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Version finale

42nd Legislature, 1st Session
(November 27, 2018 au October 13, 2021)

Wednesday, May 19, 2021 - Vol. 45 N° 3

Special consultations and public hearings on the Evolution of the Act respecting end-of-life care


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Table des matières

Auditions (suite)

Mme Sandra Demontigny

MM. Pierre J. Durand et Félix Pageau

Mme Suzanne Philips-Nootens

Autres intervenants

Mme Nancy Guillemette, présidente

Mme Geneviève Hébert

M. Éric Girard

M. François Jacques

Mme Marie Montpetit

M. Gabriel Nadeau-Dubois

Mme Véronique Hivon

M. David Birnbaum

Mme Marilyne Picard

M. Guy Ouellette

Mme Suzanne Blais

Mme Jennifer Maccarone

Journal des débats

(Huit heures trente-trois minutes)

La Présidente (Mme Guillemette) : Donc, bonjour, tout le monde. Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission spéciale sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie ouverte.

La commission est réunie virtuellement afin de procéder aux consultations particulières et aux auditions publiques concernant l'évolution de la Loi sur les soins de fin de vie.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire : Non, Mme la Présidente.

Auditions (suite)

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Donc, ce matin, nous entendrons par visioconférence les experts suivants : Mme Sandra Demontigny, Dr Pierre J. Durand conjointement avec le Dr Félix Pageau, ainsi que la Pre Suzanne Philips-Nootens.

Donc, nous débutons les travaux avec Mme Demontigny. Merci d'être avec nous ce matin, Mme Demontigny, de venir partager avec nous votre expérience. Donc, le principe, vous avez 20 minutes... on vous a bien informé que vous avez 20 minutes pour votre exposé, et il y aura un échange de 40 minutes avec les membres de la commission. Donc, sur ce, je vous cède la parole à l'instant.

Mme Sandra Demontigny

Mme Demontigny (Sandra) : Bonjour. Est-ce que vous m'entendez?

La Présidente (Mme Guillemette) : Oui, on vous entend bien et on vous voit bien.

Mme Demontigny (Sandra) : Bon. Super. O.K. Alors, je suis bien heureuse d'être ici ce matin. Pour moi, c'est vraiment un grand privilège. Je suis honorée, en fait, d'avoir été invitée. Et puis moi, je suis ici aujourd'hui pour vous partager l'expérience d'une personne qui le vit de l'intérieur, en fait. Moi, je suis atteinte de la maladie d'Alzheimer sous sa forme précoce, donc, c'est une forme génétique. Je suis âgée maintenant de 42 ans et j'ai eu mon diagnostic à l'âge de 39 ans. Les premiers symptômes que j'ai, moi, pu remarquer, là, c'est pas mal autour de 38 ans à peu près.

Je suis sage-femme, là, de profession. J'ai exercé pendant près de 20 ans dans Chaudière-Appalaches. Mes quatre dernières années de ma pratique, j'étais devenue responsable des services de sage-femme, donc, comme gestionnaire. Maintenant, je suis en arrêt de travail depuis deux ans. Je suis maman de trois enfants, donc, une fille de 22 ans et deux garçons, un de 18 puis un de 14. Donc, ça, c'est... j'ai mis la table pour que vous me connaissiez un peu.

Maintenant, je vais vous parler de mon père, parce que, comme je vous ai dit, moi, je suis atteinte d'une forme génétique, c'est une forme génétique dominante, donc il faut qu'un de mes deux parents ait été atteint. Puis, moi, c'était mon père, donc, mon père qui s'appelle Denis. Bon, je vais devenir... Excusez-moi, je suis émotive, en général, donc... Mon père est décédé à l'âge de 53 ans, et on pense qu'il a eu des symptômes pas mal autour, comme moi, au début de la quarantaine. Mais mon père, un homme de l'époque, même si ça ne fait pas si longtemps que ça, là, il est décédé en 2006, c'était un homme qui cachait quand même ses difficultés, et puis ça a pris un certain temps avant qu'il ait un diagnostic. Ses symptômes étaient quand même assez présents. Il a eu un diagnostic à l'âge de 47 ans. Et puis c'est en ayant vécu avec lui la maladie d'Alzheimer et puis en l'ayant accompagné... c'est ça qui a forgé ma pensée d'aujourd'hui.

Donc, j'ai pris des notes parce que, comme vous le savez, j'ai une mémoire un petit peu défaillante. Mon père, c'était un homme fier, c'était un homme très fier, c'était aussi un gestionnaire dans une compagnie. Et puis mon père, tranquillement, on l'a senti partir derrière son regard perdu. C'est ce qui nous... c'est ce qu'on voyait, mais, en même temps, on le savait très bien, qu'il était quelque part derrière, mais il arrivait moins à nous transmettre ce qu'il se passait à l'intérieur de lui. Il sentait qu'il perdait le contrôle sur sa vie puis il perdait son autonomie aussi tranquillement. Puis probablement qu'il ne savait pas trop vers où il s'en allait parce qu'à l'époque c'était quand même peu connu, malgré que lui, il avait accompagné sa mère aussi avant lui. Donc, mon père a tranquillement perdu son autonomie, est devenu dépendant de ma mère, entre autres, parce que ma mère a pris soin de lui à temps plein.

Et puis j'ai envie de vous parler un peu ce que c'était, sa vie au quotidien, quand il était malade. Parce qu'on parle beaucoup du principe de dignité à travers la commission... Excusez-moi, je suis une grande émotive. Bon. Donc, mon père, comme je disais au début, il n'osait pas dire qu'il était malade puis qu'il avait des symptômes. Donc, c'était quand même un fin stratège, et il avait trouvé toutes sortes de manigances pour que ça ne paraisse pas trop qu'il était malade. Donc, quand il allait travailler, il a travaillé pendant 20 ans à la même compagnie, c'était à une vingtaine de kilomètres, à peu près, de la maison. Et un jour il est arrivé avec des collègues de travail qui habitent dans le quartier, pas trop loin... de dire : On devrait covoiturer les quatre ensemble, parce que c'est bon pour l'environnement, tu sais, puis ça va nous coûter moins cher, puis c'est... Ça a pris un petit temps avant qu'on comprenne que c'était parce qu'il n'était plus capable de faire le chemin.

Mon beau-frère, qui est policier, l'a, d'ailleurs, retrouvé à une trentaine de minutes en sens opposé de vers... Il s'en allait vers Bécancour, puis il l'a retrouvé, finalement, à Saint-Pierre-les-Becquets en lui demandant : Denis, qu'est-ce que tu fais dans le coin? Et mon père de dire : Ah! bien, je visite. Tu sais, je trouve ça beau, tu sais, la... voir des nouveaux paysages, puis tout ça. Mais non, ce n'était pas ça, c'est juste qu'il était complètement perdu.

Moi, ce que j'ai... ce qu'on a fini par voir, à travers tout ça, c'était un homme qui était fier et blessé dans son orgueil de voir qu'il s'en allait tranquillement puis qu'il perdait complètement le contrôle sur ce qu'il était devenu.

• (8 h 40) •

Puis mon père a arrêté de travailler, et, tu sais, son quotidien était essentiellement avec ma mère. Je vais vous donner quelques exemples de la vie avec... pour une personne qui a l'alzheimer.

Mon père, lorsqu'il rentrait dans la salle de bain, il y avait un grand miroir qui faisait tout le mur, et il s'est mis à jaser avec la personne qui était dans le miroir pendant qu'il marchait. Donc, c'était : Bonjour, comment ça va aujourd'hui? Aïe! Ça fait longtemps que je ne t'ai pas vu. Ah oui! Puis il pouvait se parler comme ça dans le miroir pendant au moins une demi-heure. À ce moment-là, c'était encore quand même relativement joyeux, la personne devant lui était sympathique. Finalement, au fil du temps, bien, il ne la reconnaissait pas, puis il ne la trouvait pas sympathique du tout, et là il s'est mis à être fâché contre elle, de dire : Bien, pourquoi que tu me suis dans les toilettes? Moi, je veux aller aux toilettes tout seul, puis toi, tu es tout le temps là. Et là moi, je résume ça en 15 secondes, là, mais ça dure quelques minutes. Finalement, ma mère a fini par mettre un grand rideau foncé sur le miroir, c'était terminé.

Un jour, mon père s'est trompé dans les robinets de la douche, donc il s'est brûlé avec l'eau chaude. Ça a été la dernière fois qu'il a pris une douche tout seul. Depuis ce temps-là, ma mère s'était mise à côté de lui pour être sûre qu'il ne touche pas au robinet. Une journée, mon père se frottait le visage. Ma mère a dit : Voyons, que c'est que tu as? Il dit : Ça me pique. Et là ma mère le regarde, elle dit : Mais Denis, qu'est-ce que tu as fait? Il s'était rasé les sourcils en rasant sa barbe. Chaque matin, lui, il se rasait la barbe, il avait une barbe forte, puis, une journée, il n'a pas fait la différence et il a rasé le visage au complet. Il avait les larmes aux yeux.

Le temps a passé, puis, tranquillement, la détresse se voyait de plus en plus dans ses yeux, c'est comme s'il était embarré dans sa personne. Tout ce qu'on voyait, c'était un regard de gars perdu. Et puis ce qui est particulier, c'est que j'ai commencé à sentir, je pense, ce feeling-là de la fille perdue. Parfois, je le sens, on me parle de quelque chose, puis je ne comprends pas, je ne sais pas de quoi qu'on me parle, on me parle d'un événement, et là j'ai le regard fixe, et c'est comme... c'est une page blanche, là, je ne comprends pas du tout, du tout de quoi qu'on me parle. Et là je dis : Bien, excusez, je ne comprends pas de quoi qu'on me parle. Et au début, je vais vous dire, les gens ne me croyaient pas, ils disaient : Voyons, tu sais, tu es une fille articulée, là, je veux dire, tu sais, tu parles bien, tu écris, tu... Puis là : Bien, non, bien, là, je ne comprends pas. Et c'est ma mémoire à court terme, moi, qui est grandement atteinte. C'est pour ça que j'ai des notes, parce que je pourrais vous répéter le même paragraphe pendant quelques minutes.

Donc, mon père, on voyait vraiment la détresse dans ses yeux, un regard perdu qui cherchait, comme s'il cherchait à avoir un point d'ancrage qu'il ne trouvait jamais. Les années ont passé, et puis on est arrivés dans les phases finales de la maladie où mon père faisait de l'errance, je vous dirais, facilement le trois quarts du 24 heures dans une journée. Il se promenait sans arrêt, sans arrêt, sans arrêt dans la maison, les yeux mi-clos, parce que trop fatigué, à aller se foncer dans un mur puis reculer parce qu'il y avait un mur, comme les petits bonhommes d'enfant qui foncent dans des murs puis qui reculent, là. Bien là, il avançait, puis il reculait, puis il avançait, puis il reculait jusqu'à tant qu'il tombe par terre de fatigue. Et, pendant ce temps-là, il y avait ma mère ou mon frère qui le talonnait en arrière pour être sûr qu'il ne se blesse pas.

Inutile de vous dire que ma mère est une sainte et qu'elle a... elle a été très, très, très impliquée, mais c'était d'une tristesse incroyable. Et là il pleurait puis, là, il disait : Je suis fatigué, là, je suis fatigué, je suis fatigué. Alors là, on l'amenait dans son lit, et, quand on le couchait dans son lit, c'est comme s'il avait des épines. Bim! Il se relève, puis il repart, puis il recommence, puis, là, ça dure... Puis là il retombe par terre de fatigue, une demi-heure après, on retourne dans le lit, et c'est la même chose. Et chaque journée, c'est comme ça, puis ça a duré plusieurs mois, plusieurs mois. On se demande vraiment où ça va arrêter, parce qu'on se dit... Moi, chaque fois, je me disais : Bien, voyons! Ça ne peut pas être pire, là, je veux dire, c'est épouvantable, ce qu'il fait, là, ça ne peut pas. Mais, oui, ça peut, ça peut tout le temps.

Et une journée on s'est rendu compte qu'il avait arrêté d'uriner puis qu'il n'était pas bien, puis il bougeait, puis on ne savait pas trop ce qu'il avait, mais là, je dis à ma mère, je dis : Maman, ça fait au-dessus de 24 heures qu'il n'a pas uriné, là, ça ne va pas, là. Donc, on a dit : Bien, on va aller à l'hôpital, là, il va fait une infection urinaire, ça ne va pas.

Donc, mon père ne voulant pas aller dans l'auto, parce que, là, il était vraiment dans les derniers stades de la maladie, j'ai dit : Bien là, on fait quoi? Bien, on va appeler les ambulanciers, d'abord. Les ambulanciers arrivent, qui étaient pleins de bonnes intentions, O.K., les gens ne veulent pas mal faire, mais, bon, les gens connaissent peu ou sont mal à l'aise. Donc, l'ambulancier rentre dans la maison avec la civière puis il dit à mon père : M. Demontigny, venez vous asseoir, là, venez vous asseoir, on va aller à l'hôpital. Mon père ne répond pas, ne comprend pas, il fait juste regarder partout comme ça. M. Demontigny, assoyez-vous. Et là l'ambulancier lui prend le bras. J'ai eu à peine le temps de tirer puis de dire : Hi! Ne fais pas ça! Mon père s'est mis à se débattre, puis à se débattre, puis, là, il hurlait, puis il donnait des coups, puis, là, il n'y avait rien à faire, il pleurait en même temps.

Et là l'ambulancier a pris son genre de walkie-talkie et il a dit : On a un cas de psychiatrie ici, là, ça va être difficile. Là, je dis : Monsieur, ce n'est pas un cas de psychiatrie, là, mon père, il est atteint d'alzheimer, même si ça ne paraît pas parce qu'il est jeune, là, mais il est... ce n'est pas un cas de psychiatrie, il ne comprend juste pas ce qu'il se passe en ce moment. Ça fait qu'il me dit : On va appeler les policiers. Aïe! Là, je dis : Seigneur! Que c'est qu'on va faire avec ça?

Et là les policiers arrivent. Et un des deux policiers, je reconnais un gars avec qui je suis allée au secondaire, que je n'ai pas vu depuis, genre, 20 ans. Là, je dis : Aïe! Luc, Luc, Luc... Là, je lui explique pour mon père, je dis : Écoute, j'aurais une idée, essaie de te faire passer pour mon frère. Mon père, il est fatigué, il a les yeux mi-clos, tu sais, il voit moyen, puis tout ça. Essaie de te faire passer pour mon frère, puis mon frère, il appelait mon père «le gros». Ça fait que, tu sais : Aïe! Salut, le gros. Alors, Luc rentre. Il dit à mon père : Aïe! Salut, le gros. Voyons, qu'est-ce qu'il se passe? Mon père... hip, hip! Il se met à chercher. Là, Luc, il dit : Viens, viens t'asseoir ici, là, on va aller à l'hôpital. Et mon père s'est assis sur la civière, et on est partis comme ça avec Luc, dans l'ambulance en arrière, qui lui parlait : Puis, papa, qu'est-ce que tu as fait en fin de semaine? Bon. Mais c'est vous dire... Puis Luc, il ne ressemble pas du tout à mon frère, mais, bon, on s'est rendus à l'hôpital comme ça.

Le nombre de fois que je me suis dit : Si mon père se voyait comme ça, là, il m'aurait dit : Tire sur le fil, fait quelque chose, là, je ne peux pas croire que j'ai l'air de ça devant les autres et que je suis... on doit me prendre en charge à ce point-là.

Quand on est arrivés à l'hôpital, ils ont mis mon père en isolement dans une pièce fermée, en béton, parce qu'il bougeait tout le temps puis il allait partout. Et une infirmière est venue pour lui donner un Ativan ou un calmant quelconque, et je n'ai pas eu le temps de la voir venir assez rapidement, et elle est allée en... ouvrant, à mon père : Prend quelque chose, en forçant un peu. Mon père l'a mordue au sang. Il ne comprenait pas ce qu'il se passait. J'ai dit : Madame, il ne comprend pas ce qu'il se passe, il ne comprend juste pas. Il ne veut pas, tu sais, il ne veut pas faire mal, tout ça, mais... Et puis, comme je vous dis, il avait l'air jeune, c'est comme si ça ne collait pas, ses agissements, avec ce qu'il pouvait avoir l'air.

Et puis là le... a commencé avec l'Haldol et compagnie pour l'assommer et qu'il se calme un peu. Et s'en est suivi trois semaines d'hospitalisation, où mon père a été contentionné, le torse, les bras, les hanches et les jambes. Et, malgré ça, il avait le réflexe de bouger. Parce que les gens qui ont l'alzheimer, vous savez, ils ont le réflexe de bouger et de marcher beaucoup en fin de vie. Donc, mon père tirait sur ses contentions, il avait des contusions, des ecchymoses, c'était bleu, il en avait une tirant sur le noir aussi, là.

• (8 h 50) •

Lui, il ne comprenait pas pourquoi qu'il était là, il ne savait pas il était où puis... Donc, j'essayais de l'imaginer, là, mais c'est comme si on le mettait dans... Bien, c'est comme si on me mettait dans une place où tout le monde parle une autre langue, ne me regarde pas ou à peu près pas, je ne sais pas je suis où puis j'ai l'impression que je vais être là pour tout le temps. Bien, c'était un peu ça. Et puis ça a pris trois semaines avant que, finalement, son corps finisse de perdre ses facultés, et puis, donc, il a passé ce temps-là, je vous disais, sédationné et contentionné.

Les dernières paroles de mon père, ça a été quelques jours avant de mourir. J'étais avec mon frère, ma mère, on était au bout de son lit. Et là, tout d'un coup, il a ouvert les yeux, puis il a essayé de s'asseoir dans ses contentions, puis il a regardé mon frère, puis il a dit : Toi, m'as te tuer, mon tabarnac! Ça a été sa dernière phrase. On en parle encore. En même temps, on sait que ce n'est pas lui, mon père ne pensait pas ça, mais il était complètement dépossédé de la personne qu'il était.

Après avoir vu ça... à l'époque, j'avais 27 ans, j'étais mère de trois enfants, mon plus petit avait trois mois, j'étais terrorisée. Et là je me suis dit... Je venais d'apprendre, dans les semaines avant, qu'on pouvait être atteint de la maladie génétique, et je me disais : Si j'ai ça, moi, là, une maladie de même, là, je ne peux pas vivre avec ça, là, c'est juste impossible, je ne peux pas, je ne peux pas, qu'est-ce que je vais faire? Et j'ai été des mois à angoisser, mais angoisser vrai, là, à ne pas dormir, à faire de l'anxiété, à pleurer. J'ai fait une dépression postnatale. Ça n'allait vraiment pas. Jusqu'au jour où j'ai une révélation qui me dit : Je ne vivrai pas ça, ni pour moi ni pour mes proches. Je ne sais pas de la façon que je vais partir, mais je vais partir avant.

Donc, aujourd'hui, je suis là pour vous parler de l'aide médicale à mourir anticipée. Je sais très bien, j'anticipe très bien ce qui s'en vient, je suis au courant, et je ne veux pas vivre ça, ni pour moi ni pour mes enfants. Alors, les choix qui s'offrent à moi, c'est quoi? C'est aller en Suisse, ça va me coûter peut-être 30 000 $, 40 000 $ pour y aller avec mes enfants, ma famille, et ça, c'est de l'argent que je ne donnerai pas à mes enfants en héritage, qui sont jeunes, mes enfants sont jeunes encore. Sinon, je peux attenter à mes jours moi-même, ce que je considère être quand même souvent assez violent et ce qui me forcerait à le faire relativement tôt dans ma maladie pour être capable de le faire.

Mais je pense qu'aujourd'hui là, en 2021, on est rendu plus loin que ça, on est rendu capable de mourir dans la dignité. Ça a commencé il y a quelques années. Mais, bien honnêtement, là, quelqu'un qui est atteint d'alzheimer ou autres maladies neurodégénératives, il ne part pas en dignité. Moi, la mienne s'amenuise à chaque semaine, et je vous demande sérieusement de prendre en considération que partir... faire avant mes directives à mes pairs, ma famille, et de savoir que la journée que je vais avoir déterminé... à partir du moment où j'estime que ma dignité est trop atteinte, savoir que je vais partir, je vais passer les années qu'il me reste sereine.

Excusez-moi. Mais, si vous voulez avoir un vrai témoignage, ça ressemble à ça. Je pense qu'on est capable de trouver des mesures de... des mesures de contrôle pour être sûr que tout se passe bien. Il y a déjà plein de travaux qui ont été faits, qui ont été amorcés, il y a déjà plein de belles idées, il reste juste à voir comment on peut attacher ça. Mais moi, je peux vous dire qu'au point de vue des patients, là, au point de vue des gens qui le vivent, sans vous mettre de pression, on attend vraiment un développement à ce niveau-là, et eux... en plus, je vous demanderais que ça ne soit pas si long que ça, là, parce que les années filent, et puis, pour moi, dans cinq, six ans, il va être trop tard. Voilà.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Merci beaucoup, Mme Demontigny. Pour nous, vous étiez vraiment l'experte de la maladie à entendre pendant cette commission-là.

Donc, nous commencerons les échanges avec la députée de Saint-François, pour une période de 15 minutes.

Mme Hébert : Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Demontigny. J'ai une petite... Vous êtes très touchante.

Mme  Demontigny (Sandra) : Je vais prendre un deux secondes, là, je vais me chercher un mouchoir puis je reviens, O.K.?

Mme Hébert : Parfait, ça va me donner le temps de...

La Présidente (Mme Guillemette) : Prenez le temps qu'il faut.

Mme Hébert : ...de reprendre, moi aussi, mes émotions, et je pense que je ne suis pas la seule.

Mme  Demontigny (Sandra) : Bon. O.K., excusez-moi, là. O.K. Oui, je vous écoute, madame.

Mme Hébert : Alors, Mme Demontigny, on comprend votre demande. Hier, on a eu des médecins qui nous ont parlé, dont, si je me souviens bien, Dr Morand, puis j'avais une question. Il nous a parlé... c'est sûr qu'on parle de l'alzheimer plus âgé. À un certain stade... Parce que j'ai lu, dans un certain article, que vous avez dit : Le moment où je ne pourrai plus reconnaître mes enfants, ça serait pour moi un critère que j'aimerais qu'on exécute mes demandes de fin de vie.

Alors, il y a un certain processus, quand on atteint ce stade-là, qui peut faire qu'on a... des fois, c'est aléatoire qu'on apprend... qu'on perd la reconnaissance de nos proches. Alors, est-ce que vous êtes en accord? Est-ce qu'il y a un temps qu'on doit justifier cette... Je ne sais pas si vous comprenez ce que je veux dire. Entre le moment où la première fois que vous n'allez pas reconnaître vos proches et la prochaine étape, est-ce que vous... pouvez-vous suggérer un certain temps? Est-ce que vous avez réfléchi à ça?

Mme  Demontigny (Sandra) : En fait, oui, puis je vous dirais que ma réflexion, comme la vôtre, est progressive. Même que, quand j'ai parlé de ne pas reconnaître mes enfants, je vais être honnête avec vous, probablement que je mettrais plus qu'un critère, dans le sens où... avec le et/ou, là, parce qu'on ne sait pas lequel qui va venir en premier. Il y a des gens qui vont reconnaître leurs enfants jusqu'à la fin, sauf qu'ils ne vont, par exemple, plus être capables de s'alimenter par eux-mêmes, d'aller à la toilette par eux-mêmes, par exemple, un an avant. Donc, moi, personnellement, j'aimerais mieux en mettre plus qu'un avec un et/ou et avec un délai... Je vois ça comme un compromis, dans le sens où, tu sais, je comprends que les médecins qui vont pratiquer, j'espère, l'aide médicale à mourir anticipée, n'auront pas envie d'aller plus vite qu'il faut, comprenez-vous, genre, d'aller trop vite puis que, finalement... Ça fait que, oui, il pourrait y avoir un délai dans le sens où, si je ne le reconnais pas une journée, je vais le reconnaître le lendemain, mais je sais que ça peut aussi durer un certain temps.

