséder. Comme le dit Henri Bourassa :

La colonisation, voilà en effet l'un des principaux articles de notre programme, et nous voulons en user. Les débats soulevés sur des cas particuliers de colonisation n'ont nullement pour but de créer des ennuis inutiles au gouvernement. Leur seul objet est de prouver l'urgence d'une réforme en énumérant les abus auxquels donne lieu notre système5.

La question de la colonisation est intimement reliée à celle, également omniprésente, de l'émigration des Canadiens français vers les États-Unis et de leur rapatriement. La première est la seule et unique solution à la seconde, selon le credo nationaliste. Quant au gouvernement, il voit une grande partie de la solution dans l'essor industriel de la province. Mais ces débats sont déjà anciens et resteront à l'ordre du jour plusieurs années encore.

Armand Lavergne revient à la charge en 1910 avec son projet de loi pour imposer l'usage du français dans les contrats impliquant les compagnies de services d'utilité publique. Ce projet, d'abord présenté en 1909 mais rejeté par le Conseil législatif, a reçu entre-temps l'appui de plusieurs des compagnies concernées. Gouin encourage donc Lavergne à représenter son projet en l'assurant qu'il traversera les deux Chambres sans problème. Ce qu'il fit.

À la toute fin de la session, Prévost présente une motion de censure à l'endroit du ministre Taschereau qui, pendant la période intersessionnelle, a appuyé le projet de marine de guerre de Laurier lors d'un discours à Toronto. Cet appui a été vu par les nationalistes (qui font flèche de tout bois) comme un appui émanant du gouvernement, alors qu'il n'a pas demandé l'avis de la Chambre sur le sujet. La motion se lit comme suit :

Considérant qu'en décembre dernier, au cours d'un voyage à Toronto auquel le discours du trône a reconnu un caractère officiel, le ministre des Travaux publics et du Travail (l'honorable M. Taschereau) s'est prononcé, au nom du peuple de la province de Québec et en présence du premier ministre (l'honorable M. Gouin), en faveur de la participation générale du Canada aux guerres de l'Empire, de l'organisation d'une marine de guerre canadienne ou de toute autre mesure que les autorités fédérales jugeraient à propos d'adopter à ce sujet;

Que le ministre n'avait aucune autorité pour préjuger ainsi l'opinion des électeurs de cette province sur cette grave question qui était alors sur le point d'être soumise aux délibérations du Parlement fédéral;

Que les nombreuses protestations qui se sont élevées de cette province, comme de plusieurs autres, contre cette politique nouvelle, ont prouvé que le ministre des Travaux publics et du Travail n'a pas fidèlement représenté l'opinion du peuple de cette province;

Que le premier ministre ni aucun de ses collègues n'ont désavoué les déclarations du ministre des Travaux publics et du Travail;

La Chambre regrette qu'un des ministres de la province ait, sans mandat, sur un sujet étranger à la juridiction du gouvernement dont il fait partie et dans des circonstances qui donnaient une portée considérable à ses paroles, fait des déclarations indiscrètes et propres à jeter un jour faux sur l'opinion des électeurs de cette province;

Et, le cabinet étant responsable de l'attitude de chacun de ses membres, la Chambre considère que le gouvernement mérite censure6.

 Cette motion de blâme a été battue par 44 voix contre 16.

 

Les anecdotes de la session

Divers incidents, sans grande importance, marquent la session. Un premier se déroule le 17 mars, alors qu'est présentée une pétition demandant une loi pour la construction des église, sacristie, presbytère et dépendances de la paroisse de Saint-Viateur d'Outremont. Cette pétition est présentée en Chambre par Godfroy Langlois en tant que député local. Or, Langlois est reconnu comme un fervent anticlérical et principal membre d'une loge de francs-maçons. Les membres de la Chambre ne peuvent donc s'empêcher d'éclater de rire.

Armand Lavergne s'est fortement amusé aux dépens du député de Lévis, M. Blouin, à la séance du 27 mai, alors que la Chambre vient de se former en comité général pour étudier un projet de loi :

 M. Blouin (Lévis) demande au nom du député de Soulanges (M. Mousseau) que l'étude de la Central Heat, Light, and Power Company soit ajournée afin de permettre d'ajouter un amendement en comité général.

M. Lavergne (Montmagny) demande au député de Lévis (M. Blouin) s'il a remarqué que la Chambre est présentement en comité général.

M. Blouin (Lévis) : Je commence à le remarquer.

M. Lavergne (Montmagny) : Le député de Lévis (M. Blouin) a-t-il remarqué aussi que l'amendement dont il parle a été proposé et adopté il y a un instant?

