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(Dix heures sept minutes)
Le Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous
plaît! La commission du travail commence ses travaux afin d'entendre les
représentations des personnes et des groupes intéressés au
projet de loi 42, Loi sur les accidents du travail et les maladies
professionnelles.
Nous avons comme membres de cette commission M. Bisaillon
(Sainte-Marie), M. Cusano (Viau), M. Dean (Prévost), M. Fréchette
(Sherbrooke), Mme Harel (Maisonneuve), M. Lafrenière (Ungava), M.
Lavigne (Beauharnois), M. Pagé (Portneuf), M. Léger (Lafontaine),
M. Maltais (Saguenay), M. Polak (Sainte-Anne) et M. Baril (Arthabaska).
Comme intervenants inscrits: M. Champagne (Saint-Jacques), M. Champagne
(Mille-Îles), M. Fortier (Outremont), M. Leduc (Fabre), M. Payne
(Vachon), M. Proulx (Saint-Jean) et M. Vaugeois (Trois-Rivières).
J'aimerais qu'on me signale le nom d'une personne qui fera rapport de
cette commission. M. Lavigne, vous acceptez d'être rapporteur?
M. Lavigne: Certainement.
Le Président (M. Jolivet): M. Lavigne, de Beauharnois,
sera rapporteur de cette commission. Les groupes qui seront entendus à
cette commission sont d'abord la Chambre de commerce de la province de
Québec pour une partie de la matinée, après les
représentations faites par M. le ministre et M. le député
de Viau, le représentant de l'Opposition. Normalement, dans
l'après-midi, nous aurons, vers 15 heures, l'Association des armateurs
des Grands-Lacs; en troisième lieu, la Fédération des
médecins spécialistes du Québec et, finalement, pour une
partie de la soirée, à partir de 20 heures, la Centrale des
syndicats démocratiques.
Nous nous sommes entendus pour faire en sorte que les mémoires
présentés puissent l'être dans un laps de temps qui en
permette la présentation. Les membres de la commission auront ensuite
à poser des questions, L'enveloppe de temps sera quand même assez
large tout en sachant que nous devons terminer avec quatre mémoires
aujourd'hui, vers 22 heures ou 23 heures. Je demande donc à M. le
ministre du Travail de procéder à ses notes
préliminaires.
Remarques préliminaires M. Raynald
Fréchette
M. Fréchette: M. le Président, je vous remercie.
Conformément au mandat qui a été donné à
l'Assemblée nationale, la commission permanente élue du travail
entame ce matin ses travaux sur l'audition de mémoires en relation avec
le projet de loi 42. Avant que nous soyons spécifiquement
informés du nombre de mémoires qui allaient être soumis, de
l'ampleur que l'audition allait devoir prendre, il n'avait pas
été question ou, en tout cas, décidé de
procéder à la télédiffusion de nos débats.
Par ailleurs, au fur et à mesure que le temps passait, que les semaines
se succédaient, nous avons constaté qu'effectivement 44 groupes
et/ou organismes avaient manifesté l'intention de voir leur
mémoire apprécié par la commission et, de ces 44, 42 nous
ont effectivement indiqué leur intention de venir soumettre leur
mémoire à la commission en même temps que d'échanger
avec les membres de cette commission.
Deuxièmement, nous avons également considéré
que le projet de loi sous étude, s'il doit devenir loi, s'adresse
à une clientèle de près de 2 000 000 de travailleurs et
d'à peu près aussi 150 000 employeurs. C'était
évidemment un autre élément important dont nous avons tenu
compte pour prendre une décision, de concert avec les membres de
l'Opposition, pour procéder à la télédiffusion de
nos débats.
M. le Président, dans mes remarques préliminaires, je veux
souhaiter la bienvenue aux collègues de la commission des deux
côtés de la table et, en même temps, à nos
invités de ce matin et, à travers eux, à tous les
invités qui, au cours des prochains jours, viendront soumettre leur
évaluation, leur appréciation, leur analyse de cette loi 42.
M. le Président, à ce stade-ci, vous me permettrez de
livrer à l'appréciation des membres de la commission, de nos
invités et, bien sûr, des gens qui nous écoutent quelques
remarques préliminaires qui, je l'espère, contribueront à
lancer le débat, des remarques préliminaires concernant une
appréciation globale de la loi sous étude.
Ce projet de loi 42 établit des principes qui s'adressent
à une majorité de victimes. Le législateur ne peut
présumer qu'une grande proportion des bénéficiaires
profiteront, au sens péjoratif du terme, du
régime, en abuseront et le frauderont. Une telle prémisse,
si elle était retenue à l'origine de nos lois, nous conduirait
à légiférer, non pour reconnaître des droits, mais
pour les restreindre et créer des appareils tellement
bureaucratisés que les premiers à s'en plaindre seraient
ceux-là mêmes qui les auront souhaités.
M. le Président, par conséquent, la réforme
proposée dans le projet de loi 42 ne vise pas à faire perdre aux
travailleurs des droits qui leur auront été reconnus au cours des
50 années passées. Au contraire, elle vise à assurer une
indemnisation plus équitable des cas d'incapacité permanente
grave en assurant une plus juste répartition de l'assiette fiscale dont
l'État dispose dans le cadre du régime qu'il s'est
donné.
Le projet de loi atteint-il ces objectifs? Le but du présent
exercice est de le vérifier en nous mettant à l'écoute de
ceux directement visés. Lorsque chacun aura fait connaître son
point de vue et que cette commission aura recueilli les propositions qui ne
manqueront sans doute pas de lui être faites, il appartiendra au
gouvernement de rendre le texte législatif conforme à l'esprit
qui doit présider à cette réforme.
D'ores et déjà, il m'apparaît indéniable que
le régime proposé apporte des améliorations importantes
par rapport au régime actuel et je souhaite que les intervenants
tiendront compte de cet aspect dans leur appréciation de ce projet de
loi. Par exemple, le concept du remplacement du revenu, assorti d'une
indemnité forfaitaire pour les dommages corporels, constitue une
amélioration certaine sur le régime actuel qui ne distingue pas
l'un de l'autre et qui a pour résultat de sous-indemniser les grands
handicapés tout en surindemnisant - le tout étant bien sûr
relatif - les dommages corporels qui n'ont pas d'effet réel sur la
capacité de gains des victimes. Il faudra, par ailleurs, évaluer
l'impact des limites que le projet de loi impose au concept et s'assurer
qu'elles respectent le droit des victimes à une juste et
équitable réparation.
La Loi sur les accidents du travail, on le sait, remonte à 1931.
Elle véhicule certains concepts qui sont devenus anachroniques 53 ans
plus tard. Elle contient des principes, elle contient des règles qu'il
faut préciser et adapter à la conjoncture socio-économique
actuelle.
Le projet de loi 42 - je crois utile de le dire, M. le Président,
dès le début, l'amorce de nos travaux - ne remet pas en cause le
contrat social de 1931. Il réitère la volonté du
gouvernement de faire assumer les coûts du régime par les
entreprises dont les activités produisent les risques d'accidents et de
maladies professionnelles. En contrepartie, les employeurs sont à l'abri
de poursuites judiciaires de la part de leurs employés.
Le prix d'une telle sécurité sociale accordée aux
employeurs leur échappe très souvent, de telle sorte que nombre
d'entre eux ont fini par trouver naturel de ne pas être l'objet de
poursuites judiciaires ruineuses, nombre d'entre eux également ne sont
pas loin de penser parfois que c'est l'État qui devrait prendre charge
des conséquences financières des lésions
professionnelles.
D'autre part, le contrat social de 1931, qui assurait aux victimes de
lésions professionnelles une certaine sécurité du revenu
automatique en retour de leur abandon du droit de poursuite leur demandait de
sacrifier une partie des droits à des indemnités que les
tribunaux de droit commun reconnaissent habituellement à des victimes
d'accident contre l'auteur de l'acte fautif. Ce contrat social demeure à
la base du projet de loi 42 et les parties - je le souhaite - dans leurs
représentations devraient s'en souvenir. Je n'ose imaginer les
coûts directs et indirects que devraient supporter les employeurs
québécois si les tribunaux devaient du jour au lendemain juger la
valeur pécuniaire des lésions subies par les travailleurs en
prenant en compte 100% des dommages d'ordre professionnel ou
socio-économique qui découlent d'un accident ou d'une maladie.
D'ailleurs la tendance actuelle de la jurisprudence, tant canadienne
qu'américaine, ne cesse de nous impressionner fortement à cet
égard.
Je n'ose m'imaginer, non plus, M. le Président, l'effet que la
notion de faute professionnelle aurait fini par avoir sur les employeurs, leur
faisant sans doute supporter de plus en plus directement et objectivement tous
les risques à la santé et à la sécurité que
l'industrialisation fait peser sur la vie et l'intégrité des
travailleurs.
D'autre part, je n'ose enfin imaginer dans quelle situation se serait
retrouvé le travailleur obligé de soutenir sa cause devant les
tribunaux de droit commun, privé de ressources et de revenus et
confronté à des forces épuisantes et à des moyens
de défense auxquels il n'a pas toujours facilement accès.
Au début de cette commission parlementaire, les employeurs et les
travailleurs doivent, me semble-t-il, se rappeler que le bien-fondé du
contrat social de 1931 ne peut raisonnablement être remis en cause. En
effet, chacun devra se rappeler qu'il y a des limites à la
possibilité pour les travailleurs d'obtenir une compensation à
100% pour les dommages subis, cette limite étant proportionnelle
à la capacité des employeurs de financer le régime. Par
ailleurs, chacun devra également se rappeler que la santé et
l'intégrité physique des travailleurs québécois a
un prix inestimable qui ne se marchande pas et qui ne se troque pas pour des
miroirs.
Une autre innovation importante de ce
projet de loi mérite qu'on s'y arrête. Il s'agit du droit
de retour au travail. Pour la première fois en Amérique, ce droit
est inscrit dans une loi touchant les victimes de lésions
professionnelles et il permettra à de nombreux accidentés de
conserver leur emploi après une période d'incapacité. Il
corrigera une situation de plus en plus répandue où des
employeurs mettaient systématiquement à pied leurs travailleurs
au moindre accident de travail.
La société québécoise qui a investi des
énergies importantes dans la scolarisation et la qualification de sa
main-d'oeuvre ne peut se permettre le luxe de gaspiller ses ressources et de
supporter le double fardeau social d'un travailleur diminué dans son
intégrité physique et chômeur forcé, car c'est la
société entière qui supporte ce fardeau et non les seuls
employeurs qui reçoivent cette main-d'oeuvre déjà
formée aux frais de l'ensemble des contribuables.
Encore là, le projet de loi 42 impose certaines limites à
l'exercice de ce droit mais, dans la mesure où il s'agit d'un droit avec
lequel les parties devront apprendre à vivre et qu'il devrait permettre
à près de 90% des victimes de lésions professionnelles de
retourner à leur emploi, dans cette mesure, donc, j'estime qu'il
constitue un pas en avant de toute première importance.
D'autre part, le projet de loi 42 reconnaît le droit à la
réadaptation et, pour la première fois, impose en ce domaine des
obligations très précises à la Commission de la
santé et de la sécurité du travail. Les parties ne peuvent
ignorer que la réadaptation est un concept qui évolue et qu'il
serait dangereux, sinon rétrograde, de vouloir limiter les pouvoirs de
la commission en ce domaine. Je fais confiance, sur ce plan, à la
capacité des parties présentes au conseil d'administration pour
faire évoluer la réadaptation dans le cadre à la fois
large et exigeant du projet de loi.
Cependant, M. le Président, et c'est important de le signaler
dès le début de nos travaux, je serai attentif à toute
proposition constructive allant au-delà des grandes déclarations
de principes que provoque toujours un sujet de cet ordre et qui aura pour effet
d'assurer un meilleur exercice du droit à la réadaptation dans la
mesure où les conséquences d'une lésion professionnelle le
justifient.
Sur un autre plan, il est coutume d'entendre les parties dénoncer
la bureaucratisation d'un régime comme celui qui est proposé,
ainsi que la complexité des procédures qu'il engendre. Je
voudrais souligner que le gouvernement a voulu simplifier le plus possible les
procédures administratives du régime, apportant en particulier
des mesures susceptibles d'améliorer au maximum le processus de
réclamation et de paiement, d'alléger et
d'accélérer les modalités de révision, de disposer,
enfin, d'une législation laissant moins de place à l'arbitraire
et aboutissant à une diminution considérable du pouvoir
réglementaire.
Ainsi, des mesures comme celle obligeant l'employeur à payer les
quatorze premiers jours d'incapacité, plutôt que les cinq, comme
c'est le cas actuellement, devraient permettre d'accélérer les
paiements aux accidentés et éviter une bureaucratisation
excessive dans 80% des réclamations. Assez paradoxalement, d'ailleurs,
certains estiment qu'il faudrait accroître l'appareil bureaucratique pour
contrôler les coûts de ces réclamations. Or, on reproche
actuellement à la Commission de la santé et de la
sécurité du travail son trop grand interventionnisme et sa
propension à se mêler de la gestion de l'entreprise. La
proposition du projet de loi 42 ne constitue-t-elle pas un acte de foi dans la
capacité des partenaires de l'entreprise de gérer
adéquatement ces dossiers sans exiger du législateur le
déploiement de tout un appareil de contrôle dont les coûts
sont exorbitants par rapport aux bénéfices qui peuvent être
obtenus?
Je ne dis pas, M. le Président, que le projet de loi ne devra pas
prévoir certains aménagements pour faciliter la prise en charge
de cette période d'incapacité par les parties, et, encore
à ce chapitre, comme à tout autre chapitre d'ailleurs, je serai
ouvert à toute proposition qui visera à en faciliter la gestion
et à en améliorer le processus, mais on ne peut demander à
un organisme d'État dont le rôle social est bien identifié
des règles de contrôle qui le transformeraient finalement en
institution policière répressive. Qui peut mieux que l'employeur
lui-même connaître les circonstances entourant un accident du
travail? S'il arrivait que l'employeur ne les connaisse pas, comment
l'organisme indemnisateur peut-il le faire à sa place? On n'exige pas de
telles enquêtes policières dans les compagnies d'assurances
privées. L'institution d'enquêtes systématiques peut
alourdir considérablement la machine administrative, provoquer des
réactions négatives de la part des employeurs et des
travailleurs, qui auront vite fait de blâmer, et d'un commun accord,
l'interventionnisme de la commission et engendrer, bien sûr, des
coûts injustifiables par rapport aux bénéfices qui
pourraient en découler.
En vertu du système actuel, il y a enquête lorsque les
motifs invoqués sont sérieux et que la valeur de la
réclamation le justifie. Ce sont, me semble-t-il, les règles des
assureurs privés. Doit-on être plus sévère pour les
accidentés du travail?
Le projet de loi 42, M. le Président, propose également
des mécanismes de révision et d'appel simplifiés,
répondant en
cela aux reproches formulés depuis quelques années
à l'endroit des bureaux de révision et aux revendications en
faveur de leur disparition. Je suis d'avis qu'il est nécessaire de
réduire les délais de révision et d'appel et d'instaurer
des mécanismes qui soient facilement accessibles aux parties et, de
surcroît, peu formalistes. Je concours également à
l'idée de ceux qui réclament une audition devant une instance
indépendante et externe à la Commission de la santé et de
la sécurité du travail. (10 h 30)
Cependant, je doute que la multiplication des instances et, partant, des
procès servent les intérêts des parties. C'est bien souvent
cause de délais interminables et de frustrations comme c'est le cas
actuellement devant la Commission des affaires sociales. Il faut donc
rechercher une formule qui respecte les règles d'impartialité et
les règles du droit à une audition publique et non la
superposition de recours interminables et coûteux.
Le projet de loi 42 contient nombre d'autres mesures favorisant une plus
juste et équitable indemnisation. Je ne citerai que la base de salaire
équivalente au salaire minimum - elle est, on le sait, dans la loi
actuelle de 35 $ - également l'indexation annuelle des indemnités
temporaires. On se rappelle qu'à la suite d'une interprétation de
la loi actuelle seules les indemnités pour incapacité permanente
sont actuellement indexées. Ajoutons à cela, M. le
Président, la couverture des aggravations résultant d'un
traitement médical ou de réadaptation et une série de
règles simplifiant le traitement des réclamations pour maladie
professionnelle.
Je ne saurais passer sous silence une remarque qui a souvent
été faite lors de la commission parlementaire de décembre
1983 et qui visait l'ampleur des pouvoirs discrétionnaires de la
Commission de la santé et de la sécurité du travail. Le
projet de loi 42 n'échappe pas à cette obligation à
laquelle se voit confronté le législateur dans de telles
situations et énumère une série de pouvoirs
spécifiques donnés à la commission. D'abord, il
m'apparaît impossible de prévoir dans une loi toutes les
situations particulières auxquelles on peut avoir à faire face.
La commission administre un régime dont les bénéfices
touchent annuellement plus de 300 000 travailleurs et travailleuses du
Québec. La nature des lésions, la variété des
contrats de travail, la diversité des situations dans lesquelles on peut
se trouver quand intervient l'accident, la complexité multiple des
conséquences des lésions sur chaque individu exigent que
l'organisme administrant une telle loi dispose de la latitude nécessaire
pour rendre des décisions équitables. Par ailleurs, il me semble
que le gouvernement a fait un effort considérable pour limiter, dans le
projet de loi, ce pouvoir discrétionnaire de la commission et pour
inscrire, dans le texte même, les normes et critères qui doivent
guider la commission dans son appréciation des cas qui lui sont
présentés.
Ainsi, les pouvoirs réglementaires, au nombre de 26, dans la loi
actuelle, passent à 6 seulement. Il s'agit là, il me semble,
d'une réduction importante des pouvoirs de l'organisme et d'un geste qui
correspond aux revendications des parties. On pourra argumenter en disant que
le paragraphe 6 de l'article 266, qui prévoit que la commission peut
faire des règlements pour prescrire généralement toute
mesure qu'elle estime utile à la mise en application de la
présente loi, laisse encore une large porte à l'arbitraire. Je
dirai, cependant, qu'il s'agit d'une clause qu'on retrouve
généralement dans toutes les lois de cette nature et que le
gouvernement en a toujours contenu parcimonieusement l'application.
Par ailleurs - cela me semble important de le répéter - je
n'hésiterai pas à retrancher du projet de loi 42 cette
disposition dont je viens de parler si les intervenants en venaient à la
conclusion qu'elle risque sérieusement d'être abusivement
utilisée par la Commission de la santé et de la
sécurité du travail. J'aimerais aussi préciser qu'il
existe, dans le projet de loi 42, deux sortes de pouvoirs
discrétionnaires: des pouvoirs discrétionnaires quasi judiciaires
et des pouvoirs discrétionnaires administratifs. Les pouvoirs quasi
judiciaires sont ceux qui permettent aux employés de la commission de
rendre des décisions dans des cas particuliers à partir d'une
délégation de pouvoirs du conseil d'administration et dans le
cadre des programmes, des politiques adoptés par le conseil
d'administration. Les pouvoirs discrétionnaires administratifs sont ceux
qui permettent au conseil d'administration paritaire d'adopter de tels
programmes et de telles politiques.
Par conséquent, quand le projet de loi indique que la commission
peut ou doit faire telle chose, cela signifie que le législateur
délègue au conseil d'administration de l'organisme, donc, aux
parties directement concernées, le pouvoir d'établir les
programmes, les politiques, les normes et les critères qui lui
permettront d'administrer convenablement et équitablement la loi. Est-il
nécessaire d'ajouter que le législateur prend bien soin de
déterminer le cadre à l'intérieur duquel le conseil
d'administration doit agir? Le conseil ne peut faire des programmes ou des
politiques qui auraient pour effet de restreindre le droit aux
indemnités, de restreindre le montant des indemnités ou encore de
les augmenter au-delà des limites qui sont fixées. Le
gouvernement fait donc confiance aux parties pour régler des situations
dont il ne peut prévoir, dans une loi, toute l'étendue ou la
complexité.
Je serai particulièrement attentif, au cours de la
présente commission parlementaire, à toute proposition
raisonnable pouvant permettre au législateur d'enchâsser, avec le
maximum de sécurité, les droits reconnus aux parties et de
préciser les règles de conduite qu'il entend donner à
l'organisme indemnisateur dans sa délégation de pouvoirs. En
effet, si l'on me démontre que certains pouvoirs laissés à
la discrétion de l'organisme risquent de mettre en péril des
droits par ailleurs reconnus dans le projet de loi et que la confiance que je
mets dans la capacité des parties présentes au conseil
d'administration de gérer de façon adéquate le
régime proposé n'est pas fondée, je serai attentif
à toute proposition positive visant à améliorer la loi
proposée.
Je ne voudrais pas conclure ces remarques préliminaires sans
aborder la capitale et importante question des coûts du nouveau
régime proposé. Bien que j'aie annoncé, lors du
dépôt du projet de loi 42, que le régime tel que
proposé entraînait une diminution des coûts par rapport au
régime actuel, nombreux sont ceux - et c'était de bonne guerre
dans les circonstances, c'était normal de le faire - qui y sont
allés de leurs propres hypothèses et qui ont
dénoncé les nouveaux coûts entraînés par le
projet sans peut-être savoir s'il en générait vraiment de
nouveaux. On a également avancé que le gouvernement ne
connaissait pas lui-même l'ampleur des nouveaux coûts
engendrés par cette réforme. Je dois dire que le gouvernement
prépare cette réforme depuis 1980 et que les diverses
hypothèses qu'il a étudiées au cours des années ont
toujours été accompagnées d'analyses actuarielles
sérieuses et détaillées.
Avant de déposer le projet de loi 42, le gouvernement en
connaissait les implications financières et, par conséquent, il
savait que, tel que présenté, le projet de loi 42, s'il avait
été en vigueur en 1984, aurait coûté 18 000 000 $ de
moins que dans le cadre de la loi actuelle. Il savait également que,
compte tenu du mode de financement adopté par la Commission de la
santé et de la sécurité du travail, si le projet de loi
avait été en vigueur en 1984, la commission aurait cotisé
44 500 000 $ de moins que la cotisation réelle et que le taux moyen par
100 $ de salaire aurait été de 1,79 $ au lieu de 1,89 $. Le
gouvernement savait également quels étaient les
éléments de la réforme qui entraîneraient des
coûts nouveaux et quels étaient les éléments de la
réforme qui permettraient une réduction des coûts
actuels.
Alors, M. le Président, pour les fins de notre discussion, si
vous me le permettez, je détaillerais maintenant l'un et l'autre
chapitre dont je viens de parler: les coûts nouveaux et la
réduction des coûts actuels.
Au chapitre des coûts nouveaux, la réforme entraîne
les augmentations suivantes: le remplacement du revenu assorti d'une incitation
au retour au travail et du droit au retour au travail entraînerait une
augmentation des coûts par rapport à l'état actuel des
choses de 7 200 000 $. Évidemment, il faut tenir pour acquis dès
maintenant que les chiffres que je suis en train de donner seraient les
chiffres qu'on devrait retenir si le projet de loi devait de son
côté être adopté dans sa présentation
actuelle.
Le paiement de forfaitaires pour dommages corporels entraînera une
augmentation de 28 800 000 $. La base de salaire par rapport à
l'état actuel des choses, quand on l'envisage sous l'aspect du salaire
minimum et de l'emploi principal, entraînera des augmentations de 2 900
000 $. Le paiement des quatorze premiers jours par les employeurs - il
m'apparaît important de signaler, M. le Président, que le
coût auquel je vais me référer ne tient pas compte des
économies administratives qui seront au moins équivalentes, sinon
supérieures à ces coûts -donc, le paiement des quatorze
premiers jours par les employeurs entraînera une augmentation de 600 000
$. L'indexation de l'indeminité de remplacement du revenu par rapport
aux rentes d'incapacité temporaire, qu'on avait cessé d'indexer
depuis un certain moment, générerait une augmentation de 14 200
000 $. Les indemnités de décès non reliées à
la lésion engendreraient, quant à elles, une augmentation de 500
000 $.
Donc, M. le Président, le total des différents chiffres
dont je viens de parler est effectivement de 54 200 000 $, si, toujours, le
projet de loi était adopté dans l'état dans lequel il se
trouve actuellement, mais j'ai signalé il y a un instant qu'il y a aussi
un autre chapitre relatif à la diminution des coûts si le projet
de loi, toujours, est adopté comme il nous est actuellement
présenté.
Quelles sont ces diminutions, M. le Président? Je vous les donne
rapidement: modifications aux indemnités de décès enfin,
le projet de loi le propose - les rentes sont remplacées par le paiement
de montants forfaitaires. Cette disposition déboucherait sur une
diminution des coûts de l'ordre de 10 700 000 $. Une autre disposition de
la loi, celle prévoyant la réduction de la rente à 65 ans
et son interruption à 68 ans, va engendrer, quant à elle, une
diminution des coûts de 39 200 000 $. Finalement, la
réévaluation de l'incapacité après trois ans au
lieu de cinq ans entraîne une diminution de 22 400 000 $, ce qui nous
amène à une réduction globale de 72 300 000 $. (10 h
45)
La conclusion générale qui se dégage de cette
opération comptable, c'est que l'ensemble de l'opération
entraîne donc une
diminution des coûts de la loi actuelle de l'ordre de 18 000 000
$.
M. le Président, il est peut-être utile d'indiquer ici que
la Commission de la santé et de la sécurité du travail est
une institution qui est bien administrée, une institution qui est en
excellente santé financière et qui se compare avantageusement aux
organismes semblables dans d'autres provinces du Canada. Ainsi, le taux moyen
de cotisation est passé de 2,16 $ en 1982 à 1,95 $ en 1983,
à 1,89 $ en 1984. Au cours de la même période le taux de
cotisation de l'Ontario a suivi une tendance inverse passant de 1,86 $ en 1982
à 2,17 $ en 1984.
Quant au contrôle des coûts, là encore, la Commission
de la santé et de la sécurité du travail figure bien.
Malgré la récession, les déboursés en
incapacité temporaire se sont maintenus au même niveau du
début de 1982 à la fin de 1983. En Ontario, par ailleurs, ces
mêmes déboursés ont augmenté de 20% entre le
début de 1982 et la fin de 1983.
M. le Président, malgré cette importante réduction
de coût dont je viens de parler, je suis tout à fait sensible au
fait que les coûts du régime demeurent globalement très
élevés. Ce phénomène, comme je viens de
l'expliquer, n'est cependant pas propre au Québec et, sur ce plan, le
Québec se compare avantageusement avec son voisin ontarien.
Je ne crois pas que c'est en faisant l'option de pénaliser les
travailleurs victimes de lésions professionnelles, en diminuant leur
droit à une juste compensation ou en réduisant artificiellement
la valeur de ces compensations que l'on parviendra à contrer la
croissance des coûts des accidents. Une diminution aussi artificielle
n'aboutirait qu'à un désordre social dont les coûts
seraient encore plus élevés pour la société que
ceux résultant des accidents eux-mêmes. En 1979, le gouvernement a
fait un autre pari, celui de la prévention, et il demeure
persuadé que c'est par la prévention que l'on pourra freiner la
croissance des coûts de la réparation et seulement par elle. Ces
coûts étant assumés entièrement par les employeurs,
le gouvernement considère et a toujours considéré qu'il
s'agit là d'une taxe et que cette taxe, une fois payée,
n'appartient plus aux employeurs mais au trésor public. L'organisme
chargé d'administrer ce régime n'est donc pas exclusivement au
service des employeurs comme on est tenté de le croire trop souvent.
C'est un organisme qui a reçu un mandat du législateur pour
administrer cette portion du trésor public.
Précisons encore que les coûts résultant des
accidents du travail sont directement reliés à la production des
biens et des services et donc finalement assumés par les consommateurs,
dont évidemment les travailleurs. Dans les autres régimes de
sécurité sociale auxquels les travailleurs contribuent, les
risques qu'ils couvrent sont de nature purement sociale et sans commune mesure
avec les risques à la santé et à l'intégrité
physique découlant de notre système de production et sur lesquels
les travailleurs seuls n'ont aucun contrôle. M. le Président,
j'aurai l'occasion de revenir au cours de cette commission parlementaire sur la
question des coûts du régime.
Je souhaite en terminant que les travaux de cette commission permettront
au législateur d'adopter un régime de réparation des
lésions professionnelles qui sera équitable et juste envers les
victimes.
Je souhaite également qu'on se rappelle que la présente
commission ne porte plus sur l'administration de la Commission de la
santé et de la sécurité du travail, dont le procès
public a largement été fait en décembre 1983.
Il ne me paraîtrait pas opportun de poursuivre ce débat,
sinon nous risquerions de compromettre la véritable portée de nos
travaux et, partant, de détourner l'attention de notre principal
objectif qui est la meilleure réforme possible du régime de
réparation des lésions professionnelles.
M. le Président, j'invite donc tous les intervenants à
soumettre objectivement leurs propositions et surtout à rechercher des
solutions réalistes aux problèmes que pourrait soulever
l'application de certaines dispositions de ce projet de loi.
Le Président (M. Jolivet): Merci, M. le ministre. La
parole est donc au député de Viau. M. le
député.
M. William Cusano
M. Cusano: Merci, M. le Président. Premièrement,
j'aimerais remercier le président de l'Assemblée nationale
d'avoir donné suite à la demande du Parti libéral de
télédiffuser les audiences de cette commission car cela permettra
à l'ensemble des Québécois et plus spécifiquement
les plus touchés: les accidentés, les travailleurs et les
employeurs, de juger du bien-fondé du projet de loi.
M. le Président, je me réjouis non de la portée
globale du projet de loi 42 mais bien du fait que vous n'avez pas imposé
le bâillon à cette commission dès ses débuts comme
l'a fait l'adjoint parlementaire du ministre de l'Éducation au
début des audiences sur le projet de loi 40.
J'ose me réjouir peut-être prématurément
à ce stade-ci de nos travaux car vous n'avez pas encore fait allusion au
bâillon. Cette commission élue permanente du travail s'est vu
imposer au cours des deux dernières fois qu'elle s'est réunie
une
guillotine qui n'a pas permis au processus démocratique de suivre
son cours normal et habituel.
Lorsqu'elle s'est réunie en juin dernier pour l'étude
article par article du projet de loi 17, la bâillon nous a
été imposé pratiquement dès le début de nos
travaux. En décembre dernier, malgré une entente entre les deux
partis, lorsque cette commission s'est réunie, à la demande de
l'Opposition, pour examiner les vrais problèmes qui entourent
l'application de la présente Loi sur les accidents du travail, à
savoir l'administration et le fonctionnement de la Commission de la
santé et de la sécurité du travail, encore une fois votre
leader parlementaire a jugé bon de mettre fin à nos travaux
prématurément, sans consultation.
À cette occasion, on voulait vider le fond du problème.
Puisque vous ne nous l'avez pas permis, il nous est apparu nécessaire -
comme, j'en suis certain, d'autres témoins à venir le feront - de
demander, comme on l'a demandé dans une lettre qu'on vous adressait le
19 janvier dernier, une enquête sur l'administration de la CSST. Ce qu'on
demandait spécifiquement c'est que soit accordé au
Vérificateur général un mandat ad hoc afin d'analyser la
justesse des politiques administratives de la Commission de la santé et
de la sécurité du travail et des dépenses qui en
découlent.
Malheureusement, vous avez décidé de ne pas prendre notre
demande en considération en vous appuyant sur le fait que le
Vérificateur général dépense nombre d'heures
à cette commission en vérifiant la tenue des livres. Ce n'est pas
ce qu'on a demandé, M. le Président. On a demandé une
vérification des applications des politiques administratives qui, dans
la plupart des cas, ne sont même pas présentées et
approuvées par le conseil d'administration de la CSST.
Ce projet de loi 42, Loi sur les accidents du travail et les maladies
professionnelles, est promis depuis longtemps. Il devait faire suite à
la parution du livre blanc sur la politique québécoise de la
santé et de la sécurité du travail. Depuis cette parution,
la population québécoise s'attendait à un projet de loi
innovateur, avant-gardiste. Mais, à l'exemple de plusieurs projets de
loi sous votre régime péquiste, il ne répond aucunement
aux attentes du milieu. Pour un projet de loi qui est à l'étude
depuis longtemps, avant même votre arrivée au ministère, M.
le ministre, l'accouchement d'un tel projet de loi, confus, mal écrit,
est à l'exemple de l'incompétence de votre gouvernement. Vous
avez touché la question des coûts. On apprécie le fait
d'avoir donné un éventail de ce que pourraient être les
économies, mais il semble que les discussions, la préparation des
mémoires des gens qui se présenteront devant nous auraient
été beaucoup plus simples si le gouvernement avait fait
connaître de façon formelle les coûts d'un tel projet de loi
avant même qu'on en commence l'étude ici, ce matin.
Je voudrais vous rappeler, M. le ministre, que vous vous étiez
engagé à le faire. Je cite le journal des Débats du 10 mai
1983, R/2498, alors que vous répondiez à une de nos questions:
"Dans ces conditions, au chapitre strict de l'étude des coûts, je
peux, aujourd'hui, prendre l'engagement de procéder au
dépôt de la documentation qui est strictement en relation avec
l'étude des coûts". Ce matin, vous nous avez annoncé les
coûts, M. le ministre, mais je n'ai vu aucun dépôt de
l'étude des coûts que vous vous êtes engagé à
déposer.
Il est à espérer qu'on ne fermera pas le Parlement un mois
durant comme vous l'avez fait en octobre dernier, sous prétexte de
mettre les points sur les "i", des barres sur les "t" ou bien de produire le
rapport des coûts-bénéfices du projet de loi 42.
Le 10 juin 1981, votre précédesseur, le ministre Marois,
nous affirmait, lors de l'étude des crédits de son
ministère, que les travaux sur la réforme, à savoir le
projet de loi 42, étaient très avancés. Le premier
ministre, dans son message inaugural du 9 novembre 1981 - on est en 1984,
aujourd'hui - nous annonçait lui aussi que la deuxième partie de
la réforme tant attendue avait été bien
étudiée et que le régime d'indemnisation des
accidentés serait basé non plus sur la perte
d'intégrité physique mais plutôt sur une philosophie de
remplacement des revenus, comme dans le cas de l'assurance-maladie. Mais, si ce
projet de loi est à l'étude depuis 1981, comment se fait-il que
l'étude des coûts ne soit pas prête aujourd'hui?
Pour un projet de loi qui est à l'étude depuis si
longtemps, je me pose la question suivante: Pourquoi ne répond-il pas
aux attentes du milieu, tant du côté syndical que du
côté patronal? Ce projet de loi, comme toute la législation
que ce gouvernement nous a présentée depuis quelque temps, que ce
soit dans le domaine des relations du travail, à savoir la loi 17 de
juin dernier, la loi 43 concernant les travailleurs au pourboire, ou bien
encore le projet de loi 40 sur la restructuration scolaire, ne fait que
détonner dans le milieu. Ce milieu n'a pas réclamé des
changements en profondeur de la Loi sur les accidents du travail. C'est un
secret de polichinelle. Nous le vivons, de notre côté - je crois
que vous le vivez aussi, M. le ministre - dans nos bureaux de comté.
Nous l'avons bien entendu à la commission parlementaire élue
permanente du travail. Les problèmes majeurs dans ce domaine surgissent
de l'application de la présente loi par un organisme qui - entre
parenthèses, cet organisme est sous la responsabilité du ministre
du Travail, selon l'article 336 de la Loi sur la santé et la
sécurité du travail -serait chargé aussi d'appliquer la
loi 42, si
elle est adoptée, ce qui a créé un climat
d'agressivité et de méfiance gravitant autour de nombreux
pouvoirs arbitraires, discrétionnaires, réglementaires par le
biais de directives ou de politiques administratives qui, quasi
régulièrement, échappent au contrôle de son conseil
d'administration et aux élus de la population. On a souvent
déploré, d'un côté comme de l'autre de la Chambre,
le fait que les règlements, les directives gouvernementales ou
paragou-vernementales échappent au contrôle des élus. (11
heures)
Je cite le rapport French-Vaugeois sur le contrôle parlementaire
de la législation déléguée. "Ce que
députés et journalistes ont à se mettre sous la dent ne
constitue que la pointe de l'iceberg. La mise au point des règlements se
fait, le plus souvent, à leur insu... "Une chose est sûre. Autant
l'opinion publique est sollicitée, à l'occasion de l'étude
de projets de loi, autant elle est oubliée dans l'élaboration
d'une réglementation toujours plus envahissante... "Il n'est plus
possible de s'en tenir à la pointe de l'iceberg. Les parlementaires, les
journalistes, le public doivent pouvoir observer et apprécier
l'ensemble. Il y va sans doute de notre santé économique et de la
qualité de notre vie démocratique."
Lors des audiences, en décembre dernier, le conseil
d'administration de la CSST nous a affirmé, de façon explicite,
que le conseil d'administration de cette commission est très particulier
en ce sens qu'il ne nomme pas son président-directeur
général ni ses vice-présidents ni ses vérificateurs
comme il est d'usage dans l'entreprise privée. La loi 17,
c'est-à-dire la Loi sur la santé et la sécurité du
travail, est aussi ambiguë. D'une part, elle accorde à son conseil
d'administration certains pouvoirs et, d'autre part, elle accorde, par
l'entremise de l'article 154, des pouvoirs quasi absolus au
président-directeur général.
En décembre dernier, il a été porté à
l'attention de cette commission que le président-directeur
général se retranche souvent derrière cet article pour
prendre des décisions sans y faire participer le conseil
d'administration. Je ne vous ferai pas un résumé de la commission
parlementaire du mois de décembre, car vous y étiez, M. le
ministre. Le conseil d'administration aurait été mis devant un
fait accompli sur la question de la fusion des services d'inspection et de
prévention... Le conseil d'administration, nous a-t-on dit, n'a pas
participé à une telle décision. Les quatorze membres, soit
tous les membres, tant du côté patronal que syndical, auraient
manifesté leur désapprobation au président-directeur
général. En un mot, ils auraient tous été contre
cette fusion des services d'inspection et de prévention. N'est-ce pas
là le véritable problème en ce qui concerne la situation
actuelle et future en ce qui concerne les accidents de travail?
Ne serait-il pas opportun de définir qui est habilité
à prendre les décisions et qui en est le véritable
responsable? Est-ce le conseil d'administration ou le conseil de direction? Au
conseil de direction, ce sont des permanents engagés et ils demeurent
-puisqu'ils sont permanents - toujours en place. C'est pour ces raisons qu'on
vous recommandait, M. le ministre, dans notre lettre du 19 février,
qu'une modification soit apportée à l'article 154 de la Loi sur
la santé et la sécurité du travail de façon
à s'assurer que le président-directeur général ne
se retranche plus derrière cet article pour prendre des décisions
qui relèvent normalement d'un conseil d'administration. Si une telle
modification était apportée, on soulagerait certainement les
inquiétudes exprimées par les agents impliqués en ce qui
concerne l'application du projet de loi 42 s'il est adopté.
Le projet de loi 42, M. le Président, accorde des pouvoirs
arbitraires et discrétionnaires à la commission. En plus, ne
sachant pas qui est le responsable, on lui donne des pouvoirs arbitraires et
discrétionnaires. Ce n'est nullement spécifié dans la loi,
aucune distinction n'est faite entre ces pouvoirs accordés, soit au
conseil d'administration, d'un côté, ou au conseil de direction de
l'autre. Ces directives et règlements imprécis et modifiés
au jour le jour apportent de la confusion. C'est ce qui est le problème;
la lecture du projet de loi lui-même me semble apporter les mêmes
problèmes.
Je ne voudrais pas faire l'énumération des articles sur
lesquels je me pose des questions, mais, à l'article 35, on dit que la
commission décide si le travailleur est atteint d'amiantose ou de
silicose, alors que l'article 32 décrète que la commission forme
au moins quatre comités des pneumoconioses. Qui prend la
décision? Est-ce que ce sont les spécialistes ou si c'est la
commission?
À l'article 49, lorsqu'il s'agit d'un étudiant, la
commission peut déterminer le droit du travailleur à une
indemnité pour une durée plus longue que celle de son
incapacité. Quels seront les critères de base d'une telle
décision? Ces critères seront-ils les mêmes dans les
diverses régions? C'est cela qui est le problème
présentement, M. le Président.
À l'article 73, que veut dire et qui détermine la nature
particulière du travail d'un travailleur? C'est un peu arbitraire de
déterminer la nature particulière du travail d'un travailleur.
À l'article 80, qui est en mesure - ce sont des questions que je vous
pose, M. le ministre - et comment peut-on déterminer, en tenant compte
notamment de
la formation, de l'expérience de travail et de la capacité
physique et intellectuelle du travailleur - est-ce que cela veut dire qu'on va
aller chercher des psychologues pour faire passer des tests à tous les
travailleurs? -l'emploi qu'un travailleur est capable d'exercer et le revenu
net qu'un employé pourrait tirer d'un emploi?
À l'article 117, quels sont les critères pour que
l'indemnité soit versée par la commission si elle est d'avis que
la demande paraît fondée à sa face même? Qu'en est-il
du médecin traitant? À l'article 126, à part l'assistance
médicale énumérée dans cet article - parce qu'il y
a une énumération de l'assistance médicale - quels sont
les autres soins ou frais que la commission détermine? Je crois que
c'est très vague et très ambigu. Je ne sais pas qui a
écrit ce projet de loi, mais... On me dit que c'est peut-être M.
Bernier qui l'aurait écrit. Je me demande où on est allé
pêcher...
Une voix: C'est M. Bernier.
M. Cusano: Ah bon! C'est M. Bernier. À l'article 129, si
l'accidenté a droit aux soins de l'établissement et du
professionnel de son choix - l'article le dit très clairement - comment
la commission peut-elle, dans l'intérêt du travailleur, en choisir
d'autres? On confère un droit à un travailleur et, de l'autre
côté, la commission peut décider de lui enlever ce droit
à n'importe quel moment. À l'article 132, je me demande qui est
le plus en mesure de décider de la nécessité, de la
nature, de la suffisance ou de la durée de l'assistance médicale.
Est-ce que c'est la commission ou bien si c'est le médecin qui traite
l'accidenté?
L'article 139 ne précise aucunement, ni par la loi, ni par
règlement, ce qu'est un programme de réadaptation. À
l'article 141, comment la commission décide-t-elle de
l'admissibilité d'un travailleur à un programme de
réadaptation? Il n'y a rien de spécifié. Comment la
commission est-elle habilitée à déterminer - à
l'article 151 - la date de réintégration du travailleur dans son
emploi, si, encore une fois, ce n'est pas le médecin traitant? C'est la
commission qui va décider arbitrairement qu'un individu peut reprendre
son travail, quel que soit l'avis médical. À l'article 157,
comment concilier les droits d'un accidenté et les ententes collectives?
Il y a des ententes collectives. Est-ce que la commission va devenir une
espèce d'appareil qui va tout gérer, qui va tout voir dans le
domaine du travail? Est-ce qu'il était de l'intention du
législateur qu'elle s'assure d'indemniser adéquatement les
accidentés?
À l'article 179, on dit que la commission choisit le mode de
financement de la CSST. Ici encore, ce n'est pas clair si c'est le conseil de
direction ou bien si c'est le conseil d'administration. À 240, la
commission n'est pas tenue de suivre les règles ordinaires de la preuve
en matière civile. Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle
juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont
attribuées. C'est fort, M. le Président. À 266, et je
terminerai avec cela, parce qu'on pourrait quasiment lire les 364 articles et
les remettre en question un par un, mais on le fera si jamais on arrive
à l'étude article par article. À 266, la commission peut
prescrire toute mesure qu'elle estime utile à la mise en application de
la présente loi. Je me réjouis, si ma mémoire est bonne,
M. le ministre, parce que vous avez dit que peut-être vous feriez
certains changements à cet article.
Les articles que je viens de vous énumérer nous
inquiètent, car ils sont imprécis et donnent des pouvoirs
discrétionnaires et arbitraires à des fonctionnaires, mais cela
devient alarmant dans une démocratie lorsqu'on permet à un
organisme de rendre des décisions sans que ceux qui sont
concernés aient l'occasion de se faire entendre. Le projet de loi que
vous nous avez présenté, M. le ministre, fait disparaître
les bureaux de révision de la CSST. Pour vous donner un petit
résumé, la loi actuelle permet aux victimes d'accidents et de
maladies du travail le droit d'appel d'une décision de la CSST, d'un
agent d'indemnisation. En première instance, on peut faire appel d'une
décision devant le bureau de révision. Je ne reprendrai pas
toutes les récriminations à l'endroit de cette instance d'appel.
On les a entendues en décembre dernier lors de la commission
parlementaire sur l'administration et le fonctionnement de la CSST. Je crois,
cependant, qu'il est important, M. le ministre, d'en rappeler quelques-unes.
C'est vrai et c'est intolérable que les membres de ce bureau de
révision soient nommés par la CSST elle-même. Comment
garantir un minimum d'objectivité et d'impartialité lorsqu'on est
juge et partie? Souvent, les bureaux ne jugent pas selon les lois, les
règlements, mais selon les politiques et directives internes de la CSST.
C'est cela qu'on a entendu dire au mois de décembre.
Troisièmement, le personnel qui les compose se
révèle souvent incapable de juger par lui-même de la valeur
de l'argumentation ou des preuves soumises. Quatrièmement, dans le
rapport de votre ministre responsable des Relations avec les citoyens, celui-ci
déplorait les délais de cet organisme. Que fait le projet de loi
pour améliorer cette situation? Il fait disparaître cette instance
d'appel et la remplace par un processus qu'on appelle dans la loi un processus
de reconsidération administrative. C'est ceux qui prennent les
décisions qui vont reconsidérer s'ils ont pris la bonne
décision. Cela a beaucoup d'allurel Ceux qui ont pris des
décisions vont reconsidérer s'ils ont pris la bonne
décision. Je vous demande quel homme ou quel organisme va
reconsidérer autrement la décision qu'il a déjà
prise. Sûrement, le ministre va-t-il nous dire qu'il reste toujours le
droit d'appel devant la Commission des affaires sociales, mais il ne faut pas
oublier que ce droit d'appel est limité par l'article 247. Le ridicule
ne se termine pas là, M. le ministre. L'article 250 donne à la
CSST la permission de réviser de sa propre initiative une
décision finale de la Commission des affaires sociales.
Est-ce que cela va assez loin lorsqu'on parle de pouvoirs arbitraires,
de pouvoirs confiés à cet appareil qui va administrer la loi? La
question qu'on se pose, c'est si on vit dans une province démocratique
ou bien dans une dictature. Comment concilier les beaux discours de ce
gouvernement et ses actions, ces propositions qui briment les droits et
libertés de nos concitoyens? À cet égard, la Charte des
droits et libertés de la personne dit très clairement à
l'article 23: "Toute personne a droit, en pleine égalité,
à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal
indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de
la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de
toute accusation portée contre elle." Alors, comment respecte-t-on la
charte des droits lorsqu'on fait sauter le bureau de révision de la
CSST, où les parties concernées peuvent s'exprimer? Le bureau de
révision a des problèmes, mais on ne règle pas un
problème en le faisant sauter. (11 h 15)
M. le Président, il y a certaines choses à régler
et qui pressent en ce qui concerne les accidentés du travail, mais je
voudrais vous rappeler que, concernant le projet de loi 42, ce n'est pas
l'application des 364 articles qui va résoudre le problème qui
nous préoccupe. Ce problème, je l'explique, c'est celui de
l'application du fameux article 38.4 de la présente loi des accidents du
travail. Sur ce plan, nous vous accorderons, j'en prends l'engagement, M. le
ministre, notre entière collaboration afin d'apporter un
règlement dans les plus brefs délais, mais j'aimerais aussi
rappeler au ministre qu'une fleur, si belle soit-elle, ne fait pas le
printemps. On est prêt à régler l'article 38.4. On doit
régler l'article 38.4, mais y a-t-il vraiment nécessité
d'accepter les 364 articles du projet de loi?
