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Version finale

42nd Legislature, 1st Session
(November 27, 2018 au October 13, 2021)

Thursday, January 21, 2021 - Vol. 45 N° 112

Special consultations and public hearings on Bill 84, An Act to assist persons who are victims of criminal offences and to facilitate their recovery


Aller directement au contenu du Journal des débats

Table des matières

Auditions (suite)

Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale (RMFVVC)

Réseau des centres d'aide aux victimes d'actes criminels (Réseau des CAVAC)

Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère
sexuel (RQCALACS)

M. Pierre-Hugues Boisvenu

Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle (CLES)

Centre de ressources et d'intervention pour hommes abusés sexuellement dans leur enfance
(CRIPHASE)

Mmes Elizabeth Corte et Julie Desrosiers

Mémoires déposés

Autres intervenants

M. André Bachand, président

M. Simon Jolin-Barrette

M. Mathieu Lévesque

M. Louis Lemieux

M. Marc Tanguay

Mme Christine Labrie

Mme Véronique Hivon

Mme Lucie Lecours

Mme Stéphanie Lachance

Mme Christine St-Pierre

*          Mme Louise Riendeau, RMFVVC

*          Mme Cathy Allen, idem

*          Mme Karine Gagnon, Réseau des CAVAC

*          M. Dave Lysight, idem

*          Mme Stéphanie Tremblay, RQCALACS

*          Mme Laurence Morin, idem

*          Mme Martine B. Côté, CLES

*          Mme Lau Ga, idem

*          Mme Martine Poirier, CRIPHASE

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Note de l'éditeur : La commission s'est réunie en visioconférence.

Journal des débats

(Dix heures vingt minutes)

Le Président (M. Bachand) : Bon matin. Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte.

La commission est réunie virtuellement afin de procéder aux consultations particulières et aux auditions publiques sur le projet de loi n° 84, Loi visant à aider les personnes victimes d'infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement.

Avant de débuter, Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, M. le Président, Mme Lavallée (Repentigny) est remplacée par M. Provençal (Beauce-Nord); M. Fontecilla (Laurier-Dorion) est remplacé par Mme Labrie (Sherbrooke).

Auditions (suite)

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Ce matin, nous entendrons par visioconférence les groupes suivants : le Réseau des centres d'aide aux victimes d'actes criminels et le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale.

Et d'ailleurs, nous accueillons les deux représentantes, que je salue. Mme Allen et Mme Riendeau, merci d'être avec nous. Vous pouvez ouvrir vos micros.

Une voix : Voilà!

Le Président (M. Bachand) : Ah! voilà. Merci, alors, sur ce, encore une fois, d'être avec nous ce matin. Et comme vous le savez, vous avez 10 minutes de présentation, après ça, nous aurons un échange avec les membres de la commission. Alors, la parole est à vous pour 10 minutes. Merci encore d'être avec nous ce matin.

Regroupement des maisons pour femmes victimes
de violence conjugale (RMFVVC)

Mme Riendeau (Louise) : Bien, d'abord, merci de nous avoir invitées à vous donner votre point de vue, les délais étaient assez courts pour faire le tour du projet de loi, mais on va quand même essayer de faire un petit tour avec vous.

On voudrait d'abord souligner des avancées, dans le projet de loi, qui... dont on est assez contentes. D'abord, la définition des victimes où on parle d'atteinte à l'intégrité au sens large et où on rappelle que l'auteur n'a pas besoin d'être arrêté, identifié, trouvé coupable pour que les victimes puissent bénéficier de la loi. Donc, pour nous, ça, c'est important.

Autre élément satisfaisant, les enfants des femmes victimes de violence conjugale étaient déjà, dans les faits, considérés comme témoins des actes criminels, maintenant ils vont pouvoir aussi être considérés, dans un deuxième titre, comme enfants des victimes. Donc, on pense que ça sera sans doute aidant pour s'adapter aux situations des différents enfants, on le demandait depuis longtemps.

Autre élément fort satisfaisant pour nous, l'abandon de l'annexe qui définit les crimes. Beaucoup de femmes victimes de violence conjugale, victimes de menace ou de harcèlement criminel étaient exclues, donc, là, en allant sur le Code criminel, tous les crimes contre la personne qui sont là, ça devrait régler. Par contre, on est inquiètes de voir que cette modification-là ne serait peut-être pas rétroactive. Donc, une victime aujourd'hui de harcèlement criminel n'aurait peut-être pas accès aux bénéfices de la loi quand elle sera adoptée. Donc, peut-être qu'on pourra discuter plus tard.

Autre élément fort satisfaisant, c'est qu'on harmonise les délais pour déposer une demande aux modifications qui ont été apportées au Code civil, donc les victimes de violence conjugale pourront déposer une demande, là, en dehors des délais prescrits par la loi.

Par ailleurs, il y a d'autres éléments qui nous inquiètent. Tantôt, je disais ma satisfaction de voir que les auteurs n'ont pas à être arrêtés et trouvés coupables, pourtant on conserve, à l'article 7 de la loi, l'obligation de coopérer pour les victimes, et on parle de coopérer pour les gens chargés d'appliquer la loi, donc on peut se dire : Est-ce que c'est une obligation de coopérer si on poursuit le conjoint violent sans que la femme ait, elle-même, porté plainte? Est-ce que c'est une obligation si le ministre veut récupérer des sommes qui auraient été versées au niveau de l'IVAC? Pour nous, c'est problématique. Chaque jour, on encourage les femmes à dénoncer les crimes qu'elles vivent. Chaque jour, on travaille à essayer d'améliorer leur parcours dans le système judiciaire, mais force est de constater, quand on lit le rapport du comité d'experts qui vient d'être déposé sur l'accompagnement des victimes d'actes... de violence conjugale et d'agression sexuelle, il y a 190 recommandations, donc on a encore beaucoup de modifications, de bonifications à faire pour que les femmes soient moins réticentes, et, si on les oblige à coopérer avec le système de justice, pour nous, ça pourrait être dissuasif pour beaucoup de femmes qui ne se prévaudraient pas, à ce moment-là, du régime d'indemnisation. Donc, nous, on recommandait carrément d'enlever l'article 7 de la loi, les citoyens ne seront pas obligés de dénoncer les crimes qu'ils vivent, donc on pense que ça serait facilitant.

Autre élément qui nous inquiète, le pouvoir de subrogation qui est maintenu. Ce pouvoir-là n'est pratiquement pas utilisé depuis longtemps, mais, pour une femme victime de violence conjugale, craindre qu'on va aller récupérer l'argent si son conjoint va la faire craindre qu'il y ait des... qu'elle vive des représailles... Déjà, de donner son nom et son numéro de téléphone dans le formulaire de l'IVAC, ça crée une panique pour beaucoup de femmes. Donc, nous, on dit : Il faut vraiment s'assurer qu'on ne va pas remettre en fonction des poursuites, là, contre des conjoints violents.

Autre élément aussi qui est inquiétant, en tout cas, qui pourrait être modifié assez facilement, c'est la question de la faute lourde. On comprend bien qu'on ne veut pas que les gens du crime organisé bénéficient du régime. Dans le projet de loi, on a prévu une exception pour des proches ou des membres de la famille qui auraient contribué à atteindre l'intégrité ou à la perpétration de l'infraction s'ils sont victimes de violence ou s'ils sont eux-mêmes menacés. Pourquoi ne pas avoir fait la même chose pour les victimes elles-mêmes? Je pense particulièrement aux victimes qui vivent sous l'entreprise d'un conjoint violent, d'un trafiquant d'êtres humains, d'un proxénète, qui peuvent être menacées. Donc, nous, vraiment, on recommande d'ajouter l'exclusion aussi pour ces victimes-là, donc de modifier l'article 16.1 de ça.

Autre élément qui nous a soulevé beaucoup de questions, c'est qu'on modifie en profondeur tout le système d'indemnité, mais on ne sait pas trop à quoi ça ressemblera parce que ça va être défini dans un règlement qu'on ne connaît pas pour l'avenir.

Autre chose, on se dit : Est-ce que les modifications qui ont été apportées tiennent compte du profil des victimes qui bénéficient de la loi? Quand on va lire les rapports, on voit que ce sont beaucoup des femmes et des filles victimes d'agression sexuelle et de violence conjugale, donc peut-être des personnes moins riches que la moyenne des gens ou, en tout cas, que des hommes. On ne sait pendant combien de temps, quel type d'indemnité elles reçoivent, en quoi la structure actuelle répond à leurs besoins et en quoi la structure proposée dans l'avenir le fera. Donc, pour nous, ça nous aurait pris une analyse beaucoup plus fine pour être capable de porter un jugement sur ce qui est proposé et plus d'information sur les indemnités proposées.

Autre question que ça nous soulève, on avait demandé l'élargissement du nombre de personnes admissibles, mais on ne sait pas est-ce que ces personnes-là seront traitées de la même façon. Est-ce qu'on aura la même enveloppe? Et donc que ça risque de faire une diminution des prestations pour les victimes directes. Là aussi, beaucoup de questions pour juger de ce qui est proposé.

Mais un élément qui est présent dans la loi et qui, pour nous, soulève des problèmes, c'est qu'au niveau de l'aide financière pour pallier la perte de revenu. On exclut les personnes qui sont à l'extérieur du marché du travail. Quand on regarde les femmes qui sont hébergées dans nos maisons, 40 % se définissent comme des femmes à la maison et ont comme revenu l'aide sociale ou le revenu du conjoint, donc, d'emblée, ces personnes-là vont être exclues, alors que, pour nombre d'entre elles, si elles ont quitté le marché du travail, c'est à cause des pressions du conjoint violent qui voulait les isoler ou parce que leur rendement au travail souffrait à cause de la violence, et qu'elles ont été exclues du marché par leur employeur. Il y a... À l'heure actuelle, on est en train de regarder la Loi sur santé et sécurité au travail qui pourrait apporter des solutions à ça, mais ce n'est toujours pas fait. Donc, pour nous, c'est problématique qu'on exclue ces personnes-là et c'est un peu comme si on disait : Si elles ne sont au marché du travail, on prend pour acquis qu'elles n'y seraient pas retournées. Donc, pour nous, un problème.

Autre problème, pour les personnes qui y auront droit, on limite ces prestations-là à trois ans. On comprend qu'on vise le rétablissement et on est totalement d'accord avec ça, mais on sait qu'il y a des personnes pour qui les traumatismes sont plus importants, qu'elles auront besoin de plus de temps et que même certaines ne récupéreront pas totalement. Donc, limiter à trois ans nous semble problématique.

Pour les autres aides financières, beaucoup de questions aussi. On ne sait pas si, par exemple, ce qui est admis à l'heure actuelle, où on paie deux mois de loyer pour les personnes qui doivent résilier leur bail pour des raisons de sécurité, en vertu de 1974.1 du Code civil, essentiellement des victimes d'actes de violence conjugale et d'agression sexuelle, c'est toujours là. Est-ce que les systèmes d'alarme sont toujours là? On ne sait pas.

• (10 h 30) •

Au niveau des personnes assistées sociales, on aurait espéré que la loi règle les problèmes actuels parce que, pour ainsi dire, à l'heure actuelle, les gens qui réussissent à bénéficier de l'IVAC se font à peu près tout recouper par l'aide sociale ou doivent le dépenser dans le mois où ils reçoivent, donc on n'a pas de... on ne voit pas de solution dans la loi pour ça. Et on voit aussi un problème que la loi ajoute, qui ne touche pas ces personnes-là, mais qui touche les victimes de violence conjugale. Il y a une modification pour adapter le langage, qui est faite à l'article 417 du Code de procédure civile, qui pourrait avoir pour effet de le restreindre ou de sembler le restreindre. C'est un article qui prévoit que les personnes victimes de violence conjugale peuvent être... ne pas aller aux séances de parentalité et en médiation familiale, mais là, la proposition qui est faite pourrait nous laisser croire que c'est seulement les personnes victimes de violence conjugale qui ont subi une infraction. Je suis sûre que ce n'est pas l'intention du législateur, mais ça pourrait se régler assez rapidement.

Aussi, on trouve qu'il y a des occasions manquées. On pense que la question des droits des victimes aurait pu être bonifiée en fonction de ce qu'il y a, justement, dans le rapport du comité d'experts sur l'accompagnement des victimes d'agression sexuelle et de violence conjugale et en fonction de la charte des victimes. On ne voit pas davantage de recours, donc c'est aussi des éléments qu'on dit : Faudrait retravailler ça.

Mais là, là-dessus, je vais aussi laisser la parole à ma collègue, qui, elle, accompagne régulièrement des femmes dans leurs demandes à l'IVAC et qui peut parler des problèmes concrets qu'elles vivent sur le terrain. Merci

Le Président (M. Bachand) : Malheureusement, Mme Riendeau, c'était 10 minutes totales, pour les deux, alors désolé. Alors, ceci étant dit, on va pouvoir débuter la période d'échange. Alors, M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui, bonjour, M. le Président. Bonjour, Mme Allen, Mme Riendeau. Peut-être, Mme Allen, si vous voulez y aller un petit deux minutes sur mon temps pour... avant que je pose des questions.

Le Président (M. Bachand) : Mme Allen, s'il vous plaît.

Mme Allen (Cathy) : Bien oui, en fait, bien, merci de nous recevoir. J'avais préparé, évidemment, là, toutes les problématiques qu'on rencontre sur le terrain quand on accompagne les victimes de violence conjugale, là, pour une demande d'indemnisation à l'IVAC. Évidemment, là, c'est unanime, le régime est mal adapté à la réalité des victimes d'actes criminels. C'est un régime, là, qui est extrêmement complexe.

Donc, tu sais, on a un formulaire de demande qui inclut, là, avec les annexes, 18 pages. Un guide qui est conçu pour le compléter, là, qui comporte 23 pages. On décide, des fois, de ne pas remettre le formulaire aux femmes avant de commencer à le remplir, justement, parce qu'il est tellement complexe qu'il décourage les femmes, là, d'entreprendre la démarche. Il y a des sections, là, comme Mme Riendeau l'a nommé, là, qui font extrêmement peur, donc qui sont anxiogène pour les femmes, quand on demande, notamment, le numéro de téléphone du présumé responsable de l'acte criminel. Donc, on doit, là, faire beaucoup d'interventions avec les femmes pendant la démarche, l'IVAC, là, pour les rassurer, pour... Parce qu'aussi la démarche, en tant que telle, fait remonter les traumas aux femmes. Donc, ce n'est pas rare qu'on doit, là... qu'on doive donner deux ou trois rendez-vous à des femmes pour compléter cette demande-là qui est extrêmement complexe, qui n'est pas bien adaptée, qui l'est encore moins, là, pour les victimes de violence conjugale et d'agression sexuelle. C'est difficile de rejoindre les agents de l'IVAC, les délais sont longs, les retours d'appels, avant d'en avoir, là, pour les victimes, c'est extrêmement long. Donc, il y a plusieurs choses à revoir, là, quand... au niveau de la démarche en tant que telle, comme on le dit, là, qui est extrêmement anxiogène, là, pour les victimes. Donc, je trouve que c'est anormal, là, même entre nous, les intervenantes, qu'on ait à se valider, à regarder le formulaire pour s'assurer, là, qu'on n'échappe rien. Alors, on peut s'imaginer, là, que c'est difficile quand on accompagne les victimes, ça fait qu'on peut juste s'imaginer celles qui formulent des demandes en étant seules, en n'étant pas accompagnées, là, comment ça peut être ardu de se lancer dans cette démarche-là pour recevoir des indemnisations.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui. Merci, Mme Allen. Je tiens à vous rassurer dès le départ, là, un des objectifs de la réforme, aussi, c'est de simplifier le processus pour les victimes, pour simplifier les formulaires. Notamment aussi, en termes de service à la clientèle, là, j'ai eu l'occasion de le dire, dans le fond, dans le projet de loi, il y a une disposition qui fait en sorte qu'on rapatrie, dans le fond, la gestion du service à la clientèle, si je peux dire, de la direction de l'indemnisation des victimes d'actes criminels au ministère de la Justice. Donc, moi, un de mes objectifs, ce sera vraiment de faire en sorte de s'assurer, dans le processus administratif, dans le traitement des dossiers des victimes, bien, que ça soit un service à la clientèle qui soit approprié. D'ailleurs, à cet effet-là, je ne veux pas excuser ni je ne veux pas jeter la pierre à personne, mais c'est sûr que l'ancienne loi que nous avions, c'est une loi qui est assez rigide aussi, puis qu'il y avait énormément de contestation, puis il y avait beaucoup de victimes déçues aussi parce que, justement, la notion de victime, elle était assez restrictive, et c'est ce qu'on a essayé de faire avec la proposition législative qu'on a, c'est d'éclater un peu la notion de victime, qu'il y ait davantage de personnes victimes, le noyau familial également, pour que ça soit plus simple pour le soutien psychologique. Donc, je tenais à vous dire ça d'entrée de jeu, là, j'ai bien entendu les critiques dans l'opérationnalité des choses.

Peut-être, Mme Riendeau, tout à l'heure, vous parliez de la faute lourde, notamment en matière violence conjugale, agression sexuelle, et ça j'en prends bonne note. Il y a quelques groupes qui sont venus nous le dire également. Je ne vous ai pas entendue sur les mesures d'urgence, le programme de mesures d'urgence qu'on met en place dans la loi pour faire en sorte que, justement, là, l'aide au logement, transport, nourriture, on puisse faire en sorte, dès le départ, qu'une personne qui est en situation d'urgence, pour sa santé physique ou psychologique, puisse être sortie de son milieu.

Mme Riendeau (Louise) : Bien, en fait, on n'en a pas parlé parce qu'on sait encore peu de choses là-dessus. On avait entendu parler de cette mesure-là avant même que le projet de loi soit déposé. Bien sûr, il y a des besoins d'urgence pour sortir les personnes de la violence, mais ce qu'on a compris, c'est que ça se passait, par exemple, si on prend les victimes de violence conjugale, que ça se passait entre le moment où elles sont chez elles, prises avec un agresseur, et le moment où elles fuient une ressource. Donc, ça répond à certains besoins, mais on... ce n'est pas encore défini, qu'est-ce qu'il y aura là-dedans, et il y a déjà des réponses qui servaient à ça, tu sais, on paie déjà les maisons, le transport des femmes vers les ressources, des choses comme ça, ça fait que est-ce que ça va apporter plus? On le souhaite, mais on a peu parlé de ça dans notre mémoire parce que c'est encore peu défini.

M. Jolin-Barrette : O.K. Au niveau de l'abolition de la liste des infractions, je crois que vous soulignez cet élément-là, justement, nous, ce qu'on veut faire, c'est couvrir davantage de victimes et nous assurer qu'elles pourront obtenir le soutien nécessaire, donc je pense que ça répond à une de vos recommandations.

Mme Riendeau (Louise) : Oui, tout à fait, nous, ça fait longtemps qu'on le revendique, parce qu'il y avait plusieurs femmes victimes de violence conjugale, de proxénétisme, de traite qui étaient exclus parce que les crimes avaient été... étaient entrés dans le Code criminel après l'adoption de l'annexe. Donc, on est satisfaites de voir que ça sera le Code criminel. Par ailleurs, on a vu qu'il y avait une petite possibilité d'exception, là, l'article dit : «À moins d'indication contraire». On se disait : Bien, est-ce qu'il y a déjà des choses qui sont prévues là?

M. Jolin-Barrette : Je vous amène sur quelque chose que vous avez dit au départ, là, l'obligation de coopérer pour les victimes, à l'article 7, ça, c'était déjà dans la loi sur l'aide et, dans le fond, ça ne change pas. Là, on a fusionné les deux lois ensemble dans le même régime pour avoir un tout cohérent, mais l'aide n'est pas conditionnelle, et ça, je veux être très clair, là, ça demeure la même chose, il n'y a pas d'obligation de porter plainte à la police pour pouvoir bénéficier de l'indemnisation ou du soutien, et ça, j'aurai l'occasion de le dire, en commission parlementaire aussi, lorsqu'on va adopter l'article. On souhaite bien entendu que les victimes puissent collaborer, mais il n'y aura pas... En fait, je veux être clair, les victimes vont recevoir toute l'aide nécessaire, et il n'y a pas la nécessité de porter plainte à la police pour faire en sorte...

Vous avez abordé une autre question, le recours subrogatoire, par rapport aux femmes victimes de violence conjugale, notamment. Ça aussi, je veux vous dire, ça va être exercé avec le doigté nécessaire et discrétion. Bien entendu, on ne veut pas faire revivre à certaines victimes des situations difficiles pour elles, mais je pense que l'État, dans un régime comme celui-ci, doit s'assurer, lorsqu'on indemnise les victimes, au moins, que le... la personne qui commet l'infraction, qui commet le tort, aussi, puisse contribuer à cela. Donc, il y a des situations particulières en matière, notamment, de violence conjugale, comme vous le dites, mais je pense que l'État doit quand même avoir les outils pour faire en sorte que... Parce que c'est un régime qui est collectif, hein, puis tout le monde coure après l'argent, ultimement. On est allé chercher beaucoup d'argent, 193 millions de plus, justement, pour rendre imprescriptible les agressions à caractère sexuel, notamment la violence conjugale, la violence subie pendant l'enfance, pour réactiver, aussi, le droit des personnes qui s'étaient fait dire non, en matière d'agression sexuelle, ils vont pouvoir redéposer une demande à l'IVAC, d'indemnisation, dans les trois prochaines années, mais on se retrouve dans une situation où, si on peut aller récupérer certaines sommes auprès des agresseurs, bien, ils doivent, eux aussi, payer, parce que c'est eux qui ont causé le préjudice à la victime. Donc, je tenais juste à vous rassurer là-dessus que ça va être utilisé avec le doigté nécessaire.

Pour ce qui est de la question du remplacement de revenu, là. Dans le projet de loi, effectivement, pour ceux qui n'ont pas de revenu, ça ne sera plus couvert. Par contre, pour ceux qui ont un revenu, c'est trois ans plus deux ans, donc juste jusqu'à une période de cinq ans pour la réinsertion puis l'indemnité de remplacement de revenu, je tenais à vous le souligner également.

Je vais céder la parole à mes collègues qui ont des questions pour vous, mais je tiens à vous remercier pour votre mémoire et votre passage en commission parlementaire, c'est grandement apprécié.

• (10 h 40) •

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Alors, je cède la parole — je vais essayer de le retrouver — au député de Chapleau. M. le député, s'il vous plaît.

M. Lévesque (Chapleau) : Oui, bonjour, M. le Président, merci beaucoup. Bonjour, Mme Allen, Mme Riendeau. C'est un plaisir de vous revoir. Nous avions eu l'occasion de nous rencontrer, là, dans un autre cadre.

Peut-être une petite question, là, selon votre expérience, j'aimerais peut-être faire appel à ce que... à vos antennes sur le terrain : Comment vous pensez qu'on pourrait mieux rejoindre les victimes afin, bon, de les informer de leurs droits puis les ressources qui s'offrent à elles? Bien, j'imagine que pas toutes les victimes sont au courant, au fait de ces possibilités qui s'offrent à elles, notamment, pour l'IVAC.

Mme Riendeau (Louise) : Cathy, veux-tu y aller?

Mme Allen (Cathy) : Oui, je peux y aller. Bien, effectivement, je pense qu'on peut, en fait, mieux informer les victimes du régime d'indemnisation, le promouvoir. Il y a plusieurs victimes qu'on rencontre qui avaient vu des intervenants, là, avant de consulter une maison d'hébergement, elles avaient déjà été victimes d'actes criminels, et jamais on ne leur avait parlé de leurs possibilités, là, de déposer une demande d'IVAC, donc c'est inconnu, aussi, là, de nombreux intervenants. Donc, je pense qu'on peut mieux faire connaître le régime, là, et, comme je disais tout à l'heure, le simplifier, évidemment, là, pour que ce soit plus accessible pour tout le monde.

M. Lévesque (Chapleau) : Mme Riendeau?

Mme Riendeau (Louise) : Oui, bien, j'ajouterais aussi, au niveau de la façon de remplir les formulaires, et de tout ça, nous, on suggère dans le mémoire aussi de mieux outiller les victimes. Tu sais, une victime qui fait de l'insomnie depuis des années parce qu'elle a peur de son conjoint, à un moment donné, elle ne le sait plus que c'est une conséquence du crime, elle est habituée de vivre comme ça. Une victime qui fait de l'hypervigilance, qui ne s'assoit jamais dos à une porte, des choses comme ça, elle ne va peut-être pas identifier ça, donc il y a un outil qui a été fait par les CAVAC qui est fort utile pour ça, mais on pense que l'IVAC, lui-même, devrait mieux outiller les victimes qui... bon, quand elles sont accompagnées, on peut les aider, mais beaucoup ne le sont pas.

M. Lévesque (Chapleau) : Vous avez parlé des formulaires, de la relation avec l'IVAC et ses agents n'est pas toujours facile, pas toujours simple, bon, il y a de la... un peu de froideur, un peu de lourdeur, donc, vous l'avez constaté, y a-tu certains éléments qui vous sautent aux yeux qui pourraient améliorer la situation de façon rapide ou même sur le long terme? On a eu des propositions de formation, de sensibilisation. Je ne sais pas si vous, vous vous inscrivez dans cette ligne-là aussi.

Mme Riendeau (Louise) : Bien, peut-être que je dirais, dans la foulée du rapport du comité d'experts, violence conjugale, agression sexuelle, on a parlé de former beaucoup d'intervenants, moi, je pense qu'au niveau de l'IVAC, on devrait aussi avoir des gens dédiés à ces situations-là, qui sont particulières. Ce n'est pas comme se faire attaquer sur la rue en revenant du travail, là, que ça va arriver une fois, puis bon... Ces personnes-là ont des grands besoins, mais les victimes de violence conjugale, d'agression sexuelle peuvent en avoir. Donc, peut-être, des gens dédiés pour ces problématiques-là et effectivement de la formation, de la sensibilisation, pour faciliter les choses. Le fait... Nous, on s'est fait raconter qu'il a des intervenants qui ne veulent pas donner leur numéro de poste aux victimes, mais juste aux intervenantes, ça n'a pas de sens, ça, tu sais. Ça fait que je pense qu'il faut vraiment faire un travail à ce niveau-là.

M. Lévesque (Chapleau) : Merci...

Mme Allen (Cathy) : Il y a aussi un travail... oups, pardon, je ne sais pas si je peux ajouter quelque chose.

M. Lévesque (Chapleau) : Allez-y, oui, oui, tout à fait.

Mme Allen (Cathy) : Mais il y a vraiment un travail à faire aussi, là, les agents attitrés au dossier changent régulièrement, ça complique les démarches avec les victimes qui ont à répéter leurs besoins avec ce qu'elles ont vécu, ou encore la nouvelle agente va devoir prendre connaissance, là, du dossier, ce qui a vraiment un impact sur les délais de réponse aux victimes. Donc, je pense qu'il y a quelque chose à avoir, là, à ce niveau-là. C'est extrêmement difficile, il y a des victimes qui s'épuisent, complètement, là, dans le processus.

M. Lévesque (Chapleau) : D'accord. Une petite dernière question, là. Je sais que mon collègue de Saint-Jean aurait peut-être des questions aussi par la suite. On a parlé d'actes, de gestes, qui ne seraient pas nécessairement inscrits au Code criminel ni une infraction criminelle inscrite au Code criminel, bon, certains intervenants nous disaient qu'on devrait aussi ajouter ces gestes-là dans la liste qui serait admissible à l'IVAC. Est-ce que vous, vous abondez dans le même sens, notamment le harcèlement sexuel, des choses comme ça?

Mme Riendeau (Louise) : Bien, normalement... Bien, en fait, quand on regarde la situation de la violence conjugale, c'est sûr que c'est une multiplication de tactiques, certaines étant des actes criminels, d'autres ne l'étant pas qui, mises ensemble, effectivement, minent les victimes, donc peut-être qu'il y a quelque chose à regarder dans ces situations-là. Nous, on a un peu d'espoir que le Code criminel finisse peut-être par inclure le contrôle coercitif, qui est reconnu comme une infraction dans d'autres pays, qui tient mieux compte de l'ensemble des dimensions de la violence conjugale. Cela étant dit, on n'a pas fait de proposition, là, à cet effet-là dans notre mémoire, mais c'est sûr que c'est une très bonne piste de réflexion.

M. Lévesque (Chapleau) : Parfait. Merci beaucoup. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Merci. M. le député de Saint-Jean, il reste deux petites minutes.

M. Lemieux : Merci, M. le Président. Bonjour, Mmes Riendeau et Allen. Je ne sais pas si vous avez suivi les échanges qu'on a eus avec d'autres témoins en consultation depuis deux jours, il est normal que chacun, chaque groupe y aille avec ses considérations, et je le mets entre plusieurs guillemets, sa clientèle, sa vocation, sa mission, mais je me demandais si vous n'aviez pas une vision par rapport à... philosophie, c'est un grand mot, là, mais par rapport à l'ensemble de l'oeuvre. Il y a quand même une cinquantaine d'années d'IVAC, là, derrière nous, et ce que le ministre essaie de faire, et ce que je comprends du projet de loi, c'est qu'on veut élargir à un plus grand nombre de victimes, entre guillemets, et je pense qu'il y en a beaucoup de celles-là qui vont venir, entre guillemets, de votre clientèle, pour remettre les guillemets. Est-ce que la vision du projet de loi n° 84, en ce sens-là, non seulement vous rassure, mais vous donne les pistes? Parce que je comprends les frustrations au quotidien, là, mais, en même temps, si on regarde génériquement l'ensemble de l'oeuvre, il y a là des pistes de solution pour vous, je pense, non?

Mme Riendeau (Louise) : Bien, effectivement, c'est les avancées qu'on a nommées tantôt, et je pense que pour d'autres victimes, il y a aussi, là, au niveau de la définition des victimes, l'article 10, tout ça, des choses qui sont intéressantes, mais, si on regarde l'ensemble de l'oeuvre, comme on l'a dit, pour nous, ça soulève beaucoup de questions parce qu'il y a encore beaucoup de choses pas connues, beaucoup de choses dans le règlement.

On a voulu inclure l'aide et l'indemnisation dans le même projet de loi, moi, je comprends bien les objectifs, mais ça crée d'autres problèmes. Est-ce que... puis on se dit, c'est ça, il faudrait prendre le temps de fignoler nos libellés pour être clair. Tantôt, le ministre disait : C'est sûr qu'il n'y a pas une obligation de coopérer pour avoir accès à l'indemnisation. Sauf que comme c'est écrit, ça peut ne pas être clair pour certaines victimes et personnes qui les accompagnent. Au niveau du recours subrogatoire, je comprends bien qu'on ne veut pas créer des problèmes aux victimes, mais peut-être qu'on a intérêt à le clarifier aussi.

Ça fait que c'est ça, nous, on trouvait que c'est un projet de loi qui avance, mais sur lequel il faut encore fignoler, et c'est pour ça qu'on en appelait un peu au ministre, à la commission, pour dire : On l'attend depuis longtemps, c'est important, faisons... prenons le temps de faire les choses correctement. On la veut, cette réforme-là, mais on veut que ça soit efficace.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, Mme Riendeau. Je cède maintenant la parole au député de LaFontaine, s'il vous plaît. M. le député.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bonjour, Mme Riendeau, bonjour, Mme Allen, merci d'être avec nous ce matin pour échanger sur le projet de loi.

Je partage avec vous le sentiment de compression temporelle dans l'analyse du projet de loi. Moi, j'ai juste 11 minutes, alors je vais... j'aurais beaucoup, beaucoup d'éléments à discuter à visière levée en commission parlementaire avec vous, mais je vais y aller de façon la plus succincte possible, mais merci d'apporter votre éclairage et merci pour le mémoire.

Point important majeur — parce que j'ai des choix à faire, je pense qu'on ne pourra pas tout aborder — les aides, différentes aides financières. Vous dites, dans votre mémoire, à la page 19, par rapport à la perte de revenu, puis j'aimerais revenir là-dessus parce que j'y ai vu un exemple très tangible d'un recul avec le projet de loi : «Dans le régime actuel, les personnes qui ne sont pas en emploi à la date de l'acte criminel peuvent tout de même être indemnisées si elles démontrent une incapacité à étudier ou à vaquer à [une] majorité des activités de la vie quotidienne. Cette possibilité est maintenant éliminée. Cela sera problématique pour nombre de victimes, mais particulièrement pour les femmes victimes de violence conjugale.» J'aimerais vous entendre là-dessus parce que c'est majeur, là.

• (10 h 50) •

Mme Riendeau (Louise) : Bien, effectivement. Pour nous, c'est un recul dans le projet de loi, puis, comme je le disais tantôt, on ne peut pas considérer que, parce que quelqu'un n'est pas sur le marché du travail, la victimisation qu'elle a vécue ne lui fera pas perdre des revenus d'emploi plus tard, et que, pour nous, il y a beaucoup de femmes victimes de violence conjugale qui ne sont pas ou qui ne sont plus sur le marché du travail parce qu'on les a forcées à s'en retirer au niveau de tout l'isolement que le conjoint a tenté de faire. Donc, on dit : Il y a des femmes qui, à l'heure actuelle, pouvaient être indemnisées. À l'heure actuelle, la base, c'est le salaire minimum. C'est qu'au lieu de prendre un revenu d'emploi, on va prendre le salaire minimum pour le calculer. Donc, il y a des personnes qui, à l'heure actuelle, pouvaient être indemnisées qui ne le seront plus, donc, ça, pour nous, c'est un recul dans les propositions qui sont faites.

M. Tanguay : Tout à fait. Autre élément que j'aimerais aborder avec vous, à l'article 7 du projet de loi, à l'article 7, c'est le devoir de coopérer. La victime doit, dans la mesure du possible, coopérer en regard de la loi, de l'infraction criminelle, donc le devoir de coopérer et, à l'article 27, la subrogation. Autrement dit, vous avez été victime, vous êtes indemnisée, le ministère public peut poursuivre pour le montant qu'on vous a indemnisé, peut poursuivre la personne qui a été l'agresseur, puis vous devez, là aussi, coopérer. Le ministre a tenté de nous rassurer en disant : Bien, l'article 7, devoir de coopération, rassurez-vous, on ne voudra pas, par là, obliger une personne à porter plainte à la police. Mais vous, vous dites : Bien, devoir de coopération, c'est un devoir, une obligation qui est plus large que ça. Puis vous dites... vous soulevez l'obligation de témoigner en cour dans les deux cas, coopération et subrogation, et également vous dites : «À l'heure actuelle — puis j'aimerais vous entendre là-dessus parce que c'est une réalité tout humaine que vous, vous vivez — [...] on demande aux victimes le nom et le numéro de téléphone de l'agresseur. Cette question soulève chez les femmes victimes de violence conjugale une grande frayeur. Elles craignent que leur demande et les éléments qu'elles y soulèvent ne soient vérifiés auprès de l'agresseur.» Donc, vous dites : Gros drapeau rouge, là, pour ce devoir de coopérer, article 7 et 27, subrogation.

Mme Riendeau (Louise) : Cathy, veux-tu y aller ou tu veux que j'y aille?

Mme Allen (Cathy) : Tu peux y aller, Louise.

Mme Riendeau (Louise) : O.K. Bien, effectivement, quand les victimes arrivent face à ça devant le formulaire, elles se disent : Ils vont-tu l'appeler? Est-ce qu'ils vont lui demander de corroborer ce que je dis? Il va savoir que je fais ces démarches-là. Est-ce qu'il va essayer de me faire des problèmes avec ça? Parce qu'il faut voir que la violence conjugale, ça se continue même après la séparation et que les conjoints vont utiliser toutes les prises possibles pour continuer de contrôler. Donc, ça va être... Tu sais, on parlait qu'on s'est déjà vus, avec M. Lacombe, dans un... pas M. Lacombe, mais, en tout cas, dans une autre chose, au niveau du droit de la famille, on va multiplier les procédures pour ne pas payer de pension, pour ne pas donner le droit de garde, ça fait que de savoir qu'une femme fait une demande à l'IVAC peut aussi être une occasion pour un conjoint, là, violent, de poursuivre son contrôle.

Donc, toutes ces situations-là sont extrêmement anxiogènes pour les femmes, et il faut vraiment mettre beaucoup d'énergie pour les rassurer quand elles voient ça. Donc, si jamais elles peuvent penser qu'elles peuvent être appelées à aller témoigner parce que le ministère de la Justice récupérerait les sommes versées, écoutez, des femmes vont dire : Écoutez, ça ne vaut pas le coup, là, je ne ferai pas de demande d'IVAC si je risque ça. Et je comprends ce que le ministre dit, mais je pense qu'il faut trouver d'autres façons de mieux rassurer les gens. Nous, dans notre mémoire, on ne disait pas : Il faut que le pouvoir de subrogation n'existe pas, mais il faut avoir quelque chose qui nous rassure sur le fait que ça va être appliqué de façon à tenir compte des conséquences possibles pour les victimes.

M. Tanguay : Et à vous écouter, Mme Riendeau et Mme Allen, je me rends compte qu'avec Me Lessard, hier, on disait : O.K., devoir de coopération, il y a quand même une coopération minimale, il faudrait quand même, pour éviter ces écueils-là, il faudrait l'encadrer. Là, on disait : O.K., qui ne nuirait pas. On pourrait ajouter «coopérer» dans la mesure où ça ne nuit pas au processus de réhabilitation, mais ça, on ne couvrirait même pas les cas d'espèce que vous soulevez en amont, qui est le fait de donner, par exemple, le nom de son agresseur, son numéro de téléphone puis de coopérer. Moi, je ne le mets pas, puis corrigez-moi si j'ai tort, dans un processus de réhabilitation. Là, on est dans une autre forme de coopération qui est requise, puis on dit beaucoup : Dénoncez, dénoncez, dénoncez. Mais ça peut, de façon très tangible, être des éléments qui, justement, font reculer les victimes pour dénoncer. Alors, quand le ministre nous rassure ou tente de nous rassurer en disant : Bien, inquiétez-vous pas, ça ne voudra pas dire vous êtes obligé de porter plainte, bien, il y a beaucoup d'autres choses derrière ça.

J'aimerais vous entendre sur la notion d'indemnisation, puis ça, je l'ai réalisée hier, le projet de loi, en substance, met de côté la notion d'indemnisation. L'indemnisation, là, c'est que vous avez une perte qui pourra se vérifier sur un an, trois ans, 20 ans, une vie. Le projet de loi vient changer «indemnisation» puis vient annuler la rente viagère — vous allez avoir trois ans, après ça, c'est fini, après ça, vous n'êtes plus victime, il n'y a plus d'indemnisation — et vient introduire le concept d'aide. «Aide», pour moi, c'est ponctuel : Je vous donne une aide. Vous avez eu un acte criminel, vous avez été victime, on vous donne une aide. J'aimerais vous entendre là-dessus. Puis de là participe beaucoup la philosophie, puis c'est n'est pas juste de la philosophie à 30 000 pieds d'altitude, de là découle bien des décisions du projet de loi qui pourraient... qui vont faire l'objet de vifs débats, là. J'aimerais vous entendre là-dessus.

Mme Riendeau (Louise) : Bien, nous, on était effectivement surprises de voir que le mot même, «indemnisation», disparaît, disparaît du titre de la loi, il disparaît des aides qui sont versées, et alors que ce qu'on attendait, c'était une réforme de l'indemnisation davantage qu'une réforme de l'aide, là, quoiqu'on n'est pas contre qu'on regarde aussi l'aide, mais il faut le bonifier. Et effectivement, il y a... si on peut être pour la récupération des gens, qu'ils reprennent l'ensemble de leurs activités, c'est sûr que c'est un objectif fort important.

Il y a aussi une notion de réparation. Il y a aussi une notion de : Bien, on a failli comme société à protéger ces victimes-là et il faut tenir compte des conséquences qu'elles ont vécues. Et, dans ce sens-là, nous, on pense qu'il faut ramener le mot «indemnisation» pour être clairs, et qu'il faut bien sûr améliorer l'aide pour récupérer, pour retourner sur le marché du travail, pour se réinsérer socialement, mais il ne faut pas mettre de côté les autres éléments qui étaient positifs dans la loi qu'on a actuellement .

M. Tanguay : Ce matin, avez-vous lu l'article de Rima Elkouri dans La Presse, sur la non-rétroactivité?

Mme Riendeau (Louise) : Oui.

M. Tanguay : J'aimerais vous entendre là-dessus et la non-rétroactivité, dans le cas de femmes qui font appel à vos services, vous, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale.

