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Version finale

41st Legislature, 1st Session
(May 20, 2014 au August 23, 2018)

Tuesday, March 8, 2016 - Vol. 44 N° 95

Clause-by-clause consideration of Bill 59, An Act to enact the Act to prevent and combat hate speech and speech inciting violence and to amend various legislative provisions to better protect individuals


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Table des matières

Étude détaillée (suite)

Intervenants

M. Guy Ouellette, président

Mme Stéphanie Vallée

M. Sylvain Rochon

Mme Nathalie Roy

Mme Agnès Maltais

M. Jean Boucher

M. Guy Hardy 

M. Pierre Giguère

M. Yves St-Denis

M. Simon Jolin-Barrette

M. Richard Merlini

M. Harold LeBel

M. Jean Rousselle

M. Jean-François Lisée

Journal des débats

(Dix heures dix minutes)

Le Président (M. Ouellette) : Après avoir constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Et, s'il vous plaît, vous assurer que vos appareils électroniques sont en mode silencieux afin de ne pas perturber nos travaux.

La commission est réunie afin de poursuivre l'étude détaillée du projet de loi n° 59, Loi édictant la Loi concernant la prévention et la lutte contre les discours haineux et les discours incitant à la violence et apportant diverses modifications législatives pour renforcer la protection des personnes.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Giguère (Saint-Maurice) remplace Mme Montpetit (Crémazie); M. Hardy (Saint-François) remplace M. Tanguay (LaFontaine); M. Lisée (Rosemont) remplace Mme Hivon (Joliette); M. Rochon (Richelieu) remplace M. Leclair (Beauharnois); et M. LeBel (Rimouski) remplace M. Marceau (Rousseau).

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Je vais vous souhaiter la plus cordiale des bienvenues en ce mardi matin, de retour d'une semaine, je pense, très occupée, tout le monde, en circonscription.

Étude détaillée (suite)

Donc, M. le député d'Argenteuil, M. le député de Saint-Maurice, de Saint-François, d'Ungava, Mme la députée de Montarville, M. le député de Richelieu — un des quatre Sylvain — Mme la députée de Taschereau et Mme la ministre, lors de notre dernière séance sur le projet de loi n° 59, nous avions entrepris l'étude du sous-amendement du député de Richelieu qui consistait à introduire les mots «tenu de manière répétée» dans le deuxième... dans le troisième paragraphe de l'amendement. Et je pense que, si je me souviens bien, M. le député de Richelieu avait des informations à transmettre à la commission et avait des commentaires à faire sur son sous-amendement.

M. Rochon : Oui. Merci, M. le Président. Bonne Journée internationale des femmes à toutes.

Alors, je rappelle ce sous-amendement que j'ai présenté à la commission à sa dernière séance. Il était à l'effet de modifier l'amendement à l'article 1 de la loi proposée par l'article 1 du projet de loi en ajoutant, dans l'alinéa introduit par le troisième paragraphe de l'amendement et après les mots «deuxième alinéa», les mots «tenu de manière répétée» : «Est un discours haineux, un discours visé au deuxième alinéa, tenu de manière répétée».

Alors, ce sous-amendement, M. le Président, Mme la ministre, s'inscrit dans le même esprit que ceux que nous avons jusqu'ici soumis à la commission, à savoir encadrer, restreindre la portée de ce projet de loi qu'une majorité d'experts — je suis tenu de le répéter — qu'une majorité d'experts qu'on a entendus estime être liberticide, c'est-à-dire qu'il s'attaque à la liberté, à la liberté d'expression au lieu de lutter contre l'intégrisme. Au lieu de lutter contre l'islamisme radical, la loi qui naîtra de ce projet si la ministre ne s'amende pas, elle risque, cette loi, d'être instrumentalisée pour lutter contre celles et ceux qui luttent contre ces dérives intégristes. On a encore une fois l'impression que la ministre veut ouvrir à la commission des droits de la personne et de la jeunesse un beau gros bureau des plaintes. Le plaignant n'a pas ou la plaignante n'a pas à être exposé au rejet, à la détestation ou au dénigrement, elle n'a qu'à être susceptible de l'être. Alors, le droit de s'exprimer librement, là, est clairement menacé, M. le Président.

On a reçu, au cours des derniers jours, un document rédigé par Antonin Miller, qui est chroniqueur en sciences sociales, qui dit de l'esprit de ce projet de loi qu'il est douteux : L'esprit de cette loi «invite à mettre trop d'emphase sur le ressenti victimaire — écrit-il — dans l'offense au détriment des faits, [au détriment] de la réalité, [au détriment] du contexte[...]. C'est inadmissible», écrit-il. Je le trouve aussi. Nous le trouvons aussi. On se bat depuis des semaines contre cela. Et on se heurte à l'opinion de la ministre à l'effet que, justement, l'effet du discours compte davantage que l'intention du discours. Il nous semble à nous que l'intention du discours est bien plus importante.

Il ne faut pas oublier, M. le Président, que ce projet de loi, il rend légitime toute dénonciation, même anonyme. «[Ça] risque — écrit M. Miller, que je citais tantôt — de donner lieu à beaucoup de plaintes d'intégristes et à des poursuites abusives pour "offense victimaire" d'ordre religieux ou autre. [Ça] va engendrer — écrit-il toujours — une contamination du climat social...» Voilà pourquoi il faut mieux encadrer, mieux préciser. Voilà pourquoi, à notre point de vue, ce serait déjà une avancée que d'adopter ce sous-amendement qui parlerait d'un discours haineux «tenu de manière répétée».

Le Président (M. Ouellette) : Merci, M. le député de Richelieu. Mme la députée de Montarville, on n'avait pas eu le temps, justement, pour votre intervention lors de notre dernière séance.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Naturellement, mon commentaire va porter uniquement sur le sous-amendement du député de Richelieu. Ce qu'on veut faire ici, c'est rajouter qu'on parle d'un discours haineux qui est un discours qui est tenu de manière répétée. Je dois souligner, pour le bénéfice des gens qui nous écoutent, que ça fait exactement partie, cette idée d'un discours qui est tenu de manière répétée, de ce que nous tentions d'évoquer à l'effet que l'endoctrinement des jeunes ne se fait pas de façon instantanée, mais c'est un discours insidieux et c'est un discours qui est répété, ça se fait de longue haleine, ce n'est pas une... La radicalisation des jeunes ou de qui que ce soit n'est pas automatique après uniquement une phrase ou un mot. Et, comme l'objectif de la loi est de contrer la radicalisation, force est de constater qu'on parle d'un discours ou de propos qui auraient été répétés à plusieurs fois ou qui auraient servi à laver le cerveau des personnes pour les amener à commettre quelque chose ou les amener à se radicaliser, pour le moins. Et l'idée de mettre «tenu de manière répétée», ça rejoint totalement l'objectif que nous visions, qui était de contrer la radicalisation des jeunes. Alors, je pense qu'il y a toute une nuance ici, dans le discours puis les propos que nous voulons contrer.

Et je persiste à dire que ces propos que nous voulons contrer, qui sont des propos qui sont tenus de manière répétée, sont aussi... pas les propos de n'importe qui mais les propos des agents de radicalisation, des imams autoproclamés, des prédicateurs autoproclamés. Et de personne d'autre. Et c'est extrêmement important de le souligner parce que, si on brime la liberté d'expression de façon beaucoup plus générale, beaucoup plus large, c'est une trop grande atteinte à la liberté d'expression de chacun. Et c'est la raison pour laquelle il faut être plus spécifique, selon nous, et il faudrait ajouter — et j'y tiens fortement — que ce sont les propos de ces agents de radicalisation qu'il faut contrer, naturellement, lorsque ces propos s'inscrivent dans tout ce processus de radicalisation pour amener quelqu'un vers quelque chose, vers un but très précis.

Et j'aimerais souligner ici... J'avais pris une note il y a quelques semaines, puis on n'avait pas eu l'occasion d'en parler, mais que les fameux mots, hein, les mots pour le dire — il y avait une émission qui s'appelait comme ça, d'ailleurs, à moins que je ne me trompe — les fameux mots que nous devrions rechercher et retrouver dans cette loi là, ce sont vraiment... contrer des propos, mais des propos, comme je le disais, qui ne viennent pas de n'importe qui et qui ne viennent pas de n'importe où, mais des propos qui émanent de l'extrémisme religieux, de l'intégrisme, de la...

Et ce que je trouve intéressant, c'est que, lors de sa visite au pays, à Montréal, si je ne m'abuse, il y a le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, qui y est allé d'une déclaration très intéressante lorsqu'il était à Montréal et qui parlait — et c'est M. Ban Ki-moon qui parle — de la lutte à la radicalisation et à l'extrémisme religieux. Alors, ça, moi, ça m'a touchée parce que c'est exactement ce à quoi nous devons nous attaquer avec ce projet de loi. Et j'aimerais beaucoup que nous puissions voir ces mots qui, jusqu'à présent, ne sont pas présents dans ce projet de loi et que nous réclamons depuis l'ouverture des travaux, enfin depuis que la loi a été déposée, au mois de juin dernier. Et ces mots-là ne sont toujours pas là, et pourtant c'est à ça qu'il faudrait s'attaquer, à l'extrémisme religieux et à ce que ça amène.

• (10 h 20) •

Et je ne peux pas m'empêcher de faire un parallèle. Aujourd'hui, c'est la Journée internationale des femmes, et il y avait des images qui circulaient sur Internet sur la répression des femmes aujourd'hui en Turquie, lors d'une manifestation, cette oppression dont sont victimes les femmes, mais une oppression qui émane d'un intégrisme religieux. Et, partout à travers le monde, dans d'autres pays, on le voit. Et c'est une réalité : on parle de charia, on parle de burqa, on parle de niqab. Et il n'y a personne qui va me faire accroire ici aujourd'hui que ces femmes-là qui sont opprimées et qui doivent se cacher de la tête aux pieds le font de leur bon gré. Jamais, jamais je ne croirai ça, M. le Président. On les a amenées à cette réflexion, mais jamais de leur propre gré... jamais une femme ne voudrait se cacher de la tête aux pieds de son propre gré si ce n'est que pour se protéger elle-même d'un intégrisme religieux qui la sanctionnerait parce qu'on la verrait.

Et c'est la raison pour laquelle, quand Ban Ki-moon parle de la lutte à la radicalisation et à l'extrémisme religieux, c'est à ça qu'il faut s'attaquer au Québec, à l'extrémisme religieux. Et, Dieu soit loué, on est loin de voir ce qui se passe dans ces pays ici, mais il faut prévenir pendant qu'il en est encore temps. Et j'espère que la ministre verra que les démarches qui sont faites sont effectivement dans un but de prévenir ces dérives épouvantables que sont la charia et compagnie.

Et il ne faut pas oublier, M. le Président, qu'ici même en 2006 — moi, je n'y étais pas, mais les collègues de l'Assemblée nationale y étaient — ils ont voté une motion contre l'adoption de la charia. Parce qu'il y a actuellement de ces imams qui sont encore ici, au Québec... Ils sont venus nous parler d'ailleurs. Il y en a un qui est venu en commission parlementaire et qui, lui, faisait partie de ceux qui voulaient avoir l'instauration de la charia au Québec : C'est une bonne chose, hein, les tribunaux islamiques au Québec, ça serait une bonne chose. Non, ça serait horrible, il faut se battre contre ça.

Et je pense que l'occasion nous est donnée dans ce projet de loi de faire des choses précises contre l'extrémisme religieux, l'islamisme radical. Et personne n'a le courage de mettre ces mots-là dans un projet de loi actuellement au Québec. C'est ce que je dénonce, c'est ce que je déplore. Parce qu'il n'y a pas d'autre raison de faire une loi actuellement, il n'y en a pas d'autre.

Hier, il y avait les gens du SCRS qui nous donnaient des chiffres inquiétants sur des gens, des jeunes qui ont été radicalisés, qui sont allés à l'étranger, qui sont à l'étranger, certains qui sont revenus. On parle de 60 jeunes qui sont allés faire le djihad qui sont ici, au Canada, ils sont revenus. Ces jeunes-là ont-ils un agenda? Ils sont là pour faire quoi? Ils sont allés pour faire, on s'en doute, là... enfin on fait plus que s'en douter, le SCRS nous confirme qu'ils sont allés faire le djihad, donc la lutte armée pour défendre des préceptes religieux radicaux, et ils sont revenus au pays, ils sont ici, ils sont parmi nous. Où sont-ils? J'imagine que les policiers les suivent à la trace, et je me fie à la capacité et au professionnalisme des policiers québécois et canadiens. Cependant, la problématique, elle existe.

Et c'est la raison pour laquelle j'aurais souhaité de tout coeur qu'on voie dans cette loi que ces termes soient indiqués, qu'on lutte à l'extrémisme religieux, comme le dit... et comme l'a si bien dit le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon, qu'on lutte contre l'islam radical. Ce n'est que ça, le problème, il n'y en a pas d'autre, et c'est la raison pour laquelle la loi avait été déposée en juin dernier, pour lutter contre la radicalisation des jeunes. Et je vous rappelle que, cette radicalisation-là, elle est seulement due à l'islam radical, il n'y a aucune autre radicalisation qui est problématique.

Alors, M. le Président, je vous soumets que l'amendement «tenu de manière répétée», pardon, le sous-amendement, excusez-moi, «tenu de manière répétée», c'est un sous-amendement auquel nous souscrivons entièrement puisque la radicalisation et l'endoctrinement — ou l'embrigadement, comme le disait Me Julius Grey, à juste titre — c'est un processus qui se fait à force de préceptes insidieux mais aussi répétés. Alors, pour ces raisons, nous voterons pour ce sous-amendement, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Mme la députée de Montarville. Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Alors, d'abord, bonne Journée internationale des femmes. Il y a eu tout un débat sur le féminisme la semaine dernière. Moi, j'ai comme opinion... je veux simplement faire un commentaire laconique, qui parle.

Je suis féministe depuis toujours et pour longtemps. Et j'ai pris la peine... Je ne pensais pas... Je ne veux pas en parler longtemps, mais je pense que ce commentaire se raccroche bien à ce que vient de dire ma collègue de Montarville. Je la remercie de bien comprendre le sens de notre amendement, qui est effectivement l'amendement du député de Richelieu, qui est : «Tenu de manière répétée», pour qu'on distingue les incidents qui peuvent arriver dans une société des gens qui véritablement veulent radicaliser les jeunes, qui veulent entraîner des gens vers l'extrémisme violent. Et, bon, ce terme-là nous a été refusé, effectivement, la collègue de Montarville l'a rappelé. Mais nous, nous avions proposé qu'on parle d'extrémisme religieux. Hein, le mot «intégrisme religieux», «extrémisme religieux» a été amené de façon régulière par les oppositions, et jamais, jamais il n'y a d'appui de ce côté-là du gouvernement.

C'est important, ce que vient de dire la collègue, parce qu'elle nous ramène à une chose. On a parlé de féminisme. Le féminisme, c'est l'appel à l'égalité entre les hommes et les femmes. Or, le féminisme s'est mondialisé au fil du temps. M. le Président, le féminisme, c'est aussi de se dire que nous allons... Les acquis que notre société québécoise a eus, ils font l'envie de bien des femmes à travers le monde maintenant, qu'on pense à l'équité salariale, qu'on pense au partage du patrimoine familial, qu'on pense à... simple accès aux professions, nous sommes... à l'accès à l'éducation. Ce sont des avancées dans le monde.

Par contre, l'extrémisme religieux amène systématiquement, là, à l'inégalité entre les hommes et les femmes. Et, peu importent les extrémismes, à part Raël, peut-être, qui est une secte dont on peut s'amuser, ou le monstre du... pas le monstre, mais la religion du spaghetti volant, qui existe, là, aussi. Je pense que ces gens ont le goût de s'amuser avec le phénomène religieux. Il y a quand même le fait que la montée du phénomène religieux, en général, amène un recul des droits des femmes.

Alors, c'est pour ça qu'aujourd'hui, Journée internationale des femmes, on peut se dire : Bon, si on a le goût de célébrer les acquis, si on a le goût de parler de ce qui reste à faire, on a le goût aussi de s'inscrire dans une mouvance mondiale de défendons les droits des femmes partout. Et l'extrémisme religieux, la radicalisation, qui sont la base, normalement, de ce qui a amené ce projet de loi là, nous amènent à un recul des droits des femmes immense. Il y a des femmes qui n'ont plus le droit de sortir de la maison sans être accompagnées de leurs hommes dans des pays où ils avaient le droit avant... accompagnées d'un mari...

M. Boucher : M. le Président?

Le Président (M. Ouellette) : Oui, M. le député d'Ungava.

M. Boucher : Bon, je comprends que c'est un débat qui est très intéressant, surtout aujourd'hui, en cette journée des femmes, mais j'aimerais, si possible, qu'on revienne à l'étude du sous-amendement comme tel, là, à savoir le texte qui nous est proposé aujourd'hui.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Vous avez bien compris, je suis tout à fait dans le sujet. Alors, il y a, puisque je vais être plus explicite pour le collègue, dans l'extrémisme, des discours tenus de manière soutenue, répétée, qui font qu'on embrigade, qu'on endoctrine et que des sociétés en viennent à faire reculer les droits des femmes.

L'extrémisme religieux, c'est un discours tenu de façon répétée, ce n'est pas en une fois qu'on fait reculer des droits, c'est en plusieurs fois. On embrigade des sociétés, on endoctrine des sociétés, on endoctrine des gens. On mélange le politique et le religieux par un endoctrinement, par une façon de voir, par la charia. Ça, c'est le portrait mondial.

Alors, nous, au Québec, en déposant une loi comme celle-là, la version... l'interprétation qu'en font une grande majorité de juristes... Une grande majorité de gens impliqués dans le dossier de la laïcité, une grande majorité de gens qui couvrent ce sujet depuis des années considèrent qu'en faisant cela on encourage au lieu de museler l'extrémisme religieux. Puis je vais vous lire, M. le Président, à l'appui de ce que vient de dire notre collègue, je vais relater un fait, puis je vais passer d'un texte de Pierre Trudel, qui a été paru, à un texte de François Doyon, qui ramène à un texte de Denise Bombardier. Et ce chemin-là va montrer exactement pourquoi ces mots-là, «tenu de manière répétée», sont pertinents.

Pierre Trudel, mercredi le 2 mars, il nous écrit ceci : «Pratiquement tous ceux qui se sont exprimés lors de la commission parlementaire ont mis en garde contre les graves violations de la liberté d'expression qu'on retrouve dans le projet de loi n° 59 sur la prévention du discours haineux.

«Devant pareil tollé, la persistance du gouvernement à vouloir le faire adopter surprend.

