(Neuf
heures trente-cinq minutes)
Le
Président (M. Bachand) : Bon matin, tout le monde. Ayant
constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte.
La
commission est réunie virtuellement afin de procéder aux consultations
particulières des auditions publiques sur
le projet de loi n° 84, Loi visant à aider les personnes victimes d'infractions criminelles et à
favoriser leur rétablissement.
Mme la
secrétaire, y a-t-il des remplacements?
La
Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Martel
(Nicolet-Bécancour) est remplacé par M. Provençal (Beauce-Nord) et
M. Fontecilla (Laurier-Dorion) est remplacé par Mme Labrie
(Sherbrooke).
Auditions
(suite)
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Ce matin, nous entendrons, par
visioconférence, les personnes et groupes suivants : Me Daniel
Gardner, professeur titulaire à l'Université Laval; Me Michaël Lessard, doctorant en droit de l'Université de Toronto,
mais, d'abord, nous allons débuter avec Mme Deborah Trent,
directrice du Centre pour les victimes d'agression sexuelle de Montréal. Alors,
Mme Trent, bienvenue à la commission.
Mme Trent
(Deborah) : Merci beaucoup.
Le
Président (M. Bachand) : Alors, je vous invite à prendre... à
commencer votre exposé. Vous avez 10 minutes, et, par après, on aura un
échange avec les membres de la commission. Alors, encore une fois, bienvenue, et
la parole est à vous.
Centre pour les victimes
d'agression sexuelle de Montréal (CVASM)
(Visioconférence)
Mme Trent
(Deborah) : Merci beaucoup. Alors, bonjour à tout le monde, M. le
ministre Jolin-Barrette, et tous les élus, et les parlementaires. Il me
fait vraiment plaisir d'être avec vous ce matin. Comme le président a dit, le
mémoire que j'ai préparé vous sera envoyé pas la suite. J'ai eu envie de faire
une petite relecture, dernière relecture, étant donné que ça a été fini assez
tard.
Alors, je suis la
directrice du Centre pour les victimes d'agression sexuelle de Montréal, qui
est un organisme communautaire qui existe depuis fort longtemps. On a été créé
en 1980. Ce fut une initiative des professionnels de la santé qui travaillaient
dans... au CLSC Métro, et elles ont vu, à Montréal, les personnes qui étaient
impliquées, à ce moment-là, ont vu à Montréal qu'il existait peu de services
pour les victimes d'agression sexuelle. Alors, elles ont décidé de mettre en
place un service. Alors, ça a été vraiment... On a été vraiment au début, dans
les... parmi les premiers services pour les victimes d'agression sexuelle ici,
au Québec.
Je vais passer un
petit moment aujourd'hui à vous parler très, très brièvement du centre. Dans le
document que je vous ai préparé, je vous en parle beaucoup plus longuement. Et
ensuite je vais m'attarder sur quelques points en lien avec le sujet de
l'heure, soit le projet de loi n° 84. Je pense qu'il est important, au
point de vue historique, je pense qu'il est important de dire tout simplement
que le centre a acquis, à travers les années, beaucoup d'expérience, au niveau
de l'offre de services, pour les victimes d'agression sexuelle. On a évolué
beaucoup avec le temps. On a commencé avec, juste pour vous donner une idée, on
a commencé avec une employée payée et aujourd'hui on a une équipe de près de...
pas loin de 45 personnes.
Le centre, lui, offre
différents services dont... On est un des centres désignés, un des quatre
centres désignés à Montréal pour les victimes d'agression sexuelle. On offre
également une équipe. On offre des suivis cliniques aux personnes qui ont vécu
des agressions dans la dernière année. On gère également la Ligne-ressource
provinciale pour les victimes d'agression sexuelle, qui est la ligne d'écoute,
un petit peu comme SOS Violence conjugale, sauf qu'on est là pour les victimes
d'agression sexuelle.
Et, depuis 2018, on
est mandataires d'un nouveau projet qui cherche à offrir soutien, appui et
encadrement pour tout le réseau, le grand réseau des centres désignés à travers
la province du Québec. Alors, on a des services qui sont montréalais, mais on a
aussi deux mandats provinciaux. Donc, on a une loupe et un regard vers... pour
essayer quand même, assez clairement, d'être à l'écoute des besoins à travers
toute la province du Québec.
• (9 h 40) •
Le centre,
lui, a offert depuis... juste pour vous donner une idée d'ordre de grandeur, a
reçu, depuis 1997, alors depuis quand
même plusieurs années, l'équivalent de 3 591... on a effectué
3 591 interventions d'urgence médicosociale. Donc, ça veut dire que c'est des personnes qui viennent en
centre désigné. Au courant de la dernière année, on en a reçu 249, et la
Ligne-ressource provinciale reçoit annuellement à peu près l'équivalent de
8 000 appels, donc à peu près 700... plus de 700 appels par
mois. Donc, c'est un ordre de grandeur quand même important.
Dans le mémoire que je vais vous déposer, on a
fait un recensement des appels reçus à la ligne-ressource pour vous donner une idée de ce que les appelants
peuvent nous poser comme question ou en lien... avec les problématiques
en lien avec l'IVAC. Alors, je ne ferai pas un retour là-dessus, parce que le
temps ne le permet pas aujourd'hui, mais je voulais quand même prendre un petit
moment pour vous faire part de certains de mes commentaires par rapport à ce
nouveau projet de loi.
Alors,
inutile de vous dire que moi, je travaille dans le domaine des victimes d'actes
criminels depuis, comme vous pouvez
le constater, depuis vraiment fort longtemps, et je ne peux pas me rappeler
d'un moment où on n'a pas parlé d'une réforme de la loi de l'IVAC.
Alors, c'est quelque chose qu'on attend, tous les organismes attendent depuis
vraiment, vraiment très longtemps. Je pense qu'on vous a quand même signifié...
Plusieurs organismes, entre nous, vous ont signifié
qu'on était tellement contents d'avoir ce projet de loi, mais on aurait
vraiment apprécié pouvoir avoir un peu plus de temps pour en faire un
retour et un regard et beaucoup plus en profondeur. Mais, somme toute, on a
quand même été capables de vous ramener certains points.
Il y a clairement, clairement de très bons coups
dans le projet de loi. Je pense que la première chose qui vient en tête, c'est
toute la question de l'abolition de l'annexe. Cette loi-là, elle est
maintenant... elle arrive à jour, elle arrive, en 2021, avec les crimes qui
sont beaucoup plus connexes à la réalité des personnes qui sont victimes
d'actes criminels. Vous avez aussi proposé que les victimes de 14 ans et
plus puissent signer leur demande. Alors, ça aussi, c'est une importante
avancée. On pense... On va aussi proposer que les délais soient prolongés,
jusqu'à trois ans, pour faire une demande de prestations.
Vous avez
aussi proposé que les citoyens canadiens qui ont été victimes d'agression
sexuelle ou victimes d'actes criminels à l'extérieur du Québec puissent
aussi en faire une demande, ce qui était vraiment une nouveauté. Et le projet
prévoit également, et ça, c'est une importante avancée, quelque chose qui avait
été demandé depuis vraiment fort longtemps et qui va vraiment... témoigne vraiment
de votre préoccupation d'être à l'écoute des besoins des victimes et des personnes qui travaillent auprès de ces personnes-là, de la
création d'un programme d'aide en situation d'urgence. Alors, ça, c'est
vraiment quelque chose qui est vraiment très, très bien reçu.
Quand moi, je pense à la loi de l'IVAC et
quand... et nous, sur le terrain, on parle de ça. Vous avez apporté, proposé un
nouveau nom, une nouvelle appellation. Mais c'est clair que nous, sur le
terrain, on est vraiment dans la réalité quotidienne, et la réalité quotidienne
en lien avec l'IVAC, c'est clairement l'application de cette loi. Et j'ai
cherché dans les commentaires ou, en tout cas, dans les remarques que j'ai
formulées dans mon mémoire, de vous faire état de ce qui est vécu sur le
terrain, parce que je pense que ce qui est vécu sur le terrain et les
expériences que les victimes nous disent, ce
que les intervenants et intervenantes nous disent aussi va... nous donne de
l'information sur ce qui sera important, là, à trouver dans le nouveau
projet de l'IVAC. Je comprends très bien qu'un projet de loi, c'est des lois,
c'est des choses très formelles, mais je crois que c'est important de pouvoir
faire bénéficier les différents articles de la loi, qu'elle soit inspirée des
expériences sur le terrain.
Dans le mémoire, je fais état de plusieurs,
plusieurs expériences terrain en lien avec l'application de la loi. D'ailleurs,
le Protecteur du citoyen avait fait... avait soulevé plusieurs, plusieurs
problématiques en lien avec ça. Et, encore aujourd'hui, c'est ce que les
victimes vivent, hein, les victimes vivent énormément de difficultés en lien
avec l'accès aux services, avec une compréhension des documents de l'IVAC, une
réception qui est courtoise et qui est vraiment à l'écoute des besoins des
victimes. Alors, il y a comme un écart entre ce qu'on leur propose et comment elles le vivent. Il y a toute une préoccupation
importante par rapport aux formulaires, aux documents, aux formulaires
que les victimes doivent compléter. Et je fais état, dans mon mémoire, des
expériences de beaucoup de nos intervenantes en suivi clinique qui doivent
passer énormément de temps à aider une victime à compléter son formulaire.
Et surtout le point qui est très, très
problématique pour les victimes, c'est lorsqu'elles doivent écrire, elles
doivent décrire le récit, et ça propose... ça crée souvent des situations
d'angoisse profonde, de reviviscence avec les flash-back, et tout ça. Alors,
c'est une situation qui est très, très anxiogène, et ce qui fait en sorte, bien
des fois, que la victime, elle est découragée.
On est très, très conscientes, je pense, sur le
terrain, que compléter un formulaire de l'IVAC ne peut pas se faire seul. Alors, ça doit absolument se faire en
étant accompagné par une personne. Donc, ça veut dire que ça exige un accompagnement. Alors, c'est vraiment
important, et je pense que cette réalité-là terrain, en lien avec
l'application, peut avoir un impact sur les lois et sur les mentions qui en
sont faites dans le nouveau projet de loi.
Dans le nouveau projet de loi, vous parlez de
vouloir... Vous reprenez, hein, finalement, les droits, et ce que les victimes d'actes criminels ont le droit
d'avoir l'accès à l'information, et tout ça. Et si on cherche à être... à
correspondre à ce droit-là, bien, il faut s'assurer que dans l'application...
et je pense qu'il faut le nommer, il faut le souligner dans le projet de loi
également. Je voudrais...
Le Président (M.
Bachand) : Il reste très peu de temps, Mme Trent. Le
10 minutes est passé, ça fait que je vais vous laisser une petite minute
de plus.
Mme Trent
(Deborah) : Alors, oui, je vais juste faire... Alors, c'est ça, le
dernier point que je ferais, c'est vraiment en lien avec le travail, auquel
j'ai participé sur le comité d'experts, sur l'accompagnement des victimes
d'agression sexuelle et de violence conjugale à travers tout le système de la
justice. Et un des plus gros constats, un des constats les plus importants qui
est ressorti de nos nombreux mois de travail et de réflexion est en lien,
vraiment, avec le fait que les organismes d'aide
travaillent en silo, que tout le monde est séparé, que tout le monde se
retrouve dans un ministère ou dans l'autre, dirigé. Et, dans le nouveau projet
de loi, on parle... C'est sûr que c'est le projet de loi du ministère de la
Justice. C'est clair que c'est... donc, des organismes qui émanent du ministère
de la Justice, ce sont les CAVAC, mais on doit...
Et, dans le projet de
loi, on ne l'entend pas, on n'entend pas de message en lien avec l'importance
de la collaboration, de l'échange, du partage, du travail de concertation entre
les différents organismes d'aide. Et, en bout de ligne, si cette collaboration,
elle est nommée dans le projet de loi, ce qu'on ne voit pas, il me semble que
ça permettrait, entre autres, d'apporter un meilleur service aux victimes. Oui,
voilà.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. On va passer à la
période d'échange. M. le ministre, s'il vous plaît, vous avez la parole. Merci.
M.
Jolin-Barrette : Oui. Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Trent.
Merci d'être présente avec nous aujourd'hui, nous partager vos réflexions.
Je vais rebondir sur
ce que vous avez dit, à la fin, d'avoir une coordination des différents acteurs
pour aider les victimes. Je suis d'accord avec vous, et c'est sûr que ce n'est
pas nommé dans le projet de loi concrètement, mais, sur le plan de la législation, ce n'est pas possible d'indiquer à des partenaires externes qu'ils doivent collaborer,
mais, bien entendu, c'est l'esprit même de la réforme de l'IVAC. Nous, on
contrôle au niveau du régime d'indemnisation, de
l'accompagnement aux victimes, et c'est ce qu'on souhaite faire. On souhaite
s'assurer que l'IVAC soit plus humain, et c'est pour ça qu'on a
construit le projet de réforme de façon à faire en sorte que, dès le départ, la
personne victime qui a des besoins... pourra avoir des besoins.
Puis ça, je pense
qu'avec les consultations que j'ai faites auprès des groupes de victimes,
c'était une demande, le fait de dire : Bien, il faut avoir du soutien psychologique
dès le départ, dès le moment et ne pas attendre plusieurs mois avant que le
dossier soit autorisé pour avoir de l'accompagnement puis du soutien. Je ne
pense pas me tromper à ce niveau-là.
Mme Trent
(Deborah) : Moi, j'ai moins vu ça. Je ne veux pas vos contredire, là,
mais j'ai moins vu ça. En tout cas, si c'est l'intention, pour moi, c'est moins
clair dans le projet de loi, je le vois moins bien. Mais il me semble qu'il
faut nommer... Puis je comprends, là, qu'un projet de loi, là, c'est compliqué,
puis vous avez quand même plusieurs pages, au départ, qui font l'état de la
situation un peu. Mais il me semble que, c'est ça, là, il y a comme une espèce
de discordance entre ce qu'on souhaite et ce qui se passe sur le terrain.
Alors, si l'intention,
c'est ça, et je ne vous remets pas en question, là, mais si l'intention, c'est
ça, je pense qu'il faut trouver... surtout en lien avec les victimes d'actes
criminels. Et la principale clientèle de l'IVAC, c'est clairement les victimes
de violence conjugale et les victimes d'agression sexuelle ou les victimes de
violence sexuelle. Je pense qu'il faut
trouver une façon beaucoup plus claire, beaucoup plus humaine d'annoncer cette
couleur-là, parce que c'est moins évident dans le projet de loi, de ce que j'ai
vu. Mais on... Voilà, oui.
• (9 h 50) •
M. Jolin-Barrette : C'est ça, mais, en fait, je vous le dis dès le départ, on a mis une
mesure législative qui fait en sorte que le soutien psychologique peut
être offert, dès le départ, sans autant que le dossier ait été accepté,
justement, pour faire en sorte que la victime ait des ressources tout de suite.
Puis ça, c'est une critique qui nous a été formulée.
Aussi, sur... Je suis
d'accord avec vous, là, sur la question des formulaires. Maintenant, à l'IVAC,
ils vont pouvoir aider au niveau de remplir les formulaires. Ça, je pense que
c'est une demande, puis aussi, surtout, simplifier les formulaires aussi pour que
ça soit le plus accessible possible pour les personnes victimes.
J'aimerais vous
entendre, là, sur le délai qu'on augmente, là, de deux à trois ans, pour
présenter une demande et sur l'abolition du délai de prescription, là, pour ce
qui est violence conjugale, violence sexuelle puis violence subie pendant
l'enfance.
Mme Trent (Deborah) : Je pense que c'est une très bonne idée. Je pense que... parce que vous nommez aussi, là... Je
pense que le fait de l'étendre, je pense que ça va être davantage au service
des victimes, ça correspond davantage à leurs besoins aussi. Je pense qu'une
victime d'agression sexuelle, après la commission du crime, cette victime-là,
des fois, elle cherche de l'aide, des fois, elle ne la cherche pas, des fois,
elle n'en parle pas du tout. Alors, de pouvoir vraiment avoir accès à des
services qui sont à l'écoute de cette réalité, qui est de ne pas pouvoir
toujours aller rapidement aller chercher de l'aide, je pense que c'est quelque
chose qui va être beaucoup plus aidant pour une victime d'agression sexuelle,
pour une victime de violence conjugale également.
Je pense que c'est
une bonne chose d'étendre et je pense que c'est une bonne chose aussi... Dans
la loi, on entend qu'il y a des
particularités pour les personnes qui sont victimes des violences sexuelles et
des agressions sexuelles. Alors, je pense que c'est une bonne chose.
M. Jolin-Barrette : Peut-être... On met en place un programme d'urgence pour faire en sorte
que, lorsqu'une personne est en
situation de danger, de vulnérabilité, elle puisse quitter son milieu. Donc, on
parle d'aide au logement, la
nourriture, le transport vraiment rapidement. Vous, selon votre expérience, là,
je comprends que c'est quelque chose qui manquait actuellement.
Pouvez-vous nous décrire l'état des victimes, là, lorsqu'elles décident, là, de
quitter le milieu toxique, ou tout ça, qu'est-ce que ça prend, en termes
complets, là?
Mme Trent (Deborah) : Bien, c'est
parce que ça dépend... Oui, excusez-moi.
M.
Jolin-Barrette : Allez-y, allez-y. Je suis désolé.
Mme Trent (Deborah) : Non, non, non.
Je pense que ça dépend vraiment de la situation qui est vécue par la victime.
Alors, c'est sûr que les besoins d'urgence... Je sens que les besoins
d'urgence, au niveau d'une victime de violence conjugale et une femme avec...
ou une victime avec des enfants, et tout ça, je pense que ces besoins-là sont
plus pratiques, plus fonctionnels, et tout ça, peut-être qu'ils seront encore
plus grands. On a quand même, au niveau des victimes de violence sexuelle, au
niveau des victimes d'exploitation sexuelle qui sont mal prises, qui sont dans
la rue, qui n'ont pas de recours, qui n'ont pas de service, et tout ça... de
pouvoir avoir accès rapidement à un service qui va les aider, par exemple, à
les transporter d'un point A vers un point B, dans un milieu sécuritaire.
On a reçu, nous, un appel à la Ligne-ressource
provinciale pour les victimes d'agression sexuelle d'une jeune fille qui se
retrouvait... qui était dans un Tim Hortons à trois heures du matin. C'était le
seul endroit où elle pouvait aller, elle n'avait plus d'argent. Ce n'était pas
sécuritaire pour elle de quitter. Et de pouvoir avoir accès à un service, qui
lui aurait été payé plus facilement, aurait été vraiment très, très aidant.
Alors, c'est ce genre de chose là.
Une autre chose aussi qui n'est pas nommée, au
niveau des besoins d'urgence, qui n'est pas nommée dans la loi, et je le mentionne à plusieurs
reprises dans mon mémoire, c'est l'accès aux services en centre désigné.
Alors, il y a... on voit plusieurs victimes d'agression sexuelle qui ont besoin
d'avoir accès aux services en centre désigné. Alors, c'est pour
effectuer une intervention médicosociale, donc s'occuper de leur état de santé,
mais aussi compléter, si besoin et si elles le souhaitent, une trousse
médicolégale.
Et, pour les victimes qui n'ont pas de carte
RAMQ, qui n'ont pas accès, d'avoir accès à ces services-là peut présenter des
coûts quand même importants. Et de devoir discuter, de devoir essayer de
négocier tard la nuit, lorsqu'on vient de vivre une agression sexuelle, qui va
payer ce service-là? C'est complètement dérangeant, épouvantable, et tout ça, et c'est quelque chose qui peut faire en sorte que les victimes n'iront pas dans les services. Alors, un programme
d'urgence pourrait, dans des circonstances comme ça, offrir un soutien et
permettre aux victimes d'avoir accès, sans préoccupation, aux services qui
sont... qu'elles ont le droit de recevoir, et facilement.
Alors, ça, c'est... Je dirais aussi, une victime
d'agression sexuelle qui n'a pas d'argent, qui a un besoin de transport, qui n'a pas de place... Vous savez, il y a beaucoup
moins d'hébergement pour les victimes d'agression sexuelle. Alors, elle doit se rendre... par exemple, elle doit aller dans un lieu sécuritaire, elle doit aller dans un
hôtel, elle n'a pas les moyens, l'agression sexuelle s'est passée chez
elle, etc. Alors, il y aurait plusieurs moyens... ou plusieurs besoins qui
pourraient être compensés par un régime... un programme d'urgence.
Ce qui est important avec le programme
d'urgence, c'est que ça soit rapide et simple. Il ne faut pas qu'on doive
compléter un formulaire. Tu sais, il faut que ça soit vraiment, vraiment un système
qui est le plus simple et le plus rapide, le plus urgent. C'est un programme
d'urgence.
M. Jolin-Barrette : Je vous
remercie, Mme Trent. J'ai des collègues qui souhaitent poser des
questions. Donc, un grand merci pour votre partage en commission parlementaire.
Mme Trent (Deborah) : Merci
beaucoup.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. J'ai Mme la
députée de Les Plaines, s'il vous plaît.
Mme Lecours (Les Plaines) : Merci
beaucoup, M. le Président. Merci, M. le ministre. Bonjour, Mme Trent.
Mme Trent (Deborah) : Bonjour.
Mme Lecours (Les Plaines) :
Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui. On a hâte de lire votre mémoire. On
avait déjà des grandes lignes sur votre organisme, les bienfaits de votre organisme,
le type de clientèle, si on peut appeler ça la clientèle, là, je pense que je
mets des gros guillemets...
Mme Trent (Deborah) : On se
comprend.
Mme Lecours
(Les Plaines) : ...des gens
dans le besoin ainsi que les bienfaits sur le terrain. Donc, je vous
en... Je profite de l'occasion pour vous
féliciter du travail que vous faites. Je
pense que c'est un travail qui est
important, essentiel.
J'aimerais vous entendre aussi sur un pan du projet
de loi, à l'effet qu'il n'y aurait plus de rente viagère, mais des montants
forfaitaires, et ceci étant rendu nécessaire de par l'élargissement aussi du
nombre de victimes que nous voulons pouvoir mieux servir, mieux desservir,
donc... Et aussi tout le côté important qui est, justement, de pouvoir faire en sorte que ces gens reviennent dans... sur
le marché du travail, donc les accompagner, un meilleur accompagnement
pour pouvoir justement reprendre une place dans la société sans ce bagage de
leur passé, qui pèse lourd, donc tout un accompagnement nécessaire. J'aimerais
vous entendre sur ces pans du projet de loi.
• (10 heures) •
Mme Trent (Deborah) : O.K. Merci.
Alors, moi, je vous dirais que, quand on se questionne... les personnes, en tout cas, là, nos petits efforts de
consultation, de réflexion qu'on a pu faire au courant de la dernière semaine,
quand on se questionne sur quels sont les
besoins les plus importants des personnes qui sont victimes d'un acte criminel,
et, dans notre cas à nous, c'est les victimes de violence sexuelle, ce
qui est nommé le plus, c'est vraiment d'avoir accès aux services
thérapeutiques, dans un premier temps, deuxièmement, d'avoir un remplacement de
revenu. Alors, pour les victimes
qui n'ont pas d'assurance salaire, qui n'ont pas d'autres moyens d'avoir,
facilement, accès à un remplacement de revenu,
ça aussi, c'est vraiment une des choses qui est les plus importantes et aussi
les choses en lien avec un déménagement.
Je peux moins vous parler de la question en lien
avec le montant forfaitaire, parce qu'on n'a pas eu le temps de bien, bien
approfondir notre réflexion, mais je vous dirais que ce qui plus important...
C'est sûr que ça peut être important, surtout pour les personnes qui ont des
séquelles à long terme, que, vraiment, leur jouissance au niveau de la vie, on voit moins que les personnes vont s'en
sortir. Mais ce qui me semble encore plus important et ce qui semble être nommé encore... de façon plus importante par
les victimes, c'est de l'aide concrète, immédiate, pour pouvoir
travailler sur ce qu'elles ont vécu.
Alors, il faut trouver des façons, et un des
problèmes qu'on vit présentement dans... pour répondre aux premiers besoins des
personnes qui ont vécu les agressions sexuelles, c'est de pouvoir rechercher et
de trouver une thérapeute. Alors, c'est sûr
que les organismes comme nous, c'est le CALACS, etc., les CAVAC. On offre, on
fait du suivi, mais nos listes
d'attente sont tellement énormes qu'on doit recourir à l'IVAC. Alors, si
présentement, essayer de chercher une
thérapeute... présentement, c'est très,
très difficile, il n'y en a pas assez, les tarifs qui sont payés par l'IVAC ne sont pas concurrentiels et compétitifs pour les
thérapeutes, les gens acceptent de
moins en moins les mandats de
l'IVAC.
Alors, il me semble qu'il faut trouver un
équilibre entre, oui, des montants forfaitaires, mais il faut trouver des façons monétaires, oui, de répondre à des
besoins concrets et des besoins... et rapidement. Alors, moi, je vous dirais que oui, montants forfaitaires, quand c'est
pertinent, et tout ça, mais je ne suis pas sûre que c'est le plus grand
besoin. Et je ne dis pas, là, qu'il faut l'enlever, là, ce n'est pas ça que je
dis du tout, là, mais je pense qu'il faut trouver un équilibre pour essayer de
trouver des moyens plus concrets pour répondre aux besoins plus criants.
Mme Lecours (Les Plaines) : Donc, si
je comprends bien, le continuum de services est d'autant plus important avec ce
que vous venez de me dire, là.
Mme Trent (Deborah) : Je dirais ça
comme ça, oui. Ça mériterait qu'on creuse encore plus, mais je dirais que ce
que... Oui, j'aurais davantage l'impression que oui.
Mme Lecours (Les Plaines) : Et une
dernière question avant de laisser la parole à mes collègues, vous trouvez que
c'est une bonne chose, le programme d'aide urgente.
Mme Trent (Deborah) : Oui.
Mme Lecours (Les Plaines) : Donc, ce
qu'on comprend, c'est qu'il faut que ça soit simple et rapide pour pouvoir
prendre en charge rapidement la victime et ensuite faire... selon le continuum
de service, faire en sorte qu'on l'amène justement à des services précis, rapides
aussi, pour que la personne puisse éventuellement se prendre en charge. Est-ce
que je comprends bien?
Mme Trent (Deborah) : Oui, c'est ça,
c'est un service d'urgence, il faut que ça réponde à des besoins et des besoins
en lien avec la sécurité. C'est ça qui est important, hein, surtout en violence
conjugale, quand une femme se retrouve avec ses jeunes enfants, elle a besoin
de quitter, il n'y a plus de place en maison d'hébergement, elle n'a pas les
moyens de se rendre, il faut avoir quelque chose qui va l'aider tout de suite. En
exploitation sexuelle, c'est la même chose, les victimes qui sont amenées d'un
endroit à l'autre, d'une région à l'autre, et il faut être capables de les
ramener, il faut avoir des mesures concrètes qui vont pouvoir répondre à ces
besoins-là.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup...
Mme Lecours (Les Plaines) : Merci
beaucoup, Mme Trent.
Le Président (M.
Bachand) : J'ai le député de Chapleau. Il
reste deux minutes pour la question et pour la réponse. Merci.
M. Lévesque (Chapleau) : D'accord, merci
beaucoup. Bonjour, Mme Trent.
Mme Trent (Deborah) : Bonjour.
M.
Lévesque (Chapleau) : Une
petite question. Merci
beaucoup de votre témoignage.
Bonjour, chers collègues, également.
Vous avez parlé de la difficulté, là, de compléter toute la question
des formulaires, également écrire et décrire la situation que les
victimes ont vécue, les grands moments d'angoisse qu'elles vivent. J'aimerais
peut-être que vous nous en parliez davantage, peut-être que vous avez des
pistes de solutions pour améliorer ces situations-là.
Mme Trent (Deborah) : Bien, je pense
que, dans un premier temps, il faut que ça soit des formulaires que les gens
puissent télécharger et compléter en ligne, hein? L'autre grande réalité, c'est
que le plus grand nombre de victimes d'agressions sexuelles, hein, c'est
souvent dans la population de 18-25 ans, compléter formulaire, mettre quelque
chose à la poste, ce n'est pas du tout dans leur vécu. Les formulaires, on ne
peut même pas les télécharger, l'IVAC ne... on peut les télécharger, il faut
les compléter à la main. Alors, il faut tout revoir tout ce processus-là.
On peut regarder certains
formulaires d'autres provinces où... qui sont beaucoup plus courts, où on
demande davantage de cocher des réponses. C'est le fait de devoir écrire
longuement, faire un récit, c'est quelque chose qui est très, très perturbant
pour les victimes. Il y a aussi une question qui est très dérangeante pour les
victimes, c'est la question qui demande de nommer si on est capable
d'identifier l'agresseur, de mettre son nom. Les victimes sont très paniquées
par ça, elles ont l'impression qu'on va les poursuivre, et tout. Voilà. J'en
parle un petit peu dans mon rapport, mais il faut trouver des façons efficaces,
simples. C'est décourageant, les victimes abandonnent quand elles voient le
formulaire.
L'autre petit point, c'est aussi par rapport au
remplacement de revenu. Il y a toute une section que les victimes doivent
demander à l'employeur de compléter. Alors, de devoir aller parler à son
employeur et lui dire : J'ai été victime d'agression sexuelle, ça,
c'est...
M. Lévesque (Chapleau) : C'est comme
un frein.
Mme Trent (Deborah) : C'est un frein
énorme.
M. Lévesque (Chapleau) : D'accord. Merci
beaucoup.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup, M. le député de
Chapleau. M. le député de LaFontaine, vous avez la parole. Merci.
M. Tanguay : Merci beaucoup, M.
le Président. Bon matin, Mme Trent.
Mme Trent (Deborah) : Bonjour.
M. Tanguay : Merci beaucoup
d'être avec nous. Bonjour, bonjour.
Mme Trent (Deborah) : Ça fait
plaisir.
M. Tanguay : Écoutez, ce qui
est particulièrement intéressant avec les consultations, c'est qu'on peut mieux
connaître des organismes tels que le vôtre, Centre pour les victimes
d'agression sexuelle de Montréal. J'aimerais vous
entendre d'abord, de façon un peu plus générale, puis on a abordé
la question hier, depuis le mouvement #moiaussi, est-ce que vous avez
vu, sur le terrain, une augmentation significative, là, des appels auprès de
vous?
Mme Trent (Deborah) : Je vous dirais
que, quand il y a des événements comme ce qu'on a vécu cet été, le dévoilement
sur les réseaux sociaux de personnalités, et tout ça, là, tu sais, il y a eu un
moment, au mois de juillet... Alors, à
chaque fois qu'il y a un événement comme ça, quand il y a des choses
médiatisées, etc., il y a une augmentation qui est ponctuelle. Moi, je vous dirais que notre... Depuis le mouvement,
depuis #metoo, #moiaussi, il y a eu une augmentation. Qu'est-ce que ça veut dire? Est-ce que ça veut dire qu'il y a plus d'agressions
sexuelles? Je ne pense pas qu'on peut dire ça.
Je pense qu'on peut dire peut-être davantage que
les gens écoutent ce qui se passe. Les gens, ça les fait vivre des choses. Quand elles entendent ça, elles vont
tendre la main ou tendre... composer pour pouvoir parler avec quelqu'un.
Ça rappelle quelque chose. C'est sûr qu'avec le dévoilement, où les gens
dévoilaient davantage sur les réseaux sociaux,
les victimes avaient beaucoup, beaucoup de préoccupations par rapport à ça, ont posé beaucoup
de questions. Alors, oui, il y a
une augmentation, je vous dirais, tranquille, avec le nombre de
personnes, ou les appels qu'on reçoit. Et, quand il y a des événements
comme ce qu'on a vécu cet été où, par exemple, avec les décisions qui ont été
rendues dans les procès de MM. Rozon et... le nom m'échappe, je pense que
ça aussi, ça fait bouger.
Si votre question, c'est : Est-ce qu'il y a
plus d'agressions sexuelles?, je ne peux pas vous dire ça. Je pense qu'il y a
plus de personnes qui parlent des situations d'agression sexuelle.
M. Tanguay : Ce matin,
ce qui nous réunit, c'est la Loi visant à aider les personnes
victimes d'infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement,
donc, évidemment, on inclut là-dedans les victimes d'agression sexuelle, puis je crois... puis je vous
demanderais peut-être d'étayer, s'il vous plaît, pour beaucoup,
votre action est dans l'urgence. Vous parliez tantôt de la jeune femme
qui était au Tim Hortons, qui appelle, qui ne savait pas où aller, qui finalement
décide de reprendre sa vie en main, décide de lever la main, puis d'alerter,
puis de dire : J'ai été victime d'agression sexuelle. L'aide qui doit
être... Puis vous nous invitez, j'imagine, comme législateurs, à tout mettre ce
qu'on peut, autrement dit, je vais le dire de même, dans le projet de loi pour faire
en sorte que, dans l'urgence, dans l'immédiat,
on puisse s'assurer que, dans la loi, ça soit déjà prévu, des moyens très
tangibles, des services thérapeutiques. Même, vous parliez, j'aimerais vous entendre là-dessus, pour ce qui est d'une trousse
médicolégale, vous disiez qu'il y avait un coût. Il y avait un coût associé
à ça? Ça, vous me l'apprenez, là.
Mme Trent
(Deborah) : O.K.Alors, lorsqu'une personne vit une agression sexuelle
et puis qu'elle consulte, il y a une intervention qui est proposée dans les
ressources qui s'appellent les centres désignés. Alors, à travers... dans
toutes les régions du Québec, il y a des endroits qui reçoivent les victimes
d'agression sexuelle 24 heures par jour,
sept jours par semaine et qui répondent à leurs besoins médicaux, mais qui
répondent aussi, donc... est-ce qu'elles ont été blessées? Est-ce
qu'elles ont des préoccupations par rapport à la grossesse, par rapport aux
infections, et tout ça, transmissibles sexuellement? Mais
si la victime souhaite porter une plainte légale, il y a moyen de ramasser des
preuves médicolégales.
Alors, cette
intervention-là, c'est une intervention qui est offerte à l'intérieur des
centres désignés. Et si une victime qui se présente, qui n'a pas de carte RAMQ,
qui vient d'ailleurs, par exemple, qui est une victime qui est en visite à
Montréal pour le congé d'école, qui vient de l'État de New York par exemple,
elle va avoir... et puis elle voyage avec
les assurances de ses parents, par exemple, elle ne veut pas utiliser ses
assurances parce que ses parents vont être alertés. Alors, il y a
différentes situations : des personnes sans statut, des personnes qui ne
sont pas dans l'attente de statut, donc qui
auraient accès à différentes assurances médicales. Alors, on se retrouve... les
personnes qui n'ont juste rien, et puis elles ont besoin d'être vues en
intervention médicale, et elles ont besoin d'avoir accès à ces services-là,
alors là, il faut payer le médecin. Alors, ça, c'est quelque chose qui réclame
qu'on discute à plusieurs, hein, que Santé et Services sociaux, que Justice,
que tout le monde se parle.
Alors, c'est ça,
quand j'ai dit, à la fin de ma présentation, l'importance et ce qui a été
soulevé, et de façon tellement claire, dans les consultations qu'on a faites
avec le rapport du comité d'experts, c'est : On n'arrivera à rien si on ne
met pas en place des moyens pour tous se parler ensemble. Vous savez, les victimes
d'agression sexuelle, les victimes de violence conjugale et les autres victimes
d'actes criminels ont différents besoins et les réponses à ces besoins-là
sont... proviennent de plusieurs sources. Alors, il faut mettre tout le monde
ensemble pour qu'on réponde à leurs besoins. Si on n'arrive pas à faire ça, les
victimes sont envoyées d'un endroit à l'autre, et ce n'est pas compréhensible,
et on les mêle.
Alors, il y a un
effort à faire. Je pense que le rapport du comité d'experts a fait vraiment
ressortir ça, et c'est pour ça que j'ai
voulu vous en parler ce matin, parce que c'est quelque chose qui... cette
vision-là pourrait aussi apporter, je crois, un meilleur rendement de ce
projet de loi qui est absolument important et essentiel.
• (10 h 10) •
M. Tanguay :
Et puis, en ce sens-là, vous nous invitiez d'ailleurs de peut-être mettre, dans
le projet de loi, le principe de collaboration, concertation. Quand c'est dit
clairement, quand c'est nommé, et puis que de la loi doivent découler les actions de la machine, entre
guillemets, la concertation des intervenants également... De façon très
tangible, iriez-vous à recommander qu'il y ait une table permanente? Comment,
de façon plus tangible, vous pourriez nous inviter à réfléchir ce forum de
concertation là?
Mme Trent (Deborah) : Bien, dans le... parce que c'est frais à la mémoire, là, je suis
certaine que Mme Hivon pourra en faire état également, là, mais le
rapport du comité d'experts a 190 recommandations ou... en tout cas, pas
loin de 190 puis propose, à la fin, la création d'un secrétariat qui pourra
réunir, hein, tous les représentants des différents ministères qui sont
préoccupés par l'offre de services et les différentes législations en lien avec
les victimes d'actes criminels, pour que ça
soit un tout et que ça soit un peu moins pêle-mêle, parce qu'il y a des
répétitions, hein? Vous savez, dans le processus de consultation, on s'est
promené à travers le Québec, il y a eu une consultation en ligne où les
victimes, on leur a posé des questions, elles ont répondu, et ce que les gens
nous ont dit, c'est : Je ne sais pas où aller parce qu'on me répond :
C'est comme ça ici. Ce n'est pas la même chose, ce n'est pas cohérent. Alors,
oui, il faut absolument qu'on revienne aux les tables de concertation et
qu'entre nous on se parle. On se parle, oui, mais il faut que la main gauche
sache ce que la main de droite fait.
M. Tanguay :
Et je reprends la balle au bond. Quelqu'un est venu nous mentionner hier, dans
le début de nos consultations : Il y a la loi et il y aura plusieurs
règlements qui vont venir préciser les modalités d'application de la loi.
Alors, une telle table de la concertation, secrétariat pourrait être mise à
profit également, par des gens comme vous, qui sont sur leur terrain, pour
dire : Bon, bien, dans votre règlement, consultez-nous, puis on aura des
choses à dire sur certains aspects. Parce que la manière dont ça se vivra sur
le terrain, pour beaucoup, ça va être influencé en amont par le règlement qui
va dire : Bien, on devrait...
Mme Trent
(Deborah) : Exactement, exactement, exactement.
M. Tanguay :
Alors, ça, ça pourrait même être fait rapidement, mis en place pour qu'il y ait
un forum de discussion, puis ça, ça fera peut-être partie de nos échanges, et
vous nous avez permis d'aborder le sujet, là, présentement, en consultation,
lorsqu'on sera en article par article sur le projet de loi.
J'aimerais que vous
nous parliez... parce que je vois là aussi peut-être une opportunité, pour
vous, de nous faire part de votre réalité
puis, nous, de se casser la tête comment on pourrait s'assurer de vous aider
dans la rédaction du projet de loi, votre liste... Les listes d'attente,
pouvez-vous m'en parler davantage, nous en parler davantage? Attente pour quels types de service, quels sont les délais
et comment on pourrait mieux faire pour diminuer cette liste d'attente?
Mme Trent (Deborah) : Bien, les listes d'attente, en tout cas, dans notre cas précisément,
c'est pour les services de suivi clinique. Alors, pour les services en
urgence, il n'y a pas d'attente pour ça, là. Tu sais, c'est un
service 24/7, et les centres désignés, c'est ça aussi, là, à travers la
province, là, toute... chaque région se doit d'avoir des centres désignés pour
recevoir les victimes, mais généralement, les services, les listes d'attente...
puis pour nous... et je me sens assez confortable pour dire que, dans la
majorité des organismes qui offrent des services, c'est toujours en lien avec le suivi, alors... Et c'est pour ça que c'est
souvent problématique avec l'IVAC, parce que nous, on a des listes
d'attente qui peuvent être... présentement, je crois que notre liste d'attente,
il y a encore, à peu près, une année pour avoir accès à des services. Il faut
toujours réduire la durée de nos services pour qu'on soit capable de répondre
de façon plus rapide aux personnes qui ont besoin d'avoir recours à nos
services.
Alors, c'est pour faire un
processus clinique, thérapeutique, et c'est pour ça que le complément avec
l'IVAC est tellement important, parce que, si nous, on peut faire un certain
déblayage, on peut commencer le travail, si on veut chercher à répondre à un
plus grand nombre de victimes, bien, il faut passer un peu la balle à l'IVAC,
mais si, au niveau de l'IVAC, ça devient très difficile pour les victimes,
qu'on octroie des services... à l'accès à des services psychothérapeutiques et
qu'il n'y a pas de thérapeute sur le terrain, bien là, ça ne marche pas. Alors
là, aussi, c'est une autre question... Oui?
Le Président (M.
Bachand) : Merci. Merci beaucoup, Mme Trent. Je dois céder
la parole à la députée de Sherbrooke. Merci beaucoup.
M. Tanguay : Merci,
Mme Trent.
Le Président (M.
Bachand) : Merci, M. le député de LaFontaine. Mme la députée de
Sherbrooke, s'il vous plaît, pour 2 min 45 s, hein, le temps file
rapidement.
Mme Labrie : Merci, M. le Président.
Merci, Mme Trent, pour votre présentation. Vous avez parlé avec raison de l'enjeu de donner des services très,
très rapidement pour les victimes, mais vous qui oeuvrez de près auprès
des victimes depuis longtemps, j'imagine que
vous savez aussi également à quel point ça peut prendre du temps se
rétablir d'une agression sexuelle ou de violence conjugale.
L'objectif du projet de loi, c'est justement de
favoriser le rétablissement, mais il y a des éléments dans le projet de loi, je pense, par exemple à... le
maximum de trois ans pour une indemnité de remplacement de revenu,
j'aimerais vous entendre là-dessus. Est-ce que c'est raisonnable trois ans
maximum pour une indemnité de remplacement de revenu, de penser que le
rétablissement de la personne va avoir fait effet dans ce délai-là?
Mme Trent (Deborah) : Bien, je pense
que ça dépend tellement de la situation, je pense que ça va main dans la main
avec... si on offre un service thérapeutique à quelqu'un, bien, il faut que les
services thérapeutiques soient pour la même durée que le remplacement de
revenu. Si on est avec quelqu'un qui n'a pas d'assurance salaire, qui a perdu
son emploi, et on voit ce type de situation là, il faut qu'elle puisse avoir un
moyen de subsistance en même temps qu'elle est capable de travailler, alors...
Et ça dépend aussi, là, tu sais, si on a une victime qui fait une demande par rapport à une situation qu'elle a
vécue dans la dernière année, qui fait une demande à l'IVAC pour avoir
soutien, et tout ça, et puis ça remémore, hein, d'autres expériences qu'elle
aurait vécues dans son enfance, alors c'est sûr que le temps de rétablissement
va être beaucoup plus long, il va être beaucoup plus prenant.
Chaque personne est différente. Je comprends que
c'est dur... c'est difficile d'apporter, de dire : Est-ce que c'est assez?
Est-ce que ce n'est pas assez? Il me semble que trois ans, tu sais, me semblent
pertinents, me semblent convenables, mais il faut que l'accès à ça soit facile,
que ça soit simple, que ça ne soit pas... qu'on se décourage.
Mme Labrie : Parce qu'en ce moment,
les indemnités peuvent être à vie, en fait. Donc là, on vient plafonner à trois
ans. C'est quand même un changement majeur.
Le Président
(M. Bachand) : Rapidement,
Mme Trent, parce qu'il reste 14 secondes.
Mme Trent (Deborah) : Oui,
mais, c'est ça, là, je pense que si l'accès aux services et le remplacement de revenu est fait le plus rapidement possible, je pense
que c'est quelque chose qui peut être, je ne dirais pas «adéquat»,
mais qui pourrait répondre. Si tout est fait mieux, plus vite, plus rapidement,
je pense que ça pourrait répondre. Est-ce que c'est...
mais là aussi, ça prend... J'aurais besoin de réfléchir encore plus
profondément à cette question-là, ça
fait que je...
Le Président
(M. Bachand) : Merci beaucoup.
Mme Trent (Deborah) : Sous
toutes réserves.
Le Président
(M. Bachand) : Merci. Je cède maintenant la parole à la
députée de Joliette. Mme la députée, s'il vous plaît.
Mme Hivon : Oui. Bonjour, Mme Trent. Merci beaucoup de votre présence, puis j'en profite pour vous remercier de tout
le travail que vous avez fait pour le comité d'experts. Les gens n'ont pas idée
à quel point vous avez travaillé fort. Et
donc vous avez accouché de quelque chose de formidable qui, je pense, va
pouvoir faire une réelle différence. Ça fait que je voulais vous
remercier publiquement.
Justement, vous parlez de l'importance que
l'aide psychologique, notamment, puisse être accessible tout de suite. C'est
vraiment quelque chose de fondamental, là, qui ressort du rapport et des
travaux que, dès qu'il y a un dévoilement, qu'il y a une main tendue, qu'on
puisse avoir de l'aide.
Moi, je suis un peu comme vous, je ne le vois
pas, malgré ce que le ministre nous dit, là. Je ne remets pas en question sa parole, mais je pense que ça va devoir
ressortir clairement dans la loi parce que je ne le vois pas en passant
tous les articles. Je comprends que vous non plus vous ne voyez pas quelque
chose de clair qui dit que, même en attente de l'approbation de la demande,
l'aide psychologique va pouvoir être donnée.
Mme Trent
(Deborah) : Oui. Il faudrait que je relise, là. C'est quand même de
nombreuses pages et une lecture assez dense, là. Et ça, c'est, tu sais, même
pour nous, les experts, là, tu sais, qui travaillons là-dedans depuis
longtemps, là, si, nous, on trouve... puis c'est sûr que les victimes n'auront
pas à lire les projets de loi, mais ça... tu sais,
c'est parlant quand même, là. Tu sais, c'est parlant, tu sais, il faut trouver
des choses... il faut vulgariser les choses, il faut trouver des choses
qui sont simples, et tout.
Alors, si on dit que la victime aura accès
rapidement, bien, il faut que ça soit rapide, mais, pour moi, c'est moins clair
dans le projet de loi. Il faudrait peut-être le revoir, mais je suis très prête
à revoir puis à... qu'on me dise que j'ai fait une erreur, là, mais...
• (10 h 20) •
Mme Hivon : Moi
aussi, j'aimerais ça qu'on me dise ça, parce que, moi aussi, je le cherche.
Donc, si le ministre veut nous dire c'est quel article, je vais lui donner
cinq secondes pour nous le dire.
Le Président
(M. Bachand) : Comme vous le savez...
Mme Hivon : On ne
l'entend pas, par exemple.
Le Président
(M. Bachand) : Non, il n'y a pas d'interaction durant les
consultations.
Mme Hivon : O.K.
bon, c'est beau. Il pourra nous le dire. Ça, c'est quelque chose qui est drôle
dans nos travaux, mais voilà.
Donc, l'autre chose que vous nous dites beaucoup,
c'est la difficulté concrète de remplir la demande, toutes les difficultés terrain. Hier, il y a un groupe aussi qui
nous a dit comment c'était difficile, même pour des professionnels, des fois, d'avoir des retours des gens de l'IVAC.
Donc, en ce moment, est-ce que les gens de l'IVAC peuvent aider les
personnes qui doivent remplir leur demande? Est-ce qu'il y a une aide interne
qui est offerte? Est-ce que ça devrait être
le cas? Et qu'est-ce que vous voyez, dans le projet de loi, qui va changer
concrètement, je dirais, toute la bureaucratie et la lourdeur de ce
qu'on vit avec l'IVAC?
Le Président (M.
Bachand) : Mme Trent, je vous laisse 10 secondes
parce que le temps est déjà écoulé.
Mme Trent (Deborah) : O.K. On ne le
voit pas dans l'IVAC, c'est pour ça que j'ai tenu à vous parler de l'application, parce que, dans le projet de
loi, on ne voit pas ça. On ne le voit
pas, une intention vers la simplification, et il me semble que c'est
essentiel. On a reçu une formation d'une personne de l'IVAC, on a fait une
demande, elle est venue donner une formation. On avait prévu trois heures avec
cette personne-là, elle est restée quatre heures de temps parce que les gens
ont tellement de questions, les intervenants ont tellement de questions. Alors,
oui...
