(Dix heures six minutes)
Le Président (M. Ouellette) : À
l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à
toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie
de leurs appareils électroniques.
La commission est réunie afin de poursuivre les
consultations particulières et auditions publiques relatives à l'étude du
rapport sur la mise en oeuvre du Code d'éthique et de déontologie des membres
de l'Assemblée nationale.
M. le secrétaire, pouvez-vous nous rappeler les
remplacements pour ce mandat?
Le
Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Boucher (Ungava) est
remplacé par Mme Nichols (Vaudreuil); M. Rousselle (Vimont) est remplacé
par M. Sklavounos (Laurier-Dorion); et Mme Roy (Montarville) est remplacée
par M. Charette (Deux-Montagnes).
Auditions (suite)
Le
Président (M. Ouellette) :
D'entrée de jeu, je souhaite la bienvenue à notre invité de ce matin, M. Luc
Bégin, qui est directeur de l'Institut
d'éthique appliquée de l'Université Laval. Je vous rappelle que vous disposez
d'une période de 10 minutes pour votre exposé et, par la suite, nous
procéderons à une période d'échange avec les membres de la commission de façon alternée. Et, de façon à
favoriser nos échanges, la présidence a scindé les blocs en périodes de
12 à 14 minutes, et donc le gouvernement aura trois blocs, l'opposition
officielle aura deux blocs... ne bougez pas, oui, deux blocs, et le deuxième
groupe d'opposition aura un bloc.
Nous allons procéder immédiatement avec M.
Bégin. Je vous laisse la parole.
M. Luc Bégin
M. Bégin (Luc) : Merci beaucoup.
Bon. Tout d'abord, merci de l'invitation à venir discuter avec vous de ces questions. Je dois préciser au point de départ que
je ne suis plus directeur de l'Institut d'éthique appliquée de l'Université
Laval depuis mai 2016. Je continue toujours d'y oeuvrer, mais, après 12 ans à la direction de
l'institut, j'ai choisi de
laisser la place à quelqu'un d'autre.
Alors, bon, j'ai remis un court mémoire, et le
propos que je développe dans ce court mémoire est en relatif décalage par rapport au document qui a été soumis
par le Commissaire à l'éthique et à la déontologie et faisant rapport de
la mise en oeuvre du Code d'éthique et de
déontologie des membres de l'Assemblée nationale. Ce décalage ne suppose
pas que je n'accorderai pas d'intérêt au rapport. Au contraire, on y trouve des
informations et des recommandations très intéressantes,
il n'y a aucun doute. Je suis donc disposé à discuter des mesures et
recommandations qui sont suggérées par
le commissaire, dans la mesure de mes capacités et en fonction de mon
expertise, qui ne couvre pas tout le champ de ces recommandations.
La
proposition que j'ai soumise dans mon mémoire est la suivante, c'est-à-dire
d'appliquer la recommandation 54 du
rapport de la commission d'enquête sur l'industrie de la construction, la
commission Charbonneau, comme première étape
d'un processus de réévaluation de nos institutions d'encadrement de l'éthique
et de la déontologie. Cette proposition vient s'ancrer dans un travail de réflexion préliminaire qui a été
conduit par une petite équipe de chercheurs universitaires ainsi que dans les travaux de la commission
Charbonneau. J'ai joint en annexe du mémoire cette recommandation ainsi
que les grandes orientations de réforme que
nous avions proposées dans un chapitre de livre l'an dernier, donc, cet
ouvrage, Marchés publics à vendre.
• (10 h 10) •
Et je me
permets ici de lire très rapidement cette recommandation. Je pense que c'est
pour bien situer mon propos. Alors,
je l'extrais ici du tome 3 du rapport de la commission Charbonneau, la
recommandation 54 : «...adopter une loi regroupant au sein d'un même organisme les instances de contrôle et
d'application des règles d'éthique et de
lobbyisme de l'État québécois et de ses
municipalités, incluant les dispositions suivantes — il y en a trois : [tout d'abord,] l'abolition du Commissaire à l'éthique et à la déontologie de l'Assemblée nationale
[...] et du commissaire au lobbyisme du Québec[...]; [2°] la nomination d'un commissaire à l'éthique et au
lobbyisme par les deux tiers des voix de l'Assemblée nationale pour un mandat fixe de sept ans; [et, 3°,] un
pouvoir de surveillance touchant l'ensemble des élus provinciaux et municipaux et de leur personnel politique, des
sous-ministres, des dirigeants d'organismes publics et des présidents de
conseil d'administration des organismes et des entreprises d'État.»
Ça, c'est le libellé de la recommandation 54 de
la commission Charbonneau.
Tout d'abord,
une précision importante concernant la proposition, par ailleurs, de
notre équipe universitaire. C'est une
proposition qui doit être prise comme une invitation à mettre
en place un processus de révision d'ensemble de notre infrastructure québécoise de
l'éthique non pas nécessairement dans le but de transformer radicalement cet ensemble,
mais plutôt de le
rendre plus performant et plus cohérent. En ce sens, il m'apparaît moins important,
pour l'instant, de s'attarder aux détails de cette proposition qu'à bien
comprendre les raisons et la perspective à partir desquelles elle est proposée.
Ce sont ces deux éléments, à mon sens, qu'il faut conserver à l'esprit dans
tout effort de révision de nos institutions
d'encadrement de l'éthique publique. Et, pour avoir suivi de près les travaux
de la commission Charbonneau, je crois également pouvoir affirmer sans trop de risque d'erreur que
ce sont des raisons et une perspective assez semblables qui en ont guidé la rédaction, de nombreuses recommandations, dont la recommandation 54, que je porte à votre attention.
Donc, quelques mots tout d'abord sur la
perspective d'arrière-plan de cette proposition. Nous approchons les questions
d'éthique publique à partir de ce qu'on appelle une perspective de design
institutionnel. Je me permets ici deux
brèves clarifications : par «éthique publique», il faut entendre tout ce
qui concerne l'éthique et la déontologie dans les affaires de l'État, ce qui inclut conséquemment l'encadrement des
pratiques et des comportements des agents publics; quant au design institutionnel, il s'agit d'une
perspective qui a fait l'objet d'une certaine littérature académique et qui
se distingue d'une perspective individuelle
de compréhension de l'éthique publique. Cette dernière, la perspective
individuelle, s'inscrit surtout dans une logique de détection des déviants, ce
qu'on appelle aussi, parfois, communément, dans une certaine littérature, les
pommes pourries.
Je
rappellerai simplement qu'on a été en mesure de voir, avec les auditions
de la commission Charbonneau, les attentes de la population et
de certains journalistes, qui allaient surtout dans le sens de pouvoir
identifier les déviants de façon à
être en mesure de les sanctionner, ce qui nous ramène à la logique,
essentiellement, d'enquêtes et sanctions visant des individus. La perspective institutionnelle est
différente. Elle suppose, et je cite ici mon collègue Daniel Weinstock,
de l'Université McGill, elle suppose «de ne pas se contenter de répondre à des
problèmes systémiques par des solutions individuelles.
Il faut penser non à la vertu des personnes qui occupent des rôles importants
dans nos institutions, mais plutôt aux
règles de fonctionnement des institutions qui font en sorte qu'elles peuvent
remplir leur finalité. Comment faire pour s'assurer que l'institution
remplit sa fonction? Voici la question. Est-ce que l'institution remplit son
rôle public?» Fin de la citation.
Le travail
dans une perspective institutionnelle vise donc l'identification des failles
institutionnelles qui peuvent laisser
place à des déviances. Ainsi, l'emphase sera mise sur les mécanismes pouvant
favoriser une culture éthique et de l'intégrité. On est dès lors dans
une perspective de prévention, de transformation des conduites et de culture
plutôt qu'uniquement de correction et de
sanction, bien que l'on prévoira inévitablement des mécanismes de sanction sous
la responsabilité des institutions
redessinées. Les travaux de la commission Charbonneau allaient dans le sens
donc d'une perspective de design
institutionnel, même si ce sont des individus et des déviances individuelles
qu'on a vus, pourrions-nous dire, en spectacle.
Il est clair
que nos institutions d'encadrement sont dessinées de manière à et dans le but
de prévenir les déviances et
d'améliorer la culture des milieux visés. Toutefois, et je pense que c'est important
de l'avoir bien en tête, la plupart de nos institutions qui touchent
d'une manière ou d'une autre l'éthique publique ont été créées à la suite
d'affaires, de scandales ou de crises dans
le but immédiat de régler un certain type de problème relatif à certains
milieux et certaines pratiques particulières. Cela peut conduire à
empêcher d'aller véritablement au bout d'une logique de design institutionnel
qui prendrait la mesure globale des finalités à atteindre en cherchant les
moyens les plus performants pour y arriver.
On a fait, autrement dit, un travail tout à fait respectable, mais un travail à
la pièce, de création d'institutions concernées par les questions
d'éthique publique. Or, une telle logique s'accommode très mal... la logique de
design institutionnel s'accommode très mal
d'initiatives pensées en silos, comme c'est le cas actuellement de nos
institutions d'encadrement, à moins que ces dernières ne bénéficient de
mécanismes concrets et efficaces de coordination.
Et c'est là
qu'on en arrive aux raisons centrales qui motivent ma proposition et qui sont
présentes à la fois dans les travaux de notre équipe et dans ceux de la
commission Charbonneau. Donc, la raison principale à l'appui de la proposition soumise, c'est d'assurer une meilleure
coordination de ces institutions d'encadrement de manière à pallier aux
insuffisances actuelles. Je rappelle rapidement les insuffisances présentées
dans mon mémoire.
Première
insuffisance : tout d'abord, le défaut d'équité dans le traitement des
situations et des acteurs impliqués. Je
me permets ici de citer un paragraphe du tome 3 du rapport de la
commission Charbonneau, page 178, où il est écrit :
«L'encadrement de l'éthique au sein de l'État québécois et des municipalités
forme [...] un ensemble de mesures hétérogènes
visant chacune une catégorie de personnes, ces catégories peuvent parfois se
superposer. Cette réalité engendre un
problème de coordination entre les nombreux organismes chargés de veiller au
respect de ces mesures. Ces derniers risquent aussi de devoir appliquer
des normes contradictoires ou incompatibles, ou de ne pas réserver le même
traitement à des situations similaires. Or,
les phénomènes de manquement à l'éthique observés par la commission concernent
souvent des acteurs [qui relèvent] de plus
d'un organisme. C'est le cas, par exemple, lorsqu'une firme de
génie-conseil — lobbyiste — fait des représentations auprès d'un élu
municipal afin d'obtenir un contrat — une minute — puis
auprès d'un chef de cabinet — personnel politique — pour influencer la décision d'un
ministre — élu
provincial — en matière de subvention à la
municipalité.»
On a aussi un
risque de cohérence insuffisante entre les normes et les diverses institutions
et entre leurs initiatives et parfois
aussi un risque de compréhension divergente des fonctions à assumer. J'en
soulève un exemple dans mon mémoire.
Ensuite,
autre insuffisance, les problèmes font l'objet d'une approche fragmentée. Il y
a une absence manifeste de vue
d'ensemble de l'éthique publique au sein de nos institutions, ce qui entraîne
la possibilité que des comportements et des événements passent entre les mailles des filets des différents gardiens.
Les risques majeurs qui sont associés à la situation actuelle, c'est, notamment, un risque de nuire à
la crédibilité de l'une ou l'autre de
nos institutions par le phénomène
de comparaison entre elles, par le public et
les journalistes, des actions entreprises. Et la situation actuelle
contribue à laisser croire que les
questions d'éthique publique ne sont qu'affaires de personnalité des
commissaires ou de volonté plus ou moins variable. Je vous remercie
beaucoup.
Le
Président (M. Ouellette) :
Merci, M. Bégin. Nul doute que vous aurez l'opportunité de compléter dans
les échanges que nous aurons avec les collègues.
M. le député de LaFontaine, pour une première séquence de
12 min 30 s.
M. Tanguay :
Merci beaucoup, M. le Président. D'abord, bonjour à vous, M. le Président,
bonjour aux collègues également qui
sont avec nous et qui poursuivent nos travaux quant à l'amélioration, je
dirais, de notre Code d'éthique et de déontologie.
Bien
évidemment, bienvenue, merci, M. Bégin, de prendre le temps, avec nous, de
réfléchir, d'avoir déposé un mémoire,
ce qui nous permet de vous avoir lu au préalable et d'être plus efficaces lors
de nos échanges. Nous aurons, en ce
qui nous concerne, la banquette ministérielle, trois blocs d'à peu près
12 minutes, alors on aura l'occasion de revenir, et c'est ce qui nous permettra, je pense, de bien
pouvoir cibler le message que vous nous apportez aujourd'hui. Je me suis
plu à relire votre passage, le
10 juin 2009, lors de la première mouture — à l'époque, c'était le projet de loi
n° 48 — et ce
qui fait en sorte que... et je pense que c'est une bonne chose, que l'article
114 du projet de loi n° 48, qui était donc notre première mouture
de code d'éthique, faisait en sorte qu'à tous les cinq ans nous avions le
processus aujourd'hui.
J'aimerais
donc, un peu comme le principe de l'entonnoir, là... et par la suite on parlera
des distinctions importantes que vous
faites entre «éthique» et «déontologie», mais j'aimerais, sur un aspect un peu
plus fonctionnel... croyez-vous qu'il
serait donc justifié et efficace de reproduire cet article 114 là, cette
logique-là de dire : Bon, nous allons bonifier, j'en suis convaincu, avec les collègues, l'actuel
Code d'éthique? Est-ce qu'on se donne rendez-vous — est-ce que c'est une bonne chose? — dans cinq ans ou est-ce que l'on peut se
permettre d'avoir un processus... c'est sûr que le législateur, les députés peuvent toujours ouvrir un débat et
amender toute loi en tout temps, mais est-ce qu'on devrait avoir un
processus plus court dans le temps, plus
formel ou autre? Je ne sais pas si vous avez une réflexion à cet effet-là quant
à l'article 114 du code actuel.
• (10 h 20) •
Une voix : M. Bégin.
M. Bégin (Luc) : Bon. Je pense qu'il
est essentiel de pouvoir faire un retour, effectivement, en commission parlementaire, sur des questions comme celle-là,
c'est-à-dire le dépôt d'un rapport, et que ça puisse être examiné. Je
pense que c'est des moments importants de
révision et de réflexion qui devraient permettre de prendre un peu de hauteur
par rapport à certains problèmes qui peuvent
être rencontrés et surtout le fait que, une institution comme celle-là
d'encadrement, il y a un rythme dans son
développement, bien entendu, et je pense qu'après un certain nombre d'années de
voir où en est l'évolution de l'institution, c'est essentiel.
Maintenant,
les façons de le faire. Que ça doive se faire en commission parlementaire, je
pense que c'est une très bonne chose et, en fait, je considère, oui,
même que c'est tout à fait essentiel.
M. Tanguay : Et le rythme aux
cinq ans est-il le bon? Trois ans?
M. Bégin (Luc) : Je serai peut-être
davantage favorable aux trois ans, mais enfin je n'ai pas une opinion
absolument arrêtée, là, sur cette question-là.
M. Tanguay :
Vous faites donc — et, dans
votre mémoire, vous en faites état, et dans ce que vous nous affirmiez,
donc, le 10 juin 2009 — une
distinction quand même assez nette que le code actuel ne fait pas entre
«éthique» et «déontologie», et je me suis
pris quelques notes de l'échange que vous aviez eu à l'époque : L'éthique
ne se codifie pas, ne se judiciarise
pas, n'existe pas afin de sanctionner. Ça, c'est l'éthique, c'est l'aspect
peut-être un peu plus philosophique mais
duquel découlera, je pense, une approche qui est très tangible, alors que la
déontologie participe d'une codification, et c'est réellement — à
l'époque, le projet de loi n° 48 — notre code de déontologie et
d'éthique aujourd'hui.
Pourquoi c'est important pour vous et pour nous,
dans nos travaux, de faire cette distinction-là, l'éthique et la déontologie,
et en quoi on en aurait des applications tangibles et une approche bonifiée, en
ce qui nous concerne?
M. Bégin
(Luc) : O.K. Si on fait un retour sur cette distinction, bon,
distinction qui n'a pas été, enfin, prise en compte, à mon sens, là, dans le Code d'éthique et de déontologie, je
recommandais, à l'époque, de rayer tout simplement «éthique» du titre du code. Je pense qu'on est
face, tout simplement, à un code de déontologie comme on a pour les
ordres professionnels. On a un ensemble de
devoirs et d'obligations qui couvrent un ensemble de phénomènes, et c'est tout
à fait adéquat et opportun qu'on ait ce type de code.
Maintenant,
lorsqu'on parle véritablement d'éthique et quand je dis : Bien, ça ne se
codifie pas, c'est que, lorsqu'on est dans la dimension éthique des
choses, on est dans l'arrière-plan ou dans ce qui permet de fonder justement
les devoirs et obligations et donc davantage dans l'ordre de la capacité à
l'exercice d'un jugement critique, réflexif qui guide les comportements des
individus. Donc, on est davantage, dans le fond, dans une perspective de
formation et d'accompagnement dans la qualité de la réflexion par rapport aux
situations problématiques rencontrées, ce qui est un univers différent que
l'univers de la déontologie.
Maintenant,
bon, il a été jugé préférable par le législateur de développer un code d'éthique
et de déontologie qui est fondamentalement un code de déontologie, et
puis, bien, on travaille avec ça maintenant, tout simplement.
M. Tanguay :
Basé sur votre expérience, vous faites référence aux ordres professionnels.
Est-ce que le législateur, les 125
députés ont, je dirais, pour profession... Puis même, en disant «profession»,
je trouve ça réducteur. C'est notre démocratie, nous sommes le
législateur, je veux dire, les 125 députés.
Est-ce que, si on se compare justement
avec les autres ordres professionnels, en tout respect, on manque à la
nature même du rôle du député, qui est beaucoup plus large et qui reste, j'imagine, au-delà d'un
simple code de déontologie : arrête
à la lumière rouge, et repars, et ce sera parfait? Et, nous, nos réflexes
d'élu, c'est de dire : Donnez-moi une règle très claire, donnez-moi un avis, idéalement, écrit, pas verbal, puis je
vais être capable de le respecter et là je serai hors de toute atteinte
à ma réputation.
Est-ce
que ce n'est pas un peu réducteur, puis je le dis sans méchanceté, de comparer
le législateur aux autres ordres professionnels, selon
vous, dans l'approche?
M. Bégin (Luc) : O.K. Je pense que c'est davantage par l'instrument que par la fonction
qu'il y a une comparaison, que je
fais la comparaison. C'est qu'effectivement, l'élu, comme le professionnel, on
peut avoir... Nous avons légitimement, en
démocratie, des attentes quant à certains devoirs et certaines obligations, et
c'est ce qui est couvert, à mon sens, dans le Code d'éthique et de déontologie, et, en ce sens, il y a une analogie à
faire. Donc, ce n'est pas d'associer directement, mais il y a une
analogie à faire avec ce qu'on retrouve dans les ordres professionnels.
Je
souligne par ailleurs, pour poursuivre cette analogie-là, que, dans certains
ordres professionnels et de plus en plus,
on juge à propos aussi de susciter une réflexion des membres, particulièrement
dans les formations universitaires, autour
de l'éthique professionnelle, qui est en deçà de la déontologie professionnelle,
autrement dit, une réflexion sur le rôle
plus large et sur les responsabilités non pas dans une perspective de sanction,
de devoir et obligation, mais dans une perspective
de jugement adéquat quant au rôle qui est le sien dans une démocratie comme la
nôtre. Et, en ce sens-là, lorsque je
regarde le rapport du commissaire, il est clair que le travail... mais, compte
tenu du code qui existe, le travail a été fait essentiellement, donc,
autour de questions de déontologie des élus.
Et
je me permets de souligner ici un point que je porte à votre attention :
il est question de conseils et d'avis de la part du Commissaire à
l'éthique et à la déontologie. Lorsqu'on regarde les sections du rapport où il
parle de conseils et avis — je réfère notamment aux pages 63 à 67 — le titre est Conseils et avis, mais,
là où il en est question, on ne parle que
d'avis et d'avis juridiques. Un peu comme vous le disiez, on a besoin d'être
rassurés, au plan légal, donc, de ce que l'on avance, de ce que l'on
fait, si c'est adéquat ou non, dans le respect ou non des règles et des normes.
C'est une fonction tout à fait normale, mais
ce que je vois, c'est que le conseil n'existe pas dans la structure actuelle,
bien qu'on parle de conseils et
d'avis. L'avis relève, à mon sens, davantage du volet déontologique et
juridique, dès lors du code, alors que le conseil pourrait relever
beaucoup plus d'une perspective d'ordre éthique dans une perspective, je
dirais, encore davantage préventive que peut
l'être l'avis. Mais pour ça, pour que ça soit fonctionnel, parler de
conseils... Et là je reviens à la
proposition qu'on fait, de regrouper des structures d'encadrement, des
institutions d'encadrement. Pour que le conseil puisse être fonctionnel, je pense qu'on devrait réfléchir à la
possibilité de créer une entité distincte de cette structure
d'encadrement de la déontologie des élus.
M. Tanguay : Vous faites référence à la recommandation 54 du rapport de la
Commission d'enquête sur l'octroi, la gestion des contrats publics,
l'industrie de la construction, qui propose justement, donc, l'abolition du
poste de Commissaire à l'éthique, Commissaire au lobbyisme et la nomination
d'un seul commissaire éthique et lobbyisme.
Faites-vous, donc,
dans la dernière partie de votre intervention... à un jurisconsulte bonifié,
qui existe déjà? Parce que 54 ne parle pas
de fusionner et Commissaire à l'éthique, et Commissaire au lobbyisme, et
jurisconsulte, et le jurisconsulte,
sa nature, l'esprit, était justement d'apporter des éclairages, des avis
confidentiels, qui permet, en plus de la formation... Je pense qu'il
faut le doubler, comme vous le dites bien, à de la formation continue, chose
que peut-être, malheureusement, et je le dis, on n'a pas suffisamment, comme
élus, là. On pourrait y revenir.
Mais
êtes-vous en train de pointer vers le jurisconsulte? Est-ce qu'on le confirme,
on le laisse indépendant, on bonifie son action?
• (10 h 30) •
M. Bégin (Luc) : On pourrait l'envisager de cette façon-là. J'ai
seulement un problème avec le titre de jurisconsulte, si on veut parler de conseils en éthique, parce
qu'on vient encore rabattre l'éthique sur une lecture associée au droit.
Et, pour moi, le grand problème serait là si
on se contentait de bonifier la fonction de jurisconsulte. Mais ce serait
effectivement dans cette direction-là qu'il faudrait aller, c'est-à-dire dans
un analogue à ça, tout à fait, oui.
M. Tanguay :
Comment l'appelleriez-vous, le jurisconsulte?
M.
Bégin (Luc) : Ah! c'est une belle question à laquelle je n'ai pas
réfléchi. C'est toujours un grand problème de donner un nom aux choses.
Je pense que je laisserais ça à la sagesse du législateur.
M.
Tanguay : C'est bon. De ce que vous en savez, a-t-il suffisamment
de moyens? Encore une fois, si vous n'avez pas étayé la réflexion à cet
effet-là... Mais ce jurisconsulte a-t-il suffisamment de moyens? Est-ce que,
tel qu'il existe aujourd'hui, il remplirait l'objectif?
M. Bégin
(Luc) : Je pense qu'on aurait peut-être besoin d'un petit ajout.
M. Tanguay :
O.K.
M. Bégin
(Luc) : Un petit, oui.
M. Tanguay : O.K.
Et on aura l'occasion puis le temps... puis je vais clore là-dessus, M. le
Président, parce qu'on aura
l'occasion, avant d'aborder d'autres blocs, d'autres logiques, on aura
l'occasion, M. Bégin, d'avoir la discussion avec vous au niveau de la nature du rôle du député, où on a vu qu'il y a eu
des rapports... Puis je ne fais pas de partisanerie ici, là, je pense qu'on est au-dessus de la partisanerie.
Il y a eu des rapports du Commissaire à l'éthique qui disaient :
Bien, peut-être que le collègue a mal agi,
mais il n'y a pas de sanction. Systématiquement, il n'y a pas de sanction,
parce qu'on dit : Bien, déjà, le fait qu'il ait été publié qu'il avait
mal agi, c'est suffisant comme sanction.
Alors,
les articles où il y a des sanctions, on aura l'occasion d'en reparler, et
aussi d'analyser comment on peut sanctionner,
entre guillemets, des atteintes aux valeurs de l'Assemblée nationale, qui est
un autre débat qui peut paraître philosophique
mais qui est très tangible aussi dans notre réalité à nous, où un article de
journal, pour tous les collègues, là, est déjà... il y a un prix très
élevé à payer au niveau réputationnel, ce qu'on ne retrouve pas dans d'autres
ordres. Mais on reviendra. Merci.
M. Bégin
(Luc) : Tout à fait. Merci.
Le Président (M.
Ouellette) : Merci, M. le député de LaFontaine. Mme la députée de
Taschereau.
Mme
Maltais : Bonjour.
Bienvenue. C'est vraiment un plaisir de vous entendre ce matin, d'autant
que c'est la deuxième fois que vous venez jaser de code d'éthique avec
nous. Je pense que vous aviez déposé un mémoire lors de la création du Code
d'éthique. Je vous remercie de la pertinence de votre mémoire, sa qualité.
Vous
êtes vraiment sur les sujets qui actuellement nous questionnent.