«Certes, la ministre y a apporté des modifications. Pour l'essentiel, la principale modification a été d'inclure dans le texte du projet de loi une définition de ce qui constitue du discours haineux. La définition proposée se lit comme suit — bon, évidemment, il n'y avait pas les derniers amendements, là, je vais enlever en lisant les mots qui doivent être enlevés :

«"Est un discours haineux le discours [...] qui, aux yeux d'une personne raisonnable, est d'une virulence et d'un extrême tel qu'il est susceptible d'exposer ce groupe à [...] au rejet, à la détestation [et] au dénigrement [...] notamment pour que ce groupe soit perçu comme étant illégitime, dangereux ou ignoble."

• (10 h 30) •

«La simple lecture de cette définition permet de constater que ce qui est considéré comme du discours haineux en droit canadien, ce n'est pas n'importe quel propos critique qui hérisse les gens.

«Ce n'est pas n'importe quel discours ou éditorial critiquant un groupe protégé contre la discrimination qui est un propos haineux.

«Il faut que le propos atteigne à un seuil élevé de gravité dans l'esprit d'une personne raisonnable.

«Sauf que, dans la société québécoise actuelle, il s'en trouve plusieurs pour crier au discours haineux dès qu'un commentaire les choque.

«Dans un tel contexte, il paraît irresponsable de mettre à la disposition de ceux qui ont du mal à tolérer des propos avec lesquels ils sont en désaccord, un mécanisme de plaintes aussi commodément disponible pour faire taire les opinions qui leur déplaisent.

«Par exemple, il y a quelques jours, certains qualifiaient de discours haineux un commentaire publié dans ce journal par Denise Bombardier et portant sur des événements survenus au cégep de Maisonneuve.»

Effectivement, et là je reviens... Je l'ai appris sur le blogue de François Doyon, quelqu'un m'a envoyé... Je ne connais pas ce François Doyon, je ne connais pas ses blogues, mais je sais qu'il a posté un commentaire d'Odile Jouanneau, dont le nom est connu maintenant parce qu'elle a gagné une plainte au Conseil de presse contre Djemila Benhabib suite à une accusation de plagiat. Mme Benhabib se défend et dit : Je n'ai pas voulu plagier, si j'ai plagié. Mme Jouanneau dit : Non... Alors, je n'irai pas sur cette accusation-là. Mais qu'a posté Mme Jouanneau? Alors, elle a posté d'abord l'article La direction du collège de Maisonneuve rétablit les faits. Collège de Maisonneuve, c'est un débat qu'on a déjà établi. Elle a posté... Elle écrit à la Direction du cégep : «J'attends vos commentaires au sujet de la mise au point de la direction, et aussi celle du syndicat des profs.» Mais ensuite elle ajoute : «Aussi, si ça vous tente de dénoncer Denise Bombardier pour incitation à la haine, je suis partante!» En postant un beau grand sourire.

Denise Bombardier, pour un article... Elle est partante pour l'attaquer pour incitation à la haine. Eh, quand on lit l'article de Denise Bombardier, excusez-moi, là, on tombe à terre. C'est loin de l'incitation à la haine. Mais la personne, elle, l'interprète comme incitation à la haine. C'est la démonstration exacte du problème du projet de loi n° 59, mais c'est aussi la démonstration de ce qui pourrait nous éviter ça avec «tenu de manière répétée». Déjà, ça nous aiderait à encadrer le problème.

Mais voici une démonstration éclatante faite par Pierre Trudel du problème du fait de légiférer contre le discours haineux et de ne pas vouloir l'encadrer. Parce que plus ça va, plus on essaie d'encadrer, moins on a de réponses. Alors, M. le Président, je vais lire ce que dit ensuite Pierre Trudel :

«On [a] beau lire et relire cent fois le propos de Mme Bombardier, il est difficile d'imaginer comment une personne raisonnable pourrait y voir quelque chose qui se rapproche de la définition de propos haineux que nous avons reproduit plus haut.

«Mais, si le projet de loi 59 était devenu loi, rien n'empêcherait une personne de traîner la commentatrice devant la Commission des droits de la personne», avec anonymat à la dénonciatrice.

Alors, M. le Président, il y a un délai d'un an à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse avant le traitement d'une plainte. Alors, Denise Bombardier vivrait avec cela pendant un an au-dessus de sa tête. Je, personnellement, vivrais, comme collègue de l'Assemblée nationale, avec des dénonciations de propos haineux. Parce qu'imaginez-vous donc que, toute la semaine, j'ai vu sur Facebook, sur Twitter des commentaires disant... particulièrement de M. Charkaoui, le Collectif québécois contre l'islamophobie et de sa gang disant : Agnès Maltais fait du discours haineux — bien, je viens de me nommer, excusez-moi, M. le Président. La députée de Taschereau fait du discours haineux. Je ne fais pas de discours haineux, je commente un projet de loi. Mais, vous voyez, ça dit exactement ce pour quoi Pierre Trudel dit : Attention! et pourquoi la petite, toute petite balise que nous donne le député de Richelieu nous permettrait, à tout le moins, de nous sortir du phénomène de l'attaque constante contre les gens qui ont des propos avec lesquels les gens sont en désaccord. C'est vraiment le problème.

Alors, je félicite le député de Richelieu. J'espère que cet amendement... sous-amendement sera accepté, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Richelieu, vous allez sûrement avoir des commentaires sur les commentaires de votre collègue.

M. Rochon : Brièvement, M. le Président — je vais vous surprendre — brièvement. Écoutez, je me réjouis de voir la seconde opposition souscrire à ce sous-amendement. Je crois que nous partageons la même volonté de ne pas manquer notre cible, hein?

Et je reviens au document de réflexion que nous soumettait il y a quelques jours M. Antonin Miller, chroniqueur en sciences sociales. Il écrit dans ce document qu'«au Québec, nous avons [...] connu notre grande époque des noirceurs avec les dérives imposées jadis par la religion catholique et sa collusion avec le pouvoir politique. Faut-il encore souligner — poursuit-il — à tous la toxicité des pouvoirs répressifs d'un régime politico-religieux obscurantiste lorsqu'il a la possibilité de s'imposer à toute une collectivité? Il suffit de se renseigner sur l'état de la liberté de conscience et d'expression lorsqu'elle est interdite dans certains pays du monde[...]. C'est tout à fait ce que nous ne voulons pas comme modèle de société. Un appel au retour de l'obscurantisme politico-religieux nous revient sous la pression de l'islam qui s'implante de plus en plus au Québec et ailleurs. Or, il faut le dire, ce culte religieux a comme étendard celui de soumettre les infidèles à ses propres règles.»

Passer le projet de loi n° 59, en faire une loi — c'est moi, là, c'est une parenthèse dont je suis l'auteur — sans modifier profondément ledit projet de loi — et je poursuis le texte de M. Miller — ça équivaudrait «à octroyer un accommodement déraisonnable pour plaire aux intégristes religieux[,] leur [donner] plus de pouvoir afin qu'ils puissent imposer plus facilement leurs croyances et leurs règles aux citoyens de notre société démocratique».

M. le Président, j'espère — je disais vouloir être bref, je vais tenir ma promesse — voir la ministre souscrire à ce sous-amendement tout à fait raisonnable : «Est un discours haineux, un discours visé au deuxième alinéa», nous souhaitons que soit ajouté «tenu de manière répétée». «Tenu de manière répétée». Encore une fois, nous craignons vivement que ce projet de loi n° 59 ouvre à la commission des droits et libertés de la personne et de la jeunesse un énorme bureau des plaintes, hein, où toute personne se sentira vexée, ostracisée, dénigrée pour le moindre petit mot de travers. C'est pour ça qu'il est important de parler d'un discours tenu de manière répétée. Voilà, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : Commentaires, Mme la ministre, avant que...

• (10 h 40) •

Mme Vallée : Oui, certainement. Dans un premier temps, je veux souhaiter aux collègues une très belle journée internationale de la femme, je pense qu'on est tous et toutes portés par cette même volonté d'en arriver à l'égalité pour tous et pour toutes.

Sur ce qui est de l'amendement... du sous-amendement, pardon, qui est présenté, dans un premier temps, je pense qu'il est important quand même de recadrer une petite chose, là, c'est-à-dire que je reviens encore avec Whatcott, mais il ne faut pas oublier que, dans l'arrêt Whatcott, on nous explique clairement que, lorsque vient le temps d'interdire les discours haineux, les moyens de défense comme la véracité, la motivation ou la continuation de l'acte n'étaient pas des éléments qui sont requis. Donc, la répétition d'un propos n'est pas nécessaire en soi pour constituer un discours haineux.

Et pourquoi, pourquoi c'est comme ça? Parce qu'un discours haineux, des propos haineux qui sont forts, on s'entend, là, un propos haineux, c'est un propos qui est fort, qui est quand même d'un certain extrême, dès qu'il est prononcé, un propos de cette teneur-là, une fois, c'est une fois de trop. Et le caractère répétitif, le problème que ça pose... Dans la définition d'ajouter le caractère répétitif, ça nous amène un élément arbitraire dans l'évaluation de ce qu'est ou ce que n'est pas un discours haineux. À partir de combien de fois le propos est-il un propos haineux? Est-ce que c'est deux fois? Est-ce que c'est quatre fois? Est-ce que c'est 10 fois? Est-ce qu'on ne place pas, en insérant la proposition de notre collègue... Et je comprends ce qui est visé et je comprends qu'on cherche à éviter que ne soient déposées des plaintes manifestement frivoles et non fondées à l'encontre de ceux et celles qui ont manifesté un désaccord avec une opinion, manifesté une opinion dissidente. L'objectif n'est pas de venir pénaliser ceux et celles qui manifestent une dissidence, loin de là. Mais ajouter le caractère répétitif dans la définition amènerait un élément d'arbitraire qui pourrait donner lieu à des décisions... à des évaluations contradictoires qui pourraient porter atteinte à l'objectif même du projet de loi. Donc, ce qui pourrait être un élément que nous pourrions peut-être étudier un petit peu plus loin, ce serait de voir, au niveau des sanctions, au niveau des décisions, est-ce que le caractère répétitif ne devrait pas être considéré et pris en considération.

L'autre élément que je souhaite rectifier, évidemment le projet de loi, tel qu'il est rédigé, ne permet pas à des individus de déposer des plaintes au tribunal. Ils vont saisir la commission des droits de la personne et de la jeunesse, qui a tout le loisir de rejeter une dénonciation qui est frivole, qui est vexatoire. Donc, cet élément-là demeure. Il est possible de dénoncer quelque chose qui est manifestement frivole et vexatoire et qui vise, d'une certaine façon, à bâillonner quelqu'un qui souhaite simplement exprimer une décision dissidente.

Alors, je vous explique le tout, mais, pour ce qui est de l'ajout du caractère répétitif, je crois, et à la lumière des enseignements de la Cour suprême puis à la lumière du potentiel arbitraire que cela viendrait ajouter, je pense qu'il est peut-être délicat d'incorporer ce sous-amendement, bien que je comprends très bien ce qui anime notre collègue et ce que visent nos collègues des oppositions. Parce que l'objectif, encore une fois, je vais le dire, le redire et le redire, ce n'est pas d'empêcher le discours d'opinion, bien au contraire. Les discours des gens, de ceux et celles qui chroniquent parfois sont difficiles, parfois sont cinglants, mais on ne veut pas les empêcher. Elles ont toute leur place dans une société libre et démocratique.

Le Président (M. Ouellette) : Commentaires sur les commentaires de la ministre, M. le député de Richelieu.

M. Rochon : M. le Président, moi, je ne remets pas du tout, pas du tout, pas du tout, là, en question la bonne foi de la ministre. Je la crois, là, quand elle dit qu'elle ne veut pas museler le discours d'opinion. Sauf que nous pensons que ce sera l'effet pervers de son projet de loi, même si ce n'est pas l'intention qui fonde ce projet de loi. Et quel climat social ce gros bureau des plaintes à la commission des droits de la personne et de la jeunesse créera-t-il au Québec? Elle n'a pas de craintes à ce propos? Je lui adresse la question, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Nous aurons la chance... J'espère, un jour, nous aurons la chance de nous rendre aux articles qui portent sur la commission des droits de la personne, mais, non, je crois que nous pouvons... Et est-ce qu'il y a lieu d'ajouter certaines balises quant aux dénonciations? Peut-être. On pourra les étudier ensemble. Mais il y a déjà au projet de loi des mesures qui permettent de rejeter des dénonciations qui s'avéreraient frivoles et non fondées. Parce que je suis consciente, tout comme vous, que certaines personnes pourraient tenter d'utiliser à mauvais escient les dispositions, comme on le voit à travers d'autres dispositifs.

Et c'est pour ça d'ailleurs, c'est pour ça d'ailleurs que la définition est si importante, pour définir ce qu'est le discours haineux, pour venir vraiment encadrer ce discours-là. Et nous nous inspirons, nous nous sommes inspirés d'une série de dispositions législatives qui existent. D'ailleurs, la semaine dernière... il y a deux semaines, on a eu la chance de répondre à une question qui avait été inscrite au feuilleton par votre collègue de Taschereau. Nous avons déposé la liste des législations, des législatures qui ont encadré ce type de discours là, notamment dans le Commonwealth et aussi dans l'espace... au Canada. Il y a quand même un certain nombre de législations qui existent et qui encadrent le tout.

Et on s'inspire, évidemment, des décisions de la Cour suprême. Parce qu'encore la Cour suprême est venue... a analysé certaines dispositions et est venue indiquer les paramètres à l'intérieur desquels il est possible d'encadrer le discours haineux pour éviter, justement, que l'on porte atteinte à la liberté d'expression. Et la Cour suprême... Et c'est pour ça qu'on se colle et que je reviens avec l'affaire Whatcott, parce qu'il s'agit là des enseignements de la Cour suprême. Et je me dis : Bien, il est peut-être important de se coller sur ce qui a été considéré comme étant correct et légitime dans une société libre et démocratique. L'objectif n'est pas d'aller au-delà de ça, pas du tout. Et c'est pour ça que la définition, elle s'inspire justement de ce que l'on retrouve dans les arrêts de la Cour suprême, afin d'éviter d'aller au-delà de ce qui est considéré valable.

Et je comprends qu'on souhaite... Et les sous-amendements, certains des sous-amendements présentés par nos collègues visent à resserrer davantage, mais, sur ce sous-amendement-ci, le caractère répétitif pourrait nous amener vers de l'arbitraire. Parce que deux fois, c'est répété, quatre fois, c'est répété, six fois, huit fois... C'est cet encadrement-là qui est quand même laissé à l'appréciation.

Le Président (M. Ouellette) : Il vous reste 10 secondes, Mme la députée de Taschereau.

Mme Vallée : 10 secondes...

Mme Maltais : Je dirais que répéter, c'est deux fois.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : C'est? Répéter, c'est deux...

Mme Maltais : C'est déjà mieux qu'une fois, par rapport à cette loi-ci. Ça, je trouve ça arbitraire, une seule fois. C'est ça, mon problème.

Mme Vallée : Mais un propos haineux qui correspond à la définition qui est présentée peut avoir des effets malgré qu'il n'ait été prononcé qu'une fois, des effets qui peuvent être tout aussi dommageables. Et c'est ça...

Mme Maltais : Pas par rapport à la radicalisation, pas par rapport à la radicalisation.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Richelieu.

M. Rochon : Voilà une autre dimension sur laquelle nous ne nous entendons pas, nous et la ministre, M. le Président. Elle parle de l'effet du discours sur la personne, le groupe ou la personne qui reçoit ce discours, alors que nous, nous souhaiterions nous attarder davantage à l'intention.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

• (10 h 50) •

Mme Vallée : Avec respect, M. le Président, je comprends qu'on a parlé d'intention, on en a parlé à plusieurs reprises avec le député de Richelieu dans nos échanges passés, et il est très clair que l'intention et puis... que l'intention, ce n'est pas un élément qui est requis au niveau de la constitutionnalité du terme. Et l'effet, c'est que, justement, on va ostraciser le groupe d'une façon... Et ce groupe-là pourra éventuellement, en raison de cette ostracisation, devenir victime de violence. Alors, il y a le discours haineux, il y a le discours incitant à la violence, mais le discours haineux peut amener de la violence à l'égard de ces gens-là, de ce groupe-là.

Et, l'intention, bien, on apporte une défense. Et là je crois que nous viendrions à l'encontre même de ce que vous souhaitez stopper, parce que certaines personnes pourraient s'approprier, je veux dire, cet élément de défense et prétendre que le discours ne visait pas, n'avait pas comme objectif de porter atteinte à ces gens-là mais qu'il était motivé par un autre dessein, spirituel, intellectuel. Et là on ouvre une porte à une défense qui pourrait faire l'affaire de ceux et celles qu'on tente... à qui s'adresse ce discours-là.

Parfois, lorsqu'on souhaite encadrer d'une certaine façon, il faut aussi voir l'effet inverse et, en en faisant... bien, en en faisant une infraction d'intention, dans le fond — c'est ce que vous souhaitez, c'est ce que l'opposition souhaite — on dénature l'aspect civil de l'encadrement du discours haineux, parce que c'est bien dans ce contexte-là que nous sommes, et on amène de l'eau au moulin à ceux et celles qui voudraient justifier la tenue de leurs discours par d'autres éléments. Ça peut aussi... ça pourrait avoir l'effet inverse de ce que l'on souhaite.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Richelieu.

M. Rochon : M. le Président, je ne souhaite pas tant voir la ministre ébranlée par nos multiples requêtes à l'effet qu'elle assouplisse son projet de loi, qu'elle l'encadre mieux, qu'elle vise plus juste, que de la voir ébranlée par cette vaste... par cette panoplie d'opinions expertes sur le sujet. Il y a plein, plein de gens, d'experts, de groupes, de citoyennes et de citoyens qui sont venus dire ce qu'ils pensaient de ce projet de loi, et ce sont très, très, très majoritairement des gens qui s'y sont opposés. La ministre dispose certainement comme moi d'une revue de presse, elle pullule, cette revue de presse là, de commentaires très négatifs sur le p.l. n° 59, qu'on qualifie — puis je ne reprends pas ça pour être déplaisant à l'endroit de la ministre, là — de projet de loi liberticide. Moi, il me semble, à sa place, que ça me fatiguerait, là. Ça ne l'ébranle pas, M. le Président? Si nous étions les seuls à penser ce que nous pensons, je pourrais comprendre, là, qu'elle en fasse abstraction et qu'elle continue à aller de l'avant, mais nous ne faisons ici que reprendre les opinions exprimées par une vaste majorité des gens que la commission a entendus.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : M. le Président, dans un premier temps, les opinions contraires à la mienne ont toutes leur droit, ont toutes leur place, et là-dessus, M. le Président, certains ont une opinion du projet de loi. Mais je tiens à rappeler à mon collègue que, suite aux consultations, il y a eu une liasse d'amendements qui ont été déposés, preuve que nous avons été à l'écoute, preuve que nous avons été sensibles aux commentaires qui ont été formulés. Et je crois, M. le Président, avoir été... et faire un effort pour être à l'écoute aussi des commentaires formulés et des propositions formulées par mes collègues dans le cadre de l'étude article par article. Donc, voilà.

