(Douze heures une minute)
Le Président (M.
Bachand) : Alors, à l'ordre, s'il vous
plaît! Merci beaucoup. Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la
Commission des institutions ouverte. Je vous souhaite la bienvenue, et, comme
vous savez, éteignez votre sonnerie d'appareils électroniques.
La commission est réunie afin de procéder aux
consultations particulières et auditions publiques du projet de loi n° 39, Loi établissant un nouveau mode de scrutin.
Avant de
débuter, M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?
Le
Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme Lachance
(Bellechasse) est remplacée par M. Jacques (Mégantic); M. Martel
(Nicolet-Bécancour) est remplacé par M. Poulin (Beauce-Sud);
M. Fontecilla (Laurier-Dorion) est remplacé par M. Nadeau-Dubois
(Gouin).
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. J'aurais besoin du consentement des membres de la
commission pour que la députée de Marie-Victorin puisse assister à la séance.
Consentement? Merci.
Je vous rappelle qu'on a du retard, donc le temps
va être coupé, mais le côté gouvernemental a accepté de réduire davantage son
temps pour le répartir au niveau des trois partis d'opposition. Donc, on fait
les calculs, mais il faut absolument finir à 1'heure, parce que plusieurs
d'entre vous ont des engagements très, très précis et importants.
Auditions (suite)
Alors, sur
ce, aujourd'hui, nous allons entendre Solution étudiante nationale, mais on
débute, ce matin, avec M. Cliche.
Alors,
M. Cliche, la parole est à vous pour 10 minutes, après ça on aura une
période d'échange avec les membres de la commission. Bienvenue.
M. Paul Cliche
M. Cliche
(Paul) : Bonjour, Mme la ministre, M. le Président, les
autres membres de la commission. Je vous remercie de m'avoir invité, car la
réforme du mode de scrutin est une des principales questions qui m'a intéressé et
tenu occupé toute ma vie active, et aussi bien comme journaliste, notamment à
l'Assemblée nationale, que comme militant. En effet, lorsque, étudiant en
sciences politiques à l'Université Laval en 1958, j'ai choisi comme sujet de
mon mémoire de maîtrise l'analyse des résultats des neuf dernières élections
québécoises, j'étais loin de me douter que j'aborderais une question qui me
passionnerait encore 60 ans plus tard.
J'ai vite réalisé que le scrutin majoritaire et
uninominal à un tour, issu des corporations du Moyen Âge, dont l'Angleterre a
doté sa colonie canadienne en 1791, agit comme un miroir déformant de la
volonté populaire, favorisant outrageusement les partis dominants aux dépens
des tiers partis et empêchant surtout une majorité de votes de compter dans le
choix des députés. J'ai aussi constaté que le Québec se classait en queue de
liste des démocraties occidentales sous cet aspect. J'en ai conclu que seul un
scrutin à finalité proportionnelle, comme 85 % des États industrialisés
s'en sont dotés, pourrait combler ce déficit démocratique en assurant la juste
représentation de la volonté populaire.
Depuis
le début des années 70, le Québec a vécu trois processus infructueux visant à
modifier en profondeur le mode de scrutin,
une véritable saga : le premier sous le gouvernement de Robert Bourassa,
le second sous celui de René Lévesque et le troisième sous celui de Jean
Charest. Les processus devant mener à une réforme du mode de scrutin se sont
déroulés chaque fois à grand renfort de comités d'études par des experts, en
1972, de commissions consultatives qui ont fait le tour du Québec pour
consulter la population, comme en 1983, d'états généraux sur la réforme des
institutions démocratiques en 2002‑2003, de commissions parlementaires qui ont
reçu des centaines et même des milliers de mémoires comme en 2006, d'un livre vert en 1978, d'un avant-projet de
loi en 2004 et même, en 1984, d'un projet de loi, sur le point d'être déposé à l'Assemblée nationale mais bloqué in
extremis par le caucus péquiste, au grand dam du premier ministre Lévesque. Il
s'agit sans contredit du dossier le plus documenté de l'administration
québécoise.
Nous vivons
présentement la quatrième étape de cette saga qui s'éternise depuis le début 1970. En septembre 2019, un gouvernement a, pour la première fois, c'est à souligner, présenté un projet de loi suite à une entente historique survenue en mai 2018 entre les partis d'opposition. Le dépôt de cette pièce législative n'était cependant
pas le seul engagement contenu dans l'entente. Un des attendus du
document précisait en effet que le nouveau mode de scrutin devait entrer en vigueur
pour les élections de la 43e législature, c'est-à-dire celles prévues
pour octobre 2022. Le chef de la CAQ
a déclaré, pendant la campagne
électorale, que l'élection de 2018
serait la dernière tenue selon le mode de scrutin actuel, et il l'a répété à plusieurs reprises une fois devenu premier
ministre. Ainsi, en mai 2019, il a
affirmé que le DGEQ pourrait organiser un scrutin proportionnel pour 2022 si
son gouvernement présentait un projet de loi avant le 1er
octobre, ce qui a été fait le 25 septembre. Cela laisserait 33 mois jusqu'en
juin 2022.
Mais, soudainement, le printemps dernier, des
«spin doctors» surgis des officines gouvernementales ont susurré à l'oreille des journalistes que
le seul engagement pris par la CAQ était de déposer un projet de loi. Comme ça se produit
fréquemment en politique — je l'ai vécu comme correspondant
parlementaire — ces
conseillers en communications, passés
maîtres dans l'art de manipuler l'opinion publique, avaient vraisemblablement
comme mandat de faire accepter par la population le changement de cap que le
premier ministre s'apprêtait à effectuer, le nouveau mode de scrutin ne serait
pas en vigueur pour les élections de 2022. Je me demande bien pourquoi un
gouvernement qui se targue de respecter tous ses engagements fait exception sur
un sujet aussi vital pour notre démocratie que la réforme du mode de scrutin.
Une
volte-face semblable s'est produite dans le cas du référendum. Encore là,
l'entente de 2018 était claire, durant la campagne électorale, M. Legault
avait écarté l'idée d'un référendum. Le 26 février dernier, Mme la ministre,
vous avez aussi affirmé qu'il n'y aurait pas de référendum et vous avez
dit : «...nous ne croyons pas, à ce stade-ci, que le référendum est la
façon de consulter la population.» Mais le 4 juin, lors d'un caucus de votre
parti où plusieurs députés ont manifesté leur opposition, tout a basculé.
Pourtant, encore à la mi-mai, le premier ministre avait réitéré son intention
de ne pas tenir de référendum, mais, suite à la tenue du caucus, il a commencé
à tergiverser jusqu'à ce qu'il fasse l'annonce finale lors du dépôt du projet
de loi à la fin de septembre.
Dans l'histoire du Québec, on n'a pourtant pas
senti la nécessité de tenir de référendum lors de la nationalisation de
l'hydroélectricité ni lors de l'adoption de la charte française ainsi que la
Charte des droits et libertés, non plus que pour déconfessionnaliser les
écoles, non plus que pour implanter l'assistance médicale à mourir et,
dernièrement, non plus pour l'adoption de la Loi sur la laïcité de l'État. Dans
le cas du dossier de la réforme du mode de scrutin, sept consultations
parlementaires ou paragouvernementales ont transmis le même message de
changement depuis 1970. De tous ces processus, il est résulté six rapports
officiels, incluant celui de 2007 du Directeur général des élections, tous
concluent à la nécessité de remplacer le mode de scrutin actuel. Que veut-on de
plus?
Dans ce contexte, tenir un référendum ne répondrait pas à une volonté
démocratique. Il s'agirait, au contraire, d'une tactique dilatoire pour
mettre des bâtons dans les roues d'une réforme visant à refléter fidèlement la
volonté populaire à l'Assemblée nationale. À
noter que rares sont les pays qui ont tenu des référendums pour changer leur
mode de scrutin. D'ailleurs, on ne peut demander aux électeurs de se prononcer
dans l'abstrait sur un mode de scrutin qu'ils n'ont jamais essayé. Pour avoir
un vote éclairé, il faudrait, comme en Nouvelle-Zélande, tenir un référendum
de confirmation après quelques élections avec le nouveau mode de scrutin. Les électeurs pourraient alors choisir en toute connaissance de cause.
• (12 h 10) •
De surcroît, le gouvernement veut tenir le référendum en même temps que les prochaines élections générales. Un tel geste équivaudrait à noyer la réforme dans le débat
électoral. Cette manoeuvre risquerait aussi de détourner les élections de leur objectif
fondamental, qui est de porter un jugement sur le bilan du gouvernement. Une campagne où plusieurs enjeux se chevauchent ne serait certes pas une consultation du genre, d'autant plus que les règles référendaires proposées par le gouvernement, le 5 décembre dernier, favorisent le statu quo et risquent de créer un
embrouillamini. Mais, si le gouvernement tient mordicus à tenir un référendum,
qu'il le fasse avant les élections, dans l'année qui suivra l'adoption du
projet de loi.
Le projet de loi n° 39 réduit les distorsions produites par le mode de
scrutin actuel, mais de façon insuffisante. C'est ce qu'établit une évaluation
faite en fonction du critère développé pour mesurer le degré de
disproportionnalité de tous les modes de scrutin existants, soit l'indice mis
au point par le politicologue Michael Gallagher.
Avec le mode de scrutin actuel, le majoritaire
uninominal à un tour, le Québec a, depuis toujours, un niveau moyen de
distorsion très élevé, près de 18. Cela en fait une des démocraties
représentatives des moins performantes sur le plan de l'équité démocratique.
Or, le projet de loi n° 39 ne corrigerait que partiellement cette anomalie
démocratique en permettant de baisser l'indice à 9,9, selon la simulation gouvernementale, d'autres disent à 11. Le Québec aurait ainsi le taux de distorsion le plus élevé
parmi les États dotés d'un scrutin de type proportionnel. Par comparaison, ce
taux est de 2,8 % en Nouvelle-Zélande.
Quelles sont les modalités du projet de loi n° 39 qui causeraient cette piètre performance?
D'abord, une méthode de compensation
régionale plutôt que nationale, qui rendrait impossible la chance d'une grande
proportionnalité. Deuxièmement, la
création de 17 régions électorales plutôt que 14 ou neuf, comme recommandé
dans le rapport du DGE de 2007. Une région électorale ne compterait même pas de
député de compensation, quatre n'en compteraient que deux et six, seulement
trois. Les électeurs des régions peu populeuses ne seraient pas traités
équitablement, puisque leurs votes auraient moins de poids que ceux des
habitants des grands centres, créant ainsi une proportionnelle à deux vitesses
et deux classes d'électeurs. Le poids
politique des régions périphériques — ça, c'est important — serait aussi affecté, puisqu'elles auraient
moins de leviers... le système de représentation parlementaire. Au minimum, on
devrait garantir deux sièges de compensation par région. Cet objectif
pourrait être atteint de deux façons : soit réduire le nombre de régions à
14 si le nombre de députés est maintenu à 125, soit augmenter le nombre de
députés à 129 si l'on conserve 17 régions.
C'est à l'article 156 du projet de loi que se
trouve un des éléments qui fait augmenter le plus l'indice de distorsion. Il
s'agit, en quelque sorte, d'une prime au vainqueur qui n'existe dans aucun
autre système compensatoire. La particularité de cette méthode est de ne pas tenir compte, pour la distribution des
sièges complémentaires, de la totalité mais seulement de la moitié des sièges remportés par les partis vainqueurs au
niveau des circonscriptions locales. Cette formule...
Le Président (M. Bachand) : M. Cliche, je vais vous demander de
conclure, parce qu'on a déjà dépassé le temps, s'il vous plaît. Merci.
M. Cliche
(Paul) : Oui, je fais seulement une phrase. Cette formule,
qui semble sortie d'un chapeau de magicien, permettrait à un gouvernement de
former gouvernement majoritaire avec seulement 40 % des votes.
Maintenant,
j'ai d'autres sujets que je n'ai pas le temps de traiter, comme la parité
hommes-femmes, la double candidature,
la stabilité gouvernementale, la qualité du service des députés. Si jamais vous voulez me poser des questions
là-dessus, ça me fera plaisir de vous répondre.
Le Président (M.
Bachand) : Exactement. Merci, M. Cliche. Mme la ministre, pour
cinq minutes.
Mme LeBel : Merci, M. le Président. Donc, je vais faire un
usage judicieux de mon temps. Merci, M. Cliche, d'être présent. Désolée
d'avoir à compresser cette conversation, mais je dois vous dire que, pour ce
qui est de vos recommandations concernant les modalités particulières du projet
de loi, elles sont bien étoffées dans votre mémoire, elles sont bien comprises.
Vous faites
12 recommandations, une dizaine qui sont particulièrement sur... à titre
d'exemple, le seuil, la double candidature, la méthode de calcul, le nombre de
sièges, le nombre de régions. Donc, je veux juste vous rassurer, on en a pris
connaissance. Et je comprends également que, dans vos recommandations, ce qui
motive les choix et les recommandations que vous faites, c'est de mettre de
l'avant l'objectif principal, c'est-à-dire d'obtenir une plus grande
proportionnalité.
Parfait.
Donc, j'aurai l'occasion de le réitérer, mais j'ai des choix à faire,
naturellement, envers certains principes, mais je ne me trompe pas en
traduisant que votre... que le principe que vous mettez de l'avant, derrière
toutes vos recommandations, c'est celui de la proportionnalité, c'est exact?
M. Cliche (Paul) : Oui, c'est
ça.
Mme LeBel : Parfait. Merci. Mais je vais vous amener sur un
sujet qui est extrêmement intéressant, que vous abordez dans votre mémoire,
puis qu'on n'a pas eu la chance de discuter avec beaucoup de groupes, et qui
sera discuté un peu plus avant cet après-midi. À la page 13 de votre
mémoire, vous prétendez... et c'est la question de la stabilité des
gouvernements et du poids du Québec face au gouvernement fédéral dans ses
négociations ou son autonomie, et vous dites, à la page 13 : «On
prétend souvent que des coalitions
gouvernementales créent de l'instabilité politique. Les faits prouvent le contraire.
Dans des pays où on utilise des scrutins proportionnels, comme l'Allemagne, la
Norvège, l'Irlande, [la législature dure] entre 3,5 et quatre ans en
moyenne. Au Québec — selon
le mode actuel, naturellement — les trois législatures minoritaires ont duré en moyenne [deux] ans,
alors que les 39 gouvernements majoritaires ont duré en moyenne
3,5 ans.» Très intéressée, parce que je sais que M. Dufour va venir
témoigner cet après-midi, et M. Dufour, dans son objection au mode de
scrutin, met de l'avant cet argument principal. On aura l'occasion d'en
discuter avec lui, mais j'aimerais que vous nous étoffiez cette position-là,
parce que moi, je ne pense pas qu'on crée de l'instabilité supplémentaire par
un mode de scrutin différent, mais j'aimerais avoir votre opinion là-dessus.
M. Cliche (Paul) : Bien entendu, ça demande un changement de culture
politique, parce que, là, on va faire affaire quasiment chaque fois à des
gouvernements de coalition, mais l'expérience... les gouvernements de coalition,
là, ça permet aux partis d'interagir, de mieux se comprendre, de collaborer. Ce
n'est pas nécessairement que... Ça ne fait pas nécessairement des gouvernements faibles, hein, on l'a vu en Allemagne,
on le voit dans les pays scandinaves, on le voit à bien d'autres endroits. Et moi, je suis certain que,
si on avait ça au Québec, on pourrait... Et là ce qui arrive avec les
gouvernements minoritaires, qui sont de plus en plus nombreux, bien, c'est que
c'est automatique, on va le voir à Ottawa, dans 18 mois, on va retourner
en élection. C'est ce que je veux dire, là. Je ne sais pas si vous voulez en
savoir davantage.
Mme LeBel : Bien,
je vais vous amener sur une deuxième affirmation. M. Dufour va avoir
l'occasion de débattre avec nous cet après-midi, puis il aura cette occasion. Donc,
l'objectif d'un mode de scrutin proportionnel est de mieux rendre compte de la
volonté populaire, d'où la proportionnalité, c'est ce qui se cache derrière ça.
Donc, outre l'argument de la tendance à produire des gouvernements minoritaires
ou de coalition et de l'affaiblissement... une certaine instabilité
gouvernementale, M. Dufour dit également, et là je pense que c'est un peu
plus au niveau démocratique, il dit : Un mode de scrutin proportionnel
ferait en sorte que les partis politiques obtiendraient plus de pouvoirs,
puisque ce sont eux qui négocient pour former les gouvernements minoritaires.
Honnêtement, là, je vais m'inscrire... parce que je vois mal comment on peut
affirmer ça, alors que, maintenant, les gouvernements majoritaires n'ont pas la
majorité de l'appui populaire, donc je trouve ça un peu contradictoire, mais je
voudrais vous permettre de vous exprimer là-dessus.
M. Cliche (Paul) : Bien, je suis absolument d'accord avec ce que vous
venez de me dire. D'ailleurs, M. Dufour, là, il fait beaucoup d'avancées
qui ne sont pas prouvées. On dirait, des fois, qu'il est devant une boule de
cristal, qu'il prédit l'avenir. Bien
là, moi, je suis d'accord avec ce que vous avez dit, je ne peux pas faire
d'autre chose que vous corroborer.
Mme LeBel : Bien, c'est déjà
satisfaisant.
M. Cliche (Paul) : On est
d'accord.
Mme LeBel : Bien, merci,
M. Dufour.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Bourassa-Sauvé, pour 7 min 45 s.
Mme Robitaille : Merci, M. le Président. Merci, M. Cliche,
pour votre mémoire bien étoffé, bien organisé. Merci beaucoup, j'ai vraiment
apprécié la lecture. Mme la ministre parlait de stabilité, vous en parlez dans
votre mémoire, mais vous ajoutez une chose, vous dites
que ce qu'il n'y a pas dans le projet de loi, c'est des mesures encadrant les
motions de censure pour s'assurer de la stabilité. Selon vous, c'est nécessaire
d'amender le projet de loi et puis mettre ces mesures encadrant les motions de
censure?
M. Cliche (Paul) : Oui, c'est nécessaire. D'ailleurs, c'était dans
l'entente de mai 2018, et, je pense, sauf erreur, il n'y a rien dans le projet de loi là-dessus. Dans l'entente,
on disait : Il faut favoriser la stabilité du gouvernement par des mesures
encadrant les motions de censure, alors il ne faut pas qu'il y ait d'élections
générales à répétition. Bon, moi, je ne suis pas un spécialiste de ces
questions-là, mais notamment... comme dans d'autres pays, notamment l'Allemagne,
l'Assemblée nationale devrait, quant à moi, se doter de règles
encadrant l'exercice de votes de non-confiance constructifs. Bon, ça, c'est
l'expression qui est adoptée par les spécialistes, des «règles encadrant
l'exercice de votes de non-confiance constructifs»,
bon. Mais ce que je constate, là, je ne suis pas en mesure, peut-être, de vous
suggérer une règle précise, mais il en faut, puis d'ailleurs ça avait été prévu dans l'entente.
Mme Robitaille : Donc, c'est
nécessaire pour la stabilité.
• (12 h 20) •
M. Cliche (Paul) : Oui, autrement, à chaque motion de confiance, le
gouvernement... Ça, c'est une mesure préventive pour éviter, justement... Alors, ça peut vouloir dire, par exemple... mais là je n'ose pas trop m'embarquer, parce que
je ne suis pas un spécialiste de la question, ça pourrait vouloir dire que, si un parti présente une motion de confiance pour
défaire un gouvernement, il doit prévoir quel autre gouvernement... qui serait
le chef de l'autre gouvernement. Mais là je ne peux pas et je ne veux pas
m'embarquer là-dessus.
Mme Robitaille : Je comprends très bien. Je vais vous amener sur autre chose. Vous dites
que, justement, dans la fameuse entente, on s'était engagés... le
premier ministre s'était engagé à ne pas faire de référendum
et d'adopter la loi pour qu'en 2022 on ait un nouveau mode de scrutin. Bon, maintenant, le gouvernement de la CAQ change un peu de cap, change de cap, et
puis, bon, à votre grande déception, on adopte... il va y avoir un référendum,
et puis en plus le référendum, il ne va pas se faire avant ou après, il va se
faire pendant la période électorale.
M. Cliche
(Paul) : Ça va être
désastreux.
Mme Robitaille : Pourquoi ça va
être désastreux?
M. Cliche
(Paul) : Bien, voyons, on va
pour élire un gouvernement, on est en
train... bon, on veut faire le bilan
du gouvernement qu'on a, puis là on arrive avec une question
puis un mode de scrutin qui n'est pas la plus passionnante, hein, pour le
commun des mortels. Aïe! Le
référendum, y va-tu passer en arrière, lui, hein?
Mme Robitaille : Oui, c'est ça. Alors, vous dites : Ça va
noyer le débat.
M. Cliche
(Paul) : Ça va noyer, ça va
noyer tout... ça va faire un genre d'embrouillamini, d'autant plus que les
règles référendaires, elles ne sont pas claires tellement, hein, puis elles
risquent de... elles favorisent plutôt le statu quo.
Mme Robitaille : Oui, justement, vous dites : Ça favorise le
statu quo. Il y a eu des amendements, là, au mois de décembre, qui font en sorte que... ce qu'on
comprend, là, du projet de loi, c'est que le chef du gouvernement, les chefs de parti ne pourront pas diriger le camp du Oui
ou le camp du Non. Ça, parlez-moi donc de ça, vous.
M. Cliche
(Paul) : Bien, oui, mais
M. Legault, il y croit-u à sa loi ou il n'y croit pas, là? Il va
s'abstenir, là, il va devenir au-dessus de la mêlée, là, il va avoir fait
adopter une loi, le gouvernement, puis... bon.
Et, d'autre
part, je veux bien croire, moi, qu'un référendum en dehors des élections, ça
coûte très cher, ça coûterait je ne sais pas combien de millions, quelques
millions, mais ça vaut la peine, hein? On en met, des millions et des millions,
mais, quand vient le temps de notre
vie démocratique, de revitaliser notre vie démocratique, ça coûte toujours trop
cher, ça coûte toujours trop cher.
Les derniers changements importants qui ont été faits, là, ils datent de René
Lévesque. On va-tu se réveiller, à un
moment donné, le Québec?
Mme Robitaille : Donc, vous souhaitez que le chef du gouvernement
sortant s'embarque, puis s'embarque pour de vrai.
M. Cliche
(Paul) : Bien, il s'est
embarqué à moitié. J'aimerais qu'il s'embarque à 100 %, mais peut-être à
60 %, 75 %, ce serait une amélioration.
Mme Robitaille : Alors donc, dans ce référendum-là, on souhaite
qu'il ne soit pas pendant une campagne électorale puis on souhaite, évidemment,
que les élus y participent, prennent position. Qu'est-ce que vous en pensez?
M. Cliche
(Paul) : Oui, oui, oui, que
les élus y participent.
Mme Robitaille : Et vous mettriez plus d'argent là-dedans?
M. Cliche
(Paul) : Bien, c'est-à-dire que, si
on fait ça en dehors d'une campagne électorale, bien entendu, ça va coûter de
l'argent. Un référendum tenu seul, ça va coûter un certain montant, bon, mais
là on semble hésiter à payer ce montant-là. Mais, moi, idéalement, c'est qu'il
y en aurait un, mais quelques années après l'adoption, une fois que les gens
sauraient à quel genre de mode de scrutin ils ont affaire parce qu'ils l'ont
expérimenté, pas voter à l'aveuglette, là, surtout sur un sujet comme ça, qui
est aussi technique.
Mme Robitaille :
Bien oui. Le temps passe, le temps file.
Vous parlez de la correction des distorsions
qui est insuffisante. 10 %, vous
dites, c'est un problème.
M. Cliche (Paul) : Le gouvernement dit 9 %, d'autres disent 11 %.
Mme Robitaille : Donc, tant qu'à faire les choses, faisons-le
bien, c'est ce que je comprends. Vous parlez d'une vision tronquée d'un véritable système
mixte compensatoire. C'est sévère, ça.
M. Cliche (Paul) : Bon, mais là, oui, ça revient à ça. Là, je ne
veux pas mettre plus d'accent qu'il
faut là-dessus, là, peut-être que l'expression, c'est une expression que
j'ai... Oui, c'est un système
tronqué, mais parce que, finalement, le résultat... on
regarde le résultat, et, si ça donne le résultat d'un système majoritaire,
bien, le système est tronqué, et ça ne donnera pas... ce serait le système
proportionnel le moins...
Mme Robitaille :
Le moins proportionnel.
M. Cliche (Paul) : ...le moins proportionnel de partout. Donc là, ça
se rapproche d'un système majoritaire, là.
Mme Robitaille : Et vous, idéalement, vous pensez à... un peu
comme la Nouvelle-Zélande, 2,8 %,
c'est ça?
M. Cliche (Paul) : Bien, dans un système majoritaire... dans un
système proportionnel, c'est entre 2 % et 3 %, normalement.
Nouvelle-Zélande, c'est 2,8 %. En Scandinavie, tu as des 2,5 % ou...
bon.
Mme Robitaille : Alors, si on reste à 10 %, est-ce que
l'exercice en vaut la peine?
M. Cliche (Paul) : Bien oui, toute amélioration est la bienvenue,
hein? On n'est pas pour voter contre ce projet de loi là puis recommencer tout
à zéro, hein? Depuis 1970, c'est la quatrième fois qu'on le fait, ça dure
10 ans chaque fois. Non, il n'est pas question de voter contre ce projet
de loi, il n'en est pas question, quant à moi, sauf que ceux... les partis qui
vont voter pour mais qui ne seront pas satisfaits peuvent dire :
Élisez-nous, puis, dès notre élection, on va le rendre acceptable. Mais, moi,
quant à moi...
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. Cliche. Je dois céder la
parole au député de Gouin, désolé. M. le député de Gouin.
M. Nadeau-Dubois : Bonjour, M. Cliche. Je n'ai même pas deux
minutes pour m'entretenir avec vous. Je vais quand même commencer par dire à
quel point je suis content de vous avoir ici aujourd'hui. Vous avez publié une
thèse de doctorat sur la question de la démocratie...
M. Cliche
(Paul) : ...
M. Nadeau-Dubois : ...un mémoire de maîtrise, il y a 62 ans. Si
je compte bien, vous êtes ici, 60 ans plus tard, avec la même verve et la
même énergie qu'à l'époque.
M. Cliche
(Paul) : Oui, j'ai eu la piqûre.
M. Nadeau-Dubois : Alors, je trouve ça admirable, et ça me fait dire
que Michel Chartrand avait bien raison lorsqu'il
a dit de vous, à l'époque, que vous ne lâcheriez jamais. C'est une évidence,
vous n'avez pas lâché. J'en suis très content.
Je vais vous poser une question toute simple, je
vais reprendre le modus operandi de la ministre. Un argument qu'on entend
souvent, on va nous le faire cet après-midi, et c'est un argument qu'on entend
chez les souverainistes comme chez les fédéralistes, l'argument selon lequel
une démocratie qui représente davantage le pluralisme politique serait un
affaiblissement de la nation québécoise, un pas en arrière dans l'affirmation
du Québec.
M. Cliche (Paul) : Bien, voyons donc. René Lévesque se serait-tu
lancé là-dedans, hein?
M. Nadeau-Dubois :
Pardon?
M. Cliche (Paul) : Est-ce que René Lévesque se serait lancé
là-dedans? Il aurait proposé un système qui affaiblit le Québec? Il y a quelque
chose là.
Deuxièmement,
pourquoi un organisme, cette année, là, présentement, un organisme comme le OUI
Québec, la Société Saint-Jean-Baptiste, l'UPA
appuient ce genre de... appuient le projet de loi? Ce n'est pas... Tu sais, on
ne peut pas accuser le OUI Québec puis la Société Saint-Jean-Baptiste de lancer
le Québec dans des aventures dangereuses de ce point de vue là.
Alors, moi, je dis que c'est une légende urbaine,
ce genre de prétention là, que c'est quelqu'un qui lit dans... Bon, en tout
cas... Bon, je ne le méprise pas, M. Dufour, c'est un intellectuel qui est
respectable, mais je ne suis pas du tout d'accord avec lui.
M. Nadeau-Dubois :
Merci beaucoup.
Le Président (M. Bachand) : Merci. Merci, M. le député de Gouin. M. le député
de Rimouski.
M. LeBel : Merci, M. le Président. Bonjour, M. Cliche.
M. Cliche
(Paul) : Bonjour.
M. LeBel : Très jeune, je me souviens d'avoir vu
M. Lévesque défendre un projet de proportionnelle. Et je suis comme vous,
je pense, il n'aurait jamais fait ça si c'était pour affaiblir le Québec. Le
problème, où on s'est affrontés toutes ces années-là, par exemple, c'est le
poids des régions, le poids politique des régions. C'est là, des fois, que ça
arrêtait. Le gouvernement propose 17 régions, le MDN dit : On
pourrait rajouter des députés de la liste dans certaines régions où il y en
avait juste un, ce qui ferait, peut-être, si on arrivait à ça que, sur la
Côte-Nord, il y aurait trois... actuellement, il y a deux députés, là il y en
aurait trois, mais pour l'ensemble du territoire.
• (12 h 30) •
Et là il y a un changement de culture. Là, les
élus municipaux, là, nous disent que ça ne fonctionne pas, les députés seraient
trop loin de... Là, c'est ce
changement de culture là qu'il faut que je trouve une réponse à leur donner,
c'est... Qu'est-ce que vous me
suggérez comme réponse?
M. Cliche (Paul) : Là, quand la Fédération québécoise des
municipalités vient amener ce genre d'argument, ils parlent des relations entre
les dirigeants municipaux, puis là... mais il faut penser à l'électeur, au
peuple, qui... dans le système, quand il n'y a pas de proportionnalité, c'est
eux autres dont le poids ne pèse pas, et c'est pour ça qu'idéalement... Je
comprends que ça...
Puis,
à part de ça, sur le plan, là, de... quand tu as un député régional... ça
serait une bonne chose d'avoir un député régional pour, disons, la Gaspésie—Îles-de-la-Madeleine, même pour Bas-Saint-Laurent,
ça crée un sentiment d'appartenance régional, ça facilite la collaboration
entre les élus de différents partis
et ça assure à la population un meilleur poids à leur vote. Bien, moi, là, je
veux bien croire que ça peut... pour certaines élites, là, locales, ça peut être
fatigant, et ça peut être fatigant pour les partis qui ont le monopole dans une
région d'avoir des députés qui ne sont pas de leur parti, mais la population
serait gagnante.
17 859 Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Marie-Victorin, s'il
vous plaît.
16 775 Mme Fournier : Merci
beaucoup d'être là aujourd'hui avec nous, M. Cliche, pour nous partager votre grande expérience
et sagesse. Vous avez parlé de la fameuse prime au vainqueur. Vous savez que le
gouvernement a introduit cette mesure-là notamment en
prétextant que c'était pour une question de stabilité du gouvernement, mais la collègue de Bourassa-Sauvé a elle-même évoqué la question de l'encadrement
des motions de censure. Alors, je vous pose cette question : Croyez-vous
que l'encadrement des motions de censure serait une bonne solution de rechange
à l'utilisation de la prime au vainqueur?
M. Cliche (Paul) : Ça ne serait pas une... ça serait une bonne
chose, mais ça ne pourrait pas... il n'y a pas de correspondance entre les
deux, là. La prime...
16 775 Mme Fournier : Non, mais, je veux dire, le gouvernement prétend que c'est pour garantir plus de stabilité.
M. Cliche (Paul) : Bon, bien, s'ils prétendent ça, moi, je ne suis
pas d'accord. Alors, la prime au vainqueur, là — bien, je ne le sais pas, peut-être,
Mme la ministre va me corriger — c'est une invention. Ça arrive de... Ça
n'existe dans aucun système, hein, et
on aurait des gouvernements, là, majoritaires à 40 % des votes. Là, on en
a un à 37 % quelque chose,
l'amélioration n'est pas grosse.