Vous êtes dans le coeur de certains éléments importants. Par exemple,
deux sujets qui, moi, me font beaucoup réfléchir en ce moment sont l'utilisation
ou non de sanctions, la mécanique des sanctions. Est-ce qu'on y arrive ou on
n'y arrive pas? Pourquoi ce n'est jamais utilisé? Puis j'ai jasé avec le
Commissaire à l'éthique là-dessus. Il a ses réponses, qui sont valables, mais il
y a quand même un questionnement là-dessus. Le deuxième, vous en parlez, puis mon collègue
en parlait aussi, ce qui est nos institutions... Nous avons le
Commissaire au lobbyisme, le Commissaire à l'éthique et le jurisconsulte. Comme
mon collègue de LaFontaine, j'allais ajouter cet élément-là, qui, pour nous,
fait partie de notre environnement éthique et juridique.
Alors,
je vais commencer, peut-être, dans ce premier groupe, premier morceau, à parler
de ce qui m'interpelle le plus, parce qu'il y a eu beaucoup, beaucoup, depuis quelque temps, de rapports du Commissaire à l'éthique,
qui a trouvé des fautes. Il y en a
certaines qu'il a appelées et que je vais appeler des erreurs de jeunesse, mais
il y en a d'autres qui étaient des fautes assez sérieuses. Dans vos deux dernières
pages du mémoire, vous parlez de deux dossiers, entre autres du dossier du 7 juin 2012 — c'était
Tony Tomassi, je pense, qui était visé par ce rapport du Commissaire à l'éthique du 7 juin 2012 — et l'autre, du 8 juin dernier, de
notre collègue de Louis-Hébert. Votre dernière phrase est très, très lourde.
C'est assez inhabituel en commission
parlementaire qu'on ait des avis aussi clairs, et je veux vraiment en parler.
Vous dites : «En tout respect pour le commissaire, je me permets
d'affirmer que la manière dont il a choisi d'aborder la question des
manquements aux valeurs et principes de l'Assemblée nationale ne sert pas
adéquatement la fonction qu'il occupe.» Donc, vous respectez le commissaire,
mais vous dites : Pour la fonction, il y a un problème. Je sais, j'ai
parlé avec le commissaire plusieurs fois, et
il m'a dit... Il est le premier commissaire, donc il est la jurisprudence de ce
Code d'éthique. À chaque fois qu'il fait un rapport, à chaque fois qu'il
émet un jugement et il fait de la jurisprudence, on est dans une matière qui
est nouvelle, ce Code d'éthique. Ça ne fait pas longtemps qu'on se gouverne
selon ce Code d'éthique à l'Assemblée nationale.
Alors,
j'aimerais ça vous entendre là-dessus, parce qu'en même temps, la
jurisprudence, il va falloir la faire évoluer à un moment donné. Puis,
si elle est trop molle face aux valeurs, vous dites... Face aux valeurs, non
pas face à la déontologie, mais face aux
valeurs, face au Code d'éthique, vous êtes très critique. J'aimerais ça vous
entendre là-dessus. Pourquoi? Parce que c'est vraiment un sujet qui est important.
M.
Bégin (Luc) : Oui. Honnêtement,
j'ai hésité à écrire ces lignes. Je pesé le pour et le contre un certain
temps, parce que je sais que c'est un peu lourd, et c'est pourquoi
j'ai présenté aussi au début que c'était délicat, parce que
je ne veux surtout pas donner l'impression que j'ai un regard très
critique par rapport à la fonction et la manière dont la fonction est exercée.
Il y a
un rythme dans l'évolution d'une institution d'encadrement.
On l'a vu avec le Commissaire au lobbyisme, notamment. Je rappellerai que, dans les premières
années d'existence de l'institution du Commissaire au lobbyisme, le
travail en a essentiellement été un de formation et de sensibilisation des
personnes concernées parce qu'on partait de très loin. La fonction de lobbyisme
était considérée par beaucoup comme étant illégitime en soi, donc il fallait
déjà la rendre légitime. Et donc former,
informer, expliquer, ça a été le travail des premières années, parce que j'ai
été très près du Commissaire au lobbyisme à l'époque. On avait rempli un
mandat, notamment, auprès d'eux, concernant les élus municipaux à l'époque.
Donc,
on a cette perspective-là au départ, mais, je dirais, le Commissaire au
lobbyisme a eu la chance, dans les premières
années de l'institution, de ne pas avoir de situation particulièrement délicate
à résoudre, si bien que l'évolution s'est
faite de façon, je dirais, normale pour l'institution. Et je pense qu'on a
présentement un commissaire au lobbyisme qui est un peu plus, je dirais... qui intervient de façon plus claire
dans son rôle d'enquête et de sanction. On a ici une nouvelle
institution qui est créée, donc, depuis peu et qui a à se mettre en place, qui
a à établir sa propre légitimité et à préciser clairement quelle est sa fonction, et de sorte que tout le monde qui y
est soumis, donc les élus... qu'on comprenne bien c'est quoi, ça, ce truc, là, qui existe
maintenant, et qu'est-ce qu'on en fait, et qu'est-ce qui est attendu de nous,
sauf que là où c'est très différent, c'est que le Commissaire à
l'éthique et à la déontologie n'a pas eu le loisir d'attendre cinq ans, sept
ans ou 10 ans avant que des situations plus difficiles, délicates se présentent
à lui de par la fonction même.
Alors, je peux comprendre la réticence
à aller... et surtout en ce qui concerne la question des valeurs, à aller
dans l'ordre de sanctions immédiatement. Là
où j'ai un problème, ce que j'essaie d'expliquer, c'est qu'à partir du moment
où on vient dire dans le Code d'éthique et
de déontologie que les valeurs sont aussi... c'est-à-dire que le commissaire
peut aussi sanctionner sur la base des
valeurs, qu'on inscrit le respect de ces valeurs-là dans la même logique que
les règles davantage déontologiques,
a ce moment-là il y a une question de cohérence. Si on est cohérent, on doit
sanctionner les manquements aux
valeurs aussi, si évidemment on le juge à propos, quant à la gravité des
gestes. Et là où j'ai un problème, mais je ne veux pas... et c'était aussi le côté délicat, je ne veux pas revenir
spécifiquement sur les situations qui se sont produites, mais simplement souligner quand même qu'à partir du
moment où on a décidé que les valeurs sont là, me semble-t-il, on doit appliquer la même logique, et appliquer la même
logique, ça veut dire que des sanctions peuvent avoir lieu. Et je pense qu'on a été dans des situations où les
affirmations du commissaire étaient suffisamment claires pour qu'il y ait
sanction. Et, en ce sens, quand je dis qu'il
dessert... à ce moment-là, ne sert pas adéquatement la fonction qu'il occupe,
je pense que ces situations-là
contribuent à jeter... du moins, à susciter une interrogation quant à la valeur
de l'exercice ou même de l'existence de cette institution. Et c'est ce
qu'on a vu dans les journaux, c'est ce qu'on a entendu beaucoup dans la
population aussi et c'est malheureux.
• (10 h 40) •
Mme
Maltais : Si vous permettez. J'ai donné un peu l'argument du
commissaire, qui était, et que vous venez de relever, effectivement : il fait la jurisprudence, il est le
premier à utiliser ce code, à l'interpréter, puis effectivement il a été
rapidement plongé dans des situations de conflit d'éthique.
Maintenant,
par contre, je vous ferais remarquer qu'avant nous n'étions pas dans le néant,
la loi de l'Assemblée nationale existait et il y avait des articles qui
concernaient l'éthique des collègues députés et ministres, et ils ont été transférés dans le Code d'éthique, finalement.
Aujourd'hui, le président de l'Assemblée nationale, si on l'interpelle,
il va dire : Écoutez, ce n'est pas à
moi à juger à ça, c'est maintenant au Commissaire à l'éthique à juger de cette
situation. Donc, il y a eu un transfert de
pouvoirs, mais donc il y avait quand même des règles. Il y avait aussi les
règles de conduite des employés des cabinets, qui étaient sous la
responsabilité du premier ministre.
Donc, je pense qu'on
ne peut pas dire que la matière est totalement neuve. Le code est neuf, mais
les règles d'éthique ne viennent pas
d'apparaître à l'Assemblée nationale aujourd'hui. Je ne sais pas si vous avez
des commentaires là-dessus par rapport à ce que vous venez déjà
d'énoncer.
M.
Bégin (Luc) : ...très bien la précision que vous faites,
effectivement, mais la fonction, elle est neuve, et, à partir du moment où la fonction est neuve, bien,
évidemment, la personne a à établir l'interprétation et actualiser cette
fonction-là.
Mais,
je le répète, je pense que c'est un travail qui est très délicat dans les
premières années, mais, en même temps, je pense qu'il faut se mettre au
clair quant à la cohérence d'ensemble de cet ensemble-là. Et, je le répète, à
partir du moment où on a décidé... et ce n'était pas une position que je
trouvais souhaitable, personnellement, mais, à partir du moment où on a décidé d'inscrire ces valeurs dans
le code de déontologie et de considérer à partir de l'article 92 qu'on
peut faire enquête pour déterminer si un député a commis un manquement aux
règles déontologiques ou aux valeurs de l'Assemblée nationale, bien, à ce
moment-là, il faut agir en cohérence avec ce qui a été décidé.
Mme
Maltais : Je comprends aussi que vous dites : Si un
manquement aux règles déontologiques encourt une sanction mais qu'on
sent que, quand il s'agit de valeurs et que c'est affirmé qu'il y a un
manquement aux valeurs, il n'y a pas de
sanction, il y a donc un message envoyé aux députés de l'Assemblée
nationale : Suivez votre code, mais, si vous avez un manquement aux
valeurs, c'est moins grave. C'est ce que vous semblez dire.
M.
Bégin (Luc) : Pour moi, c'est très clair, là, dans la situation
actuelle. Et c'est un message qui est malheureux, parce qu'on ramène, encore une fois, l'ensemble de
ce qui est véritablement préoccupant. Ce sont les règles déontologiques.
Ce sont les règles déontologiques. Et, dans
la mesure où on se tient dans le cadre, je dirais, juridico-légal de ce pour
quoi on peut obtenir un avis très clair
juridiquement appuyé de la part du commissaire, bien, si on s'en tient à ça, on
vient dire, au fond, que les valeurs
qui sont celles, donc, de l'Assemblée nationale... Et je rappellerai quand même
que ce n'est pas absolument banal, là, les valeurs dont on parle, hein? On
parle notamment d'honnêteté. On parle d'honnêteté, de convenance, bon, sincérité et justice. Je veux bien croire que, dans
certains cas, c'est plus vague à juger, mais l'honnêteté, c'est quand
même quelque chose sur quoi on arrive à s'entendre assez bien.
Donc, est-ce qu'on
dit : Bien, ça, dans le fond, on laisse ça à votre jugement personnel, et
il n'y aura pas de sanction? Parce que vous
dites : Bien, moi, je pense que ça a été... j'ai bien jugé, et c'est tout.
Mais alors, à ce moment-là, pourquoi
le mettre dans le code, franchement pourquoi, sinon à dire, comme on l'indique
à l'article 8, que, dans le fond, les députés
reconnaissent que ces valeurs doivent les guider dans la tâche? Je veux bien,
mais, si on laisse ça à l'appréciation personnelle
totalement, sans autre guide, mais qu'on vient dire en même temps que ça peut
être soumis à des sanctions, je pense qu'il y a un problème de cohérence
à l'intérieur du code.
Le Président (M.
Ouellette) : ...M. Bégin. M. le député de LaFontaine.
M. Tanguay :
...M. le Président. Pour combien de temps? Un bloc de?
Le Président (M.
Ouellette) : 12 min 30 s.
M. Tanguay :
12 min 30 s. M. Bégin, il y a une chose qui est... puis je vais
le verbaliser de cette façon-là, puis, encore
une fois, comme on dit parfois dans les films, là, tout rapprochement avec la
réalité, là, n'est que fortuit... Puis c'est vrai, là, je veux dire, je ne ferai pas de
partisanerie, puis, vous allez voir, même je vais nommer les choses. De
part et d'autre, la logique partisane fait
en sorte que, quand un de nous, un de nos collègues est sur la sellette pour
des allégations, il y a une joute partisane qui s'installe, et ce, de
part et d'autre. De part et d'autre, les groupes parlementaires, par définition, par nature, ne laisseront pas passer
l'occasion, tous les groupes parlementaires, ce qui est la grosse distinction,
je vous dirais, et je vais en nommer deux,
entre nous et les autres ordres professionnels. Et moi, je suis membre du
Barreau du Québec. Si je fais le... ce n'est pas le cas, mais, si je faisais
l'objet d'une enquête, il n'y aurait pas de mes confrères qui alerteraient les médias pour dire : Ah!
cet avocat-là, voici, on fait un cercle autour de la tache, on va vérifier, on
est sûrs, puis là avec des suppositions, et ainsi de suite. Nous sommes donc dans un contexte où, oui, il y a la déontologie, il y
a l'éthique qui doit être constatée dans
tous nos gestes à tous les jours mais qui est très rapidement,
puis c'est la nature des choses,
lancée dans un débat partisan, parlementaire.
Et la deuxième distinction fondamentale, c'est que ça a des échos dans les médias. Je veux dire, nous
alimentons les médias de ces faits-là : il y a enquête.
Si bien que je vais vous donner un exemple, puis
je ne nommerai pas le collègue, parce que ça n'a aucune importance. Vous savez que nous, comme députés, on doit lister tout don
de plus de 200 $. Bien, il y a un collègue qui s'était fait offrir un repas et il l'avait listé.
Bien, c'est sorti public, évidemment, c'est un registre public. Et là il y a
un article de journal, il y avait du millage
qui a été fait, du millage partisan là-dessus. Ce n'est pas un collègue de
notre formation, alors vous voyez
que... Et, à la limite, je vous dirais que je le déplore, parce que c'est
justement l'objectif : déclarer, comme député, si vous avez reçu
quelque chose qui est de plus de 200 $. Il l'a fait, et là ça a été
l'article de journal, il a du se dépêtrer,
il n'y a pas passé un bon 24 heures, alors qu'il avait respecté les règles, et
là c'était la question : Bien, qu'est-ce qui est sous-entendu
derrière ça?
Alors, c'est
la logique dans laquelle nous sommes, où je crois qu'on pourrait, et je veux
vous entendre là-dessus... ce n'est
pas une affirmation, c'est une hypothèse que j'émets, on pourrait avoir les
institutions que l'on veut, fusionner le Commissaire au lobbyisme, le
Commissaire à l'éthique, avoir le jurisconsulte à côté, mais ne gagnerions-nous
pas collectivement à prendre conscience du
fait que, oui, à toutes les fois où un des 125 députés, peu importe le parti
politique, fera l'objet d'enquête ou quoi que ce soit, il y aura nécessairement
une récupération très féroce, partisane, de un, et il y aura nécessairement un écho qui sera fait dans les médias, de deux?
Et, de trois, on boucle la boucle. On a un commissaire qui, jusqu'à maintenant, puis je ne juge pas, a
toujours dit : Bien, il y a eu suffisamment de publicité, oui, le collègue
a mal agi, il y a eu suffisamment de
mauvaise publicité que je n'irai pas en plus en rajouter et soumettre une
sanction en vertu de l'article 99. Sa cour est pleine, il a
suffisamment payé.
Alors,
voyez-vous, c'est ça le noeud, le coeur du problème, où peut-être que... je
lance l'idée, peut-être que, nous, y
voyez-vous peut-être l'avantage et la possibilité, comme parlementaires, d'être
peut-être, les 125, un peu plus sereins, responsables et pas trop vites pour manger notre prochain qui fait
peut-être, oui, l'objet d'une vérification, et se garder une réserve.
Comment on pourrait l'inspirer, cette réserve-là nécessaire, parce que
partisanerie et éthique, là, ne vont pas de pair, on s'entend?
• (10 h 50) •
M. Bégin
(Luc) : Je suis très heureux de vous entendre dire que partisanerie et
éthique ne vont pas de pair et là je vais
dire quelque chose de très gros, là, mais vraiment mais qui va dans le sens de
ce que vous dites : Parfois... mais c'est une interrogation, là, je n'affirme pas, O.K., soyons bien clairs, là,
c'est le chercheur qui réfléchit tout haut, avec tout ce que ça implique, et on a l'habitude de partager
nos réflexions, mais ce n'est qu'une réflexion, je me demande parfois si
la logique du politique est compatible avec la logique de l'éthique, aussi
clairement.
C'est une
interrogation, mais une interrogation très sérieuse, très, très sérieuse. Non
pas que le politique et là que les individus ne puissent pas être des
personnes à l'éthique irréprochable, ce n'est surtout pas ça que je dis, mais
que la logique même de nos institutions
politiques, de notre institution politique, notre façon de faire les débats,
notre façon de médiatiser, notre
façon de nous rapporter aux événements est quelque chose qui est bien souvent,
et je le questionne, en porte-à-faux
avec une logique qui serait véritablement d'ordre éthique. Et on essaie de
mettre l'un et l'autre ensemble. On force
quelque chose qui n'est pas tout à fait naturel. Bon, ça, c'est plus qu'une
question, c'est... un ensemble de questions que d'affirmations.
Dans l'ordre de l'affirmation maintenant, je
pense qu'on n'a pas beaucoup, collectivement... et c'est normal aussi, on n'a pas beaucoup de maturité au plan du débat sur des questions d'ordre
éthique. C'est relativement
nouveau qu'on soit dans cette dimension-là
du débat. On n'a pas beaucoup de maturité, et ça vaut autant pour les médias
que pour les personnes qui sont les
premières concernées et pour la manière dont la joute parlementaire va se jouer. Et ça, c'est un problème
manifeste. Maintenant, est-ce qu'il est possible d'en arriver
progressivement à développer cette maturité-là? Est-ce qu'il y a des moyens d'y arriver? J'aimerais bien vous
arriver avec une solution très claire et dire : Voici les étapes à suivre, voici les étapes à suivre. Mais je pense
que, si on regarde... même si la question est différente, le milieu est
différent, si on regarde la façon dont la question du
lobbyisme s'est développée depuis une dizaine d'années, je pense qu'on peut quand même être modérément optimistes quant à notre
capacité, progressivement, de traiter de ces questions-là sereinement.
Quand vous me
dites : Bon, le collègue, par
exemple, bon, qui a déclaré un don de
plus de 200 $, c'est la
procédure normale, il a fait exactement ce qu'il avait à faire, je pense que
devra venir un certain moment où les médias, devant une situation comme
celle-là, n'auront tout simplement pas à se préoccuper de la nouvelle, parce qu'il n'y a là rien de particulièrement
intéressant publiquement, dans la mesure où on suit la procédure, on regarde ce
qu'il en est, et voici. C'est simple. Mais,
pour des cas plus délicats, plus chargés, là, effectivement, je pense que ce
rapport de force va toujours demeurer, et c'est normal.
M. Tanguay :
Il y a... et c'est bon, ce que vous dites, puis vous dites : Bon,
malheureusement, vous nous dites que
vous n'avez pas la solution, là, a plus b égalent c, là, de l'application de
ça, mais ça participe quand même, je pense, du sain débat que nous avons quant à d'éventuelles
bonifications de notre Code d'éthique, et ce que vous apportez comme
éclairage nous aide, je pense, à réfléchir.
Il y a, par exemple, puis là je pense tout haut,
il y a, par exemple, en vertu de notre règlement de l'Assemblée nationale, des interdits, je le dirais comme ça.
Peut-être que le mot est trop fort, mais c'est quand même interdit. En
vertu de l'article 35, on ne peut pas
référer, par exemple, à une cause qui est pendante devant un tribunal, on ne
peut pas poser de question là-dessus, ce n'est pas un sujet qui est
reçu. Et on peut attaquer la conduite d'un collègue en vertu de l'article 315 et suivants : si tu veux
attaquer la conduite d'un collègue, tu le fais formellement, et, si d'aventure
on se rend compte que l'attaque ou la
contestation du comportement n'était pas justifiée — 323 — il pourrait y avoir des conséquences
contre la personne qui aurait inutilement, en bout de piste, attaqué la
conduite d'un collègue.
Il y aurait
peut-être là une réflexion, puis je lance l'idée, où, lorsque l'institution qui
est le commissaire affirme qu'il
s'est saisi d'une question, qu'il y ait de facto, en vertu de notre règlement,
aussi une certaine réserve, un laisser-faire également, c'est le respect
que l'on accorde à un commissaire qui serait nommé par, évidemment, les deux
tiers... un commissaire qui regrouperait les
deux chapeaux nommé par les deux tiers de l'Assemblée nationale. Il y a
nécessairement un devoir de réserve. Et, ce
faisant, je pense, là, on est en amont. Si le politique, durant la période des
questions et durant les scrums, les
mêlées de presse et les conférences de presse, si le politique applique une
certaine réserve, je pense qu'il en
découlerait aussi une couverture médiatique qui serait plus sereine et à partir
de laquelle on pourrait tous en bénéficier, parce qu'ultimement peut-être qu'on aurait, évidemment, une institution
qui dirait : Bien, le débat s'est fait de façon sereine. Oui, il y a eu une publicité minimale quant à
l'enquête que j'ai menée. Il a ou elle a mal agi, et donc je me dois
d'appliquer une sanction en vertu de 99. La sanction n'a pas eu lieu au niveau
réputationnel en faisant...
Alors,
peut-être que, nous, puis je lance la réflexion, il serait de bon ton de nous
limiter lorsque l'institution affirme qu'elle
s'est saisie... parce que, là, de part et d'autre, il s'agit d'un débat qui est
purement partisan, et qui fait les manchettes, et qui fait vendre de la copie, qui augmente les auditoires, et je vous
dirais que, comme députés à l'Assemblée nationale, les 125, on aura toujours ce réflexe-là, de manger
du prochain pour compter des points politiques. Et on a eu chacun nos périodes où nous étions sur la défensive et/ou
nous étions à l'attaque. Et, encore une fois, là, on dessert l'éthique.
Puis savez-vous quoi?, en bout de piste, je
pense, puis j'aimerais vous entendre là-dessus, je pense que les citoyennes et
citoyens, là, quand ils nous regardent agir
de cette façon-là... pas sûr que nous avons nos meilleures heures à leurs yeux.
Et, en ce sens-là, je pense qu'on y gagnerait tous collectivement. Je ne
sais pas si vous avez une réflexion quant à cet effet-là.
Le Président (M. Ouellette) :
...1 min 30 s, M. Bégin.
M. Bégin (Luc) : Pardon?
Le Président (M. Ouellette) :
1 min 30 s pour votre réflexion sur celle-là.
M. Bégin
(Luc) : O.K. Bien, ce sera
plus court que 1 min 30 s. Non, je n'ai pas une très grande
réflexion là-dessus, si ce n'est qu'une forme de contrôle, je pense,
des élus entre eux peut être effectivement une bonne chose. Maintenant, je ne me fais pas tellement d'illusions de ce
côté-là, honnêtement, je ne me fais pas tellement d'illusions, parce
que je pense qu'il y a des situations où la partisanerie nécessairement
reprend le dessus et de façon très importante. C'est assez normal aussi,
quelque part, mais, en même temps, il est clair que, oui, il faut bien se
rendre compte qu'aux yeux de la population parfois ça lance une image qui n'est
pas la plus glorieuse de la fonction de député.
M. Tanguay : Et, juste pour clore là-dessus,
puis je terminerai mon bloc là-dessus, j'étais de ceux qui... à l'interne, on se faisait une réflexion en vertu de l'article 35.3°, M.
le Président, quand on dit :
«Paroles interdites [...] propos non parlementaires. Le député qui a la parole ne peut[...] — ça,
c'est en toutes circonstances — parler
d'une affaire qui est devant les
tribunaux [...] un organisme quasi judiciaire, ou qui fait l'objet d'une
enquête...» «Enquête», à lire «Commissaire à l'éthique, Commissaire au lobbyisme».
Alors, on
pourrait peut-être bonifier notre jurisprudence ou y faire une
référence. C'est la réflexion personnelle, M. le Président, que je fais
tout haut. Autrement dit, il ne faut pas perdre espoir sur la capacité de nous,
les parlementaires, collectivement, unanimement, donner des règles qui
vont nous restreindre et apporter... ou élever le débat, apporter une certaine
sérénité quand l'on sait, évidemment, que les vérifications se font, que les
enquêtes se font.
Le
Président (M. Ouellette) : Merci, M. le député de LaFontaine. M. le
député de Deux-Montagnes, 15 minutes.
M.
Charette : ...M. le Président, M. Bégin. Un plaisir de vous recevoir
ce matin. C'est d'autant plus intéressant que vous avez participé à
l'élaboration de la première mouture du Code d'éthique il y a quelques années
maintenant.
Première
question relativement simple. Donc, vous aviez participé aux consultations,
oui, il y a quelques années. Un code
d'éthique a été retenu, par la suite. Quelle est votre appréciation générale du
Code d'éthique adopté il y a plus de cinq
ans maintenant? Est-ce qu'il se compare avantageusement à d'autres codes
d'éthique semblables, là, dans d'autres législatures? Est-ce que c'est
une comparaison que vous avez pu faire, de votre côté?
M. Bégin (Luc) : Honnêtement, ce
n'est pas une comparaison que j'ai faite de façon très instruite et très approfondie, mais je dirai que, oui, dans
l'ensemble, très clairement, c'est un code... Moi, je préfère l'appeler code
de déontologie. Je garde le deuxième terme
plutôt que le premier, parce que c'est davantage sa nature que d'être un
code d'éthique, mais, oui, je pense qu'il est globalement très intéressant. Et
je pense que beaucoup des recommandations qui ont été déposées dans le rapport du
commissaire permettraient de bonifier le code suite aux expériences, donc,
qui ont eu cours pendant les premières années, là, d'existence du code. C'est
un bon code globalement, oui.
