(Neuf
heures cinquante-deux minutes)
Le Président
(M. Benjamin) : Votre attention! Ayant constaté le quorum, je
déclare ouverte la séance de la Commission des institutions. Bonjour à toutes, bonjour
à tous.
La commission est
réunie afin de procéder à des auditions publiques dans le cadre des consultations
particulières sur le projet de loi n° 92, Loi visant la création d'un
tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale et
portant sur la formation des juges en ces matières.
Mme la secrétaire, y
a-t-il des remplacements?
La
Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme D'Amours (Mirabel) est remplacée par M. Lefebvre (Arthabaska); M. Lamothe
(Ungava) est remplacé par Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac); M. Rousselle
(Vimont) est remplacé par Mme Melançon (Verdun) et madame... et M. Zanetti, pardon, (Jean-Lesage) est remplacé par Mme Labrie
(Sherbrooke).
Le Président
(M. Benjamin) : Merci. Ce matin, nous allons débuter par les
remarques préliminaires puis nous entendrons les groupes suivants :
Mme Louise Riendeau, du Regroupement des maisons pour femmes victimes
de violence conjugale, Mme Manon Monastesse, de la Fédération des
maisons d'hébergement pour femmes ainsi que madame...
Me Elizabeth Corte, conjointement avec
Mme Julie Desrosiers.
Remarques préliminaires
Maintenant, nous en
sommes aux remarques préliminaires. Peut-être simplement, à titre de rappel,
vous souligner que le gouvernement... Il y a... C'est pour une durée totale de
12 minutes. Le gouvernement disposera de 5 min 34 s,
l'opposition officielle, de 3 min 43 s, deuxième groupe
d'opposition, de 56 secondes, troisième groupe d'opposition, de
56 secondes, et le député indépendant, de 51 secondes. Nous en sommes
maintenant aux remarques préliminaires. Je cède maintenant la parole au ministre
de la Justice.
M. Simon Jolin-Barrette
M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Salutations également aux
collègues députés ainsi qu'aux membres de nos
équipes respectives.
Aujourd'hui marque le
début des consultations particulières du projet de loi n° 92, visant la
création d'un tribunal spécialisé en matière
de violence sexuelle et de violence conjugale et portant sur la formation des
juges en ces matières. Au cours des derniers mois, des dernières années,
nous avons entendu de nombreux témoignages. Plusieurs personnes victimes nous
disent hésiter à dénoncer, hésiter à porter plainte, de se retrouver seules à
travers le système de justice carrément par manque de confiance envers le
système. Comme ministre de la Justice, je ne peux pas accepter cela. Un
changement de culture s'impose et il faut tout mettre en oeuvre pour que les
personnes victimes se sentent accompagnées convenablement, soutenues, et
surtout en sécurité tout au long de leur parcours.
Nous avons ainsi
déposé à l'Assemblée nationale le projet de loi n° 92, Loi visant la
création d'un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de
violence conjugale et portant sur la formation des juges en ces matières.
Le tribunal spécialisé vise à redonner confiance envers le système
de justice aux personnes victimes, à réduire les délais et à mieux
répondre aux besoins des personnes victimes avec des services adaptés et
coordonnés.
Comme recommandé par
le groupe de travail sur la mise en place du tribunal spécialisé, nous
procéderons d'abord par projets pilotes. Ces projets pilotes permettront d'élaborer les meilleures pratiques
sur le terrain et de faciliter la transition vers un tribunal permanent
à la grandeur du Québec. Cette phase d'essai est nécessaire pour tester et ajuster l'ensemble des mesures spécifiques qui
seront mises en place pour les personnes victimes de violence sexuelle ou de violence
conjugale. La mise en oeuvre de ces projets pilotes sera l'occasion de revoir chacune des étapes du parcours
judiciaire des personnes victimes de ces types de violences.
Cela
dit, nous le réitérons fermement, notre volonté, notre objectif
est d'étendre, dans les plus brefs délais, le tribunal spécialisé à la grandeur du Québec. Ce projet de loi donne également un mandat au Conseil de la magistrature,
qui devra mettre en place une formation en matière de violence sexuelle et de violence conjugale destinée aux juges. L'ensemble des candidats
à la fonction de juge et des juges retraités désirant exercer de nouveau des
fonctions judiciaires devront s'engager à suivre cette formation pour pouvoir
siéger.
Les crimes en matière
de violence sexuelle et de violence conjugale sont généralement commis dans un contexte d'intimité, et les personnes victimes
peuvent se retrouver dans une position de très grande vulnérabilité au moment de dénoncer, de porter plainte ou
de témoigner. Ce sont des éléments qui doivent être pris en considération par
tous les acteurs du système de justice.
Au
cours des derniers mois, nous avons déjà posé des gestes importants, des gestes
concrets, pour mieux accompagner les personnes victimes. Pensons notamment à la
réforme de l'IVAC, qui est maintenant en vigueur et qui abolit le délai maximal
pour faire une demande en cas de violence sexuelle, de violence conjugale ou de
violence subie pendant l'enfance, l'application du principe de poursuite
verticale pour les dossiers de violence conjugale et de violence sexuelle au Directeur
des poursuites criminelles et pénales pour s'assurer que ce soit le même
procureur qui suive une personne victime du
début jusqu'à la fin des procédures, le déploiement du programme d'aide au
témoignage Enfant témoin à travers le Québec en collaboration avec le Réseau
des CAVAC et également le développement de cet outil pour l'ensemble des
témoins qui en auraient de besoin, et, plus récemment, l'accès à
quatre heures de consultation juridique gratuite auprès d'un avocat de
l'aide juridique pour toutes les personnes victimes de violence sexuelle et de violence
conjugale, peu importe le revenu et la situation.
Lorsqu'il est question
de rétablir la confiance dans le système de justice et de mieux répondre aux
besoins des personnes victimes, l'ensemble des acteurs du système de justice a
un rôle à jouer. Dans les dernières semaines, certains se sont opposés à la
création d'un tribunal spécialisé en violence sexuelle et en violence conjugale
ainsi qu'à la formation des juges en ces matières. La possibilité d'une
contestation judiciaire du projet de loi n° 92 devant les tribunaux a même
été évoquée. Les personnes victimes méritent mieux.
Comme cela a été
souligné dans une motion unanime, il existe un consensus à l'Assemblée
nationale du Québec sur la nécessité d'un
tel projet de loi. L'adoption du projet de loi n° 92, encore une fois, à
l'unanimité le démontre. Je veux être très clair. Les élus de la nation
québécoise ont non seulement la légitimité pour débattre et pour légiférer sur
le tribunal spécialisé et la formation des juges, mais ils ont même le devoir
de le faire. Nous avons la ferme intention de mener à terme cette réforme.
Un
appel au ralliement a été également lancé le 9 octobre dernier, réitérant
l'importance d'un tribunal spécialisé pour les personnes victimes et
soulignant le courage de tous ceux et celles qui ont pris la parole ces
dernières années pour raconter leur histoire et éveiller leur conscience à leur
réalité. 150 personnes y ont apposé leur signature initialement. Aujourd'hui, deux semaines plus tard, l'appel au
ralliement continue de résonner et le nombre de signataires a plus que
quadruplé. La pétition de plus de 10 000 noms qui sera déposée par ma
collègue la députée de Joliette en est une autre démonstration. Ces cris du
coeur ne doivent plus être ignorés.
Le projet de loi
n° 92, nous en sommes convaincus, permettra de faire une réelle différence
dans l'expérience judiciaire des personnes victimes de violence sexuelle et de
violence conjugale qui désirent porter plainte contre leur agresseur. Il n'y a pas de temps à perdre. Les
personnes victimes doivent pouvoir avoir confiance envers le système de justice. Elles doivent pouvoir se sentir
soutenues. Elles doivent pouvoir s'y sentir en sécurité tout au long de leur
parcours, et cela passe par l'instauration
d'un tribunal spécialisé. Pensons aujourd'hui à tous les plaignants et toutes
les plaignantes, à toutes les personnes victimes qui ont demandé
l'instauration d'un tribunal spécialisé. Merci, M. le Président.
• (10 heures) •
Le Président (M. Benjamin) : Merci,
M. le ministre. J'invite maintenant
la porte-parole du deuxième groupe... pardon, plutôt, de l'opposition
officielle et députée de Verdun à faire ses remarques préliminaires.
Mme Isabelle Melançon
Mme Melançon :
Merci, M. le Président. Salutations au ministre, aux collègues députés qui sont
parmi nous aujourd'hui.
Bien,
on est ici aujourd'hui pour mettre en oeuvre des recommandations de Rebâtir la confiance, un document sur lequel j'ai eu
le bonheur de travailler avec la collègue, bien sûr, de Sherbrooke, la collègue
de Joliette et aussi la ministre de la Condition féminine.
Le gouvernement doit,
bien sûr, aujourd'hui, parler de ce tribunal spécialisé, puisque c'est le but
du projet de loi n° 92. Cependant, cependant, on doit aussi mettre en
oeuvre le plus rapidement possible les 190 recommandations de ce même
rapport, parce que ça devient un tout. Et c'est là-dessus que les victimes,
aussi, s'attendent à ce que nous puissions bouger rapidement.
M. le Président, vous
savez, le projet de loi n° 92, on va entendre des groupes, aujourd'hui et
demain, mais, quand même, l'éléphant dans la pièce, c'est l'absence de la juge
en chef, qui a aussi demandé à être entendue. Et, entendez-moi bien, je suis
d'accord avec le tribunal spécialisé, je l'ai dit, j'ai, d'ailleurs, signé une
lettre ouverte avec le ministre à cet effet. Cependant, comme législatrice,
j'aurais aimé pouvoir entendre la juge en chef, qui nous a envoyé aussi un
mémoire. Et il aurait été, je crois... parce que la juge en chef, elle-même,
souhaitait être entendue, elle faisait partie, d'ailleurs, de la liste que nous
avions soumise au gouvernement.
Cela étant dit, ce
que je veux éviter, ici aujourd'hui, c'est que les victimes soient au coeur d'une
certaine bataille entre le ministre de la Justice et la juge en chef. Il faut
éviter ça à tout prix, et je crois que là-dessus nous nous entendons très bien.
Il faut que nous puissions démontrer une ouverture. Parce que, si la juge en
chef n'est pas d'accord, je ne voudrais pas qu'il y ait échec du tribunal
spécialisé. Et nous sommes là, aujourd'hui, pour travailler en ce sens, parce que, d'abord et avant tout,
c'est les victimes qui doivent être au coeur de nos discussions
aujourd'hui.
Il
faut assurer l'accompagnement, bien sûr, des victimes. Il faut un meilleur
accompagnement, que ce soit, bien sûr, avec
le tribunal spécialisé, mais je pense aussi aux policiers. Je pense aussi au
soutien des victimes lorsqu'elles veulent, bien sûr, déposer... porter
plainte. Parce qu'actuellement on voit le taux très, très bas de plaintes qui
sont déposées, parce que les victimes ont peur. Il faut rebâtir la confiance,
tout est une question de confiance lorsqu'on parle des violences sexuelles et
de la violence conjugale.
On est ici
aujourd'hui, justement, pour entendre les groupes mais aussi pour bonifier. Et
je veux que le ministre m'entende très
clairement, je suis là aujourd'hui pour travailler, pour améliorer le projet de
loi. Je suis persuadée qu'ensemble, comme législateurs... Et c'est une volonté, je crois, qu'on
partage de ce côté-ci puis, j'en suis persuadée aussi, du côté du
ministre, on veut pouvoir penser aux victimes, on veut le meilleur pour les
victimes. Et l'Assemblée nationale, je
crois, tout le monde, veut mettre l'épaule à la roue en ce sens. Et c'est
pourquoi on sera là, M. le Président, pour travailler, aujourd'hui, à
écouter, bien sûr, et à améliorer le projet de loi qui est devant nous.
Le Président
(M. Benjamin) : Merci, Mme la députée. Au tour maintenant de la porte-parole
du deuxième groupe d'opposition et députée de Sherbrooke à faire ses remarques
préliminaires.
Mme Christine Labrie
Mme Labrie :
Merci, M. le Président. Il y a un an, très exactement, on était en train de
finaliser le contenu du rapport Rebâtir la confiance avec plusieurs de
mes collègues, dont plusieurs sont autour de la table aujourd'hui et plusieurs
autres vont être entendus en audition dans les prochains jours.
Et puis, à l'époque,
on savait déjà qu'il y aurait plusieurs écueils, on savait que ce serait
difficile, que plusieurs recommandations qui étaient présentes dans le rapport
n'allaient pas être reçues de manière unanime dans la société. On anticipait
notamment des difficultés pour la mise en place des tribunaux spécialisés. Mais
on a décidé quand même que ça ferait partie du rapport parce que, de toute
évidence, au terme de toute la démarche qui avait mené à la rédaction du
rapport, les consultations qui avaient eu lieu, les témoignages des victimes
qui avaient été reçus, de toute évidence, c'était nécessaire d'implanter des
tribunaux spécialisés.
Et donc, un an plus
tard, on se retrouve avec ce projet de loi, et, moi, tout ce que je peux
souhaiter, dans les dernières secondes qu'il me reste, c'est que tout le monde
va se rallier autour de ce projet-là et qu'on va être capable de travailler
ensemble pour y arriver.
Le Président
(M. Benjamin) : Merci, Mme la députée. J'invite maintenant la
porte-parole du troisième groupe d'opposition et députée de Joliette à faire
ses remarques préliminaires.
Mme Véronique Hivon
Mme Hivon :
Merci, M. le Président. Salutations à tous. Alors, je me réjouis qu'aujourd'hui
on franchisse une étape de plus vers l'instauration d'une réforme extrêmement
importante pour les victimes de violences sexuelles et conjugales, soit
l'instauration d'un tribunal spécialisé, une idée que je porte depuis plus de
trois ans et demi avec beaucoup de conviction, que mes collègues portent aussi,
que nous avons travaillée au sein du groupe d'experts et dans le rapport Rebâtir
la confiance,dont mes collègues ont parlé, qui est une pierre
centrale, une pierre d'assise de cette réforme-là, de cette mini révolution
pour que les victimes soient au centre du processus judiciaire.
Bien sûr, il va
falloir apporter des bonifications, et j'espère qu'on va pouvoir vraiment bien
collaborer autour de l'élaboration du projet de loi et collaborer aussi avec
les acteurs externes pour que ce projet de loi là donne toutes les visées qu'on
s'est données avec l'instauration d'un tribunal spécialisé, et que ce
tribunal-là voie le jour et qu'il donne tous les résultats auxquels on
s'attend. Merci, M. le Président.
Le Président
(M. Benjamin) : Merci, Mme la députée. Et j'invite maintenant le
député de Chomedey à faire ses remarques préliminaires.
M. Guy Ouellette
M. Ouellette :
Merci, M. le Président. Salutations à tous. Après avoir entendu les remarques
de mes collègues, la dernière chose qu'on souhaite, c'est que ce soit un projet
de loi politique. Il faut que ça soit un projet de loi pour les victimes. Et
gardons tous en tête que, pour qu'on ait du succès, ça va prendre la cohésion
de tous les intervenants dans le système. On aura beau avoir le plus beau des
tribunaux, on aura beau avoir des juges formés, on aura beau avoir tout ça, s'il y a un maillon, dans le système, qui ne
fonctionne pas, c'est encore les victimes qui vont être les premières à en souffrir. Ça fait que j'ai
l'ouverture, d'ailleurs, c'est le pourquoi de ma présence en cette
commission, j'ai un petit peu d'expérience
là-dedans et je fais miennes les remarques de mes collègues sur l'absence de la
juge en chef.
Auditions
Le Président (M. Benjamin) : Merci,
M. le député. Maintenant,
nous allons débuter nos auditions. Peut-être,
avant même de commencer, rappeler le temps de parole réparti à chacun des
groupes. Donc, une dizaine de minutes pour
l'exposé de l'organisme; ensuite suivra une période d'échange, période d'échange répartie comme suit : une quinzaine de minutes pour le gouvernement,
une dizaine de minutes pour l'opposition officielle, 2 min 33 s
pour le deuxième groupe d'opposition, 2 min 33 s pour le troisième
groupe d'opposition et 2 min 21 s pour le député indépendant.
Je souhaite
maintenant la bienvenue aux représentants du Regroupement des maisons pour
femmes victimes de violence conjugale. Je
vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé, après
quoi nous procédons à la période d'échange avec les membres de la
commission. Je vous invite, donc, à vous présenter et à procéder à votre
exposé. La parole est à vous.
Regroupement des maisons pour
femmes
victimes de violence conjugale
Mme Riendeau (Louise) :
Bonjour, M. le Président, M. le ministre, membres de la commission. Je suis
Louise Riendeau, je suis coresponsable des dossiers politiques au
regroupement et je suis accompagnée aujourd'hui par Cathy Allen, qui est membre
de notre conseil d'administration et qui est coordonnatrice de la maison
Alternative pour elles à Rouyn-Noranda.
Notre association regroupe 43 maisons
d'aide et d'hébergement pour femmes victimes de violence conjugale. Pour près de 25 % des femmes que
nos membres soutiennent, une plainte est déposée avant ou pendant qu'elles
reçoivent des services. Pour le regroupement, et ce, depuis ses tout débuts,
l'intervention de la justice fait partie de la solution à la violence conjugale, non seulement individuellement pour chaque femme
qui est victime, mais collectivement pour dénoncer cette violence et aussi pour éviter que les auteurs de cette
violence puissent continuer à l'exercer en toute impunité.
Le regroupement salue aujourd'hui la volonté du gouvernement
de mettre en oeuvre les recommandations du rapport Rebâtir la confiance
et de donner ainsi un meilleur accès à la justice pour les victimes de violence
conjugale et d'agression sexuelle.
Donc, le regroupement appuie la création d'une
nouvelle division de la Cour du Québec, à la fois par le projet de loi mais aussi au niveau de celle qui
est créée par la cour elle-même. Toutefois, la dernière chose qu'on
voudrait, c'est semer la confusion chez les victimes qui se disent :
Qu'est-ce qu'il arrive? Est-ce qu'il y a deux divisions, etc.? Donc, on
pense qu'il faut profiter à la fois de l'adoption du projet de loi et de tout
le débat qui l'entoure pour clarifier avec les victimes ce à quoi elles peuvent
s'attendre au niveau de la cour mais au niveau des autres services dont elles
ont besoin et qui sont prévus dans les différents rapports.
Le regroupement invite, donc, le ministre de la
Justice, la Cour du Québec et les autres acteurs à collaborer ensemble pour
trouver une appellation qui puisse à la fois couvrir tout ce dont on parle,
tout ce qu'on veut faire comme nouveau modèle
québécois de traitement judiciaire des infractions commises en contexte
conjugal et en contexte sexuel, mais qui fasse aussi une image bien,
bien claire pour les victimes en ce sens-là.
• (10 h 10) •
Donc, si on va un peu plus loin, pour nous, il
serait fort utile de bonifier, de clarifier les interventions du gouvernement, et ce, dans le projet de loi. Donc,
pour être clair, pour les victimes, pour les auteurs de violence et pour
le public, ce sur quoi ils sont en droit de s'attendre avec ce qu'on est en
train de créer, le regroupement recommande d'inclure
dans le projet de loi, d'une part, les principes directeurs qui guident ce
qu'on est en train de faire maintenant au Québec, les objectifs qui sont
poursuivis, les actions qui sont nécessaires pour mieux soutenir et accompagner
les victimes, la création d'équipes spécifiques, la création d'un poste de
coordonnateur judiciaire, les infractions visées, la tenue des projets pilotes,
leur encadrement et leur évaluation. On pense qu'il faut déjà marquer le ton et
indiquer tout ça. Ça sera beaucoup plus clair que des arrêtés ministériels ou
des règlements dont le commun des mortels est souvent peu au courant.
On parlait des principes directeurs et des
objectifs. Le regroupement recommande, au fond, que le projet de loi indique
que le changement qui est proposé repose sur les principes directeurs qui
auront été énoncés par le groupe de travail sur la mise en place d'un tribunal
spécialisé, dont le rapport a été rendu public au mois d'août.
Au plan des objectifs, même chose, le groupe de
travail, je pense, a fait un bon travail et énonce les objectifs qu'on devrait poursuivre. Toutefois, au niveau du
regroupement, nous en ajouterions deux : on pense qu'un des
objectifs, et le ministre en a parlé d'entrée de jeu, est d'augmenter le taux
de dénonciation et de condamnation des infractions commises en contexte
conjugal et sexuel; et, d'autre part, si on pense particulièrement à la
violence conjugale, de favoriser l'arrêt d'agir et de prévenir la récidive,
mais ça peut aussi, évidemment, s'appliquer en matière sexuelle.
Le regroupement recommande aussi que le projet
de loi indique que le gouvernement compte mettre en place, allouer les ressources nécessaires et coordonner les actions nécessaires dans la perspective des
recommandations de Rebâtir la confiance.
Dans notre mémoire, nous avons tenté
d'identifier toutes les recommandations de Rebâtir la confiance qui nous semblent essentielles pour... en amont et en
aval de ce tribunal spécialisé là. Pensons aux victimes qui ne dénoncent
pas; il faut déjà agir auprès d'elles. Et, à l'autre bout du spectre, il faut
leur assurer qu'on va assurer une surveillance adéquate des conditions de
remise en liberté, des sentences, etc. C'est tout ça qui fera qu'on rebâtira
leur confiance.
J'ai aussi indiqué tantôt que nous sommes en
faveur de la création d'équipes spécifiques. Les enjeux pour les victimes de violence conjugale ne sont pas les
mêmes que ceux que vivent les victimes d'agression sexuelle. Les
victimes des Premières Nations ont aussi leurs propres réalités. Donc, le
regroupement recommande qu'on ait, au sein de ce qu'on va créer, des équipes
spécifiques en violence conjugale, en violence sexuelle et aussi des services
holistiques pour les Premières Nations.
Au plan des infractions, on pense qu'il faut
aussi être clair là-dessus et indiquer qu'au fond toutes les infractions, en
contexte sexuel ou en contexte conjugal, qui relèvent de la Cour du Québec
devraient être visées par la division qui va
être dédiée à cela. Ce n'est pas tant les chefs d'accusation qui sont
importants, mais c'est le contexte. Donc, on pourrait parler, par
exemple, de méfaits, en contexte conjugal, qui peuvent créer autant de dégâts
que des crimes contre la personne, et s'assurer que, pour toutes ces
infractions-là, les victimes auront le soutien nécessaire.
En ce qui concerne les districts judiciaires,
évidemment, nous pensons que toutes les victimes du Québec doivent avoir accès
à la même justice et nous pensons qu'au terme des projets pilotes tous les
districts devraient être visés par la nouvelle... le nouveau fonctionnement
qu'on va créer.
Je vais laisser la parole à ma collègue.
Mme Allen
(Cathy) : Oui. Parfait. Donc, je poursuis en ce qui concerne, là, la
formation des juges et la formation, là, de tous les intervenants. En fait, le
regroupement recommande de modifier le projet de loi n° 92 afin de prévoir que tous les professionnels qui
interviendront auprès des victimes d'infractions commises en contexte
conjugal ou sexuel, dans le cadre du processus judiciaire, soient formés sur
les réalités relatives à ces deux problématiques distinctes. Donc, on doit étendre la formation aux policiers, aux
procureurs puis aux autres professionnels, là, qui auront à intervenir
auprès des victimes. Être mieux formé n'équivaut pas à être moins objectif. Et,
bien évidemment, cette obligation, là, doit également s'appliquer aux juges.
Concernant les projets pilotes, afin de
s'assurer que le modèle développé pourrait ensuite s'adapter partout au Québec, afin d'expérimenter les nouvelles façons de faire et rectifier plus
facilement le tir, là, en cas de difficulté ou d'effets pervers non
prévus à la suite des nouvelles pratiques mises en place, aussi afin d'estimer
les ressources nécessaires pour un fonctionnement optimal, le regroupement
recommande au ministre de tenir des projets pilotes d'une durée de 24 mois
à partir de leur mise en oeuvre pour avoir suffisamment de temps, là, pour
évaluer leur succès ou pour identifier les correctifs nécessaires à apporter.
Afin de procéder aussi à la mise en oeuvre des
projets pilotes et à leur évaluation, à l'image du comité d'experts, le
regroupement recommande que le ministre de la Justice mette sur pied un comité
multidisciplinaire pour s'assurer qu'il atteint les objectifs fixés et qu'il
adopte les changements jugés nécessaires à sa réussite.
Le regroupement recommande également d'inclure
dans le projet de loi que, dans les six mois suivants la fin des projets
pilotes, le comité d'encadrement fasse rapport au ministre de la Justice et que
celui-ci dépose ce rapport à l'Assemblée nationale dans les trois mois de
sa réception.
Pour conclure, bien, bien que le regroupement
salue la volonté du gouvernement d'agir rapidement, il croit que le projet de
loi n° 92 doit être bonifié pour envoyer un message clair aux victimes et
à la population sur la création d'un processus dont tous les aspects et toutes
les actions participeront à améliorer l'expérience des personnes victimes de violence
conjugale et d'agression sexuelle dans le système de justice criminelle. Merci.
Le
Président (M. Benjamin) :
Merci. Merci pour votre exposé. Nous allons maintenant commencer la
période d'échange. M. le ministre, la parole est à vous.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Mme Riendeau, Mme Allen, merci beaucoup de participer
aux travaux de la commission parlementaire. Puis j'accueille votre mémoire avec
une grande ouverture, je trouve que c'est des propositions qui sont intéressantes.
Puis, quand je l'ai lu, ça nous amène à réflexion également sur les façons de
pouvoir bonifier le projet de loi. Puis moi, je le dis à mes collègues, je vais
être très ouvert également, parce que c'est fondamental, pour le gouvernement
et pour moi, que ça se fasse et que ça fonctionne.
Et là je veux vous poser la question, vous avez
abordé, d'entrée de jeu, la question des projets pilotes, vous dites : Vous devriez établir les projets pilotes pendant 24 mois. Pourquoi est-ce
que vous nous recommandez d'y
aller tout d'abord par des projets pilotes?
Mme Riendeau (Louise) : Bien,
je peux y aller, puis Cathy pourra continuer. Écoutez, nous, on veut... Ça fait
longtemps que les victimes attendent ça, et on comprend l'envie d'aller de
l'avant rapidement, mais on veut être certaines que ce qui va être fait va
atteindre les objectifs, qu'on va pouvoir le mesurer. Et il nous semble que
c'est plus simple d'apporter des correctifs à l'issue d'un projet pilote que
quand on a déployé un modèle pour l'ensemble du Québec. Donc, nous, on pense
que ça, c'est un élément important et que...
Je vous donne un exemple. Si on se rendait
compte, par exemple, à l'issue des projets pilotes, qu'une grande partie des
dénonciations sont abandonnées au profit de l'utilisation de
l'article 810, pour nous, ça ne serait pas un succès. Mais tout le monde
n'a pas la même vision là-dessus. Donc, je pense qu'un projet pilote ça donne
l'occasion aussi de voir qu'est-ce que ça
donne, est-ce qu'on semble avoir rebâti la confiance, quelle est l'issue de ce
processus-là. Donc, c'est pour ça
aussi que nous, on demande, à l'instar du comité d'experts, qu'il y ait une
équipe scientifique ou, en tout cas,
qu'on appuie le comité d'encadrement pour qu'on puisse se rendre compte des
effets de ce nouveau fonctionnement là et qu'au besoin on puisse le
changer.
C'est aussi une façon... Le groupe de travail
l'a redit, il faut s'assurer qu'on aura les ressources suffisantes pour le faire. Bien, c'est une façon d'estimer
quelles sont les ressources, avec les projets pilotes. Nous, on ne
voudrait pas que des districts judiciaires mieux nantis aient plus de services,
alors que des femmes dans d'autres régions en aient moins. Donc, un projet
pilote, ça nous permet d'estimer les ressources nécessaires, ça nous permet,
comme je l'ai dit, s'il y a des effets pervers non prévus qu'on constate, de
voir comment on peut rectifier le tir.
M. Jolin-Barrette : O.K. Bien,
en fait, là-dessus, je vous suis complètement, et c'est l'objectif également
d'y aller par projets pilotes dans un premier temps. Mais je veux juste dire
clairement que, dans le projet de loi, également, il y a les outils législatifs
pour le permanentiser également. Donc, à partir du moment où, les projets pilotes, on va s'être ajustés, on va avoir vu ce
qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, notre objectif, au
gouvernement, c'est de le rendre permanent à la grandeur du territoire
québécois, dans tous les districts. Et vous avez raison de dire... Moi, mon
objectif, c'est que, peu importe où vous déposez votre plainte au Québec, vous
ayez accès aux mêmes services durant tout le processus judiciaire. Alors, ça,
je veux être très clair là-dessus.
Peut-être une question sur la formation des
juges. Dans le projet de loi, on vient indiquer, bon, que les candidats à la magistrature devront suivre...
s'engager à suivre une formation sur les violences sexuelles, les
violences conjugales, notamment, que les
juges en exercice, bien, c'est le Conseil de la magistrature qui développe la
formation, puis ça
leur appartient de la suivre, et pour les juges à la retraite, s'ils souhaitent
être désignés comme juges suppléants... devront l'avoir suivie. Pourquoi
c'est important que tous les acteurs du système de justice soient formés?
• (10 h 20) •
Mme Riendeau (Louise) : Veux-tu
y aller, Cathy?
Mme Allen (Cathy) : Bien, en
fait, c'est important effectivement que tous les acteurs soient formés, qu'on
comprenne mieux la réalité des victimes de violence conjugale, d'agression
sexuelle, qu'on ait des formations qui sont axées sur les mythes et préjugés,
sur les obstacles que vivent les victimes aussi, là, dans le système de
justice. Il nous semble vraiment très important aussi, là, d'informer et
sensibiliser sur tous les éléments, là, qui peuvent avoir... les impacts des
traumas chez les victimes, donc, la présence de traumatismes crâniens chez des
victimes, l'impact des différents traumas, le stress post-traumatique. On pense
aussi...
M. Jolin-Barrette : Peut-être
une sous-question, Mme Allen.
Mme Allen (Cathy) : Oui.
M. Jolin-Barrette : Parce que,
quand j'ai rédigé le projet de loi, là, puis également, là, depuis que je l'ai
déposé, je me fais beaucoup dire, écoutez... on me dit : Les juges sont déjà
formés, on n'a pas besoin de formation. Vous, là, dans le cadre, là, de votre
pratique de tous les jours, là, dans les maisons d'hébergement, là, c'est quoi,
les témoignages que vous avez des personnes victimes? Parce que vous nous
dites : Tout le monde, il faut qu'ils soient formés, il y a des traumas,
notamment physiques, notamment physiologiques pour les personnes victimes.
C'est quoi, votre expérience terrain en lien
la formation de tous les acteurs, incluant les juges? Pourquoi
vous recommandez ça?
Mme Allen (Cathy) : Bien, en
fait, ça fait toute la différence d'être formé, dans l'approche, au niveau du savoir, au niveau du savoir-être aussi auprès des
victimes. Tout le monde dit être formé, les policiers disent être
formés, mais sur le terrain, concrètement, ce qu'on observe, c'est qu'il y a
des lacunes importantes dans la réception, dans l'accueil qu'on a, aussi,
auprès des victimes. Ça se vit aussi dans les salles de cour, donc, avec les différents
acteurs du système de justice.
On dit
vraiment que la formation doit s'adresser à tout le monde, doit s'adresser aux
policiers, aux procureurs, mais aux juges aussi parce que, bon, les
victimes s'adressent à eux directement, dans le cadre d'un procès, vont les
regarder, vont leur parler. Donc, tu sais, tout le monde a besoin d'être formé.
Et, on le sait, ça peut faire toute la différence,
l'accueil qu'un juge peut avoir, là, le fait d'être en relation avec la
victime, la regarder. Avoir la formation, là, ça ne veut pas dire qu'on...
Être mieux formé, ça ne veut pas dire, comme on disait tout à l'heure, là,
qu'on est moins objectif. Donc, c'est majeur que tout le monde reçoive cette
formation-là.
Mme Riendeau (Louise) : Moi,
j'ajouterais aussi, si vous me permettez, que les connaissances évoluent, et,
il y a quelques années, puis au Québec on en entend très peu parler, on ne
savait pas, par exemple, que les victimes d'agression sexuelle ou de violence
conjugale, pour plusieurs, avaient vécu des traumatismes crâniens, ce qui peut
leur donner l'air d'être confuses quand elles témoignent, ce qui peut jouer sur
leur crédibilité. Donc, c'est sûr que c'est au procureur d'amener une preuve
d'expert à ce niveau-là, mais il faut que les gens qui sont là soient capables
d'être sensibles et de comprendre ces éléments-là.
M. Jolin-Barrette : Est-ce que
vous pensez que le fait de suivre de la formation, de la formation continue,
là, pour la magistrature, ça a un effet sur leur indépendance? Pensez-vous que
le fait d'être mieux renseigné sur la réalité des personnes victimes qui ont
été agressées sexuellement ou qui ont été victimes de violence conjugale, ça va
affecter leur indépendance judiciaire, leur impartialité? Le fait de savoir ce
qu'une victime... les conséquences d'être battue,
les conséquences d'avoir été agressée sexuellement, l'impact que ça a,
pensez-vous que ça affecte l'indépendance d'une personne, le fait de
savoir... de comprendre la réalité d'un individu qui est victime?
Mme Riendeau (Louise) : Non,
nous, on pense que, comme l'a dit ma collègue... qu'être mieux formé, être
mieux sensibilisé ne fait pas qu'on n'est moins objectif. Au contraire, on a
une perspective plus large sur l'ensemble du dossier et on est capable de
balancer les différents éléments. Et moi, je dirais que ça donne aussi des
jugements qui sont souvent mieux étayés, qui sont mieux reçus du public.
M. Jolin-Barrette : Peut-être
juste une dernière question avant de céder la parole à mes collègues qui
souhaitent vous poser des questions, là : Pouvez-vous nous parler de
l'impact du trauma sur les personnes victimes? Parce qu'on a beaucoup entendu
parler de ça, là, mais je veux juste que vous nous expliquiez, là, c'est quoi,
l'impact du trauma dans le témoignage, dans ce que vit la victime, associé à la
violence qu'elle a subie.
Mme Riendeau (Louise) : Cathy,
tu veux-tu y aller?
Mme Allen (Cathy) : Oui, je
vais y aller. Bien, en fait, on le sait, là, un traumatisme, c'est un événement
qui se produit quand une personne est soumise à quelque chose qui est
effrayant, qui est bouleversant, et ça provoque chez une personne un grand
sentiment de perte de contrôle. Donc, les agressions sexuelles, les agressions
en contexte de violence conjugale sont souvent des
expériences très traumatisantes qui peuvent avoir vraiment une incidence, là,
neurobiologique, c'est-à-dire qui va affecter le cerveau mais aussi le système
nerveux de la personne victime. Donc, après un traumatisme, les victimes
peuvent fournir des déclarations qui semblent incomplètes ou incohérentes.
C'est ce qui peut se produire quand tu as le sentiment que ta vie est en
danger, quand tu vis un événement qui bouleverse complètement ta vie.
Et, oui, tu sais, on a des attentes sociales de
se conformer aux stéréotypes d'une victime parfaite, là, on pense à, tu sais, communiquer clairement son
non-consentement, offrir une résistance verbale pendant une agression,
couper le contact avec la personne qui a commis des agressions, démontrer des
souvenirs clairs et précis, des récits cohérents de l'agression.
Donc, c'est ça, c'est ça, l'impact que peut
avoir un traumatisme chez une victime. Et c'est aussi ça qui explique que,
souvent, les femmes ou les victimes d'agression sexuelle ou de violence
conjugale ne vont pas dénoncer, par peur de ne pas être crues, parce qu'elles
ont des blancs de mémoire, parfois, parce que le récit, il n'est pas parfait.
Et on doit les rassurer à ce niveau-là. Mais, en même temps, elles se font
rentrer dedans — excusez-moi,
je cherche un terme plus adéquat, mais... — en salle de cour, et nous, on
doit les rassurer de ça, on doit travailler très, très fort pour leur dire
qu'elles ne se feront pas rabrouer dans une salle de cour, mais ce qui n'est
pas le cas. Donc, c'est ça, accompagner des victimes de traumas importants à
travers le processus judiciaire.
M. Jolin-Barrette : Je vous
remercie, Mme Allen, Mme Riendeau, pour votre présence en commission
parlementaire. Je vais céder la parole à mes collègues. Un grand merci pour
votre présence.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, M. le ministre. Maintenant, au tour de la députée de...
Une voix : ...
Le
Président (M. Benjamin) :
Ah! pardon? Ah! Ah! il vous reste... c'est vrai, il vous reste
4 min 25 s, c'est vrai.
Une voix : ...
Le Président (M. Benjamin) : M.
le député de...
M. Lévesque (Chapleau) : Chapleau.
Le Président (M. Benjamin) : Allez-y,
M. le député de Chapleau.
M. Lévesque (Chapleau) : Merci beaucoup,
M. le Président. J'en profite pour vous saluer, saluer également les collègues.
Mme Riendeau, Mme Allen, merci beaucoup de votre témoignage, également
votre mémoire. C'est un plaisir de vous revoir, Mme Riendeau. Nous avons
eu l'occasion d'échanger dans le cadre d'autres consultations, là.
Je lisais, justement, là, certaines portions de
votre mémoire, notamment en lien avec la formation des juges. Donc,
l'expérience vécue par de nombreuses femmes révèle que, même lorsque la
violence est rapportée à la cour, en matière familiale, les juges n'en tiennent
pas compte. Les juges, les avocats, les experts minimisent, c'est-à-dire, la réalité de la violence. Les femmes victimes de
violence conjugale sont particulièrement confrontées à la complexité des
lois et au fonctionnement de l'appareil, dans un contexte où elles cherchent à
assurer leur sécurité et celle de leurs enfants. Évidemment, c'est très, très
troublant de lire ces éléments-là et de les constater.
Selon vous, là, les éléments essentiels que
devrait couvrir le programme de perfectionnement des juges, qu'est-ce que ce
serait, là, si vous en aviez, là, quelques-uns, une liste que vous pourriez
peut-être nous dire, là, de façon à bien nous éclairer?
Mme Riendeau (Louise) : Bien,
je pense que, comme on l'a déjà dit, toute la question de l'impact des
traumatismes sur la capacité à témoigner est centrale.
Toute la question de l'évaluation des risques.
En violence conjugale, ce n'est pas parce qu'on porte plainte qu'on est en
sécurité. Au contraire, ça peut exacerber l'opposition et le contrôle du
conjoint. Donc, il faut qu'à chaque étape des procédures tout le monde soit
conscient de ça pour qu'on s'assure que les mesures qu'on va mettre en place,
que ce soit à l'étape de la remise en liberté, que ce soit à l'étape de la
sentence, vont être adaptées à chacune des situations en l'espèce. Alors, ça,
pour nous, c'est des éléments importants.
Évidemment, toute la question des mythes et des
préjugés. On voit des victimes qui, parce qu'elles se sont défendues, sont
parfois considérées comme aussi violentes, alors que, si les gens étaient
formés à distinguer qui est l'agresseur principal dans des situations comme ça,
on arriverait à des visions différentes. On voit aussi des victimes qui ne
correspondent pas au stéréotype de la victime, qui ont l'air rebelles, et,
souvent, on va peut-être leur accorder moins de crédibilité.
Alors, ces éléments-là, mythes et préjugés, les
impacts des traumatismes, l'évaluation des risques, sont, pour nous, absolument
importants. Le fait que la violence se poursuive en matière conjugale après...
pendant et après les procédures est aussi un élément très important pour nous
et pour tous les intervenants.
• (10 h 30) •
M. Lévesque (Chapleau) : Merci.
Mme Allen
(Cathy) : Je pense qu'on
pourrait ajouter aussi, si je peux me permettre, le contrôle coercitif,
donc, une meilleure compréhension, là, de tout ce volet-là, en fait.