Nous demandons au ministre, pour régler l'article 38.4, de
retirer du projet de loi 42 les articles de la loi qui s'y rattachent,
c'est-à-dire de reconnaître au travailleur devenu incapable
d'exercer son emploi, en raison d'un accident ou d'une maladie professionnelle,
le droit à une indemnité de remplacement du revenu assortie d'une
indemnisation forfaitaire pour compenser les dommages corporels. Pour ce qui
est du reste, nous vous demandons de l'étudier en tenant compte des
améliorations qui peuvent être apportées, comme vous l'avez
dit, par les groupes de personnes qui feront des représentations lors de
cette commission.
D'autre part, le ministre nous affirme: Le gouvernement a
décidé de procéder au remplacement du régime actuel
et d'identifier un nouveau régime basé sur le principe de
remplacement du revenu et sur une administration simplifiée conforme
à la nouvelle réalité créée par la Loi sur
la santé et la sécurité du travail, mieux adaptée
enfin à la conjoncture économique actuelle. Cela, M. le
Président, ne veut pas dire la même chose pour tout le monde. En
effet, ce projet de loi modifie de façon substantielle le régime
d'indemnisation des victimes d'actes criminels et la Loi visant à
favoriser le civisme. Ce gouvernement est-il à ce point à court
d'argent qu'il doit aller récupérer quelques millions de dollars
chez ces victimes?
En terminant, j'ose espérer que les amendements à la loi
qui s'imposent seront connus avant même la deuxième lecture qui
aura lieu au salon bleu. Ainsi, comme je l'ai demandé il y a quelques
minutes, au dépôt de ces amendements, qu'on nous fasse
connaître l'étude des coûts qui sont derrière vos
annonces ce matin. C'est dans cet esprit que nous commençons nos
travaux. Je peux vous assurer de notre entière collaboration, mais je
vous dis, à ce moment-ci, que notre première préoccupation
- car cela presse -c'est de régler l'article 38.4. Le reste peut
attendre. Merci.
Le Président (M. Jolivet): Merci, M. le
député. Avant d'accorder la parole au premier organisme qui doit
nous rencontrer, j'aimerais vous relire le but de notre travail dans les jours
qui viennent. Ce travail est aux fins d'entendre les représentations des
personnes et des groupes intéressés au projet de loi 42, Loi sur
les accidents du travail et les maladies professionnelles, ce qui implique que,
lorsque j'aurai à faire respecter le règlement, c'est à
cela que je vais m'en tenir. Il n'est question d'aucune manière ni de
quelque façon que ce soit de reprendre un débat qui n'a pas lieu
d'être ici puisqu'il a déjà eu lieu.
Je tiens aussi à faire remarquer à l'organisme que
j'invite à venir nous rencontrer, c'est-à-dire la Chambre de
commerce de la province de Québec, qu'il a à sa disposition,
d'après l'enveloppe qui nous est donnée ce matin jusqu'à
13 heures, soit une heure quarante minutes, pour présenter son
mémoire et ensuite être interrogé par les membres de cette
commission.
Je demande donc à Me Louis Lagassé de nous
présenter les personnes qui l'accompagnent et de commencer la
lecture
de son mémoire.
Auditions
Chambre de commerce de la province de
Québec
M. Lagassé (Louis): M. le Président, je vous
remercie. Messieurs, mesdames, membres de la commission parlementaire du
travail, je vais vous présenter la délégation de la
Chambre de commerce de la province de Québec qui est ici avec moi ce
matin pour présenter le mémoire. Alors, à ma droite, M.
Gaston Turner, de Pratt & Whitney, de Longueuil; immédiatement
à sa gauche, le Dr Gilles Matthieu, de Bell Canada; ensuite, M. Marc
Gendron, de Sherbrooke, de la compagnie Claude Genest Aeroxon; M. Marcel
Tardif, directeur général aux affaires publiques de la Chambre de
commerce de la province de Québec, permanent; Me Raymond Buist, de Bell
Canada, contentieux; M. Jean-Paul Létourneau, à ma gauche,
vice-président exécutif de la Chambre de commerce de la province
de Québec; M. Gilles Thibodeau, directeur aux relations industrielles,
compagnie Dominion Textile; Me Sylvie Massicotte, directrice du contentieux
à la Chambre de commerce de la province de Québec, et M. Ken
Burnett, aussi de Pratt & Whitney, de Longueuil.
Lors de notre assemblée générale du 8 novembre
dernier, à Jonquière, notre chambre a reçu le mandat de
ses membres d'analyser en profondeur l'ensemble de la question de la
santé et de la sécurité au travail. Or, le présent
mémoire ne porte que sur le présent projet de loi 42, soit sur
les seuls aspects relatifs aux lésions et maladies professionnelles
qu'il contient. Le 9 décembre dernier, dans une lettre adressée
au ministre du Travail, Me Raynald Fréchette, et publiée dans le
Devoir, notre chambre donnait à entendre qu'elle produirait
bientôt une étude fouillée sur la CSST. Nos
démarches sont présentement en cours. Conséquemment, le
mémoire sousmis aujourd'hui ne contient pas tous les
éléments de recommandations que la chambre désirerait
faire au sujet du mode de fonctionnement, de la structure et du champ
d'exercice de la CSST, l'étude prévue ci-haut n'étant pas
encore complétée. Nous nous réservons donc le droit
d'ajouter éventuellement à l'analyse et aux conclusions contenues
au mémoire ci-joint.
Comme on le sait tous, la Commission des accidents du travail, à
l'origine, administrait un genre d'assurance collective pour tous les
employeurs. Par l'adoption du projet de loi 17, en 1979, la Commission de la
santé et de la sécurité du travail se substituait à
la Commission des accidents du travail et se voyait confier, en plus de
l'administration de la Loi sur les accidents du travail, celle de la nouvelle
Loi sur la santé et la sécurité du travail. Cette
dernière octroyait à la commission un nouveau mandat avec
l'inspection des lieux de travail et la prévention des accidents.
Déjà, les employeurs et les travailleurs ont dû et
doivent encore s'ajuster à ces nouvelles réalités,
même si les dispositions de la Loi sur la santé et la
sécurité du travail ne sont pas toutes encore en vigueur.
À ce stade-ci, il y a lieu de se demander si la révision de la
Loi sur les accidents du travail est vraiment justifiée. Bien sûr,
cette loi a été décriée, critiquée et
même contestée par toutes les parties impliquées, mais la
loi elle-même n'est pas en cause. Nous croyons que c'est plutôt son
application qui l'est.
Les travailleurs se sont plaints à la fois des décisions
et de la compétence des médecins ou permanents de la CSST. Ils
ont même exercé un recours collectif pour que l'incapacité
de retour au travail soit accordée rétroactivement en vertu de
l'article 38.4 - dont M. le député de l'Opposition vient de
parler - de la Loi sur les accidents du travail. Ils se sont plaints de
délais trop longs avant de recevoir leur chèque, etc.
Quant aux employeurs, leur insatisfaction face à la CSST vise
surtout le coût élevé de leurs cotisations. De plus, ils se
plaignent du fait que certains travailleurs abusent des dispositions de la loi
- fréquents maux de dos survenant avant le week-end, etc., - ou
réclament des indemnités en rapport avec des accidents qui ne
sont pas imputables au travail.
Le remaniement de fond en comble de la Loi sur les accidents du travail
est prématuré et imposerait, quant à nous, un fardeau
supplémentaire à tous les employeurs. Les PME, surtout, devront
encore prendre connaissance et s'adapter à une loi qui est trois fois
plus volumineuse que l'ancienne. Mais il y a plus: cette nouvelle loi
dépasse le but premier d'une loi sur les accidents du travail, qui est
d'abord d'indemniser les victimes d'accidents du travail.
Voici donc, brièvement énumérés, les
principaux motifs qui justifient l'intervention de la chambre.
Premièrement, l'augmentation directe des coûts, nouvelle
définition d'"accident" et de "lésion professionnelle". On ne
retrouverait plus le caractère "imprévu" qui déterminait
l'accident. Décrit comme "un événement soudain attribuable
à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à
l'occasion de son travail", un accident du travail pourrait comprendre les
gestes volontaires d'un travailleur. Pensons, par exemple, à des
blessures infligées intentionnellement, à des tentatives de
suicide, etc. En outre, l'exception prévue à l'article 3.1b de la
loi actuelle ne
s'appliquerait plus, c'est-à-dire dans le cas où la
lésion est imputable uniquement à l'imprudence grossière
et volontaire du travailleur.
La nouvelle expression "lésion professionnelle" couvrirait une
blessure ou une maladie résultant d'un accident. De plus, l'article 26
créerait une présomption selon laquelle une blessure qui arrive
sur les lieux du travail constitue une lésion professionnelle. Toute
maladie ou accident deviendrait donc acceptable - on pense, par exemple,
à une crise cardiaque, une hémorragie cérébrale ou
une dépression nerveuse - sans que telle maladie ou accident n'ait
nécessairement de relation avec le milieu de travail.
La commission pourrait difficilement faire face, croyons-nous, à
l'avalanche de nouveaux cas qui surviendraient et, si elle les acceptait tous,
les employeurs seraient astreints à compenser des maladies qui ne sont
pas nécessairement imputables au travail. Il est excessif de remettre
ainsi en question la notion d'accident du travail qui, sous sa forme actuelle,
est déjà interprétée de façon très
large (accident survenu lors du trajet pour se rendre au travail, par
exemple).
Passons maintenant à l'indemnité de remplacement du
revenu. L'employeur aurait de nouvelles obligations qui encourageraient
fortement de présumés accidents. Je vais à la
première journée d'absence. Celle-ci serait maintenant
indemnisable par l'employeur au taux du salaire régulier et ne serait
pas remboursable par la commission sauf lorsque le travailleur s'absente pour
recevoir des soins, subir des examens médicaux ou participer à un
plan de réadaptation (article 54). Cette seule mesure entraînerait
des coûts considérables, car l'élimination de l'ancien
délai de carence aurait nécessairement pour effet de multiplier
la déclaration d'événements bénins, sans
conséquence. Prenons, par exemple, le cas d'un travailleur qui se cogne
le genou, se rend chez le médecin en s'absentant pour la journée
et revient travailler le lendemain puisqu'il n'y a pas eu de séquelles.
Le texte même de l'article 54, qui prévoit que l'employeur verse
au travailleur son salaire s'il devient incapable d'exercer son emploi en
raison d'une lésion professionnelle, pourrait donner lieu, croyons-nous,
à certains abus. En effet, ce texte n'implique pas nécessairement
qu'il y a eu accident au travail, mais pourrait permettre à un
travailleur, qui a eu un accident et qui, une semaine plus tard, ressent un
malaise, de s'absenter aux frais de l'employeur.
Passons maintenant aux quatorze premiers jours. L'employeur aurait
à payer au travailleur qui devient incapable d'exercer son emploi,
à l'époque où son salaire lui aurait été
normalement versé, 90% de son salaire net régulier à
compter du premier jour complet d'incapacité jusqu'à la fin du
quatorzième jour (article 53).
Il nous apparaît évident que cette mesure vise à
éliminer les critiques des travailleurs qui se plaignent de la lenteur
que met la commission à les indemniser. Cependant, l'extension du
délai d'indemnisation directe par l'employeur aurait pour effet de
prolonger indûment plusieurs "maladies", étant donné que
les quatorze premiers jours d'incapacité seraient payés
automatiquement au lieu des cinq premiers jours comme c'est le cas
présentement. L'employeur paierait sans pouvoir s'assurer du
bien-fondé de cette absence sauf après le fait, lorsqu'il
demanderait copie du rapport médical. (11 h 30)
Seule la commission a juridiction pour accepter ou rejeter la
réclamation. Si elle la rejette, l'article 53 prévoit que la
commission demande remboursement de la part du travailleur. Pour leur part, les
articles 251 et 252 prévoient que la commission peut demander tel
remboursement, mais ne prévoient pas qu'elle y serait obligée. Il
apparaît équitable que la commission doive exiger ces sommes
payées en trop, sinon ce sont les employeurs qui en assumeront le
fardeau.
De plus, les employeurs feraient ainsi crédit à la
commission, devenant bailleurs de fonds en quelque sorte pour l'organisme qui a
été spécifiquement créé en vue d'indemniser
les travailleurs. Ils verseraient une double indemnité, soit celle
versée à l'intérieur de la cotisation globale et celle
versée directement à l'employé. Cette mesure serait
beaucoup trop lourde et coûteuse pour les employeurs et n'est nullement
appropriée pour corriger les lenteurs de la CSST.
Passons maintenant au calcul de l'indemnité. L'indemnité
de remplacement du revenu demeure à 90% du revenu net retenu - voir
l'article 58. Cette indemnité est une des plus élevées au
Canada puisque sept provinces accordent 75% du revenu, sauf l'Alberta et le
Nouveau-Brunswick qui en donnent, quant à eux, 90%.
Ce pourcentage est déjà un acquis. Toutefois, on
changerait l'évaluation du revenu d'emploi qui deviendrait
supérieur au revenu réellement perdu dans certains cas, tels ceux
qui suivent: l'indemnité minimale passerait de 35 $ par semaine à
la base du salaire minimum en vigueur, même pour les travailleurs
à temps partiel - article 61; en vertu de l'article 66, le revenu brut
d'un travailleur qui exerce plusieurs emplois serait celui qu'il tire de
l'emploi le plus rémunérateur. La moyenne de ce qu'il gagne
réellement devrait être retenue pour établir le revenu
brut; quant aux étudiants à temps plein, on leur accorderait,
jusqu'à l'âge de 18 ans, 50 $ par semaine. À titre
d'exemple, un
jeune vendeur de journaux qui gagne moins verrait son indemnité
augmentée à ce nouveau minimum.
Ces nouvelles règles sont inacceptables d'autant plus que la
commission aurait le pouvoir arbitraire de les déterminer d'une
manière autre si elle le croit plus équitable - article 73.
Passons maintenant à la cessation du droit à
l'indemnité. L'article 57 prévoit que le droit à
l'indemnité de remplacement du revenu cesse lorsque cesse
l'incapacité dont dépend ce droit. Or, de quelle
incapacité s'agit-il? L'article 48 stipule clairement que le droit
à l'indemnité existe lorsqu'un travailleur devient incapable
d'exercer son emploi.
On doit donc en conclure que, tant que durerait cette incapacité
d'exercer son emploi, le travailleur aurait droit à l'indemnité
de remplacement du revenu. Comment alors concilier l'article 57 avec les
articles 77 et 79 qui prévoient qu'à compter de la
quatrième année suivant le début de son incapacité
un travailleur, qui demeure incapable d'exercer son emploi, mais est apte
à exercer un nouvel emploi, voit son indemnité réduite
annuellement d'un montant égal au revenu net qu'il tire ou qu'il
pourrait tirer de ce nouvel emploi?
Par ailleurs, les articles 77 et 79 auraient pour effet d'assurer au
travailleur un revenu garanti puisque, dans tous les cas où ce
travailleur occuperait un emploi moins rémunérateur, il aurait
droit à un montant équivalent à l'indemnité qui lui
était originalement versée, d'où la contradiction.
Tout en reconnaissant que l'indemnité de remplacement du revenu
peut constituer une mesure incitative de retour au travail, nous
déplorons, encore une fois, qu'aucune analyse, jusqu'à ce matin,
des coûts et bénéfices de cette mesure n'accompagne le
projet de loi. Il nous est donc permis de croire que cette mesure pourrait
être beaucoup plus coûteuse pour l'employeur et, à ce tire,
nous ne pouvons l'appuyer sans plus d'information.
L'assistance médicale. L'assistance médicale comprendrait
les services d'un professionnel de la santé, les soins hospitaliers, les
médicaments, les prothèses, orthèses, etc., dont les
coûts, selon l'article 130, seraient assumés par la commission,
tout comme dans la loi actuelle. Le projet de loi ajoute que l'assistance
médicale comprendrait "les autres soins ou frais
déterminés par la Commission"; cette disposition pourrait
entraîner des coûts injustifiés et des abus possibles. La
nature de ces frais devrait être précisée par
règlement afin de ne pas laisser une trop grande discrétion
à la commission, qui pourrait accepter toutes sortes de frais qui
excèdent le cadre d'une assistance médicale
nécessaire.
Un autre point est soulevé: l'employeur conserve le droit de
faire examiner le travailleur par un médecin de son choix chaque mois -
article 133 - mais il semble qu'il n'y aurait plus de procédure
d'arbitrage. Il faudrait se demander qui décide lorsqu'il y a
désaccord entre le médecin de l'employeur et celui de
l'employé. Il y aurait lieu de repenser les formules de
réclamation et les moyens mis à la disposition de l'employeur
afin de s'assurer qu'il n'y ait pas de fraude. À cet effet, pourquoi ne
pas attendre que toutes les dispositions de la Loi sur la santé et la
sécurité du travail soient en vigueur? Il est prévu, par
exemple, qu'un médecin sera choisi par établissement pour mettre
sur pied des services de santé. Un accidenté pourrait tout
d'abord être examiné par celui-ci tout en conservant la
possibilité d'aller voir le médecin de son choix, afin qu'un
médecin de l'établissement puisse se prononcer sur la
plausibilité d'un accident du travail. Ce médecin devrait
être en mesure de connaître les conditions de travail dudit
établissement.
Passons maintenant à la réadaptation. Actuellement, pour
avoir droit aux services de réadaptation, l'accidenté doit
être affecté d'une incapacité physique résultant de
son accident. Alors, on évalue son incapacité de retour au
travail pouvant donner lieu à une légère augmentation de
sa rente. Puis, le service de réadaptation lui offre un support
psychologique et l'aide dans sa recherche d'un nouvel emploi.
Le projet de loi donnerait au travailleur le droit à la
réadaptation que requiert son état, selon l'article 138, mais
aucun critère de sélection n'est prévu, ce qui pourrait
nuire au travailleur, selon l'interprétation qu'en fera la commission.
Pour les employeurs, la même interprétation pourrait être
trop large et engendrer une augmentation des coûts surtout si la
commission devait s'occuper de tous les accidentés et non seulement de
ceux qui ont une incapacité permanente. Mais il y a plus grave encore:
la commission pourrait s'engager dorénavant à adopter de nouveaux
programmes de réadaptation dont les coûts, à
première vue, pourraient être fort élevés. À
l'article 140, il est prévu, entre autres, que la commission doit
adopter une politique de subvention pour favoriser la création d'emplois
pour les travailleurs victimes d'une lésion professionnelle. De plus,
elle pourrait prendre toute autre mesure qu'elle estime utile pour
atténuer ou faire disparaître les conséquences d'une
lésion professionnelle. C'est l'article 139.
Si l'on compare ces mesures, ces dispositions à celles d'autres
régimes d'assurance collective, par exemple, l'assurance automobile, la
CSST n'offrirait plus de service d'assurance contre les accidents, mais bel et
bien un service tous azimuts d'amélioration du sort personnel du
travailleur. De plus, si une politique de subvention était
adoptée, cela signifierait que des subventions seraient versées
aux employeurs à même les fonds d'autres employeurs dont les
entreprises auraient connu un très faible taux d'accidents. La
commission devrait plutôt s'en tenir à la présente
politique qui consiste à subventionner un employeur en particulier pour
adapter le poste de travail de son employé.
Passons maintenant à l'augmentation indirecte des coûts. Le
retour au travail. Il y a de surprenantes nouveautés dans le projet de
loi. Un travailleur ayant travaillé au moins trois mois et dont le
contrat de travail est pour une durée indéterminée se
verrait conférer le droit de réintégrer son travail, le
tout assorti de modalités dont l'application peut s'avérer fort
contraignante. Autant par principe que pour de simples raisons pratiques, les
employeurs ne peuvent accepter ce nouveau mandat de la commission. Le principe
établi est que la Loi sur les accidents du travail doit, comme partout
ailleurs au Canada, servir uniquement à indemniser les victimes
d'accidents, comme tout autre régime d'assurance.
D'autres lois et organismes veillent déjà à
empêcher des congédiements injustes - la Loi sur les normes du
travail - ou à assurer l'embauche de personnes handicapées
l'Office des personnes handicapées du Québec. Il est inutile de
confier un nouveau rôle à la commission, d'autant plus qu'en
pratique ce régime donnerait lieu à des injustices et
problèmes graves.
Ainsi, après trois mois de travail, un accidenté aurait le
droit de retourner au travail. Qu'arrive-t-il si sa période de probation
est plus longue, comme c'est le cas dans plusieurs entreprises? Cela voudrait
dire qu'un employé obtiendrait dorénavant sa permanence s'il
subit un accident à l'intérieur de la période de trois
mois de service continu dans le même établissement. Cet avantage
peut créer une incitation à devenir victime d'un accident avant
l'expiration des fameux trois mois.
L'adoption de règles relatives à l'exercice de ce droit
serait encore plus inacceptable. On prévoit que, si le travailleur est
incapable de remplir son emploi antérieur, il a priorité pour
occuper un autre emploi disponible dans le même établissement avec
le salaire et les avantages liés à cet autre emploi. C'est
l'article 154. Cet article serait susceptible, quant à nous, d'entrer en
conflit avec de nombreuses conventions collectives qui retiennent le
critère de l'ancienneté pour déterminer l'avancement ainsi
que l'attribution des emplois plus rémunérateurs. De plus, cet
article introduirait une discrimination entre employés accidentés
et non accidentés. Les accidentés prendraient la place
d'employés plus anciens tout en apportant avec eux l'ancienneté
accumulée pendant leur absence. Encore l'article 154. Ces dispositions
causeraient des imbroglios au sein des unités de négociation,
susciteraient le mécontentement des autres employés et seraient
coûteuses en temps et en argent pour les employeurs.
On prévoit aussi une autre règle rigide, soit que le droit
de retour au travail s'exercerait dans l'établissement où le
travailleur occupait son emploi. Pourquoi le droit de retour au travail
devrait-il s'exercer dans le même établissement, ce qui limite la
mobilité des travailleurs? Par ailleurs, plusieurs incongruités
rendent inapplicables ces dispositions. Je souligne l'importance de ce
point-ci. L'employeur devrait réintégrer immédiatement
dans son poste l'employé capable de réintégrer son poste
à la date que la commission indiquerait. S'il lui faut congédier
l'employé remplaçant, a-t-on pensé qu'il devrait donner un
avis en vertu de la Loi sur les normes du travail? Dans ce cas, l'employeur
devrait payer deux salaires. De plus, qu'arriverait-il si le remplaçant
a lui aussi un accident et qu'il acquière lui aussi le droit de
réintégrer ce même poste?
De plus, la commission pourrait ordonner à l'employeur d'assigner
au travailleur une autre tâche qu'il est raisonnablement en mesure
d'accomplir. La commission serait ainsi substituée aux employeurs. Nous
croyons qu'il est impensable de donner à la commission une partie du
droit de gérance des employeurs, d'autant plus que la mise en oeuvre
d'un tel système implique l'instauration de mécanismes
additionnels.
Toute la section sur le droit de retour au travail est donc
truffée d'incongruités et donnerait à la commission un
mandat tout autre que celui pour lequel elle a été
créée. Son rôle n'est certes pas d'agir comme un centre de
main-d'oeuvre qui, de surcroît, favoriserait tous les accidentés
au détriment d'autres travailleurs productifs.
Enfin, il y a lieu de mentionner que toutes ces dispositions ont trait
aux conditions de travail et aux relations du travail et qu'elles ne sauraient
s'appliquer aux entreprises à caractère fédéral
dont les relations du travail sont soumises à la compétence
fédérale exclusive.
Passons maintenant au changement de procédures. En instaurant le
droit de retour au travail, le projet de loi créerait une nouvelle
présomption calquée sur le Code du travail et selon laquelle le
travailleur aurait été mis à pied, congédié
ou suspendu dans les six mois de sa réintégration parce qu'il
aurait exercé son droit de retour au travail. Cette plainte irait
directement devant le commissaire du travail, qui aurait le pouvoir d'ordonner
la réintégration de l'employé.
Quant aux droits de l'employeur face à la commission, ils se
réduiraient à néant - à
la suite d'une plainte d'un travailleur qui croirait que son employeur
aurait illégalement omis de l'aviser d'un emploi ou fait défaut
de le rappeler au travail, la commission agirait comme un tribunal de droit
commun. (11 h 45)
Elle pourrait ordonner à l'employeur de réintégrer
ce travailleur. De plus, la décision de la commission aurait le
même effet qu'un jugement final et sans appel de la Cour
supérieure, tel que dit à l'article 162. Quant aux pouvoirs
généraux de la commission, ils demeureraient sensiblement les
mêmes: elle garderait la compétence exclusive pour décider
de toute question suivant l'équité, mais on instaurerait,
à la place du bureau de révision, la reconsidération
administrative, qui n'est nullement définie. Il n'est pas assuré
que ce ne seraient pas les mêmes personnes qui reconsidéreraient
leur première décision. Il y aurait lieu de douter de
l'utilité d'une telle procédure, d'autant plus qu'il n'est pas
prévu qu'il y aurait une audition lors de cette
reconsidération.
En ce qui concerne le droit à une indemnité ou le montant
d'une indemnité, il y aurait maintenant, après la
reconsidération administrative, un appel direct à la Commission
des affaires sociales. Il n'est sûrement pas assuré que ce nouveau
système améliorerait l'état actuel des choses. Nous sommes
d'avis que, dans les deux cas ci-dessus mentionnés, il y aurait avantage
à conserver le bureau de révision comme instance d'appel au lieu
de la reconsidération administrative, étant donné que,
devant le bureau de révision, les parties peuvent au moins se faire
entendre. La composition du bureau pourrait être modifiée selon le
genre de cas présenté. Par exemple, des médecins devraient
obligatoirement, quant à nous, siéger pour entendre les
contestations d'ordre médical.
D'autre part, la commission ne pourrait faire des règlements que
dans 6 cas au lieu des 26 actuels, c'est à l'article 266, que vous
mentionniez tantôt, M. Fréchette. Le champ de la
réglementation serait ainsi réduit, mais plusieurs dispositions
du projet de loi attribuent à la commission une discrétion
administrative accrue sans que les parlementaires aient droit de regard. La
commission aurait des pouvoirs arbitraires additionnels en matière
d'assistance médicale et de réadaptation, tel que vu
précédemment.
Il faut absolument que ces modalités auparavant
déterminées par règlement continuent de l'être. On
ne peut laisser libre cours à la commission de faire ce qu'elle veut
dans ce domaine. Ce principe s'applique également à tout
organisme paragouvernemental.
Tous ces changements de procédure impliquent des coûts en
temps et en argent pour les employeurs. Premièrement, coûts
associés à la défense devant le commissaire du travail ou
devant la commission; deuxièmement, extension inutile des délais
avec la reconsidération administrative; troisièmement,
coûts associés aux mesures à mettre en oeuvre pour se
réajuster et connaître les nouvelles modalités
déterminées par la commission.
Passons maintenant au financement. Le système demeurerait
semblable à maints égards. Les employeurs seraient classés
par unités d'établissement, enverraient leurs déclarations
de salaire et seraient cotisés selon un taux applicable à chaque
unité d'établissement fixé annuellement, après une
expertise actuarielle. Toutefois, deux points, quant à nous, ne
devraient pas être changés.
Le premier est le fonds spécial. Il faut absolument qu'un fonds
spécial soit gardé, notamment pour qu'il y soit imputé
tout ou partie des coûts d'un accident subi par un travailleur
déjà handicapé par le fait d'un accident antérieur.
Ce système est plus juste puisque les coûts sont répartis
entre tous les employeurs et non pas imposés à un seul.
De plus, il n'y aurait plus d'imputation au fonds spécial
lorsqu'un accident survient par la faute d'un travailleur d'un autre employeur
ou par la faute d'une personne conduisant une automobile. Là encore, le
fonds spécial devrait être maintenu pour couvrir les cas où
l'accident résulte de la faute d'un tiers.
Finalement, le projet de loi ajoute à l'article 27 qu'une
blessure ou maladie survenant lors des soins reçus par le travailleur ou
lors de sa réadaptation serait considérée comme une
conséquence de la lésion professionnelle. Ceci implique que les
coûts de ces nouveaux accidents demeureraient à la charge de
l'employeur chez qui l'accident a eu lieu, à défaut de
prévoir d'autres responsables.
Il faut absolument repenser ce point et prévoir que ces
coûts iront soit à un fonds spécial ou au responsable de
ces nouvelles lésions. En conservant un fonds spécial, on
évite donc que les cotisations d'un groupe d'employeurs augmentent
à cause de ces cas spéciaux. Ces entreprises
fédérales de l'annexe B pour lesquelles les employeurs sont tenus
personnellement au paiement des indemnités devraient dorénavant
contribuer au fonds d'accident (sauf les entreprises de transport ferroviaire
ou maritime interprovincial ou international).
Aucune raison ne justifie d'abolir le statut particulier accordé
à ces entreprises à cause de leur nature spécifique et
nous sommes d'avis que l'annexe B de la loi actuelle devrait être
maintenue intégralement.
Ces employeurs ont déjà comme politique d'indemniser
directement leurs employés victimes d'accident et ils ont fait
la preuve dans le passé de leur aptitude financière et
technique à indemniser rapidement leurs employés.
Nos conclusions et recommandations.
Une transformation radicale du régime en vigueur n'amoindrira pas
les maux relevés par les deux parties concernées (travailleurs et
employeurs).
Au contraire, certaines modifications suggérées et les
nouveaux champs d'action de la commission donneraient lieu à des abus
prévisibles tout en créant un déséquilibre
sérieux entre les nouvelles obligations imposées aux employeurs
et les droits accordés aux travailleurs.
Si des changements mineurs doivent être apportés, ils
peuvent l'être sans remanier la loi au complet. Par exemple, le
remplacement de la rente mensuelle par le versement d'une indemnité
forfaitaire est une mesure acceptable et qui diminuerait sans doute les charges
administratives de la commission.
Finalement, certaines déclarations ont laissé croire que
ce projet entraînerait une baisse des cotisations des employeurs, et vous
nous avez d'ailleurs donné, M. Fréchette, certains chiffres
à cet égard. Ceci nous semble simplement basé sur le fait
que la commission, de 1984 à 1988, capitaliserait à 90% le
coût des lésions professionnelles à survenir. On ne fait
donc que remettre à plus tard les augmentations qui seraient
véritablement créées par ce projet de loi.
En conclusion, la Chambre de commerce du Québec, sans
préjuger des objectifs poursuivis par le gouvernement, juge
inappropriée une révision aussi fondamentale de la Loi sur les
accidents du travail.
La chambre recommande donc au gouvernement de maintenir: le fonds
spécial, dans les cas où l'accident résulte de la faute
d'un tiers; le statut particulier des entreprises mentionnées à
l'annexe B de la loi actuelle; le bureau de révision comme palier
d'appel en ce qui concerne le droit à une indemnité ou le montant
de telle indemnité.
Enfin, la Chambre de commerce du Québec recommande au
gouvernement d'exclure les dispositions qui auraient pour effet:
d'élargir la notion d'accident de manière à couvrir toute
maladie ou tout accident qui arrive sur les lieux du travail; d'imposer aux
employeurs l'obligation de payer la première journée d'absence
justifiée ou non; d'obliger les employeurs à avancer le paiement
des quatorze premiers jours d'incapacité; d'assurer une sorte de revenu
garanti au travailleur qui occupe un emploi moins rémunérateur
sans l'appui d'une étude coût-bénéfices; d'octroyer
plus de pouvoirs discrétionnaires à la commission, notamment en
matière d'assistance médicale et de réadaptation;
d'instaurer un droit de retour au travail qui privilégierait les
accidentés au détriment des autres travailleurs et qui
dépasserait le mandat de la commission.
C'est en gros, M. le Président, M. le ministre, le sens de nos
recommandations. Maintenant, nous sommes heureux que M. Fréchette ait
déposé certains chiffres ce matin. Nous les attendions. Par
contre, on ne peut en parler que comme des aveugles actuellement, parce que
c'est difficile de vérifier certains chiffres lorsqu'on n'a pas pu
vérifier les hypothèses, analyser les données et
contrôler les conclusions. Néanmoins, M. Fréchette, vous
avez donné certains chiffres et j'apprécierais, si c'était
possible, pour le bénéfice de nos membres, ici, que vous
répondiez à notre première question, qui est la suivante:
Lorsque vous nous dites que les quatorze premiers jours ne coûteraient
que 600 000 $ par année, est-ce que le coût de ces quatorze
premiers jours inclut la première journée?
Le Président (M. Jolivet): Merci, Me Lagassé. La
parole est à M. le ministre. En vertu des règlements, vous avez
20 minutes pour poser vos questions.
M. Fréchette: Merci. J'ai pris bonne note de votre
question, Me Lagassé, et, à l'intérieur des remarques
générales que je voudrais soumettre, je tenterai d'y apporter une
réponse. Je voudrais d'abord remercier la chambre de commerce de
s'être présentée devant nous, ce matin, pour donner son
évaluation et son appréciation du projet de loi. Je pense que, de
la façon qu'elle l'a fait, cela donne le ton pour les autres
invités que nous recevrons sur le sens à donner à notre
discussion et à notre consultation. Vous avez attiré notre
attention sur un nombre assez impressionnant de dispositions de la loi et il
est évident que les observations que vous nous soumettez vont devoir
faire l'objet d'une considération, d'une appréciation, surtout
lorsqu'on les aura placées en parallèle avec les autres
représentations qui nous seront soumises au cours des prochains jours et
qui - les mémoires nous le révèlent, d'ailleurs rejoignent
plusieurs des préoccupations d'un nombre considérable d'autres
organismes. Les représentations que la chambre de commerce a faites ce
matin sont tout à fait conformes à sa vocation et je suis en
mesure de signaler, M. le Président, que, chaque fois qu'il arrive des
dossiers de cette nature, la chambre de commerce s'y est toujours
impliquée et d'une façon, quant à moi, en tout cas,
toujours très positive également. C'est évident que l'on
souhaiterait pouvoir prendre les suggestions les unes après les autres
pour essayer de voir plus en profondeur comment on pourrait les traiter, mais
vous allez comprendre, M. le Président,
que, limités comme nous le sommes dans le temps, une semblable
opération n'est pas possible.
Je voudrais, quant à moi, m'en tenir à des remarques
d'ordre très général et peut-être, avec la
permission de Me Lagassé et des autres intervenants qui sont à la
table, poser certaines questions, ne serait-ce que dans un objectif
d'éclaircissement de la position de la chambre de commerce. D'abord,
j'étais heureux, Me Lagassé, de vous entendre nous dire que la
suite à votre lettre du 9 décembre dernier allait être
donnée dans un avenir prévisible et relativement court. Il s'agit
de la lettre que m'écrivait M. Earle le 9 décembre et à
l'intérieur de laquelle il pointait de façon très
spécifique des choses qui, selon l'évaluation de la chambre,
nécessitaient d'être réévaluées, d'être
revues. À ce moment-là, il l'a fait, me semble-t-il, dans une
limite de temps et de texte, mais j'ai très bien compris que l'exercice
allait être complété par la présentation sous forme
de mémoire ou autrement de l'évaluation que fait la chambre de
commerce sur l'administration et le fonctionnement de la commission. Je vous
signale que je serai très heureux de recevoir ce document et de le
regarder avec vous, si vous le souhaitez.
Revenons maintenant au fond même de la question. Je me suis
limité, quant à moi, à ne retenir que quelques-uns des
aspects auxquels vous avez fait référence, les uns concernant des
principes d'application d'ordre général, les autres concernant
des points plus spécifiques. Vous signalez, par exemple, dans votre
argumentation, que la loi 42 à ce stade-ci n'est pas indiquée,
que le remaniement de l'ensemble des dispositions de la Loi sur les accidents
du travail est prématuré. Par ailleurs, vous insistez
considérablement dans votre mémoire pour attirer l'attention des
membres de la commission sur le fait que ni les travailleurs, ni les employeurs
ne sont satisfaits des actuels mécanismes qu'on retrouve dans la loi.
J'apprécierais, si la chose vous est possible, que vous soyez un peu
plus précis à cet égard. En fait, comment est-il possible
de concilier la situation que vous décrivez -elle est peut-être
juste, remarquez, mais je souhaiterais pouvoir vous entendre élaborer
davantage là-dessus - comment est-il possible de concilier la
constatation qu'employeurs et travailleurs ne sont pas heureux du
système actuel et que, par ailleurs, il ne faille pas y apporter quelque
changement que ce soit? (12 heures)
En d'autres mots, devons-nous tenir pour acquis qu'il faut continuer
dans cette espèce d'insatisfaction qui est, suivant votre
évaluation, généralisée? C'est à ce sujet
que j'apprécierais de votre part un premier commentaire.
Le Président (M. Jolivet): M. Lagassé.
M. Lagassé: Merci, M. Fréchette. Notre point de vue
à ce sujet est le suivant: il serait préférable et plus
asticieux, quant à nous, d'examiner à fond le mode de
fonctionnement de la CSST pour voir ce qui, en parallèle avec les normes
de la loi, peut créer cette insatisfaction et non seulement la Loi sur
les normes du travail, qui n'est qu'une facette, si l'on veut, du
problème. Les rencontres qu'on a dans toutes nos chambres locales, que
ce soit à Tring-Jonction, dans la Beauce, en Abitibi ou dans les Cantons
de l'Est, les représentations qu'on a du côté de nos
membres, du petit membership, de la petite entreprise et même de la
grosse entreprise, c'est au niveau surtout de l'administration et du mode de
fonctionnement de la CSST. On dit donc: Avant de remanier la loi par le projet
de loi 42, il serait peut-être préférable d'examiner le
mode de fonctionnement et d'administation de la CSST, obtenir une opinion ou
faire mettre sous la lumière du Vérificateur
général ces opérations financières, parce que,
évidemment, il y a beaucoup de critiques. Peut-être qu'elles ne
sont pas fondées et peut-être qu'elles le sont, mais le
Vérificateur général est sans doute en mesure de nous
donner une opinion objective à ce sujet. Lorsqu'on aura ces
éléments en boîte, quant à nous, il sera
probablement temps de faire une refonte globale qui pourrait inclure une
refonte touchant le mode de fonctionnement et d'administration de la Commission
de la santé et de la sécurité du travail.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Fréchette: Me Lagassé, je vous remercie de cette
précision. Vos commentaires par rapport à ceux que vos membres
vous soumettent m'amènent à poser une autre question. Je
comprends que vous vous référiez principalement aux
modalités d'administration. À l'intérieur de vos membres,
de vos organismes ou, enfin, de vos chambres, le principe du paritarisme qu'on
retrouve au conseil d'administration, quant à lui - et là je ne
parle pas de toutes les autres modalités dont vous venez de nous parler
- est-il remis en cause par votre ou vos organismes, vos membres?
M. Lagassé: Je vais demander à notre
vice-président, M. Jean-Paul Létourneau, de répondre
à cette question?
Le Président (M. Jolivet): M. Létourneau.
M. Létourneau (Jean-Paul): M. le Président, le
principe du paritarisme doit
certainement être réexaminé dans l'étude que
nous commençons à faire sur le fonctionnement de la commission.
Cependant, il nous semble certainement boiteux ou peu utile dans les
circonstances, compte tenu des pouvoirs réels qui reviennent au conseil
d'administration. Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet et nous
nous posons la question à ce moment-ci, à savoir si le
paritarisme est indiqué, étant donné la façon dont
la commission est financée? La commission est financée uniquement
par les employeurs et là, on a un conseil d'administration paritaire ou,
enfin, théoriquement paritaire. C'est facile pour la partie
demanderesse, c'est-à-dire ceux qui représentent les
employés, de demander tous les avantages qu'on puisse imaginer, alors
qu'ils n'écopent d'aucuns frais chaque fois qu'ils font des demandes.
Les frais sont pour les employeurs seulement.
Alors, ce sont les quelques considérations qui, à ce
moment-ci, nous viennent à l'esprit, à la veille de la
préparation d'un document plus fouillé sur la question.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Fréchette: M. le Président, cela va quant
à cet aspect de la situation. Il en est un autre sur lequel
j'apprécierais vous entendre élaborer aussi votre idée. Je
ne vous cache pas que cela m'a un peu étonné de vous entendre
nous décrire la situation que vous souhaiteriez voir au plan de la
philosophie d'une loi sur les accidents de travail.
Est-ce que j'ai bien compris, bien interprété votre
mémoire, lorsque je tire la conclusion que, dans l'évaluation que
vous faites d'un tel régime, il ne faudrait penser ou alors mettre le
principal des efforts sur le seul aspect de l'indemnisation, laissant de
côté ou négligeant totalement l'aspect de la
prévention, par exemple, et lorsque malheureusement un accident est
arrivé et s'est produit, on ne devrait pas - j'aimerais vous entendre
sur cela - prendre les dispositions qui sont possibles pour assurer la
réadaptation sociale du salarié accidenté ou de la
salariée accidentée? Vous saurez comprendre que, par rapport au
contenu actuel de nos lois, ce serait un virage radical à 90
degrés que de retenir qu'il faudrait ne faire que de l'indemnisation, de
la réparation, et négliger ou laisser de côté en
quelque sorte l'aspect que plusieurs spécialistes en cette
matière considèrent non pas seulement important mais primordial
de la prévention qui doit amener, toujours suivant les
évaluations qui sont faites, à la diminution de la
réparation et de l'indemnisation. J'apprécierais pouvoir vous
entendre un peu plus sur cela parce que cela me préoccupe de
connaître très précisément votre évaluation
de l'ensemble de cet aspect du dossier.
M. Lagassé: M. Létourneau.
Le Président (M. Jolivet): M. Létourneau.
M. Létourneau: M. le Président, si nous n'avons pas
parlé de prévention dans ce mémoire, ce n'est pas parce
que la chose ne nous préoccupe pas, au contraire. Nous n'avons pas cru
opportun de commenter sous cet aspect le projet de loi, étant
donné le préambule que nous avons fait à notre
mémoire et où nous disions bien que nous y reviendrons et nous
allons en reparler.
Cependant, pour vous indiquer notre intérêt à la
prévention, je vous dirai que nous avons même depuis
déjà plusieurs années organisé des cours pour nos
membres pour adapter des mesures préventives d'accidents de travail et
faire vraiment de la prévention intégrée dans
l'entreprise. Ces cours ont eu un certain succès jusqu'à
récemment.
Deuxièmement, nous sommes inquiets de la façon dont
s'amorcent les efforts de prévention présentement. On voit un des
budgets de la commission qui n'est peut-être pas très grand
présentement, mais qui semble vouloir augmenter à un rythme
très rapide et qui va certainement augmenter à un rythme
très rapide dans l'avenir. Les crédits sont votés et sont
alloués sans - à notre avis -qu'il y ait suffisamment de
critères pour mesurer l'efficacité qu'aura la dépense de
ces fonds. Nous croyons que si on offre des centaines de milliers et des
millions de dollars à des organismes pour faire de la prévention,
quels qu'ils soient, il devrait être attaché à ces
subventions ou à cette aide financière des conditions assez
sévères de rendement. Autrement dit, l'objectif de la
prévention - à notre avis - c'est qu'il y ait dans l'avenir moins
d'accidents du travail, des accidents du travail moins graves et moins
coûteux. Il faudrait attacher aux subventions qu'on donne aux organismes
des conditions de performance, c'est-à-dire qu'on examine la situation
telle qu'elle est présentement et qu'on puisse à terme,
c'est-à-dire dans deux, trois, quatre ou cinq ans, évaluer si les
efforts et les sommes considérables, les ressources qu'on aura mis dans
la prévention ont vraiment donné quelque chose. Il semblerait,
d'après nos observations actuellement, qu'il n'y a pas de telles mesures
de l'efficacité qui soient prévues et qui soient conditionnelles
à l'accord de subventions et d'aide pour faire de la
prévention.
Ceci dit, nous croyons avec vous que la prévention est
certainement une des façon les plus pratiques, pour autant qu'on la fait
bien, de prévenir les accidents et les
maladies du travail.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Fréchette: M. le Président, je suis très
heureux d'avoir entendu cette précision. C'est un peu ce à quoi
je m'attendais. J'aurais été fort étonné encore une
fois que la chambre de commerce ne partage pas l'opinion que la
prévention est essentiellement à la base du meilleur
régime qu'on puisse espérer.
M. Létourneau: On ne veut pas lancer une industrie de la
prévention pour le plaisir de la chose.
M. Fréchette: Non, non. Je suis tout à fait
d'accord avec vous, M. Létourneau.
M. Létourneau: Je ne peux croire que cela donne des
résultats par du gaspillage.
M. Fréchette: II y a une autre question sur laquelle Me
Lagassé, le porte-parole de la chambre de commerce, a attiré
notre attention: II s'agit des bureaux de révision. Je vous signalerai,
M. le Président, à cet égard, qu'à peu près
tous les mémoires qui nous ont été soumis jusqu'à
maintenant font effectivement référence aux mécanismes que
l'on retrouve au bureau de révision.
Ce que l'on retrouve également dans les représentations
qui sont faites, c'est à peu près tout ce qui peut se trouver
à l'opposé l'une de l'autre en termes de suggestions, les uns
plaidant avec fermeté que les bureaux de révision doivent
demeurer, les autres argumentant avec autant de fermeté qu'ils doivent
disparaître, pour toutes espèces de motifs. Je comprends que la
position de la chambre de commerce est de conserver ce mécanisme d'appel
d'une première décision administrative. Là-dessus, je vous
signale que je suis ouvert à toute suggestion qui apportera des
changements par rapport à ce qui est déjà contenu dans la
loi mais, pour y arriver, il faudra être tout à fait bien
éclairé sur l'opportunité de le faire.
Par exemple, je pense que l'on doit prendre en considération le
fait que c'est à peu près le seul endroit statutaire ou autre
dans nos lois où la possibilité de refaire deux instances
judiciaires à partir de la même preuve existe. Le litige que l'on
soumet à la Commission des affaires sociales est en quelque sorte un
procès de novo, c'est-à-dire qu'on recommence très
précisément le mécanisme qui a été
utilisé au stade de l'audition en bureau de révision. C'est un
des éléments sur lesquels la réflexion porte actuellement
pour savoir s'il y a lieu de conserver ce mécanisme, considérant
qu'il s'agit d'un bureau à vocation quasi judiciaire, d'une part,
considérant, d'autre part, que les délais pour arriver à
cette instance sont en moyenne d'à peu près six mois. Le
raisonnement qu'on s'est fait, qu'on a développé, a
été de dire: S'il y a moyen de rétrécir le
délai d'une période de six mois et de garder comme
dernière instance décisionnelle un organisme qui est à
l'extérieur des mécanismes mêmes de la commission, pourquoi
ne pas le faire? C'est là-dessus que la réflexion se fait
actuellement.
Si j'ai bien compris, la position de la chambre, que pour autant qu'elle
était concernée, elle souhaite que les bureaux de
révision, comme instance quasi judiciaire, demeurent ce qu'ils sont
actuellement ou, en tout cas, modifiés, s'il le faut, mais que
l'institution comme telle demeure.
Le Président (M. Jolivet): Me Lagassé? M.
Lagassé: C'est cela. C'est bien cela.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Fréchette: M. le Président, je répondrais
à ce stade-ci à la question que m'a posée Me
Lagassé, immédiatement à la fin de son intervention, que,
effectivement, le montant de 600 000 $ auquel je me suis
référé, comme coût incident à la politique du
droit de retour au travail, n'est pas inclus dans les quatorze jours. (12 h
15)
Maintenant, à ce chapitre, est-ce qu'on va être d'accord
pour convenir que, dans presque toutes les entreprises où il existe des
associations accréditées, les parties entre elles, sans
intervention de l'extérieur, ont déjà convenu que le
premier jour de l'accident allait être payé par l'employeur et
cela déborde largement dans plusieurs conventions, cela déborde
largement le seul premier jour et cela déborde aussi les quatorze jours?
On a effectivement fait une recherche à cet égard pour arriver
à la conclusion que, dans plusieurs entreprises syndiquées, les
parties elles-mêmes, par la voie normale de la négociation,
avaient convenu de ce processus et parfois d'un processus plus large que celui
dont on suggère l'application ou l'adoption dans la loi.