M. Charette : Donc, nous avons entre
les mains un code qui se vaut, qui a sa valeur.
Maintenant,
peut-être un petit peu plus... Et c'est des questions qui ont été soulevées,
dans une certaine mesure, par mes collègues. Oui, le code a sa valeur,
mais quelle est l'utilisation que nous en avons faite au cours des dernières années? C'est peut-être là où l'expérience est
plus décevante. Est-ce que c'est ce que je dois comprendre de vos
propos?
• (11 heures) •
M. Bégin
(Luc) : L'utilisation qui en a été faite... Non, en fait. Bon, je
constate dans le rapport du commissaire qu'il y a eu notamment de nombreuses demandes d'avis. Je pense que les
élus ont été très attentifs à ce qui est inscrit dans le code, de manière à s'assurer justement de
respecter ces devoirs, ces obligations qu'on y trouve en différentes
matières. Je pense que le code a fait son
chemin parmi les membres de l'Assemblée nationale et qu'il a rempli certains de
ses objectifs.
Mon jugement plus critique, comme je le disais,
est plus globalement en ce qui concerne l'articulation ou la coordination entre
ce code, cette institution et d'autres institutions. Est-ce qu'on est capable
par là, véritablement, de s'assurer de
réponses cohérentes vis-à-vis les différentes situations touchant l'éthique
publique, tout simplement? Et je trouve
qu'à l'heure actuelle, même si on a quelque chose d'intéressant ici, on est
encore et toujours dans une perspective de silos : on s'adresse aux élus sur un certain type de question, on
s'adresse aux lobbyistes sur un certain type de question, on s'adresse encore aux élus avec le Directeur
général des élections. Bon. On a des institutions comme celles-là mais
qui travaillent en parallèle les unes par rapport aux autres.
Même si on a un article dans le Code d'éthique
et de déontologie qui prévoit qu'il y a des possibilités de coordination entre le commissaire et d'autres
instances, ces coordinations-là n'ont pas eu lieu. Et, moi, là-dessus,
mon grand problème, il est vraiment de ce côté-là. Est-ce qu'il ne serait pas
temps, compte tenu de la relative maturité de certaines
de nos institutions d'encadrement de l'éthique publique, de penser à conduire
des travaux visant à garantir une meilleure
coordination de l'ensemble de ces intervenants, passant notamment par la fusion
de certains d'entre eux? Oui.
M.
Charette : On va y revenir, sans doute, dans quelques instants. Il est
déjà proposé, effectivement, de fusionner, bon, ce qui touche au lobbyisme avec l'éthique. Est-ce qu'il y a
d'autres regroupements plus globaux ou plus larges qui pourraient être
envisagés? Ou si non, la collaboration que vous préconisez, quelle forme
pourrait-elle prendre dans le Code d'éthique
lui-même? Parce qu'elle est déjà permise, on s'entend, cette collaboration-là.
On ne l'a, malheureusement, pas exploitée, mais elle est permise.
Dans cette
nouvelle mouture qu'on s'apprête à travailler, quelle forme que ça pourrait
prendre plus précisément?
M. Bégin
(Luc) : Bien là, ce qu'on aurait, notamment, c'est... bon, en fait, il
y a plus d'une possibilité. Si on pense à la création d'une nouvelle institution qui regroupe le Commissaire à
l'éthique et à la déontologie et le Commissaire au lobbyisme, à ce moment-là on n'est plus dans
l'ordre de la collaboration, on crée une entité qui a un mandat plus
large et, dans le fond, qui regroupe les ressources de l'une et l'autre de ces
institutions-là et qui, d'emblée, s'assurera d'une évidente meilleure coordination des actions, des enquêtes, des
formations, et ainsi de suite. Donc, ça, je pense qu'il y a déjà là un
gain réel qui peut être accompli dans ce type de fusion qu'on peut opérer.
L'autre chose, avec le type de proposition qu'on
a lancé dans notre article, des collègues et moi, on suggérait notamment de créer un comité permanent d'éthique
et de gouvernance publique, sous l'égide de l'Assemblée nationale, qui verrait notamment à s'assurer de la cohérence, de
la complémentarité et de la collaboration des institutions concernées,
et ce comité-là serait formé des autorités
gardiennes de l'éthique publique. Autrement dit, il y aurait une structure,
d'emblée, de coordination entre les institutions qui voit à l'encadrement de
l'éthique publique.
Présentement,
on travaille avec une possibilité de coordination mais sur base volontaire. Je
pense qu'il est dans la nature des institutions
d'être très jalouses de leur autonomie et de leur capacité à gérer elles-mêmes
et à remplir elles-mêmes les mandats qui sont les leurs, c'est dans la
nature de toute institution, si bien que la coordination, la coopération n'est pas spontanément recherchée. Si
on crée une instance comme celle-là, on force cette coordination et cette coopération-là. Si, en plus, on fusionne
certaines de ces institutions, alors, à ce moment-là, on vient de régler
une partie du problème de la coordination.
M. Charette : On n'est certainement
pas contre la collaboration en question.
Il y a une question qui, dans les circonstances,
me vient à l'esprit. On a vu, au cours des dernières années, le Commissaire au
lobbyisme versus celui à l'éthique... ont adopté, tous les deux, en fait, des
approches relativement différentes. On a un
commissaire au lobbyisme pour qui le pouvoir de sanction semble s'être mieux
concrétisé, on voit régulièrement des
sanctions ou des avis de blâme qui sont adressés, alors que le Commissaire à
l'éthique, lui, a retenu davantage une approche pédagogique, je vous dirais,
ce qui a pu en décevoir certains.
Comment, si
on devait réunir ces deux fonctions-là, on pourrait justement arriver à un
certain équilibre entre la pédagogie
et la sanction? Parce que plusieurs vous l'avaient aussi évoqué, auraient
peut-être souhaité des dents un petit peu
plus acérées dans le cas du Commissaire à l'éthique par rapport à certaines des
situations qui lui ont été soumises.
M. Bégin (Luc) : Il est assez
difficile de... Bon, si on regarde, par exemple, encore une fois, l'historique
du Commissaire au lobbyisme, dans un premier
temps, comme je le soulignais tout à l'heure, ça a été davantage une
fonction de sensibilisation, formation,
c'est surtout là-dessus que l'accent a été mis dans les premières années.
Maintenant, il y a quelque chose de
différent parce qu'il y a une certaine maturité de l'institution. Est-ce qu'il
arrivera la même chose avec le Commissaire à
l'éthique et à la déontologie? Je ne le sais pas. Je ne le sais pas. Mais, si
on fusionne l'un et l'autre, à ce moment-là je pense... Et je pense que, dans
une dynamique plus large de concertation des institutions d'encadrement de
l'éthique publique, c'est là que devraient opérer cette discussion et ce
travail de définition plus claire de la
manière d'assurer la fonction de surveillance, d'enquête et de sanction. C'est
quelque chose qui ne peut pas être établi, je dirais... on ne peut pas
commander au commissaire d'être davantage ou d'être moins... Par contre, par l'association de l'ensemble de ces organismes-là,
de ces institutions-là, je pense qu'inévitablement il y a une forme de culture plus globale de la manière de se rapporter
à la fonction d'enquête et sanction qui pourrait en ressortir, et plus
cohérente.
M.
Charette : Dans la même veine, vous évoquez le parcours du Commissaire
au lobbyisme, dans un premier temps,
qui a effectivement développé une pratique de pédagogie, pour ensuite en
arriver là où il est aujourd'hui. Vous avez aussi mentionné qu'on ne
sait pas si c'est le même parcours que retiendra le Commissaire à l'éthique.
Sans le savoir, est-ce qu'on peut le souhaiter,
est-ce qu'on peut... et je ne veux pas vous faire dire ou... mais est-ce qu'on peut souhaiter qu'on en vienne à...
et le mot «durcissement» n'est certainement pas non plus le bon, mais est-ce qu'on peut souhaiter que l'apprentissage
vécu par le Commissaire au lobbyisme devienne celui du Commissaire à
l'éthique également?
M. Bégin
(Luc) : J'aurais tendance à dire : Jusqu'à un certain point, oui,
jusqu'à un certain point, c'est-à-dire que l'ensemble des fonctions qui
relèvent de son mandat soient assumées en totalité, ce qui, pour le cas,
demeure un peu... enfin, ce qui n'est pas
tout à fait le cas à l'heure actuelle, tout simplement. Maintenant, quant au
degré de sévérité, je pense, encore
une fois, que c'est quelque chose qui a à faire objet d'une plus grande
concertation entre nos institutions d'encadrement.
M.
Charette : Et, cela dit, M. le Président, je comprends la frustration
partagée par notre collègue de LaFontaine, parce que c'est vrai qu'au niveau médiatique les échos ne rendent pas
justice à la valeur du code en question, mais a priori, lorsqu'on a d'autres cas qui sont aussi largement
médiatisés mais qui laissent entendre... et il y a peut-être des
raisons, mais qui laissent entendre que la
pédagogie est priorisée ou valorisée, c'est là où dans la population on vient à
se questionner sur la valeur de ce code-là. Je ne peux pas nommer
personne, mais, si on se fie à une décision encore toute récente du Commissaire à l'éthique où clairement il semblait
y avoir eu faute, sans juger de la gravité de la faute, la réponse
donnée par le commissaire, c'est que, bon, la personne a agi en toute bonne
foi, sans connaître véritablement les tenants et les aboutissants du code.
Bref, comme commissaire, ce qu'il a jugé bon de faire, c'est d'informer le
titulaire de la charge publique en question, et ça s'est arrêté là.
Mais dans la
population, lorsque l'on lit ceci ou lorsque l'on entend qu'il n'y a pas
davantage de conséquences aux manquements
à l'éthique... et je ne veux nullement remettre en question la bonne foi de la
personne en question, là, ce n'est pas du tout l'intention, mais dans la
population on vient à se demander si la mentalité ou les mentalités ont véritablement changé dans le sens que l'Assemblée
nationale s'était engagée à le faire,
et c'est là où on est encore jugés très sévèrement par rapport aux
outils dont on s'est dotés.
• (11 h 10) •
Le Président (M. Merlini) :
1 min 30 s, M. Bégin. 1 min 30 s.
M. Bégin
(Luc) : Très bien.
Merci. Je reviendrai sur la... parce
que vous le soulevez également,
ça a été soulevé précédemment, sur le fait que le député aurait déjà
assez payé publiquement.
Je
rappellerai qu'il y a un autre effet aussi en retour, c'est-à-dire que le fait que le commissaire décide de ne pas imposer de sanction permet aussi de tenir le
discours partisan tout à fait inverse, à savoir que la personne est totalement
blanchie par le commissaire. Alors, on se
maintient dans une logique, au fond, où ce qui devrait être ne se produit
pas et ne se produit pas pour les bonnes
raisons. On est dans une situation finalement qui n'est pas très avantageuse. Et, je
voudrais souligner, je rappelle la... C'est parce qu'on a parlé de formation,
sensibilisation. Je pense que, vraisemblablement, les membres de l'Assemblée
nationale ont accès à des informations tout à fait valables notamment par des avis sur le Code d'éthique et de déontologie. Je ne suis pas sûr
qu'il y ait, par ailleurs, véritablement, des formations sur la manière de
penser un peu plus globalement l'ensemble de cet outil-là et ce que ça
représente, l'ensemble de l'institution.
Et je reviens
simplement sur la recommandation 18 du rapport, qui suggère qu'il y ait au
moins une formation dans les six mois du début des mandats, là, des
membres. Je pense que c'est un minimum.
Le Président (M. Merlini) : Merci
beaucoup, M. Bégin. M. le député de Deux-Montagnes, merci pour votre échange. Avant de poursuivre avec le gouvernement,
j'aimerais demander le consentement des membres pour poursuivre nos travaux, puisque nous avons commencé quelques
minutes en retard. Alors, on parle de peut-être cinq, six minutes passé
11 h 30. Est-ce que j'ai votre consentement?
Des voix : Consentement.
Le
Président (M. Merlini) : Merci beaucoup. Alors, à vous, M. le député
de LaFontaine, pour votre prochain bloc d'intervention,
12 min 30 s.
M. Tanguay : Merci beaucoup.
L'importance de la formation, je pense que vous l'avez bien ciblée, et ça ne s'applique pas uniquement, je crois, aux élus, ça
s'applique également aux membres... évidemment, aux ministres, aux députés, mais aux membres
des cabinets et aux membres des bureaux de comté. Et ça, je dirais, puis je le
souligne, je dirais qu'on pourrait mieux faire. On pourrait beaucoup
mieux faire de façon systématique pour qu'idéalement, sur une période d'une année, on ait couvert tous les
sujets, que ce soit au niveau des dons, au niveau de différentes décisions,
au niveau du lobbyisme, de couvrir tous les sujets avec les élus, évidemment
incluant les ministres, les membres des cabinets et les membres des bureaux de
comté.
Dans une vie antérieure, j'étais directeur de la
conformité, et, ultimement, lorsqu'il n'y avait pas de règle très précise... et Dieu sait qu'en matière d'éthique,
je veux dire, si tu fais un pas de côté, tu es mort, il n'y a pas de demi-mesure
en termes de perception, en termes de
réputation, ultimement, il y avait la règle de dire : Bon, bien, ce que tu
vas faire, si c'était dans le journal
demain matin, est-ce que tu serais à l'aise? Puis, si tu n'es pas à l'aise,
pose-toi la question, puis peut-être tu serais mieux de ne pas le faire.
Alors, on se rabat dans mon coin, avec les gens avec qui je travaille, au bureau de comté. Des fois, il y a des questions :
Comment on pourrait agir? Bien, si demain matin c'est dans le journal,
là est-ce que tu es parfaitement à l'aise?
Si la réponse est oui, on va y aller. Si non, si tu as des doutes, on va
creuser, on va aller plus loin puis on va faire ça de façon différente.
Vous parliez
donc d'une éventuelle fusion Commissaire à l'éthique, Commissaire au lobbyisme
et la nécessaire éducation. Est-ce que... puis là je fais écho à
l'article 87 de notre Code d'éthique et de déontologie, vous en faisiez référence le 10 juin 2009 dernier lorsque vous
dites que l'on peut demander conseil au Commissaire à l'éthique, mais,
article 87, deuxième paragraphe... ou alinéa deux, le Commissaire à l'éthique
peut dire : Oui. Ah! O.K., venez me voir,
vous me demandez conseil par rapport à ça, ça, ça, O.K., d'accord, et ça peut
déclencher une enquête, et là il y a comme
un élément dissuasif. Donc, au-delà de la fusion commissaires à l'éthique et
lobbyisme, diriez-vous qu'il faudrait aussi donc se sortir de la logique
de 87, ne pas demander conseil à la même entité, peut-être au jurisconsulte?
Mais là il
faudrait... puis j'aimerais vous entendre là-dessus, si d'aventure vous
abondez, dans un premier temps, dans cette logique-là, de donner la
fonction d'éducation et de conseil exclusivement au jurisconsulte, il faudrait évidemment que le jurisconsulte et le
supercommissaire, appelons-le comme ça, puissent être à la même page pour
que le conseil colle à la réalité de ce qui
pourrait s'en venir comme sanction, qu'il y ait une jurisprudence à étayer, des
guides d'interprétation, et ainsi de suite. J'aimerais vous entendre là-dessus.
M. Bégin (Luc) : Là-dessus, ma
proposition serait d'envisager de manière distincte le conseil et l'avis.
Comme je le
mentionnais, le commissaire parle de conseils et d'avis en titre général dans
son rapport mais, dans les faits, ne
mentionne que des avis. L'avis a une teneur juridique. L'avis permet notamment,
et c'est 88, hein : Un député est
réputé n'avoir commis aucun manquement au présent code s'il a antérieurement
fait une demande d'avis au commissaire et
si l'avis conclut que l'acte ou l'omission n'enfreint pas le présent code.
Donc, il y a là, dans le fait d'aller chercher un avis et d'obtenir un avis, une protection qui
s'ensuit pour le député, et, en ce sens, ce mécanisme-là m'apparaît tout à
fait adéquat, c'est un bon mécanisme.
Maintenant,
on peut envisager le conseil comme étant quelque chose de distinct de l'avis,
et le conseil ne liant pas au plan juridique. On va te demander conseil.
C'est qu'à ce moment-là, probablement avant même d'en arriver à la situation pour laquelle on sent le besoin
d'obtenir un avis parce que peut-être on sent qu'on est un peu dans l'eau
chaude... Si on demande un avis... c'est
souvent après le fait qu'on a besoin de se rassurer — pas toujours, mais souvent. Le
conseil, c'est de développer, dans le fond,
ce réflexe : avant de s'informer sur certaines choses, de parler de
situations plus globales avec
quelqu'un sous le sceau de la confidentialité et d'avoir, à ce moment-là, de premières
lumières sur l'ensemble de la situation. Ce n'est pas un avis, ça ne se
prétend pas tel, mais ça peut aider drôlement notamment sur la question des
valeurs, notamment sur l'articulation entre des normes ou règles qui relèvent
du lobbyisme ou qui relèvent du Code d'éthique et de déontologie, sur des
questions parfois plus générales.
Quand vous
disiez, avec votre comité, donc, de comté : Le réflexe à développer...
bien, oui, effectivement, c'est le genre de chose qui devrait faire
partie de formations véritables assurées par une instance distincte du
commissaire à l'éthique et au lobbyisme,
distincte, de manière à aider, je dirais, ce développement du sain réflexe,
savoir quoi faire, le plus rapidement
possible, pour éviter de se mettre dans des complications, le plus tôt
possible. Ça suppose avoir intégré très rapidement dans nos réflexes une
préoccupation pour le volet éthique et déontologique de notre rôle.
M. Tanguay :
Peut-être, un peu comme un réflexe de survie, je vais quand même poser la
question, puis je suis sûr que, dans
quelques mois ou quelques années, des collègues s'y référeront : Si
d'aventure vous étiez le supercommissaire, et que je fais l'objet d'un avis ou d'une vérification, et que j'avais
demandé conseil, est-ce que ça pourrait être une circonstance atténuante que j'aie demandé conseil et qu'on m'ait
dit : Ça a l'air correct, mais que ça débouche néanmoins à une enquête? Croyez-vous qu'il serait justifié
pour moi de plaider : Bien, c'est une circonstance atténuante, j'ai
demandé conseil, puis on m'a dit que je pouvais y aller, ne soyez pas
déraisonnable dans votre analyse?
Est-ce que c'est une circonstance atténuante, à
ce moment-là? Est-ce qu'on pourrait le plaider?
M. Bégin
(Luc) : Je dirais oui, mais ça voudrait dire que le conseil a été mal
donné, au sens où la fonction conseil devrait notamment pouvoir
signifier que le conseiller dit au député : Là où vous en êtes, allez
chercher un avis, tout simplement.
• (11 h 20) •
M. Tanguay :
Et, aujourd'hui, je pense, c'est tellement pertinent, ce que vous dites là, la
logique dans laquelle nous sommes,
vous le savez. Puis je vais donner un exemple tangible : dans un
débat — puis je
ne fais pas de partisanerie — où on
parlait beaucoup de fiducie avec ou sans droit de regard, on a eu d'abord, en
février 2014, une note d'information du Commissaire à l'éthique qui
disait certaines choses qu'il y avait place à interprétation, et, le 10 mars
2015, il y avait eu un
conseil qui avait été demandé, à ce moment-là, au jurisconsulte qui précisait
certaines choses. Tout dépendamment du
débat partisan, on pouvait y voir une contradiction, une complémentarité, mais
là il y avait, en quelque sorte, en bout de piste, deux avis rendus publics, deux documents. Alors, je pense
qu'il y a là... et ce à quoi je fais référence, effectivement, c'est
faire en sorte que l'entité — et je vois la distinction faite entre
conseil et avis, mais, l'entité qui donnerait les conseils, il faudrait nécessairement que vous parliez du danger de
travailler en vase clos — soit minimalement synchronisée en termes de jurisprudence, d'interprétation. Et ça, je crois qu'à
l'heure actuelle le corpus, là... vous dites qu'il ne faut pas tout codifier, mais la jurisprudence, les notes
explicatives, les notes d'information ne sont pas suffisamment étayées,
parce qu'il y a place à interprétation, force est de le constater.
Donc, je pense qu'il devrait y avoir, et
j'aimerais vous entendre là-dessus, un mécanisme qui fait en sorte que les deux
entités, celle de conseil et celle d'avis et enquête, soient à la même page sur
des questions fondamentales, à tout le moins.
M. Bégin
(Luc) : Bien, en tout cas, certainement sur des questions qui
devraient conduire précisément le conseiller, que ce soit le jurisconsulte ou un autre, à dire au député : Le
seul conseil que j'ai à vous donner, c'est d'aller chercher l'avis là pour... parce que ça ne relève plus de
mes compétences, là où vous en êtes rendu par rapport aux actes qui ont
été posés ou ce qu'il en est de votre
situation actuelle. Et ça, ça suppose évidemment une forme de coordination bien
claire entre les deux instances, mais
toujours préservant, bien entendu, la confidentialité des informations, et
ainsi de suite. Ça, pour moi, c'est
très clair. Mais je crois qu'il est possible de penser ce type de relation là
d'une façon adéquate, tout à fait.
M. Tanguay : Donc, avis,
conseil, Commissaire à l'éthique, article 87 : on sort le conseil, par
exemple, on le donne au jurisconsulte...
Une voix : ...
M. Tanguay : ...bonifié, c'est ça, à la lumière de tout ce
qu'on vient de dire. Maintenant, avis, conseil de 87 qui pouvait déboucher sur enquête, vous disiez en
2009 : Faites attention, je demande conseil, puis ça peut déboucher à
une enquête, peut-être que je vais me réfréner à demander conseil. On le sort.
Maintenant, demander un avis pourrait néanmoins,
en vertu de 87, déboucher sur une enquête. Là, êtes-vous d'accord que ça pourrait coexister? Parce que,
avis, conseil, vous disiez, ça ne devrait pas coexister et déboucher sur
une enquête. Mais conseil séparé, avis et enquête? Avis et enquête, oui, ça,
ils peuvent coexister.
M. Bégin (Luc) : Je maintiendrais la
coexistence d'avis et enquête, effectivement, encore là, dans la mesure précisément où il est déjà
prévu que l'avis offre une garantie au député, dans la mesure où les faits ont
été présentés de façon exacte et
complète, donc. Et, en ce sens-là, on ne s'attend pas à ce que ça débouche sur
une enquête, mais qu'il pourrait effectivement arriver des situations. Ça, je vois bien
que le pouvoir d'enquête du commissaire demeure, bien entendu, mais le
conseil, c'est autre chose. On en fait autre chose.
Le Président (M. Merlini) :
1 min 30 s, M. le député.
M. Tanguay : Une minute.
Détrompez-moi si j'ai tort, mais, au niveau de la mécanique, même de façon un peu plus élevée au niveau des conflits d'intérêts,
la recommandation 23, quant à la nature et l'ampleur, avez-vous fait une
réflexion là-dessus? Ma perception était que
vous n'aviez pas particulièrement, dans votre mémoire, pointé là-dessus.
Est-ce
qu'au-delà de tous les pare-feux, murailles de Chine il y a un questionnement à
se faire quant à... même s'il y a une
fiducie sans droit de regard, une réflexion à se faire en vertu de la
recommandation 23, quant à la nature et l'ampleur des intérêts possédés?
Avez-vous une réflexion là-dessus?
M. Bégin
(Luc) : En fait, je n'ai pas une réflexion experte sur cette
question-là, mais je pense qu'effectivement il y a une réflexion à faire. C'est-à-dire qu'il sera toujours avantageux,
je pense, pour les élus et pour ceux qui veulent le devenir...et, en ce sens-là, je pense que la
première recommandation du rapport est de pouvoir donner des avis aussi
à des personnes avant, et ça, je pense que
c'est très précieux parce qu'on évite que des individus se retrouvent dans des
situations tout à fait malheureuses à partir du moment où ils sont élus, alors
que, s'ils en avaient été avisés au point de départ, peut-être qu'ils auraient pris une autre décision, de ne pas s'engager.
Ou, s'ils s'engagent, ils s'engagent en sachant très bien ce que ça
implique. Ça, pour moi, c'est très précieux comme recommandation.
Et l'autre, comme vous disiez, plus on a
d'informations... c'est-à-dire, plus on a été en mesure de baliser les situations possibles pouvant se produire, mieux
c'est en termes de prévention, encore une fois, de situation
malheureuse.
Le Président (M. Merlini) : Merci
beaucoup, M. Bégin.
M. Tanguay : Merci, M. Bégin.
Le
Président (M. Merlini) : Mme
la députée de Taschereau,
la parole est à vous pour le dernier bloc de 11 minutes.
Mme
Maltais : Merci. M. Bégin, quelle est la valeur d'un
serment pour quelqu'un en éthique, un serment fait, mettons,
publiquement devant toute la population du Québec, sur la constitution du Québec?
M.
Bégin (Luc) : Bien, je pense qu'on devrait avoir à peu près la même
réponse, hein? Un serment est censé engager la personne tout à fait, complètement
et entièrement.
