Journal des débats (Hansard) of the Committee on Institutions
Version préliminaire
42nd Legislature, 2nd Session
(October 19, 2021 au August 28, 2022)
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Wednesday, October 27, 2021
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Vol. 46 N° 2
Special consultations and public hearings on Bill 92, An Act to create a court specialized in sexual and domestic violence and respecting training of judges in these matters
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Intervenants par tranches d'heure
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Jolin-Barrette, Simon
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Benjamin, Frantz
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Lavallée, Lise
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Melançon, Isabelle
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Labrie, Christine
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Hivon, Véronique
11 h (version non révisée)
(Onze heures vingt-neuf minutes)
Le Président (M. Benjamin) :
Alors, bonjour, votre attention, s'il vous plaît. Je déclare la séance de la Commission
des institutions ouverte.
La commission est réunie afin de
poursuivre les auditions publiques dans le cadre des consultations
particulières sur le projet de loi n° 92, Loi visant la création d'un
tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale et
portant sur la formation des juges en ces matières.
Mme la secrétaire, y a-t-il des
remplacements?
La Secrétaire
: Oui, M.
le Président. Mme D'Amours (Mirabel) est remplacée par M. Lefebvre
(Arthabaska); M. Lamothe (Ungava) est remplacé par Mme Lecours
(Lotbinière-Frontenac); M. Rousselle (Vimont) est remplacé par Mme Melançon
(Verdun); et M. Zanetti (Jean-Lesage) est remplacé par Mme Labrie
(Sherbrooke).
Le Président (M. Benjamin) : Alors,
ce matin, nous entendrons Mme Angela Campbell, professeure de droit à l'Université
McGill, conjointement avec Me Maude Cloutier, détentrice d'une maîtrise
sur l'étude comparée des tribunaux spécialisés. Je souhaite la bienvenue à la
Pre Campbell et à Me Cloutier.
Je vous rappelle que vous disposez de
10 minutes pour votre exposé. Après quoi, nous procéderons à la période
d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite donc à vous
présenter et à procéder à votre exposé. La parole est à vous.
• (11 h 30) •
Mme Campbell (Angela) :
Bonjour. Je suis Angela Campbell et je suis professeure à la Faculté de droit
de l'Université McGill. Et je vous remercie de m'avoir invitée à partager mes
avis sur ce projet de loi n° 92.
Étant donné que mon temps avec vous est
bref, j'aimerais juste souligner quatre points principaux. Donc, premièrement,
les initiatives qui font partie de ce projet de loi sont louables. Et ce
gouvernement a clairement indiqué son intention...
11 h 30 (version non révisée)
Mme Campbell (Angela) : ...remercie de
m'avoir invitée à partager mes avis sur ce projet de loi n° 92.
Étant donné que mon temps avec vous est
bref, j'aimerais juste souligner quatre points principaux. Donc, premièrement,
les initiatives qui font partie de ce projet de loi sont louables. Et ce
gouvernement a clairement indiqué son intention de rendre les processus juridiques
et judiciaires moins difficiles pour les personnes survivantes de violence
sexuelle et domestique ou conjugale. Il s'agit d'un objectif crucial étant
donné que nous savons qu'actuellement de nombreuses personnes victimes ne
dénoncent pas de façon formelle des agressions et que, lorsqu'ils le font, ils
ont plusieurs fois qualifié leurs expériences de très traumatisantes. Et cela
doit changer. À mon avis, ce projet de loi peut contribuer à ce but très
important pour le Québec.
Deuxièmement, le projet de loi n° 92
vise beaucoup moins que ce qui était recommandé dans le rapport du comité des
experts Rebâtir la confiance, qui comprenait 190 recommandations. Bien
que les initiatives qui font partie de ce projet de loi soient un début, il ne
peut pas être la fin. Il y a beaucoup plus de travail à faire pour s'assurer
que les personnes survivantes des violences sexuelles et conjugales soient
accompagnées et traitées avec la dignité et le respect tout au long des
processus juridiques afin de faciliter leur accès à la justice.
Je veux souligner en particulier
l'attention à porter aux besoins particuliers des personnes vivant à
l'extérieur des zones urbaines, des nouveaux arrivants et arrivantes, des
personnes dont la langue maternelle n'est ni le français ni l'anglais, des
personnes racisées, des personnes de minorité de sexe et de genre et des
personnes autochtones. Donc, je vous encourage fortement à vous inspirer du
rapport Corte-Desrosiers à cet égard. Les ressources requises seront
importantes, mais elles sont nécessaires afin de respecter votre engagement
envers ce sujet.
Troisièmement, j'aimerais juste toucher,
c'est la question de la formation. Et je note que le projet de loi met l'accent
uniquement sur les juges. Le travail doit se concentrer sur plus que les juges
mais aussi des autres acteurs principaux du système judiciaire et juridique.
Seule une proportion relativement petite de survivantes verra leur cas entendu
devant un tribunal. Cependant, la plupart de ceux et celles qui signalent de
façon formelle leur agression verront d'autres acteurs qui doivent, eux aussi,
être bien formés.
J'en profite pour citer le passage suivant
du rapport visionnaire Rebâtir la confiance : «Notre société
véhicule encore des mythes et des préjugés envers les personnes victimes. Ni
les intervenants psychosociaux, ni les policiers, ni les avocats, ni les juges
n'en sont complètement exempts. Or, ces mythes et ces préjugés peuvent fonder
de mauvaises interventions et de mauvaises décisions. Il n'existe qu'une seule
manière de s'y attaquer : la formation. La nécessité d'une formation
spécialisée et continue des personnes qui interagissent avec les victimes est
probablement le constat le plus souvent véhiculé à travers nos consultations.
Il s'agit d'un constat qui imprègne l'ensemble...
Mme Campbell (Angela) : …et de
mauvaises décisions. Il n'existe qu'une seule manière de s'y attaquer : la
formation. La nécessité d'une formation spécialisée et continue des personnes
qui interagissent avec les victimes est probablement le constat le plus souvent
véhiculé à travers nos consultations. Il s'agit d'un constat qui imprègne
l'ensemble de ce rapport. Alors, je questionne : Pourquoi cet effort
législatif soit limité qu'au juge?
Quatrièmement, il sera essentiel de
rassurer la société québécoise que la création d'une division spéciale de la Cour
du Québec, qui sera concentrée sur les cas de violence sexuelle et de violence
conjugale ne compromet pas les droits de l'accusé ni les principes de la
justice fondamentale ni les principes constitutionnels, notamment, la division
des pouvoirs gouvernementaux. Cette division de la Cour du Québec serait tenue
d'appliquer les règles de droit et de preuve, qui s'appliquent toujours dans
les processus... dans les procès criminels. Son caractère, alors, le caractère
unique de sa division résiderait dans sa mission de traiter les cas de violence
sexuelle et domestique avec plus d'expertise, d'efficacité et d'efficience
d'une manière qui respecte en même temps les droits fondamentaux de l'accuser
tout en intégrant des ressources appropriées pour soutenir les personnes
survivantes. Il est important que les Québécois comprennent bien, très bien
cette dynamique pour qu'il y ait de la confiance dans cette nouvelle
institution une fois créée.
Finalement, je vous suggère fortement à
prendre en note des conseils que vous avez entendus afin de respecter
assidûment la séparation du pouvoir du gouvernement et de l'indépendance
judiciaire. On voit maintenant une probable distraction qui pourrait vraiment
nuire aux initiatives importantes qui visent à soutenir les personnes victimes
des violences conjugale et domestique.
Alors, en conclusion, je vous remercie
d'avoir pris en considération mes observations et mes conseils. Et je serais
très heureuse de répondre à vos questions. Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. Me Cloutier.
Mme Cloutier (Maude) :
Bonjour. Maude Cloutier, avocate. Je vous remercie également de me donner
l'opportunité de m'adresser à vous aujourd'hui. J'aurai sept points que
j'espère pouvoir couvrir en entier dans le court temps qui m'est alloué. Donc,
j'y vais maintenant.
D'abord, quand… mes premières observations
concernent les principes directeurs qui devraient être adoptés et qui
devraient, là, guider l'élaboration et la mise en place des tribunaux
spécialisés en matière de violence sexuelle et conjugale. Je pense qu'une
approche qui est très centrée sur la victime ainsi qu'une intégration des
services d'aide aux victimes au sein du processus criminel sont des approches
directrices qui sont essentielles afin qu'on comble les lacunes de justice, là,
qui existent pour les victimes de violence sexuelle et conjugale. Une approche
qui est centrée sur la victime, c'est une approche non seulement qui va
permettre d'adapter des pratiques et de façons de faire aux difficultés que les
victimes vivent, mais également qui va permettre d'intégrer ces services-là au
processus judiciaire et qui va permettre de porter une…
Mme Cloutier (Maude) : …de
violence sexuelle et conjugale. Une approche qui est centrée sur la victime,
c'est une approche non seulement qui va permettre d'adapter des pratiques et
des façons de faire aux difficultés que les victimes vivent, mais également qui
va permettre d'intégrer ces services-là au processus judiciaire et qui va
permettre de porter une attention particulière à adapter les installations de
la cour aux besoins de la victime. Donc, en plaçant la victime au centre du
processus, on apporte des attentions particulières à ces différents éléments,
et c'est essentiel pour combler les lacunes de justice, comme je le disais.
Le deuxième point concerne les objectifs
de ce tribunal-là. D'abord, je pense qu'un énoncé d'objectifs clair devrait
être adopté, et ça me permettra de faire un lien avec ce que Pre Campbell
disait précédemment. En adoptant un énoncé d'objectifs clair, le message serait
envoyé à la population, d'abord, bien, oui, qu'on veut prendre en compte le
vécu particulier des victimes et répondre de façon efficace aux difficultés
qu'elles vivent, mais également rassurer la population quant au respect des
droits des accusés quant aux préoccupations qui concernent l'impartialité du
tribunal. Alors, bien sûr, un des objectifs ne devrait d'aucune façon être
l'augmentation des taux de condamnation. Je pense qu'il en va de l'impartialité
du tribunal. La détermination de la culpabilité d'une personne accusée ne
devrait pas être influencée par des considérations qui sont extérieures. Et, si
les tribunaux spécialisés ne portent pas en eux-mêmes cette menace-là, il est
important de réaffirmer qu'ils opéreront selon les règles de droit actuelles et
qu'ils assureront le respect des droits des accusés et que l'objectif qu'ils
auront sera d'améliorer l'expérience des victimes au sein du système
judiciaire.
Mon troisième point concerne la
spécialisation des acteurs. Ça fera écho également à ce que la Pre Campbell
disait. Effectivement, le projet de loi prévoit la formation des décideurs et
devrait, à mon avis, s'élargir à tous les intervenants. Par contre, la
spécialisation ne se résume pas à la formation, puis ça, c'est important, je
pense. Parce que, dans les expériences étrangères que j'ai étudiées, moi, dans
le cadre de mes travaux, ce que j'ai constaté, c'est que la spécialisation,
c'est également de nommer des acteurs qui sont dédiés, des acteurs qui sont
choisis pour leur expérience, leurs aptitudes, leur intérêt envers ces
problématiques, et on constate des expériences étrangères que c'est essentiel
pour tirer le plein profit de la spécialisation. Qu'est-ce que c'est, le plein
profit? Bien, c'est, oui, une compréhension des réalités des victimes, mais
c'est également la favorisation du processus de recherche de vérité en excluant
tous les mythes et stéréotypes qui pourraient jouer dans ces affaires, mais
c'est également le développement d'une expertise, donc une meilleure
application des règles de droit qui visent notamment à protéger les victimes,
et également la capacité à développer des lignes directrices, donc, en raison
de cette expertise-là et de les améliorer en continu. C'est ce qu'on constate
dans les expériences étrangères, notamment en Nouvelle-Zélande, les juges
fonctionnent avec des lignes directrices, mais…
Mme Cloutier (Maude) :
...qui vise notamment à protéger les victimes et également la capacité à
développer des lignes directrices, donc, en raison de cette expertise-là et de
les améliorer en continu. C'est ce qu'on constate dans les expériences
étrangères, notamment en Nouvelle-Zélande. Les juges fonctionnent avec des
lignes directrices, mais ces lignes directrices là, elles sont constamment
bonifiées, dans le sens où les juges ajoutent des pratiques, des pratiques
innovantes qui n'étaient pas prévues à la base dans ces lignes directrices là.
Donc, ils intègrent ça dans leurs façons de faire.
L'adoption de lignes directrices me semble
également essentielle parce que ça permet l'application uniforme des meilleures
pratiques, hein, qu'on constate, qu'on développe, une application uniforme dans
la province. Et, comme je le disais, elles doivent être actualisées en continu
et prendre, donc, fondement sur l'expertise développée par les décideurs.
Dernière... Dans les derniers points, le
projet...
• (11 h 40) •
Le Président (M. Benjamin) :
Malheureusement, c'est tout le temps dont nous disposons pour l'exposé. Je vous
en remercie. Donc, nous allons maintenant commencer la période d'échange. M. le
ministre, la parole est à vous.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Bien, peut-être, Me Cloutier... Bonjour à vous deux, Me Campbell, Me Cloutier. Peut-être,
Me Cloutier, vous pouvez continuer sur la fin de votre intervention.
Mme Cloutier (Maude) :
Oui, je serai rapide. Mais je pense que... je vois dans le projet de loi qu'on
prévoit... en fait, qu'on souligne la possibilité d'un projet pilote, là, à la
base, là, du déploiement, et je pense que c'est une très bonne façon de faire parce
qu'effectivement ça va nous permettre de s'assurer d'avoir un modèle
suffisamment souple pour répondre à toutes les préoccupations des différents
milieux. Donc, on aura des milieux où on aura un grand volume de dossiers de
nature sexuelle, d'autres où ce sera plus restreint. On pourra effectivement
s'adapter aux différentes réalités régionales. Par contre, à terme, je pense qu'il
est important qu'on vise un déploiement national et sensiblement uniforme afin
que toutes les plaignantes, là, puissent profiter, là, d'un traitement qui est
semblable, là, donc qui est équitable.
Je terminerai peut-être avec mon dernier
mon dernier point. Le dernier point, c'était... Je pense qu'il est nécessaire
de faire un travail pour rechercher l'adhésion au projet de tous les
partenaires. Je m'explique. On a vu dans les expériences étrangères que la
spécialisation, notamment par la nomination d'acteurs qui étaient intéressés au
projet et la mise en place dans des districts où les gens étaient prêts à
s'investir, motivés, engagés, était tributaire, là, du succès des tribunaux
spécialisés. Et on prévenait, par exemple, dans les évaluations du projet pilote
en Nouvelle-Zélande, qu'on pourrait voir des résultats un peu plus mitigés à la
suite d'un déploiement national, dans la mesure où certains acteurs sont moins
motivés et engagés que ce qu'on a vu dans le cadre du projet pilote.
Alors, je pense qu'en parallèle d'un
projet pilote, hein, implanté rapidement pour être capable de développer un
modèle rapide, complet, qu'on pourrait déployer nationalement, bien, je pense
qu'il y a un travail aussi d'éducation puis d'adhésion à faire chez
l'ensemble...
Mme Cloutier (Maude) : …dans
la mesure où certains acteurs sont peut-être moins motivés et engagés que ce
qu'on a vu dans le cadre du projet pilote.
Alors, je pense qu'en parallèle d'un
projet pilote, hein, implanté rapidement pour être capable de développer un
modèle rapide, complet, qu'on pourrait déployer nationalement, bien, je pense
qu'il y a un travail aussi d'éducation puis d'adhésion à faire chez l'ensemble
des partenaires. Ça complète. Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. M. le ministre.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Alors, je vous dis rebonjour à nouveau, Me Campbell et Me Cloutier. Merci
beaucoup pour la présentation. Prenons la balle au bond, Me Cloutier, vous
dites : Bien, écoutez, c'est préférable d'y aller par des projets-pilotes,
dans un premier temps, ça nous permet d'ajuster. Alors, c'est ce que propose le
projet de loi. Et une question là-dessus, dois-je comprendre que dans vos
recherches, les expériences étrangères ont débuté également par des projets pilotes?
Mme Cloutier (Maude) : En Nouvelle-Zélande,
oui, c'est tout à fait le cas. En Afrique du Sud, bien, on a commencé avec un
projet au sein d'une cour, là, donc c'était à la Weinberg court. Donc, on peut
considérer ça comme un projet pilote parce qu'effectivement à la suite, les
tribunaux spécialisés se sont déployés à partir du modèle qui avait été conçu,
là. Donc, effectivement, on… je n'ai jamais vu un déploiement national, là,
dans mes recherches, là, dès les premiers balbutiements des projets.
M. Jolin-Barrette : Alors,
c'est ce qu'on propose dans le projet de loi et également on propose de le
permanentiser. C'est pour ça que j'ai mis l'habilitation législative également
directement dans le projet de loi pour être sûr qu'on puisse l'étendre à la
grandeur du Québec à partir du moment où on aura fait l'expérience avec les
projets-pilotes.
Je vais tout de suite vous poser une
question que je crois que ma collègue de Verdun vous poserait tout à l'heure.
Mais j'entends des craintes relativement au fait de… que les services ne soient
pas offerts tout de suite à toutes les victimes sur l'ensemble du territoire
québécois. L'objectif est de faire en sorte d'aller rapidement avec les
projets-pilotes, mais, déjà, il y a d'autres mesures qui sont en place
également dans toutes les autres régions du Québec. Mais qu'est-ce que vous
pensez de cela?
Mme Cloutier (Maude) : Bien,
je pense que l'erreur à ne pas faire, c'est effectivement de rapidement faire
un déploiement national. De ne pas avoir suffisamment de ressources en place,
de ne pas avoir pris le temps de réfléchir à l'arrimage des différents services
et qu'on se retrouve avec des tribunaux qui ne remplissent pas les objectifs,
on a une chance de faire en sorte que ce projet-là fonctionne. Donc, je pense
que c'est très important, si on veut justement assurer la confiance des
victimes et de la population entière, là, tu sais, dans ce projet-là, d'aller
tranquillement puis de démontrer, par des évaluations, les impacts concrets que
ces projets-là ont eus. Je pense que c'est beaucoup plus prometteur d'utiliser
cette voie-là que de penser rapidement à déployer des tribunaux spécialisés à
l'ensemble, là, du territoire québécois.
M. Jolin-Barrette : Donc, ce
que vous nous dites, c'est de bien faire les choses pour être sûr que ça soit
solide puis que tout fonctionne bien, puis que là, on va pouvoir y aller d'une
façon paramétrique à la grandeur du Québec.
Peut-être une question sur le titre du
tribunal, tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et conjugale. Il
y a eu des critiques, il y en a qui sont pour. J'aurais envie de vous demander
pourquoi, Me Cloutier, c'est important de le désigner de cette…
M. Jolin-Barrette : …bien puis
que là, on va pouvoir y aller d'une façon paramétrique, à la grandeur du
Québec.
Peut-être une question sur le titre du
tribunal, tribunal spécialisé en matière de violences sexuelles et conjugales.
Il y a eu des critiques, il y en a qui sont pour. J'aurais envie de vous
demander pourquoi, Me Cloutier, c'était important de le désigner de cette
façon-là.
Mme Cloutier (Maude) : En
fait, ce qu'on souhaite faire notamment par la création d'un tribunal
spécialisé, c'est de renforcer la croyance des victimes envers le système de
justice. L'utilisation du terme «tribunal spécialisé», ça envoie un message
clair, ça, c'est non équivoque, un message clair qu'on va, à partir de
maintenant, considérer également les besoins et les réalités des victimes dans
le cadre de la justice criminelle.
Il y a toutes sortes d'ambiguïtés, il y a…
ou plutôt il y a des gens qui nous parlent de toutes sortes d'ambiguïtés que
pourrait causer, là, l'appellation «tribunal spécialisé», notamment, qui
pourrait laisser croire aux victimes par exemple que la justice va être rendue
autrement, au sein de ces tribunaux-là. Je pense que… je ne suis pas d'accord
avec cette préoccupation-là. Parce que dans le cadre d'un tribunal spécialisé
où les victimes sont placées au centre du processus, bien, elles sont
rencontrées par les procureurs, elles sont rencontrées par les intervenants
psychosociaux qui sont formés, qui comprennent le système de justice. Et tout
ça, c'est de nature à favoriser chez elles une meilleure compréhension du
système de justice, des règles dans lesquelles les tribunaux opèrent mais
également d'avoir… ça va leur permettre d'avoir des attentes réalistes envers
ce qu'elles peuvent requérir, là, ce qu'elles peuvent s'attendre, là, des
tribunaux spécialisés.
Donc, je pense que l'expression «tribunal
spécialisé» envoie un message clair et que les caractéristiques même, les
éléments essentiels même de ce tribunal-là permettent d'éviter par exemple les
préoccupations que certains ont par rapport aux attentes que pourraient
développer des victimes qui ne seraient pas… auxquelles on ne répondrait pas,
là, dans le cadre des tribunaux spécialisés.
Alors, à mon avis, c'est important de
conserver ce nom-là. L'ensemble des juridictions étrangères où on a des
tribunaux spécialisés ont nommé leurs tribunaux comme ça. Et c'est ce que c'est,
hein, donc nommons les choses selon l'objectif qu'on tente de leur donner, là.
M. Jolin-Barrette : Et donc,
là, sur ce dernier point là, vous, dans le cadre de vos recherches, vous dites,
à l'étranger, dans les tribunaux spécialisés, ils ont nommé ça de cette
façon-là puis ça n'a pas causé de problématique.
Mme Cloutier (Maude) : Non,
pas du tout. Dans le cadre de mes recherches, je n'ai vu aucune préoccupation
par rapport au nom qui était donné au tribunal spécialisé. Au contraire, le
nom, l'expression semble importante aux acteurs. Parce que ce qu'on veut
envoyer comme message, c'est que la justice qui est rendue dans ce tribunal-là,
c'est de la justice criminelle traditionnelle, mais avec une saveur
spécialisée, une saveur particulière. Puis c'est à ça que les plaignantes ont
droit à s'attendre lorsqu'elles vont dans ces tribunaux-là. Alors, il n'y a
jamais eu de préoccupation à l'étranger, là, quant au nom du tribunal, quant à
l'opportunité ou non d'appeler ces tribunaux-là des «tribunaux spécialisés».
M. Jolin-Barrette : Et on ne
remet pas en question non plus les principes de…
Mme Cloutier (Maude) : ...mais
avec une saveur spécialisée, une saveur particulière, puis c'est à ça que les
plaignantes ont le droit de s'attendre lorsqu'elles vont dans ces tribunaux-là.
Alors, il n'y a jamais eu de préoccupation à l'étranger, là, quant au nom du
tribunal, quant à l'opportunité ou non d'appeler ces tribunaux-là des tribunaux
spécialisés.
M. Jolin-Barrette : Et on ne
remet pas en question non plus les principes de droit qui gouvernent
relativement à la présomption d'innocence, relativement à l'impartialité du
tribunal aussi. C'est la même chose ailleurs, là, notamment dans des États qui
font partie du Commonwealth, qui ont les systèmes juridiques similaires à celui
du Canada puis du Québec, là, je ne me trompe pas?
Mme Cloutier (Maude) : Oui, exactement.
Dans les expériences étrangères, donc en Nouvelle-Zélande et en Afrique du Sud,
qui font effectivement, là, partie du Commonwealth et qui ont des principes
juridiques tout à fait semblables aux nôtres, sinon identiques, là, on a
analysé ces éléments-là. Est-ce que, par exemple, les avocats de la défense qui
pratiquent dans ces tribunaux-là ont des difficultés, des récriminations à
faire? Et ce n'est pas ce qui est ressorti. La majorité des avocats de la
défense étaient tout à fait satisfaits de la façon dont ça se déroulait au sein
de tribunaux.
Et, effectivement, on n'a pas... En Afrique
du Sud, bien, on avait comme objectif d'augmenter les taux de condamnation.
Mais c'est important de se ramener, à cette époque-là, à la situation de la
justice en Afrique du Sud, là, il y avait des grandes préoccupations quant à la
capacité puis la compétence, là, des agents des services policiers puis des
services de la poursuite. Donc, il y avait des préoccupations. On souhaitait
augmenter les taux de condamnation, mais, en fait, ce à quoi on souhaitait
s'attaquer, c'est surtout toutes les lacunes en matière d'enquêtes et de
poursuites.
En Nouvelle-Zélande, bien, jamais on n'a
eu pour objectif d'augmenter les taux de condamnation ou d'être plus sévère,
là, quant aux crimes sexuels. Donc, les tribunaux étrangers n'ont pas non plus
cette perspective-là. Puis je pense qu'au Québec, bien, en tout cas, je n'ai
pas l'impression que c'est vers là qu'on s'en va, mais je pense que ce serait
important d'effectivement l'affirmer. Puis, dans ce contexte-là, je ne conçois
pas qu'il y ait des difficultés quant aux droits des accusés.
• (11 h 50) •
M. Jolin-Barrette : Et je
l'ai affirmé à plusieurs reprises, l'objectif du tribunal spécialisé n'est pas
nécessairement d'avoir des... n'est pas d'avoir des taux de condamnation plus
élevés, c'est d'accompagner la victime tout au long du parcours, d'avoir une
justice qui est adaptée. Mais les règles de preuve demeurent toujours les
mêmes : présomption d'innocence, impartialité du tribunal. Et ce n'est
vraiment pas ce qu'on demande à la cour, de venir jouer le rôle de l'État
québécois, du gouvernement, des procureurs de la couronne, des intervenants,
des policiers.
Peut-être, Me Campbell, j'aimerais
vous entendre également sur le nom du tribunal. Est-ce que vous partagez la
position de Me Cloutier à cet effet-là qu'on doit nommer les choses comme
elles le sont?
Mme Campbell (Angela) : Oui,
pour la plupart. Cependant, à mon avis, la question du nom, c'est peut-être une
diversion, et j'aimerais mieux concentrer sur la question de bien expliquer le
fonctionnement et le but de... Parce qu'en fait ça va être une division
spécialisée de la Cour du Québec. Mais ça, essayez de rendre ça accessible au
public...
Mme Campbell (Angela) : …la
question du nom, c'est peut-être une diversion, et j'aimerais mieux concentrer
sur la question de bien expliquer la fonction et… le fonctionnement et le but
de cette… Parce que, en fait, ça va être une division spécialisée du groupe du
Québec, mais essayer de rendre ça accessible au public et à la société
québécoise, c'est un défi. Alors, de nommer ça comme un tribunal spécialisé, je
pense que ça… il n'y a aucun problème avec ça, mais je pense que l'essence du
problème, c'est vraiment d'expliquer à la société que ce n'est pas un tribunal qui
soit là, même si on essaie de mettre au centre la victime d'une façon qui n'a
pas encore eu lieu dans le système judiciaire, en fait, que c'est un tribunal
comme tous les autres tribunaux, et que les mêmes règles de droit pénal et
droit de la preuve seront appliqués. Parce que je pense qu'il y a une crainte
qui existe que, tout-à-coup, lorsqu'on commence avec l'établissement de ce
cour, il y aura vraiment une grande augmentation des condamnations et ce n'est
pas ça le but. On a vu ça en Afrique du Sud, et c'était vraiment une des
raisons pour laquelle le Barreau et les avocats de la défense ont vraiment pris
exception à cette… à ce cour. Et en même temps, il faut vraiment garder le but
de ces opérations, de ce cour, vraiment que ça soit bien établi, très clair,
très simple et que tout le monde soit au courant et qui comprend bien que c'est
un cour qui observe tous les mêmes règles de droit pénal et des principes de
justice fondamentale qui sont… qui font partie de notre constitution en même
temps, du droit constitutionnel.
M. Jolin-Barrette : Et je
suis d'accord avec vous, je l'ai dit et je le redis à l'instant, les principes
de droit ne changent pas, les règles de preuve ne changent pas, l'impartialité
du tribunal ne change pas, la présomption d'innocence est présente, donc tous
les droits garantis aux accusés demeurent, mais ce qu'on vient faire, c'est
qu'on vient assurer un continuum de services et vraiment, cette divison-là, les
juges qui y seront assignés par la cour vont l'être en toute indépendance
institutionnelle, en toute indépendance administrative églament, ce qui ne
relève pas du gouvernement et qui relève de la direction de la cour. Et tout
ça, c'est très, très bien établi, c'est véhiculé et on le dit dès le départ.
Peut-être une question sur… la question
des mythes et des préjugés. J'aimerais vous entendre là-dessus relativement aux
acteurs qui vont — et tout à l'heure vous l'avez
mentionné — de dire à quel point tout le monde devait être formé, et
j'en suis. Dans le projet de loi, je vous ai entendue, vous dites : Bien,
écoutez, tous les acteurs devraient être visés. Effectivement, ils ne sont pas
dans le projet de loi parce que, dans le fond, l'ensemble des acteurs qui sont
au tribunal relèvent de l'État, dans le continuum de services, alors nous, pour
les employés de l'État, on va les former et tout ça, mais j'entends bien votre
recommandation de probablement l'inscrire dans le projet de loi puis je suis
ouvert également à ça, à venir indiquer clairement que l'obligation de formation
est pour tout le monde. Mais pourquoi…
M. Jolin-Barrette : ...des
acteurs qui sont au tribunal relèvent de l'État dans le continuum de services.
Alors, nous, pour les employés de l'État, on va les former, tout ça, mais
j'entends bien votre recommandation de probablement l'inscrire dans le projet
de loi puis je suis ouvert également à ça, à venir indiquer clairement que
l'obligation de formation est pour tout le monde. Mais pourquoi c'est nécessaire
de suivre des formations, des formations continues sur les violences sexuelles
et conjugales? Pourquoi est-ce que c'est important?
Mme Campbell (Angela) : Me Cloutier,
voulez-vous commencer? Vous avez une expérience directe avec les personnes qui
sont directement affectées.
Mme Cloutier (Maude) : Bien,
en fait, d'abord, ce qu'il faut comprendre, c'est, comme le disait la
Pre Campbell, les gens qui vont finalement aboutir devant un juge, les
victimes qui vont voir leur cause aller jusque devant un juge, à procès, sont
relativement... c'est un nombre quand même important, mais il y a beaucoup,
beaucoup de victimes qui ne verront pas leur dossier cheminer jusque là pour
différentes raisons, par exemple, la plainte n'a pas été retenue, le procureur
des poursuites criminelles et pénales a décidé de retirer... bien, de ne pas
déposer d'accusations ou de les retirer pour une raison ou une autre. Dans le
cadre de l'ensemble de ces décisions-là, qui sont prises par les acteurs, donc
par les services de police, les procureurs, bien, l'impact des mythes et préjugés
va également se faire sentir.
La façon dont on évalue la crédibilité
d'une plaignante, la force d'une preuve, les réactions postagression, tout ça
c'est influencé par les mythes et stéréotypes qu'on porte tous, hein, qu'on
porte en tant que société à l'égard, bien, de la violence sexuelle, à l'égard
des relations hommes-femmes, à l'égard donc... puis tout ça influence
l'ensemble des décisions qui sont prises par les acteurs dans les dossiers et
peut faire en sorte qu'on dossier, effectivement, va avoir plus de difficultés
à cheminer jusqu'à l'étape du procès devant un juge. Alors, c'est la raison
pour laquelle, je pense que l'ensemble des acteurs devraient être formés.
Ces mythes et préjugés-là, c'est important
de comprendre qu'on n'est pas en train de dire aux acteurs du système de justice
qu'ils sont des mauvaises personnes, c'est des conceptions sociales qu'on
partage. On vie en société, on naît, on est éduqués par cette société-là, c'est
tout à fait normal que parfois, on ait intégré certaines idées qui sont en fait
fausses, mais c'est important d'avoir l'humilité et l'ouverture pour les
regarder en fasse puis tenter de les déconstruire, ces idées-là. Donc, je pense
que c'est l'effort que le système de justice effectivement devrait faire.
Mme Campbell (Angela) : Moi,
je suis tout à fait d'accord. Et alors, à mon avis, la question de la
formation, on n'amène pas... on n'apporte pas une formation parce qu'il y a des
erreurs à corriger ou bien qu'il y a une question de mauvaise foi, ce n'est pas
ça, la question. On est… Toutes les personnes qui opèrent dans les systèmes
judiciaires et juridiques ont la nécessité de suivre une formation continue...
Mme Campbell (Angela) : …on
n'apporte pas une formation parce qu'il y a des erreurs à corriger ou bien
qu'il y a une question de mauvaise foi. Ce n'est pas ça, la question. On est…
toutes les personnes qui opèrent dans les systèmes judiciaires et juridiques
ont la nécessité de suivre une formation continue, c'est absolument essentiel.
Les mythes et les préjugés, ils sont là, ils font partie de notre société. Et
nous sommes tous affectés, il n'y a aucun… comme c'est indiqué dans le rapport
de Mmes Corte et Desrosiers, il n'y a aucune personne qui est exempte. Alors,
moi-même, je travaille dans ce contexte. Et maintenant, même dans un contexte
universitaire, je suis vraiment pour le fait qu'il y a toujours plus à
apprendre, et même les connaissances dans la question de… ou dans la zone des
mythes et stéréotypes, ça fait des décennies que la Cour suprême du Canada a
vraiment essayé d'éliminer ça, dans les procès criminels.