Et, honnêtement, M. le Président, nous sommes en politique, et la vie publique, c'est ça, c'est accepter que certaines personnes auront une opinion contraire à la nôtre et la manifesteront, parfois de façon plus cinglante. Mais soyez assurés que je connais...je suis animée par un désir profond de bien encadrer le discours haineux, de le faire à l'intérieur d'un cadre qui se justifie dans une société démocratique, le faire de façon... suivant les enseignements de la Cour suprême. Mon objectif n'est pas de limiter la liberté d'expression et de bâillonner le discours d'opinion, au contraire. M'émouvoir, répliquer à ceux et celles qui critiquent de façon très sévère ce que je fais, ce que je suis serait simplement leur donner raison. Je fais de la politique, j'accepte que mes opinions ne soient pas partagées par les autres. Ça fait partie du débat de société.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Richelieu.

M. Rochon : Bon, alors, M. le Président, à l'évidence, je ne vais pas convaincre la ministre qu'il faille sous-amender dans... oui, son amendement dans le sens que nous l'avons suggéré, tous, d'ailleurs, là. Parce que je constate d'ailleurs que les deux oppositions souscrivaient à cette idée qu'il faille ajouter au texte la notion de «tenu de manière répétée». Je crois comprendre que la ministre veut intervenir?

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Écoutez, c'est qu'on me donne des statistiques, puis c'est superintéressant, puis d'ailleurs je pense que ça revient... ça vient rejoindre certaines préoccupations qui ont été soulevées, là, au cours des derniers mois, pas seulement qu'au cours de la matinée, mais on est revenus sur la capacité de la commission des droits de la personne et de la jeunesse de traiter les plaintes. Petite statistique, puis je pense que c'est intéressant : la commission des droits de la personne et de la jeunesse, là, actuellement reçoit 15 000 appels par année, des dénonciations. 10 %, soit 1 590 demandes, deviennent des plaintes. De ces 1 590, on a 866 dossiers qui sont des dossiers ouverts, on a en 366 qui se règlent dans le contexte de médiation, et il y en a 27 qui, ultimement, se retrouvent devant le tribunal. Donc, c'est simplement pour vous indiquer que la Commission des droits de la personne joue son rôle de filtre pour éviter que ne se retrouvent devant les tribunaux des dossiers qui n'ont pas à s'y retrouver.

Et ce rôle de filtre est joué, donc, annuellement, on n'a en moyenne que 27 dossiers qui se retrouvent devant les tribunaux sur un total de 15 000 dossiers initialement qui ont été signifiés à la commission. Donc, il y a, à travers ça, puis on le mentionnait... On a fait référence aux demandes qui sont frivoles, qui sont vexatoires. Parmi ces statistiques-là, il y en a actuellement... Parce qu'il faut quand même comprendre que la commission des droits de la personne et de la jeunesse est actuellement en travail et saisie de dossiers, dossiers de discrimination des individus. Ce que l'on vise, c'est d'encadrer le discours haineux qui touche un groupe protégé en vertu de l'article 10.

Alors, je souhaitais simplement vous donner ça. Il y a quand même un travail qui se fait, et puis je ne voudrais pas que l'on discrédite le travail des gens à la commission des droits de la personne et de la jeunesse, parce qu'on a des équipes qui s'activent au quotidien, et qui sont très efficaces, et qui arrivent, par leurs interventions, à régler des dossiers qui sont parfois très délicats.

Le Président (M. Ouellette) : Sûrement que ces chiffres-là vont resservir au cours de nos débats, que ce soit sur l'article 1 ou d'autres articles. Mais, M. le député de Richelieu, pour votre dernière intervention sur le sous-amendement.

M. Rochon : Bien, une réflexion spontanée, M. le Président. Avec le projet de loi n° 59, la ministre faisait remarquer qu'actuellement la commission s'active beaucoup. Elle n'a pas fini de s'activer, là, hein? Parce qu'encore une fois je réfère aux gens qui sont venus nous donner leurs opinions sur ce projet de loi, ils estiment qu'on ouvrira, avec 59, tout un bureau des plaintes à la commission, avec les délais que cela supposera pour traiter ces plaintes-là.

Le Président (M. Ouellette) : Donc, on est prêts à voter sur le sous-amendement, M. le député de Richelieu. Et je pense qu'on y va par appel nominal. Mme la secrétaire.

La Secrétaire : M. Rochon (Richelieu)?

M. Rochon : Pour.

La Secrétaire : Mme Maltais (Taschereau)?

Mme Maltais : Pour.

La Secrétaire : Mme Roy (Montarville)?

Mme Roy (Montarville) : Pour.

La Secrétaire : Mme Vallée (Gatineau)?

Mme Vallée : Contre.

La Secrétaire : M. Boucher (Ungava)?

M. Boucher : Contre.

La Secrétaire : M. Hardy (Saint-François)?

M. Hardy : Contre.

La Secrétaire : M. Giguère (Saint-Maurice)?

M. Giguère : Contre.

La Secrétaire : M. St-Denis (Argenteuil)?

M. St-Denis : Contre.

La Secrétaire : M. Ouellette (Chomedey)?

Le Président (M. Ouellette) : Je m'abstiens.

La Secrétaire : C'est rejeté.

Le Président (M. Ouellette) : Donc, le sous-amendement de M. le député de Richelieu est rejeté. Je vous redonne la parole, M. le député de Richelieu?

• (11 heures) •

M. Rochon : Oui, M. le Président. Je vais y aller d'un nouveau sous-amendement. Je soumets de modifier l'alinéa introduit par le paragraphe 3 de l'amendement modifiant l'article 1 de la loi proposé par l'article 1 du projet de loi en remplaçant les mots «est susceptible d'exposer» par le mot «expose».

Le texte amendé se lirait ainsi, puis je vais le déposer, là : «Est un discours haineux, un discours visé au deuxième alinéa qui, de l'avis d'une personne raisonnable, est d'une virulence ou d'un extrême tel qu'il expose — plutôt qu'il "est susceptible d'exposer" — ce groupe au rejet, à la détestation ou au dénigrement notamment pour que ce groupe soit perçu comme étant illégitime, dangereux ou ignoble.» Je dépose le texte.

Le Président (M. Ouellette) : Je vais suspendre quelques minutes.

(Suspension de la séance à 11 h 1)

(Reprise à 11 h 12)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux sur l'introduction d'un sous-amendement de M. le député de Richelieu. On s'excuse un peu du délai, parce qu'on a regardé d'autres sous-amendements qui auraient pu être similaires, qui ont été déposés auparavant. Mais votre amendement est déclaré recevable, M. le député de Richelieu.

M. Rochon : Vous m'en voyez ravi, M. le Président. Alors, même esprit que celui qui a présidé au sous-amendement que nous avons jusqu'ici soumis à la commission, alors esprit d'encadrer...

Mme Maltais : Est-ce qu'on a une copie?

Le Président (M. Ouellette) : Oui, vous en avez une copie.

M. Rochon : Alors, esprit d'encadrer, de restreindre la portée du projet de loi, M. le Président, pour bien lutter contre l'intégrisme et l'islamisme radical et pas contre celles et ceux qui luttent contre ces dérives intégristes là.

Alors, je suggère donc de remplacer les mots «est susceptible d'exposer» par le mot «expose» : «Est un discours haineux, un discours visé au deuxième alinéa qui, de l'avis d'une personne raisonnable, est d'une virulence ou d'un extrême tel qu'il expose ce groupe au rejet», puis là toute la litanie, là : la détestation, dénigrement, etc.

Pourquoi? Pourquoi employer l'expression «qu'il est susceptible d'exposer», M. le Président, plutôt qu'écrire «qu'il expose»? Hein, pourquoi, «est un discours haineux, un discours visé au deuxième alinéa qui, de l'avis d'une personne raisonnable, est d'une virulence ou d'un extrême tel qu'il expose» plutôt que «qu'il est susceptible d'exposer ce groupe»?

J'ai encore une fois l'impression — et c'est une impression très désagréable — que la ministre veut ouvrir le plus gros bureau des plaintes possible à la commission des droits de la personne et de la jeunesse.

Alors, le plaignant ou la plaignante n'aurait pas à être exposé au rejet, à la détestation ou au dénigrement, elle n'aurait qu'été susceptible de l'être. M. le Président, là, il me semble qu'il faut arrêter ça. Il faut arrêter ça, et c'est ce que je vous soumets via ce sous-amendement.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Oui, M. le Président. Amendement que je trouve pertinent. Encore une fois, on a souligné plusieurs fois au cours de l'étude de l'amendement de la ministre la largesse avec laquelle elle distribue les possibilités de poursuivre pour discours haineux à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse contre un groupe discriminé.

Beaucoup des interventions que nous avons eues tentent de ramener, au départ, l'objectif du projet de loi à la lutte à la radicalisation, qui devait être l'objectif au départ. L'objectif de départ, c'est la lutte à la radicalisation. S'est inscrit à côté de cela ce concept de discours haineux contre tous les groupes discriminés.

Donc, j'ai lu tout à l'heure un texte de Pierre Trudel qui expliquait pourquoi dans un tel contexte il était délicat de... pourquoi il était délicat d'introduire ce projet de loi n° 59 : parce qu'on est dans un moment où il y a des gens qui tentent de faire taire les gens qui sont contre le discours religieux. Ils ont le droit d'être contre le discours religieux, ils ont le droit d'être contre la radicalisation, on doit lutter contre la radicalisation, mais on a le droit aussi d'avoir des opinions sur le discours religieux. Or, il y a eu beaucoup de menaces de poursuites. Je viens de lire Odile Jouanneau, qui est prête à sauter et qui dit : Je veux poursuivre Denise Bombardier pour un article dans LeJournal de Québec pour incitation à la violence. Elle se déclare volontaire à poursuivre. Elle se déclare volontaire à poursuivre.

Alors, on note à chaque fois qu'on le peut dans notre travail que les propositions du gouvernement sont d'une largesse incroyable envers les gens qui auraient le goût de poursuivre. Entre «tel qu'il est susceptible d'exposer ce groupe» et «tel qu'il expose à ce groupe», il y a un univers, il y a un monde. Est-ce que ce discours était susceptible d'exposer ou est-ce que ce discours exposait ce groupe? Bien, on vient de faire la différence entre une immense boîte de Pandore et un impact réel, véritable.

La ministre refuse systématiquement de parler d'intention. J'y reviendrai, parce qu'il y a, entre autres, un des pays qui a été cité jusqu'ici qui, lui, clairement, demande l'intention. Donc, il y a des pays, eux autres, ils ne sont pas gênés de dire : On demande l'intention. Puis ce n'est pas dans le Code civil, c'est dans la common law. Même dans la common law, il y a des pays qui disent : Il faut qu'il y ait une intention. Là, on est susceptible d'exposer, dans la proposition du gouvernement, susceptible d'exposer. «Susceptible d'exposer», c'est large. «Expose», c'est clair.

Je vais vous dire pourquoi ça me dérange tant, cette proposition gouvernementale — et je suis d'accord avec la proposition de mon collègue le député de Richelieu — en me raccordant aux propos de la ministre tout à l'heure. La ministre, tout à l'heure, nous a dit, nous a parlé de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, du nombre de dossiers qu'elle traitait, d'appels, de plaintes. Elle ne nous a pas parlé beaucoup des délais. Or, de quoi parlons-nous? Ce sont des délais. C'est quoi, l'impact d'un délai d'un an pour le traitement d'une plainte, par exemple? Bien, je suis allée voir, au Canada, la cause Diane Proulx.

Qui est Diane Proulx? Diane Proulx est cette madame — je vais l'appeler madame — cette vendeuse dans un Costco. Mme Proulx est vendeuse dans un Costco depuis des années. Elle, Mme Proulx, elle a un petit gag qu'elle fait à tout le monde. Puis elle ne fait pas de discrimination, elle le fait à tout le monde, le même gag. Quand le monde... Elle vend des manteaux, entre autres, dans le département des manteaux d'hiver. Mais, quand les gens lui disent : Eh! je trouve que ce manteau-là, il est cher, bien, sa petite farce, c'est : Bien, c'est ou bien un bon manteau ou bien un voyage de deux semaines dans le Sud. Pas méchant, hein? Ce n'est pas bien méchant. Elle fait ça à tout le monde, puis là les gens partent à rire. Mme Proulx s'est retrouvée devant la commission des droits de la personne du Canada. Elle a perdu son emploi pendant quatre mois pour son petit gag. Quatre mois. Ça a pris quatre mois de traitement à la commission des droits de la personne du Canada. Puis je ne vais pas sur les droits, là... Mais voici une question de délai. Ici, c'est un an. Ici, au Québec, Mme Proulx aurait perdu sa job pendant un an, pas de salaire.

Je vais lire le courriel de Mme Proulx. Sur sa page Facebook, elle raconte la fin : «Bonjour à tous. Plainte d'une musulmane au Costco Marché central en octobre dernier. Presque quatre mois plus tard, la saga est terminée, et je peux tourner la page. J'ai dû attendre et respecter les délais imposés par la Commission canadienne des droits de la personne, mais je n'ai jamais baissé les bras — bravo, Mme Proulx! Aux milliers de personnes qui ont pris le temps de visionner et [de] lire les articles dans les différents médias, aux autres milliers qui ont signé la pétition pour ma réintégration dans les Costco — parce qu'elle avait perdu son emploi — je dis un gros merci... et surtout : C'est fait. [...]Temps maintenant de passer à autre chose et d'oublier ces moments d'angoisse vécus ces derniers mois dont j'aurais pu me passer.»

• (11 h 20) •

Je vous ai parlé tout à l'heure d'un contexte que Pierre Trudel définit en disant : Écoutez, la poursuite, là, contre propos islamophobes, elle est facile et elle est actuellement demandée. Et j'ajouterais que Jacques Frémont, le président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, disait qu'il voulait une loi pour contrer le discours islamophobe.

Alors, que s'est-il passé? C'est une dame, Mme Asma al-Shawarghi, qui affirme avoir été insultée par Mme Proulx qui lui aurait dit de retourner dans son pays. Ce n'est pas vrai. Elle lui a dit, et ça a été prouvé, elle lui a dit : Vous vous achetez un manteau d'hiver, ou vous prenez un voyage deux semaines dans le Sud, ou vous vivez dans le Sud. Le même gag qu'elle faisait à tout le monde. La dame, là, elle a été accusée devant la Commission des droits de la personne, et l'autre, la personne qui la poursuivait, demandait des dommages moraux et punitifs, déposait une plainte. Le mari de la dame était vice-président du Forum musulman canadien : Forum musulman canadien. Ce n'est pas... D'après certains — je fais toujours attention — d'après certains, c'est un lobby étroitement lié à la confrérie islamiste des Frères musulmans. C'est dit couramment à plein d'endroits. Je ne le sais pas, mais c'est dit couramment.

Mais pourquoi tout à coup entrer dans un tel débat, au Québec, sur le discours haineux? Qu'est-ce qui nous amène à croire qu'on va régler les problèmes de radicalisation au Québec en permettant aux gens qu'un discours, même prononcé une seule fois, hein, on s'entend, parce que tantôt ça a été refusé, «tenu de façon répétée», qu'un discours qui n'a été prononcé qu'une seule fois pourrait se retrouver devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui a des délais d'un an, et qu'une personne pourrait perdre un emploi pendant un an, la personne pourrait être ostracisée pendant un an parce qu'elle a un discours susceptible d'exposer un groupe? Au moins qu'on nous dise : Parce que c'est un discours qui expose un groupe. On n'est pas seulement dans la sémantique, là, on est dans les résultats de personnes qui vivent, je vais répéter, là, des moments, des mois d'angoisse, d'angoisse.

Et, quand mon collègue de Richelieu dit : Pourquoi on ouvre un grand bureau des plaintes comme ça?, bien, M. le Président, je pense qu'il pose la bonne question. Pourquoi est-ce que la lutte à la radicalisation nécessite une telle loi? C'est la question fondamentale. Pourquoi ils considèrent qu'un propos qui est susceptible d'exposer ce groupe au rejet, au dénigrement, à la détestation devrait se retrouver devant la commission des droits de la personne et de la jeunesse — «susceptible d'exposer» au lieu d'«expose» — alors qu'on a déjà un Code criminel qui permet de poursuivre si véritablement on sent qu'il y a des propos haineux ou incitant à la haine ou à la violence? Il y a déjà le Code criminel. Pourquoi, au Québec, on tient à se doter d'une loi liberticide? Je vais prononcer le mot, M. le Président, parce que je le crois profondément, parce que c'est ce qui est dénoncé. Pourquoi on parle de lutte à la radicalisation puis on se permet d'ajouter une loi et un bureau des plaintes nouveaux?

Alors, M. le Président, moi, je veux savoir... En fait, tout ça, c'est un commentaire, mais maintenant la question, c'est : Quelle peut être la difficulté d'accepter «expose» au lieu de «susceptible d'exposer»? On essaie de donner le moins de libre cours à l'interprétation de la commission des droits de la personne et de la jeunesse, qui a déjà été... qui est sous la mire de tous les défenseurs de la liberté d'expression à l'heure actuelle. Soyons clairs, elle est sous la mire des défenseurs de la liberté d'expression à cause des propos de son président, à cause des propos qui ont été énoncés dans le passé, à cause des intentions exprimées avant ce projet de loi là. Moi, je demande : Pourquoi la suggestion de mon collègue ne serait pas bonne? Alors, j'aimerais ça entendre la ministre là-dessus, parce que c'est une suggestion très pertinente.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci, M. le Président. Alors, justement, on vérifiait certains... Je comprends que ma collègue m'interpelle, parce qu'elle nous voit nous activer de l'autre côté.

La question, c'est une question de preuve, d'administration de la preuve. Lorsqu'on utilise le terme «susceptible d'exposer», évidemment la preuve à administrer, elle est différente, elle est moins lourde. Lorsque l'on parle «d'exposer», donc il y a vraiment un caractère très objectif, très clair. Lorsqu'il est question des groupes, c'est certain que l'administration de la preuve peut être un petit peu plus lourde lorsqu'on utilise le terme «exposer».

Ceci étant dit, évidemment, l'utilisation du terme «susceptible d'exposer» nous vient des arrêts de Taylor, des arrêts Whatcott. Alors, encore une fois, là, je veux simplement vous indiquer que notre source est celle de la décision de la Cour suprême. Ceci étant dit et selon les avis... Outre la question de la preuve, de l'administration de la preuve, il n'y a pas d'enjeu d'illégalité.