C'est à partir d'une espèce de constat, donc, de consensus
auxquels les parties elles-mêmes en étaient arrivées que
cette proposition est faite, d'autant plus, et c'est important de le signaler
encore une fois, me semble-t-il, que toutes les propositions vont être
considérées et qu'il y a des amendements qui sont très
certainement recevables. Je veux essayer de résumer les motifs pour
lesquels les mots "quatorze jours" sont là.
D'abord, il y a évidemment les
paiements que plusieurs travailleurs accidentés
considèrent comme venant trop tard. C'est un aspect de la situation.
Vous le signalez d'ailleurs dans votre mémoire. L'autre aspect, c'est
que ces dossiers constituent à peu près 85% de l'ensemble de la
proportion des dossiers que la commission doit traiter. En chiffres absolus,
cela fait à peu près 150 000 dossiers qui sont traités
pour des accidents de quatorze jours et moins. Alors, le raisonnement qu'il y a
donc derrière cette disposition, c'est de faire en sorte que
l'indemnisation soit faite le plus rapidement possible et, deuxièmement
- cela n'est pas mineur comme préoccupation, il me semble - c'est
effectivement la préoccupation de faire en sorte que 150 000 dossiers
qui, actuellement, bon an, mal an, entrent dans la machine, n'y entreront plus
dorénavant, si cette disposition était retenue. C'est à
partir, encore une fois, de cette considération et de la
considération dont plusieurs employeurs et associations syndicales
accréditées ont convenu que l'on retrouve cette disposition dans
la loi.
Vous soumettez également une préoccupation quant à
l'indemnité à être payée à 90% du salaire
net. Vous en faites un corollaire ou une comparaison avec ce qui peut exister
dans d'autres provinces du Canada. Sept, nous dites-vous, indemnisent à
75% alors que trois, l'Alberta, le Nouveau-Brunswick et le Québec,
indemnisent à 90%. Il y a, cependant, une distinction qui est
fondamentale et dont il faut tenir compte, me semble-t-il. C'est que, dans ces
provinces que vous nous identifiez, où on indemnise à 75%, c'est
à 75% en revenu brut, alors que, dans notre cas, l'indemnité ou
l'indemnisation se fait à 90% du revenu net. Si on entreprenait de
pousser le corollaire jusqu'à la limite, peut-être
arriverions-nous à la conclusion qu'en chiffres ou en termes absolus, en
termes de dollars, ce n'est pas tellement loin l'un de l'autre comme
appréciation.
M. le Président, je réitère mes remerciements
à la chambre tout en lui signalant que les observations qu'elle nous a
faites sont prises en sérieuse considération. Nous allons, bien
sûr, cheminer un peu plus avant dans nos travaux pour faire la jonction
de certaines de vos représentations avec celles que d'autres nous feront
et nous allons très certainement tenir compte de vos
représentations.
Le Président (M. Jolivet): Merci, Me Lagassé.
M. Lagassé: Oui, M. Fréchette, je vous remercie de vos
explications. Peut-être un commentaire, les chiffres que vous avez
donnés tantôt, ce serait sans doute très utile pour la
population de pouvoir s'y référer. À titre d'exemple, nous
avions fait certaines analyses, à la Chambre de commerce du
Québec, nous disant que le paiement de la première journée
de maladie, admettant que l'employé revienne le lendemain, pourrait
comporter un coût total annuel de 13 000 000 $. Je ne retrouve pas cela
dans vos chiffres. D'autre part, une autre analyse que nous avons faite
à la chambre de commerce nous indique le coût de support du 6e au
14e jour augmenterait les frais que supportent déjà les
employeurs, du 2e au 6e de l'ordre de 58% du coût actuel. Je pense que ce
serait bon qu'on puisse même échanger nos chiffres, nos analyses
et qu'on les compare avec ceux que vous pourrez nous donner. C'est important de
vérifier les hypothèses de travail de base.
M. Fréchette: Absolument, M. le Président, c'est
évidemment sans aucune réserve qu'on pourra procéder
à l'échange de cette documentation.
Le Président (M. Jolivet): Merci. M. le
député de Viau.
M. Cusano: Merci, M. le Président. Au nom de ma formation
politique, j'aimerais vous remercier d'avoir dépensé des
énergies énormes à l'étude de ce projet de loi et
de nous avoir présenté un mémoire. Avant de vous poser
quelques courtes questions, un petit commentaire. Plus fort? Cela va? Seulement
un petit commentaire. Je suis pleinement d'accord avec votre déclaration
que, dans un sens, les remèdes prescrits ne correspondent pas au vrai
mal, en ce qui concerne les accidentés du travail. Cela ne me surprend
pas, parce que, dans ce cas-ci, le médecin traitant semble être la
CSST.
Première question, pour revenir au bureau de révision,
vous désirez qu'il soit maintenu. Vous indiquez que vous souhaitez
certaines modifications. Est-ce que vous vous êtes penchés - vous
donnez un exemple dans votre mémoire, comme l'ajout d'un médecin
- sur une structure, une formation possible de ce bureau de
révision?
Le Président (M. Jolivet): M. Thibodeau.
M. Thibodeau (Gilles): Pour le bureau de révision, la
chambre et les membres ici à la table préféreraient le
conserver, avec certaines modifications. Habituellement, le bureau de
révision est composé de trois membres. On voudrait qu'à ce
moment-là, si c'est une cause médicale - et la plupart du temps
c'est une cause médicale - que des médecins soient
attachés à ce bureau pour pouvoir analyser à fond et
évaluer correctement les décisions médicales à
prendre et que ce ne soit pas un avocat - on n'a rien contre les avocats - ou
une autre personne qui n'est pas habilitée au point de vue
médical à répondre ou à prendre une
décision dans une cause médicale, afin que
l'évaluation faite par les deux parties, par les deux intervenants, soit
bien perçue, bien analysée, bien évaluée pour que
la décision rendue soit réellement conséquente et concerne
exactement le cas précis qu'on est en train d'étudier.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Viau.
M. Cusano: Merci. Pour ce qui est des quatorze jours, vous
demandez que la loi ne prenne pas en considération ces quatorze jours.
Est-ce que vous êtes satisfaits? Trouvez-vous que les cinq jours actuels
sont suffisants? Verriez-vous un autre chiffre magique à ce sujet?
M. Lagassé: Je vais demander à Me Buist, de Bell
Canada, de répondre.
Le Président (M. Jolivet): Me Buist.
M. Buist (Raymond): M. le Président, je pense que les cinq
jours prévus dans la loi actuelle sont suffisants pour permettre
à l'employé, au travailleur victime d'un accident de faire face
à la situation nouvelle dans laquelle il se trouve. Nous croyons
également que ce délai devrait être suffisant pour
permettre à la commission de démarrer le versement de
l'indemnité de remplacement du revenu à l'expiration des cinq
jours. M. le ministre a soulevé cette perspective intéressante de
délester la CSST de 150 000 dossiers où la durée de
l'absence est inférieure à quatorze jours. En contrepartie
à cela, il y a un danger; le travailleur qui est victime d'un accident
plutôt bénin, de nature pas très grave, qui se voit face
à la possibilité de ne plus recevoir son salaire à
l'expiration de cinq jours va peut-être être incité, sinon
par vertu, du moins par nécessité, à
réintégrer son travail plus rapidement. Si ce même
travailleur sait que, de toute manière, une fois victime d'un accident,
il peut bénéficier du paiement ou de l'indemnisation directe par
l'employeur pour une période de quatorze jours, nous pensons que cela
crée une incitation à s'absenter pour des périodes plus
longues que celles qui sont habituellement vécues dans la situation
actuelle. C'est la raison pour laquelle le délai de cinq jours devrait
être maintenu à notre avis.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Viau.
M. Cusano: Merci. Un sujet qui est peut-être difficile
à aborder, c'est la question de l'aide, de l'indemnité aux
étudiants. Je pense que, dans des mémoires que j'ai
déjà vus, personne ne rejette le fait qu'un jeune étudiant
doit être compensé tel quel. En vue des articles de la loi qui
comporteraient la question d'un potentiel à venir, le potentiel de
l'étudiant en question, quel sort pensez-vous attend l'étudiant,
si la loi est adoptée telle quelle, avec ce plan pour indemniser
l'étudiant, parce que la loi prévoit que l'étudiant est
indemnisé de 50 $ par semaine, s'il est âgé de moins de 18
ans? De 18 à 21 ans, on ajusterait son indemnité au salaire
minimum et, après cela, c'est la commission qui déciderait de
quelle façon cet étudiant serait indemnisé. Quel serait le
montant et quel sort, pensez-vous, attend l'étudiant en ce qui regarde
la possibilité d'être employé, si cette loi est
adoptée?
Le Président (M. Jolivet): Me Lagassé. M.
Létourneau.
M. Létourneau: II est évident, M. le
Président, que si cette loi est adoptée, ce sont des charges
additionnelles à l'employeur qui va employer un étudiant, ou des
risques additionnels, si on peut dire. Il va de soi que cela peut diminuer les
chances. De combien? C'est extrêmement difficile à savoir. Par
ailleurs, quand on examine le projet de loi, il n'est pas très clair.
Pour nous, il est un peu confus quant au sens qu'on veut donner à la
compensation à l'étudiant en cas d'accident. Ce n'est pas que
nous voulions être mesquins vis-à-vis des étudiants, mais
on s'interroge sur jusqu'où cela peut aller. Et peut-être que -
j'ouvre à ce moment-ci une perspective plus globale sur notre
mémoire - certains pourront se demander pourquoi nous insistons aussi
fréquemment sur les coûts éventuels. C'est parce que nous
nous sommes rendu compte, ces derniers temps, que les gouvernements utilisaient
une formule de plus en plus efficace au point de vue de taxation qui s'appelle
la taxe sur les salaires.
Nous observons que ces taxes ont augmenté sensiblement depuis
quelques années au Québec et nous en sommes à un point
où les employeurs du Québec paient 3 256 000 000 $ de taxes
salariales par année. Cela, c'était en 1983. Tout
récemment, le président du Conseil du trésor nous a dit:
Cela s'en vient bientôt, l'augmentation des contributions au
Régime de rentes du Québec. Maintenant, on examine ce projet de
loi. Nous sommes désolés que le ministre ou le gouvernement n'ait
pas rendu publique préalablement l'étude de coûts dont nous
avons entendu parler ce matin. Cela nous aurait certainement permis de discuter
du sujet d'une manière mieux articulée et en débattant
peut-être plus à fond les questions.
Je me permets, personnellement, de penser que les experts qui ont
conseillé le ministre sur les chiffres que nous avons entendus les ont
peut-être calculés à leur façon. (12 h 30)
II va falloir qu'on regarde cela ensemble, parce que les praticiens que
nous et nos gens avons consultés dans le domaine des relations du
travail et dans le domaine des accidents du travail, sont unanimes à
nous dire que cette loi va coûter plus cher. M. le ministre nous dit
qu'elle va coûter moins cher. Le débat commence, on n'a
évidemment pas tous les faits devant nous. Il va falloir examiner ces
chiffres qui ont été préparés par le ministre.
Donc, notre but n'est pas nécessairement d'être mesquins, mais de
vérifier ce que nous avons les moyens de nous permettre, en nous
rappelant que nos employeurs doivent être compétitifs et qu'il y a
encore deux ou trois propositions généreuses, probablement les
meilleures en Amérique du Nord. Il y en a une, en tout cas, qui a
été mentionnée comme telle par le ministre. On aimerait
bien savoir ce que cela coûte, si on a les moyens de se le permettre et
si on peut en même temps faire plus d'exportations et être plus
dynamiques, faire plus d'investissements et absorber toutes ces nouvelles
charges et ces nouvelles responsabilités. Aussi, nous aimerions que les
études de coûts soient faites sur une base d'au moins deux ou
trois ans à l'avenir, parce que c'est bien beau de faire une semblable
étude de coûts sur l'expérience passée, mais nous
savons pertinemment, et nous l'avons dit abondamment dans notre mémoire,
que certaines des mesures qui sont là, à notre avis, vont amener
des abus comme on en a connu, à ce moment-là, et plus
élargis.
Alors, quand on aura appris à s'en servir, comme beaucoup le font
malheureusement, de manière abusive, combien coûtera l'application
de ces nouvelles mesures? C'est pourquoi il serait très utile que les
études de coûts soient projetées au moins une ou deux
années dans l'avenir.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Viau.
M. Cusano: Merci, M. le Président. Pour permettre à
mes collègues de poser des questions, je m'en tiendrai à une
dernière. On entend toujours la question d'abus, soit du
côté patronal ou du côté syndical. Je trouve que,
parfois, c'est une affirmation assez gratuite. Vous dites à la page 2
qu'il y a des problèmes et qu'il y a des travailleurs qui abusent des
dispositions de la loi et ainsi de suite. Avez-vous des cas très
précis et des statistiques sur ces faits? Quel est le pourcentage des
employés qui abusent du système tel quel? C'est bien beau de
dire: II y a des abus, mais il faut savoir exactement où ils sont et de
quelle nature ils sont.
Le Président (M. Jolivet): Me Lagassé. M.
Lagassé: En réponse à cette question, je dirai qu'on a pu
constater des abus de deux natures. On pourrait prendre, par exemple, le cas
d'un de nos membres émérites de Tring-Jonction, qui nous disait
qu'il avait vu sa cotisation de la CSST passer l'an dernier de 12 000 $
à 22 000 $ et que le commissaire qu'il appelait pour s'enquérir
des raisons de son augmentation lui a dit: Tu es bien chanceux. Tu es
augmenté, mais tu vas être capable de payer en quelques versements
plutôt que de payer d'un seul coup. Tu n'auras qu'à payer 15%
d'intérêt. Alors, on voit le chef d'entreprise qui exporte 90% de
sa production et qui fait de la fenêtre ou de la porte et qui est dans un
domaine hautement compétitif, qui exporte aux États-Unis, dont
les coûts de main-d'oeuvre sont très importants et qui a cela
à ajouter à sa facture, qui nous rapporte ce genre d'abus. Ce
sont des abus en rapport avec l'administration de la loi par la CSST. Quant
à des abus au niveau de ce que l'employeur peut percevoir du
côté d'abus de l'employé, j'aimerais demander au Dr
Matthieu, de Bell Canada, de nous donner des cas types qui peuvent se
produire.
Le Président (M. Jolivet): Dr Matthieu.
M. Matthieu (Gilles): M. le Président, nous avons fait
chez nous, à Bell Canada, une petite étude sur les accidents du
travail pour l'année 1983. Nous avons eu une expérience assez
considérable puisqu'on peut parler de 254 accidents du travail avec
absence. Pour les besoins de la cause, nous les avons classifiés selon
qu'ils étaient impossibles, c'est-à-dire qu'il y n'avait aucune
relation entre l'accident allégué et la blessure subie. C'est
donc une graduation qui allait d'"impossible" à "incontestable",
c'est-à-dire que nous étions vraiment alors en face d'un
véritable accident.
Si on regarde la catégorie "impossible", cela comprenait 16% des
accidents ou des réclamations acceptées par la Commission des
accidents du travail.
Si on regarde la deuxième catégorie, un peu plus haut, la
catégorie "invraisemblable", ceci comprenait 11% des réclamations
acceptées par la Commission des accidents du travail.
Si on regarde la catégorie "peu probable", ceci comprenait 10%
des réclamations dûment acceptées au niveau de la
commission des accidents.
Tout ceci pour dire que ces réclamations, soit 37% du lot,
faisaient l'objet de contestations devant le bureau de révision. Quelles
sont les raisons pour lesquelles ces accidents tombent dans cette
catégorie? Dans 26% des cas, c'est qu'il n'y a tout simplement aucun
fait accidentel. Dans 25% des cas, il s'agit d'un problème
médical autre. La Commission de la santé et de la
sécurité du travail est très apte à
compenser les phénomènes de vieillissement que
malheureusement tout le monde doit subir, et elle est très
généreuse lorsqu'il s'agit de les compenser. Dans 19% des cas, il
y a un délai de plusieurs jours entre l'accident et l'apparition des
symptômes ou de la blessure. Dans 14% des cas, on a un accident
sérieux quelques jours avant l'accident de travail
allégué. Dans 9% des cas, on est en face d'une condition
préexistante, il s'agit souvent de lésions congénitales
qui sont là, qui étaient connues des gens, mais on réclame
quand même puisqu'on n'a rien à perdre. Dans 7% des cas, il s'agit
tout simplement de gestes anodins qui ne peuvent pas causer de blessures,
à toutes fins utiles.
Cela peut résumer grosso modo les raisons pour lesquelles les
employeurs peuvent se plaindre de l'inefficacité administrative de la
Commission de la santé et de la sécurité du travail.
Le Président (M. Jolivet): Merci. M. le
député de Prévost.
M. Dean: Merci, M. le Président. Quelques questions
rapides, M. Lagassé. Dans votre présentation, vous avez
posé une question, si j'ai bien compris, où vous demandez qui
décide, s'il y a désaccord entre le médecin du travailleur
et celui de l'employeur. Pour éclairer la commission, aimeriez-vous nous
proposer une réponse à cette question?
Le Président (M. Jolivet): Me Lagassé.
M. Lagassé: Je vais céder la parole à Me
Massicotte, de notre contentieux.
Mme Massicotte (Sylvie): Actuellement, dans le projet de loi, on
ne prévoit pas qui déciderait entre deux médecins
d'opinions divergentes, tandis qu'auparavant, on pouvait envoyer en expertise
un cas semblable, l'expertise de la commission même.
M. Dean: Voudriez-vous garder le même système...
Mme Massicotte: C'était le même...
M. Dean: ...ou auriez-vous d'autres suggestions à faire
sur une façon de décider entre deux opinions médicales
contraires, celle du médecin traitant du travailleur et celle du
médecin de l'employeur?
Mme Massicotte: Nous avons surtout noté le manque de
prévision dans la loi à cet effet. Comme nous le disons dans le
préambule, les recommandations futures que l'on pourrait faire ne sont
pas encore toutes élaborées, mais nous donnons à la
commission et aux autres groupes une possibilité de s'exprimer sur le
sujet et possiblement d'arriver à une solution.
M. Dean: Vous posez des questions sans réponse.
Une deuxième question sur le chapitre du droit de retour au
travail. Même si on admettait, pour les fins de la discussion, que le
texte proposé n'est pas le texte parfait pour équilibrer cette
question, ne croyez-vous pas qu'on peut établir un équilibre
juste et raisonnable entre les droits d'un travailleur blessé au
travail, une incapacité partielle le retour à son emploi ou
à un emploi qu'il peut faire chez l'employeur et les droits
d'ancienneté de tous les travailleurs de la même entreprise?
Même si la solution dans le texte du projet de loi n'était pas la
solution, ne pensez-vous pas, tout en soulignant qu'il a pu y avoir des
conflits de droit entre le travailleur blessé, et le travailleur qui n'a
pas été blessé mais qui a ses droits d'ancienneté
en vertu de la convention collective, qu'il y ait une façon
d'équilibrer ces droits qui pourrait vous paraître acceptable?
Le Président (M. Jolivet): Me Lagassé. M.
Lagassé: M. Thibodeau.
M. Thibodeau: On a soulevé le point qui fait la
différence entre le projet de loi et peut-être les conventions
collectives. D'ailleurs, pour la majorité, les conventions collectives
prévoient les mouvements de personnel à l'intérieur des
entreprises.
Dans ce que vous suggérez, c'est sûr qu'il y a probablement
une solution très pratique à ce problème. Le texte, tel
que lu et tel qu'interprété par nous à ce moment-ci, nous
indique qu'il y a une contradiction très importante entre nos
conventions collectives au sujet de l'ancienneté et des mouvements de
personnel et l'article de la loi.
Par contre, on a une autre loi, celle des congés de
maternité, qui prévoit aussi le retour au travail d'une personne
qui a accouché et qui revient au travail, au poste qu'elle occupait,
mais s'il y a eu des mouvements de personnel entretemps, elle est soumise au
même mouvement de personnel qui a eu lieu durant la période
d'absence. Donc, à ce moment-ci, il n'y a pas de discrimination entre
cette personne et un autre employé qui a continué à
travailler parce qu'il semble, par notre interprétation du projet de
loi, qu'on accorde plus de droits à la personne qui est à
l'extérieur, accidentée, qu'on n'en accorde à la personne
qui est à l'intérieur et qui a continué à
travailler. C'est là qu'on voit un peu la divergence et la
complexité du problème. Pourquoi en donner plus à l'une
qu'à l'autre?
M. Dean: Si je disais que j'étais d'accord avec vous pour
fins de la discussion, auriez-vous une proposition à faire pour apporter
une solution à ce problème?
M. Thibodeau: La proposition qu'on pourrait faire - on peut
l'évaluer immédiatement - c'est évidemment de permettre
à l'employé de retourner au travail avec les conditions
auxquelles il est exposé, s'il a une incapacité permanente ou non
permanente mais partielle. À ce moment, il faudrait tenir compte de
cette notion pour réintégrer la personne au travail et aussi
respecter les mouvements de personnel qui ont eu lieu auparavant. Cette
personne ne serait donc aucunement pénalisée par un retour au
travail et les autres personnes non plus. Cela permettrait peut-être de
trouver une solution qui est plus équitable pour tout le monde que celle
qu'on semble reconnaître dans le texte de la loi actuellement.
M. Dean: Une dernière question.
Le Président (M. Jolivet): Un instant. Je pense que M.
Buist allait intervenir.
M. Buist: Si je peux ajouter quelques observations concernant ce
droit de retour au travail, en ce qui concerne Bell plus
particulièrement, je dois dire que, depuis de très nombreuses
années, le droit de retour au travail est, à toutes fins utiles,
assuré aux travailleurs qui sont victimes d'accident. Il reste que, ce
principe étant admis, ce principe étant vécu dans la
réalité, toutes les contraintes ou les dispositions qui sont
relatives à la mise en oeuvre de l'exercice de ce droit aux articles 145
et suivants ne se trouvent pas chez Bell.
Un employé qui est victime d'accident revient au travail
lorsqu'il est temps de reprendre son ancien emploi ou un nouvel emploi. Il ne
jouit d'aucune priorité par rapport aux autres travailleurs qui ont
accumulé davantage d'ancienneté ou qui ont les aptitudes
particulières pour obtenir un poste donné, et il reçoit le
salaire qui est attaché à sa nouvelle fonction, un peu comme le
prévoit d'ailleurs l'article 154. En pratique, cette donnée est
vécue, mais les principes en sont établis de façon qu'il
n'y ait pas de conflit ou d'imbroglio comme on l'a soulevé dans le
mémoire au point de vue de l'application des conventions collectives. Je
dirais: Tâchez d'éviter tout ce qui, pour régler un
problème ou favoriser le droit de retour au travail à un
travailleur accidenté, va créer des conflits à
l'intérieur de l'entreprise, va mettre en butte des unités
d'accréditation contre d'autres et finalement peut-être faire plus
de tort que de bien au travailleur accidenté, même s'il
réussit à trouver un emploi.
Avec la permission de M. le Président, il y a ce qui me
paraît être une incongruité dans le projet de loi. À
l'article 154, on prévoit que le travailleur qui est incapable d'exercer
ou d'occuper son ancien emploi, occupe un nouvel emploi avec le salaire et les
avantages liés à ce nouvel emploi. Cela vaut pour le travailleur
qui exerce son droit de retour au travail dans l'année ou les deux ans
suivant le début de l'incapacité. (12 h 45)
Si on revient aux articles 75 à 80, qui sont l'envers du droit de
retour au travail, qui sont une sorte d'obligation de retour au travail pour le
travailleur accidenté, la loi prévoit que, soit à
l'intérieur de la première période de trois ans ou
à l'expiration de cette période, le travailleur qui occupe un
nouvel emploi ou qui refuse d'occuper un nouvel emploi moins
rémunérateur voit combler par la commission la différence
entre le salaire inférieur attaché à ce nouvel emploi et
l'indemnité de remplacement du revenu basée sur les 90% de son
salaire net. Il y a une sorte de non-correspondance entre ces deux situations
où un travailleur qui exerce son droit a pour toute consolation le
nouveau salaire attaché à sa nouvelle fonction. Celui qui reste
chez lui et qui se voit intimer, à un moment ou l'autre par la
commission, l'ordre de reprendre un travail reçoit le salaire
inférieur de son nouvel emploi plus un supplément qui lui permet
d'atteindre le montant initial de l'indemnité de remplacement du revenu.
Je n'ai trouvé dans le texte de loi aucune disposition qui nous
permettrait de rétablir la compatibilité entre ces deux
textes.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Prévost.
M. Dean: Pour revenir à ma première question, vous
avez dit qu'il y avait déjà au sein de votre entreprise, en vertu
de la convention collective, des façons d'intégrer les
travailleurs blessés au travail. Est-ce que cela pourrait être une
solution - je pose la question tout bonnement - lorsqu'il y a une convention
collective, pour que la loi établisse l'obligation de retourner le
travailleur au travail, mais que les modalités soient laissées
aux parties par convention collective? Est-ce que cela pourrait être un
moyen? Je sais que de telles clauses existent déjà dans un
certain nombre de conventions collectives. Est-ce que cet aspect pourrait
être envisagé?
M. Buist: Spontanément, je répondrais oui. Cela
permettrait d'atteindre le but poursuivi, soit de favoriser, dans la plus large
mesure possible, la réintégration du travailleur accidenté
sans créer au sein de l'entreprise des chicanes et des querelles par le
fait qu'un travailleur accidenté revient au
travail, conserve son ancien salaire ou jouit d'un droit de
priorité ou de choses semblables. Les conventions collectives sont du
droit privé. Je ne vois rien à prime abord qui empêcherait
l'entreprise et son syndicat de prévoir des mécanismes de
réinsertion du travailleur accidenté.
M. Dean: Une dernière question, M. le Président.
À propos de la formule des quatorze jours, vous avez parlé de la
possibilité d'abus. Auriez-vous des propositions à faire ou des
façons de faire pour que, d'après vous, tout en respectant ou en
maintenant le principe des quatorze jours, l'on puisse contrôler les abus
possibles? Auriez-vous des propositions ou des suggestions à faire
là-dessus?
Le Président (M. Jolivet): Me Lagassé.
M. Lagassé: En fait, notre position là-dessus, M.
le Président, Me Buist l'a expliquée tantôt, c'est que le
fait de donner quatorze jours prête peut-être trop facilement
à des abus. Quant à nous, c'est l'un ou l'autre. C'est une
incitation à prolonger indûment le délai ou à
prétendre indûment qu'il y a maladie, alors que ce n'est pas le
cas. Quant à moi, je n'aurais pas de suggestion plus imaginative que
celles qui ont été émises jusqu'ici sur cette question. Je
ne sais pas si d'autres collègues auraient des commentaires à
faire là-dessus.
J'aimerais, par contre, rajouter un point. On traite de la question des
quatorze jours dans le cas d'une entreprise comme Bell Canada. Oui, Bell Canada
est un employeur important. C'est une des facettes de notre
réalité économique. Il ne faut pas oublier non plus nos
entreprises plus petites, qui sont moins organisées et moins
structurées et pour qui de nouvelles normes pèsent souvent
beaucoup plus lourd que pour des entreprises bien structurées avec un
capital très fort.
M. Dean: Même le principe du retour au travail peut jouer
aussi.
M. Lagassé: Oui. Même dans le cas de ces
entreprises, le principe du retour au travail est difficile à respecter.
C'est une réalité. Ce n'est pas qu'on soit contre le principe. Le
principe est certainement très louable, mais il y a certaines
entreprises -M. Fréchette, vous êtes de Sherbrooke, vous en
connaissez - où l'application de ce principe peut devenir difficile,
très coûteuse aussi et qui n'ont pas toujours le moyen de le
faire.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Portneuf.
M. Pagé: Merci, M. le Président. Me
Lagassé, madame et messieurs, je voudrais tout d'abord ajouter ma
voix à celle de mon collègue de Viau pour vous remercier de votre
présentation de ce matin et vous indiquer comment nous pouvons
être réceptifs non seulement aux commentaires que vous avez
formulés à l'égard du projet de loi 42, mais aussi et
surtout à l'égard de vos recommandations spécifiques qui
témoignent, de par votre présence ce matin, d'une étude
sérieuse du projet de loi et d'une consultation auprès de vos
membres.
Le temps étant très limité, il ne nous reste que
cinq ou six minutes, je voudrais tout d'abord vous remercier de vous être
permis, malgré le commentaire initial du président de la
commission, M. le député de Laviolette, de toucher la question de
la gestion et de l'administration de la Commission de la santé et de la
sécurité du travail. Nous comprenons tous que nous sommes ici
pour étudier le projet de loi 42. Nous retenons de la commission
parlementaire de décembre dernier que la commission a
siégé pour étudier l'administration de la commission et de
sa gestion. Nous en avons tiré des conclusions. Nous avons
formulé des recommandations au ministre. Bien qu'à peu
près tous les intervenants aient été unanimes à
questionner la Commission de la santé et de la sécurité du
travail et à lui adresser certains reproches en regard de sa gestion, le
ministre du Travail nous répondait, il y a quelques jours, qu'il a
raison et que tous les autres intervenants qui ont osé s'interroger ou
porter à l'attention de la commission des problèmes de gestion
ont tort.
Ce matin, j'apprécie votre commentaire à cet égard.
Le projet de loi que nous avons devant nous, comme tous les autres, bien
souvent, on peut y souscrire, on vote, on est d'accord, s'ils sont
bonifiés, améliorés. Bien souvent, les problèmes
surviennent dans l'application de la loi. Les députés, de quelque
groupe politique qu'ils soient, qui ont voté de bonne foi pour ce projet
se retrouvent avec des problèmes inhérents d'application sur les
bras par la suite.
J'apprécie aussi vos commentaires sur le paritarisme au conseil
d'administration, parce que c'est un problème particulier. On sait que
le paritarisme à la commission est de droit nouveau. Plus la
réflexion va, plus les travaux de commissions comme la nôtre se
poursuivent, plus on est en mesure de constater les nombreux écueils
qu'implique le paritarisme. Quant à nous, on retient, malheureusement,
en vertu de l'article 154, non pas de cette loi mais de l'autre, que le
paritarisme aura réussi à faire en sorte que la plupart de
pouvoirs appartiennent au président-directeur général et
au comité exécutif. Finalement, ultimement, bien souvent, ce sont
eux qui décident et non pas les parties en présence.
Mon collègue a touché à vos recommandations ou
à vos propos sur les bureaux de révision. Vous avez touché
à un point important au niveau des cotisations qui est le fonds
spécial. On sait que la commission est en quelque sorte une mutuelle
d'assurance des employeurs. On sait aussi que, dès le moment où
la cotatisation, où les taux et tarifs s'établissent à
partir de catégories d'entreprises, il va de soi qu'un fonds
spécial devient nécessaire quant à nous. Nos
représentations iront dans ce sens-là. On espère que le
ministre du Travail sera réceptif pour maintenir l'existence de ce fonds
spécial.
Vous avez parlé de l'étude de coûts et
bénéfices. Le 10 mai dernier, lors de l'étude des
crédits du ministère du Travail, je demandais au ministre de
s'engager à déposer l'étude des coûts et
bénéfices avant le dépôt du projet de loi. Je cite
M. Fréchette: "II y a eu des évaluations qui ont
été faites par rapport à plusieurs hypothèses,
effectivement: une hypothèse qui ferait que cela coûte plus cher,
considérablement plus cher, moyennement moins cher, que cela reste dans
le statu quo et des hypothèses qui feraient que cela coûte moins
cher." Nous sommes le 14 février 1984 et je dois vous confesser que je
n'ai pas encore reçu, ni personne de mon groupe, lesdites études
qui devaient quand même être en branle parce que non seulement le
ministre en a parlé, mais le premier ministre et un peu tout le monde en
a parlé entre 1981 et 1984.
Première question: M. le ministre, vous avez évoqué
des chiffres ce matin. Est-ce que c'est possible de les voir déposer,
pour le bénéfice des intervenants, dans les délais qu'on
souhaiterait les plus brefs, pour ajouter non seulement à la
réflexion mais aussi au débat en commission parlementaire. M. le
ministre pourra répondre à la fin de mon intervention, M. le
Président, il reste quelques minutes.
Vous avez touché un point qui est bien important: le droit de
retour au travail. Je suis persuadé que la majorité non seulement
des législateurs, mais aussi des députés vont souscrire
à certains principes. Un principe veut qu'un travailleur
accidenté qui ne peut pas réintégrer le travail, son
travail à l'intérieur d'une entreprise, puisse
réintégrer un autre travail pour lequel il est compétent
au sein de cette entreprise, plutôt que de voir l'entrepise faire appel
ou faire référence à de nouveaux travailleurs ou de
l'extérieur de l'entreprise. Je pense que peu de gens peuvent être
contre ce principe, mais il reste à savoir comment s'appliquera ce
fameux principe.
Je dois vous dire que j'ai vu des cas d'abus dans ce sens-là;
j'ai vu des cas où, malheureusement, des entreprises ont profité
du fait qu'un travailleur était incapable d'occuper son emploi et cela a
entraîné des congédiements. Les articles de la section II
du chapitre VI, 145 et suivants, sont de droit nouveau, évidemment. Je
comprends et je souscris avec vous au fait qu'il est inquiétant de voir
la Commission de la santé et de la sécurité du travail se
faire accorder des pouvoirs qui sont complètement de droit nouveau en
relation du travail à l'intérieur d'une entreprise. La commission
a déjà assez de problèmes à gérer sa propre
boîte, à administrer ses programmes et à s'assurer qu'elle
puisse atteindre ses objectifs un de ces jours en termes de prévention
et d'inspection, je suis d'accord avec vous pour dire qu'il faudrait y penser
deux, trois et même quatre fois avant de lui accorder une juridiction
dans ce domaine.
Le député de Prévost posait une question que je
voulais moi aussi vous poser tout à l'heure. Devons-nous comprendre de
votre intervention de ce matin - dans votre mémoire, vous dites que vous
êtes contre le principe... Je n'ai pas la page, je crois que c'est
à la page 14 ou 15... "Autant par principe que pour des simples raisons
pratiques, les employeurs ne peuvent accepter ce nouveau mandat de la
commission" - devons-nous comprendre, dis-je, que vous êtes contre le
principe du droit de retour au travail pour le travailleur accidenté
à l'intérieur de son entreprise ou encore si vous vous
accomoderiez du fait que, dans les entreprises où il y a des conventions
collectives, le tout soit régi par les parties entre elles? Et
devons-nous comprendre qu'un chapitre comme celui-là devrait s'appliquer
aux entreprises couvertes par un décret de convention collective et
aussi aux entreprises où il n'y a pas d'organisation syndicale?
Le Président (M. Jolivet): Avant d'accorder la parole
à Me Massicotte, je demanderais la permission de déborder,
puisque la députée de Maisonneuve voudrait poser des questions...
Vous aussi, M. le député de Sainte-Anne? C'est pour savoir le
temps qu'il nous reste, sinon, on suspendrait les travaux jusqu'à 15
heures.
M. Pagé: La députée de Maisonneuve et le
député de Sainte-Anne s'entendent toujours très bien.
Le Président (M. Jolivet): Ne sachant pas combien de temps
il faudra, j'aime mieux clore le débat immédiatement. M. le
député de Sainte-Anne, vous ne savez pas...
M. Polak: J'aurais des questions...
Le Président (M. Jolivet): Je vais permettre la
réponse de Me Massicotte et ensuite on suspendra les travaux pour les
reprendre à 15 heures.
M. Fréchette: M. le Président, me
permettez-vous...
Le Président (M. Jolivet): Oui, M. le ministre.
M. Fréchette: ...une simple suggestion? Est-ce qu'on
pourrait s'entendre pour prolonger nos travaux d'une quinzaine de minutes et
espérer ainsi pouvoir peut-être libérer nos invités
qui avaient prévu une matinée? Bien sûr, si, après
quinze minutes, cela n'était pas complet, on pourrait revenir à
15 heures. Dans l'objectif de pouvoir libérer nos invités...
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Viau.
M. Cusano: Je suis d'accord pour qu'on s'entende sur les quinze
minutes à la condition que ces quinze minutes soient réparties du
côté ministériel et du côté de
l'Opposition.
Le Président (M. Jolivet): D'accord. Me Massicotte, la
réponse maintenant.
Mme Massicotte: J'essaierai d'être brève, M. le
Président et M. le député de Portneuf. Il est vrai que,
selon les représentations de notre mémoire sur le droit de retour
au travail, nous ne l'acceptons pas, surtout pour les petites et moyennes
entreprises. (13 heures)
On ne nous a pas démontré que c'était la
règle générale et que c'était un mal à
résoudre parce que les employeurs ne reprenaient pas leurs
employés qui avaient eu un accident. Bien au contraire, à la
commission, le service de réadaptation actuel s'occupe de
suggérer à un employeur de reprendre son travailleur, s'occupe de
l'aider à s'adapter à un poste de travail. Sans être de
mauvaise foi, je pense que les employeurs qui sont en mesure de le reprendre et
qui n'ont rien d'autre à lui reprocher vont le faire. Mais il y a une
contradiction, c'est que le ministre Fréchette a annoncé que la
loi visait à assurer ou à défendre les droits des grands
accidentés et des cas graves. Dans la loi, on ne retrouve pas tellement
de distinctions. Le droit de retour au travail est un exemple qui fait qu'on
donne des droits non pas aux grands accidentés, mais aux petits parce
que l'article 145 dit que ces droits de retour au travail s'éteignent
après un an pour une entreprise de 20 employés et moins et
s'éteignent après deux ans pour une entreprise de 20
employés et plus.
Ce droit, on l'octroie - excusez l'expression - "at large" à tous
les employés qui auraient des maux bénins. Ce que l'on dit, c'est
que cela ne leur donne pas plus de droits que tout autre employé et cela
leur donne, dans le moment, dans la rédaction actuelle, une permanence
après trois mois de travail chez quelqu'un. Je pense que ce serait
peut-être retourner la balle, mais il faut nous montrer qu'il faut
absolument inscrire ce droit quand d'autres lois les protègent. Je ne
pense pas qu'un accident de travail soit un motif suffisant pour
congédier un employé en vertu de la Loi sur les normes du
travail. Je pense qu'il faut s'en tenir à notre position, surtout avec
les problèmes pratiques que cela peut causer dans la rédaction
actuelle.
M. Pagé: Pouvons-nous retenir, Me Massicotte, de votre
intervention, que vous recommandez deux choses: premièrement, un
renforcement des dispositions de la Loi sur les normes du travail et,
deuxièmement, que la commission poursuive ses efforts au chapitre de la
réadaptation.
Mme Massicotte: En ce qui concerne les efforts au chapitre de la
réadaptation, je le vois très bien. C'est aussi à
l'avantage de l'employeur, de se faire aider pour reprendre un accidenté
gravement blessé. En ce qui concerne les autres lois, je pense qu'un
mandat de relations du travail comme cela relève d'autres organismes et
il ne relève pas d'une commission comme l'ancienne Commission des
accidents du travail de s'occuper de relations du travail.
Le Président (M. Jolivet): M. le député.
M. Pagé: Entre autres, je tiens à vous remercier
pour les exemples de "bumping" -excusez le terme - que vous avez donnés
et qui pourraient être inhérents par l'exercice du droit de retour
au travail et les problèmes de relations du travail que cela pourrait
causer à l'intérieur de l'entreprise. Je suis persuadé que
le ministre du Travail saura réévaluer tout cela en tenant compte
non seulement de vos commentaires, mais aussi des commentaires de tous ceux et
celles qui se préoccuperont de ces questions. Quant à nous, on va
le faire, en tout cas.
Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Madame, messieurs,
d'abord un commentaire général très rapide en relation
avec le commentaire général qu'a eu M. Létourneau à
l'égard des milliards de dollars payés sur la masse salariale par
les entreprises. Simplement, très rapidement. M. Létourneau a
fait état qu'il y avait sans doute là excellence dans les
programmes sociaux et peut-être non-compétitivité par
rapport à des voisins au sud ou immédiatement à l'ouest.
Je pense à l'Ontario et aux États-Unis en particulier, mais cela
me rappelle que, tout
dernièrement, dans les journaux, on a fait état d'un
nouveau rapport Fantus qui, cette fois, signalait, notamment pour
Montréal, qu'il s'agissait d'un des endroits les plus propices pour les
investisseurs, compte tenu de la générosité et de la
disponibilité des très nombreux programmes de subventions pour
les entreprises. Cela me fait croire qu'on n'excelle pas que dans les
programmes sociaux, on excelle aussi dans des programmes de subventions aux
entreprises. Une fois ce commentaire fait, j'aimerais revenir sur cette
question du droit de retour au travail. Vous avez, je pense, une occasion
immédiate, peut-être. Je pense que c'est Me Massicotte qui a dit
qu'il n'y avait peut-être pas démonstration, qu'il y avait un mal
à résoudre en termes de réintégration et de retour
au travail.
Seulement pour l'année 1982, les chiffres de la CSST indiquent
qu'il y avait plus de 18 000 travailleurs reclassés. Je n'ai pas les
chiffres pour 1983, mais il y a certainement là une constatation d'une
évidence assez claire qu'il y a un malaise et qu'il y a donc
nécessité d'une intervention à cet effet, d'une part.
D'autre part, j'ai trouvé fort intéressante l'étude qu'un
membre de la chambre de commerce nous a fait connaître concernant la
ventilation des accidents du travail eu égard à leur relation
immédiate ou non avec le travail. J'en conclus que, s'il y a eu 37%
d'abus, nous a-t-on dit, il y a donc eu 63%, dans cette entreprise, de
véritables accidents du travail en relation avec la nature du travail,
en relation avec les conditions du travail.
En ce qui concerne le droit de retour au travail, on a fait allusion aux
dispositions qui prévalent dans les cas de retour après une
grossesse, et je me dis que c'est peut-être difficile de confondre les
deux, parce que, dans un cas de grossesse, il n'y a absolument aucune relation
contractuelle avec l'entreprise. Le moins qu'on puisse dire, c'est que cette
décision était totalement volontaire et ne résultait pas
d'une relation contractuelle avec l'entreprise, tandis que, dans le cas d'une
personne qui est accidentée, il faudrait se demander à qui la
faute, d'une certaine façon. À moins de vouloir revenir à
un régime où on laisse aux tribunaux de droit civil le soin d'en
disposer, il faut bien voir qu'on présume de la bonne foi, mais qu'on ne
présume pas de la vertu. Ce n'est pas une présomption, la vertu.
Et si tant est qu'on met en balance le fait que les employeurs veuillent le
moins indemniser -enfin, c'est peut-être de bonne foi que de le vouloir -
et que, d'un autre côté, les salariés ou les travailleurs
veulent obtenir une plus forte indemnisation - je pense que c'est de bonne foi
également - il faut savoir que la balance n'est pas égale, parce
que, de toute évidence, personne ne va prétendre qu'un
travailleur va choisir de perdre un oeil, un doigt, une main ou un pied pour
pouvoir se faire indemniser. Tandis qu'il est vraisemblable, en toute bonne
foi, de présumer qu'une entreprise, pour toutes sortes de raisons
liées à sa compétitivité et à d'autres
facteurs, ne tiendra pas nécessairement à immédiatement
établir toutes les conditions qui vont faire en sorte qu'il n'y aura
plus d'accidents du travail. C'est, d'une certaine façon, deux poids,
deux mesures, et cela suppose, j'imagine, une certaine présomption, la
présomption qui est favorable à ceux qui sont les victimes, et,
à cet égard, je pense qu'on ne peut, d'aucune façon,
imaginer qu'un travailleur le ferait exprès, aux fins d'obtenir sa
permanence d'emploi, pour être victime d'un accident du travail.
Le Président (M. Jolivet): Me Lagassé.
M. Lagassé: Ce que j'ai à répondre, c'est
que le mal de dos, quelquefois, cela survient très rapidement. Je suis
d'accord avec le fait que, dans le cas d'un accident sérieux, on ne peut
pas concevoir cela, mais il y a des accidents bénins - et ce sont des
cas qui nous sont rapportés très fréquemment - où
il y a des abus du côté des employés. C'est cela qu'on veut
tous éviter, je pense, dans la loi.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Sainte-Anne.
M. Polak: Merci, M. le Président. J'aurais deux questions,
l'une très courte et l'autre plutôt générale. Quand
on parle des coûts, vous avez mentionné tout à l'heure que,
quand l'employeur sera obligé de payer ou d'avancer les quatorze
premiers jours, au lieu de cinq jours, comme cela existe présentement,
disons que c'est vrai que cela peut conduire à des abus et que les gens
peuvent en prendre avantage. Disons que le ministre accepterait cela et que moi
j'accepterais cela, comment pourrait-on faire le calcul pour savoir ce que cela
pourrait coûter? Si le ministre voulait calculer objectivement les
coûts d'un tel abus, combien cela coûterait-il? J'ai autant le
droit de dire que cela peut coûter 40 000 000 $ par année dans la
province de Québec que de dire 2 000 000 $. Donc, avez-vous des
commentaires là-dessus? Également, du fait que la CSST, en vertu
du projet de loi, peut agir d'une manière beaucoup plus souple, comment
peut-on évaluer le surplus de ces coûts?
Le Président (M. Jolivet): M. Létourneau.
M. Létourneau: II y a deux sortes de coûts que nous
pouvons identifier, M. le Président. Il y a les coûts pour
l'employeur...
D'abord, il y a une frustration au départ d'avoir à aller
à quatorze jours. Les employeurs se paient à grands frais une
Commission de la santé et de la sécurité du travail pour
s'occuper de cela et là, parce qu'elle n'est pas capable de s'en occuper
efficacement, on dit à l'employeur: Tu vas t'en occuper à sa
place et tu vas en payer les frais. Cela met les gens en rogne en partant. Je
pense que c'est facilement compréhensible. Deuxièmement, ces
avances de fonds, aux taux d'intérêt courants aujourd'hui, cela
commence à représenter de l'argent. Combien? C'est bien
difficile. On s'est aperçu tantôt qu'on n'avait pas les
mêmes bases de calcul que les experts du ministère et c'est
difficile pour nous de continuer à faire des chiffres sur des bases
aussi différentes, mais, nous, on a estimé que ce serait une
augmentation, quels que soient les coûts en argent, en coûts
d'avance - je ne parle pas d'argent avancé, mais des coûts pour
avancer de l'argent, c'est-à-dire les intérêts - cela
aurait augmenté de 58% par rapport à la situation actuelle. On
parle de quelques millions de dollars, mais je n'ose pas aller beaucoup plus
loin.
Les coûts probablement les plus importants à cette nouvelle
mesure, ce sont les nouvelles habitudes qui peuvent se développer chez
certains travailleurs - pas chez tous - de profiter des quatorze jours au lieu
des quinze jours. Combien le feront? C'est assez difficile à
évaluer, mais on peut présumer que cela peut être dans les
pourcentages de ceux qui le font déjà. Comment évalue-t-on
le pourcentage de ceux qui le font déjà? C'est encore difficile
à évaluer, parce que des maux de dos, c'est extrêmement
difficile de savoir si c'est vrai ou si ce n'est pas vrai, mais c'est
étrange comme cela se multiplie dans certaines circonstances et que cela
baisse dans d'autres circonstances. Là, il y aura des maux de dos. Il y
aura peut-être le stress. Il y aura peut-être autre chose si on
mélange tout cela ensemble. Combien cela va-t-il donc coûter?
C'est une question qu'il nous est difficile de chiffrer
précisément à ce moment-ci, mais une chose est sûre,
cela va coûter plus, cela va coûter beaucoup plus.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Sainte-Anne.
M. Polak: Ma dernière question, M. le Président, je
la pose à Me Lagassé. À la page 2 de votre mémoire,
vous vous demandez si la révision est justifiée. À la page
3, vous dites que c'est peut-être prématuré. À la
fin, aux pages 24 et 25, vous faites une recommandation au gouvernement. Vous
dites au ministre: Nous demandons que vous mainteniez certaines choses que vous
avez abolies et on vous demande en même temps d'abolir certaines choses
que vous voulez instaurer dans le nouveau régime. Quand je prends toutes
vos suggestions, il ne reste rien du projet de loi. Donc, ai-je le droit de
conclure que ce que vous demandez vraiment, c'est de ne pas procéder du
tout avec ce projet de loi?
