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(Dix heures dix minutes)
Le Président (M. Paré): À l'ordre, s'il vous
plaît! Bonjour, mesdames et messieurs. La commission élue
permanente du travail reprend ses travaux dans le but d'entendre les
représentations des personnes et des groupes intéressés au
projet de loi 42, Loi sur les accidents du travail et les maladies
professionnelles.
Les membres de la commission sont: MM. Bisaillon (Sainte-Marie), Cusano
(Viau), Dean (Prévost), Fréchette (Sherbrooke), Mme Harel
(Maisonneuve), MM. Lafrenière (Ungava), Lavigne (Beauharnois), Maltais
(Saguenay), Léger (Lafontaine), Polak (Sainte-Anne), Doyon
(Louis-Hébert) et Baril (Arthabaska).
Les intervenants sont: MM. Marx (D'Arcy McGee), Champagne
(Mille-Îles), Fortier (Outremont), Leduc (Fabre), Pagé (Portneuf),
Payne (Vachon), Proulx (Saint-Jean) et Vaugeois (Trois-Rivières).
Le rapporteur à la commission est M. Lavigne (Beauharnois).
Aujourd'hui nous allons entendre dans l'ordre suivant: Cet avant-midi,
la Société de criminologie du Québec et, ensuite, le
Centre international de crimonologie comparée et l'École de
criminologie. Cet après-midi, à partir de 15 heures: La Chambre
des notaires du Québec, l'Association du camionnage du Québec
Inc., Plaidoyer-Victimes, la Clinique juridique de Hull. Ce soir, à
partir de 20 heures: Les Quotidiens du Québec Inc. et, en dernier lieu,
la Fédération des accidentés (es) du travail de
Rouyn-Noranda.
Donc, j'appelle immédiatement le premier groupe, soit la
Société de criminologie du Québec à prendre place
à l'avant, s'il vous plaît!
Bonjour, bienvenue à la commission. Je voudrais tout simplement
vous demander de vous identifier, ainsi que la personne qui vous accompagne, et
de nous faire la présentation de votre mémoire, s'il vous
plaît!
Société de criminologie du
Québec
M. Rizkalla (Samir): Je suis Samir Rizkalla, secrétaire
général de la Société de criminologie du
Québec, accompagné de Mme Michelle Tremblay, attachée de
recherche à la même société.
Le Président (M. Paré): Oui, M. le
député de Louis-Hébert.
M. Doyon: M. le Président, est-ce que vous auriez
l'amabilité, vu les événements qui se sont passés
lors du passage de M. Harguindeguy qui se voit en butte à une poursuite
de 300 000 $ pour avoir tenté d'informer cette commission de certains
faits qui avaient été portés à son attention, de
donner lecture de l'article du règlement pertinent qui accorde
l'immunité parlementaire aux personnes qui sont devant nous
présentement?
Le Président (M. Paré): Oui, M. le
député de Louis-Hébert.
M. Doyon: Merci.
Le Président (M. Paré): Très rapidement, en
rappelant ce qui a été dit hier et avant-hier, je crois. Deux
choses: premièrement, le geste dont vous parlez s'est passé
à l'extérieur de la commission et à l'intérieur de
la commission, l'article 53 de la Loi de l'Assemblée nationale se lit
comme suit:...
M. Doyon: M. le Président...
Le Président (M. Paré): Oui, M. le
député de Louis-Hébert.
M. Doyon: M. le Président, votre première remarque
- je le soumets respectueusement - est une chose que le tribunal aura à
apprécier. Cela peut être une défense de M. Harguindeguy.
C'est une question de fond, à savoir où se sont prononcées
ces paroles. C'est extrêmement important et il en va de la poursuite.
Alors, M. le Président, je pense que vous devriez retirer cette phrase
de façon à ne pas permettre que le tribunal croie que vous vous
êtes déjà prononcé sur le fond de l'affaire. Je
pense que c'est hors propos dans les circonstances.
Le Président (M. Paré): M. le député
de Louis-Hébert, je ne reprendrai pas sur toute la discussion et sur ce
qui avait été dit relativement à votre demande de
directive sur laquelle je ne m'étais pas prononcé. La
première parole que j'ai prononcée faisait partie de la
décision que j'ai rendue hier. Donc, je ne reviendrai pas
là-dessus et je vais rappeler l'article 53 de la Loi sur
l'Assemblée nationale qui se lit comme suit: "Le
témoignage d'une personne devant l'Assemblée, une commission ou
une sous-commission ne peut être retenu contre elle devant un tribunal,
sauf si elle est poursuivie pour parjure." Donc, ceci dit, je vous invite
maintenant à nous faire valoir vos commentaires et à nous faire
la présentation de votre mémoire. (10 h 15)
M. Rizkalla: Merci, M. le Président. M. le
Président, M. le ministre, mesdames et messieurs, lorsque la
Société de criminologie du Québec s'est penchée sur
l'analyse des dispositions de la Loi concernant l'indemnisation des victimes
d'actes criminels, elle avait déjà à l'esprit trois
principes fondamentaux qu'elle souhaitait y retrouver. Ces principes sont les
suivants: premièrement, la reconnaissance officielle et légale du
droit des victimes à la réparation du préjudice subi;
deuxièmement, l'équité quant à la réparation
accordée à toutes les victimes, quelle que soit la source de leur
victimisation, cette équité revêtant une double
signification: la première, toutes les victimes doivent avoir
accès à un régime d'indemnisation et de réparation
similaire et offrant une juste compensation pour le tort causé; la
deuxième, chaque victime en particulier a des circonstances qui lui sont
propres, circonstances qui doivent être prises en considération au
moment du calcul des compensations. Troisièmement, la
responsabilité de la collectivité face à la victime.
En effet, s'il incombe à tout citoyen de déployer un
effort raisonnable pour se prémunir contre une éventuelle
victimisation, il est du devoir de l'État d'assurer à la
population la protection nécessaire et efficace contre les comportements
délictueux. C'est en vertu de ce principe que des sommes
considérables sont dépensées pour des services de police
et pour tout l'appareil judiciaire et correctionnel.
Le Président (M. Paré): M. Rizkalla... M.
Rizkalla: Oui, M. le Président.
Le Président (M. Paré): Est-ce que je peux vous
interrompre pour vous demander si vous faites la lecture du mémoire ou
si c'est simplement un résumé?
M. Rizkalla: C'est un résumé du mémoire qui
doit prendre environ huit à dix minutes au total.
M. Polak: M. le Président...
Le Président (M. Paré): Oui, M. le
député de Sainte-Anne.
M. Polak: 3e pourrais peut-être suggérer à M.
Rizkalla de nous référer de temps en temps à la page
où il se trouve. Il est très difficile pour nous de suivre un
résumé que nous n'avons pas entre les mains. Ainsi, si vous nous
dites que vous êtes à la page 3, cela facilitera notre
travail.
M. Rizkalla: Vous voulez dire de vous référer
à une page du mémoire?
M. Polak: Oui.
Le Président (M. Paré): Ce serait peut-être
possible...
M. RizkaUa: C'est vraiment une synthèse que je fais. 3e ne
me réfère pas à des pages en particulier. Par contre, il y
a effectivement des endroits où je me réfère à
certains articles. Là, je pourrai peut-être faire le lien avec le
mémoire.
M. Polak: Merci.
M. RizkaUa: D'accord. Merci, M. le Président.
La victime, pour sa part, n'obtient qu'une très faible portion de
ses dépenses alors que c'est elle qui a subi le véritable
préjudice comme conséquence du délit. Aussi, nous
semble-t-il que la collectivité se doit d'assumer les coûts de la
réparation d'un tel préjudice. C'étaient trois principes
généraux que nous avions à l'esprit lorsque nous avons
commencé à analyser le projet de loi.
J'en viens maintenant à cette sorte d'adéquation entre les
principes et le projet de loi. La Société de criminologie
cherchait dans le nouveau projet de loi une application de ces trois principes;
application qui serait ou qui devait, à notre avis, être encore
plus prononcée et plus efficace que celle qui se trouve dans la loi sur
l'indemnisation actuellement en vigueur.
Cette recherche nous a conduits à quelques stipulations qui
répondent effectivement à notre préoccupation et que nous
appuyons volontiers. Par exemple, l'article 3a, qui est mentionné
justement à la page 11 du mémoire, renvoie à une liste qui
énumère pratiquement tous les délits contre la personne.
3e dis pratiquement parce que, effectivement, d'après nous, il y a une
omission. C'est celle des victimes d'inceste qui s'exposent, à notre
avis, à de très graves préjudices et qui doivent
également être réparés en vertu du principe
d'équité.
En ce qui concerne l'article 3d, en page 12 du mémoire, nous y
trouvons un élargissement de la définition de la victime que nous
considérons fort souhaitable. Enfin, l'article 3.1, toujours en page 12,
étend l'application de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes
criminels aux Québécois victimisés hors de la province, ce
qui, également, nous semblait fort souhaitable.
Pour le reste des dispositions de la nouvelle loi, la
Société de criminologie demeure pratiquement sur son
appétit. En plus, elle constate non sans étonnement un certain
recul par rapport à ce qui est actuellement accordé aux victimes
en vertu de l'IVAC.
Premièrement, le droit à la réparation pleine et
entière n'y est absolument pas reconnu. Seules sont
considérées les victimes de délit contre la personne, ce
qui, dans l'état actuel des choses, est fort compréhensible. On
réfère de nouveau à la page 11 du mémoire sur le
commentaire que nous faisons sur le titre du projet de loi. Néanmoins,
le titre du projet de loi devrait donc refléter fidèlement son
contenu. L'intitulé devrait donc être: Loi d'indemnisation des
victimes d'actes criminels contre la personne.
Par ailleurs, il nous semble essentiel que le projet de loi reconnaisse
explicitement le droit des victimes à l'indemnisation au même
titre qu'elle le fait pour les travailleurs accidentés. Ainsi, les
délais de carence ne nous semblent pas justifiés - nous le
mentionnons dans les commentaires à l'article 18, page 17 - et
constituent une dénégation de ce droit. Il en est de même
de la disposition fixant un âge minimal de 18 ans pour le versement de
certaines indemnités.
Deuxièmement, quant à l'équité: Nous ne
pouvons que constater qu'elle est loin d'être respectée, et ce,
dans un certain nombre de dispositions. Premièrement, une discrimination
- ce sont les commentaires de la page 15, le troisièmement sur les
indemnités - est créée entre victimes d'accident du
travail et victimes d'acte criminel. Ces dernières n'ont droit qu'aux
80% de ce qui est accordé aux premières, même si le
préjudice subi par les deux est identique et même si la source du
préjudice est similaire. L'exemple frappant est celui de
l'employé et du client d'une banque, tous deux victimisés au
cours d'un même hold-up.
Le deuxième aspect de cette discrimination est celui des
délais de carence prévus dans certains cas de victimisation
à la suite d'actes criminels. Troisième exemple:
l'identité du traitement de victimes ayant des circonstances
particulières est quelquefois considéré comme étant
un objet de discrimination ou comme pouvant porter à la discrimination.
Par exemple, les personnes sans emploi ayant droit à l'assurance
chômage, ou jouissant d'une bourse d'étude, ou détenant un
emploi sporadique, ne peuvent pas être traitées sur un pied
d'égalité avec celles qui n'ont que les allocations du
bien-être social. C'est là une égalité entre des
types différents de victimes qui crée une discrimination
puisqu'elle ne tient aucun compte des circonstances individuelles de chaque
type de victimes.
Une autre discrimination inutile, nous semble-t-il, du moins pour le
moment, est celle de l'exigence du rapport à la police. En effet - nous
le mentionnons dans le texte en page 13 - seulement près de 3% des cas
pourraient se voir appliquer cette disposition. Mais, il s'agit là, fort
probablement, de 3% qui iraient jusqu'à renoncer à leur
indemnité plutôt que d'être obligés d'avoir à
se rapporter à la police. En effet, nombreuses peuvent être les
contraintes sociales, morales ou psychologiques qui empêchent une
personne de recourir au système pénal, sans compter,
évidemment, la peur des représailles.
Enfin, quant au troisième et dernier principe, celui de la
responsabilité collective, il nous semble avoir été
sacrifié à des considérations purement financières.
On y oppose le fait que, dans le domaine routier ou dans celui du travail, les
victimes potentielles ou la source possible de victimisation payent une
cotisation. Or, le risque de victimisation étant universel dans le
domaine de la criminalité, il nous semble normal que tous les citoyens
soient considérés comme des cotisants. Tels sont les principaux
points que nous avons tenu à amener devant votre commission. Merci de
votre écoute.
Le Président (M. Paré): Merci beaucoup. Nous allons
maintenant procéder à l'échange avec les membres de la
commission.
M. Rizkalla: M. le Président... Le Président (M.
Paré): Oui...
M. Rizkalla: Je pourrais peut-être vous suggérer
que, étant donné qu'il y a beaucoup d'affinités entre les
points de vue que nous soutenons et ceux que le CICC et l'École de
criminologie soutiennent, il serait pertinent qu'ils fassent leur exposé
et que la période de questions soit unifiée pour les deux
groupes.
Le Président (M. Paré): S'il y a consentement des
deux partis, il n'y a aucun problème.
Des voix: D'accord.
Le Président (M. Paré): Tout le monde est donc
d'accord. J'inviterais donc maintenant le Centre international de criminologie
comparée et l'École de criminologie à nous faire la
présentation de leur mémoire.
Bienvenue. Si vous voulez bien vous identifier et, ensuite, faire la
présentation de votre mémoire.
Centre international de criminologie comparée
et École de criminologie
Mme Baril (Micheline): Merci, M. le
Président. M. le ministre, mesdames, messieurs, je suis Micheline
Baril, professeur à l'École de criminologie de
l'Université de Montréal. L'École de criminologie
présente un mémoire conjoint avec le Centre international de
criminologie comparée. Ce mémoire porte spécifiquement,
comme celui de nos collègues qui nous ont précédés,
sur la partie du projet de loi 42 qui touche l'indemnisation des victimes
d'actes criminels. Mme Sylvie Durand, qui représente le Centre
international de criminologie comparée, pourrait présenter le
centre qui n'est peut-être pas connu ici.
Mme Durand (Sylvie): Bonjour. En deux ou trois minutes, je
voudrais expliquer que le Centre international de criminologie comparée
est un centre affilié à l'Université de Montréal;
il a été créé en 1969. C'est un centre qui
travaille en étroite collaboration avec l'École de criminologie.
Le Centre international de criminologie ou le CICC poursuit deux missions.
D'abord, une mission au plan international par des colloques et des
échanges entre les pays et, aussi, par une collaboration à des
revues internationales. Comme deuxième mission, une mission de recherche
proprement dite aux niveaux québécois et canadien. À
l'origine, ce centre a été créé avec l'objectif de
favoriser des échanges réguliers avec les criminologues
européens et nord-américains et aussi avec ceux du tiers monde.
Le centre est associé à la Société internationale
de criminologie -notre directeur est d'ailleurs le président de cette
société - et le CICC collabore avec les Nations Unies et les
organismes affiliés. C'est ainsi qu'il contribue activement à la
diffusion des connaissances criminologiques à l'échelle
internationale.
Depuis le début des années quatre-vingt, la mission de
recherche aux niveaux québécois et canadien est finalement la
vocation majeure du CICC. C'est le seul centre francophone en criminologie au
Canada. Poursuivant des recherches tant fondamentales qu'appliquées, le
CICC a surtout deux volets principaux de recherche: premièrement, le
développement de la conduite déliquante et, deuxièmement,
l'étude de la réaction sociale. La victimologie est un domaine
qui constitue un centre de préoccupation important du CICC. Il y a
d'ailleurs une équipe qui poursuit des travaux dans ce domaine depuis
au-delà de deux ans. C'est donc principalement en regard de ce volet qui
est la victimologie que le CICC a voulu réagir, conjointement avec
l'École de criminologie, au projet de loi 42. Notre vocation
internationale nous amène aussi à nous sentir d'autant plus
concernés que la loi de l'IVAC du Québec est citée en
exemple dans plusieurs pays d'Europe, aux États-Unis et aussi dans des
provinces canadiennes. Si le projet de loi 42 était adopté, la
loi de l'IVAC non seulement perdrait sa qualité de modèle qu'on
commence à imiter ailleurs, mais aussi constituerait un recul par
rapport à ce qui se fait précisément ailleurs. Comme on a
décidé de soumettre un mémoire commun, je vais laisser la
parole à Mme Baril.
Mme Baril: Notre mémoire comprend trois parties. Je ne le
lirai pas. Je vais en faire un résumé. Dans une première
partie, on critique l'orientation même du projet de loi, une orientation
qui nous apparaît déplorable, sinon désastreuse. Dans une
deuxième partie, on l'aborde de façon peut-être plus
positive en proposant des orientations ou des guides qui, selon nous, devraient
orienter le législateur et, dans un troisième temps, on a
commenté certains articles précis du projet de loi.
Pour finir, on veut soumettre des propositions plus concrètes et
on aurait aussi quelques questions à poser. En ce qui concerne les
critiques, une première constatation qu'on a faite, c'est que, plus on
étudiait le projet de loi, plus on commençait à le
comprendre et plus on se rendait compte des changements en profondeur qu'il
apportait, plus on était en désaccord avec cela aussi et moins on
comprenait l'orientation ou la cohérence qu'il y a peut-être
derrière le projet mais qu'on n'a pas pu saisir.
On a des critiques sur deux points fondamentaux. Le premier, c'est que
c'est un projet de loi, projet d'indemnisation des victimes d'actes criminels,
qui est nettement un retour en arrière. Le deuxième, c'est que
c'est un projet qui introduit énormément de disparités
dans le traitement des différents types de victimes.
D'abord, on fait marche arrière, je pense que c'est
évident - nos collègues en ont parlé tout à l'heure
- par rapport à la loi actuelle de l'IVAC. Juste pour résumer en
gros, le projet propose de diminuer les indemnités, c'est-à-dire
que, par exemple, en termes d'indemnités de remplacement du revenu, on
chute de 90% du revenu net à 72% parce que 80% de 90%, ça fait
72%. On a vu aussi que le projet de loi introduit des délais de carence
qui n'existaient pas, délais qui peuvent varier de huit jours à
un an et qu'il obligerait dorénavant les victimes d'actes criminels
à signaler le crime aux policiers. (10 h 30)
Cela veut dire que, si le projet de loi était adopté, les
victimes de décembre 1984, selon la date d'acceptation, seraient
traitées de façon tout à fait différente de celle
des victimes actuelles, du mois de mars 1984.
Je pense que, déjà, c'est difficilement justifiable comme
position mais, en plus, c'est un projet de loi qui va à contre-courant
de toutes les tendances actuelles au
Québec et ailleurs dans le monde où on constate, depuis
quelques années, une préoccupation à l'égard des
victimes d'actes criminels. On se dit aussi qu'il était temps que cette
préoccupation arrive parce que, pendant des siècles, on a
oublié que, lorsqu'il y a un crime, un préjudice est
causé, une personne est préjudiciée. Par exemple, la loi
de l'IVAC, les lois de l'indemnisation aux victimes d'actes criminels, on a
dû les réclamer pendant 100 ans avant qu'un premier régime
soit établi, le premier en Nouvelle-Zélande. Au Québec, on
a déjà notre régime depuis 1972. C'est vrai qu'on pourrait
dire que le Québec y est allé en grande, c'est-à-dire que,
dès le départ, il a proposé, il a voté une loi
intéressante. C'est l'une des meilleures lois, l'un des meilleurs
services d'indemnisation qui existent à travers le monde. Mais c'est
à peu près la seule chose qu'on fait pour les victimes d'actes
criminels présentement, chez nous.
Ma collègue tout à l'heure a mentionné les
recherches et les comparaisons internationales qui ont été
faites. Je pense que sa position allait dans ce sens-là.
Mme Durand: On disait que la loi de l'IVAC du Québec est
reconnue comme l'une des meilleures au monde. Le rapport
fédéral-provincial qui vient d'être fait pour la Justice
sur les victimes d'actes criminels s'en est inspiré. Les provinces
d'Ontario et du Manitoba sont en train de refaire leurs lois d'indemnisation
des victimes d'actes criminels et elles s'inspirent de celle du Québec.
Le Conseil de l'Europe a écrit un livre blanc sur l'indemnisation des
victimes d'infractions et on y fait souvent référence au
système d'indemnisation implanté au Québec. À
l'automne 1983, une convention a été adoptée par le
comité des ministres du Conseil de l'Europe et cette convention consacre
le droit à la réparation et à l'indemnisation. Il y a un
projet de déclaration universelle des droits des victimes qui va
être présenté au congrès de l'ONU en 1985. C'est un
projet qui inclut aussi le droit à la réparation et le
Québec participe à l'élaboration de ce projet. C'est donc
dire que, si le projet de déclaration était adopté au
moment du congrès en 1985, les pays devraient adapter leur
législation en conséquence.
C'est donc dire qu'il y a un mouvement international pour la
reconnaissance des droits des victimes à la réparation. Mais,
comme on l'a mentionné plus tôt, les Québécois n'ont
jusqu'à présent rien à envier aux autres pays puisque ce
droit est implicitement reconnu, en tout cas pour les victimes d'actes
violents.
Le projet de loi 42 modifie considérablement cette reconnaissance
implicite du droit à l'indemnisation. Les victimes continueraient
à être indemnisées, s'il était adopté, mais
à rabais.
Mme Baril: Finalement, je pense qu'on peut en conclure que, si
les dispositions qui sont présentées dans le projet de loi 42
étaient acceptées, non seulement le Québec ne serait plus
en tête de file, non seulement les victimes d'actes criminels au
Québec en souffriraient, mais c'est aussi toute la question des victimes
d'actes criminels à travers le monde qui risque de faire quelques pas en
arrière. D'ailleurs, une question qu'on se pose aussi, nous,
criminologues, c'est que notre démission par rapport aux victimes
d'actes criminels ne réglera jamais le problème de la
criminalité. Mais, ce qui est plus grave encore, si nous, comme
société, comme gouvernement, on se dote de lois qui
négligent, qui relèguent les victimes au deuxième rang,
qui les mettent au rancart, est-ce qu'on peut s'attendre que les
délinquants, eux, respectent les droits des victimes?
Une deuxième critique par rapport au projet de loi, ce sont les
disparités de traitement des différentes victimes d'actes
criminels. On le voit à l'intérieur du projet de loi 42 et on le
voit en comparant également les victimes de différents types
d'infortune.
La Société de criminologie du Québec a
mentionné tout à l'heure que le projet prévoit un
traitement différent lors de préjudices identiques. Par exemple,
la loi de l'IVAC et la loi des accidentés du travail prévoient
des dispositions différentes, ce qui veut dire que, par exemple, pour un
acte exactement identique, pour des préjudices identiques, les
indemnités seraient différentes. L'exemple qui a
été mentionné, c'est celui du caissier et du témoin
dans une caisse. Je pense qu'on peut même aller plus loin et
présenter un exemple qui n'est pas du tout hypothétique parce que
ce sont des cas qui se présentent.
On peut penser à deux personnes, deux clients de la banque qui se
présentent en même temps pour faire leur transaction bancaire. Une
personne fait la transaction bancaire pour la compagnie qu'elle
représente ou pour son patron, l'autre personne la fait à son
compte personnel. Les deux sont victimes d'un acte criminel. Disons qu'il y a
une fusillade et que les personnes décèdent. Les ayants droit
dans un cas, dans le cas de la victime d'un accident du travail,
c'est-à-dire la personne qui faisait sa transaction au compte de sa
compagnie - c'est un accident du travail - auront droit à une
indemnité basée sur les 90% du salaire auquel la victime aurait
eu droit, alors que l'autre, l'autre victime à ce moment, ses ayants
droit ne recevront qu'un indemnité basée sur les 72%. Je pense
que c'est assez difficilement justifiable.
On a remarqué aussi des traitements
différents pour des préjudices semblables, dans d'autres
cas d'accidents du travail, des cas d'accidents de la route, par rapport aux
préjudices subis par les victimes d'actes criminels. On le remarque
à l'intérieur de la loi, dans ce sens que les personnes, par
exemple, qui ne détiennent pas d'emploi ne sont pas toutes
traitées de la même façon ou en vertu du même
principe, du principe de remplacement du revenu. Certaines personnes n'ont pas
de revenu dans ce groupe et certaines personnes, même si elles n'ont pas
d'emploi, ont des revenus. Ici, il s'agit d'une différence dont il
faudrait tenir compte en vertu d'un principe semblable.
Ce sont les principales critiques que nous apportons au projet de loi
42. En contrepartie nos suggestions seraient en premier lieu de définir
explicitement un droit à la réparation des préjudices
subis. Idéalement ce droit à la réparation devrait
être un droit à la réparation intégrale des
préjudices subis. On reconnaît qu'actuellement il n'y a
peut-être pas possibilité de faire réparation
intégrale. La loi antérieure de l'IVAC ne le prévoit pas,
d'ailleurs, non plus. C'est la réparation des préjudices à
l'atteinte à l'intégrité physique et psychologique qui est
indemnisée et non pas les pertes encourues pour les dommages
matériels. C'est peut-être un compromis qu'il faut continuer
à faire.
Par ailleurs, je crois qu'en ce qui concerne la réparation pour
les dommages à la personne il faut absolument maintenir ce droit qui
n'était pas énoncé explicitement dans la loi, ce qui a
peut-être permis qu'on le bafoue comme on le fait à l'heure
actuelle. Je pense qu'il faut le définir et que c'est un droit qui doit
être reconnu à toutes les victimes. D'ailleurs, la partie qui
concerne les accidentés du travail définit de façon
très claire un certain nombre de droits aux accidentés du
travail. C'est toujours un guide pour les personnes qui ont à appliquer
la loi, le fait de reconnaître au départ des droits et des
principes.
Dans un deuxième temps, on propose l'harmonisation des mesures de
réparation en se basant ici sur la notion d'équité qui
veut que tous les citoyens semblablement lésés aient droit
à un régime d'indemnisation similaire. Ce principe
d'équité tient évidemment compte aussi des
différences qui peuvent exister. Alors, si les personnes ne sont pas
similairement lésées, il faut également en tenir compte.
Ceci veut dire une harmonisation entre la Loi sur les accidents du travail, la
loi concernant les accidents de la route et la loi sur l'IVAC. On pourrait
évidemment mentionner la loi sur le civisme, mais je pense que, quand on
parle de la loi sur l'IVAC, on inclut également la loi sur le
civisme.
On propose également une politique criminelle renouvelée.
Je pense qu'ici on est conscient qu'on s'adresse davantage au ministère
de la Justice qu'au ministère du Travail. Non seulement il faut
harmoniser les différentes mesures d'indemnisation, mais il faut
également en arriver à une politique globale de réparation
en matière d'actes criminels. Une politique globale de réparation
en matière d'actes criminels veut dire qu'il faut reconnaître que
les auteurs de préjudices, lorsqu'ils sont identifiés, sont
également responsables de la réparation des dommages, mais que
l'État assume la réparation pour les victimes dans tous les cas,
qui sont fort plus nombreux, où l'auteur n'est pas identifié ou
n'est pas solvable. L'État se substitue à ce moment.
En ce qui concerne les articles comme tels du projet de loi, il y a
quelques ajouts ou quelques amendements qui nous apparaissent
intéressants, notamment en ce qui concerne la juridiction territoriale.
L'article 307 permettrait aux Québécois d'être
indemnisés lorsqu'ils sont victimes à l'extérieur du
Québec, quand la province ou le pays dans lequel ils subissent l'acte
criminel n'a pas de régime d'indemnisation ou n'indemnise pas les
étrangers. Alors, c'est un ajout intéressant. De même, la
définition de la victime à l'article 306, paragraphe d, est
également intéressante.
Par ailleurs, dans tous les articles qui concernent les
indemnités, je pense que les articles à critiquer sont ceux
où on aimerait voir revenir le statu quo ou la parité,
l'harmonisation avec les articles qui concernent l'indemnité dans le
projet de loi sur les accidents du travail.
En ce qui concerne l'obligation de rapporter à la police, nous
n'en voyons vraiment pas l'utilité. De toute façon, je crois que
l'indemnisation des victimes et la dénonciation à la police sont
deux matières complètement séparées qu'on ne
devrait pas confondre. De toute façon, c'est déjà
écrit dans le mémoire déposé devant vous. On a j
commenté certains autres articles, notamment, en ce qui concerne les
personnes sans emploi et aussi la subrogation où l'on demande: Ne
devrait-on pas le faire également à travers les articles 653 et
663 du Code criminel et non pas seulement avec le Code civil? On s'est
posé des questions sur les raisons des délais de carence.
En conclusion, il nous manque évidemment un certain nombre
d'informations. On ne sait pas ce qui a guidé le législateur dans
la rédaction du projet de loi. Avec l'information dont on dispose
actuellement, on considère que, dans l'ensemble, le projet de loi n'est
pas acceptable par une société qui se veut juste à
l'égard de tous les citoyens. En ce qui concerne les indemnités,
on propose un retour à ce qui existe actuellement, à la loi
sur l'IVAC, et une harmonisation avec les autres lois
d'indemnisation. On a mentionné
que quelques articles étaient un progrès et on se dit
aussi qu'il y aurait peut-être lieu, plutôt que de
rétrécir notre vision à l'égard des victimes,
d'élargir le mandat de l'IVAC et de lui demander d'assumer un rôle
de leadership en tout ce qui concerne la réparation aux victimes d'actes
criminels. (10 h 45)
Cette information qui nous manque, d'après ce qu'on nous a dit,
il semble que ce soit le ministère de la Justice qui ait
préparé cette partie du projet de loi. Je ne sais pas s'il y a
des représentants du ministère de la Justice ici. On aimerait
connaître les principes qui l'ont guidé. On aimerait
connaître la raison de diminuer les indemnités. Pourquoi choisir
les pourcentages de 80% et de 72%? Pourquoi tous ces pourcentages
modifiés? Pourquoi demande-ton maintenant le signalement à la
police? Pourquoi ne considère-t-on pas toutes les personnes sans revenu
de la même façon? Pourquoi ne fait-on pas de distinction entre les
personnes sans revenu et les personnes sans emploi?
Je vous remercie, M. le Président. Pour les questions que
j'adresse au ministère de la Justice, je ne sais pas si on peut en
obtenir les réponses.
Le Président (M. Paré): Merci beaucoup pour la
présentation de votre mémoire. Nous allons maintenant passer
à la période des échanges. Probablement qu'au cours de cet
échange, certaines remarques répondront à vos
interrogations.
M. Doyon: M. le Président.
Le Président (M. Paré): M. le député
de Louis-Hébert.
Motion pour la convocation du ministre de la
Justice
M. Réjean Doyon
M. Doyon: Merci, M. le Président. À la suite de la
dernière remarque qu'on vient de nous faire concernant le ministre de la
Justice, je pense qu'il serait intéressant que, dès maintenant,
on puisse savoir si, oui ou non, le ministre de la Justice va nous faire
l'honneur de se présenter à cette commission, compte tenu du fait
que le ministre du Travail est probablement prêt à répondre
aux questions qui relèvent de son autorité et dont il est
responsable. Cependant, si on est tout simplement pour avoir des
réponses vagues et nébuleuses qui n'engagent pas le ministre de
la Justice, je suggérerais que cette commission suspende ses travaux et
qu'on aille quérir le ministre de la Justice pour qu'on puisse
l'entendre et savoir à quelle enseigne il loge. Autrement, je pense
qu'on perd notre temps.
Si le ministre du Travail porte aussi le chapeau du ministre de la
Justice, j'ai l'impression qu'il peut être ou trop grand ou trop petit et
que cela ne lui fera pas belle figure. Il devrait se méfier et ne pas se
prononcer au nom du ministre de la Justice qui, même s'il vient
d'être nommé, voudra probablement rassurer les gens qui sont
devant nous, ainsi que les victimes potentielles d'actes criminels qui
aimeraient savoir ce que le gouvernement a l'intention de faire, à la
suite des remarques fort pertinentes et fort à propos qui nous sont
faites. La réponse ne peut venir de personne d'autre que du ministre de
la Justice. Je ne crois pas que le ministre du Travail puisse donner ce genre
de réponses. Il en a suffisamment sur le dos avec la Loi sur les
accidents du travail et des maladies professionnelles sans s'occuper de
l'indemnisation des victimes d'actes criminels.
Je ne voudrais pas que cette commission perde son temps à
entendre des réponses qui, finalement, n'engageront pas le gouvernement
et, encore moins, le ministre de la Justice.
Le Président (M. Paré): M. le député
de Louis-Hébert, je comprends très bien vos arguments, de
même que votre demande, sauf que j'aimerais rappeler quelques points:
Premièrement, cette discussion a déjà été
soulevée dans le passé au cours d'une autre séance de
cette même commission. On avait rendu la décision, qui est un peu
le deuxième point de la réponse, à savoir que le projet de
loi 42 relève du ministre du Travail qui est ici présentement. La
troisième raison qui fait en sorte qu'on ne pourrait pas attendre la
venue du ministre de la Justice est bien simple, c'est que le ministre de la
Justice est à l'extérieur du Québec aujourd'hui. Donc, ce
serait inutile, de toute façon.
M. Doyon: Oui, mais on pourrait peut-être se contenter de
l'ancien ministre de la Justice, un coup mal pris. Il pourrait refiler des
réponses.
Une voix: Ou l'adjoint parlementaire.
M. Doyon: M. le Président, l'explication... Ou, encore,
l'adjoint parlementaire. Mais, quand même, la réponse que vous me
donnez disant que le ministre de la Justice est en dehors est totalement
insuffisante. Cela ne justifie pas du tout son absence. Il y a longtemps que
ces séances de la commission sont prévues. Il y a un ordre du
jour qui a été préparé. Les gens qui sont devant
nous ont envoyé leur mémoire en temps utile. Nous les avons eus
de ce côté-ci, nous, de l'Opposition. Nous en avons pris
connaissance. Aujourd'hui, que vous me disiez que le ministre de la Justice a
pris la
poudre d'escampette, c'est trop facile. Son travail et sa
responsabilité ne sont pas d'être ailleurs dans le moment - c'est
cela que je veux dire - mais d'être ici. Que vous me donniez comme
réponse qu'il est ailleurs, donc qu'il ne peut pas être ici, cela
ne me satisfait pas. Je suis convaincu que cela ne satisfait pas les gens qui
sont partis de Montréal et d'ailleurs pour venir présenter un
mémoire qui concerne spécifiquement le ministre de la Justice.
Que cette discussion ait déjà eu lieu, là-dessus, M. le
Président, je vous dirai que, parfois, il faut répéter les
choses. Il faut insister de façon à tenter de convaincre. Je fais
une motion formelle pour que nous suspendions les travaux jusqu'à ce que
le ministre de la Justice se présente devant cette commission et
réponde aux interrogations présentées par les intervenants
qui sont devant nous. Ma motion est faite, M. le Président.
Le Président (M. Paré): Je vais donc rendre une
décision très rapide puisque j'en ai déjà rendu une
similaire antérieurement. Pour les raisons évoquées
tantôt, on ne suspendra pas les travaux de la commission. Vous dites que
l'absence du ministre ne justifie pas son absence, si j'ai bien compris. Je
dois dire que c'est une constatation que je fais. Il y a impossibilité
et le fait que le ministre soit retenu dans une discussion
fédérale-provinciale à Ottawa aujourd'hui n'est pas une
décision de s'absenter, mais une obligation due à sa tâche.
Donc, là-dessus, je crois que nous devons tout simplement constater les
faits. Il y a impossibilité de répondre à votre
demande.
M. Doyon: M. le Président, je demande le vote sur la
motion que je viens de faire.
Le Président (M. Paré): Je m'excuse, M. le
député de Louis-Hébert, j'ai pris la décision de ne
pas recevoir votre motion pour les raisons que je suis en train de vous
expliquer.
M. Doyon: On va parler de cela.
Le Président (M. Paré): Je m'excuse, M. le
député de Louis-Hébert, vous pourrez contester ma
décision si vous le voulez, mais vous devez la respecter. Vous pourrez
la contester en d'autres lieux. Une décision étant rendue, on ne
peut appeler le vote là-dessus.
M. Doyon: M. le Président.
Le Président (M. Paré): M. le député
de Louis-Hébert.
M. Doyon: M. le Président, la décision que vous
venez de rendre en est une sur l'acceptabilité de la motion. Je vous dis
qu'avant que vous rendiez une décision là-dessus vous devez nous
entendre sur - tous et chacun d'entre nous - ce qu'on a à dire, sur le
fait que la motion doit être acceptée par vous et mise aux voix.
Vous avez pris les devants en rendant votre décision sans nous avoir
permis - je suis sûr que vous l'avez fait par inadvertance - de nous
faire entendre sur la question d'acceptabilité de cette motion. Dans les
circonstances, je vous demanderais de me donner la parole pour que je puisse
vous expliquer pourquoi vous devriez rendre une décision qui permettrait
de mettre aux voix la motion que je vous présente.
Le Président (M. Paré): Lorsqu'il y a
présentation d'une motion, il est dit en fonction de notre
règlement qu'évidemment chacune des parties peut se faire
entendre et non pas tous et chacun. Vous avez effectivement le droit de vous
faire entendre sauf que, là où j'ai apporté un refus,
c'est au moment où vous demandiez un vote. Je ne peux accepter qu'il y
ait vote alors que la motion apportée n'était pas reçue.
Si je vous dis que j'ai rendu une décision et que je rends effectivement
une décision, c'est que cette discussion a déjà eu lieu.
Il est bien dit dans notre règlement qu'au moment où le
président se sent suffisamment informé il peut prendre une
décision, pour autant qu'il la justifie. À mon avis, c'est ce que
j'ai fait.
M. Doyon: M. le Président, je vous soumets
respectueusement que la discussion qui a eu lieu a eu lieu dans des
circonstances qui sont autres que celle que nous avons présentement,
dans des circonstances qui ne nous permettaient pas d'avoir les renseignements
que les gens qui sont devant nous nous ont présentés. Dans les
circonstances, nous n'étions pas en mesure d'apprécier à
sa juste valeur la nécessité. Nous soupçonnions, nous
pensions que ce serait nécessaire d'avoir la présence du ministre
de la Justice. Devant les représentations qui nous sont faites, nous en
venons à la conclusion évidente que toute discussion qui se
tiendra en l'absence du ministre de la Justice est une discussion qui sera
inutile, vide de sens et ne permettant pas de vider le fond du problème.
Nous ne pouvions pas connaître d'avance les remarques et les
représentations qui nous seraient faites. C'est devant la nature de ces
remarques, devant le besoin de l'avoir pour répondre aux interrogations,
aux questions et aux préoccupations des intervenants actuels, que nous
nous rendons compte que la présence du ministre de la Justice -
vous-même, M. le Président, vous devriez vous en rendre compte -
est absolument nécessaire. Sinon, nous ne pourrons pas nous acquitter de
nos fonctions. Il est de votre devoir, M. le
Président, de prendre les moyens pour que nous puissions nous
acquitter de nos fonctions et, en l'absence du ministre de la Justice, il
ressort clairement que cela est impossible dans les circonstances. Vous devriez
prendre la décision de suspendre les travaux et de faire en sorte qu'ils
soient repris en temps et lieu quand nous pourrons discuter, quand les gens qui
sont devant nous pourront discuter avec le ministre de la Justice qui est
responsable du texte qui est devant nous. Si le ministre du Travail nous dit
qu'il s'agit de son texte, qu'il a été préparé par
ses fonctionnaires, selon ses instructions, on pourra réviser notre
position. Tant que j'aurai la conviction que c'est le texte du ministre de la
Justice, que c'est le texte des experts du ministère de la Justice, des
fonctionnaires sous les ordres du ministre de la Justice, je ne peux pas
accepter que ce soit le ministre du Travail qui défende et qui
réponde, au nom de ce ministre, à des questions aussi
fondamentales et aussi importantes que celles qui sont soulevées par le
mémoire qui est devant nous. C'est inadmissible et je
m'élève avec la dernière vigueur vis-à-vis de ce
mépris - parce que c'est du mépris - qu'on manifeste à
l'égard des victimes de crimes et des gens qui veulent nous expliquer
pourquoi il est important de mettre sur pied un système qui soit juste,
équitable et qui traite tout le monde sur le même pied. Qu'on
traite cette question avec un mépris semblable, je trouve cela tout
à fait inadmissible et je le dénonce avec la dernière
vigueur.
Le Président (M. Paré): Même si j'avais pris
une décision, avant de trancher cette question, puisque je vous ai
permis de donner votre version, je voudrais savoir si quelqu'un d'autre veut
parler sur le sujet avant de rendre une décision finale.
M. Fréchette: Oui...
Le Président (M. Paré): M. le ministre du
Travail.
M. Raynald Fréchette
M. Fréchette: M. le Président, si vous en
étiez investi du pouvoir, il ne vous resterait qu'à
procéder à l'émission d'un mandat d'amener et derechef,
comme le dit le député de Louis-Hébert, faire
immédiatement procéder à l'arrestation et à la
venue du ministre de la Justice. Ce genre de situation n'est pas
étonnant.
Sur le fond môme de la question, je rappelle que vous avez
d'abord, dans une première démarche, déjà rendu une
décision et que la discussion qu'on a actuellement tourne autour de la
décision que vous avez déjà rendue ce matin.
Deuxièmement, et vous l'avez rappelé, me semble-t-il, à
très juste titre, une discussion de même nature s'est
élevée lors de la première période des auditions de
la commission, alors que le député de D'Arcy McGee était
avec nous et qu'il avait soulevé exactement la même situation sur
laquelle le député de Louis-Hébert attire actuellement
notre attention. Après une discussion de part et d'autre, au cours de
laquelle des représentants de chacune des deux formations politiques se
sont exprimés, une décision a été rendue selon
laquelle vous ne pouviez pas, ni suspendre, ni émettre quelque genre
d'ordonnance que ce soit pour que le ministre de la Justice soit là.
Deuxièmement, M. le Président, je voudrais vous rappeler
une chose que vous savez très certainement, c'est le mandat qui nous a
été confié par l'Assemblée nationale. Au moment
où il a été convenu que nous allions procéder
à la tenue de cette commission parlementaire, l'Assemblée
nationale nous a donné le mandat de procéder à l'audition
des mémoires des groupes, des organismes ou des personnes qui
manifesteraient le désir de se faire entendre. Je pense que, compte tenu
de ce mandat, nous n'avons pas l'autorité de modifier, de quelque
façon que ce soit, sans revenir devant l'Assemblée nationale.
Compte tenu des termes de ce mandat, nous avons nos limites, nous avons nos
normes et c'est à l'intérieur de ces balises qu'il nous faut
travailler.
Une autre argumentation que je porte à votre attention, qui est
également d'importance et aussi en relation avec l'autre argument que je
viens d'invoquer: Le mandat qui est le nôtre, c'est de vous rappeler que
nous n'en sommes qu'au début du processus législatif. La loi sera
sans doute réécrite avec passablement d'amendements - je le
signale dès maintenant - qui touchent le chapitre de l'indemnisation des
victimes d'actes criminels et nous allons procéder à un
débat de deuxième lecture. Nous devrions, toutes choses
étant normales, procéder à la tenue d'une commission
parlementaire au cours de laquelle nous allons procéder à
l'étude du projet de loi article par article, de sorte qu'il est clair
et évident qu'au moins à ce stade des procédures
législatives, le ministre de la Justice sera très certainement
impliqué dans la discussion. Vous avez vous-même indiqué,
M. le Président, les motifs pour lesquels le ministre de la Justice
n'était pas là. Il est dans l'exécution d'un autre mandat
qui est fort important et il est à l'extérieur du Québec.
C'est la raison pour laquelle il n'est pas là. (11 heures)
Je comprends fort bien les préoccupations du député
de Louis-Hébert qui se demande si j'ai le mandat, l'autorité ou
la latitude nécessaire pour parler pour et au
nom du ministre de la Justice. Je vous signale que le projet de loi est
déposé en mon nom et qu'en conséquence je me sens
suffisamment mandaté pour prendre des engagements et donner des
indications au nom du gouvernement du Québec, autant en ce qui touche
les chapitres sur les accidentés du travail que sur la Loi sur
l'indemnisation des victimes d'actes criminels. Je ne suis pas en train de vous
dire que les réponses que je pourrais avoir à donner aux
questions qui nous ont déjà été soumises et
à d'autres qui sont sous-tendues par la discussion qui a
été ouverte vont donner satisfaction à tout le monde, pas
plus à nos invités qu'aux collègues de l'Opposition, mais
je suis en mesure de vous dire qu'à plusieurs des questions qui nous ont
été soumises, des réponses peuvent être
données immédiatement. Mais, plusieurs autres
préoccupations contenues autant dans le mémoire que dans
l'argumentation verbale, je pense que nos invités vont comprendre qu'il
va nous falloir les regarder d'un peu plus près. La commission
parlementaire est faite très précisément dans cet
objectif, à savoir d'entendre des observations et, ensuite, de les
soumettre à la décision politique. Il me semble, en prenant en
considération l'argumentation que je viens de vous soumettre et les
motifs que je viens d'invoquer, qu'il nous serait possible de continuer nos
travaux et d'atteindre les objectifs pour lesquels la commission est là,
avec la possibilité dont je parlais tout à l'heure tout au cours
du processus législatif qui va s'engager, à savoir d'aller plus
à fond avec le ministre de la Justice, si on le souhaite. Pour tous ces
motifs et compte tenu du précédent qui existe déjà,
il me semble que la motion devrait être rejetée sans autre
argumentation.
Le Président (M. Paré): M. le député
de Sainte-Anne.
M. Maximilien Polak
M. Polak: M. le Président, pour essayer de résoudre
ce problème, il n'y a pas de doute que ceux qui sont devant nous ont de
très bonnes raisons de demander... On devrait vraiment avoir la
présence du ministre de la Justice. Je comprends qu'il n'est pas ici,
mais rien ne vous empêche de l'inviter. À la commission des
engagements financiers, on invite des ministres pour nous expliquer certains
dossiers et, ici, on pourrait peut-être dire qu'à la fin de nos
travaux, à une date qui convient à tout le monde, on invite le
ministre de la Justice à venir devant la commission en demandant
peut-être à quelques représentants qui sont devant nous de
venir également pour parler précisément de cet aspect
parce que, selon ce qu'on nous a dit ce matin, c'est le ministère de
la
Justice qui a rédigé la section en question. Je sais que
cela relève du ministre du Travail, mais tout de même, ce serait
peut-être mieux d'avoir une réponse directement du
ministère de la Justice. Rien ne nous empêche de l'inviter.
Si vous décidez, M. le Président, que le
député de Louis-Hébert n'a pas raison, je vous demande
immédiatement, après votre décision que je présume
parce que je ne peux pas dire ce que vous déciderez, d'inviter le
ministre de la Justice à venir ici pour une demi-heure à la fin
de nos travaux, à une date qui convient à tout le monde, d'abord
parce que nous siégerons tous à ce moment-là à
l'Assemblée nationale et on pourrait connaître les raisons. Il y a
une différence entre un ministre qui répond devant une commission
où les témoins sont présents et lors de l'étude
article par article ou une deuxième lecture, ce n'est pas la même
chose.
M. Fréchette: M. le Président...
Le Président (M. Paré): M. le ministre.
M. Fréchette: ...si vous me permettiez, je trouve
intéressante la suggestion que le député de Sainte-Anne
vient de mettre sur la table. J'y ferais la seule petite réserve
suivante et on pourrait peut-être arriver au même objectif.
Pourquoi ne procéderions-nous pas à nos travaux ce matin pour
permettre à nos invités d'engager la discussion avec nous sur les
dispositions de la loi 42 qui les concernent plus précisément et
si, à la fin de nos discussions, autant les collègues de
l'Opposition que nos invités ne sont pas satisfaits de la nature des
discussions qu'on aura tenues ensemble, rien n'empêcherait à ce
moment-là qu'on fasse la demande au ministre de la Justice, dans le sens
que le député de Sainte-Anne le suggère. C'est une
espèce de compromis entre les deux ou trois solutions devant lesquelles
nous nous trouvons et je la mets sur la table uniquement dans le but de
permettre à tout le monde d'avancer nos travaux et d'éviter
à nos invités l'obligation de revenir à une époque
ou à une date qu'on ne connaît pas. C'est la suggestion que je
fais, M. le Président.
Le Président (M. Paré): M. le député
de Viau.
M. William Cusano
M. Cusano: Premièrement, M. le Président,
j'aimerais dire au ministre qu'il nous rappelle très souvent qu'il
existe un processus législatif. On le connaît très bien. On
sait qu'on ira en deuxième lecture, on sait fort bien
qu'éventuellement on en arrivera à une commission où le
projet de loi sera étudié article par article. Cela fait
deux ou trois fois qu'il nous le rappelle. On en est très
conscient.
Notre préoccupation, lorsqu'il parle spécialement de la
commission élue permanente qui étudiera le projet de loi article
par article, c'est que cette commission se tient sans la présence
d'invités. Ce qui nous inquiète, c'est justement de pouvoir
écouter distinctement les gens concernés sur ce sujet.
On vous a déjà demandé de retirer du projet de loi
tous ces chapitres et que le gouvernement ait le courage de présenter
cette section du projet de loi 42 dans un autre projet de loi et de
procéder à des consultations dans le milieu. On a tenté
-c'est mon impression - dans le projet de loi 42 d'en faire un quasi-projet de
loi omnibus où, tout à coup, on passe un autre chapitre d'une
autre loi. Je trouve ça inacceptable, M. le Président.
