Journal des débats (Hansard) of the Committee on Institutions
Version préliminaire
42nd Legislature, 2nd Session
(October 19, 2021 au August 28, 2022)
Cette version du Journal des débats est une version préliminaire : elle peut donc contenir des erreurs. La version définitive du Journal, en texte continu avec table des matières, est publiée dans un délai moyen de 2 ans suivant la date de la séance.
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Wednesday, October 27, 2021
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Vol. 46 N° 2
Special consultations and public hearings on Bill 92, An Act to create a court specialized in sexual and domestic violence and respecting training of judges in these matters
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Intervenants par tranches d'heure
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Benjamin, Frantz
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Jolin-Barrette, Simon
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Lévesque, Mathieu
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Lévesque, Mathieu
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Benjamin, Frantz
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Tanguay, Marc
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Labrie, Christine
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Hivon, Véronique
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Benjamin, Frantz
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Jolin-Barrette, Simon
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Lachance, Stéphanie
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Lévesque, Mathieu
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Lévesque, Mathieu
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Benjamin, Frantz
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Melançon, Isabelle
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Labrie, Christine
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Hivon, Véronique
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Benjamin, Frantz
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Jolin-Barrette, Simon
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Lemieux, Louis
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Melançon, Isabelle
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Melançon, Isabelle
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Benjamin, Frantz
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Labrie, Christine
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Hivon, Véronique
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Jolin-Barrette, Simon
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Jolin-Barrette, Simon
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Benjamin, Frantz
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Lavallée, Lise
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Melançon, Isabelle
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Labrie, Christine
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Hivon, Véronique
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Hivon, Véronique
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Benjamin, Frantz
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Jolin-Barrette, Simon
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Jolin-Barrette, Simon
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Benjamin, Frantz
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Tanguay, Marc
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Labrie, Christine
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Hivon, Véronique
11 h (version révisée)
(Onze heures vingt-neuf minutes)
Le Président (M. Benjamin) :
Alors, bonjour. Votre attention, s'il vous plaît! Je déclare la séance de la Commission
des institutions ouverte.
La commission est réunie afin de
poursuivre les auditions publiques dans le cadre des consultations
particulières sur le projet de loi n° 92, Loi visant la création d'un
tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale et
portant sur la formation des juges en ces matières.
Mme la secrétaire, y a-t-il des
remplacements?
La Secrétaire
: Oui, M.
le Président. Mme D'Amours (Mirabel) est remplacée par M. Lefebvre
(Arthabaska); M. Lamothe (Ungava) est remplacé par Mme Lecours
(Lotbinière-Frontenac); M. Rousselle (Vimont) est remplacé par Mme Melançon
(Verdun); et M. Zanetti (Jean-Lesage) est remplacé par Mme Labrie
(Sherbrooke).
Auditions (suite)
Le Président (M. Benjamin) : Alors,
ce matin, nous entendrons Mme Angela Campbell, professeure de droit à l'Université
McGill, conjointement avec Me Maude Cloutier, détentrice d'une maîtrise
sur l'étude comparée des tribunaux spécialisés.
Je souhaite la bienvenue à la
Pre Campbell et à Me Cloutier. Je vous rappelle que vous disposez de
10 minutes pour votre exposé, après quoi, nous procéderons à la période
d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite donc à vous
présenter et à procéder à votre exposé. La parole est à vous.
Mmes Angela Campbell et Maude Cloutier
Mme Campbell (Angela) :
Bonjour. Je suis Angela Campbell et je suis professeure à la Faculté de droit
de l'Université McGill. Et je vous remercie de m'avoir invitée à partager mes
avis sur ce projet de loi n° 92.
• (11 h 30) •
Étant donné que mon temps avec vous est
bref, j'aimerais juste souligner quatre points principaux. Donc, premièrement,
les initiatives qui font partie de ce projet de loi sont louables, et ce
gouvernement a clairement indiqué son <intention...
>
11 h 30 (version révisée)
< Mme Campbell (Angela) : ...
remercie
de m'avoir invitée à partager mes avis sur ce
projet de loi n°
92.
Étant donné
que mon temps
avec vous est bref, j'aimerais juste souligner quatre points principaux. Donc,
premièrement
,
les initiatives qui font partie de ce
projet de loi sont louables, et ce
gouvernement a clairement indiqué son >intention de rendre les processus
juridiques et judiciaires moins difficiles pour les personnes survivantes de
violence sexuelle et domestique ou conjugale. Il s'agit d'un objectif crucial
étant donné que nous savons qu'actuellement de nombreuses personnes victimes ne
dénoncent pas de façon formelle des agressions et que, lorsqu'ils le font, ils
ont plusieurs fois qualifié leurs expériences de très traumatisantes. Et cela
doit changer. À mon avis, ce projet de loi peut contribuer à ce but très
important pour le Québec.
Deuxièmement, le projet de loi n° 92
vise beaucoup moins que ce qui était recommandé dans le rapport du comité des
experts Rebâtir la confiance, qui comprenait 190 recommandations.
Bien que les initiatives qui font partie de ce projet de loi soient un début, elles
ne peuvent pas être la fin. Il y a beaucoup plus de travail à faire pour
s'assurer que les personnes survivantes des violences sexuelles et conjugales
soient accompagnées et traitées avec la dignité et le respect tout au long des
processus juridiques afin de faciliter leur accès à la justice.
Je veux souligner en particulier
l'attention à porter aux besoins particuliers des personnes vivant à
l'extérieur des zones urbaines, des nouveaux arrivants et arrivantes, des
personnes dont la langue maternelle n'est ni le français ni l'anglais, des
personnes racisées, des personnes de minorité de sexe et de genre et des
personnes autochtones. Donc, je vous encourage fortement à vous inspirer du
rapport Corte et Desrosiers à cet égard. Les ressources requises seront
importantes, mais elles sont nécessaires afin de respecter votre engagement
envers ce sujet.
Troisièmement, j'aimerais juste toucher
sur la question de la formation et je note que le projet de loi met l'accent
uniquement sur les juges. Le travail doit se concentrer sur plus que les juges,
mais aussi des autres acteurs principaux du système judiciaire et juridique.
Seule une proportion relativement petite de survivantes verra leurs cas entendus
devant un tribunal. Cependant, la plupart de ceux et celles qui signalent, de
façon formelle, leur agression verront d'autres acteurs qui doivent, eux aussi,
être bien formés.
J'en profite pour citer le passage suivant
du rapport visionnaire Rebâtir la confiance : «Notre société
véhicule encore des mythes et des préjugés envers les personnes victimes. Ni
les intervenants psychosociaux, ni les policiers, ni les avocats, ni les juges
n'en sont complètement exempts. Or, ces mythes et ces préjugés peuvent fonder
de mauvaises interventions et de mauvaises décisions. Il n'existe qu'une seule
manière de s'y attaquer : la formation. La nécessité d'une formation
spécialisée et continue des personnes qui interagissent avec les victimes est
probablement le constat le plus souvent véhiculé à travers nos consultations.
Il s'agit d'un constat qui <imprègne l'ensemble...
Mme Campbell (Angela) : ...et
de mauvaises décisions. Il n'existe qu'une seule manière de s'y
attaquer : la formation. La nécessité d'une formation spécialisée et
continue des personnes qui interagissent avec les victimes est probablement le
constat le plus souvent véhiculé à travers nos consultations. Il s'agit d'un
constat qui >imprègne l'ensemble de ce rapport.» Alors, je questionne :
Pourquoi cet effort législatif ne soit limité qu'aux juges?
Quatrièmement, il sera essentiel de
rassurer la société québécoise que la création d'une division spéciale de la Cour
du Québec, qui sera concentrée sur les cas de violence sexuelle et de violence
conjugale, ne compromettra pas les droits de l'accusé, ni les principes de la
justice fondamentale, ni les principes constitutionnels, notamment la division
des pouvoirs gouvernementaux. Cette division de la Cour du Québec serait tenue
d'appliquer les règles de droit et de preuve qui s'appliquent toujours dans les
processus... dans les procès criminels. Son caractère, alors, le caractère
unique de cette division résiderait dans sa mission de traiter les cas de
violence sexuelle et domestique avec plus d'expertise, d'efficacité et
d'efficience, d'une manière qui respecte en même temps les droits fondamentaux
de l'accusé, tout en intégrant des ressources appropriées pour soutenir les personnes
survivantes. Il est important que les Québécois comprennent bien, très bien
cette dynamique pour qu'il y ait de la confiance dans cette nouvelle
institution une fois créée.
Finalement, je vous suggère fortement de
prendre en note des conseils que vous avez entendus afin de respecter
assidûment la séparation des pouvoirs du gouvernement et de l'indépendance judiciaire.
On voit maintenant une probable distraction qui pourrait vraiment nuire aux
initiatives importantes qui visent à soutenir les personnes victimes des
violences conjugale et domestique.
Alors, en conclusion, je vous remercie
d'avoir pris en considération mes observations et mes conseils et je serai très
heureuse de répondre à vos questions. Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. Me Cloutier.
Mme Cloutier (Maude) :
Bonjour. Maude Cloutier, avocate. Je vous remercie également de me donner
l'opportunité de m'adresser à vous aujourd'hui. J'aurai sept points que
j'espère pouvoir couvrir en entier dans le court temps qui m'est alloué. Donc,
j'y vais maintenant.
D'abord, mes premières observations
concernent les principes directeurs qui devraient être adoptés et qui
devraient, là, guider l'élaboration et la mise en place des tribunaux
spécialisés en matière de violence sexuelle et conjugale. Je pense qu'une
approche qui est très centrée sur la victime ainsi qu'une intégration des
services d'aide aux victimes au sein du processus criminel sont des approches
directrices qui sont essentielles afin qu'on comble les lacunes de justice, là,
qui existent pour les victimes de violence sexuelle et conjugale.
Une approche qui est centrée sur la
victime, c'est une approche non seulement qui va permettre d'adapter des
pratiques et des façons de faire aux difficultés que les victimes vivent, mais
également qui va permettre d'intégrer ces services-là au processus judiciaire
et qui va permettre de <porter une...
Mme Cloutier (Maude) :
...de
violence sexuelle et conjugale.
Une approche qui est centrée sur la
victime, c'est une approche non seulement qui va permettre d'adapter des
pratiques et des façons de faire aux difficultés que les victimes vivent, mais également
qui va permettre d'intégrer ces services-là au processus judiciaire et qui va
permettre de >porter une attention particulière à adapter les
installations de la cour aux besoins de la victime. Donc, en plaçant la victime
au centre du processus, on apporte des attentions particulières à ces
différents éléments, et c'est essentiel pour combler les lacunes de justice,
comme je le disais.
Le deuxième point concerne les objectifs
de ce tribunal-là. D'abord, je pense qu'un énoncé d'objectifs clair devrait
être adopté, et ça me permettra de faire un lien avec ce que Pre Campbell
disait précédemment. En adoptant un énoncé d'objectifs clair, le message serait
envoyé à la population, d'abord, bien, oui, qu'on veut prendre en compte le
vécu particulier des victimes et répondre de façon efficace aux difficultés
qu'elles vivent, mais également rassurer la population quant au respect des
droits des accusés quant aux préoccupations qui concernent l'impartialité du
tribunal.
Alors, bien sûr, un des objectifs ne devrait
d'aucune façon être l'augmentation des taux de condamnation. Je pense qu'il en
va de l'impartialité du tribunal. La détermination de la culpabilité d'une
personne accusée ne devrait pas être influencée par des considérations qui sont
extérieures. Et, si les tribunaux spécialisés ne portent pas en eux-mêmes cette
menace-là, il est important de réaffirmer qu'ils opéreront selon les règles de
droit actuelles, et qu'ils assureront le respect des droits des accusés, et que
l'objectif qu'ils auront sera d'améliorer l'expérience des victimes au sein du système
judiciaire.
Mon troisième point concerne la
spécialisation des acteurs. Ça fera écho également à ce que la Pre Campbell
disait. Effectivement, le projet de loi prévoit la formation des décideurs et
devrait, à mon avis, s'élargir à tous les intervenants. Par contre, la
spécialisation ne se résume pas à la formation. Puis ça, c'est important, je
pense, parce que, dans les expériences étrangères que j'ai étudiées, moi, dans
le cadre de mes travaux, ce que j'ai constaté, c'est que la spécialisation,
c'est également de nommer des acteurs qui sont dédiés, des acteurs qui sont
choisis pour leur expérience, leurs aptitudes, leur intérêt envers ces
problématiques, et on constate des expériences étrangères que c'est essentiel
pour tirer le plein profit de la spécialisation.
Qu'est-ce que c'est, le plein profit?
Bien, c'est, oui, une compréhension des réalités des victimes, mais c'est
également la favorisation du processus de recherche de vérité, en excluant tous
les mythes et stéréotypes qui pourraient jouer dans ces affaires, mais c'est
également le développement d'une expertise, donc une meilleure application des
règles de droit qui visent notamment à protéger les victimes, et également la
capacité à développer des lignes directrices, donc, en raison de cette
expertise-là et de les améliorer en continu. C'est ce qu'on constate dans les expériences
étrangères. Notamment, en Nouvelle-Zélande, les juges fonctionnent avec des
lignes <directrices, mais...
Mme Cloutier (Maude) :
...qui visent
notamment à protéger les victimes, et
également la
capacité à développer des lignes directrices, donc, en raison de cette
expertise-là et de les améliorer en continu. C'est ce qu'on constate dans les
expériences
étrangères. N
otamment, en
Nouvelle-Zélande, les juges
fonctionnent avec des lignes >directrices, mais ces lignes directrices
là, elles sont constamment bonifiées, dans le sens où les juges ajoutent des
pratiques, des pratiques innovantes qui n'étaient pas prévues, à la base, dans
ces lignes directrices là. Donc, ils intègrent ça dans leurs façons de faire.
L'adoption de lignes directrices me semble
également essentielle parce que ça permet l'application uniforme des meilleures
pratiques, hein, qu'on constate, qu'on développe, une application uniforme dans
la province. Et, comme je le disais, elles doivent être actualisées en continu
et prendre, donc, fondement sur l'expertise développée par les décideurs.
Dernière... dans les derniers points, le
projet...
• (11 h 40) •
Le Président (M. Benjamin) :
Malheureusement, c'est tout le temps dont nous disposons pour l'exposé. Je vous
en remercie. Donc, nous allons maintenant commencer la période d'échange. M. le
ministre, la parole est à vous.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Bien, peut-être, Me Cloutier... Bonjour à vous deux, Me Campbell, Me Cloutier. Peut-être,
Me Cloutier, vous pouvez continuer sur la fin de votre intervention.
Mme Cloutier (Maude) :
Oui, je serai rapide, mais je pense que... je vois dans le projet de loi qu'on
prévoit... en fait, qu'on souligne la possibilité d'un projet pilote, là, à la
base, là, du déploiement, et je pense que c'est une très bonne façon de faire parce
qu'effectivement ça va nous permettre de s'assurer d'avoir un modèle
suffisamment souple pour répondre à toutes les préoccupations des différents
milieux. Donc, on aura des milieux où on aura un grand volume de dossiers de
nature sexuelle, d'autres où ce sera plus restreint. On pourra effectivement
s'adapter aux différentes réalités régionales. Par contre, à terme, je pense qu'il
est important qu'on vise un déploiement national et sensiblement uniforme afin
que toutes les plaignantes, là, puissent profiter, là, d'un traitement qui est
semblable, là, donc qui est équitable.
Je terminerai peut-être avec mon dernier
point. Le dernier point, c'était... Je pense qu'il est nécessaire de faire un
travail pour rechercher l'adhésion au projet de tous les partenaires. Je
m'explique. On a vu, dans les expériences étrangères, que la spécialisation,
notamment par la nomination d'acteurs qui étaient intéressés au projet et la
mise en place dans des districts où les gens étaient prêts à s'investir,
motivés, engagés, était tributaire, là, du succès des tribunaux spécialisés. Et
on prévenait, par exemple, dans les évaluations du projet pilote en
Nouvelle-Zélande, qu'on pourrait voir des résultats un peu plus mitigés à la
suite d'un déploiement national, dans la mesure où certains acteurs sont peut-être
moins motivés et engagés que ce qu'on a vu dans le cadre du projet pilote.
Alors, je pense qu'en parallèle d'un
projet pilote, hein, implanté rapidement pour être capable de développer un
modèle rapide, complet, qu'on pourrait déployer nationalement, bien, je pense
qu'il y a un travail aussi d'éducation puis d'adhésion à faire chez <l'ensemble...
Mme Cloutier (Maude) :
...dans la
mesure où certains acteurs sont peut-être moins motivés et
engagés que ce qu'on a vu dans le cadre du projet pilote.
Alors, je pense qu'en parallèle d'un
projet pilote, hein, implanté rapidement pour être capable de développer un
modèle rapide, complet, qu'on pourrait déployer nationalement, bien, je pense
qu'il y a un travail aussi d'éducation puis d'adhésion à faire chez >l'ensemble
des partenaires. Ça complète. Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. M. le ministre.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Alors, je vous dis rebonjour à nouveau, Me Campbell et Me Cloutier. Merci
beaucoup pour la présentation. Prenons la balle au bond. Me Cloutier, vous
dites : Bien, écoutez, c'est préférable d'y aller par des projets pilotes,
dans un premier temps, ça nous permet d'ajuster. Alors, c'est ce que propose le
projet de loi. Et une question là-dessus : Dois-je comprendre que, dans
vos recherches, les expériences étrangères ont débuté également par des projets
pilotes?
Mme Cloutier (Maude) : En Nouvelle-Zélande,
oui, c'est tout à fait le cas. En Afrique du Sud, bien, on a commencé avec un
projet au sein d'une cour, là, donc c'était à la Wynberg Court. Donc, on peut
considérer ça comme un projet pilote, parce qu'effectivement, à la suite, les
tribunaux spécialisés se sont déployés à partir du modèle qui avait été conçu,
là. Donc, effectivement, on... je n'ai jamais vu un déploiement national, là,
dans mes recherches, là, dès les premiers balbutiements des projets.
M. Jolin-Barrette : Alors,
c'est ce qu'on propose dans le projet de loi et également on propose de le
permanentiser. C'est pour ça que j'ai mis l'habilitation législative, également,
directement dans le projet de loi, pour être sûr qu'on puisse l'étendre à la
grandeur du Québec à partir du moment où on aura fait l'expérience avec les
projets pilotes.
Je vais tout de suite vous poser une
question que je crois que ma collègue de Verdun vous poserait tout à l'heure.
Mais j'entends des craintes relativement au fait de... que les services ne
soient pas offerts tout de suite à toutes les victimes sur l'ensemble du
territoire québécois. L'objectif est de faire en sorte d'aller rapidement avec
les projets pilotes, mais, déjà, il y a d'autres mesures qui sont en place
également dans toutes les autres régions du Québec. Mais qu'est-ce que vous
pensez de cela?
Mme Cloutier (Maude) : Bien,
je pense que l'erreur à ne pas faire, c'est effectivement de rapidement faire
un déploiement national, de ne pas avoir suffisamment de ressources en place,
de ne pas avoir pris le temps de réfléchir à l'arrimage des différents services
et qu'on se retrouve avec des tribunaux qui ne remplissent pas les objectifs. On
a une chance de faire en sorte que ce projet-là fonctionne. Donc, je pense que
c'est très important, si on veut justement assurer la confiance des victimes et
de la population entière, là, tu sais, dans ce projet-là, d'aller
tranquillement puis de démontrer, par des évaluations, les impacts concrets que
ces projets-là ont eus. Je pense que c'est beaucoup plus prometteur d'utiliser
cette voie-là que de penser rapidement à déployer des tribunaux spécialisés à
l'ensemble, là, du territoire québécois.
M. Jolin-Barrette : Donc, ce
que vous nous dites, c'est de bien faire les choses pour être sûr que ça soit
solide, puis que tout fonctionne bien, puis que, là, on va pouvoir y aller
d'une façon paramétrique à la grandeur du Québec.
Peut-être une question sur le titre du
tribunal, tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et conjugale. Il
y a eu des critiques, il y en a qui sont pour. J'aurais envie de vous demander
pourquoi, Me Cloutier, c'est important de le <désigner de cette...
M. Jolin-Barrette :
...bien,
puis que, là, on va pouvoir y aller d'une façon paramétrique à la grandeur du
Québec.
Peut-être une question sur le titre du
tribunal, tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et conjugale. Il
y a eu des critiques, il y en a qui sont pour. J'aurais envie de vous demander
pourquoi, Me Cloutier, c'est important de le >désigner de cette
façon-là.
Mme Cloutier (Maude) : En
fait, ce qu'on souhaite faire, notamment par la création d'un tribunal
spécialisé, c'est de renforcer la croyance des victimes envers le système de
justice. L'utilisation du terme «tribunal spécialisé», ça envoie un message
clair, ça, c'est non équivoque, un message clair qu'on va, à partir de
maintenant, considérer également les besoins et les réalités des victimes dans
le cadre de la justice criminelle.
Il y a toutes sortes d'ambiguïtés, il y a...
ou plutôt il y a des gens qui nous parlent de toutes sortes d'ambiguïtés que
pourrait causer, là, l'appellation «tribunal spécialisé», notamment, qui
pourrait laisser croire aux victimes, par exemple, que la justice va être
rendue autrement au sein de ces tribunaux-là. Je pense que... Je ne suis pas
d'accord avec cette préoccupation-là, parce que, dans le cadre d'un tribunal
spécialisé où les victimes sont placées au centre du processus, bien, elles
sont rencontrées par les procureurs, elles sont rencontrées par les
intervenants psychosociaux, qui sont formés, qui comprennent le système de
justice. Et tout ça, c'est de nature à favoriser chez elles une meilleure
compréhension du système de justice, des règles dans lesquelles les tribunaux
opèrent, mais également d'avoir... ça va leur permettre d'avoir des attentes
réalistes envers ce qu'elles peuvent requérir, là, ce qu'elles peuvent
s'attendre, là, des tribunaux spécialisés.
Donc, je pense que l'expression «tribunal
spécialisé» envoie un message clair et que les caractéristiques mêmes, les
éléments essentiels mêmes de ce tribunal-là permettent d'éviter, par exemple,
les préoccupations que certains ont par rapport aux attentes que pourraient
développer des victimes qui ne seraient pas... auxquelles on ne répondrait pas,
là, dans le cadre des tribunaux spécialisés. Alors, à mon avis, c'est important
de conserver ce nom-là. L'ensemble des juridictions étrangères où on a des
tribunaux spécialisés ont nommé leurs tribunaux comme ça, et c'est ce que
c'est, hein? Donc, nommons les choses selon l'objectif qu'on tente de leur
donner, là.
M. Jolin-Barrette : Et donc,
là, sur ce dernier point là, vous, dans le cadre de vos recherches, vous dites,
à l'étranger, dans les tribunaux spécialisés, ils ont nommé ça de cette
façon-là, puis ça n'a pas causé de problématique?
Mme Cloutier (Maude) : Non,
pas du tout. Dans le cadre de mes recherches, je n'ai vu aucune préoccupation
par rapport au nom qui était donné au tribunal spécialisé. Au contraire, le
nom, l'expression semble importante aux acteurs, parce que ce qu'on veut
envoyer comme message, c'est que la justice qui est rendue dans ce tribunal-là,
c'est de la justice criminelle traditionnelle mais avec une saveur spécialisée,
une saveur particulière. Puis c'est à ça que les plaignantes ont droit à
s'attendre lorsqu'elles vont dans ces tribunaux-là. Alors, il n'y a jamais eu
de préoccupation, à l'étranger, là, quant au nom du tribunal, quant à
l'opportunité ou non d'appeler ces tribunaux-là des tribunaux spécialisés.
M. Jolin-Barrette : Et on ne
remet pas en question non plus <les principes de...
Mme Cloutier (Maude) :
...mais avec une saveur spécialisée, une saveur particulière. Puis c'est à ça
que les plaignantes ont droit à s'attendre lorsqu'elles vont dans ces
tribunaux-là. Alors, il n'y a jamais eu de préoccupation, à l'étranger, là,
quant au nom du tribunal, quant à l'opportunité ou non d'appeler ces
tribunaux-là des tribunaux spécialisés.
M. Jolin-Barrette :
Et on ne remet pas en question non plus >les principes de droit qui
gouvernent relativement à la présomption d'innocence, relativement à
l'impartialité du tribunal aussi. C'est la même chose ailleurs, là, notamment
dans des États qui font partie du Commonwealth, qui ont les systèmes juridiques
similaires à celui du Canada puis du Québec, là. Je ne me trompe pas?
Mme Cloutier (Maude) : Oui, exactement.
Dans les expériences étrangères, donc en Nouvelle-Zélande et en Afrique du Sud,
qui font effectivement, là, partie du Commonwealth et qui ont des principes
juridiques tout à fait semblables aux nôtres, sinon identiques, là, on a
analysé ces éléments-là, est-ce que, par exemple, les avocats de la défense qui
pratiquent dans ces tribunaux-là ont des difficultés, des récriminations à
faire, et ce n'est pas ce qui est ressorti. La majorité des avocats de la
défense étaient tout à fait satisfaits de la façon dont ça se déroulait au sein
de tribunaux. Et effectivement, on n'a pas...
En Afrique du Sud, bien, on avait comme
objectif d'augmenter les taux de condamnation. Mais c'est important de se
ramener à cette époque-là, à la situation de la justice en Afrique du Sud, là. Il
y avait des grandes préoccupations quant à la capacité puis la compétence, là,
des agents des services policiers puis des services de la poursuite. Donc, il y
avait des préoccupations. On souhaitait augmenter les taux de condamnation,
mais, en fait, ce à quoi on souhaitait s'attaquer, c'est surtout toutes les
lacunes en matière d'enquêtes et de poursuites.
En Nouvelle-Zélande, bien, jamais on n'a
eu pour objectif d'augmenter les taux de condamnation ou d'être plus sévère,
là, quant aux crimes sexuels. Donc, les tribunaux étrangers n'ont pas non plus
cette perspective-là. Puis je pense qu'au Québec, bien, en tout cas, je n'ai
pas l'impression que c'est vers là qu'on s'en va, mais je pense que ce serait
important d'effectivement l'affirmer. Puis, dans ce contexte-là, je ne conçois
pas qu'il y ait des difficultés quant aux droits des accusés.
• (11 h 50) •
M. Jolin-Barrette : Et, je
l'ai affirmé à plusieurs reprises, l'objectif du tribunal spécialisé n'est pas
nécessairement d'avoir des... n'est pas d'avoir des taux de condamnation plus
élevés. C'est d'accompagner la victime tout au long du parcours, d'avoir une
justice qui est adaptée. Mais les règles de preuve demeurent toujours les mêmes :
présomption d'innocence, impartialité du tribunal. Et ce n'est vraiment pas ce
qu'on demande à la cour, de venir jouer le rôle de l'État québécois, du
gouvernement, des procureurs de la couronne, des intervenants, des policiers.
Peut-être, Me Campbell, j'aimerais
vous entendre également sur le nom du tribunal. Est-ce que vous partagez la
position de Me Cloutier à cet effet-là qu'on doit nommer les choses comme
elles le sont?
Mme Campbell (Angela) : Oui,
pour la plupart. Cependant, à mon avis, la question du nom, c'est peut-être une
diversion, et j'aimerais mieux concentrer sur la question de bien expliquer le
fonctionnement et le but de... parce qu'en fait ça va être une division
spécialisée de la Cour du Québec. Mais ça, essayer de rendre ça accessible <au
public...
Mme Campbell (Angela) : ...la
question du nom, c'est peut-être une diversion, et j'aimerais mieux
concentrer sur la question de bien expliquer le fonctionnement et le but de... parce
qu'en fait ça va être une division spécialisée de la Cour du Québec. Mais ça,
essayer de rendre ça accessible >au public et à la société québécoise, c'est
un défi.
Alors, de nommer ça comme un tribunal
spécialisé, je pense que ça... il n'y a aucun problème avec ça, mais je pense
que l'essence du problème, c'est vraiment d'expliquer à la société que ce n'est
pas un tribunal qui soit là... même si on essaie de mettre au centre la victime
d'une façon qui n'a pas encore eu lieu dans le système judiciaire, en fait, que
c'est un tribunal comme tous les autres tribunaux et que les mêmes règles de
droit pénal et droit de la preuve seront appliqués.
Parce que je pense qu'il y a une crainte
qui existe, que, tout à coup, lorsqu'on commence avec l'établissement de cette
cour, il y aura vraiment une grande augmentation des condamnations, et ce n'est
pas ça, le but. On a vu ça en Afrique du Sud, et c'était vraiment une des
raisons pour laquelle le Barreau et les avocats de la défense ont vraiment pris
exception à cette cour. Et, en même temps, il faut vraiment garder le but de
ces opérations, de cette cour, vraiment, que ça soit bien établi, très clair,
très simple et que tout le monde soit au courant et comprenne bien que c'est une
cour qui observe toutes les mêmes règles de droit pénal et des principes de
justice fondamentale qui sont... qui font partie de notre constitution, en même
temps, du droit constitutionnel.
M. Jolin-Barrette : Et je
suis d'accord avec vous, je l'ai dit et je le redis à l'instant, les principes
de droit ne changent pas, les règles de preuve ne changent pas, l'impartialité
du tribunal ne change pas. La présomption d'innocence est présente, donc tous
les droits garantis aux accusés demeurent, mais ce qu'on vient faire, c'est
qu'on vient assurer un continuum de services. Et vraiment, cette division-là,
les juges qui y seront assignés par la cour vont l'être en toute indépendance
institutionnelle, en toute indépendance administrative également, ce qui ne
relève pas du gouvernement et qui relève de la direction de la cour. Et tout
ça, c'est très, très bien établi, et c'est véhiculé, et on le dit dès le
départ.
Peut-être une question sur la question des
mythes et des préjugés. J'aimerais vous entendre là-dessus, relativement aux
acteurs qui vont... Et tout à l'heure vous l'avez mentionné... de dire à quel
point tout le monde devait être formé, et j'en suis. Dans le projet de loi, je
vous ai entendues, vous dites : Bien, écoutez, tous les acteurs devraient
être visés. Effectivement, ils ne sont pas dans le projet de loi, parce que,
dans le fond, l'ensemble des acteurs qui sont au tribunal relèvent de l'État,
dans le continuum de services, alors nous, pour les employés de l'État, on va
les former, et tout ça.
Mais j'entends bien votre recommandation
de probablement l'inscrire dans le projet de loi puis je suis ouvert également
à ça, à venir indiquer clairement que l'obligation de formation est pour tout
le monde. <Mais pourquoi...
M. Jolin-Barrette :
...des
acteurs qui sont au tribunal relèvent de l'État, dans le
continuum de services, alors nous, pour les employés de l'État, on va les
former, et tout ça.
Mais j'entends bien votre
recommandation de probablement l'inscrire dans le projet de loi puis je suis
ouvert également à ça, à venir indiquer clairement que l'obligation de
formation est pour tout le monde. >Mais pourquoi c'est nécessaire de
suivre des formations, des formations continues sur les violences sexuelles et
conjugales? Pourquoi est-ce que c'est important?
Mme Campbell (Angela) : Me Cloutier,
voulez-vous commencer? Vous avez une expérience directe avec les personnes qui
sont directement affectées.
Mme Cloutier (Maude) : Bien,
en fait, d'abord, ce qu'il faut comprendre, c'est, comme le disait la
Pre Campbell, les gens qui vont, finalement, aboutir devant un juge, les
victimes qui vont voir leur cause aller jusque devant un juge, à procès, sont
relativement... C'est un nombre quand même important, mais il y a beaucoup,
beaucoup de victimes qui ne verront pas leur dossier cheminer jusque-là, pour
différentes raisons : par exemple, la plainte n'a pas été retenue, le
procureur des poursuites criminelles et pénales a décidé de retirer... bien, de
ne pas déposer d'accusations ou de les retirer pour une raison ou une autre.
Dans le cadre de l'ensemble de ces décisions-là qui sont prises par les
acteurs, donc par les services de police, les procureurs, bien, l'impact des
mythes et préjugés va également se faire sentir.
La façon dont on évalue la crédibilité
d'une plaignante, la force d'une preuve, les réactions postagression, tout ça,
c'est influencé par les mythes et stéréotypes qu'on porte tous, hein, puis
qu'on porte en tant que société à l'égard, bien, de la violence sexuelle, à
l'égard des relations hommes-femmes, à l'égard, donc... puis tout ça influence
l'ensemble des décisions qui sont prises par les acteurs dans les dossiers et
peut faire en sorte qu'un dossier, effectivement, va avoir plus de difficulté à
cheminer jusqu'à l'étape du procès devant un juge. Alors, c'est la raison pour
laquelle je pense que l'ensemble des acteurs devraient être formés.
Ces mythes et préjugés-là... c'est
important de comprendre qu'on n'est pas en train de dire aux acteurs du système
de justice qu'ils sont des mauvaises personnes, c'est des conceptions sociales
qu'on partage. On vit en société, on naît, on est éduqué par cette société-là. C'est
tout à fait normal que parfois on ait intégré certaines idées qui sont, en fait,
fausses, mais c'est important d'avoir l'humilité et l'ouverture pour les
regarder en face puis tenter de les déconstruire, ces idées-là. Donc, je pense
que c'est l'effort que le système de justice, effectivement, devrait faire.