M. Blouin (Lévis) : Ah! Bien, je ...

M. le Président : L'amendement a été proposé et adopté.

Un dernier incident marque bien à la fois l'amitié qui, malgré tout, lie les parlementaires et la légèreté avec laquelle on traite parfois la procédure parlementaire. À la séance du 3 juin, alors qu'on étudie les crédits du ministre des Terres (M. Allard),

M. Lavergne (Montmagny) dit que le ministre (l'honorable M. Allard) fait tous ses efforts, mais que son ministère est pourri, corrompu, souffre de gangrène sénile qui remonte à la Confédération. La réforme s'impose, séparer le domaine du colon du domaine forestier, classifier les terres non par lots, mais par régions.

Mais voici que par la suite,

M. Prévost (Terrebonne) remarque que, aujourd'hui, c'est le 25e anniversaire de mariage du député de Drummond (l'honorable M. Allard). Il lui présente les meilleurs souhaits de la gauche.

Les membres de l'opposition ne voient pas toujours les choses sous un même angle que le député de Drummond (M. Allard), mais ils sont heureux de pouvoir faire quelque chose pour lui témoigner l'estime qu'ils ont pour lui personnellement.

Il dit que l'opposition, comme cadeau de joyeux anniversaire au ministre, laissera passer sans discussion une couple d'articles de ses crédits, les derniers. Il est disposé à lui voter 2,500 $ pour la pépinière de Berthierville sans discussion.

Quel contraste avec les déclarations d'Armand Lavergne! La Chambre, sans doute habituée à ce genre de cadeau, concourt dans la proposition de Prévost. Et c'est ainsi que, grâce au mariage du ministre, cinq résolutions sont adoptées sans aucune question.

Cette session de 1910 démontre déjà un essoufflement des nationalistes; la question de la marine, qui hante le groupe en 1910 et 1911, est sans doute grandement responsable de cette perte d'énergie. Les dernières paroles prononcées en Chambre avant la prorogation montrent bien cette monopolisation de l'énergie des nationalistes pour la scène fédérale :

Des voix se disent « Au revoir ».

Des voix chantent « Ô Canada », « Jadis la France sur nos bords », etc.

M. Lavergne (Montmagny): Allons, chantez-nous donc « Le petit navire » en l'honneur de la politique de la marine de guerre7!

 

Critique des sources

Par René Castonguay

Il est important de savoir, en consultant les journaux, que la presse de l'époque est habituellement la plate-forme publique des débats politiques. La plupart des journaux sont des organes des partis politiques qui ont pour but de propager une doctrine. Ils sont donc beaucoup plus des agents de propagande que des médias d'information. Cependant, les chroniques parlementaires sont justes; c'est parfois dans la sélection des extraits que le journaliste et le rédacteur en chef du journal montrent leur allégeance.

Un événement important marque la Tribune de la presse pour la session de 1910, l'arrivée d'un nouveau quotidien, Le Devoir. Bien que peu de gens lui prédisent un long avenir, il réussit à s'imposer d'abord dans la lutte partisane, puis dans l'analyse politique. Son arrivée à la Tribune de la presse marque une étape dans le traitement des débats parlementaires puisque ses correspondants, contrairement à la plupart des autres journalistes, ne se gênent pas pour publier des comptes rendus plus ou moins précis, dont la sélection des extraits publiés ne laisse aucun doute sur l'orientation du journal. Leur but n'est pas de reproduire les débats (avec un certain accent sur les discours de leurs favoris, comme les autres le font), mais bien de ne montrer que l'avers de la médaille, en minimisant le revers.

Le Devoir est le premier journal qui permet à son correspondant parlementaire de signer ses articles. Par la suite, d'autres journalistes suivent l'exemple de leur confrère.

Voici la liste des correspondants parlementaires pour l'année 1910 :

 

Tribune de la presse (1910)

  • Authier, Hector, L'Action sociale catholique
  • Barthe, Ulric, La Vigie
  • Cinq-Mars, Alonzo, La Patrie
  • Davis, John A., The Daily Telegraph / Montreal Daily Witness
  • Deanon, C. M., The Montreal Daily Herald
  • Dumont, Jean-Baptiste, L'Événement
  • Dunn, Thomas W. S., The Quebec Chronicle
  • Fortin, Donat, Le Devoir
  • Fournier, Jules, Le Nationaliste
  • Larue, Gilbert, La Presse
  • Lonergan, Thomas J., The Montreal Gazette
  • Michaud, A., L'Événement
  • Pelletier, Georges, Le Devoir
  • Stevenson, Archibald E., The Montreal Daily Star
  • Voyer, P.-A.-J., Le Canada / Le Soleil

 

Description des journaux de base

Le Devoir

C'est le dernier-né des quotidiens de la province. Fondé à Montréal par Henri Bourassa, avec l'aide des fonds de gens d'affaires conservateurs, ce journal est l'organe des nationalistes du Québec. Son but principal est de combattre le projet de marine de guerre de Laurier et le gouvernement provincial de Gouin. Dans son éditorial d'ouverture, Bourassa met en évidence son alliance avec les conservateurs provinciaux de Tellier, son désaccord avec les conservateurs fédéraux de Borden, à l'exception de Frederick Monk, qui va devenir le chef de file du groupe conservateur-nationaliste à Ottawa pour les élections de 1911, et les premiers pas du groupe au Parlement fédéral jusqu'à sa démission en 1913.