Mme
Maltais :
Vous savez que les députés du Québec font un serment en prenant leurs charges,
hein? Je suis la seule qui le sait : Je
jure loyauté envers le peuple du Québec et je servirai, à titre de député
de — Taschereau,
dans mon cas — avec
honnêteté et justice, dans le respect de la constitution du Québec.
Jure
loyauté au peuple, honnêteté et justice. Donc, ça, ça devrait quasiment être
au-dessus des valeurs et du code. Le mot «honnêteté» devient partie
fondamentale de la fonction de député. Il n'y a rien, pour moi, qui va au-delà
d'un serment au-dessus de la population du
Québec. C'est pour ça que, sur le mot «honnêteté», j'écoutais votre propos
tout à l'heure qui disait : Écoutez, l'honnêteté... En général, on est
capable de juger si quelqu'un a été honnête ou pas, là. Je voulais juste revenir là-dessus, parce que les
gens ne savent pas qu'il y a un serment, ils oublient, puis il ne faut pas
que les députés l'oublient non plus. Mais je pense qu'en grande majorité ils
sont très, très, très conscients de ça.
Moi,
il y a quelque chose qui me fatigue, c'est votre idée que le
Commissaire à l'éthique et le Commissaire au lobbyisme devraient être la même personne, on devrait fusionner les deux
entités, parce qu'ils ne s'adressent
pas du tout, du tout, du tout aux
mêmes personnes. Moi, j'aime cette idée d'un commissaire à l'éthique qui est
vraiment sur les élus, sur les députés, tandis que le Commissaire au
lobbyisme surveille aussi ou veille sur le lobbyisme auprès de tout le monde au
Québec, auprès de toutes les entreprises, auprès des lobbyistes. Il est
vraiment dans un autre monde, pour moi. Je trouve que la fusion... mais je n'en
ai pas parlé en caucus, je suis vraiment dans les discussions, là, dans les échanges, d'autant que j'ai pris ça à pied levé,
donc je n'ai pas vu ce qui s'est dit avant, mais je vais vous dire mon
opinion personnelle, je suis, en paroles, libre, M. le Président, à défaut de
vote libre...
Une voix :
...
Mme
Maltais : Oui, je
le suis souvent. J'aime cette idée que les gens sachent qu'il y a
un chien de garde qui est véritablement attaché à la fonction de nos
élus. Quand on a fondé la fonction de Commissaire à l'éthique, il y avait un article dont vous parlez, l'article 94, qui permet que tout le monde travaille ensemble. Vous soulignez que ça a été peu utilisé.
Savez-vous pourquoi? Avez-vous une opinion là-dessus? Parce que, finalement, si
94 était utilisé, on réglerait pas mal de problèmes.
• (11 h 30) •
M.
Bégin (Luc) : On réglerait
certains problèmes, effectivement, mais on laisserait ça toujours
à chaque fois à l'appréciation des deux commissaires, qui sont
concernés. Et, en ce sens-là, maintenir ça sur une base strictement volontariste m'apparaît un peu risqué, parce
que... bon, je n'ai pas de réponse
très claire à votre question, mais il me semble qu'il y a toujours
une forme, intrinsèquement, dans toute institution, une forme de jalousie des prérogatives qui
sont les siennes, si bien que la coopération n'est pas naturelle, elle n'est
pas naturelle. Et il y a un gain, je pense, réel à faire avec l'idée d'une
meilleure coopération, d'une plus grande coordination de ces acteurs-là.
Je comprends bien
quand vous dites, et je suis sensible à ça, que pour la population c'est bien
de savoir qu'il y a une instance qui est dévouée très précisément pour la
surveillance et l'encadrement du travail des élus. Tout à fait d'accord.
C'est vrai que c'est un argument qui est intéressant. Mais, personnellement, je trouve que, par rapport au bienfait qu'on peut penser retirer
d'une plus grande coordination... je pense que le second l'emporte sur le
premier.
Je
pense, très clairement, qu'on a tout intérêt à garantir et à améliorer
cette coordination-là, ne serait-ce que pour permettre d'éviter que ne se glissent entre les mailles des filets
certaines situations qui peuvent difficilement être prises par l'un ou par l'autre des commissaires,
compte tenu des limites de leurs mandats respectifs.
Et
je vous dirai là-dessus un simple exemple très rapide. L'an dernier, j'ai été
appelé par le Vérificateur
général à les accompagner dans une
vérification qu'ils avaient à faire, alors que je n'ai aucune compétence en
juricomptabilité, mais ce qu'on
voulait avoir de ma part, c'était le regard d'un expert en éthique publique et
organisationnelle pour les aider à regarder sous un angle un peu
différent les situations qu'ils devaient enquêter, de manière à pouvoir mettre
le doigt sur certains stratagèmes auxquels eux, à partir de leur formation et
de leurs préoccupations, n'étaient pas d'emblée formés pour y arriver. Et je
donne cet exemple-là, parce que, me semble-t-il, de la même façon, si on
rassemble des fonctions comme celles de Commissaire à l'éthique et de commissaire à la...
et là j'ai dit «à l'éthique», oui, commissaire à la déontologie et Commissaire au lobbyisme, si on rassemble les deux,
me semble-t-il qu'on va s'aider justement à enrichir le regard et les perspectives de manière à ne pas
échapper certaines situations qui peuvent échapper à l'heure actuelle.
Mme
Maltais : Je comprends, mais ça, ça peut absolument se faire
via l'article 94. Par exemple, moi, j'ai demandé récemment, ce qui a été accordé, deux enquêtes, une au Commissaire à
l'éthique, une au Commissaire au lobbyisme, sur la situation du ministre des Transports et de son employé. Ils peuvent
actuellement utiliser l'article 94 pour faire le travail. Est-ce qu'on aurait dû, par exemple, dire que,
dans la demande d'enquête, si les deux enquêtes arrivent en même temps,
si c'est sur le même sujet, il y a peut-être un moyen de forcer la
collaboration?
Mais
je vais vous dire pourquoi ça me fatigue, cette idée de fusionner les deux. Je
me souviens d'une fois où le maire de
Québec était insatisfait du fait que le Commissaire au lobbyisme ait posé un
jugement sur son travail. Nous, ici, on va poser un jugement sur une
situation, mais jamais on ne remettra en question, en tout cas je n'ai jamais
entendu ça, là, le travail du Commissaire à
l'éthique. Pourquoi? Parce qu'on l'a voté et on l'a voté par les deux tiers de
l'Assemblée nationale. C'est nous qui l'avons choisi pour qu'il soit notre
chien de garde, notre vigile. Alors, ce serait le soumettre automatiquement à une... ce serait amener, pour
moi, peut-être une fragilisation de sa fonction, de son rôle, puisque,
pour d'autres sujets que les députés,
c'est-à-dire les entreprises privées qui travaillent avec des élus... des
titulaires de charge publique pourraient avoir eu une enquête du
Commissaire au lobbyisme.
Alors,
je vous dis, je suis encore attachée à cette fonction, et, en multipliant sa...
je vais appeler ça sa clientèle, les gens sur lesquels il a un regard,
on multiplie aussi les gens qui peuvent contester, tandis que, là, entre nous,
les 125, contester le Commissaire à
l'éthique, c'est compliqué, c'est difficile, parce que nous, nous l'avons
choisi et nous avons voté ensemble le
code à partir duquel il pose des jugements sur nos activités. La personne d'une
entreprise privée qui va avoir un
commentaire du Commissaire au lobbyisme, elle ne l'a pas élu, elle n'a pas
choisi le code d'après lequel elle est jugée. C'est nous qui faisons ça
en commission parlementaire.
En tout cas,
pour moi, il y a quelque chose de fondamental dans l'institution pour le
moment. Je vous dis, je ne suis pas passée en caucus, puis on verra ce
que choisit le caucus. C'est dans ce temps-là que notre parole est parfois moins libre, c'est quand on se soumet au conseil
d'administration. J'appelle ça le conseil d'administration, le caucus.
C'est comme un conseil d'administration : quand la résolution est votée,
tu t'en vas dans la résolution, tu la supportes.
Mais j'aimerais ça vous entendre là-dessus, sur
ce questionnement que j'ai, moi, par rapport à cette relation directe de : Nous vous avons choisi, nous
avons choisi les termes d'après lesquels nous avons une relation, et ça crée
une espèce de respect et de ciment autour de l'institution.
Le Président (M. Merlini) : M.
Bégin, 1 min 30 s. M. Bégin.
M. Bégin
(Luc) : C'est un argument très intéressant auquel je devrai, et je le
ferai, réfléchir très sérieusement, parce
que ça peut avoir effectivement un poids réel dans une décision comme celle-là. Spontanément, parce que
je ne laisse pas tomber le morceau facilement, hein...
Des voix : Ha, ha, ha!
Mme
Maltais : Moi non
plus, en général.
M. Bégin (Luc) : ... — mais
ça, je m'en doute bien — spontanément,
je pense quand même que l'idée du regroupement est souhaitable, malgré tout.
En ce qui concerne notamment les reproches pouvant être adressés, par exemple, au Commissaire au
lobbyisme, je dirais simplement pour anecdote que... par le maire de Québec,
c'est arrivé plus d'une fois. Il y a des gens qui ont davantage de respect pour les institutions que d'autres. Je ferme la
parenthèse là-dessus, mais je l'aurai dit quand même. Et, je tiens à le dire, je pense que c'est important
d'avoir le plus grand respect pour les institutions qui sont les nôtres,
dont on s'est dotés, qu'on soit heureux ou non du travail qui est accompli.
Je maintiens
quand même que, non, le regroupement, pour moi, m'apparaît quand même
souhaitable, parce qu'au total et en bout de ligne la coordination est essentielle
et 94, c'est vraiment insatisfaisant, vraiment insatisfaisant et insuffisant
pour y arriver. En tout cas, je pense que l'expérience...
Le Président (M. Merlini) : Merci
beaucoup, M. Bégin, de l'Institut d'éthique appliquée. Je crois que les
parlementaires apprécieraient, si vous avez des compléments d'information ou de
réflexion... à les soumettre, à ce moment-là, au secrétariat de la commission,
qui, lui, s'assurera de les distribuer pour les collègues, le bienfait des collègues et pour alimenter, encore une fois, nos
réflexions sur ce qui a été discuté aujourd'hui. Je vous remercie de
votre contribution à nos travaux.
La commission
suspend ses travaux jusqu'après les affaires courantes, soit vers 15 heures cet
après-midi. Bon appétit à tous et merci.
(Suspension de la séance à 11 h 37)
(Reprise à 15 h 55)
Le Président (M. Ouellette) : À
l'ordre, s'il vous plaît! La Commission des institutions reprend ses travaux.
Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la
sonnerie de leurs appareils électroniques.
Nous
poursuivons les consultations particulières et auditions publiques relatives à
l'étude du rapport sur la mise en
oeuvre du Code d'éthique et de déontologie des membres de l'Assemblée
nationale. Nous entendrons cet après-midi M. Bernard Keating ainsi que
M. René Villemure. D'ailleurs, je souhaite la bienvenue à M. Bernard Keating,
qui est professeur associé à l'Université
Laval. Je le remercie pour son immense patience. Nous sommes tout près de 50
minutes en retard, mais les prérogatives du mardi, là... Je vous rappelle que,
comme je vous l'ai mentionné, vous disposez de 10 minutes pour votre exposé puis nous procéderons à une période
d'échange avec les membres de la commission. Et je vous laisse la
parole, M. Keating, en vous remerciant encore pour votre patience.
M.
Bernard Keating
M.
Keating (Bernard) : Merci. J'espère
que j'aurai le temps d'être bref. Écoutez, d'abord, je veux vous
remercier de cette invitation. Vous m'associez à des travaux qui sont très
importants. La Commission des institutions, c'est une commission, pour moi, qui est vraiment majeure parce qu'elle est liée
intrinsèquement à nos institutions démocratiques et au respect, qu'on
doit nourrir, de nos institutions démocratiques. Donc, l'adoption de ce Code
d'éthique et sa mise en oeuvre correspondent, je pense, à
ce travail qui doit générer le respect pour l'institution. Et il suffit de
regarder les nouvelles le soir à la télé pour voir le sort des pays dans
lesquels les institutions sont discréditées. Donc, c'est une mission très
importante.
J'irai de
façon très succincte, très schématique. En 10 minutes, on ne peut pas se
permettre de longues transitions.
D'abord, je
vais risquer de vous dire en cette vénérable Assemblée que je préfère
l'expression anglophone pour désigner
le code qu'on appelle le code de déontologie, qui est désigné en anglais par le
terme «Code of ethics». Et, pour moi,
ça expose de façon plus claire le rapport entre l'éthique et ce qu'on appelle,
également, la déontologie, c'est-à-dire que la déontologie, c'est la codification d'une éthique substantielle. J'avais
eu l'honneur de m'adresser à vous avant la rédaction du code et j'avais insisté sur l'importance
d'avoir un code qui soit à la mesure de la tâche, du mandat des députés, et
non pas, comme il arrive parfois dans
certains milieux, des codes d'éthique qui ne sont que des meilleures pièces, et
ça fait la courtepointe, mais, malheureusement, ce n'est pas très
pertinent.
Alors, le
Code d'éthique, c'est à la fois l'éthique substantielle des députés, c'est la
réponse aussi à des exigences sociales qui vous sont adressées et qui
nous sont adressées de façon constante. Et, curieusement, je pense simplement à ce débat d'hier entre Clinton et Trump, cette
question de la vérité et de la rigueur. Alors, la vérité et la rigueur
étaient dans ce rapport, et donc je ne peux
que le juger pertinent. Et, quand on voit cette habitude qu'ont prise les
journalistes de faire une vérification des faits, ça correspond aussi à
cette sensibilité sociale qui s'est accrue.
Donc, le rapport, pour moi, illustre cette
préoccupation d'un code qui est appliqué, interprété d'une façon qui est
adaptée à la mission qui est la vôtre. Et là je vais parler brièvement des
conflits d'intérêts.
• (16 heures) •
La tentation,
effectivement, comme je vous disais à l'instant, c'est de faire un certain
décalque de l'éthique d'une profession
sur une autre. Vous n'êtes pas des professionnels, il y a quelque chose d'un
autre ordre, et la situation qui est la vôtre est bien plus complexe que celle du professionnel. Mon expérience
est particulièrement en santé. Quand je consulte un professionnel en santé, il a un devoir fiduciaire. Son devoir
fiduciaire suppose de porter un
jugement appuyé sur un corpus scientifique, et à la fin je vais éventuellement sortir avec une prescription. Le conflit d'intérêts, vous le savez, c'est une
interférence en ce jugement professionnel qui pourrait faire en sorte que la
prescription soit influencée par certains rapports que pourra avoir eus
le médecin avec la compagnie pharmaceutique.
Mais votre
rôle est beaucoup plus complexe que ça. Vous n'êtes pas des
médecins qui recevez des patients, qui avez
un corpus scientifique, mais vous avez une charge, et je pense
que c'est très bien expliqué dans le rapport, c'est très juste, où vous vous retrouvez parfois comme ceux qui
doivent défendre des intérêts particuliers parce que vous êtes des
représentants, des députés qui représentent des citoyens. Ces citoyens peuvent
être aussi bien des entrepreneurs, des groupes
communautaires, des groupes d'économie sociale. Donc, vous devez donner votre
voix. Vous devez également guider le
citoyen dans la complexité des programmes de l'État, qui n'a évidemment comme
point de comparaison que la complexité
des corridors de l'édifice d'en face, le complexe H, lorsqu'on n'y est pas
habitué. Donc, on a besoin d'un guide, et
souvent vous servez de guides, et de là vient la question : Quand est-ce
que je suis un guide et quand est-ce que je suis en train de jouer
d'influence sur une décision qui doit être prise par des fonctionnaires, etc.?
Et, d'autre part, comme législateurs, vous
avez à légiférer en tenant compte du bien commun, et non pas du bien de
quelques groupes particuliers. Donc,
votre situation est très, très complexe, et vous êtes, en plus, sujets plus que
tout autre professionnel à cette fichue d'exigence qu'est celle qui concerne l'apparence de conflit
d'intérêts : ne pas avoir de conflit d'intérêts. Et ce qui
complique encore la situation, c'est qu'au
ciel des idées, où je réside de temps à autre, il est fort simple d'expliquer
le concept de conflit d'intérêts. Ce qui est compliqué et ce qui demande
beaucoup de sagesse, c'est de juger des mesures appropriées pour bien gérer le conflit d'intérêts, parce qu'on n'y
échappe pas. Dans mon domaine, qui est celui du médicament, à peu près tous les experts, sauf exception, ont également
des rapports avec les pharmaceutiques, et c'est très difficile de
trouver des experts... et quasi impossible de trouver des experts qui n'en
auraient pas.
Donc, quelles sont les mesures appropriées,
quels types de lien? C'est une question d'une très, très grande complexité à régler, et un des motifs pour
lesquels c'est difficile à régler — c'est peut-être ce que j'aurais dû
souligner en introduction — c'est que nous avons tous la ferme
conviction qu'on ne peut nous influencer inconsciemment. On a tous cette conviction qu'on ne sera pas influencés. Or,
les études qui ont été faites auprès des médecins démontrent très bien
que participer à des activités médicales
avec des compagnies pharmaceutiques influence les habitudes de prescription.
Donc, tous les citoyens, tous les acteurs
ont cette conviction, qu'ils ne peuvent être influencés, alors qu'on sait très
bien qu'on peut subir une influence.
Donc, cette question de la gestion des conflits d'intérêts, c'est une question
qui est extrêmement difficile, et je salue le travail qui a été fait à
ce sujet-là.
Je n'ai pas
procédé dans l'ordre, mais enfin, puisque c'est assez décousu, vous remettrez
les choses dans l'ordre, parce que j'aurais dû au départ parler
d'éthique et de déontologie.
Je vous l'ai
dit, la déontologie est une codification de l'éthique, et souvent nous, les
éthiciens, on peut développer, à un
certain moment de notre vie, des formes d'intolérance ou d'allergie vis-à-vis
une profession que plusieurs d'entre vous probablement avez pratiquée,
qui est le droit, en croyant qu'il y a une opposition.
Or, la vision
qui est la mienne, c'est que l'éthique et la déontologie sont, somme toute, des
frères siamois. Une éthique sans déontologie est une éthique impuissante
et une éthique qui ne donne pas aux acteurs les orientations dont ils ont besoin pour bien agir. Par contre,
une déontologie sans éthique ne fournit pas ce qui est essentiel à
l'action. C'est-à-dire que l'action morale,
le plus souvent... ou, si on prend l'action immorale, elle n'est pas le fait de
l'ignorance. Le plus souvent, elle est le
fait d'un déficit motivationnel. Vous savez, ces gens qui, dans certains
téléromans, se sont passé des
enveloppes brunes d'une poche de veston à l'autre poche de veston ne l'ont jamais
fait sous les feux de la rampe, ce qui
illustre très bien qu'ils savaient que leur agir était éthiquement
condamnable, et ils l'ont fait en tentant de préserver le secret. Et le problème qu'on a quand on se
situe du point de vue de l'éthique, c'est de nourrir, d'alimenter, de
renforcer la motivation pour bien agir, parce que
l'expérience démontre partout où l'avion de l'éthique est tombé qu'un grand nombre de personnes savaient que les jeunes professionnels
ont tendance à tout simplement imiter les séniors qui sont déjà là
et à faire que l'éthique du groupe soit leur propre éthique sans exercer de
jugement critique. Il y a le monde de l'école et il y a le monde de
la vraie vie, et, dans la vraie vie, ça se passe comme ça.
Alors,
l'éthique, elle, elle n'est pas simplement attentive à la conformité de
l'action au devoir, mais elle est attentive au fait qu'un acteur agit, comme dirait mon ami Emmanuel Kant, agit par
devoir, c'est-à-dire que l'éthique suppose qu'on a fait nôtres certains idéaux et que notre action
est motivée par le fait que ces idéaux sont devenus les nôtres, et ce que
la déontologie va faire, c'est de préciser
concrètement ce que signifie agir avec bienveillance, droiture, convenance,
sagesse, honnêteté et sincérité en
accomplissant sa tâche de député, qu'est-ce que ça signifie concrètement. Donc,
cet aspect de l'éthique, pour moi, est très important, de voir que ce
qui est fondamental du point de vue éthique, c'est quel type de personne on
veut être puis comment on nourrit et on fait en sorte que la vie professionnelle
ou la vie de député ne se transforme pas...
pas la vie, mais, en fait, la personnalité du député ne se transforme pas pour
abandonner des idéaux qui étaient là
au début, mais que ces idéaux vont demeurer vivants. Et,
pour que les idéaux demeurent vivants, un des, je dirais, éléments majeurs, ce sont les modèles. On a
beaucoup de confiance dans les cours, dans les formations, mais les
formations ne fournissent pas de motivation, elles fournissent des arguments,
elles fournissent des informations : jusqu'où on peut aller, jusqu'où on
ne peut pas aller, et ainsi de suite, mais le plus important, c'est cette
motivation éthique, qui fait
qu'effectivement, en cas de doute, je vais m'arrêter — je vais m'arrêter aussi, je n'ai pas de
doute sur le fait que je dois
m'arrêter — en cas
de doute je vais m'arrêter à réfléchir, en cas de doute je vais consulter, en
cas de doute je vais valider mon jugement avec un sénior ou avec le
Commissaire à l'éthique.
Donc, c'est cette, je dirais, capacité constante
de s'interroger et, je dirais, cet objectif constant d'incarner les valeurs
fondamentales qui sont les vôtres qui constituent, pour moi, la fibre éthique
qu'il faut alimenter.
• (16 h 10) •
Le
Président (M. Ouellette) :
Merci, Pr Keating. M. le député de LaFontaine, deux blocs : un de 12 et un autre de
11 min 45 s. Mme la députée de Taschereau, un bloc de 14 min 15 s.
Et, M. le député de Deux-Montagnes, un bloc de 9 min 30 s. M. le
député de LaFontaine.
M. Tanguay :
Merci beaucoup. Merci, M. Keating, d'être présent encore une fois devant nous.
Je dis «encore une fois», parce que,
comme vous l'aviez bien dit le 10 juin 2009, vous étiez là pour apporter votre
éclairage à la première mouture du
code. Donc, aujourd'hui, cinq ans après, c'est, en vertu de l'article 114, une
façon, un processus par lesquels on
est très heureux de vous accueillir, de vous entendre puis de bonifier notre
réflexion quant à d'éventuels amendements en vue d'améliorer notre code, qui a vécu pour les quelques dernières
années et qui donc nous permet de se rendre compte... puis on aura l'occasion, au cours de la discussion
que nous allons avoir, de voir peut-être certains éléments. On va en reparler.
Mais, déjà
là, je vais prendre un exemple tangible : à travers les trois années de
mise en application du code, c'est l'article 99, il y a possibilité pour
le Commissaire à l'éthique, qui remet un rapport où il y a, de un, reconnu
qu'une faute avait été commise... un
comportement s'était écarté du comportement, devrais-je dire, qui était attendu
d'un député, plutôt que de parler de
faute. Puis j'aimerais ça revenir peut-être sur l'aspect, le terme «morale»,
parce que les mots ont leur sens, et
«morale», dans ma définition à moi, mais vous me corrigerez si j'ai tort, est
une approche peut-être un peu plus manichéenne,
le bien et le mal, alors que, comme députés, souvent on a à naviguer entre des
eaux gris clair et gris foncé souvent.
Et, quand on parle de morale, peut-être qu'on tomberait, là, dans un piège de
dire : Bien, est-ce que c'est bon ou pas bon?, et, si ce n'est pas bon, ce n'est totalement pas bon. Et, si
c'est bien, c'est totalement bien. Il y aurait peut-être une approche un peu réductrice là-dessus que
d'utiliser... Et je tire tout ça du terme «morale». Est-ce que c'est
moral? Aujourd'hui, peut-être qu'on y
gagnerait plus en disant : Est-ce que ça s'apparente au comportement qu'aurait
adopté une, ou un, députée normalement prudente et diligente?
Bref, les
mots, puis on aura l'occasion d'en discuter, ne sont pas anodins, ont leur sens
et ont leurs répercussions dans ce
qui fait notre pain quotidien, pour rester dans le même domaine, comme députés,
notre pain quotidien, qui est bien souvent influencé par la récupération
qui est faite des médias, la pression publique, et ainsi de suite, qui est le tribunal sans appel. C'est un tribunal sans appel.
Alors, j'aimerais, d'entrée de jeu, vous entendre sur cette façon. On a
parlé beaucoup de la distinction entre l'éthique, l'éthique qui doit insuffler
un comportement codifié, qui est la déontologie.
Votre approche, en tant qu'éthicien, est éthique et morale, également
biomédicale. Vous avez travaillé dans ce domaine-là.
Bref, après
cinq ans de la première mouture, vous, de la lecture que vous en faites, quels
seraient les éléments plus précis sur
lesquels vous nous inviteriez à porter notre réflexion quant à ce code-ci? Puis
j'aurai des exemples un peu plus tangibles.
Mais on parlait, par exemple, de la formation, l'importance de bien former les
députés. On parlait d'y aller... vous le disiez en juin 2009, prêcher
par exemple des pairs, les pairs qui sont...
Alors, en
quelques phrases ou... vous prenez le temps que vous désirez, là, mais, si vous
aviez à résumer le message que vous
nous envoyez aujourd'hui, en considérant le préambule, là, qui est un peu le
terreau de notre réflexion, vers quoi, de façon plus tangible, vous nous
inviteriez à porter notre réflexion?