Mme Campbell (Angela) : Moi,
je suis tout à fait d'accord. Et alors, à mon avis, la question de la
formation, on n'amène pas... on n'apporte pas une formation parce qu'il y a des
erreurs à corriger ou bien qu'il y a une question de mauvaise foi. Ce n'est pas
ça, la question. On est... toutes les personnes qui opèrent dans les systèmes
judiciaires et juridiques ont la nécessité de suivre une <formation
continue...
Mme Campbell (Angela) : ...on
n'apporte pas une formation parce qu'il y a des erreurs à corriger ou bien
qu'il y a une question de mauvaise foi. Ce n'est pas ça, la question. On est...
toutes les personnes qui opèrent dans les systèmes judiciaires et juridiques
ont la nécessité de suivre une >formation continue. C'est absolument
essentiel. Les mythes et les préjugés, ils sont là, ils font partie de notre
société. Et nous sommes tous affectés, il n'y a aucun... comme c'est indiqué
dans le rapport de Mmes Corte et Desrosiers, il n'y a aucune personne qui est
exempte.
Alors, moi-même, je travaille dans ce
contexte et maintenant, même, dans un contexte universitaire, je suis vraiment
pour le fait qu'il y a toujours plus à apprendre. Et même les connaissances
dans la question de... ou dans la zone des mythes et stéréotypes, ça fait des
décennies que la Cour suprême du Canada a vraiment essayé d'éliminer ça, dans
les procès criminels, mais on le voit encore. Et c'est une des grandes raisons
pour lesquelles les victimes ne voudront pas venir et signaler, de façon
formelle, les agressions qu'ils ont subies.
Et on voit aussi que ça se présente
surtout dans la question de l'évaluation de la crédibilité d'une personne
victime. Alors, si les personnes ne comprennent pas pourquoi, disons, que c'est
peut-être normal qu'une personne prend un an pour quitter une relation abusive
ou bien pourquoi ça prend un an pour signaler, de façon formelle, une agression,
si on ne comprend pas la nature des différents états d'une personne victime, on
a un stéréotype ou un préjugé quant à la victime innocente. Et ça, ça vient
vraiment nuire à la justice, lorsqu'on ne comprend pas bien les circonstances
sociales qui peuvent affecter le comportement des personnes suite à une
agression.
Donc, je pense, même, pour moi, comme j'avais
dit, je travaille dans ce domaine et je suis toujours prête à suivre des
formations nouvelles, parce qu'avec... comme Me Cloutier avait dit, ça prend
beaucoup d'humilité et ça veut dire que tout le monde doit se lancer pour qu'on
avance de façon collective pour le bien-être des personnes qui se présentent
dans ces situations très difficiles.
M. Jolin-Barrette : Je
comprends bien. Est-ce qu'il... Combien de temps, M. le Président?
Le Président (M. Benjamin) :
2 min 30 s.
M. Jolin-Barrette : Deux
minutes, parfait. Je crois que le député de Chapleau voulait intervenir.
M. Lévesque (Chapleau) : Oui.
Merci beaucoup. Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour Me Cloutier, également
bonjour, Pre Campbell. Un bonjour spécial, vous avez été ma professeure à la
Faculté de droit de McGill, c'est un plaisir de vous revoir.
Puis justement, une petite question, là,
un peu plus large, pour vous deux, puis vous pourrez partager le temps, à ce
moment-là, là, en lien avec, notamment, là, comment on peut évaluer, dans le
fond, le succès d'un tribunal spécialisé. Souvent, des gens disent : C'est
le nombre de condamnations. Vous avez parlé de l'exemple de l'Afrique du Sud, j'imagine
que ce n'est pas nécessairement ça. Peut-être que vous pouvez nous éclairer sur
ces questions-là.
Mme Campbell (Angela) : Me
Cloutier, voulez-vous débuter?
Mme Cloutier (Maude) : Oui.
M. Lévesque (Chapleau) : On a
deux minutes, une minute chaque.
• (12 heures) •
Mme Cloutier (Maude) : Bien,
en fait, comment on évalue le succès, je pense que c'est en fonction des <objectifs
qu'on s'est fixés. Donc, effectivement, si on...
>
12 h (version révisée)
<17851
M.
Lévesque (Chapleau) : ...j'imagine que ce n'est pas
nécessairement
ça.
Peut-être que vous pouvez nous éclairer sur ces questions-là.
Mme Campbell (Angela) : Me
Cloutier, voulez-vous débuter?
Mme Cloutier (Maude) :
Oui.
M. Lévesque (Chapleau) : On
a deux minutes, une minute chaque.
Mme Cloutier (Maude) :
Oui. En fait, comment on évalue le succès, je pense que c'est
en
fonction des >objectifs qu'on s'est fixés. Donc, effectivement, si on ne
considère pas que le taux de... l'augmentation des taux de condamnation est un objectif
légitime et valable, bien, on ne devrait évidemment pas mesurer le succès de
ces tribunaux-là en fonction du taux de condamnation.
Par contre, il y a toutes sortes de
façons, là, qui existent, là, dans les évaluations étrangères, afin justement
de valider, auprès des victimes, par exemple, qui sont déjà passées dans le
processus, si elles ont... de quelle façon elles ont apprécié le traitement
qu'elles ont reçu. Donc, je pense que ça passe, oui, par les victimes qui ont
vécu le processus, mais également par les acteurs. Donc, je pense qu'il faut
prendre le temps de faire des évaluations qualitatives auprès de l'ensemble des
acteurs qui sont au sein du tribunal en fonction des objectifs qu'on s'est
fixés. Il y a... On n'a pas beaucoup de temps, là, mais il y a toutes sortes
d'exemples, là.
Mme Campbell (Angela) : Et, oui,
je dirais, là, je suis d'accord puis je dirais aussi qu'on va... Lorsque cette
cour ou ce tribunal soit établi, on devrait s'attendre à une augmentation de
signalements formels. Et ça ne veut pas dire qu'il y a une augmentation de
nombre de cas, mais c'est sûr que, lorsque la confiance soit bâtie et rebâtie
dans ce domaine-là, c'est sûr qu'on voit un taux de signalement qui va
augmenter rapidement.
M. Lévesque (Chapleau) : Merci
beaucoup.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci pour votre... Merci, M. le député de Chapleau. Donc, maintenant, la
parole revient au député de LaFontaine.
M. Tanguay
: Merci
beaucoup, M. le Président. Alors, à mon tour de vous saluer, Pre Campbell et Me
Cloutier. Merci beaucoup d'être avec nous aujourd'hui pour répondre à nos questions.
Et on est particulièrement heureux, parce que vous avez une expertise, justement,
de tels tribunaux à l'extérieur du Québec, à l'extérieur du Canada, donc, on
peut faire de l'analyse comparée.
J'aimerais vous entendre sur... J'aimerais
mettre le focus maintenant sur les femmes et les hommes qui vont présider à de
tels procès, les juges. Qu'avez-vous constaté dans d'autres cas quant à la
spécialisation? Parce qu'on s'entend, il faut développer une spécialisation. Ce
n'est pas vrai, puis détrompez-moi si j'ai tort, qu'un juge va, de temps en
temps, aller siéger à la cour, au tribunal spécialisé. Je pense que des juges
vont développer une certaine spécialisation.
J'aimerais vous entendre aussi sur
l'importance, quand on parle de la coordination des travaux de la magistrature,
pour, notamment, une juge coordonnatrice, de dire : Bon, bien, j'ai tel,
tel profil de femmes et d'hommes qui sont juges et qui sont des naturels pour
siéger dans de tels contextes, qui ont le goût, qui ont l'envie, qui ont le
désir, parce que ce n'est pas donné à tout le monde. Ce n'est pas donné à tout
le monde.
Et j'aimerais vous entendre sur l'aspect
très humain du juge, qui n'est pas désincarné, qui est une femme, qui est un
homme et qui aura à présider à des causes de violence <sexuelle...
M. Tanguay
: ...qui
ont le goût, qui ont l'envie, qui ont le désir,
parce que ce n'est pas
donné à
tout le monde. Ce n'est pas donné à
tout le monde.
Et j'aimerais vous entendre sur
l'aspect très humain du juge, qui n'est pas désincarné, qui est une femme, qui
est un homme et qui aura à présider à des causes de
violence >sexuelle,
violence conjugale, qui ont une charge émotive. Et ça, ça prend des juges
commis. J'aimerais vous entendre là-dessus, sur l'importance d'avoir, je vais
le dire, là, de façon un peu réductrice, les bons juges pour ce tribunal-là.
Mme Cloutier (Maude) : C'est
une bonne question. Les juges de la Cour du Québec qu'il y a en ce moment font
un peu tous des affaires de nature sexuelle. Mais, par contre, il y a certainement
des caractéristiques qui... qu'on pourrait considérer comme étant utiles et nécessaires
pour être capables de juger de ces affaires-là. La première, je pense que c'est
l'empathie. Puis une chose qui est intéressante, c'est que des juges qui sont
empathiques vont l'être envers la plaignante, mais vont l'être également envers
les personnes accusées, et de cette empathie-là va découler un traitement qui
est différent, qui est plus sensible aux réalités, qui est plus sensible au
vécu de la personne.
Donc, je pense que c'est important d'aller
chercher des gens qui sont empathiques et qui ont un intérêt, un désir de juger
des affaires de cette nature-là, parce que la dernière chose qu'on veut, c'est
d'avoir des juges qui ne sont pas intéressés, qui n'ont pas envie d'être là et
qui n'adhèrent pas au principe fondateur des tribunaux spécialisés. Il faut que
les juges qui soient là adhèrent à l'approche centrée sur la victime, si c'est
cette approche qu'on retient. Il faut qu'ils comprennent les fondements de
cette approche-là et il faut qu'ils soient en mesure de l'appliquer.
Les succès des tribunaux spécialisés sont
tributaires des acteurs qui sont dedans. On peut élaborer toutes sortes de
pratiques, toutes sortes de lignes directrices, si les acteurs qui y sont ne
voient pas l'intérêt ou n'ont pas l'intention de les faire respecter, bien, on
ne pourra pas... on ne verra pas beaucoup de succès, là, sortir de cette
expérience-là. En Nouvelle-Zélande, bien, les juges nous ont dit que... bien,
pas à moi, mais, bien sûr, aux évaluateurs, les juges ont dit que, bien, la
formation qu'ils avaient reçue, ça avait grandement favorisé leur adhésion aux
lignes directrices. Ils comprenaient mieux la réalité des victimes puis ils
étaient beaucoup plus enclins à appliquer les lignes directrices qu'on leur
demandait d'appliquer.
Donc, je pense que c'est essentiel, comme
je le disais, d'avoir des juges empathiques, intéressés, qui ont envie d'être
là et qui ont un intérêt, là, envers ces...
M. Tanguay
: ...types
de causes.
Mme Cloutier (Maude) : ...ces
types de causes, exactement. Je ne sais pas si j'ai répondu à l'ensemble de
votre question.
M. Tanguay
: Oui, tout
à fait. Non, tout à fait. Pre Campbell, j'aimerais vous entendre, si vous avez
quelque chose à rajouter.
Mme Campbell (Angela) : Oui,
juste... À mon avis, je crois que... mais je suis en accord avec ma collègue,
mais, en même temps, je pense qu'essayer de trouver les bons juges et les
bonnes juges pour ce type de travail, c'est difficile parce que ça prend un
ensemble de qualités et non pas une chose uniquement. Je dirais que j'aimerais
ça voir que tout le monde s'y lance, à la <formation...
Mme Campbell (Angela) : ...avis,
je crois que... mais je suis en accord avec ma collègue, mais, en même temps, je
pense qu'essayer de trouver les bons juges et les bonnes juges pour ce type de travail,
c'est difficile parce que ça prend un ensemble de qualités et non pas une chose
uniquement. Je dirais que j'aimerais ça voir que tout le monde s'y lance, à la >formation,
qui sera durable et profonde, et, en même temps, que, pour ces gens de... Si on
imagine un ensemble de juges qui sera dédié à ce tribunal, je le conseille
fortement, et ça, ça va tomber, j'imagine, à la cour lui-même... elle-même, des
rotations, parce que c'est un travail très difficile, et on a vu...
Dans les autres juridictions, on a eu des
cas très élevés d'épuisement des travailleurs, qui comprend aussi les juges. C'est
très, très dur, entendre et de rendre des décisions sur ce genre de cas. J'aimerais
aussi souligner le fait qu'il y a une grande partie des victimes qui sont des
personnes mineures, des enfants, et qui vivent des situations très difficiles.
Donc, la question de... Mais ça, c'est une question d'opération de la cour.
Alors, ça, c'est quelque chose qu'on avait... J'ai partagé ces avis lors de mes...
les consultations antérieures quant à la question des opérations.
M. Tanguay
: Et vous
venez de mettre le doigt sur l'importance, l'éléphant dans la pièce, sur les
opérations de la cour qui relèvent de la juge coordonnatrice. Est-ce que, dans
les cas d'espèce... puis, sans tomber dans les statistiques, il doit y avoir,
dans les... chez les autres tribunaux, des juges qui peuvent... Est-ce que ça
existe, des juges qui ne font exclusivement que cela? Et est-ce qu'il y a aussi
d'autres catégories de juges qui en font, mais la moitié du temps? J'aimerais
savoir, donc, parce qu'on a le tribunal... On aura le tribunal spécialisé qui
sera toujours ouvert, mais les acteurs et les actrices qui sont les juges
pourront changer. Alors, c'est ça ma perspective.
Ailleurs, ce qui se fait dans... Ailleurs
dans le monde, est-ce que vous avez vu une majorité de juges qui siègent
exclusivement sur de telles causes ou il y a quand même un bon nombre,
substantiel, qui, je ne le sais pas, sans tomber dans la statistique, font
peut-être la moitié de leur temps de juge sur de telles causes? Je ne sais pas
si vous avez quelque chose plus précis à cet effet.
Mme Cloutier (Maude) : Oui,
bien, moi, je n'ai pas, de mon côté, tu sais, de statistiques, là,
présentement. Par contre, effectivement, dans les juridictions étrangères, il y
a des processus de rotation qui sont mis en place. Les juges sont dédiés, mais,
à un intervalle régulier, bien, ils vont aller... sortir du tribunal spécialisé,
et aller faire des causes d'autre nature, et revenir, par la suite, au sein du
tribunal spécialisé. L'important, je pense que c'est d'être capable trouver un
équilibre dans la formation de suffisamment de juges pour qu'on puisse
effectuer une rotation et également, tu sais, un nombre réaliste, là, en termes
de ressources, là, donc, qui sont nécessaires pour former, de façon continue et
en profondeur, l'ensemble, là, de ces acteurs-là.
M. Tanguay
: Et vous
avez parlé... Un peu plus tôt, il y a eu un échange, et vous en avez parlé,
pour le déploiement national et <uniforme...
Mme Cloutier (Maude) :
...
également, tu sais, un nombre réaliste, là,
en termes de
ressources, là, donc, qui sont nécessaires pour former, de façon continue et en
profondeur, l'ensemble, là, de ces acteurs-là.
M. Tanguay
: Et
vous avez parlé... un peu plus tôt, il y a eu un échange, et vous en avez parlé,
pour le déploiement
national et >uniforme, parce qu'évidemment
une victime au Saguenay, ou en Outaouais, ou au Bas-Saint-Laurent ne doit pas
avoir moins accès à la justice qu'une victime à Québec, Montréal, ou
Trois-Rivières. Et ça, c'est un point, si je vous ai bien compris, sur lequel
vous insistez. On ne peut pas marcher plusieurs années avec une disparité dans
l'accès à la justice, et ça, il en revient aussi des districts judiciaires et
des ressources qui sont disponibles ou pas, et ça, ça relève aussi de la juge
coordonnatrice. Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus. Donc, vous êtes...
et j'aimerais que vous précisiez votre pensée sur les projets pilotes, mais sur
la nécessité, rapidement, d'en arriver à une application nationale.
• (12 h 10) •
Mme Cloutier (Maude) :
Allez-y, Me Campbell, si vous avez quelque chose à dire.
Mme Campbell (Angela) : Bien,
c'est difficile pour... Je pense qu'on avait dit tantôt que la question d'aller
rapidement, oui, c'est... On aimerait tous voir ça apparaître de façon, comme,
rapide et même, comme, dans une semaine, mais, à mon avis, ça serait mieux si
on pourrait aller de façon... plus lentement, essayer d'établir des projets
pilotes dans des régions différentes, parce qu'il y a des besoins différents et
des populations différentes partout au Québec. On tire des analyses de ces
projets. Pour moi, on n'avait pas mentionné le concept de la coordination, mais
il faut que tous les efforts soient bien coordonnés et que les ressources qui
doivent accompagner ces tribunaux et ces initiatives soient en place en même
temps. Donc, pour moi, même si on aimerait ça avoir, c'est vrai, un projet au niveau
national de... tout à coup, je ne vois pas ça comme un but qui prend précédence
sur la question d'avoir des expériences qu'on... qui sont bien vieillies, parce
qu'on ne veut pas faire des erreurs. Il y a des coûts très significatifs, si on
n'est pas bien encadrés pour la réussite.
M. Tanguay
: Donc,
l'importance d'avoir, encore une fois, autre illustration, les juges dans le
coup... Les lignes directrices qui vont se développer, qui vont nécessairement
se développer et qui seront nécessaires, au coeur, les lignes directrices,
pouvez-vous m'en dire plus, nous en dire plus sur qui les développe, comment, et
voilà?
Mme Cloutier (Maude) :
Dans les autres juridictions, en fait, on voit deux façons de fonctionner. En
Nouvelle-Zélande, c'est vraiment les juges, la cour, en fait, là, qui a
développé des lignes directrices. En Nouvelle-Zélande, il faut se souvenir, là,
c'est un projet qui émane, là, des cours de district, là. Donc, ce n'est pas un
projet législatif, c'est vraiment un projet organisationnel par les cours de
district. Donc, bien sûr, c'est elles qui ont mis en place des normes, des
lignes directrices à appliquer. Maintenant, en Afrique du Sud, il y a des
choses qui sont prévues par règlement, mais il y a des choses qui vont se faire,
bien <sûr...
Mme Cloutier (Maude) :
...projet législatif, c'est
vraiment un projet
organisationnel
par les cours de district. Donc,
bien sûr, c'est elles qui ont mis en
place des normes, des lignes directrices à appliquer.
Maintenant, en
Afrique du Sud,
il y a des choses qui sont prévues par
règlement,
mais
il y a des choses qui vont se faire,
bien >sûr, plus
à la pièce, là. On est plus dans des orientations générales, en Afrique du Sud,
des choses essentielles, puis, ensuite de ça, bien, chaque cour va peut-être
avoir ses petites particularités.
Je pense que les lignes directrices, c'est
effectivement essentiel d'en avoir, puis moi, je pense, d'en avoir au niveau
provincial, là, parce que ça va permettre de faire en sorte que les pratiques,
en fait, les meilleures pratiques qu'on va développer, vont s'appliquer de
façon uniforme. Puis il y a certainement des districts où il y a des pratiques
qui vont émaner, hein, de l'expérience des tribunaux spécialisés, qu'on va vouloir
partager, là, avec d'autres tribunaux, d'autres tribunaux spécialisés.
M. Tanguay
:
Avez-vous un exemple?
Mme Cloutier (Maude) : Un
exemple...
M. Tanguay
:
Excusez-moi, avez-vous un exemple de ligne directrice qui est fondamentale puis
qui va nécessairement se développer? Je ne sais pas si vous avez un exemple
pour qu'on comprenne...
Mme Cloutier (Maude) :
Bien, par exemple, la gestion accrue des dossiers en matière sexuelle ou
conjugale... donc, moi, j'ai travaillé surtout en matière sexuelle, mais donc
une gestion accrue des dossiers qui fait en sorte que l'ensemble des enjeux
sont traités avant d'arriver à la journée du procès. On n'aura pas des remises
parce qu'il y a une question surprise qu'on n'avait pas prévue ou... Donc, ça,
c'est une ligne directrice importante.
À côté de ça, on peut penser aussi aux
efforts qu'on doit faire pour diminuer le temps d'attente, à la cour, des
plaignantes. Est-ce qu'on ne peut pas prévoir que leur témoignage commencera
tôt le matin? Si jamais on n'est pas capables, on a eu d'autres témoignages, qu'on
est rendus en après-midi, bien, reportons au lendemain matin. Donc, c'est ce
genre d'attention particulière là... Il y a d'autres lignes directrices qui
vont prévoir l'accompagnement des victimes dans les palais de justice lorsque
les palais de justice ne sont pas organisés de façon à limiter les contacts qu'elles
pourraient avoir avec l'accusé. Bien, voilà.
M. Tanguay
: Donc,
c'est important, et ça, c'est de façon très, très, très tangible, là, une
plaignante à la cour, comment on va l'accueillir, comment on va la diriger, les
délais. Et seriez-vous d'accord avec l'affirmation que, dans ce contexte-là,
ceux qui sont sur le terrain, les femmes et les hommes qui président aux
tribunaux, les juges, ont un rôle névralgique à jouer, n'est-ce pas?
Mme Cloutier (Maude) :
Oui, oui, tout à fait. Effectivement, les juges ont un rôle essentiel parce que
c'est eux qui dirigent les procédures, là. Donc, bien sûr, quant à
l'accompagnement, l'accueil de la plaignante dans le palais de justice, les
juges ne vont pas voir à ça, mais tout ce qui se passe dans la salle de cour,
bien, c'est eux qui président, qui décident, qui organisent, qui orientent.
Donc, je pense que les juges doivent effectivement être impliqués dans
l'élaboration, là, de ces lignes directrices.
M. Tanguay
: Il me
reste peut-être du temps juste pour une dernière question. Une fois qu'on a
tout dit ça puis qu'on voit le rôle important des juges... Vous avez dit, Pre
Campbell, un peu plus tôt : Les distractions peuvent nuire au projet de
loi. Puis on parle de ce qui se passe présentement entre la juge coordonnatrice
et le ministre de la Justice. Quelle est donc votre conclusion par rapport à
cela pour qu'il y <ait des...
M. Tanguay
:
...tout dit ça puis qu'on voit le rôle important des juges... Vous avez dit, Pre
Campbell,
un peu plus tôt : Les distractions peuvent nuire au
projet
de loi. Puis on parle de ce qui se passe
présentement entre la juge
coordonnatrice et le
ministre de la Justice. Quelle est donc votre
conclusion
par rapport à cela pour
qu'il y >ait des
chances de succès réelles? Et là l'épée de Damoclès, c'est les contestations
judiciaires qui viendraient parce qu'il n'y a pas d'entente entre les deux
acteurs. Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus, sur les distractions qui
sont des nuages au-dessus de nos têtes et surtout des victimes.
Mme Campbell (Angela) : Bien,
moi, j'aimerais... Je ne vais pas entrer dans ce débat de façon directe, mais
ce que je dirais, c'est que j'aimerais ça que les travailleurs et les
travailleuses qui sont vraiment dans des positions de leadership sur ce dossier...
qu'ils peuvent s'entendre, parce que, là, je trouve qu'il y a des façons à réviser
ou modifier le projet de loi qui pourraient satisfaire aux juges et à la cour.
Je crois que les questions des opérations, les questions de l'administration de
la cour, ça tombe directement dans le domaine de la magistrature.
Cependant, je n'ai pas une grande difficulté
avec le fait qu'on a un... que tout ça se déroule par la voie d'un projet de
loi. Ça, je suis correcte avec ça, mais je pense que, s'il y a une contestation
entre deux branches du gouvernement au Québec, ça, c'est vraiment... ça serait vraiment
triste pour les personnes qui sont directement visées par ce projet de loi,
cette initiative, qui sont les victimes. Donc, j'aimerais ça que les juristes
travaillent ensemble.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci beaucoup. Merci, M. le député de LaFontaine. Maintenant, au tour de la
députée de Sherbrooke.
Mme Labrie : Merci, M. le
Président. Nous aussi, on aimerait ça que tout le monde travaille ensemble sur
ce dossier-là.
Je veux revenir sur la question des projets
pilotes. On a entendu hier Me Corte et Me Desrosiers, qui sont venues nous dire
plusieurs choses, notamment que, dans leur rapport, ils recommandaient des projets
pilotes parce qu'elles ne pensaient pas qu'il y aurait un projet de loi, mais
que, comme on procède par projet de loi, elles nous disaient maintenant :
On vous invite à y aller sans projet pilote, à les implanter à travers le
Québec partout en même temps. Vous nous dites que c'est préférable, les projets
pilotes, que c'est ça qui s'est fait à l'étranger.
J'aimerais ça que vous nous donniez un
petit peu plus de détails. Combien de temps duraient les projets pilotes, par
exemple, dans les autres endroits où ça s'est produit? Est-ce que vous voyez quand
même des possibilités de procéder à large échelle, par exemple, en prévoyant
des mécanismes, là, d'adaptation au fil du processus?
Mme Cloutier (Maude) :
Bien, ailleurs, en Nouvelle-Zélande, le projet de loi a duré deux ans. Moi, ce
pourquoi je pense qu'il est important de passer par les projets pilotes, c'est...
À l'heure actuelle, on n'a pas un modèle qui est défini. On a un projet de loi
qui habilite, là, donc, la création d'un tribunal spécialisé, mais on n'a
d'aucune façon un modèle défini avec des éléments essentiels.
Puis l'avantage que je vois aux projets pilotes,
c'est de définir des éléments qui vont présenter suffisamment de souplesse, et
donc de définir les éléments d'une façon suffisamment souple pour que ce soit
adaptable à travers les différentes <régions...
Mme Cloutier (Maude) :
...d'aucune façon un modèle défini avec des éléments essentiels. Puis
l'avantage que je vois aux
projets pilotes, c'est de définir des
éléments qui vont présenter suffisamment de souplesse, et donc de définir les
éléments d'une façon suffisamment souple pour que ce soit adaptable à travers
les différentes >régions.
Je pense que c'est ça, l'avantage
principal des projets pilotes, parce qu'on connaît l'efficacité des tribunaux
spécialisés pour répondre aux critiques des victimes. Je ne pense pas que
l'objectif, c'est de nécessairement s'intéresser, là, à la capacité des
tribunaux spécialisés à répondre aux critiques des victimes. Les expériences
étrangères nous ont montré qu'ils avaient ce potentiel-là. Mais, quant à la
définition du modèle, quant aux éléments qu'on va imposer comme faisant partie
du tribunal spécialisé, bien, le projet pilote viendrait renforcer nos
discussions, nos décisions. Donc, je pense que c'est ça, son grand avantage.
Mme Labrie : Donc, il ne faut
pas que le projet pilote serve à vérifier la pertinence des tribunaux
spécialisés. Il faut qu'il serve à déterminer comment on l'organise. Et, si on
les définissait dans le projet de loi, les éléments essentiels, est-ce qu'on
serait bien équipés pour démarrer l'implantation?
Mme Cloutier (Maude) : Bien,
on pourrait le faire, mais, comme je vous dis, je pense que... De toute façon,
ce projet-là de faire des tribunaux spécialisés va demander, notamment, un
inventaire de ressources, si je peux me permettre. Donc, qu'est-ce qui est
disponible dans les différentes régions? Comment on peut faire travailler les
services ensemble? Bien sûr, ça, ça peut se faire de façon... tu sais, sans
prévoir tout ça de façon officielle, là.
Alors, on peut prévoir l'implantation de
tribunaux spécialisés dans tous les districts puis laisser les acteurs un peu
plus libres d'organiser ces éléments-là. Mais, si on veut une application qui
est uniforme, tout en étant suffisamment souple, je pense que c'est l'avantage
des projets de loi. Puis, par ailleurs, il ne faut pas oublier non plus qu'il y
a encore un travail d'adhésion, là, à faire au projet, je pense. Je ne pense
pas que, si on fait un déploiement national demain matin, tous les acteurs vont
être suffisamment engagés pour en assurer le succès.
• (12 h 20) •
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme la députée de Sherbrooke. Mme la députée de Joliette.
Mme
Hivon
:
Merci beaucoup, M. le Président. Merci pour vos deux très, très éclairantes et
pertinentes présentations.
Je veux revenir sur la question dont vous
avez parlé, de la spécialisation. Dans le projet de loi, il n'est question que
des juges. Vous nous avez dit, puis je pense qu'on évalue... le ministre aussi évolue
en ce sens-là, qu'il faut parler aussi des autres intervenants judiciaires,
avocats, bon, procureurs. Dans le projet de loi, on parle de formation, mais on
ne parle pas de spécialisation.
Donc, j'aimerais vous entendre. Est-ce
que, pour vous, le modèle, c'est : Tout le monde est formé, qu'importe où
ils siègent, autant les avocats, les juges, et un certain nombre vont devenir
spécialisés, mais tout le monde doit avoir une formation de base, ou est-ce que
vous dites : Ça peut être un ou l'autre, que c'est correct que tout le
monde soit formé, puis, dans le fond, il n'y <aura pas une...
Mme
Hivon
: ...qu'importe
où ils siègent, autant les avocats, les juges, et un certain nombre vont
devenir spécialisés, mais
tout le monde doit avoir une formation de base,
ou est-ce que vous dites : Ça peut être un ou l'autre, que c'est correct
que
tout le monde soit formé, puis,
dans le fond, il n'y >aura
pas une surspécialisation, ou vous dites : Non, la spécialisation avec des
juges dédiés, tout en prévoyant qu'il peut y avoir une rotation... c'est-à-dire
que ceux qui vont entendre ces causes-là sont toujours des juges ou des
procureurs spécialisés, mais ça ne veut pas dire qu'ils ne vont faire que ces
causes-là pour ne pas, par exemple, s'épuiser. Donc, je voulais juste que vous
nous précisiez, là, votre vision sur cette question de la spécialisation.
Mme Campbell (Angela) : Pour
moi, c'est plutôt une question de formation que de spécialisation. Je pense...
Je ne saurais même pas quand... quel est le montant de formation ou de
compétence pour devenir spécialiste. C'est une question qui sera très difficile
à répondre. Alors, pour moi, c'est plutôt une vision de formation des juges, et
je pense que ça, c'est une formation qui sera... Tout le monde pourrait en
profiter, et ça serait bien pour tous les juges, et avec, peut-être, des
expériences aussi qui peuvent être... de la formation et aussi de l'expérience,
selon les expériences antérieures de la personne qui est juge, mais, pour moi,
c'est plutôt la formation que la spécialisation.
Mme
Hivon
: Puis
vous, Me Cloutier, je pense, vous aviez une approche un peu différente avec les
modèles étrangers, hein?
Mme Cloutier (Maude) : Oui,
bien, je suis d'accord que tous les acteurs, là, qui passent par ce tribunal
spécialisé là doivent être formés. Par contre, moi, je vois des grands
avantages au fait que les acteurs soient dédiés. Quand je parle de dédiés, ce
n'est pas exclusivement, tous les jours, attitrés à cette cour-là, mais qu'il y
ait un certain nombre de juges qui soient dédiés à cette cour-là, qui
pratiquent en rotation dans cette cour-là, parce que ce qu'on voit, c'est que
ça permet, comme je le disais tout à l'heure, d'assurer que les règles de...
les meilleures pratiques sont bien appliquées, sont constamment révisées, sont...
On ajoute des choses à ces règles-là de... à ces meilleures pratiques là. Puis
ça permet aussi le développement d'une expertise dans l'application des règles
de droit.
Bien sûr, tous les juges... On voudrait
que tous les juges soient capables d'appliquer l'ensemble des règles de droit.
C'est leur travail. Mais, en matière de droit, surtout en matière sexuelle, les
règles sont nombreuses, et précises, et sont assez complexes. Donc, si on veut
éviter, par exemple, des erreurs de droit qui causent des appels et des
nouveaux procès qui n'auront jamais lieu, bien, lorsqu'on a des juges qui
comprennent bien les règles de droit, qui sont capables de les appliquer puis
qui comprennent aussi... qui sont capables de trouver l'équilibre nécessaire
entre les droits des accusés et les protections des victimes, ça, c'est quelque
chose de spécialisé, à mon avis. Ce n'est pas vrai que tout le monde, à l'heure
actuelle, tout juriste est capable de faire cet équilibre-là puis que tout le
monde comprend de la même façon l'application des règles de droit. Moi, je
pense que, si on a des juges <dédiés, qui...
Mme Cloutier (Maude) :
...protections des victimes, ça, c'est
quelque chose de spécialisé, à
mon avis. Ce n'est pas vrai que
tout le monde,
à l'heure actuelle,
tout juriste est capable de faire cet équilibre-là puis que
tout le
monde comprend de la même façon l'application des règles de droit. Moi,
je
pense que, si on a des juges >dédiés, qui ont une expertise en la
matière, non seulement ils vont être formés aux réalités, mais ils vont être en
mesure d'appliquer les règles de droit et les différentes pratiques.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. Merci, Mme la députée de Joliette. Pre Angela Campbell,
Me Maude Cloutier, merci beaucoup pour votre contribution à nos travaux.
Nous allons suspendre les travaux de la
commission jusqu'à 15 heures.
(Suspension de la séance à 12 h 25)
15 h (version révisée)
(Reprise à 15 h 08)
Le Président (M. Benjamin) :
Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La Commission des institutions reprend ses
travaux.
Nous poursuivons, cet après-midi, les
auditions publiques dans le cadre des consultations particulières sur le projet
de loi n° 92, Loi visant la création d'un tribunal spécialisé en matière
de violence sexuelle et de violence conjugale et portant sur la formation des
juges en ces matières.
Cet après-midi, nous entendrons le
Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions à
caractère sexuel; ensuite Me Sophie Gagnon, directrice générale de Juripop;
Mme Mélanie Walsh, directrice générale de l'Auberge Madeleine et
partenaire dans le Partenariat pour la prévention et la lutte à l'itinérance
des femmes regroupant 5 maisons; et finalement la direction... le Directeur des
poursuites criminelles et pénales.