Mme Riendeau (Louise) : Écoutez, c'est un élément qu'on avait perçu mais qui... finalement, avec le temps, sur lequel on n'est pas intervenues dans notre mémoire. On avait vu que les personnes, dans les mesures... les dispositions transitoires, je crois, les personnes qui ont été exclues en fonction des délais pourraient... puis que la demande avait été... il y avait une réponse négative, pourraient faire une demande dans les trois prochaines années. On avait un peu... On s'était questionnées sur... oui, mais si la demande n'a pas été acceptée en raison du crime qui n'était pas dans l'annexe, est-ce qu'elles, vu qu'il n'y a plus de délai, vont pouvoir faire une demande ou pas? On n'avait pas de réponse à ça. Quand j'ai lu l'article ce matin, j'ai compris qu'effectivement ces femmes-là ne pourraient pas faire une demande, en tout cas, si l'article interprète bien la situation, et, pour nous, c'est problématique. Et on proposait, je pense, d'avoir peut-être une période tampon où on pourrait permettre cette demande-là. Il me semble que c'est une bonne piste, parce qu'une femme qui est victime de harcèlement criminel aujourd'hui ne sera pas traitée de la même façon qu'une femme qui l'aura vécu au moment où la loi va être adoptée. Pourtant, ces deux personnes-là risquent de vivre des conséquences très importantes du crime qu'elles ont... Ça fait que, ça, il me semble que c'est quelque chose pour lequel il faut apporter un soin, là, dans l'étude du projet de loi.

M. Tanguay : Autrement dit, là, ce que le ministre va nous répondre, c'est que le projet de loi prévoit déjà faire écho du Code civil où il y a imprescriptibilité pour violence subie par son conjoint ou son ex-conjoint. Puis on a vu, ce matin, dans l'article de Mme Elkouri, que la non-rétroactivité, dans les autres cas, posera nettement problème, puis on aura l'occasion d'en discuter, mais je voulais voir si vous aviez fait cette analyse-là, également.

40 % des femmes avec lesquelles... des personnes avec lesquelles vous interagissez sont exclues du travail, donc perte de revenus. Il y a un recul là, parce que le régime actuel donne au moins 90 % du salaire minimum, et là va... sous la nouvelle loi, donnerait zéro et une barre. Ça, ça ne participe certainement pas de la réinsertion, là.

Le Président (M. Bachand) : En quelques secondes, par exemple, quelques secondes.

Mme Riendeau (Louise) : Non, c'est sûr que, tu sais, c'est des femmes qui auront moins de moyens pour effectivement faire ce qu'il faut pour un jour réintégrer le marché du travail. Beaucoup de femmes avec qui on travaille sont chefs de famille monoparentale, donc il faut voir que ça peut arriver dans les années qui viennent, donc, pour nous, c'est un élément important pour ces femmes-là, qu'on voit plus, là, en hébergement.

M. Tanguay : Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Sherbrooke, vous avez la parole. Merci.

• (11 heures) •

Mme Labrie : Merci, M. le Président. Merci, Mme Riendeau, Mme Allen, pour votre présentation. Je vais rester sur le même sujet pour ma question. La question de la limite de temps pour l'indemnité de revenu de trois ans ou peut-être plus deux ans, selon la précision du ministre, est-ce que le fait qu'il y ait un «deadline» comme ça, ça ne nuit pas à l'objectif de rétablissement des victimes, le fait qu'il y ait une pression sur le fait que ces indemnités-là de revenu vont s'arrêter après un nombre d'années bien précis?

Mme Riendeau (Louise) : Bien, effectivement, puis il y a des victimes qui ont des conséquences qui sont très graves, là, tu sais, si on pense à des... on parle peu de ça encore au Québec, mais il y a beaucoup de victimes de violence conjugale ou d'agression sexuelle qui ont vécu des traumatismes crâniens et qui vont avoir besoin de beaucoup de temps, parce qu'elles en auront vécu plusieurs, pour recouvrer. Donc, c'est sûr que ces femmes-là, déjà, se sentent fatiguées, épuisées, avec des problèmes de concentration, etc. Si on leur dit : Bien là, ça s'arrête au bout de trois ans, ça vient ajouter de la pression sur ces femmes-là. Donc, c'est pour ça que nous, on se dit : Il faut mieux tenir compte de la réalité que vivent l'ensemble des victimes, et toutes les victimes ne sont pas au même endroit. Il y a des évaluations pour regarder la question des traumatismes. Donc, est-ce que ça devrait plutôt être ça qui fasse la différence que le délai?

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée.

Mme Labrie : Merci beaucoup pour votre réponse. Donc, on devrait plutôt se fier à l'évaluation médicale, par exemple, ou psychologique.

Mme Riendeau (Louise) : Oui. Par ailleurs, nous on se dit qu'il faut vraiment... qu'au niveau des atteintes à l'intégrité psychologique, il faut former les gens mieux qu'ils ne le sont actuellement. Ce n'est pas... Un médecin n'a pas toujours toutes les connaissances fines face aux traumatismes psychiques que vivent les victimes d'agression sexuelle, de violence conjugale, de proxénétisme.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée de Joliette, s'il vous plaît, pour 2 min 45 s.

Mme Hivon : Oui, bonjour. Heureuse de vous entendre à nouveau. Toujours très pertinent. Écoutez, j'aurais beaucoup de questions pour vous, mais vous soulevez la question du soutien psychologique dans votre mémoire, puis vous dites qu'autant l'accompagnement juridique, des conseils juridiques sont fondamentaux, que le soutien psychosocial par des intervenants spécialisés. Vous avez fait référence, tantôt, au fait que, maintenant, on vient fusionner aide et indemnisation. Hier, Arlène Gaudreault de Plaidoyer-Victimes nous disait qu'il n'y a pas beaucoup de définitions claires des droits des victimes dans le projet de loi. Je voulais savoir si, pour vous, ça, c'est problématique, parce que vous y avez fait référence, là, aussi à l'idée de fusionner les deux. Et l'autre élément, plus précisément, c'est ça, sur le soutien psychologique et l'accompagnement de consignes juridiques, est-ce que vous auriez des bonifications à demander à l'occasion de la réforme qui est devant nous?

Mme Riendeau (Louise) : Bien, sur la question de l'aide, effectivement, nous ce qu'on dit, c'est : Il faut remettre cette partie-là sur la planche de travail. Je pense qu'on a fait pas mal du copier-coller par rapport à ce qui existait dans l'ancienne loi. Il y a des réflexions qui ont été menées dans les dernières années. Il y a eu la charte au fédéral. Donc, il faut... il y a de la place, là, pour améliorer ça et mieux bonifier.

Pour la question du soutien psychologique, une des choses qu'on voit, c'est que le ministre peut reconnaître des ressources ou prendre des ententes. On n'a pas beaucoup d'informations là-dessus. On nous parle, de façon générique, des centres d'aide aux victimes d'infractions criminelles. Est-ce que ça se limite au CAVAC, est-ce que c'est autre chose? On n'a pas beaucoup d'informations. Et ce qu'on constate aussi, pas seulement dans les régions éloignées, c'est vraiment un manque de professionnels, de psychologues qui vont accompagner les victimes.

Ce qu'on s'est posé comme question, c'est : Est-ce qu'on vit un peu le même problème qu'on vivait à l'aide juridique, c'est-à-dire que les conditions offertes à ces professionnels de pratique privée là sont trop compliquées avec l'IVAC ou pas assez intéressantes pour qu'ils s'intéressent à ça? On n'a pas la réponse, mais, en tout cas, pour nous, il faut vraiment regarder de ce côté-là, parce que si on a le droit à de la réinsertion psychosociale, qu'on peut avoir de la thérapie qui est payée pour les femmes, pour les enfants, mais qu'on n'a pas... sur une liste de 25 professionnels, il n'y en a pas qui nous retourne notre appel quand on essaie d'en trouver un, c'est particulier, c'est complexe.

Mme Hivon : Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, Mme Riendeau, Mme Allen. C'est tout le temps que nous avons, mais merci infiniment, encore une fois, d'être avec nous ce matin, ça a été très apprécié.

Sur ce, je suspends les travaux quelques instants. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 11 h 05)

(Reprise à 11 h 07)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Alors, il nous fait plaisir d'accueillir du Réseau des centres d'aide aux victimes d'actes criminels, communément appelé les CAVAC. Alors, nous avons M. Dave Lysight et Mme Karine Gagnon. Bienvenue à vous deux. Merci beaucoup d'être avec nous ce matin. Et d'emblée je vous cède immédiatement la parole pour votre exposé. Merci d'être avec nous encore.

Réseau des centres d'aide aux victimes d'actes
criminels (Réseau des CAVAC)

Mme Gagnon (Karine) : Bonjour. Merci beaucoup de nous accueillir. Donc, avant de commencer, le Réseau des CAVAC tient à remercier la Commission des institutions pour son invitation.

Très brièvement, qu'est-ce que le Réseau des CAVAC? Nous offrons des services aux personnes victimes, aux proches et aux témoins d'actes criminels qui peuvent venir cogner à nos 185 portes, partout au Québec, pour recevoir de l'aide. Nous sommes présents dans tous les palais de justice, dans les postes de police et d'enquêteur, à la cour itinérante du Québec et dans les sièges sociaux des 17 CAVAC, qui sont tous des organismes sans but lucratif. Nos services sont gratuits et confidentiels, peu importe le type de crime et le moment où il a eu lieu. Que l'acteur de l'acte criminel ait été identifié ou non est très important, nous insistons sur ce point, que la personne victime ait porté plainte ou non.

Nous avons une collaboration privilégiée avec les procureurs aux poursuites criminelles et pénales et aussi avec les policiers, notamment des protocoles de référence entre des corps policiers et nos CAVAC qui favorisent un accès proactif et rapide de nos services d'aide auprès des personnes victimes. En 2019‑2020, ce sont un peu plus de 66 000 personnes qui ont obtenu nos services. Nos équipes multidisciplinaires sont composées d'intervenants, membres d'ordres professionnels, tels que des criminologues, des travailleurs sociaux, des sexologues et des psychoéducateurs, qui possèdent une expertise en intervention post-traumatique ainsi qu'une connaissance pointue du processus judiciaire.

Depuis leur création, les CAVAC ont mis en place une multitude de services permettant de joindre, avec proactivité et célérité, les personnes victimes, tout en leur donnant une juste information sur l'aide et des recours dont elles peuvent bénéficier et auxquels elles ont droit. Notre intervention auprès des personnes victimes se fait dans le respect de leurs besoins et à leur rythme, et sur leur capacité de gérer leur propre vie et de prendre des décisions qui les concernent.

Nous vous présentons ici des observations tirées de notre expérience terrain, reliées à différents aspects du projet de loi n° 84, et, plus spécifiquement, en ce qui a trait à l'intervention et à l'aide auprès des personnes victimes, des proches, et des témoins d'infractions criminelles. Nous croyons que notre regard sur les nombreux enjeux relatifs aux besoins des personnes victimes, dans le cadre de ce projet de loi, peut mettre en lumière différentes pistes de solution et la consolidation de pratiques en cours qui ont fait, selon nous, leurs preuves.

• (11 h 10) •

Alors, tout d'abord, en commençant, je vous mentionnerais qu'à notre avis il est très intéressant que le projet de loi n° 84 intègre à la fois l'aspect indemnisation et l'aspect aide, soutien, accompagnement des personnes victimes. À notre avis, c'est une bonne idée pour favoriser la cohérence des actions, la cohérence des solutions qui sont mises en place pour favoriser le rétablissement des personnes victimes.

Par ailleurs, on est aussi préoccupé par les nombreuses recommandations qui ont été émises, dans plusieurs rapports, là, de comités d'experts, qui ont été publiées récemment. Donc, les recommandations qui seront retenues, suite à publications de ces rapports-là, à notre avis, devraient être incluses dans le projet de loi, toujours dans le même esprit de cohérence, là, et d'intégration des services.

Par ailleurs, on constate que le projet de loi, qui est un projet de loi très costaud, mise beaucoup sur l'indemnisation, et avec raison, parce que c'est un morceau très important, là, qui... dont on attendait la révision depuis longtemps, mais, par contre, on considère qu'il y aurait peut-être des efforts supplémentaires à mettre, là, en ce qui concerne l'aide, le soutien et l'accompagnement des personnes victimes.

En ce qui concerne l'indemnisation, les avancées, évidemment, qu'on note, l'élargissement, là, de la définition de proche, l'ajout, formellement, dans la loi, là, de la notion de témoin, l'élargissement des crimes admissibles, l'abolition de la prescription, pour ce qui concerne les crimes de violence sexuelle, violence conjugale, victimisation dans l'ensemble, la prolongation du délai pour présenter, là, une demande, une réclamation dans les autres types de victimisation, et aussi on souligne la mise en place, là, d'une aide rapide dans certains types de victimisation, dont la violence conjugale.

On a, par contre, certaines préoccupations, en ce qui concerne, entre autres, l'indemnisation pour la rémunération des personnes victimes, là, qui se limite à trois ans et qui peut être, dans certaines circonstances, là, étirée jusqu'à cinq ans. On comprend l'objectif de la loi, qui est la réhabilitation des personnes, là, que ces gens-là reprennent le contrôle de leur vie, redeviennent des gens actifs dans la société, et on veut que ça se fasse dans un certain délai. On comprend aussi qu'il y a des enjeux financiers à tout ça. Par contre, on considère qu'il devrait y avoir une certaine flexibilité, latitude, dans la loi, pour les personnes victimes qui risquent d'avoir besoin de plus de temps pour se rétablir, voire certaines personnes qui ne réussissent jamais à se rétablir. Alors, on considère qu'il devrait peut-être y avoir une nuance à cet effet-là. Là, quant à savoir comment tout ça s'arrime avec les autres services... les autres régimes de solidarité sociale, évidemment, c'est un travail qui devrait être fait à cet égard-là, mais on considère qu'il y aurait un travail à faire par rapport à ça.

Ensuite de ça, on constate, depuis le dépôt du rapport du Protecteur du citoyen concernant l'IVAC, on sait qu'il y a beaucoup d'efforts qui ont été mis à changer les choses, à améliorer les structures, entre autres, en ce qui concerne, là, les interactions entre les agents et les personnes victimes, qui ne sont pas toujours simples. Malheureusement, on considère qu'il y a encore des lacunes à cet égard-là, et, à notre avis, il devrait y avoir des efforts supplémentaires consentis, entre autres quant aux exigences qu'on a par rapport au savoir-être des gens qui interviennent directement auprès des personnes victimes dans le cadre de l'indemnisation, la formation qui leur est offerte et le soutien aussi qu'on leur offre, parce qu'il ne faut pas oublier que ces gens-là sont en contact avec des récits traumatiques, hein, au quotidien, et ça, ce n'est pas banal. Nous, on le vit avec nos intervenants et on met en place des processus par rapport à ça, mais il faut penser que les gens qui se retrouvent dans ce genre de poste là, je pense, entre autres, aux agents à l'admissibilité, c'est souvent des agents de service à la clientèle, et ils ne s'attendent peut-être pas, là, à être confrontés à ce genre de réalité là.

L'autre aspect aussi qui nous préoccupe, c'est évidemment tout ce qui va être l'application comme telle de la loi, comment les gens qui vont avoir à l'appliquer vont bien l'intégrer, bien la comprendre, bien être formés pour tout ça, parce qu'on constate actuellement qu'avec la loi qui est actuellement en place, il y a de la subjectivité dans l'application, des fois, de la mauvaise connaissance de la loi. Donc, il y a déjà des enjeux, donc de rajouter une nouvelle loi avec du droit transitoire dans tout ça, comment on va s'assurer que l'application soit bien claire et efficace.

Évidemment, on a aussi la préoccupation de toute la réglementation qui suivra, là, pour l'application de la loi, qu'est-ce qui sera contenu dans cette réglementation-là. Et le Réseau des CAVAC est tout à fait ouvert et disposé, là, à travailler en collaboration avec vous, si nécessaire, pour la mise en place de tout ça et la réflexion.

Et je terminerais en vous disant que, dans notre mémoire, on soulève, là, quelques préoccupations par rapport à des articles en particulier, là. Je vais vous référer directement à notre mémoire pour ça, je n'aborderai pas, là, spécifiquement ces éléments-là dans la présentation. Je vais passer la parole à mon collègue Dave Lysight.

Le Président (M. Bachand) : M. Lysight, il reste 2 min 30 s à vos 10 minutes.

M. Lysight (Dave) : O.K., très bien, donc, je vais essayer de faire ça très succinctement...

Le Président (M. Bachand) : Je pense qu'on a perdu M. Lysight.

M. Lysight (Dave) : ...déposé. Oui? Oui, est-ce que vous m'entendez?

Le Président (M. Bachand) : Oui, ça va bien. Continuez.

M. Lysight (Dave) : O.K. Parfait. Donc, c'est l'élément qui est le moins présent dans le projet de loi n° 84. Toutefois, on souhaiterait reconnaître... Nous apprécions le volet que, dans le libellé, il soit inscrit «personne victime», donc pour permettre justement cette entité, que la personne n'est pas que, simplement, une victime, elle est au-delà de ça. Donc, ça, on tenait à vous le souligner.

Là, pour faire rapide aussi, on voulait aussi vous souligner l'importance d'obtenir la facilité de l'information entre les différentes organisations juridiques, là, que ce soit au niveau du Tribunal administratif du Québec pour la Commission d'examen des troubles mentaux du Québec ou dans le cadre aussi de l'application du programme d'accès justice santé mentale, pour pouvoir permettre, justement, aux personnes victimes dans le cadre des ces infractions, où les auteurs de crimes sont à l'intérieur de ce processus, de pouvoir permettre de rassurer la personne victime.

Je veux juste vérifier... En conclusion, toutes les avancées en matière d'aide et d'intervention auprès des victimes ne peuvent que contribuer au sentiment de justice et participer aussi à la confiance envers le système de justice. En ce sens, mettre de l'avant la réforme de la Loi sur l'aide aux victimes et celle de l'indemnisation est en cohérence avec la philosophie du Réseau des CAVAC. Nous sommes confiants, quant à la reconnaissance par l'État des besoins des personnes victimes, des expertises et des pratiques terrain qui sont déjà mises en place et qui sous-tendent nos recommandations.

Je souhaiterais également mentionner l'importance aussi de promouvoir les services qui sont déjà en place, l'importance des mots pour une personne victime. Une personne victime qui est à la maison, qui entend qu'il n'y a pas d'aide, qu'il n'y a pas de service ou que la justice n'est pas juste, évidemment, peut être un effet qui peut être contraignant à une dénonciation ou à un dévoilement.

Je vous remercie pour les minutes que vous avez prises.

Le Président (M. Bachand) : Merci de votre efficacité, M. Lysight. Alors, M. le ministre, vous avez la parole.

M. Jolin-Barrette : Oui. Bonjour, M. Lysight. Bonjour, Mme Gagnon. Merci d'être présent en commission parlementaire.

Je pense, M. Lysight, que vous venez de dire quelque chose de très intéressant dans toute la lutte contre les infractions criminelles, mais dans le soutien aux victimes aussi, de parler beaucoup du soutien qui est déjà offert, du travail, notamment, du Réseau des CAVAC, mais aussi, vous savez, dans la sphère publique, on entend beaucoup de critiques à travers le système de justice, à juste titre, mais il faut dire aussi qu'il y a énormément d'acteurs, il y a énormément de gens qui travaillent, notamment dans vos organisations, qui offrent du soutien, puis c'est des personnes qui sont dévouées, puis je pense que c'est toujours bon de le rappeler puis de le dire. Il peut y avoir de l'amélioration partout, mais ce que je veux dire, quand même, il y a beaucoup de gens qui travaillent au bien-être des victimes, puis, ça, je pense que vous le faites bien, puis c'est important de le souligner comme vous l'avez fait.

Un des objectifs qu'on a avec le projet de loi, c'est de faire en sorte d'avoir... d'élargir la notion de personne victime pour offrir davantage de soutien, pour faire en sorte d'être en mesure, là, qu'il y aura davantage de personnes qui vont pouvoir bénéficier d'indemnisation, d'aide également. Comment est-ce que vous voyez ça, au niveau de la définition de personne victime qu'on a incluse, là, dans le projet de loi, puis son élargissement?

M. Lysight (Dave) : Karine.

Mme Gagnon (Karine) : Je pensais que j'avais fermé mon micro. Je suis désolée. Bien, évidemment, nous, on est favorables à tout élargissement, là, de la notion de personne victime, parce qu'on réalise qu'une personne victime peut se retrouver dans cette situation-là dans plusieurs contextes. Je pense, en autres, aux personnes victimes dans le cadre d'exploitation sexuelle, où on avait un peu tendance à dire : Bien, elles ont contribué à... donc ce ne sont pas... mais, tu sais, ce sont vraiment des personnes victimes qui sont exploitées sexuellement et qui sont sous le contrôle de personnes très, très malfaisantes. Donc, je pense que c'est important qu'on puisse aller offrir de l'aide à toutes ces personnes-là. Je ne sais pas si mon collègue veut compléter.

M. Lysight (Dave) : Non, je pense qu'effectivement l'exercice d'avoir élargi la définition fait en sorte, aussi, d'avoir une reconnaissance quant au statut de la personne et de la place qu'elle occupe aussi, là. Parce que, vous savez, le réseau de soutien est primordial également pour les personnes victimes. Donc, c'est important de pouvoir, également, avoir cette reconnaissance à leur égard.

• (11 h 20) •

M. Jolin-Barrette : Une question, là, sur l'élargissement de la liste, en fait, ou l'abolition de la liste. Est-ce que ça vous arrivait fréquemment d'avoir des victimes qui ne pouvaient pas être indemnisées à cause de la liste d'infractions?

Mme Gagnon (Karine) : Malheureusement, oui. Malheureusement, oui, puis je vous dirais qu'on... sans être malhonnête, là, on tricotait pour essayer de faire en sorte que le crime... parce qu'il y a tellement, on va dire de crimes, de nouveaux types de crimes qui existent, donc, on essayait de tricoter pour attacher ça avec ou agression sexuelle ou pour, le plus possible, que les gens soient admissibles, mais oui, effectivement, c'est quelque chose qui est problématique actuellement.

M. Lysight (Dave) : Oui, puis c'était aussi comme...

Une voix : ...

M. Lysight (Dave) : Pardonnez-moi.

Le Président (M. Bachand) : Allez-y, M. Lysight.

M. Jolin-Barrette : Allez-y, allez-y.

M. Lysight (Dave) : O.K. C'est aussi comme une question double standard, aussi, lorsqu'on pense, entre autres, aux menaces, au harcèlement criminel, lorsqu'on dit l'impact, justement, des crimes de nature psychologique qui peuvent laisser des traces auprès des personnes victimes, puis effectivement, qui n'avaient pas accès. Donc, c'était comme... On a des campagnes promotionnelles qui nous disent : La violence fait... c'est des mots, mais ça fait mal, et, d'un autre côté, le régime ne permettait pas cet accès. Donc, évidemment, on ne peut que saluer, là, cet élément.

Mme Gagnon (Karine) : Puis juste peut-être pour ajouter, dans notre philosophie, dans le réseau des CAVAC, c'est qu'il n'y a pas de petit crime. Donc, nous, on travaille sur les conséquences que la personne va vivre, hein, parce que différentes situations vont générer différentes conséquences chez les gens. Des fois, on a l'impression qu'un crime objectivement plus grave va nécessairement amener des conséquences très graves chez la personne, mais, des fois, un crime objectivement moins grave va aussi amener des conséquences très importantes.

Puis ça m'amène aussi à vous parler, entre autres, des crimes de fraude. Je pense, entre autres, aux personnes aînées qui sont victimes de fraude. Je sais que ce n'est pas couvert, parce que ce n'est pas un crime contre la personne, mais sans indemniser l'impact monétaire comme tel, souvent ces gens-là vivent des conséquences psychologiques excessivement graves et n'ont pas accès à des services. Il y aurait peut-être quelque chose à regarder à ce niveau-là. Puis je répète, là, on ne parle pas de venir indemniser... de venir rembourser la personne pour les sommes qu'elle a perdues, mais, au niveau du soutien, des conséquences psychologiques, souvent, ils vont être victimes de proches, des gens dans leur entourage. Ça vient encore... ça complexifie les choses. Les gens ont honte de ce qu'ils ont vécu. Les fraudes grands-parents, on parle des fraudes Côte d'Ivoire, c'est sûrement des termes qui vous disent quelque chose. Il y aurait peut-être quelque chose à regarder à ce niveau-là.

M. Jolin-Barrette : O.K. Tout à l'heure, vous avez abordé, là, un peu la question, là, des employés, qu'ils soient outillés. Vous avez parlé de savoir-être. Ce qu'on veut faire avec la Direction de l'indemnisation des victimes d'actes criminels, c'est de la rendre vraiment plus humaine. Bon, je l'ai dit tout à l'heure aussi, il y avait une difficulté rattachée à la loi antérieure où il y avait une approche restrictive, puis souvent les personnes qui administraient le régime se retrouvaient en difficulté par rapport à l'interprétation de la loi.

Quand vous nous parlez, là, de savoir-être, là, comment est-ce que vous voyez ça dans les relations, là, entre les CAVAC, avec la DIVAC? Qu'est-ce qui doit être amélioré? Parce que nous, notre souhait, c'est vraiment de le rendre... d'avoir un meilleur service à la clientèle et, justement, de donner les outils pour le faire, et c'est pour ça que je le rapatrie sous la coupole du ministère de la Justice.

Mme Gagnon (Karine) : Bien, en fait, ce n'est pas tant entre les CAVAC et la DIVAC, on a déjà, je pense, des bonnes relations, c'est vraiment au niveau des gens sur le terrain, qu'ils soient sensibilisés à ce qu'une personne victime peut vivre, aux réactions que ça peut susciter chez elle, que, non, ça ne prend pas deux mois se rétablir de... ça peut prendre des années, qu'ils soient vraiment... pas juste sensibilisés, formés sur la réalité des personnes victimes, puis sur l'importance de leur rôle auprès de ces personnes-là aussi. Ils ne sont pas juste une courroie de transmission pour une indemnisation, ils sont des agents qui contribuent au rétablissement de ces personnes-là. Puis c'est important qu'ils prennent conscience, je pense, de l'importance de ce rôle-là. Je ne sais pas si je réponds bien à la question, peut-être que Dave, tu veux compléter.

M. Lysight (Dave) : Non, je pense que c'est vraiment dans l'élément, effectivement, relation clientèle, où il y a pu y avoir des expériences qui nous été rapportées, dans le fond, où est-ce que les gens ne se sont pas sentis respectés ou ni écoutés. Mais, comme Karine le soulevait tout à l'heure, je pense qu'il y a aussi un élément... Sans excuser, il faut quand même reconnaître que ce sont des personnes qui ont accès à des récits traumatiques au quotidien. Donc, est-ce qu'ils ont le soutien nécessaire pour offrir, justement, cette relation d'aide avec la personne au-delà de l'application de la loi, en fait?

M. Jolin-Barrette : O.K. Peut-être une dernière question avant de céder la parole à mes collègues, là. On a aboli la prescription pour les infractions à caractère sexuel notamment. Je voulais savoir, là, selon votre expérience, là, dans les centres, là, les... Puis on l'a vu, là, 80 % des réclamations à l'IVAC, c'est des infractions de nature sexuelle, là, est-ce que ça vous arrive souvent que les victimes d'agression sexuelle viennent vous voir plusieurs années après les infractions? C'est quoi, votre expérience par rapport à ça?

M. Lysight (Dave) : Je vous dirais que bon nombre de nos personnes victimes de violence sexuelle, que ce soit hommes, femmes, vont prendre quand même un certain... voire des années. D'ailleurs, pour la victimisation masculine en matière de violence sexuelle, la littérature fait mention que ça peut prendre vraiment, là, de nombreuses années, même un 30 ans, si ce n'est pas plus, là, avant qu'il y ait une dénonciation, et tout ça. Donc, oui, c'est quand même monnaie courante, là, à l'intérieur de la pratique de nos intervenants au sein du réseau, de devoir intervenir, là, bon nombre d'années après, là, les événements.

Donc, notre rôle, à ce moment-là, lorsqu'on assiste la personne pour compléter l'IVAC, bien, évidemment, c'est de déceler quel est le moment où l'apparence... l'apparition, plutôt, de la blessure psychologique, la survenance, en fait, de la blessure psychologique.

Mme Gagnon (Karine) : Puis je vous dirais même que ce n'est pas rare qu'il y a des gens qui vont venir nous voir parce qu'ils ont été victimes d'autre chose dans leur vie adulte, parce que leur... parce qu'ils se sont construits, hein, sur cette victimisation-là, et ça les fragilise en partant, et ils se retrouvent victimes d'autre chose. Et c'est quand ils viennent nous voir pour ça que, là, ils vont dévoiler ce qu'ils ont vécu dans le passé. Ça fait que ça, ce n'est pas rare non plus, là, que ça se produit. Ça fait que ça rend les gens plus vulnérables, là, de s'être construits comme personne, là, sur cette victimisation-là dans le passé.

M. Jolin-Barrette : Donc, c'est connexe. Écoutez, un grand merci pour votre passage en commission parlementaire. Je cède la parole à mes collègues. Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le ministre. Je cède la parole maintenant à la députée de Les Plaines, s'il vous plaît.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci, M. le ministre. Merci, M. le Président. Combien reste-t-il de temps?

Le Président (M. Bachand) : 6 min 25 s.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup. Écoutez, je tiens à vous souhaiter... pas vous souhaiter, mais vous remercier, en fait, de votre présence en commission. On s'est vus, il y a quelque temps, dans une autre commission, alors ça m'a ouvert la porte, justement, à vous remercier, à nouveau, pour ce que vous faites sur le terrain. C'est vraiment un travail important auprès de victimes, de gens qui sont un peu plus vulnérables dans cette société dans laquelle nous vivons.

Le ministre avait les bonnes questions, humblement, je le souligne, il avait les bonnes questions pour vous, au niveau de ce que vous faites sur le terrain, puis essayer d'avoir aussi un portrait, justement, du type de victime, là, qui pourrait justement arriver avec cette nouvelle loi là lorsqu'elle sera en application.

Vous avez souligné, d'entrée de jeu, que le projet de loi axe beaucoup sur l'indemnisation, dans un premier temps, on le comprend, c'est important. Et vous avez mentionné, également, votre souhait de voir, de façon plus éloquente, si j'en comprends bien, là, les mots que vous avez utilisés, tout l'aspect aide, soutien et accompagnement. De façon législative, comment cela pourrait se démontrer, dans un projet de loi, par rapport à vos demandes, à vous?

M. Lysight (Dave) : Bien, c'est sûr qu'on faisait référence à l'ancienne loi sur l'aide où, vraiment, spécifiquement, étaient nommés, dans le fond, les centres d'aide. Dans la nouvelle loi, c'est beaucoup plus édulcoré, si on veut, donc il y avait cet élément. Je pourrais laisser Karine, aussi, poursuivre, là, par rapport à ça, mais... Oui.

• (11 h 30) •

Mme Gagnon (Karine) : Bien, en ce qui concerne l'aide, peut-être que je vais en profiter pour poursuivre sur ce qu'on n'a pas eu le temps de nommer tout à l'heure. Mais tout ce qui est, entre autres, dans les palais de justice, qu'on prévoit d'avoir des locaux adéquats dans les palais de justice. On comprend qu'actuellement nos locaux ont été rajoutés dans les palais de justice existants, mais on doit avoir des locaux qui permettent d'assurer la sécurité tant physique qu'affective des personnes victimes, assurer la confidentialité, éviter qu'ils aient à croiser les accusés.

On parle, aussi, de tout ce qui est l'accès à l'information. Pour tous nos services d'information, nous, on a vraiment le mandat de transmettre l'information, là, entre les procureurs, les policiers. On est un peu, hein, la liaison entre tous ces gens-là du système judiciaire, entre eux et les personnes victimes. Donc, tout ce qui est l'accès à l'information de la part du DPCP, des services de police, des services judiciaires. Tous ces organismes-là fonctionnent un peu en silo, mais avec des systèmes qui se parlent de façon interposée, sans être intégrés, et nous, on est comme à l'extérieur de ça, et on doit donc... On faisait référence entre autres à l'article 99 dans la loi, là, qui parle de la transmission d'informations entre les services de police et les organismes prestataires de services, et on pense que cet article-là devrait être élargi pour inclure, là, tous les partenaires avec qui on doit intervenir pour obtenir de l'information, que ce soit DPCP... Et le service de police est déjà mentionné. On a parlé tout à l'heure de la Commission d'examen des troubles mentaux, des PAJ-SM, dans la mesure où ces gens-là deviennent des patients de services de santé, alors leurs dossiers sont confidentiels. C'est très difficile d'obtenir de l'information pour pouvoir informer les personnes victimes, les rassurer, tant au niveau de la sécurité physique qu'affective. Ils ont besoin de savoir qu'est-ce qui se passe dans le déroulement de ces dossiers-là, donc, évidemment, c'est complexe parce qu'on parle, là, à ce moment-là, de passer outre la confidentialité, le secret professionnel, il faut que ce soit bien balisé, bien encadré. Mais ça serait pertinent, important, en fait, que, dans la loi, tout ça soit prévu, parce que ça viendrait faciliter ensuite les mécanismes, là, sur le terrain.

On parlait aussi de... attendez un petit peu, je vais juste retourner... Oui, en fait, on parlait aussi, parce qu'il y a plusieurs... Les personnes victimes voient leurs droits reconnus par la charte des personnes victimes, il y a des déclarations de services aussi qui existent, les gens peuvent porter plainte si certains droits ne sont pas reconnus, mais ce n'est pas clair, les mécanismes, c'est des plaintes directement à chacun des organismes. Nous, ce qu'on souhaiterait qui existe, c'est qu'il existe un protecteur de la personne victime, quelqu'un vers qui une personne victime pourrait se tourner quand il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, quand il y a un droit qui n'est pas respecté, et que ce protecteur-là puisse faire enquête, puisse avoir une force exécutoire pour faire modifier les choses, réellement, sur le terrain.

Et il y a aussi l'aspect... attendez un petit peu... On a parlé des locaux. Mon Dieu! il y a tellement de choses qu'on voudrait vous dire.

Mme Lecours (Les Plaines) : Allez-y, c'est le temps pour ça.

Mme Gagnon (Karine) : On a parlé de ça, on a parlé de ça, on a... puis... Ah! oui, aussi, que les personnes victimes puissent avoir accès à des conseils juridiques en lien avec les sphères de leur vie qui sont touchées par leur victimisation, puis que ce droit-là puisse aussi être complémentaire à l'accompagnement que les organismes peuvent faire pour s'assurer qu'il y a une cohérence entre ce qui se passe au criminel, ce qui se passe dans la vie, on va dire, plus civile de la personne victime. Donc, il y a cet aspect-là aussi. Je pense que ça fait le tour.

Mme Lecours (Les Plaines) : Parce que le rétablissement étant au coeur aussi du projet de loi, je pense que vous le reconnaissez que c'est important qu'il y ait ce continuum de services, là, en lien aussi avec l'information entre les différents... Parce que tout ne peut pas se faire par juste l'arrivée d'un nouveau projet de loi, la signature d'un projet de loi fait par l'ensemble du continuum de services.

Mme Gagnon (Karine) : Effectivement.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup. Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole au député de LaFontaine.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, à mon tour de vous saluer, Mme Gagnon, M. Lysight. Merci beaucoup de répondre à nos questions.

J'ai beaucoup de petits points que j'aimerais toucher avec vous, aborder avec vous et vous donner le temps d'ajouter à la lecture qu'on peut faire de votre mémoire, donc de nous donner peut-être un peu plus de précisions. J'en suis donc à la sectionRecommandations de votre mémoire. Je commencerais par vos inquiétudes. Vous vous dites «inquiets de l'abolition des rentes viagères sans qu'un mécanisme clair d'attribution de montants forfaitaires ne soit établi.» Et vous soulignez à cet effet là que «ne pas leur verser de compensations significatives pourrait contribuer à les placer dans un état de pauvreté». J'aimerais vous entendre là-dessus, quant à cette inquiétude-là, attribution aux montants forfaitaires sans balise clairement établie.

Mme Gagnon (Karine) : Bien, en fait, c'est en ce qui concerne la réglementation d'application, c'est comment les barèmes vont être déterminés, tandis... attendez, je vais juste retourner...

M. Tanguay : Page 22, quatrième point.

Mme Gagnon (Karine) : Pardon. Oui, bon, c'est ça, exactement. Puis l'aspect aussi de verser des sommes forfaitaires au lieu de verser des rentes viagères, il y a certaines personnes, hein, qui sont très vulnérables et, quand elles reçoivent des sommes forfaitaires, elles ne sont pas à même de les gérer adéquatement. Et ça, c'est problématique. Parce que ça existe déjà, les sommes forfaitaires, et on le voit, là, je pense, entre autres, aux gens qui ont des problèmes de consommation. Il n'y a pas seulement ces situations-là, mais ça, c'est une des situations qui me vient en tête, où là la personne va, malheureusement, plonger dans sa consommation, dans sa toxicomanie, puis va se retrouver avec plus rien ensuite, là. Ça fait que c'est une...

M. Tanguay : Ça, je trouve ça intéressant. Je trouve ça intéressant que vous souleviez cette réalité, évidemment, triste, là. Effectivement, une somme forfaitaire, il y a toujours le risque, l'envie, le goût, l'opportunité de ne pas budgéter sur une longue période, surtout pour des personnes qui ont des défis de consommation, c'est... Et diriez-vous, donc, c'est une partie substantielle des personnes avec lesquelles vous collaborez? Puis probablement que, dans tous les cas de consommation, bien, c'est un risque très, très élevé aussi, là.

Mme Gagnon (Karine) : Oui. Bien, je ne dirais pas que c'est la majorité des gens, mais c'est quand même une certaine proportion de la clientèle qu'on a, qui vont avoir des problèmes, là, qui peuvent... que le fait de... pour qui le fait de recevoir une somme d'argent pourrait précipiter, là, on va dire, la gravité des problèmes. Par contre, pour n'importe qui, recevoir une somme d'argent qui est assez substantielle, souvent on parle de dizaine de milliers de dollars, bien, je pense que pour n'importe qui, ce n'est pas si simple que ça à gérer.

M. Tanguay : Non, tout à fait...

Mme Gagnon (Karine) : Ça fait que je pense que c'est à considérer.

M. Tanguay : Ah! tout à fait. Autre élément... puis excusez-moi, je ne veux pas être impoli puis vous presser, mais on n'a pas beaucoup de temps puis c'est tellement important ce que vous avez à nous donner comme éclairage. Alors, juste le point en dessous, à la page 22, le dernier, là : Nous sommes préoccupés quant au remplacement salarial. Rien n'est prévu pour les personnes qui sont sans emploi.

Sous le régime actuel, c'est 90 % comme plancher, 90 % du revenu minimum, mais vous dites : Les victimes étudiantes ou les victimes qui ne sont pas sur le marché du travail, de façon même temporaire, lorsqu'elles ont été victimes, pour prendre, par exemple, soin des enfants, bien, ça, c'est un drapeau rouge que vous soulevez. Vous vous dites préoccupés de cela.

Mme Gagnon (Karine) : Oui, bien, en fait, l'idée c'est de pouvoir... Parce que, déjà, quelqu'un qui ne travaille pas peut déjà avoir de la difficulté à arriver, dépendamment des situations. Il y a des gens qui font le choix de ne pas travailler, mais le fait de s'assurer que la personne n'aura pas à se soucier de mettre un toit sur sa tête, de manger puis de nourrir ses enfants pendant, minimalement, un certain temps, au moins, c'est une préoccupation que cette personne, là, n'a pas dans son rétablissement.

Je peux faire un peu le parallèle, ce n'est pas une compagnie d'assurance du tout, là, l'indemnisation des victimes d'actes criminels, mais une personne qui tombe malade au travail et qui doit se soucier de son rétablissement, mais qui a des démarches à faire auprès de son assureur pour être indemnisée, c'est déjà une lourdeur de plus. Il me semble... il nous semble, en fait, que de pouvoir s'assurer qu'on va pouvoir subvenir à nos besoins de base pour vraiment focusser sur notre rétablissement, c'est un peu la base.

M. Tanguay : Et...

M. Lysight (Dave) : ...

M. Tanguay : Oui. Je vous en prie.

M. Lysight (Dave) : Oui, c'est ça, puis il faut penser également aux étudiants, aux mamans qui sont victimes aussi, puis également, évidemment, pour les conséquences qui sont graves, reliées à un trauma complexe. Vous comprenez, une personne, ce n'est pas parce qu'elle ne veut pas travailler ou quoi que ce soit, c'est qu'elle est dans l'incapacité de le faire, parce qu'évidemment d'autres symptômes sont survenus suite à la survenance des événements. Donc, il y a ces éléments-là. Au niveau étudiant, maman, particulièrement, là, que je souhaitais mettre sous le radar.