M. Keating
(Bernard) : Écoutez, vous m'avez tendu un os, c'est un petit peu
difficile de ne pas y mordre. Donc, je vais d'abord parler de morale et
je répondrai à votre autre question par la suite.
L'éthique
est, comme beaucoup de sciences humaines, la... Je reformule. L'éthique, comme beaucoup
de sciences humaines, est le lieu de
multiples théories, alors, autant en psychologie qu'en sociologie, les théories
sont multiples, et les termes
«éthique» et «morale» prennent des significations différentes selon les
théories auxquelles on se réfère. Quant
à moi, avec les a priori qui sont les miens, les a priori théoriques,
si je devais m'adresser de façon rigoureuse à des philosophes,
je réserverais le terme «morale» pour les questions qui touchent le
vivre-ensemble, la question de la justice et je réserverais le terme «éthique»
pour la question de la vie bonne, de la vie réussie, de la vie digne d'être
vécue. Entre vous et moi, j'accorde très peu d'importance à quel terme on accorde
à quoi. Ce qui est important, c'est de voir qu'il y a
deux sphères très importantes à distinguer : la sphère du vivre-ensemble,
nous qui n'avons pas la même conception
du bien, nous qui n'avons pas la même conception de la vie réussie; et le
respect et les limites du respect des valeurs substantielles des
communautés particulières, et je pense évidemment, en premier lieu, aux
communautés culturelles qui vivent parmi
nous. Donc, pour moi, c'est les deux grandes sphères. L'étiquette, après, a peu
d'importance. Alors, on peut voir l'éthique comme cette vie dans des institutions
justes.
Or,
et vous le savez mieux que moi, un des problèmes que vous rencontrez, c'est
d'aménager la vie commune à travers
ces multiples conceptions du bien, et vous vous refusez, sans doute, à privilégier une conception du bien, à faire d'un absolu une vision culturelle, qu'elle soit
religieuse, qu'elle soit culturelle au sens, je dirais, plus commun du
terme. Donc, ce sont ces deux questions qui sont les plus importantes.
C'est sûr qu'au Québec,
quand on parle de morale, c'est le grand spectre de cet épouvantail qu'est le
judéo-christianisme qui ressort. Ça m'est
encore... enfin, je ne veux pas rentrer là-dedans, il y a
trop de bêtises, et vous n'êtes pas ici pour qu'on parle de ces bêtises,
mais quand même ça permet de dire une chose, c'est que l'éthique n'est pas simplement une entreprise normative,
l'éthique est une entreprise qui donne également des raisons de
vivre, des raisons de continuer à
vivre. La question du sens de la vie est une question éthique. Et, quand on
fait, comment dire, un procès rapide, et sans appel et sans écouter les
deux parties, au judéo-christianisme, on oublie que le christianisme a fourni également
des raisons de vivre à des personnes. Donc, l'éthique fournit des raisons de
vivre. Donc, c'est ça aussi, l'éthique, et pas simplement un
appareil normatif. L'appareil normatif, il ne peut pas durer simplement si on
réduit l'éthique à l'appareil normatif. Donc, la question du sens fait également
partie de l'éthique.
Donc,
je reviens à votre question principale. J'ai lu avec beaucoup
d'intérêt et de satisfaction le rapport et je pense que... et c'est un peu... puis je ne voudrais pas
être prétentieux en portant un jugement sur ce rapport-là, mais mon
opinion sur le rapport est très favorable, parce que
j'ai l'impression que le Commissaire à l'éthique a trouvé un équilibre justement
entre cette préoccupation éthique et une préoccupation de justice qui fait en
sorte que, comme députés, vous devez savoir ce qui est attendu de vous.
Et,
quand on lit son rapport, les justifications, la légitimité des gestes qui sont
posés est à fleur de rapport, on n'a pas
besoin de creuser, c'est très clair de voir comment il justifie, hein, les
gestes qu'il a posés, ses propositions. Les concepts éthiques qui sont derrière
sont clairs, et parfois il se contente de poser des conditions qu'il faut
respecter, et je pense qu'il y a quelque chose de très équilibré, comme dans sa façon de voir le conseil aux députés
et le piège du conseil, parce que le piège du conseil, c'est que je vais me
délester de mon obligation éthique et de ma responsabilité, où je vais
avoir une éthique, pour revenir à nos
vieilles histoires, hein... on va mesurer la décence de la dame au nombre de
centimètres qui sépare l'ourlet de sa robe de son genou.
Alors,
on veut avoir des règles précises, et, quelque
part, ça tue le bon sens et ça tue l'application contextuelle des préceptes éthiques. Ce qui est décent, vous le
savez... ce qui est décent sur une plage et ce qui est décent à l'Assemblée
nationale, c'est fort différent. C'est le contexte qui détermine certaines
limites. Donc, l'insécurité dans ce domaine-là est mauvaise conseillère, parce que,
si on détermine, par exemple, qu'il y a un plafond de 100 $, je vous gage ma chemise, et je ne perdrai pas grand-chose, que les cadeaux
vont être de 99 $. Alors, placer des limites, oui, c'est nécessaire, mais
à la fois ça peut devenir illusoire et ça peut tuer la préoccupation éthique
qui est derrière.
• (16 h 20) •
M.
Tanguay : Est-ce que... puis il me reste pour ce bloc-ci...
puis on aura l'occasion, M. Keating, de revenir dans notre second bloc,
je vais le dire de façon... puis je ne vise pas personne, là, je nous inclus,
les 125 députés, vous, de l'extérieur, êtes-vous
déçu de la façon dont ont été gérés les mécanismes ou dont a été récupérée
toute question d'éthique appliquée à
la politique au Québec? Est-ce qu'on a bien servi la cause de l'éthique
appliquée aux députés où... puis je me mets
là-dedans parce que j'ai joué dans ce film-là, on a tous joué dans ce film-là,
où, quand un de nous fait une coche mal taillée, on mange du prochain,
et il y a de la partisanerie? Et ça, c'est la logique qui s'applique à tous.
M.
Keating (Bernard) : Oui, tout à fait. C'était une remarque conclusive
que je voulais faire. Je veux dire, un des dangers, c'est de faire de
l'éthique une question partisane.
Et,
d'autre part, je vous dirai que j'ai été presque blessé par les remarques que
j'ai reçues de mon entourage au sujet
de ma contribution ici aujourd'hui. C'est comme de dire : Les députés, ils
sont tellement... que ça ne vaut pas la peine, tu sais, dans le genre : Qu'est-ce que tu vas faire là? L'image...
je ne voulais pas vous parler de ça, parce que vous le savez, qu'il y a
une opinion publique, c'est décourageant, parce que j'ai...
Moi,
mon expérience... j'ai été au Conseil du médicament, actuellement je suis à
l'INESSS, on a un rôle de conseil auprès
du ministre de la Santé, mon expérience, c'est la difficulté de l'action politique.
Mon expérience, c'est de voir que le
bon politicien, c'est celui qui trouve la marge de manoeuvre, la fenêtre
d'opportunité pour faire avancer les choses. Quand on veut faire avancer les choses parfois qui nous semblent
simples, tout à coup il y a un corporatisme, il y a une intervention ici, à gauche et à droite, qui fait
que... et là on a l'impression que les députés se traînent les pieds,
blablabla, comme si c'était facile de faire
prendre des virages à une société, comme si c'était facile, quand on voit
toutes les pressions qui
s'exercent... Et, curieusement, c'est peut-être un des rôles de l'éthique.
Récemment, j'ai donné une entrevue, à une émission religieuse qui s'appelle Second regard, sur le coût des
médicaments, et il y a des gens qui m'ont dit : Écoute, tu as dit là des choses que, si c'était le ministre qui
les avait dites, il se serait fait fusiller sur la place publique, parce qu'il
y a des choses que les gens ne veulent pas entendre.
Donc, vous êtes dans une position, je dirais,
difficile, et, pour moi, je vous le dis franchement, là, je ne veux pas vous faire de flagornerie, là, je suis à la
retraite, je n'ai pas besoin de revenus supplémentaires, je n'attends rien
de vous, c'est décevant de voir... parce que, comme je
vous l'ai dit au début, personnellement, pour toutes sortes de raisons dans ma vie, je suis très sensible à sauvegarder
la légitimité des institutions et je trouve que c'est très dangereux,
lorsqu'on met en cause les institutions, que
ce soit la magistrature, que ce soit l'Assemblée nationale, le discrédit
systématique sur les institutions, parce qu'il faut réaliser que la
seule chose qu'il nous reste, c'est la violence, si on ne peut pas faire
confiance aux juges. C'est absolument essentiel. Si on ne peut pas faire confiance
aux législateurs, qu'est-ce qu'il nous reste? Donc, il faut, dans une
société...
Et, dans une société comme la nôtre — et je
reviens sur l'éthique dans son aspect procédural — parce qu'on n'a pas de consensus sur un nombre important de
valeurs, l'aspect procédural est plus important que jamais parce qu'on
respecte les décisions non pas parce qu'on partage nécessairement des valeurs,
mais parce que toutes les personnes concernées
ont eu l'occasion de se faire entendre comme vous le faites dans des commissions
parlementaires, parce qu'on a cherché
à représenter les intérêts de chacun — ce que vous faites, comme députés — que vous avez cherché à trouver des intérêts qui sont communs, ce qu'on appelait
autrefois le bien commun, et c'est cette procédure, toutes les exigences
de transparence auxquelles vous faites face.
Prenez, par exemple, dans mon domaine, le fait que maintenant notre
rapport au ministre, il est rendu public, bien, on sait sur quelles études
notre recommandation est basée. Donc, c'est là pour alimenter le respect de la
décision que le ministre prendra.
Donc, il y a
un aspect ici de l'éthique procédurale, qui est très importante, et c'est très
difficile pour les gens qui viennent
de l'entreprise privée, je dirais, au départ — je l'imagine, je ne l'ai pas testé — mais, parmi vous, les députés qui
viennent de l'entreprise privée d'être soumis à des exigences si rigoureuses de
reddition des comptes.
Le Président (M. Ouellette) : Mme la
députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour. M. Keating. Ça fait plaisir
de vous entendre. Vous volez à une certaine hauteur, je dois dire,
c'est-à-dire qu'on n'est pas seulement dans la déontologie, on est dans
vraiment le mot «éthique», quelle perception
on en a, comment on l'applique à soi-même, au-delà des codes. Quand vous
dites : Quel type de personne on
veut être, c'est l'essence même de la question qu'on doit se poser quand on a
des doutes, parce que vous parlez du doute aussi.
Écoutez, je
n'ai pas beaucoup de questions à vous poser, parce que je trouve que vous avez
extrêmement bien répondu à mon
collègue, mais je voulais vous dire ceci : Moi, j'ai travaillé sous des
premiers ministres, Lucien Bouchard, Bernard
Landry, et les gens avaient beaucoup plus confiance en l'institution à
l'époque. Ce n'est pas seulement les premiers ministres, je pense, d'abord il y avait une qualité que je leur
reconnais, là, je pense qu'ils étaient des gens qui attachaient beaucoup de sens à la responsabilité
ministérielle. Le sens de la responsabilité ministérielle est peut-être disparu
au fil du temps... puis ça le fait de tous côtés, là, ça a disparu au
fil du temps, ce qui fait qu'on a moins l'impression qu'on va être jugés pour nos actes et pour les actes de nos
employés, des gens qui travaillent avec nous, de notre entourage. Il y a
quelque chose là-dedans qui me fatigue.
Vous
dites : En cas de doute, en cas de doute, comment on peut... Évidemment,
on ne peut pas codifier qu'est-ce qu'un
doute, qu'est-ce qui devrait devenir un doute, ça devient extrêmement
difficile. Mais, quand même, il y a là-dedans... au moindre doute, on doit chercher conseil. Je retiens beaucoup
«sensibilité sociale accrue». On pense qu'on ne peut pas être influencé inconsciemment. Et donc, comprenez
bien, là, déjà qu'on part avec ce travers humain là... puis en plus on ne sait pas qu'est-ce qu'un doute. «En cas de
doute», on a de la difficulté à le codifier, je vais vous dire. C'est pour
ça que j'apprécie la phrase «quel type de
personne on veut être». Je pense que c'est une extraordinaire balise, mais
c'est difficile de rentrer dans la tête du monde.
• (16 h 30) •
M. Keating
(Bernard) : Tout à fait, et on regarde avec un grand cynisme certains étudiants. Moi, j'ai enseigné, pendant plusieurs années, en médecine dentaire, hein? Comme si,
tous les étudiants en médecine dentaire, leur ambition dans la vie,
c'était de rouler en BMW ou en Audi. Mais, quand tu demandes aux garçons puis
aux filles qui sont là : Pourquoi vous êtes là?, on entend des choses extraordinaires, des récits de vie, des gens qui ont eu des expériences avec un
bon dentiste, aussi des choses qui sont
moins... je dirais, d'un autre ordre, de gens qui se sont senti à la fois des
capacités scientifiques, mais aussi des
talents artistiques dans lesquels ils vont trouver, à travers la médecine
dentaire, un épanouissement. Donc, on
entend de très belles choses, alors qu'en principe, évidemment,
c'est des salauds qui veulent faire beaucoup
de fric, alors, quand on les écoute, ces étudiants-là.
Mais le malheur, c'est que ces idéaux-là se
perdent, si bien que, moi, la façon dont j'ai évolué dans mon enseignement de l'éthique, ce n'est pas de transmettre des valeurs, c'est de
renchausser... ou de faire en sorte que ces valeurs qui animent l'étudiant qui arrive à l'université ne se perdent pas
en cours de chemin. Parce que ce n'est pas par hasard qu'on devient avocat, qu'on devient travailleur social. Vraiment, il y a un aspect vocationnel. Et je peux facilement
imaginer qu'on peut devenir député parce qu'on veut que la société soit
meilleure. Et, des deux côtés de la Chambre, on a des visions différentes, mais on partage cette volonté de faire que le Québec
grandisse, qu'on soit capables de vivre en paix ensemble. Et ça, c'était...
dans mon cours, j'utilisais une... comment dire, un scan qui venait d'un article
de médecine dentaire où c'était un doyen qui
demandait à ses futurs étudiants : Quelle sorte de dentistes vous voulez
être? Et je trouvais que c'était la question pertinente, là : Qui
vous voulez être, là?
Mme
Maltais : Merci
beaucoup, M. Keating. Je n'ai pas
d'autre question. J'ai écouté avec beaucoup d'attention et je vous remercie de votre apport.
M. Keating (Bernard) : Je l'apprécie
beaucoup.
Le Président (M. Ouellette) :
M. le député de Deux-Montagnes.
M.
Charette : Merci, M. le Président. Merci. C'est effectivement un plaisir de
vous entendre. On a eu l'occasion de rencontrer, ce matin, un autre...
et je ne sais pas si vous avez pu suivre un petit peu les...
M. Keating (Bernard) : ...
M. Charette : J'imagine,
effectivement.
M. Keating (Bernard) : ...et énormément
de respect pour lui, d'ailleurs.
M.
Charette : Et vous avez
différents éléments en commun, dont votre participation aux travaux au
tout début du processus, il y a quelques années maintenant. Et je serais
tenté de vous poser certaines des questions qui lui ont été posées ce matin. Et loin de moi l'idée de vous
mettre en contradiction. Ce n'est pas du tout le but, loin de là. En fait,
j'ai été marqué par un de vos propos lorsque
vous avez dit, je l'ai noté, que vous avez été blessé par les remarques de
certaines personnes de votre entourage
tellement la perception était négative à l'égard du milieu politique. Et on est
bien placés, effectivement, pour vous
le confirmer, il y a cette perception-là qui est bien présente, qui n'est pas
partagée par tous mais qui est bien présente dans la population.
Et, à M.
Bégin, ce qu'on a pu lui poser comme question ce matin, c'est que... Vous avez
un code d'éthique qui est généralement bien reçu. Lui-même le qualifiait
de très, très probant, en ce sens que le texte lui-même contient des valeurs qui devraient être les nôtres, mais,
lorsqu'on voit, au niveau de l'application, ce que l'on en a fait, c'est là où
on se questionne, en ce sens qu'on a un
commissaire à l'éthique qui est le premier à occuper cette fonction. Peut-être
a-t-il voulu tout simplement se
donner le temps d'établir une mécanique, peut-être a-t-il voulu... le temps
d'établir une jurisprudence qui soit prudente, mais, dans les faits, il
n'y a pas eu beaucoup de sanctions, il n'y a pas eu beaucoup... sinon que quelques tapes bien polies sur les doigts. Il n'y
a pas eu beaucoup de conséquences à certains manquements à l'éthique qui
ont été pourtant relevés, et c'est à se demander si ça ne venait pas encourager
cette perception négative dans la population,
c'est-à-dire que les gens peuvent se dire : Oui, oui, ils ont un code
d'éthique, mais, dans les faits, les conséquences, elles sont plus de
l'ordre du symbole que d'autre chose.
Donc, dans
votre lecture, dans votre analyse, est-ce qu'on aurait intérêt, oui, à parfaire
le Code d'éthique actuel? C'est
l'exercice qui nous réunit cet après-midi, mais, ultimement, est-ce qu'on devrait
se donner de meilleurs moyens de sanction pour celles et ceux qui,
malheureusement, contreviendraient à ce Code d'éthique?
M. Keating
(Bernard) : Je regarde toujours la sanction comme une réponse au
déficit motivationnel. Je veux dire, quand il faut brandir la sanction,
c'est qu'il y a un déficit motivationnel.
Or, il faut
bien reconnaître que dans tous les milieux, dans tous les groupes, il y aura
toujours des gens qui n'ont pas la motivation pour agir, et c'est le
bénéfice du droit et de la déontologie de pouvoir sanctionner. Mais, dans les recommandations, si je ne m'abuse, il y a une
recommandation au niveau du caractère public des rapports, et déjà c'est
un élément, à mon avis, majeur de rendre publics les avis qui sont donnés.
Évidemment, ça devient une question de tempérament.
Mais je suis un partisan de la politique des petits pas et je pense qu'il y a
une orientation qui est bien établie, et,
dans la mesure où il y a un consensus des membres de l'Assemblée nationale sur
la nécessité d'avoir des sanctions, bien, ces sanctions-là vont devenir légitimes aux yeux des membres, et c'est
absolument important, sinon on perd cet aspect d'autonomie. Vous savez,
«autonomie», c'était le statut... on ne parlera pas du Québec, mais le terme
«autonomie», à l'origine, désignait les cités qui avaient le pouvoir de faire
leurs propres lois. Le premier sens était un sens politique : les cités
autonomes.
Alors, l'autonomie, en morale ou en éthique, est
très importante, et je pense que, du point de vue de l'éthique professionnelle, il faut que vous vous donniez
cette éthique, qu'elle ne vous soit pas imposée par l'extérieur, puis,
d'autant plus que vous êtes l'Assemblée nationale, je pense que vous devez...
et c'est ça qui va donner une force. Par contre, il faut faire attention de...
comment dire, de développement normatif qui est exagéré et qui devient une
espèce de surenchère. Parce que moi, je
viens également — mais ça,
ça fait plus longtemps — du monde de l'éthique de la recherche. Il faut faire attention que, tout à coup, la
perception qu'on a, ça soit que c'est une nouvelle bureaucratie qui
s'impose. Et je dirais qu'une des règles, ça
semble curieux comme préoccupation, c'est la simplification du travail des
députés qui doivent remplir ces rapports-là. Il faut faire en sorte que
de minimiser... Moi, il n'y a rien qui me frustre plus que d'avoir à donner encore une fois ma date de naissance, mon
numéro d'assurance sociale. Il faut minimiser ce travail clérical, parce
que, sans ça, ça va être tout simplement
fait par des assistants comme ça se fait beaucoup en éthique de la recherche,
et on va perdre le sens éthique.
Donc, il faut
faire attention d'écraser les gens, parce que ça va disqualifier. Mais il faut
que vous soyez capables de sanctionner
ces situations où vous dites : Ça n'a pas de bon sens. Au-delà de la
solidarité que tous les groupes humains ont entre eux, il faut qu'on
soit capables de sanctionner nos pairs puis dire : Ça fait, ça fait.
• (16 h 40) •
M.
Charette : On s'est retrouvé, dans les faits, devant des situations
particulières au cours des dernières années, pour ne pas dire de la dernière année, où le commissaire... parce que
déjà les rapports peuvent être rendus publics, dans la mesure où c'est une enquête ou une vérification
qui a été demandée publiquement. Donc, déjà, on a trace de ces
rapports-là.
Et ce qui me faisait poser cette question, c'est
que, dans certains cas, le Commissaire à l'éthique va adresser un blâme poli, donc il y a reconnaissance qu'il y
a une faute, et la personne visée, à la lecture du rapport, peut
ressortir et dire :
J'ai été blanchie par le Commissaire à l'éthique. C'est dire à quel point la
nuance, elle est tellement forte que certains parlent de blâme, et le principal intéressé peut ressortir et
dire : Bien, vous voyez, dans les faits, j'ai été blanchi par le
Commissaire à l'éthique.
M. Keating (Bernard) : S'il y a un
blâme, je ne suis pas blanchi, et s'excuser. Je pense, je vais démarrer une entreprise
qui va donner des cours d'excuse. Tu sais, s'excuser, c'est de reconnaître un
tort, ce n'est pas de dire : S'il
y a des gens qui ont été vexés par ce que
j'ai dit. Bien, ce n'est pas s'excuser, ça, c'est de la bêtise. S'excuser,
c'est de dire : J'ai posé un
geste que je n'aurais pas dû poser, j'ai eu tort de poser ce geste. Et ça, il
faut être capable de faire ça. Et on demande
maintenant aux professionnels, par
exemple, de dévoiler les erreurs
qu'ils font. Les hôpitaux ont des obligations, vous le savez, de
divulgation, de divulguer aussi les moyens qu'on va prendre pour éviter que les
erreurs se répètent.
Donc, il ne faut pas qu'on puisse s'en sortir en
disant : Voyez, j'ai été blanchi. Non, ça ne va pas.
M. Charette : Merci.
Le Président (M. Ouellette) : M. le
député de LaFontaine.
M. Tanguay : Oui. Merci
beaucoup, M. Keating, pour cette
réflexion. Vous nous aidez, par vos commentaires, par votre approche, à, je pense, bien asseoir ce
qui sera le fruit de nos discussions quant à d'éventuelles bonifications
au Code d'éthique. Puis, vous l'avez bien ciblé aussi, le rôle du député est
difficile, vous l'avez dit. Également, on a fait référence au fait que nous sommes dans un environnement très, très
médiatisé où, à la télévision, vous avez, M. Keating, sept secondes pour
me convaincre de votre point.
M. Keating (Bernard) : Oui, oui,
tout à fait.
M. Tanguay : Alors, oubliez
la nuance, parce que vous ne ferez pas Le téléjournal.
M. Keating
(Bernard) : J'écoutais ça... pour avoir donné, de façon régulière, des
entrevues, on est à la merci de l'intervieweur et des ciseaux qu'il va
utiliser.
M. Tanguay :
Et même, des fois, il y a des questions où, si vous répondez oui, c'est
préjudiciable pour vous et, si vous
répondez non, c'est préjudiciable pour vous, des questions du genre : M.
le député, êtes-vous d'accord avec le fait que vous allez, en décidant cela, favoriser tel groupe de la société? Si
je dis oui... évidemment, je ne peux pas répondre oui, parce que je vais dire que je vais favoriser
tel groupe de la société, et, si je dis non, le titre sera : M. Tanguay
croit agir... même s'il y a un risque de favoriser tel groupe de la société.
Alors, c'est un jeu puis, je veux dire, c'est notre réalité, aux 125 députés, puis c'est un autre débat, mais c'est ce
qui fait en sorte que la nuance n'existe que très peu, et c'est un euphémisme, hein, on vient de le définir,
et, appliqué en matière d'éthique, bien, moi, si un collègue de
l'opposition ou si un collègue du gouvernement fait face à des vérifications,
bien, je vais retourner à la charge et je n'irai pas dans la nuance, et c'est
la logique, encore une fois. J'ai joué dans ce film-là des deux côtés, et c'est
notre réalité.
Ceci dit, avez-vous une réflexion... On a parlé,
ce matin, de l'éventualité, parce qu'il y a différentes sphères : il y a le Code d'éthique et de déontologie, il y a
un commissaire, nous avons un jurisconsulte qui fait office de
conseiller aux députés, il y a un
commissaire au lobbyisme, également, qui est une autre sphère. Il y a, jusqu'à
un certain point, et ça a été étayé
dans les dernières années, depuis 2009, le Directeur général des élections
aussi qui touche à des questions de bons ou mauvais comportements.
On parlait de
fusionner le poste de Commissaire à l'éthique et déontologie avec celui de
lobbyisme. Est-ce que vous, vous avez une réflexion là-dessus, sur ce
qui serait peut-être un supercommissaire, son efficacité, la façon de mieux
faire dans l'avenir pour, d'une part, nous conseiller, offrir de la formation,
mais, dans certains cas, faire des vérifications,
mener enquête et suggérer des sanctions, ou mériterions-nous plutôt de scinder
cela sans tomber dans le piège de
dire : Bien, ça y est, la main gauche ne sait pas ce que fait la main
droite, et les gens fonctionnent en silo, tout en ayant pour
préoccupation de faire en sorte que les différents acteurs, les différentes
institutions se parlent?
Mais est-ce que nous gagnerions en efficacité?
Je ne sais pas si vous avez une réflexion là-dessus.