L'équipe de rédaction du Devoir est originellement formée de celle du Nationaliste (hebdomadaire nationaliste de Montréal et premier organe du groupe), en plus d'Omer Héroux et de Georges Pelletier de L'Action sociale, qui viennent y rejoindre leur ami Bourassa. Mais très tôt la dissension s'installe au sein des rédacteurs qui ne semblent pas tous d'accord avec l'orientation donnée au journal par son omniprésent fondateur Bourassa. Olivar Asselin (fondateur de la Ligue nationaliste et du Nationaliste) et Jules Fournier quittent la salle de rédaction après certaines divergences avec Bourassa, Héroux et Pelletier. Le triumvirat prend donc le contrôle du quotidien et lui donne une orientation moins radicale que Le Nationaliste.

Le Devoir est très agressif face au Parti libéral; on peut facilement y deviner les problèmes qu'a eus Bourassa avec les principaux leaders du parti. Comme il s'agit d'un journal de combat, il ne se gêne pas pour attaquer ses adversaires. Il se développe donc, entre le journal et le parti, une antipathie réciproque, un état de guerre constant. Les membres du Parti libéral voient Le Devoir comme un adversaire beaucoup plus redoutable que la faible opposition conservatrice en Chambre, ne serait-ce que par son attitude générale. Comme le dit L.-A. Taschereau au début de la session : « Ce journal est animé par un esprit de vengeance et un esprit de parti inconnus dans le monde du journalisme8. »

Le Devoir ne fait pas qu'étaler les événements dans ses pages ou donner son opinion sur la majorité des dossiers; il produit des événements et il est acteur. Il attaque et détruit tout ce qui est libéral, impérialiste, anticlérical; il promeut tout ce qui est antilibéral, national, anti-impérialiste, en conformité avec les enseignements de l'Église. Dans ses pages se trouve non seulement le récit des événements, mais les arguments nationalistes sur toutes les questions d'intérêt public. C'est ce qui fait du Devoir une source à la fois privilégiée et dangereuse. L'historien qui consulte ses pages doit savoir filtrer l'information qui y est contenue. Mais, en ce qui concerne la reconstitution des débats, il est une source importante pour les interventions des députés nationalistes ou de l'opposition.

 

Le Nationaliste

Avec l'avènement du Devoir, Le Nationaliste perd beaucoup de son importance; il devient l'édition hebdomadaire du Devoir. L'attention qu'il portait aux affaires parlementaires provinciales est laissée au quotidien. Sa valeur comme source s'en trouve donc par le fait même très diminuée.

 

Le Soleil

Le Soleil est, à Québec, le journal libéral officiel. Continuant la tradition instaurée par Ernest Pacaud, il est le porte-parole du Parti libéral (principalement du Parti libéral fédéral) et du gouvernement. Dans la chronique parlementaire, sa partisanerie se voit principalement par la sélection des extraits choisis plus que par une manipulation, plus fréquente au Devoir. Le Soleil choisira des extraits de discours ou des interventions de façon à toujours présenter le gouvernement de la meilleure façon possible. Les coffres du journal doivent beaucoup à cette affiliation politique : Le Soleil fait la plupart des travaux d'impression que le gouvernement donne dans la ville de Québec.

 

La Patrie

Journal conservateur de Montréal, propriété des frères Tarte (fils de Joseph-Israël Tarte). Ses pages sont l'antithèse de celles du Soleil, c'est-à-dire qu'elles mettent l'accent sur les interventions des conservateurs et, alliance oblige, sur celles des nationalistes. Il essaie de tenir le flambeau de l'opposition, tâche de plus en plus difficile dans un contexte où la majorité des journaux appuient le gouvernement. La présence des nationalistes à Québec a peut-être aidé le journal en multipliant les opposants au gouvernement, mais l'arrivée du Devoir vient sans doute nuire économiquement à La Patrie qui se retrouve avec un compétiteur dans son créneau.

 

L'Événement

Journal fondamentalement conservateur, son chroniqueur parlementaire (Jean-Baptiste Dumont) est reconnu pour sa fougue dans ses attaques contre le gouvernement et sa grande implication politique. Dumont, pendant les intersessions, se promène d'assemblée en assemblée, attaquant les libéraux sur tous les dossiers. Lors des sessions, la violence de ses articles dérange les ministériels.