Donc, moi, M. le Président, je ne sais pas ce qu'en pense mon collègue de la deuxième opposition, mais, à ce stade-ci, parce qu'il y a des éléments sur lesquels j'ai fait part de mes préoccupations... J'ai fait part de certains enjeux qui pourraient être soulevés, mais, dans ce contexte-ci, si pour tous ceux et celles qui sont ici, c'est plus clair d'utiliser le terme «exposer», sachons, soyons conscients que l'administration de la preuve va nécessiter une démonstration plus claire, que ça va amener une preuve plus directe. Par contre, et c'est ce que je posais comme question, est-ce qu'en utilisant cette proposition de notre collègue on ne vient pas justement contrer certaines préoccupations que vous avez soulevées quant à des dénonciations frivoles?

Je comprends que l'une des grandes craintes que nos collègues de l'opposition ont, c'est que les dispositions soient utilisées par des tiers contre des discours d'opinion pour tenter, d'une certaine façon, de mettre un terme ou de bâillonner le discours d'opinion dans la sphère publique, ce qui n'est pas le cas.

Donc, est-ce que, par l'utilisation du terme plus précis «exposer», on n'aide pas à venir mieux baliser cette question? Moi, je vous le dis d'entrée de jeu, puis je pense que j'ai démontré une ouverture, je ne suis pas contre. Je pense que ça mérite une réflexion sérieuse.

Alors, peut-être... Je me tourne vers mon collègue de la deuxième opposition, puis, si autour de cette table on s'entend, bien, on aura fait un petit pas vers l'avant.

Le Président (M. Ouellette) : Avant d'aller au député de Borduas, je ne sais pas si vous avez un commentaire, M. le député de Richelieu, étant donné que vous êtes l'auteur de cette proposition?

M. Rochon : Non. J'ai bien entendu les remarques de la ministre et j'ai, comme elle, hâte d'entendre celles de la deuxième opposition sur le sous-amendement que nous avons soumis à la commission.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Borduas, vous savez que... C'est ça. C'est à vous.

M. Jolin-Barrette : Je sens que j'ai un public, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : Oui, vous avez définitivement un public, M. le député de Borduas. Sur les remarques que la ministre vient de faire, sur le sous-amendement du député de Richelieu, si vous avez des commentaires...

M. Jolin-Barrette : Oui. Bien, M. le Président, on est ouverts à appuyer l'amendement du député de Richelieu.

Le Président (M. Ouellette) : Donc, Mme la ministre, dans le libellé et dans les discussions que vous avez eues avec vos légistes, le sous-amendement de M. le député de Richelieu serait tel quel. Mme la députée de Taschereau, le temps que les légistes s'assurent de la conformité de la rédaction de. Mme la députée de Taschereau.

• (11 h 30) •

Mme Maltais : M. le Président, je pense que la rédaction est assez simple. C'est vraiment changer... enlever le mot «susceptible», et donc «est susceptible», puis mettre le bon temps de verbe. Le mot «exposer» est toujours là. Je suis contente des propos de la ministre. Puis je pense qu'on est... elle a bien compris notre intention, elle l'a bien exprimée. Ce sont les dérives potentielles du projet de loi qui nous dérangent. Il y a plus que ça qui nous dérange, mais, cette dérive-là, on cherche... on tente de la baliser depuis longtemps. C'est une des choses dont on va parler aussi un peu plus tard.

Puis, c'est bon de l'aborder tout de suite, c'est toute l'idée de la prépondérance de la preuve versus la preuve hors de tout doute raisonnable. Je sais qu'on est en civil, mais, M. le Président, on décide de se donner... on décide de se donner quelque chose, de se doter d'une loi et d'un bureau des plaintes, qui n'existait pas avant, alors c'est sûr qu'on est dans un nouveau domaine, un domaine nouveau, c'est notre travail de bien le faire. D'autre part, on sait qu'on est en civil, mais nous, on considère que, comme il y a des pénalités au citoyen, on est dans le pénal aussi. Je vais vous... Ça s'en va dans le fonds du gouvernement, le Fonds d'aide aux victimes d'actes criminels, je pense?

Une voix : ...

Mme Maltais : Accès Justice, le Fonds Accès Justice. Donc, on est dans le pénal, pour nous. Donc, cette idée de se doter de la preuve la plus solide possible, et aussi dans l'esprit d'aider les citoyens et citoyennes qui peuvent être poursuivis.

Je rappelle que la mécanique qu'on met en place, c'est un nouveau bureau des plaintes, une formule que... je ne suis pas... c'est la formule de mon collègue de Richelieu, là, «nouveau bureau des plaintes», qui amène à... qui s'embarque dans un processus où il y a déjà un délai de traitement d'un an. La plainte pourrait être qualifiée de frivole dès le départ, mais, encore là, je rappelle que la plainte contre Mme Proulx, ce n'est pas pour rien que je l'ai citée tout à l'heure, a quand même été traitée par la commission des droits de la personne du Canada. Moi, je n'en reviens pas, là, mais cette dame-là a perdu son emploi pendant quatre ans. Alors, toute la question de la preuve...

Des voix : Quatre mois.

Mme Maltais : Quatre mois, pardon. Excusez-moi.

M. Rochon : Qui lui ont paru quatre ans, sans doute.

Mme Maltais : Qui lui ont paru quatre ans. Merci. Merci, collègue. On voit que vous suivez nos propos. C'est bon! Je devrais... je n'essaierai pas de vous faire accroire que c'était un test pour voir si vous suiviez.

Mais il y a vraiment une mécanique difficile. Alors, au lieu d'être «exposer», moi, je... On avait l'intuition que c'était plus solide, plus fort. La ministre nous dit : O.K., puis ça va nous donner de la... ça va demander de la preuve plus solide. Je trouve ça intéressant.

Ceci dit, on est encore devant le problème de la preuve et de l'intention. S'il faut qu'il expose... En fait, je vais revenir, on nous a toujours un peu refusé l'idée de mettre l'intention. On va y revenir parce que, dans les lois, comme par exemple ce qu'on nous a amené, là, par exemple l'Afrique du Sud, l'intention, il faut qu'elle soit claire. Donc, il y a certains des exemples qui sont donnés par la ministre qui ne sont pas tout à fait des bons exemples dans ce qu'on est en train de débattre. On va revenir, O.K.? Eux autres, c'est clair : «Demonstrate a clear intention». On y reviendra. Mais la preuve, qu'elle soit solide, c'est après. Est-ce qu'on va traiter la plainte? Moi, la question que je me pose, c'est : «Un discours haineux est d'un extrême tel qu'il expose ce groupe à la marginalisation ou [au regret]...

Une voix : Au rejet.

Mme Maltais : ...au rejet», ça va donc être traité par la commission des droits de la personne et de la jeunesse comme étant un critère pour la frivolité aussi, pas seulement pour la plainte une fois acceptée, mais pour la frivolité. C'est vraiment... C'est une vraie...

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Lorsque la Commission des droits de la personne est saisie d'une demande, elle va, d'une part, toujours analyser la demande à la lumière de la définition que nous aurons, dans un premier temps, va aussi analyser la demande en fonction du contexte, en fonction de ce qui est reproché, mais notre article 1 va servir à cette analyse. Donc, évidemment, moi, je vous dis, la proposition de sous-amendement du collègue, il amène une preuve qui sera un petit peu plus étoffée, va nécessiter une preuve plus étoffée, mais ne vient pas dénaturer l'objectif visé par l'article 1. Puis j'ai compris que c'était ce qui était souhaité autour de cette table. Si on souhaite aller dans ce sens, bien, je vous dis, je suis quand même... Je vous ai toujours dit que j'analysais les propositions qui étaient faites, et ça me convient. Je ne ferai pas un débat pour dire : Non, non, non, il n'est pas question, puis je n'accepterai aucune proposition qui vient de l'autre côté de cette table. Ce n'est pas du tout la façon dont je suis habituée de travailler puis ce n'est pas du tout la façon dont j'entends travailler ce projet de loi là.

Mme Maltais : Ça va, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Ça va.

Le Président (M. Ouellette) : Donc, on est prêts à passer au vote sur le sous-amendement de M. le député de Richelieu. Est-ce que le sous-amendement de M. le député de Richelieu est adopté?

Des voix : Adopté.

Le Président (M. Ouellette) : Adopté. M. le député de Richelieu, je vous revois encore... On va revenir à l'étude... On va revenir, Mme la ministre, avec votre amendement à l'article 1.

Mme Vallée : Je n'ai pas d'autre commentaire. Je pense qu'on est prêts à... Je pense qu'on est prêts à voter?

Mme Maltais : M. le Président?

Le Président (M. Ouellette) : Ne bougez pas. Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Je n'ai malheureusement plus de temps pour commenter.

Le Président (M. Ouellette) : Non, vous n'avez plus de temps pour commenter. Puis je pense que M. le député de Richelieu...

Une voix : ...appeler l'article 1.

Le Président (M. Ouellette) : Pas l'article 1, l'amendement à l'article 1, l'amendement de la ministre. Est-ce qu'il y a d'autres commentaires? Je sais que vous...

Des voix : ...

Le Président (M. Ouellette) : Je sens beaucoup que... nous brûlons de... en ce début de semaine. Mme la ministre.

Mme Vallée : Sur l'amendement, je n'ai pas d'autre...

Le Président (M. Ouellette) : Sur votre amendement, oui.

Mme Vallée : Je n'ai pas d'autre commentaire, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : Vous n'avez pas d'autre commentaire. Est-ce que M. le deputé de Richelieu a d'autres commentaires? M. le député de Borduas?

M. Jolin-Barrette : Non, je n'ai pas de commentaire, M. le Président. Simplement, est-ce qu'on pourrait avoir copie de l'amendement sous-amendé avec tous les sous-amendements, pour pouvoir voter sur l'amendement? Tel que lu, actuellement, là.

Mme Maltais : ...

Le Président (M. Ouellette) : Bon, on va juste suspendre deux petites secondes... deux petites minutes puis on va s'ajuster en fonction de. On est suspendus quelques minutes.

(Suspension de la séance à 11 h 38)

(Reprise à 11 h 47)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux et, pour le bénéfice des gens qui nous écoutent, nous avons effectivement récupéré les sous-amendements à l'amendement de la ministre à l'article 1, qui ont été déposés, qui ont été... certains qui ont été adoptés, et je demanderais à Mme la ministre de nous relire son amendement à l'article 1, tel qu'il est libellé maintenant, avec tous les sous-amendements qui ont été...

Mme Vallée : Est-ce que vous souhaitez que je lise l'amendement ou le texte tel qu'amendé? Parce que...

Mme Maltais : Le texte tel qu'amendé...

Mme Vallée : Le texte tel qu'amendé.

Mme Maltais : ...sachant qu'on vote l'amendement.

Mme Vallée : D'accord.

Le Président (M. Ouellette) : C'est ça.

Mme Vallée : Le texte, tel qu'amendé, là, et suite à nos travaux et à nos échanges, se lirait comme suit :

«La présente loi a pour objet d'établir des mesures de prévention et de lutte contre les discours haineux s'exprimant dans un contexte de discrimination, y compris dans un contexte d'endoctrinement ou de radicalisation pouvant mener à l'extrémisme violent. Elle établit également de telles mesures contre les discours incitant à la violence.

«Elle s'applique aux discours haineux et aux discours incitant à la violence tenus ou diffusés publiquement, peu importe les préceptes sur lesquels ils s'appuient, qu'ils soient religieux ou autres, et qui visent un groupe de personnes qui présentent une caractéristique commune identifiée comme un motif de discrimination interdit à l'article 10 de la Charte des droits [de la liberté] de la personne.

«Est un discours haineux, un discours visé au deuxième alinéa qui, de l'avis d'une personne raisonnable, est d'une virulence ou d'un extrême tel qu'il expose ce groupe au rejet, à la détestation ou au dénigrement notamment pour que ce groupe soit perçu comme étant illégitime, dangereux ou ignoble.»

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Richelieu, est-ce que vous avez des commentaires? M. le député de Borduas, pas de commentaire. Est-ce que l'amendement... Oui. Est-ce que l'amendement amendé à l'article 1 de l'article 1 du projet de loi est adopté?

Mme Maltais : M. le Président, vote par appel nominal, s'il vous plaît.

Le Président (M. Ouellette) : Vous m'avez enlevé les mots de la bouche, Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Ah! c'est mon devoir de parfois vous devancer.

Le Président (M. Ouellette) : Oui.

La Secrétaire : Madame...

Le Président (M. Ouellette) : Oui.

La Secrétaire : Mme Vallée (Gatineau)?

Mme Vallée : Pour.

La Secrétaire : M. Boucher (Ungava)?

M. Boucher : Pour.

La Secrétaire : M. Hardy (Saint-François)?

M. Hardy : Pour.

La Secrétaire : M. Giguère (Saint-Maurice)?

M. Giguère : Pour.

La Secrétaire : M. St-Denis (Argenteuil)?

M. St-Denis : Pour.

La Secrétaire : M. Merlini (La Prairie)?

M. Merlini : Pour.

La Secrétaire : Mme Maltais (Taschereau)?

Mme Maltais : Contre.

La Secrétaire : M. Rochon (Richelieu)?

M. Rochon : Contre.

La Secrétaire : M. Jolin-Barrette (Borduas)?

M. Jolin-Barrette : Contre.

La Secrétaire : M. Ouellette (Chomedey)?

Le Président (M. Ouellette) : Je vais m'abstenir.

• (11 h 50) •

La Secrétaire : C'est adopté.

Le Président (M. Ouellette) : Donc, l'amendement amendé à l'article 1 de l'article 1 du projet de loi est adopté.

Nous continuons donc notre discussion sur l'article 1. Et, à l'article 1, Mme la députée de Taschereau, il vous reste du temps.

Mme Maltais : Oui, je sais. Je ne sais pas si la ministre voulait introduire des commentaires avant, simplement par... j'irai jusqu'à... par déférence, vu qu'on a quand même eu quelques débats sur cet article amendé...

Le Président (M. Ouellette) : Oui. Oui. Mme la ministre.

Mme Vallée : Honnêtement, M. le Président, je pense qu'on a élaboré longuement sur l'article 1, d'une part, d'entrée de jeu, lorsqu'on a débuté nos travaux, mais aussi on l'a abordé lors des différents amendements, sous-amendements. M. le Président, je pense...

Bon, je comprends que, par principe, les collègues ont inscrit un vote à l'encontre de l'amendement qui était proposé, mais je pense qu'il est encore important de mentionner que le texte qui est proposé a fait l'objet de discussions et qu'il incorpore aussi... il a su incorporer des commentaires qui ont été formulés tant par l'opposition que par la deuxième opposition. Alors, je crois que c'est important de le mentionner, nous, on souhaite aller de l'avant puis on souhaite pouvoir avancer dans ce projet de loi là, tout en étant à l'écoute des commentaires qui nous sont formulés et tout en incorporant, dans la mesure du possible, les suggestions qui sont proposées et qui ne vont pas à l'encontre de la jurisprudence et du droit. Alors, voilà. Je vous remercie.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Alors, je sais qu'il y a quelques suggestions qui ont été adoptées. Même si, sur le fond, on ne s'entend pas, effectivement on a quand même essayé de tenter de baliser cet amendement, qui était quand même un amendement majeur, là. Ce n'était pas un petit amendement, ce n'était pas une simple coquille, c'était véritablement... c'était l'introduction de la définition de discours haineux. Et là-dessus on ne s'entend pas vraiment.

Puisqu'on est rendus à l'article... M. le Président, on sait que cet article établit les mesures et dit à qui ça s'applique. Alors, là-dessus, je vais avoir un amendement, que je vais expliquer tout de suite, M. le Président. Je vais le... rapidement, puis le déposer. C'est que cette loi touche aux jeunes, aux gens de 18 ans et moins... aux moins de 18 ans, et là-dessus nous ne sommes pas en accord. Nous croyons que nous avons une direction de la protection de la jeunesse qui est fort efficace.

Alors, je déposerais un amendement, M. le Président, qui est celui-ci : Modifier le deuxième alinéa de l'article 1 de la loi proposée par l'article 1 du projet de loi en ajoutant, après les mots «diffusés publiquement», les mots «par une personne de 18 ans ou plus».

Le Président (M. Ouellette) : Je suspends quelques minutes.

(Suspension de la séance à 11 h 53)

(Reprise à 11 h 57)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Et nous en sommes à l'étude de l'article 1 du projet de loi n° 59, et Mme la députée de Taschereau vient de déposer un amendement, et elle nous en a fait la lecture. Il est recevable. Mme la députée de Taschereau, pour vos commentaires.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Alors, j'en réfère au mémoire des directeurs de protection de la jeunesse qui sont venus en commission parlementaire le 14 septembre 2015. Évidemment, comme DPJ, ils prennent, au départ... ils acceptent le fait que le projet de loi n° 59 soit déposé — et fort probablement adopté, puisque nous sommes devant un gouvernement majoritaire. Maintenant, ce n'est pas la posture de l'opposition officielle. Alors, on a pris le contenu de ce que... quel est le message général que nous envoient les DPJ par rapport à cette loi et quelle serait ensuite la meilleure attitude à prendre.

En page 7 de ce mémoire, on parle, entre autres, des protections procédurales, et on dit ceci : «Force est de constater que ce projet de loi de nature civile, dont les auditions se dérouleraient devant un tribunal administratif, comportera de lourdes conséquences pour les personnes mineures qui seraient visées par une enquête et une décision du Tribunal des droits de la personne. Dans un esprit de cohérence législative, ce projet de loi doit s'intégrer harmonieusement avec les autres lois, particulièrement celles s'appliquant aux enfants, et maintenir les protections procédurales qui leur sont octroyées en vertu de ces lois.»

Évidemment, là, il y a plein de protections procédurales qui sont connues comme étant normalement affectées aux mineurs : la primarité de l'autorité parentale, la responsabilisation du jeune, la non-publication du nom, l'anonymisation des jugements, la comparution à huis clos. Voilà! Alors, il y a là-dedans beaucoup, beaucoup, beaucoup d'exceptions qu'on est obligés de faire à la loi n° 59 parce que la loi n° 59 vise les mineurs.