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup, Mme Trent,
de votre participation. C'est très apprécié. Cela dit, la commission suspend
ses travaux quelques instants. Mme Trent, encore merci.
(Suspension de la séance à 10 h 23)
(Reprise à 10 h 25)
Le Président (M.
Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend
ses travaux. Il nous fait plaisir d'accueillir M. Daniel Gardner,
professeur titulaire à l'Université Laval. M. Gardner, merci d'être avec
nous aujourd'hui. Je vous rappelle, vous avez 10 minutes de présentation.
Après, nous aurons un échange avec les membres de la commission. Alors, je vous
cède la parole. Merci beaucoup.
M. Daniel Gardner
M. Gardner (Daniel) : Merci à vous.
Bonjour, tout le monde, bon matin. Alors, cours en Zoom, conférences en Zoom,
on est rendu... ou en Teams, c'est la même chose, hein? Oui, on est rendu aux
commissions parlementaires en Teams. Alors,
comment va le monde, n'est-ce pas? Alors, on va essayer de rendre ça le plus
intéressant pour vous et surtout le
plus utile, alors je vais m'en tenir, je vous le promets, aux 10 minutes
pour ensuite pouvoir discuter avec vous.
Vous le savez, sinon il faut le savoir, même le
régime actuel, là, qu'on veut rénover, est déjà le meilleur régime en Amérique
du Nord. Alors, si on se compare juste avec nos provinces limitrophes,
Terre-Neuve n'en a pas, le Nouveau-Brunswick et l'Ontario ont des indemnités
minimales qui sont prévues, quand elles sont prévues, pour les victimes d'actes
criminels. Moi, je suis très fier d'être Québécois là-dessus, pour dire qu'on a
le meilleur régime, parce que nous, depuis longtemps, on tient compte de
l'aspect solidarité qu'on doit donner aux victimes de coup du sort, les
victimes d'actes criminels.
Ce régime-là, donc, qui a presque 50 ans, il
a été adopté dans l'urgence, avec la crise d'Octobre, au début des années 70. Puis il faut comprendre qu'à ce
moment-là, le seul régime qu'on avait de référence, pour pouvoir
indemniser les gens correctement, c'était l'ancienne Loi sur les accidents du travail,
une loi qui remontait à 1931 et qui est toujours appliquée, là, au niveau des
normes d'indemnisation, aux victimes actuelles d'actes criminels. Et c'est, en
partie, ça qui explique pourquoi le régime a si mal
vieilli, c'est ce qui explique notamment pourquoi il y a des rentes viagères. En 1931, les hommes, les travailleurs, l'âge moyen
de décès, l'espérance de vie, c'était de 65 ans, et il n'y avait pas
de supplément de revenu garanti, il n'y avait pas de régime de pension
organisé. Donc, c'était normal de fixer une rente viagère pour un travailleur gravement blessé. À 65 ans, il allait
être décédé puis il n'y avait rien de l'État pour venir l'aider.
On en est rendu, évidemment, aujourd'hui... le
monde a pas mal changé, hein? L'espérance de vie, tant des hommes que des
femmes, est au-dessus de 80 ans, il y a des régimes de solidarité, tant au
fédéral qu'au Québec, qui existent pour les personnes de plus de 65 ans.
Alors, c'est ça qui fait que la rente viagère est si anachronique dans le cadre
du régime actuel.
Donc, juste avant que je vous présente, en
rafale, quelques bons points et quelques moins bons points, à mon humble avis,
du projet de loi n° 84, vous rappeler simplement une chose assez
fondamentale, puis je vais y revenir en
conclusion, l'État n'est pas responsable des actes criminels qui se produisent
sur son territoire. L'État a la responsabilité morale, puis je suis très
fier, je le répète, qu'on ait cette responsabilité morale d'aider les victimes
d'actes criminels, mais l'État, ce n'est pas lui qui doit indemniser, comme
s'il le ferait s'il était responsable de l'acte criminel. C'est aux criminels à
le faire.
Alors, quand on comprend ça, on comprend
pourquoi on ne peut pas vouloir atteindre les indemnités qui sont données
devant les tribunaux ordinaires, on ne peut pas vouloir atteindre les
indemnités qui sont données par les compagnies d'assurance publique, les
compagnies qui ne sont pas l'État, hein, la Société de l'assurance automobile du Québec puis la CNESST. Il y a zéro financement de
la part de l'État, ce n'est pas l'État qui finance ces régimes-là. D'ailleurs, ces régimes-là, ces compagnies
d'assurance publique là sont très payantes pour l'État parce qu'elles
remboursent les coûts de santé de tous les
travailleurs puis de toutes les victimes de la route. On parle de centaines de
millions de dollars par année, là, qui sont remboursés à la RAMQ par la
SAAQ et la CNESST. Donc, il y a une différence fondamentale entre une compagnie
d'assurance publique qui est financée par le créateur du risque,
l'automobiliste, l'employeur et un régime de solidarité qui, lui, est financé
par les impôts et les taxes de tout le monde. Quand on comprend ça, ça aide à
comprendre pourquoi il faut que les régimes soient différents.
Alors, dans
le projet de loi n° 84, moi, j'ai remarqué... j'en ai noté une douzaine de
bons points. Je n'aurai pas le temps
de tous les faire, j'en signale en rafale quelques-uns. L'élargissement de la
notion de victime, c'est une très bonne chose. Je sais que les tribunaux
avaient commencé à élargir, mais ils tordaient la loi en le faisant. Ce n'est
pas ça qui était écrit dans la loi, ce n'est pas ça que le législateur avait en
tête en 1972, notamment de viser les victimes par ricochet de manière aussi large, donc c'est très bien qu'on l'élargisse,
cette notion-là. Qu'on aligne avec les règles du Code civil sur les délais de prescription, sur les
délais pour présenter une demande, c'était quand même extraordinaire qu'on dispose de trois ans minimum dans le Code
civil puis seulement un an ou deux dans l'IVAC. Et c'est très bien aussi
qu'on ait aligné le régime pour les victimes
de violence conjugale et d'agression sexuelle, qu'on rende les règles
imprescriptibles. Si c'est imprescriptible contre un responsable
potentiel, ça devrait être imprescriptible vis-à-vis l'État également.
L'officialisation de toutes sortes... des
mesures de réadaptation, ça existait, ces programmes-là, mais c'était des directives internes. Là, maintenant, c'est dans
la loi. Moi, j'aime beaucoup notamment les règles sur la réinsertion
professionnelle. Vous savez, depuis 20 ans, la majorité des victimes
d'actes criminels ne sont pas au travail au moment
où elles sont victimes de l'acte criminel. Alors, que le régime puisse les
aider à se réinsérer professionnellement parlant puis qu'il y ait des
sommes prévues puis de l'aide prévue pour ça, c'est une excellente chose. Puis
d'ailleurs, de manière générale, là, tout ce qui est ce qu'on appelle, nous,
les universitaires, de la réparation en nature plutôt que de la réparation en
argent, tout ça, c'est du bonbon, à mon avis.
• (10 h 30) •
Je vais...
Vous savez que la loi, hein, ça fait 30 ans qu'on essaie de la rénover. Je
suis retourné dans les rapports, vous
avez peut-être lu le rapport Lemieux,
tout ça, j'ai trouvé un truc
intéressant dans un rapport qui avait été commandé par le ministre de la
Justice en 2001 puis qui a été adopté, donc qui a été rendu public en 2002. Et
c'était un comité... je vous lis la conclusion, c'était : «Comité
consultatif sur la révision du régime d'indemnisation des personnes victimes d'actes criminels...», donc, les membres
du comité disaient qu'ils sont uniques en leur genre. Pourquoi? Parce
que son caractère spécifique provient du fait qu'il est principalement composé
de personnes victimes ou de proches de personnes victimes d'actes criminels,
donc pas des juristes, mais davantage des victimes.
Et qu'est-ce qu'ils disaient au deuxième
paragraphe de leur rapport, ces gens-là? Je vous lis la toute petite
phrase : «Les besoins d'aide, d'information et de considération surpassent
largement, particulièrement dans les jours qui suivent l'agression, le besoin
d'indemnisation.» Ne focalisez pas juste l'attention sur l'argent, les mesures
d'aide, d'accompagnement pour les victimes d'actes criminels, c'est extrêmement
important. Ça, moi, je salue que le projet de loi, il donne davantage de
détails sur ce que doivent être ces mesures d'aide là.
Alors, il ne
me reste déjà plus beaucoup de temps, donc je voudrais ne pas que lancer des
fleurs au projet de loi. Je voudrais quand même vous indiquer, il y a
deux choses, moi, qui me chicote, un peu, dans le projet de loi n° 84. La première, ça
part d'une bonne intention, il y a une création de ce qu'on appelle une somme
forfaitaire, hein, article 30 de la loi, somme forfaitaire pour compenser les souffrances, douleurs, pertes
de jouissance de la vie des victimes survivantes puis pour compenser...
remplacer les indemnités de décès, là, lorsque la victime de l'acte criminel,
elle décède, pour compenser des proches.
Ma critique,
bien, elle est simple, c'est que je ne peux pas commenter. Il n'y a absolument
rien dans le projet de loi, ça nous renvoie à des règlements, alors, qui
ne sont évidemment pas adoptés, alors je ne peux pas savoir est-ce que les
normes d'indemnisation vont être correctes. Est-ce que le barème
d'indemnisation de ces souffrances-là va être
un barème moderne qui va tenir compte des atteintes psychiques ou est-ce qu'au
contraire ça va être un barème très anatomique qui ne va pas tenir
compte de la réalité des victimes d'actes criminels où le préjudice est souvent
plus psychique que physique? Alors, je n'en sais rien.
Quels vont être les maximums d'indemnités? Si c'est pour offrir, comme on l'a fait jusqu'en 2013,
2 000 $ pour les parents d'un enfant décédé d'un acte criminel, aussi
bien ne rien prévoir, là. Ça puis une claque à la figure, c'est la même
chose. Alors donc, on aurait aimé avoir des détails. Désolé, je ne peux pas
commenter. L'idée n'est peut-être pas mauvaise, mais le diable est dans les
détails, puis on va attendre d'avoir les détails là-dessus.
Mon deuxième commentaire, plus
fondamental : l'attachement à l'indemnisation basé sur le revenu, à mon
humble avis, est une erreur. C'est pour ça que les gens et les organismes ont
tellement de mal à distinguer le régime de l'IVAC avec le régime de l'assurance
automobile, le régime des accidents du travail pour les travailleurs. L'État,
je le répète, n'est pas responsable de l'acte criminel. Alors, à partir de là,
moi, je ne trouve pas que ça soit juste et équitable que quelqu'un qui gagnait
plus qu'un autre, au moment où il est victime d'acte criminel, qu'il reçoive
plus d'argent de l'État. Parce que, là, on
s'entend, ici, l'argent provient de l'État. Moi, là, si je suis victime d'un
acte criminel, là, on prend mon salaire, il est topé à peu près à
80 000 $, on me donne 90 % de mon revenu net. Le pire, c'est que
j'ai des assurances collectives qui me couvriraient, de toute façon, les conséquences
de mon invalidité. Mais là c'est l'État qui prend le relais alors que, je l'ai
dit, la majorité des jeunes sont sans emploi, donc c'est 90 % du salaire
minimum, puis on veut continuer à compenser sur cette base-là de perte du
revenu.
Je le répète, ce n'est pas le rôle de l'État de
faire ça. L'État, il doit aider les victimes d'actes criminels à se reprendre
en main, à se remettre sur pied. Il n'est pas là pour compenser la perte. C'est
le criminel. Tant mieux s'il peut être
solvable, mais on le sait comment il ne l'est pas souvent. C'est au criminel à
répondre de la perte de revenus. Et ça, tant qu'on va continuer à
fonctionner comme ça, bien, les gens vont faire le lien avec : Oui, mais
les accidentés de la route, ils ont beaucoup plus. Bien, c'est sûr, vous voulez
compenser à partir de la même norme, 90 % du revenu net.
Puis pourtant les exemples, ils existent au
Québec. Deux exemples. Le supplément pour enfant handicapé, quel bel
exemple, ça. Vous êtes parent d'un enfant handicapé, vous avez le droit à un
montant par mois, mensuel, qui ne tient pas
compte du type de handicap de l'enfant, qui ne tient pas compte du salaire des
parents. Solidarité, on veut aider, on veut reconnaître qu'élever un
enfant handicapé, ça coûte plus cher. L'État donne un montant indépendamment du
revenu. Deuxième exemple, au fédéral, la
CPU. La CPU, là, c'était quoi? Qu'on gagnait 1 500 $ par mois ou
3 500 $ par mois, c'est le même montant de 2 000 $
qui a été versé. Pourquoi? Parce que l'idée, ce n'était pas de compenser le
revenu réel, c'était, l'idée, reconnaître solidairement que l'État doit aider
les personnes.
Alors, je
m'arrête là. Il y aurait du chemin à faire là-dessus, sur cette idée de
compenser davantage en reconnaissant une aide qui soit plus égalitaire,
équitable que la compensation sur la perte du revenu. Mais, je le répète, je
veux être utile, donc je ferme mon micro pour l'instant puis je suis tout ouïe
pour vos questions.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup, Pr Gardner. Nous passons à la période
d'échange. M. le ministre, s'il vous plaît.
M.
Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Bonjour, Pr Gardner. Merci de participer aux travaux de la
commission.
D'entrée de jeu, relativement au fait que vous
dites : Ce n'est pas la faute de l'État, un acte criminel... Et là vous nous invitez à dire : Bien, c'est le
criminel qui a commis l'infraction, donc c'est lui qui est responsable. Là,
dans le projet de loi, ce que j'ai mis, j'ai mis une disposition qui
fait en sorte que ça va nous inciter à poursuivre... dans le fond, un coup que l'indemnisation va être donnée, je vais
pouvoir aller récupérer les sommes directement à l'endroit de la
personne fautive, puis j'ai l'intention de l'utiliser. C'était possible de le
faire dans le passé par voie subrogatoire, sauf que ce n'était pas utilisé.
Donc, je vais l'utiliser par le biais de l'article 91. Qu'est-ce que vous
en pensez de ça?
M. Gardner (Daniel) : Vous savez,
c'est depuis 1987 qu'il n'était plus utilisé, le recours subrogatoire,
tout simplement parce qu'au ministère de la Justice on avait fait des études...
bien, pas des études, une analyse assez courte,
puis on perdait plus d'argent à poursuivre qu'à ramasser l'argent des
criminels. Ce qui a changé depuis 1987, c'est que le criminel type,
ce n'est plus le braqueur de banque comme dans les années 70, c'est
quelqu'un qui, souvent, a un travail, c'est un proche de la victime, c'est le
conjoint, c'est le père.
Donc, moi, ça fait longtemps que je dis qu'on
devrait non pas penser, dans tous les cas, vouloir récupérer l'argent, mais certainement ne pas se fermer la
porte comme on le fait depuis 1987. Puis, vous savez, dans tous les
régimes intéressants qui existent à travers le monde, là, en Europe, il y a ces
recours subrogatoires qui sont exercés. Ça ne donne pas... ce n'est pas avec ça
que vous allez financer le régime, on s'entend bien, là, mais que vous
récupériez 10 %, 20 % des sommes investies, ça serait déjà beaucoup.
Donc, moi, je suis favorable à ça, puisque c'est au criminel, effectivement, de
payer pour les conséquences de son acte, évidemment, lorsqu'il en a les moyens.
M.
Jolin-Barrette : O.K. Tout à
l'heure, vous avez abordé le fait relativement au montant forfaitaire, que ça
va être par voie réglementaire.
Effectivement, ça va être par voie réglementaire. Pour vous renseigner, j'ai
l'intention d'y aller vers les sommes qui sont similaires au régime de
la SAAQ, avec des adaptations bonifiées aussi. C'est sûr que moi, mon souhait, c'est de déposer le projet de loi puis de
travailler en même temps sur les règlements, parce que je veux faire en
sorte d'élargir le nombre de victimes et surtout le soutien. Donc, c'est sûr
qu'on y va par étapes, mais l'idée est de faire en sorte d'avoir l'assise
législative, justement, pour faire en sorte qu'on puisse changer le régime le
plus rapidement possible, au bénéfice des victimes. Donc, c'est pour ça que ça
ne se retrouve pas dans le projet de loi actuellement.
M. Gardner
(Daniel) : Juste un commentaire là-dessus, c'est très bien que vous
choisissez... que vous choisissiez, pardon,
le barème d'indemnisation des victimes d'accidents d'automobile plutôt que
celui des accidents du travail. Celui des
accidents du travail, il est beaucoup plus vieillot, il est très anatomique, il
tient moins compte des conséquences psychiques. Celui de la Loi sur l'assurance
automobile est beaucoup plus moderne, tient plus compte des conséquences
psychiques. Ça va certainement mieux répondre aux besoins des victimes.
C'est quand même...
vous ne vendez pas beaucoup votre projet avec ça, parce que c'est quand même
une avancée majeure, là. Ça n'existait pas dans le régime actuel, là,
d'indemniser les souffrances, douleurs, pertes de jouissance de la vie, là.
Alors, c'est quand même une avancée majeure puis, si vous allez chercher ce qui
se fait dans la Loi sur l'assurance automobile, c'est beaucoup d'argent, là,
qui est en jeu ici.
M.
Jolin-Barrette : Effectivement, puis on a rajouté 200 millions
aussi pour les cinq prochaines années, pour
mettre à niveau le régime. Puis vous le disiez aussi, c'est le régime déjà le
plus généreux au Canada, par rapport aux
autres provinces canadiennes. Et on a
eu quelques critiques, là, sur la question des rentes viagères, l'abolition des
rentes viagères. Vous, vous
dites : Écoutez, là, ça n'a plus sa place, les rentes viagères, dans un
régime d'indemnisation comme celui-ci, là.
• (10 h 40) •
M. Gardner (Daniel) : Quand on comprend d'où c'est venu puis on comprend pourquoi c'est le
seul régime... bien, celui des victimes d'actes de civisme également,
là, c'est le même régime qui s'applique, mais c'est pourquoi... C'est le seul
régime que je connaisse, moi, même, non pas seulement au Québec, mais au
Canada, où on indemnise, on compense une perte de revenus sur une base viagère
puisqu'évidemment les victimes ne travaillent pas, pour l'immense majorité,
heureusement d'ailleurs, jusqu'à la veille de leur décès.
Donc,
l'idée, c'est de trouver une façon de compenser jusqu'à une date prévisible de
la retraite pour... C'est ce que font les régimes d'accidents
d'automobile, d'accidents du travail. C'est ce que font les tribunaux
ordinaires, hein? Vous êtes victime d'un
accident de ski, on ne va pas vous donner votre perte de salaire jusqu'à la fin
de vos jours. On va essayer de
déterminer une date de retraite, quelque
part entre 60, 65 ans puis, pour
la suite, d'avoir un équivalent de ce qui
existe déjà pour ces victimes-là avec le supplément du revenu garanti. Je vous
signale, en partie, que vous travaillez pour le fédéral, là, présentement,
parce que c'est le fédéral qui devrait payer le supplément du revenu garanti,
alors que, là, c'est le Québec qui paie ces rentes viagères là aux victimes
d'actes criminels.
Alors, en logique, en
logique mathématique, moi, je ne vois pas comment on peut soutenir qu'il faille
compenser la perte de revenus jusqu'au moment du décès. On peut être en
désaccord sur le fait qu'on ne compense pas
assez, ça, je veux bien, mais jusqu'au moment du décès, là, c'est là, à mon
avis, qu'il y a un problème. Donc, c'est bien que vous vous attaquiez à
la règle. Vous savez que ça fait longtemps, hein? Tous les projets depuis
30 ans, c'est la question qui est
toujours posée, parce que c'est ce qui coûte le plus cher à l'État et c'est ce
qui va coûter, de plus en plus, le plus cher à l'État, parce que, là,
toutes les rentes continuent à s'accumuler depuis 50 ans. Alors,
évidemment, le nombre de victimes indemnisées augmente chaque année.
M. Jolin-Barrette : On a eu une certaine critique, depuis le début des consultations,
relativement au fait qu'on vient
restreindre la rente temporaire, donc, en cas d'incapacité. Donc, maintenant,
pour une victime qui subit l'infraction, il y a une possibilité de trois ans plus deux ans. Donc, maintenant
on vient la limiter à l'intérieur de cinq ans. Qu'est-ce que vous
pensez de ça? Oh! je ne vous entends pas.
Le
Président (M. Bachand) : Woups! M. Gardner, votre micro.
M. Gardner
(Daniel) : J'ai oublié mon micro, c'est la première fois. Quand même
pas pire, hein, après quatre fois, là? Tu sais, on le fait tous, hein,
vous le savez.
Alors... et là j'en
ai perdu mon idée. Oui, ce que je voulais vous dire, c'est que, dans un monde
idéal, l'État, il compenserait adéquatement toutes les victimes d'un coup du
sort. Or, ce n'est pas le cas à l'heure actuelle. Moi, quand j'entends dire que
ce serait la justice sociale que les victimes d'actes criminels soient
compensées comme les victimes de la route, bien, j'ai envie de dire : Oui,
mais, tant qu'à ça, si on veut aller jusqu'au bout dans la justice sociale,
toutes les victimes d'un coup du sort devraient être indemnisées comme les
victimes de la route.
Alors, j'ai un
handicap de naissance, moi, je suis une personne handicapée qui ne peut pas
travailler, ce n'est pas ma faute à moi, ce n'est pas la faute de l'État non
plus, mais pourquoi l'État ne me compenserait pas, moi? Handicap dû à un acte
criminel ou handicap dû à la naissance, moi, je ne vois pas la logique, en
termes de justice sociale, qui fasse que je ne doive pas... compensé. Je suis
un enfant, moi, qui n'a pas eu accès au système scolaire parce que mes enfants
étaient trop... mes parents étaient trop fous pour m'envoyer à l'école ou parce
qu'ils faisaient partie d'une secte. Donc,
je n'ai pas accès à un bon revenu. Bien, la justice sociale demanderait que
l'État me compense.
Comprenez-vous où je
veux en venir? C'est qu'à un moment donné il y a une capacité de payer de
l'État. Ce n'est pas moi qui vais la déterminer. C'est à vous, les politiciens,
de la déterminer. Il y a une capacité de payer de l'État puis il faut s'assurer
que le programme d'indemnisation des victimes d'actes criminels soit équitable
non seulement entre les diverses victimes d'actes criminels, puis là c'est là
que je vous ai dit que l'indemnisation basée sur la perte de revenus, à mon
avis, n'est pas équitable entre victimes d'actes criminels, mais il faut aussi
qu'elle soit équitable à l'égard des autres victimes de coup du sort au Québec.
Bien, je ne sais pas
si l'Office des personnes handicapées intervient dans le cadre de ce projet de
loi là, mais eux, ils vont certainement vous dire que c'est très bien
d'indemniser les victimes d'actes criminels, mais il y en a d'autres, des
victimes laissées pour compte, qui n'ont pas le droit à aucune indemnité pour
remplacement du revenu. Alors, il faut faire attention puis jauger de tout ça
pour éviter qu'à un moment donné vous donniez tellement à un que les autres
puissent dire : Oui, mais là, en comparaison, ça n'a plus de sens.
M.
Jolin-Barrette : Donc, vous nous invitez à avoir un certain équilibre.
M. Gardner, je vous remercie et je vais céder la
parole à des collègues qui ont des questions, mais un grand merci pour votre
présence en commission parlementaire.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup, M. le ministre. M. le député de Chapleau, vous avez la parole.
M. Lévesque (Chapleau) : Oui, merci
beaucoup, M. le Président. Bonjour, Pr Gardner. Merci de votre témoignage.
Peut-être une petite question, là, que
j'aimerais aborder avec vous, notamment en lien avec toute la question, là, de
la reconnaissance des crimes hors Québec. Donc, c'est un volet, là, dans le
projet de loi, vous ne l'avez pas nécessairement abordé, peut-être que vous
avez une opinion sur cette question-là. Qu'est-ce que vous en pensez de cet
ajout-là?
M. Gardner (Daniel) : On a, je l'ai
dit, le meilleur régime en Amérique du Nord à l'heure actuelle. On a un des
meilleurs régimes au monde puis on est en train de rejoindre, avec ça, les
meilleurs régimes au monde sur cet aspect-là.
Le régime français, qui est un régime extrêmement généreux... parce que lui, il
est financé pour les victimes de terrorisme, là. C'est pour ça qu'on
accepte tant de le financer. Bien, le régime français, il couvre le Français
partout dans le monde, peu importe où le crime a été commis. Alors, il
arrive...
M. Lévesque (Chapleau) : ...
M. Gardner (Daniel) : Donc, c'est un
ajout, et je pense que les paramètres qui ont été mis dans le projet de loi,
là, de s'assurer que la personne soit une résidente permanente et non pas un
touriste ou quelqu'un qui était peu à passer longtemps chez nous, bien, je
pense que ça garantit... Ça va augmenter les coûts du régime, mais mettez-vous
à la place, là... Il y avait, chaque année, quelques dizaines de demandes qui
étaient rejetées, parce que les gens, ils ne font pas la différence, eux. J'ai
été victime d'un crime, alors, que j'aie été victime d'un crime en Floride, parce
que je suis snowbird, ou au Québec, j'ai été victime d'un crime. Alors, à
partir du moment où c'est un citoyen québécois, je trouve normal de le couvrir.
M.
Lévesque (Chapleau) : Ah! O.K. Puis là vous m'avez ouvert une porte,
là, vous avez fait du droit comparé.
J'ai vu que vous avez étudié certains autres régimes. Est-ce qu'il y a certains
éléments qui seraient intéressants à regarder dans d'autres régimes dont
vous aimeriez nous faire part, notamment sur les Français ou d'autres à travers
le monde?
M. Gardner (Daniel) : C'est ça,
bien, le régime néo-zélandais, qui est un modèle du genre, beaucoup d'aide à
la... de réparation en nature, beaucoup de mesures de réadaptation, d'écoute,
d'assistance. Puis ça, là, les victimes le disent, là : Quand on s'occupe
de moi dès le début, puis qu'on ne me lâche pas, puis qu'on m'assiste, puis
qu'il y a des choses qui me sont payées, tu sais, que je m'en vais à la
pharmacie puis que je n'ai pas à payer pour mes médicaments, puis que je m'en
vais chez le physio puis que c'est déjà prépayé, c'est tellement vu, ça, comme
étant quelque chose de positif. Alors, le régime néo-zélandais, c'est un
leader, là-dessus, mondial. Ils sont très forts. Maintenant, il faut
faire attention avec les comparaisons parce que ça dépend toujours. Le régime français
est réputé très, très généreux, oui, mais
attention, le régime français, il ne compense pas les petits actes criminels.
Si vous n'avez pas une incapacité
d'au moins un mois, vous n'êtes pas indemnisé. Si vous avez commis la
moindre faute, la moindre conduite déraisonnable, vous êtes Français, on
coupe votre indemnité. Chez nous, là, c'est seulement des cas très, très rares,
la faute lourde, là.
Donc, tu sais, il faut toujours faire attention
à ne pas comparer juste l'argent avec l'argent. Il faut tenir compte aussi, je
l'ai mentionné d'entrée de jeu, le régime français, c'est un régime qui...
Pourquoi il continue à être financé de cette
manière-là? C'est parce que la population n'accepterait pas que les victimes
d'actes de terrorisme ne soient pas indemnisées. Ce n'est pas tant les
victimes d'infractions ordinaires, c'est les victimes d'actes terroristes qui
font que le régime... Vous savez que chaque Français, pour chaque contrat
d'assurance qu'il a sur son auto, sa maison, sa maison de campagne, son bateau,
paie une taxe de 5,70 € par année.
M. Lévesque (Chapleau) : Pour le
terrorisme?
M. Gardner (Daniel) : Pour financer
le terrorisme.
M. Lévesque (Chapleau) : Pas
financer le terrorisme, mais du moins assurer un acte...
M. Gardner (Daniel) : Oui. Bien,
c'est ça, oui, pas favoriser les terroristes, voilà, mais pour indemniser les
victimes de terrorisme, parce qu'évidemment ça coûte très cher. Alors, essayer
de mettre ça en place ici, au Québec, je ne suis pas certain que ça
fonctionnerait.
M. Lévesque (Chapleau) : Je
comprends. Puis l'équilibre dont vous avez fait mention en lien avec la Nouvelle-Zélande,
est-ce que c'est... ils s'éloignent un peu de sommes forfaitaires pour payer davantage
de services professionnels, donc c'est 50-50 ou est-ce qu'il y a des rentes
là-bas? Comment ça se passe?
M.
Gardner (Daniel) : Oui, il y a des rentes, mais ce n'est pas 90 %
du revenu, c'est 80 % du revenu. Vous voyez, déjà, il y a une différence.
Eux, ils indemnisent tous les accidents, peu importe le type d'accident,
accident de ski à la maison, acte criminel d'automobile, du travail. C'est un
régime complet de «no fault». Donc là, bien, ils ont été obligés de réduire en
partie les indemnités...
M. Lévesque
(Chapleau) : Les montants.
M. Gardner
(Daniel) : C'est ça, les montants, notamment pour les souffrances,
douleurs, pertes de jouissance de la vie. C'est à peu près deux fois et
demie moins élevé que ce qu'on donne au Québec à nos victimes de la route. Donc, tu sais, il y a plus de... eux,
ils considèrent qu'il y a plus de justice sociale, c'est plus réparti, les
montants. Nous, on est à côté des États-Unis, on est à côté des provinces
anglo-saxonnes, on est habitués aux montants plus élevés. Donc, il faut faire
attention pour ne pas avoir un régime qui est trop bas et qui, là... où les
victimes diraient : Bien, nous, on ne veut pas de ce régime-là, on préfère
aller devant les tribunaux.
M. Lévesque
(Chapleau) : Ah! O.K., je comprends. Vous avez parlé également, là,
d'entrée de jeu, en lien avec les
infractions, l'ajout... c'est un des points positifs que vous nous avez
mentionnés, l'ajout de nombreuses infractions, parce que, bon, il y
avait une liste qui était assez restrictive auparavant d'infractions
admissibles. Et là vous me dites, bon, dans certains pays, il y en a plusieurs
qui sont... presque tout peut être admissible.
Est-ce qu'il y aurait
certaines infractions, certains actes ou gestes... parce qu'hier il y avait
certains groupes qui nous disaient, là, le harcèlement en milieu de travail, le
harcèlement sexuel, qui ne sont pas nécessairement des infractions criminelles,
mais qui pourraient être ajoutés dans la liste d'actes. Est-ce que c'est des
éléments qui vous semblent intéressants à analyser? Et est-ce qu'il y aurait
d'autres points que vous ajouteriez?
M. Gardner
(Daniel) : Déjà, le régime, même à l'heure actuelle, il visait la
plupart des... la grande majorité des actes criminels qui entraînent un
préjudice corporel, une atteinte à l'intégrité physique et psychique.
L'exception de base, puis je suis d'accord là-dessus, le harcèlement sexuel,
qui n'est pas pas un acte criminel en soi. Donc, que le harcèlement sexuel
puisse être dorénavant visé, ce serait une bonne chose.
Le harcèlement
psychologique au travail, il faut faire attention, il y a un régime d'indemnisation
déjà pour ça. Si vous êtes victime de harcèlement psychologique au travail puis
que vous êtes en arrêt de travail, c'est la CNESST qui va vous compenser.
Alors, moi, je verrais... Ce serait normal. C'est l'employeur qui a toléré le
milieu de travail toxique, ça fait que c'est à l'employeur à payer avec ses cotisations
pour les victimes du harcèlement. Moi, je ne verrais pas que l'État doive
prendre le relais là-dessus.
M. Lévesque
(Chapleau) : Parfait. Merci.
Moi, ça compléterait. Je crois que la collègue de Les
Plaines, M. le Président, aurait des questions.
Merci.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée, il reste
deux minutes pour questions et réponses.
Mme Lecours
(Les Plaines) : Deux minutes. Merci beaucoup, M. le Président.
Pr Gardner, bien enchantée de pouvoir vous parler. Merci de vos
clarifications, vos prises de position et vos commentaires sur le projet de
loi.
Rapidement, parce que
j'ai peu de temps, évidemment, l'abolition de la liste des infractions visées
ouvre la porte, et c'est bien, c'était une des voies que nous
voulions, aux victimes d'exploitation sexuelle des mineurs, en
l'occurrence. Est-ce que, justement, cet apport-là... j'imagine que vous la
trouvez importante et intéressante, mais est-ce que, dans le reste du projet de
loi, on répond suffisamment à ce type de victime là?
• (10 h 50) •
M. Gardner
(Daniel) : Moi, j'en suis à me demander s'il ne devrait pas y avoir un
sous-régime pour les victimes de violence sexuelle et conjugale, parce que
c'est tellement des victimes à part par rapport aux victimes de voies de fait
puis d'autres crimes. Ils ont tellement des besoins particuliers. Moi, en tout
cas, j'aurais... je réfléchirais en termes d'une section particulière dans la
loi pour reconnaître leurs particularismes puis le besoin qu'ils ont,
notamment, là, pour l'aide, l'écoute, tout ça. Il y a déjà des choses
intéressantes, là, l'article 6 sur l'accompagnement dans le processus
criminel, tout ça. Il y a des choses intéressantes là-dedans, mais je...
C'est tellement ça
qui amène... D'ailleurs, vous allez voir, les groupes d'intervention, ce n'est
pas les victimes de voies de fait qui interviennent, là, c'est des victimes de
préjudices d'ordre sexuel, de violence conjugale à la maison. C'est sur eux autres qu'il faut focaliser notre attention.
C'est elles qui ont parfois l'impression qu'elles ne sont pas
correctement entendues, bien indemnisées, même si les choses, là, s'améliorent.
La division de la CNESST, là, tu sais, ils font mieux qu'ils le faisaient
avant.
Mais donc, c'est ça,
oui, les reconnaître, ça, tout à fait d'accord, l'exploitation sexuelle
notamment. Mais c'est ça, là, il faudrait réfléchir à un régime dans le régime,
finalement, parce que c'est des victimes à part.
Mme Lecours (Les
Plaines) : Donc, une sous-section qu'on traiterait notamment de ça,
là, leurs besoins particuliers, même si on parle de programme d'urgence dans le
projet de loi, mais leurs besoins particuliers à ce type de violence là. Et
est-ce qu'au niveau...
J'imagine que mon
temps est terminé. Écoutez, merci beaucoup, M. Gardner de vos
éclaircissements.
M. Gardner (Daniel) : Désolé d'avoir
été trop long.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. Il n'y a pas de souci, on est
parfait sur le temps. Alors, M. le député de LaFontaine, vous avez la parole, s'il
vous plaît.
M. Tanguay : Merci beaucoup, M.
le Président. Bien, bienvenue. Merci, M. Gardner, d'être avec nous.
Et j'aimerais vous donner le temps, justement,
d'expliciter l'idée que vous étiez en train d'avancer sur le régime particulier pour violence conjugale, violence sexuelle, régime particulier parce qu'il y a
des besoins particuliers en termes de consultation, d'aide psychologique, et aussi,
j'imagine, régime particulier en
termes d'urgence de la situation, d'aide
d'urgence. Je ne sais pas si vous pouvez étayer, puis est-ce qu'il y a des pans
que je n'ai pas mentionnés aussi, là?
M. Gardner (Daniel) : Bien, déjà là,
d'enlever le délai de prescription applicable pour ces victimes-là, là, bien,
ça va faire que, dès qu'ils se présentent, tout de suite, on les prend en
charge. Là, il n'y a plus de question de commencer à faire l'analyse du dossier
pour voir : Est-ce que ça fait moins de deux ans que la victime a été
victime de ces violences-là? Donc, déjà là,
l'écoute immédiate, déjà, ça va faire un bien énorme que ces victimes-là soient
reçues puis qu'elles n'aient pas à rien
démontrer pour prouver qu'elles ont bien été victimes, qu'on dise, au
départ : On vous écoute. Puis
qu'il y ait de l'argent qui puisse être déposé... dépensé non pas en indemnité
immédiate, mais, au moins, en soins immédiats, en écoute immédiate... tu
sais, on ne sait pas encore c'est quoi, ton niveau de préjudice psychique, mais
soins, suivi psychologique immédiatement, oui. Puis les victimes, c'est ça
qu'elles attendent. C'est ça qui fait le succès de notre régime d'assurance
automobile. C'est pour ça que les gens ne veulent pas retourner à l'époque des
procès, c'est parce qu'ils sont pris en charge immédiatement.
Ça fait que tout ce qui fait que, tout de suite,
ils seraient mis sur un «fast track» puis que, tout de suite, on les prend en
charge... Moi, je verrais fort bien une sous-division au niveau de la CNESST.
Ils le font d'ailleurs peut-être déjà, ils ont peut-être des agents d'indem qui
sont spécialisés pour les victimes d'infractions d'ordre sexuel puis qui sont
plus aptes à entendre puis à leur apporter de l'aide immédiatement. De
l'officialiser, je pense que ce serait de montrer que ce n'est pas des victimes
comme les autres.
Vous savez, là, c'est ça, être victime de
violence conjugale ou sexuelle. Tu sais, tu es doublement perdant, parce que,
premièrement, tu le sais que la personne, l'auteur l'a fait intentionnellement,
puis, deuxièmement, c'est quelqu'un que tu connais en plus. Alors, c'est la
pire des situations. Il faut leur reconnaître des droits particuliers ici.
M. Tanguay : Et, dans bien
des cas aussi, par définition, ça vous impose le fait de déménager, de quitter,
de sortir de cette relation toxique là versus un acte criminel dont vous êtes
victime commis par un tiers que vous ne reverrez plus jamais. Et là il y a
toute une... à récupérer, à reprendre. Ça, ça veut dire l'aide, on en parlait
avec des intervenantes, au niveau du logement, réinsertion, et ainsi de suite.
Alors, ce n'est pas la petite affaire, là, c'est reprendre en main sa vie puis,
à quelque part, de repartir à zéro, jusqu'à un certain point.
Et d'ailleurs, socialement, bien, vous nous
invitez à réfléchir pour faire un pas encore plus loin. Entre autres, au DPCP,
on salue le fait qu'il y a des procureurs qui sont spécialisés dans des
dossiers, justement, de violence à caractère sexuel. Bien, il y a peut-être là
une approche différenciée aussi qui mériterait d'être complétée.
Vous avez abordé, puis je voulais en parler avec
le peu de temps qu'on a, l'article 16, la prescription. Hier, on a entendu
les juristes progressistes qui disaient, à l'article 16 du projet de loi...
pardon, l'article 20, projet de loi, la prescription. Il y a différents
aspects... puis c'est bon parce que vous participez de la réflexion sur la
philosophie derrière les lois, là.
Prescription, c'est pour essentiellement trois choses : stabilité des
patrimoines, relations juridiques le dépérissement
de la preuve puis sanctionner la négligence des créanciers. Est-ce que, dans
une telle loi, la prescription pourrait être, selon vous, selon votre
réflexion, complètement mise de côté, que ce soit imprescriptible?
M. Gardner (Daniel) : Pour tous les
actes criminels, ce serait une nouveauté mondiale. Je ne connais aucun régime
ni de droit civil ni de common law qui a rendu imprescriptibles toutes les
infractions criminelles. Ça créerait, à mon avis, des attentes démesurées chez
les victimes, parce qu'il reste qu'il faut quand même que la victime fasse une
preuve minimale qu'elle a été victime d'un acte criminel il y a 20, 30,
40 ans.
Ça va, je vais employer un mot qui semble
terrible, ça va relativement bien pour les victimes de violence sexuelle, parce
que ça paraît, on est capables d'avoir objectivement un rapport psychiatrique
qui démontre comment elles ont été atteintes. Les victimes de voies de fait à
la sortie d'un bar, il y a 20 ans, pas certain que... et ça va créer des
attentes peut-être démesurées parce que... en tout cas, à moins que vous
vouliez ouvrir une porte qui vous coûterait extrêmement cher, il ne faudrait
pas, à ce moment-là, que l'aide soit rétroactive. On ne pourrait pas
dire : L'indemnité de remplacement du revenu ou toute indemnité que vous
allez déterminer, que, ah, bien, l'acte s'est produit il y a 20 ans, bien,
voilà, on retourne 20 ans en arrière puis on vous verse l'indemnité.
Alors, si on
n'agit qu'à partir du moment où la personne dépose sa demande, ce qui serait...
en toute logique, là, ce qui devrait
être fait, bien là, pour certaines victimes, ils vont considérer que... malgré tout,
même si vous avez voulu tellement les aider, ils vont se considérer : Oui,
mais vous n'avez pas reconnu que, depuis 20 ans, je vis ça, moi.
Alors...
M. Tanguay : O.K. Je trouve
ça intéressant. Donc, la... si d'aventure on allait vers l'imprescriptibilité, comme solution de repli... parce qu'évidemment ils
ont de la suite dans les idées, l'Association des juristes progressistes
allait chercher le début de 2926.1, le fameux article sur la
prescription : «L'acte en réparation d'un préjudice corporel résultant
d'un acte pouvant constituer une infraction criminelle se prescrit par
10 ans.» Donc, s'il n'y a pas la
majeure imprescriptibilité, seriez-vous plus ouvert avec la prescription
«préjudice corporel», «infraction criminelle» de 10 ans?
M. Gardner
(Daniel) : Il y a une logique de base, à mon avis, qui fasse que
l'État, et c'est ça qui ne marchait pas dans le régime actuel, l'État
ne pouvait pas se cacher derrière un délai plus court pour demander une indemnité que ne le fait un responsable devant les
tribunaux ordinaires. Alors, déjà, d'égaliser, c'est le minimum qu'on
devait faire.
Si on va plus
loin, et je... donc, dans ma logique, il serait plus acceptable que ce soit
l'État qui assume, comment dire, le coût de ça, hein, le fait que ça
soit imprévisible, le nombre de demandes, que les particuliers, que les
héritiers des particuliers ayant commis un acte criminel, parce qu'un jour ça
va bien arriver, ça. Avec l'imprescriptibilité en droit commun, bien, ce n'est
pas tant le criminel qui va en répondre que ses héritiers, qui vont l'apprendre
après son décès, d'ailleurs. Donc, l'État, lui, il est capable, parce que ce
n'est pas vous qui répondez personnellement, c'est l'État. Donc, je ne jetterai
pas de hauts cris si on portait la règle à 10 ans.
Dans mon ouvrage sur le préjudice corporel, je
propose d'ailleurs que... Le droit français, c'est 10 ans pour tous les
cas de préjudices corporels devant les tribunaux ordinaires, puis c'est ce que
je propose, moi, dans mon livre, pour tous les types d'accidents. Je ne peux
pas aller à l'encontre de ce que j'écris, n'est-ce pas?
M. Tanguay : Ah! c'est bon.
Et, en plus, la nature du projet de loi no° 84 et l'analogie ou
l'extension que l'on pourrait faire est quasi parfaite, parce qu'on parle de
préjudice corporel pour un acte pouvant constituer une infraction criminelle.
Alors là, philosophiquement, là, on est en lien pas mal là-dessus.
Autre élément, le temps nous bouscule, 20
dit «l'impossibilité d'agir». Les juristes progressistes nous proposeraient «pour
motif valable». Donc, l'incapacité d'avoir soulevé ça, quel est votre
positionnement sur cela?
• (11 heures) •
M. Gardner (Daniel) : Oui. Je suis
contre, et ils ne m'aimeront pas quand je vais dire ça. Toute règle de droit
aussi imprécise que la notion de l'impossibilité d'agir, elle le devient encore
plus quand on multiplie les termes employés. Alors, retournez dans la Loi sur
l'assurance automobile, ça fait trois fois qu'on change d'idée. Ça a
commencé par être des «circonstances exceptionnelles», des «circonstances
particulières», de «l'impossibilité en fait d'agir». Puis, à chaque fois, bien,
ça crée des termes que les tribunaux doivent interpréter puis en se
disant : Le législateur n'écrivant pas pour ne rien dire, qu'est-ce qui
voulait dire, en ne parlant pas d'«impossibilité en fait d'agir»? Puis là,
bien, on se lance dans l'incertitude juridique, et ça, ça prend du temps avant
que ça soit réglé, puis je ne suis pas sûr qu'on rende tant service.
Moi, je trouve que la règle qui dit, là, «impossibilité
en fait d'agir», oui, mais le délai court à partir de la connaissance du lien
que vous faites avec l'infraction criminelle. Bon, dans la majorité des cas, on
n'a même plus besoin de cette règle d'«impossibilité, en fait, d'agir».
C'est : Je n'ai pas pu faire le lien immédiatement entre les agressions
sexuelles que j'ai subies et le fait que, maintenant, je ne sois pas
fonctionnel dans la société. Bien, c'est venu quand j'ai consulté un psy,
cinq ans après l'infraction. Bien, c'est là que le délai commence à
courir. Donc, je n'ai pas besoin d'«impossibilité, en fait, d'agir», là, à ce
moment-là. Tout est sur le point de départ.
M. Tanguay : Merci. Merci
beaucoup. Deux questions rapides. L'article 16, qui commence par :
«Aucune personne victime n'a droit à une aide financière en vertu du présent
titre si...» et là on défile, sur une page et demie, les exceptions, donc c'est-à-dire les éléments où on ne pourra pas avoir
d'aide financière, on nous a dit : Cet article-là est difficile de
compréhension, touffu. Comment va-t-il être interprété? Vous, quelle est votre
lecture de l'article 16 sur sa rédaction globale, là, son économie?
Trouvez-vous que ça tient la route tel que rédigé?
M. Gardner
(Daniel) : O.K. Alors là, je
vais faire semblant que je m'en souviens bien du texte de
l'article 16. Mais ce que je veux vous dire, c'est qu'il faut... et ce
n'est pas le cas. Alors, ce qu'il faut faire, c'est absolument qu'il y ait des
alinéas particuliers pour bien définir quand est-ce que le régime passe avant
et quand est-ce que qui passe après. Puis il y a des choses fondamentales. Il
faut qu'on envoie les victimes d'accident... d'actes criminels au travail. Il faut qu'on les envoie à la CNESST,
division accidents du travail. Il faut qu'on envoie les victimes,
victimes de ce qu'on appelle les criminels de la route, à la Société de
l'assurance automobile. Il doit y avoir une règle de premier payeur, là, qui
s'applique, là. Le régime le plus particulier, il doit répondre.
Le régime dont on est en train de discuter, le
projet de loi n° 84, c'est un régime de
solidarité qui doit être là en repli. Ça
pourrait même aller, à mon avis, jusqu'à empêcher les assureurs privés de
mettre la clause usuelle qu'ils ont dans leur contrat d'assurance,
qu'ils disent : Tu as une assurance invalidité, tu nous paies une prime de
tant par année, oui, mais, si tu touches une indemnisation de l'IVAC, nous
autres, on arrête de te payer.
M. Tanguay : Bien, on le
voit, dans le domaine des assurances, ça se fait déjà, là...
M. Gardner
(Daniel) : Ça s'explique
pour les accidents d'automobile, parce que c'est un régime d'assurance,
l'assurance automobile, mais ça ne s'explique pas pour la LIVAC, parce que
l'assureur au Québec, là, il fait plus d'argent que l'assureur ontarien
là-dessus, là.
M. Tanguay : Dernière
question, M. Gardner, puis je vous remercie, parce que je n'aurai pas le
temps de le faire. Somme forfaitaire, des normes d'indemnisation, des barèmes,
avez-vous un exemple, à l'étranger ou ailleurs dans une autre province, où il y
avait de telles normes d'indemnisation entre des barèmes, objectifs?
Le Président (M.
Bachand) : Rapidement, Pr Gardner, parce que le temps est
écoulé.
M. Gardner
(Daniel) : Bon, pas rien qui va pouvoir vous intéresser. C'est assez
rapide, hein?
M. Tanguay : O.K. C'est
clair. Merci, M. Gardner, professeur.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci. Je cède maintenant la parole à la députée de Sherbrooke, s'il vous
plaît.
Mme
Labrie : Merci, M. le Président. Merci, M. Gardner. Vous
nous amenez sur plein de pistes intéressantes, notamment, en comparant
avec d'autres régimes ailleurs dans le monde. Puis j'ai beaucoup apprécié vos
propos aussi sur la question de l'accompagnement spécifique, là, qui est
nécessaire pour les crimes d'agression sexuelle et conjugale. C'est sûr que le
projet de loi, il a été rédigé avant le dépôt du rapport, mais maintenant qu'il
est déposé, j'espère bien qu'on va pouvoir
s'en inspirer pour améliorer le projet de loi, puis vous nous avez déjà donné
des pistes.