La suggestion qui est faite, spécialement à la suite de
ces remarques préliminaires où le ministre semble nous indiquer
que la loi 42 sera réécrite... S'il nous donne l'assurance que
les chapitres concernant l'indemnisation des victimes d'actes criminels seront
retirés du projet de loi, qu'on procède au dépôt en
première lecture d'un tel projet de loi et qu'il y ait des consultations
parlementaires, je crois que ce serait la façon la plus logique de le
faire. S'il n'est pas en position de répondre sur ce sujet, je ne peux
rien y faire. Afin d'essayer de régler un problème qui est assez
sérieux, j'accepterais la suggestion de mon collègue de
Sainte-Anne, à savoir que... Si nos invités étaient
disponibles pour revenir à la fin de nos travaux et que le ministre de
la Justice pouvait être présent à ce moment-là, je
n'y vois pas d'inconvénient.
M. Fréchette: M. le Président.
Le Président (M. Paré): M. le ministre.
M. Fréchette: J'avais cru percevoir des signes
approbateurs à l'espèce de compromis que j'avais mis sur la
table, c'est-à-dire amorcer nos travaux, faire nos discussions sous la
réserve dont je parlais tout à l'heure, cette réserve
étant de la nature suivante: ou bien nos collègues de
l'Opposition ne sont pas satisfaits de la discussion qu'on a eue et on voit
à ce moment-là les possibilités qui existent de
répondre à leur demande, ou alors nos invités nous disent
à la fin de notre discussion qu'ils ne sont pas satisfaits de l'exercice
qu'on vient de faire et on souhaiterait pouvoir rencontrer le ministre de la
Justice. Je ne peux pas m'engager pour d'autres, bien sûr, mais ce sont
des choses qui sont tout à fait dans une optique de
réalité concrète, pratique, pour nous permettre d'avancer.
Moi, je réitère que je suis tout à fait disposé,
à l'intérieur de cette réserve, à continuer nos
travaux.
M. Cusano: Cela va, M. le Président.
Le Président (M. Paré): Donc, j'aimerais rappeler
aux membres de la commission que nous sommes régis par le
règlement de l'Assemblée nationale du Québec. Ce
règlement stipule, à l'article 65.1: "Le Président doit
mettre en délibération toute motion mais dès qu'une motion
lui paraît irrégulière, en elle-même ou par les buts
qu'elle veut atteindre, il doit le signaler à l'Assemblée et il
peut, après avoir motivé sa décision, refuser qu'on en
délibère ou qu'on la mette aux voix."
À ce moment-ci, je veux justifier et réaffirmer la
décision qui a déjà été prise. La
justification se résume en quelques points. Premièrement, une
décision semblable a déjà été rendue
exactement dans le même sens pour une demande semblable lors d'une
séance antérieure. Donc, on rapporte, finalement, une discussion
qui a déjà eu lieu. On ne fait que rapporter une décision
semblable pour une situation similaire. Deuxièmement, il ne faudrait pas
oublier que le projet de loi comme tel, le projet de loi 42, Loi sur les
accidents du travail et les maladies professionnelles, première lecture,
a été présenté par M. Raynald Fréchette,
ministre du Travail. C'est le ministre responsable de la loi.
Troisièmement, la commission élue permanente a pour mandat -et je
pense que cela vaut la peine de le relire - d'entendre les
représentations des personnes et des groupes intéressés au
projet de loi 42. C'est le mandat qui nous est confié ici ce matin.
Je répète ce qui avait été dit lors de la
première décision qui date déjà de plusieurs jours:
l'impossibilité de la demande. Cela ne servirait à rien de
suspendre les travaux. C'est impossible à cause d'une raison qui serait
peut-être une autre raison s'il y avait eu une demande préalable.
On se retrouve aujourd'hui avec une demande immédiate qui nous
empêche de pouvoir y répondre.
Tel que les discussions - que j'ai quand même permises - se sont
effectuées et le voeu exprimé des deux côtés,
à savoir que si les membres de la commission ne se sentent pas
suffisamment informés à la suite de la discussion qui aura lieu
immédiatement, à la suite des échanges qui s'effectueront,
il est toujours possible, au cours des autres étapes qui vont suivre
avant que le projet de loi ne devienne loi, qu'un ministre ou l'autre, ou que
les membres de la commission puissent aller chercher l'information
nécessaire, pertinente auprès de gens
intéressés.
En rappelant l'article 65, j'invite maintenant les membres de la
commission à entreprendre les échanges avec nos invités.
J'aimerais vous rappeler la teneur de
l'article 65, M. le député de Louis-Hébert.
M. Doyon: M. le Président, avec tout le respect que j'ai
pour votre décision, je voudrais porter à votre attention le fait
qu'il existe de nombreux précédents lors de commissions
parlementaires semblables qui ont entendu des intervenants et où
d'autres ministres étaient impliqués, lesquels ont accepté
d'emblée d'assister à la commission pour discuter la partie de la
loi qui les concernait spécifiquement. En particulier en ce qui concerne
la loi qui a aboli le ministère de la Fonction publique, confiant une
bonne partie des responsabilités du ministère de la Fonction
publique au Conseil du trésor. J'étais le porte-parole de
l'Opposition à ce moment-là et j'avais déploré
l'absence du président du Conseil du trésor, le
député de Matane. Devant les représentations que j'ai
faites, le président a accepté de demander la participation du
président du Conseil du trésor, le député de
Matane, qui a accepté de se rendre au désir de cette commission
et de participer à la discussion sur les articles ou sur la partie de la
loi qui le concernaient spécifiquement. Je voulais tout simplement
porter cela à votre attention. Vous parlez de précédents
et de décisions qui ont été prises. Il y a aussi des
décisions prises par d'autres présidents dans d'autres
commissions en ce sens que des ministres qui étaient touchés
spécifiquement par une partie de loi qui était parrainée
par un autre ministre ont accepté de venir à cette commission et
de discuter avec les membres de la commission, de même qu'avec les
intervenants, les points de la loi qui les touchaient d'une façon
spécifique. (11 h 15)
Le Président (M. Paré): Je vous remercie, M. le
député de Louis-Hébert.
En concluant très rapidement, je vous remercie de cette
précision que vous apportez aux membres de la commission et aux
intervenants. Je vous rappellerai qu'une des raisons qui justifient ma
décision est l'impossibilité aujourd'hui, entre autres, d'avoir
le ministre ici présent.
Donc, la parole est maintenant au ministre du Travail.
Auditions (suite)
Société de criminologie du
Québec,
Centre international de criminologie
comparée, École de criminologie
(suite)
M. Fréchette: Alors, M. le Président, avec l'un et
l'autre de mes deux chapeaux nous allons amorcer cette période
d'échanges, cette période d'évaluation de la loi et en
particulier, bien sûr, le chapitre qui vous touche plus
particulièrement.
Je voudrais d'abord, M. le Président, remercier la
Société de criminologie du
Québec de même que le Centre international de criminologie
comparée et l'École de criminologie de s'être imposé
le travail qu'ils nous ont présenté ce matin.
M. le Président, si vous me permettiez une touche personnelle je
vous dirais qu'il m'est très agréable d'entendre des
représentants de la Société de criminologie. Cela me
rappelle d'excellents souvenirs. Cela me rappelle, par exemple, que j'y ai
travaillé un tout petit moment peut-être pour le mieux de la
société elle-même et trop peu longtemps pour moi, mais je
veux dire à M. Rizkalla que cela me rappelle d'excellents souvenirs.
Encore une fois, dans mon évaluation à moi ces activités
ont été trop courtes mais peut-être que pour vous
c'était mieux comme cela. Quoi qu'il en soit je vous signale que ce
simple fait me fait me départir un peu de l'objectivité que l'on
doit avoir devant des représentants qui viennent nous soumettre des
observations. En d'autres mots, je peux dès maintenant vous signaler
que, sur plusieurs de vos représentations qui prennent la forme d'une
revendication, je suis d'ores et déjà très sympathique aux
argumentations que vous avez développées. On pourra aller un peu
plus avant dans les détails tout à l'heure, mais retenons comme
évaluation principale ce que je viens de vous dire.
Dans l'un et l'autre des deux mémoires on me semble retrouver des
préoccupations de deux ordres. Il y a évidemment des
préoccupations de principe, si vous me passez l'expression, et il y a
aussi bien sûr, et c'est tout à fait normal que ce soit ainsi, des
préoccupations d'ordre économique dans le sens le plus noble du
terme. Je pense que ce sont là les deux grands volets de l'un et l'autre
des deux mémoires.
Quant à la question de principe, vous l'articulez autour de trois
énoncés très clairs également. Le premier
étant la reconnaissance du droit à la réparation; le
deuxième étant en relation avec la responsabilité
collective comme société face à un phénomène
de cette nature; le troisième, bien sûr, c'est le souci
d'équité qui doit présider à une politique
d'indemnisation en cette matière.
Quant à ces énoncés de principe, vous allez
comprendre que nous allons devoir y regarder de près. Il y a des
suggestions. J'en prends une à tout hasard qui doit être
considérée très sérieusement comme, par exemple,
l'obligation de se rendre quelque part pour déclarer un acte dont on
aura été victime. Si vous le permettiez, M. le Président,
quant à moi, quitte - on a passablement de temps devant nous - à
élargir la discussion sur les principes dont je viens de parler,
j'apprécierais pouvoir amorcer la discussion sur le deuxième
volet de vos mémoires qui concerne l'aspect économique de la
question.
Ai-je bien lu et bien compris le mémoire de la
Société de criminologie du Québec quand elle nous
suggère que l'harmonisation qui existe déjà dans la loi
actuelle avec la Loi sur les accidents du travail devrait être
continuée et ratifiée, en quelque sorte, dans le projet de loi
42? Cela, à tous égards, bien sûr. Je vous donne un
exemple: Si vous nous dites: II faut effectivement harmoniser, eh bien, il faut
tout de suite arriver à la conclusion qu'une victime d'acte criminel qui
aurait rempli les conditions d'admissibilité au régime recevrait,
par exemple, un montant forfaitaire plutôt que le régime actuel
que l'on connaît. C'est un premier aspect sur lequel
j'apprécierais vous entendre, M. Rizkalla.
M. Rizkalla: Votre compréhension est tout à fait
bonne. En fait, on voudrait que le régime dont peuvent
bénéficier les accidentés du travail, les
accidentés de la route et les victimes d'actes criminels soit un
régime similaire sur le plan économique de la chose.
M. Fréchette: Alors, on s'entend bien. Cela inclut
évidemment l'aspect de la réparation ou de l'indemnisation,
à proprement parler, et cela inclut évidemment tout le
régime de la réadaptation également.
M. Rizkalla: De la réadaptation et également de la
compensation pour les revenus, le manque à gagner.
M. Fréchette: Bon! Peut-être que je pourrais
résumer plus spécifiquement ma pensée. Ce que je crois
comprendre de vos représentations - et c'est pour l'un et l'autre groupe
- c'est que vous souhaitez une harmonisation à tous égards des
deux régimes: accidents du travail et indemnisation d'actes criminels.
C'est le souhait que vous émettez?
Mme Baril: Chaque fois que les préjudices sont
similaires.
M. Fréchette: Bien sûr! Toute chose étant
normale, par ailleurs, c'est le souhait que vous formulez.
De plus, quand on parle de cette harmonisation, êtes-vous en
mesure de faire une évaluation globale ou une espèce de bilan de
ce qu'a donné la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels?
Je ne vous demande pas d'y aller dans le détail, année par
année, mais une appréciation globale de ce que cela a
donné, autant en termes de réparation, effectivement, qu'en
termes de réadaptation ou à tous autres égards. Je ne sais
pas si...
M. Rizkalla: II y a eu une recherche...
Mme Baril: D'accord! Ici, il faut regarder sur - pour prendre
votre terme - le plan économique et sur le plan de la
réadaptation. Sur le plan économique, évidemment, il y a
des rapports financiers annuels de l'IVAC qui nous tiennent informés des
coûts du système. On sait que ce sont des coûts qui vont en
croissant, mais c'est une infime portion à l'heure actuelle du budget du
ministère de la Justice. On sait aussi, d'après une recherche
évaluative qui a été faite du régime
d'indemnisation au Québec, que sur le plan de la réparation
monétaire, les victimes d'actes criminels sont satisfaites; elles
reçoivent une indemnité qui ne compense pas complètement
pour les préjudices subis, parce qu'il y a certains préjudices
qui ne sont pas couverts par la loi de l'IVAC, mais c'est une indemnité
qui leur permet, dans une certaine mesure, un retour à l'état
antérieur. Par contre, ce qu'on souhaite, c'est de mettre l'accent - je
pense que l'IVAC a déjà commencé - de plus en plus sur
l'aspect réadaptation parce qu'il y a des problèmes, sur le plan
psychologique et psychique, assez sérieux que vivent les victimes
d'actes criminels. Ce sont des problèmes auxquels on ne fait pas
suffisamment face à l'heure actuelle.
M. Fréchette: Cela va. Au risque de passer du coq à
l'âne, je vais poser une question à M. Rizkalla. Quels sont les
motifs pour lesquels vous souhaitez un changement au titre de la loi? Enfin,
disons qu'à la seule lecture des deux titres, on devine assez facilement
ce qui préside à une telle suggestion mais j'apprécierais
vous entendre expliciter davantage là-dessus.
M. Rizkalla: Le motif principal est qu'on voudrait que le titre
de la loi évoque et reflète de façon très
fidèle son contenu. Il ne fait pas de doute que notre souhait serait
d'universaliser pour toutes sortes de victimes les compensations et les
réparations du préjudice subi. Néanmoins, nous comprenons
fort bien que, dans le contexte actuel, on ne peut pas étendre
l'application de la loi à toutes les sortes de victimes. Par
conséquent, la loi actuelle concerne l'indemnisation aux victimes
d'actes criminels contre la personne. Aussi, il nous semble pertinent que la
loi soit dotée d'un titre qui reflète effectivement les
indemnités qui sont couvertes par ces dispositions.
M. Fréchette: C'est très précis. Maintenant,
M. le Président, je comprends que, sans doute, d'autres collègues
vont vouloir pousser davantage la période d'échanges. Je
voudrais, cependant, si vous me le permettiez, avant de laisser la parole
à d'autres collègues de la commission, faire le
résumé de l'appréciation des mémoires qui nous sont
soumis, de même que le résumé de
la réception ou de la façon dont ils sont
reçus.
Je voudrais vous signaler que l'un des objectifs du projet de loi 42
était et demeure toujours d'harmoniser partout où c'est possible
et dans toute la mesure où c'est possible, avec les réserves dont
vous venez de parler, par exemple, M. Rizkalla, les lois de réparation
administrées par la Commission de la santé et de la
sécurité du travail, dont, évidemment, la loi sur l'IVAC
et la loi sur le civisme.
Par ailleurs, je pense que - là-dessus, on va facilement
s'entendre - il faut tenir compte du fait que les clientèles de l'un et
l'autre ou de tous ces régimes sont souvent différentes quand
l'on va d'un régime à l'autre et que, tout en étant
harmonisés, les régimes doivent tenir compte de ces
différentes spécificités de clientèles dont je
viens de vous parler.
L'on sait, par l'évaluation des bilans annuels, par les
statistiques également, qu'à l'IVAC il y a près de 40% de
la clientèle qui est constituée de personnes qui sont non
salariées. Ce phénomène implique que le régime de
remplacement du revenu prévu pour des salariés doit,
évidemment, être adapté à la condition de cette
clientèle. Par ailleurs, dans la mesure où la clientèle
visée est la même que celle à qui s'adresse le projet de
loi 42, je puis vous signaler dès maintenant que l'intention du
gouvernement n'est pas de créer deux, trois ou quatre catégories
de victimes et que l'harmonisation des régimes sur ce plan constitue une
requête que je considère, quant à moi, tout à fait
légitime et à laquelle je souscris sans aucune autre
réserve que celles dont on vient de parler.
Quant aux victimes qui ne sont pas salariées, je crois aussi
qu'il y a possibilité de ne pas rendre la situation de ces victimes plus
déplorable qu'elle ne l'était avant l'agression et qu'une
harmonisation des différentes prestations sociales qui leur sont
payables en vue de leur fournir d'une seule source un revenu décent me
paraît aussi possible et réalisable.
Dans tous les cas, quel que soit le statut de la victime, elle doit
avoir - là-dessus, je vous signale que je suis tout à fait
d'accord - droit à tous les services d'assistance médicale et de
réadaptation prévus pour les victimes de lésions
professionnelles. En outre, il me semble aussi aller de soi que des programmes
spécifiques à la clientèle de ce régime soient
accessibles dans le cadre prévu par les dispositions du projet de loi
42. (11 h 30)
Pour les personnes à charge des conjoints survivants, je souscris
également, M. le Président, à la thèse de
l'harmonisation - je crois d'ailleurs que c'est aussi la thèse que vous
soutenez - sans par ailleurs ignorer que cette harmonisation ne peut se faire,
à cause de la nature même du régime et de son mode de
financement, qu'en tenant compte des autres prestations payables aux
dépendants par d'autres régimes de sécurité sociale
dont celui de la Régie des rentes du Québec.
Nous évaluons donc de nouveau tous ces aspects et nous
recherchons dans cette opération d'harmonisation les formules qui
respecteront cet objectif qui est essentiellement de maintenir, pour ces
victimes, un niveau de revenu qui soit dans les limites de la décence et
de l'acceptabilité. Je viens de vous faire part des intentions que j'ai.
Je viens également de vous faire part de ma perception du dossier tel
que vous nous le soumettez en relation avec les dispositions du projet de loi
42. J'ajouterai simplement en terminant, M. le Président, que les
représentations qui nous ont été faites au cours des
travaux de la commission parlementaire, ajoutées à celles que
nous transmet ce matin autant la Société de criminologie du
Québec que le Centre international de criminologie comparée de
l'Université de Montréal, nous amènent effectivement
à la conclusion, maintenant assez claire, qu'il faudra, dans la
réécriture dont on parle, tenir compte des différents
aspects dont je viens de parler. Encore une fois, cela ne concerne
évidemment que l'aspect strictement économique du dossier. Il y a
tout l'autre volet qu'il faudra regarder de plus près, bien sûr.
Je voulais quand même prendre le temps de vous dire qu'elle est la
perception du dossier à ce stade-ci quant à l'aspect
économique.
Le Président (M. Paré): Merci. M. le
député de Louis-Hébert.
M. Doyon: Merci, M. le Président. La plus cordiale
bienvenue aux membres de la Société de criminologie ainsi qu'aux
représentants du Centre international de criminologie comparée,
qui nous ont présenté chacun un mémoire qui éclaire
considérablement la situation et qui nous permet - suite aux paroles que
vient de prononcer le ministre - d'avoir une certaine lueur d'espoir. C'est
là qu'on s'aperçoit combien il était important de faire la
demande que j'ai faite. Le ministre est plein de bonnes intentions en parlant
d'harmonisation, etc. Je ne sais pas jusqu'à quel point on peut
considérer les sortes d'engagements qu'il est en train de prendre.
Est-ce qu'ils vont véritablement lier les responsables de l'application
et de la préparation de cette loi, c'est-à-dire le
ministère de la Justice plus spécifiquement? Il aurait
été beaucoup plus rassurant que nous puissions obtenir ce genre
d'assurance de la part du ministre qui est responsable de
cette loi. Cela n'a pas été possible. Nous verrons
à la fin de notre discussion et un peu plus tard s'il nous
apparaîtra - ainsi qu'à vous - nécessaire d'entendre le
même son de cloche de la part du ministre de la Justice. Vous faites
ressortir clairement dans vos mémoires la disparité et,
finalement, la discrimination qui existe entre la façon de traiter d'une
part les victimes d'actes criminels violents contre la personne et la
façon dont sont traités des travailleurs et des travailleuses qui
sont victimes d'accidents ou de lésions corporelles.
Le ministre nous parle d'harmonisation, mais j'aimerais savoir ce que
vous en pensez. Quand il parle d'harmonisation, il implique que le traitement
qui sera assuré aux gens dont vous vous préoccupez actuellement
sera, toute proportion gardée et dans des circonstances égales,
le même que celui qui sera accordé aux victimes d'accidents du
travail ou de lésions professionnelles. On parle donc d'harmonisation.
Est-ce que cette harmonisation signifie, à votre avis, compte tenu de ce
que contient le projet de loi 42 et compte tenu de ce qu'est la loi actuelle
sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels, ou constitue dans les faits
une régression dans les indemnités, dans la façon dont
seront indemnisées les victimes d'actes criminels? C'est bien beau de
parler d'harmonisation, mais, si cette harmonisation a un effet à la
baisse, j'aimerais qu'on puisse en être informé et j'aimerais
avoir votre appréciation sur le sujet.
M. Rizkalla: II y a deux volets à la réponse. Le
premier est que le projet de loi tel qu'il est actuellement constitue une
régression par rapport à la loi de l'IVAC qui est actuellement en
vigueur. C'est là que se situe la régression. Lorsqu'on demande
une harmonisation, on ne demande pas une harmonisation à la baisse de
ceux qui ont un meilleur traitement, mais une harmonisation à la hausse
des victimes pour les amener au niveau de ceux qui ont une meilleure
indemnisation.
M. Doyon: Le ministre nous dit qu'il y aura une harmonisation
entre ce qu'on retrouvera pour les victimes d'accidents du travail et ce qu'on
retrouvera comme indemnisation pour les victimes d'actes criminels. Si on
considère que tout ce qui est donné aux victimes d'accidents du
travail est donné aux victimes d'actes criminels violents contre la
personne, est-ce que cette harmonisation constituera, oui ou non, une
régression ou si vous serez en meilleure position après?
Mme Baril: Je pense que cette harmonisation rétablirait le
statu quo par rapport à ce qui existe actuellement; à ce
moment-là, ce n'est pas une régression. Il y a peut-être
deux points qu'il faudra clarifier. La première chose, c'est que le
ministre du Travail a mentionné la question des victimes d'actes
criminels qui sont sans emploi -effectivement, il y en a environ 40% qui sont
sans emploi. À l'heure actuelle, en vertu de la loi, ces personnes sont
indemnisées selon le salaire minimum. La nouvelle loi prévoit une
indemnité qui ne commence qu'un an après le début de
l'incapacité, seulement la deuxième année, selon le
salaire minimum. On a donc une régression de la loi. Par contre, il est
effectivement impossible d'harmoniser cela à la lettre avec la Loi sur
les accidents du travail, puisque ce sont des personnes qui n'ont pas de
travail. On demande, selon le même principe de retour à
l'état antérieur, de faire en sorte de distinguer parmi les
personnes sans emploi celles qui ont un revenu et celles qui n'en n'ont pas.
Par exemple, la personne qui reçoit des prestations
d'assurance-chômage a un revenu qui sera coupé puisqu'elle n'est
plus en mesure de travailler. Il faut essayer de retourner à
l'état antérieur, de faire en sorte que les personnes
reçoivent autant que possible ce qu'elles percevaient et, dans les cas
où la personne reçoit des prestations d'aide sociale, je pense
qu'on doit tenter de faire face aux dépenses encourues par la
victimisation. Ici, il n'est pas question de faire en sorte que les victimes
s'enrichissent du fait de l'acte criminel, mais qu'elles soient
compensées pour le préjudice subi.
M. Doyon: Est-ce que vous êtes en mesure de dire à
cette commission, si la loi était adoptée telle quelle, avec ce
qui constitue, selon ce que vous dites, une régression, s'il y aurait
diminution des coûts imputés qui sont assumés par le fonds
d'indemnisation? Est-ce qu'il y a diminution du montant global? Est-ce que vous
avez pu faire une projection? Par exemple, pour l'année 1983 - je ne
sais pas combien d'argent a été versé - disons qu'on a
versé 10 000 000 $ ou quelque chose comme cela. Ce montant de 10 000 000
$ aurait-il été le même si on avait appliqué le
projet de loi 42 tel qu'il est actuellement?
Mme Baril: On n'a pas fait les calculs comme tels. C'est
sûr, étant donné que toutes les indemnités, sauf
quelques petits montants forfaitaires, sont diminuées qu'il y a des
personnes qui sont maintenant admissibles dès le premier jour
d'incapacité et qui, désormais, seront admissibles seulement le
huitième jour, étant donné aussi ces 40% de victimes sans
emploi qui ne seraient admissibles qu'un an plus tard, c'est sûr que la
province ferait une économie. Cela demeure une économie qui
m'apparaîtrait quand même minime, parce qu'il y a toutes les
victimes des années
antérieures, depuis 1972, qu'on va devoir continuer à
indemniser, je suppose, sur la même base que précédemment,
dans le cas des rentes à vie, par exemple.
M. Doyon: J'étais particulièrement heureux de vous
entendre dire que cette loi d'indemnisation, qui a été
votée en 1972 sous un gouvernement libéral - doit-on le
souligner? - est une loi qui a fait école et qui a servi de
modèle pour plusieurs autres Etats qui s'en inspirent, tel qu'on l'a
affirmé tout à l'heure. Pour autant que nous sommes
concernés, nous, du parti de l'Opposition, allons sûrement nous
battre pour éviter que ce qui a été fait par un
gouvernement libéral soit défait par un gouvernement
péquiste ou diminué de quelque façon. Je ne crois pas que
le gouvernement ait le droit de faire supporter le fardeau de ce qui est
finalement sa mauvaise administration par les victimes d'actes criminels. Il
l'a fait supporter par les fonctionnaires. Il l'a fait supporter par les
syndiqués de la fonction publique et parapublique et, dans le moment, il
tente d'une manière détournée d'en faire supporter le
fardeau par les victimes d'actes criminels. C'est une des raisons pour laquelle
nous allons nous battre contre toute diminution qui pourrait affecter les
indemnités qui sont versées aux victimes d'actes criminels. C'est
une remarque que je voulais faire en passant.
J'aimerais savoir de votre part si vous avez envisagé la
possibilité que les tribunaux mettent à contribution, quand la
chose est possible, quand l'auteur du crime est solvable ou susceptible de le
devenir, l'auteur du crime pour indemniser en partie la victime. II
m'apparaît que la société a des obligations.
Évidemment, nous le reconnaissons tous, mais ne devrait-on pas aussi -
et je me demande si on retrouve quelque chose dans cette loi ou si cela
pourrait s'y trouver - accorder par un article de loi un recours automatique ou
une possibilité pour le juge qui est appelé à juger la
commission d'un acte criminel, une indemnité de la part de l'auteur du
crime, de la part de la personne qui a causé la lésion ou qui a
causé la blessure? Avez-vous envisagé cette chose-là? Ce
qui aurait, finalement, le double effet de servir en partie à
pénaliser l'auteur du crime et à dédommager la victime et,
en même temps, à soulager peut-être la société
de l'obligation qu'elle a de voir à ce que les victimes d'actes
criminels puissent continuer à vivre malgré le fait qu'elles
aient été victimes d'un crime?
Mme Baril: Oui, je pense que cela fait l'objet de nos
préoccupations, non seulement à l'école, mais aussi
à la Société de criminologie. C'est une chose qu'on
préconise. On aimerait voir un système de justice pénale
qui se préoccupe beaucoup plus de la réparation des
préjudices qu'il ne le fait maintenant. Le système actuel
pourrait le faire. Par exemple, on a l'article 655 qui permet
déjà au juge d'ordonner un dédommagement de la victime,
mais c'est très peu utilisé à l'heure actuelle. Je pense
que cela pourrait être intéressant qu'un régime
d'indemnisation des victimes d'actes criminels sensibilise les tribunaux et
coordonne son action, précisément avec le tribunal, pour faire en
sorte, aussi bien dans l'intérêt des victimes, comme vous le
mentionnez, que de la société et de la réadaptation des
délinquants, qu'on utilise beaucoup plus la réparation. De
façon réaliste, il faut quand même voir que la
majorité des auteurs de délits ne sont pas retrouvés et
qu'une grande partie ne sont pas solvables. En termes économiques, ce ne
sera quand même pas considérable, ce qu'on peut aller chercher
comme indemnités. (11 h 45)
M. Doyon: Quand vous répondiez à une question du
ministre et disiez que vous concevez que les circonstances ne sont actuellement
pas propices pour dédommager les victimes de crimes autres que violents
et contre la personne... Je pense aux personnes qui sont victimes de fraude, de
vol sans violence. On peut nommer beaucoup de crimes qui ne s'attaquent pas
à la personne physique, mais qui, finalement, ont très souvent
des effets psychiques, des conséquences quand même au niveau
psychologique, etc. Très souvent, ce sont des circonstances où
les crimes sont commis par des personnes qui seraient, d'une façon
générale, plus capables de dédommager leurs victimes.
Est-ce que vous verriez qu'un premier pas dans la direction du
dédommagement de ces victimes de crimes non violents, et non contre la
personne, pourrait consister justement en une obligation de remboursement, de
dédommagement, quand la chose est possible, parce qu'elle ne l'est pas
toujours? Est-ce que cela ne vous paraîtrait pas un pas dans la bonne
direction pour les victimes de ce genre de crime?
Mme Baril: Je pense que tout ce qui est réparation des
préjudices par les auteurs des préjudices doit être
encouragé. À l'heure actuelle, avec ce type de délinquants
dont vous parlez, je pense qu'on considère surtout l'amende. C'est une
somme qui est versée au fonds consolidé du revenu je suppose,
dont les victimes ne profitent pas. Il serait peut-être beaucoup plus
réaliste de canaliser ces sommes-là vers les personnes qui ont
subi les dommages.
M. Rizkalla: II a été question, dans un des
colloques de la Société de criminologie, de recommander que la
victime puisse se constituer, en quelque sorte, en partie civile
et réclamer devant les tribunaux pénaux le
dédommagement. Cette notion est quand même assez complexe et n'a
pas vraiment fait l'unanimité au sein des membres de la
société, d'autant plus que les recours au civil sont toujours
possibles. Néanmoins, les compensations aux victimes peuvent
également se faire à travers des sentences de travaux
communautaires ou dans ce style-là. On aimerait voir se
développer ces formules.
En réponse à une de vos questions de tantôt
concernant les disparités, pour les personnes sans emploi, nous pensons
qu'il est important d'essayer de substituer la notion de revenu à la
notion d'emploi, c'est-à-dire que les dédommagements soient
beaucoup plus calculés en fonction d'un revenu réel et d'un
manque à gagner plutôt que d'un critère d'emploi ou de sans
emploi. Une personne qui reçoit de l'assurance-chômage, une
personne qui a une bourse d'études, ce sont des gens qui ont un revenu
qu'ils n'ont plus la possibilité d'avoir s'ils sont victimisés,
parce qu'ils ne répondent plus à certains critères. Donc,
ce n'est pas nécessairement la notion d'emploi qui doit devenir la
notion principale pour ces personnes-là, mais la notion de revenu et de
manque à gagner, il est important de le préciser.
M. Doyon: À titre d'information, seriez-vous en mesure de
nous dire la proportion des crimes violents qui sont causés par des
armes à feu? Est-ce que la proportion est considérable de ce
genre de crimes violents qui donnent ouverture à une indemnisation ou si
vous n'avez pas d'idée là-dessus?
Mme Baril: On n'a pas de chiffres avec nous. Parmi les crimes
violents, les deux plus fréquents sont les voies de fait et le vol
qualifié, et la plupart des vols qualifiés sont commis avec une
arme à feu. Je pense que c'est assez important, mais cela nous prendrait
des statistiques qu'on n'a pas.
M. Doyon: C'est simplement une réflexion qui est beaucoup
plus théorique qu'autre chose. Vous disiez que la responsabilité
de l'indemnisation incombait à la collectivité. Je me disais que,
si une bonne partie des crimes est causée par des armes à feu -
il y a des gens qui en vendent, qui en font le commerce, qui en fabriquent - je
me demande s'il n'y aurait pas lieu de mettre ces personnes à
contribution d'une façon spéciale pour permettre,
précisément, une indemnisation plus adéquate des victimes.
C'est une idée que j'avance. Des armes à feu se vendent,
circulent. Il y a des gens qui en font le commerce et qui en retirent un
profit, et ces armes se retrouvent très souvent entre les mains des
criminels qui s'en servent pour les braquer sur des innocents, les blesser,
etc. On semble un peu trop facilement tenir pour acquis que c'est là une
responsabilité qui n'appartient, finalement, à personne et qui
doit forcément retomber sur l'ensemble de la collectivité. Je me
dis qu'en l'occurrence, si on faisait des études de ce
côté, on s'apercevrait peut-être que les armes à feu
jouent un rôle important et qu'il y aurait peut-être lieu
d'examiner cet aspect.
M. Rizkalla: On pourrait aussi, M. le député,
partir de l'hypothèse contraire en disant: Qu'est-ce que peuvent
constituer les armes à feu utilisées pour des crimes en tant que
pourcentage par rapport au nombre considérable d'armes à feu qui
sont vendues pour des motifs de chasse ou d'autres motifs et qui n'ont
absolument rien à voir avec l'activité illégale ou
illicite?
M. Doyon: Je possède plusieurs armes à feu pour la
chasse et je m'en sers pour les canards et autres bestioles du genre, mais il
arrive cependant que ces armes à feu... Je sais que les manufacturiers
et les vendeurs ne vendent pas les armes dans ce but. Pas du tout. C'est pour
cela qu'on se retrouve dans un dilemme où, finalement, la
société réprouve la violence, tente de la contrôler,
etc., mais les moyens que nous avons étant imparfaits, on doit se
résoudre à indemniser ceux qui, malgré les efforts qu'on
déploie, continuent d'être des victimes, d'être
attaqués d'une façon ou d'une autre dans leur
intégrité physique.
Tous ces renseignements nous ont été très utiles.
J'espère que le ministre en aura pris bonne note et que les bonnes
dispositions dont il a fait preuve se traduiront par des amendements qui
répondront à vos attentes. Soyez assurés que, pour notre
part, pour des raisons de justice et aussi parce qu'on ne veut pas que le
gouvernement actuel défasse ce qu'on a fait, nous allons avoir l'oeil
ouvert et nous allons nous assurer que le maximum sera fait pour vous donner
satisfaction.
Le Président (M. Paré): Mme la
députée de Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Je partage le point de
vue qu'a exprimé le ministre du Travail sur la nécessité
de revoir toute l'écriture des dispositions qui concernent les victimes
d'actes criminels. J'étais heureuse d'entendre M. Rizkalla insister pour
que cette harmonisation se fasse à la hausse plutôt qu'à la
baisse. Une fois le principe d'harmonisation reçu, admis, encore
faudra-t-il qu'il puisse se faire sans que cela représente une
diminution pour les victimes d'actes criminels qui sont actuellement couvertes
par la loi de l'IVAC.
Je voudrais bénéficier de votre
présence pour connaître un peu plus le fonctionnement
concernant les victimes. Vous nous disiez notamment qu'il y a 40% - vous avez
repris le ministre du Travail à propos de ce pourcentage - de
non-salariés, donc de sans-emploi. Sans emploi, cela ne veut pas dire
sans travail. J'imagine qu'il y a un bon pourcentage de femmes qui se
retrouvent dans ces 40%. Quel est le pourcentage, la proportion de femmes
victimes d'actes criminels par rapport à la proportion d'hommes?
Ensuite, vous nous disiez qu'il serait préférable de remplacer le
concept de l'emploi par celui du revenu pour les personnes sans emploi. Comment
cela se passe-t-il dans le cas de conjointes qui sont au foyer? Ce n'est pas
parce qu'elles n'ont pas d'ouvrage, mais elles n'ont pas d'emploi ou de revenu
au sens qu'on l'entend habituellement. Est-ce que les événements
qui se produisent sont fortuits, sont commis par des étrangers? Quel est
le pourcentage des événements fortuits? On parle souvent et on
pense toujours, par exemple, à une fusillade dans une caisse populaire
ou dans une banque, mais est-ce que c'est le prototype, le cas type d'une
victime? Est-ce que la victime est plus sujette à un
événement fortuit, disons, fait par un étranger ou si cela
se passe habituellement dans un circuit familial ou social plus
rapproché?
Mme Baril: II y a beaucoup de questions. Je veux répondre
à quelques-unes. Peut-être que mes collègues pourront
continuer.
D'abord, en ce qui concerne les crimes de violence, contrairement
à ce qu'on croyait avant, il y a plus d'hommes qui sont victimes que de
femmes. Par contre, les femmes ne sont pas victimes exactement de la même
chose. Elles sont tout d'abord plus souvent victimes de quelqu'un qu'elles
connaissent. Effectivement, à ce moment, il ne s'agit pas d'un
événement ponctuel, fortuit, mais c'est une victimisation qui
peut se poursuivre pendant un certain temps. Aussi, lorsqu'elles sont victimes,
elles ont tendance à subir des séquelles plus graves et à
plus long terme. Pour l'ensemble des actes criminels, des victimisations qu'on
connaît, il y a plus d'événements fortuits, qu'on pense
aussi bien aux hommes qu'aux femmes, que d'événements
prévisibles ou qui se passent dans le cadre d'une relation entre des
personnes qui se connaissent. Par contre, ce qu'on soupçonne beaucoup,
c'est qu'un grand nombre de ces violences qui se produisent, par exemple, dans
la famille ne sont jamais dénoncées, et peut-être
même pas aux enquêteurs qui font des sondages. Si on avait les
chiffres véritables, les proportions changeraient peut-être.
Mme Harel: Quand vous demandiez, M.
Rizkalla, que l'inceste soit ajouté à la liste des crimes,
est-ce dans la perspective d'une indemnisation? J'imagine que ce sont
habituellement des victimes mineures qui sont prises en charge par d'autres
lois, notamment la Loi sur la protection de la jeunesse. Dans quel sens? Est-ce
pour leur reconnaître un droit à l'indemnisation?
Mme Baril: Je pense qu'il y a deux choses: il y a
l'indemnisation, le côté économique. On peut très
bien se retrouver avec une adolescente qui doit partir de chez elle, mais qui
n'a pas besoin d'être placée, qui pourrait prendre un logement,
subvenir à ses besoins et continuer ses études, si elle a les
moyens de le faire. On peut avoir des cas comme cela, je pense qu'ils sont
assez rares, mais on en a vu occasionnellement...
Mme Harel: Ils sont à ce moment couverts par les centres
de services sociaux, à savoir qu'ils sont pris en charge, pas
nécessairement par la loi 24 sur la protection de la jeunesse, mais les
services sociaux, leur mandat général les amènent à
intervenir dans des cas semblables, et pas nécessairement à
proposer un placement. Pour toutes les personnes de moins de 18 ans, y a-t-il
quand même un mandat général qui est attribué aux
services sociaux?
Mme Baril: Oui. Un des avantages, en plus de l'autonomie pour la
victime, ce serait qu'elle n'a à dénoncer à ce moment
personne. Je pense que l'inceste, c'est souvent une violence dont on ne veut
pas parler. En faisant une demande, par exemple, à l'IVAC, selon le
régime actuel, si cet article qui parle du signalement à la
police n'est pas accepté, l'IVAC peut très bien faire sa propre
enquête et ne parler à personne, mais je pense qu'il y a quelque
chose quand même qui est plus important que cela, auquel on a
réfléchi. Deux choses: d'abord, il peut y avoir des enfants qui
naissent à la suite de l'inceste. Alors, il y a l'entretien de ces
enfants et il y a les services de réadaptation qui peuvent être
offerts à la victime, que l'IVAC est déjà en mesure de
donner et qui sont centrés sur la problématique de la
victimisation. Ici, ce serait important de l'ouvrir quitte à faire comme
on a fait pour la Loi sur les accidents du travail et sur la Loi sur
l'assurance automobile. Les deux lois n'interviennent pas, il n'y a qu'une loi
qui va intervenir.
Mme Harel: Ne pensez-vous pas qu'il peut y avoir duplication
d'intervention, que, par exemple, on ajoute à l'article 308 qu'un enfant
né par suite d'un inceste - parce que, déjà, il y a une
disposition qui prévoit que l'enfant né par suite d'un viol, je
pense, a droit à...
M. Rizkalla: Ce sont deux définitions. Ce sont deux
délits différents, le viol et l'inceste.
Mme Harel: Oui, ce sont deux délits. (12 heures)
M. Rizkalla: D'autre part, que peut-il arriver à une fille
qui a été victime d'inceste, dont le délit n'est connu
qu'après l'âge de sa majorité? Elle n'est plus couverte
à ce moment-là par la Loi sur la protection de la jeunesse.
Mme Harel: Mais les services sociaux donnent des services. Il y a
de la référence qui se fait dans les services sociaux. Il y a de
l'accueil, un support et un soutien qui se font autant pour les victimes de
viol que pour les victimes de violence. Pourquoi faudrait-il multiplier les
services mis à la disposition des victimes plutôt que de s'assurer
de la qualité des services qui leur sont donnés et de la
quantité des services, en termes d'accessibilité aux services?
Mais pourquoi vouloir, parallèlement aux services dispensés dans
les services sociaux qui couvrent tout le territoire, un service
supplémentaire?
M. Rizkalla: Simplement pour donner le support législatif
nécessaire. C'est bien important. Le service rendu demeure un service
rendu et, à un moment donné, pour des raisons de
réorganisation ou autre considération de type économique
et financier, ce service peut être retiré, tandis que le support
législatif fait que ce service doit être maintenu et doit
être créé même s'il n'existe pas à ce
moment-là. C'est très important que le cadre législatif
soit là pour rassurer la victime potentielle de l'accessibilité
du service.
Mme Harel: Enfin, vous ne réclamez pas que l'IVAC
elle-même dispense le service? Vous dites simplement: Il faudrait, dans
une loi, pouvoir proclamer par une disposition le droit au service. Est-ce que
je vous comprends bien?
M. Rizkalla: C'est cela.
Mme Harel: Très bien. En terminant, vous avez
insisté pour que soit retiré l'article 311 sur la
nécessité de faire rapport à la police. Vous nous dites
que bon nombre de victimes ne font pas ce rapport par crainte de
représailles et, j'imagine, d'humiliation possible ou d'ennuis. Elles
font directement le rapport à l'IVAC. Vous semble-t-il que, si un tel
rapport est fait, cela conduit automatiquement à une plainte et que donc
il y a une poursuite? Dernièrement - la semaine dernière, sinon
il y a à peine quinze jours - le ministre de la
Justice de l'époque, Marc-André Bédard, a
déposé un nouveau protocole à l'intention de tous les
intervenants: policiers, juristes et tout l'appareil judiciaire, à
l'intention des victimes de viol disant qu'il fallait l'accord de la victime
avant d'entamer une poursuite. Par exemple, pourrait-on croire qu'il faudrait
aussi tenter qu'une telle disposition, l'article 311, soit maintenue dans la
loi, c'est-à-dire la nécessité de faire rapport à
la police, qu'il devrait y avoir dans le cas des victimes d'actes criminels une
disposition disant qu'avant qu'il y ait poursuite il faut qu'il y ait accord de
la victime, comme pour les victimes de viol?
M. Rizkalla: Le point de vue que nous soutenons est le suivant:
c'est prématuré tant qu'on n'aura pas offert à la victime
toute la protection et le support dont elle a besoin et qui lui sont dus. Tant
que ceci ne sera pas garanti, on ne peut pas exiger d'elle d'aller porter
plainte à la police. Il ne fait aucun doute que ce protocole dont vous
parlez est absolument un pas dans la bonne direction, mais il n'y a pas que la
victime de viol qui est impliquée là-dedans.
Mme Harel: Je suis fort intéressée par ce que vous
venez de dire. Dans le fond, vous concluez qu'en introduisant une disposition
comme celle-là qui oblige un rapport de police, bon nombre de victimes
vont tout simplement ne pas se présenter et donc ne pas
bénéficier de la loi d'indemnisation...
M. Rizkalla: Exactement.
Mme Harel: ...pour ne pas avoir à faire le rapport de
police.
M. Rizkalla: D'autant plus que l'IVAC a quand même une
équipe d'enquêteurs capables d'aller vérifier le
bien-fondé de la réclamation. Par conséquent, on n'a pas
besoin de cette garantie supplémentaire de l'intervention
policière pour vérifier l'admissibilité de la
personne.
Mme Harel: Je vous remercie.
Mme Baril: Ici, on parle de bon nombre de personnes qui ne
rapportent pas à la police. Dans le cas des clients de l'IVAC, ce n'est
pas le cas. La plupart des clients de l'IVAC avaient déjà
dénoncé à la police. Dans une étude, on a
trouvé seulement 3% des personnes qui n'avaient pas
dénoncé, mais on croit aussi que ces 3%, à cause de leur
motivation, même si on leur avait offert l'indemnisation, ne seraient pas
allées plus à la police.
Mme Harel: Très bien, je vous remercie.
Le Président (M. Paré): Merci. M. le
député de Sainte-Anne.
M. Polak: Merci, M. le Président. D'abord, je note, en
cette Journée internationale de la femme, que votre groupement est
représenté par trois femmes sur quatre représentants.
Donc, c'est très bien. Je vous félicite.
J'aurais seulement deux ou trois questions. Vous avez parlé
d'harmoniser les différents régimes et M. Rizkalla, ensuite, a
parlé d'universaliser ces régimes. Vous savez qu'il y a
différents régimes qui existent. Ils ne sont pas tous les
mêmes et les bénéfices varient d'un système à
l'autre. Quand vous demandez d'harmoniser, vous voulez que la victime d'un acte
criminel soit harmonisée avec quel régime exactement? Avec le
régime de ceux qui sont victimes d'accidents du travail?
M. Rizkalla: Non, c'est-à-dire que nous considérons
que la victimisation de la route, la victimisation des accidents du travail et
la victimisation par le fait d'un acte criminel sont trois types de
victimisation qui mènent finalement à des préjudices
semblables. Lorsque le préjudice est identique, il faudrait que le
traitement soit aussi identique. C'est l'harmonisation que nous
recherchons.
M. Polak: D'accord. Deuxième point. Mme Baril a fait un
calcul en vertu de l'article 308. J'en ai été personnellement
étonné quand je l'ai lu. On donne 80% de l'indemnité. Cela
veut dire que 80% de 90% donne 72%. C'est clair, mais je n'ai pas compris la
raison. Vous avez expliqué que c'est le ministère de la Justice
qui a rédigé la section des articles 304 et suivants dans le
projet de loi 42. Avez-vous eu des discussions avec des officiers du
ministère de la Justice là-dessus? Pourquoi en sont-ils venus
à cette formule? Pourquoi ont-ils utilisé tel texte et pas tel
autre? Est-ce qu'il y a eu des discussions ou pas du tout?
Mme Baril: Non. Je crois, pour autant que je sache, que les
personnes qui sont préoccupées par la question des victimes
d'actes criminels n'ont pas été consultées.
M. Rizkalla: C'était le forum qu'on attendait pour pouvoir
exprimer ces vues.
M. Polak: D'accord. Vous avez parlé au début de la
situation que le gouvernement vous présente, à savoir que c'est
un retour en arrière. Je ne connais pas exactement l'état actuel
du point de vue des chiffres, mais ce qu'on suggère maintenant quant aux
bénéfices qui vont être payés seront-ils moindres
que le statu quo? Vous n'avez reçu aucune justification, à savoir
comment on en est arrivé à cette recommandation?
Mme Baril: On ne sait pas pourquoi c'est moindre. On ne sait pas
pourquoi c'est réduit. On ne sait pas pourquoi les 80%, 72% ou 56%,
enfin, tous ces nouveaux pourcentages. Il y a peut-être eu des calculs en
fonction de quelque chose, mais on ne le sait pas.
M. Polak: D'accord. Je ne voudrais pas poser une question
pénible, mais je voudrais quand même savoir si vous croyez qu'il
sera encore utile d'avoir le ministre de la Justice avec nous. Le ministre ici
est bien gentil sur le plan personnel. Il a bien reçu vos commentaires.
Il a donné ses idées personnelles et il est passablement
éloigné de ce que vous réclamez, mais on ne sait jamais
dans un cabinet ce qu'un autre va dire.
Personnellement, je crois qu'il serait utile d'inviter le ministre de la
Justice. On peut même conjointement faire pression sur lui. Est-ce que
vous seriez prêts, si le ministre nous faisait l'offre d'inviter le
ministre de la Justice, à revenir pour une demi-heure, à une date
qui conviendrait à tout le monde? Ce serait pour connaître
justement la raison pour laquelle on nous propose quelque chose de moins bon
que ce qui existe déjà dans l'harmonisation du
système.
M. Rizkalla: Pour nous, je pense qu'il y a une chose essentielle,
c'est qu'on soit de nouveau consulté, une fois que la nouvelle
rédaction, dont a parlé le ministre, sera faite. À ce
moment-là, nous serons tout disposés à mettre à
votre disposition les commentaires que nous pourrions avoir. Quant à
pouvoir se prononcer dès à présent, si, après la
deuxième rédaction, nous jugeons essentiel de revenir faire des
représentations devant le ministre de la Justice, je crois que, moi,
personnellement - je ne me prononce pas au nom de mes consoeurs -j'aimerais
d'abord voir le texte amendé avant de dire que oui, j'aimerais pouvoir
venir verbalement faire les représentations ici.
M. Polak: Oui, mais il faut bien comprendre que, quand le projet
de loi sera réécrit, il n'y aura plus d'audiences publiques. Ce
stade est fini. On passe à la deuxième lecture. Le temps de
convaincre le ministre de la Justice du bien-fondé de votre position
serait de faire cela d'ici une ou deux semaines, avant que le tout se
termine.
M. RizkaUa: Encore une fois, pour moi, personnellement, ce ne
sera certainement pas une difficulté majeure que de venir une autre
fois. J'invite mes consoeurs à se prononcer.