16 775 Mme Fournier :
Bien, merci beaucoup.
17 859 Le Président (M.
Bachand) : M. Cliche, merci infiniment de votre
participation.
On suspend les
travaux pour quelques instants. Merci infiniment.
(Suspension de la séance à
12 h 32)
(Reprise
à 12 h 33)
17 859 Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Merci. La commission
reprend ses travaux. Alors, je souhaite
maintenant...
Des voix :
...
Le Président (M. Bachand) : S'il vous plaît! S'il vous plaît! Merci.
Donc,
je souhaite maintenant la bienvenue au représentant de Solution étudiante
nationale pour un scrutin équitable. Alors, vous avez la parole pour
10 minutes. Et, encore une fois, bienvenue à la commission.
Solution étudiante nationale
pour un scrutin équitable (SENSE)
M. Fecteau (Charles-Émile) : Merci beaucoup. Donc, merci, M. le Président. Mme la ministre, Mmes, MM. les députés, tout
le monde qui nous écoute, c'est un véritable honneur d'être ici aujourd'hui, là, pour vous présenter les travaux de la Solution étudiante nationale pour un scrutin
équitable, le SENSE, dont je suis coordonnateur et cofondateur.
On oeuvre depuis deux ans à travers le Québec,
dans les associations étudiantes et auprès de la population étudiante afin, d'une part, de promouvoir la réforme du mode
de scrutin et, d'autre part, de collecter les points de vue, les priorités, les
inquiétudes de la population
étudiante sur cet enjeu afin de pouvoir avoir une vision claire de ce que
devrait être un mode scrutin équitable aux yeux des étudiants et des étudiantes
du Québec. C'est avec cette information-là, l'expérience d'avoir parcouru le
Québec dans des dizaines d'associations étudiantes, d'avoir parlé aux étudiants
et aux étudiantes de partout, d'avoir récolté l'appui, maintenant, de 40
associations étudiantes qui représentent plus de 230 000 membres au Québec qu'on vous présente
donc aujourd'hui nos recommandations, qui sont basées sur cette vision
étudiante de la réforme.
La première priorité, le premier principe qu'on a
observé dans nos discussions avec les étudiants, les étudiantes et qui est la
raison principale pour laquelle les gens embarquent dans le projet quand on
leur présente, c'est la volonté, vraiment, que chaque vote compte, donc d'avoir
un scrutin réellement proportionnel. En tant qu'étudiants et étudiantes, on réalise vraiment que le mode de scrutin actuel
échoue à tenir compte de la volonté populaire qu'on exprime à l'urne. Et on a
observé, donc, vraiment une grande
volonté de réduire autant que possible les distorsions qu'on observe dans nos élections.
C'est cette
priorité-là qui nous guide, entre autres, dans nos trois premières recommandations
dans notre mémoire, donc : de un, l'abolition de la prime au vainqueur,
qui, au final, fait artificiellement perdurer des distorsions qu'on serait
capables de corriger; de deux, utiliser une compensation nationale à
redistribution régionale plutôt qu'une compensation régionale, puis ça améliore
la proportionnalité en calculant la compensation sur un plus grand nombre de
sièges; et, de trois, utiliser un seuil plus bas, entre 2 % et 5 %,
ce qui permet de favoriser le pluralisme politique et de mieux respecter la
volonté qui est exprimée pour les plus petits partis.
Ensemble, ces trois recommandations-là, selon nos
simulations, nous permettent de réduire l'indice de distorsion de Gallagher de
11,5 à 1,7, ce qui représente vraiment une amélioration très significative du
mode de scrutin, d'un point de vue de la proportionnalité. C'est donc vraiment
la première priorité qu'on a observée partout dans les associations étudiantes,
avec les étudiants et les étudiantes avec lesquels on en a parlé.
Cela dit, il y a vraiment d'autres principes qui
sont importants aux yeux des étudiants et des étudiantes, puis qui ont guidé
aussi nos réflexions. Et, entre autres, avec beaucoup d'importance, c'était
aussi la représentation des régions, de garder le poids politique des régions,
d'une part, et de s'assurer que les votes comptent pour autant, peu importe où
ils sont exprimés au Québec, que ce soit en région ou dans les grands centres.
C'est ce principe-là qui nous confirme, au final,
notre volonté d'instaurer une compensation nationale à redistribution régionale. En effet, la compensation régionale
qui est présentement inscrite au projet de loi enclave le vote région par région, ce qui est, au final, ce
phénomène d'enclavement là, le même problème qu'on observe, en ce moment, avec
le mode de scrutin, mais à une plus petite échelle, circonscription par
circonscription, et qui fait en sorte qu'il y a plusieurs votes qui sont perdus
et qui sont gaspillés, puisque, si le vote ne réussit pas à être efficace au
sein de sa circonscription, il n'a pas d'efficacité du tout. Au final, on
aurait le même problème, mais à une échelle un peu plus grande, celle des
régions. Mais, encore pire, avec les
17 régions qui sont présentées, on a une grande inégalité dans le nombre
de sièges d'une région à l'autre. Et
donc les votes de Montréal auraient beaucoup plus d'efficacité dans leur
élection que les votes, par exemple, sur la Côte-Nord, dans le Bas-Saint-Laurent,
Gaspésie—Îles-de-la-Madeleine,
Abitibi-Témiscamingue ou, encore pire, dans le Nord-du-Québec, où aucun siège
de compensation n'est prévu, et donc les électeurs, les électrices de cette
région-là ne verraient aucune amélioration à la situation actuelle.
Si on y va dans les chiffres, à Montréal, avec les
26 sièges, si je ne me trompe pas, qui sont prévus, c'est un arrondissement à 4 % près qui serait utilisé,
alors que, sur la Côte-Nord, avec deux sièges, ça serait une représentation à
50 % près de la volonté
populaire, et donc il y aurait une grande inégalité entre l'efficacité d'un vote montréalais et l'efficacité d'un
vote de la Côte-Nord. L'alternative qu'on propose, en faisant le
calcul du nombre de sièges à l'échelle nationale, c'est qu'on met tous les
votes dans un même bassin commun pour faire ce calcul-là, et donc
tous les votes partent sur un même pied d'égalité, tous les votes comptent pour
autant, que ce soit un vote de Havre-Saint-Pierre ou un vote de Montréal. Ensuite, en plus, en
redistribuant les sièges région par région, on peut quand même
s'assurer de garder le même nombre de sièges par région, de garder le même
poids politique de chaque région, de garder des listes régionales
avec des élus qui représentent la
région, et donc de garder vraiment le poids politique propre aux régions,
qui est, évidemment, très important.
L'autre avantage, aussi, de la compensation nationale à redistribution
régionale, c'est que ça vient permettre de débattre du nombre de régions puis
du nombre de sièges par région d'un point
de vue vraiment purement
philosophique et, au final, de comment on veut représenter les régions. Au
final, une fois la compensation nationale à redistribution régionale mise en
place, la question reste juste de savoir combien de régions il faut
pour qu'elle soit, d'une part, assez petite pour que les députés régionaux puissent
bien faire leur travail de représentation mais aussi assez grande pour qu'il y
ait assez de sièges par région pour bien représenter la pluralité politique
de chaque région. On laisse ces débats-là à d'autres, on n'a pas pris de position spécifique sur un nombre de régions, mais
avec la compensation nationale à redistribution régionale, ce débat-là n'a plus
d'impact sur la proportionnalité du
système et ce débat-là n'a plus, non plus, d'impact sur l'efficacité du vote
d'une région à l'autre.
Un autre
principe qui a vraiment émergé de nos discussions, c'est l'importance d'éviter
de créer deux classes de députés distinctes et surtout de s'assurer que les
candidats et les candidates de liste fassent vraiment une campagne sur le
terrain et ne soient pas juste élus avec la popularité de leur parti. Une façon
que ça se résolve, c'est de permettre, pour ceux qui le veulent, la double
candidature, mais en allant encore plus loin, puis avec une idée qui nous a été
suggérée à plusieurs reprises dans les discussions, c'est d'obliger la double
candidature pour vraiment, au final, créer les listes régionales à partir des
candidats et candidates de circonscription. On s'assure donc que tous les
candidats et toutes les candidates font campagne exactement de la même façon, tout le monde... Il n'y a pas deux types de
candidats, il n'y a pas deux types de candidates, et donc il n'y a pas deux types de campagnes différentes.
Et donc ça évite, justement, de créer ce phénomène de deux classes de candidats
et candidates, et donc potentiellement deux classes de députés.
• (12 h 40) •
Ça permet
aussi ensuite... l'autre aspect de ça, c'est d'ordonner les listes selon la
performance des candidats et des candidates dans leur circonscription. Au lieu
d'avoir un ordre de liste qui est établi par les partis avec des processus
internes qui peuvent être plus ou moins démocratiques, on donne vraiment ce
choix-là à l'électeur et on s'assure vraiment que ce soit la volonté des électeurs, des électrices, qui
choisissent sur toute la ligne qui sont leurs représentants et leurs
représentantes à l'Assemblée nationale.
Dernier
principe qui a vraiment émergé de façon importante, là, dans nos discussions et
qui va un peu de pair avec la représentation des régions, au final, c'est juste
de s'assurer que la démographie du Québec dans son ensemble soit bien
représentée à l'Assemblée nationale. Donc, c'est déjà quelque chose qu'on fait,
au final, pour s'assurer que le poids démographique d'une région soit
équivalent à son poids politique, mais on pense que la réforme, c'est la
meilleure occasion possible pour
appliquer ce principe-là aussi à d'autres groupes démographiques, notamment
pour atteindre la parité hommes-femmes,
pour améliorer la représentation des jeunes, des immigrants et immigrantes, des
minorités visibles et aussi pour consulter les peuples autochtones, leur donner
une place digne de leur importance culturelle et historique au Québec dans
notre démocratie et aussi pour valoriser, là, la participation des personnes
LGBTQIA2+ au processus démocratique.
Le SENSE n'a
pas pris de position stricte sur la meilleure façon de faire. On en a discuté,
et c'est clair qu'il y a une volonté d'améliorer la représentation de la
démographie du Québec à l'Assemblée nationale, mais il n'y a pas de consensus
clair qui émerge des discussions avec les étudiants et les étudiantes sur
quelle est la meilleure modalité, la meilleure façon de faire spécifique. Et il
y a des groupes qui sont bien plus experts et expertes que nous sur ces
questions-là qui vont avoir... qui ont ou vont témoigner devant cette
commission-ci, mais on donne clairement notre appui à ces mesures-là qui
pourraient améliorer la représentation de la diversité du Québec à l'Assemblée
nationale.
Et finalement
on quitte un peu les modalités du mode de scrutin pour parler de référendum.
Donc, tout d'abord, ce qu'on a constaté très fortement, c'est qu'il y a un
appui massif de la population étudiante à changer le mode de scrutin et à le
changer rapidement. Donc, à nos yeux, attendre le résultat d'un référendum et
ne pas le changer avant 2022, ce n'est pas la bonne voie à prendre. Cela dit,
l'idée de consulter la population n'est évidemment pas du tout quelque chose
qu'on rejette, et c'est pourquoi on appuie l'idée d'un référendum de
validation, donc, après au moins deux élections avec le nouveau mode de
scrutin, permettre aux gens de s'exprimer en toute connaissance de cause, ayant
expérimenté avec les deux modes de scrutin, lequel ils préfèrent, qu'est-ce
qu'ils veulent utiliser pour les élections pour la suite.
L'autre chose
à mentionner aussi pour le référendum, c'est qu'on considère... En fait, on a
fait un énorme travail de vulgarisation dans les dernières années, puis ce que
ce travail de vulgarisation là nous a appris, c'est que, clairement, c'est un
enjeu complexe, c'est un enjeu qui demande beaucoup de temps, beaucoup
d'éducation populaire. Et faire un référendum en même temps que les élections
générales, ce n'est clairement pas un contexte propice à faire, justement,
cette éducation populaire là pour que le référendum soit vraiment une
expression informée de la volonté des gens à l'urne. On pense donc vraiment que
de faire le référendum à un moment distinct des élections, que ce soit un
référendum avant l'adoption ou, comme on le préférerait, un référendum de
validation, est vraiment la meilleure façon de faire pour vraiment s'assurer
que toute l'information puisse circuler, qu'il n'y ait pas de confusion entre
les enjeux référendaires et les enjeux électoraux, que l'enjeu référendaire ne
soit pas noyé dans l'attention médiatique des élections générales.
Ça fait donc
le tour de nos huit recommandations. Je vous remercie énormément de votre
écoute, et ça va me faire plaisir de répondre à vos questions.
17 859 Le Président (M.
Bachand) : Merci
infiniment. Mme la ministre, s'il vous plaît.
17 847 Mme LeBel : Merci.
Merci, M. le Président. Merci de votre présence. On avait déjà eu l'occasion d'en discuter, d'ailleurs, mais c'est bien que vous soyez ici en
plus pour en témoigner. Votre mémoire est bien étoffé, puis je vous remercie.
J'ai peu de
temps, compte tenu des délais, là, ça fait que je vais vous amener sur quelque
chose de peut-être... Vous avez amené un angle nouveau sur un aspect, la double
candidature, la double candidature obligatoire. Naturellement, présentement,
dans ce qui est en jeu dans le projet de loi, c'est qu'on interdit la double
candidature pour des
raisons qui sont invoquées... des arguments que vous invoquez dans votre
mémoire puis que vous... auxquels vous répondez,
mais beaucoup ont discuté, ici, du fait de la permettre, la double candidature,
ce qui est différent de l'obliger. Et j'avoue que je comprends un petit peu mal votre notion d'être obligé d'aller...
d'être obligé d'obliger, parce que les listes... ça veut dire que chaque
candidat qui se retrouve sur une liste devrait aussi se retrouver dans une
circonscription. Qu'est-ce qu'on fait quand on a... s'ils sont tous élus dans
des circonscriptions, nos candidats — bien, vous allez me dire que c'est utopique,
mais la majorité, disons — la majorité, et qu'après ça on n'a plus de candidats sur la liste,
parce que ce sont des listes fermées?
Comment cette mécanique-là... Et pourquoi obliger? Permettre, ça a été débattu,
mais pourquoi aller jusqu'à obliger?
M. Fecteau
(Charles-Émile) : Bien, en
fait, pourquoi on met cette recommandation-là dans notre mémoire,
c'est vraiment parce
que c'est quelque chose qui a vraiment émergé très organiquement, en fait, des
discussions qu'on a eues avec des étudiants et des étudiantes. En fait, la
première fois que cette idée-là m'a été... que j'en ai entendu parler, c'est quelqu'un
qui m'a posé une question dans une assemblée générale ou un conseil d'administration, là, je ne me rappelle plus quel
type d'instance, et qui me... et je
ne comprenais pas qu'est-ce qu'il essayait de comprendre sur les listes, puis
en fait c'est que la personne assumait que c'était comme ça que les listes allaient
fonctionner. Puis on a vu cette idée-là émerger à gauche et à droite dans les associations étudiantes vraiment
naturellement, puis c'est pour ça qu'on la met dans notre mémoire. C'est sûr
qu'une double candidature permise nous semble tout à fait intéressante aussi.
Cela dit, en l'obligeant... puis on ne le voit pas comme étant le fait que les personnes sur les listes doivent être
dans les circonscriptions, mais plutôt qu'on fait la liste à partir
des candidatures de circonscription. Ça revient pas mal au même, mais il y a quand même une vision un peu différente.
Pour répondre
à la question de «qu'est-ce qu'on fait si tout le monde a été élu?», bien,
d'abord, les chances que ça arrive sont probablement très minces, mais
ensuite... puis ce qu'on dit dans notre mémoire, c'est de mettre en priorité
les candidatures de circonscription sur la liste, avec la possibilité, donc, de
mettre d'autres noms après si jamais on arrivait dans un scénario où un parti
obtient 70 % du vote dans une région puis il a besoin vraiment d'aller
faire élire toutes les personnes de circonscription et en plus d'autres
personnes. Il y aurait moyen d'arrimer les modalités, mais l'idée, vraiment, de
l'obliger, c'est de s'assurer qu'il y ait vraiment un seul type de candidat, un
seul type de candidate, au final, que tout le monde fasse campagne exactement
selon les mêmes modalités, selon les mêmes principes, en partant sur la même
base.
Ensuite, on
est très conscients que c'est une idée un peu nouvelle puis un peu différente
du courant de pensée majoritaire, disons, puis c'est pour ça qu'on tient à
mentionner, là, que la double candidature permise nous semblait très
intéressante aussi, mais ça reste que c'est une idée qui a vraiment émergé des
discussions qu'on a eues avec les étudiants et les étudiantes puis qu'on se
devait donc d'en faire... d'être le porte-voix de cette idée-là.
17 847 Mme LeBel : Je vais vous amener un petit peu ailleurs. Vous
faites des recommandations sur la parité hommes-femmes qui sont beaucoup plus précises que vos
recommandations... À part d'énoncer le principe que vous voulez avoir des
mesures structurantes, dans le cas de la parité hommes-femmes, vous êtes plus
précis au niveau des seuils, au niveau des... peut-être de mettre des
incitatifs financiers, alors que, pour l'autre type d'inclusion, vous êtes plus
vagues. Pourquoi est-ce qu'il n'y a pas eu de consensus? Et qu'est-ce qui
ressortait qui faisait que les gens disaient : Oui, non, pas trop loin,
pas assez loin? Parce qu'on a... Il va falloir qu'on tranche, nous, qu'on
choisisse. Donc, à un moment donné, vous êtes dans la même position que moi.
Alimentez-moi, là.
M. Fecteau
(Charles-Émile) : Bien là,
je ne sais pas, il y a peut-être eu des choses qui étaient peut-être moins
claires dans le mémoire, mais on a mis, dans la section, aussi, sur la
représentation des minorités, des idées aussi, là, ici et là, de suggestions de
façons de faire.
Veux veux
pas, quand on venait présenter en assemblée générale, quand on avait
10 minutes, 15 minutes, c'est sûr qu'on parlait des grandes modalités
du mode de scrutin, de comment la compensation allait marcher, puis tout ça. On
abordait le sujet de la parité, on abordait le sujet de la représentation des
minorités, mais on n'avait pas le temps d'aller en profondeur sur quelle façon,
exactement, les meilleures modalités étaient les bonnes. On a recensé, dans
notre mémoire, là... on a essayé, du moins, de faire une liste qui ne se veut
pas exhaustive, mais de celles qu'on a entendues puis qui revenaient le plus
souvent. Ça se veut des suggestions puis des pistes d'idées.
Ensuite, je
sais qu'il y a des groupes de femmes qui ont témoigné devant la commission. Je
ne sais pas s'il y a des groupes de personnes des minorités visibles ou
immigrantes qui ont témoigné, mais je pense qu'il y a d'autres groupes que le SENSE qui sont mieux placés pour émettre des
recommandations sur ce sujet-là. À notre avis, écoutez ces personnes-là. Au
final, c'est ce qu'on veut dire. Au
final, ce qu'on a vu dans la population étudiante, c'est une volonté de mettre
en place des mesures, mais il n'y avait pas l'expertise nécessaire pour dire
quelle était la meilleure façon de l'atteindre.
17 859 Le Président (M.
Bachand) : Merci
beaucoup. Mme la députée de Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît.
17 841 Mme Robitaille : Merci, M. le Président. Bonjour. Merci de votre
présence, de votre participation. C'est important.
Donc, vous
dites : Pour ce qui est de la représentation, la diversité de la
population, on devrait, dans cet exercice-là, être capables de mettre des
mesures beaucoup plus structurantes pour, finalement, que tout le monde soit
représenté, mais j'aimerais vous entendre là-dessus. Est-ce que, finalement,
les gens... bien, est-ce que c'est essentiel d'avoir ces mesures-là? Pour ce
qui est des femmes, c'est 50 % de la population, bon, et vous êtes
d'accord, il doit y avoir une parité, il doit y avoir... mais, pour ce qui est
des autres catégories, est-ce que ce n'est pas, finalement, à la population de
juger d'un parti s'il n'est pas représentatif de la population? Pourquoi on a
absolument besoin d'avoir des règles strictes là-dessus?
• (12 h 50) •
M. Fecteau (Charles-Émile) : Le parallèle qu'on aime faire là-dessus puis
qui... Au final, bien, de un, pourquoi c'est dans notre mémoire, c'est parce
que les étudiants et les étudiantes voulaient ça, là, je veux dire... être
clair, de base, c'est quelque chose qui a la volonté... en particulier les
jeunes. Je pense que ça peut se comprendre très bien que les étudiants et les
étudiantes constatent la sous-représentation des jeunes, là. Le graphique qu'il
y a dans notre mémoire tient compte des moins de 18 ans dans le poids démographique
total de la population, donc on est sous-représentés, même en tenant compte
qu'il y a un groupe... Il y a un groupe de 20, 30 personnes qui n'est même
pas du tout représenté à l'Assemblée nationale, donc c'est quand même très...
il y a un grand déficit là.
Et donc, de un, c'est important pour les jeunes...
les étudiants et les étudiantes, pardon, mais, de deux, pourquoi mettre en
place des mesures structurantes? C'est parce que, de toute évidence, ces
sous-représentations-là perdurent année après année, la représentation des jeunes, la représentation des
minorités visibles, des immigrants et immigrantes. Ce n'est pas quelque chose d'anecdotique, ce n'est pas quelque
chose d'éphémère.
Et, au final, si on se dote d'un mode de scrutin qui veut être représentatif
de la population, bien, je pense que c'est le moment, justement, de parler de
mettre en place des mesures pour représenter pas juste les opinions de la
population, mais aussi les expériences de vie, le vécu de la population, avec,
donc, une Assemblée nationale à l'image du Québec, au final.
17 841 Mme Robitaille :
Oui, puis des pistes de solution, quelques pistes de solution qui vous ont été
amenées, est-ce que vous pourriez
nous en parler, pour ce qui est des jeunes, pour la représentativité? Déjà,
parce que ce n'est pas évident, parce qu'on vieillit tous, là, alors, à un moment donné, ça change.
M. Fecteau (Charles-Émile) : Oui, oui, non, c'est sûr. Ensuite, les jeunes
puis les immigrants, immigrantes et les minorités visibles, on les met en
lumière, là, dans notre mémoire, comme étant des groupes où on a des
statistiques précises sur la proportion de la population qu'ils représentent.
Ça fait qu'avec une... on peut évidemment mettre une marge, comme la zone
paritaire, là. On parle souvent de 45 %-55 % des personnes ou
40 %-60 % des personnes, mais on peut faire le même genre de zone...
ce n'est plus paritaire, mais une zone de représentation pour ces groupes-là où
on a des statistiques démographiques, puis ensuite moduler le financement des
partis, soit à la hausse, soit à la baisse, selon s'ils atteignent ces
objectifs-là, mettre des objectifs sur les listes d'avoir des proportions qui
sont équitables.
Il y a plein de façons de faire possibles. Je
pense que ce qui revenait le plus souvent, je pense, c'est celles qui modulent le financement. Je pense que c'est celles
qui sont comme le plus souvent abordées puis les plus faciles, aussi, à mettre en place, probablement, mais ensuite, comme je
disais, on ne nie pas l'expertise pour dire quelle est la meilleure façon puis
la façon la plus efficace d'atteindre ces objectifs-là. Ce qu'on sait, c'est
qu'il y a des façons de faire qui sont possibles, qui sont documentées, et il y
a une volonté étudiante d'atteindre cet objectif-là, donc combinons les deux
puis allons de l'avant.
17 841 Mme Robitaille :
Je vous entends. Vous dites, bon : Un référendum, ce serait bien d'en
faire un, peut-être, mais avant les prochaines élections...
M. Fecteau (Charles-Émile) : Bien, idéalement, après deux élections avec le
nouveau mode de scrutin.
17 841 Mme Robitaille :
...ou après deux élections, c'est ça, pardon, oui, c'est vrai. Là, maintenant,
on va avoir... Bien, ce qu'on propose
dans le projet de loi, c'est d'avoir un référendum en même temps qu'une
campagne électorale. Donc, votre monde, ils sont... Donc, vous dites : On
n'est pas d'accord avec ça. C'est quoi, vos craintes?
M. Fecteau (Charles-Émile) : Bien, la crainte principale, c'est la
désinformation. On l'a vécu à travers les associations étudiantes où on est
allés, la grande majorité des personnes qui ont des réticences ou qui
s'opposent à la réforme le font par mauvaise compréhension des principes, par
l'impression que ça va affaiblir les régions, par l'impression que ça va
déstabiliser le gouvernement, qui sont des choses qu'on est capables de
démentir dans notre argumentaire puis qui sont des enjeux complexes, nuancés,
qui demandent beaucoup de discussions, alors que c'est très facile de semer la
peur dans la population juste en disant : Oui, bien, vous allez perdre
votre poids régional, oui, mais les gouvernements vont être minoritaires, on va
être en élection à toutes les années.
Ça prend une phrase pour semer le doute, ça prend
10, 15 minutes d'explications pour expliquer les faits puis rétablir la
situation. Puis, en faisant ça en même temps que les élections, avec... on sait
toute l'attention médiatique qui va être sur les sondages électoraux, sur les plateformes électorales des partis, leurs
grandes promesses, qui est-ce qui va gagner, tout ça, on ne pense pas du tout que c'est même possible d'en
parler assez pour que la population soit vraiment éduquée puis renseignée sur
le sujet puis fasse un choix éclairé.
17 841 Mme Robitaille :
Le taux de participation des jeunes aux élections, c'est un problème. On
aimerait que les jeunes participent beaucoup plus, et tout ça. Pour un
référendum... Sur un référendum comme ça, justement, si le référendum a lieu en même temps qu'une période électorale, ça noie
toute l'affaire pour la population de... pour les jeunes, par exemple. Ce n'est pas la meilleure solution, ce que vous dites?
M. Fecteau (Charles-Émile) : Oui, bien, cette recommandation-là vient vraiment
surtout de notre expérience à essayer de vulgariser l'enjeu puis à réaliser à
quel point ça demande du temps, ça
demande de l'attention. Puis cette attention est juste impossible en même temps
qu'une élection générale.
17 841 Mme Robitaille : Merci.
17 859 Le Président (M.
Bachand) : Merci
beaucoup. M. le député de Gouin, s'il vous plaît.
16 827 M. Nadeau-Dubois : Bonjour. Merci d'être ici. C'est toujours
agréable de recevoir des représentants des étudiants, des étudiantes du Québec.
Je n'ai même pas deux minutes, je vais vous poser une question simple, parce
que vous faites beaucoup de
revendications, certaines vont dans la mécanique du projet de loi, mais j'ai
une question plus élémentaire. Pour vous, quand vous êtes allés sur le terrain rencontrer les étudiants, les
étudiantes du Québec, c'était quoi, leur motivation principale à appuyer une
réforme du mode de scrutin? Qu'est-ce qui les indignait le plus dans la réforme...
dans le mode de scrutin actuel? Puis qu'est-ce qu'ils souhaitaient le plus dans
un éventuel nouveau mode de scrutin?
M. Fecteau
(Charles-Émile) : Ça revient
toujours au principe de «chaque vote compte». C'est le sentiment qu'aller voter
ne sert à rien, en ce moment, qui est extrêmement lourd, qui est extrêmement
présent. On mentionne dans notre mémoire, là, le phénomène d'étudiants et
étudiantes qui choisissent leur circonscription selon où est-ce que leur vote
sera le plus efficace. Ça démontre en soi que le mode de scrutin, en ce
moment, n'est pas efficace. Ça ne
devrait pas être une stratégie électorale, de choisir sa circonscription selon l'adresse, chez ses
parents ou proche de son lieu d'études, qui est la meilleure pour bien voter. À
nos yeux, ça ne fait absolument aucun sens. Donc, vraiment, l'idée de s'assurer
que chaque vote compte.
Puis ça
soulève vraiment les passions, là. Il y a quand même...
Dans mon expérience, les associations où moi, personnellement, j'ai été témoigner... Il y a
deux instances où j'ai été invité en
tant que... dans une assemblée
générale pour présenter, dans un point non décisionnel, qui était supposé être
juste une présentation et où, après avoir quitté, j'ai appris que l'association a décidé de voter un mandat d'appui au SENSE.
Donc, il y a vraiment un mouvement très positif, là, envers la réforme pour, justement, aller chercher, au final... s'assurer que chaque
vote compte. Vraiment, ça revient tout le temps à «chaque
vote doit compter».
16 827 M. Nadeau-Dubois : Merci
beaucoup.
17 859 Le Président (M.
Bachand) : M. le député de Rimouski, s'il
vous plaît.
15 479 M. LeBel :
Merci. Bonjour. Vous savez, le référendum qui est proposé, actuellement, dans
la loi, il y aurait une partie que ce serait
juste référendaire : mai, juin, juillet, août. Je veux dire, les
étudiants ne sont pas très sur leurs campus pendant ces mois-là. Ça fait que ça plaide encore pour le fait qu'on
devrait faire le référendum pas dans ce moment-là, un référendum que pour la réforme, à un autre moment. Ça n'a
pas de sens, ces quatre mois, les étudiants ne sont pas là. Ça fait que ça... Là, c'est plus un commentaire.
Mais, l'autre
élément, vous ne parlez pas du nombre de régions dans votre mémoire. Vous visez
quel nombre de régions qui devrait être retenu?
M. Fecteau
(Charles-Émile) : On n'a spécifiquement pas visé le nombre de régions parce
que... Bien, dans nos présentations,
on présentait souvent, comme possibilité,
ce qui était discuté, surtout dans le
rapport de la tournée Chaque voix compte, du MDN, donc, huit à neuf
régions. C'est sûr que ça, ça passait très bien, puis il n'y avait pas d'opposition à ça. Mais en même temps l'idée d'avoir
plus de régions, au final, à nos yeux, si on a une compensation nationale à
redistribution régionale, ça a plus
ou moins d'importance. Ça a une importance pour représenter les régions puis ça a
une importance pour avoir une proximité entre les élus puis leurs électeurs,
électrices, mais ça n'a pas d'impact significatif sur la valeur du mode de
scrutin en tant que telle, en termes de représentation des votes, en termes de
«chaque voix compte», encore une fois, là, comme on dit.
Donc, autant,
quand on faisait nos discussions, quand on faisait nos présentations, on
parlait plus souvent d'un plus petit nombre de régions parce que c'était ce qui
était discuté à l'époque, autant, si on a une compensation nationale à redistribution régionale, si tous les votes de
chaque région peuvent compter pour autant, peu importe si c'est une région à deux
sièges ou une région à 26 sièges, à nos yeux, on peut avoir
17 régions puis ça peut fonctionner, tout comme on pourrait en avoir
moins, si c'est ce qui est décidé comme étant plus représentatif.
15 479 M. LeBel : Vous ne pensez pas qu'il y aurait une distorsion
si la proportionnalité nationale est redistribuée en région? Est-ce que ça va
respecter la proportionnelle régionale?
M. Fecteau
(Charles-Émile) : Je vous
invite à aller à la page 16 de notre mémoire, là, si vous l'avez. Ce qu'on
observe, c'est que la distorsion régionale que ça cause est vraiment minime
comparativement à la distorsion nationale que ça enlève.
15 479 M. LeBel :
17 régions, c'est...
M. Fecteau
(Charles-Émile) : Et en
plus, ce qu'on observe, c'est que les... Puis, dans nos simulations, si on va
en détail dans les résultats, la distorsion supplémentaire, elle ne se
rajoutera pas sur la Côte-Nord ou la Gaspésie, c'est Montréal qui va avoir,
peut-être, un député caquiste de plus puis un député péquiste de moins, au
final, ou...