Mme la secrétaire, est-ce que nous
avons des remplacements? Non? Alors, sans plus tarder, nous <allons...
Le Président (M. Benjamin) :
...à l'itinérance des femmes regroupant 5 maisons; et
finalement la
direction... le Directeur des poursuites criminelles et pénales.
Mme la secrétaire,
est-ce
que nous avons des remplacements? Non? Alors, sans plus tarder, nous >allons...
Je souhaite la bienvenue à la représentante du Regroupement québécois des
centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel,
Mme Aïcha Madi. Donc, je vous rappelle que vous disposez de
10 minutes pour votre exposé. Par la suite, nous procédons à la période
d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite donc à vous
présenter et à procéder à votre exposé. La parole est à vous.
Regroupement québécois des centres d'aide et de
lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS)
Mme Madi (Aïcha) : Merci, M.
le Président. Donc, mon nom est Aïcha Madi. Je suis analyste des enjeux et
incidences politiques au regroupement québécois des centres d'aide et de lutte pour
les agressions à caractère sexuel.
• (15 h 10) •
M. le ministre, Mmes et MM. membres de la
commission, je vous remercie pour cette invitation à vous livrer notre
témoignage et à vous partager l'expertise et les observations qui découlent de
notre expertise de longue date sur le terrain auprès des victimes d'agressions
à caractère sexuel. Avant de commencer mon intervention, je tiens à souligner
que le territoire sur lequel je me trouve est un territoire traditionnel non
cédé des Premières Nations et j'exprime gratitude et reconnaissance pour cette
opportunité.
Le regroupement que je représente
aujourd'hui rassemble 26 CALACS ou centres d'aide et de lutte pour les
victimes d'agression à caractère sexuel, qui sont répartis à travers le Québec.
Le premier CALACS a vu le jour en 1975, et notre regroupement en 1979. C'est
donc depuis 42 ans que nos centres incarnent une expertise nationale en
intervention, en prévention et en défense des droits en lien avec les violences
sexuelles.
Un des services que les CALACS offrent,
c'est un service d'accompagnement judiciaire des femmes et des filles ayant
subi de la violence sexuelle. Lors de ces accompagnements, entre autres, nous
voyons les dommages que peut exercer sur la victime le simple passage au
travers du processus judiciaire. Vous avez certainement entendu parler de cette
statistique. 5 % seulement des agressions sexuelles sont dénoncées aux
autorités. En voilà une qui est alarmante et qui suffit, à elle seule, à
stimuler une remise en question totale du système de justice tel qu'il est
présentement. Aussi, seulement 12 % des plaintes en matière d'agression
sexuelle aboutissent en condamnations.
D'autres problèmes flagrants persistent
avec le système de justice tel qu'il est présentement. Je nomme le faible taux
de rétention des plaintes par les procureurs, trop souvent à la recherche de
dossiers qu'ils n'estiment être pas assez solides, les délais très longs, la
revictimisation des victimes par le contre-interrogatoire, qui est parfois très
violent, le manque encore persistant de sensibilité des intervenants dans le
système, la faiblesse des sentences. Trop souvent, aussi, le processus est
bloqué dès le dépôt de la plainte par la police. Ces derniers, dans leurs
efforts de montrer le dossier... de montrer un dossier qui ne sera pas rebouté
par le procureur de la couronne, exercent déjà une présélection.
Par ce bref survol des réalités vécues par
les victimes, je tiens, en fait, aujourd'hui à situer la pertinence d'une réforme
importante du système de justice, comme le propose, entre autres, ce projet de
loi sur les tribunaux spécialisés. Même si, dans les dernières années, des
améliorations ont été apportées à l'expérience du passage au travers d'un
processus judiciaire, beaucoup d'avancées restent à <atteindre. Certes...
Mme Madi (Aïcha) :
...ce bref survol des réalités vécues par les victimes, je tiens, en fait,
aujourd'hui à situer la pertinence d'une réforme importante du système de
justice, comme le propose, entre autres, ce projet de loi sur les tribunaux
spécialisés. Même si, dans les dernières années, des améliorations ont été
apportées à l'expérience du passage au travers d'un processus judiciaire,
beaucoup d'avancées restent à >atteindre. Certes, l'arrêt Jordan, par
exemple, à établi une limite de 30 mois pour les processus judiciaires
dans les cas d'accusations criminelles, mais ce délai de 30 mois, il reste
encore trop important, à notre avis. Un tribunal spécialisé pourrait venir
pallier à cette faille du système de justice.
Rappelons que les femmes qui... vivent
avec un trauma à chaque fois qu'on les ramène en cour, à chaque fois qu'elles
refont face à leur agresseur, à chaque fois qu'elles doivent raconter une
nouvelle fois leur histoire, à chaque fois qu'elles doivent tenter de prouver
qu'elles sont crédibles et qu'elles méritent d'être crues et entendues. Même
si, par exemple, elles ne se rappellent pas, disons, de la couleur d'un rideau,
eh bien, à chaque fois, elles doivent se replonger dans leur histoire et dans
leur trauma. C'est une chose qui cause beaucoup de dommages sur le plan de la
santé mentale des victimes. L'acte de porter plainte et de passer devant la
justice, qui devrait aider les victimes à se reconstruire, cause, en fait, dans
la plupart des cas, une seconde victimisation.
Nous avons accueilli avec enthousiasme le
projet de loi n° 92, en particulier les dispositions qu'il prévoit pour
rendre les juges qui traitent d'affaires de violence sexuelle et conjugale plus
sensibilisés aux réalités particulières des victimes de ce type de crime. Les
mythes et les stéréotypes entretenus sur les violences sexuelles, dont personne
n'est à l'abri, même pas les juges, la neurobiologie et les particularités des
mémoires post-traumatiques doivent être bien connues et bien comprises pour que...
pour pouvoir desservir, en fait, aux victimes un traitement qui est juste, de
leur plainte. C'est pourquoi on estime qu'il y a un réel besoin de former les
juges.
Mais, au-delà de ça, il y a un réel besoin
de former tous les acteurs qui font partie du système judiciaire. Je cite les
policiers et même les procureurs. Une source de la victimisation qu'impose le
système de justice aux victimes, ça réside dans le fait qu'il y a un filtrage
excessif des plaintes par les policiers et les procureurs. Si ces acteurs pouvaient
devenir plus sensibilisés grâce à des formations additionnelles obligatoires,
il pourrait y avoir, au minimum, un changement dans la manière qu'ils peuvent délivrer
aux victimes le message que leur plainte ne sera pas retenue par la couronne
car c'est un message qui est très violent pour les victimes.
Ça pourrait aussi... Les formations
pourraient aussi amener un changement chez ces acteurs des attentes qu'ils ont
quand ils examinent un dossier ou reçoivent une plainte car ils recherchent
trop souvent un dossier qui est parfait, irréfutable, mais, pour beaucoup de
victimes, c'est dans le simple fait de pouvoir aller en cour qui aide leur
guérison.
Les formations devraient également, selon
nous, stimuler une meilleure sensibilité des acteurs au système judiciaire et
aux enjeux intersectionnels. Citons les victimes qui sont autochtones, les
victimes qui ont un handicap, qui ont un statut d'immigration précaire, les
femmes racisées et les femmes qui sont visées par des discriminations basées
sur l'identité ou l'orientation sexuelle. Elles sont victimes de discrimination
additionnelle, et ça entrave encore plus leur processus de reconstruction, de
réhabilitation et de guérison.
En ce qui a trait aux formations, nous
recommandons, par contre, de spécifier dans le projet de loi que la formation
des juges devrait <être...
Mme Madi (Aïcha) :
...qui
sont visées par des discriminations basées sur
l'identité ou
l'orientation
sexuelle. Elles sont victimes de discrimination additionnelle, et ça entrave
encore plus leur processus de reconstruction, de réhabilitation et de guérison.
En ce qui a trait aux
formations, nous recommandons,
par contre de spécifier dans le
projet
de loi que la formation des juges devrait >être préparée en consultant
l'expertise et les recommandations d'experts en victimologie liée aux violences
sexuelles et conjugales et non uniquement à la discrétion du Conseil de la
magistrature. Ça permettrait de s'assurer que le contenu des formations tacle véritablement
les problèmes de préjugés, de stéréotypes et de mythes.
Nous sommes également en faveur d'un
renversement du fardeau de la preuve pour qu'il y ait un traitement qui soit
plus adapté aux victimes de violence sexuelle. Comme l'explique la professeure
du Département des sciences juridiques de l'UQAM, Rachel Chagnon, l'agression
sexuelle, c'est le seul crime contre la personne qui fait appel à la notion de
consentement dans la démonstration de l'existence du crime. Il faut démontrer
hors de tout doute raisonnable qu'il n'y avait pas de consentement, et ça, ça
revient un peu à positionner la victime comme une menteuse potentielle dès le
début du processus.
Nous sommes également d'avis qu'il devrait
devenir interdit pour la défense d'utiliser le passé des femmes victimes durant
le contre-interrogatoire car le passé, ça n'a aucune pertinence pour prouver ou
non si le crime a eu lieu. N'importe quelle personne peut devenir victime d'une
violence sexuelle ou conjugale, peu importe son passé, sa profession ou son
profil, plus généralement. D'ailleurs, s'attaquer à la récurrence des
contre-interrogatoires, qui sont violents et stigmatisants, ça figure parmi les
mesures qui sont absolument nécessaires, à notre avis, pour rebâtir cette
confiance des femmes victimes de violence envers le système de justice et
envers le gouvernement.
Autre recommandation que nous avons, c'est
de mettre en place des projets pilotes qui seraient d'une durée de deux ans
afin d'avoir suffisamment de résultats pour examiner et évaluer la mise en application
des tribunaux spécialisés au Québec. Au moins un de ces projets pilotes devrait
être dans une région du Nord-du-Québec afin d'examiner la faisabilité du projet
de tribunaux spécialisés dans une région qui est vaste, rurale, et où il y a
des cours itinérantes en place, et où il y a certains enjeux qu'il n'y a pas en
ville, comme, par exemple, un manque crucial de procureurs.
Nous aimerions aussi recommander que le projet
de loi prévoie une concertation et une collaboration de l'ensemble des
partenaires qui oeuvrent auprès des victimes, à savoir les juges, les
procureurs, les services de police, les intervenants qui accompagnent les
victimes, et aussi les collectivités autochtones. Ces groupes et ces individus
portent la diversité de perspectives et l'expérience concrète nécessaires à un projet
de loi en cohérence avec la réalité et les besoins, et une telle démarche de collaboration
et de concertation, ça représente vraiment un minimum requis et... pour honorer
les droits des victimes.
Nous tenons à finir en disant que les
tribunaux spécialisés, malgré que nous soutenions leur implication, ce n'est
pas une solution miracle. Ils ont le potentiel de tacler, certes, plusieurs
problèmes reliés au processus judiciaire, mais n'oublions pas que plusieurs
victimes choisissent de ne pas porter plainte, pour différentes raisons qui
leur appartiennent, et qu'elles méritent tout autant de bénéficier de cette
réforme pour rendre leur réparation plus possible. N'oublions <pas...
Mme Madi (Aïcha) :
...malgré
que nous soutenions leur implication, ce n'est pas une solution miracle. Ils
ont le potentiel de tacler, certes,
plusieurs problèmes reliés au
processus judiciaire, mais n'oublions pas que
plusieurs victimes
choisissent de ne pas porter plainte, pour différentes raisons qui leur
appartiennent, et qu'elles méritent tout autant de bénéficier de cette réforme
pour rendre leur réparation plus possible. N'oublions >pas non plus que
d'autres problématiques, comme la culture du viol ou la banalisation de l'importance
du consentement libre et éclairé, figurent parmi les nombreuses problématiques
qui ne pourraient pas être taclées complètement par le projet de tribunaux spécialisés.
Mes collègues qui oeuvrent auprès de
victimes de violence conjugale l'ont mentionné hier, les tribunaux spécialisés,
c'est juste une des 190 recommandations du rapport Rebâtir la confiance.
Les CALACS, on demeure donc dans l'attente d'autres réformes, projets de loi,
politiques, et initiatives, et financement qui pourraient aider à amener la
société québécoise vers cette éradication de la violence envers les femmes, qu'elle
soit sexuelle, conjugale, économique ou structurelle. C'est ce qui conclut mon
intervention. Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme Madi, pour votre exposé. Nous allons maintenant commencer la période
d'échange. M. le ministre, la parole est à vous.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Mme Madi, bonjour. Merci d'être présente et de présenter la
position du Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les
agressions à caractère sexuel.
Je tiens, tout d'abord, à vous dire... Vous
avez raison lorsque vous dites : Pour les personnes victimes qui ne vont
pas dans le processus judiciaire, dans le processus criminel, c'est important
de les soutenir également. Et c'est pour ça qu'on a réformé la loi, mais
l'IVAC, en fait, la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels, justement...
Et, je pense, ça, c'est important de
toujours le rappeler, que ce n'est pas nécessaire de dénoncer à la police pour
avoir du soutien financier et du soutien psychologique de l'État, et de dire
que vous, dans votre organisation, il y a des intervenantes, des intervenants
qui sont là pour accompagner et soutenir les victimes. Il y en a aux CAVAC. Il
y en a également à l'IVAC qui sont là pour appuyer... Donc, il ne faut pas
hésiter à demander du soutien, et l'État québécois est là pour tenter de faire
en sorte... de permettre à la personne victime d'obtenir du soutien. Alors, ça,
il faut que ça soit dit. Il faut que ça soit répété également, et c'est un des
sens du projet de loi n° 84 qu'on avait adopté.
Si on revient au projet de loi n° 92,
aujourd'hui, vous, vous indiquez, dans votre mémoire, que vous êtes en faveur
de procéder par la voie de projets pilotes. Pourquoi est-ce que vous êtes en
faveur puis pourquoi vous proposez d'y aller par projets pilotes?
• (15 h 20) •
Mme Madi (Aïcha) : Merci pour
la question. Les projets pilotes, en fait, ça permettrait de prendre en
considération la diversité démographique qui existe au Québec. Il y a certaines
régions, comme Montréal, où on a beaucoup de femmes immigrantes. Il y a
certaines régions dans le Nord-du-Québec où on a beaucoup de communautés
autochtones qui... pour qui il nécessite souvent d'avoir des interprètes, mais
qu'on n'a pas beaucoup d'interprètes. Il y a certaines régions où les femmes
doivent parcourir deux heures de voiture pour aller dans le tribunal le plus
proche. Donc, toutes, vraiment, ces diversités de parcours puis de
particularités des régions, ça mérite... ça nécessite, en fait, d'avoir un
projet pilote pour chacune de ces particularités, pour pouvoir mettre en place,
vraiment, à la fin, des tribunaux spécialisés qui soient vraiment adaptés à
chaque réalité et qui soient vraiment efficaces au bout du compte.
M. Jolin-Barrette : Bien, je
suis d'accord avec vous, parce qu'il faut s'assurer de bien <faire...
Mme Madi (Aïcha) :
...ça
mérite... ça nécessite, en fait, d'avoir un projet pilote pour chacune de ces
particularités pour pouvoir mettre en place, vraiment, à la fin, des tribunaux
spécialisés qui soient vraiment adaptés à chaque réalité et qui soient vraiment
efficaces au bout du compte.
M. Jolin-Barrette :
Bien, je suis d'accord avec vous, parce qu'il faut s'assurer de bien >faire
les choses également, parce que, je ne sais pas si vous l'avez constaté, dans
le projet de loi, dans un premier temps, il y a une habilitation. Oui, on va y
aller par projets pilotes en premier, mais ensuite on a déjà les dispositions
législatives pour le faire à la grandeur du Québec à partir du moment où
l'expérience des projets pilotes va être complétée. Puis ça va nous permettre
justement d'ajuster, de voir ce qui ne fonctionne pas, ce qui fonctionne, de
rajouter des éléments.
Alors, pour nous, c'est important de bien
faire les choses, surtout afin que les personnes victimes aient confiance dans
le système et surtout qu'elles se disent : Oui, c'est vrai, ça fonctionne.
Et on l'a bâti sur un continuum de services. Donc, dès le dépôt de la
dénonciation, durant tout le parcours, durant tout le processus jusqu'à la
condamnation, et même au-delà, la personne victime doit être accompagnée et
soutenue. Donc, c'est ce qu'on souhaite bâtir, là, avec le projet de loi.
Peut-être une autre question, je voulais
vous demander... parce qu'il y a plusieurs intervenants qui ont dit différentes
choses sur le titre du tribunal, là. Qu'est-ce que vous pensez du tribunal
spécialisé en violence sexuelle et conjugale? Est-ce que vous trouvez ça
important de nommer les choses dans le titre du tribunal?
Mme Madi (Aïcha) : Tout à
fait, oui, pour nous, c'est important parce que certaines appellations... Par
exemple, avec certains modèles qui ont été mentionnés hier, des fois,
l'appellation, c'est juste «tribunal familial», «tribunal de violence
familiale». Or, dans ce projet, on tacle autant la violence familiale ou
conjugale et autant les violences sexuelles, donc, vraiment pour montrer que
c'est un tribunal qui tacle les deux, parce qu'il y a certains modèles, dans le
monde, où on a des tribunaux qui taclent juste la violence sexuelle, des fois,
juste la violence conjugale. Donc, pour nous, c'est vraiment important de le
nommer dans le titre pour que ça soit clair, en fait, pour les victimes.
M. Jolin-Barrette : Et, pour
vous, tout à l'heure, vous avez parlé, là, des règles entourant les
contre-interrogatoires, les règles de preuve, tout ça. Dans le cadre du
tribunal spécialisé, ça ne change pas. Ça relève du droit fédéral et les
principes demeurent les mêmes : la présomption d'innocence, l'impartialité
du tribunal, l'indépendance, également, du tribunal. Ça, c'est conforme. La
partie de la cour, elle est indépendante du gouvernement. Donc, la magistrature
va gérer sa juridiction à l'intérieur de sa salle de cour. Il n'y a rien qui
est remis en question à ce niveau-là, mais on va offrir le service tout au long
du continuum de services et d'accompagnement qui va être offert. Mais, pour la
victime, là, elle-même, qui est dans le processus judiciaire, le fait de dire :
Je vais aller au tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et
conjugale, ça a une signification pour elle. Je comprends que ça peut être
sécurisant de savoir qu'il va y avoir un encadrement.
Mme Madi (Aïcha) : Tout à
fait, surtout que... En fait, le fait qu'il n'y a plus de confiance envers le
système judiciaire, ça s'est vraiment propagé chez toutes les femmes, en fait,
de la société, puis, même si on n'est jamais passée au travers du tribunal, on
a peur d'y passer. Donc, le fait de savoir qu'il y a quelque chose qui a
changé, il y a quelque chose qui est plus adapté, c'est vraiment plus
sécurisant.
M. Jolin-Barrette : Ça, c'est
ce que les femmes que vous rencontrez dans le cadre de <votre...
Mme Madi (Aïcha) :
...ça s'est
vraiment propagé chez toutes les femmes, en fait, de la
société. Puis même si on n'est jamais passée au travers du tribunal, on a peur
d'y passer. Donc, le fait de savoir qu'il y a quelque chose qui a changé, il y
a quelque chose qui est plus adapté, c'est
vraiment plus sécurisant.
M. Jolin-Barrette :
Ça, c'est ce que les femmes que vous rencontrez dans le cadre de >votre organisme...
C'est ce qu'elles vous disent, les femmes que vous rencontrez, qu'elles n'ont
pas confiance.
Mme Madi (Aïcha) : Tout à fait.
Il y a vraiment un bris, en fait, de la relation, surtout à cause des
contre-interrogatoires, justement.
M. Jolin-Barrette : Et,
voyez-vous, moi, ce que vous me dites, ça me touche profondément, surtout dans
le rôle que j'occupe. Puis c'est pour ça que je fais le projet de loi n° 92, le tribunal spécialisé, parce que mon travail puis, notamment,
le travail du gouvernement, c'est de faire en sorte que les Québécoises et les
Québécois aient confiance dans le système de justice. Puis moi, je pense
qu'avec le tribunal spécialisé ça peut permettre, justement, de redonner
confiance, de rebâtir la confiance envers le système, parce que je suis
d'accord avec vous. Il y a certaines personnes qui ont perdu confiance puis qui
se disent peut-être : Ah! je ne veux pas passer à travers tout ça, je ne
veux pas avoir à vivre cette épreuve-là.
Puis je les comprends, mais, à ce
moment-là, il faut changer les choses, puis c'est ça qu'on essaie de faire,
puis, vraiment, de mettre la victime au centre du processus, que, dans les
palais de justice, les victimes aient une place de choix, puis que ça ne soit
pas les dernières oubliées, puis que ça ne soit pas le dernier local, ça ne
soit pas le placard à balais qui soit destiné aux personnes victimes, mais
qu'elles aient de la considération, elles aient un accompagnement, le tout en
fonction, bien sûr, du respect du droit des accusés, parce que c'est comme ça
que fonctionne notre système. Mais ça ne veut pas dire, parce qu'on garantit
les droits aux accusés, qu'on ne peut pas faire en sorte que les personnes
victimes également soient bien accompagnées, bien soutenues.
Peut-être une question sur... Vous avez
abordé un peu la question des mythes et des préjugés, l'importance des
formations. Là encore, aujourd'hui, je crois déceler, de ce que vous nous dites,
que tout le monde a des préjugés, mais il faut juste en prendre conscience, puis
les formations, je pense, peuvent aider à en prendre conscience puis à se doter
d'outils, là.
Mme Madi (Aïcha) : Bien, souvent,
les préjugés, justement, c'est inconscient. Donc, ce n'est pas comme si on a vraiment
l'intention de faire du mal à la victime avec la manière dont on l'interroge. Mais,
par exemple, quelque chose qu'il y a souvent dans les audiences, c'est que
l'avocat de la défense ou le juge va essayer de sous-entendre qu'il y avait
peut-être eu un consentement indirectement et donc qu'il y a un flou, mais, en
fait, en réalité, ça, c'est un mythe. Il y a juste un type de consentement,
puis c'est le consentement libre et éclairé. S'il n'y a pas eu de consentement
libre et éclairé, même si on peut... on argumente qu'il y a eu un consentement
flou, c'est faux, et ça, ça fait partie des mythes que... On aimerait qu'il
fasse partie des formations.
M. Jolin-Barrette : Quoi
d'autre, croyez-vous, qui devrait faire partie des formations?
Mme Madi (Aïcha) : Bien, il y
a certains stéréotypes selon lesquels des femmes pourraient en vouloir à leur
ex-compagnon et, pour se venger, elles vont faire une fausse accusation. Or,
les fausses accusations, c'est important de se rappeler que c'est seulement
dans 2 % des cas. Donc, c'est vraiment très rare. Il ne faut pas en parler
comme si c'est quelque chose qui est très récurrent.
M. Jolin-Barrette : O.K. Je
vous remercie grandement pour votre présence en commission parlementaire. C'est
apprécié. J'ai des collègues qui souhaitent vous poser des questions. Je crois
que la députée de <Bellechasse...
Mme Madi (Aïcha) :
...et, pour se venger, elles vont faire une fausse accusation. Or, les fausses
accusations, c'est
important de se rappeler que c'est
seulement
dans 2
% des cas. Donc, c'est vraiment très rare. Il ne faut pas en
parler comme si c'est quelque chose qui est très récurrent.
M. Jolin-Barrette :
O.K. Je vous remercie grandement pour votre présence en commission
parlementaire. C'est apprécié. J'ai des collègues qui souhaitent vous poser des
questions. Je crois que la députée de >Bellechasse souhaite intervenir.
Merci beaucoup, Mme Madi.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, M. le ministre. Mme la députée de Bellechasse.
Mme Lachance : Merci, M. le
Président. Merci d'être là. J'ai une question. J'aimerais vous entendre
parler... Vous avez parlé, tout à l'heure, du projet pilote et vous spécifiez,
dans le mémoire, deux ans de projet pilote. Pourquoi deux ans? Pourquoi pas plus,
pourquoi pas moins?
Mme Madi (Aïcha) : C'est sûr
que ça pourrait être retravaillé, bien sûr, la durée de deux ans, mais c'est
une durée un peu minimale qu'on recommande, parce qu'un an ça ne serait pas
suffisant pour pouvoir évaluer vraiment comment... est-ce que ça a bien marché,
est-ce que, les victimes, elles se sont senties plus sécurisées. Donc, deux
ans, ça serait une durée qui serait bonne pour avoir assez de temps pour
pouvoir évaluer le projet pilote. Bien sûr, peut-être que ça pourrait être
discuté, que ça serait plus, mais, en tout cas, deux ans, c'est vraiment une
durée qui est minimale. Et, bien sûr, si c'est un peu plus, c'est sûr qu'on va
vraiment s'étendre, et peut-être que le projet de tribunaux spécialisés au
travers tout le Québec arriverait dans vraiment très longtemps. Donc, deux ans,
ça nous semble une bonne durée.
Mme Lachance : Donc, pour
vous, c'est une bonne durée, deux ans. Dans votre mémoire, vous parlez aussi de
prévoir une concertation puis une collaboration de l'ensemble des partenaires
qui oeuvrent auprès des victimes. Donc, hier, un groupe nous parlait de la mise
en place d'un coordonnateur au dossier. Vous voyez ça... Comment ça pourrait
s'intégrer? Est-ce que vous voyez ça d'un bon oeil?
Mme Madi (Aïcha) : Oui, tout
à fait. C'est sûr qu'on a beaucoup d'acteurs qui n'ont pas l'habitude de
collaborer ensemble. Je pense, par exemple, aux... bien, aux juges et aux
policiers, aux juges et aux intervenants. Donc, peut-être, un coordonnateur, ça
aiderait, en fait, à instaurer cette nouvelle culture de collaboration puis de
meilleure communication entre tous ces acteurs, parce qu'au final ce qu'on
veut, c'est qu'ils se parlent tous pour pouvoir créer des conditions qui sont
plus favorables aux victimes.
Mme Lachance : Merci beaucoup.
Mme Madi (Aïcha) : Merci pour
votre question.
Le Président (M. Benjamin) :
...de Bellechasse. M. le député de Chapleau.
M. Lévesque (Chapleau) : Merci,
Mme Madi. Merci de votre présentation. J'aimerais peut-être vous entendre
sur les CALACS et comment ils pourraient être mieux intégrés au système de
justice, notamment dans l'accompagnement, là, des victimes. Comment vous voyez
ça, là, votre rôle?
• (15 h 30) •
Mme Madi (Aïcha) : Bien,
écoutez, déjà, la semaine dernière, j'ai eu écho, dans un des CALACS, que,
donc, on a eu une intervenante qui accompagnait une victime au bureau du
procureur pour parler de sa plainte, et elle a été refusée d'entrer dans la
pièce avec la victime qu'elle accompagnait, et la victime, bien, c'était très
sécurisant pour elle d'avoir l'intervenante avec qui elle avait déjà parlé.
Donc, déjà, les CALACS, on aimerait
vraiment qu'elles aient une place assurée dans les salles de cour, dans les
salles d'interrogatoire, parce que c'est vraiment très... ça peut être vraiment
très... Ça ouvre vraiment beaucoup de vulnérabilité, d'aller devant le
procureur, de passer au travers du processus judiciaire. Donc, c'est vraiment <sécurisant
de pouvoir avoir une intervenante...
>
15 h 30 (version révisée)
< Mme Madi (Aïcha) :
...place assurée dans les salles de cour, dans les salles d'interrogatoire,
parce
que c'est
vraiment très... ça peut être
vraiment très... ça ouvre
vraiment
beaucoup de vulnérabilité d'aller devant le procureur,
de passer au travers du processus judiciaire, donc c'est
vraiment >sécurisant
de pouvoir avoir une intervenante.
M. Lévesque (Chapleau) : Y
a-tu d'autres éléments par rapport à ça que vous aimeriez ajouter?
Mme Madi (Aïcha) : Non. La
manière dont on aimerait être intégrés, ça serait surtout aussi de pouvoir être
intégrés un peu aux discussions avec les autres acteurs, pour pouvoir mieux
collaborer, parce que présentement on n'a vraiment pas des discussions avec les
juges, avec les procureurs, avec les policiers.
M. Lévesque (Chapleau) :
D'accord. Puis, en lien avec les violences sexuelles, vous expliquerez... vous
expliqueriez, c'est-à-dire, comment le phénomène de dénonciation qu'on a vu sur
les réseaux sociaux, dans les dernières années, notamment le #metoo, selon
votre expérience terrain que vous avez?
Mme Madi (Aïcha) : Oui. La
vague de dénonciations, en fait, ça a été vraiment sécurisant pour plusieurs
victimes de voir qu'elles n'étaient pas toutes seules, parce que, justement, le
concept de #metoo, c'est qu'avant il y avait beaucoup de femmes victimes qui
pensaient que c'était arrivé juste à elles. Donc, vraiment, le fait d'avoir une
dénonciation, ça a permis vraiment aux femmes de se sentir plus sécurisées, de
se sentir pas seules, en fait. Et c'est vraiment ce sentiment de n'être pas
seules qui a stimulé le mouvement. Et, oui, voilà.
M. Lévesque (Chapleau) : Puis
avez-vous une réflexion par rapport au système de justice, de ces
dénonciations-là? Est-ce que ça vous a peut-être éclairés sur le système de
justice à ce niveau-là?
Mme Madi (Aïcha) : Oui, en
fait, on a vu, malheureusement, que le système de justice n'était pas équipé
pour traiter du nombre d'agressions à caractère sexuel qui existent dans la
société. On a vraiment, présentement, des délais qui sont très grands. On a
vraiment beaucoup, beaucoup de dossiers qui sont refusés, qui sont regardés en
10 minutes, et qui sont mis de côté, et qui sont... dits : Non, on ne
va pas poursuivre avec votre dossier.
Donc, ça a mis vraiment à la lumière, en
fait, le fait que, présentement, le système de justice, il n'est pas équipé à
faire face au nombre de violences à caractère sexuel qu'il y a dans la société.
C'est vraiment un problème social qui est très répandu. Puis la vague des
dénonciations, ça nous l'a rappelé.
M. Lévesque (Chapleau) : Puis
j'imagine que le tribunal spécialisé vient pallier à ce dont vous faites
mention?
Mme Madi (Aïcha) : Pas
nécessairement, en fait, mais c'est sûr qu'on...
M. Lévesque (Chapleau) : C'est
un pas dans la bonne direction?
Mme Madi (Aïcha) : Non, le
projet de tribunal spécialisé, ça pourrait aider à réduire, par exemple, les
délais. Mais c'est sûr que ce n'est pas nécessairement... parce que, si on
reste avec un manque de procureurs, même si on a des tribunaux spécialisés, les
délais trop longs vont rester. Donc, les tribunaux spécialisés, oui, les
appliquer, mais toujours en gardant en tête qu'il y a certains autres problèmes
qu'il faut aussi pallier en même temps qu'on applique ce nouveau tribunal
spécialisé.
M. Lévesque (Chapleau) :
D'accord. Je vous ramènerais sur un autre point dont vous avez fait mention,
les contre-interrogatoires. Vous les voyez avec un certain scepticisme ou, du
moins, une certaine problématique. J'aimerais peut-être vous entendre : Comment
vous verriez ces contre-interrogatoires-là? Est-ce que c'est en lien avec
l'accompagnement dont vous faisiez mention? Y a-t-il d'autres éléments qui
alimentent votre réflexion par rapport à cela?
Mme Madi (Aïcha) : Oui.
Souvent, dans le contre-interrogatoire, la victime va avoir <beaucoup
de...
M. Lévesque (Chapleau) :
J'aimerais
peut-être vous entendre : Comment vous verriez ces
contre-interrogatoires-là? Est-ce que c'est en lien avec l'accompagnement dont
vous faisiez mention? Y a-t-il d'autres éléments qui alimentent votre réflexion
par rapport à cela?
Mme Madi (Aïcha) :
Oui. Souvent, dans le contre-interrogatoire, la victime va avoir >beaucoup
de questions sur son passé, comme j'ai dit, donc, qui va essayer de la
décrédibiliser. Mais aussi, des fois, il y a des questions sur des détails de
la pièce, du décor, qui vont être posées, sans prendre en compte que, des fois,
avec la mémoire traumatique, quand on a un traumatisme... avec la mémoire
traumatique, des fois, on oublie les détails, mais ça ne veut pas dire que ce
n'est pas arrivé ou qu'on n'est pas une bonne victime. Donc, ces
contre-interrogatoires-là, ça devrait vraiment prendre en compte, un peu, tout
le processus... toutes les contraintes, un peu, neurobiologiques de
traumatisme, oui, qui imposent.
M. Lévesque (Chapleau) : Puis est-ce
que ça pourrait — on discute ensemble, là — se faire par
voie de formation, par... pour justement avoir une sensibilisation à ces
éléments-là?
Mme Madi (Aïcha) : Tout à
fait, exactement. On aimerait vraiment que la formation qui soit donnée aux
juges mais aussi aux autres acteurs du système, comme les policiers puis les
procureurs, ça traite des contraintes neurobiologiques, des réalités des
différentes communautés ethniques, des répercussions, un peu, de la
colonisation, même, quand... (panne de son) ...autochtones, et aussi, bien,
justement, comme j'ai dit, de la mémoire post-traumatique, parce que ça peut
arriver d'oublier quelque chose et ça ne veut pas dire que ce n'est pas arrivé.