Mme Baril: Je pense la même chose pour moi et pour
l'École de criminologie. J'étais heureuse d'apprendre les
intentions et les propositions du ministre du Travail. Je pense que ce serait
aussi important d'être consulté et d'être entendu par le
ministre de la Justice. Peut-être que le centre international a la
même position.
Mme Durand: Oui, exactement.
M. Fréchette: Alors, je m'excuse. Est-ce que vous avez
terminé?
M. Polak: Non, quant à moi, M. le Président, cela
me satisfait.
M. Fréchette: C'est juste un commentaire que je voulais
ajouter, M. le Président, par rapport à la discussion qui se
déroule actuellement. Si je comprends bien, cela rejoint en quelque
sorte le compromis dont on a parlé au tout début de nos travaux,
lorsque la discussion à laquelle vous avez assisté s'est
engagée. Vous nous dites que vous souhaiteriez pouvoir rencontrer le
ministre de la Justice sous la réserve dont on a parlé,
c'est-à-dire que, si les décisions annoncées vous
donnaient satisfaction, cela réglerait, me semble-t-il, une bonne partie
du problème, sinon tout le problème. Si cela ne vous donne pas
satisfaction, vous souhaitez pouvoir le rencontrer. C'est comme cela que
j'interprète les désirs que vous manifestez.
M. Rizkalla: Certainement. M. Fréchette: Bien.
Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le
député de Beauharnois.
M. Lavigne: Merci, M. le Président. Quand on arrive
à la fin de la tournée, il reste peut-être moins de
questions à poser puisque plusieurs ont déjà
été posées. On a eu des réponses très
satisfaisantes dans l'ensemble. Il y a une chose, par contre, que je voudrais
vous dire. Le député de Sainte-Anne y a un peu ouvert la porte.
Je voulais d'abord féliciter l'implication des femmes qui sont à
la table. Vous êtes trois sur quatre et je pense que c'est une bonne
moyenne, d'autant plus que cela correspond à la journée de la
femme. Je vous invite, mesdames, à continuer à vous impliquer
dans les différents niveaux de la société, que ce soit
dans un organisme comme le vôtre, en politique municipale ou provinciale,
peu importe. Dans la mesure où les femmes prendront de plus en plus de
place, les lois refléteront les besoins des femmes.
M. Polak: ...
M. Lavigne: On sait... Pourquoi pas?
Mme Harel: Une petite remarque, M. le député.
M. Lavigne: Je ne veux pas ouvrir un débat...
Mme Harel: Une petite remarque pour dire que, si on peut les
féliciter, je ne pense pas que nos invités puissent
féliciter les formations politiques qui sont ici.
M. Lavigne: C'est pour cela que j'insiste pour que les gens qui
seront en face de nous félicitent éventuellement les partis
politiques qui auront un meilleur équilibre dans la
représentation. Ceci dit, c'est d'autant plus important d'insister sur
cette question que je suis convaincu, même si, à la suite d'une
question de Mme la députée de Maisonneuve, vous avez
répondu qu'il y avait plus de victimes chez les hommes que chez les
femmes... Je ne suis pas un spécialiste de la question et j'ai
été très étonné d'entendre la
réponse. Je suis à peu près persuadé que, si on
avait un juste portrait de la situation et qu'on connaissait tous les cas de
victimes, cela changerait vos statistiques. J'ai le sentiment qu'il y a plus de
femmes victimes d'actes criminels qu'il y a d'hommes. Si on additionnait tous
les cas de viol, d'inceste et de femmes battues, je suis certain qu'on en
arriverait à un revirement des chiffres. C'est une des raisons pour
laquelle je suis content de voir qu'il y a quand même autant de femmes
qui représentent les deux organismes que nous avons devant nous. Je suis
d'accord avec l'ouverture faite par le ministre. Je voudrais vous rassurer,
ainsi que les gens de l'Opposition, quant à la position qui devrait
être prise par le gouvernement dans la réécriture de son
projet de loi. J'ai commencé un lobbying très sérieux qui
va dans ce sens-là. Je pense que, si le ministre a pu ouvrir un peu la
porte, c'est peut-être à cause des sons de cloche que nous avons
eus à partir du lobbying qui a déjà été
entrepris auprès des membres du gouvernement. (12 h 15)
Je ne voudrais pas aller au-delà de ce que le ministre a dit,
mais je peux vous assurer que nous nous dirigeons vers de tels amendements. Je
peux aussi vous dire que l'ensemble de mes collègues du gouvernement,
à la suite des représentations que j'ai faites auprès
d'eux lors du dernier caucus, abondent dans le sens des modifications voulues
par le ministre et selon vos recommandations. Si ces propos peuvent vous
rassurer, j'en suis fier. Quant à moi, je ne lâcherai pas le
morceau; je veux que cela aille dans ce sens. Je pense que l'indemnisation
d'une victime d'acte criminel
est une responsabilité globale, c'est une responsabilité
qui, dans une société qui se dit moderne, doit être prise
et c'est un fardeau qui doit être assumé par l'ensemble de la
collectivité. Je ne vois pas pourquoi on accepterait une
non-harmonisation avec les victimes d'accidents d'automobile ou les victimes
d'accidents du travail. Je tiens à ce que cette harmonisation se
fasse.
Vous avez soulevé la question de l'article 311 sur l'obligation
de se présenter à la police. Je vous laisse le soin
d'évaluer -je sais que Mme la députée de Maisonneuve est
intervenue sur cette question - si cela doit nuire, si on doit l'enlever. Si
cela doit aider, il faut le laisser. Je ne suis pas assez renseigné, je
n'ai pas assez de données pour me diriger vers une proposition qui
l'enlèverait plutôt que de le laisser, parce que je ne suis pas
assez certain de l'effet de l'article 311. Si vous étiez capable de me
rassurer, on pourrait...
M. Rizkalla: Nul doute que dans l'état actuel des choses,
cela ne peut que nuire. Cela ne peut absolument pas aider pour la simple raison
que les victimes ne se sentent pas assez rassurées, ne sentent pas que
l'État leur fournit la protection et le support dont elles ont besoin
pendant leur démarche devant les tribunaux pour, sans hésiter
dans le cas de certains délits particuliers, aller porter plainte
à la police. Je me réfère encore à ce que Mme la
députée disait tantôt: il y a un bon pas de fait dans la
bonne direction par le protocole annoncé en ce qui concerne les victimes
de viol, mais c'est strictement en ce qui concerne les victimes de viol. Ce
n'est pas encore assez vaste pour permettre à tous les types de victimes
qui peuvent avoir des craintes ou des réticences d'aller à la
police. On n'a pas encore suffisamment développé de moyens de les
protéger et de les appuyer pour les obliger, par une disposition
législative, à aller porter plainte à la police dans tous
les cas, pour pouvoir bénéficier de l'aide.
Mme Baril: On aurait voulu savoir, d'ailleurs, pourquoi cet
article a été introduit dans la loi. Si on en connaissait la
motivation, on serait plus en mesure d'évaluer.
M. Lavigne: On pourrait, madame, laisser le ministre
répondre là-dessus.
M. Fréchette: J'étais préoccupé par
autre chose, tout en ne vous perdant pas de vue, bien sûr. Vous nous
parlez de la disposition qui oblige à aller chercher un rapport de
police et, l'un des motifs qui a présidé à cette
disposition, c'est sans doute d'être certain qu'il y a effectivement eu
acte criminel et conséquences graves pour la victime et d'en informer
les autorités compétentes pour que tous les renseignements
pertinents au dossier puissent être connus de la part de ceux et celles
qui auront à traiter le dossier. C'est sans doute un des
éléments importants qui a motivé l'introduction dans la
loi de cette disposition. Il y a peut-être d'autres considérations
sur lesquelles on pourrait revenir à l'occasion d'une éventuelle
rencontre ou qu'on pourrait approfondir, mais c'est sans doute un des aspects
qui a été retenu pour cela.
M. Rizkalla, quand je vous entends plaider dans le sens que vous
évaluez que cela va être, par rapport à l'état
actuel des choses, nuisible plutôt qu'utile, que cela contribuerait, nous
dites-vous, à dévaluer le système plutôt qu'à
l'améliorer, pour le motif que vous nous avez indiqué,
c'est-à-dire l'insécurité dans laquelle se trouvent les
victimes d'aller devant un officier de police ou à une station de police
pour effectivement faire cette espèce de confession, entre guillemets,
vous avez toute l'expertise en cette matière et c'est la conclusion
à laquelle vous en arrivez, c'est évidemment une conclusion ou
une constatation dont il faut tenir compte.
M. Rizkalla: À noter que c'est un très faible
pourcentage de victimes qui hésitent à aller à la police.
Donc, pour essayer de récupérer 3% de plaintes à la
police, on risque de porter un certain nombre de victimes à s'exclure
d'elles-mêmes des bénéfices du système. C'est dans
ce sens que je considère que cela porterait préjudice à,
entre guillemets, l'universalité restreinte du système par
rapport aux victimes actuellement admissibles.
M. Lavigne: Je conclus mes quelques commentaires sur la page 8 de
votre document où, au point 2.2, on parle de l'équité et,
effectivement, il y a plusieurs points d'interrogation dans cette page. Je l'ai
lue avec attention et, quand vous dites: Comment justifier cette
inéquité, je vous dis que cela ne se justifie pas, effectivement.
Quand vous dites aussi: Les victimes d'actes criminels auraient-elles moins de
droits et moins de besoins, je dis que non. Seraient-elles moins
méritantes, je dis aussi que non. Donc, il y a effectivement une
espèce de discrimination par rapport aux autres victimes, que ce soient
des victimes de la route ou les victimes d'accidents du travail et,
précisément, les dispositions que nous retrouvons dans cette
partie de la loi ne se justifient pas. C'est à partir de ce point que
j'ai entrepris de me battre pour égaliser ou harmoniser avec les autres
genres de victimes, qui sont celles des accidents du travail et des accidents
de la route. J'espère que vous aurez satisfaction ou une oreille
attentive de la part du gouvernement. Merci beaucoup.
M. Rizkalla: M. le Président, avant qu'on nous donne
congé, M. le ministre a eu l'obligeance tantôt de faire
référence à son implication à la
Société de criminologie; il l'a fait avec tellement de modestie
que je ne peux me permettre de passer cela sous silence. Je voudrais tout
simplement lui rappeler que, lors de son implication comme
vice-président de la Société de criminologie pendant deux
ans, nous avions eu le plaisir d'aller dans sa région faire un colloque
sur l'implantation et l'évaluation de la nouvelle -à
l'époque - Loi sur la protection de la jeunesse et que nous nous
attendions à une participation d'environ 50 à 75 intervenants.
C'est grâce à son enthousiasme et à son grand rayonnement
dans sa région que nous avons eu presque 200 participants dans une salle
pleine à craquer. M. le ministre, merci.
M. Fréchette: C'est pour ça, M. Rizkalla, que je
vous parlais de bons souvenirs tout à l'heure.
Le Président (M. Paré): Je remercie les
membres...
M. Polak: M. le Président...
Le Président (M. Paré): Oui, M. le
député de Sainte-Anne.
M. Polak: On ne reçoit pas d'éloges quand on se
donne des éloges nous-mêmes. Au nom de l'Opposition, on voudrait
remercier ceux qui sont venus devant nous. Comme vous le savez, vous avez un
très bon contact avec le ministre. Le député de D'Arcy
McGee est un de vos professeurs à l'Université de
Montréal, vous le connaissez très bien. Je vous remercie
d'être venus ici et, si on a besoin de vous plus tard pour inviter le
ministre de la Justice, vous aurez notre entière collaboration.
Le Président (M. Paré): Mesdames et monsieur, au
nom de tous les membres de la commission, nous vous remercions d'avoir pris le
temps de préparer un mémoire, de venir le soumettre et de
répondre à nos interrogations. Merci beaucoup d'être
venus.
Nous allons maintenant suspendre les travaux jusqu'à 15
heures.
(Suspension de la séance à 12 h 24)
(Reprise de la séance à 15 h 10)
Le Président (M. Paré): Bonjour, mesdames et
messieurs. À l'ordre, s'il vous plaît! La commission élue
permanente du travail reprend ses travaux dans le but d'entendre les
représentations des personnes et des groupes intéressés au
projet de loi 42.
Nous entendrons cet après-midi les groupes suivants, qui vont se
faire entendre dans l'ordre: la Chambre des notaires du Québec,
l'Association du camionnage du Québec Inc., Plaidoyer-Victimes, la
Clinique juridique de Hull.
J'inviterais immédiatement...
M. Cusano: M. le Président...
Le Président (M. Paré): Oui, M. le
député de Viau.
M. Cusano: Avant de demander à nos prochains
invités de prendre place à la table, je suis convaincu que ces
gens connaissent très bien la loi 90, Loi sur l'Assemblée
nationale. Je laisse à votre bon jugement de décider si, oui ou
non, il faut leur faire lecture de l'article 53.
M. Polak: II faut toujours le faire.
Le Président (M. Paré): Puisque j'ai une demande,
je vais le faire. Ce sera plus rapide que d'avoir une discussion concernant la
lecture ou la non-lecture. L'article 53 de la Loi sur l'Assemblée
nationale se lit comme suit: "Le témoignage d'une personne devant
l'Assemblée, une commission ou une sous-commission ne peut être
retenu contre elle devant un tribunal, sauf si elle est poursuivie pour
parjure." Ceci étant fait, j'inviterais immédiatement la Chambre
des notaires du Québec à prendre place ici à l'avant, s'il
vous plaît!
Bonjour, bienvenue à la commission. Je vous inviterais maintenant
à vous présenter et, ensuite, à faire lecture de votre
mémoire.
Chambre des notaires du Québec
M. Morency (Simon): M. le Président, je suis le
président de la Chambre des notaires, Simon Morency. Je vous
présente les membres de la délégation: Me Serge Binette,
notaire, professeur à l'Université Laval; Me Denis-Claude
Lamontagne, également notaire, travaillant à la Direction de la
recherche et de l'information de la Chambre des notaires.
Comme j'ai la ferme conviction qu'il ne s'agit pas d'un tribunal et que
nous sommes en matière non contentieuse, nous n'avons pas cru bon de
requérir le ministère d'avocats et nous procédons
nous-mêmes. Sans plus tarder, j'invite nos porte-parole à
s'exécuter.
M. Binette (Serge): M. le Président, les
représentations de la Chambre des notaires vont porter exclusivement sur
l'article 213 du projet de loi qui prévoit l'existence d'un
privilège en faveur de la commission portant sur les biens meubles et
immeubles de l'employeur, prenant rang immédiatement après les
frais de justice. Cet article est
semblable à l'ancien article 110 du chapitre A-3 de la loi
actuelle; le texte est semblable, mais le texte de l'article 110 se terminait
par les mots "sans enregistrement". Donc, aujourd'hui, l'article 213 est une
amélioration sur l'ancienne loi. Par contre, à la lecture de
l'article 213, on se pose la question: Le privilège doit-il être
enregistré ou non enregistré? Nous avons la réponse
à l'article 2015 du Code civil. En matière immobilière,
les privilèges doivent être enregistrés suivant les
règles prévues au chapitre de l'enregistrement. (15 h 15)
Or, au chapitre de l'enregistrement, nous avons l'article 2121 qui
prévoit qu'un privilège en faveur de la couronne doit être
enregistré au moyen d'un avis. Nous avons l'article 2086 qui stipule
que, si un tel privilège qui doit être enregistré n'a pas
été enregistré par un tel avis, il est inopposable
à l'encontre de la couronne; donc, la couronne n'a pas de
privilège si elle n'enregistre pas l'avis. Cependant, à l'article
2121, l'avis dont on parle, il s'agit d'un privilège de la couronne. Or,
la commission, selon le projet de loi, est un agent de la couronne. Est-ce que
la commission, agent de la couronne, doit suivre les mêmes
formalités que pour le privilège de la couronne? Nous pourrions
peut-être dire par analogie; Oui, la commission qui voudra invoquer son
privilège devra l'enregistrer au moyen d'un avis conformément
à l'article 2121, par analogie.
Dans les circonstances, nous voyons que la couronne aura un
privilège et, en raison de l'article 2015, nous constatons que la
couronne devra enregistrer le privilège, mais, à toutes fins
utiles, selon les dispositions actuelles de la loi et du Code civil, nous ne
savons pas comment sauf que, par analogie avec l'article 2121, on pourrait dire
au moyen d'un avis.
Dans les circonstances, nous proposons l'une des deux choses suivantes,
ou les deux: à l'article 2121 du Code civil où l'on mentionne
comment la couronne peut enregistrer son privilège, que l'on ajoute
à cet article: "La même règle s'applique aux
créances de la couronne" les mots "ou d'un agent de la couronne..."
Donc, si on ajoute les mots "d'un agent de la couronne" à l'article
2121, nous savons que la couronne, non seulement a un privilège, mais
qu'elle devra l'enregistrer selon cet avis prescrit à l'article 2121.
Toujours en parlant de l'article 2121, s'il était amendé ou
modifié au Code civil en ajoutant les mots "d'un agent de la couronne",
cela vaudrait pour tous les privilèges que la couronne voudrait
dorénavant créer en faveur d'un agent de la couronne. On n'aurait
pas besoin d'y revenir. Cela serait fait pour toujours.
La deuxième façon de procéder, ce serait d'ajouter
à l'article 213 de votre projet: L'enregistrement de ce
privilège, le cas échéant, se fait conformément
à l'article 2121 du Code civil. Si vous l'ajoutez à l'article 213
de votre projet, la solution est toute indiquée: vous vous
référez à l'article 2121 du Code civil. Par contre, il
sera peut-être préférable de modifier l'article 2121, parce
que cette modification vaudra pour tous les privilèges de la couronne et
de ses agents. Ce sont les seules représentations de la Chambre des
notaires.
Le Président (M. Paré): Je vous remercie beaucoup,
messieurs. Nous allons maintenant passer à la période
d'échange avec les membres de la commission. La parole est à
vous, M. le ministre.
M. Fréchette: Merci, M. le Président. Nous allons
suivre l'exemple qui vient de nous être donné, quant à moi,
en tout cas, et cela va être très bref. On aurait peut-être
pu communiquer avec nos invités avant qu'ils viennent nous voir pour
leur indiquer la position que nous allions adopter par rapport à leurs
représentations. Mais, égoïstement, je ne voulais pas me
priver du plaisir de revoir un de mes vieux confrères de classe venir
plaider pour la Chambre des notaires. Si on était devant une instance
judiciaire, notaire Binette et notaire Morency, je vous dirais tout simplement:
Requête accordée.
Le Président (M. Paré): Merci. M. le
député de Saguenay.
M. Maltais: M. le Président, devant la collaboration
extraordinaire du ministre, je pense que cela coupe un peu nos discussions.
Cependant, je pense que mes collègues de Louis-Hébert et de
Sainte-Anne auraient de courtes questions à poser à la Chambre
des notaires.
M. Doyon: Je veux simplement saluer les représentants de
la Chambre des notaires et un quasi-voisin, Me Morency. Il me fait plaisir de
le voir ici. Les deux suggestions qui nous sont faites visent le même
but, sauf que la seule hésitation que j'ai vis-à-vis de la
première, c'est: Est-ce que vous considérez comme opportun de
modifier le Code civil au moyen d'une loi qui est une loi sur les accidents du
travail? Quand on recherche l'état du droit - vous en savez quelque
chose - c'est extrêmement difficile de savoir ce qui en est, compte tenu
de la réforme du droit civil qui est enclenchée ou qui devrait
s'enclencher. Je me demande s'il n'y aurait pas avantage, pour éviter ce
méli-mélo qui est souvent celui de la législation par
voie... Quelqu'un qui voudrait savoir comment est amendé l'article 2121
aurait besoin de chercher longtemps avant de penser d'emblée que cela
pourrait être par la voie de ce projet de loi 42 sur l'indemnisation des
victimes d'accidents du
travail. Peut-être que la deuxième suggestion de mettre une
disposition dans cette loi qui y est spécifique, quitte à ce
qu'on règle le cas des autres agents de la couronne plus tard, lors
d'une refonte plus globale du Code civil... En tout cas, c'est la seule
remarque qui me vient ici, mais les deux atteignent le même but, sauf
qu'il y en a une qui est plus globale que les autres et qui peut
perpétuer une façon de faire les choses qui n'est pas, à
mon avis, la meilleure façon de légiférer. Je ne sais pas
si vous avez des idées sur cela. D'une façon ou d'une autre,
votre requête me paraît complètement fondée et on
doit lui donner suite.
M. Morency: Nous abondons dans le même sens, M. Doyon. Je
pense que vous avez tout à fait raison, c'est un fouillis après
pour se retrouver. Alors, soit procéder à un amendement distinct
pour le Code civil ultérieurement, qui serait de portée
générale, et agir incessamment entre-temps.
Le Président (M. Paré): M. le député
de Sainte-Anne.
M. Polak: Juste une question. On a eu la même discussion
à peu près il y a un an, concernant le droit
d'Hydro-Québec. Comme avocat, je m'oppose énormément au
fait que, pour les créanciers ordinaires, il ne reste plus rien.
L'État est tellement bien protégé, il vient avant tout le
monde, tout le temps. Si un notaire vendait un immeuble dans les bons vieux
jours, il appelait juste la municipalité et la commission scolaire pour
savoir quelles étaient les taxes sur cela. Maintenant, il est
obligé de vérifier si le compte d'Hydro-Québec est
dû. Eux, ils sont protégés. Maintenant, on a la CSST qui a
un privilège sur les biens de l'employeur. Qu'arrive-t-il du pauvre type
qui vend, par exemple, des tapis? Il n'est pas protégé, lui.
C'est un fournisseur ordinaire et un créancier ordinaire. Je m'oppose
formellement à cela. J'aimerais avoir le soutien de la Chambre des
notaires du Québec pour dire, un peu dans le même sens que le
député de Louis-Hébert, que dans toutes ces lois
spéciales on dérange tout le temps. À un moment
donné, le beau système qu'on a dans le Code civil ne s'applique
plus parce qu'on commence à élargir la grille tout le temps.
Donc, êtes-vous d'accord que par toutes ces lois spéciales on
commence à bouleverser le système de telle manière qu'il y
a de moins en moins de protection pour un créancier ordinaire? Que
doit-il faire pour se protéger? L'État vient avant tout le monde.
Personnellement je ne vois pas de raison pour que la CSST vienne avant d'autres
créanciers.
M. Binette: Nous abondons dans le même sens parce que,
chaque fois que la couronne intervient par des statuts spéciaux, elle se
place toujours au premier rang après les frais de justice. Quant
à nous, nous jugeons que c'est purement arbitraire. Donc, nous ne
pouvons pas faire tellement de représentations si ce n'est de vous dire
ou vous répéter ce que vous venez de dire, qu'il n'y a pas
nécessairement justice lorsque la couronne se place au premier rang.
C'est sûr que tous les autres créanciers passent après, y
compris le fournisseur de matériaux, le constructeur, l'architecte et
ainsi de suite, qui ont tout payé et qui ont une créance
privilégiée d'un rang inférieur. Alors, c'est lui qui perd
tout et la couronne est toujours payée la première. C'est
certain, c'est le résultat ni plus ni moins d'une décision
arbitraire pour laquelle nous n'avons pas droit au chapitre; nous abondons dans
votre sens.
M. Polak: M. le Président, je voudrais faire remarquer au
ministre que ce matin je lui ai demandé de communiquer avec son
collègue de la Justice concernant les victimes d'accidents et de crimes.
Peut-être que vous pourriez en même temps parler de l'observation
générale de la Chambre des notaires, dont le député
de Sainte-Anne dit qu'il est à peu près temps qu'on commence
à ne plus privilégier la couronne et qu'on pense au monde
ordinaire des créanciers. Prenez-vous note de cela, M. le ministre?
M. Fréchette: Comme les demandes du député
de Sainte-Anne sont irrésistibles, M. le Président, on va inclure
cela dans le même mandat.
M. Polak: Merci. Parfait.
Le Président (M. Paré): M. le député
de Viau.
M. Cusano: Merci. Je voudrais tout simplement remercier les
membres de la Chambre des notaires d'avoir présenté un
mémoire. Je les remercie particulièrement parce que le ministre
vient de donner suite à votre requête qui, dans un sens, est une
indication qu'il est prêt à porter beaucoup de changements au
projet de loi 42. C'est une espèce d'affirmation à ce moment-ci.
Alors, votre présence a beaucoup été
appréciée. Merci.
Le Président (M. Paré): Messieurs de la Chambre des
notaires du Québec, merci beaucoup de votre participation à la
commission.
M. Morency: Nous aimerions être plus présents dans
les instances gouvernementales. Je vous remercie de votre audition, vous avez
été bien aimables.
M. Fréchette: Est-ce possible que vous soyez plus
efficaces que des avocats?
M. Morency: Pourquoi pas?
M. Fréchette: Cela prend moins de temps, en tout cas.
M. Morency: Je demanderais que ce soit inscrit au
procès-verbal.
M. Fréchette: Cela l'est. Une voix: Cela l'est,
oui.
Le Président (M. Paré): Merci beaucoup.
J'inviterais immédiatement les représentants de l'Association du
camionnage du Québec Inc., à prendre place à la table,
s'il vous plaît! Bonjour, bienvenue.
M. Cusano: M. le Président.
Le Président (M. Paré): M. le député
de Viau.
M. Cusano: Je suis sûr, enfin, il me semble que les deux
personnes qui se sont approchées de la table étaient ici, dans le
salon rouge, lorsque vous avez fait lecture de l'article 53. Si elles n'y
étaient pas, peut-être serait-il nécessaire de le
faire.
Le Président (M. Paré): Vous me demandez si je vais
relire cet article. Effectivement, je crois que les gens étaient ici
lorsque je l'ai lu et, comme cela ne fait pas tellement longtemps, je suis
sûr que les gens ont non seulement bonne mémoire, mais ont compris
ce que je voulais dire. Donc, je vous invite à vous nommer
immédiatement et à nous présenter votre
mémoire.
M. Cusano: M. le Président, je voulais seulement m'assurer
qu'ils étaient ici.
Le Président (M. Paré): J'espère que vous
l'êtes.
M. Lapalme (Jacques): Nous étions présents.
M. Cusano: Parfait!
Association du camionnage du Québec
Inc.
M. Lapalme: Mon nom est Jacques Lapalme, président de
l'Association du camionnage du Québec, et Jacques Alary,
vice-président exécutif.
M. le Président, M. le ministre et les membres de la commission
parlementaire, l'Association du camionnage du Québec est heureuse de
pouvoir émettre ses commentaires sur le projet de loi 42, Loi sur les
accidents du travail et les maladies professionnelles. L'Association du
camionnage du Québec est le regroupement des transporteurs publics
détenteurs des permis de la Commission des transports du
Québec.
Notre association est formée en vertu de la Loi sur les syndicats
professionnels du Québec et regroupe environ 800 membres. Elle est
propriétaire de 41 000 véhicules, avec un chiffre d'affaires
global d'environ 1 220 000 000 $ et près de 35 000 emplois directs au
Québec.
L'Association du camionnage du Québec, l'ACQ, et, en particulier,
ses membres, détenteurs de permis de transport ou transporteurs
privés, est depuis longtemps intéressée par les questions
qui touchent la prévention des accidents du travail et des maladies
professionnelles. Avec des travailleurs dont le lieu de travail est une ville,
une province et parfois même un continent, nous savons que le moyen
d'action dont disposent les employeurs est avant tout la prévention par
la formation et l'information des chauffeurs. À preuve, nous avons
été un des tout premiers secteurs à former une association
sectorielle paritaire en vertu des articles 98 et suivants de la loi 17. L'ACQ
est également un des membres fondateurs du Centre patronal de
santé et de sécurité du travail du Québec. Ces deux
organismes ont pour objectif la formation et l'information de leurs membres
dans les domaines de la santé et de la sécurité du
travail.
Dans notre intervention, nous tenons à mettre l'accent sur ce qui
nous paraît une lacune grave et sur un autre point qui nous touche
directement. Il s'agit des artisans ou travailleurs autonomes. Cette emphase
sur les travailleurs autonomes ne signifie pas que c'est là notre seul
point de désaccord avec le projet de loi 42. Loin de là.
Cependant, comme le mémoire du Conseil du patronat du Québec
à la préparation duquel notre association a participé et
qui traite déjà de façon globale ce projet de loi, nous
nous limiterons à vous dire que notre association appuie le
mémoire du CPQ dans son ensemble.
Les chauffeurs autonomes. Les articles 11 et 12 du projet de loi 42, en
tentant de définir les relations qui peuvent exister entre travailleurs
autonomes, ou artisans, et employeurs créent, à nos yeux, un
imbroglio qui sera incontrôlable. De plus, ces chauffeurs autonomes
seront pratiquement tenus à l'écart des programmes de formation
et d'information qui sont les seuls moyens à notre disposition pour
prévenir ou limiter les accidents ou maladies industrielles auxquelles
les chauffeurs de camion sont exposés.
La loi 17 et ses règlements d'application ne prévoient que
deux catégories d'intervenants: employés et employeurs. De plus,
les syndicats sont
partout considérés comme les porte-parole des
employés même si, dans l'industrie, 70% au moins des travailleurs
ne sont pas syndiqués. Dans cette dualité, le projet de loi 42,
aux articles 11 et 12, vient introduire une nouvelle catégorie de
travailleurs, soit les travailleurs autonomes. Comme le mot autonome le dit
bien, ils ne sont ni tout à fait indépendants ni tout à
fait assujettis. Dans le cas qui nous concerne, les chauffeurs autonomes sont
des personnes qui possèdent un camion ou un tracteur de semi-remorque et
qui transportent, à court, moyen ou long terme, de la marchandise ou
tirent des semi-remorques pour une entreprise de transport détentrice
d'un permis de transport de la CTQ; ils sont, d'ailleurs, eux-mêmes
détenteurs de permis de la CTQ.
L'article 12 précise qu'ils peuvent se faire remplacer ou
s'adjoindre un ou des aides sans que l'employeur ait le moindre contrôle
sur leur engagement et, par conséquent, sur leurs
antécédents et la reconnaissance des normes ou règles de
sécurité du métier. Ainsi, ces chauffeurs autonomes
bénéficieraient d'un statut ambigu. En tant que chauffeurs, ils
se retrouveraient classés dans l'unité de la CSST de leur
employeur, unité qui pourrait varier quotidiennement selon leurs
différents employeurs. En tant qu'autonomes, ils auraient la
possibilité, par leur droit de se faire remplacer ou d'engager des
aides, d'introduire dans l'unité précitée des individus
sur lesquels l'employeur ignorerait tout sauf le nom. Or, la loi 17 oblige les
employeurs à respecter de nombreuses règles et règlements
de prévention, lesquels varient d'une entreprise à l'autre, pour
tenir compte de la situation propre à chaque établissement. (15 h
30)
Comme nous avons affaire ici à des travailleurs qui, parfois,
pourraient ne travailler que quelques jours pour un employeur donné, il
est physiquement impossible pour celui-ci de s'assurer que ces travailleurs
connaissent les normes de son entreprise ou établissement. En cas
d'accident, le coût de celui-ci serait néanmoins imputé
à son entreprise.
En cas de maladie professionnelle -dans notre cas, c'est plus
fréquemment un mal de dos - l'article 233 dit: "Lorsqu'un travailleur
atteint d'une maladie professionnelle a exercé plus d'un emploi
correspondant à sa maladie, dont au moins un pour un employeur tenu
personnellement au paiement des prestations, la Commission détermine par
qui les prestations doivent être payées et établit la
quote-part de chacun."
Avec des travailleurs qui passent fréquemment d'un employeur
à l'autre comme les chauffeurs autonomes, il sera tout simplement
impossible d'appliquer équitablement cet article. Par conséquent,
nous demandons que les chauffeurs qui ont décidé de devenir
indépendants en se procurant un camion ou un tracteur et un permis pour
transporter la marchandise ou tirer les semi-remorques d'autrui soient
considérés comme ce qu'ils sont effectivement, soit des
entreprises indépendantes. Ainsi, la CSST pourra leur attribuer un
numéro d'unité propre avec la tarification qui convient à
leur expérience et à leur spécialité. Étant
identifiés, plutôt que dilués à l'infini, il sera
alors possible pour eux de mettre sur pied un système de formation et
d'information adapté à leurs besoins. Voilà le point de
vue de l'ACQ sur le cas des chauffeurs autonomes et nous vous prions instamment
de le prendre en considération pour éviter de créer un nid
de chicanes et de conflits sans fin.
Alors que pratiquement tout ce qui touche à la santé et
à la sécurité du travail est abordé selon la
formule du paritarisme, nous n'arrivons pas à comprendre pourquoi cette
formule deviendrait subitement inopérante dans le domaine des
contributions financières. Si la formule du paritarisme est efficace au
plan de la formation et de la prévention, elle devrait l'être tout
autant au plan du financement. Est-ce la recherche de la facilité:
percevoir que d'un seul partenaire plutôt que de deux? Est-ce la crainte
d'innover ou la résistance au changement? Il ne s'agit pourtant pas
d'une idée neuve. Les comités paritaires fonctionnent depuis
longtemps, avec un financement paritaire. Jamais encore n'avons-nous entendu
dire que ce mode était inadéquat. Bien au contraire, les deux
contribuables sont également et directement intéressés
à maintenir les coûts aussi bas que possible. Ils cherchent
mutuellement des solutions pour les réduire ou les limiter.
Avec la formule proposée et utilisée par la CSST, un seul
des partenaires est intéressé à limiter les coûts et
toutes ses démarches paraissent a priori suspectes au partenaire non
intéressé, lequel a alors tendance à se comporter en
adversaire. On aboutit ainsi à du gaspillage parce qu'on se prive de
l'apport inventif des employés dans la recherche de moyens ou de
solutions économiques à des problèmes qu'ils connaissent
bien. Ceci nous paraît une lacune grave. C'est pourquoi nous demandons
qu'on adopte la formule paritaire également au plan du financement des
programmes.
Le Président (M. Paré): Merci beaucoup. M. le
ministre.
M. Fréchette: Merci, M. le Président. Je remercie
M. Lapalme, le président de l'Association du camionnage du
Québec. On a entrepris un après-midi qui a l'air de vouloir
procéder rapidement. Les mémoires sont
courts; les questions se règlent vite. Je retiens comme
première considération d'ordre général que vous
appuyez essentiellement le contenu du mémoire que nous a
présenté le Conseil du patronat du Québec, qui, lui, par
ailleurs, est très étoffé et va dans tous les
détails. Il procède même à une étude de la
loi, article par article.
Cependant, il y a un aspect du mémoire du Conseil du patronat du
Québec sur lequel vous revenez, mais vos représentations vont
beaucoup plus loin que celles que le Conseil du patronat du Québec nous
a soumises au moment où il est venu en audition. C'est ce qu'on retrouve
à la page 7 de votre mémoire et que vous identifiez comme
étant une lacune grave, la lacune grave, si je vous ai bien compris,
étant le fait que les salariés ne sont pas impliqués dans
le système de cotisation du système de santé et de
sécurité. Au meilleur de mon souvenir, le Conseil du patronat
nous avait indiqué qu'il lançait quant à lui l'idée
d'une reconsidération de la situation pour engager un débat
public sur cette question. Votre association, quant à elle, va plus
directement au but et elle est d'opinion -cela me semble très clair dans
le mémoire -qu'une décision devrait être prise et que la
contribution ou la cotisation au régime de santé et de
sécurité devrait être paritaire, dites-vous, ou on devrait
demander aux salariés de cotiser pour la moitié du coût ou
dans une autre proportion, peu importe.
Parlons du principe pour le moment, si vous n'avez pas d'objection. Je
n'entreprendrai pas, bien sûr, de refaire tout l'historique des principes
qui, au début des années trente, ont présidé
à l'adoption de la Loi sur les accidents du travail, comme on la
connaît actuellement, sauf, peut-être, pour rappeler que cette loi
a été le fruit d'une espèce de compromis intervenu entre
les employeurs et leurs salariés. Il semble évident, pour
quiconque regarde un peu l'historique de cette loi, qu'à cette
époque les employeurs ont constaté que cela devenait fort
rigoureux financièrement que de se retrouver assez souvent devant les
tribunaux de droit commun pour faire face à des actions en dommages que
pouvaient leur intenter des salariés qui avaient subi des dommages dans
l'entreprise.
Évidemment, quand on était en face d'accidents de nature
mineure, cela avait moins d'impact. Vous savez, un employeur qui se retrouvait
avec une poursuite en dommages, à l'époque, de 15 000 $, 20 000 $
ou 25 000 $, c'était considérable et si, par malheur, il en
arrivait deux ou trois dans la même année de même nature,
cela pouvait avoir des conséquences désastreuses et conduire
même à de telles difficultés qu'il fallait envisager de
discontinuer les opérations.
À partir de cette constatation, ce compromis dont je vous parlais
tout à l'heure a été à peu près le suivant:
les salariés ont renoncé à poursuivre devant les tribunaux
pour des dommages qu'ils pouvaient encourir à l'occasion de l'exercice
de leurs activités professionnelles. Par ailleurs, les employeurs
acceptaient, de leur côté, de cotiser à ce régime de
santé et de sécurité et acceptaient également que
les accidents du travail, en termes stricts de compensation, soient
compensés effectivement par les cotisations qu'ils avaient
souscrites.
Ma question a un double volet: Est-ce que c'est ce principe, enfin, ce
compromis, qui est intervenu au début de l'application de la loi, dans
les premières années de la décennie de 1930, que vous
remettez en question, et formellement? Deuxièmement, si c'est dans ce
sens que votre représentation nous est faite, est-ce qu'il ne nous
faudra pas considérer la possibilité qu'un travailleur, par
exemple, ou une travailleuse qui prétendra ne pas avoir
été correctement et justement compensé
matériellement à la suite d'un accident du travail puisse exercer
partiellement ou totalement un recours devant les tribunaux de droit commun?
C'est une situation qui a un angle double. Vous comprenez où va ma
préoccupation pour le moment et j'apprécierais vous entendre sur
ces deux questions.
M. Alary (Jacques): M. le ministre, si vous me permettez. Il ne
faut pas oublier que la Commission de la santé et de la
sécurité du travail est considérée comme une
compagnie d'assurances. Une compagnie d'assurances a des
bénéfices qu'elle donne si un travailleur se blesse ou si une
personne y fait appel. Ce n'est pas nécessairement le principe qui a
été retenu en 1930, le fait que le patronat disait: D'accord, on
va accepter de payer les primes et, vous, vous allez accepter de limiter votre
poursuite. Ce n'est pas nécessairement ce principe qu'on veut mettre en
cause, mais c'est plus le fait que, plus on va dans l'administration de la Loi
sur la santé et la sécurité du travail, plus on voit des
actions qui sont amenées sur une base paritaire. Toutes les
décisions au niveau des comités de santé et de
sécurité se font sur une base paritaire. La décision au
niveau du conseil d'administration de la santé et de la
sécurité se fait sur une base paritaire et on croit, nous, qu'en
demandant aux employés une participation financière... parce que
la cause des accidents n'est pas seulement la cause des employeurs. Dans bien
des cas, cela peut être l'employé qui a commis une faute et qui a
eu ou a subi un accident, ce qui l'a amené à faire une demande
d'indemnisation ou de réparation à la commission de santé.
On croit, nous, que, si les employés participent avec le patronat au
financement, cela va leur faire prendre plus conscience du fait qu'il y a
peut-être
lieu, lorsqu'on fait des demandes dans un sens... Si on en a à
subir des coûts en tant qu'employés, les demandes vont
peut-être se faire d'une façon différente et il va
peut-être y avoir des pacotilles qui vont tomber. En fin de compte, ceux
qui ont vraiment besoin des avantages du système de santé et de
sécurité vont en bénéficier. Ce n'est pas du tout
de remettre en cause le principe qui a été décidé
en 1930. C'est plutôt une participation, à savoir qu'on a depuis
ce temps-là fait participer les employés et, aujourd'hui, quant
à les faire participer au niveau de tout pouvoir décisionnel,
qu'ils participent aussi au niveau du pouvoir financier.
M. Fréchette: 0e comprends très bien votre
argumentation, sauf que je peux difficilement la partager totalement, au moins
sous un aspect que vous évoquez. Vous nous dites: C'est dans des termes
de préoccupation de paritarisme et c'est à partir de ce principe
que l'obligation devrait être faite aux salariés de participer au
régime, mais, si on impose une obligation additionnelle aux
salariés, il me semble qu'il va de soi que de nouveaux droits devraient
être consécutifs à de nouvelles obligations qu'on
impose.
M. Alary: C'est parce qu'on a tendance à oublier que la
commission de santé et de sécurité est une compagnie
d'assurances. C'est le fait de payer les primes d'assurance de manière
paritariste, avec un bénéfice assuré. Si le
bénéfice doit être changé, à ce
moment-là, c'est en fonction de la compagnie d'assurances ou de
l'assurance. Ce n'est pas en fonction de l'ensemble de la loi, parce que
même la CSST se qualifie de compagnie d'assurances.
M. Fréchette: Bon, enfin! Non seulement vous souhaitez que
le débat se fasse sur la place publique, mais vous prenez fermement
position en faveur de ce principe que vous venez de décrire. C'est
cela?
M. Alary: Oui, nous prenons position sur le...
M. Fréchette: Bien. L'autre aspect de votre mémoire
est celui des travailleurs autonomes ou indépendants. Je comprends que
vous avez 800 membres en règle dans votre association. Pouvez-vous nous
indiquer si les membres de votre association, à ce que vous en savez,
font souvent ou fréquemment appel à des travailleurs qui auraient
le statut d'autonomes ou d'indépendants, tel qu'on le retrouve dans la
loi 42? Est-ce fréquent que cela se produise chez vos membres?
M. Lapalme: De plus en plus, M. le ministre. L'ordonnance 4995,
qui est l'ordonnance générale sur le camionnage, a
été modifiée l'an dernier et amène une ouverture de
ce côté-là sur le remorquage, ce qui ouvre la porte aux
voituriers-remorqueurs et à cette catégorie d'employés ou
de gens qu'on qualifie ici d'autonomes ou d'artisans. Dans le moment, si on
parle au président de la Commission des transports qui émet les
permis à cet effet, il est submergé par les demandes de
voituriers-remorqueurs. Ce type de travailleurs autonomes ou d'artisans va
être certainement beaucoup plus populaire à l'avenir qu'il ne l'a
jamais été parce que l'ordonnance vient de le sanctifier, si on
veut.
M. Alary: Si vous le permettez, M. le ministre, seulement un
ajout. Notre position sur les travailleurs autonomes n'est pas le fait qu'on ne
veut pas que ces gens-là soient protégés. C'est le fait
qu'on ne voudrait pas ou qu'on ne veut pas les avoir sous notre
expérience. Ce qu'on dit, nous, c'est que ces gens-là, qui sont
des entreprises indépendantes, qui se présentent devant la
Commission des transports du Québec et obtiennent des permis
d'entreprise pour travailler sous contrat pour un entrepreneur, ont
décidé d'ouvrir un commerce. Ils vont peut-être travailler
cinq ou six jours. Ils vont peut-être travailler pour une compagnie
donnée. Au bout de quinze jours ou trois semaines, ils vont
peut-être aller travailler pour quelqu'un d'autre et, au bout d'un an ou
deux, ces gens-là vont se promener. On dit qu'on devrait créer
une classe d'artisans ou de travailleurs autonomes détenteurs de permis
de la Commission des transports. Dans l'ancienne classification de la
Commission de la santé et de la sécurité du travail, on
avait une classification qu'on appelait artisan ou voiturier-remorqueur. Ces
gens-là avaient leur numéro de santé et de
sécurité du travail, et leur expérience était dans
leur dossier. (15 h 45)
M. Fréchette: Cela donne une première
évaluation de l'ampleur du phénomène du travailleur
autonome ou indépendant. Je vais essayer de vous poser une question que
je sais à l'avance qu'il peut ne pas être simple d'y
répondre. Vous est-il possible d'évaluer, ne serait-ce que
très aproximativement, quelle est la moyenne d'heures qu'un travailleur
autonome peut faire pendant une semaine de travail, par exemple, quand il va de
place en place?
M. Alary: Si vous me permettez, cela dépend du genre de
travailleur autonome. Si on prend des travailleurs qui effectuent le transport
à l'intérieur d'une ville, c'est la même chose que nos
salariés. Habituellement, ils font huit ou neuf heures, selon le
travail. Si on parle des travailleurs qui partent avec des tracteurs pour de
longues distances, il y
a des lois, que ce soit le Code de sécurité
routière, qui les empêchent de faire plus de douze heures. Ils
sont ensuite sur le code du travail fédéral qui empêche
aussi plus de dix heures par jour. Ce n'est pas un problème d'abuser du
nombre d'heures de travail, mais plutôt un problème au niveau de
la responsabilité des accidents du travail.
M. Fréchette: Vous dites que la moyenne qu'un travailleur
autonome peut faire par semaine, d'un employeur à l'autre, serait
d'à peu près huit heures.
M. Alary: Huit heures par jour.
M. Fréchette: Par jour.
M. Alary: C'est 50 heures par semaine.
M. Fréchette: C'est 50 heures par semaine. On ne retrouve
pas beaucoup de gens qui ont ce statut-là et qui font, chez le
même employeur, moins de quinze heures par semaine, par exemple.
M. Lapalme: Cela dépend des situations économiques.
Il faut se comprendre. Si, pour une raison ou une autre, une compagnie a un
contrat pour une certaine période de temps et peut donner du travail
à ce travailleur autonome pour la période du contrat qui est de
trois mois, à ce moment-là, il travaillera pour le même,
mais tous les aspects économiques de toute la province de Québec
ne sont quand même pas identifiables de cette façon-là. On
peut donc dire que le camionneur autonome peut, selon la demande, changer
d'employeur.
D'ailleurs, de par la fonction même qui a été
créée à la Commission des transports, il a son propre
camion et il se doit de trouver du travail pour faire vivre sa compagnie. Il a
un permis en vertu d'une compagnie qui l'a émis. D'ailleurs, il s'est
engagé en conséquence, soit envers la banque ou envers une
compagnie de finance.
M. Alary: On sait qu'il y a un problème au niveau de
l'exploitation de la main-d'oeuvre artisanale dans certains secteurs, mais chez
nous, lorsqu'une personne décide d'investir 70 000 $ dans un
véhicule, ce n'est pas nécessairement pour se faire exploiter.
C'est plutôt d'essayer de passer à travers et de vivre avec son
véhicule. Avec un tel investissement, elle ne peut pas dire: D'accord,
je m'attache à une compagnie avec des garanties d'un an, deux ans ou
trois ans. Elle s'attachera peut-être à une compagnie, elle
travaillera un mois pour un et un mois pour l'autre, suivant la demande. Il y a
quand même une particularité au niveau du transport, nos
unités de production sont mobiles. Une journée, on peut
travailler dans une région et le lendemain dans une autre.
Lorsqu'on parle de travailleur autonome ou de sous-traitant, cela
amène des problèmes. On n'est pas en mesure de contrôler
ces gens-là qui ont la latitude d'engager des aides. Par exemple, dans
le déménagement, les gens vont d'une ville à l'autre pour
effectuer un déménagement et, rendus à Toronto, par
exemple, ils vont engager de la main-d'oeuvre locale pour effectuer le
déménagement, ou vice versa. Ils vont arriver à
Montréal ou à Trois-Rivières et ils vont engager des gens
pour les aider. On n'a aucun contrôle sur ces gens-là. On leur
donne une pièce de travail à faire, on leur donne un montant pour
la faire et, ensuite, on ne les voit plus, ils exécutent la pièce
de travail. C'est pour ça que le lien au niveau de la
responsabilité est vraiment difficile à établir. Avec la
nouvelle modification réglementaire dans le domaine du transport, ce
qu'on appelle le voiturage, ce qui amène des travailleurs autonomes, va
se développer de plus en plus, parce qu'en raison de la concurrence des
transporteurs illégaux qu'on doit subir et en raison de l'obligation
qu'on a de servir nos clients à meilleur compte, il faut travailler avec
ces gens-là et ils sont prêts à le faire. Comme je vous le
disais tantôt, ce n'est pas la question que ces gens-là ne soient
pas protégés. On dit qu'ils aient un numéro d'assurance
à la commission, qu'ils aient les mêmes protections que les autres
travailleurs, mais, concernant la responsabilité, étant
donné qu'ils sont mobiles et que, dans cinq ans, on ne sait pas s'ils
vont être encore chez nous, qu'ils aient leur expérience ou leurs
propres dossiers.
M. Fréchette: II semble bien, d'après les
explications que vous nous fournissez, que c'est un phénomène qui
est déjà passablement répandu et qui va avoir tendance
à se répandre davantage. Par ailleurs, vous avez indiqué,
dans l'introduction de votre mémoire, que votre association est fort
préoccupée par la prévention, qu'elle a été
une des premières associations à entrer dans le jeu des
comités de santé et de sécurité, après
l'adoption de la loi 17. Vous aviez déjà une association
patronale à cet égard. La question qui me vient à
l'esprit: À partir de la préoccupation que vous avez en termes de
prévention et à partir du phénomène que l'on
constate, à savoir que le système du travailleur autonome prend
de l'ampleur, quels sont les moyens à votre disposition pour faire de la
prévention en termes de formation et d'information pour ces
gens-là?