15 479 M. LeBel :
Gros problème.
Des voix : Ha,
ha, ha!
M. Fecteau
(Charles-Émile) : ...ou la
Montérégie qui va avoir un député libéral de plus ou un député solidaire de
moins. C'est les régions qui ont beaucoup de sièges, au final, où il va y avoir
une petite distorsion de plus, mais où ça fait varier de 4 %, 5 % la
proportionnalité finale, ça ne sera pas les régions où ça varie de 33 % ou
de 50 % près. Donc, l'idée que la compensation nationale à redistribution
régionale donnerait, je ne sais pas, moi, avec les résultats des dernières
élections, un député du Parti vert sur la Côte-Nord, ce n'est pas un scénario
du tout réaliste, selon la façon que la méthode fonctionne.
15 479 M. LeBel :
Merci.
17 859 Le Président (M.
Bachand) : Merci
beaucoup. Je voudrais vous remercier pour votre présentation, puis bravo pour
votre implication!
Cela dit, la
commission suspend ses travaux jusqu'à 15 heures.
(Suspension de la séance à 12 h 59)
(Reprise à 15 heures)
Le Président (M. Bachand) : À
l'ordre, s'il vous plaît! Bon après-midi.
La Commission des institutions reprend ses travaux. Bien sûr,
je demande, comme d'habitude, à toutes les personnes dans la salle de bien éteindre la petite sonnerie de leurs
appareils électroniques.
La commission
est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et les auditions
publiques sur le projet de loi n° 39, Loi établissant un nouveau mode de
scrutin.
Cet
après-midi, nous allons entendre M. Jean-Pierre Derriennic, M. Louis
Sormany, M. Brian Tanguay, mais d'abord nous allons commencer avec
M. Christian Dufour. Bienvenue à la commission. Comme vous le savez, vous
avez 10 minutes de présentation, après ça on aura un échange avec les
membres. Alors, M. Dufour, votre présentation.
M. Christian Dufour
M. Dufour
(Christian) : Merci. C'est
un privilège de comparaître devant votre commission. Même si c'est la deuxième
fois, on ne s'habitue jamais.
Donc, j'ai
juste 10 minutes, je voudrais juste commencer par mettre la table. Je vais
lire un paragraphe, mais je ne lirai pas le reste du temps, je ne veux pas vous ennuyer, mais juste
pour que vous me situiez bien, la fin de mon mémoire, le dernier paragraphe, c'est : «...le projet de loi sur la réforme du mode de
scrutin [...] ne doit pas être
adopté. Il n'est pas dans l'intérêt supérieur du Québec de se lancer dans une
campagne référendaire dont on ne saurait prévoir l'issue, un exercice divisif
présentant le risque d'un nouveau recul historique pour le pouvoir québécois,
un recul que notre nation ne peut se permettre.» C'est là où je me situe. Je
trouve que le projet de loi, il n'est pas bon, fondamentalement, et il ne
doit pas être adopté, et qu'on ne devrait pas se lancer dans une campagne
référendaire.
Je vais
essayer de vous expliquer un peu pourquoi. Bon, j'ai écrit un livre qui
s'appelle Le pouvoir québécois
menacé — Non à la proportionnelle!, c'est
mon thème fondamental, quant à moi. Le mémoire s'appelle Pour ne pas
reperdre le veto, alors je fais une analogie très nette entre le mode de
scrutin actuel, qui favorise de facto la majorité francophone et le veto, l'ancien veto québécois
au sein du Canada, qui donnait au Québec une position
privilégiée qu'on a perdue.
Mon point de
référence, au départ, c'est le pouvoir québécois contrôlé par une majorité francophone. Moi, je
ne me définis pas comme fédéraliste ou souverainiste. Bon, je respecte les gens
qui s'engagent, là, ce n'est pas ça, mon problème. Ma boussole, moi, ça a toujours
été ça, c'est le concept de pouvoir qui me semble quelque chose de très fondamental. Si on compare le Québec à une maison, le
pouvoir québécois, c'est le soubassement, c'est le sous-sol de la
maison, à partir duquel on peut construire ou non un Québec
indépendant, une société distincte québécoise, un fédéralisme qui
marche, mais c'est vraiment la base. Et une chose qui m'a quand même
beaucoup frappé, c'est que les militants de la
proportionnelle ont commencé à parler du pouvoir québécois tout récemment,
hein? Jusqu'à tout récemment, ils ne parlaient pas de ça, ils ne se préoccupaient pas beaucoup de ça, et c'est quand même
troublant, parce que c'est quelque
chose de fondamental dans notre société. Et c'est beau, de parler de l'Écosse, de la
Nouvelle-Zélande, de l'Allemagne, il
y a le contexte québécois,
il y a le contexte canadien qui est très important quand on s'intéresse
au pouvoir québécois.
Moi, je crois
que ce projet de loi là, il est fondamentalement mauvais. Je crois
d'ailleurs que, si on le bonifie, on va l'empirer, parce qu'en fait il diminue
le pouvoir québécois à deux niveaux, deux concepts différents, mais
liés, le pouvoir québécois au sein du Canada. Ça, ça vaudrait aussi
pour l'Ontario. Si l'Ontario adoptait un système véritablement proportionnel, ça affaiblirait aussi l'Ontario, mais un contexte spécifiquement québécois, je pense que ça va diminuer le poids politique
de la majorité francophone. Quand on regarde, donc, ces
différends, et ce sont des choses qui sont majeures, hein, en admettant même
que je dramatise... je ne crois pas que je dramatise, mais je pense
qu'à tout le moins il faut s'en préoccuper, il y a un principe de
précaution là-dedans. Et autant le projet
de loi qu'on a devant nous peut
devenir très complexe, très
technique, et ça, c'est un problème... Je pense que c'est M. Tanguay qui a
dit, à un moment donné : Ah mon Dieu! C'est très compliqué. M. Legault, dans une déclaration assez candide, parce qu'il a une façon d'être, avait dit : Ah!
c'est compliqué, tout ça. Ce n'est pas de la démagogie que de dire que c'est
compliqué, c'est vrai que c'est compliqué, hein? Quelqu'un comme Henri Brun, le
constitutionnaliste émérite Henri
Brun, m'a appelé il y a une semaine, m'a dit : Christian, c'est quoi qui découle de ce projet de loi? Je ne suis pas
capable de le comprendre. Moi-même, j'ai écrit un livre là-dessus, je ne
prétends pas être un technicien... Louis Sormany, un ancien haut fonctionnaire du
Conseil exécutif, qui va comparaître dans une heure, qui a plus pioché sur les
détails du projet de loi, a trouvé aussi que c'était assez complexe.
Mais
heureusement la dynamique générale n'est pas compliquée. La dynamique générale
est très simple, en fait, c'est que
le mode de scrutin actuel, de facto, favorise les gouvernements forts, favorise
la majorité francophone et les régions.
On sait que, dans notre système, il y a une prime au vainqueur qui fait qu'en
général les gouvernements sont majoritaires.
Un gouvernement majoritaire comme celui de François Legault, actuellement, dans
un régime parlementaire, il n'y a rien
de plus fort que ça. Un gouvernement de coalition, ça peut avoir des bons
côtés, on met l'accent sur l'aspect représentation des opinions plus
diversifiées, mais il faut transiger, il faut marchander, il faut troquer, il y
a des délais, c'est d'autre chose.
Par ailleurs,
le mode de scrutin actuel favorise de facto la majorité francophone parce que,
on le sait, les non-francophones sont
concentrés dans un nombre limité de circonscriptions dans la région de
Montréal, ce qui fait que leur poids est moins important. C'est sûr que, si on
adopte un système proportionnel, plus c'est proportionnel — puis ça, on pourra en débattre — plus on va avoir des gouvernements de
coalition, des gouvernements minoritaires, c'est statistique, plus c'est
proportionnel, plus on va avoir tendance à revaloriser le poids des
non-francophones. Moi, pourquoi je défends le mode de scrutin actuel, ce
n'est pas parce que je veux discriminer à l'égard des non-francophones d'aucune
façon, ce n'est pas moi qui veux changer le
système. Et j'ai des problèmes, d'ailleurs, avec le projet qui est sur la
table, même à l'égard des non-francophones. C'est que je trouve que, les
Québécois, il faut quand
même être réalistes, là, on a perdu
deux référendums, un en 1980 puis un
en 1995, deux échecs structurants. Celui de 1980 a donné lieu à l'adoption
d'une constitution de 1982 qui nous
considère, la majorité francophone, comme un groupe ethnique à beaucoup
d'égards. On le voit dans les débats sur... Il y a une charte de droits, hein, on le voit dans le débat
sur la Loi sur la laïcité. Le référendum de 1995 a fait en sorte que le
nationalisme québécois est systématiquement démonisé au sein du Canada.
On a échoué à devenir indépendants, on n'est pas reconnus comme société
distincte, mais au moins on a une institution héritée des Britanniques — c'est
un paradoxe — qui
favorise de facto les francophones et, de nous-mêmes, on va renoncer à ça, on
va être les seuls au Canada à renoncer à ça? C'est masochiste, c'est se tirer
dans le pied, c'est très dangereux.
Moi, je suis
profondément inquiet. Je vois une dynamique autodestructrice de la nation québécoise
là-dedans, qu'on renonce à ça pour des considérations complaisantes de
représentation de tout un chacun. Il n'y a pas de miracle, là, je veux dire, si
on met plus l'accent sur la représentation de façon exagérée, on affecte la gouvernance. Donc, ces principes-là sont très simples. Je suis étonné, d'ailleurs,
qu'on fasse juste commencer à en parler. Si le Québec était indépendant, si
on était reconnus comme une société
distincte, s'il n'y avait pas eu les deux référendums, je serais peut-être
moins contre. Je défendrais encore le
système actuel, parce que moi, j'y crois, au système actuel, mais je serais
moins contre. Mais, dans le contexte québécois, je trouve que c'est une folie, c'est vraiment
une folie. Ça m'inquiète qu'on soit entrés dans l'Assemblée nationale, qu'il y
ait eu des ententes tâtées par-ci. Je suis content d'y être, je comprends que vous faites votre travail, mais c'est pour ça que moi, je me
dis : J'espère que ça ne sera pas adopté, là, parce qu'on n'a pas les moyens de se
permettre ça.
L'autre question : Jusqu'à quel point le projet de loi est-il
proportionnel? Parce qu'on peut se poser cette question-là. Moi, au départ,
il y a des gens qui sont venus me voir, qui m'ont dit : M. Dufour,
vous exagérez, ça va être un projet très légèrement proportionnel; on est
conscients de vos arguments sur le pouvoir québécois, puis, bon, on va
insuffler juste une petite dose de
proportionnel. Vous savez, les Québécois, hein, on aime les compromis puis on aime la
modération, bon. Par contre, j'ai entendu la ministre Sonia LeBel, pour qui j'ai beaucoup de respect, d'ailleurs... Je lui disais, tout à l'heure, que je trouve ça dommage
qu'elle soit responsable de ce dossier-là, parce que, par ailleurs, je trouve
que c'est une des meilleures ministres
du gouvernement puis je ne lui dis pas ça par flagornerie, mais je
l'ai quand même entendue, il y a deux semaines, nous
dire : Bien, dans l'avenir, il va falloir, pour qu'un parti soit
majoritaire, qu'il ait 44 %, 45 % des voix. Moi, ça m'a beaucoup étonné
parce que je me suis dit : Bien, avec 44 % ou 45 % des voix, en
pratique, il n'en aura plus, de gouvernement majoritaire, ça va être très,
très, très rare, en définitive, parce que même la CAQ, actuellement, qui
triomphe dans les sondages n'aurait
pas ce...
Donc, c'est
quoi que ça va donner au juste? Je ne le sais pas, mais, moi, ce que je
prétends, c'est que le vrai débat, le vrai enjeu, là, ce n'est pas de savoir si on va être plus ou moins proportionnel,
c'est de savoir : Est-ce qu'on passe du système actuel, qui n'est pas
parfait, mais qui est très défendable, à mon avis, à une culture
proportionnelle? Michel David, le
chroniqueur du Devoir, il y a deux semaines, a écrit un article très brillant où il
recommandait aux gens, en fait, qui sont frustrés — des gens qui sont pour la proportionnelle,
vous en avez reçu beaucoup, hein, ils sont tous pour la proportionnelle, mais
ils en veulent plus, ils en veulent plus, ils en veulent plus — il leur recommandait de contenir leur
frustration, l'important, c'est de passer au système proportionnel. Puis il
avait raison, parce que, quand on est dans une culture proportionnelle, les changements sont beaucoup
plus faciles, ça fait partie de la culture, les réajustements, parce que, déjà,
il y a des pressions pour que ça soit plus proportionnel, hein? On veut la
parité hommes-femmes, on veut des mesures, bon, c'est le début d'une réingénierie, en fait, supposément
progressiste de notre société.
Aussi, si le
projet de loi qui est là n'est pas assez juste pour les non-francophones... On
me dit que l'île de Montréal perdrait
trois comtés. Moi, je ne comprends pas trop pourquoi l'île de Montréal va
perdre trois comtés. Il me semble que l'île de Montréal est déjà sous-représentée dans le système actuel,
ce qui ne me choque pas totalement, mais là, en plus... Bien, moi, je pense
qu'il faut s'attendre, à un moment donné, dans la mesure où on est dans la
réingénierie démocratique, qu'on crée quelque chose d'autre, là. Il y a la
Charte canadienne des droits, là, et la Cour suprême, là. Le mode de scrutin
qui est le nôtre, on dit toujours : Il est hérité du concurrent
britannique, c'est bien épouvantable. Ce n'est pas bien, bien épouvantable,
il a servi, historiquement, à la majorité francophone. Il est solide comme le
roc, ça fait 200 ans qu'il est là. Il est en place partout dans le Canada. On ne peut pas se faire accuser de discriminer
à l'égard des non-francophones.
Mais, si on se lance dans la réingénierie
démocratique puis qu'on crée autre chose, moi, j'ai soumis ça à un ancien
premier ministre du Québec, dont je ne donnerai pas le nom, qui a une formation
juridique, je lui avais dit : Oui, mais est-ce que
c'est possible qu'il y ait des représentants des non-francophones qui
disent : Bon, vous prétendez faire un système proportionnel, mais ce ne
l'est pas vraiment, parce que nous, on est privés des avantages de la
proportionnelle? Il m'a dit : Ce serait
très plaidable, ce truc-là. Donc, c'est pour ça que je trouve que c'est
dangereux, je trouve que c'est complaisant, c'est inquiétant qu'on en soit
rendus là. L'analogie avec le veto, moi, j'y crois beaucoup, à l'analogie avec
le veto. Bien, ça trahit mon âge,
parce que moi, je me souviens, j'étais au ministère des Affaires
intergouvernementales à l'époque de Claude Morin, où Claude Morin... bon, je ne
veux pas trop le...
Le
Président (M. Bachand) : En conclusion.
• (15 h 10) •
M. Dufour (Christian) : Oui, bien, ma conclusion, c'est que le projet de
loi sur la réforme du mode de scrutin ne doit pas être adopté et qu'il n'est
pas dans l'intérêt supérieur du Québec de se lancer dans une campagne
référendaire dont on ne saurait prévoir l'issue, un exercice divisif présentant
le risque d'un nouveau recul historique pour le pouvoir québécois que notre
nation ne peut se permettre. C'est ça, ma conclusion.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. En passant, une petite... juste
de s'appeler par notre titre, hein, on ne dit pas le nom de famille du premier
ministre, on l'appelle M. le premier ministre, même chose pour la ministre, à
qui... maintenant, elle va avoir la parole. Mme la ministre.
Mme LeBel : Oui, absolument. Merci, M. le Président. Merci,
M. Dufour. Je suis convaincue qu'on pourrait discuter, vous et moi,
passionnément pendant des heures, mais, comme on a peu de temps, je vais
peut-être y aller sur certains éléments de ce que vous avez mis dans votre
mémoire que vous n'avez peut-être pas eu le temps d'expliciter, là, dans votre
présentation de 10 minutes. Ça fait qu'on va prendre le 15 minutes qui
m'est imparti, peut-être, pour vous permettre de développer sur certains
aspects.
Mais,
première chose, bon, je pense que je peux conclure de votre propos et de ce que
j'en sais que tout mode de scrutin qui insuffle une forme de
proportionnalité, de façon générale, vous êtes contre ça et vous êtes pour
celui qu'on a présentement, est-ce que je me
trompe?
M. Dufour (Christian) : Oui, ça, c'est deux cultures différentes, deux
dynamiques qui sont différentes, et il y a beaucoup le concept de la main dans
le tordeur. Je pense que, quand tu passes à un système proportionnel, même
très, très, très modéré, ça ne reste pas comme ça, ça évolue, et ça, regardons
dans les autres pays, c'est toujours ça qui arrive. Autant c'est difficile de
modifier notre mode de scrutin parce qu'il est enraciné dans l'histoire, les
citoyens y sont habitués, mais, une
fois que tu es passé dans la culture proportionnelle, par définition, il va y
avoir des changements. Mon collègue Louis Sormany, avec lequel j'ai travaillé, qui a beaucoup fouillé l'aspect plus des
effets sur les régions, parce que moi, je ne maîtrise pas ça autant que lui, va
vous parler des régions, et lui aussi va vous parler... va souligner à quel
point c'est facile, par des amendements qui semblent techniques, ensuite,
d'augmenter les niveaux de proportionnalité.
Donc, pour répondre à votre question, ce sont
deux... on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre, c'est ça que je
prétends, moi. Et, dans le contexte québécois, franchement, je trouve que ce
n'est pas sage... mettons que je veux être modéré, c'est vraiment un
manque de sagesse beaucoup de se lancer là-dedans. Et le système actuel n'est
pas parfait. Il n'y en a pas, de système
parfait. La proportionnelle a beaucoup d'effets pervers.
Juste pour résumer ma vision, le système actuel
produit des gouvernements forts, mais congédiables, hein, quand on... Le
gouvernement du premier ministre Legault, je ne sais pas si je peux dire ça,
bon, c'est un gouvernement fort, mais on peut le mettre dehors, à un moment
donné, et ça, c'est l'essence de la démocratie. Je trouve que la
proportionnelle produit des
gouvernements faibles, mais a tendance à faire en sorte que la même classe
politique se prolonge très, très longtemps. Je sais que mon opposition, elle est très profonde, je dois dire,
Mme LeBel, à ça, mais donc je réponds à votre question. Je trouve que, même une petite dose proportionnelle, c'est
un piège, c'est dangereux, je trouve, dans le contexte québécois.
Mme LeBel : Je comprends parfaitement toute la profondeur de
votre opposition, soyez sans crainte, mais donc, je veux dire, ce n'est pas le fait d'avoir un projet de
loi modéré ou non, c'est le fait d'introduire cette notion de proportionnalité,
et ce que vous craignez, c'est que ce soit... bien que ce soit potentiellement
un premier pas, vous craignez, justement, que ça nous amène à de plus en plus
de proportionnalité, toujours de plus en plus. C'est ce que vous craignez, là.
M. Dufour (Christian) : Vous avez raison, et ça, je le crains, c'est
qu'on troque quelque chose de solide, le mode de scrutin actuel, qui n'est pas
contestable... je crains, moi, les contestations devant les tribunaux, des gens
qui ne se sentent pas représentés. Parce qu'on craint quelque chose de nouveau,
vous comprenez? C'est que c'est quelque chose de nouveau. Donc, moi, je crains
la Charte des droits, je crois à la Cour suprême, parce qu'à ce moment-là...
Moi, être un anglophone, puis on va voir ce que ça donne, l'effet du projet de
loi, mais, si je concluais que les anglophones sont les seuls à ne pas
bénéficier des effets du projet de loi parce qu'on n'a pas voulu diminuer le
poids de la majorité francophone... Au fond, c'est ça, c'est ce qu'on m'avait
dit, à un moment donné : Ne t'en fais pas, Christian — je m'excuse si je suis familier — on est conscients de ce danger-là, donc le projet de loi va être modéré, mais
je trouve que ce projet de loi est très fragile parce qu'il va être contesté.
Déjà, les gens qui ont comparu devant vous... je
veux dire, je ne veux pas être cynique, mais le projet de loi, les gens veulent toujours... veulent plus, ils ne sont pas
satisfaits. C'est dans la dynamique de la proportionnelle d'en vouloir plus, et
le projet, quand même, est frustrant
pour bien des gens. Je sais que les gens du ministère ont bien travaillé, ils
ont essayé de trouver une balance des
inconvénients, mais mon opposition au projet de loi, si elle est profonde,
c'est qu'honnêtement je ne vois pas
comment on peut sortir de cette dynamique-là. C'est «no-win situation», si vous
voulez.
Mme LeBel : J'avoue qu'il y a une autre... Bon, peut-être que
vous n'avez pas eu le temps de l'expliciter de façon très, très adéquate dans
votre commentaire, mais vous avez dit quelque chose que je ne comprends pas ou,
à tout le moins, que je trouve difficile à comprendre, c'est la chose suivante,
c'est... vous craignez que, par l'apparition d'un mode proportionnel, on
revalorise le poids des non-francophones et qu'on diminue le poids des
francophones. Mais ces non-francophones là,
comme vous les nommez, font partie de notre société. On a parlé des femmes, on
a parlé de d'autres types de diversité, si ces gens-là font partie de notre
société québécoise, pourquoi n'auraient-ils pas un poids dans cette société
québécoise là?
M. Dufour (Christian) : ...j'entendais M. Milner, Henry Milner,
parler de ce thème-là hier, où M. Milner, en fait, semblait admettre que ça allait augmenter le poids
des non-francophones, que ça favorisera le Parti libéral. Et d'ailleurs il
avait dit à Philip Authier, dans le
quotidien la Gazette, en juin dernier, qu'avec son système
proportionnel, en tout cas, c'est qu'on n'aurait pas pu adopter la Loi de la
laïcité comme elle a été adoptée.
Moi, comprenez-moi bien, je ne veux pas
discriminer contre les non-francophones, ce n'est pas moi qui veux changer le
système, moi, je veux juste qu'on garde le système actuel. Puis le système
actuel, de facto, c'est de facto,
c'est toute la différence — Mme la ministre, vous êtes juriste — c'est toute la différence, c'est quelque
chose qui existe. Dans les faits, c'est un système qui existe en Ontario, en
Saskatchewan, partout. Dans les faits, c'est vrai qu'il y a un avantage aux
régions et à la majorité francophone, mais moi, je suis Québécois puis je pense
à nos échecs référendaires, je pense qu'on n'est pas indépendants, je pense
qu'on n'est pas société distincte. Moi, je m'intéresse au rapport de force, à
la géopolitique. Je trouve que c'est
beau, l'angélisme, là, mais de renoncer nous-mêmes à ça, je trouve ça
masochiste. Et là-dessus, moi, une chose qui m'a quand même un peu frappé, comment ça se fait que l'île de
Montréal va avoir trois députés de moins, d'après ce qu'on nous dit, si on
est...
Donc, moi, je trouve qu'on se drape beaucoup, vous
savez, dans la proportionnelle. C'est moins noble que ça, ce dossier-là, là. Actuellement, je trouve qu'il y a beaucoup
de gens qui avalent des couleuvres, qui refoulent, comme le dit Michel David,
parce qu'ils veulent qu'on passe à un système proportionnel et qu'ils sont
prêts à adopter un projet de loi que je n'ai pas étudié en détail puis que j'ai
de la difficulté à comprendre dans le détail. Et ça, c'est important, parce que
le problème, entre autres, du mode
proportionnel, c'est qu'on transfère du pouvoir à des experts. C'est compliqué
à comprendre, ces choses-là. Henri
Brun, ce n'est pas un deux de pique, là. Pourtant, Henri Brun m'appelle en
disant : Christian, est-ce que tu
peux m'aider? Moi, je lui dis : Bien, écoute, là, j'en comprends un peu.
Puis ça, ce n'est pas juste de la démagogie, ce n'est pas vrai. Ça, c'est vrai qu'il y a une dépossession des
citoyens parce que le système est plus complexe. Aussi, Louis Sormany va vous parler, il y a un transfert du pouvoir
aux partis, donc...
Mais, pour revenir à votre point de base, je
comprends que les... je suis totalement d'accord, moi, j'ai écrit des livres
là-dessus, que les Anglo-Québécois, c'est des citoyens à part entière, j'en
conviens. Mais ce que je dis, c'est que la réalité actuelle leur donne des avantages,
ils ont des comtés protégés où ils sont majoritaires. Mais c'est vrai que,
globalement, parce qu'ils sont concentrés dans des comtés... puis ça, c'est une
loi de la politique québécoise, à pourcentage égal, les libéraux ont toujours
moins de comtés... — je
m'exprime mal — à
pourcentage égal, il faut toujours plus de votes aux libéraux pour l'emporter parce qu'une partie de leur appui est
concentrée dans certains comtés. C'est un avantage, c'est le droit de veto. Le
droit de veto, c'est un privilège que
le Québec avait au sein du Canada, on y a sottement renoncé. Là, ce qu'il nous
reste, c'est qu'au sein du Québec on a un mode un scrutin qui est là, qui
nous...
Moi, si on n'avait pas eu le mode de scrutin, moi,
je trouve qu'on serait passés beaucoup plus au cash — je m'excuse de la vulgarité, là — à la suite de nos deux échecs référendaires.
Ça nous a protégés jusqu'à un certain point, parce que ça a protégé notre
Assemblée nationale, puis ça fait en sorte que la majorité francophone est
restée la majorité francophone. Et l'histoire est là, je le dis à chaque fois,
je sais que plus personne ne veut en parler, là, mais ça a eu des effets, ça a
encore des effets. On n'est pas indépendants, on n'est pas société distincte,
on est vulnérables, puis on a une institution qui nous protège, puis on va y
renoncer de nous-mêmes. Moi, je trouve ça masochiste.
Mme LeBel : Avec beaucoup de respect, M. Dufour, pour
votre opinion, j'ai l'opinion contraire, je ne pense pas qu'on renonce à nos
institutions. D'ailleurs, vous faites des affirmations dans votre mémoire, dans
votre livre aussi, mais dans votre mémoire particulièrement, quand vous les
ramenez, vous faites des affirmations, et je ne comprends pas sur quoi vous
vous basez. Puis je vais vous donner l'occasion de vous expliquer, parce qu'il
me reste peu de temps. Un mode de scrutin proportionnel, effectivement, a tendance
à produire plus de gouvernements minoritaires... de gouvernements de coalition,
c'est factuel, là-dessus, on va s'entendre. Maintenant, je ne comprends pas en
quoi cela crée une instabilité gouvernementale et un gouvernement plus faible.
D'ailleurs, dans le passé, on a eu des gouvernements minoritaires avec le mode
de scrutin actuel.
Et
moi, je suis intimement convaincue que, dans le futur, compte tenu du contexte
politique actuel, c'est-à-dire de l'émergence d'au moins, pour l'instant,
quatre partis politiques qui ont trouvé leur place à l'Assemblée
nationale — on a
trois oppositions, maintenant — on va avoir de plus en plus de gouvernements
minoritaires, même dans le mode de scrutin actuel. Mais ni vous ni moi n'avons
de boule de cristal, c'est ma conviction. Mais je pense un peu que, un, vous
l'avez dit, je crains la nouveauté, c'est de la nouveauté, mais je ne comprends
pas en quoi un gouvernement minoritaire affaiblit nécessairement s'il est
légitimement élu, s'il est légitimement constitué. Même maintenant, dans le
mode actuel, on remet souvent — moi, je pense, à tort — en cause des décisions. Je vais prendre la
CAQ, parce que c'est elle qui est au pouvoir, parce qu'on a été élus avec
37 % des voix, on nous dit : Vous avez la majorité des sièges, mais
vous n'avez pas la majorité de l'appui. Je l'ai encore entendu ce matin. Donc,
je n'achète pas ça, mais ça fait partie, aussi, de l'argumentaire dans le mode
actuel, avec respect pour mes collègues qui l'ont prononcé, mais ça fait aussi
partie de l'argumentaire dans le mode de scrutin actuel. Alors, je ne comprends
pas, à part une crainte et une peur de la nouveauté. Honnêtement,
M. Dufour, je ne comprends pas.
M. Dufour (Christian) : Bien, moi, je suis... en termes d'institutions politiques, je peux être
un conservateur, je l'admets et je
l'assume, puis je trouve que, pour les Québécois, il faut l'être un peu, il
faut être réaliste.
Pour répondre
à votre question, bon, moi, je prétends avoir quand même une pensée politique
un peu nuancée, là. Je ne suis pas en train de vous dire que les gouvernements minoritaires, c'est toujours l'horreur puis que, même, les gouvernements de coalition, ça ne pourrait jamais marcher. Je ne parle pas du tout
de la légitimité. Je voyais que M. Milner, hier, me faisait dire que je
contestais la légitimité des gouvernements minoritaires. Pas du tout, je trouve qu'un gouvernement minoritaire québécois est totalement légitime. Je parle de force, tout
simplement, je parle de... Un gouvernement de coalition, par définition, hein, ça implique des marchandages, des négociations,
des compromis, des plus petits communs dénominateurs.
• (15 h 20) •
Regardez ce
qui s'est passé en Allemagne, des exemples à l'étranger — je
ne parle pas d'Israël, où c'est la proportionnelle intégrale, qui est une
aberration, je parle de d'autres pays — et,
depuis un an, depuis que je me suis lancé dans le livre, les exemples se sont
multipliés : en Espagne, en Italie, en Allemagne. On nous parle toujours
de l'Allemagne. Angela Merkel, la chancelière allemande, qui n'était quand même
pas un deux de pique, elle a manoeuvré pendant des mois, pendant des mois, pour essayer de se constituer un
gouvernement un tant soit peu stable, et puis elle a baissé
pavillon, puis elle a annoncé son
retrait à cause de ça. Je veux rester nuancé, on n'est pas entre l'horreur
absolue et... S'il n'y avait pas l'affaiblissement de la majorité francophone québécoise — puis
ça, je vous le rappelle, parce que je trouve qu'on l'oublie un peu trop au Québec,
puis les jeunes ne sont peut-être pas conscients de ça — ma
position serait peut-être moins tranchée. Mais, moi, on ne m'enlèvera pas de l'idée qu'en termes de force — je ne parle pas de légitimité, là, en termes
de force — il n'y a rien de plus fort qu'un gouvernement majoritaire
d'un régime britannique.
Et, pour
terminer, notre système, si critiqué, a quand même permis l'émergence de deux
nouveaux partis : la CAQ, dont vous faites partie, Mme la ministre, et
Québec solidaire. Les deux gagnants de la dernière élection, ce sont deux nouveaux
partis, ce qui montre que notre mode de scrutin n'est pas réfractaire à
l'apparition de nouvelles forces. Et, pour terminer, justement parce qu'on
entre dans une époque... on vit une rupture, bon, il y a une tendance à
l'effritement du pouvoir, je suis d'accord avec vous, mais je trouve qu'au
Québec, le pouvoir québécois... je pense, il ne faut pas encourager cet
effritement du pouvoir là, ce n'est pas... puis on va être les seuls au Canada
à faire ça, madame, il n'y a personne d'autre qui va faire ça. On va être les
seuls à faire ça, il y a juste nous qui faisons ça, je trouve ça imprudent, mettons que je veux être
très, très, très modéré, je trouve que, le moins qu'on puisse dire, ce n'est
pas très prudent.
Mme LeBel : Alors, merci pour votre modération de fin de
course, M. Dufour. Je n'ai pas d'autre question.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de LaFontaine, s'il
vous plaît.