Moi, mon père, il a eu un... il m'a reconnue, là, «on and off» jusqu'à deux mois avant son décès. Puis ça, pour moi, c'est très loin, là, c'est très, très loin. Ça fait que c'est pour ça que je serais plus à l'aise de mettre plus qu'une mesure pour moi. C'est ça.

Mme Hébert : Tout étant le but de donner une possibilité d'avoir une certaine qualité de vie avec vos proches le plus longtemps possible.

Mme  Demontigny (Sandra) : Oui. Puis, en même temps, la qualité de vie peut être relativement subjective aussi. Oui. C'est ça. Moi, le critère principal que je nommerais, que j'ai déjà dit aussi, c'est... Moi, personnellement, l'hygiène corporelle, là, aller aux toilettes toute seule, là, puis être capable de gérer mes besoins personnels, ça, c'est quelque chose que je... Je ne veux pas avoir besoin de quelqu'un chaque fois que je vais aux toilettes, là, je ne veux pas ça. Je dirais que, moi, ça serait probablement mon critère principal. Mais est-ce qu'avant je... J'aimerais ça avoir une boule de cristal. Je ne le sais pas. Mais je pense que moi, j'aimerais probablement l'idée d'un et/ou, mais pas en... là, mais, tu sais, je veux dire, parce qu'on ne sait pas comment ça va évoluer.

• (9 heures) •

Mme Hébert : Parfait. Puis, si on regarde du côté de l'accompagnement, pour que vous soyez accompagnée là-dedans, donc, demandez-vous qu'il y ait une certaine équipe clinique, qu'on parle de psychologue, travailleur social, médecin? Donc, recommandez-vous ça? Puis d'inclure aussi les proches dans toute cette décision-là, là, qui doit être, je crois, très claire aussi, là, donc?

Mme  Demontigny (Sandra) : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Puis j'ai la chance, déjà, d'avoir une belle équipe comme ça autour de moi, le neurologue, la neuropsychologue, la psychologue, la travailleuse sociale. Je l'apprécie au quotidien, puis, pour moi, c'est... C'est sûr qu'il y a une partie de moi aussi qui me dit : On court après les effectifs en santé, hein? Je ne voudrais pas que le fait qu'on n'ait pas le personnel nécessaire, parce qu'on manque de psychologues ou de travailleurs sociaux, qu'on ait un frein dans une démarche de quelqu'un qui voudrait avoir l'aide médicale à mourir anticipée. Je trouve que ce ne serait pas à cette personne-là de payer pour. Comme je dis, moi, j'ai la chance d'avoir ces gens-là autour de moi. Puis c'est clair que c'est des gens qui me connaissent depuis déjà longtemps, puis ça serait un atout de les avoir autour de la discussion. Et moi, naturellement, en ce moment, je le... De toute façon, j'en discute ouvertement avec eux puis c'est très éclairant parce qu'ils ont une expertise que moi, je n'ai pas. Mais, comme je vous dis, le manque de services ne devrait pas être un frein pour les gens qui n'y ont pas accès.

Mme Hébert : Merci, Mme Demontigny. Mme la Présidente, je laisserais la parole à un autre de mes collègues.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, Mme la députée. Je céderais la parole au député de Lac-Saint-Jean.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Merci, Mme la Présidente. C'est très touchant, là, votre témoignage. J'ai été voir un peu aussi sur votre site, là, les démarches que vous êtes en train de faire, en fait, au niveau de la loi fédérale. Puis c'est là qu'on voit, là, les troubles neurocognitifs majeurs... en fait, on tombe dans l'aptitude à consentir, tout ça. C'est là qu'on voit, là, que la ligne... une personne, au niveau de l'aptitude à consentir, qui tombe inapte à cause de troubles cognitifs... Puis hier on en a beaucoup parlé, il y a des groupes, entre autres, qui en ont parlé, puis toute la question aussi des proches. Puis c'est un peu là-dessus que je m'en vais, parce que, là, vous avez vécu, vous, la famille, ce qu'il s'est passé, là, avec votre père qui n'était plus en mesure de décider de par lui-même.

Ma question, c'est : Comment voyez-vous ça, l'importance, la responsabilité des proches dans ces situations-là? On sait que, quand vient le temps, bien, on parle toujours d'un consensus qui est la meilleure... en fait, qui serait le mieux possible, mais j'aimerais ça savoir un peu la... les proches, tu sais, tout retombe un peu sur leurs épaules, puis qu'est-ce que vous proposez. Parce qu'il y a toute l'émotivité là-dedans, aussi, qui embarque puis qui vient fausser aussi, des fois, la perception qu'on a. Je vais vous laisser...

Mme  Demontigny (Sandra) : Merci pour votre question. C'est sûr que, bon, il n'y a pas une situation qui est pareille. Moi, mes proches, mes enfants, mon conjoint sont complètement d'accord avec moi. On en parle depuis tellement longtemps que ça va de soi puis... mais je sais que ce n'est pas comme ça dans toutes les familles.

Moi, ce que j'ai pensé pour moi, parce qu'il faut avoir un mandataire ou, en tout cas, quelqu'un de désigné qui va trancher, moi, j'ai opté pour ma meilleure amie, qui est une collègue de travail depuis 20 ans, qui me connaît, là, très, très bien, et qui partage les mêmes valeurs de vie que moi. Pour elle, c'est une évidence même et puis... Malgré que ma famille aussi, ils sont tout à fait d'accord, mais moi, personnellement, je trouvais que — mes enfants ne sont pas très vieux non plus, là — je trouvais que c'était un petit peu lourd de leur mettre ça sur les épaules. Ce que je pense faire, ce que je... je pensais la mettre elle en consultation avec mes enfants. C'est sûr qu'elle espère que mes enfants ne s'opposeront pas, mais, en même temps, je ne penserais pas.

Mais c'est sûr que, dans des familles où les gens ne s'entendent pas, ça ne sera pas évident. Je vais être honnête avec vous, là, je pense que la façon de s'en sortir, là, c'est que les gens puissent être capables de se centrer sur la personne qui est au coeur de la situation, parce qu'on peut avoir, comme individus, des valeurs différentes, mais ce n'est pas ma fille, là, qui vit ça, puis ce n'est pas mon conjoint non plus, c'est moi, donc, moi, c'est quoi, mes valeurs, qu'est-ce que j'ai toujours véhiculé. Puis j'espère que les gens vont arriver, puis probablement avec un accompagnement, mais... être capables de faire ce choix-là, qui est le choix qu'on fait au nom de la personne qui n'est pas capable de le faire.

C'est sûr que, bon, on parle des directives anticipées. C'est clair que, s'il est possible que je puisse déterminer de façon très claire, le plus possible, mes directives anticipées et que ce soit, par exemple, consigné via le notaire ou via les demandes ministérielles, là, qui sont comme non-réanimation, et tout ça, plus c'est clair de ce côté-là, plus ça va libérer de poids sur les gens pour prendre une décision. Quelqu'un qui a rempli un papier de non-réanimation, bien, les proches sont peut-être... sont sûrement contents de ne pas avoir à trancher là-dessus. C'est un peu le même principe. Je pense qu'avec certaines mesures on pourrait être capable de diminuer la tension aussi sur les gens, parce que la personne atteinte va avoir, elle, à déterminer des choix d'avance.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Merci. C'est tout. C'est intéressant, là. Quand vous dites vous avez nommé quelqu'un d'autre, c'est quand même intéressant. Je vais laisser la parole à d'autres collègues.

Mme  Demontigny (Sandra) : Merci, monsieur.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Je céderais la parole au député de Mégantic.

M. Jacques : Bonjour, Mme Montmigny. Beau témoignage. Écoutez, je sens qu'on est comme, chacun notre tour, un à un avec vous ce matin, là. Et j'aimerais revenir un peu en arrière puis un peu en avant en continuant, là, sur le... ce que le député de Lac-Saint-Jean a dit aussi. Moi, je veux savoir comment se sentait... comment vous vous sentiez à 29 ans, à 39 ans et à 42 ans, bon, dans le sens que... Comment vous avez vécu la maladie de votre père, de un? Qu'est-ce que vous auriez fait à ce moment-là si vous aviez eu des choses à pouvoir planifier pour le futur, de un? De deux, à quel moment dans la maladie de votre père, si vous vous mettez à sa place, à quel moment, vous, pour vous, c'est assez? Vous avez parlé tantôt, là, de ne pas être capable d'aller aux toilettes seul. Est-ce qu'il y a d'autres... Est-ce que c'est à l'agressivité, le fait de... Bon, j'aimerais... je pense qu'on est capable de jaser de ça ce matin, là. Puis on est tous... on est tous à vos lèvres puis on veut vous entendre, parce que je pense que vous amenez un témoignage, là, qui est fort, fort, fort bénéfique pour la commission.

Mme  Demontigny (Sandra) : Vous êtes bien gentil. Merci. Je vais commencer par votre deuxième question, parce que la première, il va falloir... j'ai écrit «quand», mais, tu sais, ça ne veut plus rien dire. Au niveau de mon père, c'est pas mal arrivé un peu tout ensemble, l'histoire d'avoir besoin d'assistance pour aller aux toilettes, l'errance, puis, pour moi, c'est là. Avant ça, moi, je... c'était quand même joyeux. Je veux dire, tu sais, il était avec ma mère, puis, bon, c'était le petit quotidien. C'est sûr que, tu sais, sa vie n'était pas trépidante, là, mais lui, il ne le savait pas tant que ça, puis il était avec son monde, puis il était content. Mais, à partir du moment où il a commencé à être agressif envers nous... bien, ce n'était pas envers nous, c'était envers ce qu'il ne comprend pas, c'est, entre autres, comme je disais tantôt, quand il n'était plus capable d'aller aux toilettes par lui-même. C'était la crise, là, parce qu'il sentait des efforts dans son corps. Il ne comprenait pas ce que c'était, ça fait que, là, il se débattait. Il ne voulait pas s'asseoir sur la toilette, il pensait qu'il allait tomber dans le vide. Puis, tu sais, une toilette, c'est blanc, c'est... Pour lui, c'était un trou, tu sais, ça fait qu'il ne voulait pas s'asseoir là. Il se débattait, il avait mal au ventre. Tu sais, tout ça, là, ça, c'est clair qu'il n'aurait jamais voulu vivre ça, là.

• (9 h 10) •

M. Jacques : Mais, si vous, là, vous arriviez là, là, c'est ce bout-là, là, que vous n'êtes pas capable de vivre, pour vous, là. C'est ça que j'essaie de voir, là.

Mme  Demontigny (Sandra) : Oui. Bien, en fait, tu sais, juste avant ça, dans le sens où, tu sais, ce n'est pas venu du jour au lendemain, tu sais, il a commencé tranquillement. Il commençait à avoir de la misère, mais, tu sais, rendu là, là, tu sais, mon père faisait ses besoins dans ses vêtements. Tu sais, c'était comme... Puis moi, ça, c'est vraiment trop, c'est vraiment trop, là, c'est... Tu sais, je pense que, tu sais, la vie m'a donné une maladie. Je suis capable de faire mon bout, là, mais il y a un moment où non. Puis ça, là, pour moi, c'est vraiment trop.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Merci beaucoup, M. le député. On aura le temps de poursuivre les échanges avec la députée de Maurice-Richard.

Mme Montpetit : Je vous remercie, Mme la Présidente. Bonjour à Mme Demontigny. Puis, vraiment, un sincère merci de... bien, de contribuer à nos travaux, de venir nous parler ici dans toute votre authenticité. C'est très, très, très touchant. C'est très... doublement touchant, je vous dirais, du témoignage que vous nous livrez par rapport à votre père, mais du témoignage de votre perspective aussi, de ce qui se passe pour vous.

Ça soulève beaucoup de questions chez moi sur comment vous... Ce que j'ai entendu, en fait, de ce que vous nous avez dit par rapport à votre père, entre autres, c'est beaucoup sur la dernière image aussi, je pense, qui, projetée sur... Vous nous avez parlé de la dernière phrase qu'il a dit à votre père. Est-ce que... Puis j'essaie de voir, dans le... dans ce qui vous habite, dans le fond, aussi, dans votre démarche, la question de la souffrance par rapport à la dignité, parce que je... On a parlé beaucoup de souffrance avec les experts au cours des derniers jours, justement, comment on l'évalue, qu'est-ce que c'est, mais j'entends aussi beaucoup dans ce que vous nous dites, justement, l'aspect de dignité, de comment vous avez vu votre père aussi évoluer là-dedans. Mais aussi, par rapport à vous et par rapport, justement, à la relation avec les proches, les mots durs qu'il a dits à votre frère, quand vous nous dites : Bien, on sait très bien que ce n'est pas lui, bien, on voit que la blessure, elle est encore très vive sur les derniers moments que vous avez avec lui. Donc, je voulais vous entendre. Je sais que c'est un peu large comme question, mais je voulais vous entendre sur ces questions-là.

Mme  Demontigny (Sandra) : Merci. Je trouve que vous le nommez très, très bien : la souffrance par rapport à la dignité. Vous avez raison, pour moi, c'est ça, la pire souffrance, définitivement, définitivement, parce que... Puis, en plus, ça se fait sur le long cours. Tu sais, ce n'est pas juste un événement de : tu sais, j'ai mal quelque part aujourd'hui, là. La dignité, bon, ça, ça... à la fin, ça a atteint son paroxysme, là, mais, durant toutes les années avant, tranquillement, là, c'était un morceau à la fois, là. C'est comme un casse-tête qu'on enlève des morceaux, là.

Moi, je suis quand même aux phases modérées de la... la phase modérée de la maladie. Je peux vous dire que ma dignité en prend déjà pour son rhume, là, mais, bon, je travaille sur mon orgueil. Je suis encore capable de le faire, puis, tu sais, de me dire : Bien, c'est de même, puis, de toute façon, je ne peux rien y changer. Mais, maintenant, j'ai commencé à dire : Excusez-moi, là, j'ai des problèmes avec ma mémoire. Je m'excuse. Maintenant, je le nomme plus souvent, parce que j'ai l'air vraiment mêlée ou à ne pas respecter des consignes, par exemple, ou... Puis je vais être... avec vous, là, quand je dis ça à quelqu'un, je ne suis pas supercontente, mais c'est nécessaire, c'est ce qu'il y a de mieux à faire dans les circonstances. Mais c'est sûr que je ne veux pas me définir par rapport à ma maladie, mais, avec le temps qui passe, elle me définit plus que n'importe quoi d'autre, malheureusement.

Mais, vous avez raison, la souffrance par rapport à la dignité, de ce que j'ai vécu avec mon père, qui est quand même une personne, pas 200, mais c'est ça qui est le plus souffrant, vraiment. Tu sais, j'ai entendu des gens, j'ai écouté aussi la commission avant, puis j'ai entendu quelqu'un qui parlait de la démence heureuse de quelqu'un qui... je ne me souviens plus exactement, là, mais qui se berçait puis qui flattait un toutou, quelque chose comme ça, là. Moi, dans ma version à moi, pour ma personne, la dignité, puis je pense que ça peut être variable d'une personne à l'autre, moi, je ne me sens pas digne, là, de faire ça pendant une journée puis que les gens viennent autour de moi, mes proches, je ne sais pas trop c'est qui, puis je fais juste ça, puis, si on ne me tasse pas de là, je vais rester là pendant 24 heures.

Tu sais, je... pour moi, c'est comme... je ne veux pas être péjorative, là, mais c'est comme un plasteur sur le bobo, tu sais. Tu sais, pendant que je suis là, puis que je me berce, puis que j'ai l'air contente, bien, je ne dérange pas ou, tu sais, je ne fais pas d'autre chose. En même temps, quelqu'un qui va bien, là, qui a tous ses esprits, est-ce qu'il ferait ça pendant 10 heures en ligne? Je ne pense pas, là. En tout cas, moi, ça ne me tente pas, je n'ai pas envie de faire ça. Tant qu'à ça, je pense que je serais bien dans un autre lieu qu'on ne connaît pas encore, même...

Mme Montpetit : Bien, c'est... oui, c'est exactement à ça que je faisais référence, la question, entre autres, de la démence heureuse. Moi, j'ai eu l'occasion dans ma carrière de travailler quelques années dans des CHSLD. Puis, évidemment, il y a une proportion très, très importante de gens, je pense, c'est 70 % des personnes qui... bien, qui ressemblent un peu à votre... à ce que vous nous avez décrit de votre père, là, qui font de l'errance, qui sont en phase avancée d'alzheimer. Puis, après ça, bien, il y a un spectre, de... effectivement, de certains qui sont plus agressifs, il faut les approcher plus lentement, d'autres, effectivement, qui ont ce côté-là. En tout cas, je ne suis pas sûre que j'aurais appelé ça heureux, personnellement. Je ne sais pas si c'est un terme clinique qui a été utilisé ou pas, mais on pourra le clarifier avec d'autres experts.

Mais c'est un peu là que je voulais voir est-ce que... quand vous nous dites : Moi, je vois ce qui arrive devant moi, puis, peu importe qu'il y ait une réelle souffrance ou pas, à partir du moment où je n'aurai plus la dignité, donc je ne serai plus capable de faire tel, tel, tel geste, m'alimenter moi-même, aller à la salle de bain moi-même, est-ce que, pour vous, ce n'est pas une façon aussi de... tu sais, vous nous avez parlé, oui, du fardeau que ça peut apporter à votre famille, mais est-ce que ce n'est pas une façon aussi d'avoir une certaine tranquillité d'esprit maintenant, dans les années où vous êtes vive d'esprit et...

Je vous vois sourire, je vous vois réagir, mais c'est un peu ça que je voulais voir aussi, parce qu'on parle tout le temps de la partie où la maladie, elle est très présente puis on arrive plus en fin de parcours, mais j'imagine qu'il y a une dignité aussi puis une tranquillité d'esprit pendant qu'on peut prendre cette décision-là aussi.

Mme  Demontigny (Sandra) : Exactement. Comme je disais tantôt, quand moi, j'ai décidé, à l'âge de 27 ans, que j'allais finir ma vie dans un moment où j'aurais encore ma dignité, c'est là que j'ai vraiment senti un apaisement. Ça a été, là, le jour et la nuit. J'ai été, avant ça, des jours, des semaines à penser à mon père, à le voir dans ma tête puis à angoisser, et, quand ça, c'est venu... puis malgré que, tu sais, l'idée, par exemple, de me donner la mort ne m'enchante pas du tout, là, mais de me dire : Hé! non, il y a moyen que je vive ma vie sereine, zen, parce que cette phase-là, là, il n'y en aura juste pas. Puis, en effet, ça a été un tournant marquant dans ma vie, ça, de sentir que ma vie m'appartient encore, même si elle est grandement dominée par des plaques amyloïdes dans mon cerveau. Puis il y a un certain moment où je vais avoir... Ça va être correct. Puis j'adore la vie, mais, justement, moi, je ne considère pas ça comme une vie où je m'épanouis, où je suis heureuse aussi. Non, j'ai envie de partir quand ça va être encore beau, pas trop tôt, mais pas où est-ce qu'on va être rendu dans le trop tard. Vous l'avez très bien expliqué, exactement.

Mme Montpetit : Merci, hein? C'est... Vous êtes d'une grande générosité dans vos... une grande authenticité dans vos réponses. Honnêtement, ça va tellement nous aider dans nos travaux.

Il y a un autre élément que je voulais voir avec vous aussi. Puis vous avez mentionné que vous avez suivi les travaux de la commission depuis vendredi dernier. On a fait référence beaucoup, les experts qui sont venus nous voir aussi, à l'évaluation de la souffrance par le jugement clinique, par un médecin, par un professionnel de la santé. Puis j'aimerais ça vous entendre... Vous nous avez... vous avez dit que vous aviez... vous confiriez cette décision-là à une amie qui est proche de vous, qui vous connaît bien et qui partage vos valeurs. Puis j'aimerais ça vous entendre sur le poids, justement, à donner à quelqu'un qui connaît la personne, hein, qui la connaît très, très bien, qui la connaît assez pour voir l'évolution, aussi, de cette personne-là à travers sa maladie versus, justement, une décision clinique par un professionnel. Tu sais, à savoir, justement... est-ce que vous accepteriez que ce ne soit pas exécutoire, cette décision-là, qu'un jugement clinique puisse prendre le pas sur l'évaluation de votre proche à qui vous avez confié ça?

• (9 h 20) •

Mme  Demontigny (Sandra) : Bien honnêtement, non. En fait, c'est que... Je vais parler pour moi, c'est vraiment une réflexion personnelle. Moi, elle s'appelle Marie-Josée. On va l'appeler par son nom. Marie-Josée, je la connais, on partage les mêmes valeurs. On en parle souvent, tout le temps, depuis des années, et puis je sais qu'elle est capable de faire valoir mon point, parce qu'elle le partage. Dans les équipes médicales, comme dans n'importe quelle autre équipe, ou peu importe... on parle, les gens ont aussi des valeurs personnelles. Et puis, comme intervenant, malgré qu'on doit... on devrait le plus possible être le plus neutre et vraiment focusser sur le besoin et les demandes du patient, j'ai comme un... j'aurais comme une crainte que ça ne se fasse pas nécessairement dans certains cas. C'est sûr, j'ai travaillé 20 ans dans le réseau, là, et puis ça se voit, des fois, des professionnels qui pensent que la façon a de faire est meilleure que la façon b, parce que... par ce qu'ils ont appris, mais aussi parce que chaque humain est fait de ses valeurs puis de ses expériences.

Et puis, si je pouvais avoir la conviction que des gens feraient une analyse neutre d'une situation, chose qui est peu pensable, O.K., mais, honnêtement, moi, je viserais vraiment de faire une directive anticipée, donc, tu sais, parce que c'est moi qui la fait, là. Moi, là, moi, je le dis : Je veux ça, ça, ça, a, b, c, d, puis Marie-Josée va être témoin de : oui, maintenant, Sandra, elle est rendue là, tenez, c'est ça, puis c'est tout, là. Moi, je vais l'avoir déjà déterminé. Moi, ma crainte, si on laisse un... Je pense que le plus grand pouvoir revient quand même à la personne malade, là, qui doit faire cette demande quand elle est encore toute lucide... bien, en tout cas, en bonne partie lucide. Puis le pouvoir, pour moi, il est là, le pouvoir décisionnel.

Après ça, il faut le mettre en place. C'est qui, la meilleure personne pour le mettre en place? Normalement, le proche à qui tu confies ça, c'est que tu lui fais vraiment confiance. Si j'ai un médecin avec qui je travaille depuis... ça fait 10 ans qu'il me suit, puis je le connais bien, puis que... probablement que je serais à l'aise. Mais est-ce que je vais tomber sur l'équipe volante parce que je vais à l'urgence, ou je ne sais pas trop? J'ai confiance en l'humain, mais, en même temps, je suis consciente qu'on n'a pas tous les mêmes valeurs. Ça m'inquiéterait, je dirais.

Mme Montpetit : C'est très, très clair. Mme la Présidente, est-ce qu'il nous reste un peu de temps? J'avais mon collègue de D'Arcy-McGee qui aurait une question, mais ça file vite.

La Présidente (Mme Guillemette) : Il reste 10 secondes, Mme la députée.

Mme Montpetit : Je suis désolée. Mais merci beaucoup, Mme Demontigny, sincèrement, pour votre témoignage. C'est touchant, mais c'est surtout très, très, très éclairant pour la suite. Merci.

Mme  Demontigny (Sandra) : Merci à vous.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Nous poursuivons maintenant nos échanges avec le député de Gouin.