M. Alary: Comme on le disait tantôt, l'association
sectorielle paritaire en santé et sécurité a
été formée et cette association qui regroupe
différentes associations, dont la nôtre, va s'efforcer de
développer des programmes de formation qui vont peut-être
être dispensés par l'association elle-même ou par
certains utilisateurs des services de ces gens-là. Ce qu'on ne sait pas,
c'est qu'on ne pourra peut-être pas les rejoindre partout et dans toutes
les entreprises. C'est pour cela que ce n'est pas la partie prévention
et ce n'est pas la partie protection qu'on met en cause. C'est la partie
responsabilité de ces travailleurs. Nous avons d'ailleurs, en tant
qu'Association du camionnage du Québec Inc., développé des
programmes de formation pour aider ces gens-là; pas de problème.
Mais, concernant la responsabilité, c'est autre chose. Lorsqu'ils
partent avec le camion, on ne sait pas ce qu'ils peuvent faire. Ils ont
l'entière responsabilité de leurs gestes et de leurs actes. C'est
peut-être facile dans une usine où on peut surveiller des gens,
mais, lorsqu'ils sont à 300 ou 400 milles, c'est quasi impossible pour
la compagnie de les contrôler. Ce n'est pas de dispenser des programmes
et ce n'est pas de les protéger. C'est simplement la partie
responsabilité.
M. Fréchette: Je vous pose une question simplement pour
essayer de voir quelles seraient les ouvertures qui pourraient permettre de
contourner les difficultés que vous nous soumettez. Est-ce que ce serait
une avenue que de penser, par exemple, à la possibilité que celui
qui est identifié comme travailleur autonome dans le projet de loi 42
qui est devant nous, qui ferait moins de quinze heures par semaine - je donne
le chiffre à tout hasard, bien sûr; ce n'est pas analysé,
ce n'est pas évalué - serait considéré comme un
travailleur occasionnel et que seul celui-là serait autonome? Est-ce que
c'est une avenue qui peut être envisagée, qui peut être
étudiée, qui ouvre la voie à des possibilités de
solutions?
M. Alary: Je voudrais bien saisir le sens de votre question.
Lorsque vous dites moins de quinze heures, il ne serait pas
considéré comme travailleur autonome. S'il était
considéré comme travailleur autonome, il ne serait pas sous la
responsabilité de la compagnie de transport.
M. Fréchette: C'est cela.
M. Alary: Plus de quinze heures, il pourrait l'être.
M. Fréchette: On parle de quinze heures...
M. Alary: Peu importe le barème... M. Fréchette:
Oui.
M. Alary: Comme je vous le disais tantôt, étant
donné que les transporteurs doivent répondre à des
demandes qui sont parfois saisonnières, selon les différentes
activités économiques, on peut engager quelqu'un pour trois mois,
quatre mois. On peut l'engager pour quinze jours. On peut l'engager pour six
mois et peut-être pour un an. C'est selon le besoin. Si on transporte des
produits de la ferme, c'est lorsque les récoltes sont faites qu'on a
besoin d'un surplus de sous-traitants. Si on exploite des produits de la
forêt, c'est peut-être à un autre moment de l'année.
Ce n'est jamais la même compagnie qui effectue ce genre de transport.
À cause de cela, dire après un certain nombre d'heures ou de
jours, ce n'est quasiment pas faisable. Ce qu'on pourrait suggérer,
étant donné qu'on ne refuse pas de protéger les
travailleurs, c'est qu'une particularité à la Loi sur la
santé et la sécurité du travail pourrait être
apportée qui dise que toute personne qui est détentrice d'un
permis de la Commission des transports, parce que c'est le législateur
qui décide de lui donner un permis pour son camion, comme il nous donne
un permis de commerce, n'est pas sujette à l'article des travailleurs
autonomes. Cette personne doit avoir son propre numéro à la
Commission de la santé et de la sécurité du travail.
M. Lapalme: M. le ministre, si vous le permettez...
M. Fréchette: Oui, allez-y.
M. Lapalme: II faut quand même faire attention au principe.
Je vois difficilement comment on peut dire qu'un travailleur est autonome
lorsqu'il travaille quinze heures et moins par semaine et qu'il ne l'est pas
s'il travaille plus de quinze heures. Au départ, ces travailleurs ont
tous les deux une compagnie qui est enregistrée; ils ont tous les deux
un permis de la Commission des transports qui leur donne le droit de
fonctionner et, à cause du nombre d'heures, l'un serait travailleur
autonome et l'autre ne le serait pas. Je vois difficilement cette division dans
la responsabilité des personnes en titre. Dans la province de
Québec, à cause de la complexité d'obtenir un permis
à la Commission des transports, il y a dans certaines régions
cinq ou six camionneurs, dans d'autres, d'autres camionneurs, et on sait que la
roue économique n'est pas toujours fixe. Il y a eu pendant un bon bout
de temps à la Baie-James - on ne parle pas dans le moment de ce que M.
Alary parlait tout à l'heure - du travail saisonnier. On parle
maintenant de Trois-Rivières ou de Bécancour qui se
développent. À un moment donné, ce sera peut-être la
Côte-Nord. C'est vraiment un critère qu'il faut garder en
mémoire. Cette personne, le travailleur autonome, est appelée
à changer fréquemment de lieu de travail.
M. Alary: Dans notre secteur, c'est
vraiment particulier. Peut-être que, dans un autre secteur, les
travailleurs demeurent tout le temps au service du même employeur, mais
chez nous, dans notre industrie, à cause du besoin économique du
Québec, il sont appelés à changer souvent de
compagnie.
M. Fréchette: Remarquez que je ne faisais que le mettre
sur la table pour les fins de la discussion et pour connaître votre
appréciation par rapport à cette suggestion ou, en tout cas, ce
thème de la discussion. Je prends donc très sérieusement
note du contenu de votre mémoire, de votre argumentation verbale. On va
continuer de réfléchir à la question et de voir comment
cela peut s'aligner. On va regarder cela de près. Merci.
Le Président (M. Paré): M. le député
de Saguenay.
M. Maltais: Merci, M. le Président. Au nom de notre
formation politique, je suis heureux de saluer les gens de l'Association du
camionnage du Québec. Lorsque les gens du Conseil du patronat se sont
présentés ici, on a questionné longuement M. Dufour, le
vice-président. Il a fait une distinction entre votre association qui
regroupe des compagnies de camionnage et le travailleur autonome. Celui qui a
besoin de transport par camion avait les mêmes difficultés en ce
sens que, lorsque la personne fait affaires avec une compagnie de transport,
elle ne connaît pas ou connaît très peu l'employé qui
arrivera avec son camion. Souvent, cela peut changer selon vos besoins. La
même chose se produit avec le camionneur artisan qui, pour une raison ou
une autre, est appelé à travailler chez tel entrepreneur qui a
autre chose à faire et qui prend un substitut. Finalement, celui qui a
la responsabilité ne connaît pas son employé au sens propre
de la loi. L'entrepreneur ou l'entreprise qui requiert vos services est
responsable de quelqu'un qu'elle ne connaît pas, c'est sa
responsabilité au sens légal. Au sens pratique, peut-on imputer
une responsabilité à quelqu'un qui a un employé qu'il ne
connaît pas? Déjà, au départ, le système
n'est pas parfait à ce niveau-là. (16 heures)
Dans votre cas, à partir du moment où vous demandez
à un artisan de venir travailler dans votre compagnie, normalement, vous
ne connaissez que le numéro de permis ou le camion. Vous ne connaissez
pas l'individu qui est attaché au bout de cela, ou très peu,
parce que vous faites affaires avec un poste d'affectation qui, lui, vous
envoie habituellement un camionneur artisan. Est-ce que cela n'est pas une
lacune dans la loi d'avoir des gens sous notre responsabilité qu'on ne
connaît pas? Première question.
Deuxième question. Lorsque vous parlez du paritarisme
vis-à-vis de l'artisan et de l'entrepreneur, ainsi que vous comme
compagnie par rapport à celui qui a besoin de vos services, est-ce
qu'à ce niveau ce ne serait pas plus simple d'inclure dans la
tarification horaire, ou au mille, ou à la tonne, je ne sais pas, ces
coûts qui seront des coûts additionnels pour vous autres, pour
l'entrepreneur et pour l'artisan? Est-ce que ce ne serait pas une façon,
lorsqu'eux autres deviendront des entrepreneurs au sens que vous voulez les
faire reconnaître, de régler le problème dans la
tarification? On sait que la tarification ne relève pas de vous non
plus, elle relève de la Commission des transports. Une fois pour toutes,
je pense qu'on devrait régler le problème en l'incluant dans la
tarification du ministère des Transports. J'aimerais cela que vous nous
disiez vos commentaires là-dessus.
M. Alary: Si vous me permettez, M. le député de
Saguenay, lorsqu'on parle d'inclure dans la tarification qui est régie
par la Commission des transports du Québec, un pourcentage qui pourrait
financer la santé et la sécurité, cela pourrait être
fait. Mais là où on a des problèmes, c'est que, lorsque
ces gens, comme vous avez bien dit qu'on ne connaît pas, viennent
travailler chez nous, sont accidentés et reviennent après cela
sous notre expérience, comment pouvez-vous dire aujourd'hui que tel
travailleur, qui a passé chez nous un mois, dans dix ans, va revenir et
va nous réclamer parce qu'il a déjà été
employé chez nous? À ce moment, dans une tarification, c'est
impossible de visualiser cette chose.
Tantôt, vous faisiez référence au poste
d'affectation. En tant qu'entrepreneurs, si on utilise ces gens, on ne les
choisit pas. La loi nous oblige à prendre ces gens à tour de
rôle. Même si on en a un qui fait vraiment notre affaire et avec
lequel on voudrait établir un lien, la Loi sur le transport, le
règlement 12 sur le vrac, nous empêche de le faire. En
empêchant cela, la Loi sur la santé et la sécurité
du travail nous dit: D'accord, vous allez être responsables pour celui
que vous ne voulez pas ou responsables pour telle ou telle personne. Ce
même exemple peut se transposer dans le transport général
parce que nos gens font aussi du transport en vrac, du transport
général.
C'est pour cela qu'on dit: On est peut-être prêt à
assumer les coûts parce que, effectivement, si le travailleur autonome ou
le travailleur indépendant qui vient travailler chez nous a une
cotisation à payer à la Commission de la santé et de la
sécurité du travail, on va pouvoir le payer à travers les
taux. Ce qu'on ne veut pas, c'est la responsabilité de ce travailleur au
niveau des accidents du travail, parce qu'on n'a pas de contrôle sur cet
individu.
M. Maltais: Si, au sens de la loi, il est reconnu comme
travailleur autonome, alors, il a une responsabilité comme travailleur
autonome.
M. Alary: C'est ce qu'on pense.
M. Maltais: On n'a pas eu l'occasion de voir, par exemple, des
camionneurs artisans ici. J'aurais bien aimé les avoir pour en discuter
avec eux autres. Si, véritablement, au sens de la loi, ce sont des
entrepreneurs artisans... Je ne me souviens plus quel groupe parlait, par
exemple, des menuisiers artisans qui vont de travail en travail, qui vont faire
de petits travaux à gauche et à droite; ils ont le même
problème. À partir de ce moment, est-ce que celui qui
détient un permis ne devrait pas être, au sens de la loi, comme
vous le suggérez, responsable de lui-même, étant
donné que c'est un entrepreneur artisan? Par contre, au niveau du
paritarisme, je pense que vous aussi vous avez une responsabilité, ainsi
que l'employé pour qui vous travaillez, parce que vous êtes
employés par quelqu'un à un moment donné. Ce serait
plutôt un tripartite que véritablement du paritarisme, du
dualisme, si on peut appeler cela comme cela. Il reste que, peu importe la
façon dont la loi va englober tout ce monde, lui, cet artisan, doit
être protégé. À l'heure actuelle, finalement, on
remet à quelqu'un une responsabilité qu'il n'a pas.
M. Alary: Vous avez parfaitement raison.
M. Maltais: Mais est-ce que la formule du paritarisme, ce serait
rendre justice à tout le monde?
M. Alary: Je pense que ce serait leur rendre justice. Ces gens,
qui sont quand même des travailleurs indépendants - oh peut dire
que c'est de la petite entreprise - n'ont pas les moyens ou le temps de
déléguer des personnes à une association de santé
et de sécurité pour établir des programmes de
prévention et faire du travail. Nous, on va le faire. Bâtir des
programmes de prévention pour nos employés à
l'intérieur de nos compagnies pour qu'ils soient étendus à
ces gens-là, cela nous fait plaisir parce que cela ne nous coûte
rien; on le fait en même temps. Comme vous l'avez si bien dit, c'est la
responsabilité des personnes sur lesquelles on n'a aucun contrôle.
On ne dit pas qu'on ne veut pas les aider, ni les protéger, on dit qu'on
ne veut pas de cette responsabilité.
M. Maltais: D'accord. Je suis sûr qu'on aurait eu avantage
à entendre l'Association des camionneurs artisans qui aurait pu nous
faire part de son point de vue. Malheureusement, elle n'a pas été
convoquée.
Mais il y a un facteur que le Conseil du patronat a souligné, et
vous l'avez souligné également: c'est tout à fait
inadmissible d'avoir la responsabilité d'un employé qu'on ne
connaît pas. Il n'y a pas une entreprise qui peut se permettre cela. Vous
êtes déjà confinés par la loi au niveau des postes
d'affectation et du "turnover" qui se fait chez les camionneurs. À
partir de ce moment-là, je pense que, tant et aussi longtemps que le
poste d'affectation... L'association devrait avoir une responsabilité en
disant: On est des camionneurs artisans autonomes. À partir de ce
moment-là, on prévoit que tous les bénéfices
auxquels un travailleur normal a droit devraient être inclus dans nos
conditions de travail ou dans notre tarification horaire, et je pense que vous
auriez la paix quant à la responsabilité. L'artisan serait
sécurisé, parce qu'il a déjà contribué
à un régime d'assurance qu'on appelle la CSST et qu'il a
payé ses primes. Donc, il est en droit de recevoir des indemnités
en cas d'accident ou de lésion professionnelle. À partir de ce
moment, le degré de responsabilité s'appliquerait uniquement
à celui qui est considéré légalement comme un
entrepreneur.
M. Alary: Il faut quand même faire une distinction. Lorsque
vous faites allusion au domaine d'affectation, c'est un domaine qui
représente peut-être 10% du transport routier au Québec.
Même à l'intérieur de cette dimension, ce n'est pas tout le
monde qui fait partie des postes d'affectation ou qui se regroupe autour de
quelqu'un pour se placer. Il n'y a pas d'obligation d'utiliser strictement ces
postes. L'entrepreneur peut utiliser aussi des travailleurs qui ne font pas
partie de ces postes pour une partie du travail, s'il est en vrac. Dans notre
cas, on n'a pas besoin de passer par ces gens-là. C'est pour cela qu'on
ne peut pas transférer la responsabilité à ces postes,
parce que, finalement, c'est un regroupement de personnes qui se forment en
société pour trouver des pièces de travail à faire.
On dit: Oublions cet intermédiaire et laissons ces gens-là qui
ont décidé d'être entrepreneurs... Si, demain matin, je
décide d'ouvrir un dépanneur, même si je suis seul, ce
n'est pas le fournisseur qui a la responsabilité chez nous, c'est moi.
C'est la même chose pour l'entrepreneur. Ce n'est pas un dépanneur
qu'il achète, mais un véhicule. Il développe un commerce.
Il vient travailler chez nous peut-être un mois. Il va peut-être
aller travailler deux mois ailleurs ou cinq ans chez nous. On ne le sait pas.
Ce qu'on dit, c'est qu'on lui donne un numéro d'assurance santé
et sécurité. Il va payer. S'il paie un taux de 7 $ des 100 $,
automatiquement, on l'aura facturé dans nos taux quand il nous
présentera sa propre facture. À ce moment-là, on ne refuse
pas de l'inclure dans ce taux. S'il engage quelqu'un, il va en
être responsable au niveau de la santé et de la
sécurité. S'il survient un accident ailleurs parce qu'il n'a pas
fait attention ou parce qu'il est arrivé certaines choses qui
étaient hors de notre contrôle, il en a la responsabilité.
Il est protégé. On le protège. Ce n'est pas qu'on ne veut
pas le protéger, mais on ne veut pas avoir d'intermédiaire parce
que dans notre domaine cela ne réglera pas le problème ni dans le
domaine du vrac. Qu'on considère l'entrepreneur comme une entreprise. De
l'autre côté, on va l'incorporer et on va régler notre
problème aussi.
M. Maltais: Peut-être qu'on pourrait appliquer le
même principe dont le ministre a parlé assez rapidement tout
à l'heure aux représentants de la Chambre des notaires au sujet
du droit de recours. Je pense que si la CSST est prête à laisser
tomber son droit de recours... À partir du moment où elle
inclurait ces travailleurs autonomes, elle perdrait son droit de recours
vis-à-vis de l'employeur puisque c'est lui l'employeur. À partir
de ce moment, vous vous serez délestés de cette
responsabilité ultérieure. Par contre, la CSST, puisque
l'employeur et l'employé ne font qu'un, perdrait son droit de recours
aussi. C'est peut-être cela que le ministre a de la misère
à digérer.
M. Alary: D'un autre côté, on le fait pour de
petites entreprises.
M. Maltais: Oui.
M. Alary: II y a des entreprises qui ont un employé.
M. Maltais: Un employé, un dépanneur, comme vous
dites.
M. Alary: Le droit de recours de la CSST n'est pas bien grand.
Elle n'a peut-être même pas de mise de fonds. À ce moment,
cela ne change absolument rien.
M. Maltais: D'accord, merci beaucoup.
M. Alary: Nous aussi, nous vous remercions.
Le Président (M. Paré): Oui, M. le
député de Beauharnois.
M. Lavigne: Merci, M. le Président, c'est juste pour
comprendre davantage, à la suite des propos du député qui
m'a précédé. Si j'ai bien compris l'espèce
d'organigramme ou de pyramide d'embauche, vous souhaitez la parité, mais
il me semble y avoir trois personnes en cause au lieu de deux. Il y a la grande
compagnie qui pourrait avoir, par exemple, un gros contrat à la
Baie-James, qui pourrait engager un propriétaire de camion, qui, lui,
occasionnellement, pourrait conduire son camion comme propriétaire et
qui, comme propriétaire de camion, pourrait engager occasionnellement un
employé. Donc, il y aurait trois paliers. Il y aurait la grande
compagnie qui, dans un premier temps, pourrait être en parité avec
le propriétaire du camion. Dans un deuxième temps, il y aurait le
propriétaire du camion qui pourrait être en parité avec son
employé. Quand il l'engage... Supposons que cela roule 24 heures par
jour, sur des grands chantiers. Le camionneur propriétaire du camion
pourrait s'arranger avec son employé et lui dire: Je vais faire douze
heures et fais douze heures. Ce sont des choses qui se produisent dans le monde
du camionnage. Tout le monde sait cela. Donc, dans un cas comme cela, comment
la parité pourrait-elle s'établir? Qui paie et dans quel
pourcentage? Qui est le patron? Qui est l'employé? Des fois, celui qui
est propriétaire du camion pourrait être considéré
comme employé vis-à-vis de la grande compagnie et, à
d'autres moments, il pourrait être considéré comme patron
vis-à-vis de son employé qui fait ses douze heures. Je ne sais
pas si vous pouvez me démêler cela.
M. Lapalme: Si vous me permettez, si on parle de pyramide, il
faut comprendre une chose: il y a deux compagnies d'impliquées.
M. Lavigne: II y a deux...
M. Lapalme: II y a deux compagnies d'impliquées.
M. Lavigne: Oui.
M. Lapalme: II y a la compagnie qui a le contrat à la
Baie-James, pour retenir votre exemple...
M. Lavigne: D'accord.
M. Lapalme: II y a la compagnie qui soumet à cette
compagnie, parmi beaucoup d'autres, des tarifs pour transporter et qui,
éventuellement, est adjugée. Cette deuxième compagnie,
celui que vous nommez le camionneur ou le transporteur, c'est une compagnie
qui, elle, peut se permettre d'avoir des aides, d'avoir un deuxième
chauffeur pour, comme vous dites, compléter les dix autres ou douze
heures de conduite. Il faut bien comprendre qu'il y a deux compagnies
d'impliquées parce que ces gens sont incorporés et ont un permis
en conséquence. On ne parle pas d'individus, de salariés au titre
d'employés. On parle de deux compagnies...
M. Alary: ...deux entreprises.
M. Lapalme: ...deux entreprises qui ont
un contrat ensemble. Éventuellement, la compagnie première
peut avoir plusieurs employés, comme la compagnie deuxième peut
en avoir d'autres aussi, selon le cas, mais avec un ensemble de grandeurs
différentes. C'est ce qu'on appelle un camionneur autonome, mais qui
peut avoir un deuxième chauffeur pour l'aider ou qui peut avoir un aide
rendu à destination. Il faut faire attention.
M. Alary: Cela devient vraiment une entreprise, la
deuxième. La seule différence, c'est peut-être que, lorsque
cette entreprise est incorporée, elle a toute son entité au
niveau de la santé et de la sécurité, la commission de
santé. Lorsqu'elle n'est pas incorporée, lorsqu'elle appartient
à un individu, elle est considérée comme un travailleur
sous sa responsabilité. Ce sont les deux mêmes personnes. Elle a
obtenu un permis pour effectuer du transport. Elle peut s'adjoindre des aides
et c'est vraiment l'entreprise. Le lien entre la plus grande compagnie et cette
deuxième entreprise n'est jamais un lien d'employeur-employé,
c'est un lien de personne qui donne un sous-contrat à une entreprise
pour être exécuté.
M. Lavigne: II n'y a pas de rapport entre la grande compagnie et
le propriétaire du camion. Ce n'est pas là que
s'établirait la parité. La parité s'établirait
uniquement entre le propriétaire du camion et l'employé qu'il
pourra engager pour compléter l'horaire de la semaine. C'est uniquement
là.
Je vous remercie de la précision. Cela me vient à
l'idée, en supposant que le propriétaire du camion -
c'était cela mon interrogation - a un accident du travail. Il est
défrayé, au même titre que son employé, par la
CSST.
M. Alary: Je pense que toute entreprise ou tout individu qui se
lance en affaires a le droit d'être protégé ou de ne pas
être protégé. C'est une décision personnelle, cela.
Si j'avais un dépanneur et que je voulais être
protégé en tant que propriétaire, j'irais à la
Commission de la santé et de la sécurité du travail et je
pourrais être protégé, mais j'ai le choix de le faire ou de
ne pas le faire. (16 h 15)
M. Lavigne: D'accord. Je vous remercie.
Le Président (M. Paré): Messieurs les
représentants de l'Association du camionnage du Québec Inc., nous
vous remercions de votre participation à la commission. On a pris bonne
note de vos commentaires.
M. Lapalme: Nous vous remercions.
Le Président (M. Paré): J'invite maintenant le
groupe suivant à prendre place ici à l'avant. Il s'agit des
représentants de Plaidoyer-Victimes.
Bonjour et bienvenue à la commission. J'invite la ou le
représentant à s'identifier et à nous présenter les
personnes qui l'accompagnent avant de faire la présentation du
mémoire.
Plaidoyer-Victimes
M. Harnois (Gaston): Mon nom est
Gaston Harnois. Je suis médecin-psychiatre, directeur
général de l'hôpital Douglas à Montréal et
vice-président de l'association Plaidoyer-Victimes. À ma droite,
Mme Suzanne Cusson, criminologue, et, à sa droite, Mme Nicole Kirouac,
avocate.
Plaidoyer-Victimes est un jeune organisme sur la scène
québécoise. C'est un organisme sans but lucratif et
incorporé selon la troisième partie de la Loi sur les compagnies.
Nous avons comme principal objectif d'éduquer et de sensibiliser les
intervenants, le public et les victimes elles-mêmes aux besoins et aux
ressources disponibles pour les victimes d'actes criminels. L'autre objectif
que nous poursuivons est celui d'exercer des pressions, de développer
des propositions et de faire des commentaires sur la situation actuelle, sur la
protection des victimes d'actes de violence, sur l'indemnisation et le
dédommagement auxquels elles ont droit, sur leurs droits en
général, ainsi que sur les améliorations qu'on peut
apporter à leur sort.
Pour vous donner une idée de ce qu'est ce jeune organisme, nous
avons reçu nos lettres d'incorporation il y a à peine quelques
semaines, même si, déjà, le groupe travaille depuis
à peu près deux ans. Ce sont des bénévoles,
à l'exception d'un membre qui fait fonctionner notre humble
secrétariat. Ce sont des gens qui proviennent d'à peu près
trois groupes de la société. Vous avez des représentants
du réseau public, soit le ministère de la Justice, le
ministère des Affaires sociales, le ministère lui-même, les
centres hospitaliers, le conseil régional, les centres de services
sociaux, le Solliciteur général du Canada, le ministère de
la Justice du Canada, les universités, la Sûreté du
Québec, le service de la police de la Communauté urbaine de
Montréal; au niveau du secteur privé, la Banque de
Montréal, le Mouvement Desjardins font partie du groupe et des
organismes bénévoles, tels des regroupements de victimes,
l'Association canadienne pour la santé mentale et la
Société de criminologie du Québec que vous avez entendue
ce matin et dont nous partageons le point de vue. Il y en a quelques autres qui
ne me viennent pas à l'esprit en ce moment.
Pour donner une idée à la commission de l'envergure du
problème en ce qui a trait aux victimes d'actes de violence,
j'aimerais
vous mentionner quelques statistiques tout à fait conservatrices
ou minimales, si vous voulez, que nous possédons en ce qui a trait au
nombre de personnes victimisées sur les statistiques canadiennes, mais
c'est pour l'année 1983. On est en mesure d'estimer qu'il y a eu, en
1983, 600 familles qui ont perdu un membre de leur famille par assassinat; il y
a eu 2500 familles qui ont perdu un des leurs qui a été
tué par un conducteur en état d'ivresse; il y a eu 20 000
agressions sexuelles graves; il y a 24 000 femmes battues et des 300 000
incidents d'introduction par effraction, on est en mesure d'estimer qu'au moins
20 000 personnes auront à subir des séquelles psychologiques
graves.
M. le Président, notre intervention vise essentiellement à
faire en sorte que le Québec qui, jusqu'à aujourd'hui, faisait
figure de proue dans le traitement qu'il accorde aux victimes d'actes de
violence ne fasse pas marche arrière en diminuant les indemnités
auxquelles ont actuellement droit les victimes d'actes criminels. Il nous a
semblé bon de vous indiquer aussi les répercussions que la loi
actuelle du Québec a sur le plan international. Vous savez sans doute
que les Nations Unies, pour la première fois, vont s'intéresser,
l'an prochain, en 1985, lors de leur septième conférence sur la
prévention du crime et le traitement des délinquants, les Nations
Unies, dis-je, ont accepté de considérer les victimes d'actes
criminels comme étant une des cinq composantes de la conférence.
De ce fait, elles ont demandé à certains groupes de les aider
à préparer l'ordre du jour de cette même
conférence.
Il y aura, à Ottawa, en juillet de cette année, une
conférence préparatoire organisée par les Nations Unies.
Un certain nombre d'entre nous avons eu l'occasion de participer et nous avons
toujours l'occasion de participer aux travaux des Nations Unies qui
préparent cette conférence. Lors de ces travaux
préparatoires, il nous a été donné de faire part
aux membres de la commission des Nations Unies qui étudient cette
question du régime avantageux que le Québec offre aux victimes de
violence. Donc, il nous semblerait pour le moins incongru, si vous voulez,
qu'au moment où d'autres s'apprêtent à copier ce que nous
faisons au Québec nous songions, ici, au Québec, de façon
quelconque à faire marche arrière.
J'aimerais demander à mes collègues de dire quelques mots.
Mme Cusson.
Mme Cusson (Suzanne): Je voudrais d'abord vous dire en quelques
mots qui sont les victimes d'actes criminels qui sont touchées par la
loi sur l'IVAC. En premier lieu, ce qu'il importe de souligner, c'est que ce
sont des gens comme vous et moi, c'est-à-dire que ce n'est pas,
contrairement à ce que certaines personnes pensent, des gens de la
pègre, par exemple, qui essaieraient de s'enrichir aux frais des
contribuables après s'être fait des mauvais coups les uns aux
autres. Contrairement aux autres programmes de réparation de
préjudices qui existent dans notre société, le "no fault"
n'existe pas dans la loi sur l'IVAC, c'est-à-dire que le fait d'avoir
contribué par sa faute lourde à sa propre victimisation exclut
automatiquement une présumée victime des avantages de la loi. Le
simple fait d'appartenir à un milieu criminel, d'avoir des accointances
avec le crime organisé, fait déjà considérer une
prétendue victime comme exclue des avantages de la loi sur l'IVAC Ces
victimes sont aussi toujours des personnes blessées ou des
héritiers, des ayants droit de personnes défuntes. Dans une
étude sur les demandes faites en 1979 et en 1980 à l'IVAC, il y
en avait 12% qui concernaient des victimes qui étaient
décédées. Parmi les autres, il y en avait 40% qui avaient
été hospitalisées. On entend par là des
séjours qui se prolongent à l'hôpital. Donc, avoir
été blessé physiquement ou psychologiquement est une
condition essentielle pour avoir droit à une indemnisation de
l'IVAC.
Il faut aussi souligner que les victimes d'actes criminels sont des gens
qui ont toujours des réactions psychologiques dont l'intensité,
bien entendu, varie. Parmi celles-là, il faut souligner la plus
importante: c'est la peur qui reste toujours présente chez ces gens. La
peur qui est parfois très précise parce que l'agresseur n'est pas
loin et aussi une peur diffuse, généralisée qui
gâche complètement l'existence de ces gens. Il y a aussi le repli
sur soi. Il y a un absurde sentiment de culpabilité, par exemple, de
s'être trouvé sur les lieux où on a été
agressé, de ne pas avoir réussi à résister à
son agresseur. Il y a aussi la haine qui se développe assez
sournoisement chez les gens, qui devient obsédante chez certains, qui
les empêche d'être sereins devant l'existence. Il y a souvent des
dépressions. Il y a un sentiment d'être diminué
personnellement, une sensibilité à fleur de peau. Il y a
l'impression de sombrer dans la folie qui s'y ajoute souvent, l'obsession de la
mort et, avec le temps, la certitude qu'on ne s'en sortira jamais.
Si on combine ces troubles avec la situation des victimes, qui est celle
de l'isolement total, parce que les crimes de violence collectifs sont, somme
toute, très rares, on se trouve à avoir affaire à un
groupe qui est absolument incapable de prendre ses intérêts en
main. Il faudrait que le législateur tienne compte de cela par une
très grande ouverture à leur endroit.
L'actuelle Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels est
une loi qui les traitait bien, qui, même s'ils n'avaient pas fait de
revendications, de pressions, et tout cela, les traitait normalement,
c'est-à-dire
comme les autres groupes de personnes lésées sont
traités.
Maintenant, il y a les amendements du projet de loi 42. Quels sont les
point majeurs de ceux-là? Le plus abasourdissant de cela est, bien
entendu, la réduction à 80% d'à peu près toutes les
catégories de prestations qui étaient versées selon
l'ancienne loi. Pourquoi une coupure à 80%? Pourquoi 80%? Est-ce qu'on a
constaté que les victimes d'acte criminel utilisaient mal ce qu'on leur
versait jusqu'à aujourd'hui? On n'a pas eu du tout d'explications
à cela. On suppose que, s'il y en avait une, ce serait qu'il faut couper
dans les dépenses. Là-dessus, on a l'impression que cela ne
réglera pas beaucoup le problème de budget du ministère de
la Justice. Selon les chiffres tirés des comptes publics du
Québec en 1982, l'IVAC représente 2% du budget du
ministère de la Justice. Ce serait cette année 1,8% et, selon les
prévisions budgétaires pour l'année qui vient, ce serait
1,7%. Ce n'est pas beaucoup. Il nous semble même que c'est
extrêmement peu.
Après tout, pourquoi y a-t-il des ministères de la Justice
dans le monde? Une base de notre droit et des systèmes de justice en
général est - me semble-t-il - la réparation des torts
faits aux personnes. On ne les laisse même pas se faire justice
elles-mêmes. On leur dit: L'État va s'en occuper. On va vous
protéger contre le crime. C'est la raison d'être de nos
systèmes de justice, tout comme l'équité est une des bases
philosophiques du droit. À ce moment-là, comment peut-on
concevoir que ce soit très précisément sous l'instigation
de ce ministère de la Justice que l'équité qui existait
jusqu'à aujourd'hui soit rompue et qu'elle le soit très
précisément aux dépends de la catégorie de victimes
qui relèvent de la compétence du ministère de la Justice?
C'est, nous semble-t-il, tout à fait troublant.
Un autre point majeur de ce que nous proposent les modifications qu'il y
a maintenant, c'est que, pour cette catégorie de victimes, tout à
coup, on va soustraire des prestations qu'on leur accorderait, ce qu'elles
reçoivent, par ailleurs, de la Régie des rentes du Québec.
C'est, bien entendu, dans le cas des gens qui sont
décédés. Pourquoi ces victimes, encore une fois, alors que
pour toutes les autres personnes qui meurent accidentellement on n'a jamais
pensé soustraire de ce que le régime de réparation leur
accordait les prestations en vertu de la Régie des rentes du
Québec?
Il faut aussi souligner qu'il y a des changements intéressants
dans ce qui nous est proposé. Par exemple, maintenant, tous les
résidents québécois seront protégés, qu'ils
soient victimes au Québec ou à l'extérieur du
Québec. Il y a une autre chose qui est assez intéressante -
même si cela a l'air drôle de le dire comme cela - c'est que l'IVAC
ne défraie plus les soins médicaux et hospitaliers, parce qu'ils
le sont déjà ailleurs. Pour le ministère de la Justice, ce
serait une bonne chose. Pour le ministère des Affaires sociales, c'est
une moins bonne chose. Pour les victimes, cela ne change rien. En
général, pour les contribuables, cela nous semble une excellente
chose puisqu'on sait ce que peuvent coûter à la fonction publique
les changements, les transferts d'une poche à l'autre ou d'un
ministère à l'autre. Nous sommes assez heureux de ces
changements.
Il y a d'autres changements qui sont désavantageux pour des
victimes, mais qui pourraient être acceptables dans une situation de
très grande pénurie. Pour que nous les acceptions pour les
victimes d'acte criminel, il faudrait qu'on nous prouve qu'on en est rendu dans
une situation aussi lamentable que celle-là. Or, nous ne
considérons pas qu'on nous a prouvé qu'on en est là, qu'on
en est rendu au point où on doive couper le pain et le beurre des gens
parce que vraiment tout le reste a été coupé. On n'est pas
du tout convaincu de cela. Alors, on ne peut pas accepter qu'il y ait des
délais de carence qui soient imposés dans le versement des
prestations aux victimes d'acte criminel, c'est-à-dire huit jours dans
les cas où les gens travaillaient ou pendant toute une année,
pour les personnes qui n'avaient pas d'emploi. Cette deuxième
période de carence est tout à fait désastreuse pour les
gens qui recevaient des prestations d'assurance-châmage parce que, pour
recevoir ces prestations, il faut être disponible tous les jours pour
travailler et, si on ne signe pas un formulaire qui dit qu'on l'était,
tout nous est retiré. Si on considère les gens qui
reçoivent des prestations d'assurance-chômage comme étant
des gens qui n'avaient pas de revenu d'emploi et qui doivent attendre un an,
ils deviennent automatiquement des prestataires d'aide sociale parce qu'ils ne
sont plus en état de travailler. (16 h 30)
Il y a un autre changement qui nous semble inacceptable et
celui-là n'aurait pratiquement aucune répercussion sur le plan
financier, c'est l'obligation de rapporter à la police le crime qui a
été commis. Cela n'aurait pas de répercussion
financière parce qu'il y a à peine 3% des cas qui ne sont pas
rapportés à la police et, parmi ceux-là, quelles que
soient les décisions prises, ils ne seraient pas plus rapportés
à la police, non pas parce qu'il y a quelque chose de louche, mais parce
que les victimes ne sont pas en état de rapporter le crime à la
police. Elles ont extrêmement peur des représailles de leur
agresseur. Ce serait un peu une double victimisation pour ces personnes parce
qu'elles ne rapporteraient pas les choses à la police. Les crimes qui
coûtent le plus à
l'État sont essentiellement des crimes tellement spectaculaires -
ce sont des meurtres ou des choses semblables - et la police est toujours
informée. On n'économiserait rien là-dessus.
En conclusion, on avait mis sur pied en 1972 un régime qui
permettait aux victimes, non pas de s'enrichir - ce n'est pas que leur
victimisation ne les touche pas - mais d'envisager dans l'avenir une vie qui ne
serait pas radicalement différente de la vie qu'elles menaient avant.
Par exemple, les enfants d'une victime d'incendie criminel pourraient continuer
à poursuivre leurs études parce que la combinaison de
l'indemnisation de l'IVAC et des prestations du régime des rentes du
Québec le leur permettraient. Là-dessus, je voudrais rassurer
l'Assemblée nationale: même en combinant ces deux formes de
prestations il n'y aura jamais une victime d'acte criminel qui va s'enrichir du
fait de sa victimisation.
Je crois maintenant que Mme Nicole Kirouac aurait des remarques à
vous faire.
Mme Kirouac (Nicole): À la suite de l'exposé de nos
deux collègues, le comité Plaidoyer-Victimes aurait eu, en guise
de conclusion, quelques questions finales, des questions concernant le projet
de loi 42, entre autres, concernant l'harmonisation des différents
régimes d'indemnisation par rapport à la dénonciation
obligatoire faite par les victimes en vertu de l'article 311; également,
l'inceste qu'on a peut-être oublié dans l'article 318; le
délai de carence pour les catégories de victimes. Cependant,
à l'heure du dîner, les membres du comité
Plaidoyer-Victimes, qui sont assez nombreux cet après-midi dans la
salle, qui étaient également présents ce matin, en sont
venus à un consensus. Le ministre du Travail nous a rassurés ce
matin, quand il a parlé de modifications ou, du moins, d'une
volonté évidente de modifier certains points qui ont
été soulevés ce matin lors de la rédaction finale.
On lui fera donc confiance; nous sommes rassurés et nous attendons de
voir si ces éléments ont véritablement été
modifiés lors de la rédaction finale.
Cependant, on ajouterait un voeu, un désir. En effet, à
l'heure où les différents groupes et les individus au
Québec commencent à s'intéresser au sort des victimes,
à l'heure où les victimes de violence commencent
elles-mêmes à prendre la parole, à l'heure où,
justement, le gouvernement actuel, le gouvernement du Québec, adopte et
se donne des politiques d'aide à des regroupements de victimes au
Québec - je pense beaucoup, entre autres, aux victimes d'agression
à caractère sexuel et aux femmes victimes de violence - à
l'heure, aussi, où un mouvement international se dessine pour faire
reconnaître par les Nations Unies et pour faire enchâsser dans une
charte des droits de réparation, de protection et de justice aux
victimes, on aurait souhaité, dans le cadre du projet de loi 42, que le
gouvernement fasse un pas de plus en avant et donne une véritable loi
aux victimes en enchâssant à l'intérieur une reconnaissance
des droits de justice, réparation et protection. Cela, sans aucun doute,
changerait, entre autres, à l'intérieur de l'appareil judiciaire
ou d'autres types de ministères ou de services, le statut des victimes.
C'était le souhait que les gens de Plaidoyer-Victimes manifestaient; ils
auraient souhaité le voir en 1984 dans ses ajouts.
Est-ce qu'on peut savoir si l'idée a flotté dans l'air au
ministère, au gouvernement? Et, dans la rédaction finale, si on
ne peut pas retrouver véritablement une loi enchâssant les droits
des victimes, est-ce qu'on pourrait au moins avoir dans un préambule des
énoncés de principes par rapport à ces droits sur les
victimes? Merci.
Le Président (M. Baril, Arthabaska):
Merci pour votre présentation. Je laisse la parole au ministre
pour ses commentaires.
M. Fréchette: Mesdames, M. Harnois. Je prends bonne note
du fait que vous étiez présents ce matin au moment où la
Société de criminologie a présenté son
mémoire avec l'École de criminologie. Je prends également
bonne note que vous nous avez essentiellement dit que les
représentations que nous avons entendues ce matin, vous les faisiez
vôtres, vous y concouriez. Je voudrais simplement vous demander à
mon tour de prendre note ou de prendre acte de ce que j'ai signalé
à nos invités de ce matin par rapport au principe
général de l'harmonisation.
Quand la loi 42 a été déposée, après
que beaucoup de réflexions ont été faites, beaucoup
d'analyses de toute espèce ont été faites. Il était
évident qu'à tout le moins, quant au niveau des principes, ce
qu'il fallait viser à travers les six ou sept régimes
d'indemnisation ou de réparation qui existent au Québec,
c'était de réaliser une harmonisation quant aux principes,
j'entends bien.
Dans le cas très précis de la Loi sur l'indemnisation des
victimes d'actes criminels et de la Loi visant à favoriser le civisme,
cet objectif est également présent quant aux principes mais je
vous signale, sans aucune réserve, qu'au fur et à mesure que nous
procédons à avancer dans nos travaux, au fur et à mesure
que des représentations nous sont soumises par des organismes qui sont
directement intéressés à ce phénomène des
victimes d'actes criminels, nous réalisons bien qu'il y a un certain
nombre de choses qu'il va falloir réaligner, réajuster.
Je vous signale aussi que plusieurs associations syndicales ont
soulevé très
précisément les inquiétudes que vous nous
soumettez; évidemment, et c'est facilement comprenable, avec
peut-être un peu moins d'emphase puisque leur préoccupation
principale va du côté des victimes d'accidents du travail et de
maladies professionnelles, mais plusieurs ont quand même attiré
notre attention là-dessus.
Il devient de plus en plus évident, au fur et à mesure que
nos travaux progressent, qu'il va falloir, comme je le disais il y a un
instant, réajuster un certain nombre de choses. Je ne veux pas
répéter ce que j'ai dit ce matin sauf, peut-être, pour
rappeler que l'harmonisation qui est visée doit par ailleurs tenir
compte de certains phénomènes qui existent par rapport aux
clientèles qui sont différentes et cela rejoint plus
précisément le phénomène de la réadaptation,
par exemple.
Est-ce que les politiques de réadaptation doivent être
harmonisées à tous égards à l'endroit d'une victime
d'acte criminel qui, au moment de la situation qui lui a créé son
préjudice, se trouvait, par exemple, sans emploi, vivait d'aide sociale
ou de n'importe quel autre genre d'allocations mais qui n'était pas sur
le marché du travail? Est-ce qu'en termes d'harmonisation il faut
accepter comme principe que la réadaptation va être la même
pour cette victime que pour la victime d'accident du travail? Si c'est
harmonisé à tous égards, cela voudrait dire que l'on
impose - enfin, impose entre guillemets - à la Commission de la
santé et de la sécurité du travail de procéder
à de la réadaptation physique et sociale ou à de la
réadaptation de toute nature, vers une réintégration au
marché du travail. C'est le genre de choses dont il faut
évidemment tenir compte dans ces procédures d'harmonisation.
En termes strictement économiques, je vous réitère
ce que j'ai dit ce matin, et à partir de l'observation faite par le
secrétaire général de la Société de
criminologie. Il nous disait que son organisme, en tout cas, serait satisfait
que l'harmonisation qui existe actuellement dans la Loi sur les accidents du
travail telle qu'on la connaît soit reconduite avec les modalités
que l'on retrouve dans la loi 42; en d'autres mots, du moins en termes
d'indemnisation, qu'une victime d'acte criminel soit traitée exactement
sur le même pied qu'une victime d'accident du travail.
Sans entrer dans les détails, je vous réitère que
la réflexion a déjà fait un bon bout à cet
égard. Je pense pouvoir, dans les jours qui viennent, annoncer une
décision ferme du gouvernement quant à la nécessité
de procéder à des rajustements. Et je vous signale qu'on a
là un exemple fort intéressant de la nécessité de
tenir des auditions publiques avant de procéder à l'adoption de
lois, qu'elles soient cadres ou autres, la nécessité de tenir des
auditions publiques et de procéder à obtenir les observations ou
les évaluations de ceux et celles qui vivent avec l'application de ces
lois. On est plus souvent qu'autrement en dehors du terrain et on ne sait pas
toujours ce que donne l'application pratique d'une loi dont on a
participé à la préparation et à l'adoption. Ce sont
des gens qui ont cette expertise quotidienne qui peuvent, de façon
précise, nous faire voir quelles peuvent être les lacunes.
Il y a seulement un aspect de la question dont nous discutons sur lequel
j'apprécierais qu'on puisse élaborer un peu plus, c'est cette
nouvelle disposition que l'on retrouve dans le projet de loi 42 - et là,
je ne suis pas en train de vous dire quel sort lui est réservé -
relative à la dénonciation obligatoire. Il y a un très
petit nombre de victimes qui ne font pas déjà la démarche
dont on parle. On a abordé rapidement ce matin la question des motifs
pour lesquels cela pouvait être là. Ce n'est pas limitatif, mais
les uns et les autres y sont allés de leur appréciation.
Après y avoir repensé ou réfléchi à nouveau,
je me demandais s'il n'y avait pas lieu d'envisager la question sous un autre
angle et je suis certain que vous avez déjà
réfléchi à cela. Est-ce que cela ne pourrait pas aussi
être, pour une victime d'acte criminel, une sécurité
additionnelle que de se présenter, je ne sais pas, à un officier
de police en autorité, pour procéder à cette
dénonciation? C'est dans le sens suivant: Si, à un moment
donné, l'agresseur se retrouve devant les tribunaux, plaide coupable ou
est trouvé coupable à la suite d'un procès et que la
personne en autorité à qui la dénonciation serait faite a
été en contact immédiat avec la victime dans les heures
qui ont suivi l'agression, est-ce que cet officier, quel qu'il soit, ne devient
pas, pour les fins de la preuve devant les tribunaux, un témoin qui
pourrait être intéressant?
Je pense, par exemple, à une victime de viol - je comprends, par
ailleurs, tous les phénomènes dont vous nous avez parlé
tout à l'heure, par exemple, la crainte, dont on a parlé
très souvent - qui se présenterait chez un officier en
autorité, pour laquelle l'officier en question pourrait déceler,
au simple contact visuel de la personne qui est devant lui, qu'elle est dans
une situation absolument désespérée de stress, de choc:
des vêtements brisés, des blessures corporelles. Dans ces
conditions-là, est-ce que cette personne ne peut pas devenir un
auxiliaire intéressant, d'abord pour essayer de procéder à
ce que justice soit faite, en termes strictement légaux, pour que les
tribunaux fassent leur travail? (16 h 45)
Deuxièmement, pour les fins du dossier de l'indemnisation et des
autres phénomènes de réparation, cet officier serait
peut-être
en mesure de donner des renseignements qu'autrement les gens ne
pourraient pas obtenir. Je pense que vous voyez dans quelle optique j'ai
à nouveau réfléchi à la question dont on a
parlé ce matin. Je me demande si je suis tout à fait farfelu en
évaluant cela comme cela ou si c'est une chose qu'il est raisonnable de
discuter.
M. Harnois: Mes deux collègues ont une bonne expertise
là-dedans. Mme Cusson.
Mme Cusson: C'est tout à fait raisonnable de dire ce que
vous dites et tout est beaucoup plus simple, évidemment, quand la
personne se précipite au poste de police pour la preuve, pour
l'efficacité devant les tribunaux et même pour l'IVAC parce que,
lorsqu'on reçoit le rapport des policiers qui a été pris
sur le vif, c'est entendu qu'on ne cherche pas de midi à quatorze heures
pour savoir si ce que la victime nous raconte est vrai. C'est tout à
fait idéal, ce que vous dites, mais il faut penser aux victimes qui ne
peuvent pas le faire.
Prenons un exemple concret, la femme battue, les chicanes domestiques.
C'est bien connu que les policiers n'osent pas poursuivre dans ces
conditions-là. On entend la plainte, on l'enregistre à peine. En
général, disons que les femmes n'ont pas envie de le faire et, au
niveau de l'IVAC, cela peut amener des complications, bien entendu. Il faut
dire au départ que l'IVAC est très mal connue de la population.
À ce moment-là, une victime qui n'a pas confiance et qui a peur
des policiers ne va pas les rencontrer et, huit mois après, elle apprend
l'existence de l'IVAC. Cela fait longtemps qu'elle est troublée, elle ne
peut plus travailler, elle pourrait profiter de l'IVAC. Elle apprend que cela
existe et qu'elle a un an pour faire sa demande à l'IVAC. Maintenant,
elle voit une raison. D'abord, elle peut parler à quelqu'un de l'IVAC et
elle ne se serait jamais précipitée au bureau de l'IVAC, non
plus, au moment où c'est arrivé. C'est inimaginable que quelqu'un
n'aille pas dénoncer aux policiers mais parte tout de suite et aille
dénoncer cela au bureau de l'IVAC. Il s'agit de gens qui ne sont pas en
état de faire ces démarches-là. Tout ça, pour ne
pas que des gens, qui apprennent un jour que l'IVAC existe, soient
pénalisés parce qu'ils ne se sont pas précipités au
poste de police au début.