M. Tanguay : Tout à fait. J'en suis maintenant à la page 23, votre deuxième point, concernant vos préoccupations au sens qui sera donné, à l'interprétation qui sera donnée à certains termes. J'en ai sélectionné quelques-uns, parce que, vite comme ça, là, vous en avez peut-être huit, 10. Le premier, le titre II de l'article 2... l'article 2 du titre II, devrais-je dire : «Les proches, les personnes à charge et les témoins ne semblent pas être considérés comme des personnes victimes». J'aimerais vous entendre quant à vos préoccupations, quant au sens qui sera donné à ce terme.

• (11 h 40) •

Mme Gagnon (Karine) : Bien, à notre... En fait, c'est de dire que ces gens-là peuvent vivre les mêmes conséquences que la personne victime elle-même, donc devraient avoir droit au même soutien, aux mêmes services. C'est un peu dans ce sens-là, la préoccupation.

M. Tanguay : Et, une fois qu'on a dit ça puis qu'on est d'accord avec vous, bien, comme législateur, on a l'obligation de le mettre clairement dans la loi. Puis ça, c'est un autre commentaire que vous faites. C'est une nouvelle loi, c'est costaud, c'est 190 articles. Il y a des articles excessivement complexes, dont le fameux article 16. Il y a beaucoup... en toute bonne foi, une méconnaissance, des fois, de la loi, des intervenants ou, des fois, il y a beaucoup de subjectivité, ça va amener une application différente, d'où l'importance de la réglementation qui va être très large, mais qu'il y ait des consultations là-dessus. Et justement vous nous invitez, sur ces termes-là : Bien, vous rédigez la loi, précisez-le donc, comme ça, ça va éviter des écueils. Parce que le débat jurisprudentiel devant les tribunaux ne se fera pas sur le dos d'une victime qui dit : Bien, aïe! je pense que j'ai droit, là. Alors, ça, c'est message reçu.

Mme Gagnon (Karine) : Bien, puis... Puis en fait, ce que vous...

M. Tanguay : Je vous en prie.

Mme Gagnon (Karine) : Pardon. Mais, par rapport, justement, aux témoins, c'est pourquoi on soulève que ça, c'est un avancement d'avoir vraiment le terme «témoin» dans la loi et non pas seulement se baser sur ce qui a été interprété par le Tribunal administratif pour dire que le témoin peut être assimilé à une victime, parce que ce n'est pas clairement écrit dans la loi. Là, en le mettant clairement dans la loi, c'est cadré une fois pour toutes, là. Ça ne porte... bien, ça... bon, une loi peut toujours porter à interprétation, là, mais ça vient clarifier.

M. Tanguay : Voilà, c'est ça, tout à fait, tout à fait. Le point suivant, en tout bas de la page 23, le lien intime, donc, à l'article 10 : «Cette section ne semble pas inclure les personnes sans lien intime», puis vous donnez un exemple très tangible, puis j'aimerais vous entendre là-dessus, les propriétaires d'un logement locatif, qui découvrent des scènes de crimes et qui éprouvent par la suite, évidemment, un trauma important à la suite d'une telle expérience. Ça, mon propriétaire de mon logement, il n'y a pas de lien intime, bien, c'est une victime collatérale, si je peux dire. Si socialement on veut le couvrir, bien, il va falloir... il faudra le mettre. Et c'est une autre réalité à laquelle il faut penser, à laquelle vous nous invitez à réfléchir puis à le mettre dans la loi.

Mme Gagnon (Karine) : Oui, tout à fait. Puis, vous savez, ce n'est pas les situations qui se produisent le plus souvent non plus, là, ça fait qu'en termes de coûts ce n'est peut-être pas ça qui a le plus gros impact, mais ces gens-là ont besoin de ces services-là. Puis ça arrive, on l'a vécu, là. Ça a été mis comme exemple parce que c'est un exemple réel, là, qui est arrivé.

M. Tanguay : Tout à fait, tout à fait. Puis merci, justement, d'où la pertinence des consultations, d'où la pertinence de ne pas... de se hâter lentement, comme disait Boileau, puis la précipitation est mauvaise conseillère — projet de loi déposé le 10 décembre — d'où la pertinence de vous entendre puis de continuer à vous entendre. C'est une réforme majeure, là, puis il ne faut pas manquer le coche parce que, je veux dire, ça aura pris 50 ans pour une réforme qui est demandée depuis 30 ans. Je veux dire, quand le chapitre de nos travaux se fermera, on ne le rouvrira pas de sitôt. Alors, c'est important de prendre le temps de bien travailler.

Autre réalité sur laquelle j'aimerais vous entendre, le haut de la page 25, quand on parle des personnes — puis ça, c'est une autre réalité, d'où la pertinence de votre témoignage — des personnes victimes de domination conjugale. Alors là, on est à l'article 81, Programme d'aide en situation d'urgence : «Le ministre peut établir un programme d'aide...» Vous dites : «Est-ce que cet article inclut les personnes victimes de domination conjugale mettant leur vie en danger ou à haut risque...» J'aimerais vous entendre sur cette autre réalité-là.

Mme Gagnon (Karine) : Attendez un petit peu. Laissez-moi juste relire la disposition...

M. Lysight (Dave) : Je vais revérifier moi aussi.

M. Tanguay : L'article 81 : «Le ministre peut établir un programme d'aide en situation d'urgence qui permet aux personnes dont la vie ou la sécurité ou celle de leur enfant ou toute autre personne qui en est à leur charge est menacée...» Alors, vous, vous dites : Bien, est-ce que cet article pourra inclure les personnes victimes de domination conjugale? Vous nous invitez à le préciser, le cas échéant.

Mme Gagnon (Karine) : Ah oui! Bien... O.K., puis je comprends ce qu'on nomme ici. En fait, c'est qu'il y a des situations de violence conjugale où les gens ne pourront pas quitter ou, en tout cas, ne voudront pas quitter pour toutes sortes d'éléments particuliers, entre autres, l'exemple qu'on nomme... puis mon collègue pourra poursuivre, mais, entre autres, ça nous arrive quand même assez régulièrement, des femmes qui ne voudront pas quitter leur domicile parce qu'elles ont des animaux. Ça peut paraître banal, là, mais c'est des choses auxquelles il faudrait penser.

M. Lysight (Dave) : Il y a cet élément-là, mais notamment aussi tout l'aspect de la violence psychologique, là. Le processus de domination, évidemment, oui, peut être de l'ordre de la violence physique, mais il peut être également dans un très grand exercice de violence psychologique, morale faisant craindre à la personne victime ou à son entourage... Donc, tout l'aspect du harcèlement, la domination, c'est entre autres dans ce contexte, là.

M. Tanguay : Et j'aimerais souligner... Vous n'aurez pas, malheureusement... Il me reste 20 secondes. J'aimerais souligner votre première recommandation : «Créer un protecteur des personnes victimes d'infractions criminelles.» Donc, vous le demandez. C'est important?

Mme Gagnon (Karine) : À notre sens, oui. Ça prend un endroit où les gens peuvent se référer de façon facile, directe, claire pour pouvoir faire part de leurs doléances quand ils en ont.

M. Tanguay : Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Sherbrooke, s'il vous plaît.

Mme Labrie : Merci, M. le Président. Merci pour votre présentation. Je veux revenir sur un bout de conversation que vous avez eu plus tôt avec une de mes collègues sur la transmission d'informations. Dans votre mémoire, vous dites que ça devrait faire l'objet d'une meilleure réglementation. Quand vous vous êtes exprimée tout à l'heure, vous avez dit que ça devrait être prévu dans la loi. Est-ce que ça fait une différence, pour vous, que ça soit dans la loi ou dans un règlement? Puis qu'est-ce qui devrait être inscrit dans la loi pour, justement, faciliter votre travail, là, puis permettre la transmission d'informations?

Mme Gagnon (Karine) : Bien, en fait, le libellé de l'article 99, en ce qui concerne les services de police, qui existe déjà, là, dans le projet de loi, c'est l'article 99, là, si ma mémoire est bonne, je pense que le même libellé pourrait être repris, mais pour les différents partenaires avec qui on travaille. Et je pense que ça faciliterait, parce qu'il serait, par la suite, légitimé de... il y aurait moins d'embûches au niveau... C'est la protection... puis c'est correct, là, chacun doit protéger les renseignements personnels de la clientèle qu'il y a dans son organisation, c'est normal, mais il faut créer ce... j'appellerais ça ce pont-là facilitant. Puis je pense que, si c'est dans la législation, ça vient vraiment asseoir la chose. Puis là je ne suis pas en train de dire qu'on n'a jamais accès à l'information, là, ce n'est pas ça, du tout, on a déjà des mécanismes prévus, mais il y a des choses qui accrochent, puis ce n'est pas toujours simple quand on essaie de trouver des solutions.

Puis l'idée, aussi, c'est que ça ne soit pas tributaire des personnes qui sont en place, hein? Que ce soit vraiment inscrit dans la loi, à ce moment-là, bien, c'est une obligation pour tout le monde, dans le même sens pour nous aussi, là. Nous aussi, on doit communiquer des choses à nos partenaires. Et ça vient faciliter la fluidité de tout ça, à mon avis. Je ne sais pas si mon collègue veut...

Mme Labrie : J'entends que le libellé, il en existe un, déjà, qui est adéquat, mais simplement le reprendre pour d'autres...

Mme Gagnon (Karine) : Oui. Il faudrait le... Oui, c'est ça.

Mme Labrie : C'est très clair. Merci...

Le Président (M. Bachand) : M. Lysight, voulez-vous rajouter quelque chose?

M. Lysight (Dave) : Non, c'est correct.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Alors, je cède la parole à la députée de Joliette, s'il vous plaît.

Mme Hivon : Oui. Merci beaucoup. Évidemment, vous amenez des points très, très pertinents. Vous faites bien ressortir que toutes les situations ne sont pas les mêmes, et que les personnes qui... bien sûr, après trois ans, ne seront pas rétablies, d'où le questionnement sur l'abolition complète des rentes viagères. Est-ce que vous pensez qu'on pourrait imaginer un système où, pour certaines personnes, c'est du forfaitaire, mais, pour d'autres, on devrait garder les rentes viagères, parce qu'on le sait, d'emblée, que le rétablissement va prendre beaucoup de temps?

Mme Gagnon (Karine) : J'imagine que c'est quelque chose qui pourrait être fait. Maintenant, comment asseoir ça? Comment expliquer aux gens que, vous, on vous donne une somme forfaitaire, vous, c'est une rente viagère? Tu sais, il y a quelque chose à réfléchir par rapport à ça, mais de dire : Est-ce que, sur le terrain, ce serait pertinent qu'il puisse y avoir les deux en fonction de la situation des gens? Certainement. Mais, maintenant, après ça, comment attacher tout ça? C'est...

Mme Hivon : Effectivement. On est un peu, en fait, dans la même situation que vous parce qu'on ne sait pas, vu qu'il y a des pouvoirs réglementaires vraiment énormes, on ne le sait pas, l'ampleur des montants qui sont envisagés, à quel point ça va être différent. Donc, c'est des hypothèses que je voulais vous soumettre.

L'autre enjeu, c'est que vous aviez dit qu'il y a encore des efforts à mettre pour la question de l'aide et des droits des victimes en fusionnant les deux lois dans une seule. Si je résume, d'autres nous ont dit ça : L'aspect indemnisation a été bien retravaillé, mais beaucoup moins celui de l'aide. Donc, qu'est ce qu'on devrait... On devrait préciser, selon vous, tous les mécanismes d'aide pour que les droits soient bien précisés, c'est ça?

• (11 h 50) •

Mme Gagnon (Karine) : Bien, ça serait intéressant que ce soit nommé dans la loi. Et ce serait intéressant aussi que la loi prévoie la façon d'informer la population de l'existence des services qu'il y a déjà. Il y a déjà énormément de sommes investies, puis, là, on ne parle pas juste de nous, là, de notre réseau, là, on a un paquet d'organismes partenaires, là, il y a un paquet d'organismes partout sur le territoire du Québec qui offrent les services aux personnes victimes. Puis malheureusement, comme le nommait mon collègue tout à l'heure, on entend encore trop souvent : Il n'y a pas d'aide, il n'y a pas de...

Évidemment, les gens qui sortent dans les médias, c'est, malheureusement, les gens qui ont eu des expériences plus négatives, puis ça existe, là, on n'est pas dans un monde rose, là, on sait que tout n'est pas parfait, mais ce serait important que la population, en général, soit au courant des services qui existent déjà et qui soit au courant avant... bien, «avant», on ne souhaite pas à personne, là, d'être victime, mais avant de se retrouver dans cette situation-là parce que, trop souvent encore, on entend de nos gens qui sont dans nos services : Bien, moi, le CAVAC, je ne savais pas qu'est-ce que c'était avant que ça m'arrive, moi, je n'avais jamais entendu parler de ça. Puis ça, c'est récurrent, c'est partout, là, dans notre réseau qu'on entend ça encore. Il y a du travail à faire, je pense, par rapport à ça, tu sais, des campagnes nationales pour que les gens soient au courant que ces services-là, ils sont en place puis ils sont offerts par différents types d'organismes.

Et puis, après ça, bien, on parle plus, peut-être, de l'application, comme on parlait tout à l'heure des locaux dans les palais de justice, tu sais, on parle plus des aspects terrain de la chose, mais est-ce que ça doit être dans la loi, dans la réglementation? Je ne serais pas en mesure de répondre à cette question-là, mais ça devrait être prévu, à quelque part, qu'on doit prioriser ça. Exemple : les locaux dans un palais de justice, la façon dont ça doit être installé dans un palais de justice puis quelle norme ça doit rencontrer pour répondre aux besoins des personnes victimes.

Le Président (M. Bachand) : Merci, merci beaucoup. Ça conclut notre échange. Alors, merci beaucoup, Mme Gagnon, M. Lysight, d'avoir été avec nous.

Sur ce, je suspends les travaux jusqu'à 14 heures. Merci infiniment.

(Suspension de la séance à 11 h 51)

(Reprise à 14 heures)

Le Président (M. Bachand) : Bonjour, tout le monde. Bon après-midi. La Commission des institutions reprend ses travaux.

Nous poursuivons donc l'étude des consultations publiques... particulières, pardon, et auditions publiques sur le projet de loi n° 84, Loi visant à aider les personnes victimes d'infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement.

Cet après-midi, nous entendrons les personnes et groupes suivants : Le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle, le Centre des ressources et d'intervention pour hommes abusés sexuellement dans leur enfance, Me Elizabeth Corte et Mme Julie Desrosiers. Mais nous débutons avec Mme Stéphanie Tremblay et Mme Laurence Morin, du Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, ce qu'on connaît mieux sous l'acronyme CALACS.

Donc, mesdames, bienvenue à la commission. C'est très apprécié que vous soyez avec nous cet après-midi. Alors, sur ce, comme vous savez, vous avez 10 minutes de présentation au total, et, après ça, on aura un échange avec les membres de la commission. Donc, je vous laisse la parole. Et, encore une fois, merci de participer aux travaux de la commission.

Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre
les agressions à caractère sexuel (RQCALACS)

Mme Tremblay (Stéphanie) : Merci beaucoup. Donc, je vais débuter la présentation... En fait, je vais débuter d'abord, là, c'est certain, en remerciant, là, le ministre de la Justice, M. Jolin-Barrette, d'avoir déposé cet important projet de loi là. Ça faisait longtemps qu'on l'attendait.

Et, comme vous savez, hein, il y a une grande proportion des personnes qui font des demandes IVAC, donc l'Indemnisation des victimes d'actes criminels. Je pense que je ne vous apprends rien, là, c'est juste une déformation professionnelle, je pense, de toujours nommer les acronymes. Donc, il y a une grande proportion, là, des personnes qui font des demandes IVAC qui sont des victimes d'agression sexuelle. Alors, je vous dirais, là, que, dans les deux dernières semaines, je pense qu'il n'y a pas un seul CALACS qui ne nous a pas appelés pour nous demander si on allait être entendus à cette commission-là et pour pouvoir, là, jeter un oeil à cet important projet de loi là, là. Donc, c'est très apprécié d'être convié ici, là, à cet exercice démocratique là, et...

(Interruption)

Mme Tremblay (Stéphanie) : Oups! mon ordinateur vient de se mettre en veille. Et donc, voilà, et c'est très apprécié aussi de voir qu'il y a ce dossier-là qui bouge.

Alors, on va commencer la présentation, là, vraiment... Bien, je vais vous parler très, très rapidement du regroupement, de son approche, et ma collègue Laurence, qui travaille dans un CALACS, en fait, elle est intervenante au CALACS-Agression Estrie, donc elle vient vous parler plus en détail, là, de qu'est-ce que les CALACS et qu'est-ce qu'ils font exactement, notamment, qu'est-ce que leur... qu'est-ce qu'ils font en termes d'accompagnement, là, judiciaire. Après ça, là, bien, c'est sûr qu'on a déposé un mémoire, on l'a déposé il y a comme, je pense, deux heures, là, donc j'imagine que vous n'avez pas eu le temps de le lire, on va vous faire une présentation très sommaire, là, des principales recommandations, là, qu'on a à faire. Donc, voilà.

Bien, dans un premier temps, le Regroupement québécois des CALACS, bien, c'est un organisme sans but lucratif, communautaire qui... en fait, on relève, là, de l'action communautaire autonome et on regroupe 26 CALACS, donc les centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel. Et notre mission, c'est vraiment de rassembler, en fait, ces CALACS-là pour favoriser, là, l'échange d'expertise entre nos membres pour développer, là, des solutions toujours plus adaptées pour les survivantes de violence sexuelle. Et on a aussi comme mission, là, finalement, de défendre les droits de l'ensemble des victimes d'agression sexuelle qui sont... qui résident au Québec. Et, en 2019, eh bien, on fêtait notre 40e anniversaire. Donc, c'est vraiment 40 ans, là, d'expertise que les CALACS incarnent, là. Le premier CALACS a vu le jour en 1975 et le regroupement s'est formé en 1979.

Donc, très rapidement, je voulais quand même placer notre analyse de la violence sexuelle parce que c'est quand même important dans le cadre de cette consultation-là. Là, je vois le temps qui avance. Mon Dieu! on n'aura jamais le temps de tout traiter. Je vais quand même prendre le temps, puis quitte à ce qu'on échange plutôt sur nos recommandations, là, par la suite, là, on aura quand même 35 minutes d'échange, là. Donc, voilà, au niveau de l'analyse, je vais vraiment spécifier qu'on a une analyse sociale qu'on va appeler une analyse féministe aussi de la violence sexuelle. Donc, on considère vraiment que c'est un phénomène, là, qui est ancré dans notre société par les rapports inégaux, là, entre les sexes... j'ai envie de dire «notamment», mais les rapports inégaux notamment entre les sexes. C'est-à-dire que, de plus en plus, on considère, là, que tous les types de discrimination vont alimenter les violences sexuelles, le phénomène des violences sexuelles, l'occurrence de violence sexuelle, c'est-à-dire que... bon, je pense au colonialisme, au capacitisme, au racisme, à l'homophobie, à la transphobie également. Donc, ce sont tous des systèmes de discrimination qui vont favoriser l'occurrence, malheureusement, de violence sexuelle chez les personnes qui sont visées par ces systèmes de discrimination là. Donc, c'est une analyse vraiment globale de la violence sexuelle qu'on fait et qui va transparaître nécessairement, là, dans les recommandations qu'on va faire.

Laurence, je te laisserais peut-être parler rapidement des CALACS, qu'est-ce que vous faites et... qu'est-ce qu'on fait, en fait, et de l'accompagnement judiciaire.

Mme Morin (Laurence) : Parfait. Bonjour. Merci de nous recevoir. Est-ce que vous m'entendez bien, tout le monde?

Le Président (M. Bachand) : Oui, très bien.

Mme Morin (Laurence) : Parfait. Donc, en gros, nous, on offre... Les CALACS, c'est des services aux femmes et aux filles de 12 ans et plus et à leurs proches. On a trois volets par lesquels on va agir : l'aide directe, donc individuelle et de groupe, redonner du pouvoir aux femmes, les aider à surmonter les conséquences des violences sexuelles subies, deuxième volet, on fait de la prévention et de la sensibilisation, donc tout ce qui est atelier, conférence, kiosque, autant grand public, des écoles secondaires, enseignement supérieur, formation aux personnes intervenantes dans divers milieux, troisième volet, comme aujourd'hui, lutte et action politique, lutte et défense de droit, donc on met en oeuvre des actions pour avoir des changements au niveau politique, social, juridique et on défend les droits collectifs des femmes qui ont vécu des violences sexuelles.

L'accompagnement judiciaire, ça fait partie des services qu'on offre, c'est gratuit, c'est disponible. À chaque étape du processus judiciaire, on va offrir d'accompagner les femmes et les filles, on va pouvoir les soutenir, les orienter, les informer, réduire les risques d'être revictimisées dans le processus.

Juste pour vous donner une idée, messieurs dames, là, en 2019‑2020, nous, les 26 CALACS du regroupement, on a fait 550 accompagnements dans les procédures de justice criminelle ou civile. Puis, les demandes IVAC, les fameuses demandes IVAC, on a aidé environ 430 personnes à en remplir en 2019‑2020.

Donc, est-ce que, Stéphanie, je pouvais commencer avec les recommandations, c'est bon?

Mme Tremblay (Stéphanie) : Oui, je te laisserais commencer.

Mme Morin (Laurence) : O.K. Alors, très sommairement, on a d'autres recommandations. Notre première recommandation : considérant la complexité du projet de loi, compte tenu, en ce moment, du contexte de pandémie mondiale dans laquelle on est, comment que ça complexifie nos réalités, autant les femmes que les organismes, considérant le fait qu'on a eu des délais de révision du projet de loi, qu'on considère nettement insuffisants, on demande aux parlementaires de reporter le projet de loi, de réaliser des consultations qui reconnaîtraient l'apport des groupes des personnes qui travaillent à la défense des droits des victimes en leur laissant le temps nécessaire pour examiner, là, de manière rigoureuse, approfondie, le projet de loi pour exprimer leurs recommandations de manière adéquate.

Deuxième recommandation : on recommande de ralentir le processus d'étude du projet de loi n° 84 pour élaborer une loi qui serait harmonisée avec la Charte canadienne des droits des victimes. Donc, vous avez sûrement entendu parler du rapport Rebâtir la confiance du comité d'expertes et d'experts, là, sur l'accompagnement des victimes d'agressions sexuelles et de violence conjugale, il y avait un chapitre complet sur la promotion et l'application de la Charte canadienne des droits des victimes. Donc, c'est tellement peu fréquent qu'il y ait une réforme, comme on vit en ce moment, qu'on se dit qu'il faut absolument tenir compte des plus récentes recommandations qui ont été publiées au Québec, ici, par rapport à la Charte canadienne des droits des victimes.

Troisième recommandation : on insiste sur l'importance que le présent projet de loi adresse adéquatement la recommandation 176 du rapport du comité, dont je vous parlais tout à l'heure, d'expertes et d'experts. Donc, c'était aussi présent, puis je vais vous dire c'est quoi rapidement, mais juste que vous sachiez, dès 1993, cette recommandation-là, elle se retrouvait dans un rapport, un mémoire de l'Association québécoise Plaidoyer-Victimes. Et ça dit quoi? C'est la recommandation n° 3, de mettre en place des mécanismes simples, rapides puis des outils qui vont permettre d'accueillir et de traiter les plaintes formulées par les personnes victimes quand elles considèrent que leurs droits à l'information, à la protection, à la participation puis au dédommagement n'ont pas été respectés.

• (14 h 10) •

La quatrième recommandation. Je ne sais pas si vous étiez au courant, mais, en 2019, il y a eu 92 demandes à l'IVAC qui ont été refusées à cause du motif d'exclusion appelé la faute lourde. Ce motif d'exclusion là, dans certains cas, bien sûr, là, il va être légitime, il va être pertinent. Par contre, il a été utilisé pour empêcher l'admissibilité au régime de victimes de violence sexuelle, on pense surtout ici aux victimes de l'exploitation sexuelle, donc, quand il y a de l'échange de sexualité contre autre chose, donc, le fait que la victime n'avait pas été démontrée comme une victime innocente. Donc, la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs l'a bien expliqué, le fait d'appliquer le concept de faute lourde de cette manière-là, c'est comme si ça impose un fardeau à la victime, sans que ce soit prévu par la loi de l'IVAC, et sachez que le Protecteur du citoyen a fait le même constat : attribuer à l'IVAC que l'interprétation de la faute lourde était trop large puis que les décisions faisaient porter à la victime le fardeau de preuve. Donc, notre recommandation, ici, c'est simplement d'ajouter un article de loi qui spécifierait que la notion de faute lourde, elle ne s'applique pas aux cas de violence sexuelle ni de violence conjugale.

Recommandation 5, maintenant, donc...

Le Président (M. Bachand) : Mme Morin, je dois vous dire qu'il reste très peu de secondes, puis je sais que... puis je ne veux pas vous interrompre en plein milieu d'une recommandation, mais...

M. Jolin-Barrette : ...sur mon temps, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Oui? D'accord. Alors donc, c'est ce que j'allais dire, donc, sur le temps du ministre, je vous laisse continuer.

Mme Morin (Laurence) : Merci beaucoup au ministre Jolin-Barrette et à vous.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le ministre.

Mme Morin (Laurence) : Donc, la recommandation 5. Un peu de la même manière que la faute lourde, qui est une barrière d'accès au régime de l'IVAC, qui... pour les victimes de violence sexuelle, le droit à la subrogation que s'octroie le ministre à l'article 27 du projet de loi a le même résultat. Pourquoi? Alors, on va être en désaccord, nous, qu'on puisse recourir à la subrogation quand il y a des agressions sexuelles ou de l'inceste. Nos réserves sont lesquelles? En fait, c'est surtout quand ça force le maintien d'un lien entre l'agresseur et la victime contre la volonté de cette dernière. On peut penser, puis c'est... Dans environ 85 % des cas, l'agresseur est une personne que la victime connaissait, en qui elle avait confiance. Donc, imaginez, c'est probablement un proche, c'est peut-être un membre de la famille, un ancien conjoint, un ami. Et aussi ça fait en sorte que la victime, elle ne veut pas porter plainte à la police parce qu'elle veut rompre le lien avec cet agresseur-là, elle pourrait se voir forcée de le confronter au procès à cause d'une réclamation qui serait intentée par l'IVAC. Cette clause-là, vous pouvez vous l'imaginer, c'est une source de stress incroyable pour les victimes, ça peut les revictimiser, donc les faire revivre les symptômes, notamment, de stress post-traumatique qui sont liés à ça. Donc, notre recommandation 5, d'ajouter un article de loi qui spécifierait que le droit de subrogation, il ne s'applique aux victimes de violence sexuelle ni de violence conjugale.

Je termine, pour ma part, avec la recommandation 6. Donc, je vous dirais que... Je vous la nomme pour commencer : de réviser l'article 46. Dans quel but? De sorte que le recrutement et la rémunération des professionnels de la santé soient mieux encadrés pour les demandes d'IVAC. Il y a tellement de cas, messieurs dames, autant de réhabilitation ou de cas d'évaluation, où on voit que c'est... qu'on peine à l'IVAC à recruter suffisamment de professionnels de la santé. Il y a un nombre énorme de victimes qui nous rapporte avoir de la difficulté à trouver des personnes psychothérapeutes qui soient compétentes, qui soient surtout adaptées à leurs besoins et qui acceptent des mandats de l'IVAC.

Je note deux petites choses. Il y a souvent un enjeu de parité dans la liste de professionnels qui sont désignés par l'IVAC, donc moins de femmes que d'hommes. Ici, dans les violences sexuelles, c'est un enjeu qui est problématique parce que la majorité des agresseurs déclarés vont être de sexe masculin. Et la situation fait que les victimes vont être confrontées à être évaluées dans toute leur vulnérabilité par des hommes qui n'ont pas nécessairement une expertise en intervention avec les victimes.

Dernier point, là, ça se peut que des victimes aient à parcourir des dizaines, voire des centaines de kilomètres pour aller rencontrer une personne psychiatre pour les évaluer, quand elles sont des régions éloignées, c'est une barrière.

Je vais ici céder la parole à ma collègue Stéphanie pour continuer les six autres recommandations. Merci de votre écoute, votre attention.

Mme Tremblay (Stéphanie) : Merci. Merci, Laurence. Il nous reste combien de temps, environ?

Le Président (M. Bachand) : Bien, l'idée, c'est qu'il reste à peu près 13 minutes pour la période d'échange avec la partie ministérielle. Ça fait que je vous inviterais peut-être à accélérer le rythme pour avoir une chance d'intervenir avec le ministre.

Mme Tremblay (Stéphanie) : Tout à fait. Donc, je vais aller très rapidement, en fait. Donc, on a deux autres recommandations qui visent vraiment, là, cette question-là des professionnels de la santé, là. C'est-à-dire qu'il y a vraiment un enjeu au niveau du choix pour les victimes de pouvoir, là, faire appel aux professionnels de la santé qu'ils ont choisis. Donc, il y a vraiment un article de loi, là, qui stipule que... Bien, en fait, c'est qu'il y a une liste à l'IVAC qui va vraiment répertorier une certaine quantité de professionnels de la santé qui peuvent être remboursés. Et ça, pour nous, c'est un enjeu parce que les victimes, finalement, n'ont pas nécessairement accès aux ressources dont elles ont besoin. Donc, ça, c'est une chose, au niveau des professionnels de la santé. Puis il y a vraiment au niveau aussi, là, de la formation des agents, agentes de l'IVAC qui devraient être mieux formés, qui devraient travailler de pair aussi avec, notamment, les intervenantes des CALACS, mais toutes les intervenantes qui travaillent, là, auprès des victimes pour mieux accompagner les victimes, mieux les informer sur toutes les ressources auxquelles elles pourraient avoir accès. Et c'est vraiment important parce que c'est tout un processus, là, puis je tiens... je vais quand même prendre le temps de le mentionner, parce que c'est vraiment... c'est au coeur de l'approche des CALACS, au niveau de l'intervention, vraiment, de laisser les victimes faire leurs propres choix pour les... bien, en fait, faire leurs propres choix dans leur processus de guérison, hein, suite aux agressions sexuelles. Donc, l'article de loi qui stipule, là, que, finalement, il y a un règlement qui peut déterminer si une ressource va être remboursée ou pas, pour nous, c'est un problème, parce que c'est important de laisser les victimes choisir les ressources auxquelles elles vont avoir accès.

Je vais terminer, dans le fond, on a deux autres, je dirais, secteurs de recommandations. Il y en a au niveau des agressions sexuelles qui sont commises à l'extérieur du Québec, je vais y revenir.

Je veux vraiment mentionner notre recommandation sur la modification de la Loi sur l'aide aux personnes et aux familles pour assurer une exclusion totale et permanente de toutes sommes versées par l'IVAC. Donc, on voudrait vraiment profiter du projet de loi n° 84 pour apporter une modification à cette loi-là, qui est complètement injuste et inéquitable. Donc, je veux vraiment... En fait, je ne vous la décrirai pas en détail, là, mais je tenais quand même à le spécifier explicitement pour apporter, vraiment, là, votre regard sur cette recommandation-là. Donc, je le sais qu'on n'est pas les seuls à l'avoir recommandée. Le projet de loi n° 84, il est vraiment costaud, complexe, ça vaudrait la peine, vraiment, d'ajouter à ça, là, une modification de la Loi sur l'aide aux personnes et aux familles. Il y a l'espace pour ça, c'est un projet de loi qui est construit, hein, qui permettrait... qui permet la modification d'autres lois. Donc, on aimerait beaucoup que ce soit fait, parce que c'est vraiment une injustice incroyable pour les victimes les plus vulnérabilisées.

Puis je vais terminer vraiment avec nos recommandations sur les infractions commises à l'extérieur du Québec. En fait, je vais vraiment mettre l'emphase sur le fait qu'on n'a pas eu le temps de consulter les groupes, nos groupes partenaires qui sont... qui ont une expertise en immigration. Et, pour nous, il y a des enjeux excessivement problématiques dans ce chapitre-là, en fait, du projet de loi. Donc, on salue, évidemment, l'inclusion des crimes qui ont été commis à l'extérieur du Québec. C'est une avancée incroyable, mais il y a des enjeux vraiment problématiques, là. Donc, on veut, vraiment, encore là, freiner l'étude du projet de loi pour être capables de consulter des ressources qui sont adaptées. Donc, je vais m'arrêter là.

Le Président (M. Bachand) : Merci, Mme Tremblay, Mme Morin. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui, combien de temps nous reste-t-il, M. le Président?

Le Président (M. Bachand) : 9 min 30 s.

M. Jolin-Barrette : Parfait. Mme Tremblay, Mme Morin, merci d'être présentes en commission parlementaire puis de nous partager votre expertise relativement au dossier. Je tiens à vous rassurer, si, au cours des prochaines semaines, vous avez davantage de commentaires relativement à la dernière section pour les crimes commis à l'étranger, n'hésitez pas à les faire parvenir au secrétariat de la commission, on va pouvoir en prendre connaissance, relativement à vos commentaires.

Sur le point de retarder l'étude du projet de loi, j'explique le processus. Pour tenir les consultations, il y a eu une entente avec les quatre groupes parlementaires ici, à l'Assemblée nationale, et c'est pour ça qu'on entend les groupes cette semaine. Et surtout il faut comprendre que la réforme de l'IVAC, aussi, pour pouvoir donner les aides supplémentaires, pour pouvoir faire en sorte, aussi, d'élargir la liste des crimes, parce qu'actuellement il y a certaines personnes qui se font dire non par l'IVAC parce que le crime n'est pas couvert ou qui se retrouvent dans des situations où il y a de la prescription, bien, plus on retardera l'adoption du projet de loi, plus on se retrouvera dans des situations où certaines victimes qui pourraient être couvertes par le régime actuel ne le seront pas tant que le projet de loi n'est pas adopté, aussi. Donc, il y a un enjeu aussi relativement à cela.

Mais j'étais curieux de vous entendre, bon, sur la question de la faute lourde, vous n'êtes pas le premier groupe à nous le dire, je vais l'étudier sérieusement en matière, notamment, de violence sexuelle. Sur la question... Vous avez dit : La liste des professionnels à la DIVAC... Dans le fond, il y a une liste mais la victime peut choisir quelqu'un de son choix, mais on va bonifier ça aussi, on va permettre à des sexologues aussi d'être couverts. On veut s'assurer, là, d'offrir davantage de soutien aux victimes, davantage également de ressources.

Et surtout, je me demandais, vous, là, en matière... On met en place un programme d'urgence dans le cadre du projet de loi. Qu'est-ce que vous en pensez? Pour sortir du milieu, là, rapidement.

• (14 h 20) •

Mme Tremblay (Stéphanie) : Au niveau de l'exploitation sexuelle?

M. Jolin-Barrette : Bien, en fait, tous les types de domaines mais incluant l'exploitation sexuelle, parce que, oui, bien entendu, ça va couvrir. D'autant plus que maintenant, ça devient une infraction qui est admissible, l'exploitation sexuelle.

Mme Tremblay (Stéphanie) : Oui, bien, en fait, sur ce fonds d'urgence là... Bien, en fait, c'est ça, moi, je me demandais... Parce qu'il faut dire aussi, puis je pense qu'on ne l'a pas nommé, là, que c'est un projet de loi qui est excessivement complexe et qui m'a donné, personnellement, je vais parler en mon nom personnel, qui m'a donné mal à la tête. Il y a des articles de loi qui sont vraiment, pour une non-juriste, là... puis ce n'est pas... je veux dire, j'ai 10 ans d'expérience dans le domaine des violences sexuelles, j'ai fait de l'intervention, je suis aux communications, aux enjeux politiques, là, ce n'est pas parce que je ne suis pas intelligente, là, mais vraiment il y a des articles de loi que je trouvais complètement incompréhensibles. Au niveau du fonds d'urgence, je me demandais s'il n'y avait pas un lien avec le... Il y a eu une annonce, là, dernièrement, justement, du ministère de la Justice, avant les fêtes, sur un fonds, là, qui serait géré par SOS Violence conjugale, où les victimes de violence peuvent téléphoner puis être indemnisées pour des ressources, là, alimentaires, des ressources d'hébergement, tout ça. Est-ce qu'on fait référence à ce fonds d'urgence là?

M. Jolin-Barrette : Effectivement.

Mme Tremblay (Stéphanie) : Parfait.

M. Jolin-Barrette : Dans le fond, il va être pérennisé par la réforme de l'IVAC. Dans le fond, ça tombe dans les attributs financiers de l'IVAC. Donc, il a été annoncé rapidement pour la première année, mais, par la suite, on l'inclut dans le projet de loi pour qu'il ait une assise financière, pour s'assurer qu'on puisse le rendre pérenne et on peut s'assurer d'offrir ce service-là.

Peut-être, j'aimerais ça vous entendre sur quand vous recevez une victime de violence sexuelle. On nous a beaucoup parlé, bon, des formulaires qui étaient compliqués à remplir, tout ça. Est-ce que ça vous arrive d'avoir des victimes qui se sont fait dire non parce qu'elles étaient hors délai en matière d'agression sexuelle, par l'IVAC?

Mme Tremblay (Stéphanie) : Laurence, est-ce que tu veux y aller ou tu voulais que j'y aille? Parce que c'est sûr, la réponse est oui, là, c'est arrivé, donc, c'est sûr... Laurence, est-ce que tu voulais que je te laisse la parole?

Mme Morin (Laurence) : Je te laisse aller puis je compléterai avec mon expérience terrain si tu veux aussi, là.

Mme Tremblay (Stéphanie) : Oui, c'est ça, donc, effectivement, oui, c'est arrivé. Donc, pour nous, bien, en tout cas, dans notre compréhension, là, le projet de loi venait vraiment inscrire l'abolition, là, du délai de prescription pour les victimes d'agression sexuelle. Si je ne me trompe pas, là, je n'ai pas le... je ne veux pas aller fouiller dans le projet de loi, là, mais ça n'incluait pas nécessairement les victimes de violence conjugale qui rencontrent des enjeux similaires à ceux des violences sexuelles, là. Donc, pour nous, il y avait un enjeu à ce niveau-là, mais sinon...

M. Jolin-Barrette : Je vous rassure, Mme Tremblay, ça les inclut également. On a aboli la prescription pour la violence subie pendant l'enfance, violence sexuelle et violence conjugale.

Mme Tremblay (Stéphanie) : Parfait. Donc, ça, pour nous, je trouve que c'est un bon exemple, puis on le nomme dans notre mémoire, c'est un bon exemple d'article de loi qui va vraiment venir structurer puis faciliter l'accès des victimes à ces régimes-là, parce qu'au lieu d'un règlement ou d'une directive qui va laisser, vraiment, là, tu sais, un pouvoir discrétionnaire aux gestionnaires de l'IVAC, bien, c'est un article de loi qu'on n'a pas le choix de respecter. Donc, effectivement, ça, c'est une grande avancée, là, pour les femmes qu'on accompagne, tout à fait, parce que c'est un enjeu qu'on rencontrait.

M. Jolin-Barrette : Est-ce que vous vouliez rajouter quelque chose, Mme Morin?

Mme Morin (Laurence) : Non, merci. C'est bon.

M. Jolin-Barrette : Ça va? Parfait. Écoutez, je vais céder la parole à mes collègues qui souhaitent vous poser des questions, mais un grand merci, Mme Tremblay et Mme Morin, pour votre présence en commission parlementaire ce matin, c'est apprécié.

Une voix : Merci à vous.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Merci, M. le ministre. Je cède la parole au député de Chapleau. Il reste quatre minutes. M. le député.

M. Lévesque (Chapleau) : Merci beaucoup, M. le Président. Merci, Mme Morin et Mme Tremblay, pour votre témoignage aujourd'hui, là, merci d'être avec nous. Peut-être une petite question en lien avec votre expérience, puis vous allez peut-être pouvoir nous éclairer, là, à la commission. Souvent, il y avait des enjeux de rejoindre les victimes pour qu'elles puissent mieux connaître leurs droits et leurs ressources qui s'offrent à elle. Est-ce que vous avez peut-être des pistes de solution à nous offrir sur ces questions-là?