M. Tanguay
(LaFontaine) : Oui, merci beaucoup, M. le Président. Bonjour,
M. Dufour, heureux de vous accueillir.
J'ai une
réponse, moi, pour Mme la ministre, qui vient de dire — je la paraphrase, mais en substance, c'est
ce qu'elle a dit : En quoi les
gouvernements minoritaires sont plus faibles? En quoi les gouvernements
minoritaires sont plus faibles? Bien, les gouvernements minoritaires sont plus
faibles, ils ne pourraient pas passer quatre bâillons en moins de
huit mois, puis ça, c'est un fait. Et le premier ministre... et la CAQ qui
nous dit : Vous serez sous une gouverne de coalition, d'écoute, de consensus, de considération. Le premier
ministre n'arrête pas, matin, midi, soir — puis on va en faire les frais demain, à
partir de 8 heures jusqu'à tard
aux petites heures, demain, d'un quatrième bâillon en moins de
huit mois — le
premier ministre dit : Moi, 37 % de la population m'a élu pour faire
ce que je veux faire, je le fais, j'ai un mandat suffisamment fort. Donc, déjà
là, il y a une contradiction énorme. Le premier ministre ne pourrait pas faire
quatre bâillons en moins de huit mois sous un tel système proportionnel, et il dit qu'il a besoin de ça, puis
c'est son mandat et qu'il doit le remplir.
Alors, déjà là, à la ministre, très clairement, question toute simple de la
ministre : En toute bonne foi, en quoi un gouvernement minoritaire est plus faible? Bien, en ça.
J'ai beaucoup
de petits points, M. Dufour, à discuter avec vous, alors je vais essayer
de garder mes questions courtes pour qu'on puisse aborder différents éléments.
Vous avez — et
j'ai lu votre livre attentivement — une
perspective historique et sociologique quant au Québec, Québec société
distincte, Québec qui vit dans un univers où, tout autour, il y a des gouvernements
qui ont des mandats forts, des gouvernements qui sont sur des systèmes qui
permettent d'élire des mandats forts. On nous a beaucoup cité, ici, la citation
de René Lévesque, au début des années 70, à l'effet que le système
actuel était «démocratiquement
infect». Mais «démocratiquement infect», lorsque ça a été prononcé dans le
contexte des années 70 et 73, où
à peu près 23 % et 30 % des votes lui donnaient six,
sept députés, bien, en 1976, 41 % des voix, gouvernement majoritaire, et en 1981, 49 % des voix, gouvernement majoritaire. Ça, ce n'était plus le système «démocratiquement infect»
et qui a permis au premier mandat de René Lévesque de passer de grandes
lois québécoises : la loi 101, la loi sur les consultations
populaires, le financement des partis politiques, et ainsi de suite.
Alors, ça,
c'est réellement important aussi, puis j'aimerais vous entendre là-dessus, de
ne pas faire la dichotomie, là, être
binaire, de dire : Bien, il y a le grand pas qu'on pourrait faire faire,
au Québec, avec le mode de scrutin et le statu quo. Je suis avec vous à 100 % quand vous dites que nous
devrions analyser ce que l'on considère le statu quo comme étant, puis j'aimerais vous entendre là-dessus, un outil
formidable qui a fait du Québec, aujourd'hui, une société forte, une société
ouverte, confiante en elle-même puis qui a tous les moyens de son
développement. J'aimerais vous entendre là-dessus, sur la réhabilitation ou la
prise de conscience que, finalement, le système actuel a bien servi les
Québécois.
M. Dufour
(Christian) : Merci. Je suis
d'accord avec ça. J'ai écrit un livre pour essayer de démontrer ça. Le système
actuel, d'abord, les Québécois se le sont approprié, on n'en a pas connu
d'autres. Et je trouve que... toute la démagogie
sur le fait que c'est un héritage du colonialisme britannique, je trouve ça
d'une superficialité incroyable. C'est vraiment ne pas connaître l'histoire que de
ne pas voir que la France de l'ancien
régime n'était pas démocratique. Toutes les institutions démocratiques, désolé,
là, c'est d'origine britannique, puis le Québec serait-il indépendant qu'il n'y
a rien qui serait changé à ça, et ça a joué... J'ai une analyse de la conquête
qui est nuancée. Il y a eu un aspect destructeur dans la conquête, mais il y a
eu un aspect en partie... et moi, je défends les institutions britanniques.
Le mode de
scrutin actuel, il n'est pas parfait, mais il tient très bien la route, et les
résultats de la dernière élection l'ont démontré de façon éclatante, parce
qu'il permet la formation de gouvernements forts. On n'est pas indépendants, il y a bien
des gens qui ont du chagrin pour ça, mais au moins on a un système qui nous
donne des vrais premiers ministres puis des vrais gouvernements, puis je ne vois
pas pourquoi on renoncerait à ça. Est-ce
qu'on veut finir comme une tribu, les
Québécois? Bon, donc, ça, je trouve que c'est très, très
important. Et l'autre point... excusez, là, votre autre point, mais...
M. Tanguay
(LaFontaine) : ...pu permettre aussi, j'allais là-dessus,
l'émergence, vous l'avez mentionné, de nouveaux partis, la CAQ et Québec
solidaire ont pu émerger lors des dernières élections, et que le système en
place, il ne faut pas le voir comme étant
nécessairement une machine à bipartisme.
M. Dufour
(Christian) : ...René Lévesque,
ça, c'est important, René Lévesque, parce que moi, je suis né en 1950, j'avais
20 ans en 1970, je m'en souviens, moi, puis j'ai voté pour le Parti québécois en 1970 puis en 1973, puis je me souviens du contexte. Je trouve, c'est
honteux, ce qu'on fait dire à René Lévesque, c'est honteux, hein, parce qu'en
1970, là, rappelons l'histoire, là, le Parti
québécois, c'était la force
émergente, comme Québec solidaire aujourd'hui, jusqu'à un certain point, avec plus d'enthousiasme, si vous me permettez, et en 1970, donc,
le PQ réussit à avoir 23 % des
voix, puis on a sept députés. Ça nous
a rendus malades, on se disait : Beurk! Le système, ça ne marche pas, ça
ne marche pas. Trois ans après, le PQ monte à 30 % des voix, puis on a six
députés, on baisse d'un député, et c'est là que, là, René Lévesque a dit ce
qu'on pensait tous, ce que moi, je pensais, tous aussi, on disait : Ça n'a
pas d'allure, ce système de fou là, hein? Puis, comme vous l'avez dit, trois ans après, bien, le PQ
prend le pouvoir avec 41 % des voix puis fait la Révolution tranquille...
bien, il complète la Révolution
tranquille que les libéraux avaient commencée avec la Charte de la langue
française, tout ça. Et M. Lévesque n'a pas beaucoup fait d'efforts, après,
pour le réformer, le mode de scrutin. Je ne sais pas si vous avez noté, là, il
a eu deux gouvernements majoritaires, puis ça n'a pas été sa priorité.
Moi, je suis
convaincu qu'avec un mode de scrutin proportionnel, on n'aurait pas eu de
Charte de la langue française, hein, on n'aurait pas eu la Loi sur la laïcité,
ça me semble assez évident, on n'aurait pas eu de mesures controversées. On
aurait des mesures mollassonnes, consensuelles, parce qu'on discuterait, on
placoterait, on serait dans les compromis. Mais des mesures fermes... Vous
savez, la Loi sur la laïcité, qu'on soit pour ou contre, il fallait l'imposer,
hein, et je trouve que ce n'est pas dans une dynamique proportionnelle qu'on
veut ça, parce qu'une dynamique proportionnelle, c'est une dynamique qui
se veut gentillette, intellectuelle, c'est la vertu. Les sondages le montrent,
hein, quand il y a des sondages, les gens
sont pour la proportionnelle. Alors, comment être contre la vertu, hein,
c'est...
Donc, René
Lévesque, je trouve... que Dieu ait son âme, là, mais je trouve que c'était
dans un contexte très spécifique qu'il a dit ça. Et moi, j'aimerais peut-être
que ceux... les militants pour la proportionnelle ont des arguments qui peuvent se défendre, mais, franchement, l'argument
de René Lévesque est du colonialisme. C'est tellement superficiel, cet
argument-là.
M. Tanguay
(LaFontaine) : ...en
quatre minutes qu'il me reste, on pourrait en parler très longuement avec, effectivement, des exemples à l'appui. Vous avez
parlé de Jean Lesage, Révolution tranquille, les premiers mandats de René
Lévesque, et ainsi de suite, et aujourd'hui le premier ministre de se
dire : Bien, je peux faire quatre bâillons en huit mois, puis ça, je fais avancer le Québec, chose qu'il
ne ferait pas et qu'à l'époque les autres n'auraient pas pu faire.
Trois points,
de façon efficace, en moins de quatre minutes. Vous effleurez, dans votre
livre... pas vous l'effleurez, vous l'abordez, sur les deux classes de députés,
éloignement, surtout en région, des députés et des citoyens. J'aimerais vous
entendre là-dessus, parce qu'on semble nier, puis je ne vise pas personne, là,
dans le débat, ou on ne semble pas mettre — je vais dire ça positivement — suffisamment l'emphase sur le fait que, de
facto, un député de liste, de la manière dont il est élu, la manière dont il
sera désigné par son parti politique, à portes closes, versus les députés de
circonscription, qui, aussi, devront
aller sur le terrain pour se faire élire, dans les faits, on a deux classes,
deux types de députés, et ça, ce n'est pas anodin.
En Abitibi, on va dire : Bien, vous avez le
même nombre de députés, vous en avez trois, mais on va faire deux grands comtés que les deux élus de circonscription
devront parcourir et courir, puis il y en aura un régional qui devra courir
l'entièreté de la région. Donc, on passe de trois députés qui ont chacun leur
tiers à trois députés qui ont une part énorme territoire, population, et ça, ce
n'est pas anodin.
• (15 h 30) •
M. Dufour
(Christian) : Je suis
d'accord avec vous. Mon collègue Louis Sormany, avec lequel j'ai travaillé de
concert beaucoup dans ce dossier-là, a focalisé sur cet aspect-là
régional, les deux types de députés. Il comparaît dans une heure, donc il va
pouvoir vous parler de ça encore plus que moi, mais je voudrais quand même
répondre un peu. C'est vrai que le système actuel, il a un côté groundé, si
vous me permettez l'expression, enraciné dans le territoire, hein? Un député,
là, c'est un personnage local important. Les régimes proportionnels, c'est plus intellectuel, c'est plus des
constructions de l'esprit. Donc, c'est pour ça que ça peut satisfaire les gens
qui trouvent qu'il faut que ça soit juste, il faut que ça soit esthétique ou
que ça soit beau, mais, en pratique, il y a un éloignement assez clair, en
fait, des représentants par rapport à leurs commettants, les comtés vont être
plus grands. Suite à la publication de mon livre, j'ai eu quand même plusieurs
députés qui sont entrés en contact avec moi, de région, puis qu'ils... c'était
«off the record», puis que, souvent, c'étaient des députés péquistes ou
caquistes, là — puis
il y a la discipline de parti — qui
étaient très préoccupés par ça, en disant : Ce n'est pas réaliste, ce
n'est pas concret.
Moi, je crois que... Louis Sormany va vous en reparler plus, parce que
je ne veux pas parler de ce que je ne maîtrise pas assez, mais je crois que le
problème d'un système proportionnel, c'est que ce n'est pas plus démocratique
que le mode actuel, ce l'est moins, parce que ça transfère du pouvoir qui est
détenu, actuellement, par les citoyens, ça le donne, d'une part, à des experts et,
d'autre part, à des appareils de parti.
M. Tanguay
(LaFontaine) : Deux points rapides. L'avant-dernier point, vous
dites, dans votre livre, à la
page 110 : «Ce qu'il faut
retenir, c'est que [ça] rendrait l'ensemble des députés encore plus dépendants
des partis qu'ils ne le sont actuellement.» Et vous ciblez, bien évidemment,
les 45 députés qui seront désignés par les bonzes du parti, à portes
closes, sur la liste, ça va les rendre encore plus dépendants des partis, et
ça, vous le notez, ce n'est pas anodin.
M. Dufour
(Christian) : Puis ils le
sont déjà beaucoup, les députés, actuellement. Dans mon livre, j'ai écrit une
section sur les députés parce que moi, je valorise beaucoup les députés, ça
m'émeut même d'être ici, parce que vous avez un statut particulier, vous êtes
les gardiens du pouvoir québécois, je trouve, les députés. Et, dans ce sens-là,
c'est vrai que, si on veut les rendre plus dépendants, forcément... surtout les
députés de région, là, c'est évident qu'ils vont être plus dépendants des...
C'est la dynamique, et c'est une dynamique qui est très profonde, il faut
résister à ça. Dans ce sens-là, c'est vrai que je peux être conservateur, Mme la
ministre le soulignait, mais c'est un conservatisme de bon aloi, hein? Je
trouve que c'est bien beau, le
progressisme, puis le progressisme, puis la parité, puis la réingénierie de la
société, là, mais il y a des choses,
vous savez, qui sont issues du passé qui sont bonnes, qui ont fait leurs
preuves, et nos bons vieux députés — vous
en êtes, des bons vieux députés, dans le bon sens — bien, je trouve que ça tient la route, quelque
part, il y a une humanité, il y a un
côté concret. La proportionnelle, c'est une construction de l'esprit, en
partie, hein?
M. Tanguay
(LaFontaine) : Dernier point, dans les quelques secondes qui me
restent, que vous n'aurez pas le temps de commenter, mais j'ai souligné,
pages 134-135 de votre livre,
que vous faites une distinction... parce qu'on nous dit beaucoup : Ah! ça,
c'est attendu par le peuple, c'est demandé par le peuple, pressez-vous à l'adopter,
ce projet de loi là, c'est voulu, c'est attendu, puis ne vous cassez pas la
tête. Vous dites : Attention, il faut faire une distinction entre trois
choses : l'élection du gouvernement, le 1er octobre, sous cette
entente-là, et les partis, les sondages, et les résultats d'un référendum.
C'est trois choses que l'on ne peut pas amalgamer.
M. Dufour
(Christian) : Oui, parce que
les gens ont autre chose à vivre que la proportionnelle, hein, le monde
ordinaire, puis pas dans un sens péjoratif, là. Jusqu'à présent, moi, je trouve
que... vous allez trouver ça peut-être dur, mais je trouve qu'il y a une tentative de coup de force,
dans ce dossier-là, par des élites, par des sondages, et ça, ça m'inquiète un
peu.
Mais je
trouve que, quand on dit que les gens veulent la proportionnelle... Je sais
qu'il y a une coalition, là, pour la proportionnelle, maintenant, qui
prétendait représenter 2 millions de personnes. Aïe! Soyons sérieux, là,
est-ce que vous pensez que les Québécois veulent la proportionnelle comme ça?
Ce n'est pas sérieux, tu sais.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Gouin, s'il vous
plaît.
M. Nadeau-Dubois : Bonjour, M. Dufour. Vous l'avez reconnu
vous-même, votre discours n'est pas modéré, mais il a le mérite d'être clair,
et ça, c'est le moins qu'on puisse dire.
Vous parlez
beaucoup de force, du pouvoir québécois, mais en fait — puis, par moments, vous le reconnaissez
vous-même — vous
parlez moins, si je vous comprends bien, de la force du pouvoir québécois que
de la force du gouvernement québécois, c'est-à-dire du pouvoir exécutif
québécois. Et, je vais vous dire, en toute sincérité, ça me surprend pour un
nationaliste, parce que je pense que vous vous définissez comme nationaliste,
puisque la Société Saint-Jean-Baptiste,
quand elle est venue nous voir, nous a fait précisément l'argument inverse. La
Société Saint-Jean-Baptiste nous a dit — j'étais d'accord avec elle — qu'en fait une représentation plus
proportionnelle, ça ne rend pas le gouvernement plus faible, ça le rend plus
redevable. À l'égard de qui? À l'égard de l'Assemblée nationale et des députés,
dont vous venez tout juste de faire l'éloge. Un gouvernement où il y a plus de
redevabilité envers l'Assemblée nationale, c'est un gouvernement qui est plus redevable envers l'institution qui
est au coeur de notre culture politique, l'Assemblée nationale du Québec, et ça
aussi, ça nous distingue du reste du Canada.
Alors, je me
surprends, comme nationaliste, de vous entendre vouloir valoriser tant le
pouvoir exécutif, qui est un pouvoir — puis là-dessus mon collègue de l'opposition
officielle a raison de le dire — qui a autant une capacité d'écraser le
pouvoir législatif, qui est le pouvoir des députés, qui est le pouvoir de
l'Assemblée nationale du Québec.
Donc,
j'aimerais ça que vous m'expliquiez pourquoi vous êtes en désaccord avec cet
argument qui, si vous le voulez, pour les bienfaits de notre exercice, n'est
pas le mien, mais celui de la Société Saint-Jean-Baptiste, qui nous
disait : Un des grands bienfaits d'une réforme du mode de scrutin, c'est
de revaloriser, de redonner du pouvoir à l'Assemblée nationale du Québec, qui
est le coeur battant, en fait, de la majorité francophone québécoise.
M. Dufour
(Christian) : Oui, je suis
censé rencontrer M. Laporte mardi, parce que ce n'est pas les... les gens
de la Société Saint-Jean-Baptiste ne sont pas à l'unisson dans ce dossier-là.
La position de M. Laporte n'est pas partagée par tout le monde.
Mais je ne
suis pas sûr de comprendre les subtilités de votre argument. Moi, c'est assez
simple, mon affaire, là, c'est qu'il y a un équilibre entre l'aspect
représentation, hein, le pouvoir législatif, puis l'aspect gouvernance, le
pouvoir exécutif. Et, si tu vas trop loin dans un sens, tu affaiblis l'autre,
c'est aussi simple que ça. Et, moi, ce que je défends, ce n'est pas le pouvoir
exécutif, c'est le pouvoir québécois au sens le plus large, hein, c'est le
pouvoir du seul gouvernement contrôlé par une majorité
francophone en Amérique. C'est ça que je défends.
Il y a un
équilibre dans nos institutions, c'est vrai. Moi, je trouve que cet
équilibre-là me va. On pourrait le sophistiquer, le raffiner, mais là, les gens
qui sont pour la proportionnelle, ce qu'ils proposent, quelque part, c'est
une... là, vous allez trouver que je ne suis pas modéré, mais je le pense,
c'est comme une révolution, un peu, hein, c'est un changement de culture très,
très profond, là. On ne demande pas une amélioration du système par la bande,
puis c'est vrai qu'il faut l'améliorer. Il y a un tas de mauvais côtés à la proportionnelle,
on aurait plus de mauvais côtés, mais là on nous propose vraiment un saut dans
l'inconnu puis on veut vraiment un changement de culture complet. Donc, moi, ça
ne m'intéresse pas, un changement de culture complet, parce que je
trouve que notre gouvernement tient bien la route. Le gouvernement Legault tient bien... Vous savez, les libéraux, les gens
étaient tannés, bon, bien, on les a mis dehors. Puis là on a un gouvernement
Legault, qui n'est peut-être pas parfait, mais qui nous satisfait pendant un
certain temps. Puis, dans quatre ans, s'il y a une trop grosse usure, une
alternance, peut-être que Québec solidaire, qui sait, un jour, hein...
Le Président (M. Bachand) : Merci, M. Dufour. M. le député de Rimouski,
s'il vous plaît.
M. LeBel : Merci,
M. le Président. Bonjour, M. Dufour. Les années 70, là, je ne me
souviens pas vraiment, là, mais je me rappelle 1984, j'étais avec
M. Lévesque à l'exécutif national, puis il y croyait toujours... il y
avait toujours un projet qui était déposé, il y croyait toujours, à la
proportionnelle, en 1984.
Vous parlez
de folies, je vais dire : Depuis une semaine, on a rencontré beaucoup de
monde fou, parce qu'il y en a plusieurs qui y croient encore, qui y croient, à
la proportionnelle, qui veulent arriver à un projet qui va faire en sorte que
chaque vote compte.
Je partage,
par exemple, votre sentiment que, le Québec, là, on est un peu... on a des
choses à défendre, on est un peu...
mais c'est un peu sur la défensive, je trouve. C'est comme si c'était un prix
de consolation, de garder notre Parlement comme il est là, parce que... pour se
protéger. Est-ce qu'on peut se projeter plus loin?
Des
gouvernements forts, ça ne nous a pas empêchés... Là, il y a un gouvernement
fort, puis le fédéral va nous contester sur la loi n° 21,
on a des motions unanimes à tout bout de champ, avec un gouvernement fort, mais
ce n'est pas plus écouté par le fédéral, ça fait que ça ne change rien, à mon
avis.
Puis le
pouvoir franco, moi, ce que j'ai vu, les francophones, surtout, des régions...
Il n'y a pas si longtemps, j'avais cinq comtés dans le Bas-du-Fleuve, là il y
en a trois. On a perdu beaucoup de pouvoir, les francophones des régions,
depuis années, avec le système actuel. Ce qu'on est en train de proposer là va
protéger notre pouvoir en région. On est en train de... C'est un projet qui est
fait un peu pour ça.
Moi, je pense
qu'on est rendus à faire ce changement de culture. Vous parlez de la culture,
mais, dans le Parlement, je le vois, il y a un changement culturel, l'arrivée
des plus jeunes, ça a amené des changements de culture, de façons de faire de
la politique, et je pense qu'on est mûrs pour cette réflexion-là.
M. Dufour
(Christian) : Moi, en tout
respect, je suis désolé que le PQ se soit embarqué là-dedans, là, pour être
franc...
M. LeBel : Je savais que vous
alliez me dire ça.
M. Dufour
(Christian) : ...parce que
ça s'appelle le Parti québécois, en principe, hein, puis moi, je crois que ça
va diluer le pouvoir québécois puis le pouvoir de la majorité francophone.
Quand vous
parlez de «chaque vote compte», c'est une aberration, ça, de dire «chaque vote
compte». Il n'y a aucun système qui
va permettre que chaque vote compte. On est dans l'idéalisme, on est dans la
morale. On n'est pas dans la politique, là, comme tel.
Pour les
effets sur les régions qui sont fondamentaux — vous êtes un député de région — beaucoup de... je vous réfère encore à mon
collègue Louis Sormany, qui va vous en parler, des effets là-dessus, que ce
n'est pas vrai que ça va améliorer la situation
des régions. Ça va la rendre... Et, quand vous dites — en tout respect, M. LeBel, je vous
trouve résigné : Au fond, on est
rendus là, on n'a pas le choix... Bon, c'est sûr que ce n'est pas un miracle.
M. LeBel : ...que j'ai dit.
M. Dufour (Christian) : Pardon?
M. LeBel :
Ce n'est pas ce que j'ai dit.
M. Dufour
(Christian) : En tout cas,
je m'excuse, à ce moment-là, je ne veux pas...
M. LeBel : J'ai dit qu'il y a un changement culturel, et il
y a quelque chose qui est en train de se passer, puis je trouve ça positif.
M. Dufour
(Christian) : Mais je trouve
que, des fois, il faut résister un peu au changement, hein, parce que ce n'est
pas tous les changements qui sont bons, aussi. Et je ne prétends pas que le
mode de scrutin actuel, c'est merveilleux puis que ça règle tous les problèmes,
mais ce que je dis, c'est que, si on le perd, on va le regretter parce qu'on va
voir qu'il y a des problèmes qu'on n'avait pas qu'on va se mettre à avoir. Il faut
être très... On est une minorité. La majorité francophone québécoise, elle est majoritaire au Québec, mais
faut-il rappeler qu'elle est très minoritaire partout dans le reste... — je m'excuse de
radoter — qu'elle a perdu deux référendums, qu'il y a
une loi constitutionnelle de 1982, qu'il y a une cour suprême, qu'il y a une charte des droits, qu'on n'est pas société
distincte, qu'on n'est pas indépendants. Je sais que ça peut faire lourd, mais
ça, c'est...
Le Président (M.
Bachand) : Merci.
M. Dufour
(Christian) : Donc, il y a
de quoi être un peu conservateur, vous ne trouvez pas?
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup.
M. Dufour
(Christian) : Vous ne
trouvez pas qu'il y a de quoi être un peu conservateur...
Le Président (M.
Bachand) : O.K. S'il vous plaît...
M. Dufour (Christian) : ...de
garder ce qu'on a au moins?
Le Président (M. Bachand) : S'il vous plaît, M. Dufour, Mme la députée de Marie-Victorin a la
parole, s'il vous plaît. Merci.
Mme Fournier : Merci, M. Dufour. J'ai lu
votre livre, je vous lis, aussi, assidûment dans tous les articles d'opinion
que vous rédigez et que vous publiez, je considère que vous soulevez des
éléments légitimes. Cependant, je suis en profond désaccord avec votre argumentaire,
puis je vous explique pourquoi.
• (15 h 40) •
En fait, je
nous ramène dans le temps : 2013, le Parti québécois est au pouvoir,
minoritaire, mais il n'y a pas cette culture des gouvernements minoritaires, de
la culture de collaboration, et le gouvernement décide de proposer la charte
des valeurs québécoises. Il y a des mains qui sont tendues, par exemple de la
Coalition avenir Québec, pour modifier certains éléments du projet de loi et le
rendre plus consensuel, si on veut, mais le gouvernement décide de s'en tenir à
sa position, déclenche des élections, notamment sur cette question-là, et
finalement perd les élections, et le
projet se retrouve aux calendes grecques. Finalement, il faut attendre
2019, avec l'élection de la Coalition
avenir Québec, pour qu'un nouveau projet de loi sur la laïcité soit soumis à l'Assemblée
nationale, un projet de loi qui correspond, à toutes fins
pratiques, au projet
de loi qui aurait été consensuel en
2013. Alors, bien respectueusement, je vous soumets que, s'il y avait
eu un gouvernement minoritaire avec une culture de collaboration en 2013, bien, le Québec aurait pu avoir une loi sur la laïcité beaucoup
plus tôt, six ans plus tôt, en fait, avec un système de la sorte, donc je
considère que ça permet, en fait, d'avoir des grandes lois et de façon
peut-être encore beaucoup plus efficace, avec une plus grande collaboration des membres de l'Assemblée
nationale.
M. Dufour
(Christian) : Bien, vous
avez raison que ça a été une grosse erreur, je trouve, pour le Parti québécois, à l'époque, de ne pas
accepter la main tendue de la CAQ, j'en conviens là-dessus, mais il a fallu quand même un gouvernement majoritaire
caquiste pour aboutir.
Ce que je
vous répondrais, c'est que, bon, que vous préfériez plus de collaboration, bon,
c'est difficile de s'opposer à ça,
mais moi, je trouve que la politique, c'est quand même un combat, là. Depuis la
Grèce antique, là, depuis l'homme des cavernes, je pense, la politique, c'est
un combat, c'est une confrontation, et il y a des limites à l'angélisme puis,
vous savez, les discussions. On peut peut-être... Je ne suis pas en train de
vous dire que les gouvernements minoritaires, ça ne marche jamais, puis
j'aurais préféré, moi, que le PQ ait la sagesse d'accepter la main tendue, et
tout ça, mais il reste que ça ne s'est pas fait, puis ce n'est pas parce que
Mme Marois était méchante, la première... je ne sais pas... la première
ministre, c'est que ce n'est pas dans notre culture, c'est très enraciné, et ça
ne changera pas comme ça, et c'est...
Mme Fournier : Mais, justement, avec un changement
du mode de scrutin, je vous soumets que la culture politique va changer. On le
voit un peu partout où est-ce que c'est implanté, il y a des ententes
ponctuelles qui sont faites sur les projets de loi. Mais reconnaissez-vous que,
s'il y avait eu ce genre d'entente en 2013, on aurait eu une loi sur la
laïcité?
M. Dufour
(Christian) : Ça, je le
reconnais aisément et je pense que la culture politique changerait, mais pas
nécessairement dans le bon sens. Et aussi, ne soyons pas angéliques, ça fait...
Les Québécois... Là, nous, on est des intellectuels,
vous êtes des députés, vous êtes... mais le Québécois — puis pas dans un sens péjoratif, populiste,
là — enraciné, là, ça fait 200 ans qu'il est dans ce système-là,
là, hein, qu'il est dans une dynamique politique ancienne de type britannique.
Même si ça déplaît à quelqu'un, ça ne se change pas de même, ça ne se change
pas de même.
Le Président (M. Bachand) : Sur ce, M. Dufour, merci beaucoup de votre
participation.
M. Dufour
(Christian) : Ça m'a fait
plaisir. Merci de m'avoir écouté.
Le Président (M. Bachand) : La commission suspend ses travaux quelques
instants. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 15 h 42)
(Reprise
à 15 h 45)
Le Président (M. Bachand) : À
l'ordre, s'il vous plaît! Merci. La
commission continue ses travaux.
Alors,
je souhaite la bienvenue à M. Brian Tanguay, professeur au Département de
science politique de l'Université
Wilfrid-Laurier. Alors, M. Tanguay, vous avez 10 minutes de
présentation, et après ça on aura une période d'échange.
M. Brian Tanguay
M. Tanguay
(Brian) : C'est à moi?
Le
Président (M. Bachand) : Alors, à vous la parole.
M. Tanguay
(Brian) : C'est bon?
Le
Président (M. Bachand) : Oui, c'est bon.
M. Tanguay (Brian) : Vous m'écoutez? Bon, merci bien pour m'avoir
invité de paraître ici. Je dois dire qu'en 2003 j'ai été embauché par la Commission du droit du Canada pour écrire la
première ébauche du rapport Un vote qui compte : la réforme électorale pour le Canada,
qui représentait la culmination d'un long processus de consultations publiques et de recherche scientifique. Le rapport, qui a été soumis au gouvernement canadien en avril 2004, a recommandé un système
électoral mixte compensatoire un peu semblable à celui utilisé en Écosse, Allemagne et
la Nouvelle-Zélande, actuellement. Je ne vais pas reproduire ici les raisons pour
lesquelles la Commission du droit est arrivée à ces recommandations pour
crainte de gaspiller le temps de tout
le monde, et je n'ai que
10 minutes pour faire mes remarques.
Donc, en lisant le projet de loi n° 39, je
me suis dit que, si moi, Brian Tanguay, avais eu la chance d'esquisser un modèle
de réforme électorale, un système alternatif au statu quo, ça ressemblerait beaucoup
à celui décrit dans le projet de loi. Il
ressemble, dans ses grands traits les plus importants, à celui recommandé par
la Commission du droit il
y a 16 ans, et donc je
dis : Bon travail, excellent.
Même si je soutiens le système
électoral mixte compensatoire décrit dans le projet de loi, j'ai deux
«reservations» assez importantes. Premièrement, les 17 régions utilisées pour les listes et
sièges compensatoires sont vraiment très,
très diverses, surtout
du point de vue de la population. Avoir deux régions qui sont trois ou quatre fois
plus grandes que les autres pourrait, en
fin de compte, et certainement après deux ou trois cycles électoraux, soulever des questions parmi les
électeurs eux-mêmes en ce qui concerne l'équité de leur vote. Il vaut mieux, à
mon avis, chercher de créer des régions plus proches l'une de l'autre en termes
de la population.
Il y a
deux façons ou options pour procéder : soit on réduit le nombre de régions
pour créer à peu près 10 régions plus grandes — dans
ce cas, les résultats électoraux seront plus proportionnels, puisque,
toutes choses égales, ceteris paribus, plus grande la région compensatoire,
plus proportionnels, les résultats; soit, en contraste, on pourrait diviser les
grandes régions telles Montréal pour créer plus de régions plus petites — dans
ce cas-ci, les résultats seront moins proportionnels, mais les régions seront plus proches aux électeurs
du point de vue psychique, ce qui, dans mon expérience
personnelle, lors de la campagne référendaire en Ontario en 2007, compte pour beaucoup.