Mme Kirouac: Je compléterai peut-être, travaillant
quotidiennement depuis plusieurs années auprès de femmes victimes
de violence et de viol. Il y a justement une catégorie de femmes, pour
celles victimes de violence, qui ne vont pas au bureau de l'IVAC, pas parce
qu'elles ne le connaissent pas et ne savent pas que cela existe, mais le
pourquoi serait très long à expliquer. C'est peut-être
à cause de tout le support ou des traumatismes qu'elles ont souvent
dû subir ou affronter depuis la première plainte ou
dénonciation aux policiers, depuis, d'abord, le fait de devoir quitter
rapidement la maison, depuis tous les traumatismes qu'elles doivent vivre
après le moment où elles décident de quitter, l'appareil
judiciaire, etc. C'est comme trop demander à ce type de victimes, de
devoir passer par un autre stade.
Si on nous assure, à la suggestion qu'on vient d'entendre et que
je trouve intéressante dans la mesure où on ne lui donne plus
tout le fardeau et on lui donne un soutien face à cela... Je pense que
les victimes, même celles qui sont extrêmement traumatisées,
peuvent endosser cela, à ce moment-là, mais en les soulageant et
en leur apportant un soutien et une aide face à un article comme
celui-là.
Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le
député de Viau.
M. Cusano: Merci, M. le Président. Mesdames et messieurs,
je vous remercie de votre présence. Je n'ai pas de questions à
poser, seulement quelques commentaires pour dire qu'on a souvent entendu, soit
le président-directeur général de la CSST, l'honorable
juge Sauvé, soit le ministre - et ce, avant le dépôt du
projet de loi - dire qu'un éventuel projet de loi aurait pour effet
l'harmonisation du régime qu'il instaurerait avec d'autres
régimes déjà en place au Québec. Je ne les ai pas
personnellement entendus parler de modifications au régime
d'indemnisation prévu dans la Loi sur l'indemnisation des victimes
d'actes criminels ou la Loi visant à favoriser le civisme. Je dois
ajouter qu'en ce qui me concerne je trouve cela totalement inacceptable et, en
apportant des changements par le biais de ce projet de loi 42, Loi sur les
accidents du travail et les maladies professionnelles, c'est un peu passer par
la porte d'en arrière. Je trouve cela totalement inacceptable.
D'autre part, je suis heureux que le ministre ait dit, tout à
l'heure, qu'il va essayer d'harmoniser tout cela. J'ai bien hâte de voir
comment il va le faire. J'aimerais bien qu'à un certain moment le
ministre réponde à la question que vous posez dans votre
mémoire et que d'autres ont posée, à savoir: Qui a-t-on
vraiment consulté lorsqu'on a décidé d'inscrire ces
modifications dans le projet de loi? J'ai plutôt l'impression que c'est
la CSST qui s'est consultée en se regardant dans le miroir et qu'il n'y
a pas eu consultation ailleurs.
Je tiens à vous assurer, au nom des collègues de ma
formation politique, que nous tenterons, dans toute la rigueur possible,
d'empêcher que ces deux projets de loi précis soient
amendés sans qu'il y ait une consultation très large des
personnes
impliquées et des porte-parole du milieu, après vous avoir
entendus, dans le sens que la loi régissant l'IVAC est très peu
connue et qu'il y a très peu de gens qui viennent vous voir.
Ce sont les commentaires que je voulais faire et je vous remercie des
explications, en espérant que nous aurons l'occasion de nous rencontrer
plus tard pour en discuter un peu plus à fond et non pour essayer de
discuter d'un sujet qui est assez intéressant dans le cadre d'un autre
projet de loi. Merci.
Le Président (M. Baril, Arthabaska):
Merci, M. le député. Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. J'aimerais revenir sur
votre recommandation d'ajouter l'inceste à la liste des crimes. On en a
un peu parlé ce matin. Ce n'était pas dans la loi
antérieure. Je ne pense pas que l'IVAC couvre, même
présentement, les cas d'inceste. Est-ce que je me trompe?
Mme Cusson: C'est exact. Elle ne les couvre pas
présentement.
Mme Harel: C'est bien le cas. J'imagine que c'est peut-être
lié à l'évolution de l'opinion publique à
l'égard de l'inceste qui était, jusqu'à récemment,
considéré quasi comme un problème familial privé et
qui, maintenant, de plus en plus, est considéré comme un crime
à la personne, donc susceptible de poursuite.
Je veux vous demander ce que, à votre point de vue, cela
ajouterait si c'était introduit dans la liste des crimes. Il s'agit de
personnes mineures. On parle donc essentiellement de personnes mineures qui
sont à la charge de leurs parents ou qui sont couvertes par d'autres
lois. Je pense à la Loi sur la protection de la jeunesse, mais je pense
aussi au mandat plus large des services sociaux. Dans quel sens pourrait-il y
avoir réclamation auprès de l'IVAC de la part de ces personnes
mineures?
Mme Cusson: Ce n'est pas surtout la question financière
qui entre en ligne de compte. C'est beaucoup plus la réadaptation. Dans
la mesure où ces enfants vont continuer à habiter chez leurs
parents ou, disons, avec leur père, dans le cas de l'inceste
fille-père, la famille ne sera pas admissible aux indemnités de
l'IVAC, parce qu'un agresseur ne peut pas profiter de ce qui est versé.
Par contre, cet enfant a très souvent besoin de traitements au plan
psychologique et l'IVAC pourrait payer pour ce traitement.
Mme Harel: Mais ce traitement est déjà offert dans
le cadre des services sociaux.
Mme Cusson: C'est beaucoup plus difficile de l'obtenir lorsque
les parents ont à aller chercher l'enfant. Si le service de
réadaptation sociale de la CSST s'en occupe, il connaît des gens
dans le milieu capables de traiter ce genre de traumatisme causé par des
gestes de violence. Pour un enfant et ses parents - cela se passe parfois dans
des milieux très reculés, dans des endroits où c'est
très difficile d'obtenir ces services -l'IVAC pourrait orienter des
personnes et payer, mais à ce moment-là, il faudrait que ce soit
reconnu comme un crime qui peut être indemnisé par l'IVAC.
Mme Harel: Mais le service d'aide ou de réconfort, le
service psychosocial est déjà offert dans le cadre d'un service
public.
Mme Cusson: C'est difficile. On a des services de psychiatres.
Dans le domaine psychologique, on peut avoir les services d'un psychiatre, si
on en trouve un, qui seront gratuits, mais les services d'un psychologue, on
doit les payer, toutes ces choses doivent être payées.
Mme Harel: Oui, mais c'est déjà offert dans le
cadre du mandat général des services sociaux. Les centres de
services sociaux ont déjà ce mandat et je pense qu'ils ont
déjà, même, une pratique psychosociale pour ces
victimes.
Mme Cusson: Pensez-vous que la mère d'un enfant qui est
victime d'inceste puisse partir avec sa fille et l'amener au CSS? C'est
à peu près impensable. Ce sont des choses qui n'existent pas dans
la réalité. Une fois que les choses sont rendues devant l'IVAC,
celle-ci va proposer à la mère de faire cela. La situation de la
mère est souvent compliquée. Elle est aux prises avec son mari,
son enfant et tout cela. Une instance comme l'IVAC, bien sûr, ne forcera
rien dans ce domaine. On ne force rien. Elle va aider, proposer,
suggérer, parce qu'elle a un souci de la réadaptation de cette
victime, de cette enfant.
Mme Harel: Je comprends parfaitement votre point de vue de faire
ajouter à la liste des crimes l'inceste. Je pense qu'il faudrait quand
même une très grande harmonisation dans les services offerts,
parce que, si on reprend votre exemple, la mère qui aurait de la
difficulté à conduire sa fille dans un centre de services sociaux
pourrait avoir la même difficulté à la conduire à
l'IVAC.
Mme Cusson: Oui, mais cela pourrait être une autre
personne. Amener la chose devant l'IVAC, c'est peut-être moins difficile
que de trouver le service et le psychiatre.
Mme Harel: L'important du moins - en tout cas, on peut en
conclure cela - c'est que la meilleure qualité de services soit offerte
assez rapidement et dans les meilleurs délais.
Lorsque vous parliez du cumul de l'allocation de la Régie des
rentes et de l'IVAC, en parliez-vous pour les moins de 60 ans ou de 65 ans? En
parliez-vous simplement pour les retraités ou préretraités
en faisant référence à l'aspect d'invalidité
résultant d'un acte criminel?
Mme Cusson: Non, les familles des victimes d'actes criminels
décédées. Par exemple, les familles des mineurs de
Chapais. Lors de cet incendie criminel, les familles avait droit à
l'IVAC et aussi au régime des rentes. Lorsque le père
était décédé, le reste de la famille recevait les
rentes. Parce que le travailleur a contribué au régime de rentes
du Québec toute sa vie, sa famille reçoit cela et aussi l'IVAC,
mais dans le projet de loi, l'IVAC dit: On te donne tel montant, mais on
enlève de cela ce que tu recevras du régime de rentes. Personne
d'autre n'a pensé de faire cela, dans ces projets, pour l'IVAC. Ce sont
des choses qui n'ont pas tellement à voir entre elles et on ne voit pas
pourquoi l'IVAC dirait: Comme le gars a contribué au régime de
rentes pendant sa vie, que sa famille va recevoir tel montant, nous lui donnons
cela, mais on ne lui en donne pas plus à cause de ce qu'elle recevra par
ailleurs. Cela ne se fait dans aucun autre régime. C'est pour les
dépendants des victimes qui sont décédées.
Mme Harel: Parlez-vous pour les ayants droit, les
dépendants et, éventuellement, pour les victimes
elles-mêmes qui pourraient obtenir une rente d'invalidité?
Mme Cusson: Je ne le sais pas, je n'ai pas étudié
ce cas.
Mme Harel: D'accord. Merci. (17 heures)
M. Harnois: Un commentaire, madame. Ce que vous souleviez tout
à l'heure en réponse à Mme Cusson nous laisse entrevoir
que, dans le réseau des affaires sociales, la prise en charge des
victimes de violence, c'est quand même quelque chose qui ne se fait pas
facilement. Comme directeur d'un hôpital psychiatrique - on pourrait
s'attendre que cela se fasse assez facilement chez nous - je peux vous dire que
cela dérange toujours un peu et qu'il semblerait que cela passe à
côté de l'expertise de beaucoup de monde, de sorte qu'on peut
facilement s'imaginer que... Un cas d'inceste, par exemple, cela va un peu
mieux, on est un peu plus à l'aise, dans le milieu psychiatrique, du
moins; mais les victimes de violence, d'actes criminels, lorsque cela se
présente un peu partout dans le réseau, cela va assez bien
lorsqu'il y a des jambes cassées, mais lorsque cela commence à
fonctionner moins bien au niveau psychologique, c'est là que les
difficultés sont plus grandes et un peu plus difficiles de prise en
charge.
Mme Cusson: J'aimerais répondre, si c'était
possible, à l'interrogation de M. le ministre, tout à l'heure,
concernant la réadaptation sociale. Selon le principe de
l'harmonisation, il disait: Pour la réadaptation, cela semblerait
curieux qu'on remette dans un état d'un travailleur habile une personne
qui est un bénéficiaire de l'aide sociale. Je comprends
très bien. Quand on parle d'harmonisation, c'est mutatis mutandis et je
crois que le critère est assez facile à trouver, c'est
l'état antérieur de la personne. Une fois qu'on définit
cela comme cela, c'est assez clair, il me semble, ce qu'on peut faire.
M. Fréchette: Vous n'avez pas compris que j'entreprenais
de nier la nécessité de la réadaptation pour une victime
d'acte criminel qui n'avait pas d'emploi au moment où il a
été la victime. Je n'ai peut-être pas été
suffisamment clair, mais essentiellement, ce que je voulais dire, c'est que la
réadaptation ne peut pas être de même nature et ne peut pas
être faite de la même façon. C'était strictement dans
ce sens que mon observation était faite.
M. le Président, je n'avais pas l'intention d'intervenir
davantage. Cependant, je voudrais simplement remettre un certain nombre de
choses dans leur vrai contexte. Mon collègue, le député de
Viau, qui a bien fait son travail jusqu'à maintenant à
l'intérieur de cette commission a sans doute tout à l'heure
échappé quelque chose qui a dépassé sa
pensée. Je ne peux assurément pas laisser passer cette
observation sans au moins faire un commentaire. Le député de Viau
a dit que, pour arriver à inscrire dans la loi 42 les dispositions qu'on
y trouve par rapport à l'indemnisation des victimes d'actes criminels,
la CSST s'était sans doute regardée dans le miroir et qu'à
partir de l'image qui était perçue elle avait
décidé un bon matin d'introduire dans la loi ces
dispositions.
Au mois de décembre dernier, nous avons, pendant cinq jours,
assisté à une commission parlementaire à
l'intérieur de laquelle ceux et celles qui l'ont voulu sont venus faire
leurs doléances à la Commission de la santé et de la
sécurité du travail, sont venus lui dire expressément
quels étaient les reproches qu'ils avaient à faire quant au
fonctionnement et à l'administration de la commission.
Nous sommes actuellement en commission depuis neuf jours - nous
compléterons demain une dixième journée -
pendant lesquels, aussi, il y a eu des observations qui ont
été faites à l'égard de la Commission de la
santé et de la sécurité du travail qui étaient sans
doute bien fondées, qui avaient leur raison d'être là et
qu'on devait nous dire. C'est d'ailleurs à partir d'observations de ce
genre que des changements ou des amendements vont être apportés
à la loi 42. Quand on dit que la décision de préparer et
de déposer un projet de loi avec le contenu qu'on lui connaît et
qui est en relation avec l'IVAC, que cette décision a été
prise par la Commission de la santé et de la sécurité du
travail, je voudrais que l'on sache très expressément que la
Commission de la santé et de la sécurité du travail n'est
pas, dans ce cas-ci, l'organisme qui a pris cette décision. Je
rappellerai, pour les fins du dossier, M. le Président, que la
Commission de la santé et de la sécurité du travail a
été chargée par le législateur d'administrer le
régime de l'indemnisation des victimes d'actes criminels et le
régime de la loi sur le civisme. Ce n'est donc pas elle qui a pris ces
décisions auxquelles le député de Viau vient de faire
référence. Non seulement la CSST n'a-t-elle pas pris cette
décision, mais je suis en mesure de vous dire, M. le Président,
depuis le temps que je travaille à la préparation du projet de
loi, que ce sont les officiers, les gens qui ont travaillé au projet de
loi qui ont été les premiers à nous alerter sur les
dispositions qu'on y retrouvait. Je veux bien que l'on fasse des procès
sur la place publique, qu'on tente d'avoir des têtes, mais qu'on soit au
moins objectif par rapport à des situations qui sont pourtant fort
claires.
Cela dit - et cela va peut-être dans la même direction, dans
le même sens - je voudrais pour un instant revenir sur la question de la
dénonciation obligatoire. J'ai été impressionné ce
matin par l'observation faite par le secrétaire de la
Société de criminologie quand il nous a dit que, de toute
manière, la disposition qu'on retrouvait quant à la
dénonciation obligatoire ne contribuait en aucune espèce de
façon à améliorer l'ensemble du régime et que, bien
au contraire, il avait l'impression très nette, à partir de
l'expérience qu'il a - et à partir de l'expérience que
vous avez sans doute, vous pourrez confirmer ou infirmer cette impression - que
cela ne pouvait que minimiser les aspects intéressants de l'ensemble de
la loi. Alors, si c'est vraiment la dernière conclusion à
laquelle il faut arriver, je vous dirai qu'à cet égard
également nous prendrons très certainement, de ce
côté-ci de la commission, les dispositions qui s'imposent pour
ajouter à nos représentations, quant à l'aspect
économique que vous avez soulevé, les argumentations que vous
nous avez soumises quant à l'opportunité ou enfin,
peut-être, la nécessité d'amender ou d'abroger cette
disposition nouvelle qu'on retrouve dans la loi.
Le Président (M. Baril, Arthabaska): M. le
député de Viau.
M. Cusano: Je ferai un seul commentaire à la suite des
remarques du ministre, parce que je ne veux pas retarder nos invités. Je
sais fort bien que la CSST administre les lois en question. La raison pour
laquelle j'ai fait les déclarations que je maintiens, c'est que, depuis
ce matin, et même depuis presque le début de nos travaux on a
demandé, en ce qui concerne les deux lois, qu'elles soient
discutées séparément. Ce matin, nous avons demandé
la présence du ministre de la Justice et l'ordre de convocation a
été envoyé depuis longtemps. Et, même si le ministre
de la Justice voyage quelque part, je pense qu'il aurait dû être
ici pour nous expliquer sa position en tant que ministre de la Justice,
à l'égard de ces deux lois. Merci.
Le Président (M. Baril, Arthabaska): Cela dit, je remercie
les représentants du groupe Plaidoyer-Victimes d'être venus nous
présenter leur mémoire et j'inviterais les représentants
de la Clinique juridique de Hull à venir nous présenter le
leur.
Clinique juridique de Hull
M. Ménard (Louis): M. le Président, M. le ministre,
Mme la députée, MM. les députés, j'aimerais
souligner au départ, en cette journée du 8 mars, l'absence de la
directrice qui est retenue dans l'Outaouais québécois pour les
activités que vous savez.
Je me présente; je suis Louis Ménard de la Clinique
juridique de Hull où je travaille comme avocat. À ma gauche, M.
Yvon Gauthier, membre du conseil d'administration de cette clinique et qui est
aussi président du Syndicat des ouvriers salariés de E.B.
Eddy.
Ce qu'on va tenter de vous présenter et qui a été
fait en quinze pages, avec quelques coquilles dont on s'excuse et qu'on va
corriger, c'est un peu le reflet du travail, de nos expériences, comme,
tantôt, quelqu'un parmi le groupe l'a souligné, le travail sur le
terrain. Ce sont nos observations tout simplement qu'on va émettre.
Instituée depuis 1973 en vertu de la Loi sur l'aide juridique, la
Clinique juridique de Hull qui rejoint l'ensemble de l'Outaouais, la
région administrative no 7, tient lieu de contentieux juridique,
principalement aux services des petits salariés, des chômeurs, des
assistés sociaux et des accidentés du travail.
Depuis plus de dix ans, la Clinique juridique de Hull, en vertu de son
mandat constitutif, informe sur leurs droits et représente auprès
des instances
administratives et tribunaux judiciaires et quasi-judiciaires, les
intérêts des hommes et des femmes ayant été victimes
d'accidents du travail ou d'une maladie professionnelle.
Il est à noter que cette responsabilité, visant à
informer et représenter les citoyens et citoyennes en matière
d'accidents du travail, ne se limite pas uniquement à l'application de
la Loi sur les accidents du travail du Québec ainsi qu'à nos
relations avec la CSST. La réalité géographique de
l'Outaouais fait que nous devons aussi prendre en considération la
"Worker's Compensation Act of Ontario", étant donné que bon
nombre de Québécois et Québécoises résidant
au Québec mais travaillant du côté ontarien et qui sont
victimes d'un accident du travail devront être représentés
auprès des instances de révision et d'appel créées
en vertu de la loi ontarienne.
C'est donc consciente de ses limites et, bien sûr, des limites ou
des manques à la Loi sur les accidents du travail et ce, sans oublier
les pouvoirs attribués à l'énorme appareil bureaucratique
infligeant plus d'une tracasserie administrative à l'endroit non
seulement des citoyennes et des citoyens victimes d'un accident, mais aussi
à l'égard de leur médecin traitant, que la Clinique
juridique de Hull décidait, conjointement avec le concours d'organismes
tels que le diocèse de Hull-Gatineau et de la Saint-Vincent-de-Paul, de
créer un fonds de dépannage pouvant, dans des situations
d'urgence, venir en aide aux familles dont le gagne-pain se voyait
refusé ou coupé des prestations d'indemnités. Ainsi, par
exemple, avant d'avoir un nouveau rapport médical démontrant
l'incapacité de travailler et ce, sans être vraiment sûr
qu'il sera accepté, il fallait, dans certains cas, répondre
à des besoins aussi élémentaires que ceux de la nourriture
et du logement.
Je tiens à souligner, après sept ans de travail dans cette
boîte qui est la Clinique juridique de Hull, que ces situations se sont
produites plus d'une fois, c'est-à-dire des besoins urgents de
nourriture, de paiement pour logements, et qu'on a utilisé cette caisse
de premier secours indépendamment de l'aide sociale qui existe aussi
comme politique ou comme organisme de premier secours.
Deuxièmement, nous avons contribué, avec la participation
de travailleuses et de travailleurs, à la mise sur pied d'un
comité de travailleurs accidentés qui est actif depuis 1977. Il
est à remarquer que ce regroupement, qui sert à promouvoir les
intérêts et les droits des victimes d'accidents du travail
auprès des instances administratives et politiques, représente
aussi un lieu d'échanges et de solidarité important pour des
hommes ou des femmes qui sont brutalement écartés de leur milieu
de travail à la suite d'un tel accident.
C'est donc en nous appuyant sur une expérience pratique qui
repose, entre autres, sur le traitement de 324 dossiers assujettis à la
Loi sur les accidents du travail que nous désirons exposer devant cette
commission parlementaire nos observations relativement au projet de loi 42 qui
propose l'instauration d'un nouveau régime de réparation des
lésions professionnelles.
Tout d'abord, nous aimerions signaler à l'appui de cette
expérience deux observations qui nous apparaissent fort
inquiétantes et qui méritent que la présente commission y
porte une attention rigoureuse tout au cours de sa réflexion sur le
projet de loi.
Comme première observation: Même s'il s'agit d'un secret de
polichinelle, nous devons signaler à cette commission que, dans le
traitement des dossiers, nous avons dénoté chez l'ensemble des
justiciables, accidentés du travail, une forte agressivité ainsi
qu'une méfiance profonde vis-à-vis de l'organisme chargé
d'administrer et d'appliquer la Loi sur les accidents du travail, soit la
Commission de la santé et de la sécurité du travail. Fait
à remarquer, cette agressivité jumelée à la
méfiance ne se sont pas réduites pour autant même
après les modifications à la Loi sur les accidents du travail
apportées en 1978 par le projet de loi 114. En réalité,
seule la modification de 1977, issue du projet de loi 5, confiant à un
tribunal administratif indépendant, la Commission des affaires sociales,
une juridiction partielle afin de réviser en appel les décisions
du bureau de révision de la CSST a connu des effets positifs, non
seulement auprès des justiciables, mais aussi auprès des
professionnels intéressés, tels qu'avocats et médecins
traitants.
Ces symptômes inquiétants d'agressivité et de
profonde méfiance nous semblent à l'heure actuelle sans
égal à l'endroit d'un organisme détenteur, entre autres,
d'une mission et d'une responsabilité sociale vis-à-vis de la
population active du Québec. À ce chapitre, nous invitons les
députés de la présente commission à vérifier
eux-mêmes la teneur de ces symptômes en rencontrant dans leur
circonscription respective les victimes d'accidents du travail aux prises avec
la CSST. (17 h 15)
II demeure évident que ces symptômes ne sont pas le
résultat du hasard et qu'il est possible d'en identifier certaines
causes. Entre autres, signalons les pouvoirs discrétionnaires et
arbitraires de la CSST d'émettre des directives, des politiques qui,
tout en touchant de près les justiciables, échappent au pouvoir
de révision et de surveillance d'un tribunal indépendant. Je
ferai simplement remarquer la chose suivante à cet effet, à
savoir qu'en soulignant le caractère ou le fait qu'un organisme tel que
la CSST puisse émettre des politiques et des
directives pour l'ensemble de ce type d'entreprise, pour des fins de
cohésion, d'efficacité et d'efficience, étant donné
les exigences de gestion, ce n'est pas là que le problème se
pose, mais bien l'incapacité par rapport à l'ensemble des
décisions, ou des politiques, ou des directives qui ne peuvent faire
l'objet d'appel ou d'être vérifiées par un organisme ou un
tribunal indépendant. À mon avis, c'est là que se pose le
véritable problème, quand on parle, entre autres, d'un appareil
bureaucratique par rapport aux justiciables du Québec. Alors, face
à cette inquiétude que nous avons décrite, nous estimons
que la commission parlementaire se doit, dans la recherche de l'instauration
d'un nouveau régime de réparation des lésions
professionnelles, de tendre vers ce que nous pourrons appeler une normalisation
des rapports entre l'organisme mandaté pour administrer et appliquer la
loi et les justiciables.
Il est temps, à notre avis, que des mesures législatives
concrètes soient adoptées afin de véritablement
réduire ce climat d'agressivité démesurée et de
forte méfiance qui risque tout simplement de s'étendre à
d'autres institutions du Québec. Il est temps aussi de se demander quel
type de Québécois ou de Québécoises ou de citoyens
ou de citoyennes on prépare pour l'avenir par rapport à leurs
expériences face à la Commission de la santé et de la
sécurité du travail. C'est un peu dans ce style qu'on fait cette
remarque.
Une deuxième observation est certes une des plus tragiques,
l'appauvrissement graduel des accidentés du travail. Parmi les dossiers
traités, soit 324, par la Clinique juridique de Hull, nous avons
identifié plus de 70 cas d'accidentés qui, en l'espace de trois
à cinq ans, ont systématiquement subi une dégradation
socio-économique, soit atteinte des conditions
irrécupérables d'appauvrissement.
Alors, comment s'opère ce processus d'appauvrissement d'un
travailleur accidenté ou d'une travailleuse accidentée? En
réalité, le salarié manuel, le salarié non
spécialisé ou le petit salarié parmi les plus
démunis, victime d'un accident du travail perd rapidement sa
capacité physique ou mentale de travail et, par conséquent, son
revenu. Dès lors, l'appauvrissement graduel de ce salarié devient
réalité. Quand un salarié, qui ne possède que sa
force de travail pour gagner sa vie, voit sa capacité physique
brusquement diminuée ou sa santé graduellement se
détériorer, le pas à franchir avant d'être
chômeur et assisté social est bien plus mince qu'on le pense, avec
toutes les conséquences économiques et sociales que l'on sait,
soit perte de maison, dépression, etc.
Il mérite de faire remarquer, de plus, le lien qui existe entre
des conditions de travail propices aux accidents du travail et maladies
professionnelles, d'une part, et le glissement vers le monde du chômage
et l'assitance sociale, d'autre part. Cette remarque que nous faisons, nous
l'avons aussi puisée dans une étude du CSSMM, de Astrid Lefebvre,
qui soulignait cela ainsi: "Les conditions de travail, selon leur nature et
leur intensité, sont susceptibles de provoquer un vieillissement rapide
du travailleur, de porter atteinte à sa santé, d'user
démesurément sa capacité et, par le fait même, le
rendre tranquillement inapte au travail."
Alors, des salariés semi-spécialisés ou non
spécialisés, peu ou pas scolarisés, assez souvent non
syndiqués, se retrouvent, à la suite d'un accident du travail,
victimes d'un handicap, isolés, incapables de travailler ou de trouver
du travail et, donc, aussi aux prises avec une dégradation
socio-économique. Leur seule valeur marchande, leur force de travail,
ayant été dépréciée, ils ne
représentent aucune rentabilité pour les employeurs et doivent,
après avoir été coupés de leurs prestations de la
CSST, se rabattre sur des prestations d'autres régimes sociaux. Cette
remarque nous vient surtout des usines qui environnent, en fait, notre
établissement, la clinique juridique, avec lesquelles nous avons
passablement de relations, des usines telles que E.B. Eddy, CIP, MacLaren
à Buckingham et Masonite. Lorsqu'une personne n'est plus capable de
faire ce type de travail, cette personne qui a besoin de sa force de travail se
voit -c'est le constat qu'on a fait - entre trois et cinq ans subir une
dégradation socio-économique et arriver à un état
véritablement d'appauvrissement.
Or, un autre aspect tragique. Certains salariés
découragés, poussés par les mesures de la CSST ou tentant
de mettre un terme à ce processus de dégradation, reprennent,
contrairement à l'avis de leur médecin, un travail trop difficile
et ce, au détriment de ce qui leur reste de santé. Nous avons
remarqué que ces tentatives de retour au travail n'ont pour effet que
d'aggraver la condition des salariés. Ces situations qui mènent
pratiquement à un état d'appauvrissement représentent,
à notre avis, des coûts sociaux énormes. Ainsi, cette
détérioration s'opère petit à petit jusqu'au jour
où le degré de pauvreté est atteint de façon
irréversible. Vient alors le lot des problèmes familiaux,
sociaux, financiers, humains et même psychologiques.
Pour la deuxième phase, je vais céder la parole à
M. Gauthier.
M. Gauthier (Yvon): II y a deux principes fondamentaux. Nous
aimerions, dans la présente partie de notre mémoire, toujours
fondée sur notre expérience concrète, vous faire part de
deux principes qui devraient
apparaître dans une véritable loi sur la réparation
des lésions professionnelles. Premièrement, l'instauration d'un
processus adéquat et généralisé de révision
et d'appel de l'ensemble des décisions de la CSST.
À cet effet, nous croyons que la commission parlementaire devrait
sérieusement revoir l'ensemble du projet de loi soumis et prendre les
mesures à sa disposition afin d'amender les pouvoirs
discrétionnaires et arbitraires détenus par la CSST.
Comment peut-on tolérer, même en faisant valoir les
meilleurs arguments de gestion, que cet organisme ait besoin, dans des domaines
qui touchent de près le justiciable, d'agir à titre de juge et de
partie? Sous différentes sections du projet de loi 42 - vous avez une
correction à faire là - telles que l'assistance médicale,
à l'article 132, l'indemnité de remplacement du revenu, aux
articles 79 et 80, la réadaptation, aux articles 141 et 144, le
justiciable ne possède aucun droit de révision et d'appel
relativement à ces questions qui le concernent au plus haut point.
Nous désirons soumettre à la présente commission
que toute décision ou devoir déterminé par la CSST,
pouvant affecter les droits et les intérêts des justiciables,
devrait pouvoir être soumis à un double processus judiciaire
indépendant de la CSST, soit pour fin de révision devant le
bureau de révision et, en dernière instance, en appel devant la
Commission des affaires sociales.
Toute décision rendue par la CSST pouvant affecter ou mettre en
cause les droits ou les intérêts des justiciables devrait pouvoir
faire l'objet d'une révision dans un premier temps et, dans un second,
bénéficier d'un droit d'appel.
Croyez-nous. Si nous désirons normaliser un climat
présentement inacceptable et mettre aussi un frein à l'arbitraire
qui sévit à l'heure actuelle, il devient impérieux que les
membres de la commission parlementaire reconnaissent à ces citoyens et
citoyennes victimes d'un accident du travail et, donc, assujettis à la
Loi sur les accidents du travail, le droit élémentaire de
soumettre leur dossier auprès d'un tribunal indépendant et de s'y
faire entendre par ce dernier.
N'est-ce pas là un droit judiciaire que l'on retrouve
écrit en toutes lettres à l'article 23 de la Charte des droits et
libertés de la personne? D'ailleurs, nous mentionnons ici l'article 23.
"Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition
publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne
soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de
ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation
portée contre elle".
Ainsi, nonobstant toute mesure visant une reconsidération
administrative interne par la CSST, tel qu'il apparaît au projet de loi
42, nous estimons élémentaire dans le présent contexte que
le justiciable puisse en toute normalité bénéficier d'un
droit de révision et d'appel de l'ensemble des décisions de la
CSST devant des instances judiciaires ou quasi judiciaires indépendantes
de l'organisme mandaté pour administrer et appliquer cette loi.
À notre avis, les membres de la commission doivent, dans leur
réflexion sur le projet de loi 42, tenant compte des implications et des
enjeux qu'il suscite auprès de la collectivité
québécoise, chercher tout simplement à éliminer les
situations où la CSST apparaît comme juge et partie,
particulièrement là où les intérêts et les
droits des justiciables sont mis en cause.
Nous estimons sur ce point qu'une des grandes responsabilités de
la commission parlementaire vis-à-vis des justiciables du Québec
consiste à leur reconnaître le droit à une instance de
révision et d'appel indépendante et impartiale. Cette
visibilité ou transparence de justice n'aura d'autre effet que
d'amoindrir ce climat inquiétant d'agressivité et de
méfiance.
Le deuxième point, reconnaître véritablement le
rôle et le diagnostic du médecin traitant. Voilà, chers
membres de la commission parlementaire, une des questions qui ont
été soulevées qui soulève encore l'indignation, non
seulement des victimes d'accident du travail, mais aussi d'un bon nombre de
médecins spécialistes ou généralistes et qui
consiste dans le fait que la CSST peut tout simplement bafouer ou
écarter l'avis médical, les traitements à suivre, de
même qu'une période pour incapacité totale temporaire
provenant de la décision du médecin traitant choisi par le
justiciable.
Plus d'une fois dans notre région nous avons été
témoins que le bureau régional médical décidait
unilatéralement de mettre un terme aux prestations et retournait
l'accidenté au travail, et ce, contrairement aux avis et rapport
médicaux du médecin traitant qui suivait de près
l'accidenté. Je pourrais ajouter: dans 99% des cas, sans même voir
l'accidenté. Outre le droit de révision et d'appel qui demande
des délais variant d'un à deux ans avant d'être entendu, ce
type de décision unilatérale, arbitraire, qui a, entre autres,
comme triste conséquence d'écarter le rôle et la fonction
du médecin traitant, laisse des séquelles sérieuses dans
notre milieu. Ainsi, ce type de pratique abusive de la CSST a
entraîné des effets néfastes dans la région de
l'Outaouais au point où des médecins réputés
oeuvrant du côté ontarien refusent, soit de traiter un cas
d'accident du travail ou de produire un rapport médical en
matière d'accidents du travail. Souvent, même, les victimes
d'accidents du travail sont averties par la CSST que, si elles vont se faire
traiter en
Ontario, la commission ne payera pas.
Nous estimons qu'une législation appropriée pourrait non
seulement reconnaître le droit au médecin traitant, mais aussi
aménager la Loi sur les accidents du travail de manière à
lui reconnaître une place et le rôle prioritaire du médecin
traitant dans l'évaluation de la période d'incapacité et
des traitements nécessaires à sa pleine réhabilitation.
À ce chapitre, nous estimons que le législateur pourrait, avec
intelligence, aménager le texte d'une loi afin que le libre choix du
professionnel de la santé se reflète aussi dans le respect
intégral de son diagnostic, du suivi qu'il accorde à l'endroit de
l'accidenté et des traitements prodigués. Libre à la
Commission de la santé et de la sécurité du travail du
Québec d'exercer une surveillance et, même, d'en appeler d'une
décision du médecin traitant devant un tribunal de
révision ou d'appel à cet effet.
De plus, si, de l'avis de la CSST, un professionnel de la santé,
médecin traitant, manque à l'éthique médicale ou
agit contrairement aux normes médicales en vigueur au Québec,
nous sommes d'avis que c'est non seulement l'intérêt de la
Commission de la santé et de la sécurité du travail mais
son devoir de dénoncer le professionnel de la santé en cause.
Ce que nous ne pouvons accepter dans le présent contexte, c'est
de vouloir faire le procès des médecins sur le dos des
accidentés du travail. Encore une fois, nous disons que, s'il y a abus
de la part du professionnel dans le diagnostic ou traitement accordé,
votre cible n'est pas de pénaliser les victimes d'accidents du
travail.
Point III, le projet de loi 42 et nos amendements. Nous prenons soin de
vous rappeler comme toile de fond nos deux observations du début ainsi
que nos deux principes, tels que l'instauration d'un processus
indépendant de révision et d'appel de l'ensemble des
décisions de la CSST et, surtout, le respect du rôle et du
diagnostic du professionnel de la santé traitant comme étant les
éléments clés d'un véritable régime de
réparation des lésions professionnelles.
Dans ce troisième et dernier chapitre de notre mémoire,
nous désirons faire connaître notre point de vue concernant quatre
chapitres du projet de loi 42.
Indemnité de remplacement du revenu. Certaines dispositions du
projet de loi en matière d'indemnité et de remplacement du revenu
pour les travailleurs victimes d'un accident du travail nous inquiètent
considérablement. Retenons principalement cette indemnité de
remplacement du revenu égale à 90% du revenu net, dont la
durée est limitée; elle pourra continuer tout en étant
réduite selon les critères fixés par la loi mais
évalués par la CSST. Cependant, ce qui caractérise le plus
spécifiquement ce système de l'indemnité de remplacement
du revenu prévu par ce projet de loi consiste en l'instauration de
mesures dites punitives ou incitatives à l'endroit d'une victime d'un
accident du travail. (17 h 30)
De plus, nous estimons que la CSST ne devrait être aucunement
détentrice de pouvoirs discrétionnaires ou arbitraires en ce qui
a trait à la capacité ou non pour un accidenté du travail
de reprendre une activité rémunératrice. À ce
chapitre, nous prétendons que si la commission parlementaire
désirait conserver en faveur de la CSST un droit d'appréciation,
qu'elle permette, en retour, en faveur du justiciable, un droit d'appel. Aussi,
nous recommandons une indemnisation intégrale tant et aussi longtemps
que le travailleur n'est pas réintégré à un emploi
qui lui convient.
Outre le fait de réduire l'indemnité de 10% du salaire net
et de nous faire perdre certains avantages reliés à l'emploi, ce
nouveau régime permet, entre autres, à la CSST, dès
qu'elle le jugera opportun, de réduire l'indemnité d'un montant
égal au salaire qu'elle estime qu'il pourrait gagner si le travailleur
occupait un emploi qu'elle le juge capable d'accomplir, et ce peu importe que
l'accidenté soit rétabli et, bien sûr, peu importe si le
médecin traitant prétend que cet accidenté en est
incapable.
Nous tenons à faire remarquer à la commission
parlementaire que l'ensemble des dispositions portant sur le système de
l'indemnité de remplacement du revenu devrait être globalement
réécrit de manière à dépouiller certaines
dispositions de leur caractère punitif à l'endroit d'un
accidenté du travail.
La réinsertion sociale et professionnelle du travailleur. Dans
les dossiers traités, on ne peut nier que nombre de salariés
voient quotidiennement diminuer leur santé ou leur capacité de
travail; il importe de mettre en place un mécanisme pour que ceux qui
ont déjà été pénalisés dans leur
intégrité physique ne le soient pas doublement par un
appauvrissement de leur condition de vie personnelle et familiale.
La réadaptation. La réadaptation dans notre région
peut, avec sévérité, se résumer comme suit: soit
que l'accidenté désireux de conserver pour un an ses prestations
se cherche lui-même un emploi, et ce même si, de l'avis de son
médecin traitant, il est incapable de reprendre un travail, ou bien que
le service de réadaptation lui trouve un emploi de "gardien de
sécurité" dans les édifices fédéraux.
Voilà un bref portrait de la réadaptation.
En examinant le projet de loi 42, nous apprécions de voir que le
travailleur a un droit à la réadaptation. Cependant, nous croyons
que certaines corrections à cette
section de la réadaptation pourraient en faire un régime
plus réaliste et humain vis-à-vis de ceux qui tentent de
reprendre une activité rémunératrice.
Parmi les recommandations que nous désirons faire, il
mérite de signaler ces dernières: - il ne doit pas y avoir de
coupure d'indemnité au cours de la réadaptation et ce droit
à des services ne devrait pas être limité à
l'endroit d'un accidenté; - ce régime devrait être en
mesure d'inciter le travailleur à collaborer à sa propre
réadaptation; - ce régime doit assurer au travailleur le retour
à un emploi qu'il peut véritablement faire et qui n'est pas
contraire à l'avis du médecin traitant; - de plus, contrairement
à ce que laisse entendre le projet de loi 42, nous estimons qu'un droit
de révision et d'appel devrait exister en matière de
réadaptation couvrant l'ensemble des décisions prises par la CSST
dans ce domaine.
Le retour au travail. Ce droit de retour au travail à la suite
d'un accident du travail est, à notre avis, élémentaire,
particulièrement pour les non syndiqués dénués de
véritable protection dans leur milieu de travail. Nous croyons que si on
a vraiment l'intention que ce droit de retour au travail joue un rôle
auprès des victimes d'accidents du travail, le projet de loi 42 devrait
être modifié de la façon suivante: soit que les droits et
obligations conférés par cette section, (droit de retour) ne
s'éteignent pas en faveur d'un travailleur ayant été
victime d'une lésion professionnelle, c'est-à-dire qu'il n'y ait
aucune limite de temps au rétablissement de l'accidenté et que,
par la suite, il puisse reprendre après deux ou trois ans son travail
chez son employeur.
De plus, nous estimons que toutes les plaintes pouvant être faites
en cas de non-respect de la section retour au travail devraient être
adressées au bureau de révision et en appel devant la Commission
des affaires sociales.
M. Ménard: En ce qui a trait à l'assistance
médicale qu'on retrouve aux dispositions 125 et suivantes du projet de
loi 42, nous avons les commentaires suivants à faire. Comme nous l'avons
souvent mentionné concernant le régime actuel sous la
présente Loi sur les accidents du travail, le diagnostic, le rapport
médical et les traitements prescrits par le médecin traitant ne
sont aucunement respectés par le bureau médical de la CSST qui,
en fait, décide sans aucun examen du patient, ou après un examen
sommaire du spécialiste de la CSST. De plus, bon nombre de traitements
sont interrompus avant terme et de nombreux accidentés doivent reprendre
prématurément leur travail tout en aggravant leurs conditions
physique et psychique.
En réalité, la lecture du projet de loi 42, qui nous a
été présenté par le ministre du Travail, nous
enseigne tout simplement que ce régime, qui refuse véritablement
le rôle et l'importance du diagnostic et du traitement du médecin
traitant et qui donne au bureau médical des pouvoirs
discrétionnaires, va se poursuivre comme auparavant. Il n'y a pas lieu
de voir un changement entre le projet de loi 42 et la loi actuelle à cet
effet.
Encore une fois, nous demandons aux membres de la commission
parlementaire de bien réfléchir sur la portée et les
conséquences négatives qu'un tel projet crée envers les
victimes d'accidents du travail.
Quant à nous, si le projet de loi veut reconnaître ou
reconnaît le droit du travailleur au professionnel de la santé de
son choix, tel que stipulé à l'article 129, il serait normal que
cette loi détermine que ce médecin traitant qui accorde un suivi
à l'endroit de l'accidenté puisse décider de la
nécessité, de la nature, de la suffisance ou de la durée
de l'assistance médicale nécessaire à l'endroit de cet
accidenté du travail.
À ce chapitre, nous admettons que la CSST pourrait demander au
médecin traitant, dans les quinze jours de l'examen, un rapport sur
l'état de santé du travailleur, la nature de la lésion
professionnelle, la date prévue pour la consolidation ou la
guérison de cette lésion, le pourcentage de l'atteinte permanente
à l'intégrité physique ou psychique.
De plus, nous reconnaissons le droit à la CSST de juger si un
rapport d'un médecin traitant généraliste ou
spécialiste contient les éléments adéquats à
une prise de décision.
Le quatrième et dernier élément concerne la
compétence de la commission et les questions d'appel et de
révision qui sont prévues aux dispositions, entre autres, 238 et
suivantes du projet.
En principe, nous ne sommes pas en désaccord avec l'instauration
d'une reconsidération administrative - qui, d'ailleurs, se fait depuis
plus d'un an et demi ou deux ans au bureau régional dans l'Outaouais
québécois - telle que prévue au projet de loi 42. En
espérant, évidemment, que cette reconsidération
administrative sera respectueuse des droits des accidentés et qu'elle
pourra, avec efficacité, accélérer ou solutionner certains
cas d'accidents devant attendre, bien souvent, les délais d'audition des
instances de révision et d'appel.
Cependant - et voilà un des points qui, pour notre part, est
très important - nous aimerions signaler avec vigueur que nous
n'acceptons aucunement la perte du bureau de révision à titre
d'instance de révision quasi-judiciaire. Nous estimons que ce
tribunal administratif devrait poursuivre ses activités de
révision tout en s'assurant de son entière indépendance
envers la CSST.
De plus, nous demandons que la juridiction allouée au bureau de
révision et à la Commission des affaires sociales soit
élargie de manière que toutes les décisions de la CSST
concernant un accidenté puissent lui donner le droit à une
révision ou, selon le cas, à un appel. Je vous remercie,
messieurs, de nous avoir entendu.
Le Président (M. Paré): Messieurs, merci beaucoup
pour la présentation de votre mémoire. Nous allons maintenant en
discuter. Le premier à passer des commentaires, à poser des
questions, est le ministre du Travail.
M. Fréchette: Merci, M. le Président. Je veux aussi
remercier M. Ménard et M. Gauthier et entrer immédiatement dans
le vif du sujet, si vous le permettez, M. le Président.
Dans la première partie du mémoire, M. Ménard a
consacré une bonne partie de son temps à nous décrire une
espèce de climat qui existe, une atmosphère à laquelle il
a attaché les épithètes d'agressivité et de
méfiance. Je vous signale qu'effectivement ces remarques nous ont
été faites assez régulièrement tout au cours des
travaux de la commission. Elles reviennent d'ailleurs avec passablement de
constance et d'insistance. À ce point - et je vous dis les choses que je
pense comme je les pense -qu'à y réfléchir
sérieusement, il n'est pas exclus de se poser la question suivante:
Est-ce que cela n'est pas essentiellement l'existence même, la vie de
tout l'organisme qui est remise en question? Est-ce cela que l'on souhaite,
comme quelques-uns l'ont fait ici en audition? Est-ce que l'on souhaite
qu'à toutes fins utiles, l'organisme disparaisse purement et simplement
et qu'on remette l'administration d'une semblable politique de
sécurité et de santé aux employeurs, à d'autres
genres d'organismes ou à d'autres entreprises et qu'on sorte
complètement du système dans lequel on est actuellement? C'est
une première question que je voudrais vous soumettre et sur laquelle
j'apprécierais entendre vos commentaires.
M. Ménard: J'y vois plus qu'une question, en fait. J'y
vois évidemment une remarque globale de votre part par rapport à
cet organisme. Ayant travaillé depuis sept ans auprès et avec des
hommes et des femmes victimes d'accidents du travail, l'idée de remettre
complètement en question cette institution me vient souvent à
l'esprit. Cependant, la réalité me rappelle un peu à
l'ordre. Quand je dis "la réalité", je veux dire le contexte
québécois, le contexte de la situation, à savoir que ces
choses-là ne changeront pas du jour au lendemain. Et je vais vous
expliquer mon point de vue.
Quand nous avons décidé de faire le présent
rapport, on s'est dit qu'on allait le focaliser, l'orienter sur deux points
qu'on trouve très importants pour améliorer ce qu'on appelle un
climat d'agressivité, une forte méfiance. On les signale dans le
rapport: c'est le droit, en fait, à une révision
indépendante, le droit d'être entendu ou le droit d'appel par
rapport à l'ensemble des décisions que prend cet organisme.
J'admets qu'un organisme, qu'il soit public, péripublic ou parapublic
comme tel, dans les types de sociétés dans lesquels on vit, ait
des devoirs et des responsabilités de prendre des décisions, mais
je n'admets pas - et c'est ce qu'on retrouve devant la CSST -évidemment,
cette problématique où des citoyens et des citoyennes ne peuvent
en appeler, ne peuvent faire réviser d'une façon visible des
décisions qui sont prises par cet organisme. Quant au deuxième
point - et je vais rapidement conclure - qu'on signale, je vous mets au
défi, M. le ministre, de nous amener une politique en ce qui a trait au
médecin traitant. Je vous mets au défi de nous préparer
quelque chose, peu importe que ce soit avec les fonctionnaires, ceux qui sont
payés avec des carrés à la CSST, de nous préparer
une politique qui va réellement tenir compte du rôle, du
diagnostic, en fait, je dirais plutôt du rôle global d'un
médecin traitant en matière d'accident du travail.
Dans le projet de loi que vous nous avez soumis, je vous dis
respectueusement que nous ne trouvons pas ce rôle-là. On trouve
tout simplement - il faut l'avouer -une répétition un peu
changée, mais une répétition des mêmes
problématiques. Nous, quand on dit: On voudrait remettre en question
cette institution, nous disons principalement que c'est la base même, et
cette base on la retrouve, entre autres, dans le rôle qu'on ne veut pas
accorder au médecin traitant, un rôle qu'une loi-cadre pourrait
déterminer et définir, à mon avis, en y attribuant un
pouvoir réglementaire pour définir, en fait, toute la
quincaillerie, pour qu'un homme ou une femme accidentés et pour que
l'institution au Québec, les différentes parties ou les
différents intervenants puissent, une fois pour toutes, trouver une
place véritable au médecin traitant qui accorde un suivi à
l'accidenté.
Voilà pour nous, M. le ministre, deux éléments.
Évidemment, sans chercher à remettre entièrement en
question la CSST, parce que si on part avec des remises en question, ce ne sera
pas uniquement la CSST qui devrait, au sein d'une société,
être remise en question, et je ne suis pas ici pour cela... Mais cette
question, savez-vous quand nous l'avons soulevée réellement? Je
me rappelle avoir rencontré M. le juge Sauvé, en 1977 ou en 1978,
lorsqu'il faisait le tour des
régions pour la régionalisation. C'était un mot
clé à l'époque. On régionalisait. On estimait ou on
croyait, à cette époque, non pas par naïveté, mais
par espoir de voir des dossiers quitter Québec et Montréal, venir
dans notre région et être traités dans notre
région.
En fait, on a régionalisé des problématiques, des
problèmes, des difficultés de gestion d'un appareil ou d'un
empire bureaucratique. On n'a pas changé la racine même de
l'institution ou de cette Loi sur les accidents du travail. C'est pour
ça que nous croyons que si vous avez réellement une
volonté d'instaurer un nouveau régime en matière de
lésions, en matière d'accidents du travail, je suis conscient
qu'il y a d'autres points, mais si vous êtes capable et en mesure de
modifier les deux points que nous avons soulevés je pense que c'est un
pas dans une direction qui fera en sorte de modifier des choses en profondeur,
à mon avis. Je vous le dis comme ça. (17 h 45)
M. Fréchette: Je suis très heureux de le recevoir
comme ça aussi. C'est très clairement exprimé et ça
ne souffre pas de discussion. Je voudrais simplement vous dire, M.