M. Nadeau-Dubois : Merci, Mme Demontigny, pour votre témoignage aujourd'hui. C'est très instructif pour nous, mais je vois bien que c'est difficile pour vous. Par conséquent, je vais vous poser des questions, puis, si vous sentez que vous n'êtes pas à l'aise d'y répondre, il n'y aura aucun problème, mais je trouve ça important de vous les poser.

Vous vous basez beaucoup, dans votre réflexion, et c'est normal, sur ce que vous avez vu auprès de votre père. Et c'est beaucoup ce que vous avez constaté à ce moment-là qui alimente votre décision, si j'ai bien entendu votre témoignage d'aujourd'hui. Si jamais la maladie n'évoluait pas comme... dans votre cas, comme elle a évolué avec celui de votre père, croyez-vous que vos proches devraient pouvoir revenir sur votre décision, ou si votre décision devrait être finale et sans appel, peu importe ce qu'il se passe puis peu importe ce que pensent vos proches?

La Présidente (Mme Guillemette) : Mme Demontigny, est-ce qu'on aurait perdu la connexion?

On va suspendre quelques instants, on a perdu la connexion.

(Suspension de la séance à 9 h 24)

(Reprise à 9 h 29)

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Donc, nous reprenons les travaux. Désolée. On en était à la réponse de Mme Demontigny. M. le député de Gouin, peut-être nous reformuler rapidement votre question.

M. Nadeau-Dubois : Oui, Mme la Présidente. Je propose qu'on reprenne le bloc au début, là, puis que, de consentement, on décale l'ensemble de nos travaux pour s'assurer que tout le monde a le temps de profiter...

La Présidente (Mme Guillemette) : S'il y a consentement pour tout le monde, on terminera plus... Il n'y a pas de problème.

Mme Montpetit : Absolument.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Donc, allez-y.

M. Nadeau-Dubois : On s'entend sur l'importance de profiter de chaque minute qu'on a avec notre invitée ce matin. Merci, Mme Demontigny, de votre témoignage. Ce n'est pas facile pour vous, mais sachez que, pour nous, c'est extrêmement pertinent, ça nous aide à prendre une décision...

(Interruption)

M. Nadeau-Dubois : Aïe! Aïe! Aïe!

La Présidente (Mme Guillemette) : On va suspendre quelques instants, là, on a vraiment un pépin technique.

(Suspension de la séance à 9 h 30)

(Reprise à 9 h 36)

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Donc, le problème technique étant résolu, nous retournons à nos travaux et nous redonnons la parole au député de Gouin.

M. Nadeau-Dubois : Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Demontigny, pour votre témoignage. Désolé des pépins techniques. Ça va avoir détendu l'atmosphère un peu. Je sais que les questions que je vais vous poser ne seront pas nécessairement faciles, puis, si vous n'avez pas envie d'y répondre, il n'y a aucun problème, mais je m'en voudrais de ne pas vous les poser, et je veux profiter de votre présence pour savoir, vous, comment vous voyez cette situation-là.

Votre témoignage puis votre décision de choisir l'aide médicale à mourir, ils se basent beaucoup sur ce que vous avez vu de votre père, puis ça vous donne une idée de comment votre maladie à vous va évoluer. Si jamais votre maladie évoluait différemment de celle de votre père, puis que vos proches, le constatant, se mettaient à questionner, finalement, la pertinence de l'aide médicale à mourir, est-ce que vous pensez que votre décision à vous devrait être finale et sans appel ou est-ce qu'il devrait y avoir une porte entrouverte pour vos proches, le moment venu, de dire : Finalement, ça ne se passe pas comme on pensait que ça se passerait, on préfère ne pas procéder?

Mme  Demontigny (Sandra) : C'est une bonne question. Spontanément, quand j'ai entendu la fin de votre question, quand vous avez dit : Ou c'est possible que, vos proches, finalement, ils décideraient de ne pas procéder, moi, je... on m'en parle souvent chez nous, c'est comme si on parle de la température, là, parce que ça fait partie de notre vie, puis, moi, j'ai souvent dit à mes enfants : Si vous ne respectez pas ma volonté, je vais venir vous hanter jusqu'à la fin de mes jours, en riant, mais, tu sais... Puis là... Tu sais, c'est juste parce que c'est quelque chose de convenu chez nous. C'est sûr que les symptômes ne seront peut-être pas pareils à mon père dans le sens où on ne sait pas lesquels vont partir en premier. Ce qu'on sait, c'est qu'ils vont tous finir par partir.

Puis, moi, justement, je veux cibler les symptômes avec lesquels je ne suis pas à l'aise. Comme je disais tantôt, bon, les besoins de base de mon corps, l'errance, tu sais, ça, pour moi, c'est du... Donc... Mais normalement l'errance n'arrivera pas avant, mais, mettons que, dans tous les cas, ils vont finir par arriver. Puis normalement, quand, ça, ça arrive, ça arrive parce que le corps est vraiment en train de lâcher, là, dans son entièreté. Ça fait que c'est pour ça, quand on parlait, je ne sais pas avec quelle personne, mais de la possibilité de mettre des symptômes, plus qu'un, en sachant que tous ceux-là ne me conviennent pas, là, que je ne veux pas passer au travers ça. Mais ils vont normalement tous finir par arriver, un ou l'autre. Ça m'étonnerait que je vive une vie avec l'alzheimer, puis qu'il ne se passe pas grand-chose, là.

M. Nadeau-Dubois : Donc, autrement dit, selon vous, ces demandes anticipées là, elles devraient être finales et sans appel?

Mme  Demontigny (Sandra) : Oui. Puis, tu sais, on dit «demande anticipée», moi, je vois ça comme une directive. Je ne veux pas demander qu'on mette quelque chose en place, j'exige. Ça a l'air méchant, là, comme mot, mais, je veux dire, c'est ça que je veux. Puis je ne veux pas que ce soit... qu'il y ait place à l'interprétation, parce que, quand les motifs rentrent en compte... En même temps, comme je vous dis, moi, je connais mes proches, je le sais très bien qu'ils ne voudront pas poursuivre non plus, là. Mais, tu sais, quelqu'un qui étirerait, là, moi, personnellement, je ne suis vraiment pas à l'aise avec ça. Est-ce que ça répond à votre question?

• (9 h 40) •

M. Nadeau-Dubois : Oui, ça répond tout à fait à ma question. Merci beaucoup, Mme Demontigny.

Mme  Demontigny (Sandra) : Bienvenue.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, M. le député. Je céderais maintenant la parole à la députée de Joliette.

Mme Hivon : Oui. Bonjour, Mme Demontigny. C'est un bonheur de vous entendre ce matin. Ça peut faire drôle de dire ça dans les circonstances mais je sais, pour vous avoir entendue, à quel point ça vous tient à coeur, de mener ce combat-là, et on le comprend aisément dès que vous prenez la parole. Et je veux juste vous dire que vous faites vraiment oeuvre utile aujourd'hui pour nous et, je pense, pour beaucoup d'autres gens dans votre situation ou qui pourraient la vivre un jour.

Je veux continuer dans la même veine que mon collègue et plusieurs collègues. C'est qu'hier on a vraiment... Je ne sais pas si vous nous avez suivis hier, mais il y a cette espèce de débat là entre les experts sur jusqu'où, justement, c'est la demande de la personne qui, en toutes circonstances, doit primer versus la recherche d'un consensus entre ce que la personne aurait demandé, l'équipe médicale et les proches. On comprend qu'un consensus, c'est plus confortable pour tout le monde, mais ça met de côté le principe un peu ou ça diminue un peu le principe de l'autodétermination de la personne.

Vous, là, quand vous vous projetez... Là, vous venez de répondre à mon collègue, vous voudriez que ça soit exécutoire, on le comprend très bien. Mais, dans un monde idéal, est-ce que vous vous projetez en disant : Moi, même si l'équipe médicale a un peu des doutes, parce que j'ai l'air, finalement, mieux que je pensais que je serais, en termes de... je dirais, de comment vous vivez votre indignité, mettons, là, et que vos proches, finalement, face à ça, sont moins confortables, est-ce que je vous lis correctement, que vous dites : Moi, ce n'est pas le consensus qui m'intéresse, c'est ce que, moi, je vais avoir dit, même si mes proches sont moins confortables puis mon équipe médicale aussi?

Mme  Demontigny (Sandra) : C'est pas mal ça que j'ai dit, oui, c'est ça que je pense.

Et, quand vous parlez de consensus, là, je ne sais pas si c'est une réflexion qui est égoïste, mais, pour moi, il n'y a pas à avoir consensus par rapport à ce que, moi, je considère être digne comme fin de vie. C'est moi, c'est ma vie, c'est ma personne. Au même titre que, tu sais, si quelqu'un arrive en arrêt cardiaque puis qu'il a écrit dans ses directives anticipées «pas de réanimation», même s'il est actif au travail, qu'il est un homme heureux puis qu'il fait du sport, ce n'est pas ça qu'il veut, tu sais, ce n'est pas ça qu'il dit, là. Moi, je pense que, sans vouloir offenser personne, l'histoire du consensus, je pense, c'est peut-être quelque chose qui plaît à l'esprit, de... Les gens, là, ce que je comprends, les intervenants sont un peu mal à l'aise avec la chose. En même temps, quand ça a été dit au moment où est-ce qu'on est capable de le dire puis que c'est consigné puis que c'est...

Je pense à, puis je ne sais pas si c'est à ça qu'on fait référence, mais à la situation de la dame en Belgique, je crois, je pense, là, qui avait eu une... qui avait demandé l'aide médicale à mourir puis qui s'est débattue au moment de la recevoir, qui a créé un malaise à la grandeur de la planète, là. J'en entends encore parler. Et je me suis posé la question : Si, moi, mettons, je faisais ça, là, bien, ce n'est pas parce que mon corps... moi, je pense que ce n'est pas parce que mon corps se débat puis qu'il démontre qu'il ne veut pas que mon âme et ma conscience, elle, c'est ça qu'elle veut. La maladie d'Alzheimer, c'est ça, tu sais, il y a une autre entité, quelque chose qui fait que ton corps se désorganise. Sauf que même si mon corps réagit, il n'en demeure pas moins que ma volonté de base, elle est là quand même, elle n'a pas changé. Je parle en mon nom personnel. Mais...

Puis je trouve que, bien, un, ça fait un poids pour l'équipe médicale, mais, deux, sans vouloir offenser personne, je ne trouve pas que ça leur revient tant que ça. Je pense que ça revient à la personne qui le vit.

Mme Hivon : Je comprends très bien. Certains aussi nous disent, s'il me reste un peu de temps...

La Présidente (Mme Guillemette) : 20 secondes, Mme la députée.

Mme Hivon : O.K. Bien, écoutez, je vais juste vous dire que c'est très clair. Puis je vais vous remercier parce que je n'embarquerai sur un autre sujet en 10 secondes. Et merci beaucoup de votre présence parmi nous aujourd'hui.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Mme Demontigny. Ça termine les échanges pour aujourd'hui. Merci, un merci sincère d'avoir accepté très généreusement de nous partager votre expérience. Donc, le meilleur pour la suite. Et, nous, on prendra... on vous aura toujours, à quelque part, dans notre coeur pendant nos délibérations. Merci beaucoup.

Mme  Demontigny (Sandra) : Merci pour votre écoute.

M. Birnbaum : Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Donc, nous suspendons quelques instants, le temps d'accueillir nos nouveaux invités.

(Suspension de la séance à 9 h 45)

(Reprise à 9 h 51)

La Présidente (Mme Guillemette) : Nous reprenons nos travaux. Bonjour, tout le monde. Donc, maintenant, nous avons l'honneur d'accueillir le Dr Pageau et le Dr Durand. Donc, merci d'être avec nous ce matin. Vous aurez 20 minutes pour nous présenter votre exposé, et, par la suite, il y aura un échange avec les membres de la commission pour une période de 40 minutes. Donc, je vous cède la parole.

MM. Pierre J. Durand et Félix Pageau

M. Pageau (Félix) : Bonjour.

M. Durand (Pierre J.) : Alors, si vous le permettez, on va se présenter. Moi, Dr Durand, je suis le directeur scientifique du Centre d'excellence sur le vieillissement de Québec. Je suis un vieux médecin gériatre de la première mouture des médecins gériatres au Québec, alors, depuis 1987. Et puis j'ai une quarantaine d'années d'expérience dans les soins aux personnes âgées, le milieu de la réadaptation, les soins à domicile, le réseau intégré, les approches de soins et services en soins longue durée. Je dirige aussi actuellement le département de santé publique du CIUSSS de la Capitale-Nationale.

      Alors, il y a Dr Pageau, je vais le laisser se présenter, c'est lui qui va faire l'exposé, et, par la suite, on ouvrira la période de questions. Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.

M. Pageau (Félix) : Bonjour. Moi, je suis Félix Pageau, je suis médecin gériatre depuis deux ans. J'ai gradué à l'Université Laval dans un programme qui s'appelle le clinicien-chercheur. Donc, je fais de la recherche en philosophie, éthique avec l'axe de la protection des aînés vulnérables. Je suis sur le Comité national d'éthique sur le vieillissement, Comité d'éthique clinique du CHU de Québec, vice-président du comité de la recherche du cégep de Drummondville. Puis, en ce moment aussi, je complète une formation en bioéthique et recherche à l'Université de Bâle, en Suisse, là, à l'institut de bioéthique médicale, pour revenir travailler comme chercheur gériatrique clinicien à Québec.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Merci. Donc, vous pouvez débuter votre exposé, pour une période de 20 minutes.

      M. Pageau (Félix) : Parfait. Donc, je vais vous présenter aujourd'hui un texte qu'on a écrit en collaboration avec plusieurs auteurs, qu'on a intitulé Démence, stigmatisation et euthanasie; La trajectoire à éviter. D'abord, comme préambule, je vais lire ce qui suit.

      Donc, l'invitation à témoigner devant l'Assemblée nationale, qui m'a été envoyée pour donner ma perspective professionnelle éthique, est d'une grande importance pour moi. C'est un véritable honneur pour tout universitaire et médecin qui, comme moi, soigne les aînés et vise à protéger les plus vulnérables d'entre-eux. Mon propos se veut simple, mais ne sera pas simpliste. Je souhaite expliquer ma position sans paternalisme ni condescendance. Je n'ai pas, de toute façon, l'expérience aussi longue que Dr Durand pour en témoigner. Je me trouve ici face à vous en toute humilité devant les pouvoirs qui vous ont été donnés démocratiquement. Bien que les connaissances que j'ai acquises au fil des multiples formations m'ont permis aussi d'acquérir certains pouvoirs, de savoir, entre guillemets, ceux-ci ne peuvent se substituer, par contre, à la force du peuple québécois qui s'incarne en vous par la démocratie. J'espère ainsi, humblement, arriver à aider votre réflexion par ma position éthique en tant que médecin, gériatre, éthicien et chercheur. Bref, je souhaite aujourd'hui rallier le plus de gens possible à la cause de la protection des aînés vulnérables atteints de démence.

      Également, mes arguments sont philosophiques, humanistes, éthiques et médicaux. Dans mon exposé, je ne fais pas référence à une ou plusieurs religions ni au principe vitaliste, là, qui vise la protection de la vie à tout prix. Je considère que la qualité de vie et l'absence d'acharnement, en tant que principes centraux et implicites dans ma perspective, sont importantes. Une équipe d'environ 300 cliniciens chevronnés en gériatrie, soins spécialisés aux aînés et gérontopsychiatrie m'ont appuyé dans ma réflexion. On a publié une lettre dans de nombreux journaux, et j'ai fait quelques entrevues télévisées, là, pour en témoigner.

En termes d'introduction, le gouvernement du Canada a récemment indiqué qu'il ne souhaitait pas permettre l'aide médicale à mourir, que je vais appeler AMM pour la suite, par les directives médicales anticipées, ou DMA, en rejetant respectueusement les amendements sénatoriaux 1a, 1b et 1c au projet de loi C-7. C'est une vision prudente des soins pour les aînés qui est exprimée dans les lignes qui explique cette décision.

La discussion demeure ouverte mais notre équipe est en faveur de l'interdiction d'inscrire l'AMM dans les directives médicales anticipées. Nous faisons, par le fait même, appel à la raison, à l'empathie de nos concitoyens, vous aussi, personnes élues. Dans les lignes qui suivent, nous tenterons de démontrer en quoi l'AMM en démence n'est jamais un traitement ni un soin qui devrait être inscrit dans les directives médicales anticipées ou DMA.

Donc, un vrai soin en démence, qu'est-que c'est? Il existe autant de visages à la démence, qu'on appelle aussi maintenant les troubles neurocognitifs majeurs, c'est la nouvelle appellation qu'on utilise... des gens qui en sont atteints. Néanmoins, on peut simplifier le tableau clinique en quatre grandes théories... catégories. Bien que la simplification serve souvent à réduire la réalité clinique plus complexe, la vulgarisation peut être utile pour expliquer un propos éthique. Ainsi, pouvons-nous énumérer quatre grands tableaux en démence, selon notre expérience clinique : il y a la démence heureuse, la maladie cognitive avec symptômes comportementaux et psychologiques de la démence, aussi appelée SCPD, qui sont traitables, la maladie cognitive avec SCPD intraitables et dérangeants pour les autres et la démence avec des SCPD qui semblent causer de la détresse.

La démence heureuse est cet état d'inconscience de la maladie, ce qu'on appelle aussi agnosie en termes médicaux, lié à un calme presque bon enfant. Les gens qui se trouvent dans cet état ne souffrent pas, en tout cas pas vraiment plus que la moyenne des gens sans démence.

Sinon, les SCPD sont une panoplie de symptômes variant entre l'errance, l'anxiété, la dépression, l'agitation, la violence physique, et bien plus. La plupart du temps, avec une équipe soignante bien formée dans les soins gériatriques et gérontopsychiatriques adaptés, nous arrivons à traiter les SCPD. Plusieurs documents existent pour guider les pratiques. Or, les ressources humaines et financières en gériatrie sont souvent lacunaires.

La crainte de finir en CHSLD est très répandue dans la population québécoise selon notre expérience personnelle et clinique. La pandémie à SARS-COVID a bien démontré que cette crainte est, en partie au moins, justifiée. D'ailleurs, les travailleurs de la santé en gériatrie savent depuis longtemps que les CHSLD et les soins gériatriques ont été largement sous-financés dans la dernière décennie, et, cela, depuis l'arrivée du nouveau management public, ou «new public management», et a été empiré par les... l'austérité. La pandémie à COVID a révélé avec fracas, particulièrement dans les CHSLD, ces problèmes. Ainsi faudra-t-il un meilleur financement des soins gériatriques, qui améliorera à la fois les salaires, les conditions de travail et les ratios de patients-infirmière.

Hormis le manque de ressources, il arrive que des équipes bien financées, formées en soins adaptés ne réussissent pas à traiter les patients avec SCPD. Cela souligne l'importance de la recherche pour améliorer les soins gériatriques et gérontopsychiatriques, comme ce qui se fait au Centre d'excellence sur le vieillissement de Québec, dont le Dr Durand est directeur scientifique, en lien avec le groupe VITAM, ou au Comité national d'éthique sur le vieillissement, qui réfléchissent aux questions éthiques et aussi la possibilité de créer des chaires de recherche en éthique et vieillissement à l'Université Laval, qui sont en réflexion.

Les gens qui ont des SCPD intraitables ne sont pas nécessairement souffrants. Ils peuvent accommoder leurs proches... incommoder, pardon, leurs proches ou les soignants, et ils dérangent. Dans ce cas, il est hasardeux, même impensable de décider de tuer une personne parce qu'elle nous énerve sans qu'elle souffre de manière apparente. Il faut s'en occuper sans jugement et avec empathie. Ce n'est pas volontairement ou par méchanceté qu'on dit «perverse», donc qui aime voir les autres souffrir, que la personne agit ainsi, mais plutôt à cause de la maladie. Il semble adéquat de vouloir éliminer la démence, mais il ne faut pas méprendre le malade pour sa maladie.

Finalement, certains pourraient souhaiter la mort à ceux et celles qui ont des SCPD, des symptômes comportements et psychologiques de la démence, et qui semblent en souffrir. Or, il faut d'abord s'assurer que ce n'est pas un manque de personnel ou de financement qui crée l'incapacité de traiter ou l'apparence de cette impossibilité. Il est aussi difficile, en démence avancée, d'évaluer la douleur et les problèmes psychologiques. La manière dont la majorité des gériatres et gérontopsychiatres agissent est par la méthode d'essais et erreurs. Cela regroupe, entre autres, la médication contre la douleur, les traitements antipsychotiques et les traitements adaptés à la personne âgée. On suggère même parfois la sédation palliative intermittente. Grosso modo, on essaie une ou plusieurs modalités de traitement à la fois et on en retire quelques-unes, si elles ne fonctionnent pas. Cela est impossible en AMM, il n'y a pas de retour possible en arrière lorsque le patient ou la patiente est décédée, évidemment.

Il faut aussi souligner l'importance de ne pas traiter des conditions qui pourraient entraîner la mort du patient en démence avancée. L'acharnement thérapeutique n'est pas une visée logique et empathique dans l'idée de réduire les souffrances. Lorsqu'on est décidé à opter pour des soins palliatifs, il faut toujours donner les meilleurs soins palliatifs adaptés à la personne en fin de vie. L'accompagnement... Puis, ce que je viens de dire aussi, c'est dans la loi n° 2 au Québec. L'accompagnement des familles et des équipes soignantes par des experts en soins palliatifs est la clé du succès pour des soins de fin de vie adéquats en démence avancée. Bref, il ne faut pas protéger la vie à tout prix ni devancer la mort, mais bien soigner la personne atteinte de démence.

L'AMM est un choix autonome? Plusieurs gens, dont Alain Naud, pour ne nommer que lui, font prévaloir le droit à l'autonomie et à l'autodétermination dans le débat pour l'intégration de l'aide médicale à mourir dans les DMA. Selon ces gens, c'est la façon d'offrir les meilleurs soins en se basant sur les désirs du patient ou de la patiente.

• (10 heures) •

D'abord, il faut souligner que l'AMM est un mauvais terme, qui porte à confusion et rend la décision autonome difficile. Il fait partie d'une rhétorique euphémisante utilisée pour la justifier. Qu'est-ce que nous entendons par «rhétorique euphémisante»? Par exemple, au Québec, on dit souvent : C'est un petit monsieur... Ce n'est pas un petit monsieur, pour parler d'un homme avec un surplus de poids. «Il est un peu gras», peut-être on dit aussi parfois. «Il a des gros os» est un autre exemple. Aussi, une manière plus frappante d'illustrer un euphémisme serait de dire : Le nazisme, c'est genre un peu grave quand même, au lieu de dire plus justement : Le nazisme est l'une des pires... l'un des pires moments, sinon le pire moment de l'histoire récente de l'Allemagne.

Le recours à l'euphémisme est peut-être un trait bien québécois ou canadien. Or, il donne la fausse impression, dans l'expression «aide médicale à mourir», que la mort n'est pas une terrible cassure. Cela laisse croire aussi que le ou la médecin n'est peut-être pas vraiment en train de tuer le patient ou la patiente, lorsque c'est exactement ce qu'il se passe. C'est, en fait, de l'euthanasie active qui est faite au Québec et au Canada. Comme vous le savez sans doute, le ou la médecin tue en injectant plusieurs médicaments, donc, si on se fie au guide du Collège des médecins du Québec. Est-ce de l'aide? C'est bien plutôt l'acte de tuer, sous le couvert d'un soin, et particulièrement en démence avancée.