Je pense que vous avez parlé de la question de
donner plutôt un montant qui serait égal pour tout le monde, qui ne serait pas
basé sur le revenu, parce que c'est une prestation de solidarité. Est-ce que, sur
cette question-là spécifiquement, vous avez des exemples desquels on devrait
s'inspirer?
M. Gardner (Daniel) : Bien, je
vous l'ai dit, supplément pour enfant handicapé.
Mme Labrie : Bien, de régimes
similaires ailleurs dans le monde.
M. Gardner (Daniel) : Non, pour
deux raisons. Premièrement, parce qu'au Québec, on ne s'en rend pas compte,
mais on a beaucoup de régimes d'indemnisation particuliers, beaucoup plus que
dans la moyenne des pays ailleurs dans le monde, puis ça, c'est la première raison.
Donc, il n'y a pas beaucoup d'exemples au départ. Puis la deuxième raison,
c'est que, quand on en crée un, on a tendance à toujours vouloir aller chercher
un modèle qui existe déjà, puis c'est ça
qu'on a fait, nous, par l'IVAC en 1972. Alors donc, on n'a pas tendance à
penser en dehors de la boîte, parce qu'on dit : Ah! bien, il existe
déjà un régime, on va prendre déjà ce régime-là.
Là où je veux essayer de vous amener, c'est de
dire : Oui, mais, s'il n'y a pas de financement au bout du compte, à un
moment donné, la capacité de payer de l'État n'est pas infinie, là, tu sais. Il
y a 20 ans, le régime, il coûtait 47 millions; voilà 10 ans, il
en coûtait 92, puis là il est rendu au-dessus de 150 millions par année.
Bien, à un moment donné, il va falloir faire
des choix, puis moi, je voudrais que ces choix-là, ils soient équitables. Je ne
voudrais pas à en arriver, un jour où on dise : Le régime coûte trop cher,
il faut l'abolir. Il y a quelque chose de significatif comme économie qu'on
peut faire là. Non, j'aimerais mieux avoir un régime qui soit vendable aux
Québécois en disant : Trouvez-vous que c'est logique, équitable qu'on
aide, mais qu'on n'aide pas nécessairement les plus riches par rapport aux plus
pauvres?
Puis la PCU, là-dessus, là, vous ne trouvez pas
qu'elle nous a aidés? Moi, je n'ai pas entendu parler des gens qui
disaient : C'est écoeurant, il gagnait juste 1 500 $, puis là on
lui donne 2 000 $. Bien oui, il y a une forme de solidarité
là-dedans. L'important, c'est que ça ne soit pas à vie, c'est temporaire, qu'il
y ait une forme d'égalisation dans le
malheur. Je le répète, si je suis victime d'un acte criminel, moi, je ne trouve
pas logique d'être plus indemnisé que l'étudiant qui, lui, n'a pas mon
revenu, pour le même acte criminel.
Mme Labrie : Surtout que là
c'est prévu, dans le projet de loi, que, si la personne n'avait pas de revenu,
elle n'a pas accès à cette indemnité-là.
M. Gardner (Daniel) : Bien,
elle a accès, si j'ai bien compris, là, sur la base de ce qui existe à l'heure
actuelle, 90 % du salaire minimum.
Le Président
(M. Bachand) : Merci beaucoup. Je cède la parole à la
députée de Joliette.
Mme Hivon : Oui.
Merci beaucoup. Vraiment très intéressant, beaucoup de suggestions. Vous nous
amenez à réfléchir autrement.
Dites-moi, hier, une victime nous expliquait...
une victime qui a été, donc, l'objet de violence sexuelle en milieu familial
pendant de nombreuses années, ensuite de violence conjugale, puis, en fait, le
rétablissement puis les difficultés d'intégration, par exemple, à l'emploi sont vraiment
réels. Et donc, dans cette logique-là, l'idée d'une rente, parce qu'il y
a des gens qui vont être vraiment longtemps incapables de travailler,
apparaissait encore pertinente. Mais je veux
bien voir, avez-vous, même dans ces cas-là... vous, vous nous dites : Il
faut y aller vers le forfaitaire, mais avec un montant qui tiendrait
compte de ces plus grands risques d'avoir plus de possibilités de s'intégrer à
l'emploi.
M. Gardner (Daniel) : Oui. Bien, c'est
pour ça que j'avais parlé, hein, comment les règles sur la réinsertion
professionnelle sont importantes. Et puis, pour moi, ça ne fait pas partie des
choses qui sont limitées à trois ans, ça, là.
Tout ce qui est aide, réadaptation, aide à la réinsertion, ça, ça ne devrait
pas être limité qu'après trois ans, l'État dit : On ne veut plus
rien savoir de ça. Les services devraient être permanents. L'aide financière
devrait être temporaire, donner le temps à la victime de se replacer puis de
l'aider à se remettre sur pied.
Maintenant, je relance mon idée. Si on crée une
sous-catégorie pour ces victimes particulièrement affectées, victimes, là, de
violence sexuelle et conjugale, faites vos calculs, demandez au Conseil du
trésor de voir combien ça coûterait d'avoir un régime qui, lui, serait plus
généreux en termes de durée, notamment, pour les indemnisations financières. Mais ne faites pas l'erreur qui a été faite en
1993, quand on a adopté — elle
a été adoptée en troisième lecture — la Loi sur l'aide et l'indemnisation
des victimes d'actes criminels puis que ça a bloqué au Conseil du trésor.
Pourquoi? Parce qu'entre députés, tout le monde s'entendait, des beaux
principes, c'est bien beau, mais il faut voir ensuite qu'est-ce que ça coûte.
Puis ça ne fonctionnait pas, tout simplement, parce que les indemnités étaient
beaucoup trop élevées. Alors, faites des choix stratégiques puis allez
chercher ceux et celles qu'on doit aider davantage. Mais c'est sûr, il faut le
dire, dans la loi, clairement, à ce moment-là...
Mme
Hivon : Oui, c'est
très intéressant. Puis plusieurs nous disaient hier que, de toute façon, c'est
la grande majorité des demandes, ça provient des victimes de violence sexuelle
et conjugale. C'est pour ça qu'on... beaucoup de groupes qui les représentent
aussi.
Une dernière petite question. Hier, il y a un
groupe qui nous a dit, puis vu que vous avez l'air d'un spécialiste de tous les
régimes, qu'en fait on devrait laisser le choix aux victimes d'aller vers
l'IVAC ou vers la LATMP, donc en matière de travail, quand il y a vraiment une
question d'agression sexuelle sur les lieux du travail, par exemple, de harcèlement sexuel. Parce que, dans la loi pour le
travail, il faut se tourner vers l'employeur pour faire un dévoilement
et le dire avant de pouvoir procéder, ce qui peut mener à des situations
difficiles. Qu'est-ce que vous pensez de ça?
Le Président (M.
Bachand) : Rapidement, Pr Garner, s'il vous plaît.
M. Gardner (Daniel) : Oui.
Financièrement parlant, le régime de la LATMP est plus intéressant. Alors, tout
tient à qu'est-ce qu'on veut faire. Est-ce que l'idée, c'est de garder les
choses secrètes, qu'il y ait une vengeance, puis
tout ça? En tout cas, ça a toujours été que les régimes assurantiels financés
par le créateur du risque, c'est au créateur du risque à payer pour.
Moi, je ne serais pas très chaud avec l'idée que : Ah! bien, dorénavant,
ça va être l'État.
Le
Président (M. Bachand) :
Bien, sur ce, Pr Gardner, merci infiniment de votre participation à la
commission, ça a été très intéressant. Sur ce, la commission suspend ses
travaux quelques instants. Merci beaucoup.
M. Gardner (Daniel) : Merci tout le
monde. Au revoir.
(Suspension de la séance à 11 h 09)
(Reprise à 11 h 10)
Le Président (M.
Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît. La commission reprend
ses travaux. Ça nous fait plaisir d'accueillir Me Michaël Lessard, docteur
en droit à l'Université de Toronto. Alors, Me Lessard, merci d'être avec
nous aujourd'hui. Comme vous savez, vous avez 10 minutes de présentation,
et, par après, nous allons échanger avec les membres de la commission. Sur ce,
la parole est à vous. Merci.
M. Michaël Lessard
M. Lessard (Michaël) : Bonjour.
Merci beaucoup de me recevoir. Donc, Michaël Lessard, je suis avocat, doctorant
en droit de l'Université de Toronto, comme ça a été dit. Merci beaucoup de
l'invitation.
On m'a invité aujourd'hui beaucoup parce que
j'ai mené des recherches sur l'admissibilité des victimes à la LIVAC, une recherche que j'ai mise en
annexe 3 de mon mémoire. Donc, mes commentaires sur le projet de loi
n° 84 vont surtout porter sur une analyse approfondie des décisions
publiques de l'IVAC, puis comment est-ce que ça nous donne des enseignements
puis des outils pour améliorer le régime d'aide, surtout sur le point de
l'admissibilité des victimes, et surtout en ce qui a trait aux victimes de
violence sexuelle et de violence conjugale. Donc, il y a plusieurs points,
plusieurs suggestions et recommandations pour améliorer le projet de loi dans
mon mémoire. Dans mon exposé, je vais me concentrer principalement sur les
trois premières, mais évidemment je prends les questions puis demandes
d'information sur toutes les autres.
Donc, les trois points, brièvement, c'est celui
d'inclure des victimes pour lesquelles l'auteur de l'acte criminel serait
déclaré non criminellement responsable. Le deuxième point, c'est celui
d'éliminer, au sein de la faute lourde, les
préjugés sexistes, et le troisième point, qui est celui de considérer la
violence sexuelle au-delà de l'agression sexuelle, donc les trois points que je développe. Le premier point,
c'est celui, puis certains autres intervenants, intervenantes l'ont déjà
un peu abordé, c'est celui de tenter de dissocier l'aide à la victime de l'état
d'esprit de l'agresseur.
Le problème qu'on voit, c'est qu'on a un système
d'aide civiliste qui se bâtit sur des concepts criminalistes. Et, en droit
criminel, pour avoir une infraction criminelle, il nous faut ce qu'on appelle
l'actus reus, donc le geste criminel, et la mens rea, soit l'intention
coupable. Mais le problème, c'est qu'on a vu, dans le passé, beaucoup de
dossiers où l'IVAC refusait l'aide d'indemnisation à une victime qui a subi une
atteinte importante à son intégrité physique, mais tout simplement en
disant : Oui, mais l'agresseur n'avait peut-être pas d'intention coupable.
Donc, un exemple un
peu plus parlant pour les agressions sexuelles, l'actus reus, c'est trois
éléments, c'est l'attouchement, la nature sexuelle du contact puis
l'absence de consentement. Donc, une fois qu'on remplit l'actus reus, on a une
invasion corporelle importante de la victime. Mais la mens rea, c'est celle
d'avoir... c'est-à-dire que l'agresseur ait une intention de contact sexuel
sachant que la victime n'a pas consenti, ce qui fait en sorte qu'on voit des dossiers où la
victime fige durant l'agression et donc subit l'agression sexuelle, mais l'IVAC
va refuser d'indemniser en disant : Mais peut-être que l'agresseur,
hypothétiquement, dans un procès criminel, aurait pu dire qu'il ne savait pas
que la victime, elle ne consentait pas, et donc on refuse parce que ça ne
correspond pas à la définition très stricte d'une infraction criminelle.
Un autre exemple
possible, bien, ça serait celui de personnes prostituées par leur proxénète et
donc, de peur d'être battues par le
proxénète, vont consentir à des actes sexuels avec des clients et donc vont
faire semblant de consentir face aux clients, même si, au sens du droit criminel,
ce n'est pas un consentement. Eh bien, s'il faut suivre la même logique, l'IVAC dirait : Bon, ces
personnes-là, certes, elles subissent l'actus reus d'une agression sexuelle de
manière si répétée chaque jour sur plusieurs mois, sur plusieurs années, mais
comme le client ne savait pas qu'il n'y avait pas de consentement, à ce
moment-là, on refuserait l'indemnisation.
Donc,
il y a vraiment un problème à faire... à lier l'aide à des victimes qui,
clairement, à mon sens, ont besoin de l'aide
de l'État, de l'état d'esprit de l'agresseur. Donc, en ce sens-là, une des
recommandations, ce serait de tout simplement
faire dépendre l'indemnisation, non pas de l'infraction criminelle au sens
large, mais simplement de l'actus reus, donc du geste criminel. Donc,
ça, c'est pour le premier point.
Pour le deuxième
point, c'est celui par rapport à la faute lourde qui est, en fait, un peu deux
sous-points. Premièrement, il semble y avoir peut-être un manquement à
l'article 16. L'article 16 prévoit plusieurs exceptions. Donc,
l'article 16 dit que, si une personne a contribué à son préjudice en
raison de sa faute lourde, elle ne sera pas indemnisée. Puis, pour plusieurs
acteurs et actrices, il y a une exception, si elle agit de la sorte en raison
de violence ou de menaces, mais cette exception-là n'existe pas pour les
victimes, les personnes victimes elles-mêmes, ce qui fait en sorte que le
libellé est très curieux.
Puis je comprends que
ce n'est sûrement pas l'intention législative, mais le libellé suggère que, si
on a, encore une fois, une victime d'agression sexuelle qui se fait
empoigner par l'agresseur, qui se fait menacer d'un couteau et qui
cesse, par exemple, de se débattre pour conserver sa vie, bien là, on
arriverait à un scénario... Le libellé semble suggérer que l'IVAC doit refuser,
parce que l'IVAC dit : Ah! bien, l'exception pour les menaces ou
l'exception pour la violence ne s'applique pas. Donc, il faudrait étendre
l'exception pour les violences et les menaces à tout le monde et surtout aux
personnes victimes.
Un deuxième point,
c'est que le même type de logique peut s'appliquer de manière un peu plus
subtile et pernicieuse dans le contexte de victimes de violence conjugale.
Donc, on a vu déjà des dossiers où l'IVAC refusait l'indemnisation en disant que la victime, choisissant de rester avec un
conjoint violent, a contribué à ses propres blessures. Et donc on blâme
la victime pour, au fond, la violence de son conjoint. Et ça, ça vient nier
toute une connaissance qu'on a développée
puis une littérature de plus en plus importante sur les mécanismes du cycle de
la violence, donc la manipulation que les victimes... dont les victimes
peuvent subir. Donc, souvent, on voit que le conjoint commet une violence, s'excuse, dit : Ah! bien, c'est
simplement... Je suis simplement esclave de mes impulsions, je ne
recommencerai pas. Il recommence, il s'excuse encore une fois. Et donc il y a
tout un cycle, un mécanisme de manipulation qui est ignoré lorsque l'IVAC blâme
la victime pour être demeurée avec leur conjoint.
Et
il y a d'autres moments où ce n'est peut-être pas une manipulation, mais une crainte réelle que
quitter le conjoint déclencherait un acte de violence encore plus grand.
Puis tristement, l'actualité des derniers mois nous a rappelé que ça peut aller
jusqu'à des meurtres. Et donc une victime qui craint pour sa sécurité ou pour
celle de ses enfants pourrait, de manière tout à fait raisonnable, rester avec
son conjoint, mais il n'y a pas lieu de la blâmer pour ça. En fin de compte,
elle essaie de protéger sa sécurité le plus qu'elle peut. Donc, la suggestion,
ça serait d'abolir la notion de faute lourde
dans le contexte de violence conjugale et de violence sexuelle, une suggestion
qu'on a aussi vue dans le rapport Corte-Desrosiers. Puis, selon le
rapport, c'est aussi une suggestion que le Barreau proposait quant à l'IVAC.
Et le troisième
point, qui est un peu plus court, c'est celui qu'on a vu que les délais de
demande étaient supprimés en ce qui a trait
aux victimes d'agression à caractère sexuel. Or, quand on se limite à
l'agression, on oublie toutes sortes
d'autres violences sexuelles qui ne sont pas des agressions au sens du droit
criminel, mais qui pourraient... pour
lesquelles les victimes pourraient bénéficier d'un délai de demande plus grand.
Donc, je pense à une séquestration à des
fins sexuelles, mais qui ne se solde pas par une agression, un harcèlement
criminel sexuel, publication non consentie d'images intimes, etc. Toutes ces victimes-là pourraient vivre de la
honte, un manque de soutien, une peur de représailles, et qui feraient
en sorte qu'il me semble que, moralement, on devrait leur permettre aussi de
bénéficier d'un délai de demande qui soit plus long ou, dans le cas qui nous
occupe, soit supprimé.
Donc, on pourrait
remplacer la notion d'agression par simplement celle de violence à caractère
sexuel. Et je crois que, pour bien aider les victimes, on pourrait aussi
rapporter ce changement-là à l'article 2926.1 du Code civil qui porte sur
l'imprescriptibilité des actions civiles dans le contexte... d'actions civiles
dues à des gestes criminels. Donc, c'est ce
qui complète brièvement pour mon exposé, puis j'ai bien hâte d'entendre vos
questions et interventions.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, Me Lessard. Je
cède maintenant la parole au ministre. M. le ministre, à vous.
M.
Jolin-Barrette : Oui, merci, M. le Président. Bonjour,
Me Lessard. Merci de participer aux travaux de la commission. Donc, on a entendu des groupes, hier, qui nous ont dit
sensiblement la même chose que vous relativement à la faute lourde en
matière de geste à caractère sexuel, à l'effet que, bon, on devrait venir
nommément l'indiquer, faire une exception à la loi. Donc, j'ai bien pris note
de ça, hier, comme suggestion.
Cela étant déjà, là,
à l'IVAC actuellement, il y a une directive qui fait en sorte que ce n'est pas
invoqué, dans le fond. Alors, vous, même s'il y a une directive actuellement
qui est en vigueur, puis l'IVAC ne l'invoque pas, vous souhaiteriez qu'on
l'inscrive noir sur blanc dans la loi?
M. Lessard
(Michaël) : Exact, mais déjà il n'est pas clair de savoir si la
directive va survivre au changement de régime. De ce que je comprends, la
direction de l'IVAC va changer de ministère, puis je ne sais pas si elle va
être reformée en bureau. Donc, la première crainte, ça serait que les
directives soient effacées puis prennent un certain temps avant d'être adoptées. Puis ensuite il me semble vraiment plus
bénéfique de, tout simplement, rassurer tout le monde et mettre
directement dans la loi l'exception aux fins des violences sexuelles. Et puis
le problème aussi, c'est que la directive ne s'étend pas aux violences
conjugales qui sont aussi des situations pour lesquelles il n'y aurait pas lieu
de blâmer les victimes.
• (11 h 20) •
M. Jolin-Barrette : O.K. En réponse
à votre question aussi, là, sur votre intervention, dans le fond, désormais, la direction d'Indemnisation des
victimes d'actes criminels... Bien, en fait, le ministère de la Justice va
rapatrier la gestion, service à la
clientèle, que je peux dire. Auparavant, c'était à la CNESST, donc à la
direction d'indemnisation. Et, bon, il y a certaines lacunes
organisationnelles qui ont été décrites par plusieurs bénéficiaires du régime.
Donc, moi,
mon souci, c'est d'assurer un service à la clientèle qui est beaucoup plus
humain, qui est beaucoup plus adéquat. Et c'est notamment pour cette
raison-là qu'on veut s'assurer que le ministère de la Justice soit le ministère
responsable qui est chargé... donc on pourra avoir des discussions avec la Direction
de l'indemnisation des victimes d'actes criminels. Mais, pour nous, c'est sûr
qu'on a pris acte des critiques qu'il y avait, par de nombreuses victimes,
relativement au traitement. Et il y a certaines récriminations qui sont tout à
fait justifiées, relativement à la flexibilité et au service, surtout lorsqu'on
est une personne victime. On ne veut pas avoir, comme dans Astérix et Obélix, à
faire la maison des fous à chacun des étages avec tel ou tel formulaire. Donc,
c'est pour ça aussi qu'on veut simplifier les formulaires puis qu'on donne de
l'aide aussi pour remplir les formulaires. Alors, ça, c'est notre souhait.
Je veux
revenir, là, sur votre proposition, à 2926.1, là, relativement aux agressions à
caractère sexuel. Nous, on l'entend par les violences sexuelles, mais
vous nous dites : Vous devriez aller plus loin que ça et être plus
spécifique dans les termes.
M. Lessard
(Michaël) : Oui, exact.
Bien, ce qu'on voit, c'est que la notion d'agression dans les contextes
qui nous occupent est facilement assimilée par les juristes à celle d'agression
sexuelle au sens du droit criminel. Donc, ça oublie
toutes sortes d'autres violences sexuelles, puis là on parlait, par exemple, de
harcèlement sexuel, de séquestration. Un
des avantages de la disposition que vous venez de nommer, c'est qu'on inclut
aussi les violences durant l'enfance. Mais sinon on pourrait ... c'est-à-dire
que, si on mettait ça de côté, on voit que, dans le terme «agression sexuelle»,
on oublie aussi tout ce qui est production de pornographie juvénile, tout ce
qui est leurre, incitation à contact, etc.
Donc, la notion de violence sexuelle est vraiment
plus large puis... Bon, présentement, ce qui nous sauve, c'est qu'on a aussi un
peu la même considération pour les enfants, mais, par rapport aux adultes,
encore une fois, séquestration, harcèlement sexuel ou publication non consentie
d'images intimes, c'est toutes des violences pour lesquelles il me semble que
le délai de trois ans qu'on voit, dans le projet de loi n° 84, est trop
court.
M. Jolin-Barrette : Mais ce n'est
pas «agression sexuelle», c'est «agression à caractère sexuel», d'où la
distinction aussi. Donc, pour moi, ça le couvre, là, mais je retiens votre
suggestion, puis on va réfléchir à tout ça. Sur la question des délais, là, auparavant,
on était à un an, on est passé à deux ans en 2013. Là, on amène, avec la
prescription générale, à trois ans, on abolit également la prescription. Qu'est-ce
que vous pensez de tout ça?
M. Lessard (Michaël) : Oui. Juste
pour un dernier point sur «agression», là, pour que ce soit plus clair, bien,
la notion d'agression sous-entend un contact physique. Donc,
à ce moment-là, il y a d'autres... Les éléments que je nommais, comme
publication non consentie d'images intimes puis harcèlement sexuel, je suis
d'accord avec vous que c'est des termes de
violence puis que c'est agressif, mais il
n'y a pas le contact. Après, je comprends que le temps est limité, donc
on peut toujours poursuivre les discussions puis avoir les compléments
d'information là-dessus.
Pour ce qui est de l'extension du délai, moi, je
trouve ça tout à fait louable. Je crois que ce qui serait le plus intéressant,
ça serait de se coller au délai qu'on voit dans le Code civil, donc la
prescriptibilité pour les recours qu'on vient de parler puis sinon un
10 ans pour le reste des recours. Il semble difficile de comprendre pourquoi
on ferait une distinction entre l'IVAC puis entre les actions civiles. Il me
semble que, si le raisonnement, à la base, de l'extension
du délai, c'est de se dire : Ah! mais une victime, ça a besoin de beaucoup
de temps avant de passer à l'action puis, surtout, à passer à une action
qui soit bureaucratique, donc soit au travers des tribunaux ou l'IVAC...
À ce moment-là, si on détermine que 10 ans,
c'est un temps raisonnable, il faudrait que ça soit 10 ans partout, peu
importe que ça soit une action civile, peu importe que ça soit avec l'IVAC.
M.
Jolin-Barrette : O.K.,
parfait. Sur la question, ici, de la reconnaissance
des personnes victimes, l'élargissement de cette notion, dans le fond,
que ça ne soit pas uniquement la victime directe, mais plutôt tout le noyau
familial, l'élargissement, les aides qu'on
souhaite offrir également à l'ensemble du noyau familial, qu'est-ce que vous en
pensez?
M. Lessard
(Michaël) : Bien, je trouve
que c'est souhaitable, le mettre comme vous l'avez mis dans la loi. Il y
a peut-être quelques ajustements qui pourraient être faits. Déjà, on voit que
beaucoup de victimes passent, bon, beaucoup d'argent puis de temps devant les
tribunaux pour essayer de faire élargir la définition. Donc, ce qu'on voit
présentement, c'est très souhaitable.
J'ai vu beaucoup de critiques, par exemple, par
rapport à la notion de «scène intacte» qui est, peut-être, trop limitée, là, au sens où une victime, c'est-à-dire
une personne qui serait témoin d'un acte en arrivant sur les lieux,
serait indemnisée si elle arrive avant les premiers
répondants, mais pas si elle arrive après les premiers répondants. Donc, il y
aurait lieu de savoir si... Est-ce que, vraiment, au niveau de l'atteinte
psychologique que ces personnes-là vivent, s'il y a vraiment une distinction?
Donc, peut-être quelques petits ajustements, mais pour l'ensemble, en effet, il
y a un pas dans la bonne direction.
M. Jolin-Barrette : Mais prenons ce
cas-là précisément, parce que certains ont critiqué le projet de loi malgré le
fait qu'on leur a expliqué, mais je vous donne cet élément de réponse là. Parce
que, exemple, la personne qui arrive sur les
lieux va être considérée comme une personne victime également, non pas comme la
personne elle-même qui a subi l'infraction, parce que ce n'est pas elle,
la victime sur laquelle on a commis l'infraction criminelle. Mais, avec l'élargissement que nous faisons dans le
cadre du projet de loi, la personne va être considérée comme une
personne victime également, mais en fonction d'une certaine catégorie, comme un
proche, comme une personne significative, comme un parent.
Aussi, je donne l'exemple : Auparavant, vous
n'étiez pas considéré comme une victime, si le meurtre de votre enfant mineur survenait, parce que ce
n'était pas l'autre parent qui l'avait fait à votre encontre. Donc, on a fait
des ajustements, justement, pour élargir le plus possible. Alors, certains
prétendent certaines choses, mais je pense que ce n'est pas exact, ce qu'ils disent aussi. Je voulais juste rectifier tout
ça. Je ne fais pas référence à vos propos, Me Lessard, mais à d'autres
personnes qu'on entendra cet après-midi.
Écoutez, Me Lessard, merci beaucoup pour votre
témoignage en commission parlementaire. Je sais que j'ai des collègues qui
souhaitent poser des questions, alors je leur cède la parole. Merci encore.
Le Président (M.
Bachand) : Merci, M. le ministre. M. le député de Chapleau,
vous avez la parole.
M. Lévesque (Chapleau) : Oui, merci,
M. le Président. Bonjour, Me Lessard. Michaël, j'en profite pour te
souhaiter un joyeux anniversaire, une belle journée pour faire de la commission.
Donc, autre chose plus sérieuse maintenant.
J'aimerais peut-être vous entendre sur la principale avancée qui est permise
dans ce projet de loi là. Qu'est-ce qui, dans ce projet de loi, vous trouvez
qui est le plus positif? On ira à l'inverse ensuite.
M. Lessard (Michaël) : Oui, bien, le
plus positif, c'est clairement l'avancée sur l'admissibilité des victimes. On en a listé quelques-unes, là, qui sont encore
exclues du régime, puis c'est très déplorable, là, on pense, encore une
fois, à la pornographie juvénile, etc. Donc,
au niveau de l'admissibilité, c'est là où il y a la plus grande avancée, mais
je pense que... Bien, je vais profiter de la question pour, justement,
souligner que ce qu'on voit dans le projet de loi, c'est vraiment quatre volets.
Un volet qui est le premier titre sur l'aide non
financière, donc l'aide que les victimes peuvent avoir, l'accompagnement, les
compléments d'information face aux corps policiers, au système de justice, par
exemple. Un volet sur l'admissibilité, celui
qui est le plus avancé selon moi. Un volet sur le calcul, ensuite, de l'aide
financière, puis un quatrième volet
que les autres intervenants, intervenantes ont beaucoup souligné, c'est
l'aspect humain, donc diminuer la lourdeur bureaucratique. Donc, ça, je
trouve que c'est intéressant aussi. Puis peut-être, sur cet aspect-là, il
pourrait aussi être intéressant d'imaginer
de donner des formations aux préposés sur les mythes relatifs à la violence
conjugale, à la violence sexuelle.
Donc, il y a ces quatre volets-là.
L'admissibilité, clairement, est le plus fort pour moi, mais il ne faut pas
négliger les trois autres volets aussi.
M. Lévesque (Chapleau) : O.K. Puis
sur l'admissibilité, justement, je sais que vous en avez parlé, là, beaucoup, y
aurait-tu d'autres éléments que vous aimeriez ajouter, que vous n'avez pas pu
nécessairement aborder, juste pour nous éclairer dans nos travaux?
• (11 h 30) •
M. Lessard (Michaël) : Oui. Donc, il
y a quelques éléments qui relèvent plus de l'ajustement, là, dans mon mémoire.
Deux éléments que je trouve intéressants, c'est celui par rapport à
l'obligation de coordination, c'est-à-dire que
les victimes doivent coopérer avec... En fait, la loi, à cet égard-là, est plus
ou moins claire, là, mais elle doit coopérer avec les personnes qui sont
chargées de l'application de la loi. Donc, est-ce que c'est seulement la
direction de l'IVAC ou est-ce que ça doit
être aussi les corps policiers et donc peut-être dénoncer à la police? Est-ce
que ça doit être avec les procureurs
de la couronne? Donc, à cet égard-là, il pourrait être intéressant de mettre,
au moins, une condition qui dise que
l'obligation de coopération ne sera pas imposée, si ça va à l'encontre du
processus de guérison de la victime.
M. Lévesque (Chapleau) : Ou de la
volonté.
M. Lessard
(Michaël) : Exact, ou ça
peut être de la volonté. Donc, on peut comprendre, puis surtout dans un
projet de loi qui vise à favoriser le
rétablissement des victimes, que ça puisse être délétère pour une victime de
rapidement devoir aller témoigner à
la police de ce qu'elle a vécu, surtout si on parle de proches autour d'elle.
Donc, ça, ça pourrait jouer sur l'admissibilité,
une victime qui se dit : Mais moi, je subis un grand préjudice, mais...
Par exemple, on peut penser à une victime
d'inceste, mais qui dit : Mais je ne voudrais pas aller témoigner contre
mon père ou je ne veux pas aller passer devant plusieurs policiers pour raconter cette histoire-là. Peut-être
qu'elle ne va pas appliquer à l'indemnisation ou à l'aide financière que
l'IVAC pourrait lui accorder. Ça fait que ça, c'est un problème, mais qui est
facilement ajustable.
Puis un autre élément que
je trouve intéressant, c'est celle de la proposition de l'Association des
juristes progressistes d'aussi tenir en compte d'autres types de violence
sexuelle et de violence conjugale. Là, le problème qu'on a devant nous, c'est
qu'on a un projet de loi...
M. Lévesque (Chapleau) : Iriez-vous
dans ce sens-là, justement? Ils nous proposaient d'ajouter, de tenir en compte certains actes puis certains gestes à
caractère sexuel pour les ajouter dans les... pas nécessairement les
infractions, là, mais la possibilité pour l'indemnisation, vous iriez dans le
même sens que ces derniers?
M. Lessard
(Michaël) : Oui, oui, tout à
fait, parce que là, ce qu'on est en train de voir, c'est que l'Assemblée
nationale adopte un projet de loi dont une partie est, en quelque sorte, si on
veut, déléguée au Parlement du Canada, parce qu'on est tributaire de ce qui est
adopté ou non comme infraction criminelle, alors qu'il y a des violences...
Dans le contexte de la violence sexuelle, je pense beaucoup au harcèlement
sexuel, mais qui n'atteint pas le niveau du harcèlement criminel, ou, dans le
contexte de la violence conjugale, on a tout ce qui est violence psychologique,
contrôle coercitif, contrôle financier.
Donc, ce sont tous des exemples qui... puis en
fait, si... l'avenir nous le dira, là, mais peut-être que d'ici quelques
dizaines d'années, ça va être adopté comme infraction criminelle. Il y a déjà
des projets de loi, à cet égard, au Parlement du Canada, mais on pourrait, en
fait, aller prendre les devants, puis aller un peu plus loin, puis dire : Bien, regardez, les victimes de ce type de
violence sexuelle là et violence conjugale ont besoin de l'aide de l'État
puis on ne va pas attendre que le Parlement du Canada prendre une décision
là-dessus.
M. Lévesque (Chapleau) : Agisse,
prenne acte. O.K. rapidement, là, une petite dernière question, là. Vous avez
parlé de lourdeur puis... administrative et bureaucratique, notamment, en lien
avec les victimes qui se présentent à l'IVAC puis les agents qui ont quelques
problématiques à ce niveau-là. Il y a plusieurs intervenants qui sont venus
nous en parler, ils ont parlé, notamment, de la question de la formation. Y
a-tu d'autres points que vous ajouteriez ou proposeriez pour améliorer,
justement, ce fameux service à la clientèle ou cette lourdeur bureaucratique?
M. Lessard (Michaël) : Donc, je n'en
vois pas d'autres que ces deux points-là, mais je pense que celui de la
formation est assez important, parce que souvent, quand on veut faire une
formation, disons, à un groupe de préposés, ce qu'on va faire, c'est une
formation de trois heures à chaque deux ans ou quelque chose de beaucoup trop
minime pour que ça ait un impact réel sur le traitement des dossiers. Donc, il
faudrait penser à une formation qui permette aussi un certain suivi, puis qui
s'assure qu'on ne reproduise pas les erreurs du passé, puis qui, en fin de compte,
n'oblige pas les victimes à aller en révision ou à aller devant le Tribunal
administratif du Québec pour faire d'autres
demandes, etc., ce qui, dans le fond, impose aussi un autre coût à l'État, si
les premières décisions sont problématiques puis doivent être ensuite
révisées et corrigées.
M. Lévesque (Chapleau) : Parfait, merci
beaucoup. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Bachand) : Merci
beaucoup, M. le député. Écoutez, il reste 1 min 30 s, M. le député de Saint-Jean.
M. Lemieux : Oui, j'arrive. Merci
beaucoup, M. le Président. 1 min 30 s, on n'ira pas bien loin,
mais je voulais faire un peu de perspective contextuelle avec vous,
Me Lessard, parce que je vous écoutais, et c'était très précis dans un projet
de loi très touffu, qui arrive des dizaines d'années après qu'on ait installé
ça. Diriez-vous que la direction qu'on prend
ou, en tout cas, que le projet
de loi est en train de nous donner,
de nous en aller vers des services plutôt que vers des indemnisations,
qui était essentiellement le but de l'exercice il y a 50 années, pas juste
dans l'air du temps, mais est-ce que c'est la voie, au-delà de ce que chacun va
réclamer, là, la voie que tout le monde devrait réclamer, au bout du compte,
avec des détails puis des aménagements, bien sûr, là?
Le Président (M.
Bachand) : Rapidement, Me Lessard, s'il
vous plaît.
M. Lessard (Michaël) : Oui. Donc,
oui, je pense qu'on est sur la bonne voie. Je pense que c'est la même critique
qu'on porte aussi au système de justice criminelle, c'est-à-dire qu'il n'y a
pas réellement d'accompagnement des
victimes, puis qu'on ne puisse pas, justement, les aider à se rétablir.
Ensuite, comme le disait le Pr Gardner avant, le diable est dans les détails, donc il va falloir savoir
complètement... Ça serait déplorable si, en fait, la victime avait de
bons outils psychologiques, mais n'était pas capable de se rétablir en raison
de besoins financiers. Là, je comprends que ce n'est pas le souhait, mais il
faut aussi avancer sur les deux plans de manière égale. Mais, oui, c'est un pas
dans la bonne direction.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup, Me Lessard. M. le député de
LaFontaine, s'il vous plaît.
M. Tanguay : Merci beaucoup,
M. le Président. Alors, bon matin, Me Lessard. Merci beaucoup d'être
disponible et de répondre à nos questions. Puis bravo et merci pour votre
mémoire et également le texte que vous aviez écrit, là, en 2019. Ça va
évidemment nourrir notre réflexion.
J'ai beaucoup de petits points techniques et je
vais essayer d'y aller en rafale avec vous. Premier point, la mens rea, vous en
avez parlé, ce que l'on constate, et corrigez-moi si j'ai tort,
l'importance, puis c'est comme ça que je reçois
votre commentaire, pour nous, d'exclure le facteur de mens rea de façon
spécifique viendrait nous assurer que l'IVAC
et le TAQ, en le disant clairement, empêcheraient... ne pourraient plus, selon
leur interprétation, empêcher le cheminement de dossiers sur cette
notion-là. Donc, on peut se dire, comme législateurs : Ah bien! il va sans
dire. Mais, quand on le dit clairement et qu'on l'exclut, bien là, les
interprétations contradictoires seront... la porte sera fermée. C'est ce à quoi
vous nous invitez.
M. Lessard (Michaël) : Exact.
Tout à fait, puis j'imagine que, si on demandait aux parlementaires des années 70, si, bien, ils voulaient vraiment
exclure, là, les victimes de tous les exemples que j'ai donnés, ils auraient
dit : Bien, évidemment que non, on ne voulait pas les exclure. Mais après,
une fois qu'on adopte un projet de loi, vous n'êtes pas sans savoir qu'ensuite,
c'est les juristes et les tribunaux qui vont le fouiller de manière très
ciblée, parfois de manière trop textuelle, sans nécessairement regarder
l'intention législative derrière.
Donc, le mieux, évidemment, c'est de s'assurer
d'avoir un projet de loi qui soit le plus béton possible, puis je pense qu'on a
proposé des solutions assez intéressantes à cet égard-là, surtout la
proposition de retirer... en fait, de faire une exception pour tout ce qui est
un événement fortuit, donc tout ce qui est de la teneur d'un accident. Donc, à
ce moment-là, on cible complètement les gestes criminels.
M. Tanguay : Tout à
fait. Deuxième point, faute lourde, je vous avoue que votre argument, étayé
dans la note de votre page 17, est
assez clair. La raison pour laquelle, et puis c'est un argument de texte, nous
devrions retirer «faute lourde» de l'article 16, vous faites
l'analogie avec 1474 du Code civil où on définit une faute lourde comme étant... comme participant de l'insouciance, de
l'imprudence et de la négligence grossière. Or, «faute lourde» dans un contexte de violence sexuelle où il y a un
contexte de violence et de menaces, et que vous participez à l'acte
criminel, qu'on considère que vous avez
participé à l'acte criminel en l'assimilant à de l'insouciance, imprudence et
négligence grossière, bien, quand vous êtes sous la menace puis de la violence,
ça ne participe pas de la faute lourde. Donc, déjà là, l'argument de texte est assez dévastateur, puis je vous en remercie,
puis je vous salue là-dessus. À moins que vous n'ayez un commentaire
plus spécifique là-dessus, j'aurais d'autres points.
M. Lessard (Michaël) : Bien,
peut-être, rapidement, il y a deux éléments. Moi, je suis tout à fait d'accord avec votre analyse de la faute lourde. La seule
crainte, c'est que, si on met des exceptions pour les violences et les
menaces pour toutes les autres personnes, est-ce que les tribunaux ne vont pas
de dire : Ah bien! l'Assemblée nationale a décidé de changer la définition de la faute lourde et donc de considérer
certains éléments comme de l'insouciance. Donc, il y a ce danger-là, au
niveau du texte. Peut-être que le plus simple, ça serait d'enlever la mention
de menace ou de violence partout. Ça, c'est une chose.
Puis l'autre chose, encore une fois, rapidement,
c'est que, bon, une fois qu'on a fait ça et qu'on a enlevé les mentions de menace puis de violence, le problème c'est
que, si on se réfère juste à la notion d'insouciance, on a plusieurs exemples
où les tribunaux, malheureusement, ont considéré que des victimes de violence
conjugale ou de violence sexuelle ont commis
de l'insouciance. Et donc, ici, c'est vraiment une question de blâme moral.
Selon moi, on ne peut pas les blâmer pour... enfin, pour les raisons que
j'ai expliquées, pour ces situations-là, mais on voit que les tribunaux le font. Donc, à ce moment-là, peut-être
clairement le mettre dans la loi, dire : Bien, regardez, la faute lourde,
ça ne s'applique pas comme la
directive de la direction de l'IVAC l'a fait pour la violence sexuelle et pour
la violence conjugale. Puis, à ce moment-là, on a un projet de loi, encore
une fois, qui est béton.
• (11 h 40) •
M. Tanguay : Tout à fait, tout
à fait. J'aimerais revenir avec vous sur... et vous nous invitez à faire cette
modification législative là qui serait très substantielle, puis je salue cette
suggestion-là, on fera le débat en article par article, mais passer de la
notion d'agression à violence, tant dans le contexte du projet de loi n° 84
que dans le contexte de l'article d'imprescriptibilité, 2926.1.
«Violence»,
selon l'état du droit québécois, à l'heure où on se parle, pouvez-vous nous
référer des définitions, de la jurisprudence? À quoi pourriez-vous nous
inviter... À quel document pourriez-vous nous... porter notre attention?
M. Lessard
(Michaël) : Oui. Donc, dans
le contexte de violence... Bien, en fait, puis je me permets une petite
parenthèse pour commencer, là, par rapport à la violence conjugale, il y a une
définition intéressante dans la Loi sur le divorce, la nouvelle Loi sur le
divorce qui n'est pas encore en vigueur, dans la définition de violence
familiale. Donc, ça, il y a quelque chose de bien travaillé puis intéressant
pour s'inspirer.
Pour ce qui est des violences sexuelles, la loi
la plus intéressante pour moi, c'est la loi-cadre qui vise à lutter contre les
violences sexuelles dans le contexte de l'enseignement supérieur. Et donc, dans
cette loi-là, on va vraiment parler de violence et non d'agression. Et puis évidemment
on vise à couvrir aussi des situations où on aurait, par exemple, un professeur
qui fait du harcèlement sexuel sur une étudiante, qui peut en faire sur
plusieurs années, mais qui ne passe jamais à faire un acte physique, donc à
l'attouchement. Donc, l'idée, justement... puis, dans cette loi-là, on le
définit bien que violence s'étend plus loin que la notion d'agression à
caractère sexuel.
M. Tanguay : Vous faites
référence à la loi... projet de loi n° 151, si ma mémoire est bonne.
M. Lessard (Michaël) : C'est
possible. Je ne l'ai pas près de moi, mais oui...
M. Tanguay : 151. Notre
collègue Hélène David...
M.
Lessard (Michaël) : Vous avez une meilleure mémoire que moi.
M. Tanguay :
Peut-être, parce que je l'ai lu, il y a un mois. Rapidement, obligation de
coopération. O.K. Obligation de coopération,
j'y vais puis j'aimerais vous entendre là-dessus, selon la même logique. Quand
vous retirez ou que vous dites clairement, dans une loi, ou que vous
retirez une expression dans une loi, c'est clair, il n'y a pas place à
l'interprétation.
Vous avez des
préoccupations quant à l'article 7, l'obligation de coopération, dans un
contexte où ça pourrait aller à l'encontre du processus de guérison d'une
personne, comme celui de témoigner, entre autres, des violences subies dans le
cadre... Et ça, ça s'applique même à l'exercice de la subrogation. Alors, moi,
je vois les concepts qui se marient bien.
Je vais essayer de
vous poser ma question le plus clairement possible, vous nous invitez à baliser
l'obligation de coopération dans la mesure
où ça ne va pas à l'encontre du processus de guérison. Si on fait ça, je me
fais un peu l'avocat du diable, ça va
être sujet à interprétation. Il y aura tantôt des décisions heureuses, tantôt
des décisions malheureuses : Je considère
que vous avez l'obligation, madame, de coopérer, parce que, moi, je considère
que ça ne va pas à l'encontre de votre
processus de guérison. Ne devrions-nous pas, donc, pour éviter ça, retirer
carrément cette obligation de coopération? Je vous pose la question.
M. Lessard
(Michaël) : Oui, bien, vous avez raison, là. C'est sûr qu'après, la
question, c'est aussi de savoir qui est-ce
qui va prendre la décision, qui qui va pouvoir interpréter. Puis dans le cas...
Souvent, en fait, il y a certaines obligations de coopération qui sont
nécessaires pour recevoir l'aide financière, là, donc ça peut être à la
discrétion de la direction, puis on pourrait, en effet, se retrouver face à des
situations fâcheuses.
Donc, je vous ai
donné un peu l'idéal comme proposition, c'est-à-dire de baliser autour du
processus de guérison, mais évidemment, le monde n'étant pas parfait, peut-être
que le plus simple, ça serait soit de dire que l'obligation est conditionnelle
à la volonté de la victime ou soit simplement d'enlever l'obligation de
coopération, parce qu'en effet on pourrait s'entraîner dans plusieurs débats,
on pourrait forcer des victimes à faire ce qu'elles ne veulent pas faire. On
pourrait, plus dangereusement, repousser des victimes qui auraient peur d'être
obligées, mais qui ont vraiment besoin de l'aide de l'État. Donc, il y a toutes
sortes de situations déplorables. Puis après, ça ajoute aussi un coût à l'État,
s'il y a une contestation qui s'en va devant le tribunal administratif,
révision judiciaire, etc. Donc là, pour les victimes qui auraient peut-être
plus de soutien juridique, il y aurait aussi un coût pour l'État, là.
M. Tanguay :
Et je vais toucher l'autre point, mais on va... L'exercice de subrogation,
effectivement, poursuivons la réflexion, on dit : l'exercice de
subrogation devrait être subsidiaire, ne contrevient pas au processus de
guérison, comme celui de témoigner des violences subies. Alors, voyez-vous
qu'on pourrait être, dans le cas du devoir de coopération, dans la situation
assez particulière où, comme victime, je devrais aller témoigner du fait que je
ne veux pas aller témoigner, je devrais témoigner du fait que, oui, ça
participe de mon processus de guérison, c'est majeur, puis que ça me stresse,
puis que ça m'empêche de guérir totalement, et que là, donc, ça ajoute des
délais, ça ajoute du stress, mais je devrais
témoigner pour ne pas pouvoir aller témoigner plus tard dans un autre contexte?
Il y aurait peut-être ça aussi
qui serait une incongruité.
J'aimerais... Il me
reste une minute. Je regarde M. le président, il sourit encore, alors c'est bon
signe. Les crimes perpétrés à l'extérieur du Québec, ça, c'est un point important.
Vous soulevez, recommandation 14 : faites en sorte de ne pas exclure
les employés de l'État, les étudiants, les travailleurs humanitaires parce
qu'ils ne respectent pas la fameuse règle du 183 jours. Ça, je voulais
vous entendre là-dessus. C'est parce que je trouve ça intéressant.
M. Lessard
(Michaël) : Exact, puis c'est intéressant aussi que l'exercice a déjà
été fait dans, disons, le dessein du régime d'assurance maladie. C'est qu'il y
a un peu la même exception, bien, c'est-à-dire un peu les mêmes dispositions au
sens où, après 183 jours, l'assurance maladie va être retirée, mais il y a
des exceptions pour tout ce qui est étudiant qui va à l'étranger, bon,
fonctionnaire, employé de l'État, personne en mission humanitaire, et donc je
crois qu'il y aurait lieu de s'inspirer de ces exceptions-là pour le régime.
Puis on peut penser à
des cas qui nous frapperaient de voir des refus. Par exemple, si j'allais
étudier... Bien, en fait, je vais me prendre comme exemple, là.
M. Tanguay :
Vous l'avez fait.
M. Lessard
(Michaël) : J'ai étudié à l'Université de Toronto. Bon, là,
présentement, je suis revenu au Québec, mais, s'il n'y avait pas eu la
pandémie, j'aurais sûrement fait plus que 183 jours à l'Université de
Toronto. Si, à la dernière année de mon doctorat, je subis quelque chose à
Toronto, je subis des voies de fait puis que je reviens ici, bien, je veux dire, à toutes fins pratiques, je suis quand
même un Québécois. Je reviens quand même vivre au Québec, je suis parti temporairement aux fins des
études, mais je n'ai pas l'intention d'appartenir à une autre
juridiction. Donc, je ne vois pas pourquoi,
surtout dans une optique de solidarité sociale, pourquoi il faudrait m'exclure
du régime...
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup.
M. Tanguay :
Merci, Me Lessard.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci, M. le député de LaFontaine. Mme la députée de Sherbrooke, s'il vous
plaît.