Mais souvent les acteurs qui font le contre-interrogatoire ignorent ce fait.
M. Lévesque (Chapleau) : Merci
beaucoup.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, M. le député de Chapleau.
M. Lévesque (Chapleau) : Je
vous en prie.
Le Président (M. Benjamin) :
La parole revient maintenant à la députée de Verdun.
Mme Melançon : Bonjour,
Mme Madi. Merci beaucoup d'être avec nous aujourd'hui. Merci pour votre
éclairage.
En décembre dernier, lorsque nous avons
déposé le rapport Rebâtir la confiance avec collègue de Sherbrooke, collègue
de Joliette et la ministre de la Condition féminine, il y avait 190 recommandations
à l'intérieur du rapport. Aujourd'hui, on est là pour parler du tribunal
spécialisé, qui est un chapitre sur 15 chapitres. Et là j'y vais vraiment
de mémoire parce que... C'était ça, hein, 15 chapitres je crois. Cependant,
pour nous, c'est un tout, il n'y avait pas que le tribunal spécialisé. Il faut
venir, justement, imbriquer chacune des recommandations parce que, prises les
unes à part des autres, ça n'a pas de sens pour nous. Est-ce que vous êtes du
même avis que nous sur ça?
Mme Madi (Aïcha) : Tout à
fait. C'est sûr que, comme je disais, les tribunaux spécialisés, ce n'est pas
une solution miracle qui va tout éradiquer le problème de la violence sexuelle
et de la violence conjugale. Par contre, c'est sûr qu'on estime que ça serait
un bon premier pas. Mais c'est sûr que nous, on perçoit la violence sexuelle
comme étant un problème social. C'est l'affaire de tous, c'est imbriqué dans
nos mentalités.
Donc, c'est sûr que, pour nous, les
tribunaux spécialisés, ça serait bien si ça s'accompagnait aussi d'efforts de
prévention, par exemple, envers les jeunes, pour lutter, justement, contre les
mythes, contre <les stéréotypes...
Mme Madi (Aïcha) :
...nous,
on
perçoit la violence sexuelle comme étant un problème social. C'est
l'affaire de tous, c'est imbriqué dans nos mentalités.
Donc, c'est sûr que, pour nous, les
tribunaux spécialisés, ça serait bien si ça s'accompagnait aussi d'efforts de
prévention, par exemple, envers les jeunes, pour lutter, justement, contre les
mythes, contre >les stéréotypes, informer vraiment, c'est quoi, un
consentement libre et éclairé, par exemple. Donc, beaucoup d'efforts de
prévention qu'il serait important à amener de l'avant, en même temps,
justement, que ces tribunaux spécialisés, pour maximiser l'effet et pour
vraiment arriver à lutter contre les violences sexuelles.
Mme Melançon : Merci. Sur la
formation... parce que là, dans le projet de loi qui est devant nous, projet de
loi n° 92, actuellement, nous n'avons que la formation des juges. Je vous
entends, et c'est très bien inscrit à l'intérieur de votre mémoire que vous
souhaitez, dans le fond, qu'on puisse aborder la formation aussi des
procureurs, des policiers, bref, des acteurs qui sont autour des victimes. Et
je vous entends sur une formation neurobiologique, qui est quelque chose... pas
de nouveau, là, mais dont on entend plus parler, je dirais ça ainsi. Ces
formations-là, à votre connaissance, elles sont déjà offertes ailleurs?
Mme Madi (Aïcha) : Je ne
pourrais pas vous répondre, mais c'est sûr que c'est des connaissances que,
même si on a l'impression qu'elles sont nouvelles, on en parle depuis les
années 80, 90. Donc, au niveau de la science, elles sont déjà très bien
étoffées, mais nous, on en entend parler vraiment juste depuis ces dernières
années. Mais il ne faut vraiment pas penser qu'il n'y a pas matière...
Mme Melançon : Puis je vous
posais la question, et c'était loin d'être une colle, c'est surtout qu'à
l'intérieur du... J'ai fait mention, là, que j'ai écouté le film La parfaite
victime, et on parlait justement de cette formation, et à chaque fois qu'on
abordait, on... Émilie Perreault, notamment, là, posait la question :
Est-ce que vous savez de quoi il est question? Et il y a des gens qui n'avaient
aucune idée, encore, de quoi il était question. Alors, je pense... je veux au
moins le livrer ici pour qu'on puisse aussi réfléchir aux formations qui
pourront être offertes, que ce soit aux juges, aux policiers, aux procureurs ou
aux autres acteurs.
Sur le projet pilote, moi, j'ai un souci. Puis
j'aime bien quand le ministre commence avec le projet... poser la question à ma
place sur le projet pilote parce que... Et je le dis avec le sourire, là, il
comprend très bien ce que je signifie. Mais moi, le deux ans me cause un souci
pour les victimes. Et je sais que vous êtes tout près des victimes aussi. Deux
ans avec, malheureusement, de l'iniquité territoriale, je vais dire ça comme
ça, selon le district judiciaire que le ministre aura choisi, moi, ça me cause
un souci. Est-ce que vous ne voyez pas une possibilité de faire une entrée
progressive, justement, de ce qu'on voudrait peut-être faire partout sur le
territoire?
Mme Madi (Aïcha) :
<Ça pourrait...
Mme Melançon : ...le
ministre
aura choisi, moi, ça me cause un souci. Est-ce que vous ne voyez pas une
possibilité de faire une entrée progressive, justement, de ce qu'on voudrait
peut-être faire partout sur le territoire?
Mme Madi (Aïcha) :
>Ça pourrait être fait, mais c'est sûr que, même si c'est une entrée
progressive, il va falloir penser et prendre en considération les réalités de
chaque région. Il va falloir vraiment savoir : O.K., pour celles qui... pour
les tribunaux qui vont être en ville, on va faire comme ça; pour les tribunaux
qui sont dans des régions éloignées, on va faire comme ça. Et ça serait peut-être
plus facile d'avoir testé avec un, comme ça, on sait déjà qu'est-ce qui marche
pour les villes, plus généralement, comme ça, on sait déjà ce qui marche dans
le Nord-du-Québec et les régions éloignées. Mais c'est sûr que c'est une
possibilité aussi qu'on... avec laquelle on est d'accord aussi.
• (15 h 40) •
Mme Melançon : D'accord.
Parce qu'hier différents groupes sont venus aussi nous dire que, sur le
terrain, des organismes comme le vôtre, par exemple, avaient déjà entendu le
signal en décembre dernier. Et il y a plusieurs acteurs sur le terrain qui ont
déjà commencé à s'organiser pour pouvoir offrir, justement, des services. Alors,
moi, ce que je me disais, c'est que peut-être que, progressivement, on peut y
aller sur une base uniforme, avec des améliorations à différents endroits, pour,
justement, être capables de bâtir le projet de tribunal spécialisé qu'on a
devant nous. Mais je laisse ça ainsi. Et je crois, là, à vous voir osciller de
la tête, que vous êtes d'accord avec moi.
D'ailleurs, sur la collaboration des
partenaires, j'aimerais vous entendre, comment ça se passe sur le terrain actuellement?
Mme Madi (Aïcha) : Bien,
comme vous l'avez dit, il y a déjà, dans certaines régions, des acteurs qui ont
commencé à se parler. Je nomme, par exemple, l'Abitibi, notre CALACS en
Abitibi, ils ont déjà des contacts avec un juge, avec certains procureurs, donc
ça s'actionne. Je crois que ça serait important, justement, pour stimuler,
justement, ce contact, parce que ce n'est pas dans les habitudes, surtout dans
les grandes villes. Il faut vraiment, comme, peut-être les épauler puis les
organiser en premier lieu pour aider à instaurer cette nouvelle culture, parce
que c'est sûr que c'est nouveau.
Donc, moi, je les verrais vraiment au
début comme... on les oblige, on les impose au début, juste pour tester, au
moins, parce que ce n'est pas dans la culture, puis peut-être il y aurait des
acteurs qui seraient vraiment réticents si on ne les oblige pas.
Mme Melançon : Merci. Je
prends des notes en même temps. Vous savez, quand on a déposé le rapport, donc,
en décembre 2020, on sentait le poids des attentes des victimes, parce que je
pense que ce rapport-là était vraiment attendu. Les experts ont fait un bon
travail, que je pense à Me Corte ou à Julie Desrosiers, les deux
coprésidentes, avec les différents membres. On ne peut pas ne pas réussir,
aujourd'hui, on a vraiment un fardeau de réussite. Et est-ce que, comme moi,
vous êtes <inquiète face à...
Mme Melançon : ...Julie
Desrosiers,
les deux coprésidentes, avec les différents membres. On ne peut pas ne pas
réussir, aujourd'hui, on a vraiment un fardeau de réussite. Et est-ce que,
comme moi, vous êtes >inquiète face à une possible contestation
judiciaire? Vous avez vu ce qui se passe actuellement, là, dans les journaux,
là, par voie média. Est-ce que vous avez cette même inquiétude que nous?
Mme Madi (Aïcha) : Oui, tout
à fait, c'est inquiétant. Mais d'un autre côté, je crois que, justement, ces
débats, ça parle un peu de certaines craintes, de certaines préoccupations,
d'enjeux que certains acteurs, ils ont peur que ça ne soit pas pris en
considération. Donc, je pense qu'il faut prendre ces désaccords comme, un peu,
des demandes pour que le projet de loi soit... prenne en considération les
enjeux qui sont vus par chaque acteur.
Et c'est sûr que les débats, pour nous, ça
reste vraiment santé, parce que ça fait quand même en sorte que, dans les
médias, on parle des violences sexuelles, et ça, c'est quelque chose qui est
quand même rare. Donc, on voit quand même ça d'un bon oeil. Il y a quand même
un bon côté, parce que c'est rare, en fait, qu'on voie dans les médias qu'on
parle autant des violences à caractère sexuel. Donc, on est très contents de voir
que c'est abordé, puis que c'est étudié, puis que c'est analysé. Mais c'est sûr
que, pour la réussite du projet, il faut qu'on arrive finalement, idéalement, à
un consensus pour pouvoir bien collaborer.
Mme Melançon : Moi, ce qui me
ferait beaucoup de peine, c'est qu'on parle des violences sexuelles encore
pendant trois ou cinq ans parce qu'il y a une contestation judiciaire par
la juge en chef. Moi, ça, ça m'inquiète véritablement. Et, un peu contrairement
à vous, je vous dirais, j'aimerais ça qu'on puisse parler des violences
sexuelles en disant : On a quelque chose de solide, on peut aller de
l'avant pour les victimes, les victimes vont avoir l'accompagnement nécessaire,
et tout le monde est d'accord avec le tribunal spécialisé. Malheureusement, ce
n'est pas le cas actuellement, et ça, ça m'inquiète vraiment.
J'aimerais vous entendre, parce que vous
avez dit tout à l'heure... vous parliez un peu, là, du fardeau de la preuve.
Vous comprenez cependant que, dans le projet de loi actuel, on garde le même
droit, hein? Vous comprenez bien, j'imagine, ça? Et comment c'est reçu auprès
des femmes victimes que vous accompagnez?
Mme Madi (Aïcha) : C'est sûr
que ça, c'est une demande, justement, que... ça fait partie de nos demandes-phares,
qu'on demande toujours en tant que Regroupement des CALACS, même si, bien sûr,
on reçoit toujours cette remarque comme quoi c'est une compétence fédérale, et
ça serait vraiment difficile de la changer. Mais c'est vraiment un besoin pour
les victimes, et c'est toujours un problème qui revient, et c'est toujours... c'est
très souvent un problème qui revient quand on parle de victimisations qui sont
faites par le passage dans le processus judiciaire. Des fois, justement, on a
dit qu'il y a un premier traumatisme, avec l'agression à caractère sexuel, et
il y en a un deuxième quand on passe à travers du processus judiciaire. Et une
des raisons...
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. Malheureusement, c'est tout le temps qui nous est imparti. Merci, Mme la
députée de Verdun. Maintenant, <la parole...
Mme Madi (Aïcha) :
...qui sont faites par le passage dans le processus judiciaire. Des fois,
justement, on a dit qu'il y a un premier traumatisme, avec l'agression à
caractère sexuel, et il y en a un deuxième quand on passe à travers du
processus judiciaire. Et une des raisons...
Le Président
(M. Benjamin) :
Merci. Malheureusement, c'est tout le
temps qui nous est imparti. Merci,
Mme la députée de
Verdun.
Maintenant,
>la parole revient à la députée de Sherbrooke.
Mme Labrie : Merci. Je
vais revenir sur la question des projets pilotes. Je sais que vous en avez déjà
parlé deux fois, mais vous comprendrez qu'ici autour de la table tout le monde
est 100 % d'accord pour l'implantation des tribunaux spécialisés. Mais la
question des projets pilotes est un... semble être un sujet de discussion, là,
à savoir si, oui ou non, ça en prend et, si oui, combien de temps. On a le
souci que les projets pilotes soient trop longs, puis, même, certains nous ont
dit qu'il n'était peut-être pas nécessaire d'en faire.
Comme vous dites que, de toute façon, il
va falloir s'ajuster à chaque territoire, est-ce que ce n'est pas mieux de
commencer partout en même temps mais en prévoyant de la souplesse? Parce qu'il
n'y a pas une crainte qu'on ralentisse des gens? Vous dites qu'il y a des gens
qui ont commencé à bouger, déjà, un peu partout. Vous nommez l'Abitibi. Si on
attend la fin des projets pilotes, est-ce que ça ne ralentit pas des gens qui
sont prêts à se mettre en mouvement tout de suite?
Mme Madi (Aïcha) : Je pense
qu'il y a déjà, dans tous les cas, présentement, même sans projet pilote, il y
a déjà des inégalités dans l'accès aux ressources judiciaires, dans la
proximité des palais de justice, et tout. Donc, dans tous les cas, il y a une
inégalité et dans tous les cas... Je veux dire, je crois que tous les chemins
mènent à Rome. Donc, dans tous les cas, le but, c'est d'arriver à avoir des
tribunaux spécialisés dans toutes les régions du Québec. Voilà.
Mme Labrie : Bien, j'entends
que tous les chemins mènent à Rome, puis on veut que tout le monde y arrive,
mais moi, personnellement, j'ai un certain malaise avec le fait que certains
arrivent à Rome deux ans plus tard que d'autres. Je trouve ça quand même assez
long. Pourquoi pensez-vous que ça devrait être aussi long que deux ans?
Mme Madi (Aïcha) : Justement
parce que, peut-être, un an, ce n'est pas assez long pour pouvoir vraiment
produire un petit rapport bilan d'est-ce que ça a marché, faire des
évaluations, peut-être recueillir les témoignages de victimes qui sont passées
au travers de ces tribunaux-là. Donc, c'est pour ces raisons qu'on recommande,
comme ça, deux ans.
Mais c'est sûr qu'il faut... si on met des
projets pilotes, il faut que ça soit suffisamment long pour les évaluer. Et la
peur avec, peut-être, faire des tribunaux spécialisés dans plusieurs régions en
même temps, c'est que ça ne marche pas, et on a perdu beaucoup de temps et
d'argent à implanter dans plusieurs régions, et ça va faire peut-être beaucoup
de confusion. Donc, peut-être que, si on a de la confusion dans juste quelques
régions à la fois, ça serait peut-être mieux pour les acteurs du système
judiciaire, déjà, parce que c'est sûr que ça amène un gros changement de
travail pour eux.
Mme Labrie : O.K. Je vous
remercie.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme la députée de Sherbrooke. Maintenant, la parole revient à la députée
de Joliette.
Mme
Hivon
: Oui,
bonjour. Merci beaucoup pour votre présence. D'abord, vous dire que, pour ce
qui est de la formation de tous les intervenants, je pense que c'est une
constante qui se dégage des auditions, donc on va sûrement se diriger vers ça.
Enfin, je ne présume de rien, là, mais le ministre a dit qu'il était en mode
écoute, et puis il y en a beaucoup, beaucoup qui lui ont demandé d'écouter ça,
y compris nous. Et il est en train de faire signe que ses oreilles allongent.
Tant que ce n'est pas le nez, <on est corrects...
Mme
Hivon
: ...des
auditions, donc on va sûrement se diriger vers ça. Enfin, je ne présume
de rien, là, mais le ministre a dit qu'il était en mode écoute, et puis il y en
a beaucoup, beaucoup qui lui ont demandé d'écouter ça, y compris nous. Et il
est en train de faire signe que ses oreilles allongent. Tant que ce n'est pas
le nez, >on est corrects, donc...
Une voix
: ...
Mme
Hivon
:
C'était une petite blague. Moi, je veux vous entendre. Tantôt, vous avez dit quelque
chose qui m'a un peu préoccupée, parce que l'accompagnement est vraiment au
coeur, au coeur de cette philosophie-là qu'on veut inculquer avec le tribunal
spécialisé, mais, comme vous le dites fort à propos, c'est plus large que ça.
Puis tantôt vous nous avez dit : Il y a une intervenante d'un CALACS qui
s'est vu refuser l'accès à une salle pour accompagner une victime.
J'aimerais ça que vous nous disiez un
petit peu plus le contexte. Et aussi comment votre rôle d'accompagnatrice ou
d'intervenante spécialisée, pour une victime, se joue, par exemple, au moment...
Par exemple, si une des personnes que vous accompagnez veut aller porter
plainte, est-ce que vous êtes intégrée? Est-ce que vous avez le sentiment que
votre place est reconnue? Et qu'est-ce qu'on pourrait faire pour qu'elle le
soit davantage?
Mme Madi (Aïcha) : Merci.
Donc, c'est sûr que, pour le contexte de cette situation, comme je n'ai pas
l'accord de la victime puis de l'intervenante, je ne voudrais pas dévoiler, au
cas où ça pourrait... certains de ses proches pourraient entendre ça puis
reconnaître son histoire. Donc, juste pour ça, je ne peux pas trop dévoiler.
Mais c'est sûr qu'il faut garder en compte que chaque victime, des fois, a ses
propres besoins puis ses propres demandes. Ce n'est pas parce qu'une victime...
Dans ce cas, dans l'exemple que j'ai cité, elle voulait vraiment avoir
l'intervenante avec elle. Ce n'est pas dans tous les cas que les victimes
sentent ce besoin d'avoir l'intervenante. L'important, c'est de créer un système
où est-ce que les victimes, elles ont la possibilité d'exprimer c'est quoi,
leurs besoins, puis qu'on puisse s'adapter à leurs besoins vraiment. Donc,
c'est cette approche de placer la victime au centre du processus.
Une manière qu'on pourrait être mieux...
mieux présents, en fait, je dirais que c'est souvent d'être consultés puis de
faire partie des discussions. Parce que, justement, c'est très... on détient quand
même une expertise, parce qu'on est là depuis 1979, mais c'est très rare qu'on
est consultés. Les CAVAC sont beaucoup plus présents dans les palais de
justice. On aimerait pouvoir être autant présents, peut-être, justement, parce
que, des fois, pour les victimes d'agression à caractère sexuel, les
intervenants des CALACS sont encore plus spécialisés, spécifiquement pour ce
type de crime. Donc, peut-être que ça pourrait être mieux pour les victimes,
avoir une bonne présence aussi des CALACS.
• (15 h 50) •
Mme
Hivon
: Merci
beaucoup. C'est tout le temps que j'avais. Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme la députée de Joliette. Mme Aïcha Madi, merci beaucoup pour votre
contribution à nos travaux.
Donc, nous allons suspendre les travaux
quelques instants afin d'accueillir les prochains témoins. Merci.
(Suspension de la séance à <15 h 51)
Le Président (M. Benjamin) :
...témoins. Merci.
(Suspension de la séance à >
15 h 51)
>
(Reprise à 15 h 56)
Le Président (M. Benjamin) :
Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Nous allons reprendre les travaux.
Je souhaite la bienvenue aux
représentantes de Juripop, Me Sophie Gagnon, directrice générale de
Juripop; Me Justine Fortin, directrice des programmes, Violence conjugale
et violences sexuelles, à Juripop. Je vous rappelle que vous disposez de
10 minutes pour votre exposé. Par la suite, nous procéderons à la période
d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite, donc, à vous
présenter et à procéder à votre exposé. La parole est à vous.
Juripop
Mme Gagnon (Sophie) : Merci.
Auriez-vous la gentillesse de nous préciser les consignes sur les masques, s'il
vous plaît? Est-ce qu'on les garde en parlant, oui?
Le Président (M. Benjamin) :
Au moment... quand vous prenez la parole, vous enlevez votre masque. Allez-y,
voilà.
Mme Gagnon (Sophie) : O.K.
Merci. Merci beaucoup, M. le Président. M. le ministre, Mmes et MM. les
députés, je m'appelle Sophie Gagnon, je suis avocate et directrice générale de
Juripop et je suis accompagnée de ma collègue, Justine Fortin, qui est également
avocate et directrice de nos programmes en violence sexuelle et en violence
conjugale.
Donc, ça nous fait un grand plaisir,
Juripop, d'être présent aujourd'hui pour vous présenter notre mémoire sur le projet
de loi n° 92. Puis on souhaite, d'ailleurs, commencer en saluant la
volonté du ministre et des parlementaires de donner suite à cette recommandation-phare
du rapport Rebâtir la confiance et d'entreprendre le changement de
culture qui est requis en matière de violence sexuelle et de violence
conjugale.
Les recommandations que Juripop vous
présente aujourd'hui et <dans son mémoire...
Mme Gagnon (Sophie) : ...
projet
de loi n° 92. Puis on souhaite,
d'ailleurs, commencer en saluant la
volonté du
ministre et des
parlementaires de donner suite à cette
recommandation-phare du rapport Rebâtir la confiance et
d'entreprendre le changement de culture qui est requis
en matière de
violence sexuelle et de violence conjugale.
Les
recommandations que Juripop
vous présente
aujourd'hui et >dans son mémoire sont véritablement
ancrées sur les milliers de consultations juridiques que nous avons offertes
aux personnes victimes et aux personnes survivantes en matière de violence
sexuelle et de violence conjugale. C'est vraiment sur nos constats du terrain
que nous nous sommes basés pour vous faire des recommandations. Puis on a d'ailleurs
saisi l'opportunité de venir devant vous aujourd'hui pour commenter non seulement
le texte du projet de loi, mais aussi pour vous fournir des observations sur le
panier de services qui pourrait être déployé par un éventuel tribunal
spécialisé.
Vous avez vu que notre mémoire a été
introduit par une remarque préliminaire, qu'on tenait à réitérer de vive voix,
qui concerne le sujet dont traitera le tribunal spécialisé, à savoir les
violences sexuelles, les violences conjugales. Donc, ce sont toutes deux des
formes de violences qui sont genrées, des formes de violences qui se déroulent
dans l'intimité mais qui constituent des formes de violences qui sont
distinctes et qui mènent à des besoins juridiques différents. Puis nous, on le
voit dans nos dossiers, il y a des interventions qui fonctionnent bien pour les
personnes qui ont vécu des violences à caractère sexuel mais qui, au contraire,
vont rater la cible en matière de violence conjugale. Donc, à notre avis, c'est
important que les personnes qui seront consultées pour conceptualiser, pour
déployer et pour évaluer le tribunal spécialisé proviennent de ces
deux champs d'expertise là et que l'évaluation des projets pilotes tienne
aussi compte des différentes facettes des deux formes de violences.
On a donc structuré notre mémoire de cette
manière-là, en exposant des recommandations qui concernent, d'une part, la
violence sexuelle et, d'autre part, la violence conjugale. Et c'est comme ça qu'on
vous les présentera aujourd'hui aussi.
En matière de violence sexuelle, on
voulait partager nos observations sur la nature des services juridiques qui
répondent aux besoins juridiques des personnes victimes et des survivantes.
Quand le mouvement #moiaussi a commencé, ce qu'on a constaté, c'est que les
survivantes étaient désemparées de constater le nombre de recours dont elles
disposaient ainsi que leur complexité. Et chez Juripop, ce qu'on a constaté, c'est
que ce qui répond à ce besoin-là, c'est le soutien juridique. Donc, par soutien
juridique, ce qu'on veut dire, c'est la mise en place d'une véritable relation
avocat-client, entre une personne survivante et un avocat, et la prestation de
services juridiques de manière continue à travers le temps. Donc, on parle
d'analyser des documents, de fournir des conseils qui sont adaptés à la situation
de la personne et qui dépassent, là, des consultations juridiques ponctuelles.
Donc, vu l'importance des services
juridiques dans le panier de services du tribunal spécialisé, on invite les parlementaires
à analyser l'opportunité d'offrir du soutien juridique qui va au-delà de l'information
et du conseil juridique. Puis on spécifie que ça, c'est un constat qu'on a tiré
en matière de violence sexuelle, alors qu'en matière de violence conjugale on
est d'avis que le conseil juridique répond aux besoins des personnes victimes.
• (16 heures) •
Notre deuxième recommandation en violences
sexuelles <concerne la forme...
>
16 h (version révisée)
< Mme Gagnon (Sophie) : ...d'offrir
du soutien juridique qui va au-delà de l'information et du conseil juridique.
Puis on spécifie que ça, c'est un constat qu'on a tiré en matière de violence
sexuelle, alors qu'en matière de violence conjugale on est d'avis que le
conseil juridique répond aux besoins des personnes victimes.
Notre deuxième recommandation, en
violence sexuelle, >concerne la forme de réparation dont les personnes
survivantes ont besoin. On parle souvent du fait que plusieurs agressions
sexuelles ne se transforment pas en plaintes devant la police. Puis
effectivement ce décalage-là s'explique en partie par des lacunes auxquelles le
rapport Rebâtir la confiance s'adresse, mais c'est un décalage qui
s'explique aussi par le fait qu'il y a plusieurs survivantes pour qui une
sanction de nature pénale ne répond pas aux besoins.
L'agression a été commise par un proche,
un ami, un collègue, un membre de la famille. Elle ne souhaite pas que cette
personne-là se trouve en prison. Elle souhaite, au contraire, que la personne
comprenne qu'elle a commis du mal, qu'elle s'en excuse et qu'elle s'engage à ne
plus recommencer, mais, en ce moment, le système de justice criminelle n'offre
pas de réponse aux besoins de justice alternative de certaines personnes
victimes et de survivantes. On est conscients qu'il y a des obstacles, en droit
substantif, à la mise en place de solutions de justice alternative, mais on
vous présente, dans notre mémoire, des propositions pour contourner ces
obstacles-là.
Troisièmement, on s'est également penchés
sur la question de l'autorisation des poursuites en matière de violence à
caractère sexuel. On est tout à fait conscients que c'est un sujet qui est
délicat, qui relève de l'indépendance de la direction des poursuites
criminelles et pénales, qui est essentielle, mais on ne pouvait pas passer sous
silence le fait qu'un nombre considérable de personnes qui ont cogné à la porte
de Juripop le faisaient après que leur plainte à la police ne se soit pas
traduite par le dépôt d'accusations. Donc, on considérait que c'était important
de porter à votre attention le déni de justice que ces personnes-là ressentent
quand une plainte à la police ne reçoit pas de suite.
Alors, on vous présente des observations à
ce sujet-là, ce qui m'amène ensuite à vous parler de violence conjugale, et
puis, en matière de violence conjugale, l'angle de Juripop est vraiment ancré
dans le droit de la famille. Donc, nous, les services qu'on offre aux personnes
victimes, ce sont des services en matière familiale. Et ce qu'on a constaté
dans les dernières années, c'est que le droit de la famille est resté dans
l'angle mort des réponses que le système de justice a offert à la violence
conjugale, ce qui nous mène à faire trois recommandations.
La première concerne la culture de
concertation. Donc, dans les dernières décennies, au Québec, s'est développée,
en matière criminelle, une culture de concertation où les procureurs de la
couronne vont parler avec les intervenants de la DPJ, des agents de probation,
vont utiliser le même langage, vont se comprendre, vont coordonner leurs
actions. Dans nos dossiers, nos collègues qui pratiquent le droit de la famille
ont tenté d'intégrer cette culture de concertation là, mais avec un succès
mitigé, parce qu'en l'absence de culture de concertation qui implique l'avocat
du droit de la famille, bien, c'était sur nos épaules de convaincre la personne
avec qui on parlait que le droit de la famille a un impact sur la sécurité des
femmes et des enfants.
Et on considère que, si le tribunal
spécialisé veut véritablement assurer la sécurité des femmes et des enfants,
veut assurer la cohérence entre toutes les ordonnances qui sont rendues par le
système de justice, il faut que la culture de concertation intègre l'avocat du
droit de la famille. Puis, pour les mêmes raisons, on vous invite aussi à <mandater
les...
Mme Gagnon (Sophie) : ...que,
si le tribunal spécialisé veut
véritablement assurer la sécurité des
femmes et des enfants, veut assurer la cohérence entre toutes les ordonnances
qui sont rendues par le
système de justice, il faut que la culture de
concertation intègre l'avocat de droit de la famille. Puis, pour les mêmes
raisons, on vous invite aussi à >mandater les coordonnateurs et les
coordonnatrices judiciaires à assurer la liaison non seulement avec les
matières criminelles et pénales, mais également avec les matières qui relèvent
du droit de la famille et du droit de la jeunesse.
Troisièmement, une recommandation qui est
très importante pour nous, encore une fois, quand on parle de violence
conjugale, on parle beaucoup de droit criminel, mais on voulait porter à votre
attention le fait que les victimes de violence conjugale ne portent pas toujours
plainte à la police, premièrement, parce que, parfois, la violence conjugale
qu'elles vivent ne constitue pas un acte criminel. Si je pense, entre autres, à
la violence psychologique, la violence financière, ce n'est pas criminalisé au Canada.
Donc, c'est des personnes qui n'ont pas l'opportunité
de porter plainte à la police. Et il y en a d'autres pour qui une plainte à la
police, bien, n'est tout simplement pas souhaitée ou pas souhaitable. Notamment,
entre autres, pour les personnes qui auraient un statut migratoire précaire ou
dont l'ex-conjoint aurait un statut migratoire précaire... ne porteront pas
plainte à la police, mais ces personnes-là vont évoluer dans le système de
justice, généralement, via... par le biais du droit de la famille.
Puis on a des statistiques à vous
présenter à ce sujet-là, si ça vous intéresse. Il y a un nombre considérable de
victimes qui ont seulement un dossier en droit de la famille et non pas en
matière de droit criminel. Et on a une crainte que, si le panier de services,
ambitieux et nécessaire, qui est contemplé par le tribunal spécialisé est
limité aux matières criminelles et pénales, ça reviendrait à créer deux catégories
de personnes victimes, d'un côté, celles qui peuvent ou qui souhaitent porter
plainte à la police et, de l'autre côté, celles qui ne peuvent pas ou qui ne
souhaitent pas porter plainte à la police. Et donc on recommande que des projets
pilotes soient également déployés en matière civile, en matière familiale et
devant la chambre de la jeunesse pour s'assurer que ce soient toutes les
personnes victimes qui bénéficient du changement de culture et non seulement
celles qui portent plainte à la police.
Alors, voilà, je me suis assurée d'être
succincte. Manifestement, nous sommes rentrés à l'intérieur de notre temps. Alors,
ça nous fera plaisir de répondre à vos questions pour la suite des choses.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci pour votre exposé. Donc, nous allons tout de suite passer à la période
des échanges. On commence avec le ministre de la Justice.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Me Gagnon, Me Fortin, bonjour. Merci d'être présents à l'Assemblée
nationale. Je crois que vous présentez un point de vue qui est très pertinent.
D'entrée de jeu, je voudrais savoir ce que
vous pensez du fait que, dans le projet de loi, on débute par des projets
pilotes, en fait, pour établir, dans un premier temps, comment est-ce que ça
fonctionne, pour ajuster tout ça et, par la suite, qu'on aille d'une façon à
permanentiser le tout à la grandeur du Québec. Quelle est votre perception, là,
de ça, de débuter par des projets pilotes?
Mme Gagnon (Sophie) : Avant de
répondre à la question, je vais préciser que nous ne nous sommes pas penchés
sur les questions qui mettent en cause la question de l'indépendance
judiciaire. Puis, en écoutant les représentations qui sont faites depuis hier,
on comprend que la notion de projet pilote est... pourrait, selon certaines
interprétations, porter atteinte à l'indépendance judiciaire.
Alors, je vais y répondre en faisant
abstraction de cette question-là sur <laquelle...
Mme Gagnon (Sophie) :
...je vais préciser que nous ne nous sommes pas penchés sur les
questions
qui mettent en cause la
question de l'indépendance judiciaire. Puis, en
écoutant les
représentations qui sont faites depuis hier, on comprend
que la notion de projet pilote est... pourrait, selon certaines
interprétations, porter atteinte à l'indépendance judiciaire.
Alors, je vais y répondre en faisant
abstraction de cette question-là sur >laquelle nous ne nous sommes pas
penchés, parce qu'à notre avis le fait de déployer le tribunal spécialisé en
étapes, par projets pilotes, on l'accueille favorablement parce qu'on parle de
changement de culture. Et je pense que c'est un terme qui est souvent galvaudé,
mais, dans ce cas-ci, qui est approprié. C'est un sujet qui est complexe. Comme
on l'a dit en introduction, les besoins sont différents. Différentes stratégies
vont être essentielles pour y répondre. Donc, à notre avis, c'est positif que d'y
aller par étapes et d'évaluer la performance de chacune des mesures avant de
les déployer à la largeur du Québec.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Dans votre intervention, vous dites que ça fait partie du changement de
culture. Donc, expliquez-nous pourquoi c'est important d'avoir un changement de
culture dans notre système de justice. En quoi le tribunal spécialisé va
contribuer à ce changement de culture là?