C'est important de garder tout cela en tête et sans euphémisme. Le problème de l'euphémisme, c'est qu'il retire la gravité au geste ou aux mots. La décision est dès lors biaisée et moins autonome, car elle devient moins éclairée. Il faut être très clair... il faut être clair dans la dénomination pour permettre un bon jugement par les gens qui veulent être tués par leur médecin. J'en conviens, d'autres arguments, par contre, sont plus forts. Et les gens sont intelligents au Québec et savent que le ou la médecin tue la personne sous ses soins en AMM. Il faut simplement le dire ainsi, sans flafla.

La seconde erreur liée à l'autonomie est l'idée que la décision prise maintenant sera encore valide au moment de décider si l'AMM doit être faite. C'est faux. Il est presque impossible de prévoir adéquatement les détails nécessaires pour tuer une personne avec une démence. Premièrement, les quatre tableaux cliniques sont variables d'une personne à l'autre, et on ne sait pas de quoi les gens auront l'air dans leur cas précis. Donc, en réalité, les gens ignorent les conditions dans lesquelles ils seront s'ils développent une démence. Comme la météo, prévoir l'avenir en démence est une science incertaine.

En outre, au final, ce ne serait pas la personne actuelle qui décide le moment de sa mort en démence, mais celle qui est là au moment de l'écriture des DMA, la personne d'avant. Donc, la personne actuelle qui a la démence est menée par la personne qu'elle était avant, mais plus qui elle est en ce moment. Cette dernière se trompe possiblement aussi sur l'état de la situation actuelle, car elle n'est pas là pour juger de sa situation ici et maintenant. C'est le concept du soi futur. Donc, on prévoit dans le futur, mais, un coup rendu dans le futur, c'est le soi passé qui décide pour nous, en se trompant probablement.

Tous les êtres humains changent avec le temps et surtout ceux atteints de démence. Nos idées à 15, 30, 50 ans ne sont pas les mêmes. Elles dépendent de l'endroit où nous sommes rendus dans nos vies. L'impossibilité de prévoir son avenir, spécialement en démence, empêche de se référer réellement à l'autonomie. L'autonomie s'exerce dans le ici et maintenant en tenant compte de la situation actuelle. Elle juge de façon rationnelle et émotionnelle en se considérant soi et les autres.

Quelqu'un qui souhaiterait avoir l'accès à l'AMM en DMA devrait vraiment être capable de comprendre de façon éclairée. L'autonomie mise de l'avant dans le contexte de DMA requiert des connaissances et même l'expérience au moins mentale, par l'imagination, de situations de démence avancée. C'est le principe du consentement libre et éclairé qui... les principes du consentement éclairé qui prévalent, pardon. Aussi, quoi faire si un patient qui a une démence heureuse avait demandé l'AMM à l'avance et ne veut plus l'avoir au moment qu'il a la démence? Forcer l'AMM au nom de l'autonomie antérieure? Peut-être faudrait-il demander à la famille?

Cela mène à la question des conflits d'intérêts. À la fois la famille et le médecin traitant ont divers intérêts qui ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux des patients. En démence, c'est bien souvent les membres de la famille qui souffrent à cause des SCPD de leur proche malade. Ils peuvent aussi retirer des bénéfices à la suite d'un décès : un héritage, des biens, etc. Pour le médecin, il faut faire rouler l'étage, libérer des lits hospitaliers, en CHSLD, signer des départs, répondre aux pressions de l'urgence pour admettre, réduire les durées de séjour, etc. C'est un risque de plus pour augmenter les conflits d'intérêts en permettant l'AMM en DMA.

Aussi, pour les travailleurs, les professionnels et les gestionnaires du réseau de la santé et des services sociaux, mettre fin à la vie de quelqu'un par AMM est plus rapide, plus efficace et moins cher que la sédation palliative et les soins de fin de vie. Ce n'est pas un jugement objectif qui sera posé à cause des pressions externes fortes pour l'efficacité des soins.

Alors, l'autonomie n'est pas un bon principe directeur puisqu'elle ne règle pas véritablement la question de la décision. Cette dernière n'est jamais guidée par l'autonomie libre et éclairée, même si elle tente de prévoir à l'avance toutes les situations possibles rationnellement en utilisant ses émotions et son empathie.

Le poids sur les épaules des gens qui entourent le patient ou la patiente est un fardeau lourd à porter aussi. Ne pas devenir un fardeau pour les autres est une des inquiétudes des personnes demandant que l'AMM soit inscrite dans les DMA. Or, elles créent un autre fardeau avec cette demande, celle de la décision par consentement substitué. Ce seront véritablement les proches et l'équipe soignante qui décideront et pas le ou la patiente. Devrait-on se fier à la perte de dignité dans ce cas?, certains demandent.

La dignité réelle est intrinsèque. Le philosophe Emmanuel Kant l'a lu dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, Thomas De Koninck, philosophe et professeur québécois, et bien d'autres la définissent ainsi. Or, la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité a décidé de la dépeindre d'abord comme suggestive ou relative à la personne raisonnable. C'est grave, parce qu'on suppose que la personne peut être utilisée comme un objet si elle renonce à sa valeur humaine. C'est terrible, parce qu'on présume alors que quelqu'un peut demander qu'on la tue parce qu'elle pense n'avoir plus de valeur.

Pourquoi, au juste, seul un docteur aurait le droit de tuer, alors? Ça n'a pas de sens non plus. On devrait tous avoir le droit d'utiliser une personne qui se trouve indigne, comme on le veut, dès qu'elle renonce à sa dignité. Or, la dignité intrinsèque nous en empêche, et c'est elle qui est essentielle. C'est de l'antiautonomie de renoncer à la dignité. Il est assez ironique que plusieurs fassent prévaloir l'autonomie et la dignité subjective presque d'un même souffle.

Selon la dignité perdue, ce sera... la dignité perdue serait conçue comme sociale, sinon. Elle est basée sur les capacités, l'âge, la race ou tout autre critère, par un groupe humain pour asservir, diminuer ou réduire le pouvoir d'une partie de sa population. C'est un critère impensable dans notre société depuis au moins la Déclaration universelle des droits de l'homme en 1948. Or, les gens qui veulent avoir accès à l'AMM par directives médicales anticipées y font référence, eux, par dignité subjective, mais basé très souvent sur des critères sociaux, dignité sociale. En fait, ils vont dire, en parlant de leur proche au médecin : Si je deviens incontinent, agressif, dément au point de ne plus reconnaître mes enfants ou incapable de rester autonome et seul chez moi, tuez-moi.

Cette vision rassemble plusieurs notions très problématiques. En effet, c'est à la fois de la discrimination envers les gens avec des handicaps physiques, faire des tâches seul, de manière autonome, être continent, des handicaps cognitifs, reconnaître mes enfants, être continent, envers la maladie... les maladies psychiatriques, la démence avec les SCPD, et aussi une discrimination liée à l'âge, avec la question de l'âgisme. C'est de l'âgisme, du capacitisme et de la stigmatisation envers les maladies mentales.

Les gens avec une démence, malheureusement pour eux, dans nos sociétés, se retrouvent à cette intersection, dangereuse pour leur vie, du handicap physique et cognitif, de la maladie mentale et de l'âge avancé. Cette quadruple tare est vue par certains comme la chose la plus horrible et indigne. La mort serait le seul soin, alors.

Aussi, la vision néolibérale de l'individu joue beaucoup ici. C'est la théorie... l'être humain a une valeur seulement s'il travaille, produit quelque chose, consomme et dépense. Cette vision limitée de l'humain avec un grand H vient ajouter à la vision péjorative des aînés atteints de démence. En effet, ces derniers ne peuvent rien faire de tout cela ou à peine. De plus, certains osent même parfois comparer les aînés avec démence à des chiens, ils diront : Je fais plus facilement euthanasier mon chien que les gens âgés peuvent avoir accès à l'euthanasie. Ces défenseurs de l'euthanasie en démence oublient que bien souvent les chiens sont euthanasiés par manque de moyens financiers pour payer les soins vétérinaires par leurs propriétaires.

Cette vision déshumanisante de la personne âgée montre aussi que le manque de moyens pécuniers est aussi la cause de l'euthanasie, sinon le désintérêt ou la fatigue de s'occuper d'un être vivant, pour le chien. Le but n'est pas de culpabiliser les propriétaires de chiens qui ont recours à l'euthanasie pour leur animal, mais plutôt de souligner que la comparaison n'est pas bonne. Il est évident... Il y a évidemment une crainte associée à cet avenir en voyant comment les vieux déments, certains diront, sont traités.

Évidemment, les gens réclament actuellement la mort pour eux, mais cela en dit long sur la vision sociétale qu'on a des gens atteints de démence. Il n'est pas plus adéquat d'intérioriser ces principes pour soi. L'âgisme, le capacitisme, la stigmatisation psychiatrique sont mauvais envers les autres et envers soi-même aussi. C'est ensemble, en tant que société, qu'il faut combattre nos préjugés pour soi et pour les autres.

L'avenir, c'est eux. Pourquoi le gouvernement devrait-il investir dans la diminution des préjugés contre les gens atteints de démence? Le fait que ce sont des êtres humains devrait d'abord facilement convaincre tout politicien et toute politicienne. Cette valeur intrinsèque est la dignité humaine mentionnée plus haut. De plus, on dit souvent des enfants qu'ils représentent l'avenir, on le suppose au sens large et au plan social. Toutefois, on entend rarement que les aînés sont notre avenir au sens très individuel. En effet, le traitement réservé aux aînés, les institutions sociomédicales et les fonds pour la recherche en gériatrie auront un impact direct sur l'avenir individuel de chacun de nous. C'est aussi de dire que les enfants sont l'avenir avec un grand A, mais que les aînés sont notre avenir avec un petit a. Les baby-boomers seront les prochains. Investir dans les CHSLD, les maisons des aînés, les soins à domicile, les ressources humaines et matérielles en gériatrie, c'est payer pour un avenir meilleur pour les gens qui sont dans la phase la plus productive de leur vie actuellement. Il est si clair que d'investir dans la retraite est une bonne chose pour certains, n'est-il pas alors évident qu'il faut investir dans les soins gériatriques pour avoir les meilleures chances d'une vie de... d'une fin de vie confortable — pardon? C'est notre avenir à tous, si nous sommes chanceux.

Investir dans des REER sans investir dans les institutions sociomédicales gériatriques est contraire à la logique. Traiter les cancers et les infarctus et allonger la vie sans améliorer la fin de vie n'est pas une voie cohérente non plus. La défense des patients vulnérables que l'on fait aujourd'hui est pour l'avenir de tous. Si la démence nous permet de... si la médecine — pardon — nous permet de vieillir au-delà de 100 ans, et considérant les risques de 30 % de démence à 85 ans et 50 % à 90 ans, il faut agir pour assurer des soins gériatriques de qualité maintenant.

• (10 h 10) •

Les solutions proposées. Nous espérons que le privilège que nous avons eu de nous adresser à vous aura permis de faire valoir notre perspective selon laquelle les gens atteints de démence sont dignes de recevoir des vrais soins et pas la mort. Nous souhaitons aussi livrer quelques solutions envisageables pour aider à changer les perspectives.

Il faut valoriser la dignité humaine réelle malgré l'âgisme, la stigmatisation liée à la santé mentale, le handicap physique et cognitif. Pour réduire l'âgisme, il existe plusieurs études qui démontrent que l'éducation et le contact fréquent avec les aînés diminuent les préjugés néfastes. Il est aussi important de donner une voix aux proches aidants et aidantes et à tout aîné ou aînée, qu'il ou elle soit vulnérable ou non.

Les recommandations du Comité national d'éthique sur le vieillissement ainsi que la politique nouvellement proposée par la ministre Blais vont, d'ailleurs, dans ce sens. Un comité de l'INESSS travaille sur la sédation palliative intermittente et continue pour déterminer les meilleures indications. Cela souligne l'importance de financer les institutions publiques d'évaluation des gestes médicaux et les chercheurs qui travaillent en gériatrie, en gérontopsychiatrie et en soins palliatifs.

Il faut demeurer prudent devant l'inconnu du devenir d'un être humain. L'important est de rassurer la personne qui développe une démence, l'accompagner et la soigner de manière empathique et humaine. La majorité du temps, le financement et les ressources humaines sont arrivés à aider nos patients, même ceux qui ont des SCPD sévères. Cela encourage l'idée d'améliorer la recherche et le financement dans les soins des SCPD et des traitements en démence. Les gens du secteur de la santé en contact avec les aînés devraient tous être formés à l'approche adaptée à la personne âgée aussi.

Les aînés actuels et à venir, les baby-boomers, doivent se reconnaître une valeur inaliénable, et cela, même en cas de démence. Pour les gens qui craignent de perdre leur dignité subjective en début de maladie cognitive, le psychiatre Harvey Max Chochinov a élaboré une thérapie de dignité pour soigner ce sentiment néfaste. Bien qu'un sentiment de fardeau peut être ressenti, toutes les contributions qu'un individu a faites au courant de sa vie à la société humaine doivent être rendues par les véritables soins adaptés à leur condition. Au lieu du traditionnel «je ne veux pas être un fardeau pour mes proches», il faudra dire : Vous allez vous occuper de moi, et je le mérite. C'est ici un appel à la solidarité et à la justice sociale qui est fait. Il faut savoir redonner aux aînés qui ont forgé notre nation québécoise et investi dans notre société.

En termes de conclusion, l'euthanasie active en démence, ou AMM, n'est pas un traitement ni un soin. C'est l'aveu d'échec de la médecine contemporaine. C'est le sentiment de perte de dignité... le sentiment de perte de dignité subjective est évidemment tout à fait valide, mais peut être traité. Il faut éviter le sentiment de perte de dignité sociale pour soi ou pour les autres par les solutions proposées précédemment. Il importe dès maintenant de mettre fin au capacitisme, à l'âgisme et à la stigmatisation des problèmes de santé mentale. Ce n'est pas l'enjeu d'un seul parti politique, mais bien de tous. Terminé.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Dr Pageau. (Interruption) Excusez. Nous commencerons maintenant notre période d'échange avec le député de D'Arcy-McGee.

M. Birnbaum : Merci, Mme la Présidente. Merci, Dr Pageau et Dr Durand. Écoutez, je me permets de noter que c'est décevant qu'on n'avait pas de document préalable, c'est des sujets assez complexes, et, avec respect, vous avez parlé très vite aussi. Mais je vais essayer de poser des questions que reflète... qui sont pertinentes, je l'espère.

Écoutez, je me permets de dire que vous avez utilisé vous-mêmes le mot «péjoratif», et, en même temps, si je vous ai bien compris, en quelque part, vous êtes en train de suggérer qu'une demande d'aide médicale à mourir, dans la plupart ou dans la totalité des circonstances, serait, en quelque part, illégitime et qui ne refléterait pas la capacité autonome... dépendre de quelqu'un apte, pour laisser cette question à côté, de se prononcer sur ses volontés. Est-ce que j'ai bien compris?

M. Pageau (Félix) : En fait, bien, la majorité des termes péjoratifs que j'ai utilisés, c'est entre guillemets, donc c'est souvent les propos qui nous sont rapportés ou qu'on rapporte dans la population en général, avec lesquels je ne suis pas d'accord, comme gériatre, parce qu'effectivement, quand j'ai un être humain devant moi, j'essaie de le traiter avec le plus de respect possible et, justement, de sa valeur humaine. Donc, l'idée, en fait, c'est que l'autonomie, pour une... comme vous et moi, bon, je ne vous connais pas personnellement, je ne vous ai pas évalué médicalement, mais vous me semblez quand même assez autonome, capable de prendre une décision rationnelle et émotive. Je pense que, ça, effectivement, je n'ai rien à dire contre votre autonomie, puis on le suppose, de toute façon, légalement puis éthiquement.

Je suis d'accord avec le concept d'autonomie qu'on l'a tous, c'est juste que les gens avec démence à la fois perdent leur autonomie fonctionnelle, donc la capacité de se... de faire ses tâches au quotidien, mais aussi la capacité décisionnelle, c'est-à-dire qu'ils viennent dans une réalité un peu parallèle où ils ne comprennent pas vraiment ce qu'il se passe autour d'eux. De prévoir à l'avance par autonomie décisionnelle... Disons, vous, maintenant, là, avec votre autonomie actuelle, si vous voulez dire : Ah! si jamais je deviens dément, tuez-moi, le problème avec cette réflexion-là, c'est un peu comme j'ai dit dans mon texte — puis on vous l'a envoyé, là, sous forme de mémoire — c'est l'idée que, pour être autonome, vraiment, de façon rationnelle, de un, il faut être capable de comprendre les pour et les contre de la situation, de ce qu'il se passe.

En démence, comme je vous dis, il y a plusieurs tableaux cliniques. De prévoir exactement dans quel tableau on va se trouver, c'est quasi impossible. Puis, souvent, les gens, aussi, décident de dire : Bien, je ne veux pas avoir des soins gériatriques, je ne veux pas me ramasser là, mais c'est parce qu'ils connaissent juste les mauvais soins qu'on donne actuellement. Donc, le gros du problème, je pense, c'est qu'on n'a pas la capacité de donner des soins adéquats, ce qui fait que les gens ont peur puis prennent une décision un peu émotive sans vraiment se baser sur leur autonomie à l'avance.

Puis l'autre chose aussi, c'est qu'un coup rendu en démence, l'autonomie décisionnelle n'est plus là. Donc, c'est comme si la personne qui est là, qui aurait besoin qu'on s'occupe d'elle puis qu'on l'accompagne, bien, c'est une personne qui était là avant, qui ne la reconnaît plus vraiment parce qu'elle ne se connaissait pas... Je ne sais pas si vous comprenez l'image mentale de dire... bien, en tout respect, là, je m'excuse, je ne veux pas... mais l'idée de dire, justement, tu sais, je vais... C'est comme si je me dis : Ah! je vais imaginer qu'est-ce que quelqu'un au Zimbabwe pourrait avoir comme soins en ce moment, que ça ne va pas très bien, j'imagine, dans les soins, là-bas, puis je ne veux pas qu'elle... tu sais, je pense, ça ne vaut pas la peine d'avoir des soins parce que ça va trop mal, mais sans la connaître, sans vraiment savoir qu'est-ce qu'elle va avoir besoin, puis sans vraiment savoir, dans la situation où elle est actuellement, comment est-ce qu'on peut faire les soins.

Parce qu'à l'avance, quand on prévoit à l'avance, on remet la décision, finalement, à quelqu'un d'autre, en disant : Bien, je vous donne quelques lignes directrices puis vous déciderez. C'est un peu ça, les directives médicales anticipées, beaucoup plus que l'autonomie réelle actuelle comme si vous preniez votre décision aujourd'hui.

M. Birnbaum : Mais, Dr Pageau, quelqu'un actuellement atteint d'un cancer assez grave a le droit de mettre de l'avant des directives en ce qui a trait à leurs soins et de souhaiter un minimum d'intervention. Cette personne n'est pas nécessairement oncologue qui aurait la même compréhension sophistiquée de sa maladie, comme la personne atteinte ou qui a peur d'être atteinte d'alzheimer grave n'aurait pas votre expertise sur les symptômes actuels. Est-ce que ça enlève leur droit, leur capacité de juger sur leur propre avenir?

M. Pageau (Félix) : Non, parce qu'il y a beaucoup maintenant aussi, en éthique... c'est la question de : Le médecin est l'expert du soin, mais le patient est l'expert de sa situation, de son état. Dans le cas du patient qui a le cancer, qui est autonome, qui n'a pas de trouble cognitif, effectivement, c'est lui, l'expert de sa situation, d'être capable de décider ce qu'il veut pour lui.

Le problème, c'est que c'est comme si vous mandatiez un expert à l'avance pour décider pour vous quand vous allez atteindre un état où vous ne serez plus capable de le faire, avec tous les risques de se tromper. Donc, on est capable de prévoir des choses, mais on n'est pas capable vraiment de se mettre dans la situation actuelle d'être un expert. Donc, c'est comme si vous mandatiez quelqu'un qui vous connaît très bien, parce que c'est vous-même pour l'instant, mais quelqu'un qui était là avant qui vous êtes rendu maintenant. C'est comme si vous demandiez à votre vous de 15 ans de décider pour vous maintenant. C'est comme si, à 15 ans, vous aviez décidé : Quand je vais avoir l'âge que j'ai, 50 ans, par exemple, bien, tout ce que j'ai écrit à 15 ans va être valide, ou 30 ans, ou 40 ans. Mais, tu sais, replacez-vous à 40 ans, un, je ne connais pas votre âge, là, mais, quand vous étiez plus jeune, à cette époque-là, vous fixez une directive, puis, là, ça s'applique à votre vie en ce moment. Donc, il y a probablement pas mal de choses dans ça avec lesquelles vous ne seriez peut-être plus d'accord.

En tout cas, moi, si je me replace cinq ans avant, il y a beaucoup de choses que j'ai vécues, des choses qui m'ont fait changer d'opinion sur des perspectives. Donc, le moi d'il y a cinq ans, ce n'est plus le moi de maintenant. Donc, cette autonomie-là, ce n'est pas vraiment le meilleur argument pour décider, parce que l'autonomie, bien, elle n'est plus là, c'est toujours quelque chose de substitué, que ce soit aux proches, au médecin ou à la personne que vous étiez avant, ce n'est pas vraiment... c'est un consentement substitué, finalement, même si on essaie de se faire croire que... Moi, j'ai prévu une couple d'affaires, puis, finalement, ces choses-là, elles ne tiennent plus la route, là.

Le monde aussi évolue autour de vous, les choses changent. Donc, ce changement-là aussi fait que prévoir cinq, 10, deux ans d'avance, même avec la COVID... Imaginez il y a deux ans, là, prévoir qu'est-ce que vous vouliez en temps de COVID, là, en temps de pandémie, comme soins... On ne connaît pas l'avenir, c'est ça, on peut prévoir, là, on a des modèles statistiques, tout ça, là, comme pour la météo, mais je trouve que c'est quand même de mettre beaucoup d'emphase sur un système incertain de prévoyance, de dire : Bien oui, quand je vais être là, c'est ça.

Puis aussi, tout en arrière-plan, comme je disais, le néolibéralisme, je veux dire, bien... et l'arrière-plan capabilisme-âgisme qu'on a comme : Ah! bien oui, c'est normal, tu sais, quelqu'un qui est vieux, qui est handicapé, qui est fou, donc, ça n'a pas d'allure de vivre de même.

• (10 h 20) •

M. Birnbaum : Finalement, si je vous ai bien suivi, diriez-vous qu'il y a des définitions exclusivement «experts» et sans intervention de l'individu sur les questions de la dignité humaine et la souffrance? Est-ce que la personne individuelle a ses façons de s'exprimer en dedans de l'encadrement sur ces deux questions ou vous écartez totalement son implication dans ses jugements?

M. Pageau (Félix) : Bien, je veux juste être certain, est-ce que vous parlez du patient autonome ou du patient qui a des troubles cognitifs? Parce que c'est assez différent, pour moi, là. Est-ce que vous parlez de quelqu'un qui est autonome ou quelqu'un qui a des troubles cognitifs? Parce que...

M. Birnbaum : Quelqu'un qui serait jugé apte. Voilà tout un autre champ, mais jugé apte.

M. Pageau (Félix) : Jugé apte, ça, c'est toute personne qui est experte, là. Mais c'est ça. Oui, ça, je suis... c'est la personne qui est experte de son... Nous, comme expert médical, on connaît la médecine, on peut suggérer, expliquer les traitements, mais ça reste la personne qui décide. C'est juste qu'en démence, comme j'explique, ce n'est pas ça, la dynamique qu'on retrouve.

M. Birnbaum : Je me permets finalement une question et je m'excuse d'avance si c'est indélicat ou inapproprié : Est-ce qu'en quelque part les positions que vous mettez devant nous sont alimentées par quelque croyance personnelle que vous auriez de l'ordre religieux?