Mme Tremblay (Stéphanie) : C'est une bonne question. Laurence, je ne sais pas si tu avais une réponse à accorder. C'est sûr que nous, dans les CALACS, d'emblée, on va toujours en parler. Puis, d'expérience, tu sais, nous autres, dans le fond, il y a à peu près un délai, là, de 10 ans en moyenne, là, avant que les victimes viennent nous rencontrer. Donc, souvent... Bien, c'est pour ça aussi que, souvent, les demandes sont remplies hors délai, là, quand les femmes viennent nous voir parce que, souvent, ça fait 10 ans, par exemple, que l'agression a été commise et elles n'ont jamais entendu parler de l'IVAC ni par les psychologues ni par d'autres ressources, là, communautaires. Laurence, voudrais-tu compléter?

Mme Morin (Laurence) : Moi, c'est sûr que je pense à des enjeux de financement. C'est-à-dire que, si on avait encore des meilleurs financements, on aurait plus de ressources, par exemple, d'une part, pour faire de l'éducation. Donc, si on veut être capables de rejoindre rapidement les victimes, on sait qu'il y a environ 67 % des victimes qui sont mineures au moment des violences sexuelles... Nous, là, on ne fournit pas. On le fait auprès d'à peu près 11 écoles secondaires en Estrie puis on est obligés de refuser des demandes d'atelier, dans le fond, de formation. Et ça, ça serait vraiment aidant, si on avait plus de financement.

Je vous donne cet exemple-là, mais ça peut être aussi quand on a des listes d'attente. Pour les femmes, il y a comme un momentum. Par exemple, la femme, ça fait 10 ans, ça fait 15 ans, elle nous appelle, pour la première fois de sa vie, elle en parle, c'est comme là que ça se passe. Quand ça prend des semaines ou des mois à ce qu'elle puisse recevoir de l'aide, il y a vraiment un enjeu à ce niveau-là aussi.

Puis je terminerais avec la question des régions éloignées. Dans le fond, là, comme le territoire de l'Estrie, par exemple, puis il y a d'autres régions où c'est le cas, il y a des femmes qui n'ont pas les moyens, le temps, que ça va être un frein de se déplacer sur le territoire pour venir nous voir. Et, si on avait davantage de financement pour avoir des ressources qui pourraient mieux couvrir cet aspect-là, c'est sûr qu'on arriverait à mieux rejoindre les victimes.

M. Lévesque (Chapleau) : O.K. Puis en matière de ressources humaines? Parce que vous m'avez dit, bon, prévention dans certaines écoles secondaires avec peut-être un volet de formation puis la possibilité de se déplacer dans les régions éloignées pour rejoindre les victimes, donc qu'est-ce qu'il en serait, à ce moment-là, pour les ressources humaines? Est-ce que vous auriez les équipes qu'il faudrait?

Mme Morin (Laurence) : ...

Mme Tremblay (Stéphanie) : Bien, en fait, c'est ça... Oh!

Mme Morin (Laurence) : Vas-y.

Mme Tremblay (Stéphanie) : Bien, en fait, c'est ça, effectivement, bien, en fait, j'allais rebondir sur ce que Laurence a nommé, effectivement, c'est vraiment un manque de ressources humaines qui nous empêche, hein, de rejoindre l'ensemble des victimes, en fait, l'ensemble de la population, l'ensemble du territoire qui sont attitrés à chaque CALACS, là.

Puis il faut savoir aussi, ça, c'est quelque chose... c'est ça, ça fait 10 ans que je suis dans les CALACS, une chose, puis je me rends compte, c'est que les CAVAC sont beaucoup plus connus que les CALACS. Généralement, c'est parce que, bien, c'est ça, ils ont un financement plus soutenu, là, par le ministère de la Justice. D'ailleurs, hein, on espère que nos groupes et d'autres groupes, qui travaillent auprès des femmes violentées, seront reconnus, hein, par cette loi-là. Donc, on parle des centres pour victimes d'infractions criminelles.

Est-ce qu'on parle uniquement des CAVAC ou, tu sais, de tous les groupes aussi qui travaillent auprès des victimes, là? Donc, d'une part, c'est ça, il faut savoir qu'on gagnerait, hein, à faire connaître davantage les CALACS, parce que ce qu'il faut savoir, c'est qu'une victime d'agression sexuelle ne se reconnaîtra pas nécessairement comme une victime d'acte criminel. Ça peut être excessivement confrontant, pour une femme survivante de violence sexuelle, d'aller dans un CAVAC, pas parce qu'elles ne sont pas... moins compétentes que nous, pas du tout, c'est vraiment la terminologie qui va faire en sorte qu'une femme va s'identifier beaucoup plus à une ressource comme la nôtre, qui ne sera pas dans un poste de police, par ailleurs, et compagnie, là. Donc...

M. Lévesque (Chapleau) : Communautaire.

Mme Tremblay (Stéphanie) : Exactement. Donc, faire plus de promotion, là, des ressources communautaires en violence faite aux femmes. Et je pense aussi à d'autres groupes, là, qui ne travaillent pas spécifiquement sur les violences, mais qui ont développé une expertise en la matière parce que les communautés auprès desquelles elles travaillent sont beaucoup victimes de violence, là, je pense à des groupes auprès de femmes autochtones, auprès de femmes qui vivent des handicaps physiques...

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, Mme Tremblay.

M. Lévesque (Chapleau) : Bien noté. Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole au député de LaFontaine, s'il vous plaît.

• (14 h 30) •

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, à mon tour de vous saluer, Mme Tremblay et Mme Morin. Merci beaucoup d'être ici, avec nous, virtuellement, à midi, pour discuter du projet de loi.

Beaucoup d'éléments. Vous dites : Wo! ralentissez, ralentissez, ralentissez, M. le ministre. C'est le message qu'on a, également, parce que, imaginez-vous donc, on a reçu, donc, votre mémoire. Merci beaucoup. Alors, pendant que vous parliez, j'ai plein de petits points sur lesquels... deux paragraphes, des fois, fait naître des questions. Alors, merci pour votre temps. Puis excusez-moi à l'avance d'être un peu télégraphique, mais le temps, mon 11 minutes, est excessivement limité.

Mais on a très bien retenu, de notre côté en tout cas, le fait que, pour des personnes qui sont habituées à de tels projets de loi, à de telles lois, ça a créé des maux de tête excessivement complexes, et ça, il ne faut pas manquer le coup. On salue le fait qu'il y a une réforme, mais il ne faut pas manquer le coup, parce que, des réformes, il y a des semaines où il n'y en a pas, et, quand la loi sera faite, bien, il faudra vivre avec la loi, et, vous le voyez, il faudra vivre avec les interprétations tantôt heureuses, mais trop souvent malheureuses qui font en sorte que, hein, la personne, la fille, la femme n'a pas d'indemnité, n'est pas reconnue. Wow! Et ça, c'est excessivement malheureux, puis on ne veut pas créer d'iniquité là-dessus. Alors, ça, c'est... d'autant plus qu'il y a un immense pouvoir réglementaire, on aura l'occasion de faire des représentations.

J'aimerais vous entendre... Bon, infractions hors Québec, vous demandez le retrait du paragraphe 5 de l'article 63...

Mme Tremblay (Stéphanie) : Tout à fait.

M. Tanguay : ...autrement dit, infractions hors Québec : «Il nous apparaît complètement insensé qu'une loi visant à aider les personnes victimes d'infractions [...] oblige [les] victimes à dénoncer [une infraction] criminelle.» Alors, que ce soit l'étudiante, par exemple, qui étudie à l'étranger, bien, elle devrait pouvoir... suite à une violence sexuelle, par exemple, elle aurait dû, pour être admissible au Québec, avoir dénoncé l'infraction auprès des autorités de l'État étranger. Pour vous, ça, ça ne passe pas la rampe, tout comme ça ne passe pas la rampe... de toute façon, ce n'est pas prévu de même, ce n'est pas prévu de même au Québec, même, là.

Mme Tremblay (Stéphanie) : Bien non, bien, je veux dire, on trouve ça complètement insensé. Il n'y a aucune charte des droits pour les victimes ou des droits de la personne, là, qui va endosser un tel article, là. On s'explique vraiment mal d'où il sort, là. Bon, on comprend que c'est tout un nouveau chapitre, là, à la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels, donc on comprend que, peut-être, là, une tentative, là, de limiter, quand même, les crimes, là, qui seraient admissibles par l'IVAC. Mais c'est sûr que cet article-là, on demande vraiment, là, qu'il soit complètement retiré, parce que c'est complètement insensé de demander à des victimes d'agression sexuelle de porter plainte, là, dans l'état où elles ont subi leur crime, là, c'est complètement insensé.

M. Tanguay : Autre élément également : au niveau des femmes, je reprends cet exemple-là, qui ont le statut de réfugié, qui sont accueillies au Québec et qui seraient victimes, par exemple, d'une violence sexuelle, d'une agression sexuelle, bien, vous demandez de reconnaître les personnes victimes qui ont un statut de réfugié aussi, au même titre, là, puis il en va de droits et libertés fondamentales.

Mme Tremblay (Stéphanie) : Bien, tout à fait, puis là, vraiment à ce niveau-là, c'est pour ça que j'ai insisté beaucoup dans la présentation sur le fait qu'on demande de... qu'il y ait une expertise vraiment, sur... bien, qu'il y ait vraiment une lecture plus approfondie par des groupes qui ont l'expertise en immigration, parce que là on n'avait pas le temps de consulter nos partenaires sur ces questions-là. Ça fait que c'est sûr que, d'emblée, bon, on demande que soient reconnues les personnes réfugiées, mais on demande que... Probablement qu'on aurait énormément plus de recommandations si on avait eu le temps de consulter nos partenaires. Bien, on a commencé, là, déjà, à les interpeller sur ces questions-là. Donc, je suis contente de savoir qu'on peut... on va pouvoir apporter d'autres recommandations, là, rapidement, dans les semaines qui suivent, là.

Donc, c'est, premièrement, une chose qu'on va faire, mais c'est sûr que d'aller... Vous, comme député, allez consulter directement des groupes, je pense au Mouvement contre le viol et l'inceste, à Montréal, qui a une expertise vraiment poussée sur l'intersection, hein, entre les victimes de violence sexuelle et les femmes issues de l'immigration. Donc, il faut se poser la question, parce que c'est une communauté qui est davantage vulnérable aussi, face aux violences sexuelles à cause de la dépendance à leur... aux personnes qui les ont accueillies, à cause du manque d'information, la barrière de la langue, etc. Donc, cet article de loi là doit être vraiment, là, étudié de manière plus approfondie, parce qu'on risque de créer des iniquités, là.

M. Tanguay : Oui. Et j'ai très bien noté que vous, l'organisme que vous représentez, le regroupement, vous, votre clientèle, si je peux dire, entre guillemets, des femmes, des filles de 12 ans et plus, 67 % des victimes d'inconduite sexuelle sont mineures. On a un nouveau projet de loi très complexe, très lourd. On ne pourra pas demander à ces personnes de faire avancer le droit québécois pour qu'on puisse savoir comment on doit interpréter un article de loi qui n'est pas clair. Alors, ça, ça ne serait non seulement pas une avancée, ce serait un recul, ce serait sur le dos des victimes.

Rapidement, je veux vous entendre, on aura trop peu parlé de l'impact des indemnisations, ici, des sommes forfaitaires sur les personnes qui sont à l'aide sociale. Vous dites une chose qui nous frappe, puis la façon dont vous le verbalisez — puis je vous laisse du temps, là, je vais me fermer, là : «Empêcher qu'elles ne soient obligées de dépenser la somme forfaitaire avant la fin du mois suivant sa réception». Parlez-nous-en.

Mme Tremblay (Stéphanie) : Bien, c'est un énorme problème, hein, parce qu'en fait, aussi, les personnes qui sont bénéficiaires de l'aide sociale, c'est encore des clientèles, des communautés qui sont encore plus vulnérabilisées, hein, face aux violences sexuelles et qui sont, bien, c'est ça, davantage affectées par les violences sexuelles subies.

Donc, actuellement, comment les règlements sur l'aide sociale fonctionnent, c'est que, si l'IVAC indemnise avec une rente mensuelle, eh bien, le chèque de l'aide sociale, finalement, va diminuer en fonction de l'indemnisation de l'IVAC. Et, si l'IVAC va donner une somme forfaitaire, bien, en fait, la personne doit — c'est un règlement de l'aide sociale, encore là — doit dépenser toute sa somme forfaitaire avant la fin du mois. Donc, ça ne permet pas aux victimes de vraiment utiliser ces fonds-là pour se rétablir. Et donc le problème à ce niveau-là, c'est vraiment au niveau de l'aide sociale.

On a fait beaucoup de représentations auprès du ministère de la Solidarité sociale. On a rencontré le directeur général de l'aide sociale. On a fait plusieurs démarches. Vous pouvez aller voir les... voyons, je n'ai pas le terme, là, je ne suis pas une juriste, là, mais il y a eu des recours au Tribunal administratif du Québec, à la Cour suprême. Donc, il y a des juges qui se sont penchés aussi sur cette question et ils demandent au législateur d'agir. Donc, je trouve que c'est une occasion extraordinaire, le projet de loi n° 84.

M. Tanguay : Tout à fait. Et une phrase dans le projet de loi pourrait régler ça. Et c'est d'autant plus injuste que, dans le calcul de l'aide sociale... Puis qu'il n'y a personne qui a du fun, là, d'être sur l'aide sociale puis qui trouve ça bien le fun, l'aide sociale, là, c'est le minimum, minimum. Dans ce qu'on donne aux gens sur l'aide sociale, là, c'est déjà calculé que, bon, une personne, pour vivre ou survivre, tant pour le logement, tant pour la nourriture, gnagnagna, et de ça, on va retirer, exemple, une portion qui serait sur logement, nourriture ou autre, en disant : Bien, ce 100 $ là ou ce 200 $ là, je l'enlève de l'aide sociale, mais je vais considérer maintenant qu'il va avoir double emploi puis qui va être indemnisé parce qu'elle a été victime d'une infraction criminelle puis qu'elle a le droit à ça. Alors, c'est tout à fait, là, inéquitable et, je vous dirais, c'est inhumain, tout à fait.

Autre élément — le temps presse — «faute lourde». Vous demandez que le concept qui imposerait un fardeau à la victime, qui aurait une interprétation malheureuse, vous demandez que «faute lourde»... Parce qu'on a rencontré, dans notre tourbillon de consultations depuis mardi, 2 heures, là, on a rencontré 20 groupes, là — je ne me plains pas, mais on aurait mérité d'avoir plus de temps, surtout vous, les groupes — des gens qui sont venus dire qu'on parle, entre autres, de proxénétisme, de manipulation, de participation à un acte criminel... vous faites en sorte que — vous, sur le volet — il faut exclure la faute lourde dans des cas de violence sexuelle et conjugale.

Et également j'aimerais vous entendre, pour mettre l'emphase là-dessus, sur le droit de subrogation. Vous demandez à ce que... tel que proposé : «Nous sommes en désaccord avec le fait de recourir à la subrogation en matière d'agression sexuelle et d'inceste.» Vous faites référence au «maintien d'un lien obligé entre l'agresseur et la victime, et ce, contre la volonté de cette dernière». Ça, c'est votre quotidien. J'aimerais ça que vous nous en parliez.

Mme Tremblay (Stéphanie) : Je laisserais peut-être Laurence, là, vraiment vous entretenir sur ce que ça fait vivre aux victimes, hein, quand elles voient cette clause-là, quand elles doivent cocher cette clause-là dans les formulaires IVAC. Laurence.

Mme Morin (Laurence) : Dans le fond, dans le sens où qu'elles pourraient avoir à être confrontées à leur agresseur dans le processus judiciaire, c'est ça que vous voulez dire, «qu'est-ce que ça leur fait vivre»?

M. Tanguay : Oui, exact.

Mme Morin (Laurence) : Oui. C'est sûr qu'il y a même des victimes que ça va décourager complètement du processus, au niveau de... Tu sais, la loi... le projet de loi sur lequel on est, là, le but, là, c'est le rétablissement puis le mieux-être des victimes, là. On observe, là, la majorité pour qui, là, le processus judiciaire, là, ça va, au contraire, être nuisible à ce qu'elles aillent mieux, ces personnes-là, parce que ça va être... Déjà que, si elles viennent voir, si elles entendent ça, ce n'est pas qu'elles vont bien, puis tout est stable, là. Ça fait que là, c'est comme si, dans une zone de vulnérabilité, le fait de revoir l'agresseur, de retourner dans ces blessures-là, c'est, ni plus ni moins, là... ça réactive des symptômes de stress post-traumatique. Ça rend le rétablissement beaucoup plus long. Ça fait qu'on observe que ce n'est pas nécessairement souhaitable du tout, là, pour les femmes, de faire la démarche, comme ça, là.

M. Tanguay : Puis je trouve ça intéressant, parce que vous avez un regard très terrain. On a eu, avec Me Lessard, hier, une discussion où on disait : Bien, on va laisser ces obligations-là, de subrogation, puis tout ça, mais on pourrait y mettre une condition, si ça n'atteint pas le processus de rétablissement. Vous, vous dites : Écoutez, là, dans certains cas, ça sera une décision heureuse, mais, dans d'autres cas, ça va être des décisions où on va dire : Ça n'atteint pas le processus de rétablissement, puis ça va l'atteindre... Vous dites : Gardons ça simple, violence sexuelle et conjugale, excluez-les.

• (14 h 40) •

Mme Morin (Laurence) : Oui. Puis, si je peux me permettre juste de rebondir sur ce que vous venez de dire...

Le Président (M. Bachand) : Juste très, très rapidement, parce que le temps est écoulé. Quelques secondes, s'il vous plaît.

Mme Morin (Laurence) : Oui. Il y a souvent des femmes qui vont décider de faire le processus, qui croient que ça va être aidant, et souvent ce qu'elles nous disent après, c'est que : Si c'était à refaire, je ne le referais pas, parce que ça m'a traumatisée davantage. Ça fait qu'elles pourraient dire, avec cette clause-là, que vous proposez : Ah oui, moi, ça va être correct, tout ça, ça va me faire du bien, mais finalement elles sont plus détruites après, mais elles ne le savent pas, au départ.

M. Tanguay : Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée de Sherbrooke, vous avez la parole.

Mme Labrie : Merci, M. le Président. Merci, Mme Morin, Mme Tremblay, d'abord, de nous dire de ne surtout pas nous remettre en cause vos compétences. Il y a plusieurs juristes qui sont passés devant nous nous dire qu'il y avait plusieurs articles incompréhensibles dans le projet de loi.

J'ai parcouru votre mémoire, mais je n'ai pas... À ma connaissance, vous n'abordez pas la question des indemnités de revenu dans votre mémoire. Comme vous l'avez peut-être constaté, c'est un maximum de trois ans, dorénavant. Ce n'est pas... Il n'y en a pas de prévu pour les personnes qui n'avaient pas de revenu au moment de l'agression. Donc, j'aimerais vous entendre là-dessus.

Mme Tremblay (Stéphanie) : Ah mon Dieu! Bien je n'aurai pas grand-chose à dire malheureusement, pas parce que je suis d'accord avec ces nouvelles modalités là prévues dans la loi, mais c'est juste que, c'est ça, il a fallu se concentrer sur certains éléments, là. C'est sûr que, tu sais, on est, c'est ça, là, des organismes communautaires où on fonctionne en sous-effectif. Il faudrait que...

Mme Labrie : De votre expérience, quand même, est-ce que c'est de nature à favoriser le rétablissement, comme le veut, techniquement, la loi, d'être aussi limité dans les indemnités de remplacement de revenu?

Mme Tremblay (Stéphanie) : Non, pas du tout. Je pense que c'est une mentalité qui est assez, je dirais, j'oserais dire, paternaliste, là, de penser qu'en donnant, tu sais, un temps limité de revenu, ça va faire en sorte qu'une personne va être plus encline à aller... à retourner sur le marché du travail, des choses comme ça. Je veux dire, toute personne veut, c'est ça, être utile à la société, là. Ce n'est pas parce qu'on est... Ce n'est pas avec enthousiasme, là, avec enthousiasme qu'on va bénéficier des indemnités de l'IVAC, là, de manière récurrente, là. Donc, c'est sûr que, pour nous, cette question-là, du trois ans maximum, c'était vraiment un problème, parce qu'on sait qu'il y a des victimes d'agression sexuelle qui deviennent complètement invalides en raison, là, des conséquences des violences sexuelles. Donc, c'est sûr que ce n'est pas après trois ans que les conséquences s'envolent, là.

Donc, c'est, effectivement, excessivement problématique. Puis je ne pense pas, effectivement, que ça va aider au rétablissement des femmes, que de leur mettre une limite de temps, là, pas du tout.

Mme Morin (Laurence) : Si je peux me permettre d'ajouter un petit quelque chose, rapidement...

Le Président (M. Bachand) : Rapidement, oui.

Mme Morin (Laurence) : ...à ce que ma collègue vient de nommer, là, vous vous en doutez peut-être, la majorité des victimes de violence sexuelle, elles ont des symptômes d'anxiété, qui fait partie du stress post-traumatique. Puis je le vois, quand elles ont des délais, souvent, là, ça va augmenter leur état d'anxiété. Ça fait que le fait de savoir que : Ah, merde, j'ai juste comme trois ans pour me rétablir, bien, ça va faire qu'elle va vivre un tel stress que ça peut nuire, en fait, à son rétablissement.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette, s'il vous plaît.

Mme Hivon : Oui, bonjour. Merci pour votre excellente présentation. Je suis tout à fait d'accord avec vous que le temps serait vraiment aidant, de se donner le temps de respirer un peu pour faire cette réforme-là. J'ai une solution pour le ministre, là, qui dit qu'il faut l'adopter rapidement pour aider les gens. Il a juste à le mettre rétroactif à la date du dépôt de son projet de loi, au mois de décembre, on va tous respirer. Puis sa date d'entrée en vigueur, si elle était à la date qu'il l'a déposé, ça fait qu'on pourrait se prendre le temps de vraiment faire une bonne réforme qui répond aux besoins pour vrai, parce qu'on ne refera pas la réforme à toutes les semaines.

Et aussi je suis d'accord avec vous qu'entre-temps il y a eu, évidemment, le rapport du comité d'experts qui a été déposé avec beaucoup de pistes intéressantes, et ça serait bien de pouvoir en tenir compte dans la réforme. Et vous nous amenez précisément la recommandation 176. Donc, je voulais vous entendre, parce que vous dites qu'il y a d'autres groupes avant qui l'ont souligné, là, l'importance de mettre des mécanismes simples et rapides et des outils permettant de traiter les plaintes qui sont formulées par rapport à un paquet de droits. Est-ce que vous avez des idées, comment on pourrait concrétiser ça? Puis est-ce que ça devrait être dans la loi?

Mme Tremblay (Stéphanie) : Bien, je peux... Je peux me permettre, Laurence?

Le Président (M. Bachand) : Allez-y, Mme Tremblay.

Mme Tremblay (Stéphanie) : O.K. Je vais y aller. En fait, bien, c'est sûr que... C'est ça, c'est une recommandation qui date, hein, depuis 1993. Puis oui, on pense que ça devrait... C'est pour ça qu'on se permet, d'ailleurs, de le mettre dans nos recommandations, dans notre mémoire, parce qu'on pense que ça devrait faire partie de la loi. Parce que la loi est beaucoup plus structurante, hein, c'est-à-dire que quand ça fait partie de la loi, bien, après ça, on n'a plus le choix de le mettre en application.

Ce qu'on pense qu'il faudrait avoir, c'est vraiment un... Bien, en fait, on pensait à quelque chose comme les tribunaux spécialisés, hein, qui sont recommandés aussi par le comité d'experts et d'expertes, c'est-à-dire vraiment une instance qui serait — voyons, je n'ai pas le terme que je cherche, là — mais qui serait... qui ne serait pas partisane, hein, qui ne ferait pas partie du ministère de la Justice donc, où les victimes pourraient se sentir vraiment en sécurité de faire appel à leurs droits, là, donc.

Puis on mettait vraiment l'accent sur cette recommandation-là, parce qu'on trouve que le projet de loi est vraiment faible au niveau des droits des victimes, hein, c'est comme si... il y a comme un flou, là. Qu'est-ce qu'on entend par aide aux victimes? Est-ce qu'on parle juste des indemnisations auxquelles elles ont droit pour la réhabilitation ou est-ce qu'on parle vraiment de droit en tant que victime d'agression à caractère sexuel ou de tout acte criminel? Est-ce qu'on a des droits? Et comment on peut les faire respecter? Il n'y a rien, dans le projet de loi, qui permet ça, et c'est problématique, là.

Au niveau des idées, bien là, c'est sûr qu'on en aurait une tonne, là. Mais, encore là, je pense qu'il faudrait consulter, encore là, tous les groupes, hein, qui travaillent auprès de femmes marginalisées, qui sont davantage... qui rencontrent encore plus de barrières, hein, quand vient le temps d'avoir accès, notamment à l'IVAC ou au système de justice, et tout ça. Mais le tribunal spécialisé pourrait être un endroit, hein, où il pourrait y avoir, là, une instance qui accueillerait les plaintes, par exemple.

Le Président (M. Bachand) : Sur ce, Mme Tremblay, Mme Morin, merci infiniment d'avoir été avec nous cet après-midi. C'est très, très, très apprécié.

Sur ce, la commission suspend ses travaux quelques instants. Merci encore.

(Suspension de la séance à 14 h 46)

(Reprise à 14 h 49)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît. La commission reprend ses travaux. Ça nous fait plaisir d'accueillir le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu. Sénateur Boisvenu, merci beaucoup d'être avec nous cet après-midi.

M. Pierre-Hugues Boisvenu

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : C'est un plaisir d'être avec vous, et je tiens à vous remercier d'abord.

Le Président (M. Bachand) : O.K. Alors, comme vous savez, vous avez 10 minutes de présentation, et par après nous aurons un échange avec les membres de la commission. Donc, la parole est à vous, sénateur.

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Merci. Alors, M. le Président, je tiens, d'entrée de jeu, à remercier sincèrement la commission, pour son invitation à vous présenter mon mémoire relativement au projet de loi 84, lequel vise à aider les personnes victimes d'infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement. Vous n'êtes pas sans savoir que je suis un fervent défenseur des droits des victimes d'actes criminels, et sachez, M. le ministre, vous avez ma plus grande appréciation relativement à votre intention de vouloir mieux et davantage les soutenir. Ma présentation sera faite avec le profond respect et la grande considération que j'éprouve envers les victimes d'actes criminels du Québec et leurs familles.

• (14 h 50) •

Je veux également témoigner mon appréciation envers le présent gouvernement et vous-même, M. le ministre, avec lequel j'ai eu, dans le passé et comme tout récemment, l'opportunité de partager mes préoccupations face aux expériences vécues des victimes d'actes criminels et leurs familles dans le système de justice ainsi que leurs rapports avec les programmes gouvernementaux d'aide aux victimes. Il est important pour moi de souligner que le ministre a toujours fait preuve d'écoute et d'empathie envers les victimes d'actes criminels et surtout qui... ces victimes-là n'ont pas choisi de voir leur vie basculer et trop souvent détruite à jamais.

M. le Président, depuis plus de 18 ans maintenant, suite à l'assassinat de ma fille Julie, le 23 juin 2002, qui était sous la responsabilité, d'ailleurs, du ministère de la Sécurité publiquedu Québec, il faut le dire, que je milite pour donner une voix aux victimes d'actes criminels. Depuis 18 ans, des victimes d'actes criminels me partagent leurs vécus, leurs drames, leurs quotidiens et surtout leurs grandes difficultés, et leurs divers combats, dont, parfois, sont injustement vécus avec l'IVAC entre autres. En 2004, avec trois pères de famille, dont les filles ont été assassinées ou sont disparues criminellement, j'ai fondé l'Association des familles de personnes assassinées et disparues, laquelle vient en aide aux familles de victimes d'actes criminels et dont la pérennité est assurée grâce au Fonds d'aide aux victimes.

La collaboration ouverte et positive entre l'AFPAD et le gouvernement du Québec, les gouvernements du Québec qui se sont succédé entre 2004 et 2010, a donné lieu à des améliorations parfois importantes et parfois mineures dans l'aide apportée aux victimes d'actes criminels et à leurs familles. Toutefois, il est important de se remémorer l'importance du... l'important rapport d'enquête, Indemnisation des victimes d'actes criminels : pour une prise en charge efficace et diligente des personnes vulnérables, publié le 15 septembre 2016 par l'ancienne Protectrice des citoyens, laquelle est aujourd'hui ma collègue au Sénat, Mme Raymonde Saint-Germain.

À la lecture du rapport, une citation m'avait donné espoir qu'un jour le Québec traiterait mieux les victimes d'actes criminels, alors qu'elle avait qualifié l'IVAC d'organisme d'exclusion, lorsque ces victimes transigent avec cet organisme. À la lecture du projet de loi 84, je suis convaincu que le gouvernement s'est largement inspiré du rapport de Mme Saint-Germain pour sa rédaction, rapport sur lequel je reviendrai plus tard. Donc, en 2010, j'ai accepté l'invitation de M. Stephen Harper à siéger au Sénat canadien afin de porter la voix des victimes d'actes criminels et celle de leurs familles à Ottawa.

Entre 2010 et 2015, les 12 demandes que l'AFPAD avait adressées à M. Harper en 2005 ont toutes été réalisées à travers des réformes des institutions fédérales et par l'adoption de plusieurs projets de loi. Je suis particulièrement fier de la loi C-44 adoptée en décembre 2012, laquelle constitue la première mesure d'un gouvernement fédéral visant à apporter financièrement... supporter financièrement les familles de partout au Canada, d'un enfant qui a été assassiné ou est criminellement disparu, et évidemment l'adoption de la première Charte canadienne des droits des victimes d'actes criminels qui, je crois, est la plus grande victoire de la dernière décennie pour les victimes d'actes criminels et leurs familles au Canada.

Quant au projet de loi 84, d'entrée de jeu, je tiens à souligner l'engagement du ministre de la Justice et de son gouvernement afin d'améliorer le sort des victimes et de leurs familles au Québec. Dans le projet de loi 84, l'élargissement de l'offre de prestation et l'inclusion du plus grand nombre de victimes sont louables, mais ne représentent pas, à mes yeux, une véritable réforme des responsabilités de l'État du Québec dans sa relation avec les victimes d'actes criminels. Cependant, j'ai écouté certaines critiques du projet de loi n° 84, qui m'apparaissent inquiétantes et qui sont en lien avec la décision du gouvernement d'abandonner la clause... excusez-moi, de rente viagère. Je comprends que cette décision est importante sur le plan financier, mais il ne faudrait pas que les victimes en paient le prix. J'invite donc le ministre à réfléchir sur les impacts de cette modification et d'inclure, dans le projet de loi actuel, des mesures compensatrices, sous forme de montants forfaitaires, lesquelles reconnaîtraient aux victimes le sort qui leur a été fait et les impacts sur leur futur. Si le gouvernement reconnaît, dans le régime d'assurance automobile du Québec, le principe du «no fault», ce principe devrait être aussi reconnu pour les victimes d'actes criminels. Je le répète, les victimes n'ont pas choisi d'être victimes. Dans bien des cas, elles subissent les conséquences du geste, qui pourraient être... bien souvent, auraient pu être prévenues.

M. le ministre, quand vous critiquez la rigidité et l'insensibilité du passé, vous dites juste, mais cela va bien au-delà des budgets. Une vraie réforme doit également se faire au niveau des rapports entre l'État et les victimes d'actes criminels. Je qualifie donc le projet de loi n° 84 davantage d'une bonification budgétaire consacrée à l'aide aux victimes, plutôt qu'une véritable réforme. Il s'éloigne d'un important objectif réclamé depuis 30 ans, celui d'harmoniser les régimes d'indemnisation des victimes québécoises. Je constate que cet article, dans le projet de loi, est un choix politique et que je disais plus tôt : Il faut éviter que les victimes paient le lourd prix pour ce réalignement politique.

Il est vrai que le Québec investit, autant que toutes les provinces canadiennes, dans l'aide aux victimes d'actes criminels. Malgré cela, c'est entre autres au Québec, que le taux d'insatisfaction des victimes, dans leur rapport avec l'État, est un des plus élevés. En fait, pour cette unique raison, une réforme en profondeur s'impose en 2021. Je m'explique. Le Québec possède de nombreux organismes d'aide aux victimes. Au fil des années, ces organismes se sont spécialisés dans des créneaux spécifiques, que ce soit la violence familiale, les agressions sexuelles, la violence faite aux enfants, les personnes assassinées ou disparues. D'ailleurs, la plupart de ces organismes sont supportés financièrement par le Fonds d'aide aux victimes pour qu'ils remplissent adéquatement leur mission.

Pour les besoins de la cause, je vais m'attarder à deux de ces organismes qui, à mon avis, devraient être au centre de la réforme que le ministre propose. Les CAVAC, d'abord. Relevant exclusivement du ministre de la Justice, les CAVAC sont présents dans toutes les régions administratives du Québec et ils constituent, pour moi, l'exemple d'une organisation qui s'est très bien adaptée aux besoins des victimes au cours des dernières années. Les CAVAC sont près des intervenants locaux en matière judiciaire, que ce soit les policiers ou les avocats de la couronne. Ils ont bonifié leurs services, comme la disponibilité de ceux-ci à la réalité des victimes et de leurs familles. Les CAVAC sont reconnus pour leurs services personnalisés, disponibles et sont d'un humanisme exemplaire quand l'État doit traiter avec une personne qui n'a pas choisi son état de victime et qui vit la pire expérience de son existence. Les CAVAC devraient devenir la porte d'entrée unique pour la prestation de tous les services qui s'adressent aux victimes d'actes criminels au Québec.

L'IVAC, au contraire, est un organisme hypercentralisé, lequel est reconnu, depuis des décennies, pour très mal desservir les victimes d'actes criminels et leurs familles. Le rapport de la Protectrice du citoyen de septembre 2016 en est la preuve la plus éloquente. Donc, pour l'IVAC, d'avoir survécu dans l'appareil gouvernemental québécois depuis toutes ces années avec une telle réputation est en soi un tour de force. La réforme du bureau d'indemnisation des victimes d'actes criminels est attendue depuis plus de 30 ans. Il est un organisme bicéphale relevant à la fois du ministère du Travail et à la fois du ministère de la Justice. En 2021, c'est une incongruité bureaucratique. L'IVAC n'a pas été qualifié d'organisme d'exclusion sans raison par la Protectrice du citoyen dans son rapport d'enquête de 2016. Plutôt que d'être aidant dans le processus de reconstruction des victimes, il est plutôt nuisible pour plusieurs d'entre elles. L'IVAC, dans sa forme actuelle, n'est pas un organisme adapté au vécu des victimes d'actes criminels et leurs familles.

Même après l'adoption du projet de loi n° 84, les droits des victimes à contester les décisions de l'IVAC seront toujours un long combat, et elles sortiront le plus souvent perdantes. C'est une autre contradiction dans le système actuel, la victime porte la responsabilité du fardeau de la preuve pour démontrer qu'elles sont victimes, alors que, pour le criminel, c'est à l'État que revient le fardeau de la preuve. Voilà pourquoi, même après l'adoption de la loi n° 84, les rapports entre l'État et les victimes d'actes criminels continueront d'être inégaux.

Pour moi, une véritable réforme devrait reposer sur quatre prérequis. Premièrement, la création d'une commission d'indemnisation des victimes d'actes criminels. La création d'une commission d'indemnisation dédiée aux victimes d'actes criminels serait le premier pas à faire pour l'atteinte d'une parité dans les relations entre les citoyens et citoyennes victimes et l'État québécois, qu'elles soient victimes de la route, du travail ou des accidents, et des actes criminels.

Le Québec pourrait copier le modèle de la commission ontarienne, dont les membres sont nommés par le gouvernement, dans laquelle il peut siéger un représentant des victimes pour les victimes. Cette commission entend les demandes d'arbitrage, ce qui le rend plus sympathique aux yeux des victimes qu'un tribunal administratif. La création d'une telle commission confirmerait la responsabilité du dossier des victimes d'actes criminels à un seul ministre, le ministre de la Justice.

Le deuxième prérequis, la régionalisation...

Le Président (M. Bachand) : Sénateur Boisvenu, je m'excuse de vous interrompre, votre temps est malheureusement écoulé.

M. Jolin-Barrette : ...sur mon temps, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Alors donc, grâce à la générosité du ministre, de son temps, alors vous pouvez continuer.

• (15 heures) •

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Je vais être rapide. D'abord, la loi n° 84, par rapport à régionalisation, ce que je dis, c'est qu'il devrait y avoir une porte unique pour les services d'aide aux victimes. En intégrant l'IVAC et les CAVAC, les victimes ne vivraient pas la frustration de faire affaire avec des boîtes téléphoniques. Le parcours d'une victime d'actes criminels, tant dans le système de justice qu'à travers les organismes d'aide, est un combat où les abandons font légion, un parcours qui demande force et énergie et endurance qui sont rarement au rendez-vous suite à un acte criminel. Il faut que la réforme rapproche les services des victimes, qu'ils soient plus humains, compatissants et disponibles.

Le troisième prérequis, l'intégration des structures afin de favoriser le principe du guichet unique. Les victimes doivent faire beaucoup de démarches pour être aidées au Québec. En 2021, il est plus que temps que le Québec n'ait qu'un seul ministre responsable des victimes d'actes criminels, donc que les victimes n'aient qu'une seule porte d'entrée où demander toute l'aide dont elles ont besoin. Cette porte d'entrée, quant à moi, doit être aux CAVAC.

Dernier point, une charte québécoise des droits des victimes. Il est très essentiel pour moi d'aborder avec vous le dernier prérequis, celui de l'adoption d'une charte des droits des victimes. J'espère que celle-ci pourrait nourrir la réflexion de tous les membres de la commission afin de faire du projet de loi n° 84 une reconnaissance politique, afin que les victimes d'actes criminels soient écoutées et comprises par le gouvernement ainsi que par ses mandataires. C'est l'adoption par le Québec, comme le fédéral l'a fait, de cette charte.

La plus grande injustice, dans notre système de justice, c'est l'absence d'équilibre entre les droits des criminels et ceux des victimes. Au criminel, il y a obligation de leur lire leurs droits, de respecter leur silence, de leur fournir un avocat. Les victimes, qui n'ont pas choisi leur sort, doivent se débattre à toutes les étapes du processus judiciaire, soit pour revendiquer leurs droits, soit pour être supportées, ou simplement ne pas être oubliées.

À titre d'exemple, les règles de contestation auxquelles les victimes d'actes criminels sont soumises devant le Tribunal administratif du Québec. Les contestations des décisions de l'IVAC par les victimes sont un combat qui démontre l'inégalité, l'injustice et les nombreuses difficultés devant lesquelles les victimes doivent continuellement composer dans leurs revendications avec l'administration publique. Rarement les victimes peuvent faire un appel à un soutien juridique, alors que l'IVAC sera fortement représenté par ses juristes et ses professionnels, ce qui démontre un déséquilibre, dès le départ. Une grande partie des victimes abandonnent leur démarche faute de soutien adéquat. Ces inégalités dans les moyens d'être représentés condamnent les victimes à l'abandon de leur procédure et à leurs droits, elles condamnent à l'exclusion de leur propre régime d'indemnisation, comme le constatait la protectrice des citoyens.

Conclusion, en terminant, le projet de loi doit réformer d'abord le regard que l'État pose sur les victimes d'actes criminels et qu'il fasse partie intégrante de sa véritable intention de réformer, qui est son grand objectif. Une réforme en profondeur de l'IVAC ne sera véritablement accomplie seulement que lorsque le Québec reconnaîtra, dans une loi, des droits fondamentaux aux victimes d'actes criminels et à leur famille, lesquels droits les protégeraient sans qu'elles aient à se battre pour être reconnues et soutenues, comme les victimes d'actes criminels le souhaitent depuis longtemps, une vraie réforme de l'IVAC.

Je suis convaincu que le gouvernement tiendra compte du contenu de ma présentation, et laquelle je vous ai présentée en mon nom et au nom des nombreuses victimes. Le Québec est chef de file en matière d'aide aux victimes d'actes criminels, je pense qu'en dotant le Québec d'une charte des droits des victimes, le Québec maintiendra son titre de chef de file. Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) : Merci infiniment, M. le sénateur. Je cède maintenant la parole au ministre. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Bonjour, M. le sénateur, merci de participer à nos travaux. Merci également pour votre engagement pour les victimes depuis toutes ces années, je pense que vous portez bien leurs voix.