M. Lévesque
(Chapleau) : Merci de vos
lumières. À la page 9 de votre mémoire, vous parlez de l'importance d'un titre
clair pour le tribunal. Pourriez-vous nous en faire mention? Pourquoi cette
importance-là du titre clair?
Mme Riendeau
(Louise) : Bien, écoutez,
je pense que tout le monde en a parlé ce matin, il y a
un contentieux sur l'appellation entre la cour et le ministre, d'une
part. Et, d'autre part, il faut absolument envoyer le message que ce qu'on
change, ce n'est pas juste ce qui se passe en cour, c'est avant et c'est après.
Donc, il faut qu'on soit capable d'envoyer ce message-là dès maintenant. Et on
pense qu'il y a assez de créativité au Québec et autour de la commission aussi
pour qu'on arrive, là, à trouver une façon de nommer les choses et à bien le
communiquer aux victimes, aux auteurs de violence et à la population en
général.
M. Lévesque (Chapleau) : Ce
semble bien clair. Sans mauvais jeu de mots, M. le Président, je crois que ma collègue
de Repentigny aurait une question s'il reste un peu de temps.
Le Président (M. Benjamin) : Il
reste 40 secondes, allez-y.
Mme Lavallée : En fait, je lui
demande de répondre rapidement. Vous avez parlé du coordonnateur judiciaire.
J'aimerais ça que vous nous donniez des exemples de pourquoi ça peut être
pertinent, puis je suis sûre que vous avez des cas à nous donner.
Mme Riendeau
(Louise) : Bien, on a dit
souvent que les décisions du tribunal de la famille sont incohérentes
avec celles de la cour criminelle, même chose en protection de la jeunesse.
Bon, déjà, on a changé le règlement de la Cour supérieure en matière familiale
pour que l'information circule, mais je pense qu'il faut qu'il y ait quelqu'un
qui s'assure qu'on sait ce qui se passe dans les différentes instances, et que,
s'il y a une interdiction de contact au criminel,
bien, que la chambre de la jeunesse le sache aussi, pour qu'on ne se
court-circuite pas et pour que les victimes ne soient pas absolument,
d'une part, confuses, et, d'autre part, en danger à cause de ces
incohérences-là.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. Merci beaucoup. Maintenant au tour de la députée de Verdun.
Mme Melançon : Merci, M. le
Président. Bonjour, Mme Allen, Mme Riendeau. Merci beaucoup d'être
présentes aujourd'hui.
J'ai lu avec attention votre mémoire. D'abord,
j'ai remarqué que vous souhaitiez, donc, qu'il y ait une bonne collaboration
pour éviter, justement, ce contentieux, comme vous dites, Mme Riendeau,
mais aussi pour éviter toute contestation
judiciaire. Moi, je veux savoir, Mme Riendeau, est-ce que vous êtes
inquiète d'une possibilité de contestation judiciaire?
Mme Riendeau (Louise) :
Écoutez, moi, je dirais que je suis inquiète de tout message qui laisse croire
aux victimes qu'on ne les met pas en premier dans ce débat-là. Je pense que ce
à quoi il faut penser, c'est vraiment quel est l'impact des messages qu'on
envoie à l'heure actuelle. On part de loin pour rebâtir la confiance. Donc, il
faut vraiment aller dans ce sens-là, et, nous, c'est toujours notre premier
souci, quel sera l'impact sur les victimes.
Mme Melançon : Vous écrivez,
d'ailleurs, en page 9 : «Il nous semble que [les différends] sur
l'appellation de cette nouvelle division pourraient être facilement résolus.»
Donc, pour vous, vous ne tenez pas nécessairement au nom «tribunal», c'est ce
que je comprends bien?
Mme Riendeau (Louise) : Non.
Nous, on pense que, si le mot fait débat, travaillons ensemble à trouver
quelque chose qui pourra correspondre, mais qui pourra aussi englober tout ce
qu'on veut faire, parce que certains ont dit, puis à juste titre : Ce
n'est pas ce dont on parle, ce n'est pas qu'est-ce qui va se passer en cour,
c'est beaucoup plus large. Donc, s'il y a une meilleure appellation pour mieux faire
comprendre ce qu'on fait, cherchons-la.
Mme Melançon : Lorsqu'on parle
de la confiance, Mme Riendeau, puis Mme Allen aussi, bien sûr, par
votre connaissance du terrain, là, lorsqu'on parle des dénonciations, je pense
qu'il faut rappeler ici les pourcentages qui sont faméliques, là. On parle de
20 % lorsqu'il est question de la violence conjugale et de 5 %
seulement dans les cas d'agression sexuelle. Dites-moi, est-ce qu'avec une
confiance rebâtie vous prévoyez qu'on va pouvoir augmenter le nombre de
dénonciations?
Mme Allen (Cathy) : Bien, je
peux y aller. Moi, je souhaite de tout coeur que oui. En fait, on le sait,
hein, souvent, les victimes, en fait, ne vont pas dénoncer, justement, par peur
de ne pas être crues, par peur d'envenimer la situation. Des fois, on a des
acteurs du système de justice qui ont des discours dissuasifs auprès des
victimes, malheureusement, trop souvent même. Donc, si on travaille mieux
ensemble en équipe, si on a de meilleures formations,
moi, je pense qu'on va augmenter le taux de dénonciations. Et, en fait, toute
la confiance des victimes se joue là,
parce qu'elles vont recevoir, là, vraiment un accompagnement bonifié d'un bout
à l'autre, là, du processus
judiciaire.
Mme Melançon :
Mme Riendeau, à l'intérieur du mémoire, il est indiqué, à la recommandation 3,
donc, d'ajouter les principes directeurs énoncés, là, justement, pour éviter
que ça se retrouve dans des règlements puis qu'on n'ait pas mainmise, comme législatrices,
justement, ici en commission parlementaire, là... J'aimerais vous entendre sur... Comment ça se passe lorsqu'il y a
des règlements? Est-ce
que vous êtes tenue au courant? Parce que je sens une certaine inquiétude,
là, tout de même, de votre part, de savoir qu'il y a des parties qui vont se
retrouver dans des règlements et non pas à l'intérieur du projet de loi.
Mme Riendeau (Louise) : Bien,
c'est sûr que, quand il y a des nouveaux règlements qui sont publiés dans la Gazette,
on est toujours invitées à se prononcer. Mais je vous dirais que, pour la population,
ce sont des processus qui sont beaucoup moins visibles que, par exemple, une commission
parlementaire, comme on le vit aujourd'hui, qu'un débat à l'Assemblée nationale.
Donc, nous, on disait : Mettons-le clair dans le projet de loi. Et ça fera
que, quand le comité d'encadrement fera son rapport au ministre qui le déposera
à l'Assemblée, on pourra référer à ça puisque c'est clairement dans la loi, et
ça montrera aussi clairement la volonté du législateur, de l'ensemble des
partis d'aller dans ce sens-là. On a vu qu'il y avait eu une motion unanime de l'Assemblée
nationale sur la création du tribunal. Je pense que, pour les gens, ça parle beaucoup.
Donc, c'est pour ça qu'on se dit que, si on a une loi, au Québec, dans laquelle
c'est clairement énoncé, ça sera aussi très visible et très clair.
Mme Melançon : J'ai une question
qui va venir peut-être du champ gauche un peu, mais, quand même, j'ai besoin de
vous entendre. Comme vous faites... vous êtes sur le terrain avec les femmes
qui sont des victimes, il y a de l'exploitation sexuelle, aussi, dont on a très
peu parlé à l'intérieur, donc, du projet de loi, puis on ne l'a pas beaucoup
incluse, mais les proxénètes sont souvent les conjoints des victimes, hein?
Souvent, on l'a vu, et je vois la députée de Repentigny, là, qui est avec nous aujourd'hui,
qui connaît bien le dossier. Est-ce que, selon vous, l'exploitation sexuelle,
on devrait l'introduire à l'intérieur du présent projet de loi?
Mme Riendeau (Louise) : Bien,
en fait, pour nous, quand on parle d'infractions commises en contexte sexuel,
ça contient l'exploitation sexuelle, très certainement, et, effectivement, moi,
je pense qu'il faut faire entendre cette réalité-là. Vous avez raison de dire
que, pour un certain nombre, le proxénète est le conjoint ou leur fait croire que c'est le conjoint. Donc, des fois, on a les
deux dimensions, là, violence conjugale et exploitation sexuelle, mais,
tout à fait, et, pour nous, c'est important que ces infractions-là puissent
bénéficier des changements qu'on est en train d'opérer.
Mme Melançon : Je voudrais vous
poser des questions concernant les projets pilotes. Je vous ai entendue, tout à
l'heure, Mme Riendeau, dire que des projets pilotes, ça en prenait dans
tous les districts judiciaires.
• (10 h 40) •
Une voix : ...
Mme Melançon : O.K., parce que
c'est ce que j'avais entendu. Puis, plus loin, pourtant, je voyais dans votre
mémoire, à la page 21, donc, que vous recommandiez, là, certaines régions,
mais, en favorisant, donc, dans certains districts...
vous n'avez pas peur qu'on crée des inégalités? Une fille qui se retrouve...
qui est une victime, sur la Côte-Nord, n'aurait pas nécessairement le
même accompagnement que la fille qui va se retrouver en Estrie, par exemple.
J'ai un petit... J'ai un questionnement, mais j'ai besoin de vous entendre sur
ce sujet.
Mme Riendeau (Louise) : Bien,
écoutez, c'est sûr qu'on voudrait que, le plus rapidement possible, toutes les victimes aient le même accès aux services, au
soutien, et etc., mais, nous, il nous semble que ça vaut la peine, si on
veut être sûrs de ne pas se tromper, de faire les choses correctement, de bien
estimer, de faire le test. Et, en fait, nous, on recommandait trois districts
judiciaires ou trois palais, plus particulièrement, qui avaient des
caractéristiques qui pouvaient nous sembler représentatives d'autres régions et
qui pouvaient nous permettre, par la suite, d'aller de l'avant. Donc, oui, je
peux comprendre la déception de certaines d'attendre, mais, en même temps, moi,
je suis très consciente que c'est beaucoup plus facile d'opérer des changements
pendant un projet pilote que quand on dit : Voici, c'est notre modèle, au
Québec. C'est difficile de revenir, par la suite, et de faire les améliorations
nécessaires.
Mme Melançon : Et pourquoi deux
ans?
Mme Riendeau (Louise) : Parce
que, si on prend le temps que les choses cheminent dans le système judiciaire,
si on veut qu'il y ait suffisamment de causes, il faut se donner un peu de
temps. Tu sais, en six mois, bien des causes n'auraient pas procédé. Donc, deux
ans, ça nous semble un délai raisonnable pour, à la fois, avoir vu des causes
du début à la fin puis pour avoir un peu de volume pour être capable de poser
un jugement puis d'avoir un peu, là, un portrait de ce que ça donne, et ce
n'est pas trop long non plus.
Mme Melançon : Parfait. Moi,
j'ai toujours en tête, cependant, cette iniquité, je vais dire ça comme ça, là,
d'une victime selon les régions. Ça me brise le coeur, là, de pouvoir penser
que, selon là où on habite, bien, on n'aura pas le même accompagnement, mais,
ça, on pourra en débattre dans l'article par article au moment convenu.
Je terminerais, parce que j'ai vu le... On parle
de temps, le temps file. Concernant la formation des juges, bien entendu, sur
laquelle je pense qu'on peut faire encore mieux... Mais, aussi, il y a la
formation des policiers, je pense que, Mme Allen, tout à l'heure, vous en
faisiez mention, que ce soit pour les patrouilleurs... On a parlé, bien sûr, d'enquêteurs
spécialisés. Il y a les procureurs. Il y a plein d'autres recommandations aussi
à l'intérieur du rapport Rebâtir la confiance. Est-ce que vous
voyez, comme nous, que c'est un tout, ce rapport?
Mme Riendeau (Louise) : Bien, tout
à fait. En fait, dans la recommandation qu'on a, qui dit qu'il faut que le ministère
soit clair sur les actions qu'il va mettre en branle, qu'il va financer, qu'il
va coordonner, on a recensé plusieurs des recommandations de Rebâtir
la confiance qui sont essentielles aux changements qu'on veut faire, là. On
ne les a pas listées ce matin, mais, dans notre mémoire, c'est clair.
Le
Président (M. Benjamin) :
Malheureusement, c'est tout
le temps dont nous disposons. Merci.
Alors, maintenant, au tour de la députée de Sherbrooke.
Mme Labrie : Merci,
M. le Président. Bonjour. Vous nous
invitez, dans votre mémoire, vos recommandations 3 et 4, à inclure,
dans le projet de loi, les principes directeurs et les objectifs poursuivis
dans le projet de loi. J'aimerais ça que vous nous expliquiez c'est quoi, vos
craintes, si ça ne se retrouve pas dans le projet de loi, comme c'est le cas actuellement.
Mme Riendeau (Louise) : Bien,
pour nous, l'idée de mettre ça dans le projet de loi, d'une part, c'est de les
rendre visibles. Ça envoie un message aux victimes, à la population, à
l'ensemble des intervenants. C'est le premier objectif. Le deuxième objectif,
c'est qu'au moment où on fera l'évaluation de ce qu'on aura fait on pourra clairement
s'y référer et on se dira : Bien, au Québec, on veut, par exemple, que...
améliorer l'expérience des personnes victimes ou répondre aux besoins de la
personne par des services d'accompagnement. Pour nous, c'est si important qu'on
l'a enchâssé dans une loi.
Mme Labrie : ...en quelque
sorte, de s'assurer qu'on ne va pas créer une coquille vide qui porte seulement
le bon nom, mais qui va vraiment répondre aux besoins des victimes.
Mme Riendeau (Louise) : Oui, tout
à fait.
Mme Labrie : Parfait. Je vous
remercie.
Le Président (M. Benjamin) : Merci,
Mme la députée. Donc, au tour de la députée de Joliette.
Mme Hivon : Merci,
M. le Président. Merci de votre excellent mémoire. Donc, je l'ai lu avec beaucoup
d'intérêt... très constructif aussi. Je pense que c'est l'état d'esprit dans
lequel on doit être.
Moi, je veux vous amener... Là, ma collègue a
débuté l'échange... a terminé son échange, moi, je veux le débuter avec ça...
c'est la question de l'étendue des intervenants qui devraient être formés et
spécialisés. Donc, je veux juste que vous nous spécifiiez, je pense que,
là-dessus, on est sur la même longueur d'onde, là... mais que, selon vous, le projet de loi doit parler de la
formation, je dirais, barre oblique, spécialisation des autres intervenants du
milieu judiciaire. Donc, pour vous, ça comprend qui et est-ce que ça doit,
nommément, être inscrit dans le projet de loi?
Mme Allen (Cathy) : Vas-y,
Louise.
Mme Riendeau (Louise) : O.K.
Bien, en fait, pour nous, ça part du début à la fin. Donc, ça peut même inclure des intervenants psychosociaux qui sont
appelés à intervenir auprès des victimes, qui ne sont pas nécessairement
spécialisés en matière de violence
conjugale. Rebâtir la confiance recommandait qu'on ait des policiers,
des procureurs spécialisés, formés.
Donc, pour nous, ça comprend ces gens-là, et ça comprend évidemment les juges,
mais ça comprend aussi des gens qui peuvent être au niveau des services
correctionnels, qui auront à gérer les sentences ou les conditions qui sont imposées.
C'est important que ces gens-là aient une vue globale.
Tantôt, on
parlait du contrôle coercitif. C'est un terme nouveau dans le vocabulaire, mais
ce n'est pas une réalité qui est
nouvelle. C'est, en fait, toutes les stratégies qui, souvent, ne sont pas des
actes criminels, qui vont être utilisées par un contrevenant pour intimider, contrôler sa victime. Si on n'a pas une
idée que tout ça existe puis qu'on regarde juste l'acte criminel qui est
là, devant nous, on va échapper des grands pans de la réalité des victimes. On
va mal évaluer les enjeux qu'elles vivent au
niveau de la sécurité. Donc, c'est pour ça que, pour nous, il faut que tout le
monde ait ça. Il faut qu'on ait vraiment une idée claire de qu'est-ce
que vivent les victimes, quels enjeux de sécurité ça pose, quelles conséquences
ça peut avoir sur leur capacité de porter plainte, de témoigner, comment on
peut mieux les soutenir.
Mme Hivon : Puis
vous faites allusion à un autre élément, que je trouve important, dans votre
mémoire, c'est un peu l'idée de la formation, oui, mais de la spécialisation
aussi. Si je comprends bien, vous, vous dites : C'est bien, donner de la
formation à tout le monde, mais l'idée d'avoir des équipes dédiées, d'avoir de
la spécialisation, c'est aussi quelque chose qui est présent. Est-ce que vous
nous demandez de l'inscrire dans le projet de loi?
Le
Président (M. Benjamin) :
Malheureusement, le temps ne nous permet pas de pouvoir y répondre,
donc...
Mme Hivon :
Esprit de synthèse.
Le Président
(M. Benjamin) : Voilà. On ira avec... On va aller avec le député
de Chomedey.
M. Ouellette : Bien, c'est tellement
important, Mme Riendeau, Mme Allen, ça va être sur mon temps que vous
allez nous donner la réponse, parce que je veux entendre la réponse à la question
de ma collègue de Joliette. Est-ce que vous pouvez me la donner?
Mme Riendeau (Louise) : La
compétence, ça s'acquiert par de la formation, mais ça s'acquiert aussi par
l'expérience, et c'est en étant chaque jour dans des dossiers, en étant dédié à
ceux-là, en côtoyant des collègues qui le sont,
qu'on acquiert aussi de la compétence. Et des choses comme le savoir-être, dont
parlait ma collègue, ça ne s'acquiert pas toujours dans de la
formation. C'est parfois, effectivement, là, à exercer ces fonctions-là qu'on
le fait. Ça fait que, pour nous, le fait que les gens soient formés est
important, le fait qu'on ait des gens dédiés qui développent une spécialisation
l'est aussi.
M. Ouellette : Je pense qu'on
est tous à la même place. Parce que moi, j'ai moins de temps que tous les autres, je vais me permettre un commentaire, pour
terminer, en vous remerciant. C'est un projet
de loi qui crée beaucoup
d'attentes, beaucoup d'attentes chez les victimes, qui ne va pas assez loin, à
mon humble avis. Vous avez mis 20 recommandations dans votre mémoire qui
est très, très, très fouillé. Ça sera notre partie à nous, les législateurs, parce
qu'il ne faut pas manquer notre coup. Il y a des bonnes intentions. Il ne faut
pas manquer notre coup parce qu'on va perdre toute la partie de la population
qui est victimisée là-dedans. C'est une bonne intention, puis je pense qu'il
faut être... Dans ce cas-là, mesdames, il va falloir être plus intelligent
qu'orgueilleux dans le traitement de ce projet de loi là.
Mme Riendeau
(Louise) : En tout cas, on a une obligation de moyens, mais on a certainement une
obligation de résultats dans ce cas-ci.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci beaucoup, Mme Riendeau, Mme Allen. Merci beaucoup pour votre
contribution aux travaux de la commission.
Je suspends les travaux quelques instants afin
d'accueillir les prochains témoins. Merci.
(Suspension de la séance à 10 h 50)
(Reprise à 10 h 54)
Le Président (M. Benjamin) :
Alors, à l'ordre, tout le monde! Nous allons reprendre nos travaux. Donc, nous
allons poursuivre les auditions et, maintenant, nous allons accueillir
Mme Manon Monastesse, de la Fédération des maisons d'hébergement pour
femmes, ainsi que Mme Danielle Mongeau, directrice de la Maison Dalauze.
Bienvenue, mesdames. Vous avez 10 minutes pour votre exposé.
Mmes Manon Monastesse et Danielle Mongeau
Mme Monastesse (Manon) : Merci.
Alors, on remercie la commission de nous avoir invitées pour témoigner. On
remercie également M. le ministre ainsi que les députés qui sont présents de
leur attention. Alors... Et nous voulons
souligner, tout d'abord, la volonté politique et l'engagement du gouvernement
dans sa volonté de mettre en place des tribunaux spécialisés. On sait
que c'est une question qui a été discutée depuis de nombreuses années et on
arrive enfin à la croisée des chemins. Alors, nous remercions tous les efforts
qui ont été faits pour que, finalement, l'on puisse voir, dans un avenir assez
rapproché, la mise en place des tribunaux spécialisés ici, au Québec.
Alors, je
passerais la parole à notre présidente, Mme Mongeau, qui va pouvoir vous
expliquer plus amplement notre position.
Mme Mongeau (Danielle) : Oui.
Bonjour, tout le monde. Nous considérons qu'un projet de loi visant la création
d'un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence
conjugale aurait avantage à présenter une description des objectifs à atteindre
afin de le rendre plus rassembleur, de permettre une compréhension commune et
une plus grande adhésion à ses principes.
De façon très résumée, voici quelques résultats
communs à viser : une spécialisation de tous les acteurs clés impliqués
dans le processus; une sensibilisation accrue à la violence faite aux femmes au
sein de la communauté et des organismes qui
y répondent; la réduction de la victimisation secondaire; une augmentation du
taux de signalement des délits de
violence; une action policière proactive et de meilleures méthodes d'enquête
sur les infractions de violence; une
participation accrue des victimes; une diminution du taux de retrait des
accusations; une augmentation du taux de poursuite pour les infractions
de violence conjugale; un niveau de sécurité plus élevé pour les victimes de
violence et leurs enfants; des ordonnances
de protection plus appropriées et adaptées aux situations des victimes; une
meilleure qualité de la prestation de
services; une meilleure coordination des services; une meilleure coopération
entre les différents acteurs et
instances du système judiciaire; le développement d'un sentiment de
responsabilité des tribunaux et de leur personnel envers la communauté
et les prestataires de services; et la satisfaction des victimes à l'égard de
la procédure.
Ainsi,
un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle, conjugale ou familiale
constitue un modèle de bonnes pratiques et implique idéalement un changement de
système ou, tout au moins, des adaptations majeures. De façon globale, un
tribunal spécialisé diffère d'un tribunal classique du fait qu'il permet, entre
autres, de porter une attention particulière sur la victime et ses besoins;
d'assurer que la victime ait accès à des services de soutien et
d'accompagnement appropriés; de sensibiliser tous les acteurs du droit aux
réalités des victimes afin notamment d'éviter toute victimisation secondaire;
d'assurer la sécurité des victimes en mettant en place ou en consolidant des
installations judiciaires appropriées; d'identifier, de mieux gérer et de
traiter de façon accélérée les dossiers des victimes; de favoriser des
pratiques d'enquête policière de haute qualité; d'encourager les politiques
favorisant les inculpations et les poursuites judiciaires entamées par les
victimes; déterminer les ordonnances de protection qui assurent la sécurité des
victimes et de leurs enfants; et, finalement, d'assurer un suivi des progrès du
délinquant et du respect des ordonnances rendues.
Je vous laisse la
parole, Mme Monastesse.
• (11 heures) •
Mme Monastesse
(Manon) : Alors, dans notre mémoire, on vous a présenté vraiment les
deux modèles qui, pour nous, sont les plus
prometteurs. Alors, il y a le modèle du tribunal spécialisé de Moncton, au Nouveau-Brunswick, et surtout celui de Southport, dans le Queensland, en
Australie. Ce qui est intéressant aussi, c'est que ce sont deux modèles
qui ont fait leurs preuves, mais qui ont surtout aussi été évalués. Alors, on a
quand même des données sur l'impact que ces deux modèles ont fait au niveau de
l'amélioration, justement, du traitement de la violence conjugale et sexuelle.
Alors, en d'autres
termes, si on regarde qu'est-ce qu'on vise avec un modèle de tribunal
spécialisé, on veut augmenter le niveau de coordination et de partage
d'informations. On veut avoir un meilleur retour d'informations sur le
processus, une meilleure concertation, une concentration des... concertation, bien
sûr, mais une concentration également des connaissances spécialisées, que ce
soit par les procureurs, les juristes, le soutien, les magistrats, ce qui n'est
pas présent dans un modèle, disons, classique, plus conventionnel. Et,
également, aussi, ce qui est intéressant, surtout avec le modèle de Southport,
c'est que le tribunal aussi est culturellement adapté à la population. On sait
qu'il dessert une population importante aborigène.
Alors, quand on
regarde en ce qui concerne le modèle de Southport, ce qu'on constate effectivement,
quand on regarde les résultats de l'évaluation, on a vu qu'il y a eu un
renforcement des collaborations entre le tribunal, le service de lutte contre
les violences conjugales, les procureurs, les policiers, les avocats, ce qui a
permis d'améliorer la coordination des dossiers et des services. Il y a une
satisfaction déclarée des victimes, et leur perception de l'équité procédurale
du processus est beaucoup plus élevée dans un tribunal spécialisé. La disponibilité
est accrue, aussi, au niveau des services-conseils et également au niveau de la
disponibilité des formations; la présence, bien sûr, de tout un encadrement
sécuritaire pour les victimes, pour atténuer le stress que vivent les victimes
et assurer leur sécurité dans les locaux du tribunal; le niveau de
compréhension des résultats du tribunal, tant pour les victimes que pour les
auteurs, ce qui est plus mitigé, au niveau des auteurs, mais, quand même, sont beaucoup
plus élevés dans un tribunal spécialisé que dans un tribunal conventionnel; l'augmentation
de la responsabilité, aussi, des auteurs de crime, il semble que le sentiment
que les contrevenants soient tenus responsables est beaucoup plus élevé dans un
tribunal spécialisé qu'un tribunal conventionnel.
Alors, globalement,
on peut dire que le tribunal spécialisé, à Southport, a amélioré la gestion de
la procédure, le partage des informations et la coordination de l'aide accordée
aux victimes et aux contrevenants. Et ce qu'il est très intéressant de voir,
c'est, quand on a demandé aux victimes et aux contrevenants, comment... dans
quelle mesure leur perception des procédures avait été, pour elles,
satisfaisante. On a quand même un taux de 81 % qui qualifient leur
expérience au tribunal d'excellente, alors c'est un taux qui... c'est quelque
chose qu'on vise. Alors, le tribunal de Southport a démontré que... par son efficacité,
a démontré qu'il y a eu un changement très notable, là, au niveau de
l'expérience des victimes au sein du tribunal. Et on peut comparer à un
tribunal conventionnel, qui existe dans une autre ville, à 50 %. Alors,
c'est majeur, là, comme impact positif. Et puis la question, aussi... le niveau
de perception positive de la justice procédurale est également élevé, dans
l'échantillon de Southport, avec plus de 85 % des participants qui sont
d'accord ou tout à fait d'accord pour dire qu'ils ont été traités avec respect,
que le processus judiciaire était juste et que la décision était juste. Alors,
je passe la parole à Mme Mongeau.
Mme Mongeau
(Danielle) : Alors, en
conclusion, l'implantation de tribunaux spécialisés se veut un
changement structurant, novateur et prometteur qui deviendra, par suite de son
actualisation, un levier crucial dans la lutte contre les violences sexuelles
et conjugales qui s'inscrivent dans le continuum des violences faites aux
femmes. Nous espérons que l'implantation de
ce projet pilote, grâce au projet de loi, se fera en synergie avec
l'actualisation des nombreuses recommandations du rapport Rebâtir la
confiance afin de restaurer la confiance des victimes envers notre système
de justice.
À ce titre, la
Fédération des maisons d'hébergement pour femmes recommande ainsi que
l'implantation des tribunaux spécialisés s'inscrive dans un chantier plus
global...
Le Président
(M. Benjamin) : Malheureusement, c'est tout le temps qui nous est
imparti...
Une voix :
...
Le Président
(M. Benjamin) : Alors, allez-y, sur le temps du ministre,
allez-y, poursuivez.
Mme Mongeau
(Danielle) : ... — ah!
O.K. — dans
un chantier plus global d'actualisation structurante des nombreuses mesures
inscrites dans le rapport Rebâtir la confiance, afin d'assurer un filet
de sécurité tissé serré autour des victimes et de leurs enfants. Ce but ultime
leur permettra de s'affranchir du contexte de violence auquel elles sont
assujetties et ainsi faciliter la reprise de pouvoir sur leur vie. Le modèle de
tribunaux spécialisés espagnols démontre qu'un changement global et durable est
réalisable en suivant ce principe.
Nous recommandons aussi que le projet de loi
présente une description des objectifs à atteindre afin de le rendre plus
rassembleur et s'assurer d'une plus grande adhésion à ses principes. À ce
titre, nous recommandons que le modèle de tribunal spécialisé de Southport,
dans le Queensland en Australie, soit un des modèles de référence privilégiés
de par son efficacité et sa cohérence avérés, en plus d'être en fonction dans
un système... dans un pays où le système de droit est comparable à celui du
Canada.
En résumé, à l'instar de plusieurs experts et
juristes, nous avons espoir que les tribunaux spécialisés permettront une
augmentation des taux de condamnation, l'amélioration de la qualité des
témoignages, la diminution des délais et de
la victimisation secondaire, l'amélioration de la connaissance de tous les
acteurs sociojudiciaires impliqués sur les réalités vécues par les
victimes. Ils représentent, donc, une initiative prometteuse pour
l'amélioration de l'expérience des victimes et, conséquemment, un espoir pour
le rétablissement de leur confiance envers notre système de justice, tout en
respectant à la fois les préoccupations de justice fondamentale et les droits
de l'accusé.
Je laisse la parole à Manon Monastesse pour
la dernière recommandation.
Le Président (M. Benjamin) :
Oui, une dernière intervention, parce que le ministre a été assez généreux pour
vous laisser parler, donc... Mais il faudrait terminer, une dernière
conclusion. Allez-y, s'il vous plaît.
Mme Monastesse (Manon) : Bien,
écoutez, je laisse la parole à M. le ministre. On aura l'occasion, dans les
échanges, d'aller plus en profondeur.
Le Président (M. Benjamin) : M.
le ministre.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Mme Monastesse, Mme Mongeau, merci pour votre présence
en commission parlementaire. C'est très instructif, la présentation de votre mémoire.
Écoutez, d'entrée de jeu, là, avez fait référence,
là, au modèle dans le Queensland, qui existe, qui est un système de justice
similaire au nôtre, et là-bas, ça se fait puis ça marche, un tribunal
spécialisé. Et je crois même qu'il y a une obligation de formation pour tous les acteurs du système
de justice, incluant les juges. Alors, comment vous percevez ça, là, le fait qu'on vient encadrer et dire : Écoutez, tous les acteurs
du système de justice doivent être
formés, incluant les juges? Comment vous voyez ça, là, vous, la formation par
rapport aux violences sexuelles et conjugales?
Mme Monastesse (Manon) : Bien, écoutez,
on voit ça de façon très positive, puisqu'on a des modèles qui prouvent leur
efficacité, donc ça fonctionne, la question de... et de la formation. Et
d'autant plus que, quand on regarde le modèle de Southport, le fait que... et
même, dans notre mémoire, on l'a dit, même les juges ont été consultés, aussi,
pour l'évaluation, et eux-mêmes le disent que ça leur permet de faire un
meilleur travail, d'avoir une meilleure connaissance des impacts et aussi ça
leur permet d'être plus efficaces, et puis, ça, ce ne pas seulement envers les
victimes, c'est aussi envers les contrevenants. Ça leur permet aussi de mieux
encadrer, que les contrevenants soient mieux encadrés, de mieux faire les
suivis, alors, même au niveau des juges.
Puis effectivement il faut que tout le monde,
dans la chaîne, dans le processus, soit formé. Mais, au niveau des juges, c'est extrêmement positif dans
l'évaluation du modèle de Southport. Ils le disent eux-mêmes que ça leur a
permis de grandement améliorer... grandement
améliorer leur intervention, tout en préservant leur impartialité,
l'impartialité qui est nécessaire, et l'indépendance de la magistrature.
Il y a quelqu'un qui est, justement... qui s'assure, justement, qu'il n'y ait pas des écarts à ce niveau-là. Et il y a
une douzaine de tribunaux spécialisés, en Australie, et il n'y a jamais eu
de plaintes, à date, sur cette question,
qu'il y avait un bris au niveau de l'impartialité ou de l'indépendance de la
magistrature.
• (11 h 10) •
M. Jolin-Barrette : C'est
intéressant, ce que vous dites, parce que c'est beaucoup les critiques que je
reçois, pour dire : Ça va affecter l'indépendance, l'impartialité. Or,
comme on dit, lorsqu'on compare les choses qui existent dans le monde, et
l'Australie, ce n'est pas si différent du Canada, il y a la même, un peu,
histoire, la source originelle, si je peux dire... tire sa même source, alors
les principes de droit, tout ça. Je trouve ça intéressant ce que vous dites, de
dire : Bien, écoutez, non, il n'y a pas eu d'atteinte à l'impartialité,
non, il n'y a pas eu d'atteinte à l'indépendance, non, la présomption
d'innocence n'a pas été remise en question, puis ça fonctionne. Puis les juges sont formées, puis ils disent même que c'est
positif d'avoir davantage de formation. Alors, je trouve ça vraiment
pertinent.
Peut-être aborder avec nous, là... Je crois que
la fédération donne déjà de la formation à des acteurs du système de justice,
notamment au Directeur des poursuites criminelles et pénales, hein? Je pense,
c'est le cas.
Mme Monastesse (Manon) : Tout à
fait, tout à fait. Ça fait déjà deux ans que la formation est donnée, et ça a
été très favorablement accueilli. Il y a eu plusieurs cohortes de procureurs
qui ont été formées, alors ça va... Même, on en a... il y a eu des demandes
supplémentaires du DPCP, à cet effet.
M. Jolin-Barrette : Et
relativement, là, au contenu de la formation qui doit être donnée, là, en
violence sexuelle, en violence conjugale, là, selon votre expérience terrain,
là, avec ce que vous vivez au jour le jour, là, avec les femmes qui sont dans vos maisons
d'hébergement, là, qu'est-ce qui devait être mis de l'avant dans ces
formations-là, en fonction de la réalité des femmes qui passent à travers le
processus judiciaire, là? C'est quoi, les commentaires que vous entendez par
les femmes qui sont hébergées chez vous?
Mme Mongeau (Danielle) : Je
peux y aller. Je peux peut-être compléter, M. le ministre. Ce qu'on voit
beaucoup dans les maisons d'hébergement, de la part... ce que les victimes nous
disent, c'est que la compréhension de la violence conjugale n'est pas
suffisante de par l'ensemble du système de justice. Du premier contact avec les
policiers jusque dans le processus, vraiment, elles ne sentent pas que la
compréhension est très bonne de leur situation. Et souvent, même, elles ont
l'impression que la violence conjugale n'est pas prise en compte comme elle le
devrait. Donc, souvent, on va tenir en compte que le présumé accusé va avoir
une présentation qui va être plus soignée, tout ça, alors qu'elles, dans leurs
impacts de la violence, elles ne sont pas reconnues à ce niveau-là. Et le fait
qu'elles ne soient pas reconnues... comme étant des impacts de la violence fait
en sorte que leur propos n'est pas reconnu à leur juste valeur non plus. Alors,
c'est beaucoup au niveau de la sensibilité, de la compréhension, de la
compréhension des impacts du vécu en violence conjugale. Donc, de défaire les
mythes, de défaire des préjugés, souvent, qu'on va retrouver encore aujourd'hui.
Donc, c'est beaucoup à ce niveau-là que ça doit se passer et que la formation
doit... l'accent doit porter là-dessus.
M. Jolin-Barrette : O.K. Et une
dernière question, avant de céder la parole, là. Lorsque vous avez fait votre
mémoire, vous avez regardé les différents modèles, là, et on s'inspire de ce
qui se fait ailleurs, puis vous nous invitez à
dire : Bien, écoutez, il y a des meilleures pratiques qui se
font ailleurs, mais c'est pertinent de le mettre en place, là.
Pour vous, c'est fondamental qu'il y ait ce changement-là, dans le système de
justice, et qu'on puisse mieux accompagner les victimes, tout en s'assurant
que, les accusés, leurs droits sont respectés aussi. Mais ça prend une plus
grande place, maintenant, dans le processus judiciaire, pour les victimes.
Donc, c'est ça, au fond, un tribunal spécialisé : du début de la
dénonciation, de l'accompagnement, jusqu'à la fin, la condamnation, et même
après, pour accompagner la victime, mais le bout dans le milieu, là, avec la
cour, là, ils gèrent leurs choses en toute indépendance, tout ça. On n'est pas
là, mais c'est sur le continuum de services. Ça, vous êtes en accord avec ça,
pour le tribunal spécialisé?
Mme Monastesse (Manon) : Tout à
fait. Tout à fait. Et on voit avec les résultats que ça a donnés, parce que
c'est quand même impressionnant, quand il y a 85 % des victimes qui disent
qu'elles se sont senties crues, qu'elles ont une expérience très positive du système
de justice. Puis il faut le préciser, ça, ce n'est pas dans des situations où
il y a eu nécessairement une condamnation, c'est vraiment dans leur
appréciation globale du traitement qu'elles ont eu dans le système de justice.
Alors, quand on regarde un modèle qui, pour nous, est extrêmement performant,
dans, justement, la perception procédurale des victimes, on trouve ça vraiment
porteur d'espoir pour l'implantation ici, au Québec. Puis il ne faut pas
oublier aussi que même les contrevenants avaient une perception positive du processus.
Alors, bien, on ne peut que dire : Allons-y.
M. Jolin-Barrette : Je vous
remercie grandement, Mme Monastesse, Mme Mongeau, pour votre
présence. Les collègues vont vous poser des questions. Merci beaucoup.
Le Président (M. Benjamin) : Il
reste cinq minutes, donc. Alors, Mme la députée de Lotbinière-Frontenac.
Mme Lecours
(Lotbinière-Frontenac) : Bonjour, Mme Monastesse,
Mme Mongeau. Ça me fait plaisir d'être ici aujourd'hui. Moi, j'aimerais...
Bien, dans le cadre de mon mandat, là, en violence conjugale, on s'est
rencontrées plusieurs fois, j'ai fait la tournée des maisons d'aide et
d'hébergement, j'ai beaucoup entendu toutes sortes d'histoires puis je veux en
revenir, justement, à la formation des juges. Est-ce que vous pouvez nous
donner des exemples de situations où est-ce que les victimes ont été désavantagées
par rapport soit à l'hébergement qu'elles ont eu dans les maisons d'aide et d'hébergement,
justement, à cause de leur sécurité, puis des conséquences que ça a sur les
victimes, puis aussi en rapport avec tout ce qui a trait avec la garde des enfants,
là?
Mme Monastesse (Manon) : Bien, écoutez,
d'emblée, je vous dirais qu'on a... Il y a deux ans, on a produit une
recherche qui, justement, faisait état de l'analyse de plus de
200 jugements, alors, au niveau des tribunaux de la famille, et il y a quand même une... il y a à peu
près 25 jugements, aussi, qui émanaient de la Cour d'appel, et où est-ce qu'on faisait
vraiment état de... le peu de prise en compte de la violence conjugale, de ses
manifestations et de ses impacts également. Et ça, ça avait une conséquence
directe sur la question de l'évaluation de l'intérêt de l'enfant.
Et on a des citations telles quelles de
jugements. Bien sûr, c'est partiel, mais, quand même, ça donne à quel point, où
il y a beaucoup... ça démontre à quel point il y a beaucoup de travail à faire
au niveau de la formation, bien sûr, des juges, mais également des magistrats
et au niveau des policiers également, là, vraiment, de toute la chaîne
d'intervenants. Et on voit à quel point il y a une méconnaissance et une
incompréhension du contexte de violence conjugale, où est-ce que perdurent,
comme dans les tribunaux de la famille, des préjugés, des stéréotypes du
genre : si monsieur a été violent avec sa conjointe qui est aussi la mère
des enfants, ça ne veut pas nécessairement dire que c'est un mauvais père. Mais
toutes les études ou l'expérience démontrent que ce n'est pas le cas. On ne
peut pas diviser, au niveau des habilités parentales, le fait que monsieur est extrêmement
violent, et que ça n'a aucun impact sur les
enfants, et qu'il ne sera pas... qu'il n'exercera pas de violence. Et là on ne
parle pas juste de violence physique, mais de plusieurs niveaux de
violence envers les enfants.