M. Pageau (Félix) : Non. Non. Il y a des gens dans notre équipe, oui, mais, je vous dirais, je pense qu'une position séculaire, comme j'explique, peut tout à fait justifier la position que je vous explique. Parce que, dans la déclaration des droits de l'homme, c'est que chaque humain a une valeur, donc, puis ça fait aussi que les gens peuvent prendre une décision autonome. Ça va ensemble, là. Parce que, si, maintenant, je dis : Certains groupes de la population n'ont pas de valeur, bien, on leur... c'est un peu comme... on revient à des époques antérieures où il y avait certaines parties de la population qui étaient marginalisées, les intouchables en Inde, par exemple, quand on parle d'esclavage, etc. Ça fait que ça, c'est sûr que... Je vous dirais, je n'ai pas de croyance religieuse ou je n'ai pas une position vitaliste ou religieuse, ce n'est pas du tout ça, ma position. Ma position est très séculaire, là.

M. Birnbaum : Merci pour vos réponses. Merci.

M. Pageau (Félix) : Au plaisir.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Donc, nous passons maintenant à la députée de Maurice-Richard. Madame... Parfait, je vous cède la parole pour deux minutes, Mme la députée.

Mme Montpetit : Oui, merci, Mme la Présidente. Bonjour, Dr Durand. Bonjour, Dr Pageau. Je vais être brève dans ma question pour vous laisser le temps de répondre aussi. Puis je comprends vos propos, là, pour avoir eu l'occasion de travailler notamment au centre de vieillissement de l'hôpital juif, là, pendant quelques années, sur la recherche, et tout, sur... Puis je vous entends sur les craintes, sur les peurs, sur les perceptions erronées que les gens peuvent avoir par rapport à la démence, par rapport au vieillissement, j'entends tout ça. Mais est-ce que ce n'est pas un peu du paternalisme médical d'enlever toute nuance, par contre, par rapport à l'autodétermination que la personne a?

Puis je ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'entendre, notamment, Sandra Demontigny, qui était avec nous juste avant, où je ne pense pas qu'on parle de perception erronée de la démence, quand elle fait une évaluation en fonction d'une situation de lien personnel qu'elle a eu par rapport à son père. Je ne pense pas qu'il est question ici de soins inadéquats qui ont été donnés. Je pense qu'il a été bien accompagné. Elle a été aux premières loges pour voir comment la maladie peut évoluer et à quel point ce manque de dignité là... mais aussi la souffrance peut être présente. Donc, je pense qu'elle est quand même à même de faire une bonne évaluation, je vais le dire de cette façon-là. Donc, j'aurais aimé ça vous entendre réagir sur ce genre de cas là, par rapport à ce que vous avez dit jusqu'à maintenant, là.

M. Pageau (Félix) : Oui. Non, mais c'est... Effectivement, là, j'ai entendu quelques entrevues qu'elle a données, puis aussi ce qu'elle a écrit, puis son site Web. Effectivement, je pense que je peux juste avoir de l'empathie envers cette femme, qui est assez courageuse, effectivement, dans la maladie.

C'est sûr que cette... il y a une perspective aussi, comme je vous dis, beaucoup axée sur, bon, ce que les gens voient, ce que les gens voient en clinique, puis effectivement ils n'ont pas nécessairement toujours accès aux soins experts, par exemple, comme les lits L22, là, à l'institut de santé mentale de Québec, où, là, vraiment, on a une approche SCPD complète qui traite les souffrances.

Puis, effectivement, il faut traiter les souffrances quand on les voit. La démence, la difficulté, c'est que les souffrances ne sont pas nécessairement aussi facilement objectivables que si c'était avec vous, moi, par exemple, là, c'est... Tu sais, on ne peut pas demander à quelqu'un qui a une démence avancée : Est-ce que vous avez mal? Ça peut se... dans le comportement, dans la façon de... les sourcils, tout ça, donc la douleur physique. La douleur psychologique, ça, c'est encore plus difficile de l'évaluer adéquatement parce que, justement, la personne... Est-ce que c'est de l'anxiété, de la dépression? Est-ce que c'est... la personne a mal? Donc, d'interpréter de façon claire les symptômes... Est-ce que c'est de la souffrance? Est-ce que c'est de l'agitation psychomotrice? Est-ce qu'il y a quelqu'un qui te dérange?

L'expression des souffrances ou l'expression de malaises, là, je ne parlerai même pas de souffrance, n'est pas la même. Mais c'est sûr que Sandra Demontigny, comme beaucoup de proches aidants connaissent bien leur proche, interprètent certaines choses qui nous aident, puis c'est justement ça qu'il faut faire, c'est d'aider, soigner, avoir des méthodes adaptées. De là à mettre fin aux jours de la personne parce qu'on a l'impression peut-être qu'elle souffre beaucoup, bien, je vous dirais, ça reste beaucoup dans l'élément de l'impression.

Puis on fait des essais-erreurs, puis on donne des traitements, mais on manque de personnel pour faire l'approche adaptée avec des préposés aux bénéficiaires avec des ratios raisonnables, des infirmières aussi, qui est la pierre angulaire du traitement, bien avant les médicaments puis les soins, puis d'avoir une approche longitudinale, de connaître le patient depuis longtemps. Puis je ne suis pas certain que le père de Sandra Demontigny ait eu vraiment accès à tout ça, parce que les services ont été... beaucoup dans les dernières années.

L'autre chose aussi, c'est que, quand on est une personne qui a une maladie génétique, il y a toute la question aussi de donner ça aux enfants, d'avoir la culpabilité de le donner aux enfants. Je ne connais pas son dossier, je ne la connais pas personnellement, mais, souvent, là, si on parle... plus l'aspect théorique général, les gens qui ont une maladie comme ça... Puis, en plus, être une femme, au Québec, avec beaucoup la responsabilité, la charge mentale, donc de ne plus être capable d'assumer ses responsabilités comme femme qu'on se met... souvent qu'on entend que les femmes se mettent avec la charge mentale, la question du... c'est ça, puis toute la question de transmettre cette maladie-là, la responsabilité lourde aussi d'avoir transmis ça. Ça fait qu'il y a beaucoup cet aspect-là, je pense, aussi, dans son histoire, qui est très touchante, puis qui demande beaucoup d'accompagnement, d'aide puis de support pour les soins adaptés, puis de reconnaître qu'elle ne deviendra pas un fardeau, mais qu'elle mérite les soins. C'est ça que je dirais à quelqu'un, en général, en situation... Mais effectivement je ne connais pas son dossier personnel en détail, j'ai juste vu un peu plus ce qu'elle a écrit en général, là.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.

M. Pageau (Félix) : Il y a cet aspect-là aussi que je n'ai pas parlé, parce que ça arrive plus dans les démences jeunes. Nous, on a des démences qui ne sont pas génétiques, là, ça fait qu'il n'y a pas la... l'espèce de culpabilité de transmettre une maladie génétique à haut risque de transmission, quand même, là, dominante, là, 50 %. Il y a toute la question de devenir un fardeau parce que tu es supposée de prendre en charge ta famille, mais finalement tu deviens celle qui est prise en charge par sa famille.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Dr Pageau. Merci, Mme la députée. On va pouvoir continuer la discussion avec le député de Gouin. M. le député.

M. Nadeau-Dubois : Merci, Mme la Présidente. Merci beaucoup, Dr Pageau, pour votre contribution à nos travaux. Elle est éclairante, elle est différente en termes de sous-bassement philosophique, là, de celles qui nous ont été présentées auparavant par d'autres éthiciens.

Ma question pour vous : Vous faites un argument... Si je vous ai bien écouté, il y a comme deux arguments dans votre présentation. D'abord, l'argument de l'autonomie, vous semblez tenir beaucoup à cette valeur d'autonomie, vous la jugez sacrée, et, là, je ne le dis pas au sens religieux, là, je le dis au sens d'un Kant, là, c'est-à-dire déontologiquement indépassable.

Donc, vous affirmez cette valeur d'autonomie là, mais, en même temps, vous nous dites — ça, c'est un argument qui est plus relatif au contexte — vous nous dites : Il manque de soins, il manque de prise en charge de ces gens-là pour les accompagner dans la maladie, et donc on ne peut pas... en tout cas, vous semblez nous alerter aux risques que l'aide médicale à mourir devienne un raccourci, dans le fond, par rapport à une réelle prise en charge.

Mais il y a comme une tension entre ces deux arguments-là, parce que, si on était dans une situation où il y avait tous ces soins-là, où il n'y avait pas eu de coupure, où il n'y avait pas cette pression-là sur le système, est-ce que, justement, en vertu de l'argument de l'autonomie, on ne pourrait pas dire : Bien, si tout est mis en place et que les gens autonomement souhaitent avoir recours à l'aide médicale à mourir, ça ne devrait pas être possible?

• (10 h 30) •

M. Pageau (Félix) : Non, parce qu'il y a la perspective dans beaucoup de pays où, justement, on est moins âgiste, là, les sociétés... par exemple, ou les sociétés sud-américaines, avec des étudiants... avec des gens avec qui je travaille ici, là, vraiment, leur perspective, c'est que les gens âgés méritent ces soins-là, méritent les soins gériatriques adaptés, donc on n'y pense même pas. C'est deux choses, en fait. Les choses... Ce n'est pas autonomie mal accompagnée avec une vision de perspective sociale... Je pense qu'il y a la perspective sociale, il y a la dignité subjective puis la dignité sociale, là, que les gens soient en perte de dignité, puis c'est ça qu'il faut accompagner, puis aider, puis améliorer les soins, puis aider les gens à cheminer avec des soins empathiques. Ça, c'est un aspect.

Puis, l'autonomie, ce que je parlais plus tôt, c'est que l'autonomie, en démence, n'est plus là, donc l'expert du soin, pour lui-même, n'est plus là. Donc, c'est un consentement substitué soit par la personne qu'elle était avant, qui n'est pas plus nécessairement... qui n'est plus l'experte du soin, puis... ou la personne, en fait, là, dans ses désirs de soins, ou la famille, ou les médecins. Les médecins, comme je vous ai dit, il y a un certain conflit d'intérêts. Pour certains d'entre nous, on a des... bien, la majorité... des très grandes pressions. La famille, ce n'est pas parfait non plus, l'exemple de Sandra Demontigny aussi. Il y a aussi l'interprétation, la façon de voir les choses. On a l'impression que les gens souffrent quand ce n'est peut-être pas exactement le cas. Puis, après ça, la personne qui était là avant a mis dans des directives : Bien, quand je serai comme ça, mais ce n'est plus nécessairement... Je ne sais pas si...

C'est comme si ça prendrait une espèce d'intelligence artificielle, qui évolue au fil de la vie, puis qu'elle reste là puis que... Tu sais, c'est comme très théorique, là, mais, je veux dire, c'est comme la personne qui était là avant, ce n'est plus nécessairement soi. L'argument, c'est plus l'argument du soi futur ou du «changing self» ou du soi qui a changé, donc l'autonomie n'est plus vraiment le principe sur cette base-là. Puis, tout l'aspect dignité subjective et sociale, ça, c'est un autre, donc les deux ne sont pas nécessairement liés, directement, là.

M. Nadeau-Dubois : O.K. Tout... Pour contourner cette difficulté-là, le groupe d'experts proposait une espèce de voie de compromis en disant : Il pourrait y avoir une demande anticipée de la part de la personne, mais, pour qu'elle soit exécutée par la suite, il y a comme une deuxième étape, où, là, il faudrait, par consensus entre les proches et l'équipe médicale, vérifier si ce qui a été décrit comme situation par la personne lorsqu'elle a rempli sa demande anticipée d'aide médicale à mourir se concrétise bel et bien, est-ce que la démence que la personne avait anticipée, c'est réellement ce qu'il se passe, est-ce que la souffrance, les symptômes qu'elle avait anticipés, c'est vraiment ça qu'il se passe.

Et donc il y a une espèce de validation, par consensus, du premier consentement de la personne. Puis le groupe d'experts nous a beaucoup proposé ça comme une voie de passage pour dénouer le dilemme que vous venez tout juste de résumer. Est-ce que vous êtes d'accord que c'est une voie de passage puis que c'est un compromis acceptable?

M. Pageau (Félix) : Bien, vous l'avez dit, c'est un compromis puis un consensus, mais, tu sais, on s'entend entre nous pour dire que c'est correct, de mettre du temps autour de cette personne-là. Ce n'est pas la personne qui le demande, donc ce n'est plus l'autonomie, donc le principe d'autonomie n'est pas là. C'est comme le principe de consensus, c'est par entente entre les gens qui sont là, c'est un peu ce que je vous dis. Puis il y a quand même beaucoup d'impacts puis de conflits d'intérêts à l'externe.

Puis il y a aussi le fait que, bon, le... là, peut-être, il y a un petit lien avec l'autonomie, mais le fait aussi que, le système, en ce moment, ça ne va pas très bien. Les soins ne sont pas bien financés, la recherche n'est pas nécessairement financée à la hauteur de ce qu'elle devrait être, donc on n'a pas nécessairement les ressources. Puis on met de la pression sur les équipes pour être efficaces puis on regarde les proches souffrir sans les accompagner. Je pense qu'à un moment donné, tu sais, c'est ça, le consensus va valoir ce qu'il va valoir, compte tenu de cet élément-là.

Ça fait que, non, je ne pense pas que cette recommandation-là du comité est bonne, parce qu'on vient comme interpréter des choses. Donc, ça... encore un consentement... C'est ça qu'on fait de toute façon dans la réalité. C'est... on arrive toujours à arriver à... on essaie d'avoir le meilleur consensus possible pour une... du niveau de soin, pour éviter de l'acharnement, pour éviter des soins, là, qui pourraient faire...

M. Nadeau-Dubois : Parfait. Qu'est-ce que vous pensez...

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci.

M. Nadeau-Dubois : ...demande médicale anticipée...

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, M. le député de Gouin. C'était tout le temps que nous avions. Donc, je céderais maintenant la parole à la députée de Joliette.

Mme Hivon : Oui. Bonjour à vous deux. Merci beaucoup, M. Pageau, pour votre exposé. Juste une question préliminaire — et c'est tout à fait correct, il y a plein de positions dans la vie — je veux juste savoir si, vous, de manière globale, vous êtes opposé, là, même dans les circonstances actuelles, une personne en fin de vie, à l'aide médicale à mourir, ou c'est vraiment une position en lien avec un élargissement possible?

M. Pageau (Félix) : C'est vraiment l'élargissement possible qui m'a fait sortir de mes gonds.

Mme Hivon : O.K. Parfait. Donc, je veux comprendre. D'abord, une question philosophique puis ensuite très pratique parce que je voudrais vraiment qu'on puisse avoir recours à toute votre expertise.

Philosophiquement, parce que vous nous amenez beaucoup sur ce champ-là...

M. Pageau (Félix) : ...

Mme Hivon : Oui. Enfin, pourquoi... éthique, philosophe... pourquoi une personne... Pourquoi le poids de l'équipe médicale, du médecin ou par exemple des proches, quand une personne est devenue inapte et donc qu'elle ne peut plus s'exprimer sur les soins qu'elle souhaite ou non, vous nous avez dit, là, qu'il y a beaucoup, évidemment, de médication, de possibilités qui sont là, mais, la personne, elle est inapte, pourquoi ces gens-là, de l'équipe médicale ou des proches devraient avoir plus de poids que la personne, qui, elle-même, avait un jugement sur ça quand elle était apte? Pourquoi il faut que ces personnes-là aient plus d'importance à savoir ce qui est la bonne chose pour elle en termes de soins et de traitement?

M. Pageau (Félix) : Oui. Bien, c'est parce que, cette personne-là, elle... Comme je l'expliquais, j'ai essayé de l'expliquer, là, bien, de le rendre clair — des fois, effectivement, je pars sur des envolées philosophiques, mais j'ai quand même l'ancrage clinique, là — l'idée, c'est que, dans le fond, la personne, comme je mentionnais, là, à vos collègues, c'est qu'elle devient un autre membre de la famille. Je ne sais pas si vous comprenez l'idée.

C'est que, oui, elle écrit des choses... Mettons, demain matin, vous prenez une feuille et vous écrivez vos directives médicales anticipées puis vous écrivez dans... les conditions dans lesquelles vous voulez avoir l'aide médicale à mourir, etc. Mais, dans 10 ans ou cinq ans, ou si votre démence se développe rapidement, puis, dans deux ans, vous êtes rendu dans l'état que vous avez décrit, bien, c'est quand même... ce n'est plus vous, dans l'état deux ans plus tard, qui prenez la décision. L'autonomie n'est plus là. La personne que vous étiez avant, elle fait partie de la famille au niveau... dans le sens où elle devient comme un proche très connaissant de la personne, mais ce n'est pas nécessairement... ce n'est pas elle.

Parce que, quand on prend une décision autonome, si on pense à une autonomie rationnelle ou même une autonomie plus relationnelle avec l'environnement, c'est dire : J'évalue, là. Quand vous prenez n'importe quelle décision, mais surtout une décision éthique de ce poids-là, là, est-ce que je veux mourir, est-ce que je veux qu'on m'administre l'aide médicale à mourir, tu sais, vous considérez les pour, les contre, quel impact ça va avoir sur vos proches, quel impact ça va avoir sur l'équipe soignante. Disons, si on est vraiment dans une autonomie relationnelle plus large, puis vous dites : Ah oui, ça vaut quand même la peine, mais c'est vous maintenant dans la situation. Mais là c'est comme quelqu'un qui dit : Bien, quand ça va arriver, je pense à peu près ça, puis c'est des grandes lignes directrices, mais vous n'êtes... ce n'est plus la même personne. Je ne sais pas si vous comprenez. Ce n'est pas comme un... Ce n'est pas votre cerveau qui est transposé directement au complet, puis, là, qu'on le transporte, deux ans plus tard, et que le cerveau évalue au complet... neuropsychologique du cerveau. Mais, tu sais, on transpose... votre conscience, on la transpose deux ans plus tard, là, je serais d'accord. Mais là ce n'est pas votre conscience qu'on transpose, c'est des écrits, des directions, puis ce n'est pas vous qui prenez la décision, ce n'est plus l'autonomie, l'autonomie n'est plus là. C'est ça que j'ai de la misère à... pourquoi les gens...

Mme Hivon : En fait, selon vous, il n'y a plus d'autonomie. Selon vous, il n'y a plus d'autonomie du tout, la nouvelle personne n'est pas la même, mais que, cette autonomie-là, dans le fond, on la met complètement de côté. Mais, ce que j'ai du mal à suivre, c'est que le principe doit être qu'il n'y en ait plus du tout. Donc, c'est l'équipe médicale ou les proches qui prennent le pas. Donc...

M. Pageau (Félix) : Bien, c'est ça. C'est que, pour moi, j'ai un malaise quand même assez profond de dire : On fait un consentement substitué pour l'aide médicale à mourir, parce que c'est toujours ça. En directives médicales anticipées, c'est un consentement substitué, avec toutes les problématiques, dans le consentement substitué, pour un acte comme, justement, l'aide médicale à mourir. Quand on parle des soins qu'on peut partir, arrêter, ajuster, évaluer au jour le jour, voir l'aisance, tout ça... Mais, l'aide médicale à mourir, c'est une injection, puis la personne est décédée, donc il n'y a pas revenir en arrière, il n'y a pas... Ça fait que, pour moi, c'est toujours un consentement substitué à ce niveau-là. Même substitué, c'est la personne qui se substitue dans l'avenir, elle se dit : Bien, quand je vais être rendue là. Ce n'est plus son autonomie, parce que, l'autonomie, c'est vraiment d'évaluer la situation actuelle, en tout cas, dans ma perspective, soit autonomie rationnelle, qui est un peu critiquée, ou même dans l'autonomie relationnelle, qui est vraiment dans l'évaluation de l'environnement puis de tout ce qui est les composantes. Bien, ce n'est plus... elle n'est plus là, parce que la maladie a atteint, justement, la capacité de jugement puis la capacité d'évaluation...

Mme Hivon : Je comprends bien votre point. Je ne sais pas, madame... Excusez-moi...

• (10 h 40) •

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Dr Pageau.

Mme Hivon : Parce que j'avais une question. Je n'ai plus de temps? Non.

La Présidente (Mme Guillemette) : C'est tout le temps qu'il nous reste. Donc, je passerais maintenant la parole à la députée de Soulanges.

Mme Picard : Bonjour, Dr Pageau et Dr Dandurand... Durand. Désolée.

Je voudrais savoir si vous aviez la même vision... (panne de son) ...Mme la Présidente...

La Présidente (Mme Guillemette) : Oui. Il y a un «lag».

Mme Picard : Je vais continuer.

M. Pageau (Félix) : ...

Mme Picard : J'aimerais savoir si vous avez la même position à propos de la souffrance, que, quelqu'un qui a d'énormes douleurs, est-ce que vous traitez ça de la même façon ou, à ce moment-là, pour vous, c'est peut-être un peu plus acceptable de faire l'injection ou...

M. Pageau (Félix) : Bien... Mais est-ce que vous parlez, encore là, en démence ou vous parlez plus en...

Mme Picard : Souffrance, une douleur physique, là, quelqu'un qui est vraiment en douleur constante, est-ce que vous avez la même position?

M. Pageau (Félix) : Bien, en démence, si on reste au sujet d'aujourd'hui, là, ce n'est pas évaluable comme ça, tu sais. C'est parce que, le problème avec la démence, c'est que les circuits internes ne sont plus vraiment connectés. Les patients avec démence, il y a plusieurs études qui... (panne de son) ...qu'ils ne ressentent pas la douleur de la même façon et ils n'agissent pas non plus... La douleur ne se présente pas comme : Ah! j'ai mal, mon bras me fait mal. Ça peut être : Ah! je me promène, je me lève, je me... je marche, mais est-ce que c'est de l'agitation, est-ce que c'est la médication antipsychotique, qui peut donner de l'acathisie sur des mouvements, est-ce que c'est de la douleur, est-ce que c'est... La démence, c'est ça, le problème, c'est que le cerveau, est... tu sais, tranquillement, est détruit par la maladie, donc on n'a plus les intégrations qui se faisaient chez quelqu'un de... qui n'a pas de problème cognitif. Mais... Ça fait que, c'est ça, moi, je trouve, c'est un peu risqué, quand même, de dire : Bien là, la personne souffre en évaluation, mais on... Finalement, des fois, on met une cédule urinaire, puis la personne arrête d'être agitée. Donc, il fallait juste comme organiser qu'elle aille, à toutes les heures, à la toilette, parce qu'elle avait des douleurs à la vessie, mais on a l'impression qu'elle souffre, elle a des douleurs intraitables, pour... (panne de son) ...certaines familles vont me dire : Mon proche souffre, c'est terrible, on met des cédules urinaires, puis la personne va mieux.

Ça fait que, là, c'est dans l'idéal, là, je vous... je simplifie, là, ce n'est pas toujours aussi facile, mais, des fois, on trouve comme ça, là, en adaptant, beaucoup avec l'aide des préposés, qui sont les oreilles, les yeux, les infirmières, qui nous disent : Oui, ce patient-là ne va pas aux toilettes, ce patient-là... Il faut les écouter, il faut les renforcer. Il faut qu'il y ait des formations aussi pour bien parler avec les infirmières. Il faut que les infirmières écoutent aussi puis nous transmettent à nous, comme médecins aussi, l'adaptation. Ça fait que ce n'est pas... c'est parce que ce n'est pas... Le problème, avec la démence, c'est qu'on n'est peut-être pas assez en contact avec les gens avec des démences de façon générale puis on a juste cette espèce d'image là de quelqu'un qui crie puis qui marche puis qui est désagréable. Mais, la démence, ce n'est pas nécessairement ça. Puis, quelqu'un qui crie, pour nous, qui crie de douleur... Si vous vous mettez à crier : J'ai mal au ventre, j'ai mal au ventre, je ne vais pas me dire : Elle a besoin d'uriner, ça va être plus grave que ça, là. Mais, quelqu'un qui a une démence, ça ne peut être que ça. Et c'est ça, le malaise aussi, là. Puis on ne le sait pas parce qu'ils ne le disent pas.