• (15 h 50) •
Deuxième «reservation», et plus importante que la
précédente, le projet de loi stipule qu'un parti, pour obtenir des sièges
compensatoires, doit obtenir au moins 10 % des voix de liste à travers la
province. Je comprends très bien que ce seuil est le produit d'un désir de
faire des obstacles aux partis extrémistes, mais ce seuil est beaucoup trop
élevé, pourrait produire des effets pervers tels que je signalais dans la
version écrite en anglais de mes remarques. Et le plus important, c'est que ce
n'est pas nécessaire. Ça représente une solution à un problème qui n'existe
presque pas, car ce n'est pas le système électoral qui, lui-même, produit
l'extrémisme ex nihilo, c'est beaucoup plus la société elle-même et les
divisions au sein de cette société qui comptent. Si on regarde les expériences
de la Nouvelle-Zélande, ou l'Écosse, ou même l'Allemagne, avec un système
semblable à celui recommandé par ce projet de loi mais avec un seuil formel beaucoup
moins élevé, on ne voit pas l'ingérence ou la prolifération des partis
extrémistes ni la paralysie qui est produite par ces petits partis et leurs
demandes irréalistes, qui fait peur à beaucoup de ceux qui opposent la réforme
électorale. Un seuil formel de 5 %, donc, du vote de liste à travers la
province serait suffisant d'obtenir les résultats désirés.
En guise de conclusion — j'ai été très bref — je voudrais souligner mon approbation pour
la réforme esquissée dans le projet de loi n° 39, à part les deux
«reservations» que je viens de noter. Et j'aimerais souligner aussi qu'il ne
faut pas être obsédés par la recherche de la proportionnalité parfaite, comme,
je pense, est devenu le cas avec certains tenants de la réforme électorale
ailleurs au Canada, et c'est surtout le cas, à mon avis, avec Fair Vote Canada,
avec laquelle j'ai travaillé depuis longtemps.
Les objectifs primordiaux sont d'abord de
renouveler le discours politique public en facilitant la représentation de
nouveaux courants d'opinions, de nouveaux partis dans la législature ici, au
Québec, et, deuxièmement, de donner plus d'opportunités aux candidats venant des secteurs non traditionnels de la
société, c'est-à-dire les femmes, les minorités, les peuples autochtones. Et c'est cette sorte de réforme qui pourrait
faciliter cela, le statu quo ne suffit pas.
La réforme contenue dans le présent projet de loi,
avec les deux modifications que j'ai indiquées, peut accomplir ces tâches avec
facilité, et je dis «bonne chance», surtout, de mon point de vue, au Canada
anglais, où les tentatives d'introduire la réforme électorale ont toutes échoué
de façon assez désastreuse.
Le Président (M. Bachand) : Mme la ministre, s'il vous plaît.
Mme LeBel : Merci. Merci, M. le Président. Merci,
M. Tanguay, de votre présentation. Je vais peut-être en profiter pour en
parler un peu, de votre expérience personnelle, parce que vous avez fait
quelques recommandations. Donc, je comprends que vous êtes pour une réforme
d'un mode de scrutin, tel qu'on le propose, avec améliorations, naturellement,
mais, à la base, vous pensez qu'on s'en va vers un bon système, là, pour les
voteurs.
M. Tanguay (Brian) :
Exactement, oui.
Mme LeBel : Parfait. Je compare... Vous avez fait référence à
l'Ontario, qui a essayé, également, d'introduire un tel système. On voit que ça
a échoué pour d'autres raisons, mais ma question est la suivante... puis
peut-être vous allez... Et vous avez
travaillé, également, au niveau canadien pour la réflexion sur un tel...
d'introduire un mode de scrutin proportionnel mixte, c'est exact?
M. Tanguay (Brian) : Oui.
Mme LeBel : Parfait. On a eu une discussion, précédemment,
avec la personne qui vous précédait, sur le fait que le Québec est une
province, n'est pas un pays, et qu'on fait partie d'une fédération. Est-ce que
l'Ontario avait cette préoccupation-là, également, d'affaiblir sa position au
sein de la fédération? Parce qu'un mode de scrutin proportionnel mixte donne
nécessairement, de facto, des gouvernements plus minoritaires ou des
gouvernements de coalition, c'est un fait. Est-ce que cette préoccupation-là
existait? Puis qu'est-ce que vous en pensez, vous? Est-ce que vous pensez que
le Québec, s'il passait à un tel mode de scrutin, affaiblirait sa position au
sein de la fédération?
M. Tanguay
(Brian) : Je suis
complètement en désaccord avec M. Dufour. Je ne pense pas que ça soit le
système électoral ni même le fait qu'il y a des gouvernements de coalition qui
affaiblirait le Québec. Si on regarde Angela Merkel, par exemple, est-ce
qu'elle est moins puissante, moins efficace puisqu'elle est en tête d'un
gouvernement de coalition? Non, c'est une question de leadership. Et je trouve
cela, la recommandation de Christian Dufour dans son livre, peu convaincante.
Je ne pense pas que le Québec se trouve dans une situation affaiblie s'il y a,
dans l'avenir, des gouvernements de coalition. C'est une question de
leadership, en fin de compte.
Mme LeBel : Dans les discussions qui ont lieu... qui ont eu
cours en Ontario, à l'époque, je pense que c'est autour de 2007, si je ne me
trompe pas, est-ce que cette notion-là... Je comprends qu'il y a eu plusieurs
débats, des pour et des contre la réforme, mais, dans le camp des contre,
est-ce que cette idée d'affaiblissement de l'Ontario face au fédéral était
quelque chose qui circulait?
M. Tanguay
(Brian) : Non, pas du tout.
Les problèmes, en Ontario, étaient grands. D'abord, il n'y avait pas assez de
temps pour réfléchir, c'était une sorte de cédule assez compressée. Deuxièmement, il y avait une campagne assez efficace, campagne
populiste, donc les critiques soulevées contre la réforme étaient plutôt... D'abord, il y avait une recommandation d'élargir
la législature en Ontario, et ça, c'est venu après le gouvernement de Mike
Harris, le gouvernement progressiste-conservateur, qui a passé une loi qui était «Fewer Politicians Act», O.K.?
Mme LeBel : Moins de
politiciens?
M. Tanguay
(Brian) : Donc, ça a réduit le nombre de représentants en
Ontario pour faire l'équité entre le niveau fédéral et le niveau provincial. Et
on peut deviner, à cause du titre de la loi, «Fewer Politicians,» c'était... il
y avait toutes sortes d'images associées avec la classe politique, images assez
malsaines. Et donc, lors de la campagne, j'ai reconnu que beaucoup de monde
n'aimait pas le fait que la législature ontarienne serait grandie par une
trentaine de sièges, il y avait une opposition à cela.
Il y avait
aussi beaucoup de confusion à propos de la réforme proposée. Ça, à mon avis,
était un produit du fait que le gouvernement lui-même était à contrecoeur.
Dalton McGuinty, le premier ministre en Ontario à l'époque, n'aimait pas l'idée
d'un nouveau système électoral. Il y avait peu de membres du cabinet qui
soutenaient la réforme. Il y avait une sorte de confusion parmi beaucoup de partis politiques. Même le parti
néo-démocrate, qui devrait être en faveur de la proportionnalité, n'était pas très public avec ses pensées. Donc,
pour ces raisons, la réforme a échoué de façon assez spectaculaire, d'ailleurs.
Mme LeBel : O.K. Et il n'y avait pas de projet de loi concret
qui était sur la table. C'était l'idée de savoir si on voulait faire une
réforme, mais il n'y avait pas de projet de loi concret tel qu'on le présente,
nous, ici, au Québec, là.
M. Tanguay
(Brian) : Exactement. Il y
avait le rapport de l'assemblée des citoyens, mais je sais de ma propre
expérience que c'était difficile de trouver ce rapport. Il n'y avait pas
suffisamment de rapports. Lors de l'été, il y avait beaucoup de monde qui me
demandait : Où est-ce que c'est, ce rapport? Comment est-ce que je
pourrais le lire? Donc, du point de vue de l'éducation du citoyen, de
l'électeur, c'était une faillite en Ontario.
Mme LeBel : O.K. Vous faites deux recommandations principales
pour bonifier la proposition gouvernementale présentement sur la table. Une de
ces recommandations-là est de soit regrouper certaines régions pour en diminuer
le nombre, soit les fractionner pour en augmenter le nombre.
M. Tanguay
(Brian) : Oui.
Mme LeBel : J'imagine que l'objectif principal de cette
recommandation-là et le motif principal est d'obtenir une plus grande
proportionnalité.
• (16 heures) •
M. Tanguay
(Brian) : À mon avis, oui,
mais je comprendrais très bien si on voudrait aller en sens inverse pour
agrandir le nombre des régions, et c'est la raison pour laquelle que j'ai
indiqué que, pour moi, maintenant, à l'époque, ce n'est pas la proportionnalité
en elle-même qui compte le plus, c'est le fait même de réformer le système
électoral. Je pense qu'au Canada ce débat est devenu la victime d'un processus
de fétichisation, si je pourrais le dire. Le système est tellement important pour les tenants du statu quo que même
essayer de réformer ce système est vu, est perçu comme étant assez extrême.
Donc, le
débat, au Canada anglais, est devenu pour moi assez frustrant, et j'aimerais
simplement qu'ici, au Québec, on réforme le système, on indique, on
démontre aux gens que ce sont les citoyens qui comptent le plus, qu'ils peuvent changer leurs institutions sans que le résultat
soit un cauchemar. Au Canada anglais, c'est présenté en des termes assez malsains comme ça, que réformer le système,
ajouter un élément de proportionnalité produirait un cauchemar politique, avec des partis extrémistes, ce serait un peu
semblable à la république de Weimar aux années 30, ou à l'Israël, ou à
l'Italie de l'après-guerre. Ce sont tous des exemples utilisés communément
par les opposants à la réforme.
Mme LeBel : Ce qui n'est pas le cas, finalement.
M. Tanguay
(Brian) : Non, exactement.
Il faut regarder l'expérience, surtout, de la Nouvelle-Zélande et l'Écosse,
aussi l'Allemagne, mais c'est un système assez différent, je pense que c'est l'Écosse, la
Nouvelle-Zélande, et, si on regarde ces deux cas, ça n'a pas
produit un cauchemar, pas du tout. Mais d'ailleurs, de l'autre côté, ce
n'est pas une panacée, ça ne représente pas le paradis électoral politique,
mais ça pourrait réduire certaines pathologies dans notre système
actuel. Et donc, pour ça, je regarde le fait même d'essayer de réformer le système
électoral un pas en avant ici, au Québec, et pour les autres juridictions au Canada.
Mme LeBel : Mais ça va très certainement demander un
changement de culture politique, un changement de mentalité, un changement de
nos façons de faire, là.
M. Tanguay
(Brian) : Oui, oui, tout
changement des règles de jeu produirait un changement de mentalité, de culture,
de comportement. Les partis politiques devraient, dans l'avenir, apprendre à
collaborer au lieu d'avoir notre système «adversarial». Ce serait un changement
assez majeur, mais pas la fin du monde, c'est simplement ce que j'aimerais
dire.
Mme LeBel : Merci beaucoup. Merci. Je n'ai pas d'autre
question.
M. Tanguay (Brian) : Merci.
Le Président (M. Bachand) : Mme la députée de Bourassa-Sauvé, s'il vous
plaît.
Mme Robitaille : Merci, M. le Président. Bonjour, monsieur,
bonjour, M. Tanguay. Oui, je vous écoutais, vous parliez de l'Allemagne.
Bon, Mme Merkel a pris huit mois avant de former son gouvernement de
coalition la dernière fois, mais l'Allemagne a quelque chose que ce projet de
loi là ne semble pas avoir... bien, n'a pas, c'est justement, pour garantir une
certaine stabilité, un encadrement des motions de censure. Est-ce que vous
pensez que, dans ce projet de loi là, pour le bonifier, ça serait quelque chose
d'important, un encadrement des motions de censure?
M. Tanguay
(Brian) : Je n'ai pas
vraiment réfléchi à cela. Et, si je pourrais esquiver un peu, je ne pense pas
qu'il y ait des raisons pour ne pas
avoir ce que vous voudriez, même si on réforme le système électoral. Donc,
c'est, encore une fois, un simple amendement à la loi actuelle ou au projet de
loi actuel.
Mme Robitaille : Qui pourrait bonifier, qui pourrait... Vous
n'avez pas de position là-dessus?
M. Tanguay (Brian) : Non.
Mme Robitaille : Vous parliez, tout à l'heure, de la population,
en Ontario, rébarbative au changement, et tout ça, le fait que c'était quand même, comme disait mon collègue,
votre cousin lointain, M. Tanguay, député de LaFontaine, un bouleversement
de... c'est un gros changement de culture pour nous, et tout ça, donc c'est des
changements fondamentaux importants. L'idée d'un référendum, vous êtes d'accord
avec un... Vous pensez que c'est important, un référendum?
M. Tanguay (Brian) : Moi, si, encore une fois, c'était moi pour faire
la réforme, j'introduirais un nouveau système, et donnerais deux cycles
d'élection, et après avoir un référendum confirmatoire. La raison pour laquelle
je dis cela, c'est qu'une campagne référendaire, jusqu'ici... Donc, il y avait trois campagnes en
Colombie-Britannique, trois dans l'Île-du-Prince-Édouard et une en Ontario, et
toutes ces campagnes ne produisaient pas l'éducation nécessaire, pour le
citoyen, pour l'électeur, de faire une décision informée, à mon
avis. Et il y avait
toutes sortes de... il y a beaucoup
de raisons pour rejeter n'importe quel changement. Et les opposants de la
réforme électorale avaient toutes sortes de critiques qui
n'étaient pas liées, qui étaient fantastiques, parfois. Et moi, j'ai trouvé les
campagnes électorales... pardon, référendaires peu satisfaisantes du point de
vue de la démocratie, du point de vue du rôle qu'un référendum devrait faire
dans un système politique. Ce n'était pas le cas, ce n'était pas un moment où
la majorité des citoyens pouvait faire des décisions informées sur la réforme
proposée.
Et il y a un livre rédigé par Ken Carty et
d'autres qui regarde les expériences des assemblées citoyennes en
Colombie-Britannique et en Ontario. Ça, c'étaient des moments de réflexion
démocratique assez avancés dans un système semblable au nôtre, mais après la
campagne référendaire, en quelque sorte, a échoué, ce moment démocratique où il
y avait une éducation réelle.
Mme Robitaille : Donc, des moments démocratiques importants, où il
faut quand même une pédagogie qui soit bien faite. Alors, je vous entends.
M. Tanguay (Brian) : Exactement. Mais ici, dans ce cas-ci, on a deux ans avant l'élection, avant
le référendum. Ça, c'est beaucoup plus que c'était le
cas en Ontario. Il n'y
avait qu'un an, à peu près.
Mme Robitaille : O.K. Non, mais je vous entends : bien renseigner
les gens, les informer parce que, de
toute évidence c'est compliqué, c'est quelque
chose de nouveau et ça va changer profondément la façon dont ils vivent leur
démocratie.
M. Tanguay
(Brian) : Oui.
Mme Robitaille : Donc, a fortiori, le faire... ou faire un
référendum en même temps qu'une campagne électorale, ce n'est pas idéal, c'est ce que je comprends.
M. Tanguay (Brian) : Oui, ce n'est pas idéal, c'est ça. Exactement,
exactement. Mais ici, au Québec, on a une chance de faire des choses
meilleures, de façon meilleure, plus efficace qu'il ne l'était le cas ailleurs
au Canada. Avec deux ans, avec une expérience dans la culture politique
avec des référendums dans le passé, avec un comité de Oui et de «No» qui seraient bien structurés, je pense qu'il
y a l'opportunité d'avoir un débat assez approfondi où l'éducation, la
pédagogie pourrait se faire.
Mme Robitaille : Donc, un camp du Oui et du Non où, j'imagine, les
élus ont une participation active.
M. Tanguay
(Brian) : Oui.
Mme Robitaille : Le chef du gouvernement, le chef du parti au
pouvoir qui propose le projet de loi devrait, selon vous, se mouiller, prendre...
M. Tanguay
(Brian) : Oui, oui.
Mme Robitaille : C'est important pourquoi?
M. Tanguay (Brian) : Oui, puisque les électeurs regardent leurs chefs
politiques, leurs partis politiques, les partis qu'ils soutiennent pour avoir
des signes, des signaux. Et ça, c'était le cas en Ontario, il y avait tellement
de confusion parmi les partis politiques eux-mêmes que c'était difficile pour
le citoyen dit ordinaire de savoir ce que la position de leur parti était. Et
il y avait cette tendance de dire : Bon, on va laisser cette question à la
volonté des citoyens, et ça, c'était, comme on dit en anglais, «cop-out».
Mme Robitaille : Donc, le message que vous envoyez au gouvernement
actuel, c'est : Prenez un camp ou assumez-vous, vous présentez le projet de loi, sautez dans
l'arène, plongez, puis...
M. Tanguay (Brian) : Exactement, exactement. Cette idée qu'on va
laisser la décision simplement aux citoyens, aux électeurs, c'est une fausse route. Ce n'est pas bon pour la
démocratie, pour l'éducation, pour le référendum, pour la réforme.
• (16 h 10) •
Mme Robitaille : Oui, je vous entends, c'est presque un exercice
vain, en fait. C'est comme promouvoir
le statu quo ou dire : Ah! peut-être qu'on aime mieux le statu quo, oui.
M. Tanguay (Brian) : Exact.
Mme Robitaille : Vous dites, dans votre mémoire, puis
vous en avez parlé brièvement... vous dites, dans votre mémoire,
puis je vais lire en anglais, mais vous en avez parlé brièvement : «Designers of the proposed MMP system might want
to think about either collapsing some of the regions to make fewer in total,
or, alternatively, to split a couple of the larger regions, which might be too
large for many voters to think of as "[neutral]".» Alors, soit, justement, pour un souci de proportionnalité, tant qu'à faire l'exercice,
moins de régions, pour que ce soit plus proportionnel, pour que le compte se
fasse mieux, ou aller carrément plus petit. C'est ce que vous dites.
M. Tanguay (Brian) : Oui, oui. Et, si la proportionnalité compte
beaucoup comme objectif politique, il faut avoir des régions plus grandes.
Mme Robitaille : Mais là pour... et on en a parlé beaucoup, là,
ici, pour le député, pour les députés, qu'ils soient de liste ou de circonscription, et le député de
Rimouski le rappelle aussi, c'est immense, c'est des territoires immenses,
c'est extrêmement difficile, pour les citoyens et puis pour le député, de
représenter son monde. Est-ce qu'il n'y a pas une diminution... Comment on fait, justement, pour aller à
l'encontre... pour guérir ce problème-là, si je puis dire?
M. Tanguay (Brian) : Oui, oui. Sans doute, il faudra avoir une
division de travail entre les députés de région et les députés élus dans les circonscriptions. Et les
députés de région pourraient agir au sein de ces circonscriptions plus grandes.
Il n'y a aucune raison, à mon avis, pour laquelle le citoyen... pardon,
le député élu avec 37 % des voix aura 100 %, un monopole de la représentation de quiconque circonscription,
et donc il pourrait partager le travail avec les députés de liste. Mais il faut
avoir, dans ce cas-là, une division de travail écrite, négociée entre les deux
types de députés.
Mme Robitaille : Oui, mais ça, ça se ferait à l'ad hoc. Ça serait
ad hoc, ou vous verriez une division claire?
M. Tanguay (Brian) : On pourrait... Il y a des choses semblables en
Écosse, il y a des formes de partage, et donc il faut regarder ailleurs, en Écosse, en
Nouvelle-Zélande, qui sont beaucoup plus petites que le Québec, oui.
Mme Robitaille : ...ce n'est pas du tout le mêm genre de...
M. Tanguay (Brian) : Mais ça pourrait donner une idée de comment
procéder. Il faut avoir...
Le Président (M. Bachand) : Je vais céder la parole au député de Rimouski. M.
le député de Rimouski, s'il vous plaît.
M. LeBel : Bonjour. Je vais continuer là-dessus, parce que,
quand je parle de changement de culture, là, c'est un peu ça, puis on a de la difficulté à se le mettre dans
la tête. Une circonscription comme la Côte-Nord, toute la région de la
Côte-Nord, avec ce qui nous est
proposé, il y aurait deux députés : un député de circonscription pour
la Côte-Nord puis un député de liste
pour la Côte-Nord. Ça fait que ça fait deux députés pour une grande
région. C'est sûr que, là, actuellement, on travaille avec deux circonscriptions. Ça fait qu'il y en a
une qui est à Sept-Îles, l'autre est à Baie-Comeau, et elles se partagent chacune
leur région. Là, il faudrait arriver à faire en sorte que les deux... de temps
en temps, un est à Sept-Îles ou les deux ensemble sont à Sept-Îles, des
fois les deux ensemble sont à Baie-Comeau, ils se partagent, ils pourraient
même se partager les bureaux de
circonscription et... C'est une culture qu'on ne connaît pas, là, qui a changé,
mais est-ce que c'est faisable?
M. Tanguay (Brian) : Je pense que c'est faisable, oui, mais ce n'est
pas facile, mais c'est faisable avec la volonté politique. Il n'y a aucune
raison pour laquelle ça ne pourrait pas se produire. C'est simplement une
question... Ce n'est pas simple, là, mais c'est une question de volonté
politique.
M. LeBel : C'est aussi une question de ressources. Est-ce
que l'État devra... l'Assemblée
nationale devra donner des ressources
à ces députés-là?
M. Tanguay
(Brian) : Oui.
M. LeBel : Moi, ma circonscription de Rimouski, si on la calque au fédéral... Là, actuellement, j'ai Rimouski, le Haut-Pays de la Neigette, là, j'aurais la
partie de... tu as Les Basques, Trois-Pistoles, j'aurais tout le Témiscouata. C'est sûr qu'avec les ressources que j'ai là, impossible que je livre la
marchandise. Ça fait que, si on va vers une réforme du genre, il faut que ça soit accompagné par des ressources
nouvelles pour les députés pour qu'ils puissent arriver à faire ça.
M. Tanguay (Brian) : Tout à fait, oui.
M. LeBel : Oui, pour permettre qu'il y ait encore de la
proximité avec les citoyens.
M. Tanguay (Brian) : Exactement, ce qui compte beaucoup dans notre
système électoral. Ce n'est pas la
seule base de représentation, ce n'est plus la seule base, mais le territoire,
c'est, de toute évidence, là, très important, primordial dans notre système
Westminster.
M. LeBel :
Parce que le député provincial, c'est un député de proximité. Contrairement au
député fédéral, le provincial, c'est la
santé, les affaires municipales, ça fait qu'il a besoin d'outils pour rester
proche de son monde. Mais vous dites que c'est faisable, ça s'est fait
ailleurs.
M. Tanguay (Brian) : Oui, c'est faisable, mais pas facile.
M. LeBel : Merci beaucoup.
M. Tanguay
(Brian) : Merci.
Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée de Marie-Victorin, s'il
vous plaît.
Mme Fournier : Merci beaucoup pour votre présence ainsi que pour
votre présentation. Je trouve ça très intéressant, en fait, que vous ameniez
des exemples concrets de ce que vous avez vécu durant la campagne référendaire
en Ontario, je pense que ça peut nous servir d'enseignement ici, au Québec.
Vous avez notamment mentionné qu'il y avait eu une campagne que vous avez
qualifiée de populiste, je crois, pour l'option du statu quo.
M. Tanguay (Brian) : Oui.
Mme Fournier : Oui, voilà. C'est évidemment une crainte qu'on
peut avoir, hein, la désinformation de manière générale, puis de la part d'un
camp ou d'un autre. Et hier on a entendu le directeur des élections du Québec,
qui nous a, en fait, avoué qu'il ne comptait pas intervenir durant la campagne
référendaire pour rectifier des faits, et il y a d'autres intervenants qui nous
ont dit que ce serait bien qu'on puisse avoir une commission indépendante,
qu'elle soit menée par le DGEQ ou par peut-être une autre instance de
spécialistes, qui pourrait, justement, agir un peu en tant que vérificatrice
pendant la campagne électorale. Croyez-vous que ce serait une bonne idée qu'au
Québec on se dote de ce genre de mécanisme pour contrer la désinformation
pendant la campagne référendaire?
M. Tanguay
(Brian) : Ce serait génial,
à mon avis, ce serait un pas excellent, intelligent et, je dirais même,
nécessaire, puisque, pour moi, encore une fois, avec mon expérience
personnelle, c'était très difficile de contrer les peurs des citoyens, et ces
peurs étaient... «to fan» en anglais, étaient renchéries par les médias, par les
entrepreneurs politiques populistes, et il faut avoir un tel mécanisme que vous
décrivez, ce serait un pas en avant.
Mme Fournier : Très bien. Merci beaucoup.
M. Tanguay (Brian) : Merci.
Le Président (M. Bachand) : Sur ce, merci beaucoup de votre participation à
la commission.
La commission
suspend ses travaux quelques instants. Merci beaucoup, M. Tanguay.
M. Tanguay (Brian) : Merci.
(Suspension de la séance à 16 h 18)
(Reprise à 16 h 19)
Le Président (M. Bachand) : À
l'ordre, s'il vous plaît! La
commission reprend ses travaux.
Il me fait
plaisir d'accueillir M. Louis Sormany. Comme vous savez, vous avez
10 minutes de présentation, et après ça nous allons avoir un échange avec
les membres de la commission. Donc, bienvenue, et la parole est à vous.
M. Louis Sormany
M. Sormany
(Louis) : Oui, bonjour.
Alors, je me présente, Louis Sormany. Alors, j'ai fait une carrière dans la fonction publique de 1975 à 2013, principalement en éthique et en législation, et j'ai été
secrétaire adjoint à l'éthique et à la législation de 2001 à 2013 au ministère du Conseil exécutif. Compte
tenu du temps imparti, évidemment,
je ne reprendrai pas tout ce qui est dans mon mémoire, mais je pourrais en
discuter avec vous, si vous le voulez.
Au départ, je
pense que M. Dufour l'a expliqué tantôt, on a travaillé, on a collaboré
ensemble et on a donc la même position. On est, je dirais, entre guillemets,
résolument contre la réforme, bon.
Pour les fins
de mon exposé, je vais m'arrêter sur le fait qu'avec ce projet de loi les régions, à mon avis, sont mal desservies, et je vais faire
ressortir aussi que la culture qui va se dégager de la réforme du scrutin va en
être une essentiellement axée sur les partis, un thème que j'ai abordé à
quelques endroits dans mon mémoire, mais que, là, j'ai décidé de regrouper pour
les fins de ma présentation.
Alors, sur
les régions mal desservies par le nouveau mode de scrutin. Alors, le fait que
la compensation prévue par le projet
de loi soit régionale puis que le
poids relatif de chacune des régions soit conservé en ce qui a trait au nombre
global de députés ne signifie en aucune façon que les régions vont en sortir
gagnantes pour autant, à mon avis.
Le projet
oublie en effet certaines réalités propres au Québec, qui le
distinguent, entre autres, des fameux exemples qu'on nous cite toujours,
l'Écosse, la Nouvelle-Zélande et l'Allemagne, alors, les réalités propres au Québec
qui sont l'immensité de son territoire et la faible densité de sa population
dès qu'on s'éloigne des grands centres urbains.
Si l'on considère qu'en région éloignée les moyens
de communication sont beaucoup plus limités et beaucoup moins organisés qu'en
milieu urbain, qu'il s'agisse des voies physiques, comme les routes, le réseau
ferroviaire, les ponts et les
fameuses traverses navales, dont on parle tant dans l'actualité de ce temps-ci, ou virtuelles, vidéoconférences, Internet, les députés de
ces régions, qu'ils soient de circonscription ou de région, se trouveront
devant une tâche pratiquement impossible à réaliser s'ils
veulent continuer à rendre à leurs commettants des services de proximité de
qualité, qui exigent un contact direct avec eux.
Pensons, par exemple, au député de région qui va
être appelé à desservir des territoires aussi vastes que l'ensemble de
l'Abitibi-Témiscamingue, de la Côte-Nord ou de la Gaspésie—Îles-de-la-Madeleine. Outre les difficultés de
communication déjà évoquées, ce député-là va être confronté, à l'intérieur même
de sa région, à des intérêts contradictoires, voire même à des oppositions
d'une sous-région à l'autre et, en plus, à la concurrence d'un ou de
deux députés, selon les régions, provenant d'une autre formation.
Il y a une autre réalité qui va se... risque de se
produire, particulièrement, dans les régions éloignées, c'est ce que j'ai
appelé les sous-régions orphelines. Alors, dans les grands centres à faible
densité, où le nombre de députés apparaissait déjà minimal, la diminution
drastique du nombre de circonscriptions locales au profit de sièges région va
rendre orphelines certaines sous-régions. Par exemple, il pourrait arriver que le port d'attache du député local
de la Côte-Nord soit le même que pour le député régional, par exemple
Baie-Comeau, au détriment de Sept-Îles et de tout le secteur couvert par le
comté de Duplessis.
En Gaspésie, il n'y a rien qui va empêcher que le
député local et le député régional proviennent du même secteur, par exemple, le
nord de la Gaspésie, donc le comté actuel de Gaspé, par opposition... au
détriment du sud de la péninsule, qui est le comté actuel de Bonaventure.
Même dans les régions plus populeuses, cette
problématique-là des sous-régions orphelines va peut-être se poser. Pensons au
Saguenay—Lac-Saint-Jean,
où les électeurs du Lac vont peut-être se sentir sous-représentés si les
deux députés de région vont provenir du Saguenay.
Des problématiques analogues ont été aussi
soulignées dans d'autres régions, notamment celle des Laurentides, où on a dit
qu'on craignait que les députés de région proviennent surtout des
Basses-Laurentides par rapport au reste de la région, qui est peut-être moins
densément peuplé.
Par ailleurs, dans le Bas-Saint-Laurent, les
trois comtés actuels devront être fusionnés pour en former deux, les
trois comtés locaux. La Commission de la représentation, pour y parvenir,
ne pourra pas se contenter d'adjoindre au comté de Rimouski, composé des MRC
Rimouski-Neigette et La Mitis, une des municipalités régionales limitrophes de
comté, comme Les Basques, par exemple, parce que cela aurait pour effet de
couper en deux la région et puis de couper en deux l'autre comté qui resterait. Alors, la commission
n'aura pas le choix, finalement, de fusionner deux comtés, deux des trois
comtés actuels, c'est-à-dire
probablement Rimouski avec Matane-Matapédia, parce que... et, compte tenu de la
population, le comté de Rivière-du-Loup—Témiscouata étant un peu plus populeux... surtout
qu'il y a la partie Kamouraska, qui était dans Rivière-du-Sud, qui va revenir
dans le comté, donc qui va être plus populeux. Alors, on va probablement
prendre, à ce moment-là, les deux comtés, parce que... si on ne veut pas
jouer non plus dans les limites des MRC, et on va être obligés de fusionner
Rimouski avec Matane-Matapédia.
Pour ce qui est de la Côte-Nord, celle-ci va avoir
droit, en vertu du projet de loi, à deux députés comme actuellement,
mais dont l'un va être un député de circonscription puis l'autre, de région.
Ça, ça signifie que ces deux députés-là
vont être appelés à desservir exactement le même territoire, soit l'ensemble de
l'immense territoire de la région de la Côte-Nord. Dans ce contexte, penser que
la Côte-Nord va être mieux desservie par ce nouveau mode de scrutin constitue,
à mon avis, une aberration. Pas surprenant que les députés actuels de
René-Lévesque et de Duplessis aient émis de sérieuses réserves et aient parlé
d'une situation inimaginable et inacceptable, rejoignant en cela des
inquiétudes déjà formulées par bien du monde dans ces régions-là.