Mme Labrie : Merci, M. le
Président. Merci, M. Lessard, pour votre présentation. J'ai apprécié la
distinction que vous avez faite, là, entre
la question d'agression, de violence sexuelle. Je pense que c'est éclairant
pour certains de mes collègues autour de la table. J'aime aussi
l'invitation que vous nous faites à faire preuve d'autonomie pour identifier
les actes qui ne sont pas nécessairement criminels, mais qui devraient être
indemnisés. On n'a effectivement pas nécessairement besoin d'être à la remorque
du fédéral pour ça. C'est intéressant que vous nous y invitiez.
Pour la question de
l'obligation de coopération, j'essaie de résumer, disons, vos propos. Est-ce
que le plan A serait de retirer complètement cette notion-là du projet de loi,
de l'obligation de coopérer, puis le plan B serait de préciser au moins que, si
ça nuit au rétablissement de la victime, elle n'y est pas tenue? Si on faisait
ça, est-ce qu'il faudrait quand même
essayer de définir davantage de quel genre de coopération on parle, avec qui,
dans quel contexte?
M. Lessard (Michaël) : Oui, bien, c'est une bonne question.
Je pense que le... par rapport à l'article 7, justement, ce serait plus intéressant
de définir de qui on parle exactement. Puis moi, j'en ai débattu avec beaucoup
de collègues, à savoir est-ce que les personnes qui sont chargées de l'application de la loi, on parle du projet
de loi qu'on étudie présentement ou est-ce qu'on parle de la loi en
général, donc les services de police, etc.? Donc, des précisions pourraient
être intéressantes. C'est sûr que le plus simple, ça serait simplement de
retirer l'obligation de coopération puis l'obligation de dénoncer dans un État
étranger aussi.
Par contre, je
comprends qu'il y a aussi des obligations de coopération quand on demande à la
victime d'aller passer certains tests pour évaluer son état de santé. Donc, à
ce moment-là, il serait difficile de comprendre qu'on puisse retirer complètement
ces dispositions-là, parce que, dans ce contexte-là, on a besoin d'évaluer
l'état de santé pour évaluer l'aide financière, du moins, de ce que je comprends pour l'instant, évidemment,
sous réserve de lire les règlements.
Mais ce qui pourrait
être fait dans ces articles-là, que peut-être qui serait plus difficile à
enlever, ce serait de bien baliser, justement,
une période de guérison, qui pourrait être protégée pour ne pas pousser trop rapidement les victimes puis, en fin de compte, aller à l'encontre de
l'objectif du projet de loi, qui est de favoriser leur rétablissement puis de
les aider.
Mme Labrie :
Je vous remercie.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de
Joliette, s'il vous plaît.
• (11 h 50) •
Mme
Hivon :
Oui, bonjour. Merci beaucoup. Moi, je suis exactement à la même place que vous,
je pense qu'il faudrait parler de violence sexuelle et vraiment s'éloigner de
la notion d'agression sexuelle, dans le vocabulaire et dans la réalité de ce
que c'est aussi. C'est quelque chose de fondamental.
L'autre chose que je
veux bien comprendre concrètement, quand vous nous dites de ne pas se coller
juste à ce qui est prévu au Code criminel, encore une fois, je vous suis très
bien. Donc, ce que vous proposez, c'est que la base serait les infractions, pour
ne pas aller revisiter tout ce qu'il y a dans le Code criminel, serait ce qui
est prévu au Code criminel, mais on ajouterait certaines rubriques. Est-ce que
j'ai bien compris?
M. Lessard
(Michaël) : Oui, voilà. Moi, j'adopte la proposition de l'Association
des juristes progressistes, qui est peut-être un peu plus détaillée dans leur
mémoire que dans le mien, mais essentiellement, c'est ça, c'est que le régime
de base serait sur, en fait, l'actus reus des infractions criminelles, puis
ensuite, si on ne rentre pas dans une infraction criminelle, on tomberait dans
une évaluation supplétive, qui serait ensuite sur une définition plus large de
la violence conjugale, de la violence sexuelle.
Donc,
au fond, ce n'est pas... tu sais, il ne faudrait pas l'expliquer comme étant
deux régimes, là, peut-être que
c'est un terme trop gros, mais c'est vraiment
une évaluation qui se fait en deux étapes. Maintenant,
elle se fait juste en une étape. Est-ce qu'on rentre dans une infraction au criminel? Puis là la deuxième étape, ça
serait, bon, sinon subsidiairement, est-ce qu'à ce moment-là on rentre
dans une autre définition de violence qui porte atteinte à l'intégrité physique
ou psychologique d'une personne sans être criminalisée.
Mme Hivon :
Parce qu'il y a quelque chose qui est ressorti beaucoup de nos travaux avec le
comité d'experts, c'est toute la notion de
violence psychologique dans le contexte de violence conjugale qui,
malheureusement, n'est pas reconnue. Donc, avec l'approche que vous proposez,
ça pourrait être formellement reconnu.
M. Lessard
(Michaël) : Exact, tout à fait. Puis, si j'ai bien compris l'intention
derrière le projet de loi n° 84, c'est
justement d'aider rapidement des victimes qui ont des besoins psychologiques
importants. Donc, justement, si on pouvait
aller les aider, bon, ça, ça serait bénéfique, surtout... parce que la violence
psychologique est difficile à retracer, mais il y a aussi d'autres mécanismes qui s'enclenchent. Donc, on pourrait,
par exemple, leur donner une aide pour déménager, quitter leur conjoint. Donc, il y a de l'aide au
déménagement qui est prévue dans le projet de loi n° 84, mais
présentement, l'aide au déménagement, elle est juste donnée si on a subi, disons,
une infraction criminelle violente aussi, donc, au sens strict, mais elle n'est
pas donnée à une victime de violence psychologique alors qu'elle devrait
bénéficier de la même aide. On devrait vouloir lui permettre de quitter son
conjoint puis favoriser son rétablissement.
Mme Hivon :
Merci, c'est très clair. Est-ce qu'il me reste encore quelques secondes, M. le
Président?
Le
Président (M. Bachand) : Deux secondes.
Mme Hivon : ...
Le
Président (M. Bachand) : Allez-y.
Mme Hivon : O.K.
Bien, j'aurais aimé juste vous entendre, parce que tantôt vous sembliez dire
qu'il faut vraiment se concentrer sur l'actus reus. Là, je comprends, mais vous
sembliez dire que, dans l'état actuel des choses, des fois, on va essayer de
chercher est-ce qu'il y a eu consentement dans une agression sexuelle avant
d'offrir l'aide. Et je suis vraiment surprise d'entendre ça, parce que je
pensais qu'en matière d'agressions sexuelles l'IVAC avait une interprétation
large et non restrictive, mais vous donnez un son de cloche divergent
là-dessus.
Le Président (M.
Bachand) : Me Lessard, rapidement, s'il vous plaît.
M. Lessard (Michaël) : Oui.
Donc, exact, on a vu plusieurs décisions sur la question puis... En fait, moi,
j'ai étudié les décisions publiques, toutes les décisions qui sont prises par
la direction de l'IVAC et qui ne sont pas... qui ne vont pas devant les tribunaux, elles sont confidentielles. Donc, à ce
moment-là, tout ce que j'ai vu, c'est la pointe de l'iceberg. Puis, à ce
moment-là, il y a quand même eu beaucoup trop de décisions qui entretiennent
cette logique-là et qui font dépendre l'aide de l'état d'esprit de l'agresseur.
Le Président (M.
Bachand) : Sur ce, Me Lessard, merci infiniment d'avoir
participé, en cette journée de votre anniversaire de naissance, aux travaux de
la commission.
Cela dit, la commission suspend ses travaux
jusqu'à 14 heures. Merci infiniment, tout le monde.
(Suspension de la séance à 11 h 54)
(Reprise à 14 h 01)
Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Bon début d'après-midi. La commission
reprend ses travaux.
Donc, nous poursuivons les consultations
particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 84, Loi visant à aider les personnes victimes d'infractions criminelles et
à favoriser leur rétablissement.
Cet après-midi, nous allons
entendre les personnes et groupes suivants : la Direction générale
de l'indemnisation des victimes d'actes
criminels, l'association des familles assassinées ou disparues,
Me Madeleine Lemieux, l'Association québécoise
Plaidoyer-Victimes. Et nous débutons d'abord avec Me Marc Bellemare.
Me Bellemare, bienvenue dans la commission.
Alors, comme vous connaissez les règles, donc on
a 10 minutes de présentation de votre part, et après ça nous aurons un
échange avec les membres de la commission. Cela dit, merci d'être avec nous
aujourd'hui, et je vous cède la parole pour 10 minutes. Merci,
Me Bellemare.
M. Marc Bellemare
(Visioconférence)
M. Bellemare
(Marc) : Merci. Alors, j'ai déjà transmis mes observations écrites au
secrétariat de la commission. Je vais vous lire un court texte, après,
on procédera aux questions.
Alors, M. le Président, M. le ministre, Mmes et
MM. les députés, depuis plus de 50 ans... près de 50 ans plutôt, 1972, la Loi sur l'IVAC garantit à toutes
les personnes victimes d'actes criminels au Québec, qu'elles aient ou
non un emploi au moment du crime, trois choses : premièrement, des
traitements psychologiques sans limites de temps; deuxièmement, une indemnité de remplacement de revenu jamais inférieure
au salaire minimum, sans limite de temps également tant que durera
l'incapacité à travailler sa vie durant, s'il le faut; et troisièmement, une
rente à vie correspondant aux séquelles permanentes résultant de l'agression.
Avec son projet de loi n° 84,
le ministre de la Justice poussera à la faillite et à l'aide sociale des
milliers de victimes d'actes criminels et
leurs familles. En effet, le projet de loi abolit le remplacement de revenu
pour les victimes sans emploi lors de l'agression. On parle ici des
chômeurs, des femmes au foyer, des étudiants et des retraités. Le projet de loi
n° 84 limite le soutien à ces victimes, donc les sans-emploi au moment de
l'agression — ils
ne l'ont pas choisi, bien évidemment — au simple remboursement de frais de
traitement pour une somme et une durée inconnues. Il promet une somme
forfaitaire globale, dont l'importance est également inconnue,
des années plus tard, à la fin des traitements, une fois que la faillite sera
consommée.
Les autres victimes, celles qui
ont eu la chance d'avoir un emploi au moment de l'agression, certainement une
minorité, verront 90 % de leur revenu remplacé pour une période
maximale de trois ans. C'est, à mon sens, une hérésie,
un recul sans précédent dans l'histoire du droit social québécois. En plus de
jeter à la rue d'autres milliers de victimes toujours inaptes au travail
après trois ans, ce projet de loi ignoble et régressif causera maintes
disparités et injustices.
Ainsi, je prends
l'exemple de cette serveuse de restaurant, âgée de 30 ans, qui gagne
30 000 $ annuellement et qui est
victime d'un acte criminel. Si notre serveuse est agressée au travail — elle a 30 ans — elle verra son revenu remplacé par la CNESST pendant 38 ans, si l'incapacité
perdure, bien sûr, jusqu'à l'âge de 68 ans. Si, par contre, elle est
blessée par un chauffard en retournant chez elle après le travail, c'est la
Société de l'assurance automobile qui va remplacer son
revenu également, parce qu'à ce moment-là elle sera une victime de la route,
également jusqu'à l'âge de 68 ans, potentiellement, donc, pendant
38 ans.
Si, malheureusement,
elle n'est pas agressée au travail ou sur la route, mais qu'elle est agressée
chez elle, à domicile le soir, elle n'aura droit ni à la CNESST ni à la SAAQ.
Elle vivra dans l'indigence du projet de loi n° 84, et M. le ministre de la Justice cessera de remplacer
son revenu après trois ans, même si elle est toujours invalide à tout
emploi. Quant à la notion même de victime, le projet de loi n° 84 l'élargit, au
sens sémantique, certes, aux proches, aux conjoints
et aux enfants. Toutefois, pour eux, le statut de victime est une coquille
vide, puisque ces derniers n'auront pas droit au remplacement de revenu, parce qu'ils ne figurent pas parmi les
victimes admissibles à l'article 36 du projet de loi.
J'estime qu'il vaut
mieux conserver la définition actuelle de victime, plus simple, contenue à
l'article 3a de la Loi sur l'IVAC, une définition largement et généreusement
interprétée par le Tribunal administratif du Québec et par les tribunaux civils à ce jour. Même chose pour la notion de faute
lourde qui, à mon avis, mérite d'être maintenue. Elle fait l'objet d'une
jurisprudence stable, constante, jurisprudence qui sera écartée au profit de
toutes les nouvelles définitions de faute
lourde amenées par le projet de loi n° 84, à l'article 16, lesquelles prendront cinq, 10 ans, peut-être
davantage, avant d'être interprétées durablement par les tribunaux. La loi
actuelle de l'IVAC, qui est simple, une trentaine d'articles seulement, connue,
et elle est d'interprétation stable, ça a pris 50 ans pour écrire ça.
La première chose
dont les victimes d'actes criminels ont besoin, c'est de stabilité quant à
leurs droits et aux indemnités qu'elles recevront. Ce mauvais projet de loi les
projette dans l'incertitude et dans l'inconnu par une multitude de nouvelles
définitions, de nouveaux concepts inconnus qui mériteront d'être interprétés,
mais pendant combien de temps avant qu'on
sache exactement où on s'en va avec cette loi. Les seules certitudes, dans ce projet de loi, sont dans les reculs
immenses qu'il contient, surtout quant au remplacement de leur revenu à long
terme. Le ministre de la Justice en rajoute en promettant 40 millions par
année pendant cinq ans, ce qui est, à mon sens, absolument et mathématiquement
impossible, compte tenu des reculs financiers précités. Cet argent, s'il
existe, n'ira certainement pas dans les poches des victimes. Il s'agit d'un
autre leurre, d'une autre utopie.
M. le ministre,
retirez ce projet de loi ignoble et, plutôt, améliorez les droits des victimes
plutôt que de les détruire. Pour y arriver, je vous demande de procéder à une
vraie consultation sur le projet de loi, parce que rencontrer des victimes, ce
n'est pas une consultation. Une vraie consultation, c'est une consultation sur
le projet de loi qui donne le temps aux partenaires de se préparer sur la base
d'un document précis. Je vous demande d'amender simplement la loi actuelle,
encore bien meilleure que le projet de loi n° 84. Ajoutez, bien sûr, les
victimes hors Québec, ce qui est une bonne
chose, et les autres victimes qui ne sont pas visées actuellement par la loi.
Un amendement de deux lignes suffirait, immensément plus simple que le
cauchemar que vous annoncez. Merci.
Le
Président (M. Bachand) : ...Me Bellemare. M. le ministre, s'il
vous plaît.
M.
Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Bonjour, Me Bellemare.
Merci d'être avec nous pour participer aux travaux de la commission.
D'entrée de jeu,
Me Bellemare, outre les points que vous avez soulignés à la fin, qui
étaient une bonne chose pour les crimes hors Québec, est-ce qu'il y a autre
chose que vous trouvez de positif dans le projet de loi? Parce que vous semblez
avoir une analyse réductrice du projet de loi qui a été travaillé par des
juristes, par des gens au gouvernement du Québec et par beaucoup de gens qui
semblent dire que ça représente des avancées significatives, le projet de loi n° 84. Alors, j'aimerais vous entendre, est-ce qu'il y a d'autres
éléments positifs dans le projet de loi n° 84?
• (14 h 10) •
M. Bellemare
(Marc) : Bien, je ne sais pas de qui vous parlez par rapport aux
juristes, parce qu'il y a beaucoup de juristes, effectivement, au ministère de
la Justice. Il y en a aussi qui sont à votre service, au Procureur général,
qu'on affronte quotidiennement dans nos débats devant les tribunaux et qui
contestent systématiquement les réclamations des victimes. Alors, si c'est eux
qui ont rédigé le projet de loi, puis je le soupçonne, bien, c'est bien sûr que ça fait leur affaire, je n'en doute pas une
seconde. Sauf que, parmi tous les avocats que je connais de longue date,
parce que ça fait 42 ans que je fais ce
travail-là, sauf une courte année sur le siège que vous occupez, il n'y a
personne qui est d'accord avec le projet de loi. Alors, ceux qui vivent avec
les victimes et qui savent quelle est la portée de la loi actuelle, qui
connaissent la jurisprudence, ne sont pas satisfaits du projet de loi et ils
voient des reculs.
Maintenant, ce que je
dis, c'est que la définition de victime qui est présente à l'heure actuelle et
qui fait l'objet, surtout depuis 2013, d'une
jurisprudence positive de la part du Tribunal administratif du Québec et des
tribunaux civils, la Cour supérieure
notamment, cette définition-là mérite d'être conservée, c'est-à-dire une
victime est une personne qui a été blessée directement ou à l'occasion
d'un acte criminel. Ça suffit, on a tout là-dedans. C'est une notion très
précise, très large. On n'est pas obligé d'avoir une définition de victime
d'une page et demie pour comprendre et on a de la jurisprudence aussi qui
interprète favorablement cette définition-là.
Alors, on peut
amender la définition actuelle en précisant que la victime qui aurait été
victime d'un homicide, parce que je pense que ça serait suffisant, à
l'extérieur du Québec, serait considérée comme une victime en vertu de cette
définition-là, comme on peut prévoir l'abolition de l'annexe, ce qui est déjà
le cas dans votre projet de loi, en prévoyant que tous les crimes sont
admissibles. Et il y a déjà beaucoup de crimes qui sont admissibles, hein? Il y
en a quelques-uns qui vont être ajoutés, parce que le Code criminel prévoit
d'autres crimes, mais il y a déjà beaucoup
de crimes... Vous savez, les agressions sexuelles sont acceptées, les
homicides, les tentatives de meurtre, les voies de fait. Bon, il y en a quelques autres qu'il faut ajouter, mais on n'a
pas besoin d'un projet de loi de 190 articles pour le faire.
M.
Jolin-Barrette : C'est tout de même ironique, M. le Président, parce
que, savez-vous, on en a rencontré des victimes, on a rencontré des groupes de
victimes, tout le monde demandait l'abolition de la liste des infractions pour que ce soit l'ensemble des infractions contre la
personne qui soient couvertes. C'est ce qu'on a fait. Avec la proposition que
Me Bellemare nous fait quand il dit : Ah! mais les homicides commis à
l'étranger, c'est correct ça, ça, c'est
correct, par contre, pour les victimes d'agression sexuelle à l'étranger, ça,
il ne faudrait pas faire de modification avec ça. Est-ce que c'est ça
que j'entends de la part de Me Bellemare?
M. Bellemare
(Marc) : Pas nécessairement.
M.
Jolin-Barrette : Non, mais, M. le Président, soyons honnêtes, M. le
Président, on se retrouve dans une situation où c'est une réforme qui est
globale. Je comprends que ça ne fait pas le plaisir de Me Bellemare...
Le
Président (M. Bachand) : Juste un instant, M. le ministre,
Me Bellemare. Je vous rappelle qu'on est en visioconférence, il y a toujours
un petit délai. Alors, pour les gens qui participent à la commission puis les
gens qui nous écoutent, je vous demanderais
quand même de faire attention à vos propos, de un, et de laisser la personne poser la question et l'autre personne
y répondre. M. le ministre, s'il vous plaît.
M.
Jolin-Barrette : Alors, M. le Président, écoutez, de connaissance
générale, je crois que Me Bellemare a demandé à de multiples reprises de
réformer la loi, même à l'époque où lui-même était ministre de la Justice. Et
on se retrouve dans des situations où il est vrai que le projet de loi n'est peut-être
pas complètement parfait. On travaille à l'intérieur de certains paramètres.
Et, lorsque Me Bellemare nous dit : Écoutez, on doute du
200 millions, bien, je peux vous dire que, quand je suis passé au Conseil
du trésor, lorsque le Conseil des ministres a entériné 200 millions supplémentaires... Je n'ai pas besoin d'expliquer
à Me Bellemare comment les processus de l'État québécois fonctionnent.
Alors, je trouve extrêmement
malheureux, extrêmement malheureux qu'un ancien ministre de la Justice mette en
doute autant le rôle des juristes de l'État qui travaillent, autant le rôle
aussi de la fonction, parce que je pense que tous les parlementaires sont animés par le désir
de faire en sorte d'offrir davantage de soutien aux victimes, et c'est précisément ce qu'il a fait. Et, quand je lis des lettres ouvertes ou des lettres
qui me sont communiquées pour dire : Écoutez, j'aurai seulement
10 minutes, en commission parlementaire, pour témoigner, alors que c'est
faux, c'est 45 minutes, je crois qu'il faut apporter certaines nuances.
Et, Me Bellemare, j'aurais cru que vous auriez apporté les nuances
appropriées.
Et je comprends qu'il
y a certaines mesures, dans le projet de loi, que vous êtes en désaccord, mais
vous devez tout de même reconnaître qu'il y a des avancées significatives, notamment
sur la notion de victime pour la cellule familiale, qui fait en sorte qu'il va
y avoir du soutien psychologique, davantage de ressources qui vont être
données, qu'on met en place un programme d'urgence pour les victimes, qu'on va
faire en sorte d'amener du soutien où il n'y en avait pas actuellement.
Êtes-vous en mesure de reconnaître ce que fait le projet de loi pour les
victimes d'infractions criminelles?
M. Bellemare
(Marc) : Le problème dans le projet de loi que vous apportez... puis
je ne crois pas un mot de ce que vous dites quand vous dites que vous allez
mettre 200 millions parce que...
Le
Président (M. Bachand) : Me Bellemare, vous connaissez quand
même les règles, on ne peut pas mettre en doute ce qu'un parlementaire a dit.
Alors, je vous demanderais d'être extrêmement...
M. Bellemare
(Marc) : ...
Le
Président (M. Bachand) : Me Bellemare, je vous dis: Faites
juste attention dans vos propos. On est en commission parlementaire au
Parlement de Québec, s'il vous plaît. Allez-y.
M.
Bellemare (Marc) : ...alors
je vous répète que ce que le ministre dit, quand il dit qu'il va mettre
200 millions, c'est mathématiquement impossible. Alors, il peut bien dire
ce qu'il voudra aujourd'hui, il peut bien faire les communiqués de presse qu'il
voudra aujourd'hui, c'est impossible. S'il y a 40 millions qui vont être
affectés dans les budgets de l'État, ça va bien être à la baisse et non pas à
la hausse, parce que, quand tu coupes toutes les indemnités pour incapacité
totale temporaire des sans-emploi, ça représente des millions de dollars.
Dans le rapport
annuel de 2019, M. le ministre, que je vous invite à lire et à relire, il y a
65 millions pour l'incapacité totale
temporaire. Il y a des sans-emploi qui retirent ça. Il y a des gens qui
retirent des indemnités, qui étaient au
travail au moment où ils ont été agressés, qui sont payés bien au-delà de la
troisième année. Alors, vous les abandonnez, vous les jetez à la rue
après trois ans. C'est inacceptable, ça représente quand même des milliers de Québécois.
Et que vous avez beau
payer les traitements que vous voudrez au niveau psychologique, les traitements
psychologiques, c'est des remboursements de
dépenses. Ce n'est pas ça qui paie le beurre et le pain, ce n'est pas ça
qui paie le loyer des victimes. Ce qui paie
le loyer des victimes, ce sont des indemnités aux deux semaines qui sont
payées et qui leur permettent de remplacer
un revenu qu'ils ne peuvent pas avoir, pour ceux qui travaillent. Alors,
d'arrêter après trois ans, ça, ça
vient du rapport Lemieux qui est un rapport qui n'a jamais été suivi par vos
prédécesseurs, qui date de 2009. Il y a eu six ministres de la Justice
depuis 2009, il n'y en a aucun qui a mis de l'avant ce rapport-là. Vous sortez
ça des boules à mites pour justifier votre trois ans, alors que c'est tout à
fait non fondé, c'est contraire à la réalité. Toutes les lois du Québec
prévoient des indemnités tant que l'incapacité perdure.
Qu'est-ce que vous allez dire à la serveuse, à
34 ans, qui est traumatisée crânien, stress post-traumatique, qui ne peut pas gagner sa vie, et vous la lâchez après
trois ans? Elle va faire quoi, la serveuse, le mécanicien, le menuisier,
le chômeur qui ne pourra
plus se trouver un emploi qu'il cherchait au moment de l'agression criminelle?
C'est inacceptable, vous ne pouvez pas ignorer ça. Et vous avez beau
dire que vous changez la définition de victime, que vous donnez des traitements psychologiques, je vous le répète,
ce sont des remboursements de dépenses. Tu n'es pas obligé d'être sur IVAC pour avoir des psychologues non plus, là. Le gouvernement a annoncé des gros budgets pour les psychologues, tu n'es pas
obligé d'être sur IVAC.
Alors, il y a des reculs financiers immenses
dans votre projet de loi, vous ne pouvez pas ignorer ça. Puis je n'attaque pas
les légistes du ministère de la Justice. Les légistes du ministère de la
Justice, là, que je connais bien d'ailleurs, ils font ce que vous leur demandez
de faire. C'est vous le ministre de la Justice, ce n'est pas eux autres.
M.
Jolin-Barrette : M. le
Président, savez-vous ce qui est dommage, c'est les nuances à apporter, que Me
Bellemare refuse d'apporter dans ses propos. Ce n'est pas uniquement trois ans,
ça peut aller jusqu'à cinq au niveau de
l'indemnité de remplacement de revenu. C'est dans le projet de loi. On oublie
de mentionner qu'il y aura une somme
forfaitaire aussi, au lieu d'avoir une rente viagère. Ça, malheureusement, Me
Bellemare ne le dit pas non plus.
Alors, pour ce qui est du rapport Lemieux,
savez-vous quoi? Effectivement, je suis le premier ministre de la Justice à
apporter une réforme globale de l'IVAC, qui va faire en sorte qu'environ
4 000 personnes supplémentaires annuellement
vont pouvoir bénéficier d'aide et de soutien de l'État. Alors, ça, ça n'a pas
été fait par mes prédécesseurs, incluant par Me Bellemare, M. le
Président. Et c'est drôle, parce qu'au cours des années, quand on recense les
déclarations de Me Bellemare, il nous dit toujours : Le régime de l'IVAC
doit être modernisé. Le régime de l'IVAC doit être plus généreux. Le régime de
l'IVAC doit penser davantage aux victimes, et c'est ce qu'on fait dans le cadre
du projet de loi.
Ce que je peux vous dire, M. le Président,
aujourd'hui, c'est que je ne pense pas qu'on va réussir à avoir une discussion qui va faire en sorte... qui va nous
permettre de dire : Bien, voici, dans le projet de loi, vous devriez
améliorer ceci, hein, de la façon dont il
est qualifié par Me Bellemare. J'en suis attristé, parce que je crois que Me
Bellemare peut nous apporter une expertise qui ferait en sorte de
dire : Bien, écoutez, vous devriez ajouter ceci, ajouter cela. Mais il
choisit de prendre une approche qui dit : Tout est mauvais, retirez le
projet de loi, puis il n'y a rien de bon là-dedans.
Alors, M. le Président, je n'aurai pas d'autre
question pour le témoin, mais j'en suis déçu d'avoir une telle approche,
malheureusement, puis je vais céder la parole à mes collègues.
M. Bellemare (Marc) : M. le
Président, est-ce que je peux répondre?
Le Président (M.
Bachand) : Oui, bien sûr, Me Bellemare.
• (14 h 20) •
M. Bellemare (Marc) : Alors, M. le
ministre me surprend beaucoup, parce que j'ai beaucoup travaillé avec M. le ministre
lorsqu'il était dans l'opposition. Il me connaît, il connaît mon expertise. Il
connaît mon engagement auprès des victimes depuis 42 ans et il me dit
qu'il aurait voulu profiter de mon expertise. Il est un peu tard, M. le
ministre. Ça aurait peut-être été bon que vous m'en parliez avant, de mon
expertise, parce que vous n'avez consulté aucun avocat spécialisé en matière
d'indemnisation. Je les connais tous. Vous avez rencontré certaines
associations pour leur demander leurs besoins, vous ne les avez pas consultées
sur le projet de loi comme tel.
Vous nous arrivez, en conférence de presse le
10 décembre, à une semaine de Noël, avec un projet de loi d'une grande
densité, tout à fait nouveau. Il y a beaucoup de gens, même au sein de votre
ministère, qui ne savent même pas où ils s'en vont avec le projet de loi,
tellement il y a des notions nouvelles. Il y a beaucoup d'imprévus, et on nous
convoque en commission parlementaire le 19 janvier, en pleine pandémie, il
y a le congé des fêtes. Puis vous me dites que vous voulez avoir mon expertise?
J'en doute. Mon expertise est là depuis 1979, M. le ministre, et j'ai travaillé
avec l'IVAC depuis 1979, j'ai représenté des milliers de victimes.
Et je vous le dis, c'est un recul colossal au
niveau de l'aide financière. C'est un sophisme de parler d'aide financière quand on parle simplement de
remboursement de traitement psychologique. Ce n'est pas de l'aide
financière, c'est un remboursement de frais.
L'aide financière, c'est l'indemnité pour incapacité totale temporaire, même
au-delà de quatre ans. Vous ne pouvez
pas nous dire, quand bien même que c'est cinq ans, que ça correspond à la loi
actuelle. La loi actuelle prévoit des indemnités à vie. La vie, ça ne
s'arrête pas à 30 ans. Et tous les autres régimes d'indemnisation au
Québec prévoient des indemnités de remplacement de revenu jusqu'à l'âge de
68 ans, même, par exemple, pour les victimes de la route qui étaient sans
emploi au moment de l'accident.
Vous pourriez vous inspirer de la Loi de la
SAAQ, qui prévoit des indemnités pour les gens qui étaient étudiants, chômeurs,
travailleurs temporaires, retraités au moment de l'accident d'automobile. Vous
ne vous inspirez pas des autres lois, on s'en va tout croche, on s'en va
partout avec un tout nouveau régime. Ça va mêler les gens. Les Québécois ont
besoin d'être rassurés. On a des régimes d'indemnisation au Québec qui
existent, à la CSST depuis 1909, à la SAAQ depuis 1978. Il y a des concepts qui
marchent très bien au sein de ces organismes-là. Vous devriez les emprunter et
les intégrer, dans la loi de l'IVAC, pour que ce soit plus simple, qu'on tende
vers un régime qui soit plus commun au Québec puis que les Québécois s'y
retrouvent, parce que, dans des régimes multiples comme ça, plus on s'étire,
plus on s'en va dans toutes les directions, plus on crée des régimes différents
des uns des autres, plus c'est mêlant pour les victimes, moins on sait où on
s'en va, et, pour le simple citoyen, ça devient plus compliqué que la Loi de
l'impôt, M. le Président.
Le Président (M.
Bachand) : Merci, Me Bellemare. S'il n'y a pas d'autre question
du côté ministériel, je vais céder la parole au député de LaFontaine.
M. le député, s'il vous plaît.
M. Tanguay :
Merci beaucoup...
M. Jolin-Barrette : M. le Président,
je crois qu'il y avait des questions de la part du député de Saint-Jean.
Le Président (M.
Bachand) : O.K. J'attendais juste que la main se lève, comme on
dit. Alors, M. le député de Saint-Jean, s'il vous plaît. Il reste trois
minutes.
M. Bellemare (Marc) : Il n'a pas de
micro, M. Lemieux. Je n'entends rien.
Le Président (M.
Bachand) : Louis? M. le député de Saint-Jean. O.K. Excuse.
M. Lemieux : Désolé, M. le
Président, ma camarade des Plaines aussi, à qui je vais essayer de laisser un
peu de temps.
Beau débat d'experts, mais j'aimerais quand même
vous entendre, Me Bellemare. Le ministre a essayé de vous demander s'il y
avait autre chose qui allait un peu, au moins. Moi, je comprends qu'on va aider
beaucoup plus de victimes et de parents de victimes, mais surtout on va les
aider dès le départ. On a entendu toute sorte de monde venir depuis hier, puis
ça va continuer demain, des gens qui disent que c'est une place de fous, ça
prend une éternité, on a de la misère. Et,
si j'ai bien compris, là, et puis vous avez probablement lu le même projet de loi que moi, au lendemain du début des procédures, les gens vont
avoir de l'aide, de l'aide qui n'est pas l'argent sonnant, dont vous parlez
depuis tout à l'heure, mais qui est de l'aide à laquelle ils ont droit et
qu'ils n'ont pas en ce moment. Parce que, là, on n'est pas, au moins... On
peut-tu s'entendre au moins là-dessus, là? On commence avec ça, là, puis on
continue?
M. Bellemare (Marc) : Non, mais
c'est parce que, M. Lemieux, c'est un problème de machine, c'est un
problème administratif qui fait que tu reçois ton premier chèque une semaine
après l'agression, ou six mois, ou un an après
l'agression. Ça n'a rien à voir avec la loi. La loi, c'est un cadre juridique
qui crée des droits ou qui en enlève, selon ce qu'on avait avant. Dans
ce cas-ci, on en enlève beaucoup plus qu'on en donne, à mon avis, surtout au
niveau de l'aide financière, ce qu'on appelle véritablement l'aide financière.
Le délai que ça prend, pour l'IVAC, à s'activer,
ce n'est pas dans la loi, à moins qu'on mette une disposition puis qu'on oblige le ministre à répondre, par
exemple, à une réclamation dans les 90 jours ou qu'on oblige des
paiements temporaires pour les gens qui ont été victimes d'actes criminels,
spontanément, un traumatisme psychologique. Mais autrement, ce n'est pas la loi
qui va régler ça, à moins qu'on impose un délai à l'administration.
M. Lemieux : Je ne parlais pas des
indemnisations, je parlais des services et de l'aide qu'on va donner, de l'aide directe en psychologie et autres. Mais il y
a ma camarade des Plaines aussi, ma collègue des Plaines à qui je vais
laisser le peu de temps qu'il nous reste. Merci, Me Bellemare.
M. Bellemare (Marc) : Au plaisir.
Le Président (M.
Bachand) : Mme la députée de Les Plaines, s'il vous
plaît.
Mme Lecours (Les Plaines) : Merci,
M. le Président. Bonjour, Me Bellemare. Très rapidement. Il y a quand même
une grande avancée dans ce projet de loi qui est de reconnaître les victimes
d'exploitation sexuelle. J'aimerais au moins que vous puissiez reconnaître
cette grande avancée là. J'en ai rencontré beaucoup dans les derniers mois, et
ces victimes-là, et les organismes qui s'occupent de ces victimes-là le
demandaient à tout vent. Alors, j'imagine que vous reconnaissez que c'est une
très grande avancée dans ce projet de loi là.
M. Bellemare (Marc) : C'est une
avancée, puis on a besoin d'un amendement d'une dizaine de mots à la loi actuelle pour prévoir ça. On a besoin simplement
d'abolir l'annexe qui est à la fin de la loi sur l'IVAC et de prévoir
que tous les crimes prévus au Code criminel seront inclus. On n'a pas besoin d'avoir un projet de loi révolutionnaire, positif comme
négatif, de tout changer ce qui existe depuis 50 ans au Québec, en matière d'IVAC, pour apporter ce changement-là.
Ça aurait pu se faire par un simple
amendement législatif. Et c'est ça que je dis au ministre : Vous n'avez
pas besoin de réinventer la roue et
de mêler tout le monde pour la prochaine génération pour ajouter des victimes
et abolir l'annexe. C'est ça que je dis.
Mme Lecours (Les Plaines) : Par
contre, toute l'aide accordée, toute la portion aussi d'aide directe rapide, ça, c'est également une avancée qui était demandée
non seulement par les victimes pour être maintenant reconnues dans ce projet de loi là, mais aussi par beaucoup,
beaucoup d'organismes qui sont... qu'on a rencontrés sur le terrain, qu'on a
sondés.
M. Bellemare (Marc) : Mais l'aide
directe rapide, là, il y a déjà de l'aide directe rapide à IVAC, là. Ce n'est
pas inventé. Ça existe depuis 1972, l'aide directe rapide. Le problème, c'est
que les victimes doivent se trouver un psychologue,
ce qui n'est pas évident. Il y a beaucoup de psychologues sur le marché privé
qui ne veulent pas faire de traitement
pour les victimes d'actes criminels parce que ce n'est pas payant. C'est des
tarifs qui sont relativement bas, c'est de la paperasse, il faut faire
des rapports, les fonctionnaires t'appellent, na, na, na. Alors, il y a
beaucoup de psychologues dans le privé qui ne veulent pas agir. J'ai
régulièrement des appels de victimes qui me disent : Ça fait 12 que j'appelle, il n'y a personne qui veut me prendre,
parce que c'est un dossier d'IVAC, ce n'est pas juste de la thérapie, c'est de
la paperasse, c'est des téléphones, c'est des papiers, c'est des formulaires à
remplir.
Alors, ça, ça ne changera pas. Ça, ça va
continuer, mais il n'y a aucun changement par rapport à la loi actuelle. Les
traitements psychologiques aux victimes d'actes criminels, on en a, ça fait
49 ans, là. Où est l'avancée là-dedans? On appelle ça de l'aide
financière, ce n'est pas de l'aide financière. Rembourser un traitement de psychologue au privé à 86 $ la shot, je ne
vois pas où est l'avancée, là. Ce n'est pas ça qui fait que tu paies ton loyer
à la fin du mois, là. Le problème, c'est que
les victimes n'auront plus de remplacement de revenu, n'auront plus
d'indemnité... C'est ça, le problème. C'est le pain puis le beurre qui
comptent, parce que suivre une thérapie puis guérir ou se remettre d'un stress
post-traumatique, quand tu as l'huissier en arrière ou le syndic qui vient
saisir tes biens parce que tu n'es pas capable de payer tes dettes, ça va assez
mal au niveau de la thérapie.
Tous les psychologues vont vous dire que, pour
réussir une approche thérapeutique, ça prend de la sérénité, ça prend de la
quiétude, donc ça prend un remplacement de revenu. Ça prend une indemnité aux
deux semaines qui va permettre à la victime de payer ses dépenses. Autrement,
la thérapie ne marchera pas.
Le Président (M.
Bachand) : Merci, Me Bellemare. Je cède maintenant la parole au
député de LaFontaine, s'il vous plaît.
M. Tanguay : Oui. Merci, M.
le Président. Merci, M. Bellemare. Bonjour.
M. Bellemare (Marc) : Bonjour,
M. Tanguay.
M. Tanguay : Il était très
important, pour nous, de vous entendre... en désaccord avec le ministre. Alors,
une fois que ceci est dit, nous partageons votre approche à l'effet que la
précipitation est mauvaise conseillère, de un. Et, de deux, le fait qu'un pavé de 190 articles, que vous qualifiez
restrictifs, laborieux et inutilement complexes, c'est sûr que ça vient, et vous l'avez dit, c'est un... Quand
même, la loi est perfectible, puis tout le monde appelait à des
modifications à l'IVAC et à l'indemnisation des victimes.
On vient
mettre de côté, puis j'aimerais vous entendre... Puis j'ai peut-être huit, 10
points, en mon 11 minutes, alors je vais essayer de vous permettre
de pouvoir peut-être préciser votre pensée, parce que votre analyse, là, de votre lettre, là, il y a beaucoup de stock au
pouce carré, puis c'est excessivement important de vous entendre. Donc,
vous dites : Harmoniser... On a déjà un corpus de jurisprudence et
d'application au Québec. Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain,
autrement dit.
• (14 h 30) •
M. Bellemare (Marc) : Oui, c'est ça.
C'est parce que moi, je pense que l'État québécois... Vous savez, on a beaucoup
de régimes d'indemnisation au Québec. On a la Régie des rentes pour les
invalides sans raison particulière. On a la CNESST. On a la Loi sur les
accidents du travail en 1985. On a la Loi sur l'assurance automobile de 1978,
qui a été refaite en 1990. On a beaucoup de régimes d'indemnisation au Québec.
À mon avis, on en a trop.
Et, quand on
fait des changements, plutôt que d'essayer de revenir avec des modèles
complètement nouveaux... Je comprends que ça peut être sexy, au plan
législatif, d'arriver avec quelque chose qui est complètement nouveau,
innovant. Bon, on a inventé quelque chose, de la modernité, sauf que, pour les
gens, pour les victimes sur le terrain, pour les avocats, pour les travailleurs
sociaux, pour les psychologues, ça devient extrêmement complexe.
Et moi, je suis contre l'approche du ministre
qui consiste à réinventer la roue avec toutes sortes de nouvelles notions au
niveau de la faute lourde, la participation à une infraction ainsi que la faute
lourde. Pourquoi ce n'est pas simplement de la faute lourde? Il y a de la
jurisprudence, pour remplir mon bureau, sur la faute lourde, déjà, au Tribunal
administratif. Conserver la même notion dans la Loi sur les accidents du
travail, dans la loi sur l'IVAC... Si vous
faites des changements, comme, par exemple, pour les sans-emploi, j'insiste
là-dessus... dans la Loi sur l'assurance automobile, il y a de multiples
dispositions sur les sans-emploi. Qu'est-ce qu'on fait? On ne paie pas les six
premiers mois. Et, à partir du septième
mois, on détermine un emploi fictif
qui correspond au bagage académique, à l'expérience de la victime, puis on détermine un emploi fictif, puis
on dit : S'il ne peut pas faire cet emploi-là, on commence à le
payer en remplacement de revenus. C'est ça qu'on fait depuis le
1er janvier 1990 en assurance automobile. Les étudiants, les
chômeurs, les retraités, les femmes à la maison aussi... parce que ce n'est pas
parce que tu n'as pas de job au moment où l'acte criminel survient que tu n'en
auras jamais eu de ta vie, tu peux être sans emploi temporairement. Un chômeur
qui honnêtement cherche de l'emploi, il n'a pas d'emploi au moment de l'événement,
on ne lui versera pas d'aide financière de
remplacement de revenu. C'est scandaleux. Il n'y a pas une loi au Québec qui
est comme ça, pas une.
M. Tanguay : Et, si vous me permettez, vous nous avez donné,
dans votre présentation initiale, un
exemple qui parle de lui-même, là, la
femme serveuse au restaurant, de 30 ans, et ça, là, je veux dire, cet
exemple-là, je vais le reprendre au cours de nos débats puis je vous en
donnerai le droit d'auteur, mais ça parle tellement sur le fait que de
38 ans d'indemnisation, on tombera à un
maximum de trois ans, même si les séquelles n'arrêteront pas par magie
trois ans après.
J'aimerais
vous entendre sur un exemple aussi très tangible d'une notion qui s'appelle de
scène intacte et j'aimerais que vous nous expliquiez, le plus rapidement
possible, en quoi ça aurait eu un impact négatif pour les victimes de la Mosquée de Québec, le 29 janvier 2017,
que cette notion-là de scène intacte qu'introduit l'article 13 du projet
de loi n° 84.
M. Bellemare
(Marc) : Bon, je vous donne l'exemple de Mme Thabti, qui est ma
cliente et qui a réussi à se faire reconnaître comme victime, qui est la femme
d'Aboubaker Thabti qui a été assassiné à la Mosquée de Québec parmi cinq, six autres personnes le
29 janvier 2017. Elle apprend que son conjoint est à la mosquée et
elle apprend qu'il y a une fusillade, la police, les ambulances, etc. Elle se
précipite avec ses enfants à la mosquée sachant que son conjoint est à l'intérieur, ça ne va pas bien, et là c'est l'horreur.
Qu'est-ce qu'elle voit? Des badauds, des gens paniqués, des policiers, des ambulanciers, des civières, des
journalistes. Stress post-traumatique automatique, ses deux enfants
aussi, elle réclame à l'IVAC en disant : J'ai été victime d'un choc mental
à l'occasion d'un acte criminel. Même si je n'étais pas dans la mosquée, si je
n'ai pas reçu une balle de fusil, je suis quand même une victime. Alors, elle a
été refusée par IVAC en disant : Bien, vous n'étiez pas là, dans la
mosquée, quand les balles ont sorti du fusil de Bissonnette, donc vous n'êtes
pas une victime. On a contesté ça, on a gagné la cause devant le Tribunal
administratif du Québec.
Des exemples comme
ça, j'en ai plaidé, j'en ai fait reconnaître une bonne vingtaine de gens comme
ça qui se sont précipités sur la scène de crime. Alors, Mme Thabti est une
conjointe, ça va, son mari a été assassiné. Dans la définition du projet de
loi, on dit que le conjoint d'une personne... le projet de loi n° 84,
le conjoint d'une personne qui aurait été blessée à l'occasion d'un acte
criminel ne sera pas... sera considéré comme victime, dans le projet de loi,
sauf qu'à l'article 36, la conjointe, une victime n'a pas droit au
remplacement de revenu, n'est-ce pas?
Alors, c'est la
conjointe, Mme Thabti, elle, elle a été payée par IVAC une fois qu'elle a
été reconnue comme victime. Elle a eu un an de salaire parce qu'elle ne pouvait
pas s'occuper de sa garderie. En vertu du projet de loi, comme elle n'est pas prévue à l'article 36 du
projet de loi, elle n'aura pas d'aide financière. Donc, cette femme-là,
qui a eu de l'indemnité de remplacement de
revenu pendant un an, suite à l'agression de Bissonnette, ne serait pas
indemnisée au niveau du remplacement de revenu, même si elle avait un emploi,
parce qu'elle n'est pas visée à l'article 36 du projet de loi qui
restreint au témoin de la scène intacte. Ça va? Mais la scène intacte, M. le
ministre qui, de façon très claire, veut faire échec à cette jurisprudence-là,
parce que c'est manifeste, quand j'ai lu ça, la scène intacte, je me suis
dit : C'est carrément à l'encontre de ce courant jurisprudentiel là.
On définit la scène
intacte comme étant la scène avant l'arrivée des ambulanciers puis des
policiers. C'est n'importe quoi. C'est comme
si, quand on arrive sur une scène de crime et qu'on voit les policiers puis les
ambulanciers, bien là, on n'est plus
traumatisé. C'est complètement ridicule, c'est encore pire, M. Tanguay. Si
tu arrives sur une scène, tu arrives
chez vous, le soir, il y a des cordons de sécurité, il y a des polices, il y a
des ambulances, tu sais, tu ne travailleras pas le lendemain, là, alors
tu es traumatisé. Et on réduit la scène intacte à la scène avant l'arrivée des
policiers. Ça veut dire que c'est une peau
de chagrin, ça veut dire qu'on va éliminer quantité de victimes qui sont
admissibles actuellement.
M.
Tanguay : J'aimerais aussi, puis là, vu que le temps presse, il
me reste à peu près... moins de quatre minutes, je vais jumeler deux points qu'on aurait pu
développer distinctement, mais je vais les mettre ensemble, sur la
multiplication du pouvoir réglementaire et ce qui s'enligne pour être la
gestion par le ministère de la Justice. N'y voyez-vous pas là, puis c'est un
peu ce qu'on déduit de votre lettre, une capacité pour l'État, par le pouvoir réglementaire,
de fermer des portes et, dans l'application par le ministère de la Justice, de
dire : Oui, il a droit, non, elle n'a pas droit, une capacité
gouvernementale aussi de faire une gestion budgétaire qui ferait en sorte que
là, bien, on va fermer les écoutilles, là?
M. Bellemare
(Marc) : Bien, c'est possible. L'avenir nous le dira, parce que
l'avenir, on ne le connaît pas puis on le connaît encore moins avec ce projet
de loi là. Mais je vous dirai simplement que la somme forfaitaire, d'abord, le
projet de loi ne nous dit pas quelle est l'étendue de la somme forfaitaire. Il
y a des barèmes au Québec qui existent. Le barème de la CNESST, qui est plutôt
modeste au niveau de séquelles, ne donne à peu près rien pour les séquelles
permanentes. C'est un barème qui en vigueur depuis le
1er octobre 1987. Le barème de la SAAQ a été modifié à de multiples
reprises depuis 1978, sa dernière version date de 2000, plus généreux, mais on
ne sait pas c'est quoi, le barème du ministre. J'espère qu'il ne nous arrivera
pas avec un troisième barème ou un quatrième. On en a déjà pas mal, des
barèmes, là. On peut-tu arrêter, là, qu'il prenne un des deux, là, idéalement,
celui de la SAAQ?