Alors, souvent, on se
retrouve avec des gardes partagées, des situations qui sont extrêmement... qui
mettent en péril la sécurité des mères et des enfants, et là ça se rajoute avec
toute la question des jugements en silo, quand au criminel on dit que monsieur
est extrêmement dangereux puis qu'il ne devrait pas avoir de contacts, puis
qu'on se retrouve au civil où est-ce que monsieur a des contacts, via la garde
des enfants, et on peut avoir aussi un autre jugement du Tribunal de la
jeunesse, quand la protection de la jeunesse est en jeu. Donc, ça, c'est
extrêmement difficile à vivre pour les victimes, pour leurs enfants, et ça les
met dans des situations où leur sécurité va être compromise. Mais je peux
laisser Mme Mongeau compléter.
Le Président (M. Benjamin) : Il
vous reste 20 secondes.
Mme Monastesse (Manon) : Ça va.
Le Président (M. Benjamin) : ...
Mme Monastesse (Manon) : Oui.
Merci.
• (11 h 20) •
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. Alors, maintenant au tour de la députée de Verdun.
Mme Melançon : Bonjour,
mesdames. Merci. Merci infiniment de votre présence. Merci aussi pour ce mémoire, dans lequel vous avez fait un travail de
recherche formidable qui permet, justement, d'éclairer les législateurs
que nous sommes.
J'imagine que vous avez entendu aussi,
préalablement, là, on a fait une rencontre avec le Regroupement des maisons,
là, pour femmes victimes de violence conjugale. Ma première question, c'était
sur le nom du tribunal. Je sais... tout à l'heure, j'ai demandé à
Mme Riendeau, que vous connaissez bien aussi : Est-ce que le nom...
Parce qu'il faut qu'on finisse par s'entendre. Moi, ce qui me fait peur ici,
là, aujourd'hui, c'est que, justement, il y ait des affrontements puis qu'on
échappe l'idée du tribunal spécialisé. Est-ce que vous, vous êtes d'accord à
une certaine collaboration pour qu'on puisse trouver un terrain d'entente pour
arriver finalement, au final, là... qui est d'offrir la meilleure façon
possible d'accompagner les femmes victimes de violence sexuelle et de violence
conjugale?
Mme Monastesse (Manon) : Bien, écoutez,
merci pour la question, Mme Melançon. Je pense que... je crois sincèrement
qu'on ne devrait pas... je vais le dire directement, là, qu'on ne devrait pas
s'enfarger dans les fleurs du tapis. Parce que, quand on regarde à travers le
monde, il y a vraiment une dénomination qui est très claire, que ce soit en
Australie, que ce soit dans les pays scandinaves, dont on n'a pas discuté les
structures, que ça soit partout à travers le monde, que ça soit aux États-Unis,
où on a même des lois, on a une Domestic Violence Act, donc partout, on
qualifie et... la structure, on qualifie directement ce sur quoi, les tribunaux
spécialisés, on fonctionne, là. Je veux dire, on qualifie carrément les
tribunaux : que ça soit soit «specialized», ou que ça soit des tribunaux
intégrés, que ça soit des tribunaux spécialisés, bien, on qualifie directement
ce sur quoi les tribunaux travaillent. Alors, je ne vois pas pourquoi ici, au
Québec, carrément, on s'enfargerait dans les fleurs du tapis. Je pense que
Mme Mongeau... Vas-y.
Mme Mongeau (Danielle) : Bien,
si vous permettez, Mme la députée, j'ajouterais que, pour nous, ce n'est pas tant le nom. Pour nous, le nom, il veut tout
dire : «tribunaux spécialisés», on est à l'aise avec ça. Mais
l'important, c'est que, dans le projet de loi, on puisse y mettre la qualité, le contenu, les objectifs, pour que, dans le fond, l'accord réel soit sur ça
plutôt que sur le nom. Le nom, c'est le «branding» qui est connu un peu
partout. Mais c'est pour ça qu'on
tenait, dans notre recommandation, à ce que les objectifs, le contenu y soient aussi, pour qu'il y ait vraiment une compréhension commune de ce qu'est un
tribunal spécialisé et que ce soit une adhésion, que ça permette une adhésion
plus grande.
Mme Melançon : Merci. Merci
beaucoup. Je lisais votre première, dans le fond, recommandation, en page 27, vous dites : «...l'implantation
des tribunaux spécialisés s'inscrive dans un chantier plus global
d'actualisation structurante des nombreuses mesures inscrites dans le rapport.»
Donc, pour vous, si je comprends bien, là, vous voulez que ce soit un peu plus
large, où on doit aussi parler, bien sûr, de la formation pas uniquement des
juges, c'est ce que j'entendais tout à l'heure, si j'ai bien compris, tant des
patrouilleurs... qu'on devrait l'inclure à l'intérieur du projet de loi
n° 92. C'est bien ce que j'ai compris.
Mme Monastesse (Manon) : Tout à
fait, tout à fait, oui.
Mme Mongeau
(Danielle) : Tout à fait. C'est intéressant que vous rameniez vraiment
cette recommandation-là. Moi, comme membre du comité d'experts, de
l'ex-comité d'experts sur Rebâtir la confiance, on tenait beaucoup à ce
que les tribunaux soient spécialisés. Il y a un chapitre là-dessus, mais sur
15 chapitres et sur 190 recommandations. Donc, les tribunaux
spécialisés, c'est quelque chose... auxquels on tenait beaucoup, mais dans un
ensemble. Juste faire ça, il va manquer des morceaux. C'est important que ce
soit vu, effectivement, dans un chantier global. On est quand même très rassuré de voir qu'il y a plusieurs recommandations qui
sont déjà en action, mais on le voit comme étant vraiment un tout. Et,
au niveau de la formation, c'est sûr que les juges sont touchés mais l'ensemble
des acteurs, c'est vraiment important. Dans
notre deuxième recommandation, c'était que tous les acteurs visés... les
acteurs impliqués soient visés par la formation.
Mme Melançon :
Et je vous remercie, vous faites bien de le rappeler. Parce que, souvent, on
l'a dit, que ce soit au salon bleu ou
que ce soit dans différentes commissions, l'important, c'est de mettre en
oeuvre les 190 recommandations, parce que ça fait un tout, et il ne
faut pas en laisser une de côté. Je pense que votre voix est bien entendue en
ce sens.
Et, d'ailleurs, il y a les projets pilotes. Et
là, Mme Monastesse, je vous ai lue, là, à quelques reprises dans les
journaux, vous disiez : Bien, pour nous, je pense que c'est correct qu'on
puisse y aller avec des projets pilotes. Je vais redire ce que j'ai dit tout à
l'heure, ça me brise le coeur de penser qu'une victime, qu'elle soit de la
Côte-Nord ou qu'elle soit de l'Estrie, si on privilégie un district judiciaire
versus un autre pour les projets pilotes... que les victimes n'auront pas droit
au même accompagnement. J'imagine que vous partagez avec moi cette réticence.
Mme Monastesse (Manon) : Oui,
je partage avec vous cette réticence. Mais comme, je dirais, dans l'idéal, bien
sûr, on devrait implanter le plus rapidement possible les tribunaux spécialisés
dans toutes les régions. Mais, quand même, c'est un chantier important du fait
que ce ne sont pas des mesures accessoires, là, on parle d'un changement de
culture organisationnelle, alors ce sont quand même des changements qui sont
très fondamentaux. Alors, le fait, est-ce que... si on a la capacité d'y aller
partout en même temps, bien oui, c'est l'idéal, mais n'empêche que ça va
falloir toute une logistique, là, si on le fait partout en même temps. Alors,
c'était pour ça qu'on était favorable à l'instauration de projets pilotes.
Puis je tiens aussi à souligner que le ministre
a mis en place une table nationale de consultation sur l'implantation des
tribunaux spécialisés, et nous sommes des représentants, nous faisons partie de
cette table et nous sommes avec des représentants de tous les secteurs, c'est
vraiment multidisciplinaire et multisectoriel. Alors, bien sûr dans l'idéal, on
voudrait que le travail se fasse partout en même temps au Québec, mais,
logistiquement parlant et réalistement parlant, est-ce possible? Le fait de
faire le suivi sur différentes régions qui vont implanter des projets pilotes,
bien, ça va nous permettre aussi de rectifier en temps réel qu'est-ce qui ne
fonctionne pas, qu'est-ce qui devra être fait autrement. Alors...
Mme Melançon : Mais aidez-moi, là, Mme Monastesse, là,
aidez-moi, là. Quand on sera rendus dans l'article par article pour les
projets pilotes... Combien de temps ça doit durer, un projet pilote? Parce que,
moi, ce qui me fait toujours peur, dans un
projet pilote, là, c'est qu'on fasse des démonstrations que ça ne puisse pas
fonctionner puis que finalement, là,
après x nombres d'années, là, quand c'est moins dans l'actualité, le
projet pilote s'évanouit. Je vais compter
sur vous, puis vous allez pouvoir compter sur moi pour toujours garder ça bien
frais dans la mémoire des différents élus de l'Assemblée nationale.
Cependant, là, j'ai besoin de savoir par où on commence puis combien de temps,
un projet pilote.
• (11 h 30) •
Mme Monastesse (Manon) : C'est
une question... c'est une grande question. Mais moi, j'y vais toujours par
exemples. Alors, on a des exemples concrets, et il faudrait s'inspirer de la
façon dont le processus a été créé, comme à Southport. Je sais qu'à Southport...
parce que nous sommes en contact aussi, via notre réseau international, avec
des maisons d'hébergement, des associations. Et, quand même, c'est pour ça que
je disais quand même qu'on était enclines aux projets pilotes, parce que ça a
quand même nécessité des investissements majeurs de tous les acteurs. Alors, ça
s'est fait quand même sur une période, et c'est toujours dans une perspective
de renouvellement. Ça existe à Southport depuis 2017, alors, et ça a quand
même pris un certain temps, là, parce qu'on change la structure. On change la
façon de procéder. On veille à ce qu'il y ait vraiment une synergie à tous les
niveaux. Alors, je crois qu'il faut laisser quand même un certain temps, mais
je crois que ça s'est fait quand même relativement... Le processus de façon
relativement complexe s'est fait quand même sur une période de plus
d'un an.
Le Président (M. Benjamin) : Malheureusement,
c'est tout le temps qu'il nous reste pour la députée de Verdun. La parole
revient maintenant à la députée de Sherbrooke pour cette période d'échange.
Mme Labrie : Merci. Je vais
revenir sur la question du chantier plus global dont vous parliez sur la mise
en oeuvre du rapport Rebâtir la confiance. C'est la première des recommandations
que vous faites. Je sais que vous et moi, on
est assez informées sur l'évolution de la mise en oeuvre de certaines recommandations. Ce n'est pas nécessairement le cas de toutes les victimes.
J'aimerais vous entendre sur ce qui doit être fait pour que les victimes,
justement, aient confiance dans ce qui est en train d'être fait en ce moment.
Est-ce que, d'après vous, les victimes ont vraiment connaissance des recommandations
qui sont en train d'être mises en oeuvre? Est-ce qu'elles sont rassurées par ce
qui se passe en ce moment ou est-ce qu'elles manquent d'information sur ce qui
est en cours?
Mme Monastesse (Manon) : Bien,
il est évident que les victimes que nous, on reçoit via nos maisons
d'hébergement ou nos services externes sont mieux informées. C'est évident que
les maisons, c'est une grande partie de leur
travail, de les soutenir quand elles doivent passer à travers le processus
judiciaire. Mais je crois qu'effectivement, pour toutes celles que l'on ne voit pas, il devrait y avoir une campagne
plus au niveau de présentation de ce qui va venir, ce qui est déjà en
place et la volonté aussi de faire en sorte que l'on puisse réaliser les
nombreuses recommandations.
Mais je pense qu'il devrait y avoir un message
plus global qui... pour la population en général, parce que, ce que ça veut
dire, c'est d'envoyer, oui, un message très positif pour les victimes, mais
également pour toutes celles qui gravitent autour des victimes... et la
question aussi par rapport aux agresseurs, aux contrevenants, qu'il y a aussi
quelque chose qui va être fait et... au niveau de l'accompagnement et de
l'encadrement, là. Alors, vraiment, d'envoyer un message général qu'on est
vraiment dans un chantier important, qu'il y a une volonté politique de le
faire, et que ça vise vraiment des changements de culture, alors je pense que
ça va donner un espoir important.
Mme Mongeau
(Danielle) : Je me
permettrais d'ajouter, si vous me permettez, Mme la députée, que l'information,
c'est toujours la base, là. Effectivement, quand elles sont réseautées dans des
ressources, c'est plus facile. L'information, c'est la base, mais surtout la
compréhension de l'information. Donc, on voit que, dans les derniers mois, il y
a eu vraiment un effort soutenu pour réaliser...
Le Président (M. Benjamin) : En
conclusion.
Mme Mongeau (Danielle) : ...
plusieurs de ces recommandations-là, mais, ces recommandations-là, il faut comprendre les liens les unes avec les autres, et
ça, ce n'est pas toujours simple. Alors, c'est plus dans la
vulgarisation de l'information qu'elles pourraient amener vraiment auprès des
victimes une meilleure compréhension du changement qui est en train de se
faire.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. Merci beaucoup. Maintenant, au tour de la députée de Joliette de
poursuivre les échanges.
Mme Hivon : Bonjour. Heureuse de vous revoir en commission parlementaire. Excellent mémoire très fouillé. Merci
beaucoup. Merci de mettre en lumière des exemples très concluants de tribunaux
spécialisés. En fait, que l'on soit en violence conjugale ou en violence sexuelle,
toutes les expériences, jusqu'à ce jour, ont été très concluantes, et ça
devrait vraiment, là, rassurer tout le monde qui pourrait encore avoir des
réserves sur la pertinence de mettre en place au Québec un tribunal spécialisé.
Je suis parfaitement d'accord avec vous sur
l'idée d'inclure principes et objectifs dans le coeur du projet de loi pour
qu'on sache de quoi il s'agit. Je pense qu'à partir du moment où il y a un
choix de faire un projet de loi, c'est une occasion importante de mettre de la
chair autour de l'os et de bien s'entendre sur vers où on s'en va. Donc, recommandation
très intéressante, à laquelle j'adhère.
L'autre
élément, c'est votre recommandation 2.Vous parlez vraiment, là, de la question
de la formation. Je veux que vous me disiez si vous voulez qu'on inscrive dans la loi l'importance du
principe de formation pour tous les intervenants judiciaires. Et
mon autre question, j'ai peu de temps, c'est l'idée de la spécialisation, donc,
la formation, mais vous nous recommandez de
s'inspirer du modèle de Southport, où on est face à des intervenants
spécialisés, formés, oui, mais aussi
dédiés, spécialisés. C'est la recommandation que vous nous faites aujourd'hui? Je veux juste en être bien certaine.
Mme Monastesse (Manon) : Tout à
fait, tout à fait, c'est important pour nous que ce soit inscrit dans le projet
de loi, et la recommandation se termine aussi dans l'évaluation aussi des
impacts de cette formation-là. Alors, il
faut voir, oui, bien sûr, la formation, mais il faut voir aussi qu'est-ce que ça a donné
au niveau des impacts, comment ça a amélioré la façon de se concerter
des intervenants, la façon d'intervenir. Il faut que ça aussi, ça soit évalué
pour voir s'il y a des changements, s'il y a des modifications à faire, et où est-ce
que la façon, c'est toujours dans la perspective que ça soit le plus performant
possible au niveau de l'impact sur les victimes et aussi sur les agresseurs.
Le
Président (M. Benjamin) :
Merci. Merci beaucoup. C'est tout le temps dont on dispose pour cette
partie-là. Est-ce que... Je comprends... Est-ce qu'il y a un autre... Le
député de Chomedey souhaite intervenir à ce segment?
M. Ouellette : Bien, j'aurais
juste une question pour Mmes Monastesse et Mongeau, si possible.
Le Président (M. Benjamin) :
Oui, allez-y.
M. Ouellette : Bonjour,
mesdames. Aurions-nous certains avantages dans le projet de loi à retirer de...
ce qui s'est fait à Moncton, au Nouveau-Brunswick? Parce que vous nous avez beaucoup
parlé de l'Australie, mais on a quelque chose qui est très, très près et qui
marche depuis plusieurs années. Est-ce qu'on aurait des choses, à votre connaissance,
à aller rechercher ou à aller retirer, pour ne pas réinventer la roue, là, de l'expérience
de Moncton?
Mme Monastesse (Manon) : Bien,
je veux dire, les deux modèles, on les a... Bien sûr, on n'a pas beaucoup de temps, mais, je veux dire, les deux modèles ont
été présentés dans notre mémoire et fonctionnent sur le même principe, là,
une meilleure... tout à fait, une meilleure coordination, une meilleure formation,
donc, mais, quand même, de notre expérience, le modèle de
Southport va plus loin au niveau... où est-ce
que, vraiment, même à Southport, le...
ce qu'on demande, le mandat qu'on demande aux juges, est encore plus
proactif. On leur demande d'être vraiment au centre de la coordination et
d'être vraiment extrêmement impliqués.
Donc, ça va encore plus loin, vraiment, dans le
modèle de Southport. Même les greffiers, là, ça va très loin, dans le sens que même les greffiers sont formés.
Alors, tout le monde est formé. Quand ça procède, tout le monde est au courant de ce qui doit être fait. On n'a pas besoin de
réexpliquer, de prouver, de justifier que ça soit n'importe quel aspect. Donc, c'est un modèle qui, pour nous, est
encore plus intégrateur et qui donne des impacts encore plus notables.
Mme Mongeau (Danielle) : Mais
on peut quand même rajouter que le modèle de Moncton, sa principale qualité est au niveau de la coordination. Donc, ça, c'est vraiment quelque
chose qui est peut-être
à retenir, qu'eux autres, ils ont
poussé vraiment très loin au niveau de la coordination. Il y a un poste
spécifique au niveau coordination judiciaire. Alors, ça, ça peut être
quelque chose qui est à retenir quand même dans le modèle.
Le Président
(M. Benjamin) : Merci beaucoup, Mmes Monastesse et Mongeau,
pour votre contribution aux travaux de la commission.
Je vais suspendre quelques instants les travaux
afin d'accueillir les prochains témoins. Merci. Bonne journée.
(Suspension de la séance à 11 h 40)
(Reprise à 11 h 48)
Le
Président (M. Benjamin) : Alors, nous allons reprendre nos travaux. Donc, je vous souhaite la
bienvenue. Bienvenue à Me Elizabeth Corte, ancienne juge en chef de la
Cour du Québec de 2009 à 2016 et coprésidente du rapport Rebâtir la
confiance, ainsi qu'à Mme Julie Desrosiers, chercheuse et professeure
titulaire à la Faculté de droit de l'Université Laval et coprésidente du
rapport Rebâtir la confiance. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé, après quoi nous
procéderons à la période d'échange avec les membres de la commission. Je
vous invite, donc, à procéder à votre exposé. La parole est à vous.
Mmes Elizabeth Corte et Julie Desrosiers
Mme Desrosiers (Julie) : Merci
beaucoup, monsieur. Bonjour à tous. D'abord, merci pour cette invitation à
présenter nos observations sur le projet de loi n° 92. C'est un honneur
pour nous. Donc, comme vous le savez, on est ici, Elizabeth Corte et moi-même,
Julie Desrosiers, à titre de coprésidentes du rapport Rebâtir... en
fait, coprésidentes du comité d'experts qui
a rendu le rapport Rebâtir la confiance en décembre dernier. Et, avant
de faire des observations sur le projet de loi en tant que tel, nous
aimerions saluer le sérieux avec lequel le gouvernement a accueilli nos
recommandations et les efforts sincères qui ont été déployés pour les mettre en
oeuvre.
Dans le domaine de la justice, particulièrement,
sans entrer dans les détails, je tiens quand même à souligner, en mon nom
personnel et au nom du groupe, que nous saluons le programme de préparation à
la cour, l'aide financière d'urgence, les policiers et les enquêteurs
supplémentaires qui ont été déployés en matière de violence conjugale, l'instauration de la poursuite
verticale en matière de violence conjugale, d'agression sexuelle et
d'exploitation sexuelle, l'offre de
quatre heures de conseils juridiques gratuits pour les victimes. Et donc
je n'entrerai pas dans les détails étant donné le temps qui m'est
imparti, mais, déjà, les choses sont en branle pour une amélioration du
traitement des victimes à l'intérieur de l'appareil judiciaire.
• (11 h 50) •
Le dépôt du projet de loi répond également à
l'une de nos recommandations, recommandation, donc, qui visait l'instauration d'un tribunal spécialisé et qui aurait pu être mis
en oeuvre par le judiciaire ou par voie législative, et, à cet égard,
j'aimerais souligner le fait que l'adoption d'une loi présente des mérites.
D'abord, elle envoie un message fort à la
population. Elle agit comme une mesure de communication directe auprès de la
population en indiquant que la mise en place d'un tribunal spécialisé ne relève
pas seulement des juges, mais de l'appareil gouvernemental au complet. Ensuite,
elle a le mérite de pérenniser la mise en place d'une division spécialisée au
sein de la Cour du Québec et elle place le ministère de la Justice comme un
acteur de premier plan dans cette mise en place, dans un contexte où, comme on
le sait, un tribunal spécialisé exige plusieurs ressources, et pas seulement
les ressources traditionnelles qui sont déployées dans le cadre d'une... en
fait, qui sont celles d'une cour de justice traditionnelle.
Maintenant, je vais faire certains commentaires
de nature à bonifier le projet de loi n° 92 parce que ce projet de loi là
doit envoyer un message clair visant à rassembler les acteurs pour qu'ils
travaillent ensemble, qu'ils arrêtent de travailler en vase clos. C'est ça, le
changement de culture qui est visé, c'est que tous se mettent ensemble,
coordonnent leurs actions de manière à placer la victime au centre d'une offre
de service intégré, tout au long de son parcours judiciaire.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi
s'adresse aux juges et à la Cour du Québec. Il modifie la Loi sur les tribunaux
judiciaires, essentiellement. Et ce que nous allons proposer, c'est d'élargir
la portée du projet de loi au-delà des
strictes modifications à cette Loi sur les tribunaux judiciaires pour énoncer
clairement quels sont les objectifs poursuivis par le tribunal, pour affirmer clairement les responsabilités de chacun
des organismes et acteurs impliqués et pour affirmer clairement que la
formation doit viser tous les intervenants. Je vais reprendre chacun de ces
points dans la suite de mon propos.
Alors, d'abord, énoncer clairement les objectifs
poursuivis. Le fait d'énoncer les objectifs poursuivis donne déjà une couleur
et un contenu au projet de loi, là. On a beaucoup réfléchi sur ces
objectifs-là. Ils ont également été repris et énoncés par le groupe de travail
visant la mise en place du tribunal spécialisé, et nous croyons que le projet
de loi doit en faire état. Alors, quels sont-ils?
Il s'agit d'abord de réduire la victimisation
secondaire des personnes victimes, c'est-à-dire le fait qu'elles subissent une
deuxième victimisation, outre l'agression, à cause de leur passage à travers le
système judiciaire. Donc, plusieurs des aspects d'un tribunal spécialisé visent
à réduire cette victimisation secondaire, donc, offre de services psychosociaux et judiciaires intégrés,
espaces physiques sécuritaires, élimination des mythes et des
stéréotypes, approche coordonnée et
intégrée, y compris entre les différentes juridictions, et prise en compte des
réalités culturelles et historiques des personnes autochtones, autant
d'éléments qui doivent être listés, selon nous, à l'intérieur du projet de loi.
Il
s'agit également de réduire les taux d'attrition, donc, réduire les délais, adopter
les meilleures pratiques de gestion des dossiers et une approche centrée sur la
victime. Et il s'agit également, et, je pense, nous pensons que le projet de
loi doit être clair à cet égard-là, d'assurer l'application du droit criminel
dans le respect des droits fondamentaux des personnes accusées. Il n'a jamais
été question de faire autrement.
Dans la mesure où ces
objectifs-là sont annoncés clairement, nous proposons d'instaurer directement
le tribunal sans passer par un projet de loi et de plutôt prévoir une clause à
la fin du projet de loi pour analyser sa mise en oeuvre à l'intérieur d'un
délai de cinq ans. Nous croyons également qu'il faut affirmer clairement,
donc, c'est le deuxième point... affirmer clairement les responsabilités des
différents ministères et des organismes impliqués dans la mise en place du
tribunal spécialisé, de même que d'identifier l'organisme qui sera responsable
de la coordination et de l'intégration des services.
Donc,
dans notre rapport et à l'intérieur de toutes nos discussions,
l'intégration et la coordination des services a été un sujet de
préoccupation constant parce que l'approche morcelée et par silo à laquelle on
assiste actuellement est au détriment des intérêts des personnes victimes. Et
on avait suggéré, dans cette optique-là, que la mise en place du tribunal
spécialisé soit chapeautée par une nouvelle instance qu'on avait appelée, dans
notre rapport, un secrétariat à la coordination et à l'intégration des actions.
Maintenant, on sait
que cette recommandation-là n'a pas été suivie à la lettre et que d'autres
mesures ont été mises en place par le gouvernement. Simplement, lorsqu'il est question
d'instaurer un tribunal spécialisé, il faut identifier clairement l'organisme,
le ministère qui aura la charge d'intégrer et de coordonner la mise en place du
tribunal, et l'autorité pour le faire, et le projet de loi doit être clair à
cet égard-là.
Troisième point, il
faut affirmer clairement que la formation de tous les intervenants est
nécessaire et non pas seulement celle des juges.
Alors, ces trois
propositions-là, énoncer les objectifs poursuivis, affirmer les responsabilités
des différents ministères et des organismes impliqués et affirmer que la
formation de tous les intervenants est nécessaire, vont permettre de formuler
les principes qui vont marquer l'esprit du tribunal et identifier les acteurs
qui vont participer à sa mise en oeuvre.
Quelques
commentaires également sur l'indépendance institutionnelle. Je vais céder la
parole à ma coprésidente, Elizabeth Corte.
Mme Corte
(Elizabeth) : Merci, Julie. Alors...
Le Président
(M. Benjamin) : Il vous reste 2 min 40 s,
Mme Corte.
Mme Corte
(Elizabeth) : Oui, absolument. Alors, il serait également possible, à
notre avis, de bonifier le projet de loi afin de mieux préserver l'indépendance
institutionnelle des juges et de la cour. Alors, je ne vais pas faire un cours
de droit sur l'indépendance judiciaire. Ce serait beaucoup trop long. Mais je
tiens quand même à rappeler que l'indépendance judiciaire n'est pas au profit
des juges, mais qu'elle est au profit de la société démocratique, de ses
citoyens, et de son gouvernement, et que tout le monde en profite.
Dans cette
indépendance institutionnelle, ça comprend... Je les reprends très rapidement.
Ils ont été mis de l'avant et repris dans une décision de la Cour suprême.
Alors, l'indépendance institutionnelle, dit cette cause de Valente, comprend minimalement l'assignation des
juges, la détermination des séances de la cour, la détermination du rôle
de la cour, la location des salles d'audience, la direction du personnel
administratif qui travaille à ces fonctions.
Alors, quand on
regarde le projet de loi, l'article 3 du projet de loi propose de modifier
la Loi sur les tribunaux judiciaires et d'ajouter : «Le gouvernement
détermine, par règlement, quels types de poursuites sont entendues par le
Tribunal spécialisé[...]. Ceux-ci peuvent varier en fonction de toute
distinction jugée utile.» Et : «Le ministre
de la Justice peut, par arrêté, déterminer les districts judiciaires dans
lesquels ce tribunal peut siéger.» Alors, il nous semble clair que ces
ajouts à l'article 3 du projet de loi ne sont... (panne de son) ...et
qu'afin d'éviter toute ambiguïté nous
suggérons de recentrer cet article sur la compétence de la cour et pas sur les
choses individuellement à faire.
Alors, un mot sur le
nom du tribunal. Remarquez que le comité d'experts ne s'est pas prononcé sur le
nom à donner au tribunal spécialisé. Alors, évidemment, il était clair, pour
nous, ma collègue vous en a parlé tout à l'heure, que sa mise en place se
faisait par concertation, en collaboration, et qu'on avait pensé que cette mise
en place en concertation, en collaboration, ferait en sorte que le nom
suivrait. Ce qu'il est important, pour nous, de dire, c'est que le nom du
tribunal doit communiquer clairement aux personnes victimes que leurs besoins
seraient pris en compte, et nous maintenons cette affirmation, mais nous
pensons qu'il y a moyen de s'entendre sur un nom et...
Le Président
(M. Benjamin) : Merci.
Mme Corte
(Elizabeth) : ...l'article 80, juste une petite seconde, pourrait se
dire : La chambre criminelle... se lire plutôt : La chambre
criminelle et pénale comporte une division spécialisée en matière de violence
sexuelle et de violence conjugale. Selon nous, ça réglerait la situation. Merci
beaucoup.
Le Président
(M. Benjamin) : Merci pour votre exposé. Maintenant, nous allons
commencer les échanges, et j'invite le ministre de la Justice à débuter.
• (12 heures) •
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Me Corte, Mme Desrosiers, c'est un plaisir de vous revoir à
nouveau. On s'était vus sur le projet de loi n° 84.
Je veux vous remercier,
dans un premier temps, pour votre présence aussi, mais tout le travail que vous
avez effectué durant ces dernières années en lien avec la violence conjugale,
la violence sexuelle. Puis, aujourd'hui, moi, je suis fier d'être avec mes
collègues pour la première journée d'auditions publiques, justement, parce
qu'on donne suite aux recommandations du rapport Rebâtir la confiance,
puis ça, c'est un travail collectif, puis c'est un travail de société, puis
c'est un changement, également, de mentalité dans la société. Puis, Puis,
Mme Desrosiers, vous l'avez dit tout à l'heure, depuis que le rapport Rebâtir
la confiance a été déposé, il y a plusieurs actions qui ont été mises de
l'avant par le gouvernement. Et, moi, à titre de ministre de la Justice, c'est important,
pour moi, de mieux accompagner les victimes, puis c'est pour ça que je vais
continuer à aller dans cette direction-là, puis, justement, à déposer des projets
de loi, des changements concrets qui vont avoir une incidence sur la société,
comme c'est demandé par plusieurs acteurs et par vous-même.
Première question. Mme Desrosiers, vous
avez dit : L'Assemblée nationale est tout à fait légitime, par voie
législative, de venir créer un tribunal spécialisé.
Mme Desrosiers (Julie) : Oui.
Alors, bien, vous connaissez la réponse. M. le ministre, vous avez le pouvoir, en
vertu de l'article 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique,
d'adopter des lois en matière d'administration de la justice. Comme l'a évoqué
madame... maître, devrais-je dire, Elizabeth Corte, ce pouvoir-là doit
s'arrêter là où commence l'indépendance institutionnelle. À mon avis, c'est
votre seule contrainte dans les circonstances. Vous avez absolument ce pouvoir
législatif et vous devez le faire dans le respect de l'indépendance
institutionnelle des juges, donc, le respect de la séparation des pouvoirs, que
vous connaissez bien à titre d'avocat vous-même.
M. Jolin-Barrette : Effectivement,
et je vous dirais même à titre de leader parlementaire du gouvernement de cette
Assemblée...
Mme Desrosiers (Julie) : Absolument.
M. Jolin-Barrette : ...et comme
membre de l'Assemblée, comme député élu démocratiquement, comme chacun des
collègues qui sont ici, en cette Assemblée, qui sont des législateurs. Et ça,
c'est fondamental, pour notre société, que les députés puissent exercer leur
prérogative de législateurs et de légiférer sur des aspects qui sont importants
pour la société québécoise. Écoutez, moi, mon souhait le plus fondamental, là,
c'est de pouvoir livrer un tribunal spécialisé du début, hein, du dépôt de la
dénonciation avec la personne victime jusqu'à la fin du processus, à la
condamnation et au-delà, pour accompagner la victime.
Alors, dans ce continuum-là de services, bien
entendu, il y a l'aspect judiciaire, et, pour moi, l'aspect judiciaire est
totalement indépendant, totalement. On n'affecte pas l'impartialité. On ne va
pas se mêler... Et vous l'avez bien dit, Me Corte, ce n'est pas au gouvernement
à assigner des juges. Ça relève de la prérogative de la cour. Ce n'est pas au
gouvernement à dire : Ça va être dans telle salle. Ce n'est pas au
gouvernement à gérer ces assignations-là. Et moi, je le comprends très bien, et
ce n'est aucunement notre objectif. Notre objectif est de faire en sorte, dans
le continuum de services, oui, de venir créer une division.
Et vous l'avez bien dit, Me Corte, tout à
l'heure, vous avez dit : Bon, sur le nom, là, nous, là, on est ouvert.
Dans la recommandation n° 156, c'était : «Instaurer un tribunal
spécialisé en matière d'agressions sexuelles et de violence conjugale au sein
de la Cour du Québec.» Nous, on l'a appelé tribunal spécialisé en matière de
violence sexuelle et de violence conjugale. Vous, vous dites : Écoutez,
vous devriez peut-être... au lieu de dire «tribunal», vous devriez peut-être
dire «une division spécialisée en matière de violence sexuelle et conjugale».
Écoutez, entre vous puis moi, on n'est pas loin,
mais mon désir le plus sincère est de pouvoir fédérer tous les acteurs du
système de justice pour faire en sorte, justement, d'envoyer un signal positif
à toutes les personnes victimes qui... Et, moi, ça m'a frappé, là, et c'est
pour ça que j'ai insisté, à l'époque où j'étais dans l'opposition... avec
l'abolition de la prescription en matière civile, parce que ça, ça date de 2015
ou 2016. Écoutez, on me disait : Ce n'est pas possible de le faire, les
victimes qui ont été agressées sexuellement, là, il y a 30 ans, il y a
40 ans, là, non, on ne peut pas, notre droit ne permet pas ça.
Bien, qu'est-ce qu'on a fait? Ma collègue la
députée de Champlain, ministre et présidente du Conseil du trésor, a repris ça
et a fait le projet de loi n° 55. Après ça, avec l'IVAC, hein, ce n'était
pas normal, là, que des victimes d'agression sexuelle, juste à cause du temps
passé, se faisaient dire par un programme étatique : On le sait, que vous
avez été victimes d'agression sexuelle, on le sait, que vous avez été violées,
mais on ne peut pas vous aider et vous accompagner. Alors, c'est pour ça qu'on
change les choses. Et moi, je pense que, dans l'accompagnement, bien là on
amène le tribunal, avec le continuum de services.
Alors, voyez-vous, Me Corte, quelque chose dans
le projet de loi qui dit : On vient assigner les choses, on vient avoir un
impact sur l'indépendance judiciaire, parce qu'on ne parle pas du tout
d'assignation des juges... Alors, en tout respect, il y a quelques juristes qui
m'accompagnent aussi. Alors, on a fait bien attention de ne pas aller au niveau
de l'indépendance judiciaire.
Mme Corte (Elizabeth) : Bien,
je pense que, quand on dit que c'est le gouvernement qui peut dire à quel
endroit va siéger cette division ou ce tribunal, par la force des choses, il va
y avoir des juges qui vont être là, là. Clairement, vous n'avez pas la...
Clairement, ça ne dit pas que c'est vous qui assignez les juges, là.
Clairement, on a fait... Vous avez quand même fait attention à ça. Mais, en
disant, par exemple : Cette division va siéger à tel endroit, ou à tel
endroit, ou à tel autre endroit, bien, vous forcez, en quelque sorte, une
assignation des juges à cet endroit, à cet endroit ou à
cet endroit, et c'est là que je pense que c'est problématique. Mais, vous
savez, dans le fond, je trouve aussi que ce n'est pas grave dans le sens qu'une
fois que la division est instaurée, une fois que la législation est là, bien,
l'assignation des juges va suivre, c'est clair.
M. Jolin-Barrette : Mais vous êtes d'accord avec moi, Me Corte,
que, moi, mon objectif, là, c'est de rendre le tribunal permanent
à la grandeur du Québec et d'offrir à l'ensemble des personnes victimes le
soutien à la grandeur du Québec, comme c'est recommandé dans votre rapport. Là,
vous nous dites : Écoutez, vous ne devriez pas y aller...
Mme Corte
(Elizabeth) : Absolument.
M. Jolin-Barrette :
...par projets pilotes dans un premier temps, le mettre par phases, mais moi,
je préfère réussir à l'ajuster puis vraiment, lorsqu'on va être prêt à
l'étendre à la grandeur du Québec, pouvoir l'étendre partout. Mais je veux
juste vous rassurer sur la question de l'indépendance. Depuis le début, ma
volonté est de faire en sorte de respecter les compétences de la cour. Et, vous
savez, on n'a rien à voir là-dedans, là. Nous, le gouvernement, l'État québécois
vise à mieux accompagner et à soutenir les victimes, mais il faut que tout le
monde embarque dans le train à partir du moment où il a quitté la gare. Il faut
faire en sorte, justement, d'amener ces changements-là. On a eu les fédérations
de maisons d'hébergement qui sont venues nous dire : Écoutez, dans
d'autres États, là, ça fonctionne, là, puis c'est positif pour les victimes et
c'est même positif pour les accusés.
Alors, moi, je
trouve, là, qu'on est vraiment rendu à avoir un changement comme vous le
proposez dans votre mémoire, surtout parce que ce qui me dérange le plus, là,
comme ministre de la Justice, là, et probablement que vous l'avez vécu vous
aussi comme ancienne juge en chef, là, notre désir le plus fondamental, là,
c'est que les Québécois puis les Québécoises aient accès dans nos... aient accès, mais aussi
aient confiance dans nos institutions, et ça, là,
c'est vraiment primordial. Puis moi, je vais tout faire pour
rendre cette confiance-là, parce que, vous savez, dans la justice, on a des défis à remplir. Le taux de
confiance des gens dans le système de justice, il ne va pas en s'améliorant.
J'ai vu un sondage,
là, c'est pire une fois qu'ils sont passés dans le système de justice que quand
ils sont rentrés. Vous savez, normalement, dans le système hospitalier, les
gens disent... Écoutez, ça ne va pas bien dans le système hospitalier, mais, un
coup qu'ils sont pris en charge, ils ressortent du système hospitalier, un coup
qu'ils ont eu les services, puis tout ça, ils disent : Aïe! Mon taux d'appréciation
est plus élevé. Dans le système de justice, c'est le contraire. On a un
problème, et je crois que le tribunal spécialisé participe à ça pour faire en
sorte d'améliorer l'expérience. Là, vous... Oui, allez-y, allez-y.
Mme Desrosiers
(Julie) : Sur ce point-là, je voudrais juste... peut-être que je
voudrais reprendre, en fait, à partir de votre intervention sur, tu sais, cette
idée d'un projet pilote, d'indépendance judiciaire ou d'assignation des juges.
Tu sais, je pense qu'à l'heure actuelle il faut faire preuve de souplesse. Vous
faites preuve de souplesse quand vous parlez de débuter... bon, division
spécialisée, tu sais, c'est ça, là... Là, en ce moment, là où on est, il faut
éviter les irritants, faire preuve de souplesse pour assurer la mise en place
du tribunal parce que c'est pour les personnes victimes puis parce que, comme
vous, je pense que c'est un changement nécessaire.
Donc, toutes nos ressources
ont le focus sur cette mise en place, toutes nos ressources intellectuelles,
humaines sont à ce service. Et ce qui est un irritant en ce moment, c'est quels
types de poursuites sont entendues puis la détermination des districts
judiciaires. Puis, si on y va dans une interprétation stricto sensu de
l'indépendance institutionnelle, il y a matière à débat. Alors, on l'enlève et
on recentre sur ce qui est votre préoccupation, la compétence juridictionnelle.