Ménard, que je suis disposé à relever votre défi.
Vous me lancez un défi...
M. Ménard: Oui, je vous le lance.
M. Fréchette: Donnez-moi cinq minutes parce que j'ai
quelques autres petites observations à vous faire et je vais vous mettre
sur la table une proposition en termes d'assistance médicale. On ne
pourra peut-être pas tous les deux aller dans tous les détails
techniques et modalités mais je vais vous parler des principes qui sont
envisagés.
Avant de le relever votre défi, cependant, je souhaiterais
pouvoir vous faire une observation quant à votre préoccupation au
niveau des pouvoirs discrétionnaires. Là-dessus je vais
être d'accord avec vous sans aucune réserve. Dans l'actuelle Loi
sur les accidents du travail il y a 26 champs de juridiction à travers
lesquels la CSST peut intervenir par règlements. L'exercice que nous
avons essayé de faire, avec succès ou pas mais je pense que la
loi 42 reflète ça, c'est d'incorporer dans la loi tout ce qui est
actuellement de la réglementation et de soustraire du champ de
réglementation possible 20 des 26 champs d'application qui existaient
auparavant.
Des gens nous ont souligné, là aussi avec raison, que
c'était bien beau de réduire de 26 à 6 ou 5 mais que le
dernier pouvoir de réglementation était à ce point large
qu'il avait l'allure d'une clause omnibus et que, dans la pratique, ça
ne changeait absolument rien. Nous avons dit essentiellement: Nous allons
mettre dans la loi les règlements qui existent actuellement,
réduire de 26 à 5 et faire disparaître la clause omnibus de
façon à réduire considérablement nous semble-t-il,
le pouvoir de réglementation.
Je pense qu'on va convenir tous les deux qu'il y a par ailleurs un
danger là-dedans. Quand cela sera incorporé dans la loi, ce sera
dans la loi et on devra vivre avec pour une bonne période de temps. Les
intervenants nous disent cependant qu'ils préfèrent cette
situation à l'autre et nous sommes tout à fait d'accord pour
relever ensemble ce défi.
Il me semble qu'à cet égard vos préoccupations
quant aux pouvoirs réglementaires, pouvoirs discrétionnaires,
devraient pouvoir trouver une partie de solution tout au moins.
J'en arrive maintenant à essayer de relever votre défi. Je
vous signale tout d'abord, comme première observation, que ce que vous
plaidez devant nous cet après-midi nous a été aussi
continuellement soumis par les groupes qui vous ont
précédés. Que ce soit des représentants
d'employeurs, de syndicats ou de travailleurs accidentés, ils ont tous
mis beaucoup d'emphase sur le phénomène global de l'assistance
médicale. On a attiré notre attention sur l'article 132 du projet
de loi. On a attiré notre attention sur l'article 52, me semble-t-il, de
mémoire, l'article relatif au diagnostic des comités de
pneumoconiose. Le cheminement qui a été fait jusqu'à
maintenant - demain après-midi, je serai en mesure d'annoncer, de
façon plus précise, quelle est la direction qui est prise c'est
essentiellement le suivant. Nous serions disposés à admettre que,
règle générale, l'évaluation, le rapport du
médecin traitant doit être celui dont on doit tenir compte de
façon privilégiée. Cependant, est-ce que, sans aucune
réserve et sans aucune balise, on va accepter qu'en tout état de
cause le rapport du médecin traitant est celui qui doit établir
la règle de l'indemnisation et des autres procédures
d'indemnité? Il nous est apparu - plusieurs intervenants sont d'accord
là-dessus - qu'il fallait au moins, après le dépôt
du rapport du médecin traitant, que quelqu'un qui a une
préparation appropriée, qui est un professionnel de la
santé, puisse évaluer les conclusions du rapport du
médecin traitant. On ne voit pas d'autres instances qu'un médecin
qui serait, effectivement, à l'emploi de la commission. Lorsque,
à partir des évaluations qui sont faites par les deux
professionnels de la santé, on en arrive à la même
conclusion dans le sens que, par exemple, le médecin de la commission
confirme le diagnostic et l'évaluation du médecin traitant, nous
tiendrions pour acquis que c'est à partir de cette évaluation que
les mécanismes de réparation, de réadaptation, tous les
mécanismes de la loi, doivent s'enclencher.
Vous avez une expérience des tribunaux, nous dites-vous, de sept
ans. Vous savez fort bien, par ailleurs, qu'on va se retrouver souvent devant
des situations où les deux évaluations médicales vont
être tout à fait à l'opposé l'une de l'autre. Il
n'est pas rare d'arriver devant des tribunaux de droit commun avec une
expertise médicale qui accorde 50% à une personne qui a
été blessée alors qu'en défense on va
présenter une expertise médicale qui en accorde 25%. Il est tout
à fait possible, même certain, qu'à un moment donné,
on va se retrouver dans des conditions où il va y avoir une
différence marquée entre le diagnostic, l'évaluation du
médecin traitant et l'évaluation qu'aura faite le médecin
de la commission. Dans ces cas-là, la direction que nous avons prise, la
direction dans laquelle le projet de loi sera amendé très
probablement, c'est la suivante: Demander aux corporations professionnelles
concernées - Collège des médecins,
Fédération des spécialistes, omnipraticiens - de fournir,
après évaluation et également après renseignements
auprès de leurs membres respectifs, une liste de leurs membres qui
seraient disposés à "agir" - là j'utilise le terme avec
toutes les réserves qu'il faut et je le mets entre guillemets -comme
arbitres du litige qui vient de naître entre les deux professionnels de
la santé. Les corporations médicales nous ont dit être
disposées et prêtes, jusqu'ici en tout cas, à fonctionner
dans ce processus. Lorsque nous aurons soumis ces listes dont je viens de vous
parler, nous demanderons au Conseil consultatif du travail et de la
main-d'oeuvre, qui est cet organisme à l'intérieur duquel sont
représentées les parties patronales et syndicales - je comprends
que tout le monde n'y est pas, que des gens souhaiteraient y être;
peut-être que d'autres qui y sont souhaiteraient en sortir; enfin, c'est
quand même, dans l'état actuel des choses, l'organisme
habilité à conseiller et à donner des avis au ministre
responsable de l'application de la loi dans une matière comme
celle-là - de procéder à l'évaluation, d'analyser,
de nous indiquer lesquels parmi les noms qui ont été
suggérés devraient être retenus pour agir comme arbitres ad
hoc, de la façon dont je viens de vous parler. Les suggestions qui
seront faites par le Conseil consultatif du travail pourraient être des
noms accrédités en quelque sorte et seraient ceux que le ministre
responsable de l'application de la loi retiendrait, et c'est l'arbitrage qui
serait fait par cette instance qui lierait toutes les parties et, bien
sûr, la commission aussi. Cependant, je ne suis pas en train de vous dire
que les droits d'appel de l'une ou l'autre des parties n'existeraient plus.
C'est sûr que l'une ou l'autre des deux parties qui ne serait pas
satisfaite du résultat de la décision que le comité ou
l'institution d'arbitrage rendrait pourrait en appeler devant les instances qui
seraient habilitées, qui auraient juridiction pour disposer de
semblables litiges.
Je vous réitère que c'est dans ce sens que la
réflexion se fait depuis que plusieurs représentants nous ont
demandé de réfléchir là-dessus. Je vous
réitère également que les modalités, les
détails techniques ne sont pas complétés, que tout n'est
pas attaché, mais qu'au moins, au plan du principe, c'est dans ce sens
que sans doute nous allons arrêter des décisions.
Ma question, M. Ménard, après ces trop longues
explications, est celle-ci: Est-ce que le défi est relevé? Est-il
partiellement, totalement ou pas du tout relevé?
M. Ménard: Vouloir lui trouver une place, et je peux dire
comme tel apporter une priorité au rôle du médecin
traitant, en instaurant derrière lui, en y greffant en fait des
mécanismes d'arbitrage, si j'ai bien compris, cela m'apparaît une
avenue intéressante. De là à dire que ces paroles ne sont
pas coulées dans une loi, que ce n'est pas vécu, je ne suis pas
le porte-parole des hommes et des femmes qui sont victimes d'accidents du
travail. Je suis en fait beaucoup plus un témoin, mais je dois
reconnaître que cela change un peu des pistes qu'on nous a
présentées jusqu'à maintenant en ce qui a trait au
rôle, à la présence et à la fonction du
médecin traitant. Je n'irai pas jusqu'à dire que ce
défi... Je n'ai pas voulu dire cela par boutade et ce n'est pas mon
style, mais je dis quand même et je maintiens que le jour où on
verra dans une loi comme telle véritablement un rôle, et je
comprends qu'il faut y ajouter un mécanisme ou des mécaniques
pour être capable de l'identifier, je crois que ce sera un pas dans la
bonne direction.
J'ai une petite question à vous poser. En fait, pour ma part,
elle est très simple. J'y reviens. Je pense que vous avez cru y
répondre en m'indiquant qu'en ce qui a trait à la
législation déléguée qu'on retrouve dans ces types
de loi, on est en train d'en écarter et d'en épousseter un grand
nombre. Qu'adviendra-t-il du bureau de révision? Pourquoi cette
intention d'écarter le bureau de révision pour couler cela dans
une loi, dans une reconsidération administrative? J'avoue que cela
m'inquiète. Je vous le dis sincèrement - parce que depuis le
temps que les bureaux de révision, j'en rencontre et que bien d'autres
en rencontrent aussi, je les ai vus évoluer: d'abord, cela n'existait
pas, puis il en existait, il y en avait trois et il y en a eu deux.
Présentement, il y en a un. Depuis un an, je dois le reconnaître,
dans l'Outaouais québécois, les accidentés on commence un
peu plus à se retrouver, à faire quelque chose, à avoir
une visibilité, si mince soit-elle, de justice et d'apparence de
justice. Là, tout à coup, on voit ce projet de loi venir
écarter encore ce qui me semble devenir une chose intéressante.
J'avoue que cela m'inquiète, M. le ministre.
M. Fréchette: C'était précisément le
deuxième volet de mes observations que je voulais entreprendre avec
vous. Tout le mécanisme global du droit d'appel à
l'intérieur duquel on doit discuter du bureau de révision, c'est
évident. Vous avez deux préoccupations en cette matière.
La première étant d'élargir les matières
appelables. Cela m'a semblé être en tout cas préoccupant
dans vos représentations.
M. Ménard: C'est exact.
M. Fréchette: Là-dessus, je peux vous dire
très spontanément et sans aucune réserve que la
décision est prise à cet égard.
M. Ménard: Je m'excuse. Je faisais allusion, entre autres,
concrètement à la réadaptation, à la
réinsertion.
M. Fréchette: Voilà. À cet égard, la
décision est effectivement prise. Cela implique, bien sûr, que les
employeurs auront droit aussi à en appeler de n'importe quelle des
décisions que rendra la commission: avis de cotisation, classification,
enfin tout cela. Mais cela est acquis. Là-dessus, je vous dis tout de
suite que le projet sera amendé en conséquence.
Quant au deuxième aspect de la question, tout le mécanisme
du droit d'appel comme on le connaît actuellement, il est vrai que le
projet de loi 42 propose de faire disparaître les bureaux de
révision tel qu'on les connaît actuellement, de remplacer la
décision que ces gens-là rendaient par une décision
administrative. Tout cela est vrai. Mais, encore là, les travaux de la
commission nous ont permis de constater un certain nombre de choses. Et ce dont
nous avons particulièrement discuté avec plusieurs organismes qui
sont venus devant nous, c'est de la possibilité de la procédure
suivante. Compte tenu du fait que l'on va procéder à
élargir considérablement les champs de juridiction d'appel,
qu'à peu près toutes les décisions de la commission
deviendront sujettes à appel, ce à quoi nous avons pensé,
bien qu'il n'y ait pas encore de décision finale - mais je suis content
qu'on aborde le sujet, parce que je vais connaître votre opinion - c'est
de procéder à l'institution d'une commission totalement
indépendante, indépendante à tous égards,
indépendante politiquement - en d'autres mots, aucun lien avec la
commission - qui pourrait, malgré les réserves que vous avez
soulevées quant à la régionalisation, être
régionalisée aussi, à l'intérieur de laquelle on
retrouverait des commissaires, bien sûr, qui pourraient s'adjoindre, par
exemple, des assesseurs plus particulièrement habilités à
entendre un litige d'une nature plutôt que d'une autre nature. Devant
cette commission, on doit discuter, par exemple, d'un problème d'ordre
médical. Un commissaire pourrait siéger avec un assesseur
spécialisé en matière médicale. Si on doit
siéger en appel d'une décision relative à un
problème de retrait préventif, ce pourrait être un
ingénieur en sécurité ou, enfin, un spécialiste en
sécurité. Vous voyez un peu quelle direction cela pourrait
prendre. Donc, un organisme régionalisé, indépendant de la
commission, à l'intérieur duquel on retrouverait ces
spécialistes dont je viens de vous parler, qui n'aurait pas de comptes
à rendre à la Commission de la santé et de la
sécurité du travail et qui répondrait directement au
ministre responsable de l'application de la loi. (18 heures)
Cela impliquerait par ailleurs la disparition à la fois du bureau
de révision et de la Commission des affaires sociales. J'entendais M.
Gauthier tout à l'heure indiquer que - je ne sais pas si c'est M.
Gauthier ou vous - il suggérait que l'on puisse, par exemple, se
retrouver en appel devant les instances judiciaires de droit commun. Vous
pratiquez dans une région, M. Ménard, où vous devez
être très souvent aigri par les longs délais que vous devez
subir quand vous êtes ou devant la Cour provinciale ou devant la Cour
supérieure. C'est la même chose, et plus cela avance, plus cela
devient flagrant devant la Commission des affaires sociales. On est rendu
à quoi? Trois ans ou à peu près.
M. Ménard: C'est cela.
M. Fréchette: Devant les bureaux de révision, c'est
six ou huit mois. Alors, si cette commission était mise sur pied et
qu'elle était exclusive aux matières de santé et de
sécurité, qu'on lui indiquait dans la loi qu'elle serait les
matières qu'elle devrait traiter de préférence ou en
priorité et qu'on lui imposait même, à certains
égards, des délais à l'intérieur desquels en
certaines matières elle devrait rendre jugement, est-ce qu'il n'y aurait
pas un certain bout de fait dans le sens que vous le suggérez aussi?
M. Ménard: Ce que vous me présentez exige une
certaine réflexion. Je vous dirais au départ que de voir
écarter, entre autres, la Commission des affaires sociales, nonobstant
le fait que vous avez raison sur ces délais énormes qui sont
choquants pour les personnes qui en subissent des conséquences, je dois
reconnaître que ce tribunal a été capable de
répondre à ce que j'appelle une visibilité de justice, une
apparence de justice qui a été, à mon avis, un aspect
positif par rapport aux hommes et
aux femmes qui ont été confrontés avec la CSST ou
la Loi sur les accidents du travail. Ce que vous me proposez me fait penser en
fait au mécanisme d'arbitrage qu'on trouve en droit du travail, à
la limite, à un arbitre qui est indépendant, où
évidemment les parties ensemble font valoir leur opinion aux parties
patronale et syndicale dans le cadre d'une convention. Cela tiendrait lieu
évidemment d'instance d'appel de dernière instance. Que cela
remplace le bureau de révision dans cette perspective ne
m'inquiète pas, mais que cela vienne écarter la Commission des
affaires sociales, je vous dis: Bon, attention! J'estime que le boulot qui a
été accompli, la formation que ces gens, les commissaires qu'ils
ont eus, la pratique qu'ils ont eue et l'évolution en matière
d'accidents du travail, à mon avis, ne s'écartent pas du revers
de la main comme cela. Il y a quelque chose à retenir là, par
expérience et par visibilité, par constat que j'ai pu faire par
rapport à la Commission des affaires sociales, qui mérite
d'être retenu. C'est mon seul commentaire.
Mais je ferai remarquer que ce sont des pistes que je trouve
intéressantes. Si l'on y pense, si l'on verse dans ce sens, si l'on
commence à réfléchir sérieusement et qu'on coule
les choses intéressantes dans ce sens-là, j'estime que
voilà des choses intéressantes.
M. Fréchette: M. Ménard, J'espère que vous
n'avez pas compris que j'étais en train de remettre en question
l'habilité, la compétence de la Commission des affaires sociales,
pas du tout.
M. Ménard: Non, non, je n'ai jamais pensé cela.
M. Fréchette: C'est principalement en fonction de deux
critères bien précis. D'abord, un critère bien terre
à terre, d'ordre pratique, par ailleurs, les délais dont on
parlait il y a un instant. De plus, n'est-il pas utile de penser à un
organisme qui aurait la culture, si vous me passez l'expression, de la
politique de la santé et de la sécurité et qui ne ferait
exclusivement que cela? Enfin...
M. Ménard: Oui, c'est un peu dans cette perspective que je
vous parlais de la Commission des affaires sociales qui, à mon avis,
"développait entre guillemets, une culture", une pratique depuis quand?
1977.
M. Fréchette: Oui, il y en a d'autres...
M. Ménard: Je vous suis dans votre foulée.
M. Fréchette: ...qui ont suggéré que ce
pourrait être une chambre spéciale de la Commission des affaires
sociales.
Évidemment, il faudrait y ajouter le personnel...
M. Ménard: Et l'embourbement. Je crois qu'en termes de
gestion de l'appareil judiciaire de ce tribunal, il y a possibilité de
réduire cela. Je crois qu'on pourrait investir des efforts, des moyens
humains ou techniques pour écarter ce temps-là, pour
l'écouler. Je ne pense pas que là réside le point central
"d'écarter" la Commission des affaires sociales au profit de ce que vous
avancez. Sans prétendre, par exemple, que ce que vous avancez n'est pas
en soi correct, je trouve que c'est une piste intéressante.
C'était la réserve que je voulais faire par rapport à la
Commission des affaires sociales.
M. Fréchette: Oui. Alors, j'ai une dernière
observation, M. le Président, si vous le permettez. Le troisième
volet de votre document est évidemment en fonction des dispositions
d'ordre "économique" que l'on retrouve dans la loi. À cet
égard, vous allez comprendre que beaucoup de représentations nous
ont été faites et à l'égard de plusieurs chapitres
du projet de loi 42. C'est sûr qu'il va nous falloir penser à
certaines modifications, mais je ne serais pas responsable si cet
après-midi je vous disais: Voici, cette représentation est bien
fondée; il n'y a pas de problème. Il faut avoir
l'honnêteté de vous dire qu'il va nous falloir évaluer
toutes les représentations qui nous ont été faites. Je
vous remercie infiniment.
M. Ménard: C'est moi qui vous remercie.
Le Président (M. Paré): Un instant! Ne quittez pas.
M. le député de Saguenay aimerait bien vous poser des questions
aussi.
M. Maltais: M. le Président, je serai très bref. Je
présume que j'ai la permission d'aller au-delà de l'heure
permise. J'aimerais d'abord faire quelques commentaires sur votre
mémoire. J'ai lu et relu attentivement votre mémoire et cela m'a
frappé beaucoup. Vous êtes un groupe qui, finalement, n'a pas
d'intérêt particulier. Plusieurs groupes invités qui sont
venus ici... Je suis très heureux que quelqu'un sur le terrain vienne
nous dire ici à cette commission, selon des faits vécus dans le
quotidien, comment fonctionne la CSST.
Depuis le commencement des auditions, de notre côté, nous
avons souvent souligné au ministre de quelle façon la CSST
traitait ses accidentés. On se demande s'il n'y a pas deux façons
de traiter les accidentés du travail: ceux qui sont structurés et
ceux qui ne le sont pas. Je suis particulièrement heureux que vous ayez
traité dans votre mémoire de ceux qui ne sont pas
structurés.
Vous faisiez allusion à ce qui se passait chez ces gens, chez ces
"petits" comme vous les qualifiiez; dans nos bureaux de comté on est en
mesure de réaliser combien ces gens sont en difficulté.
On se demandait à un moment donné si la CSST ne traitait
pas ces gens d'une façon pire que certaines compagnies d'assurances
privées décrites par des agents ou des inspecteurs qui vont les
visiter. Souvent, ces gens signent des documents ou acceptent des conditions
qui, en temps normal, ne seraient pas admis dans des organisations
structurées. Vous le savez. Vous êtes avocat, Me Ménard.
Vous avez certainement à faire face à ce genre de
récriminations.
Dans vos observations, vous dites que les gens sont méfiants
envers la CSST. Ils ont raison. Parce qu'il est à peu près
impossible pour un travailleur ordinaire de connaître tout le
fonctionnement de la boîte. Ce que je déplore le plus c'est - dans
votre mémoire vous le dites et vous n'êtes pas les seuls à
l'avoir dit - un peu l'arrogance de la CSST vis-à-vis de ces gens. Cela
nous frappe sur le terrain à chaque jour.
Je pense que le ministre a démontré tout à l'heure
une ouverture d'esprit qu'il n'avait peut-être pas au début mais
à force de se le faire répéter, je pense qu'il est
d'accord pour reconnaître que la boîte fonctionne très mal.
Elle ne fonctionne certainement pas comme si c'était une entreprise
privée. Je ne voudrais pas privatiser la CSST, loin de là. Sauf
qu'il y a un ménage à faire. Vous parliez tout à l'heure
de l'appauvrissement continuel de l'accidenté. Sachez que, pour
l'employeur, les cotisations croissent d'année en année.
Pourtant, il y a seulement 0,50 $ qui vont à la réparation. Les
autres 0,50 $ s'en vont dans l'empire, comme vous l'avez qualifié, au
service de l'empereur, si on peut l'appeler ainsi, et plus les cotisations
augmentent, moins il y a d'argent qui va vers les réparations. C'est un
phénomène qui devrait être inverse. Plus les cotisations
augmentent, plus les accidentés devraient être en mesure de
recevoir, en tout cas, un service adéquat. À l'heure actuelle,
c'est l'administration qui augmente et la qualité du service diminue. Je
pense, comme disait le ministre tout à l'heure, qu'il y a certainement
possibilité d'améliorer la structure du service vis-à-vis
de l'accidenté.
Il y a un amendement finalement - le ministre en a annoncé
plusieurs aujourd'hui et je pense que cela répond aux désirs que
les gens, ici, ont exprimé - au niveau du médecin traitant. On a
rencontré plusieurs groupes de médecins et tout le monde
prêche pour sa paroisse, mais on s'est aperçu que le
médecin traitant est peut-être la personne qui est la moins
écoutée. Pourtant, c'est celui qui, à mon avis, rencontre
le plus souvent l'accidenté. Lorsque le ministre nous dit que,
maintenant ou dans la réimpression du projet, le rapport du
médecin traitant sera privilégié, je pense que nous
pouvons tous nous en réjouir. À partir de ce moment, la personne
qui en retirera les effets bénéfiques sera d'abord
l'accidenté.
Au cours de cette commission, ce fut un point de discorde pour à
peu près tout le monde, finalement, le spécialiste qui, souvent,
ne voyait qu'une fois l'accidenté, parfois ne le voyait pas du tout.
Hier, les gens de la Fédération des employés des
alumineries nous disaient qu'on a même vu, à cause d'un rapport de
médecin, quelqu'un subir 17 opérations. Il faut croire que cette
personne n'a pas été vue souvent, mais il y a quelqu'un qui l'a
défendue: son syndicat.
On a également vu des cas de gens qui ont eu des certificats de
retour au travail qui étaient en béquilles. Ces gens-là
n'étaient pas syndiqués; ils n'avaient personne pour les
défendre. Je ne sais de quelle façon le spécialiste a
jugé bon de les rendre aptes au travail, mais c'est certain que s'il les
avait vues ou s'il avait vérifié le plâtre, il ne les
aurait pas retournées.
Donc, c'est dans la qualité du service à
l'accidenté que l'on déplore un manque et je pense qu'en amendant
la loi 42 comme le ministre veut le faire, c'est déjà un pas en
avant. Mais, également, améliorer la structure, non pas
nécessairement en la grossissant mais en la rendant plus efficace,
devrait être un autre objectif.
Je vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Paré): MM. de la clinique...
M. Gauthier (Yvon): M. le Président? Le
Président (M. Paré): Oui?
M. Gauthier (Yvon): M. le Président, j'aurais quelque
chose à discuter avec M. le ministre. Lorsque vous parlez du
médecin de la CSST qui analyserait le rapport du médecin
traitant, j'espère que le médecin de la CSST va rencontrer
l'accidenté à ce moment-là.
M. Fréchette: C'est très certainement une chose
à laquelle il faut attacher beaucoup d'importance, mais j'espère
que vous n'êtes pas, de votre côté, en train de remettre en
cause le droit pour la CSST de la faire cette évaluation. Qu'elle soit
faite de la façon que vous le dites, c'est-à-dire après
examen de l'accidenté, cela m'apparaît une chose, encore une fois,
dont il faut tenir compte.
M. Gauthier (Yvon): Actuellement, ce qui se passe, c'est que les
coupures sont faites sans que le médecin voie l'accidenté.
M. Fréchette: C'est justement la situation actuelle qu'on
veut essayer d'améliorer, M. Gauthier.
M. Gauthier (Yvon): Merci.
Le Président (M. Paré): MM. de la
Clinique juridique de Hull, nous vous remercions des commentaires et des
précisions que vous avez apportés aux membres de la commission.
Je rappelle aux membres de la commission que les travaux reprennent à 20
heures ce soir. Donc, les travaux sont... M. le député de
Rivière-du-Loup.
M. Boucher: Je vous demanderais de m'inscrire, si possible, avec
le consentement des membres, comme membre pour remplacer Mme la
député de Maisonneuve.
Le Président (M. Paré): Si vous le permettez, M. le
député de Rivière-du-Loup, nous ferons cela lors de la
reprise à 20 heures. Donc, les travaux sont suspendus jusqu'à 20
heures.
(Suspension de la séance à 18 h 15)
(Reprise de la séance à 20 h 12)
Le Président (M. Paré): Mesdames et messieurs,
à l'ordre, s'il vous plaît! La commission élue permanente
du travail reprend ses travaux avec le mandat d'entendre les
représentations des personnes et des groupes intéressés au
projet de loi 42, Loi sur les accidents du travail et les maladies
professionnelles. Avant d'entendre le premier mémoire, j'aimerais avoir
l'autorisation des membres de la commission pour remplacer, comme membre de la
commission, Mme Harel, Maisonneuve, par M. Boucher, Rivière-du-Loup.
M. Cusano: II y a consentement, M. le Président. Aucun
problème.
Le Président (M. Paré): II n'y a aucun
problème.
M. Cusano: Pas du tout.
Le Président (M. Paré): Merci. À l'ordre,
s'il vous plaît!
M. Cusano: On peut s'interroger sur cela, M. le
Président.
Le Président (M. Paré): Dans l'ordre, ce soir, nous
allons entendre l'Association des quotidiens du Québec Inc., La
Fédération des accidentés (es) du travail de
Rouyn-Noranda. Il y a aussi un troisième mémoire, celui de
l'Union des producteurs agricoles, mais il est pour dépôt
seulement. Donc, j'inviterais immédiatement...
M. Cusano: M. le Président.
Le Président (M. Paré): Oui, M. le
député de Viau.
M. Cusano: Avant de demander aux prochains invités de
prendre place, je suis sûr qu'ils connaissent l'article 53 de la Loi sur
l'Assemblée nationale, mais pour être sûr et certain qu'ils
la connaissent, je vous demanderais d'en faire la lecture.
M. Baril (Arthabaska): M. le Président, est-ce qu'on peut
faire une proposition? Pour satisfaire l'Opposition, on pourrait déposer
sur la table en avant l'article 53.
M. Cusano: Si vous voulez, après que vous aurez fait la
lecture, vous pourrez en déposer une copie.
M. Baril (Arthabaska): Je dis qu'il serait là pour tous
les intervenants.
Le Président (M. Paré): À l'ordre, s'il vous
plaît.
M. Doyon: M. le Président.
Le Président (M. Paré): M. le député
de Louis-Hébert.
M. Doyon: C'est d'autant plus important que je pense qu'un des
témoins aurait l'occasion de goûter à la médecine
d'une poursuite judiciaire. Il serait bon qu'on le fasse connaître
clairement, de façon que les choses soient très claires à
ce sujet.
Le Président (M. Paré): Très bien, M. le
député de Louis-Hébert, je ne veux pas qu'on entreprenne
un autre débat là-dessus étant donné que le
débat s'est fait sur plusieurs périodes déjà dans
les jours antérieurs.
M. Doyon: Qu'est-ce que dit l'article, M. le
Président?
Le Président (M. Paré): Je vais rappeler l'article
53 pour permettre à nos invités de répondre à nos
questions librement et en toute confiance. L'article 53 de la Loi sur
l'Assemblée nationale se lit comme suit: "Le témoignage d'une
personne devant l'Assemblée, une commission ou une sous-commission ne
peut être retenu contre elle devant un tribunal, sauf si elle est
poursuivie pour parjure." Ceci étant dit, j'invite maintenant le premier
groupe que nous allons entendre ce soir, les représentants de
l'Association des quotidiens du Québec Inc., à prendre place ici
à l'avant, s'il vous plaît!
(20 h 15)
Mesdames et messieurs, bienvenue à la commission. Je demanderais
au porte-parole délégué de bien vouloir s'identifier et
nous présenter les personnes qui l'accompagnent avant de nous
présenter leur mémoire, s'il vous plaît!
Association des quotidiens du Québec
Inc.
M. Landry (Roger D.): M. le Président, je voudrais en tout
premier lieu vous remercier de nous accueillir à votre commission. Mon
nom est Roger Landry, je suis le président du conseil d'administration
des quotidiens du Québec et c'est à ce titre que je viens
aujourd'hui vous présenter ce mémoire. M'accompagnent à
cette table le vice-président de l'association, M. Robert Richardson,
qui est l'adjoint à l'éditeur du journal The Gazette; la
secrétaire de notre association, Me Lise Bertrand; notre conseiller
juridique, M. Jean Beauvais, et notre conseiller technique, M. Mario Savard,
qui est vice-président à la Presse. Il serait peut-être
opportun que je vous fasse tenir la liste des gens qui font partie de
l'Association des quotidiens du Québec. Tout d'abord, il y a le journal
La Presse, la Tribune, la Voie de l'Est, le Droit, le Nouvelliste, le
Quotidien, le Soleil, The Gazette, The Sherbrooke Record. J'ai aussi en ma
possession une lettre qui nous parvient du Journal de Montréal et du
Journal de Québec nous disant qu'ils se joignent à nous dans la
présentation de ce mémoire quant à sa forme et à
son contenu.
Tout d'abord, l'Association des quotidiens du Québec a soumis le
présent mémoire dans le but de bien faire comprendre à
tous ce que peut représenter pour nous le projet de loi 42 tel qu'il
existe présentement et ce qu'il pourrait apporter, ne serait-ce que des
amendements que nous aimerions voir ajouter. Donc, bien que le projet de loi 42
ne fasse que perpétuer une situation créée par la Loi sur
les accidents du travail telle qu'elle existe présentement, notre
organisme s'interroge aujourd'hui sur le problème que représente
l'assujettissement des camelots à de telles dispositions. Nombreux sont
les citoyens du Québec qui exercent présentement ou ont
déjà exercé la fonction de camelot et qui seront à
même de réaliser que le projet de loi 42, autant que la loi
actuelle, crée des problèmes d'ordre administratif et juridique
susceptibles de perturber l'harmonie des relations du travail qui a toujours
existé entre les quotidiens et les camelots.
L'historique même de la Loi sur les accidents du travail du
Québec, dont la première version fut éditée en
1909, permet d'établir une distinction entre une personne
exerçant l'activité de camelot et les accidentés du
travail traditionnels que l'on tentait de secourir par cette première
loi. Ainsi, les risques qu'encourt le camelot à l'occasion de la
distribution des journaux sont difficilement comparables à ceux du
travailleur d'usine qui manipule, durant une journée complète de
travail, une machinerie lourde et souventefois dangereuse. L'intention de la
CSST d'y assujettir les camelots est tout à fait récente et ne
s'inscrit absolument pas dans l'esprit de la loi.
En plus de l'illogisme que nous voyons à appliquer le même
régime à ces deux groupes de personnes, l'on peut s'interroger
sur l'opportunité que telle protection ait été ainsi
étendue aux camelots sans même que le besoin de telle loi n'ait
été ressenti. Nous n'avons d'ailleurs connaissance d'aucun abus
ou injustice survenu à l'égard des camelots avant que la CSST ne
décide d'intervenir. En effet, un tour d'horizon de la situation chez
chacun des membres de notre association nous permet de constater que, dans les
faits, très peu d'accidents surviennent aux camelots.
Il faut encore souligner que les jeunes camelots, envisagés comme
possibles accidentés du travail en vertu du projet de loi 42,
présenteront pour les tribunaux des problèmes pratiques, tant en
raison de leur statut d'accidenté qu'en raison de leur statut de
travailleur ou travailleur autonome. Le quotidien n'a aucun contrôle sur
les activités d'un camelot (sports, école, déplacements,
divertissements, travaux domestiques tels que tondre le gazon de voisins ou
déblaiement de la neige, moyennant rémunération, dans le
voisinage, distribution aussi de circulaires ou de journaux autres que le
quotodien). Nous tenterons d'ailleurs d'identifier ces problèmes dans
les pages qui suivent.
Le jeune camelot consacre - et c'est un point important - au plus une
heure par jour à la distribution des journaux. La vente de journaux
à domicile ne constitue donc qu'une faible partie de ses occupations
journalières. De plus, le camelot peut organiser son mode de
distribution, le trajet et son horaire à l'intérieur d'un
territoire sous réserve d'avoir terminé la livraison à une
heure déterminée. Il serait peut-être plus juste ou plus
exact de dire que le camelot vaque à une occupation plutôt
qu'à un travail, ses heures et ses conditions de travail relevant, en
grande partie, de son initiative personnelle. Le camelot est, de fait, un
entrepreneur et administre son entreprise. Il peut distribuer ou vendre
d'autres produits tels que chocolats, calendriers pour financer une
activité sportive ou autre.
De plus, la grande majorité des camelots est constituée
d'étudiants. Du point de vue du camelot, l'école est sans doute
la principale source de travail quotidien.
L'argent que le camelot reçoit est le
plus souvent qualifié d'argent de poche et non de gagne-pain.
Cependant, en vertu de l'article 49 du projet de loi, le camelot
accidenté peut recevoir une indemnité de remplacement de revenu
de la commission. Quand nous considérons que le roulement des camelots
peut atteindre jusqu'à 100% par année dans la métropole et
que le camelot peut se faire remplacer, comme il l'entend, par un frère,
une soeur, un ami, voire son père ou sa mère, le nombre potentiel
de réclamants en vertu du projet de loi 42 est impossible à
déterminer. De plus, le camelot n'informe généralement pas
le représentant du quotidien du nom de son remplaçant.
Pour le quotidien assujetti au projet de loi 42, de nouveaux instruments
de contrôle et de vérification des accidents du travail devront
nécessairement être mis en place. Le coût administratif de
ces contrôles s'avérera particulièrement onéreux
pour les petits quotidiens. De plus, même si le projet de loi 42
prévoit que l'employeur peut contester le bien-fondé d'une
réclamation en vertu des article 245 et 247, ce droit d'appel devient un
droit fictif quand nous considérons que certains quotidiens ont à
leur emploi jusqu'à 5000 camelots. De plus, certains quotidiens confient
la distribution de leur journal à des sous-traitants qui livrent dans
les dépôts avec leur camion et organisent la distribution à
domicile par des camelots. Ces sous-traitants deviendraient des employeurs au
sens de la loi; ils seraient alors obligés de tenir des registres pour
les seules fins de l'administration du dossier de la CSST. Présentement,
le quotidien qui décide de contester le bien-fondé d'une
réclamation à la CSST doit attendre au moins trois ans avant
d'être entendu par la Commission des affaires sociales, tribunal d'appel
de dernière instance en cette matière. Le processus prévu
dans le projet de loi 42 ne permet pas d'espérer quelque
amélioration que ce soit à l'égard de ces délais.
Par conséquent, le jeune camelot aura sans doute passé à
une autre occupation au moment de sa convocation à l'audition.
Par conséquent, l'élargissement du régime des
accidents du travail aux camelots implique le début de relations
équivoques entre le camelot et le quotidien, compliquées par des
procédures et, évidemment, de la paperasse.
Le camelot est généralement âgé de dix
à quinze ans. Le choix des moyens de distribution des journaux qui lui
sont confiés chaque jour est à son entière
discrétion. Il peut donc livrer ses journaux à pied, à
bicyclette, ou même en automobile conduite par un parent. Certains
camelots distribuent plusieurs journaux en même temps. Exemple, à
Québec, le Devoir, The Gazette et le Journal de Québec. Il serait
alors difficile d'identifier l'employeur au moment de l'accident.
Selon le projet de loi 42, les camelots pourront être
indemnisés pour tout accident du travail, quelle qu'en soit l'origine.
Pourtant, le quotidien, cotisé par la CSST, n'a aucun contrôle sur
la manière dont le camelot effectue son travail, ni sur les risques qui
accompagnent cette manière de faire, laquelle ressort de toute
façon du choix exclusif du camelot lui-même.
Dans les cas de contestation d'une réclamation par l'employeur,
le jeune camelot devrait avoir recours à son père et, dans
certains cas, à un procureur pour le représenter.
Interrogeons-nous, en fait, sur les difficultés qui se
présenteront afin de déterminer si l'accident est
réellement survenu alors que le camelot effectuait sa distribution de
journaux et non à l'occasion de la pratique d'un sport, par exemple. En
effet, le camelot n'ayant pas, comme les travailleurs, de collègues de
travail susceptibles de donner leur version d'un accident, il pourra être
difficile, voire impossible dans certains cas, de déterminer avec
certitude l'origine de cet accident. Nous ne croyons pas que le fait d'imposer
de lourdes cotisations aux quotidiens puisse contribuer, si c'était
nécessaire, à améliorer la prudence des jeunes camelots,
non plus qu'à faciliter les mesures préventives pour
éviter d'autres accidents.
Nous croyons, en conclusion, que les simples exemples
énumérés ci-dessus démontrent bien que les
difficultés administratives et les coûts qu'entraîne
l'implantation de ce régime aux camelots sont démesurés
par rapport aux avantages que cette protection est susceptibe d'apporter
à ces derniers. En effet, la nécessité d'une telle
protection est plus apparente lorsqu'elle vise à remplacer le revenu
d'un accidenté qui est soutien de famille que lorsqu'on examine le cas
du jeune camelot sachant, par ailleurs, que la plupart de ces jeunes camelots
disposent déjà d'une protection par le biais d'une assurance
scolaire ou même d'un programme d'assurance offert par le quotidien.
Nous croyons que la protection donnée par une police d'assurance
protège le camelot adéquatement dans le cas d'un accident survenu
dans le cours de la distribution du journal alors qu'il n'encourt aucun risque
supérieur à ceux qu'il encourt dans ses activités
quotidiennes normales.
En conclusion à cet appel au bon sens, notre association ne peut
que recommander qu'un amendement soit apporté à la
définition de "travailleur" et "travailleur autonome", à
l'article 2 du projet de loi 42 afin d'inclure les camelots dans la liste des
exceptions énoncées par le législateur. Il faut noter que
"la personne qui pratique le sport qui constitue sa principale source de
revenu", est déjà exclue de l'application du projet de
loi 42. Nous croyons que le jeune camelot pourrait facilement
s'insérer dans cette liste d'exceptions, considérant le
caractère unique de ses fonctions, lesquelles ne constituent qu'une
partie infime et marginale de son emploi du temps.
Au sein d'une société qui se complexifie de jour en jour,
est-il bien nécessaire de perdre l'image du jeune camelot effectuant sa
tournée matinale pour se mériter un peu d'argent de poche? Vous
me permettrez de souligner qu'aucun camelot des neuf autres provinces n'est
assujetti à de telles dispositions. La province de l'Alberta a
considéré cet état de fait, mais s'est vite
désistée, faisant surtout appel au gros bon sens.
Je voudrais maintenant donner la parole à Me Beauvais, qui vous
exemplifiera, si l'on veut, quel effet pourrait avoir le projet de loi 42.
À titre d'exemple nous avons choisi le journal Le Soleil, ne voulant pas
favoriser les uns et les autres et Le Soleil étant le journal de la
ville de Québec. Nous avons demandé à Me Beauvais de ce
faire.
M. Beauvais (Jean): M. le Président, strictement à
titre d'illustration des quelques énoncées de principe que M.
Landry vient de vous donner, je vais vous exposer en trois mots la situation au
Soleil. Le Soleil a 4000 camelots qui distribuent quotidiennement le journal,
mais dans une année, il en passe 8000, le taux de roulement étant
de 100%. Le Soleil emploie 600 personnes. Si le projet de loi est adopté
dans sa forme actuelle, nous devrons inscrire dans nos registres 8600 personnes
au lieu de 600. Nous devrons engager deux personnes pour tenir le registre.
Nous devrons augmenter le travail de tous les agents de tirage. Nous avons onze
sous-traitants dans les régions qui travaillent pour des sommes
forfaitaires et qui ne tiennent pas de registre pour nous des camelots. Nous
ignorons qui ils sont. Ces gens-là, peu familiers avec l'administration,
devront augmenter leur charge de travail et, évidemment, être
rémunérés en conséquence. (20 h 30)
Au moment où nous parlons, au Soleil, tous les camelots sont
régis par une assurance. Cette assurance ne les couvre pas seulement
pendant l'heure où ils distribuent le journal mais vingt-quatre heures
par jour. Elle coûte 0,25 $ par semaine et est défrayée par
le camelot. Nous considérons que c'est un apprentissage aux affaires que
d'avoir une route. D'ailleurs, il y en a même qui se vendent les routes
les uns aux autres. Très souvent, ce sont des entreprises familiales
où deux ou trois enfants se la partagent de jour en jour et, parfois, le
samedi, quand ils dorment, ce sont les parents qui y vont. D'ailleurs, j'ai un
sous-ministre qui me livre le Soleil régulièrement.
Aller nous embarquer dans cette administration entraînerait des
coûts. C'est la situation que nous allons vivre si la loi n'est pas
changée. Il y a déjà un jugement à la direction
financière qui a déclaré le camelot comme un travailleur.
Si la situation persiste, nous calculons que les coûts au Soleil seront
les suivants: 10 030 $ de cotisations. S'il devient un travailleur, nous
devrons à ce moment-là payer des primes au gouvernement pour
l'assurance-maladie pour un montant de 50 000 $; 4% de vacances, 66 000 $;
autres cotisations gouvernementales, 2000 $. Cela fait un total de 130 000 $,
plus 50 000 $ de frais d'administration. Nous en sommes rendus à 179 000
$ pour administrer le régime, sans tenir compte de ce que cela va
coûter à la CSST, parce que cela va évidemment
nécessiter un certain nombre de personnes.
Pour répondre à quels besoins? N'oubliez pas que notre
assurance couvre les vingt-quatre heures par jour. Je vais vous donner
l'historique des réclamations depuis quatre ans. Tout le monde est
couvert. Si un jeune qui est camelot au Soleil a un accident en jouant au
hockey, on le paie. Ils le savent tous. Ils ont les documents pour cela. En
1980, les réclamations nous ont coûté 6000 $; en 1981, 10
000 $; en 1982, 11 000 $; en 1983, 13 000 $. Nombre de réclamations
moyennes: 190 par année. Le tout se fait sans recherche de
responsabilité.
Ce que la loi va offrir aux camelots est une protection moindre, soit
une heure par jour - alors que nous les protégeons pendant vingt-quatre
heures - avec les risques de contestation. Cela va nous causer des frais
d'administration de 200 000 $ pour répondre à des
réclamations de l'ordre de 13 000 $ pour 24 heures par jour. Pour nous,
c'est à n'y rien comprendre. Nous croyons que le jeune est totalement
couvert au moment où l'on se parle et que tout ce que l'on fait par la
loi, c'est d'augmenter l'administration à un coût effarant de 200
000 $ pour payer l'équivalent de 13 000 $ en donnant une protection
moindre au camelot. Quel est l'avantage?
Le Président (M. Paré): Merci pour la
présentation de votre mémoire. Nous allons maintenant passer
à la période d'échanges. La parole est au ministre du
Travail.
M. Fréchette: Merci, M. le Président. Je voudrais
d'abord remercier M. Landry et les membres de sa délégation
d'être venus nous faire leurs représentations par rapport aux
dispositions qu'on retrouve dans la loi 42. Il est facile de comprendre que le
mémoire est court, clair et très explicite, parce que,
effectivement, il a un but et un objectif principal qui est, à toutes
fins utiles, unique: faire en sorte que les camelots soient purement et
simplement exclus de l'application de la loi.
Évidemment, la discussion a déjà été
engagée là-dessus. Je pense que tout le monde le sait et,
jusqu'à maintenant, on n'a pas trouvé de terrain d'entente.
J'espère que la discussion que nous allons engager va nous permettre
d'avancer dans l'étude du dossier. Je voudrais, M. le Président,
aussi brièvement que possible, essayer d'obtenir certains renseignements
additionnels qui pourraient être utiles à la discussion et, bien
sûr, aussi, à la réflexion qui devra suivre les
échanges que nous aurons ce soir.
Me Beauvais vient de nous donner l'exemple du journal Le Soleil.
À l'annexe A, il y a neuf membres dans votre association. Deux autres se
sont joints, pour les fins de la présentation du mémoire et de
son contenu, à votre association. Est-ce que, Me Beauvais ou M. Landry -
et là, je ne veux pas créer d'émulation entre les
différents journaux - la situation du journal Le Soleil, en termes de
nombre de camelots, est celle que l'on retrouve au maximum de l'échelle
du nombre d'emplois? Je vois M. Landry déjà faire des signes.
Comment est-ce que cela se présente par rapport aux neuf membres de
votre association, si vous avez ces renseignements?
M. Landry (Roger D.): Je vais essayer de vous répondre
rapidement. Évidemment, la fluctuation du nombre est en parallèle
avec le tirage du journal. On peut dire, si on prend, à Montréal,
la Gazette, le Journal de Montréal et la Presse, que vous en avez
là un nombre approximatif de 5000 en moyenne dans chacun des journaux.
Il y a un autre facteur... C'est là où je comprends bien votre
question, parce que chaque journal et chaque situation sont
différents.
Si on prend Sherbrooke, un coin que vous connaissez bien, à ce
moment-là, c'est encore là, en fonction de l'endroit où le
journal est distribué. Il est possible que le territoire soit plus grand
et que, dans la ville même de Sherbrooke, il y ait des camelots, mais,
pour les autres secteurs, c'est distribué à des points de vente
ou à des choses du genre. Il me serait difficile de vous donner une
réponse parfaitement exacte mais ce que je peux dire c'est qu'il y a un
parallèle facile à dresser et c'est toujours en fonction du
tirage du journal.
M. Fréchette: Cela va. Je comprends aussi très
facilement que ce n'est pas simple d'arriver à mettre des chiffres
absolus en fonction de chacun des organismes qui sont identifiés dans
l'annexe. Maintenant Me Beauvais nous a signalé que la situation qui
existe au journal Le Soleil en termes de protection ou d'assurance est une
protection à laquelle le camelot lui-même contribue. Il paie
lui-même sa prime de 0,25 $ par semaine, nous avez-vous dit? Est-ce que
vos renseignements vous permettent de nous dire si, dans chacune des
entreprises qui sont énumérées à l'annexe A, il
existe aussi ce genre de protection ou un autre genre? Enfin, comment est-ce
que se présente la situation à cet égard-là?
M. Landry (Roger D.): Il existe, dans chacun des journaux, une
protection mais ce n'est pas une protection uniforme dans le sens que, par
exemple, nous, au journal La Presse, nous payons la protection pour le camelot
mais sur la base de l'heure, de la période où il travaille. Dans
le cas du journal Le Soleil, eux, ils ont décidé d'aller sur 24
heures et chacun des autres journaux a sa façon de faire.
Nous avons eu, et je pense que vous êtes au courant, des
rencontres pour essayer de trouver une formule par laquelle on pourrait, si on
veut, formaliser ou étendre le système. Mais, encore là,
c'est toujours le même problème qui survient: c'est que nos
entreprises de presse, si je fais exclusion des trois majeures - si on veut -
à Montréal, fonctionnent par rapport à leur marché
et au nombre qu'elles ont. C'est très difficile, je dirais, voire
presque impossible, d'établir une norme qui saurait satisfaire chacun
des quotidiens parce que leurs besoins ne sont pas les mêmes, sauf que
tous s'accordent pour dire qu'il est essentiel, qu'il est même absolument
majeur que les camelots soient protégés, et ils le sont dans le
sens que chacun a une forme de protection, mais qui n'est pas exactement la
même partout.
M. Fréchette: Toujours dans le même esprit et dans
le seul but d'essayer d'avoir une image aussi claire que possible de la
situation, je retiens le dernier paragraphe de la page 7 de votre
mémoire dans lequel vous nous dites: "Nous croyons que la protection
donnée par une police d'assurance protège le camelot
adéquatement dans le cas d'un accident survenu dans le cours de la
distribution du journal". Evidemment, je pense qu'on va tous convenir que le
terme "adéquatement" est fort large et peut couvrir un grand nombre de
situations. Est-ce qu'il . est possible, Me Beauvais, M. Landry ou quelqu'un de
la table - je ne vous dis pas de nous donner à la lettre la situation
qui existe dans chacune des entreprises d'essayer de résumer quelle est
effectivement la couverture adéquate dont vous nous parlez dans votre
mémoire? Cela couvre quoi précisément, dans l'une ou
l'autre des situations qui peuvent se présenter, une incapacité
partielle permanente, une incapacité totale permanente, une
incapacité temporaire permanente? Quelles sont en gros...