Mme Picard : Est-ce qu'aussi vous avez pris position par rapport à la santé mentale, les patients qui sont atteints de santé mentale? Non, vous n'avez pas vraiment regardé ça.

M. Pageau (Félix) : La démence... Ah! excusez. Mais...

Mme Picard : Non, non, allez-y, allez-y.

M. Pageau (Félix) : Bien, la démence fait partie des... du registre de santé mentale. Avant, on pensait que les gens étaient possédés du démon. Puis, après ça, on s'est rendu compte que, non, c'était vraiment une maladie, pour, après ça... psychiatrique. Puis là on pense qu'ils sont... ils ont une atteinte vraiment neuronale. Ça fait que, tu sais, c'est comme la psychiatrie, gérontopsychiatrie, gériatrie, neurologie, là, c'est une maladie à la fois psychiatrique, gérontopsychiatrique, neurologique et gériatrique, là, c'est dans le centre d'à peu près tout ça, là. Ça fait que je dirais, oui, dans ce sens-là, mais, non, pas dans le sens d'une maladie comme la schizophrénie... Je pense que ce n'est pas mon rôle, là, je ne suis pas psychiatre, je ne suis pas gérontopsychiatre, je ne connais pas ça, là, assez.

Mme Picard : Puis j'aurais une dernière question, Mme la Présidente. En fait, dites-moi si je comprends bien. Ce que vous nous avez dit un peu, c'est que, comme la médecine, les recherches, les traitements évoluent, il n'y aurait personne qui peut se positionner ni même soi-même, sur... de se projeter, là, dans le futur, à savoir que peut-être qu'on pourrait trouver un traitement de... pour traiter l'alzheimer, peut-être qu'on pourrait trouver, je ne sais pas, n'importe quelle science pourrait nous faire des recherches sur les maladies génétiques, où on pourrait arranger des chromosomes, supposons. Donc, ce que vous nous dites, c'est qu'il n'y a personne ni même soi-même qui pourrait savoir se projeter, donc c'est pour ça que vous préférez être prudent. C'est bien ça?

M. Pageau (Félix) : Oui, merci. Bien, en fait, il y a CRISPR, qui existe, là, qui est l'espèce de molécule capable de scinder l'ADN, ça fait qu'il y a déjà des travaux qui se font sur l'ADN. C'est sûr qu'on est au niveau expérimental des souris mais dans l'idée de traiter, oui, des maladies génétiques, là, avec des avancées... CRISPR 9, là. Je pense, en tout cas, C-R-I-S-P-R, donc, CRISPR. Ça fait que, oui, les recherches génomiques, ça, c'est quelque chose qui se travaille en ce moment.

Il y a, d'ailleurs, une personne que je connais ici, qui travaille sur ça, là, avec les adénovirus, donc des virus ADN, modifier l'ADN du virus, voir si ça peut être intégré dans l'ADN humain. Il y a plusieurs... Il y a des thérapies, oui, mais, c'est ça, encore là, c'est de la science fondamentale peu financée, là. Parce que ça n'a pas d'application, donc on... ça sert à quoi, de financer quelque chose qui n'a pas d'application? Mais, tu sais, comme le... comme les virus ARN... comme les vaccins ARN, on disait : Ah! ça ne marche peut-être pas, mais, quand il y a eu la volonté, puis on est financés, ça marche assez vite. Ensuite... Ça, c'est pour la thérapie génique. Pour la thérapie Alzheimer, il y a des vaccins contre la maladie d'Alzheimer puis il y a des anticorps monoclonaux, qui vont détruire la protéine amyloïde du cerveau.

Donc, oui, il y a des recherches qui se font. Encore là, c'est la question du financement. On est dans la recherche fondamentale. On n'est pas dans les causes, nécessairement, qui sont très faciles à faire du marketing, dire, bien : Ah! survivants de la démence, financez-moi comme d'autres maladies, maladies cardiovasculaires, qui atteignent plus les hommes blancs d'un certain âge, qui sont souvent des gens qui ont un petit peu plus d'argent, qui mettent de l'argent dans la recherche. Les enfants qui ont le cancer aussi, je ne veux pas dire qu'il ne faut pas les financer, mais, souvent, c'est plus... que le public dise : Ah! c'est terrible, on va le financer. Mais, la démence, c'est comme : Bien, ça arrive, c'est terrible, mais on ne veut pas s'en occuper, là, tu sais. C'est : Pourquoi financer ça? Mais c'est un peu ça aussi, le point. Mais, oui, les vaccins, ça s'en vient, les molécules anti-inflammatoires. On se rend compte que, dans le tableau d'Alzheimer, il y a à la fois les protéines amyloïdes et les protéines tau pour un 10 % à 20 %. Donc, ces protéines tau là aussi peuvent être enlevées du cerveau par d'autres molécules.

Donc, il y a de la recherche qui se fait. Puis, le but aussi, effectivement, c'est d'éventuellement arriver à des traitements. Mais, si on continue à dire que c'est normal, puis que les gens ne peuvent pas survivre, puis tout ça, puis qu'on ne finance pas, bien, c'est sûr que ce n'est pas des choses qui avancent vite, là.

Mme Picard : Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, Mme la députée. Je passerais la parole maintenant à la députée de Saint-François.

Mme Hébert : Merci, Mme la Présidente. Si jamais vous voulez intervenir, Dr Durand, j'ai... dans mon intervention, là, je n'ai pas de problème, là. Ça peut être M. Pageau aussi. Moi, je... Parce qu'on a vraiment deux générations — excusez-moi, je ne voulais pas porter de jugement, mais vous nous l'avez dit d'emblée, que vous alliez... vous étiez près de la retraite, là, Dr Durand — donc j'aimerais vraiment avoir les... peut-être les deux positions.

Par rapport à une personne qui veut anticiper sa mort, qui veut prendre une directive anticipée puis qu'elle voit que ce n'est pas possible, donc il y a souvent des histoires de personnes qui vont devancer leur mort, qui vont se priver d'une qualité de vie avec leurs proches, parce qu'ils n'ont pas cette possibilité-là, d'avoir une directive anticipée pour l'aide médicale à mourir, trouvez-vous que... Je comprends qu'on a l'espoir de trouver la solution, et tout, mais on sait qu'il y a un certain stade de l'alzheimer ou il y a un certain stade de la démence qu'il y a vraiment... Quand on arrive au stade 7 de l'alzheimer puis qu'on est en position foetale, puis que, la personne, elle a à peine de la facilité pour manger, là, dans des situations comme ça, que quelqu'un ne veut pas se rendre là, qui prendrait une directive anticipée, vous êtes contre aussi? Vous tenez à maintenir la vie jusqu'à ce stade-là malgré qu'une personne...

Parce qu'il y a le choix, dans le mandat, dans un mandat d'inaptitude, de ne pas avoir d'acharnement thérapeutique, O.K.? Puis ça, c'est possible maintenant. Donc, s'il m'arrive un grave accident puis que je suis gavée, je suis dans le coma, ainsi de suite, on peut me débrancher. Moi, je veux juste, dans le souci de... que la personne puisse profiter de sa vie au maximum jusqu'à la fin sans avoir peur de... que, quand elle va être inapte puis rendue à un stade, dans... vers la fin, qu'on ne puisse pas anticiper. Bien, des fois, ils vont devancer pour avoir accès à cette aide-là, médicale à mourir, parce que c'est possible maintenant. Puis il y a des cas d'Alzheimer qui ont devancé, donc qui ont peut-être perdu des années, on a eu le témoignage de médecins, hier, qui ont fait cette aide médicale à mourir là. Donc, j'aimerais avoir votre vision là-dessus.

M. Durand (Pierre J.) : Vas-y, Félix, puis je compléterai, oui.

• (10 h 50) •

M. Pageau (Félix) : O.K. Bien, en fait, c'est... Bien, vous utilisez... C'est intéressant, parce que c'est un peu la rhétorique que les avocats ont utilisée, là, au Canada. C'est un argument rhétorique, là : on essaie de convaincre un juge, puis le juge a été convaincu, là. C'est sûr que ce n'est pas nécessairement l'argument philosophique qu'on aurait utilisé, ou éthique, là, parce qu'effectivement, tu sais, ils finissent par raccourcir leur vie de toute façon avec l'aide médicale à mourir.

Le but, comme je dis, ce n'est pas de leur prolonger la vie éternellement puis d'attendre tout le temps qu'il se passe quelque chose, c'est plutôt, effectivement, d'accompagner, faire cheminer, d'avoir des bons soins palliatifs, de diminuer les souffrances, qu'on ait l'impression qu'on peut... en faisant des essais-erreurs... C'est sûr qu'en médecine on ne peut jamais dire jamais, donc même votre cas de... Je pense, pour l'instant, on peut... on est confiants de dire : Si on est loin d'avoir les traitements puis... mais ça... tu sais, on a fait quand même beaucoup d'avancées, là. Avant, les gens mouraient du diabète, puis on disait : Ah! le diabète type 1, c'est une maladie mortelle; on a trouvé l'insuline puis ça a réglé, là. Je ne pense pas que, la démence, ça va être aussi facile, mais, effectivement, tu sais, là, si on dit : On n'arrivera jamais à rien avec ces patients-là, bien, on n'arrivera jamais vraiment à rien. Mais, si on dit : On peut arriver à quelque chose, bien, effectivement, là, on a des traitements qu'on peut faire.

Puis, ceux qui mettent fin précocement à leur vie, là, en se suicidant, je trouve ça malheureux, parce qu'effectivement je pense qu'il n'y a pas eu assez d'accompagnement, de soutien, de soins, d'accompagnement dans le cheminement. Puis les gens aussi qui se rendent dans des stades assez avancés, souvent, c'est qu'il y a un peu d'acharnement, effectivement, parce que, rendu à un stade avancé, la... est difficile, les infections sont fréquentes. Donc, d'accompagner la personne avec des traitements... Mais de là à dire : On la tue, carrément, là, oui, on devance sa mort... C'est soit par le suicide de la personne beaucoup avant ou par l'aide médicale à mourir pas mal avant, ou on accompagne, puis on traite, puis on soigne. Moi, c'est plus ma perspective, là, comme médecin. Puis, effectivement, là, l'avocat réussit à convaincre le juge en disant : Bien, ah, il va se suicider, mais, tu sais, c'est parce qu'il n'y a pas eu d'accompagnement, il n'y a pas eu de soins puis il n'y a pas eu de bons traitements. Puis ce n'est pas nécessairement... La mort précoce n'est pas vraiment... Tu sais, c'est un peu... On ne veut pas vous tuer, je veux dire, on ne veut pas vous tuer trop tôt, ça fait que, là, on va vous tuer plus tôt. Je veux dire...

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Dr Pageau. Merci beaucoup, Dr Durand. C'est tout le temps que nous avions pour les échanges... pour l'échange ce matin. Donc, merci de votre contribution à la commission, c'est très, très instructif pour nous.

Et nous suspendons la commission quelques instants, le temps d'accueillir nos nouveaux invités.

Encore une fois, je vous remercie, Dr Pageau et Dr Durand.

(Suspension de la séance à 10 h 52)

(Reprise à 10 h 55)

La Présidente (Mme Guillemette) : Donc, nous sommes de retour. Merci, tout le monde. Donc, merci. Très heureuse d'accueillir, pour notre dernière invitée de la journée, la Pre Suzanne Philips-Nootens. Donc, bienvenue, Mme Nootens. Comme convenu, vous aurez une période de présentation de 20 minutes pour votre exposé, et il y aura une période d'échange avec les parlementaires d'une période de 40 minutes. Donc, je vous cède la parole.

Mme Suzanne Philips-Nootens

Mme Philips-Nootens (Suzanne) : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Je vous remercie. Je suis très honorée par cette invitation. Et nous abordons, évidemment, des sujets majeurs aujourd'hui. Bonjour, mesdames, bonjour, messieurs. Et je vais, donc, aborder, successivement, effectivement, les deux points majeurs, tout d'abord l'aide médicale à mourir pour les personnes en situation d'inaptitude et ensuite l'aide médicale à mourir pour les personnes souffrant de problèmes de santé mentale.

Pour l'aide médicale à mourir pour les personnes en situation d'inaptitude, deux grandes questions sont soulevées, à savoir l'inaptitude au moment de la mise en oeuvre de l'aide médicale à mourir et la demande d'aide médicale à mourir dans des directives anticipées ou directives de fin de vie.

Alors, tout d'abord, l'inaptitude au moment de la mise en oeuvre de l'aide médicale à mourir. Notre loi sur les soins de fin de vie, qui se veut compatissante, est, à certains égards, une loi cruelle. Elle impose à la personne qui a demandé l'aide médicale à mourir l'obligation de mourir en pleine conscience, c'est-à-dire qu'elle doit rester apte à y consentir jusqu'au moment où le médecin pose le geste fatal. C'est ainsi que des patients refusent les soins palliatifs ou le soulagement que pourraient leur apporter des analgésiques, de crainte d'être, au dernier moment, déclarés inaptes et ne pouvant, donc, recevoir cette aide. Par ailleurs, les proches ont vécu bien péniblement le fait d'assister à une agonie prolongée à la suite du refus du médecin de procéder en constatant que la personne n'était plus apte à donner son consentement ultime. Selon le rapport de la Commission sur les soins de fin de vie, parmi les cas où l'aide médicale à mourir avait été demandée et n'avait pas été administrée, dans 20 % des cas, la personne répondait aux conditions d'admissibilité au moment de la demande, mais elle avait cessé d'y répondre au cours du processus d'évaluation, car elle était devenue inapte dans la majorité des cas.

Notre commission souligne que la loi québécoise est, à bien des égards, fortement inspirée de la loi belge, et je vais, donc, référer plusieurs fois à cette loi. Je ne voudrais pas que vous y voyiez un chauvinisme indu en raison de mes origines.

Sur ce point précis de l'aide médicale à mourir, de l'administration d'aide médicale à mourir, il eût été souhaitable que notre loi suive, effectivement, la loi belge. Selon cette loi, le patient doit être conscient au moment de la demande, mais pas nécessairement par la suite. La commission belge de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie rappelle, dans son rapport paru en 2020, qu'une demande actuelle d'euthanasie reste valide pendant tout le temps nécessaire à son examen et à la mise en oeuvre de celle-ci, même si le patient devient inconscient durant cette période.

Deuxième point : la demande anticipée d'aide médicale à mourir. Et permettez-moi d'abord de faire un petit détour par les directives anticipées en général. Le site du ministère de la Santé, sur les soins de fin de vie, l'énonce très bien et clairement : En cette matière — donc de directives anticipées — les volontés dûment exprimées par une personne alors qu'elle était apte doivent, une fois survenue l'inaptitude, être respectées, quelle que soit leur forme : expression orale aux proches, document écrit, enregistrement vidéo, formulaire de niveau de soins rempli par le médecin, mandat de protection, directive médicale anticipée. L'essentiel est que les choix du patient puissent être bien établis lors de l'évaluation de la situation ou de désaccord lors de leur mise en oeuvre, notamment. Et l'écrit prendrait effectivement, dès lors, toute son importance. Les directives anticipées constituent l'écrit le plus humain, le plus personnel, le plus intime pour la personne, ses proches, son médecin, c'est à eux qu'elles s'adressent avant tout, et avec eux qu'elles se discutent avant tout, si nécessaire.

• (11 heures) •

Si je rédige mes directives à froid, quand je suis en bonne santé, l'idée de subir certains traitements en cas de maladie, voire d'être réanimée en cas de défaillance cardiorespiratoire, avec tous les risques inhérents, peut me sembler intolérable. Mais, le temps passe, j'avance en âge. La médecine évolue. On guérit ou on ralentit l'évolution de certaines affections jugées, jusque-là, fatales. On sait que les recherches sont en cours. On peut me demander de participer à certains groupes de recherche pour un nouveau traitement qui pourrait être prometteur. J'apprécie la vie, qui ne m'est allouée qu'une seule fois, et j'y tiens plus que ne le pensais. Des études avaient déjà montré qu'une proportion importante de personnes changent d'opinion quand elles entrent à l'hôpital. Le refus anticipé peut donc se transformer en : Docteur, faites tout ce que vous pouvez.

Les premières qualités des directives de fin de vie doivent être, outre leur caractère explicite, la facilité à les modifier et leur accessibilité aux personnes concernées, proches et médecins. Par quelle aberration les directives médicales anticipées, une des modalités d'expression desdites volontés de fin de vie, ont-elles été phagocytées par un système juridico-administratif pour être enfermées dans le cadre le plus rigide qui soit?

On peut faire un mandat de protection notarié ou sous seing privé devant deux témoins. On peut faire un testament notarié, ou un testament devant témoin, ou un testament olographe. Mais, selon la loi, les directives médicales anticipées ne peuvent se faire que par acte notarié en minutes ou par le formulaire prévu à cet effet à la RAMQ. Et ledit formulaire peut, selon le site du ministère, maintenant être téléchargé.

En bonne citoyenne, j'ai donc patiemment accompli la démarche préalable pour avoir un compte clicSEQUR permettant ensuite d'avoir accès à mon dossier à la RAMQ et d'avoir accès au formulaire des directives. Il y avait une petite erreur dans mon dossier de la RAMQ. Deux appels téléphoniques auprès de deux employés très serviables n'ont pas permis de le résoudre, et on m'a donc proposé d'envoyer le formulaire personnalisé par la poste. Alors, je vais le remplir en respectant toutes les formalités prescrites et je vais le renvoyer à la RAMQ par la poste. Je le remettrai aussi à mon médecin, si je le souhaite, et à un proche. Après quoi, la RAMQ va me transmettre une confirmation d'inscription, toujours par la poste.

Veuillez noter que nous sommes en 2021. Le site du ministère précise que le dépôt de mon formulaire ou de mon acte notarié dans le Registre des directives médicales anticipées est l'option la plus sûre et — ne riez pas — la plus rapide pour garantir que mes volontés seront accessibles et respectées. On ajoute également que, si je deviens inapte, le médecin consultera d'abord le Registre des directives médicales anticipées ou le registre de la RAMQ, et, si aucune directive n'y est enregistrée, il consultera mon dossier médical. N'est-ce pas le monde à l'envers?

Les directives faites par acte notarié ont le même contenu. On insiste sur le devoir de conseil du notaire et sur la sécurité d'un tel acte. Ces directives ne couvrent qu'un nombre limité de situations, quatre ou cinq, et... alors qu'il pourrait y en avoir bien d'autres. Et, si, à la suite de modifications ou de changements des situations décrites plus haut, je désire modifier mes directives, la modification ne peut être ponctuelle, par exemple, un codicille pour un acte notarié, il est exigé que le même processus soit refait au complet, que ce soit auprès de la RAMQ ou auprès de mon notaire.

Selon le rapport de notre commission québécoise, seulement 0,5 % des adultes québécois ont inscrit leurs directives anticipées dans le registre de la RAMQ. Est-ce qu'il faut s'en étonner, après tout ce que je viens de vous dire? Dans la loi belge, on fait un document écrit, signé, rédigé... signé par le patient lui-même. Il peut révoquer sa demande en tout moment. Le Formulaire de déclaration anticipée relative à l'euthanasie peut être enregistré auprès de la commune si le patient le souhaite. Il est accessible sur le site et il comprend d'emblée les divers choix, et donc la modification, la confirmation, la révocation en sont très faciles à faire.

Ce qui m'amène au deuxième point, les directives anticipées et l'aide médicale à mourir. Les autres pays qui ont légalisé l'euthanasie l'ont fait dans le cadre d'une loi spécifique décriminalisant le geste. Au Québec, l'aide médicale à mourir est un soin de fin de vie, et la loi médicale a été modifiée afin de l'inscrire dans un continuum de soins appropriés. Mais, contrairement à tous les autres types de soins, incluant les soins palliatifs et la sédation palliative continue, l'aide médicale à mourir exige l'aptitude de la personne, comme je vous l'ai dit, non seulement pour la demande, mais aussi pour sa mise en oeuvre. Ce type de soins ne peut donc être demandé dans des directives anticipées. Contrairement à sa finalité proclamée, la loi consacre ainsi, pour la première fois, une discrimination dans le soulagement de la souffrance entre des personnes majeures aptes et des personnes majeures inaptes ou des mineurs.

Or, à partir du moment où l'aide médicale à mourir est qualifiée de soin, elle doit être régie de la même façon que tous les autres types de soins. Elle doit notamment pouvoir être inscrite et demandée dans des directives médicales anticipées, quelle que soit la forme de ces directives. C'est, d'ailleurs, ce que proposait, en toute logique, dès 2013, le Collège des médecins du Québec dans son rapport de travail conjoint sur l'aide médicale à mourir. Et, si on touche à cette question-là, deux autres points seraient notamment à considérer, notamment la désignation d'une personne de confiance et l'imposition d'une durée de validité pour ces directives. La déclaration peut être retirée, ou modifiée, ou adaptée à tout moment.

Abordons maintenant le deuxième point, qui est extrêmement difficile, c'est-à-dire l'aide médicale à mourir pour les personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Portant au pinacle l'autonomie individuelle, la société québécoise a fait, en 2015, le choix de rendre possible l'accès à une aide médicale à mourir. Il a été proclamé haut et fort que le cadre fixé par notre loi était inattaquable et que jamais, ce qui était alors qualifié de dérive dans d'autres pays... notamment l'euthanasie pour les personnes atteintes de problèmes de santé mentale.

Dès 2017, pourtant, un groupe d'experts devait amorcer la réflexion sur les critères d'élargissement de l'aide médicale à mourir, notamment sous l'angle des personnes inaptes et de la demande médicale anticipée. Il n'a pas fallu plus longtemps pour que la loi soit contestée en justice, notamment par certains de ses chantres les plus engagés, et que soit finalement abattu le rempart majeur qui protégeait contre lesdites dérives, c'est-à-dire le fait d'être en fin de vie. Nous sommes maintenant confrontés aux conséquences de nos choix délibérés et aux décisions les plus cruciales sur le plan humain. Nous devons les affronter.

Alors, en matière de maladie mentale, permettez aussi que j'aborde rapidement un point préalable, et ça a déjà été souligné par tellement de personnes, c'est-à-dire l'aide médicale à vivre pour les personnes souffrant de problèmes de santé mentale. La plupart des traitements ont des... La maladie mentale est source de souffrances profondes. Elle touche à la perception de la personne quant à son identité même. Elle est source de discrimination sociale, car elle fait peur.

La plupart des traitements ont des effets secondaires importants, ce qui conduit souvent à leur abandon par le patient quand il va mieux. Il rechute alors, et le cycle recommence. Et on sait que la schizophrénie en est un exemple bien connu, de ces maladies qui évoluent par épisodes. Qui ne connaît ce fameux et pitoyable syndrome des portes tournantes devant les instances civiles et criminelles que vivent non seulement les personnes atteintes de maladie mentale, mais aussi leurs proches, les grands oubliés du système? Quels progrès ont été faits au cours des dernières années dans l'accès aux traitements pour maladie mentale?

On ne compte plus les rapports, reportages et dénonciations sur les délais d'attente en psychologie et en psychiatrie. Un psychiatre avait déjà, il y a de nombreuses années, qualifié Montréal «d'asile à ciel ouvert». Dans son plus récent rapport, déposé le 8 octobre 2020, la Vérificatrice générale du Québec concluait que le Québec ne parvient pas à obtenir de données fiables de qualité à l'égard des services offerts en santé mentale, et elle déplore que ledit syndrome de la porte tournante se poursuive de nos jours faute de prise en charge et de suivi après une hospitalisation brève. Il a déjà été souligné aussi à quel point les proches sont négligés et trop souvent tenus à l'écart de ces évaluations.