Moi, c'est ce que j'ai compris dans le projet de loi. J'ai compris que vous
vouliez déterminer la compétence juridictionnelle comme on le fait partout à
travers la Loi sur les tribunaux judiciaires.
Alors, c'est pour ça
qu'on propose, après réflexion, Elizabeth et moi, d'enlever ces irritants,
recentrer sur la compétence juridictionnelle et instaurer la division. Ensuite,
laissez le judiciaire l'instaurer. Il a l'obligation de le faire par loi. Il a
commencé à le faire. La loi va préciser ses obligations, préciser cette mise en
place. Voilà, c'est lancé, et vous assurez
la coordination et l'intégration des services, donc, sans déterminer les
districts, sans déterminer la façon dont se déploiera ce tribunal, mais
en assurant une révision de l'implantation du tribunal après cinq ans. À notre
avis, cette proposition évite des irritants, des possibilités de contestation.
Merci.
• (12 h 10) •
M. Jolin-Barrette :
Vous êtes d'accord avec moi...
Mme Corte
(Elizabeth) : Surtout, si vous me permettez...
M. Jolin-Barrette :
Allez-y, Me Corte.
Mme Corte
(Elizabeth) : ...je voulais juste dire : Surtout qu'on sait que
la Cour du Québec est d'accord, est d'accord avec cette division, est d'accord
sur un paquet d'éléments qui sont parmi les recommandations du rapport. Alors,
je voulais juste ajouter cette petite note là, et je m'excuse de vous avoir
interrompu.
M. Jolin-Barrette :
Bien, écoutez, je prends la balle au bond, et l'objectif étant, justement, de
faire en sorte que ça soit étendu à la grandeur du Québec, mais il faut
s'assurer que ça soit permanent dans le temps, d'où l'importance du projet de
loi.
Et, sur la question, là,
des dossiers, là, je vous entends bien, mais c'est fondamental que tous les
dossiers de violence sexuelle, de violence
conjugale s'en aillent à ce
tribunal-là. Et, tout à l'heure, la collègue, je crois, de Verdun soulignait : Est-ce
que l'exploitation sexuelle va y être? Alors, oui, l'exploitation sexuelle,
aussi, va y être.
Alors... Mais je prends note de vos commentaires.
Je vais réfléchir à tout ça et puis je vous remercie. J'ai certains collègues
qui souhaitent vous poser des questions, mais un grand merci pour votre
présence en commission parlementaire. Puis je peux vous assurer de mon désir
d'être en mesure de livrer un tribunal spécialisé qui va, justement, répondre
aux besoins des victimes. Et, il faut le dire, la présomption d'innocence
demeure, les règles de droit criminel demeurent, et il n'a jamais été question
de remettre en question cela. Et on l'avait très bien compris, mais il faut que
tout le monde comprenne cela aussi. Je vous remercie.
Une voix : Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. Il reste 2 min 30 s. La députée de Repentigny.
Mme Lavallée : Merci d'être là.
Je reviens sur la recommandation 166, où on dit : «Doter le tribunal
spécialisé de postes de coordonnateur judiciaire pour assurer la circulation de
l'information...» Donc, les deux autres groupes avant vous en ont parlé.
J'aimerais ça que vous reveniez là-dessus pour expliquer qu'est-ce que vous
avez pu constater. Pourquoi vous êtes arrivées à ce besoin-là puis qu'est-ce
que vous avez constaté dans la réalité qui fait que vous pensez que ce
coordonnateur-là, il est important?
Mme Desrosiers (Julie) : Est-ce
que...
Mme Corte (Elizabeth) : Vas-y,
Julie, vas-y, Julie.
Mme Desrosiers (Julie) : Le
poste de coordonnateur judiciaire... Est-ce que vous m'entendez? Oui? O.K.,
parfait. Le poste de coordonnateur judiciaire est particulièrement central en
matière... dans les matières de violence conjugale
parce que, quand une personne est victime de violence conjugale, elle peut avoir des litiges devant différents tribunaux.
Au Québec,
la séparation des pouvoirs fait en sorte que, tu sais, il y aura une histoire
en droit criminel, il y aura
une histoire en droit de la famille, il peut y avoir une histoire en protection
de la jeunesse, et ces juridictions ne se parlent
pas, rendent des décisions sans se parler. Donc, ça, c'est un premier travail
du poste de coordonnateur judiciaire, c'est de s'assurer que toutes les
juridictions, donc, sont au courant de ce que les autres juridictions font.
Donc, il assure un lien entre... pour un même dossier entre les juridictions.
Maintenant, le poste de coordonnateur
judiciaire, c'est aussi un poste qu'on peut modeler. C'est un poste qui existe
dans tous les tribunaux judiciaires. Alors, parfois, les coordonnateurs
judiciaires vont également faire des liens avec les services policiers, avec le
DPCP. Le coordonnateur judiciaire peut aussi avoir comme responsabilité, puis
là c'est variable, souvent, les
juridictions, d'informer la personne victime, de s'assurer qu'elle a bien été
mise au courant des services psychosociojudiciaires qui lui sont
destinés. Il peut également, ce coordonnateur judiciaire, lorsque requis par la
magistrature, faire un travail de gestion des dossiers.
Donc, c'est aussi un poste qu'on peut modeler,
et ça, c'est un poste qui est à créer. Donc, c'est là où les ressources sont
ajoutées. Donc, le ministère de la Justice ajoute des ressources pour créer ce
poste de coordonnateur judiciaire au même titre que le ministère de la Justice
paie pour les employés du greffe, par exemple.
Le Président (M. Benjamin) : Malheureusement,
c'est tout le temps qu'il nous restait, Mme la députée de Repentigny. Maintenant,
la parole revient à la députée de Verdun.
Mme Melançon :
Mme Desrosiers, Mme Corte... Me Corte, merci beaucoup d'être
avec nous aujourd'hui. C'est un plaisir, d'abord, de vous revoir et de vous
entendre, parce qu'aujourd'hui on est là pour un projet de loi très important.
On est là, bien sûr, pour la mise en application d'une recommandation, en tout
cas, du chapitre XII, rappelons-le, là, du
rapport que vous avez piloté avec de nombreux experts, et je tiens encore une
fois à vous remercier pour tout le travail que vous avez fait avec les
experts, et, aujourd'hui, bien, on est là pour espérer, justement, une mise en
place.
Mme Desrosiers, rapidement, vous avez parlé
des irritants tout à l'heure, parce que, je vais le redire ici, il y a une
inquiétude, celle de la contestation, puis on l'a lue dans les journaux. On
sent que c'est... On sent qu'il y a une certaine,
bien, fébrilité, je vais dire ça ainsi. Moi, j'aimerais que vous puissiez mieux
définir, justement, pour l'ensemble des législateurs ici, là, quels sont
ces irritants dont vous parlez.
Mme Desrosiers
(Julie) : D'accord.
Alors, Mme Melançon, je vais d'abord vous dire merci de me remercier, parce que
moi, j'avais 10 minutes, je les comptais. J'étais superserrée dans le
temps puis j'ai raccourci mes remerciements pour ne pas prendre de temps.
Alors, merci à vous et aux autres députés, Véronique Hivon, Christine Labrie,
la ministre de la Justice de l'époque, Sonia LeBel, Hélène David. Est-ce que
j'oublie quelqu'un? Peut-être. En tout cas, merci à vous également, et, en
fait, à ce collectif du comité transpartisan, et à tous les experts.
Donc, bon,
alors, maintenant, sur le temps, j'y vais rapidement.
Les irritants sont connus. Le nom du... Il y a... Moi, évidemment,
je me centre sur l'indépendance institutionnelle
comme irritant, je pense que Me Corte l'a clairement exprimé,
parce qu'à mon avis c'est l'irritant qui possède actuellement un fondement,
hein? Il y a d'autres irritants qui, je ne crois pas, ont des fondements
juridiques aussi solides, mais ils existent quand même, hein? Donc, je peux en
faire état. Le fait que... Le nom du tribunal, bon, je pense que c'est un
irritant qui va se régler, là. J'entends le ministre faire preuve d'ouverture à
cet égard-là. J'ai l'impression que ça va se régler.
L'irritant relatif à la présomption d'innocence,
par le fait même, tombe étant donné que, la juge en chef, elle avait un malaise
avec l'appellation «tribunal» comme telle. Elle liait ça avec la présomption
d'innocence. Donc, ça, ça tombe. Là encore, je ne vais pas discuter du
bien-fondé de ça dans la mesure où je pense que ça se règle. Ça se règle
également en nous disant clairement, dans le projet de loi, qu'on entend
procéder en vertu du droit criminel et dans le respect des droits fondamentaux
des accusés. Donc, ça, ça se règle.
Il y a eu un
irritant de manque de communication,
hein, dans cette histoire-là, et, ça, je veux dire, éventuellement, les
acteurs concernés se parleront, là. Moi, je ne peux rien faire pour ça. Le projet
de loi ne peut rien faire pour ça. Quand je
parle avec le ministre, le cabinet du ministre, parce que je n'ai
jamais parlé directement avec le ministre, il y a des irritants, de leur part, par
rapport aux sorties publiques de la juge en chef. Quand je parle avec les gens
de la juge en chef, et, là encore, je n'ai
pas parlé directement avec la juge en chef, elle s'est sentie brusquée par le dépôt
du projet de loi.
Donc, ça, ce n'est pas des choses sur lesquelles
on peut agir. Ça fait partie du passé. Mais ce qui est clair, c'est que, dans
la mise en oeuvre du tribunal, maintenant, tout le monde doit faire plaisir à
l'autre et travailler ensemble, et c'est pour le bien des personnes victimes.
J'ai l'air moralisatrice, mais c'est ça, la réalité, c'est que ça nous dépasse.
Et, dans une réunion précédente que j'ai eue avec Elizabeth, j'ai beaucoup
aimé, elle a dit : Le tribunal spécialisé, il va se faire, il va se faire
avec nous, il va se faire malgré nous, il va se faire bien, pas bien, mais il
va se faire, parce que le mouvement, il est en branle, et les personnes
victimes le demandent, et la cour va dans ce sens, et le ministère de la
Justice va dans ce sens. Maintenant, ce que je veux, ce que nous voulons, c'est
qu'il se fasse bien, et, pour ça, il faut travailler ensemble et dépasser les
irritants.
• (12 h 20) •
Mme Melançon : Merci beaucoup.
D'ailleurs, je vais me tourner vers Me Corte. Par votre expérience, bien
entendu, comme ancienne juge en chef, là, pour moi, c'est important... Puis je
me rappelle les discussions que nous avons eues à l'époque pour le rapport,
justement, où on savait que l'idée de tribunal spécialisé était pour brasser la
cage un peu aussi, là. On savait ce qu'on faisait. Vous saviez mieux que
quiconque ce qui était en train de se produire. Moi, j'ai besoin de savoir
qu'est-ce qu'on fait à ce moment-ci, là, pour rapprocher les parties, la
meilleure façon de faire. On vous engage comme médiatrice, c'est ça?
Mme Corte (Elizabeth) : Oui,
j'allais dire : Je ne veux pas devenir la médiatrice. Puis, vous savez, ma
collègue Julie et moi-même, on a été interpelées à plusieurs moments par
plusieurs personnes, puis il était extrêmement important pour nous de ne pas
participer à cette tension, polémique, problématique qui existait. Alors, on a
refusé, puis je vais, en quelque sorte, refuser de le faire aujourd'hui aussi
parce que je pense que ce qui est important... Ce qui est important... Julie,
si j'avais pu l'applaudir dans tout ce qu'elle a dit, là... Ce qui est
important, puis il ne faut pas oublier...
Vous savez, la recommandation du tribunal
spécialisé, c'est une recommandation d'un rapport où il y a
190 recommandations, vous le savez. Et je vous dirais que, probablement,
la principale recommandation de tout le rapport, qui transpire de toutes les
recommandations, c'est qu'il faut se parler, il faut communiquer, il faut se
concerter puis il faut collaborer. Il faut arrêter de travailler en vase clos.
Ça ne marche pas. Ça ne marche pas. Ce qui marche,
c'est quand on se concerte, quand on crée des liens, quand on crée des
alliances et quand on y va pour le bien de la population qu'on sert et
des besoins d'accompagnement des victimes qui nous ont guidés jusqu'à
maintenant.
Alors, je pense que c'est ça, la clé, ce n'est
pas autre chose que de se recentrer sur ce qu'on veut tous. Le ministre l'a
dit, il veut un tribunal. La Cour du Québec veut une division. Les victimes
veulent être entendues, accompagnées. Tout le monde veut ça. Il s'agit juste de
s'asseoir puis de le faire.
Mme Melançon : Merci. Merci
beaucoup. J'entendais Mme Desrosiers nous dire qu'il fallait introduire
les objectifs poursuivis à l'intérieur du projet de loi, qu'il fallait aussi,
bien sûr, parler de la formation, pas uniquement celle des juges, mais celles des policiers. On en avait longuement
parlé, et je pense que vous n'êtes pas la seule, là, ce matin, c'est...
Justement, les maisons d'hébergement sont arrivées avec cette même proposition,
là, de rentrer toute la formation à l'intérieur de l'actuel projet de loi. Moi,
ce que j'ai envie de vous demander, c'est qu'à partir du moment où il y a la
possibilité de contestation, vous, une de vos recommandations, puis là on ne
l'a pas ajoutée, là, dans les irritants...
mais c'est les projets pilotes. Les projets pilotes, pour vous, est-ce que vous
le voyez aussi comme un irritant?
Mme Corte (Elizabeth) : Bien,
je me demande... Vas-y, Julie, oui, tu peux y aller. Tu peux y aller. Je vais
compléter.
Mme Desrosiers (Julie) : C'est-à-dire
que le... Oui, mais c'est parce que je te voyais hésiter, Elizabeth. Ça fait
que tu reprendras, tu sais.
Mais en fait le projet pilote, ce qui est un
irritant, c'est ce qui participe de l'indépendance institutionnelle. Tu sais,
c'est ça qui fait que ça devient un irritant. Ça fait que c'est les mêmes
irritants que pour l'indépendance institutionnelle. C'est parce qu'à travers le
projet pilote il y a l'assignation... Il y a la détermination des districts
judiciaires, la détermination des causes qui vont là. Ça fait que, tu sais,
finalement, c'est comme si, tu sais, on est vraiment dans la rencontre de deux
pouvoirs. Donc, le pouvoir législatif, il a le droit de dire : On va créer
une division. Mais le
pouvoir judiciaire, à partir de là, il dit : O.K., à cette heure que le
pouvoir législatif a obligé la création de cette division, je la mets en oeuvre, je décide dans quel district,
je décide qui est assigné, je... Tu sais, c'est comme ça.
Ça fait que c'est pour ça que, maintenant...
Puis, moi personnellement, là, je m'exprime en mon nom personnel et en celui
d'Elizabeth, tu sais, il y a des choses... Et on n'en a pas discuté en comité,
là, ce n'était pas là, là... Tu sais, en comité, on savait que ça pouvait se
faire loi ou par voie judiciaire, mais, personnellement, quand ça se fait par
voie judiciaire, les projets pilotes sont bienvenus, parce qu'on teste... C'est
le judiciaire qui modèle, tu sais. Mais, quand ça se fait par voie législative,
bien, on l'affirme, puis ça se met en place, puis on n'a pas besoin de procéder
par le biais d'un projet pilote, surtout dans le contexte où là ça s'avère un
irritant.
Elizabeth, veux-tu ajouter...
Mme Melançon : ...poursuite,
mesdames, c'est la même chose quant au type de poursuite, j'imagine?
Le Président (M. Benjamin) :
Malheureusement, c'est tout le temps qui nous est imparti. Donc, le temps est
malheureusement écoulé. Donc, il revient maintenant à Mme la députée de
Sherbrooke de poursuivre.
Mme Labrie : Merci, M. le
Président. D'abord, je suis très contente de vous revoir, de voir votre
enthousiasme envers la mise en oeuvre du rapport. Puis je vous remercie pour la
piste de réconciliation que vous nous proposez aujourd'hui, parce qu'on
l'anticipait, mais là on a tout un conflit, je vais le dire comme ça, là, entre
les mains pour la mise en oeuvre des tribunaux spécialisés. J'aimerais ça vous
entendre davantage moi aussi sur la question des projets pilotes. Vous indiquez
clairement qu'on ne devrait pas en faire, qu'on devrait y aller tout droit
directement puisqu'on passe par le projet de loi. Donc, j'aimerais vraiment
vous entendre plus longuement... (panne de son) ...on n'a pas besoin de projet
pilote.
Mme Desrosiers (Julie) :
Elizabeth, vas-y. Je ne veux pas prendre...
Mme Corte (Elizabeth) : Vous
savez, ce n'est pas... Je ne pense pas que c'est un si... Ce qui est difficile
avec les projets pilotes, c'est de décider où il va y avoir un projet pilote,
et que ce soit le gouvernement qui décide à quel endroit il va y avoir un
projet pilote, puis à quel endroit il va y avoir des juges qui vont être
assignés. Et, dans ce sens-là, ça pose cette difficulté-là, en plus évidemment
qu'un projet pilote... Je ne suis pas certaine que, les gens, ils font
particulièrement confiance à ça, un projet pilote. Ça peut marcher un an, deux
ans, puis là qu'est-ce qu'on fait après? Il n'y a rien dans le projet de loi
pour faire l'évaluation des projets pilotes, alors que, dans le fond, ce que
tout le monde veut, c'est qu'à la Cour du Québec il y ait une division qui s'occupe
de tout ce qui touche les dossiers en contexte d'agression sexuelle et de
violence conjugale, et ça, que ce soit partout au Québec.
C'est sûr que c'est une implantation qui va se faire
progressivement, parce que, clairement, je ne vois pas que, du jour au
lendemain, on soit capable immédiatement, partout, en même temps, avec les
mêmes ressources, d'aller de l'avant, mais, très certainement, je pense qu'il
faut donner les ressources pour que ça puisse se faire, autant que faire se
peut, dans tous les districts aussi puis il faut savoir comment la Cour du
Québec... La Cour du Québec fonctionne avec des coordonnateurs dans chaque
région, les... (panne de son) ...qui ont des liens avec les intervenants de
leur district, de leur région, et qui vont mettre en branle cette division-là
chacun chez soi.
Alors, encore que... Bon, dans notre rapport, on
a parlé de projets pilotes parce qu'on pensait, comme disait ma collègue
tantôt, qu'il n'y avait pas de législation, mais, une fois que la législation
dit : La Cour du Québec, dans sa chambre criminelle, a une division qui
entend les dossiers...
Le Président (M. Benjamin) :
Malheureusement...
Mme Corte (Elizabeth) : ...en
matière sexuelle et violence conjugale, bien, c'est réglé. Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme la députée de Sherbrooke. Donc, au tour maintenant de la députée de
Joliette de poursuivre les échanges.
Mme Hivon :
Merci, un grand bonheur de vous revoir également pour moi. Alors, du haut de
mon 2 min 33 s,
j'aurais beaucoup de questions à vous poser, mais je vous remercie. Il y a un
consensus qui se dégage, du moins, ce matin, sur l'importance d'énoncer
les objectifs poursuivis et de parler de la formation de l'ensemble des
intervenants. Donc, vous êtes très claire à ce sujet-là.
Vous amenez un autre élément que je trouve fort
intéressant, c'est l'idée de clarifier dans la loi les responsabilités de
chacun des organismes qui est interpelé par la mise en place du tribunal
spécialisé, mais toute cette philosophie d'accompagnement.
J'aimerais que vous m'en disiez davantage sur ce que vous avez en tête. Et
également vous faites vraiment bien ressortir l'importance d'avoir une
collaboration, une intégration des services, de la coordination. Comment vous
voyez cela traduit dans le projet de loi?
Mme Corte (Elizabeth) : Vas-y,
Julie.
• (12 h 30) •
Mme Desrosiers (Julie) : O.K.,
alors, plusieurs questions intéressantes qui ont tout trait à l'intégration des
services puis à la nécessité d'intégrer le champ du psychosocial dans la loi.
La
ministre Isabelle Charest, elle est... elle a été beaucoup à l'avant de plus de
services psychosociaux. Elle a été impliquée également dans le comité
transpartisan et elle est également à la tête du Secrétariat à la condition féminine. Tu sais, moi, je pense que ces
acteurs-là, Secrétariat à la condition féminine, ministère de la Santé et des
Services sociaux, c'est des acteurs incontournables dans la mise en place puis
la coordination, l'intégration des services.
Alors, ce qu'on a en
tête... Évidemment, on n'est pas des législatrices, hein? Donc, tu sais, la
façon de le dire, de l'écrire, ce n'est pas notre spécialité, mais ce qui nous
apparaît clair, c'est que le projet de loi doit dire qu'un tribunal spécialisé,
c'est différents acteurs qui se mettent ensemble, parce que, fondamentalement,
un tribunal spécialisé, c'est
multidisciplinaire. Ce n'est pas seulement les juges et la Cour du Québec,
c'est des services psychosociaux, c'est de l'information juridique,
c'est un meilleur accompagnement, c'est de la formation de tous pour éliminer
les mythes et les stéréotypes.
Puis, tu sais, le
grand, grand défi, puis là j'avais un bout... j'enverrai mes notes à la
commission, je reprenais un bout, mais, tu sais, avec le 10 minutes, c'est
difficile de tout dire... mais, sur l'importance d'intégrer puis de coordonner,
ça prend une personne, un organisme qui est dédié à ça. On ne peut pas juste
faire du collage. Puis, à ce moment, si... ça manque, dans le projet de loi
puis dans l'esprit du tribunal aussi, cette espèce d'entité qui va permettre
d'intégrer puis de coordonner, tu sais : Toi, tu es responsable, toi, tu
es responsable, toi, tu es responsable, moi, je coordonne et je m'assure que
toi, tu le fasses, toi, tu le fasses, toi, tu le fasses. C'est ça qu'il faut
que le projet de loi dise dans les dispositions liminaires.
Le Président
(M. Benjamin) : Merci beaucoup. Vous avez tellement raison, en
10 minutes, c'est beaucoup peu pour tout dire, c'est tout le temps qui
nous est imparti. Me Elizabeth Corte, Mme Julie Desrosiers, merci...
Une voix :
...
Le Président
(M. Benjamin) : Excusez-moi, monsieur. J'ai reçu une note. Donc,
je pensais... Je m'en tenais à la note. Alors, le député... Alors, nous n'avons
pas encore fini. Le député de Chomedey souhaite intervenir.
M. Ouellette :
Vous voyez comment ça fonctionne, hein? Bon, je vous ferai juste un commentaire
et je vais faire miennes toutes vos paroles. Ce sont des paroles qui sont très
sages et qui vont nous obliger à nous élever au-dessus de la mêlée, parce qu'on a une responsabilité tellement grande
pour nos victimes. Et j'espère, Mme Desrosiers... Vos notes, là, on
veut les avoir aujourd'hui parce qu'on commence l'étude détaillée jeudi matin,
et on espère que les commentaires que vous avez faits... parce que vous nous
avez candidement confié que vous n'aviez pas parlé au ministre, mais que vous
aviez parlé à son cabinet. On va s'assurer que, vos préoccupations, on les
retrouve. On dit souvent... Les ministres disent souvent que les projets de loi
sont perfectibles. Celui-là, il va être perfectible à la fin, parce que notre responsabilité
est grande de ne pas décevoir. Merci.
Le Président
(M. Benjamin) : Merci. Donc, comme il reste encore une minute, est-ce
que vous souhaitez faire un commentaire, Me Corte ou Mme Desrosiers?
Mme Desrosiers
(Julie) : Bien, je veux dire, s'il reste une minute, à notre tour de
vous remercier et de vous insuffler notre enthousiasme à l'égard de ce projet.
Et, voilà, bonne suite dans vos travaux, et je sais que vous allez réussir, et
j'ai confiance en vous.
Le Président
(M. Benjamin) : Merci beaucoup. Donc, je suspends les travaux
jusqu'après les affaires courantes. Merci.
(Suspension de la séance à
12 h 34)
(Reprise à 15 h 38)
Le Président
(M. Benjamin) : La Commission des institutions reprend ses
travaux. Nous poursuivons les auditions publiques dans le cadre des
consultations particulières sur le projet de loi n° 92, Loi visant la
création d'un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de
violence conjugale et portant sur la formation des juges en ces matières.
Cet après-midi, nous
entendrons le Réseau des centres d'aide aux victimes d'actes criminels,
M. Sylvain Guertin, de la Sûreté du Québec, conjointement avec le Service
de police de la ville de Montréal et le Service de police de la ville de
Québec, Me Roxane Roussel et le Barreau du Québec.
Alors, je dis merci à
nos invités qui sont avec nous. Je vous souhaite la bienvenue et je vous
rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé, après quoi
nous procéderons à la période d'échange avec les membres de la commission. Je
vous invite, donc, à vous présenter et à procéder à votre exposé. La parole est
à vous.
Réseau des centres d'aide aux
victimes d'actes criminels
M. Lysight
(Dave) : Merci. Le Réseau
des centres d'aide aux victimes d'actes criminels regroupe 17 CAVAC pour offrir des services
d'aide aux personnes victimes, aux proches ainsi qu'aux témoins d'actes
criminels. Répartis dans
toutes les régions du Québec, ils comptent 185 portes d'entrée qui donnent
accès à des professionnels formés en
intervention.
Les services du réseau des CAVAC sont gratuits
et confidentiels, peu importe la nature et la gravité de l'acte criminel, le
moment où l'acte criminel a eu lieu, que l'auteur de l'acte criminel ait été
identifié ou non et que la personne ait porté plainte ou non. Les services des
CAVAC sont offerts à tous, sans égard à l'âge, au sexe, ni à l'identification de genre. Les CAVAC travaillent
en collaboration étroite avec les intervenants des milieux judiciaires,
des corps policiers, du réseau de la santé et des services sociaux ainsi
qu'auprès des organisations communautaires.
Nous allons maintenant vous présenter le fruit
de nos réflexions concernant la mise en oeuvre des tribunaux spécialisés, nos
réflexions qui s'appuient, bien évidemment, sur nos expériences quotidiennes au
sein des services de police et dans les différents palais de justice.
• (15 h 40) •
M. Bergeron (Sophie) : Tout
d'abord, parlons d'accompagnement et de collaboration. Les personnes victimes
ont besoin d'un accompagnement continu et soutenu du début à la fin des
procédures judiciaires. Dès le dépôt de la plainte à la police et même parfois
avant, les personnes victimes peuvent compter sur l'aide des intervenants des CAVAC.
Cette aide se déploie même au-delà du processus judiciaire, notamment lors de
leurs interactions avec les libérations conditionnelles provinciales et
fédérales. Les intervenants deviennent un ancrage et une source d'information
précieuse, ils démystifient le processus judiciaire et permettent aux victimes
de bien ajuster leurs attentes.
À l'intervention des CAVAC s'ajoutent celles des
policiers, des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et des autres services d'aide aux victimes, formant ainsi une
équipe intégrée autour des personnes victimes. Nous souhaitons que la mise en oeuvre des tribunaux
spécialisés permette de rendre encore plus solide et forte cette équipe.
De même, les pratiques doivent être arrimées et
harmonisées sur tout le territoire québécois. Les processus de collaboration
sont déjà bien établis et efficaces dans plusieurs régions du Québec. Il faut
s'inspirer des bonnes pratiques actuelles pour les diffuser partout en
province, à l'intérieur du projet de tribunal spécialisé. De même, il faut
s'attarder aux modalités d'accès aux services et sur la manière de les rendre
plus connus et accessibles, tout en respectant le choix des victimes et leur
autodétermination.
Maintenant, parlons intervenants spécialisés.
Dans notre travail quotidien, nous observons, en effet, que les intervenants
judiciaires qui agissent régulièrement dans des dossiers de violence conjugale
et sexuelle se montrent plus sensibilisés
aux contextes particuliers dans lesquels se trouvent ces personnes victimes et
offrent une intervention mieux adaptée à leurs besoins. Toutefois, même
si nous croyons en l'importance d'avoir des intervenants spécialisés, nous nous
devons de soulever une certaine inquiétude à ce que ces derniers finissent par
développer de la désensibilisation face aux problématiques complexes et parfois
récurrentes des situations de violence conjugale et sexuelle. Au même titre, nous nous questionnons quant aux impacts que
ces intervenants peuvent vivre lors d'exposition répétée aux récits
dramatiques. Nous pensons, entre autres, aux traumas vicariants. Nous proposons
que soit mise en place une rotation des acteurs qui doivent agir dans ces
dossiers, jumelant à de la formation continue.
Maintenant, la sécurité et l'accueil des
personnes victimes. La mise en place des tribunaux spécialisés doit accorder
une grande importance à la sécurité des personnes victimes au sein des palais
de justice. Certaines personnes victimes ont
d'importantes raisons de craindre pour leur sécurité physique. La grande majorité
des personnes victimes de violence conjugale ou sexuelle sont mises à
l'épreuve sur le plan de leur sécurité psychologique à l'idée de pouvoir se
trouver en contact avec l'accusé. Ceci affecte souvent leur capacité de
participer pleinement au processus judiciaire qui les concerne, par les
pressions indues ou directes de la part des accusés ou de leurs proches. Les
personnes victimes se présentent souvent nerveuses, craintives et émotives. La
moindre des choses, selon nous, est de leur offrir un lieu calme, confortable
et sécuritaire qui leur permettra de tenir pleinement leur rôle dans le
processus judiciaire. On envoie, donc, un message clair quant à l'importance de
la place qu'elles occupent au sein de ces dossiers délicats.
M. Lysight (Dave) : Nous
considérons également que de bien informer la population sur ce que sont les
tribunaux spécialisés et ce qu'ils ne sont pas est un élément crucial du succès
de leur implantation. Par exemple, réitérer que les infractions en matière de
violence conjugale et sexuelle se retrouvent au Code criminel au même titre que
toutes les autres infractions, qu'elles suivent les mêmes principes
fondamentaux et qu'elles sont soumises aux mêmes règles de procédure.
De plus, bien qu'étant conscients que le
contre-interrogatoire demeure un outil important et incontournable pour
soulever les lacunes lors du témoignage, nous suggérons l'idée d'élargir des
directives plus strictes pour la conduite du contre-interrogatoire, qui
permettraient de rencontrer cet objectif, mais sans nécessairement atteindre la
personne victime dans sa dignité ni dans sa valeur. Notre expérience nous
incite à croire que, même à l'intérieur du cadre légal actuel du droit à un
procès juste et équitable, les directives entourant le contre-interrogatoire,
notamment le rôle que peut jouer le DPCP à cet égard, pourraient être
clarifiées et encadrées.
La justice sur rendez-vous. Bien évidemment la
pandémie de la COVID-19 a vu notre système mettre en place différentes stratégies. Celle-ci a été mise en place, et
rappelons, justement, que les longs moments d'attente peuvent être des
périodes anxiogènes pour les personnes victimes, particulièrement les personnes
plus vulnérables également.
Également, nous avons abordé les mesures pour
faciliter le témoignage. Plusieurs mesures sont présentes au Code criminel, qui permettent de faciliter le témoignage aux personnes vulnérables.
Cependant, nous observons qu'encore il est complexe pour certaines
personnes victimes adultes d'y avoir accès. Donc, consentir d'emblée que ces
personnes puissent y avoir accès serait une formidable avancée dans le cadre
d'un tribunal spécialisé.
Mme Dufour
(Kathleen) : En parlant du témoignage des personnes victimes devant la
cour, qui est une étape vraiment charnière de leur parcours, comme le stipule
la recommandation 61 du rapport Rebâtir la confiance, adapter le
Programme enfant témoin aux personnes victimes de violence sexuelle et
conjugale permettra de mieux les soutenir et consolidera leur habileté à
témoigner, ce qui contribuera à un passage devant la cour beaucoup moins
anxiogène. Ainsi, nous demandons qu'il soit prévu, dans le cadre du déploiement
des tribunaux spécialisés, que toute personne victime puisse avoir accès à ce programme.
Aussi, plusieurs
CAVAC, tout comme Côté Cour, offrent déjà des programmes spécialisés en matière
de violence conjugale. Ces programmes sont facilement adaptables en violence
sexuelle. Nous sommes à même de constater que ce type d'accompagnement et de collaboration
font une différence énorme pour les personnes victimes. L'intervention
intersectorielle, policiers-DPCP-CAVAC, dans le cadre des rencontres
préparatoires à la cour, rehausse, de la
bouche même des personnes victimes, la qualité de
l'accompagnement et du soutien qui leur est offert. Donc, dans le cadre
du déploiement d'un tribunal ou d'une division spécialisée, nous invitons les
acteurs impliqués à tenir compte de ces bonnes pratiques afin de les intégrer
partout à travers la province.
Mme Bergeron
(Sophie) : La formation. Donc, afin de prévenir les risques de
victimisation secondaires ainsi que les biais inconscients, il est impératif
que soient ajoutées à la formation continue de tous les acteurs du système de
justice des connaissances permettant de briser les mythes et préjugés qui
persistent concernant les violences conjugales et les violences sexuelles.
De plus, afin de
permettre une meilleure compréhension des situations de violence conjugale et
sexuelle, nous considérons que des formations spécifiques devraient être
offertes aux acteurs qui se trouvent au centre des tribunaux spécialisés, soit
les policiers, les procureurs aux poursuites criminelles et pénales, les
avocats de défense et les juges. Ces formations devraient se concentrer sur les
réactions et les conséquences des personnes victimes, sur l'état de stress
post-traumatique, sur les connaissances sur la neurochimie du cerveau à la
suite d'un traumatisme et le trauma vicariant. Cela faciliterait leur compréhension
quant aux réactions de certaines personnes victimes et à la présence nécessaire
de soutien pour celles-ci lors de leur passage à la cour.
Mme Dufour
(Kathleen) : Somme toute, l'implantation de tribunaux spécialisés sera
une avancée majeure pour les personnes victimes. Chose certaine, tribunal
spécialisé ou pas, il est plus que temps que le système de justice apporte des changements importants afin que
l'expérience des personnes victimes soit améliorée et adaptée à leurs
besoins.
Rappelons, donc,
l'importance de bien arrimer, harmoniser et consolider les meilleures pratiques
actuelles, de ne pas générer des attentes indues chez les personnes victimes de
même que dans la population en général, de fournir aux personnes victimes des lieux
sécuritaires, calmes et accueillants, de s'assurer que les intervenants soient
bien formés et sensibilisés aux besoins des personnes victimes, de s'assurer
que les acteurs du système, qui sont responsables de la conduite du
contre-interrogatoire, instaurent des pratiques respectueuses envers les
personnes victimes. Aucune personne victime ne devrait se sentir intimidée au
moment de son témoignage.
Le Président
(M. Benjamin) : Merci. Merci pour votre exposé. Donc, nous allons
maintenant commencer la période d'échange. M. le ministre, la parole est à
vous.
M. Jolin-Barrette :
Merci, M. le Président. Mme Bergeron, Mme Dufour, M. Lysight,
bonjour. Je suis heureux de vous retrouver à nouveau. Merci pour la
présentation de votre mémoire.
Écoutez, d'entrée de
jeu, je souhaite souligner le bon travail qui est effectué par les intervenants
et les intervenantes des différents CAVAC dans toutes les régions. Depuis que
je suis ministre de la Justice, j'ai eu l'occasion de vous rencontrer à quelques
reprises, de rencontrer également les intervenants et intervenantes sur le terrain, donc dans les palais de justice et également
dans les bureaux, puis je dois dire que la qualité de l'accompagnement
des services est là. Puis il faut dire à la population de ne pas hésiter, hein,
à se tourner vers les CAVAC. Il y a des gens qui sont là pour les accueillir.
Et la mise en place du tribunal spécialisé va notamment faire en sorte de
donner un rôle central, également, aux CAVAC, à l'intérieur du parcours. Alors,
je crois que votre contribution est utile, nécessaire et extrêmement
pertinente.
Et puis vous avez
développé notamment... Mme Dufour, vous parliez du Programme enfant
témoin, qui a été développé en Outaouais et qui, là, est rendu à la grandeur du
Québec. C'est une belle annonce qu'on a faite. Également, là, la préparation au
témoignage, je sais que vous êtes en train de travailler là-dessus, sur les
témoins vulnérables. Donc, ça, c'est des éléments de Rebâtir la confiance,
également, qu'on souhaite mettre en application.
Et donc vous voyez un
peu où on s'en va, c'est le continuum de services, puis je suis d'accord avec
tout ce que vous avez dit, notamment
la formation des intervenants. Pour quelle raison c'est important que tous les
intervenants soient formés, y compris les membres de la magistrature? Parce que
moi, j'ai reçu certains commentaires pour dire, de la part de la magistrature : Nous, on est déjà formés, alors on
n'a pas besoin de suivre de formation puis on est déjà des spécialistes.
Alors, pourquoi c'est nécessaire que tous les acteurs aient une formation, y
compris les membres de la magistrature?
• (15 h 50) •
M. Bergeron
(Sophie) : Je peux y aller, je peux tenter une réponse. Voyez-vous, on
a vraiment fait le choix de présenter la question de la formation en incluant
l'ensemble des acteurs qui sont au centre d'un tribunal spécialisé. Pourquoi?
Parce que nous, on y voit une différence lorsque l'ensemble des acteurs
comprennent dans quel contexte de vulnérabilité ces personnes-là se trouvent.
Et la manière dont ça se présente, c'est au sens de l'accueil, de l'accueil, de
l'écoute qui est offerte à la personne victime qui entre dans cet univers
inconnu.
Alors, je pense, M. le
ministre, si je peux me permettre, qu'il y a assurément, de mon expérience, des
juges qui sont bien formés en la matière. Je
pense qu'il y en a, parce que je l'observe dans les salles d'audience qu'il y a
des juges qui ont cette sensibilité-là, qui
ont des attitudes très, très, très propices, très adéquates. Alors, moi, je pense
qu'il doit être sûrement vrai qu'il y a des juges qui sont bien formés. Ce
qu'on souhaite, c'est que ce soit étendu à l'ensemble des acteurs.
M. Jolin-Barrette : O.K. Et est-ce
que, de votre expérience, lorsque vous allez au tribunal en accompagnant des
victimes, le fait, supposons, de suivre ce genre de formation là pour
comprendre la réalité des victimes qui sont victimes de violence sexuelle ou de
violence conjugale, ça va avoir un effet sur l'impartialité du décideur, du
juge, sur son indépendance, le fait de recevoir de la formation pour savoir qu'est-ce
que la victime vit, pour comprendre ce qu'elle vit?
Mme Dufour (Kathleen) : Écoutez,
je pense que c'est les juges aussi eux-mêmes, hein, qui sont plus en mesure,
là, de vraiment dire si ce type de formation peut influencer ou non, là, leur...
Cependant, ce qu'on peut dire, c'est qu'on observe effectivement, donc, des
juges qui ont une sensibilité particulière, un savoir-être, vraiment, donc,
tout particulier, ce qui fait en sorte que ce que les personnes victimes
sentent, c'est tout le respect qu'elles ont de besoin, justement, pour arriver à jouer leur rôle puis au niveau
de leur passage devant la cour. Donc, oui, effectivement que de
bénéficier de formations...
Par ailleurs, les CAVAC ont déjà, donc, offert,
donc, des formations aux juges sur quelles sont les meilleures pratiques,
quels sont les besoins des personnes victimes au moment de leur passage en
cour. Donc, je pense que c'est
ça, cette ouverture est là, en tout cas, nous, de notre propre expérience, nous la voyons. Mais on répète que,
nous, ce qu'on voit aussi, c'est qu'une formation globale pour
l'ensemble des acteurs va développer ce qu'on appelle un langage commun et des
pratiques, donc, communes et harmonisées.