M. Beauvais: La police d'assurance à laquelle le Soleil a
souscrit est une police qui existe à travers les États-Unis et
qui est
largement répandue. Elle comporte une assurance-vie de 4000 $ et,
pour la perte de membres, des indemnités de 500 $ à 16 000 $.
Pour un doigt, c'est tant, etc. Il y a une table, qui est à peu
près dans la formule des assurances que les parents souscrivent
habituellement pour des enfants qui vont à l'école. C'est
à peu près calqué sur le caractère indemnitaire de
ces polices.
Sur le plan de l'invalidité par cause d'accident,
l'indemnité est de 15 $ par semaine, c'est la moyenne des revenus des
camelots du Soleil. Le revenu hebdomadaire du camelot du Soleil varie entre 5 $
et 18 $ à 20 $. Dans tous les cas on donne 15 $ sans discussion.
M. Fréchette: Évidemment, quand on se
réfère à ce chapitre de la couverture de la police, on en
vient à la conclusion que l'on parle strictement en termes
d'indemnisation et de réparation matérielle des
inconvénients que peut créer un accident du travail.
Cela va un peu plus loin que cela, je vous le soumets pour discussion
encore. Prenons le cas d'un camelot qui subit un accident grave et qui se
retrouve avec une incapacité sérieuse de 20%, 25% ou 30% et qui
est permanente. La loi 42, comme la loi actuelle sur les accidents du travail,
prévoit aussi un processus de réadaptation. D'abord, la
première question, ce serait peut-être une question qui serait en
relation avec le principe. Est-ce que vous concourez au principe qu'il faille
aider quelqu'un qui a un accident du travail en termes de réadaptation
physique, sociale, enfin, toute espèce de réadaptation, d'une
part, et, deuxièmement - c'est une affirmation que je vais risquer de
faire - je suppose que dans les régimes d'assurance privés il n'y
a pas de processus de réadaptation qui sont prévus?
M. Landry (Roger D.): Je vais apporter le commentaire suivant. En
tout premier lieu, je vais accepter votre prémisse, j'y concours, je
crois qu'il est très important d'avoir ce processus de
réadaptation, etc.
La difficulté et peut-être le problème que nous
avons eu à établir une formule, c'est que nous avons très
peu d'incidences du genre. Dans le cas des camelots, c'est très rare.
L'incidence d'accidents en comparaison du nombre de personnes, etc., est
très basse. Ce qu'il est essentiel pour nous d'obtenir, et je pense que
ce que vous demandez là est un point sur lequel nous serions très
ouverts à engager une forme qui nous amènerait à trouver
cette dimension... Lorsque vous parlez d'échanger à ce propos, je
suis très ouvert pour le faire. (20 h 45)
Le danger que nous avons vu dans le cas de la loi 42 - vous me
corrigerez si je me trompe - c'est que je crois qu'on disait que la somme
était de 50 $ par jour - est- ce que c'était cela? par semaine,
plutôt -alors que le petit bonhomme que nous avons était
payé à ce moment-là... Disons qu'il gagnait... Dans notre
cas à nous, la différence dont on parlait... Le Soleil dit 15 $
à 18 $; nous, c'est de 20 $ à 25 $ pour le petit gars. À
Sherbrooke, peut-être...
M. Fréchette: Vous allez avoir des conflits de
travail.
M. Landry (Roger D.): Non, non, pas vraiment. C'est
précisément pour cette raison qu'on ne voudrait pas... Mais
là-dessus, sur cette question - je donnerai la parole à Me
Beauvais subséquemment - il va sûrement falloir trouver cette
recette, on l'avoue, mais nous ne croyons pas - et c'est pour cela que nous
avons décidé de venir vous rencontrer pour vous expliquer cela
-qu'il serait opportun d'établir un principe par lequel, lorsque
quelqu'un travaille pour une entreprise ou qu'il fait un geste à titre
de travailleur autonome, pour la période où il est là,
où il fait cela, il ait une responsabilité pour quelque chose,
alors que cela arrive lorsqu'il est dans la cour d'école en train de
jouer au hockey ou de faire quelque chose du genre. C'est là où
c'est très difficile d'en arriver... Parce que le camelot c'est un peu,
je pense, l'origine peut-être de l'entrepreneurship. Quand les jeunes
font cela, ils le font aussi sur une base... Je vais aller me faire des sous.
Je vais aller travailler et je vais... C'est ce que vous essayez d'obtenir et
je pense que c'est très valide. Je tiens à vous dire que votre
préoccupation là-dessus rejoint la nôtre aussi. Il n'y a
personne qui s'oppose à cela. Il s'agit de trouver, par contre, la
recette.
M. Fréchette: De trouver la formule. M. Landry (Roger
D.): C'est cela.
M. Fréchette: C'est peut-être un peu plus
compliqué de trouver la formule...
M. Landry (Roger D.): Oui.
M. Fréchette: ...mais je retiens, de toute façon,
que sur le plan du principe, l'objectif qui est visé...
M. Landry (Roger D.): Oui.
M. Fréchette: ...c'est le genre de chose sur laquelle vous
seriez disposé à élaborer davantage et à discuter
davantage.
M. Landry (Roger D.): Oui, absolument. M. Fréchette:
Bon!
M. Beauvais: M. le ministre, si vous le permettez.
M. Fréchette: Oui.
M. Beauvais: Nous avons examiné la grille des accidents au
cours des années et je vous dirais que 90% sont des fractures mineures
de la jambe ou du bras à l'occasion d'une chute dans un escalier, ou un
pouce dans la porte. Il y a quelques accidents où on se fait mordre par
un chien. Je pense que le recours que l'enfant peut prendre, du
côté civil, avec l'aide de ses parents contre le voisin qui a le
chien méchant pourrait répondre à ce besoin-là. Les
autres - ce sont les plus graves et ils ont d'ailleurs déclenché
tout le débat - ce sont les accidents causés par des automobiles
et il y a un autre régime qui y voit.
La deuxième remarque là-dessus, c'est que l'expectative de
gain de celui qui commence comme camelot au Soleil est, au total, en moyenne
360 $. Il se perd dans la brume et c'est un autre qui le remplace. Est-il juste
de faire supporter par une entreprise, pour le restant de ses jours, la
réadaptation, etc., alors que son lien avec l'entreprise ne durera que
pendant quatre ou cinq mois à l'occasion d'une activité qui est
moins dangereuse que quand il s'en va à l'école avec des patins
et qu'il se met à jouer? Il fait une marche en distribuant les journaux
le matin et il retourne chez lui. Ce serait peut-être des
considérations.
M. Fréchette: Non, non. Je crois bien que vous avez des
considérations qui doivent être appréciées
sérieusement, évaluées à leur mérite et qui
demandent de la réflexion, c'est sûr. Vous soulevez des questions
de principe importantes. Il y a aussi - il me semble, en tout cas - des
questions de principe qui pourraient être invoquées à
l'appui de l'autre thèse. Par exemple, je comprends, quand vous
m'expliquez toutes les conditions de travail, au sens très large du
terme, du camelot, que vous n'avez pas beaucoup de contrôle sur ses
décisions à lui quant à la façon de faire la
distribution, quant à la possibilité qu'il demande à son
frère, à sa soeur, à son père ou à sa
mère de faire le travail pour lui, mais il reste toujours, au plan du
principe, en tout cas, qu'il y a cette relation employeur-employé entre
l'entreprise que vous êtes et lui-même. Si on accepte cette
relation, on accepte aussi qu'un accident survenant pendant l'exécution
de ses fonctions à votre service peut être considéré
comme un accident du travail et traité en conséquence. Enfin! Je
ne sais pas si mon évaluation est correcte. Je vous vois faire des
signes de tête importants.
M. Landry (Roger D.): C'est parce que je comprends exactement...
La position où nous sommes, c'est qu'on se rejoint sur l'idée,
sur la dimension de protection. Je pense que là où on a
peut-être de la difficulté, nous, c'est de voir que le type... En
fait, c'est un peu comme le gars qui dit: Je veux acheter dix pommes à
0,10 $ et je vais aller les vendre 0,20 $, si vous voulez. C'est un petit peu
le gars qui est entrepreneur, qui va acheter en vrac et qui dit: Je vais aller
vendre mon affaire. Et cela revient toujours. Fondamentalement, la
réflexion que vous, en tant que législateurs, avez à
vraiment penser, c'est: Est-ce que, à ce moment-là, ce bonhomme,
qui travaille une heure par jour à faire cela est un employé de
l'entreprise ou est-ce que c'est un artisan, si on veut, ou un entrepreneur qui
dit: Je vais aller chercher cela et je vais faire ce bout-là. Cela est
une décision, bien qu'elle semble facile lorsqu'on échange comme
cela, qui est assez profonde pour le législateur. Je conçois cela
très bien. Je pense que tous les gens, à cette table, le
conçoivent bien. Mais le danger - et c'est le point que j'aimerais
soulever - c'est qu'il ne faudrait pas, je crois, passer de tout l'un à
tout l'autre. Autrement dit, si on pouvait avoir l'artisan-employé, ce
serait déjà... Vous savez, ce serait de trouver le moyen... Ce
que le projet de loi indique, c'est que c'est tout un ou tout l'autre. C'est
qu'il devient un employé; en réalité et dans le quotidien,
on peut dire qu'il est employé, oui, mais pour une heure ou pour la
durée de son affaire. C'est là M. le ministre que vous avez...
C'est pour cela que vous êtes le législateur et que moi je ne le
suis pas!
M. Fréchette: Évidemment, je comprends que
l'argumentation que vous développez, M. Landry, mérite
d'être considérée, comme je vous le disais il y a un
instant. Vous semblez être d'accord avec moi pour convenir que le
problème n'est pas très simple, finalement. Et il met en
discussion plusieurs principes qui peuvent être invoqués au
soutien de l'une et l'autre thèse. Il faut essayer de trouver dans tout
cela le juste milieu.
Je voudrais simplement essayer d'obtenir de Me Beauvais un peu plus de
précisions quant à cette décision dont il nous a
parlé quand il a fait une impressionnante revue de l'aspect
économique de la situation pour le journal Le Soleil, puisque c'est
l'exemple qu'il a utilisé.
Vous avez parlé d'une décision rendue par une instance que
je n'ai pas pu identifier, malheureusement...
M. Beauvais: C'est la direction financière de la
CSST...
M. Fréchette: De la Commission de la santé et de la
sécurité du travail.
M. Beauvais: Oui. Et nous sommes en appel devant la Commission
des affaires
sociales. L'appel est en suspens en attendant les travaux en cours.
M. Fréchette: En attendant de voir les résultats de
ce qui se passe maintenant.
M. Beauvais: Oui. Et la décision, c'est que ce sont des
travailleurs et non pas des artisans...
M. Fréchette: Bon.
M. Beauvais: ...ce qui impliquerait tout le restant.
M. Fréchette: Et c'est là-dessus que je
souhaiterais que l'on puisse clarifier la situation. Parce que là, dans
les informations que je possède quant à l'impact de la
décision elle-même par rapport à ce que vous me soumettez,
il y a des différences qui sont fondamentales. Et retenez, dès le
départ, que je ne suis pas en train de contredire ce que vous m'avez
dit. Je vais essayer qu'on mette les deux points de vue un à
côté de l'autre, pour voir quel est, précisément,
l'état de la situation. Je suis informé - je n'ai pas devant moi
la décision, bien sûr - que cette décision à
laquelle vous vous référez aurait, effectivement, reconnu les
camelots comme des travailleurs au sens de la Loi sur les accidents du travail
mais que la même décision ne les aurait pas reconnus travailleurs
au sens de la Loi sur la Régie de l'assurance-maladie du Québec
et au sens de la Loi sur les normes du travail.
M. Beauvais: C'est très exact que cette décision ne
peut pas décider, ce n'était pas res gestae, cela ne faisait pas
partie du litige.
M. Fréchette: Non, mais vous avez parlé tout
à l'heure des implications que cela pouvait engendrer.
M. Beauvais: Oui.
M. Fréchette: Vous avez dit: Bon, il faudra maintenant que
l'on cotise à la Régie de l'assurance-maladie du Québec;
il faudra que l'on cotise à telle autre instance; il faudra que l'on
cotise un peu partout.
M. Beauvais: La conclusion... M. Fréchette:
Oui.
M. Beauvais: ...de la décision rendue le 2 décembre
1982, je vous en lis la dernière phrase concernant ce point en litige:
"Mais comme nous l'expliquions au début, le camelot ne doit pas
être considéré comme un artisan ou un petit entrepreneur au
sens de la Loi sur les accidents du travail, il est un travailleur."
M. Fréchette: Au sens de la Loi sur les accidents du
travail.
M. Beauvais: C'est cela. Mais une fois que son statut devient
celui d'un travailleur, nous sommes cotisés, évidemment, pour
lui, à la CSST, comme un travailleur. Il devient l'employé de
l'entreprise et tout le restant s'ensuit.
M. Fréchette: Et c'est ce que vous portez en appel,
actuellement?
M. Beauvais: Oui. Maintenant, dans votre recherche, M. le
ministre, il y a une chose, je pense, qui est assez frappante, c'est que la
structure de la loi, les mécanismes, les rapports, les
prélèvements, etc., c'est fait dans un contexte d'entreprise avec
des salariés, et on vient prendre ce grand contexte pour l'appliquer
à un travail qui n'a rien à voir avec tous les autres travaux qui
sont assujettis à la loi. C'est peut-être un élément
à retenir. Si on a recours à une grosse machine pour un
problème d'une heure par jour, un genre de bénévolat qui
se fait à gauche et à droite, faire de l'argent de poche...
M. Fréchette: Cela rejoint un peu une observation qu'on
retrouve dans les remarques préliminaires du mémoire que nous a
lu M. Landry. Le mémoire dit qu'on ne peut pas comparer le travail du
camelot à celui de l'opérateur de machinerie lourde, à
celui de manoeuvre sur un chantier de construction, etc. Je comprends que vous
faites la référence de comparabilité en termes des risques
que cela représente. On pourrait peut-être faire la même
comparaison entre l'opérateur de machinerie lourde et la
téléphoniste ou la secrétaire d'un bureau. Les risques ne
sont évidemment pas les mêmes. Par ailleurs, tous les deux sont
couverts par la Loi sur les accidents du travail et les maladies
professionnelles.
M. Landry (Roger D.): Est-ce que vous me permettez de faire un
commentaire?
M. Fréchette: Oui, bien sûr.
M. Landry (Roger D.): Ce que vous dites en ce qui concerne la
téléphoniste et l'opérateur de machinerie lourde, j'y
souscris, parce qu'ils sont effectivement des employés de l'entreprise,
ils doivent être assujettis aux normes de l'entreprise, vivre à
l'intérieur de cette entreprise et fonctionner comme tels. J'accepte
cela. Je ne pense pas que personne mette cela en doute; enfin, je ne le crois
pas. En fait, le vrai problème, "the crux of the problem", se situe par
rapport au petit camelot qui arrive à... Je vous ai indiqué plus
tôt qu'on avait un "turn-over", un remplacement de 100% sur 5000 camelots
et
cela change à tous les trois mois. Il y en a qui restent, il y en
a qui s'en vont. Dans son esprit, le petit gars va livrer ses journaux et gagne
ses 15 $ ou ses 25 $. C'est tout. Il sert ses 18 ou 20 clients. Il n'a pas ce
sens d'appartenance, si vous voulez, à l'entreprise. D'ailleurs, ce que
vous touchez là, c'est le problème; c'est de vraiment
définir le petit gars comme ce qu'il est. Est-ce que c'est un petit gars
qui dit: Je suis un entrepreneur? S'il dit à son employeur, le lundi
soir: Je suis tanné, j'ai sauté quatre bancs de neige ce matin
pour livrer la Presse et je ne veux plus me lever à 6 heures le matin,
je lâche... Une téléphoniste qui sauterait quatre bancs de
neige et qui arriverait au bureau, on lui dirait: Écoutez! madame, il y
a des considérations; vous avez telles obligations et nous avons des
obligations. Mais ce n'est pas du tout cette relation-là. Si on pouvait
trouver la recette par laquelle ce que la loi et ce que vous visez en tant que
législateur soit d'assurer que s'il doit y avoir réhabilitation,
s'il doit y avoir ces choses-là, il faudrait qu'on ait un moyen de
protéger. Je pense que c'est cela que le législateur vise, plus
que de déterminer si c'est un employé ou quel genre de chose...
Je pense que c'est là-dessus...
M. Fréchette: II y a des points sur lesquels on se
rejoint, M. Landry.
À la page 2 de votre mémoire, au dernier paragraphe, vous
nous dites que le quotidien n'a aucun contrôle sur les activités
d'un camelot. Cela m'amène à une considération et à
une question. Quand la philosophie de la Loi sur la santé et la
sécurité du travail a été élaborée,
évidemment, il fallait penser en termes de réparation - c'est
sûr - d'indemnité, etc., mais aussi en termes de prévention
de l'accident. Les experts en la matière évaluent que plus la
prévention sera intense, plus la prévention sera bien faite, plus
elle sera structurée, adéquate, évidemment, plus les
accidents vont diminuer dans la même proportion ou à peu
près. Cela m'amène à la question suivante, quand vous
dites que le quotidien n'a aucun contrôle sur les activités d'un
camelot. Est-ce que cela va aussi loin que de dire: On n'est pas non plus en
mesure, à cause de toutes ces circonstances, de faire de la formation,
de l'information et de la prévention avec nos camelots? En d'autres
mots, on retient leurs services; il y a des procédures qui sont faites
pour l'engagement au tout début, après cela, il s'en va de sa
propre initiative. (21 heures)
M. Landry (Roger D.): Si vous permettez, je vais demander
à Roméo Savard - qui vit l'expérience avec les camelots
parce qu'on en a près de 5000 à la Presse - de vous parler aussi
de l'incidence parce qu'il y a un élément là-dedans qui
est très drôle. Peut-être, Mario, pourriez-vous parler du
volume, par exemple, de plaintes ou de réquisitions.
M. Savard (Mario): Une des choses ici qu'on prévoit,
peut-être, et ce n'est souligné nulle part, c'est que le trajet du
camelot, sa géographie, son parcours est fait de telle sorte qu'il ne
doit pas traverser de rues, habituellement, sur les artères principales,
la Grande-Allée par exemple. On s'assurerait, à Montréal
sur un boulevard, qu'il va faire juste un côté du boulevard.
Déjà, dans la planification du trajet d'un camelot, on est
très conscient de cela. Il est évident que ce n'est pas
communiqué aux jeunes à dix, douze ans. Mais sur les grandes
artères, tous nos territoires sont délimités. Son trajet
est fait en fonction d'éviter cette incidence de traverser les
boulevards et ces choses là. Au trafic, c'est déjà
planifié comme cela.
M. Fréchette: C'est vous autres qui lui délimitez
cela et vous vous assurez qu'il n'ait pas, par exemple, à traverser une
grande artère.
M. Savard: Habituellement, dans une rue à grand trafic, le
porteur va travailler uniquement sur le côté pair ou impair pour
éviter qu'il ait à traverser la rue. Les territoires sont
montés comme cela. Je pense que cela a été
souligné. Comme il y a peu ou pas de réclamations, il est
évident que le besoin de formation en prévention est presque nul
aussi. Je veux dire que souvent on corrige des situations. Le taux est
tellement bas qu'on ne peut pas avoir des programmes pour des choses
inexistantes non plus.
M. Fréchette: J'avais pris une note aussi pour obtenir un
peu plus de renseignements sur la fréquence et les conséquences
des accidents. Je pense que quelqu'un l'a déjà soulevé. Ne
serait-ce que pour nous rafraîchir la mémoire, est-ce qu'on
pourrait revenir là-dessus, pour l'ensemble des quotidiens ou à
partir d'un organisme en particulier?
M. Landry (Roger D.): Me Bertrand va vous donner quelques
détails à ce sujet.
Mme Bertrand (Lise): Pour la plupart de nos membres qui ont une
assurance comme celle de la Presse, une assurance qui couvre le moment de
l'accident de travail, ce sont des choses comme une réclamation en dix
ans, ou aucune en dix ans, quelque chose comme cela. Pour les quotidiens qui
ont une couverture d'assurance qui ressemble à celle du Soleil,
c'est-à-dire 24 heures, là cela peut être de 50 à
100-150 par année, mais c'est 24 heures.
M. Fréchette: En termes de conséquences, Me
Bertrand?
Mme Bertrand: De conséquences?
M. Fréchette: C'est-à-dire le genre d'accidents
produits. La gravité, oui, précisément.
Mme Bertrand: On a des exemples pour le Soleil.
M. Beauvais: Au total, pendant toute l'année 1981 - j'ai
des statistiques pour le Journal de Montréal, le Journal de
Québec, la Gazette, le Devoir et le Soleil, tous ces journaux - c'est
474 réclamations au total et 433 en 1982. Au Soleil, on pense, je ne
pourrais pas vous le prouver, on a l'impression qu'au moins 80% de nos
réclamations résultent du hockey, du baseball et des sports.
N'oubliez pas notre couverture. C'est 474 dans toute une année.
M. Landry (Roger D.): M. le ministre, un point qui est assez
important, et là je veux dire que je ne veux pas sonner la cloche de la
Presse plus qu'il ne le faut, c'est que nous avons eu une réclamation en
dix ans.
M. Fréchette: Fracture d'une jambe?
M. Landry (Roger D.): Oui, fracture d'une jambe.
M. Fréchette: Comment se fait-il qu'il y en a eu une
à la Presse en dix ans et quelque 400 par année au Soleil?
M. Beauvais: Non. Au Soleil, c'est 186 en 1982 et 195. Les 400
c'est pour tous les journaux que j'ai mentionnés.
M. Fréchette: Ah bon.
M. Beauvais: Et au Soleil, sur les 195, notre impression c'est
qu'on en paie à peu près 175 pour les sports.
M. Fréchette: Maintenant, une dernière question
quant à moi et là je prends un risque, M. Landry. Vous affirmez
à la page 2 de votre mémoire, et je vous cite au texte: "Nous
n'avons d'ailleurs connaissance d'aucun abus ou injustice survenu à
l'égard des camelots avant que la CSST ne décide
d'intervenir."
M. Landry (Roger D.): Je dirais que c'est peut-être dans la
rédaction, M. le ministre, du document plus qu'autre chose. Ce que l'on
veut dire, c'est que nous n'avions pas et nous n'avons pas reçu, dans le
cas qui nous occupe à la Presse, parce que nous sommes une association,
mais il faut dire que nous sommes aussi tous en concurrence, parce qu'il y a
une concurrence très marquée dans les journaux... Il faut que ce
soit comme cela. Je pense que c'est pour le bien de la démocratie. Je
dirais que nous, dans notre cas, nous n'avions pas eu ce problème
là et nous ne l'avons pas eu parce que nous avons eu une
réclamation en dix ans. S'il y avait eu des choses, on serait
sûrement venu nous voir. Alors, on se base sur l'expérience
acquise. On a eu beaucoup d'échanges avec les représentants de la
CSST. Nous avons essayé de trouver des moyens qui pourraient
peut-être arriver... Je pense que là, et je ne voudrais pas
engager de débat là-dessus, c'est plutôt une vision
philosophique différente du contexte de l'entreprise privée et de
l'entrepreneurship versus, si vous voulez, une option philosophique quant
à l'objectif visé par la CSST. Alors, je voudrais qu'il soit
très bien compris de votre part que cette remarque ne se voulait pas
dérogatoire ou offensante.
M. Fréchette: Ce n'est pas sur cela non plus que je posais
la question. Je voulais m'assurer qu'effectivement il n'y avait pas eu
d'injustice depuis. J'ai complété ma période
d'information. Je voudrais simplement terminer par un commentaire
général. C'est un fait qu'il peut y avoir des conceptions
philosophiques qui sont un peu différentes, comme vous venez de le dire.
Cela m'apparaît même assez évident. De plus, il est aussi
très clair que lorsque arrivent, par des lois ou autrement, des
régimes de cette nature-là ou des régimes dont les
objectifs sont de procéder à "couvrir" les risques possibles,
c'est évident que cela crée toujours des embêtements, tant
en termes d'administration qu'en termes de coûts. C'est bien sûr.
Cela aussi c'est fort clair. Par ailleurs, il faut aussi faire
l'évaluation des responsabilités de l'État, de
l'employeur, des droits et obligations des employés ou des
salariés. Il y a tout cela qui doit être pris en
considération et en ligne de compte.
M. Landry, il y a une chose que je retiens, et je vous le dis comme je
le pense sans aucune réserve. Je suis très heureux de l'ouverture
que vous faites sur la question de la réadaptation. Je ne sais pas si
c'est un élément nouveau dans toutes les discussions que vous
avez déjà eues avec des représentants de la commission ou
d'autres personnes, mais, pour ma part, je souhaiterais ardemment que nous
puissions approfondir la discussion sur les autres angles et les autres
chapitres, bien sûr, mais particulièrement là-dessus.
Je vous signale en conclusion que votre argumentation, encore une fois,
doit être prise au sérieux. Vous allez comprendre que je ne serais
pas responsable si je vous disais dès ce soir: Bon, le problème
est réglé, on y va dans le sens que vous suggérez. Mais
nous
allons retenir comme sujet de réflexion sérieuse ce que
vous nous avez soumis et peut-être bien, dans les meilleurs
délais, si vous le souhaitez, engager la discussion sur la question de
la réadaptation.
M. Landry (Roger D.): Cela nous fera grand plaisir, M. le
ministre.
Le Président (M. Paré): Alors, merci. M. le
député de Louis-Hébert.
M. Doyon: Merci, M. le Président. D'abord un mot pour
souhaiter la bienvenue à nos invités. L'exposé qu'ils nous
font me semble, en tout cas à première vue, assez convaincant.
J'ai l'impression que le projet de loi devant nous est, bien sûr,
pavé de bonnes intentions, mais, finalement, qui trop embrasse mal
étreint. On est en train de mettre sur pied un système qui peut,
au niveau philosophique, probablement ou possiblement, se défendre au
niveau théorique. Mais, pour avoir eu encore récemment deux
garçons qui étaient camelots du Soleil et qui m'ont
obligé, plus souvent qu'à mon tour, à prendre leur place
parce qu'ils préféraient aller jouer au hockey ou des choses
comme celle-là, je suis bien au fait de la relation qu'ils avaient avec
le journal Le Soleil. Ils livraient le Soleil comme ils auraient livré
autre chose. Ils se considéraient comme étant un peu à
leur compte, à telle enseigne qu'ils devaient tenir leurs livres. Ils
devaient savoir qui les avaient payés et qui avaient pour
éternelle ritournelle: On n'a pas la monnaie qu'il faut, on a seulement
dix dollars, on a seulement vingt dollars, la semaine prochaine on va vous
régler cela. Ils devaient se souvenir de qui les avaient payés et
qui ne les avaient pas payés. Ils devaient aussi supporter les mauvaises
créances, parce qu'il y en avait. Ils devaient s'organiser pour,
à la fin du mois ou à la fin de l'année, avoir fait
quelques dollars. Je n'ai jamais eu l'impression qu'ils se soient, à
quelque moment, considérés comme des employés ou des
travailleurs du Soleil. C'était une manière de se faire des sous
en même temps que cela leur permettait - je les encourageais à le
faire - d'apprendre l'abc des affaires. C'est comme cela que les choses se
passaient et cela ne me paraissait pas créer de complication. Que la
CSST nous arrive avec une tentative de bureaucratisation pareille, pour ne rien
vous cacher, cela m'étonne, cela me renverse. Cela me paraît
être hors de proportion avec le problème qu'on veut régler.
Vous manifestez une ouverture d'esprit qui me paraît de très bon
aloi quand vous dites que s'il y a vraiment des cas de réhabilitation ou
de réinsertion qui posent des problèmes, vous êtes
prêts à mettre sur pied des mécanismes qui permettront
d'éviter des préjudices trop sérieux ou qu'il n'y ait
aucun préjudice finalement. De là à faire des enfants des
travailleurs, finalement, je pense que si on veut discuter de philosophie, on
pourrait fort bien répondre que les enfants ne sont pas faits pour
travailler et que, par la voie d'une loi, que ce soit la CSST ou d'autres, on
en fasse des travailleurs, on pourrait y voir le début de ce qu'on a
dénoncé mais qui n'existe plus fort heureusement chez nous -en
tout cas, espérons-le - je parle du travail des enfants.
Chez nous, nous avons des enfants qui font l'apprentissage de la vie.
À mon avis, on fait l'apprentissage de la vie d'une part en allant
à l'école, en jouant au hockey, au baseball, en étant
guide ou scout et aussi, de temps à autre, en livrant des journaux. Tout
cela fait partie de l'apprentissage de la vie. Mais on n'est pas travailleur
pour autant, pas plus qu'on est, parce qu'on joue au baseball, un joueur de
baseball, pas plus que parce qu'on joue au hockey on est un joueur de hockey.
On n'a pas besoin de tout ce qui se greffe au hockey professionnel ou au
baseball professionnel pour jouer au baseball et s'amuser. J'ai connu plusieurs
camelots. J'en avais même deux dans ma famille. Si on leur avait
présenté cela comme étant vraiment un travail, cela ne les
aurait probablement pas intéressés. C'était une partie de
leur apprentissage de vie de jeunes adolescents. Je ne sache pas que le fait
d'en faire des travailleurs patentés, qualifiés ou tout ce que
vous voudrez, et de les placer sous l'emprise de la CSST améliorera
grand-chose. Si vous voulez avoir mon avis franc et net, ils y seront bien
assez tôt sous l'emprise de la CSST. Cela viendra bien assez vite.
Exemptons-les de cela aussi longtemps qu'on pourra. Ne les obligeons pas,
à l'âge de douze ou treize ans, à être
réglementés, jugés et évalués par la CSST.
Cela me paraît être quelque chose de tellement énorme que je
m'étonne qu'on en discute si longtemps. (21 h 15)
Dire que les camelots sont régis par la CSST, la Commission de la
santé et de la sécurité du travail, c'est comme si on
parlait d'enfants mineurs travaillant au fond des mines. Il n'y a pas pour leur
santé, leur bien-être, de danger inhérent aux fonctions
qu'ils occupent. Il n'est pas plus dangereux finalement de passer les journaux
que de se rendre à l'école le matin. On a entendu de longues
démonstrations du ministre de l'Éducation, il n'y a pas si
longtemps, sur le fait que, pour avoir droit de prendre l'autobus à
l'âge de six ans, il faut rester au moins à un mille de
l'école. Là, il faut traverser des rues et des artères
principales. On lésine sur les brigadiers, on lésine sur ceci et
on lésine sur cela en disant que cela fait partie de l'apprentissage de
l'école que de savoir s'y rendre. Mais poursuivons le
raisonnement et soyons logiques. Ce n'est pas parce que la CSST a la
chance, concernant seulement le cas du Soleil, de décupler et même
plus le nombre d'employés qui dépendraient d'elle et qu'elle
pourrait réglementer que nous n'avons tout simplement qu'à plier
l'échiné devant tout cela. Je vous félicite d'agiter le
drapeau, parce que, après les camelots, ce sera qui, hein? Ce sera qui
fait des commissions pour un, qui rend service, qui fait... Il n'y a plus de
limites à tout cela. Encore, si on était devant un
problème réel, on dirait: On va explorer des avenues pour
régler ce problème.
Mais on n'a pas fait la démonstration, d'aucune façon,
loin de là, qu'un problème existe. J'ai l'impression qu'on veut
nous apporter des solutions, par exemple. Problème, pas problème,
voilà la solution. C'est mettre la charrue devant les boeufs, c'est
l'envers du bon sens. Quand on me parle de coûts de 180 000 $, ou
à peu près, pour enregistrer 8000 camelots qui vont passer dans
le cours d'un an au service du Soleil, on peut bien s'imaginer que si le
Soleil, qui est une entreprise privée, ne peut faire autrement que de
dépenser 180 000 $, mettez-vous le dans la tête, la CSST va
dépenser une couple de millions, telle qu'on la connaît. C'est
certain. Si cela coûte 180 000 $ au Soleil, cela va en coûter au
moins une couple de millions à la CSST.
Puis on va cotiser les employeurs pour cela, on va s'organiser pour
grossir la machine et dire: II nous faut du monde, parce qu'on a 25 000 ou 30
000 nouveaux employés. Mais ce seront des employés qui
travaillent une demi-heure ou trois quarts d'heure par jour, le matin,
très souvent, quand il n'y a pas de circulation. C'est un travail que
les parents sont intéressés à voir faire par leurs
enfants, parce que cela les sort du lit, cela les oblige à se frotter
les yeux un petit plus vite et cela leur inculque une certaine
responsabilité. Quand le troisième voisin appelle et dit: il est
16 h 30 et le Soleil n'est pas arrivé; où est mon Soleil? Alors,
réponds, mon Philippe, c'est ton job, réponds. Et je suis bien
content quand il est obligé de répondre. C'est toi qui es
responsable de cela. C'est cela avoir une responsabilité et organise-toi
avec. Si tu n'es pas capable de la faire, laisse le job. Il y a plein de petits
gars qui le veulent ce job et qui seraient bien contents de l'avoir.
Mais qu'on veuille bureaucratiser toute cette affaire, cela me
paraît renversant et qu'on en fasse une montagne et qu'on veuille
soupeser le pour et le contre, y songer sérieusement et voir s'il n'y
aurait pas lieu de consulter et de fouiller l'affaire encore plus, quand on
sait qu'il y a des problèmes bien plus sérieux et bien plus
urgents qui existent ailleurs et pour lesquels on n'a pas de solution... Qu'on
s'occupe donc des chômeurs et des assistés sociaux, ce sont des
problèmes réels. Qu'on laisse les camelots livrer leurs journaux
sans en faire des employés qui, possiblement, ... Si on pousse le
raisonnement, ce sont des travailleurs; pourquoi ne les syndiquerions-nous pas?
Pourquoi pas?
Une voix: ...des patrons...
M. Doyon: Pourquoi ne pas les syndiquer? Bien non, si on
prétend, comme la CSST le dit, que ce sont des travailleurs. Ils ont
besoin de protection, ils ont besoin d'être syndiqués, ils ont
besoin de défendre leurs droits, ils ont besoin de négocier leurs
conditions de travail, ils ont besoin de savoir que le journal, tel jour,
n'aura pas plus de 64 pages, etc. Il va falloir en venir là.
Alors, est-ce qu'on veut vraiment se mettre le doigt dans cet engrenage?
Moi, je calcule que ce n'est pas nécessaire et qu'on peut s'exempter ce
trouble, que ce serait faire preuve de réalisme de dire: On a
regardé cela et il y a des choses plus pressantes et plus urgentes que
cela, mise à part, possiblement, la question de la
réintégration, de la réinsertion et de la
réhabilitation, le cas échéant.
Ce sont des remarques, plutôt, que je voulais faire. Je ne sais
pas si vous avez des commentaires particuliers à ajouter à ce que
j'ai dit, mais je serais prêt à les entendre.
M. Landry (Roger D.): Je voudrais simplement dire que, comme M.
le ministre l'a mentionné et comme vous le mentionnez, je pense qu'il
est important de se pencher sur la dimension que vous avez soulignée de
part et d'autre, soit celle de s'assurer qu'on ait un ou des moyens pour
assurer qu'il y ait réhabilitation, réadaptation, etc. Je puis
vous assurer, au nom de l'association et au nom de tous ceux qui sont avec moi
ici, que nous sommes non seulement ouverts à cette possibilité,
mais que nous aimerions en discuter plus avant, à votre convenance, mais
dans l'esprit quand même qu'on retiendrait que le camelot n'est pas un
travailleur dans le sens propre du terme - si on veut - mais un patron, comme
disait un de nos collègues, qui organise sa propre chose, tout en
l'assurant que s'il lui arrivait un accident, cette dimension de
réhabilitation et de réadaptation existerait. Sur ce, je peux
vous assurer que vous pouvez compter sur notre entière collaboration.
C'est non seulement un commentaire poli que l'on fait, mais c'est un engagement
que je prends au nom de l'association que je représente. Merci.
Le Président (M. Paré): Mesdames et messieurs, vous
... Oui, M. le député de Viau.
M. Cusano: Merci, M. le Président.
Suite à la présentation et spécialement aux
observations de mon collègue, le député de
Louis-Hébert, il y aurait seulement une couple de choses que j'aimerais
ajouter. Premièrement, on sait fort bien que, comme le
député de Louis-Hébert nous l'a dit, cet exercice
justement de se débrouiller dans la vie et souvent, de la part de
l'école, d'encourager... On sait combien de fois dans des écoles
activistes des professeurs encouragent les jeunes, par exemple, à
acheter des pommes pour aller les revendre plus cher, pour donner vraiment une
expérience de la vie telle quelle et enseigner indirectement des choses
qui, quelques fois, peuvent être très ennuyantes à faire
dans une classe de 30 élèves. C'est un enrichissement pour ces
jeunes qui partent travailler. Si la CSST commence à s'impliquer par un
programme visant à contrôler - et on sait comment la CSST aime
contrôler les choses - si le projet de loi est accepté tel quel,
elle va venir vous dire sur quelle rue vous pourrez distribuer vos journaux. Je
pense que ce devient un peu une espèce d'ingérence. C'est mon
opinion mais pas nécessairement celle de la CSST et peut-être pas
la vôtre, Messieurs.
Il y a des problèmes, comme vous l'avez souligné. En tant
que personnes, individus, plusieurs centaines de milliers de
Québécois reçoivent leurs journaux à la maison par
l'entremise d'un camelot. C'est souvent un jeune qui fait aussi d'autres choses
en même temps. Chez nous, chaque fois que - je peux mentionner le journal
qui est livré chez nous, c'est The Gazette - le jeune vient se faire
payer, il a toujours autre chose à me vendre. Je ne dis pas cela du
côté négatif; même j'admire l'initiative.
Je crois que c'est quelque chose qui ne devrait pas disparaître de
la société. Vous le dites dans votre mémoire. Je suis
d'accord que ça devrait rester tel quel. Que la CSST tente d'embarquer
dans un mécanisme qui va être énorme, il me semble que
c'est concentrer certains efforts aux mauvaises places présentement.
Il y a une question que j'aimerais vous poser. On dit justement que vous
considérez un programme de réadaptation qui serait relié
à vos camelots. La chose qui m'intéresse est de savoir, à
ce moment-ci, si vous avez l'information, si vous avez approché les
compagnies d'assurances et si des investigations ont été faites
afin de connaître les coûts pour une police d'assurance où
il y aurait un programme de réadaptation comparable un peu à ce
qui est offert dans le projet de loi.
M. Landry (Roger D.): Je vais vous répondre comme ceci. Il
aurait été difficile, jusqu'au moment où nous avons eu
l'occasion de venir présenter notre point de vue et d'entendre le point
de vue que vous nous avez donné, de déterminer le genre
d'enveloppe que l'on regardait. À cette fin, ce que j'aimerais
mentionner, c'est que maintenant que nous avons, non pas comme a dit M. le
ministre, une décision, mais une orientation qui nous est
indiquée, ce qui serait important de faire pour nous maintenant, je
pense que c'est d'aller faire nos devoirs et de choisir une forme où
tous les journaux impliqués pourront établir un genre de
programme qui assurera cette dimension sans pour autant englober toutes les
autres. De cette façon, en étant, si vous voulez, solidaires de
cette position, nous pourrons sûrement obtenir, nous l'espérons
pour la satisfaction de ce que vous souhaitez, à des conditions
avantageuses, si nous plaçons tout cela ensemble, sous un même
chapeau, et que l'incidence des accidents est à ce point minime, nous
pourrons sûrement en arriver, dis-je, à une entente
intéressante tant pour la compagnie d'assurances que pour la
satisfaction des administrateurs et sûrement pour le bien collectif des
camelots.
En fait, je pense que tout ce qui est souhaité ici, c'est que les
camelots conservent leur dimension d'entrepreneurship, mais qu'ils soient bien
protégés s'il devait y avoir une dimension de
réadaptation.
M. Cusano: Merci. J'espère que le gouvernement, si vous
arrivez à conclure des ententes avec les compagnies d'assurances, qu'on
vous donne la liberté de vous assurer dans l'entreprise privée,
n'arrivera pas en disant: C'est absolument la CSST qui doit couvrir vos
camelots.
L'autre question que j'avais, ce n'est pas une question, c'est une
préoccupation qui pourrait être une question. Vous avez
donné des chiffres pour ce que serait du coût de l'administration
pour tenir une espèce de registre de ces camelots. Vous parlez, au
Soleil, de 8000 personnes par année, est-ce bien cela? Et vous avez
mentionné que cela coûterait en frais d'administration - si je
vous ai bien compris - environ 200 000 $.
M. Beauvais: J'arrivais à 179 000 $.
M. Cusano: 179 000 $, c'est considérable. Cela est
à part de la cotisation qu'il y aurait à la CSST et ainsi de
suite.
M. Beauvais: Cela comprend ça.
M. Cusano: Cela comprend ça. D'accord.
Dans ce cas, vu les 179 000 $ et toutes les tracasseries qu'on peut
connaître quand on a affaire avec la CSST, est-ce qu'il y aurait tendance
de votre part à éliminer ce service de livraison à
domicile par camelot? Avez-vous envisagé cela? Dans l'hypothèse
où le projet de loi serait accepté
tel qu'il est écrit, s'il n'y avait aucun amendement en ce qui
concerne les camelots, seriez-vous dans l'obligation d'abandonner le service de
livraison par camelot à la maison?
M. Landry (Roger D.): M. le député, vous me
permettrez d'agir comme un bon politicien - puisque souvent on m'attribue le
sentiment de vouloir en devenir un - je vous répondrai que c'est une
question hypothétique à laquelle j'aimerais autant ne pas avoir
à répondre.
M. Fréchette: Vous faites un bon apprentissage, M.
Landry.
M. Cusano: Oui! Sur ce, M. Landry, au nom de ma formation
politique, je vous remercie de votre mémoire et de votre présence
ainsi que de celle de vos collègues ici au salon rouge de
l'Assemblée nationale. Merci. (21 h 30)
Le Président (M. Paré): Madame et messieurs, merci
de la présentation de votre mémoire et du temps consacré
aux membres de la commission pour répondre à nos questions. Merci
beaucoup.
J'inviterais maintenant le second groupe à entendre ce soir
à prendre place ici à l'avant. Il s'agit des représentants
de la Fédération des accidentés (es) du travail de
Rouyn-Noranda.
Bonsoir, messieurs. Bienvenue à la commission. Je demanderais
maintenant au porte-parole de bien vouloir s'identifier et de nous
présenter les personnes qui l'accompagnent.
Fédération des accidentés (es) du
travail de Rouyn-Noranda
M. Charette (Jacques): Bonsoir. Mon nom est Jacques Charette,
travailleur et membre de la Fédération des accidentés (es)
du travail de Rouyn-Noranda et un accidenté du travail. À ma
gauche, M. Jacques Bettey, président de la fédération et
un accidenté du travail également; à sa gauche, M. Gaston
Jubinville, membre de la fédération et accidenté
également; à ma droite, M. Gérard Lemire,
vice-président de la fédération.
Tout d'abord, nous aimerions vous remercier de nous recevoir ici ce soir
afin de présenter nos revendications et je vous demanderais
également, M. le Président, d'être indulgents envers nous
qui sommes des travailleurs. Peut-être qu'à certains moments, il y
aura des expressions qui sortiront de notre langage à nous, les
travailleurs.
Premièrement, dans nos revendications, nous demandons la
reconnaissance de la pleine responsabilité de l'employeur en
matière d'accidents et de maladies du travail, le principe de la
non-responsabilité pour les accidentés, également le plein
salaire, 100% du revenu net du salaire gagné, les intérêts
payables au travailleur à compter de la date de l'accident.
Également, dans les conditions et la durée de la compensation,
nous disons: Aussi longtemps que l'accidenté a besoin de soins pouvant
améliorer son état, selon son médecin traitant, et
également aussi longtemps qu'un autre emploi aux mêmes conditions,
soit le salaire et les bénéfices, ne lui est pas assuré.
Concernant le droit à l'assistance médicale, nous
désirerions le choix de son médecin traitant, la reconnaissance
du diagnostic du médecin traitant et de sa prescription de traitement;
la reconnaissance de son évaluation de l'incapacité permanente et
des restrictions médicales concernant le retour au travail; l'obligation
de la part de l'employeur de fournir un rapport médical à
l'employé; la disparition du comité d'experts de la CSST. Si vous
me le permettez, nous reviendrons par la suite sur certains articles.
Quant au droit de retour au travail, nous demandons la
réintégration au même travail et aux mêmes
conditions; si impossible, selon le médecin traitant et non la CSST, un
travail équivalent, les mêmes avantages ou une pleine
compensation. Concernant les rentes pour séquelles permanentes, une
rente à vie pour compenser la perte d'intégrité physique,
les douleurs, le préjudice esthétique, la perte de
capacité de travail, la perte de jouissance de la vie. Également,
dans le droit à la réadaptation, nous demandons que toutes les
mesures soient prises pour que le travailleur accidenté retrouve une
situation au moins équivalente à celle qu'il aurait s'il n'avait
pas été accidenté. Pour combler son handicap, qu'il
reçoive son plein salaire pendant toute cette période, que le
droit au recyclage ou à la formation soit reconnu à tous ceux et
celles que leur accident a privé d'une partie de leurs capacités
physiques. Réadaptation obligatoire selon le médecin traitant,
avec droit d'appel.
Dans le droit d'appel, nous demandons le maintien de deux paliers
d'appel avec audition, l'indépendance des bureaux de révision par
rapport à la CSST et un délai d'appel de 90 jours, l'application
des principes de justice naturelle: être entendu,
représenté et impartialité des juges - on tient à
bien préciser cela - que tous les frais soient remboursés et
qu'il y ait des délais d'audition raisonnables: deux mois plus un mois
pour décision. Dans le cas de décès, nous demandons la
pleine compensation aux veuves, soit 100% du salaire à vie, plus le
forfaitaire du Régime de rentes.
Le Président (M. Paré): M. Charette, merci pour la
présentation du mémoire. Nous allons maintenant procéder
à la période d'échanges avec les membres de la
commission. Nous allons commencer avec le ministre du Travail.
M. Fréchette: Alors, M. Charette, je vous remercie de la
présentation que vous venez de nous faire. Je remercie également
vos collègues confrères qui vous accompagnent. Je dois vous
signaler, comme observation générale, que vous êtes
allés directement aux points que vous vouliez soulever,
c'est-à-dire que vous avez, en deux colonnes, identifié
très précisément ce qui faisait l'objet de vos
revendications par rapport à ce que contient le projet de loi 42. Vous
avez ramassé cela en trois pages et cela nous permet de nous situer
très clairement par rapport aux revendications que vous avez.
Si vous le voulez, on va essayer d'approfondir un tout petit peu la
nature de vos demandes par une période d'échanges, de questions
et de réponses, à partir de l'un ou l'autre des chapitres et des
volets que chacun de ces chapitres contient. Je vais tout de suite à la
première page de votre mémoire, sous le chapitre revendications.
Par exemple, vous parlez de la possibilité de la pleine
responsabilité de l'employeur en matière d'accidents et de
maladies du travail et du principe de non-pénalité des
accidentés.
D'autre part, quand vous vous référez au contenu de
l'avant-projet, vous nous dites: Ce principe n'est même pas
affirmé dans le projet de loi et l'application du principe de
non-duplication le contredit expressément. Je présume qu'à
cause de votre implication dans votre fédération, vous avez sans
doute travaillé dans plusieurs dossiers; je souhaiterais, quant à
moi, que vous soyez un peu plus précis en nous disant ce à quoi
vous vous référez. Quand vous nous dites, par exemple: On
revendique, on souhaite la reconnaissance de la pleine responsabilité de
l'employeur en matière d'accidents et de maladies du travail, est-ce que
vous voulez dire qu'actuellement et en fonction du projet de loi 42 ce principe
n'est pas là? Est-ce que c'est votre appréciation?
M. Bettey (Jacques): Vous permettez? Cette chose-là
relève de la chose que nous vivons dans la présente loi
aujourd'hui. Peut-être que dans votre chose cela l'est, mais, quand on
dit qu'il doit être reconnu, cela veut dire que, lorsque nous avons un
accident ou une aggravation à la suite de quelque chose, qu'on a un
médecin traitant qui nous soumet un rapport qui est remis à la
CSST, au bureau régional, si vous voulez, qui est jeté dans le
panier et qu'on ne s'en occupe pas, qu'on prend le médecin de la CSST
qui est là, qui s'appelle Pierre-Paul Marcil, qui jette nos papiers
à mesure... C'est ce que cette chose-là dit. On veut être
reconnu immédiatement et non pas être pénalisé par
un médecin de médecine générale, comme c'est le cas
présentement. Qu'on dépose notre diagnostic; c'est ce que cela
dit. C'est cela qu'on veut, être reconnu en partant, sans bavage ni
écoeurage par ces gens-là qui sont dans les bureaux. Je parle
peut-être un peu fort, mais en tout cas...
M. Fréchette: Non. Vous allez très bien, M.
Bettey.