Pourrions-nous faire preuve d'imagination pour offrir aux personnes désespérées, quand il y a lieu, d'autres voies que le suicide ou l'aide médicale à mourir? Ne pourrait-on envisager des directives anticipées qui soient autres que des directives de fin de vie? Une personne atteinte de maladie mentale à évolution chronique, par exemple maladie bipolaire, schizophrénie, ne devrait-elle pas pouvoir, lorsqu'elle est apte, exprimer formellement sa volonté d'être traitée, même de force, lorsqu'elle devient inapte, par exemple à la suite d'abandon de médicament entraînant une rechute? On pourrait, par mesure de sécurité, garder le recours au tribunal prévu à l'article 16 du Code civil du Québec, mais celui-ci en serait considérablement allégé, et ces personnes exerceraient ainsi leur droit à l'autonomie lorsqu'elles sont aptes.

Maintenant, l'aide médicale à mourir pour les personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Rendre inopérant le critère de fin de vie pour l'accès à l'aide médicale à mourir en élargit considérablement les possibilités. Si la modification s'est imposée d'abord dans le contexte des maladies neurodégénératives, qui ont maintenant gagné leur combat en justice, ni la maladie mentale ni aucune autre maladie, par exemple une maladie génétique, ne peut plus en être écartée.

Dépendant de sa nature, la maladie mentale peut répondre à plusieurs des autres critères, à savoir : être grave, entraîner des souffrances physiques ou psychiques — surtout le «ou» prend ici toute son importance — des souffrances constantes, insupportables et ne pouvant être apaisées dans des conditions jugées tolérables. Mais elle doit aussi, pour répondre aux critères de la loi, entraîner un déclin avancé et irréversible des capacités et être qualifiée d'incurable. Pour répondre à ce qualificatif, et ça a déjà été souligné dans la littérature, il faut que le trouble mental soit persistant et réfractaire après que les traitements disponibles et appropriés aient été appliqués et se soldent par un échec ou encore qu'ils soient jugés intolérables par la personne, donc que celle-ci les ait tentés sérieusement, de l'avis des psychiatres traitants.

• (11 h 10) •

Pour éviter une approche discriminatoire, il ne s'agirait, donc, pas de nier le droit d'accès à l'aide médicale à mourir mais bien d'en aménager les modalités d'accès pour que la maladie puisse répondre aux autres critères. Les dispositions devront prévoir des contacts avec les proches, trop souvent laissés de côté. Le médecin traitant et le deuxième médecin consulté devront être des spécialistes en psychiatrie. On pourrait exiger des demandes répétées à plusieurs mois d'intervalle de façon à répondre plus adéquatement aux critères de maladie incurable et de déclin irréversible des capacités.

Selon plusieurs auteurs, l'aide médicale à mourir deviendrait ainsi une alternative au suicide pour les patients pour lesquels le psychiatre ne prévoit guère d'évolution favorable malgré tous les traitements actuellement disponibles. Il faut réaliser que cette ouverture touchera des affections très variées. Si je réfère, par exemple, au dernier rapport de la commission belge, année 2018‑2019, on y trouve, parmi les euthanasies pour troubles mentaux : les troubles de l'humeur, par exemple la dépression et les troubles bipolaires; les troubles de la personnalité et du comportement; les troubles névrotiques, dont l'anxiété et le deuil pathologique; les troubles mentaux organiques, notamment les troubles du spectre de l'autisme, la schizophrénie et les troubles délirants.

L'euthanasie d'une jeune femme de 38 ans, autiste, est actuellement débattue en Belgique devant les tribunaux. Une dame médecin travaillant en psychiatrie et elle-même autiste déplore que de telles décisions surviennent dans un contexte où les soins de santé mentale extrahospitaliers sont peu développés, insuffisamment accessibles et inabordables pour de nombreuses personnes. Et la plupart des cas font là-bas l'objet de longs débats. Même la présidente de l'association belge pour le droit de mourir dans la dignité et membre de la commission de contrôle de la loi sur l'euthanasie dit ceci, elle prêche la prudence, elle dit : «Je comprends que cette question pose débat. Pour ces patients atteints de souffrances psychiques, il faut être encore plus prudents.»

La corporation des médecins de Belgique recommande aussi à ses membres de se rencontrer physiquement pour discuter des demandes d'euthanasie pour ce genre de malades et de ne pas se limiter à des conversations téléphoniques comme c'est fait pour les autres cas et comme le permet la loi. La consultation d'un deuxième psychiatre s'impose. Ils pensent aussi que le délai d'un mois prévu par la loi entre la demande et l'exécution de l'euthanasie devrait être allongé pour permettre à ces patients de réfléchir à leur décision plus longtemps. C'est un domaine extrêmement complexe. La voix des psychiatres, des patients et de leurs familles doivent être les premières entendues avant qu'interviennent les juristes et les autorités administratives.

Et j'en arrive à ma conclusion. Après le jugement Baudouin, les ministres, Mme McCann et Mme LeBel, ont semblé dire qu'il ne serait pas nécessaire de modifier la Loi concernant les soins de fin de vie et qu'il suffisait que le critère de soins de vie soit désormais inopérant. Il me semble, au contraire, que cette loi bénéficierait de modifications importantes qui lui permettraient de mieux répondre à sa finalité : d'abord, le retrait de l'exigence d'aptitude au moment de l'administration de l'aide médicale à mourir, l'introduction de la possibilité de demander l'aide médicale à mourir dans des directives anticipées et l'organisation même de ces fameuses directives.

Au Québec, nombre d'excellents rapports dans tous les domaines sont faits régulièrement par des experts très compétents. S'ensuivent, si le sujet est à l'ordre du jour, de belles politiques dont les gouvernements successifs se font une gloire, avec x priorités et y mesures stratégiques. Malheureusement, nous aimons beaucoup moins nous assurer de leur mise en oeuvre effective et beaucoup, beaucoup moins d'en évaluer les résultats réels sur le terrain. Et trop de ressources théoriquement attribuées aux services se perdent dans les labyrinthes d'une administration pléthorique où l'humain n'a plus guère sa place. L'accès aux services de santé mentale et aux soins palliatifs en est une triste illustration.

Dans le rapport pour la période 2015‑2018, remarquablement élaboré et documenté, de notre Commission sur les soins de fin de vie, le Dr Michel Bureau fait état des rapports, depuis les années 2000, sur les plans de soins de développement des soins palliatifs et de fin de vie visant l'amélioration de l'offre de services en soins palliatifs de fin de vie et comprenant neuf priorités et 50 mesures stratégiques.

Et le Dr Bureau souligne que — je cite — «malgré les efforts consentis au fil du temps, les mêmes constats demeurent : l'inégalité quant à l'accès aux soins palliatifs de fin de vie au Québec; le manque d'information et de formation des intervenants; l'organisation déficiente au regard des ressources matérielles et humaines investies; le développement insuffisant des soins et services à domicile, qui représente la pierre angulaire des soins palliatifs de fin de vie». Fin de la citation. Il souligne également la méconnaissance des soins palliatifs de fin de vie et l'absence de données fiables sur le sujet.

Mais gardons espoir, le gouvernement du Québec a développé, en 2020, le rapport intitulé Pour un accès équitable à des soins palliatifs et de fin de vie de qualité, un document très élaboré, et il annonce un plan d'action pour 2020‑2024.

Nous semblons nous enorgueillir du fait que de plus en plus de Québécois demandent et obtiennent l'aide médicale à mourir. Ne devrions-nous pas plutôt nous réjouir si de moins en moins d'entre eux en arrivaient à cette étape ultime? L'aide médicale à mourir est le geste ultime, irrémédiable du processus de soins, elle libère d'une souffrance devenue intolérable pour la personne. Si elle intervient avant son heure parce que tous les soins adéquats n'ont pas été offerts, parce que la personne se sent abandonnée, elle devrait aussi devenir une source de honte dans notre société bien nantie et pour un système dont les énormes ressources sont trop souvent dilapidées dans des structures tentaculaires qui se nourrissent elles-mêmes et ne bénéficient plus assez aux citoyens qu'elles doivent servir. Je vous remercie pour votre attention.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Pre Philips-Nootens. Donc, nous commençons les échanges avec le député de Gouin.

M. Nadeau-Dubois : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Merci, Mme Philips-Nootens, pour votre contribution à nos travaux aujourd'hui. Je vais essayer d'aborder les deux sujets qui sont l'objet du mandat de la commission, d'abord les demandes anticipées puis ensuite les troubles mentaux.

Certaines personnes sont venues nous voir ici, à la commission, et sont venues témoigner de leur malaise quant à la possibilité pour quelqu'un d'émettre un consentement alors que les gens ne connaissent pas ou peu exactement quel sera leur état au moment de recevoir l'aide médicale à mourir. Qu'est-ce que vous répondez à cette objection-là? C'est-à-dire, ces gens-là nous disent, si je résume leur argument, que le consentement n'est pas éclairé dans la mesure où la personne n'est pas réellement en mesure de savoir quelle sera sa condition, quelle sera sa souffrance, quel sera son niveau de dignité, par exemple, au moment où elle pourrait recevoir l'aide médicale à mourir.

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Elle pourrait le préciser, d'abord, parce qu'elle peut donner d'autres directives. Elle peut... dans des directives anticipées, elle peut demander la sédation palliative continue, et l'aide médicale à mourir est l'étape suivante. Mais, je veux dire, il suffirait qu'elle précise dans ses directives qu'elle soit dans un état de souffrance intolérable. Et, à ce moment-là... Évidemment, en supprimant le critère de fin de vie, on a supprimé un aspect extrêmement important, parce qu'elle ne serait plus obligée d'être en fin de vie, et c'est à ce niveau-là qu'il faut avoir des réserves. Parce que la plupart des cas qui ont accès à l'aide médicale à mourir ou à l'euthanasie, dans d'autres pays, ce sont des cas avancés de cancer. Alors, peut-on encore dire qu'une personne qui saurait qu'elle a un cancer et comment son cancer évolue ne verra pas dans quelle condition elle pourrait être au moment de demander l'aide médicale à mourir? Ce serait vraiment l'aboutissement, j'allais dire, d'un état de souffrance qu'elle juge intolérable.

La question semble dire : Comment va-t-elle décider d'avance que ses souffrances seraient intolérables? Si je demande, dans mes directives anticipées, non pas l'aide médicale à mourir, mais d'arrêter tous les traitements, comme on le fait déjà, je suis exactement dans la même situation. Donc, l'aide médicale à mourir, à ce moment-là, quant à moi, cette demande-là n'est pas différente de ce que je ressentirais quand je demande d'arrêter tous les traitements quand je suis en fin de vie, et ça, je peux le faire.

M. Nadeau-Dubois : Parfait. Un autre des débats qui sera le nôtre, c'est la nécessité ou non d'un diagnostic au moment de rédiger la demande anticipée. Des gens nous ont dit : Ça devrait être nécessaire que la personne ait un diagnostic clair. Par exemple, je reçois un diagnostic d'alzheimer, je suis informé de l'évolution potentielle de la maladie. En fonction de cette information-là, je rédige une demande. D'autres gens nous disent : Non, ça ne devrait pas être nécessaire, on devrait pouvoir rédiger une demande plus générique, même si on n'a pas de diagnostic. Où est-ce que vous logez, vous, sur ce débat-là?

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Bon. Il est évident, si je n'ai aucun diagnostic, de prévoir des choses comme ça dans mes directives anticipées... mais dans tous les autres cas de directives anticipées, je peux prévoir les arrêts de traitement. Donc, finalement, telle qu'on peut la concevoir, la demande d'aide médicale à mourir n'est qu'un substitut à la demande d'arrêt des traitements, et donc ça vaut pour toutes les autres directives anticipées. C'est...

M. Nadeau-Dubois : Donc, selon vous, ça ne devrait pas être nécessaire d'avoir un diagnostic précis.

• (11 h 20) •

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Non, pas nécessairement, ça dépend quand je fais mes directives anticipées. Personne ne rédige des directives de fin de vie quand elles sont en pleine santé. Et c'est là, évidemment, que ça soulève une autre question, qui est celle de la durée de validité des directives anticipées. C'est un peu la même chose qu'un testament, si je peux dire, même si ça touche d'autres sujets. Je peux faire mon testament quand je suis plus jeune, etc., puis ma situation familiale change, je veux le modifier. Je peux faire des directives anticipées, moi, j'en ai fait, très élaborées, en disant : Si je suis dans telle situation, je ne veux pas qu'on poursuive les traitements.

Et, encore une fois, si je réfère à l'arrêt des traitements, l'application ou la mise en oeuvre de l'aide médicale à mourir, c'est l'illustration ultime d'un refus de traitement. On demande qu'on mette fin à l'intervention au lieu d'attendre que mes jours s'achèvent en fonction de ma maladie. Je ne sais pas si ça répond à votre question, mais...

M. Nadeau-Dubois : Oui, oui.

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : ...moi, je n'y vois pas de difficulté différente.

M. Nadeau-Dubois : Parfait. L'autre... une autre des questions que nous devrons trancher ici, à la commission, c'est ce qu'on pourrait appeler la distinction entre une demande d'aide médicale à mourir anticipée ou une directive. C'est-à-dire, est-ce que la personne, ce qu'elle rédige, est-ce que ça devrait être exécutoire, final et sans appel, quel... disons, peu importe ce qu'il se produit dans l'évolution de sa maladie ou est-ce que ça devrait pouvoir être réversible, par exemple, par un consensus de l'équipe médicale et des proches, si la maladie n'évolue pas de la manière dont la personne pensait qu'elle évoluerait, par exemple dans des cas de ce qu'on appelé, là, de démence heureuse? De quel côté de ce débat-là, vous, logez-vous? Est-ce que ce devraient être des demandes ou des directives finales et sans appel?

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Mes directives médicales anticipées expriment ma volonté. Et, en principe, ma volonté doit être respectée à partir du moment où, effectivement, j'étais en pleine connaissance de cause et en pleine possession de mes moyens quand j'ai émis mes directives. Et la loi prévoit que si on veut contester l'application des directives, pour toutes sortes de raisons, il faut s'adresser au tribunal, et je pense qu'il faut garder cette option-là. Mais mes directives médicales anticipées sont des directives et non pas simplement des demandes. Il risque trop d'y avoir, à ce moment-là, des variations ou des conflits familiaux qui puissent intervenir.

M. Nadeau-Dubois : Oui. Et qu'est-ce que vous répondez aux gens qui nous ont dit que dans ce cas-là, si c'est vraiment une directive d'aide médicale à mourir anticipée, que ça pourrait placer les professionnels de la santé dans des situations extrêmement délicates où, par exemple, une personne qui n'est plus jugée apte à décider manifeste quand même une grande opposition au fait de recevoir l'aide médicale à mourir, ça pourrait placer les professionnels de la santé dans une situation extrêmement difficile? Comment vous contournez, vous, cette difficulté-là?

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Je pense qu'on se trouve dans la même situation. Il faudrait s'adresser à un tiers indépendant, c'est-à-dire le tribunal, si on juge qu'on n'est pas dans une situation qui permet de répondre aux directives. Je ne suis pas sûre que j'ai bien répondu à votre question. Pouvez-vous me la répéter, s'il vous plaît?

M. Nadeau-Dubois : Bien, c'est-à-dire qu'il y a eu des cas documentés où des gens qui avaient donné un consentement anticipé à recevoir l'aide médicale à mourir, une fois que ces personnes-là sont rendues inaptes à décider, par exemple, parce que dans un état de démence, bien, ces personnes-là, lorsque vient le temps qu'on leur administre l'aide médicale à mourir, manifestent une résistance, ne veulent pas, se débattent, et il y a même eu des cas documentés où il a fallu littéralement physiquement saisir la personne pour promulguer l'aide médicale à mourir. Vous comprenez que ça, ça a placé les professionnels de la santé dans un état... dans une situation extrêmement fragile. Il y en a qui ont été traumatisés. Ma question, c'est : Comment vous proposez qu'on contourne cette... ou qu'on aménage cette difficulté-là potentielle quand même?

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : C'est-à-dire qu'on ne peut pas s'assurer, donc, que la personne a changé d'avis parce qu'elle n'est plus apte.

M. Nadeau-Dubois : La personne est réputée inapte, donc elle n'est plus censée... on ne reconnaît plus sa capacité à prendre des décisions, mais, quand vient le temps, donc, de lui administrer l'aide médicale à mourir, comme elle en a décidé auparavant, elle refuse, elle s'objecte, elle se débat. Et ça, c'est...

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Je pense, à ce moment-là, qu'il faudrait...

M. Nadeau-Dubois : ...qu'est-ce qu'on fait?

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Je pense qu'il faudrait s'adresser au tribunal, mais il faudrait d'abord reporter l'administration de l'aide médicale à mourir. Par contre, ça vaudrait pour d'autres traitements aussi. Si ces personnes-là ne veulent plus recevoir d'analgésique, par exemple, qu'est-ce qu'on fait? Est-ce qu'on les injecte de force? Donc, il faudrait, encore une fois, voir ce qu'on peut faire dans ces situations-là et voir si on peut forcer la personne, comme on peut forcer une personne inapte à recevoir des traitements, en vertu de l'article 16 du Code civil, en s'adressant au tribunal.

M. Nadeau-Dubois : Une dernière question, cette fois sur la question des troubles mentaux. Vous avez mentionné dans votre exposé que, selon vous, si elle était rendue disponible aux gens avec des troubles mentaux, l'aide médicale à mourir, elle devrait être bien balisée, notamment en s'assurant que les gens ont suivi certains traitements avant d'être éligibles pour faire une demande. Que devrait-on faire si une personne, donc, qui vit avec des troubles mentaux, refuse un ou plusieurs traitements? Est-ce que ça devrait disqualifier cette personne-là de son éligibilité à l'aide médicale à mourir?

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Je pense qu'on devrait pouvoir lui opposer le fait qu'à ce moment-là elle n'est pas... on n'est pas en face d'une maladie incurable. Et je pense que la personne atteinte de troubles mentaux, pour bénéficier, entre guillemets, doubles guillemets, de l'aide médicale à mourir, doit répondre quand même aux autres critères de la loi et notamment ces dispositions-là. Donc, il faut faire attention à ce que, en écartant le critère de fin de vie, on n'écarte pas non plus abusivement d'autres critères qui permettent d'obtenir l'aide médicale à mourir.

M. Nadeau-Dubois : Et est-ce que, dans cette situation-là, est-ce qu'on n'en revient pas à forcer indirectement une personne à recevoir un traitement? Si une personne dit : Moi, j'en ai assez, je souhaite avoir recours à l'aide médicale à mourir, son psychiatre lui dit : Bien, écoutez, il y a un ou deux traitements que vous n'avez pas encore essayés, moi, je ne peux pas vous donner le go pour l'aide médicale à mourir tant que vous ne les avez pas essayés. Est-ce qu'on n'en vient pas dans une situation où on force indirectement des gens à recevoir certains traitements, surtout que c'est des traitements qui, parfois, peuvent être souffrants, avoir beaucoup d'effets secondaires? Comment on dénoue cette difficulté-là?

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Ce sont effectivement, souvent, des traitements très pénibles et ce sont des traitements auxquels on procède souvent par tâtons aussi avant de voir celui qui convient au patient, donc c'est vraiment un domaine extrêmement complexe. Mais je pense qu'effectivement, dans des situations comme celles-là, on peut dire à la personne : Ou bien vous suivez vos traitements, ou bien vous ne répondez pas aux critères d'admissibilité à l'aide médicale à mourir.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Merci, M. le député. Donc, je céderais maintenant la parole au député de Chomedey.

M. Ouellette : Il arrive, le député de Chomedey. Merci, Mme la Présidente. Mme Philips-Nootens, merci d'être là. Merci de nous faire partager votre grande expérience de vie. Et je pense qu'on a avantage à vous écouter, mais ça nous inconfortabilise un peu parce que ça remet sur nos épaules... Je vous écoutais, puis je simplifierais ça en quelques mots en disant que, pour les maladies mentales, il faut être très prudent, c'est peut-être trop tôt. Là, ça devient un peu la saveur du jour, et, il y a quelques mois, sinon un an ou deux, on en parlait peu.

Pour l'inaptitude, ça a l'air très compliqué et trop compliqué, donc il va falloir le simplifier. Et, si j'ai bien... si je vous lis bien ou si je vous comprends bien, le rapport que la commission va devoir faire, là, la partie que la commission va devoir faire, c'est tout va être dans la mise en oeuvre pour la prochaine étape. Est-ce que j'ai une bonne lecture?

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Pour ce qui concerne les maladies mentales, oui, je pense que oui, tout va être dans la mise en oeuvre. Vous savez, certains psychiatres... parce qu'il y a beaucoup de littérature déjà là-dessus, et c'est un peu gênant pour un non-psychiatre d'essayer de résumer ces choses-là, mais les psychiatres vont dire : Écoutez, si ça devient la seule alternative au suicide, est-ce qu'il n'est pas justifié, à ce moment-là, d'accorder l'aide médicale à mourir à ces personnes-là? Mais ça veut dire que tout a été essayé. Quand une personne atteinte de maladie mentale qu'on libère en fin de semaine parce qu'elle s'est bien comportée et qu'on pense que tout va bien, on la libère de l'hôpital, elle sort de l'hôpital et elle va se jeter en bas d'un pont, il est certain qu'on est dans des situations vraiment dramatiques où, manifestement, on n'a pas réussi à faire marche arrière ou à progresser dans le traitement de leur maladie mentale. Alors, il faut, je pense, si on décide d'ouvrir cette porte-là, la réserver vraiment pour des situations extrêmes et non pas parce que les gens n'ont pas eu de soins.

• (11 h 30) •

M. Ouellette : Bien, c'est ça, je pense qu'il faut déjà, utiliser toutes les ressources du système. Ça devient... je ne dirais pas la situation ultime, mais ça devient l'incontournable, mais il faut qu'on ait épuisé toutes les autres possibilités avant. C'est ce que vous nous dites.

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Oui. Je pense que oui.

M. Ouellette : O.K. Merci.

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Et regardez encore une fois dans des pays où c'est ouvert. Bon, je n'ai pas revérifié dernièrement pour les Pays-Bas, mais c'est évident. Mais, en Belgique, la question pose problème, alors qu'ils ont une loi depuis 2002, qu'ils sont très ouverts en matière d'aide médicale à mourir ou d'euthanasie dans les circonstances, et, récemment encore, même les personnes proches et même les personnes de la commission disent : Soyons prudents.

M. Ouellette : O.K. Il ne faut pas manquer notre coup.

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Il y a des gens qui ont fait des tentatives de suicide et qui remercient ceux qui les ont sauvés.

M. Ouellette : Oui, oui, là, je comprends ça aussi.

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Il ne faut pas oublier ça.

M. Ouellette : Merci, Mme la Présidente.

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Merci, monsieur.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci, M. le député. Dans un même ordre d'idées, on voit que c'est un sujet, la maladie mentale, très délicat. Quels mécanismes de contrôle on pourrait mettre en place pour qu'il n'y ait pas de débordement ou de geste malheureux, là?