M. Jolin-Barrette : Et à
l'interne, là, chez vous, dans le réseau des CAVAC, avec vos propres employés,
là, vous-mêmes qui accompagnez à tous les jours, j'imagine qu'il y a de la
formation de la part de... sur votre propre personnel?
Mme Dufour (Kathleen) : Tout à
fait.
M. Jolin-Barrette : Quelle
forme ça prend, ces formations-là?
Mme Dufour (Kathleen) :
Écoutez, donc, c'est des plans de formation annuels qui touchent, évidemment,
tant en regard du trauma, tant en regard, donc, de bonnes pratiques
d'intervention, au niveau aussi de la fine connaissance des procédures devant
la cour criminelle. Donc, cette expérience-là aussi s'acquiert par une présence
en salle de cour et par une collaboration.
Donc, c'est vraiment, donc, des plans de formation annuels, nos
intervenants sont formés, vraiment, en regard, donc, des meilleures pratiques,
là, qui sont mises de l'avant.
Ce qu'on voit aussi, ce qui est intéressant,
c'est lorsqu'on bénéficie de formations en collaboration avec nos autres
partenaires. Donc, dites-vous qu'on peut aussi... quand on a accès à des
formations où on les suit en présence des policiers, des enquêteurs, donc, qui
oeuvrent au niveau des problématiques de violence sexuelle et conjugale, des
procureurs aux poursuites criminelles et pénales, ça fait en sorte que, je
répète, ça amène ce qu'on appelle un langage commun,
une connaissance, aussi, du rôle de chacun. Et donc, nous, en tout cas, on ne
voit que des bénéfices importants, là, pour les personnes victimes.
Donc, maintenant, à savoir si les juges peuvent se joindre à cette formation
commune là, je pense que c'est à eux, là, de voir, là, si c'est possible.
M. Jolin-Barrette : Mais, si, dans tous les cas, là, ils considèrent
que ce n'est pas possible d'avoir cette formation commune là avec les
autres intervenants, ça ne signifie pas qu'ils devraient suivre la formation
séparément?
Mme Dufour
(Kathleen) : Encore une
fois, je pense que c'est ça, c'est à eux à dire, bien, dans quelle
mesure ils peuvent suivre ce type de formation là en collaboration avec les
partenaires ou non. Ce que je peux vous dire,
cependant, c'est... on constate, je répète, leur ouverture, justement, à suivre
ce type de formation, à suivre, donc... Nous avons été, donc, nous-mêmes
invités, et on sait que d'autres services d'aide aux victimes, d'autres
chercheurs aussi, là, leur ont offert ce type de formation là.
M. Jolin-Barrette : Bien, je
vous dirais, tant mieux, c'est vraiment une bonne chose, puis surtout que vous
puissiez offrir ce genre de formation là. On voit encore, l'apport des CAVAC, à
quel point c'est important.
Je voudrais aborder avec vous, là, avant de
céder la parole à mes collègues... Dans votre mémoire, vous avez parlé de l'importance d'avoir des lieux
sécuritaires et adaptés pour les personnes victimes. Moi, je peux vous dire,
lorsque j'ai visité certains palais de
justice, cet été, je suis arrivé dans certains palais, puis la salle d'attente
des accusés était face à la salle où est-ce que les victimes étaient,
puis la salle de cour, juste à côté. Alors, on a fait déplacer tout ça, notamment à Montréal, notamment à Québec, c'est... Je m'excuse d'avoir
déplacé la salle des mariages, mais,
désormais, les personnes victimes, à Québec, sont accueillies dans la salle des
mariages. Mais parlez-nous de ça, l'importance,
pour la victime, là, lorsqu'elle se rend au palais de justice, là...
l'importance de son environnement, là. Parce que ça ne doit pas être simple
aller témoigner quand on est une victime d'agression sexuelle, ça doit être quand même stressant, non?
M.
Lysight (Dave) : Non, comme on l'a mentionné, toute la trajectoire, déjà,
la personne victime ou le témoin doit se présenter à la cour, particulièrement
dans des situations de violence conjugale ou de violence sexuelle, où c'est tellement
des situations qui sont intimes, qui sont personnelles, et tout ça, le fait de
croiser l'auteur du délit ou des proches de cet accusé, dans le fond, ça peut
générer, évidemment, beaucoup d'anxiété, tout ça. Donc, oui, l'environnement
physique peut avoir un impact, là, pour la personne victime, ne serait-ce que pour
aller à la salle de bain, même, toutes les différentes trajectoires, même le
service de taxation des témoins, où, justement, l'accusé doit attendre pour
signer différents documents, et on accompagne la personne victime pour le
service de taxation. Donc, il y a vraiment une logistique, il y a vraiment des...
Nos intervenants prennent soin des personnes pour s'assurer de pallier, dans le
fond, aux limitations physiques, là, qui peuvent être disponibles dans nos
palais.
M. Jolin-Barrette :
Et...
Mme Bergeron
(Sophie) : Si je peux me permettre...
M. Jolin-Barrette :
Oui, allez-y, allez-y.
Mme Bergeron
(Sophie) : Pardon, M. le ministre, je vais être très brève. Pour nous,
là, il est évident, c'est clair, que de fournir des locaux plus chaleureux,
plus accueillants et même, nous, on a vraiment ajouté le mot «calme», hein,
avoir un espace calme, dans les palais de justice, pour ces personnes victimes
là qui doivent parfois attendre de longues heures, pour nous, c'est un message
clair que le système de justice envoie aux personnes victimes comme quoi elles
sont importantes dans ce processus-là. On connaît bien notre droit, on le sait
qu'elles ne sont pas une partie, par contre, on sait qu'elles sont centrales.
Si elles n'existent pas, il n'y a pas de procès en violence sexuelle, en
violence conjugale qui peuvent se tenir. Donc, de leur offrir cet espace-là,
pour nous, c'est très parlant, c'est très évoquant au sens de la place qu'on
veut leur laisser.
M. Jolin-Barrette :
Et, en guise de commentaire, je vous laisse là-dessus puis je cède la parole,
mais, vous avez tout à fait raison, les victimes doivent être considérées au
premier chef, dans les différents palais de justice du Québec. Et ce que je
constate, c'est que peut-être que les palais n'avaient pas été construits en
pensant aux victimes... et ont peut-être été les oubliées, et ça, on est en
train de changer ça et avec votre collaboration. Alors, un grand merci pour
votre présence en commission parlementaire, c'est fort apprécié.
Le Président
(M. Benjamin) : Merci. Nous poursuivons avec le député de
Saint-Jean.
M. Lemieux :
Pour combien de temps, s'il vous plaît, M. le Président?
Le Président
(M. Benjamin) : Il vous reste 4 min 50 s, M. le
député.
• (16 heures) •
M. Lemieux :
Merci beaucoup, M. le Président. D'abord, M. Lysight, Mme Bergeron,
Dufour, bonjour, merci d'être là. Mon collègue de Chapleau aura une question
pour vous. Mais, juste avant, j'étais curieux, parce que j'avais lu votre
mémoire et j'écoutais votre présentation, je me trompe ou il y a une petite
gêne ou c'est comme si vous n'y croyez pas vraiment? Vous avez dit, dans votre
conclusion, mais je l'ai relevé plusieurs fois dans le mémoire :
«L'implantation des tribunaux serait une avancée majeure.» Et, en le lisant,
vous avez dit : Sera. Mais, tout de suite, dans la phrase suivante,
c'est : «Chose certaine, tribunal spécialisé ou pas...» C'est une petite
gêne ou c'est trop beau pour être vrai? C'est une question un peu boboche, là,
mais ça m'intrigue.
Mme Dufour
(Kathleen) : Oui, bien, écoutez...
Une voix :
...bon point.
Mme Dufour
(Kathleen) : Oui. Non, c'est un très bon point. Parce que j'ai dû
écourter, là, la fin de ma présentation, qui aurait peut-être pu expliquer, là,
cet aspect-là. C'est clair que, oui... Ce n'est pas une petite gêne, parce que
dites-vous que c'est une avancée qu'on attend depuis longtemps. Maintenant,
on ne vous cachera pas que nous sommes préoccupés face aux divergences
d'opinions dans la mise en oeuvre d'un tribunal spécialisé, d'une division
spécialisée. On sent que tous les acteurs du système, que tous les membres de
la commission sont, évidemment, prêts à changer les choses, prêts à s'investir,
à trouver des solutions. Mais évidemment, comme tout le monde, nous sommes
conscients, donc, qu'il y a certaines divergences d'opinions entre la Cour du
Québec et la mise en oeuvre des tribunaux spécialisés, telle que prévue au sens
du projet de loi. Et c'est cette incertitude-là, peut-être, qui nous a amenés à
écrire notre mémoire de cette façon-là.
Mais, en même temps,
je pense qu'en constatant, de par nos contacts avec nos partenaires et
collaborateurs, tout le mouvement actuel de
changement... Dites-vous que, surtout depuis le dépôt du rapport Rebâtir la
confiance, tous les acteurs du système de justice se sont mis au
travail. Et ça se passe en ce moment. Donc, on y croit, tout à fait.
M. Lemieux :
Maintenant que c'est dit, M. le Président, je vais céder la parole à mon collègue
de Chapleau.
Le Président (M. Benjamin) : M.
le député de Chapleau.
M. Lévesque
(Chapleau) : ...une au collègue de Saint-Jean. Bonjour,
Mme Bergeron, M. Lysight. Puis une salutation spéciale pour vous,
Mme Dufour, de l'Outaouais. Plaisir de vous voir, de vous revoir.
Effectivement, j'aimerais peut-être joindre ma voix à celle du ministre pour
vous saluer, là, ce que vous faites, votre excellent travail, l'ensemble des
CAVAC. Puis également, en Outaouais, on n'est pas peu fier, justement, de
l'implantation du Programme, là, enfant témoin et autres témoins vulnérables.
Félicitations! J'avais eu l'occasion également de faire une déclaration de député,
j'aurai l'occasion d'aller vous la porter, là, en main propre très bientôt.
Donc, félicitations!
Rapidement, là, une
petite question, là, pour vous. Vous parlez, donc, de nécessaire formation pour
l'ensemble des acteurs. Est-ce que vous faites une distinction pour ces
acteurs-là, en termes de formation? Donc, vous aviez les juges, les avocats...
Ou ça serait la même formation pour tous? Ou il y a des sensibilités qui
devraient être abordées selon le groupe, selon vous?
Puis, deuxième question,
rapidement. Donc, ça devrait être implanté sur l'ensemble du territoire québécois,
mais également vous savez... vous n'êtes pas sans savoir qu'il y a une volonté
de projet pilote. Êtes-vous à l'aise avec cette approche-là? Donc, mes deux
questions, là, en bloc. Merci.
Mme Bergeron
(Sophie) : Je vais répondre pour ma formation, puisque je siège
actuellement sur un comité où on est en train de mettre en oeuvre, suite à Rebâtir
la confiance, une formation pour les intervenants judiciaires, et c'est
effectivement une réflexion qu'on se fait. Il est assez facile de mettre en
place une formation conjointe, policiers et procureurs aux poursuites
criminelles et pénales.
Le questionnement
qu'on a en ce moment, c'est le fait d'adapter une formation comme celle-là aux
avocats de défense qui souhaiteraient la
suivre également. Alors, je vous dirais que c'est un processus. Il n'y a aucune
fermeture. Depuis des années... moi, depuis 18 ans, je travaille dans mon
milieu et je côtoie des avocats de défense qui ont une sensibilité certaine aux
personnes victimes de violence sexuelle et de violence conjugale. Donc, je n'ai
pas réponse aujourd'hui, je veux vous dire qu'on travaille sur cette
réflexion-là de façon très pointue à l'heure actuelle.
Pour ce qui est des
projets pilotes, Kathleen, tu voulais-tu y aller?
Mme Dufour
(Kathleen) : Oui. Bien, écoutez, on comprend que l'idée de vraiment
déployer les choses sous forme de projet pilote, bon, peut amener, donc,
certaines problématiques. Nous, c'est sûr que, l'aspect du projet pilote, ce
qu'on trouve intéressant, c'est qu'on voit que ça va permettre d'expérimenter
tout l'arrimage qui doit être mis en place entre les différents partenaires.
Donc, ça, pour ça, c'est intéressant. Parce qu'à notre humble avis c'est sûr
que ce n'est pas tous les districts, je pense, qui sont prêts à un même niveau
pour accueillir un tribunal spécialisé, donc l'idée d'y aller par
expérimentation pilote, je pense, permettrait vraiment, là, de mettre à niveau
tout le monde. Sauf que notre préoccupation, cependant, c'est qu'on voudrait
éviter que ça traîne en longueur. Dites-vous que les acteurs sur le terrain
sont prêts, donc c'est pour ça que, oui, expérimentation pilote...
Le Président
(M. Benjamin) : Merci beaucoup.
Mme Dufour
(Kathleen) : Merci.
Le Président
(M. Benjamin) : Malheureusement... Donc, alors, suite à l'entente
intervenue entre les parties, donc, la parole revient maintenant à la députée
de Joliette.
Mme Hivon :
Merci, M. le Président. Merci à tout le monde pour la flexibilité. Alors,
j'ai très, très peu de temps, 2 min 30 s, je vous dis les
principaux points sur lesquels j'aimerais vous entendre.
Vous avez parlé de
l'importance que tous les intervenants soient formés. On est d'accord. Vous
avez parlé de l'importance de la spécialisation mais tout en faisant attention
à ce qu'il n'y ait pas de fatigue compassionnelle, des éléments comme ceux-là.
Est-ce qu'on peut
imaginer de la spécialisation? C'est-à-dire que c'est une chose que tout le
monde ait une formation de base, mais qu'on ait de la spécialisation via des
formations continues dans chacun des secteurs, couronne, policiers, juges, donc
une certaine forme de spécialisation qui ne ferait pas en sorte qu'ils soient
nécessairement dédiés à 100 %, 12 mois par année. Bien, par exemple,
comme, si on avait un oncologue, je ne sais pas,
qui est spécialisé pour traiter les cancers, il en fait six mois par
année, il trouve ça très difficile, donc
il fait, six mois, d'autres pratiques médicales. Mais, au moins, la
personne qui a un cancer saurait qu'elle est toujours devant quelqu'un qui est
spécialisé. Donc, j'aimerais avoir votre opinion là-dessus.
Puis l'autre,
rapidement, c'est comment... Vous avez dit, c'est très intéressant, qu'on
pourrait mieux encadrer les directives pour le contre-interrogatoire des
avocats de la défense. Vos pistes seraient bienvenues.
Mme Bergeron
(Sophie) : Oui, tu veux y aller, Kathleen?
Mme Dufour
(Kathleen) : Bien, écoutez, moi, j'irais d'emblée au niveau du
contre-interrogatoire des personnes
victimes, qui est vraiment un élément majeur dans la qualité de leur
expérience. Donc, nous croyons fortement qu'il peut y avoir des
directives plus claires au niveau des procureurs aux poursuites criminelles et
pénales, au niveau de l'objection qui peut être émise lorsque des
comportements, attitudes au niveau du contre-interrogatoire, donc, ébranlent
une personne victime ou dépassent les règles par rapport au droit.
Mais je répète aussi qu'une victime qui est bien
préparée, qui est bien soutenue... Et, quand on vous parle d'adapter le
Programme enfant témoin pour les personnes victimes de violence sexuelle et
conjugale, c'est à ça aussi qu'on fait... qu'on veut en venir. Une victime qui est vraiment... qui
développe des habiletés, des compétences à vraiment témoigner à la cour
est vraiment elle-même aussi en mesure à faire face aux implications du
contre-interrogatoire.
Là, maintenant, je sais qu'il nous reste peu de
temps, votre première question était en regard... ah! du fait de faire... de ce
qu'on peut appeler une rotation. Je trouve que votre exemple est extrêmement
parlant. Quand vous dites, donc, qu'un oncologue peut pratiquer et par la
suite, donc, pratiquer dans autre chose, je pense que c'est un exemple qui peut
être tout à fait pertinent. Parce qu'effectivement développer une pratique de
compassion peut amener des comportements qui sont extrêmement nuisibles pour
les personnes victimes. Donc, moi...
Le Président (M. Benjamin) :
Merci beaucoup...
Mme Dufour (Kathleen) : ...je
pense que c'est une clé importante.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. Alors, nous allons poursuivre avec, maintenant, la députée de Verdun.
Mme Melançon : Merci, M. le
Président. Alors, Mmes Bergeron et Dufour, M. Lysight, ça me fait
plaisir de vous retrouver, parce qu'on a parlé des CAVAC à quelques reprises
ensemble, et notamment lors d'une visite en Mauricie, alors, très, très
heureuse de vous retrouver.
Écoutez, je
voudrais revenir sur les projets pilotes, parce que... Et je tiens à vous le
dire, là, dans votre mémoire, on sent toute l'attention pour les
victimes. Et je veux vous le dire, là, on sent plus que de la compassion, je
dirais même de l'amour pour les victimes, à l'intérieur de ce que vous nous
avez déposé. Puis c'est pour ça que je veux aller un peu creuser sur les
projets pilotes.
Parce que ça
doit être excessivement déchirant de savoir que... Par exemple, je pourrais
dire à Mme Dufour, qui est en Outaouais : Bien, les filles, chez vous,
ne seront pas traitées de la même façon que dans le Centre-du-Québec ou en Mauricie, parce qu'on
va privilégier un district face à un autre. En tout cas, pour moi, là, comme
députée, comme élue, puis je suis persuadée
que je le partage avec d'autres ici aujourd'hui, là, c'est excessivement
dérangeant. Et j'aimerais que vous puissiez me dire comment, si vous étiez à ma
place aujourd'hui, là... comment est-ce que vous seriez capables de vivre avec
ça puis, le projet pilote, vous le
voyez sur combien de temps, juste pour qu'on puisse aider le ministre à
bonifier ce projet de loi.
• (16 h 10) •
Mme Bergeron (Sophie) : Je vais
me permettre de répondre à votre question. On est assez à l'aise avec l'idée
des projets pilotes, dans les CAVAC, parce que notre expérience, c'est que ça
nous permet de voir ce qui est à ajuster. Il faut que vous compreniez que,
nous, ça fait plus de 35 ans qu'on est à l'oeuvre avec les personnes
victimes de violence conjugale, violence
sexuelle, et déjà il est dans nos pratiques, même si, pour nous, il
n'y a pas de petit crime, d'adapter nos pratiques lorsqu'on est en
présence de ces personnes victimes là. Donc, pour moi, projet pilote ou non,
dans ma région, pour la prochaine année, je vais continuer à faire mon travail
avec autant d'amour et de passion, comme vous l'avez dit, et mes collègues qui
auront des projets pilotes pourront expérimenter des choses, bonifier la
recette pour que, lorsque ça atterrira chez moi, on soit avec un produit qui
soit le plus intéressant possible.
Mais, tout à l'heure, votre collègue nous a
parlé de l'éléphant dans la pièce, et je vais en reparler. Moi... nous, le réseau des CAVAC, avons davantage une
forte inquiétude quant à l'iniquité qui pourrait prévaloir dans
certaines régions où on aurait des tribunaux
spécialisés en projets pilotes, d'autres projets de la Cour du Québec, et qu'on
ne soit pas en mesure d'avoir toutes
les ressources disponibles pour offrir les mêmes services à toute personne
victime, partout au Québec. Ça fait que ça, c'est inquiétant, je vous
dirais, et on a peur. Tantôt, votre collègue disait qu'il sentait une
inquiétude, qu'il sentait comme si on n'y croyait pas. Ce n'est pas qu'on n'y
croit pas. Ça fait tellement longtemps qu'on
attend pour ce genre d'initiative là qu'on trouverait ça très triste que les
personnes victimes doivent attendre ou encore puissent... n'aient pas
accès à tous ces services-là qu'on souhaite bonifier dans chacune des régions
du Québec.
Mais, pour la question des projets pilotes, moi,
je... en tout cas, nous, on pense que c'est une recette qui... d'abord, qu'on
implique les acteurs dès le départ, et qu'on les écoute, et qu'on travaille
avec.
Mme Melançon : Je veux juste
vous rassurer, là, ici, tout le monde est d'accord, hein, avec l'idée. Puis
vous le savez, là, parce qu'il y a quand même la députée de Sherbrooke, la
députée de Joliette et moi-même qui étions au travail, donc, pour le rapport,
et, je tiens à le mentionner, là, tout à l'heure, elle a été légèrement
oubliée, mais il y a aussi la ministre de la Condition féminine qui faisait
partie du groupe, alors je tiens à le mentionner. Mais nous, on est tout à fait
d'accord avec ça.
Puis là vous le dites à mots couverts, encore
une fois, donc je vais aller encore plus loin que vous, si vous me permettez,
Donc, vous parlez du programme accès, qui a été annoncé à quelque part... bien,
ça avait été annoncé, semble-t-il, au
printemps, mais on en a entendu parler dernièrement un peu plus... je pense,
c'est le 21 ou le 28 septembre. C'est
de ça dont vous parlez, très clairement, en disant : Bien, il ne faudrait
pas qu'il y ait un programme accès, puis qu'en plus, à côté, il se
développe d'autres choses, puis que, là, il y ait complètement des iniquités,
puis qu'on ne mette pas les énergies, les ressources aux bons endroits. C'est
ce que vous dites?
Mme Bergeron (Sophie) : Tout à
fait. C'est ce qu'on dit exactement. Tout à fait.
Mme Melançon : Parce
que je pense que c'est important aujourd'hui de nommer les choses. Je
trouve qu'il y a plein de choses qui ont souvent été laissées en
suspens, là, dans les derniers temps, donc je pense qu'on doit bien les nommer
et je vous remercie de le faire.
Concernant la formation,
moi aussi, je veux revenir sur la formation, parce que plusieurs intervenants,
en avant-midi, nous ont rappelé l'importance d'introduire, à l'intérieur du projet
de loi, la formation,
pas uniquement pour les juges,
mais aussi, hein, pour l'ensemble. Est-ce que vous êtes du même avis, qu'on
devrait intégrer à l'intérieur du projet de loi...
Mme Dufour (Kathleen) : Tout à
fait. Parfaitement, oui.
Mme Melançon : Et dites-moi pourquoi
c'est aussi important pour vous.
Mme Dufour (Kathleen) : Bien,
c'est vraiment pour développer, donc, je répète, un langage commun, une intervention, une trajectoire de services commune. Il faut que l'ensemble
des acteurs du système soient formés à l'égard des besoins, des
réactions, des conséquences de ces types de crime. Et donc c'est là que tous
les acteurs doivent développer une même
approche afin que, donc, le tribunal spécialisé, qu'une division spécialisée
réponde bien aux besoins des personnes victimes. Donc, il faut que tout
le monde soit formé et sensible aux réalités des personnes victimes. C'est
majeur.
Mme Melançon : Et ce que
j'entends en même temps, dans vos propos, depuis tout à l'heure, c'est que vous
êtes inquiètes qu'il y ait une contestation, contestation judiciaire de la part
de la juge en chef, là, on va le dire comme ça, donc. Et, pour éviter, donc,
ceci, on a des intervenants qui sont venus, plus tôt ce matin, qui nous ont
dit : Bien, si on enlevait des irritants, peut-être qu'on serait capable
d'éviter, justement, cette contestation-là. Est-ce que, vous, le mot
«tribunal», vous y tenez, ou si on est capable de trouver une voie de passage
pour éviter, justement, toute forme de contestation? On est capable d'aller là?
Mme Dufour
(Kathleen) : Je crois que
oui. Écoutez, on ne vous a pas suggéré, dans le cadre de notre
mémoire, un autre terme pour ça. Ce qu'on peut juste vous dire, c'est que, pour
avoir eu des pourparlers, tant au niveau de la cour, avec la Cour du Québec,
avec nos partenaires, on sent tellement des similitudes étroites dans le désir
de changement qu'on pense, bien humblement, qu'on est vraiment tout près
d'arriver à un consensus pour mettre en oeuvre une approche spécialisée. Je
répète, je ne veux pas suggérer d'autres mots que «tribunal spécialisé», parce
qu'il faut quand même nommer que c'est un terme qui est utilisé à travers le
monde, donc je pense que c'est un terme qui est tout à fait... Mais il faut
entendre, donc, les préoccupations pour arriver à trouver un consensus et
mettre en oeuvre, donc, cet important changement qui est attendu depuis longtemps.
Le Président (M. Benjamin) :
...
Mme Melançon : M. le Président,
merci beaucoup. Vous parliez des situations qui étaient anxiogènes, là, à
l'intérieur des... bien, dans tout le processus, hein, on va le dire comme ça,
là. Puis j'imagine une victime... Je veux juste vous dire, puis je vais faire
la parenthèse ici parce que je ne l'ai pas faite ce matin, mais moi, j'ai
écouté le film La parfaite victime et j'ai vu à quel point, bien sûr,
non seulement c'est excessivement dérangeant... Mais je vous remercie d'amener
ici l'encadrement du contre-interrogatoire, parce que, dans le film, là, on le
sent puis on sent le ton, puis, juste dans le ton qu'il y avait dans mon
téléviseur, moi, je devenais anxieuse, je vais le dire comme ça. Qu'est-ce que
vous pensez de l'encadrement? J'aimerais ça vous entendre, là, on va avoir
1 min 30 s, là, à peu près, là, mais j'aimerais ça plus vous
entendre sur ça parce que c'est nouveau aujourd'hui. Allez-y,
Mme Bergeron.
Mme Bergeron
(Sophie) : Oui, je vais y
aller. Parce que nous, on est très concret, dans le Réseau des CAVAC,
hein, on parle à travers notre expérience terrain. Donc, la semaine passée, il
y a une dame qui témoignait à la cour dans
un dossier de violence sexuelle, et l'avocat de défense tente de la questionner
sur ses habitudes sexuelles antérieures avec son conjoint, à savoir que
cette femme-là avait parfois... elle aimait ça un peu plus «rough», hein, bon,
je vais le dire comme ça. Je suis désolée d'être aussi concrète, mais c'est
comme ça qu'il faut le démontrer.
Mme Melançon : Exact.
Mme Bergeron (Sophie) : Et le
procureur de la poursuite s'est objecté à cette question-là avec rigueur, je
dirais même avec vigueur, et le juge a tranché sur le fait que ces questions-là
n'avaient pas lieu d'être... et ont indiqué à la dame qu'elle n'avait pas à
répondre à ces questions-là, et ça a été terminé.
Alors, nous, quand on parle d'encadrement du
contre-interrogatoire, là, c'est de ça qu'on parle. Il y a des acteurs, dans
notre système de justice, qui ont cette responsabilité de mettre des limites,
de cadrer ce qui doit être cadré, et on sait qu'ils sont capables, quand il y a
des classifications à faire, il y a des lignes directrices plus officielles à
rendre, c'est possible. Mais on sait que c'est possible.
Mme Melançon : Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. Nous allons poursuivre avec, maintenant, la députée de Sherbrooke.
Mme Labrie : Merci, M. le
Président. Je veux revenir sur la question des projets pilotes. Plus tôt, ce
matin, on rencontrait les deux coprésidentes
du comité qui a mené au rapport Rebâtir la confiance, et elles nous
expliquaient que, dans le rapport, elles proposaient des
projets pilotes parce qu'elles ne pensaient pas que le ministre opterait pour
la voie législative, mais que, comme il faisait un projet de loi, elles nous
invitaient à y aller partout en même temps, sans faire de projet pilote, et à
commencer l'implantation.
Vous avez dit qu'on avait besoin qu'il y ait des
ajustements en cours de route. Je partage ça. Si on trouvait un mécanisme qui
permettrait des ajustements, est-ce que vous seriez ouvertes à ce qu'on y aille
dans une implantation, là, à l'échelle du Québec, sans passer par des projets
pilotes, en permettant des ajustements en route?
• (16 h 20) •
Mme Bergeron (Sophie) :
Écoutez, on vous répète que nous sommes prêts. Maintenant, c'est ça, c'est le
fait que les régions, chacune des régions a des choses à ajuster, et ce qu'on
veut éviter, c'est qu'il y ait des iniquités trop grandes dans le déploiement
global, donc, de ces tribunaux spécialisés là. Donc, c'est pour ça que, nous,
de prime abord, l'aspect du projet pilote permettrait de bien identifier quels
sont les ajustements qui doivent être faits pour la mise en oeuvre d'un
tribunal spécialisé dans l'ensemble des régions.
Maintenant,
ces projets pilotes là, on s'entend qu'ils ne doivent pas être déployés sur
deux ans, là. Je pense qu'on serait capable,
vraiment, de faire une expérimentation pilote rapide, et pour répondre aussi à
la préoccupation du fait que ça pourrait amener certaines iniquités
qu'une personne victime qui serait dans une région où il y aurait un projet
pilote versus une autre personne victime dans une autre région où il n'y a pas
de projet pilote... Ça pourrait être inéquitable.
Moi, je vous répète que les acteurs sur le
terrain se sont déjà mis en marche pour offrir une approche spécialisée. On
manque malheureusement de temps, mais dites-vous que, dans toutes les régions,
il y a des pratiques qui s'instaurent sans qu'un tribunal spécialisé soit
encore déployé, et ça, ça se répand partout au Québec. Donc, moi, je n'ai pas
cette crainte-là qu'il y aurait vraiment de grandes iniquités. Je répète que
l'expérimentation pilote permettrait de très bien cibler où on doit améliorer
les choses, comment on peut mieux s'arrimer, mais ça ne doit pas être sur une
trop longue période, parce que dites-vous que plusieurs acteurs sont prêts déjà
à travailler ensemble.
Mme Labrie : Quelle période
vous semblerait acceptable?
Mme Dufour (Kathleen) : Ah! écoutez,
c'est difficile, pour nous, d'avancer une période. Est-ce que ça peut être
six mois? Est-ce que ça peut être un an? C'est vraiment, vraiment
difficile pour nous, là, de vous dire. Mais effectivement on ne parle pas de deux ans, cependant. Peut-être
que mes collègues ont une meilleure idée que moi, là.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci...
Une voix : ...
Le
Président (M. Benjamin) :
Malheureusement, malheureusement, c'est tout le temps dont nous
disposons. Donc, je comprends aussi que le député de Chomedey... Est-ce que
vous souhaitez intervenir? Non? Merci. Alors, Mme Bergeron,
Mme Dufour, M. Lysight, merci beaucoup pour votre contribution aux
travaux de la commission.
Je suspends les travaux quelques instants afin
d'accueillir les prochains témoins. Merci.
(Suspension de la séance à 16 h 22)
(Reprise à 16 h 28)
Le
Président (M. Benjamin) :
Alors, bonjour. Je souhaite la bienvenue aux représentants du Service de
police de la ville de Montréal, du Service
de police de la ville de Québec et aussi au service de police de la Sûreté du Québec.
Alors, je vous rappelle que vous disposez de
10 minutes pour votre exposé, après quoi nous procéderons à la période
d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite, donc, à vous
présenter et à procéder à votre exposé. La parole est à vous.
Service de police de la ville
de Montréal (SPVM), Service de
police de la ville de Québec (SPVQ) et Sûreté du Québec
M. Guertin (Sylvain) : ...l'inspecteur
Sylvain Guertin, responsable de la Direction des services spécialisés en
enquêtes à la Sûreté du Québec. Je vais agir comme porte-parole pour
l'allocution initiale. Je suis accompagné aujourd'hui de collègues du Service
de police de la ville de Montréal, soit la commandante Isabelle Schanck, de la
Section des agressions sexuelles, la commandante Anouk St-Onge, de la Section
spécialisée en violence conjugale, et du directeur adjoint Gino Lévesque, de la
Direction des enquêtes et des services spécialisés du Service de police de la
ville de Québec. Je suis également accompagné de ma consoeur Jessica Paradis,
qui est conseillère à la Direction des enquêtes criminelles, à la Sûreté du
Québec.
Dans un premier temps, j'aimerais prendre
quelques instants pour remercier la Commission des institutions de nous avoir
invités, mes collègues et moi, à participer aux présentes consultations dans le
cadre de l'étude détaillée du projet de loi n° 92, qui vise la création d'un tribunal spécialisé
en matière de violence sexuelle et de violence conjugale.
Les violences sexuelles et les violences
conjugales sont malheureusement des problématiques qui touchent l'ensemble de la société québécoise. En tant
qu'organisation policière il s'agit d'événements auxquels sont
confrontés nos policiers au quotidien. C'est, donc, avec
attention et avec un grand intérêt que nous avons suivi les travaux entourant
la création de la division du tribunal spécialisé. Et nous sommes heureux aujourd'hui
d'avoir l'opportunité de vous partager quelques-unes des réflexions à l'égard
de cette initiative.
• (16 h 30) •
Dans un
premier temps, nous sommes ravis de constater l'adéquation qu'il y a entre les
travaux et les recommandations formulées par le comité d'experts sur
l'accompagnement des personnes victimes de violence sexuelle et de violence
conjugale, dont le rapport, Rebâtir
la confiance, a été déposé le 15 décembre dernier. Le dépôt de
ce projet de loi et la présente consultation... Pardon. Le dépôt de ce projet
de loi ainsi que la présente consultation démontrent l'importance que notre
société accorde à l'accompagnement des personnes victimes. Il s'agit là d'un
geste concret qui répond aux préoccupations et aux attentes citoyennes.
La Sûreté du Québec, le Service de police de la
ville de Montréal ainsi que le Service de police de la ville de Québec adhèrent
aux objectifs et aux principes du projet de loi n° 92. Ce dernier
permettra de faciliter le passage des personnes victimes à travers les
différentes étapes du processus judiciaire, parfois long et complexe, et
d'accroître leur confiance envers le système
de justice. La nécessité d'une approche adaptée, conjuguée à l'implication
d'intervenants formés et sensibles aux particularités que revêt ce type de
dossier, est aujourd'hui reconnue.
D'ailleurs, différents modèles d'intervention
adaptée ont su faire leurs preuves et constituent une réelle valeur ajoutée
d'un point de vue policier dans le traitement des plaintes de violence sexuelle
et conjugale. Pensons, par exemple, à des initiatives comme le programme Côté
Cour, à Montréal, qui a su faire ses preuves au cours des dernières années.
Rappelons que ce service offre de l'aide spécialisée à toute personne victime devant
se présenter à la cour criminelle à la suite d'un événement de violence
conjugale ou familiale.
Dans ce contexte, les dispositions prévues dans
le projet de loi n° 92 sont, en quelque sorte, une occasion de déployer certaines des bonnes pratiques qui ont
cours actuellement dans différentes régions du Québec et d'en assurer une
uniformité. L'expérience de plusieurs
initiatives qui ont aujourd'hui fait leurs preuves démontre le bienfait du
travail et de l'expertise d'équipes
dédiées à l'intérêt et au meilleur accompagnement des personnes victimes. Nos
trois organisations seront heureuses de collaborer à la création et au
déploiement de tout projet pilote inhérent à la mise en place du tribunal
spécialisé ou de toute forme d'approche permettant un meilleur accompagnement
des victimes.
Soulignons également qu'un aspect important du
projet de loi n° 92 est la mise en place d'un projet pilote ou de projets pilotes et que des dispositions sont
également prévues pour l'adoption de règlements subséquents. Diverses
variantes peuvent être considérées afin de favoriser une approche adaptée aux
réalités et aux besoins des personnes victimes.
Il nous apparaît, donc, important de souligner quelques questionnements qui
subsistent au regard de l'étendue du projet et de son déploiement à
l'échelle provinciale.
De par la nature des services dispensés par nos
organisations respectives, nous avons une préoccupation à l'effet
que chaque victime au Québec puisse bénéficier du même traitement et qu'elle
ait le droit à un accompagnement et à des services adaptés, et ce, peu importe
son lieu de résidence.
Dans le même
ordre d'idées, il s'avère judicieux de mentionner l'importance de la prise en compte des réalités culturelles et historiques, notamment
celles des Premières Nations et des Inuits. Considérons également l'importance
de faciliter l'accompagnement des personnes victimes issues de diversités
sociales ou sexuelles.
Par ailleurs, nous tenons à souligner la
nécessité d'une approche concertée reposant sur la collaboration des intervenants
ayant à coeur l'accompagnement et le bien-être des personnes victimes.
Dans ce contexte, nous accueillons favorablement
l'ajout des dispositions permettant de préciser à l'intérieur d'un règlement
les modalités inhérentes au tribunal spécialisé, à savoir, notamment, sa
définition, son application et son étendue à l'échelle provinciale. Diverses
options intéressantes peuvent être considérées afin d'offrir un service adapté
et d'optimiser l'accompagnement des personnes victimes. Cela peut se traduire, par
exemple, par l'intégration de services
judiciaires et psychosociaux, la concertation et la collaboration multisectorielles, des installations physiques adaptées ou encore un
dispositif d'aide au témoignage.
Pour conclure, la Sûreté du Québec et le Service
de police de la ville de Montréal ainsi que le Service de police de la ville de Québec sont heureux de collaborer afin de soutenir toute
initiative ou approche ayant pour objectif
d'améliorer le traitement des dossiers d'agression sexuelle et de violence
conjugale. Nous sommes également ouverts à prendre part à toute initiative
susceptible d'améliorer l'expérience des personnes victimes et d'accroître leur
confiance envers le système judiciaire. Nous vous remercions de l'attention et
nous demeurons disponibles pour des questions.
Le Président (M. Benjamin) : Je
vous remercie pour votre exposé. Effectivement, nous allons maintenant passer à
la période d'échange, et je cède la parole tout de suite au ministre de la
Justice.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. M. Guertin, Mme Paradis, bonjour. Content de vous voir
en personne. Mme St-Onge, Mme Schanck et M. Lévesque, bonjour.
On est heureux également de vous avoir à distance.
Merci de participer et merci aux trois organisations policières, à la fois la Sûreté du Québec, le Service de police
de la ville de Montréal ainsi que le Service de police de la ville de Québec,
d'avoir fait une présentation commune.
Et je pense que ça démontre également le fait
que, dans les grandes organisations policières, bien, il y a vraiment un souci
et un désir d'accompagner les victimes, et c'est souvent... En fait, vous êtes souvent
les premiers à rencontrer les personnes victimes, hein, vos patrouilleurs qui
reçoivent des appels ou même lorsque la personne se présente au poste de police
pour faire une dénonciation. Bien souvent, ça arrive que, la victime, c'est le
premier contact également qu'elle a. Donc, vous êtes à même de voir la réalité
des personnes victimes.
Or, je constate que, pour ces
trois organisations, vous accueillez favorablement la création du
tribunal spécialisé. Voulez-vous nous parler de la réalité que vous
vivez avec les personnes victimes? C'est quoi, l'expérience que les corps de police vivent avec les personnes
victimes? Qu'est-ce que vous avez déployé pour accompagner les
personnes victimes? Comment l'accueil se fait?
M. Guertin
(Sylvain) : Oui, tout dépendant du type de crime, il y a des escouades
spécialisées qui ont été formées. Il faut savoir que, pour travailler en enquête
au Québec, les enquêteurs ont une formation de base qui est suivie à l'ENPQ, ce
qui assure une formation qui est égale à la grandeur de la province. C'est un
standard, une fois que le policier est embauché, il a suivi son cours de base
pour être patrouilleur, bien, s'il rentre dans les équipes spécialisées, il va suivre également
une formation qui est approfondie. Effectivement, c'est la formation qui est dispensée pour
les enquêteurs pour l'ensemble du territoire québécois. C'est une formation qui
est reconnue par l'École nationale de police, qui est un partenaire important
pour les organisations policières. Ça établit les standards et ça dicte les
normes qui sont à respecter.
Pour ça, il y a des
formations plus spécialisées qui sont offertes également par l'École nationale
de police, soit des formations en agression sexuelle ou dans d'autres types de
crimes. Et les organisations policières aussi ont le loisir de travailler avec
les... en fonction des réalités qui sont locales à leur organisation et de
développer du matériel soit en concertation avec différents organismes qui sont
présents sur leur territoire soit de bénéficier de l'expertise des autres organisations
qui ont su développer des programmes qui peuvent être adaptés, et c'est ce qui
nous permet d'être plus conscients et plus aptes à accueillir les victimes et
pouvoir travailler avec elles pour être capables de les accompagner tout au
long du processus judiciaire.