Le Président (M. Jolivet): Me Lagassé.
M. Lagassé: Je pense que votre conclusion est certainement
en accord avec ce que nous avons écrit.
M. Polak: D'accord.
Le Président (M. Jolivet): Je vous remercie donc. M. le
ministre aura peut-être une question.
M. Fréchette: C'est une information, M. le
Président, autant pour les gens de la chambre de commerce que pour le
député de Portneuf qui a déjà quitté, mais
je l'ai informé que j'allais donner cette information. Quant aux
précisions ou aux détails qu'on a souhaité avoir au sujet
des coûts, nous devrions être en mesure dans les heures, sinon les
jours qui viennent, de produire cette documentation
détaillée.
Il y a une simple dernière observation que je veux soumettre
à la réflexion de tout le monde par rapport au droit de retour au
travail. J'ai, quant à moi, particulièrement
apprécié l'évaluation qu'a faite M. Thibodeau de sa
perception de ce chapitre très précis du projet de loi.
Deuxièmement, j'attire votre attention, pour le cas où cela peut
être utile, sur le fait qu'au Conseil consultatif du travail, le groupe
patronal, avec certaines réserves, favorisait une politique semblable,
mais à travers, par exemple, les écueils possibles de
l'ancienneté. Toutes ces préoccupations sont revenues et, quant
au principe lui-même, le groupe patronal au conseil consultatif
favorisait une telle approche, pour les fins de la réflexion finale.
M. Létourneau: Nous aurions aimé y être, M.
le ministre.
Le Président (M. Jolivet): Quant au document que M. le
ministre nous rendra disponible, tel qu'il vient de nous en informer,
j'aimerais comme président en avoir des copies supplémentaires
pour qu'elles soient disponibles au Secrétariat des commissions pour
toute personne qui voudrait en faire la demande. Je vous remercie, Me
Lagassé et vos collègues, d'être venus ici devant la
commission et je vais suspendre les travaux en appelant pour cet
après-midi, à 15 heures, l'Association des armateurs des
Grands-Lacs. Merci.
(Suspension de la séance à 13 h 15)
(Reprise de la séance à 15 h 6)
Le Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission élue permanente du travail se réunit
à nouveau aux fins d'entendre les représentations des personnes
et des groupes intéressés au projet de loi 42, Loi sur les
accidents du travail et les maladies professionnelles.
Les groupes que nous avons à entendre entre 15 heures et 18
heures sont, d'abord, celui que nous avions annoncé à la fin de
la première séance, l'Association des armateurs des Grands-Lacs,
et, le deuxième, la Fédération des médecins
spécialistes du Québec. Nous savons aussi que nous devons
reprendre à 20 heures pour la Centrale des syndicats
démocratiques.
Avant de donner la parole à M. Jacques-A. Laurin, qui est
accompagné de M. Guy Bazinet, j'aimerais faire remarquer à tous
les membres de la commission qu'il y a eu une erreur dans le mémoire et
qu'on nous a demandé de faire la correction. Je pense que M. Laurin
pourra peut-être nous l'expliquer. Je vous cède la parole.
Association des armateurs des Grands-Lacs
M. Laurin (Jacques-A.): Merci, M. le Président. Tel
qu'indiqué dans la correspondance que nous avons fait parvenir à
la commission, la première page du mémoire devrait être
changée puisque, initialement, on avait mentionné comme membres
de l'association qui ont leur principale place d'affaires au Québec:
Canada Steamship Lines Inc. et Halco Inc., et la modification ajoute le nom de
Sofati/Soconav comme compagnie membre ayant sa principale place d'affaires au
Québec.
Le Président (M. Jolivet): Cela va.
M. Laurin (Jacques-A.): J'aimerais procéder avec
l'exposé de notre mémoire de la façon suivante: traiter
initialement des activités des membres de l'association, du
régime qui s'applique à ces entreprises membres de l'association
en vertu de la loi actuelle, des dispositions au projet de loi qui ont une
application particulière à ces entreprises et que l'on retrouve
au chapitre IX du projet de loi 42, pour ensuite parler de quelques autres
dispositions qu'on retrouve ailleurs qu'au chapitre IX et qui auraient
certainement des possibilités d'incidences négatives à
l'égard de ces entreprises.
Alors, tout d'abord la description des activités de l'association
et de ses membres. L'Association des armateurs des Grands-Lacs est une
association qui regroupe diverses entreprises de transport maritime, sinon la
majorité des entreprises oeuvrent au Canada.
La majorité des entreprises membres sont établies en
Ontario. Cependant, trois d'entre elles, Canada Steamship Lines, Sofati/Soconav
et Halco Inc., ont leur principale place d'affaires au Québec. Ces
entreprises font généralement du transport de marchandises en
vrac, c'est-à-dire des marchandises transportées en grosse
quantité, et les marchandises qu'on transporte
généralement sont des minerais, des céréales et,
dans le cas de Halco Inc. et de Sofati, du pétrole. Elles utilisent en
conséquence plusieurs navires qui naviguent généralement
dans les ports canadiens ou entre les ports canadiens et américains,
dans les Grands-Lacs, de même sur le fleuve, dans le golfe, ainsi que
dans les provinces maritimes et les provinces atlantiques.
Les navires en question sont enregistrés tant au Québec
qu'à l'extérieur. La main-d'oeuvre est embauchée tant en
Ontario que dans les provinces atlantiques également et aussi au
Québec. Si l'on regarde le temps total de navigation de ces navires pour
chercher à déterminer la prestation de travail qui est rendue au
Québec par ces employés de l'entreprise, dans le cas de Canada
Steamship Lines Inc., on a estimé qu'il y a environ seulement 20% du
temps qui est passé en eau qu'on pourrait appeler
"québécoise" - entre guillemets - et, dans le cas de Halco,
uniquement 30%.
Également, il est important de noter que dans le cas de ces
entreprises la main-d'oeuvre fluctue constamment, c'est-à-dire que pour
chaque poste de marin sur un navire on peut avoir embauché trois
personnes pour combler le poste durant la saison de navigation, donc une
fluctuation constante de main-d'oeuvre, une prestation de travail minime rendue
au Québec et une variation également dans les activités de
ces entreprises, puisque les navires peuvent, un certain jour, naviguer entre
deux ports et, le jour suivant, être appelés à naviguer
entre deux localités totalement différentes.
À l'heure actuelle, ces entreprises, en raison des
caractéristiques particulières de leurs activités, ne
contribuent pas au fonds des accidents du travail. Il convient, cependant, de
remarquer que, même si ces entreprises ne contribuent pas au fonds, si
elles ne sont pas cotisées, elles sont soumises à la loi et s'y
soumettent. Leurs risques d'accident du travail sont assurés,
c'est-à-dire qu'une assurance couvre la responsabilité de
l'employeur en cas d'accident et, généralement, c'est la CSST qui
détermine le montant de compensation à verser à un
travailleur, à un marin sur un navire. En fonction de la décision
de la commission, l'employeur paie le montant qui est demandé par la
commission. À ce jour, nous sommes fiers de dire qu'il n'y a pas eu de
difficulté dans l'application de ce régime ou de ce
système, c'est-à-dire qu'à chaque
fois qu'un accident s'est produit, à la suite d'une
décision de la CSST, l'employeur a été avisé des
montants de prestations qui sont dus au travailleur. À la suite de cette
décision, l'employeur verse des prestations à la commission, ou
il les verse directement au travailleur.
À un certain moment, on a étudié la
possibilité d'assujettir ces entreprises au fonds des accidents du
travail. Cependant, nous faisons remarquer dans notre mémoire que de les
soumettre au fonds des accidents du travail créerait des
difficultés énormes puisqu'elles devraient contribuer au fonds
des accidents du travail au Québec et en même temps s'assurer pour
les risques et pour les responsabilités qu'elles pourraient encourir si
jamais un accident se produisait à l'extérieur du Québec,
soit en Ontario, dans les provinces atlantiques ou encore dans un autre port au
monde où ces navires se présentent.
Il faut également noter que le Québec, en créant ce
régime particulier pour ces entreprises de transport interprovincial ou
international, ne fait pas cavalier seul, c'est-à-dire que la
majorité des autres provinces canadiennes prévoit un
régime particulier pour ces entreprises. Il en est de même en
Ontario et, lors d'une commission parlementaire similaire à celle que
vous tenez en ce moment, le gouvernement de l'Ontario a indiqué qu'il
n'avait pas l'intention de changer de régime, c'est-à-dire qu'il
avait l'intention de maintenir ce qu'on appelle dans la loi de l'Ontario la
cédule 2 pour ces entreprises de transport interprovincial et que la
seule chose qu'on voulait concrétiser, c'était de s'assurer que
ces entreprises étaient adéquatement couvertes pour le risque
d'accidents du travail.
Conséquemment, c'est précisément en raison de la
fluctuation de main-d'oeuvre, du changement constant des activités de
ces entreprises, des trajets de navigation des navires et de la
variété des endroits où sont ces entreprises que ce
régime particulier a été maintenu, et il est prévu
également au chapitre IX du projet de loi 42.
Si toutefois ces entreprises étaient de quelque façon
cotisées au Québec à la suite d'analyses de coûts
qui ont été faites et en raison de taux de cotisation qui ont
été soumis par la CSST, les évaluations faites
démontrent que les seuls coûts d'assurances ou de cotisations au
Québec pour ces entreprises équivaudraient à environ le
triple des montants qu'elles paient à l'heure actuelle en assurances
pour une couverture totale des accidents du travail qui pourraient être
subis à quelque endroit que naviguent ces navires. Si la commission
cotisait ces entreprises, on a évalué essentiellement que dans le
cas d'une entreprise ces coûts d'assurances pour couvrir ces risques
d'accidents du travail, dans le monde entier, risques non seulement de
compensation mais également d'hospitalisation, retour du marin à
son lieu de résidence ou de domicile, passeraient, dans le cas d'une
entreprise, de 800 000 $ à 1 300 000 $. C'est une augmentation d'environ
500 000 $ pour une seule entreprise, dans une année.
Conséquemment, comme ces entreprises, que j'ai mentionnées
tantôt, n'exercent au Québec qu'une partie de leurs
activités et que la majorité des activités sont
exercées à l'extérieur du Québec, ce serait placer
toute entreprise du même type dans une situation concurrentielle
désavantageuse que de la cotiser alors qu'une entreprise du même
genre ne serait cotisée d'aucune façon si elle était
établie en Ontario ou dans les provinces atlantiques.
J'aimerais maintenant mentionner certaines dispositions au chapitre IX
du projet de loi 42 qui pourraient créer des difficultés
d'application. Je mentionne à la page 6 du mémoire
essentiellement l'article 225 qui dit que ces entreprises ne sont pas
assujetties à cotisation, mais, dans une autre disposition, on dit
qu'elles doivent fournir une preuve d'assurance. J'aimerais que l'on indique
également - je reviens sur cette question plus loin dans le
mémoire - que ces entreprises ne seraient pas soumises aux obligations
que l'on prévoit en matière de réadaptation ou de
réinsertion sociale. La raison en est très simple. En
prévoyant de telles dispositions à l'égard d'entreprises
internationales de transport, ces dispositions entreront en conflit avec les
dispositions du Code canadien du travail, avec des conventions collectives qui
sont négociées en vertu du Code canadien du travail de même
qu'avec des traités internationaux ou certaines ententes internationales
sur le sujet et aussi de la réglementation qui est faite et qui
s'applique de façon particulière à ces modes de transport,
soit les navires, les chemins de fer de même que les aréonefs.
Il y a des dispositions qui, certainement, créent ou pourraient
créer des difficultés considérables. C'est ce qui est
mentionné à la page 8 du mémoire, dispositions que l'on
retrouve à l'article 228, qui dit que, même si ces entreprises ne
sont pas cotisées et qu'elles doivent fournir preuve d'assurance, la
commission peut demander que des dépôts soient faits auprès
de la commission. Malheureusement, nous avons eu dans le passé - je cite
un cas concret - certaines situations où, alors que le droit à
des prestations est douteux ou certainement pas déterminé de
façon finale et où des montants considérables ont
été demandés par la CSST en dépôt, ces
montants représentaient la valeur capitalisée d'une rente. Dans
une situation où nous avons été impliqués, il
s'agissait d'un marin qui avait été perdu dans le Grand-Nord, au
nord de la terre de Baffin, qui à la suite de
sa disparition a fait l'objet d'une réclamation auprès de
la CSST. La CSST a demandé que le transporteur, dans ce cas-là,
dépose la valeur capitalisée de la rente qui était
réclamée par une amie qu'il avait à Montréal. Dans
ce cas, l'employeur a dû verser à la CSST 204 000 $, alors que le
droit à la prestation était douteux, l'employeur
prétendant que la personne n'était pas un conjoint au sens de la
loi, n'était pas une personne qui cohabitait avec le marin depuis trois
ans tel que prévu à la loi.
Donc, la crainte est que par le biais de l'article 228 cette disposition
qui permet d'exiger des dépôts crée un fardeau financier
excessif pour ces entreprises et que l'on tente indirectement de demander
à ces entreprises de verser des montants substantiels auprès de
la CSST, montants qui dépasseraient largement la responsabilité
qu'elles peuvent créer en raison de leurs activités. Cela
pourrait créer un incitatif négatif au maintien ou à
l'établissement de telles entreprises au Québec. Une telle
entreprise n'aurait d'autre choix, si de forts dépôts
étaient demandés pour la valeur capitalisée de chaque
rente, de relocaliser sa principale place d'affaires à
l'extérieur du Québec dans un endroit où de tels
dépôts ne seraient pas requis.
Nous suggérons la reformulation de l'article 228 pour permettre,
dans certains cas où une entreprise de transport interprovincial serait
dilatoire ou ne verserait pas les prestations de façon
régulière, à la CSST d'exiger que des dépôts
soient faits mais qu'ils n'excèdent pas l'équivalent de trois
mois de prestations de façon à donner, quand même,
certaines sommes d'argent à la CSST lui permettant de faire le paiement
périodique des prestations mais en ne créant pas un fardeau
excessif pour les entreprises concernées.
Nous mentionnons, également, que ces entreprises sont
prêtes à contribuer ou à verser à la CSST les frais
d'administration qui sont engendrés ou créés par
l'indemnisation de ces employés en raison du régime particulier
du chapitre IX. Cependant, nous soumettons qu'au lieu de parler de frais
généraux nous devrions parler de frais d'administration et
prévoir que ce ne sont que les frais d'administration engendrés
par les prestations payables aux travailleurs de ces entreprises qui devraient
être l'objet d'une cotisation pour frais d'administration.
Il y a d'autres dispositions qui sont mentionnées au
mémoire et qui sont davantage des questions d'ordre technique, tel -
comme je le mentionnais tantôt -l'article 129. J'ai cité cet
article à titre d'exemple, puisque j'ai mentionné tantôt
ces ententes internationales ou les dispositions de la Loi sur la marine
marchande, mais l'article 129 du projet de loi 42 dit essentiellement qu'un
travailleur a droit aux soins de l'établissement de santé et du
professionnel de la santé de son choix. Cette disposition, à
titre d'exemple, entre en conflit avec une autre disposition de la Loi
sur la marine marchande. La Loi sur la marine marchande prévoit
essentiellement que, peu importe l'endroit où se trouve le marin, qu'il
soit en Europe ou encore dans les provinces atlantiques ou aux
États-Unis, l'employeur a toujours une obligation de voir à ce
qu'il soit soigné, traité et aussi que tous les frais de
transport nécessaires à son retour à domicile soient
payés par le transporteur. Donc, déjà, des dispositions
dans des lois particulières qui traitent de ces modes de transport tels
que les navires prévoient des droits qui sont supérieurs à
ce que l'on prévoit au projet de loi 42 pour ces travailleurs.
Quant à la réinsertion sociale et professionnelle du
travailleur, j'en ai glissé un mot tantôt. J'ai parlé de
ces possibilités de conflit avec le Code canadien du travail, les lois
qui s'appliquent à chaque mode de transport, les lois qui s'appliquent
aux navires, aux aéronefs ou encore aux chemins de fer. De même,
il y a aussi possibilité de conflit avec des conventions collectives qui
sont négociées au niveau fédéral et qui
s'appliquent à l'ensemble du Canada et non pas uniquement à une
province.
Nous mentionnons également que, tout comme la CSST peut, en vertu
du projet de loi, tel que prévu à l'article 251,
récupérer les montants qui seraient versés en trop, dans
les cas où elle peut recouvrer ces montants, la même chose devrait
s'appliquer à l'égard de ces entreprises, c'est-à-dire que
si les entreprises paient elles-mêmes les prestations d'accident du
travail et que certains montants sont versés en trop, dans un tel cas,
ces montants versés en trop devraient être remboursés non
pas à la CSST, mais à l'entreprise qui a payé.
C'est essentiellement l'objet de nos commentaires sur le projet de loi
42. Nous soutenons que toute cotisation au fonds des accidents du travail pour
les prestations d'accidents du travail placerait ces entreprises dans une
position désavantageuse par rapport aux mêmes entreprises
établies hors du Québec et qu'à l'heure actuelle le
système, qui est un système de non-cotisation, donne satisfaction
à tout le monde. Nous avons annexé à notre mémoire
une copie de la lettre du président du principal syndicat qui
représente les marins sur les navires, le Syndicat international des
marins canadiens; cette lettre indique que le syndicat de même que les
travailleurs sont pleinement satisfaits du système actuel puisque
l'employeur participe directement à l'indemnisation des victimes, qu'il
a un intérêt accru à la prévention et que,
généralement, il n'y a pas eu de critiques ou
de difficultés d'obtention de paiement ou d'indemnisation.
Le Président (M. Jolivet): Merci, M. Laurin. M. le
ministre.
M. Fréchette: Merci. Je voudrais remercier le
représentant de l'Association des armateurs des Grands-Lacs de la
présentation de son mémoire. Il a soumis des
représentations qui sont directement en relation avec les
particularités - le terme est, je pense, le plus précis qu'on
puisse trouver - des activités de l'industrie qu'il représente.
Dans les travaux qui ont précédé le dépôt de
la loi, nous avons eu l'occasion de nous rencontrer et vous êtes venus,
à ce moment, soumettre une représentation très
précise quant à la possibilité d'intégrer ou pas
les employeurs qu'on est convenu d'appeler ceux de l'annexe 6 à
l'intérieur du processus général de la loi. Je pense
qu'à cet égard on s'est entendu rapidement et bien. D'ailleurs,
j'ai cru comprendre, en conclusion de vos représentations, qu'à
cet égard vous étiez, à toutes fins utiles, satisfait de
la décision qui avait été prise, à ce moment, de
garder le statu quo quant à la non-intégration des employeurs de
l'annexe B dans le cadre général de la loi.
À partir de cette représentation, Me Laurin, qui a
été faite au moment que l'on sait et de la décision qui a
suivi, j'apprécierais que vous puissiez - peut-être l'avez-vous
fait, mais cela pourrait être plus clair dans mon esprit - faire un
parallèle aussi précis que possible quant aux autres aspects de
vos représentations, un parallèle entre l'état actuel de
la loi et les changements qu'on retrouverait si la loi 42 était
adoptée telle qu'elle est à l'étude présentement.
Je ne sais pas si ma question est suffisamment claire, mais, au-delà de
l'intégration, encore une fois, quelles sont les distinctions à
faire entre le statu quo et les dispositions de la loi 42?
Le Président (M. Jolivet): Me Laurin.
M. Laurin (Jacques-A.): M. le ministre, les dispositions de la
loi 42 en ce qui a trait aux entreprises de transport maritime et ferroviaire
interprovincial ou international reprennent le principe ou le mode
d'application de la loi qui est prévu à l'heure actuelle dans la
Loi sur les accidents du travail. Cependant, il y a certaines dispositions que
l'on retrouve au chapitre IX qui pourraient, dans leur application,
créer des difficultés énormes, c'est-à-dire - et je
pense particulièrement à l'article 228 du projet -
qu'essentiellement la loi actuelle, je crois, aux articles 30 et 31,
prévoit que la CSST peut, dans certaines circonstances, demander une
preuve d'assurance et peut aussi demander que cette preuve d'assurance lui soit
fournie. Cependant, en pratique, dans tous les cas où j'ai
été impliqué pour avoir représenté autant
des sociétés d'assurances et des entreprises que des employeurs,
la CSST ne s'est jamais servie de ces dispositions, n'a jamais demandé
de preuve d'assurance alors que, bien souvent, à la suite de certaines
critiques, c'était offert gratuitement. Donc, il y a maintenant à
l'article 228 une mention spécifique d'une obligation de s'assurer et de
fournir une preuve d'assurance. Ce qui est prévu à la loi
actuelle n'est simplement qu'une option ou une faculté qui est
laissée à la CSST de demander copie d'une telle police
d'assurance ou preuve d'assurance. Il faudrait également, tel que nous
le mentionnons dans notre mémoire, permettre à certaines
entreprises, qui, en raison de leur taille, n'ont pas nécessairement une
couverture d'assurance au sens usuel du mot, de fournir un cautionnement ou une
garantie quelconque pour donner satisfaction à la CSST et qu'elle soit
en mesure de fournir des bénéfices à tout le moins
équivalents à ce qui est prévu au projet de loi 42. Donc,
l'article 226 va plus loin que ce qui est prévu à la loi actuelle
en matière de possibilité d'obtenir une copie de police
d'assurance de ces entreprises. (15 h 30)
La deuxième question qui est majeure, c'est ce qui est
prévu à l'article 228. C'est la disposition qui permet d'obtenir
des dépôts. Généralement, dans la loi actuelle, on
prévoit la possibilité de demander des dépôts quand
il y a absence de diligence, c'est-à-dire quand l'entreprise ou
l'employeur ne paie pas régulièrement les prestations qui sont
dues aux travailleurs ou ne les remet pas à la CSST. L'article 228 du
projet prévoit maintenant que dans tous les cas et sans qu'il y ait de
critères ou de mentions d'éléments de
détermination, au seul loisir de la CSST, elle pourra demander des
dépôts. Le danger, c'est que, dans certaines situations, on puisse
demander que de fortes sommes d'argent soient déposées
auprès de la CSST, alors que le droit à la prestation n'est pas
déterminé, ou encore simplement pour tenter indirectement
d'obtenir des sommes d'argent de ces entreprises. C'est encore là un
changement majeur puisque la loi actuelle prévoit
généralement que cette possibilité n'existe que dans le
cas d'absence de diligence, c'est-à-dire dans le cas où un
employeur ne paie pas régulièrement et périodiquement les
prestations qui sont dues aux travailleurs, mais, à part ces quelques
dispositions et à part les dispositions qui ont trait à la
réinsertion sociale et à la réadaptation, on maintient le
régime actuel qui s'applique à ces entreprises.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Fréchette: Sous un autre chapitre et dans une
référence plus particulière avec l'entrée en
matière de votre mémoire, mon attention est attirée par le
texte du deuxième paragraphe de la page 4, quand vous dites: "C'est donc
en raison des particularités de cette industrie que ces entreprises ne
contribuent pas au fonds des accidents de travail." C'est par le bout de phrase
suivant que mon attention est attirée: "De plus, si elles le faisaient,
la Commission de la santé et de la sécurité du travail ne
pourrait leur donner une couverture à taux concurrentiel pour les
accidents du travail qu'auraient leurs employés à
l'intérieur et à l'extérieur du Québec."
Me Laurin, j'apprécierais obtenir quelques précisions
à ce sujet, précisions s'entendant en termes de chiffres, si,
effectivement, vous en avez. Il me semble que des discussions ont
déjà eu lieu à ce chapitre très précis que
vous soulevez et qu'aucune conclusion ferme - vous me corrigerez si je fais
erreur - n'avait été tirée à partir de la
prétention que vous avez et de la prétention qu'a la commission
de son côté. Pourriez-vous circonscrire davantage cette
partie-là du débat?
M. Laurin (Jacques-A.): M. le ministre, nous avons
travaillé avec la CSST depuis un an de façon à analyser la
possibilité d'une intégration volontaire de ces entreprises. Nous
avons eu des discussions avec les représentants de la CSST en
matière de normes de cotisation et de financement. Nous avons
discuté de taux de cotisation à l'égard de ces entreprises
et les taux qui nous ont été cités indiquent clairement
que la CSST ne pouvait donner une protection qui ne serait que partielle,
puisqu'elle ne pourrait couvrir que les accidents de travail se produisant au
Québec, mais que les coûts en matière d'accidents de
travail pour ces entreprises seraient environ le double ou le triple de ce
qu'il en coûte à l'heure actuelle. Je pense à une
entreprise où l'évaluation a été faite. J'ai
mentionné tantôt 800 000 $, mais ces coûts d'accidents de
travail à l'heure actuelle sont d'environ 500 000 $, c'est-à-dire
qu'il lui en coûte pour s'assurer environ 500 000 $ à 600 000 $.
Cette protection est pour tout accident de travail, peu importe l'endroit
où l'accident se produit.
Selon les coûts ou les taux cités par la CSST, il en
coûterait pour la même entreprise environ 1 300 000 $ pour
s'assurer uniquement pour les accidents au Québec. C'est donc dire que
la même entreprise devrait cotiser au fonds, payer un montant qui
représente environ le double ou le triple de ce qu'il en coûte
pour s'assurer dans le monde et en même temps maintenir une assurance
pour les accidents qui se produiraient aux États-Unis, en Ontario ou
dans une autre localité. Nous avons fait des vérifications
auprès d'autres entreprises. Il y a certaines entreprises de chemin de
fer ou de transport aérien qui ont fait les mêmes calculs avec
l'aide des représentants de la CSST et qui sont arrivées aux
mêmes conclusions, c'est-à-dire que leurs coûts d'assurance
ou leurs coûts de protection en matière d'accidents de travail
iraient du double au triple. Donc, ce que nous disons, c'est que,
essentiellement, comme ces entreprises peuvent localiser leur principale place
d'affaires à un endroit ou à un autre en fonction de la
majorité des activités qu'elles exercent, le fait de cotiser ces
entreprises et surtout de les cotiser à des taux qui seraient
considérablement supérieurs à ce qui existe à
l'heure actuelle en s'assurant privément, inciterait ces entreprises
sans doute à analyser leur situation financière en raison de la
localisation de leur principale place d'affaires au Québec.
Alors, nous avons regardé cette question de façon
détaillée avec des représentants de la CSST et, selon les
chiffres qui nous sont cités et qui ont été cités
également à d'autres entreprises de transport dans d'autres
secteurs, les taux seraient faramineux et ce, en raison justement de la nature
des activités de ces entreprises.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Fréchette: Vous faites également état
dans votre mémoire, plus particulièrement à la page 6 au
paragraphe 3, d'éventuels problèmes de conflits de juridiction,
plus précisément - là je suis évidemment à
vous parler du chapitre VI du projet de loi 42 - d'un conflit éventuel
de juridiction par rapport, par exemple, au code du travail du Canada, par
rapport à la Loi sur la marine marchande. Il y a un aspect qui est celui
des conventions qui procèdent du Code canadien du travail. Je comprends
que l'affirmation ou l'information contenue à votre mémoire
procède d'une constatation d'ordre général. Je
présume que vous avez dû pousser l'exercice jusqu'à arriver
à identifier des choses qui pourraient être en contradiction l'une
avec l'autre. Est-ce qu'à cet égard vous avez des renseignements
à nous donner?
Le Président (M. Jolivet): Me Laurin.
M. Laurin (Jacques-À.): M. le ministre, à cet
égard, tout d'abord au niveau du Code canadien du travail les
dispositions qui ont trait à la santé et à la
sécurité au travail et qui traiteront essentiellement, j'imagine,
de cette question de réinsertion sont présentement à
l'étude au gouvernement
fédéral. On nous informe que sous peu il y aura une
nouvelle partie IV au Code canadien du travail, partie IV qui prévoira
sans doute ces questions de réinsertion sociale et de
réadaptation de travailleurs. Bien qu'il n'y ait pas dans le Code
canadien du travail, à l'heure actuelle, à la partie IV, une
disposition particulière qui traite de la réinsertion sociale ou
de la réadaptation, nous devons prévoir que sous peu le
gouvernement fédéral adoptera des dispositions sur cette question
qui, selon nous, pourraient créer des conflits virtuels sur la question
de réinsertion.
Nous devons également ajouter que nos conventions collectives -
M. Bazinet le mentionnait plus tôt - traitent déjà de ces
questions et prévoient l'obligation pour un employeur, je crois, de
réintégrer tout marin sur un navire s'il est en mesure de revenir
au travail dans un délai d'un an. Dans la mesure où des
conventions collectives qui ont une application à l'ensemble du Canada
et qui sont négociées en vertu du code canadien prévoient
certaines de ces questions de réinsertion et de réadaptation, il
pourrait y avoir conflit entre les dispositions de ces conventions qui sont
déposées auprès du Conseil canadien des relations du
travail et les dispositions du projet de loi 42. À ce moment, pour
l'entreprise, l'employeur, c'est de se demander quelle est la loi qui
s'applique à lui en matière de réinsertion sociale. Est-ce
sa convention collective ou est-ce la Loi québécoise sur les
accidents de travail?
De même sur les questions de réinsertion il y a aussi
mention au projet de loi 42 de cette possibilité de demander une
réaffectation ou réassignation. Encore là il y a
déjà dans le Code canadien du travail, à la partie IV, des
dispositions qui permettent à tout travailleur qui est en danger
imminent de demander d'être réaffecté à un autre
poste et il pourrait aussi demander un retrait préventif. De plus, comme
il a été mentionné à moult reprises par la CSST et
le gouvernement que la Loi sur les accidents du travail et les maladies
professionnels n'est que le pendant de l'aspect prévention, le pendant
de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, de
telles dispositions vont certainement devoir être coordonnées ou
il devrait y avoir une certaine corrélation entre les dispositions de la
Loi sur la santé et la sécurité du travail et la Loi sur
les accidents du travail et les maladies professionnelles. Cela pourrait
créer des difficultés d'application quant à ces
entreprises puisqu'en matière de prévention, en matière de
santé et de sécurité il y a de nombreuses dispositions
dans la Loi sur la marine marchande de même que les règlements de
la Loi sur la marine marchande qui s'appliquent à ces entreprises, par
exemple, quant à la façon dont le navire doit être
construit, son mode de fonctionnement, les moyens de secours, les services de
premiers secours qui peuvent être fournis aux marins, tout
l'équipement de sauvetage. Ces dispositions pourraient certainement
créer des difficultés. De même aussi, comme la commission a
le pouvoir, en matière de réadaptation, de dispenser tous les
moyens nécessaires à la réadaptation du poste de travail
du travailleur, on pourrait prévoir une situation où un
représentant de la CSST pourrait aller sur un navire et dire à
l'employeur: Vous devez changer le poste de travail du marin pour lui permettre
de travailler sur le même navire. Le cas échéant, il y
aurait certainement un conflit entre un inspecteur des navires qui est
nommé en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada et ce qui
serait décidé à l'égard du poste de travail par le
représentant de la CSST.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Fréchette: Merci, M. le Président. Les
explications de Me Laurin jettent un éclairage sur quelques
renseignements additionnels que je souhaitais avoir. Je terminerai simplement
en informant Me Laurin que les représentations qu'il nous formule en
relation avec l'article 226, "L'employeur tenu personnellement au paiement des
prestations doit assurer ses travailleurs..." - je vous donne
spontanément le fruit de la réflexion que nous avons faite
jusqu'à maintenant - nous apparaissent bien fondées.
Il en est ainsi pour vos représentations quant à l'article
230, celui qui réfère à la gestion ou aux frais pour
pourvoir aux frais généraux. Là également il nous
apparaît, à la suite de l'argumentation que vous nous soumettez,
que cela devrait être maintenu.
Quant aux autres aspects de votre mémoire, vous allez nous
permettre de pousser un peu plus loin la réflexion. Nous devrions
prendre une décision à cet égard dans les jours qui
viennent. Je vous remercie, M. Laurin.
Le Président (M. Jolivet): Merci. M. le
député de Sainte-Anne.
M. Polak: Merci, M. le Président. Me Laurin, au nom de
l'Opposition libérale, je voudrais d'abord vous remercier d'être
venu ici pour nous présenter un mémoire fort intéressant.
Nous sommes un peu dans le domaine du droit constitutionnel. Je trouve votre
position très claire. Dans votre mémoire, vous expliquez que le
marin qui travaille pour des compagnies membres de votre association est
gouverné soit par le Code canadien du travail, la Loi sur la marine
marchande du Canada ou le Conseil
canadien de relations du travail. De plus, la majorité de ces
marins n'est pas québécoise. Vos navires vont aux
États-Unis, à Toronto et à Montréal. Pendant une
même journée, ils peuvent être dans différents
pays.
Le législateur a reconnu le principe dans l'article 225. De la
façon dont j'ai lu votre mémoire, vous expliquez que dans
d'autres sections de la loi, le législateur n'a pas pris en
considération les conséquences logiques de l'article 225. Le
ministre vient de dire qu'il va faire des concessions sur quelques autres
articles. Je voudrais seulement reprendre quelques points pour promouvoir
encore plus votre cause, parce que je n'aimerais pas du tout que Halco ou
Canada Steamship soient obligées de quitter la province de
Québec. On est déjà assez content qu'elles soient avec
nous, qu'elles y restent.
Quelques points. Je prends votre mémoire page par page. Je
commence à la page 4. Vous dites que cela coûterait deux ou trois
fois plus si vous tombiez sous ce régime-ci et si vous cessiez de payer
vos primes d'assurance. Je ne veux pas que vous critiquiez directement, vous
êtes ici pour protéger vos clients. Est-ce qu'il se peut que la
CSST coûte trop cher? Ce serait peut-être intéressant de
soumettre les chiffres de vos assureurs à la CSST. Avez-vous un court
commentaire là-dessus?
Le Président (M. Jolivet): Me Laurin.
M. Laurin (Jacques-A.): M. Polak, je ne pense pas que ce soit
essentiellement parce que la CSST coûte trop cher. Le régime qu'on
prévoit à la Loi sur les accidents du travail, et qui
détermine la cotisation, s'applique généralement aux
entreprises qui ont un lieu fixe, c'est-à-dire un endroit précis
sur terre où on peut facilement déterminer le montant des
cotisations qu'elles auraient à payer en fonction de leurs risques. (15
h 45)
Le problème qui existe à l'égard d'entreprises
maritimes, c'est qu'il y a cette difficulté de détermination du
risque qui est engendrée par ces entreprises, puisque le risque est au
Québec, un jour, le jour suivant, il est en Ontario et, la semaine
suivante, il peut être aux États-Unis. Il y a changement constant
de modèles ou de risques et aussi difficultés énormes dans
le cas de ces entreprises de déterminer la cotisation parce que,
généralement, la cotisation est fonction de la prestation de
travail qui est rendue au Québec et du risque qui y est engendré.
Dans le cas de ces entreprises, comment déterminer essentiellement la
partie prestation de travail rendue par un marin au Québec? Si le marin
passe deux ou trois jours en moyenne par année au Québec, comment
va-t-on déterminer la cotisation qui devrait être payée? En
plus, pour ces entreprises, comme la cotisation ne chercherait qu'à
protéger le travailleur pour l'accident qu'il aurait au Québec,
la même entreprise devrait maintenir des assurances pour protéger
le travailleur alors qu'il est aux États-Unis ou en Ontario. Alors,
c'est réellement en raison des particularités ou de la situation
bien spéciale de ces entreprises qu'on arrive avec des chiffres aussi
élevés. Ce n'est pas en raison de taux qui pourraient être
rajustés ou changés ou en raison de suggestions que l'on pourrait
faire à la CSST.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Sainte-Anne.
M. Polak: Une autre question. À la page 5, vous nous
référez à l'annexe A qui est une lettre du syndicat de ces
marins. Je note que la lettre est datée du 23 septembre 1980. Est-ce que
le syndicat est toujours du même avis qu'il était en 1980?
M. Laurin (Jacques-A.): Le syndicat n'a pas changé d'avis
et la raison pour laquelle cette lettre est datée de 1980, c'est qu'on a
eu des discussions à la suite d'une invitation qui nous avait
été faite par la CSST de changer le régime. Il n'y a pas
eu de modification dans l'attitude du syndicat.
M. Polak: Parfait. À la page 7 de votre mémoire,
vous recommandez de changer l'article 225 en y disant que le chapitre VI ne
s'applique pas non plus. J'ai regardé le chapitre VI qui parle de
réinsertion sociale et professionnelle des travailleurs. Mais il y a
peut-être des avantages dans le chapitre VI qui n'existent pas dans la
protection actuellement accordée à vos marins. Quant à la
protection du travailleur, ne devrait-on, au lieu de suggérer que le
chapitre VI ne s'applique pas, plutôt dire que si tel chapitre est
contraire à la législation qui régit le domaine... En
d'autres termes, s'il y a un conflit, je suis d'accord sur le fait que la
législation fédérale prime dans votre cas mais au cas
où cela n'est pas prévu, comme on a quelque chose de bon dans la
loi québécoise qui protège vos hommes, pourriez-vous vivre
avec une telle formule?
M. Laurin (Jacques-A.): M. Polak, nos commentaires quant au
chapitre VI sont essentiellement ceux d'un employeur qui ne veut pas être
pris avec un conflit entre des lois qui pourraient se contredire et qui ne sait
pas quoi faire dans la situation. Est-ce qu'il va appliquer une disposition
d'une loi du gouvernement fédéral ou appliquer une disposition
prévue au projet de loi 42? Dans la mesure où l'on dirait que les
dispositions du projet de loi 42, en matières de réinsertion et
de réadaptation, s'appliquent à
une telle entreprise pour autant qu'il n'y ait pas de disposition
similaire qui règle le problème, cela ne créerait pas de
problème ou de difficulté insurmontable.
M. Polak: Je serai bref, M. le Président. À la page
8, Me Laurin, vous suggérez un amendement à l'article 226, en
disant que vos clients ou la compagnie vont fournir un cautionnement ou une
garantie. Pour satisfaire la CSST, est-ce qu'on ne devrait pas dire "acceptable
à la commission"? Je peux m'imaginer que la commission va dire qu'elle
voudrait tout de même que ce soit une compagnie d'assurances qui lui soit
acceptable, qu'elle ne voudrait pas avoir une petite compagnie d'assurances
quelque part aux États-Unis et qui n'est peut-être pas
financièrement fiable. Mais si c'est une compagnie bien connue et
fiable... Enfin, que la forme du cautionnement soit acceptable par la
commission.
M. Laurin (Jacques-A.): M. Polak, nous avons songé
à cette possibilité et la crainte que nous avons est qu'il n'y
ait rien qui soit jamais acceptable à la commission, puisqu'on voudrait,
de toute façon, forcer ces entreprises à être
cotisées. Ce n'est pas l'idée ou le principe qui est mauvais mais
l'application qui pourrait en résulter.
M. Polak: Je vois que vous n'avez pas tellement confiance dans la
commission.
M. Laurin (Jacques-A.): J'ai une confiance énorme mais je
suis extrêmement prudent.
M. Polak: D'accord. À la page 9, vous parlez justement de
ce dépôt. D'ailleurs, vous avez expliqué le cas où
un de vos membres était obligé de déposer une somme en
capital de 200 000 $ pour couvrir une prestation possible qui n'a même
pas été établie. Je comprends que vous n'êtes pas
bien satisfait de cette demande de dépôt. Vous suggérez de
remplacer cela par un dépôt de la prestation pour une
période de trois mois que je trouve raisonnable comme juridiction.
Pourriez-vous m'expliquer en vertu de quel droit la commission demande un
dépôt de la somme totale en capital?
M. Laurin (Jacques-A.): La loi actuelle prévoit aux
articles 30 ou 31 que, dans le cas où un employeur ne paye pas de
façon diligente les prestations ou dans le cas où il s'agit de
décès ou d'une incapacité permanente, la commission peut
demander qu'on lui dépose les montants d'argent nécessaires au
paiement des prestations. L'application de ces articles a voulu que
généralement on demande à ces entreprises de verser la
valeur capitalisée de la rente qui serait payable à un
travailleur. Donc, dans le cas que j'ai mentionné, comme il s'agissait
de décès, on a demandé à l'entreprise de verser
auprès de la commission la somme de 204 575 $ alors que le droit
à une prestation de conjoint survivant ou de veuve était
très douteux quant à l'entreprise. Ce n'est pas le seul cas. Nous
avons deux ou trois autres situations du même genre où on demande
automatiquement à chaque fois le dépôt de la valeur
capitalisée d'une rente. Nos craintes ou nos inquiétudes sont
justifiables. Nous savons qu'il a été fait mention, même si
ces entreprises n'étaient pas cotisées au fond, que l'on allait
certainement les obliger à déposer de fortes sommes d'argent
auprès de la commission, ce qui les encourageait fortement à
demander volontairement d'être cotisées. Il ne faudrait pas
indirectement permettre qu'on élimine le principe qu'on veut retenir
à l'article 225.
M. Polak: À la page 13, vous parlez des articles 128 et
129 en suggérant qu'ils ne devraient pas s'appliquer parce qu'on est en
conflit avec la juridiction fédérale. Je note que les articles
128 et 129 sont des articles qui donnent d'abord le droit au travailleur
d'avoir un médecin ou un professionnel de la santé de son choix,
les soins de premiers secours immédiatement, etc. Si, par exemple, on
disait à l'article 225 qu'on enlève l'application de ces deux
articles, je ne voudrais pas que cela crée l'impression que les marins
ne peuvent pas bénéficier des articles 128 et 129. Je fais le
même point que tout à l'heure, je pourrais accepter cela à
condition que ce soit prévu ailleurs que le même marin a une telle
protection de premiers soins en vertu de la loi fédérale. Est-ce
que cela existe présentement?
M. Laurin (Jacques-A.): Cela existe. Comme c'est mentionné
dans notre mémoire, c'est prévu à l'article 283 de la Loi
sur la marine marchande. Il y a également des dispositions, des
règlements qui prévoient la création de postes de premiers
secours sur les navires. Un marin, peu importe le lieu de l'accident, que ce
soit à Chicago ou à Détroit, a droit de demander lors de
l'accident d'être hospitalisé. Les frais d'hospitalisation, de
médecin, de transport pour son retour à Montréal, s'il est
domicilié à Montréal, doivent être assumés
par l'employeur. C'est ce que la Loi sur la marine marchande
prévoit.
M. Polak: Ma dernière question a son origine la page 15
où vous parlez de l'article 346 qui est le droit pour une victime
d'accident de demander - au lieu de recevoir une petite pension mensuelle - et
d'obtenir tout de suite un paiement capital sous
certaines conditions telles que décrites dans l'article. Vous
suggérez, dans votre mémoire, que cet article ne devrait pas
s'appliquer. Si le marin victime d'un accident avait le droit, comme vous
dites, tout court, sans prendre en considération le revenu qui doit
être suffisant pour ses besoins ordinaires, est-ce qu'on n'a pas ici un
risque que quelqu'un prenne une somme en capital pour aller en Floride et vivre
comme un roi pendant trois ou quatre mois? Ensuite il ne lui restera plus
rien.
De la façon dont je lis l'article 346, on veutprécisément protéger la personne en question qui ne
peut pas obtenir ce capital, à moins qu'on soit certain qu'il y a au
moins une protection de base.
M. Laurin (Jacques-A.): Essentiellement, je pense que la
majorité des marins serait en mesure de gérer justement ces
sommes d'argent. Ce qu'on voulait prévoir, c'est que, plutôt que
de laisser des sommes de 15 000 $, 20 000 $ ou 25 000 $ qui sont en
dépôt à la commission, il serait peut-être
préférable de les remettre aux marins pour qu'ils puissent les
placer là où ils le désireraient, plutôt, encore une
fois, que de les laisser dormir à la commission pour pouvoir payer les
prestations pendant cinq ou dix ans encore.
M. Polak: À l'article 346, il y a tout de même une
protection pour le travailleur, à savoir qu'on exige que les revenus
réguliers suffisent à ses besoins ordinaires. Je ne connais pas
tellement de marins personnellement, mais je ne pense pas qu'ils soient
différents d'autres travailleurs. Donc, ici, je vois une certaine
protection pour un travailleur. Je crois que le marin doit en avoir une aussi,
à moins que vous disiez: Tous les marins sont de bons investisseurs,
avec leurs 15 000 $ ou 20 000 $, il n'y a pas de problème. Ils savent
comment en disposer. Mais les marins ne vont-ils pas en Floride de temps
à autre pour faire un petit voyage où ils mangent leur
argent?
M. Laurin (Jacques-A.): M. Polak, il y a toujours un risque mais,
comme employeurs, nous faisons toujours confiance aux marins. Nous pensons que,
si ces montants leur étaient versés, ils sauraient les placer ou
voir à ce qu'ils soient placés.
M. Polak: D'accord. Je vous remercie.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Beauharnois.
M. Lavigne: Merci, M. le Président. M. Laurin, je voudrais
poser deux questions très brèves et, ensuite, vous parler un peu
du chapitre V, à la section I, sur l'assistance médicale. Tout
d'abord, je voudrais savoir combien parmi vos employés sont
sédentaires au Québec dans les entreprises, par rapport au nombre
de vos employés qui se déplacent? Avez-vous des chiffres
là-dessus?
M. Laurin (Jacques-A.): Malheureusement, on n'a pas de chiffres
mais, de par leur nature même, les activités de ces entreprises
sont telles que le personnel sédentaire, c'est uniquement le personnel
de bureau. Il y a très peu de personnel de bureau par rapport au nombre
total de marins ou de gens qui travaillent sur les navires. On pourrait
certainement déterminer un pourcentage, mais il serait infime par
rapport au nombre total de marins.
M. Lavigne: D'accord. Une autre question. C'est un peu
spécial dans votre cas. Contrairement aux employés du
Québec qui paient finalement leurs dus à la CSST en
prévision des accidents de travail, on sait que, dans votre cas, ce
n'est pas cela et que, en principe, vous payez seulement une fois l'accident
survenu. Par ailleurs, il y a des problèmes. On sait que la CSST a
été prise à un moment donné pour trancher la
question. Advenant le cas où il y a des accidentés de travail qui
sont rattachés à des compagnies - pour ne pas les nommer, les
compagnies dont on parle, on les appelle des "fly-by-night", quelque chose
comme cela à partir du moment où une de ces compagnies fait
faillite et que son contrat d'assurance vient à échéance,
qui continue, finalement, à payer les employés victimes
d'accidents du travail? On sait que, dans le passé, la CSST a pris un
peu sur elle de continuer à les payer à partir du fonds
général, mais on sait que ce fonds appartient aussi à
d'autres employeurs qui, eux, ont fourni. Ces employés n'appartiennent
pas aux rangs des employeurs qui ont contribué au fonds
général. Donc, cela met la CSST dans l'embarras quand vient le
temps pour elle de prendre une telle décision. Je ne sais pas si vous
avez une réponse à cette question.
M. Laurin (Jacques-A.): J'ai deux réponses. La
première, c'est que la situation de ces entreprises n'est pas
différente de celle qui existe à l'égard des autres
entreprises, c'est-à-dire que, si une entreprise est cotisée une
année en fonction de ses risques passés, si la même
entreprise a l'expérience de nouveaux accidents après avoir
payé sa cotisation et si l'entreprise cesse de faire affaires, comme on
l'a vu à l'égard de certaines entreprises dernièrement, la
CSST ne peut récupérer de ces entreprises, qui sont des
entreprises cotisées ou cotisables, les montants nécessaires pour
couvrir les prestations payables pour les nouveaux accidents. C'est le premier
point.