Mme Gagnon (Sophie) :
Historiquement, le droit criminel a été développé surtout dans la relation du
poursuivant et de l'accusé. Les personnes qui portent plainte, les victimes
sont généralement considérées comme des tiers, comme des témoins. Puis, au fil
du temps, il y a eu des bonifications à ça. Je pense, entre autres, à la Charte
canadienne des droits des victimes, les CAVAC qui ont été mis sur place. Mais
la victime demeure généralement un tiers dans la procédure... dans le système
de justice criminelle. Puis, en matière de violence sexuelle, de violence
conjugale, des crimes qui sont commis dans l'intimité, qui résultent dans des
traumatismes dans les personnes qui portent plainte, l'approche du droit
criminel tend à nier les besoins des personnes victimes, les survivantes, voire
à les revictimiser, à les retraumatiser.
On l'a vu dans les dernières années, ce
manque de considération avant les besoins psychosociaux et les besoins
juridiques des personnes victimes et des personnes survivantes a effrité leur
confiance à un point tel que certaines refusent par principe de se tourner vers
le système de justice. Et les violences sexuelles et violences conjugales sont
des crimes contre la personne, sont des crimes dangereux, sont des crimes
violents. Si on veut que la société soit capable de condamner ces crimes-là, on
doit rétablir cette confiance-là, et ça passe par un changement de paradigme.
Donc, voilà pourquoi Juripop considère que le changement de culture est
nécessaire.
M. Jolin-Barrette : Et c'est
ça que nous souhaitons, c'est ça que je souhaite, de faire en sorte qu'il n'y
ait pas qu'une... il n'y ait pas une seule victime qui se dise : Je ne
veux pas... je n'ai pas confiance, je ne veux pas porter plainte parce que je
ne veux pas vivre ça. Donc, le tribunal spécialisé, entre autres, fait pour...
durant le continuum de services, adapter ça à la réalité des personnes
victimes, qu'elles se sentent à l'aise, qu'elles se sentent accompagnées, qu'elles
se sentent soutenues.
Sur la question de la formation, il y a eu
beaucoup de discussions, là, depuis hier, relativement à cela, sur le fait que
l'ensemble des intervenants du système de justice doivent être formés. Je suis
d'accord puis j'ai déjà dit qu'on va évaluer la possibilité d'inscrire dans le
projet de loi que tous les acteurs soient formés dans... même si, par la voie <administrative...
M. Jolin-Barrette :
Sur
la
question de la formation, il y a eu
beaucoup de discussions,
là, depuis hier, relativement à cela, sur le fait que l'ensemble des
intervenants du
système de justice doivent être formés. Je suis
d'accord
puis j'ai
déjà dit qu'on va évaluer la
possibilité d'indiquer
dans le
projet de loi que tous les acteurs soient formés dans... même si,
par la voie >administrative, on peut le faire, mais il semble y avoir
nécessité par voie légale, également, de l'indiquer. En ce qui concerne les
juges, certains ont fait des déclarations publiques qui ont dit que les juges
étaient déjà formés depuis plusieurs années. Quel est votre point de vue
relativement à ces déclarations?
• (16 h 10) •
Mme Gagnon (Sophie) : Bien,
c'est factuellement vrai, à savoir qu'il existe des formations, mais nous, on
constate, dans nos dossiers, qu'il continue d'avoir des lacunes de
compréhension de la réalité des violences sexuelles, des violences conjugales.
C'est encore, malheureusement, non inhabituel de lire, dans une décision, par
exemple, de droit de la famille, que monsieur est un conjoint violent, mais il
est un bon père.
Donc, encore à ce jour, il y a des juges
qui font abstraction, généralement, par manque de connaissances, là... mais qui
font abstraction du fait que la violence conjugale, premièrement, affecte les
enfants, et, deuxièmement, qu'elle continue, voire qu'elle naît ou qu'elle est
exacerbée par une séparation. Donc, nous, on le constate, là, régulièrement,
que, quand on plaide le contexte social, la violence sexuelle, la violence
conjugale, la réception, encore une fois, est excessivement variable en
fonction du degré de sensibilité du magistrat qu'on a devant nous, et, à notre
avis, ces lacunes de connaissances là devraient être comblées.
M. Jolin-Barrette : O.K. Et
donc j'en déduis de votre propos que les formations ne devraient pas nécessairement
être offertes uniquement aux juges qui siégeront au tribunal spécialisé en
matière de violence conjugale et sexuelle, mais devraient être offertes à
l'ensemble de la magistrature québécoise, parce que ça peut arriver que vous
avez des dossiers qui se ramassent dans une autre chambre, auxquels il va y
avoir un aspect de violence sexuelle ou de violence conjugale.
Mme Gagnon (Sophie) : Bien,
comme vous le savez, chez Juripop, en fait, on travaille surtout à l'extérieur
des matières criminelles et pénales. Donc, les constats qu'on a faits, que je
vous partage, on les a faits en matière civile et en matière administrative.
Donc, effectivement, si on veut, encore une fois, éviter de créer un système de
justice à deux vitesses, on considère que ce serait bénéfique que l'ensemble de
la magistrature suive ces formations-là.
M. Jolin-Barrette : O.K. De
votre point de vue, là, le fait de venir encadrer, avec une certaine distance,
les formations qui sont offertes aux juges en confiant ça au Conseil de la
magistrature, en disant : Bien, pour les juges qui vont être nommés, que
le Conseil des ministres va nommer, ceux-ci doivent s'engager à suivre la
formation, pour ceux qui sont en exercice, bien, le Conseil de la magistrature
doit développer une formation, puis c'est aux juges eux-mêmes à décider s'ils
suivent la formation ou à la direction de la cour, puis que les juges
suppléants, donc, les juges à la retraite qui sont rappelés, doivent la suivre
pour... suivre la formation, est-ce que, selon vous, ça respecte
l'indépendance?
Mme Gagnon (Sophie) : Comme je
vous ai dit, on ne s'est pas... On ne se prononcera pas sur la question de
l'indépendance judiciaire, mais ce qu'on peut réitérer, c'est que la question
de la confiance des personnes victimes et des survivantes envers le système de
justice concerne tout le monde, concerne la <magistrature...
M. Jolin-Barrette :
...
est-ce que, selon vous, ça respecte l'indépendance?
Mme Gagnon (Sophie) : Comme
je vous ai dit, on ne s'est pas... On ne se prononcera pas sur la
question
de l'indépendance judiciaire, mais ce
qu'on peut réitérer, c'est que la
question
de la confiance des
personnes victimes et des survivantes envers le
système
de justice concerne
tout le monde, concerne la >magistrature. Et,
dans les instances de tribunaux spécialisés qui existent ailleurs dans le
monde, moi, j'ai été heureuse, mais pas surprise, j'ai été heureuse de lire que
les juges étaient, en fait, les premiers à remarquer à quel point la formation
facilitait leur travail et améliorait la qualité de leur travail. Donc, on est
convaincus que c'est une formation qui va bénéficier non seulement aux personnes
victimes et aux survivantes, mais également aux magistrats.
M. Jolin-Barrette : Donc, en
quelque sorte, vous nous dites : C'est un outil de travail supplémentaire
qui permettrait même de faciliter leur travail puis la compréhension, et puis
ça ne veut pas dire, parce qu'on suit davantage de formation ou qu'on est
invité à suivre des formations, qu'on doit être pointé du doigt ou que ça ne
veut pas dire qu'on n'acquerra pas des compétences supplémentaires, là. Donc,
c'est utile et c'est utile pour l'ensemble des acteurs du système de justice.
Mme Gagnon (Sophie) : Bien, en
fait, nous, chez Juripop, c'est une condition préalable pour nos équipes qui
décident de se spécialiser en matière de violence sexuelle ou de violence
conjugale. On a des formations obligatoires. Une partie de ces formations-là
porte sur le droit substantif, mais la partie la plus utile de ces formations,
j'ai envie de vous dire, concerne la réalité sociale des violences sexuelles,
des violences conjugales. Puis on voit que c'est grâce à ces formations-là que
nos équipes parviennent à faire un bon travail. Alors, on considère que la même
logique s'appliquerait à tous les intervenants du système de justice.
M. Jolin-Barrette : O.K. Peut-être
une dernière question avant de céder la parole à mes collègues. Vous avez
abordé, tout à l'heure, l'enjeu de l'autorisation des poursuites. On va
recevoir le Directeur des poursuites criminelles et pénales tout à l'heure.
Plus précisément, au niveau de l'autorisation des poursuites, il y a des
directives qui sont indiquées. Comment voyez-vous la chose? Je comprends que,
là, ce que vous nous dites, c'est qu'il y a certains enjeux, certaines
difficultés avec l'autorisation de certaines poursuites. C'est ce que vous
voyez dans votre pratique. C'est ça?
Mme Gagnon (Sophie) : C'est
difficile de faire des recommandations plus poussées parce que la question de
l'autorisation des dossiers relève vraiment de la direction des poursuites
criminelles et pénales, en application de leurs directives, et les motifs
d'autorisation ou de refus d'autorisation ne sont pas rendus publics. Les
données ne sont pas compilées. Donc, en tant que tiers à ce mécanisme-là, on a
très peu d'information pour cerner, pour comprendre le problème s'il y en a un.
Mais ce qu'on vous rapporte aujourd'hui,
c'est que, parmi les personnes qui appellent chez Juripop avec des besoins
juridiques, il y a une quantité trop importante pour qu'on la passe sous
silence de personnes qui viennent nous voir, qui nous disent : J'ai porté
plainte à la police, il n'y a pas eu d'accusation dans mon dossier. Puis ce qu'on
constate, c'est que ces personnes-là sont vraiment... sont anéanties. Elles se
sentent dépossédées de leur histoire puis elles sentent aussi... puis je ne dis
pas que c'est un sentiment qui est fondé ou qui est ancré dans la réalité, mais
le sentiment est valide, elles sentent qu'il y a un déni de justice puis que le
système de justice favorise l'impunité.
Donc, à notre avis, c'est essentiel que la
question d'autorisation des dossiers fasse l'objet d'une réflexion. Peut-être
que l'issue de la <réflexion...
Mme Gagnon (Sophie) : ...sentent
aussi... puis je ne dis pas que c'est un sentiment qui est fondé puis qui est
ancré dans la réalité, mais le sentiment est valide, elles sentent qu'il y a un
déni de justice puis que le système de justice favorise l'impunité.
Donc, à notre avis, c'est essentiel que
la question d'autorisation des dossiers fasse l'objet d'une réflexion.
Peut-être
que l'issue de la >réflexion, ce sera : On le garde tel quel, mais
on explique les décisions différemment aux personnes victimes et aux
survivantes. Une autre réflexion qu'on a amenée dans notre mémoire, c'est la
question de la révision de ces décisions-là. Nous, c'est la première chose sur
laquelle on s'est penchés, chez Juripop, quand on a commencé à travailler sur
le sujet, comment est-ce qu'on peut demander une révision d'un refus
d'autoriser. Puis, en ce moment, le mécanisme, c'est d'écrire une lettre à la
procureure en chef ou au procureur en chef
Et puis, donc, c'est un mécanisme qui
n'est pas indépendant, là, du procureur qui a rendu la décision. Encore une
fois, les motifs sont communiqués à géométrie variable. On voit des
opportunités d'amélioration là, tout en reconnaissant le caractère essentiel de
protéger l'indépendance de la direction des poursuites criminelles et pénales à
ce sujet-là, mais l'impact sur les personnes victimes et les survivantes, à
notre avis, est trop important pour que ça ne fasse pas l'objet, au moins,
d'une réflexion.
M. Jolin-Barrette : O.K. Un
grand merci pour votre présence en commission parlementaire.
Mme Gagnon (Sophie) : Merci,
M. le ministre.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, M. le ministre. La parole maintenant revient au député de
Saint-Jean.
M. Lemieux : Pour combien de
temps, M. le Président?
Le Président (M. Benjamin) :
Pour 4 min 20 s.
M. Lemieux : Merci beaucoup,
M. le Président. Me Fortin, Me Gagnon, bonjour.
Je veux juste rebondir... Je m'en allais
complètement ailleurs, mais je vous entendais parler des gens qui... des femmes
surtout, mais des gens qui considèrent que leur plainte n'a pas été jusqu'où
elle aurait dû aller, en tout cas, celle aux policiers. Si vous ramenez ça dans
le contexte de ce que M. et Mme Tout-le-monde voient à longueur de
journée dans les médias sociaux, les dénonciations, peut-être que la vague a
diminué un petit peu, là, il y a une pandémie aussi qui a changé un peu les
choses, mais est-ce qu'il y a une relation à faire? Est-ce que ce que vous
sentez, c'est ce qu'on a vu aussi comme vague de #moiaussi, et tout le reste?
Mme Gagnon (Sophie) : Donc,
oui, il y a des personnes qui vont sur les réseaux sociaux parce qu'elles sont
allées porter plainte à la police, puis il n'y a pas eu d'accusation dans leur
dossier, puis elles ont un besoin de justice, ces personnes-là. Puis c'est pour
ça qu'elles vont se tourner vers d'autres formes de justice, dont les réseaux
sociaux, parce qu'elles sentent que leurs options devant le système de justice
ont été épuisées.
M. Lemieux : Merci. C'est ce
que je soupçonnais, mais je suis content de vous l'entendre dire. Vous avez
bien dit, pour commencer, et vous l'avez répété plusieurs fois, que les besoins
sont différents entre les violences conjugales et les violences sexuelles. Je
voudrais vous amener dans les violences conjugales, par rapport à ce que vous
disiez, jusqu'à un certain point, en termes de... Vous n'êtes pas vraiment dans
le pénal et le criminel. Vous travaillez beaucoup plus dans le familial.
Est-ce qu'en matière familiale il y a... Et
vous avez évoqué ça rapidement, tantôt, en vous servant d'un exemple, en disant :
Le juge qui dit que monsieur est violent, mais qu'il est un bon père. Je
voudrais en savoir plus. Je voudrais comprendre davantage ce que vous essayez
de nous dire en nous disant ça, s'il vous plaît.
Mme Gagnon (Sophie) : Avec
plaisir. Je vais laisser ma collègue Me Fortin répondre.
Mme Fortin (Justine) : En
fait, ce qu'on essaie de dire <par là, c'est...
M. Lemieux :
...rapidement, tantôt, en vous servant d'un
exemple, en disant : Le
juge qui dit que monsieur est violent, mais qu'il est un bon père. Je voudrais
en savoir plus. Je voudrais comprendre
davantage ce que vous essayez de
nous dire en nous disant ça,
s'il vous plaît.
Mme Gagnon (Sophie) :
Avec plaisir. Je vais laisser ma
collègue Me Fortin répondre.
Mme Fortin (Justine) :
En fait, ce qu'on essaie de dire >par là, c'est qu'il y a malheureusement
un mauvais amalgame qui est fait, en matière familiale, dans les contextes de
violence conjugale. Ce qu'on tente de faire... Et je parle plus particulièrement
dans les contextes où il n'y a pas... la violence conjugale n'est pas
judiciarisée au criminel. Donc, nous, ce qu'on tente de faire, comme avocats, par
exemple, chez Juripop plus particulièrement, c'est de présenter au juge des
faits objectivement vérifiables pour que le juge puisse analyser les faits à la
lumière du contexte qu'on lui présente, qui est : que ce soit judiciarisé
ou non, présentement, on est en présence d'enfants.
En droit de la famille, ce qu'on fait
majoritairement, c'est de se poser la question : Qu'est-ce qui est dans le
meilleur intérêt de l'enfant et quels sont ses besoins? Et on va mettre le
contexte de violence conjugale dans une petite boîte pour n'apprécier que ce
qui demeure. On est en présence d'un père qui a toujours été présent, qui a
déjà fait le souper, qui fait les devoirs et qui, donc, répond à une quantité
de besoins importants pour l'enfant. Mais on fait abstraction de tout le
contexte qu'on a tenté de démontrer, ces faits objectivement vérifiables, de la
violence, qu'elle ait été physique ou qu'on parle plutôt de contrôle coercitif,
et c'est ce avec quoi on doit se battre à tous les jours. Et, bien qu'il y ait,
effectivement, un changement de culture devant nos tribunaux de la famille
présentement, tout récemment, là, pas plus tard que la semaine dernière, mes
collègues ont eu droit à une remarque qui ressemble très étrangement à ce que
Me Gagnon vous a dit. Donc...
• (16 h 20) •
M. Lemieux : J'ose
espérer, quand je vous entends parler de contrôle coercitif, que la campagne de
publicité gouvernementale qu'on voit en ce moment ne fait pas juste évoluer les
téléspectateurs, mais que c'est vrai pour l'ensemble de notre société.
Je vais revenir sur quelque chose qu'on
nous a... bien, c'est en lien avec ce que vous venez de me dire, là. Un autre
témoin nous a expliqué qu'un coordonnateur permettrait justement d'éviter des
télescopages entre le criminel et pénal, familial, civil. À un moment donné, c'est
comme... Un chat y perdrait... Une chatte y perdrait ses chats. Puis là, bien,
en plus, ça rallonge, ça complique, c'est plus difficile pour les victimes. Il
y a probablement là un début de comment du pourquoi et, en même temps, de la
solution un peu, là, oui.
Mme Fortin (Justine) :
Oui, absolument. Donc, la manière dont on pratique présentement, chez Juripop,
donc, c'est selon un modèle spécialisé. Puis, à l'égard de ce modèle-là, il y a
énormément de concertation, mais également de coordination, donc, de s'assurer
que toutes les petites mailles du filet soient attachées ensemble. On le voit,
on le fait dans chacun des dossiers, puis ça va au-delà... puis c'est ce qui
est important, c'est ce qu'on tient à souligner dans notre mémoire, ça va
au-delà de l'administratif. Ça va au-delà de se dire : Cette famille-là,
ces parties-là sont également en chambre de la jeunesse, en chambre criminelle
et en chambre de la famille. Oui, c'est très important, mais ça va au-delà de
ça. Ça va avec la liaison, ça va <avec l'aspect...
Mme Fortin (Justine) :
...chacun des dossiers, puis
ça va
au-delà... puis c'est ce qui
est important, puis c'est ce qu'on tient à souligner dans notre mémoire, ça va
au-delà de l'administratif. Ça va au-delà de se dire : Cette famille-là,
ces parties-là sont également en chambre de la jeunesse, en chambre criminelle
et en chambre de la famille. Oui, c'est très important, mais ça va au-delà de
ça. Ça va avec la liaison, ça va >avec l'aspect clinique de la violence
conjugale.
Le Président (M. Benjamin) :
Malheureusement...
M. Lemieux : Oui, mon temps
est écoulé. Merci beaucoup.
Le Président (M. Benjamin) :
Malheureusement, c'est tout le temps qu'il restait au député de Saint-Jean.
Maintenant, la parole revient à la députée de Verdun.
Mme Melançon : Merci, M. le
Président. Me Gagnon, Me Fortin, ça fait plaisir de vous retrouver.
Je vais débuter mon intervention en vous
remerciant. Je veux vous remercier, parce qu'au départ du mouvement #moiaussi
vous avez répondu présentes lorsque le comité transpartisan a demandé... vous a
demandé de mettre sur pied, dans le fond, bien, du soutien juridique pour les
victimes parce qu'il y avait un vide complet. Je ne me souviens pas exactement
le montant qui avait été donné, donc, à Juripop, à ce moment-là, mais je sais
que vous avez fait des milliers d'interventions et j'aimerais savoir vous en
êtes où, justement, dans ce soutien-là actuellement.
Mme Gagnon (Sophie) : Alors,
c'est un... Bien, merci beaucoup pour vos bons mots, Mme Melançon. Merci encore
pour votre confiance.
Donc, c'est un projet... Le mandat qui
avait été confié à Juripop, c'était d'opérer un projet pilote de conseils
juridiques aux personnes victimes et aux survivantes en violence sexuelle plus
particulièrement. Et puis le projet pilote a pris fin au 30 septembre, et,
il y a quelques semaines, M. le ministre annonçait qu'il confiait à la
Commission des services juridiques le mandat d'offrir quatre heures de conseils
juridiques gratuits dans une forme de pérennisation des services qui étaient
offerts par Juripop.
Et, de notre côté, on s'est vu confier le
mandat d'opérer un laboratoire de pratiques innovantes en matière civile, en
matière administrative. Donc, concrètement, ce qu'on va faire, c'est de
représenter gratuitement des personnes victimes et survivantes en violence
sexuelle, en violence conjugale. On va documenter les obstacles d'accès à la
justice puis on va tester des moyens de les contourner. On va aussi constituer
une banque d'avocats et d'avocates spécialisés dans ces deux matières-là puis
déployer les fameuses formations à l'intention des juristes.
Mme Melançon : Merci. Merci
beaucoup, parce que je sais que ça a fait une différence. On a eu des
témoignages de victimes qui sont passées par vos bureaux, et je sais à quel
point ça a été... En tout cas, ça avait comblé, à ce moment-là, un vide qui
était immensément grand, et vous avez fait la différence.
Je tiens à revenir parce qu'on... Vous
avez entendu, de toute façon, d'autres témoignages. Je faisais le lien avec le
député de Saint-Jean, là, qui était en train de vous poser des questions quant
au coordonnateur juridique nécessaire. Hier, on a entendu Me Roussel, ici,
venir nous parler justement de la problématique, mais ce que je comprends,
c'est que, oui, entre les chambres... mais, même si ce n'est pas avec le pénal,
on a cette même problématique là. Donc, je pense qu'on doit retenir, à quelque
part, là, l'idée d'avoir <une...
Mme Melançon : ...coordonnateur
juridique
nécessaire. Hier, on a entendu Me Roussel, ici, venir
nous parler
justement de la
problématique, mais ce que je
comprends, c'est que, oui, entre les chambres... mais, même si ce n'est pas
avec le pénal, on a cette même
problématique-là. Donc,
je pense
qu'on doit retenir, à
quelque part, là, l'idée d'avoir >une
coordination faite par les chambres, si on décide de porter plainte puis
d'aller au pénal, mais que ce soit le pénal, avec la famille ou la DPJ, mais...
et ainsi de suite, là.
Donc, ça, j'ai bien retenu ça, et c'était
la première fois qu'on l'entendait avec Me Roussel hier, puis là, bien,
vous, aujourd'hui, vous revenez avec ça. Alors, je comprends qu'il y a quelque
chose de vraiment intéressant et de nécessaire si, vraiment, on veut aussi
diminuer les délais, parce que le but est aussi là, avec le tribunal spécialisé.
Je l'ai demandé, le ministre en a parlé tout à l'heure, moi, les projets
pilotes... On voit ça... Ça dépend, hein? Il y a des groupes qui disent :
Non, non, il faut y aller immédiatement. Il y en a qui disent : Non, il
faut attendre deux ans. Vous, sur la durée, exactement, là, je n'ai pas
bien saisi, qu'est-ce que vous proposez?
Mme Gagnon (Sophie) : Écoutez,
on ne s'est pas prononcés sur la durée. Chez Juripop, notre projet pilote était
prévu initialement pour 12 mois. Finalement, il a été prolongé à
18 mois. En toute franchise, ce fut bien rapide pour mettre en place
quelque chose de nouveau et surtout l'évaluer. Donc, sur la base de notre
expérience, un deux ans serait bien avisé, là, au minimum. Puis on
partage, par ailleurs, l'impatience de tout un chacun que ce tribunal
spécialisé voit le jour, mais c'est que défaire quelque chose qui fonctionne
mal prend encore plus de temps que de mettre en place quelque chose qui va bien
fonctionner, donc, d'où notre prudence à cet égard.
Mme Melançon : Et,
Me Gagnon, que pensez-vous de l'idée d'y aller de façon progressive,
c'est-à-dire de mettre une base, une base de travail, là, partout sur le
territoire puis d'aller, justement, habiller chacune des régions... j'étais
pour dire administrative, pardonnez-moi, mais chacun des districts judiciaires,
bien, à la vitesse, là, aussi... parce que ce que je comprends, c'est que les
acteurs sur le terrain... Il y a des régions où ça va beaucoup mieux, il y a
des régions où on un peu plus de retard. Est-ce que vous voyez que d'y aller de
façon progressive pourrait être un indice intéressant?
Mme Gagnon (Sophie) : Bien, je
pense que vous avez mis le doigt sur quelque chose d'intéressant, parce
qu'effectivement toutes les régions ne sont pas identiques, puis il y en a, des
régions où il en existe déjà, des formes de tribunaux spécialisés. Je pense à
Côté Cour, à Montréal, qui fonctionne déjà dans un modèle spécialisé. Donc,
évidemment qu'il faut miser sur ce qui existe déjà là avant de déployer les
solutions tous azimuts.
Mme Melançon : Je vous
entendais, tout à l'heure, parler de l'indépendance judiciaire, et je sais que
vous voulez être prudente, puis je ne veux pas vous mettre dans une drôle de
situation, mais il y a des inquiétudes actuellement quant à la contestation
judiciaire, hein, du tribunal spécialisé. Est-ce que, vous, ça vous inquiète de
voir ce qui se passe <actuellement...
Mme Melançon : ...je sais
que vous voulez être prudente, puis je ne veux pas vous mettre dans un drôle de
situation, mais il y a des inquiétudes actuellement quant à la contestation
judiciaire, hein, du tribunal spécialisé. Est-ce que, vous, ça vous inquiète de
voir ce qui se passe >actuellement?
Mme Gagnon (Sophie) : On
considère que, donc, les préoccupations quant à l'indépendance judiciaire sont
très importantes, là. En tant que juristes, c'est évident qu'on est sensibles à
ça, puis je suis convaincue que tout le monde autour de la table l'est.
Par contre, puis le juge en chef de la Cour
suprême le répète souvent, dans une démocratie, la confiance envers les
tribunaux est garante de leur légitimité puis leur fonctionnement, et, si cette
confiance-là s'effrite trop, puis ce n'est pas mes mots, c'est ceux du juge en
chef de la Cour suprême, ça va être l'anarchie. C'est ce qu'il dit quand il en
parle. Puis ce qu'on a vu sur les réseaux sociaux à l'été 2020, bien, c'est
une forme de... c'est une manifestation d'une confiance qui est trop
fragilisée.
Donc, c'est sûr que la position de
Juripop, c'est que le tribunal spécialisé doit voir le jour et que ça doit être
une occasion de collaboration de la part de tout le monde qui est touché par
ces questions-là, évidemment, dans le respect de l'indépendance judiciaire, qui
est tout aussi fondamentale que la confiance des citoyens, des citoyennes.
Mme Melançon : Et, dites-moi,
est-ce que vous êtes attachés... Bien, vous l'avez vu, là, avec les victimes,
puis vous avez vu beaucoup de monde, là, dans les deux dernières années et
demie. Est-ce que vous êtes attachés au nom «tribunal spécialisé» ou est-ce qu'on
peut... Parce que moi, ce que je souhaite, là, c'est que ça fonctionne. Je le
répète ici aujourd'hui, là, ce qu'on veut, là, c'est que le tribunal... qu'il n'y
ait pas de contestation, qu'on puisse démarrer partout au Québec pour que les
victimes puissent rebâtir leur confiance. C'était ça, le but du titre aussi. Et,
pour moi, ce qui est nécessaire aujourd'hui, c'est qu'on puisse aplanir des
tensions avec la juge en chef. On va le dire ici. Alors, pour moi...
Une voix
: ...
Mme Melançon : Il y a beaucoup
de tensions, M. le ministre. Je pense qu'on doit le dire ici, là. Il y a
beaucoup de tensions puis il y a des entrevues qui n'aident pas non plus le...
qui n'aident non plus dans les relations. Mais, cela étant dit, ce que je veux
savoir, Me Gagnon, c'est : Est-ce qu'on est attachés au nom «tribunal
spécialisé», ou si on parle d'une chambre spécialisée, ou si on écoute quand
même la juge en chef, que, malheureusement, on n'a pas entendue ici, en
commission? Est-ce que, pour vous, il y a une possibilité d'aplanir le tout?
Mme Gagnon (Sophie) : Nous, ce
qu'on constate sur le terrain, c'est que le besoin, c'est d'envoyer un symbole,
un message fort à l'effet que les personnes victimes, les survivantes, sont
entendues et que des changements vont être mis en place. On entend aussi le
besoin d'assurer que les droits constitutionnels des accusés vont continuer
d'être protégés. Alors, je suis convaincue que les personnes qui sont réunies
autour de la table sauront trouver une appellation qui répondra à ces deux
préoccupations-là.
• (16 h 30) •
Mme Melançon : Dans le rapport
Rebâtir la confiance, il y avait <190 recommandations. Là, on est
dans un chapitre...
>
16 h 30 (version révisée)
< Mme Gagnon (Sophie) :
...vont continuer d'être protégés. Alors, je suis convaincue que les personnes
qui sont réunies autour de la table sauront trouver une appellation qui
répondra à ces deux
préoccupations-là.
Mme Melançon : Dans le
rapport Rebâtir la confiance,
il y avait >190 recommandations.
Là, on est dans un chapitre... On est dans le chapitre 12, et vous, de votre
côté... parce qu'on a parlé de la formation des juges, tout à l'heure, puis je
vous entendais bien, mais il y a aussi la formation des autres acteurs, hein,
qui sont autour des victimes. Pour vous... Puis on a entendu le ministre dire
qu'il y avait une ouverture pour introduire, dans le projet de loi n° 92, justement, de la formation.
Est-ce qu'il y a des gens auxquels on n'a
pas pensé, mais qu'on a nommés, que vous, vous voyez? Parce qu'on parle des
policiers, bien sûr, on parle des procureurs. Est-ce que vous voyez d'autres
gens qui devraient être aussi introduits avec une formation pour les victimes?
Mme Gagnon (Sophie) : Bien, je
vais le répéter, parce qu'on est bien fiers de ce mandat-là, il est important. Puis
évidemment les membres du Barreau, les juristes doivent être formés. On pense
aux avocats du droit de la famille, aux procureurs de la couronne, aux avocats
de la défense. À savoir si ça a sa place dans le projet de loi, je vous
laisserai en juger, mais on considère que ces formations-là sont essentielles. Puis
nous, dans nos dossiers, autrement, les intervenants avec qui on va travailler,
qui n'ont pas été nommés, il y a les agents de probation, les intervenants de
la direction de la protection de la jeunesse. Je ne sais pas si j'en oublie,
mais ça, je crois, fait le tour des personnes avec qui on travaille.
Mme Melançon : Merci beaucoup
de votre présence aujourd'hui. Merci de votre éclairage.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme la députée de Verdun. Maintenant, la parole revient à la députée de
Sherbrooke.
Mme Labrie : Merci. Vous
nommez les intervenants pour la protection de la jeunesse. C'est quelque chose
que j'entends, moi, très souvent, comme députée en circonscription, la
nécessité qu'ils soient formés aussi. Je veux vous parler des survivantes de
violence conjugale. J'anticipe, moi aussi, une forme de déception de leur part,
de voir que, pour tout ce qui concerne chambre de la famille, chambre de la
jeunesse, elles ne seront pas concernées, finalement, par le tribunal
spécialisé. Est-ce que vous nous faites la recommandation d'un projet pilote
dédié à ça? Est-ce que vous pensez qu'on devrait l'inclure dans le projet de
loi? Parce que j'ai l'impression que, si on ne le fait pas, on va échapper une
partie du changement de culture dont on a besoin, là.
Mme Gagnon (Sophie) : Bien, si
vos compétences constitutionnelles vous le permettent, on considère que ce serait
bien avisé. Puis j'inviterais peut-être ma collègue à vous partager des
statistiques intéressantes à ce sujet-là.
Mme Fortin (Justine) :
Justement, hier, je faisais la recherche sur SOQUIJ de tous les jugements qui,
depuis janvier 2021... qui portaient la mention «violence conjugale», donc, en
droit de la famille, uniquement. Donc, SOQUIJ m'a donné 67 jugements. Et,
ensuite de ça, j'ai fait la recherche avec le terme «violence conjugale». «Violence
conjugale», 18 jugements. Et, dans «violence conjugale», on a rétréci la
recherche à la mention «criminelle» et on est allés vérifier si était attaché à
ça un historique... Donc, il était question d'un historique, donc, d'un dossier
qui serait judiciarisé en chambre criminelle, et seulement 10 des dossiers,
donc, 10 des jugements, pardon, étaient une mention soit d'une plainte,
d'accusation ou de <condamnation...
Mme Fortin (Justine) :
...criminelle, et on est allé vérifier si était attaché à ça un historique... Donc,
il était
question d'un historique, donc, d'un dossier qui serait
judiciarisé en chambre criminelle, et
seulement 10 des dossiers, donc,
10 des jugements, pardon, étaient une mention soit d'une plainte, d'accusation
ou de >condamnation en matière de violence conjugale.
C'est donc dire qu'il y a 57 jugements
qui portaient la mention «violence conjugale» dans lesquels ils ne faisaient
pas mention d'un dossier criminel. Et, on le sait, depuis 2020, les règles de
la Cour supérieure... Un avocat du droit de la famille est obligé de le
divulguer dans ses procédures, la présence d'un dossier, ou d'accusations, ou
même d'un jugement en matière criminelle lorsque ce jugement-là concerne une
des deux parties. Donc, pour moi, si on n'en tient pas compte, on va assurément
échapper une grande partie des personnes victimes de violence conjugale et les
enfants qui les accompagnent.