Mais le problème de
l'indemnité forfaitaire, M. Tanguay, c'est qu'elle est versée à la fin du
processus. Mais si tu n'as pas eu de salaire pendant deux ans ou trois ans,
puis qu'on te verse une indemnité... parce que le forfaitaire, c'est pour les
séquelles permanentes, ça vient après tous les traitements, puis en psychologie
c'est long les traitements. Ce n'est pas une blessure au poignet, là, on parle
de gens qui sont en stress post-traumatique. Ça peut prendre cinq, six, sept
ans, des fois 10 ans avant d'aboutir... l'indemnité forfaitaire. Mais
quant à la façon de gérer ça, je ne sais
pas... c'est sûr que l'État, par le fait que souvent, par le biais des
ministères ou par le biais des organismes publics, l'État a à coeur de
dépenser le moins possible... on ne lui reproche pas ça, sauf qu'il faut dire
la vérité aux gens.
Moi, ce que je
trouve... ici, on laisse croire que ça va être... alors que ça va l'être moins.
Qu'on dise donc la vérité aux gens, qu'on leur dise donc : On n'a pas
d'argent, on est obligé de couper dans les salaires, on est obligé de couper à
trois ans parce qu'on n'a pas d'argent. Alors, qu'on dise ça, qu'on dise aux
victimes qu'ils en auront moins, qu'on ne leur dise pas qu'ils vont en avoir
plus quand ça va être le contraire.
M. Tanguay :
Autre exemple tangible, vous parlez de la prescription extinctive, avec
l'article 21, à une victime de 17 ans estime apte à réclamer dès
l'âge de 14 ans. Son recours serait-il prescrit avant qu'il n'atteigne
l'âge de la majorité? Donc, victime à 14 ans, 17 ans, j'aimerais ça
que vous nous expliquiez également cet autre écueil très, très potentiel, avec
le projet de loi n° 84, quant à la prescription extinctive.
Le
Président (M. Bachand) : Et en moins de... Excusez-moi,
Me Bellemare, il reste une petite minute, alors s'il vous plaît de faire
en une minute, s'il vous plaît. Merci.
M. Bellemare (Marc) : On donne à la
victime de 14 ans le droit de réclamer. On lui donne même le droit de
gérer l'argent qui va sortir de cette loi-là. L'indemnité forfaitaire, par
exemple, on va avoir des enfants de 15, 16 ans qui vont recevoir des indemnités forfaitaires de, je ne sais pas, moi, 25 000 $,
30 000 $, 40 000 $. D'abord, c'est douteux, mais,
pour ce qui est de la prescription, on donne à la victime de 14 ans le
droit de réclamer. Est-ce que ça veut dire que,
après trois ans, donc à 17 ans, s'il n'a pas réclamé, il va être prescrit?
Est-ce que le délai de trois ans ne devrait pas courir au moins à partir de sa majorité puis être prescrit à
21 ans? Lui laisser le temps d'agir, à 14 ans, tu n'as pas
toute la maturité, tu n'as pas toutes les connaissances. On lui donne le droit
de réclamer plus jeune. Est-ce que le délai de trois ans court aussi contre lui à partir du moment où il a
l'opportunité de réclamer puis qu'il est conscient de ses blessures, ce
qui voudrait dire qu'il serait prescrit à 17 ans? Je trouve ça risqué, il
n'y a rien dans le projet de loi là-dessus.
Le Président (M.
Bachand) : Merci.
M. Tanguay : Merci, Me
Bellemare.
Le Président (M.
Bachand) : Merci. Mme la députée de Sherbrooke, vous avez la
parole, s'il vous plaît.
Mme Labrie : Merci, M. le Président.
Merci, M. Bellemare, vous nous faites part de plusieurs lacunes dans le
projet de loi, vous n'êtes pas le seul d'ailleurs, là. Merci. Vous avez nommé
la question des délais, tantôt, puis vous avez dit : Ça, c'est quelque
chose que le projet de loi ne va pas régler, à moins d'introduire une
disposition pour imposer un délai à l'administration. Pensez-vous que ce serait
souhaitable de le faire?
M. Bellemare (Marc) : Peut-être,
parce que j'ai... écoutez, il y a beaucoup de délais, hein? Il y a beaucoup de
gens qui me disent : Ça me prend quasiment un avocat dans le coffre à
gants, quand j'ai un accident d'auto, ou dans la boîte à lunch, quand j'ai un
accident de travail.
C'est vrai qu'il y a beaucoup de délais. Les
délais de contestation, pour les victimes, l'IVAC, actuellement, c'est 30 jours pour l'ITT ou l'admissibilité,
90 jours pour les séquelles permanentes, 60 jours devant le tribunal administratif; CSST, c'est
30 jours, 45 jours devant le Tribunal administratif du travail; la Régie
des rentes, c'est d'autres délais; la SAAQ,
c'est 60 jours. Les délais de réclamation varient d'une loi à l'autre.
C'est pour ça que je vous dis :
Essayez donc de tendre vers l'harmonisation pour que les gens se disent :
Ah! bien, c'est tel délai pour la contestation.
Mais c'est vrai qu'il n'y a pas de délai pour
l'action gouvernementale, puis c'est toujours déplorable, on n'a pas de poignée
pour ça. On a des dossiers... je comprends qu'ils ont des enquêtes, des fois,
au niveau de l'IVAC, on enquête pour savoir si monsieur était dans le crime
organisé ou s'il ne l'était pas. Il y a des cas, des fois, ça prend deux, trois
ans avant que la décision sorte. C'est inacceptable. Je comprends qu'ils ont
des enquêtes à faire, mais ça ne serait peut-être
pas mauvais d'imposer des délais aussi à l'administration publique. À moins
d'une grande complexité dans le
dossier, il me semble que, si tu es victime d'un acte criminel, à partir du
moment où tu as déposé ta réclamation, ils devraient rendre une décision
dans un délai, je ne sais pas, moi, de 60 ou 90 jours. On peut
l'imposer, quitte à ce qu'il y ait des limites, mais là il n'y en a pas et il
n'y en a pas dans aucune des lois.
Alors, les délais, c'est toujours du côté du
citoyen, puis c'est fort complexe. Puis en matière d'IVAC, là, on parle de
gens, là, qui sont traumatisés au plan psychologique, là, c'est l'enfer. Il y a
beaucoup de victimes qui n'ont pas de blessure physique qui sont blessées au
plan psychologique.
Il y a un problème aussi au niveau de la
réclamation. On dit qu'on a trois ans pour réclamer, puis, au-delà de ça, tu es réputé, je pense... je ne sais pas
quelle disposition du projet de loi
n° 84, là, tu es réputé à avoir
renoncé à moins de prouver l'impossibilité d'agir. Ça, il faut se
débarrasser de ça, l'impossibilité d'agir, c'est dans le Code civil, mais ce
n'est dans aucune loi sociale. Aujourd'hui, c'est le motif raisonnable, un
concept beaucoup plus équitable, beaucoup
plus simple. Si l'accidenté est hors délai, à quelque niveau que ce soit, pour
réclamer, la victime d'acte criminel, un
motif raisonnable devrait suffire à excuser son retard et non pas
l'impossibilité d'agir. Je trouve que c'est beaucoup plus difficile,
puis les tribunaux, l'impossibilité d'agir, c'est virtuellement impossible
d'atteindre ce niveau-là, c'est quasiment une preuve hors de tout doute ...On
devrait imposer des délais, à mon avis, à l'administration aussi.
• (14 h 40) •
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup, Mme la députée de Sherbrooke. Mme la
députée de Joliette, vous avez la parole, s'il vous plaît.
Mme
Hivon : Oui,
bonjour. Merci beaucoup, Me Bellemare. J'aurais vraiment beaucoup de questions,
mais, voyez-vous, j'ai un gros 2 min 45 s.
Donc, je voudrais vous amener à
l'article 71, parce que c'est là où on parle que, si le ministre est
d'avis que la personne qui en fait la demande a besoin immédiatement de l'aide
financière, il va pouvoir le faire, mais dans le deuxième alinéa, on dit que ça
va être déterminé par règlement, les constats et modalités du versement
préalable. Donc, moi, ce qui m'inquiète,
puis je voulais avoir votre opinion là-dessus, c'est qu'on parle beaucoup de
l'importance de pouvoir agir rapidement avec, notamment, du soutien
psychologique, et est-ce qu'on peut penser que de faire ça par règlement
va vraiment pouvoir venir déterminer toutes les circonstances où on devrait pouvoir agir
rapidement? Est-ce que ça ne devrait pas être la règle de base, que
l'aide doit être immédiate?
M. Bellemare
(Marc) : Oui, mais je peux vous rassurer, Mme Hivon, ça ne sera
jamais appliqué, parce que c'est déjà dans la Loi de l'IVAC, puis ils ne l'ont
jamais appliqué. Les paiements temporaires, quand ils sont d'avis qu'ils
accorderont probablement l'indemnité, moi, en 42 ans, je n'ai jamais vu
ça, je n'ai jamais vu de victime. Il y a une
personne, il n'y a pas longtemps, là, qui m'a contacté, qui a été victime d'une
invasion de domicile, ça fait huit mois que le monsieur... sa femme a été victime
d'invasion à domicile, ses deux filles ont été blessées. Il dit : Je n'en
reviens pas, je n'ai pas une cent qui rentre, personne n'est payé, ça fait huit
mois. Alors, ce serait un beau cas, là, mais ils ne l'appliquent pas. Alors,
les paiements temporaires, ils n'en font pas.
Maintenant, c'est sûr
que, plus il y a de garanties dans la loi, mieux c'est, et tout ce qui
s'appelle pouvoir réglementaire, bien, c'est
évidemment à proscrire, parce que ça donne un pouvoir discrétionnaire illimité
à l'exécutif pour réglementer puis ajouter des conditions, puis ce n'est
généralement pas nécessairement en faveur du citoyen.
Mme
Hivon : C'est sûr que ça inquiète beaucoup, parce que tout
le coeur de l'indemnisation puis des sommes forfaitaires, ça va tout
être déterminé par règlement. Donc, en ce moment, on n'est même pas capable de
savoir la hauteur. Ça fait que c'est sûr qu'il va y avoir un gros travail à
faire là.
Mon
autre élément, c'est qu'on sait à quel point les rapports, la bureaucratie sont
difficiles avec l'IVAC. Est-ce que vous voyez des choses, dans le projet
de loi, qui sont de nature à améliorer les rapports, je dirais, administratifs
entre le citoyen, la victime et l'IVAC, des améliorations très tangibles dans
la manière dont on va prendre en compte la demande, qu'on va être efficace,
diligent, que ça va être plus simple pour lui?
M. Bellemare
(Marc) : Il faudrait peut-être mettre des dispositions. Je sais que,
dans la Loi sur les accidents du travail, les maladies professionnelles, il y a
des dispositions qui disent qu'on doit s'adresser aux citoyens dans un langage simple. La Loi sur la justice
administrative aussi dit que les fonctionnaires doivent être en soutien aux
citoyens. Oui, il y a des beaux principes, mais, en pratique, tout ça relève de
l'administration. Puis c'est un peu ce que je dis dans ma lettre, comment ça va être géré cette affaire-là, la structure,
c'est quoi, les fonctionnaires, comment ils vont être formés, parce que
c'est certain, comme je le disais tantôt, qu'on fait affaire avec des
dépressifs puis des traumatisés, des gens qui sont sévèrement atteints au
niveau psychique. Ça touche l'humeur, ça touche la concentration, ça touche
l'anxiété, et on a besoin de... on le sait, nous autres, les avocats, on a
besoin de traiter nos victimes, nos clients, quand c'est des victimes d'actes
criminels.
Ce n'est pas
n'importe quelle personne et c'est sûr que ça fait grandement défaut, au niveau
de l'IVAC, le rapport, la façon de parler
aux gens. Vous ne passerez pas votre vie là-dessus, ça fait trois fois que vous
m'appelez depuis un mois, vous n'avez pas compris, ça fait une
demi-heure que je vous l'explique. Des attitudes solides. Moi, j'ai... puis on
m'apporte des «tapes», des fois, là, des enregistrements de contestation, c'est
ahurissant. J'ai confiance que le ministre trouve une solution à ce problème-là,
même si c'est beaucoup au niveau des rapports humains, au niveau de la culture
de l'organisme que ça doit être travaillé. Mais là c'est... s'il y a un
changement législatif qui est opéré, il faudrait aussi travailler très fort sur
la structure et l'approche et convaincre les fonctionnaires, les choisir en
conséquence pour une certaine convivialité puis un certain humanisme, là. Il
faut vraiment travailler ça, mais est-ce que ça peut s'intégrer dans un cadre
législatif? Je pense que ça a toujours été compliqué.
Le
Président (M. Bachand) : Sur ce, Me Bellemare, ça
conclut...
M. Bellemare
(Marc) : Ça pourrait être... si vous me permettez, M. Bachand, s'il
y a une structure... je le disais, s'il y a une structure qui est développée, qui est
mise en place, on ne la connaît pas, mais s'il y en a une, qu'on
permette aux victimes mais aux vraies victimes, là, pas des représentants, là,
pas des technocrates, là, mais des vraies victimes articulées d'être présentes
sur la structure administrative éventuelle.
Le
Président (M. Bachand) : Sur ce, Me Bellemare, encore une
fois, merci beaucoup de votre participation.
Sur ce, on suspend
les travaux quelques instants. Merci.
(Suspension de la séance à
14 h 46)
(Reprise à 14 h 48)
Le
Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il
vous plaît! La commission reprend ses travaux. Alors, il nous fait plaisir
d'accueillir maintenant les représentants et représentantes de la Direction
générale de l'indemnisation des victimes d'actes criminels.
Alors, M. Rodrigue
et Mme Choquette, merci beaucoup d'être avec nous cet après-midi. C'est
très apprécié. Alors, comme vous savez, vous avez 10 minutes de
présentation, et, après ça, on aura un échange avec les membres de la commission.
Sur ce, je vous laisse la parole et, encore une fois, merci de participer aux
travaux. À vous.
Direction générale de
l'indemnisation des victimes
d'actes criminels (DGIVAC)
M. Rodrigue
(Jean) : Parfait. Merci beaucoup. Alors, je me présente, Jean
Rodrigue, directeur général de l'Indemnisation des victimes d'actes criminels.
Je suis accompagné aujourd'hui de Mme Myriam Choquette, qui est directrice
du développement, du soutien et du bureau de la révision administrative. Mme
Choquette est également la gestionnaire responsable de la mise en oeuvre du
projet de réforme.
Le but de la présentation aujourd'hui, c'est de
partager avec vous certains constats opérationnels actuels et les impacts prévus du projet de loi n° 84 sur ces derniers. Nous ne nous présentons pas aujourd'hui en tant
qu'experts du projet
de loi, je tiens à vous le dire. Comme vous le savez sûrement, la loi adoptée
en 1972 a confié un mandat de gestion administrative
du régime d'indemnisation à la direction générale de l'IVAC, et, bien que nous
ne soyons pas responsables de
l'analyse, du développement et de l'évolution de ce régime, nous sommes à même
de partager avec vous certains constats.
Ces constats, nous les avons partagés d'ailleurs
avec le ministère de la Justice du Québec dans le cadre de ses travaux, et j'aimerais souligner d'ailleurs la
grande collaboration, dans ce projet, entre le ministère et la direction
générale de l'IVAC. Nous avons été à même de discuter avec eux des
problématiques auxquelles nous devons faire face dans l'application de la loi actuelle. Nous avons mis, dès le départ, à
contribution une équipe de professionnels bien au fait de la prestation
de services, qui a pu porter la voix de nos intervenants et, par le fait même,
des personnes victimes elles-mêmes. Nous
croyons que cette réforme importante permettra de répondre à plusieurs
critiques faites à l'endroit du régime actuel.
Quelques chiffres avant de commencer, les
derniers chiffres officiels, qui datent de 2019, chiffres présentés dans le rapport annuel d'activité qui a été déposé
à l'Assemblée nationale, donc 8 856 nouvelles demandes de
prestations reçues au 31 décembre 2019. 7 223 demandes de
prestations acceptées, c'est 81,5 % des demandes qui ont été acceptées,
17 532 dossiers pour lesquels des indemnités ont été versées, pour une
somme de 136 022 991 $.
• (14 h 50) •
Les enjeux actuels concernent deux points
essentiels que le Protecteur du citoyen a soulevés dans son rapport systémique
publié en septembre 2016 et qui font d'ailleurs souvent l'objet de
plusieurs publications dans les médias. Je vous parle de l'accès au régime
ainsi que des délais de traitement. Plusieurs critiques, donc, sur le régime
actuel sont en lien avec l'admissibilité des
réclamations. Ces critiques portent essentiellement sur les critères
d'admissibilité, restrictifs, il faut le dire, qui limitent l'accès au régime à
certaines victimes d'actes criminels. Le projet de loi prévoit des modifications sur certains aspects. Les
modifications porteront essentiellement sur la territorialité, le délai pour
déposer une demande de qualification, l'imprescriptibilité pour des infractions
dans certains contextes, les crimes éligibles et la notion de victime.
Tout d'abord, le critère de territorialité.
Actuellement, pour être admissible, le crime doit avoir été commis au Québec.
Une personne étrangère en visite peut être admissible, mais un résident
québécois victime d'un crime à l'étranger ne l'est pas. En 2019,
13 personnes ayant été victimes d'un acte criminel commis à l'extérieur du
Québec et ayant déposé une demande de prestations ont reçu une décision de refus.
Le projet de loi prévoit qu'un résident québécois
victime d'un crime ailleurs qu'au Québec, au Canada ou à l'étranger, serait
admissible à une aide. Ce changement permettrait à tous les Québécois et Québécoises
d'obtenir de l'aide du gouvernement, s'ils sont victimes d'un acte criminel au
Québec ou ailleurs, dans la mesure, bien entendu, où ils répondent à tous les
critères d'admissibilité.
Le délai pour
déposer une demande. Actuellement, pour les crimes commis après le
23 mai 2013, le délai pour déposer
une demande de prestations est de deux ans. Pour les crimes commis avant le
23 mai, le délai est même d'un an. Passé ces délais, la personne victime doit démontrer qu'elle avait des motifs
raisonnables pour expliquer la présentation tardive de sa demande de prestations, sans quoi elle est réputée avoir
renoncé à se prévaloir de ses droits pour bénéficier des avantages
prévus à la loi.
En 2019, c'est 108 personnes qui ont reçu
une décision de refus à l'accès au régime, car elles n'ont pas présenté leur
demande de prestations à temps, sans motif raisonnable pour justifier leur
retard. Plus de la moitié d'entre elles ont été victimes d'agression sexuelle.
Le projet de loi n° 84 permet de faire
passer le délai de deux à trois ans pour le dépôt d'une demande de qualification, ce qui laisse plus de temps aux
victimes pour déposer leur demande. De plus, il n'y aura aucun délai pour les crimes commis dans trois contextes, à
savoir la violence dans l'enfance, les agressions sexuelles et la
violence conjugale. La grande majorité des personnes victimes d'actes criminels
acceptées à l'IVAC sont concernées par ces contextes.
Ainsi, par exemple, sur l'ensemble des demandes
acceptées en 2019, 42,7 % étaient victimes d'agression sexuelle, soit 3 096 personnes. Plusieurs
d'entre elles ont probablement dû expliquer à un agent, en tout respect de la
loi actuelle et des façons de faire, pourquoi elles ont fait leur réclamation
hors du délai prescrit. Elles devaient expliquer leur impossibilité d'agir. Nous sommes tous à même de comprendre comment
cela peut être difficile. Le projet de loi prévoit qu'elles n'auront
plus à le faire. L'imprescriptibilité permettra donc aux personnes victimes de
demander de l'aide à tout moment
lorsqu'elles se sentiront prêtes à le faire, et l'agent d'indemnisation n'aura
plus à questionner à cet effet.
Les crimes éligibles. Aujourd'hui, seuls les
crimes prévus à l'annexe de l'IVAC sont couverts par le régime actuel. Souvent critiquée, cette liste ne couvre
pas certains crimes tels que les formes d'exploitation sexuelle,
proxénétisme, traite de personnes, pornographie juvénile, le leurre
informatique. En 2019, 200 personnes ont reçu une décision de refus à
l'accès au régime car le crime dont elles ont été victimes ne figurait pas à
l'annexe de la loi. Cela représente 13 % des décisions de refus émises à
l'accès au régime. Le projet de loi prévoit l'abolition de l'annexe et de
couvrir l'ensemble des crimes contre la personne, permettant par là même de
donner l'accès au régime à toutes les personnes victimes des crimes sur la
personne et toutes les formes d'exploitation sexuelle qui n'existaient pas en
1972. Nous croyons qu'il s'agit d'une amélioration fort importante pour les
personnes victimes.
La notion de victime. Lors de son rapport
d'intervention de 2016, le Protecteur du citoyen émettait
33 recommandations. À ce jour, 31 sont considérées comme étant implantées
à sa satisfaction. Deux demeurent, dont une
fort importante, la recommandation n° 6, inclure, dans la
notion de victime, toute personne qui subit un préjudice en arrivant sur les lieux d'un crime venant juste
d'être perpétré et qui l'affecte ou la vise directement de manière
significative.
Actuellement, il y a une définition restrictive
de cette notion de victime, ce qui amène non seulement des refus, mais également des insatisfactions, des
sentiments d'injustice et des incompréhensions. En 2019,
193 personnes ont reçu une décision de refus parce qu'elles ne répondaient
pas à la notion de victime en vertu de la Loi sur l'IVAC. Le projet de loi vient élargir cette notion de victime en
incluant, par exemple, le témoin qui n'est pas physiquement présent sur les
lieux de l'infraction, mais qui aurait été en communication avec la victime au
moment du crime. Il s'agit sans contredit d'une mesure phare du projet qui
permettra à plus de personnes victimes d'avoir accès à l'aide nécessaire
favorisant leur rétablissement.
Je vous parle maintenant brièvement des délais
de traitement. Actuellement, les délais de traitement à l'admissibilité sont principalement causés par le temps additionnel
nécessaire à l'analyse des demandes de prestations plus complexes. L'analyse est plus complexe et
plus longue lorsque les demandes de prestations sont déposées hors délai
ou lorsque le crime allégué ne figure pas de prime abord à l'annexe de la loi.
Plus la demande est complexe et plus nous
devons aller chercher de l'information. Beaucoup de nos délais sont en lien
avec l'attente de ces informations, qu'elles soient policières ou
qu'elles soient médicales. En 2019, les délais de traitement pour l'ensemble
des dossiers traités à l'admissibilité étaient, en moyenne, de 117 jours.
Toutefois, il me fait plaisir de vous dire que, pour les dossiers plus simples,
près de 36 % des dossiers qui ont été traités en 2019, le délai n'était
que de 2,6 jours.
L'imprescriptibilité de certains crimes dans
certains contextes va simplifier l'étude des dossiers, puisque les personnes
victimes n'auront pas à expliquer les délais ni à justifier leur retard.
L'agent de l'IVAC n'aura pas à faire une
cueillette supplémentaire, au risque de donner l'impression d'être intrusif.
L'offre de services sera mieux encadrée, permettant de rendre des
décisions plus rapidement en laissant également moins de place à toute
interprétation. De plus, le projet de loi prévoit un programme de mesures
d'urgence.
En terminant, nous croyons que le projet de loi n° 84 favorisera le rétablissement des personnes victimes
en offrant des services adaptés à leurs
besoins afin de les aider à surmonter
les conséquences psychiques, physiques, sociales et professionnelles des blessures causées par l'infraction criminelle.
Il permettra d'offrir de l'aide de façon équitable, en élargissant la
notion de routine afin de tenir compte de l'impact d'une infraction criminelle
sur la personne victime, sa famille et ses proches, en rendant admissibles tous
les crimes contre la personne et en mettant davantage de balises sur
l'application de la loi.
Il rendra finalement ses services plus
accessibles et efficaces, en prolongeant le délai pour le dépôt d'une demande de qualification, en rendant
imprescriptibles certains crimes dans certains contextes qui représentent la
majeure partie des demandes à l'IVAC, en
mettant en place un programme de mesures d'urgence et en permettant, notamment,
l'accès aux victimes à davantage de professionnels pouvant porter un soutien
psychique. Merci.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup, M. Rodrigue. M. le ministre, s'il
vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Merci, M. le
Président. M. Rodrigue et Mme Choquette, bonjour. Merci de participer
aux travaux de la commission.
D'entrée de
jeu, on a eu quelques intervenants qui sont venus nous dire : Écoutez, il y a toujours l'impossibilité, en fait, d'agir par rapport aux délais, parce qu'on augmente les délais de deux à trois ans, relativement à la possibilité
de faire par réclamation, donc, un délai de prescription de trois ans. On
enlève tout délai pour les infractions à caractère sexuel de violence subie
pendant l'enfance ou pour la violence conjugale, mais on a eu des commentaires
par rapport au fait qu'on reprend la notion d'impossibilité, en fait, d'agir,
qui est déjà présente dans la loi actuelle de l'IVAC, pour dire : Bien, on
vous donne également la possibilité d'invoquer cela pour dépasser le délai de
trois ans.
Comment c'est
interprété, ça, à l'IVAC, cette impossibilité,
en fait, d'agir, là, concrètement, là? Parce que certains soulevaient,
disaient : On devrait peut-être mettre «motif»? Est-ce que vous l'interprétez
largement? Comment ça se déroule concrètement?
M.
Rodrigue (Jean) : C'est interprété de façon très large, là, je tiens à
vous le signaler. Bien entendu, chaque cas est particulier, hein, on le
comprendra. L'intervenant à l'accès au régime discute avec la personne victime,
essaie de comprendre, là, les raisons, là,
derrière le fait qu'il n'a plus... bien, on va dire trois ans, là, bientôt, là,
si le projet de loi va de l'avant, pourquoi qu'à l'intérieur de ces
trois années-là il n'a pas été en mesure, là, de déposer sa réclamation?
Ce que je
peux vous dire, c'est que c'est étudié avec sérieux, bien entendu. C'est pour
ça aussi, parfois, qu'on trouve que les agents posent énormément de
questions. Je pense que les intervenants, ce qu'ils cherchent à faire, c'est
d'aider la personne afin qu'elle devienne admissible au régime, là. Donc, oui,
chaque demande est étudiée, là, de façon très particulière.
• (15 heures) •
M. Jolin-Barrette : O.K. Puis vous
dites, le fait de ne plus avoir de délai de prescription sur les trois types
d'infraction que je vous ai mentionné, ça va permettre de simplifier le
processus au niveau de l'admissibilité.
M. Rodrigue (Jean) : Oui, parce
qu'il n'y aura plus de questionnement pour ces contextes-là. Ce sont les contextes,
je vous dirais, les plus sensibles, lorsque les gens font une réclamation, par
exemple, pour de la violence conjugale, pour une agression sexuelle, pour un
crime commis dans l'enfance. Lorsque l'intervenant doit lui demander des
précisions, faire préciser certaines choses, essayer de comprendre pourquoi il
n'a pas été en mesure de faire cette réclamation-là, il est souvent perçu comme
étant très intrusif, et c'est très difficile pour les gens, pour les personnes
victimes. Le fait que ces crimes-là deviennent imprescriptibles, eh bien, il
n'y aura plus cette enquête-là, il n'y aura plus ce questionnement-là. Ça va
vraiment simplifier le travail.
M. Jolin-Barrette : Puis, en matière
d'infraction à caractère sexuel, c'est environ 80 % de vos réclamations.
C'est ce que j'ai compris.
M. Rodrigue
(Jean) : Écoutez, vous m'embêtez un peu. Je sais que la grande
majorité des réclamations, c'est violence conjugale, crimes à caractère sexuel,
crimes dans l'enfance. C'est la très, très grande majorité. Je ne pourrais pas
vous confirmer avec exactitude, là, si ça correspond à 80 %, mais c'est
sûrement la très grande majorité.
M. Jolin-Barrette : O.K. Une des
demandes... bien, en fait, je dirais, un des commentaires que nous avons eus de
la part de certains groupes est à l'effet qu'on souhaiterait de la part des
personnes qui sont bénéficiaires du régime
de ne pas avoir... bien, en fait, de toujours avoir le même agent
d'indemnisation. Pouvez-vous nous renseigner un peu pour savoir,
actuellement, là, de quelle façon ça se déroule à la Direction de l'indemnisation?
M. Rodrigue (Jean) : Oui, avec
plaisir. C'est très difficile de n'avoir qu'un seul intervenant. Je vous
explique pourquoi. Lorsqu'on reçoit une réclamation, lorsque le dossier... la
personne victime, lorsqu'on traite son dossier,
là, à l'accès au régime, ce sont des intervenants avec des compétences
particulières, une maîtrise particulière de la loi. Donc, ce n'est pas le même intervenant qui va faire l'accès au
régime, qui va faire le suivi, par la suite, du dossier.
En prévision du projet de loi, on a modifié
notre structure opérationnelle afin de l'humaniser. Et ce qu'on va faire, là,
c'est... depuis janvier, maintenant, c'est comme ça, tous les dossiers qui ont
besoin d'un accompagnement particulier, toutes les personnes victimes,
devrais-je dire, là, qui ont besoin d'un accompagnement particulier, c'est un
intervenant, la personne victime aura affaire avec un intervenant une fois le
dossier accepté. Donc, il est possible que la personne victime va appeler à la
Direction générale de l'IVAC, va parler avec un préposé aux renseignements.
Souvent, les gens peuvent confondre, ils parlent à plusieurs personnes. Ce
n'est pas nécessairement l'intervenant qui est au dossier, là, mais ils vont
parler avec le préposé. Mais normalement, il y aura un intervenant, soit agent
d'indemne ou conseiller en réadaptation, qui sera responsable d'un dossier, du
dossier de la personne victime.
M. Jolin-Barrette : Bien, le fait
qu'on mette en place un programme d'urgence et le fait de pouvoir avoir des
services dès le départ, là, sans que le dossier, là, soit admis complètement,
là, est-ce que... Comment la Direction de l'indemnisation voit ça au niveau
opérationnel?
M. Rodrigue (Jean) : Vous savez,
actuellement, on a en place ce qu'on appelle des mesures temporaires. Alors,
lorsque nous recevons une réclamation et qu'il est comme mentionné que la
personne est en attente de revenus, elle a des besoins particuliers, on peut
déjà mettre en place des mesures particulières. Nous avons reçu cette
réclamation-là, elle sera traitée, on peut autoriser certaines choses à la
demande également, là, de la personne victime. Ça fait que ça, c'est déjà
quelque chose en place.
Dans le programme d'urgence dont vous me parlez,
là, qui est inclus dans le projet de réforme, je crois que la collaboration souhaitée, là, de la Direction générale de l'IVAC va être dans le
remboursement des frais et ces choses-là. C'est quelque chose que l'on maîtrise très, très bien, là, toute la structure est en place pour
recevoir, là, un tel programme, là. Je ne vois pas de difficulté à
mettre ça en place, pas du tout.
M. Jolin-Barrette : Au début de
votre intervention, je crois que vous disiez : Il y a beaucoup de
critiques de l'IVAC, de la Direction de l'indemnisation des victimes d'actes criminels,
qui est causé par la loi que nous avons actuellement,
par la rigidité de la loi puis par, dans le fond, les modalités qui sont assez
fermes, assez complexes et qui sont
assez inflexibles. Donc, est-ce qu'avec la nouvelle loi vous pensez qu'il va y
avoir davantage de marge de manoeuvre et que ça amène une plus grande
souplesse et davantage de services?
M. Rodrigue (Jean) : Je crois que
oui. Moi, de ce que je comprends du projet de loi, je reviens à ça, là, l'imprescriptibilité, juste ce volet-là, je pense
que ça va être très, très bien reçu des personnes victimes. J'en
comprends aussi que la notion de victime est modifiée. Il y a plus de gens qui
vont avoir accès aux services. J'en comprends qu'il y aura plus de victimes qui
vont être reconnues comme étant une victime, et ce n'est pas toujours le cas.
Et ce qu'on constate, c'est que, chez les
gens qui font appel à nos services, le fait de ne pas être reconnu comme une
victime, c'est extrêmement difficile. Et ce que j'entends du projet de loi, de
ce que j'en comprends, il va y en avoir plus, de gens reconnus. Je pense que
c'est une excellente chose.
M. Jolin-Barrette : Peut-être une
dernière question pour moi, M. Rodrigue, avant de céder la parole à mes collègues. Je ne sais pas si vous avez entendu
l'intervenant précédent, qui était Me Marc Bellemare, mais il nous a
dit : Écoutez, avec le projet de loi n° 84, ça va être difficile à
appliquer et à interpréter, la nouvelle loi, pour la Direction de
l'indemnisation des victimes d'actes criminels. Est-ce que vous pensez que vous
allez avoir de la difficulté à appliquer le nouveau projet de loi, s'il
devenait une loi?
M. Rodrigue (Jean) : Non, je ne
crois pas, même, du tout. Je tiens à préciser, là, je ne suis pas le
spécialiste, là, de cette réforme-là, je ne
suis pas légiste non plus, là, mais il me semble plutôt que c'est beaucoup plus
clair, il y a moins matière à interprétation. Les services offerts selon
le bénéficiaire, pour moi, c'est beaucoup plus clair que ce que c'est
présentement. Alors, je ne vois pas où serait la difficulté, là, à mettre en
oeuvre cette réforme.
D'ailleurs, là, je l'ai dit en introduction, si
vous permettez, là, je tiens à le répéter, la Direction générale de l'IVAC a
collaboré depuis le début avec le ministère de la Justice dans cette
réforme-là. On a été à même de faire nos
commentaires, puis il n'y a pas beaucoup de roches qui n'ont pas été soulevées.
Puis je pense que les intervenants de chez nous qui ont participé à
cette réforme-là, à cette discussion-là, étaient très au fait des critiques des
personnes victimes. Moi, je ne crois pas que ça va être
difficile à mettre en oeuvre. Déjà, on débute nos travaux, là, on est en train
de mettre en place certaines choses pour s'assurer que ça soit mis en oeuvre au
jour J. Non, je ne crois pas ça.
M. Jolin-Barrette : Merci. Je vais
céder la parole, M. le Président.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup, M. le ministre. Mme la députée de Bellechasse, s'il vous
plaît.
M. Rodrigue (Jean) : Je ne vous
entends pas, désolé.
Le Président (M.
Bachand) : C'est la députée de Bellechasse qui va prendre la
parole. Mme la députée, votre micro est ouvert?
Mme Lachance : Merci, M. le
Président. Merci, M. Rodrigue, d'être présent parmi nous.
M. Rodrigue (Jean) : Ça fait
plaisir.
Mme Lachance : Peut-être, comme
première question, j'aimerais revenir sur quelque chose que vous avez énoncé,
et n'hésitez pas à me reprendre si je n'ai pas bien compris. Vous avez
mentionné qu'en 2019 108 demandes avaient été refusées pour délai...
motif de renonciation, donc délai dépassé. Est-ce que c'est exact?
M. Rodrigue (Jean) : Pour hors
délai.
Mme Lachance : Pour hors délai?
M. Rodrigue (Jean) : Oui.
Mme Lachance : Et, sur les 108, vous
avez mentionné que près de la moitié étaient liées à des crimes à caractère
sexuel ou conjugal.
M. Rodrigue (Jean) : Un instant, je
veux juste m'assurer, là, que je...
Mme Lachance : C'était dans votre
présentation, au tout début.
M. Rodrigue (Jean) : Oui,
108 personnes, c'est vrai. 108 personnes ont reçu une décision de
refus à l'accès au régime car elles n'ont
pas présenté leur demande de prestations à temps, sans motif raisonnable pour
justifier leur retard.
Mme Lachance : Et donc près de la
moitié était à caractère sexuel...
M. Rodrigue (Jean) : A été victime
d'agression sexuelle, oui.
Mme Lachance : O.K. Donc, on peut
convenir qu'avec le projet de loi n° 84 près de la moitié de ces victimes-là auraient obtenu des gains. Pour l'autre moitié, est-ce que vous êtes en
mesure d'identifier un peu le délai? Est-ce que ça dépassait beaucoup
trois ans? Est-ce que c'était près de trois ans? Est-ce qu'on le sait?
M. Rodrigue (Jean) : Non,
malheureusement, je ne peux pas vous donner cette information-là. Lorsqu'on
codifie une réclamation, là, on va aller indiquer le refus hors délai, mais on
ne peut pas indiquer de combien de temps, là. Je suis désolé.
Mme Lachance : O.K. Donc, on n'a pas
cette information-là. Donc, selon votre expérience, est-ce que le délai de
trois ans est suffisant maintenant?
• (15 h 10) •
M. Rodrigue (Jean) : Vous savez,
pour certaines personnes, ce ne sera jamais suffisant. Mais oui, c'est sûr et certain que ça va quand même donner plus de
temps aux gens, surtout que ça va être pour une catégorie, parce que,
finalement, la majorité des dossiers, là, il y aura l'imprescriptibilité.
Alors, ils n'auront plus ces délais-là.
Mme Lachance : D'accord. J'aurais
aussi une petite question concernant ce que mon collègue le ministre vous a exprimé il y a quelques minutes à ce qui a
trait au nombre d'agents. Si les victimes avaient la possibilité d'avoir
un seul agent, ce serait un fait qui serait apprécié parce qu'ils trouvent ça
difficile. Est-ce qu'on peut savoir comment ça fonctionne? Combien d'agents
peuvent être en contact avec une victime dans le cadre d'un dossier?
M.
Rodrigue (Jean) : Comme je
vous l'expliquais, il est possible... Là, au tout début, il y a un intervenant
qui va faire ce qu'on appelle l'accès au
régime, donc qui va communiquer avec la personne victime pour prendre
l'information et puis déterminer son admissibilité au régime. Par la suite, ce
dossier-là sera transféré, dépendamment, là, du type de dossier, dans des
services d'accompagnement, et là il devrait y avoir un autre intervenant.
C'est vrai que, je le
répète, là, parfois, il peut y avoir une apparence, là, où il y a plusieurs
intervenants qui traitent un dossier. Il
suffit que l'intervenant responsable du dossier soit en vacances, soit absent,
que ce soit une autre personne qui va prendre le dossier et que la
personne victime va penser qu'on a transféré son dossier. C'est vraiment un souhait qui est fait et c'est quelque chose,
là, sur lequel on travaille parce qu'on est très soucieux de ça, que la
personne victime n'ait pas à répéter constamment son histoire. On comprend à
quel point ça peut être difficile de le faire.
Mais force est de constater qu'on a encore du
travail à faire, ça, c'est sûr, et qu'opérationnellement il y a des difficultés
à mettre ça en oeuvre. Mais ce que nous sommes en train de mettre en place,
notre nouvelle structure, je répète, on y travaille depuis juillet en prévision
de cette réforme-là qui s'en vient, mais qui est en vigueur, là, depuis le mois de janvier. C'est tout nouveau... On veut vraiment
que la personne victime qui a ces besoins-là d'accompagnement
soit accompagnée par un intervenant en indemnisation et également un intervenant
en réadaptation. Parce que parfois il peut y avoir, hein, aussi... je dirais,
la personne peut penser que c'est deux intervenants. Oui, mais ils
traitent le même dossier, ils n'ont pas les mêmes tâches.
Mme Lachance : Donc, il y aurait un intervenant
en indemnisation et un en réadaptation. Et puis ces intervenants-là, comment
ils sont formés pour répondre à une clientèle victime... à des victimes, en
fait?
M. Rodrigue (Jean) : Oui. Écoutez, il
y a la formation lorsque les gens arrivent au régime, lorsqu'ils sont
embauchés, là, il y a une formation de près de... entre six et
huit semaines, avec des stages, là, dans les filières, là, pour travailler
avec les personnes victimes. Ça, c'est ce qu'on a fait en indemnisation. Tous
les conseillers en réadaptation, ce sont des corps d'emploi de niveau professionnel,
où les gens sont bacheliers soit en psychologie, en criminologie. Il y a... ce sont des pratiques que l'on recherche, là,
les C.V. que l'on recherche, donc. Et il
y a, par la suite, la
formation interne, formation continue, comment exprimer un refus, comment
communiquer des choses difficiles avec les personnes victimes, par exemple.
Donc, il y a de la formation continue tout au long de l'année.
Mme Lachance : Et ça, c'est déjà en
place, là, ça fait déjà partie de vos méthodes de travail, de votre façon de
fonctionner. Puis comment on évalue la qualité du service, dans le fond, la
qualité...
Le Président (M.
Bachand) : ...
Mme Lachance : J'ai terminé, M. le
Président?
Le Président (M.
Bachand) : Oui. Rapidement, M. Rodrigue, s'il vous plaît.
Mme Lachance : Merci, M. le
Président.
M. Rodrigue (Jean) : Oui. Je ne sais
pas si je vais être capable d'être rapide là-dessus, parce que c'est une question
très sensible, là. Ça fait que vous m'interromprez si je vais trop loin, là.
Comment est-ce qu'on évalue la qualité du
service, là, c'est une excellente question, parce que ça me permet de vous
parler de ce qu'on a fait. Vous savez, là, le Protecteur du citoyen... je pense
que vous êtes tous au courant, lorsque le protecteur est arrivé à la Direction
générale de l'IVAC, là, en 2016, lorsqu'il a fait ses travaux, lorsqu'il a
fait son rapport, lorsqu'il a fait toutes ses recommandations, près de 33,
c'est un rapport quand même costaud, il a amené un vent de changement
incroyable au sein de la direction. Il y a beaucoup de choses qui ont été
changées. Des 33 recommandations, il y en a 31 qui sont considérées comme
étant implantées. Ça fait que ça a amené beaucoup de choses, mais...
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup, M. Rodrigue. Je dois
malheureusement vous interrompre puis je m'en excuse.
Mme Lachance : Merci,
M. Rodrigue. Merci, M. le Président.
Le Président (M.
Bachand) : Merci. Je cède la parole au député de LaFontaine,
s'il vous plaît.
M. Tanguay : Oui. Merci
beaucoup, M. le Président. Alors, à mon tour, M. Rodrigue, de vous saluer et
également de saluer Mme Choquette.
Et j'aimerais
ça, d'entrée de jeu, permettre à Mme Choquette, là, sur tout ce qui s'est
dit jusqu'à maintenant... parce que souvent, dans ces consultations-là, on
se rend compte qu'il nous reste plus de temps puis on a dit : Ah! il y
avait une autre personne qui était là puis qui n'a pas pu s'inscrire, ou si
peu, dans le débat, alors j'aimerais vous donner l'occasion,
Mme Choquette... Est-ce qu'il y a d'autres éléments? Peut-être que non,
sinon j'ai des questions, mais est-ce qu'il y a des éléments autres également
sur lesquels vous aimeriez porter notre attention?
Mme Choquette
(Myriam) : Bien, peut-être juste pour terminer ce que M. Rodrigue
disait tantôt, là, à la question de Mme Lachance, là, comment on s'assure
de la formation puis de la qualité, là, c'est sûr qu'il y a des coachs
intégrateurs, là, des gens sur le terrain aussi qui s'assurent... là, qui
suivent ces nouveaux-là et qui peuvent aussi faire des interventions
ponctuelles, là, quand on se fait signifier, par exemple, là, qu'il y a des
besoins de développement chez certaines personnes, des
difficultés, là, par rapport à certaines compétences. Donc, on a ça aussi.
Donc, je pourrais rajouter là-dessus. Sinon, tout ce qui a été dit par
M. Rodrigue, je partage les mêmes idées.
M. Tanguay :
Bon, bien, c'est bon. On n'en doutait pas. M. Rodrigue et
Mme Choquette, je vais vous lancer des questions... puis je le sais que,
des fois, ça participe de l'intention du législateur, puis vous avez un rôle à
jouer, puis, sur le fondement,
l'opportunité, je dirais, politique de faire une modification législative ou pas, ce
n'est pas réellement à vous de vous prononcer puis vous n'avez pas à
vous prononcer dans l'arène politique, mais sur des concepts, quand même, c'est
à ce niveau-là, bref, que je ferais appel à votre expertise.
On a entendu ce matin
notamment, ce matin, Me Lessard sur le concept de mens rea, et lui recommandait :
«À l'article 13, définir "l'infraction criminelle" comme
"tout événement dont la description correspond à un geste criminel, soit l'actus reus d'une infraction
prévue au Code criminel, survenu après le 1er mars 1972 et qui porte atteinte à
l'intégrité physique ou psychologique d'une personne".»
Autrement dit, faire
en sorte d'éviter que, dans certains dossiers... Et ça aussi, ça nous a été
dit, des groupes nous ont dit que l'IVAC invoquait l'absence d'intention
criminelle dans des cas, par exemple, d'agression sexuelle, bien que la loi ne
le prévoie pas.
Alors,
Me Lessard, puis on a eu des discussions en ce sens-là, nous invitait à
nommément, d'une manière ou d'une autre,
dans la loi, retirer cette notion-là d'intention criminelle... dans certains
cas, semble-t-il, avait été une justification pour refuser une demande.
Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus, si vous le désirez, là.
M. Rodrigue
(Jean) : Oui. Écoutez, M. Tanguay, vous allez m'excuser dès le
départ, je ne suis pas un légiste, donc là, il y a des notions, là, qui, pour
moi, m'échappent, là.
M. Tanguay :
C'est bien correct.
M. Rodrigue
(Jean) : Ce que je peux vous dire, par contre, là, que, lorsqu'on
étudie une demande, on ne demande pas de preuve, là, spécifique, là, concernant
l'intention de l'acte. Il y a des directives qui existent et qui sont suivies,
là, par nos intervenants. Bien entendu, il y a des cas très particuliers qui
sont présentés, là, à la Direction générale
de l'IVAC, et ces cas-là particuliers qui amènent des questionnements
particuliers sont traités avec la gestionnaire, avec une spécialiste de
l'accès au régime. Souvent, on va faire appel aussi aux services juridiques
pour aider dans le traitement de ces dossiers.
Mais je ne pourrais
pas me prononcer plus, là, sur cette question-là. Désolé.
M. Tanguay :
Non, pas de trouble. Autrement dit, vous, vous êtes le directeur général de
l'IVAC, mais vous n'êtes pas juriste au sein de votre organisation et vous
laissez ça, donc, à l'interprétation des services juridiques.
M. Rodrigue
(Jean) : Tout à fait, tout à fait.
M. Tanguay :
O.K. J'imagine que ce serait également la même réponse en ce qui concerne... et
ça, c'est Me Bellemare, juste avant vous, qui en faisait état, et je le
cite, autre cas où l'harmonisation... parce que le point de Me Bellemare
était : Bien, plutôt que de chambouler par 190 nouveaux articles qui
devront vivre juridiquement...
On parle des
juristes, j'en suis un, le ministre en est un, Me Bellemare en est un
également. Je veux dire, l'interprétation législative d'un nouveau projet de
loi, même si, à première lecture, ça semble bien simple, 190 nouveaux
articles, tout le monde, on a la prétention que c'est de droit, ce n'est pas
copié-collé, ce n'est pas quatre trente-sous pour une piastre. Il y a des choses
qui sont changées, il y a des notions là-dedans qui devront être analysées et
jugées. Donc, un corpus jurisprudentiel, ça va prendre des années puis ça va
prendre des victimes pour passer devant le TAQ, pour passer devant l'IVAC pour
dire : Bien, non, tu as le droit, ou, oui, tu as le droit en vertu de la
nouvelle loi.
Alors, lui, il
disait : Harmonisez donc les concepts juridiques, notamment
«l'impossibilité d'agir», et dans l'article 20 de la loi versus le «motif
raisonnable» que l'on retrouve dans des lois telles que la Loi sur les
accidents de travail et les maladies
professionnelles, la Loi sur
l'assurance automobile, la Loi sur la Régie
des rentes du Québec, et ainsi de
suite. Est-ce que c'est la même réponse, là? Avez-vous une analyse
là-dessus, sur le fait que l'impossibilité d'agir, tel qu'appliqué par l'article 20, va être
encore plus lourd que «motif raisonnable», qui a été développé dans les autres
lois?
• (15 h 20) •
M. Rodrigue
(Jean) : Je me dois de vous faire la même réponse, M. Tanguay. Je
ne peux pas me prononcer là-dessus. Il faut
comprendre aussi, hein, que notre rôle à nous, la Direction générale de l'IVAC,
c'est d'opérationnaliser, ce n'est pas de travailler sur les
orientations ou... ça appartient au ministère de la Justice.
Nous, ce que je peux
vous signaler, par contre, que, peu importe ce qui sera décidé, nous serons là
pour les mettre en oeuvre.
M. Tanguay :
Excusez mon ignorance, mais vous avez une direction des affaires juridiques?
M. Rodrigue
(Jean) : Qui est à la CNESST. Donc, en collaboration avec la CNESST.