La seconde question, quant à ces
craintes ou à propos de situations qui ont pu se passer
antérieurement, nous avons suggéré à la CSST - il y
a déjà une disposition dans le projet de loi à l'article
228 - la possibilité de demander une preuve d'assurance ou un
cautionnement et cette assurance permettrait justement à la CSST de
récupérer les montants nécessaires au paiement de
prestations, soit de la personne qui a souscrit l'assurance ou encore de la
personne qui a fourni une garantie bancaire ou un cautionnement. (16
heures)
M. Lavigne: Je vous remercie. Je voudrais aussi soulever un autre
point. Vous mentionnez, dans votre rapport, que vous aimeriez voir
disparaître l'article 132 du projet de loi en question. Quand je lis
l'article 132, moi aussi je considère que cet article donne
énormément de pouvoirs à la commission. Je suis conscient
de cela, moi aussi. On dit, à l'article 132: "La commission
décide de la nécessité, de la nature, de la suffisance ou
de la durée de l'assistance médicale." C'est beaucoup. Mais, si
cet article est là, c'est parce qu'on s'est rendu compte que, dans le
passé, on a eu des difficultés face à l'attitude de
certains médecins quand vient le temps de prendre des décisions
ou de donner des diagnostics sur les gens traités. Vous n'êtes pas
sans savoir qu'il y a plusieurs médecins qui vont traiter des
accidentés du travail et qui ne voudront jamais se compromettre ou
prendre une décision formelle à savoir comment le cas doit
être traité par la CSST. Ils remettent le cas entre les mains
d'autres médecins et, à ce moment, en fin de compte, c'est
finalement la CSST qui doit trancher la question. Si on enlevait l'article 132,
par le fait même on enlèverait à la commission la
possibilité de pouvoir trancher sur la question médicale.
À qui reviendrait alors le pouvoir de décider si les
médecins ne décident pas?
M. Laurin (Jacques-A.): M. le député de
Beauharnois, je ne crois pas avoir traité de l'article 132 dans mon
mémoire, mais, à tout événement, sur la question
que vous soulevez, je pense que, quant à nous, cela peut créer
des difficultés puisqu'il y aurait certainement des situations où
un marin pourrait être accidenté aux États-Unis, à
Cleveland ou à Détroit. À ce moment, si c'est la
commission qui détermine de la nécessité, de la nature ou
de la suffisance de la durée de l'assistance médicale,
qu'arrive-t-il à l'égard des dispositions de la Loi sur la marine
marchande du Canada, qui prévoit certaines dispositions à ce
sujet? En vertu de ce qui est prévu à l'article 132, est-ce que
c'est la commission qui dans chaque cas va dire: Tel marin va être
transporté d'urgence à la Clinique Mayo aux frais de l'employeur
et y demeurer pendant une période d'un ou deux mois? Nous croyons que
c'est la condition physique du travailleur qui doit déterminer de la
nécessité, de la nature et de la suffisance de l'assistance
médicale et non pas un représentant de la CSST.
M. Lavigne: C'est bien le document 16M dont on parle? La
Fédération des médecins spécialistes du
Québec?
Une voix: Non.
M. Lavigne: Parfait. J'ai fait une erreur. Je m'en excuse, mais
je suis quand même content d'avoir eu votre appréciation sur cette
question. Je pourrai toujours la reposer aux médecins
spécialistes et, partant de là, on aura peut-être une
réponse semblable ou différente. Je vous remercie, M. Laurin.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Viau.
M. Cusano: Merci. Le député semble se tromper de
mémoire. J'espère qu'il posera la question au bon témoin.
J'aimerais simplement remercier, au nom de ma formation politique, M. Laurin et
M. Bazinet des précisions qu'ils ont apportées au projet de loi.
Elles seront certainement utiles et j'espère que le ministre les prendra
en considération lorsqu'il aura à décider des amendements
à apporter au projet de loi. Merci.
Le Président (M. Jolivet): Je vous remercie au nom des
membres de la commission. Je suspends quelques instants, le temps de permettre
à la Fédération des médecins spécialistes du
Québec de s'installer à la table.
(Suspension de la séance à 16 h 5)
(Reprise de la séance à 16 h 9)
Le Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous
plaît! Je prierais M. Paul Desjardins, qui va être le porte-parole,
de nous indiquer les personnes qui l'accompagnent. J'informe également
les membres de la commission -d'ailleurs, M. Desjardins pourra l'expliquer -que
nous avons, au mémoire 16M, un erratum et que nous avons un
résumé du mémoire. M. Desjardins.
Fédération des médecins
spécialistes du Québec
M. Desjardins (Paul): M. le Président, je vous remercie.
M. le ministre, madame, messieurs les députés, je suis
accompagné cet après-midi, à ma droite, de Me Roger
David, conseiller juridique de la fédération; du Dr
Réal Lemieux, médecin orthopédiste; du Dr Denis Laberge,
vice-président de la fédération; du Dr Marc Bouchard,
trésorier de la fédération, et du Dr Louis-Philippe
Durocher, médecin dermatologiste. À ma gauche se trouvent Me
François Aquin, conseiller juridique; Me Patrick Molinari, conseiller
juridique; le Dr Yves Breault, médecin physiatre; le Dr Serge Boucher,
médecin pneumologue. La dimension de la table ne nous permettait pas de
réunir le nombre d'experts que nous avons avec nous. Alors,
derrière la table se trouvent le Dr François Laroche,
médecin radiologiste, de même que le Dr Jean-Marie Albert,
directeur des affaires professionnelles de notre fédération. Nous
attendons encore l'arrivée du Dr Pomerleau, qui est médecin
psychiatre, et du Dr Savary, médecin oto-rhino-laryngologiste.
Vous avez sans doute noté que notre mémoire contient trois
annexes qui sont relatives aux maladies professionnelles: premièrement,
les pneumoconioses; deuxièmement, la classification des maladies de la
peau; troisièmement, une définition de l'asthme professionnel.
Les médecins spécialistes qui m'accompagnent ont
été d'un grand apport dans la préparation de ce
mémoire et ils sont disponibles pour éclairer cette commission
quant à leur discipline, si vous le jugez à propos.
J'ai préparé un résumé du mémoire que
nous avons déposé il y a déjà quelques semaines,
espérant synthétiser la pensée de nos 24 pages et
favoriser de la sorte un échange dans les minutes que vous nous avez
consacrées. Si tel n'était pas votre voeu, je suis prêt
à éliminer le résumé et à passer à la
lecture du mémoire.
Le Président (M. Jolivet): Si vous avez un
résumé, nous entendrons le résumé, bien
entendu.
M. Desjardins: L'introduction. Chargé d'un contenu
idéologique puissant et sollicité par des enjeux sociaux souvent
contradictoires, le régime québécois d'indemnisation des
victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles est
particulièrement perméable à la critique des travailleurs
et des employeurs. On ne saurait, par ailleurs, ignorer que le fonctionnement
de ce régime repose en grande partie sur l'intervention des
médecins spécialisés dans plusieurs disciplines. Or,
l'intervention de ces médecins n'est pas dictée par des
impératifs différents selon que leurs services sont requis par un
accidenté du travail ou par un accidenté de la route. Dans tous
les cas, la prestation de services de qualité est l'unique objectif et
le rôle de celui qui fournit les services est déterminé par
les mêmes devoirs et les mêmes droits. Puisque le Québec
compte déjà un ensemble de textes législatifs encadrant la
prestation, la disponibilité et le financement des services
médicaux, le projet de loi doit s'inscrire de manière
cohérente dans cet ensemble.
Dans le mémoire, on précise de quel projet de loi il
s'agit. Après avoir lu et analysé le projet de loi 42, nous
sommes d'avis que cet impératif de cohérence n'a pas
été atteint, mais que, bien au contraire, tout se passe comme si
on assistait à la création d'un régime de services
médicaux niant des acquis importants.
De ce constat, nous tirons deux séries de commentaires portant
respectivement sur le droit aux services médicaux et sur les examens et
expertises. Premièrement, le droit aux services médicaux.
L'article 132 du projet de loi est particulièrement illustratif de cette
attitude qui consiste à faire d'un organisme d'indemnisation l'instance
médicale suprême dans tout le champ des accidents du travail et
des maladies professionnelles.
La Fédération des médecins spécialistes du
Québec s'oppose fortement à une telle conception du rôle de
la commission. Il y a un paradoxe inquiétant lorsque le
législateur proclame un droit en faveur des travailleurs mais, du
même coup, en soumet l'existence même à la discrétion
d'un organisme autonome. On pourrait rétorquer que l'octroi d'une telle
discrétion est essentiel au bon fonctionnement du système
d'indemnisation. Ce serait là bien faire ressortir
l'ambiguïté de ce système et illustrer que la dimension
économique l'emporte encore une fois sur la dimension humaine.
Aurait-on oublié, ou, pis encore, aurait-on voulu nier que les
services médicaux sont dispensés par les médecins et qu'il
n'est contesté nulle part que c'est à eux que revient la
tâche de rechercher le rétablissement des malades, que ceux-ci
soient victimes d'un accident du travail ou de tout autre traumatisme ou
pathologie?
Accorder à la commission le pouvoir de substituer, à tout
moment et à toute époque, son jugement à celui du
médecin spécialiste constitue une prise en main de la
santé des travailleurs et de l'exercice de la médecine qui ne
nous paraît pas admissible. S'il convient encore de faire des
distinctions entre la provenance des sommes d'argent requises pour assumer les
soins de santé requis par les travailleurs accidentés ou victimes
de maladies professionnelles, il y aurait certes des moyens de le faire sans
mettre en péril la disponibilité, la continuité ou la
qualité de ces soins. L'article 132 doit simplement être
retiré du projet.
Cependant, nous réalisons les questions qui ont pu être
posées et qui viennent à l'esprit. C'est dans le paragraphe
suivant que nous tentons d'y répondre.
Il n'y a aucune raison qui justifie que la commission agisse comme juge
et partie.
Ce serait là faire affront à un principe
élémentaire d'équité et inviter l'injustice. Nous
proposons donc que le projet de loi inclue un mécanisme d'arbitrage des
contestations découlant des décisions de la commission quant
à la prestation des services médicaux. Cet arbitrage serait
conduit par un comité de trois membres désignés par la
Corporation professionnelle des médecins ou, le cas
échéant, des dentistes. La décision du comité
lierait la commission.
Deuxièmement, les examens et les expertises. Il faut convenir que
l'apport de la profession médicale est essentielle au fonctionnement de
tout régime d'indemnisation des lésions corporelles. À cet
égard, nombreux sont les membres de la Fédération des
médecins spécialistes du Québec qui contribuent à
cet apport. Nous n'ignorons pas qu'il a pu exister et qu'il existe encore
certaines difficultés entre les médecins spécialistes et
la commission au sujet, notamment, des demandes que celle-ci formule, de la
transmission des informations et de l'utilisation des données
médicales.
Ces difficultés ne sauraient être résolues par
l'imposition de sanctions administratives et de sanctions pénales aux
médecins qui ne satisfont pas parfaitement aux demandes exprimées
par la commission. Curieusement, c'est pourtant ce que le projet de loi
énonce aux articles 136, 272 et 277. Ce parti pris pour la
répression écarte d'entrée de jeu l'harmonie des relations
et l'esprit de collaboration.
Au surplus, force est de constater que la commission, dans la
foulée du principe affirmé par l'article 132, conserve le
monopole de l'initiative des demandes qu'elle peut faire à un
professionnel de la santé. D'ailleurs le texte des articles 133, 134, et
135 est d'une confusion telle qu'il est difficile, voire même impossible,
de situer les différents types d'apport qu'un médecin
spécialiste peut fournir. Il y aurait donc lieu de
réécrire en entier ces articles de manière à
décrire clairement les rôles et les fonctions d'abord du
médecin traitant, ensuite du médecin-examinateur et, finalement,
du médecin expert.
Dans la mesure où ce cadre juridique sera adéquatement
conçu, il ne nous semble pas approprié de laisser à la
discrétion de la commission de requérir d'autres prestations de
la part de ceux-ci. Le risque est en effet grand que la commission, pour des
motifs dictés par une certaine perception de l'efficacité
administrative, multiplie les demandes auprès des médecins qui se
seront déjà acquittés de leur devoir de faire un examen ou
de préparer une expertise.
De toute manière, il n'est guère utile de chercher
à déterminer par un texte législatif quel doit être
le contenu ou la modalité d'exécution d'un examen ou d'une
expertise.
La Fédération des médecins spécialistes du
Québec demande que ces questions soient plutôt transmises à
la négociation entre elle, agissant comme organisme représentatif
des médecins spécialistes, et la commission. Tout porte à
croire que ces ententes, reconnues et sanctionnées par un texte
législatif et résultant de l'échange de vues sur les
objectifs, les moyens, les besoins, etc., contribueront à créer
un climat plus propice à l'apport des médecins
spécialistes. Elles diminueront d'autant les motifs de friction entre
ceux-ci et la commission.
Il n'en va pas autrement pour toutes les questions relatives aux
honoraires, à leur paiement ainsi qu'à certaines modalités
administratives. Depuis qu'il existe au Québec un régime public
de paiement des honoraires pour les services rendus par les professionnels de
la santé, c'est sur la base de la concertation avec les organismes
représentatifs des différentes catégories de
professionnels que la tarification des honoraires a été
établie et a fait l'objet de révisions.
L'efficacité de ce système est aujourd'hui établie.
La Fédération des médecins spécialistes du
Québec ne saurait admettre qu'on y déroge à la faveur de
la mise en place de régimes particularisés de services
médicaux et que l'on permette à des organismes administratifs
autonomes de décréter, par voie de directives ou autrement, des
tarifs d'honoraires et de soumettre ces tarifs à des modulations
circonstantielles.
Si la commission doit requérir les services de médecins
spécialistes, on ne saurait admettre que ceux-ci soient tenus de
satisfaire à toutes les demandes et exigences de la commission sans
avoir la possibilité d'en discuter au préalable et, plus
important encore, d'en convenir. Les actions autoritaires, même si elles
sont dictées par des motifs justifiables, sont une cause d'irritants
qu'il convient d'écarter.
Si la commission doit agir comme organisme payeur d'honoraires aux
médecins, il ne convient pas que ce soit elle qui détermine seule
l'étendue de ses obligations. À cet égard, le
législateur devrait, pour des motifs évidents de
cohérence, suivre le modèle qu'il a instauré dans le cadre
du régime d'assurance-maladie.
En conclusion, il est impératif que les prestations
médicales que requièrent les travailleurs leur soient fournies en
conformité avec des obligations et des droits au moins
équivalents à ceux qui s'appliquent aux services médicaux
offerts à l'ensemble de la population. Ces obligations et droits, que ce
soient ceux des bénéficiaires ou des médecins
dispensateurs de services, constituent le seuil en deçà duquel on
ne pourrait produire que des reculs. La Fédération des
médecins spécialistes du
Québec, afin d'éviter la production de tels reculs,
demande: 1. La suppression de l'article 132 du projet et la mise en place d'un
mécanisme d'arbitrage médical des contestations découlant
des décisions de la commission concernant les services médicaux.
2. La révision de toutes les dispositions relatives aux examens et aux
rapports pour en soustraire les mesures répressives et préciser
le cadre général du rôle du médecin
spécialiste. 3. L'instauration d'un régime juridique de
négociation portant sur les services médicaux aux fins de
déterminer les droits et les obligations des parties
intéressées. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): Merci. M. le ministre.
M. Fréchette: Merci, M. le Président. Je voudrais,
bien sûr, en guise de remarques préliminaires, remercier le Dr
Desjardins ainsi que les membres de la délégation de la
Fédération des médecins spécialistes qui
l'accompagnent.
Évidemment, le Dr Desjardins nous a fait part d'un
résumé du mémoire qui avait préalablement
été soumis. Quant à nous, nous allons travailler, si vous
le permettez, à partir du mémoire que nous avons reçu
depuis déjà un certain nombre de jours. Ce mémoire,
d'ailleurs, est fort clair. Il fait référence de façon
très précise, très directe à un nombre de
situations que vous avez clairement identifiées et avec lesquelles vous
êtes sans doute appelés à vivre quotidiennement. Je vous
signale que je suis très heureux que vous soyez là parce que vous
êtes les hommes et les femmes de l'art avec qui un échange
pourrait sans doute être le plus utile de tous ceux qu'on puisse
espérer. Évidemment, l'objectif est d'arriver, ne serait-ce qu'au
niveau des espérances, à pouvoir nous entendre sur un certain
nombre de choses. À cet égard, quant à moi, je suis,
encore une fois, tout à fait disposé à engager le dialogue
- je pense que vous le souhaitez aussi dans votre mémoire - pour arriver
à identifier précisément les choses sur lesquelles il y a
possiblement des moyens de s'entendre.
Vous le soulignez avec beaucoup de justesse et d'à-propos dans
votre mémoire, le sujet qui nous préoccupe maintenant est
probablement le sujet qui préoccupe le plus tous ceux et toutes celles
qui doivent régulièrement, quand cela n'est pas quotidiennement,
"faire affaires" avec la commission. En fait, les conditions entourant la
prestation de services médicaux font en sorte que nous entendons, autant
du côté des employeurs que du côté des travailleurs,
des représentations constantes quant à la nécessité
d'améliorer le système dans lequel nous évoluons
actuellement. C'est dans ce sens, quant à moi, que je souhaiterais que
nous puissions engager le dialogue au cours des quelques minutes qui
viennent.
À partir, comme je le disais il y a un instant, des
représentations que l'on retrouve dans le mémoire que vous nous
aviez soumis, j'apprécierais demander quelques éclaircissements
sur des affirmations qui y sont sont contenues, sur des remarques qui y sont
faites.
Par exemple, à la page 1 de votre mémoire, vous affirmez
que le système de la santé et de la sécurité au
travail est particulièrement axé autour de deux pôles bien
précis, à savoir la prévention et l'indemnisation. Je
pense que l'on retrouve au texte ce dont je viens de vous parler dans votre
mémoire. Est-ce qu'il faut alors -là, je ne me
réfère qu'aux mots qu'on retrouve dans le mémoire, et vous
allez me comprendre aussi - à partir de cette affirmation, arriver
à la conclusion que la réparation n'est pas aussi un pôle
de capitale importance dans l'ensemble du processus que l'on connaît?
Vous vous référez aux deux concepts de la prévention et de
l'indemnisation; est-ce qu'on pourrait s'entendre ou est-ce qu'on ne pourrait
pas échanger sur la perspective que les deux pôles de tout le
système pourraient être la prévention et la
réparation, étant entendu que la réparation inclut les
deux concepts de la réadaptation sociale et de l'indemnisation? Ou bien
est-ce que je lis mal? Est-ce que j'interprète mal ou si c'est
effectivement ce à quoi vous faites référence?
Le Président (M. Jolivet): M. Desjardins.
M. Desjardins: Je demande à Me Molinari de donner la
réponse, s'il vous plaît. (16 h 30)
M. Molinari (Patrick): M. le ministre, je pense qu'il s'agissait
simplement là, si vous voulez, d'une formule de style pour dire combien
la Fédération des médecins spécialistes
était heureuse dans une certaine mesure de voir arriver enfin un projet
de réforme du volet indemnisation de la santé et de la
sécurité des travailleurs. C'est surtout dans ce
contexte-là que nous avons dit que, depuis 1979, il existe des
mécanismes articulés de prévention, alors que, depuis
1931, nous vivions avec une loi d'indemnisation qui commençait à
être un peu vieille. Tout le monde était conscient de cela.
M. Fréchette: Remarquez que par présomption
j'arrivais à cette conclusion, mais je voulais être tout à
fait sûr que la conclusion était effectivement la bonne.
M. Desjardins: Votre présomption était bonne, M. le
ministre.
M. Fréchette: Maintenant, toujours à partir de
votre mémoire original, je veux me référer à ce que
vous-même vous identifiez comme étant de la sémantique
quand vous parlez, par exemple, de l'opportunité qu'il y aurait de
remplacer les termes "professionnels de la santé" par les termes
"médecins et dentistes". La préoccupation que j'ai à cet
égard - et peut-être pouvez-vous la faire disparaître - est
que les soins que requiert souvent l'état d'un travailleur ou d'une
travailleuse accidenté peuvent être des soins qui sont
donnés, je ne sais pas, par un pharmacien, un optométriste. Si on
devait retenir la suggestion que vous nous faites de remplacer les termes
"professionnels de la santé" et de les limiter à des
références précises à "médecins et
dentistes", j'essaie de voir comment on pourrait inclure dans cette
définition les autres professionnels de la santé.
Le Président (M. Jolivet): M. Desjardins.
M. Desjardins: Ce qu'on voit comme danger là-dedans, M. le
Président et M. le ministre, c'est effectivement une concordance qui a
été faite avec la Loi sur l'assurance-maladie. L'expression
"professionnels de la santé" est une expression qui existe dans la Loi
sur l'assurance-maladie et qui regroupe les cinq catégories de
professionnels que vous avez mentionnées ou que vous avez
ajoutées à notre mention.
On se demande si vraiment le travailleur accidenté ou celui qui a
une maladie professionnelle a besoin de ces autres professionnels au même
titre qu'eux. Par ailleurs, ce qui nous inquiète, c'est
l'évolution du vocabulaire. Au début, l'assurance-maladie parlait
de la prestation de services médicaux, pour comprendre les services
médicaux et dentaires. Par la suite, l'évolution nous a
amenés aux termes "professionnels de la santé" regroupant, en
plus des médecins et des dentistes, les pharmaciens et les
optométristes. Dans un avenir encore plus récent, quoique la loi
ne soit pas changée, le vocabulaire de la Régie de
l'assurance-maladie dans le moment appelle tous ces gens les dispensateurs de
services, de telle sorte qu'on puisse regrouper, en plus des travailleurs de la
santé, toute une série d'autres personnes qui n'ont pas le titre
de professionnel de la santé. Nous craignons qu'une évolution de
ce genre, éventuellement, fera en sorte qu'il y aura tellement de monde
pour s'occuper des travailleurs qu'il n'y aura presque plus de place pour les
médecins et les dentistes.
Nous vous demandons, dans notre mémoire, de repréciser les
termes, au chapitre de l'assistance médicale, quand vous parlez des
soins médicaux, et d'appeler ceux qui dispensent des soins
médicaux des médecins et des dentistes.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Fréchette: Dr Desjardins, est-ce que, à partir
de l'évaluation que vous venez de faire, il y a une suggestion que vous
seriez en mesure de nous soumettre qui rejoindrait à la fois les
objectifs que vous poursuivez en même temps que la préoccupation
dont je viens de vous faire part? Est-ce qu'il y a une formulation, une
façon d'arriver à rejoindre cet objectif?
Le Président (M. Jolivet): M. Desjardins. M. David.
M. David (Roger): On peut peut-être aborder cela de la
façon suivante. Lorsque l'on regarde le spectre de ce qui se rattache
à l'assistance médicale, on a compris jusqu'à maintenant
que l'on aménageait le régime des soins à partir de
l'intervention première d'un médecin qui agirait soit comme
médecin traitant, soit comme médecin évaluateur. Un nombre
important de professionnels peuvent venir se greffer au travail dans le cadre
de l'équipe de soins. C'est vrai pour des orthophonistes et c'est vrai
pour un nombre important de professionnels qui vont intervenir beaucoup plus
souvent dans le domaine de cette loi que ne le feront ceux qui sont
visés par la Loi sur l'assurance-maladie. On a donné l'exemple du
pharmacien. Je pense qu'il est transparent que, lorsque l'on essaie de lire la
disposition qui parle du professionnel de la santé chez lequel on
transporte l'accidenté, la référence qui est faite au
pharmacien est plus cocasse qu'autre chose. C'est dans cette perspective que
l'on voulait une certaine précision. Au-delà de cette
précision, qui pourrait être d'ordre académique, on pense
qu'il est important de bien infléchir le type de relations qui doivent
exister entre l'accidenté, son médecin traitant et les autres
professionnels de la santé pour éviter, dans ce domaine du moins,
des conflits interprofessionnels.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Desjardins: Est-ce que je pourrais...
Le Président (M. Jolivet): Oui, M. Desjardins.
M. Desjardins: ...ajouter un tout petit commentaire à
cela? À ce que je sache, la Loi médicale et la Loi sur
l'optométrie ne prévoient pas qu'un optométriste puisse
poser un diagnostic, établir et réaliser un plan de traitement.
Il est en mesure de faire un
examen de la vue, mais il n'est pas en mesure de dire: Voici une
pathologie ou voici un traumatisme et voici comment on doit en prendre soin, de
telle sorte que - je pourrais consulter et vous donner une réponse
ultérieurement - je ne vois pas d'emblée le rôle de
l'optométriste dans un domaine où on parle d'un accidenté
du travail ou de quelqu'un souffrant d'une maladie professionnelle. Par
ailleurs, le pharmacien -quoique la nouvelle loi 27 permette à ce
dernier d'être membre du Conseil des médecins et dentistes du
centre hospitalier -est un professionnel de la santé qui exécute
des ordonnances selon la teneur de l'ordonnance et qui est habilité
à vérifier la compatibilité des médicaments et la
façon dont la posologie peut être établie, mais,
d'emblée, le pharmacien n'a pas à poser un diagnostic, à
établir et réaliser un plan de traitement. Ce sera toujours un
médecin ou un dentiste qui aura à le faire.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Fréchette: M. le Président, est-ce que j'ai
compris que le Dr Desjardins était disposé à nous fournir
de la documentation additionnelle à cet égard? Ai-je bien compris
que c'était cela?
M. Desjardins: Oui.
M. Fréchette: Bon! Je l'apprécierais quant à
moi. Cela va nous permettre de pousser un peu plus loin la discussion.
J'ai une dernière préoccupation à cet égard.
Est-il indiqué que le débat que nous avons entrepris et que nous
sommes à faire actuellement se fasse dans le cadre du projet de loi 42?
N'est-il pas plus indiqué de le faire à partir de
représentations auprès du ministre responsable de la Loi sur les
services de santé parce que c'est à l'intérieur de cette
loi qu'on retrouve toutes les décisions. Enfin! C'est jeté sur la
table pour le moment comme préoccupation, quitte à pousser un peu
plus loin la réflexion.
Nous en arrivons maintenant à vos préoccupations quant aux
dispositions de l'article 132. Je vous signale que les représentations
que vous nous faites, on les retrouve presque régulièrement dans
tous les mémoires que nous avons reçus jusqu'à maintenant.
Il semble clair et évident que c'est l'objet d'une préoccupation
profonde de tous ceux qui ont procédé à l'analyse de la
loi. C'est pour cette raison que je souhaiterais, quant à moi, qu'on
pousse la réflexion plus à fond sur les dispositions de l'article
132. D'abord, à la page 4 de votre mémoire, vous émettez
l'opinion que l'article 132, tel qu'il est actuellement rédigé,
élimine toute possibilité ou toute notion de contestation par
l'une ou l'autre des parties qui ne serait pas satisfaite d'une décision
et qui souhaiterait pouvoir entreprendre un processus de contestation. Ce que
j'apprécierais savoir de vos conseillers juridiques ou, enfin, d'autres
personnes qui pourraient émettre des commentaires là-dessus,
c'est si vous n'êtes pas d'opinion que les dispositions que l'on retrouve
aux articles 238 à 250 du projet de loi peuvent effectivement permettre
la contestation que vous affirmez être niée dans votre
mémoire. Là-dessus je voudrais avoir une opinion ferme parce que
c'est effectivement préoccupant ce que vous avez plaidé devant
nous.
Le Président (M. Jolivet): M. Desjardins.
M. Desjardins: Me Molinari, s'il vous plaît?
M. Molinari: Comme nous le soulignons dans le mémoire, M.
le ministre, cette disposition n'est pas originale, en ce sens
qu'effectivement...
Le Président (M. Jolivet): Je m'excuse, maître.
M. Molinari: Pardon?
Le Président (M. Jolivet): Pouvez-vous approcher le
micro?
M. Molinari: Comme nous le signalons dans le mémoire,
l'article 132 proposé est, en quelque sorte, une reprise de l'article 53
actuel ou d'un alinéa, je crois, de l'article 53, mais il est
formulé d'une telle manière qu'il donne l'impression que la
commission devient l'instance suprême, l'instance définitive des
décisions à des fins, essentiellement, si nous comprenons bien,
de prise en charge financière des services qui sont assumés par
la commission plutôt que d'être assumés par la Régie
de l'assurance-maladie du Québec. Notre interrogation est la suivante,
indépendamment des moyens d'appel qui pourraient exister de ces
décisions qui soumettraient le travailleur à un long processus
devant la Commission des affaires sociales, qui commence à manifester
des délais assez longs dans l'audition des causes dont elle est saisie:
Est-ce qu'il est opportun, indépendamment de l'existence de
mécanismes d'appel, d'investir la commission d'une discrétion
aussi vaste, aussi peu balisée sur la fourniture des services de
santé et des services sociaux? C'est de là que notre
interrogation a surgi et c'est de là que les questions se sont
posées.
M. Fréchette: Je veux être certain d'avoir bien
compris. C'est finalement - pas l'impression, ce n'est pas le terme exact
-l'image que cela laisse à la lecture de
l'article 132 qui vous crée des problèmes et je comprends
également que vous êtes tout près de concourir au fait que,
sur le plan pratique des choses, les articles 238 à 250 permettent
effectivement une contestation. Est-ce que je comprends bien? Est-ce dans ce
sens que vous venez d'intervenir?
M. Molinari: Je comprends qu'il "pourrait" permettre.
M. Fréchette: Maintenant, sous réserve de
discussion, toujours en relation avec l'article 132, il y a un certain nombre
d'autres renseignements qui peuvent être utiles et qui peuvent
éclairer notre discussion. Je comprends que l'article 132 fait en sorte
que la commission est investie d'un pouvoir décisionnel. Est-ce que vous
ne convenez pas - je vous le demande et vous le savez, vous autres, beaucoup
plus que n'importe lequel d'entre nous autour de la table, probablement - que
les décisions de la commission en cette matière sont
fondées sur l'expertise du médecin du bureau régional qui,
lui, s'est fait une opinion à partir des rapports que le médecin
traitant lui a transmis et au besoin, sur l'évaluation par des
médecins spécialistes de pratique privée? En d'autres
mots, au-delà du texte qui est là, au-delà de l'impression
ou de l'image que cela peut donner, est-ce que vous n'êtes pas d'accord
pour dire que la décision de dernière instance en cette
matière est basée, fondée sur des considérations
d'ordre médical, à partir des différentes sources dont je
viens de parler?
M. Desjardins: Ce ne semble pas être le vécu
quotidien des médecins spécialistes, mais, pour vous donner des
exemples et aller plus loin dans cette discussion, je demanderais au Dr Lemieux
de prendre la parole. (16 h 45)
M. Lemieux (Réal): M. le ministre, il est évident
que si ce que vous venez de dire était le cas, il n'y aurait jamais de
problèmes de relations entre les médecins et la commission. Mais
il reste que, lorsque l'on vit le quotidien des choses, les faits ne se passent
pas exactement comme vous venez d'en tracer le portrait. Il est bien
évident que, si on veut comprendre comment cela fonctionne... On a
parlé de trois sortes de médecins: le médecin traitant,
qui est le premier médecin à faire le diagnostic et qui donne les
premiers traitements. Ensuite, on a parlé du médecin
évaluateur. Si, pour la commission, à partir des renseignements
qui lui ont été fournis par le médecin traitant,
l'évolution ne semble pas concorder exactement avec le diagnostic qui
est posé, à ce moment-là, la commission peut poser
à un médecin autre que le médecin traitant certaines
questions au sujet des traitements suggérés ou encore des lignes
de conduite à tenir. En troisième lieu, le médecin expert,
c'est celui auquel la commission va demander de voir un malade en expertise
pour déterminer, premièrement, s'il y a possibilité de
retour au travail et, deuxièmement, le déficit
anatomophysiologique, ou encore l'incapacité persistante.
Ce qui se passe dans les faits, c'est que souvent le médecin
traitant va émettre des directives et il faut prendre en
considération que souvent le travailleur peut être en mesure de
reprendre un travail, mais pas nécessairement le travail qu'il faisait.
Il est évident que c'est là le gros problème. Souvent, ce
qui arrive, c'est que le médecin qui le voit, le médecin
régional, ne prend pas en considération ce fait. Souvent, sans
connaître toutes les données - c'est bien sûr qu'un dossier
rend certains faits, mais pas tous. Je pense que se baser sur un dossier pour
retourner un patient à son travail, c'est injuste pour le travailleur.
C'est là-dessus que les médecins ne sont pas d'accord, à
savoir que les médecins des bureaux régionaux prennent des
décisions sans voir un travailleur et sans prendre en
considération toutes les données. D'abord, s'ils ne sont pas
satisfaits et pensent que le médecin traitant, pour une raison ou pour
une autre, ne tient pas compte des données, il reste les deux autres
mécanismes à employer. C'est sûr qu'à la fin il va
falloir qu'un médecin prenne la décision ultime. Mais on n'est
pas d'accord que cela soit fait sans que le patient ou le travailleur soit vu
et examiné. Si, à ce moment-là, il y a un désaccord
entre le médecin et le travailleur, on recommande un conseil d'arbitrage
à la toute fin. On pense qu'il y en aurait beaucoup moins si le
processus était toujours suivi exactement.
Le Président (M. Jolivet): Oui, M. Desjardins.
M. Desjardins: Si vous me permettez de donner un exemple simple,
un bûcheron qui a mal au dos, cela peut être une petite
incapacité, si on tente de le relocaliser dans un autre genre de
travail. Si on le retourne à son travail de bûcheron, cela peut
être une grosse incapacité.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Fréchette: Je vous remercie, Dr Lemieux, parce que cela
donne un éclairage qui complète la situation. Maintenant, on me
signale que mon temps est terminé. Je vais laisser à mes
collègues le soin de continuer d'obtenir de l'éclairage. Je
reviendrai sans doute, si j'ai encore du temps à ma disposition.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Viau.
M. Cusano: Merci, M. le Président. Je voudrais,
premièrement, vous remercier de votre mémoire. Je suis
entièrement d'accord avec votre observation à savoir que le
projet de loi donne à la CSST des pouvoirs discrétionnaires et
unilatéraux. Je trouve impensable et inacceptable qu'un gouvernement
veuille donner autant de pouvoirs à un tel organisme. Je vous cite,
lorsque vous parliez de la commission, le fait qu'elle ait le pouvoir de
substituer, à tout moment et à toute époque son jugement
à celui d'un médecin spécialiste, c'est donner des
pouvoirs inacceptables à un corps qui n'est pas
spécialisé.
Lorsqu'on regarde l'article 132, M. le ministre, à cause des
faits qui ont été révélés ici auparavant,
à savoir comment le P.-D.G. de la CSST se retranche derrière un
article, c'est-à-dire l'article 154 de la loi 17, on peut comprendre les
appréhensions des gens qui viennent témoigner.
Cela dit, M. le Président, j'ai deux questions à poser aux
médecins spécialistes. Vous vous opposez à ce que le
projet de loi impose des honoraires, des délais et des rapports requis.
Je comprends bien que la complexité d'un cas peut varier que l'on ne
peut pas déterminer que cela prend 30 jours, ou 15 jours dans certains
cas, pour qu'un médecin puisse remettre son rapport. Je suis aussi
d'accord que ces éléments sont négociables. En tant que
fédération, je crois que vous êtes habilités
à négocier ces choses et qu'on n'aurait pas nécessairement
besoin de les écrire telles quelles dans un projet de loi. Pourriez-vous
nous indiquer quel serait le régime juridique de négociation et
les grandes lignes que vous envisagez dans une telle entente?
Le Président (M. Jolivet): M. David, je crois.
M. David: S'il vous plaît. De façon très
brève sur cette question. M. le ministre, tout à l'heure, s'est
interrogé sur la responsabilité qui devrait être
confiée à un ministère ou à une autre instance de
transiger sur la question des barèmes de rémunération.
Pour ce qui est de cette partie, je pense qu'on peut d'emblée retenir
qu'il n'y aura pas d'obstacle prévisible, la tarification des deux
régimes serait vraisemblablement la même. Par ailleurs, on doit
mettre l'accent sur le fait que ce type de négociation recherché
aurait précisément pour objet de définir, de concert avec
la CSST, l'ensemble des mécanismes de concertation quant aux formules,
aux rapports et aux échanges quotidiens dans certaines disciplines entre
les représentants de la commission et les médecins
spécialistes. Où doit être située l'assiette
juridique? Parce qu'on n'a pas poussé une réflexion très
profonde de ce côté-là, on peut répondre
d'emblée que c'est le plus près possible de l'autorité de
tutelle qui s'occupe de la Commission de la santé et de la
sécurté du travail.
M. Cusano: D'une certaine façon, le projet de loi fait
sauter le bureau de révision qui existe à la CSST. Ce matin, la
Chambre de commerce de la province de Québec a déclaré
qu'elle souhaitait que ce bureau de révision soit maintenu. Elle
suggérait en même temps qu'on devrait y ajouter un médecin
spécialiste.
Dans l'hypothèse que ce bureau de révision soit maintenu
et que le ministre amène un amendement au projet de loi pour qu'il
puisse continuer d'exister, je crois que votre présence serait
impérative, surtout lorsqu'on traite de cas médicaux. Je ne vois
pas quelle serait votre utilité lorsqu'il y a un litige sur autre chose,
mais, lorsqu'il y a un litige sur une question médicale, votre
présence serait impérative. Avez-vous abordé cette
question? Comment voyez-vous votre rôle dans un tel bureau de
révision?
Le Président (M. Jolivet): M. Lemieux.
M. Lemieux: II est évident que, pour nous - je l'ai
expliqué tout à l'heure, le mécanisme par lequel cela
devait se passer -le comité de révision est important. Il est
important de deux façons: la première, c'est souvent pour amener
une relation entre un fait accidentel et une maladie. Que ce soit une maladie
ou encore un traumatisme arrivé au travail, que ce soit une maladie
professionnelle, il est important qu'il y ait un médecin qui puisse
apporter son expertise pour dire que tel fait accidentel ou telle maladie est
relié à quelque chose qui s'est passé au travail. Dans les
bureaux de révision actuels, où c'est souvent des médecins
régionaux qui le font, malgré toute leur bonne volonté, il
peut leur manquer souvent de l'expertise. Il devrait y avoir un médecin
spécialiste qui soit un expert dans le domaine concerné. Il n'y a
pas un médecin qui soit expert dans tous les domaines. Qu'on pense aux
pneumoconioses et aux maladies professionnelles de la peau, il est
évident que, même malgré tout son bon vouloir, un
médecin régional ne peut pas être expert dans cela. Il
serait absolument impératif qu'il y ait un médecin qui ait une
expertise dans le domaine donné qui puisse faire partie de ce
comité de révision qui, d'après moi, doit être
conservé.
Le Président (M. Jolivet): Merci. Oui, M. Desjardins.
M. Desjardins: De la même façon, si vous me
permettez d'aller une étape plus
loin, notre fédération a demandé au ministre
responsable d'étudier la possibilité qu'il y ait un
médecin spécialiste au conseil d'administration de la commission
pour les mêmes raisons que vous avez invoquées tantôt. La
demande est très récente de telle sorte que je n'ai pas encore la
réponse, la lettre doit être dans le courrier du ministre.
Le Président (M. Jolivet): Oui, M. le député
de Viau.
M. Cusano: II faudrait ajouter avec votre demande, M. Desjardins,
qu'il faudra encore apporter des amendements à la loi 17 pour donner des
vrais pouvoirs au conseil d'administration. On a toujours entendu dire que ces
gens qui siègent au conseil prennent connaissance des décisions
du conseil de direction et qu'ils n'ont pas vraiment de pouvoir
décisionnel. Je suis d'accord avec le fait qu'il devrait y avoir un
médecin spécialiste là mais, si c'est seulement pour
siéger sans avoir aucun pouvoir décisionnel, ce serait
plutôt une perte de temps.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Fréchette: M. le Président, je prends bonne note
qu'il y a du courrier qui m'attend et qu'une réponse devrait être
donnée à ce courrier.
Je reviendrai, si vous me le permettez, M. le Président, à
l'article 132. Beaucoup de représentations nous sont faites par rapport
à son texte actuel, aux dispositions qu'on y retrouve. C'est
sérieux comme perspective et comme décision à prendre. Je
souhaite qu'on essaie de pousser cet exercice le plus loin possible.
Est-ce qu'il n'est pas correct d'affirmer que, dans plusieurs cas, le
médecin traitant de l'accidenté peut ne pas être au courant
de dossiers antérieurs, par exemple d'expertises médicales qui
sont déjà au dossier de l'accidenté qui aurait
été victime d'un premier accident? Est-ce qu'il est possible que
le médecin traitant ne soit pas au fait d'un dossier d'hospitalisation
antérieure, de rapports d'autres médecins? Si cela est possible,
comment allons-nous concilier la situation suivante? Si la commission les a
dans ses dossiers, ces différents renseignements dont je viens de vous
parler, et que, par ailleurs, elle n'a pas de pouvoir décisionnel,
comment pourrait-elle alors arriver à trancher, à partir des
opinions qu'elle obtient, le cas d'opinions médicales totalement
divergentes ou carrément contradictoires à partir de certains
éléments qu'elle possède et que le médecin
traitant, de toute bonne foi, peut ne pas avoir dans son dossier? (17
heures)
C'est là un aspect qu'il me semble important de considérer
et j'apprécierais vous entendre là-dessus.
M. Desjardins: J'ai l'impression que je reviens sur le
commentaire que je faisais à la présentation du
résumé. C'est évident qu'il y aura souvent à
l'avenir ce genre de situation contradictoire entre le médecin traitant,
le médecin examinateur, le médecin expert, le médecin de
la commission. Nous ne croyons pas que l'article 132 soit justifié de
donner à la commission la possibilité de régler le
problème. Cependant, pour en arriver à résoudre la
difficulté que vous soulevez, nous croyons qu'il devrait y avoir un
comité. Comme il s'agit là de trancher une question qui peut
mettre en jeu -comme vous l'avez mentionné - le dossier
antérieur, l'histoire d'un accident antérieur, des données
qui appartiendraient au dossier médical que la régie a sur un
accidenté d'aujourd'hui mais qui aurait eu des accidents
antérieurs ou une maladie professionnelle d'aujourd'hui mais qui suit
une maladie professionnelle identique ou une autre antérieure, la
Corporation professionnelle des médecins du Québec est un
organisme qui doit protéger le public et qui doit maintenir un
élément de qualité dans la fourniture des services
médicaux au Québec.
Si tel est son rôle vis-à-vis du public, on s'est dit, dans
la préparation de notre mémoire: C'est d'emblée son
rôle au niveau d'un groupe de citoyens qui sont les travailleurs et qui
sont affectés d'une maladie professionnelle ou d'un accident. Nous
voulons donc transmettre à la corporation professionnelle le mandat de
venir régler ces problèmes de conflits ou d'opinions divergentes
entre deux médecins ou deux groupes de médecins. Nous croyons
qu'un comité de trois membres de la corporation professionnelle pourrait
donner une opinion juste pour autant que cette opinion lie la commission.
M. Fréchette: Dr Desjardins, à partir des
observations que vous venez de soumettre, est-ce que vous seriez en mesure de
nous dire comment vous verriez la composition de ce comité? Vous parlez
de trois membres, bien sûr. S'agirait-il de trois membres qui ne seraient
mandataires de personne ou, alors, est-ce que vous pensez à la
possibilité de retrouver à ce comité de trois personnes un
professionnel qui représenterait le travailleur, un professionnel qui
représenterait l'employeur et un troisième qu'on pourrait
qualifier de neutre, qui présiderait en quelque sorte ce genre de
comité dont vous suggérez la formation? Vous comprenez que cela
aussi est important. Est-ce qu'on va finalement se retrouver devant une
espèce de tribunal d'arbitrage médical à partir duquel il
est facile de prévoir dès maintenant que les décisions
finales seront toujours prises à deux contre un? C'est facile de
prévoir cela dès maintenant. C'est également facile de
prévoir qu'on va se retrouver avec des gens siégeant
là-dessus, qui ont peut-être des opinions quant à une
situation bien précise. Ma question, aussi clairement que possible, sera
la suivante: Comment ce comité de trois professionnels serait-il
formé?
M. Desjardins: Un chose certaine, c'est que ce n'est pas la
proposition que vous venez d'énoncer. Ce n'est pas ce qu'on veut. On
pense que cela a déjà été essayé et c'est
voué à l'échec. Par ailleurs, votre question suscite
beaucoup d'intérêt. Les conseillers juridiques voudraient faire
des commentaires. Me Aquin, voulez-vous prendre la parole?
M. Aquin (François): Je pense bien que la question du
nombre ne doit pas nous laisser penser qu'on va tomber devant une organisation
tripartite. Ce qu'il y a d'important, c'est que ce seraient des
délégués de la corporation professionnelle qui ne seraient
pas partie prenante. Nous pensons que, dans ce domaine, il est important
d'avoir ce conseil d'arbitrage qui est un conseil d'arbitrage d'expertises
médicales. On fait quand même une différence importante,
lorsque la commission remplit une fonction d'indemnisation. Lorsqu'elle rend
une décision sur l'indemnisation, je pense qu'elle est alors un tribunal
approprié, qu'elle peut avoir sa jurisprudence, ses directives et ses
principes. Lorsqu'elle décide de la nécessité, de la
nature, de la suffisance et de la durée de l'assistance médicale,
vous conviendrez avec moi qu'elle commence à s'éloigner
grandement de la mission première qui lui est confiée par le
Parlement. Dans notre système, qui décide
généralement de la nécessité, de la nature, de la
suffisance et de la durée d'un service médical? C'est le
médecin. On a parlé d'un comité de trois membres, mais
cela peut être un comité d'un nombre différent. Nous
pensons important que ces membres soient nommés par la Corporation
professionnelle des médecins du Québec.
M. Fréchette: Oui, je suis tout à fait d'accord
avec vous, Me Aquin, que le nombre comme tel... Enfin, ce n'est pas tellement
cet aspect qui doive retenir l'attention, mais le mandat très
précis qui serait déféré aux gens qui composeraient
ce comité. J'ai été rassuré d'entendre le Dr
Desjardins nous dire que cela serait n'importe quoi, sauf ce à quoi je
me référais. Déjà, c'est rassurant.
Maintenant...
M. Desjardins: Me David...
Le Président (M. Jolivet): Oui, monsieur...
M. Desjardins: Me David voudrait également faire un
commentaire sur cette question.
M. David: Très bref, évidemment. À
l'encontre de ce type de foire d'empoigne que pourrait être un tribunal
d'arbitrage qui trancherait ce type de problèmes, on a l'impression que,
si le comité était formé de délégués
de la Corporation professionnelle des médecins, on pourrait tous obtenir
ce que la commission recherche souvent, et parfois de façon maladroite.
Dans quelles circonstances la commission intervient-elle pour mettre en cause
la nécessité des soins qui sont donnés, lorsqu'elle est
d'avis qu'elle est aux prises avec un médecin traitant complaisant?
À notre avis, le type de comité indépendant que l'on
propose, rattaché à la corporation des médecins, serait un
garde-fou, tant pour la commission que pour le respect des droits de
l'accidenté et du médecin traitant.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Fréchette: Je pense que cela clarifie à tous
égards la situation et que cela dissipe un certain nombre
d'inquiétudes que j'avais en tête lorsqu'on a entrepris la
discussion.
À un autre chapitre maintenant, mais toujours en relation avec
l'application de l'article 132, est-ce que je suis fondé de dire -
là-dessus, retenez la précaution que je prends - que, très
souvent ou, enfin, dans plusieurs cas ou dans plusieurs dossiers, ce sont les
médecins traitants eux-mêmes qui vont demander à la
commission d'établir un diagnostic final? Est-ce que, à votre
connaissance, ce sont des choses qui arrivent? Si ma question devait
entraîner une réponse affirmative, est-ce que vous pourriez
préciser pour quels motifs ce genre de situation existe?
M. Desjardins: Si vous permettez, je vais demander au Dr Durocher
d'apporter l'éclairage nécessaire là-dessus.
M. Durocher (Louis-Philippe): Merci. Je pense qu'il y a
différents aspects dans la question que vous soulevez. À certains
moments, pour ce qui est du diagnostic précis, je pense qu'il est assez
clair et compréhensible qu'un diagnostic en médecine
spécialisée est fourni. Pour ce qui est des implications de la
relation avec le travail, il peut arriver que le médecin traitant n'ait
pas l'impression d'avoir nécessairement en main tous les
éléments qui lui permettent de certifier cette relation. Il est
possible, ne se sentant pas une obligation morale de le faire pour ramener son
patient à la santé, qu'il préfère que d'autres
intervenants au niveau
de la CSST, compte tenu de l'accès à certaines ressources
d'information qu'ils peuvent avoir, soient appelés à statuer sur
cet aspect.