C'est sûr que, des
fois, on est la première porte d'entrée. Malheureusement, les policiers sont
appelés à intervenir dans des situations de crise où est-ce que le premier
visage ou le premier intervenant, c'est au niveau du service de police, mais
beaucoup de personnes victimes ont choisi d'autres voies ou sont allées
chercher du support par des organismes, par d'autres intervenants qui sont
reliés, qui peuvent, en relation d'aide, les accompagner pour différentes
étapes, parce qu'il faut comprendre que les personnes victimes ne sont pas
obligées de judiciariser immédiatement un dossier. Il faut être à l'écoute de
leurs besoins parce que chaque personne victime doit manifester quelle décision...
sont maîtres de leur destinée, et c'est à elles de nous... de choisir, dans le
fond, la voie qui va être retenue en fonction du type de dossier qui est fait.
M. Jolin-Barrette :
Et, ça, je pense, c'est important de le dire, que, surtout en matière
criminelle, il n'y a pas de prescription. Donc, la victime, au moment où elle
sera prête, les services de police vont être disponibles pour accueillir sa
dénonciation, mais ça ne veut pas dire... parce que... Vous n'avez pas à vous
presser. Vous n'avez pas à vous dépêcher. Vous pouvez aller chercher de l'aide,
notamment à l'IVAC, notamment dans les CAVAC, notamment dans les organismes, du
soutien financier, du soutien psychologique. Et, par la suite, la victime
pourra faire le processus avec la police, rencontrer les patrouilleurs, les
enquêteurs, tout le processus.
Je voulais vous
demander comment est-ce que vous voyez le tribunal spécialisé, le continuum de
services qui va être offert, l'accompagnement en lien avec le rôle des corps de
police à l'intérieur du tribunal spécialisé. Comment le percevez-vous? Comment
vous voyez qu'on va intégrer les corps de police là-dedans?
• (16 h 40) •
M. Guertin
(Sylvain) : Tout dépendant de la forme qui va être retenue par rapport...
Je pense qu'il y a beaucoup d'arrimage et de concertation qui devront avoir
lieu avec les différents intervenants, peu importe la région où... Il y a déjà
des modèles qui sont en place, et on a à s'inspirer peut-être de ces bonnes
pratiques là qui ont déjà été déployées. Je citais plus tôt l'exemple de Côté
Cour à Montréal. Les services de police ont un rôle à jouer, mais n'ont pas
tous les rôles à jouer dans le continuum. C'est le travail en équipe qui va faire
en sorte qu'on va être capable d'offrir un meilleur service.
Au niveau des services
de police, c'est important de comprendre ce que l'autre fait et de comment on
peut travailler en meilleure collégialité
avec ces partenaires-là, parce que le but n'est pas de prendre la place de
quelqu'un, mais bien de travailler en équipe. Malheureusement, au niveau du système
de justice, à l'occasion, il y a des remises ou il y a un mauvais arrimage qui
fait en sorte que les victimes peuvent vivre des frustrations supplémentaires
dans le cadre d'une judiciarisation d'un dossier. Quand ça fait plusieurs
remises ou une mauvaise communication à différentes étapes, ça crée certaines
frustrations.
C'est important de vraiment
bien travailler en équipe pour être capable d'intégrer du début à la fin et de
comprendre ce qui va se poursuivre dans le continuum de la judiciarisation,
pour être capable de mieux diriger, informer,
parce que c'est un droit fondamental des victimes, d'avoir de l'information qui est cohérente, et qui est soutenue, et qui est valide en
fonction de ce qui va se passer pour la suite, parce que c'est... Souvent, le
premier contact qu'une personne victime va avoir avec le système de justice,
c'est l'événement qu'elles sont... vont vivre, et, si on a la mauvaise information
ou un mauvais arrimage, bien, ça peut créer certaines frustrations qui vont
contribuer à la perte de confiance envers le système de justice.
M. Jolin-Barrette :
Je prends la balle au bond. Vous avez fait référence à Côté Cour à Montréal.
Vous dites : Bon, ce n'est pas le service de police qui s'occupe de tout,
on a une partie... Donnez-nous l'exemple concret, là, de Côté Cour. Côté Cour,
c'est pour les victimes de violence conjugale. Quel est le rôle, là-dedans, du
service de police — je
crois que c'est la ville de Montréal — à l'intérieur de ce programme-là?
M. Guertin
(Sylvain) : Si vous me permettez, je solliciterais l'apport de ma
consoeur de la ville de Montréal, spécialisée en matière de violence conjugale,
qui bénéficie des services de Côté Cour sur son territoire.
Mme St-Onge
(Anouk) : Oui, bonjour. Donc, effectivement, nous, on soumet les
dossiers au DPCP. Donc, on est assurés et on peut aviser la victime qu'elle va
recevoir les services de Côté Cour. Donc, on peut lui dire, déjà, lorsque
l'enquêteur rencontre la victime, qu'il va y avoir un service avec un
travailleur social lorsqu'elle va se présenter
à toutes les étapes du système de justice. Donc, c'est vraiment un partenaire
important, qui est complémentaire au travail des policiers. Donc, nous,
notre travail, comme je vous dis, c'est de soumettre le dossier au procureur,
mais on avise la victime que le système... que Côté Cour va être présent, va
les contacter, qu'ils vont être présents avec eux. Ça fait que ça, ça peut
avoir un effet positif sur la victime de sentir qu'elle se sent accompagnée
dans le système judiciaire, qui peut paraître intimidant pour la victime.
M. Jolin-Barrette :
Je vous remercie. Peut-être une ou deux dernières questions avant de céder la
parole à mes collègues. Tout à l'heure, vous avez fait référence à la formation
à Nicolet, à l'École nationale de police, qui est donnée. Quelle est
l'importance d'avoir une formation spécialisée pour les agents, les enquêteurs
en lien avec les dossiers? Pourquoi est-ce que c'est important d'avoir une
formation telle qu'elle est offerte à Nicolet?
M. Guertin
(Sylvain) : Dans le cadre des enquêtes, c'est important d'avoir de
l'information qui est pertinente et qui va
aider l'enquêteur à être plus efficace et de comprendre certaines choses qui
pourraient être vérifiées par les personnes victimes. Il y a l'aspect,
vraiment, de judiciarisation, qui est comment recueillir des informations,
comment s'assurer qu'elles vont être admissibles à la cour, et autres. Mais il
y a un autre volet, au niveau des rencontres, la façon qu'on va se comporter,
la façon qu'on va reconnaître certains signes, certains comportements qui vont
nous aider à être plus empathiques, plus attentifs aux besoins de la victime
puis d'identifier des besoins qui pourraient
être... répond par l'apport de partenaires, le support de partenaires, et
autres. La formation n'est pas spécialisée... Dans le fond, en agression sexuelle, c'est une formation qui est
vraiment pointue pour ce type d'enquête là. Ça vient outiller davantage
les enquêteurs. Ça vient leur donner des outils supplémentaires pour être plus
efficaces dans leur travail, et surtout ça vient s'inscrire dans une démarche
d'uniformisation aussi pour les policiers sur le territoire québécois.
M. Jolin-Barrette :
Une dernière question, et je cède la parole par la suite. Vous dites, dans
votre mémoire : L'article 3 du projet de loi, c'est une bonne chose,
parce qu'il accorde de la flexibilité, notamment, pour ajuster, pour faire les
modalités... J'ai bien compris, vous êtes en accord avec l'article 3?
M. Guertin
(Sylvain) : On est en accord avec... C'est... par rapport au projet
pilote, oui, exactement, on est accord avec ça, de pouvoir évaluer l'impact que
ça va avoir lors du déploiement, et surtout ne pas se tromper, ne pas faire une
action qui pourrait, dans le fond, avoir des impacts sur le processus et d'être
capable de corriger le tir avant de
l'implanter partout. Je pense, c'est une approche qui est sage dans le
déploiement. C'est quand même un changement de culture qui est important,
l'apport des tribunaux spécialisés au Québec, et d'être capable de tenir compte
des particularités régionales, de consulter les intervenants qui sont déjà sur
place, les organismes et de s'adapter avec la clientèle,
parce que, dans les régions, il faut savoir que les personnes qui sont là
connaissent déjà leur environnement, connaissent leur
territoire, connaissent les intervenants, les organismes qui peuvent participer
à la mise en place efficace de ça et de
travailler en concertation. Je pense, c'est une sage décision, puis ça nous
permet de ne pas répliquer des erreurs, et surtout de ne pas avoir à
faire marche arrière sur certains aspects, ce qui pourrait décourager certaines
victimes ou contribuer au cynisme qui pourrait s'installer.
M. Jolin-Barrette :
Un grand merci pour votre présence en commission parlementaire. Merci à la Sûreté
du Québec, au Service de police de la ville de Québec et au Service de police
de la ville de Montréal. Donc, un grand merci pour votre présentation.
Le Président (M. Benjamin) : Merci. Est-ce que j'ai des... Oui? Alors, j'ai
Mme la députée de Lotbinière-Frontenac.
Mme Lecours
(Lotbinière-Frontenac) : M. le Président, il me reste combien de
temps?
Le Président
(M. Benjamin) : Il vous reste 4 min 20 s.
Mme Lecours
(Lotbinière-Frontenac) :
Donc, bonjour à tous. Moi, j'aimerais savoir... Bien, on a parlé, tu
sais, du projet Côté Cour. J'aimerais qu'on
parle du centre des Services intégrés en abus et maltraitance, le SIAM. Et,
dans un autre temps, j'aimerais que vous parliez de l'importance de la prise en
compte des réalités culturelles et historiques des Premières Nations et des
Inuits et aussi d'un accompagnement pour ces personnes-là. J'aimerais savoir de
quelle façon vous voyez ça puis si vous avez des suggestions.
M. Guertin
(Sylvain) : Si vous me permettez, on a plusieurs partenaires dans la
région de Québec par rapport au SIAM, et le partenaire principal, c'est mon
confrère du SPVQ, M. Gino Lévesque. Je lui céderais la parole pour cet
aspect-là.
M. Lévesque
(Gino) : Parfait, merci. Effectivement, au niveau du SIAM, on parle
d'un service intégré d'abus, maltraitance. Donc, ça s'adresse à une clientèle
mineure. À cet endroit-là, effectivement, ça fait quelques années que ça se
poursuit, ce projet-là, c'est un endroit où est-ce qu'on amène l'enfant qui est
victime d'abus, et tous les services se déploient autour. Donc, c'est vraiment
le principe d'un centre de services intégrés, que ce soient des services
policiers, où est-ce qu'on va faire... amorcer l'enquête policière, avec des
entrevues vidéo, entre autres, autant les services médicaux qui sont sur place,
les services juridiques, les services psychosociaux pour prendre en charge
autant l'enfant mais également sa famille.
L'objectif de
ça, c'est de s'assurer que tous les services sont déployés autour de l'enfant
et s'assurer qu'il n'y ait pas de revictimisation au niveau de l'enfant
également. C'est géré à partir d'une coordonnatrice qui s'assure que l'intérêt
de l'enfant va toujours avoir le plus haut niveau pour l'ensemble des
partenaires également. Donc, c'est très positif. Et, vous savez, c'est un
événement traumatisant pour un enfant de passer à travers ces étapes-là, et
également sa famille, et de tenter de se reconstruire après, et, à l'heure
actuelle, ça fait déjà quelques années que ça fonctionne, et les gens qui
passent à travers le processus dans cet environnement-là, adapté, en ressortent
satisfaits des services qu'ils ont reçus, malgré l'événement traumatisant
qu'ils ont vécu. Ça fait que c'est vraiment une plus-value. C'est pour cette raison-là qu'on croit fortement aux
orientations du rapport Rebâtir la confiance, avec les services
intégrés...
Mme Lecours
(Lotbinière-Frontenac) :
Parfait, merci. Concernant... sur les réalités culturelles et
historiques pour les Premières Nations et Inuits, est-ce que vous avez des
suggestions? Comment on peut bien les accompagner?
M. Guertin (Sylvain) : Pour
implanter un modèle efficace avec les Premières Nations et les Inuits, je
pense, ça va être vraiment
important de prendre le temps de travailler avec les représentants de la communauté,
de considérer les besoins et d'être capable... C'est dangereux de faire
du mur-à-mur, sans tenir compte de ces réalités-là. Si on prend le modèle Côté
Cour de Montréal et qu'on tente de l'appliquer directement dans une région où
est-ce qu'il y a des communautés où les Premières Nations sont présentes sans
nécessairement être à l'écoute de leurs besoins, on risque de faire fausse
route.
Je pense qu'ils sont en mesure de déterminer les
correctifs ou les mesures à mettre en place, à déployer pour être en mesure
d'avoir un modèle qui est efficace, en tenant compte de leurs réalités, en
tenant compte du modèle de guérison, et autres. Il y a différents aspects qui
vont devoir faire partie de la réflexion, et on ne pourra pas faire cette
démarche-là, je pense, par un projet de loi unique, sans se poser la question...
sans les inclure dans la démarche et de leur demander ce qu'elles ont besoin.
Je pense, c'est ce qu'il faut prendre en compte aussi comme particularité pour
les Premières Nations et pour les Inuits.
• (16 h 50) •
Le Président (M. Benjamin) : Il
reste 30 secondes, M. le député de Nicolet-Bécancour.
M. Martel :
Bonjour. Compte tenu que vous avez une expertise en cour pour accompagner, en
tout cas, comme témoin, j'aurais aimé ça savoir... Dans le syllabus, là, si on
veut former des juges par rapport à ça, qu'est-ce qui serait, à votre avis, des
éléments essentiels qu'on pourrait retrouver là-dedans?
M. Guertin (Sylvain) : Pour la
formation?
M. Martel :
Pour les juges, oui, tu sais, quand vous arrivez au bureau, là, puis vous
dites : Le juge... Y a-tu des choses que vous pensez qui devraient
être absolument... faire partie du syllabus de cours pour les juges?
M. Guertin (Sylvain) : Bien,
vous comprendrez que ce n'est pas nécessairement mon domaine d'expertise. Au
niveau de la formation des juges, je ne connais pas nécessairement le cursus
qu'ils ont, de base. Je serais vraiment mal placé pour être capable de répondre
à la question... parler d'un point de vue policier, on n'est pas contre la formation.
Au contraire, on est pour la formation. Je pense, d'outiller vraiment les intervenants,
ça va nous permettre d'être plus efficaces. Je ne crois pas que ça va nuire à
notre impartialité ou à notre façon de faire les choses. Au contraire, ça va
nous permettre d'être plus efficaces, parce qu'au-delà d'un dossier qu'une
personne qui a peut-être mal réagi dans une intervention il y a aussi l'enjeu
d'avoir un dossier qui...
Le Président (M. Benjamin) :
C'est tout le temps dont nous disposions, malheureusement.
M. Guertin (Sylvain) : Oui, pas
de problème.
Le
Président (M. Benjamin) :
Alors, maintenant, nous allons poursuivre les échanges avec la députée de
Verdun.
Mme Melançon : Merci, M. le
Président. Bonjour à vous toutes et tous. Merci beaucoup de passer du temps
avec nous cet après-midi. M. Guertin, je vais commencer par vous dire
merci, parce que vous êtes un des membres, justement, du rapport. Vous avez travaillé comme membre
expert dans le rapport Rebâtir la confiance, puis honnêtement il
ne faut pas passer ça sous silence, parce qu'on a pu avoir l'expertise, justement,
des gens des corps de police, et, pour ça, merci.
Et là je ne vous surprendrai pas, parce que,
dans le rapport, il y a différents chapitres auxquels vous êtes habitué déjà, mais je pense notamment au chapitre VI
dans le rapport, où on parle beaucoup de la formation, justement, des différents corps de police. À l'intérieur de ce
chapitre-là... parce que, là, j'ai l'air de bifurquer, mais, depuis ce matin, tout
le monde semble... Il semble y avoir un certain consensus que la formation pas
uniquement des juges soit inclue dans le projet de loi que nous allons étudier
dans l'article par article bientôt, mais qu'on puisse aussi intégrer la
formation, par exemple, des policiers, policières, des enquêteurs spécialisés.
Moi, ce que j'ai envie... D'abord, est-ce que
vous seriez à l'aise qu'on puisse intégrer à l'intérieur du projet de loi
n° 92, puis là je regarde M. Guertin, mais vous comprenez que la
question est ouverte, bien sûr, aux corps de police de Montréal et de Québec
aussi... qu'on puisse intégrer la formation dans l'actuel projet de loi, parce
que, là, on... Ça devient encore plus important de dire : Oui, tout le
monde doit s'asseoir, tout le monde doit avoir une certaine formation. Est-ce
que, pour les différents corps de police, il y a acceptation qu'on puisse
introduire la formation dans le projet de loi n° 92?
M. Guertin (Sylvain) : Comme je
disais un peu plus tôt, on travaille déjà avec des partenaires importants au
Québec, soit l'École nationale de police, pour assurer une uniformité sur la
formation offerte aux patrouilleurs au premier niveau, une fois qu'ils sont...
qu'ils suivent leur formation de base, et on travaille également avec l'École
nationale de police, selon la loi de police, pour avoir des standards au niveau
des enquêteurs qui suivent le même type de formation en fonction des créneaux
d'enquêtes dans lesquels ils vont travailler.
Les organisations policières ne sont pas contre
la formation. Il faut s'assurer d'avoir la formation qui est adéquate à ce
qu'on va faire comme travail également. On n'est pas là pour se substituer à
des professionnels qui ont étudié dans l'accompagnement de victimes. On n'est
pas des psychologues, malgré qu'à l'occasion on doit faire preuve d'une
certaine souplesse puis d'avoir un très bon coffre à outils, et on demande à
nos premiers intervenants d'être des généralistes dans peu importe la situation
dans laquelle ils vont devoir être confrontés dans le cadre de leur travail. Ça
va des situations les plus complexes, reliées à de la violence, à des
situations dans lesquelles ils doivent faire preuve d'humanisme, de doigté. Ils
doivent être en mesure de répondre aux besoins de la personne victime ou du
citoyen qui a besoin d'assistance.
Ça fait que, pour la formation, les
organisations policières croient tellement que c'est important, c'est même
enchâssé dans nos obligations, comme services de police, d'offrir ces
formations-là à nos membres pour qu'ils puissent se développer. C'est
également, pour la plupart des organisations, tellement important qu'on va se
doter d'équipes qui vont développer du contenu de formation à l'interne qu'on
va être capable de diffuser, et, entre nous, entre organisations policières, on
va être capable de s'échanger ce matériel-là par différentes plateformes. Entre
autres, avec l'École nationale de police, il y a une plateforme où qu'on peut
rendre disponibles des contenus de formation. C'est, d'ailleurs, des
organisations policières qui contribuent avec l'ENPQ à nourrir cette
plateforme-là qui va pouvoir bénéficier à d'autres organisations qui n'auraient
peut-être pas les budgets, les capacités de construire ce matériel-là.
Ce qu'il ne faudrait peut-être pas faire ou
tenter de faire, c'est de former 21 000 policiers au Québec pour
qu'ils soient des spécialistes dans chacun des créneaux, parce qu'à un moment
donné on ne s'en sortira plus non plus, et on ne peut pas avoir le même cursus,
et on ne demande pas à nos policiers d'avoir le même cursus non plus que les
intervenants hyperspécialisés avec qui on va travailler. Je pense que, de
travailler en équipe avec les experts, c'est ce qui va nous permettre d'être
plus efficaces, et on a cette expertise-là dans les différents organismes qui
sont présents sur le terrain, qui viennent nous aider à optimiser notre travail
puis d'être plus efficaces quand on intervient auprès des personnes victimes.
Mme Melançon : Si je peux simplement me permettre, c'est que, ce
matin, on discutait aussi avec des maisons d'hébergement, qui nous
disaient : Bien, probablement qu'on va pouvoir avoir plus de dénonciations
à partir du moment où on aura rebâti la confiance, d'où le titre du rapport. Et
j'imagine... J'aimerais savoir... Actuellement, là, un patrouilleur, c'est
quoi, la durée de la formation à Nicolet sur les violences sexuelles?
M. Guertin (Sylvain) : Je ne
voudrais pas... Je pense, c'est 25 heures dans le cursus de base puis,
après ça, c'est des formations, mais je ne suis pas... Ça fait...
Mme Melançon : O.K. Non, mais
il n'y a pas d'attrape, hein, loin de là, là.
M. Guertin (Sylvain) : Je ne
voudrais pas me...
Mme Melançon : Ce n'est pas le
but du tout, mais c'est surtout parce qu'à partir du moment où on est à
5 % de dénonciations pour les violences sexuelles, s'il y a une
augmentation, ça veut dire que les policiers vont avoir encore plus affaire
finalement avec des victimes, et, pour nous, je pense que c'est là toute
l'importance, justement, qu'on recherchait, bien sûr, avec le rapport, c'était
de pouvoir avoir... Bon, on va en accueillir plus. On va devoir, donc, être
encore plus attentifs. Puis, comme moi, vous avez lu... puis je ne suis pas là
pour ne lancer aucune roche, là, mais, comme moi, vous avez lu des histoires
malheureuses, dans les journaux, où les victimes ne sont pas accueillies, en
tout cas, ou on ne pose pas la question de la façon la plus délicate à une
victime qui vient auprès d'un corps de police.
Donc, pour moi, il
est vraiment primordial d'avoir des patrouilleurs toujours mieux formés,
surtout pour accueillir plus de victimes, parce que le but, c'est qu'on puisse
aller encore plus en dénonciation, dans un premier temps. Et, pour les grands
corps de police, je pense à Québec et à Montréal, je pense que vous avez quand
même le personnel. Je pense beaucoup à la Sûreté du
Québec, où c'est plus étendu, hein, sur tout le territoire. Puis je sais qu'il
y a des postes. Bien sûr qu'il y a des quartiers généraux, mais malheureusement
il y a aussi des tout petits postes de police où, parfois, on va se retrouver
avec un véhicule pour un territoire. Ça va être plus difficile, j'imagine,
d'avoir soit des enquêteurs, en tout cas, destinés directement à la victime ou
encore des patrouilleurs.
Donc, c'est pour ça
que, pour moi, la formation, si on était capable de l'introduire directement
dans le projet de loi n° 92, on vient répondre, bien sûr, à une demande et
aussi à une préparation pour la suite des choses. Je ne sais pas si j'ai la
bonne lecture, là.
M. Guertin
(Sylvain) : Bien, au niveau... C'est sûr qu'on a un défi. Bon, chaque
territoire à ses défis. La densité de population peut être un défi, l'étendue
du territoire peut en être un également. Mais on a l'avantage de travailler
avec des partenaires qui sont engagés également dans chacune des régions. Ça
fait qu'il y a une couverture pour des personnes qui ont des spécialités.
C'est sûr que, dans
certains services, bien, ils sont moins présents dans certaines régions. On le
conçoit. C'est pour ça que les modèles de
coordination forts et la centralisation de la formation avec l'École nationale
de police permet d'avoir un standard pour les policiers du Québec, puis,
ça, on y croit beaucoup, parce que c'est des outils qui sont uniformes, parce
qu'encore pire que de ne pas avoir de formation, c'est d'avoir des formations
qui ne sont pas égales ou pas de formation du tout, ça fait que c'est d'avoir
un équilibre dans tout ça pour être le plus efficace possible.
Et j'aimerais
peut-être juste... Vous avez mentionné, tantôt, d'augmenter le taux de dénonciation
puis de judiciarisation. Nous, on croit beaucoup qu'en temps et lieu la victime
qui va bien être bien accompagnée va être capable de choisir par elle-même si
elle veut aller de ce côté-là. Il faut respecter ce choix-là. Nous, on est là
pour offrir un service de qualité au moment où est-ce que la personne victime
va être prête à décider d'aller vers cette voie-là, et, pour plusieurs raisons,
il y en a qui ne prendront jamais cette avenue-là. C'est juste que, si on n'est
pas bien arrimé avec nos partenaires, il y a peut-être des communications qui
vont faire en sorte qu'il y a des frustrations qui vont se vivre, et une personne qui aurait pu être tentée d'aller
vers une judiciarisation va décider de ne pas y aller.
• (17 heures) •
Mme Melançon :
Et j'entendais tout à l'heure les gens de CAVAC nous dire : Partout sur le
territoire, là, il y a un signal, quand même, qui a été envoyé avec Rebâtir
la confiance, avec le rapport, et les gens sont déjà au travail.
J'imagine que c'est un peu la même chose aussi avec les différents corps de
police, j'imagine qu'on en a entendu parler, on est en préparation. Vous disiez
tout à l'heure : Il y a 21 000 policiers, quand même, là, qui
vont être à former, puis là, bien, pour la formation, ça va nous prendre aussi
un certain temps. J'imagine que les corps de police ont quand même emboîté le
pas, déjà.
M. Guertin
(Sylvain) : Je vous confirme que les corps de police sont en
mouvement, on s'adapte à la situation, et présentement il y a des gestes
concrets qui ont été posés pour avoir du personnel supplémentaire, dans la
plupart des services de police, pour développer du matériel de formation. Ça
fait que, ça, oui, il y a des équipes dédiées, mais le matériel de formation,
s'il n'est pas disponible, ça vient difficile de former. Ça fait qu'il y a des
gestes concrets.
Sans rentrer dans les
détails spécifiques de chacune des organisations, combien de personnes, ce
matériel-là qui est développé, que ça soit à
la Sûreté du Québec, avec l'octroi de ressources supplémentaires qu'on a eues,
ou que ça soit au Service de police de la ville de Montréal ou avec
l'équipe de Québec, qui renforcit son équipe au niveau de l'intervention en
violence conjugale également, c'est des initiatives qui sont prises localement.
Mais vous nous voyez aujourd'hui parler d'une seule voix, les trois plus
grosses organisations policières au Québec, et c'est un signe clair qu'on veut
envoyer aussi. On travaille en concertation puis on travaille en équipe pour
combattre le crime et toutes les formes de crime. Oui, les manchettes
dernièrement, c'est beaucoup le crime organisé qui a fait surface, mais on
travaille également à être meilleurs en échangeant nos bonnes pratiques, en
travaillant en équipe avec les autres organisations policières pour offrir un
service de qualité, et ce, dans toutes les régions du Québec.
Le Président (M. Benjamin) : Merci. Merci, Mme la députée de Verdun. Nous
allons poursuivre avec la députée de Sherbrooke.
Mme Labrie :
Merci. Vous avez abordé tantôt la question de l'efficacité dans l'intervention
auprès des victimes. Un des objectifs des tribunaux spécialisés, c'est de
réduire les délais dans le cheminement des dossiers. Ça m'amène à vous poser la
question sur le délai au moment où le dossier se trouve à la police. Il y a eu
une hausse importante des dénonciations, dans les dernières années, déjà, on en
anticipe de nouvelles, et les victimes souvent nous parlent des délais, nous parlent des délais après qu'elles ont
enregistré leur plainte. Souvent, elles sont longtemps sans nouvelle, ne
savent pas ce qu'il se passe avec leur dossier. C'est des témoignages qui sont
redondants. Est-ce qu'il y a un enjeu d'effectifs pour réussir à assurer des meilleurs
délais de traitement des dossiers?
M. Guertin
(Sylvain) : Chaque organisation policière a peut-être des réalités qui
sont propres à elle. Je peux vous dire que, pour la plupart des organisations
policières, on a eu effectivement des défis, dans les dernières années, d'être capable de faire face au nombre de dossiers
supplémentaires, entre
autres, suite à #metoo, il y a
eu une hausse, une tendance qui a été
observée en agressions sexuelles avec plus de dossiers enregistrés, bon an, mal
an, au fil des années. Ça a tendance à se stabiliser.
Et il faut faire des
choix, comme organisation, après ça, de réattribuer les effectifs pour être
capable de réduire ces délais-là. Et c'est
ce que les organisations policières ont fait, au cours des dernières
années, d'être capable de réaffecter des ressources,
des ressources des enquêteurs qui ont le profil et la formation requise. C'est toujours
ça qui est le défi. Ce n'est pas tout de
mettre un enquêteur à travailler des dossiers. Mais, s'il n'a pas
le bon profil puis qu'on offre un service de mauvaise qualité, au moment
de rencontrer la victime, je pense qu'aussi on pourrait être taxés ou on
pourrait créer certaines frustrations au niveau de la satisfaction des
victimes.
Il faut savoir, par
exemple, que les victimes ont le droit à de l'information. C'est important
qu'elles soient en tout temps informées de
ce qui se passe dans leur dossier. Et on travaille vraiment
d'arrache-pied avec nos partenaires, entre autres avec les CAVAC, qui,
dans le cadre de la référence policière, vont nous donner un support pour nous
assister à transmettre de l'information pertinente à différentes étapes du processus
judiciaire : avant la judiciarisation, pendant et au moment de la sentence
également.
Il y a différentes
étapes qui sont charnières dans les dossiers. Et les procédures, dans les
différents services de police, sont à l'effet qu'il faut être capable de donner
cette information-là lorsqu'elle est demandée. Mais il faut savoir aussi que la
victime peut en tout temps la demander, cette information-là, également. En
connaissant c'est qui, l'enquêteur qui est à son dossier, on est capable de lui
répondre, mais c'est aussi à l'enquêteur ou au service de soutien des CAVAC,
qui travaille en référence policière dans les organisations, de donner cette information-là
au temps opportun pour la victime.
Le Président
(M. Benjamin) : Merci.
Une voix :
...
Le Président
(M. Benjamin) : Malheureusement, plus. Au tour maintenant de la
députée de Joliette.
Mme Hivon :
Oui. Merci beaucoup. J'ai très peu de temps, j'aurais plein de questions. Je
veux juste vous dire merci beaucoup, merci de vous être unis ensemble.
Nous, les partis, on a travaillé de manière transpartisane pour le rapport, puis c'est vraiment rassurant de voir
que les corps policiers sont capables aussi d'être dans la
transpartisanerie aujourd'hui.
Écoutez, je veux
revenir sur toute la question de la formation. Je comprends qu'il y a des
équipes spécialisées à Montréal, j'imagine à Québec aussi, vous pourrez me le
confirmer, à la SQ. Comme disait ma collègue, ce n'est pas évident
nécessairement partout. D'où ma question : Est-ce que, selon vous, ce
qu'il faut viser... Parce que vous venez de dire : Si on n'a pas le bon
profil, on ne sera pas plus avancés. Donc, moi, je suis portée à penser que
l'idée d'avoir une formation puis une
spécialisation, c'est un plus. Est-ce que, vous, dans votre optique, c'est une formation de base à tous sur la question
des violences sexuelles et conjugales, plus une spécialisation pour certains
qui vont y être dédiés ou qui vont en faire une partie de leur pratique? Donc, est-ce
que c'est un plus l'autre ou est-ce que c'est un ou l'autre? Donc, je voudrais
vous entendre là-dessus : formation versus spécialisation.
M. Guertin (Sylvain) :
Il y a des formations qui sont données au moment où est-ce que le policier va
être formé à l'École nationale de police, qui va lui permettre d'avoir des
outils. Ça prend certaines mises à jour... Pardon, je vais changer...
Mme Hivon :
...tous les étudiants à la base, là, c'est ça, comme notre cours général en
droit? Parfait.
M. Guertin
(Sylvain) : Oui, exactement, pour lui donner les outils pour qu'il
soit capable d'intervenir sur le terrain au quotidien, étant donné que, dans le
cadre de ses interventions, il va être appelé à faire face à ce type de
dossiers là. Et après ça il y a des spécialités qui sont données aux
enquêteurs, qui vont travailler soit en fonction des crimes contre la personne,
les agressions sexuelles, du crime organisé, peu importe la spécialité qu'il va
y avoir dans les dossiers.
Parce que ce qui est
important, aussi, c'est d'outiller nos gestionnaires. Parce que, ce qu'on a
observé avec le temps, c'est que certains enquêteurs qui étaient très bons, à
une certaine époque, qui repartent chez eux avec le bagage émotionnel à chaque
jour du travail auprès des victimes, bien, ça devient difficile parce qu'à un
moment donné on peut mettre ça dans un coin puis, à un moment donné, cet
espace-là qu'on a en nous, elle déborde, puis, si on ne met pas les bons outils
pour reconnaître ces symptômes-là, si on ne donne pas les débriefings pour les
policiers aussi, bien, ces policiers-là ont tendance à être moins efficaces
avec le temps.
Quand on parle de
profils, on parle d'aptitudes dans des créneaux spécifiques, parce que ce n'est
pas donné à tout le monde d'être empathique au moment de rencontrer une
victime, mais ils sont très performants dans d'autres créneaux d'enquête qui ne
nécessitent pas les mêmes aptitudes. Je pense que ça, c'est important à
spécifier. Et je pense qu'il y avait un autre aspect... Oui?
Mme Hivon :
...votre collègue...
Le Président
(M. Benjamin) : Malheureusement, malheureusement, il ne reste
plus de temps. Donc, Mme Anouk St-Onge, Mme Isabelle Shank,
monsieur...
Une voix :
...
Le Président
(M. Benjamin) : Ah! vous m'avez... M. le député de Chomedey, il
va falloir que nous nous parlions, parce que...
M. Ouellette : Oui.
Le Président (M. Benjamin) :
Alors, allez-y, M. le député de Chomedey.
M. Ouellette : Merci, M. le
Président. Il va falloir que je fasse un petit peu plus de bruit.
Je pense que le... Bien, bonjour à tout le
monde. Merci d'être là. Je pense que notre plus grand défi, puis, quand je dis
«notre», le défi des législateurs, le défi de vous autres sur le terrain — c'est
un très bel exemple que vous soyez ensemble aujourd'hui — ça va
être l'uniformité puis la cohésion. Les réalités de Québec, ce n'est pas les
réalités de Montréal puis ce n'est pas les réalités de la Sûreté du Québec,
sauf qu'il y a des interventions qui devront être uniformisées pour que, les
gens, on parle tous le même langage. Je comprends qu'il y a une formation de
base, je comprends qu'il y a une formation spécialisée, c'est beau sur papier,
on pourra en parler longtemps, puis on va sûrement en reparler en étude
détaillée avec le ministre.
Mais ce que je retiens de votre mémoire, là,
c'est une ligne : Il y a des bonnes pratiques, puis il faut assurer
l'uniformité de ces bonnes pratiques là, c'est le succès. On aura beau avoir un
cursus pour les juges, mais la première des choses, le cursus pour les juges,
il faudrait que ça soit écrit que les policiers doivent dire la vérité. Ça,
c'est la première des choses. Et, après ça, si nos victimes ne sont pas
adéquatement amenées devant les tribunaux ou... «amenées» n'est pas le bon terme, accompagnées devant les tribunaux,
bien, je pense qu'on travaille... tout le monde, on travaille pour rien,
là.
Ça fait que
c'est une grande tâche, mais l'uniformité va être la clé de tous les efforts
qu'on va faire à Montréal, à Québec et au niveau de la Sûreté du Québec.
• (17 h 10) •
Le Président (M. Benjamin) :
Vous disposez de 30 secondes, si vous souhaitez réagir. Non?
M. Guertin (Sylvain) : ...j'aimerais
peut-être profiter du 30 secondes qui me reste pour remercier le député de Chomedey pour... On travaille fort pour arriver à ça. Puis
je remercie l'ensemble des personnes ici présentes aujourd'hui de
travailler également à mettre en pratique certaines des recommandations du
rapport Rebâtir la confiance. Je pense que ça ne peut pas se faire seul,
on a besoin de votre support. Et vous avez démontré par des mesures concrètes,
dans les dernières semaines, derniers mois, que ce rapport-là ne sera pas
tabletté. Il porte un nom, qui est de Rebâtir la confiance, c'est
important, c'est vraiment l'apport de tous les intervenants qui étaient réunis,
ça a été une tâche colossale. Et de voir que vous reprenez certains de ces
chapitres-là aujourd'hui, c'est vraiment très valorisant pour les personnes qui
ont travaillé, de près ou de loin, pour le bien-être des victimes. Merci
beaucoup.
Le
Président (M. Benjamin) :
Merci. Merci beaucoup. Alors, Mme Anouk St-Onge, Mme Isabelle
Schanck, M. Gino Lévesque, Mme Jessica Paradis, M. Sylvain
Guertin, merci pour votre contribution à nos travaux.
Je suspends la commission quelques instants, le
temps de recevoir nos autres invités.
(Suspension de la séance à 17 h 11)
(Reprise à 17 h 21)
Le
Président (M. Benjamin) :
Alors, voilà, donc, nous allons reprendre nos travaux. Je souhaite à
bienvenue à Me Roxane Roussel, spécialiste en droit familial.
Je vous avise, membres de la commission, que
nous avons reçu les notes de présentation de Me Corte et de
Mme Desrosiers, qui se trouvent sur Greffier. Mais, pour tout de suite,
nous allons recevoir Me Roussel. Je vous rappelle que vous disposez de
10 minutes pour votre exposé, après quoi nous procéderons à la période
d'échanges avec les membres de la commission. Je vous invite, donc, à vous
présenter et à procéder à votre exposé.
Mme Roxane Roussel
Mme Roussel (Roxane) : Merci à
tous. Je me présente, je m'appelle Roxane Roussel, je suis une avocate civiliste spécialiste en droit de la famille. Je
pratique depuis déjà 27 ans, principalement dans le district de
Terrebonne, qui s'avère être le deuxième
plus gros district judiciaire au Québec, là, au niveau des volumes de dossiers.
J'accompagne mes clients, mes clientes au cours de leur séparation et je suis
active devant les tribunaux, tant à la Cour supérieure qu'à la Cour du Québec,
chambre de la jeunesse.
C'est entendu que la création d'une nouvelle
division de la Cour du Québec à la chambre criminelle et pénale m'interpelle et
m'apporte aussi, avec cette nouvelle division-là, certains questionnements. En
effet, dans le cours de ma pratique courante, les questions que je me pose,
c'est de quelle façon on va pouvoir arrimer les diverses instances auxquelles
doit faire face une victime, particulièrement en matière de violence conjugale.
C'est entendu que la nouvelle division va... et
pour les violences sexuelles et les violences conjugales, mais il faut
comprendre, comme je l'explique dans mon mémoire, que ce n'est pas
nécessairement le même type de victime. Une victime de
violence sexuelle peut parfois ne pas connaître son agresseur, ça peut être un
événement qui va être ponctuel, isolé et imprévisible. Dans le cadre d'une
victime de violence conjugale, le terme le dit, hein, c'est que la victime
connaît son agresseur pour être avec lui dans une relation qui, parfois, dure
depuis plusieurs années, et le phénomène de la violence a lieu sur un laps de
temps qui est plus long. L'un et l'autre sont aussi sérieux; par contre, les
besoins de l'une et l'autre des victimes peuvent différer.
La question principale que je me pose, c'est
qu'il y a une multiplication des tribunaux auxquels doit faire face la victime
de violence conjugale, en ce que non seulement elle va faire une dénonciation
auprès des policiers, pour ce qui va être de la facette pénale du dossier, par
contre, s'il y a des enfants qui sont présents, elle va devoir aussi,
probablement, aller devant la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, pour que soient
décidées les questions de sécurité et de protection des enfants, et elle devra
également s'adresser à la Cour supérieure pour la question des aliments, la
question aussi de l'usage de la résidence familiale, la question du partage des
biens. Chacun de ces tribunaux possède sa propre législation. Chacun de ces
tribunaux possède sa propre juridiction, et devant chacun de ces tribunaux, là
aussi... de ces tribunaux-là, il va falloir qu'il y ait un fardeau de preuve
différent qui soit offert. Ce sont tous des acteurs différents.
Dans le rapport du groupe de travail sur la mise
en place d'un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de
violence conjugale, qui a été produit en août 2021, j'ai constaté que
beaucoup des recommandations considéraient uniquement le côté pénal et que le
côté civil auquel devait faire face la victime était complètement évacué de la
question.