M. Tanguay : O.K. Et
avez-vous eu confirmation que la direction des affaires juridiques de la
CNESST, chargée de l'application de la loi, a été consultée pour le projet de
loi n° 84?
M.
Rodrigue (Jean) : Oui, elle a travaillé en collaboration avec le ministère
de la Justice.
M.
Tanguay : Vous
parliez un peu plus tôt... Hier, on a entendu des groupes nous dire
qu'ils étaient fort inquiets, notamment, pour ce qui est de l'ancienne
loi, qui a beaucoup moins que 190 articles, semblent avoir beaucoup de difficulté
à la maîtriser et à rejoindre adéquatement... et à répondre adéquatement aux questions
des victimes. Là, on va passer d'une trentaine — on me corrigera si
j'ai tort — articles
à 190 articles. Comment abordez-vous le défi de complexité et la formation
nécessaire à l'interne, qui sera nécessaire, puis, j'imagine, la rédaction du
bulletin d'interprétation, et ainsi de suite?
M. Rodrigue (Jean) :
Si vous le permettez, je donnerais la parole à Mme Choquette, qui est la
gestionnaire responsable de la mise en oeuvre. Elle va pouvoir vous expliquer
qu'est-ce qu'on prévoit faire.
M. Tanguay :
Merci.
Mme Choquette
(Myriam) : Oui. Est-ce que vous... Donc...
Le
Président (M. Bachand) : Allez-y.
Mme Choquette
(Myriam) : Oui, merci. Alors, en fait, là, dans le cadre de la mise en
oeuvre, là, ça fait plusieurs mois déjà
qu'on travaille en collaboration avec le ministère de la Justice. Juste pour
vous assurer, là, à chaque étape du
projet, on a été impliqués, donc on a eu le temps de voir venir... ça
pourrait... d'évaluer, en fait, qu'est-ce que ça peut être, les impacts
de chaque nouvelle notion, chaque nouveauté qui est apportée, donc...
excusez-moi, donc, ça pourrait être quoi,
les impacts potentiels sur... que ce soient la structure organisationnelle, sur
les processus de travail, sur la volumétrie des demandes, sur les
activités à réaliser par les intervenants, là, tu sais, que ce soient des
actions à modifier, et à ajouter, à retirer.
Donc, à partir des
informations qu'on avait à ce moment-là, bien, on a fait des estimations, des
hypothèses quant aux... tu sais, par rapport aux ressources financières,
technologiques, les ressources humaines que ça va nous prendre. On a transmis
ces informations-là au ministère de la Justice. Donc, nous, on n'est pas
responsables de la budgétisation, donc on ne sait pas exactement où ça en est,
mais, à notre connaissance, avec...
M.
Tanguay : Mme Choquette, combien de temps et à quel
prix... à quel coût évaluez-vous la mise en application du projet de loi
n° 84, si d'aventure il était adopté?
Mme Choquette
(Myriam) : Bien, comme je viens de vous mentionner, là, la
budgétisation, ça relève du ministère. Par
contre, le temps de l'implantation, c'est un peu ça qu'on est en train
d'évaluer. On travaille vraiment, là... On a mis sur pied une structure
de projet. Donc, on a tout évalué c'est quoi qu'il faut changer, que ce soit...
Tu sais, vous parliez de formation, c'est central dans tout ça, la
documentation, les instructions de travail, les politiques, comment on va
s'assurer de bien saisir, tu sais, qu'est-ce que ça veut dire, l'application de
tel article de loi ou pas, concrètement. On va travailler avec le ministère, on
le fait toujours depuis plusieurs années.
Donc,
tout ça, là, ça va être en train de se mettre sur pied, puis c'est sûr que,
pour l'entrée en vigueur, on va être prêts.
Il faut être prêts pour l'entrée en vigueur. Pour être capable d'appliquer, par
contre, la... tu sais, vous savez, la mise en oeuvre implique aussi,
justement, là, tu sais, du raffinement. Vous avez mentionné tantôt, là... tu
sais, par exemple, il y a des décisions qui vont se rendre au Tribunal
administratif, il y a des choses... Donc, on va s'ajuster graduellement, on va s'assurer aussi de suivre
comme il faut l'intégration des compétences auprès des intervenants pour
être capable de revenir, là, puis développer un programme, là, donc.
Ça fait que, sur le
temps, là, je vous dirais qu'on s'est donné un trois ans aussi pour
intégrer des nouvelles ressources, de voir aller aussi ce que ça veut dire. On
ne sait pas combien de nouvelles réclamations on va avoir exactement. On a fait
des hypothèses, des estimations, mais concrètement, qu'est-ce que ça va vouloir
dire? Donc, on va s'ajuster au fur et à mesure, là. Puis donc c'est ça...
M. Tanguay :
Et est-ce que vous pouvez communiquer au secrétariat de la commission vos
évaluations quant aux hypothèses du nombre de demandes supplémentaires que ça
va engendrer en termes de nombre, et, si d'aventure, de la nature des demandes
et des coûts également?
Mme Choquette
(Myriam) : Il faudrait que je voie. En fait, je crois que les... je
n'étais pas encore arrivée à l'IVAC, là.
M. Rodrigue
(Jean) : Si tu permets, Myriam, tous ces documents ont été transmis au
ministère de la Justice. Donc, de...
M. Tanguay :
D'accord, mais est-ce que vous pouvez vous engager, M. Rodrigue, à les
communiquer au secrétariat de la commission?
M. Rodrigue (Jean) : Bien oui, je
pourrais le faire. Je pourrais communiquer avec le ministère de la Justice,
qu'il nous retourne... Oui.
M. Tanguay :
Bien, vous les avez déjà. Sans demander la permission du ministère de la Justice,
si vous vous engagez à nous les communiquer, comme élu et législateur, je pense
que ça serait des éléments intéressants. Et également vos évaluations quant au
délai de mise en application, ce serait pertinent, parce que le projet de loi
prévoit cinq mois, et là vous parliez de trois ans. Alors, si vous
pouvez nous envoyer toutes vos analyses là-dessus au secrétariat de la
commission, ce sera grandement apprécié et éclairant.
M. Rodrigue (Jean) : D'accord.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup, M. le député de LaFontaine.
Mme la députée de Sherbrooke, s'il vous plaît.
Mme
Labrie : Merci. D'abord, je voudrais vous remercier de venir... de
prendre l'engagement de transmettre ces documents-là à la commission. Je
pense que ça va être très utile. On se serait adressé à vous directement pour
en faire la demande, mais, si vous pouvez le
faire, bien, la commission, je pense, l'ensemble de mes collègues va être
ravi de pouvoir lire ça.
J'entends bien que vous, vous êtes plus dans l'opérationnalisation
de tout ça. Donc, je ne vous questionnerai pas tant sur le fond du contenu du
projet de loi, mais plus sur la question des délais. Je pense que ça relève
bien de vous. Vous nous avez dit qu'il y a des changements dans le projet de loi
qui vont simplifier votre travail. Donc, j'entends
que, dans une certaine mesure, ça pourrait, j'imagine, réduire les délais. Je
pense à l'imprescriptibilité, vous en avez
parlé. Ça serait... C'est quoi, votre cible de délai de traitement d'un dossier
une fois que la demande, elle est complétée puis qu'elle vous est
envoyée? C'est quoi, votre cible? Puis, si on inscrivait dans la loi un délai
maximum de traitement une fois que le dossier est complété, qu'est-ce qui
serait raisonnable?
M. Rodrigue (Jean) : Très bonne question
que vous me posez, puis je dois vous dire que c'est... On ne s'est pas donné de
délai cible, nous, dans les opérations, parce qu'on essaie de traiter la
réclamation lorsqu'elle est prête à être traitée, lorsqu'on a toute l'information.
Il y a des choses, je vous dirais, qui n'appartient pas à la Direction générale
de l'IVAC. Par exemple, lorsqu'on a besoin d'une preuve de blessure, ce
délai-là, lorsqu'on demande à la personne victime d'aller chercher une preuve
de blessure, là, pour nous permettre, là, d'accepter la réclamation, bien,
parfois, ça peut être difficile pour elle, puis parfois on va faire des
demandes. Nous, on va demander des dossiers médicaux, etc., mais la personne
souvent doit aller chercher de l'information.
Mme Labrie : Ça, ça vient après que
le dossier est complet ou avant?
M. Rodrigue (Jean) : Avant. C'est...
Mme Labrie : Donc, une fois qu'il
est complet, que vous avez tous ces documents-là?
M.
Rodrigue (Jean) : On rend la
décision. Vous savez, c'est pratiquement automatique, c'est quand même assez simple, là, une fois qu'on
a toute l'information. Ce qui est le plus complexe, c'est d'obtenir l'information
pour...
Mme
Labrie : Ça fait que, si on disait, par exemple, une fois que le dossier, il est complet, la
réponse doit être rendue dans les 15 jours, les 30 jours, ce
serait raisonnable?
M. Rodrigue (Jean) : Tout à fait,
tout à fait.
Mme Labrie : Je vous remercie. C'est
un élément d'information très précieux. On va certainement tenter d'inscrire ça
dans le projet de loi. Merci.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée
de Joliette, s'il vous plaît.
• (15 h 30) •
Mme
Hivon : Oui, bonjour. Merci d'être là. Je dois vous dire
que ça n'a aucun rapport avec vous personnellement, mais c'est assez
rare, inusité qu'on ait les hauts fonctionnaires responsables d'un régime puis
qui vont devoir l'appliquer venir en commission
comme témoins, parce qu'on comprend, bien sûr, que vous avez participé à
l'élaboration du projet de loi. Donc, ce n'est pas vraiment votre rôle d'avoir
de la marge de manoeuvre pour critiquer les orientations politiques ou
législatives, donc...
Mais je vais plus vous amener sur des enjeux
très concrets, là, d'application, ce qui va être votre rôle, et je pense
qu'éventuellement peut-être que... j'imagine que vous allez être présents si on
se rend à l'étude détaillée dans les
prochains mois, donc il y aura peut-être d'autres questions. Mais je voulais
vous entendre sur toute la question des formulaires. On nous a dit à quel point ce qui était lourd, c'est que,
notamment, la personne qui fait la demande doit écrire ce qu'elle a vécu, et comment ça s'est passé, et
tout. Est-ce qu'il y aurait moyen et est-ce que vous pensez qu'on
devrait simplifier de beaucoup le formulaire, notamment pour peut-être éviter
d'avoir autant à en demander aux victimes?
Puis l'autre question, c'est sur les soins
psychologiques. On nous a dit aussi que c'était difficile de pouvoir trouver
des psychologues, des fois, il fallait faire cinq, six, sept appels, qui
prennent des dossiers de l'IVAC. Est-ce qu'on devrait augmenter les honoraires
pour que ce soit plus simple?
M.
Rodrigue (Jean) : Concernant les formulaires, les formulaires pour
aider les personnes, là, à déposer leurs réclamations ont été revus, ont été
revus à la demande du Protecteur du citoyen dans son rapport d'intervention, là. Ils avaient fait des représentations à cet effet-là. Donc, ils ont été
revus complètement. C'est vrai qu'ils sont très complets, il y a
énormément de questions. Puis pourquoi on fait ça comme ça? Pour faciliter le
travail, encore là, pour pouvoir être en mesure de rendre la décision
rapidement lorsque nous avons en main le formulaire.
Ça me permet de vous
dire qu'une fois que ça a été fait, à la satisfaction du Protecteur du citoyen
d'ailleurs, là, nous avons fait un sondage
auprès de notre clientèle et on a sondé 900 personnes victimes,
900 personnes victimes qui, si vous permettez, je tiens juste à le
dire parce que, pour moi, c'est important, là, qui ont salué les services à la
clientèle offerts par la Direction générale de l'IVAC. Je veux le dire, parce
qu'on n'entend pas toujours des bonnes choses,
mais les personnes victimes nous l'ont dit. C'est pour ça que je voulais
souligner. Mais ils nous ont également dit, à près de 90 %, que les
communications écrites et orales, avec la Direction générale de l'IVAC, étaient
claires.
Ça fait qu'on aura
toujours du travail à faire. On aura toujours du travail à faire parce que,
souvent, c'est un langage de fonctionnaire, on va appeler ça comme ça, puis il
faut le préciser, il faut le vulgariser, etc. Mais plus on a de l'information
lorsqu'on reçoit la réclamation, plus vite on peut traiter cette demande-là, et
aussi on n'a pas besoin d'aller requestionner la personne victime. Ce qu'on
souhaite, c'est qu'elle complète sa demande chez elle, à tête reposée, tranquillement, qu'on n'ait pas besoin de
reposer ces questions-là. C'est pour ça qu'il est très, très, très
complet.
On a également fait
un guide pour les accompagner, pour les aider. On a refait notre site Internet
aussi pour que ce soit plus clair pour eux, tu sais, pour faciliter le travail.
Je comprends...
Le
Président (M. Bachand) : Merci. C'est tout le temps qu'on a.
M. Rodrigue, Mme Choquette, merci beaucoup d'avoir été avec nous cet après-midi,
c'est très apprécié.
Cela dit, la commission
suspend ses travaux quelques instants. Merci.
(Suspension de la séance à
15 h 32)
(Reprise à 15 h 34)
Le
Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La
commission reprend ses travaux.
Alors, il nous fait
plaisir d'accueillir Me Nancy Roy et Mme Annie St-Onge de
l'Association des familles de personnes assassinées ou disparues. Merci
beaucoup d'être avec nous cet après-midi.
Alors, cela dit, vous
le savez, vous avez 10 minutes de présentation, et, après ça, on aura un
échange avec les membres de la commission. Sur ce, je vous laisse la parole.
Merci encore d'être avec nous aujourd'hui.
Association des familles de
personnes assassinées ou disparues (AFPAD)
Mme St-Onge (Annie) : Parfait. Donc, merci de nous accorder ce temps si
précieux. Mon nom est Annie St-Onge. Je suis la soeur de Christine
St-Onge, qui a été assassinée au Mexique en décembre 2018.
Si on se rappelle les
événements, ma soeur Christine a été portée disparue suite au retour précipité
de son ami de coeur un jour avant la date prévue, et qui s'est enlevé la vie
plus tard. Ma soeur, c'est... On a appris par les médias mexicains que ma soeur
avait été retrouvée sans vie au Mexique une semaine plus tard.
Donc,
suite à ça, je vous dirais que ça a été un peu infernal. Ça a été vraiment
la tour de Babel, la maison des fous pour mettre les efforts nécessaires
pour rapatrier son corps ici, au Québec. Les difficultés au niveau du
rapatriement, c'était vraiment au niveau du nombre d'intervenants, des messages
contradictoires que nous avions. Nous, la famille endeuillée, on devait faire le lien entre les différents intervenants. Donc, c'était un processus qui était totalement inhumain.
C'est à ce moment-là
que moi, j'ai fait une sortie médiatique pour lancer un énorme cri du coeur, parce
que j'avais vraiment besoin d'aide, puis j'avais besoin de comprendre, puis
j'avais besoin de la rapatrier pour pouvoir faire notre deuil. Et c'est là que
j'ai connu l'AFPAD, donc l'Association des familles de personnes assassinées ou
disparues et c'est à ce moment-là que j'ai
pu assister à des rencontres, des déjeuners pour rencontrer d'autres
familles et puis sortir de l'isolement.
Et c'est à ce
moment-là aussi, en rencontrant les familles, que j'ai vraiment décidé de
m'impliquer au sein de l'AFPAD, donc, à
titre d'administratrice au niveau du C.A. J'ai décidé de m'impliquer parce que je
voulais faire changer les choses puis
j'avais comme deux missions au sein de l'AFPAD. C'était de faire
reconnaître les victimes hors Québec, les victimes d'assassinat hors
Québec, et aussi d'apporter un processus plus humain dans les cas de
rapatriement des dépouilles au Québec.
Donc, durant la
dernière année, il y a eu d'autres familles qui ont vécu la même chose que
nous. Donc, si on se rappelle bien, là, dans
les médias, vous avez pu peut-être constater qu'il y a eu la famille Traboulsi(
dernièrement, la famille Fraser qui
ont vécu exactement les mêmes enjeux que nous. Ça a été les mêmes difficultés.
C'est carrément inhumain. Et nous, l'AFPAD, on a été là auprès d'eux, on
a apporté notre support et notre soutien dans la mesure du possible.
Je voulais vous... je
voulais saluer, en fait, la nouvelle mouture de la Loi sur l'IVAC, de la loi
n° 84, mais je vous avoue que je suis
très déçue. Je suis déçue parce qu'il n'y a rien qui est prévu pour les
victimes antérieures, dont mes neveux. Il n'y a aucune mesure
transitoire, il n'y a aucune mesure rétroactive. En fait, mes neveux, ils
n'auront droit à rien. Dans certains cas, certaines victimes n'auront droit à
rien non plus, puis, des fois, ils ont besoin d'aide, ces gens-là qui tombent
un petit peu entre les deux... ont besoin d'avoir le support, ont besoin
d'avoir de l'aide aussi pour reprendre un cours normal de leur vie.
Dans
les cas hors Québec, je pourrais vous dire que... je suis assez généreuse si je
vous dis qu'il y a environ, au plus, cinq cas d'homicides hors Québec par
année. Ça serait quoi comme différence pour vous de les reconnaître, ces
gens-là? Je peux vous dire, par contre, que, pour des familles, ça pourrait
faire toute la différence. Donc, ma soeur et ces victimes-là ont été des
payeuses de taxes, ont été des payeuses d'impôt. Je pense sincèrement qu'elles
devraient être reconnues comme victimes d'actes criminels. Je vous remercie.
Mme Roy
(Nancy) : C'est mon tour.
Le
Président (M. Bachand) : Oui.
• (15 h 40) •
Mme Roy
(Nancy) : Merci, Annie. Si j'avais pu être accompagnée de plusieurs
autres familles, je l'aurais fait, parce que je pense que c'est important de
démontrer c'est quoi, leur réalité, c'est quoi, les impacts qu'un drame peut
avoir sur leur vie. Vous savez, la refonte de la Loi sur l'indemnisation des
victimes d'actes criminels était un moment attendu avec fébrilité chez les
familles et espoir de réparation de leurs dommages qui étaient non reconnus et
peu indemnisés.
Rappelez-vous,
en 2017, on est allés à une délégation de familles rencontrer la ministre
Vallée. Mme Hivon était là ainsi que vous, M. le ministre. On était venus
demander à la ministre des changements législatifs pour mieux reconnaître ces
familles-là. Quand on a eu le dépôt du projet de loi, le 10 décembre, nos
attentes étaient grandes, et malheureusement il y a plusieurs vides juridiques,
il y a plusieurs vides qu'on ne comprend pas.
Nous avons eu un mois
depuis le dépôt du projet de loi pour réagir et participer à cette
commission-là. Vous comprendrez que notre organisme
est petit et de consulter toutes les familles, de consulter nos organismes
partenaires, ce n'était pas assez de temps. Comment pouvons-nous donner notre
assentiment sans réelle consultation avec toutes nos familles? Nous sommes donc
venus à la conclusion que certains concepts nous font craindre malheureusement
une mauvaise interprétation et une exclusion de plusieurs victimes.
M. le ministre, moi, je reçois ces personnes-là toutes les semaines, qui ont perdu, malheureusement, ce qui était le plus
important dans leur vie, et par violence, par un drame innommable. Puis la
réalité, je peux vous en parler longtemps.
Je ne suis pas ici
pour vous présenter, de façon pointue, au niveau législatif, là, tout ce qui
est dans le projet de loi. Vous avez reçu des experts judiciaires, vous avez
reçu Me Mongeon, Me Bellemarre, vous avez reçu l'IVAC également, mais
moi, ce que j'aimerais vous présenter, c'est malheureusement nos inquiétudes
face au projet de loi.
Je dois conseiller
ces familles jour après jour, je dois les écouter, consulter l'IVAC souvent et
même, je dirais plus, supplier l'IVAC d'aider ces familles-là, parce que
souvent leurs besoins psychologiques, leurs besoins financiers pour survivre à
ce drame-là... n'est pas au rendez-vous. Les tribunaux nous ont donné raison,
après plusieurs luttes sur plusieurs années, qu'est-ce que la définition d'une
blessure psychologique attribuable au drame qu'ils vivent, mais malheureusement...
Et même les décisions, que ce soit la décision du juge Huot en 2016, la
décision de la Cour supérieure, je pense que ce serait important que vous en
preniez connaissance. Les décisions du Tribunal administratif, dernièrement,
pour plusieurs de nos familles, sont venues interpréter de façon favorable la
notion de blessure et sont venues confirmer que c'est une loi sociale, que
c'est une loi réparatrice et qu'elle doit être interprétée de façon large afin
d'inclure ces victimes-là. Le problème, je vous dirais, ce n'est pas la
définition. Le problème, c'est dans l'application que l'IVAC va en faire jour
après jour avec nos familles.
Vous nous présentez
un projet de loi complètement nouveau qui va multiplier, malheureusement,
d'après nous, les recours devant le Tribunal administratif. Vous savez, ces
personnes-là n'ont malheureusement souvent pas les moyens financiers de se
défendre ou d'aller demander au tribunal d'interpréter en leur faveur les
définitions contenues dans la loi. Ça veut
dire que nos familles devront encore patienter plusieurs années avant de pouvoir
bénéficier des bénéfices de la loi, de pouvoir être réparés dans leurs
dommages.
Au Québec, vous
savez, il y a trois... il y a plusieurs régimes d'indemnisation, mais souvent
nous, on est confrontés à celui de la SAAQ ou bien de la CNESST. Mais qu'est-ce
que je réponds aux proches, M. le ministre, du signaleur routier qui a été
fauché par quelqu'un en état d'ébriété, quand ses proches ne peuvent pas
bénéficier de l'aide psychologique de l'IVAC parce qu'ils ont été indemnisés
sous un autre régime? Alors, si on crée un nouveau régime, notre peur, c'est
que ça soit encore plus complexe, que ces gens-là ne puissent jamais recevoir
le soutien psychologique parce qu'ils ont été sous un autre régime
d'indemnisation. Je pense que l'harmonisation des régimes devrait être au
rendez-vous. Je pense aussi que, si un régime n'aide pas suffisamment une
victime, qu'elle pourrait avoir droit aux bénéfices qu'une autre loi pourrait
lui donner.
Moi, j'ai quelques
questions également. Pourquoi ne pas avoir assis, avec ce projet de loi là, les
experts, les groupes qui travaillent jour après jour avec les victimes?
Pourquoi ne pas avoir simplifié la définition de victime? Parce que, je vous le
dis, on a lu le projet de loi, et plus on le lit, plus on est un peu mêlés.
Donc, une famille qu'on reçoit, je ne sais pas comment elles vont interpréter
cette notion-là. Pourquoi avoir ajouté la notion de scène intacte? J'ai eu
plusieurs appels de familles qui, malheureusement, nous ont dit : Bien,
nous, on n'aurait pas eu droit à ce moment-là, parce qu'on est arrivés après
les services policiers ou les services ambulanciers. C'est une question...
C'est une réponse que je ne peux pas leur donner, malheureusement.
Le
Président (M. Bachand) : Me Roy, je m'excuse, je vais vous
demander de conclure, cependant, parce que le temps est écoulé.
Mme Roy (Nancy) : Oui? Parfait.
Bien, donc, je pourrai ajouter, là, lors des périodes de questions. Mais, pour
nous, c'est sûr qu'on salue le hors Québec. Mais, pour toutes nos familles,
malheureusement, qui n'auront pas bénéficié de la loi,
qui ont fait leur lutte, comment on peut les aider? C'est encore un vide qui va
être comblé par la réglementation, mais on ne l'a pas. Ça fait que c'est comme
signer un chèque en blanc qui nous rend extrêmement insécures... chez ces
personnes-là.
Le Président (M.
Bachand) : Merci. On va débuter la période d'échange. M. le
ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui, merci, M.
le Président. Me Roy, Mme St-Onge, merci de participer aux travaux de
la commission. Je comprends que vous avez certaines inquiétudes par rapport au projet
de loi.
Un des
objectifs du projet de loi, c'est justement de faire en sorte d'élargir la
notion de victime pour, justement, faire en sorte qu'il y ait moins de
contestations et qu'on puisse avoir des gens qui soient indemnisés. Je vous
donne exemple sur l'indemnisation en tant que montant forfaitaire. On vient
élargir le nombre de personnes qui vont pouvoir être indemnisées. Donc,
auparavant, on parlait de la victime qui était directe. Et on l'a vu, la loi, à
l'époque, bien, la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes
criminels, actuellement, c'est une loi qui... le législateur faisait en
sorte de dire : Bien, c'est la victime directe qu'on vise.
Il y a eu une évolution jurisprudentielle parce
que les gens ont contesté les décisions de l'IVAC. Et le groupe avant vous,
c'était justement la Direction de l'indemnisation des victimes d'actes
criminels, il disait : Bien, nous, les fonctionnaires, qui interprétions
la loi, bien souvent, on n'avait pas vraiment le choix parce que c'était ça, le
carcan. Il y a eu des décisions, en équité, qui ont été rendues, mais, à la
fois les différents groupes, à la fois, même, Me Bellemare, qui a réclamé,
durant des années, une réforme de la loi, on vise à élargir la notion de
victime pour que, justement, des proches, justement, la famille, parce que
c'est le noyau familial qui est affecté, qu'il y ait davantage de soutien psychologique, que les personnes significatives
aient de l'accompagnement, qu'il y ait des indemnités aussi rattachées à
ces personnes-là. Donc, c'est un peu la démarche qu'on fait avec le projet de
loi pour faire en sorte qu'il y ait davantage de personnes qui soient couvertes.
C'est sûr que je ne peux pas refaire le passé
non plus. Vous savez, la loi, on a demandé sa réforme depuis environ 30 ans. Je suis extrêmement sensible à
votre cas, Mme St-Onge, lorsque vous me parlez de vos neveux,
relativement à votre soeur. La situation, pour l'étranger, bien entendu, elle
est réglée pour le futur. Donc, pas uniquement les homicides, pas uniquement
pour... mais, en fait, ça va pour les homicides, mais tous les autres types
d'infractions, également. En termes de prescription, pour toutes les victimes
d'agression sexuelle, de violence subie pendant l'enfance, de violence
conjugale aussi, maintenant, c'est couvert.
Puis l'objectif aussi, c'est de rendre l'IVAC...
que ça ne soit plus un parcours du combattant non plus pour les personnes que
vous représentez avec l'association. Donc, ça, c'est un élément qui est
important aussi.
Donc, je l'ai dit d'entrée de jeu, le projet de
loi n'est pas parfait, mais je considère que c'est une avancée significative
sur plusieurs éléments. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça?
Mme Roy (Nancy) : Moi, je peux peut-être
répondre, Annie, si tu veux compléter après. Bien, écoutez, moi, quand vous
nous parlez, là, qu'on ne peut pas régler le passé, la ministre Vallée,
en 2017, je pense, ou 2016, avait instauré
une directive administrative qui
faisait en sorte de reconnaître et d'indemniser les parents d'enfants
assassinés dans un contexte de drame intrafamilial. Donc, ce qu'on vous
demande, c'est de... ceux qui se sont battus depuis des années, ceux qui n'ont rien reçu, de pouvoir peut-être instaurer une
directive administrative pour reconnaître une partie de leurs besoins. Parce que, sinon, ces personnes-là,
on va les retrouver où? On va les retrouver dans d'autres... malheureusement,
d'autres régimes, on va les retrouver au niveau de la santé. Ça fait que je
pense qu'il faut les soutenir, il faut les aider, puis on peut le faire par
directive administrative.
Et, quand on parle qu'il y a plus de victimes
qui vont être indemnisées, permettez-moi, parce que, jour après jour, je les
reçois, ces personnes-là, permettez-moi d'en douter, permettez-moi de penser
qu'il y a beaucoup de pensée magique, parce que ce n'est pas tant votre volonté
ministérielle de vouloir changer les choses, mais c'est comment ça atterrit
dans la machine administrative. Il y a un roulement de personnel, ce n'est
jamais les mêmes personnes. Certaines
personnes, même, ont de la difficulté à s'exprimer en français ou dans la
langue que la personne a besoin
d'être comprise. Souvent, ce n'est jamais le même intervenant, les délais sont
extrêmement longs, il n'y a aucune réglementation là-dessus.
Donc, pour nous, entre ce qui est promis puis
entre la façon que ça atterrit, ça nous insécurise beaucoup, parce que ces
gens-là, sachez qu'ils vivent le pire drame de toute leur vie. Souvent, appeler
à l'IVAC, c'est quelque chose... je vous mets au défi de faire des mises
en situation et d'appeler, c'est extrêmement pénible. Et ces gens-là sont
appauvris, autant financièrement, psychologiquement, ils sont appauvris
socialement. Donc, je pense qu'il y a beaucoup à faire, autant sur la formation
que des directives administratives qui seront faites.
• (15 h 50) •
M. Jolin-Barrette : Là-dessus,
Me Roy, je ne suis pas en désaccord avec vous pour le fait de rendre plus
humaine la Direction de l'indemnisation des victimes d'actes criminels. C'est
pour ça, justement, que, dans le projet de loi, je la rapatrie sous le
ministère de la Justice, justement, pour qu'on ait le contrôle sur l'offre de
services pour les victimes. Cela étant, je
suis d'accord avec vous sur ce que vous me dites, en termes de délai, en termes
d'efficacité, en termes de services à la clientèle, ça doit changer, puis je
vous dirais que ça va changer aussi. Mais ça, on est sur la mécanique. On se
donne le pouvoir de la rapatrier.
Lorsque vous me
dites : Écoutez, il faut toujours se battre, contester, tout ça, un des
objectifs d'élargir la notion de victime puis d'offrir du soutien, d'offrir de
l'aide financière aux personnes victimes collatérales, si je peux dire, de la
personne qui subit l'infraction criminelle elle-même, ça, c'est noir sur blanc
dans la loi maintenant, c'est ce qui change. Donc, ça va
éviter le fait de faire en sorte que la personne doive contester la décision de
l'IVAC. Parce que, dès le départ, maintenant, le régime est changé. Puis, s'il
y a autant de gens qui contestent la loi actuelle, c'est justement parce qu'il
y avait un enjeu avec la définition de personne victime puis au niveau des
services qui lui étaient offerts puis du soutien. Donc, c'est un peu ça, le
sens du projet de loi.
C'est sûr que c'est
un projet de loi qui est volumineux, qui est complet. On parle de
190 articles, on parle de 30 à 190 articles, mais justement, pour
avoir un régime beaucoup plus complet, il faut s'assurer de retourner les
pierres. Puis j'entends bien aussi les critiques que vous faites par rapport au
projet de loi, puis on vous entend en commission, justement, pour prendre en
compte vos recommandations. Mais un des objectifs est vraiment d'être à l'écoute des victimes et surtout de faire en sorte
qu'un plus grand nombre pourront être indemnisées et pourront avoir,
supposons, du soutien psychologique rapidement, qu'elles n'attendent pas que
leur dossier soit autorisé avant d'en avoir, qu'on met en place un programme
d'urgence, qu'on abolit la prescription. Tout à l'heure, on nous disait que le
simple fait d'abolir la prescription pour les crimes à connotation sexuelle faisait
en sorte que ça va beaucoup simplifier aussi la réalité des victimes.
Donc, c'est un peu
dans cet esprit-là qu'on est, pour faire en sorte, vraiment, d'avancer et que
ça constitue un pas vers l'avant pour l'accompagnement des victimes.
Mme Roy (Nancy) :
Mais je vous dirais, si je peux ajouter, si je peux me permettre, que la loi
était quand même assez claire. Pour nous,
ces parents-là qui avaient perdu un enfant par violence, par homicide étaient
clairement des personnes victimes au sens de la loi. Donc, pour nous, c'était
clair, c'était l'application, comme vous parlez, de mécanique, c'était
l'application qu'en faisait l'IVAC au jour le jour avec ces personnes-là. Mais
sinon, pour nous, c'était clair et limpide qu'elles étaient des victimes, qu'elles
n'avaient pas à convaincre l'État qu'elles sont victimes. Quel est le pire
drame qu'on peut avoir dans une vie? C'est bien de perdre son enfant par
violence ou par homicide. C'est d'être victime, automatiquement.
M.
Jolin-Barrette : Mais là, là-dessus précisément, Me Roy, on vient
de reconnaître le fait que tous les parents dont leur enfant est assassiné, un
enfant mineur de moins de 18 ans qui est assassiné, non pas par un ancien
conjoint, mais par toute personne, vont bénéficier des aides pour faire en
sorte de s'assurer qu'elles soient considérées comme des personnes victimes.
Donc, ça, c'est une avancée dans la loi. On vient répondre directement à une
des problématiques qu'il y avait, parce que, quand vous perdez votre enfant
mineur, notamment, c'est assez dramatique. On va venir créer les indemnités
forfaitaires, aussi, les indemnités de décès, donc...
Écoutez, je ne veux
pas prendre plus de temps. Je vais céder la parole à mes collègues, mais je
vous remercie pour votre présence en commission parlementaire.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le ministre. Mme la députée de
Bellechasse, s'il vous plaît.
Mme
Lachance : Merci, M. le Président. Merci, mesdames, d'être là parmi
nous aujourd'hui. Je salue votre travail, parce que vous êtes le point de chute
de nombreuses familles dans des situations, ma foi, les plus critiques de leur
vie, et vous êtes reconnues pour votre écoute et pour savoir donner l'heure
juste. Alors, je tiens à le souligner.
Maintenant, vous avez
parlé des besoins des victimes d'assassinat hors Québec, Mme St-Onge,
entre autres, mais je sais que Mme Roy,
vous êtes bien au fait. Au-delà, vous avez insisté beaucoup sur le rapatriement
du corps, qui est un processus extrêmement complexe, mais, au-delà du
rapatriement du corps, quels sont les besoins spécifiques que le projet de loi va venir, si on veut,
contribuer à amoindrir les besoins d'une famille qui vit un drame hors
Québec?
Mme St-Onge
(Annie) : Bien, un drame hors Québec, qu'il soit hors Québec ou qu'il
soit au Québec, c'est exactement la même chose. C'est sûr et certain que le hors
Québec amène une certaine difficulté, donc amène une certaine... Le processus
de deuil est probablement encore plus long parce qu'il faut se mettre les
deux mains dedans : il faut rapatrier le corps, il faut faire face à
une bureaucratie qui est sans fin. Je pourrais vous dire que c'est plus là... ça prend plus de temps à se rétablir, pour l'avoir
vécu, personnellement, pour avoir accompagné des familles qui l'ont
vécu, également, avec tous les déboires que ça peut entraîner comme peine. Mais
les besoins d'aide psychologique, effectivement,
sont là, sont là pour les proches, pour les gens qui sont alentour de ces
personnes-là, c'est... Tant qu'on ne le vit pas, on ne le sait pas,
puis, quand on vit ce genre de chose là, c'est... on a une vision qui est
complètement différente du besoin.
Donc, oui,
effectivement, je parle de mes neveux souvent, mes neveux se retrouvent sans
leur maman. Puis, quand que le drame est arrivé, ils étaient encore assez
jeunes. C'est sûr que de l'argent, ça ne vient pas combler la présence d'une maman, mais il y a quand même
une partie du revenu de ma soeur qui n'est pas comblée pour certains besoins, ça, c'est
sûr et certain. Donc, c'est pour ça que je trouve que c'est un peu injuste.
Mme
Lachance : Donc, vous parlez... injuste, vous parlez en termes de
rétroaction, là, qui ne soit pas...
Mme St-Onge (Annie) : Bien oui, effectivement, parce
qu'il y a l'ancien régime auquel ils n'avaient pas accès. C'était très, très clair, hors Québec, ce n'était
pas touché. Puis là on arrive dans le futur où il y a vraiment une
reconnaissance, puis le ministre de la Justice, M. le ministre de la Justice,
je veux dire... Tu sais, je veux dire, oui, on élargit énormément la notion de
victime, puis c'est vraiment bien, sauf qu'il y a comme un flou là, entre les
deux. Eux autres, là, ils ne sont pas reconnus avant puis ils ne sont pas
reconnus pour le futur. Ils sont vraiment entre deux chaises, puis ça, je
trouve ça très, très, très décevant.
Mme
Roy (Nancy) : Et si je peux juste ajouter aussi qu'il y a quand
même... On ne se mettrait pas pauvre, là, comme société, là, que d'aider ces
personnes-là, là. Il n'y en a pas beaucoup, d'homicides hors Québec, mais les
besoins sont immenses, parce qu'il y a des besoins psychologiques, il y a des
besoins aussi de rapatriement du corps, il y
a des besoins, juste, de déplacement pour assister aux procédures judiciaires.
Si ça arrive hors Québec, encore pire, hors Canada, bien, vous êtes très
malchanceux, parce que vous allez faire affaire avec le fonds d'aide au fédéral
et Affaires mondiales.
Ça fait que je pense
que ça serait préférable de rapatrier ces sommes-là, de s'occuper de notre
monde et de s'occuper convenablement des proches qui ont perdu quelqu'un à
l'étranger. Et je demanderais même qu'il faut absolument
aider ces gens-là aussi qui se sont battus durant plusieurs années non pas
juste pour une somme forfaitaire, mais de l'aide psychologique, de
l'aide de réadaptation professionnelle aussi.
Les neveux d'Annie,
bien, oui, ils vont avoir besoin d'aide pour pallier à l'absence de leur mère,
mais ça peut être aussi un enfant qu'on a
perdu dans un homicide hors province ou hors Québec. Bien, ces gens-là se sont
appauvris par quelque chose qu'ils n'ont pas demandé et qu'ils n'étaient pas
préparés à faire face. Donc, on ne se met pas de l'argent de côté, on ne se met
pas un REER de côté au cas où qu'on aurait à vivre un drame de la sorte.
Donc, je pense qu'il
faut rapatrier ces sommes-là. Il faut s'occuper de notre monde puis il faut
évaluer les besoins au même titre que les victimes, parce qu'elles en sont.
Mme
Lachance : Merci. M. le Président, est-ce qu'il me reste
une petite minute? Parce que mon collègue voulait aussi prendre la parole.
Le
Président (M. Bachand) : Oui. Rapidement, le député de
Chapleau, 1 min 55 s, s'il vous plaît.
• (16 heures) •
Mme
Lachance : Je vais laisser M. le député de Chapleau. Merci. Merci,
mesdames.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. M. le député de Chapleau.
M. Lévesque
(Chapleau) : Merci beaucoup, M. le Président. Merci, chère collègue de
Bellechasse. Bonjour, tout le monde. Bonjour, Mme St-Onge, Me Roy.
Peut-être
un peu sur la même ligne de questionnement que ma collègue, donc, au-delà de
la rétroactivité, est-ce que l'article, tel qu'il est rédigé pour toute
la question hors Québec, vous convient? Est-ce qu'il manquerait des éléments,
là, si on exclut, évidemment, la portion rétroactivité dont vous nous avez fait
mention?
Mme Roy (Nancy) :
Bien, moi, j'ai toujours suggéré qu'on conserve l'article qui était
préexistant, là, l'article 3 de la loi actuelle, et qu'on y ajoute
simplement une exception pour les primes, les homicides hors Québec. Et, pour
moi, ça aurait été simple, ça aurait été efficace, ça aurait été aussi
d'inclure ces personnes-là dans une exception
législative et pour... Et ça couvrirait aussi... ou on pourrait le couvrir par disposition, directive administrative,
bien, la rétroaction.
M. Lévesque
(Chapleau) : Donc, ce serait ces éléments-là. O.K. Maintenant, vous
avez parlé d'exclusion. Donc, plusieurs victimes sont exclues de la définition
ou, du moins, de ce qui vous apparaît au projet de loi. J'imagine que c'est en
lien avec la définition. Est-ce que vous pouvez peut-être nous éclairer sur ça
ou qu'est-ce que vous verriez, en termes de définition ou, du moins,
d'inclusion par rapport à certaines victimes?
Mme Roy
(Nancy) : Bien, écoutez, pour nous, on aurait conservé la définition
qui a été interprétée par les tribunaux favorablement. Et surtout, dans le
dernier deux ans, là, il y a eu beaucoup de jurisprudences qui ont été
interprétées sur la notion de blessure, sur la notion victime. On aurait
conservé ça. On aurait ajouté une exception, au niveau du Québec, pour inclure
le «hors Québec», les victimes... les proches de victimes d'homicide hors
Québec, et ça aurait couvert, je pense, à peu près la majorité des besoins.
Parce qu'un parent ou un proche qui démontre qu'il a une blessure
psychologique, bien, correspond à la définition de l'article 3 en ce
moment. Ça fait que, pour nous, ça aurait été... ça aurait répondu aux
besoins...
M. Lévesque
(Chapleau) : La définition.
Mme Roy
(Nancy) : ...en tout cas, des familles qu'on rencontre.
M. Lévesque
(Chapleau) : Parfait. Merci beaucoup.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup.
Merci. M. le député de LaFontaine, s'il vous plaît.
M. Tanguay :
Oui, merci beaucoup, M. le Président. Bien, d'abord, merci, Me Roy, d'être avec
nous et également Mme St-Onge. Merci beaucoup de partager votre expérience avec
nous, expérience dramatique, mais qui doit nous guider, comme législateurs, à
faire justement les bons choix. Vous êtes maintenant administratrice, Mme St-Onge, et, Mme Roy, vous êtes directrice
générale de l'Association des familles de personnes assassinées ou
disparues.
Moi, j'aimerais ça prendre votre point, là, puis
le revirer de bord, parce qu'on en a parlé avec Me Bellemare. Pouvez-vous
nous expliquer en quoi ça consiste, le parcours du combattant pour des
personnes qui veulent se faire indemniser et qui se
voient refuser une indemnisation, peu importe la raison, mais vous dites :
Non, on va contester, il y a des recours, ce
que ça représente en termes de temps, d'argent, d'énergie et en quoi ça vient
aussi alourdir le fardeau qu'ils ont déjà à subir, qui leur est imposé?
Mme Roy (Nancy) : Bien, écoutez,
c'est facile, hein? Vous auriez pu faire une mise en situation et appeler à l'IVAC pour dire : vous êtes victime.
Souvent, ces gens-là viennent au bureau, nous rencontrent et nous demandent
ou nous disent carrément... Il y en a qui se
sont fait dire : Bien, voilà, vous n'êtes pas une victime. Bien, pourtant,
j'ai perdu mon enfant par assassinat. Non, vous n'êtes pas une victime,
la victime est décédée. Ça fait que c'est des absurdités qu'elles se font dire
jour après jour.
Ensuite, elles rentrent dans un dédale
administratif épouvantable avec des délais. Donc, elles doivent fournir beaucoup
de papiers, souvent des retards, des délais, des changements d'intervenant à
l'IVAC, souvent se font refuser malheureusement, malgré les
interprétations favorables qu'il y a eu dans les tribunaux, doivent... arrivent
à l'AFPAD et nous demandent : Bien, comment on fait? Qu'est-ce qu'on fait?
On n'a pas les moyens d'avoir un avocat.
Donc, c'est
aussi de trouver des avocats qui vont accepter ces causes-là qui sont
difficiles. Il n'y a pas... Avoir un mandat d'aide juridique, ça devrait
être automatique pour une victime. Il devrait y avoir des liens avec l'aide juridique, l'accessibilité aux tribunaux, parce
que souvent, c'est difficile pour ces personnes-là, et elles doivent se
battre durant des années. On a des familles que ça fait trois ans, quatre ans
qu'elles se battent pour être reconnues, pas pour recevoir des millions, là,
pour recevoir de l'aide psychologique, on le rappelle, et souvent de l'aide
pour retourner en emploi. Elles doivent
reprendre une vie normale. Donc, après des années... Puis, entre ça, on se
rappelle que, souvent, il y a le processus judiciaire. Donc, ces
personnes-là sont complètement démolies.
Souvent, moi, j'ai appelé à l'IVAC pour les
supplier et leur demander d'ajouter aux 30 séances de psychothérapie des séances supplémentaires, parce
que ces gens-là, avec les délais du système judiciaire, devaient
affronter tout le procès, souvent en s'appauvrissant, souvent en payant
elles-mêmes les dépenses, donc... Et l'IVAC me répondait : Non, malheureusement,
c'est 30 séances. Alors...
M. Tanguay : Alors, quand on
prend tout ça, puis c'est l'angle, c'est par la porte par laquelle je veux
entrer dans la discussion, quand on prend
tout ça, dans un contexte où c'est une loi qui aura bientôt 50 ans, qui a
évolué... Puis vous avez fait référence, un peu plus tôt, là, à la
décision — je
pense avoir la bonne, là — du
juge François Huot, septembre 2016, qui
faisait une avancée jurisprudentielle. Autrement dit, la loi dit une chose, la
façon dont c'est appliqué et interprété, le décideur, à l'IVAC, dit oui,
dit non. S'il dit non, bien, on peut aller devant les tribunaux, c'est du temps
de délai puis tout ça.
La loi, son application, son interprétation a un
peu été comme un arbre qui a grandi et qui, aujourd'hui, est plus clair, a des
bases. Malgré cela, vous dites : Bien, des fois, il faut aller se battre
pour replaider de la jurisprudence bien
établie. Dans ce contexte-là, je comprends, puis vous pourrez le formuler
différemment que moi, que de jeter ce qui pourrait être vu comme un pavé
dans la mare, 190 nouveaux articles qui ont la prétention d'apporter
quelque chose de nouveau et de différent... On ne fait pas 190 nouveaux
articles pour faire juste quatre trente-sous pour une piastre, il faut amener
d'autres éléments d'interprétation. Bien, cette interprétation-là, je vais
le dire un peu carré, ça va sortir comme ça, elle devra se faire, au cours
des prochaines années, sur le dos des personnes qui voudront prétendre :
Moi, je me bats parce que moi, je pense que la loi doit m'inclure là-dedans.
Alors, ça, c'est comme un fardeau qu'on risque
d'exiger aux justiciables. Bien, allez faire avancer le droit pour interpréter
la loi avec les 190 nouveaux articles.
Mme Roy (Nancy) : Bien, évidemment,
pour nous, on aimerait ça simplifier pour ces personnes-là, parce qu'il faut pouvoir investir facilement dans leur
réadaptation, dans leur sortie du drame, hein, pour faciliter leur prise
en charge, là, personnelle, émotive,
sociale. Et je pense que de rajouter de nouvelles définitions ne les aideront
pas. Je pense qu'on devrait plutôt
s'inspirer de ce que les tribunaux ont dit, de garder ce nouvel article là,
mais y aller avec des directives administratives
à l'IVAC, qui est d'ordonner comment elles doivent être appliquées. Il ne faut
pas les appauvrir, ces gens-là.
Et, quand on entend qu'ils auront des
remplacements de revenu pour trois ans, mais seulement ceux en emploi, bien, je
m'excuse, mais la totalité ou presque... en tout cas, la majorité de mes
victimes qui sont membres à l'AFPAD, et on en a plus de 600 personnes,
bien, ce sont toutes des personnes extrêmement appauvries par le drame et qui
n'auront peut-être pas les bénéfices de la loi au-delà du trois ans ou du cinq
ans. Ça fait que c'est alarmant.
M. Tanguay : Ce que vous
dites là est excessivement important, Me Roy. Vous parlez des 600 quelques
personnes qui font appel à vos services et, après trois ans, là, vous
dites : C'est terminé, là. Alors, il y en a qui auront un impact là-dessus. Je pense que la logique du ministre,
c'est de dire : On va en donner un peu à plus de monde, mais ça veut dire qu'il y a des gens qui auraient mérité
plus, mais qui vont se faire couper, dans les faits. Et on pourrait me
dire : Non, ça ne se passera pas de même, ça ne se passera pas de même.
Une chose est sûre, le trois ans va exister. Alors, trois fois 365 jours va arriver un jour, puis il n'y en aura plus
d'argent. Alors, des gens qui, par ailleurs, auraient reçu, d'où un
recul, une somme au-delà du trois ans, ça, c'est important.
Vous invitez également
aussi, ça, on va le dire, on va le nommer, puis vous l'avez dit également, une harmonisation des régimes, accidents de travail, des
accidents de la route. Également, il y a là un corpus, il y a là, sur place,
des systèmes qui visent à l'indemnisation.