Mais on le voit encore, et c'est une des
grandes raisons pour lesquelles les victimes ne voudront pas venir et signaler
de façon formelle les agressions qu'ils ont subies. Et on voit aussi que ça se
présente surtout dans la question de l'évaluation de la crédibilité d'une
personne victime. Alors, si les personnes ne comprennent pas pourquoi, disons
que c'est peut-être normal qu'une personne prend un an pour quitter une
relation abusive ou pourquoi ça prend un an pour signaler de façon formelle une
agression., si on ne comprend pas la nature des différents états d'une personne
victime, on a un stéréotype ou un préjugé quant à la victime innocente. Et ça,
ça vient vraiment à nuire à la justice, lorsqu'on ne comprend pas bien les circonstances
sociales qui peuvent affecter le comportement des personnes suite à une
agression. Donc, je pense, même, pour moi, comme j'avais dit, je travaille dans
ce domaine, et je suis toujours prête à suivre des formations nouvelles, parce
que je… avec… comme Me Cloutier avait dit, ça prend beaucoup d'humilité, et ça
veut dire que tout le monde doit se lancer pour qu'on avance de façon
collective pour le bien-être des personnes qui se présentent dans ces
situations très difficiles.
M. Jolin-Barrette : Je
comprends bien. Est-ce qu'il… Combien de temps, M. le Président?
Le Président (M. Benjamin) :
2 min 30 s.
M. Jolin-Barrette : Deux
minutes, parfait. Je crois que le député de Chapleau voulait intervenir.
M. Lévesque (Chapleau) : Oui.
M. Jolin-Barrette : Merci.
M. Lévesque (Chapleau) : Merci
beaucoup. Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour Me Cloutier, également
bonjour, Pre Campbell, un bonjour spécial, vous avez été ma professeure à la
Faculté de droit de McGill, c'est un plaisir de vous revoir.
Mme Campbell (Angela) : Oui
M. Lévesque (Chapleau) : Puis
justement, une petite question, là, un peu plus large, pour vous deux, puis
vous pourrez partager le temps, à ce moment-là, là, en lien avec, notamment,
là, comment qu'on peut évaluer, dans le fond, le succès d'un tribunal
spécialisé. Souvent, des gens disent : C'est le nombre de condamnations.
Vous avez parlé de l'exemple de l'Afrique du Sud, j'imagine que ce n'est pas
nécessairement ça. Peut-être que vous pouvez nous éclairer sur ces
questions-là.
Mme Campbell (Angela) : Me
Cloutier, voulez-vous débuter?
Mme Cloutier (Maude) : Oui.
M. Lévesque (Chapleau) : On a
deux minutes.
Mme Cloutier (Maude) : Ah!
O.K.
M. Lévesque (Chapleau) : Une
minute chaque.
• (12 heures) •
Mme Cloutier (Maude) : Bien,
en fait, comment on évalue le succès? Je pense que c'est en fonction des
objectifs qu'on s'est fixés. Donc, effectivement, si on…
12 h (version non révisée)
M. Lévesque (Chapleau) :
…j'imagine que ce n'est pas nécessairement ça. Peut-être que vous pouvez nous
éclairer sur ces questions-là.
Mme Campbell (Angela) : Me
Cloutier, voulez-vous débuter?
Mme Cloutier (Maude) : Oui.
M. Lévesque (Chapleau) : On a
deux minutes.
Mme Campbell (Angela) : Ah! O.K.
M. Lévesque (Chapleau) : Une
minute chaque.
Mme Cloutier (Maude) : Bien,
en fait, comment on évalue le succès? Je pense que c'est en fonction des objectifs
qu'on s'est fixés. Donc, effectivement, si on ne considère pas que le taux de…
bien, l'augmentation des taux de condamnation est un objectif légitime et
valable, bien, on ne devrait évidemment pas mesurer le succès de ces
tribunaux-là en fonction du taux de condamnation. Par contre, il y a toutes
sortes de façons, là, qui existent, là, dans les évaluations étrangères afin justement
de valider auprès des victimes, par exemple, qui sont déjà passées dans le
processus si elles ont… de quelle façon elles ont apprécié le traitement
qu'elles ont reçu. Donc, je pense que ça passe, oui, par les victimes qui ont
vécu le processus, mais également par les acteurs. Donc, je pense qu'il faut
prendre le temps de faire des évaluations qualitatives auprès de l'ensemble des
acteurs qui sont au sein du tribunal en fonction des objectifs qu'on s'est
fixés. Il y a… On n'a pas beaucoup de temps, là, mais il y a toutes sortes
d'exemples, là.
Mme Campbell (Angela) : Oui,
je dirais, là, je suis d'accord puis je dirais aussi qu'on va… Lorsque cette
cour ou ce tribunal soit établi, on devrait attendre à une augmentation de
signalements formels. Et ça ne veut pas dire qu'il y a une augmentation de
nombre de cas, mais c'est sûr que, lorsque la confiance soit bâtie et rebâtie
dans ce domaine-là, c'est sûr qu'on voit un taux de signalement qui va
augmenter rapidement.
M. Lévesque (Chapleau) : Merci
beaucoup.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci pour votre… Merci, merci, M. le député de Chapleau. Donc, maintenant, la
parole revient au député de LaFontaine.
M. Tanguay
: Merci
beaucoup, M. le Président. Alors, à mon tour de vous saluer, professeure
Campbell et Me Cloutier, merci beaucoup d'être avec nous aujourd'hui pour
répondre à nos questions, et on est particulièrement heureux parce que vous
avez une expertise, justement, de tels tribunaux à l'extérieur du Québec, à
l'extérieur du Canada, donc on peut faire de l'analyse comparée.
J'aimerais vous entendre sur… J'aimerais
mettre le focus maintenant sur les femmes et les hommes qui vont présider à de
tels procès, les juges. Qu'avez-vous constaté dans d'autres cas quant à la
spécialisation? Parce qu'on s'entend, il faut développer une spécialisation. Ce
n'est pas vrai, puis détrompez-moi si j'ai tort, qu'un juge va de temps en
temps aller siéger à la cour, au tribunal spécialisé. Je pense que des juges
vont développer une certaine spécialisation. J'aimerais vous entendre aussi sur
l'importance, quand on parle de la coordination des travaux de la magistrature,
pour notamment une juge coordonnatrice de dire : Bon, bien, j'ai tel, tel
profil de femmes et d'hommes qui sont juges et qui sont des naturels pour
siéger dans de tels contextes, qui ont le goût, qui ont l'envie, qui ont le
désir, parce que ce n'est pas donné à tout le monde, ce n'est pas donné à tout
le monde. Et j'aimerais vous entendre sur l'aspect très humain du juge, qui
n'est pas désincarné, qui est une femme, qui est un homme et qui aura à
présider à des causes de violence sexuelle…
M. Tanguay
: ...qui ont
le goût, qui ont l'envie, qui ont le désir. Parce que ce n'est pas donné à tout
le monde, ce n'est pas donné à tout le monde.
Et j'aimerais vous entendre sur l'aspect
très humain du juge, qui n'est pas désincarné, qui est une femme, qui est un
homme et qui aura à présider à des causes de violence sexuelle, violence
conjugale, qui ont une charge émotive. Et ça, ça prend des juges commis.
J'aimerais vous entendre là-dessus, sur l'importance d'avoir, je vais le dire,
là, de façon un peu réductrice, les bons juges pour ce tribunal-là.
Mme Cloutier (Maude) : C'est
une bonne question. Les juges de la Cour du Québec qu'il y a en ce moment font
un peu tous des affaires de nature sexuelle. Mais, par contre, il y a certainement
des caractéristiques qu'on pourrait considérer comme étant utiles et nécessaires
pour être capable de juger de ces affaires-là. La première, je pense que c'est
l'empathie. Puis une chose qui est intéressante, c'est que des juges qui sont
empathiques vont l'être envers la plaignante, mais vont l'être également envers
les personnes accusées. Et de cette empathie-là va découler un traitement qui
est différent, qui est plus sensible aux réalités, qui est plus sensible au
vécu de la personne.
Donc, je pense que c'est important d'aller
chercher des gens qui sont empathiques et qui ont un intérêt, un désir de juger
les affaires de cette nature-là. Parce que la dernière chose qu'on veut, c'est
d'avoir des juges qui ne sont pas intéressés, qui n'ont pas envie d'être là, et
qui n'adhèrent pas au principe fondateur des tribunaux spécialisés. Il faut que
les juges qui soient là adhèrent à l'approche centrée sur la victime, si c'est
cette approche qu'on retient. Il faut qu'ils comprennent les fondements de
cette approche-là, et il faut qu'ils soient en mesure de l'appliquer.
Les succès des tribunaux spécialisés sont
tributaires des acteurs qui sont dedans. On peut élaborer toutes sortes de
pratiques, toutes sortes de lignes directrices, si les acteurs qui y sont ne
voient pas l'intérêt, ou n'ont pas l'intention de les faire respecter, bien, on
ne pourra pas... on ne verra pas beaucoup de succès, là, sortir de cette
expérience-là.
En Nouvelle-Zélande, bien, les juges nous
ont dit que... bien, pas à moi, mais bien sûr, aux évaluateurs... les juges ont
dit que, bien, la formation qu'ils avaient reçue ça avait grandement favorisé
leur adhésion aux lignes directrices. Ils comprenaient mieux la réalité des
victimes, puis ils étaient beaucoup plus enclins à appliquer les lignes
directrices qu'on leur demandait d'appliquer.
Donc, je pense que c'est essentiel, comme
je le disais, d'avoir des juges empathiques, intéressés, qui ont envie d'être
là et qui ont un intérêt, là, envers ces...
M. Tanguay
: ...types
de causes.
Mme Cloutier (Maude) : ...ces
types de causes, exactement.
M. Tanguay
: Tout à
fait.
Mme Cloutier (Maude) : Je ne
sais pas si j'ai répondu à l'ensemble de votre question?
M. Tanguay
: Oui, tout
à fait... Non, tout à fait.
Pre Campbell, j'aimerais vous entendre, si
vous avez quelque chose à rajouter.
Mme Campbell (Angela) : Oui,
juste... À mon avis, je crois que... Mais je suis en accord avec ma collègue,
mais en même je pense qu'essayer de trouver les bons juges et les bonnes juges
pour ce type de travail c'est difficile, parce que ça prend un ensemble de
qualités, et non pas une chose uniquement. Je dirais que j'aimerais ça voir que
tout le monde… à la formation...
Mme Campbell (Angela) : …à mon
avis, je crois que… mais je suis en accord avec ma collègue, mais en même je
pense qu'essayer de trouver les bons juges et les bonnes juges pour ce type de
travail, c'est difficile parce que ça prend un ensemble de qualités et non pas
une chose uniquement. Je dirais que j'aimerais ça voir que tout le monde… à la
formation qui sera durable et profonde. Et en même temps que pour ces gens de…
si on imagine un ensemble de juges qui sera dédié à ce tribunal, je conseille
fortement. Et ça, ça va tomber, j'imagine, à la cour elle-même, des rotations.
Parce que c'est un travail très difficile et on a vu dans les autres
juridictions, on a eu des cas très élevés d'épuisement des travailleurs, et qui
comprend aussi les juges. C'est très, très dur entendre et de rendre des
décisions sur ce genre de cas. J'aimerais aussi souligner le fait qu'il y a une
grande partie des victimes qui sont des personnes mineures, des enfants, et qui
vivent des situations très difficiles. Donc, la question de… mais ça, c'est une
question d'opération de la cour. Alors, ça, c'est quelque chose qu'on avait…
que j'ai partagé ces avis lors de mes… les consultations antérieures quant à la
question des opérations.
M. Tanguay
: Et vous
venez de mettre le doigt sur l'importance, l'éléphant dans la pièce, sur les
opérations de la cour qui relèvent de la juge coordonnatrice.
Mme Campbell (Angela) : Oui.
M. Tanguay
: Est-ce que
dans les cas d'espèce, puis sans tomber dans les statistiques, il doit y avoir
dans les… chez les autres tribunaux, des juges qui peuvent... est-ce que ça
existe des juges qui ne font exclusivement que cela? Et est-ce qu'il y a aussi
d'autres catégories de juges qui en font, mais la moitié du temps? J'aimerais
savoir, donc, parce qu'on a le tribunal… on aura le tribunal spécialisé qui
sera toujours ouvert, mais les acteurs et les actrices qui sont les juges
pourront changer. Alors, c'est ça ma perspective. Ailleurs, ce qui se fait
dans… ailleurs dans le monde, est-ce que vous avez vu une majorité de juges qui
siègent exclusivement sur de telles causes ou il y a quand même un bon nombre
substantiel qui, je ne le sais pas, sans tomber dans la statistique, font
peut-être la moitié de leur temps de juge sur de telles causes? Je ne sais pas
si vous avez quelque chose, plus précis, à cet effet.
Mme Cloutier (Maude) : Oui,
bien, j'ai… moi, je n'ai pas de mon côté de… tu sais, de statistique, là,
présentement. Par contre, effectivement, dans les juridictions étrangères, il y
a des processus de rotation qui sont mis en place. Les juges sont dédiés, mais
à un intervalle régulier, bien, ils vont aller sortir du tribunal spécialisé
aller faire des d'autres natures et revenir par la suite au sein du tribunal
spécialisé. L'important, je pense que c'est d'être capable trouver un équilibre
dans la formation de suffisamment de juges pour qu'on puisse effectuer une
rotation et également, tu sais, un nombre réaliste, là, en termes de
ressources, là, donc, qui sont nécessaires pour former, de façon continue et en
profondeur l'ensemble, là, de ces acteurs-là.
M. Tanguay
: Et vous
avez parlé un peu plus tôt, il y a eu un échange, vous en avez parlé, pour le
déploiement national et uniforme…
Mme Cloutier (Maude) :
...également, tu sais, un nombre réaliste, là, en termes de ressources, là,
donc qui sont nécessaires pour former de façon continue et en profondeur
l'ensemble,là, de ces acteurs-là.
M. Tanguay
: Et
vous avez parlé... un peu plus tôt, il y a un échange, vous en avez parlé pour
le déploiement national et uniforme parce qu'évidemment une victime au Saguenay,
ou en Outaouais, ou au Bas-Saint-Laurent, ne doit pas avoir moins accès à la
justice qu'une victime à Québec, Montréal, ou Trois-Rivières. et ça, c'est un
point, si je vous ai bien compris, sur lequel vous insistez. On ne peut pas
marcher plusieurs années avec une disparité dans l'accès à la justice, et ça,
il en revient aussi des districts judiciaires et des ressources qui sont
disponibles ou pas, et ça, ça relève aussi de la juge coordonnatrice. Alors,
j'aimerais vous entendre là-dessus. Donc, vous êtes... et j'aimerais que vous
précisiez votre pensée sur les projets pilotes, mais sur la nécessité
rapidement d'en arriver à une application nationale.
• (12 h 10) •
Mme Cloutier (Maude) :
Allez-y, Me Campbell, si vous avez quelque chose à dire.
Mme Campbell (Angela) :
Mais c'est difficile pour... Je pense qu'on avait dit tantôt que la question
d'aller rapidement, oui, c'est... on aimerait tous voir ça apparaître de façon
comme rapide et même comme dans une semaine. Mais, à mon avis, ça serait mieux
si on pourrait aller de façon plus lentement. Essayer d'établir des projets
pilotes dans des régions différentes parce qu'il y a des besoins différents et
des populations différentes partout au Québec, qu'on tire des analyses de ces
projets. Pour moi, on n'avait pas mentionné le concept de la coordination, mais
il faut que tous les efforts soient coordonnés, et que les ressources qui
doivent accompagner ces tribunaux et ces initiatives soient en place en même
temps. Donc, pour moi, c'est, même si on aimerait ça avoir, c'est vrai, un
projet au niveau national de tout à coup, je ne vois pas ça comme un but qui
prend précédence sur la question d'avoir des expériences qui sont bien... parce
qu'on ne veut pas faire des erreurs. Il y a des coûts très significatifs si on
n'est pas bien encadrés pour la réussite.
M. Tanguay
: Donc,
l'importance d'avoir, encore une fois, autre illustration, les juges dans le
coup.
Les lignes directrices qui vont se
développer, qui vont nécessairement se développer et qui seront nécessaires, au
coeur, les lignes directrices, pouvez-vous m'en dire plus, nous en dire plus
sur qui les développe, comment? Et voilà.
Mme Cloutier (Maude) :
Dans les autres juridictions, en fait on voit deux façons de fonctionner. En
Nouvelle-Zélande, c'est vraiment les juges, la cour en fait, là, qui a
développé des lignes directrices. En Nouvelle-Zélande, il faut se souvenir, là,
c'est un projet émane, là, des cours de district, là. Donc, ce n'est pas un
projet législatif, c'est vraiment un projet organisationnel par les cours de
districts. Donc, bien sûr, c'est elles qui ont mis en place des normes, des
lignes directrices à appliquer.
Maintenant, en Afrique du Sud, il y a des
choses qui sont prévues par règlement, mais il y a des choses qui vont se
faire, bien sûr...
Mme Cloutier (Maude) :
...projet législatif, c'est vraiment un projet organisationnel par les cours de
district. Donc, bien sûr, c'est elles qui ont mis en place des normes, des
lignes directrices à appliquer.
Maintenant, en Afrique du Sud, il y a des
choses qui sont prévues par règlement, mais il y a des choses qui vont se
faire, bien sûr, plus à la pièce, là. On est plus dans des orientations
générales en Afrique du Sud, des choses essentielles, puis ensuite de ça, bien,
chaque cour va peut-être avoir ses petites particularités. Je pense que les
lignes directrices, c'est effectivement essentiel d'en avoir puis, moi, je
pense, d'en avoir au niveau provincial, là, parce que ça va permettre de faire
en sorte que les pratiques, en fait, les meilleures pratiques qu'on va
développer vont s'appliquer de façon uniforme. Puis il y a certainement des
districts où il y a des pratiques qui vont émaner, hein, de l'expérience des
tribunaux spécialisés qu'on va vouloir partager, là, avec d'autres... d'autres
tribunaux. En nouvelle....
M. Tanguay
:
Avez-vous en exemple?
Mme Cloutier (Maude) :
D'autres tribunaux spécialisés. Un exemple...
M. Tanguay
:
Excusez-moi. Avez-vous un exemple de ligne directrice qui est fondamentale puis
qui va nécessairement se développer? Je ne sais pas si vous avez un exemple
pour qu'on comprenne «ligne directrice».
Mme Cloutier (Maude) :
Bien, par exemple, la gestion... la gestion accrue des dossiers en matière
sexuelle ou conjugale. Donc, moi, j'ai travaillé surtout en matière sexuelle,
mais donc, une gestion accrue des dossiers qui fait en sorte que l'ensemble des
enjeux sont traités avant d'arriver à la journée du procès, on n'aura pas des
remises parce qu'il y a une question surprise qu'on n'avait pas prévue ou...
Donc, ce genre... Ça, c'est une ligne directrice importante.
Par ailleurs, à côté de ça, on peut penser
aussi aux efforts qu'on doit faire pour diminuer le temps d'attente à la cour
des plaignantes. Est-ce qu'on ne peut pas prévoir que leur témoignage commencera
tôt le matin? Et si jamais on n'est pas capable, on a eu d'autres témoignages
puis qu'on est rendu en après-midi, bien, reportons au lendemain matin. Donc,
c'est ce genre d'attentions particulières là. Il y a d'autres lignes
directrices qui vont prévoir l'accompagnement des victimes dans les palais de
justice lorsque les palais de justice ne sont pas organisés de façon à limiter
les contacts qu'elles pourraient avoir avec l'accusé. Bien, voilà.
M. Tanguay
: Donc,
c'est important. Et ça, c'est de façon très, très, très tangible, là. Une
plaignante à la cour, comment on va l'accueillir, comment on va la diriger, et
les délais. Et seriez-vous d'accord avec l'affirmation que, dans ce
contexte-là, ceux qui sont sur le terrain, les femmes et les hommes qui
président aux tribunaux, les juges, ont un rôle névralgique à jouer, n'est-ce
pas?
Mme Cloutier (Maude) :
Oui, oui, tout à fait, les... Effectivement, les juges ont un rôle essentiel
parce que c'est eux qui dirigent les procédures, là. Donc, bien sûr, quant à
l'accompagnement, l'accueil de la plaignante dans le palais de justice, les
juges ne vont pas voir à ça, mais tout ce qui se passe dans la salle de cour,
bien, c'est eux qui président, qui décident, qui organisent, qui orientent.
Donc, je pense que les juges doivent effectivement être impliqués dans
l'élaboration, là, de ces lignes directrices là.
M. Tanguay
: Il me
reste peut-être du temps juste pour une dernière question. Une fois qu'on a
tout dit ça puis qu'on voit le rôle important des juges, vous avez dit,
Professeure Campbell, un peu plus tôt, les distractions peuvent nuire au projet
de loi. Puis on parle de ce qui se passe présentement entre la juge
coordonnatrice et le ministre de la Justice. Quelle est donc votre conclusion
par rapport à cela pour qu'il y ait des...
M. Tanguay
:
...tout dit ça puis qu'on voit le rôle important des juges, vous avez dit,
professeure Campbell, un peu plus tôt : Les distractions peuvent nuire au projet
de loi. Puis on parle de ce qui se passe présentement entre la juge
coordonnatrice et le ministre de la Justice.
Quelle est donc votre conclusion par
rapport à cela pour qu'il y ait des chances de succès réel? Et là l'épée de
Damoclès, c'est les contestations judiciaires qui viendraient parce qu'il n'y a
pas d'entente entre les deux acteurs. Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus,
sur les distractions qui sont des nuages au-dessus de nos têtes, et surtout des
victimes.
Mme Campbell (Angela) :
Mais moi, j'aimerais... je ne vais pas entrer dans ce débat de façon directe,
mais ce que je dirais, c'est que j'aimerais ça que les travailleurs et les
travailleuses qui sont vraiment dans des positions de leadership sur ce
dossier, qu'ils peuvent s'entendre. Parce que là je trouve qu'il y a des façons
à réviser ou modifier le projet de loi qui pourraient satisfaire aux juges et à
la cour. Je crois que les questions des opérations, les questions de l'administration
de la... ça tombe directement dans le domaine de la magistrature. Cependant, je
n'ai pas une grande difficulté avec le fait qu'on a... que tout ça se déroule
par la voie d'un projet de loi. Ça, je suis correcte avec ça. Mais je pense
que, s'il y a une contestation entre deux branches du gouvernement au Québec,
ça, c'est vraiment... ça serait vraiment triste pour les personnes qui sont directement
visées par ce projet de loi, cette initiative, qui sont les victimes. Donc,
j'aimerais ça que les juristes travaillent ensemble.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci beaucoup.
M. Tanguay
:
Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, M. le député de LaFontaine. Maintenant, au tour de la députée de Sherbrooke.
Mme Labrie : Merci, M. le
Président. Nous aussi, on aimerait ça que tout le monde travaille ensemble sur
ce dossier-là.
Je veux revenir sur la question des projets
pilotes. On a entendu hier Me Corte et Me Desrosiers qui sont venues nous dire plusieurs
choses, notamment que, dans leur rapport, ils recommandaient des projets pilotes
parce qu'elles ne pensaient pas qu'il y aurait un projet de loi, mais que,
comme on procède par projet de loi, elles nous disaient maintenant : On
vous invite à y aller sans projets pilotes, à les implanter à travers le Québec
partout en même temps. Vous nous dites que c'est préférable, les projets
pilotes, que c'est ça qui s'est fait à l'étranger.
J'aimerais ça que vous nous donniez un
petit peu plus de détails. Combien de temps duraient les projets pilotes, par
exemple, dans les autres endroits où ça s'est produit? Est-ce que vous voyez quand
même des possibilités de procéder à large échelle, par exemple, en prévoyant
des mécanismes, là, d'adaptation au fil du processus?
Mme Cloutier (Maude) :
Bien, ailleurs, en Nouvelle-Zélande, le projet de loi a duré deux ans. Moi, ce
pour quoi je pense qu'il est important de passer par les projets pilotes,
c'est... à l'heure actuelle, on n'a pas un modèle qui est défini, on a un projet
de loi qui habilite, là, donc, à la création du tribunal spécialisé, mais on
n'a d'aucune façon un modèle défini avec des éléments essentiels. Puis
l'avantage que je vois aux projets pilotes, c'est de définir des éléments qui
vont présenter suffisamment de souplesse et donc de définir les éléments d'une
façon suffisamment souple pour que ce soit adaptable à travers les différentes
régions...
Mme Cloutier (Maude) :
...d'aucune façon un modèle défini avec des éléments essentiels. Puis
l'avantage que je vois au projet pilote, c'est de définir des éléments qui vont
présenter suffisamment de souplesse, tu sais, donc de définir les éléments
d'une façon suffisamment souple pour que ce soit adaptable à travers les
différentes régions. Je pense que c'est ça, l'avantage principal des projets
pilotes.
Parce qu'on connaît l'efficacité des tribunaux
spécialisés pour répondre aux critiques des victimes. Je ne pense pas que
l'objectif, c'est de nécessairement s'intéresser, là, à la capacité des
tribunaux spécialisés à répondre aux critiques des victimes. Les expériences
étrangères nous ont montré qu'ils avaient ce potentiel-là. Mais, quant à la
définition du modèle, quant aux éléments qu'on va imposer comme faisant partie
du tribunal spécialisé, bien, le projet pilote viendrait renforcer nos
discussions, nos décisions, donc je pense que c'est ça, son grand avantage.
Mme Labrie : Donc, il ne faut
pas que le projet pilote serve à vérifier la pertinence des tribunaux
spécialisés, il faut qu'ils servent à déterminer comment on l'organise. Et, si
on les définissait dans le projet de loi, les éléments essentiels, est-ce qu'on
serait bien équipés pour démarrer l'implantation?
Mme Cloutier (Maude) : Bien,
on pourrait le faire. Mais comme je vous dis, je pense que... De toute façon,
ce projet-là de faire des tribunaux spécialisés va demander notamment un
inventaire de ressources, si je peux me permettre. Donc, qu'est-ce qui est
disponible dans les différentes régions? Comment on peut faire travailler les
services ensemble?
Bien sûr, ça, ça peut se faire de façon...
tu sais, sans prévoir tout ça de façon officielle, là. Alors, on peut prévoir
l'implantation de tribunaux spécialisés dans tous les districts puis laisser
les acteurs un peu plus libres d'organiser ces éléments-là. Mais, si on veut
une application qui est uniforme tout en étant suffisamment souple, je pense
que c'est l'avantage des projets de loi.
Puis, par ailleurs, il ne faut pas oublier
non plus qu'il y a encore un travail d'adhésion, là, à faire au projet, je
pense. Je ne pense pas que, si on fait un déploiement national demain matin,
tous les acteurs vont être suffisamment engagés pour en assurer le succès.
Mme Labrie : O.K.
• (12 h 20) •
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme la députée de Sherbrooke. Mme la députée de Joliette.
Mme
Hivon
:
Merci beaucoup, M. le Président. Merci pour vos deux très, très éclairantes et
pertinentes présentations.
Je veux revenir sur la question dont vous
avez parlé de la spécialisation. Dans le projet de loi, il n'est question que
des juges. Vous nous avez dit — puis je pense qu'on évalue... le
ministre aussi évolue en ce sens-là — qu'il faut parler aussi des
autres intervenants judiciaires, avocats, bon, procureurs. Dans le projet de
loi, on parle de formation, mais on ne parle pas de spécialisation.
Donc, j'aimerais vous entendre. Est-ce
que, pour vous, le modèle, c'est : Tout le monde est formé, qu'importe où
il siège, autant les avocats, les juges, et un certain nombre vont devenir
spécialisés, mais tout le monde doit avoir une formation de base? Ou est-ce que
vous dites : Ça peut être un ou l'autre, que c'est correct que tout le
monde soit formé, puis, dans le fond, il n'y aura pas une...
Mme
Hivon
:
…qu'importe où ils siègent, autant les avocats, les juges, et un certain nombre
vont devenir spécialisés, mais tout le monde doit avoir une formation de base?
Ou est-ce que vous dites : Ça peut être un ou l'autre, que c'est correct
que tout le monde soit formé, puis, dans le fond, il n'y aura pas une
surspécialisation? Ou vous dites : Non, la spécialisation, avec des juges
dédiés… tout en prévoyant qu'il peut y avoir une rotation, c'est-à-dire que
ceux qui vont entendre ces causes-là sont toujours des juges ou des procureurs
spécialisés, mais ça ne veut pas dire qu'ils ne vont faire que ces causes-là,
pour ne pas, par exemple, s'épuiser. Donc, je voulais juste que vous nous
précisiez, là, votre vision sur cette question de la spécialisation.
Mme Campbell (Angela) : Pour
moi, c'est plutôt une question de formation que de spécialisation. Je pense, je
ne saurais même pas quand… quel est le montant de formation ou de compétence
pour devenir spécialiste. C'est une question qui sera très difficile à
répondre. Alors, pour moi, c'est plutôt une vision de formation… et je pense
que ça, c'est une formation qui sera… tout le monde pourrait en profiter, et ça
serait bien pour tous les juges, alors… et avec, peut-être, des expériences
aussi qui peuvent… de la formation et aussi de l'expérience selon les
expériences antérieures de la personne qui est juge. Mais, pour moi, c'est
plutôt la formation que la spécialisation.
Mme
Hivon
: Puis
vous, Me Cloutier, je pense, vous aviez une approche un peu différente avec les
modèles étrangers, hein?
Mme Cloutier (Maude) : Oui,
bien, je suis d'accord que tous les acteurs, là, qui passent par ce tribunal
spécialisé là doivent être formés. Par contre, moi, je vois des grands
avantages au fait que les acteurs soient dédiés. Quand je parle de «dédiés», ce
n'est pas exclusivement tous les jours attitrés à cette cour-là, mais qu'il y
ait un certain nombre de juges qui soient dédiés à cette cour-là, qui
pratiquent en rotation dans cette cour-là. Parce que ce qu'on voit, c'est que
ça permet, comme je le disais tout à l'heure, d'assurer que les règles de… les
meilleures pratiques sont bien appliquées, sont constamment révisées, sont… on
ajoute des choses à ces règles-là… à ces meilleures pratiques là, puis ça
permet aussi le développement d'une expertise dans l'application des règles de
droit.
Bien sûr, tous les juges… on voudrait que
tous les juges soient capables d'appliquer l'ensemble des règles de droit,
c'est leur travail, mais, en matière de droit, surtout en matière sexuelle, les
règles sont nombreuses et précises et sont assez complexes. Donc, si on veut
éviter, par exemple, des erreurs de droit qui causent des appels et des
nouveaux procès qui n'auront jamais lieu, bien, lorsqu'on a des juges qui
comprennent bien les règles de droit, qui sont capables de les appliquer puis
qui comprennent aussi… qui sont capables de trouver l'équilibre nécessaire
entre les droits des accusés et les protections des victimes, ça, c'est quelque
chose de spécialisé, à mon avis. Ce n'est pas vrai que tout le monde, à l'heure
actuelle, tout juriste est capable de faire cet équilibre-là puis que tout le
monde comprend de la même façon l'application des règles de droit. Moi, je
pense que, si on a des juges dédiés qui…
Mme Cloutier (Maude) :
…protections des victimes, ça, c'est quelque chose de spécialisé à mon avis. Ce
n'est pas vrai que tout le monde à l'heure actuelle, tout juriste est capable
de faire cet équilibre-là puis que tout le monde comprend de la même façon
l'application des règles de droit. Moi, je pense que, si on a des juges dédiés
qui ont une expertise à la matière non seulement ils vont être formés aux
réalités, mais ils vont être en mesure d'appliquer les règles de droit et les
différentes pratiques.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. Merci, Mme la députée de Joliette. Pre Angela Campbell,
Me Maude Cloutier, merci beaucoup pour votre contribution à nos travaux.
Nous allons suspendre les travaux de la
commission jusqu'à 15 heures.
(Suspension de la séance à 12 h 25)
15 h (version non révisée)
(Reprise à 15 h 8)
Le Président (M. Benjamin) :
Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La Commission des institutions reprend ses
travaux. Nous poursuivons cet après-midi les auditions publiques dans le cadre
des consultations particulières sur le projet de loi n° 92, Loi visant la
création d'un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence
conjugale et portant sur la formation des juges en ces matières. Cet
après-midi, nous entendrons le Regroupement québécois des centres d'aide et de
lutte contre les agressions à caractère sexuel, ensuite Me Sophie Gagnon,
directrice générale de Juripop, Mme Mélanie Walsh, directrice générale de
l'Auberge Madeleine et partenaire dans le Partenariat pour la prévention et la
lutte à l'itinérance des femmes regroupant 5 maisons, et finalement le
Directeur des poursuites criminelles et pénales.
Mme la secrétaire, est-ce que nous
avons des remplacements?
La Secrétaire
: …
Le Président (M. Benjamin) :
Non? Alors, sans plus tarder, je souhaite la…
Le Président (M. Benjamin) :
…à l'itinérance des femmes regroupant 5 maisons, et finalement le
Directeur des poursuites criminelles et pénales.