Il y est question, dans le rapport du groupe de
travail, du modèle espagnol dans lequel un tribunal pouvait bénéficier de compétences
civiles et pénales à la fois. C'est entendu qu'au Québec, considérant qu'on a
une double juridiction quant à nos
tribunaux, que ce soit provincial, pour la Cour du Québec, et fédéral, pour la
Cour supérieure, il va falloir
prévoir où il y aurait certaines difficultés qui vont devoir être aplanies de
ce côté-là, si on veut... si on décide de donner des compétences civiles dans un tribunal qui traiterait de la
question globalement. La création de cette division spéciale ne doit pas
avoir pour effet d'alourdir le processus judiciaire en multipliant les
intervenants auprès de la victime.
Un des constats qui a été fait dans ma pratique,
ce sont les délais et le manque de coordination entre les différents tribunaux.
Trop souvent la Cour supérieure serait en mesure de rendre une décision rapide
par une mesure de sauvegarde qui peut être prononcée dans les 48 heures,
là, suivant, là, la production de la demande en justice, alors que la Cour du
Québec, à ce moment-là, attend d'être saisie d'une demande par la directrice de
la protection de la jeunesse, parce que les évaluations de signalement ne sont
pas faites. Et même, pire, ça va arriver aussi que les procès au mérite
pourraient être entendus avant même que la cour criminelle ait pu tenir une
audition à savoir si l'agresseur est coupable ou non. Donc, on a non seulement
un problème de délai, mais on a aussi un problème d'assurer un ordre de
priorité entre les tribunaux.
De mon avis, il est essentiel que les délais du
tribunal pénal soient raccourcis, parce que la décision qui est rendue au pénal
est déterminante pour les autres instances. Sinon, la réalité qu'on a à vivre,
en Cour supérieure et devant le Tribunal de la jeunesse, c'est que le juge doit
vivre avec la présomption d'innocence de l'agresseur et le juge prend un risque
en rendant sa décision.
Une des solutions qui est proposée par le
rapport qui est produit par le groupe de travail, c'est l'avènement d'un
coordonnateur judiciaire. De mon avis, c'est le chaînon manquant, actuellement,
parce que ça va prendre vraiment une coordination entre les différents systèmes
de justice auxquels les victimes doivent faire face. Donc, on parle beaucoup
dans le rapport d'avoir des poursuites verticales. Moi, ce que je vois plutôt,
c'est un problème au niveau horizontal, quand on a à faire face à plusieurs
tribunaux en même temps.
Quant à la formation, quant au programme de formation
et le programme de perfectionnement qui est demandé
au Conseil de la magistrature, dans le rapport du groupe de travail, on
recommande une formation
spécialisée pour les procureurs. De mon avis, sans une formation pour les
juges, on n'arrivera pas aux effets recherchés en formant uniquement les
procureurs.
Trop souvent, dans les tribunaux que je
fréquente, le juge se trouve dans une situation où il n'y a pas de décision
finale au pénal. Le juge doit se fier à son instinct, à la crédibilité des
parties. C'est entendu qu'en matière de violence,
que ce soit de la violence sexuelle ou même en matière de violence
conjugale, chacun a sa propre perception de ce qu'est la violence. Donc,
de mon avis, cette formation-là est essentielle parce que la notion de violence
ne peut pas être une notion personnelle du décideur. Il faut absolument que les
juges puissent aussi comprendre la réalité de la victime et comprendre aussi sa
vision à elle. De mon avis, il devrait y avoir des formations distinctes en
matière de violence sexuelle et en matière de violence conjugale, pour les
motifs que j'ai expliqués au début de mon exposé, à l'effet que c'étaient deux
types de victimes.
Également, je pense que le programme devrait
prévoir une formation de base, générale, offerte à tous les juges, mais qu'il y
ait aussi une formation spécialisée pour le candidat juge qui va accepter de
siéger à cette nouvelle division. Je pense que c'est important qu'il y ait des formations
spécialisées en matière de sociologie, que ce soit de comprendre le milieu de
vie de la victime, de comprendre aussi comment fonctionnent ses relations avec
les pairs, aussi qu'il y ait des notions de psychologie, l'interaction entre la victime et son
agresseur, des notions de santé mentale.
La juge en chef est préoccupée par la
préservation de l'indépendance judiciaire de ces magistrats. Je pense que,
justement, cette indépendance-là, judiciaire, va être préservée à partir du
moment où les juges pourront être instruits quant à ces sujets-là d'actualité.
Comme il s'agit de sujets qui sont sensibles, qui impliquent des émotions et
des perceptions personnelles de la part, là, du décideur, je pense qu'il faut
lui donner le plus d'information possible pour qu'il puisse maintenir son
objectivité. Donc, la formation qui est proposée et qui est prévue dans le
projet de loi est, de mon avis, nécessaire et appropriée. Je vous remercie.
Le Président
(M. Benjamin) : Merci, Me Roussel, pour votre exposé. Nous
allons maintenant débuter les échanges, et j'invite le ministre de la Justice à
commencer.
M. Jolin-Barrette : Bonjour,
Me Roussel.
Mme Roussel (Roxane) : Bonjour.
• (17 h 30) •
M. Jolin-Barrette : Merci
beaucoup d'être présente aujourd'hui en commission parlementaire. Écoutez, vous
présentez un point de vue qui est très intéressant puis qui n'a pas été abordé
à date dans les consultations parce que vous faites le lien avec les autres
volets du droit, les autres dossiers, les autres chambres, je voudrais dire, donc,
la chambre civile, puis même la chambre de la jeunesse, puis c'est des chambres
spécialisées, hein, civile, jeunesse. Il y a même un tribunal des droits de la
personne, même un tribunal des droits de la profession. En tout cas, ça, c'est
autre chose.
Mais vous soulignez un point important relativement
à la formation. Vous dites : Écoutez, c'est important que l'ensemble des
acteurs soient formés, particulièrement les juges. Moi, ce que je me suis fait
dire, c'est de dire : Bien, écoutez, les seuls, si jamais il y a une
formation pour les juges, qui devraient suivre la formation, ça devrait être
ceux qui sont à la division ou au tribunal spécialisé en matière de violence
sexuelle et conjugale. Mais là vous, ce que vous apportez, vous dites : Écoutez,
attention, parce que des juges qui devront statuer sur la garde à la Cour du
Québec, chambre civile, bien, eux aussi... ou en chambre de la jeunesse, eux
aussi devront avoir une connaissance de la violence sexuelle ou la violence
conjugale afin de pouvoir rendre une décision. Est-ce que j'ai bien compris?
Mme Roussel (Roxane) : Bien,
particulièrement, c'est sûr que les juges qui siègent à la Cour du Québec,
chambre de la jeunesse, font face souvent à des dossiers où il y a de la
violence conjugale d'impliquée. Moi, ce à quoi je faisais référence, c'est que
c'est entendu que le Conseil de la magistrature, dans le projet de loi, si
c'est la division de la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, qui va
avoir une nouvelle chambre particulière pour ça... Ce que je voulais dire,
c'est vraiment qu'il y avait une distinction à faire entre, oui, une formation
générale qui est proposée comme... que ce soit tant en cour municipale, ou tout
ça, parce que je pense aussi que c'est important, parce que ça ne mène pas
nécessairement à des accusations non plus à la chambre criminelle et pénale à
chaque fois.
Donc, au
niveau de la Cour du Québec, c'est pour ça que je fais la distinction entre une
formation de base pour tous les juges...
parce que, que ce soit tant en cour municipale ou que ce soit... Des fois, ça
peut arriver que c'est important pour le juge de comprendre exactement
et de savoir... Quand on comprend comment la victime se sent aussi, on est mieux en mesure aussi d'établir sa crédibilité, de
vraiment analyser la situation. Ce que je disais, moi, c'est que les
juges qui vont avoir à siéger en chambre criminelle, dans la division violence
conjugale, devraient avoir quand même une formation de pointe, parce que, si on
crée une chambre particulière, une chambre spécialisée, bien, je pense qu'il
faut peut-être prendre la peine de former des spécialistes, justement, pour
éviter justement... Premièrement, si on a des juges qui sont formés,
spécialisés, je pense qu'on va être capable d'améliorer aussi la capacité
d'analyse, la vitesse d'exécution. Je pense qu'on est capable aussi de venir...
d'enlever, là, certaines contraintes qui existent actuellement.
M. Jolin-Barrette : O.K. Je
fais juste un petit peu du coq à l'âne, mais c'est quand même proche aussi, là,
en lien avec un autre projet de loi que j'ai déposé la semaine dernière, on
vient intégrer la notion de violence familiale, désormais, dans le droit
familial. Qu'est-ce que vous pensez de ça? Parce que, dans le fond, ça ne sera
pas devant le même décideur, là, la notion de violence familiale, la prise en
compte de ça. Pensez-vous que c'est une bonne chose? Là, on parle du tribunal
spécialisé, là, ici, mais là, pour faire le pont avec ce que vous disiez, avec
le tour de roue, souvent, dans le cadre des couples qui se séparent, puis la
garde, puis... qu'est-ce que vous pensez de ça, de cette notion-là de
l'insérer?
Mme Roussel (Roxane) : Vous
faites référence à la notion qui est insérée dans le projet n° 2
qui a été déposé la semaine passée. Effectivement, j'ai constaté, là, à la
lecture du projet de loi, qu'il y avait insertion, là, de cette notion-là de
violence familiale, et, encore là, on va devoir... Les juges... Ce n'est pas
parce qu'il va y avoir de la violence
familiale dans un dossier... Puis, je pense, c'est important... Qu'est-ce qui
est fait, c'est que, particulièrement à l'article où il est prévu qu'on va pouvoir retirer, là, partiellement,
là, des... voyons, des éléments de l'exercice de l'autorité parentale
lorsqu'il y a de la violence familiale... mais il ne faut pas faire
automatiquement l'équation que, parce qu'il
va y avoir de la violence familiale, il va y avoir nécessairement dépôt d'une plainte au pénal, qu'il va y
avoir dépôt d'une plainte au criminel. Et, souvent, dans les instances civiles,
moi, je fais face à ça avec mes clients, c'est qu'on s'en va à la Cour supérieure et on est carrément dans des dossiers où est-ce qu'il y a eu de la
violence, qu'il y a de la violence familiale,
qu'il y a de la violence conjugale, mais il n'y a pas nécessairement de plaintes qui ont été déposées au pénal.
Donc, je
pense que, oui, ce qui est fait dans le projet de loi n° 2, c'est
une première approche. Cette approche-là est importante aussi
considérant qu'au fédéral, dans la Loi sur le divorce, ils ont donné un très,
très grand coup de barre concernant comment traiter la violence familiale.
Donc, je pense que, le Québec, on n'avait pas le choix, là, de commencer aussi
à prévoir, pour nos conjoints de fait, qu'aussi ils puissent bénéficier, là, de
certaines protections, là, et de certains, aussi, bénéfices judiciaires.
M. Jolin-Barrette :
Mais ça, c'est important, ce que vous dites, parce que, pour l'illustrer, ça
signifie que le juge va devoir en prendre compte, va devoir le prendre en
considération, la violence familiale, même si on n'est pas dans
une instance criminelle et pénale. Et ce que ça fait, c'est que, et on l'a
entendu quand, souvent, on rencontre des personnes victimes, elles
disent : Bien, on ne veut pas l'alléguer, on ne veut pas déposer de
plainte, parce que je ne veux pas que ça me nuise sur mon dossier de garde
d'enfants dans l'autre juridiction, d'où l'importance de l'insérer dans le
cadre de la réforme du droit de la famille. Oui?
Mme Roussel (Roxane) : Mais, je pense, si vous me permettez, ça va
au-delà de ça, parce qu'il y a différentes facettes. Tu sais, comme le
programme que vous proposez, au Conseil de la magistrature, pour la Cour du
Québec, même si c'est un dossier en civil, entre deux conjoints de fait, pour
le partage d'une résidence, si cette notion-là aussi est connue du juge, est
connue du décideur, bien, ça peut aussi aider dans sa décision, parce que, des
fois, ça peut être, oui, qu'il y a eu des éléments au niveau du consentement,
au niveau de tout ça. Dans leur relation, si on veut, comme civile ou leur
relation contractuelle, ça peut avoir aussi des impacts. Donc, je pense, c'est
pour ça que c'est important, là, que... C'est pour ça que je parlais aussi
d'une formation de base pour tous les juges.
M. Jolin-Barrette :
Donc, je comprends que vous mettez en échec l'argument qui dit que seulement
les juges de la chambre criminelle et pénale devraient recevoir ce type de
formation là. Vous dites : Pas mal tout le monde, quand vous accédez à la
magistrature, vous devriez suivre cette formation-là, le fait d'être mieux
renseigné, mieux formé, ça va aider aussi dans des dossiers qui sont connexes.
Peut-être, avant de
céder la parole à mes collègues, une question sur le coordonnateur judiciaire.
Nous, on a l'intention de le déployer avec les projets pilotes. Il n'est pas
dans le projet de loi, mais, administrativement, ça fait partie de tout le bagage, parce que ce qu'il y a
dans le projet de loi, c'est une chose, mais il y a aussi tout le continuum
de services qui va être également présent. Quelle est l'importance, pour vous,
du coordonnateur judiciaire?
Mme Roussel
(Roxane) : Bien, je pense que, comme je vous ai dit, c'est le chaînon
manquant actuellement. Je pense qu'un coordonnateur judiciaire qui va être
informé... Ça va vous prendre au moins quelqu'un qui va avoir des notions,
minimalement, de juriste, là, pour comprendre, parce que ça va être comme le
lien entre les tribunaux, entre les juges qui vont siéger dans ces cas-là, là.
Ce que j'ai compris, c'est que le coordonnateur aurait accès comme aux
trois juges ou aux quatre juges, s'il y en a quatre, mais,
minimalement, il peut y en avoir facilement trois. Donc, cette personne-là va y
avoir accès.
Donc, moi, je pense
que, oui, ça va être vraiment... Si on arrive à former des coordonnateurs
judiciaires puis à avoir des gens qui sont
capables de le faire, je pense que, oui, on serait capable d'arrimer les
trois tribunaux, parce que c'est
vraiment important... En tout cas, moi, en ce qui me concerne, dans le vécu des
victimes, c'est vraiment important d'accélérer,
d'avoir la décision au pénal, au fond, et actuellement c'est le tribunal qui
est le plus à la fin du processus.
Donc, si le but de ce
projet de loi là, c'est vraiment d'aider les victimes, de donner un coup de
barre en matière de violence conjugale, bien, je pense que, oui, avec le
coordonnateur judiciaire, on va arriver à ce que tout le monde puise être
arrimé puis à ce que les décisions se rendent dans le bon tribunal, dans un ordre
de priorité qui va permettre, là, une suite, là, logique, là, des décisions par
la suite.
• (17 h 40) •
M. Jolin-Barrette :
Un dernier commentaire, c'est un des objectifs du tribunal spécialisé de
réduire les délais, justement, et les expériences étrangères ont démontré que,
lorsqu'il y a des tribunaux spécialisés, les délais diminuent. Donc, ça va être
plus efficace. Puis, surtout, vous le souligniez tantôt, violence conjugale,
violence sexuelle, ce n'est pas la même chose, puis, surtout en matière de violence
conjugale, le taux d'abandon de plaintes est assez élevé, notamment dû aux
délais.
Alors, je cède la
parole à mes collègues, mais un grand merci pour votre présence. C'était très
intéressant.
Mme Roussel
(Roxane) : Merci à vous. Merci.
Le Président (M. Benjamin) : Merci. Merci, M. le ministre. Donc, je cède
la parole maintenant à la députée... à Mme la députée de...
Mme Lachance :
Bellechasse.
Le Président
(M. Benjamin) : ...Bellechasse.
Mme Lachance :
Merci, M. le Président. Merci, Me Roussel, d'être là. Je vous lisais.
C'est un point de vue différent et puis c'est extrêmement intéressant. Ce que
j'ai... Ce qui m'a touchée, je vous dirais, qu'aux pages 5 et 6, vous
faites un peu un cas de figure, le parcours d'une conjointe de fait lors d'une
dénonciation de violence conjugale, et puis vous nous étayez les étapes, et on
voit clairement que ça peut être laborieux, ça peut être difficile. Dans ce
contexte-là, on comprend pourquoi vous soutenez l'idée d'un coordonnateur
judiciaire, mais, dans le contexte où on accélère, et c'est la volonté... on
accélère les délais dans le type de causes, comment vous voyez le travail, en
fait, du coordonnateur judiciaire? Comment ça peut permettre, si on veut...
Parce vous avez aussi dit que, dans un monde idéal,
la décision pénale est importante pour la cause civile. Donc, j'aimerais vous
entendre un peu pour voir comment la coordination, idéalement, pourrait
se faire.
Mme Roussel (Roxane) : Bien, la
coordination, premièrement, va permettre d'assembler et... d'analyser et d'assembler toutes les informations au dossier, tous les éléments de preuve, de s'assurer aussi que, selon
tous les tribunaux... pour éviter aussi... parce que le problème, pour la victime, entre autres, de violence
conjugale, c'est d'avoir, à répétition, à refaire et reprononcer sa
déclaration initiale qu'elle a faite. Elle doit le faire au pénal. Elle doit...
Elle risque d'être contre-interrogée. On doit encore la faire répéter quand on
est à la Cour du Québec, chambre de la jeunesse. Et on doit également, là, à la
Cour supérieure, faire signer des déclarations sous serment, et tout ça.
Donc, le coordonnateur judiciaire aussi pourrait
avoir un rôle pour utiliser ces éléments de preuve là selon les trois
tribunaux, alléger aussi la tâche, là, de la victime et permettre, comme je
vous dis, que les tribunaux, là, soient aussi...
Parce qu'une des choses que l'on constate également, c'est que, souvent, la
Cour supérieure, ce n'est pas nécessairement tous les procureurs au
pénal qui vont avoir, là, la disponibilité ou l'amabilité de fournir les
éléments de preuve, tu sais. Donc, il faut, des fois, que la main gauche parle
à la main droite, parce que, sinon, on arrive devant la cour puis on ne sait
pas ce qui s'est passé devant le tribunal pénal. Donc, je pense que le
coordonnateur, ça pourrait être aussi une de ses fonctions, puis ça va
faciliter, là, le travail de tous les décideurs et aussi le travail... Le rôle
de la victime va s'en trouver, là, allégé.
Mme Lachance : Donc, dans le
fond, ce que vous dites, c'est que la déposition qui serait faite par la
victime pourrait être transférée d'un tribunal à l'autre systématiquement par
le coordonnateur.
Mme Roussel (Roxane) :
Actuellement, on peut le faire. On peut avoir... On peut produire dans les
autres instances judiciaires la déclaration qui a été faite aux policiers, sauf
qu'où est-ce qu'il y a une complication, c'est quand on commence au niveau des témoignages, parce qu'on va avoir une
protection judiciaire qui va être demandée, on va s'assurer que la
preuve ne pourra pas être versée dans le dossier pénal, sauf que, quand même,
tu sais, c'est de faire répéter, et il faut
que la victime soit vraiment constante, là, à tous les stades, parce que, des
fois, ça arrive aussi qu'on est à la Cour du Québec, chambre de la
jeunesse, avec le même procureur qui va représenter l'agresseur à la Cour du Québec, chambre pénale, et lui, il l'a entendu, le
témoignage. Donc, par la coordination judiciaire, je pense aussi qu'on
pourrait faciliter, là, au niveau de la preuve qui pourrait être faite, là...
d'éviter la multiplication, là, des interventions.
Mme Lachance : Merci. M. le
Président, est-ce qu'il me reste encore une petite minute?
Le Président (M. Benjamin) :
Oui, 1 min 30 s.
Mme Lachance : Merci. Vous avez
parlé de formations distinctes pour violence conjugale et violence sexuelle,
mais d'un tronc commun. J'aimerais ça vous entendre un petit peu plus.
Qu'est-ce que vous incluriez dans la
formation? Est-ce que... parce qu'on a entendu certains groupes nous
parler davantage de savoir-être et de savoir-faire, et,
d'autres, avoir un souci particulier pour comprendre la réalité, donc, la
dynamique de la violence. Je veux vous entendre sur ça, Mme Roussel.
Mme Roussel (Roxane) : Bien, au
niveau de la formation, comme j'expliquais, je pense qu'il devrait y avoir un volet formation de base sur... J'ai fait une
division parce que je pense que les deux types de violence... les deux
types de victimes de cette violence-là... parce que, de la violence, c'est de
la violence, mais les deux types de victimes ne sont pas les mêmes, donc, et,
ça, je disais : Tu sais, il pourrait y avoir une formation générale à tous
les juges pour comprendre que, quand on a une victime devant soi, sa façon de
penser n'est pas nécessairement la même que la nôtre, sa perception de la réalité n'est pas nécessairement la même que la nôtre. Mais je comprends les intervenants qui
veulent aussi, tu sais, avoir peut-être plus une spécialisation pointue. Il
faut comprendre que, dans cette formation-là, moi,
ce à quoi j'adresserais aux décideurs, c'est vraiment qu'ils puissent avoir
les outils pour comprendre la dynamique, comment ça fonctionne. Je ne
sais pas si j'ai répondu, là.
Mme Lachance : En vous
remerciant, merci beaucoup.
Mme Roussel (Roxane) : Merci,
madame.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, Mme la députée de Bellechasse. Maintenant, la parole revient à la
députée de Verdun.
Mme Melançon : Merci, M. le
Président. Merci, Me Roussel, d'être parmi nous aujourd'hui et merci
d'arriver avec... On est ailleurs, hein, avec les autres groupes qu'on a
entendus aujourd'hui. Vous nous amenez dans une autre perspective complètement.
Et ce que je trouve intéressant et inquiétant à la fois, je dois le mentionner,
c'est que, là, on est dans le très concret. Vous, vous accompagnez, donc, des
femmes, des victimes. Et on entendait, tout à l'heure, les CAVAC dire : À
chaque fois qu'on va témoigner, on se met dans une situation d'anxiété à haut
niveau. Et ce que vous venez nous dire, c'est que, dans le fond, les trois
chambres travaillent en silo, et la victime doit venir dire, à plusieurs
reprises... dans des cas spécifiques, bien, doit revenir répéter l'histoire,
puis, parfois, bien, c'est pour une garde d'enfant, parfois, ça peut être pour
séparation de biens ou, parfois, on peut être du côté pénal. Et, pire encore,
vous nous dites que, parfois, le pénal n'a toujours pas été entendu puis qu'on
est rendu...
Donc, il y a un manque de coordination. Est-ce
que ça arrive fréquemment que vous arriviez dans des cas où monsieur n'a pas
nécessairement reçu encore, bien, dans le fond, une décision du juge, puis
qu'on va être appelé avant pour aller à la DPJ? Est-ce que ça arrive
fréquemment?
Mme Roussel
(Roxane) : Oui, c'est un phénomène... En tout cas, en ce qui me
concerne, dans ma pratique, c'est un phénomène que j'ai observé,
malheureusement, trop souvent, si ce n'est pas presque toujours, où il y a
l'arrestation. Il a procédé à l'arrestation de l'agresseur. Il va avoir ses
conditions de remise en liberté. Mais, par la suite, les tribunaux civils vont
être en mesure de procéder, eux, et il n'y a pas de décisions qui sont rendues.
Et, quant aux délais, tu sais, comme
j'expliquais tantôt, la Cour supérieure, avec un préavis de 48 heures, qu'on fait abréger des délais de signification, on
peut avoir... on peut se présenter devant un juge et obtenir des
ordonnances. Et, à la Cour du Québec, bien, parfois, ça peut être aussi rapide...
Ça peut être en une semaine, deux semaines qu'on va s'adresser, là, à la Cour
du Québec aussi pour la question de sécurité des enfants, et tout ça.
Donc, on se
retrouve en amont. Et, par la suite, ces tribunaux-là, bien, on continue les
processus, et, souvent, leur disponibilité
pour entendre les décisions au fond, bien, vont être bien avant la décision qui
va être rendue à la chambre criminelle,
malheureusement, là. Donc, souvent, on se retrouve dans... soit qu'il faut
attendre encore plus, qu'on est dans... ou, parfois, ça va arriver qu'on va
procéder, mais c'est plutôt rare. Donc, on se retrouve... et la victime, elle,
elle attend toujours cette
décision-là pour pouvoir aussi, elle, avancer dans les décisions qu'elle aura à
prendre, là, dans sa vie personnelle.
• (17 h 50) •
Mme Melançon :
Le rapport que nous avons déposé en décembre 2020 s'intitulait Rebâtir la
confiance. Est-ce que la lecture que vous avez de vos clientes...
Est-ce que les victimes s'attendent, justement, à ce que ce soit facilité grâce
au nouveau projet de loi qui a été déposé? Est-ce que... Parce qu'on s'est dit
un peu plus tôt qu'on doit vraiment répondre parce que, là, les attentes sont
élevées actuellement. Est-ce que c'est quelque chose que vous avez entendu de
la part de vos clientes, de dire : Bien, enfin, là, là, il va y avoir
quelque chose, puis on va régler cette situation-là? Est-ce que c'est quelque
chose que vous entendez?
Mme Roussel (Roxane) : Ce n'est
pas... Vous savez, hein, mes clientes et mes victimes, elles ont beaucoup,
beaucoup de préoccupations autres que savoir, là, au niveau politique,
qu'est-ce qui va arriver, mais par contre certaines
d'entre elles... Honnêtement, j'ai eu des discussions avec certaines d'entre
elles, et, effectivement, elles fondent beaucoup d'espoir pour que les
délais soient raccourcis et pour que les décisions, là, soient rendues en
priorité en matière, là, de violence
conjugale et de violence sexuelle, mais particulièrement en matière de violence conjugale,
parce que, comme j'expliquais aussi tantôt, bien souvent, on arrive devant les
décideurs, en matière civile, et il y a toujours comme le défi de se sentir
crue par la cour, de se sentir comme si on portait vraiment intérêt ou qu'on
accordait de l'importance à ce qui était
dit, alors que... Et je peux comprendre un peu les juges aussi. Tu sais, ils
vont être méfiants puis ils vont dire : Bien, en l'absence d'une
décision pénale, je suis pris avec la présomption d'innocence de l'agresseur.
Mme Melançon : Je vous entends depuis tout à l'heure, Me Roussel, dire «la chambre spécialisée». Pour vous, là, qu'on appelle ça un tribunal spécialisé ou une
chambre spécialisée, pour vous, ce n'est pas sur le nom, mais c'est
surtout sur l'arrimage des trois chambres... Si je comprends bien, vous nous
invitez à faire une réflexion plus spécifique.
Mme Roussel (Roxane) : Effectivement,
tu sais, c'est ce que je vous invite à faire bien humblement, tu sais, de faire une réflexion. C'est facile. Tu sais,
c'est sûr qu'au niveau de la présentation, tu sais, de démontrer
uniquement le côté pénal, je comprends que c'est un message qu'il faut envoyer.
Il faut envoyer un message fort actuellement, là, concernant la violence conjugale,
la violence sexuelle. Il faut que le message soit fort auprès de la société,
là. Vraiment, c'est ce qui doit être envoyé, mais, trop souvent, ce que je
constate, c'est, justement, que les tribunaux... la facette... Toute la facette civile va être enlevée, tu sais, de cette
présentation-là, alors que, dans les faits, cette facette-là, elle est
vécue par les victimes aussi.
Mme Melançon : C'est la même
victime dont il est question devant différents...
Mme Roussel (Roxane) : C'est la
même personne.
Mme Melançon : Je me rappelle...
Puis là je regarde à la fois la députée de Joliette et la députée de Sherbrooke,
je pense que c'est Ingrid Falaise, hein, qui nous avait quand même beaucoup
parlé de cette situation-là où la même victime doit faire face, soit du niveau
pénal ou au niveau civil, en tout cas, devant la DPJ, de la problématique, puis
que ça devient excessivement lourd pour la victime. Puis, justement, c'est quelque
chose qui va la retenir parfois d'aller jusqu'au bout de son processus, parce
qu'elle voit des murs s'ériger devant elle en temps, en coût et en énergie. Puis souvent les filles n'ont pas nécessairement
toute l'énergie pour aller jusqu'au bout du processus, parce que,
parfois, c'est trop lourd.
Donc, je vous ai bien compris, là. Je pense
qu'on est là. Il y a quelque chose qui a attiré mon attention, et j'aimerais
que vous puissiez m'éclairer, s'il vous plaît. Vous parliez de la direction de
la protection de la jeunesse et les contacts avec les enfants. Moi, c'est quelque
chose que j'ai appris à la lecture, ici, de votre mémoire. Donc, ce ne sont pas
les juges qui déterminent s'il y aura contact ou non avec les enfants, c'est la
DPJ.
Mme Roussel (Roxane) : Dans
plusieurs, plusieurs des conditions de libération quant à l'agresseur, il est
mentionné que les accès et le degré de supervision seront déterminés par la
directrice de la protection de la jeunesse. Donc, comment est-ce que ça
fonctionne, c'est que c'est l'intervenante au dossier qui décide et voit, après
avoir rencontré, là, je mets des guillemets, là, mais... le présumé agresseur,
et qui va faire des recommandations à la Cour du Québec pour... quant aux accès
qu'elle recommande.
Donc, de notre avis, ces
décisions-là devraient être prises par un juge et non pas par la
recommandation, là, d'une intervenante, parce que, devant la Cour du Québec, il
faut comprendre que les intervenants de la DPJ bénéficient d'une immunité quasi absolue dans le cadre de leurs
fonctions, et que, trop souvent, ce à quoi on fait face, c'est qu'on a des recommandations qui sont faites,
et là, encore là, si la victime n'est pas d'accord avec les
recommandations qui sont faites, bien là il faut contester, il faut expliquer
notre position, il faut... trop souvent.
Donc, je pense que ces décisions-là pour les
accès devraient être obligatoirement dans les libérations... être rendues par
un juge et non pas sur des simples recommandations, non pas que les
intervenantes ne font pas bien leur travail. Ce n'est pas ça, la question, mais
c'est que ça donne, quand même, là, à la victime... ça lui donne quand même un
autre fardeau, parce que, si elle n'est pas d'accord, ça entraîne des
discussions avec l'intervenante de la direction de la protection de la
jeunesse, puis là, encore là, bien, c'est, tu sais, comme ne pas vouloir
déplaire ou ces choses-là. Mais, ceci étant, je pense que dans les... que les
conditions de remise en liberté prévoient, là, que ça soit des ordonnances
rendues par un juge.
Mme Melançon : Donc là, on est,
j'imagine, dans le concept aussi de l'aliénation parentale. C'est ça?
Mme Roussel (Roxane) : Bien,
c'est arrivé... Moi, pour l'avoir vécu, c'est arrivé qu'une victime qui était
réfractaire à ce que l'agresseur ait des droits d'accès se fasse dire à un
moment donné : Bien, écoutez, madame, si vous ne collaborez pas, on va
interpréter ça comme de l'aliénation parentale, alors que la personne est
toujours en attente de savoir qu'est-ce qui va se passer au pénal. On est
toujours... de savoir est-ce qu'il va être condamné ou non, et cette
personne-là, l'agresseur, bénéficie d'accès, bénéficie de toute cette, entre
guillemets, liberté-là, alors qu'elle, la
victime, bien, elle doit attendre et elle doit aussi, là, un peu plus, tu sais,
se conformer, parce que, justement, elle se trouve à risque d'être
qualifiée comme étant aliénante, et le fait que la... tu sais, le fait que la...
Le Président (M. Benjamin) :
Merci pour votre intervention.
Mme Roussel (Roxane) :
Excusez-moi. Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Nous allons poursuivre avec, maintenant, la députée de Sherbrooke.
Mme Labrie : Merci. Vous nous
avez mentionné que, pour les décisions de garde, les délais peuvent être
quelques jours, quelques semaines. C'est assez rapide. Même avec un
coordonnateur judiciaire, est-ce que vous pensez que c'est réaliste de faire en
sorte que la cause au criminel soit traitée avant? Parce qu'actuellement on
entend que ça peut prendre des mois et des années. On ne veut quand même pas
retarder les décisions de garde. Qu'est-ce que ça prend d'autre qu'un
coordonnateur judiciaire pour y arriver?
Mme Roussel (Roxane) : Bien,
c'est sûr que la question des délais, là, c'est au centre du débat, et la
question aussi de la priorité. Tu sais, il faut prioriser la décision à être
rendue par le tribunal pénal. Mais je pense que, justement, on ne pourra pas
arriver à aplanir et à enlever tous les délais, là. Je ne pense pas que ça va
être possible, là. Ça serait comme
illusoire, là, de penser ça. Mais, dans la mesure où le coordonnateur,
justement, tu sais, serait capable de
permettre... tu sais, d'apporter des informations, de valider qu'est-ce qui
s'est fait dans les autres tribunaux auprès
du prochain décideur, auprès du prochain juge. Tu sais, que les juges qui sont
saisis des dossiers concernant ces personnes-là puissent avoir rapport
de ce qui s'est passé dans les autres tribunaux, je pense que ça, c'est
important.
Mme Labrie : Mais les victimes
nous demandent quand même, tu sais, que la cause soit traitée au criminel en
premier. Elles nous disent : On veut que ça soit réglé, là, avant la
garde.
Mme Roussel (Roxane) : Oui,
mais, malheureusement, tu sais, comme je dis, la réalité veut que, quand même,
les enfants, il faut qu'il arrive quelque chose avec eux, là. On ne peut pas
non plus, là, les retirer du milieu. On ne les retirera pas du milieu nécessairement.
Donc, à ce moment-là, il faut qu'il y ait des décisions qui soient rendues. Tu
sais, il faut comprendre, ce n'est pas toujours nécessairement...
L'intervention de la Cour supérieure ne va pas toujours se faire au niveau de
la garde des enfants, parce qu'en vertu de l'article 37 du Code de
procédure civile il y a... Au niveau, là, des sujets liés, quand il y a une
décision qui concerne la garde, s'il y a l'intervention de la directrice de la
protection de la jeunesse, c'est-à-dire, si la Cour du Québec est saisie du
dossier, à ce moment-là, la Cour supérieure voit que sa prérogative en matière
de garde va être déléguée à la Cour du Québec. C'est elle qui va s'occuper de la garde, mais, quand même, à la
Cour supérieure, on va demeurer avec les questions concernant l'exercice
de l'autorité parentale aussi banales que l'inscription des enfants à l'école.
Donc, tout ça, on ne peut pas attendre puis on
ne peut pas... Ça fait que le coordonnateur judiciaire, lui, va permettre de...
Tu sais, moi, en tout cas, c'est ce que je pense. Dans la description que j'ai
lue dans le rapport, c'était comme quelque chose qui apporterait vraiment une
coercition puis vraiment une aide pour les victimes, parce que je pense que
c'est le but qui est recherché. Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. Merci pour votre intervention, Mme la députée de Sherbrooke. Maintenant,
nous poursuivons avec la députée de Joliette.
• (18 heures) •
Mme Hivon :
Merci beaucoup. Enchantée de vous rencontrer. On est de la même région, même si
on ne se connaît pas à ce jour, donc... Il y a beaucoup d'expertise dans la
région de Lanaudière. Donc, je trouve ça vraiment intéressant que vous
insistiez beaucoup sur le coordonnateur judiciaire. Je pense aussi que c'est
une clé pour mieux accompagner les victimes.
Deux petites
questions par rapport à ça. Selon vous, de qui relèverait le coordonnateur des
services judiciaires qui sont, donc, installés dans les différentes régions du Québec?
Donc, ultimement, du ministère de la Justice? La raison pour laquelle je vous
pose cette question-là, c'est qu'on a entendu certains commentaires à savoir que tout ne pouvait pas relever de la cour. Donc,
je voulais savoir de qui ça relèverait. Et est-ce qu'on devrait
l'inscrire dans la loi, ce principe-là de la coordination judiciaire, dans la
réflexion sur l'accompagnement des victimes?
Mme Roussel
(Roxane) : Bien, pour répondre à votre première question, oui.
Considérant, moi, ce que je pense et ce que je vois comme coordonnateur
judiciaire, c'est entendu que ça va prendre un individu qui va avoir des
notions, des connaissances, là, du système de justice, des connaissances par
rapport au droit applicable aussi. Donc, je
pense que, oui, ça devrait être quelqu'un qui va relever du ministère de la Justice, à
être nommé par lui. Maintenant...
Mme Hivon :
La deuxième, c'est : Est-ce qu'on devrait inscrire ce principe-là dans la
loi? Ce matin, plusieurs groupes nous ont dit : Il faudrait que les
principes directeurs de l'idée du tribunal spécialisé soient nommément
inscrits dans la loi, et on a plein de suggestions. Est-ce que vous jugez que
l'idée de la coordination judiciaire devrait être inscrite dans la loi?
Mme Roussel
(Roxane) : Je pense qu'à partir du moment où le dossier, si on veut,
se classerait ou se qualifierait pour être suivi par le nouveau tribunal
spécialisé, je pense que, oui, ça devrait être prévu qu'il y ait un
coordonnateur judiciaire de nommé pour traiter ce dossier-là.
Mme Hivon :
O.K. Merci beaucoup.
Mme Roussel
(Roxane) : Merci.
Le Président (M. Benjamin) : Écoutez, merci
beaucoup, Mme la députée de Joliette. Donc, merci
beaucoup, Me Roussel, pour votre contribution aux travaux de cette commission.
Nous allons
suspendre, le temps d'accueillir nos prochains invités. Merci.
(Suspension de la séance à
18 h 03)
(Reprise à 18 h 11)
Le Président (M. Benjamin) : Nous allons maintenant commencer les
travaux de... recommencer les travaux de la commission. Je souhaite la bienvenue aux représentantes du Barreau du
Québec, Me Catherine Claveau, bâtonnière, ainsi que Me Ana Victoria
Aguerre. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre
exposé, après quoi nous procéderons à la période d'échanges avec les membres de
la commission. Je vous invite, donc, à vous présenter et à procéder à votre
exposé. La parole est à vous.
Barreau du Québec
Mme Claveau
(Catherine) : M. le Président de la commission, je me présente, je
suis Catherine Claveau, bâtonnière du Québec. Je suis accompagnée de Me Ana
Victoria Aguerre, avocate au secrétariat de l'ordre et affaires juridiques. Je remercie la Commission des
institutions d'avoir invité le Barreau à participer aux consultations
publiques relativement au projet de loi n° 92.
Le Barreau du Québec
s'intéresse depuis longtemps au parcours des personnes victimes de violence
sexuelle et conjugale, tout particulièrement aux aspects judiciaires de
celui-ci. Nous avons formulé, par le passé, une série de recommandations afin
de remédier à certaines problématiques identifiées par les parties prenantes...
(panne de son) ...sexuelle, tant du milieu judiciaire que policier et communautaire.
En outre, nous sommes heureux de constater qu'il
y a un consensus au sein de la société québécoise sur le besoin de bonifier
l'offre des services d'accompagnement et de soutien aux personnes
victimes d'agression sexuelle au Québec. Ainsi, nous accueillons favorablement
toute mesure visant à atteindre cet objectif, d'abord, en amont du processus
judiciaire et par la suite lors des poursuites. Le projet de loi n° 92 pose les balises d'un changement
de culture en ce sens, et, ce faisant, nous saluons l'esprit du projet de
loi.
Nous croyons
également opportun de formuler quelques commentaires afin de préciser ou de
bonifier certaines mesures qui y sont prévues. Le projet de loi crée une
nouvelle division au sein de la chambre criminelle et pénale de la Cour du
Québec, appelée tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de
violence conjugale. Hormis l'ajout de cette appellation dans la Loi sur les
tribunaux judiciaires, le projet de loi ne prévoit aucune mesure de fond nous
permettant d'évaluer si les objectifs poursuivis par le législateur sont
susceptibles d'être atteints. À titre d'exemple, nous ne retrouvons aucune
précision quant aux types de poursuites qui seront entendues par cette nouvelle
division ainsi que le district judiciaire où celle-ci siégera. Nous sommes,
donc, d'avis que des précisions devraient
être apportées dans le projet de loi afin d'être en mesure de circonscrire la
juridiction de cette éventuelle division.