M. Keating
(Bernard) : Après 10 secondes de réflexion, je crois qu'effectivement
fusionner le rôle du Commissaire à l'éthique et celui du Commisaire au
lobbyisme est une hypothèse qui pourrait faire du sens, parce qu'effectivement cette question du lobbyisme, ça
suppose de déterminer la fine ligne entre une intervention qui vise des intérêts particuliers, qui risque... Donc, il y a
sûrement quelque chose qui devrait être réfléchi, mais, en 10 secondes,
disons que je n'oserais pas avoir une opinion ferme, mais ça me semble faire du
sens, compte tenu du rôle et de la mission des députés.
M. Tanguay :
Dans — et
la question n'est pas anodine, je pense, puis elle réfère au corpus que nous
avons pour guider — est-ce que mon comportement s'est écarté du
comportement qui aurait été normalement attendu par un bon député, bon entre guillemets?, je crois que,
et puis c'est une réflexion toute personnelle, nous n'avons pas beaucoup
d'éléments. Oui, il y a le Code d'éthique,
il y a les valeurs très générales, il y a quelques fiches explicatives,
quelques-unes, de la jurisprudence où on a
dit : Bien, il a mal agi ou elle a mal agi, mais il n'y a pas de sanction,
parce qu'il n'était pas au courant,
il a agi de bonne foi ou l'opprobre médiatique a été une sanction suffisante.
Donc, quant à l'analyse, l'étalon de mesure du comportement dans les décisions du
Commissaire à l'éthique appliqués aux conflits d'intérêts, on fait
souvent référence à ce qu'une personne
raisonnablement bien informée pourrait considérer, c'est une chose. En droit
civil, c'est : Est-ce qu'une
personne normalement prudente et diligente placée dans la même situation,
aurait agi de cette façon-là?
Avez-vous des
indications quant à ce que devrait être en tout temps et en tout lieu, tant
pour juger du comportement que pour, j'imagine, appliquer une sanction, quel
devrait être notre étalon de mesure appliqué à notre rôle de député?
M.
Keating (Bernard) : Je vois mal comment aller beaucoup plus loin que
cette norme de la personne qui est raisonnablement bien informée. C'est
une norme qui est très difficile à appliquer, et je vous avoue qu'évidemment ma... comment dire, mon expérience concerne notre
travail au comité d'évaluation des nouveaux médicaments à l'INESSS, de dire : C'est une chose d'avoir la
conviction qu'on gère bien un conflit d'intérêts, mais est-ce qu'une personne
raisonnablement bien informée va penser la
même chose?, c'est une norme qui est très difficile, effectivement, à
appliquer et qui pose des défis considérables. Pensez, par exemple, au médecin
qui a participé à un essai clinique, qui était le chercheur dans son hôpital. Est-ce que, quand le médicament concurrent
va arriver pour analyse, il peut se prononcer? Est-ce que c'est le fait que c'était la compagnie pharmaceutique XY qui
fait qu'il ne peut plus maintenant se prononcer sur les médicaments qui viennent de cette compagnie
pharmaceutique? Qu'est-ce qu'une personne raisonnable va penser, puis
comment la personne raisonnable va tenir compte du fait que ce n'est pas la
recommandation d'un individu, mais c'est la recommandation d'un groupe
d'individus? Quel moyen de gestion va sembler adapter à la situation par une
personne raisonnable? Comment la personne raisonnable va tenir compte du très
petit bassin d'expertise?
Une
des recommandations touche justement la possibilité pour un député de
participer à un débat lorsqu'il est en conflit
d'intérêts. Il y a des moments où les expertises sont tellement... le nombre
d'experts est tellement réduit, hein, c'est... Ce sont des questions auxquelles se heurte la FDA. Tous les organismes
réglementaires dans le monde du médicament se heurtent à ces problèmes,
qui sont très, très difficiles.
Je
parlais, tout à l'heure, du ciel des idées. Bien, sur le ciel des idées ou sur
la banquette arrière, c'est très facile, mais, quand il faut organiser
le travail pour avoir, dans trois semaines ou dans quatre semaines, des experts
qui vont analyser l'essai clinique... mais je pense qu'on doit tenir compte du
fait que cette opinion va être dans un groupe, que l'opinion du député, elle est
aussi dans un contexte où il y a une opposition dont le rôle est justement
de s'assurer de la rigueur de l'argumentation, et un individu peut plus
difficilement, je dirais, déterminer le résultat. Alors, si jamais je trouve la
solution, je vous appelle à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit.
• (16 h 50) •
Des voix :
Ha, ha, ha!
M. Tanguay :
Tout à fait. Merci.
Le Président (M. Ouellette) : Merci, M. Keating, pour votre contribution aux
travaux de la commission. Soyez assuré
que vos commentaires ont été entendus, et qu'on en prend très bonne note, et
que, malgré notre retard, je pense que c'est
dans l'intérêt de tous les parlementaires, ceux qui sont ici et les autres, qui pourront
vous écouter en d'autres temps.
Je vais suspendre les
travaux quelques instants et je vais demander à M. René Villemure de
prendre place, s'il vous plaît.
(Suspension de la séance à
16 h 51)
(Reprise à 16 h 55)
Le Président (M.
Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant M.
René Villemure. Vous savez comment nos
règles fonctionnent, M. Villemure : vous avez 10 minutes pour faire votre
exposé — et
je pense que ce n'est pas la première fois que vous venez nous voir à l'Assemblée — et
après il y aura un échange avec les députés ministériels
et les députés de l'opposition. Donc, je vous laisse la parole.
M. René Villemure
M. Villemure
(René) : Merci beaucoup, M. le Président. Mmes et MM. les députés,
bonjour. Le texte de ma présentation... ou
le titre plutôt, c'est : De quoi parle-t-on et d'où parle-t-on?
Ayant participé aux consultations qui ont mené à la création du Code d'éthique et de déontologie, je vous remercie du
privilège renouvelé qui m'est fait en m'invitant de nouveau à commenter
la mise en oeuvre de ce même Code d'éthique et de déontologie. J'aurai, à la
fin de mes remarques, trois recommandations.
Comme il est attendu,
j'avais commencé mon analyse en lisant le rapport, en commentant chaque
paragraphe de chaque page, et puis je me
suis rendu compte que cette solution, cette façon de faire là n'était pas la
bonne, que cette manière de faire ne
vous offrirait aucune nouvelle perspective. J'ai préféré porter un regard sur
l'ensemble du rapport afin de vous
offrir une perspective différente de ce que vous avez pu entendre ou voir
jusqu'à maintenant. Ma perspective sera celle de l'éthique, bien sûr, mais surtout celle du langage. Je
m'inscrirai dans le sillage d'Orwell, qui disait : «En restreignant
le vocabulaire, on restreint aussi la pensée.»
Donc, de quoi parle-t-on et d'où parle-t-on? Le
rapport du commissaire contient beaucoup de texte, mais, curieusement, il ne contient que très peu de mots,
du moins très peu de mots pour dire l'éthique, en conséquence il ne parle que très peu d'éthique, ce qui est curieux pour un
rapport sur l'éthique, quand même. Dans les médias, on parle d'éthique presque à tous les jours, mais, au fond,
de quoi parle-t-on?, si ce n'est que des manquements, des fautes
alléguées ou commises. Comment est-on censé
connaître une chose si on ne parle que de son contraire? Puisque nommer, c'est
dire avec du sens, bien, débutons nos
commentaires en appelant les choses par leur nom : le rapport du
commissaire est un rapport déontologique. Lorsque j'affirme que le rapport
ne contient que peu de mots pour dire l'éthique, on remarque que le commissaire
ne parle d'éthique que pour dire la déontologie. Il appelle la déontologie
éthique et ne parle que de manquements.
Le rapport
traite d'un sujet fort complexe, fondamental, mais avec un pauvre lexique. Le
rapport demeure dans le champ du
connu, la déontologie et les règles, et pèche par son manque de contenu
éthique. Mes prédécesseurs éthiciens ont tous pris la peine de
mentionner la confusion bien réelle entre éthique et déontologie, qui était
déjà présente lors des auditions du projet de loi n° 48, qui s'est
transposé tel quel dans le code. Cette confusion n'est pas sans risque. La déontologie, le «deon ontos logos» grec, est un
discours sur le devoir énoncé sous la forme de règles, de prescriptions
et d'interdictions. La déontologie compare une conduite présente avec un texte
passé jugé idéal. La déontologie, qui se préoccupe
de codes déjà vus, est utile mais ne représente pas l'éthique dans son
entièreté. L'éthique, de son côté, est une réflexion qui cherche à donner ou à déterminer le sens à donner à une
conduite surtout lorsqu'il n'y a pas de règle, lorsque la règle est
muette ou lorsque les règles sont en conflit. Il ne faut jamais oublier que
l'éthique est une composante de la culture, en passant, d'une organisation,
d'un peuple, d'une nation. L'éthique fait partie, tout comme la non-éthique
d'ailleurs... mais l'éthique est surtout affaire de sens. Et, quand je dis le
mot «sens», le sens, c'est le chemin, c'est la direction, c'est la voie. Et, devant l'absence de sens, bien, c'est
l'absence de direction, de voie ou de chemin, et qu'est-ce qu'on
retrouve rendu là, bien, c'est l'égarement, l'inconduite et la faute.
Donc, ce qu'on remarque dans le rapport, c'est
que l'on ne parle d'éthique que pour dire la faute, c'est-à-dire l'égarement. Rarement cherche-t-on une solution du
côté de la culture. On cherche une solution du côté de la structure. Il est important de ne pas confondre culture et
structure. Le code, les règles, le commissaire sont des éléments de
structure. Le commissaire cite modestement
le mot «éthique» dans son introduction et bifurque ensuite directement vers la
déontologie, que le commissaire s'obstine à appeler éthique.
Pour entrer
dans le vif du rapport et, par la même occasion, pour démontrer les limites du
lexique, je vous invite à prendre note des données linguistiques
suivantes : Sophie Hamel-Dufour, qui m'accompagne à l'arrière, a fait une analyse linguistique, une analyse du discours, et
on remarque que, sur le plan de l'occurrence des termes, on retrouve le mot «éthique» 57 fois dans le rapport;
«déontologie» ou «déontologique», 166 fois; «règles» et «règlement», 260.
Sur le simple plan des occurrences, là, juste compter les mots, là, on parle
d'un rapport déontologique.
Maintenant,
afin de mieux comprendre, allons plus loin et analysons ces occurrences sur le
plan de la sémantique et de la
sémiotique, c'est-à-dire la construction du sens et le message qui est
transmis. Ainsi, quand on parle d'éthique, de quoi parle-t-on? Je reviens souvent à mes deux éléments
de départ, de quoi parle-t-on?, d'où parle-t-on?, en passant. Dans le rapport, le mot «éthique» précède habituellement
«déontologie» ou «déontologique». Pour le dire précisément, le mot
«éthique» fait office de ce qu'on appelle en linguistique une périssologie. Je
vous explique qu'est-ce que c'est, hein? Une périssologie, c'est une figure de
style de la famille des pléonasmes. Un pléonasme, c'est deux mots pour dire la
même chose. La périssologie, de son côté, c'est une redondance. Elle est la
combinaison de deux mots, dont un des deux
mots ne veut rien dire ou ne comporte aucun message, ce mot ne faisant office
que de remplissage. C'est fréquemment le cas du mot «éthique» dans le
rapport. Celui-ci n'a que peu ou pas de sens. Il n'ajoute que peu ou rien au
message déontologique transmis.
• (17 heures) •
Certes, à
quelques reprises, le mot «éthique» signifie «bien faire» ou «quelque chose de
bien», mais on demeure vague sur le
sens exact. Au final, le mot «éthique» précède généralement le mot
«déontologie», et c'est partout, dans tous les domaines où je suis en
intervention, parce qu'il le faut bien ou parce que ça fait joli, c'est moins
raide un petit peu.
Mais, si je
poursuis sur le plan des occurrences, on remarque que la «déontologie» occupe
une place trois fois plus importante
que «l'éthique» : 166-57. Par contre, si on ajoute les occurrences de
«règles» et «règlement», on arrive à une place huit fois plus importante : 426 à 57. Mais ce n'est pas tout,
il faut aller au-delà des occurrences quand même. Sur le plan de la sémiotique, lorsqu'on mentionne
«déontologie», «règles» ou «règlement», aucun doute n'est permis quant
au sens accordé à ces termes, c'est clair.
Pendant ce temps, l'éthique, elle, marine dans un flou, un flou inacceptable,
parce que, sans le sens, comment l'éthique
peut-elle offrir une direction? Et, sans la direction, c'est l'inconduite,
l'égarement et la faute.
Force est
ainsi de le constater, je le répète, c'est un rapport déontologique, mais c'est
normal dans les circonstances.
L'Assemblée nationale ayant choisi un juriste pour occuper la fonction de
commissaire, bien, on illustre ici le «d'où parle-t-on?»
d'un point de vue juridique, évidemment. Il importe de savoir que l'éthique
s'appuie sur des valeurs — 63 mentions, dans le texte — pour lesquelles il existe au moins deux
sens. Quand on parle de valeurs, il y a les valeurs monétaires puis, par exemple, les valeurs de l'Assemblée
nationale. Sur le plan éthique, je vais m'arrêter sur ce dernier sens, sur le plan éthique, les valeurs,
pour être utiles, doivent avoir au moins deux caractéristiques : elles
doivent être claires et suggérer une
direction, c'est-à-dire un sens. Bien que les valeurs de l'Assemblée nationale
soient fortes et empreintes de noblesse, force est d'admettre qu'elles
ne sont pas claires. Dans le rapport, les valeurs de l'Assemblée sont
mentionnées en introduction, mais elles ne sont jamais expliquées ni
clarifiées. On fait comme pour l'éthique : tous devraient savoir.
À cet effet,
permettez-moi, M. le Président, un petit aparté d'une minute, de type formation
pour pouvoir comprendre le reste. Quand on
emploie le mot «valeur»... ou le mot «respect», tiens, il y a au moins deux
sens qu'on peut donner à ce mot-là.
Quand on dit : Je respecte le code, ou je respecte Robert, c'est
très, très différent. Quand on parle du «respecte le code, les règles ou
les règlements», il y a une connotation d'obéissance. «To respect», en anglais,
c'est «obéir» en
français. Donc, respecter le code, c'est la conformité. Quand on parle du
respect au sens d'une valeur sur le plan éthique, la définition, avec
l'étymologie, nous amène ceci : un «re» dans un mot, c'est un
doublon : «retourner», «refaire», «redire»,
«revoir», donc deux fois, et «spect», c'est «regard». Le respect, c'est un
second regard que l'on porte afin de
ne pas heurter inutilement. Il y a au moins ces deux familles de sens là quand
on parle de respect, mais présentement, à chaque fois qu'on en parle dans le rapport, on ne dit rien, donc on
peut prendre chacun des deux chemins. Cependant, on prend un petit peu, je vous dirais, le chemin
habituellement de la conformité, l'obéissance aux règles puis on oublie
le second regard, et c'est ça, c'est là où se situe l'éthique, dans le second
regard que l'on porte afin de ne pas heurter inutilement :
J'ai le droit, mais puis-je? C'est une différence. Donc, le rapport réduit
l'éthique à la déontologie, bien, il réduit
le respect à l'obéissance, alors qu'en réalité on oublie un grand pan réflexif,
qui est celui du second regard. Il faut comprendre que la conformité, ce n'est qu'un seuil minimal. Sous la
conformité, c'est le manque d'éthique ou l'illégalité, là. Et puis l'éthique, de son côté, ça représente
un idéal. Donc, la marge est grande entre les deux, entre le seuil
minimal et l'idéal. C'est la fin de l'aparté, mais je pense que c'était
nécessaire pour comprendre le plan des valeurs.
Si
je reviens sur le plan des valeurs, moi, ce qui m'a sidéré, c'est que, parmi
les valeurs nommées dans le rapport, qui
sont celles de l'article 6 de l'Assemblée nationale, on ne retrouve pas
l'intégrité. Quand même, à ce moment-ci, c'est intéressant. Donc, on ne retrouve pas l'intégrité. Deuxièmement, comment
les députés peuvent-ils appliquer ces valeurs si elles ne sont définies
que par des règles, si elles ne parlent pas de sens à donner à une conduite, si
elles n'exigent que l'obéissance? Donc, les valeurs doivent être claires, et,
selon moi, il y a bon flou.
En
poursuivant l'analyse, dès la section 2, le commissaire réduit l'éthique à
l'obéissance aux règles, on comprend tout
de suite que les règles, c'est sérieux. L'éthique, bien, c'est laissé à
l'imagination de chacun parce que c'est difficile à définir. Tout au long du rapport, le commissaire
mentionne à de nombreuses reprises l'importance pour les députés de maintenir la confiance de la population, et cette
confiance, vous savez, elle ne sera pas restaurée avec la simple obéissance
aux règles. On attend beaucoup plus d'un député et de vous tous, c'est-à-dire
l'exemplarité. J'aime croire que les députés
de l'Assemblée nationale, que je présume tous habités par une forme d'idéal,
devraient traduire cet idéal en actions en tout temps au lieu de simplement se préoccuper de ne pas être sous la
barre. Être député, c'est noble, c'est un beau geste. Vous et vos collègues avez la responsabilité de
restaurer cette noblesse, qui est mise à mal par les actions de
quelques-uns. Vous êtes également
responsables de restaurer cette noblesse en indiquant clairement que le seuil
minimal ne suffit pas à redonner la confiance du citoyen. Vous devez
viser l'idéal, celui qui a mené d'ailleurs à votre engagement politique.
Le
commissaire, dans son rapport, recommande de prévoir un cadre déontologique
plus fort ou de renforcer le cadre déontologique.
C'est le fétiche, c'est le biais juridique. Je veux dire, on aime renforcer des
cadres quand on est juriste, mais ça
existe, ça illustre encore le «d'où
parle-t-on?» du début : on parle
d'un point de vue juridique. En quelques mots, de quoi parle-t-on? Le mot «éthique», pour moi, en
tant qu'éthicien, est vide de sens dans le rapport. On parle de
déontologie. D'où parle-t-on? Du point de vue juridique seulement et
exclusivement.
En
terminant, je ne ferai que trois recommandations : la première : assurez-vous que le
Commissaire à l'éthique suive ou ait suivi une solide formation à
l'éthique; deuxièmement, ne videz pas l'éthique de sa substance et cessez de l'utiliser telle une matraque, une menace ou une
jambette afin de faire trébucher l'adversaire — si l'adversaire manque d'éthique, instrumentaliser l'éthique à des fins
partisanes est également un manquement à l'éthique; troisièmement,
ne soyez pas satisfaits du seuil minimal, exigez que l'éthique reprenne sa
place dans le Code d'éthique, dans la culture de l'Assemblée nationale et dans
vos actions au quotidien, surtout ne réduisez pas l'éthique aux cadeaux et aux
conflits d'intérêts, c'est tellement plus vaste.
Ce
serait dommage d'arrêter là, sur les cadeaux et les conflits d'intérêts. Dans
le fond, ma recommandation, c'est quoi? Visez l'idéal. Merci beaucoup de
m'avoir écouté.
Le Président (M.
Ouellette) : Merci, M. Villemure. Pour avoir vu les non-verbaux de mes
collègues, j'ai l'impression que vos commentaires vont susciter plusieurs questions.
M. le député de LaFontaine.
M. Tanguay :
Pour un bloc de combien de temps, M. le Président?
Le Président (M.
Ouellette) : Oh! pour un bloc...
M. Tanguay :
Vous avez du lousse, là. C'est ça que vous me dites.
Le Président (M.
Ouellette) : Pas que j'aie du lousse, mais vous...
M.
Tanguay : Merci beaucoup, M. Villemure. Merci pour votre réflexion. Vous avez participé, donc,
en juin 2009 à ce qui aura été la première mouture du Code d'éthique. Aujourd'hui,
vous le voyez.
J'ai
pris note de vos trois recommandations. Ne pas réduire l'éthique aux cadeaux et de la
voir dans son spectre plus large,
comment on pourrait faire ça à la lumière du mandat, qui est dans le mandat de
la Commission des institutions, qui est de proposer, de façon tangible,
des amendements au Code d'éthique? Avez-vous des exemples d'amendement, ou de
nouvelle approche, ou de nouveaux chapitres? Puis je ne veux pas tomber dans le
piège de celui qui, en se disant : Bien,
on a pleinement codifié, donc, l'éthique, «check», permettez-moi l'anglicisme,
c'est fait... je ne veux pas tomber dans ce piège-là, mais comment
pouvons-nous, et j'aimerais que vous nous donniez des conseils tangibles, ne
pas aborder l'éthique dans son spectre le plus large? Comment pourrions-nous
réaliser votre troisième recommandation?
M. Villemure (René) : Bien, d'une
part, ce qui est intéressant, c'est qu'on parle beaucoup de valeurs, et les valeurs sont peu définies et, dans le fond, peu en lien avec la pratique autre que pour les conflits d'intérêts. Ça fait que je pense que les valeurs peuvent servir d'inspiration à une pratique
globale un peu plus large. Si vous faites référence à ma présentation de 2009 qui s'intitulait Bien
faire ou bien paraître?, à l'époque, j'avais suggéré que le mandat soit
beaucoup plus large, justement,
et puis je trouvais qu'on le restreignait aux cadeaux et aux conflits d'intérêts, et, par conséquent, bien, c'est ce qui s'est passé.
Je vais vous montrer un petit peu quatre statistiques
qui viennent du rapport du commissaire. Ce sont les pages 90 à 92, je crois... 93, c'est sous forme de graphiques que vous
pouvez voir ici. Le premier, à la page 90, illustre les préoccupations des membres de l'Assemblée
nationale, puis on remarque que déclarations d'intérêt, dons et avantages sont les deux plus grandes préoccupations. Si on remarque, «valeurs» a,
et pardonnez-moi l'anglicisme, scoré zéro. Donc, ce n'est pas quelque
chose qui a préoccupé les membres. On a réduit l'éthique, par le code, aux
cadeaux et aux conflits d'intérêts. Et il y
avait un philosophe polonais qui s'appelait Stanislaw Jerzy Lec qui
disait : Vous savez, pour sortir d'un cul-de-sac, c'est là où était l'entrée. Alors, je pense qu'il y a un
côté où il va falloir revoir là par où on est rentré. C'est une des premières de quatre statistiques que je vous
amène. Les membres du personnel — page 91 — on remarque que leurs intérêts ou leurs questionnements auprès du
commissaire sont sur les règles d'après-mandat et les conflits d'intérêts.
Là où on avait zéro pour les valeurs dans le premier graphique, on n'a même pas
la mention dans la deuxième page. Donc, écoutez,
on est directement dans le champ de la déontologie, assurément. La page 92,
quelles sont les interrogations des citoyens?
Et on remarque que la plus grande interrogation, c'est ce qui ne relève pas du
mandat du commissaire, illustrant ainsi... pas la certitude, mais une
indication comme quoi ce n'est peut-être pas la totalité qui est couverte par
le code actuellement. Il y a des choses qui
préoccupent les gens et qui ne sont pas là. Par contre, ce qu'on remarque tout
de suite, les gens sont intéressés par les valeurs de l'Assemblée
nationale plus que les députés ou les membres de cabinet. Donc, il y a un
élément à aller chercher là.
Et, le dernier, la page 93, on remarque que les
médias sont sensibles aux conflits d'intérêts et aux enquêtes. Évidemment, le code parle de ça. Alors, le
commissaire ayant fait une action strictement déontologique, les
demandes sont strictement déontologiques, c'est de cause à effet.
Pour répondre
de manière tangible à votre question, je crois que les valeurs devraient reprendre
leur place, que vous avez le pouvoir,
à la Commission des institutions, d'aller faire un usage plus ample des valeurs
simplement que de s'en servir comme figurants, et ça nous permettrait de
couvrir des sujets beaucoup plus larges que sont les cadeaux et les conflits d'intérêts, qui sont importants,
là, mais ça ne peut pas être réduit à ça, parce que... Et cette recommandation-là, elle s'accroche avec la
précédente, si je peux me permettre, monsieur.
C'est qu'actuellement moi, je vois une instrumentalisation de l'éthique,
c'est-à-dire je m'en sers comme une arme ou une matraque, et puis on n'a pas, à
ce moment-là, le bien commun en tête tant
que de faire trébucher l'adversaire, et ça, ce n'est pas un usage admissible de
l'éthique, simplement. Mais je ne
fais pas la leçon, là, je dis juste que simplement l'éthique sert à bien faire,
en gros, là, si on veut donner le sens à une conduite, et puis, si on s'en sert à répétition pour enfarger
l'autre, c'est difficile de dire : Je vais mettre plus d'éthique, là.
• (17 h 10) •
M. Tanguay :
Diriez-vous que... c'est votre deuxième recommandation puis je fais du pouce
sur vos dernières paroles,
diriez-vous que toute prétention des élus de l'Assemblée nationale de vouloir
mieux faire en matière d'éthique qui ne mettrait pas de côté
minimalement et beaucoup la partisanerie serait vouée à l'échec?
M.
Villemure (René) : Je vais vous demander de la répéter, parce que je
ne suis pas sûr que je l'aie bien compris.