M. le sénateur, d'entrée de jeu, lorsque vous dites : Écoutez, il faut avoir une charte des droits des victimes, je ne suis pas en désaccord avec ça. Le fédéral l'a fait au niveau fédéral. Au niveau du Québec, c'est quelque chose qu'on pourrait peut-être explorer, mais, avec la réforme que nous faisons, j'ai entendu beaucoup les critiques par rapport aux contestations, par rapport au Tribunal administratif du Québec, par rapport à la direction de l'indemnisation des victimes d'actes criminels également, puis un des objectifs qu'on a, c'est de rapatrier la compétence au sein du ministère de la Justice, par rapport aux prestataires de services qui vont être en relation avec les bénéficiaires de l'IVAC. Donc, au niveau du service à la clientèle, le ministère de la Justice va désormais avoir la mainmise sur cet élément-là, et on veut améliorer le service en simplifiant les formulaires, en faisant en sorte que, dès le départ, l'offre de soutien psychologique soit offerte aux victimes. Donc, on va un peu dans la direction que vous souhaitez en s'assurant d'avoir un service plus humain, mais surtout en élargissant la notion de victime. Ce que nous faisons dans le projet de loi, c'est qu'il n'y a plus de noyau familial maintenant pour être considéré comme une victime. Donc, la résultante de ça pourrait être beaucoup moins de contestations parce que la loi actuelle, elle était assez hermétique et un peu... elle n'était pas très généreuse en termes d'ouverture au niveau de l'interprétation. Est-ce que ça vous rassure si je vous dis ça?

Le Président (M. Bachand) : Juste peut-être un élément, sénateur Boisvenu, il y a un son. Peut-être, juste fermez votre micro et de le réouvrir lorsque vous prenez la parole pour être sûr qu'on entend bien les... Parfait comme ça. Et puis, là, lorsque vous prenez la parole, tout simplement le réouvrir.

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Oui. Je pense, c'était ma tablette qui faisait interférence. Est-ce que c'est mieux?

Le Président (M. Bachand) : Ah, merveilleux! Vous êtes un vrai technicien informatique. O.K., à vous, sénateur.

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Oui, mais vu que c'était ma tablette qui était près de mon ordinateur... Alors, merci beaucoup pour la question, M. le ministre. D'abord, il faut comprendre que le projet de loi C-84 réforme un programme, il ne réforme pas une loi, et c'est pour ça que le fédéral s'est donné une charte des droits, une Charte des droits des victimes et qu'elle inclut cette charte-là dans une loi, et cette loi elle est supra-constitutionnelle, donc les organismes fédéraux doivent automatiquement adopter tous leurs règles et règlements au contenu de la charte.

Ce qui manque au Québec, dans le fond, c'est que les victimes n'ont pas de loi sur laquelle reposer leurs contestations, elles contestent des décisions administratives. Et le pire, c'est qu'elles contestent ces décisions administratives là devant un tribunal. Donc, c'est comme si les victimes, lorsqu'elles se présentent au Tribunal administratif, sont des gens qui ne sont pas crus dans le système. Donc, c'est sûr que ça rend les... Les victimes me disent, lorsqu'on va au Tribunal administratif, elles ont l'impression de revivre leur procès lorsqu'elles ont dénoncé l'agresseur. Elles doivent se représenter devant le Tribunal administratif pour faire la preuve encore qu'elles sont victimes, alors que si le Québec adoptait des lois fondamentales dans... une loi fondamentale dans laquelle il y aurait des droits reconnus, les victimes auraient une base légale pour revendiquer ces droits-là, alors qu'actuellement elles n'en ont pas.

Donc, je dis : La loi 84 est un pas en avant. Là-dessus, je l'ai dit, d'entrée de jeu, je l'ai souligné, bravo! Le gouvernement est très sensible aux victimes. C'était une promesse électorale, vous réalisez cette promesse-là, très peu de gouvernements ont fait ça dans le passé, je le répète, donc, mais, par contre, pour une vraie réforme, M. le ministre, il faut aller plus loin. Il faut que le regard de l'État sur les victimes d'actes criminels change. Il ne faut pas que les victimes se représentent au Tribunal administratif comme n'étant pas des victimes et qu'elles doivent faire la preuve qu'elles sont victimes, alors que le criminel, c'est à l'État à faire la preuve qu'il est criminel, c'est le monde à l'envers.

M. Jolin-Barrette : Puis, peut-être, si on peut aborder la question des crimes subis à l'extérieur du Québec, pensez-vous que c'est une bonne explication qu'on élargisse la notion? Et puis j'aimerais vous entendre par rapport, vous l'avez abordé un petit peu tout à l'heure, par rapport aux autres provinces canadiennes, par rapport au fait que le Québec, c'est les plus généreux, mais au niveau de la... Dans l'ensemble canadien, là, comment vous voyez ça?

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Oui. Vous savez, actuellement, M. le ministre, je travaille sur un gros projet de loi sur la violence familiale que je devrais déposer au mois de mars, là, au Sénat, et j'ai eu à consulter tous les ministres des provinces anglophones et vous-même dans le cadre de ce projet de loi là, et je travaille actuellement sur une réciprocité entre les provinces, parce que vous savez que si, un exemple, vous habitez Gatineau et vous êtes victimes d'un acte criminel en Ontario, vous allez être aidé de façon exceptionnelle et non de façon générale. Le Québec, l'ouverture que le Québec vient de faire aux victimes québécoises à l'extérieur du Québec est une première au Canada, je tiens à le dire et je tiens à dire bravo. Également, ça va s'appliquer aux victimes à l'extérieur du pays, quoique le ministère des Relations internationales a déjà un programme d'aide aux victimes pour les familles ou les proches qui sont assassinés ou qui sont victimes à l'extérieur du pays. Il y a déjà un programme qui existe, au plan fédéral, mais je pense que les deux peuvent être complémentaires. Mais effectivement, je pense qu'il est temps qu'au Canada, un Canadien, qu'il soit victime dans sa province d'origine ou dans une autre province, ait les mêmes droits et les mêmes services. Et le pas que vous faites, dans ce projet de loi là, M. le ministre, pour moi, je vais le dire, c'est une très bonne avancée que, moi, je vais me servir pour parler aux autres provinces pour qu'elles aient la même approche par rapport à des Ontariens, des Albertains qui viennent au Québec, qui sont victimes d'actes criminels, et qu'ils ne tombent pas entre deux planches.

• (15 h 10) •

M. Jolin-Barrette : Je vous remercie, M. le sénateur. Je vais céder la parole à mes collègues, mais un grand merci pour votre présentation en commission parlementaire.

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Merci encore pour l'invitation.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le ministre. Je cède maintenant la parole à la députée de Bellechasse. Mme la députée, s'il vous plaît.

Mme Lachance : Bonjour, M. le sénateur.

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Mme Lachance, bonjour.

Mme Lachance : Contente de vous avoir en commission aujourd'hui. Ça va bien, oui?

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Oui, vous aussi?

Mme Lachance : Très bien, merci. Écoutez, je suis contente de pouvoir vous questionner puis, évidemment, je suis heureuse de vous entendre parler pour les victimes, et j'ai bien compris que vous trouviez extrêmement important qu'on change davantage notre vision envers les victimes, et vous l'avez exprimé, entre autres choses, en mentionnant l'importance de la Charte canadienne des droits des victimes et même en suggérant qu'une charte québécoise du droit des victimes soit mise en place. Est-ce que vous êtes capable de, peut-être, nous donner des exemples un peu concrets dans lesquels la Charte canadienne des droits des victimes a pu faire une différence?

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Vous savez, la Charte canadienne des droits des victimes comprend quatre droits fondamentaux, le droit à l'information, le droit à la participation, le droit à la protection et le droit à des indemnisations. Je fais référence... Durant la pandémie, vous savez que le gouvernement fédéral a réduit beaucoup, beaucoup ses activités et, entre autres au niveau de la Commission des libérations conditionnelles, au mois de février dernier, on a décidé de mettre fin aux audiences en personne, ceux qui demandaient une libération conditionnelle. Ça a pris huit mois avant que la commission puisse offrir aux familles et aux victimes une audience via vidéoconférence et c'est à cause de la charte qu'on a pressé le ministre, ministre Blair, d'accélérer la mise en place des audioconférences pour les familles de victimes parce que, dans cette charte-là, effectivement, il y a un droit à la participation. Et c'est grâce à la charte qu'on a fait bouger le gouvernement sur cet enjeu-là parce que, pour les familles, de participer aux audiences de la commission, pour plusieurs, c'est fondamental. Donc, c'est la charte qui a fait en sorte que les victimes ont porté plainte de ne pas participer et qui a fait bouger le gouvernement fédéral pour obliger la commission à faire participer les victimes. Et il ne faut pas oublier que cette charte-là vient en évaluation cette année, ça fait déjà cinq ans, et la charte... il y avait dans la charte la possibilité pour les victimes de déposer des plaintes. Au-delà de 5 000 plaintes ont été déposées depuis cinq ans comme non-respect, et c'est à partir de ces plaintes-là qu'on va éventuellement déposer un projet de loi ce printemps pour améliorer la portée de cette charte-là et surtout rendre encore plus contraignant, pour les ministères, de se dérober à l'application de la charte. Donc, c'est ça que donne, une charte. Une charte donne le pouvoir aux victimes de se plaindre que leurs droits ne sont pas respectés, et quand vient le temps d'évaluer cette charte-là, bien, on a de la matière à faire en sorte qu'on peut la faire évoluer, comme la charte des droits et libertés, qui a évolué depuis 1982 avec les décisions de tribunaux, ce qui n'existe pas au Québec actuellement, cette progression des droits des victimes ne peut pas exister, il n'y a pas de fondement légal à ces droits-là.

Mme Lachance : D'accord. Et puis on convient, là, je pense que vous avez, lors de votre discussion avec le ministre... le concept élargi de victime, les victimes hors Québec, ce sont des avancées qui sont très significatives au niveau de la loi. Dans le fond, le volet qui, à votre avis, pourrait être amélioré, c'est le volet relationnel, la relation entre l'État et la victime.

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Deux volets. D'abord le volet... On sait que la notion de rente viagère a fait l'objet, dans les dernières années, les dernières tentatives de réforme... ça a été le point le plus contesté pour réformer le programme, c'est pour ça que les gouvernements n'ont pas fait de réforme. De le réformer aujourd'hui, j'admire le courage du ministre de le faire, mais, une fois qu'on dit : On abolit les rentes viagères, il ne faut pas faire en sorte que les victimes qui étaient bénéficiaires de ces rentes-là ou celles qui le seraient dans l'ancien programme, de dire... soient désavantagées, il ne faut pas que ce soient les victimes qui portent le seul fardeau financier de l'abandon de cette clause-là. Il faut s'assurer qu'il y ait des montants forfaitaires qui viendront compenser pour ça et que, dans le temps, cette rente-là se réduise.

Par rapport aux victimes hors Québec, ce que je dis : Oui, c'est un pas intéressant pour que les autres provinces puissent copier le Québec, mais c'est aussi le regard qu'on porte sur les victimes au Québec qui, à mon avis, n'a pas beaucoup évolué dans les organismes d'aide, particulièrement les organismes d'aide financière où on a encore une approche un peu, je dirais, douteuse face à la victime, face à sa situation. Et moi, je le reviens... Pourquoi on ne fait pas en sorte qu'on croit la victime, et, s'il y a des problèmes de doute, que l'administration se corrige après. On n'a même pas cette approche-là par rapport aux criminels, parce qu'on dit aux criminels : Nous devons faire la preuve que tu es criminel, et si on ne réussit pas à faire la preuve que tu es criminel, tu es innocent. Alors, pour les victimes, face à l'État, elles doivent faire la preuve qu'elles sont victimes. Ça, ce changement de philosophie là, à mon avis, est essentiel pour la réussite de la réforme du ministre.

Mme Lachance : Merci, sénateur. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Il reste 40 secondes, M. le député de Saint-Jean, si vous voulez profiter.

M. Lemieux : Profiter, dites-vous?

Le Président (M. Bachand) : D'un commentaire.

M. Lemieux : Bonjour, M. le sénateur. Oui.

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : M. Lemieux... bonjour, M. le député.

M. Lemieux : Content de vous retrouver aussi. C'est une question d'équilibre, tout ça, hein, quand on regarde le titre de la loi, du projet de loi n° 84, «aider les personnes victimes d'infractions et favoriser leur rétablissement», vous l'avez évoqué tantôt, c'est un réalignement, vous l'appelez politique, mais il y a un équilibre, là, à préserver, et si on veut ouvrir, comme le ministre veut le faire, bien, ce n'est pas qu'il faut fermer ailleurs, mais il y a un équilibre, d'autant plus qu'on rajoute déjà de l'argent. Votre lecture de cet équilibre-là, on est où, là, dans l'équilibre?

Le Président (M. Bachand) : Malheureusement, c'est tout le temps qu'on a.

M. Lemieux : Ah! il va le dire plus tard, il va trouver le moyen de le dire plus tard. Merci beaucoup, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Alors donc, M. le député de LaFontaine, vous avez la parole.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Bien, j'aimerais évidemment demander à monsieur... Bonjour, M. Boisvenu.

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Oui. Bonjour.

M. Tanguay : J'aimerais vous donner l'opportunité, évidemment, par respect élémentaire, de peut-être répondre à mon collègue sur sa question, si le coeur vous en dit.

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : M. Lemieux, c'est un équilibre qui va être, quant à moi, difficile à atteindre, mais souhaité, c'est évident, parce que le problème, c'est la proximité des services aux victimes. Je me souviens, en 2002, quand Julie, ma fille, a été assassinée, les CAVAC n'aidaient pas du tout les familles, elles n'aidaient que les victimes survivantes, ce qui correspondait à l'ancienne loi. Malgré les changements qui n'ont pas été faits avec rapidité, les CAVAC ont adapté leurs services plus rapidement, un exemple, que l'IVAC à cause de cette proximité qu'elles ont avec les victimes. Ce que je crains de cette loi-là, c'est qu'elle ne changera pas la mentalité des fonctionnaires de l'IVAC à cause de leur éloignement physique avec les victimes. On ne peut pas être sensibles aux victimes si on n'a pas un contact humain avec les victimes.

M. Tanguay : Et là-dessus, M. Boisvenu, merci pour votre réponse. Je reprends la balle au bond, «ont su s'adapter», les CAVAC devraient être... et c'est votre recommandation, puis j'aimerais qu'on puisse insister sur cette recommandation-là, que les CAVAC soient la porte d'entrée unique, qui ont cette expertise humaine dans tous les sens de l'expression et qui pourraient aussi participer d'une régionalisation des services également, là, les deux pourraient aller de pair, là.

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Je vous dirais, pour les victimes d'actes criminels, ça serait le plus grand gain. Vous êtes en Abitibi, vous êtes en Gaspésie, vous êtes loin des services gouvernementaux, et souvent les services sont moins complets que dans les grands centres, et de constamment traiter via une ligne téléphonique, et vous battre via une ligne téléphonique pour avoir des services, moi, je pense qu'en 2021, ce n'est plus acceptable. Et je pense que les CAVAC, avec l'expertise qu'elles ont développée au cours des 10, 15 dernières années avec les familles dont un proche a été assassiné, je pense que les CAVAC sont à même, aujourd'hui, d'assumer un rôle beaucoup plus grand, par rapport à leur rôle avec les victimes, pour faire en sorte que les victimes ne frappent qu'à une porte, et, ensuite, sur le plan administratif, que le travail soit fait par les gens du CAVAC.

Moi, j'ai vu cette évolution-là, là, parce que, lorsque Julie a été assassinée, on est venu me voir, les CAVAC, trois ans après. Bien, j'ai dit : C'est un peu tard. Mais ils ont commencé leur réforme à l'intérieur du Québec à ce moment-là, et je regarde les services aujourd'hui, dans beaucoup de régions, c'est 24 heures sur 24, sept jours semaine, les CAVAC sont beaucoup plus près des victimes, et je pense qu'ils devraient être, à mon avis, pour le ministre, l'outil à privilégier pour traiter avec les victimes.

M. Tanguay : Et, avec cette pierre-là, on atteindrait plusieurs coups, donc, le coup... des bons coups, là, la régionalisation, l'aspect humain. Et également on se cassait la tête, en discutant avec les intervenants, sur dire : Bon, bien, les fonctionnaires, les hommes et les femmes qui sont de bonne foi, mais qui sont à Québec, qui ne sont pas... qui doivent être au courant qu'ils font affaire avec des personnes qui ont des besoins très spécifiques, là, je n'appelle pas pour renouveler un permis de conduire, là. Alors, ça prend une approche différenciée pour être au fait de cela malgré toute la bonne foi que vous pouvez avoir. Bien, ça, c'est un grief qui est revenu régulièrement, de dire : On peut-tu avoir le moins d'interlocuteurs possible pour ne pas être obligé de toujours recommencer? On peut-tu avoir également une approche humaine? Plus là on se disait : Bon, pourquoi ne pas légiférer? Soyez polis, soyez gentils, soyez humains, on ne peut pas légiférer ça, mais, avec l'approche des CAVAC, on atteindrait cet objectif-là. Et ça, avant même de dire : Vous allez être indemnisé. Ça, c'est la porte d'entrée, ça participe aussi, puis j'aimerais vous entendre là-dessus, c'est fondamental, ce qu'on dit là, d'un processus aussi de guérison, un processus de reprendre le contrôle de sa vie, tu sais, c'est tout l'aspect humain de la chose, c'est d'abord de l'humain dont on parle.

• (15 h 20) •

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : C'est fondamental, ce que vous dites. Et vous savez, les victimes se présentent deux fois devant un tribunal, lorsqu'elles portent accusions puis elles doivent témoigner, on sait comment c'est difficile pour une victime de témoigner devant un tribunal judiciaire, et la deuxième occasion, c'est se présenter au tribunal administratif. Et ça, je pense, le traiter avec uniquement les CAVAC, et que les CAVAC deviennent aussi pour les victimes une personne-ressource pour préparer leur témoignage au tribunal administratif, ça serait, M. le ministre, l'avancée la plus grande pour les victimes.

Les victimes, lorsqu'elles contestent l'IVAC au tribunal administratif, le plus grand sentiment qu'elles ont, c'est l'abandon par l'État. Et ça, d'améliorer ce service-là, ce n'est pas un service qui va coûter des millions au Québec, je pense que les CAVAC pourraient très bien remplir ce rôle-là, de préparer les victimes qui n'ont plus d'énergie, qui n'ont plus d'efforts à mettre pour défendre leurs droits. Si les CAVAC pouvaient élargir leur mandat à ce niveau-là, ça serait une très grande avancée.

M. Tanguay : J'aimerais vous entendre... Je ne sais pas si les collègues qui n'ont pas la parole peuvent fermer leur micro, on entend des bruits de fond. Alors, j'aimerais, M. Boisvenu, sénateur Boisvenu, vous entendre justement sur une recommandation du réseau des CAVAC, qui nous disait : Créez un poste de protecteur des personnes victimes d'infractions criminelles, tel qu'un ombudsman, avec un pouvoir d'enquête et une force exécutoire. Vous en penseriez quoi, vous, de ça?

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Bien, écoutez, là, l'ombudsman, des victimes de criminels est à Ottawa depuis 2005 et la seule faiblesse que l'ombudsman du fédéral a, c'est qu'il relève du ministre de la Justice plutôt que de relever du Parlement. Je pense que si on a une approche «commission des victimes d'actes criminels», où on va donner les pouvoirs uniques au ministre, où on aura une commission qui aura aussi des pouvoirs d'étudier des contestations, je pense que le poste d'ombudsman ne serait pas nécessairement nécessaire. Le poste d'ombudsman qu'on créerait au Québec, on le créerait à cause des faiblesses des structures, donc, moi, je me dis : Ce n'est pas un fonctionnaire de plus que ça nous prend au Québec, ça nous prend des structures plus efficaces pour venir en aide aux victimes. De remettre un étage là-dessus, moi, je ne pense pas que c'est l'approche. Les structures sont là, adaptons les structures aux victimes, et non d'adapter les structures aux fonctionnaires.

M. Tanguay : Je comprends bien votre point, c'est tout à fait logique, autrement dit, puis c'est votre premier prérequis, là, la création d'une commission d'indemnisation des victimes d'actes criminels où il y aurait justement un représentant ou représentante des victimes sur la commission, et ainsi de suite. Et le bienfait de ce que vous nous proposez, si on en discute, serait que ce serait une analyse systématique pour tout le monde et non pas une aide de dernier recours, de dire : Bien, moi, je veux contester d'abondant puis je m'en vais à l'ombudsman, puis là il y a des délais, puis c'est l'exception qui conteste devant l'ombudsman, qui peut s'en saisir ou ne pas s'en saisir. Il y a là, donc, une complémentarité, des moyens différents, mais vous vous privilégieriez la commission, je comprends très bien votre point. J'aimerais vous entendre, vous en avez parlé, sur la rente viagère.

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Je veux juste faire un commentaire, si vous permettez. Ce que les victimes veulent avoir au Québec, là, c'est un vrai ministre des victimes d'actes criminels. On a souvent l'impression que le ministre est entre deux chaises, l'IVAC qui répond du ministère du Travail et là, on a un ministre aujourd'hui, M. Jolin-Barrette, qui a pris ce dossier-là, je veux dire, à bras le corps, et c'est ce que les victimes souhaitent maintenant, c'est que le ministre la porte plus loin, cette... Et les victimes veulent se reconnaître dans une institution qui leur ressemble, c'est ça que les victimes veulent, ils veulent une institution qui va les croire lorsqu'elles vont dire : Je n'ai pas été bien traité, mes droits n'ont pas été... C'est ça que les victimes veulent.

M. Tanguay : Bien, merci beaucoup. La rente viagère, vous avez vu les échos, les inquiétudes qui ont été soulevées par l'abandon de la clause de rente viagère. Vous, si je veux bien vous comprendre, vous dites, donc, votre principal, c'est de dire, je pense, puis corrigez-moi si j'ai tort parce que des fois, en un paragraphe, on interprète, là, vous dites «clause de rente viagère», vous n'êtes pas nécessairement pour, mais vous dites : Si vous allez là, assurez-vous que les montants forfaitaires tiennent compte du futur. C'est ce que vous nous dites.

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : L'exemple le plus frappant, c'est lorsque, dans une famille, une personne est assassinée, si elle est mineure, je pense que l'aide financière est autour de 12 000 $, mais, si elle est majeure, il n'y a aucun montant forfaitaire, alors qu'en Ontario, dans les cas de meurtre, c'est 50 000 $. Moi, j'ai eu deux filles qui sont décédées, une sur la route, elle a reçu... la famille a reçu 50 000 $, et une qui a été assassinée, où l'État avait une responsabilité sur le criminel, puis on a reçu 600 $. Aujourd'hui, c'est 5 000 quelques dollars pour enterrer notre proche, peut-être 6 000 $, mais, ce que je dis, si on délaisse la formule des rentes viagères, et là-dessus je n'ai pas de difficulté, assurons-nous, par contre, s'il y a des montants forfaitaires qui viennent les remplacer, qu'une personne qui veut, deux, trois ans après, reprendre sa vie professionnelle, qu'il y ait du support au niveau de la mise à jour de ses connaissances, un support au niveau d'une formation professionnelle, qu'elles aient des outils pour revenir sur le marché du travail, parce que je pense que toutes les victimes, toutes les victimes ne veulent pas rester victimes toute leur vie, elles veulent reprendre une activité de citoyen, citoyenne impliqué. Mais, si, après deux, trois ans, il n'y a pas d'outil qui va supporter ces victimes-là pour reprendre une vie normale, bien, je pense qu'on va appauvrir leur situation professionnelle et leur situation économique.

M. Tanguay : Lorsque vous parlez d'harmoniser les régimes d'indemnisation québécois, pouvez-vous... détrompez-moi, là, les différents régimes d'indemnisation, justement, vous n'y faites pas référence parce que certains nous invitent à faire des parallèles, des liens avec les tables d'indemnisation, l'approche, le corpus législatif par rapport à la Société de l'assurance automobile du Québec, la SAAQ, par rapport à la CNESST, est-ce que c'est ces régimes-là que vous aimeriez qu'il y ait une harmonisation?

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Je pense que tout le monde qui est victime au Québec, que ce soit de la route, accident de travail, victime d'acte criminel, il ne veut pas subir de la discrimination, ce que les victimes d'actes criminels ont subi pendant des années de temps. Je viens de le dire, moi, j'ai eu affaire à deux régimes, régime d'assurance automobile, quand Isabelle est morte sur les routes, et le régime de l'IVAC, et j'ai eu... c'est comme si j'étais dans deux gouvernements totalement différents. Face à la SAAQ, je n'ai pas eu à faire la preuve de rien. Et la grande contradiction, c'est que quelqu'un qui est en boisson puis qui a un accident de la route, puis c'est le principe du «no fault», il va être aidé sans contestation, alors que la victime des criminels, qui n'a pas choisi son état, elle devrait faire la preuve qu'elle est victime. C'est un peu incompréhensible. Donc, quand je parle d'harmonisation, j'essaie... je dis : Essayons d'avoir une vision uniforme lorsqu'on traite avec un citoyen qui a un accident de la route, un accident de travail, ou une victime d'acte criminel, ayons une approche philosophique qui est la même.

M. Tanguay : M. Boisvenu, merci beaucoup. Avant de vous quitter, une question rapide. Donc, la charte québécoise des droits des victimes serait quasi constitutionnelle, donc serait plus forte que les lois, elle pourrait venir aider l'interprétation des lois. Et une demande, à la fin : S'il vous plaît, si vous aviez de la documentation supplémentaire quant à la Charte fédérale des droits des victimes, sa rédaction, et tout ça, s'il vous plaît, je vous en fais la demande, prière de l'envoyer au secrétaire de la commission, ce serait très apprécié pour nos travaux, puis je vous remercie beaucoup.

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Comme c'est moi qui a écrit la Charte canadienne des droits des victimes, je peux proposer au ministre de l'assister, si jamais, un jour, il veut faire une telle charte, mais ce que je veux dire, c'est que la charte québécoise des droits des victimes, c'est comme la charte des droits et libertés au Québec, la charte des droits et libertés québécoise, les ministères sont obligés de respecter, dans leur quotidien, cette charte-là, bon, ça serait la même chose avec une charte des droits des victimes.

M. Tanguay : Merci beaucoup.

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Mais on va vous envoyer l'information.

M. Tanguay : Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Sherbrooke, s'il vous plaît.

Mme Labrie : Merci beaucoup. Merci, M. Boisvenu, pour votre présentation.

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Merci, Mme la députée.

Mme Labrie : J'apprécie beaucoup votre suggestion par rapport à la commission d'indemnisation. Il y a plusieurs personnes qui nous ont témoigné du problème du tribunal, de l'épreuve que ça présentait pour les victimes, mais votre solution est assez intéressante, je dois dire, ça mérite d'être exploré.

Je voudrais vous entendre davantage sur la question de la porte d'entrée unique. Vous proposez les CAVAC, je comprends tout à fait pourquoi vous soutenez qu'ils ont une approche plus humaine parce qu'ils rencontrent en personne les victimes, donc ils sont plus à même de s'adapter. Par contre, il y a quand même d'autres types d'organismes, aussi, qui accompagnent les victimes et qui le font de près, je pense aux CALACS, par exemple. Quand vous dites que ça prendrait une porte d'entrée unique et que ça devrait être les CAVAC, est-ce que vous voulez... est-ce que vous englobez, là-dedans, les autres types d'organismes qui sont sur le terrain ou vous pensez que ça devrait vraiment être une seule porte unique?

• (15 h 30) •

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Écoutez, si j'étais ministre, mais je ne le suis pas, mais j'ai quand même 30 ans d'expérience dans l'administration québécoise comme haut fonctionnaire, je ferais une réflexion de rationalisation des organismes d'aide aux victimes. Moi, je pense que tous les organismes d'aide aux victimes qui traitent d'éléments judiciaires, les CALACS en sont, les CAVAC en sont, moi, je ferais un exercice de réflexion, à savoir est-ce qu'il n'y a pas lieu de rationaliser, d'intégrer des structures pour s'assurer que les victimes puissent être à la même porte, mais à l'intérieur de cette porte-là, on a des spécificités, comme au ministère de l'Environnement, comme dans d'autres ministères. Le ministère de l'Environnement, vous avez l'agriculture, vous avez le municipal, vous avez l'industriel, mais il y a une porte unique. Est-ce qu'on ne pourrait pas y avoir une approche similaire au Québec au niveau des victimes d'actes criminels? Il y a un centre de victimes d'actes criminels à l'intérieur desquels il y a des gens qui s'occupent d'agression sexuelle, d'autres qui s'occupent des gens qui ont commis... des victimes qui ont été victimes de meurtre. Ça ferait en sorte qu'on aurait une approche intégrée par rapport aux victimes d'actes criminels. Parce que, souvent, une victime d'actes criminels, d'agression sexuelle va faire affaire avec la CAVAC et le CALACS. Donc, souvent, il y a une confusion au niveau des gens. Moi, quand que les gens m'appellent, puis je dis : Je vais vous référer au CALACS, bien, là, ils disent : C'est quoi, le CALACS? Pourquoi vous ne me référez pas au CAVAC? Donc, il y aurait peut-être une forme... une réflexion à faire à ce niveau-là, pour avoir une meilleure intégration.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée, il reste du temps.

Mme Labrie : Oui. Vous allez tout à fait dans le sens des recommandations du rapport qui a été déposé en décembre au niveau de l'intégration de ces services-là, de s'assurer que, dans chacune de ces portes d'entrée là, il y ait un éventail de services qui répondent aux différents besoins des victimes. Ça clarifie quand même votre position. Donc, j'entends que l'idée, pour vous, ce n'est pas nécessairement que les victimes ne puissent que passer par les CAVAC pour avoir accès à l'IVAC, mais que ça puisse se faire aussi par d'autres organismes, mais qu'il y ait une meilleure concertation, une meilleure intégration.

M. Boisvenu (Pierre-Hugues) : Écoutez, on dépense... on a dépassé le 100 millions par année qu'on investit au niveau des victimes d'actes criminels au Québec. Moi, je pense qu'il est temps de voir comment ces argents-là sont dépensés et si on ne peut pas tirer une meilleure efficacité des structures qui traitent avec les victimes.

Mme Labrie : Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) : Sur ce, sénateur Boisvenu, merci beaucoup d'avoir été avec nous cet après-midi. Grand plaisir de vous retrouver, d'ailleurs.

Et, sur ce, la commission suspend ses travaux quelques instants. Merci.

(Suspension de la séance à 15 h 32)

(Reprise à 15 h 38)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux.

Avant d'aller plus loin, je comprends qu'il y a un consentement entre les groupes parlementaires afin d'annoncer un remplacement au cours de la séance afin que Mme Weil (Notre-Dame-de-Grâce) soit remplacée par Mme St-Pierre (Acadie). Consentement? Merci infiniment.

Donc, il nous fait plaisir d'accueillir les représentantes de la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle, dont l'une d'elles est une survivante de l'exploitation sexuelle. Afin de protéger son identité, elle sera entendue en audio seulement et sous le pseudonyme de Lau Ga. La vidéo du témoin qui l'accompagne, Mme Martine B. Côté, sera activée comme à l'habitude.

Donc, mesdames, merci infiniment d'être avec nous. Et je vous cède la parole pour 10 minutes, et, après ça, on aura un échange avec les membres de la commission. La parole est à vous. Merci.

Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle (CLES)

Mme Côté (Martine B.) : Bien le bonjour. Merci de nous avoir invitées.

On salue évidemment l'abolition de la liste des crimes indemnisables, et ce que nous espérons être une admission entière et sans discrimination des personnes exploitées sexuellement au bénéfice de la loi. Elles le méritent, ces femmes, elles en ont besoin, car les conséquences de l'exploitation sexuelle sont nombreuses, complexes et nuisent, voire empêchent le retour à un emploi ou aux études. Les femmes exploitées sexuellement souffrent de troubles de stress post-traumatique, d'anxiété, de fibromyalgie, de dépression, et j'en passe, sans parler de leur précarité financière.

J'aimerais vous sensibiliser à quatre enjeux qui touchent les femmes qui reçoivent des services chez nous. Premièrement, la rétroactivité, question de corriger une injustice. En 2005, le crime de traite a été ajouté au Code criminel. En lien avec cet ajout au code, les provinces ont ajusté leur liste de crimes indemnisables par leur propre régime de type IVAC. Seul le Québec ne l'a pas fait. Dans le même ordre d'idées, en 2014, le proxénétisme est passé de crime contre les moeurs à crime contre la personne dans le Code criminel. Encore une fois, le Québec aurait dû harmoniser son régime d'indemnisation pour inclure ce nouveau crime, mais ne l'a pas fait. Cette fameuse liste de crimes non harmonisée avec le Code criminel a laissé beaucoup, beaucoup de femmes victimes d'exploitation sans ce droit à la réparation dont le Québec a choisi de se doter. Vous pouvez, MM. et Mmes les députés, corriger cette erreur du passé. Avec la pandémie, l'exploitation sexuelle a monté en flèche. Quand ces femmes seront en mesure de demander de l'aide, disons, l'an prochain, allez-vous vraiment leur dire que l'exploitation sexuelle n'était pas un crime indemnisable en 2020?

• (15 h 40) •

Parlons maintenant délai. La CLES salue l'abolition de la prescription dans le cas des violences sexuelles, conjugales et commises pendant l'enfance. Toutefois, il est impératif d'inclure à cette imprescriptibilité les crimes liés à l'exploitation sexuelle, et ce, pour les mêmes raisons. La Cour suprême a reconnu que le préjudice est souvent latent, d'où le principe de la présomption de conscience élaborée en 1992, soit que le délai de prescription commence à courir au moment où la victime prend conscience du lien de causalité entre le préjudice subi et la faute commise par l'agresseur. Ce phénomène-là, il est tout aussi applicable et documenté chez les personnes victimes d'exploitation sexuelle. Pour les femmes exploitées, la prise de conscience du lien entre le crime subi et les séquelles se fait souvent plusieurs années après la fin de l'exploitation sexuelle. Donc, en ce sens, on vous recommande d'inscrire à l'article 20 qu'une demande de qualification puisse être présentée en tout temps, lorsque celle-ci est en lien avec l'exploitation sexuelle.

Mon troisième point, la faute lourde. Depuis 2017, le principe de faute lourde ne s'applique pas dans le contexte d'une agression sexuelle, mais cette précision est trop importante pour ne faire l'objet que d'une simple directive administrative et doit être inscrite dans la loi. De même, on vous demande de considérer une indication selon laquelle le contexte de prostitution ne peut pas être considéré comme une faute lourde. En 2014, dans l'affaire N.C. c. Procureur général, on a refusé l'IVAC à une femme en situation de prostitution qui a subi une agression qui l'a privé d'un oeil en invoquant la faute lourde. Cela ne doit plus jamais se reproduire. La CLES recommande l'inscription dans la loi, à l'article 16, d'une disposition d'exception à la faute lourde pour les agressions sexuelles ainsi que les crimes subis dans un contexte de prostitution, de traite et de proxénétisme.

Je vous parle enfin d'indemnisation. En ce moment, la majorité des 161 femmes qui ont un suivi chez nous ne vivent que d'aide sociale, et, parfois, après avoir engrangé beaucoup d'argent, de l'argent dont elles n'ont pas vu la couleur. Si vous allez de l'avant avec votre intention de couper l'indemnité aux personnes sans revenu incapables de vaquer à leurs occupations, ces femmes n'auront aucune aide financière. Se rétablir des séquelles d'exploitation et pouvoir réintégrer le marché de l'emploi ou des études, ça prend du temps pour ces femmes aux prises avec des problèmes de santé importants et une vie à reconsolider. On vous demande donc de revenir à une forme d'indemnité pour incapacité, même pour les personnes dites sans revenu.

Je termine ainsi, avant de passer la parole à ma collègue : on sent que votre gouvernement, M. le ministre, est sensible à la question de la prévention à l'exploitation sexuelle. On l'a vu avec votre Commission spéciale sur l'exploitation, vous êtes soucieux, soucieuses du «avant» de la prévention, mais il faut que la sortie de l'exploitation et le «après» soient pris en compte, et l'IVAC peut faire une grande différence dans le rétablissement pour les personnes victimes d'exploitation sexuelle. Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme Lau Ga.

Mme Ga (Lau) : Oui. Bonjour. J'ai choisi de porter plainte. Donc, vu les procédures judiciaires qui suivent leur cours, mon anxiété et ma peur de représailles de la part de mon agresseur, je préfère taire mon identité.

Quand tu es dans un poste de police et qu'on te parle de l'IVAC, ma première réaction fût : C'est quoi ça, pourquoi moi? Encore dans les premiers instants de cette tragédie qui venait d'être dévoilée, on me martèle d'informations importantes alors que je ne comprends même pas comment je me suis rendue là.

J'ai choisi de porter plainte contre mon agresseur, mon proxénète, mais aussi l'homme dont je suis éperdument amoureuse, parce que, oui, de l'amour pour notre pimp, on en ressent toujours. On m'a alors parlé de l'IVAC qui me faciliterait la vie et qui m'aiderait à reprendre ma vie en main après l'acte criminel. À ce moment-là, ça n'avait pas grand sens dans ma tête, en fait, rien n'en faisait.

Alors, l'IVAC va attendre que je sois capable de comprendre ce qui m'arrive, cependant tu te rends compte que l'IVAC n'attend pas. J'obtiens donc un rendez-vous dans un CALACS pour que l'intervenante puisse m'aider à remplir les formulaires de l'IVAC. Je me rends de reculons rencontrer une nouvelle personne et lui conter mon histoire que je n'ai pas envie de raconter encore et encore. Je ne réalise aucunement, à ce moment-là, que mon histoire, elle ne m'appartenait plus et que je n'avais pas terminé de la raconter.

Avec l'arrivée de la pandémie, j'ai dû terminer de remplir les papiers seule. Dans le formulaire, je dois expliquer les conséquences de ce que je viens de vivre, mais les conséquences, je ne les connais pas. Je découvre encore, chaque semaine, de nouvelles conséquences au fait d'avoir subi de l'exploitation sexuelle et de souffrir d'un trouble de stress post-traumatique. Seule et perdue, je termine et j'envoie les formulaires de l'IVAC. En attendant, je fais une demande d'aide sociale, parce que des revenus, j'en ai besoin maintenant.

Je relance l'IVAC au mois de mai 2020 puisque je n'ai toujours pas de leurs nouvelles. Je parle avec un monsieur qui me traite comme un numéro et qui m'expédie le plus rapidement possible mon numéro de dossier de l'IVAC, le nom de mon agente et m'indique que je vais recevoir une lettre explicative. Ils m'ont préapprouvé deux heures d'évaluation chez la psychothérapeute ainsi que 10 séances, le temps qu'ils traitent ma demande. Tu dois trouver une psychothérapeute qui fait affaire avec l'IVAC, qui est à l'aise avec l'exploitation sexuelle, car, à ce moment-là, je ne sais pas encore que l'IVAC ne reconnaît pas l'exploitation sexuelle comme un acte criminel, je l'apprendrai seulement en juillet 2020.

Je demande à l'IVAC s'ils ont une liste de psychothérapeutes à me fournir; bien non, ils n'en ont pas. Donc, ils vont t'approuver ton aide, mais le reste, tu dois te débrouiller seule. «Seule», quel mot si simple, mais si lourd de sens en même temps. Parce qu'en ce moment, même si j'essaie de tout faire ce qu'on me demande, je n'y arrive pas. J'ai beau essayer de m'accrocher, mais, à travers la tragédie, je me sens seule, délaissée et jugée. Pourtant, on me répète souvent que je suis une femme forte. Mais l'IVAC n'est pas mon seul combat. Si je vous énumérais tous les combats qu'on a lorsqu'on vient de porter plainte... Wow! tout ça pour une même personne. Mais l'IVAC est la démarche de trop, les papiers de trop, les lettres de trop. Aucune compassion quand tu leur parles. Pour eux, tu es seulement un numéro. Quelle aide t'offre-t-il? Celle de te pousser au bout du rouleau afin que tu ne complètes pas toutes les démarches et tous les papiers qu'ils te demandent. Donc, si tu en échappes une, eh bien, là, il est trop tard, les délais sont passés.