Mme la secrétaire, est-ce que nous avons
des remplacements?
La Secrétaire
: …
Le Président (M. Benjamin) :
Non. Alors, sans plus tarder, nous allons… je souhaite la bienvenue à la
représentante du Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre
les agressions à caractère sexuel, Mme Aïcha Madi. Donc, je vous rappelle
que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé. Par la suite, nous
procédons à la période d'échange avec les membres de la commission. Je vous
invite donc à vous présenter et à procéder à votre exposé. La parole est à vous.
• (15 h 10) •
Mme Madi (Aïcha) : Merci, M.
le Président. Mon nom est Aïcha Madi, je suis analyste des enjeux et incidences
politiques au Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les
agressions à caractère sexuel.
M. le ministre, Mmes et MM. membres de la
commission, je vous remercie pour cette invitation à vous livrer notre
témoignage et à vous partager l'expertise et les observations qui découlent de
notre expertise de longue date sur le terrain auprès des victimes d'agression à
caractère sexuel. Avant de commencer mon intervention, je tiens à souligner que
le territoire sur lequel je me trouve est un territoire traditionnel non cédé
des Premières Nations, et j'exprime gratitude et reconnaissance pour cette
opportunité.
Le regroupement que je représente
aujourd'hui rassemble 26 CALACS ou centres d'aide et de lutte pour les
victimes d'agression à caractère sexuel, qui sont répartis à travers le Québec.
Le premier CALACS a vu le jour en 1975 et notre regroupement en 1979. C'est
donc depuis 42 ans que nos centres incarnent une expertise nationale en
intervention, en prévention et en défense des droits en lien avec les violences
sexuelles.
Un des services que les CALACS offrent,
c'est un service d'accompagnement judiciaire des femmes et des filles ayant
subi de la violence sexuelle. Lors de ces accompagnements entre autres, nous
voyons les dommages que peuvent exercer sur la victime le simple passage au
travers du processus judiciaire. Vous avez certainement entendu parler de ces
statistiques, 5 % seulement des agressions sexuelles sont dénoncées aux
autorités. En voilà une qui est alarmante et qui suffit à elle seule à stimuler
une remise en question totale du système de justice tel qu'il est présentement.
Aussi, seulement 12 % des plaintes en matière d'agressions sexuelles
aboutissent en condamnation.
D'autres problèmes flagrants persistent
avec le système de justice tel qu'il est présentement. Je nomme le faible taux
de rétention des plaintes par les procureurs trop souvent à la recherche de
dossiers qu'ils estiment être pas assez solides, les délais très longs, la
revictimisation des victimes par le contre-interrogatoire qui est parfois très
violent, le manque encore persistant de sensibilité des intervenants dans le
système, la faiblesse des sentences. Trop souvent aussi le processus est bloqué
dès le dépôt de la plainte par la police, ces derniers, dans leurs efforts de montrer
le dossier, de montrer un dossier qui ne sera pas rebouté par le procureur de
la couronne exerce déjà une présélection.
Par ce bref survol des réalités vécues par
les victimes, je tiens en fait aujourd'hui à situer la pertinence d'une réforme
importante du système de justice, comme le propose entre autres ce projet de
loi sur les tribunaux spécialisés. Même si, dans les dernières années, des
améliorations ont été apportées à l'expérience du passage au travers d'un
processus judiciaire, beaucoup d'avancées restent à atteindre. Certes…
Mme Madi (Aïcha) : ...ce bref
survol des réalités vécues par les victimes. Je tiens en fait aujourd'hui à
situer la pertinence d'une réforme importante du système de justice, comme le
propose, entre autres, ce projet de loi sur les tribunaux spécialisés. Même si,
dans les dernières années, des améliorations ont été apportées à l'expérience
du passage au travers d'un processus judiciaire, beaucoup d'avancées restent à
atteindre.
Certes, l'arrêt Jordan, par exemple, à établi
une limite de 30 mois pour les processus judiciaires dans les cas
d'accusations criminelles, mais ce délai de 30 mois, il reste encore trop
important à notre avis. Un tribunal spécialisé pourrait venir pallier à cette
faille du système de justice.
Rappelons que les femmes qui vivent avec
un trauma, à chaque fois qu'on les ramène en cour, à chaque fois qu'elles
refont face à leur agresseur, à chaque fois qu'elles doivent raconter une
nouvelle fois leur histoire, à chaque fois qu'elles doivent tenter de prouver
qu'elles sont crédibles et qu'elles méritent d'être crues et entendues, même
si, par exemple, elles ne se rappellent pas de la couleur d'un rideau, eh bien,
à chaque fois, elles doivent se replonger dans leur histoire et dans leur
trauma. C'est une chose qui cause beaucoup de dommages sur le plan de la santé
mentale des victimes. L'acte de porter plainte et de passer devant la justice,
qui devrait aider les victimes à se reconstruire, cause, en fait, dans la
plupart des cas, une seconde victimisation.
Nous avons accueilli avec enthousiasme le
projet de loi n° 92, en particulier les dispositions qu'il prévoit pour
rendre les juges qui traitent d'affaires de violence sexuelle et conjugale plus
sensibilisés aux réalités particulières des victimes de ce type de crime. Les
mythes et les stéréotypes entretenus sur les violences sexuelles, dont personne
n'est à l'abri, même pas les juges, la neurobiologie et les particularités des
mémoires post-traumatiques doivent être bien connues et bien comprises pour
pouvoir desservir, en fait, aux victimes, un traitement qui est juste de leur
plainte. C'est pourquoi on estime qu'il y a un réel besoin de former les juges.
Mais au-delà de ça, il y a un réel besoin
de former tous les acteurs qui font partie du système judiciaire. Je cite les
policiers et même les procureurs. Une source de la victimisation qu'impose le
système de justice aux victimes, ça réside dans le fait qu'il y a un filtrage
excessif des plaintes par les policiers et les procureurs. Si ces acteurs
pourraient devenir plus sensibilisés grâce à des formations additionnelles
obligatoires, il pourrait y avoir au minimum un changement dans la manière qu'ils
peuvent délivrer aux victimes le message que leur plainte ne sera pas retenue
par la couronne, car c'est un message qui est très violent pour les victimes.
Ça pourrait aussi... Les formations
pourraient aussi emmener un changement, chez ces acteurs, des attentes qu'ils
ont quand ils examinent un dossier ou reçoivent une plainte, car ils
recherchent trop souvent un dossier qui est parfait, irréfutable. Mais pour
beaucoup de victimes, c'est dans le simple fait de pouvoir aller en cour qui
aide leur guérison.
Les formations devraient également, selon
nous, stimuler une meilleure sensibilité des acteurs au système judiciaire et
aux enjeux intersectionnels. Citons les victimes qui sont autochtones, les
victimes qui ont un handicap, qui ont un statut, d'immigration précaire, les
femmes racisées et les femmes qui sont visées par des discriminations basées sur
l'identité ou l'orientation sexuelle. Elles sont victimes de discriminations
additionnelles et ça entrave encore plus leur processus de reconstruction, de
réhabilitation et de guérison.
En ce qui a trait aux formations, nous
recommandons par contre de spécifier dans le projet de loi que la formation des
juges devrait être...
Mme Madi (Aïcha) : …qui sont
visées par des discriminations basées sur l'identité ou l'orientation sexuelle.
Elles sont victimes de discriminations additionnelles, et ça entrave encore
plus leur processus de reconstruction, de réhabilitation et de guérison.
En ce qui a trait aux formations, nous
recommandons par contre de spécifier dans le projet de loi que la formation des
juges devrait être préparée en consultant l'expertise et les recommandations
d'experts en victimologie liée aux violences sexuelles et conjugales, et non uniquement
à la discrétion du Conseil de la magistrature. Ça permettrait de s'assurer que
le contenu des formations tacle véritablement les problèmes de préjugés, de
stéréotypes et de mythes.
Nous sommes également en faveur d'un
renversement du fardeau de la preuve pour qu'il y ait un traitement qui soit
plus adapté aux victimes de violence sexuelle. Comme l'explique la professeure
du Département de sciences juridiques de l'UQAM Rachel Chagnon, l'agression
sexuelle, c'est le seul crime contre la personne qui fait appel à la notion de
consentement dans la démonstration de l'existence du crime, il faut démontrer
hors de tout doute raisonnable qu'il n'y avait pas de consentement. Et ça, ça
revient un peu à positionner la victime comme une menteuse potentielle dès le
début du processus.
Nous sommes également d'avis qu'il devrait
devenir interdit pour la défense d'utiliser le passé des femmes victimes durant
le contre-interrogatoire, car le passé, ça n'a aucune pertinence pour prouver
ou non si le crime a eu lieu. N'importe quelle personne peut devenir victime
d'une violence sexuelle ou conjugale, peu importe son passé, sa profession ou
son profil, plus généralement. D'ailleurs, s'attaquer à la récurrence des
contre-interrogatoires qui sont violents et stigmatisants, ça figure parmi les
mesures qui sont absolument nécessaires, à notre avis, pour rebâtir cette
confiance des femmes victimes de violence envers le système de justice et
envers le gouvernement.
Autre recommandation que nous avons, c'est
de mettre en place des projets pilotes qui seraient d'une durée de deux ans
afin d'avoir suffisamment de résultats pour examiner et évaluer la mise en application
des tribunaux spécialisés au Québec. Au moins un de ces projets pilotes devrait
être dans une région du Nord-du-Québec afin d'examiner la faisabilité du projet
de tribunaux spécialisés dans une région qui est vaste, rurale, et où il y a
des cours itinérantes en place, et où il y a certains enjeux qu'il n'y a pas en
ville, comme par exemple un manque crucial de procureurs.
Nous aimerions aussi recommander que le projet
de loi prévoie une concertation et une collaboration de l'ensemble des
partenaires qui oeuvrent auprès des victimes, à savoir les juges, les
procureurs, les services de police, les intervenants qui accompagnent les
victimes et aussi les collectivités autochtones. Ces groupes et ces individus
portent la diversité de perspectives et l'expérience concrète nécessaire à un projet
de loi en cohérence avec la réalité et les besoins, et une telle démarche de collaboration
et de concertation, ça représente vraiment un minimum requis et un courage de
la société pour honorer les droits des victimes.
Nous tenons à finir en disant que les
tribunaux spécialisés, malgré que nous soutenions leur application, ce n'est
pas une solution miracle. Ils ont le potentiel de tacler, certes, plusieurs
problèmes reliés au processus judiciaire, mais n'oublions pas que plusieurs
victimes choisissent de ne pas porter plainte pour différentes raisons qui leur
appartiennent et qu'elles méritent tout autant le bénéfice… pour rendre leur
réparation plus possible. N'oublions pas…
Mme Madi (Aïcha) : …malgré que
nous soutenions leur implantation, ce n'est pas une solution miracle. Ils ont
un potentiel de «tackle», certes, plusieurs problèmes reliés au processus
judiciaire, mais n'oublions que plusieurs victimes choisissent de ne pas porter
plainte, pour différentes raisons qui leur appartiennent, et qu'elles méritent
tout autant de bénéficier de réformes… réparation… possible. N'oublions pas non
plus que d'autres problématiques, comme la culture du viol ou la banalisation
de l'importance du consentement libre et éclairé, figurent parmi les nombreuses
problématiques qui ne pourraient pas être «tackle» complètement par le projet
de tribunaux spécialisés.
Mes collègues qui oeuvrent auprès de
victimes de violence conjugale l'ont mentionné hier, les tribunaux spécialisés,
c'est juste une des 190 recommandations du rapport Rebâtir la confiance.
Les CALACS, on demeure donc dans l'attente d'autres réformes, projets de loi,
politiques, et initiatives, et financements qui pourraient aider à emmener la
société québécoise vers cette éradication de la violence envers les femmes,
qu'elle soit sexuelle, conjugale, économique ou structurelle. C'est ce qui
conclut mon intervention. Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme Madi pour votre exposé. Nous allons maintenant commencer la période
d'échange. M. le ministre, la parole est à vous.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Mme Madi, bonjour. Merci d'être présente et de présenter la
position du Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les
agressions à caractère sexuel. Je tiens tout d'abord à vous dire, vous avez
raison, lorsque vous dites : Pour les personnes victimes qui ne vont pas
dans le processus judiciaire, dans le processus criminel, c'est important de
les soutenir également. Et c'est pour ça qu'on a réformé la loi… mais l'IVAC,
en fait, la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels, justement,
et je pense, ça, c'est important de toujours le rappeler, que ce n'est pas
nécessaire de dénoncer à la police pour avoir du soutien financier, du soutien
psychologique de l'État.
Et de dire que vous, dans votre
organisation, il y a des intervenantes, il y a des intervenants qui sont là
pour accompagner et soutenir les victimes, il y en a aux CAVAC, il y en a
également à l'IVAC qui sont là pour appuyer. Donc, il ne faut pas hésiter à
demander du soutien, et l'État québécois est là pour tenter de faire en sorte
de permettre à la personne victime d'obtenir du soutien. Alors, ça, il faut que
ça soit dit, il faut que ça soit répété également, et c'est un des sens du projet
de loi n° 84, qu'on avait adopté.
Si on revient au projet de loi n° 92,
aujourd'hui, vous, vous indiquez dans votre mémoire que vous êtes en faveur de
procéder par la voie de projets pilotes. Pourquoi est-ce que vous êtes en
faveur puis pourquoi vous proposez d'y aller par projets pilotes?
• (15 h 20) •
Mme Madi (Aïcha) : Merci pour
la question. Les projets pilotes, en fait, ça permettrait de prendre en
considération la diversité démographique qui existe au Québec. Il y a certaines
régions comme Montréal où on a beaucoup de femmes immigrantes. Il y a certaines
régions dans le nord du Québec où on a beaucoup de communautés autochtones qui…
pour qui ils nécessitent souvent d'avoir des interprètes, mais qu'on n'a pas
beaucoup d'interprètes. Il y a certaines régions où les femmes doivent
parcourir deux heures de voiture pour aller dans le tribunal le plus proche.
Donc, toutes, vraiment, ces diversités de parcours puis de particularités des
régions, ça mérite… ça nécessite, en fait, d'avoir un projet pilote pour
chacune de ces particularités, pour pouvoir mettre en place, vraiment, à la
fin, des tribunaux spécialisés qui soient vraiment adaptés à chaque réalité et
qui soient vraiment efficaces au bout du compte.
M. Jolin-Barrette : Bien, je
suis d'accord avec vous, parce qu'il faut s'assurer de bien faire…
Mme Madi (Aïcha) : …ça mérite…
ça nécessite, en fait, d'avoir un projet pilote pour chacune de ces
particularités pour pouvoir mettre en place vraiment, à la fin, des tribunaux
spécialisés qui soient vraiment adaptés à chaque réalité et qui soient vraiment
efficaces au bout du compte.
M. Jolin-Barrette : Bien, je
suis d'accord avec vous. Parce qu'il faut s'assurer de bien faire les choses également.
Parce que, je ne sais pas si vous l'avez constaté, dans le projet de loi, dans
un premier temps, il y a une habilitation. Oui, on va y aller par projets
pilotes en premier, mais ensuite on a déjà les dispositions législatives pour
le faire à la grandeur du Québec, à partir du moment où l'expérience des
projets pilotes va être complétée. Puis ça va nous permettre justement
d'ajuster, de voir ce qui ne fonctionne pas, ce qui fonctionne, de rajouter des
éléments. Alors, pour nous, c'est important de bien faire les choses surtout
afin que les personnes victimes aient confiance dans le système et surtout
qu'elles se disent : Oui, c'est vrai, ça fonctionne.
Et on l'a bâti sur un continuum de
services. Donc, dès le dépôt de la dénonciation, durant tout le parcours,
durant tout le processus jusqu'à la condamnation et même au-delà, la personne
victime doit être accompagnée et soutenue. Donc, c'est ce qu'on souhaite bâtir,
là, avec le projet de loi.
Peut-être une autre question. Je voulais
vous demander, parce qu'il y a plusieurs intervenants qui ont dit différentes
choses sur le titre du tribunal, là, qu'est-ce que vous pensez du tribunal
spécialisé en violences sexuelles et conjugales? Est-ce que vous trouvez ça
important de nommer les choses dans le titre du tribunal?
Mme Madi (Aïcha) : Tout à
fait. Oui, pour nous, c'est important. Parce que certaines appellations, par
exemple, avec certains modèles qui ont été mentionnés hier, des fois,
l'appellation, c'est juste «tribunal familial», «tribunal de violence
familiale». Or, dans ce projet, on tacle autant la violence familiale ou
conjugale et autant les violences sexuelles. Donc, vraiment, pour montrer que
c'est un tribunal qui tacle les deux. Parce qu'il y a certains modèles dans le
monde où on a des tribunaux qui taclent juste la violence sexuelle, des fois,
juste la violence conjugale, donc pour nous, c'est vraiment important de le
nommer dans le titre pour que ça soit clair, en fait, pour les victimes.
M. Jolin-Barrette : Et pour
vous, tout à l'heure, vous avez parlé, là, des règles entourant les
contre-interrogatoires, les règles de preuve. Tout ça, dans le cadre du
tribunal spécialisé, ça ne change pas, ça relève du droit fédéral, et les
principes demeurent les mêmes : la présomption d'innocence, l'impartialité
du tribunal, l'indépendance également du tribunal. Ça, c'est conforme. La
partie de la cour, elle est indépendante du gouvernement, donc la magistrature
va gérer sa juridiction à l'intérieur de sa salle de cour. Il n'y a rien qui
est remis en question à ce niveau-là, mais on va offrir le service tout au long
du continuum de services et d'accompagnement, qui va être offert. Mais pour la
victime, là, elle-même qui est dans le processus judiciaire, le fait de dire :
Je vais aller au tribunal spécialisé en matière de violences sexuelles et
conjugales, ça a une signification pour elle. Je comprends que ça peut être
sécurisant de savoir qu'il va y avoir un encadrement.
Mme Madi (Aïcha) : Tout à
fait. Surtout qu'en fait… le fait qu'il n'y a plus de confiance envers le
système judiciaire, ça s'est vraiment propagé chez toutes les femmes, en fait,
de la société puis même si on n'est jamais passées au travers du tribunal, on a
peur d'y passer. Donc, le fait de savoir qu'il y a quelque chose qui a changé,
il y a quelque chose qui est plus adapté, c'est vraiment plus sécurisant.
M. Jolin-Barrette : Ça, c'est
ce que les femmes que vous rencontrez dans le cadre de votre…
Mme Madi (Aïcha) : ...ça s'est
vraiment propagé chez toutes les femmes, en fait, de la société. Puis même si
on n'est jamais passé au travers du tribunal, on a peur d'y passer. Donc, le
fait de savoir qu'il y a quelque chose qui a changé, il y a quelque chose qui
est plus adapté, c'est vraiment plus sécurisant.
M. Jolin-Barrette : Ça, c'est
ce que les femmes que vous rencontrez dans le cadre de votre organisme, c'est
ce qu'elles vous disent, les femmes que vous rencontrez, qu'elles n'ont pas
confiance?
Mme Madi (Aïcha) : Tout à
fait. Il y a vraiment un bri, en fait, de la relation, surtout à cause des
contre-interrogatoires justement.
M. Jolin-Barrette : Et,
voyez-vous, moi, ce que vous me dites, ça me touche profondément, surtout dans
le rôle que j'occupe, puis c'est pour ça que je fais le projet de loi n° 92, le tribunal spécialisé. Parce que mon travail, puis notamment
le travail du gouvernement, c'est de faire en sorte que les Québécoises et les
Québécois aient confiance dans le système de justice. Puis moi, je pense
qu'avec le tribunal spécialisé, ça peut permettre justement de redonner
confiance, de rebâtir la confiance envers le système. Parce que, je suis
d'accord avec vous, il y a certaines personnes qui ont perdu confiance puis qui
se disent peut-être : Ah! je ne veux pas passer à travers tout ça, je ne
veux pas avoir à vivre cette épreuve-là, et je les comprends, mais, à ce
moment-là, il faut changer les choses. Puis c'est ça qu'on essaie de faire puis
vraiment de mettre la victime au centre du processus, que dans les palais de
justice, les victimes aient une place de choix puis que ça ne soit pas les
dernières oubliées, puis que ça ne soit pas le dernier local, ça ne soit pas le
placard à balais qui soit destiné aux personnes victimes, mais qu'elles aient
de la considération, elles aient un accompagnement, le tout en fonction, bien
sûr, du respect du droit des accusés, parce que c'est comme ça que fonctionne
notre système. Mais ça ne veut pas dire parce qu'on garantie les droits aux
accusés qu'on ne peut pas faire en sorte que les personnes victimes également
soient bien accompagnées, bien soutenues.
Peut-être une question sur... vous avez
abordé un peu la question des mythes et des préjugés. L'importance des
formations, là, encore aujourd'hui, je crois déceler de que vous nous dites que
tout le monde a des préjugés, mais il faut juste en prendre conscience. Puis
les formations, je pense, peuvent aider à en prendre conscience puis à se doter
d'outils, là.
Mme Madi (Aïcha) : Souvent
les préjugés, justement, c'est inconscient. Donc, ce n'est pas comme si on a vraiment
l'intention de faire du mal à la victime avec la manière dont on l'interroge,
mais, par exemple, quelque chose qui a souvent dans les audiences, c'est que
l'avocat de la défense ou le juge va essayer de sous-entendre qu'il y avait
peut-être eu un consentement indirectement, et donc qu'il y ait un flou. Mais,
en fait, en réalité, ça, c'est un mythe, il y a juste un type de consentement
puis c'est le consentement libre et éclairé. S'il n'y a pas eu de consentement
libre et éclairé, même si on peut... on argumente qu'il y a eu un consentement
flou, c'est faux. Et ça, ça fait partie des mythes que... on aimerait qu'il
fasse partie des formations.
M. Jolin-Barrette : Quoi
d'autre croyez-vous qui devrait faire partie des formations?
Mme Madi (Aïcha) : Bien, il y
a certains stéréotypes selon lesquels des femmes pourraient en vouloir à leur
ex-compagnon et, pour se venger, elles vont faire une fausse accusation. Or,
les fausses accusations, c'est important de se rappeler que c'est seulement
dans 2 % des cas, donc c'est vraiment très rare. Il ne faut pas en parler
comme si c'est quelque chose qui est très récurrent.
M. Jolin-Barrette : O.K. Je
vous remercie grandement pour votre présence en commission parlementaire, c'est
apprécié. J'ai des collègues qui souhaitent vous poser des questions. Je crois
que la députée de Bellechasse...
Mme Madi (Aïcha) : ...et, pour
se venger, elles vont faire une fausse accusation. Or, les fausses accusations,
c'est important de se rappeler que c'est seulement dans 2 % des cas, donc
c'est vraiment très rare. Il ne faut pas en parler comme si c'est quelque chose
qui est très récurrent.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Bien, je vous remercie grandement pour votre présence en commission
parlementaire, c'est apprécié. J'ai des collègues qui souhaitent vous poser des
questions. Je crois que la députée de Bellechasse souhaite intervenir. Merci
beaucoup, Mme Madi.
Mme Madi (Aïcha) : Merci…
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, M. le ministre. Mme la députée de Bellechasse.
Mme Lachance : Merci, M. le
Président. Merci, merci d'être là. J'ai une question. J'aimerais vous entendre
parler... Vous avez parlé tout à l'heure du projet pilote et vous spécifiez,
dans le mémoire, deux ans de projet pilote. Pourquoi deux ans? Pourquoi pas
plus, pourquoi pas moins?
Mme Madi (Aïcha) : C'est sûr
que ça pourrait être retravaillé, bien sûr, la durée de deux ans, mais c'est
une durée un peu minimale qu'on recommande, parce qu'un an, ça ne serait pas
suffisant pour pouvoir évaluer vraiment comment... est-ce que ça l'a bien
marché, est-ce que les victimes, elles se sont senties plus sécurisées. Donc,
deux ans, ça serait une durée qui serait bonne pour avoir assez de temps pour
pouvoir évaluer le projet pilote.
Bien sûr, peut-être que ça pourrait être
discuté, que ça serait plus, mais en tout cas, deux ans, c'est vraiment une
durée qui est minimale. Et, bien sûr, si c'est un peu plus, c'est sûr qu'on va
vraiment s'étendre, et peut-être que le projet de tribunaux spécialisés au
travers tout le Québec arriverait dans vraiment très longtemps. Donc, deux ans,
ça nous semble une bonne durée.
Mme Lachance : Donc, pour
vous, c'est une bonne durée, deux ans.
Dans votre mémoire, vous parlez aussi de
prévoir une concertation puis une collaboration de l'ensemble des partenaires
qui oeuvrent auprès des victimes. Donc, hier, un groupe nous parlait de la mise
en place d'un coordonnateur au dossier. Vous voyez ça... Comment ça pourrait
s'intégrer? Est-ce que vous voyez ça d'un bon oeil?
Mme Madi (Aïcha) : Oui, tout
à fait. C'est sûr qu'on a beaucoup d'acteurs qu'ils n'ont pas l'habitude de
collaborer ensemble. Je pense, par exemple, bien, aux juges et aux policiers,
aux juges et aux intervenants. Donc, peut-être, un coordonnateur, ça aiderait,
en fait, à instaurer cette nouvelle culture de collaboration, puis de
meilleures communications entre tous ces acteurs. Parce qu'au final, ce qu'on
veut, c'est qu'ils se parlent tous pour pouvoir créer des conditions qui sont
plus favorables aux victimes.
Mme Lachance : Merci beaucoup.
Mme Madi (Aïcha) : Merci pour
votre question.
Le Président (M. Benjamin) :
...Bellechasse. M. le député de Chapleau.
M. Lévesque (Chapleau) : Oui.
Merci beaucoup, M. le Président. Merci, Mme Madi, merci de votre
présentation. J'aimerais peut-être vous entendre sur les CALACS, et comment
qu'ils pourraient être mieux intégrés au système de justice, notamment dans
l'accompagnement, là, des victimes. Comment vous voyez ça, là, votre rôle?
• (15 h 30) •
Mme Madi (Aïcha) : Bien,
écoutez, déjà la semaine dernière, j'ai eu l'écho dans un des CALACS que, donc,
on a eu une intervenante qui accompagnait une victime au bureau du procureur,
pour parler de sa plainte, et elle a été refusée d'entrer dans la pièce avec la
victime qu'elle accompagnait. Et la victime, c'était très sécurisant pour elle
d'avoir l'intervenante avec elle, avait déjà parlé. Donc, déjà les CALACS, on
aimerait vraiment qu'elles aient une place assurée dans les salles de cour,
dans les salles d'interrogatoire parce que c'est vraiment très... ça peut être
vraiment très... ça ouvre vraiment beaucoup de vulnérabilité d'aller devant le
procureur, de passer au travers du processus judiciaire, donc c'est vraiment
sécurisant de pouvoir avoir une intervenante.
15 h 30 (version non révisée)
Mme Madi (Aïcha) : ...place
assurée dans les salles de cour, dans les salles d'interrogatoire parce que
c'est vraiment très... ça peut être vraiment très... ça ouvre vraiment beaucoup
de vulnérabilité d'aller devant le procureur, de passer au travers du processus
judiciaire, donc c'est vraiment sécurisant de pouvoir avoir une intervenante.
M. Lévesque (Chapleau) : Il y
a-tu d'autres éléments par rapport à ça que vous aimeriez ajouter?
Mme Madi (Aïcha) : Non. La
manière dont on aimerait être intégré, ça serait surtout aussi de pouvoir être
intégré un peu aux discussions avec les autres acteurs pour pouvoir mieux
collaborer, parce que présentement on n'a vraiment pas des discussions avec les
juges, avec les procureurs, avec les policiers.
M. Lévesque (Chapleau) :
D'accord. Puis, en lien avec les violences sexuelles, vous expliquerez... vous
expliqueriez, c'est-à-dire, comment le phénomène de dénonciation qu'on a vu sur
les réseaux sociaux dans les dernières années, notamment le #metoo, selon votre
expérience terrain que vous avez?
Mme Madi (Aïcha) : Oui. La
vague de dénonciations, en fait, ça a été vraiment sécurisant pour plusieurs
victimes de voir qu'elles n'étaient pas toutes seules, parce que, justement, le
concept de #metoo, c'est qu'avant il y avait beaucoup de femmes victimes qui
pensaient que c'était arrivé juste à elles. Donc, vraiment, le fait d'avoir une
dénonciation, ça a permis vraiment aux femmes de se sentir plus sécurisées, de
se sentir pas seules, en fait. Et c'est vraiment ce sentiment de n'être pas
seules qui a stimulé le mouvement. Et, oui, voilà.
M. Lévesque (Chapleau) : Puis
avez-vous une réflexion par rapport au système de justice de ces dénonciations-là?
Est-ce que ça vous a peut-être éclairée sur le système de justice à ce
niveau-là?
Mme Madi (Aïcha) : Oui, en
fait, on a vu, malheureusement, que le système de justice n'était pas équipé
pour traiter du nombre d'agressions à caractère sexuel qui existe dans la
société. On a vraiment présentement des délais qui sont très grands, on a
vraiment beaucoup, beaucoup de dossiers qui sont refusés, qui sont regardés en
10 minutes, et qui sont mis de côté, et qui sont dits : Non, on ne va pas
poursuivre avec votre dossier.
Donc, ça a mis vraiment à la lumière, en
fait, le fait que, présentement, le système de justice, il n'est pas équipé à
faire face au nombre de violences à caractère sexuel qu'il y a dans la société.
C'est vraiment un problème social qui est très répandu. Puis la vague des
dénonciations, ça nous l'a rappelé.
M. Lévesque (Chapleau) : Puis
j'imagine que le tribunal spécialisé vient pallier à ce dont vous faites
mention.
Mme Madi (Aïcha) : Pas
nécessairement, en fait, mais c'est sûr qu'on...
M. Lévesque (Chapleau) : C'est
un pas dans la bonne direction?
Mme Madi (Aïcha) : Non,
c'est... Le projet de tribunal spécialisé, ça pourrait aider à réduire, par
exemple, les délais. Mais c'est sûr que ce n'est pas nécessairement, parce que,
si on reste avec un manque de procureurs, même si on a des tribunaux
spécialisés, les délais trop longs vont rester. Donc, les tribunaux
spécialisés, oui, les appliquer, mais toujours en gardant en tête qu'il y a
certains autres problèmes qu'il faut aussi pallier en même temps qu'on applique
ce nouveau tribunal spécialisé.
M. Lévesque (Chapleau) :
D'accord. Je vous ramènerais sur un autre point dont vous avez fait mention,
les contre-interrogatoires. Vous les voyez avec un certain scepticisme ou du
moins une certaine problématique. J'aimerais peut-être vous entendre comment
vous verriez ces contre-interrogatoires-là. Est-ce que c'est en lien avec
l'accompagnement dont vous faisiez mention? Y a-t-il d'autres éléments qui
alimentent votre réflexion par rapport à cela?
Mme Madi (Aïcha) : Oui.
Souvent, dans le contre-interrogatoire, la victime va avoir beaucoup de...
M. Lévesque (Chapleau) :
…J'aimerais peut-être vous entendre, comment vous verriez ces
contre-interrogatoires-là. Est-ce que c'est en lien avec l'accompagnement dont
vous faisiez mention? Y a-t-il d'autres éléments qui vous… qui alimentent votre
réflexion par rapport à cela?
Mme Madi (Aïcha) : Oui.
Souvent, dans le contre-interrogatoire, la victime va avoir beaucoup de questions
sur son passé, comme j'ai dit, donc, qui va essayer de la décrédibiliser. Mais
aussi, des fois, il y a des questions sur des détails de la pièce, du décor,
qui vont être posées sans prendre en compte que, des fois, avec la mémoire
traumatique… Quand on a un traumatisme, avec la mémoire traumatique, des fois,
on oublie les détails, mais ça ne veut pas dire que ce n'est pas arrivé ou
qu'on n'est pas une bonne victime. Donc, ces contre-interrogatoires-là, ça
devrait vraiment prendre en compte un peu tout le processus… toutes les
contraintes un peu neurobiologiques de traumatisme, oui, qui imposent.
M. Lévesque (Chapleau) : Puis est-ce
que ça pourrait — on discute ensemble, là — se faire par
voie de formation, par… pour justement avoir une sensibilisation à ces
éléments-là?
Mme Madi (Aïcha) : Tout à
fait. Exactement. On aimerait vraiment que la formation qui soit donnée aux
juges, mais aussi aux autres acteurs du système comme les policiers puis les
procureurs, ça traite des contraintes neurobiologiques, des réalités des
différentes communautés ethniques, des répercussions, un peu, de la
colonisation, même, quand… à des victimes qui sont autochtones, et aussi, bien,
justement, comme j'ai dit, de la mémoire post-traumatique, parce que ça peut
arriver d'oublier quelque chose et ça ne veut pas dire que ce n'est pas arrivé.
Mais souvent les acteurs qui font le contre-interrogatoire ignorent ce fait.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci.
M. Lévesque (Chapleau) : Merci
beaucoup.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, M. le député de Chapleau.
M. Lévesque (Chapleau) : Je
vous en prie.
Le Président (M. Benjamin) :
La parole revient maintenant à la députée de Verdun.