Mme Labrie : Il y a même
quasiment un risque qu'elles se sentent trahies, finalement, par la mise en
place des tribunaux spécialisés, pour découvrir, au final, que, pour elles, ça
ne changera pas grand-chose.
Mme Fortin (Justine) : Je
dirais oui pour la simple raison qu'on le voit avec les personnes requérantes qui...
qu'on représente, celles qui ont un dossier pour lequel ne serait-ce que la
plainte a été... est allée vers des accusations, mais pas nécessairement en
condamnation, ont un sentiment qu'elles ont été plus écoutées, parce que ce qui
se passe en chambre familiale est souvent inconséquent... incohérent, plutôt,
avec ce qui se passe en chambre criminelle.
Mme Gagnon (Sophie) : ...Mme
Labrie, que le recul est plus important en matière familiale qu'en matière
criminelle.
Le Président (M. Benjamin) : Malheureusement,
c'est tout le temps dont Mme la députée de Sherbrooke disposait. La parole
revient maintenant à la députée de Joliette.
Mme
Hivon
: Merci
beaucoup. Vous amenez toujours un éclairage fort pertinent et des enjeux sur
lesquels on s'est peu penchés jusqu'à maintenant. L'autorisation des poursuites,
donc, merci beaucoup, c'est une préoccupation que je partage et dont on va
pouvoir discuter avec le DPCP en fin de journée. Et l'autre élément, c'est
l'intégration de justice alternative au sein du tribunal spécialisé. Moi, je
dirais aussi justice réparatrice. Donc, on est dans les mêmes eaux, là. J'ai lu,
évidemment, votre mémoire là-dessus. Moi, je me dis qu'on est peut-être
capables, justement... parce qu'on est en train de créer un nouveau modèle plus
intégré, où les besoins, la réalité de la victime doivent être au centre.
Est-ce que, concrètement, vous voyez des
éléments qui pourraient être introduits dans le cadre des compétences qu'on a
pour permettre à la victime d'avoir un plus grand rôle sur ses besoins en
termes de réparation à l'intérieur du processus criminel?
Mme Gagnon (Sophie) : Avant de
répondre à votre question, je ne l'ai pas dit dans mes remarques introductives,
mais cette recommandation-là concerne vraiment les dossiers de violence
sexuelle et non pas de violence conjugale.
Mme
Hivon
: Tout
à fait.
Mme Gagnon (Sophie) : Donc,
bien, l'obstacle, à notre avis, c'est la question de l'auto-incrimination, là,
parce que le besoin qui, nous, nous est rapporté des personnes survivantes, c'est :
Je veux des excuses, j'ai besoin d'une reconnaissance. Donc, à notre avis, ce
que le Québec pourrait faire, c'est de tester des modèles de justice
réparatrice dans les dossiers qui feraient l'objet de poursuites par voie
sommaire, où là il y a un délai de <prescription en matière...
Mme Gagnon (Sophie) :
...c'est : Je veux des excuses, j'ai besoin d'une
reconnaissance.
Donc,
à notre avis, ce que le
Québec pourrait faire, c'est de
tester des modèles de justice réparatrice dans les dossiers qui feraient
l'objet de poursuites par voie sommaire, où là il y a un délai de >prescription
en matière criminelle. Donc, une fois que le délai de prescription est épuisé,
l'accusé ne risquerait plus de faire un aveu qui pourrait lui être opposable
parce qu'il ne pourrait plus être accusé.
Donc, l'idée, ce serait de mettre en place
vraiment des échanges de conversation supervisés et sécuritaires, encadrés par
des professionnels, qui permettraient aux personnes survivantes d'avoir une
conversation avec l'agresseur allégué pour obtenir cette forme de réparation
là.
Mme
Hivon
: O.K.
Sur la question de la formation versus la spécialisation, dans votre optique,
évidemment, tu peux être formé et devenir spécialisé, mais tu peux aussi former
tout le monde. Dans le projet de loi, là, on parle de former tous les juges. On
espère voir intégrée la formation des autres intervenants.
Pour vous, est-ce que la formation, ce qui
doit primer, c'est que tout le monde soit formé de base, là, qu'importe dans
quel domaine il pratique ou si... et/ou aussi la formation en continu? Et, si
oui, si on est dans une logique de formation en continu, est-ce que c'est tout
le monde tout le temps en continu ou est-ce qu'on spécialise à un moment donné?
Le Président (M. Benjamin) :
Malheureusement, j'ai l'impression que cette question-là restera malheureusement
sans réponse puisque c'est tout le temps qui était imparti. Donc, alors, merci,
Mme la députée de Joliette. Me Sophie Gagnon, Me Justine Fortin,
merci pour votre contribution à nos travaux.
Je suspends la commission quelques
instants, le temps d'accueillir nos prochains invités.
(Suspension de la séance à 16 h 38)
>
(Reprise à 16 h 49)
Le Président (M. Benjamin) :
Alors, voilà, nous allons reprendre nos travaux. Donc, je souhaite tout de
suite la bienvenue à Mme Mélanie Walsh, directrice générale de l'Auberge
Madeleine. Je vous rappelle que vous disposez, Mme Walsh, de
10 minutes pour votre exposé. Par la suite, nous procéderons à une période
d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite donc à vous
présenter et à procéder à votre exposé. La parole est à vous.
Mme Mélanie Walsh
Mme Walsh (Mélanie) :
Merci. Bonsoir à tous et à toutes. Je m'appelle Mélanie Walsh et, ce soir, je représente
le Partenariat pour la prévention et la lutte à l'itinérance des femmes. Merci
de l'invitation.
• (16 h 50) •
Donc, le Partenariat pour la prévention et
la lutte à l'itinérance des femmes, c'est un regroupement montréalais de cinq
ressources d'accompagnement et d'hébergement aux femmes en situation
d'itinérance : l'Auberge Madeleine, La rue des Femmes, les Maisons de l'Ancre,
Maison Marguerite et Passages.
Nous offrons un continuum de services de
soutien et d'accompagnement ainsi que 242 places en hébergement d'urgence,
court, moyen et long terme, aux femmes en difficulté. Nous offrons aussi du
soutien communautaire en logement afin de contribuer au maintien en logement et
ainsi prévenir un retour vers une situation d'itinérance. Nous accompagnons des
femmes particulièrement vulnérables et marginalisées dans leurs démarches de
reprise de pouvoir. Les profils de ces femmes sont multiples : jeunes
issues de la DPJ, aînées, immigrantes, autochtones, travailleuses du sexe,
consommatrices, femmes en psychose, en situation de handicap, femmes trans.
Leurs parcours, réalités et besoins sont
variés et complexes. Les problématiques qu'elles rencontrent sont souvent
concomitantes : pauvreté, discrimination, méconnaissance du système,
problèmes de santé mentale et physique, violence familiale, consommation,
démêlés avec la justice, profilage, éviction, une longue liste à laquelle
s'ajoutent, bien évidemment, la violence en contexte conjugal et les agressions
sexuelles.
Plusieurs des femmes que nous soutenons
ont vécu des violences et agressions dès l'enfance. Souvent, elles on vu les
violences se perpétuer dans le temps avec un conjoint ou un partenaire intime,
si brève ou instable soit cette <relation...
Mme Walsh (Mélanie) :
...à laquelle s'ajoutent, bien évidemment, la violence en contexte conjugal et
les agressions sexuelles.
Plusieurs des femmes que nous soutenons
ont vécu des violences et agressions dès l'enfance. Souvent, elles ont vu les
violences se perpétuer dans le temps avec un conjoint ou un partenaire intime,
si brève ou instable soit cette >relation, avec un colocataire, un
voisin, un propriétaire, un employeur, un inconnu. Parfois, les femmes vivent
des violences multiples, au même moment de leur vie, provenant de différentes
sources. Ce n'est pas un mais plusieurs épisodes de violence qu'elles
connaissent simultanément.
Plusieurs de ces femmes ont vécu des
expériences négatives, voire traumatisantes au sein du système :
protection de la jeunesse, corps policiers, système judiciaire, réseau de la
santé et des services sociaux. Elles sont souvent en processus de
désaffiliation et de rupture sociale. Il faut comprendre qu'il est
particulièrement difficile pour une femme en situation d'instabilité
résidentielle d'entreprendre des démarches de dénonciation ou de plainte envers
un agresseur.
Les femmes qui fréquentent nos ressources
arrivent à bout de souffle. Le processus judiciaire est long pour une femme qui
ne sait pas de quoi le lendemain sera fait. Ces femmes mènent déjà plusieurs
démarches en parallèle, qui peuvent représenter une montagne en contexte de
survie. Leur situation d'instabilité exacerbe les autres problématiques
qu'elles vivent. Elles craignent souvent pour leur sécurité et se montrent
craintives à fréquenter des lieux mixtes ou encore à identifier leur agresseur.
Leurs blessures et traumatismes prennent
beaucoup de place et sont des répercussions entrecroisées de la violence
systémique et interpersonnelle à laquelle elles font souvent face. Leurs
expériences passées avec le système les rendent d'autant plus hésitantes à
dénoncer des situations d'injustice et de violence. Il faut dire qu'elles ont
l'habitude de voir leur crédibilité être mise à rude épreuve. En effet, toutes
les femmes ne sont pas égales face au système de justice. Les mythes et
préjugés sont grands à l'égard des femmes marginalisées et en situation
d'itinérance, et le projet de loi n° 92 appelle à ce qu'on prenne en
considération leurs besoins spécifiques.
Nos recommandations appellent à des
solutions enchâssées dans les notions d'accessibilité, d'universalité, de
gratuité, mais aussi de dignité. Que nous disent les femmes en situation
d'itinérance qui vivent de la violence conjugale et sexuelle? Eh bien, les
femmes nous disent qu'elles veulent, d'abord et avant tout, être bien
accueillies. Elles souhaitent être entendues et jugées crédibles malgré leurs
difficultés. Elles aspirent à être traitées avec respect et dignité.
En ce qui concerne l'assouplissement des
mesures et la sécurité des femmes, le processus judiciaire doit être
suffisamment souple pour prendre en considération la désaffiliation des femmes
en situation d'errance. Les femmes doivent pouvoir réaliser leur témoignage au
poste de police de la ville où elles se trouvent. Les témoignages ressassent
des traumatismes qui peuvent générer des réactions vives qui <donnent...
Mme Walsh (Mélanie) :
...le processus judiciaire doit être suffisamment souple pour prendre en
considération la désaffiliation des femmes en situation d'errance. Les femmes
doivent pouvoir réaliser leur témoignage au poste de police de la ville où
elles se trouvent. Les témoignages ressassent des traumatismes qui peuvent
générer des réactions vives qui >donnent l'impression de revivre
l'agression. Des professionnels formés et désignés doivent être présents dans
les lieux où les témoignages se font afin de soutenir adéquatement les femmes,
d'autant plus les femmes les plus vulnérables.
Bien sûr, toutes les mesures disponibles
doivent être prises pour éviter qu'une femme ait à témoigner en présence de son
agresseur. Il faut prendre en considération la sécurité des femmes à toutes les
étapes du processus et selon leur contexte de vie. Certaines femmes en
situation d'itinérance occupent l'espace public sur une base quotidienne pour
quémander, par exemple. D'autres adoptent des stratégies de survie qui les
rendent plus à risque au regard de leur propre sécurité : travail du sexe,
consommation, présence dans des lieux de consommation, habitation commune,
relation avec un groupe organisé de coercition, etc. Il ne faut pas négliger le
besoin de protection accrue et d'intervention rapide en cas de danger pour ces
femmes. Il faut penser à communiquer avec elles en tenant compte de leur
instabilité résidentielle et des facteurs de vulnérabilité qui y sont associés,
par exemple, comment rejoindre ces femmes pour leur communiquer la sortie de
prison de leur agresseur.
En ce qui concerne la formation, d'autres
l'ont dit avant nous, il est crucial de rendre obligatoire la formation pour
les policiers, policières et procureurs, ainsi que l'ensemble des acteurs et
intervenantes impliqués dans le processus. La formation doit être inclusive
afin de tenir compte des réalités de violence conjugale et agression sexuelle
en contexte spécifique d'itinérance. Plusieurs mythes et stéréotypes sont à
déconstruire. La formation devrait aborder le continuum des violences dans une
perspective intersectionnelle des oppressions.
La victime doit être jugée crédible, peu
importe son parcours et ses difficultés. Ses problèmes de santé mentale ne
devraient pas entacher l'entièreté de son témoignage. Les traumas ou le niveau
d'intoxication de la victime joueront nécessairement sur ses souvenirs des
faits lors de l'agression. La vie privée des victimes et le contexte dans
lequel l'agression a été commise ne devraient pas porter atteinte à leur
crédibilité et à leur dignité. Les femmes font l'objet de questions intrusives,
voire abusives, lors du témoignage et en contre-interrogatoire. Tous les
groupes qui travaillent directement auprès des femmes l'ont dit, la victime ne
doit pas faire l'objet d'une revictimisation.
En ce qui concerne l'accès aux services,
les multiples expériences traumatisantes vécues par les femmes violentées
peuvent être envahissantes : flashback, sentiment de panique, paralysie,
idéation suicidaire, comportement d'autodestruction, difficultés à faire
confiance. L'accompagnement psychosocial des femmes est primordial dès le
dévoilement des abus et en continu, que la femme décide ou non de dénoncer la
violence aux policiers, que la plainte soit retenue ou non. Les services
doivent être faciles d'accès. Quand une femme en situation d'itinérance vit de
la violence conjugale ou sexuelle, ses besoins <sont urgents...
Mme Walsh (Mélanie) :
...des femmes est primordial dès le dévoilement des abus et en continu, que la
femme décide ou non de dénoncer la violence aux policiers, que la plainte soit
retenue ou non. Les services doivent être faciles d'accès. Quand une femme en
situation
d'itinérance vit de la violence conjugale ou sexuelle, ses besoins >sont
urgents. Devoir ajouter son nom à une liste d'attente n'est pas une option
acceptable.
Des intervenantes formées devraient être
présentes à chaque étape du processus. On ne saurait trop insister, un
accompagnement doit être offert avant le processus judiciaire, pendant et
après. Le soutien doit être souple et adapté aux besoins spécifiques identifiés
par les femmes. Limiter ce soutien à quelques heures ou l'associer à des
conditions peut mettre en péril le processus de guérison des victimes, qui est
loin d'être linéaire.
Enfin, nous recommandons de simplifier et
d'accélérer l'accès aux programmes gouvernementaux en lien avec la violence
conjugale et les agressions sexuelles.
En ce qui concerne le rapport annuel sur
la mise en oeuvre du tribunal, nous souhaitons l'établissement d'indicateurs de
résultats qui vont permettre de mesurer l'efficacité et la portée du tribunal
et de la formation pour s'assurer d'un meilleur accès à toutes les femmes, même
les plus vulnérables, j'ose dire surtout les plus vulnérables, au système
judiciaire. Nous avons espoir que le processus d'évaluation apporte des
bonifications réelles pour une meilleure prise en compte des réalités
spécifiques des femmes en situation d'itinérance.
Enfin, notre Partenariat pour la
prévention et la lutte à l'itinérance des femmes recommande l'instauration
d'une structure indépendante en cas de plainte, de difficulté dans le processus
ou de non-respect des droits des victimes, et ce, peu importe l'étape du
processus et l'acteur ou actrice concernée. Les femmes pourraient y formuler
des recommandations susceptibles d'améliorer leur passage dans le système
judiciaire. Je vous remercie de votre attention.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme Walsh, pour votre exposé. Nous allons commencer maintenant la
période des échanges. M. le ministre, la parole est à vous.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Mme Walsh, bonjour. Merci de participer aux travaux de la commission
parlementaire. J'ai beaucoup aimé votre présentation parce que vous venez nous
présenter une réalité qu'on n'a pas entendue à la commission parlementaire jusqu'à
ce jour relativement à des personnes qui sont dans une situation de très grande
vulnérabilité. Et ce qui est important dans ce que vous dites, bien entendu, il
s'agit d'une clientèle qui est particulière, qui a des besoins particuliers,
puis vous le dites bien, toute personne doit recevoir la même crédibilité à
l'intérieur du système de justice lorsqu'elle dénonce. Elle doit recevoir le
même soutien, le même accompagnement. Et c'est l'objectif du tribunal
spécialisé, toutes les personnes doivent être sur le même pied d'égalité et il
ne doit pas y avoir de mythe, pas de préjugés.
• (17 heures) •
Et je peux vous raconter une situation également
qui s'est produite l'automne dernier. J'ai eu connaissance... Et vous avez
donné l'illustration qu'une victime doit pouvoir porter plainte à l'endroit où
elle est lorsqu'elle fait... elle demande à un corps de police... Elle se
présente à un corps de police sur la Rive-Sud de Montréal. Il est arrivé que
j'ai eu... Ça a été porté à mon attention, une femme qui avait été agressée
sexuellement dans un certain endroit, qui <s'était déplacée suite à...
>
17 h (version révisée)
<15359
M.
Jolin-Barrette :
...porter plainte à l'endroit où elle est
lorsqu'elle
fait... elle demande à un corps de police, elle fait... elle se présente à un
corps de police sur la Rive-Sud de
Montréal. Il est arrivé que j'ai
eu... ça a été porté à mon attention, une femme qui avait été agressée
sexuellement, dans un certain endroit, qui >s'était déplacée, suite à
l'agression sexuelle, dans un autre endroit, et le corps de police de l'autre
endroit avait dit : Bien, allez porter votre plainte dans le corps de
police où vous avez été agressée sexuellement, ce qui est complètement
inacceptable et inadmissible. Et ça a été corrigé, la vice-première ministre a
envoyé une correspondance à tous les corps de police pour leur rappeler que
c'était complètement inacceptable.
Je voulais vous demander, sur le tribunal
spécialisé, comment voyez-vous... et comment fait-on pour intégrer adéquatement
les personnes qui se retrouvent dans vos ressources, les personnes que vous
accompagnez au quotidien? Comment est-ce qu'on doit... si on pense à elles,
dans le continuum de services, là, comment est-ce qu'on peut intégrer leur
réalité à ce qu'elles vivent à l'intérieur du parcours? Parce qu'il y a toutes
sortes de victimes, incluant celles au nom desquelles vous parlez aujourd'hui.
Mme Walsh (Mélanie) :
Oui, effectivement. Permettez-moi, donc, de revenir sur l'enjeu de la formation.
Donc, on a fait quelques propositions pour une formation qui se veut inclusive.
Donc, on parle notamment d'aborder ce qu'on appelle le continuum des violences,
l'intersectionnalité des oppressions. On l'a dit, les femmes auxquelles on
s'adresse sont des femmes qui vivent de multiples formes de discrimination à
différents égards. Donc, c'est important de comprendre de quelle manière ces discriminations-là
vont venir se superposer les unes par-dessus les autres.
Aussi, c'est important, au niveau de la formation,
d'aborder les impacts ou conséquences des traumatismes pour mieux comprendre, notamment,
les réactions de ces femmes-là. Évidemment, il faut parler de choc
post-traumatique, il faut parler du contexte d'itinérance, d'instabilité
résidentielle, pour éviter la revictimisation. Donc, on pense que la formation
peut permettre de répondre au sentiment de sécurité dont les femmes ont besoin
pour pouvoir se présenter devant des policiers, devant une cour, etc. Donc, effectivement,
ça appelle à un changement de culture qui est plus large aussi. J'ai des
prédécesseurs qui l'ont nommé au courant de la journée.
Donc, c'est un grand chantier, mais je
pense que le tribunal, il envoie un message clair aux victimes, à savoir que
les violences conjugales et agressions sexuelles ne sont pas tolérées. Et de
permettre aux victimes d'entamer un processus de guérison, à travers la plainte
ou pas, c'est un pas dans la bonne direction pour les femmes qu'on reçoit.
M. Jolin-Barrette : Et
pour vous, là, je vous entends sur les formations, là, la nécessité de ces
formations, est-ce que, de votre pratique, de ce que vous vivez au quotidien,
vous constatez qu'il y a des lacunes, en termes de formation, de connaissance,
parmi les intervenants du système de justice, parmi tous les intervenants du système
de justice?
Mme Walsh (Mélanie) :
Oui. <Je parlais...
M. Jolin-Barrette :
Et
pour vous, là, je vous entends sur les
formations, là, la nécessité de
ces formations, e
st-ce que, de votre pratique, de ce que vous vivez au
quotidien, vous constatez
qu'il y a des lacunes,
en termes de
formation,
de connaissance, parmi les
intervenants du
système de justice,
parmi tous les
intervenants du
système de justice?
Mme Walsh (Mélanie) :
Oui. >Je parlais un peu plus tôt, en fait, des contacts que ces femmes
très vulnérables, vous l'avez dit, ont eus au contact des différents systèmes, hein?
Bien, souvent, ça commence... j'ai parlé des services de protection de la
jeunesse, donc, ça commence en amont. Les violences qu'elles rencontrent, souvent,
vont commencer très tôt et... Voilà. J'ai perdu votre question, excusez-moi.
M. Jolin-Barrette : En fait, est-ce
que, de votre expérience, il y a des lacunes, relativement à la réalité, qui
sont vécues par les clientèles avec lesquelles vous travaillez? Est-ce que,
quand vous les recevez, là, à travers le parcours, actuellement, avec les
différents intervenants, vous constatez qu'il y a des choses à améliorer au
niveau de la formation?
Mme Walsh (Mélanie) : Oui,
bien sûr. Donc, je faisais référence à l'ensemble du système, là, il y a des
lacunes à tous les niveaux. Tu sais, je veux dire, vous l'avez dit vous-même,
ça fait deux jours qu'on est en audition, et c'est la première prise de
parole où on parle de femmes qui ont un profile autre. Donc, c'est sûr que,
quand une femme qui est particulièrement vulnérable, qui a des problèmes de
consommation, qui va s'adonner au travail du sexe, qui a des problèmes de santé
mentale, vous le savez comme moi, quand elle se présente à l'hôpital, à
l'urgence, dans un poste de police, à la cour, les acteurs et actrices qui la
reçoivent sont teintés par leurs propres stéréotypes et préjugés. Il y a beaucoup
à faire pour démystifier et donc parler des besoins de ces femmes-là.
J'entendais d'autres interlocutrices
nommer le besoin de guérison, qui ne passe pas toujours par le processus
judiciaire, mais encore faut-il que toutes les femmes aient l'option de se
tourner vers le système judiciaire, si c'est ce qu'elles souhaitent. Donc, oui,
il y a plusieurs lacunes pour qu'on en vienne à éviter la revictimisation des
femmes les plus vulnérables, qui sont déjà en choc post-traumatique, et qu'on
leur accorde... je parlais de dignité, un peu plus tôt dans ma présentation,
bien, c'est de ça dont on parle aussi, de leur redonner du pouvoir dans leur
propre processus de guérison.
M. Jolin-Barrette : Peut-être
une dernière question avant de céder la parole à mes collègues. Dans le cadre
de votre pratique, là, de votre réalité quotidienne de tous les jours, là, quel
est le sentiment général des femmes que vous accompagnez, en lien avec le système
de justice? Quelle est leur perception?
Mme Walsh (Mélanie) : Bien,
leur perception, c'est une perte de confiance dans le système, c'est que ça ne
vaut pas la peine, c'est que... de toute façon, qu'est-ce que ça donne? Et donc
il y a beaucoup de réticence à se tourner vers le système judiciaire.
C'est sûr que, pour des femmes qui sont
dans un contexte d'instabilité résidentielle, je le disais plus tôt, là, les
besoins sont multiples et les démarches sont multiples. Donc, quand tu es dans
le processus où tu te cherches un logement, possiblement un emploi <ou un
revenu...
Mme Walsh (Mélanie) :
...donc
il y a
beaucoup de réticence à se tourner vers le
système
judiciaire.
C'est sûr que, pour des femmes qui sont
dans un contexte d'instabilité résidentielle, je le disais plus tôt, là, les
besoins sont multiples et les démarches sont multiples. Donc, quand tu es dans
le
processus où tu te cherches un logement, possiblement un emploi >ou
un revenu, il y a beaucoup à faire. Donc, parfois la plainte ou le processus
judiciaire va s'entamer dans un deuxième temps, un troisième temps, donc, question
d'abord de récupérer un peu de stabilité.
M. Jolin-Barrette : Peut-être
un dernier commentaire. L'objectif du tribunal spécialisé est vraiment de faire
en sorte de changer les choses puis changer la façon dont on fonctionne, vraiment,
pour faire en sorte que toutes les personnes victimes aient confiance dans le système
de justice. Donc, ce que vous me dites, à l'effet que... est-ce que ça vaut la
peine de le faire, c'est ça qu'il faut changer, il faut que ça soit accueillant
et tout en respectant le droit des accusés, la présomption d'innocence,
l'impartialité du tribunal. Mais il faut faire en sorte qu'aucune personne ne
se dise, au Québec : J'ai peur, j'ai la crainte, est-ce que ça vaut la
peine de faire cette démarche-là? La réponse qui doit arriver, là, et c'est
là-dessus qu'on doit travailler ensemble, la réponse doit être oui, oui, ça
vaut la peine que des comportements odieux soient punis et que la victime soit
au coeur du processus tout au long de la procédure.
Ça ne signifie pas que ça va se
concrétiser par une condamnation. Ce n'est pas l'objectif du tribunal
spécialisé. Mais, au bout du compte, dans le cadre du processus judiciaire...
Et c'est possible, même, que parfois la plainte ne soit pas autorisée, pour x,
y raison, mais il faut que le tout soit fait de la bonne façon, bien accompagné
et que, toutes les personnes, peu importe la situation dans laquelle elles se
trouvent, bien, l'accompagnement soit adapté et répond à leurs réalités et que
la satisfaction soit là aussi.
Parce que moi, je crois vraiment que ça
peut avoir un impact positif également, cet accompagnement-là, et surtout de
réussir à franchir cette difficulté-là qui été vécue par la personne. Parce
qu'on ne choisit pas de devenir une victime, ça nous arrive. Et c'est pour ça, notamment,
qu'on a fait l'IVAC... la réforme de l'IVAC, entre autres, mais on est dans
cette logique-là pour le continuum de services.
Alors, je vous remercie beaucoup pour
votre passage en commission parlementaire. Je vais céder la parole à mes collègues.
Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, M. le ministre. Mme la députée de Repentigny.
Mme Lavallée : Merci pour
votre présence, parce que vous venez de parler d'une réalité... (panne de son)
...femmes qui sont vraiment vulnérables dans notre société. Moi, ce qui me...
Le Président (M. Benjamin) : Est-ce
qu'on peut ajuster le micro de Mme la députée de Repentigny, s'il vous plaît?
Voilà.
Mme Lavallée : C'est-tu
correct?
Le Président (M. Benjamin) :
C'est parfait. Excellent.
Mme Lavallée :
M'entendez-vous?
Le Président (M. Benjamin) :
Oui. Là, c'est parfait.
Mme Lavallée : Oui. O.K.
Excusez-moi. Ce que j'aimerais savoir... C'est parce qu'on sait que ces
femmes-là vivent des traumas importants. Je ne sais pas si vous êtes capable de
nous parler du terrain, en ce qui concerne les traumas que ces <femmes-là...
Le Président (M. Benjamin) :
Excellent.
Mme Lavallée :
M'entendez-vous?
Le Président (M. Benjamin) :
Oui. Là, c'est parfait.
Mme Lavallée :
Oui.
O.K. Excusez-moi. Ce que j'aimerais savoir... C'est parce qu'on sait que ces
femmes-là vivent des traumas
importants. Je ne sais pas si vous êtes
capable de nous parler du terrain,
en ce qui concerne les traumas que
ces >femmes-là vivent, et de l'impact que ça peut avoir sur les
témoignages qu'elles ont à rendre lorsqu'elles veulent témoigner de ce qu'elles
ont vécu, concrètement, là.
• (17 h 10) •
Mme Walsh (Mélanie) : Oui. Bien,
les traumas, ça se manifeste de différentes manières. Je parlais, un peu plus
tôt, de flashback. Ça a l'air de rien, mais avoir l'impression d'être en train
de revivre une agression ou un événement traumatique, c'est quelque chose, et
il faut en tenir compte, ça, c'est sûr.
Je parlais du sentiment de panique ou le
sentiment de paralysie des femmes. Elles le nomment souvent, l'impression
d'être gelée. Les femmes vont souvent avoir une très faible estime
d'elles-mêmes, peuvent adopter des comportements qu'on dit d'autodestruction, ça
peut être de l'automutilation, ça peut être, donc, de la consommation, ça peut
être de s'exposer, là, à des comportements qui les mettent elles-mêmes à risque,
et, je le nommais, la pierre angulaire, la difficulté à faire confiance.
Donc, quand on a vécu des violences à
répétition, en contexte conjugal, de la part de membres de la famille, de
conjoint, d'un ex, de différents acteurs, il est difficile de faire confiance
aux gens en général et d'autant plus à un système qui contribue à vous
marginaliser. Donc, les traumas, c'est au coeur... J'ai envie de vous dire
qu'on ne peut pas travailler avec les femmes les plus vulnérables sans tenir
compte de leurs traumatismes. Merci de la question.
Mme Lavallée : Puis ça m'amène
à une autre chose, c'est... Tout à l'heure, on a parlé de la formation, puis je
pense que c'est d'autant plus important de démystifier ce que peuvent signifier
les traumas puis les conséquences sur ces femmes-là. Et, pour tous les
intervenants qui vont faire affaire avec cette femme-là, c'est important
d'avoir ces notions-là. Je pense, là, c'est primordial.
Mme Walsh (Mélanie) : Oui, je pense
que c'est comme ça, notamment, qu'on va pouvoir arriver à éviter la
victimisation secondaire, la revictimisation. Je pense que c'est important que
la victime soit bien accompagnée lorsqu'elle veut dénoncer. On le sait, hein,
en amont, il faut être bien préparé. Et, oui, les femmes, souvent... une chose
que je n'ai pas nommée, c'est aussi leur sentiment de honte et de culpabilité,
donc, qui est bien présent et qui va parfois les empêcher de porter plainte ou
de dénoncer la situation.
Mme Lavallée : Puis j'imagine
que, lorsqu'une de ces femmes-là décide de porter plainte, de faire face à la
justice, votre rôle, comme organisme qui comprend cette réalité-là, est
d'autant plus important. Donc, votre rôle d'accompagnants, j'imagine que c'est
primordial, parce que vous avez une expertise que plusieurs n'ont pas.
Mme Walsh (Mélanie) : En effet, et
j'ai envie de rajouter qu'on a <la confiance...
Mme Lavallée : ...plainte,
de
faire face à la justice, votre rôle, comme organisme qui comprend cette
réalité-là, est d'autant plus important. Donc, votre rôle d'accompagnants,
j'imagine que c'est primordial, parce que vous avez une expertise que plusieurs
n'ont pas.
Mme Walsh (Mélanie) :
En effet, et j'ai envie de rajouter qu'on a >la confiance des femmes.
Donc, oui, nos maisons d'hébergement... Je disais qu'on est un partenariat de
cinq maisons d'hébergement, et nous avons, dans nos maisons, des intervenantes
qui peuvent faciliter des accompagnements physiques, lors des témoignages ou
d'un passage à la cour, par exemple. Ça fait souvent bien toute la différence
pour les femmes, elles se sentent moins seules.
Et il faut comprendre que c'est des femmes
qui sont souvent bien isolées, beaucoup plus que d'autres femmes, hein? Souvent,
quand on parle, là, des femmes qui viennent témoigner... c'est difficile pour
l'ensemble des femmes, mais on va référer à des femmes qui sont éduquées,
éloquentes, entourées, soutenues, en bonne posture financière, qui n'ont pas de
problème de santé mentale majeur. Là, on parle de femmes qui cumulent ces
différentes problématiques.
Mme Lavallée : Puis je finirai
en vous demandant : Avez-vous des témoignages de femmes qui ont été
capables de dépasser leur peur de faire face à la justice et ce que ça a
apporté de changements dans leur vie, l'impact que ça a pu avoir eu de positif,
d'avoir été capable de faire face à ça puis d'obtenir justice?
Mme Walsh (Mélanie) : Oui. Par
contre, c'est sûr que, chez nous, on est vraiment dans l'accompagnement des
femmes à court, moyen et long terme, dépendamment de nos ressources. C'est sûr
que, les ressources qui font plus dans l'urgence, on n'a pas nécessairement
l'occasion de voir les femmes aller au bout de leur processus. On l'a nommé tout
à l'heure, les processus judiciaires, ce sont des processus qui sont très longs
et lents, donc parfois, c'est quelques années plus tard. Je reçois, par exemple,
des courriels de femmes qui témoignent de la différence qu'on a pu faire dans
leur vie en les hébergeant, mais pas seulement en les hébergeant, en les
soutenant, en les accompagnant dans leur processus de dénonciation et aussi
au-delà de la dénonciation. Je pense qu'il y a un enjeu crucial pour les femmes
qu'on soutient, c'est le fait d'être crues. Donc, ça, ça vient bien au-delà du
processus judiciaire.
Et on parlait... le ministre Jolin-Barrette
parlait de bienveillance, tout à l'heure, bien, c'est aussi notre rôle de les
accueillir avec bienveillance et de croire à leurs histoires. J'entendais aussi
madame... Juripop parler de valider les sentiments des femmes qu'on rencontre.
C'est la première étape, je pense, dans le processus de guérison.
Mme Lavallée : Je vous
remercie beaucoup.
Mme Walsh (Mélanie) : Merci
de vos questions.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme la députée de Repentigny. Donc, maintenant, au tour de la députée de
Verdun de poursuivre les échanges.