J'en arrive au deuxième point de mon mémoire, qui
est une culture axée sur les partis politiques mais qui est en lien, aussi,
avec la problématique des régions, en bonne partie. Alors, penser que les
problèmes que va poser la réforme en région vont se trouver réglés par
l'apparition d'une nouvelle culture dans les régions est, à mon avis, une
illusion. On a évoqué, à cet égard, un partage des tâches et des
responsabilités entre les députés sur une approche transpartisane. Au contraire,
le fait que des députés de formations différentes se retrouvent directement en
concurrence sur un même territoire risque plutôt d'accentuer les antagonismes,
chacun tirant la couverte de son côté en vue de mieux se positionner pour
enlever les prochaines élections. Eric Montigny, d'ailleurs, dans son mémoire,
hier, a parlé du phénomène de «shadowing», quelque chose du genre, en tout cas,
où le député de région avait tendance à avoir son bureau tout près du député de
circonscription de façon à pouvoir... je ne dirais pas le contrôler, mais de
voir ce qui se passe, etc.
Il ne faut pas oublier non plus que les partisans
de la proportionnelle mettent l'accent sur la force respective des partis. Pour
eux, les élections générales ne sont pas, avant tout, l'élection d'un
représentant local dans chaque circonscription, mais davantage un référendum
sur la portée d'un parti par rapport à un autre. Cet accent mis sur la force
des partis ne risque donc pas de favoriser la collaboration entre députés. Il
ne va pas non plus améliorer le contrôle des électeurs sur leurs institutions
démocratiques. Au contraire, avec ces règles complexes, avec ces marchandages
entre partis en vase clos et postélectoraux, avec la hiérarchisation entre eux
des députés d'un même parti, décidée par le parti lors de la confection des
listes, tout ça va plutôt entraîner une mainmise des partis sur tout le système
électoral. On va se retrouver avec des coalitions où un parti plus
institutionnel va se maintenir au pouvoir, alors que, dans le système actuel,
un parti, si fort soit-il, peut être balayé l'élection suivante. On va se
retrouver aussi avec des coalitions où un plus petit parti, souvent plus
radical, va pouvoir imposer ses vues alors que celles-ci ne rencontrent pas les
voeux de la majorité. C'est ça, les changements de culture, à mon avis, qui
vont s'opérer avec la réforme du mode de scrutin.
Donc, raisonner ainsi avant tout, en termes de
parti, vient donc dévaloriser le statut du député comme représentant local de
l'ensemble de sa collectivité lui substituant celui de représentant d'un parti.
Raisonner ainsi vient aussi enlever aux gens le pouvoir de contrôle qu'ils ont
sur leur système politique et ne peut que générer, à terme, des sentiments
d'aliénation et désabusement chez une bonne partie de la population à l'égard
de la politique. Avec un système proportionnel, on met donc en place une
culture axée sur les partis au détriment des députés et des électeurs.
Alors, c'est ce que je voulais vous mentionner
aujourd'hui, et je suis prêt à répondre à vos questions.
Le Président (M. Bachand) : Merci infiniment. Merci, c'est très apprécié. Mme
la ministre, s'il vous plaît.
Mme LeBel : Merci, M. le Président. Merci beaucoup,
M. Sormany, pour votre témoignage.
Alors, on va peut-être
commencer par la fin, c'est-à-dire par ce que vous venez de dire, là. Vous
dites que l'important... bon, j'en suis, je suis de votre avis, de l'importance
du député, mais... et corrigez-moi si je me trompe, mais je semble comprendre
que vous me dites que, dans le système actuel, le député est beaucoup plus mis
de l'avant, et les gens élisent un député qui les représente, donc, à
l'Assemblée nationale et non pas des partis. C'est ce que vous mettez de
l'avant.
M. Sormany
(Louis) : En fait, ce que je
dis, je ne nie pas que des gens votent aussi parce qu'ils voient les chefs, ils
voient les partis, ils voient les programmes, il y a de tout là-dedans, mais le
député, une fois qu'il est élu, il devient le député de l'ensemble de ses
commettants, de l'ensemble de la population de son comté. Et je dirais que le
député, dans son comté, dans son travail de comté, c'est là qu'il y a
peut-être le plus de pouvoirs, jusqu'à un certain point, parce que, souvent, à
l'Assemblée nationale, il va être pris dans
une ligne de parti, etc., tandis que, dans son comté, c'est là qu'il peut faire
des actions pour ses commettants, et je trouve que c'est un rôle extrêmement
important, alors que, là, avec la réforme, on va voir ce député-là qui va
essayer de faire ça, mais là il va se faire dire, mettons, par quelqu'un d'un
autre parti : Bien, moi, non, je l'ai, mon député, c'est le député
régional de liste qui a été élu, c'est lui que je vais voir, là. Alors là, ça
va créer tout un mélange de cultures et deux types de députés. Et comment
tout ça va s'arrimer? Ça, personne ne le sait puis personne n'est capable de le dire. Et, à mon avis, le député
comme représentant de l'ensemble de sa collectivité, on va avoir une perte
là-dessus.
• (16 h 30) •
Mme LeBel : Mais le rôle du député... quand on prend le rôle
du député... parce qu'on parlera, tantôt, un peu de votre position ou le
positionnement que vous partagez avec M. Dufour sur l'affaiblissement, là,
mais, sur le rôle du député lui-même,
là, je pense que, là, on peut faire des comparaisons avec les autres endroits
dans le monde où ça se fait. Et ce rôle-là, oui, on nous l'a dit... d'ailleurs,
on a quelqu'un qui est venu nous témoigner de l'expérience de la
Nouvelle-Zélande, et là je parle du rôle du député, et non pas de la
force du gouvernement ou de l'affaiblissement, là, mais, sur le rôle du
député, oui, il y aura besoin d'adaptation, c'est sûr, entre un
député régional et un député de circonscription, pour les nommer de cette façon-ci, mais le rôle
de député peut être amené à se transformer, mais il ne devient pas moins important.
Puis une fois qu'il est élu, qu'il soit élu par la circonscription, par la voie de la liste, il devient un député à l'Assemblée nationale à part entière. Donc, oui, changement de culture, j'en suis, mais, dans le fond, ce que je comprends de vos propos, c'est un peu l'inconnu que vous
craignez, mais ça se fait ailleurs, là, cette cohabitation-là.
M. Sormany
(Louis) : Ça se fait
ailleurs, je ne sais pas si ça se fait heureusement et je ne sais pas qu'est-ce qui se faisait avant. Parce qu'il faudrait voir aussi, là, je
n'ai pas fait des études, je n'ai pas été sur le terrain ailleurs, bon, mais
ici on sait ce qui se passe au Québec, présentement, et, moi, ce que je pense,
c'est qu'avec les députés régionaux qui vont arriver et qui vont faire
une concurrence, alors, on va se retrouver avec des députés qui vont être en
concurrence. Il va y avoir un événement, et
là ça va être : chacun des députés tient à aller à l'événement parce que,
sans ça, si lui est absent puis l'autre est présent, j'ai un problème, et ça va être des députés, en plus, qui
vont être en concurrence. Présentement, les députés d'un comté à l'autre, qu'ils soient de partis différents,
peuvent collaborer ensemble parce qu'il peut y avoir des projets régionaux puis
globaux communs. Là, ils vont arriver et là ils vont dire : Oui, mais là
est-ce que je collabore avec mon ennemi, qui, à la prochaine élection, va être
devant moi, là, directement? Alors, moi, je pense qu'il y a un problème
là-dessus puis je pense que c'est une... le rôle du député est affecté et, je
dirais, d'une façon négative, à mon avis.
Mme LeBel : ...probablement raison, si on pense en termes du
mode de scrutin actuel, du fonctionnement politique actuel. Je vais parler en termes d'adversaire, et
c'est vrai que, présentement, quand on est dans un système d'opposition, la
personne d'un parti opposé au nôtre
est un adversaire, mais, dans un système de réforme tel qu'on l'entend, où on
parle de gouvernement de coalition, ce n'est plus un ennemi, c'est un
partenaire qui représente une autre position, avec lequel il va falloir
travailler et s'entendre, d'où le changement de culture.
Puis j'aurais
trouvé intéressant, M. Sormany, avant que vous avanciez que ça va être
difficile de se faire, de voir, effectivement, ce qui se fait ailleurs
sur le rôle du député. Parce qu'on a des échantillons, on a l'Écosse, on a la
Nouvelle-Zélande, où, oui, c'est vrai, on
nous l'a dit, ça prend un cycle ou deux avant que les gens s'adaptent, c'est
normal, surtout pour les députés qui auront à vivre les deux systèmes ou passer
d'un système à l'autre. Je ne suis pas irréaliste et je ne vis pas dans un
monde de licornes, comme on peut sembler le prétendre, mais je sais qu'il va y
avoir des difficultés d'adaptation... puis ce n'est pas vous qui le prétendez,
là, mais il va y avoir des difficultés d'adaptation, j'en suis, mais, pour le
citoyen... Et beaucoup d'acteurs de la société civile sont venus nous dire que,
justement... je vais reprendre vos termes, cette compétition, moi, je pense
qu'elle est saine, et pas malsaine, mais cette compétition, justement, est un
des avantages du mode de scrutin, permettant justement au citoyen, parce qu'on
va se positionner du point de vue du citoyen... peut lui donner accès à plus.
C'est une richesse pour le citoyen. Et je ne pense pas que ces acteurs de la
société civile soient non plus complètement déconnectés de la réalité. Et là on
n'est pas dans l'histoire de l'affaiblissement des gouvernements, là, on est
dans le rôle du député, là.
M. Sormany
(Louis) : Mais, quand vous
dites qu'on a accès à plus de services pour les régions éloignées, je suis loin
de le croire, d'une part, pour les motifs que j'ai exprimés. Et, d'autre part,
il reste que la politique, c'est un combat, et, quand on a deux députés qui
sont en concurrence, et puis là ils se sont retrouvés, par le jeu de liste, par
le jeu, un contre l'autre, et, la prochaine élection, ils vont peut-être se
retrouver un face à l'autre, je ne suis pas sûr que ça va marcher si bien que
ça.
Moi, j'ai entendu beaucoup les gens partisans de
la proportionnelle dire : C'est fantastique parce que le député, mettons,
de l'ouest de Montréal, qui est péquiste, va pouvoir aller voir son député
péquiste. Alors, on voit ici un peu le glissement qui se fait. Le député n'est
plus le représentant des citoyens, il devient un peu le représentant... on va
le voir parce qu'il est député péquiste, par hypothèse, et non parce qu'il est
le député de la place. Et c'est ce glissement-là, moi, que je pense qui risque
d'être fort négatif. En tout cas, ceux qui parlent d'une nouvelle culture, puis
etc., là, je ne dirai pas que c'est des licornes, là, quand même, mais je pense
que c'est un gros pari sur l'inconnu qu'ils font.
Mme LeBel : O.K. Donc, vous dites, dans votre mémoire... bon,
vous croyez que le projet de loi va à la fois trop loin pour les opposants du
projet de loi. Naturellement, ça va trop loin parce que, quand on est contre
toute forme de proportionnalité, à
partir du moment où on en injecte un tant soit peu, on va trop loin. Ça, je le
comprends très bien. Mais vous dites
qu'il ne va également pas assez loin pour les partisans de la réforme, ce
serait un piège d'accepter une réforme qui affaiblirait le pouvoir québécois
sans les avantages d'un mode de scrutin proportionnel. Donc, pensez-vous qu'on
devrait peut-être aller plus loin et aller «all the way», à ce moment-là, en
bon français?
M. Sormany (Louis) : On s'entend là-dessus, mais il reste quand même
que ce que je voulais signaler, c'est que les représentants de la
proportionnelle, quand je dis que c'est une réforme qui ne satisfait
personne...à moins de, comme M. David leur a dit, accepter la réforme,
puis après ça on va s'en occuper... je veux dire, si on aurait... on accepte la réforme telle quelle, pour les partisans
de la réforme, je suis loin d'être sûr que c'est ce qu'ils veulent avoir. D'ailleurs, les réactions lors du dépôt du projet
de loi, ça a été : Bien, s'il n'y a pas de changements au projet
de loi, ce n'est pas sûr qu'on va
accepter ça comme ça. Moi, j'ai même vu, au début des... j'ai même vu... bien
là, il n'est pas ici, mais le député
de Québec solidaire qui était ici
tantôt le dire au début des consultations : Il va falloir qu'il y ait des
changements. Alors, je pense que, pour les députés... pour les gens qui sont en
faveur d'une réforme, le projet de
loi, pour eux autres, ils vont... s'il y avait un référendum, ils vont voter pour, parce qu'ils vont se dire : Au fil des années, on va l'améliorer, entre
guillemets — dans
mon esprit, le rempirer — mais
il n'est sûrement pas satisfaisant pour eux autres.
Mme LeBel : Mais vous avez raison, M. Sormany, on
pourrait toujours l'améliorer, on pourrait toujours,
même, le réduire, on pourrait toujours le modifier. Et vous accordez un très grand
respect au rôle de député, et je le comprends, et je suis d'accord
avec vous, mais vous semblez penser que, dans le futur, les députés du futur,
si on applique cette réforme-là, perdraient toute notion... toute logique et ne
feraient qu'augmenter et qu'augmenter. Et, si, effectivement, on considère,
et on avance, et on voit... Parce que le fait d'arriver, aujourd'hui, à cette
discussion-là... Et, à un moment
donné, moi aussi, je suis un peu...
je suis un peu une personne qui est un peu allergique à se faire dire : Ça
s'est toujours fait comme ça, continuons, là, et, à ce
moment-là, je trouve qu'on ne s'ouvre
jamais l'esprit à voir d'autres alternatives. Peut-être qu'elles sont
bonnes, peut-être qu'elles sont mauvaises, mais il faut en
discuter. Minimalement, il faut en discuter, et, toujours bien, c'est ce qu'on
fait. Déjà, pour moi, c'est un bon pas. Intellectuellement,
je trouve ça extrêmement intéressant qu'on se donne la peine d'en
discuter.
Ceci étant dit, quand vous parlez de la théorie de l'engrenage — d'ailleurs, ça me rappelle un titre d'une chronique de ce matin, Le bras dans l'engrenage — c'est
comme si vous... ça me donne à penser ou ça me fait l'impression que vous nous
dites : Bien là, si vous acceptez ça... vous êtes les derniers gardiens de
notre système et de la démocratie parce que, si vous acceptez ça, les futurs députés n'auront plus de
logique, plus de sauvegarde et ne feront qu'améliorer, selon les points de vue
du tenant de la réforme, ou d'empirer, selon votre point de vue, la situation,
alors que, peut-être, au fur et à mesure, on se rendra compte que c'est une
bonne chose, justement, et qu'on l'améliorera ou on se rendra compte qu'on en a
suffisamment puis on restera de même. Mais je ne pense pas que les futurs
députés seront dénudés de toute sensibilité, là, mais je ne veux pas vous
prêter des mots, alors détrompez-moi.
M. Sormany (Louis) : C'est qu'il faut bien voir qu'au départ je suis
contre la réforme parce que je pense que c'est un affaiblissement du pouvoir
québécois. Je n'ai pas voulu, quand même, reprendre tout l'argumentaire que
M. Dufour vous a fait tantôt puis qu'il a fait dans son livre, et c'est
pour ça que j'ai été assez succinct dans mon mémoire, il y a à peu près deux
pages là-dessus. J'aurais pu tout, tout, tout reprendre, mais on aurait fait un
deuxième livre, ça aurait été une copie. Alors, moi, au départ, il y a cet
aspect-là qui est fondamental pour moi.
Alors, après ça, c'est sûr que moi, je me
dis : Si on ouvre la porte, bien, on met, évidemment, la main dans
l'engrenage ou la main dans le tordeur, appelons ça comme on veut, puis on s'en
va vers quelque chose qui, à mon avis, n'est pas bon. Parce qu'il ne faut pas
s'imaginer que, le projet de loi serait adopté tel quel, les partisans de la
proportionnelle vont se tenir bien cois puis ils vont dire : Alléluia, on
a eu ce qu'on voulait puis c'est fini! Ils vont rebondir, puis ils vont
revenir, puis ils vont revenir, puis ils vont toujours revenir.
Vous allez me dire : C'est normal qu'on
revienne, parce que tout système est perfectible. Je suis d'accord, mais eux
autres, ils vont revenir parce qu'ils vont se dire au départ : On est bien
contents d'avoir ça parce que ça nous permet, justement, d'ouvrir la porte,
mais ce n'est pas ça qu'on veut, on veut plus. Alors, nettement, à mon avis,
ils veulent plus.
Mme LeBel : Donc, à la base, votre opposition, à la base, est
vraiment sur l'argumentaire de votre collègue M. Dufour, c'est-à-dire par
rapport à l'affaiblissement de la position du Québec dans la fédération ou
l'affaiblissement de notre gouvernement, potentiellement, c'est ça?
M. Sormany (Louis) : Oui, c'est ça, oui, oui, sur la base.
Mme LeBel : O.K. Donc, vous partagez sa thèse selon laquelle
un mode de scrutin proportionnel va diminuer le pouvoir des francophones du
Québec?
M.
Sormany (Louis) : Oui.
Mme LeBel : O.K. Vous dites qu'une élection sert avant tout à
élire un gouvernement et non à former un Parlement représentatif du pluralisme
de la société, donc représentatif de la société. Moi, je pense que le
gouvernement doit être représentatif de la société. Le gouvernement est formé à
travers les parlementaires qui sont élus, à travers les députés qui sont élus.
Donc, pour avoir un gouvernement représentatif de la société, encore faut-il
que les députés qui sont élus représentent cette société-là, est-ce que je me
trompe? Parce que ce n'est pas juste élire un gouvernement, là, le gouvernement
doit aussi représenter la société, et, pour qu'il représente la société, ses
élus doivent représenter la société.
• (16 h 40) •
M. Sormany (Louis) : Oui, mais je trouve que les députés actuels et le
gouvernement actuel représentent la société, représentent, en général, très bien la société québécoise, mais ce que
les partisans de la réforme, à mon avis, veulent, c'est un système où c'est la représentation des partis. Moi, c'est
le glissement que je n'aime pas dans la proportionnelle, entre autres, là... je
veux dire, il y a l'argument, vraiment à la base, du pouvoir québécois, mais le
glissement qui se fait, où ça devient... tout est axé sur le parti, c'est le parti qui prend le contrôle. Les partis
forment des coalitions, ils décident en vase clos, avant... après les
élections, comment on va organiser ça. Et on peut avoir des partis
institutionnels qui vont piger à gauche, à
droite, puis qui se maintiennent au pouvoir, comme on a vu la démocratie
italienne en Italie, ou, comme en Allemagne, un petit parti qui, finalement,
décide lequel des deux gros partis va prendre le pouvoir. Ça, ce sont des
réalités.
Moi, je trouve qu'on a un glissement avec le
système de la proportionnelle. Au-delà de l'argument du pouvoir québécois, là,
qui est l'argument fondamental, je trouve qu'on a un glissement vers les partis
et je trouve qu'actuellement notre gouvernement et nos députés représentent
très bien la société. Je pense que le Québec est quand même une société
démocratique. Ça, je pense, personne ne va le nier.
Mme LeBel : O.K. Donc, vous craignez que la réforme du mode
de scrutin ou le mode de scrutin soit détourné par les partis, mais que
pensez-vous de l'argument ou de la notion qui dit qu'il y aura une meilleure
représentation des femmes, une meilleure représentation de la diversité, parce
qu'il y aura une meilleure représentation, justement, des voix et du pluralisme
qu'est notre société? Est-ce que vous êtes contre cette meilleure
représentation-là de la diversité, des femmes au Parlement, qui ne sont pas nécessairement, non plus, des francophones?
Ça peut être autre... Ça peut être des non-francophones.
M. Sormany (Louis) : Je ne suis aucunement contre ces mesures-là. Et
j'ai vu les rapports qui ont été faits par le Conseil du statut de la femme et
d'autres organismes féminins, qui ont d'ailleurs dit : Ces questions-là
devraient être exclues d'un éventuel
référendum. En d'autres mots, c'est des questions qui pourraient être réglées
ou améliorées, là... je veux dire, la situation améliorée dans le cadre de notre système actuel, et on n'a pas besoin
de faire une réforme proportionnelle pour faire ces améliorations-là, parce que
je ne suis pas certain... Bon, peut-être qu'on peut faire un système de listes,
là, avec homme-femme, homme-femme, puis etc., là, comme certains l'ont proposé,
puis là, oui, ça assurerait peut-être une plus grande chance, en tout cas,
qu'on atteigne la parité — on ne parlera pas d'égalité, mais de parité — mais par contre je ne suis pas sûr que, si
on commence à faire des listes, là, il faut avoir un représentant... un
Chinois, un Japonais, etc., je ne suis pas sûr que, là, on va arriver à... Il
vient un moment où il faut être capable, aussi, de... D'ailleurs, je remarque
que le projet de loi a été très prudent là-dessus. Je veux dire, les mesures
visent essentiellement la parité hommes-femmes, et ce ne sont pas des mesures
contraignantes... en tout cas, trop contraignantes, à première vue.
Mme LeBel :
O.K. Bien, merci.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de LaFontaine, s'il
vous plaît.
M. Tanguay (LaFontaine) : Oui. Bonjour, M. Sormany.
M. Sormany
(Louis) : Bonjour.
M. Tanguay (LaFontaine) : Merci d'être ici, de répondre à nos
questions et de... Par où commencer? Première des choses, j'ai peut-être six
points que j'aimerais rapidement passer avec vous dans mon petit
10 minutes. Vous dites, à la page 10 de votre mémoire — parce qu'il faut désamorcer plusieurs idées
reçues, ou plusieurs rumeurs, ou plusieurs présomptions qui, lorsque l'on fait
des analyses empiriques, ne tiennent pas tout à fait la route : «Il est
d'ailleurs révélateur — je vous cite — que, d'après les études faites sur le sujet, l'adoption d'un mode
de scrutin proportionnel n'a généralement pas pour effet d'augmenter la
participation électorale.» J'aimerais vous entendre là-dessus.
M. Sormany (Louis) : Oui, bien, là-dessus, il y a le Pr André
Blais, de l'Université de Montréal, que vous avez entendu, d'ailleurs, qui est
favorable à la réforme du mode de scrutin, mais qui ne vous a jamais dit que ça
entraînerait une meilleure participation électorale, et il a produit des études
qu'on peut retrouver sur Internet. Oui, il dit que l'effet est minime, il y a
un certain effet qui est minime, et c'est un effet surtout au début. Alors,
c'est sûr qu'au début, la première élection qui va se faire sous un nouveau
régime proportionnel, tout nouveau, tout beau, ça se peut que les gens
embarquent là-dedans puis qu'il y ait
une certaine hausse de la proportion électorale, mais par la suite, quand les
gens vont voir comment ça marche, ils vont sentir toute cette espèce de contrôle de la part des partis — c'est ce dont je parle, là, quand je parle
de partitocratie, là — alors, le contrôle des
partis sur... que les partis vont prendre sur le système, bien moi, je pense
qu'à moyen terme les gens vont se sentir moins concernés puis ils vont se
dire : Finalement, c'est toute la classe politique, c'est toute la petite
gang en haut qui décide ça.
M. Tanguay (LaFontaine) :
Vous parlez... Ce qui est déductible
de votre approche, également, c'est dans l'introduction de votre
présentation : Il faut avoir la politique de sa géographie.
M. Sormany (Louis) : Oui.
M. Tanguay
(LaFontaine) : On
parle beaucoup de l'Écosse. L'Écosse... 4 millions moins de citoyens en
Écosse qu'au Québec, puis l'Écosse rentre 20 fois dans le Québec. L'Écosse
a 129 députés, on en a 125. Une fois que j'ai dit ça, là, faire de la
proportionnelle avec 45 députés puis faire 80 comtés des 125, une
fois que j'ai dit ça, là, j'aimerais ça vous entendre, puis de là découlent bien des éléments. Autrement dit, la
proportionnalité ne serait qu'en apparence. En Abitibi, on va être proportionnel avec un député, et les trois,
jadis, seraient deux. Puis on éloigne le citoyen de son élu parce que l'élu va
avoir la moitié, désormais, du territoire plutôt qu'un tiers, plus de monde,
plus de territoire. Moi, je veux le voir, mon élu, là, c'est mon élu.
J'aimerais vous entendre sur le fait que, ce faisant, pour les
80 circonscriptions, en les augmentant très substantiellement...
Moi,
Rivière-des-Prairies, là, j'ai 56 000 de population,
42 000 électeurs, 56 000 de population, puis j'ai beaucoup de résidents qui ne sont pas inscrits sur la liste
électorale puis qui ne sont pas dans les statistiques. Ça veut dire que moi...
Et je veux rencontrer, et je
rencontre... je me fais un point d'honneur, depuis 2012, à rencontrer tous les
citoyens qui veulent voir leur
député. Moi, ça voudrait dire, l'île de Montréal, on passerait de 18... de
27 comtés à 16. Puis, juste en passant, il y a 18 comtés fédéraux à Montréal, mais là on serait 16, avec
les dossiers québécois : santé, éducation, transport, affaires municipales, sécurité publique, famille, aînés, et
j'en passe. Donc, pour moi, ça serait Rivière-des-Prairies, Pointe-aux-Trembles, Montréal-Nord, puis peut-être... bien,
Montréal-Nord, c'est toi, là. Alors, on irait voir notre parti pour savoir qui
serait le premier sur la liste ou le deuxième.
C'est un peu
tout ça, là. Je vous donne ça en vrac, parce qu'on pourrait en discuter. Ce
n'est pas anodin, c'est majeur, et j'aimerais peut-être vous laisser le temps
de commenter sur ça.
M. Sormany
(Louis) : Bien, vous
m'enlevez les mots de la bouche. Je veux dire, je suis tout à fait d'accord
avec tout ce que vous avez dit. Je veux dire, j'ai parlé beaucoup des régions,
mais Montréal, je veux dire, se retrouve globalement avec trois comtés en moins
mais se retrouve aussi avec un problème où, présentement, il y a 27 comtés
qui vont devenir 16 comtés locaux. Ça va faire un moyen... au point de vue
de la carte électorale, ça va être un moyen jeu à faire et ça va faire des
comtés très populeux, c'est le moins qu'on puisse dire, pour les services de
proximité. Même là, ils risquent d'en souffrir. J'ai insisté, moi, plus sur les
régions, mais je suis conscient de la situation à Montréal aussi.
On a juste à
se rappeler, d'ailleurs, lorsqu'il avait été question, à un moment, de
fusionner les deux comtés de Québec
solidaire, tout le brouhaha que ça avait causé. Bien là, le brouhaha, on est en
train de le multiplier, je ne sais pas, par 16, là, je n'ai pas fait le chiffre, ou par huit, disons.
M. Tanguay
(LaFontaine) : Et ça,
je trouve ça fascinant. On en a discuté, nous, puis c'est correct, je le dis en
tout respect pour mes collègues de Québec solidaire, mais la co-porte-parole de
Québec solidaire avait déchiré sa chemise, c'était impensable, ça ne se pouvait
pas qu'on lui enlève une partie de son quartier. Puis je faisais écho de ses
représentations, puis elle avait de bons arguments pour dire : Ce n'est
pas vrai que vous allez enlever et ajouter une partie, modifier une partie de
mon quartier, c'est fondamental. Là, on passerait de 27 à 16.
M. Sormany
(Louis) : 27 à comtés
locaux.
M. Tanguay
(LaFontaine) : Là, ce
n'est pas que des parties de quartiers, c'est des comtés.
M. Sormany
(Louis) : Non. C'est des
comtés fusionnés, là, un peu comme les autres comtés.
M. Tanguay
(LaFontaine) : C'est
une fusion. C'est la fusion... comtés fusionnés.
Autre élément
important, vous parlez d'égalité du vote. Il y a un principe fondamental, dans
notre grande démocratie québécoise... Parce qu'on a une grande démocratie, il
faudrait peut-être se le dire aussi, hein?
M. Sormany (Louis) : Oui.
M. Tanguay
(LaFontaine) : On se
flagelle beaucoup en disant : Aïe! On fait dur. Non, non, on a une grande
démocratie, au Québec. On fait des référendums, on est capables de trancher des
questions nationales, on débat, et ça, c'est une stabilité qui nous permet
d'avancer, ce n'est pas une stabilité qui se résume au statu quo. Vous parlez
donc de l'égalité du vote. Il y a un... Dans la charte québécoise des droits et
libertés, charte canadienne également, il y a le droit de vote qui se traduit
par la représentativité effective. Ça veut dire quoi? Et j'ai la définition
ici : «Le système qui dilue indûment le vote d'un citoyen comparativement
à celui d'un autre court le risque d'offrir une représentation inadéquate au
citoyen dont le vote a été affaibli. Le pouvoir législatif de ce dernier sera
réduit, comme pourra l'être l'accès qu'il [aura] auprès de son député et l'aide
qu'il peut en obtenir. La conséquence sera une représentation inégale et non
équitable.» Ça, c'est le jugement de la cour en matière de représentativité et
respect du vote.
Le 25 %,
autrement dit, on prend la moyenne pour les 125 comtés, on divise le
nombre total d'électeurs, on le divise par 125 comtés, ça nous donne à peu
près 42 000, j'arrondis. Et là on ne peut pas avoir un comté qui a un
écart supérieur ou inférieur de
25 %. Ça, on le régionalise dans les 17 régions. Je pense que les
gens à la maison, là, nous suivent quand je dis ça. Autrement dit, les écarts
ne seront pas évalués pour dire : Bien, il n'y aura pas deux comtés avec
un écart de plus ou moins 25 % dans tout le Québec. Là, on va juste
regarder la région, mais la moyenne de l'Abitibi puis la moyenne de la
Montérégie va nous donner le résultat final que vous pourriez, techniquement et
théoriquement, avoir un comté en Abitibi avec 43 000 électeurs et en Montérégie,
105 000 électeurs. Ça, le droit de vote et le poids, la
représentativité effective, c'est la base, le b.a.-ba de notre système démocratique. J'aimerais vous entendre là-dessus.
• (16 h 50) •
M. Sormany
(Louis) : Oui, bien, on
remarque, avec le projet de loi, que, de fait, la représentativité... l'effectivité du droit de
vote, au lieu d'être globale pour l'ensemble du Québec, devient, évidemment,
avec le système qui est là... on y va par région administrative, et ce qui
suscite, justement, ces écarts-là que vous mentionnez, où, au-delà du nombre de
députés, bien, dans chaque comté d'une région... on parle de Montréal, là, qui
va perdre trois comtés, globalement, en comptant les comtés régionaux, mais il
reste quand même que les comtés vont être extrêmement populeux, alors que, dans
d'autres régions, comme vous le
dites, ça va être minime, le nombre de comtés. Et, même à l'intérieur d'une
région... Tantôt, j'ai parlé de la
région du Bas-Saint-Laurent, j'ai dit : lls vont être obligés de
fusionner deux comtés, et j'espère qu'ils vont être capables de respecter le
critère du 25 % en fusionnant les deux comtés, sans ça ils vont peut-être
être obligés de rogner dans une MRC, et là ça va soulever un tollé général.
M. Tanguay
(LaFontaine) : Vous parlez de la... Vous en avez parlé avec
votre échange... entre autres, vous avez effleuré le sujet avec votre échange
avec la ministre, vous dites, dans votre mémoire, de la «partitocratie»,
autrement dit plus de pouvoirs aux partis.