• (12 heures) •

Remettons-nous dans la tête l'objectif de la loi. L'objectif de la loi, c'est la lutte à la radicalisation. Je comprends qu'on a élargi, mais, quand même, revenons simplement dans la lutte à la radicalisation, c'est supposé être le coeur de cette loi-là, c'est supposé être le centre. Mais qu'arrive-t-il si un jeune mineur se fait radicaliser? Savez-vous ce qui se passe actuellement? On appelle non pas à faire des plaintes contre le jeune, on appelle à appeler le centre d'aide... de prévention contre la radicalisation, on appelle la DPJ, on appelle la police. Les parents appellent les policiers en disant : Venez nous aider! Tout ce système-là se met en branle. Il y a tout un système de protection de nos jeunes qui se met en branle. Si le jeune est radicalisé au point qu'il veuille aller se battre en Syrie, et tout ça, et qu'il tienne, donc, des propos haineux... même s'il tient des propos haineux, là on est rendus... ce n'est pas compliqué, on l'attrape à l'aéroport pour sa propre protection. Donc, on n'est pas dans un processus de plainte contre des jeunes, normalement on doit protéger les jeunes. Alors, je ne comprends pas pourquoi cette loi-là vient tout à coup s'attaquer aux jeunes. Je ne pense pas que ce soit nécessaire puis je ne pense pas que ce soit la meilleure chose qu'on puisse faire.

Alors, M. le Président, je... Oui, M. le Président?

Le Président (M. Ouellette) : J'étais pour vous dire que, compte tenu de l'heure, Mme la députée de Taschereau, la commission doit ajourner ses travaux. Et je pense que votre début d'explication campe le débat.

(Suspension de la séance à 12 h 1)

(Reprise à 15 h 52)

Le Président (M. Ouellette) : À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission des institutions reprend ses travaux. Veuillez, s'il vous plaît, vous assurer que vos appareils électroniques sont en mode silencieux afin de ne pas perturber nos travaux.

Je vous rappelle que la commission est réunie afin de poursuivre l'étude détaillée du projet de loi n° 59, Loi édictant la Loi concernant la prévention et la lutte contre les discours haineux et les discours incitant à la violence et apportant diverses modifications législatives pour renforcer la protection des personnes.

Lors de la suspension de nos travaux à la salle La Fontaine, nous avions commencé l'étude d'un amendement présenté par Mme la députée de Taschereau à l'article 1 édicté par l'article 1 du projet de loi. Vous nous aviez mis en bouche, Mme la députée de Taschereau, en nous expliquant quel était le fondement de l'ajout à l'amendement à l'article 1. Donc, à vous la parole, Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Oui, M. le Président. Je vais expliquer de façon un peu plus approfondie. Écoutez, on le sait, dans ce projet de loi, il y a deux parties, il y a une partie sur les discours haineux et une partie qui traite d'autres sujets : mariage forcé, protection, sécurité morale des jeunes — qui va être changé un peu, là, dans l'appellation — la sécurité des jeunes, et tout ça. Nous avons bien placé cette idée de sortir l'application de la loi aux jeunes de 18 ans dans la première partie pour être sûrs de ne pas toucher à la deuxième partie, où véritablement, là, il y aura un autre type de débat, où, à certains endroits, il peut y avoir intérêt à modifier la loi amendement par amendement, article par article, parce que c'est ce que nous recommandait la direction de la protection de la jeunesse.

Maintenant, il est clair que, quand il s'agit de discours haineux, surtout dans un... Quand on sait que l'objectif initial de la loi est une lutte à la radicalisation, je pense qu'il serait beaucoup plus sage, beaucoup plus sage d'éviter l'application de cette loi aux 18 ans et plus...

Une voix : Et moins.

Mme Maltais : ...beaucoup plus sage tout simplement de les sortir, vraiment la limiter aux 18 ans et plus, la limiter aux 18 ans et plus.

On sait que, par rapport aux jeunes, on a décidé, au Québec, d'avoir un type d'action quand il s'agit de lutte contre les gestes, les actes criminels ou quand il s'agit de l'attitude avec laquelle... de la façon dont les jeunes se comportent, on a décidé d'agir soit par prévention, vraiment par prévention, soit dans un objectif de réhabilitation. Alors, à notre avis, cette partie de la loi ne permet pas de traiter les jeunes de cette façon-là, elle les inclut dans un processus où ils ne devraient pas être inclus. Ils sont déjà couverts et en prévention, et en réintégration, et en, parfois, réhabilitation par d'autres processus. Alors, véritablement, M. le Président, on ne voit pas l'intérêt d'inclure les jeunes en bas de 18 ans dans cette partie de la loi. J'aimerais ça savoir comment la ministre accueille cette suggestion.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : M. le Président, il y a eu, effectivement, comme le mentionnait la collègue, certains commentaires qui ont été formulés lors des consultations. Les centres jeunesse nous ont... la DPJ, pardon, nous a demandé... ou a porté à notre attention, dans le cadre de son mémoire, l'importance d'appliquer une protection procédurale au mineur.

Effectivement, lorsqu'on regarde le mémoire de la DPJ, on nous indique : «Dans un esprit de...»

Une voix : ...

Mme Vallée : Je suis à la page 7, l'avant-dernier paragraphe :

«Dans un esprit de cohérence législative, ce projet de loi doit s'intégrer harmonieusement avec les autres lois, particulièrement celles s'appliquant aux enfants, et maintenir les protections procédurales qui leur sont octroyées en vertu de ces lois.»

Et donc : «Dans les situations où ces deux lois ne s'appliqueraient pas, nous croyons que l'intervention de la CDPDJ pourrait s'appliquer aux mineurs en préconisant une intervention non judiciaire axée sur l'éducation et la médiation dans le respect des principes reconnus [et] guidant l'intervention auprès des mineurs.»

Et également, en commission parlementaire le 23 septembre dernier, on a M. Jasmin Roy qui nous disait qu'il y avait quand même un certain nombre de mineurs... d'agresseurs, dans les écoles, qui ont des comportements de délinquance, de violence. Et donc il faudrait être capable de rejoindre ces jeunes-là, mais évidemment dans le contexte qui leur est propre.

Et donc c'est dans ce contexte-là que nous avons apporté... nous avons déposé une modification à l'article 10. Alors, un jour, on y viendra. Et, à l'article 10, on va... Puis je vais vous lire le texte tel qu'amendé, puis, dans le fond, ça vient un peu rejoindre, d'une certaine façon, les préoccupations.

C'est : «La commission peut mettre fin à son enquête lorsqu'elle estime qu'il est inutile de poursuivre la recherche d'éléments de preuve ou lorsque la preuve qu'elle a pu recueillir est insuffisante ou lorsqu'elle est d'avis que la personne faisant l'objet de l'enquête doit être dirigée vers une ressource plus appropriée à sa situation notamment au Curateur public, au directeur de la protection de la jeunesse ou au directeur de l'établissement d'enseignement qu'elle fréquente. Dans ces derniers cas, la commission s'assure que la personne est prise en charge par cette ressource.»

Pourquoi? Parce que, M. le Président, un enfant de moins de 18 ans qui tiendrait des propos haineux pourrait être un enfant qui crie à l'aide, pourrait être un enfant dont des problèmes... qui vit, donc, pour toutes sortes de raisons, des problèmes importants. Et il est important de ne pas laisser cet enfant-là à lui-même et de pouvoir rapidement le prendre en charge. Donc, c'est pour ça, c'est dans cet esprit-là que, plutôt que de dire : Le texte ne s'applique pas, le texte s'appliquerait, mais avec les adaptations.

Puis il est vrai qu'on a des ressources, dans les centres jeunesse, qui pourront prendre en charge l'enfant, s'assurer... Est-ce que la problématique vient d'un problème de santé mentale? Auquel cas, est-ce qu'on peut rapidement y voir? Est-ce que la problématique est due à un contexte particulier que vit l'enfant dans sa famille? Est-ce que la problématique est créée par d'autres circonstances? Et donc, en permettant, par le biais de l'article 10, de diriger vers l'instance appropriée lorsqu'il s'agit d'un jeune, je crois qu'on va être en mesure d'éviter, oui, de judiciariser des dossiers des jeunes.

Puis, honnêtement, encore une fois, les commissions parlementaires nous ont amené cet élément-là. Puis on dit : Oui, il y a peut-être... on doit faire le lien avec les centres jeunesse. Parce qu'un enfant qui tient des propos qui sont... et qui correspondent à la définition de discours haineux, c'est problématique. Parfois, ça pourrait peut-être s'inscrire dans un contexte de crise d'adolescence. Mais, encore là, le jeune a certainement besoin d'encadrement, certainement besoin d'une intervention adaptée. Et l'objectif n'est pas de pointer du doigt le jeune, de le stigmatiser davantage, mais, bien au contraire, de l'aider. Alors, c'est l'approche qu'on a préconisée dans le dossier.

• (16 heures) •

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : J'avais bel et bien vu l'amendement à l'article 10, M. le Président. Mais je pense que notre position, honnêtement, assurerait une meilleure protection aux jeunes. Parce que le défaut de l'amendement qui est apporté par la ministre à l'article 10 est qu'il conserve la possibilité de poursuivre des jeunes de moins de 18 ans via la loi n° 59, via le processus des plaintes à la CDPDJ. Alors, ou bien on dit : On ne veut pas que les jeunes soient sous l'égide de la loi n° 59 — et, à ce moment-là, c'est notre proposition — ou bien on dit : Oui, ils peuvent être sous l'égide de la loi n° 59, puis l'amendement donne une possibilité d'envoyer ailleurs, mais ce n'est pas un automatisme.

Moi, je pense que, si des jeunes ont des propos haineux, on devrait normalement les repérer avant et non pas obliger des gens à faire des plaintes. C'est ça, le problème. C'est qu'on est dans un processus de plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Et je rappelle — puis on a toujours ça derrière la tête, nous autres, quand on discute — qu'il y a un an avant qu'une plainte soit traitée, puis on n'a même pas encore commencé l'enquête. Il est là, le problème : un an. Alors, ce n'est pas une intervention rapide, ça, là, ce n'est pas une intervention rapide. Surtout si la plainte n'est pas frivole.

Alors, moi, je ne comprends pas, puis ça, c'est... vraiment, là, je ne comprends pas qu'on veuille mettre les mineurs, les personnes mineures sous la coupe de cette loi, véritablement pas. Je n'en vois pas la plus-value au niveau de la société. Je ne pense pas que ça soit une bonne idée que de faire faire le trajet : plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, ensuite jugement de la Commission des droits de la personne sur la frivolité, et, ensuite de ça, va-t-il ou non être traité par la CDPDJ ou être traité ailleurs? Moi, je pense qu'on est mieux de les exclure de ça et puis que... Ailleurs, il y a les commissions scolaires, les écoles, les collèges qui ont des moyens d'intervenir, la DPJ a des moyens d'intervenir. La CDPDJ peut intervenir si ça attaque une personne. Et il y a même la police. Quand il s'agit de la radicalisation, elle est intervenue.

Alors, je ne vois pas l'utilité de cet outil supplémentaire, sauf pour les désagréments qu'il peut apporter, très honnêtement.

Le Président (M. Ouellette) : Vous avez d'autres commentaires, Mme la ministre?

Mme Vallée : Bien, en fait, M. le Président, je pense qu'on a été à l'écoute des recommandations des DPJ puis je pense qu'il est important aussi de se rappeler qu'en vertu de notre Code civil un jeune peut quand même être poursuivi, peut quand même... la responsabilité d'un jeune peut quand même être engagée. Donc, le Code civil s'applique, les principes de responsabilité s'appliquent aux adultes comme aux enfants. Et je ne crois pas qu'il soit opportun d'exclure les jeunes du dossier. Au contraire, je crois que le chemin qui est présenté par... les amendements que nous aborderons à l'article 10 sont importants.

Et puis la référence que la CDPDJ fera, que la commission des droits de la personne et de la jeunesse fera, elle sera faite... elle peut être faite au DPJ. Puis, comme je le mentionnais tout à l'heure, ça peut aussi être dans le milieu scolaire. Donc, peut-être que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse considérera que, dans le contexte des propos, il est plus opportun de s'en remettre et de se tourner vers le milieu scolaire et de mettre en place un plan d'intervention pour l'enfant.

Je pense qu'un enfant, et je l'ai mentionné, un enfant qui a des troubles de comportement sérieux... D'ailleurs, c'est un motif d'intervention par les DPJ en vertu de l'article 38f. Puis, un enfant qui a des troubles de comportement sérieux qui peuvent, de façon... compromettre le développement physique, le développement psychologique de l'enfant, il est important que cet enfant-là soit pris en charge. Donc, de fermer l'application de la loi et des dispositions de la loi pourrait potentiellement exclure des enfants.

Il y a des enfants qui vivent peut-être dans des milieux où... et qui font l'objet peut-être de propos que l'on tente d'enrayer. Tous les propos d'endoctrinement auxquels on fait référence à l'article 1, peut-être que des jeunes sont sujets à ces propos-là et peut-être que ces jeunes-là répètent et vont également imiter les modèles qui sont les leurs. Donc, si, par une référence à la DPJ, par une référence à l'encadrement, on peut aider un jeune à se sortir de ce milieu-là, je ne crois pas qu'on ait été à l'encontre du droit des jeunes, au contraire. Puis l'enfant, le jeune, l'enfant est un être doué de raison aussi, alors c'est dans ce contexte-là, qui milite de ne pas exclure mais d'apporter des adaptations bien particulières.

Puis, au même titre, lorsqu'on parle du Curateur public, bien c'est aussi pour l'adulte qui peut faire l'objet d'une curatelle. Parce qu'on a... C'est l'Ordre des psychologues qui nous avait sensibilisés aux enjeux de santé mentale et qu'il était opportun d'aider les gens également.

Alors, je pense que... Je crois que de dire que la loi ne s'applique pas... En fait, on ne retrouve ça nulle part. Le Code criminel s'applique, les lois s'appliquent aux citoyens, aux citoyens doués de raison. Et ça pourrait créer une situation plus... et créer des mailles importantes, alors que, là, on considère la situation particulière des jeunes, on considère également les ressources qui existent pour ces jeunes-là, notamment les centres jeunesse et l'aide que peuvent accorder les intervenants des centres jeunesse à un jeune, une jeune qui manifeste des troubles de comportement sérieux.

Et, dans les troubles de comportement sérieux, c'est intéressant, il y a un petit document qui s'intitule Faire un signalement au DPJ, c'est déjà protéger un enfant  Quand et comment signaler? Et on a, à la page 16 du document, la définition des troubles de comportement sérieux et on nous indique quelques indices : «L'enfant manifeste de l'agressivité et de la violence de façon fréquente et incontrôlable[...]; l'enfant fréquente des personnes qui l'influencent négativement et qui accentuent ses problèmes de comportement», donc... «Le DPJ intervient uniquement dans les situations où des indices de troubles de comportement sérieux sont présents et lorsque les parents ne prennent pas les moyens pour assurer la protection de leur enfant ou [si] l'enfant de 14 ans et plus s'oppose aux services d'aide proposés.»

Alors, comment l'intervention du DPJ fonctionne? Bien, on a la réception et le traitement du signalement. Si le signalement est non retenu, il y a la fin de l'intervention. S'il est retenu, on va évaluer la situation. Est-ce que la sécurité et le développement de l'enfant sont compromis? Si la sécurité et le développement de l'enfant ne sont pas compromis, on met fin à l'intervention. S'ils le sont, on va orienter les mesures de protection qui vont s'appliquer à l'enfant, soit par des mesures volontaires, par d'autres démarches, et là on va mettre en place des mesures de protection, on va réviser la situation au besoin. Mais tout ça dans le meilleur intérêt de l'enfant.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Richelieu.

• (16 h 10) •

M. Rochon : Oui, M. le Président. Ma compréhension est à l'effet que ce n'est pas un automatisme dans la loi de diriger le jeune — on parle des jeunes, là — vers des ressources appropriées. C'est une perspective, c'est une possibilité, ça peut arriver, mais ça n'arrivera pas nécessairement. Moi, je souscris tout à fait à l'argumentaire que j'ai entendu tenir ma collègue de Taschereau à l'effet que les personnes de 18 ans et plus soient soustraites de l'application de la loi.

La ministre réfère au mémoire des directeurs de la protection de la jeunesse. J'ai également parcouru ce mémoire, pour y trouver des choses plutôt favorables à ce que propose maintenant ma collègue de Taschereau. «Nous constatons — dit le mémoire — que le projet de loi met en place une procédure de dénonciation anonyme à la CDPDJ lorsqu'une personne a connaissance d'un discours haineux ou incitant à la violence. Il octroie de plus à [l'organisme] un pouvoir d'enquête à cet effet et confère de nouvelles responsabilités au Tribunal des droits de la personne. [...]Nous n'avons pas de recommandations à formuler en ce qui concerne l'application de ces procédures aux adultes — "aux adultes". Toutefois — disent les directeurs de la protection de la jeunesse — nous tenons à vous faire part de nos vives inquiétudes quant au fait que le projet de loi ne crée pas de distinction entre les personnes mineures et majeures.» C'est ce que regrette, là, la députée de Taschereau, ce pour quoi elle soumet à la commission un amendement.

Je poursuis le texte du mémoire des directeurs de la protection de la jeunesse : «Ce dernier aspect nécessite, selon nous, une révision. Notre système juridique établit généralement cette distinction afin de prendre en compte la vulnérabilité des mineurs et reconnaît l'importance d'agir avec célérité et efficacité pour prévenir la récidive et ainsi bien protéger la société.»

Il y a une voie pour les mineurs, il y a les ressources appropriées.

«Le regard que nous portons sur cet aspect du projet de loi se fonde essentiellement sur les connaissances scientifiques, notre expérience clinique et l'efficacité largement reconnue de nos interventions en matière de délinquance. En tant que DPJ-DP, et à l'instar de nos partenaires québécois en cette matière, nous sommes convaincus que la portée de nos interventions est tributaire des grands principes qui guident nos actions et nos décisions[...].

«Ces principes doivent en tout temps guider nos interventions à l'égard des jeunes, et il ne devrait en être autrement dans le présent projet de loi.»

J'achève : «Les connaissances cliniques et la jurisprudence le démontrent : l'adolescent est un individu en développement qui n'a pas atteint sa maturité et qui, à ce titre, a des besoins différents de ceux des adultes. L'intervention doit donc être appropriée à ce stade de développement. En ce sens, le projet de loi ne précise nullement des modalités pouvant spécifiquement s'appliquer aux mineurs, ce qui est fort préoccupant.»

Et, encore une fois, la ministre nous dit que son projet de loi ouvre bien la porte, là, à diriger les 18 ans et moins vers des ressources appropriées. Nous notons de notre côté, M. le Président, que ce n'est pas un automatisme, ce pourquoi nous maintenons que l'amendement que nous soumettons à la commission est tout à fait approprié, c'est-à-dire d'exclure les 18 ans et moins de l'application du projet de loi.

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la ministre.

Mme Vallée : Je veux simplement rappeler, M. le Président, qu'un jour on arrivera aussi à l'article 10... à l'article 7, pardon, puis nous avons des amendements. Il n'y a pas d'anonymat. La confidentialité de l'identité sera prévue, mais pas d'anonymat. Donc, il y a une grande distinction à faire entre l'anonymat et la confidentialité. Mais, chose certaine, il y a des amendements qui sont apportés.