Mme Melançon : Bonjour,
Mme Madi. Merci beaucoup d'être avec nous aujourd'hui. Merci pour votre
éclairage. En décembre dernier, lorsque nous avons déposé le rapport Rebâtir
la confiance avec collègue de Sherbrooke, collègue de Joliette et la
ministre de la Condition féminine, il y avait 190 recommandations à
l'intérieur du rapport. Aujourd'hui, on est là pour parler du tribunal
spécialisé qui est un chapitre sur 15 chapitres. Et là j'y vais vraiment
de mémoire parce que… C'était ça, en 15 chapitres je crois. Cependant,
pour nous, c'est un tout, il n'y avait pas que le tribunal spécialisé. Il faut
venir justement imbriquer chacune des recommandations parce que prises les unes
à part des autres, ça n'a pas de sens pour nous. Est-ce que vous êtes du même
avis que nous sur ça.
Mme Madi (Aïcha) : Tout à
fait. C'est sûr que, comme je disais, les tribunaux spécialisés, ce n'est pas
une solution miracle qui va tout éradiquer le problème de la violence sexuelle
et de la violence conjugale. Par contre, c'est sûr qu'on estime que ça serait
un bon premier pas. Mais c'est sûr que, nous, on perçoit la violence sexuelle
comme étant un problème social, c'est l'affaire de tous, c'est imbriqué dans
nos mentalités. Donc, c'est sûr que pour nous, les tribunaux spécialisés, ça
serait bien si ça s'accompagnait aussi d'efforts de prévention, par exemple,
envers les jeunes pour lutter, justement, contre les mythes, contre les
stéréotypes…
Mme Madi (Aïcha) : …nous, on
perçoit la violence sexuelle comme étant un problème social, c'est l'affaire de
tous, c'est imbriqué dans nos mentalités, donc c'est sûr que, pour nous, les
tribunaux spécialisés, ça serait bien si ça s'accompagnait aussi d'efforts de
prévention, par exemple envers les jeunes, pour lutter, justement, contre les
mythes, contre les stéréotypes, informer vraiment, c'est quoi un consentement
libre et éclairé, par exemple. Donc, beaucoup d'efforts de prévention qui
seraient importants à amener de l'avant en même temps, justement, que ces
tribunaux spécialisés, pour maximiser l'effet et pour vraiment arriver à lutter
contre les violences sexuelles.
Mme Melançon : Merci. Sur la
formation, parce que là, dans le projet de loi qui est devant nous, projet de
loi n° 92, actuellement, nous n'avons que la formation des juges. Je vous
entends et c'est très bien inscrit à l'intérieur de votre mémoire, que vous
souhaitez, dans le fond, qu'on puisse aborder la formation, aussi, des
procureurs, des policiers, bref, des acteurs qui sont autour des victimes. Et
je vous entends sur une formation neurobiologique, qui est quelque chose, pas
de nouveau, là, mais dont on entend plus parler, je dirais ça ainsi. Ces
formations-là, à votre connaissance, elles sont déjà offertes ailleurs?
Mme Madi (Aïcha) : Je ne
pourrais pas vous répondre, mais c'est sûr que c'est des connaissances que, même
si on a l'impression qu'elles sont nouvelles, on en parle depuis les années 80,
90. Donc, au niveau de la science, elles sont déjà très bien étoffées, mais
nous, on en entend parler vraiment juste depuis ces dernières années, mais il
ne faut vraiment pas penser qu'il n'y a pas matière.
Mme Melançon : Puis je vous
posais la question et c'était loin d'être une colle, c'est surtout qu'à
l'intérieur du… j'ai fait mention, là, que j'ai écouté le film La parfaite
victime, et on parlait justement de cette formation, et à chaque fois qu'on
abordait, on… Émilie Perreault, notamment, là, posait la question : Est-ce
que vous savez de quoi il était question? Et il y a des gens qui n'avaient
aucune idée, encore, de quoi il était question. Alors, je pense… je veux au
moins le livrer ici pour qu'on puisse aussi réfléchir aux formations qui
pourront être offertes, que ce soit aux juges, aux policiers, aux procureurs,
aux autres acteurs.
Sur le projet pilote, moi, j'ai un souci,
puis j'aime bien quand le ministre commence avec le projet… poser la question à
ma place sur le projet pilote, parce que — et je le dis avec le
sourire, là, il comprend très bien ce que je signifie — mais moi, le
deux ans me cause un souci pour les victimes. Et je sais que vous êtes tout près
des victimes aussi, deux ans, avec malheureusement de l'iniquité territoriale,
je vais dire ça comme ça, selon le district judiciaire que le ministre aura
choisi. Moi, ça me cause un souci. Est-ce que vous ne voyez pas une possibilité
de faire une entrée progressive, justement, de ce qu'on voudrait peut-être
faire partout sur le territoire?
Mme Madi (Aïcha) : Ça
pourrait…
Mme Melançon : ...le ministre
aura choisi. Moi, ça me cause un souci. Est-ce que vous ne voyez pas une possibilité
de faire une entrée progressive, justement, de ce qu'on voudrait peut-être
faire partout sur le territoire?
Mme Madi (Aïcha) : Ça
pourrait être fait, mais c'est sûr que, même si c'est une entrée progressive,
il va falloir penser et prendre en considération les réalités de chaque région.
Il va falloir vraiment savoir : O.K., pour celles qui... Pour les
tribunaux qui vont être en ville, on va faire comme ça. Pour les tribunaux qui
sont dans des régions éloignées, on va faire comme ça. Et ça serait peut-être
plus facile d'avoir testé avec un, comme ça, on sait déjà qu'est-ce qui marche
pour les villes plus généralement, comme ça, on sait déjà... ce qui marche dans
le Nord-du-Québec et les régions éloignées. Mais c'est sûr que c'est une
possibilité aussi qu'on... avec laquelle on est d'accord aussi.
• (15 h 40) •
Mme Melançon : D'accord.
Parce qu'hier différents groupes sont venus aussi nous dire que sur le terrain,
des organismes comme le vôtre, par exemple, avaient déjà entendu le signal en
décembre dernier. Et il y a plusieurs acteurs sur le terrain qui ont déjà
commencé à s'organiser pour pouvoir offrir, justement, des services.
Alors, moi, ce que je me disais, c'est que
peut-être que progressivement on peut y aller sur une base uniforme avec des améliorations
à différents endroits pour justement être capables de bâtir le projet de
tribunal spécialisé qu'on a devant nous. Mais je laisse ça ainsi. Et je crois,
là, à vous voir osciller de la tête, que vous êtes d'accord avec moi.
D'ailleurs, sur la collaboration des
partenaires, j'aimerais vous entendre. Comment ça se passe sur le terrain
actuellement?
Mme Madi (Aïcha) : Bien,
comme vous l'avez dit, il y a déjà, dans certaines régions, des acteurs qui ont
commencé à se parler. Je nomme, par exemple, l'Abitibi. Notre CALACS en
Abitibi, ils ont déjà des contacts avec un juge, avec certains procureurs.
Donc, ça...
Je crois que ça serait important,
justement, pour stimuler, justement, ce contact, parce que ce n'est pas dans
les habitudes, surtout dans les grandes villes, il faut vraiment, comme,
peut-être, les épauler puis les organiser en premier lieu pour aider à
instaurer cette nouvelle culture, parce que c'est sûr que c'est nouveau.
Donc, moi, je les verrais... au début
comme... on les oblige, on les impose au début, juste pour tester au moins,
parce que ce n'est pas dans la culture, puis peut-être il y aurait des acteurs
qui seraient vraiment réticents si on ne les oblige pas.
Mme Melançon : Merci. Je
prends des notes en même temps. Vous savez, quand on a déposé le rapport, donc,
en décembre 2020, on sentait le poids des attentes des victimes, parce que je
pense que ce rapport-là était vraiment attendu. Les experts ont fait un bon
travail, que je pense à Me Corte ou à Julie Desrosiers, les deux coprésidentes,
avec les différents membres. On ne peut pas ne pas réussir aujourd'hui. On a
vraiment un fardeau de réussite. Et est-ce que, comme moi, vous êtes inquiète
face à...
Mme Melançon : …Julie
Desrosiers, les deux coprésidentes avec les différents membres. On ne peut
pas réussir aujourd'hui. On a vraiment un fardeau de réussite. Et est-ce que,
comme moi, vous êtes inquiète face à une possible contestation judiciaire? Vous
avez vu ce qui se passe actuellement, là, dans les journaux, là, par voie
média. Est-ce que vous avez cette même inquiétude que nous?
Mme Madi (Aïcha) : Oui, tout
à fait, c'est inquiétant. Mais d'un autre côté, je crois que, justement, ces
débats, ça parle un peu de certaines craintes, de certaines préoccupations,
d'enjeux que certains acteurs, ils ont peur que ça ne soit pas pris en
considération. Donc, je pense qu'il faut prendre ces désaccords comme un peu
des demandes pour que le projet de loi soit… prenne en considération les enjeux
qui sont vus par chaque acteur.
Et c'est sûr que les débats, pour nous, ça
reste vraiment santé, parce que ça fait quand même en sorte que dans les médias
on parle des violences sexuelles, et ça, c'est quelque chose qui est quand même
rare. Donc, on voit quand même ça d'un bon oeil, il y a quand même un bon côté,
parce que c'est rare, en fait, qu'on voie dans les médias qu'on parle autant
des violences à caractère sexuel. Donc, on est très contents de voir que c'est
abordé, puis que c'est étudié, puis que c'est analysé. Mais c'est sûr que pour
la réussite du projet, il faut qu'on arrive, finalement, idéalement, à un
consensus pour pouvoir bien collaborer.
Mme Melançon : Moi, ce qui me
ferait beaucoup de peine, c'est qu'on parle des violences sexuelles encore
pendant trois ou cinq ans parce qu'il y a une contestation judiciaire par
la juge en chef. Moi, ça, ça m'inquiète véritablement. Et un peu contrairement
à vous, je vous dirais, j'aimerais ça qu'on puisse parler des violences
sexuelles en disant : On a quelque chose de solide, on peut aller de
l'avant pour les victimes, les victimes vont avoir l'accompagnement nécessaire
et tout le monde est d'accord avec le tribunal spécialisé. Malheureusement, ce
n'est pas le cas actuellement, et ça, ça m'inquiète vraiment. J'aimerais vous
entendre. Parce que vous avez dit tout à l'heure, vous parliez un peu, là, du
fardeau de la preuve. Vous comprenez, cependant, que dans le projet de loi
actuel, on garde le même droit, hein? Vous comprenez bien, j'imagine, ça. Et
comment c'est reçu auprès des femmes victimes que vous accompagnez?
Mme Madi (Aïcha) : C'est sûr
que ça, c'est une demande, justement, que... ça fait partie de nos demandes
phares, qu'on demande toujours en tant que Regroupement des CALACS, même si,
bien sûr, on reçoit toujours cette remarque comme quoi c'est une compétence
fédérale et ça serait vraiment difficile de la changer. Mais c'est vraiment un
besoin pour les victimes et c'est toujours un problème qui revient, et c'est
toujours... c'est très souvent un problème qui revient quand on parle de
victimisations qui sont faites par le passage dans le processus judiciaire. Des
fois, justement, on a dit qu'il y a un premier traumatisme avec l'agression à
caractère sexuel et il y en a un deuxième quand on passe à travers du processus
judiciaire.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci.
Mme Madi (Aïcha) : Et
une des raisons...
Le Président (M. Benjamin) :
Malheureusement, c'est tout le temps...
Mme Melançon : Merci.
Mme Madi (Aïcha) :
Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme la députée de Verdun. Maintenant, la parole...
Mme Madi (Aïcha) : ...qui
sont faites par le passage dans le processus judiciaire. Des fois, justement,
on a dit qu'il y a un premier traumatisme avec l'agression à caractère sexuel
et il y en a un deuxième quand on passe à travers du processus judiciaire.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci.
Mme Madi (Aïcha) : C'est
une des raisons qu'on...
Le Président (M. Benjamin) :
Malheureusement, c'est tout le temps...
Mme Madi (Aïcha) :
Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
...qui nous est imparti. Merci, Mme la députée de Verdun. Maintenant, la parole
revient à la députée de Sherbrooke.
Mme Labrie : Merci. Je
vais revenir sur la question des projets pilotes. Je sais que vous en avez déjà
parlé deux fois, mais vous comprendrez qu'ici autour de la table tout le monde
est 100 % d'accord pour l'implantation des tribunaux spécialisés, mais la
question des projets pilotes est un... semble être un sujet de discussion, là,
à savoir si oui ou non ça en prend et, si oui, combien de temps. On a le souci
que les projets pilotes soient trop longs. Puis même certains nous ont dit
qu'il n'était peut-être pas nécessaire d'en faire.
Comme vous dites que de toute façon il va
falloir s'ajuster à chaque territoire, est-ce que ce n'est pas mieux de
commencer partout en même temps, mais en prévoyant de la souplesse. Parce qu'il
n'y a pas une crainte qu'on ralentisse des gens? Vous dites qu'il y a des gens
qui ont commencé à bouger déjà un peu partout, vous nommez l'Abitibi. Si on
attend la fin des projets pilotes, est-ce que ça ne ralentit pas des gens qui
sont prêts à se mettre en mouvement tout de suite?
Mme Madi (Aïcha) : Je pense
qu'il y a déjà, dans tous les cas, présentement, même sans projet pilote, il y
a déjà des inégalités dans l'accès aux ressources judiciaires, dans la
proximité des palais de justice, et tout. Donc, dans tous les cas, il y a une
inégalité. Et, dans les cas, je veux dire, je crois que tous les chemins mènent
à Rome un peu, donc, dans tous les cas, le but, c'est d'arriver à avoir des
tribunaux spécialisés dans toutes les régions du Québec. Voilà.
Mme Labrie : Bien, j'entends
que tous les chemins mènent à Rome, puis on veut que tout le monde y arrive,
mais moi, personnellement, j'ai un certain malaise avec le fait que certains
arrivent à Rome deux ans plus tard que d'autres. Je trouve ça quand même assez
long. Pourquoi pensez-vous que ça devrait être aussi long que deux ans?
Mme Madi (Aïcha) : Justement
parce que, peut-être, un an, ce n'est pas assez long pour pouvoir vraiment
produire un petit rapport bilan d'est-ce que ça a marché, faire des
évaluations, peut-être recueillir les témoignages de victimes qui sont passés
au travers de ces tribunaux-là. Donc, c'est pour ces raisons qu'on recommande
comme ça deux ans.
Mais c'est sûr qu'il faut... si on met des
projets pilotes, il faut que ça soit suffisamment long pour les évaluer. Et la
peur avec peut-être faire des tribunaux spécialisés dans plusieurs régions en
même temps, c'est que ça ne marche pas, et on a perdu beaucoup de temps et d'argent
à implanter dans plusieurs régions, et ça va faire peut-être beaucoup de
confusion. Donc, peut-être que, si on a de la confusion dans juste quelques
régions à la fois, ça serait peut-être mieux pour les acteurs du système
judiciaires déjà, parce que c'est sûr que ça amène un gros changement de
travail pour eux.
Mme Labrie : O.K. Je vous
remercie.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme la députée de Sherbrooke. Maintenant, la parole revient à la députée
de Joliette.
Mme
Hivon
: Oui,
bonjour. Merci beaucoup pour votre présence. D'abord, vous dire que, pour ce
qui est de la formation de tous les intervenants, je pense que c'est une
constante qui se dégage des auditions, donc on va sûrement se diriger vers ça.
Enfin, je ne présume de rien, là, mais le ministre a dit qu'il était en mode
écoute, et puis il y en a beaucoup, beaucoup qui lui ont demandé d'écouter ça,
y compris nous. Et il est en train de faire signe que ses oreilles allongent.
Tant que ce n'est pas le nez, on est correct...
Mme
Hivon
: …des
auditions, donc on va sûrement se diriger vers ça. Enfin, je ne présume de
rien, là, mais le ministre a dit qu'il était en mode écoute, et puis il y en a beaucoup,
beaucoup qui lui ont demandé d'écouter ça, y compris nous. Il est en train de
faire signe que ses oreilles allongent. Tant que ce n'est pas le nez, on est
corrects, donc…
Une voix
: …
Mme
Hivon
:
C'était une petite blague. Moi, je veux vous entendre. Tantôt, vous avez dit quelque
chose qui m'a un peu préoccupée parce que l'accompagnement est vraiment au
coeur, au coeur de cette philosophie-là qu'on veut inculquer avec le tribunal
spécialisé, mais, comme vous le dites fort à propos, c'est plus large que ça. Puis
tantôt vous nous avez dit : Il y a une intervenante d'un CALACS qui s'est
vu refuser l'accès à une salle pour accompagner une victime. J'aimerais ça que
vous nous disiez un petit peu plus le contexte et aussi comment votre rôle
d'accompagnatrice ou d'intervenante spécialisée pour une victime se joue, par
exemple, au moment… Par exemple, si une des personnes que vous accompagnez veut
aller porter plainte, est-ce que vous êtes intégrée? Est-ce que vous avez le
sentiment que votre place est reconnue? Et qu'est-ce qu'on pourrait faire pour
qu'elle le soit davantage?
Mme Madi (Aïcha) : Merci.
Donc, c'est sûr que, pour le contexte de cette situation, comme je n'ai pas
l'accord de la victime puis de l'intervenante, je ne voudrais pas dévoiler au
cas où ça pourrait… certains de ses proches pourraient entendre ça puis
reconnaître son histoire. Donc, juste pour ça, je ne peux pas trop dévoiler.
Mais c'est sûr qu'il faut garder en compte que chaque victime, des fois, a ses
propres besoins puis ses propres demandes. Ce n'est pas parce qu'une victime…
Dans ce cas, dans l'exemple que j'ai cité, elle voulait vraiment avoir
l'intervenante avec elle. Ce n'est pas dans tous les cas que les victimes
sentent ce besoin d'avoir l'intervenante. L'important, c'est de créer un système
où est-ce que les victimes, elles ont la possibilité d'exprimer c'est quoi
leurs besoins, puis qu'on puisse s'adapter à leurs besoins vraiment, donc c'est
cette approche de placer la victime au centre du processus.
Une manière qu'on pourrait être mieux,
mieux présents, en fait, je dirais que c'est souvent d'être consultés puis de
faire partie des discussions, parce que, justement, c'est très… on détient quand
même une expertise, parce qu'on est là depuis 1979, mais c'est très rare qu'on
est consultés. Les CAVAC sont beaucoup plus présents dans les palais de
justice. On aimerait pouvoir être autant présents peut-être, justement parce
que, des fois, pour les victimes d'agression à caractère sexuel, les
intervenants des CALACS sont encore plus spécialisés spécifiquement pour ce
type de crime. Donc, peut-être que ça pourrait être mieux pour les victimes,
avoir une bonne présence aussi des CALACS.
• (15 h 50) •
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, merci.
Mme
Hivon
: Merci
beaucoup. C'est tout le temps que j'avais. Merci.
Mme Madi (Aïcha) : Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme la députée de Joliette. Mme Aïcha Madi, merci beaucoup pour votre
contribution à nos travaux.
Donc, nous allons suspendre les travaux
quelques instants afin d'accueillir les prochains témoins. Merci.
(Suspension de la séance à 15 h 51)
Le Président (M. Benjamin) :
…témoins. Merci.
(Suspension de la séance à 15 h 51)
(Reprise à 15 h 56)
Le Président (M. Benjamin) :
Alors, À l'ordre, s'il vous plaît! Nous allons reprendre les travaux.
Je souhaite la bienvenue aux
représentantes de Juripop, Me Sophie Gagnon, directrice générale de
Juripop, Me Justine Fortin, directrice des programmes, Violence conjugale
et violences sexuelles, à Juripop. Je vous rappelle que vous disposez de
10 minutes pour votre exposé. Par la suite, nous procéderons à la période
d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite dons à vous
présenter et à procéder à votre exposé. La parole est à vous.
Mme Gagnon (Sophie) : Merci.
Auriez-vous la gentillesse de nous préciser les consignes sur les masques, s'il
vous plaît? Est-ce qu'on les garde en parlant, oui?
Le Président (M. Benjamin) :
Au moment… Quand vous prenez la parole, vous enlevez votre masque. Allez-y,
voilà.
Mme Gagnon (Sophie) : O.K.
Merci. Merci beaucoup, M. le Président. M. le ministre, Mmes et MM. les
députés, je m'appelle Sophie Gagnon, je suis avocate et directrice générale de
Juripop et je suis accompagnée de ma collègue, Justine Fortin, qui est également
avocate et directrice de nos programmes en violences sexuelles et en violence
conjugale.
Donc, ça nous fait un grand plaisir,
Juripop, d'être présent aujourd'hui pour vous présenter notre mémoire sur le projet
de loi n° 92. Puis on souhaite d'ailleurs commencer en saluant la volonté
du ministre et des parlementaires de donner suite à cette recommandation forte
du rapport Rebâtir la confiance et d'entreprendre le changement de
culture, qui est requis en matière de violences sexuelles et de violence
conjugale.
Les recommandations que Juripop vous
présente aujourd'hui et dans son mémoire…
Mme Gagnon (Sophie) : …projet
de loi n° 92. Puis on souhaite d'ailleurs commencer en saluant la volonté
du ministre et des parlementaires de donner suite à cette recommandation forte
du rapport Rebâtir la confiance et d'entreprendre le changement de
culture, qui est requis en matière de violences sexuelles et de violence
conjugale.
Les recommandations que Juripop vous
présente aujourd'hui et dans son mémoire sont véritablement ancrées sur les
milliers de consultations juridiques que nous avons offertes aux personnes
victimes et aux personnes survivantes en matière de violences sexuelles et de
violence conjugale. C'est vraiment sur nos constats du terrain que nous nous
sommes basés pour vous faire des recommandations. Puis on a d'ailleurs saisi l'opportunité
de venir devant vous aujourd'hui pour commenter non seulement le texte du projet
de loi, mais aussi pour vous fournir des observations sur le panier de
services, qui pourrait être déployé par un éventuel tribunal spécialisé.
Vous avez vu que notre mémoire a été
introduit par une remarque préliminaire qu'on tenait à réitérer de vive voix,
qui concerne le sujet dont traitera le tribunal spécialisé, à savoir, les
violences sexuelles, les violences conjugales. Donc, ce sont toutes deux des
formes de violences qui sont genrées, des formes de violences qui se déroulent
dans l'intimité mais qui constituent des formes de violences qui sont
distinctes et qui mènent à des besoins juridiques différents. Puis nous, on le
voit dans nos dossiers, il y a des interventions qui fonctionnent bien pour les
personnes qui ont vécu des violences à caractère sexuel, mais qui, au
contraire, vont rater la cible en matière de violence conjugale. Donc, à notre
avis, c'est important que les personnes qui seront consultées pour
conceptualiser, pour déployer et pour évaluer le tribunal spécialisé
proviennent de ces deux champs d'expertise là et que l'évaluation des projets
pilotes tienne aussi compte des différentes facettes des deux formes de
violences.
On a donc structuré notre mémoire de cette
manière-là, en exposant des recommandations qui concernent, d'une part, la
violence sexuelle et, d'autre part, la violence conjugale. Et c'est comme ça
qu'on vous les présentera aujourd'hui aussi.
En matière de violences sexuelles, on
voulait partager nos observations sur la nature des services juridiques aux
besoins juridiques des personnes victimes et des survivantes. Quand le
mouvement #moiaussi a commencé, ce qu'on a constaté, c'est que les survivantes
étaient désemparées de constater le nombre de recours dont elles disposaient
ainsi que leurs complexités. Et chez Juripop, ce qu'on a constaté, c'est que ce
qui répond à ce besoin-là, c'est le soutien juridique. Donc, par soutien
juridique, ce qu'on veut dire, c'est la mise en place d'une véritable relation
avocat-client entre une personne survivante entre une personne survivante et un
avocat et la prestation de services juridiques de manière continue à travers le
temps, donc on parle d'analyser des documents, de fournir des conseils qui sont
adaptés à la situation de la personne et qui dépassent, là, des consultations
juridiques ponctuelles. Donc, vu l'importance des services juridiques dans le
panier de services du tribunal spécialisé, on invite les parlementaires à
analyser l'opportunité d'offrir du soutien juridique qui va au-delà de l'information
et du conseil juridique. Puis on spécifie que ça, c'est un constat qu'on a tiré
en matière de violences sexuelles, alors qu'en matière de violence conjugale on
est d'avis que le conseil juridique répond aux besoins des personnes victimes.
• (16 heures) •
Notre deuxième recommandation en violences
sexuelles concerne la forme…
16 h (version non révisée)
Mme Gagnon (Sophie) : …d'offrir
du soutien juridique qui va au-delà de l'information et du conseil juridique.
Puis on spécifie que ça, c'est un constat qu'on a tiré en matière de violence
sexuelle, alors qu'en matière de violence conjugale on est d'avis que le
conseil juridique répond aux besoins des personnes victimes.
Notre deuxième recommandation en violence
sexuelle concerne la forme de réparation dont les personnes survivantes ont
besoin. On parle souvent du fait que plusieurs agressions sexuelles ne se
transforment pas en plaintes devant la police, puis effectivement ce
décalage-là s'explique en partie par des lacunes auxquelles le rapport Rebâtir
la confiance s'adresse. Mais c'est un décalage qui s'explique aussi par le
fait qu'il y a plusieurs survivantes pour qui une sanction de nature pénale ne
répond pas aux besoins. L'agression a été commise par un proche, un ami, un
collègue, un membre de la famille, elle ne souhaite pas que cette personne-là
se trouve en prison, elle souhaite, au contraire, que la personne comprenne
qu'elle a commis du mal, qu'elle s'en excuse et qu'elle s'engage à ne plus
recommencer. Mais, en ce moment, le système de justice criminel n'offre pas de
réponse aux besoins de justice alternative de certaines personnes victimes et
de survivantes. On est conscients qu'il y a des obstacles en droit substantif à
la mise en place de solutions de justice alternative, mais on vous présente,
dans notre mémoire, des propositions pour contourner ces obstacles-là.
Troisièmement, on s'est également penchés
sur la question de l'autorisation des poursuites en matière de violence à
caractère sexuel. On est tout à fait conscientes que c'est un sujet qui est
délicat, qui relève de l'indépendance de la direction des poursuites
criminelles et pénales, qui est essentielle, mais on ne pouvait pas passer sous
silence le fait qu'un nombre considérable de personnes qui ont cogné à la porte
de Juripop le faisaient après que leur plainte à la police ne se soit pas
traduite par le dépôt d'accusations. Donc, on considérait que c'était important
de porter à votre attention le déni de justice que ces personnes-là ressentent
quand une plainte à la police ne reçoit pas de suite. Alors, on vous présente
des observations à ce sujet-là.
Ce qui m'amène ensuite à vous parler de
violence conjugale. Et puis, en matière de violence conjugale, l'angle de
Juripop est vraiment ancré dans le droit de la famille. Donc, nous, les
services qu'on offre aux personnes victimes, ce sont des services en matière
familiale. Et ce qu'on a constaté, dans les dernières années, c'est que le
droit de la famille est resté dans l'angle mort des réponses que le système de
justice a offert à la violence conjugale.
Ce qui nous mène à faire trois
recommandations. La première concerne la culture de concertation. Donc, dans
les dernières décennies, au Québec, s'est développée, en matière criminelle,
une culture de concertation où les procureurs de la couronne vont parler avec
les intervenants de la DPJ, des agents de probation, vont utiliser le même
langage, vont se comprendre, vont coordonner leurs actions. Dans nos dossiers,
nos collègues qui pratiquent le droit de la famille ont tenté d'intégrer cette
culture de concertation là, mais avec un succès mitigé, parce qu'en l'absence
de culture de concertation qui implique l'avocat de droit de la famille, bien,
c'était sur nos épaules de convaincre la personne avec qui on parlait que le
droit de la famille a un impact sur la sécurité des femmes et des enfants. Et
on considère que si le tribunal spécialisé veut véritablement assurer la
sécurité des femmes et des enfants, veut assurer la cohérence entre toutes les
ordonnances qui sont rendues par le système de justice, il faut que la culture
de concertation intègre l'avocat de droit de la famille. Puis, pour la même
raison, on vous invite aussi à mandater les…
Mme Gagnon (Sophie) : …que si
le tribunal spécialisé veut véritablement assurer la sécurité des femmes et des
enfants, veut assurer la cohérence entre toutes les ordonnances qui sont
rendues par le système de justice, il faut que la culture de concertation
intègre l'avocat de droit de la famille. Puis pour les mêmes raisons, on vous
invite aussi à mandater les coordonnateurs et les coordonnatrices judiciaires à
assurer la liaison, non seulement avec les matières criminelles et pénales,
mais également avec les matières qui relèvent du droit de la famille et du
droit de la jeunesse.
Troisièmement, une recommandation qui est
très importante pour nous, encore une fois, quand on parle de violence
conjugale, on parle beaucoup de droit criminel, mais on voulait porter à votre
attention le fait que les victimes de violence conjugale ne portent pas toujours
plainte à la police, premièrement, parce que parfois la violence conjugale
qu'elles vivent ne constitue pas un acte criminel. Si je pense, entre autres, à
la violence psychologique, la violence financière, ce n'est pas criminalisé, au
Canada, donc c'est des personnes qui n'ont pas l'opportunité de porter plainte
à la police. Et il y en a d'autres pour qui une plainte à la police, bien,
n'est tout simplement, bien, pas souhaitée ou pas souhaitable, notamment, entre
autres, pour… les personnes qui auraient un statut migratoire précaire ou dont
l'ex-conjoint aurait un statut migratoire précaire ne porteront pas plainte à
la police. Mais ces personnes-là vont évoluer dans le système de justice, généralement
via… par le biais du droit de la famille, puis on a des statistiques à vous
présenter à ce sujet-là si ça vous intéresse. Il y a un nombre considérable de
victimes qui ont seulement un dossier en droit de la famille et non pas en
matière de droit criminel.
Et on a une crainte que si le panier de
services ambitieux et nécessaire qui est contemplé par le tribunal spécialisé
est limité aux matières criminelles et pénales, ça reviendrait à créer deux catégories
de personnes victimes. D'un côté, celles qui peuvent ou qui souhaitent porter
plainte à la police, et de l'autre côté, celles qui ne peuvent pas ou qui ne
souhaitent pas porter plainte à la police. Et donc on recommande que des projets
pilotes soient également déployés en matière civile, en matière familiale et
devant la chambre de la jeunesse pour s'assurer que ce soient toutes les
personnes victimes qui bénéficient du changement de culture, et non seulement
celles qui portent plainte à la police.
Alors, voilà, je me suis assurée d'être
succincte. Manifestement, nous sommes rentrés à l'intérieur de notre temps,
alors ça nous fera plaisir de répondre à vos questions pour la suite des
choses.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci pour votre exposé. Donc, nous allons tout de suite passer à la période
des échanges. On commence avec le ministre de la Justice.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Me Gagnon, Me Fortin, bonjour. Merci d'être présents à l'Assemblée
nationale. Je crois que vous représentez un point de vue qui est très
pertinent.
D'entrée de jeu, je voudrais savoir ce que
vous pensez du fait que, dans le projet de loi, on débute par les projets
pilotes, en fait, pour établir, dans un premier temps, comment est-ce que ça
fonctionne, pour ajuster tout ça, et, par la suite, qu'on aille d'une façon à
permanentiser le tout à la grandeur du Québec. Quelle est votre perception, là,
de ça, de débuter par les projets pilotes?
Mme Gagnon (Sophie) : Avant de
répondre à la question, je vais préciser que nous ne nous sommes pas penchés
sur les questions qui mettent en cause la question de l'indépendance
judiciaire. Puis en écoutant les représentations qui sont faites depuis hier,
on comprend que la notion de projet pilote pourrait, selon certaines
interprétations, porter atteinte à l'indépendance judiciaire. Alors, je vais y
répondre en faisant abstraction de cette question-là, sur laquelle nous ne nous
sommes…
Mme Gagnon (Sophie) :
...je vais préciser que nous ne nous sommes pas penchés sur les questions qui
mettent en cause la question de l'indépendance judiciaire. Puis en écoutant les
représentations qui sont faites depuis hier, on comprend que la notion de
projet pilote pourrait, selon certaines interprétations, porter atteinte à
l'indépendance judiciaire.
Alors, je vais y répondre en faisant
abstraction de cette question-là sur laquelle nous ne nous sommes pas penchés
parce qu'à notre avis le fait de déployer le tribunal spécialisé en étapes par
projets pilotes, on l'accueille favorablement parce qu'on parle de changement
de culture. Et je pense que c'est un terme qui est souvent galvaudé, mais dans
ce cas-ci qui est approprié. C'est un sujet qui est complexe. Comme on l'a dit en
introduction, les besoins sont différents. Des différentes stratégies vont être
essentielles pour y répondre. Donc, à notre avis, c'est positif que d'y aller
par étapes et d'évaluer la performance de chacune des mesures avant de les
déployer à la largeur du Québec.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Dans votre intervention, vous dites que ça fait partie du changement de
culture. Donc, expliquez-nous pourquoi c'est important d'avoir un changement de
culture dans notre système de justice. En quoi le tribunal spécialisé va
contribuer à ce changement de culture là?