Mme Melançon : Bonjour, Mme
Walsh. Merci beaucoup, d'abord, d'avoir accepté notre invitation, parce que les
femmes en situation d'itinérance sont souvent les <grandes oubliées...
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme la députée de
Repentigny. Donc, maintenant, au tour de la
députée de Verdun de poursuivre les échanges.
Mme Melançon : Bonjour, Mme
Walsh. Merci beaucoup, d'abord, d'avoir accepté notre invitation, parce que les
femmes en
situation d'itinérance sont souvent les >grandes
oubliées. Et j'ai eu l'immense privilège d'aller visiter votre maison et j'ai
vu tout le travail qui est fait.
Et avant d'aller plus loin, j'ai simplement
une question, M. le Président, pour vous. Tout à l'heure, le ministre a parlé
d'une lettre de la vice-première ministre, qu'elle a acheminée aux différents
corps de police. Je demanderais, si c'est possible, au ministre de déposer la
lettre ici, à la commission, parce que c'est quelque chose, malheureusement,
que je n'ai pas vu passer, et je pense que ce serait important qu'on puisse
voir cette lettre-là. Alors, si c'est possible de le déposer, pas
obligatoirement immédiatement, là, mais dans les prochaines heures, auprès de
la commission, s'il vous plaît.
Je reviens... parce que moi, je retiens
des mots clés, et j'ai eu une bonne rencontre avec vous, donc je pense que ça
me revient aussi en tête lorsqu'on parle de crédibilité, de respect et de
dignité. Moi, c'est toujours les trois mots qui me reviennent en tête, puis je
vous entends prononcer ces mots-là. Est-ce que vous diriez, Mme Walsh, que
les femmes en situation d'itinérance sont des victimes recherchées, justement,
pour des crimes à caractère sexuel et des crimes en violence conjugale?
Mme Walsh (Mélanie) : Oui,
bien sûr. Ce sont des femmes qui sont particulièrement vulnérables, et, parmi
leurs stratégies de survie, il y a le fait de se rendre invisibles, hein, ce
qu'on appelle l'itinérance cachée. Ce n'est pas pour rien que les femmes se
rendent invisibles, c'est notamment pour passer sous le radar et éviter d'être
la proie de différents agresseurs.
L'autre chose, c'est que, quand tu es en
situation d'itinérance, bien, tu dois te débrouiller pour te trouver un toit
pour la nuit. Il y a plusieurs hébergements d'urgence qui sont mis sur pied de
manière précipitée, notamment pendant les périodes hivernales, et qui sont des
milieux mixtes. Et, bien, par exemple, nous avons accueilli cet hiver des
femmes qui disaient avoir subi des agressions sexuelles dans ces hébergements-là.
Donc, elles sont particulièrement vulnérables et, comme je le dis, itinérance
cachée, bien, c'est pour se protéger. On dit souvent que la rue, elle est
dangereuse pour les femmes, donc elles vont, par tous les moyens, tenter
d'éviter de se retrouver dans la rue. Elles sont tout de même à la rue, mais
elles vont s'arranger pour qu'on ne les voie pas.
Mme Melançon : Alors,
lorsqu'on parle de ces femmes, on parle souvent, donc, de victimes, victimes de
violence sexuelle et de violence conjugale, qui sont les thèmes qu'on <aborde
aujourd'hui...
Mme Walsh (Mélanie) :
...sont tout de même à la rue, mais elles vont s'arranger pour qu'on ne les
voie pas.
Mme Melançon : Alors,
lorsqu'on parle de ces femmes, on parle souvent, donc, de victimes, victimes de
violence sexuelle et de violence conjugale, qui sont les thèmes qu'on >aborde
aujourd'hui pour la formation de ce tribunal spécialisé.
Moi, j'aimerais qu'on puisse aborder la
formation, parce que, là, à partir du moment où on sait que les femmes en
situation d'itinérance sont des victimes, trop souvent victimes de violence
sexuelle puis de violence conjugale, bien, je pense que... puis il y en a
plusieurs, là, vous le dites vous-même, là, il y a désaffiliation, elles ne
veulent pas tellement aller parler à la police, là. Les filles, ce n'est pas...
elles vont plutôt se confier à vous, là.
Mme Walsh (Mélanie) : C'est
vrai.
Mme Melançon : Et elles vont
se confier à vos intervenantes. Il y a de la formation, j'imagine, qui est
donnée par des organisations comme les vôtres, soit aux policiers ou... parce
que vous êtes une ressource non seulement pour les femmes victimes
d'itinérance, mais aussi pour les policiers puis pour les autres acteurs
sociaux.
Est-ce que des formations que vous, vous
pourriez offrir soit aux policiers, aux juges, aux procureurs, bref... Parce
que c'est une voix qu'on n'entend pas suffisamment, puis je le dis et je me
suis levée à quelques reprises pour faire entendre la voix de ces femmes qu'on
n'entend pas suffisamment. Comment est-ce qu'on peut offrir la meilleure formation
possible pour ces femmes, justement, qui vivent en marge de la société aussi?
• (17 h 20) •
Mme Walsh (Mélanie) : Bien,
oui, je pense que des membres de notre partenariat peuvent certainement
contribuer à bonifier le contenu de la formation. On parlait un peu plus tôt,
donc, de continuum des violences, d'intersectionnalité des oppressions. Je sais
que le terme peut faire peur, mais, quand même, les femmes ont des identités
multiples. Et on a beaucoup parlé, en temps de pandémie, hein, de nos
privilèges. Bien là, on parle des femmes qui sont les moins privilégiées et qui
font l'objet de discrimination et d'oppression systémiques. Et je pense que,
oui, on peut certainement contribuer à démystifier ce que c'est que de se
retrouver en situation d'itinérance, les multiples facteurs qui peuvent
contribuer à ce qu'une femme se retrouve en situation d'itinérance.
Et, à nouveau, je reviens sur les
traumatismes, donc, quels impacts... Les problèmes de santé mentale des femmes,
ils sont majeurs. Elles ont été agressées à de multiples reprises, et ce sont
des survivantes. Donc, oui, je pense même que plusieurs d'entre elles
voudraient contribuer à bonifier cette formation qu'on veut la plus inclusive
possible.
Mme Melançon : Je suis
certaine que vous ne tenez pas nécessairement des chiffres, mais, sur le nombre
de femmes que vous voyez dans une année, il y en a <combien qui...
Mme Walsh (Mélanie) :
...à bonifier cette formation qu'on veut la plus inclusive possible.
Mme Melançon : Je suis
certaine que vous ne tenez pas nécessairement des chiffres, mais, sur le nombre
de femmes que vous voyez dans une année, il y en a >combien qui vont
décider d'aller dénoncer à la police, par exemple?
Mme Walsh (Mélanie) : Bien,
chez nous, c'est plus de 300 femmes qui sont hébergées annuellement, puis
ça se compte sur les doigts d'une main.
Mme Melançon : Donc, ces
victimes-là sont laissées à elles-mêmes, dans le sens où elles ne veulent pas
rentrer dans un processus judiciaire. Est-ce qu'elles ont l'aide pour survivre
à une agression?
Mme Walsh (Mélanie) : Bien,
c'est tout... Premièrement, certaines d'entre elles souhaiteraient entamer un
processus judiciaire, pas toutes, mais certaines d'entre elles. Après ça, ce
dont on parle, c'est de l'accès aux services et aux soins.
Donc, je parlais tout à l'heure des listes
d'attente, notamment. Je veux dire, une femme qui est dans une situation de
très grande précarité et d'urgence, à qui on demande de patienter... Je vous
donne un exemple. On vous dit qu'on vous rappelle d'ici cinq mois. Mais où
serez-vous dans cinq mois? Avez-vous même un cellulaire pour qu'on puisse vous
contacter? Et puis les femmes, bien, elles vivent beaucoup de précarité,
souvent vont perdre leurs pièces d'identité, vont perdre leur cellulaire. Donc,
oui, les obstacles sont multiples et majeurs.
Mme Melançon : J'ai une
question pour vous. Une femme qui vient pour du court terme ou du moyen terme
chez vous, qui quitte, qui retourne parfois dans la rue, parfois... Vous
m'aviez donné l'exemple des cabanons, hein? Il y en a qui essaient d'avoir
juste un petit toit au-dessus de la tête, là, puis parfois, bien, c'est sur un
sofa d'un ami, où il y a du monde. Est-ce qu'elles reviennent souvent chez
vous? Est-ce qu'elles vont repasser pour venir donner des nouvelles? Parce que
je suis juste en train de me poser la question : Comment on fait pour les
retrouver, ces femmes-là? Puis est-ce que vous pourriez devenir une certaine...
en tout cas, un endroit où on peut tenter de retrouver ces femmes-là?
Mme Walsh (Mélanie) : Oui, on
peut agir, j'ai envie de dire, comme courroie de transmission. Donc, c'est sûr
que les femmes qui sont en situation d'itinérance chronique ou cyclique, bien
souvent, elles reviennent ou vont errer d'une ressource à une autre, ce qui
fait que, collectivement... c'est aussi pour cette raison que notre partenariat
est né, collectivement. On les connaît, les femmes.
Maintenant, il y a aussi des cas de figure
où il y a des femmes qui ont besoin de soutien. C'est ponctuel, elles sont sans
toit sécuritaire pour la nuit, ça dure quelques semaines, et on ne les revoit
plus jamais. Donc, oui, c'est possible de travailler en collaboration pour
qu'on puisse alimenter ces femmes-là en matière <d'information, oui...
Mme Walsh (Mélanie) :
...qui
ont besoin de soutien. C'est ponctuel, elles sont sans toit
sécuritaire pour la nuit, ça dure quelques semaines, et on ne les revoit plus
jamais. Donc, oui, c'est possible de travailler en collaboration pour qu'on
puisse alimenter ces femmes-là en matière >d'information, oui.
Mme Melançon : Dernière question
parce que je pense qu'il me reste très peu de temps.
Le Président (M. Benjamin) :
Une minute.
Mme Melançon : Une minute.
Vous parliez des indicateurs de résultats, justement, pour les femmes plus
vulnérables, à l'intérieur de ce qu'on demanderait à être déposé à l'Assemblée
nationale, là, tel que c'est indiqué. Vous pensez à quoi?
Mme Walsh (Mélanie) : Bien, il
faudra voir, tu sais, par exemple, si les profils des femmes qui ont bénéficié
du tribunal spécialisé sont à peu près tous les mêmes. Je veux dire, vous
parliez, un peu plus tôt, de La victime parfaite, il y a Mme
Clermont-Dion qui a fait T'as juste à porter plainte. On s'adresse quand
même à un profil de femme, comme je le disais un petit peu plus tôt, tu sais,
qui est éduquée, éloquente, bien entourée, soutenue, qui n'a pas de problème de
santé mentale majeur.
Est-ce que, véritablement, le système de
justice permet à toutes les victimes de se tourner pour obtenir réparation? En
ce moment, ce n'est pas le cas. Donc, ça, c'est un grand voeu, mais on parlait
de changement de culture, tout à l'heure, et c'est ce qu'on souhaite, de voir
des femmes avec des profils différents et donc avec des besoins multiples se
présenter devant la cour pour dénoncer.
Mme Melançon : Merci beaucoup.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme la députée de Verdun. Maintenant, au tour de la députée de Sherbrooke
de poursuivre les échanges.
Mme Labrie : Merci, M. le
Président. Une des recommandations que vous faites dans votre mémoire,
c'est : «Simplifier et accélérer l'accès aux programmes gouvernementaux en
lien avec la violence conjugale et les agressions sexuelles.» Est-ce que la
récente réforme de l'IVAC répond à ces préoccupations-là, de votre point de vue?
Mme Walsh (Mélanie) : Bien,
oui. Puis là, moi, je ne me suis pas penchée de manière approfondie sur la
réforme de l'IVAC, mais oui, c'est sûr que de pouvoir accéder aux
indemnisations de l'IVAC de manière plus rapide, mais aussi pour l'ensemble des
victimes, peu importe si elles entament un processus judiciaire ou pas, c'est
important. On peut penser aussi à un accès rapide, par exemple, aux pensions
familiales, pour certaines femmes. Donc, ça, c'est différentes mesures selon, justement,
les profils et besoins des femmes, là. Mais nous, on parle de femmes qui sont
en situation de grande précarité et pauvreté, donc nécessairement, bien, il
faut réfléchir à leurs besoins de base.
Mme Labrie : Mon micro...
Merci. C'est pour ça que je vous demande ça, parce qu'avant... vous l'avez
nommé vous-même, là, avant de penser à porter plainte, il faut quand même avoir
géré ses besoins fondamentaux. Quels autres types de programmes gouvernementaux
mériteraient d'être simplifiés ou accélérés pour leur faciliter la vie?
Mme Walsh (Mélanie) : Ah!
bien, c'est sûr qu'on peut parler de logement, notamment. Tu sais, on parle de
besoins de base, nous sommes des ressources d'hébergement pour les femmes. On
sait que les femmes qui vivent de la violence conjugale peuvent être priorisées
dans l'octroi de HLM, <notamment...
Mme Labrie : ...leur faciliter
la vie?
Mme Walsh (Mélanie) :
Ah! bien, c'est sûr qu'on peut parler de logement,
notamment. Tu sais,
on parle de besoins de base, nous sommes des ressources d'hébergement pour les
femmes. On sait que les femmes qui vivent de la violence conjugale peuvent être
priorisées dans l'octroi de HLM, >notamment. Mais encore, le processus,
il n'est pas si évident et il y a un paquet d'autres critères, n'est-ce pas,
pour pouvoir être éligible au niveau d'un HLM. Et souvent, les femmes qu'on
rencontre, bien, elles ont épuisé leurs recours, elles ont perdu leur place en
HLM, elles ne sont plus éligibles, elles n'ont pas fait leurs impôts des 10 dernières
années.
Donc, c'est sûr qu'il y aurait matière à
regarder quelles sont les spécificités, au niveau des profils de ces femmes-là,
pour qu'elles puissent accéder elles aussi à un logement lorsqu'elles se
retrouvent en situation de violence conjugale ou sexuelle.
Mme Labrie : Merci. Je trouve
ça intéressant parce que vous nous amenez à réfléchir à ce qui doit être fait
pour accompagner les victimes en amont, aussi, de l'accès au système de
justice, là. Merci beaucoup.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme la députée de Sherbrooke. Maintenant, au tour de la députée de
Joliette.
Mme
Hivon
: Oui.
Merci, M. le Président. Bonjour. Je vais poursuivre un petit peu sur la même
voie. Mais, dans votre document, dans la rubrique Accès aux services et aux
soins, là, vous parlez vraiment que les intervenants formés devraient être
présents à chaque étape du processus, avant, pendant, après.
Alors, je voulais juste savoir si... pour
vous, qui ça comprend, les intervenants dans le processus pour lesquels on
devrait prévoir de la formation? J'imagine que les femmes avec qui vous traitez
rencontrent des gens qui pourraient être d'une bonne aide à différentes étapes.
Encore faudrait-il qu'ils soient formés. Donc, est-ce que vous avez en tête,
essentiellement, policiers, procureurs ou vous dites : Non, aussi des
intervenants sur le terrain, psychosociaux, CLSC?
Mme Walsh (Mélanie) : Oui,
tous ces acteurs. Oui, les policiers, les procureurs, les intervenants
psychosociaux, tout à fait. On l'a dit tout à l'heure, on parle de femmes dont
on parle relativement peu, et ce n'est pas parce que tu es intervenant
psychosocial que tu es familier, familière avec les réalités de ces femmes-là.
Donc, je pense que la formation, elle doit être rendue le plus large possible.
Je pense qu'on doit l'imposer et la rendre obligatoire pour certains acteurs
qui sont vraiment au coeur du processus. Mais plus on sera en mesure
d'accueillir l'ensemble des femmes victimes avec bienveillance, bien, plus le
processus de guérison sera entamé rapidement.
• (17 h 30) •
Mme
Hivon
: O.K.
Merci. Puis il y a une idée qui a été discutée, dans le cadre du rapport
Rebâtir la confiance, qui est de créer un peu un guichet unique, un peu
comme on voit, par exemple, à Marie-Vincent, en matière d'agression sexuelle
chez les enfants, pour faciliter la vie des victimes, donc qu'elle ait sous un
même toit autant la réception pour une plainte formelle, que de l'aide
psychosociale, que du suivi juridique, que des services sociaux.
Est-ce que, pour le type de clientèle...
je n'aime pas <tellement ce mot-là, mais de femmes avec qui...
>
17 h 30 (version révisée)
<27
Mme
Hivon
: ...faciliter la vie des
victimes. Donc, elle
est sous un même toit, autant la réception pour une plainte formelle, que de
l'aide psychosociale, que du suivi juridique, que des services sociaux. Est-ce
que, pour le type de clientèle, je n'aime pas >tellement ce mot-là, mais
de femmes avec qui vous traitez, ça serait aidant ou on devrait plus avoir les
ressources qui vont chez vous en itinérance?
Mme Walsh (Mélanie) : Alors, ça,
c'est une bonne question, mais les deux, j'ai envie de dire. C'est sûr que, si j'entends
les femmes dire : Oui, il faut démultiplier les démarches auprès de
différents acteurs, ça commence à être compliqué. Si vous venez à nous, elles
sont ici. C'est sûr que ça ouvre la porte à restaurer confiance dans le
système, permettre qu'elles posent des questions, qu'elles se fassent une tête,
à savoir si elles veulent aller de l'avant avec leur dénonciation. Donc, les
deux sont pertinents, mais le guichet unique, oui, j'entends les femmes dire
que c'est ce qu'elles souhaiteraient. Ça faciliterait leurs démarches.
Mme
Hivon
:
Parfait. Donc, on passe le message.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci beaucoup. Merci, Mme la députée de Joliette. Mme Mélanie Walsh,
directrice générale de l'Auberge Madeleine, merci beaucoup pour votre
contribution aux travaux de la commission.
Nous allons suspendre quelques instants,
le temps de pouvoir accueillir nos autres témoins. Merci.
(Suspension de la séance à 17 h 31)
>
(Reprise à 17 h 39)
Le Président (M. Benjamin) :
Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Nous allons reprendre les travaux de la commission.
Je souhaite la bienvenue aux représentants
du Directeur des poursuites criminelles et pénales. Je vous rappelle que vous
disposez de 10 minutes pour votre exposé. Par la suite, nous procéderons à
la période d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite donc à
vous présenter et à procéder à votre exposé. La parole est à vous.
Directeur des
poursuites criminelles et pénales (DPCP)
M. Michel (Patrick) : Alors,
merci, M. le <Président...
Le Président (M. Benjamin) :
Je souhaite la bienvenue aux représentants du
Directeur des poursuites
criminelles et pénales. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes
pour votre exposé.
Par la suite, nous procéderons à la
période
d'échange avec les membres de la
commission. Je vous invite donc à vous
présenter et à procéder à votre exposé. La parole est à vous.
M. Michel (Patrick) :
Alors, merci, M. le >Président. Alors, merci à tous les membres
de la commission pour votre accueil et pour l'intérêt que vous portez à l'égard
de la position du DPCP concernant le projet de loi n° 92.
Alors, je me présente, Patrick Michel,
directeur des poursuites criminelles et pénales depuis le 23 avril
dernier. Je suis accompagné de Me Anny Bernier, procureure en chef au bureau du
Directeur des poursuites criminelles et pénales, qui a assumé, depuis le dépôt
du rapport Rebâtir la confiance... qui a assumé la coordination des
travaux que nous avons conduits, en fait, menés à l'interne, tant au sujet de l'implantation
du tribunal spécialisé que de l'analyse et de la mise en oeuvre des
recommandations qui nous concernent plus spécifiquement.
• (17 h 40) •
Alors, évidemment, comme nous avons déposé
ou transmis une correspondance à la commission, je ne vais pas en faire la
lecture. Si vous me permettez, je vais seulement m'attarder à quelques points, peut-être,
de compléments pour bonifier, du moins, je l'espère, le contenu de notre
correspondance, de nos observations.
Donc, d'emblée, je peux vous dire, nous
l'avons écrit dans notre correspondance, le DPCP est d'accord avec les
objectifs, est favorable aux objectifs poursuivis par la création d'un tribunal
spécialisé tel qu'il est décrit au chapitre 12 du rapport Rebâtir la
confiance. Je ne ferai pas l'énumération de tout ce qu'on y retrouve, la
nomenclature de tout ce qu'on y retrouve comme recommandations, mais disons
que, si on résume le tout comme suit, disons, un bouquet de mesures ou un ensemble
de mesures qui visent à faciliter le passage des victimes au travers du système
de justice criminelle et pénale. On parle évidemment des victimes de violence
conjugale, de violence sexuelle. Alors, évidemment, nous sommes en accord avec l'objectif
poursuivi par le projet de loi.
J'aborderais trois points spécifiques :
d'abord, les mesures que nous avons mises en oeuvre, le DPCP, pour améliorer
nos pratiques depuis le dépôt du rapport, quelques-unes des mesures, on ne peut
pourra pas en faire toute la nomenclature, encore une fois; deuxièmement, peut-être
l'impact, l'impact de ce changement important sur nos ressources, particulièrement
au niveau de la gouvernance de l'institution; et, le troisième point,
j'aborderai peut-être, brièvement, si le temps me le permet, la formation
offerte au sein du DPCP.
Donc, au niveau de l'amélioration de nos
pratiques, une des mesures-phares, en fait, dans les recommandations qui nous
visent, évidemment, c'est l'implantation de la poursuite verticale. Pour le
bénéfice des gens qui nous écoutent... Je l'ai déjà dit ici, mais, pour le bénéfice
des gens qui nous écoutent, donc, la <poursuite...
M. Michel (Patrick) :
Donc,
au niveau de l'
amélioration de nos pratiques, une des
mesures-phares, en fait, dans les
recommandations qui nous visent,
évidemment,
c'est l'implantation de la poursuite verticale. Pour le bénéfice des gens qui
nous écoutent... Je l'ai
déjà dit ici, mais, pour le bénéfice des gens
qui nous écoutent, donc, la >poursuite verticale signifie que le
procureur qui autorise la poursuite en assume la conduite jusqu'à la fin des
procédures. Alors, c'est une mesure-phare pour nous, parce qu'évidemment c'est
de cette façon que se matérialise, disons, concrètement l'accompagnement ou le
meilleur accompagnement qu'on peut accorder aux victimes de violence sexuelle
et de violence conjugale.
Alors, ce fut, disons, des travaux importants
qu'on a menés depuis l'octroi des ressources qu'on a obtenues, donc, 35 premiers
postes dont on a procédé à la dotation suite à la mise à jour de notre banque
de candidatures. Alors, ces postes-là sont dotés. Nous avons modifié en
conséquence nos directives, parce que la poursuite verticale était déjà imposée
comme principe, dans la mesure du possible, en matière de violence sexuelle.
L'ajustement n'avait pas été encore fait dans nos directives. Alors, nous avons
annoncé la modification de nos directives en ce sens.
Maintenant, il faut comprendre qu'on est
encore en phase d'implantation avant qu'on puisse affirmer que la poursuite
verticale est implantée parfaitement partout au Québec en matière de violence
conjugale. Lorsqu'on comble les postes, bien, vous pouvez imaginer que les gens
n'arrivent pas nécessairement immédiatement en fonction. On a pu, par exemple,
combler certains postes avec des gens qui étaient des procureurs, des gens à
notre emploi qui pouvaient être en congé de maternité, qui seront de retour
progressivement. Ces gens-là quittent des postes, libèrent d'autres postes qui
deviennent vacants, qu'il faut remplacer. Alors, avant qu'on puisse dire que
toutes ces ressources-là... que l'atterrissage est fait dans notre réseau, et
qu'on puisse compléter l'implantation de la poursuite verticale, et sentir tous
les bénéfices et les bienfaits des ressources qu'on a obtenues, il y a encore
un atterrissage à faire.
Pour ce qui est des autres mesures, j'en
nomme quelques-unes et je ne veux pas diminuer l'importance, là, des autres,
mais ce serait long, comme je vous dis, d'en faire toute la nomenclature.
Une des recommandations, qui était de
pérenniser nos communautés de savoir en matière de violence sexuelle et de violence
conjugale, c'est une mesure qui est complétée. Certains rappels qu'on nous
demandait de faire sur l'utilisation des ordonnances et de garder ce qu'on
appelle communément les 810... Je vous ai dit qu'on a annoncé la modification à
nos directives en ce qui concerne la poursuite verticale en matière de violence
conjugale. On a aussi annoncé la modification de notre directive en matière d'agression
sexuelle pour prévoir que, dorénavant, les rencontres qui étaient, d'après
notre directive, une rencontre préparatoire au procès... que ces rencontres-là
deviennent une rencontre <préparatoire au...
M. Michel (Patrick) :
...
en matière de
violence conjugale. On a aussi annoncé la
modification
de notre directive
en matière d'agression sexuelle pour prévoir que,
dorénavant, les rencontres qui étaient, d'après notre directive, une rencontre
préparatoire au procès... que ces rencontres-là deviennent une rencontre >préparatoire
au témoignage à toute étape des procédures, donc, lorsque la victime doit y
témoigner, ce qui était, donc, la recommandation 56.
J'en passe d'autres. Évidemment, il y a
beaucoup... il y avait beaucoup de recommandations qui étaient de la nature de
rappels ou de précisions à nos directives par rapport, notamment, à
l'utilisation de ce qu'on appelle les mesures d'aide au témoignage. Alors, ces
rappels-là ont été faits, et, précision, nos directives seront faites. En fait,
de la façon que ça fonctionne, c'est qu'il y a un processus, là, pour modifier
nos directives. Il doit y avoir une consultation des poursuivants désignés, des
autres poursuivants que le DPCP, auxquels nos directives s'appliquent, et
éventuellement il y a une publication qui est faite. Mais, entre-temps, nous avons
indiqué aux procureurs de se conformer à ces changements-là d'ici à ce que les
modifications soient faites formellement dans nos directives et qu'elles soient
publiées.
Pour ce qui est du deuxième point,
brièvement, évidemment, bon, on peut imaginer que l'intégration dans nos
pratiques... D'abord, les modifications que ça impose à nos pratiques, à
l'organisation de notre travail, pour ce qui est de l'ensemble des
recommandations qui visent le DPCP, les suivis qu'on a à en faire au niveau de
la performance, du respect des mesures, donc, de notre performance
organisationnelle, qu'on vise toujours à améliorer, particulièrement en ce
domaine-là, alors, évidemment, ça a un impact qui vient s'ajouter sur, disons,
la charge de travail des dirigeants, donc, au niveau de la gouvernance.
C'est un chantier important, la mise en
oeuvre du tribunal spécialisé, le déploiement des ressources en conséquence, la
mise en oeuvre des pratiques qu'on doit changer, des suivis qu'on doit faire.
Et ce chantier-là, majeur, prioritaire, bien, il s'ajoute à d'autres chantiers
aussi importants, prioritaires, qu'on pense... Je n'en ferai pas toute la
nomenclature, mais qu'on pense à tout ce qui est, bon, le programme de
modernisation de la justice, l'implantation de la gestion électronique de nos
dossiers du début à la fin des procédures, tout ce qui concerne l'adaptabilité
de nos pratiques, de nos façons de faire, par exemple, dans le traitement des
dossiers qui comportent soit des victimes ou des accusés autochtones,
l'adaptabilité de la justice en matière de justice alternative, alors, tout ça,
ce sont des défis bien, bien stimulants.
On n'est plus seulement dans l'opération,
au DPCP, mais beaucoup dans le développement organisationnel, et ça a un
impact. Ça a un impact important au niveau de la charge... de la gouvernance.
Nous sommes deux, en fait, une équipe de deux. Il y a moi puis un directeur <adjoint...
M. Michel (Patrick) :
...ce sont des défis bien, bien stimulants.
On n'est plus
seulement dans
l'opération, au DPCP, mais
beaucoup dans le
développement
organisationnel,
et ça a un impact. Ça a un impact important au niveau de la charge... de la
gouvernance. Nous sommes deux, en fait, une équipe de deux. Il y a moi puis un
directeur >adjoint. Depuis la création du DPCP, en 2007, alors la
croissance organisationnelle a été quand même assez importante. Tant mieux, je
m'en réjouis, mais disons que nos effectifs, tant en termes de procureurs que
de personnel de soutien, ont plus que doublé, avec tout ce que ça peut
impliquer, vous imaginez, au niveau de la gestion des ressources humaines, des
relations de travail, de la gestion budgétaire. Alors, je vais profiter de
l'occasion, donc, pour le souligner.
Mon dernier point, s'il me reste un peu de
temps, M. le Président...
Le Président (M. Benjamin) :
30 secondes.
M. Michel (Patrick) : Votre
regard m'indique le contraire. Au niveau de la formation, je m'attends bien à
avoir des questions. Alors, au niveau de la formation, je vous dirai qu'on a un
programme de formation de base obligatoire en matière de violence conjugale, de
violence sexuelle, qui aborde notamment toute la question des mythes, préjugés,
réalités. Alors, voilà, mais j'aurai l'occasion, j'imagine, par les réponses
aux questions, peut-être, d'élaborer là-dessus. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Benjamin) : Merci
pour votre exposé. Donc, nous allons tout de suite passer à la partie des
échanges. J'invite le ministre de la Justice à commencer.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Me Michel, Me Bernier, merci d'être présents aujourd'hui pour
représenter le Directeur des poursuites criminelles et pénales. J'ai quelques
questions pour vous.
Dans un premier temps, là, dans le cadre
du projet de loi, on vient débuter l'expérience du projet... du tribunal
spécialisé par le biais de projets pilotes. Est-ce que le Directeur des
poursuites criminelles et pénales est d'accord avec le fait qu'on débute par le
biais de projets pilotes?
• (17 h 50) •
M. Michel (Patrick) : Alors,
oui, M. le Président, si vous me permettez, merci pour la question, M. le
ministre.
Alors, je suis, je vous dirais, plutôt à
l'aise avec l'idée qu'on procède par des projets pilotes. On a un réseau où,
vous le savez, on couvre 38 régions, 38 points de service. Les
réalités sont très différentes d'un point de service à l'autre. Vous savez, il
y a des points de service où on a, dans un palais de justice, souvent, parfois,
qu'une salle à couvrir, évidemment, d'autres points de service qui ont beaucoup
plus de salles à couvrir. Alors, les réalités sont très différentes. L'idée de
procéder par projets pilotes, bien, ça nous permettra de voir quelles
adaptations devaient être requises dans le temps pour qu'on s'assure de
répondre aux réalités différentes de nos différentes régions.
C'est aussi... Bien, de le présenter sous
forme de projets pilotes, c'est aussi une occasion, pour nous, d'évaluer un peu
mieux, peut-être, l'impact qui va se traduire concrètement sur nos ressources.
Encore là, ça peut varier beaucoup d'une région à l'autre. Si on parle d'une
région où il n'y a qu'un palais de justice, bien, évidemment, il faut
considérer qui sera... d'audition qui sera consacré au tribunal spécialisé va
venir s'insérer dans les termes réguliers ou on va ajouter des termes, et dans...
alors que, dans les palais de justice où il y a plus qu'une salle qui roule en <matière...
M. Michel (Patrick) :
...une
région où il n'y a qu'un palais de justice, bien,
évidemment, il faut
considérer qui sera... d'audition qui sera consacré au tribunal spécialisé va
venir s'insérer dans les termes réguliers ou on va ajouter des termes, et
dans... alors que, dans des palais de justice où il y a plus qu'une salle qui
roule en >matière de justice criminelle et pénale, bien, il est possible
qu'on fasse procéder au dossier du tribunal spécialisé en même temps que les
autres dossiers, ce qui peut avoir, pour nous, un impact, bien, que plus de
procureurs doivent couvrir en même temps plusieurs salles. Donc, les réalités
sont tellement différentes d'une région à l'autre et l'impact, donc, sur nos
ressources peut-être tellement différent que je vois plutôt d'un bon oeil de
procéder par projets pilotes.
M. Jolin-Barrette : O.K. Sur
la question du nom du tribunal spécialisé, on a eu certains commentaires.
Est-ce que le Directeur des poursuites criminelles et pénales a un enjeu avec
l'appellation «tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de
violence conjugale»?
M. Michel (Patrick) : Je n'ai
pas... Je ne vois pas d'enjeu, bon, en tout respect, peut-être, pour les
opinions différentes qui ont pu être exprimées là-dessus. Les juges, la
magistrature jouit d'une très forte... par la jurisprudence, une très forte
présomption. Les juges jouissent d'une très forte présomption à l'effet qu'ils
sont capables d'exercer leurs fonctions de façon indépendante, objective,
impartiale. Le critère, c'est celui de la personne raisonnable, raisonnablement
instruite, là, sur les règles de droit qui s'imposent, les exigences qui
s'appliquent à la magistrature, les hauts standards en matière d'impartialité
et d'objectivité. Alors, je ne crois pas que le nom du tribunal pourrait, en
soi, influencer le juge ou donner l'impression que le juge pourrait être
influencé défavorablement à l'égard des accusés ou plus favorablement à l'égard
des victimes. C'est mon humble opinion.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Donc, la cour conserve son indépendance institutionnelle, conserve également...
En fait, les règles ne changent pas relativement à la présomption d'innocence.
Le Code criminel continue de s'appliquer, le droit à une défense pleine et
entière. Donc, tout ça, ça ne change pas.