Mais, pour ce qui est de l'aspect des diagnostics et de l'investigation
des cas, le médecin traitant le fait généralement, je
pense. Maintenant, il faut bien penser que, dans l'investigation des cas et
dans la recherche de la cause étiologique, le problème n'est pas
toujours facile. Ce n'est pas parce qu'un travailleur est employé dans
tel type d'industrie que cela nous dit nécessairement de façon
claire avec quels produits il est en contact. Ce type de recherche est souvent
très accaparant. Les gens à rejoindre, pour obtenir ces
informations, ne sont pas toujours facilement disponibles. Les informations
qu'ils ont eux-mêmes ne sont pas toujours utiles. Souvent, on est pris
derrière un blocage de formules brevetées ou quelque chose comme
cela. Je pense qu'il est normal qu'à certains moments un médecin,
dans un dossier, ne puisse pas, en tant que médecin traitant, aller plus
loin. Il préfère que la commission statue. Mais ce n'est pas, je
pense, au niveau du diagnostic.
M. Desjardins: Est-ce que je pourrais demander au Dr Lemieux et
ensuite au Dr Breault de faire des commentaires là-dessus?
M. Lemieux: M. le ministre, pour répondre à vos
préoccupations, il est bien évident que ce dont vous parlez n'est
jamais le diagnostic. Ce que vous avez voulu souligner, je pense, c'est qu'il
arrive que des médecins traitants consultent les médecins
évaluateurs de la commission pour le retour au travail du travailleur.
Mais je pense bien qu'il faut regarder les faits: le but primordial du
médecin traitant est de traiter le travailleur pour ce pourquoi il vient
le voir. Il est possible qu'à un moment donné le médecin
traitant se rende compte que, pour lui, il ne semble pas y avoir autre chose
à offrir à son malade. Il pourrait reprendre une certaine forme
de travail. Le travailleur, lui, se voit confronté à deux faits.
Le premier, c'est qu'il ne se considère pas à 100% rétabli
pour reprendre le travail qu'il faisait auparavant. Deuxièmement, il se
trouve aussi confronté au fait que, s'il prend une chance de retourner
à son ancien travail, il ne puisse pas le faire et risque de perdre son
emploi et de se retrouver devant rien.
Évidemment, le médecin traitant est pris entre l'arbre et
l'écorce. C'est son patient. Il veut l'aider et ne pas nuire à la
commission. Je pense bien qu'il ne se sent pas toujours prêt à
livrer une bataille pour essayer de convaincre son malade en lui disant: Si tu
retournes et qu'il t'arrive malheur, là, qu'est-ce que tu veux? À
ce moment-là, je pense que, devant ce fait, le médecin traitant
juge qu'il va le confier à un autre - en fait, ce sera un de ses pairs
-qui ne sera pas impliqué du tout comme médecin traitant. Ce sera
le médecin expert, lui, qui ne connaît pas le malade et qui sera
peut-être plus objectif dans ce sens-là, car, quand on est
médecin traitant, on n'a peut-être pas tous les
éléments - vous en avez parlé tout à l'heure - et
il peut manquer certains éléments au dossier. Quand vous
êtes médecin expert de la commission, vous avez accès
à tout le dossier. C'est pour cela qu'à ce moment-là le
médecin traitant va se référer au médecin
évaluateur pour prendre la décision finale, étant
donné qu'il se trouve entre l'arbre et l'écorce parce que c'est
son patient.
M. Fréchette: Dr Lemieux, dans la même veine, tenons
pour acquis que le comité dont vous suggérez la formation est mis
sur pied. Est-ce qu'à ce moment-là les préoccupations ou
les éléments dont on a parlé... Le Dr Durocher a
parlé de la possibilité de ne pas avoir tous les
éléments en main et vous vous référez à
d'autres situations qui peuvent exister. Si le comité dont vous
suggérez la formation était effectivement mis sur pied, les
mêmes problèmes n'existeraient-ils pas?
Le Président (M. Jolivet): M. Durocher.
M. Durocher: Un comité qui, à ce moment-là,
aurait l'appui technique nécessaire, c'est très différent
du médecin qui se débrouille avec son téléphone
pour ramasser tout ce qu'il faut comme information. Vous savez très bien
ce que c'est, de l'appui technique, vous en avez. Je pense que cela met le
comité dans une situation tout à fait différente.
Le Président (M. Jolivet): Le Dr
Breault aurait quelque chose à ajouter.
M. Breault (Yves): Oui, je voudrais ajouter que, bien sûr,
l'article 132 ne mentionne pas du tout l'aspect du diagnostic qui, je crois
bien, est rarement contesté par l'employeur, qui ne connaît pas la
médecine, et, souvent, par la CSST, non plus. En fait, ce à quoi
nous nous référons et ce à quoi nous nous opposons dans
l'article 132, c'est vraiment la façon actuelle de procéder de la
commission. Je parle du vécu quotidien. Ce que la commission fait
très souvent, c'est que, alors que nous suivons un malade - je parle de
cas concrets d'aujourd'hui et d'hier - la commission après cinq, six
semaines, pour une raison qu'on ne détermine pas, convoque notre malade,
notre accidenté, celui à qui on donne des soins, celui qu'on suit
- et voilà que le médecin expert décide que les soins sont
terminés: Monsieur, vous allez travailler demain. (17 h 15)
L'accidenté se retourne et dit: Oui, mais j'ai un médecin
qui me suit actuellement, qui me donne des traitements et qui m'a dit: Reste
chez toi au repos. Le problème est le suivant: le gars qui est à
la commission, qui a tout le dossier, a-t-il un avantage, parce qu'il a vu le
patient une seule fois, sur celui qui a vu le patient à l'accident
même, dans les jours qui ont suivi et qui l'a suivi deux, trois ou quatre
fois, mais qui n'a peut-être pas - j'en conviens -tous les
éléments à son dossier? Comment un médecin qui voit
un accidenté une seule fois peut-il décider instantanément
de la nécessité, de la nature, de la suffisance et de la
durée de l'assistance médicale, alors qu'il n'a vu le patient
qu'une seule fois? Je veux bien croire qu'il a le dossier, mais où est
la concertation avec le médecin traitant? On ne lui a pas dit, on ne l'a
pas informé par lettre que son patient serait convoqué à
la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Le
médecin expert a retourné le patient le lendemain matin au
travail sans avertir le médecin traitant. Qu'est-ce qu'on a? On a le
lendemain, alors que le malade devait entrer, un accidenté en
émoi qui vient nous dire: J'ai vu tel médecin hier, tel expert,
et il m'a dit: Va travailler. Et il dit: Vous, docteur, que faites-vous
là-dedans? Où est-elle, votre spécialité? Vous
m'avez dit: Faites ceci, faites cela. Là est le problème. C'est
la ligne de démarcation. À mon avis, il y a une usurpation du
rôle du médecin traitant par l'application d'un tel article qui ne
décrit pas des circonstances. En fait, on oublie, on omet totalement le
médecin traitant.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Fréchette: L'intervenant qui vient de s'exprimer a
parlé de la pratique quotidienne, de choses qui, dit-il, ont
été vécues hier, sont vécues aujourd'hui et seront
vécues sans doute demain. N'est-il pas exact, par ailleurs - je ne suis
pas en train de contester la description que vous venez de faire, mais c'est
seulement pour ajouter aux informations dont nous avons besoin - de dire que,
très souvent, il y a une communication qui s'établit entre le
médecin traitant, le médecin du bureau régional pour
procéder à l'évaluation d'un dossier et que, très
souvent, à la suite de cette consultation, les deux professionnels
peuvent en venir à un accord quant aux conclusions à tirer du
dossier? Cela ne se fait-il pas dans la pratique?
Le Président (M. Jolivet): M. Breault.
M. Breault: Je pense qu'à une question simple une
réponse peut être simple. Cela se fait, mais de façon
extrêmement occasionnelle. Moi qui travaille à L'Enfant-
Jésus, à Québec, je reçois effectivement une
fois par mois ou une fois tous les deux mois une lettre me demandant des
détails supplémentaires, mais je peux vous donner deux noms, une
patiente que j'ai vue ce matin et une hier. Ces patientes que je suis ont
été évaluées la semaine dernière par la
commission et les gens ont été retournés au travail en ce
lundi qui était hier. En fait, où est mon rôle?
Le Président (M. Jolivet): Une dernière
question...
M. Desjardins: Permettriez-vous...
Le Président (M. Jolivet): M. Desjardins.
M. Desjardins: ...une intervention du Dr Lemieux sur cette
même question?
Le Président (M. Jolivet): Dr Lemieux.
M. Lemieux: Pour éclairer un peu M. le ministre, je
voudrais lui faire remarquer que, quand le Dr Breault parlait de médecin
expert, il ne parlait pas nécessairement d'un médecin qui est en
pratique active et qui est convoqué par la Commission de la santé
et de la sécurité du travail pour lui demander de voir un
patient. Je pense que ce qu'il voulait dire, c'est que cela arrive que certains
médecins régionaux font justement ce que le Dr Breault a
décrit, sans communiquer. On se réjouirait que le genre
d'intervention dont vous parlez, M. le ministre, soit plus fréquent,
mais, justement, on vient de faire une enquête à notre
association, à savoir si ces demandes d'évaluation entre la CSST
et les médecins orthopédistes étaient fréquentes et
notre enquête, qui s'est faite presque partout dans la province, a fort
bien démontré que justement cette relation n'existait pas ou
à peu près pas. On a rencontré la CSST à ce sujet
pour lui en faire part. Nous croyons que, si cela existait tel que vous l'avez
décrit, il y aurait beaucoup moins de problèmes. Ce qu'on
déplore, c'est l'absence de communication.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.
M. Fréchette: Dr Lemieux, à partir, encore une
fois, d'une présomption qui m'amène à une conclusion, ce
serait une avenue à privilégier que ce genre de choses dont on
vient de parler, c'est-à-dire le contact plus fréquent, la
discussion plus fréquente et l'évaluation en commun d'un
dossier.
Une dernière question, quant à moi. Aux pages 9 et 10 de
votre mémoire, vous attirez également notre attention sur la
situation suivante et vous suggérez que l'obligation du
médecin de fournir un rapport à la commission lorsqu'il y a
lésion professionnelle soit reliée à la demande
exprimée par l'accidenté (lui-même ou elle-même) de
fournir ce rapport. En d'autres mots, c'est seulement lorsque le patient ou la
patiente que vous traitez, que vous avez en cabinet le demanderait qu'un
rapport devrait être acheminé à la commission s'il y a une
présomption que ce soit un accident du travail. Dans d'autres cas,
même si ce pouvait être un accident de travail ou une maladie
professionnelle, si l'accidenté ne le demande pas, vous dites: II ne
devrait pas y avoir pour nous d'obligation de fournir un rapport à la
commission. Est-ce qu'on ne pourrait pas, théoriquement en tout cas, se
retrouver devant l'éventualité suivante: À supposer que
vous recevez un patient dans votre cabinet, vous évaluez qu'il y a eu
accident de travail, mais qui n'a pas de conséquences en termes
d'incapacité partielle, totale, temporaire ou permanente et que ce
patient ne demande pas qu'un rapport soit fait à la commission; que,
deux mois ou trois mois plus tard, vous revoyez le même patient et que,
là il est en train de démontrer des signes d'aggravation de sa
situation par rapport à la première visite qu'il vous a faite?
S'il n'y a pas de rapport de transmis à la commission des constatations
faites à l'occasion de sa première entrevue, comment la relation
entre le fait matériel lui-même ayant occasionné l'accident
et l'aggravation qui peut en résulter plus tard pourrait-elle se faire,
sur le plan scientifique en tout cas, se concrétiser?
M. Desjardins: Si vous me permettez, je vois deux aspects
à cette question. Sur le premier aspect, que je qualifierais de
légal dans la relation entre le patient et le médecin, je vais
demander à Me Molinari d'y répondre. Sur le deuxième
aspect que je qualifierais de médical ou de scientifique, je vais
demander au Dr Durocher de vous donner un exemple concret et d'en
préciser la portée. Me Molinari.
M. Molinari: M. le ministre, les commentaires qu'on a faits en
marge de l'article 134 étaient dans une large mesure fondés sur
le libellé même de l'article 134, tel que proposé dans le
projet qui impose carrément au professionnel de la santé - qui
devrait s'appeler le médecin, croyons-nous -de divulguer à la
commission toute lésion professionnelle. Cela suppose un certain nombre
de choses. J'ouvre une parenthèse et je la referme. Cette obligation, ce
devoir qui est fait aux médecins est assorti en cas de contravention
d'une série de mesures, de sanctions particulièrement lourdes,
administratives et pénales. Je reviens à l'article 134, donc, au
principe de la divulgation obligatoire d'une lésion professionnelle. Il
y a un certain nombre de situations qui peuvent se présenter. La plus
fréquente et la plus simple est peut-être celle où le
travailleur victime de l'accident, par l'intermédiaire peut-être
de son syndicat, indiquera immédiatement qu'il entend se
prévaloir des dispositions de la loi sur l'indemnisation. Cela ne pose
pas de problème. Autre situation relativement fréquente, la
commission, informée dans les délais qui s'imposent aux
travailleurs d'une demande de prestation, demande au médecin de faire
rapport. Je ne vois pas de problème, non plus. Là où il
peut y avoir des problèmes, c'est lorsqu'on est devant un patient dont
on ne sait pas bien s'il est ou non accidenté du travail. Je ne voudrais
pas me prononcer sur le plan scientifique, c'est loin d'être de ma
compétence. Il y a certainement des lésions professionnelles, des
maladies professionnelles qui n'apparaissent pas en être à la vue
du patient. Il peut aussi survenir des circonstances où le patient ne
souhaite pas déclarer ou dire qu'il s'agit d'une lésion
professionnelle. C'est son désir de faire en sorte que son
médecin traitant ne divulgue pas... Or, il existe dans la
législation québécoise un certain nombre de divulgations
obligatoires de certaines maladies. On a toujours considéré cela
comme des cas exceptionnels concernant la sécurité publique,
concernant l'hygiène publique. Est-ce qu'on va ranger toutes les
lésions professionnelles, toutes les maladies professionnelles dans
cette catégorie et nier, au fond, le droit du malade de conserver la
confidentialité de sa relation avec le médecin? C'est ce que
suggère l'article 134, peut-être pas directement, mais c'est ce
qu'il permet de faire. C'est contre cela que la Fédération des
médecins spécialistes s'est élevée fortement.
Le Président (M. Jolivet): M. Durocher.
M. Durocher: Dans votre question, M. le ministre, vous faisiez
clairement allusion à un fait accidentel. Mais je pense qu'il ne faut
pas oublier tout l'aspect des maladies professionnelles.
Une voix: Cela inclut les deux.
M. Durocher: Je pense que vous l'avez inclus, c'est pour cela que
j'y reviens. Une dermite aux mains, par exemple, lorsque le patient vient nous
voir avec une dermite aiguë, le premier geste à poser est d'abord
d'aider ce patient. La relation entre la cause et l'effet pourra ne venir que
longtemps après. La peau, on la transporte 24 heures par jour et ce
n'est pas nécessairement d'emblée qu'on peut dire qu'une dermite
aux mains est une maladie personnelle ou
professionnelle. Quelqu'un qui exerce un métier et qui se sert de
ses mains - ils sont fréquents, ces métiers - peut souffrir d'une
dermite professionnelle ou personnelle. Cela peut prendre un certain temps...
Actuellement, si ces cas sont rapportés à la CSST suivant les
modalités prescrites, il n'est pas rare que l'on puisse se retrouver
après quelques mois avec un cas pour lequel plusieurs rapports ont
été soumis et qui, finalement, n'est pas accepté à
la CSST. L'attitude la plus prudente dans ces cas-là est souvent de
poursuivre le traitement et l'investigation jusqu'au moment où l'on
atteint une certaine certitude sur la relation entre le travail et la maladie
de l'individu. Maintenant, tel que libellé dans le projet de loi, nous
n'avons pas cette latitude. Le cas devrait être, dès le
début, déclaré avec toutes les complications
administratives que cela comporte. Si, à l'inverse, on attend pour
déclarer qu'effectivement c'en est un, on pourrait être soumis aux
conditions d'amende qui sont incluses puisqu'on n'a pas fait la
déclaration dès le début. Ce n'est pas vivable.
Le Président (M. Jolivet): M. Desjardins.
M. Desjardins: Avec votre permission, Me Aquin voudrait ajouter
un commentaire sur cette même question.
M. Aquin: À l'article 134, dans l'optique
développée par Me Molinari, je pense qu'on est devant une
rédaction lacunaire. En fait, ce qu'on a dû vouloir dire, c'est le
professionnel de la santé ou l'établissement de santé qui
a traité un travailleur victime d'une lésion professionnelle qui
réclame une prestation. Autrement, on est obligé de croire que
nous sommes ici devant une exception totalement exorbitante à la Charte
des droits et libertés de la personne, à l'article 9, qui pose le
principe de la confidentialité des relations avec tous les
professionnels du Québec.
M. Fréchette: Je vous remercie, Me Aquin, de cette mise au
point. Je voudrais aussi retenir la suggestion qu'a faite - j'ai un peu de
difficulté avec votre nom, je m'en excuse...
Le Président (M. Jolivet): Me Molinari.
M. Fréchette: Me Molinari. Vous avez suggéré
que l'on pourrait essayer d'obtenir l'appréciation ou
l'évaluation des syndicats à cet égard. Je vous signale,
sans aucune espèce de réserve, que si toutes les parties
impliquées dans le processus de la loi établissaient un consensus
pour dire que, lorsque le travailleur ne demande pas que rapport soit fait
à la commission, nous n'allons pas insister, c'est bien sûr. Nous
n'allons pas insister. Et si, à cet égard, encore une fois, les
syndicats ou les représentants d'associations de travailleurs
accidentés étaient d'accord sur une suggestion comme
celle-là, nous allons, de toute évidence la retenir. C'est
très clair. Nous sommes conscients de ce qu'il y a là et
l'objectif de notre exercice, c'est précisément d'arriver
à essayer de trouver des solutions pour contourner ces
difficultés. (17 h 30)
Le Président (M. Jolivet): Merci, M. le ministre. M. le
député de Saguenay.
M. Maltais: M. le Président, permettez-moi de vous
féliciter pour votre mémoire, sa justesse et aussi sa
clarté. Je ne m'attarderai pas au mécanisme du fonctionnement de
la Fédération des médecins spécialistes du
Québec, mais de ce que vous nous avez dit dans votre
résumé.
Vous nous dites à la page 3: "II faut convenir que l'apport de la
profession médicale est essentiel au fonctionnement de tout
régime d'indemnisation pour des lésions corporelles." C'est
évident, je pense que tout le monde reconnaît ce fait. Je reviens
à la page 1, deuxième paragraphe. "Après avoir lu et
analysé le projet de loi 42, nous sommes d'opinion que cet
impératif de cohérence n'a pas été atteint mais
que, bien au contraire, tout se passe comme si on assistait à la
création d'un régime de services médicaux niant des acquis
importants." Voici ma première question: Dans le cadre de la loi 42, si
elle était adoptée comme elle vous est présentée,
quelle sorte de situation allez-vous être appelés à vivre,
particulièrement en rapport avec les accidentés?
Le Président (M. Jolivet): M. Desjardins.
M. Desjardins: Ce qu'on a tenté de préciser ici -
et prenons les deux bouts du texte que vous mettez ensemble, on élabore
un peu notre pensée à la page 6 de notre mémoire
lui-même - c'est qu'au Québec, depuis 1962, il existe une
série de lois affectant les modalités selon lesquelles les
services médicaux sont fournis à la population. Sur cette page,
nous notons, entre autres, la Loi sur l'assurance-hospitalisation, la Loi sur
l'assurance-maladie et la Loi sur les services de santé et les services
sociaux. Ces trois lois n'existaient pas en 1931 quand il y a eu une
première Loi sur l'indemnisation des lésions professionnelles.
Or, à la lecture du projet de loi 42, on a un peu l'impression qu'on a
pris la loi de 1931 et qu'on a tenté de l'adapter au Québec de
1985 sans pour autant prendre en considération l'existence des trois
lois de 1962, 1970 et 1973, de telle sorte que nous prétendons qu'il y a
un
manque de cohérence dans l'élaboration ou la modernisation
de la loi 42 avec ce qui existe déjà. La question qu'on s'est
posée, c'est à partir du fait qu'il existe un régime au
Québec pour l'ensemble des citoyens qui vivent sur notre territoire.
Pourquoi, ceux d'entre nous qui travaillent auraient-ils une autre sorte de
régime moins bon par rapport à l'ensemble de la population? Ce
qu'on essaie de savoir, c'est s'il est possible de mettre tout cela ensemble
dans un paquet et d'articuler le projet de loi 42 avec les trois autres lois
existantes et de réaliser le rôle du médecin? Ce qui nous
frappe dans le projet de loi 42, c'est qu'il est sous-entendu qu'il y a un
médecin quelque part qui fait quelque chose, mais c'est loin
d'être clair. C'est pour cela qu'on demande de préciser le
rôle du médecin et qu'on a défini trois sortes de
médecins. On a dit: Précisons le rôle du médecin
traitant, du médecin examinateur et du médecin expert et,
après, pour l'ensemble des modalités d'application, qu'il soit
créé une assiette juridique le plus près possible du
ministre du Travail - parce que c'est lui le ministre responsable de la
commission - qui fasse en sorte que la Fédération des
médecins spécialistes du Québec puisse transiger avec la
commission pour les modalités d'application.
M. Maltais: Alors, ce principe étant établi, si on
allait un peu plus loin dans les modalités d'application, vous nous
dites à la page 3: "Il n'y aucune raison qui justifie que la commission
agisse comme juge et partie. Ce serait là faire affront à un
principe élémentaire d'équité et inviter
l'injustice". Lorsque vous parlez d'injustice, vous parlez d'injustice
vis-à-vis d'abord de l'accidenté et de votre diagnostic par
rapport à la commission, est-ce bien cela?
M. Desjardins: À l'article 132, ce dont on discute tout au
long, oui.
M. Maltais: Je veux savoir, me référant au principe
d'injustice, si ce n'est pas souvent le travailleur qui a à payer pour
ce principe?
M. Desjardins: Bien oui.
M. Maltais: D'accord. Vous parlez un peu plus loin, avant
l'article 132, aux articles 136, 272 et 277, qui sont un peu similaires, des
punitions qui s'adressent à vous. Ici, c'est un principe maintenant
établi au gouvernement actuel dans chaque loi, il y a des punitions. On
l'a vu dans d'autres cas, dont le projet de loi 38. On indique les punitions.
Si vous ne faites pas cela, on vous punit, vous les médecins
spécialistes, puisque précisément on parle de vous. Est-ce
que cela ne va pas à l'encontre de votre code d'éthique
professionnelle? Vous avez un code, vous êtes régis par un code et
une corporation qui, elle aussi, prévoit que si vous ne faites pas bien
votre travail, vous allez être punis. Là, le ministre va vous
punir aussi. Est-ce que cela ne va pas un peu à l'envers du bon sens,
à toutes fins utiles?
M. Desjardins: Je ne peux que renchérir sur ce que vous
dites. Le code de déontologie des médecins fait en sorte que les
médecins sont obligés de s'y conformer, sinon, la corporation
professionnelle est là, je l'ai dit tantôt, pour défendre
le public et maintenir la qualité des services médicaux. La
corporation est là pour réprimander ou punir ceux des
médecins qui ne se conformeraient pas à leur code de
déontologie. D'ailleurs, c'est pour cela qu'on demande le retrait de ces
articles. C'est pour cela qu'on finit en disant: Comment peut-il exister une
harmonie des relations et un esprit de collaboration avec des menaces de
punition de cet ordre?
M. Maltais: Semble-t-il qu'il y a une phrase écrite sur le
mur de pierre du bureau de la CSST et on le vit régulièrement
comme députés, nous, chaque fois que nos commettants appellent
là et que les gens se font toujours répondre la même chose,
que le médecin n'a pas fait parvenir son rapport. S'il faut vous punir
chaque fois que les agents nous disent cela, vous allez passer votre temps en
prison. Il faut tout de même être logique. Dans ces articles dont
vous demandez le retrait, ne pourrait-on pas du moins dans la loi se
référer à votre code d'éthique à vous qui
prévoit que si vous faites mal votre travail, que vous serez punis?
M. Desjardins: De toute façon, là n'est pas
vraiment le problème. Les médecins n'ont pas avantage à ne
pas fournir les renseignements. Les médecins n'ont pas avantage à
ne pas remplir les dossiers correctement. Ce que nous tentons d'expliquer dans
notre mémoire, c'est que, souvent, le médecin, pour fournir une
opinion éclairée, doit demander des épreuves
additionnelles; que ce soient des épreuves de laboratoire, que ce soit
des épreuves d'audiologie ou toutes autres sortes d'investigation. Il ne
peut pas soumettre son rapport avant d'avoir reçu l'ensemble de ces
données. Avec la rapidité à laquelle on peut s'inscrire
à un centre hospitalier pour avoir des épreuves, cela peut
prendre facilement un mois avant que l'épreuve ne soit faite.
M. Maltais: Dr Desjardins, si cela prenait juste un mois avant
que nos clients aient des réponses, on ne serait pas ici et on ne vous
poserait pas cette question. Ce sont des dizaines de mois et des années
dans
certains cas. Tout à l'heure, il y a un médecin - je ne me
souviens pas de son nom, mais il a...
M. Desjardins: Le Dr Breault.
M. Maltais: ...dit une chose qu'on rencontre
régulièrement dans le vécu quotidien. Le fait que les
médecins soient confrontés avec le médecin traitant de la
personne suscite des cas qui sont vraiment tragiques, en ce sens que le
spécialiste ou le médecin de la CSST ne voit le patient qu'une
fois et qu'un bon matin, après tant de mois, il est censé
être mieux, mais le médecin traitant, qui le voit
régulièrement, lui dit: Tu n'es pas capable de travailler?
À partir de là, vous avez suggéré un genre de
comité, pas paritaire, parce qu'on sait comment cela fonctionne, mais
vous avez suggéré un genre de comité. Ce qu'il
m'intéressait de savoir, pour l'accidenté, c'est de quelle
façon il peut se démêler dans tout cela à l'heure
actuelle. Est-ce qu'il va aller en conflit avec ce que le spécialiste de
la commission lui dit ou s'il va aller en conflit avec ce que son
médecin traitant lui dit? Dans la pratique, tous les jours, dès
demain matin, ce cas va se reproduire. Il se produit tous les jours dans la vie
courante. Comment voulez-vous que M. X se retrouve dans tout cela alors que
vous-mêmes de la CSST, le médecin traitant etc., vous avez
beaucoup de difficulté à vous retrouver dans le moment?
M. Desjardins: Le Dr Lemieux l'a expliqué un peu
tantôt. Je vais lui demander de revenir là-dessus et de
préciser à nouveau peut-être certains aspects.
M. Lemieux: II est évident, M. le député,
que c'est un problème important. On le vit quotidiennement avec nos
patients. Évidemment, vous, comme député, vous le vivez
avec vos électeurs. C'est bien sûr que le pauvre patient se trouve
démuni; il ne sait plus quoi faire exactement. Il est évident
qu'actuellement c'est le médecin évaluateur qui lui dit de
retourner au travail qui a la priorité. Alors, le pauvre patient n'a pas
d'autre choix que de tenter de retourner au travail à moins qu'il ne
survienne des faits nouveaux et qu'on puisse, à l'aide de ces faits
nouveaux, éclairer...
Je pense que le problème va plus loin que cela. C'est que si cela
se passait toujours comme cela, lorsque le médecin a examiné le
client, soit, mais ce qui est encore pire, c'est quand le pauvre travailleur se
voit retourné au travail sans même avoir été vu par
un médecin et qu'il reçoit une lettre lui disant: Tu retournes au
travail tel jour. Je pense que c'est dans ce temps-là qu'il est encore
le plus en désarroi et c'est probablement dans ce temps-là qu'il
va voir son député.
Évidemment, actuellement, je pense que, face à cela, c'est
dans ce sens qu'on propose ce comité. Il y a quelqu'un quelque part qui
a peut-être tort et peut-être que tout le monde a tort en somme.
Mais, évidemment, vous avez la parole d'un médecin
évaluateur contre la parole du médecin traitant. Ces deux
spécialistes se demandaient pourquoi il pouvait y avoir divergence. Il a
répondu à une partie en disant qu'il pouvait manquer des
éléments à un; il peut en manquer à l'autre parce
que le médecin traitant peut en avoir plus.
On a apporté aussi le fait qu'il est possible que le patient
puisse reprendre un travail mais pas nécessairement le travail qu'il
faisait. Je pense que c'est là le gros problème. C'est qu'il n'y
a pas de réadaptation qui se fait actuellement. C'est là que le
pauvre patient dit: Je ne peux reprendre mon travail. On sait qu'il ne peut
reprendre le travail qu'il faisait avant. Il peut travailler, oui, mais faire
une sorte de travail. S'il va à la commission et qu'on dit à
celle-ci de le réadapter, on lui dit: Cherche-toi un travail et
dis-le-nous quand tu en auras un.
Je pense que c'est là, possiblement, que ce comité
pourrait agir avec un comité de réadaptation qui fonctionnerait
vraiment à la CSST. Je pense que c'est une des choses qu'il va falloir
privilégier.
M. Maltais: Merci, Dr Lemieux. Vous allez convenir avec moi aussi
que toute cette brochette de spécialistes de différentes
corporations que vous représentez ici, vous les avez dans les grands
centres: Montréal, Sherbrooke, Québec. Donc, notre pauvre diable
en région est obligé de se promener longtemps et je pense que son
médecin traitant devrait avoir un petit peu plus de pouvoirs
là-dedans.
J'en reviens à une autre question. À la page 13, vous
dites: "De toute manière, il n'est guère utile de chercher
à déterminer par un texte législatif quel doit être
le contenu ou la modalité d'exécution d'un examen ou d'une
expertise." Si je comprends bien, vous ne désirez pas qu'on encadre
législativement un acte médical, finalement. Est-ce bien
cela?
M. Desjardins: Ce qu'on souhaite, c'est une assiette juridique la
plus près possible du ministre du Travail et grâce à
laquelle la fédération pourrait discuter pour en arriver à
convenir avec la commission de ce qu'est un examen ou une expertise. C'est ce
qu'on essaie de dire. On prétend qu'il n'est pas nécessaire, pour
le projet de loi, de prévoir tout cela. Ce que le projet de loi doit
prévoir, c'est l'assiette juridique permettant, comme pour la Loi sur
l'assurance-maladie, qu'un organisme représentatif des
médecins
spécialistes - qui est la fédération -
négocie avec le ministre des Affaires sociales pour la fourniture des
services médicaux à l'ensemble de la population. De la même
façon, on pense qu'il n'est pas nécessaire de définir,
dans le projet de loi 42, ce qu'est l'examen d'un malade ou de quelqu'un qui
est atteint d'une lésion professionnelle mais de créer tout
simplement le mécanisme juridique selon lequel le ministre du Travail
peut transiger avec la Fédération des médecins
spécialistes. (17 h 45)
M. Maltais: Vous nous dites, à la page 5 du
résumé que, lorsque la commission requiert les services d'un
spécialiste, vous ne voulez pas être soumis continuellement aux
exigences de la commission. Finalement, si on incluait cela dans un projet de
loi, encore là, ce serait un manque à votre code d'éthique
parce que, finalement, c'est votre patient qui vous intéresse en premier
et non pas les exigences ou les obligations de certains fonctionnaires. Je
pense que vous êtes responsable, d'abord et avant tout, de votre patient
et je verrais très mal qu'une loi vous oblige à produire des
rapports que l'on pourrait qualifier de tendancieux envers votre patient et qui
favoriseraient la CSST. C'est un peu ce que vous voulez dire ici. Si ce n'est
pas cela, ne vous gênez pas, dites-le-nous. Mais, si c'est un peu
cela...
M. Desjardins: Notre pensée n'allait pas jusque-là,
mais remarquez que cela se situe dans le même ordre d'idées que ma
réponse précédente. La fin de la phrase est "...sans avoir
la possibilité d'en discuter au préalable et, plus important
encore, d'en convenir". On pense qu'il y a un ensemble de dispositions
-permettez-moi de les qualifier - d'ordre administratif dans la relation du
patient, du médecin, de la commission, de l'employeur et du syndicat qui
peuvent facilement être réglées hors du projet de loi. Ce
que nous demandons, c'est d'avoir l'assiette juridique pour le faire.
Aujourd'hui, si nous voulons tenter de régler une procédure
administrative, nous devons demander le plus poliment possible à la
commission de bien vouloir nous parler. La commission peut dire oui ou non.
M. Maltais: Mais vous dites: "Les actions autoritaires,
même si elles sont dictées par des motifs justifiables, sont une
cause d'irritants qu'il convient d'écarter." Je pense bien que seuls les
sourds ne pourraient pas comprendre. Vous dites que vous n'allez pas si loin
dans votre pensée, mais je pense qu'on retrouve là un petit peu
de votre irritation à l'égard de ce projet de loi.
M. le Président, est-ce que vous permettez que mon
collègue de Sainte-Anne continue sur mon temps pour poser deux petites
questions rapides?
Le Président (M. Jolivet): II n'y a pas de
problème. Le député de Prévost aura aussi une
petite question. M. le député de Sainte-Anne.
M. Polak: Mais les siennes ne sont jamais petites. Rapidement, je
voudrais demander au Dr Desjardins si le ministère vous a
consultés avant de préparer ce projet de loi.
M. Desjardins: Non, M. le ministre. M. Polak: Je ne suis
pas ministre. M. Desjardins: M. le député.
M. Polak: Je suis content que vous donniez la réponse
devant mon whip.
M. Pagé: Cela peut cependant venir.
M. Polak: Deuxièmement, quand on prend l'article 133,
deuxième paragraphe, qui dit: "Cependant, l'employeur ne peut exiger
plus d'un examen semblable par mois", pourriez-vous m'expliquer comment vous
interprétez cet article? Théoriquement, un employeur qui voudrait
rendre la vie très dure à un employé pourrait insister sur
un examen par mois au minimum. Qu'est-ce que cela veut dire à votre
point de vue? Est-ce qu'on ne devrait pas limiter le nombre d'examens tout
court?
M. Desjardins: Es-tu capable de donner un exemple d'un examen par
mois?
M. Lemieux: M. le député, je ne pense pas que, s'il
y a communication et tous les mécanismes qu'on a suggérés,
cela cause des problèmes. Il y a certaines pathologies qu'on sait
d'emblée qu'elles vont durer trois ou quatre mois. Je prends une
fracture de la jambe. On sait d'avance et tout le monde s'entend pour dire que
c'est au moins trois ou quatre mois.
Il y a d'autres problèmes qui sont beaucoup plus
compliqués. Je pense aux problèmes de dos, de genoux, de
certaines maladies de peau qui peuvent demander un suivi beaucoup plus
régulier. On ne voit pas d'un mauvais oeil, si on pense qu'on doit voir
ces patients une couple de fois par mois, que l'employeur demande
lui-même qu'ils soient vus deux fois par mois par leur médecin. Je
pense bien que, s'il n'y a aucun mécanisme en place, le travailleur peut
penser qu'il est talonné par son employeur à ce sujet, s'il sait
qu'au bout du compte il n'aura rien sur quoi s'appuyer pour se défendre
si jamais il pense qu'il n'a pas eu justice. Je pense que le problème
n'est pas là, mais que le travailleur sache qu'au bout du compte, s'il
pense qu'il n'a pas eu justice, il puisse se rendre quelque part pour tenter
d'obtenir
justice. Si on fait disparaître le comité de
révision et qu'il n'y a pas d'autres mécanismes en place,
dès le départ, le travailleur va se sentir
défavorisé.
M. Polak: Dernière question. Vous parlez de remplacer cet
article 132 par un mécanisme d'arbitrage. Est-ce qu'il y a d'autres
juridictions où un tel système fonctionne? Est-ce qu'il y a un
système qui existe ailleurs et qui fonctionne mieux que le
problème qu'on a? Tout le monde sait qu'il y a beaucoup de
problèmes ici au Québec. Par exemple, quelle est
l'expérience constatée en Ontario ou dans l'État de New
York? Est-ce que c'est beaucoup mieux qu'ici et quel est le système?
M. Desjardins: Je m'excuse, je ne suis pas capable de
répondre.
M. Molinari: Si vous me permettez, M. le député,
avec les délais qui nous étaient impartis pour la
préparation du mémoire, on n'a pas eu le temps de mandater des
commissions rogatoires pour aller voir l'état du droit dans les
différentes provinces canadiennes ou, à la limite, dans les
différents États américains de sorte que je ne pourrais
pas répondre. Je ne pense pas qu'on puisse répondre à
votre question.
M. Polak: Vous parlez de mécanismes d'arbitrage. Vous
n'avez pas vérifié si cela existe ailleurs et si cela marche
très bien ailleurs? Ce n'est pas très difficile de
vérifier cela.
M. Desjardins: II est possible de vérifier cela, si vous
le voulez, et de vous donner une réponse.
M. Polak: Je voudrais juste savoir si cela existe. D'accord.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Prévost.
M. Dean: Merci, M. le Président. Brièvement, en
parlant de votre comité d'arbitrage médical, vous avez dit
tantôt que ce n'était pas important, trois, ou que le nombre
n'était pas important, mais le nombre pourrait-il aller jusqu'à
inclure un médecin spécialiste? Dans ce sens, sans vouloir
contrôler le coût, on n'est pas pour dire que cela coûte
cher, un médecin spécialiste, mais ce qu'on peut dire, c'est que
trois, cela coûte trois fois plus cher qu'un. Votre flexibilité
sur le nombre pourrait-elle aller jusqu'à dire qu'il y a un
médecin qui fait partie de ce comité?
M. Desjardins: Avec vos mathématiques, je pense qu'on ne
peut pas s'y opposer.
M. Dean: Bon!
M. Desjardins: Je crois que le chiffre n'est pas important. La
corporation pourrait peut-être, dans certaines situations, juger opportun
qu'il y en ait plus d'un, selon la sorte de litige ou la sorte de cas, mais il
n'y a pas de problème réel à ce que ce soit un
comité de un plutôt qu'un comité de trois ou de cinq.
M. Dean: Accepteriez-vous que ce même comité ait une
autorité décisionnelle dans les cas d'indication douteuse ou
discutable d'intervention chirurgicale, par exemple, à la suite d'un
accident de travail?
M. Desjardins: Je ne vois pas pourquoi ce comité ne
pourrait pas prendre une décision, pour autant que cette décision
lie les deux parties.
M. Dean: Bon! Une dernière question, et là je vais
vous mettre en dialogue avec un des groupes qui vous a
précédés devant la commission parlementaire ce matin,
à savoir la Chambre de commerce de la province de Québec.
À la page 11 de son mémoire, elle dit, entre autres, que le
gouvernement est allé trop vite avec le projet de loi 42; pourquoi ne
pas attendre que toutes les dispositions de la Loi sur la santé et la
sécurité du travail soient en vigueur? Et là, je cite: "II
y est prévu, par exemple, qu'un médecin sera choisi par
établissement pour mettre sur pied des services de santé. Un
accidenté pourrait tout d'abord être examiné par celui-ci
tout en conservant la possibilité d'aller voir le médecin de son
choix, afin qu'un médecin de l'établissement puisse se prononcer
sur la plausibilité d'un accident du travail. Ce médecin devrait
être en mesure de connaître les conditions de travail dudit
établissement." Je vous demanderais de commenter des suggestions de ce
genre. Qu'en pensez-vous?
Le Président (M. Jolivet): Dr Durocher.
M. Durocher: Si on regarde présentement l'implantation des
mécanismes d'intervention dans les établissements qui
découlent de la loi 17, on se rend compte rapidement qu'il est vrai
qu'un médecin est accordé dans un établissement
actuellement dans le secteur prioritaire 1, mais il faut penser que ce
médecin a plusieurs établissements à couvrir et que ce
n'est pas spécifiquement dans tous les établissements
l'intervention unique d'un médecin, mais cela peut être une
intervention d'une équipe médicale, d'une infirmière, d'un
hygiéniste. Penser que, rapidement, dans de nombreux
établissements du Québec, il y aura un médecin
présent sur place lorsque se produira un accident, c'est hors de la
réalité.
M. Dean: Merci.
Le Président (M. Jolivet); M. Desjardins.
M. Desjardins: La position de notre fédération
là-dessus, c'est de privilégier le contact entre
l'accidenté et son médecin traitant. Que ce médecin
traitant soit un omnipraticien ou un spécialiste, c'est de
privilégier le contact entre cet accidenté et un médecin
traitant.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Portneuf.
M. Pagé: Merci. Très brièvement. Je dois
m'excuser auprès des honorables professionnels de la santé, les
médecins spécialistes, qui viennent témoigner cet
après-midi, de n'avoir pu assister au début de la
présentation de leur mémoire, quoique je les ai
écoutés, grâce à la télévision,
à mon bureau.
J'aurais une brève question à poser au Dr Lemieux. Les
statistiques et les documents internes de la Commission de la santé et
de la sécurité du travail indiquent que le nombre de
réclamations comme conséquence des maux de dos a augmenté
en flèche depuis 1976. Je n'ai pas les chiffres devant moi, je m'en
excuse, mais si ma mémoire est fidèle, c'était une
augmentation de près de 400%.
D'ailleurs, des documents internes de la commission, auxquels j'avais
déjà eu l'occasion de faire référence ici à
l'Assemblée, au moment de l'étude des crédits, indiquaient
une certaine inquiétude de la commission à cet égard.
J'aimerais poser une question au Dr Lemieux, qui est orthopédiste.
À la lumière de votre expérience, du vécu quotidien
de la part des orthopédistes du Québec qui ont à traiter
de tels cas, que pourrait-on faire pour assumer un meilleur contrôle
à ce chapitre? Est-ce que, par la science, est-ce que, par le
développement de la technologie, est-ce que par la recherche dans ce
premier volet santé, des choses utiles pourraient être faites
à la commission dans ce sens et quelles sont ces choses utiles qui
pourraient être faites de façon à s'assurer que la
réclamation qui est présentée pour un tel mal est
justifiée?
Le Président (M. Jolivet): Dr Lemieux.
M. Lemieux: Pour répondre à M. le
député, je voudrais d'abord lui souligner que cette augmentation
ne se voit pas seulement dans les cas d'accidentés du travail. On le
voit aussi chez les autres personnes en dehors des accidents de travail. On
peut vous dire, que le nombre de cas de maux de dos, accuse peut-être
chez les accidentés du travail une augmentation beaucoup plus sensible
et beaucoup plus rapide que chez les autres. C'est un fait. On ne peut pas le
nier, je pense. Ce rapport interne est ce qu'il y a de plus exact.
Évidemment, ce qui peut être fait, je pense bien, c'est là
que la prévention entre le plus en jeu. Cela nous surprend toujours de
voir, dans la population - même pas celle des travailleurs - celle des
sportifs qui pourtant sont reconnus pour être des gens en forme, comment
ces gens-là ne sont pas préparés pour prévenir des
maux de dos. Je pense bien que le premier point, ce serait un travail de
prévention, mais ce n'est pas facile. Quand on voit des gens, des
accidentés du travail et qu'on essaie de leur expliquer qu'il leur
faudrait un programme d'entraînement, d'exercices à suivre, de
précautions à prendre pour leur dos, ce n'est pas facile à
obtenir. Évidemment, il y a d'autres facteurs qui entrent en ligne de
compte: l'obésité et le genre de travail.
Quand je parle de prévention, ce serait, ni plus ni moins, une
espèce de retrait préventif. On sait que des gens qui sont
blessés au dos, s'ils retournent au même travail qu'ils faisaient
auparavant, vont encore se blesser et cela va venir augmenter le nombre des
blessures au dos. Mais il est évident que ces personnes, si on n'est pas
capable de les orienter ailleurs, vont prendre le risque de retourner à
leur travail et vont subir une deuxième, une troisième ou une
quatrième récidive, ce qui fait augmenter en flèche... Il
n'est pas rare qu'on voie une deuxième, une troisième ou une
quatrième récidive de maux de dos. Il y en a qui
récidivent tous les ans et les récidives sont un facteur
important dans l'augmentation du nombre de cas de maux de dos. Ce sont
peut-être même les cas les plus fréquents qu'on voit, des
récidives de maux de dos. Je pense que le premier point, c'est la
prévention. Mais ce n'est pas facile, autant pour les médecins,
les médecins de santé communautaire que pour la CSST,
d'entreprendre ce programme parce que ce n'est pas toujours suivi. (18
heures)
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Portneuf.
M. Pagé: Cela répond partiellement à ma
question. Je comprends qu'il y a beaucoup de travail à faire au chapitre
de la prévention. Et, à cet égard, j'apprécierais
que vous nous informiez ou que vous nous donniez votre appréciation sur
le travail de la Commission de la santé et de la sécurité
du travail à ce chapitre spécifique de la prévention au
volet des maux ou des maladies du dos.
On sait qu'il y a des critiques et qu'il y a des interrogations,
à savoir si la réclamation présentée est bel et
bien le résultat d'un accident, etc. On doit comprendre toutefois que le
médecin ou le
spécialiste, dans le cas de doute, doit évidemment donner
le crédit ou le bénéfice de ce doute à
l'accidenté lui-même, parce qu'on ne pourrait pas se permettre de
faire en sorte qu'une personne souffrant d'un mal de dos puisse être
obligée de retourner au travail, etc. En termes scientifiques, en termes
de recherche, est-ce qu'on peut présumer ou espérer que des
moyens de contrôle plus efficaces pourront prévaloir? Si oui, dans
quel délai, et qu'est-ce qui se fait?
M. Lemieux: Pour vous répondre plus spécifiquement,
il est sûr que, chez les patients qui présentent des
malformations, il y en a qui ont des prédispositions à avoir des
maux de dos. Il y a toutes sortes de malformations et il y a ensuite la stature
physiologique du patient. C'est bien entendu que, dans ce domaine, il y a
beaucoup de choses qui pourraient être faites. Si, avant d'employer un
travailleur dans une position où il va avoir à forcer et à
fournir des efforts, on lui faisait passer des radiographies et si on poussait
l'investigation d'une façon plus importante, il y a beaucoup de gens qui
seraient éliminés et on éliminerait évidemment
beaucoup de maux de dos qui surviennent par la suite. Ces gens y sont
prédisposés presque à coup sûr et on peut dire
qu'avec tel genre de travail, ils vont avoir mal au dos ce ne sera pas long.
Mais il y a toujours le facteur du coût qui entre en ligne de compte. Je
pense bien que la recherche n'est pas faite apparemment à cause des
coûts que cela imputerait. Si vous recourez à une investigation,
il n'y a pas seulement la radiologie, il y aurait d'autres tests qu'il faudrait
faire et il faudrait même pousser cela des fois jusqu'à des tests
plus importants comme la tornographie axiale qui est le nouvel instrument le
plus sophistiqué de l'heure, mais tout cela engendre des coûts
importants. Ce sont ces deux facteurs. Cela coûterait peut-être
moins cher de le faire que cela peut coûter une fois que le travailleur
est blessé. Il faudrait peut-être faire une étude à
ce sujet pour dire: Si on faisait cela, quelle différence cela
coûterait-il une fois que le travailleur est blessé? Mais on n'a
pas de chiffres pour dire le coût de ce travail et de cette
prévention. Ce serait d'après moi, moins dispendieux que ce que
cela coûte, parce que les maux de dos coûtent très cher.
M. Pagé: II n'y a pas seulement le capital financier, il y
a le capital humain qui est important. Il y aurait peut-être...
M. Lemieux: Cela va de pair.
M. Pagé: ...une économie de piastres et de cennes,
mais quelle économie cela pourrait-il donner en termes de traumatisme et
de perte d'emploi, de mutation, etc?