Mme Gagnon (Sophie) :
Historiquement le droit criminel a été développé surtout dans la relation du
poursuivant et de l'accusé. Les personnes qui portent plainte, les victimes,
sont généralement considérées comme des tiers, comme des témoins. Puis, au fil
du temps, il y a eu des bonifications à ça. Je pense entre autres à la Charte
canadienne des droits des victimes, les CAVAC qui ont été mis sur place, mais
la victime demeure généralement un tiers dans la procédure... dans le système
de justice criminelle. Puis en matière de violence sexuelle, de violence
conjugale, des crimes qui sont commis dans l'intimité, qui résultent dans des
traumatismes dans les personnes qui portent plainte, l'approche du droit
criminel tend à nier les besoins des personnes victimes, les survivantes, voire
à les revictimiser, à les retraumatiser.
On l'a vu dans les dernières années, ce
manque de considération avant les besoins psychosociaux et les besoins
juridiques des personnes victimes et des personnes survivantes a effrité leur
confiance à un point tel que certaines refusent par principe de se tourner vers
le système de justice. Et les violences sexuelles et violences conjugales sont
des crimes contre la personne, sont des crimes dangereux, sont des crimes
violents. Si on veut que la société soit capable de condamner ces crimes-là, on
doit rétablir cette confiance-là. Et ça passe par un changement de paradigme.
Donc, voilà pourquoi Juripop considère que le changement de culture est
nécessaire.
M. Jolin-Barrette : Et c'est
ça que nous souhaitons. C'est ça que je souhaite, de faire en sorte qu'il n'y
ait pas qu'une... il n'y ait pas une seule victime qui se dise : Je ne
veux pas... Je n'ai pas confiance. Je ne veux pas porter plainte parce que je
ne veux pas vivre ça. Donc, le tribunal spécialisé, entre autres, fait pour,
durant le continuum de services, adapter ça à la réalité des personnes
victimes, qu'elles se sentent à l'aise, qu'elles se sentent accompagnées, qu'elles
se sentent soutenues
Sur la question de la formation, il y a eu
beaucoup de discussions, là, depuis hier, relativement à cela, sur le fait que
l'ensemble des intervenants du système de justice doivent être formés. Je suis
d'accord. Puis j'ai déjà dit qu'on va évaluer la possibilité d'inscrire dans le
projet de loi que tous les acteurs soient formés dans... même si par la voie
administrative...
M. Jolin-Barrette : …sur la question
de la formation, il y a eu beaucoup de discussions, là, depuis hier,
relativement à cela, sur le fait que l'ensemble des intervenants du système de
justice doivent être formés. Je suis d'accord. J'ai déjà dit qu'on va évaluer
la possibilité d'indiquer dans le projet de loi que tous les acteurs soient
formés dans… Même si par la voie administrative, on peut le faire, mais il y a…
il semble avoir nécessité par voie légale également de l'indiquer.
En ce qui concerne les juges, certains ont
fait des déclarations publiques qui ont dit que les juges étaient déjà formés
depuis plusieurs années. Quel est votre point de vue relativement à ces
déclarations?
• (16 h 10) •
Mme Gagnon (Sophie) : Bien,
c'est factuellement vrai, à savoir qu'il existe des formations. Mais, nous, on
constate, dans nos dossiers, qu'il continue d'avoir des lacunes de
compréhension de la réalité des violences sexuelles, des violences conjugales.
On… C'est encore malheureusement non inhabituel de lire dans une décision, par
exemple, de droit de la famille que «monsieur est un conjoint violent, mais il
est un bon père». Donc, encore à ce jour, il y a des juges qui font
abstraction, généralement par manque de connaissances, là, mais qui font
abstraction du fait que la violence conjugale, premièrement, affecte les
enfants, et deuxièmement qu'elle continue, voire qu'elle naît ou qu'elle est
exacerbée par une séparation. Donc, nous, on le constate, là, régulièrement,
que quand on plaide le contexte social, la violence sexuelle ou la violence
conjugale, la réception, encore une fois, est excessivement variable en
fonction du degré de sensibilité du magistrat qu'on a devant nous. Et à notre
avis, ces lacunes de connaissances là devraient être comblées.
M. Jolin-Barrette : O.K. Et
donc j'en déduis de votre propos que les formations ne devraient pas nécessairement
être offertes uniquement aux juges qui siégeront au tribunal spécialisé en
matière de violence conjugale et sexuelle mais devraient être offertes à
l'ensemble de la magistrature québécoise parce que ça peut arriver que vous
avez des dossiers qui se ramassent dans une autre chambre, auxquels il va y
avoir un aspect de violence sexuelle ou de violence conjugale.
Mme Gagnon (Sophie) : Bien,
comme vous le savez, chez Juripop, en fait, on travaille surtout à l'extérieur
des matières criminelles et pénales, donc les constats qu'on a faits, que je
vous partage, on les a faits en matière civile et en matière administrative.
Donc, effectivement, si on veut, encore une fois, éviter de créer un système de
justice à deux vitesses, on considère que ce serait bénéfique que l'ensemble de
la magistrature suive ces formations-là.
M. Jolin-Barrette : O.K. De
votre point de vue, là, le fait de venir encadrer avec une certaine distance
les formations qui sont offertes au juge en confiant ça au Conseil de la
magistrature, en disant : Bien, pour les juges qui vont être nommés, que
le Conseil des ministres va nommer, ceux-ci doivent s'engager à suivre la
formation, pour ceux qui sont en exercice, bien, le Conseil de la magistrature
doit développer une formation, puis c'est aux juges eux-mêmes à décider s'ils
suivent la formation, ou à direction de la cour, puis que les juges suppléants,
donc les juges à la retraite qui sont rappelés doivent la suivre pour… suivre
la formation, est-ce que, selon vous, ça respecte l'indépendance?
Mme Gagnon (Sophie) : Comme je
vous ai dit, on ne se prononcera pas sur la question de l'indépendance
judiciaire, mais ce qu'on peut réitérer, c'est que la question de la confiance
des personnes victimes et des survivantes envers le système de justice concerne
tout le monde, concerne la magistrature…
M. Jolin-Barrette : ...est-ce
que, selon vous, ça respecte l'indépendance?
Mme Gagnon (Sophie) : Comme je
vous ai dit, on ne se prononcera pas sur la question de l'indépendance
judiciaire, mais ce qu'on peut réitérer, c'est que la question de la confiance
des personnes victimes et des survivantes envers le système de justice concerne
tout le monde, concerne la magistrature.
Et, dans les instances de tribunaux spécialisés
qui existent ailleurs dans le monde, moi, j'ai été heureuse, mais pas surprise,
j'ai été heureuse de lire que les juges étaient en fait les premiers à
remarquer à quel point la formation facilitait leur travail et améliorait la
qualité de leur travail. Donc, on est convaincu que c'est une formation qui va
bénéficier non seulement aux personnes victimes et aux survivantes, mais également
au magistrat.
M. Jolin-Barrette : Donc, en
quelque sorte, vous nous dites : C'est un outil de travail supplémentaire
qui permettrait même de faciliter leur travail puis de la compréhension. Et
puis ça ne veut pas dire, parce qu'on suit davantage de formation ou qu'on est
invité à suivre des formations, qu'on doit être pointé du doigt ou que ça ne
veut pas dire qu'on n'acquerra pas des compétences supplémentaires, là. Donc,
c'est utile, et c'est utile pour l'ensemble des acteurs du système de justice.
Mme Gagnon (Sophie) : Bien, en
fait, nous, chez, Juripop, c'est une condition préalable pour nos équipes qui
décident de se spécialiser en matière de violence sexuelle ou de violence
conjugale. On a des formations obligatoires. Une partie de ces formations-là
portent sur le droit substantif, mais la partie la plus utile de ces
formations, j'ai envie de vous dire, concerne la réalité sociale des violences
sexuelles, des violences conjugales. Puis on voit que c'est grâce à ces
formations-là que nos équipes parviennent à faire un bon travail. Alors, on
considère que la même logique s'appliquerait à tous les intervenants du système
de justice, là.
M. Jolin-Barrette : O.K. Peut-être
une dernière question avant de céder la parole à mes collègues. Vous avez
abordé tout à l'heure l'enjeu de l'autorisation des poursuites. On va recevoir
le Directeur des poursuites criminelles et pénales tout à l'heure. Plus précisément,
au niveau de l'autorisation des poursuites, il y a des directives qui sont
indiquées, comment voyez-vous la chose? Je comprends que, là, ce que vous nous
dites, c'est qu'il y a certains enjeux, certaines difficultés avec
l'autorisation de certaines poursuites. C'est ce que vous voyez dans votre
pratique, c'est ça?
Mme Gagnon (Sophie) : C'est
difficile de faire des recommandations plus poussées parce que la question de
l'autorisation des dossiers relève vraiment de la direction des poursuites
criminelles et pénales en application de leurs directives, et les motifs
d'autorisation ou de refus d'autorisation ne sont pas rendus publics, les
données ne sont pas compilées. Donc, en tant que tiers à ce mécanisme-là, on a
très peu d'information pour cerner, pour comprendre le problème s'il y en a un.
Mais ce qu'on vous rapporte aujourd'hui,
c'est que, parmi les personnes qui appellent chez Juripop avec des besoins
juridiques, il y a une quantité trop importante pour qu'on la passe sous
silence de personnes qui viennent nous voir, qui nous disent : J'ai porté
plainte à la police, il n'y a pas eu d'accusation dans mon dossier. Puis ce qu'on
constate, c'est que ces personnes-là sont vraiment... sont anéanties, elles se
sentent dépossédées de leur histoire. Puis elles sentent aussi... puis je ne
dis pas que c'est un sentiment qui est fondé, qui est ancré dans la réalité,
mais le sentiment est valide, elles sentent qu'il y a un déni de justice puis que
le système de justice favorise l'impunité.
Donc, à notre avis, c'est essentiel que la
question d'autorisation des dossiers fasse l'objet d'une réflexion. Peut-être
que l'issue de la réflexion...
Mme Gagnon (Sophie) : …sentent
aussi, puis je ne dis pas que c'est un sentiment qui est fondé puis qui est
ancré dans la réalité mais le sentiment est valide, elles sentent qu'il y a un
déni de justice puis que le système de justice favorise l'impunité. Donc, à
notre avis, c'est essentiel que la question d'autorisation des dossiers fasse
l'objet d'une réflexion. Peut-être que l'issue de la réflexion, ce sera :
On le garde tel quel, mais on explique les décisions différemment aux personnes
victimes et aux survivantes.
Une autre réflexion, qu'on a amenée dans notre
mémoire, c'est la question de la révision de ces décisions-là. Nous, c'est la
première chose sur laquelle on s'est penchés, chez Juripop, quand on a commencé
à travailler sur le sujet, comment est-ce qu'on peut demander une révision d'un
refus d'autoriser. Puis en ce moment, le mécanisme, c'est d'écrire une lettre à
la procureure en chef ou au procureur en chef et puis donc c'est un mécanisme
qui n'est pas indépendant, là, du procureur qui a rendu la décision. Encore une
fois, les motifs sont communiqués à géométrie variable. On voit des
opportunités d'amélioration là tout en reconnaissant le caractère essentiel de
protéger l'indépendance de la direction des poursuites criminelles et pénales à
ce sujet-là. Mais l'impact sur les personnes victimes et les survivantes, à
notre avis, est trop important pour que ça ne fasse pas l'objet au moins d'une
réflexion.
M. Jolin-Barrette : O.K. Un
grand merci pour votre présence en commission parlementaire.
Mme Gagnon (Sophie) : Merci,
M. le ministre.
M. Jolin-Barrette : Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, M. le ministre. La parole maintenant revient au député de
Saint-Jean.
M. Lemieux : Pour combien de
temps, M. le Président?
Le Président (M. Benjamin) :
Pour 4 min 20 s.
M. Lemieux : Merci beaucoup,
M. le Président. Me Fortin, Me Gagnon, bonjour. Je veux juste
rebondir. Je m'en allais complètement ailleurs mais je vous entendais parler
des gens, des femmes surtout mais des gens qui considèrent que leur plainte n'a
pas été jusqu'où elle aurait dû aller, en tout cas celle aux policiers. Si vous
ramenez ça dans le contexte de ce que M. et Mme Tout-le-monde voient
à longueur de journée dans les médias sociaux, les dénonciations, peut-être que
la vague a diminué, un petit peu, là, il y a une pandémie aussi qui a changé un
peu les choses, mais est-ce qu'il y a une relation à faire? Est-ce que, ce que
vous sentez, c'est ce qu'on a vu aussi comme vague de #moiaussi et tout le
reste?
Mme Gagnon (Sophie) : Donc,
oui, il y a des personnes qui vont sur les réseaux sociaux parce qu'elles sont
allées porter plainte à la police puis il n'y a pas eu d'accusation dans leur
dossier. Puis elles ont un besoin de justice, ces personnes-là, puis c'est pour
ça qu'elles vont se tourner vers d'autres formes de justice, dont les réseaux
sociaux, parce qu'elles sentent que leurs options devant le système de justice
ont été épuisées.
M. Lemieux : Merci. C'est ce
que je soupçonnais mais je suis content de vous l'entendre dire. Vous avez bien
dit pour commencer et vous l'avez répété plusieurs fois, que les besoins sont
différents entre les violences conjugales, les violences sexuelles. Je voudrais
vous amener dans les violences conjugales. Par rapport à ce que vous disiez,
jusqu'à un certain point, en termes de… vous n'êtes pas vraiment dans le pénal
et le criminel, vous travaillez beaucoup plus dans le familial, est-ce qu'en
matière familiale, il y a… et vous avez évoqué ça rapidement tantôt en vous
servant d'un exemple en disant : Le juge qui dit que monsieur est violent
mais qu'il est un bon père, je voudrais en savoir plus, je voudrais comprendre
davantage ce que vous essayez de nous dire en nous disant ça, s'il vous plaît.
Mme Gagnon (Sophie) : Avec
plaisir. Je vais laisser ma collègue Me Fortin répondre.
Mme Fortin (Justine) : En
fait, ce qu'on essaie de dire par là, c'est…
M. Lemieux : ...rapidement
tantôt en vous servant d'un exemple en disant : Le juge qui dit que
monsieur est violent, mais qu'il est un bon père. Je voudrais en savoir plus,
je voudrais comprendre davantage ce que vous essayez de nous dire en nous
disant ça, s'il vous plaît.
Mme Gagnon (Sophie) :
Avec plaisir. Je vais laisser ma collègue Me Fortin répondre.
Mme Fortin (Justine) :
En fait, ce qu'on essaie de dire par là, c'est qu'il y a malheureusement un
mauvais amalgame qui est fait en matière familiale dans les contextes de
violence conjugale. Ce qu'on tente de faire... et je parle plus particulièrement
dans les contextes où il n'y a pas... la violence conjugale n'est pas
judiciarisée au criminel. Donc, nous, ce qu'on tente de faire comme avocats, par
exemple, chez Juripop plus particulièrement, c'est de présenter au juge des
faits objectivement vérifiables pour que le juge puisse... analyser les faits à
la lumière du contexte qu'on lui présente, qui est... que ce soit judiciarisé
ou non présentement, on est en présence d'enfants. En droit de la famille, ce
qu'on fait majoritairement, c'est de se poser la question qu'est-ce qui est dans
le meilleur intérêt de l'enfant, quels sont ses besoins, et on va mettre le
contexte de violence conjugale dans une petite boîte pour n'apprécier que ce
qui demeure, on est en présence d'un père qui a toujours été présent, qui a
déjà fait le souper, qui fait les devoirs et qui, donc, répond à une quantité
de besoins importants pour l'enfant, mais on fait abstraction de tout le
contexte qu'on a tenté de démontrer, ces faits objectivement vérifiables de la
violence, qu'elle ait été physique ou qu'on parle plutôt de contrôle coercitif,
et c'est ce avec quoi on doit se battre à tous les jours. Et, bien qu'il y ait
effectivement un changement de culture devant nos tribunaux de la famille
présentement, tout récemment, là, pas plus tard que la semaine dernière, mes
collègues ont eu droit à une remarque qui ressemble très étrangement à ce que
Me Gagnon vous a dit. Donc...
• (16 h 20) •
M. Lemieux : J'ose
espérer, quand je vous entends parler de contrôle coercitif, que la campagne de
publicité gouvernementale qu'on voit en ce moment ne fait pas juste évoluer les
téléspectateurs, mais que c'est vrai pour l'ensemble de notre société.
Je vais revenir sur quelque chose qu'on
nous a... bien, c'est en lien avec ce que vous venez de me dire, là. Un autre
témoin nous a expliqué qu'un coordonnateur permettrait justement d'éviter des
télescopages entre le criminel et pénal, familial, civil. À un moment donné,
c'est comme... une chatte y perdrait ses chats. Puis là, bien, en plus, ça
rallonge, ça complique, c'est plus difficile pour les victimes. Il y a
probablement là un début de comment du pourquoi et en même temps de la solution
un peu, là. Oui?
Mme Fortin (Justine) :
Oui, absolument. Donc, la manière dont on pratique présentement chez Juripop,
donc, c'est selon un modèle spécialisé, puis, à l'égard de ce modèle-là, il y a
énormément de concertation, mais également de coordination, donc de s'assurer
que toutes les petites mailles du filet soient attachées ensemble. On le voit,
on le fait dans chacun des dossiers, puis ça va au-delà, puis c'est ce qui est
important, c'est ce qu'on tient à souligner dans notre mémoire, ça va au-delà
de l'administratif, ça va au-delà de se dire : Cette famille-là, ces
parties-là sont également en chambre de la jeunesse, en chambre criminelle et
en chambre de la famille. Oui, c'est très important, mais ça va au-delà de ça,
ça va avec la liaison, ça va avec l'aspect...
Mme Fortin (Justine) : …chacun
des dossiers, puis ça va au-delà, puis c'est ce qui est important, puis c'est
ce qu'on tient à souligner dans notre mémoire, ça va au-delà de
l'administratif, ça va au-delà de se dire : Cette famille-là, ces
parties-là sont également en chambre de la jeunesse, en chambre criminelle et
en chambre de la famille. Oui, c'est très important, mais ça va au-delà de ça,
ça va avec la liaison, ça va avec l'aspect clinique de la violence conjugale.
Le Président (M. Benjamin) :
Malheureusement…
M. Lemieux : Oui. Mon temps
est écoulé. Merci beaucoup.
Le Président (M. Benjamin) :
Malheureusement, c'est tout le temps qu'il restait au député de Saint-Jean.
Maintenant, la parole revient à la députée de Verdun.
Mme Melançon : Merci, M. le
Président. Me Gagnon, Me Fortin, ça fait plaisir de vous retrouver. Je vais
débuter mon intervention en vous remerciant. Je veux vous remercier, parce
qu'au départ du mouvement #moiaussi, vous avez répondu présente lorsque le
comité transpartisan a demandé, vous a demandé de mettre sur pied, dans le
fond, bien, du soutien juridique pour les victimes, parce qu'il y avait un vide
complet. Je ne me souviens pas exactement le montant qui avait été donné donc à
Juripop à ce moment-là, mais je sais que vous avez fait des milliers
d'interventions, et j'aimerais savoir vous en êtes où, justement, dans ce
soutien-là actuellement.
Mme Gagnon (Sophie) : Alors,
c'est un… Bien, merci beaucoup pour vos bons mots, Mme Melançon, merci encore
pour votre confiance. Donc, c'est un projet… Le mandat qui avait été confié à
Juripop, c'était d'opérer un projet pilote de conseils juridiques aux personnes
victimes et aux survivantes en violence sexuelle plus particulièrement, et puis
le projet pilote a pris fin au 30 septembre, et, il y a quelques semaines, M.
le ministre annonçait qu'il confiait à la Commission des services juridiques le
mandat d'offrir quatre heures de conseils juridiques gratuits dans une forme de
pérennisation des services qui étaient offerts par Juripop, et, de notre côté,
on s'est vu confier le mandat d'opérer un laboratoire de pratiques innovantes
en matière civile, en matière administrative.
Donc, concrètement, ce qu'on va faire,
c'est de représenter gratuitement des personnes victimes et survivantes en
violence sexuelle, en violence conjugale, on va documenter les obstacles
d'accès à la justice puis on va tester des moyens de les contourner. On va
aussi constituer une banque d'avocats et d'avocates spécialisés dans ces deux
matières-là puis déployer les fameuses formations à l'intention des juristes.
Mme Melançon : Merci. Merci
beaucoup, parce que je sais que ça a fait une différence. On a eu des
témoignages de victimes qui sont passées par vos bureaux, et je sais à quel
point ça a été… en tout cas, ça avait comblé à ce moment-là un vide qui était
immensément grand, et vous avez fait la différence.
Je tiens à revenir… parce qu'on… Vous avez
entendu de toute façon d'autres témoignages. Je faisais le lien avec le député
de Saint-Jean, là, qui était en train de vous poser des questions quant au
coordonnateur juridique nécessaire. Hier, on a entendu Me Roussel ici venir
nous parler justement de la problématique. Mais ce que je comprends, c'est que,
oui… entre les chambres, mais, même si ce n'est pas avec le pénal, on a cette
même problématique là. Donc, je pense qu'on doit retenir à quelque part, là,
l'idée d'avoir une…
Mme Melançon : …coordonnateur
juridique nécessaire. Hier, on a entendu Me Roussel ici venir nous parler justement
de la problématique. Mais ce que je comprends, c'est que, oui, entre les
chambres, mais, même si ce n'est pas avec le pénal, on a cette même problématique-là.
Donc, je pense qu'on doit retenir à quelque part, là, l'idée d'avoir une
coordination faite par les chambres si on décide de porter plainte puis d'aller
au pénal, mais que ce soit le pénal avec la famille ou la DPJ, mais… et ainsi
de suite, là. Donc, ça, j'ai retenu ça, et c'était la première fois qu'on
l'entendait avec Me Roussel hier. Puis là, bien, vous, aujourd'hui, vous
revenez avec ça. Alors, je comprends qu'il y a quelque chose de vraiment
intéressant et de nécessaire si, vraiment, on veut aussi diminuer les délais, parce
que le but est aussi là avec le tribunal spécialisé. Je l'ai demandé, le ministre
en a parlé tout à l'heure, moi, les projets pilotes, on voit ça… ça dépend,
hein. Il y a des groupes qui disent : Non, non, il faut y aller immédiatement,
il y en a qui disent : Non, il faut attendre deux ans. Vous, sur la
durée exactement, là, je n'ai pas bien saisi, qu'est-ce que vous proposez?
Mme Gagnon (Sophie) : Hum,
écoutez, on ne s'est pas prononcés sur la durée. Chez Juripop, notre projet
pilote était prévu initialement pour 12 mois, finalement, a été prolongé à
18 mois. En toute franchise, ce fut bien rapide pour mettre en place
quelque chose de nouveau et surtout l'évaluer. Donc, sur la base de notre
expérience, un deux ans serait bien avisé, là, au minimum. Puis on
partage, par ailleurs, l'impatience de tout un chacun, que ce tribunal
spécialisé voit le jour, mais c'est que défaire quelque chose qui fonctionne
mal prend encore plus de temps que de mettre en place quelque chose qui va bien
fonctionner, donc d'où notre prudence à cet égard.
Mme Melançon : Et
Me Gagnon, que pensez-vous de l'idée d'y aller de façon progressive,
c'est-à-dire de mettre une base, une base de travail, là, partout sur le
territoire, puis d'aller justement habiller chacune des régions… j'étais pour
dire, administrative, pardonnez-moi, mais chacun des districts judiciaires, bien,
à la vitesse là aussi? Parce que, ce que je comprends, c'est que les acteurs
sur le terrain, il y a des régions où ça va beaucoup mieux, il y a des régions
où on un peu plus de retard. Est-ce que vous voyez que d'y aller de façon
progressive pourrait être un indice intéressant?
Mme Gagnon (Sophie) : Bien, je
pense que vous avez mis le doigt sur quelque chose d'intéressant, parce
qu'effectivement toutes les régions ne sont pas identiques. Puis il y en a des
régions où il y en existe déjà, des formes de tribunaux spécialisés, je pense à
Côté Cour à Montréal, qui fonctionne déjà dans un modèle spécialisé. Donc,
évidemment qu'il faut miser sur ce qui existe déjà, là, avant de déployer les
solutions tous azimuts.
Mme Melançon : Je vous
entendais tout à l'heure parler de l'indépendance judiciaire, et je sais que
vous voulez être prudente, puis je ne veux pas vous mettre dans une drôle de
situation, mais il y a des inquiétudes actuellement quant à la contestation
judiciaire rendue du tribunal spécialisé. Est-ce que vous, ça vous inquiète de
voir ce qui se passe actuellement…
Mme Melançon : …je sais que
vous voulez être prudente, puis je ne veux pas vous mettre dans un drôle de
situation, mais il y a des inquiétudes actuellement quant à la contestation
judiciaire, hein, du tribunal spécialisé. Est-ce que vous, ça vous inquiète de
voir ce qui se passe actuellement?
Mme Gagnon (Sophie) : On
considère que, donc, les préoccupations quant à l'indépendance judiciaire sont
très importantes, là. En tant que juristes, c'est évident qu'on est sensibles à
ça. Puis je suis convaincue que tout le monde autour de la table l'est. Par
contre, puis le juge en chef de la Cour suprême le répète souvent, dans une
démocratie, la confiance envers les tribunaux est garante de leur légitimité
puis de leur fonctionnement. Et, si cette confiance-là s'effrite trop, puis ce
n'est pas mes mots, c'est celles du juge en chef de la Cour suprême, ça va être
l'anarchie, c'est ce qu'il dit quand il en parle. Puis ce qu'on a vu sur les
réseaux sociaux, à l'été 2020, bien, c'est une forme de… c'est une
manifestation d'une confiance qui est trop fragilisée. Donc, c'est sûr que la
position de Juripop, c'est que le tribunal spécialisé doit voir le jour et que
ça doit être une occasion de collaboration de la part de tout le monde qui est
touché par ces questions-là, évidemment, dans le respect de l'indépendance
judiciaire, qui est tout aussi fondamentale que la confiance des citoyens et
des citoyennes.
Mme Melançon : Et, dites-moi,
est-ce que vous êtes attachés… mais vous l'avez vu, là, avec les victimes, puis
vous avez vu beaucoup de monde, là, dans les deux dernières années et demie,
est-ce que vous êtes attachés au nom «tribunal spécialisé» ou est-ce qu'on
peut… Parce que moi, ce que je souhaite, là, c'est que ça fonctionne. Je le
répète ici aujourd'hui, là. Ce qu'on veut, là, c'est que le tribunal, qu'il n'y
ait pas de contestation, qu'on puisse démarrer partout au Québec, pour que les
victimes puissent rebâtir leur confiance. C'était ça, le but du titre aussi.
Et, pour moi, ce qui est nécessaire aujourd'hui, c'est qu'on puisse aplanir des
tensions avec la juge en chef, on va le dire ici. Alors, pour moi…
Une voix
: …
Mme Melançon : Il y a beaucoup
de tensions, M. le ministre. Je pense qu'on doit le dire ici, là, il y a
beaucoup de tensions, puis il y a des entrevues qui n'aident pas non plus dans
les relations. Mais, cela étant dit, ce que je veux savoir, Me Gagnon, c'est
est-ce qu'on est attachés au nom «tribunal spécialisé» ou si on parle d'une
chambre spécialisée, ou si on écoute quand même la juge en chef que,
malheureusement, on n'a pas entendue ici, en commission. Est-ce que, pour vous,
il y a une possibilité d'aplanir le tout?
Mme Gagnon (Sophie) : Nous, ce
qu'on constate sur le terrain, c'est que le besoin, c'est d'envoyer un symbole,
un message fort à l'effet que les personnes victimes, les survivantes sont
entendues, et que des changements vont être mis en place. On entend aussi le
besoin d'assurer que les droits constitutionnels des accusés vont continuer
d'être protégés. Alors, je suis convaincue que les personnes qui sont réunies
autour de la table sauront trouver une appellation qui répondra à ces deux
préoccupations-là.
• (16 h 30) •
Mme Melançon : Dans le rapport
Rebâtir la confiance, il y avait 190 recommandations. Là, on est dans un
chapitre...
16 h 30 (version non révisée)
Mme Gagnon (Sophie) : ...vont
continuer d'être protégés. Alors, je suis convaincue que les personnes qui sont
réunies autour de la table sauront trouver une appellation qui répondra à ces
deux préoccupations là.
Mme Melançon : Dans le rapport
Rebâtir la confiance, il y avait 190 recommandations. Là, on est dans un
chapitre... on est dans le chapitre XII. Et vous, de votre côté... Parce qu'on
a parlé de la formation des juges, tout à l'heure, puis je vous entendais bien,
mais il y a aussi la formation des autres acteurs, hein, qui sont autour des
victimes. Pour vous... Puis on a entendu le ministre dire qu'il y avait une
ouverture pour introduire, dans le projet de loi n° 92,
justement, de la formation. Est-ce qu'il y a des gens auxquels on n'a pas
pensé, mais qu'on a nommés, que vous, vous voyez? Parce qu'on parle des
policiers, bien sûr, on parle des procureurs. Est-ce que vous voyez d'autres
gens qui devraient être aussi introduits avec une formation pour les victimes?
Mme Gagnon (Sophie) : Bien, je
vais le répéter parce qu'on est bien fiers de ce mandat-là, il est important.
Évidemment, les membres du Barreau, les juristes doivent être formés. On pense
aux avocats de droit de la famille, aux procureurs de la couronne, aux avocats
de la défense. À savoir si ça a sa place dans le projet de loi, je vous
laisserai en juger, mais on considère que ces formations-là sont essentielles.
Puis nous, dans nos dossiers, autrement,
les intervenants avec qui on va travailler qui n'ont pas été nommés, il y a les
agents de probation, les intervenants de la direction de la protection de la
jeunesse. Je ne sais pas si j'en oublie, mais ça, je crois, fait le tour des
personnes avec qui on travaille.
Mme Melançon : Merci beaucoup
de votre présence aujourd'hui, merci de votre éclairage.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme la députée de Verdun. Maintenant, la parole revient à la députée de
Sherbrooke.
Mme Labrie : Merci. Vous
nommez les intervenants pour la protection de la jeunesse. C'est quelque chose
que j'entends, moi, très souvent, comme députée en circonscription, la
nécessité qu'ils soient formés aussi.
Je veux vous parler des survivantes de
violence conjugale. J'anticipe, moi aussi, une forme de déception de leur part
de voir que, pour tout ce qui concerne chambre de la famille, chambre de la
jeunesse, elles ne seront pas concernées, finalement, par le tribunal
spécialisé. Est-ce que vous nous faites la recommandation d'un projet pilote
dédié à ça? Est-ce que vous pensez qu'on devrait l'inclure dans le projet de
loi? Parce que j'ai l'impression que, si on ne le fait pas, on va échapper une
partie du changement de culture dont on a besoin, là.
Mme Gagnon (Sophie) : Bien, si
vos compétences constitutionnelles vous le permettent, on considère que ce
serait bien avisé. Puis j'inviterais peut-être ma collègue à vous partager des
statistiques intéressantes à ce sujet-là, là.
Mme Fortin (Justine) :
Justement, hier, je faisais la recherche, sur SOQUIJ, de tous les jugements
qui... depuis janvier 2021, qui portaient la mention «violence conjugale»,
donc, en droit de la famille uniquement. Donc, SOQUIJ m'a donné 67 jugements.
Et ensuite de ça, j'ai fait la recherche avec le terme «violence conjugale».
Violence conjugale, 18 jugements. Et dans «violence conjugale», on a rétréci la
recherche à la mention «criminelle», et on est allés vérifier si était attaché
à ça une historique, donc, il était question d'une historique, donc, d'un
dossier qui serait judiciarisé en chambre criminelle. Et seulement 10 des
dossiers, donc… 10 des jugements, pardon, étaient une mention soit d'une
plainte, d'accusation ou de...
Mme Fortin (Justine) :
…criminelle, et on est allé vérifier si était attaché à ça un historique, donc,
il était question d'un historique, donc, d'un dossier qui serait judiciarisé en
chambre criminelle. Et seulement 10 des dossiers, donc… 10 des jugements,
pardon, étaient une mention soit d'une plainte, d'accusation ou de condamnation
en matière de violence conjugale. C'est donc dire qu'il y a 57 jugements qui
portaient la mention «violence conjugale» dans lesquels ils ne faisaient pas
mention d'un dossier criminel. Et on sait, depuis 2020, les règles de la Cour
supérieure… un avocat de droit de la famille est obligé de le divulguer, dans
ses procédures, la présence d'un dossier, ou d'accusation, ou même d'un
jugement en matière criminelle lorsque ce jugement-là concerne une des deux
parties. Donc, pour moi, si on n'en tient pas compte, on va assurément échapper
une grande partie des personnes victimes de violence conjugale et les enfants
qui les accompagnent.
Mme Labrie : Il y a même
quasiment un risque qu'elles se sentent trahies, finalement, par la mise en
place des tribunaux spécialisés, pour découvrir au final que, pour elles, ça ne
changera pas grand-chose.