Pour moi, l'IVAC ce sont des personnes sans coeur au bout du téléphone pour qui tu es juste une autre pauvre victime. Des phrases telles que : Oui, mais, madame, vous étiez prostituée avant. Oui, mais, madame, vous ne travailliez pas avant. Madame, qu'est-ce que la traite humaine? Si ces phrases vous surprennent, sachez que moi, ces phrases-là me sont familières. Je leur envoie des papiers qu'ils perdent et me redemandent encore et encore. À chaque fois que je dois ressortir pour leur envoyer à nouveau le papier par fax ou par la poste, après, ma journée est foutue. Sortir pour une lettre me demande toute mon énergie d'une journée. J'essaie de leur expliquer, mais, si je ne leur renvoie pas, c'est moi qui suis pénalisée. Faire affaire avec l'IVAC, c'est très difficile, et ils t'apportent le strict minimum de soutien. Si tu veux quelque chose, bats-toi. Mais avec quelle énergie voulez-vous que je me batte? Pourquoi se battre pour faire valoir un droit qui m'est dû? Pourquoi? «Non» est leur réponse d'emblée.

Je suis retournée à l'école à distance en octobre 2020, à raison de 20 heures par semaine au début et ensuite 16, parce que c'est trop difficile. Mais, dans la vie, on m'a enseigné : Ce n'est pas parce que c'est difficile qu'on abandonne. Le chemin facile, je l'ai choisi souvent, mais ce n'est que rarement le bon. Pour l'IVAC, si je vais à l'école, c'est parce que je vais bien, mais non, avoir une routine, une motivation, de savoir que, quand je vais être capable, je vais avoir un diplôme et travailler dans un emploi que j'aime, ce sont des démarches pour aller mieux, éventuellement.

On est rendu en janvier 2021, donc plus de huit mois plus tard, et je n'ai jamais reçu le remplacement de revenu pour les mois que j'étais incapable de vaquer à mes occupations. J'ai encore des dépenses qui sont en traitement. Deux mois d'entreposage qui ont été refusés puisque cela ne constitue pas une dépense supplémentaire. Une case postale refusée puisque ce n'est pas justifié avec ce que j'ai vécu. Déplacements pour rendez-vous en lien avec ma trousse médico-légale, refusés, ce n'est pas en lien direct avec les actes criminels. J'ai été victime, entre autres, d'agression sexuelle.

L'IVAC m'a remboursé les frais reliés à mes déménagements, mes lunettes brisées et un système d'alarme, que mon médecin et ma psychothérapeute avaient recommandé. Chaque demande fut une bataille. L'IVAC m'a autorisé 10 séances de massothérapie et il rembourse 47,50 $ par séance. Pouvez-vous me dire quel massothérapeute charge 47,50 $ par séance?

J'ai de la difficulté à payer mes factures, mon épicerie. Je coupe dans mes dépenses pour pouvoir arriver financièrement, je demande même de l'aide à des organismes pour y arriver. Je me bats contre les symptômes et les conséquences du trouble de stress post-traumatique contre mon agresseur devant le tribunal, je me bats contre l'IVAC, et, à travers tout cela, je dois recommencer à vivre, et à prendre soin de moi, et à mettre de côté ma tragédie. Ce n'est pas normal d'avoir à se battre avec l'IVAC, mais je me bats parce que je suis une battante. Je me bats pour celles qui n'ont pas la force de se battre parce que les crimes contre la personne doivent être reconnus. N'était-ce pas là la promesse électorale de votre parti, M. le ministre? J'ai été victime d'exploitation sexuelle en 2020. Allez-vous me dire que la loi n'est pas rétroactive et que le crime subi n'est pas indemnisable, l'an passé? Ce n'est pas trop demander. Pour moi et pour toutes les autres victimes, je vous en prie, aidez-nous.

• (15 h 50) •

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup pour votre exposé. On va débuter la période d'échanges. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui. Mme Côté, Mme Lau Ga, merci pour votre participation à la commission parlementaire. Merci également pour votre témoignage, Mme Lau Ga, je pense que c'est un témoignage courageux de venir dire en commission parlementaire ce que vous avez vécu puis de témoigner sur les démarches que vous avez eu à faire avec l'IVAC et les difficultés que vous avez eues avec l'IVAC. Et c'est principalement pour ça qu'on a déposé le projet de loi n° 84, pour réformer l'IVAC, notamment, au niveau... au service à la clientèle. Désormais, on va ramener ça sous la responsabilité du ministère de la Justice pour s'assurer que, le genre de situation que vous décrivez, ça n'arrive plus et qu'on s'assure que les gens puissent avoir de l'aide d'urgence dès le départ, puissent avoir des séances de psychothérapie dès le départ, puissent être soutenus adéquatement, également, pour faire face aux conséquences des crimes, des infractions criminelles que vous avez subies. Alors, c'est notre objectif.

Je l'ai dit dès le départ, le projet de loi, il n'est pas parfait. On tente, le plus possible, de répondre aux demandes des victimes d'actes criminels depuis les 30 dernières années, notamment au niveau de l'élargissement de la liste des crimes. Tout à l'heure, Mme Côté nous disait : En 2005, lorsque le crime de traite est survenu, a été inscrit dans le Code criminel, ça n'a pas été ajusté par les gouvernements précédents au Québec. En 2014, même chose, également. Alors, c'est sûr que je ne peux pas refaire le passé, mais, par contre, une chose qu'on peut faire en adoptant le projet de loi, c'est de faire en sorte que les crimes qui n'étaient pas couverts... on parle d'une quarantaine de crimes, qui, désormais, le seront, dont celui d'exploitation sexuelle. Alors, dans une réforme comme celle-ci, on tente le plus possible d'offrir du soutien, d'offrir un élargissement, également, au niveau des personnes victimes pour faire en sorte que, justement, on puisse multiplier... et je suis conscient des critiques qu'il y a eu au cours des dernières années, en fait, au cours des 30 dernières années, pour l'ensemble des individus qui ont subi des infractions criminelles.

Je voudrais peut-être vous demander : À l'IVAC, directement, lorsque vous faites affaire avec les gens à l'IVAC, vous considérez qu'ils n'ont pas eu une approche humaine avec vous?

Mme Ga (Lau) : Non. En fait, l'IVAC, ce n'est pas très humain. Quand on vient de vivre une telle tragédie, on a de la misère à se lever le matin, à manger, à se brosser les dents, à vivre. En fait, on n'a plus le goût de vivre. Et là, moi, on m'a relocalisée pour ma protection, donc tu vis cachée. Tu dois te trouver un nouvel appartement, tu as besoin de revenus, tu as tellement de choses à faire. Puis, quand j'ai appelé à l'IVAC, je me suis sentie comme un numéro, comme un numéro de plus sur leur bureau, comme une charge de plus. Moi, me faire poser une question par une agente de l'IVAC sur qu'est-ce que la traite humaine, en 2020, je trouve ça anormal. Ce n'est pas à moi d'éduquer l'IVAC, mais à l'IVAC d'être éduqué pour nous aider.

M. Jolin-Barrette : Donc, je pense que votre témoignage rejoint ce que beaucoup de victimes nous ont dit, justement, d'avoir davantage de formation, d'avoir un meilleur service, aussi, d'accompagnement auprès des victimes. Et on va simplifier, également, les formulaires, l'aide, aussi, qui va être apportée.

Sachez qu'on prend le tout en grande considération. Puis, un de nos objectifs, c'est justement de faire en sorte que les victimes n'aient plus à, comment je pourrais dire, se débattre pour obtenir l'aide requise, notamment en matière d'exploitation sexuelle, notamment, aussi, au niveau du délai de prescription en matière d'agression sexuelle, pour faire en sorte que les personnes victimes de ce genre de crimes là, lorsqu'elles seront déterminées à demander de l'aide, à faire leur demande, bien, elles pourront le faire également.

Alors, je vous remercie grandement pour votre témoignage. Je pense que j'ai des collègues qui veulent vous poser des questions, donc je vais leur céder la parole. Un grand merci, Mme Lau Ga, pour votre témoignage en commission parlementaire.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le ministre. Mme la députée de Les Plaines, s'il vous plaît.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci, M. le ministre. Merci beaucoup, M. le Président. En fait, d'entrée de jeu, Mme Côté, Mme Lau Ga, je veux vous remercier d'être à cette commission aujourd'hui.

Votre témoignage, Mme Lau Ga, est tout à fait courageux et démontre effectivement le grand bout de chemin qu'il reste encore à faire malgré le dépôt de ce projet de loi là. Il y a des avancées sur le projet de loi, mais le côté humain, vous l'avez très bien mentionné, Mme Lau Ga, je pense que c'est une des raisons pour laquelle il fallait travailler sur ce projet de loi là. Parce que, non seulement en abolissant la liste, donc en ouvrant la porte à ce type de crimes là, l'exploitation sexuelle des mineurs et l'exploitation sexuelle... la traite des personnes aussi, ça fait en sorte qu'il faut davantage se pencher sur cette réalité, c'est-à-dire le rétablissement. C'est pour ça que je louange votre témoignage, Mme Lau Ga, parce qu'on voit que vous voulez vous sortir de cette torpeur-là. Peut-être que vous ne le savez pas, mais j'ai également fait partie de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs. Et effectivement on voit que c'est important, le rétablissement, mais il faut qu'il se fasse de façon structurée et évidemment humaine. Alors, bravo pour votre témoignage, vos éclairages.

J'aimerais vous entendre sur le fait... parce qu'on a eu beaucoup... Au cours de ces auditions-ci, là, depuis deux jours, on entend beaucoup parler aussi de l'importance... je vais appeler ça un guichet unique parce que je fais référence à ce qu'on a entendu dans la commission spéciale, bien, l'importance d'avoir un guichet unique, donc un continuum de services, un endroit où on doit... on peut se référer. Vous disiez, l'IVAC, vous n'aviez jamais entendu parler de ça avant il y a quelques mois. Donc, j'aimerais vous entendre là-dessus, sur l'importance que ça revêt d'avoir un guichet unique.

Mme Ga (Lau) : Ça serait sûrement plus facile, parce que tu dois chercher de l'aide. L'IVAC a beau t'approuver ton aide qu'il faut que tu la trouves, puis, quand tu ne sais pas où la trouver, ça ne sert à rien. Comme, moi, ma psychothérapeute, un coup que l'IVAC m'ont dit : Bien non, on n'a pas de liste, comment je trouve une psychothérapeute? Ça fait qu'avec un guichet, ou une liste, ou une banque qui pourrait t'aider autant au niveau de la psychothérapie que... Là, moi, ils me suggèrent de la massothérapie, quand tu ne sais pas où chercher puis que tu es toute seule... C'est sûr que moi, avec l'arrivée de la pandémie, je me suis ramassée très isolée avec les formulaires, très seule lors de la première vague. Ça a été l'enfer, tu n'as même plus envie, tu as envie d'abandonner mais tu as besoin d'aide, tu es pogné... on est prise dans un dilemme assez incroyable, qu'on n'a pas besoin de rajouter en plus. C'est les démarches, en plus, qu'on n'a pas besoin de rajouter.

Mme Côté (Martine B.) : Oui, puis, si je peux compléter la réponse de ma collègue : guichet unique, très bonne idée. M. le ministre, vous parlez de formation, tout le monde vous en a parlé, mais je voudrais juste vous donner une petite précision. Chez nous, malheureusement, il y a une blague un peu cynique, c'est qu'il vaut mieux être victime de traite en Ontario qu'au Québec. Parce que, quand on fait affaire avec, notamment, des services en Ontario, les gens ont été formés selon une approche qui s'appelle «trauma-informed», donc une approche sensible aux traumatismes. Et puis on voit vraiment toute la différence chez les agents, chez le degré de compassion, chez... dans l'évitement de certaines questions retraumatisantes, dans la formulation. Donc, peut-être que d'autres personnes vous en ont parlé, mais il y a des bonnes pratiques ailleurs, il faut peut-être s'en inspirer. La Nouvelle-Zélande est, entre autres, précurseur dans ce domaine-là aussi, l'Ontario, et la Santé publique du Canada a mis en ligne un guide de bonnes pratiques «trauma-informed». Donc, peut-être que, dans la loi, on pourrait ajouter que les personnes désignées, qui doivent prendre ou réviser des décisions, soient formées de telle façon, parce que, de toute façon, une grande partie de la clientèle de l'IVAC — clientèle n'est pas tellement le bon mot, là — est aux prises avec des blessures de type traumatique.

Mme Lecours (Les Plaines) : Vous avez devancé, Mme Côté, ma question, ma prochaine question, qui était justement la formation, aussi, des agents de l'IVAC, comme on va entrer des nouveaux types de victimes. Donc, ce serait plus qu'opportun, ce serait essentiel.

J'aimerais aussi vous amener sur le terrain de la faute lourde. Expliquez-moi, et c'est Mme Lau Ga, probablement, qui va répondre à cette question-là, qu'est-ce que ça implique. Parce que, quand on est victime d'exploitation, vous l'avez dit d'entrée de jeu, vous êtes encore ou vous étiez encore en amour avec votre proxénète. Donc, expliquez-moi l'importance que ça revêt.

Mme Ga (Lau) : Excusez-moi, mais j'ai mal compris votre question, là. Moi, la faute lourde, je n'en ai jamais entendu parler dans mes démarches avec l'IVAC.

Mme Lecours (Les Plaines) : Mme Côté.

• (16 heures) •

Mme Côté (Martine B.) : Oui. C'est ça, je peux peut-être prendre la relève de ma collègue, parce qu'effectivement ça n'a pas été soulevé dans le cas de Lau Ga, et bien heureusement, parce que la faute lourde, là, ça relève d'une méconnaissance des conditions d'entrée et de maintien dans la prostitution et de la difficulté d'en sortir parce que, notamment, souvent les femmes en situation d'exploitation sexuelle vont être en contact avec des groupes dits criminalisés, des gangs de rue, des personnes qui commettent des infractions criminelles. Alors, leur refuser une indemnisation en vertu de l'IVAC pour avoir participé, souvent sous la menace d'ailleurs, à des infractions criminelles, ça serait vraiment à essayer d'abolir. Puis, comme je le disais, l'affaire... la dernière décision du TAQ en la matière, quand vous pensez à cette femme dans un parc à 1 heure du matin, parce qu'on parle d'une prostitution de rue dans son cas, agression, voie de fait, elle perd un oeil, IVAC lui refuse lui disant : Vous étiez... vous n'êtes pas une victime innocente, vous n'aviez pas d'affaire à solliciter des clients dans un parc. Que le juge administratif reconduise la décision, c'est scandaleux. Ça ne doit plus jamais arriver parce que ça relève, de toute façon, de la même logique que les agressions sexuelles. Si vous pensez que c'est se mettre en faute lourde que d'être en situation de prostitution, c'est vraiment mal connaître toute la situation de l'exploitation sexuelle.

Mme Ga (Lau) : Si je peux renchérir.

Mme Lecours (Les Plaines) : Oui.

Mme Ga (Lau) : Vous ajoutez l'exploitation sexuelle à l'IVAC, mais, en tant que victime d'exploitation sexuelle, on ne s'enfuit jamais juste de notre proxénète, on s'enfuit du réseau auquel il est lié. Donc, les enjeux de sécurité sont d'autant plus importants, et l'anxiété de sortir... tu as peur de le croiser lui, mais de croiser son réseau aussi parce qu'il n'est pas la seule personne à te chercher quand tu t'enfuis pour les dénoncer.

Mme Lecours (Les Plaines) : Oui, effectivement. Et parlez-moi aussi un peu de la façon dont vous avez décidé de prendre le téléphone puis dire : Je veux m'en sortir. J'aimerais ça juste que vous m'expliquiez le cheminement pour qu'on puisse bien comprendre que tout le réseau d'aide doit se consolider et se parler. Quelles ont été les premières démarches que vous avez faites pour vous en sortir?

Mme Ga (Lau) : En fait, je ne peux pas vous parler des faits puisque je suis en procédure judiciaire, mais ce que je peux vous dire, c'est que, quand j'étais là-dedans, je n'avais aucune idée qu'il existait des organismes pour m'aider. Je travaillais particulièrement dans des hôtels. Et, quand j'ai commencé à vouloir m'en sortir, j'ai composé le 9-1-1, puis j'ai feint être en danger. Et les policiers sont arrivés de... ils pensaient que j'étais en danger, donc trop sauvagement. J'ai eu peur, je n'ai pas parlé. Et, par la suite, je me suis rendue chez des proches à moi pour leur dire... en fait, la première phrase a été : Je suis escorte et je vais mourir.

Et c'est là qu'on m'a... que mes proches m'ont prise en charge, et qu'ils m'ont aidée, et que j'ai cheminé jusque dans un poste de police. Et j'insiste sur le mot «cheminer», parce que tu n'as pas envie d'aller dans un poste de police. Ce qu'on m'a demandé, l'affaire la plus dure à faire, outre l'IVAC, ça a été de porter plainte contre la personne que j'aime. Et, même s'il nous a fait du... même s'il m'a fait beaucoup, beaucoup de mal, l'amour, ça ne s'efface pas du jour au lendemain.

Mme Lecours (Les Plaines) : On comprend ça.

Mme Côté (Martine B.) : Oui. Je...

Le Président (M. Bachand) : Allez-y, Mme Côté.

Mme Lecours (Les Plaines) : Allez-y.

Mme Côté (Martine B.) : J'appuie ma collègue. Juste... évidemment, je renforce sur ce qu'elle vient de dire. Je vous demanderais de faire attention, madame est en procédure judiciaire, alors...

Mme Lecours (Les Plaines) : Oui.

Mme Côté (Martine B.) : Merci.

Mme Lecours (Les Plaines) : Oui, oui, il n'y a pas de problème. Écoutez, je voulais juste qu'on puisse expliquer l'importance de... comme je vous dis, là, que les organismes se parlent. Parce que le projet de loi, la base du projet de loi, c'est de favoriser le rétablissement des personnes, ça, c'est bien important, donc d'avoir tous les services qui sont autour, c'est important. Le projet de loi est doté, également, d'un programme d'urgence. Donc, ça aussi... Et la grande ouverture, c'était important qu'on puisse abolir cette liste-là, justement, pour ouvrir grande la porte à ce genre de crime là.

Écoutez, je ne sais pas s'il reste encore beaucoup de temps pour notre portion, mais j'aurais une dernière question. Quelle est votre grande priorité dans ce projet de loi là? C'est quoi, le gros morceau, là, pour vous?

Mme Côté (Martine B.) : Bien, c'est évidemment la rétroactivité. Je veux dire, votre réforme de l'IVAC, M. le ministre, elle est majeure, on a l'impression que c'est la première loi d'indemnisation au Québec, c'est à l'image de 1972, donc, vous réécrivez tout. Donc, pourquoi ne pas faire comme le législateur, en 1972, qui initiait quelque chose et qui a accordé une forme de rétroactivité de six ans? Je veux dire, là, vous changez du tout au tout, vous acceptez, enfin, des crimes d'exploitation sexuelle, donc essayez de réfléchir à une forme de rétroactivité.

Moi, je considère que l'organisme que je représente, ça représenterait, peut-être, une trentaine de dossiers. Mais c'était une injustice, qu'un vieux crime comme le proxénétisme ne soit pas indemnisable, encore aujourd'hui. Donc, c'est sûr que c'est ça, notre priorité, là, vraiment, vraiment, pour corriger cette erreur historique des gouvernements précédents de ne pas avoir harmonisé la loi et de ne pas s'être débarrassé de cette liste-là en 1993, notamment, quand ça avait été voté par l'Assemblée nationale.

Alors, merci, enfin, de l'enlever, cette liste, mais, s'il vous plaît, par égard pour toutes les femmes qui se sont fait dire : Ah! bien non, tu ne peux pas demander pour exploitation sexuelle, donc choisis un crime connexe que tu as vécu, agression sexuelle, voie de fait, puis fais ta demande d'IVAC. On a demandé pendant trop longtemps aux femmes de compartimenter leur expérience d'exploitation sexuelle, de choisir un crime, alors que ça s'inscrit dans le continuum des violences sexuelles faites aux femmes.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, merci infiniment. Je passe la parole à la députée d'Acadie. Mme la députée, s'il vous plaît.

Mme St-Pierre : Merci, M. le Président. Alors, merci pour votre témoignage, Lau Ga. Merci, Mme Côté, d'être présente aussi à la commission.

Alors, moi, j'ai été vice-présidente de la commission sur l'exploitation sexuelle des mineurs et je suis heureuse de voir que la présidente... l'ex-présidente est aussi sur cette commission. Elle a remplacé le président qui est devenu ministre et nous avons travaillé pendant 18 mois pour accoucher d'un rapport qui contient 58 recommandations. Et, dans ces audiences que nous avons tenues, dans ces travaux que nous avons faits, évidemment, la question de l'IVAC est arrivée très rapidement, et très rapidement, tout le monde, tous les membres de la commission se sont dit : Il faut absolument qu'on en fasse une recommandation. C'est ce que nous avons fait. Mais, dans l'esprit de tous, je pense, la question de la recommandation sur l'IVAC en était une aussi qui devait inclure la rétroactivité. Votre première recommandation, c'est l'inclusion de la rétroactivité.

Nous avons tenu des audiences, nous avons entendu des victimes, comme ce témoignage que nous venons d'entendre, nous avons entendu des parents, nous avons entendu des policiers, des policières, des intervenants, des intervenantes, des chercheurs, et tout le monde a dit la même chose, c'est-à-dire qu'il faut aider le plus possible des victimes d'exploitation sexuelle. Montréal est la plaque tournante de l'exploitation sexuelle. On se commande une fille ou un garçon comme on peut se commander une pizza. Ça a été dit sur toutes les tribunes. Notre président s'est promené sur toutes les tribunes, sur tous... en fait, tous les micros, toutes les télévisions, toutes les radios, tous les journaux pour dire à quel point il fallait vraiment, vraiment... il y avait urgence de mettre l'emphase sur les victimes d'exploitation sexuelle et leur venir en aide.

Le projet de loi, bien sûr, est une bonne chose puisqu'il vient corriger le fait que «victime d'exploitation sexuelle» n'était pas inclus dans les indemnisations de l'IVAC. C'était un non-sens, tout le monde en convient, et maintenant il faut regarder en avant. Et là c'est inclus, sauf qu'on dit : Bien, il n'y a pas de rétroactivité. On vient d'entendre un témoignage percutant, percutant, pour nous dire à quel point c'est injuste, c'est ingrat, c'est inacceptable de ne pas inclure la rétroactivité. Mme Lau Ga aurait de l'aide, là, et ça lui... ça l'aiderait à pouvoir regarder l'avenir en face et pouvoir avoir un meilleur avenir. En parlant de rétroactivité... c'est-à-dire que, puisqu'elle, elle a eu le courage de dénoncer en 2020 : Bien non, tu n'y auras pas accès parce que tu as eu le courage de dénoncer en 2020 et non pas en 2022 ou 2021, à la fin de 2021, lorsque le projet de loi sera accepté. Moi, M. le ministre, je pense que le gouvernement doit, sur cet aspect-là, vraiment réfléchir.

Et les victimes ont mis leur confiance en nous. Les victimes sont venues mettre sur la table leurs souffrances, elles ont dit à quel point elles avaient besoin d'aide. Et là, encore aujourd'hui, on vient vous le dire : On a besoin d'aide. Et Mme Côté vient de parler d'une trentaine de cas. Ce n'est pas la fin du monde, ce n'est pas la fin du monde, et on est capables de faire en sorte que ce projet de loi là ait une rétroactivité pour les victimes d'exploitation sexuelle.

J'ai été vice-présidente de la commission sur l'exploitation sexuelle des mineurs, ils sont tous témoins que nous avons travaillé au-dessus de la partisanerie pendant ces 18 mois. Le seul parti, c'était le parti des victimes. Et moi, si je me suis lancée en politique, c'est pour venir en aide au monde, et je ne lâcherai pas le morceau parce que c'est très, très, très important.

Mme Lau Ga, merci pour votre témoignage. Merci, Mme Côté. Puis, Mme Lau Ga, je vais vous poser une question.

• (16 h 10) •

Mme Ga (Lau) : Oui, allez-y.

Mme St-Pierre : Quel est le mot qui vous vient en tête lorsqu'on vous dit qu'il n'y a pas de rétroactivité dans ce projet de loi là qui inclut maintenant les victimes d'exploitation sexuelle? Quel est le premier mot qui vous vient en tête?

Mme Ga (Lau) : Sans coeur. Moi, ce que... peut-être pouvoir faire une proposition à M. Jolin-Barrette. C'était une promesse électorale de votre parti, monsieur. Pourquoi ne pas mettre la rétroactivité en date d'élection de votre parti? C'est une promesse que vous avez faite, et je crois que ça serait sans trop demander d'y aller en date d'élection de votre parti. Et même le ministre avant vous en avait parlé l'année passée, à pareille date, d'une réforme de l'IVAC. Donc, ça a déjà traîné pendant un an.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée de l'Acadie.

Mme St-Pierre : Mme Côté, vous avez suivi de très près les travaux sur la question de l'exploitation sexuelle des mineurs. Vous avez vu que nous avons, dès le départ, parlé de la question de l'indemnisation. Est-ce que, dans votre esprit, vous aviez confiance qu'il y aurait d'abord l'inclusion, ce qui est fait, de l'exploitation sexuelle des mineurs, mais qu'il y ait une rétroactivité?

Mme Côté (Martine B.) : Et pas juste des mineurs, hein, si je peux me permettre, Mme St-Pierre.

Mme St-Pierre : ...sur l'exploitation sexuelle des mineurs, mais de l'exploitation sexuelle.

Mme Côté (Martine B.) : Oui, c'est ça, en termes d'indemnisation, oui, l'exploitation sexuelle ne fera pas de distinction majeur-mineur, on en est bien, bien heureuses.

Alors, oui, effectivement, j'ai eu la chance, moi aussi, de témoigner dans cette commission qui, je trouve, faisait montre d'une belle ouverture d'esprit par rapport à ces victimes-là, on évacue beaucoup, beaucoup de préjugés, mais je n'avais pas... On était avant la pandémie, et je ne sais pas si je vous aurais plaidé une telle rétroactivité aujourd'hui avec la même vigueur, bien que mon petit statut de juriste me dit que mes arguments tiennent la route, c'est une loi qui n'a pas été harmonisée avec le Code criminel. Mais, outre ça, est arrivée la pandémie. L'exploitation sexuelle a monté en flèche, les proxénètes sont devenus vraiment plus violents parce qu'il y avait moins de clients. On a vu beaucoup plus de traites de femmes plus jeunes qu'on baladait comme ça dans certaines provinces parce que, selon les restrictions liées aux mesures sanitaires, il y a des endroits où c'était plus facile d'aller faire un peu de sous sur le dos des femmes, donc... Ça va être quelque chose, je pense, l'année prochaine, quand ces femmes-là vont faire une demande à l'IVAC. Je ne vois pas comment on va leur dire : Désolé, en 2020, ce n'était pas indemnisable.

Donc, évidemment, je vous ai parlé de 30 dossiers, ça représente à peu près ceux de l'organisme que je représente. Il y a des victimes à Québec, il y a des victimes qui ne fréquentent pas notre organisme et il y aura ces victimes à prendre en compte de la pandémie. Donc, vraiment, c'est un objectif à garder en tête.

Puis, merci, Mme la députée St-Pierre, de le porter, parce qu'on leur doit ça. Ce n'était pas normal, cette liste-là. On pouvait être indemnisé pour avoir été victime d'un détournement d'aéronef jusqu'à cette année, mais pas de proxénétisme. Ça ne tient pas la route.

Mme St-Pierre : Je pense que, lors de la commission sur l'exploitation sexuelle des mineurs, on a vraiment creusé le sujet, creusé le dossier, et on a dit à ces victimes : Faites-nous confiance, faites-nous confiance à nous, les députés, à nous, les élus, nous allons porter votre voix. Alors, je cède la parole à mon collègue, M. le député de LaFontaine. Merci.

Le Président (M. Bachand) : M. le député de LaFontaine... Merci. Il reste trois minutes. Merci beaucoup. M. le député.

M. Tanguay : Oui. Merci, M. le Président. Merci, Mme Côté. Merci beaucoup, Mme Lau Ga, pour votre témoignage.

Il y a quelque chose que je retiens de votre témoignage, et je vous cite : Je découvre encore l'ampleur des séquelles. Le projet de loi, et j'aimerais vous entendre là-dessus, Mme Lau Ga ou... et Mme Côté également, le projet de loi aussi ferme la porte pour le passé et ferme la porte pour l'avenir. Les rentes viagères qui iraient au-delà de trois ans, ça existe présentement, ça n'existera plus avec le projet de loi n° 84. En quoi avez-vous l'assurance que vous n'aurez plus de séquelles dans un an, deux ans, trois ans, quatre ans? On vous souhaite de ne pas en avoir, mais on ne peut pas, je crois... Et j'aimerais vous entendre là-dessus, l'importance de ne pas bloquer l'avenir non plus si vous avez des besoins aussi.

Mme Ga (Lau) : En fait, le délai en ce moment... Surtout moi qui essaie de se rétablir en pleine pandémie, donc, je n'ai jamais rencontré ma psychothérapeute en personne. Depuis le début, je fais des séances en visioconférence et, pour moi, ça n'a pas le même impact. Ça n'a pas le même impact de parler à quelqu'un à travers un écran pour aller mieux. Donc, il n'y a rien qui ne me dit pas que, dans un an, deux ans, je n'aurai pas encore des besoins et ce n'est pas par manque d'efforts pour m'en sortir, parce que, des efforts, j'en fais et j'en fais tous les jours pour m'en sortir. Et je ne peux pas croire qu'un jour on va me dire : Ah! bien non, nous, on pense que c'est bon, c'est fini. Je n'arrive pas à concevoir cette partie-là.

M. Tanguay : Et, Mme Côté, j'aimerais vous entendre sur deux choses. On va toujours pénaliser en coupant l'aide sociale du montant que vous recevriez d'indemnité, de un, et, de deux, si vous êtes victime et que vous n'aviez pas de revenu, vous allez avoir zéro, ce qui est un recul par rapport au système actuel. J'aimerais vous entendre.

Mme Côté (Martine B.) : Oui, on a été très, très surprises de lire ça. Évidemment, chez nous, bon, je le disais d'entrée de jeu, 53 % des femmes qui fréquentent actuellement notre organisme vivent d'aide sociale. Puis ça, ça correspond vraiment à la littérature scientifique, là, il y a six, sept études qui ont été faites au Canada depuis 2006 et puis les pourcentages sont toujours les mêmes, là : les personnes qui sortent de l'industrie du sexe sont prestataires d'aide sociale à 50 %, 60 %, voire 70 %.

L'exploitation sexuelle mène à la pauvreté. C'est parce qu'on a été victime d'un crime qu'on devient pauvre et qu'on devient prestataire d'aide sociale et souvent avec contraintes, parce que, quand vous souffrez d'un trouble de stress post-traumatique, le nombre d'emplois qu'il vous est possible d'accomplir, d'obtenir est très limité. C'est vraiment difficile, ma collègue pourrait témoigner des symptômes du trouble de stress post-traumatique.

Alors, pour nous, ça a été une surprise, effectivement, cette coupe de l'aide sociale, et surtout cette considération du «sans revenu», parce que la couleur de l'argent qu'elles ont engendré, la plupart des femmes ne l'ont pas vue ou, au début, un petit peu, des gros montants, et puis après ça, bien, vous le savez, c'est le proxénète qui garde tout. Donc, comment on va dire : Ah oui! dans les 12 derniers mois, tu n'as pas eu de revenu. Donc, c'est... on était vraiment très étonnées de cette abolition de rente là. Et aussi, il y a quelques femmes qui fréquentent notre organisme qui sont prestataires d'indemnités, bien, en fait, il y en a deux sur 161. Oui, c'est juste deux, et puis elles ont eu reconnaissance de séquelles permanentes parce qu'elles ne pourront jamais, jamais retourner ni au travail ni aux études. Donc, on ne peut pas abandonner ces femmes-là comme ça.

M. Tanguay : Merci beaucoup pour votre présence aujourd'hui.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée de Sherbrooke, s'il vous plaît.

Mme Labrie : Merci, toutes les deux, pour votre présentation. On a bien pris en note ce que vous nous avez dit concernant la faute lourde en matière de prostitution, la formation, la rétroactivité.

Je voulais y aller... Puis sur la rétroactivité, j'avoue que j'ai peine à comprendre, comme vous, pourquoi l'actuel ministre de la Justice aurait moins de pouvoir que n'avait le ministre de la Justice de l'époque, au moment de l'adoption de la première loi. Il dit qu'il ne peut pas revoir le passé, mais, pourtant, il y a des ministres de la Justice dans le passé qui se sont donné ces pouvoirs-là.

Sur la question des indemnités et d'aide sociale, j'aimerais ça vous entendre, à savoir si ça... de votre point de vue, qui travaillait avec les victimes. Est-ce que ça ne va pas à l'encontre de l'objectif de favoriser le rétablissement des victimes, de ne pas leur donner d'indemnités de revenu si elles n'avaient pas de revenu avant et de le limiter à trois ans, si jamais elles y ont accès?

• (16 h 20) •

Mme Côté (Martine B.) : Oui, bien, bien sûr, parce que qui peut vivre sans revenu, dites-le-moi. Déjà que vivre de l'aide sociale, c'est limite, alors sans revenu, ce n'est pas possible. Et puis, de toute façon, c'est considéré aussi que, ces personnes-là, comme je le disais, les revenus ont été accaparés par une autre personne. Certaines personnes, dans l'exploitation sexuelle... les proxénètes, ce n'est pas des fous à temps plein, comme disait ma grand-mère, alors ils déclarent... ils demandent aux femmes de déclarer un petit 7 000, 8 000 $ pour des... l'entretien ménager, du travail d'esthétique. Alors, même celles-là qui ont eu ce genre de revenus là, bien, vont être indemnisées à une hauteur qui n'est pas représentative, absolument pas, de l'argent qu'elles ont engendré. De toute façon, cette notion-là d'indemniser selon les revenus, pour moi, en soi, est une injustice. Est-ce que les blessures d'un P.D.G. valent plus que les blessures d'une coiffeuse? Personnellement, je ne le crois pas, donc, toute cette question d'indemnités selon les revenus pose des sérieuses questions en matière de justice sociale.

Mme Labrie : Puis diriez-vous que ça contrevient même au rétablissement d'une personne, de la placer dans cette situation-là où elle obligée de se mettre sur l'aide sociale pour survivre?

Mme Côté (Martine B.) : Ma collègue pourra vous le dire, mais survivre c'est un emploi à temps plein. On ne peut pas se rétablir quand on survit, quand on essaie de voir comment on va aller faire l'épicerie.

Mme Ga (Lau) : Oui, je peux intervenir. Parce que j'ai dû faire une demande d'aide sociale pour avoir des revenus, parce que l'IVAC, ça ne débouche pas et ça ne débouche toujours pas aujourd'hui, et je tombe, quand même, d'un gros revenu à ça, et tu jongles avec le montant d'aide sociale pour tout payer tes factures. Le stress financier que ça crée, ça vient te geler parce que tu ne sais même pas comment tu vas manger, tu ne sais pas comment tu vas payer ton loyer. Regarder dans son frigidaire puis faire comme : Bon, bien, ce n'est pas aujourd'hui que je vais manger, ça rajoute à tout ça, puis que ce n'est pas tout le monde qui a la chance d'avoir un réseau social aussi extraordinaire que le mien, donc... Mais ça m'est quand même arrivé parce que mon réseau social a une limite financière. On n'a pas besoin de se rajouter un stress financier à ce qu'on vit déjà.

Mme Labrie : Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Sur ce, Mme Lau Ga, Mme Côté, merci infiniment d'avoir été avec nous cet après-midi. C'est très, très, très apprécié.

Sur ce, je suspends les travaux quelques instants. Merci.

(Suspension de la séance à 16 h 22)

(Reprise à 16 h 25)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux.

Il nous fait plaisir d'accueillir Mme Martine Poirier, directrice générale du Centre de ressources et d'intervention pour hommes abusés sexuellement dans leur enfance. Mme Poirier, merci d'être avec nous cet après-midi. Comme vous savez, vous avez un exposé de 10 minutes, et, après ça, on va échanger avec les membres de la commission. Sur ce, la parole est à vous. Merci.

Centre de ressources et d'intervention pour hommes abusés
sexuellement dans leur enfance (CRIPHASE)

Mme Poirier (Martine) : Merci, M. le Président. M. le ministre, MM., Mmes les députés, c'est avec plaisir que je vais m'adresser à vous aujourd'hui.

Le CRIPHASE est un organisme communautaire autonome qui a été fondé à Montréal en 1997 par trois professionnels en soutien psychosocial qui constataient que les hommes victimes d'agression sexuelle dans leur enfance ne disposaient d'aucune ressource spécialisée pour leur venir en aide dans leur processus de reprise en main de leur dignité.

Le CRIPHASE a pour mission d'accompagner ces hommes dans leur quête pour se réapproprier sainement le pouvoir sur leur vie, par le biais d'interventions psychosociales, d'information, de sensibilisation, d'activités favorisant la socialisation, ainsi que par la formation des intervenants du réseau communautaire et des services sociaux.

Au cours de ces 24 années d'existences, l'équipe multidisciplinaire formée de psychothérapeutes, de sexologues, de travailleurs sociaux, criminologues, psychologues a développé une expertise unique et reconnue afin d'intervenir auprès des HASE. C'est un acronyme que vous allez entendre un peu, là, c'est dans notre jargon, qui signifie «les hommes abusés sexuellement dans l'enfance».

Nous offrons différents services en relation d'aide permettant d'accompagner les HASE tout au long de leur démarche vers le mieux-être : des rencontres individuelles, des groupes de soutien qu'on appelle des PHASE, qui vont aller traiter de différents aspects des conséquences des agressions sexuelles. Bon, il y a la PHASE sexo, la PHASE colère, l'art-thérapie, la pleine conscience, les phases thématiques et il y a aussi des PHASE de familiarisation qui s'adressent à la famille des... aux proches des victimes.

Nous avons été mandatés également par le Secrétariat à la condition féminine pour mettre en place un programme de formation concernant l'intervention auprès des hommes victimes... d'abus sexuels, je m'excuse. Au cours des quatre dernières années, nous avons sillonné les routes du Québec afin d'offrir ces formations à un peu plus de 300 intervenants dans 35 organismes différents, ayant pour objectif de partager notre expertise. Cette tournée, dans plusieurs régions du Québec, s'est avérée fructueuse et a permis de mieux outiller des organismes désirant mettre en place des services pour ces hommes dans leur région.

Le CRIPHASE, par le biais d'un de ses membres, a participé activement au Comité d'experts sur l'accompagnement des victimes d'agressions sexuelles et de violence conjugale.

Nous sommes également un des trois organismes fondateurs du ROQHAS, qui est le Regroupement des organismes québécois pour les hommes abusés sexuellement, qui a vu le jour ça fait un peu moins d'un an. Avec nos collègues de SHASE-Estrie et d'EMPHASE Mauricie — Centre-du-Québec, on est très heureux de pouvoir offrir une meilleure représentativité de ces hommes auprès des instances gouvernementales et de faire connaître cette réalité encore trop souvent taboue dans notre société.

Le CRIPHASE est le seul organisme dans la grande région métropolitaine qui a pour mission d'offrir des services aux hommes qui ont vécu des abus sexuels dans l'enfance. Je peux vous dire qu'on ne manque pas de travail.

On vous remercie beaucoup pour l'invitation, et on est très heureux qu'il y ait enfin une réforme de cette loi qui, à notre humble avis, en avait bien besoin. Cependant, nous ne vous cacherons pas que nous aurions grandement apprécié bénéficier d'un délai raisonnable. Comme plusieurs l'ont mentionné depuis le début des auditions, ça nous aurait permis de consulter nos membres, puis ainsi vous présenter des opinions et des suggestions qui auraient été encore beaucoup plus près des besoins des victimes. Nous sommes une toute petite équipe de six intervenants et une gestionnaire. Nous ne sommes pas des juristes et nous ne prétendons pas connaître tous les revers de cette loi. On va quand même se permettre de vous présenter les perceptions qu'on a de certains aspects, des suggestions et des commentaires.

• (16 h 30) •

Il est mentionné à plusieurs reprises qu'il est possible de présenter une demande de qualification en tout temps si elle est en lien avec la perpétration d'une infraction criminelle qui implique de la violence subie pendant l'enfance, une agression à caractère sexuel ou de la violence conjugale. Cette mesure, à notre avis, rejoint l'esprit de la loi n° 55 qui abolit le délai de prescription pour les victimes de violence conjugale et de violence à caractère sexuel. Nous applaudissons ce changement avec enthousiasme. Mais qu'en est-il de la mention indiquant que les infractions criminelles doivent avoir été perpétrées après le 1er mars 1972? Parmi notre clientèle, uniquement masculine, 63 % ont subi un abus sexuel avant l'âge de 10 ans; 57 % de notre clientèle est âgée de plus de 40 ans lors de son premier contact avec nous. Faites le calcul, si le premier contact afin de demander de l'aide est lié au premier dévoilement dans 75 % des cas...