Alors, vous voyez, M. le Président, je pense qu'on a été pas mal à l'écoute lors des consultations, on a apporté des amendements. Mais il faudra peut-être... en tout cas, je l'espère, qu'un jour on pourra s'y rendre.

Le Président (M. Ouellette) : Ah! mais on prépare le terrain, Mme la ministre. Je pense que c'est des discussions préparatoires et...

Mme Vallée : ...verser dans l'article 10 les commentaires faits.

Le Président (M. Ouellette) : Et je pense... Je vais retourner à Taschereau. Je sais que mon collègue le député de Rimouski va être intéressé de prendre la parole. Mme la députée Taschereau.

Mme Maltais : M. le Président, l'article 10, la modification qu'on amène à l'article 10 est une modification qui n'a pas la même portée, la même teneur que ce que nous proposons. C'est très, très, très différent. À la limite, elles pourraient ne pas être... elles pourraient même exister toutes les deux, à la limite. Ou bien on pourrait faire tomber simplement les mots... Dans la modification, 10, on ferait... on ajouterait juste «directeur de la protection de la jeunesse». Ce serait un amendement qu'on pourrait apporter plus tard, quand on arrivera à l'article 10. Mais présentement nous croyons profondément qu'il faut sortir les moins de 18 ans de cette loi.

Il y a, au Québec, entente. Il y a une compréhension qui est pareille pour tout le monde : quand un mineur voit sa sécurité ou son développement compromis, c'est à la direction de la protection de la jeunesse qu'on fait affaire, qu'on interpelle. Il y a une obligation de signalement, pas au gouvernement, pas à la CDPDJ. Il y a une obligation de signalement qui est inscrite dans la Loi de la protection de la jeunesse, signalement à la direction de la protection de la jeunesse. Ici, on introduit quelque chose qui vient dire : Oui, mais vous pouvez faire une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Alors, il y a comme... il y a maintenant deux actions potentielles.

Si vous voulez vraiment... Vous êtes obligés... Si vraiment vous considérez qu'il y a sécurité et développement compromis, vous devez aviser la direction de la protection de la jeunesse. Et c'est un mécanisme qui est reconnu, qui est contrôlé, puis qui agit surtout en prévention, et qui peut même agir en coercition, s'il y a lieu, mais qui agit surtout en prévention et réhabilitation. Il y a une conception, il y a un principe québécois derrière ça.

Mais là on s'en vient dire que, pour du discours haineux, pas du crime, là, pas du Code criminel, là, mais pour du discours haineux, il y a une autre façon de procéder : les gens peuvent simplement aller à la commission des droits de la personne et de la jeunesse, déposer une plainte sur le discours haineux et ensuite, quand l'enquête est commencée, d'après ce que nous dit la ministre dans son amendement à l'article 10, ensuite, quand l'enquête est commencée, la commission des droits de la personne et de la jeunesse jugera s'il faut référer à la DPJ. Elle va faire le travail de la DPJ. Je m'excuse, là, mais ça ne marche pas, ça. La CDPDJ ne doit pas être identifiée par les Québécois et Québécoises comme étant le lieu par lequel on doit passer pour protéger les jeunes.

L'amendement de la ministre à 10 dit : «La commission peut mettre fin à son enquête lorsqu'elle estime qu'il est inutile de poursuivre la recherche d'éléments de preuve, lorsque la preuve qu'elle a pu recueillir est insuffisante ou lorsqu'elle est d'avis que la personne dénoncée doit être référée...» «Peut mettre fin à son enquête». Avant d'ouvrir une enquête à la CDPDJ, c'est un an. Un an. Allez-vous laisser un an de temps un jeune dont la sécurité ou le développement est compromis en vertu de discours haineux, puisqu'il a des...

Si je prends le discours de la ministre, là, qui me dit, vraiment, là, qui dit : Développement compromis, c'est important, la CDPDJ l'enverra à la DPJ... Mais il y a un an de délai, alors que la direction de la protection de la jeunesse, elle, elle doit agir immédiatement. Elle va envoyer valider... Il y a des délais beaucoup plus stricts qu'un an, croyez-moi, pour aller valider si la sécurité ou le développement de l'enfant est compromis.

Alors, je trouve que notre proposition protège beaucoup mieux la jeunesse et que c'est exactement le système qu'on avait choisi au Québec. Et quoi qu'en dise la ministre, je suis d'avis, et c'est vraiment factuel, là, que l'amendement qu'elle apporte à l'article 10 ne donne pas la même protection aux jeunes que ce que donne la direction de la protection de la jeunesse. Alors, il serait sage, je pense, de voir à ce que les Québécois et les Québécoises réfèrent toujours à la direction de la protection de la jeunesse plutôt qu'à la commission des droits. Je pense que ce serait beaucoup plus sage, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : En fait, la commission des droits pourra le faire d'office, mais on fera le débat sur l'article 10 une fois rendus là. Je tiens simplement à rappeler à ma collègue que, dans le CDPDJ, dans l'acronyme CDPDJ, il y a «j» pour «jeunesse». Alors, il faut savoir que les intervenants de la commission des droits de la personne et de la jeunesse sont très sensibilisés à ces questions-là. Donc, l'objectif n'est pas du tout d'aller dans le sens qui est anticipé par la collègue.

Mais, pour ce qui est de l'article 10, pour le débat sur l'article 10, il me fera plaisir d'analyser notre amendement et de voir peut-être à le bonifier rendus à l'article 10. Je ne ferai pas le débat dans le cadre de l'article 1, avec respect, évidemment.

Mme Maltais : M. le Président?

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Je dis que c'est à l'article 1 que nous voulons que cela soit introduit parce que cela fait qu'il ne devrait pas y avoir d'enquête, il devrait y avoir signalement à la DPJ. C'est ça, la différence. C'est pour ça qu'on en parle à l'article 1. On veut sortir les jeunes qui sont déjà couverts par la DPJ de cette loi-là, qui est une loi inacceptable au départ. Ça fait qu'imaginez-vous, mettre les jeunes en plus, comment est-ce qu'on le prend? Bien, on le prend mal. Voilà.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Ce n'est pas tout à fait le but de l'amendement lorsqu'on le lit. Mais, ceci étant dit, je ne partage pas l'opinion de la collègue. Et puis on ne peut pas tout mettre dans l'article 1 non plus, parce que ça fait un article 1 qui est très lourd. Alors, on l'a mis un petit peu plus loin dans le texte. Mais il n'est pas très loin de l'article 1, il est à l'article 10.

Le Président (M. Ouellette) : On aura l'opportunité d'en discuter, puis j'aurais le goût de demander à notre collègue de Rimouski si c'est la même chose en région.

• (16 h 20) •

M. LeBel : Moi, j'ai... Ah! je m'excuse du retard. C'est un projet de loi qui est bien important, là. C'est quand même assez majeur. Puis moi, je suis venu quelques fois puis, moi, ce qui m'inquiète beaucoup, c'est la liberté d'expression, c'est... Je trouve qu'on vient mettre des balises. Pour une première fois au Québec, dans l'histoire du Québec, on essaie de mettre des balises sur la liberté d'expression. C'est fondamental comme projet de loi, ce n'est pas rien, là. Ça fait que c'est pour ça que l'article 1... Puis nous autres, on sait ce que ça veut dire, l'article 1...

Le Président (M. Ouellette) : Mais vous voulez l'amender, l'article 1?

M. LeBel : Aïe! C'est assez compliqué. Ça fait qu'il faut y travailler comme il faut, à l'article 1, si on veut savoir vers où on s'en va, parce que c'est la base, hein, il me semble. Ça fait que c'est pour ça qu'on... c'est bien important, à partir de cet article-là, de voir c'est quoi, qu'est-ce que le législateur voulait faire, tu sais, qu'est-ce qu'il avait en tête avec ce projet de loi là. Mais moi, déjà là, je ne suis pas... j'ai de la difficulté avec le projet de loi, qui vient comme baliser la liberté d'expression. Puis j'en ai parlé la dernière fois que je suis venu, au niveau des artistes, au niveau des...

Et là on veut comme... les moins de 18 ans pourraient être interpellés là-dessus. Il faut savoir, là, les adolescents, les décrocheurs, les... Je ne le sais pas, mais, qu'on... C'est déjà un gros morceau de vouloir baliser les droits d'expression, et là on intègre les moins de 18 ans là-dedans. Vraiment, je suis un peu surpris. Puis je me dis : Pourquoi pas, dans l'article 1, régler ça tout de suite, dire : Les moins de 18 ans, on va gérer leur comportement, là, comme on fait d'habitude, dans les ensembles des lois du Québec? Pourquoi vouloir intégrer ça là-dedans? Tu sais, il faut savoir, là, être... Moi, j'en ai, des ados, là, qui... Tu sais, dans les écoles, partout, dans les... il faut rencontrer des jeunes décrocheurs, des fois, qui sont comme... ils en ont jusque-là, là, puis des fois ils ont des propos assez costauds. Je vais vous dire, ça réussit même à me défriser, même moi. Ça fait que pour dire que c'est...

Je ne le sais pas, mais il me semble qu'à l'article 1 on devrait clarifier cette situation-là rapidement. Et ce serait bon pour tous les intervenants : les intervenants de la DPJ, les intervenants qui travaillent auprès des groupes communautaires, qui travaillent auprès de la jeunesse, auprès de... Il me semble que ça leur permettrait d'y aller dans la façon plus positive avec les jeunes, c'est-à-dire de l'éducation populaire, de la prévention, des enseignements, plutôt qu'y aller avec un genre d'épée de Damoclès, Damoclès qui est là, qui dit... avec la loi, qui vient comme toucher des jeunes de 15, 16 ans, 17 ans. À mon avis, on pousse un peu trop loin. On a déjà une loi qui pousse déjà pas mal loin, à mon avis.

Ça fait que la proposition d'amendement, qui semble confirmée, être confirmée, là... — j'écoutais le député de Richelieu tantôt — qui semble confirmer, là, la direction de la protection de la jeunesse, là... les vouloirs de la direction, qui disait : «Les connaissances cliniques et la jurisprudence le démontrent : l'adolescent est un individu en développement qui n'a pas atteint sa maturité et qui, à ce titre, a des besoins différents de ceux des adultes. L'intervention doit donc être appropriée à ce stade de développement. En ce sens, le projet de loi ne précise nullement des modalités pouvant spécifiquement s'appliquer aux mineurs, ce qui est fort préoccupant.»

Si le directeur de la protection de la jeunesse trouve ça préoccupant, je pense que ça vient comme confirmer l'idée d'approuver cet amendement, qui viendrait comme clarifier des affaires puis qui ferait en sorte que... Au Québec, on a toujours travaillé différemment avec nos jeunes, ça fait qu'il faut continuer de la même façon, parler de prévention, parler d'enseignement, parler d'éducation, parler d'intervention appropriée avec ces jeunes-là, et on devrait continuer à travailler là-dessus. Et, quand on parle de... Si on veut parler de liberté d'expression, de discours haineux, bien, adressons-nous aux adultes puis essayons de voir comment on peut faire avec les adultes. Mais les enfants, là, c'est... les adolescents, les enfants, on peut peut-être les laisser tranquilles avec ça puis continuer à travailler comme on a toujours travaillé au Québec avec eux autres, à mon avis.

Le Président (M. Ouellette) : Commentaires, Mme la ministre?

Mme Vallée : Moi, j'ai fait les recommandations. C'est certain que, comme je le mentionnais, il y a des enfants qui ont besoin de cette aide, de cet encadrement. Ce n'est pas de les stigmatiser, au contraire, c'est... Les moyens qu'on va vous proposer à l'article 10 vont permettre d'aider un enfant qui lance un cri de détresse, parce que, pour moi, c'est ça, un jeune qui tient des propos haineux. Puis il peut y avoir plein de contextes, des contextes qui ne méritent pas une intervention, mais il peut y avoir un contexte où il s'agit d'un cri de détresse de la part d'un jeune. Puis je pense qu'on a la responsabilité d'y voir, lorsqu'il s'agit d'un cri de détresse de la part d'un jeune.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Rimouski.

M. LeBel : Mais il me semble qu'un cri de détresse... Auprès d'un jeune, il ne faut pas arriver avec une loi comme ça, il faut l'aider.

Mme Vallée : C'est exactement l'objectif.

M. LeBel : Il faut intervenir avec des groupes communautaires qui sont mieux soutenus. Il faut, avec les commissions scolaires... On arrête de couper auprès des services qui sont faits à ces jeunes-là. C'est au niveau de la santé publique, c'est au niveau des intervenants, c'est là qu'il faut travailler. Quand il y a un jeune... Actuellement, je vous le dis, les jeunes qui ont de la détresse, on a beaucoup de difficultés à intervenir. Les travailleurs de rue ont été coupés un peu partout à travers les régions, les... Mais c'est ça. C'est comme si c'est une pensée magique. Arrêtons de démobiliser notre monde, arrêtons de sous-financer nos intervenants qui travaillent auprès de la jeunesse, puis on va être capables d'intervenir dans les... si on a un cri de détresse. Ce n'est pas par un projet de loi comme ça qu'on va aider tous les jeunes qui sont en détresse. Il me semble, il faut travailler sur le soutien à nos jeunes, sur les gens qui interviennent auprès de nos jeunes, sur les enseignements qu'on donne à nos jeunes. C'est là. Si on voit quelqu'un qui a un cri détresse, le jeune, il faut savoir l'accrocher là, sur place, par un travailleur de rue, par un prof qui a du temps pour s'en occuper. C'est par là qu'il faut intervenir... Excusez-moi.

Le Président (M. Ouellette) : Votre intervention est très pertinente pour les articles 24 à 27, M. le député de Rimouski. M. le député de Richelieu.

M. Rochon : Oui, M. le Président. J'ai trouvé à la page 3 du mémoire des directeurs de la protection de la jeunesse de la lecture très intéressante, qui vaut la peine, là, d'être très attentif.

«Nous croyons — écrivent-ils — que certaines dispositions du projet de loi peuvent contribuer à une meilleure protection des enfants. Les modifications qu'il propose, non seulement à la Loi de la protection de la jeunesse, mais aussi à d'autres lois, impliquent plusieurs institutions et organismes en vue de l'atteinte des objectifs du projet de loi. Il s'appuie sur un principe fondamental à nos yeux, et souvent réitéré, voulant que la protection des personnes, et plus particulièrement celle des enfants, soit une responsabilité collective.» Jusque-là, c'est très bien.

«La Loi de la protection de la jeunesse prévoit que tout professionnel qui prodigue des soins ou toute forme d'assistance à des enfants, de même que tout enseignant, toute personne travaillant dans un milieu de garde et tout policier sont tenus de signaler la situation d'un enfant lorsqu'il a des motifs de croire que sa sécurité ou son développement est compromis. Tout citoyen peut aussi signaler de telles situations et doit le faire lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire qu'un enfant est abusé physiquement ou sexuellement. De plus, un établissement ou un organisme du milieu scolaire est tenu de prendre tous les moyens à sa disposition pour fournir les services requis pour l'exécution de mesures volontaires ou judiciaires à l'égard d'un enfant pris en charge par le DPJ. Il en va de même pour une personne ou un organisme qui consent à appliquer de telles mesures.

«Le rôle et les responsabilités des professionnels et de la population générale dans l'application de la Loi de protection de la jeunesse sont essentiels à la protection des enfants. Or, nous craignons que les modifications législatives proposées soient perçues comme une substitution aux signalements prévus à la Loi de la protection de la jeunesse et qu'elles aient pour effet de laisser croire aux citoyens et aux professionnels qu'ils n'ont plus à signaler une situation pour laquelle ils ont des motifs raisonnables de croire que la sécurité ou le développement d'un enfant est compromis. Il importe donc de bien distinguer la portée d'une divulgation à la commission des droits de la personne et de la jeunesse d'un signalement à la direction de la protection de la jeunesse.» Ce sont exactement les craintes, là, émises par ma collègue de Taschereau.

Et là j'aimerais entendre la ministre. «À cet effet, nous recommandons — disent les directeurs de la protection de la jeunesse — que le chapitre I du projet de loi comporte une disposition réitérant que cette loi ne saurait se substituer aux obligations de signalement prévues à l'article 39 de la Loi sur la protection de la jeunesse.»

Alors, j'aimerais entendre de la ministre, M. le Président, une réponse à la question suivante : Existe-t-il des dispositions au chapitre I réitérant que cette loi n° 59 ne saurait se substituer aux obligations de signalement prévues à l'article 39 de la Loi sur la protection de la jeunesse?

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : M. le Président, c'est l'objectif visé par l'article 10. Un jour, on va s'y rendre.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Richelieu.

• (16 h 30) •

M. Rochon : Ma collègue de Taschereau signifiait tantôt que ce n'était pas du tout la lecture qu'elle faisait de l'article 10, l'article 10 qui soulève la possibilité, hein, qu'un enfant soit dirigé vers une ressource plus appropriée, référé à une ressource plus appropriée, pour reprendre, là, le texte exact de l'article 10, notamment au Curateur public — alors pas question juste des enfants — au directeur de la protection de la jeunesse ou au directeur de l'établissement d'enseignement qu'elle fréquente. Dans ce dernier cas, la commission s'assure que la personne est prise en charge par cette ressource. Tout ça lorsqu'elle estime qu'il est inutile de poursuivre la recherche d'éléments de preuve, lorsque la preuve qu'elle a pu recueillir est insuffisante. Alors, c'est lorsque la commission met fin à son enquête que tout ce processus peut s'enclencher. Ce n'est pas un processus automatique, ce n'est pas quelque chose d'automatique, on ne réfère pas automatiquement un jeune à des ressources plus appropriées.

Alors, je ne souscris pas, là, à ce que vient d'affirmer la ministre à l'effet que ce que réclament les directeurs de la protection de la jeunesse existe à l'article 10 du projet de loi.

Le Président (M. Ouellette) : Je sens que nous aurons des discussions très intéressantes lorsque nous arriverons à l'article 10. Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : M. le Président, le projet de loi sur les discours haineux introduit une nouvelle procédure que la ministre dit civile et que nous disons pénale, parce qu'il va y avoir des pénalités aux citoyens. Et cette procédure fait que les gens maintenant vont pouvoir référer non pas seulement au processus de plainte qu'il y a à la commission des droits de la personne et de la jeunesse — parce qu'il existe déjà un traitement des plaintes — non pas au Code criminel, mais il pourrait en plus y avoir une espèce de grand bureau des plaintes où les gens vont pouvoir aller référer, ils vont pouvoir déposer une plainte contre quelqu'un pour discours haineux. Mais, si on trouve qu'un jeune est en détresse, qu'il a des propos haineux, il faut l'envoyer à la direction de la protection de la jeunesse, puisque sa sécurité et son développement sont compromis. C'est même ce que la ministre plaide.