M. Sormany (Louis) : C'est ça.
M. Tanguay
(LaFontaine) : Vous en avez fait... vous avez étayé un peu quant
à... en aval, au résultat, on fait des coalitions, les partis vont négocier pour
savoir qui va être au pouvoir. Si c'est une coalition, on va se partager les
postes de ministres : Vous, vous
allez prendre ça, moi, je vais prendre ça, et c'est les partis, à portes
closes, qui vont le faire. Mais, en amont, la partitocratie... Moi, ma collègue, là, si on tombe, là... on est
voisins de comté, là, Bourassa-Sauvé,
LaFontaine, on est voisins de comté, qui va être sur la liste? Qui va décider
ça? Elle, est-ce qu'elle passe avant moi, hein? Et l'allégeance, si d'aventure
c'est elle qui passe avant moi, c'est elle qui est élue, l'allégeance versus
son comté, là, elle, là, quand ses citoyens l'appellent... puis moi, quand mes
citoyens m'appellent, là, je me dois à mes citoyens. Moi, si je suis député
déterminé par mon parti, le premier de la liste, et je suis élu, là, mes
commettants risquent d'être, probablement, celles et ceux qui m'ont mis en...
le top de la liste, si vous me permettez l'expression.
M. Sormany
(Louis) : C'est ça, mais
moi, j'ai bien hâte de voir comment les partis vont déterminer l'ordre de la
liste de leurs députés. Ça va être
très intéressant à suivre comme exercice au point de vue politique, mais je ne
suis pas sûr que la démocratie va y gagner, parce que ça fait partie de la
partitocratie, là, comme vous le mentionnez.
M. Tanguay
(LaFontaine) : On est...
Et, si d'aventure ma collègue a son comté, donc, et on passe de 27 à
16 comtés, nous serions huit
députés de région. Si, par chance, je suis ami avec les bonnes personnes dans
mon parti, puis je suis premier de liste, puis je suis élu à Montréal, je
devrais représenter la région de Montréal, qui est 1,3 million d'électeurs
et 1,7 million de citoyens. Je ne sais pas si vous restez,
M. Sormany, à Montréal, mais le jour où vous allez pouvoir me voir la face
dans mon bureau de comté, là, ça va être excessivement difficile. Ça, c'est un
fait de la vie, là.
M. Sormany
(Louis) : Oui, c'est un fait
de la vie, puis je suis tout à fait d'accord avec vous, puis c'est ça que ça
entraîne. Je veux dire, on est au Québec, hein, on a un territoire immense, on
a des populations très inégales. On a des régions qui sont sous-peuplées, si on veut, alors qu'il y
a un gros peuplement à l'intérieur même de Montréal, et c'est tous les
problèmes qui se posent avec ça.
M. Tanguay
(LaFontaine) : Et là,
je terminerai là-dessus, un dernier point, on va nous objecter : Non, non,
non, il n'y a pas deux catégories de
députés, il y a un seul député. C'est plus facile à dire ici, quand on est à
l'Assemblée nationale, on est
législateurs. Mais de dire qu'il n'y aurait pas deux catégories de députés, en
disant : Bien, s'il ne te voit pas, toi, il pourra essayer de voir les autres, mais, s'il essaie de
voir les autres et, de facto, on prend pour acquis que ce sera beaucoup plus
difficile pour le citoyen de me voir, moi, nécessairement, moi, au jour le
jour, ma fonction de député ne sera pas la même que celle de l'autre.
Des cas
d'Hydro-Québec, on en a tous ici, autour de la table, sur nos comtés, des cas
de Revenu Québec, de la Régie des rentes, et ainsi de suite, on se fait donner des procurations pour essayer
d'aller négocier avec Hydro-Québec des ententes de paiement. Si je suis député
de région, là, ça sera fini. Mon rôle sera, de facto, différent, puis peut-être
que ce serait bon de le définir, de le reconnaître, puis de le définir dans la
loi.
M. Sormany
(Louis) : S'ils sont
capables de le définir. C'est un gros exercice, quant à moi, là. Je ne sais pas
comment ils vont s'y prendre. En tout cas, je sais que les légistes ont bien de
l'imagination.
M. Tanguay (LaFontaine) : Merci
beaucoup.
Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le député de Rivière-du-Loup...
Rimouski, Rimouski, pardon.
M. LeBel : Oui, on est en train de diviser mon comté déjà.
M. Sormany (Louis) : Bien oui, ils vous ont fusionnés.
M. LeBel : Je suis déjà fusionné avec Rivière-du-Loup.
Bonjour.
M. Sormany
(Louis) : Bonjour.
M. LeBel : Vous savez, on est ici, comme parlementaires,
c'est pour, aussi, participer à faire des changements au projet de loi, tu
sais, à essayer de l'améliorer, ça fait qu'on... puis, moi, comme député de
région, c'est sûr que je veux protéger le pouvoir des régions. C'est pour ça
que je suis là puis je pose des questions en ce sens-là. Et le projet de loi
parle de 17 régions. Moi, ça
fait mon affaire, qu'on... les 17 régions. Certains sont venus nous parler
de huit ou neuf régions, là, je faisais des boutons, mais maintenant, bon, 17 régions, c'est bien.
L'arrivée d'un député de liste, ça fait en sorte qu'on ne perd pas le nombre de
députés par région. Les comtés, bien, vous avez une idée du comté de Rimouski,
c'est intéressant, mais il y a d'autres propositions. On pourra voir ce qu'on
fera comme carte électorale.
L'arrivée d'un député de région, ça fait en sorte
qu'il y a un député qui couvre la
région. Actuellement, ça existe déjà. Le ministre
régional, là... Je vais vous dire, là, moi, je suis dans l'opposition depuis
deux mandats, souvent, là, mon maire, là, il dit : Moi... Il est dans
l'opposition, ça fait qu'il appelle la ministre régionale, qui est dans Côte-du-Sud, pour essayer de régler ses affaires en passant par-dessus moi. Des fois, la ministre régionale,
elle vient dans mon comté, puis elle ne le dit pas, puis elle fait des annonces
dans mon comté. Cette formule-là existe déjà un petit peu, et peut-être que ça
viendrait corriger cette situation-là. Sur la Côte-Nord, le ministre régional,
il ne vient même pas de la Côte-Nord, il vient de Charlesbourg. Ça fait que, des fois, il y va puis
il ne parle pas au monde. Ça fait que peut-être que ça viendrait corriger ce
côté-là.
M. Parizeau
avait essayé de le régler avec les délégués régionaux en 1994, mais les
ministres sont revenus par-dessus puis ils
ont tout pris la place. Mais, bon, moi, je pense que ça pourrait corriger ça,
et, je me dis, il y a des conditions là-dedans, c'est... il faut que les
députés et leurs circonscriptions de région aient des moyens pour être proche
de leur monde, rester proche. Puis
l'idée de rajouter quatre députés dans ces régions-là, comme Bas-Saint-Laurent,
Gaspésie, la Côte-Nord, l'Abitibi, ça
pourrait renforcer notre pouvoir des régions, le poids politique des régions,
et ça fait plus de monde sur le terrain, mais c'est sûr qu'il y a un changement
culturel à apporter. Puis on n'est pas... ce n'est pas facile, mais pourquoi ne
pas l'essayer? Moi, je me dis : C'est une proposition progressiste, et on
devrait l'essayer.
M. Sormany (Louis) : Bon, moi, évidemment, il y a mon opposition de
base sur le pouvoir québécois qui fait que je n'ai pas le goût de l'essayer.
Deuxièmement, je pense qu'au point de vue régional
on y perd. Vous parlez des ministres régionaux, mais ce sont des ministres
régionaux, ce ne sont pas... C'est sûr qu'ils sont aussi députés, mais ils ne
sont pas députés régionaux, ils sont ministres régionaux, alors c'est déjà un
autre aspect, là.
M. LeBel : Mais vous savez comment ça marche, le maire, il
décide : Ah! moi, il est dans l'opposition, il n'a pas de pouvoir, je vais
appeler le ministre régional. Tu sais, c'est comme ça que ça marche.
M. Sormany (Louis) : Oui, oui, c'est sûr que ça peut marcher comme ça.
Ils peuvent appeler le premier ministre, aussi, s'ils ont un bon contact. Bon,
la proposition qui a été faite...
M. LeBel :
Ça fait que la bataille se fait.
M. Sormany (Louis) : Il y a une proposition qui a été faite, j'ai vu
ça, d'ajouter quatre députés régionaux pour les quatre régions, et, moi, les
bras me sont tombés parce que de la façon dont ça a été fait par le MDN et par
d'autres organismes, je dirais, satellites, ça a été fait... d'assurer une
meilleure proportionnalité du système dans ces régions, pas pour régler les
problèmes d'accès, qu'ils ont fait la proposition, c'est pour assurer que la
proportionnalité puisse marcher de façon à ce que, dans le Bas-Saint-Laurent, si
on a un libéral et deux péquistes, mettons, ou un adéquiste, deux péquistes,
comme actuellement, bien là, on aurait peut-être une chance d'avoir un libéral,
etc. Ça a été fait dans un but... toujours dans l'idée de la proportionnelle
des partis. Il faut que les partis soient justement représentés, etc. Ça n'a
pas été fait dans un but d'accessibilité du tout.
M. LeBel :
Mais ça vient aider à l'accessibilité.
M. Sormany (Louis) : S'ils avaient voulu le faire dans un but
d'accessibilité, ils auraient proposé d'ajouter... les quatre députés, de les
ajouter au niveau local et non au point de vue régional. Et là, évidemment, ils
vont dire : Non, non, non, ça en prend un régional. Alors là, on va en
mettre quatre locaux, quatre régionaux pour assurer une meilleure
proportionnelle. Là, Montréal, évidemment, va crier, va dire : Bien, nous
autres, ça nous en prend 10 autres, puis là on est partis pour la gloire.
M. LeBel : Mais, dans cette proposition-là, le résultat
ferait qu'il y aurait un député de plus. C'est sûr que ça améliore
l'accessibilité des citoyens.
M. Sormany (Louis) :
Oui, mais ça améliore l'accessibilité en termes de quantité, mais en termes de
qualité, de proximité de services, je
vais vous dire, c'est zéro. Vous allez peut-être me dire 10, 10 %, je vais
vous dire : C'est zéro.
M. LeBel : Il faut élire des bons députés, c'est ça que ça
veut dire.
M. Sormany
(Louis) : Ça, c'est sûr. On
s'entend là-dessus.
Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le député de Rimouski. Mme la députée
de Marie-Victorin, s'il vous plaît.
Mme Fournier : Merci beaucoup pour votre présence,
votre présentation. Je pense que vous ne serez pas surpris de m'entendre dire que
je suis plutôt en désaccord, en fait, avec les prémisses de votre argumentaire.
Cela dit, vos
arguments sur la mainmise des partis politiques, quand même, je suis sensible à
ça. En même temps, j'entendais le collègue de LaFontaine dire : Bon, les partis vont avoir beaucoup de pouvoir, ils
vont pouvoir choisir qui est premier sur la liste, etc. Mais, bon, je vous
soumets quand même qu'il y a des partis politiques représentés ici, à l'Assemblée nationale, dont, par exemple,
le Parti libéral, en partie, mais aussi le gouvernement, la Coalition avenir
Québec, qui, en fait, ont des
processus de nomination des candidats dans les circonscriptions où c'est aussi
le parti qui décide d'ores et déjà. Donc, ce serait... Donc, cet argument-là
est plus ou moins valable dans ce contexte.
M. Sormany (Louis) : ...
• (17 heures) •
Mme
Fournier : Mais vous
pourrez répondre, je n'ai pas beaucoup de temps, je veux juste terminer mon
deuxième point. En fait, vous avez parlé de la cohabitation sur le territoire, comme
quoi ça allait créer, dans les grandes régions, de la concurrence. Bien, je soumets que ça existe déjà,
la concurrence puis la cohabitation, si on veut, dans les régions urbaines. Je
regarde mon collègue de Vachon, en
face, en fait, on partage, lui et moi, ainsi que d'autres collègues, la même
municipalité, qui est la ville de Longueuil, donc on collabore avec les mêmes
acteurs, tout ça. On a des bureaux de circonscription qui sont situés assez
proche, quand même, je pense qu'il y a juste à peu près une douzaine de
kilomètres qui nous séparent, mais pourtant on collabore très bien ensemble.
Puis je pense
que c'est à l'avantage des citoyens de Longueuil de pouvoir, justement, se
référer à plusieurs députés qui peuvent mettre de côté, justement, leurs allégeances
pour faire avancer des dossiers. Puis avoir des députés qui font partie autant
du gouvernement que des oppositions, c'est quelque chose qui est bénéfique.
Puis il y a même les groupes communautaires qui sont venus nous voir pour nous
dire que, pour eux, c'était un avantage. Donc, je pense qu'on peut le voir de
l'autre côté aussi.
M. Sormany
(Louis) : Bon, alors, pour
le premier point, les partis choisissent déjà leurs candidats, là, leurs futurs
députés, s'ils sont élus, ça, c'est sûr. Mais là, les partis, ce qu'ils vont
faire, ils vont établir que, lui, c'est le numéro un, lui, c'est le
numéro deux ou, elle, c'est le numéro trois, elle, c'est le
numéro quatre, etc.
Mme Fournier : Ils choisissent les meilleurs
côtés, aussi, pour les candidats en liste, en ce moment.
M. Sormany
(Louis) : Oui, mais
actuellement, je veux dire, on ne met pas en... on met en concurrence des
éventuels candidats qui se présentent à une investiture, mais il y a un
candidat qui sort de là, et, par rapport à ses autres collègues députés, ils
sont tous sur le même pied, alors que, là, on va avoir des députés élus :
Ah! bien, lui, c'est le numéro un du parti, puis, lui, c'est le
numéro 10 du parti. Alors, il y a quand même cette nuance-là à faire.
Pour ce qui
est de la concurrence ou de la cohabitation, je l'ai dit tantôt, la
cohabitation, à mon avis, est peut-être plus facile dans le système actuel dans
des députés de partis opposés, voisins parce que, justement, ils ne se font pas
concurrence lors de l'élection suivante directement, ils ne seront pas opposés
un à l'autre, tandis que le député régional et le député local qui vont
desservir le même territoire, eux autres vont se retrouver, à la prochaine
élection, en concurrence l'un contre l'autre, et ça, je pense que c'est...
Mme Fournier : Ils ne seront pas en concurrence
directe du moment où il y en a qui se présente sur la liste et d'autres se
présentent dans la circonscription, ce n'est pas le même vote. Puis, au
contraire, c'est un outil supplémentaire pour les citoyens de dire : Aïe!
je vais voter pour le candidat qui me représente le plus dans ma
circonscription puis en plus j'ai l'occasion de voter pour le parti qui
représente le mieux mes allégeances politiques, mes idéaux. Donc, c'est un
outil qui va être intéressant pour les gens.
M. Sormany
(Louis) : Il va falloir voir
si, la double candidature, il va y avoir des modifications là-dessus ou tout
ça. Pour l'instant...
Mme Fournier : Pour l'instant, il n'est pas prévu,
donc les gens ne s'affrontent pas directement.
M. Sormany
(Louis) : Ils ne
s'affrontent pas directement mais ils s'affrontent indirectement. Et, à un
moment, on peut avoir un député qui est député régional, qui a peut-être le
goût de tomber au local après, puis etc. Alors, il y a plus de concurrence à
l'intérieur... sur le même territoire, à mon avis. La concurrence va être là,
puis une concurrence qui ne favorisera pas la collaboration.
Le Président (M.
Bachand) : Merci.
Merci beaucoup, cela dit, merci de votre participation à la commission.
Je
suspends les travaux quelques instants. Merci.
(Suspension de la séance à
17 h 02)
(Reprise à 17 h 05)
Le Président (M. Bachand) : Alors,
à l'ordre, s'il vous plaît! Je vous
demanderais de prendre siège. La commission reprend ses travaux.
Alors,
nous souhaitons la bienvenue à M. Jean-Pierre Derriennic, professeur
associé au Département de science politique de l'Université Laval. Alors,
d'emblée, je vous demande de débuter votre exposé de 10 minutes et, après
ça, d'avoir un échange avec les membres
de la commission. Et merci beaucoup d'être ici aujourd'hui, la parole est à
vous.
M. Jean-Pierre Derriennic
M. Derriennic (Jean-Pierre) : Merci de votre invitation. Certains des points
qui sont dans le mémoire que je vous ai envoyé ont été dits la semaine dernière
par André Blais. Il n'est pas inutile
que je répète certains d'entre eux dans cet exposé. Je pense, comme lui, que le
projet de loi pourrait représenter un progrès par rapport au statu quo si certaines corrections lui sont apportées, mais il est
possible de faire mieux et beaucoup plus simple en faisant une représentation
proportionnelle modérée plutôt qu'un système mixte, qui est un mode de scrutin
inutilement compliqué. Je vais d'abord rappeler les corrections que je pense
qu'il faut faire à votre projet, et ensuite je développerai un tout petit peu
le deuxième point.
Il
faut faire cinq corrections à votre projet pour qu'il soit rendu
acceptable. La première correction, c'est qu'il faut diviser les régions
administratives les plus peuplées en plusieurs régions électorales pour que
toutes les régions électorales aient
des nombres de députés moins inégaux. Il faut le faire pour des raisons
d'équité entre les partis — c'est
ce qu'André Blais vous a expliqué en
vous parlant de l'Espagne, peut-être vous vous en souvenez — et
il faut le faire surtout pour des raisons d'égalité entre les citoyens, hein?
Dans les régions à trois sièges, on va proposer aux citoyens un choix de parti beaucoup plus limité que dans les régions qui ont plus que
20 sièges. Cette inégalité-là entre les citoyens face à l'élection n'a aucune justification. C'est un des problèmes
graves de votre projet.
J'ajoute
en passant que, si les régions électorales ne font pas plus que
six sièges, toute la discussion sur le seuil d'éligibilité devient
inutile. Vous avez passé beaucoup de temps à discuter, 10 %, 5 %, 3 %, etc. Oubliez ça, vous
n'en avez plus besoin si vous fonctionnez dans des régions électorales peu
inégales et n'ayant pas plus que six sièges.
Deuxième
correction qu'il faut faire, il ne faut pas diviser par deux le nombre de
sièges de circonscription gagnés par un parti pour calculer son droit à obtenir
un ou des sièges de région. Ça vous a été dit par beaucoup d'intervenants à
cette commission. Il ne faut surtout pas, et ça, je crois, ça ne vous a pas été
dit, arrondir le diviseur à l'unité supérieure. Dans mon mémoire, j'explique
avec un exemple numérique très, très simple pourquoi ça donne un résultat
complètement absurde, hein? Ça équivaut à favoriser les partis qui ont
deux élus par rapport à ceux qui n'en ont qu'un et ceux qui ont
quatre élus par rapport à ceux qui en ont trois. Ce favoritisme des
nombres pairs par rapport aux nombres impairs n'a aucune justification, hein? Et donc, si on supprime cette règle de
diviser par deux le nombre de sièges de circonscription, on fait disparaître
cette difficulté.
Troisièmement,
il ne faut pas autoriser les candidats indépendants. Le projet de loi comporte
une incohérence étrange : pour pouvoir être élu comme député de région, il
faudra être le candidat d'un parti qui obtient au moins 10 % dans
l'ensemble du Québec, mais on pourrait être élu comme candidat indépendant, et
là la règle ne peut plus s'appliquer, évidemment, hein? Il y a quelque chose
d'incompréhensible là-dedans, hein? Et évidemment les candidats indépendants
seront utilisés par les petits partis politiques pour présenter des candidats
en échappant à la règle des 10 %, et ça pourra être utilisé aussi par les
grands partis politiques pour faire toute une série de manoeuvres frauduleuses
qui sont possibles dans un système compensatoire, hein? Dans un système
compensatoire, la compensation vise les partis. Elle se fait entre les partis
selon les résultats qu'ont obtenus les partis. Les candidats indépendants n'ont
rien à faire là-dedans. Ils sont la porte grande ouverte à toute une série de
manoeuvres frauduleuses. Si, pour des raisons de principes, vous croyez...
raison de principes que je ne comprends pas, si vous pensez qu'il faut
autoriser les candidats indépendants, il ne faut pas faire un système
compensatoire, les deux institutions sont incompatibles. Vous ne pouvez
pas faire les deux en même temps.
Quatrième
correction qu'il faut faire, il faut donner aux électeurs deux votes sur
le même bulletin et non pas deux bulletins de vote. Le projet de loi parle
tout le temps de deux bulletins de vote. Il faut évidemment avoir deux
votes sur un seul bulletin. J'ai une copie de bulletin de vote allemand ici
pour vous montrer à quoi ça rassemble, deux votes sur un seul bulletin. Je
vous le laisserai, si vous voulez. Évidemment, ça diminue beaucoup les
possibilités de fraude parce que,
si les deux votes sont sur le même bulletin, les manoeuvres frauduleuses
peuvent être dénoncées après coup, alors que, si les votes sont sur des
bulletins différents, il y a toute une série de manoeuvres frauduleuses qui
sont beaucoup plus difficiles à détecter. Et je ne vois pas l'utilité de faire
deux bulletins de vote. Il faut faire deux votes sur le même bulletin.
Enfin,
il faut modifier la méthode d'attribution des sièges de région vacants. L'idée
qu'il va y avoir des députés nommés par des partis politiques sans passer
par aucune élection est quelque
chose qui sera, de toute façon, inacceptable. C'est facile de savoir comment faire les choses
autrement.
• (17 h 10) •
Donc, si ces corrections sont faites,
ce projet deviendra une bonne réforme, un progrès important par rapport au statu quo, mais ça sera seulement mon deuxième choix,
comme André Blais vous a dit que c'était son deuxième choix et que son premier
choix, c'est quelque chose... comme pour moi, de quelque chose de beaucoup plus simple, c'est une représentation proportionnelle
modérée, c'est-à-dire appliquée dans des circonscriptions élisant de
trois à cinq députés.
Et,
comme il me reste quelques minutes, je
pense que... je développe très rapidement
cette solution, qui, je pense, serait bien plus commode, bien plus facile à
mettre en place et bien meilleure que ce que vous voulez faire. Ça aurait
trois avantages immédiats.
La
première, c'est que regrouper les circonscriptions qui existent aujourd'hui sans modifier leurs limites pour faire des circonscriptions
plurinominales à trois élus, ou à cinq élus, ou éventuellement à quatre élus, ça peut être nécessaire si on doit respecter les limites des régions administratives. C'est un travail beaucoup plus
facile que de faire 78 nouvelles circonscriptions. Les
délais d'entrée en vigueur de la réforme, c'est essentiellement ça, pas d'avoir
à refaire 78 circonscriptions.
Ça, c'est un travail énorme qui va soulever des contestations, des discussions,
etc., hein?
Deuxième
avantage, le fonctionnement du système électoral sera plus facile à comprendre
par les citoyens et évitera toute une série de questions comme la différence de
statut entre les deux types de députés, etc. Vous faites l'économie de
toute une partie des discussions et des objections qui vous sont faites
aujourd'hui.
Et
enfin, si vous faites une représentation proportionnelle dans des
circonscriptions qui élisent très peu de députés, tout le discours sur les
dangers de la représentation proportionnelle qui déstabilise tout ne tient plus
parce qu'avec des circonscriptions à trois sièges le seuil d'éligibilité,
c'est 25 %, à trois sièges. Avec des circonscriptions à
cinq sièges, le seuil d'éligibilité, c'est 17 %, à peu près, ça
dépend du nombre de candidats, etc., mais enfin c'est un ordre de grandeur.
Donc, là non plus, vous n'avez plus besoin de seuil d'éligibilité, et le risque
que l'Assemblée soit envahie par toute une série de petits partis politiques sera...
tout ça n'existe plus. Vous pouvez faire un système proportionnel simple,
facile à comprendre, facile à mettre en place, facile à appliquer et qui ne
présente pas les dangers qui sont attribués d'habitude à la représentation
proportionnelle.
L'intérêt
de beaucoup d'entre vous pour un système mixte repose sur quelque chose qui
est, je crois, une illusion, c'est l'idée que, pour qu'il y ait une relation
significative entre les élus et les électeurs, il faut absolument des
circonscriptions uninominales. Alors, vous voulez garder des circonscriptions
uninominales, que vous agrandissez, donc le lien va être affaibli, puis vous
créez 45 députés qui, eux, n'ont pas de circonscription uninominale. Si
vraiment les circonscriptions uninominales, c'est indispensable, qu'est-ce
qu'ils deviennent, ces gens-là, dans toutes vos discussions? Est-ce que le lien
serait rompu si on faisait des circonscriptions à trois sièges?
Alors, j'ai réfléchi une seconde sur
Abitibi-Témiscamingue. Aujourd'hui, il y a trois députés. Avec votre système,
il y en aurait aussi trois, deux dans
des circonscriptions et un député de région. Avec une représentation
proportionnelle simple, il y aurait trois députés qui se présenteraient sur des
listes de trois candidats et il y aurait trois députés élus. Ils ne seraient
pas moins nombreux. Il ne serait pas plus difficile de les atteindre pour les
citoyens. Chacun des trois aurait un domaine... un territoire trois fois
plus grand, mais ils y seraient trois dans ce territoire trois fois plus
grand. Je ne vois pas qu'est-ce que... en quoi ça nuirait, et ça aurait un
avantage important, que vous évoquez à propos des candidats de région, c'est que, s'il y a trois élus dans une
région, il n'y aura jamais trois élus du même parti. Donc, les citoyens auront
toujours le choix de s'adresser à au
moins un député du gouvernement, au moins un député de l'opposition. Et je
crois que, si les citoyens avaient ce choix-là partout, ils aimeraient ça
beaucoup et que ça ne dégraderait pas la qualité des relations entre les
députés et les élus... entre les députés et les électeurs, ça l'améliorerait,
et ça aurait un avantage énorme pour la composition de l'Assemblée.
En
2018, les trois députés d'Abitibi-Témiscamingue — je reste dans le même exemple — ont été élus avec, au total, à eux trois, un
peu moins de 36 % des votes de tous les électeurs de la région. Si on
reprend les chiffres de 2018 et qu'on les applique de manière proportionnelle
dans la même région, on obtient trois députés qui ne sont pas les mêmes,
évidemment, mais qui sont élus, à eux trois, avec 80 % des votes exprimés
dans la région. C'est dire... les votes perdus, qui sont aujourd'hui 60 %,
dans cette région sont divisés par trois, tombent à 20 %.
Vous
savez que l'Assemblée nationale actuelle a été élue par 46,4 % des gens
qui ont voté. Plus de la moitié des gens qui ont voté ont perdu leur vote.
C'est un des problèmes les plus graves de notre système électoral, et on peut
améliorer beaucoup cette situation avec un système proportionnel, même aussi
modéré qu'appliqué dans des circonscriptions à trois sièges.
Le
Président (M. Bachand) : Merci.
M. Derriennic
(Jean-Pierre) : Je suis obligé d'arrêter?
Le Président (M. Bachand) : Oui, parce que, bien, c'est la période d'échange.
Les gens ont hâte de poser des questions.
M. Derriennic (Jean-Pierre) : Bon, O.K., O.K. J'ai une autre... une chose ou
deux de plus à dire, mais je le dirai en répondant aux questions.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. Mme la ministre, s'il vous
plaît.
Mme LeBel : Bien, je vais vous donner l'occasion, justement, de compléter, puis je pourrai peut-être
vous poser des questions par la
suite. Donc, complétez avec ce que vous vouliez ajouter.
M. Derriennic (Jean-Pierre) : Donc, la dernière chose, l'autre avantage,
n'est-ce pas, les gens qui veulent une représentation
proportionnelle veulent une représentation proportionnelle dans des grandes
régions. Vous avez ce débat. Est-ce
qu'il faut faire des plus grandes régions ou est-ce qu'il faut faire des plus
petites régions en divisant les grandes régions? Je crois qu'il faut faire des
régions égales et qu'il vaut mieux faire des régions plus petites en divisant
les grandes que de faire des régions plus grandes en regroupant les petites,
parce qu'il vaut mieux faire une représentation proportionnelle modérée. Le but
ne doit pas être de permettre à un grand nombre de partis politiques d'avoir un
ou deux élus. Ce n'est pas du tout ça, la preuve qu'on a un bon système
électoral.
Et le problème du rôle des petits partis
politiques dans la société... Il y a des petits partis politiques qui défendent
des choses très importantes. C'est le cas des verts, par exemple, dans notre
société, il y a peut-être d'autres exemples, ils défendent quelque chose qui
est important, et le fait qu'ils ne puissent pas avoir de votes aux élections
parce que les gens savent que c'est un vote gaspillé, bien, ils ont moins de
2 %, c'est une catastrophe complète. Il y a une solution à ça, qui n'est
pas de faire un système très propositionnel, qui est de faire un vote
préférentiel, ou transférable, ou à préférence ordonnée. André Blais vous a
parlé de cela aussi, mais André Blais semblait croire qu'il faut choisir entre
le vote préférentiel ou le vote proportionnel. On peut faire les
deux ensemble. Si on fait un vote proportionnel dans des circonscriptions,
et là... en élisant un petit nombre de députés, on peut très bien donner aux
électeurs le choix d'indiquer un ordre de préférence, non pas entre les
candidats individuels, mais entre les listes de partis. Si vous votez pour un
parti qui a trop peu de votes, votre deuxième choix va être utilisé ou votre
troisième choix va être utilisé. D'un seul coup, les verts auront plus de
premières préférences qu'ils ont de votes aujourd'hui, parce que ça ne sera
plus un vote gaspillé, premier avantage.
Deuxième avantage, beaucoup de députés élus des
autres partis sauront qu'ils ont été élus grâce au deuxième choix des verts... des
électeurs des verts, et ils en tiendront compte, évidemment, n'est-ce pas? Et
donc, pour la place de l'environnement dans notre société, donner un vote
préférentiel à tous les électeurs pour permettre au Parti vert de connaître sa
force réelle et que les électeurs des verts exercent une influence sur les
élections des autres... des députés des autres partis, c'est la méthode la plus
efficace plutôt que d'essayer de faire un système proportionnel qui va
permettre au Parti vert d'avoir deux élus, n'est-ce pas? Ça, bien, c'est
un petit peu ce que les porte-parole du Parti vert vous ont expliqué. Ils
veulent absolument avoir un élu ou deux, et ce n'est pas du tout la bonne
stratégie, ni pour le développement de leur parti, ni pour l'importance de
l'environnement dans nos préoccupations politiques, ni pour respecter l'opinion
des électeurs pour qui c'est le premier choix, et c'est un premier choix
sérieux qui doit être pris en compte.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la ministre.
• (17 h 20) •
Mme LeBel : Sur les modalités, peut-être, du projet de loi
comme tel, qui nous occupe présentement, le projet de loi qui est sur la table,
celui qu'on discute, vous le soulignez, à juste titre, dans votre mémoire et
vous êtes, je pense, sans me tromper, un des seuls partisans de cette modalité-là, vous dites : «Un des points les
plus critiqués du projet [de loi] sera la règle qui réserve les sièges de région
aux partis ayant obtenu au moins 10 %
des votes dans tout le Québec.» Vous dites : «C'est pourtant une bonne
règle. Elle corrige un peu un des défauts du projet, celui de créer une
inégalité entre les citoyens selon le lieu où ils habitent.» Pouvez-vous
l'expliquer un peu plus? Parce qu'on a parlé du fait que cette règle était trop
élevée, qu'elle permettait... qu'elle mettait un frein trop élevé à
l'accessibilité, mais, au niveau de corriger l'inégalité, j'avoue que
j'aimerais mieux comprendre.