Considérant toutes ces données-là qui ont été accumulées dans les 20 dernières années, les hommes dévoilent leur vécu d'abus sexuels environ 40 ans après les abus, c'est le portrait de notre clientèle, considérant le nombre toujours grandissant d'hommes qui dévoilent les abus sexuels commis par les membres des congrégations religieuses diverses, dont ils ont été victimes, et ce, bien avant 1972, considérant tous les hommes des nations autochtones qui, à l'enfance, ont été arrachés à leurs familles pour être placés dans des pensionnats dans lesquels ils ont subi des abus sexuels, et ce, bien avant 1972, nous vous demandons qu'une mesure d'exception soit appliquée dans le cas où d'une demande en lien avec la perpétration d'une infraction criminelle impliquant la violence sexuelle subie pendant l'enfance, afin que le 1er mars 1972 ne soit pas un critère pris en compte lors d'une demande auprès de vos instances. Si ce n'est pas déjà le cas, nous aimerions beaucoup que ça soit appliqué de cette façon-là.

Nous désirons également porter à votre attention la confusion que nous observons quant à la reconnaissance des organismes communautaires qui offrent des services aux personnes qui ont été victimes d'agression à caractère sexuel. Notre organisme, comme bien d'autres oeuvrant au sein de cette problématique, est financé et reconnu par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Nous détenons une expertise non négligeable et avons développé un lien de confiance avec notre clientèle, ce qui fait de nous un acteur important dans le cheminement des victimes. Actuellement, les services de relation d'aide que nous offrons ne sont pas reconnus par l'IVAC. Étant donné l'expertise unique développée au fil des ans par le CRIPHASE, est-ce que M. le ministre compte nous reconnaître et ajouter les interventions en relation d'aide effectuées par nos intervenants psychosociaux à la liste de services reconnus? Nous croyons qu'il est important, même primordial, que les victimes aient le droit de choisir de qui elles recevront l'aide nécessaire à leur rétablissement en tout temps, ce qui inclut le soutien octroyé à la suite de l'acceptation de leur demande auprès de l'IVAC.

Pour terminer, bien que nous n'ayons pas eu la possibilité de consulter nos membres dans le court délai que nous avons eu, nous tenons à vous partager les commentaires que nous avons entendus à maintes reprises au cours des dernières années concernant les difficultés que nos membres ont rencontrées lors de leur démarche auprès de l'IVAC : une grande difficulté à obtenir de l'information sur le processus du traitement de leur demande, sentiment de se perdre dans un jargon d'administration inconnu, émergence de réminiscences lors de la rédaction du récit de l'agression, grands inconforts à raconter son histoire d'agression sexuelle à un médecin qu'il ne connaît pas afin de satisfaire l'exigence d'un rapport médical, traitement froid, sans bienveillance, sentiment d'incompréhension et d'incompétence devant le formulaire à remplir, détresse et sentiment d'invalidation de leur vécu devant un refus d'indemnisation parce que les agressions sexuelles ont été commises avant 1972.

Dans le projet de loi, il est mentionné que la personne victime doit être traitée avec compassion, courtoisie, équité et compréhension et dans le respect de sa dignité et de sa vie privée. Les commentaires de notre clientèle, à ce sujet, nous laissent croire qu'au niveau du personnel de l'IVAC, il y aurait une nécessité d'acquisition de connaissances reliées à la réalité des conséquences vécues par les victimes, notamment concernant certains symptômes d'état de stress post-traumatique pouvant être réactivés lors du processus d'une demande d'indemnisation.

Nous sommes heureux de constater que la compassion, le respect, l'équité, la compréhension font partie des valeurs nommées dans cette loi, mais nous nous questionnons sur son application au quotidien, est-ce que le personnel de l'IVAC reçoit le support et les formations nécessaires afin d'être outillé suffisamment pour être en mesure de travailler auprès de cette clientèle, dans le respect de ces nobles valeurs.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, Mme Poirier. Merci. Alors donc, je cède la parole à M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Bonjour, Mme Poirier. Merci de venir témoigner en commission parlementaire, de livrer le témoignage que vous livrez. C'est intéressant de vous entendre, parce que lorsqu'on parle d'infractions criminelles, relativement aux infractions à caractère sexuel ou de violence pendant l'enfance, on pense beaucoup à des personnes qui sont des femmes, qui sont victimes, mais également des hommes. Bien entendu, il y a beaucoup plus de femmes qui sont agressées sexuellement selon les statistiques, mais il n'en demeure pas moins que des hommes également sont victimes d'agression sexuelle ou de violence subie pendant l'enfance. Puis je pense qu'il faut le souligner, puis votre organisme, à ce niveau-là, le démontre très bien.

D'entrée de jeu, parlons de l'organisme. J'ai bien pris note de vos commentaires au niveau de la reconnaissance des organismes, tout ça. On va regarder ça avec ce qu'on peut faire relativement aux organismes. Pour ce qui est du projet de loi comme tel, le fait qu'on élargisse et qu'on abolisse la prescription, ça constitue une avancée, c'est ce que je comprends de vos propos. Mais, par contre, vous nous dites qu'il y a beaucoup d'hommes qui ont été agressés avant 1972, donc, si vous pourriez tenter d'aller au-delà de 1972, pour nous, pour notre clientèle, ça permettrait à des hommes qui ont un certain âge d'avoir accès.

Mme Poirier (Martine) : Tout à fait, M. le ministre. Je vous dirais que c'est plus de la moitié de notre clientèle dont les abus ont été perpétrés avant 1972. C'est un constat qu'on doit faire, les hommes, encore, qui sont là, dans notre société, prennent beaucoup plus de temps à venir chercher de l'aide et à dévoiler un vécu là-dedans. Ce qui fait qu'on commence à voir, là, des dévoilements un petit peu plus jeunes chez les hommes, mais la majeure partie de notre clientèle ont subi des abus avant 1972 et se font refuser les services de l'IVAC.

M. Jolin-Barrette : Avez-vous, dans la clientèle que vous desservez, des hommes qui sont victimes d'exploitation sexuelle?

Mme Poirier (Martine) : Présentement, non. Ce n'est pas une clientèle qui ont ce profil-là. On n'en a pas dans notre clientèle actuellement, non.

M. Jolin-Barrette : Par rapport...

Le Président (M. Bachand) : M. le ministre, excusez-moi, parce qu'il y a un petit bruit de fond. Lorsque vous ne parlez pas, si vous pouvez juste éteindre votre micro, ça serait... O.K. Puis là vous pouvez poser votre question, mais, lorsque vous ne parlez pas, d'éteindre le micro, s'il te plaît. M. le ministre.

M. Jolin-Barrette : Parfait, M. le Président. J'ai des petits problèmes de son. Lorsque vous parlez des services qui sont donnés à l'IVAC, on veut faire en sorte que le projet de loi fasse en sorte que l'IVAC soit plus humain, de simplifier les procédures. Il y a beaucoup d'intervenants qui nous ont dit : Si vous continuez avec la direction de l'indemnisation des victimes d'actes criminels, vous devez faire de la formation supplémentaire. C'est le même commentaire que vous formulez? Vous avez des difficultés au niveau du service à la clientèle à l'IVAC?

Mme Poirier (Martine) : Absolument. C'est le premier commentaire que les hommes nous disent, qu'il semble que le sentiment qu'ils ont, c'est qu'ils ne sont pas compris, et qu'on leur demande de faire des listes de détails et de... liées à l'agression. C'est excessivement difficile, c'est vraiment... et accompagné d'un formulaire complexe à remplir. On a un bon pourcentage de notre clientèle qui, suite aux abus, ont fait du décrochage scolaire, qui sont peu scolarisés, et pour remplir ce formulaire-là, déjà, c'est problématique. Et donc, quand ils ont affaire à un agent qui ne semble pas comprendre les conséquences qu'ils vivent et qu'ils sont traités avec une certaine froideur, avec un manque de compassion, assurément...

• (16 h 40) •

M. Jolin-Barrette : C'est un des objectifs qu'on a en rapatriant la responsabilité sous le ministère de la Justice. On veut s'assurer vraiment, dès le départ, de donner du soutien aux personnes qui ont été victimes, notamment en termes de soutien psychologique, et simplifier le processus.

En ce qui concerne... Dans votre expérience, la clientèle que vous recevez, qu'est-ce qui pousse les gens... Vous disiez, tout à l'heure, bon, les hommes qui ont été agressés sexuellement, souvent, ça prend plusieurs, plusieurs années. C'est quoi, le facteur de déclenchement qui dit... qui fait en sorte que certains hommes sont prêts à aller chercher de l'aide, à s'adresser chez vous ou à s'adresser à l'IVAC?

Mme Poirier (Martine) : Je crois qu'il y a plusieurs facteurs qui peuvent être un déclencheur. C'est sûr qu'à chaque fois où il y a des dévoilements, des situations qui sont médiatisées, souvent, ça va avoir un impact sur... on va avoir beaucoup plus de demandes d'aide. Arrivés à un certain moment de leur vie, ça devient de plus en plus envahissant, bien que, souvent, ils ont pensé qu'avec le temps ça s'atténuerait. Non. Quand toutes les conséquences sont de plus en plus envahissantes, et ils vont consulter, souvent, pour autre chose, bien, ils aboutissent dans nos organismes, parce que, finalement, la source du problème est ce vécu d'abus sexuel là vécu à l'enfance.

Beaucoup de tabous, dans notre société, sont encore très, très, très présents au niveau des agressions sexuelles que des hommes ont pu subir. Ça fait que, déjà là, c'est une barrière de plus, là, dans le cheminement des hommes, là, à franchir afin de venir chercher de l'aide.

M. Jolin-Barrette : Je vous remercie grandement, Mme Poirier. Je vais céder la parole à mes collègues qui vont pouvoir vous poser des questions. Mais un grand merci pour votre passage en commission parlementaire.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le ministre. M. le député de Chapleau, s'il vous plaît.

M. Lévesque (Chapleau) : Oui, merci beaucoup, M. le Président. Mme Poirier, merci pour votre témoignage. Peut-être une petite question, là, en lien avec ce dont vous discutiez avec le ministre, précédemment, notamment la question de, bon, du tabou. Vous avez dit, là, que, souvent, certains hommes étaient agressés à l'âge de 10 ans et prenaient près de 30 ans avant de venir vous consulter ou, du moins, requérir vos services. Et donc que pourrions-nous faire ou, selon votre expérience, qu'est-ce qui serait possible de faire pour pouvoir, justement, rejoindre ces victimes-là peut-être plus tôt, essayer de les informer de leurs droits et des ressources qui s'offrent à elles, au-delà de tout le volet de l'IVAC, on sait que la relation peut être difficile avec, disons, l'appareil administratif, mais pour les rejoindre, ces personnes-là, pour essayer de briser ce tabou-là ou essayer de réduire le nombre d'années, parce que j'imagine qu'ils vivent avec ça longtemps et que ça doit les gruger, là, par en dedans, là, comme on dit?

Mme Poirier (Martine) : Oui, tout à fait. Bien, je pense qu'il y a beaucoup de travail à faire au niveau de la sensibilisation grand public, à faire dans nos écoles secondaires, même au niveau du primaire aussi. Plus vite les garçons vont se sentir inclus dans le message qu'on veut livrer au niveau de la prévention des agressions sexuelles, eh bien, plus vite ils risquent de vouloir le dire quand ça arrive aussi. Il y a un paquet de préjugés, dans la société, qui empêchent les gars d'aller dévoiler. On commence à voir un petit changement, mais je vous dis, il est petit, le changement.

M. Lévesque (Chapleau) : D'accord. Bien, c'est vrai, il y avait aussi un autre groupe qui nous disait cet après-midi : Il y a peut-être la formation, l'intervention au niveau du secondaire, même au primaire, aller, dans le fond, donner ce type de formation là. C'est quelque chose qui serait pertinent, vous croyez?

Mme Poirier (Martine) : Ah! absolument, absolument. Ça fait 17 ans que je travaille en agression sexuelle. Ça fait trois ans que je travaille uniquement au niveau des hommes, et puis je peux vous dire que ce n'est pas un message qui est véhiculé beaucoup, là, dans tous les programmes de prévention et de sensibilisation. C'est beaucoup axé sur la victimisation auprès des femmes. C'est correct, il ne faut pas enlever un pour donner à l'autre, ce n'est pas ça, mais il faut travailler sur les préjugés et les tabous pour aider les gars qui ont ce vécu-là à venir chercher de l'aide.

M. Lévesque (Chapleau) : Parfait. Merci. Moi, ça complète, M. le Président. Je crois que ma collègue de Les Plaines avait peut-être quelques questions.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée de Les Plaines.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le Président. Combien de temps reste-t-il?

Le Président (M. Bachand) : Sept minutes.

Mme Lecours (Les Plaines) : Sept minutes. Merci beaucoup. Bonjour, Me Poirier. Merci beaucoup de votre présence en commission aujourd'hui, c'est très apprécié. Vous savez, on... Ce que vous dites, il y a beaucoup de choses, par rapport à la formation en bas âge aussi, sur les bancs d'école comme on dit, à la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs, ça fait partie des recommandations. C'est en analyse, en réflexion actuellement au sein du gouvernement. Il y a plusieurs ministères qui ont été interpellés par ces recommandations-là. Justice aussi a été interpellé. Ils sont en analyse de plein de choses. Déjà, avec ce projet de loi là, la grande avancée, c'est de reconnaître les victimes d'exploitation sexuelle, justement, avec l'abolition de la liste. Donc, je pense que c'est une grande, grande avancée, qu'il faut faire ces pas-là, on les fait avec ce projet de loi là.

Dans la commission spéciale aussi, on cherchait à savoir... les victimes d'exploitation sexuelle hommes, parce qu'évidemment on a féminisé ce fléau-là, mais il y a aussi plusieurs jeunes hommes. Et est-ce que vous pensez qu'avec le programme d'aide... Je ne sais pas si vous en avez beaucoup... Je vais mettre des guillemets autour de «membres», parce que ce n'est pas des membres, c'est plutôt des gens que vous aidez, mais les gens que vous côtoyez, les jeunes hommes, est-ce que ça, avec cette autre avancée là, un programme d'urgence qui va les prendre en main avant même de rentrer dans le réseau, est-ce que c'est quelque chose que voyez comme étant aussi une belle avancée ou, à tout le moins, est-ce qu'il faudrait le bonifier, là, selon vous?

Mme Poirier (Martine) : Écoutez, je ne me suis pas du tout, je vais être très honnête, je ne me suis pas du tout penchée sur cet aspect-là du projet de loi. Ce n'est pas une clientèle qu'actuellement on voit, on rencontre à travers nos services. Je ne voudrais pas vous donner de fausse réponse. Je vais laisser ça dans les mains des gens qui ont vraiment ces personnes-là dans leurs services, qui connaissent beaucoup plus leurs besoins que nous.

Mme Lecours (Les Plaines) : O.K. À ce moment-là, je vais vous amener sur un autre terrain qui est, justement, une autre grosse partie de l'essence... bien, l'essence même du projet de loi, qui est aussi de bonifier, de le rendre plus humain. On l'a dit à plusieurs occasions, là, plusieurs gens qui sont venus témoigner depuis deux jours expliquent que le côté humain doit être bonifié davantage, doit être amélioré. Je pense que le ministre l'a bien expliqué, là, a noté, a expliqué aussi que ça fait partie, évidemment, du projet de loi, donc toute la formation du côté des personnes qui prennent en main ces victimes-là, donc ce qu'on appelle les agents sur le terrain. Ça, ça va être important de travailler là-dessus, mais également tout le consortium... pas le consortium, mais le continuum de services qui tourne autour.

Bon. Avec le témoignage précédent, on a parlé d'une espèce de guichet unique. J'aimerais ça que vous m'en parliez. Vous pourriez même en faire... vous devriez vous-même en faire partie, je pense, mais comment est-ce que vous voyez cette réalité-là?

Mme Poirier (Martine) : Je suis tout à fait d'accord avec la vision de... Tout doit être arrimé alentour de la victime, et non pas la victime qui court partout pour essayer d'arrimer les services alentour d'elle, que l'on puisse échanger l'information, que les services soient connus, qu'il y ait... Oui, peut-être un guichet d'entrée qui faciliterait la personne à aller chercher les services dont elle a besoin, ça peut juste être aidant. C'est très difficile quand les gens, déjà, sont très vulnérables et très... ont beaucoup de difficultés à faire confiance d'aller chercher de l'aide et de savoir même qu'on existe. Déjà, là, c'est... Je vous dirais que, même dans le réseau Santé et Services sociaux, il y a... si vous saviez le nombre de fois, dans un mois, qu'on se fait dire : Vous existez? Il y a des services pour les hommes abusés sexuellement dans l'enfance? Et pourtant ça fait 25 ans.

Ça fait que c'est sûr que... Que ce soit une ligne... pas une ligne d'écoute, mais une ligne de référence, un système quelconque pour le référencement, puis que tout le monde, on travaille dans le même sens pour aider les victimes, je pense que, oui, ça serait aidant.

• (16 h 50) •

Mme Lecours (Les Plaines) : Bien, ça a été un grand constat de la commission spéciale, c'est de voir le nombre d'organismes au Québec qui existent depuis des années puis que plusieurs de ces organismes-là ne se connaissent même pas, et ils ont pourtant la même mission. C'est sûr que c'est dans des régions différentes aussi. Et, même dans certaines régions, il y en a qui existent et qui ne se connaissent pas. Oui, c'était effectivement une... pas une surprise, mais un constat.

Et, si je peux dire, c'est sûr, les questions que je vous pose ne sont pas législatives, mais je pense... Parce que le projet de loi, bon, avec les règlements qui vont suivre, et tout ça... mais dans sa mise en place, je pense que ça va être important de connaître tous les besoins des organismes et surtout, et surtout, et surtout des victimes sur le terrain. Donc, c'est pour ça que je vais en dehors du législatif, parce qu'en gros, si vous avez... Je sais qu'il est quand même assez long le projet de loi, bien, je pense que vous avez vu l'ensemble. En gros, le projet de loi a fait des bonnes avancées sur l'abolition de la liste, le fait qu'on prône, d'abord et avant tout, le rétablissement, parce que je que c'est ça qui est essentiel ici, le rétablissement des personnes victimes d'actes criminels, comme celles qui sont déjà reconnues et celles que l'on va reconnaître maintenant.

Alors donc, en gros, le projet de loi, si je peux terminer là-dessus avec vous, comment est-ce que vous... Quelles sont, justement, les grandes lignes que vous retenez puis que vous dites : Oui, on va dans le bon sens? Et quels seraient les points, peut-être, à retravailler au niveau du législatif?

Le Président (M. Bachand) : Il reste quelques secondes seulement, Mme Poirier. Je m'excuse.

Mme Poirier (Martine) : D'accord. Non, il n'y a pas de problème. Bien, écoutez, comme je vous l'ai mentionné tout à l'heure, la date, là, que les infractions ne soient pas nécessairement après 1972. Dans le cas de notre clientèle, c'est un enjeu majeur que je crois qui devrait être ajouté à la loi, ou corrigé.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) : M. le député de LaFontaine, s'il vous plaît.

M. Tanguay : Oui, merci beaucoup, M. le Président. Alors, à mon tour de vous saluer, Mme Poirier. Merci beaucoup d'être avec nous cet après-midi.

J'ai été capable, comme les autres collègues, de mettre la main sur votre mémoire. Merci beaucoup. Comme vous nous parlez, à la toute fin, là, des très courts délais, alors, on va essayer de faire, là, contre mauvaise fortune bon coeur. Puis merci d'être là, puis de répondre à nos questions. Mais il est clair que moi, comme législateur, puis je partage ce qui a été dit par plusieurs, je me sens pressé, compressé dans un projet de loi majeur, une réforme majeure qui vient de faire tomber, sur la table, 190 articles nouveaux.

J'aimerais, parce que vous traduisez une réalité terrain des êtres humains, des hommes... Le CRIPHASE s'occupe des hommes abusés sexuellement dans leur enfance. Vous parlez d'un concept, puis j'aimerais ça que vous l'explicitez, parce que, quand on dit : Bien, faites une demande d'indemnisation, remplissez un formulaire, vous parlez du concept d'émergence de réminiscence lors de la rédaction du récit de l'agression sexuelle. J'aimerais ça que vous traduisiez ces... qu'est-ce qu'ils vivent, ces hommes-là, quand vous nous dites : Réminiscences, émergence de réminiscences.

Mme Poirier (Martine) : O.K. Dans le formulaire de demande de l'IVAC, les personnes doivent faire le récit de l'infraction, donc le récit de l'agression sexuelle qu'ils ont subie. Pour quelqu'un qui a été victime de ces gestes-là, d'avoir à en refaire le récit peut être retraumatisant. Souvent... Vous savez qu'en intervention auprès des victimes d'agression sexuelle, la plupart du temps, là, on n'a pas besoin de connaître le récit de leur agression, on les croit, première chose, et puis on travaille sur les conséquences que l'agression a eues dans leur vie. On n'a pas besoin de connaître à quel moment ça s'est passé, de quelle façon, où est-ce que c'était, la date, l'endroit physique, le nom des personnes ou rien qu'avec une personne, tous ces éléments-là sont des conséquences connues des... Tous les gens qui ont subi des stress traumatiques, des grands traumas, comme des agressions sexuelles à l'enfance, en plus, ne peuvent pas revisiter ça comme ça sans l'aide, sans accompagnement. Et ce n'est pas nécessaire, ce récit-là, dans ce contenu-là.

M. Tanguay : Et ça, ce que vous dites, vous, vous êtes sur le terrain avec ces hommes. Dans le cas qui nous concerne, ce qui nous concerne, c'est la CRIPHASE, donc c'est des hommes, abus sexuels enfance, mais quand quelqu'un, en toute bonne foi, établit un formulaire administratif, il faut que ça soit su, parce que, si c'est un passage obligé, vous nous dites : Bien, pour bien des hommes, bien des victimes, ça rajoute, ça rajoute à l'aspect très négatif des séquelles de ce qu'ils ont vécu, mais ça devient, administrativement, un passage obligé puis une évaluation même qui est faite à la vue de ce qui est raconté. Parce que j'imagine qu'il y a une analyse qui est faite : Est-ce que c'est suffisant, pas suffisant? Encore une fois, les femmes et les hommes qui administrent le système sont de bonne foi, mais eux se posent des questions puis ils vont demander des compléments d'information. Alors, ce que vous nous traduisez démontre beaucoup le... quand on dit l'expression... le «disconnect», des fois, entre la vraie vie puis ce que l'administration publique exige. Et j'ajoute à ça, puis j'aimerais vous entendre là-dessus, votre dernière page, vous dites : Imaginez en bout de piste la détresse et le sentiment d'invalidation pour ceux qui reçoivent à la fin de ça. C'est une moyenne claque dans la face.

Mme Poirier (Martine) : Oui, tout à fait, tout à fait. Chacun d'entre nous, je pense qu'on se retrouverait dans une situation comme ça, où doit mettre, prêtez-moi l'expression, nos tripes sur la table, et puis, pour des raisons de date, de délai, désolé, mais tu n'auras pas d'aide de nous, là.

M. Tanguay : Et là-dessus, là-dessus, je reprends la balle au bond. C'est un des points que je voulais aborder avec vous. Donc, vous, vous le dites, vous le dites qu'il y a l'imprescriptibilité, on le sait, pour des agressions à caractère sexuel, mais on dit «imprescriptibilité», ici, on parle de cas d'hommes qui... et vous le dites, là, environ 40 ans après les abus, donc, 1972 est comme le mur de fond où, avant 1972, même s'il y a imprescriptibilité, la loi ne vient pas indemniser pour ce qui est au-delà de 1972. Puis, vous dites : Bien, dans ceux qu'on rencontre, leur moyenne, c'est environ 40 ans. Alors, de se rendre jusqu'à 49 ans, qui représente 1972, vous le dépassez dans bien des cas. Alors, c'est pour ça que vous demandez d'enlever carrément cette règle-là du 1er mars 1972.

Mme Poirier (Martine) : Oui, absolument, absolument.

M. Tanguay : Dans ce que vous venez de nous étayer par rapport au sentiment de réminiscence et également au sentiment d'invalidation, c'est des particularités qu'on vient d'entendre avec vous, aussi, la particularité du 1er mars 1972, on pourrait dire : Bien, voyons donc! au-delà de ça, ça n'existe pas. Vous dites oui, nommément, parce que des hommes dans l'enfance, ça existe, c'est votre réalité. Moi, ce que je souligne, en page 2 de votre mémoire, vous avez été mandatés par le Secrétariat à la condition féminine pour mettre en place un programme de formation concernant l'intervention auprès des hommes victimes d'abus sexuels. Donc, il y a tout un aspect sur lequel j'aimerais vous entendre... ou peut-être que ça peut se mettre dans la loi, moi, je ne suis pas prêt à dire que ça n'a pas de rapport dans un texte de loi, mais peut-être qu'il y a des articles qu'on pourrait, le cas échéant, mettre dans le texte de loi justement pour avoir une obligation de l'État québécois, des organismes proactifs, pour aller chercher ces informations-là auprès de vous, parce qu'on parle de reconnaissance d'organismes comme vous, donc d'être proactifs pour aller chercher ces informations-là, puis que le système s'adapte à ces cas d'espèce là aussi, dont on entend, je crois, trop peu parler.

• (17 heures) •

Mme Poirier (Martine) : Oui, effectivement, effectivement, c'est juste pour vous dire, là, dans tout le Québec, là, on est trois organismes dont la mission est de venir en aide aux hommes abusés sexuellement dans l'enfance, trois organismes pour le Québec. Les services qui sont offerts un peu en région pour cette clientèle-là, c'est des organismes pour hommes qui vont développer un service, mais ce sont des généralistes qui n'ont pas nécessairement l'expertise, la spécialité pour les hommes qui ont ce vécu-là. Ça fait que c'est eux qu'on est allé former. C'est important qu'il y ait des services partout en région, c'est important que les services soient reconnus par l'IVAC.

Actuellement, les services d'ordre psychosocial qui sont reconnus, ce sont des services qui sont donnés par des psychologues, par des psychothérapeutes qui font partie d'ordres professionnels, ce n'est pas notre réalité. On a des psychologues, on a des psychothérapeutes, mais, chez nous, tout le monde travaille de façon égale en tant qu'intervenant psychosocial. Donc, nous, en tant qu'organisme, premièrement, on n'avait pas la réalité budgétaire de pouvoir avoir tous des gens qui travaillaient en faisant partie d'un ordre professionnel. Ce n'est pas ce qu'on pouvait développer, ça fait qu'on développe un service de relation d'aide avec une spécialité qui est très, très, très développée pour les HASE. Puis, oui, on détient cette expertise-là, et il faut qu'elle soit partagée partout à travers les régions et qu'il y ait d'autres organismes qui soient fondés pour répondre à ces besoins-là.

M. Tanguay : Oui. Et vous le dites : Les services de relation d'aide que nous offrons ne sont pas reconnus par l'IVAC. Et vous, vous êtes financés par le ministère de la Santé, il y a ça aussi.

Mme Poirier (Martine) : Oui. Oui, tout à fait.

M. Tanguay : Alors, ça, ça traduit bien la réalité ou de... Et je poursuis. Une fois qu'on dit que vous êtes pertinents sur le terrain, vous répondez à une clientèle, entre guillemets, des hommes, violence sexuelle, agression sexuelle dans l'enfance, de façon très spécifique et que force est de constater que, probablement, la majorité de ceux avec qui vous faites affaire, en tout cas, une partie très substantielle, ne sont même pas couverts à cause du 1er mars 1972, lorsqu'on regarde tout ça, vous êtes un organisme, vous pouvez aiguiller, informer ces victimes, vous faites écho d'une chose qu'on a entendue ailleurs : C'est le choix de la victime en tout temps de choisir de qui elles recevront l'aide. Ça, c'est important. Puis j'aimerais ça vous entendre là-dessus, sur l'importance que vous y accordez, aussi, dans le processus de guérison, le lien de confiance qu'au départ vous devez... parce qu'on a entendu des histoires, là, où il n'y a pas de lien de confiance, qu'on doit avoir avec la personne avec qui on fait affaire, le thérapeute, le psychothérapeute, et ainsi de suite, l'importance de...

Mme Poirier (Martine) : Oui, tout à fait. Les gens qui ont vécu des abus sexuels, la plupart du temps, c'est une prise de pouvoir, hein, sur l'autre personne. C'est des enfants qui ont été abusés par des gens en qui ils avaient confiance, dans la majeure partie des cas, qui étaient supposés les protéger, qui les aimaient. Ils se retrouvent dans des situations d'abus où tous ces repères-là n'ont plus de sens. Donc, ce sont des gens qui ont souvent beaucoup de difficultés à faire confiance à quelqu'un d'autre, que ce soit même leur conjoint, leurs enfants... C'est pour ça qu'ils ont beaucoup d'autres problèmes dans leur vie qui sont des conséquences directes des abus.

À partir du moment où ils commencent à faire confiance à un thérapeute et qu'ils sont en processus d'un cheminement qui va les amener au rétablissement, on espère, le plus complet possible, et qu'on leur dit : Bien là, il faut que tu changes d'intervenant, pour eux, là, ça n'a pas de sens, là. Ça a été long, là. Je vous dis, il y a des fois... Nous, ce qu'on offre en soutien individuel, c'est 20 rencontres. Il y a des fois, ça prend 10 rencontres avant d'établir ce lien de confiance là. Ça fait que comprenez que de toujours recommencer, ça n'a pas de sens, et, nous autres, on...

M. Tanguay : Merci, Mme Poirier. Et félicitations pour ce que vous faites.

Mme Poirier (Martine) : Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Sherbrooke, s'il vous plaît.

Mme Labrie : Merci. Merci, Mme Poirier, pour votre présentation. En Estrie, on a le privilège d'en avoir un, de ces rares organismes qui soutiennent les hommes dans leur rétablissement. Ça a été nommé souvent par d'autres organismes qui ne travaillent pas auprès des hommes que c'est une difficulté majeure d'avoir accès à des psychologues, par exemple, spécialisés de... pour... par rapport à leur situation. Je devine que ça doit être le cas aussi pour les hommes agressés sexuellement, ce n'est pas une expertise qui est nécessairement répandue. Est-ce que, dans la mesure où le ministre de la Justice veut favoriser le rétablissement des victimes, il n'y a pas une responsabilité aussi de sa part, du ministère, de développer une offre de services pour les hommes agressés sexuellement partout au Québec, dans toutes les régions? Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu, par exemple, de lancer un appel de projets pour développer des services spécialisés pour les hommes victimes à travers le Québec?

Mme Poirier (Martine) : Pourquoi pas? C'est sûr que le besoin est partout à travers les régions. Par contre, je vous dirai, il y a déjà des organismes en place. Pourquoi ne pas leur offrir les moyens de pouvoir additionner ces services-là à ce qu'ils font en ayant des intervenants qui vont être... qui vont détenir l'expertise pour intervenir auprès de ces hommes-là? Mais de... oui, définitivement, si ça peut être inclus dans un projet de loi, cet aspect-là, oui, il faut développer ces services-là.

Mme Labrie : Puis là j'ai bien entendu votre préoccupation que la question du 1972, là, doit être rayée. Si on parvient à convaincre le ministre de procéder à cette demande-là, est-ce que vous pensez qu'il y a une offre de services suffisante en ce moment pour répondre aux demandes qui... Vous, vous offrez des services de relation d'aide dans votre organisme. Est-ce que vous alliez être en mesure de répondre à la demande qui serait augmentée?

Mme Poirier (Martine) : Écoutez, c'est sûr que notre profil à nous, on dessert la grande région montréalaise, c'est une grande densité de population. Je dois vous dire que présentement j'ai près de 60 personnes sur ma liste d'attente. Il y a un contexte de COVID, bien sûr, mais on n'a pas vraiment diminué la cadence de nos services, on les offre seulement différemment. Par contre, oui, on a des listes d'attente.

Oui, on a besoin de plus. On est en plein développement, il y a quand même certaines subventions qui sont arrivées très, très, très récemment, qui vont nous permettre de former et d'engager des nouveaux intervenants pour diminuer nos listes d'attente, mais, définitivement, il faut la création de services pour cette clientèle-là. Le Plan d'action en santé et bien-être des hommes va donner un bon coup de pouce, mais ce n'est pas suffisant, on a besoin de plus.

Et, oui, on voudrait bien avoir toutes les ressources pour répondre à la demande adéquatement, parce que, déjà, ces gars-là, ça a pris tout leur courage pour appeler, pour demander de l'aide. On sait que, chez la clientèle masculine, de... prêtez-moi l'expression, mais de faire le «move» d'appeler, là, de prendre le téléphone puis de dire : J'ai besoin d'aide, on le sait qu'ils attendent un peu à la dernière minute, quand ça ne va vraiment pas bien. Ça fait que...

Le Président (M. Bachand) : O.K. Merci beaucoup, Mme Poirier. Je dois céder la parole à la députée de Joliette, s'il vous plaît.

Mme Hivon : Oui. Bien, je suis là, mais malheureusement je ne suis pas en mesure de me connecter pour avoir le fond d'écran standard, donc vous ne pouvez pas me voir à l'écran parce que je suis avec mon iPad, puis on m'a expliqué que je ne pouvais pas... donc...

Le Président (M. Bachand) : Aucun souci.

Mme Hivon : Aucun souci?

Le Président (M. Bachand) : Exactement.

Mme Hivon : Merci beaucoup de votre indulgence. Donc, désolée pour les problèmes techniques. Merci beaucoup pour votre présentation. Je note à la fin de votre mémoire, vraiment, les points, là, que le député de LaFontaine a soulevés, que vous indiquez à quel point c'est difficile, compte tenu de tout ce que ça implique pour une personne qui a été traumatisée par une agression dans l'enfance, de venir tout revivre ça. Et plus j'entends les gens... Et évidemment le projet de loi ne parle pas beaucoup, puis je dirais de tout ce qui est relation de service entre l'IVAC et les personnes, mais c'est pourtant au coeur de ce qui doit être amélioré.

Est-ce que vous pensez que les agents qui sont là, qui étaient d'abord des agents d'indemnisation mais qui, là, avec la loi, vont devoir devenir beaucoup plus des agents d'aide, devraient avoir beaucoup plus une formation de l'ordre du travail social, de l'accompagnement psychosocial des personnes, pas nécessairement dès le départ, mais pour savoir qu'ils vont être accompagnés convenablement dès le début? Parce qu'on passe vraiment d'un régime où c'était d'abord le focus sur une indemnisation à quelque chose de beaucoup plus large.

Mme Poirier (Martine) : Oui. Je crois qu'on aurait tout intérêt à avoir du soutien. Et comme j'entendais les collègues ce matin, là, parler aussi, dans les auditions précédentes, que ce n'est pas simple pour eux non plus, là, de recevoir tous ces récits traumatiques là et qui... S'ils ne sont pas correctement formés, c'est très difficile pour eux aussi. Puis il faut définitivement que leur... qu'ils connaissent mieux la réalité des victimes d'agression sexuelle, la réalité des conséquences pour pouvoir mieux être capables de les aider. Et, oui, ça prendrait des formations de base. Et je pense qu'il y a beaucoup d'organismes en agression sexuelle qui seraient prêts à mettre l'épaule à la roue pour que ces gens-là soient mieux formés.

Mme Hivon : Bien, merci. C'est vraiment quelque chose qui me frappe avec votre témoignage, là, on progresse tout le monde ensemble, là, depuis mardi, mais je pense qu'avec les changements que le ministre souhaite apporter il va falloir avoir une vraie réflexion là-dessus pour que les gens puissent être accompagnés convenablement dès le départ, parce qu'il y a trop d'histoires d'horreur, là, qui nous sont racontées. Merci beaucoup.

Mme Poirier (Martine) : Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Et, sur ce, Mme Poirier, je tiens à vous remercier d'avoir été avec nous cet après-midi à la commission.

Et puis, sur ce, la commission va suspendre ses travaux quelques instants. Merci encore, Mme Poirier.

(Suspension de la séance à 17 h 10)

(Reprise à 17 h 13)

Le Président (M. Bachand) : Alors, à l'ordre! La commission reprend ses travaux. Il nous fait plaisir de recevoir les deux coprésidentes du comité sur l'accompagnement des victimes d'agressions sexuelles et de violence conjugale, Mme Elizabeth Corte et Mme Julie Desrosiers. Bienvenue à vous deux en commission. Très content que vous soyez avec nous cet après-midi.

Il semble y avoir eu un petit imbroglio au niveau de la présentation. Écoutez, on va commencer avec le 10 minutes, puis on verra après avec les autres membres s'ils vous laissent un petit peu de temps pour terminer votre présentation, mais je vous laisse immédiatement commencer votre exposé.

Mmes Elizabeth Corte et Julie Desrosiers

Mme Corte (Elizabeth) : Merci, puis je pense bien qu'on va y arriver, à entrer dans notre temps. Alors, bonjour, tout le monde. Ça nous fait superplaisir d'avoir été invitées et d'être ici aujourd'hui, à cette Commission des institutions, pour parler de votre sujet, l'IVAC, et de notre sujet, les personnes victimes d'agression sexuelle et de violence conjugale.

Alors donc, on nous a présentées. Moi, je vais vous indiquer, rapidement, que le mandat de notre comité était d'évaluer, à la lumière du parcours des personnes victimes, les mesures actuelles et étudier celles à développer pour assurer un accompagnement plus soutenu et qui répondait mieux aux besoins et aux réalités des personnes victimes d'agression sexuelle et de violence conjugale.

Alors, dans ses grandes lignes, le rapport du comité, qu'on a appelé Rebâtir la confiance, conclut que la personne victime doit être accompagnée, que cet accompagnement doit se faire tout au long du processus, quel que soit le processus qu'elle choisit, bien entendu, que cette personne doit bénéficier des services qui sont adaptés à ses besoins et que ces services doivent être intégrés de façon à ce que la victime soit au coeur d'une équipe d'intervention, de suivi et d'accompagnement. Alors, l'indemnisation des personnes victimes fait partie de ce processus.

Je pense que c'est important, puis c'est peut-être un de mes messages importants à vous aujourd'hui, c'est qu'il faut considérer le processus d'indemnisation des victimes d'actes criminels, notamment d'agression sexuelle et de violence conjugale, comme une partie de leur processus de réadaptation, de réhabilitation puis de réintégration dans leur... au meilleur de leur vie quotidienne. Alors donc, l'indemnisation des personnes victimes fait partie de ce processus, et je pense qu'il faut considérer que l'IVAC n'est pas à part, mais que les intervenants de l'IVAC, non seulement... on ne parle pas, évidemment, seulement du juridique, mais des personnes qui y travaillent, font partie, à notre avis, de l'équipe qui accompagne la personne victime dans ses démarches.

Le projet de loi le reconnaît, à son article 1. Je n'ai pas besoin de vous le citer, mais ça me fait du bien de le lire parce qu'il y a quand même une belle avancée. Elle établit... À l'article 1, la loi «établit un régime d'aide leur permettant d'obtenir un soutien adéquat et cohérent — alors, cohérent — avec les autres régimes — on voit que c'est important — répondant à leurs besoins — je le mentionnais tantôt — notamment en favorisant leur accès à des services efficaces, justes et impartiaux et à de l'aide financière». Alors, clairement, dans la loi, on voit déjà que l'aide apportée par l'IVAC fait partie du soutien accordé aux personnes victimes.

Donc, je vous rappelle que, vous le savez sans doute, 75 % des demandes, a-t-on dit... nous rapportons que 75 % des demandes proviennent de plaignantes victimes d'agression sexuelle, de violence conjugale et que ces personnes sont majoritairement des femmes, alors... Et c'est à ce titre que notre rapport traite de l'IVAC. Évidemment, vous comprenez que ce n'était pas notre mandat d'analyser l'IVAC, mais, au cours des consultations, les organismes, les mémoires, les consultations Web des plaignantes victimes, beaucoup, sinon tous, ont fait état des nombreuses difficultés tant dans la loi que dans l'application de cette loi.

On savait, bien sûr, comme membres du comité, que d'autres travaillaient sur un projet de loi. Et vous comprendrez que c'était mis dans notre mandat, puis on n'avait pas vraiment le temps non plus de faire une analyse exhaustive de la loi en tant que telle, mais on en a énormément entendu parler. Tout le monde nous en a parlé. Et donc il était... c'était un incontournable pour nous dans notre rapport, malgré le fait que ce n'était pas l'objectif principal, il était important pour nous de nommer les principales difficultés. Et Me Desrosiers les abordera dans un instant.