Mme Fortin (Justine) : Je
dirais oui, pour la simple raison qu'on le voit avec les personnes requérantes
qu'on représente, celles qui ont un dossier pour lequel… ne serait-ce que la
plainte a été… est allée vers des accusations, mais pas nécessairement en
condamnation, ont un sentiment qu'elles ont été plus écoutées, parce que ce qui
se passe en chambre familiale est souvent inconséquent… incohérent, plutôt,
avec ce qui se passe en chambre criminelle.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci.
Mme Gagnon (Sophie) : …Mme
Labrie, que le recul est plus important en matière familiale qu'en matière
criminelle.
Le Président (M. Benjamin) : Malheureusement,
c'est tout le temps dont Mme la députée de Sherbrooke disposait. La parole
revient maintenant à la députée de Joliette.
Mme
Hivon
: Merci
beaucoup. Vous amenez toujours un éclairage fort pertinent et des enjeux sur
lesquels on s'est peu penchés jusqu'à maintenant, l'autorisation des
poursuites, donc, merci beaucoup, c'est une préoccupation que je partage et
dont on va pouvoir discuter avec le DPCP en fin de journée, et l'autre élément,
c'est l'intégration de justice alternative au sein du tribunal spécialisé. Moi,
je dirais aussi justice réparatrice, donc on est dans les mêmes eaux, là.
J'ai lu évidemment votre mémoire. Là-dessus,
moi, je me dis qu'on est peut-être capables, justement, parce qu'on est en
train de créer un nouveau modelé plus intégré où les besoins, la réalité de la
victime doivent être au centre. Est-ce que, concrètement, vous voyez des
éléments qui pourraient être introduits, dans le cadre des compétences qu'on a,
pour permettre à la victime d'avoir un plus grand rôle sur ses besoins en
termes de réparation à l'intérieur du processus criminel?
Mme Gagnon (Sophie) : Avant de
répondre à votre question, je ne l'ai pas dit dans mes remarques introductives,
mais cette recommandation-là concerne vraiment les dossiers de violence
sexuelle, et non pas de violence conjugale.
Mme
Hivon
: Tout
à fait.
Mme Gagnon (Sophie) : Donc,
bien, l'obstacle, à notre avis, c'est la question de l'auto-incrimination, là.
Parce que le besoin qui, nous, nous est rapporté des personnes survivantes,
c'est : Je veux des excuses, j'ai besoin d'une reconnaissance. Donc, à
notre avis, ce que le Québec pourrait faire, c'est de tester des modèles de
justice réparatrice dans les dossiers qui feraient l'objet de poursuites par
voie sommaire, où, là, il y a un délai de prescription en matière…
Mme Gagnon (Sophie) :
...c'est : Je veux des excuses, j'ai besoin d'une reconnaissance. Donc, à
notre avis, ce que le Québec pourrait faire, c'est de tester des modèles de
justice réparatrice dans les dossiers qui feraient l'objet de poursuites par
voie sommaire où là il y a un délai de prescription en matière criminelle.
Donc, une fois que le délai de prescription est épuisé, l'accusé ne risquerait
plus de faire un aveu qui pourrait lui être opposable parce qu'il ne pourrait
plus être accusé. Donc, l'idée, ce serait de mettre en place, vraiment, des
échanges de conversation supervisés et sécuritaires encadrés par des
professionnels qui permettraient aux personnes survivantes d'avoir une
conversation avec l'agresseur allégué pour obtenir cette forme de réparation
là.
Mme
Hivon
: O.K.
Sur la question de la formation versus la spécialisation, dans votre optique,
évidemment, tu peux être formé et devenir spécialisé, mais tu peux aussi former
tout le monde. Dans le projet de loi, là, on parle de former tous les juges. On
espère voir intégrer la formation des autres intervenants. Pour vous, est-ce que
la formation, ce qui doit primer, c'est que tout le monde soit formé de base,
là, qu'importe dans quel domaine il pratique, ou si... et/ou aussi la formation
en continu? Et, si oui, si on est dans une logique de formation en continu,
est-ce que c'est tout le monde, tout le temps, en continu ou est-ce qu'on
spécialise à un moment donné?
Le Président (M. Benjamin) :
Malheureusement, j'ai l'impression que cette question-là restera
malheureusement sans réponse puisque c'est tout le temps qui était imparti.
Donc alors, merci, Mme la députée de
Joliette. Me Sophie Gagnon, Me Justine Fortin, merci pour votre
contribution à nos travaux.
Je suspends la commission quelques
instants, le temps d'accueillir nos prochains invités.
(Suspension de la séance à 16 h 38)
(Reprise à 16 h 49)
Le Président (M. Benjamin) :
Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Nous allons reprendre nos travaux. Je
souhaite tout de suite la bienvenue à Mme Mélanie... Alors, voilà, nous
allons reprendre nos travaux. Donc, je souhaite tout de suite la bienvenue à
Mme Mélanie Walsh, directrice générale de l'Auberge Madeleine. Je vous
rappelle que vous disposez, Mme Walsh, de 10 minutes pour votre
exposé. Par la suite nous procéderons à une période d'échange avec les membres
de la commission. Je vous invite donc à vous présenter et à procéder à votre
exposé. La parole est à vous.
• (16 h 50) •
Mme Walsh (Mélanie) :
Merci. Bonsoir à tous et à toutes. Je m'appelle Mélanie Walsh. Et ce soir je représente
le Partenariat pour la prévention et la lutte à l'itinérance des femmes. Merci
de l'invitation. Donc, le Partenariat pour la prévention et la lutte à
l'itinérance des femmes, c'est un regroupement montréalais de cinq ressources
d'accompagnement et d'hébergement aux femmes en situation d'itinérance,
l'Auberge Madeleine, La rue des Femmes, les maisons de l'anse, Maison
Marguerite et Passages. Nous offrons un continuum de services de soutien et d'accompagnement
ainsi que 242 places en hébergement d'urgence court, moyen et long terme
aux femmes en difficulté. Nous offrons aussi du soutien communautaire en
logement afin de contribuer au maintien en logement et ainsi prévenir un retour
à une situation d'itinérance.
Nous accompagnons des femmes
particulièrement vulnérables et marginalisées dans leur démarche de reprise de
pouvoir. Les profils de ces femmes sont multiples, jeunes issues de la DPJ,
aînées, immigrantes, autochtones, travailleuses du sexe, consommatrices, femmes
en psychose, en situation de handicap, femmes trans. Leurs parcours, réalités
et besoins sont variés et complexes. Les problématiques qu'elles rencontrent
sont souvent concomitantes, pauvreté, discrimination, méconnaissance du système,
problèmes de santé mentale et physique, violence familiale, consommation,
démêlés avec la justice, profilage, éviction, une longue liste à laquelle
s'ajoutent, bien évidemment, la violence en contexte conjugal et les agressions
sexuelles.
Plusieurs des femmes que nous soutenons
ont vécu des violences et agressions dès l'enfance. Souvent elles on vu les
violences se perpétuer dans le temps avec un conjoint ou un partenaire intime,
si brève ou instable soit cette...
Mme Walsh (Mélanie) : …à
laquelle s'ajoutent bien évidemment la violence en contexte conjugal et les
agressions sexuelles.
Plusieurs des femmes que nous soutenons
ont vécu des violences et agressions dès l'enfance. Souvent, elles ont vu les
violences se perpétuer dans le temps avec un conjoint ou un partenaire intime,
si brève ou instable soit cette relation, avec un colocataire, un voisin, un
propriétaire, un employeur, un inconnu. Parfois, les femmes vivent des
violences multiples au même moment de leur vie, provenant de différentes sources.
Ce n'est pas un mais plusieurs épisodes de violence qu'elles connaissent
simultanément.
Plusieurs de ces femmes ont vécu des
expériences négatives, voire traumatisantes au sein du système :
protection de la jeunesse, corps policiers, système judiciaire, réseau de la
santé et des services sociaux. Elles sont souvent en processus de
désaffiliation et de rupture sociale. Il faut comprendre qu'il est
particulièrement difficile pour une femme en situation d'instabilité
résidentielle d'entreprendre des démarches de dénonciation ou de plainte envers
un agresseur.
Les femmes qui fréquentent nos ressources
arrivent à bout de souffle. Le processus judiciaire est long pour une femme qui
ne sait pas de quoi le lendemain sera fait. Ces femmes mènent déjà plusieurs
démarches en parallèle qui peuvent représenter une montagne en contexte de
survie. Leur situation d'instabilité exacerbe les autres problématiques
qu'elles vivent. Elles craignent souvent pour leur sécurité et se montrent
craintives à fréquenter des lieux mixtes ou encore à identifier leur agresseur.
Leurs blessures et traumatismes prennent
beaucoup de place et sont des répercussions entrecroisées de la violence
systémique et interpersonnelle à laquelle elles font souvent face. Leurs
expériences passées avec le système les rendent d'autant plus hésitantes à
dénoncer des situations d'injustice et de violence. Il faut dire qu'elles ont
l'habitude de voir leur crédibilité être mise à rude épreuve. En effet, toutes
les femmes ne sont pas égales face au système de justice. Les mythes et
préjugés sont grands à l'égard des femmes marginalisées et en situation
d'itinérance et le projet de loi n° 92 appelle à ce qu'on prenne en
considération leurs besoins spécifiques.
Nos recommandations appellent à des
solutions enchâssées dans les notions d'accessibilité, d'universalité, de
gratuité mais aussi de dignité. Que nous disent les femmes en situation
d'itinérance qui vivent de la violence conjugale et sexuelle? Eh bien, les
femmes nous disent qu'elles veulent d'abord et avant tout être bien
accueillies. Elles souhaitent être entendues et jugées crédibles malgré leurs
difficultés. Elles aspirent à être traitées avec respect et dignité.
En ce qui concerne l'assouplissement des
mesures et la sécurité des femmes, le processus judiciaire doit être
suffisamment souple pour prendre en considération la désaffiliation des femmes
en situation d'errance. Les femmes doivent pouvoir réaliser leur témoignage au
poste de police de la ville où elles se trouvent. Les témoignages ressassent des
traumatismes qui peuvent générer des réactions vives qui donnent…
Mme Walsh (Mélanie) : …le
processus judiciaire doit être suffisamment souple pour prendre en
considération la désaffiliation des femmes en situation d'errance. Les femmes
doivent pouvoir réaliser leurs témoignages au poste de police de la ville où
elles se trouvent. Les témoignages ressassent des traumatismes qui peuvent
générer des réactions vives qui donnent l'impression de revivre l'agression.
Des professionnels formés et désignés doivent être présents dans les lieux où
les témoignages se font afin de soutenir adéquatement les femmes, d'autant plus
les femmes les plus vulnérables. Bien sûr, toutes les mesures disponibles
doivent être prises pour éviter qu'une femme ait à témoigner en présence de son
agresseur.
Il faut prendre en considération la
sécurité des femmes à toutes les étapes du processus et selon leur contexte de
vie. Certaines femmes en situation d'itinérance occupent l'espace public sur une
base quotidienne pour quémander, par exemple. D'autres adoptent des stratégies
de survie qui les rendent plus à risque au regard de leur propre
sécurité : travail du sexe, consommation, présence dans des lieux de
consommation, habitation commune, relation avec un groupe organisé de
coercition, etc. Il ne faut pas négliger le besoin de protection accrue et
d'intervention rapide en cas de danger pour ces femmes. Il faut penser à
communiquer avec elles en tenant compte de leur instabilité résidentielle et
des facteurs de vulnérabilité qui y sont associés, par exemple comment
rejoindre ces femmes pour leur communiquer la sortie de prison de leur
agresseur.
En ce qui concerne la formation, d'autres
l'ont dit avant nous, il est crucial de rendre obligatoire la formation pour
les policiers, policières et procureurs ainsi que l'ensemble des acteurs et
intervenantes impliqués dans le processus. La formation doit être inclusive
afin de tenir compte des réalités de violence conjugale et agression sexuelle
en contexte spécifique d'itinérance. Plusieurs mythes et stéréotypes sont à
déconstruire. La formation devrait aborder le continuum des violences dans une
perspective intersectionnelle des oppressions. La victime doit être jugée
crédible, peu importe son parcours et ses difficultés. Ses problèmes de santé
mentale ne devraient pas entacher l'entièreté de son témoignage. Les traumas ou
le niveau d'intoxication de la victime joueront nécessairement sur ses
souvenirs des faits lors de l'agression. La vie privée des victimes et le
contexte dans lequel l'agression a été commise ne devraient pas porter atteinte
à leur crédibilité et à leur dignité. Les femmes font l'objet de questions
intrusives, voire abusives lors du témoignage et en contre-interrogatoire. Tous
les groupes qui travaillent directement auprès des femmes l'ont dit, la victime
ne doit pas faire l'objet d'une revictimisation.
En ce qui concerne l'accès aux services,
les multiples expériences traumatisantes vécues par les femmes violentées
peuvent être envahissantes : flash-back, sentiment de panique, paralysie,
idéation suicidaire, comportements d'autodestruction, difficultés à faire
confiance. L'accompagnement psychosocial des femmes est primordial dès le
dévoilement des abus et en continu, que la femme décide ou non de dénoncer la
violence aux policiers, que la plainte soit retenue ou non. Les services
doivent être faciles d'accès. Quand une femme en situation d'itinérance vit de
la violence conjugale ou sexuelle, ses besoins sont urgents…
Mme Walsh (Mélanie) : ...des
femmes est primordial dès le dévoilement des abus et en continu, que la femme
décide ou non de dénoncer la violence aux policiers, que la plainte soit
retenue ou non. Les services doivent être faciles d'accès. Quand une femme en situation
d'itinérance vit de la violence conjugale ou sexuelle, ses besoins sont
urgents. Devoir ajouter son nom à une liste d'attente n'est pas une option
acceptable.
Des intervenantes formées devraient être
présentes à chaque étape du processus. On ne saurait trop insister, un
accompagnement doit être offert avant le processus judiciaire, pendant et
après. Le soutien doit être souple et adapté aux besoins spécifiques identifiés
par les femmes. Limiter ce soutien à quelques heures ou l'associer à des
conditions peut mettre en péril le processus de guérison des victimes, qui est
loin d'être linéaire.
Enfin, nous recommandons de simplifier et
d'accélérer l'accès aux programmes gouvernementaux en lien avec la violence
conjugale et les agressions sexuelles.
En ce qui concerne le rapport annuel sur
la mise en oeuvre du tribunal, nous souhaitons l'établissement d'indicateurs de
résultats qui vont permettre de mesurer l'efficacité et la portée du tribunal
et de la formation pour s'assurer à d'un meilleur accès à toutes les femmes,
même les plus vulnérables, j'ose dire surtout les plus vulnérables, au système
judiciaire. Nous avons espoir que le processus d'évaluation apporte des
bonifications réelles pour une meilleure prise en compte des réalités spécifiques
des femmes en situation d'itinérance.
Enfin, notre Partenariat pour la
prévention et la lutte à l'itinérance des femmes recommande l'instauration
d'une structure indépendante en cas de plainte, de difficulté dans le processus
ou de non-respect des droits des victimes, et ce, peu importe l'étape du
processus et l'acteur ou actrice concernée. Les femmes pourraient y formuler
des recommandations susceptibles d'améliorer leur passage dans le système
judiciaire. Je vous remercie de votre attention.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme Walsh, pour votre exposé. Nous allons commencer maintenant la
période des échanges. M. le ministre, la parole est à vous.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Mme Walsh, bonjour. Merci de participer aux travaux de la commission
parlementaire. J'ai beaucoup aimé votre présentation parce que vous venez nous
présenter une réalité qu'on n'a pas entendue à la commission parlementaire jusqu'à
ce jour relativement à des personnes qui sont dans une situation de très grande
vulnérabilité.
Et ce qui est important dans ce que vous
dites, bien entendu, il s'agit d'une clientèle qui est particulière, qui a des
besoins particuliers, puis vous le dites bien. Toute personne doit recevoir la
même crédibilité à l'intérieur du système de justice lorsqu'elle dénonce, elle
doit recevoir le même soutien, le même accompagnement, et c'est l'objectif du
tribunal spécialisé. Toutes les personnes doivent être sur le même pied
d'égalité, et il ne doit pas y avoir de mythe, pas de préjugé.
• (17 heures) •
Et je peux vous raconter une situation, également,
qui s'est produite l'automne dernier. J'ai eu connaissance... Et vous avez
donné l'illustration qu'une victime doit pouvoir porter plainte à l'endroit où
elle est lorsqu'elle fait... elle demande à un corps de police, elle fait...
elle se présente à un corps de police sur la Rive-Sud de Montréal... Il est
arrivé que j'ai eu... ça a été porté à mon attention, une femme qui avait été
agressée sexuellement dans un certain endroit, qui s'était déplacée suite à...
17 h (version révisée)
M. Jolin-Barrette : ...porter
plainte à l'endroit où elle est lorsqu'elle fait... elle demande à un corps de
police, elle fait... Elle se présente à un corps de police sur la Rive-Sud de Montréal...
Il est arrivé que j'ai eu... ça a été porté à mon attention, une femme qui
avait été agressée sexuellement dans un certain endroit, qui s'était déplacée,
suite à l'agression sexuelle, dans un autre endroit, et le corps de police de
l'autre endroit avait dit : Bien, allez porter votre plainte dans le corps
de police où vous avez été agressée sexuellement, ce qui est complètement inacceptable
et inadmissible. Et ça a été corrigé. La vice-première ministre a envoyé une
correspondance à tous les corps de police pour leur rappeler que c'était complètement
inacceptable.
Je voulais vous demander, sur le tribunal
spécialisé, comment voyez-vous... Comment fait-on pour intégrer adéquatement
les personnes qui se retrouvent dans vos ressources, les personnes que vous
accompagnez au quotidien? Comment est-ce qu'on doit, si on pense à elles, dans
le continuum de services, là, comment est-ce qu'on peut intégrer leur réalité à
ce qu'elles vivent à l'intérieur du parcours? Parce qu'il y a toutes sortes de
victimes, incluant celles au nom desquelles vous parlez aujourd'hui.
Mme Walsh (Mélanie) :
Oui, effectivement, permettez-moi donc de revenir sur l'enjeu de la formation.
Donc, on a fait quelques propositions pour une formation qui se veut inclusive.
Donc, on parle notamment d'aborder ce qu'on appelle le continuum des violences,
l'intersectionnalité des oppressions. On l'a dit, les femmes auxquelles on
s'adresse sont des femmes qui vivent de multiples formes de discrimination à
différents égards. Donc, c'est important de comprendre de quelle manière ces discriminations-là
vont venir se superposer les unes par-dessus les autres.
Aussi, c'est important, au niveau de la formation,
d'aborder les impacts ou conséquences des traumatismes pour mieux comprendre notamment
les réactions de ces femmes-là. Évidemment, il faut parler de choc
post-traumatique. Il faut parler du contexte d'itinérance, d'instabilité résidentielle
pour éviter la revictimisation.
Donc, on pense que la formation peut
permettre de répondre au sentiment de sécurité dont les femmes ont besoin pour
pouvoir se présenter devant des policiers, devant une cour, etc.
Donc, effectivement, ça appelle à un
changement de culture qui est plus large aussi, j'ai des prédécesseurs qui
l'ont nommé au courant de la journée. Donc, c'est un grand chantier, mais je
pense que le tribunal, il envoie un message clair aux victimes, à savoir que
les violences conjugales et agressions sexuelles ne sont pas tolérées. Et de
permettre aux victimes d'entamer un processus de guérison à travers la plainte
ou pas, c'est un pas dans la bonne direction pour les femmes qu'on reçoit.
M. Jolin-Barrette : Et
pour vous, là, je vous entends sur les formations, là, la nécessité de ces
formations. Est-ce que, de votre pratique, de ce que vous vivez au quotidien,
vous constatez qu'il y a des lacunes en termes de formation, de connaissance
parmi les intervenants du système de justice, parmi tous les intervenants du système
de justice?
Mme Walsh (Mélanie) :
Oui, je parlais...
M. Jolin-Barrette : …et pour
vous, là, je vous entends sur les formations, là, la nécessité de ces
formations, est-ce que, de votre pratique, de ce que vous vivez au quotidien,
vous constatez qu'il y a des lacunes en termes de formation de connaissance
parmi les intervenants du système de justice, parmi tous les intervenants du système
de justice?
Mme Walsh (Mélanie) : Oui. Je
parlais un peu plus tôt, en fait, des contacts que ces femmes très vulnérables,
vous l'avez dit, ont eus au contact des différents. Hein, bien, souvent, ça
commence, j'ai parlé des services de protection de la jeunesse, donc, ça
commence en amont. Les violences qu'elles rencontrent, souvent, vont commencer
très tôt. Et voilà. J'ai perdu votre question, excusez-moi.
M. Jolin-Barrette : En fait, est-ce
que, de votre expérience, il y a des lacunes relatives à la réalité, qui sont
vécues par les clientèles avec lesquelles vous travaillez? Est-ce que, quand
vous les recevez, là, à travers le parcours actuellement, avec les différents intervenants,
vous constatez qu'il y a des choses à améliorer au niveau de la formation?
Mme Walsh (Mélanie) : Oui,
bien sûr. Donc, je faisais référence à l'ensemble du système, là. Il y a des
lacunes à tous les niveaux. Tu sais, je veux dire, vous l'avez dit vous-même,
ça fait deux jours qu'on est en audition, et c'est la première prise de
parole où on parle de faire un profile autre. Donc, c'est sûr que, quand une
femme qui est particulièrement vulnérable, qui a des problèmes de consommation,
qui va s'adonner au travail du sexe, qui a des problèmes de santé mentale, vous
le savez comme moi, quand elle se présente à l'hôpital, à l'urgence, dans un
poste de police, à la cour, les acteurs et actrices qui la reçoivent sont
teintés par leurs propres stéréotypes et préjugés. Il y a beaucoup à faire pour
démystifier, et donc parler des besoins de ces femmes-là. J'entendais d'autres
interlocutrices nommer le besoin de guérison qui ne passe pas toujours par le processus
judiciaire, mais encore faut-il que toutes les femmes aient l'option de se
tourner vers le système judiciaire si c'est ce qu'elles souhaitent. Donc, oui, il
y a plusieurs lacunes pour qu'on en vienne à éviter la revictimisation des
femmes les plus vulnérables qui sont déjà en choc post-traumatique et qu'on
leur accorde, je parlais de dignité un peu plus tôt dans ma présentation, bien,
c'est de ça dont on parle aussi, de leur redonner du pouvoir dans leurs propres
processus de guérison.
M. Jolin-Barrette : Peut-être
une dernière question avant de céder la parole à mes collègues. Dans le cadre
de votre pratique, là, de votre réalité quotidienne de tous les jours, là, quel
est le sentiment général des femmes que vous accompagnez en lien avec le système
de justice? C'est : Quelle est leur perception?
Mme Walsh (Mélanie) : Bien,
leur perception, c'est une perte de confiance dans le système, c'est que ça ne
vaut pas la peine, c'est que : De toute façon, qu'est-ce que ça donne? Et
donc il y a beaucoup de réticence à se tourner vers le système judiciaire.
C'est sûr que pour des femmes qui sont dans un contexte d'instabilité
résidentiel, je le disais plus tôt, là, les besoins sont multiples et les
démarches sont multiples. Donc, quand tu es dans le processus où tu te cherches
un logement, possiblement un emploi ou un revenu…
Mme Walsh (Mélanie) : …donc il
y a beaucoup de résistance à se tourner vers le système judiciaire. C'est sûr
que pour des femmes qui sont dans un contexte d'instabilité résidentielle, je
le disais plus tôt, là, les besoins sont multiples et les démarches sont
multiples. Donc, quand tu es dans un processus où tu te cherches un logement,
possiblement un emploi ou un revenu, il y a beaucoup à faire, donc parfois la
plainte ou le processus judiciaire va s'entamer dans un deuxième temps, un
troisième temps, donc, question d'abord de récupérer un peu de stabilité.
M. Jolin-Barrette : Peut-être
un dernier commentaire. L'objectif du tribunal spécialisé est vraiment de faire
en sorte de changer les choses puis changer la façon dont on fonctionne, vraiment,
pour faire en sorte que toutes les personnes victimes aient confiance dans le système
de justice. Donc, ce que vous me dites, à l'effet que… est-ce que ça vaut la
peine de le faire, c'est ça qu'il faut changer. Il faut que ça soit
accueillant, et tout en respectant le droit des accusés, la présomption
d'innocence, l'impartialité du tribunal. Mais il faut faire en sorte qu'aucune
personne ne se dise, au Québec : J'ai peur, j'ai la crainte, est-ce que ça
vaut la peine de faire cette démarche-là? La réponse qui doit arriver, là, et
c'est là-dessus qu'on doit travailler ensemble, la réponse doit être :
Oui. Oui, ça vaut la peine que des comportements odieux soient punis et que la
victime soit au coeur du processus tout au long de la procédure.
Ça ne signifie pas que ça va se
concrétiser par une condamnation, ce n'est pas l'objectif du tribunal spécialisé,
mais au bout du compte, dans le cadre du processus judiciaire… Et c'est
possible même que parfois la plainte ne soit pas autorisée, pour x ou y raison,
mais il faut que le tout soit fait de la bonne façon, bien accompagné, et que
toutes les personnes, peu importe la situation dans laquelle elles se trouvent,
bien, l'accompagnement soit adapté et répond à leurs réalités, et que la
satisfaction soit là aussi.
Parce que moi, je crois vraiment que ça
peut avoir un impact positif également, cet accompagnement-là, et surtout de
réussir à franchir cette difficulté-là qui été vécue par la personne. Parce
qu'on ne choisit pas de devenir une victime, ça nous arrive, et c'est pour ça notamment
qu'on a fait l'IVAC, la réforme de l'IVAC, entre autres, mais on est dans cette
logique-là pour le continuum de services. Alors, je vous remercie beaucoup pour
votre passage en commission parlementaire, je vais céder la parole à mes collègues.
Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, M. le ministre. Mme la députée de Repentigny.
Mme Lavallée : …pour votre
présence, parce que vous venez de parler d'une réalité que… femmes qui sont vraiment
vulnérables dans notre société. Moi, ce qui me…
Le Président (M. Benjamin) : Est-ce
qu'on peut ajuster le micro de Mme la députée de Repentigny, s'il vous plaît?
Voilà.
Mme Lavallée : C'est-u
correct?
Le Président (M. Benjamin) :
C'est parfait.
Mme Lavallée :
M'entendez-vous?
Le Président (M. Benjamin) :
Oui. Là, c'est parfait.
Oui. O.K. Excusez-moi. Ce que j'aimerais savoir…
C'est parce qu'on sait que ces femmes-là vivent des traumas importants. Je ne
sais pas si vous êtes capable de nous parler du terrain en ce qui concerne les
traumas que ces femmes-là…
Le Président (M. Benjamin) :
…c'est parfait. Excellent.
Mme Lavallée : M'entendez-vous?
Le Président (M. Benjamin) :
Oui. Là, c'est parfait.
Mme Lavallée : Oui? O.K.,
excusez-moi. Ce que j'aimerais savoir... Parce qu'on sait que ces femmes-là
vivent des traumas importants. Je ne sais pas si vous êtes capable de nous
parler du terrain en ce qui concerne les traumas que ces femmes-là vivent, et
de l'impact que ça peut avoir sur les témoignages qu'elles ont à rendre
lorsqu'elles veulent témoigner de ce qu'elles ont vécu, concrètement, là.
• (17 h 10) •
Mme Walsh (Mélanie) : Oui, bien,
les traumas, ça se manifeste de différentes manières. Je parlais un peu plus
tôt de flash-back. Ça n'a l'air de rien, mais avoir l'impression d'être en
train de revivre une agression ou un événement traumatique, c'est quelque
chose, et il faut en tenir compte, ça, c'est sûr. Je parlais du sentiment de
panique, ou le sentiment de paralysie des femmes. Elles le nomment souvent.
L'impression d'être gelée. Les femmes vont souvent avoir une très faible estime
d'elles-mêmes, peuvent adopter des comportements qu'on dit d'autodestruction.
Ça peut être de l'automutilation, ça peut être, donc, de la consommation. Ça
peut être de s'exposer, là, à des comportements qui les mettent elles-mêmes à
risque.
Et, je le nommais, la pierre angulaire, la
difficulté à faire confiance. Donc, quand on a vécu des violences à répétition,
en contexte conjugal, de la part de membres de la famille, de conjoint, d'un
ex, de différents acteurs, il est difficile de faire confiance aux gens en
général, et d'autant plus à un système qui contribue à vous marginaliser.
Donc, les traumas, c'est au coeur... J'ai
envie de vous dire qu'on ne peut pas travailler avec les femmes les plus
vulnérables sans tenir compte de leurs traumatismes. Merci de la question.
Mme Lavallée : Puis ça m'amène
à une autre chose, c'est... Tout à l'heure, on a parlé de la formation, puis je
pense que c'est d'autant plus important de démystifier ce que peuvent signifier
les traumas puis les conséquences sur ces femmes-là. Et pour tous les
intervenants qui vont faire affaire avec cette femme-là, c'est important
d'avoir ces notions-là, je pense, là, c'est primordial.
Mme Walsh (Mélanie) : Oui, je pense
que c'est comme ça, notamment, qu'on va pouvoir arriver à éviter la
victimisation secondaire, la revictimisation. Je pense que c'est important que
la victime soit bien accompagnée lorsqu'elle veut dénoncer. On le sait, hein,
en amont, il faut être bien préparé. Et, oui, les femmes, souvent... Une chose
que je n'ai pas nommée, c'est aussi leur sentiment de honte et de culpabilité,
donc, qui est bien présent et qui va parfois les empêcher de porter plainte ou
de dénoncer la situation.
Mme Lavallée : Puis j'imagine
que, lorsqu'une de ces femmes-là décide de porter plainte, de faire face à la
justice, votre rôle, comme organisme qui comprend cette réalité-là, est
d'autant plus important. Donc, votre rôle d'accompagnant, j'imagine que c'est
primordial, parce que vous avez une expertise que plusieurs n'ont pas?
Mme Walsh (Mélanie) : En effet. Et
j'ai envie de rajouter qu'on a la confiance...
Mme Lavallée : ...plainte, de
faire face à la justice, votre rôle, comme organisme qui comprend cette
réalité-là, est d'autant plus important. Donc, votre rôle d'accompagnant,
j'imagine que c'est primordial parce que vous avez une expertise que plusieurs
n'ont pas.
Mme Walsh (Mélanie) : En
effet. Et j'ai envie de rajouter qu'on a la confiance des femmes. Donc, oui,
nos maisons d'hébergement, je disais qu'on est un partenariat de
cinq maisons d'hébergement, et nous avons, dans nos maisons, des intervenantes
qui peuvent faciliter des accompagnements physiques lors des témoignages ou
d'un passage à la cour, par exemple. Ça fait souvent bien toute la différence
pour les femmes, elles se sentent moins seules.
Et il faut comprendre que c'est des femmes
qui sont souvent bien isolées... beaucoup plus que d'autres femmes, hein? Souvent,
quand on parle, là, des femmes qui viennent témoigner, c'est difficile pour
l'ensemble des femmes, mais on va référer à des femmes qui sont éduquées,
éloquentes, entourées, soutenues, en bonne posture financière, qui n'ont pas de
problème de santé mentale majeur. Là, on parle de femmes qui cumulent ces
différentes problématiques.
Mme Lavallée : Puis je
finirais en vous demandant : Avez-vous des témoignages de femmes qui ont
été capables de dépasser leur peur, de faire face à la justice? Et ce que ça a
apporté de changements dans leur vie, l'impact que ça a pu avoir eu de positif,
d'avoir été capable de faire face à ça puis d'obtenir justice.
Mme Walsh (Mélanie) : Oui. Par
contre, c'est sûr que chez nous, on est vraiment dans l'accompagnement des
femmes à court, moyen et long terme dépendamment de nos ressources. C'est sûr
que les ressources qui font plus dans l'urgence, on n'a pas nécessairement
l'occasion de voir les femmes aller au bout de leur processus. On l'a nommé tout
à l'heure, les processus judiciaires, ce sont des processus qui sont très longs
et lents. Donc, parfois, c'est quelques années plus tard, je reçois, par
exemple, des courriels de femmes qui témoignent de la différence qu'on a pu
faire dans leur vie en les hébergeant, mais pas seulement en les hébergeant, en
les soutenant, en les accompagnant dans leur processus de dénonciation et aussi
et au-delà de la dénonciation.
Je pense qu'il y a un enjeu crucial pour
les femmes qu'on soutient, c'est le fait d'être crue. Donc, ça, ça vient bien
au-delà du processus judiciaire. Et on parlait… Le ministre Jolin-Barrette parlait
de bienveillance tout à l'heure. Bien, c'est aussi notre rôle de les accueillir
avec bienveillance et de croire à leurs histoires. J'entendais aussi Mme…
Juripop parler de valider les sentiments des femmes qu'on rencontre. C'est la
première étape, je pense, dans le processus de guérison.
Mme Lavallée : Je vous
remercie beaucoup.
Mme Walsh (Mélanie) : Merci
de vos questions.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme la députée de Repentigny. Donc, nous… Maintenant, au tour de la
députée de Verdun de poursuivre les échanges.