M. Derriennic (Jean-Pierre) : La règle de 10 %, de toute façon, ne s'appliquera qu'à Montréal et en Montérégie,
partout ailleurs elle ne sert à rien. Partout ailleurs... Bon, c'est vrai que
c'est un calcul à l'échelle de tout le Québec et non pas dans la
circonscription, mais, dans presque toutes les circonscriptions, pour avoir
des... Bon, à Québec, il va falloir 9 %, 10 % des votes dans la
région, et partout ailleurs, bon, dans les circonscriptions à... dans les
régions à six sièges, il va falloir avoir 15 % ou 16 % des votes
dans la région. Donc, si on a 15 % ou 16 % des votes dans la région,
ce n'est pas difficile d'être un parti
qui a 10 % des votes dans l'ensemble de la province. La règle de 10 %
n'aura d'effet réel qu'à Montréal et en Montérégie. S'il n'y avait pas de règle de 10 % ou
seulement une règle de 3 %, qu'est-ce que ça donnerait? Bien, ça donnerait
qu'un électeur en Abitibi-Témiscamingue, n'est-ce pas, il sait que tous les
partis politiques qui ont moins de 20 % des votes n'ont pas de chances, ce
n'est pas la peine de voter pour eux, c'est du vote gaspillé, alors qu'à
Montréal, s'il n'y a pas de règle de 10 %, un parti qui a la possibilité
d'avoir 4 % des votes pourra avoir un élu. Alors, la règle de 10 %
diminue cette inégalité parce qu'elle établit un seuil de 10 % à Montréal
et en Montérégie, qui continuent à avoir un choix plus ouvert qu'en Abitibi,
mais ça diminue l'inégalité de choix entre l'Abitibi et Montréal ou la Gaspésie
et la Montérégie.
Mme LeBel : O.K. Bon, au niveau du principe même d'avoir un
système, peu importe... parce que vous nous proposez un autre type de système,
mais, peu importe celui auquel on pourrait adhérer, le principe même, là,
d'avoir de la proportionnalité, une proportionnalité plus élevée dans un
système électoral, vous trouvez que c'est une bonne chose?
M. Derriennic (Jean-Pierre) : Ça dépend. C'est bien d'avoir un système
proportionnel, parce que, comme le montre mon exemple numérique pour l'Abitibi,
n'est-ce pas, les gens d'Abitibi, 36 % d'entre eux ont élu les
trois députés. S'ils avaient voté à la proportionnelle de la même façon,
80 % d'entre eux auraient voté pour quelqu'un qui est élu. Il me semble
que ça fait une différence énorme pour la satisfaction des gens qui ont voté et
pour l'obligation pour les élus de tenir compte de tout le monde, hein, et ça
va être vrai à l'échelle de l'ensemble... Je n'ai pas fait le calcul pour toute
la province, n'est-ce pas, c'est un travail trop long, mais évidemment ça, ça
fait un progrès très important, et ce progrès important, il peut être obtenu même avec une proportionnalité faible,
parce que des circonscriptions à trois sièges, c'est une proportionnalité
faible.
Il faut faire un système proportionnel, mais ça ne veut pas dire que le
système le plus proportionnel est le meilleur. Pas beaucoup des gens qui sont
venus vous parler pensent que plus c'est proportionnel, plus c'est bien. Non,
il faut que ce soit proportionnel, mais il ne faut pas que ça le soit beaucoup,
et il suffit que ça le soit un peu pour que ça améliore beaucoup la
représentativité de l'Assemblée. J'ai fait le même calcul pour la région de
Mégantic, Est du Québec, là, où il y a cinq élus, hein? En les faisant
élire à la proportionnelle au lieu d'être élus dans des circonscriptions
uninominales, les députés, en 2018, auraient été élus par 95 % des gens
qui ont voté, il y aurait eu 5 % de votes perdus au lieu de 50 % de
votes perdus. C'est ça, le progrès que permet le système proportionnel, ce
n'est pas de permettre la multiplication des petits partis.
Les petits
partis revendiquent la proportionnelle parce qu'ils croient que c'est
indispensable pour leur existence. Il faut expliquer aux petits partis que ce qui est bon pour eux, c'est le vote
préférentiel, c'est le vote avec un ordre de préférence. Comme ça, on va
connaître vraiment leur soutien dans la population. Comme ça, les petits partis
sérieux auront une représentation des votes sérieux, même s'ils n'ont pas
beaucoup de députés, et puis les petits partis rigolos non significatifs, eh
bien, ils resteront quelque chose de négligeable, n'est-ce pas?
Il faut faire
un système proportionnel, il faut faire un système proportionnel modéré. C'est
ce que nous a enseigné Vincent
Lemieux. C'est ce qu'il m'a enseigné à moi, c'est ce qu'il a enseigné à Louis
Massicotte, c'est ce qu'il a enseigné
à André Blais, c'est ce qu'il a
enseigné aux meilleurs spécialistes des modes de scrutin de la province de Québec.
Je ne me compte pas parmi eux, mais je parle des deux autres, André Blais
et Louis Massicotte. Moi, je ne suis pas un expert de ce genre de chose, mes
sujets de recherche sont assez différents.
Mme LeBel : Vous mentionnez peut-être un autre point,
entre autres celui d'interdire les candidats indépendants, vous l'avez expliqué.
J'ai beaucoup de mal à voir comment je pourrais, dans notre
système constitutionnel et démocratique, interdire à quelqu'un
de se présenter en politique parce qu'aucun parti politique
ne l'accueille ou parce qu'il ne veut pas se joindre à aucun parti politique. Les deux sont les mêmes, mais, je
veux dire, on pourrait penser que quelqu'un pourrait soit être exclu ou ne pas
désirer le faire. Mais, de toute façon, étant indépendant, comment je peux
justifier ça dans notre système démocratique et constitutionnel?
M. Derriennic
(Jean-Pierre) : Dans les
circonscriptions uninominales, bien, vous dites à un candidat qui veut se
présenter de dire qu'il a un parti politique, il peut être un parti politique à
lui tout seul. Et, pour les sièges de région, que les sièges de région soient
attribués plus facilement à des candidats indépendants qu'à des candidats de
parti, il me semble que ça, c'est l'ouverture à toute une série de manoeuvres.
Bien, au bout de deux élections, les partis vont comprendre ça et vous allez
avoir toute une quantité de candidats indépendants qui vont être élus aux
sièges de région à Montréal et en Montérégie, qui seront en fait des candidats
camouflés de certains partis pour qu'ils obtiennent ces sièges sans qu'on
déduise les sièges obtenus par le parti dans les circonscriptions uninominales.
C'est un moyen facile de fausser complètement le jeu.
Je ne vois pas
pourquoi les candidats indépendants, ça serait une liberté fondamentale dans
notre société. Il n'y a quasiment
jamais de candidats indépendants élus, hein, ça ne change rien au
fonctionnement du système. Et, dans ce cas-là, ça le perturbe gravement. Vous
pouvez faire un système uninominal en utilisant... en autorisant les candidats
indépendants, ils ne seront pas élus, mais ils ne faussent pas le jeu. Vous
pouvez faire un système proportionnel simple. Si vous faites le système
proportionnel que je vous propose, avec les circonscriptions à trois, quatre ou
cinq sièges, là, vous pouvez autoriser les indépendants. Ils ne seront pas
élus, mais ils ne fausseront pas le système, ils ne pourront pas être utilisés
pour fausser le système. Vous pouvez même faire un système parallèle... un
système mixte parallèle, vous savez sans doute ce que c'est. Bien, c'est moins
bien qu'un système compensatoire, il ne faut pas faire un système mixte
parallèle. Mais, si vous faisiez un système mixte parallèle, je ne vous
critiquerais pas, les candidats indépendants, ça n'a aucun effet. S'il y a
compensation, les candidats indépendants viennent fausser complètement le jeu
de la compensation. Ils peuvent servir à ça, les partis politiques vont le
comprendre, hein?
Vous savez
quelle est l'histoire des lois sur le financement des partis au Québec. On fait
des belles lois sur le financement des partis, et immédiatement il y a, dans
les partis politiques, des gens qui étudient comment jouer sur la loi, comment
exploiter la loi, comment trouver les failles de la loi. Si vous faites un mode
de scrutin où il y a des failles, évidemment il y aura des gens dans les
organisateurs de partis politiques qui viseront comment exploiter la faille
pour gagner un siège ou deux ici ou là, hein? Ne faites pas des candidats
indépendants dans un système compensatoire. Il faut choisir, faire l'un ou
l'autre. Si vous voulez faire un système compensatoire, ça peut être un bon
système, et ne faites pas de candidats indépendants. Si vous exigez de faire
des candidats indépendants, vous allez être obligés de prendre ma solution du
système proportionnel sans système mixte, et là je serais tout à fait content
parce que je pense que ce serait un peu mieux que ce que vous voulez faire.
Vous voulez faire quelque chose qui peut être pas mal si vous évitez certaines
erreurs, mais ne mettez pas des candidats indépendants dans votre projet, ça va
tourner mal.
Le Président (M. Bachand) : Merci
beaucoup, Mme la ministre. Je me tourne maintenant vers le député
de LaFontaine, s'il vous plaît.
• (17 h 30) •
M. Tanguay
(LaFontaine) : Merci
beaucoup, M. le Président. Bonjour, M. Derriennic. Heureux, je dirais, de vous retrouver. Je
dois faire l'aveu, j'ai déjà été un de vos élèves en science politique.
Alors, vous pourrez avertir vos élèves : Faites attention, parce que mes
cours peuvent vous mener à l'Assemblée
nationale. Vous les préviendrez,
s'ils abusent de la science politique. Très heureux de vous retrouver.
Vous dites,
dans votre mémoire... Évidemment, j'ai lu votre livre, parce que vous aviez
participé à une réflexion plus globale, 2013, 2014, 2015, avec l'élection du gouvernement fédéral, à l'époque, de M. Trudeau, Un meilleur système
électoral pour le Canada, je trouvais ça inspirant également.
Vous faites une excellente, je pense, démonstration, entre autres,
de ce qu'implique le système préférentiel, par vote préférentiel. Et, comme
vous le dites bien, c'est toujours une option
à analyser, oui, dans le contexte du projet de loi n° 39,
mais dans un système uninominal, également, à un tour, c'est toujours une option sur laquelle les partis politiques
peuvent avoir une réflexion.
Vous dites,
dans votre mémoire... Donc, il y a le livre, il y a le mémoire, que j'ai
lu, bien évidemment. En premier paragraphe,
vous parlez du projet de loi comme étant inutilement complexe et vous soulevez
des erreurs de conception. Et je pense que, si, sur l'approche, vous êtes pour,
je crois, puis je ne veux pas être réducteur dans la façon dont je résume votre
position, vous êtes ouvert, évidemment, à un nouveau mode de scrutin, mais vous
soulevez des écueils qui, pour vous, sont fondamentaux, et ce que vous proposez
n'est pas cosmétique ou anodin, est fondamental pour que le système fonctionne.
Ce faisant,
vous soulevez l'importance d'avoir des régions et, dans votre livre également,
ça y participe. La proportionnalité
des résultats est meilleure si le nombre de députés par circonscription est
plus grand. Donc, vous, ce que vous dites, puis j'aimerais vous entendre là-dessus,
puis les gens qui nous écoutent à la maison peuvent également comprendre les
explications que vous apportez, vous dites : Bien, plutôt que de faire...
de diviser le Québec par ce qui est déjà ses régions administratives, soit 17,
certaines régions sont immenses comparées à d'autres en termes de territoire,
mais peu peuplées, donc l'Abitibi aurait trois députés, vous dites : Bien,
regroupez, gardez les 125 comtés, ne refaites pas complètement la carte
électorale, qui est un processus excessivement douloureux dans notre
démocratie, là. Faire une carte électorale aux huit ans, à toutes les fois,
c'est excessivement douloureux, et on touche, bon an, mal an, une quinzaine de
comtés, parfois on a monté à 35. Mais de refaire complètement la carte des 125
comtés, de dire : Vous refaites 80 comtés, vous dites : Non, non,
non, gardez les mêmes. Donc, en termes de complexité, de délais et de division
sociale, vous diminuez les écueils.
Et vous dites, donc, j'aimerais vous entendre là-dessus : Prenez les
125 comtés et regroupez-les en région de trois à cinq, regroupements de trois à cinq députés, et là
vous pourriez faire une véritable redistribution proportionnelle basée sur le
vote constaté dans la région. Et également un élément sur lequel j'aimerais
vous entendre, vous dites : Le système, tel que proposé, est complexe, difficile à comprendre, et l'un des défis
serait d'expliquer aux gens pourquoi il y aurait deux statuts de député. J'aimerais vous entendre là-dessus,
sur cette réalité que le projet de loi ferait naître deux statuts de député.
M. Derriennic
(Jean-Pierre) : Oui, ça va
faire naître deux statuts de député. Je ne suis pas sûr que ce soit un problème
grave, mais ça va être un débat grave parce que ça va être utilisé
perpétuellement contre la réforme. Et, d'une certaine façon, ce n'est pas utile
d'en discuter ici parce qu'on ne peut pas fixer dans la loi comment va se
diviser le travail entre un député de région et un député de circonscription.
Et puis, dans les petites régions, le député de région ne sera jamais du même
parti que les députés de circonscription. C'est la logique même de la
compensation, hein, on ne pourra jamais avoir trois élus du même parti. Dans
les grandes régions, il pourra y avoir des députés de région qui sont du même
parti que des députés de circonscription, comment fait-on des règles pour
déterminer comment ils doivent travailler ensemble? Dans certains cas, ils sont
du même parti, dans certains cas ils ne le sont pas, etc. Je crois qu'on ne
peut pas mettre ça dans une loi. Ce
n'est pas nécessaire de discuter ça ici. Les partis et les députés le régleront
eux-mêmes. Je crois qu'ils sauront le régler. Et je ne crois pas que ce sera un problème très grave. Ce ne sera pas un
problème très grave pour vivre avec la réforme, si vous la faites. Ce sera un problème grave pour faire
adopter la réforme parce que la discussion va porter là-dessus tout le temps.
Les gens vont vouloir qu'on leur dise à l'avance comment ce travail va se
répartir.
Je pense que
les candidats indépendants ou la méthode de calcul en divisant par deux, ça,
c'est des problèmes plus graves pour
la réforme elle-même. Et je crois que l'inégalité de peuplement des régions, le
fait d'avoir des régions à trois sièges,
même deux dans un cas, et des régions à 25 ou 23, etc., sièges, ça, c'est un
problème grave dans la conception d'un système, d'un système électoral.
M. Tanguay
(LaFontaine) : Oui,
et j'aimerais, donc, sur cette lancée-là, vous demander de commenter ou de
détailler, plutôt... en page 5 de votre mémoire, vous dites... vous parlez du
lien électeurs-élus, et vous dites, je vous cite : «L'argument que les
circonscriptions uninominales sont nécessaires pour maintenir un lien
significatif entre les électeurs et les élus a, dans le cas d'un système mixte,
des effets paradoxaux. Il conduit à la création de 80 circonscriptions
uninominales qui seront 50 %
plus peuplées qu'aujourd'hui, et où ce lien serait donc affaibli, et de 45
sièges de députés pour lesquels il serait rompu.»
J'aimerais
une explication, s'il vous plaît, sur ce lien rompu ou affaibli électeur, élu.
M. Derriennic
(Jean-Pierre) : Il serait beaucoup
plus faible si... Bien, il y a un postulat, que je ne partage pas, que les circonscriptions uninominales sont indispensables pour... et c'est à cause de ce
postulat que vous voulez faire un système mixte et non pas un système proportionnel beaucoup plus simple, c'est uniquement pour garder des circonscriptions uninominales, sans ça, vous n'avez pas besoin de faire un système
mixte. Donc, au nom du postulat de l'importance
des circonscriptions uninominales, vous aboutissez à agrandir les
circonscriptions uninominales, donc affaiblir leur efficacité pour le lien
entre les électeurs et les élus, et à créer des députés qui n'ont pas de
circonscription uninominale.
Moi, je crois
que, si vous faites un système mixte, les députés de région seront des députés
élus tout à fait légitimes qui feront leur boulot de député comme les autres et
je crois que ça peut marcher très bien. Dans un pays comme l'Allemagne, ça
marche très bien depuis longtemps, et c'est contradictoire avec le postulat de
départ. Moi, je pense que les députés de région, ça va se passer bien parce que
je ne crois pas au postulat que les circonscriptions uninominales sont indispensables au lien entre les électeurs et les
élus. Et je pense que mon exemple de l'Abitibi-Témiscamingue et des trois élus
à la proportionnelle dans une... bien, eux, ils n'auront pas de lien avec leurs
électeurs, alors que les trois circonscriptions voisines, là, les députés ont un lien avec leurs
électeurs, c'est une affirmation qui est indémontrable. Je ne vois pas
pourquoi, trois députés élus ensemble à la proportionnelle dans un territoire
trois fois plus grand, ça serait plus difficile pour eux de faire leur travail.
Il y aurait peut-être un problème pratique.
On vous a dit une chose très utile, je crois,
André Blais et beaucoup d'autres : Il faut donner plus de moyens aux
députés des régions éloignées. C'est vrai même maintenant, sans doute, hein,
que la solution aux régions éloignées, ça n'est pas de donner trois fois plus
de pouvoirs politiques aux habitants de ces régions par rapport aux habitants
de Montréal ou de la Montérégie ou de Québec, c'est très injuste envers la
majorité de la population qui est désavantagée par ça. Ce qui est légitime,
tout à fait, c'est d'augmenter les moyens matériels des députés pour faire leur
boulot. Faites un sondage dans la population, demandez aux habitants de
Montréal et de Québec : Est-ce que vous êtes d'accord pour donner trois
fois plus de pouvoirs aux habitants
de la Gaspésie qu'à vous?, ils ne vont pas être d'accord. Si vous leur
demandez : Êtes-vous prêts à payer
un peu plus d'impôt pour financer les députés qui travaillent en Gaspésie,
parce que leur travail est plus difficile que pour les gens qui sont à Québec?,
je pense que la grande majorité de mes concitoyens accepteront ça comme la bien
meilleure solution au problème des régions éloignées.
M. Tanguay (LaFontaine) : Nous, on discute beaucoup de
systèmes électoraux, qu'est-ce qui serait le mieux, quel système serait le
meilleur pour le Québec, et tout ça, on est toujours sur une base théorique.
Mais vous êtes tout à fait conscient que — vous avez effleuré la situation, entre
autres, lorsque vous parliez des difficultés des écueils pour faire adopter une telle réforme — on vit avec l'être humain, et chacun va
dire... que ce soit le camp du Oui ou le camp du Non, va tirer la couverture de son côté et va faire... va
soulever les arguments qu'ils voudront bien soulever.
Un élément central, et là je le vois comme un
écueil, et j'aimerais vous entendre là-dessus, parce qu'on fait de la politique
dans le réel, il faut évaluer aussi ses chances à ce que ça passe ou ça ne
passe pas, un élément presque sacro-saint, et c'est excessivement important,
c'est les régions au Québec, et on dit... et mon collègue de Rimouski, que
j'apprécie beaucoup, a dit : Écoutez, moi, les 17 régions... puis c'est un
élément fort et important pour lui, mais il tient à la proportionnelle. Mais
comment pourrions-nous rendre possible cela dans la situation que vous
soulevez — là, je
me mets dans vos chaussures — en disant : Bien, ça ne sera pas les 17
régions, on va éclater ça? Et comment le débat ne pourrait pas facilement
bifurquer sur : Bien, qu'est-ce qu'une région cohérente, si on les
regroupe en trois, cinq ou 10 comtés?
M. Derriennic (Jean-Pierre) : On ne regroupe pas les régions, on regroupe les
circonscriptions dans les régions.
M. Tanguay (LaFontaine) : Pas les régions, pardon.
M. Derriennic (Jean-Pierre) : Et les régions qui ont aujourd'hui trois députés
deviennent une circonscription à trois sièges. Celles qui en ont quatre
deviennent une circonscription à quatre sièges. Celles qui en ont cinq
deviennent une circonscription à cinq sièges. Celles qui en ont six, ça se
discute, on peut les diviser en deux qui en ont trois ou les garder à six. À
Québec, on fait trois circonscriptions plurinominales, quatre, quatre et trois
ou trois, trois et cinq, ça se discute. À Montréal, je pense, si on fait des circonscriptions à trois
sièges partout, il faut en faire neuf. Voilà. Et donc...
• (17 h 40) •
M. Tanguay (LaFontaine) : Cohésion régionale, la
cohésion régionale qu'on peut avoir dans les 17 régions administratives versus une cohésion... c'est-à-dire une division régionale, oui,
regrouper, il fallait le lire comme ça, regrouper des comtés en régions
artificielles, entre guillemets, versus l'appartenance du territoire que les
partis, les députés élus vont représenter.
M. Derriennic (Jean-Pierre) : Je ne vois pas ce que ça changerait pour la
région de Québec, qui, aujourd'hui, a 11 circonscriptions électorales, de
garder 11 députés qui seraient élus dans trois régions électorales. Si vous
voulez qu'il n'y ait pas de concurrence à cause du mot «région», on peut
appeler ça autre chose qu'une région, on peut appeler ça, je ne sais pas quoi,
«circonscription plurinominale». En quoi ça nuirait à l'administration de la
région administrative de Québec et aux relations de la région administrative de
Québec avec les élus dans Québec?
Si on me dit que regrouper les régions
périphériques pour les mettre ensemble, ça, ça poserait un problème, peut-être.
J'habite à Québec, je n'ai pas
l'expérience des régions périphériques. Mais, dans le cas des grandes régions
administratives qu'il faudrait diviser en plusieurs régions électorales — j'utilise l'expression «régions électorales»
parce qu'elle est utilisée dans le projet de loi au début, pas sur les régions
électorales qui vont correspondre aux régions administratives — je ne vois pas en quoi ça nuirait au
fonctionnement de la région administrative de Québec, ni aux relations des
électeurs avec leurs régions administratives, ni aux relations des députés avec
la région administrative des électeurs qui les ont élus. Je crois qu'il y a là
un complètement faux problème et que l'égalité des citoyens, qui est beaucoup
mieux respectée si on fait des régions électorales plus petites dans les trois
grandes régions, l'égalité des citoyens, c'est beaucoup plus important que la
question de savoir si les régions correspondent exactement aux régions
administratives.
Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le député de Rimouski, s'il vous plaît.
M. LeBel :
Merci, M. le Président. Bonjour. Vous savez, moi, par rapport aux régions, ça
m'intéresse beaucoup, mais tantôt, M. Sormany, là, avant vous, dans son
mémoire, avait amené une problématique, je pense qu'il faut essayer de trouver
une solution pour répondre à ça, c'est, entre autres, la Côte-Nord — puis je reviens avec ce que vous venez de
dire — la
Côte-Nord, là, il y aurait deux députés sur la Côte-Nord, et là ce qu'il
disait, ce qui pourrait arriver, c'est que les deux députés proviennent tous de
Baie-Comeau, les deux, et là le comté de Duplessis perdrait... et là comment...
C'est la même chose pour la Gaspésie, il dit : Ça pourrait arriver que les
députés qui soient élus viennent tous du côté nord de la Gaspésie, et là la
Baie-des-Chaleurs serait comme désavantagée. C'était un peu ce qu'il nous... il
nous mettait en garde contre ça. Qu'est-ce qu'on... Comment vous pensez qu'on
pourrait s'assurer que ça n'arrive pas comme ça ou que ça ne crée pas de
problème?
M. Derriennic (Jean-Pierre) : Les députés habiteront... qui sont candidats, on
ne peut pas déterminer à l'avance où ils ont le droit d'habiter, où ils ont le
droit de travailler. Le projet que vous avez va créer, dans la région...
M. LeBel : Parce que vous avez parlé de l'Abitibi tantôt,
trois députés, ils auraient la grande région, mais, si les trois viennent de la
même sous-région de l'Abitibi, il y a des gens... une partie de l'Abitibi va se
dire moins représentée, vous ne pensez pas?
M. Derriennic (Jean-Pierre) : Si c'est une erreur de faire ça et si les partis
politiques font cette erreur, ils le paieront. Un parti politique qui
présenterait trois candidats qui viennent exactement du même endroit ou trois
candidats qui ont exactement les mêmes caractères... c'est pour ça... Bon, je
n'ai pas abordé, dans mon mémoire, la question des quotas de femmes, des choses
comme ça, n'est-ce pas, mais, même si on ne fait pas de quota pour les femmes,
de quota pour des groupes particuliers, le seul fait que les candidatures
soient présentées sur des listes augmente la probabilité qu'il y ait des femmes
candidates. Si un parti politique présente trois candidats dans une
circonscription sur une liste, il ne va pas présenter trois avocats mâles de
45 ans, il va présenter des gens différents, et ça va jouer en faveur des
femmes, ça va jouer en faveur des minorités, etc. C'est pour ça qu'il y a plus
de femmes, statistiquement, dans les Parlements dans les pays où il y a une représentation
proportionnelle. Ce n'est pas à cause du calcul proportionnel, c'est parce que
c'est des listes. C'est la formation des listes qui favorise la représentation
des femmes. Donc, évidemment, un parti politique peut faire l'erreur que vous
dites, tant pis pour lui, les gens ne vont pas aimer ça et le lui feront payer.
La Côte-Nord pose un problème particulier parce
qu'il n'y en a que deux. Bon, alors, il va y avoir un truc un peu bizarre si
vous appliquez votre projet, c'est qu'il va y avoir deux députés, un député de
circonscription et un député de région, qui sont élus par les mêmes personnes
dans le même territoire dans ce cas-là, et ça sera plus difficile d'être député
de région que député de
circonscription parce que, député de région, si on appartient à un parti, il
faut appartenir à un parti qui a au
moins 10 % dans l'ensemble de la province, alors que, pour le député de
circonscription, cette règle-là ne s'appliquera pas. Ça va être un petit peu
curieux. Comment ils vont travailler ensemble? Je ne sais pas, mais ils
s'arrangeront. Si on fait une représentation proportionnelle et qu'on veut
garder la même région commune, on peut faire une représentation proportionnelle
avec seulement deux députés. Ce n'est pas recommandé, mais ça a été fait dans
de nombreux endroits. Si toutes les circonscriptions font deux députés, c'est
une catastrophe, la représentation proportionnelle. Mais avoir une
circonscription où il y a deux députés seulement, hein... normalement, c'est
trois, le minimum pour faire une représentation proportionnelle qui commence à
être raisonnable, mais on pourra avoir, tout simplement, une élection à la
représentation proportionnelle avec, effectivement, une probabilité très grande
que les deux députés ne soient pas du même parti. Est-ce qu'ils viendront tous
les deux du même patelin? Ça, c'est leur affaire, on ne peut pas codifier ça à
l'avance.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Marie-Victorin,
s'il vous plaît.
Mme Fournier : Merci beaucoup pour votre
présentation. Vous êtes notre dernier intervenant pour les auditions publiques,
donc c'était très, très intéressant de vous entendre. Je pense que vous nous
amenez une autre perspective. Puis, par exemple, sur la question de la prime au
vainqueur, je trouvais ça vraiment intéressant que vous souleviez le fait que,
dans le cas d'un nombre impair, par exemple, ça devient un peu inapplicable, en
fait. Ça fait que c'est un autre argument pour qu'on enlève ça du projet de
loi.
Je crois que mes collègues ont bien résumé les
différentes questions, mais je dois vous avouer, là, par ma situation, c'est sûr que la question des députés ou des
candidats indépendants, ça m'a un peu titillée, ce que vous avez dit, parce que
j'y vois une certaine contradiction.
Vous dites que les partis pourraient faire des stratagèmes, puis là présenter
des indépendants sur les listes, tout ça, mais en même temps vous avez dit
aussi qu'il y avait un seuil implicite, à l'heure actuelle, avec le projet de
loi proposé, que, même si on débat, là, sur les questions de 2 %,
3 %, 10 %... Moi, je vous rejoins, je trouve que cette question-là
est un peu secondaire, parce qu'effectivement, c'est déjà à peu près 25 %,
le seuil implicite, avec le projet de loi qu'on a dans les mains, sauf à
Montréal et dans la Montérégie. Mais donc ça revient au même pour les
indépendants, à part à Montréal puis en Montérégie, il n'y aurait pratiquement
aucune chance qu'un candidat indépendant puisse se faire élire sur une liste. Puis même, encore là, à Montréal
puis en Montérégie, on parlerait de peut-être un, au maximum.
M. Derriennic (Jean-Pierre) : Le candidat indépendant n'est pas sur une liste,
par définition, il est un candidat indépendant.
Mme Fournier : Je veux dire pour le bulletin de vote, pour le vote.
M. Derriennic (Jean-Pierre) : Un candidat indépendant sur le siège de région,
c'est ça qui pose le problème, mais il ne sera pas sur une liste, justement.
Les autres candidats, ceux des partis, seront sur des listes.
Mme Fournier : C'est ce que je voulais dire.
M. Derriennic (Jean-Pierre) : Le candidat indépendant, il ne peut pas être sur
une liste, puisqu'il est indépendant. Excusez-moi de vous...
Mme Fournier : Non, non, mais c'est ce que je voulais dire, je faisais référence au
vote sur la région.
M. Derriennic (Jean-Pierre) : O.K. Je voulais être sûr de comprendre.
Mme Fournier : Oui. Donc, je faisais référence au vote sur la région, au fait qu'au
final vous dites qu'il pourrait y avoir des gros stratagèmes, mais ce que je
vois, avec le projet de loi qui est proposé, il pourrait y avoir au maximum
deux députés indépendants élus, un à Montréal,
un en Montérégie, puis ça prendrait minimalement un bon 10 %, là, pour être élu avec ce système-là,
quand on regarde les calculs puis vraiment qu'on...
M. Derriennic (Jean-Pierre) :
Si vous... Mais la règle de 10 % ne peut pas s'appliquer aux indépendants.
Un indépendant ne peut pas avoir 10 %
des votes dans l'ensemble de la province.
Mme Fournier : Je suis d'accord avec vous, je fais
juste réfuter le fait qu'il ne peut pas y avoir de stratagème des partis
politiques de placer des indépendants partout au Québec. C'est un peu ce que
vous nous avez dit.
M. Derriennic
(Jean-Pierre) : Non, ils
peuvent très bien, les partis, savoir qu'à Montréal ou en Montérégie... D'abord,
les petits partis idéologiques présenteront des candidats indépendants à
Montréal ou en Montérégie, c'est les deux seuls endroits où ils ont une chance,
parce qu'avec 4 %, peut-être qu'un parti extrémiste peut avoir des élus,
un élu à Montréal. Et les partis politiques
pourront savoir qu'il y a un candidat indépendant qui se présente à tel
endroit, et donc on s'arrange pour ne pas présenter un candidat contre lui ou
pour avoir un candidat qui se retire à la dernière minute pour le laisser être
élu, et, comme ça, cet élu-là ne se déduira pas du calcul de la compensation
pour le parti. Et, même dans les
circonscriptions à trois sièges, on peut faire ça. On connaît bien les gens, on
sait qu'il y a tel indépendant qui se présente à tel endroit, on va le laisser
être élu. Évidemment, il y aura une liste, il y aura un candidat de parti, une
liste de... un nom, n'est-ce pas,
pour le siège de région et, comme ça, le parti obtiendra le siège de région
sans que se déduise le siège obtenu par l'indépendant dans la circonscription
en question. Évidemment, cette
manoeuvre-là est possible. Ça a été fait en Italie dans les années 90 par
le parti de Berlusconi, mais il ne faut pas faire des règles qui permettent de
faire ce genre de manoeuvre.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, ça conclut la présentation. Avant
de conclure les auditions...
Des voix : ...
Le Président (M. Bachand) : S'il
vous plaît! Ce n'est pas terminé, ce
n'est pas terminé. Je sais que vous voulez rester avec moi encore quelques instants.
Mémoires déposés
Je procède au
dépôt des mémoires des personnes et organismes qui n'ont pas été entendus lors des auditions
publiques.
Document déposé
De plus, je
dépose un texte signé par 166 personnes et organisations concernant le projet de loi n° 39, Loi établissant un
nouveau mode de scrutin.
Cela dit, la
commission ajourne ses travaux sine die. Merci beaucoup, donc.
(Fin de la séance à 17 h 50)