Il y aurait aussi avantage à se coordonner et à s'harmoniser plutôt que
de refaire un 190 nouveaux articles également. Puis on peut voir... Je ne
sais pas si vous en avez vu... J'aimerais vous entendre, Me Roy, puis peut-être Mme St-Onge également,
vous avez commencé un peu plus tôt à parler d'éléments nouveaux, comme scène intacte, le concept de scène intacte. Est-ce
qu'il y a d'autres concepts comme ça qui ont fait froncer, là, des sourcils?
• (16 h 10) •
Mme Roy (Nancy) : Bien, écoutez, il
y a toutes des notions, là, qu'on a entendues, là, l'impossibilité d'agir.
Quand on sait ça, on le sait que c'est un fardeau qu'on demande aux victimes,
qui est vraiment alourdi. Donc, moi, je plaide plus en faveur d'une application
facile, d'une application élargie, mais il faut bien investir dans ces
personnes-là. Il ne faut pas saupoudrer
l'aide. Je pense qu'il faut la concentrer, parce que, de toute façon, sinon,
ces personnes-là vont se retrouver à
l'aide sociale, vont se retrouver bénéficiaires de d'autres régimes de dernier
recours, malheureusement, parce qu'on n'aura pas investi, de façon
massive au début, sur ces personnes-là. On les aura exclues et on ne fait
qu'alourdir le fardeau, finalement, de pouvoir les aider convenablement.
Écoutez, j'ai eu une jeune fille qui... sa mère
a été assassinée devant ses yeux, et on lui payait ses cours à l'université que
si elle les coulait. Donc, pour nous, c'était d'aider quelqu'un à l'inverse.
Parce qu'on leur demandait : Pouvez-vous payer ses frais universitaires?
Ils ont dit : Non, on paie juste si, à cause du drame, elle échoue certains cours. Donc, je pense qu'il faut
repenser les notions, aussi, qui sont de réadaptation. Je pense qu'il
faut asseoir les intervenants du milieu. Il faut leur demander : Qu'en pensez-vous, parce que
vous travaillez avec ces gens-là de façon quotidienne? On les connaît,
les besoins de nos personnes, mais on n'a pas été suffisamment consultés à ces
propos-là.
M. Tanguay : Il me reste
combien de temps, M. le Président?
Le Président (M.
Bachand) : 1 min 15 s.
M. Tanguay :
1 min 15 s. Donc, plus de consultations, ne pas agir dans la
précipitation. Et également comment accueillez-vous le fait qu'il y aura un
pouvoir élargi réglementaire? Donc, le diable est dans les détails, et les règlements vont suivre. Là aussi, j'imagine
que, si d'aventure, la consultation n'a pas eu lieu sur le projet de loi
n° 84, vous aimeriez minimalement qu'il y ait une consultation, j'imagine,
sur d'éventuels règlements qui vont étayer tous ces beaux nouveaux articles là,
donc.
Mme Roy (Nancy) : C'est sûr,
parce qu'on les connaît, nos familles, on les connaît, leurs besoins. Je pense que, si une famille... Je réponds quoi, moi, à
quelqu'un que son enfant a été assassiné sur son lieu de travail? Est-ce
qu'il va être indemnisé par la CNESST ou par
l'IVAC, le nouveau programme? C'est extrêmement compliqué de s'y
retrouver. Pour une victime, ça va être compliqué, pour les organismes de
terrain, ça va être compliqué. Je pense qu'il faut simplifier les choses.
Ça fait qu'il faudrait se rasseoir, tout le
monde, avec des experts terrain et dire : Comment on peut faciliter,
comment on peut investir dans ces personnes-là pour qu'enfin elles puissent
retrouver un semblant de vie qui soit plus normal?
M. Tanguay : Merci
beaucoup, Me Roy. Merci, Mme St-Onge.
Le Président (M. Bachand) :
Merci. Mme la députée de Sherbrooke, pour 2 min 45 s, s'il vous
plaît.
Mme Labrie : Merci, M. le
Président. Merci, Mme Roy, Mme St-Onge, pour votre présentation. Je
pense, vous étiez très éloquentes sur les changements que vous attendez du projet
de loi.
Je ne veux pas vous mettre mal à l'aise,
Mme St-Onge, mais, si vous vous sentez à l'aise, j'aimerais ça que vous
nous parliez de vos neveux puis de la différence que ça ferait pour eux d'avoir
accès à l'IVAC. Mais je ne veux pas vous mettre mal à l'aise. Si jamais vous ne
vous sentez pas à l'aise...
Mme St-Onge (Annie) : Bien, en
fait, je pense que, tu sais, autant un parent qui perd un enfant, autant un
enfant qui perd un parent dans une situation comme ça... et la situation a été tellement,
mais tellement médiatisée. C'est très handicapant, dans un si jeune âge, de
pouvoir continuer leur parcours.
Donc, oui, ces enfants-là ont des besoins un
petit peu plus particuliers, ont besoin d'être soutenus pour réussir un peu à
vivre la vie qu'ils auraient eue — ils ne l'auront jamais — mais
s'ils avaient conservé leur maman, s'ils
avaient eu leur maman auprès d'eux. Donc, les besoins, c'est beaucoup
au niveau de l'aide, de l'aide psychologique. Puis,
quand je parle d'aide psychologique, c'est sûr qu'on peut se dire : Ah!
bien oui, mais ils vont aller consulter un psychologue, puis ça va être
correct. Non. C'est précis. Ce n'est pas n'importe quel psychologue généraliste
qui peut adresser des situations comme ça.
Ça prend des psychologues qui sont spécialisés dans le trauma. C'est des
spécialistes qui ont étudié, qui ont fait des études. Un psychologue, c'est
quelqu'un qui a quand même un doctorat, mais il y a des spécialisations pour
être en mesure de comprendre.
Puis j'en suis aussi... Je parle en connaissance
de cause, parce que j'ai aussi... oui, malgré ce que j'ai de l'air, bien forte, là, moi aussi, j'ai besoin d'aide puis
je n'en trouve pas. Puis là on ne parle pas d'argent, là, on parle de
soins. J'ai besoin de me remettre, j'ai besoin de retrouver une vie quasi
normale, moi aussi, depuis deux ans. Ça fait que là je parle de mes neveux,
mais je parle de moi aussi, mais les aides ne sont pas toujours là.
Donc, même pour mes neveux, puis c'est
encore pire pour eux que pour moi, eux autres aussi ont besoin d'être
accompagnés. Ils ont besoin d'avoir de l'aide très spécifique, très spécialisée
pour être en mesure d'avoir une vie presque normale,
rendus plus loin. Ma soeur, c'était quelqu'un qui avait quand même un revenu
important dans sa famille. C'était quelqu'un qui avait une belle carrière, qui
avait un bon emploi rémunérateur. Donc, tout ça, ils ne l'ont plus. Ils n'ont
plus cette partie-là, mes neveux. Ils n'ont plus cette jouissance de vie là non
plus. Donc...
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup, Mme St-Onge. Merci infiniment.
Merci. Mme la députée de Joliette, pour 2 min 45 s, s'il vous
plaît.
Mme
Hivon : Oui, bonjour. Bonjour, Mme St-Onge. Merci
d'avoir cette force-là d'être parmi nous aujourd'hui. C'est très, très éloquent pour nous, ce que vous
nous dites. Puis merci, Mme Roy, toujours un plaisir de vous
entendre.
Je voulais revenir, Mme Roy, sur toute la
question de la nouvelle définition de victime. Donc, vous nous dites que, dans
le fond, à l'heure actuelle, il y a des progrès substantiels qui se sont faits
par les tribunaux et qui font en sorte que,
maintenant, il y a eu un élargissement, et vous craignez, si je vous suis bien,
qu'avec ce qui est prévu dans la loi
on régresse. Est-ce que vous pouvez nous spécifier si vous craignez, dans la
définition même, qu'on régresse ou dans le type d'aide ou de soutien et d'indemnisation dont vont pouvoir
bénéficier les victimes qu'on pourrait appeler secondaires ou par
ricochet, qui sont, selon moi, des vraies victimes, là, mais on se comprend?
Pouvez-vous juste me clarifier ça?
Mme Roy
(Nancy) : Bien, je pense que
la définition même, là, elle a été largement, là, définie par les
tribunaux. Donc, on se demande pourquoi ces familles-là, qui perdent un enfant
par homicide, doivent aller nécessairement, trois ans après, au tribunal, pour
se faire reconnaître comme victimes.
Donc, pour nous, la définition, elle est claire,
c'est une personne qui a subi une blessure, donc une blessure psychologique,
qui arrive, que ce soit avant ou après les premiers répondants, mais qui... ou
qui n'arrive pas non plus, là. Les tribunaux ont dit que, même si on n'était
pas sur place, on subissait une perte. Je pense qu'il faudrait s'inspirer aussi
de ce qui se fait ailleurs. En France, on indemnise les proches, les parents, beaucoup
plus facilement qu'au Québec. Donc, il faut s'inspirer, il faut travailler avec
ces personnes-là.
Je pense que la loi, elle est complexe, parce
que plus je la lisais, plus je me disais : Mon Dieu! Ça va être compliqué
pour les organismes terrain de même s'y retrouver. Ça fait que pourquoi ne pas
prendre une définition claire, d'y mettre certaines exceptions, de peut-être
enlever aussi les notions de prescription parce que ces personnes-là sont dans
un état de vulnérabilité? Souvent, ce n'est pas... ils ne savent pas... Ils ont
le processus judiciaire puis ils ne déposent pas nécessairement, dans le trois
ans, une demande à l'IVAC, puis ils n'ont pas nécessairement identifié leurs
besoins. Et après ça on leur dit que c'est prescrit, mais, si on se colle sur
les dernières décisions des tribunaux, bien, je pense qu'à ce moment-là on
serait gagnants.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. C'est tout le temps qu'on a, Me Roy,
Mme St-Onge. Merci beaucoup d'avoir été avec nous cet après-midi, c'est fort
apprécié. Merci beaucoup.
On suspend les travaux quelques instants. Merci.
(Suspension de la séance à 16 h 20)
(Reprise à 16 h 37)
Le Président (M.
Bachand) : Alors, il nous fait plaisir d'accueillir
Me Madeleine Lemieux, ex-bâtonnière et auteure du rapport sur la
modernisation de l'IVAC.
Alors, Mme Lemieux, on a hâte de vous
entendre. Donc, vous avez 10 minutes de présentation. Après ça, on aura un
échange avec les membres de la commission. Donc, la parole est à vous. Merci
d'être ici avec nous.
Mme Madeleine Lemieux
Mme Lemieux (Madeleine) :
Alors, bonjour. Vous avez dit «auteure du rapport», je ne suis pas auteure du
rapport. J'ai présidé le groupe de travail qui a présenté un rapport. Nous
avons eu mandat en 2006 et notre rapport était de juin 2008. Je
présume qu'il y a des membres de la commission qui en ont pris connaissance parce
que, je dois dire, j'ai reconnu plusieurs de nos recommandations dans le projet
de loi.
Je vais rapidement revenir sur le mandat que
nous avions, dont les objectifs étaient de dégager les fondements, la nature,
les caractéristiques, les objectifs d'un régime d'indemnisation, examiner la
fameuse liste des actes criminels qu'on trouvait à l'époque en annexe, préciser
les liens à établir avec d'autres régimes sociaux et des services d'aide existants et recommander des
scénarios de modification au régime avec des estimés de coûts et, si
jugé approprié, des hypothèses de financement, le tout dans un contexte d'une
gestion rigoureuse des finances publiques, puis, finalement, examiner les coûts
du mode d'administration actuel.
Le comité était composé de sept personnes,
dont Mme Bérubé, Mme Cadrin, M. Gagné, Me Ionescu et
Me Turmel, et nos travaux ont duré à peu près deux ans, pendant
lesquels nous avons fait plusieurs consultations. Nous avons rencontré
plusieurs groupes de personnes-ressources spécialisées en réadaptation ou qui
représentent des associations soit de
victimes, soit de soutien aux victimes, et on a sorti un rapport qui faisait
plusieurs recommandations.
Je ne sais pas s'il y a des sujets en
particulier, mais, si je m'en vais aux grandes lignes de ce rapport-là, ça a
été de vraiment dégager les fondements de ce régime-là, qui est un régime qui
est fondé d'abord et avant tout sur la solidarité
sociale, et le distinguer des régimes d'assurance, qui sont des régimes
autofinancés, comme l'indemnisation des accidents de travail ou de l'assurance
automobile.
• (16 h 40) •
Alors, ça a été notre premier travail, de
vraiment installer ces fondements-là et de donner un sens aux mots «solidarité
sociale». On s'est inspirés d'un rapport précédent qui disait : «...sur la
manière par laquelle les sociétés modernes
trouveront des façons de réduire les conséquences les plus graves des
inégalités rattachées aux mauvais coups du sort.» Parce que les victimes
d'actes criminels, c'est ce qu'on appelle vraiment les mauvais coups du sort.
Ce qui nous a
aussi beaucoup frappés, ça a été de constater la très grande vulnérabilité des gens qui s'adressent à ce
régime-là, vulnérabilité qui est différente, je pense, des personnes qui
vont s'adresser à d'autres régimes d'indemnisation publics, à cause des situations
particulières dans lesquelles ils se sont retrouvés.
Je voudrais vous parler aussi des principes
directeurs qui nous ont guidés, qu'on va retrouver à la page 14 du
rapport. C'est qu' «une victime d'un crime peut bénéficier des services et
indemnités prévues à la loi si elle a subi un préjudice
corporel ou psychique en lien avec l'acte criminel. Elle a droit au respect, à
l'empathie, à l'aide et à l'assistance de toute personne chargée
d'administrer la loi. Toute intervention auprès d'une personne victime doit
être basée sur le respect de son autonomie et reposer sur la capacité à
reprendre le contrôle de sa vie.»
«Toute
intervention auprès d'une personne victime doit être faite avec célérité», et
j'insiste beaucoup là-dessus. Nous, c'est quelque chose qui nous a
frappés, comment la rapidité avec laquelle on intervient auprès des victimes
est contributive de leur rétablissement. «De suivi, et dans l'allocation des
services et indemnités prévus à la loi, la personne victime doit notamment être
informée...» et c'est un autre de nos constats, de voir jusqu'à quel point les gens se sont plaints du manque d'information, ont
manifesté des besoins d'information, que nous avons trouvés, rencontrés presque avec chaque groupe que nous
avons consulté, «avec diligence et dans un langage accessible, des services et
indemnités prévus.»
«L'administrateur
du régime doit fournir des services adaptés aux besoins des personnes victimes,
coordonnés en complémentarité avec les services dispensés par les organismes
publics», ça, c'est un autre des principes qui s'est dégagé de nos
consultations. C'est que le régime d'indemnisation est un régime supplétif. Il
y a des services que seul le régime d'indemnisation des actes criminels peut
fournir, mais il ne doit pas remplacer les autres régimes, publics ou privés, d'indemnisation et il doit travailler
en complémentarité avec les services dispensés par les organismes
publics, parapublics et communautaires. Et
la victime peut, selon la gravité des préjudices subis, recevoir des services
médicaux et psychosociaux nécessaires à sa réadaptation et être indemnisée
selon les dispositions de la loi. Les services visent à atténuer les préjudices
subis en lien avec l'acte criminel et favoriser son rétablissement.
Et finalement les proches de la
personne victime peuvent, dans certaines circonstances, être admissibles aux
services et indemnités prévues à la loi. Il y avait, à cette époque-là, des
difficultés particulières pour tout ce qui concernait
les proches des victimes, à ce qu'elles obtiennent des indemnisations. Nous
avions recommandé, entre autres, un changement de titre de la loi. Nous
avons recommandé, entre autres, la disparition de la liste, pour ne plus
limiter l'indemnisation à des crimes qui
sont énumérés dans une liste, mais bien élargir à un plus grand nombre de
personnes, et c'est très relié, je pense, à
l'évolution de la société, à l'évolution de la criminalité aussi. Nous avons...
C'était formulé, plusieurs recommandations qui ont trait à
l'information, au soutien, au devoir d'assistance de l'organisme chargé
d'indemniser les victimes. Nous avions recommandé aussi la fin des rentes
viagères et un terme aux indemnités de remplacement de revenu.
Ça fait à peu près le tour d'un rapport qui fait
quand même 140 pages. Je pense que je préfère répondre à vos questions sur
des sujets bien précis que d'aller plus loin dans toutes les recommandations,
parce qu'il y en avait... je les ai sorties,
là, il y en avait 68, recommandations. Alors, je pense que je pourrais... je
vais essayer de répondre à vos questions du mieux que je peux.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup, Me Lemieux. M. le ministre,
s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui. Merci, M.
le Président. Merci, Me Lemieux, d'être avec nous et de prendre le temps
de venir en commission parlementaire. C'est apprécié.
Écoutez, je veux aborder un élément dans votre
rapport. Bien, tout d'abord, je comprends, là, que votre rapport avait été rendu en 2008 mais qu'il
avait été uniquement rendu public en 2012, suite aux pressions de la députée de Joliette à l'époque. Donc, il
avait été rendu public dans la sphère publique à ce moment-là. Dans votre
rapport, et c'est important de le dire que vous aviez un comité pour
faire ce rapport-là, vous recommandiez la fin des rentes viagères. Pourquoi est-ce
que vous recommandiez la fin des rentes viagères?
Mme Lemieux (Madeleine) : C'est basé
sur deux principales raisons. Le régime, dans notre vision à nous, était
un régime... est d'abord et avant tout un régime supplétif. Alors, le régime
doit avoir comme premier objectif la réparation des conséquences immédiates du
traumatisme subi suite au crime et de diriger la personne vers d'autres ressources
à partir d'à un moment donné. Alors, la réparation vise d'abord le remplacement
du revenu.
Quand
nous avons suggéré trois ans de remplacement de revenu, nous l'avons
suggéré à partir des statistiques qui
existaient, à l'époque, à l'IVAC, qui couvraient à peu près 95 % ou
97 %, si ma mémoire est bonne, des réclamations de remplacement de revenu. C'est à peu près ça. Nous avons aussi collé le remplacement de revenu à quelqu'un qui possède déjà du revenu ou une
expectative normale de revenu. Mais c'est un régime qui devait d'abord et avant
tout être élargi à un plus grand nombre de victimes, et, compte tenu des ressources
dont on dispose, de faire en sorte que, si une personne doit... peut recevoir
une indemnité qui la compense, elle n'a pas... elle ne devrait pas recevoir une
rente viagère. Ce n'est pas l'objectif de ce régime-là.
Un régime, rappelez-vous, comme principe de base... basé sur la solidarité et
basé sur l'indemnisation rapide, immédiate et la correction des défauts.
Les rentes viagères
sont un coût énorme pour le régime, et je pense que ça a été contributif du
fait qu'on ait autant tardé à élargir le nombre de personnes qui étaient
admissibles en faisant disparaître la fameuse liste de crimes qui rendaient
admissible à l'indemnisation du régime. En gros, là, c'est à peu près ça qui...
et que le régime ne doit pas être calqué sur les régimes d'assurance santé-sécurité
au travail ou accidents d'automobile. Ce sont des régimes dont les fondements
sont complètement différents.
M. Jolin-Barrette : Sur ce point-là, Me Lemieux, pourquoi ils sont différents?
Juste, là, pour bien nous renseigner, là,
pourquoi que ce n'est pas la même chose, le régime de la
SAAQ, le régime de la CNESST puis le régime de l'IVAC?
Mme
Lemieux (Madeleine) : Le
régime de la CSST et de la SAAQ sont des régimes d'assurance
autofinancés. Alors, ce sont les utilisateurs... Dans un cas, ce sont les
employeurs et, dans un autre cas, ce sont les utilisateurs du réseau routier et
des automobiles qui paient ces régimes-là. Ce ne sont pas des régimes basés sur
la solidarité sociale, comme d'autres régimes existant dans le gouvernement,
c'est tout à fait autre chose. Alors, on n'est pas dans un domaine d'assurance,
on...
Souvent, on s'est
posé la question : Est-ce que, si quelqu'un vous offrait... un assureur
privé vous offrait une police d'assurance contre les crimes... Bien, vous
diriez : Non, moi, ça ne m'arrivera pas à moi, ça arrive aux autres. On va assurer... Quand on en a les moyens, le
salaire, on va assurer contre la maladie. Ce n'est pas un régime
d'assurance, c'est un régime d'indemnisation étatique basé sur la solidarité.
On l'a copié sur celui de la santé et sécurité au travail, parce que
le régime, d'après ce qu'on m'en a raconté, a été adopté
très rapidement, à la sauvette, puis on l'a rapidement
confié à la CSST. Et, dans la tête de tout le monde, on l'a assimilé à un
régime d'indemnisation pour des accidents de travail, et ce n'est pas ce que
c'est, de notre avis. Ce n'est pas ce que c'est, c'est tout à fait autre chose.
M.
Jolin-Barrette : O.K. Sur la question de l'indemnité de remplacement
de revenu, vous le limitiez à... l'incapacité
temporaire, à trois ans. Nous, ce qu'on fait, c'est qu'on met
trois ans plus une tranche de deux ans supplémentaire en
termes de réinsertion, donc, pour un total de cinq ans. Mais vous, à
l'époque, le trois ans, ça vous apparaissait une approche normale pour
faire en sorte que la personne puisse être rétablie et qu'elle ait un montant
forfaitaire par la suite.
• (16 h 50) •
Mme Lemieux
(Madeleine) : Oui, et on s'était basés sur les statistiques de l'IVAC,
on s'était basés sur quel est le pourcentage de personnes et quelle est la
durée pendant laquelle elles ont besoin de remplacement de revenu, et on en arrivait à des statistiques... Il faudrait
que je fouille un petit peu dans mon rapport, parce que, vous savez, je
n'avais pas lu ça depuis 2008, hein? Alors, je vais être obligée de
relire. On s'était basés sur des statistiques qui nous avaient dit : Bien,
avec une limite de trois ans, c'étaient 97 % qui allaient recevoir
exactement la même indemnisation. Alors, la zone tampon peut correspondre à des
statistiques qui seraient différentes aujourd'hui. Je l'ignore.
M.
Jolin-Barrette : O.K. Qu'est-ce que vous pensez de l'élargissement de
la notion de victime que nous faisons dans le projet de loi n° 84?
Mme Lemieux
(Madeleine) : Est-ce... Vous voulez dire...
M.
Jolin-Barrette : Bien, en fait, auparavant, on avait la victime
directe qui avait droit à des indemnisations. Là,
ce qu'on vient faire, c'est qualifier les personnes victimes plus largement.
Donc, il y a la victime qui subit l'infraction, mais il y a toute la
cellule familiale, le noyau familial, les proches, les personnes significatives
qui vont pouvoir être indemnisées désormais et recevoir des services.
Donc, est-ce que vous
voyez ça positivement, le fait que davantage de personnes, et on l'évalue à
près de 4 000 personnes supplémentaires par année, pourront recevoir
du soutien de l'État? On élargit le régime.
Mme Lemieux
(Madeleine) : Oui. Vous savez, nous, dans nos consultations, il n'y a
absolument personne, personne, personne qui a plaidé en faveur d'une
restriction. Au contraire, tout le monde a plaidé en faveur d'un élargissement, et ça va de soi que la victime
n'est pas seulement celle qui a reçu les coups, mais que ses proches, que
la cellule familiale... et c'est ça, l'idée de la solidarité sociale, de
réduire le plus possible les effets d'un crime sur tous ceux qui en sont
victimes, et ça méritait un élargissement.
M.
Jolin-Barrette : Pourquoi, Me Lemieux, pensez-vous que, depuis la
publication de votre rapport en 2008, il n'y aucun gouvernement qui a mis
en oeuvre une réforme de l'IVAC?
Mme Lemieux
(Madeleine) : Je l'ignore. Je devrais faire une pure spéculation,
parce qu'on mentionne dans le rapport que notre rapport a été précédé de
deux autres rapports, hein? Ce n'est pas le... il y en a eu
deux autres qui avaient formulé des recommandations avant le nôtre. Je
pense que c'est directement relié aux coûts et que la majorité de nos recommandations étaient des recommandations
qui favorisaient des élargissements qui auraient entraîné d'autres
coûts, des coûts supplémentaires et que ce n'était probablement pas dans l'air
du temps que d'ajouter à ce que ça coûte déjà. Parce que j'ai comparé les
chiffres de 2008 et ceux d'aujourd'hui, et, malgré le fait que le régime est
resté sensiblement le même, les coûts sont beaucoup plus importants qu'ils ne
l'étaient à l'époque.
Je
ne vois pas autre chose, parce que tout le monde réclamait une modernisation de
cette loi-là. Tout le monde réclamait un élargissement de la notion de
victime, tout le monde réclamait des modifications à l'administration du régime. Il n'y a pas personne qui est venu
dire : Gardez ça comme c'est là. Et le rapport, bien, ça voulait le
reflet, hein?
M. Jolin-Barrette : Puis une
dernière question avant de céder la parole à mes collègues. Me Lemieux,
tout à l'heure, Me Bellemare est venu témoigner et il a mis en doute le
fait que les mesures supplémentaires que je mettais dans la loi pour les
victimes, qui sont notamment inspirées, en autres, de votre rapport, n'allaient
pas engendrer des coûts supplémentaires pour l'État. Donc, je comprends, de ce
que vous nous avez dit, que, dans les recommandations que vous faisiez, ça allait engendrer des coûts supplémentaires. Donc, nécessairement,
le gouvernement du Québec met
plus d'argent, si on suit vos recommandations.
Mme Lemieux (Madeleine) : C'était
notre constat, et nous avions de grands doutes que le rapport ne serait probablement pas suivi rapidement, justement, parce qu'il
allait entraîner des coûts supplémentaires à l'administration du régime.
M. Jolin-Barrette : Bien, je vous
remercie, Me Lemieux, pour votre passage à la commission parlementaire. Je
vais céder la parole à mes collègues. Merci.
Le Président (M.
Bachand) : Merci, M. le ministre. M. le député de Chapleau,
s'il vous plaît.
M. Lévesque (Chapleau) : Oui. Merci
beaucoup, M. le Président. Bonjour, Me Lemieux. Merci de votre témoignage.
Bon, vous nous mentionniez que vous avez un peu dépoussiéré votre rapport, là.
Je vais maintenant faire appel à votre mémoire.
Donc, dans le rapport que vous aviez présenté et
soumis, j'aimerais peut-être que vous fassiez un exercice de comparaison entre
ce qui s'y trouvait et le projet de loi actuel à l'étude. Est-ce qu'il y a des
éléments qui vous apparaissent manquer ou qui sortent un peu de l'ordinaire,
qui n'étaient pas vraiment compris dans le rapport? Puis vos interrogations ou,
disons, au moins vos commentaires par rapport à ces éléments.
Mme Lemieux (Madeleine) : Bien,
écoutez, j'ai fait l'exercice de prendre chacune des recommandations et de
chercher dans le projet de loi, là, où elles étaient reprises ou non.
Évidemment, la recommandation... Une de nos
toutes premières recommandations, qui était d'élargir le régime de façon à y
inclure tous les crimes, se retrouve dans le projet de loi, et c'était une de
nos toutes premières recommandations. Essayer de cesser d'assimiler trop le
régime aux autres régimes dont j'ai parlé tantôt, on le voit bien à
l'article 59 que, si on est couvert par d'autres régimes, ce sont les
autres régimes qui doivent d'abord couvrir...
M. Lévesque (Chapleau) : La
distinction.
Mme Lemieux (Madeleine) : Oui. Le
mot «blessure», nous suggérions qu'il soit remplacé par «préjudice corporel ou
psychique» pour éviter, vous savez, le fameux : si ça ne saigne pas, ce
n'est pas une blessure. Et «l'atteinte à l'intégrité», bien, on la retrouve
aussi.
C'est sûr que, dans le projet de loi, il y a...
Dans nos recommandations, nous avons formulé plusieurs recommandations qui
visaient à laisser de la discrétion à l'administrateur du régime. Dans le
projet de loi, il y a plusieurs sujets qui vont être traités par règlement. À
défaut de lire les règlements, bien, c'est impossible de savoir jusqu'à quel
point ils seront couverts.
Je vous dirais que, de façon générale, les
recommandations sont suivies.
M. Lévesque (Chapleau) : D'accord.
Très bien.
Mme Lemieux (Madeleine) : Je ne vous
cache pas que l'article 16...
M. Lévesque (Chapleau) : On a eu des
interrogations sur cet article-là aussi par d'autres groupes.
Mme Lemieux (Madeleine) : Les articles 16
et... Nous avons recommandé de conserver la notion de faute lourde et nous nous
basions sur la jurisprudence élaborée par le TAQ au fil des ans. La
jurisprudence d'il y a 20 ans sur la faute lourde et la jurisprudence au
moment où nous avons fait notre rapport, ce n'était pas du tout la même chose.
Et elle était peut-être tributaire de certains préjugés que les décideurs
pouvaient avoir à l'égard de certaines...
M. Lévesque (Chapleau) :
Victimes.
Mme Lemieux (Madeleine) :
...situations particulières.
L'article 16. Vous savez, moi, je suis une
fervente défenseure du langage clair. J'ai promené mes valises à travers le
Québec pour le langage clair et j'en suis autant plus adepte quand il s'agit de
l'instrument législatif qui s'adresse à des
personnes qui sont dans le besoin, qui sont démunies, et 16, je ne vous cache
pas, me cause des problèmes d'interprétation, 17 aussi. Et je ne suis
pas capable de m'assurer qu'il y a adéquation entre ce texte législatif et la jurisprudence plus récente du TAQ sur la notion de faute
lourde et de contribution à ces blessures. Ça m'a un peu intriguée, ça. Je ne
sais pas si ça répond à votre question.
M. Lévesque (Chapleau) : Oui,
oui. Non, ça répond, tout à fait, excellent. Donc, l'arrimage avec la
jurisprudence actuelle, avec le TAQ, il y a peut-être quelque chose à analyser
à ce niveau-là, si je comprends bien votre commentaire.
Mme Lemieux (Madeleine) : Oui.
M. Lévesque (Chapleau) :
Dernière petite question avant de passer la parole à mon collègue. Depuis les
12, 13 dernières années, est-ce que vous avez eu l'occasion, avec vous et
vos collègues de ce rapport-là, de voir différents changements et certains
points que vous auriez ajoutés dans les 13 années qui ont passé depuis? Y
a-tu quelque chose qui serait modifié à ce rapport-là?
Mme Lemieux (Madeleine) : Bien,
non, parce que...
M. Lévesque (Chapleau) : Non?
Parfait. Il reste d'actualité?
Mme Lemieux (Madeleine) : Vous
savez, la criminalité a changé, et le regard de la société sur la criminalité
change aussi. Et, par l'élargissement qu'on fait, on va cesser de laisser pour
compte des gens qui sont bel et bien des victimes, là.
M. Lévesque (Chapleau) : Merci,
Me Lemieux. Je pense que le député de Saint-Jean aurait...
Le Président (M.
Bachand) : Merci. J'ai la collègue de Les Plaines devant moi,
pour deux minutes.
Mme Lecours (Les Plaines) : Écoutez...
Merci beaucoup, M. le Président. Je vais laisser le micro à mon collègue, qui
porte le même nom de famille, alors, peut-être, il va avoir des questions
encore plus directes. Merci.
Le Président (M.
Bachand) : O.K. Très rapidement, M. le
député de Saint-Jean. Il reste 1 min 40 s.
• (17 heures) •
M. Lemieux : Oui. Désolé pour
la confusion, M. le Président. Merci beaucoup. Bonjour, Me Lemieux. Pas de
lien de parenté, on s'entend.
Je voulais... Et on a juste une minute,
alors on va faire de la philosophie rapide, là. Mais est-ce que vous avez des
raisons de penser que l'esprit, les concepts, la vision que vous aviez dans le
rapport a mal vieilli? Parce qu'entre vous et moi, on va s'entendre, là, vous
pourriez réclamer des droits d'auteur, en partie, en tout cas, au ministre de
la Justice. Et donc, à quelque part, je me
demandais... on peut, comme vous l'avez fait, parler de jurisprudence qui a
évolué, mais les concepts, en gros, la
philosophie, la vision, elle est encore, comme vous le disiez à mon collègue tout à l'heure, elle est encore
d'actualité, et vous y croyez encore?
Le Président (M.
Bachand) : Rapidement, Me Lemieux, s'il vous plaît. Désolé.
Mme Lemieux (Madeleine) : Je vous
dirais que oui, sous réserve réserve d'actualiser certaines questions. Et
j'aurais besoin de mes experts pour le faire, parce que moi, je fais juste
présider, hein? Ce n'était pas moi l'experte là-dedans.
M. Lemieux : Merci, maître.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de
LaFontaine, vous avez la parole.
M. Tanguay : Oui, merci
beaucoup, M. le Président. Bienvenue, Me Lemieux. Merci de prendre le
temps de répondre à nos questions. C'est vraiment intéressant de vous avoir
avec nous.
J'ai devant moi la liste, là, des
68 propositions, recommandations du rapport de 2008. Peut-être, avant
d'aller là, j'aimerais ça vous entendre de façon un peu plus spécifique, vous
donner l'occasion de peut-être préciser votre réponse quant aux
articles 16 et 17 qui pourraient être problématiques, quant à leur
compréhension. Donc, langage clair, l'article 16, là, fait quasiment deux
pages, là, une page et deux tiers. Vous avez parlé, donc, 16 et 17, entre
autres, sous le vocable de «faute lourde». Est-ce qu'il y a d'autres éléments
de 16 et 17 qui vous ont fait sourciller? Je ne sais pas si vous avez d'autres
points.
Mme Lemieux (Madeleine) : Non, je
vous avoue que je n'ai pas vraiment compris pourquoi on faisait autant de
distinctions et on tentait de viser, en détail, autant de situations. Alors que
je pense, de ce que j'en sais, que chaque
cas va rester un cas d'espèce, chaque cas risque d'être un cas différent et que
l'idée fondamentale, c'est que si vous, comme le TAQ l'a régulièrement
dit, si vous êtes entré armé dans une banque et qu'on vous a tiré dessus, vous
avez des grosses chances que vous avez commis la faute grave et que vous avez
contribué à vos blessures. Et le risque que je vois, c'est le flottement jurisprudentiel que ces
dispositions-là peuvent entraîner dans des cas, par exemple, de violence
conjugale, de violence sexuelle. Je ne suis pas capable m'imaginer, parce que
je ne suis pas saisie d'un dossier particulier, là, quelle interprétation en
feront les juges du TAQV. C'est ça, c'est un peu ça ma pensée.
M. Tanguay : Oui, tout à
fait. Puis on a justement eu des groupes qui sont venus nous dire
qu'effectivement, en matière de proxénétisme, entre autres, où la victime peut,
sous la manipulation, peut participer à un acte criminel, bien, pourrait être
refusée. Donc, c'est un des cas d'espèce qui a fait partie de notre réflexion.
Dans vos recommandations, je vais vous la
nommer, des fois, ça peut... La recommandation 9 : «Que
l'administrateur du régime d'indemnisation des victimes d'actes criminels soit
tenu à un devoir d'assistance à l'égard des réclamants.» Est-ce qu'on doit le
lire... Puis je n'ai pas le bénéfice, là, de l'entièreté de l'explication,
mais, en vos propres mots, moi... Est-ce qu'on doit le lire comme étant une
sorte de principe, établir le principe que, là, on est là pour servir une
population vulnérable, les membres de la population, et là on a un devoir
quasiment proactif d'assistance. C'est un peu ça, la philosophie?
Mme Lemieux (Madeleine) : Oui.
Pendant notre consultation, vous savez, on a entendu plusieurs critiques sur le
traitement qui était donné aux demandes par le personnel de l'IVAC et on a
rencontré aussi le personnel de l'IVAC, des gens qui étaient en poste à l'IVAC.
Mon opinion bien personnelle, c'est que les employés de l'IVAC ne sont pas
moins empathiques, plus froids et moins compétents que la moyenne des ours. Par
contre, ils font affaire avec une clientèle qui présente des vulnérabilités
extrêmes dans certains cas, des attentes qui sont liées à leur condition que... Vous savez, une jambe cassée, ça
fait mal. Quand on s'est cassé une jambe en auto ou... ça fait mal, ça dérange la vie, mais je ne pense pas que ça cause
le même type de traumatisme que d'être victime d'un crime. Et les
besoins de cette clientèle-là sont différents, d'où une de nos recommandations
que de la formation soit donnée.
Et j'ai lu rapidement les propos de la
Protectrice du citoyen de 2016, et on voit que c'est encore d'actualité. Nous,
on l'avait constaté en 2008 et on le reconstate à nouveau en 2016, il y a des
ajustements à faire en raison d'une vulnérabilité exceptionnelle de la clientèle
qui a recours à ces services-là. Vous savez, dans la Loi sur la justice administrative, le TAQ a un devoir d'assistance à
l'égard des parties qui se présentent devant lui. C'est le législateur
qui l'inscrit dans la loi. Nous étions d'avis que de l'inscrire dans la loi
serait probablement un message fort que ce n'est pas un service comme n'importe
quel autre service.
M. Tanguay : C'est bien la
façon dont vous le... Je pense que c'est la première fois que ça a été... que
c'est verbalisé de cette façon-là à cette
commission. Vous faites bien de le dire, effectivement, que c'est la clientèle
spécifique et sa vulnérabilité qui fait naître l'approche différenciée
d'intervenants de l'État qui, au départ, sont tous de bonne foi puis ils sont prêts à offrir un bon service, mais
effectivement ils ont une clientèle qui est très, très particulière. Et
merci de le dire comme ça, ça nous éclaire.
La recommandation 14, je vous ferais un
lien avec l'article 7 du projet de loi. L'article 7, là, c'est l'article
où il y a un devoir de coopération. Alors, l'article 7 de la loi, bon, là,
vous, vous... Puis ça, je prends l'article 14, mais il y a d'autres
propositions aussi qui allaient un peu dans le sens de dire : Bien, il ne
faut pas que ça soit du donnant-donnant, là. «Que l'admissibilité au régime
d'indemnisation des victimes d'actes criminels ne soit pas assujettie aux obligations de signaler le crime aux autorités
policières.» J'imagine que vous devez recevoir l'article 7, là, avec
certains bémols, j'imagine... «devoir de coopération».
Mme
Lemieux (Madeleine) : Bien, vous savez, ça, c'est un sujet sur lequel
nous avons reçu des commentaires très contradictoires. Il y avait des
tenants de dire : Non, non, non, il faut qu'on dénonce le crime, puis il faut qu'on accepte d'aller témoigner, puis il
faut que... et d'autres tenants qui, surtout dans des cas de violence
conjugale, dans des cas d'agression
sexuelle, ne voulaient pas imposer ce fardeau-là aux victimes ou de rendre
conditionnels leur admissibilité et leur droit à des indemnisations et à
de la réadaptation.
Et moi, 7 ne m'a pas fait trop sourciller à
cause des mots «dans la mesure du possible». Mais là, vous savez, on appelle ça du droit mou. Du droit mou, moi,
j'aime ça, parce que ça permet d'exercer son jugement, mais ça peut
amener aussi des décisions regrettables. Alors, comment seront interprétés les
mots «dans la mesure du possible» avec le mot «doit»? Là, c'est l'avocat qui
parle, là. Je ne le sais pas non plus.
M. Tanguay : On a eu une
discussion, ce matin, avec Me Lessard qui, lui, disait : Bien, on
pourrait garder ça de même, mais ajouter quelque chose, là, puis je paraphrase,
«dans la mesure où ceci ne contrevient pas au processus de guérison de la
personne victime».
Alors, y
verriez-vous... ça peut-être une porte d'analyse supplémentaire au «doit», dans
la mesure où, effectivement, ça ne va
pas venir mettre en péril le processus de guérison? Puis là on couvrirait
peut-être l'exemple que vous mentionniez.
Mme
Lemieux (Madeleine) : Les commentaires que nous avions eus, à ce
sujet-là, étaient très variés. Il y avait... Ce n'était pas uniquement relié au processus de guérison. Évidemment, le
premier objectif de la loi, c'est la guérison, c'est la réadaptation. Ce
serait un ajout qui va dans l'objectif premier de la loi. Mais il y a d'autres
facteurs qui peuvent ne pas être liés à la guérison, qui peuvent faire en sorte
que ce devoir de coopération là devient une embûche et un empêchement d'avoir
accès aux services. Quand c'est le père de nos enfants, par exemple, que le
père, on n'a rien à lui reprocher dans son rôle avec les enfants, mais que la violence
conjugale fait en sorte que... On a entendu tellement de cas d'espèce, là,
que...
M.
Tanguay : Je comprends, je comprends. Dans le peu de temps
qu'il me reste, il y a deux derniers aspects qu'on n'a pas encore ensemble, là,
vous et la commission, discuté : les moins de 18 ans et les régions
éloignées. Alors, je prends la recommandation 25 : «Que des mesures
de soutien et des incitatifs à la réinsertion scolaire soient prévus pour les
personnes victimes d'actes criminels âgées de moins de 18 ans.»
Je prends cet
exemple-là pour tester un peu jusqu'à quel point vous aviez mis de l'avant une
approche différenciée ou, je dirais, un peu plus complète dans un cas d'une
personne mineure dans un contexte de réinsertion puis de réintégration.
• (17 h 10) •
Mme Lemieux
(Madeleine) : Dans le régime actuel, il y a une espèce d'automatisme
du fameux 35 $ de l'heure et du revenu possible, mais pour favoriser,
d'abord et avant tout, la réadaptation, pour favoriser le retour à la vie
normale, pour favoriser l'accès à... Et on sait que, par exemple, les enfants
qui sont victimes de crime sexuel, ça peut
entraîner de très grands retards dans leur capacité de prendre leur vie en
charge, de prendre leur vie en main. Alors, la barrière du 18 ans,
dans notre esprit, ne devrait pas être vue surtout pour des raisons financières
ou des questions financières, mais vue comme des moyens d'accéder à
l'instruction, d'accéder à un métier, d'accéder à un retour à une vie normale.
C'était ça qui était l'objectif de cette recommandation-là.
M. Tanguay :
Je comprends. Est-ce que vous nous inviteriez à la plus grande prudence, en
agitant peut-être un drapeau jaune ou rouge, quant au très, très large pouvoir
réglementaire? On dit que le diable est dans les détails. Le ministre aurait...
et le ministre actuel ou n'importe quel autre ministre, on s'entend, là, je
veux dire, des ministres, là, ça change... alors que le pouvoir discrétionnaire
réglementaire trop large serait-il un drapeau rouge ou jaune?
Le
Président (M. Bachand) : En quelques secondes, Me Lemieux.
Mme Lemieux
(Madeleine) : Peut-être pas un drapeau dans le sens que les règlements
doivent être prépubliés, les règlements ne feront pas l'objet d'un débat de la
même manière, mais les règlements doivent être prépubliés. Les règlements peuvent faire l'objet d'un débat, ça, c'est
prévu dans la loi sur les règlements. Nous n'avons pas envisagé un
pouvoir réglementaire de cette nature-là, mais c'est comme ça que la Société de
l'assurance automobile fonctionne. C'est dans des règlements et c'est dans des
chartes qu'on détermine les indemnités et les mesures.
Alors, je dirais,
peut-être, un drapeau jaune. Ça veut dire qu'il va falloir les lire
attentivement, qu'ils soient lisibles et qu'ils ne soient pas trop complexes à
appliquer.
M. Tanguay :
Merci, Me Lemieux.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. Je cède la parole à la députée
de Sherbrooke, s'il vous plaît, pour 2 min 45 s.
Mme Labrie :
Merci, M. le Président. Merci, Mme Lemieux. J'aimerais ça vous entendre
sur une suggestion qui a été faite par un précédent intervenant,
M. Gardner, qui nous disait que, de son point de vue, c'était une erreur d'indemniser sur la base du revenu et que, comme
c'était plutôt une mesure de solidarité, ce n'était pas équitable de le faire comme ça et qu'il fallait plutôt, peut-être,
envisager d'avoir un montant fixe peu importe le revenu de la personne
concernée. Donc, j'aimerais ça vous entendre sur cette proposition-là.
Mme Lemieux
(Madeleine) : Alors, M. Gardner fait partie des gens que nous
avons consultés à l'époque, et je ne me souviens pas de nos discussions à ce
sujet-là. Nous avons été, je vous dirais, assez conformistes et assez
traditionalistes en travaillant avec la base de revenu. Le montant fixe, pour
nous, présentait certains risques de surindemniser ou de sous-indemniser, par
opposition à une indemnisation qui est plus liée sur le revenu réel quand on
parle de remplacement de revenu.
Je sais que le
mauvais côté de cette approche-là, c'est de perpétuer des situations de
pauvreté. Et c'est une matière à réflexion importante, parce que si on a peu de
revenus, qu'on est victime, alors on va être indemnisé avec peu de revenus.
C'est ça, l'adéquation qu'on doit faire, et ça revient... ça nous ramène à la
base de ce régime-là qui est un régime de solidarité sociale. Et je pose la
même question que j'ai souvent posée : Jusqu'où va aller cette
solidarité-là? Et à partir de quand on se demande si ça devient une injustice
réglementée ou sinon, au contraire, on a ouvert plus?
C'est des questions
assez profondes, puis je ne me sens pas vraiment capable de dire... trancher
ça, là, noir ou blanc, là.
Mme Labrie :
Je vous remercie.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette,
vous avez la parole.
Mme
Hivon :
Oui, bonjour, Me Lemieux. Merci beaucoup.
Mme Lemieux
(Madeleine) : Bonjour.
Mme
Hivon : Oui, c'est ça, en fait, je pense que le défi, c'est
de trouver l'équilibre, parce qu'en fait, du fait que c'est un régime de solidarité sociale, votre comité a proposé, donc,
de s'éloigner de la réalité des rentes, donc, des paiements en continu
comme on voit dans les autres régimes d'assurance. Mais par ailleurs la base
est la même que celle des autres régimes, c'est-à-dire le salaire, le revenu. Et donc ça crée, effectivement, une
disproportion, notamment pour les personnes qui n'en ont aucun, revenu,
pour toutes sortes de raisons, au moment où le crime se commet. Donc, je pense qu'effectivement
il y a une bonne réflexion à faire par rapport à ça.
Mais, je voulais vous
entendre, parce que, tantôt, vous avez dit, quand vous avez fait vos travaux,
que 97 % des dossiers, si on annulait
les rentes viagères puis qu'on donnait un montant forfaitaire, on viendrait à
avoir le même niveau financier d'indemnisation. Je ne sais pas si je
vous ai bien comprise.
Mme Lemieux
(Madeleine) : Non, ce n'est pas tout à fait ça.
Mme
Hivon :
O.K. C'est beau.
Mme Lemieux
(Madeleine) : C'est l'indemnité de remplacement de revenu. Vous savez,
dans le jargon, là, on va parler de l'incapacité totale temporaire, de
l'incapacité totale permanente et puis de la somme qui vient compenser à long
terme. Quand on s'est penché sur la question de l'indemnité de remplacement de
revenu... et, si je retrouve le numéro de ma
recommandation, je vais pouvoir vous donner la statistique précise à laquelle
je faisais référence. Alors, c'est à la page 62.
Mme
Hivon :
O.K. J'ai votre rapport ici.
Mme Lemieux
(Madeleine) : O.K. L'indemnité de remplacement de revenu, alors, c'est
celle-là que nous avons recommandée qu'elle cesse après trois ans, et
c'est relié à deux choses. C'est relié au fait que... Ah! voilà, j'ai la
statistique, elle est à la page 67. «En ce qui concerne la durée du
versement de l'indemnité de remplacement de revenu, les membres du groupe de
travail recommandent de fixer une limite de trois ans. Le régime proposé
aurait comme objectif de soutenir temporairement la personne victime à surmonter
les difficultés financières immédiates auxquelles elle est confrontée. «L'introduction
d'une telle limite permettrait, tout de même, de répondre aux besoins
financiers temporaires de la presque totalité des victimes puisque 96 %
d'entre elles ont une durée d'incapacité inférieure à trois ans.» Et ça,
c'étaient les statistiques de l'époque.
Mme
Hivon :
Parfait. C'est bon. C'est plus clair. Est-ce qu'il me reste du temps, M. le
Président?
Le
Président (M. Bachand) : Allez-y rapidement, 30 secondes.
Mme
Hivon :
O.K. Il y a des intervenants qui nous ont dit qu'il y avait un monde de
différence entre, évidemment, être victime, par exemple, d'un vol, de voie de
fait, versus d'agression sexuelle, de violence sexuelle ou conjugale et qu'on devrait
prévoir comme un sous-régime spécifique pour les cas de violence sexuelle et
conjugale. Je voulais savoir si c'est quelque chose que vous aviez analysé.