Mme Melançon : Bonjour, Mme
Walsh. Merci beaucoup, d'abord, d'avoir accepté notre invitation, parce que les
femmes en situation d'itinérance sont souvent les grandes oubliées…
Le Président (M. Benjamin) :
...merci, Mme la députée de Repentigny. Donc, maintenant, au tour de la députée
de Verdun de poursuivre les échanges.
Mme Melançon : Bonjour,
Mme Walsh. Merci beaucoup, d'abord, d'avoir accepté notre invitation, parce
que les femmes en situation d'itinérance sont souvent les grandes oubliées. Et
j'ai eu l'immense privilège d'aller visiter votre maison et j'ai vu tout le
travail qui est fait.
Et avant d'aller plus loin, j'ai simplement
une question, M. le Président, pour vous. Tout à l'heure le ministre a parlé
d'une lettre de la vice-première ministre, qu'elle a acheminée aux différents
corps de police. Je demanderais, si c'est possible, au ministre de déposer la
lettre ici, à la commission, parce que c'est quelque chose, malheureusement,
que je n'ai pas vu passer et je pense que ce serait important qu'on puisse voir
cette lettre-là. Alors, si c'est possible de le déposer, pas obligatoirement
immédiatement, là, mais dans les prochaines heures auprès de la commission,
s'il vous plaît.
Je reviens parce que moi, je retiens des
mots-clés, et j'ai eu une bonne rencontre avec vous, donc je pense que ça me
revient aussi en tête lorsque parle de crédibilité, de respect et de dignité.
Moi, c'est toujours les trois mots qui me reviennent en tête, puis je vous
entends prononcer ces mots-là. Est-ce que vous diriez, Mme Walsh, que les
femmes en situation d'itinérance sont des victimes recherchées, justement, pour
des crimes à caractère sexuel et des crimes en violence conjugale?
Mme Walsh (Mélanie) : Oui,
bien sûr. Ce sont des femmes qui sont particulièrement vulnérables et, parmi
leurs stratégies de survie, il y a le fait de se rendre invisibles, hein, ce
qu'on appelle l'itinérance cachée. Ce n'est pas pour rien que les femmes se
rendent invisibles, c'est notamment pour passer sous le radar et éviter d'être
la proie de différents agresseurs.
L'autre chose, c'est que quand tu es en
situation d'itinérance, bien, tu dois te débrouiller pour te trouver un toit
pour la nuit. Il y a plusieurs hébergements d'urgence qui sont mis sur pied de
manière précipitée, notamment pendant les périodes hivernales, et qui sont des
milieux mixtes. Et, bien, par exemple, nous avons accueilli cet hiver des
femmes qui disaient avoir subi des agressions sexuelles dans ces hébergements-là.
Donc, elles sont particulièrement vulnérables et, comme je le dis, itinérance
cachée, bien, c'est pour se protéger. La rue, on dit souvent que la rue, elle
est dangereuse pour les femmes, donc elles vont, par tous les moyens, tenter
d'éviter de se retrouver dans la rue. Elles sont tout de même à la rue, mais
elles vont s'arranger pour qu'on ne les voie pas.
Mme Melançon : Alors,
lorsqu'on parle de ces femmes, on parle souvent, donc, de victimes, victimes de
violence sexuelle et de violence conjugale, qui sont les thèmes qu'on aborde
aujourd'hui...
Mme Walsh (Mélanie) : …sont
tout de même à la rue, mais elles vont s'arranger pour qu'on ne les voit pas.
Mme Melançon : Alors,
lorsqu'on parle de ces femmes, on parle souvent, donc, de victimes, victimes de
violence sexuelle et de violence conjugale, qui sont les thèmes qu'on aborde
aujourd'hui pour la formation de ce tribunal spécialisé.
Moi, j'aimerais qu'on puisse aborder la
formation. Parce que, là, à partir du moment où on sait que les femmes en
situation d'itinérance sont des victimes, trop souvent victimes de violence
sexuelle puis de violence conjugale, bien, je pense que… puis il y en a
plusieurs, là, vous le dites vous-même, là, il y a des affiliations… Elles ne
veulent pas tellement aller parler à la police, là, les filles. Ce n'est pas…
elles vont plutôt se confier à vous, là.
Mme Walsh (Mélanie) : C'est
vrai.
Mme Melançon : Et elles vont
se confier à vos intervenantes. Il y a de la formation, j'imagine, qui est
donnée par des organisations comme les vôtres, soit aux policiers ou… parce que
vous êtes une ressource non seulement pour les femmes victimes d'itinérance,
mais aussi pour les policiers puis pour les autres acteurs sociaux. Est-ce que
des formations que vous, vous pourriez offrir, soit aux policiers, aux juges,
aux procureurs, bref… parce que c'est une voix qu'on n'entend pas suffisamment,
puis je le dis, et je me suis levée à quelques reprises pour faire entendre la
voix de ces femmes qu'on n'entend pas suffisamment. Comment est-ce qu'on peut
offrir la meilleure formation possible pour ces femmes, justement, qui vivent
en marge de la société aussi?
• (17 h 20) •
Mme Walsh (Mélanie) : Bien
oui, je pense que des membres de notre partenariat peuvent certainement
contribuer à bonifier le contenu de la formation. On parlait un peu plus tôt,
donc de continuum des violences, d'intersectionnalité des oppressions, je sais
que le terme peut faire peur, mais, quand même, les femmes ont des identités
multiples. Et on a beaucoup parlé, en temps de pandémie, à nos privilèges, bien
là, on parle des femmes qui sont les moins privilégiées et qui font l'objet de
discrimination et d'oppression systémiques. Et je pense que, oui, on peut certainement
contribuer à démystifier ce que c'est, que de se retrouver en situation
d'itinérance, les multiples facteurs qui peuvent contribuer à ce qu'une femme
se retrouve en situation d'itinérance. Et à nouveau, je reviens sur les
traumatismes ont quels impacts. Les problèmes de santé mentale des femmes, ils
sont majeurs. Elles ont été agressées à de multiples reprises et ce sont des
survivantes. Donc, oui, je pense même que plusieurs d'entre elles voudraient
contribuer à bonifier cette formation, qu'on veut la plus inclusive possible.
Mme Melançon : Je suis
certaine que vous ne tenez pas nécessairement des chiffres, mais, sur le nombre
de femmes que vous voyez dans une année, il y en a combien qui…
Mme Walsh (Mélanie) : …à
bonifier cette formation qu'on se… qu'on veut la plus inclusive possible.
Mme Melançon : Je suis
certaine que vous ne tenez pas nécessairement des chiffres, mais, sur le nombre
de femmes que vous voyez dans une année, il y en a combien qui vont décider
d'aller dénoncer à la police, par exemple?
Mme Walsh (Mélanie) : Bien,
chez nous, c'est plus de 300 femmes qui sont hébergées annuellement, puis ça se
compte sur les doigts d'une main.
Mme Melançon : Donc, donc, ces
victimes-là sont laissées à elles-mêmes, dans le sens où elles ne veulent pas
rentrer dans un processus judiciaire. Est-ce qu'elles ont l'aide pour survivre
à une agression?
Mme Walsh (Mélanie) : Bien,
c'est tout… Premièrement, certaines d'entre elles souhaiteraient entamer un
processus judiciaire, pas toutes, mais certaines d'entre elles. Après ça, ce
dont on parle, c'est de l'accès aux services et aux soins. Donc, je parlais tout
à l'heure des listes d'attente, notamment. Je veux dire, une femme qui est dans
une situation de très grande précarité et d'urgence à qui on demande de
patienter… Je vous donne un exemple : on vous dit qu'on vous rappelle
d'ici cinq mois. Mais où serez-vous dans cinq mois? Avez-vous même un
cellulaire pour qu'on puisse vous contacter? Et puis les femmes, bien, elles
vivent beaucoup de précarité, souvent vont perdre leurs pièces d'identité, vont
perdre leur cellulaire. Donc, oui, les obstacles sont multiples et majeurs.
Mme Melançon : J'ai une
question pour vous. Une femme qui vient pour du court terme ou du moyen terme
chez vous, qui quitte, qui retourne parfois dans la rue, parfois… Vous m'aviez
donné l'exemple des cabanons, hein? Il y en a qui essaient d'avoir juste un
petit toit au-dessus de la tête, là, puis parfois, bien, c'est sur un sofa d'un
ami où il y a du monde. Est-ce qu'elles reviennent souvent chez vous? Est-ce
qu'elles vont repasser pour venir donner des nouvelles? Parce que je suis juste
en train de me poser la question : Comment on fait pour les retrouver, ces
femmes-là? Puis est-ce que vous pourriez devenir une certaine… en tout cas, un
endroit où on peut tenter de retrouver ces femmes-là?
Mme Walsh (Mélanie) : Oui. On
peut agir, j'ai envie de dire, comme courroie de transmission. Donc, c'est sûr
que les femmes qui sont en situation d'itinérance chronique ou cyclique, bien,
souvent elles reviennent ou vont errer d'une ressource à une autre, ce qui fait
que collectivement — c'est aussi pour cette raison que notre partenariat
est né — collectivement, on les connaît, les femmes. Maintenant, il y
a aussi des cas de figure où il y a des femmes qui ont besoin de soutien, c'est
ponctuel, elles sont sans toit sécuritaire pour la nuit, ça dure quelques
semaines, et on ne les revoit plus jamais. Donc, oui, c'est possible de
travailler en collaboration pour qu'on puisse alimenter ces femmes-là en
matière d'information, oui…
Mme Walsh (Mélanie) : …qui ont
besoin de soutien, c'est ponctuel, elles sont sans toit sécuritaire pour la
nuit, ça dure quelques semaines, et on ne les revoit plus jamais. Donc, oui,
c'est possible de travailler en collaboration pour qu'on puisse alimenter ces
femmes-là en matière d'information, oui.
Mme Melançon : Dernière question
parce que je pense qu'il me reste très peu de temps.
Le Président (M. Benjamin) :
Une minute.
Mme Melançon : Une minute.
Vous parliez des indicateurs de résultats justement pour les femmes plus
vulnérables à l'intérieur de ce qu'on demanderait à être déposé à l'Assemblée
nationale, là, tel que c'est indiqué. Vous pensez à quoi?
Mme Walsh (Mélanie) : Bien,
il faudra voir, tu sais, par exemple, si les profils des femmes qui ont
bénéficié du tribunal spécialisé sont à peu près tous les mêmes. Je veux dire,
vous parliez un peu plus tôt de la victime parfaite. Il y a Mme Clermont-Dion
qui a fait T'as juste à porter plainte. On s'adresse quand même à un
profil de femme, comme je le disais un petit peu plus tôt, tu sais, qui est
éduquée, éloquente, bien entourée, soutenue, qui n'a pas de problème de santé
mentale majeur. Est-ce que véritablement le système de justice permet à toutes
les victimes de se tourner pour obtenir réparation? En ce moment, ce n'est pas
le cas. Donc, ça, c'est un grand voeu. Mais on parlait de changement de culture
tout à l'heure, et c'est ce qu'on souhaite, de voir des femmes avec des profils
différents, et donc avec des besoins multiples, se présenter devant la cour
pour dénoncer.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci.
Mme Melançon : Merci beaucoup.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme la députée de Verdun. Maintenant, au tour de la députée de Sherbrooke
de poursuivre les échanges.
Mme Labrie : Merci, M. le
Président. Une des recommandations que vous faites dans votre mémoire,
c'est : «Simplifier et accélérer l'accès aux programmes gouvernementaux en
lien avec la violence conjugale et les agressions sexuelles». Est-ce que la
récente réforme de l'IVAC répond à ces préoccupations-là, de votre point de vue?
Mme Walsh (Mélanie) : Bien,
oui. Puis là, moi, je ne me suis pas penchée de manière approfondie sur la
réforme de l'IVAC, mais oui, c'est sûr que de pouvoir accéder aux
indemnisations de l'IVAC de manière plus rapide, mais aussi pour l'ensemble des
victimes, peu importe si elles entament un processus judiciaire ou pas, c'est
important. On peut penser aussi à un accès rapide, par exemple, aux pensions
familiales pour certaines femmes. Donc, je pense qu'il y a différentes mesures
selon, justement, les profils et besoins des femmes, là. Mais nous, on parle de
femmes qui sont en situation de grande précarité et pauvreté. Donc, nécessairement,
il faut réfléchir à leurs besoins de base.
Mme Labrie : Mon micro… Merci.
C'est pour ça que je vous demande ça parce qu'avant… vous l'avez nommé
vous-même, là, avant de penser à porter plainte, il faut quand même avoir géré
ses besoins fondamentaux. Quels autres types de programmes gouvernementaux
mériteraient d'être simplifiés ou accélérés pour leur faciliter la vie?
Mme Walsh (Mélanie) : Ah!
bien, c'est sûr qu'on peut parler de logement, notamment. Tu sais, on parle de
besoins de base, nous sommes des ressources d'hébergement pour les femmes. On
sait que les femmes qui vivent de la violence conjugale peuvent être priorisées
dans l'octroi de HLM, notamment…
Mme Labrie : ...leur faciliter
la vie?
Mme Walsh (Mélanie) : Ah!
bien, c'est sûr qu'on peut parler de logement, notamment. Tu sais, on parle de
besoins de base, nous sommes des ressources d'hébergement pour les femmes. On sait
que les femmes qui vivent de la violence conjugale peuvent être priorisées dans
l'octroi de HLM, notamment. Mais encore, le processus, il n'est pas si évident,
et il y a un paquet d'autres critères, n'est-ce pas, pour pouvoir être éligible
au niveau d'un HLM. Et souvent, les femmes qu'on rencontre, bien, elles ont
épuisé leurs recours, elles ont perdu leur place en HLM, elles ne sont plus
éligibles, elles n'ont pas fait leurs impôts des dix dernières années. Donc,
c'est sûr qu'il y aurait matière à regarder quelles sont les spécificités au
niveau des profils de ces femmes-là, pour qu'elles puissent accéder elles aussi
à un logement lorsqu'elles se retrouvent en situation de violence conjugale ou
sexuelle.
Mme Labrie : Merci. Je trouve
ça intéressant parce que vous nous amenez à réfléchir à ce qui doit être fait
pour accompagner les victimes en amont aussi de l'accès au système de justice,
là. Merci beaucoup.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme la députée de Sherbrooke. Maintenant, au tour de la députée de
Joliette.
Mme
Hivon
: Oui,
merci, M. le Président. Bonjour. Je vais poursuivre un petit peu sur la même
voie, mais, dans votre document, dans la rubrique Accès aux services et aux
soins, là, vous parlez vraiment que les intervenants formés devraient être
présents à chaque étape du processus, avant, pendant, après. Alors, je voulais
juste savoir si... Pour vous, qui ça comprend, les intervenants dans le
processus, pour lesquels on devrait prévoir de la formation? J'imagine que les femmes
avec qui vous traitez rencontrent des gens qui pourraient être d'une bonne aide
à différentes étapes, encore faudrait-il qu'ils soient formés. Donc, est-ce que
vous avez en tête essentiellement policiers, procureurs ou vous dites :
Non, aussi des intervenants sur le terrain, psychosociaux, CLSC?
Mme Walsh (Mélanie) : Oui,
tous ces acteurs. Oui, les policiers, les procureurs, les intervenants
psychosociaux, tout à fait. On l'a dit tout à l'heure, on parle de femmes dont
on parle relativement peu, et ce n'est pas parce que tu es intervenant
psychosocial que tu es familier, familière avec les réalités de ces femmes-là.
Donc, je pense que la formation, elle doit être rendue le plus large possible.
Je pense qu'on doit l'imposer et la rendre obligatoire pour certains acteurs
qui sont vraiment au coeur du processus. Mais on plus on sera en mesure
d'accueillir l'ensemble des femmes victimes avec bienveillance, bien, plus le
processus de guérison sera entamé rapidement.
• (17 h 30) •
Mme
Hivon
:
O.K., merci. Puis il y a une idée qui a été discutée dans le cadre du rapport
Rebâtir la confiance, qui est de créer un peu un guichet unique, un peu
comme on voit, par exemple, à Marie-Vincent en matière d'agression sexuelle
chez les enfants, pour faciliter la vie des victimes, donc qu'elle est sous un
même toit, autant la réception pour une plainte formelle, que de l'aide
psychosociale, que du suivi juridique, que des services sociaux. Est-ce que,
pour le type de clientèle, je n'aime pas tellement ce mot-là, mais de femmes
avec qui...
17 h 30 (version non révisée)
Mme
Hivon
:
...faciliter la vie des victimes. Donc, elle est sous un même toit, autant la
réception pour une plainte formelle que de l'aide psychosociale, que du suivi
juridique, que des services sociaux. Est-ce que, pour le type de clientèle, je
n'aime pas tellement ce mot-là, mais de femmes avec qui vous traitez, ça serait
aidant ou on devrait plus avoir les ressources qui vont chez vous, en
itinérance?
Mme Walsh (Mélanie) : Ah! ça,
c'est une bonne question, mais les deux, j'ai envie de dire. C'est sûr que
j'entends les femmes dire : Oui, il faut démultiplier les démarches auprès
de différents acteurs, ça commence à être compliqué. Si vous venez à nous,
elles sont ici, c'est sûr que ça ouvre la porte à restaurer confiance dans le
système, permettre qu'elles posent des questions, qu'elles se fassent une tête
à savoir si elles veulent aller de l'avant avec leur dénonciation. Donc, les
deux sont pertinents, mais le guichet unique, oui, j'entends les femmes dire
que c'est ce qu'elles souhaiteraient. Ça faciliterait leurs démarches.
Mme
Hivon
:
Parfait. Donc, on passe le message.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci beaucoup. Merci, Mme la députée Joliette. Mme Mélanie Walsh, directrice
générale de l'Auberge Madeleine, merci beaucoup pour votre contribution aux
travaux de la commission.
Nous allons suspendre quelques instants,
le temps de pouvoir accueillir nos autres témoins. Merci.
(Suspension de la séance à 17 h 31)
(Reprise à 17 h 39)
Le Président (M. Benjamin) :
Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Nous allons reprendre les travaux de la commission.
Je souhaite la bienvenue aux représentants du Directeur des poursuites
criminelles et pénales. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes
pour votre exposé. Par la suite, nous procéderons à la période d'échange avec
les membres de la commission. Je vous invite donc à vous présenter et à
procéder à votre exposé. La parole est à vous.
M. Michel (Patrick) : Alors,
merci, M. le Président…
Le Président (M. Benjamin) :
...je souhaite la bienvenue aux représentants du Directeur des poursuites
criminelles et pénales. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes
pour votre exposé. Par la suite, nous procéderons à la période d'échange avec
les membres de la commission. Je vous invite donc à vous présenter et à
procéder à votre exposé. La parole est à vous.
M. Michel (Patrick) : Alors,
merci, M. le Président. Alors, merci à tous les membres de la commission pour
votre accueil et pour l'intérêt que vous portez à l'égard de la position du
DPCP concernant le projet de loi n° 92.
Alors, je me présente, Patrick Michel,
directeur des poursuites criminelles et pénales depuis le 23 avril
dernier. Je suis accompagné de Me Anny Bernier, procureure en chef au bureau du
Directeur des poursuites criminelles et pénales, qui a assumé, depuis le dépôt
du rapport Rebâtir la confiance... qui a assumé la coordination des
travaux que nous avons conduits, en fait, menés à l'interne, tant au sujet de l'implantation
du tribunal spécialisé que de l'analyse et de la mise en oeuvre des
recommandations qui nous concernent plus spécifiquement.
• (17 h 40) •
Alors, évidemment, comme nous avons déposé
ou transmis une correspondance à la commission, je ne vais pas en faire la
lecture, si vous me permettez, je vais seulement m'attarder à quelques points, peut-être,
de complément pour bonifier, du moins, je l'espère, le contenu de notre
correspondance... nos observations.
Donc, d'emblée, je peux vous dire, nous
l'avons écrit dans notre correspondance, le DPCP est d'accord avec les
objectifs, est favorable aux objectifs poursuivis par la création d'un tribunal
spécialisé, tel qu'il est décrit au chapitre 12 du rapport Rebâtir la
confiance. Je ne ferai pas l'énumération de tout ce qu'on y retrouve, la
nomenclature de tout ce qu'on y retrouve comme recommandations, mais disons
que, si on résume le tout comme suit, il y a, disons, un bouquet de mesures ou
un ensemble de mesures qui visent à faciliter le passage des victimes au
travers du système de justice criminelle et pénale. On parle... des victimes de
violence conjugale, de violence sexuelle. Alors, évidemment, nous sommes en
accord avec l'objectif poursuivi par le projet de loi.
J'aborderais trois points spécifiques. D'abord,
les mesures que nous avons mises en oeuvre, le DPCP, pour améliorer nos
pratiques depuis le dépôt du rapport, quelques-unes des mesures, on ne peut
pourra pas en faire toute la nomenclature, encore une fois. Deuxièmement, peut-être
l'impact, l'impact de ce changement important sur nos ressources, particulièrement
au niveau de la gouvernance de l'institution. Et, le troisième point,
j'aborderai peut-être brièvement, si le temps me le permet, la formation
offerte au sein du DPCP.
Donc, au niveau de l'amélioration de nos
pratiques, une des mesures-phares, en fait, dans les recommandations qui nous
visent, évidemment, c'est l'implantation de la poursuite verticale. Pour le
bénéfice des gens qui nous écoutent... je l'ai déjà dit ici, mais, pour le
bénéfice des gens qui nous écoutent, donc...
M. Michel (Patrick) : …donc, au
niveau de l'amélioration de nos pratiques, une des mesures phares, en fait,
dans les recommandations qui nous visent, évidemment, c'est l'implantation de
la poursuite verticale. Pour le bénéfice des gens qui nous écoutent, je l'ai déjà
dit, ici, mais pour le bénéfice des gens qui nous écoutent, donc, la poursuite
verticale signifie que le procureur qui autorise la poursuite en assume la
conduite jusqu'à la fin des procédures. Alors, je dis que c'est une mesure
phare pour nous parce qu'évidemment c'est de cette façon que se matérialise,
disons, concrètement, l'accompagnement ou le meilleur accompagnement qu'on peut
accorder aux victimes de violence sexuelle et de violence conjugale.
Alors, ce fut, disons, des travaux importants,
qu'on a menés depuis l'octroi des ressources qu'on a obtenues, donc 35 premiers
postes dont on a procédé à la dotation suite à la mise à jour de notre banque
de candidatures. Alors, ces postes-là sont dotés. Nous avons modifié en
conséquence nos directives parce que la poursuite verticale était déjà imposée
comme principe, dans la mesure du possible, en matière de violence sexuelle.
L'ajustement n'avait pas été encore fait dans nos directives, alors nous avons
annoncé la modification de nos directives en ce sens.
Maintenant, il faut comprendre qu'on est
encore en phase d'implantation avant qu'on puisse affirmer que la poursuite
verticale est implantée parfaitement partout au Québec en matière de violence
conjugale. Lorsqu'on comble les postes, bien, vous pouvez imaginer que les gens
n'arrivent pas nécessairement immédiatement en fonction. On a pu, par exemple,
combler certains postes avec des gens qui étaient des procureurs, des gens à
notre emploi qui pouvaient être en congé de maternité, qui seront de retour
progressivement. Ces gens-là quittent des postes, libèrent d'autres postes qui
deviennent vacants, qu'il faut remplacer. Alors, avant qu'on puisse dire que
toutes ces ressources-là… que l'atterrissage est fait dans notre réseau et
qu'on puisse compléter l'implantation de la poursuite verticale et sentir tous
les bénéfices et les bienfaits des ressources qu'on a obtenues… il y a encore
un atterrissage à faire.
Pour ce qui est des autres mesures, j'en
nomme quelques-unes, et je ne veux pas diminuer l'importance, là, des autres,
mais ce serait long, comme je vous dis, d'en faire toute la nomenclature. Une
des recommandations, qui était de pérenniser nos communautés de savoir en
matière de violence sexuelle et de violence conjugale, c'est une mesure qui est
complétée. Certains rappels qu'on nous demandait de faire sur l'utilisation des
ordonnances et de garder la… ce qu'on appelle communément les 810. Je vous ai
dit qu'on a annoncé la modification à nos directives en ce qui concerne la
poursuite verticale en matière de violence conjugale. On a aussi annoncé la modification
de notre directive en matière d'agression sexuelle pour prévoir que, dorénavant,
les rencontres qui étaient, d'après notre directive, une rencontre préparatoire
au procès, que ces rencontres-là deviennent une rencontre préparatoire au…
M. Michel (Patrick) : ...en
matière de violence conjugale. On a aussi annoncé la modification de notre
directive en matière d'agression sexuelle pour prévoir que dorénavant les
rencontres qui étaient, d'après notre directive, une rencontre préparatoire au
procès, que ces rencontres-là deviennent une rencontre préparatoire au
témoignage à toute étape des procédures, donc, lorsque la victime doit y
témoigner, ce qui était, donc, la recommandation 56.
J'en passe d'autres. Évidemment, il y a
beaucoup... Il y avait beaucoup de recommandations qui étaient de la nature de
rappels ou de précisions à nos directives par rapport notamment à l'utilisation
de ce qu'on appelle les mesures d'aide au témoignage. Alors, ces rappels-là ont
été faits. Et, précision, nos directives seront faites. En fait, de la façon
que ça fonctionne, c'est qu'il y a un processus, là, pour modifier nos
directives. Il doit y avoir une consultation des poursuivants désignés, des
autres poursuivants que le DPCP, auxquels nos directives s'appliquent. Et
éventuellement il y a une publication qui est faite. Mais entre temps, nous
avons indiqué aux procureurs de se conformer à ces changements-là d'ici à ce
que les modifications soient faites formellement dans nos directives et
qu'elles soient publiées.
Pour ce qui est du deuxième point,
brièvement, évidemment, bon, on peut imaginer que l'intégration dans nos
pratiques... D'abord les modifications que ça impose à nos pratiques, à
l'organisation de notre travail pour ce qui est de l'ensemble des
recommandations qui visent le DPCP, les suivis qu'on a à en faire au niveau de
la performance, du respect des mesures, donc, de notre performance
organisationnelle qu'on vise toujours à améliorer particulièrement en ce
domaine-là, alors, évidemment, ça a un impact qui vient s'ajouter sur, disons,
la charge de travail des dirigeants, donc, au niveau de... au niveau de la
gouvernance.
C'est un chantier important, la mise en
oeuvre du tribunal spécialisé, le déploiement des ressources en conséquence, la
mise en oeuvre des pratiques qu'on doit changer, des suivis qu'on doit faire.
Et ce chantier-là, majeur, prioritaire, bien, il s'ajoute à d'autres chantiers
aussi importants, prioritaires. Qu'on pense... Je ne ferai pas toute la
nomenclature, mais qu'on pense à tout ce qui est, bon, le programme de
modernisation de la justice, l'implantation de la gestion électronique de nos
dossiers du début à la fin des procédures, tout ce qui concerne l'adaptabilité
de nos pratiques, de nos façons de faire, par exemple dans le traitement des
dossiers qui comportent soit des victimes ou des accusés autochtones,
l'adaptabilité de la justice en matière de justice alternative.
Alors, tout ça, ce sont des défis bien,
bien stimulants. On n'est plus seulement dans l'opération au DPCP, mais
beaucoup dans le développement organisationnel. Et ça a un impact. Ça a un
impact important au niveau de la charge, de la charge... de la gouvernance.
Nous sommes deux, en fait, une équipe de deux. Il y a moi puis un directeur, un
directeur adjoint...
M. Michel (Patrick) : …ce sont
des défis bien stimulants, on n'est plus seulement dans l'opération DPCP, on
est beaucoup dans le développement organisationnel, et ça a un impact important
au niveau de la charge de la gouvernance. Nous sommes deux, en fait, une équipe
de deux, il y a moi puis un directeur adjoint. Depuis la création du DPCP en
2007, la croissance organisationnelle a été quand même assez importante. Tant
mieux, je m'en réjouis, mais disons que nos effectifs, tant en termes de
procureur que de personnel de soutien, ont plus que doublé avec tout ce que ça
peut impliquer, vous imaginez, au niveau de la gestion des ressources humaines,
des relations de travail, de la gestion budgétaire. Alors, je vais profiter de
l'occasion donc pour le souligner. Mon dernier point, s'il me reste un peu de
temps, M. le Président…
Le Président (M. Benjamin) :
30 secondes.
M. Michel (Patrick) : …votre
regard m'indique le contraire. Au niveau de la formation, je m'attends bien à
avoir des questions. Alors, au niveau de la formation, je vous dirai qu'on a un
programme de formation de base obligatoire en matière de violence conjugale, de
violence sexuelle, qui aborde notamment toute la question des mythes, préjugés,
réalités. Alors, voilà. Mais j'aurai l'occasion, j'imagine, par les réponses
aux questions peut-être d'élaborer là-dessus. Merci, M. le Président.
M. Benjamin : Merci pour votre
exposé. Donc, nous allons tout de suite passer à la partie des échanges.
J'invite le ministre de la Justice à commencer.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Me Michel, Me Bernier, merci d'être présents aujourd'hui pour
représenter le Directeur des poursuites criminelles et pénales. J'ai quelques
questions pour vous. Dans un premier temps, là, dans le cadre du projet de loi,
on vient débuter l'expérience du tribunal spécialisé par le biais de projets
pilotes. Est-ce que le Directeur des poursuites criminelles et pénales est
d'accord avec le fait qu'on débute par le biais de projets pilotes?
• (17 h 50) •
M. Michel (Patrick) : Alors,
oui, M. le Président, si vous me permettez. Merci pour la question, M. le
ministre. Alors, je suis, je vous dirais, plutôt à l'aise avec l'idée qu'on
procède par des projets pilotes. On a un réseau où, vous le savez, on couvre 38
régions, 38 points de service, les réalités sont très différentes d'un point de
service à l'autre. Vous savez, il y a des points de service où on a, dans un
palais de justice, souvent, parfois, qu'une salle à couvrir, évidemment,
d'autres points de service qui a beaucoup plus de salles à couvrir. Alors, les
réalités sont très différentes. L'idée de procéder par projet pilote, bien, ça
nous permettra de voir quelles adaptations devaient être requises dans le temps
pour qu'on s'assure de répondre aux réalités différentes de nos différentes
régions.
C'est aussi représenté, sous forme de
projets pilotes, c'est aussi une occasion pour nous d'évaluer un peu mieux
peut-être l'impact qui va se traduire concrètement sur nos ressources. Encore
là, ça peut varier beaucoup d'une région à l'autre. Si on parle d'une région où
il n'y a qu'un palais de justice, bien, évidemment, il faut considérer que le
temps d'audition qui sera consacré au tribunal spécialisé va venir s'insérer
dans les termes réguliers ou on va ajouter des termes, alors que, dans les
palais de justice, où il y a plus qu'une salle qui roule, en matière de…
M. Michel (Patrick) : ...une
région où il n'y a qu'un palais de justice, bien, évidemment, il faut
considérer que le temps d'audition qui sera consacré au tribunal spécialisé va
venir s'insérer dans les termes réguliers ou on va ajouter des termes, et
dans... alors que dans des palais de justice où il y a plus qu'une salle qui
roule en matière de justice criminelle et pénale, bien, il est possible qu'on
fasse procéder au dossier du tribunal spécialisé en même temps que les autres
dossiers, ce qui peut avoir, pour nous, un impact, bien, que plus de procureurs
doivent couvrir en même temps plusieurs salles. Donc, les réalités sont
tellement différentes d'une région à l'autre, et l'impact, donc, sur nos
ressources peut-être tellement différent que je vois plutôt d'un bon oeil de
procéder par projets pilotes.
M. Jolin-Barrette : O.K. Sur
la question du nom du tribunal spécialisé, on a eu certains commentaires.
Est-ce que le Directeur des poursuites criminelles et pénales a un enjeu avec
l'appellation «tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de
violence conjugale»?
M. Michel (Patrick) : Je n'ai
pas... je ne vois pas d'enjeu, bon, en tout respect peut-être pour les opinions
différentes qui ont pu être exprimées là-dessus. Les juges, la magistrature
jouit d'une très forte... par la jurisprudence, une très forte présomption...
les juges jouissent d'une très forte présomption à l'effet qu'ils sont capables
d'exercer leurs fonctions de façon indépendante, objective, impartiale. Le
critère, c'est celui de la personne raisonnable, raisonnablement instruite, là,
sur les règles de droit qui s'imposent, les exigences qui s'appliquent à la
magistrature, les hauts standards en matière d'impartialité et d'objectivité.
Alors, je ne crois pas que le nom du tribunal pourrait, en soi, influencer le
juge ou donner l'impression que le juge pourrait être influencé défavorablement
à l'égard des accusés ou plus favorablement à l'égard des victimes. C'est mon
humble opinion.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Donc, la cour conserve son indépendance institutionnelle, conserve également...
en fait, les règles ne changent pas relativement à la présomption d'innocence,
le Code criminel continue de s'appliquer, le droit à une défense pleine et
entière. Donc, tout ça, ça ne change pas.