J'avais une autre question aussi à laquelle vous n'avez pas
répondu, c'est votre appréciation du travail qu'effectue la
Commission de la santé et de la sécurité du travail au
chapitre de la prévention dans ces cas. Ce qu'elle fait, est-ce bien ou
si ce n'est pas bien?
M. Lemieux: Nous ne sommes pas en mesure de répondre
à cela, parce que nous n'avons pas connaissance... en tout cas, il n'y a
pas de travailleurs qui nous disent qu'il y a eu du travail de fait en ce sens.
Il y en a peut-être mais...
M. Pagé: ...pas à votre connaissance.
M. Lemieux: Je ne le sais pas, s'il y en a vraiment qui est
fait.
M. Pagé: M. le Président, si vous me permettez une
dernière question...
Le Président (M. Jolivet): Une dernière question,
d'accord.
M. Pagé: ...au Dr Pomerleau. Il n'est pas ici. J'aurais
bien aimé... Je m'excuse, par contre, je vais la poser à...
M. Desjardins: Vous pouvez peut-être poser votre question,
si on est en mesure d'y répondre...
M. Pagé: Pardon?
Le Président (M. Jolivet): Non.
M. Pagé: Non, non. Si j'avais su qu'il n'y était
pas, je n'aurais pas souligné son absence, je n'y étais pas au
début, je m'en suis excusé d'ailleurs. J'aimerais poser ma
question au Dr Desjardins. Lors de l'étude de la loi 17, je me permets
cette question, ce n'est peut-être pas directement relié au
présent projet de loi, mais, par incidence, cela peut l'être et
cela saura certainement intéresser mes collègues, il y a
plusieurs groupes qui sont intervenus pour nous indiquer la meilleure ou les
meilleures façons d'éliminer à la source les risques
d'accidents de travail. Je me rappelle entre autres un mémoire qui avait
été présenté par un groupe de professionnels de
l'hôpital Saint-François-d'Assise, ici, à Québec,
qui avait étudié en collaboration avec d'autres
établissements de santé de la région de Québec le
problème de l'alcoolisme en milieu de travail. Leur documentation, leurs
enquêtes, leurs études tendaient à démontrer
très sérieusement que le problème de l'alcoolisme pouvait
être une cause importante d'accidents en milieu de travail. On se
rappellera que le ministre Marois nous avait à ce moment fait part de
toute sa réceptivité à l'égard de cette question.
On
se rappellera de plus qu'il nous avait répondu que la Commission
de la santé et de la sécurité du travail recevrait
finalement le mandat d'intervenir à ce chapitre. L'honorable
président de la Commission de la santé et de la
sécurité du travail était ici au mois de décembre.
J'ai eu l'occasion de lui poser la question pour savoir ce qui avait
été fait. Je lui ai demandé si cela était
jugé prioritaire, s'il y avait des budgets de recherche qui
étaient consacrés à cette question. On m'a répondu
qu'à la commission il ne s'était rien fait et que la commission
s'appuyait finalement sur les établissements de santé qui sont
maintenant associés à la commission dans cette démarche
pour mener à terme la loi 17.
Quelle est votre appréciation sur ce qui se fait dans le monde de
la santé à l'égard de l'alcoolisme en rapport avec les
accidents du travail, Dr Desjardins?
M. Desjardins: Si vous me permettez, je vais demander au Dr
Albert, qui est directeur des affaires professionnelles à
l'intérieur de notre fédération de répondre. Je
vous souligne, premièrement, qu'il est psychiatre et,
deuxièmement, qu'il est extrêmement intéressé,
à l'intérieur de notre fédération, à ce
problème chez les médecins et, de là, à ce qui
existe, dans notre société québécoise, canadienne,
nord-américaine, pour la prévention, le diagnostic, le traitement
et la réhabilitation. Avec ces coordonnées, le Dr Albert voudra
peut-être essayer de vous répondre?
M. Albert (Jean-Marie): M. le Président, je vais essayer
de donner une réponse simple. Les coordonnées sont trop
impressionnantes. M. le député, ma réponse est qu'à
mon avis - et c'est l'avis de plusieurs - l'alcoolisme est le problème
de santé no 1 de nos sociétés modernes. Je ne parle pas
des travailleurs, je parle des effets sur le manque à gagner. Enfin, je
vais laisser aux élus le soin de se débrouiller avec cette partie
du problème.
Donc, pour situer ma réponse dans le domaine du travail, c'est
évident que c'est un problème extrêmement important.
M. Pagé: Qu'est-ce qui s'est fait?
M. Albert: II se fait des choses. Je ne voudrais pas avoir la
prétention d'être un expert. Il y a des industries qui ont des
programmes, mais je pense qu'ils en sont encore à leurs balbutiements.
Des efforts on été faits, dans la prévention de
l'alcoolisme en général dans notre société. Je ne
parle pas seulement pour les travailleurs. Il ne faut pas oublier la femme qui
est chez elle et qui développe l'alcoolisme parce qu'elle est seule.
Pour n'importe qui, c'est un problème extrêmement important.
À mon avis, on fait très peu dans ce domaine, en ce
moment, et pas seulement au Québec, mais partout. À votre
question, je réponds par une grande généralité qui
englobe la spécifité.
Le Président (M. Jolivet): Merci. Je remercie donc M.
Desjardins et ses collègues d'être venus devant cette commission,
et ce, au nom des membres de la commission. Je vous rappelle que nous
reprendrons nos travaux à 20 heures avec la Centrale des syndicats
démocratiques. Merci.
(Suspension de la séance à 18 h 10)
(Reprise de la séance à 20 h 15)
Le Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous
plaît! Nous allons recommencer les travaux de la commission élue
permanente du travail qui se réunit aux fins d'entendre les
représentations des personnes et des groupes intéressés au
projet de loi 42, Loi sur les accidents du travail et les maladies
professionnelles. Au moment où nous avons terminé nos travaux
à 18 heures, nous avions mentionné que nous reprendrions à
20 heures avec la Centrale des syndicats démocratiques. Je vais demander
à M. Jean-Paul Hétu, président, de nous présenter
les personnes qui l'accompagnent et de nous faire ensuite la
présentation de son mémoire, peu importe comment il la fera. Nous
lui disons aussi que nous avons une partie de la soirée à lui
accorder. M. Hétu, vous avez la parole.
CSD
M. Hétu (Jean-Paul): M. le Président, pour donner
suite à votre requête, dans un premier temps, j'aimerais vous
présenter, à ma droite, M. Jean-Guy Lapierre, représentant
du textile qui accompagne la délégation; M. Paul Dubuc,
coresponsable du service de la sécurité sociale,
c'est-à-dire qu'il s'occupe des cas spécifiques de
règlement dans les cas d'accidents du travail; M. Claude Gingras,
vice-président de la CSD; à ma gauche, M. Jeannot Picard,
secrétaire-trésorier, et, un peu loin, toujours à ma
gauche, Me Yvan Bousquet, coresponsable de notre service de
sécurité sociale.
Tout d'abord, j'aimerais remercier le ministre du Travail d'avoir bien
voulu nous convoquer, par l'intermédiaire du leader parlementaire du
gouvernement, à cette commission parlementaire. Nous avons bien pris
conscience que, ce faisant, M. le ministre, vous avez fait fi d'une
recommandation qui vous avait été formulée par
écrit, par le Conseil supérieur du travail et de la
main-d'oeuvre, de limiter la tenue ou les convocations des intervenants
à ceux qui
siègent au sein du Conseil supérieur du travail et de la
main-d'oeuvre. Si vous ne nous aviez pas invités, si vous aviez tout
simplement limité les intervenants aux membres du Conseil
supérieur du travail et de la main-d'oeuvre, nous aurions
été tout simplement exclus ainsi que plusieurs autres
organismes.
Si vous me permettez, M. le Président, entre parenthèses,
je me demande s'il ne serait pas temps, M. le ministre du Travail, de commencer
à se demander s'il n'y aurait pas lieu tout simplement d'abolir ce
conseil du travail qui, comme organisme public, fait fi des droits les plus
élémentaires, non seulement des citoyens, mais aussi des
organisations syndicales ou qui s'occupent de questions sociales.
La CSD est légitimée de participer à cette
commission parlementaire, M. le Président, parce que mensuellement,
depuis plus d'un an, nous avons comme dossiers devant la Commission de la
santé et de la sécurité du travail ou devant la Commission
des accidents du travail - et les dossiers sont bien comptés, je vous
prie de me croire - 533 cas en moyenne et cela, depuis un an, des cas que nous
défendons au nom et pour des membres de nos syndicats affiliés
à la Centrale des syndicats démocratiques. Nous avons
été obligés, comme organisation syndicale, de former 30
militants ou représentants syndicaux dans les diverses régions
pour qu'ils puissent s'occuper de façon régulière et
constante des cas à compter du moment où les travailleurs ou
travailleuses ont un problème à l'égard de la Commission
de la santé et de la sécurité du travail. De plus, nous
avons, bien sûr, été obligés - comme je l'ai
mentionné dans la présentation des délégués
- de former un service qui est dirigé par deux personnes, un avocat -
parce que de plus en plus, à cause des problèmes juridiques
auxquels nous sommes confrontés dans l'application de cette loi, il faut
recourir à cette dimension... Il a donc fallu embaucher un avocat qui,
à plein temps, s'en occupe, avec les autres permanents qui, dans les
différents dossiers, ont à donner des conseils ou tout au moins
à représenter les travailleurs devant les bureaux de
révision. Ces autres permanents sont impliqués aussi dans tous
ces dossiers. Or, c'est à partir de cette expérience que nous
avons accumulée, non seulement depuis un an, mais depuis plusieurs
années, en fait, depuis que la Centrale des syndicats
démocratiques existe... Depuis déjà plus de dix ans, nous
avons accumulé une expérience concrète et pratique, pour
ne pas dire quotidienne, de représentations des travailleurs pour faire
appliquer la Loi sur les accidents du travail. Je vous prie de nous croire que
nous sommes très heureux qu'enfin le gouvernement décide de la
modifier, de la remplacer par la Loi sur les accidents du travail et les
maladies professionnelles.
En principe, nous sommes d'accord pour qu'il y ait une nouvelle loi.
Cependant -c'est pourquoi nous sommes ici - nous ne sommes pas d'accord sur
toutes les propositions de ce projet de loi, mais il y a un aspect sur lequel,
M. le ministre, je voudrais insister, qui est le suivant: il y a un aspect que
nous trouvons intéressant, qui concerne le règlement - pour nous,
c'est capital - des problèmes des travailleurs atteints d'amiantose
depuis l'adoption de la loi 52.
Comme vous le savez, M. le ministre, et comme les députés
de l'Opposition le savent également, puisqu'on les a rencontrés
pour discuter de ce problème, de plus en plus, le problème de
ceux qu'on appelle les miraculés, s'envenime et s'aggrave. Il y a
quelques années, on a reconnu des travailleurs atteints d'amiantose;
voilà que, maintenant, on trouve... On va demander cela au pape;
apparemment, il va annoncer une canonisation. Je suis à peu près
assuré que, s'il y a eu des miraculés dans les cas d'amiantose,
c'est par ce saint dont nous ignorons encore le nom et qui devrait être
canonisé... tout au moins, qu'on nous le fasse connaître. Enfin,
on trouve cela bizarre qu'il y ait des miraculés dans l'affaire de
l'amiantose, surtout pour le problème devant lequel on est placé:
c'est qu'on veut leur faire perdre leur indemnité.
Alors, dans les dispositions transitoires, nous retrouvons des
dispositions... Là, on voit l'opinion du gouvernement ou, tout au moins,
sa volonté, celle de régler définitivement ces
cas-là à partir du 3 septembre. La seule chose qu'on vous
demande, M. le ministre, c'est que, si jamais vous passez l'épreuve de
la troisième lecture, vous proclamiez ou que vous mettiez cela en
vigueur au plus sacrant. Qu'on n'attende pas un an ou deux, parce que ces cas
d'amiantosés vont s'aggraver ou, tout au moins, il y en aura plus. Mais
ce qui sera plus grave, c'est que ceux d'après le 3 septembre, on ne
pourra pas les régler. Sur ce point-là, nous sommes vraiment
d'accord et on souhaite que, si ce n'est pas par proclamation - vous pourrez
nous l'expliquer tantôt - il faudrait que cela se règle dès
l'adoption du projet de loi. Que les cas d'amiantosés, une fois pour
toutes, on les laisse tranquilles; ils ne sont plus au travail, pas plus
qu'à la retraite, mais ils sont dans une situation... Qu'on leur fiche,
j'allais dire "sacrament", la paix. Je m'excuse, je sais que ce n'est pas
parlementaire, mais parfois vous l'utilisez. Alors, je peux me reprendre
là-dessus.
M. le Président, est-ce que...
M. Cusano: ...parfois, il s'échappe comme cela.
M. Hétu: Vous autres, vous êtes plus
témoins que cela; moi pas. Mais cela fait partie de la culture du
Québec, selon ce qu'on m'a dit.
Est-ce qu'il y a une période qui nous est allouée pour la
présentation du mémoire ou si on n'est pas limité par le
temps?
Le Président (M. Jolivet): Ce que je peux vous dire, c'est
que, normalement, nous avions prévu le travail de 20 heures à 22
heures. Si vous prenez plus de temps, il y aura moins de questions. Si vous
prenez moins de temps, il y aura plus de questions.
M. Hétu: D'accord. Même si le dossier compte 42
pages, je vais tenter de réduire l'exposé à 20 minutes.
J'espère ne pas trop vous ennuyer par cet exposé, mais je vais
faire mon possible pour que tout le monde soit intéressé.
Nous abordons sept thèmes où nous estimons
nécessaire d'apporter des propositions de changement, M. le
Président. Le premier thème concerne les maladies
professionnelles. Les dispositions légales qui sont
énoncées dans cette section sont anémiques si l'on
considère le manque de paramètres légaux et
médicaux qui sont nécessaires pour en arriver à
l'indemnisation d'un travailleur atteint d'une maladie professionnelle. Ces
règles sont, par ailleurs, abondantes et précises dans le manuel
de la réparation et les politiques de la commission. Ce contraste fait
ressortir le caractère arbitraire et bureaucratique qui devrait
être, selon nous, plutôt régi par des dispositions
légales additionnelles et par un collectif indépendant.
Tout d'abord, quelles sont les manifestations concrètes de ce
caractère arbitraire? Le manuel de la réparation, comme vous le
savez sans doute, est un pouvoir délégué au comité
de direction. Le conseil d'administration n'en détient pas
l'autorité. Il reçoit l'information du comité de direction
ou du vice-président responsable. Le conseil d'administration apprend,
par exemple, les modifications qui y sont apportées tout comme on en
informe les utilisateurs. Le travailleur qui est atteint d'une maladie
professionnelle ou le syndicat qui le représente est dans une situation
d'infériorité inadmissible à l'égard de la
commission, s'il ne possède pas une copie du manuel qu'il doit payer 50
$ pour un abonnement d'un an et, surtout, s'il n'a pas une compétence et
une expérience pratique et poussée du fonctionnement interne de
la commission.
S'il s'agit d'une maladie professionnelle non prévue, il doit
faire la preuve que cette maladie a un caractère professionnel. Comment
doit-il faire le diagnostic? Est-ce uniquement à partir d'une
évaluation clinique qui tient compte aussi de l'environnement
pollué de son travail? Doit-on avoir aussi des informations
épidémiologiques? D'autre part, est-ce que le spécialiste
médical doit prendre en compte la susceptibilité individuelle,
etc.? La recherche d'informations pertinentes pour l'obtention d'une expertise
valable requiert l'intervention de plusieurs spécialistes et coûte
aussi une somme d'argent importante. Qui va assumer cette
responsabilité? Ce qui est plus grave encore, est-ce qu'on va laisser le
soin à la commission, tout au moins à quelques experts quelque
part, de décider quelles seront les nouvelles maladies professionnelles
qu'on devra ajouter à la liste en annexe A?
S'il s'agit d'une maladie professionnelle reconnue, le travailleur
atteint doit, malgré la présomption que lui accorde l'article 28
du projet de loi, prouver, selon les règles de preuve habituelles, la
gravité de ladite maladie. Cette preuve doit identifier l'agent
agresseur, déterminer l'exposition à celui-ci et la
réalité de la lésion qui affecte le travailleur. Les
critères relatifs à ces trois éléments sont connus.
Bien sûr, ils sont décrits dans le manuel de la réparation,
mais sont-ils disponibles aux plaignants et aux experts?
Voici un cas qui démontre le contraire. Dans un cas de maladie
pulmonaire, un travailleur des Cantons de l'Est - et on ne l'a pas choisi parce
que vous venez de Sherbrooke, M. le ministre, mais cela adonne comme cela -
avait quitté son emploi par suite d'une recommandation d'un
spécialiste, sous prétexte que son emploi aggraverait son
état de santé s'il continuait d'être exposé au
contaminant. Il a ensuite fait sa requête d'indemnisation à la
commission. Après plus d'un an, les études ont
démontré que le travailleur n'avait pas droit à
l'indemnisation. Dans l'évaluation technique de son état de
santé, les experts de la commission n'avaient pas reconnu l'expertise
médicale du travailleur parce que l'expert avait utilisé une
technique désuète qui n'était pas assez avancée
technologiquement au dire de la commission. (20 h 30)
Dans un cas de lésion musculo-squelettique, la solution du
problème d'indemnisation a pris plus d'un an et demi. Dans un premier
temps, il a été impossible d'établir le lien
médical existant entre la lésion et le travail exercé par
le plaignant selon les méthodes traditionnelles des spécialistes.
Cependant, grâce à l'expertise d'un DSC, une étude
ergonomique a été entreprise sur les lieux du travail. C'est
ainsi qu'on a pu démontrer, à la satisfaction de la commission,
que la cause de la maladie dépendait réellement des
répétitions de mouvements que le travailleur était
obligé de faire en produisant tel type particulier de produit fini. En
d'autres termes, il n'a pas fallu se baser uniquement sur les diverses
expertises d'un spécialiste, mais il a fallu
aller en milieu de travail pour véritablement faire
l'étude, compte tenu des diverses postures ou des différents
mouvements que la personne devait effectuer, afin de savoir ce qui était
à l'origine de sa maladie musculo-squelettique, etc. Par ailleurs, dans
un cas différent, il a été impossible de procéder
à l'étude ergonomique sur les lieux du travail. Pour
différentes raisons, il a été impossible de le faire, donc
le cas n'a pas été considéré.
Si on prend le cas des maladies suscitées par des contaminants,
on a beaucoup de difficulté à établir la preuve à
la satisfaction de la commission parce qu'on a peu d'études sur ces
risques professionnels et sur les méthodes préventives. Des
délais sont occasionnés parce que tel produit toxique n'est pas
considéré, par exemple, comme faisant partie des secteurs
prioritaires. Dans les secteurs prioritaires, il y a aussi des délais
importants parce qu'on manque de personnel qualifié pour réduire
ces délais. C'est important à retenir. Le travailleur doit
recourir à des consultants privés pour obtenir l'expertise, mais
les coûts sont remboursés selon les barèmes de la
commission qui ne correspondent pas au prix exigé par les experts.
Alors, c'est la problématique qu'on a voulu soumettre en gros
relativement aux maladies professionnelles.
Ensuite, il y a pour nous un autre problème relatif à ce
qu'on peut appeler le retrait préventif, même s'il n'en porte pas
le nom comme tel dans le projet de loi. Lorsqu'on compare les articles 30 et 31
prévus au projet de loi et les articles 32 et 39 de la Loi sur la
santé et la sécurité du travail, on s'aperçoit
qu'on appréhende le problème de deux manières: une
première approche en vertu du présent projet de loi et une autre
approche en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du
travail. L'approche en vertu de ce projet de loi est caractérisée
par l'augmentation du pouvoir discrétionnaire accordé à la
CSST, lequel pouvoir n'est pas conféré à la CSST dans la
Loi sur la santé et la sécurité du travail. De
manière plus concrète, cela signifie qu'en vertu du projet de loi
seule la CSST pourra demander à l'employeur une nouvelle affectation et
seule la CSST autorisera la cessation du travail. Nous estimons, après
étude, que le travailleur subira les désavantages suivants: par
exemple, il n'aura aucun mot à dire sur sa réassignation au
travail ni sur la cessation du travail. Il va être affecté par les
délais bureaucratiques résultant par exemple du temps requis par
la CSST pour rendre la décision de réassignation et celle de
cessation de travail, et du droit de contestation qui peut être
exercé par l'employeur.
Quant à ce chapitre, voici les propositions que nous vous
soumettons, messieurs les membres de la commission parlementaire. Nous
proposons que le gouvernement crée une commission de recherche et de
dépistage de la maladie professionnelle qui sera complètement
indépendante de la CSST, l'organisme payeur; que cette commission soit
composée, à part égale, non seulement de
spécialistes, de représentants patronaux et d'employeurs, mais
aussi des autres intervenants; que le mandat de cette commission soit de
déclarer le caractère professionnel d'une nouvelle maladie, de
compléter la liste des maladies professionnelles, de réviser et
d'adapter le manuel de réparation qui définit les
paramètres des maladies professionnelles, de réviser et d'adapter
les barèmes d'évaluation de la maladie et de l'accident en tenant
compte des éléments que vous avez d'ailleurs mentionnés
dans le projet de loi, mais nous y ajoutons aussi l'inaptitude au retour au
travail, et de déterminer les types de services dont le travailleur a
besoin pour prouver le caractère professionnel et la
sévérité d'une maladie. Que cette commission, bien
sûr, ait tous les pouvoirs nécessaires pour faire appliquer ces
mandats.
Quant au retrait préventif, nous proposons qu'il y ait un seul et
unique mécanisme de retrait préventif pour tous les types de
maladies causées par le travail; qu'il n'y ait pas deux types
différents, un dans la Loi sur la santé et la
sécurité du travail et l'autre dans le projet de loi 42. Que ce
mécanisme ne soit pas lié à un pouvoir
discrétionnaire accordé à la CSST et qu'on permette aux
travailleurs de juger de l'exercice de ce droit. En passant, cette
revendication est fondée sur un sondage que nous avons fait
auprès de 2000 travailleurs et la majorité d'entre eux, à
qui on offrait différentes options, ont préféré ce
mode.
Le droit à l'information. Ce chapitre est assez volumineux et le
texte est même très serré. C'est une étude
exhaustive que nous vous soumettons. Je ne vous la lirai pas en entier. C'est
une étude exhaustive qui a été faite auprès de nos
militants responsables qui, régulièrement, travaillent ou ont des
rapports avec les travailleurs qui se plaignent devant la commission et ont des
rapports avec la commission. Il y a là une problématique et nous
avons décrit de façon détaillée, de manière
concrète, les différents problèmes pratiques qui
indiquent, non pas que le droit à l'information est nié de
manière absolue, mais comment ce droit à l'information peut
être nié sur des points particuliers, sur d'autres aspects, et
ainsi de suite. Il y a une annexe où on met pendant quatre pages les
différents problèmes pratiques qu'on rencontre par rapport
à l'exercice du droit à l'information que nous avons
exposé avec un petit peu plus de chair dans le chapitre relatif à
l'information.
Je vais passer aux conclusions et
recommandations. La CSD estime que le droit d'accès à
l'information reconnu dans les articles 44 à 47 est trop
général et insuffisant. Nous proposons qu'il soit
complété par d'autres dispositions spécifiques qui
imposent une obligation à la CSST.
Quelles dispositions devrions-nous ajouter à ce droit
général à l'information qui est reconnu? Tout d'abord,
obligation à la CSST de transmettre au travailleur copie de toutes les
pièces qui sont produites au fur et à mesure - j'insiste - au fur
et à mesure de la confection de son dossier. Par exemple, lorsque le
travailleur veut contester un cas, on va demander à la commission
l'information parce que, lorsque l'agent d'indemnisation nous avise, elle est
réduite, elle n'est pas motivée, etc. On va demander
l'information, on va l'avoir en vrac, tout d'un bloc. On dit que,
dorénavant, il va être important et il faudrait qu'une obligation
soit là parce que cela a un impact direct sur sa préparation et
sa défense. Il faut qu'on transmette au travailleur copie de toutes les
pièces qui sont produites au fur et à mesure; sinon,
après, c'est beaucoup plus long, la préparation est plus
lente.
Alors, on estime que le droit à l'information se doit
d'être complété comme cela. Il y a aussi toute une question
fondamentale qu'on va aborder dans le chapitre des appels. C'est
qu'actuellement il est faux de dire que le travailleur est sur un pied
d'égalité à l'égard de la commission. Ce n'est
même pas Goliath ou David parce que, maudit, selon la Bible, le petit a
tapé le géant.
C'est dans ce cadre qu'on fait une recommandation spécifique par
rapport au droit à l'information, pour permettre au travailleur, qui est
en situation d'inégalité fondamentale vis-à-vis de la
commission ou de l'employeur, tout au moins, s'il n'est pas égal, de se
rapprocher de cette égalité que normalement la loi doit
reconnaître. C'est pour cela qu'on demande d'informer le travailleur de
l'avancement de son dossier chaque fois que le dossier franchit une
étape de traitement; de diffuser à l'intention du travailleur un
schéma type du cheminement d'un dossier ainsi que les règlements
de régie interne s'y rattachant; de diffuser à l'intention des
travailleurs et médecins l'information de base à propos de la
production, par exemple, de l'avis d'accident RE-1 et du rapport
médical; d'assumer tous les frais d'examen et d'expertise que le
travailleur doit payer actuellement et qui constituent des coûts
d'information. Enfin, les légalistes, vous devez savoir combien il est
important de motiver par écrit les décisions prises. Ma foi du
bon Dieu! je présume qu'ils savent écrire. Quand on regarde les
critères d'embauche au niveau de la commission, ma foil on
présume qu'ils sont compétents, mais qu'on les motive les
décisions! Excusez-moi. Je suis en train de m'emporter, mais je trouve
cela effrayant. Chaque fois, tous nos militants, nos représentants ont
une décision qui n'est pas motivée. Comment voulez-vous qu'on
défende le gars, notre base? Je ne suis pas avocat, mais j'ai
défendu quelques griefs. Quand même, tous nos gars, comme Jean-Guy
et Paul, sont pris avec ce problème-là. Qu'on motive les
décisions. Est-ce possible de mettre cela dans la loi, quelque part?
Autre problème en ce qui concerne les relations entre la victime
et la médecine. L'option prioritaire de la CSD se fonde sur
l'émergence d'une véritable médecine
québécoise du travail. Certains pas en ce sens sont franchis; on
le reconnaît parce qu'il existe actuellement une nouvelle
génération de médecins - et ce ne sont pas ce qu'on
appelle des médecins de gestion -qui sont articulés - et c'est
vraiment le "fun" - qui ont une éthique et qui sont en train de
développer une compétence en matière de médecine du
travail. Pour progresser, on propose qu'une action concertée -
peut-être que cela a été fait et, si cela ne l'a pas
été, qu'on le dise, on est ici pour discuter - soit entreprise
pour offrir aux médecins une formation adéquate, entre autres,
sur le contenu type d'un rapport médical et sur le rôle qu'ils
sont appelés à assumer dans le cheminement d'un dossier
d'accident du travail ou de maladie professionnelle. Combien de médecins
ne veulent pas venir témoigner pour différentes raisons! La CSST,
les parties, les services de santé communautaire et le ministre des
Affaires sociales sont concernés au premier chef. Ils doivent avoir la
responsabilité d'amorcer cette action. Par ailleurs, nous demandons au
législateur de créer l'obligation à l'employeur de fournir
une copie de toute contestation au travailleur concerné dans les
mêmes délais que son droit de recours. Enfin, il est urgent qu'on
règle définitivement les problèmes administratifs. Nous
allons y revenir dans le chapitre relatif au financement.
Indemnités. Je ne sais pas si je dois lire tout cela. Je peux
vous résumer bien clairement notre position. On n'est vraiment pas
d'accord, cela n'a pas de maudit bon sens, cela n'a pas de bon sens. C'est bien
dommage, mais on va traiter de l'affaire de la diminution des coûts dans
le chapitre du financement. Mais le faire sur le dos des travailleurs et des
travailleuses victimes d'accidents - c'est notre principe de base -jamais on ne
va accepter cela! Cela, batêche! cela ne marche pas. Vous savez ce que je
veux dire, cela ne marche pas! En tout cas, je vais faire un exercice
littéraire après vous avoir fait part de notre sentiment
collectif. Ce n'est pas seulement du président, je tiens à vous
le dire.
Dans le régime actuel comme dans le
régime proposé, les principes de base de l'ITT par rapport
à l'IRR sont les mêmes, soit l'indemnisation de la perte de revenu
pendant la période où le travailleur accidenté est
incapable d'exercer son emploi. La différence fondamentale des deux
régimes est la durée, parce que le projet de loi réduit au
minimum et le montant, et le paiement de l'indemnité. Par cette nouvelle
attitude, le gouvernement démontre clairement le changement des
objectifs sociaux qu'il introduit par cette nouvelle forme d'indemnisation.
Actuellement, l'accidenté reçoit 90% de son salaire net.
Vous savez cela. L'objectif est l'indemnisation presque totale de sa perte de
revenu pour toute la période où il est inactif. Vous le savez.
Avec le nouveau projet de loi, on installe un mécanisme de coupures
indépendantes de la volonté et de la santé du travailleur.
Les paramètres de ce mécanisme de coupure sont l'âge du
travailleur, les revenus auxquels il aurait droit ou pourrait gagner et le
pouvoir discrétionnaire de la CSST face à l'emploi. Cela,
franchement, ça charrie drôlement. L'article 57, premier et
deuxième paragraphe, est trompeur et cache la réalité aux
travailleurs. Tel qu'il est formulé, il nous dit que l'IRR cessera soit
à la fin de l'incapacité ou au décès du
travailleur. Cela est faux, lorsqu'on lit la suite des dispositions. Les
articles 56 et 57, troisième et quatrième paragraphe,
réduisent ou annulent l'IRR pour des raisons d'âge ou de droit
à une rente de retraite reçue ou pas, indépendamment de la
capacité du travailleur à effectuer son travail. Ces articles
sont injustes pour les travailleurs et les travailleuses. (20 h 45)
L'article 75 nous semble un bonbon empoisonné qui a
été créé seulement pour permettre les coupures
prévues par les articles 76, 77 et 79. Cet article, d'après les
calculs qu'on a faits, va favoriser les hauts salariés, mais ne donnera
rien pour les nombreux travailleurs au salaire minimum, car l'IRR incitatif
sera nul. Les articles 76 et 77 créent un système de
pénalité discrétionnaire basé sur le refus ou
l'abandon d'un emploi, ce qui laisse entendre que l'on considère le
travailleur accidenté comme un paresseux qui ne veut pas travailler.
L'article 79 est la négation du droit du travailleur à reprendre
l'emploi qu'il avait au moment de l'accident. La CSST, par ce système de
création d'emplois hypothétiques, aura tout le pouvoir
discrétionnaire de couper la rente du travailleur au début de la
quatrième année de son accident. Par ces dispositions, le
gouvernement remet en cause tous les principes de remplacement du revenu.
L'article 81 définit les critères qui serviront à
calculer l'indemnité pour dommages corporels. La CSD trouve regrettable
que la notion d'inaptitude de retour au travail soit enlevée du calcul
de l'indemnité pour dommages corporels. Nous considérons que
cette notion est fondamentale dans l'évaluation des séquelles
permanentes à la suite d'un accident du travail. Par l'exclusion de ce
facteur, on se pose toutes sortes de questions. Veut-on réduire
davantage les coûts de la réparation professionnelle? Qu'est-ce
qui motive le gouvernement? Est-ce une indifférence à
l'égard des accidentés ou est-ce par ce moyen que nous rendrons
les entreprises plus concurrentielles? Est-ce ainsi qu'on veut rendre plus
flexible le retour au travail? Quel que soit le motif, en tout cas, pour nous,
ce changement constitue une régression importante. Voici ce qu'on
demande, c'est clair: que les articles 56, 57, troisième et
quatrième paragraphe, 76, 77, 78, 79 et 80 -là, il y a une petite
erreur, vous vous en doutez sans doute, dans le texte - soient abrogés;
que la notion d'inaptitude au travail soit incluse dans le calcul de
l'indemnité pour dommages corporels et qu'ensuite l'on révise
globalement le règlement 59 en fonction des standards et des nouvelles
connaissances médicales.
Réinsertion sociale et professionnelle. Le chapitre VI du projet
de loi emprunte la même orientation que l'article 79 et consacre le droit
de démission de la CSST à l'égard de ses obligations face
au travailleur victime d'un accident du travail ou d'une maladie
professionnelle. L'article 79 que nous avons recommandé d'abroger
réduit et élimine la responsabilité financière de
la CSST à l'endroit d'un type de victime particulièrement
fragile, à savoir ceux et celles qui demeurent incapables d'exercer leur
emploi. Dans la même perspective, les articles 138 à 144 ne
consacrent nullement l'obligation pour la CSST de trouver un emploi à la
victime et l'article 147 vient limiter à partir de critères,
notamment, industriels le droit de retour au travail.
Les recommandations que nous faisons à ce chapitre sont les
suivantes: que les articles 138 et 144 soient modifiés et consacrent
l'obligation pour la CSST de trouver un emploi aux travailleurs victimes et que
le droit de retour au travail ne soit nullement limité,
c'est-à-dire qu'il faut éliminer l'article 147.
Financement. Nous savons que dans l'ensemble du régime actuel la
compensation des dommages représente un coût économique
très important, La CSD souscrit à l'objectif
général de minimiser le coût des accidents du travail et
des maladies professionnelles pour la société
québécoise, mais, comme je l'ai mentionné
précédemment, nous n'accepterons jamais que ces objectifs soient
poursuivis sur le dos des victimes. C'est pour cette raison que nous avons
rejeté une série d'articles. Cependant, nous proposons de
minimiser le coût des accidents du travail ou des maladies
professionnelles autrement qu'en appliquant - je le répète - sur
le dos des victimes le concept et les pratiques de restrictions
budgétaires. Pour y arriver, nous estimons qu'il y a trois
problèmes majeurs qu'il faut mettre en lumière: la gestion de la
CSST, le rôle de la prévention et la contribution du gouvernement
du Québec.
La gestion de la CSST. Avec les dépenses qui, en 1982,
frôlaient le milliard de dollars, tout le monde le sait, la CSST est sans
doute la plus grosse bureaucratie québécoise. Plutôt que de
minimiser le coût des accidents du travail et des maladies
professionnelles, je le répète encore, en limitant les droits des
victimes, il est prioritaire et essentiel de voir clair dans cette
bureaucratie. Il faut remettre en question la CSST au sujet de son organisation
et de son fonctionnement, de son organigramme, de ses structures
hiérarchiques; les vice-présidences, les directions, les
services; de l'organisation concrète du travail et de la
répartition des tâches à la base, c'est-à-dire au
niveau des fonctions directement ou indirectement en contact avec la
population. Il y a là, quant à nous, un élément
important des coûts et, si une étude doit être faite,
qu'elle le soit non pas par des spécialistes en gestion traditionnelle,
mais avec les nouveaux modes que l'on connaît. Il y aurait
possibilité de voir à réduire les coûts.
La prévention. La prévention, incluant la formation,
n'occupe pas encore la place qui lui revient dans la diminution des coûts
des accidents du travail et des maladies professionnelles au Québec. Le
rapport annuel de la CSST, en 1982, montre que les programmes de
prévention représentent à peine 3,2% des dépenses
globales de la commission, soit trois fois moins que les frais
d'administration. Je vous le dis honnêtement: La loi sur la santé
est adoptée depuis 1979, on trouve cela scandaleux. Il y a quelque chose
qui ne marche pas. De même, l'article 179 propose un mode de financement
qui diminuera les coûts par rapport au régime actuel: que
fera-t-on de ce surplus? Diminuer les cotisations ou investir davantage en
prévention et en formation? Un certain discours a rapidement
écarté l'investissement pour se rabattre sur l'opinion que le
surplus engendré doit servir à diminuer les cotisations.
Bref, on estime que la prévention n'a pas encore pris sa place
dans la problématique québécoise de la santé et de
la sécurité au travail. L'objectif majeur, mis de l'avant par
l'adoption de la loi 17 sur la santé et la sécurité,
c'était de relever ce défi majeur de diminuer les coûts de
la compensation, le coût économique, et le coût social qui
est supporté par les travailleurs. Or, là-dessus, il faut qu'on
accélère le processus.
La contribution du gouvernement du Québec. Il nous apparaît
que la contribution du gouvernement du Québec n'a pas été
suffisante, qu'elle n'a pas été ce qu'on était en droit de
s'attendre en matière tout au moins d'investissement dans la
prévention et d'investissement dans la formation. Nous regrettons que,
dans le programme de relance, on ait mis de côté, ignoré
cet aspect capital. L'histoire des dernières années, depuis la
deuxième guerre mondiale, nous révèle que, chaque fois que
le Québec a voulu relever le défi de la
compétitivité ou des changements technologiques, il l'a fait,
mais, aujourd'hui, nous payons pour les pots cassés parce que nous
n'avons pas tenu compte, hélas, de toute la dynamique indispensable
qu'est la prévention. Il nous faut associer, c'est capital... On
s'engage, nous dit-on, dans un virage technologique. On s'engage dans un
relèvement de notre économie quant au commerce international. Des
sommes y sont investies. Nous applaudissons, mais nous disons: Ne commettons
pas l'erreur traditionnelle du passé, des années 1949 à
aujourd'hui, qui nous a conduits à un taux d'accidents et de maladies
professionnelles si élevé.
Aujourd'hui, ce qu'on trouve dommage, c'est qu'on dénonce
à tour de bras la réglementation, parce qu'on dit que cela
coûte trop cher. On ne nie pas qu'il y a beaucoup de
réglementation en matière de santé et de
sécurité, mais, dans le fond, on veut réparer ce qui n'a
pas été prévu, ce qui n'a pas été
réglé au moment des investissements pour relancer l'entreprise.
C'est dans ce dilemme-là qu'on se trouve. C'est pour cela que notre
choix fondamental, c'est l'investissement dans la prévention. Les
investissements dans la prévention doivent accompagner les
investissements de capital. C'est fondamental. Comment pourrons-nous
réduire les accidents et les maladies professionnelles uniquement par
les normes du règlement de la qualité du milieu de travail, en
imposant à l'employeur des amendes ou en lui imposant tout simplement de
se conformer à la norme des décibels ou à la norme de
chaleur, etc.? On le sait par expérience, il faut qu'on change les
milieux de travail par un investissement en matière de
prévention. C'est là qu'est la clé majeure et c'est le
défi que le Québec, par l'adoption de la loi 17, a voulu relever.
C'est pour cela que nous et d'autres aussi non seulement on a applaudi, mais
qu'on s'est attelé à la tâche et qu'on a
décidé, comme syndicalistes, de prendre des
responsabilités concrètes dans les entreprises pour relever le
défi avec les employeurs à ce niveau-là. Mais non! On dit:
Il faut minimiser les coûts, on va couper sur les indemnités. Cela
ne marche pas. Nous, on ne comprend pas cette logique. On ne comprend vraiment
pas cela.
En conclusion, M. le Président -j'achève - nous proposons
de créer une commission d'enquête, avec auditions publiques, sur
le fonctionnement administratif de la CSST et sur les budgets de
prévention; à cet égard, la dernière commission
parlementaire n'a pas permis, vous le savez autant que moi, d'élucider
cette question si lourde de conséquences. Nous proposons de structurer
un modèle de comptabilité sociale adapté à la
santé et à la sécurité au travail de façon
à fournir à la commission d'enquête les paramètres
nécessaires pour définir les moyens d'établir un arbitrage
équitable entre l'investissement en prévention et formation et
les dépenses en compensation. Quant à nous, ces moyens peuvent
aller jusqu'au démantèlement de la structure actuelle de la
commission, par exemple, créer un organisme spécifique qui serait
responsable de la prévention et un autre qui serait responsable de
l'indemnisation. C'est pour cela qu'on dit que cela mérite, comme
hypothèse, d'en faire l'étude. Enfin, nous proposons de faire de
la prévention et de la formation un vaste programme public
d'investissement en capital humain dans le cadre du plan de relance
économique du gouvernement du Québec.
Compétence et appel. Je passe immédiatement à la
section des conclusions et recommandations. Nous demandons, dans le but
d'égaliser les chances du travailleur devant la CSST, qu'on lui donne un
recours réel en révision de toute décision de la CSST.
Est-ce possible d'inclure cela dans la loi? Il me semble que ce n'est pas
sorcier. Nous demandons le droit d'être entendu lors d'une audition
dûment convoquée dans des délais raisonnables; le droit
à des juges impartiaux et indépendants de la CSST; le droit
à une représentation par son syndicat, tant au niveau
médical que juridique, etc. (21 heures)
Le droit à l'assistance médicale. Il y a un petit
problème sur lequel on voudrait insister. Peut-être qu'on a mal
compris, mais c'est dans la rédaction du texte de l'article 125 qui, tel
que formulé, nous semble ne pas reconnaître le drame du
travailleur aux prises avec une détérioration de sa santé.
Alors, on dit qu'on pourrait, si on l'interprétait de manière
restrictive, lui refuser l'aide médicale. On sait que ce n'est pas cela,
à la lecture du restant des articles, que cela vise comme objectif... On
se dit: Est-ce possible - c'est une question de formulation, on ne veut pas
faire de chicane là-dessus - de formuler l'article pour qu'il
reconnaisse l'assistance médicale non seulement à la victime,
mais aussi au travailleur qui présente, par exemple, des effets
pathologiques? Sur ce, je vous remercie de votre attention.
Le Président (M. Jolivet): M. le ministre, vous avez la
parole.
M. Fréchette: Je vous remercie. Vous allez comprendre que
mes premières remarques soient des remarques d'appréciation pour
les invités qui sont à la table, la Centrale des syndicats
démocratiques, son président et les membres de l'association qui
l'accompagnent. Vous avez manifesté, M. le président, à un
moment donné de votre intervention, une espèce
d'inquiétude que vous sembliez nourrir, à savoir qu'il pouvait
être possible que vous nous ennuyiez. Je vous signale dès
maintenant que telle n'a pas été la situation. D'ailleurs, on ne
s'ennuie jamais avec votre groupe, avec ceux qui travaillent chez vous. Il est
également clair, M. le Président, que, dans les circonstances qui
nous amènent à l'étude de ce projet de loi, l'invitation
qui a été faite à la Centrale des syndicats
démocratiques, comme d'ailleurs à l'ensemble de tous les autres
groupes intéressés, cette invitation, elle allait de soi,
nonobstant le fait qu'un organisme avait suggéré que l'on limite
le débat autour et alentour de la loi 42. D'ailleurs, je pense que la
décision qui a été prise était la bonne dans les
circonstances parce que 44 organismes ou groupes nous ont déjà
soumis des mémoires et parmi ceux-là 42 ont manifesté le
désir d'être entendus, de venir en commission. Je pense que la
décision qui avait alors été prise était celle qui
s'imposait dans les circonstances.
Maintenant, M. le Président, le mémoire de la Centrale des
syndicats démocratiques - et remarquez que je n'en fais grief à
personne - nous est arrivé tout à fait récemment, de sorte
que, quant à moi, en tout cas, je n'ai pas eu l'occasion autant que je
l'aurais souhaité de pouvoir le regarder attentivement, d'en
étudier toutes les implications, mais c'est un exercice que je ferai,
soyez en sûrs, et dans les meilleurs délais. À cause de
cette situation, je vais devoir, évidemment, limiter mes demandes de
renseignements, d'information, et aller au mémoire parce qu'il y a
très certainement des questions que j'aurais le goût de vous
poser, auxquelles je pourrais obtenir réponse dans le mémoire,
car il devient évident, à la lecture du mémoire, qu'il
fait référence à l'ensemble du projet de loi tant en
termes généraux qu'en termes d'évaluation d'articles
particuliers dans le projet. Vous y avez fait référence,
d'ailleurs, abondamment dans votre argumentation verbale devant nous.
Vous avez également indiqué que cette loi 42, dont
l'objectif est de revoir les dispositions de la Loi sur les accidents du
travail qui est là depuis 1931, était nécessaire, mais
vous avez ajouté, et je l'ai noté avec attention, que vous
n'étiez pas nécessairement d'accord avec tout ce qu'on y
retrouvait. C'est précisément la raison pour laquelle ces
auditions sont tenues. C'est précisément pour connaître
l'évaluation,
l'appréciation qu'en font les organismes habilités
à venir nous livrer ici le fruit de leur expérience, de
l'application quotidienne des mécanismes qu'on retrouve en
matière de santé et de sécurité. Je l'ai dit ce
matin dans une déclaration d'ouverture: il est certain que toute
proposition qui nous sera soumise va faire l'objet d'une considération
importante. Il est également certain que, lorsque l'argumentation qui
nous est soumise nous amène à la conclusion recherchée par
l'organisme qui la soumet, il faudra effectivement songer à revoir le
projet de loi en conséquence. C'est particulièrement vrai,
lorsqu'à la fin de toute l'opération qui nous permettra
d'entendre ces 42 organismes, que l'opération de modifier la loi, de la
revoir, de réévaluer certains des mécanismes qui y sont
inclus devra se faire lorsque cela procédera d'un consensus des parties
ou de la majorité des parties que nous aurons entendues. C'est
évident qu'à cet égard on ne peut pas rester insensible
à des représentations qui, en termes de conclusion, se
rejoindraient toutes ou très majoritairement.
M. le Président, vous avez aussi fait état de vos
préoccupations quant aux dispositions transitoires contenues dans la loi
qui se réfèrent de façon précise à ceux
qu'on est maintenant convenu d'appeler les miraculés de l'amiante. Il
s'agit d'une situation, on le sait, qui a découlé de certains
jugements que les cours de droit commun ont rendus, des jugements qui ont
été rendus dans le district de Saint-François notamment,
qui ont procédé à interpréter la définition
du terme "ouvrier", la définition du terme "mine", et qui ont
également eu des impacts importants sur le certificat de santé ou
l'équivalent, le permis de travail. Cette situation a été
amplifiée par des diagnostics médicaux qui ont
différé du tout au tout en l'espace de quelques mois ou de
quelques années. Enfin, cela résume globalement la situation
lorsqu'on se réfère aux miraculés de l'amiante.
M. Hétu, vous avez manifesté une inquiétude et cela
m'a semblé être une question que vous me soumettiez quant à
l'intention du gouvernement à cet égard. Je vous dirai, quant
à moi, que cette intention est toujours la même et qu'à
moins que des preuves formelles ne soient faites qu'il faudrait éviter
les principes de l'équité et de la justice naturelle dans un cas
comme celui-là, à moins que cette preuve ne soit soumise, cette
intention est toujours de procéder à l'adoption des dispositions
transitoires auxquelles vous vous êtes référé et,
évidemment, dans les meilleurs délais également.
De plus, vous avez, à la toute fin de votre intervention, fait
référence aux mécanismes des bureaux de révision.
Remarquez que je vais devoir faire un peu de coq-à-l'âne et aller
chercher des points en particulier. Sur les bureaux de révision, vous
savez sans doute que les opinions à cet égard sont fort
partagées, suivant que l'appréciation nous vient d'un groupe
plutôt que d'un autre. Assez curieusement, des groupes
représentant des associations de travailleurs et de travailleuses vont
souvent diverger d'opinions, et le même phénomène existe du
côté patronal, les uns prétendant que le bureau de
révision doit disparaître, à toutes fins utiles, pour des
motifs d'ordre administratif, pour des motifs de délais, pour des motifs
qui sont reliés au fait que le bureau de révision est une
instance faisant partie intégrante de la commission elle-même.
Enfin, des motifs de cette nature sont invoqués pour que le bureau de
révision disparaisse, alors que d'autres plaident tout à fait
dans le sens contraire et souhaiteraient que les bureaux de révision
demeurent.