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Il faudrait, donc, s'assurer, à tout le moins, que toutes les autres conditions d'accès à l'aide médicale à mourir soient remplies. Il faudrait en débattre, je pense, avec les psychiatres. Moi, je suis... nous sommes tous profanes dans ce domaine-là, qui est le domaine le plus difficile de la médecine, à mon sens, parce que c'est difficile de pénétrer les mystères de l'esprit humain, de voir comment les choses évoluent. Et, regardez, même dans la vie courante quelqu'un peut être déprimé après un deuil et puis après ça il va reprendre le dessus. Regardez tout ce qui est syndrome post-traumatique, et tout ça, c'est extrêmement difficile. Donc, je pense qu'il faudrait avoir des mesures d'encadrement très rigoureuses.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Je vais céder...

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Et, encore une fois — je m'excuse — donner d'abord les services et l'accès aux traitements.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Je passerais la parole au député de Lac-Saint-Jean.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Suzanne. C'est très intéressant, là, votre présentation. Vous y avez été en deux temps. J'ai pris des notes. Et, écoutez, moi, je ne suis pas un spécialiste, de là l'importance de vous écouter. Vous, vous êtes là... On est là pour vous écouter, vous êtes des gens... des spécialistes. Puis j'aimerais bien comprendre, parce que vous m'avez... vous avez parlé de la directive anticipée et l'aide médicale à mourir, soins de fin de vie. Hier, j'ai posé une question à un groupe : À quoi l'aptitude à consentir à l'aide médicale à mourir se distingue-t-elle de l'aptitude à consentir à d'autres types de soins? Et ce que j'ai cru comprendre dans votre présentation, c'est que vous l'avez... tout à l'heure, vous avez mentionné que c'est... en fait, l'aide médicale à mourir doit être considérée comme un soin — est-ce que c'est bien ça que vous avez apporté — au même titre que d'autres soins.

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : On a voulu en faire un soin, et c'est ça que la loi en fait. Évidemment, on a voulu en faire un soin aussi pour des raisons de compétences constitutionnelles, mais ça, c'est autre chose. Mais on en a fait un soin et on a même modifié la Loi médicale dans ce sens-là. Donc, à ce moment-là, si on en fait un soin, de quel droit la soustrait-on au choix que les patients peuvent faire pour les autres types de soins?

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Donc, vous, votre point de vue, votre position, c'est qu'elle doit être considérée au même titre.

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : C'est ce que la loi en fait. Moi, ça n'a jamais été ma position personnelle, mais c'est ce que la loi en fait.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : O.K. Est-ce que vous... Donc, mais voulez-vous... Est-ce que... Votre opinion, là, selon vous, est-ce qu'on doit tenir compte de la loi?

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Est-ce que?

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : Est-ce qu'on doit la considérer de telle manière?

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Encore une fois, c'est ce que la loi en fait. Je peux difficilement vous dire autre chose. On peut être pour, on peut être contre. Moi, je n'ai, en toute franchise, jamais été favorable à cette disposition-là, parce que je voyais dès le... en regardant ce qu'il se passait ailleurs, où ça nous entraînerait. Mais on a choisi, comme société, d'en faire un soin, et là on est obligés d'assumer les conséquences de notre choix... de nos choix.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : O.K. Puis, tout à l'heure, aussi, au niveau des directives médicales anticipées, vous parliez d'un point de vue juridique. Puis je veux bien comprendre, tu sais, quand vous disiez que la différence peut se faire de façon notariée ou avec le formulaire de la RAMQ. Et est-ce que vous avez bien dit que... l'acte notarié qui est le plus sûr? C'est-tu bien ça que vous avez mentionné?

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Je ne l'ai pas mentionné comme tel. C'est un écrit, donc, effectivement, c'est un écrit qui a toute la valeur d'un acte notarié, comme pour d'autres actes notariés. Mais le problème avec l'acte notarié, bon, il reprend les mêmes choix qu'on peut faire dans le formulaire de la RAMQ, mais c'est sa rigidité. Si je veux modifier mes directives, notamment quand je rentre à l'hôpital, j'aime beaucoup la notaire... ma notaire, mais je me vois mal la faire venir à l'hôpital, là, je suis en jaquette depuis huit jours, je me sens mal, dire : Je voudrais modifier mes directives dans mon acte notarié. Alors, c'est toute cette lourdeur qu'il faut éviter. Les directives doivent être facilement accessibles et facilement modifiables.

Regardez, avec tout ce qu'il se passe dans la vie actuellement, avec toutes les découvertes qu'on fait, je peux vouloir, en un an, modifier trois fois mes directives. Est-ce que je vais faire trois actes notariés? Je ne peux même pas procéder par codicille. Alors, c'est aussi lourd dans le formulaire de la RAMQ et dans un acte notarié, alors qu'en réalité notre volonté peut s'exprimer de toutes les façons différentes. Et c'est reconnu, là. Si vous allez sur le site de la RAMQ, vous allez... du ministère de la Santé, vous allez trouver toutes les façons d'exprimer vos directives, et on vous dit que vos directives doivent être respectées. Il suffit évidemment qu'elles soient faites en toute connaissance de cause.

C'est beaucoup plus facile ou beaucoup plus recommandé d'avoir un écrit signé devant deux témoins qui témoignent de votre attitude au moment où vous les faites. C'est même préférable, quant à moi, de ne pas les mettre dans un mandat d'inaptitude, parce que, dans le mandat d'inaptitude, si vous voulez le modifier, c'est la même chose, c'est plus lourd comme procédure. Mais donc les directives doivent pouvoir être exprimées, et modifiées, et révoquées, s'il y a lieu, de façon très accessible à toutes les personnes. Et donc l'acte notarié, oui, il en fait état, mais avec toute la rigidité que ça comprend.

M. Girard (Lac-Saint-Jean) : O.K. Bien, écoutez, j'aurais eu d'autres questions, mais je vous remercie beaucoup. Je vous remercie infiniment. Je vais laisser, Mme la Présidente, d'autres collègues qui veulent intervenir.

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Merci.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, M. le député. Je céderais la parole à la députée d'Abitibi-Ouest.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Nootens. Alors, un patient souffrant d'ACV ou de traumatisme crânien grave, selon vous, peut-il être admissible à l'aide à mourir médicale?

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Est-ce qu'il a exprimé... est-ce qu'il a exprimé ses volontés quand il était apte, avant son traumatisme crânien?

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Non, non, il n'avait pas de... il n'a exprimé rien. Il a un accident puis il dit : Moi, je veux en finir. Et puis il est, quoi, paraplégique dans son lit, il ne peut pas bouger. Alors, il demande l'aide à mourir.

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Est-ce qu'il...

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : ...

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Pardon, excusez-moi.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Oui, mentalement, il est capable de bien s'exprimer.

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : À partir du moment où il est mentalement apte à prendre cette décision, oui, il peut la demander. Il répond aux autres critères. Vu qu'il n'a plus...

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : ...

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Oui, pardon.

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Excusez-moi. Allez-y.

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Vu qu'il n'a plus besoin d'être en fin de vie, il peut estimer, donc, que sa souffrance est intolérable, etc. Ça va dépendre de l'évolution qu'on prévoit aussi pour son traumatisme crânien, parce qu'il faut, encore une fois, donc, que ce soit grave et incurable. Il faut aussi... Il y a toute cette question, qui est mentionnée dans la loi, de déclin avancé et irréversible des capacités. À partir du moment où on admet maintenant l'aide médicale à mourir pour les maladies neurodégénératives, par exemple, je ne vois pas pourquoi on ne l'admettrait pas pour quelqu'un qui a un traumatisme crânien qui est redevenu mentalement apte. Il faudrait que ce soit autre chose qu'un traumatisme crânien. Il est redevenu mentalement apte et il est paralysé dans son lit, et il pourrait faire le choix, effectivement, de demander l'aide médicale à mourir, si sa situation est irréversible.

• (11 h 40) •

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Quelqu'un qui demande l'aide médicale à mourir et qui a une grande souffrance physique et aussi une grande souffrance psychologique, qu'est-ce qui va être en priorité? Qu'est-ce qu'on priorise à l'aide médicale à mourir, la souffrance physique ou psychologique?

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : La loi, c'est calqué sur la loi belge ici encore, elle a mis un «ou» entre les deux. Donc, il suffit que ce soit l'une des deux. Et souvent les deux vont aller ensemble, effectivement, mais le fait que ce soit une des deux, c'est ça qui rend plus délicat le problème des maladies mentales, parce que beaucoup de personnes atteintes de maladie mentale n'ont pas nécessairement de souffrance physique. Il peut y avoir des inconvénients aux traitements, etc., mais pas nécessairement des cas de souffrance physique. Et on voit, en parlant uniquement de souffrance psychique, des personnes pour lesquelles la fin de vie ne correspond plus à leurs attentes. Elles voient ça, le fait d'être diminuées, comme une atteinte à leur dignité.

Beaucoup de personnes âgées disaient, dans le temps, quand le monde était croyant : Le bon Dieu m'a oublié. Elles trouvaient qu'elles avaient fait tout ce qu'elles avaient à faire dans la vie, et donc elles se trouvaient... elles trouvaient que leur séjour terrestre était terminé. Et on voit ces demandes-là. On n'aime pas en parler, mais on voit ces excès-là notamment dans des choix d'euthanasie faits aux Pays-Bas, notamment, où les personnes âgées disent : Je ne tiens plus à rester ici-bas. Et elles vont donc invoquer une souffrance psychologique, un malaise... — je cherche le terme exact, qui m'échappe, mais ce n'est pas grave — donc une souffrance psychologique en disant : La vie ne m'intéresse plus. Finalement, c'est à ça que ça revient. Est-ce qu'on va aller jusque-là?

Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Je vous remercie beaucoup.

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Merci, madame.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci. Merci, Mme la députée. Je céderais la parole à la députée de Soulanges.

Mme Picard : Bonjour, Mme Philips-Nootens. Prenons le cas où une personne devient... a un diagnostic d'alzheimer et c'est très précoce dans le début du diagnostic, puis là elle ferait sa demande, son aide médicale à mourir... elle ferait sa demande anticipée ou ses directives anticipées et elle aurait un appui d'une tierce personne pour l'aider dans la prise de décision, là, pour le moment où elle peut... où son traitement ou son aide médicale à mourir serait administré. Moi, j'y vois là une lourdeur, une pression sur le proche aidant, sur la tierce personne, parce que la tierce personne, c'est sûr, c'est elle qui va prendre la décision que la personne atteinte d'alzheimer est rendue au stade... avec le médecin, bien sûr, mais je trouve que c'est lourd à porter pour une personne, pour une tierce personne, ce jugement-là, si on veut, bien sûr, avec l'équipe médicale.

Mais je m'interrogeais. Savez-vous, en Belgique, comment ils traitent la question avec les proches, avec... pour le moment où l'aide médicale à mourir est administrée?

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Je n'ai pas relu récemment le rapport de la commission sur cet aspect-là en particulier, mais il est évident que, dans ces situations-là, il faut impliquer nos proches de toute façon. Et je dois décrire, normalement, dans mes directives anticipées, le stade auquel je voudrais que l'aide médicale à mourir s'applique. Et on le fait notamment pour la maladie d'Alzheimer, par exemple. Ici aussi, on peut le faire. On pourrait dire : Moi, à partir du moment où je ne reconnais plus personne, où je ne suis plus capable de communiquer avec mes proches, où je ne suis plus capable de prendre conscience de mon environnement, je voudrais qu'on m'applique l'aide médicale à mourir, encore une fois, en respectant les critères de la loi.

Moi, je vois ces situations-là dans la même perspective que... dans les mêmes situations pour lesquelles on exprime un refus de traitement. Et donc, moi, personnellement, j'exprime mon refus de traitement si, dans telle situation, atteinte de telle maladie, je ne suis plus capable de communiquer avec mes proches, je ne suis plus capable de reconnaître personne, de prendre aucune initiative ou encore de me nourrir ou de m'alimenter, par exemple une maladie d'Alzheimer au stade 6 ou 7, c'est-à-dire un stade extrêmement avancé où je deviens à toutes fins pratiques confinée à mon lit, etc. Donc, il faut que ces situations-là soient claires pour les proches, d'où l'importance de négocier... enfin, pas de négocier, mais de s'expliquer avec les proches.

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Mme Philips-Nootens. Il nous reste un bloc d'intervenants. Donc, je céderais la parole à la députée de Maurice-Richard.

Mme Montpetit : Je vous remercie, Mme la Présidente. Ça va être la députée de Westmount—Saint-Louis.

La Présidente (Mme Guillemette) : Parfait. Mme la députée, vous pouvez y aller, la parole est à vous.

Mme Maccarone : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Philips-Nootens, un plaisir pour nous d'avoir des échanges avec vous. Vous partagez une expérience qui est quand même très riche.

Je veux aborder un peu... au début de votre discours puis votre témoignage, vous nous avez partagé que c'était quand même complexe de poursuivre dans notre réseau, de déposer, peut-être, une demande ou un formulaire de déclaration. Alors, si on regarde comment ça peut être complexe à poursuivre, surtout pour des personnes qui comprennent moins bien la technologie actuellement en place, pensez-vous que de potentielles directives médicales anticipées concernant l'aide médicale à mourir devraient être obligatoirement formulées par écrit, ou, par exemple, est-ce qu'une personne devenue inapte, mais ayant déjà exprimé oralement à ses proches le vouloir d'avoir accès à l'aide médicale à mourir devrait être considéré?

On a entendu et on a vu une présentation, hier, d'un professeur, peut-être vous la connaissez, Mme Gina Bravo, qui nous a quand même partagé un peu un portrait des demandes par écrit puis des demandes qui sont faites verbalement. Alors, pensez-vous qu'on devrait avoir de la liberté de s'exprimer verbalement, ou est-ce que c'est très nécessaire que ça soit par écrit malgré qu'il y aura peut-être... qu'il y aura un processus complexe à poursuivre pour la personne concernée?

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Je pense qu'on doit pouvoir exprimer ce souhait de fin de vie verbalement, effectivement, à condition, bien sûr, d'être pleinement apte. Et le problème, à ce moment-là, va devenir un problème de preuve. Supposez que j'exprime ma décision ou ma demande d'aide médicale à mourir en présence d'un de mes enfants, et que les autres, qui sont plus loin, ne soient pas d'accord en disant : Non, ce n'est pas possible que maman ait dit ça, ce n'est pas possible, on va contester.

Donc, ça devient une question, encore une fois, de preuve et de pouvoir établir devant les autres quelle est ma décision. Et il faut faire attention aussi, évidemment, quand la décision est verbale. À un moment donné, je peux demander ça un soir où je n'en peux plus. On ne m'a pas donné assez d'analgésiques, je suis très malade, j'ai très mal, et je dis : Non, là, je veux en finir, comme ça peut nous arriver après une intervention chirurgicale ou après un accident. Et puis, le lendemain, tout à coup, tiens, j'ai reçu suffisamment d'analgésiques, on a eu la gentillesse aussi de me donner un somnifère, et j'ai bien dormi, et mon appréciation change.

Donc, il faut être extrêmement prudent et voir dans quel contexte cette demande-là est faite, parce qu'encore une fois il ne faut pas oublier de répondre aux autres critères. Il faut que ce soit irréversible, un déclin irréversible de mes capacités et il faut que ce soit des souffrances insupportables et qui ne sont pas apaisées. Mais, si mes souffrances sont apaisées, je peux très bien changer d'avis le lendemain. Donc, il faut être extrêmement prudent. Encore une fois, ce serait moins difficile pour les personnes qui sont en phase terminale d'un cancer, par exemple. Et donc il y a cet aspect-là de la certitude, entre guillemets, de l'évolution sur le plan médical et il y a la question de pouvoir établir la volonté vis-à-vis de toutes les personnes concernées.

Mme Maccarone : Excellent. Vous, ça prendrait peut-être un genre de comité de partenaires, d'experts qui va entourer la personne en question pour aider. Si, mettons, ce n'est pas quelque chose... s'il y a une préoccupation puis que ce n'est peut-être pas clair parce que ce n'était pas écrit, alors on devrait avoir des experts autour de la table. C'est qui que vous proposez comme experts, incluant évidemment les proches aidants? Et que faisons-nous si la proche aidante ou le proche aidant qui entoure la personne concernée refuse d'accepter que... la personne qui fait la demande de recevoir l'aide médicale à mourir fait la demande, mais ils ne sont pas d'accord, mais tout le comité d'experts autour de cette personne dit que, oui, ils sont en accord de respecter la demande de la personne concernée?

• (11 h 50) •

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Il faut faire très attention, parce qu'il ne faut pas oublier qu'il y a un certain délai qui se passe entre la demande et la mise en oeuvre de l'aide médicale à mourir. Donc, il faudrait voir aussi qu'il n'y ait pas de changement pendant ce fameux délai-là. Les experts, encore une fois, vont témoigner de quoi? Moi, je pense que, si on est dans ces situations-là et si on en est là à avoir ce genre de débat, pourquoi ne pas demander un écrit, ce qui serait beaucoup plus sûr et beaucoup plus sécuritaire, si vous me pardonnez ce mauvais français? Parce qu'en fait la loi prévoit... la Loi sur l'aide médicale à mourir et les autres dispositions législatives prévoient que, si on n'est pas capable d'écrire soi-même le document, ça peut être dicté, maintenant, ça peut être enregistré par vidéo, ça peut être, donc, enregistré d'autres façons, et signé ou encore confirmé par la personne elle-même. Donc, je pense que c'est une simple question de prudence, et ce ne sont pas des situations dans lesquelles il faut se précipiter.

Mme Maccarone : Je vous entends puis ça m'amène une question de réflexion. Est-ce que nous devons peut-être prévoir autre moyen pour avoir un consentement? En ce qui concerne les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale, vous l'avez abordé un peu, si, par exemple, je vous disais qu'il y a une personne qui souffre de déficience intellectuelle, vous avez parlé du cas de la jeune femme autiste en... belge, c'est quand même des cas particuliers, mais, dans mon expérience, c'est souvent des personnes qui sont aptes, et, peut-être, si nous prévoyons un autre mécanisme d'accompagner ces personnes à cette réflexion pour prendre une décision pour eux, pour respecter leur droit de choisir, pensez-vous que ce serait une possibilité, s'il y avait un accompagnement, un accompagnement qui était adapté pour eux, fait pour eux? Parce que, souvent, ça ne se serait pas par écrit, ça va être une autre manière que nous allons accompagner une telle personne.

Puis ça m'amène à une deuxième question, en rafale avec ceci, c'est de définir c'est quoi, la souffrance. Une personne autiste, une personne qui souffre d'une déficience intellectuelle peuvent exprimer leurs souffrances d'une autre façon, puis ils peuvent très bien dire : Bien, moi, ça ne me tente pas de prendre ces médicaments, pas parce que je veux souffrir, mais ils me font souffrir, ils ne me font pas du bien, et de vivre de cette façon, ça m'amène que de douleurs. La douleur psychique, c'est tellement, tellement grave et difficile à subir, alors je veux trouver un autre moyen de s'en sortir. Puis évidemment c'est la porte... c'est ce que je choisis pour moi, c'est l'aide médicale à mourir.

Alors, comment accompagner ces personnes? Puis est-ce qu'il y a un moyen de faire? Et, deuxièmement, comment définir la souffrance pour ces personnes, souvent, qui vont refuser de l'aide?

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : On ne peut pas définir la souffrance psychologique pour quelqu'un d'autre. Évidemment, elle est la seule à la ressentir, c'est elle qui l'éprouve. La souffrance physique, avec les maladies, on peut savoir ce que c'est, on peut l'évaluer. Il y a même des codes de souffrance, etc. Quand vous êtes à l'hôpital, on vous demande toujours : Est-ce que vous avez mal? Alors, j'ai mal ici, j'ai mal là. Mais la souffrance psychique, et c'est le problème, effectivement, de tout ce domaine-là, c'est que c'est la personne qui la ressent. Nous pouvons vivre le même deuil, vous et moi, et réagir d'une façon extrêmement différente.

Je pense que le défi, dans ce genre de situation, c'est d'éviter des décisions impulsives, parce que l'aide médicale à mourir, c'est un geste qui est irrémédiable une fois qu'il est accompli, d'où le devoir d'accompagner ces personnes-là pour faire tout ce qu'on peut pour qu'elle retrouve vite goût à la vie malgré tout. Regardez des personnes qui ont été profondément déprimées, regardez des gens qui ont subi des chocs post-traumatiques extrêmement importants, j'ai envie de dire : Tiens, regardez le général Dallaire, qui a fait trois ou quatre tentatives de suicide après les événements du Rwanda. Alors, est-ce qu'on répond à leur première demande ou est-ce qu'on essaie de les accompagner le mieux possible pour qu'effectivement la situation soit jugée irréversible?

Et je pense que c'est vers cela qu'il faut tendre. À partir du moment où on leur ouvre la porte à l'aide médicale à mourir, il ne faut pas que... il faudrait que ce soit vraiment, comme le disent les psychiatres, une décision de dernier recours, et donc qu'on ait... pas essayé, mais qu'on ait éprouvé tous les traitements admissibles pour cette personne-là, quitte, dans certaines circonstances, à lui dire : Écoutez, si vous refusez tel type de traitement, vous ne répondez pas aux critères. Je sais que c'est difficile.

Mme Maccarone : Oui, oui, oui, tout à fait, mais je pense que c'est un sujet qui est très sensible, qui est très difficile pour nous tous, ici, membres de la commission, mais aussi pour les gens qui en font témoignage. Alors, merci pour votre partage.

Ça m'amène à une autre question : si nous aurons besoin d'avoir un tel accompagnement. Puis vous, vous constatez qu'il y a peut-être une différence entre une personne qui souffre d'une maladie comme le cancer ou alzheimer, par exemple, ou une personne qui souffre d'un problème de santé mentale ou de déficience intellectuelle. Pensez-vous que ce serait important de privilégier un type de catégorie de personnes qui font des demandes ou, comme ce que nous avons entendu avec la présentation, hier, de Me Chalifoux, on ferait peut-être fausse route en faisant ceci parce que ça peut être discriminatoire? Pensez-vous que ça va être important d'avoir des catégories, ou non, ce n'est pas nécessaire parce que nous allons poursuivre, peu importe la demande, avec peut-être un genre d'accompagnement modulé pour chaque personne dans le besoin?

Mme  Philips-Nootens (Suzanne) : Faire des catégories, c'est vraiment délicat, surtout dans un domaine comme celui-là. Je vous ai énoncé, tout à l'heure, à propos de la loi belge... enfin, de ce qui se passe en Belgique, tout ce qu'on trouvait parmi les euthanasies pour troubles mentaux. Est-ce qu'on va dire : Si vous avez tel type de trouble, par exemple dépression et trouble bipolaire, ça se traite, donc on vous refuse l'aide médicale à mourir? Trouble de la personnalité, du comportement, bien non, ça peut se traiter aussi. Si c'est de la névrose, le deuil pathologique... Écoutez, encore une fois, je reviens à cet exemple-là, est-ce qu'on va dire oui à telle personne et non à telle autre?

À partir du moment où vous parlez de souffrances psychiques, c'est extrêmement personnel. Je pense qu'il reviendrait mal à des tiers de créer des catégories. Encore une fois, je pense que les balises que nous devons garder, ce sont celles des autres dispositions de la loi, sous peine de dérapage.

Aux Pays-Bas, par exemple, encore une fois — ah oui, j'ai retrouvé l'expression qu'ils utilisaient, c'est la lassitude de vivre — les personnes âgées qui sont lasses de vivre, alors, on reconnaissait que... on reconnaît dans certains cas que cette latitude, cette... pardon, cette lassitude de vivre vous donne accès à l'euthanasie. Est-ce que nous voulons vraiment aller jusque-là?

La Présidente (Mme Guillemette) : Merci beaucoup, professeure. C'est tout le temps que nous avions. Donc, je vous remercie beaucoup pour votre contribution aux travaux de la commission.

Et, compte tenu de l'heure, la commission suspend ses travaux pour se réunir en séance de travail.

(Fin de la séance à 11 h 57)

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