À l'article 3 du projet de loi, là,
on vient indiquer, là, que le gouvernement fixe... bien, «détermine, par
règlement, quels types de poursuites sont entendues par le tribunal spécialisé
en matière de violence sexuelle et de violence conjugale. Ceux-ci peuvent
varier en fonction de toute distinction utile.»
Voyez-vous un enjeu avec l'indépendance,
le fait qu'on vienne dire quels types de poursuites sont entendues au tribunal
spécialisé? Et moi, je vous le dis d'emblée, là, ce que j'envisage de mettre
dans le règlement, c'est le fait que toutes les poursuites en matière de
violence conjugale et de violence sexuelle soient entendues. Pensez-vous que le
fait d'indiquer ça représente un enjeu à l'indépendance judiciaire?
M. Michel (Patrick) :
Écoutez, le sujet ou le terme de l'indépendance judiciaire, c'est un domaine
assez spécialisé, là, du droit constitutionnel. Sans me prononcer formellement
là-dessus...
M. Jolin-Barrette : …un enjeu
à l'indépendance judiciaire?
M. Michel (Patrick) : Écoutez,
le sujet ou le terme de l'indépendance judiciaire, c'est un domaine assez
spécialisé, là, du droit constitutionnel — sans me prononcer
formellement là-dessus — dans la mesure où les juges vers qui les
dossiers… en fait, dans la mesure où on ne détermine pas, on n'assigne pas les
juges, on ne décide pas qui… quel juge devra être assigné à l'audition des
dossiers. On ne détermine pas le contenu du rôle, le nombre de dossiers qui
devraient être inscrits ou pas au rôle. On ne détermine pas, on ne joue pas dans,
je ne sais pas, moi, par exemple, l'ordre dans lequel les dossiers devraient
être entendus. Le seul fait qu'on oriente vers une section de la Cour du
Québec, plutôt qu'une autre, des dossiers, en autant qu'on les oriente devant
des dossiers qui ont la juridiction reconnue, qui ont la compétence pour les
entendre en matière criminelle et pénale.
Vous voyez, je fais un peu le parallèle
lorsqu'on a… dans l'exercice de nos pouvoirs discrétionnaires, on est appelés à
prendre plusieurs décisions, par exemple, de poursuivre par voie sommaire
plutôt que par acte criminel. Et si on poursuit par voie sommaire, ça envoie le
dossier devant la Cour du Québec. Si on poursuit par acte criminel, l'accusé
peut demander d'aller devant la Cour supérieure, il peut demander de réopter.
Il a besoin de notre consentement pour réopter. On peut revenir à la Cour du
Québec ou devant la cour provinciale. Donc, il y a beaucoup, dans la procédure
criminelle, de décisions qui interviennent, qui ne sont pas nécessairement sous
l'emprise, là… en fait, des décisions qui sont prises par les juges
personnellement dans le cadre de la procédure, qui orientent le dossier sans
que ça soit perçu comme une atteinte aux principes de l'indépendance
institutionnelle. Alors, je fais le parallèle, mais sans évidemment me
prononcer. Je ne suis pas un expert de droits constitutionnels.
M. Jolin-Barrette :
Actuellement, là, dans les différents palais de justice, il y a certaines
initiatives. Tu sais, on peut penser à Côté Cour, à Montréal, où c'est des
dossiers de violence conjugale qui sont traités. À Valleyfield, il y a une
journée également qui est dédiée à la violence conjugale où ça se passe dans
une salle de cour.
Comment est-ce que les procureurs, ou
directeurs des poursuites criminelles et pénales, ils sélectionnent, ou ils
choisissent les dossiers, ou ils orientent les dossiers? Comment ça fonctionne
la mécanique, là, quand le procureur, là, reçoit le dossier puis il dit :
Bien, ça, c'est un dossier, supposons, de violence conjugale ou, ça, c'est un
dossier de violence sexuelle. Comment ça se passe? Est-ce qu'ils cotent les
dossiers? Est-ce qu'ils… Comment que ça… Pouvez-vous nous dire comment ça
fonctionne pratico-pratique, là, sur le terrain, dans les salles de cour, dans
les palais, là, quand il y a l'autorisation, là?
M. Michel (Patrick) : O.K.
Bien, en fait, au stade… Vous référez aux cotes ou la catégorisation, là, qu'on
fait des dossiers effectivement…
M. Jolin-Barrette :
…autorisation des dossiers.
M. Michel (Patrick) : Oui.
Effectivement, nos directives prévoient au stade de l'autorisation des
procédures, on a ce qu'on appelle des codes de violence. Ça n'a pas été conçu,
à l'époque… Ça a été conçu, à l'époque, pour nous permettre de suivre un peu…
de tenter d'améliorer nos statistiques…
M. Jolin-Barrette : Il y a
une catégorisation des dossiers?
M. Michel (Patrick) : Oui,
effectivement. Nos directives prévoient… Au stade de l'autorisation des
procédures, on a ce qu'on appelle, là, les codes de violence. Ça n'a pas été
conçu à l'époque… Ça a été conçu à l'époque pour nous permettre de suivre un
peu, de tenter d'améliorer, là, nos statistiques en matière de catégorisaton
des dossiers. Alors, lorsque le procureur, par exemple, autorise une poursuite
de voie de fait ou une poursuite pour méfait, il s'inscrirait dans un contexte
de violence conjugale, de violence sexuelle sur un enfant, de violence sexuelle
sur une personne adulte, il va donner une cote. C'est un A, B, C, c'est des
lettres, en fait. Ce code-là va apparaître sur la dénonciation, et la
dénonciation suit au service de justice pour l'ouverture des dossiers. Alors,
lorsque le dossier arrive ouvert au service de justice, cette
catégorisation-là, elle est connue, elle est connue des services judiciaires.
Je ne pourrais pas vous dire précisément dans les faits versus Côté Cour à
Montréal. Je connais un peu Longueuil, là, où est-ce qu'on a une salle dédiée
où les rôles, en fait, vont être confectionnés à partir, si ma compréhension
est bonne, de cette catégorisation-là que l'on fait au stade, nous, de
l'ouverture de notre dossier.
M. Jolin-Barrette : Ça fait
que c'est comme si vous les classiez déjà en fonction de la nature du dossier?
M. Michel (Patrick) : Du
contexte.
M. Jolin-Barrette : Du
contexte. O.K.
Bon. Sur la question de la
formation — c'était votre troisième point — la question de
la formation, les procureurs, là, exemple, je sais qu'à Montréal vous avez une
équipe dédiée. Là, vous avez dit que la poursuite verticale, autant en violence
qu'en violence sexuelle, vous êtes en train de déployer les derniers chaînons
qui manquaient. Mais là, maintenant, à la grandeur du Québec, il va y avoir les
deux. C'est quoi, les formations que vos… que les procureurs de DPCP suivent
pour les gens qui traitent ce type de dossiers? Si, moi, là, je rentre à la
couronne, j'ai-tu une formation de base? Puis à la suite, si je rentre dans ces
équipes-là ou je fais ces dossiers-là, qu'est-ce qui m'est offert?
• (17 h 50) •
M. Michel (Patrick) : En
fait, nous avons deux types de formation. Il faut savoir, bon, qu'on a au DPCP
depuis 20 ans maintenant… On a fêté le 20e anniversaire de la création de ce
qu'on appelle l'école des poursuivants. Depuis le tout premier programme de
l'école des poursuivants, on a inclus dans le programme de formation de base
obligatoire pour tous les nouveaux procureurs qui arrivent en fonctions au
DPCP, sur deux ans — je dis : C'était sur deux ans, je pourrai y
revenir... Mais, sur deux ans, deux étés, en fait, les procureurs passaient…
les nouveaux procureurs passaient au travers d'un programme de formation de
base qui inclut une formation en matière de violence conjugale et une formation
en matière de violence sexuelle. Nous avons avec, bon, les technologies, la
possibilité qu'on a maintenant d'enregistrer ces formations-là, la possibilité…
bon, nous, un réseau qui nous permet plus facilement d'offrir aux procureurs de
les suivre à distance. Nous allons rapprocher dans le temps…
18 h (version non révisée)
M. Michel (Patrick) : …de
violence sexuelle. Nous avons, avec, bon, les technologies, la possibilité
qu'on a maintenant d'enregistrer ces formations-là, la possibilité, bon… nous,
au réseau, qui nous permet plus facilement d'offrir aux procureurs de les
suivre à distance. Nous allons rapprocher dans le temps, en fait, dans les
premiers mois, dans les premières semaines de l'entrée en fonction du nouveau
procureur, l'obligation de suivre ces formations de base là.
Par ailleurs, pour les procureurs qui
veulent aller plus loin ou qui ont besoin d'aller plus loin en raison de la
nature des dossiers qu'ils traitent, on offre un programme de formations
spécialisées. Il y en a une panoplie, en matière d'infractions d'ordre sexuel,
ça peut être en matière de communication, communication claire, on a même une
formation où on a intégré un volet sur la neurobiologie du trauma.
Alors, ça, de la façon que ça fonctionne,
en fait, qui va s'inscrire ou non à ces formations-là? Disons qu'encore une
fois, la technologie nous a permis, un peu, je dirais, de démocratiser l'accès
à ces formations. Avant, c'était à l'École des poursuivants une fois par année,
l'été. Il y a des salles avec l'espace qui était limité. Maintenant, bien, ces
formations sont enregistrées et elles sont disponibles en ligne. Alors, si un
procureur a besoin de spécialisation en matière d'agression sexuelle,
d'infractions de nature sexuelle, son procureur en chef va lui faire suivre la
formation en question.
M. Jolin-Barrette : O.K. Dans
la correspondance que vous nous avez envoyée, à la page 2, et vous l'avez
abordé tout à l'heure, là, vous dites «Besoins additionnels au sein de la haute
direction du Directeur des poursuites criminelles et pénales.» Donc là, vous…
bien, en fait, qu'est-ce que vous voulez dire par là relativement aux besoins
supplémentaires à la haute direction, concrètement, là?
M. Michel (Patrick) : C'est
que la Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales,
contrairement à d'autres lois, là, je sais que ça varie d'un organisme à
l'autre, mais pour nous, la loi limite le nombre de dirigeants à un directeur
et un directeur adjoint, donc il n'est pas possible d'ajouter des directeurs
adjoints ou directrices adjointes sans une modification législative. Alors,
c'est là que je dis que notre loi, un peu, nous limite dans l'évolution ou la
capacité qu'on a de faire évoluer notre structure de gouvernance en termes de
nombre de dirigeants en fonction des besoins qu'on rencontre, alors ça
nécessiterait un assouplissement à notre loi constitutive.
M. Jolin-Barrette : Puis le
fait d'ajouter… parce que je comprends que vous souhaitez davantage de
directeurs, à quoi seraient destinés ces directeurs-là supplémentaires, si on
assouplissait la loi?
M. Michel (Patrick) : Bon, on
a une… on aurait, en fait, une réflexion à faire au niveau de la répartition,
là, des responsabilités entre ces différents directeurs. La réflexion m'amène à
penser à un modèle où on aurait un directeur adjoint consacré, disons, plus à
tout ce qui touche…
M. Jolin-Barrette : …si
on assouplissait la loi?
M. Michel (Patrick) :
Bon, on a… on aurait, en fait, une réflexion à faire au niveau de la
répartition des responsabilités entre ces différents directeurs. La réflexion
m'amène à penser à un modèle où on aurait un directeur adjoint consacré,
disons, plus à tout ce qui touche l'administration, ressources humaines,
budgétaires, etc. Un directeur adjoint qu'on pourrait consacrer, disons, plus
le volet mission, donc la gestion de nos bureaux opérationnels de première ligne.
Et certainement, pour répondre aux besoins que j'exprimais par rapport à la
charge de travail que nous occasionnent tous les grands chantiers auxquels nous
travaillons, notamment l'implantation des recommandations du rapport et du
tribunal spécialisé, au moins un poste qu'on consacrerait à ce que j'appelle le
développement organisationnel, le développement institutionnel.
M. Jolin-Barrette :
Donc, je comprends que ce que vous souhaitez, c'est d'avoir un poste de
directeur adjoint, notamment, pour des projets comme ça, comme le tribunal
spécialisé, qui va permettre de faire le suivi de ça puis vraiment d'agir sur
les priorités que vous avez ou les besoins que vous avez… qui vont permettre
d'agir concrètement, qui va être dédié, supposons, au tribunal spécialisé ou à
des projets spéciaux comme ça.
M. Michel (Patrick) :
Oui, mais aussi au suivi, parce qu'il y a plein de… bon, on a des postes, et
c'est normal, on a des postes, on nous demande de faire des modifications à nos
pratiques. C'est une chose, là, d'adopter des directives, il faut s'assurer
qu'elles sont mises en oeuvre. On a à développer, au DPCP… on est encore jeunes
en matière de tout ce qui est audits, vérifications. On en fait, évidemment,
c'est de l'administratif, mais par rapport à nos pratiques, et tout ça. Alors,
il y a tout ce secteur-là qui est à développer.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Le Président (M. Benjamin) :
Malheureusement c'est tout le temps qui revenait au ministre.
M. Michel (Patrick) :
Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Nous allons poursuivre avec le député de LaFontaine.
M. Tanguay
: Pour
combien de temps, M. le Président?
Le Président (M. Benjamin) :
Vous avez pour 10 min13 s.
M. Tanguay
:
Parfait. Merci beaucoup. Bien, merci, Me Michel et Me Bernier, d'être
avec nous. Diriez-vous que la grande distinction entre vous, DPCP, et les
juges, c'est que dans votre loi il y a l'article 22. Puis on ne le trouve
pas, le pendant, chez les juges. L'article 22, que vous connaissez mieux
que moi, parce que je sais, Me Michel, vous, vous avez participé entre autres
à la rédaction de l'excellent document, je pense, de juin 2018 sur
l'histoire du DPCP, qui est une... qui est excessivement bien fait.
L'article 22, je vais juste vous lire
le premier alinéa : «Les orientations que le ministre de la Justice
élabore et les mesures qu'il prend concernant la conduite générale des affaires
en matière criminelle et pénale visent notamment à assurer la prise en compte
des intérêts légitimes des victimes d'actes criminels, le respect et la
protection des témoins, la présence et la répartition des procureurs aux
poursuites criminelles et pénales sur l'ensemble des territoires, le traitement
de certaines catégories d'affaires ainsi que le traitement non judiciaire
d'affaires ou le recours à des mesures de rechange à la poursuite.»
Je sais que vous êtes un expert de votre
loi constitutive. Et en vertu de cet article-là, notamment...
M. Tanguay
: ...c'est la
répartition des procureurs aux poursuites criminelles et pénales sur l'ensemble
des territoires, le traitement de certaines catégories d'affaires ainsi que le
traitement non judiciaire d'affaires ou le recours à des mesures de rechange à
la poursuite.
Je sais que vous êtes un expert de votre
loi constitutive et, en vertu de cet article-là, notamment, il y a le règlement,
vous le connaissez bien, là, le règlement : Orientation des mesures... et
mesures du ministre de la Justice en matière d'affaires criminelles.
Diriez-vous que vous, DPCP, il y a cet article 22 là qui permet au
ministre de descendre, je dirais, sur votre terrain, de vous donner des
orientations qui pourraient être même au niveau de la... mais détrompez-moi si
j'ai tort, si j'en mets trop puis si je le vois trop large, là, mais il
pourrait vous dire : Bien, vous allez spécialiser des procureurs, vous allez
octroyez même telle ressource dans tel cas et ainsi de suite, vous avez un lien
direct avec le ministre que les juges n'ont pas? Seriez-vous d'accord avec ça?
M. Michel (Patrick) : Oui,
c'est assez large pour, je pense, qu'on nous impose des formations si besoin il
y avait de nous en imposer. Je ne sais pas si vous l'avez... si M. le député de
LaFontaine l'a dit dans la citation de l'article. Ces orientations-là, on doit
les mettre en oeuvre ensuite dans nos directives, et c'est déjà le cas pour beaucoup.
On a des orientations spécifiques en matière de violence conjugale, violence
sexuelle. On doit les traduire dans le cadre de nos directives concrètement
pour les procureurs. Mais pour répondre à la question du député de LaFontaine,
oui, je crois bien qu'il y aurait là un véhicule pour nous indiquer, en fait,
ou déterminer quel type de formation les procureurs doivent suivre.
M. Tanguay
: Et
diriez-vous que ça, on n'a pas ce pendant-là, de l'article 22, dans la
loi, qui concerne les juges?
M. Michel (Patrick) : Il y a
longtemps que je n'ai pas parcouru la Loi sur les tribunaux judiciaires, mais
je ne pense pas qu'on ait le pendant, là.
M. Tanguay
: O.K. Et
c'est pour ça, parce que, je me disais : Voyons donc, la
recommandation 163 est aussi impérative que la 162. 162 : Offrir aux
juges une formation spécifique, 163 : Offrir aux procureurs une formation
spécifique. Il n'y a rien dans l'article 92 qui vous impose, mais parce
qu'on n'a pas 22 dans 92, on dit au juge : Vous allez marcher comme ça,
comme ça, comme ça. Et là je n'irai pas sur le terrain de la diplomatie
judiciaire.
Me Michel et Me Bernier, plus qu'hier,
moins que demain, la formation, je serais curieux de savoir... Et là j'ai
appris quelque chose aujourd'hui, je ne le savais pas, peut-être que j'aurais
dû le savoir, mais il y a une entité qui s'appelle l'École des poursuivants,
qui est dispensée par, puis détrompez-moi si j'ai tort, par l'École nationale
de police du Québec. Ça, j'ai vu une vieille publication de 2015, corrigez-moi
peut-être, Me Bernier, je vois que vous vouliez parler.
Mme Bernier (Anny) : En fait,
non, on fait des collaborations, mais l'école se tenait avant quand c'était en
présentiel uniquement à l'Institut, effectivement, de police, mais c'est
vraiment des collaborations, mais c'est vraiment des collaborations, là.
L'école est une entité en tant que telle, là.
M. Tanguay
: Donc, ça
existe. L'École des poursuivants, ça existe, ça a pignon sur rue, et...
M. Michel (Patrick) : Bien,
là, ça devient un peu dématérialisé, ça se dématérialise, puis ça n'a plus
vraiment...
M. Tanguay
: Ça va
revenir...
Mme Bernier (Anny) : …se
tenait avant, quand c'était en présentiel uniquement, à l'Institut,
effectivement, de police, mais c'est vraiment des collaborations, là. L'école
est une entité en tant que telle, là.
M. Tanguay
: Donc, ça
existe. L'École des poursuivants, ça existe, ça a pignon sur rue et…
M. Michel (Patrick) : Bien,
là, ça devient un peu dématérialisé, ça se dématérialise, ça n'a plus vraiment…
M. Tanguay
: Ça va
revenir, ça va revenir. L'état d'urgence, un jour, va finir, hein?
M. Michel (Patrick) : Alors,
l'École nationale…
M. Tanguay
:
Faites-vous vacciner. Oui.
• (18 h 10) •
M. Michel (Patrick) : L'École
nationale de police, donc, nous accueille, alors nous accueille, nous accueille
annuellement, nous accueillait annuellement pour… ils nous offrent des
facilités, évidemment, au niveau du logement pour les procureurs mais aussi au
niveau de la possibilité d'enregistrer les formations, ça donne lieu à des
formations qui sont très professionnelles.
M. Tanguay
: Moi… Mais
c'est ça, mais moi, je serais curieux de savoir, quel est le plan de match,
quelle est votre vision, parce que là on parle réellement d'avoir des
formations qui soient réellement 2.0, 3.0, 4.0, tout le monde devra s'ajuster,
développer. On me parlait ce matin de développer des directives au sein… avec
les juges, auprès des juges, vous développez des directives qui… Pouvez-vous nous
dire, là, ça prend des professeurs, ça prend la matière à enseigner, ça prend
aussi une expertise qui va se développer à l'usage. Quel est le plan de match,
justement, pour développer une formation, parce que la formation, si d'aventure
le tribunal était effectif aujourd'hui, dans deux ans, trois ans, cinq ans, 10
ans, je veux dire que là, le cahier de formation, les… augmenteraient, alors
j'espère qu'on a une grosse ambition là-dessus pour les formateurs et pour le
contenu.
M. Michel (Patrick) : Alors,
oui. Alors, merci pour votre question, M. le député de LaFontaine. Donc,
effectivement, en fait, on a la chance d'avoir déjà développé plusieurs de ces
formations, plusieurs de ces formations-là. Le contenu est déjà développé, il
doit évidemment être mis à jour. Nos formateurs sont sélectionnés généralement
parmi les procureurs d'expérience. J'ai fait référence aux communautés de
savoir en matière de violence sexuelle, violence conjugale, beaucoup de nos
formateurs sont issus de ces communautés de savoir là. On peut aussi aller
puiser à l'externe, alors dans certaines formations, je pense particulièrement
en matière de communication, ce qu'on appelle la communication claire, avec
notamment dans le contexte des victimes et ce que vivent les victimes, on peut
compléter notre offre avec des ressources externes, ce que l'on fait. Alors, le
programme, il y a un programme qui est quand même déjà là, déjà bien développé,
qui pourrait toujours encore se bonifier, mais on ne part pas de rien.
M. Tanguay
: Non, non,
c'est ça. Mais encore une fois, ça va se bonifier avec le temps et
l'expérience, puis je voyais d'autres formations, puis vous l'avez mentionné,
là, rencontres avec les victimes, les traumas vécus, alors ça, c'est du vrai,
la vraie vie, là, ça, c'est important. Vous disiez 35 procureurs de plus, qui
s'ajoutent à combien qui étaient déjà là, qui pourraient oeuvrer de façon
spécialisée?
M. Michel (Patrick) : Ce ne
sont pas nécessairement des effectifs qui sont dédiés, mais si on parle de
combien de procureurs de plus dans notre réseau, là on a eu plusieurs apports…
ça dépend, si on se replace au moment de notre dernier rapport annuel, on était
à 700…
M. Michel (Patrick) : Ah, ça,
ce ne sont pas nécessairement des effectifs qui sont dédiés, mais si on parle
de combien de procureurs de plus dans notre réseau. Là, on a eu plusieurs
apports, ça dépend si on se replace au moment de notre dernier rapport annuel,
on était à 750 quelques procureurs. Alors, les 35 premiers postes sur les
45 s'ajoutent à ces effectifs-là, mais on a aussi un apport d'effectifs en
matière de comparution de fin de semaine. On a eu des effectifs en matière
d'exploitation sexuelle. Alors, là, le compte, on arrive maintenant, disons…
M. Tanguay
: Je vois
852.
M. Michel (Patrick) : C'est
ça. Une fois qu'on… et là il faut préciser, c'est… on parle de 852 postes.
Ça inclut autant des postes de procureurs réguliers, disons, permanents que des
postes de procureurs contractuels, mais uniquement les contractuels que nous on
appelle : stratégie ou programme. C'est-à-dire que c'est des… si on parle…
si on pense, par exemple, aux investissements en matière d'exploitation
sexuelle, on va parler de cinq postes sur x nombres d'années. Alors,
ceux-là, on les compte. Mais par contre, les procureurs qui sont en
remplacement de congé de maternité ou de congé de maladie, eux, ne sont pas
comptés, là. Donc, on ne fait pas du… on ne compte pas des postes en double,
là, c'est uniquement les procureurs…
M. Tanguay
: Comment
les procureurs, les femmes et les hommes qui sont procureurs, parce qu'il y a
une charge émotive tangible, comment abordent-ils, de façon générale, cette
pratique spécialisée là? Est-ce que ça peut être du 100 % du temps? Est-ce
que non, parce qu'à un moment donné ça prend… il faut souffler. Est-ce que ça
peut être du trois quarts? Mais à un moment donné, spécialisé, est-ce que
45 % c'est spécialisé? Puis est-ce que 70, ça l'est? Quelle est votre
vision là-dessus?
M. Michel (Patrick) : Bon, actuellement,
en fait, comme je vous disais, les réalités régionales puis les disparités
régionales font en sorte qu'on a des endroits où on a des procureurs qui… où
tous les procureurs font de la violence conjugale, de la violence sexuelle,
alors qu'on a d'autres endroits où on va dédier des procureurs, ce qu'on
appelle, nous, dans notre jargon, là, disons, les équipes spécialisées ou des
équipes de procureurs dédiés. Un aspect de la question de M. le député de
LaFontaine, qui est : Bon, comment les procureurs abordent ça? Je vous
dirais que c'est assez variable. Il y en a qui nous disent : Moi, je ne
veux faire que ça. C'est ce que j'aime faire. Ça sera ma pratique. D'autres qui
peuvent trouver ça plus difficile, puis pour qui une rotation pourrait être
bénéfique. Parce qu'effectivement il faut reconnaître, outre la charge de
travail, là, qui peut être lourde, qui peut être importante en soi, ces
dossiers-là viennent avec une charge émotive très importante, très considérable
et…
M. Michel (Patrick) :
…pourrait être bénéfique. Parce qu'effectivement il faut reconnaître, outre la
charge de travail, là, qui peut être lourde, qui peut être importante en soi,
ces dossiers-là viennent avec une charge émotive très importante, très
considérable, et, bon, évidemment, les procureurs sont très dédiés. Il faut
faire attention, mais ils peuvent avoir cette tendance, peut-être, à ce qu'on
appelle le trauma… à épouser le drame ou la misère que vivent les victimes.
M. Tanguay
: Vous ne
prévoyez pas de pénurie…
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. Malheureusement, c'est tout le temps qu'il vous restait. Merci, M. le
député de LaFontaine. Mme la députée de Sherbrooke.
Mme Labrie : Merci. Je vais
profiter de votre présence ici pour vous poser quelques questions sur le suivi
de certaines recommandations. Puis l'objectif n'est pas de vous piéger, j'ai eu
vent de votre enthousiasme à appliquer les recommandations du rapport, donc je
pose la question vraiment sans jugement sur le délai, mais juste pour savoir où
on en est.
Vous avez dit que plusieurs directives
avaient été modifiées. Est-ce que la recommandation 51 a été appliquée, qui
consiste à ce que le dossier soit analysé par un deuxième procureur quand il
n'y a pas d'accusation dans le cas d'un dossier de crime sexuel?
M. Michel (Patrick) : Non.
Alors, nos directives ne sont toujours pas modifiées dans ce sens-là. Il existe
déjà un processus par lequel une victime ou un enquêteur peut demander ce qu'on
appelle la révision du dossier en cas de refus, mais on n'est pas encore en
mesure d'implanter, en fait. Et je vous dirais même que j'ai eu l'occasion de
le dire, déjà, en tout respect pour les auteurs du rapport et de cette
recommandation, je ne suis pas certain que ce serait la meilleure des choses ou
la meilleure approche à adopter, un processus de révision systématique des
refus. Ce que j'ai plus en tête, parce que si on lit, là, l'objectif
sous-jacent à cette recommandation-là, qui est notamment de s'assurer qu'il y
ait un deuxième regard, un second regard soit posé sur le dossier pour
s'assurer qu'il n'y a pas… même de façon inconsciente, que les mythes, que les
préjugés n'ont pas pu avoir une influence dans l'analyse de la preuve, il y a
peut-être une autre façon de faire que je vois peut-être un peu plus positive
qu'un processus de refus, qui serait d'étudier les dossiers en équipe de
procureurs, que vous confrontez, là, à leurs points de vue. Mais ça, on le fait
déjà dans d'autres secteurs, je vous épargne les détails, mais c'est quelque
chose qu'on utilise déjà dans le domaine des enquêtes indépendantes, pour ne
pas les nommer.
Mme Labrie : Ça fait que c'est
de cette manière-là que vous comptez mettre en oeuvre…
M. Michel (Patrick) : Que
moi, j'envisagerais les choses. Mais, évidemment, là, il y a une analyse
d'impact à faire sur nos ressources, on comprend que si on prend, dans tous nos
dossiers… il n'y en a pas tant que ça, mais, quand même, les dossiers de refus,
il peut y avoir une certaine proportion, s'il faut penser que dans tous les
dossiers… les dossiers seront étudiés à deux procureurs, bien, ça a une
conséquence, un impact important sur nos ressources.
Mme Labrie : O.K. Puis…
Le Président (M. Benjamin) :
Merci… c'est tout le temps qui nous restait, Mme la députée de Sherbrooke. Au
tour de la députée de Joliette…
M. Michel (Patrick) :
...de refus, il peut y avoir une certaine proportion... il faut penser que dans
tous les dossiers, les dossiers seront étudiés à deux procureurs, bien, ça a
une conséquence... un impact important sur nos ressources.
Mme Labrie : O.K. Puis...
Le Président (M. Benjamin) :
...c'est tout le temps qui nous restait, Mme la députée de Sherbrooke. Mme la
députée de Joliette.
Mme
Hivon
:
Oui. Je vais poursuivre sur le même sujet puis, si jamais j'ai du temps, je
vais revenir sur la formation.
L'autorisation de la plainte, alors, vous
n'êtes pas sans savoir à quel point c'est une source, je dirais, à certains
égards, de perte de confiance pour beaucoup de victimes, qui ne comprennent
pas, une fois que la police a retenu leur plainte et qu'elle est transmise au
DPCP, qu'il y ait autant de plaintes — d'ailleurs, Juripop nous en
parlait il y a deux heures — autant de plaintes qui ne sont pas
retenues.
Et donc, je veux comprendre qu'est-ce que
vous allez faire, si ce n'est pas ça que vous retenez... Comment vous êtes en
train de rebâtir la confiance par rapport à cet aspect-là, où vous êtes vraiment
au front? Certains disent que, dans vos directives, je veux dire, il y a un
certain — je reprends ce que des victimes nous
rapportent — un certain paternalisme, de dire : Elle va
s'effondrer, elle ne sera pas capable, donc nous, on la protège, dans le fond,
contre elle-même parce qu'on n'a pas assez de chances d'obtenir ça. Est-ce que
vous êtes en train de réviser tout ça? Parce que je pense que c'est vraiment un
élément central. Je sais que c'est une grande question pour deux minutes, là.
M. Michel (Patrick) :
Oui. Je ne sais pas j'ai combien de temps pour y répondre, M. le Président.
Mme
Hivon
:
Vous avez deux minutes, je pense.
• (18 h 20) •
M. Michel (Patrick) :
Mais je ne veux pas prendre tout votre temps. Mais l'étape, en fait, de
l'autorisation de la plainte, d'abord, il y a... c'est sûr qu'il y a une
perception... puis je ne dis pas... quand j'utilise le mot «perception», je ne
veux pas sous-entendre qu'elle ne serait pas fondée, là, ou pas justifiée, je
ne veux pas dire non plus qu'elle l'est, mais, par rapport au taux de refus ou
à l'importance du volume de refus par rapport au volume de dossiers, vous le
savez, Mme la députée de Joliette, que notre système de mission n'a pas été
conçu au départ comme un système pour gérer des statistiques ou nous permettre
de produire des statistiques. Donc, ce qu'on... On a fait beaucoup d'ajustements
là-dessus pour être en mesure de le faire à partir de la prochaine année. On ne
documentait pas nos dossiers de refus à notre système informatisé des
poursuites publiques, donc on n'était pas capables de tirer des statistiques,
là, pour confirmer ou infirmer cette prémisse-là ou cette perception-là puis
aussi pour voir s'il n'y a pas des régionalismes ou s'il n'y a pas
régionalement des pratiques qui pourraient peut-être causer... pas causer, mais
donner le sentiment qu'on n'est pas toujours cohérents, là, à tort ou à raison.
Mme
Hivon
:
Mais est-ce que vous êtes en... Je comprends que c'est un élément central, mais
est-ce que vous êtes en réflexion sur cet élément-là pour envoyer un signal
fort? Parce qu'une victime qui se fait refuser une autorisation de plainte,
vous dites qu'il y a un mécanisme d'appel, mais c'est le procureur-chef, je
pense, donc c'est quand même limité comme indépendance dans tout ça, là.
M. Michel (Patrick) :
Oui. La réflexion, je vous dirais, si on pouvait, je pense qu'on pourrait
cibler parmi l'ensemble des dossiers... on parle en matière de violence
sexuelle...
Une voix
: ...vous dites
qu'il y a un mécanisme d'appel, mais c'est le procureur-chef, je pense. Donc,
c'est quand même limité comme indépendance dans tout ça, là.
M. Michel (Patrick) :
Oui. La réflexion, je vous dirais, si on pouvait, je pense qu'on pourrait
cibler parmi l'ensemble des dossiers en matière... Si on parle en matière de
violence sexuelle, là, parmi l'ensemble des dossiers en matière de violence
sexuelle, peut-être catégoriser certains dossiers, ceux où la décision repose
évidemment sur l'appréciation du consentement ou la croyance raisonnable, là,
quant au consentement. Oui.
Le Président (M. Benjamin) :
Malheureusement. Malheureusement, c'est tout le temps dont nous disposons. Il
faut donc... Je dois, ici, avant de terminer, je dois déposer les mémoires des
personnes et organismes qui n'ont pas été entendus. Donc, dépôt est fait.
Me Michel, Me Bernier, je crois...
Une voix
: Oui.
Le Président (M. Benjamin) :
...Me Bernier, merci pour votre contribution à nos travaux. Je vous
remercie.
La commission ayant accompli son mandat,
nous ajournons nos travaux sine die. Merci
(Fin de la séance à 18 h 22)