Mme Lemieux
(Madeleine) : Non, on ne l'a pas analysé, mais on a constaté, par les
commentaires des gens que nous avons consultés, qu'il y avait effectivement un
univers de différence.
Mme
Hivon :
O.K. Merci.
Le
Président (M. Bachand) : Sur ce, Me Lemieux, merci
infiniment d'avoir été avec nous cet après-midi. C'est très, très, très apprécié.
Je vous souhaite une
bonne fin de journée et je suspends les travaux pour quelques instants. Merci
beaucoup.
(Suspension de la séance à
17 h 18)
(Reprise à 17 h 24)
Le
Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il
vous plaît! La commission reprend ses travaux. Alors, nous sommes fiers
d'accueillir Mme Arlène Gaudreault, présidente de l'Association québécoise
Plaidoyer-Victimes.
Alors,
Mme Gaudreault, merci d'être avec nous. Comme vous savez, vous avez
10 minutes de présentation. Après, nous aurons un échange avec les membres
de la commission. Et je vous cède immédiatement la parole.
Mme Gaudreault
(Arlène) : J'entends une musique. Est-ce que c'est normal?
Le
Président (M. Bachand) : Je ne suis pas musicien, donc ça ne
vient pas de moi, là. Alors, allez-y, on va tenter de voir, s'il n'y a pas...
Mme
Gaudreault (Arlène) : Attendez un
peu. Je pense qu'il y a un petit problème que je vais régler, peut-être.
Attendez. Ne bougez pas. O.K. Je pense que c'est bon. C'est bon? Alors, très bien.
(Interruption)
Le Président (M.
Bachand) : O.K. On va suspendre juste quelques instants.
(Suspension de la séance à 17 h 25)
(Reprise à 17 h 26)
Le Président (M.
Bachand) : Alors, on y va. Deuxième prise. Mme Gaudreault,
la parole est à vous.
Association québécoise Plaidoyer-Victimes (AQPV)
(Visioconférence)
Mme
Gaudreault (Arlène) : Oui.
Alors, bonsoir, M. le Président. M. le
ministre, membres de la commission
parlementaire, je vous remercie d'abord pour cette invitation, nous permettre
de participer à cette consultation. Je suis
présidente de l'Association québécoise Plaidoyer-Victimes et je suis un membre
fondateur depuis... et je participe aux activités de l'association
depuis 1984.
Plaidoyer-Victimes est un organisme qui milite
pour la défense des droits des victimes. Nous sommes un organisme pionnier au Québec
et nous avons amené de nombreuses initiatives pour favoriser l'accès à la
justice, l'accès au droit, la reconnaissance de leurs besoins dans toutes
sortes d'initiatives. On a participé à toutes les consultations, y compris
celles sur la loi... l'adoption de la Loi sur l'aide aux victimes d'actes
criminels en 1987 et à toutes les consultations qui ont eu lieu depuis sur
l'aide et l'indemnisation.
Alors, le 10 décembre dernier, quand nous
avons... le dépôt de loi a été annoncé, nous avons salué la détermination du ministre
de la Justice. Et on peut dire que c'est une réforme qui était très attendue,
et ce n'était pas la première fois... En fait, le ministre de la Justice est
passé à l'action. Ça faisait plusieurs fois qu'il y avait des promesses en ce
sens.
J'ai suivi les débats hier et aujourd'hui et je
pense qu'il y a un consensus assez clair, au niveau des avancées et des
réponses à des demandes qu'on a formulées depuis plusieurs années, d'enlever
l'annexe, d'allonger la période pour faire une demande, d'élargir la notion de
victime, de considérer la situation des proches. Il y a des mesures qui sont
intéressantes aussi, j'en reparlerai. Je vais commenter, par exemple, toute la
question de l'aide aux victimes hors Québec, la mise en place d'un fonds
d'urgence.
Alors, c'est un... Je ne suis pas la seule à le
dire, on l'a dit, ça fait deux jours qu'on le dit, en fait, c'est un projet de
loi qui est complexe, qui est très dense, qui est difficile à interpréter, qui
va devoir être clarifié, vulgarisé pour les
victimes, pour les intervenants de première ligne qui travaillent auprès des
victimes. Et j'étais contente de voir que même les juristes eux-mêmes
trouvent que c'est un projet qui est quand même complexe, à cause de la
structure, à cause du nombre d'articles, à cause du libellé, à cause de la
portée.
Alors, quand on a reçu ce projet de loi, c'est
sûr qu'on était contents, mais, en même temps, on était un peu, je dirais,
paniqués par les difficultés d'analyser ce projet de loi en une période aussi
brève. On a demandé au ministre, le
4 janvier, de reporter peut-être les consultations. Alors, ce n'est pas le
cas, on est dans l'étude. On prend le train
aussi. On a décidé de ne pas se défiler à nos obligations puis d'être présents
pour faire part de nos interrogations.
Je vais vous amener, je dirais, particulièrement
dans une section de la loi dont on a peu parlé... en fait, on n'a pas parlé beaucoup depuis le début des
consultations, c'est toute la question de l'aide aux victimes et des droits des
victimes, qui sont reconnus dans la section I et II. Alors, on s'attendait du
régime... à une réforme du régime d'indemnisation. Ce qu'on reçoit, c'est une fusion de l'actuelle loi sur l'aide aux
victimes et de la loi sur l'indemnisation. On démantèle, dans ce projet
de loi, la loi sur l'aide qui, auparavant, quand même, avait trois composantes
principales, des énoncés de principe pour les droits des victimes, l'existence
d'un bureau d'aide aux victimes et un fonds d'aide.
Alors, on retrouve le fonds d'aide et le bureau
d'aide aux victimes dans les articles 100 à 105 et on a gardé la portion, je
peux dire, ou la section qui concernait les droits des victimes au tout début.
• (17 h 30) •
Alors, il y avait une logique dans la loi sur
l'aide qu'on ne retrouve plus dans cette loi-là, il y avait un fil conducteur.
Et c'est un peu un amalgame où il n'y a pas toujours... les distinctions ne
sont pas claires. La notion même d'indemnisation n'apparaît plus à nulle part
ni dans le titre, ni dans le libellé des articles, ni dans les droits, et
pourtant, toute la journée, on a parlé de l'indemnisation, et ce dont on parle,
en fait, des articles, en fait, 10 à 97, en substance,
c'est l'indemnisation. C'est un régime dont on doit être fiers.
M. Gardner l'a dit aujourd'hui, c'est un régime qui est unique et qui est beaucoup plus généreux que toutes les provinces au Canada.
Et je pense qu'on ne doit pas avoir peur de parler de l'indemnisation.
Alors, la
section I et II nous donne une définition de victime qui est différente de
celle de l'article 10, parce que c'est une définition de victime en
général, et elle introduit les droits des victimes. Alors, on se serait
attendu... parce que la première phrase de ce projet de loi là, en fait,
c'est «vise à reconnaître les droits des victimes». C'est la première phrase, donc, ça donne le ton à la loi, et on se
serait attendu à une loi qui est assez rigoureuse, qui a été révisée, qui a été actualisée, qui correspond à
l'évolution des législations, et on se retrouve avec un projet de loi...
avec une section qui est très mince, dans le
fond, qui tient en quatre articles. On a ajouté quelques dispositions qui
touchent principalement les droits des victimes dans le système de justice.
C'est des droits qui sont généraux, qui ne sont pas précis. Il y a des droits qui sont absents, il y a des droits qui sont
incomplets. On ne fait pas de distinction entre l'aide, l'indemnisation,
la participation des victimes dans le système de justice. Et, quand on parle
des obligations, on parle des obligations des victimes. On ne parle pas du tout
des obligations des instances, des différentes instances qui ont des
responsabilités à leur endroit.
Alors, pour
l'essentiel, la section II, c'est une section qui fait un réaménagement
qui est assez superficiel, qui ne va pas au
fond des choses et qui ne répond pas à des demandes qu'on a formulées depuis
plusieurs années, à l'effet de réviser la loi sur l'aide de façon
substantielle et à faire en sorte, aussi, qu'on ajoute des recours. Et si vous
lisiez, par exemple, ce qu'on a écrit
en 1993, quand il y a eu la Loi sur l'aide et l'indemnisation, qui
ressemble aussi un peu comme principe...
et ce qu'on demandait, c'est d'ajouter des recours. On n'est pas le seul
groupe, mais beaucoup d'organismes demandaient à ce qu'on ajoute des
recours pour permettre aux victimes de mieux exercer leurs droits.
Et je vous donnerais
deux exemples de la faiblesse des recours actuels. On a une charte
canadienne... parce que l'article 6 touche les victimes qui participent
dans le système de justice, alors donc, c'est très vaste, hein? C'est très...
ça entraîne une certaine confusion. On a adopté une charte canadienne des
droits des victimes en 1995. Cette charte-là
prévoit, pour les provinces, qu'il devra y avoir des mécanismes
précis pour que les victimes, quand leurs droits sont lésés, puissent
porter plainte, qu'on traite ces plaintes-là, et puis qu'il y ait des
correctifs qui soient apportés. Ça fait cinq ans que la loi a été adoptée
et ça n'a eu aucune résonnance sur le terrain. Il n'y a eu aucune discussion
réelle là-dessus, et on n'a pas avancé du tout sur cette question-là, malgré
toutes les demandes qu'on a fournies. Alors, c'est
assez gênant qu'on ne soit pas acquitté de nos obligations en vertu de la
Charte canadienne des droits des victimes.
Si on regarde
l'indemnisation, je pense qu'il y a des... aussi, il y a des recours, mais il y
a des améliorations à apporter aux recours actuels. Les victimes qu'on
rencontre à Plaidoyer-Victimes, ce sont des personnes qui sont en bout de ligne. Alors, ce sont des personnes qui
vont au Tribunal administratif du
Québec, ce sont des personnes qui
ont des problèmes avec la révision. Et qu'est-ce qu'ils nous disent? Bien, ils
ne se sentent pas préparés, ils ne sont pas accompagnés, ils ne sont pas
représentés ou encore ils sont mal représentés par des droits... par des
avocats qui ne connaissent pas bien le droit de l'IVAC, qui n'aiment pas particulièrement
travailler avec ces dossiers-là et ils ne se sentent pas bien représentés. Et
ça, on l'a entendu souvent à Plaidoyer-Victimes.
Donc, tout le
problème d'accompagnement des victimes puis d'avoir un soutien juridique,
d'avoir de l'aide dans la représentation lorsqu'on exerce des recours est
très important, au niveau de l'IVAC aussi. Et ça fait plusieurs années que
notre association demande, par exemple, on l'a demandé en 2006 à la
Commission des services juridiques du Québec,
que les victimes puissent avoir accès à un plus grand nombre d'experts,
d'avocats de l'aide juridique qui sont dédiés
aux victimes, qui connaissent ce type de droit là, qui veulent travailler avec
les victimes et qui nous aident à faire avancer le droit. On a demandé
aussi que la Loi sur l'aide aux victimes d'actes criminels soit révisée en
profondeur. Elle a été adoptée en 1988,
il n'y a rien qui a été fait depuis, les pratiques sur le terrain ont changé,
les lois ont changé. Et d'avoir des recours aussi dans la Charte
canadienne des droits des victimes... C'est gênant. Moi, je suis gênée.
Bientôt, au mois de
février, je vais représenter le Québec avec une autre intervenante, une
directrice de CAVAC. On va aller parler dans
tout... C'est dans l'ensemble du Canada sur le... des recours, et j'aurais aimé
pouvoir dire qu'au Québec
on a une loi qui vient d'être déposée, puis on va travailler sur ces
questions-là, et qu'on va avancer, et ce n'est pas ça qu'on nous propose
dans ce projet-là.
Le
Président (M. Bachand) : Mme Gaudreault, excusez-moi de
vous interrompre. Le 10 minutes est déjà passé. On est rendus à la
période...
Mme Gaudreault
(Arlène) : Eh Seigneur!
Le
Président (M. Bachand) : Ça va vite, la vie, hein? Alors, M. le
ministre.
Mme Gaudreault
(Arlène) : ...je vais juste terminer sur la question de...
Le
Président (M. Bachand) : Très, très rapidement, parce qu'on a
du retard.
Mme Gaudreault
(Arlène) : Oui, sur cette question-là, en fait, nous, ce qu'on... Il y
a eu beaucoup de représentations qui ont été faites dans le comité d'experts,
on pourra revenir là-dessus. Ce qu'on demanderait par rapport à cette
section-là, c'est qu'on la retire...
Le
Président (M. Bachand) : Parfait. O.K. Je vais... Je dois céder
la parole au ministre. Désolé. Le ministre pourra vous laisser du temps sur son
temps.
Mme Gaudreault
(Arlène) : D'accord. Oui, je pourrai répondre.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. M. le ministre.
M. Jolin-Barrette :
Oui. Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Gaudreault. Merci de venir en commission
parlementaire. Merci également pour votre travail puis votre implication auprès
des victimes.
D'entrée de jeu, là, lorsqu'on
parle de la loi sur l'aide, là, dans le fond, on vient la fusionner avec la loi
sur l'indemnisation. Donc, on prend ce qu'il y avait et on vient
l'intégrer ici. Donc, on ne diminue en rien ce qu'il y avait déjà, qui était offert, là, pour les victimes au
niveau de l'aide, puis on voulait avoir un tout qui est cohérent.
Je serais curieux de
vous entendre, parce que je crois que vous avez participé au rapport Lemieux à
l'époque, sur les recommandations du rapport...
Mme Gaudreault
(Arlène) : ...
M. Jolin-Barrette :
...sur votre organisme. Donc, il y avait une série de recommandations, qui sont
dans le rapport Lemieux, qui se retrouvent également dans le projet de loi, là,
qu'on a présenté.
Mme Gaudreault
(Arlène) : Ah! c'est sûr qu'on a évoqué la question de la loi sur
l'aide à ce moment-là puis la question des droits. Là, on est rendus quand même
quelques années plus tard. Il est étonnant de voir qu'on ne soit pas capables
d'aller vers une réforme avec des droits beaucoup plus précis, avec des recours
qui sont existants, avec des obligations qui sont précisées de la part des...
pour, je dirais, préciser le travail puis les responsabilités des différents
acteurs. Alors, on est au même point. En fait, quand on regarde le rapport, le mémoire
qu'on a déposé en 1993, on peut redire exactement
la même chose que ce qu'on dit maintenant. On n'a pas avancé sur ces questions-là.
Et j'ai fait partie
du Comité d'experts sur l'accompagnement pour les victimes d'agressions
sexuelles et de violence conjugale, et c'est une question qui a été abordée
longuement, la question de la reconnaissance des droits des victimes et la question des recours. Et il y a plusieurs
recommandations qui émanent de ce rapport-là à l'effet que, par exemple,
le ministère de la Justice exerce un leadership, qu'on mette en place ces
recours-là, même, qu'on nomme un ombudsman provincial pour les victimes d'actes
criminels.
Je pense que ça
serait important... Tantôt, je n'ai pas eu le temps de terminer, mais notre
position, c'est : il faut retirer cette section-là. Il faut vraiment
travailler sur les droits, il faut tenir compte des recommandations qu'il y a dans le rapport du comité
d'experts. Et tous les partis politiques qui sont présents autour de cette commission-là...
Je vois Mme Labrie, Mme Hivon, qui ont travaillé aussi avec nous. Je
pense que tous les partis politiques ont... ils se sont engagés à faire en
sorte que le travail qu'on a fait pendant 18 mois n'a pas été un travail
vain et qu'on mettrait en place des mesures. Alors, c'est le cas pour les
mesures... c'est le cas pour la question des droits des victimes, c'est le cas pour la question... tout ce qui touche la
Charte canadienne des droits des victimes et la Loi sur l'aide aux
victimes.
Alors, c'est un
travail qui doit être approfondi. C'est un autre chantier qu'il faut mener, et
ça vaut la peine de bien le faire. Il faut avancer sur ces questions-là, il
faut les préciser. Quand on parle, par exemple, d'indemnisation, le droit à
l'assistance, qu'est-ce que ça veut dire? Qu'est-ce que ça veut dire, le droit
d'être entendu? Qu'est-ce que ça veut dire,
que notre dossier soit traité dans des délais raisonnables? C'est tout ça qu'il
faut... Il faut que les droits soient précis, il faut que les victimes
sachent à quoi s'attendre et il faut aussi que les organismes prennent des
engagements. Le meilleur exemple qu'on a, je pense que c'est la charte des
droits des victimes au Royaume-Uni. On pourrait s'inspirer de cette charte-là.
Regardez la charte du Manitoba aussi ou celle de l'Ontario, qui sont beaucoup
plus précises que ce qu'on a, nous, au Québec, actuellement.
• (17 h 40) •
M.
Jolin-Barrette : Je vous entends bien. Sur la question, là, des...
parce que ça fait plusieurs années que vous êtes dans le milieu puis vous avez
cette expertise-là. Sur les demandes historiques, là, pour la réforme de l'IVAC, là, parce que ça fait... ça a été tenté
en 1993, il y avait un projet de loi qui avait été déposé mais, même
avant, il y a plusieurs années... Est-ce qu'on répond à certaines demandes
historiques par rapport au régime d'indemnisation avec le projet de loi qu'on
dépose?
Mme Gaudreault
(Arlène) : Bien sûr. Bien sûr qu'on répond à des demandes. La
question, par exemple, d'allonger la période
à trois ans, d'assouplir le délai de prescription, de prendre en
considération, pour les victimes de violence sexuelle et conjugale... on
reconnaît mieux aussi les proches. Alors, c'est beaucoup plus englobant. Bien
sûr qu'on répond.
Mais, je veux dire,
il reste quand même, quand vous regardez la proposition qui est sur la table,
qu'il y a des problèmes importants qui ont été soulignés. Par exemple, hier et aujourd'hui,
c'est venu à maintes reprises, et c'est sûr que vous allez travailler
là-dessus, la question du salaire qui est retiré, de la base de salaire qui est
retirée pour les victimes sans emploi. Je
pense que ça a été... Tous les organismes qui travaillent auprès des victimes,
qui sont venus devant la commission vous ont dit, Mme Rochon vous
l'a dit aussi à partir de son expérience : On ne peut pas travailler à son
rétablissement si on n'a pas une sécurité de base, si on s'appauvrit, si on n'a
pas ce qu'il faut pour vivre dans le quotidien. Ça fait partie du
rétablissement.
La question du
trois ans aussi, bon, je sais qu'il y a des... bon, il y a d'autres
modalités, mais la question du trois ans
est une question qui est très importante aussi. Mme Hivon, hier, a amené
une avenue qui pourrait être intéressante là-dessus, parce que tout le
monde s'entend qu'il y a des personnes... il y a beaucoup de personnes, et on
n'a pas de portrait juste, je dirais, à
l'IVAC, sur la composition des personnes ou le profil des personnes sans
emploi. On devrait avoir un portrait beaucoup plus détaillé. Et aussi je
pense que ça serait important... je pense que tout le monde reconnaît que les personnes qui ont subi de multiples
victimisations, de la victimisation dans l'enfance, il y a une partie
importante de ces personnes-là qui vont avoir des conséquences à long terme.
Ça, c'est ce qu'on voit sur le terrain puis c'est très bien documenté dans la
littérature aussi.
Alors,
une des voies... je reviens à ce que Mme Hivon proposait hier. Une des
voies qui pourraient être examinées, c'est : est-ce qu'il n'y a
pas, par exemple, un profil de personnes qui pourrait... par exemple,
correspond plus au profil des personnes qui pourraient avoir un service pendant
trois ans, parce qu'à cause de la gravité du crime, à cause des
conséquences du crime... parce qu'ils ont plus de soutien social et qu'on pense
que ces personnes-là vont se rétablir plus rapidement, mais qu'en même temps
qu'on accepte, et qu'on considère, et qu'on soit bienfaisants par rapport à des
personnes qui auront des séquelles à long terme parce qu'elles ont été... elles
ont subi de multiples victimisations puis elles ont été très éprouvées. Alors,
ça peut être une avenue à envisager.
Ce n'est pas simple parce que viennent devant
vous des personnes, des organismes qui travaillent avec certains groupes, qui font des revendications pour les proches.
D'autres, c'est par rapport à d'autres... à des problématiques en
violence sexuelle et conjugale. Alors, c'est difficile aussi de trouver un
équilibre, l'équité, avoir une solidarité pour tout le monde, tenir compte de
la situation et des besoins de toutes les victimes aussi.
M.
Jolin-Barrette : Là-dessus,
Mme Gaudreault, je vous donne tout
à fait raison, c'est un difficile
équilibre à faire. Et aussi ça prend beaucoup
d'argent, et c'est pour ça qu'on a été chercher 200 millions supplémentaires dans le régime,
pour faire en sorte notamment d'abolir la prescription, où est-ce que
ça touche près de 80 % des
demandes, pour faire en sorte que les gens qui se sont fait dire non juste à
cause de l'écoulement de temps puissent être indemnisés aussi.
Donc, c'est
sûr que c'est un difficile équilibre à faire, et ce qu'on tente de faire, c'est
de couvrir, entre autres, le plus de victimes possible. On estime à près
de 4 000 le nombre de personnes victimes qui vont pouvoir obtenir du soutien, de l'aide, des services supplémentaires,
et d'accompagner aussi des personnes victimes qui ont subi l'infraction,
au niveau psychologique, leur vie durant, tant que les besoins sont là. Donc,
là-dessus, je suis d'accord avec vous.
Vous connaissez bien les autres régimes dans les
autres provinces. On est les plus généreux, on rajoute de l'argent. Et l'objectif
du gouvernement du Québec est vraiment de mieux accompagner, mieux répondre aux
besoins, puis surtout d'élargir la notion de victime pour éviter qu'il y ait toujours
des contestations, et que, de base, à l'IVAC, ce soit plus humain et qu'on
accompagne davantage. C'est pour ça qu'on met le programme d'urgence également
et qu'on veut offrir des services dès le départ, dès le moment que la personne
appelle. Mais je suis d'accord avec vous, ce n'est pas simple, tout ça.
Écoutez, je vais vous remercier, je vais céder
la parole à mes collègues pour qu'ils puissent échanger avec vous, mais un
grand merci pour votre présence en commission parlementaire.
Le Président (M.
Bachand) : Merci, M. le ministre. Mme la députée de
Bellechasse, s'il vous plaît.
Mme
Lachance : Merci, M. le Président. Bien, merci, Mme Gaudreault,
d'être présente parmi nous. J'aimerais revenir sur deux points que
vous avez abordés. D'abord, vous avez parlé de la reconnaissance du droit des
victimes, et principalement de la Charte canadienne du droit des victimes, en
disant qu'elle n'avait pas été appliquée, utilisée. Pourquoi, selon vous?
Mme
Gaudreault (Arlène) : Bien,
non, ce que... D'abord, elle est peu connue, hein? Elle est très peu
connue, elle n'a pas attiré beaucoup l'attention aussi. Écoutez, pour un projet
de loi qui était aussi important, il y a eu, dans tout le Canada,
neuf mémoires, et, pour le Québec, nous étions le seul organisme qui avons
fait des représentations lors des consultations devant le Comité permanent de
la justice et des droits de la personne.
À Plaidoyer-Victimes, notre organisme, on donne
des sessions de formation aux intervenants pour leur faire connaître la charte, pour aussi alimenter une
réflexion sur la question des droits des victimes. Et on se rend compte
aussi que beaucoup, la plupart des intervenants, en fait, n'avaient pas entendu
parler de la charte, n'avaient pas été formés,
d'autres n'avaient jamais lu le projet. En fait, il y a un énorme travail et...
bien, c'est sûr que, si les intervenants eux-mêmes ne connaissent pas beaucoup cet outil-là... mais bien comprendre
que les victimes elles-mêmes ne la connaissent pas.
Écoutez, on
parle beaucoup des services aux victimes. C'est quelque chose qui est très
important, mais je pense qu'on a un peu relégué dans l'ombre la question
des droits des victimes. On prend pour acquis que les victimes ont des droits qui sont reconnus, mais on se rend
compte qu'il y a énormément encore de travail à faire pour renforcer les
droits, pour que, quand les victimes estiment que leurs droits sont lésés,
elles puissent s'adresser à quelque part. Et ça veut dire avoir des mécanismes,
des choses aussi simples qu'avoir un mécanisme, des formulaires pour traiter
les plaintes, quelqu'un qui les traite, quelqu'un qui donne suite aux plaintes.
Mais plus que ça aussi, il faut analyser les
enjeux, les problèmes que rencontrent les victimes d'une façon, je dirais,
systémique, les problèmes les plus importants et il faut être responsable, il faut
en répondre.
Mme Lachance : Merci. Mais peut-être
aussi... parce que, là, je sais qu'il y a des collègues qui veulent aussi
prendre la parole. M. le Président, il me reste suffisamment...
Le Président (M.
Bachand) : 4 min 30 s.
Mme Lachance : Excellent. Merci, M.
le Président. Au-delà de la question, vous avez aussi mentionné le délai de
trois ans, l'importance d'un délai de trois ans. Pourquoi
trois ans, pourquoi pas deux, ou quatre, ou cinq?
Mme Gaudreault (Arlène) : Écoutez,
je n'ai pas de réponse à vous donner là-dessus. Je pense que dans...
Idéalement, je pense qu'il faudrait offrir... Il faudrait être très souple, il
faut être très souple par rapport à... je pense à...
parce que les problématiques sont complexes, parce qu'aussi on est avec des
personnes qui peuvent avoir des aggravations aussi par rapport à leur
situation, qui vont être bien pendant une certaine période donnée. Il va
arriver, par exemple, des procédures judiciaires, il va arriver des événements
dans leur vie. C'est...
Il y a une question de coût aussi dans le
régime, parce qu'on est préoccupés par les questions de coût. Il y a une question de coût dans le régime, dans le sens
qu'il faut l'ouvrir le plus possible, mais il faut l'ouvrir aussi aux
personnes qui sont plus vulnérables,
peut-être, et qui en ont le plus besoin. On élargit. Par exemple, la question
des... Je voudrais parler de la
question des victimes hors Québec. C'est intéressant, mais vous allez avoir des
chiffres. Je ne sais pas comment on a évalué le nombre de victimes qui
vont venir dans le système, parce qu'il y a beaucoup de monde qui voyage,
beaucoup de personnes qui voyagent actuellement. Alors, qu'est-ce que ça
représente?
Qu'est-ce que
ça représente aussi, 4 000 personnes de plus dans le régime
d'indemnisation? On a entendu M. Rodrigue aujourd'hui, il nous
dit : Bon, tout va être en place, on a travaillé avec le gouvernement.
Mais, vous savez, quand on voit que
l'Ontario, qui est une province... on ne peut pas dire que c'est une province
pauvre, mais l'Ontario a coupé complètement son régime d'indemnisation
au cours des derniers mois. Et tout ce qu'il y a en Ontario actuellement, c'est
un fonds d'urgence. Regardez, on regarde les chiffres ailleurs, aussi, dans
d'autres provinces. Alors, on se dit : C'est des régimes qui peuvent être
coupés aussi, s'il n'y a pas de contrôle sur les dépenses, s'ils ne sont pas
bien réglés.
Alors, on peut admettre plus de victimes, mais,
si on fait du saupoudrage, ils sont réduits, les services. Ça, ça nous inquiète
beaucoup parce que les chiffres, on ne les a pas vus. Tout comme on ne sait pas
comment elle va être exercée, cette loi-là, parce qu'il y a tellement de
pouvoirs discrétionnaires puis le pouvoir réglementaire est tellement
important... bon, c'est sûr qu'on pourra regarder la réglementation, mais...
• (17 h 50) •
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup.
Mme Gaudreault (Arlène) : ...j'ai le
droit d'avoir tort aussi.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup, Mme Gaudreault. Il reste
tellement peu de temps. M. le député de Saint-Jean, 1 min 49 s,
question, réponse.
M. Lemieux : Oui. Merci beaucoup, M.
le Président. Mme Gaudreault, je ne suis pas sûr d'avoir bien saisi votre
réponse plus tôt, quand il a été question du rapport Lemieux. Étiez-vous
d'emblée favorable à la philosophie et à la vision du rapport Lemieux à
l'époque, même si on n'en a jamais rien fait depuis, là?
Mme Gaudreault (Arlène) : Bien,
nous, on est favorables à une philosophie où la réadaptation ou on va appeler
ça la... bon, des fois, on va dire le processus de rétablissement. C'est au
coeur de la réforme Et c'est ça, le message qu'on devrait donner.
Et la loi, actuellement, la façon dont elle est
rédigée, par exemple, on parle toujours des aides financières. Alors, ça donne
le sentiment que c'est une loi pour aider financièrement. Et les personnes qui
travaillent dans le régime vont vous
dire : Nous, là, il faut même déconstruire cette image-là avec la clientèle
qui pense qu'ils vont venir chercher
de l'argent. Non, on donne des services pour se rétablir. Et
regardez les notes introductives, il
y a deux pages et, sur les deux pages, il y a une page
d'énumération d'aides financières. Alors, c'est un drôle de message qu'on
donne.
M. Lemieux : Oui, mais dans le
titre, ça le dit bien. Ça, moi, ça me réjouit aussi et les explications du ministre
tout à l'heure. Merci, Mme Gaudreault. Merci, M. le Président.
Le Président (M.
Bachand) : Merci. Avant d'aller plus loin, on avait pris un
petit peu de retard, j'aurais besoin d'un consentement virtuel pour ajouter
cinq minutes à la consultation, à la séance. Consentement. Merci beaucoup.
M. le député de LaFontaine, vous avez la parole.
M. Tanguay : Merci beaucoup, M.
le Président. Alors, merci, Mme Gaudreault, de prendre le temps de venir
discuter avec nous, basée sur votre expertise, votre expérience.
Savez-vous quoi, Mme Gaudreault? Vous
m'avez fait réaliser une chose que je n'avais pas encore réalisée jusqu'à maintenant.
Il y a, dans le choix des mots du projet
de loi n° 84, des mots «aide»...
Le projet de loi a pour titre... a comme
deux volets : aider les personnes victimes et favoriser leur
rétablissement.
Au niveau de l'aide, puis j'ai fait une
recherche dans le projet de loi sur l'expression «indemnisation», «indemnité»,
ce que vous me faites réaliser, Mme Gaudreault, ce qu'«aide», tel que...
Désormais, si d'aventure, le projet de loi était adopté tel que conçu, versus
«indemnisation», «aide», selon moi, et la manière dont je vois ça... On parlait
du trois ans, on parlait du... vous n'avez pas de salaire, vous n'avez pas
d'indemnité. C'est comme si l'aide était beaucoup plus ségrégée, beaucoup plus
limitée, beaucoup plus ponctuelle puis c'était comme : Bien, on va vous
donner de façon ponctuelle. Oui, il y a tout l'aspect — là,
j'en suis sur l'aide financière — il y a tout l'aspect de soutien et tout
ça, là... J'en suis sur l'aide financière versus l'indemnisation.
Quand on est dans une philosophie d'aide
ponctuelle financière versus indemnisation qui, nécessairement, entraîne une
analyse beaucoup plus à long terme et une analyse beaucoup plus in concreto de
votre situation qui... après trois ans,
10 ans, 20 ans, pour le reste de vos jours, vous avez besoin d'une
indemnisation, je pense qu'il y a là... ce n'est pas anodin, et on a là
la véritable philosophie du projet de loi n° 84.
Mme
Gaudreault (Arlène) : Oui, et je pense qu'il faut vraiment mettre
l'accent là-dessus. C'est le message qu'on
va donner, c'est qu'on va mettre autour de vous, autour de la personne, tout ce
dont vous avez besoin le plus possible pour vous rétablir. Et on n'est
plus en 1970, on est 50 ans plus tard.
Alors, quand cette
loi-là a été adoptée, il n'y avait presque rien : quatre,
cinq maisons d'hébergement, deux, trois CALACS.
On est rendu beaucoup plus loin, il y a une expertise au Québec,
on l'a vue aussi. Alors, il faut qu'il y ait une complémentarité entre
les organismes de première ligne qui travaillent sur le terrain, dans les
CALACS, les CAVAC, etc., et le régime d'indemnisation, qui est très spécifique
et qui donne des services qu'on n'a pas dans les services courants.
Et,
quand on parle de l'aide, on parle beaucoup des psychologues, mais, écoutez, il
y a autre chose que ça qu'on peut
faire aussi pour aider les personnes : travailler avec les programmes... Emploi-Québec, travailler avec les organismes existants, par exemple, les CALACS, qui ont développé des programmes,
faire des ententes de services, les accréditer, les reconnaître. Il faut
sortir aussi de la vision où, par exemple, le BAVAC ne... Son rôle, c'est de
subventionner et de soutenir les centres d'aide. Il doit soutenir aussi tous
les organismes, soutenir les organismes ou les programmes qui peuvent offrir
des services aux victimes.
Alors, c'est ça aussi
qu'il faut repenser. C'est pour ça... la section I et II,
elle doit être retirée. Et on doit faire un travail autour de l'aide, profiter
aussi, je dirais, de tout ce qui ressort des rapports — il va y avoir le rapport Laurent, la commission aussi sur l'exploitation
sexuelle — et
reprendre ce travail-là, réexaminer la question des droits, la question des recours, et ça, vous pouvez le faire. Et ce que
vous pouvez faire aussi, c'est... Tout le monde vous a dit : On n'a
pas le temps. On n'a pas le temps pour examiner, pour faire une étude
approfondie. On se sent tellement pressés,
je le vois même, moi, quand je parle, on veut tout vous dire puis, bon,
finalement, on ne sait pas comment ça sort.
Et, en même temps,
vous allez avoir ce problème-là, vous aussi, quand vous allez examiner le
projet de loi parce qu'il est complexe. C'est vous qui l'avez maintenant, le
problème. Mais ce que vous pouvez faire, par exemple, c'est que, par rapport à
des questions qui sont difficiles, comme les questions concernant le
sans-emploi, les questions concernant le trois ans, la définition des
victimes, ce que vous pouvez faire, c'est que, quand les questions... vous pouvez prendre votre temps
aussi. Puis ça se fait aussi, dire : On va sur des choses qui font un
consensus, on travaille là-dessus, et il y a
des choses que c'est trop compliqué, on n'a pas toute l'analyse, on a besoin...
et on le reporte. Ça se modifie, des lois. Donc, on n'est pas obligés de
tout faire en une fois ce qu'on n'a pas fait pendant 40 ans.
M. Tanguay :
Tout à fait, tout à fait.
Mme Gaudreault
(Arlène) : Et, à ce moment-là, vous pourriez déposer d'autres
modifications à l'automne, nous donner le temps d'être consultés comme il faut,
nous donner le temps d'approfondir, vous donner le temps aussi de regarder
d'autres régimes. Et ça, ça serait sage. Et, si on modifie la Loi sur le
système correctionnel canadien, là, presque à chaque année, je ne vois pas
pourquoi on ne modifierait pas la Loi sur l'aide aux victimes et pourquoi on ne
modifierait pas non plus la loi sur l'indemnisation, s'il le faut, à deux puis
trois reprises pour la bonifier puis en faire un bon régime. Et c'est ça
que le ministre nous a dit hier, quand il nous a parlé hier matin.
M. Tanguay :
Et ça, Mme Gaudreault, c'est une préoccupation quasi unanime de celles et
ceux qu'on a entendus jusqu'à maintenant, autrement dit, que ça va vite, vite,
vite, et la précipitation est mauvaise conseillère, que la loi que l'on
ouvrirait, semble-t-il, bien, bien vite durant cette session parlementaire, on
la refermerait dans un délai très court... et qui est majeur, majeur, majeur.
Alors, là-dessus, ça, soyez-en assurée, c'est notre quotidien depuis le
1er octobre 2018, de travailler vite, vite, vite. Mais est-ce qu'on fait
de la bonne législation? Ça, c'est préoccupant. Je referme la parenthèse.
Puis, pour ma
gouverne, quand vous dites section I, section II, vous faites
référence à quels articles de la loi?
Mme Gaudreault
(Arlène) : Ça réfère, attendez un peu... devant moi. En fait, c'est
l'article 1 jusqu'à... Ah! écoutez, ce n'est pas beaucoup, là.
L'article 1 à l'article 9, en fait. Alors, on essaie, je dirais, de
compresser la notion. On a compressé, en fait, la notion d'aide et de droits en
quelques articles. Alors, ce n'est pas... et c'est une section qui ne fait pas
de lien et de sens avec le reste. Elle n'a pas attiré l'attention non plus.
C'est comme si on lit ça puis on dit :
O.K., c'est bon, mais... alors que c'est quelque chose d'important parce que
c'est toute la vision qu'on a de l'aide aux victimes, comment on doit la
donner.
Et il y a eu des
questions très pertinentes aujourd'hui et hier là-dessus : Qui va donner
les services? Est-ce qu'on va être capables de les donner rapidement? Ce n'est
pas une réponse qui est aussi simple que ça, parce que, par exemple, en région,
les services sont très différents. Puis c'est vrai que trouver un psychologue,
ce n'est pas facile, pas juste à cause des tarifs, mais aussi la formation. On
peut se réjouir qu'il y a un élargissement au niveau des professionnels et
qu'il y ait d'autres professionnels que les psychologues qui vont intervenir,
mais il faut avoir une vision plus large de ce qu'est aide et l'indemnisation,
une discussion.
• (18 heures) •
M. Tanguay :
Et ce à quoi vous faisiez référence aussi, quand on arrive avec un pavé de
190 articles, vous faisiez référence à la complexité, la densité... est
difficile à vulgariser. Alors, ça va être un nouveau corpus législatif, une
nouvelle loi costaude, complexe qui devra vivre sur le terrain, puis, veux veux
pas, il y aura des interprétations différentes, puis ça, bien, ce sont les
victimes qui demandent à être indemnisées qui devront faire avancer le droit.
Et ça, ça risque de prendre, pour ravoir un
rééquilibrage, là, une interprétation juste et raisonnable ou large et
libérale, comme il se doit, bien... ça va
prendre des années et probablement sur le dos de plusieurs victimes en termes de temps, de délai, d'anxiété et de coût, là. Alors...
Mme Gaudreault (Arlène) :
...
M. Tanguay : Tout à fait.
Vous avez parlé... Vous avez fait un pas par rapport à l'aide juridique. Donc, seriez-vous d'avis que nous devrions nous assurer,
via l'aide juridique, que de telles demandes, de tels cheminements, en
vertu de la loi, soient couverts par l'aide juridique plus largement?
Mme Gaudreault (Arlène) : Oui,
absolument. Et il y a des propositions intéressantes aussi dans le rapport du comité d'experts, à l'effet qu'il y ait des
avocats d'aide juridique, par exemple, là, qu'ils soient dans les
organismes... travailler avec les intervenants psychosociaux, qu'il y ait des
cliniques itinérantes. Alors, ce sont vraiment des aspects qu'il faut examiner aussi, et c'est une façon de renforcer les
droits, c'est une façon de mieux les accompagner. En 2021, on ne devrait pas se retrouver avec des victimes qui
se rendent toutes seules au tribunal, qui ne sont pas représentées, qui
ne savent pas comment ça va se passer. Il y
a des initiatives, comme le Jeune Barreau de Montréal, qui sont
intéressantes. Ça devrait se faire à l'échelle du Québec.
On travaille actuellement, à Plaidoyer-Victimes,
à un guide d'accompagnement pour les victimes qui vont au TAQ. Il faut aider
les victimes aussi au moment de la révision, parce que, trop souvent, les
victimes ont de l'aide pour remplir le formulaire, mais après ça, dans le
cheminement, il faudrait avoir des partenariats aussi entre les agents de
l'IVAC, ceux qui sont responsables du dossier et ceux qui travaillent dans la
communauté, dans les organismes de première ligne, pour qu'il y ait un
accompagnement, une collaboration.
Et on a avantage, je pense, à faire connaître
plus le travail de l'IVAC, de faire comprendre quels sont leurs programmes, les
limites de leurs programmes. Et je pense qu'on devrait avoir d'autres choses
que le rapport annuel, parce que le rapport annuel nous présente toujours les
mêmes données. Il y a toute une expertise au niveau de l'IVAC. Il y a une
réflexion qu'ils devraient nous livrer aussi, dont on devrait profiter. Il
faudrait mieux comprendre qu'est-ce qu'ils font exactement et... pour être
capables de le traduire avec les victimes avec lesquelles on travaille. Et la
formation est importante. Il y a du roulement à l'IVAC. Il y a du roulement à
la direction aussi à l'IVAC au cours des dernières années.
M. Tanguay : Bon, il y a
beaucoup de choses à faire, hein, beaucoup de choses à faire qui vont
au-delà...
Mme Gaudreault (Arlène) : C'est pour
ça qu'on est là.
M. Tanguay : ...oui, oui, qui
vont au-delà d'une loi.
Dernière question, dernière question. Vous avez,
et j'aimerais vous entendre pour les quelque 30 secondes qui restent...
ombudsman, victimes d'actes criminels, donc ce serait quelque chose à mettre
sur pied?
Mme Gaudreault (Arlène) : Bien, il y
a un ombudsman fédéral...
Le Président (M.
Bachand) : Très rapidement, Mme Gaudreault, s'il vous plaît.
Mme Gaudreault (Arlène) : Oui. Il y
a un ombudsman...
M. Tanguay : Fédéral?
Mme Gaudreault (Arlène) :
...fédéral, mais il n'y en a pas au plan provincial. Et je pense que le Québec,
vraiment, là, serait un chef de file, s'il y avait un ombudsman provincial pour
les victimes. Je pense que ça serait un grand pas en avant et je vous invite à
lire le chapitre 13 de notre rapport.
M. Tanguay : Merci beaucoup,
Mme Gaudreault.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. Je cède la parole à la députée de
Sherbrooke pour 2 min 45 s et je rappelle, on est fin de
rencontre, question et réponse. Mme la députée de Sherbrooke, s'il vous
plaît.
Mme Labrie : Merci, M. le
Président. Merci, Mme Gaudreault. Donc, ce que j'entends de votre part,
c'est qu'il y a des éléments du projet de loi qui sont suffisamment
problématiques ou des choses qui sont absentes, au point où on ne parviendrait pas à corriger le problème simplement en
faisant des amendements. Vous nous recommandez vraiment peut-être de
scinder des bouts de... en fait, sur certains éléments puis d'attendre même
l'automne, après le dépôt du rapport Laurent. Vous me corrigerez si je me
trompe.
Sur quoi on devrait se concentrer? Qu'est-ce qui
doit être fait à très court terme? Qu'est-ce qu'on doit faire maintenant?
Mme Gaudreault (Arlène) : Bien,
peut-être sur les choses qui font consensus. Il y a quand même beaucoup de
choses qui font consensus dans la loi et ont été énumérées. Je pense que,
là-dessus, ce serait déjà quelque chose d'important. Et sur les éléments qui
sont problématiques, et sur lesquels il y a eu beaucoup d'interventions, puis qui
touchent, par exemple, des questions
financières, qui touchent l'accès aux services, ça vaut la peine de prendre le
temps de bien faire les choses.
C'est ce qu'on a demandé
dès le départ. Il faut prendre le temps de bien faire les choses. Il faut prendre
le temps de réfléchir, de regarder qu'est-ce qu'on a vu, par exemple, dans le
rapport, sur la continuité des services, la question du référencement, des
questions de... aussi, comment éviter le travail en silo, de telle sorte... On
a beaucoup travaillé sur l'accompagnement dans notre rapport. Il faut que cette
notion d'accompagnement, elle soit présente partout, dans le régime
d'indemnisation, dans l'aide, dans le système de justice.
Alors, je pense qu'il n'y a personne qui va
être... Je ne pense pas qu'on va vous faire des reproches, si vous disiez, par
exemple, certaines modifications, on va prendre le temps de le faire, puis on
va les reporter, puis cet automne ou, je ne
sais pas, un peu plus tard, on va revenir avec des propositions, on va prendre le
temps de vous consulter. Et nous, ça va être rassurant, puis on va se
sentir beaucoup plus confortables aussi d'avoir le temps de regarder la loi.
Puis peut-être que vous allez nous soumettre aussi des dispositions qui sont
plus faciles à comprendre aussi pour des non-juristes, et qu'on va pouvoir
aussi examiner plus attentivement.
Alors, je pense que ça, c'est peut-être une
avenue de compromis puis c'est peut-être la meilleure avenue. Mais je ne dirais
pas, à ce moment-ci, de retirer le projet, je ne serais pas de cet avis-là. Je
pense qu'il y a des choses qui font vraiment un consensus, qui sont
intéressantes, qui sont des avancées, mais il faut regarder les problèmes qu'elles
posent aussi.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup. Mme la
députée de Joliette,
pour 2 min 45 s, question, réponse.
Mme
Hivon : Oui, merci
beaucoup. Toujours très intéressant de vous entendre. Et vraiment merci, parce
que vous amenez... vous mettez le doigt sur un enjeu qui, moi, me dérangeait un
peu, puis évidemment personne n'en a parlé jusqu'à vous, c'est le fait que
l'aide et toute la question de l'aide et de l'ancienne loi sur l'aide, et ce
qu'on dit... Et là, en fait, ce que vous nous dites, si je décortique bien,
c'est que, sur l'indemnisation, ce dont on parle presque exclusivement depuis
hier... il y a des changements, il y a des choses qui font consensus, mais, dans
le fond, on a fait une réforme de l'indemnisation, mais très peu de l'aide.
Mais on est allé greffer l'aide avec l'indemnisation puis là on parle généralement
d'aide, sauf que, dans les faits, on parle de soutien financier puis
d'indemnisation.
Donc, si je vous lis correctement, vous nous
dites : Attention. Moi, je dirais même : Attention, parce qu'en plus,
depuis le dépôt du projet, on a déposé le rapport du comité d'experts qui a des
avancées extraordinaires. Là, si on vient réformer l'aide alors que, d'abord et
avant tout, c'est un projet qui est là pour réformer l'indemnisation, on passe
la chance d'aller beaucoup plus en profondeur sur les questions d'aide. Les
recours, vous avez complètement raison, ils ne sont pas du tout explicités,
itou.
Mais je veux
vous amener... Moi, plus j'entends depuis hier, plus je me dis : Est-ce
qu'on ne devrait pas — il
y a un ou deux groupes qui ont amené ça — avoir
comme un régime en soi pour les victimes de violence sexuelle et
conjugale? Parce qu'autant pour la durée des problèmes sur l'aide, est-ce qu'on
devrait réfléchir à ça, d'avoir comme un régime dans le régime? Là, je vous
lance ça. Moi, avant-hier, je n'avais pas réfléchi à ça, mais plus j'entends
des choses et plus je me dis : Est-ce que doit réfléchir à cette
option-là?
Le Président (M.
Bachand) : En une minute, Mme Gaudreault, s'il vous plaît.
Mme Gaudreault (Arlène) : Bien, je
pense que ça m'apparaît difficile aussi... à premier abord, je pense que ça
m'apparaît difficile. Je ne connais pas de systèmes, non plus, de régime
ailleurs qui ont cette façon de faire là. Ça mériterait une réflexion, mais je
n'aurais pas tendance à aller dans ce sens-là. Il faut qu'il y ait des programmes
adaptés. Ça, c'est différent, et il faut avoir un régime peut-être plus large,
qui est équitable pour tous, qui tente le plus possible de prendre en
considération les besoins de tout le monde. Puis il y a quand même...
Mme
Hivon : Oui, oui.
Parfait. Puis dites-moi, pour tout ce qui est, justement, l'aide psychologique,
la réintégration, le soutien pour des recours, vous, je comprends que le
modèle... Parce que nous, si on prend du temps puis on dit justement : On va exclure ça, si on suivait votre
recommandation, on devrait s'inspirer de la Grande-Bretagne...
Le Président (M.
Bachand) : Mme Hivon... Mme la députée, vous devez
malheureusement terminer, je suis désolé, parce qu'on arrive à la fin de la
rencontre. Mais je veux prendre le temps qu'il reste pour remercier
Mme Gaudreault d'avoir participé à la commission. C'est très, très, très
apprécié.
Sur ce, la commission ajourne ses travaux au
mercredi 20 janvier, 10 h 20, où elle va poursuivre son mandat.
Merci à tout le monde. Au revoir.
(Fin de la séance à 18 h 09)