À l'article 3 du projet de loi, là,
on vient indiquer, là, que le gouvernement fixe... bien, «détermine, par
règlement, quels types de poursuites sont entendues par le tribunal spécialisé
en matière de violence sexuelle et de violence conjugale. Ceux-ci peuvent
varier en fonction de toute distinction utile...» Voyez-vous un enjeu avec
l'indépendance, le fait qu'on vienne dire quels types de poursuites sont entendues
au tribunal spécialisé? Et moi, je vous le dis d'emblée, là, ce que j'envisage
de mettre dans le règlement, c'est le fait que toutes les poursuites en matière
de violence conjugale et de violence sexuelle soient entendues. Pensez-vous que
le fait d'indiquer ça représente un enjeu à l'indépendance judiciaire?
M. Michel (Patrick) :
Écoutez, le sujet ou le terme de l'indépendance judiciaire, c'est un domaine
assez spécialisé, là, du droit constitutionnel. Sans me prononcer formellement <là-dessus...
M. Jolin-Barrette :
...un
enjeu à l'indépendance judiciaire?
M. Michel (Patrick) :
Écoutez, le sujet ou le terme de l'indépendance judiciaire, c'est un
domaine assez spécialisé, là, du droit
constitutionnel. Sans me
prononcer formellement >là-dessus, dans la mesure où les juges vers qui
les dossiers... En fait, dans la mesure où on ne détermine pas... on n'assigne
pas les juges, on ne décide pas qui... quel juge devra être assigné à
l'audition des dossiers, on ne détermine pas le contenu du rôle, le nombre de
dossiers qui devraient être inscrits ou pas au rôle, on ne détermine pas... On
ne joue pas dans, je ne sais pas, moi, par exemple, l'ordre dans lequel les
dossiers devraient être entendus. Le seul fait qu'on oriente, vers une section
de la Cour du Québec plutôt qu'une autre, des dossiers, en autant qu'on les
oriente devant des dossiers qui ont la juridiction reconnue, qui ont la
compétence pour les entendre en matière criminelle et pénale...
Vous voyez, je fais un peu le parallèle
lorsqu'on a... Dans l'exercice de nos pouvoirs discrétionnaires, on est appelés
à prendre plusieurs décisions, par exemple, de poursuivre par voie sommaire
plutôt que par acte criminel. Et, si on poursuit par voie sommaire, ça envoie
le dossier devant la Cour du Québec. Si on poursuit par acte criminel, l'accusé
peut demander d'aller devant la Cour supérieure. Il peut demander de réopter.
Il a besoin de notre consentement pour réopter. On peut revenir à la Cour du
Québec ou devant la cour provinciale.
Donc, il y a beaucoup, dans la procédure
criminelle, de décisions qui interviennent qui ne sont pas nécessairement sous
l'emprise, là... en fait, des décisions qui sont prises par les juges,
personnellement, dans le cadre de la procédure, qui orientent le dossier sans
que ce soit perçu comme une atteinte aux principes de l'indépendance
institutionnelle. Alors, je fais le parallèle, mais sans évidemment me
prononcer. Je ne suis pas un expert de droit constitutionnel.
M. Jolin-Barrette :
Actuellement, là, dans les différents palais de justice, il y a certaines
initiatives. Tu sais, on peut penser à Côté Cour, à Montréal, où c'est des
dossiers de violence conjugale qui sont traités. À Valleyfield, il y a une
journée également qui est dédiée à la violence conjugale, où ça se passe dans
une salle de cour.
Comment est-ce que les procureurs ou
directeurs des poursuites criminelles et pénales, ils sélectionnent, ou ils
choisissent les dossiers, ou ils orientent les dossiers? Comment ça fonctionne,
la mécanique, là? Quand le procureur, là, reçoit le dossier puis il dit :
Bien, ça, c'est un dossier, supposons, de violence conjugale ou ça, c'est un
dossier de violence sexuelle, comment ça se passe? Est-ce qu'ils cotent les
dossiers? Est-ce qu'ils... Comment ça... Pouvez-vous nous dire comment ça
fonctionne, pratico-pratique, là, sur le terrain, dans les salles de cour, dans
les palais, là, quand il y a l'autorisation, là?
M. Michel (Patrick) : O.K.
Bien, en fait, au stade... Vous référez aux cotes ou la catégorisation, là,
qu'on fait des dossiers, effectivement.
M. Jolin-Barrette : ...autorisation
des dossiers.
M. Michel (Patrick) : Oui, effectivement,
nos directives prévoient... Au stade de l'autorisation des procédures, on a ce
qu'on appelle des codes de violence. Ça n'a pas été conçu à l'époque... Ça a
été conçu à l'époque pour nous permettre de suivre un peu, de tenter
d'améliorer nos <statistiques...
M. Michel (Patrick) :
Oui, effectivement, nos directives prévoient... Au stade de l'autorisation des
procédures, on a ce qu'on appelle des codes de violence. Ça n'a pas été conçu à
l'époque... Ça a été conçu à l'époque pour nous permettre de suivre un peu, de
tenter d'améliorer nos >statistiques en matière de catégorisation des
dossiers.
Alors, lorsque le procureur, par exemple,
autorise une poursuite de voies de fait ou une poursuite pour méfait, mais qui s'inscrirait
dans un contexte de violence conjugale, il va... de violence sexuelle sur un
enfant, de violence sexuelle sur une personne adulte, il va donner une cote, c'est
un A, B... C'est des lettres, en fait. Ce code-là va apparaître sur la
dénonciation, et la dénonciation suit au service de justice pour l'ouverture
des dossiers. Alors, lorsque le dossier arrive ouvert au service de justice,
cette catégorisation-là, elle est connue des services judiciaires. Je ne
pourrais pas vous dire précisément, dans les faits, versus Côté Cour à Montréal...
Je connais un peu Longueuil, là, où est-ce qu'on a une salle dédiée, où les
rôles, en fait, vont être confectionnés à partir, si ma compréhension est
bonne, de cette catégorisation-là que l'on fait au stade, nous, de l'ouverture
de notre dossier.
M. Jolin-Barrette : Ça fait
que c'est comme si vous les classiez déjà en fonction de la nature du dossier?
M. Michel (Patrick) : Du
contexte.
M. Jolin-Barrette : Du
contexte, O.K. Bon, sur la question de la formation, c'était votre troisième
point, la question de la formation, les procureurs, là, exemple, je sais qu'à
Montréal vous avez une équipe dédiée. Là, vous avez dit que la poursuite
verticale, autant en violence conjugale qu'en violence sexuelle, vous êtes en
train de déployer les derniers chaînons qui manquaient. Mais là, maintenant, à
la grandeur du Québec, il va y avoir les deux. C'est quoi, les formations que
vos... que les procureurs du DPCP suivent pour les gens qui traitent ce type de
dossiers? Si, moi, là, je rentre à la couronne, j'ai-tu une formation de base?
Puis, à la suite, si je rentre dans ces équipes-là ou je fais ces dossiers-là,
qu'est-ce qui m'est offert?
• (17 h 50) •
M. Michel (Patrick) : En
fait, nous avons deux types de formation. Il faut savoir, bon, qu'on a, au DPCP,
depuis 20 ans maintenant... On a fêté le 20e anniversaire de la création
de ce qu'on appelle l'École des poursuivants. Depuis le tout premier programme
de l'École des poursuivants, on a inclus, dans le programme de formation de
base obligatoire, pour tous les nouveaux procureurs qui arrivent en fonction au
DPCP, sur deux ans, je dis, sur... c'était sur deux ans. Je pourrai y revenir,
mais, sur deux ans, deux étés, en fait, les procureurs passaient... les
nouveaux procureurs passaient au travers d'un programme de formation de base
qui inclut une formation en matière de violence conjugale et une formation en
matière de violence sexuelle.
Nous avons avec, bon, les technologies, la
possibilité qu'on a maintenant d'enregistrer ces formations-là, la possibilité...
bon, nous, un réseau qui nous permet plus facilement d'offrir aux procureurs de
les suivre à distance. Nous allons <rapprocher dans le temps...
>
18 h (version révisée)
< M. Michel (Patrick) :
...de violence sexuelle. Nous avons, avec, bon, les technologies, la
possibilité qu'on a maintenant d'enregistrer ces formations-là, la possibilité,
bon, nous, au réseau, qui nous permet plus facilement d'offrir aux procureurs
de les suivre à distance. Nous allons >rapprocher dans le temps, en
fait, dans les premiers mois, dans les premières semaines de l'entrée en
fonction du nouveau procureur, l'obligation de suivre ces formations de base
là.
Par ailleurs, pour les procureurs qui
veulent aller plus loin ou qui ont besoin d'aller plus loin en raison de la
nature des dossiers qu'ils traitent, on offre un programme de formations
spécialisées. Il y en a une panoplie, en matière d'infractions d'ordre sexuel. Ça
peut être en matière de communication, communication claire. On a même une
formation où on a intégré un volet sur la neurobiologie du trauma. Alors, ça,
de la façon que ça fonctionne, en fait, qui va s'inscrire ou non à ces
formations-là?
Disons qu'encore une fois la technologie
nous a permis un peu, je dirais, de démocratiser l'accès à ces formations.
Avant, c'était à l'École des poursuivants, une fois par année, l'été, il y a
des salles avec l'espace qui était limité. Maintenant, bien, ces formations
sont enregistrées et elles sont disponibles en ligne. Alors, si un procureur veut...
si un procureur a besoin de spécialisation en matière d'agression sexuelle,
d'infraction de nature sexuelle, son procureur en chef va lui faire suivre la
formation en question.
M. Jolin-Barrette : O.K. Dans
la correspondance que vous nous avez envoyée, à la page 2, et vous l'avez
abordé tout à l'heure, là, vous dites : «Besoins additionnels au sein de
la haute direction du Directeur des poursuites criminelles et pénales.» Donc
là, vous... Bien, en fait, qu'est-ce que vous voulez dire par là, relativement
aux besoins supplémentaires à la haute direction, concrètement, là?
M. Michel (Patrick) : C'est
que la Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales,
contrairement à d'autres lois, là... je sais que ça varie d'un organisme à
l'autre, mais, pour nous, la loi limite le nombre de dirigeants à un directeur
et un directeur adjoint. Donc, il n'est pas possible d'ajouter des directeurs
adjoints ou directrices adjointes sans une modification législative. Alors,
c'est là que je dis que notre loi, un peu, nous limite dans l'évolution ou la
capacité qu'on a de faire évoluer notre structure de gouvernance, en termes de
nombre de dirigeants, en fonction des besoins qu'on rencontre. Alors, ça
nécessiterait un assouplissement à notre loi constitutive.
M. Jolin-Barrette : Puis le
fait d'ajouter... parce que je comprends que vous souhaitez davantage de
directeurs. À quoi seraient destinés ces directeurs-là supplémentaires, si on
assouplissait la loi?
M. Michel (Patrick) : Bon, on
a une... on aurait, en fait, une réflexion à faire au niveau de la répartition,
là, des responsabilités entre ces différents directeurs. La réflexion m'amène à
penser à un modèle où on aurait un directeur adjoint consacré, disons, plus à
tout ce <qui touche...
M. Jolin-Barrette :
...si on assouplissait la loi?
M. Michel (Patrick) :
Bon, on a une... on aurait, en fait, une réflexion à faire au niveau de la
répartition, là, des responsabilités entre ces différents directeurs. La
réflexion m'amène à penser à un modèle où on aurait un directeur adjoint
consacré, disons, plus à tout ce >qui touche l'administration,
ressources humaines, budgétaires, etc., un directeur adjoint qu'on pourrait...
consacrer, disons, plus le volet mission, donc la gestion de nos bureaux
opérationnels de première ligne. Et certainement, pour répondre aux besoins que
j'exprimais par rapport à la charge de travail que nous occasionnent tous les
grands chantiers auxquels nous travaillons, notamment, l'implantation des
recommandations du rapport et du tribunal spécialisé, un poste qu'on
consacrerait... au moins un poste qu'on consacrerait à ce que j'appelle le
développement organisationnel, le développement institutionnel.
M. Jolin-Barrette :
Donc, je comprends que ce que vous souhaitez, c'est d'avoir un poste de
directeur adjoint, notamment, pour des projets comme ça, comme le tribunal
spécialisé, qui va permettre de faire le suivi de ça puis vraiment d'agir sur
les priorités que vous avez ou les besoins que vous avez... qui vont permettre
d'agir concrètement, qui va être dédié, supposons, au tribunal spécialisé ou à
des projets spéciaux comme ça?
M. Michel (Patrick) :
Oui, mais aussi au suivi, parce qu'il y a plein de... Bon, on a des postes, et
c'est normal, on a des postes, on nous demande de faire des modifications à nos
pratiques. C'est une chose, là, d'adopter des directives, il faut s'assurer
qu'elles sont mises en oeuvre. On a à développer, au DPCP... on est encore
jeunes, en matière de tout ce qui est audits, vérifications. On en fait,
évidemment, c'est de l'administratif, mais par rapport à nos pratiques, et tout
ça. Alors, il y a tout ce secteur-là qui est à développer.
Le Président (M. Benjamin) :
Malheureusement, c'est tout le temps qui revenait au ministre. Nous allons
poursuivre avec le député de LaFontaine.
M. Tanguay
: Pour
combien de temps, M. le Président?
Le Président (M. Benjamin) :
Vous avez pour 10 min 13 s.
M. Tanguay
:
Parfait. Merci beaucoup. Bien, merci, Me Michel et Me Bernier, d'être
avec nous.
Diriez-vous que la grande distinction
entre vous, DPCP, et les juges, c'est que, dans votre loi, il y a l'article 22,
puis on ne le trouve pas, le pendant, chez les juges? L'article 22, que
vous connaissez mieux que moi, parce que je sais, Me Michel, vous, vous
avez participé, entre autres, à la rédaction de l'excellent document, je pense,
de juin 2018 sur l'histoire du DPCP, qui est une... qui est excessivement
bien fait. L'article 22, je vais juste vous lire le premier alinéa :
«Les orientations que le ministre de la Justice élabore et les mesures qu'il
prend concernant la conduite générale des affaires en matière criminelle et
pénale visent notamment à assurer la prise en compte des intérêts légitimes des
victimes d'actes criminels, le respect et la protection des témoins, la
présence et la répartition des procureurs aux poursuites criminelles et pénales
sur l'ensemble du territoire, le traitement de certaines catégories d'affaires
ainsi que le traitement non judiciaire d'affaires ou le recours à des mesures
de rechange à la poursuite.»
Je sais que vous êtes un expert de votre
loi constitutive. Et en vertu de cet article-là, <notamment...
M. Tanguay
: ...la répartition
des procureurs aux poursuites criminelles et pénales sur l'ensemble du
territoire, le traitement de certaines catégories d'affaires ainsi que le
traitement non judiciaire d'affaires ou le recours à des mesures de rechange à
la poursuite.
»
Je sais que vous êtes un expert de
votre loi constitutive. Et en vertu de cet article-là, >notamment, il y
a le règlement, vous le connaissez bien, là, le règlement, Orientation des
mesures... et mesures du ministre de la Justice en matière d'affaires
criminelles. Diriez-vous que vous, DPCP, il y a cet article 22 là qui
permet au ministre de descendre, je dirais, sur votre terrain, de vous donner
des orientations qui pourraient être même au niveau de la... Mais détrompez-moi
si j'ai tort, si j'en mets trop puis si je le vois trop large, là, mais il
pourrait vous dire : Bien, vous allez spécialiser des procureurs, vous
allez octroyer, même, telle ressource dans tel cas, et ainsi de suite? Vous
avez un lien direct avec le ministre, que les juges n'ont pas. Seriez-vous
d'accord avec ça?
M. Michel (Patrick) : Oui,
c'est assez large pour, je pense, qu'on nous impose des formations, si besoin
il y avait de nous en imposer. Je ne sais pas si vous l'avez... si M. le député
de LaFontaine l'a dit dans la citation de l'article, ces orientations-là, on
doit les mettre en oeuvre, ensuite, dans nos directives, et c'est déjà le cas
pour beaucoup. On a des orientations spécifiques en matière de violence
conjugale, violence sexuelle. On doit les traduire dans le cadre de nos
directives, concrètement, pour les procureurs. Mais, pour répondre à la
question du député de LaFontaine, oui, je crois bien qu'il y aurait là un
véhicule pour nous indiquer, en fait, ou déterminer quel type de formation les
procureurs doivent suivre.
M. Tanguay
: Et
diriez-vous que, ça, on n'a pas ce pendant-là de l'article 22, dans la loi
qui concerne les juges?
M. Michel (Patrick) : Il y a
longtemps que je n'ai pas parcouru la Loi sur les tribunaux judiciaires, mais
je ne pense pas qu'on ait le pendant, là.
M. Tanguay
: O.K. Et
c'est pour ça... parce que je me disais : Voyons donc! La
recommandation 163 est aussi impérative que la 162. 162 : offrir aux
juges une formation spécifique; 163 : offrir aux procureurs une formation
spécifique. Il n'y a rien dans l'article 92 qui vous impose... mais, parce
qu'on n'a pas 22 dans 92, on dit aux juges : Vous allez marcher comme ça,
comme ça, comme ça. Et là je n'irai pas sur le terrain de la diplomatie
judiciaire.
Me Michel et Me Bernier, plus qu'hier,
moins que demain, la formation, je serais curieux de savoir... Et là j'ai
appris quelque chose, aujourd'hui, je ne le savais pas, peut-être que j'aurais
dû le savoir, mais il y a une entité qui s'appelle l'École des poursuivants,
qui est dispensée par, puis détrompez-moi si j'ai tort, par l'École nationale
de police du Québec. Ça, j'ai vu une vieille publication de 2015. Corrigez-moi
peut-être, Me Bernier, je vois que vous voulez parler.
Mme Bernier (Anny) : En fait,
non. On fait des collaborations, mais l'école se tenait avant, quand c'était en
présentiel uniquement, à l'institut, effectivement, de police. Mais c'est
vraiment des collaborations... mais c'est vraiment des collaborations, là.
L'école est une entité en tant que telle, là.
M. Tanguay
: Donc, ça
existe. L'École des poursuivants, ça existe, ça a pignon sur rue et...
M. Michel (Patrick) : Bien
là, ça devient un peu... ça se dématérialise puis ça n'a plus vraiment...
M. Tanguay
: Ça <va
revenir...
Mme Bernier (Anny) :
...se
tenait avant, quand c'était en présentiel uniquement, à l'institut,
effectivement, de police. Mais c'est vraiment des collaborations... mais c'est
vraiment des collaborations, là. L'école est une entité en tant que telle, là.
M. Tanguay
: Donc,
ça existe. L'École des poursuivants, ça existe, ça a pignon sur rue et...
M. Michel (Patrick) :
Bien là, ça devient un peu... ça se dématérialise puis ça n'a plus vraiment...
M. Tanguay
: Ça >va
revenir, ça va revenir. L'état d'urgence, un jour, va finir, hein?
M. Michel (Patrick) : Alors,
l'école nationale...
M. Tanguay
: Faites-vous
vacciner. Oui?
• (18 h 10) •
M. Michel (Patrick) : L'École
nationale de police, donc, nous accueille, alors nous accueille... nous
accueille annuellement, nous accueillait annuellement pour... ils nous offrent
des facilités, évidemment, au niveau du logement, pour les procureurs mais
aussi au niveau de la possibilité d'enregistrer les formations. Ça donne lieu à
des formations qui sont très professionnelles.
M. Tanguay
: Moi... Bien,
c'est ça, mais moi, je serais curieux de savoir quel est le plan de match,
quelle est votre vision. Parce que, là, on parle d'avoir réellement des
formations qui soient réellement 2.0, 3.0, 4.0, tout le monde devra s'ajuster,
développer. On parlait, ce matin, de développer des directives au sein... avec
les juges, auprès des juges. Vous développez des directives qui... Pouvez-vous
nous dire, là? Ça prend des professeurs, ça prend la matière à enseigner, ça
prend aussi une expertise qui va se développer à l'usage. Quel est le plan de
match, justement, pour développer une formation? Parce que, la formation, si
d'aventure le tribunal était effectif aujourd'hui, dans deux ans, trois ans,
cinq ans, 10 ans, je veux vous dire que, là, le cahier de formation, les
prix augmenteraient. Alors, j'espère qu'on a une grosse ambition là-dessus,
pour les formateurs et pour le contenu.
M. Michel (Patrick) : Alors,
oui. Alors, merci pour votre question, M. le député de LaFontaine. Donc,
effectivement, en fait, on a la chance d'avoir déjà développé plusieurs de ces
formations, plusieurs de ces formations-là. Le contenu est déjà développé, il
doit, évidemment, être mis à jour. Nos formateurs sont sélectionnés,
généralement, parmi les procureurs d'expérience. J'ai fait référence aux
communautés de savoir en matière de violence sexuelle, violence conjugale, beaucoup
de nos formateurs sont issus de ces communautés de savoir là. On peut aussi
aller puiser à l'externe, alors, dans certaines formations. Je pense
particulièrement en matière de communication, ce qu'on appelle la communication
claire, avec, notamment, dans le contexte des victimes et ce que vivent les
victimes... on peut compléter notre offre avec des ressources externes, ce que
l'on fait. Alors, le programme, il y a un programme qui est quand même déjà là,
déjà bien développé, qui pourrait toujours encore se bonifier, mais on ne part
pas de rien.
M. Tanguay
: Non, non,
c'est ça, mais, encore une fois, ça va se bonifier avec le temps et
l'expérience. Puis je voyais d'autres formations, puis vous l'avez mentionné,
là, rencontres avec les victimes, les traumas vécus. Alors, ça, c'est du vrai,
la vraie vie, là. Ça, c'est important. Vous disiez : 35 procureurs de plus,
qui s'ajoutent à combien qui étaient déjà là, qui pourraient oeuvrer de façon
spécialisée?
M. Michel (Patrick) : Ce ne
sont pas nécessairement des effectifs qui sont...
M. Tanguay
: Dédiés.
M. Michel (Patrick) : ...dédiés.
Mais, si on parle de combien de procureurs de plus dans notre réseau, là, on a
eu plusieurs apports, ça dépend. Si on se replace au moment de notre dernier
rapport annuel, <on était à...
M. Michel (Patrick) :
Ce ne sont pas nécessairement des effectifs qui sont...
M. Tanguay
: Dédiés.
M. Michel (Patrick) :
...dédiés. Mais, si on parle de combien de procureurs de plus dans notre
réseau, là, on a eu plusieurs apports, ça dépend. Si on se replace au moment de
notre dernier rapport annuel, >on était à 750 quelques procureurs.
Alors, les 35 premiers postes sur les 45 s'ajoutent à ces effectifs-là. Mais
on a aussi un apport d'effectifs en matière de comparution de fin de semaine.
On a eu des effectifs en matière d'exploitation, d'exploitation sexuelle. Alors
là, le compte, on arrive maintenant, disons...
M. Tanguay
: Je vois
852.
M. Michel (Patrick) : C'est
ça, une fois qu'on... Et là il faut préciser, c'est... on parle de
852 postes, ça inclut autant des postes de procureurs réguliers, disons, permanents,
que des postes de procureurs contractuels, mais uniquement les contractuels que
nous, on appelle stratégie ou programme, c'est-à-dire que c'est des... si on
parle... si on pense, par exemple, aux investissements en matière
d'exploitation sexuelle, on va parler de cinq postes sur x nombres
d'années. Alors, ceux-là, on les compte. Mais par contre les procureurs qui
sont en remplacement de congé de maternité ou de congé de maladie, eux, ne sont
pas comptés, là. Donc, on ne fait pas du... on ne compte pas des postes en
double, là, c'est uniquement les procureurs...
M. Tanguay
: Comment
les procureurs, les femmes et les hommes qui sont procureurs... parce qu'il y a
une charge émotive tangible. Comment abordent-ils, de façon générale, cette pratique
spécialisée là? Est-ce que ça peut être du 100 % du temps? Est-ce que non?
Parce qu'à un moment donné ça prend... il faut souffler. Est-ce que ça peut
être du trois quarts? Mais, à un moment donné, spécialisé, est-ce que 45 %,
c'est spécialisé? Puis est-ce que 70 %, ça l'est? Quelle est votre vision
là-dessus?
M. Michel (Patrick) : Bon, actuellement,
en fait, comme je vous disais, les réalités régionales puis les disparités
régionales font en sorte qu'on a des endroits où on a des procureurs qui... où
tous les procureurs font de la violence conjugale, de la violence sexuelle,
alors qu'on a d'autres endroits où on va dédier des procureurs, ce qu'on
appelle, nous, dans notre jargon, là, disons, les équipes spécialisées ou des
équipes de procureurs dédiés.
Un aspect de la question de M. le député
de LaFontaine, qui est : Bon, comment les procureurs abordent ça?, je vous
dirais que c'est assez variable. Il y en a qui nous disent : Moi, je ne
veux faire que ça, c'est ce que j'aime faire, ça sera ma pratique; d'autres qui
peuvent trouver ça plus difficile puis pour qui une rotation pourrait être
bénéfique. Parce qu'effectivement il faut reconnaître, outre la charge de
travail, là, qui peut être lourde, qui peut être importante en soi, ces
dossiers-là viennent avec une charge émotive très importante, très <considérable
et...
M. Michel (Patrick) :
...pourrait être bénéfique. Parce qu'
effectivement il faut reconnaître,
outre la charge de travail, là, qui peut être lourde, qui peut être importante
en soi, ces dossiers-là viennent avec une charge émotive très importante, très
>considérable, et, bon, évidemment, les procureurs sont très dédiés. Il
faut faire attention, mais ils peuvent avoir cette tendance, peut-être, à ce
qu'on appelle le trauma vicariant, à épouser le drame ou la misère que vivent
les victimes.
M. Tanguay
: Vous ne
prévoyez pas de pénurie...
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. Malheureusement, c'est tout le temps qu'il vous restait. Merci, M. le
député de LaFontaine. Mme la députée de Sherbrooke.
Mme Labrie : Merci. Je vais
profiter de votre présence ici pour vous poser quelques questions sur le suivi de
certaines recommandations, puis l'objectif n'est pas de vous piéger. J'ai eu
vent de votre enthousiasme à appliquer les recommandations du rapport, donc je
pose la question vraiment sans jugement sur le délai mais juste pour savoir où
on en est. Vous avez dit que plusieurs directives avaient été modifiées. Est-ce
que la recommandation 51 a été appliquée, qui consiste à ce que le dossier
soit analysé par un deuxième procureur quand il n'y a pas d'accusation dans le
cas d'un dossier de crime sexuel?
M. Michel (Patrick) : Non.
Alors, nos directives ne sont toujours pas modifiées dans ce sens-là. Il existe
déjà un processus par lequel une victime ou un enquêteur peut demander ce qu'on
appelle la révision du dossier, en cas de refus, mais on n'est pas encore en
mesure d'implanter, en fait. Et je vous dirais même que, j'ai eu l'occasion de
le dire, déjà, en tout respect pour les auteurs du rapport et de cette
recommandation, je ne suis pas certain que ce serait la meilleure des choses ou
la meilleure approche à adopter, un processus de révision systématique des
refus.
Ce que j'ai plus en tête... parce que, si
on lit, là, l'objectif sous-jacent à cette recommandation-là, qui est notamment
de s'assurer qu'il y ait un deuxième regard, un second regard soit posé sur le
dossier pour s'assurer qu'il n'y a pas, même de façon inconsciente... que les
mythes, les préjugés n'ont pas pu avoir une influence dans l'analyse de la
preuve, il y a peut-être une autre façon de faire, que je vois peut-être un peu
plus positive qu'un processus de refus, qui serait d'étudier les dossiers en
équipes de procureurs qui peuvent confronter, là, leurs points de vue. Mais ça...
et on le fait déjà dans d'autres secteurs, là, je vous épargne les détails,
mais c'est quelque chose qu'on utilise déjà dans le domaine des enquêtes
indépendantes, pour ne pas les nommer.
Mme Labrie : Ça fait que c'est
de cette manière-là que vous comptez mettre en oeuvre...
M. Michel (Patrick) : Que
moi, j'envisagerais les choses. Mais évidemment, là, il y a une analyse
d'impact à faire sur nos ressources. On comprend que, si on prend, dans tous
nos dossiers... il n'y en a pas tant que ça, mais, quand même, les dossiers de
refus, il peut y avoir une certaine proportion, s'il faut penser que, dans tous
les dossiers... les dossiers seront étudiés à deux procureurs, bien, ça a une
conséquence, un impact important sur nos ressources.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. Malheureusement, c'est tout le temps qui nous restait, Mme la députée de
Sherbrooke. Au tour de la <députée de Joliette...
M. Michel (Patrick) :
...de
refus, il peut y avoir une certaine proportion, s'il faut penser
que, dans tous les dossiers... les dossiers seront étudiés à deux procureurs,
bien, ça a une conséquence, un impact important sur nos ressources.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. Malheureusement, c'est tout le temps qui nous restait, Mme la députée de
Sherbrooke. Au tour de la >députée de Joliette.
Mme
Hivon
:
Oui. Je vais poursuivre sur le même sujet puis, si jamais j'ai du temps, je
vais revenir sur la formation.
L'autorisation de la plainte. Alors, vous
n'êtes pas sans savoir à quel point c'est une source, je dirais, à certains
égards, de perte de confiance pour beaucoup de victimes qui ne comprennent pas,
une fois que la police a retenu leur plainte et qu'elle est transmise au DPCP, qu'il
y ait autant de plaintes — d'ailleurs, Juripop nous en parlait, il y
a deux heures — autant de plaintes qui ne sont pas retenues.
Et donc, je veux comprendre qu'est-ce que
vous allez faire, si ce n'est pas ça que vous retenez. Comment vous êtes en
train de rebâtir la confiance, par rapport à cet aspect-là où vous êtes vraiment
au front? Certains disent que, dans vos directives, je veux dire, il y a un
certain... je reprends ce que des victimes nous rapportent, un certain
paternalisme, de dire : Elle va s'effondrer, elle ne sera pas capable,
donc nous, on la protège, dans le fond, contre elle-même, parce qu'on n'a pas
assez de chances d'obtenir ça. Est-ce que vous êtes en train de réviser tout
ça? Parce que je pense que c'est vraiment un élément central. Je sais que c'est
une grande question pour deux minutes, là.
M. Michel (Patrick) :
Oui. Je ne sais pas j'ai combien de temps pour y répondre, M. le Président.
Mme
Hivon
:
Vous avez deux minutes, je pense.
• (18 h 20) •
M. Michel (Patrick) :
Mais je ne veux pas prendre tout votre temps. Mais l'étape, en fait, de
l'autorisation de la plainte, d'abord, il y a... c'est sûr qu'il y a une
perception. Puis je ne dis pas... quand j'utilise le mot «perception», je ne
veux pas sous-entendre qu'elle ne serait pas fondée, là, ou pas justifiée. Je
ne veux pas dire non plus qu'elle l'est. Mais, par rapport au taux de refus ou
à l'importance du volume de refus par rapport au volume de dossiers, vous le
savez, Mme la députée de Joliette, que notre système de mission n'a pas été
conçu, au départ, comme un système pour gérer des statistiques ou nous
permettre de produire des statistiques.
Donc, on a fait beaucoup d'ajustements
là-dessus pour être en mesure de le faire à partir de la prochaine année. On ne
documentait pas nos dossiers de refus, à notre système informatisé des
poursuites publiques. Donc, on n'était pas capables de tirer des statistiques,
là, pour confirmer ou infirmer cette prémisse-là ou cette perception-là puis
aussi pour voir s'il n'y a pas des régionalismes ou s'il n'y a pas,
régionalement, des pratiques qui pourraient peut-être causer... pas causer,
mais donner le sentiment qu'on n'est pas toujours cohérents, là, à tort ou à
raison.
Mme
Hivon
:
Mais est-ce que vous êtes en... Je comprends que c'est un élément central, mais
est-ce que vous êtes en réflexion, sur cet élément-là, pour envoyer un signal
fort? Parce qu'une victime qui se fait refuser une autorisation de plainte,
vous dites qu'il y a un mécanisme d'appel, mais c'est le procureur-chef, je
pense... donc, c'est quand même limité comme indépendance dans tout ça, là.
M. Michel (Patrick) :
Oui. La réflexion, je vous dirais, si on pouvait, je pense qu'on pourrait
cibler parmi l'ensemble des dossiers, si on parle en matière de <violence
sexuelle...
Mme
Hivon
: ...vous
dites qu'il y a un mécanisme d'appel, mais c'est le procureur-chef, je
pense... donc, c'est quand même limité comme indépendance dans tout ça, là.
M. Michel (Patrick) :
Oui. La réflexion, je vous dirais, si on pouvait, je pense qu'on pourrait
cibler parmi l'ensemble des dossiers, si on parle en matière de >violence
sexuelle, là... parmi l'ensemble des dossiers en matière de violence sexuelle,
peut-être catégoriser certains dossiers, ceux où la décision repose, évidemment,
sur l'appréciation du consentement ou la croyance raisonnable, là, quant au
consentement... Oui.
Le Président (M. Benjamin) :
Malheureusement, c'est tout le temps dont nous disposons. Il faut...
Documents déposés.
Donc, je dois, ici, avant de terminer...
je dois déposer les mémoires des personnes et organismes qui n'ont pas été
entendus. Donc, dépôt est fait.
Me Michel, Me Bernier, je
crois...
Une voix
: Oui.
Le Président (M. Benjamin) :
...Me Bernier, merci pour votre contribution à nos travaux. Je vous
remercie.
La commission ayant accompli son mandat,
nous ajournons nos travaux sine die. Merci.
(Fin de la séance à 18 h 22)