Le
projet de loi est également silencieux quant à la présence d'une offre de
services d'accompagnement aux plaignants en matière de violence sexuelle et
conjugale, incluant une offre de services adaptée au contexte autochtone, alors
qu'il s'agit là d'un aspect fondamental du changement de culture escompté.
Nous sommes également
préoccupés par le fait que la Cour du Québec et la Cour supérieure ont une
compétence concurrente pour entendre les dossiers en matière d'agression
sexuelle et de violence conjugale, ce qui, dans
certains cas, pourrait entraîner un bris de services pour les plaignants ou
encore une offre de services inégale selon que le dossier soit traité
par l'une ou l'autre de ces cours. Nous croyons qu'il est primordial qu'une
offre de services continue et uniforme soit prévue dans le projet de loi, et
ce, indépendamment de l'instance devant laquelle le recours sera porté.
Ainsi,
nous vous invitons à considérer la mise sur pied d'une entité qui chapeauterait
les activités des intervenants de tous milieux confondus en s'inspirant
du modèle de l'Entente multisectorielle relative aux enfants victimes d'abus
sexuels, de mauvais traitements physiques ou d'une absence de soins menaçant
leur santé physique.
Par ailleurs, le
projet de loi confie au Conseil de la magistrature la responsabilité d'établir
un programme de perfectionnement sur les réalités relatives à la violence
sexuelle et à la violence conjugale. Il prévoit également que les personnes qui
se portent candidates à une fonction de juge doivent s'engager à suivre ce
programme de perfectionnement, si elles sont nommées, et que les juges de la
Cour du Québec et que les juges de paix magistrats à la retraite doivent avoir
suivi ce programme pour être autorisés à exercer des fonctions judiciaires.
Finalement, le projet
de loi prévoit qu'à chaque année le Conseil de la magistrature devra remettre
un rapport au ministre de la Justice sur la mise en oeuvre de ce programme,
rapport qui devra, par la suite, être déposé à l'Assemblée nationale.
Le Barreau partage
l'objectif du projet de loi, lequel est d'assurer que les intervenants du
milieu judiciaire soient adéquatement formés quant aux particularités
juridiques et psychosociales des infractions de nature sexuelle ou conjugale,
incluant en contexte autochtone. Nous estimons toutefois que la façon envisagée
pour assurer une telle formation aux juges serait adéquate dans la mesure où
elle ne compromet pas l'indépendance judiciaire. À ce sujet, nous savons que les juges de la Cour du Québec
reçoivent chaque année l'équivalent de 10 jours complets de
formation. Alors, au lieu d'exiger le dépôt d'un rapport du Conseil de la
magistrature à l'Assemblée nationale par le ministre de la Justice, nous
proposons qu'un rapport annuel sur la formation dispensée aux juges sur ces
enjeux soit disponible sur le site Internet du Conseil de magistrature. Il
s'agirait, selon nous, d'une mesure de transparence susceptible de favoriser la
confiance du public dans le traitement judiciaire de ces violences.
Également, nous
croyons que tous les intervenants psychosociaux et judiciaires doivent être
adéquatement formés. Nous réitérons, donc,
notre recommandation formulée devant le comité d'experts Corte-Desrosiers, soit
la mise en place d'une formation
obligatoire pour l'ensemble des professionnels régis par le Code des
professions qui joueront un rôle dans
l'accompagnement des personnes victimes et le traitement des dossiers en
contexte de violence sexuelle et conjugale.
Nous savons que
l'appellation «tribunal spécialisé» retenue par le projet de loi n° 92 a
fait objet de débat depuis quelques semaines. Le Barreau du Québec est sensible
aux choix difficiles auxquels sont confrontés les parlementaires eu égard à
l'utilisation de cette appellation. D'une part, les termes «tribunal
spécialisé» sont connus de la population
québécoise, ils évoquent à la fois une prise en charge des personnes
plaignantes ainsi qu'un aménagement adapté des ressources qui existent
afin de leur assurer un meilleur accompagnement. Bref, ces mots se veulent
rassurants pour les personnes plaignantes et constituent, donc, une mesure
d'accès à la justice.
D'autre part, ces
mots peuvent amener les personnes accusées d'une infraction sexuelle ou d'une
infraction commise dans un contexte conjugal
à remettre en question l'impartialité des juges qui auront à trancher leurs
dossiers et à douter du traitement qui leur sera accordé. Par exemple, ces
personnes peuvent avoir des craintes légitimes quant au respect de leurs droits
ou des règles d'équité procédurale. À notre avis, ces deux interprétations sont
aussi valables l'une que l'autre mais, surtout, elles témoignent d'un enjeu
plus large : Comment assurer la confiance de tous les justiciables québécois
envers notre système judiciaire?
Rappelons
que le juge en chef de la Cour suprême du Canada a récemment souligné
l'importance de maintenir la confiance du public dans le système de
justice, parce que celle-ci est la pierre angulaire de notre démocratie. Dans
ce contexte et soucieux de préserver la confiance du public envers la justice
québécoise, nous souhaitons vivement que l'on puisse clore rapidement le débat
sur cette question. La collaboration et la concertation des acteurs judiciaires
sont un gage important de la confiance du public envers la justice.
En résumé, le Barreau
du Québec accueille très favorablement le projet de loi n° 92. En tant que
bâtonnière, je salue le consensus qui se
dessine autour le mise en oeuvre des recommandations du rapport Rebâtir la
confiance et je souhaite
souligner l'appui et la collaboration du Barreau du Québec à cet égard. Nous
vous remercions de nous permettre de
participer à cette importante réflexion et nous demeurons disponibles pour
recevoir vos questions et y répondre.
Le Président
(M. Benjamin) : Merci.
Mme Claveau
(Catherine) : Je crois qu'on a un petit pépin technique. Ma
collègue...
Le Président
(M. Benjamin) : Alors, on va suspendre quelques secondes, le
temps d'y remédier.
(Suspension de la séance à
18 h 20)
(Reprise à 18 h 24)
Le Président (M. Benjamin) : Donc,
à l'ordre, s'il vous plaît!
Mme Claveau (Catherine) :
Alors, je tiens à nous excuser pour le problème technique. Nous allons le faire
côte à côte en respectant les mesures de distanciation.
Le Président (M. Benjamin) :
Alors, sur ce, merci pour votre exposé. Et je cède la parole tout de suite,
pour les échanges, au ministre de la Justice.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Mme la bâtonnière, Me Claveau, Me Aguerre, bonjour,
merci d'être présents avec nous. Très heureux de vous recevoir en commission
parlementaire.
D'entrée de jeu, Me Claveau, à la
page 2 de votre mémoire, vous dites, relativement, là, à l'article 3
et à l'article 11, au troisième alinéa, là, de votre mémoire... vous
dites : «Nous sommes d'avis qu'il aurait été souhaitable que le projet de
loi indique les types de poursuites qui seront entendues par cette nouvelle
division, ainsi que les districts judiciaires où celle-ci siégera.» Donc, vous
nous invitez à vraiment spécifier pour dire tout de suite, dans le projet de
loi, le type de poursuites et également de cibler les districts judiciaires, déjà,
dans lesquels on va mettre les projets pilotes.
Nous, ce qu'on avait comme conception, c'était
de faire en sorte que tout type de... en matière de... poursuite en matière de
violence conjugale, de violence sexuelle, serait dirigée vers le tribunal
spécialisé. Et, bon, pour le projet pilote, bien entendu, il faut viser
certains districts, mais, par la suite, dans le fond, le tribunal spécialisé va
être appelé à siéger dans l'ensemble du Québec, l'ensemble du territoire québécois.
Alors, c'était notre objectif, mais là vous nous invitez à être plus précis,
là, directement dans le texte de la loi?
Mme Claveau
(Catherine) : Oui, mais
c'est surtout le principe voulant que, lorsqu'on prévoit quelque chose dans une loi... (panne de
son) ...toujours une plus grande portée qu'un règlement. Vous savez, le projet
de loi n° 92, c'est un projet qui est attendu de plusieurs personnes qui
sont en attente d'un changement rassurant, et on est d'avis que, s'il y avait un peu plus de précisions dans
le projet de loi, bien, ça pourrait être une reconnaissance de cet
aspect-là puis aussi donner peut-être plus de balises, là, quant aux objectifs
visés par le projet de loi. Parce que, si on se réfère, entre autres, aux
rapports, aux deux rapports qui sont ressortis à la suite, là, du groupe de
travail Rebâtir la confiance, il y avait beaucoup,
quand même, de choses qui ont été précisées, puis on peut
s'inspirer de ça, peut-être, pour apporter un peu plus de précisions
dans le projet de loi.
M. Jolin-Barrette : Je note
bien votre suggestion. Parce que, tout à l'heure, on a eu un intervenant qui
nous a dit... bien, en fait, je pense, c'est même la députée de Verdun qui
disait : Est-ce que l'exploitation sexuelle, c'est un type de poursuites
qui sont couvertes? Alors, la réponse à ça, c'est oui, parce que, bon, toutes
les infractions de nature sexuelle seront entendues à ce tribunal-là. Alors, on
retient bien votre suggestion, on va l'étudier également.
Sur la question de la concurrence entre la Cour
du Québec et la Cour supérieure, bien entendu, les services judiciaires sont offerts... vont être offerts
également à la Cour supérieure, donc, l'accompagnement des victimes. On
a souhaité concentrer nos énergies sur la Cour du Québec, qui entend près de
99 point... je n'ai pas la décimale précise, mais pratiquement tous les
dossiers en matière de violence sexuelle et violence conjugale sont entendus à
la Cour du Québec, à l'exception, bien entendu, des procès devant jury, qui là,
eux, se retrouvent à la Cour supérieure, alors... et également des dossiers de
meurtres, sauf qu'à ce moment-là la victime n'est pas présente, mais la famille
de la victime est présente, si ça se fait dans un contexte conjugal.
Donc, moi, ce que je comprends de votre
proposition, c'est que vous souhaiteriez que le panier de services qu'on offre
aux personnes victimes également soit présent à la Cour supérieure. Vous ne
nous invitez pas, par contre, à créer une division également à la Cour
supérieure, là?
Mme Claveau
(Catherine) : Bien non,
évidemment pas. Mais, vous avez raison, c'est que, nous, notre souci,
évidemment, c'est que toutes les victimes aient la même protection, le même
accompagnement, que... Mais c'est vrai que
vous avez raison aussi de dire qu'il y a quand même un infime, au moment où on
se parle, pourcentage de dossiers, ce genre de nature de crime là, qui
se rendent à la Cour supérieure. Mais n'empêche que les personnes accusées ont
le droit d'opter vers la Cour supérieure, alors, si jamais c'était le cas,
bien, nous, ce qu'on veut, c'est s'assurer que l'accompagnement des victimes
soit le même, qu'on se retrouve en Cour du Québec ou devant la Cour supérieure.
M. Jolin-Barrette : Vous avez dit, tout à l'heure, d'une façon plus
large, là, sur le fait que le Barreau appuyait le principe du projet de
loi puis les objectifs... Quelle est l'importance, pour le Barreau du Québec,
de ce projet de loi là, considérant les
enjeux sociaux qu'on a connus au cours des dernières années? Il y a eu les
vagues de dénonciations de #moiaussi, les vagues successives, également,
au Québec. Et, par rapport aux témoignages qu'on a entendus, là, de plusieurs personnes, de plaignantes qui ont été
victimes de violence sexuelle, de violence conjugale, comment est-ce que
le Barreau du Québec perçoit et reçoit ça, ces témoignages-là des gens qui
disent : Parfois, on n'a pas confiance dans
le système de justice? Pensez-vous que ça va être une mesure qui va permettre,
le tribunal spécialisé, de ramener de la confiance dans le système de
justice, dans nos institutions?
• (18 h 30) •
Mme Claveau
(Catherine) : Bien,
certainement, si... nonobstant l'appellation qu'on lui donnera, si les
victimes, grâce à ce nouveau concept là, ce nouveau projet là, savent qu'ils
vont être accompagnés dès leur dénonciation, qu'ils vont avoir des policiers
qui vont être formés pour bien les recevoir, qu'ils vont être, à toute étape,
accompagnés d'une personne, peut-être, de l'IVAC, d'un CAVAC, qu'ils vont avoir
des procureurs qui vont avoir la bonne
formation pour bien les accueillir, pour qu'ils ne se sentent pas laissés à
elles-mêmes, alors c'est certain que, ce projet de loi là, on le salue,
puis je pense qu'il faut... C'est important de préciser que le Barreau du
Québec a été présent dans plusieurs
démarches qui... sociales et juridiques, là, qui ont mené à améliorer le sort
des victimes de ce genre de crimes là, et ça peut être l'aboutissement,
là, de ces démarches-là.
M. Jolin-Barrette : Oui, et
c'est l'objectif, entre autres, là, de tout le projet de loi, l'accompagnement
du début de la dénonciation à la fin, au
moment de la condamnation et postcondamnation, avec la mise en liberté, éventuellement, de la personne qui a purgé sa
peine. Et donc la cour est au centre, et, en tout respect de
l'indépendance aussi, on vient arrimer le tout dans le processus de la personne
victime.
Vous avez
abordé également le fait... Bon, l'accompagnement au niveau de la formation, on
a entendu différents intervenants dire... Et là, je dois le dire, les
règles de preuve ne changent pas. La présomption d'innocence demeure,
l'indépendance judiciaire, le droit à une défense pleine et entière, mais on a
entendu beaucoup de gens parler de la formation, notamment, des différents
acteurs. Bon, on a parlé de la formation des juges, mais ce qu'il m'intéresse
de discuter avec vous, c'est notamment la formation des avocats. Bon, au niveau
du Directeur des poursuites criminelles et pénales, nous, on va s'en occuper,
ça relève de l'État. Le DPCP va mettre en place des formations. Il y a déjà des
équipes spécialisées, tout ça. Du point de vue du côté de la défense également,
c'est un peu là où je souhaite vous entendre. Quelle devrait être la formation
des avocats de la défense qui vont interagir dans le cadre de ce tribunal-là?
Mme Claveau (Catherine) : Bien,
c'est certain que préciser le type de la formation, c'est un peu difficile pour
moi de le préciser. Par contre, je pense que ce qui est important de savoir,
c'est que, nous, ce qu'on souhaiterait, au Barreau du Québec, c'est de rendre
obligatoire une formation pour tous nos membres qui auront à interagir dans ce genre de dossier là, sur différents enjeux qui
touchent les infractions dans le contexte... sexuel et violence
conjugale. Donc, il y aura une panoplie de formations qui va vraiment, là, leur
permettre, là, de bien jouer leur rôle, à tous ces intervenants-là. Mais, vous
savez, on a le pouvoir, nous, au Barreau, là, d'obliger nos membres à suivre
certaines formations si c'est indiqué, là, pour certaines catégories de
procédures ou certaines catégories d'infractions, comme cela est proposé.
M. Jolin-Barrette : Donc, je
comprends que le Barreau du Québec envisage de rendre, par son règlement de formation
continue, j'imagine, ou tout ça... de dire : Bien, suite à la mise en
place du tribunal spécialisé, si vous traitez
ce type de dossier en matière de violence conjugale ou violence sexuelle, bien,
vous devriez avoir de la formation continue en lien avec votre pratique,
avec votre domaine de pratique. C'est ce que je comprends?
Mme Claveau (Catherine) : Effectivement,
c'est quelque chose qui pourra être décidé, mais il faut savoir aussi qu'on en
a déjà préparé, là. Actuellement, au Barreau, on en offre déjà, des formations
dans ce domaine-là. On a déjà
aussi suivi les recommandations d'un rapport d'une coroner qui a eu, dans un
dossier relié à la violence
conjugale... Elle a fait des recommandations au Barreau par rapport à la formation
des avocats qui auraient à intervenir dans ce genre
de dossier là. Alors, on a préparé une formation puis on va l'offrir à nos membres. Donc, au-delà de l'obligation relevée, dans notre
règlement, de formation continue, on en a déjà préparé, des formations, puis on
va les diffuser.
M. Jolin-Barrette : Bien, ce
qui est une bonne chose. Je salue l'initiative du Barreau à ce niveau-là, et également
le fait... Si vous modifiez le règlement
puis vous obligez... je pense
que ça peut donner des outils, notamment, à toute personne qui se
retrouve en salle de cour, notamment, avec une victime, mais, même pour la
personne qui est accusée, également, ça permet également d'avoir cette
formation-là.
Avant de céder la parole à mes collègues, je
voulais aborder avec vous... parce que vous l'avez fait relativement à
l'appellation du tribunal, vous avez dit : Il y a des arguments en faveur.
Vous avez dit : Écoutez, le fait que ce soit indiqué «tribunal
spécialisé», ça peut être rassurant pour les personnes victimes, ça donne
confiance, c'est un signal qui est envoyé. Vous avez dit également : Bien,
écoutez, de l'autre côté, il y a des enjeux également... certains soulèvent des
enjeux avec la présomption d'innocence, ou avec l'impartialité, ou tout ça.
Je vous soumettrais que, dans certaines autres
juridictions dans le monde où il y a des tribunaux spécialisés, on a fait
référence, là, directement... Je donne un exemple. En Afrique du Sud, le nom de
la cour, c'est Sexual Offences Courts. En
Nouvelle-Zélande, c'est Sexual Violence Court. En Espagne, vous me pardonnerez
mon espagnol, mais c'est Juzgados de Violencia sobre la Mujer, donc,
tribunaux de — je
dois pratiquer...
Une voix : ...
M. Jolin-Barrette : ...c'est
ça, formation continue, alors ça remonte quand même au secondaire III, mes
derniers cours d'espagnol — tribunaux de la violence contre les femmes,
si je traduis, traduction littérale. Et, supposons, à Moncton,
également, Domestic Violence Court. Donc, dans d'autres juridictions dans le
monde, on vient nommer précisément ce que c'est puis ça n'a pas... Il ne semble
pas y avoir d'enjeu spécifique à ce niveau-là. Alors, je voulais voir ce que
vous en pensiez.
Mme Claveau
(Catherine) : Bien, écoutez, qu'on le retienne ou qu'on ne le retienne
pas, je pense que c'est à vous, parlementaires, de décider, là, comment vous
allez l'interpréter. Pour nous, au Barreau, ce qui est important, c'est de...
Il faut envoyer un message fort à l'effet que ça prend un changement de
culture. Ce changement de culture là, il est amorcé. On va... Et les acteurs
vont travailler ensemble pour amener cet objectif-là, et c'est pour ça...
Si vous me permettez, avant de terminer notre
échange, M. le ministre, vous savez, nous, on recommande de suivre le modèle de l'entente multisectorielle qui
existe déjà en protection de la jeunesse. C'est un engagement de tous
les acteurs. Donc, ministères de la Justice,
Sécurité publique, Santé et Services sociaux, Famille, Enfance, Condition
féminine, les policiers, les organismes
communautaires, le DPCP, les juges, tous ces intervenants-là, à toute étape du
processus, s'engagent à respecter cette entente multisectorielle là.
Alors, ça, ça va être applicable... On aura tous
les acteurs qui vont y adhérer partout à travers le Québec, que la victime se
retrouve dans une région, ou un grand centre, ou que ce soit une victime
autochtone. Dans le fond, nous, ce qui est
important, c'est vraiment que tous les acteurs s'unissent, s'impliquent et se joignent
pour qu'il y ait une communication, qu'on travaille tous dans le même
sens, donc, d'offrir un meilleur accompagnement aux victimes de ces agressions
sexuelles là ou violence conjugale.
M. Jolin-Barrette : Je vous remercie, Me Claveau, pour la
présentation. Je remercie le Barreau de sa présence. Et j'ai des
collègues... des questions. Merci beaucoup.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci, M. le ministre. Il reste 2 min 30 s. M. le député de
Chapleau.
M. Lévesque (Chapleau) : ...M.
le Président. Mme la bâtonnière, Me Aguerre, merci beaucoup.
Peut-être une petite question d'entrée de jeu, là. Depuis le dépôt du projet de
loi, il y a plusieurs voix ou quelques voix, du moins, qui se sont élevées, là, pour... Il y avait certaines craintes
quant à la création de ce tribunal-là en lien, notamment, avec l'impartialité et la neutralité de ce projet
de loi là. Ça pourrait venir, dans le fond, vicier ce processus-là ou
donner un avantage indu aux victimes,
d'avoir un parti pris ou une partie favorable pour les victimes. J'aimerais
peut-être savoir ce que le Barreau en pense, de ces critiques-là, ces
inquiétudes-là, du fait de la création de ce tribunal-là, peu importe le nom,
là, qu'il pourrait avoir.
Mme Claveau
(Catherine) : Bien, je pense
qu'il y a peut-être une façon de rassurer, justement, la population par
rapport à cette crainte-là. C'est une question de formation et de ressources,
donc, de bien former l'ensemble des, par exemple, procureurs à la DPCP, l'ensemble
des ressources, à cette réalité-là, qu'il y ait une certaine rotation aussi chez les ressources, que ce ne soient pas toujours
les mêmes qui aient à traiter ces mêmes dossiers là, donc, qu'il n'y ait
pas... que les gens qui ont, par exemple, au DPCP, à entendre ces dossiers-là
ne soient pas teintés comme étant : ils font
juste ces dossiers-là, donc c'est sûr qu'ils vont prendre pour la victime. Non,
plus il y a des gens qui sont formés, plus il y a une rotation, alors
plus on avoir de diversité. Puis ça va être partout à travers le Québec. Puis,
aussi, plus on fait ça, moins les gens qui vont entendre ces dossiers-là vont
être soit épuisés ou même, entre guillemets, blasés.
Donc, je pense que l'important, c'est que c'est
une réalité nationale, que tout le monde est sensibilisé à ça, tout le monde se
fait former. On fait une rotation puis on s'assure que tous les gens sont
formés aussi pour... et qu'ils comprennent
aussi les enjeux de la personne accusée autant que la personne victime. Alors,
quand je parle de formation, tu sais, moi, je vise les deux, là. Ça fait
que l'important, je pense, c'est d'avoir le plus de personnes possible qui sont
bien formées, puis qui démontrent qu'il demeure une neutralité, puis que les
principes de droits fondamentaux ne changent pas même si on s'appelle tribunal
spécialisé ou non. La présomption d'innocence, le droit à une défense pleine et
entière, ça continue d'exister.
• (18 h 40) •
M. Lévesque (Chapleau) : Pas,
dans le fond...
Le Président (M. Benjamin) :
Merci.
M. Lévesque (Chapleau) : Ah
bon! Pardon, merci.
Le
Président (M. Benjamin) :
Malheureusement, il ne reste plus de temps. Nous allons
poursuivre les échanges avec la députée de Verdun.
Mme Melançon : Merci. Merci beaucoup,
mesdames, d'être présentes, Mme la bâtonnière, Me Aguerre, un grand plaisir de vous accueillir aujourd'hui. J'ai quelques questions auxquelles d'autres groupes avant vous... J'ai
posé les mêmes questions à d'autres groupes puis je veux quand même avoir l'éclairage
du Barreau quant à ces questions-là.
D'abord, je sens que vous avez la même
préoccupation que plusieurs élus quant à la possible contestation par la juge
en chef si... En tout cas, on l'a senti dans les journaux dernièrement. Est-ce
que vous sentez ce risque de contestation de votre côté aussi face aux
différends qu'il y a actuellement sur la place publique avec la création du
tribunal spécialisé?
Mme Claveau (Catherine) : Bien,
écoutez, c'est sûr que la juge en chef a soulevé cet enjeu. Je pense, c'est aux
parlementaires qui doivent être conscients qu'il y a une possibilité de
contestation judiciaire sur l'appellation, surtout si... peut-être si
l'appellation «tribunal spécialisé» demeure. Je ne vous dirai pas «surtout»,
mais il y a un risque, quand même, de contestation
judiciaire. Maintenant, moi, je rappelle que... Je pense, et la juge en chef et
tout le monde, la majorité, là, des gens qui sont interpelés pour répondre à
ces questions-là, on vise tous le même objectif, donc, c'est de... peut-être de
trouver une voie de passage ou une façon, là, de répondre à l'objectif de ce projet
de loi là sans être obligé, là, de s'attarder sur une dénomination et éviter
les risques de contestation judiciaire. Alors, effectivement, ça existe. Moi,
j'ai bien confiance, là, que tout le monde a la même volonté d'accompagner nos
victimes. Et j'espère évidemment qu'il n'y en ait pas, de contestation
judiciaire, mais je pense que, si on travaille tout le monde ensemble, là, ce
risque-là, il est moins présent.
Mme Melançon : Bien, vous avez
raison de le dire, puis personne ne veut de contestation judiciaire, d'autant
plus que les dernières contestations judiciaires, bien, il y en a une qui a
duré trois ans puis l'autre a duré cinq ans. Et, quand on remet ça en
perspective, on s'éloigne vraiment de ce qu'on a visé lorsqu'on a déposé le
rapport Rebâtir la confiance, c'est-à-dire de penser, d'abord et avant
tout, aux victimes, à l'accompagnement de ces victimes-là et à la confiance
qu'on doit redonner à celles, principalement, là, parce que c'est très
largement des femmes, qui ont besoin, dans le fond, du système de justice.
Alors, Julie Desrosiers, un peu plus tôt, qui est une des coprésidentes du
rapport, parlait de certains irritants, notamment, donc, le nom, «tribunal
spécialisé». Est-ce que vous vous voyez... Est-ce que vous avez une préférence
quant... parce qu'on a entendu différentes choses. On a entendu «chambre»,
notamment. Est-ce que vous avez une préférence quant à l'appellation?
Mme Claveau (Catherine) : On
n'a pas de préférence quant à l'appellation. On ramène vraiment... Comme je
vous dis, l'importance, c'est l'objectif de la loi, c'est un meilleur
accompagnement. Et on ne se prononce pas, là, sur la meilleure appellation
possible. On n'a pas... On ne s'est pas arrêtés à cette réflexion-là, à cette
décision-là, même, de prendre position, là, sur la meilleure appellation.
Mme Melançon : D'accord. Quant
à la formation, on a parlé, tout à l'heure, de la formation, bien sûr, des
juges, des avocats. Vous parliez, tout à l'heure, de la formation des avocats
avec le ministre de la Justice. Est-ce que, pour vous, nous devrions introduire
à l'intérieur du projet de loi n° 92 la formation de tous les
spécialistes?
Mme Claveau (Catherine) : Bien,
ça fait partie de nos recommandations que toutes les personnes, là... Je vous
parlais tout à l'heure, là, de la possibilité d'une table multisectorielle.
Bien, tous les professionnels et spécialistes qui feraient partie de cette
nouvelle division là ou ce nouveau tribunal là, notre recommandation, c'est
qu'ils reçoivent, effectivement, une formation qui réponde, là, à ces enjeux-là.
Mme Melançon : D'accord. Tout à
l'heure, on a rencontré... On était avec les CAVAC, et Mme Bergeron, du
Centre-du-Québec... Là, j'y vais vraiment de mémoire, pardonnez-moi,
18 h 45, mais Mme Bergeron nous parlait aussi d'une capacité d'encadrer le contre-interrogatoire par les avocats
de la défense. Est-ce que ça a déjà été... Est-ce qu'il y a quelqu'un
qui a déjà attiré votre attention sur cette possibilité?
Mme Claveau (Catherine) : Je
vais laisser Me Aguerre répondre à cette question.
Mme Aguerre (Ana Victoria) :
Bien, en fait, évidemment, comme vous le savez, tous les avocats sont soumis à
des obligations déontologiques qui les suivent partout, particulièrement dans
l'exercice de leur profession. Et, au niveau du respect des différentes
personnes, incluant des victimes qui pourraient être contre-interrogées, il y a
des obligations à cet égard-là qui s'appliquent.
En termes de formation, évidemment qu'il y a de
la formation qui est disponible. On est en train d'étudier la possibilité d'avoir
une formation élargie. On a déjà une formation de base sur l'interrogatoire des
personnes vulnérables, qui couvre plus large que les victimes d'agression
sexuelle ou de violence conjugale, mais elle existe déjà. On est en train de la
bonifier, de la parfaire, ce qui fait suite un peu aux différents engagements
du Barreau du Québec en termes de formation.
Mais j'ai cru comprendre que la grosse
problématique pouvait survenir aussi par les personnes qui se représentent
seules. Vous le savez peut-être, les personnes qui se représentent seules,
aujourd'hui, le Code criminel prévoit qu'elles doivent être représentées pour
contre-interroger la victime. C'est toutes des mesures qui sont déjà en place.
Il ne faut pas penser qu'on ne part de rien, au Barreau du Québec, et, même au
niveau de l'application du droit, il y a des choses déjà qui existent.
Mais, comme je vous le disais tout à l'heure et
comme Mme la bâtonnière vous le disait, le Barreau du Québec est en train de
penser, justement, à rendre obligatoires certaines formations qui vont cibler
spécifiquement les personnes, les avocats qui sont appelés à évoluer dans le
tribunal spécialisé. Donc, ça pourrait toucher un peu ce que vous dites.
Mme Melançon :
Mme Aguerre, voulez-vous juste peut-être définir... parce que vous
dites : Il y a déjà une formation. J'ai bien compris que c'est pour les
personnes vulnérables. C'est ce que vous avez dit?
Mme Aguerre
(Ana Victoria) : Oui, en
fait, le contre-interrogatoire pour les personnes vulnérables,
exactement. On a... J'ai la liste devant moi. Je ne vous le cacherai pas. On a
des formations déjà... Donc, le Barreau développe actuellement quatre
formations en ligne sur les réalités vécues des personnes victimes d'agression
sexuelle, les droits et recours des victimes d'agression
sexuelle, le processus disciplinaire pour les victimes d'inconduite sexuelle. À
ça s'ajoute un séminaire sur le fait d'interagir avec des victimes d'agression
sexuelle ou de violence conjugale en appliquant une approche intersectionnelle.
Donc, à travers tout ça, la formation des
avocats de la défense en matière de dossiers d'agression sexuelle et de
violence conjugale est traitée. Est-ce que ça peut être bonifié? Assurément, de
là les engagements du Barreau du Québec de rendre une certaine formation
obligatoire pour les membres qui seront appelés à intervenir dans ce genre de
dossier là. Et, comme le ministre de la ministre de la Justice l'a dit tout à
l'heure, la formation relative au DPCP, ça relève du ministère de la Justice.
Donc, il reste les avocats de la défense. Donc, voilà, vous me voyez venir.
Mme Melançon :
Oui, très bien. Merci beaucoup. Bien, vous voyez, hein, tout est dans tout
parfois. C'est pour ça... On profite de votre présence. À la
page 3, vous demandez, dans le fond... bien, vous suggérez qu'un rapport
annuel sur la formation dispensée aux juges sur cet enjeu soit disponible sur
le site Internet plutôt que de le déposer dans un rapport annuel. Est-ce que
vous pouvez juste m'éclairer, à savoir pourquoi vous faites la distinction?
Pourquoi vous séparez les deux possibilités?
Mme Claveau (Catherine) : Bien,
je pense que la distinction, à la base, c'est un peu un principe, là, qu'il
faut savoir, d'abord... Et, on le dit dans l'allocution, c'est que, déjà, nos
juges à la Cour du Québec sont beaucoup formés,
et ils en reçoivent, de la formation,
et on sait qu'ils apprécient être
formés. Puis, tu sais, on n'a aucune information à l'effet que les juges
seraient réfractaires à en avoir plus, au contraire, pour avoir une formation
spécialisée. Bon, évidemment, ça... Et, nous, ce qu'on dit, c'est que, vous
savez, on trouve que les gens qui sont impliqués dans le système de justice
doivent aussi avoir confiance au pouvoir judiciaire, et, parmi... dans le
pouvoir judiciaire, en principe, les juges en chef ont le pouvoir de choisir
quelle formation donner à leurs juges.
Et, oui, la loi pourrait obliger, disons, les
candidats juges, les juges à la retraite à suivre ces formations-là. Pourquoi
ne pas faire confiance à la juge en chef qui, elle, va préparer ce rapport-là,
va le rendre public sur son site Internet? On recommande que ce soit au moins
une fois par année. Dans le fond, c'est que les gens, les justiciables, vont se
rendre compte que, oui, les juges, pour eux, c'est important aussi :
Voici, ils les forment, les juges, voici le rapport, on vous le dépose, c'est
transparent, vous allez le voir. On pense qu'on peut laisser cette responsabilité-là
à la juge en chef plutôt que de dire : On va faire un rapport, puis là on
va le donner au ministre, puis le ministre va le déposer à l'Assemblée
nationale. C'est plus une question, là, de séparation de pouvoirs puis de
confiance...
• (18 h 50) •
Mme Melançon : Vous êtes simplement
en train d'enlever un irritant. C'est ce que vous êtes en train de nous dire de
façon gentille et polie. Merci.
Le Président (M. Benjamin) :
Alors, merci. Donc, nous allons poursuivre avec, maintenant, la députée de Sherbrooke.
Mme Labrie : Merci, M. le
Président. Les principes derrière les tribunaux spécialisés, vous les avez
nommés à plusieurs reprises dans votre intervention. Pour l'instant, ils ne
sont pas inscrits dans le projet de loi. Il y a différentes personnes qu'on a
rencontrées aujourd'hui, qui nous ont invités à les inscrire formellement.
Est-ce que vous pensez qu'on devrait le faire?
Mme Claveau (Catherine) : Bien,
je pense que ça va dans le même sens de notre allocution. On trouve que, s'il y
a plus de précisions qui sont inscrites dans la loi... La loi, c'est quand même...
Il y a une force importante. Ça a plus d'impact légal, mais, même... tu sais,
je veux dire, même moral, d'ascendant moral, qu'un règlement, ou un décret, ou
une procédure. Donc, oui, effectivement, on recommande qu'il y ait un petit peu
plus de précision dans la loi... dans le projet de loi.
Mme Labrie : Parfait. Puis, sur
la question de l'entité qui chapeauterait tout ça en s'inspirant de l'entente
interministérielle, est-ce que ça aussi devrait figurer dans le projet de loi,
à votre avis, la création de cette entité-là?
Mme Claveau (Catherine) :
L'entente multisectorielle? Écoutez, on ne s'est pas penchés sur cette
précision-là, mais, effectivement, ça pourrait se retrouver dans la loi
également.
Mme Labrie : Ça pourrait se
retrouver dans la loi. Puis vous avez quoi en tête en termes d'entité?
Mme Claveau
(Catherine) : Bien, je vais peut-être
laisser ma collègue vous donner un petit peu de
précision parce qu'elle a participé à ces enjeux-là, là, depuis plus d'années
que moi. Elle est plus au courant de comment ça fonctionne, ces ententes
multisectorielles.
Mme Aguerre (Ana Victoria) : En
fait, pour revenir un peu sur la première partie de votre question, il faut
savoir que l'entente multisectorielle va, en fait, traiter, je pourrais dire,
de la dénonciation de la victime jusqu'à même après le procès, le suivi de
certaines conditions qui pourraient être établies, comme par exemple le fameux
«810». Donc, la portée est beaucoup plus large que ce que prévoit actuellement
le projet de loi n° 92. Ça, je pense que c'est important à souligner. Mais
je comprends aussi, pour avoir entendu, tout à l'heure, parler le ministre de
la Justice, que c'est ça, l'idée qu'il a en tête, l'idée
d'avoir vraiment une espèce de processus large qui va couvrir toutes les
différentes étapes que la victime doit passer, là, avant d'aboutir à une
décision par un tribunal.
Donc, dans ce sens-là, dans la mesure où, bien,
ça pourrait être intégré dans le projet de loi n° 92, ce serait
extrêmement intéressant. La grande distinction avec le tribunal spécialisé
puis, il faut croire, sa grande plus-value, là, de l'entente multi, c'est que,
un, elle va permettre d'identifier les différentes parties prenantes qui sont
impliquées, les différents partenaires qui sont impliqués dans le processus
judiciaire, mais même avant, et après...
Le Président (M. Benjamin) :
Merci...
Mme Aguerre
(Ana Victoria) : Je
m'excuse, j'ai entendu quelque chose. Je ne sais pas si c'est un... Ah!
O.K.
Le Président (M. Benjamin) :
Merci. Malheureusement, le temps qui nous est imparti, donc, si on veut que
tout le monde puisse s'exprimer... La députée de Joliette, maintenant.
Mme Hivon : Oui,
merci. Je sais, c'est très frustrant. Moi aussi, j'ai très peu de temps. Sur
ce, j'aimerais ça que vous nous spécifiiez... Tantôt vous avez dit que le
projet de loi était silencieux sur l'offre d'accompagnement. Donc, juste nous
dire, donc, si vous pensez qu'il faut vraiment, dans le projet de loi lui-même,
préciser ce serait quoi, le cheminement, en termes d'accompagnement.
Par ailleurs, sur la question de la formation,
j'essaie de... Vous avez dit... Si j'ai bien compris, puis vous me corrigerez, votre
position, c'est que la formation, pour ce qui est des avocats, devrait être
donnée à tous ceux et celles qui risquent d'être appelés à évoluer dans le
tribunal spécialisé, et je voudrais juste que vous me fassiez le parallèle,
parce qu'en ce moment, dans le projet de loi, pour ce qui concerne les juges,
c'est tous les juges, y compris, par exemple, les juges de paix magistrats,
donc, pas nécessairement juste ceux qui vont aller devant le tribunal
spécialisé. Est-ce que vous pensez qu'on devrait avoir une approche pour tous
les avocats comme pour tous les juges, ou,
au contraire, qu'on devrait être pareils, et donc juste cibler ceux qui
risquent d'être devant le tribunal spécialisé?
Mme Claveau (Catherine) :
Écoutez, bien, pour le moment, la recommandation est vraiment pour ceux qui
auront à soit aller au tribunal spécialisé, mais aussi ça peut être élargi à
d'autres... Par exemple, ça pourrait être pour des avocats en droit de la
famille qui ont à avoir des dossiers avec toute cette problématique-là, en
chambre de la jeunesse aussi. Pour le moment, on ne s'est pas positionnés pour
savoir est-ce que ça devrait être tous les avocats qui... de tous les milieux de pratique. Donc, c'est difficile pour moi
d'avoir une réponse affirmative, mais, au moins, ce que je peux vous
dire, en point de départ, ce serait au moins tous ceux qui sont appelés, là, à
aller devant le tribunal spécialisé, entre guillemets, ou des instances avec
des enjeux du même genre.
Mme Hivon : Puis, pour ce qui
est de l'accompagnement, on l'inscrirait dans la loi, le processus
d'accompagnement.
Mme Claveau (Catherine) : Bien,
nous, c'est vraiment la référence au modèle, l'entente multisectorielle, là, je
pense qu'on pourrait le mettre effectivement dans la loi, qui parle d'accompagnement.
Mme Hivon :
Parfait. Est-ce qu'il me reste du temps?
Le Président (M. Benjamin) : 18 secondes.
Mme Hivon : O.K.
Évidemment, puisque la formation des juges, elle est inscrite dans la loi,
j'imagine que vous être d'avis que la formation des avocats, des policiers,
comme plusieurs nous l'ont demandé ce matin, devrait être inscrite aussi dans
la loi.
Mme Claveau
(Catherine) : On n'a pas
d'objection à ça. On n'en a pas. On ne s'est pas exprimés, là, là-dessus,
mais on n'a pas d'objection.
Mme Hivon : O.K.,
merci beaucoup.
Le
Président (M. Benjamin) :
Alors, merci, Me Claveau, Me Aguerre. Merci beaucoup pour votre
contribution à nos travaux.
La commission ajourne ses travaux jusqu'au
mercredi 27 octobre après les affaires courantes. Merci.
(Fin de la séance à 18 h 56)