Alors, on introduit dans le projet de loi n° 59 de la confusion. On introduit le fait maintenant que les gens pourront dire : Non, non, non, j'ai découvert qu'un jeune a effectivement des problèmes, alors je vais faire une plainte à la direction de la protection de la jeunesse... Pardon, je recommence : On va trouver qu'un jeune a effectivement des problèmes, alors je vais faire une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, et là ça va prendre un an avant qu'on puisse savoir si la commission a décidé de traiter la plainte. Et, quand il y a début de traitement de la plainte, un an plus tard il y a une enquête, et c'est pendant l'enquête que la ministre nous dit : Non, ça va bien aller. Pendant l'enquête, la Commission des droits de la personne pourra dire : On réfère à la DPJ, un an plus tard. Mais ça, c'est déjà une confusion.

Mais, deuxièmement, la plus grande confusion, c'est que, si un jeune a tellement de problèmes qu'on est rendu... tient tellement de discours haineux qu'on est rendu à déposer une plainte contre lui, il faudrait que ce soit à la direction de la protection de la jeunesse qu'on aille. Il ne faut pas qu'on introduise le fait qu'on va aller l'amener devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. C'est une confusion des genres. Il ne faut pas que ça fonctionne comme ça. Si c'est vraiment tellement sérieux, qu'il y a des propos haineux qui font qu'un jeune voit sa sécurité ou son développement compromis, il faut l'envoyer à la direction de la protection de la jeunesse ou — ce qui est arrivé — que des parents disent : Je vais aller rencontrer le Centre de prévention de la radicalisation, je vais aller rencontrer la Sûreté du Québec puis je vais faire protéger ce jeune. C'est ça qu'on fait jusqu'ici.

On a actuellement dans nos lois les mécanismes qu'il faut pour aider ces jeunes. Alors, pourquoi introduire quelque chose qui va entraîner de la confusion? La voie d'entrée, là, pour ce type de cas là, c'est la direction de la protection de la jeunesse. Il ne faut pas ouvrir un autre chemin, il ne faut pas introduire de la confusion dans la façon dont on doit réagir quand un jeune a une sécurité compromise. Puis, si c'est tellement grave... Par exemple, c'est arrivé récemment, un parent réalise qu'un jeune veut partir en Syrie se battre, en Syrie ou en Irak se battre, bien là, c'est la Sûreté du Québec, parce qu'il faut aider puis rapidement l'amener à ne pas y aller.

Alors, on ne va pas le protéger en faisant une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, et on ne va surtout pas le déradicaliser. Ça n'a aucun effet sur le jeune, sauf le stigmatiser. C'est ça, le problème.

Alors, moi, je trouve que notre proposition, elle arrive au bon endroit. Elle est toute simple, elle est bien écrite. On ne peut pas dire quand même que l'article 1 est déjà trop touffu, qu'on n'a pas le droit de lui rajouter des affaires, là. Ça, ce n'est pas un bon argument. Je pense qu'on va attendre un autre argument que celui-là. Je vais faire comme si je ne l'avais jamais entendu, là, parce que ça, c'est assez étonnant. Soyons...

Le Président (M. Ouellette) : C'est ça. C'est étonnant. C'est beau.

Mme Maltais : En effet, étonnant. Voilà, M. le Président. Et je pense qu'il nous restera une petite minute, puis je reviendrai après.

Le Président (M. Ouellette) : Il vous reste une petite minute. Je ne sais pas si vous avez de quoi à rajouter, M. le député de Rimouski ou M. le député de Richelieu. M. le député de Rimouski.

M. LeBel : Oui, moi, je reviens à ce que je disais un peu tantôt. Tu sais, il y a beaucoup de gens qui interviennent auprès de la jeunesse, la DPJ... Le projet de loi n° 10 a tout modifié le système. Les gens qui interviennent en DPJ sont brassés d'un bord puis de l'autre. Ils ont de la difficulté à faire de l'intervention. Il y a eu des coupes majeures dans ces domaines-là. Dans les organisations communautaires qui interviennent auprès de nos jeunes, les travailleurs de rue, les travailleurs communautaires auprès de la jeunesse, ils sont débordés.

Moi, pour travailler beaucoup avec eux autres, je me dis : Si on avait des interventions à faire, c'est d'aider ces gens-là à être proches des jeunes, puis à voir ce qui se passe, puis à voir à détecter les problématiques auprès de la jeunesse. Je trouve ça un peu particulier que, d'une main, on ne soutienne pas ce monde-là qui travaille auprès de nos jeunes, puis, de l'autre main, par une loi, on dit qu'on va aider nos jeunes. Il me semble qu'on devrait continuer à... on devrait mieux soutenir les intervenants auprès de la jeunesse puis on devrait continuer dans ce que le Québec a toujours fait : travailler auprès des jeunes d'une façon différente que le reste du Canada, que le reste... parler de prévention, parler de soutien, parler d'accompagnement.

Puis moi, je pensais, là, que cette loi-là ne touchait pas cette jeunesse-là puis les moins de 18 ans puis qu'on pouvait continuer à travailler avec les moins de 18 ans comme on a travaillé dans plein d'autres domaines. Et c'est pour ça que je pense qu'il faut appuyer l'amendement qui dit qu'on veut... que le projet de loi va toucher les 18 ans et plus. Les 18 ans et moins, on va les accompagner autrement.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Richelieu.

M. Rochon : Oui. Bien, on pourrait aussi citer l'Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec. Cet ordre écrit, lui, en page 6 de son mémoire, ceci : «On retrouve dans notre société des individus, jeunes et adultes, ayant des difficultés importantes aux plans de la communication et des habiletés sociales. Ces individus présentent des comportements inadaptés pouvant être confondus avec des signes de radicalisation. Leurs discours peuvent parfois être vexatoires et porter atteinte à l'intégrité d'autrui, même constituer des menaces. Considérant cette réalité, une question émerge : Comment distinguer le discours venant d'une personne ayant des difficultés d'adaptation importantes d'un discours haineux venant d'une personne réellement engagée dans un processus de radicalisation? Le comportement de la personne malhabile dans ses relations sociales ne peut être analysé de la même façon que celui de la personne pour qui la radicalisation et la violence sont des choix assumés et réfléchis.»

Et, plus loin dans le mémoire, l'Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec écrit : «[Que] désigne-t-on par "personne"? Est-ce que ce sont des individus âgés de 18 ans et plus? Pourrait-on y retrouver des mineurs de 14 ans, ou même de 12 ans?» Eh bien, voilà! C'est la question à laquelle la députée trouve une réponse en demandant que soit amendé le projet de loi n° 59, pour précisément que cette question soit éclaircie. Elle s'applique au discours haineux ou au discours incitant à la violence tenu et diffusé publiquement par une personne de 18 ans et plus. «Par une personne de 18 ans et plus», insiste la députée de Taschereau dans son amendement.

Je me répète, M. le Président, mais je réitère qu'il faut, à mon point de vue — et ce n'est pas que le mien, c'est aussi celui, lisait-on tantôt, des directeurs de la protection de la jeunesse — soustraire les 18 ans et moins de l'application du projet de loi n° 59.

Le Président (M. Ouellette) : De l'article 1?

• (16 h 40) •

M. Rochon : De l'article 1.

Le Président (M. Ouellette) : O.K.

Mme Maltais : Soustraire les moins de 18 ans.

M. Rochon : Les moins de 18 ans de l'application du projet de loi n° 59.

Le Président (M. Ouellette) : Oui, c'est beau. O.K. Mme la ministre, est-ce que vous avez des commentaires?

Mme Vallée : Je n'ai pas d'autre commentaire.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Rimouski, je sens que vous avez d'autres commentaires.

M. LeBel : Comment?

Le Président (M. Ouellette) : J'ai dit : Je sens ça, que vous avez d'autres commentaires.

M. LeBel : Oui. Vous êtes bon. Pour avoir discuté un peu avec les gens de la DPJ chez nous... Puis là, quand je regarde leur mémoire, on confirme un peu, là, ce qu'on dit depuis tantôt, qu'on essaie de convaincre d'adopter l'amendement qui sortirait les moins de 18 ans de ce projet de loi qui, je rappelle, vient baliser, là, la liberté d'expression. On dit, dans le mémoire de la direction de la protection de la jeunesse, il dit : «Force est de constater que ce projet de loi de nature civile, dont les auditions se dérouleraient devant un tribunal administratif, comportera de lourdes conséquences pour les personnes mineures qui seraient visées par une enquête et une décision du Tribunal des droits de la personne — on parle de personnes mineures. Dans un esprit de cohérence législative, ce projet de loi doit s'intégrer harmonieusement avec les autres lois, particulièrement celles s'appliquant aux enfants, et maintenir les protections procédurales qui leur sont octroyées en vertu de ces lois.» C'est un peu ce que je disais tantôt.

«Ainsi, nous croyons que la LPJ et que la LSJPA offrent de telles protections en permettant le recours de plein droit à l'appel et à la révision judiciaire tout en assurant aux enfants la stricte confidentialité [de] processus et la non-publication de leur identité. De plus, le mineur étant soumis à l'autorité parentale jusqu'à ses 18 ans ou jusqu'à son émancipation, ces lois prévoient et insistent sur l'obligation d'impliquer les parents et de les [inviter à la procédure].»

Moi, je pense que ça vient... Puis, quand on regarde chacune des propositions qu'il y avait au projet de loi, ça vient juste comme confirmer le malaise qu'il y a ici. Moi, je pense qu'on... Puis ça vient confirmer le malaise qu'on a puis le pourquoi on arrive avec ce genre d'amendement à l'article 1, qui est le fondement du projet de loi. Il me semble qu'il y a un genre de consensus qui s'installe puis qu'on devrait en prendre compte. On doit travailler avec nos enfants et nos adolescents d'une façon différente, puis on doit leur donner le soutien qu'il faut d'une façon différente puis se sortir de lois contraignantes. Et je pense que c'est ce que propose le mémoire de la direction de la protection de la jeunesse, c'est ce qu'on essaie de donner suite ici par notre amendement. C'est ce qu'on entend partout sur le terrain aussi. C'est ce que les gens nous disent.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Richelieu.

M. Rochon : Ma collègue de Taschereau le disait, mon collègue de Rimouski faisait de même, nous allons entrer, si ce projet de loi est adopté et que la loi entre en vigueur sans que tout ça soit revu d'une façon importante, dans une ère de confusion.

C'était clair jusqu'ici : il y avait les directeurs de la protection de la jeunesse pour les jeunes. C'est là que les plaintes étaient dirigées. Là, maintenant, il y aura la commission des droits de la personne et de la jeunesse où d'autres plaintes seront dirigées. La Loi sur la protection de la jeunesse, elle confère la charge et l'imputabilité d'assurer la protection des enfants sur l'ensemble du territoire québécois aux 19 directeurs de la protection de la jeunesse. Ce sont eux, les responsables, ainsi que les membres de leur personnel désignés à cet effet, de recevoir et de traiter les plaintes, les signalements, d'évaluer les situations pour lesquelles un signalement a été retenu et, si la sécurité ou le développement de l'enfant est compromis, de prendre en charge la situation. Ils décident alors de proposer des mesures volontaires ou de soumettre le cas au tribunal. Ils apportent de l'aide à l'enfant et à sa famille, avec pour objectif de mettre fin à la situation de compromission et d'éviter qu'elle ne se reproduise. L'intérêt supérieur de l'enfant guide toujours prioritairement leurs décisions à l'égard de celui-ci.

Alors, le Québec a ce qu'il faut, M. le Président. Les gens savent à qui se référer en matière de personnes de 18 ans et moins. Alors, pourquoi, pourquoi une loi maintenant viendrait-elle semer la plus parfaite confusion dans tout cela? Non, nous le maintenons, il faut soustraire les 18 ans et moins de l'application de cette loi sur le discours haineux et les discours incitant à la violence.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : M. le Président, je sais qu'il me reste peu de temps, mais ce principe de confusion, il est extrêmement important. Et c'est, d'entrée de jeu, ce que nous signale le mémoire de la direction de la protection de la jeunesse. Il faut entendre les DPJ. La DPJ nous le dit : Vous allez entraîner de la confusion si vous ne rappelez pas aux Québécois et aux Québécoises que c'est nous qui devons recevoir tout signalement concernant un enfant, un moins de 18 ans dont la sécurité ou le développement est compromis.

Alors, maintenant, si on n'accepte pas l'amendement que nous proposons, les gens auront le choix entre signaler à la DPJ ou faire une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, en vertu de 59, pour discours haineux. C'est là qu'il y a un problème. On a introduit de la confusion. On ne donne pas le signal à tout le monde... Il me reste?

Le Président (M. Ouellette) : 30 secondes.

Mme Maltais : On ne donne pas le signal à tout le monde : Appelez la DPJ, signalez ou, si c'est urgent et monstrueux, appelez la police, ce qui se fait régulièrement, mais on donne le signal qu'on peut faire autre chose, on peut stigmatiser le jeune ou l'envoyer à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui n'a pas les outils pour faire face à de telles demandes. Un bureau des plaintes comme ça n'est pas la solution pour les jeunes Québécois et Québécoises.

Le Président (M. Ouellette) : Sur ces bonnes paroles, M. le député de Richelieu, je vous sens fébrile d'intervenir.

M. Rochon : Oui. La direction de la protection de la jeunesse, M. le Président, est déjà en train d'adapter ses pratiques à l'émergence de ces nouvelles réalités sociales au Québec, ce phénomène, là, notamment, là, basé... phénomène spécifique de la violence basée sur l'honneur. Ça présente, c'est vrai, les caractéristiques uniques et distinctes des situations, là, de maltraitance ou de violence conjugale, mais les directeurs de la protection de la jeunesse, sur l'ensemble du territoire québécois, sont à s'adapter à ça. Ça justifie une approche différente de la part des intervenants. Alors, ils sont dans l'examen continu de leurs pratiques. C'est incontournable face à ces nouveaux contextes là, mais ils répondent à ça.

On n'a pas besoin d'un gros bureau des plaintes qui sera déjà submergé de plaintes, si non anonymes au moins confidentielles. On n'a pas besoin d'un gros bureau des plaintes pour entendre les plaintes relatives à des personnes de 18 ans et moins. Il y a, pour ça...

Mme Maltais : Des moins de 18 ans.

M. Rochon : De 18 ans et moins... De moins de 18 ans! De moins de 18 ans, oui, c'est vrai. La nuance est importante. La direction de la protection de la jeunesse est là pour ça.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Rimouski.

M. LeBel : Si on parle de confusion... Puis c'est ce que la direction de la protection de la jeunesse mentionne dans son mémoire. On parle de confusion des rôles, des responsabilités. On dit qu'il serait important de clarifier la portée des ordonnances, entre autres, de protection du Code de procédure civile à l'égard des adultes.

Dans nos écoles, de plus en plus les gens sont débordés par des cas qu'on ne connaissait pas plus jeunes. Tu sais, quand on se battait dans les cours d'école, là, ce n'était pas...

Le Président (M. Ouellette) : Ah! chez vous, chez vous, M. le député de Rimouski.

• (16 h 50) •

M. LeBel : Oui, moi... Non, c'est vrai. Chez nous, ce n'est pas pareil.

Le Président (M. Ouellette) : Non, non, vous avez lu ça.

Des voix : Ha, ha, ha!

M. LeBel : Non, mais ça a changé beaucoup dans les cours d'école aujourd'hui. Puis les enseignants, tout le monde, ils sont les premiers témoins, puis c'est des gens qui travaillent auprès de nos jeunes, puis ce n'est pas toujours évident pour plein de situations qu'on ne connaissait pas il y a juste cinq, six ans, ou 10 ans, ou 15 ans. Avec nos intervenants, les profs, les intervenants dans les cours d'école, qui sont déjà assez débordés par l'ampleur de la tâche, doivent faire face à des situations de plus en plus difficiles. Et ce projet de loi vient encore comme rajouter dans leurs responsabilités, puis avec beaucoup de confusion, comme disent mes collègues puis comme dit la direction de la protection de la jeunesse qui dit puis répétait : «À nouveau, nous croyons important de distinguer les étudiants adultes et les enfants mineurs fréquentant les milieux d'enseignement afin de garantir à ces derniers — aux mineurs — des considérations de traitement et [de] garanties procédurales identifiées...» Quand tu arrives avec une conclusion comme ça, de gens qui connaissent ça, il me semble qu'on doit se préoccuper de ça.

Puis, je le répète, sur le terrain, il faut... des fois, c'est bon de se coller aux réalités concrètes. Les écoles des villes sont de plus en plus grosses, les gens de plus en plus collés. Tu vis des réalités là-dedans de plus en plus complexes, tu dois intervenir. Les enseignants sont en première ligne, mais, ceux qui sont en deuxième ligne, il y en a de moins en moins, de personnes, de personnel. Les commissions scolaires, on le sait, elles ont été coupées de partout, ça fait que, là, elles font des choix difficiles. C'est du monde de moins, c'est des gens qui interviennent des fois au niveau du sport, au niveau de la culture, des gens qui sont proches des jeunes, qui peuvent détecter des choses. Puis j'ai vu des cas, là, récemment. La commission scolaire dans notre région, des gens qui intervenaient, entre autres, au niveau du sport, au niveau du cirque, qui ont été comme... des intervenants qui travaillaient auprès de jeunes, des jeunes qui n'aimaient pas trop l'école, c'est des jeunes en difficulté, mais qui étaient animés par ces personnes-là, ces personnes-là, il n'y a plus de ressources, on ne peut plus les garder. Ça fait que ces jeunes-là... Bref, on a un réseau d'enseignement qui est comme... ils ont beaucoup, beaucoup de responsabilités puis de moins en moins de ressources pour intervenir auprès de nos jeunes.

Puis, d'un autre côté, on a d'autres ressources qui sont un peu à l'extérieur qui vont aller chercher nos jeunes dans la rue — puis, encore là, ils vivent des situations très difficiles — des jeunes qui sont abandonnés, qui n'ont pas de ressources, qui se tirent un peu partout, mais que les travailleurs de rue vont aller chercher, qui s'impliquent dans des organisations, qui essaient de prendre de la dignité. Ça aussi, ces organisations-là sont de plus en plus sous-financées puis sont à bout de souffle. Moins de ressources, moins de travailleurs dans ces groupes-là, moins de travailleurs de rue, moins de monde. Il me semble qu'on devrait soutenir davantage ces gens-là, et ça pourrait nous permettre de détecter, entre autres, auprès des jeunes, de détecter des problématiques.