 

Le Canada

Organe libéral de Montréal, son attachement aux gouvernements libéraux ne fait aucun doute. Plus près d'Ottawa que de Québec (il a été fondé par la branche fédérale du parti), Le Canada n'en apporte pas moins son appui à toutes les actions du gouvernement Gouin. Jusqu'en 1909 sous la rédaction de Godfroy Langlois, il est maintenant mené par Fernand Rinfret, un ami plus sûr pour Laurier que le fougueux député de Saint-Louis.

Le Canada est constamment la cible de l'opposition, au cours de la session de 1910, quant aux contrats d'impression et de publicité que le gouvernement passe avec lui. En effet, le journal ramasse plus que sa part des contrats gouvernementaux, ce qui lui assure un revenu très respectable.

 

La Vigie

Journal quotidien de Québec, il appartient aux réformistes du Parti libéral, aux jeunes de l'aile radicale, et est publié par le combatif Ulric Barthe. Il ne peut être considéré comme un organe officiel, mais ses textes, fréquemment explosifs, sont parfois inspirés par des membres influents, souvent des ministres à Ottawa ou à Québec. Les oppositionnistes le considèrent comme l'organe de L.-A. Taschereau, mais il est difficile de prouver ou d'infirmer cette affirmation.

La Vigie, à cause de ses textes peu nuancés, entre souvent en conflit avec des députés libéraux appartenant plus au centre ou à la droite du parti. Antonin Galipeault (un futur ministre) est parmi ceux qui critiquent souvent les articles du journal qui accusent certains libéraux de ne pas suivre le vrai programme du parti (la laïcisation de l'éducation est le point le plus chaud). À la séance du 26 mai, Galipeault réplique à un article du journal en ces termes : « [...] c'est un journal né dans la boue, et qui finira dans la fange. » Galipeault a accusé, sans le nommer, un collègue avocat de Québec d'être derrière l'article en question. À la suite de son intervention, Joseph-Napoléon Francoeur, député de Lotbinière, se lève et déclare qu'il n'est pas responsable de l'article. Serait-il un des meneurs de La Vigie?

 

La Presse

La Presse pratique un journalisme différent des autres. Il est le premier journal dit « populaire » au Québec, c'est-à-dire un journal à grand tirage centré sur l'information, les événements, le reportage, l'image. La Presse se préoccupe donc moins de l'activité politique que ses compétiteurs. Son propriétaire, Trefflé Berthiaume, est près des libéraux, ce qui fait que les articles politiques du journal favorisent presque toujours le gouvernement.

 

The Gazette

Journal conservateur au fédéral, The Gazette fait depuis quelques années la mauvaise surprise aux chefs provinciaux du parti d'appuyer les politiques économiques libérales à Québec. Comme il est reconnu comme un journal à spécialisation économique, son appui va plutôt aux libéraux. Mais ça ne l'empêche pas de critiquer certaines mesures du gouvernement.

 

L'Action sociale

Organe officieux de l'archevêché de Québec, les dossiers à caractère social l'intéressent particulièrement. L'Action sociale, cela va de soi pour un journal clérical, critique ouvertement le gouvernement Gouin et tisse de plus en plus de liens avec les nationalistes et Bourassa. Le caractère catholique du Devoir aide à créer une certaine complicité entre les deux groupes, bien qu'il lui ait fait perdre ses deux meilleurs journalistes (Héroux et Pelletier).

 

The Montreal Daily Star

Ce journal se trouve un peu dans la même situation que The Gazette : conservateur à Ottawa, il appuie cependant les politiques économiques du gouvernement Gouin.

 

Notes

1. Ancien ministre dans le cabinet Gouin, Prévost s'est rapproché lentement de Bourassa après que Gouin l'eut placé du côté de l'opposition au début de la session de 1909 afin qu'il puisse lui dire ce qu'il a à lui dire « face à face ». Prévost était en désaccord avec certaines politiques de Gouin et l'avait annoncé lors d'assemblées. Il siège donc comme libéral indépendant en Chambre.

2. Un exemple frappant de cela est une discussion entre MM. Lavergne et Cardin, où le jeune nationaliste et le vieux libéral s'attaquent avec violence. Voir la séance du 16 mai.

3. Séance du 10 mai.

4. Avant 1830, le Parlement était, par tradition, automatiquement dissous à la mort du monarque. Après le décès de George IV, en 1830, on fit voter une loi lui donnant droit de siéger même en cas de décès du souverain. Depuis, Édouard VII est le premier roi à mourir pendant une session.

5. Séance du 26 avril.

6. Séance du 2 juin.

7. Séance du 4 juin.

8. Séance du 17 mars.