M. Tanguay : Dans votre
recommandation, vous dites que les fins partisanes desservent l'éthique. Alors,
diriez-vous que, si on ne fait pas, nous, les 125 députés de l'Assemblée
nationale, qui allons bientôt proposer des amendements
au Code d'éthique... si on ne trouve
pas une façon de sortir la partisanerie du champ d'application, qui est l'éthique, bien, on risque de passer à côté de nos
objectifs, qui est ultimement de renforcer la confiance qu'ont les
citoyens en nos institutions démocratiques, qui, ces dernières années, là... Puis,
je ne fais pas de partisanerie, de part et d'autre, là, on a tous joué, d'un côté de la clôture ou de
l'autre, dans ce film-là, de dire : Bien, oups! il y a un
collègue de la partie adverse qui
semble avoir pris certaines libertés en matière d'éthique; conférence de
presse, on sort l'artillerie lourde, pas besoin de procès, là :
coupable.
M. Villemure (René) : Sortir
l'artillerie lourde, c'est le procès.
M. Tanguay : Et comment
pourrions-nous... je ne sais pas, c'est une déclaration commune que dorénavant,
désormais... Est-ce que ça nous prend un : Désormais, en matière
d'éthique, on mettra le holà sur la partisanerie?
M.
Villemure (René) : Écoutez,
la partisanerie est partie constitutive de votre travail. Vous représentez des
partis. Et ça fait partie de l'ensemble de votre travail parlementaire.
Cependant,
votre travail parlementaire ne peut être réduit qu'à la partisanerie, et
l'excès, comme le manque, dans toute action est probablement nocif.
L'excès de partisanerie est nocif, et le manquement... vous ne rempliriez pas votre rôle. Donc, moi, je pense qu'il y a moyen de
concilier sérieusement éthique et travail politique en donnant la
juste part à la partisanerie.
Je ferai deux
remarques : une sur vos commentaires qui étaient avec M. Keating et
une sur l'action de Mme Maltais, ce matin, que j'ai regardée à la télé parlementaire.
Tantôt, vous disiez : C'est difficile, les médias nous regardent. Et puis c'est un fait, hein, on est rendu dans l'ère
du clip de 10 secondes, mais cependant consentir aux clips, c'est un peu tisser
notre propre corde aussi. Je suis dans une position où les médias me demandent,
en quatre secondes, de condamner quelqu'un, ce que je ne fais pas, parce que
justement ça ne rend pas justice à une situation. Il y a un débalancement dû au manque de confiance, qui est très grand, et je
pense que de tenter de le rebalancer sans la confiance nécessaire,
c'est-à-dire sans
l'exemplarité, ça va être difficile.
Ce matin, Mme Maltais parlait d'un serment qui est
donné par tous les députés en entrée en fonction. Il y a un rappel à
faire là-dessus, parce que je ne pense pas que c'est une instance de plus que
ça prend tant que peut-être un certain
rappel, parce que ce serment-là, celui-là, ou un autre du même acabit, si on
veut, est fait une fois la première fois, et ça fait longtemps, et entre-temps on a des bosses et des bleus au
visage, là. Alors, c'est sûr que la joute, elle est rude maintenant.
Elle est, par essence, à mon avis, trop rude. Quand je regarde... puis on a
tous eu des jeunes enfants qui regardaient
les débats, parce qu'ils devaient les regarder avec moi, là, mais il reste que
ce qu'ils voyaient, c'était la chicane de la période des questions.
Évidemment, les médias nous ramènent des bouts croustillants aussi, mais tout
le travail formidable que vous faites n'obtient jamais d'attention. Ce n'est
pas aussi croustillant qu'un conflit d'intérêts. Mais je pense qu'on a avantage
à rééquilibrer le balancier, à démontrer que le rôle du député n'est pas que
celui d'un chien de garde de l'autre.
Et puis il y
a quelque chose de noble... Moi, je
le répète, c'est une fonction que j'admire, la fonction de député, c'est
un don de soi extraordinaire, mais la partisanerie à tout prix dessert
l'ensemble et surtout ne sert pas l'intérêt public. L'intérêt public, qui préside le code, hein, et qui préside la déclaration de l'Assemblée nationale, on a comme oublié cette partie-là au profit de la partisanerie. Ça fait
que je pense qu'il y a un rééquilibre... Dire qu'on va bannir la
partisanerie, voyons, il faut être sur un nuage blanc, là, mais, entre totalement
absent et que ça, il y a une marge.
M. Tanguay : Vous disiez même en juin 2013... parce que
vous avez l'avantage d'avoir beaucoup écrit, et vous portiez une application de
ce que vous venez dire dans le domaine municipal, où dans un de vos papiers
vous disiez : «Qui consentira à se
présenter aux élections municipales prévues pour le mois de novembre 2013 si la
moindre allégation se transforme immédiatement en accusation, voire en condamnation?» Alors, de ça découle la
partisanerie à outrance, qui, en amont même, va se faire se questionner
des femmes et des hommes qui vont dire : Bien, moi, je veux-tu jouer dans ce film-là? Est-ce que je veux descendre
dans l'arène? Puis, la démocratie et le fait d'être député, ça ne devrait pas
être vu, l'Assemblée nationale, comme une arène.
M.
Villemure (René) : On voit
les députés comme des coupables, honnêtement, et c'est malheureux, parce que, franchement, s'il y a quelqu'un qui donne des heures et de tout ce qu'il faut
d'amour du peuple, c'est bien là. Oui, j'avais écrit ça à l'époque, et ce qui est malheureux aujourd'hui, c'est pire encore qu'à l'époque, c'est-à-dire que toute
allégation devient vérité dans l'instant, et puis il y aura l'erratum que vous
voudrez, là, ou il y aura la démonstration contraire, ça demeure vérité.
On vit dans un monde de clips, et ça dessert beaucoup.
Le mandat de la commission n'arrangera pas cette situation-là. Mais il y a
une réflexion sociale à faire sur la place des réflexions en 30 secondes. Vous
savez, Umberto Eco, qui est décédé
récemment, disait : 140 caractères, ça ne permet pas d'argumenter, ça ne
permet que de crier. Et c'est
ça qu'on voit. Vous savez, sur les médias
sociaux, ça crie beaucoup, et il
y a des gens qui répondent à ces
cris-là, ça fait toutes sortes de batailles, mais vous
devriez être au-dessus de ça, là. À quelque part, il y a comme le désir ou la
nécessité de s'élever au-delà de la mêlée.
C'est difficile, ce n'est pas automatique, mais c'est nécessaire, parce que
sinon vous allez arriver en bas des
vendeurs d'auto, et là vous êtes juste au-dessus. Alors, il faut faire attention, là. Moi, je ne peux
pas comprendre qu'on laisserait la fonction
de député empreinte de cynisme et de penser que ce ne sont que des moins
que rien et des affairistes. Je ne crois pas ça.
M. Tanguay :
Et se rendre compte — et je
participe à votre réflexion, je réfléchis tout haut, là — se rendre compte également que, de
planter — vous
me permettrez l'expression — un
député qui siège en face de moi, il aura passé un mauvais 24, 48 heures, mais
ultimement c'est toute la fonction de député qui va être en...
Une voix : ...
M. Tanguay :
Si je ne fais pas dans la nuance, je le plante, j'aurai gagné sur lui et sur
elle pendant 24, 48 heures, ça aura
fait la manchette, j'aurai marqué le point, mais, ultimement, quand on parle du
cynisme de la population,
les gens pourront très bien
se dire : Bien, c'est tout du pareil au même, tout du pareil au même. Et, en ce sens-là, je pense qu'il faut faire
attention quand on dit : Ah! les médias, les médias, mais nous les
nourrissons. Et, si en matière
d'éthique nous avons une saine
réserve, comme vous dites, ne pas mettre de côté le travail qu'on a à faire,
qui est de questionner quand on est dans l'opposition... mais, quand on nourrit les médias, ils se nourrissent
par ce que l'on fait, et, de s'imposer, qui pourrait découler du serment, comme député, de ne pas avoir un comportement qui viendrait
attaquer l'institution, ultimement, de s'imposer une saine réserve, je pense qu'en découlerait aussi la couverture
médiatique, parce qu'ils ne pourront pas inventer, hein, les
médias n'inventent pas les affirmations et les clips.
M. Villemure (René) : Non. Mais je
vais retourner sur le sujet des valeurs un instant. Tantôt, j'ai brièvement défini le respect : le second regard que l'on
porte afin de ne pas heurter inutilement. C'est une longue définition, là.
Mais moi, je me poserais la question
souvent, sur le point d'agir, là : Est-ce que j'ai posé un second
regard? Puis ça peut être oui, hein,
c'est correct. Est-ce que ça heurte inutilement? Là, c'est une évaluation
qu'on a à faire, et je pense qu'on doit la faire.
Tantôt, j'ai
mentionné qu'on n'avait pas par écrit le terme d'«intégrité». C'est une chose à
laquelle vous seriez en pouvoir de peut-être
remédier. Mais l'intégrité, c'est quoi aussi? Moi, j'ai la marotte de définir
les termes en les rendant opérationnels,
pas en les obscurcissant. L'«intégrité», c'est : Agir, sans compromis,
dans l'intérêt de l'État. Bon, si on se pose la question : L'intervention que je
fais, la jambette que je donne, est-ce
qu'elle est dans l'intérêt de l'État?,
ça se peut qu'elle le soit, hein,
mais ça se peut qu'elle ne le soit pas, et là je m'abstiendrais. C'est sûr qu'il y a
une retenue à aller chercher. Le
respect implique une retenue, d'ailleurs, lui aussi. Alors, si on prend chacune des
valeurs de l'Assemblée, il y en a... Vous savez, il y en a beaucoup. Parce
qu'on dit, par exemple : La valeur d'honnêteté inclut la prudence, la
diligence, ta, ta, ta. Elles ont toutes quatre valeurs qui en définissent une,
ça fait 16 à peu près, là, mais, dans le total, il y a moyen de dire :
Nous autres, ce qui nous gouverne dans le code, ce sont ces, mettons, quatre
concepts-là, qu'on va définir comme ça.
Vous savez,
le respect, tout le monde est pour, tout le monde en veut, on veut
en donner à tout le monde,
mais, quand je demande aux gens dans des
conférences qu'est-ce que c'est, tout
le monde dit : Euh... oui, oui, on connaît le nom, mais on ne
connaît pas le sens.
Et je vais
revenir à mon commentaire. Je disais : Je fais un commentaire linguistique, je parle de mots. C'est quoi, un mot?
C'est juste une chose, c'est la construction d'un son et d'un sens. On connaît
le son «respect», on connaît le son «intégrité», mais des fois on ne connaît
pas le sens qui va avec. Et je vais juste vous donner un exemple qui est
comique, pour l'illustrer, mais, quand on dit «compte en Suisse», c'est un son,
ça, mais le sens qu'on y apporte, c'est quoi?
«Fraudeur», en gros, là, mais pourtant les Suisses ont tous un compte en
Suisse, ce n'est pas tous des fraudeurs. C'est qu'on a perverti le sens. Bien, à force de pervertir le sens des
éléments comme ceux des valeurs, comme celui de l'éthique, à un moment donné, l'éthique vide de sens, ça ne veut plus rien dire. Et là vous êtes, en effet,
pris avec la conséquence, parce que, si c'est vide de sens, des fois on
l'a vidé nous-mêmes, hein, c'est... et le média ne l'a pas inventé, c'est un
fait.
Je pense
qu'il y a une nécessité
de faire un grand virage, à savoir... Vous n'êtes pas dans l'erreur à
100 %, là, mais il y a la
nécessité de dire : Écoutez, il faut qu'on fasse quelque chose, parce que
la situation, elle est intenable à terme, et ça, intenable à terme, ce n'est pas bon pour vous, ce n'est pas bon pour
nous, ce n'est pas bon pour personne. Et ça n'implique pas que les gens ne seront pas des gardiens, que
l'opposition ne fera pas son travail, ce n'est pas ça, c'est peut-être
qu'à un moment donné il y a... l'éthique n'est pas que dans les cadeaux,
conflits d'intérêts, simplement.
• (17 h 20) •
Le Président (M. Ouellette) : Merci.
Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais :
Merci, M. le Président. Bonjour, M. Villeneuve. Je me suis plu à dire récemment
dans une entrevue dans une radio
communautaire que vous étiez mon maître à penser en matière d'éthique, et, je
dirais, ce n'est pas parce que vous
êtes un béni-oui-oui ou rose bonbon, parce que des fois vous nous confrontez à
nous-mêmes, et j'apprécie beaucoup ce que
vous nous apportez à chaque fois. Vous amenez plusieurs éléments intéressants.
J'ai cette idée, qu'il y a la structure, le code de déontologie, mais
qu'il y a une culture et qu'il faut sortir des débats de structures «Je
respecte le code, j'ai respecté le code»
pour en arriver à : Est-ce que j'ai... comment vous le dites?, j'ai le
droit, mais puis-je? Mais puis-je? Ça, c'est vraiment toute la question
que je me pose.
Le collègue
de LaFontaine disait tout à l'heure : On utilise peut-être beaucoup de
façon partisane le code. Moi, je ne suis pas d'accord. En fait, si on
utilisait mieux les valeurs, on n'aurait pas besoin de référer tout le temps au
code de déontologie, parce que, comme vous
le dites, s'il n'y a pas de sens, il n'y a pas de conduite, là on a des
manquements. Or, les valeurs ne sont pas
codifiées, c'est-à-dire qu'on ne peut pas dire à un collègue... ou faire
enquêter sur un collègue parce qu'il ne correspond pas aux valeurs de
l'Assemblée nationale. Ça, c'est dans le code. Sur les valeurs, on est supposés
les — votre
mot — respecter.
C'est vraiment assez complexe.
Alors, j'ai
regardé les rapports du Commissaire à l'éthique. Pendant que vous étiez en
train de parler, j'ai fait faire un
balayage. À peu près tous les rapports qu'on a demandés, toutes les enquêtes
qu'on a demandées au Commissaire à l'éthique ont résulté en
véritablement une reconnaissance de faute au code, sauf une, parce que le
rapport était non fondé, parce que la date
d'entrée en vigueur de l'article précédait l'enquête, mais, sur la valeur, on
avait le même problème. Là, on est
dans une date, on est dans de la structure, alors qu'il y avait un problème de
valeurs. L'autre, il y a eu effectivement quelque chose qui s'est avéré non fondé pour le commissaire, c'était sur
le ministre de la Santé et l'affaire du CHUM.
Maintenant, comment on fait pour... on ne veut
pas codifier les valeurs, mais comment on réagit, comment est-ce qu'on fait
pour toucher à la culture? Parce que, moi, c'est ça qui m'intéresse. C'est la
culture.
M.
Villemure (René) : La culture d'une organisation, d'une nation ou d'un
peuple, c'est le résultat d'actions ou de
non-actions prises au fil du temps. Donc, on est rendu avec une culture x suite
aux actions ou aux non-actions prises, et le chemin est, encore là, de prendre des actions différentes, ou ainsi de
suite, mais, pour y arriver — quand même, je vais vous donner un
chemin, parce que sinon c'est trop vague — les valeurs, sans les
codifier... parce que je ne crois pas à la codification
des valeurs, mais on peut toujours bien les rendre claires, praticables. Ça,
c'est deux choses qu'on ne voit pas nécessairement : claires et
praticables.
Tantôt, quand
je disais : Si je dis «respect»,
bien, vous êtes légitimes de penser les deux sens, là, l'obéissance ou
le second regard... mais, si je vous dis, par exemple, à l'Assemblée, le sens, c'est ça, bien là vous êtes déjà en
avance. Mais présentement on agit comme si tout le monde le savait. Puis
c'est drôle, parce qu'en matière d'éthique il n'y a personne qui répondrait à une autre personne qui lui
demande : Est-ce que tu connais l'éthique? Puis l'autre répondrait :
Non. Tu sais, ça n'a pas de sens. Bon, même chose si on dit : Tu
sais c'est quoi, pourtant, l'honnêteté? Bien, c'est sûr que je sais c'est quoi. Bien, définis-le. Ça aussi, il y a
des éléments où ce n'est pas défini. Et, curieusement, même si ça devrait
faire partie du cursus de tous, ça n'en fait pas partie, en pratique.
Donc, il y a
une nécessité de définir ou de rendre
claires ces valeurs-là afin de voir si elles sont praticables — je
crois qu'elles le sont, là — mais quand même d'arriver avec une forme de
définition. Quand je disais tantôt : L'intégrité, c'est agir, sans compromis, dans l'intérêt de
l'État, bien, si j'agis, sans compromis, dans l'intérêt du parti, déjà on
n'est pas là, par
exemple. Puis ça, la définition que je vous propose là, ce n'est pas une
affaire qui prend deux paragraphes, là, c'est une phrase, et on peut toutes les avoir comme ça, ces phrases-là, qui
seraient utiles, parce que la règle vient dire : Dans le cas x, c'est ça. Mais, s'il n'y a pas de règle,
bien, vous avez des valeurs qui prennent la relève et qui vous donnent un
genre de carré. La valeur, elle ne vous dira
pas : 15 degrés à droite, mais elle va vous dire peut-être les 25 premiers
à droite, par exemple. On est déjà plus proche, parce qu'on vient
d'évacuer le reste des 345 degrés... 335 degrés, je m'excuse.
Mais donc il
y a une sensibilisation, auprès des députés, à faire sur la forme des valeurs.
Les gens qui ont défilé ici ont tous dit : Ça prend une formation à
l'éthique. En tout cas, le commissaire en a besoin d'une. Mais il reste que,
néanmoins, je pense que tout le monde aurait avantage à ça. Mais, au-delà de
ça, c'est que la formation à l'éthique s'accroche
sur quoi? Et elle va s'accrocher sur des valeurs, et ces valeurs-là ont besoin
d'être affinées. Ce n'est pas qu'elles ne
sont pas bonnes, loin de là, mais affinées, parce qu'aujourd'hui on est rendu
dans des problèmes précis et on ne peut pas prendre un concept brut pour
régler un problème précis. Ça fait que, pour moi, c'est sûr qu'il y a une
sensibilisation à l'ensemble des députés en
amont, à savoir : Écoutez, ce n'est pas juste le plancher que vous visez,
là, c'est le plafond dont on vous parle, en tout cas, entre les deux,
là, chose certaine, et puis les valeurs qui doivent guider vos comportements
sont a, b, c, qui signifient d, e, f, puis avec des exemples, à part ça. Moi,
je l'ai vu dans de nombreuses grandes organisations, dans la fonction publique tout comme dans le privé, réduire l'incidence
de nécessité de plainte. Puis ce qu'on veut, ce n'est pas de pogner
l'autre, c'est que ça ne se passe pas, simplement.
Alors, la
culture, c'est un peu ça, c'est d'influencer la culture en augmentant la
compréhension et en réduisant la nécessité
de plainte. S'il y a lieu de se plaindre, il faut se plaindre, mais, s'il n'y a
pas lieu... ou s'il y a lieu de le régler autrement, je pense qu'on doit le faire. Et puis, encore là, je le répète,
la culture, c'est la somme des actions, non-actions, et puis là il est
un moment où on doit prendre des actions.
Mme
Maltais : J'ai un guide, moi, qui m'appartient, c'est : Quand la
population va apprendre ça, comment elle va réagir? C'est vraiment mon guide, puis je vous le dis, parce qu'on est
obligés... comme on n'a pas codifié les valeurs et qu'il ne faut pas les codifier mais qu'on a parfois
l'impression qu'elles sont galvaudées ou qu'elles sont mal comprises, on
est finalement obligés d'en revenir à ça en disant : Bon, bien, je vais
l'apprendre à la population, qui ensuite posera un jugement, ce qui provoquera une réaction. Donc, je respecte le code,
mais, si la population ne nous respecte pas, là je trouve mon chemin
pour essayer de changer les pratiques. C'est extrêmement compliqué. En même
temps, on est obligés de faire affaire à la population, on est obligés d'aller
devant la population, mais ça devrait être aussi un guide personnel.
M.
Villemure (René) : Oui, oui. Je vais vous donner deux exemples de
guide personnel qui peuvent servir ou desservir, dépendamment de ce
qu'on fait avec.
Tantôt, vous
avez parlé d'homme raisonnable ou de conduite prudente à la personne qui,
normalement, devrait savoir. Bon,
souvent, on donne un fait à quelqu'un qui ne sait pas, ne peut pas savoir mais
qui va commenter pareil. Ça, c'est
les médias sociaux. Donc là, c'est embêtant, parce que, si la personne n'a pas
le contexte pour comprendre, elle va vous juger sévèrement souvent en l'absence de contexte. C'est embêtant.
D'autres vont dire : Moi, bien, je vais regarder si je suis capable de me regarder dans le miroir ou si
je suis capable de l'avoir dans le journal. Parfois, l'action
courageuse, il va falloir qu'elle suscite
des vagues pour pouvoir être la bonne action. Parfois, quand on dit :
Est-ce que je serais confortable si
c'était dans le journal?, ça nous pousse à prendre des actions encore moindres
que ce qu'on devrait faire. Ça fait que c'est embêtant, vous savez.
Je vais
prendre l'analogie du courage, dont l'excès est la témérité et le manquement
est la lâcheté. Je ne vous dis pas de
viser la lâcheté, là, je vous dis peut-être de cesser la témérité et tomber
dans le courage. C'est peut-être là où on devrait regarder. Alors donc,
c'est sûr qu'il y a un côté... la population, il faut la consulter, mais elle
doit comprendre, mais aujourd'hui
l'information passe tellement vite, les gens, on est bombardés de messages
publicitaires, de tout ce qu'on peut... et puis la capacité d'attention,
vous le savez, elle diminue. Et là on a deux choix : on vulgarise au
maximum, puis la personne ne dira rien, mais elle n'a pas compris ou on prend
un peu plus de temps. Moi, je m'ennuie des émissions politiques où on pouvait entendre parler des gens plus que cinq
secondes, honnêtement, mais la plupart du monde préfère une téléréalité
aujourd'hui. Donc, c'est embêtant, on ne contrôle pas ce bout-là.
Mais
néanmoins je pense que la
compréhension, c'est la clé de tout. La compréhension vient de deux mots
latins : «cum» et «prehende». «Cum», ça
veut dire «ensemble»; «prehende», c'est saisir. Bien, pour comprendre, il faut
être capable de saisir l'ensemble. Et aujourd'hui on est bombardé de
pièces, et donc, des pièces, des fois, on n'arrive pas à recréer l'ensemble. La population, même quelqu'un
qui écoute comme il faut, là... pas juste la personne qui fait un tweet de
temps en temps, il y a
des gens qui se disent : Je veux comprendre. On n'y arrive pas, parce que c'est complexe, votre travail est
complexe.
• (17 h 30) •
Mme
Maltais :
C'est extrêmement complexe. Regardez, là, je soulève... bon, on le sait, j'ai
soulevé, sans faire de partisanerie, j'ai soulevé une question, à
l'Assemblée nationale, ce matin, de quelqu'un qui a un employé qui a trois
emplois à côté de son travail, mais la réponse, c'est : Je respecte le
code. Et je ne trouve aucune prise actuellement, jusqu'ici, là — je ne
dis pas que je ne vais pas continuer — mais pour envoyer ça devant
ses pairs au niveau éthique, sauf devant le public.
M.
Villemure (René) : Là, vous venez d'illustrer une limite du code et
une limite d'un code déontologique, et je vais répondre à votre question
sans prendre en compte le cas en question, parce que ça s'applique tellement
partout.
Une action
peut être légale tout en étant non éthique. Et puis ça, la personne va vous
dire : J'ai respecté le code, j'ai
respecté le code. Oui, mais tu as fait fi des citoyens ou de l'intérêt public
peut-être, et, encore là, je ne parle pas du cas de ce matin, là, mais c'est une dynamique que moi,
je vois souvent quand même. Et puis, à la limite — vous savez, vous êtes là pour représenter les gens — il vaut mieux respecter les gens que
respecter le code. C'est un peu l'idée derrière ça. Alors donc, oui, une action peut être légale ou
non blâmable dans le code tout en demeurant non éthique. Et le gros de
mon travail aujourd'hui se situe sur cette ligne-là, ce n'est pas tellement
sur : C'est blâmable dans le code, parce que ça, c'est clair, d'habitude, on y arrive, il y a une disposition,
éventuellement elle s'applique. Mais toutes ces zones de gris là, de
gris foncé ou de gris pâle qui font que, sur le plan de la règle, ça passe,
mais, sur le plan des valeurs, donc le plan de l'éthique, ça ne passe pas... et, si j'avais à prendre un cas en
exemple, mettons... non, je ne prendrai pas d'exemple, ce n'est mieux
pas, mais il reste que, si on disait devant un tel cas : L'intégrité,
agir, sans compromis, dans l'intérêt de l'État, est-ce que ça représente une action, sans compromis, dans l'intérêt de
l'État?, des fois, on va dire non. Et peut-être que ça respecte le code, mais ça ne respecte pas ça. Et
ça, cet élément-là de valeurs et d'éthique est aussi pesant que le code.
Et ce qui fâche la population... et dans les
graphiques de tantôt, ce qui est très drôle, c'est que la population veut
entendre parler de valeurs, c'est marqué dans le rapport du commissaire.
Et puis, quand on regarde la page «députés ou membres du personnel», c'est zéro ou absent. Ça fait qu'il y
a une connexion à faire là-dedans, sérieusement, et puis le commissaire,
sans tirer de conclusion, l'illustre dans
ses demandes, alors ça ne vient pas des airs, là. Mais je crois qu'on devrait
travailler... pas tellement à renforcer la déontologie comme le commissaire
l'entend, à renforcer l'éthique.
Mme Maltais : J'ai une dernière
question, M. Villemure. On se questionne beaucoup en ce moment, parce que — je
dis «nous, les députés, la population» — il y a eu des manquements
soit aux valeurs, à l'éthique qui ont été découverts par le commissaire qui ont
fait l'objet de rapports mais jamais de sanctions.