Alors, la question que je me permettrai de vous poser pourrait
être la suivante: Est-ce que - retenez que c'est tout à fait pour
des motifs d'ordre exploratoire et pour connaître votre opinion à
cet égard - vous seriez disposés à souscrire à une
décision qui ferait en sorte que tous les litiges, quelle qu'en soit la
nature, qu'on parle d'indemnité, de droit à l'indemnité ou
d'augmentation d'une indemnité, qu'on parle de politique de
réadaptation ou de tout autre sujet qui peut faire l'objet d'une
contestation, seriez-vous disposés à considérer la
possibilité de l'institution ou de la formation - là, j'utilise
des termes qui me viennent à l'esprit; ce n'est pas
nécessairement comme cela qu'il faudrait identifier un organisme comme
celui-là - d'une espèce de commission d'appel qui serait
complètement indépendante de la structure de la Commission de la
santé et de la sécurité du travail et qui aurait comme
juridiction de se prononcer sur toutes les matières de contestation, ce
qui impliquerait, évidemment - cela va de soi - la disparition des
mécanismes actuels, soit le bureau de révision et la Commission
des affaires sociales? Je ne sais si je m'exprime assez clairement à cet
égard pour bien faire comprendre la nature de la question sur laquelle
je souhaite vous entendre élaborer.
Le Président (M. Jolivet): M. Hétu.
M. Hétu: Mon secrétaire-trésorier à
côté me dit: Qui va payer les coûts imposés aux
travailleurs?
M. Fréchette: On n'était pas rendu à ce
stade-là. J'en suis au principe pour le moment.
M. Hétu: Je vais en arriver là.
M. Fréchette: Oui?
Une voix: Parce qu'il est allé trop vite.
M. Hétu: Je veux que vous vous attendiez à la
question qui va venir, je vous le dis d'avance.
Disons que notre proposition de fond à ce chapitre, notre
réponse est: Oui. C'est cela. Ce que nous vous proposons dans les
mécanismes d'appel, c'est oui. C'est cela qu'on veut, excepté la
disposition sur l'amiante. Si on veut garder la disposition sur l'amiante
où il est dit: "...dans les trente jours..." Excepté
celle-là: Vous faites une exception dans le cas de l'amiante et de la
silicose; vous savez très bien à quoi je me réfère;
à celle-là, on doit conserver son aspect expéditif.
M. Fréchette: Toujours en relation avec le problème
de l'amiante, M. Hétu - on parle toujours, à ce stade-ci, en tout
cas, de façon théorique, dans le sens qu'on regarde des
possibilités - si cette espèce d'indication formelle qui est
faite à la Commission des affaires sociales de rendre sa décision
dans les trente jours, si elle était également faite à
l'autre instance, les mêmes objectifs seraient atteints, me
semble-t-il.
Quant aux coûts, ça, c'est un autre aspect de la situation,
mais ce qui me préoccupait d'abord, à ce stade-ci, c'était
de vous entendre sur le principe même d'une décision de cette
nature.
M. Hétu: Notre proposition générale dans le
mémoire est dans ce cadre-là.
M. Fréchette: J'aimerais également entendre vos
commentaires sur la situation suivante: nous avons entendu, cet
après-midi, la Fédération des médecins
spécialistes du Québec qui a, elle aussi, particulièrement
eu égard à ses activités dans ce domaine, touché
à bien des aspects, dont un en particulier sur lequel
j'apprécierais vous entendre. C'est le suivant: la
Fédération des médecins spécialistes du
Québec nous recommande de ne pas exiger de rapport médical
lorsqu'un accidenté ou une accidentée se présente chez un
médecin à la suite de ce qu'il évalue, de prime abord,
être ou bien un accident du travail, ou une maladie professionnelle. Il
se présente chez son médecin et ne demande pas qu'un rapport soit
fait à la Commission de santé et de la sécurité du
travail par le médecin qui fait les premières constatations. Si
toutes les parties sont d'accord, nous n'allons pas imposer des choses qu'elles
ne veulent pas. Voici l'appréciation que j'aimerais recevoir de votre
organisme: Est-ce que vous êtes effectivement d'accord avec une
suggestion comme celle-là, que, lorsque le travailleur ne demande pas
qu'un rapport soit fait à la commission, celle-ci ne puisse pas exiger
un semblable rapport du médecin qui l'a reçu?
(21 h 15)
La préoccupation qu'on avait, qu'on a soumise au médecin
spécialiste est la suivante: Qu'est-ce qui arriverait, de quels moyens
l'organisme habilité à le faire disposerait-il s'il y avait
aggravation de la situation par rapport aux premières constatations qui
ont été faites? J'apprécierais que vous nous donniez votre
appréciation là-dessus.
M. Hétu: Est-ce qu'il y aurait une expertise
médicale quelque part, à un moment donné?
M. Fréchette: C'est un peu là notre
inquiétude. Si je résume bien la recommandation faite par la
Fédération des médecins spécialistes, cela a
été de dire: Si le travailleur lui-même n'insiste pas, ne
demande pas ou n'est pas désireux que le professionnel qu'il consulte
fasse rapport à la commission, celle-ci ne pourrait en exiger du
professionnel. C'est là-dessus qu'on a répondu que si c'est le
consensus des parties, nous n'allons évidemment pas imposer aux parties
des choses qu'elles ne veulent pas. Les parties sont, au premier chef, les
associations syndicales et les associations d'accidentés qui sont
capables de nous dire ce qu'elles pensent d'une recommandation comme
celle-là.
M. Hétu: La première question qui me vient par
rapport à l'économie de la loi est la suivante: Qu'est-ce qu'on
ferait alors de la définition d'accident du travail? Qu'est-ce qu'on
ferait de la décision de maladie professionnelle? Qu'est-ce qu'on ferait
de la notion plus large encore de lésion professionnelle? Un accident,
quelqu'un qui est affecté, comment est-ce que je vais le constater?
M. Fréchette: En tout cas, M. Hétu, je soumets le
tout pour...
M. Hétu: C'est une réflexion intéressante
qu'on n'a pas fouillée sur tous les côtés, absolument
pas.
M. Fréchette: D'accord. Non, non, puis remarquez que je ne
vous en tiens pas rigueur.
M. Hétu: Mais disons qu'il y a un problème devant
lequel on est placé, qu'on mentionne dans la partie relative à
l'information et qui existe depuis pratiquement toujours, depuis que la
commission existe, c'est le fameux problème des rapports de
médecins.
M. Fréchette: Ah oui!
M. Hétu: C'est l'éternel problème
devant lequel on est placé. Comment y donner suite? L'autre
problème qu'on a aussi soulevé, c'est comment les médecins
de première instance, entre autres, ou certains autres médecins
qui ne veulent pas témoigner... Cela nous donnerait comme
première impression que cela pourrait résoudre le problème
des rapports médicaux, des délais qui y sont liés. L'autre
problème que cela pourrait résoudre, c'est qu'on n'aurait pas de
problème par rapport au témoignage, mais qui va faire le
diagnostic? C'est l'autre question: Est-ce que cela va reposer uniquement dans
les mains de la commission, le diagnostic? À un moment donné, il
faut que la commission paie, il faut qu'elle sache que cela provient d'un
accident du travail. C'est là la distinction majeure du régime
des accidents du travail: cela repose sur la reconnaissance du fait accidentel.
Cela doit dépendre du travail, sinon on va passer dans l'autre
régime. Qui, à un moment donné, selon cette
recommandation, va déterminer si cela dépend d'un accident du
travail? Je vais vous donner tout de suite ma réponse: si c'est
transféré aux mains de la commission, nous disons non. Au
départ, c'est clair. Au départ, nous disons non, si la
proposition qui serait faite était dans ce cadre.
M. Fréchette: Évidemment, cela pourrait être
la deuxième étape du processus, mais c'est au niveau de la
première étape que la représentation nous a
été faite cet après-midi. Je comprends que je vous arrive
avec cela un peu rapidement, mais j'apprécierais que vous puissiez
évaluer cette situation et nous redonner votre appréciation dans
les jours qui viennent, si vous le vouliez.
M. Hétu: On pourrait vous fournir cela avec plaisir, mais
est-ce qu'il y aurait moyen d'avoir copie de cette proposition de la
Fédération des médecins spécialistes?
M. Fréchette: Oui, oui, absolument. On peut vous remettre
une copie de son mémoire et vous allez retrouver cela.
M. Hétu: On vous fera parvenir une opinion qu'on pourra
fouiller sous tous ses angles.
M. Fréchette: Très bien.
Le Président (M. Jolivet): Et, pour les membres de la
commission, on vous demanderait de l'envoyer au Secrétariat des
commissions pour distribution ensuite à chacun.
M. Hétu: Ah bon! Au Secrétariat des commissions.
Merci.
M. Fréchette: Sous un autre chapitre, M. le
Président, et c'est une recommandation qui revient avec insistance
autant dans le mémoire que dans l'argumentation de M. Hétu, cette
recommandation en vertu de laquelle vous suggérez la création
d'une nouvelle commission de dépistage en matière de maladies
professionnelles. J'ai, à cet égard, deux préoccupations
que je vous soumets comme cela, comme elles me viennent, et je présume
que vous allez réagir là-dessus. Est-ce que la vocation actuelle
de l'Institut de recherche en santé et sécurité du travail
n'est pas, à certains égards, sinon à tous les
égards, carrément centrée sur les objectifs ou le mandat
que vous voudriez voir confié à une commission de
dépistage de cette nature? C'est ma première
préoccupation. En d'autres mots, est-ce que cela ne ferait pas une
vocation parallèle avec celle que, déjà, l'institut de
recherche a?
Deuxièmement, on n'échappe pas à la règle.
Tous les groupes qui viennent nous transmettre ici leurs observations font
état de ce qu'on est convenu d'appeler la bureaucratisation, les
pouvoirs réglementaires, la multiplication des décisions d'ordre
administratif; mais alors est-ce que vous n'avez pas l'impression que, par la
mise sur pied d'une semblable commission de dépistage, cela ne ferait en
quelque sorte que multiplier la réglementation, la bureaucratisation et,
bien sûr, l'augmentation des coûts? Ce sont les deux, non pas
inquiétudes, mais interrogations que j'ai face à cette
proposition.
M. Hétu: Même si on ne l'a pas explicité dans
notre proposition, le rôle de cette commission serait d'agir avec
l'institut de recherche, d'une part, et aussi avec les DSC qui ont la
responsabilité de faire des études
épidémiologiques. Dans la loi de la prévention, on a aussi
confié ce mandat.
M. Fréchette: Ah bon!
M. Hétu: Alors, disons que l'objectif de cette commission
est tout simplement d'agir avec les outils déjà disponibles
existant dans le milieu. J'en ai mentionné deux. On pourrait en ajouter
un troisième. Il y a aussi des centres de recherche. Il y a de la
recherche qui se fait aussi dans les universités, etc. Notre seul souci,
par cette commission, est qu'on ne veut pas créer une structure
parallèle. Absolument pas. On veut enlever le caractère qui
existe à l'heure actuelle dans le fonctionnement de la loi qui est, si
vous voulez, discrétionnaire ou arbitraire dans le sens qu'on confie
à quelqu'un, à une institution, quelque part, le soin de
contrôler et de faire uniquement par elle-même ce genre de travail.
On se dit qu'il vaudrait mieux mettre ensemble, sous la
responsabilité de quelqu'un quelque part, nommément connu,
cette responsabilité. Pour la reconnaissance, par exemple, d'une maladie
professionnelle, on sait qu'il faudrait qu'elle suive son cheminement juridique
normal. On n'exclut pas cela. On ne voudrait pas que cette commission ait le
pouvoir absolu de... Absolument pas. C'est un groupe de travail ni plus ni
moins, un collectif qui a une responsabilité X d'entreprendre, avec les
ressources du milieu, les recherches nécessaires, d'une part, avec les
institutions existantes et surtout de fournir aux gens du milieu, par exemple,
les travailleurs, lorsqu'ils sont aux prises avec un problème, une
maladie, etc., les moyens de... tout simplement.
M. Fréchette: Je pense que c'était une
précision qui était très importante, M. Hétu. Je
vous en remercie. Maintenant, comme je suis aussi respectueux que possible de
la réglementation, je dois constater que mes 2D minutes sont
écoulées. Je reviendrai après si l'occasion m'en est
offerte.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Viau.
M. Cusano: Merci, M. le Président. J'aimerais,
premièrement, vous remercier pour votre mémoire et pour la
présentation de votre mémoire, ainsi que pour la franchise qu'on
y trouve. Vos critiques envers la Commission de la santé et de la
sécurité du travail sont très sévères.
Même si le mandat de cette commission parlementaire est d'étudier
le projet de loi 42, il faut bien comprendre que c'est la CSST qui aura
à l'appliquer. Si cette commission ne fonctionne pas comme elle le
devrait, on se demande comment le projet de loi 42 sera appliqué, une
fois adopté.
J'ai plusieurs questions en ce qui touche l'administration et le
fonctionnement de la CSST. Peut-être que je vais les poser une par une.
Cela va être plus facile pour communiquer. À la première
page, vous remarquez ou vous constatez que le conseil d'administration n'a pas
pleins pouvoirs. Je pense que c'est très clair. Je présume que
vous êtes en bonne position pour en témoigner puisque M. Gingras,
si je ne me trompe pas, siège au conseil d'administration. Quels
amendements envisagez-vous envers le conseil d'administration? Quels
amendements seraient nécessaires pour que ce conseil d'administration
ait vraiment les pouvoirs décisionnels qu'il devrait avoir?
M. Hétu: Je pense qu'il devrait avoir l'autorité
totale d'administrer la commission. Il devrait avoir les pouvoirs d'administrer
la commission. Je pense que le terme lui-même "conseil d'administration"
veut dire qu'il doit administrer la boîte, non pas une partie et en
donner une autre à quelqu'un d'autre et ainsi de suite. Il devrait avoir
la responsabilité totale de l'administration de la boîte.
M. Cusano: Ah bon! On nous a dit en décembre dernier
qu'une des raisons pour lesquelles ce conseil d'administration ne semble pas
avoir toute l'autorité, c'est que le juge Sauvé,
président-directeur général de la commission, se retranche
très souvent derrière l'article 154 de la loi 17. Il se sert de
cet article qui est un peu ambigu. La loi a voulu lui donner des pouvoirs
spécifiques en ce qui concerne le conseil de direction ou les
permanents, et c'est là qu'il semble y avoir un problème.
Seriez-vous d'accord qu'il devrait y avoir très prochainement un
amendement à la loi 17 pour enlever justement certains pouvoirs au
président-directeur général et les amener vers le conseil
d'administration?
M. Hétu: C'est capital. Il faut qu'il y ait un tel
amendement. Il faut que le pouvoir soit entre les mains du conseil
d'administration. Il y a actuellement une ambiguïté qui est
véhiculée dans le milieu et qui est la suivante: les
administrateurs actuels, du côté de la partie syndicale, se font
reprocher des choses auxquelles ils n'ont absolument pas participé et
qu'ils n'ont pas décidées. Je présume, je ne sais pas si
c'est la même chose du côté patronal, mais il y a là
une ambiguïté réelle. Le conseil d'administration n'a pas de
prise sur toute l'administration de la réparation. Je pense qu'il y a
là une ambiguïté qu'il faut corriger. Pour nous, cela
paraît évident, mais, avant de procéder en termes de
priorités par rapport à un tel amendement, on présume
qu'il faudrait qu'on étudie davantage la commission. La commission
devrait-elle toujours continuer d'exister? Ce serait une bonne question
à étudier. La commission pourra-t-elle, comme c'est son projet
actuel, comme rythme de croisière, assumer le mandat de la
prévention? Est-ce que ce sera possible pour elle de le faire? Enfin! Je
vous le dis honnêtement, on a des doutes sur cette question. On aimerait
faire un débat sur la commission. (21 h 30)
II n'y a pas eu, à notre connaissance, depuis plusieurs
années, d'études publiques. Bien sûr, l'ancienne
commission, la Commission des accidents du travail, a confié à
des experts le soin de faire des études sur le fonctionnement
administratif, etc., mais ces rapports demeuraient en catimini. On y donnait
suite, et là je ne mets pas en cause du tout les administrateurs... Ils
ont fait ce qu'ils avaient à faire. Mais quand on regarde l'ampleur des
griefs à l'égard de la commission, je pense qu'il serait
important et même capital, avant de songer dans un premier
temps à confier tous les pouvoirs au conseil d'administration, de
procéder à un examen de la gestion de la commission comme telle.
Une des questions, ce serait de savoir comment la rendre plus efficace. Une
autre question également, ce serait de savoir s'il est possible de
diminuer les coûts. Ce serait une question importante à
examiner.
Il y a d'autres types de questions. Est-ce qu'il est possible, en soi,
que la commission assume le mandat de prévention et de
réparation? Est-ce que, à la longue, il n'y aura pas conflit?
Enfin, ce sont des questions comme cela sur lesquelles il serait important de
réfléchir quelque part. C'est pourquoi nous proposons un
comité d'étude, un comité d'enquête.
M. Cusano: Cette commission d'enquête, avec des auditions
publiques, sur le fonctionnement administratif de la CSST, est-ce que, pour
vous, en tant que groupe syndical qui vivez des problèmes tous les jours
en ce qui concerne les gens qui ont affaire à la CSST, c'est prioritaire
de la tenir avant même que le projet de loi 42 ne soit adopté?
M. Hétu: Pour nous, il est prioritaire de régler la
question de la Loi sur les accidents du travail et les maladies
professionnelles. On appuierait, par exemple, toute déclaration
ministérielle qui annoncerait, après l'adoption de ce projet de
loi, un processus, un mécanisme en vertu duquel on mettrait en place
cette commission d'enquête.
M. Cusano: Merci. À la page 14 de votre mémoire,
vous portez des accusations qui sont assez graves, sérieuses, contre les
fonctionnaires de la CSST. Je cite le passage; vous dites: "...les
fonctionnaires de la CSST donnent des informations contradictoires sur un
même dossier; afin d'obtenir plus d'informations, l'agent de la CSST
utilise lors de son enquête de la fausse représentation, se
faisant passer pour un enquêteur de l'impôt ou autre."
Je présume que ces accusations sont basées sur des
expériences vécues par vos membres. J'aimerais avoir un peu plus
d'explications sur cette affirmation. Ce que je cherche à savoir, M.
Hétu, c'est si ces pratiques sont isolées. Est-ce qu'elles sont
répandues à travers la province? Y a-t-il un bureau
régional qui se sert d'une telle pratique plus qu'un autre, et ainsi de
suite?
M. Hétu: Je vais vous donner un cas, tout simplement, que
l'on vit actuellement, qui est de même nature que les affirmations que
vous citez et qui sont extraites de notre mémoire, à la page
14.
Actuellement, pas hier ou avant-hier, il y a un cas, et c'est au bureau
de l'Estrie. Il y a des travailleurs qui ont fait des requêtes et ilssont incités par la commission à passer de nouveaux examens
médicaux, à la demande de l'employeur. On exige de ces
travailleurs de passer des examens nouveaux et cela, à la demande de
l'employeur. Si le travailleur refuse, on lui dit que la CSST menace de couper
ses indemnités. Cela est un cas réel, de l'ordre des affirmations
de la page 14. Ce n'était pas hier ni avant-hier, nous sommes
actuellement aux prises avec ce problème au bureau régional de
l'Estrie. C'est un cas.
Je vous ai dit, quand j'ai présenté les problèmes
relatifs au droit à l'information, que cela faisait partie d'une
étude exhaustive que l'ensemble de nos militants ont faite. C'est
à la suite de cette étude que nous avons rédigé ce
diagnostic.
M. Cusano: Merci. Lorsque vous parlez des problèmes
vécus par les gens au bureau de révision, c'est certainement -
comme on l'a déjà dit - une des instances les plus
critiquées de la CSST. Ce qui se produit, bien souvent - et même
vous le dites dans votre mémoire - c'est qu'aussitôt que la CSST
rend une décision, l'appel est quasi automatique. Même en allant
au-delà du bureau de révision, l'appel à la Commission des
affaires sociales est aussi fréquent dans un grand nombre de cas. On
nous a démontré ici, en commission parlementaire, en
décembre dernier, qu'il y a une grande différence entre le
pourcentage d'incapacité accordé par le bureau de révision
et le montant accordé par la Commission des affaires sociales.
Vous dites, dans votre mémoire, si je vous lis bien, qu'il y a
certains standards américains qui sont employés. Vous parlez de
la formule McBride qui est employée. Est-ce qu'à votre
connaissance les mêmes formules sont employées par le bureau de
révision et par la Commission des affaires sociales?
M. Hétu: Ce n'est pas tout à fait la même
chose. Le problème se pose de façon très différente
à la Commission des affaires sociales et au bureau de révision.
Ce qu'on a vécu dans une période donnée, c'est, par
exemple, toute la folie de la révision des cas d'amiantose où, de
manière systématique et continue, le bureau de révision ne
prenait pas de décision. Il nous a fallu aller directement, par la
suite, à la Commission des affaires sociales et cette dernière,
après examen de ces dossiers, a estimé qu'ils devaient être
étudiés par le bureau de révision. En d'autres termes,
elle disait que le bureau de révision n'avait pas fait son travail.
Alors, c'est un type de problème qu'on a vécu. Ce fut à
une période donnée.
Ce qu'on constate, c'est que la commission a pris de l'expérience
et ses bureaux de révision sont devenus, pour un certain
nombre de cas, à l'exception des maladies professionnelles, une
institution où il y avait des règlements, où des
décisions étaient prises. On a vu ce cas-là, c'est
positif, mais quand on va devant le tribunal de la Commission des affaires
sociales, il est évident que c'est un autre type de discours. C'est fait
dans un cadre tout à fait différent. Il est plus
sophistiqué, jusqu'à un certain point, par rapport au bureau de
révision. À la Commission des affaires sociales, les
caractères de la preuve, il faut qu'on les déploie davantage,
etc. Il y a un standard qu'on retrouve à la Commission des affaires
sociales et qu'on n'a pas, de manière générale, au bureau
de révision.
M. Cusano: Une autre brève question sur les bureaux de
révision. Vous n'acceptez pas que ce bureau soit remplacé par une
décision administrative. Est-ce que je vous ai bien compris?
M. Hétu: C'est-à-dire que je pense que dans la
proposition du projet de loi, on parle de reconsidération administrative
sans qu'on n'en précise les formes, etc. Je présume que ce serait
expliqué éventuellement, mais on n'était pas d'accord de
laisser à la commission, par exemple, le soin de déterminer par
la suite quelles seraient les règles de fonctionnement. Ce que nous
demandions, c'était de les préciser dans le projet de loi.
M. Cusano: Merci.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Beauharnois.
M. Lavigne: Merci. Très brièvement, je voudrais
faire allusion à l'exemple que vous nous donniez tout à l'heure
sur le fait qu'un employeur avait redemandé un examen à son
employé, sans quoi, si j'ai bien compris, si l'employé refusait
l'examen, la CSST menaçait de lui couper les prestations. C'est bien
cela?
M. Hétu: Par le biais, c'est la Commission de la
santé et de la sécurité du travail qui demandait au
travailleur de repasser de nouveaux examens et ce, à la demande de
l'employeur.
M. Lavigne: Maintenant...
M. Hétu: C'était dans l'optique que l'employeur
puisse faire sa preuve.
M. Lavigne: Est-ce que la commission connaissait la
dernière date de l'examen passé sur le même employé?
Est-ce que cela avait l'air d'un harcèlement d'examen?
M. Hétu: Mon confrère Picard va vous expliquer ce
qui en est. C'est lui qui a eu le cas précisément.
M. Lavigne: Parce que si cela faisait deux ou trois mois,
c'était peut-être un peu normal, mais allez-y, Ni. Picard.
M. Picard (Jeannot): Ce qui arrive là-dedans, c'est que la
commission se plie à la volonté de l'employeur qui veut faire
examiner le travailleur à nouveau. Ce travailleur, ayant
déjà été examiné, on a déjà
des résultats, on a des rapports qui sont entrés, mais
l'employeur voulant contester devant la Commission des affaires sociales ou le
bureau de révision, il exige ou fait exiger par la commission de
convoquer cette personne chez un médecin qu'il choisit pour pouvoir
monter la preuve qu'il aura à débattre ou à exposer devant
les bureaux en question. Nous, on prétend que cette procédure ne
devrait pas, d'aucune façon, exister. Si l'employeur prétend
avoir le droit de contester, cela devrait être fondé sur quelque
chose qui existe au moment où il décide de contester, et non
qu'il fasse cette représentation après qu'il a fait contestation
dans les cas qui peuvent se présenter.
Donc, ce faisant, cela veut dire que, pour nous, la commission devient
complice de l'employeur pour arriver à faire du harcèlement sur
les travailleurs qui, eux, peuvent avoir passé le dernier examen il y a
un mois ou un mois et demi et on va leur demander d'en passer d'autres encore.
On sait qu'il y a des examens qui sont très difficiles et qui exigent
beaucoup d'effort physique de la part de ces travailleurs. À ce moment,
ils sont à la merci: Si tu ne vas pas là, tu vas te faire enlever
ou on va te couper tes prestations. On a justement un cas qui était
censé passer demain. On pense que c'est complètement inacceptable
qu'une situation comme celle-là existe et qu'elle soit appuyée ou
tolérée et même encouragée par la commission.
M. Lavigne: Seriez-vous contre le principe qu'on retrouve
à l'article 133, examen et rapport, au dernier alinéa, quand on
dit: "Cependant, l'employeur ne peut exiger plus d'un examen semblable par
mois"?
M. Picard: Ce à quoi vous faites référence,
c'est à la situation où un travailleur est absent du travail
parce qu'il a subi un accident du travail et qu'il n'est pas en mesure de
travailler suivant les rapports médicaux. À ce moment-là,
l'employeur pourrait avoir un doute sur l'état réel de la
situation du bonhomme en question. C'est complètement différent
de ce qu'on a émis comme préoccupation relative à une
situation où l'employeur veut préparer sa cause devant le bureau
de révision ou devant la Commission des affaires sociales. Le
contrôle qui
pourrait exister... et encore là on est assuré qu'il y a
abus au niveau des travailleurs absents du travail, parce qu'aujourd'hui la
préoccupation des employeurs est bien plus de contester que d'essayer de
faire de la prévention. Donc, à ce moment-là, ils vont se
servir des dispositions de la loi - qui, antérieurement, étaient
utilisées à l'occasion - fréquemment pour essayer de
continuer le harcèlement qu'ils veulent faire. C'est un genre de
défoulement après leur insatisfaction vis-à-vis de la loi
17 ou de toute autre loi votée qui parlait de prévention, qui
voulait donner la possibilité au travailleur de travailler à
l'intérieur de conditions convenables et qui voulait "sécuriser"
la santé des gens qui sont appelés à oeuvrer dans les
différentes usines du Québec. (21 h 45)
M. Lavigne: Si je peux enchaîner...
M. Hétu: Si vous permettez... M. Lavigne: Oui,
allez-y!
M. Hétu: ...par rapport à votre question, je
répondrai qu'on ne voit pas du tout comment il se fait qu'on accorde
à l'employeur le droit d'exiger des examens médicaux. Qu'est-ce
que cela vient faire que l'employeur ait le droit d'exiger d'autres examens
médicaux? Habituellement, le travailleur, comme on l'a mentionné,
est sous traitement, il est déjà suivi; alors, pourquoi va-t-on
imposer encore une autre fois un droit qu'on confère à
l'employeur d'exiger? Qu'est-ce que cela vient faire? Je pense que c'est
inutile. Cela n'a pas de raison d'être. On ne dit pas qu'on est
opposé à des examens, mais, aux fins exigées, on ne
comprend pas cette histoire. On nie même ce droit qui devrait être
consenti à... On ne nie pas le droit de passer de nouveaux examens, pas
du tout, c'est élémentaire; il faut faire constater, par exemple,
l'évolution par les médecins et les spécialistes. On voit
cela chez les travailleurs et les travailleuses accidentés, ils sont
appelés constamment. Toutes les deux semaines ou tous les mois, on
révise et on constate la progression. S'il y a un progrès, on
veut que cela cesse. On ne voit pas du tout ce que vient faire cet article. Il
n'a absolument pas de raison d'être; de toute façon, nous le
recommandons dans notre mémoire à la page 41.
M. Lavigne: Vous faites toujours allusion à l'article 133,
n'est-ce pas?
M. Hétu: Oui.
M. Lavigne: C'est celui-là que vous aimeriez voir
enlever.
M. Hétu: Oui, exact!
M. Lavigne: Ce que vous interprétez de l'article 133 n'a
rien à voir avec l'examen périodique normal pour connaître
l'évolution ou la régression de la maladie.
M. Hétu: Le principe contre lequel on en a, c'est celui de
donner un droit à l'employeur d'exiger des examens en plus de ceux qu'il
a. On trouve que c'est vraiment exagéré, c'est du
harcèlement. Appelez cela comme vous voulez, dans le fond, c'est contre
cela qu'on en a.
M. Lavigne: Cela me tenterait d'enchaîner sur le pouvoir
tel que la loi le dit présentement avec tout le jeu, les pouvoirs, les
interventions prévues dans la loi médicale. Vous avez la personne
qui a un accident du travail et qui peut avoir droit à son
médecin de famille, à un spécialiste. Trouvez-vous que les
rapports entre les médecins et les droits et privilèges que donne
la loi à la commission sont bien équilibrés, ou si vous
aimeriez mieux voir plus de pouvoirs accordés aux médecins de
famille, ou aux spécialistes indépendants, tel que stipulé
dans la loi présentement? J'aurais aimé avoir votre opinion sur
ce sujet.
M. Hétu: Votre propos sur la question d'équilibre
est fondamentale. Je vais vous donner un cas très pratique que j'ai
vécu, il y a peu de temps, celui d'un travailleur d'une fonderie qui a
subi un accident grave et son état est le suivant: il doit abandonner
son emploi, il ne peut plus continuer à travailler dans la fonderie. En
vertu du plan de réadaptation, on a examiné s'il pouvait
travailler à un autre poste. Il ne le pouvait pas parce que, dans une
fonderie, on doit forcer. On n'a pas pu trouver un emploi lui convenant dans la
fonderie. On a regardé du côté des employés de
bureau: pas d'ouvrage, en période de récession économique,
pas d'embauche, donc pas de place pour lui. On a également
regardé au niveau du laboratoire: pas de place.
Alors, le travailleur avait à décider ce qu'il ferait:
Est-ce que je m'en vais au niveau du recyclage ou non? Son problème
était le suivant. Il disait: Je trouve que mon incapacité n'est
pas suffisamment reconnue. Je voudrais bien être éclairé.
Il pose cette question à son médecin qui l'a opéré.
Ce dernier répond qu'il ne peut pas, puisqu'il travaille
également pour la commission. Cela est un peu fatigant. Lui, il est
fait. Il est obligé de prendre son trou, comme on dit, d'accepter le
jugement et, là, il doit décider d'aller travailler ailleurs avec
tout l'inconnu devant lequel il est placé. Parce que, justement, cet
équilibre auquel vous référiez n'existe pas.
Un des problèmes majeurs devant lequel on est placé, tout
au moins dans certaines disciplines - je vais donner le cas de maladie
pulmonaire - c'est le problème suivant: un travailleur qui se
fait examiner passe devant des comités de pneumoconiose, etc.. On
déclare qu'il a 5%, 7%, 8% d'incapacité, peu importe le
pourcentage. Le travailleur dit que cela ne correspond pas à ce qu'il
sent, à ce qu'il vit, etc.. Il voudrait se faire réexaminer. En
vertu des règlements, l'expertise est aux frais du travailleur. Vu qu'on
avait plusieurs cas comme cela, nous nous sommes dit: Où trouver des
pneumologues? Nous nous sommes adressés à l'hôpital
Notre-Dame où il y avait toute une équipe de spécialistes.
Nous avons expliqué le problème. Au départ, ils
étaient d'accord. Par la suite, ils ont refusé de procéder
aux expertises que nous leur demandions. Ils ont refusé parce qu'ils ont
dit: Nous ne pouvons pas. En tout cas, ils ont refusé. Nous nous sommes
adressés à un autre hôpital et, là, ils
étaient tous à l'emploi de la commission. De là, une sorte
de conflit. Cela ne marche pas. Je pense que c'est l'hôpital
Saint-Michel. Finalement, on a réussi à trouver un
spécialiste qui avait été remercié de ses services
par la commission. Pour quel motif? On ne le sait pas. C'est le seul qu'on a pu
trouver et qui était prêt à procéder, tout en
faisant son travail à l'hôpital où il était
assigné, aux expertises nécessaires. Mais il a fallu payer. En
d'autres termes, à ce point de vue, au niveau des maladies pulmonaires,
on a un problème majeur. Elles sont pratiquement toutes
récupérées par la commission, tout au moins au niveau des
problèmes dont je parle.
Quant à l'équilibre au niveau de certaines
spécialisations, on a des problèmes. Je parlais
d'équilibre tantôt dans la présentation. Comment
pouvons-nous nous défendre adéquatement des décisions de
la commission si on n'a pas ces spécialistes disponibles? C'est pour
cela que le secrétaire-trésorier parlait des coûts. C'est
un des problèmes majeurs devant lequel on est placé. Cet
équilibre, quant à nous, existe peu ou pas. Il y a certains
spécialistes qui travaillent avec nous qui, individuellement, sont
désireux de travailler avec nous parce qu'ils ne sont pas
intéressés à travailler pour la commission. Ils font cela
pour des raisons humanitaires. À ce point de vue, on a des gars
intéressants, mais on est vraiment démuni. Actuellement, cet
équilibre ne nous paraît absolument pas exister.
M. Lavigne: Une dernière question. Avec la
démonstration que vous nous avez faite du déséquilibre
face au médecin, n'auriez-vous pas des suggestions à nous
proposer pour établir une espèce d'équilibre dans
l'intervention médicale? Il y a des propositions qui ont
été faites. Je ne sais pas si vous étiez ici cet
après-midi quand les médecins sont passés.
M. Hétu: D'une manière générale - on
l'a mentionné, je l'ai peut-être fait trop rapidement dans
l'exposé - c'est qu'on constate qu'il y a actuellement toute une
nouvelle génération de médecins qui sont prêts et
qui s'engagent pour représenter les travailleurs au niveau
médical. Déjà, il y a là un potentiel. La
proposition qu'on faisait s'inspirant de cela, c'est qu'on se dit qu'on doit
choisir et là, il y a un choix sociétal qu'on doit faire. On doit
avoir une médecine du travail, on doit avoir des médecins, un
bassin de médecins qui s'engagent, qui se spécialisent dans la
médecine du travail, incluant la prévention et cette partie de la
réparation professionnelle. Actuellement, je soupçonne la
commission d'avoir des difficultés à appliquer une des
dispositions très importantes de la Loi sur la santé et la
sécurité du travail quant aux médecins qui doivent
travailler dans les entreprises, parce qu'il ne semble pas y avoir cette
disponibilité globale requise pour qu'on ait ces médecins. La
proposition qu'on faisait de manière générale était
de savoir s'il est possible de développer cette nouvelle
génération de médecins par de la formation, par la prise
en charge des différents agents du milieu, afin qu'on développe
ce bassin de façon importante pour qu'au moins l'équilibre se
fasse. Ce que l'on constate actuellement, c'est que les anciens médecins
des compagnies, par exemple, vont continuer à travailler pour les
compagnies, mais on ne change que le titre. Ils deviennent des médecins
de gestion. Ceux qui avaient une expertise antérieure, quelles que
soient les critiques qu'on ait faites à leur égard, continuent et
sont au service des compagnies. Or, il nous faut développer ces
médecins dans le cadre de la médecine du travail. Pour nous, la
clé est là.
Le Président (M. Jolivet): M. le député.
M. Lavigne: Vous parliez d'un équilibre au niveau des
connaissances, chez les médecins de la nouvelle
génération, dans la médecine du travail et tout cela,
enfin, d'essayer de développer ou d'établir un équilibre
au niveau des connaissances médicales du travail, mais ma question
était peut-être plus spécifiquement de savoir quel est
l'équilibre des pouvoirs qu'on attribue dans la loi aux médecins.
C'est là-dessus que j'aurais voulu entendre vos commentaires. Il est
sûr que j'endosse toute votre argumentation et qu'il faut effectivement
développer une médecine du travail qui est relativement nouvelle.
Je pense qu'il ne faut pas hésiter à aller dans ce
sens-là. Mais, au niveau de l'attribution des pouvoirs, de
l'équilibre des pouvoirs à accorder aux différents
médecins, que ce soit le médecin de famille, le médecin du
DSC ou le médecin de la CSST, est-ce que cet équilibre
est dans la loi face aux différents médecins?
M. Hétu: M. Gingras va vous apporter un
élément de réponse sur cette question.
M. Gingras (Claude): Sur la partie de votre question où
vous parlez d'équilibre, on vous a fait savoir d'une façon
très catégorique qu'il n'y a pas d'équilibre. Ce qu'on
recherche, quand on vous parle d'une vraie médecine du travail, c'est
une médecine du travail où le travailleur va se sentir en
confiance quand il va aller chercher une expertise, alors que ce n'est pas le
cas actuellement. Le travailleur qui se présente chez un médecin
qui est récupéré, comme le disait tout à l'heure M.
Hétu, par le patronat ou récupéré par la commission
pour faire ces diverses expertises, part déjà avec un sentiment
d'inégalité par rapport à son diagnostic. Sa confiance est
nettement minée dès le départ. Alors, quand on parle d'une
médecine du travail, c'est une médecine qui s'affirme nettement
en faveur des droits à la santé et à la
sécurité des travailleurs. Ce n'est pas le cas actuellement. Il y
a trop d'intérêts en cause; les intérêts passent
avant les droits à la santé et à la sécurité
des travailleurs. Quand le travailleur va voir son médecin pour avoir un
diagnostic ou une expertise, premièrement, il a de la difficulté
à trouver le médecin spécialiste qui va se soucier de cet
aspect en ce qui le concerne. Deuxièmement, il doit encourir des frais
énormes pour espérer faire un début de preuve dans son cas
parce qu'il se sent physiquement diminué comme travailleur. Il n'est pas
d'accord avec l'estimation qu'on a faite de son incapacité et,
là, il se retrouve devant un problème, à savoir qu'il doit
trouver le médecin compétent en qui il aura confiance, le
médecin qui va réellement prendre son cas comme un médecin
neutre en rapport avec le problème de santé et de
sécurité qui est le sien, et non pas celui de l'employeur et tout
cela. Troisièmement, ce qui pourrait aussi favoriser l'équilibre,
c'est que le travailleur puisse avoir une juste compensation de ses frais
d'expertise, c'est-à-dire que, selon les barèmes actuellement
prévus, le travailleur doit en absorber le coût dès le
départ et, s'il gagne sa cause, on lui en paie une partie selon les
barèmes de la commission. (22 heures)
C'est une absurdité, car on sait que, lorsque l'employeur monte
sa preuve et fait examiner un travailleur, il refile la facture au client dans
ses produits par la suite. C'est complètement anormal et aberrant. Le
travailleur a à payer la facture de son expertise et, en plus, il a la
double préoccupation de trouver un médecin qui, heureusement,
peut encore échapper au contrôle soit de l'employeur, soit de la
CSST qui a déjà rendu un verdict dans son cas. C'est cela, la
question d'équilibre qu'on soulève. Elle n'existe pas
actuellement et elle n'existera pas tant que cette vraie médecine du
travail n'existera pas. Elle n'existera pas tant que le travailleur ne pourra
pas y recourir avec un sentiment d'égalité par rapport aux
membres de la société, soit les employeurs ou la CSST, qui a les
moyens de récupérer tout ce personnel.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Sainte-Anne.
M. Polak: Merci, M. le Président. M. Hétu, quelques
questions rapides qui amèneront peut-être aussi des
réponses rapides. D'abord, je voudrais féliciter votre organisme
et vous féliciter également pour votre mémoire. Vous savez
que, quand j'ai commencé dans le dossier, il y a quelques années,
la CSD n'était même pas représentée auprès de
la CSST, et, grâce à nos pressions, vous avez quelqu'un là
maintenant. Mais dites-moi donc, le ministre a dit ce matin qu'il entend les
propositions raisonnables. On a entendu la Chambre de commerce de la province
de Québec, l'Association des armateurs des Grands-Lacs, la
Fédération des médecins spécialistes du
Québec et vous. Le ministre a une journée parfaite en basebal,l
parce que tout le monde est malheureux: cela fait quatre sur quatre, si j'ai
bonne mémoire.
M. Fréchette: Cela va être 44 sur 44 à la
fin.
M. Polak: Oui, peut-être 44 sur 44. C'est le meilleur
argument pour dire qu'il y a quelque chose qui ne marche pas dans le projet de
loi 42.
M. Hétu, en résumé, est-ce que vous
préférez le statu quo au projet de loi 42 et un changement
substantiel à l'intérieur du fonctionnement de la CSST? Disons
que si c'était possible de réformer cette grande boîte, ce
monstre administratif qui s'appelle la CSST et de ne pas apporter les
changements qui sont prévus dans le projet de loi 42, est-ce que vous
préféreriez le statu quo au point de vue de la loi?
M. Hétu: Si le projet de loi 42 était
amendé, pour ne pas être cabotin, dans le sens des amendements
qu'on propose, on voudrait, de manière prioritaire, que ce projet de loi
soit adopté. Après, comme je l'ai mentionné tantôt,
qu'on procède à l'étude... Je comprends mal que vous
demandiez - j'ai peut-être mal entendu, c'est certain - si c'est possible
de réformer la commission. Je suis convaincu que c'est possible, mais
pour cela, qu'on ait donc en main les éléments nécessaires
pour procéder au diagnostic.
M. Polak: D'accord.
M. Hétu: Actuellement, il est certain, s'il y en a qui
sont malheureux, qu'il y a beaucoup de monde insatisfait. Ce n'est pas parce
que les fonctionnaires... On n'en a pas - et on le dit clairement dans notre
mémoire - contre tel fonctionnaire, tel autre, tel autre; pour nous, ce
n'est pas cela la question. La question, c'est: II faut qu'on vide
l'abcès qui existe en rapport avec la CSST.
M. Polak: Mais le projet de loi 42, tel que
présenté, vous êtes malheureux avec cela.
M. Hétu: Cela est clair.
M. Polak: Votre mémoire est plein de critiques.
M. Hétu: Cela est clair.
M. Polak: Vous ne l'acceptez pas.
M. Hétu: Absolument pas, pas tel qu'il est.
M. Polak: Prenons, par exemple, le droit de retour au travail.
Expliquez-moi, je ne comprends pas. La chambre de commerce nous dit: Cela
touche le droit de gérance; cela ne marche pas, cela coûte trop
cher, c'est dangereux et ainsi de suite, un peu comme les arguments sur le
projet de loi 17, et peut-être qu'il y avait de très bons
arguments en rétrospective. Vous dites: Retour au travail, pas bon, mais
pour d'autres raisons. Vous dites que cela ne donne pas une vraie protection.
Vous réclamez dans votre mémoire, à la page 24, que la
CSST ait l'obligation de trouver un emploi aux travailleurs victimes. Est-ce
que cela n'est pas - je ne veux pas attaquer la position d'une victime d'un
accident du travail - un peu rêver en couleur que d'obliger la CSST
à trouver un emploi quand on sait que ceux qui ne sont pas
accidentés n'ont déjà pas de travail?
M. Hétu: Mais les accidentés, cela n'a rien
à voir, ma foi, avec ceux qui ne sont pas au travail, qui n'ont pas
d'ouvrage. Ce sont deux problèmes différents qu'il faut traiter
de manière différente. Il me semble que c'est
élémentaire. À supposer que je travaille dans une
entreprise quelconque et que j'aie un accident. Il me semble que, comme
société, on doit le reconnaître. Le droit de gérance
n'a rien à faire là. Je vous dis bien franchement que le droit de
gérance qu'on évoque, c'est une abstraction. Je suis à
l'emploi d'une entreprise depuis 10, 15 ou 20 ans et j'ai un accident. Il me
semble qu'on doit reconnaître que je revienne après ma
guérison. Selon moi, c'est élémentaire. On le fait
même pour les joueurs de hockey, ma foi du bon Dieu. Green, après
plusieurs mois, est revenu. C'est une blague.
M. Polak: Où est-ce que...
M. Hétu: Mais c'est élémentaire. C'est une
abstraction que de dire qu'en vertu du droit de gérance... Voyons
donc!
M. Polak: Où la CSST...
M. Hétu: Quand il y a un accident de voiture... Cela ne
fonctionne pas.
M. Polak: ...va-t-elle trouver un emploi pour tel
travailleur?
M. Hétu: Pardon?
M. Polak: Prenons l'exemple d'une petite compagnie de dix
employés. Il y en a un qui est accidenté. L'employeur a besoin de
le remplacer. Il engage quelqu'un d'autre, un chômeur qui est content,
heureux, qui est venu nous voir chaque jour au bureau de comté et qui a
dit: Pouvez-vous m'aider à trouver un emploi? Finalement, on lui trouve
un emploi, peut-être à cause du malheur de la victime d'un
accident. En tout cas, il commence à travailler. Là, vous dites
que le droit de retour au travail donne à l'accidenté le droit de
reprendre son emploi et celui qui était chômeur redevient
chômeur. Vous dites, dans votre mémoire, qu'il faut trouver un
emploi aux travailleurs victimes d'un accident. Par le fait même, vous
allez pénaliser celui qui a remplacé. Donc, il y a quelqu'un qui
souffre.
M. Hétu: Celui qui souffre, fondamentalement, c'est celui
qui a eu un accident, qui a eu une maladie professionnelle. Pourquoi ne lui
accorderait-on pas la protection minimale? Si je comprends bien le principe,
cela veut dire qu'on va le pénaliser deux fois.
M. Polak: Non.
M. Hétu: La société du Québec va
pénaliser la personne deux fois, premièrement, parce qu'elle a eu
un accident. On dit: Parce que tu as eu un accident, on va te guérir.
C'est une bonne affaire, mais elle est pénalisée; on oublie ce
bout-là. Deuxièmement, on lui dit: On va te pénaliser un
deuxième coup; ne retourne pas à ton travail. Ensuite, il faut
faire attention devant les arguments qu'on nous sert. La compétence
professionnelle, cela existe. Je ne peux pas, comme cela, abstraitement,
remplacer un électricien par un chômeur qui est journalier. Ce
n'est pas tout à fait de cette façon que cela se passe en
réalité. Il y
a des PME qui sont spécialisées et, de plus en plus, au
Québec, vous savez que, depuis au-delà de 20 ans, l'emploi ne
provient plus des grandes usines. Il provient des petites entreprises. Avec la
technologie nouvelle, cela va requérir du monde qui a une certaine
compétence. Si je prends le cas du programmeur, je vais prendre un
chômeur, il faut que je le forme. Ce n'est pas si simple que cela. Je
pense que la réalité dans laquelle on est placé, ce n'est
pas forcément ni fatalement celui qui a un emploi qui ne requiert pas du
tout d'apprentissage. Habituellement, quel que soit l'emploi que je vais
occuper dans les entreprises, il y a un minimum d'apprentissage.
M. Polak: Dernière question. Vous avez parlé tout
à l'heure, pendant votre exposé, de la possibilité d'avoir
un organisme pour la prévention et un autre pour la réparation,
au contraire de la CSST qui a tout ensemble dans un grand appareil. Est-ce que
cela ne coûterait pas plus cher d'avoir deux organismes
séparés? Quel est l'avantage de cette formule?
M. Hétu: À cette étape-ci, on se dit que
cela pourrait être une hypothèse que nous pourrions étudier
dans le cadre d'une étude qu'on ferait sur toute la CSST. Nous nous
demandons si la commission peut faire plus de prévention. Est-ce que la
prévention et la réparation sont incompatibles? De toute
façon, on se dit qu'il faudrait étudier cette question.
M. Polak: D'accord. Merci.
Le Président (M. Jolivet): Merci à M. Hétu
et à ses collègues qui sont venus, ce soir, nous rencontrer.
Quant à moi, j'ajourne les travaux à demain matin, en vous
rappelant que nous recevrons, entre 10 heures et 22 heures, le Conseil du
patronat du Québec et la Fédération des travailleurs du
Québec. À demain matin, 10 heures.
(Fin de la séane à 22 h 10)