Notre rapport, donc, recommande d'une façon quand même relativement générale que la loi de l'indemnisation soit révisée en profondeur. Bon, évidemment, c'est ce que vous êtes en train de faire. On demandait particulièrement qu'il y ait une attention ciblée, hein, puis volontairement ciblée, que la réalité des plaignants victimes d'agression sexuelle et de violence conjugale soit prise en compte dans cette révision en profondeur.

On a recommandé aussi, dans la même recommandation, que le fonctionnement de l'organisme qui était chargé... qui est chargé de l'appliquer, soit révisé également. Alors, on a eu des commentaires au sujet des défis que posait la loi aux personnes victimes mais aussi sur la façon dont les demandes étaient traitées, dont les victimes étaient traitées. J'y reviendrai. Je reprendrai la parole un petit peu après ma collègue et je vais vous parler de cette recommandation, aussi, de réviser le fonctionnement de l'organisme. Je comprends qu'on est... on dépasse un petit peu le cadre du projet de loi comme tel, mais je pense que d'autres ont frôlé les bords de la loi, puis je vais me permettre de la faire quand je vais vous revenir tout à l'heure. Le mémoire que nous avons soumis, bien, c'est directement la partie qui concerne l'IVAC dans notre rapport.

Et je cède, sur ce, la parole à Me Desrosiers.

Mme Desrosiers (Julie) : Merci beaucoup. Est-ce que tout le monde m'entend bien?

• (17 h 20) •

Le Président (M. Bachand) : Oui.

Mme Desrosiers (Julie) : Oui. Est-ce que vous pouvez me dire combien de temps il nous reste, M. le Président, s'il vous plaît?

Le Président (M. Bachand) : 3 min 30 s.

Mme Desrosiers (Julie) : Merci beaucoup. Donc, je vais y aller rapidement. Vous avez eu le bénéfice du mémoire. On a noté les éléments qui étaient problématiques, donc la liste des infractions admissibles, ce que vous savez déjà et ce qui est réglé par l'article 13 du projet de loi actuellement. Je soulève... et c'est ce que je vais faire tout au long de ma présentation, je vais soulever des potentiels éléments de réflexion, là, je vais les porter à votre attention sans nécessairement avoir toutes les réponses, mais je remarque, nous remarquons que la notion d'infraction criminelle est définie comme étant une infraction contre la personne. En fait, elle est définie comme étant, «à moins d'indication contraire, toute infraction prévue au Code criminel perpétrée après le 1er mars 1972 et qui porte atteinte à l'intégrité physique ou psychique d'une personne; ainsi n'est pas visée une infraction criminelle perpétrée contre un bien». Donc, évidemment, c'est un élargissement qui est salué par le comité, mais la notion d'intégrité psychique, vous savez que ce n'est pas une notion qui est utilisée au Code criminel, qui renvoie plutôt à la notion de lésions corporelles comme intégrant des lésions psychologiques. Et, à ma connaissance, elle n'a pas été définie à travers la jurisprudence non plus. Et, étant donné qu'on exclut les infractions contre les biens nommément dans le projet de loi, pensez à la situation où... C'est fréquent en matière de rupture, quand il y a une situation de violence conjugale, la violence conjugale n'a pas nécessairement été exprimée de manière physique, mais, au moment de la rupture, il peut y avoir... par exemple, quelqu'un peut crever les pneus, défoncer une fenêtre, etc., donc, ça peut être une infraction contre les biens qui est perpétrée dans un contexte de violence conjugale sans qu'il y ait eu une infraction, tels le harcèlement criminel ou les voies de fait, pendant la relation. Donc, ça, ça peut être problématique parce que, comme la notion d'intégrité psychique est floue, que les infractions contre les biens sont exclues, il peut y avoir des situations de violence conjugale ici qui ne seraient pas couvertes. Donc, je le porte à votre attention.

La notion de faute lourde, j'imagine que ça a déjà été abordé dans le cadre de vos consultations aujourd'hui. On a dû le porter à votre attention, le fait que la faute lourde, elle a déjà été opposée pour exclure des victimes de violence conjugale ou d'agression sexuelle. Et là le projet de loi prévoit certaines exceptions qui nous apparaissent, en fait, complexes et probablement difficiles d'application pour les personnes victimes parce que la façon dont c'est rédigé, ça exige une démonstration de la part de la personne victime. Donc, ce serait peut-être bien de songer à une rédaction plus claire, plus directe, qui affirmerait que la notion de faute lourde ne peut pas être opposée en matière de violence conjugale, agression sexuelle et exploitation sexuelle.

Délai de prescription, c'est super.

Crimes commis à l'extérieur du Québec, c'est super. Peut-être prévoir qu'il va y avoir une application rétroactive pour le crime perpétré à l'extérieur du Québec. Vous êtes au courant qu'il y a des situations qui ont été problématiques dans un passé récent. Donc, ce serait bien, pour cette raison-là, de prévoir nommément une application rétroactive pour ça.

Maintenant, il me reste deux aspects à aborder avec vous. Je vais y aller rapidement, on pourra revenir pendant la période de questions. Je sais que le temps file pour vous, vous êtes à la fin de la journée. Le projet...

Le Président (M. Bachand) : Oui, juste vous dire, Me Desrosiers, le 10 minutes est maintenant terminé.

Mme Desrosiers (Julie) : Mais je suis passionnante.

M. Jolin-Barrette : ...sur mon temps...

Le Président (M. Bachand) : Vous êtes extrêmement passionnante. Et le ministre vient de décider de vous donner du temps. Alors, je vous invite à continuer, Me Desrosiers.

Mme Desrosiers (Julie) : Excellent. Il me reste deux éléments, donc, à soulever. Le premier, c'est que le projet de loi qui est proposé est plus large, ratisse plus large que la loi sur l'indemnisation qu'il se propose de remplacer, et notamment il inclut ce qui était auparavant la Loi sur l'aide aux victimes d'actes criminels. On va retrouver différentes dispositions de la Loi sur l'aide aux victimes d'actes criminels dans le projet de loi actuel. Or, le comité avait recommandé, donc recommandation 182 du comité à la page 198 du rapport, si bien nommé, Rebâtir la confiance, recommandé donc, que la Loi sur l'aide aux victimes d'actes criminels soit non pas simplement remplacée, mais bonifiée de manière à nommément prévoir les droits des victimes et les recours des victimes et de manière plus claire que ce qui était fait dans la Loi sur l'aide aux victimes, qui est maintenant abrogée ou qui serait abrogée par le projet de loi, et ça, à mon avis, ce n'est pas rencontré par le projet de loi actuel. Il y aurait lieu de réfléchir plus clairement à une meilleure... les affirmer de manière plus claire, les droits des victimes, les recours des victimes.

Là, en ce moment, ce qu'on a, c'est un titre II qui est intitulé Soutien aux personnes victimes. Donc, c'est un peu en marge, finalement, de ce qu'on veut affirmer, qui est vraiment des droits, des recours. Puis c'est important, dans le contexte législatif actuel, de les affirmer clairement, parce qu'ils sont énoncés dans une charte qui est fédérale. Puis, au Québec, c'est embrouillé, puis on sent un besoin de les affirmer et de nommer clairement pour les victimes les droits et les recours qui peuvent être exercés. D'ailleurs, nous, on avait recommandé un ombudsman québécois des victimes d'actes criminels pour clarifier la situation au Québec.

Dernier point, très rapidement. La loi permet la création d'un fonds d'urgence. Nous aussi... En fait, elle permet que le ministre établisse un fonds d'urgence. Je veux juste attirer votre attention sur le fait qu'on en parle aussi, dans notre rapport, de ça puis qu'il y a des besoins qu'on avait ciblés qui ne sont pas repris, puis pourtant, c'est «notamment» qui est écrit là en ce moment, donc tout est ouvert. Mais, quand vous serez à la réflexion autour de ça, on a des pages, encore une fois, passionnantes dans notre rapport, et on avait, notamment, soulevé le fait qu'actuellement il y a la possibilité pour les victimes de résilier leur bail quand il est question de violence conjugale ou d'agression sexuelle. C'est prévu dans le Code civil, mais il y a un deux mois de délai qui est imputé à la victime, elle doit payer deux mois de délai et ça ne lui est pas remboursé par l'IVAC actuellement. Donc, c'est également à prévoir. Et je vous remercie pour cette extension.

Le Président (M. Bachand) : Merci infiniment à vous deux. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui. Merci, M. le Président. Me Corte, Mme Desrosiers, merci beaucoup de participer aux travaux de la commission parlementaire. Mme Desrosiers, vous avez dit : C'est une bonne chose, le fait qu'on abolisse la liste des infractions. Je vois que vous avez certaines réserves, par contre, vous souhaiteriez qu'on soit un petit peu plus large relativement peut-être aux biens contre la personne. Ça amène certaines difficultés, par contre, parce que, vous savez, les infractions contre les biens, ça peut être très large. Là, on se retrouve dans une situation où l'indemnité...

(Interruption)

Le Président (M. Bachand) : Vous avez des problèmes, M. le ministre, avec votre micro, je crois, hein? On a de la misère à vous entendre.

M. Jolin-Barrette : Attendez-moi juste un instant.

Le Président (M. Bachand) : Ah! Là, on vous entend, là.

M. Jolin-Barrette : Vous m'entendez?

Le Président (M. Bachand) : Oui.

M. Jolin-Barrette : En fait, je voulais savoir, principalement, dans vos auditions que vous avez eues, les victimes qui auraient pu être indemnisées si on avait eu la liste mais qui ne l'ont pas été, est-ce qu'elles ont été en grand nombre?

Mme Desrosiers (Julie) : Moi, je n'ai pas fait une étude empirique. Donc, oui, de mon échantillon, il y a beaucoup de gens qui n'ont pas pu obtenir indemnisation, mais, tu sais, je veux dire, c'est les gens que j'ai entendus qui sont venus nous parler à nous, donc forcément c'est des gens qui ont eu des problèmes d'indemnisation aussi. Mais, pour répondre à... En fait, votre question est un peu en deux volets. Là, je voyais que vous souleviez un peu votre préoccupation relative aux fonds publics, infraction contre les biens, c'est large, tout ça, mais moi, ce que je voyais, c'était un élargissement législatif qui liait cette idée, parce que vous avez, d'abord, dans une première partie, une idée que ça prend une atteinte à l'intégrité psychique, ça fait que, tu sais, il y aurait peut-être... Ça, pour moi, cette notion-là, elle n'est pas claire, mais il y aurait peut-être moyen de jumeler les deux. Donc, par exemple, une infraction contre les biens qui porte atteinte à l'intégrité psychique, parce qu'en fait c'est ça qu'on veut, c'est que, quand c'est en contexte de violence conjugale, si la terreur, elle vient d'une terreur contre les biens, dans un contexte de rupture, bien, tu sais, on le reconnaît, qu'on est dans un contexte de violence conjugale puis que la personne, il y a une atteinte à son intégrité psychologique par le biais d'infractions contre les biens, tu sais. C'est un peu ce que je voyais.

Parce qu'on a eu, par exemple, à notre table, pour donc vous donner un exemple concret, qui était nommée comme experte, qui représentait les victimes, il y avait une femme où la violence, elle s'était manifestée contre les biens au moment de la rupture. Ça l'avait complètement terrorisée. Mais, pendant la relation, il n'y avait pas eu d'atteinte à son corps, c'était une violence psychologique qui était exercée, qui est difficilement saisissable sur le plan d'une infraction. Quand il y a eu infraction criminelle, c'était infraction contre les biens. Donc là, je vois qu'elle aurait de la difficulté à obtenir indemnisation. Or, cette femme, que je connais, elle avait vraiment besoin d'aide.

• (17 h 30) •

M. Jolin-Barrette : Peut-être une autre question sur la question des crimes commis hors Québec, vous avez fait référence, et vous le faites dans votre mémoire, là, à Mme St-Onge, qui est venue témoigner aussi avec la... Quand vous nous dites : Bon, c'est bien, il y a certaines situations qu'on a vues, certains demandent une rétroactivité pour ça... Une rétroactivité pour l'ensemble des crimes commis hors Québec?

Mme Desrosiers (Julie) : Vous me demandez des questions de législateur, je vais vous dire, là encore, je vois votre préoccupation relative aux fonds publics. Moi, ce qui m'apparaît clair, puis je ne vous réponds pas comme présidente du comité, je n'ai pas eu de consultation avec mes membres là-dessus, je vous réponds comme citoyenne, ce qui m'apparaît clair, c'est que les enfants devraient être indemnisés, là. Là, ils ont perdu leur mère, ils sont encore vivants, c'est une affaire de loi, tu sais, puis là, moi, ça m'apparaît clair, ça.

M. Jolin-Barrette : Mais on se retrouve dans une situation où il y a des choix à faire aussi, cette situation-là particulière, il y a plein d'autres cas aussi, plein d'autres crimes que des Québécois ont subis à l'étranger aussi, donc vous voyez toute la difficulté d'une réforme du régime de l'indemnisation. On est allés chercher 193 millions supplémentaires pour bonifier l'aide aux victimes en abolissant la prescription en matière de violence conjugale, violence sexuelle, mais pour faire en sorte aussi de permettre aux femmes qui s'étaient fait dire par l'IVAC, bien, vous êtes hors délai, donc on ne peut pas vous indemniser, d'avoir une période de trois ans pour, justement, du soutien. Alors, on essaie, avec le projet de loi, vraiment, d'offrir dès le départ le plus d'aide possible, mais aussi d'élargir la notion de personne victime, parce que, bien qu'une personne qui subi l'infraction, elle-même, elle est victime, souvent ça a des conséquences sur le noyau familial, on pense en violence sexuelle ou en violence conjugale aussi, c'est toute la famille qui est impactée.

Si vous me permettez, j'élargirais un petit peu la discussion. Je vais vous poser une question avant de céder la parole à mes collègues, mais je veux vous poser une question sur votre recommandation du rapport sur le tribunal spécialisé. Et je veux en profiter, du fait que Mme la juge Corte est là, pour savoir, à l'époque, à la Cour du Québec, est-ce que c'est quelque chose qui avait été envisagé d'avoir un tribunal spécialisé? Parce qu'aujourd'hui on se retrouve avec cette suggestion, cette proposition-là, qui fait bien du sens, mais je me demande, à travers les consultations que vous avez menées avec les différents acteurs, comment est-ce que l'opérationnalité d'une chose pourrait se faire?

Mme Corte (Elizabeth) : D'abord, le premier volet de votre question, je pourrais vous répondre qu'on n'avait pas vraiment réfléchi la question de mettre sur pied un tribunal spécialisé de la façon dont on le recommande dans le rapport en matière d'agression sexuelle et de violence conjugale, mais la réalité, c'est qu'il y avait déjà tous les éléments, ou presque tous les éléments, qui auraient pu être bonifiés, bien sûr, mais on avait quand même déjà beaucoup des éléments d'un tribunal spécialisé, sans que ça ne porte le nom, en matière de violence conjugale. Alors, il y avait, bon, par exemple, des rôles particuliers, des délais particuliers, des intervenantes sociales sur place, des salles d'attente réservées, alors, bon, je ne veux pas rentrer dans toute la longue liste, mais vous comprendrez qu'on faisait déjà, en matière de violence conjugale... la cour municipale le fait depuis plus de 30 ans déjà, traiter ces dossiers de cette façon-là. Ce qu'on n'avait pas, c'était le titre, c'était le nom. Alors, dans le fond, tu sais, c'est que ça prend, nous le croyons, une organisation plus généralisée adaptée aux réalités régionales, évidemment aux ressources aussi qui peuvent être là, et qui va encourager les meilleures pratiques et une meilleure collaboration, une meilleure intégration de ces services-là par les centres. Alors, il y avait déjà une forme, selon moi, qui est celle aussi qui existe dans d'autres provinces, mais il n'y en avait pas en agression sexuelle. En agression sexuelle, ça, c'est vraiment neuf, si vous me permettez de le dire de cette façon-là. Je ne sais pas si ça répond entièrement à votre question.

M. Jolin-Barrette : Oui, je vous remercie. Merci pour votre présentation. Je cède la parole à mes collègues. Un grand merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le ministre. M. le député de Saint-Jean, s'il vous plaît.

M. Lemieux : Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames. Vous êtes conscientes, vous l'avez dit tout à l'heure, que vous êtes nos dernières invitées aujourd'hui et pour cette semaine, et donc ça me permet de vous demander si vous avez suivi un petit peu ce qui s'est passé. Aujourd'hui, avec vous et plusieurs autres aujourd'hui, on a été très pratiques, très proches du terrain et des gens qui y travaillent et des clientèles particulières, mais on a eu une portion théorique, et j'aimerais vous entendre sur ce qui a été évoqué, je pense à Me Gardner par exemple... pas maître, Pr Gardner, de l'Université Laval, qui nous disait : Vous savez, la SAAQ, c'est les automobilistes qui paient pour ça et qui se répartissent un peu, ensuite, le risque. La CNESST, c'est la même chose, mais avec les employeurs qui répartissent le risque. Pour ce qui est des actes criminels et donc des victimes des actes criminels, c'est l'État, il faut donc le voir... en tout cas, lui, il nous disait, même, le concevoir autrement. C'est ce que je me demande, si on est en train de faire... Quand je vous écoutais, Mme Desrosiers, dire au ministre : Oui, mais je vois bien que vous pensez aux fonds publics, là, effectivement, et, d'ailleurs, il en a rajouté, des fonds publics, pour avoir plus de victimes couvertes, et il y a la notion d'aider, indemniser, si vous voulez, mais il y a surtout la notion de servir parce qu'on se fait beaucoup dire : Plus vite on intervient, plus vite on est capable de donner l'aide qui est nécessaire sur-le-champ, moins longtemps ça va durer et plus facile ça va être de s'en sortir. Une fois que j'ai tout répété ça et que, vous, vous êtes très pratico-pratique, terrain, pouvez-vous revenir à mes considérations un peu théoriques et me donner une lecture de tout ça pour équilibrer ça?

Mme Desrosiers (Julie) : Mais, sur le plan théorique, là, ce que vous me demandez, c'est une justification des dépenses étatiques, c'est ça?

M. Lemieux : Non.

Mme Desrosiers (Julie) : Non?

M. Lemieux : Non, mais...

Mme Desrosiers (Julie) : Parce qu'on peut...

M. Lemieux : Mais, considérant d'où on vient, considérant des 50 ans qu'on vient de passer, et de la modernisation qui est tellement nécessaire que tout le monde la réclame, et ce qu'on est en train de faire a été non seulement évoqué, a été écrit dans le rapport Lemieux d'il y a déjà plus de 10 ans, donc j'essaie de remettre ça en perspective avec toutes ces couches-là, pas pour justifier, mais pour comprendre l'impact que ça a sur le terrain, mais, en même temps, le mettre en relief et en relation avec l'impact que ça a, oui, sur les fonds publics, mais sur l'ensemble de la théorie de...

Mme Desrosiers (Julie) : Mais, tu sais, sur les fonds publics, l'impact que ça a sur les fonds publics, il est payant pour l'État. Tu sais, c'est comme l'assurance maladie, c'est comme... Tu sais, c'est... Le crime, c'est un risque collectif. Quand tu n'investis pas dans des programmes sociaux, quand tu n'investis pas dans des programmes d'accompagnement pour les victimes, quand tu n'investis pas dans l'indemnisation, quand tu n'investis pas dans le partage des richesses, tu as plus de criminalité, ça fait que c'est des vases qui communiquent, là. Ça fait que, tu sais, c'est sûr que si on regarde ça en vase clos puis on fait juste indemnisation, bien, là, on augmente, mais il faut voir que ça va coûter moins cher ailleurs, tu sais, les victimes qui ne sont pas accompagnées, qui ne sont pas indemnisées, ça a des coûts sociaux.

M. Lemieux : Bien, il ne s'agit pas de ne pas indemniser, il s'agit de prendre le temps, et c'est ce que le projet de loi nous permet de faire, de voir comment on a toujours indemnisé, par exemple, la rente viagère qui a des mérites, mais à bien des égards aussi des effets pervers, et par rapport à la modernité aussi des moyens qu'on a à notre disposition aujourd'hui, autant en indemnisation qu'en aide. L'aide psychologique, il y a 45 ans, au début, je suis certain que ça passait sous le tapis, ce n'est pas pour rien qu'on est pris avec le problème qu'on a aujourd'hui, alors on en parlait, mais, aujourd'hui, on est capable d'être efficaces comme on ne l'était pas avant. C'est ce genre d'exercice théorique auquel je vous demande de vous prêter, sans faire un gains et pertes, là, sans faire un passif, actif, là.

Mme Desrosiers (Julie) : Moi, je ne suis pas certaine que je saisisse bien votre besoin. Je ne sais pas, Elizabeth, si tu es capable de venir à ma rescousse parce que je ne suis pas certaine de savoir ce qui aiderait, là, à cette discussion.

Mme Corte (Elizabeth) : Bien, peut-être que, moi, je pourrais ajouter en espérant que ça réponde partiellement. Les personnes victimes qu'on a entendues, parce qu'on a fait... évidemment, dans le cadre de nos travaux, on a consulté des organismes, bien sûr, on a consulté... on a eu des mémoires, mais on a mis en place une consultation Web, une consultation en ligne où environ 1 600 personnes victimes ont pris le temps de répondre à un questionnaire. Bon, Mme Desrosiers disait tantôt : On n'a pas fait de recherche. Puis bon, il n'y a pas d'échantillonnage, mais ça nous donne quand même... il y avait quand même assez de réponses.

Vous savez, le bien-être des gens, le bien-être de ces plaignantes victimes passe par une compréhension. Est-ce qu'on les comprend? Est-ce qu'on comprend ce par quoi elles ont passé, ce qu'elles ont vécu et les besoins qu'elles ont, ces personnes-là, de se refaire, de se remettre en état? Et, bon, évidemment, certainement, il y a les choses très concrètes, là, on rembourse, on dédommage pour telle chose, pour telle chose, bien sûr, mais la capacité de l'État de reconnaître ces blessures, de reconnaître ce besoin, de les traiter comme le dit l'article, le nouvel article 3 du projet de loi, d'être traité avec compassion, avec équité, avec compréhension, respect de la dignité. Ça va loin dans la perception des gens, ça contribue au mieux-être de ces personnes-là, ça participe à leur accompagnement. Alors, moi, c'est ce que je pourrais ajouter en réponse. Je ne sais pas si ça répond.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup.

M. Lemieux : Et je comprends qu'il ne me reste plus de temps, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Exactement, exactement, mais le député de LaFontaine débute sa présentation... pas sa présentation, sa période d'échange, pardon.

• (17 h 40) •

M. Tanguay : Oui, merci beaucoup, M. le Président. Alors, à mon tour de vous saluer, Me Corte, juge Corte et Mme Desrosiers, merci d'être avec nous et de répondre à nos questions, merci de nous avoir envoyé le mémoire.

Évidemment, vous voyez que le projet de loi n° 84, vous l'avez constaté, 190 nouveaux articles, on pourrait me dire : Oui, mais il y a beaucoup d'éléments du passé, c'est-à-dire du régime actuel qui sont repris, mais, quand même, c'est comme... c'est une refonte majeure, alors on est un peu pressé dans le temps et l'on doit s'assurer que l'on ne manque pas le coche, que l'on atteigne les objectifs réellement que l'on veut atteindre.

J'aimerais vous entendre, à la toute fin de votre mémoire, en page 7, vous parlez des difficultés particulières rencontrées par les personnes qui contestent une décision de l'IVAC devant le TAQ, et là vous nous invitez, puis j'aimerais vous entendre, vous nous invitez à considérer... puis j'aimerais peut-être que vous précisiez la solution que vous suggériez. Oui, donc un processus qui pourrait être ressenti comme hostile par une personne qui se voit... ou qui désire contester une décision, donc, effectivement, c'est une personne qui est déjà atteinte dans son intégrité physique ou psychique qui demande de l'aide, et là on l'embarque dans une contestation, alors on comprend très bien le ressenti hostile d'un processus, les témoignages dans un contexte formel, et ainsi de suite.

Donc, ce que vous nous suggérez, détrompez-moi si j'ai tort, pour peut-être préciser comment je reçois ça, davantage d'accompagnement et peut-être essayer de mettre en place un contexte où il y aurait moins, justement, un processus contradictoire formel qui met quasiment la personne qui désire contester au banc des accusés, là...

Mme Desrosiers (Julie) : Oui, c'est ça.

M. Tanguay : ...j'aimerais vous entendre.

Mme Desrosiers (Julie) : Merci pour la question, ça nous permet de renchérir. En fait, ça a déjà été dit dans notre mémoire, on en a parlé dans notre rapport également, mais c'est vraiment un problème parce que... puis Elizabeth pourra compléter, mais ce que ça fait, là, c'est que la personne, elle se bat contre l'État pour obtenir une indemnisation, puis ce que l'État fait puis, tu sais, c'est un drôle de rôle pour l'État de jouer ce rôle-là, alors qu'en même temps il instaure une loi puis un processus d'indemnisation, il va essayer de montrer que ce n'est pas une victime, donc toutes les questions vont... Non, mais ce n'est pas vrai, vous n'avez pas été victime d'agression sexuelle, mais ce n'est pas comme vous le dites, ce n'est pas aussi pire que vous le dites, ta, ta, ta. Ça fait qu'elle, elle se sent vraiment comme une accusée, c'est vraiment... puis c'est un vrai procès, elle est d'un côté, de l'autre côté, c'est le procureur qui représente l'État, puis il y a un juge, ça fait que, tu sais, c'est hostile, puis les gens qui sont passés à travers ça, ça dure longtemps, ça s'étale sur des années, là, les personnes qui passent à travers ça, elles sont vraiment meurtries, ça fait que, tu sais, je pense que, là, oui, il y a besoin d'un meilleur accompagnement, mais il y a aussi besoin peut-être de revoir le processus parce que ce n'est pas obligé d'être un processus aussi contradictoire. Tu sais, les questions... Le juge pourrait prendre ça en charge, cette recherche de preuve là, on pourrait dire que c'est non pas contradictoire, mais que le juge a un plus grand rôle à jouer ici, dans l'administration de la preuve. Puis, tu sais, il y a moyen de faire les choses autrement, de les réfléchir autrement puis d'en fait, traiter plus doucement la victime. Tu sais, même si on ne va pas l'indemniser, il ne faut pas la faire sentir comme si c'était une menteuse puis qu'elle voulait tricher puis... C'est comme ça que c'est ressenti actuellement.

M. Tanguay : Et si vous me permettez, puis j'aimerais entendre Me Corte, juge Corte, basée sur votre expérience de juge, on a un... On s'apprête à, le cas échéant... On va faire le processus législatif, tout ça, là, 190 nouveaux articles, puis vous avez vu le fameux article 16, là, qui fait une page et deux tiers, que des expertes et experts du système d'indemnisation, ils ont dit : Nous, on ne le comprend pas, on a de la misère à le comprendre, au mieux, on pense avoir la bonne interprétation, mais on n'est pas sûrs. Comme juge, vous en avez vu passer, des débats de l'intention du législateur, des nouvelles lois, et l'impact que de nouvelles mesures ont à créer des litiges. Là, j'aimerais vous entendre là-dessus, basée sur votre expérience. Ça sera 190 nouveaux articles avec probablement beaucoup d'amendements, ça va prendre un certain nombre de temps, des litiges, pour développer un corpus jurisprudentiel tout neuf aussi. À quelque part, est-ce qu'on peut y voir un drapeau jaune ou rouge, à ce niveau-là?

Mme Corte (Elizabeth) : Bien, écoutez, moi, je pense que cette loi avait un grand besoin d'être révisée de fond en comble, tout le monde nous l'a dit. Et bien sûr qu'il y a des... ça va amener son lot de difficultés, c'est sûr que les experts, bien, ils vont étudier la loi, ils vont y voir des interprétations, mais ça ne va pas être différent, on a eu un nouveau code de procédure civile il y a quelques années.

Bien oui, vous avez raison, ça va engendrer certaines difficultés, mais je pense qu'on ne peut pas faire autrement que de changer les choses qui doivent être changées, au fond, et d'avoir confiance que les gens vont faire pour le mieux. Je pense que ce n'est pas, quand même, tout qui change, il y a beaucoup qui change, mais c'est un incontournable, là, de faire les modifications, alors je pense que, oui, vous avez raison, tout ce que vous avez dit, c'est exact, il va falloir s'y mettre, il va falloir l'analyser, il va falloir le comprendre.

Une chose, maintenant, qu'on apprend par contre, c'est que toute législation doit été écrite ou devrait être écrite dans un langage clair. Je ne dois pas être la seule à vous en avoir parlé. Puis là vous comprenez que nous, toutes les deux, nous sommes ici à titre de coprésidentes du comité. Moi, je n'ai pas analysé le projet de loi en fonction de... est-ce qu'il rencontre les éléments de langage clair et des exigences de langage clair. C'est sûr que, même moi, à la lecture, je l'ai lu deux, trois fois, c'est sûr que... Ça, est-ce que ça parle de ça? Ça, est-ce que ça réfère à ça? Ça, qu'est-ce que ça veut vraiment dire? Mais, bon, il y a quand même des choses, des éléments qui sont repris de l'ancienne législation.

Peut-être une des choses à considérer, je reviens à la partie à laquelle a répondu Mme Desrosiers tout à l'heure, vous savez, il y a des processus de médiation qu'il faut regarder, qu'on pourrait regarder aussi, hein, la médiation a pris une grande, grande place maintenant. Je parlais du nouveau Code de procédure civile, je ne veux pas faire une longue histoire avec ça, mais on encourage les gens à aller en médiation. Et je sais que, quand on parlait... j'étais déjà... quand j'étais encore à la cour, on parlait sur les litiges selon la Loi de l'impôt, là, puis on se disait : Ça prendrait aussi un mécanisme de médiation. Bon, ce n'est peut-être pas la solution à tous les problèmes, la médiation, ce n'est peut-être pas approprié dans tous les cas, mais certainement, les processus de médiation avec des médiateurs qui sont accrédités, qui sont formés. On recommande même... là, je reviens à ma violence conjugale et à mon agression sexuelle, on propose qu'il y ait des médiateurs formés en agression sexuelle et en violence conjugale, bien, peut-être que, si on avait des médiateurs formés, des médiateurs qui sont au fait de la nouvelle loi puis qui sont capables de traiter, on arriverait peut-être à un meilleur résultat, certainement un processus moins confrontant, moins contradictoire.

• (17 h 50) •

M. Tanguay : Et vous avez... Je pense que c'est une très belle suggestion et bonne suggestion que vous nous faites là, d'autant plus qu'on a — utilisons l'expression imparfaite de «clientèle» — une clientèle déjà vulnérable au départ. Puis vous le savez, pour être anciennement avocat en litige commercial, passer devant le tribunal, là, ce n'est pas drôle pour personne, alors imaginez une personne vulnérable. On a entendu le groupe avant vous qui travaille avec des hommes agressés sexuellement en enfance, tout le processus et l'impact de réminiscence et de rejet que l'on sent comme victime de se faire rejeter sa demande puis devoir se rebattre puis... Alors, très belle suggestion que l'on devra analyser, et je fais un lien avec votre recommandation aussi, ça participe peut-être de ça d'avoir un ombudsman, un ombudsman qui soutient ressources et qui prendrait la quasi-totalité des cas qui vous seraient soumis, là, qu'il n'ait pas le problème de choisir qui aura ouverture du recours devant cette personne, mais j'aimerais vous entendre là-dessus. Ce serait à propos, là... une clientèle vulnérable.

Mme Corte (Elizabeth) : Oui. Julie?

Le Président (M. Bachand) : En une minute, Mme Desrosiers.

Mme Desrosiers (Julie) : Sur l'ombudsman, l'idée derrière la création de cet ombudsman québécois, c'est de faire la promotion des droits et des recours des victimes. Donc, on propose... les recours doivent d'abord être offerts par tous les organismes qui sont chargés de la mise en oeuvre des droits. Puis, si, là, il n'y a pas satisfaction ou si une personne se pose des questions sur ses droits, l'ombudsman est une référence. Puis la raison pour laquelle on fait cette suggestion-là, c'est pour mieux les faire connaître et les structurer au Québec, parce qu'actuellement, alors que tous les organismes qui offrent des services à l'intérieur du processus de justice pénale aux victimes devraient avoir des mécanismes de recours, c'est le cas de manière inégale, et les recours sont différents, difficiles, et ce n'est pas clair pour les victimes. Donc, l'idée, c'est de structurer tout ça, d'unifier tout ça, et ça va avec la partie du projet de loi que vous étudiez qui a trait à l'aide aux victimes. Donc, ce qu'on dit, c'est que la première partie du projet de loi, je sens la bonne volonté, là, dans cette première partie-là, là, je ne veux pas, tu sais, qu'on me lise comme étant critique puis disant que, tu sais, ce n'est pas bien, là, mais...

Le Président (M. Bachand) : En terminant, le temps s'écoule, Me Desrosiers, pourriez-vous terminer parce que le temps est écoulé maintenant?

Mme Desrosiers (Julie) : Oui, je fais ça tout de suite. Donc, cette première... en fait, c'est le titre II, là, Soutien aux personnes victimes, tout ça doit être plus clairement énoncé, les droits, les recours, puis, nous, on pense qu'un ombudsman aiderait en ce sens-là. Et même je dirais que je ne suis pas certaine que ça doit se retrouver dans une loi sur l'indemnisation parce que les droits puis les recours, ça excède l'indemnisation. Avant, la loi sur l'aide aux victimes, elle avait son existence propre, puis peut-être qu'il faut revenir à cette idée.

M. Tanguay : Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Sherbrooke, s'il vous plaît.

Mme Labrie : Merci, M. le Président. Bonjour. Mme Desrosiers, Mme Corte, ça fait plaisir de vous revoir aujourd'hui.

Mme Desrosiers (Julie) : Bonjour.

Mme Corte (Elizabeth) : Bonjour, Mme Labrie.

Mme Labrie : J'ai trouvé ça intéressant ce que vous nous avez dit sur la question des biens, l'atteinte aux biens dans certains contextes de violence conjugale. Il y a des personnes qui nous ont suggéré, je pense à l'Association des juristes progressistes, à Me Michaël Lessard aussi, ils nous ont suggéré de rajouter à... bien, il n'y a plus de liste, là, maintenant, de crimes, mais d'inclure quand même, à cette absence de liste, certains types de... j'appellerais... bon, ce n'est pas des crimes, mais certains types de gestes qui ne sont pas criminels, mais qu'on aspire à ce qu'ils le deviennent, je pense à la violence psychologique en contexte conjugal, qui n'est toujours pas dans le Code criminel, mais qui pourrait peut-être être ajoutée à la liste des motifs pour avoir accès à une indemnisation. Est-ce que vous pensez que ça pourrait être une avenue pour répondre aux besoins des victimes dans la situation dont vous nous avez parlé?

Mme Desrosiers (Julie) : C'est une grosse question, c'est la question de la violence coercitive, hein, c'est ça que le fédéral étudie en ce moment, peut-être faire de la violence coercitive un crime. Donc, là, la proposition, si je comprends bien, c'est de dire : Bien, tu sais, s'il y a violence coercitive, même si, actuellement, ce n'est pas au Code criminel, bien, on pourrait l'inclure. Ça peut être un choix. Tu sais, moi, ce que je trouve qui est plus facile, peut-être, ou, en tout cas, certainement qui, moi, me paraît couvrir les situations, c'est de dire, tu sais... de parler de contexte de violence conjugale, tu sais. Tu sais, une infraction dans un contexte de violence conjugale, tu sais, peu importe l'infraction, tu sais, là, je pense qu'en faisant ça, en tout cas, certainement, on couvre les situations auxquelles je peux penser, tu sais. Maintenant, est-ce que, si on fait ça, on va échapper des situations où il n'y aurait que violence psychologique? Quand il y a violence psychologique, on a quand même le harcèlement criminel, à l'heure actuelle, qui permet de couvrir la majorité des situations. Donc, si c'était écrit dans un contexte de violence conjugale, moi, je pense que ça serait peut-être plus facile parce que, tu sais, ce n'est pas nécessaire de créer une situation hors crime, tu es encore dans l'indemnisation des victimes d'acte criminel, mais, en disant «dans un contexte de violence conjugale», tu sais, tu ratisses suffisamment large pour ne pas exclure, parce que le problème avec cette proposition-là, pour le moment, c'est que ce n'est pas un crime. Donc là, on est dans l'indemnisation des victimes d'actes criminels, n'est-ce pas? Donc, ça serait, c'est ça, ça serait peut-être plus difficile pour une loi qui se consacre à l'indemnisation des victimes d'actes criminels de procéder comme ça, mais certainement, je ne vois aucun problème à dire «dans un contexte de violence conjugale», c'était le sens de ma proposition.

Mme Labrie : Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole à la députée de Joliette, s'il vous plaît, pour 2 min 45 s.

Mme Hivon : Oui, bonjour, un plaisir pour moi aussi de vous revoir. Merci d'être parmi nous. Et j'invite tout le monde à lire l'excellent rapport Rebâtir la confiance du début à la fin.

Donc, juste... je veux revenir sur la question des droits et du fait qu'on a fusionné les deux lois, donc, l'aide et l'indemnisation. On se rend compte... en tout cas, beaucoup de groupes nous disent que c'est comme si la base et la structure est vraiment celle de l'indemnisation, puis il y a une vraie réflexion qui a été faite pour changer les choses par rapport à ça puis qu'on est venu coller, un peu, les questions d'aide et de recours, mais sans vraiment les préciser. Donc, le député de LaFontaine vous en parlait, je veux juste que vous alliez au bout de votre réflexion. Est-ce que vous nous suggérez de continuer à avoir deux lois pour ne pas faire comme si les droits et les recours sont liés uniquement à l'indemnisation? Ça fait que si vous pouvez juste nous dire votre recommandation par rapport à ça, et comment on pourrait préciser puis aller plus loin pour la question de la reconnaissance de l'accompagnement des droits, parce qu'il y a beaucoup de bons voeux dans le projet de loi, mais il n'y a pas de moyens, il n'y a pas de précisions par rapport à ça.

Mme Desrosiers (Julie) : Bien, nous, ce qu'on a suggéré, le comité, là, je suis vraiment dans mon rôle de coprésidente du comité, parce qu'on a écrit là-dessus, on a écrit un chapitre là-dessus, pour répondre, donc, directement à votre question, la réponse pour nous, c'est oui, il y a lieu de le traiter séparément parce que ça excède la cadre de l'indemnisation. Tu sais, il y a une loi sur l'indemnisation qui vise à indemniser les victimes d'actes criminels, donc, je répondais, dans ce sens-là à votre collègue, Christine Labrie, là, on est dans l'indemnisation des victimes d'actes criminels, mais les droits de la personne victime puis les recours de la personne victime, ils excèdent le cadre de l'indemnisation. Une victime peut avoir des droits, par exemple, par rapport à la poursuite, par rapport à l'enquête policière, par rapport à son traitement à l'intérieur du système judiciaire.

D'ailleurs, dans le projet de loi, actuellement, tout l'article 6, il s'adresse au système de justice criminelle, mais on n'est pas dans l'indemnisation, tu sais, ça fait que c'est deux thèmes, et le thème des droits et des recours, il est un thème en lui-même. Puis c'est important de le structurer parce qu'actuellement au Québec, là, non seulement les victimes ne connaissent pas leurs droits, mais les intervenantes, les gens sur le terrain ne connaissent pas bien les droits des personnes victimes garantis par la charte canadienne des droits des personnes victimes, ça fait que, pour nous, il y a lieu de les préciser et de les affirmer, dans le contexte québécois, de manière claire.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Sur ce, Mme Corte et Mme Desrosiers, merci infiniment d'avoir été avec nous, ça finit vraiment avec grande qualité et grande crédibilité. Alors, ça, on l'apprécie infiniment. Donc, merci d'avoir été avec nous.

Une voix : Merci de nous avoir reçus.

Mémoires déposés

Le Président (M. Bachand) : Ça fait plaisir. Avant de conclure les auditions, je procède au dépôt des mémoires des organismes qui n'ont pas été entendus lors des auditions publiques.

Je tiens à remercier les femmes et les hommes de la technique, ici, à l'Assemblée nationale, ce n'est pas évident de faire des conférences virtuelles, alors merci infiniment de votre collaboration. Merci aux gens du secrétariat aussi. On forme une équipe, vraiment, absolument exceptionnelle.

Cela étant dit, ayant accompli son mandat, la commission ajourne ses travaux sine die. Merci beaucoup.

(Fin de la séance à 18 heures)

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