M. Bettey: ...je veux que vous me compreniez aussi, parce qu'on a
vécu ce problème. Quand vous voyez quatre accidentés du
travail qui sont traités de cette façon... On défend des
cas depuis 1972. À partir de 1976, quand cet homme a été
placé... Écoutez! II y a une limite à faire rejeter nos
médecins traitants. J'y crois à mes médecins traitants et
je vais me battre pour qu'ils soient respectés par un médecin
malhonnête qui est engagé par la CSST pour venir nous... Je ne
dirai pas le mot, mais je vais le penser, et pensez-le vous-même. C'est
cela qu'on ne veut plus. C'est ce que cela dit. On va se battre jusqu'à
la mort pour cela, monsieur, parce que cela n'a plus d'allure d'engager un
médecin comme cela. Ce qu'on veut, c'est le respect. Lorsqu'un rapport
sera fourni... parce que, dans la présente loi, si vous remarquez,
lorsqu'il y a un accident du travail, on remplit une formule RE-1 signée
par l'employé et l'employeur; ensuite, un examen est fait.
Écoutez, on ne peut pas avoir d'accident et ne pas se faire soigner par
un médecin; cela ne tient pas debout. Donc, on le soumet. C'est cela
qu'on veut. Il faut que ce soit assez clair et ne pas jeter cela au panier et
dire: On va s'en aller au bureau de révision où cela va
traîner pendant des mois et des mois sans paie et rien dans le ventre.
Nos enfants, nos femmes sont volés... Excusez le mot, mais c'est cela.
Répondez, si vous avez autre chose à me dire.
M. Fréchette: M. Bettey, je vous comprends très
bien et vous exprimez vos conditions en termes on ne peut plus clairs. J'ai
peur cependant que, si on chevauche tous les sujets en même temps, on
risque de se perdre dans la discussion qu'on veut faire. Ce que vous venez de
soulever comme situation est effectivement une préoccupation de beaucoup
de personnes qu'on a entendues, mais je voulais arriver à cet aspect un
peu plus loin dans la discussion.
La précision que je voudrais tenter d'obtenir, si c'est possible,
c'est de savoir quelle est ou quelles sont les dispositions actuelles du projet
de loi 42 qui est devant nous qui font en sorte qu'il n'y aurait pas de
reconnaissance de la responsabilité de l'employeur en matière
d'accident du travail ou de maladie professionnelle, quand on parle, par
exemple, de l'instauration d'un
régime de responsabilité sans faute, quand on parle de
présomption, quand on parle de fardeau de la preuve. On parle de tout
cela dans le projet de loi 42. Ce sont des dispositions qu'on ne retrouvait pas
ou qu'on ne retrouve pas dans la loi actuelle. Alors, c'est de là que
vient ma question. Peut-être que vous souhaiteriez regarder cela d'un peu
plus près dans les jours qui viennent et nous fournir des informations
à ce propos, mais je vous avoue très honnêtement que
j'essaie d'identifier votre inquiétude et j'arrive difficilement
à pouvoir le faire, mais je voudrais pouvoir le faire. Si vous me dites:
Bon! On va regarder cela de plus près, on voudrait avoir le temps de
scruter plus à fond la loi et on vous donnera notre appréciation
dans les prochains jours, je suis tout à fait prêt à vivre
avec cela. Cela ne présente aucune espèce d'embêtement pour
personne non plus. Est-ce que je suis suffisamment clair?
M. Charette: D'accord. Vous êtes clair. Ce que j'aimerais
préciser, c'est qu'on ne nie pas que c'est dans le nouveau projet de
loi. Qu'est-ce qu'on conteste? Pourquoi a-t-on écrit cela? En vertu de
la loi qui existe déjà et en vertu de votre projet de loi, les
personnes en place - on parle de notre région - dans les bureaux de la
CSST...
M. Fréchette: Je viens de comprendre.
M. Charette: Comprenez-vous ce qu'on dit?
M. Fréchette: Je viens de comprendre.
M. Charette: Bon!
M. Fréchette: Ce que vous êtes...
M. Charette: Ils ne mettent pas en application ce qui est
déjà dans la loi existante et ce que vous apportez là, ils
le mettront encore moins. Qui va manger la claque? C'est encore nous autres.
(21 h 45)
M. Fréchette: D'une façon peut-être un peu
plus simple, votre conclusion, c'est que, dans la loi, il y a ce qu'il faut,
mais c'est l'application qu'on en fait qui crée des embêtements.
En d'autres mots, encore plus simplement, vous dites: La loi n'est pas
respectée par ceux qui doivent la faire appliquer.
M. Charette: Exactement, et si je m'en tiens à une parole
que vous avez dite cet après-midi, qu'est-ce qu'il y aurait à
faire? Est-ce que c'est bon que la CSST - excusez la manière dont je
m'exprime - est-ce que la CSST a sa raison d'être? Moi, je vous dis
qu'elle a sa raison d'être, mais bien administrée. Comme chez nous
ma femme fait le ménage et qu'elle fait un grand ménage deux fois
par année, je demande au gouvernement qu'il fasse un ménage dans
ce bureau deux fois par année s'il le faut, parce qu'il y a des pas bons
là-dedans et des maudits pas bons.
M. Fréchette: Cela devient très clair.
M. Charette: Cela devient très clair, c'est cela que je
voulais.
M. Fréchette: Je pense qu'à se parler on va finir
par s'entendre. Vous avez également dans votre mémoire...
Remarquez que c'est impossible, compte tenu du temps mis à notre
disposition, de prendre les chapitres un à un, chacun des articles qu'il
y a là-dedans. On passerait une partie de la nuit ici. Je vais essayer,
quant à moi, de m'en tenir à ce qui semble être vos
préoccupations principales. Comme beaucoup d'autres, vous avez des
inquiétudes, des préoccupations et vous nous les dites à
propos de l'ensemble des règles de l'assistance médicale. Comme
bien d'autres également, vous plaidez avec fermeté, avec
conviction que tout le régime de l'assistance médicale devrait
être repensé, l'objectif étant de deux ordres:
premièrement, que l'évaluation médicale des
séquelles d'un accident, d'une maladie professionnelle faite par le
médecin traitant, que cette évaluation soit retenue;
deuxièmement, que ce ne soit pas la commission qui, en dernière
instance, décide. Cela m'a l'air d'être les deux vrais
problèmes que vous identifiez.
Quant à l'assistance médicale, écoutez, je ne sais
pas si vous avez eu l'occasion de suivre un peu les travaux depuis quelques
jours, il y a effectivement des choses qui ont déjà
été annoncées, à toutes fins utiles, pour arriver
à pouvoir inclure dans la loi des dispositions qui feront que le rapport
médical du médecin traitant devra être
considéré de façon privilégiée et
prioritaire. Maintenant, je pense qu'on va essayer de s'entendre. On va pouvoir
s'entendre sur le fait que même le rapport du médecin traitant,
avec toute la bonne foi du monde, avec toute la meilleure volonté du
monde, n'est pas toujours et tout le temps conforme à la vraie
réalité des choses. Allez, si vous pensez que...
M. Charette: Pour cela, M. le ministre, je suis d'accord avec
vous, sur ce principe, sur ce point. Pourquoi ne pas mettre un comité de
surveillance?
M. Fréchette: J'allais compléter mes remarques et
on va se rejoindre. J'ai l'impression que ce ne sera pas tellement long. Vous
me dites: Je suis d'accord d'accepter que le rapport du médecin
traitant, malgré le fait qu'il a lui-même assuré les soins,
qu'il s'est intéressé à la
réadaptation, qu'il est probablement celui qui est le plus
habilité à déterminer les séquelles de l'accident,
je suis d'accord quand même et il peut arriver qu'en toute bonne foi
l'évaluation ne soit pas conforme à la réalité qui
existe. À partir de cette constatation que l'on fait, il faudrait que
quelqu'un soit habilité, qu'il soit possible à un autre expert de
la médecine de pouvoir regarder l'évaluation du médecin
traitant. Cela pourrait être, dans ce cas, un médecin de la CSST.
Si le médecin de la CSST en vient à la même conclusion que
le médecin traitant, deux professionnels de la santé s'entendent
pour arriver à la même évaluation, cela m'apparaît de
l'évidence même que c'est cette évaluation qui doit
être retenue.
M. Charette: Je vous arrête, M. le ministre, parce que je
ne le vois pas de la même façon que vous le voyez. On ne le voit
pas de la même façon que vous le voyez pour la simple raison... On
a mentionné un certain individu tout à l'heure qui est
médecin de la CSST et qui nous charrie d'un bord et de l'autre. Tant
qu'il n'a pas eu de bonnes claques à la bonne place, il ne réagit
pas. Dans ces conditions, on n'en veut pas, on ne veut rien savoir de cela.
C'est notre médecin traitant. Le gars qui est médecin pour la
CSST, je n'irai pas faire d'affirmation pour dire que le gars... Je me
comprends, mais tant qu'il n'a pas eu des bonnes claques sur la gueule ou,
comme dernièrement, qu'il n'a pas mangé un bon coup de
béquille en plein visage par un accidenté du travail parce qu'il
refusait de lui signer un papier pour une machine à batteries qu'il
connectait ici au nombril pour activer ses deux jambes et qu'il s'est
obstiné pendant des heures dans le bureau pour ne pas donner à ce
type-là la machine dont il avait besoin... Des types de même, on
n'en veut plus.
M. Fréchette: C'est bien sûr que, s'il fallait
mettre dans la loi des dispositions pour limiter des actions de toutes les
personnes que l'on retrouve à l'intérieur des organismes de ce
genre-là, ce ne serait pas simple de faire une loi. Cela deviendrait
compliqué de faire une loi. Je voudrais simplement que vous me
permettiez, monsieur, de compléter ma réflexion sur le sujet
qu'on avait ensemble abordé. Vous m'avez interrompu pour me dire: Bon,
on ne veut rien savoir du médecin de la CSST pour aucune
considération, pour aucune espèce de motif et pour quelque
travail que ce soit. À qui alors va-t-on demander de faire
l'évaluation dont on parlait tout à l'heure puisqu'on s'entendait
sur la possibilité, ne serait-elle que théorique, que même
le médecin traitant, en toute bonne foi et en toute bonne
volonté, puisse se tromper? À qui va-t-on demander de regarder
l'évaluation et d'examiner l'accidenté pour faire une relation
entre les deux expertises? À qui va-t-on demander cela?
M. Charette: À un comité de surveillance
indépendant.
M. Bettey: À qui on va demander cela? Sûrement pas
au médecin de la CSST, le présent ou celui que vous allez mettre.
Vous allez me faire accroire, après l'expérience qu'on a
vécue avec le comité d'experts qui était censé
être indépendant... On se l'est fait dire à maintes
reprises, parce que depuis quinze ans que je suis un accidenté du
travail, monsieur, je sais ce qu'est la CSST. Depuis 1972 qu'on se bat avec ce
comité d'experts qui est sur pied. Vous allez peut-être en former
un autre qui va devenir exactement comme celui qu'on a présentement.
Non, on ne veut rien savoir de la CSST pourrie, de la façon qu'elle nous
a menés jusqu'à aujourd'hui. On veut l'ôter pour la
remplacer par un autre. Dites-moi donc où vous nous amenez, M. le
ministre!
M. Fréchette: Bien oui, c'est cela.
M. Bettey: Allez-vous améliorer mon sort?
M. Fréchette: Cela fait quinze minutes que j'essaie.
M. Bettey: Non, non, non, pas avec la confiance qu'on a et pas
avec ce qu'on a vécu avec ces gens-là. On va revenir encore, puis
il faut dire oui? Non, on dit non. On est prêt à se battre,
monsieur, on dit non et on va gueuler, à part cela, parce que notre
médecin traitant, c'est l'homme le mieux placé pour être
capable de diagnostiquer, pour être capable de soigner un gars et pour
être capable de l'orienter vers un travail. Pas le médecin de la
CSST, qui en a envoyé sur des béquilles et dans le plâtre
et qui dit: Tu es apte à travailler. C'est de même et vous venez
nous dire qu'on doit avoir confiance au nouveau que vous nous proposez? Non,
c'est en français. On se bat et c'est non. Notre médecin traitant
en premier, parce que c'est le seul, monsieur. Même si j'allais me faire
soigner par vous, vous ne seriez pas capable de me soigner, n'est-ce pas? Eh
bien, c'est la même chose. Quand je pars de Rouyn-Noranda pour venir
rencontrer un médecin qui ne m'a jamais vu ni connu, qui m'examine et
qui me dit: Tu as une maudite belle colonne... Il n'a pas grouillé et je
n'ai même pas ôté mon manteau. Comment vais-je me fier
à un homme comme cela? Expliquez-moi cela.
M. Charette: Ou les fameux spécialistes de compagnies.
À bord de l'avion pour venir ici, il y avait également un
accidenté du
travail comme nous. Cela va coûter 800 $ et plus pour faire venir
ce type à Québec rencontrer un soi-disant spécialiste. Le
type a une incapacité à 68%. La CSST le paie, mais, après
pratiquement un an, elle décide tout bonnement d'amener ce
type-là rencontrer un spécialiste de la CSST ou de l'employeur.
Pourquoi dépenser de l'argent comme cela pour faire venir un type dont
ils savent mauditement bien qu'il a une batterie dans l'estomac pour marcher?
Pourquoi dépenser de l'argent pour amener un type à
Québec, payer les billets d'avion et la chambre de motel, et il va aller
voir la partie des Nordiques samedi? Encore là, les médecins de
compagnies, on en a plein notre casque. On ne veut plus les voir. Je vais vous
donner des exemples, si vous en voulez. On en a de pleins dossiers. On n'en
veut plus de ces spécialistes de la CSST, de ces médecins de
compagnies, les soi-disant spécialistes des compagnies qui sont
achetés. Je n'ai pas peur de le dire ici ce soir: ils sont
achetés, ce sont des veaux.
M. Fréchette: Je vais faire une dernière tentative
pour essayer de vous expliquer le fonctionnement du mécanisme auquel on
pense. Je vais essayer de répondre aux questions que vous m'avez
posées. Si je n'y parviens pas, je vais vous laisser toute
liberté de continuer de faire vos représentations dans le sens
que vous le souhaitez. Je ne vous interromprai plus, je ne vous poserai plus de
questions. Je veux simplement essayer de mener à bien le raisonnement
que j'étais en train d'essayer de développer devant vous. Si ma
tentative ne réussit pas, encore une fois, je ne vous importunerai
plus.
J'essayais simplement de savoir de vous si, en termes d'assistance
médicale, vous acceptez que le rapport ou l'évaluation du
médecin traitant puisse être vue par une autre personne qui est
également un professionnel de la santé. Quand il arriverait que
ces deux professionnels de la santé soient d'accord sur
l'évaluation médicale - ce n'est pas parce qu'on a
l'étiquette de la CSST dans le front, ou celle de médecin de
compagnie, ou celle de spécialiste d'une discipline ou d'une autre qu'on
n'a pas certaines connaissances, quand même - alors, si ces deux
professionnels de la santé s'entendent pour dire tous les deux que le
rapport du médecin traitant est correct, qu'il est conforme et qu'il
répond aux conditions en termes d'incapacité et en toute autre
espèce de termes, qu'il répond aux conditions qui ont
été constatées par le médecin traitant, la
commission de la santé serait liée par ce rapport. C'est ce que
je veux vous dire.
M. Bettey: On comprend le français, vous savez.
M. Fréchette: Oui, je sais que vous comprenez le
français et vous le parlez fort bien également.
L'autre volet de cette même situation serait le suivant: s'il n'y
a pas entente entre les deux, qu'il y a une différence entre les deux,
le litige serait soumis à une instance médicale
indépendante de la commission qui abitrerait le litige survenu entre les
deux médecins dont je vous parle. C'était le processus.
Maintenant, vous pouvez, bien sûr, nous faire vos commentaires
là-dessus et nous dire ce que vous en pensez.
M. Bettey: Je vous l'ai dit tantôt, je n'accepte pas que la
CSST se nomme un médecin. On l'a présentement. On a des
médecins qui sont des spécialistes à l'emploi de la CSST,
ici, à Québec. On sait ce qu'ils ont fait dans le passé.
On le sait. En tout cas, on s'imagine ce qui va nous arriver dans l'avenir.
Nous pourrions proposer que, s'il y a un deuxième médecin
à voir, cela soit recommandé par le médecin, avec le
consentement de l'accidenté, d'aller en voir un autre, un
spécialiste qui pourra soumettre un rapport à la commission. Cela
pourrait se faire.
M. Charette: M. le ministre, on est d'accord...
M. Bettey: On est d'accord, là.
M. Charette: On est d'accord là-dessus pour autant que ce
n'est pas un médecin, un spécialiste de la CSST. Qu'on rencontre
un autre médecin, un autre spécialiste, on est d'accord
là-dessus, pourvu que ce ne soit pas un spécialiste de la
CSST.
M. Fréchette: Ah! C'est très clair. J'ai
très bien compris.
M. Charette: Cela répond à votre question?
M. Fréchette: Cela répond à ma question,
monsieur. (22 heures)
M. Charette: Également, à l'article 135 du projet
de loi, il y a une phrase qui ne devrait pas paraître, selon nous. C'est
la date prévue pour la consolidation ou la guérison de cette
lésion. On ne trouve pas cette phrase acceptable du tout dans cet
article. Nous avons noté qu'il s'agit de la première fois,
à notre connaissance, que la loi québécoise exige une
telle obligation. Comment un médecin ou quiconque, même
l'accidenté, peut-il prévoir une date de guérison ou,
encore, spécifier clairement qu'il va y avoir une guérison
à une date bien établie? À ce que je sache, M. le
ministre, cela n'a pas encore été prouvé. Ces gens n'ont
pas encore été proclamés prophètes,
cela n'est pas vrai. On aimerait que cette phrase-là disparaisse
de l'article 135.
M. Fréchette: Alors, cela va, quant à moi, M. le
Président, j'ai complété. Je vous remercie.
Le Président (M. Paré): M. le député
de Viau.
M. Cusano: Merci, M. le Président. Je voudrais souhaiter
la bienvenue à la Fédération des accidentés du
travail de Rouyn-Noranda. Avant de poser mes questions, vous me permettrez de
faire un très court commentaire. Le ministre devrait comprendre, je
crois, une chose fondamentale: la frustration que nous venons de voir est due
au fait qu'il existe une très grande différence, souvent, entre
de beaux discours et de beaux projets de loi écrits et l'application des
lois par un organisme, et, dans ce cas-ci, il s'agit de la CSST.
Malheureusement, avec toute son expertise, avec tout le temps qu'elle prend
pour faire des règlements, pour produire des documents et inventer
toutes sortes de patentes, l'accidenté, lui, n'a pas ce même luxe
de se créer toutes sortes de petits jouets pour s'amuser. Je crois que
c'est très clair - on l'a déjà entendu à plusieurs
occasions - les membres de la Fédération des accidentés du
travail de Rouyn-Noranda viennent de témoigner et ils ajoutent leur
témoignage à de nombreux autres.
Je voudrais poser une couple de questions. Premièrement,
j'aimerais savoir, soit de M. Bettey ou de M. Charette, si votre organisme est
un organisme de volontaires, de bénévoles accidentés. Je
présume qu'il n'est pas financé, que ce soit par la CSST...
M. Bettey: Non, monsieur, il n'est pas financé par la CSST
et on ne veut pas qu'elle nous finance, parce qu'on a terriblement peur de
devenir pourri comme elle. C'est un point important. La
fédération, ce sont tous des accidentés du travail qui en
font partie. Ce sont tous des gens qui travaillent bénévolement,
sans qu'aucun salaire ne soit payé, pour venir abattre devant des
auditions, devant la CSST... On le fait tous bénévolement. Je
pense que le ministre du Travail devrait nous donner une partie de son salaire,
parce qu'il ne veut pas nous entendre, même pas nous entendre parler.
Peut-être qu'il aurait aimé qu'on vienne avec un mouchoir, mais
vivre ce qu'on a vécu comme accidentés du travail, le ministre du
Travail ne veut rien entendre. Je n'ai pas de mouchoir à lui donner. On
lui montrera cela dans un an et demi, le mouchoir, de quelle façon on va
se moucher, parce qu'on sera sur la tribune pour l'expliquer au peuple.
Il y a toujours une limite, monsieur, de payer des gens comme cela,
quand on vient s'installer pour essayer de démontrer des choses et qu'il
dit: Je me retire. Il n'a même pas été capable de discuter,
du moins la moitié du mémoire qui est là. Je vous
remercie, M. le ministre, vous êtes un homme très charitable. Cela
me fera plaisir de dire à mes concitoyens du Nord-Ouest
québécois la grandeur du coeur que vous avez. Je pourrai dire
qu'il n'est pas gros.
C'est pour cela, monsieur, que depuis 1972 nous nous sommes
formés en association, en fédération, pour aller chercher
des droits, nous faire respecter, parce que les accidentés du travail du
Nord-Ouest québécois sont massacrés. Par qui? Par le
comité d'experts de Montréal, de Québec aussi, par le
docteur qu'ils ont engagé, qu'ils ont mis et qui s'appelle Pierre-Paul
Marcil. Je vous le jure, le ministre du Travail, s'il veut être
honnête, viendra faire enquête. Il viendra voir ce qu'est un
médecin qui tord et qui casse le cou des travailleurs. S'il n'est pas
capable de le "cleaner", nous, sous peu, on va vider le bureau. C'est nous et
on est en train de s'organiser, M. le ministre, pour sortir votre pourri que
vous avez engagé, lorsque le PQ a rentré en 1976, parce que c'est
un citoyen péquiste. Il y a des limites!
M. le ministre, je ne m'attendais pas à cela de vous parce que je
calculais de rencontrer un ministre qui pouvait entendre et parler avec des
travailleurs accidentés. J'en suis un, un accidenté. J'en suis un
qui a trotté. Le jour où l'accidenté du travail aura le
salaire d'un ministre, sans en enlever 20% au voisin pour s'en redonner dans
nos poches, nous aussi, on va être heureux, on va se bercer sur une belle
chaise. Cela répond-il à un petit gars, monsieur, votre question?
Bénévoles, là où on travaille, tout le monde est
bénévole. On va continuer à être
bénévoles parce que cela vaut vraiment la peine de se battre
parce que nous allons chercher énormément d'argent.
M. le ministre, j'ai un dossier ici à vous montrer: un homme qui
est reconnu silicosé en 1978 par le comité d'experts de la CSST
de Montréal. On est rendu en 1984, le dossier est dans la voûte et
le gars n'est pas encore payé; selon la loi 52, il devrait être
payé à 90% du salaire. Il vient nous dire: Pourquoi vous parlez
fort? Qu'il grimpe là et qu'il aille voir sur la table de cet
accidenté ce qu'il a à manger. Je pense qu'il va venir à
ma place et qu'il va parler fort. On dit à la CSST: Est-ce que vous avez
payé le gars? Elle dit: Non. J'ai dit: Est-ce que vous avez lu le
dossier? Réponse: II est dans la voûte. Le gars attend depuis
1978. Il est là le dossier, signé avec des lettres de la CSST qui
disent: Oui, vous avez droit à 90% du salaire. Vous parlez trop fort, on
va aller voir, on va continuer. Non, on ne continuera pas, M. le ministre. On
va s'en occuper. On
est des travailleurs, on a l'exemple. On a du travail de fait, vous
viendrez voir. D'ailleurs, vous le savez. C'est la raison pour laquelle vous ne
voulez pas en discuter.
M. Cusano: Merci, M. Bettey. Vous avez absolument répondu
à ma question, à savoir comment et qui composait votre
fédération. Je comprends que vous êtes des
bénévoles et qu'en même temps vous êtes devenus un
peu des experts pour combattre cet organisme qu'est la CSST.
Ma prochaine question, M. Bettey ou un de vos collègues: On a eu
ici, à cette commission, depuis le début, des témoignages
de la part des employeurs et, auparavant, on avait entendu dire ici en
commission parlementaire que la CSST fait beaucoup d'inspection et que les
accidents diminuent. Je souhaite - et je pense que tout le monde le souhaite -
que les accidents diminuent. Vous qui êtes dans le milieu, pouvez-vous me
dire ou me donner une évaluation ou une appréciation de
l'efficacité de l'inspection de la CSST en ce qui regarde la
prévention des accidents?
M. Charette: Premièrement, M. le député,
pour répondre à votre question, les inspecteurs de la CSST ne
sont pas des travailleurs. Ce sont des bureaucrates. Ce sont, la plupart du
temps, et je dirais pratiquement toujours et constamment, des petits gars qui
sortent de l'université. Ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas
instruits. Ils sont instruits pour nous amancher. Ils viennent dans les mines
où on travaille, nous. On travaille dans le trou, en dessous. Ils
viennent et quand ils arrivent à la mine pour faire une inspection, ce
n'est pas nous quatre qu'ils viennent voir. Ils vont voir le patron, ils vont
voir la personne qui est en charge de la sécurité à la
mine, ils vont voir le surintendant, le capitaine. Ils ne vont pas voir le
travailleur. Ils ne viennent pas demander au travailleur: Est-ce que c'est vrai
que c'est dangereux, il y a un "lousse" de 300 tonnes là? Non, ils vont
voir l'employeur. L'employeur, lui, est avisé un mois d'avance qu'il va
venir. Là, il dit au petit gars ou au travailleur qui est là: Ce
"stop" - en français, c'est un chantier d'abattage - tu vas me nettoyer
cela, pas à la brosse à dents, mais presque, parce que c'est
là qu'il va amener le représentant de la CSST. Il ne
l'amènera pas où est le lousse de 300 tonnes, il va l'amener
là parce que cela a été brossé, cela a
été nettoyé; c'est propre, aussi propre qu'ici.
L'inspecteur de la CSST, cela fait son bonheur, il a fait sa job. Il fait un
rapport parfait, condition A-1, et il s'en retourne. Il ne vient pas nous voir
pour nous demander s'il y a d'autres chantiers d'abattage, s'il y a d'autres
endroits où cela pourrait être dangereux. Non. Il ne se
préoccupe pas de cela. Il est avec les boss et il se promène avec
eux sous terre. Il ne se promène pas avec les travailleurs parce que,
s'il venait nous voir, les employeurs ne sont pas fous et ils savent qu'on
l'amènerait à la première place où est le lousse de
300 tonnes quand cela fait des mois qu'on gueule après le patron pour
mettre des poteaux ou dynamiter ce lousse pour que le travailleur ne se fasse
pas estropier. C'est de cette façon que cela fonctionne. Cela ne
fonctionne pas juste dans notre région. Je suis certain que d'autres
travailleurs d'autres régions minières vous diraient la
même chose. C'est de cette façon que cela fonctionne.
M. Cusano: Merci. C'est très clair. Ma prochaine question
sera la suivante: C'est sûr que présentement nous faisons face
à un projet de loi et nous avons la loi actuelle. À la suite de
l'étude que vous avez faite du projet de loi 42 et de ce que vous avez
déjà dans la loi actuelle sur les accidents du travail, si on
vous donnait le choix ce soir et qu'on vous demandait: Que
préférez-vous, ce qui existe présentement ou le projet de
loi 42, qu'est-ce que vous préféreriez?
M. Bettey: Présentement, je garderais la vieille, je
proposerais des améliorations parce que cette loi n'avance pas; pour un
travailleur, elle recule. Ce que j'ai pu voir, un petit article, très
petit à comparer avec tous les autres, où il est
mentionné, où il est dit qu'une compagnie ou un employeur doit
reprendre son accidenté. C'est le petit bout, le seul que je vois. Pour
moi, comme accidenté du travail, après avoir vécu ce que
j'ai vécu avec la vieille et que je reviens avec cela, je n'avance pas
du tout. Je recule en 1931 quand ils ont fait la loi. Je ne peux pas accepter
une loi comme celle-là. Moi, j'ai à me battre pour que cette loi
ne passe pas à l'Assemblée nationale, comme l'Opposition vous
demande de vous battre au nom des travailleurs pour qu'elle ne passe pas. Quand
on parle des petits montants forfaitaires, c'est ridicule, c'est croche
pardessus croche.
Je ne vous parle pas au travers de mon chapeau. Je suis un
accidenté de travail évalué. Si j'étais
évalué sur le montant forfaitaire que cette loi va maintenir,
qu'est-ce que cela va me donner comme montant forfaitaire? Environ 3000 $, 5000
$; c'est à peu près tout ce qu'elle peut couvrir. Aujourd'hui, je
suis pensionné à 80% reconnu médicalement. D'accord? Si on
me donnait le petit montant forfaitaire, qu'est-ce que cela
représenterait? Je vous le dis, rien! Tandis que là, du moins, je
peux survivre. Je me situe un peu plus haut que le salaire minimum et les
assistés sociaux. (22 h 15)
Si le ministre était honnête, il pourrait travailler demain
matin parce que j'ai été
accidenté en 1967, basé sur le salaire de 1967 à
2,35 $ de l'heure, et mon métier était celui de mineur. Si,
demain matin, j'allais travailler à la mine Noranda, sous terre, je
gagnerais 14 $ l'heure. Il n'a pas pensé revenir me voir parce que je
perds, je suis pénalisé par la vieille loi, et la nouvelle, c'est
encore bien pire, elle m'ôte tout. Je ne peux pas accepter ces
choses-là. Il ferait bien mieux, plutôt que de mettre des lois
semblables, de commencer à travailler et de suivre le salaire de
l'usine. Celui qui est accidenté ne peut pas y aller, il n'y a plus de
job pour lui, lorsqu'il a un handicap assez fort. Même aujourd'hui, dans
le contexte actuel, avec 5% de degré d'incapacité, vous essaierez
de trouver une job. Je ne blâme pas la compagnie à
côté qui va ramasser un handicapé avec 5%, 10%, 15%, 20%
d'incapacité: Écoute, je vais te donner une chance. Non, non. La
compagnie qui l'a estropié, qu'elle le prenne, et l'autre, elle n'a pas
d'affaire à... D'accord? Écoutez un peu. Cela ne tient pas
debout, la patente. Dans la loi actuelle, c'est ce que je vous demande,
battez-vous et je pense qu'on va essayer de vous donner un coup de main pour
vous appuyer, pour que la bataille soit bonne.
M. Charette: On est en 1984, M. le député.
Aujourd'hui, en 1984, on n'a pas évolué, on a reculé et on
recule toujours quand il s'agit de la CSST. Prenons la première loi qui
est sortie en 1909. Selon les articles 1053 et 1056 du Code civil - la
première loi du régime, les responsabilités civiles en
général - à ce moment-là, l'employeur devait
indemniser le travailleur financièrement pour un montant
représentant la totalité de sa perte de salaire, sa perte de
capacité physique, sa perte de jouissance de la vie, et le reste... Je
ne commencerai pas à tout mentionner. On était en 1909. À
ce moment-là, les bases de calcul des indemnités étaient
la pleine compensation pour ses pertes réelles. On est en 1984 et on est
obligé de se battre pour des affaires, des montants forfaitaires, pour
56 patentes, des amanchures. On n'évolue pas, on recule et le peuple est
écoeuré. En bon Canadien français, le peuple est
écoeuré. On en a plein notre casque de ces lois-là et de
ces amanchures-là, parce que c'est toujours nous autres qui payons.
C'est toujours le petit qui va payer. Comme vous allez le constater,
dorénavant, le petit est en train de se réveiller et on n'a pas
fini de se réveiller. On est ici ce soir et on va être ailleurs
d'autres soirs aussi, à d'autres places. On va parler peut-être
plus fort que cela dans quelque temps d'ici, parce que le peuple se
réveille. Il en a plein son voyage. On est tanné de se faire
exploiter. Si vous êtes là ici ce soir, c'est parce que c'est nous
qui vous avons nommés là. C'est le peuple, mais pensez que le
peuple, à un moment donné, va en avoir assez et vous pouvez
peut-être bien tous débarquer de là.
M. Cusano: Merci. Cela répond à la question et
j'apprécie vos commentaires. En ce qui regarde votre position, vous avez
demandé si l'Opposition va se battre contre le projet de loi. Je dois
vous dire que, s'il n'y a pas de changements d'apportés, en ce qui nous
concerne, ce projet de loi n'est pas acceptable. Le projet de loi 42 n'est pas
acceptable. Le ministre, tout le long... Je sais que vous n'avez pas l'occasion
d'écouter ou d'être ici. Vous n'avez pas les moyens d'avoir
été ici, comme d'autres, depuis le début de la commission
parlementaire, mais le ministre a semblé être, dans le
passé... Je ne sais pas. Peut-être qu'il a eu de la
difficulté ce soir à son souper ou quelque chose de semblable,
parce qu'il a été très ouvert jusqu'à maintenant
à des amendements. Il nous a dit à plusieurs occasions qu'il va
certainement y avoir des changements à certains articles du projet de
loi. Ce soir, il semble, en tout cas, à la fin - peut-être parce
qu'il est tard - il ne s'est pas avancé autant qu'il s'est avancé
avec d'autres personnes à qui il a dit: II y aura certainement des
articles du projet de loi qui vont être changés.
Comme je vous l'ai dit, en ce qui concerne le projet de loi 42, il n'y a
pas de doute dans mon esprit qu'il n'est pas acceptable. Une fois que les
amendements du ministre seront connus - et j'espère qu'ils seront connus
très rapidement - on verra quels sont les amendements. Si les
amendements ont du bon sens, on verra. J'espère en même temps,
puisque je sais que vous êtes un peu loin et que vous n'avez
peut-être pas accès à tous les amendements, j'espère
que le ministre aura la gentillesse de faire parvenir à votre
association une copie des amendements, une fois que ceux-ci seront connus. Je
présume que vous n'avez pas les moyens financiers d'aller consulter des
avocats ou d'autres personnes pour les avoir. C'est sur cela que je termine, en
ce qui me concerne. Je ne sais pas si mon collègue a d'autres questions.
Pour moi, c'est très clair et je vous remercie de votre
participation.
Le Président (M. Paré): M. le député
de Louis-Hébert.
M. Doyon: Merci, M. le Président. Simplement une question.
J'aimerais savoir si votre fédération, qui regroupe les
accidentés de la région de Rouyn-Noranda, a des contacts avec
d'autres groupements d'accidentés? Est-ce que vous avez des liens
quelconques avec d'autres groupements qui poursuivraient des objectifs
semblables, ailleurs en province?
M. Bettey: Oui, et vous en avez eu connaissance, il y en a qui
ont passé ici. On a des contacts avec d'autres associations, on s'est
rencontré. À un moment donné, on s'est assis à une
même table, on a échangé pour voir si les problèmes
n'étaient que dans le Nord-Ouest, ou dans le bout de la Gaspésie,
ou bien à Rouyn-Noranda, ou bien Montréal, ou Québec. Je
pense que partout, dans toutes les assemblées qu'on a faites avec ces
gens-là, on trouve les mêmes bobos un peu partout. D'accord? Soit
au bureau de révision, soit auprès de l'agent d'indemnisation,
soit à la réadaptation sociale, peu importe quoi. Peu importe
quoi. Vous trouvez les mêmes problèmes. Le comité d'experts
à Québec, on s'en va discuter avec les accidentés de
Montréal ou avec les accidentés de Sherbrooke, ils ont le
même maudit problème. Ils ont le même problème avec
un médecin qui est installé dans le bureau à
Montréal, comme il est installé à Rouyn-Noranda ou
n'importe où; même au Lac-Saint-Jean, on a des contacts, on
rencontre des gens, on échange. On essaie de savoir si on est plus
haïssable dans ce bout-là ou dans l'autre bout. En tout cas, c'est
de cette façon qu'on essaie pour commencer. Tantôt, c'est
sûr qu'il va y avoir un front qui va se former; cela ne fera pas plaisir
à M. le ministre du Travail, on s'en fiche. Surtout sa position, ce
soir, on la connaît très bien.
En tout cas, il est à notre avantage de continuer le travail pour
que les travailleurs soient respectés et payés, selon ce qu'on
peut aller chercher dans la loi actuelle. On va se battre. Tant qu'on peut, on
le fait. Pour vous donner une idée de la façon dont on se bat, on
a tout près d'une quarantaine de cas en liste au bureau de
révision. On est "billé" pour le mois d'avril. Aujourd'hui, on
est ici parce qu'on est bénévoles. C'est tout l'argent des
accidentés qui ont de la misère à manger; ils ont
payé nos dépenses parce que nous sommes aussi des
accidentés du travail, on n'en a pas. On est ici ce soir; monsieur n'a
pas voulu nous entendre, on s'en fiche, on continue notre travail. Lundi,
qu'est-ce qu'on va faire? Trois auditions: à Val-d'Or; de Rouyn, 85
milles; ceci va être pris dans la poche des accidentés. On s'en va
là bénévolement pour défendre ces gars-là.
M. le ministre, il ne se déplace pas pour aller parler. Quand il se
déplace, c'est l'État qui paie. Il me semble qu'il devrait avoir
un petit peu plus de coeur, d'en donner un peu aux gars qui, du moins, essaient
de travailler avec les malheureux pour en sortir de temps en temps. Parce qu'il
y a une loi et elle n'est pas respectée par la "gang" qui nous
administre présentement. Écoutez, 85 milles pour aller et 85
milles pour revenir, un repas là-dessus, c'est quoi, M. le ministre? On
fait cela, tous ces gars-là, avec un comité pas mal plus gros
encore qui nous appuie pour aller défendre. Ce sont des dépenses.
Quand on part de Rouyn-Noranda, qu'on monte à Ville-Marie, 75 milles, on
y va, encore avec tout l'argent... Je sais qu'on n'est pas intéressant,
parce que c'est des travailleurs qui sont là. Il ne faut pas qu'ils
revendiquent leurs droits face au régime actuel. On sait cela. Il ne
faut pas parler. On est tanné de garder cela, la misère dans
notre coeur; elle est causée par des croches engagés par la CSST.
Peut-être que c'est le ministre du Travail qui les a engagés. Je
ne le sais pas, mais, en tout cas, ce serait peut-être bon de fouiller
cela un peu plus tard.
M. Charette: M. le député, vous nous avez
demandé si on était groupés avec d'autres. On a des
contacts avec d'autres organismes, c'est sûr et certain. Le nier serait
mentir. Mais, par contre, on est un organisme seulement à Rouyn-Noranda,
qui couvre Val-d'Or, Ville-Marie, toute la région de
l'Abitibi-Témiscamingue. Nos moyens de subsistance: 10 $ par membre. On
vit avec cela. On a à peu près 700 membres accidentés du
travail, seulement pour notre coin. On vit avec les 10 $ de la carte de membre
des accidentés et notre argent personnel, malgré qu'on n'en a
pas, parce qu'il faut se battre pour venir à bout d'en avoir. On a quand
même assez de coeur au ventre pour s'entraider. Cela revient à ce
que je vous disais tout à l'heure, le peuple en a plein son voyage. On
se regroupe et on n'a pas fini de se regrouper. On va se regrouper parce que
cela déborde du vase. Cela déborde dans le sens que les gens qui
sont établis, sur place, à la CSST... Je ne vous dis pas qu'ils
sont tous mauvais. Je ne pourrais pas dire qu'ils sont tous mauvais, mais je
pourrais, par contre, vous nommer une liste de gens qui sont là, et
pourquoi? Pour le prestige? Pour les quotas? Pourquoi ces gens sont-ils
là? Pour avoir une augmentation? Pour avoir une plus belle job au
gouvernement? L'argent qu'ils nous doivent ne sort pas de leurs poches.
Pourquoi prendre un dossier, le mettre dans une voûte et nous faire
attendre, nous qui crevons de faim? Nous avons des enfants, des familles
à faire vivre. On ne travaille pas parce que nous sommes des
accidentés du travail et, pendant ce temps, il n'y a rien.
Je vais vous citer mon cas. La CSST ne veut pas me payer, cela
traîne, elle me charrie d'un bord et de l'autre, d'un spécialiste
à un autre. Encore là, j'ai un papier dans mes poches pour
rencontrer, la semaine prochaine, un spécialiste à
Montréal. L'employeur a annulé ma police d'assurance-groupe;
donc, la compagnie d'assurances ne veut pas me payer. Depuis le 18 novembre,
aucun sou n'est entré chez moi. Est-ce que c'est normal? Le monsieur en
question, j'ai envie de le nommer, parce qu'il m'écoeure, monsieur. Je
ne peux pas dire d'autre mot.
Pourquoi? Qu'est-ce que cela lui enlève? Il fait son jars quand
il arrive devant nous autres, l'estomac gonflé, et il dit: I am the
boss, c'est moi qui dirige le bureau ici. Quand cela me plaira, je te ferai
faire un petit chèque; on verra. Des types comme celui-là, cela
fait plusieurs qui se font organiser à Rouyn. Le type qui est en train
de faire une dépression parce qu'il en a assez, il part et il va taper
le gars.
Je vais vous démontrer un autre cas. Tout était
approuvé, tout était accepté. L'accidenté appelle
le monsieur en question, un certain monsieur, et lui dit: As-tu fait faire mon
chèque? Il lui devait 12 000 $. C'était tout accepté. Le
monsieur a répondu à l'accidenté en riant: C'est dommage,
j'ai oublié de peser sur le piton de l'ordinateur pour te faire
programmer ton chèque. Ce sont les réponses qu'on a. Ils nous
rient dans la figure. Pour eux autres, nous ne sommes pas des êtres
humains. Nous sommes plus bas que cela. Parce qu'on travaille dans des trous,
ils voudraient nous retourner dans le même trou et, s'ils étaient
capables, ils nous pileraient sur la tête.
M. Doyon: Ce qui me frappe dans les propos que vous tenez, c'est
le manque de crédibilité et le manque de confiance total envers
l'organisme qui, finalement, devrait avoir la confiance des travailleurs, parce
que la CSST, cette commission, c'est le recours des travailleurs. On doit se
rendre à l'évidence - le ministre est à même de le
constater - malgré) toutes les poursuites qu'on pourra prendre contre
qui que ce soit, contre des syndiqués et de quelque façon que ce
soit, un fait demeure et il est inévitable: la CSST n'a pas la confiance
dont elle aurait besoin de la part des gens avec qui elle fait affaires pour
être efficace, pour rendre les services qu'elle a le devoir de rendre. Ce
n'est pas un luxe, la CSST. C'est un besoin, c'est une nécessité.
Il faut que cet organisme, pour fonctionner, puisse avoir une
crédibilité, la confiance de toutes les parties. Vous êtes
à même de le constater, pour des raisons qui sont
différentes, mais, de toute façon, le fait est là, aussi
bien du côté des employeurs que du côté des
travailleurs: la CSST n'a plus la confiance de ces parties, elle n'est plus
crédible. On aura beau prendre toutes les poursuites judiciaires qu'on
voudra pour empêcher les gens de dire ce qu'ils pensent de la CSST, un
fait demeurera: il faut que la situation change, il faut que le ménage
dont vous avez parlé soit fait, qu'il donne des résultats, et
notre système politique veut que ce soit là le travail du
ministre du Travail. On n'y échappe pas. Il va falloir que ça en
vienne là. Autrement, des sentiments comme ceux que vous exprimez ce
soir sont probablement en train de se généraliser et cela va
rendre totalement inopérant, impossible à faire fonctionner tout
le système de protection, de rétribution et de paiement pour les
préjudices subis. (22 h 30)
Je vous remercie d'avoir pris la peine de partir du Nord-Ouest de la
province et d'être venus nous dire très clairement ce que vous
ressentez, comment vous voyez les choses, comment vous vivez les choses. Cela
est important parce qu'on n'en a pas eu des tonnes de gens qui, comme vous, ont
l'expérience pratique du vécu, du quotidien, et c'est cela votre
témoignage aujourd'hui que vous nous donnez. Bien que vous ayez pu
déplorer l'attitude, peut-être, de sourde oreille de la part du
ministre, quand même, il y a des bribes qui se sont rendues
jusqu'à lui, j'en suis sûr, et qui vont lui permettre, en temps
utile, de donner les remèdes, d'imposer les remèdes qui sont
nécessaires pour que la situation se rétablisse. C'est absolument
essentiel. De cela, moi, mon collègue et tous les membres de ma
formation politique vous sommes reconnaissants.
M. Bettey: Vous avez cité des choses. Quand vous me parlez
de la confiance, c'est réel ce que vous dites. Le ministre du Travail
nous a proposé un médecin pour examiner notre médecin
traitant. Pourquoi refuse-t-on le médecin traitant? C'est ça!
Après X années de travail, qu'on travaille tous les jours
là-dedans, ça rentre, ça vient te voir à ton bureau
et ça rentre tout le monde est pris à peu près dans le
même sens qu'on vient de vous expliquer, on ne peut plus avoir la
confiance. Le ministre du travail aura beau proposer ce qu'il voudra, quand il
se présentera devant les accidentés du travail, impossible
d'accepter parce que même on a perdu confiance dans le ministre du
Travail. Même l'ancien ministre qui était là avant lui,
même lui, je n'ai plus confiance en lui par rapport à cet
organisme parce qu'il faut penser que de cet organisme, c'est le ministre du
Travail qui est le boss. Ce n'est pas le curé et la soeur. C'est le
ministre qui est boss. C'est lui qui sait depuis nombre d'années...
Est-ce qu'il a fait un effort? Loin d'en faire, il a tenu la roue. C'est pour
cela que demain matin, ce projet de loi... Cela ne nous fait rien qu'il en
présente un autre, monsieur, il a besoin d'être très clair
parce qu'on ne peut plus se fier. On en a trop vu. J'ai fini.
M. Charette: Si vous le permettez, avant de terminer, M. le
ministre, si, dans tout cela, dans ce qu'on a apporté ce soir, on vous a
exprimé nos revendications, on vous a dit certains faits, on a
dénoncé certains faits, je veux bien croire que de certains faits
vous n'étiez pas au courant. Je peux le croire, mais je vous demande, ce
soir, ici, si c'était possible de nous
rencontrer un peu plus tard; on aurait des dossiers à vous
montrer à vous personnellement. Également, on aimerait que vous
vous penchiez sur certains cas qui sont très réalistes dans notre
coin pour justement faire ressortir des choses et, peut-être, faire un
petit ménage du printemps qui serait dû à l'heure actuelle;
en même temps, pour terminer, si bon vous semble et bon vous chante, une
petite subvention pour nous aider, on ne dira pas non.
M. Fréchette: Oui, juste un mot.
Le Président (M. Paré): Oui, M. le ministre du
Travail.
M. Fréchette: M. le Président, je veux aussi
remercier nos invités d'être venus nous rencontrer. Je comprends
qu'au premier contact qu'on a ensemble on me dit, très
spontanément, très carrément et sans réserve, qu'on
n'a plus confiance en moi. Je suis tout à fait disposé à
accepter cette évaluation. À votre demande...
Le Président (M. Paré): M. Charette.
M. Fréchette: ...M. Charette, malgré le fait dont
je viens de parler, je suis tout à fait disposé, quant à
moi, dans les jours qui viendront à vous rencontrer, avec les
représentants de votre organisme, pour discuter de l'ensemble des sujets
qui vous préoccupent. Je ne veux pas, vous savez, essayer de
procéder à une opération de rattrapage. Je veux simplement
vous indiquer que j'aurais souhaité qu'on puisse discuter de la plupart
des sujets que vous abordiez, mais votre enthousiasme était tel que je
préférais vous laisser vous exprimer aussi spontanément
que vous le souhaitiez et de la façon que vous le souhaitiez. C'est pour
cela que je n'ai pas cru utile de continuer l'examen de chacune des suggestions
que vous nous faisiez. D'ailleurs, ces suggestions, je vous l'ai dit au tout
début de mes remarques, sont très clairement identifiées
dans votre mémoire que vous avez soumis d'une façon très
concise. À travers tous les mémoires qu'on a reçus, c'est
le vôtre qui, effectivement, va aux points très précis qui
sont les plus préoccupants pour vous. Alors, je vous le dis, ils sont
identifiés ces problèmes.
Je vous dis également que plusieurs des cas que vous nous
soumettez rejoignent plusieurs autres préoccupations qui nous ont
été faites, autant par des associations de travailleurs
accidentés que par des associations syndicales et, quand vous disiez
tout à l'heure que les préoccupations que vous avez dans la
région chez vous rejoignent les préoccupations qu'on retrouve
dans d'autres associations qui sont vouées aux mêmes objectifs que
la vôtre, c'est très vrai parce qu'on en a eu la preuve au cours
de la dernière semaine, à partir, encore une fois, des
représentations qui nous ont été faites et des demandes.
Cela confirme essentiellement à cet égard l'évaluation que
vous avez faite de l'action de votre association.
Je réitère que je suis tout à fait disposé
à avoir une rencontre avec les représentants de votre organisme
à une date que nous pourrions ensemble déterminer et qui vous
conviendra le plus. On pourra à ce moment-là prendre tout le
temps nécessaire pour discuter davantage, si vous le souhaitez. Je vous
remercie encore.
M. Charette: On essaiera de moins s'emporter. C'est parce que
là on s'est défoulé.
M. Cusano: Au moins, cela a fait comprendre quelque chose.
Le Président (M. Paré): Messieurs les
représentants de la Fédération des accidentés (es)
du travail de Rouyn-Noranda, au nom de tous les membres de la commission, on
vous remercie d'avoir pris le temps de préparer un mémoire et
d'être venus le présenter à cette même commission.
Merci beaucoup.
Je veux maintenant rappeler aux membres de la commission qu'à
nouveau, demain matin, les travaux reprennent à dix heures.
Là-dessus, les travaux sont suspendus jusqu'à demain, dix
heures.
(Fin de la séance à 22 h 39)