Qu'est-ce
qu'on fait avec ça? Est-ce que c'est dommageable? Il y en a certains... j'en
parlais ce matin, je disais : C'est
peut-être parce qu'on établit la jurisprudence, donc on est plus prudent, puis
ensuite on sait qu'en plus ça va aller devant
les pairs, devant l'Assemblée nationale. On ne fait que recommander des
sanctions. Qu'est-ce que vous pensez de ce débat-là? Je suis sûre que vous avez... Vous dites que vous avez
écouté ce matin. On cherche vraiment une direction là-dedans.
M. Villemure (René) : J'ai écouté ce
matin, mais je vais mettre en tension deux éléments. Certes, il y a une construction de la jurisprudence et il ne faut pas
le nier. Cependant, ça ne devrait pas être un frein à une action. Quand
je regarde, encore là, ici la demande des
citoyens et je vois que la plus grande ligne, c'est : Ne concerne pas les
actions... du moins, le champ de pratique du commissaire, ça me dit que le
champ de pratique du commissaire est peut-être trop réduit notamment aux conflits d'intérêts et aux cadeaux. L'absence de
sanction, est-ce que... Moi, j'ai de la difficulté aussi quand on
dit : L'opprobre public est une sanction. C'en est une, hein, mais ça, ça
fait partie du lot d'une personnalité publique.
Qu'on soit agent de spectacle ou qu'on soit député, tout le monde qui est en
public renonce à une partie de sa vie privée.
Donc, la sanction ou l'allégation faites envers M. le maire ou tel homme
d'affaires connu, c'est la même chose à peu près, là.
L'absence de sanction, est-ce que c'est dû à une
interprétation trop laxiste des règles en question, est-ce que c'est dû à une insécurité de la personne? Certains
ont dit : C'est une commande politique. Je ne suis pas de ceux-là,
mais on l'a entendu quand même à quelques reprises. Moi, je crois que la
fonction... si je prends la comparaison que M. le député de LaFontaine
va m'amener un peu plus tard sur le Commissaire au lobbyisme et le
Commissaire à l'éthique, je dirais, j'ai vu les deux aller depuis le début,
là, le Commissaire au lobbyisme actuel, évidemment, est beaucoup plus mordant, ce n'est pas le premier, et il a une jurisprudence de construite, mais le premier qui était là, M. André Côté,
avait quand même eu une présence un peu plus présente, disons.
Le Commissaire à l'éthique est par essence plutôt discret, et je pèse
mes mots.
Mais donc, la
fonction d'éducation, je ne l'ai pas vue. Mais on s'est dit :
Bien, c'est le jurisconsulte, ça. Oui, mais tout ça, pour la population, ce mélange-là... D'ailleurs, les gens ne
comprennent pas, hein, qu'il y ait deux instances. Moi, je le comprends, mais la population
ne le comprend pas. Mais du moins le Commissaire à l'éthique a été plus pâle
que la peinture pâle entre le mur
puis la peinture, on ne l'a pas vu. Est-ce
que sa fonction commande d'être vu?
Ah! bien, non, mais pas plus que le
Commissaire au lobbyisme, rendus là. Alors, pourquoi est-ce que
les gens ont une affinité spontanée... je ne parle pas des entreprises, mais la population respecte plus le
Commissaire au lobbyisme? Est-ce
qu'il a arraché plus de visages? Je ne sais pas. Moi, je trouve qu'il a
une action plutôt hargneuse. Mais il reste que néanmoins on ne peut pas
ignorer qu'il existe.
Du côté de
Commissaire à l'éthique, il a été prudent, pour être poli, c'est-à-dire on ne l'a pas vu. Et ce n'est pas un rôle public, ça va, là,
mais un rôle public puis une invisibilité, c'est deux, hein?
Le Président (M. Ouellette) : Merci.
M. le député de LaFontaine.
M. Tanguay : Merci
beaucoup, M. le Président. M. Villemure, j'ai trouvé ça symptomatique, puis je ne veux pas
que vous donniez l'exemple, quand vous avez
dit... Puis je le dis, je fais la remarque avec le sourire
au coin des lèvres. Quand vous avez
dit : Si je prends un exemple, là vous avez dit : Non, vaut mieux pas
que je prenne un exemple. Alors, je ne
veux pas que vous preniez votre exemple, je l'ignore puis je ne veux pas le
connaître, mais il y avait visiblement un malaise que d'utiliser un exemple. D'où vient ce malaise-là? Puis probablement qu'il participe de ce que l'on sait, que, quand, au Québec, on
parle d'éthique, veux veux pas, la personne qui est sur la sellette, c'est plus
qu'un malaise, elle est sur la sellette.
Alors, je
pense que votre remarque était très symptomatique, du fait que vous avez
dit : Bon, bien, je vais prendre un exemple... ah! non, je ne
l'utiliserai pas, parce que c'est comme un ballon de football, on ne sait pas
comment ça va rebondir. Mais la personne nécessairement que vous auriez prise en exemple, qu'elle soit de peu importe la
formation politique, serait presque de facto sur la sellette et jugée. Et donc
on n'a comme pas atteint... et, juste au point de vue des chiffres, il y a des rapports d'activité du Commissaire à
l'éthique, on a comme... mon point, c'est que, et j'aimerais vous entendre là-dessus, on a encore beaucoup de maturité, je
pense, à acquérir socialement en
termes d'éthique lorsque l'on en parle.
C'était mon point, de façon plus posée. Oui, il n'y a pas de sanction. On
aimerait en avoir, des sanctions. Mais, parce que l'opprobre social est tellement
lourd, est tellement fort, ça aura justifié, à tort ou à raison, le
commissaire de dire : Bien, la
personne, le député ou la députée, a mal agi mais a fait tellement
les manchettes que, pauvre lui, pauvre elle, je ne lui retaperai pas sur
la tête.
Il se
développe une jurisprudence où il y
a eu des rapports, deux en 2012,
trois en 2014, deux en 2015, deux en 2016,
et il y en aura d'autres. Je pense
qu'il y a un corpus qui se construit, et corrigez-moi si j'ai tort, mais je
pense que ça participe socialement aussi d'une certaine maturité quand
on aborde un sujet qui est l'éthique, que l'on a encore, je crois, à étayer, et
ça participe aussi du fait que, oui, la partisanerie... mais pas à outrance,
parce qu'on dessert, à ce moment-là,
l'éthique. Et c'est ce que m'a inspiré votre interjection : Je vais
prendre un exemple... non, vaut mieux pas que je prenne un exemple. Vaut
mieux pas dans ce contexte-là.
M.
Villemure (René) : Bien, vous savez, vaut mieux pas, parce que j'en
avais 10. C'est peut-être ça aussi. Non, non, sérieusement... je ne veux pas vous taquiner, vous savez, qu'est-ce
qui est drôle, c'est que mes fonctions impliquent que je ne donne à peu près jamais d'exemple, en
gros, et là je m'étais laissé aller sur un... puis je me suis rattrapé
moi-même. Mais la discrétion est de mise
dans mon domaine d'activité. Cependant, c'est certain... regardez, moi, comme
éthicien, je ne suis pas un fan des sanctions, en partant. Je vous dirais que
l'éthique ne comporte pas de sanction. La déontologie en comporte, là, mais l'éthique, non. L'éthique, il y
a une sensibilisation à aller chercher, puis, à quelque part, je vous
dirais que le ménage se fait à mesure que la
culture évolue, mais, si le seul outil, c'est celui de la punition puis de la
déontologie, bien, on va trouver qu'on ne
sanctionne pas assez, mais, si on a l'outil de la culture qu'on doit améliorer,
bien, je pense qu'on peut vivre... Tu
sais, vivre dans un monde de sanctions, ce n'est pas agréable, et dans un monde
de surveillance non plus, mais, quand il n'y a rien d'autre, c'est ça
que les gens demandent.
Et puis je
pense qu'à quelques reprises un député aurait pu dire : Écoutez, ce
n'était pas la meilleure décision que j'ai
prise, puis, si c'était à refaire, je ne le referais pas. Le capital de
sympathie est pas mal plus grand que se faire taper dessus par le
Commissaire à l'éthique, honnêtement.
• (17 h 40) •
M. Tanguay : ...et je pense que c'est M. Keating. Vous étiez
là, vous l'avez entendu, quand M. Keating disait : On devrait peut-être réapprendre à faire de vraies excuses, à un
certain moment donné, reconnaître ses torts. On dit : Faute avouée
est à moitié pardonnée, là. Ça découle peut-être de notre héritage
judéo-chrétien, là, puis je fais un lien avec M.
Keating, mais il y a cet aspect-là aussi, puis j'aimerais vous
entendre là-dessus. Oui, il
y a l'aspect de dire : Bien,
oui, il y a une question d'éthique, on ne va pas livrer, pieds et poings liés, le
collègue, le déclarer coupable et qu'on le lance au feu. Ça, c'est une chose, il y a peut-être
une mesure à aller chercher. Mais, à l'inverse aussi, le réflexe d'une
personne qui est, entre guillemets, sous
attaque d'avoir contrevenu à l'éthique est de dire, peut-être,
bien souvent : Il n'y a absolument
rien là. Si c'était à refaire, je ferais exactement la même chose. Probablement
que, dans bien des cas, on ne ferait pas exactement la même
chose. Et le fait de pouvoir le
reconnaître, effectivement : J'ai appris de cela, ça serait salutaire,
donc?
M. Villemure (René) : Moi, je crois qu'il
y a un côté... honnêtement, en amont, à sensibiliser, parce que ça... sensibiliser, faire une petite éducation aux
valeurs, une forme de formation avec ça, et après ça la personne est plus
en mesure de dire : Oui, peut-être
que ce n'était pas la meilleure décision. Et, franchement, ce n'était pas la
meilleure décision, c'est une réponse, là.
Là, certains
vont dire : Ce n'est pas assez, ce n'est pas ci, mais je pense qu'il faut
apprendre à vivre ensemble, parce que la fonction d'un gouvernement et d'une
opposition est de travailler ensemble, à quelque part. Et puis, si on
faisait la somme du temps consacré à
dire : Je vais accuser l'un ou l'autre de ça, par rapport à un travail parlementaire
constructif... Je ne dis pas que tout blâme
n'est pas constructif, mais que du blâme, ce n'est pas constructif. Bien, à un moment donné, on ne se demande pas pourquoi ça... le cynisme est
là et puis les gens ne considèrent pas la fonction, on va se dire : Tout
ce qu'ils font, c'est que l'un dit que
l'autre n'est pas bon. Et l'autre ne réagit pas en se disant : Si je dis
que j'ai fait une erreur, bien, je vais me faire couper. Mais, moi,
savez-vous quoi?, dans mes fonctions d'éthicien, quelqu'un qui dit : Je
l'ai échappée, celle-là, je n'avais pas
raison, franchement, ça n'a jamais causé de... personne n'est mort de ça, là.
Et puis je pense que c'est à voir. Dans votre cas, là, où vous
vivez à clips de sept secondes, d'une part, ça se dit en moins que sept,
mais il reste que, je pense,
les gens seraient tellement surpris et intéressés à part ça, parce que
ça, c'est une forme d'humilité qui va
avec le service public. Le service public, on ne s'attend pas à ce que ce soit
un matamore qui soit là, on s'attend quand même à quelqu'un qui a le
bien commun en tête, qui veut servir. Ce n'est pas tout le monde qui va dans le
service public.
Et, tantôt
vous avez évoqué un point très intéressant, il y a bien des gens qui ne voudront pas venir dans le
service public, parce qu'ils vont se dire : À tous les jours, je vais me
faire caricaturer, insulter. Si je vais au restaurant puis je prends du vin, on va me taper dessus. Moi, je me
rappelle d'un cas, c'était au fédéral il y a très longtemps, quelqu'un
avait dit : Tel ministre est allé dans
un lunch avec un... je ne sais pas qui, un ambassadeur, et puis ça a coûté
250 $. Il prend la peine
d'ajouter : Et il y avait du vin. Je me disais : J'espère qu'il y
avait du vin, parce que 250 $ de hamburgers, ça fait beaucoup. Mais il reste que, tu sais, le côté «et
il y avait du vin», je me disais, mais où on prend ça, cette indignation-là?
Quand on est député, là on dit : On ne
doit pas prendre avantage de la fonction, mais on ne doit pas non plus se
flageller, là, tu sais, il y a comme une
juste mesure à aller chercher. Et puis, quand on est juste dans la flagellation
puis, pire que ça, l'autoflagellation, bien là ça rend ça difficile et ça n'attirera pas,
dans le futur, des jeunes qui sont beaucoup animés par des concepts de valeurs et de vivre-ensemble, parce
que la prochaine génération, faites-vous pas une idée, elle est
différente de celle qui est ici. On fait des
études, nous autres, sur le monde en 2030 puis, on voit une chose, les
réputations d'entreprise, le fait
qu'ils ont une culture d'entreprise... je parle du privé, mais néanmoins c'est
des choses que les jeunes considèrent. Ils vont dire : J'achète de tel fournisseur, je veux travailler à telle
place, à cause de raisons que nous, on n'aurait jamais pensé évoquer,
mais eux les évoquent, et ce sont les députés de demain.
Alors, je
pense que l'Assemblée a à faire sa préparation pour ceux qui viendront après,
d'ailleurs, parce que vous voulez être certains que ceux qui viendront
après, ce ne sera pas juste ceux qui restent, ceux qui ne voudront pas avoir d'autre chose, là. Ça doit encore animer le
service public, parce que, je le l'ai dit dans la présentation initiale, je
le répète, c'est noble, être député, ce
n'est pas un défaut, mais il faut peut-être apprendre sur un vivre-ensemble, un
vivre avec ou un vivre à côté, peut-être s'améliorer un petit peu là-dessus.
Thierry Pauchant avait dit, quand il est venu devant vous : C'est d'être
admirable. Moi, je souscris à ça totalement. Il avait dit : Être député,
c'est : il faut agir de manière admirable.
Tout est dit. Est-ce que vous êtes l'exemple, par exemple, de ce que vous
voudriez avoir d'un parlementaire de demain? L'exemplarité, dont je vous
ai parlé tantôt, c'est agir comme si tout le monde était comme moi.
Bien, il
faudrait réfléchir sur ces concepts-là, qui sont bien au-delà des règles. C'est
en amont de ça, là, c'est une vision du monde, et, la vision du monde,
actuellement on la voit beaucoup dans une vision de confrontation, mais il n'y a pas que la confrontation; faire avancer les
choses, et vous le savez tous. Et puis je regarde les débats... pas le
débat d'hier soir aux États-Unis, mais le concept de confrontation, là. Les
gens le disent : C'est deux candidats dont on ne veut pas, mais il y en a un qui va être là, hein, et c'est un peu... On
ne peut pas arriver dans ces points-là, où le moindre des deux va être
celui qui va être élu, là.
Alors, je pense que, pour attirer les plus
jeunes, pour attirer la faveur de la population, lorsqu'applicable, de dire : Écoutez, je me suis trompé, je ne
l'avais pas vu comme ça, voici comment je l'ai vu, puis, honnêtement, c'est
vrai qu'après coup ça n'avait pas de sens,
tu sais, ça ne tue pas personne. Je ne vous dis pas qu'il n'y a jamais lieu
d'avoir de blâme. Il y a des comportements inadmissibles. Mais, comme a
dit M. Keating tantôt, mettez une barre à 100, ça va être 99; mettez-là à 200,
ça va être 199, tout simplement, là, tu sais.
M. Tanguay : Et, comme vous
le disiez dans un écrit que vous faisiez en novembre 2014, l'éthique est une
discipline réflective, la nécessaire réflexion. Autrement dit, on ne pourra,
même pour la personne qui fait l'objet d'allégations,
on ne pourra jamais avoir 100 % non plus, parce que, comme vous le dites,
on est des êtres humains, on n'est pas parfaits, personne n'est parfait,
on peut l'échapper, puis dire : Bien, si c'était à refaire, effectivement,
je ferais ça différemment. Puis donc, le
fait de dire que c'est réflectif, en ce sens que, les valeurs appliquées à tous
les jours, des fois, on peut prendre de moins bonnes décisions que
d'autres, on ne l'a pas vu. Faire amende honorable, aussi ça participe de
l'autre côté du spectre, d'une confiance à aller rechercher, parce qu'elle a
été effritée ces dernières années, là.
M.
Villemure (René) : ...qui se gagne, d'une part, puis, à quelque part,
la confiance, c'est la non-nécessité de faire la preuve, hein? Quand il n'y a pas de confiance, on demande des
preuves, des preuves, des preuves. Mais c'est certain que celui qui l'échappe tout le temps, la balle,
celui-là, le code est là pour lui, là. Ça, c'est clair. Mais, autrement, moi,
je pense qu'il y a... puis, écoutez, moi, je ne suis candidat à rien ici
puis je ne vends rien, O.K., première des choses, mais je pense qu'il y a une nécessité de formation en haut
lieu qui sera faite dans un mode à être déterminé, sur : C'est quoi,
une valeur, c'est quoi, le sens du serment,
le sens à donner à une conduite?, et puis, dans ça, il y a également les
règles, mais ça ne peut pas être que ça. Et puis le problème, c'est que
le premier bout... appelez-le le premier ou le deuxième, c'est la poule et l'oeuf, là, un des deux bouts manque,
et puis vous êtes pris, malgré vous, dans des situations que, mettons,
même vous-mêmes, vous n'auriez pas rêvées, là. Il n'y a personne qui, je pense,
volontairement, s'est dit : Je vais aller faire cette malversation-là.
Ceux-là, il fait les identifier puis les exclure. Mais, en gros, ça représente,
quoi, 5 % dans une population. Ce n'est pas beaucoup, là. Il y en a
quelques-uns dans les 125.
Une voix : Merci. C'est beau.
Le Président (M. Ouellette) : M. le
député de Deux-Montagnes.
M. Charette :
Merci, M. le Président. Merci pour votre présence, merci d'avoir accompagné les
députés depuis la première mouture, qui était en préparation.
On a
l'avantage d'avoir quelques années d'expérience avec le code qui a été adopté.
On a l'avantage aussi d'avoir composé
avec un premier commissaire. Tout à l'heure, vous avez mentionné qu'on ne juge
pas les individus mais que l'actuel
commissaire était un juriste et que, pour le prochain, parce que nous sommes
sans doute à quelques semaines, sinon à quelques mois de devoir nommer
son successeur... que ce serait peut-être une bonne chose finalement de retenir
un éthicien plutôt qu'un juriste. Quelle est la grande différence à vos yeux
pour le rôle qui lui reviendra?
M.
Villemure (René) : ...c'est une bonne question, et je répondrai en
disant que je ne suis candidat à rien, je veux le préciser, mais... non,
non, mais ce n'est pas une plug. La différence réside dans la perspective, le
«d'où parle-t-on?».
Le juriste va
parler d'un point de vue du droit : Alors, est-ce légal en bout de ligne?
Mais Mme Maltais disait : C'est légal, mais ce n'est peut-être pas
éthique, là. Donc, il y a un complément à aller chercher. Des éthiciens, vous
savez, il n'en traîne pas les rues non plus,
là. Il y a beaucoup de profs d'université qui s'occupent d'éthique, tout ça.
Moi, je suis plus indépendant, mais
disons qu'il n'en traîne pas les rues, honnêtement. Mais, sans dire : Ça
sera absolument un éthicien, je pense que le commissaire devrait avoir une
solide formation en éthique, et ça, c'est faisable, à quelque part, c'est
de voir un peu qu'est-ce qu'il en est. Moi,
je ne juge pas l'individu, honnêtement. C'est juste que, sur papier, les
qualifications sont celles d'un juriste,
d'un très bon juriste, mais d'un juriste. Et, vu qu'on se dit : La cause
peut être légale et non éthique, bien, ça prend l'autre bout.
Alors, il
faudrait s'assurer, dans le choix, de toujours bien avoir quelqu'un qui peut
assurer ces deux composantes-là. Et
puis c'est une fonction que, j'ai trouvé... les juristes ont de la difficulté à
l'appliquer, parce que le biais du droit, il est fort. Et puis je ne dis pas qu'il n'est pas bon. Il est juste fort.
Puis, souvent, autant on a eu des débats sur la parité hommes-femmes, on
a eu des débats sur la parité avec les jeunes, je vous dirais que ça serait le
fun d'avoir un peu de sciences humaines dans
ces fonctions-là, quelqu'un qui a un autre regard. Ça peut être, des fois, un
anthropologue, tiens, qui est bien placé
pour ces choses-là. Ça peut être — bien, moi, j'ai une formation en
philosophie — mais un
philosophe anthropologue, tu sais,
des éléments comme ça. Je pense que c'est des gens qui sont habitués à penser
hors d'un cadre établi, et l'éthique se situe hors d'un cadre établi.
Les balises ne sont pas faites une fois pour toutes.
Ça fait que,
si j'avais un conseil à nommer :
regardez du côté des sciences humaines. Je veux dire, sans nécessairement y aller, n'évacuez pas ça. C'est toute une commande que vous avez, à
trouver la perle rare, parce
que, connaissant à peu près tous les gens qui travaillent dans le domaine, il y
a de tout, mais la perle rare est plus dure à trouver. Je vous souhaite bonne
chance.
• (17 h 50) •
M.
Charette : Merci. La
commande nous semble d'autant plus grande que vous n'êtes pas sans savoir
qu'une des recommandations de la commission Charbonneau est justement de
fusionner deux postes actuellement importants, c'est-à-dire tout ce qui regarde
l'éthique et la déontologie mais également, ultimement, le lobbyisme.
Est-ce que, si on regarde du côté des sciences
humaines, on peut aussi trouver ce profil qui soit en mesure de regarder et
considérer les questions d'éthique, de déontologie mais également les questions
de lobbyisme, qui sont peut-être plus naturelles au droit ou qui sont peut-être
plus associées au droit, là, dans les circonstances?
M.
Villemure (René) : Bonne
question. Écoutez, moi, je n'ai pas fait une analyse exhaustive sur le
supercommissariat. Cependant,
l'analyse de premier niveau, je vous dirais que de joindre les deux fonctions
m'apparaît comme étant improductif parce que la nature même des deux
boîtes diffère beaucoup.
Maintenant,
si on considère que le Commissaire à l'éthique ne fait que des enquêtes en
déontologie ou enquêtes en lobbying,
ça va bien, mais, si on considère qu'il doit également se préoccuper d'éthique,
c'est plus embêtant. La suggestion que je ferais à la commission à ce
stade-ci serait : s'il y a une fusion des structures, en haut de la
pyramide il y a le Commissaire à l'éthique
qui est qualifié en éthique, sous lui il y a peut-être un commissaire au
lobbyisme, mais de là à dire : Ça...
Écoutez, on ne pourra pas éloigner le juriste de là, mais je pense qu'il ne
peut pas être en haut, tout simplement, il doit être partie prenante, là. Mais, du côté du lobbyisme, c'est clairement
du droit appliqué, là. Je ne verrais pas un éthicien comme Commissaire
au lobbyisme, mais pas du tout. Mais, s'il y a une fusion des fonctions, je
pense qu'il y aura un numéro un et un numéro
deux. Puis, vous savez, le lobbyisme est une forme d'éthique, à quelque part,
tandis que l'éthique n'est pas une
forme de lobbyisme. Donc, je pense que, de qui veut le plus veut le moins, il y
aurait une subordination. C'est la seule façon de les faire coïncider,
selon moi, et je ne suis pas un gros fan de les faire coïncider.
M. Charette : J'allais mentionner
que c'était ma dernière question, mais il y en a peut-être une qui me vient rapidement, compte tenu du peu de temps qu'il me
reste. Vous dites : Les subordonner. Mais, selon la recommandation,
ce ne serait pas de les subordonner, mais n'en faire qu'un seul, et c'est là où
vous auriez une réserve de votre côté.
M.
Villemure (René) : Une réserve immense, parce que, si ce n'est qu'une
seule personne, il sera forcément un juriste
et, à moins d'une exception, il y aura un problème avec l'éthique. Donc, je ne
dis pas que c'est impossible, je dis : C'est improbable. Mais ça, c'est tout un défi. Et je pense que, si vous
faites un tel genre de structure, vous vous mettez les mains dans le
tordeur, parce qu'à un moment donné ce qui va prendre le bord vite, ce sera
encore l'éthique, et, dans cinq ans, on
dira : Vous savez, il y a un rapport du supercommissaire où est-ce qu'on
parle d'éthique, de déontologie et lobbyisme puis il n'y a pas
d'éthique, et on va être revenu au même point.
Ça fait que
c'est sûr que la recommandation telle que libellée, et je n'ai pas fait une
étude exhaustive dessus... mais je serais porté à penser : Un
supercommissariat, oui, mais il a comme deux grandes fonctions.
Le
Président (M. Ouellette) :
...M. Villemure. Merci de votre participation à nos travaux. Je remercie
également les membres de la commission pour leur collaboration.
Je lève donc la séance, et la commission ajourne
ses travaux à demain, le mercredi 28 septembre, après les affaires courantes, soit vers 11 h 15,
où elle entreprendra un autre mandat, soit l'audition du Commissaire au
lobbyisme sur le rapport intitulé Étude sur l'assujettissement de tous les
organismes à but non lucratif aux règles d'encadrement du lobbyisme, tel que
prévu au projet de loi n° 56, Loi sur la transparence en matière de
lobbyisme. Merci.
(Fin de la séance à 17 h 54)