Puis là j'amène l'autre élément : les parents. Les parents ont un rôle à jouer aussi là-dedans, et il y a des façons d'intervenir avec les parents. Tout ce travail-là en amont, il me semble bien important. Puis c'est un travail qui fait confiance aux parents, qui fait confiance aux jeunes, qui pourrait détecter des gros problèmes. Mais ce travail-là, actuellement, qui est fait en amont, il est... pas handicapé, mais il est comme... Beaucoup, beaucoup de coupures budgétaires ont fait en sorte que ces intervenants-là sont de moins en moins présents ou sont débordés par les événements. Il me semble que, si on arrive avec... Puis là ces intervenants-là travaillent beaucoup avec la DPJ, soit dit en passant, là. Dans nos régions, tout le monde se connaît, tout le monde travaille ensemble puis essaie de trouver des solutions pour aider nos jeunes dans des écoles, dans des problématiques précises, essaie de voir comment on peut intervenir.

Ce projet de loi, avec les confusions qui sont amenées, où on pourrait traiter un jeune de 15 ou 16 ans de la même façon qu'un jeune de 21, 22, 23 ans, où il faudrait passer par une enquête pour voir si on retire ou pas, puis une enquête qui pourrait durer des années, où on laisse les jeunes une patte en l'air en disant : Tu as une enquête, on va étudier ce qui se passe dans ton école... Puis on sait ce que ça peut être dans l'école, hein? Ça peut être un groupe de jeunes qui stigmatise un autre groupe de jeunes. Et là tu es pogné dans une patente qui peut durer des mois et des mois pour essayer de dénouer l'impasse, où la DPJ ne sait plus par où prendre ça et c'est quoi, l'impact de la loi dans leur travail. Il me semble qu'on devrait y aller d'une façon moins compliquée, puis de faire confiance aux intervenants qui sont dans notre milieu, puis leur donner les moyens pour qu'ils puissent intervenir auprès de nos jeunes, auprès de la jeunesse, auprès de notre monde, puis identifier selon les besoins de chacun.

Puis ma collègue de Taschereau, c'est Québec, puis d'autres, c'est la région métropolitaine. Moi, je connais moins ces réalités-là, puis je suis certain que je ferais des moyens sauts si j'irais faire des stages dans des écoles dans certains quartiers de Montréal. Je suis certain. Moi, je ne connais pas toutes ces réalités-là, je connais les réalités plus locales, plus régionales. Mais ça fait juste démontrer que les réalités sont différentes de région en région puis qu'il faut pouvoir s'adapter puis faire confiance à notre monde.

Pour un projet de loi comme ça... Dans bien d'autres projets de loi mur à mur, on veut intervenir avec des jeunes de la même façon, qu'ils demeurent chez vous, à Laval, comme chez nous, à Esprit-Saint, ou je ne sais pas trop où. Je ne pense pas que c'est la bonne façon. Je pense encore que la meilleure façon, c'est de faire confiance à notre monde puis leur donner des moyens d'intervenir, d'intervenir quand c'est le temps d'intervenir puis à la façon qu'il faut intervenir, avec les bonnes personnes, qui sont capables de parler aux jeunes. Je pense encore que c'est comme ça qui est la meilleure façon de faire.

Dans le passé, on le sait, chacun, on a eu des profs qui sont intervenus auprès de nous autres dans les bons moments, puis je pense que c'est encore comme ça que ça fonctionne. Ça fait que, quand on déstabilise notre réseau d'enseignement puis les aides aux jeunes, bien, on peut se ramasser avec des problèmes. Puis ce n'est pas par une loi comme ça qu'on va régler le problème. Il faut régler le problème en amont, à mon avis.

Ce projet de loi, il me semble que c'est important, à l'article 1, article qui est majeur dans un projet, je pense qu'il serait bon de mettre les bonnes affaires aux bonnes places en partant. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, M. le député de Rimouski. Mme la ministre, est-ce qu'il y a d'autres commentaires?

Mme Vallée : Bien, en fait, non. Je pense que j'ai fait le tour de ce qui nous animait et je crois que ce qui est proposé permet de répondre à des préoccupations. Et simplement réitérer que les lois s'appliquent à tous, que l'objectif, c'est de trouver la meilleure façon d'aider ces jeunes-là. Et je crois que les dispositions qui sont introduites par l'amendement sont tout à fait adéquates parce qu'elles permettront rapidement une intervention des centres jeunesse ou de la commission scolaire, le cas échéant.

Le Président (M. Ouellette) : Donc, je vais mettre aux voix l'amendement de Mme la députée de Taschereau. Et, Mme la secrétaire, pour le vote nominal.

Mme Maltais : Vote par appel nominal.

Le Président (M. Ouellette) : Oui.

Mme Maltais : Par appel nominal, le bon français.

La Secrétaire : Mme Maltais (Taschereau)?

Mme Maltais : Pour.

La Secrétaire : M. Rochon (Richelieu)?

M. Rochon : Pour.

La Secrétaire : M. LeBel (Rimouski)?

M. LeBel : Pour.

La Secrétaire : Mme Roy (Montarville)?

Mme Roy (Montarville) : Contre.

La Secrétaire : Mme Vallée (Gatineau)?

Mme Vallée : Contre.

La Secrétaire : M. Merlini (La Prairie)?

M. Merlini : Contre.

La Secrétaire : M. Hardy (Saint-François)?

M. Hardy : Contre.

La Secrétaire : M. Boucher (Ungava)?

M. Boucher : Contre.

La Secrétaire : M. Giguère (Saint-Maurice)?

M. Giguère : Contre.

La Secrétaire : M. St-Denis (Argenteuil)?

M. St-Denis : Contre.

La Secrétaire : M. Ouellette (Chomedey)?

Le Président (M. Ouellette) : Je vais m'abstenir. Donc, l'amendement proposé par Mme la députée de Taschereau est rejeté. Et Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Oui, M. le Président. Je suis vraiment déçue de voir qu'on introduit de la confusion. C'est la journée de la confusion. Après la confusion, c'est le mariage religieux. On est rendus dans la confusion sur les appels ou les choses.

Des voix : ...

Mme Maltais : M. le Président, je ne vois pas le problème, là. J'ai quand même le droit de commenter un peu, là, hein? Si vous cherchez un lien avec le projet de loi n° 59, je vais vous dire le lien, c'est la section... article 10 de l'autre partie, sur les mariages forcés, si ça peut vous rassurer, là...

1valle

Mme Vallée : ...

Mme Maltais : O.K. On va le faire tout à l'heure, avec plaisir.

Le Président (M. Ouellette) : Woups! Oui?

Mme Maltais : J'ai juste dit le mot. Bien, moi, vous auriez dû laisser passer la phrase, ça aurait été fini. Il y a des moments où il faut parfois apprendre à laisser passer les choses.

Je vois que la CAQ aussi est d'accord pour que le projet de loi s'applique aux mineurs, j'en suis désolée. Je pensais que vous nous suiviez dans cette idée-là. Quand on n'est pas d'accord avec une loi, quand on voit qu'en plus elle s'applique aux mineurs, c'est assez... Je suis un peu étonnée de votre position. Mais enfin vous aurez sûrement d'autres moments pour nous expliquer.

Alors, M. le Président, comme cette loi, supposément, devait être amendée, d'après le premier ministre, pour se limiter à des appels à la violence, je vais déposer un amendement conforme à la volonté du premier ministre.

Alors, amendement : Modifier l'article 1 de la loi proposée par l'article 1 du projet de loi en remplaçant, dans le premier alinéa, les mots «discours haineux et les discours incitant à la violence» par les mots «appels directs à la violence». Voilà, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : Je vais suspendre quelques minutes.

(Suspension de la séance à 17 heures)

(Reprise à 17 h 8)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Après avoir regardé l'amendement soumis par Mme la députée de Taschereau, je pense que, Mme la députée de Taschereau, vous voulez nous préciser certains détails.

Mme Maltais : Bien, M. le Président, d'abord, je vais retirer l'amendement que j'avais déposé pour déposer le nouveau, parce qu'il y avait une erreur, effectivement, dans l'écriture. Alors, le nouveau, c'est :

Modifier l'article 1 de la loi proposée par l'article 1 du projet de loi en remplaçant, dans le premier alinéa, les mots «discours haineux» par les mots «appels directs à la violence».

Voilà qui respecte le travail qui a été fait auparavant.

Le Président (M. Ouellette) : Voulez-vous nous lire le texte amendé, ça nous donnerait quoi pour le premier paragraphe?

Mme Maltais : Merci. «La présente loi a pour objet d'établir des mesures de prévention et de lutte contre les appels directs à la violence s'exprimant dans un contexte de discrimination, y compris dans un contexte d'endoctrinement ou de radicalisation pouvant mener à l'extrémisme violent. Elle établit également de telles mesures contre les discours incitant à la violence.»

Le Président (M. Ouellette) : Vos commentaires.

• (17 h 10) •

Mme Maltais : M. le Président, on a ici deux types de discours, si on veut, appelant ou incitant à la violence, discours concernant la violence. On sait que j'avais... On a déjà cité maintes, et maintes, et maintes fois le fait que le premier ministre avait dit d'amender... qu'il avait promis d'amender le projet de loi. Et je le cite : «On peut dire toutes sortes de choses, mais on ne peut pas appeler à la violence.» C'est l'appel direct — et même ce sont ses mots — «l'appel direct à la violence» qui doit être visé.

Alors, ce qu'on fait, c'est : on rétablit les choses dans ce sens-là dans cet amendement-là. On parle d'abord de prévention et lutte «contre les appels directs à la violence s'exprimant dans un contexte de discrimination», hein, «les appels directs à la violence s'exprimant dans un contexte de discrimination». Donc, on sait de quoi on parle, puis, justement, on parle de «contexte d'endoctrinement ou de radicalisation pouvant mener à l'extrémisme violent». D'après ce qu'on nous a dit jusqu'ici, le «y compris» nous mène à cibler plus spécifiquement cela. Donc, on sait qu'effectivement l'endoctrinement et le contexte de radicalisation, c'est des appels... le problème qu'on a souvent, c'est des appels directs à la violence.

D'autre part, évidemment, il y a des choses qui ne sont pas des appels directs à la violence, mais il y a des discours qui incitent à la violence. C'est très différent. Il y a l'appel direct à la violence : Il faut faire le djihad, il faut combattre les mécréants. C'est un des discours... un appel direct à la violence, le jeune qui a déjà dit : Il faut tuer les musulmans, c'est épouvantable, ta, ta, ta. Ça, c'est de l'appel direct à la violence. Mais il y a des discours qui incitent à la violence, qui amènent à la violence, alors c'est pour ça qu'on a mis les deux dans cette proposition.

Donc, on clarifie en enlevant le concept de discours haineux dans la première partie. Ensuite, on le retrouve dans la deuxième partie. Mais c'est d'abord une loi qui établit des mesures de prévention et de lutte contre les appels directs à la violence dans un contexte de discrimination puis contre les discours incitant à la violence. En fait, elle s'applique aux discours haineux et aux discours incitant à la violence. Moi, ça me semble assez clair.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : On a eu bien des moments pour s‘exprimer sur cette question-là, les discours qui incitent à la violence font l'objet de... font déjà l'objet du projet de loi. Les discours haineux, on a eu la chance... on a eu le loisir d'en parler abondamment et de parler et d'expliquer le pourquoi derrière l'inclusion du discours haineux dans le projet de loi. On a fait référence aux différents schémas ou aux schémas qui amènent à la radicalisation qu'on avait retrouvés dans certains mémoires. Donc, j'ai l'impression...

 Je comprends que ma collègue dépose un nouvel amendement. Par contre, le débat a été abordé à maintes et maintes reprises. D'ailleurs, on a fait beaucoup d'efforts, il y a quelques jours, quelques mois, pour modifier la définition de discours haineux, et on l'a fait en collaborant avec nos collègues de l'opposition. On a même apporté des amendements à leur demande, suite à leur suggestion. Et donc, là, on revient...

Je comprends, là, c'est ce que... La collègue est quand même conséquente, mais il n'en demeure pas moins que le discours haineux, et la définition du discours haineux, a fait l'objet d'un travail important ici, en commission parlementaire, qui vise à bien circonscrire, à bien limiter la portée pour éviter que ne soient affectés... que ne soient visés ceux et celles qui ne font qu'émettre un discours d'opinion, pour éviter ce que la collègue qualifiait de «potentielle dérive». Donc, dans le contexte... et dans le contexte aussi de toute la radicalisation, de la radicalisation qui mène à la violence, de l'explication qui nous a été fournie par le centre de prévention, qui nous indique que la violence va être prônée, d'abord et avant tout, par un discours, un discours qui va mettre à l'écart des groupes. Et c'est ça qu'on vise : c'est qu'on ne vise pas seulement que le discours violent, on vise aussi ce noyau qui va se gangrener par la tenue d'un discours qui est haineux. Et on en a parlé abondamment.

Alors, voilà. Je le disais pour l'attention du collègue de Rimouski, qui s'est joint à nous aujourd'hui, qui n'avait peut-être pas eu l'opportunité de nous entendre élaborer sur la question.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Richelieu.

M. Rochon : Écoutez, moi, je salue l'amendement de ma collègue de Taschereau parce qu'il aurait pour effet, s'il était ici adopté, ce dont je doute —mon optimisme est fort modéré, M. le Président — il aurait pour effet de faire subir une méchante cure minceur au gros bureau des plaintes de la commission des droits de la personne et de la jeunesse, une méchante cure minceur, si on ne devait s'attarder qu'aux appels directs à la violence.

Et j'ai le goût de citer deux de vos amis, M. le Président, je l'ai fait souvent, mais ça vaut la peine de les refaire parler de temps à autre, je trouve que c'est instructif : Mme Fatima Houda-Pepin, que je peux appeler de son nom, hein, puisqu'elle ne siège plus parmi nous... Comment ça, qu'elle ne siège plus parmi nous? En tout cas. Alors : «L'ancienne élue libérale Fatima Houda-Pepin...

Le Président (M. Ouellette) : De La Pinière.

M. Rochon : ... — oui, de La Pinière, c'est le ministre de la Santé maintenant qui représente cette circonscription — juge que le gouvernement [...] favorise les intégristes avec le projet de loi n° 59 qui les aidera à stigmatiser les critiques de leur pratique rigoriste.»

Et je rappelle ce qu'elle a dit : «"Je suis estomaquée" [a-t-elle lancé] à l'issue de sa comparution [ici] en commission parlementaire au sujet du projet de loi n° 59[...]. "C'est une revendication des intégristes depuis longtemps", estime[-t-elle].

«Grâce au projet de loi n° 59, un groupe religieux, et non plus seulement une personne croyante, pourrait se dire la cible d'un discours haineux alors qu'il ne s'agirait que de critiques découlant d'un exercice légitime de la liberté d'expression...» Et elle ajoute qu'«avec une telle loi, elle aurait [sans doute pu être] condamnée pour islamophobie quand elle a combattu en 2005 les imams qui voulaient imposer la charia au Canada».

Elle aurait sans doute pu être condamnée, en effet, puisque, nous a souventefois expliqué la ministre, ce n'est pas l'intention qui compte, c'est l'effet, l'effet sur les gens du discours, entre guillemets, haineux, là. Et elle ne tenait pas un discours haineux, Mme la députée de La Pinière, ce n'est pas son genre.

Je veux maintenant vous parler du...

Le Président (M. Ouellette) : Vous lui prêtez des intentions, M. le député de Richelieu.

M. Rochon : Pas du tout. D'ailleurs, je provoque chez vous un rire que je ne m'explique pas.

Je veux maintenant vous parler du premier ministre, dont on pourrait presque croire qu'il a donné un coup de fil, avant le début de la séance, à la députée de Taschereau pour lui dire : Repasse... repose... revient avec ton amendement, puisque cet amendement, il rejoint ce que le premier ministre exprimait lui-même.

Il a convenu, en août 2015 — Le Devoir en parlait — «de la nécessité de restreindre la portée du projet de loi» pour ne lutter... Puis ça aussi je l'ai dit souvent, c'est pour ça que j'ai ce ton-là, là, parce que je sais que mes amis d'en face doivent être excédés de l'entendre, mais je me sens le devoir de répéter. Donc, le premier ministre a souhaité que le projet de loi se restreigne à lutter contre les discours incitant à la violence. Il a souhaité que le projet de loi ne prohibe que les appels directs à la violence. C'est exactement, exactement, exactement l'objet de l'amendement de ma collègue de Taschereau.

«"Le but — disait le premier ministre — n'est pas de réduire la liberté d'expression au Québec, mais d'en indiquer la limite, qui, à mon avis, requiert le consensus et va recueillir le consensus des citoyens. [...]On peut dire des bêtises. On peut dire toutes sortes de choses, mais on ne peut pas appeler à la violence."

«Le projet de loi — dit l'article du Devoir du 29 août 2015 — sera ainsi amendé — ah! c'est peut-être aujourd'hui que ça va se produire, finalement — afin de préciser la "démarcation" entre l'acceptable et l'inacceptable, le permis et l'interdit. "Elle doit être explicite[...]. La ligne pour moi — dit le premier ministre — c'est l'appel [...] à la violence."»

Bien, voilà, on est exactement là où nous souhaitons que le projet de loi prohibe l'appel direct à la violence.

M. Merlini : M. le Président, j'aurais une question de règlement.

Le Président (M. Ouellette) : Oui, M. le député de La Prairie.

• (17 h 20) •

M. Merlini : Question de règlement en vertu des articles 197 et 198. L'amendement, tel qu'il est proposé, enlève les mots, dans le premier alinéa, «contre les discours haineux», alors que le texte dit clairement qu'il a été... l'amendement qui a été adopté à l'article 1, puis qu'on a adopté plus tôt aujourd'hui, dit que la loi a pour objet d'établir des mesures de prévention et de lutte contre les discours haineux.

Dans le deuxième alinéa, on dit que la loi, on dit... c'est écrit : «Elle s'applique aux discours haineux et aux discours incitant à la violence», ça continue.

Et, au troisième paragraphe... au troisième alinéa, on dit : «Est un discours haineux, un discours visé au deuxième alinéa». Alors, le fait de venir enlever, dans le premier alinéa, l'aspect de «contre les discours haineux» pour le remplacer par les mots «appels directs à la violence» dénature, selon moi, l'amendement que nous avons adopté et dénature le propos qui est inscrit là.

Alors, c'est pour ça que je fais un appel au règlement pour vous demander une question de directive sur la recevabilité de la motion, qui dénature vraiment ce qu'on a déjà adopté.

Le Président (M. Ouellette) : Alors, Mme la députée de Taschereau, vous avez quoi à me dire là-dessus?

Mme Maltais : Oui, M. le Président. Si vous lisez très bien l'article au complet, vous verrez qu'au troisième alinéa, où l'on décrit qu'est-ce que le discours haineux, on dit : «Est un discours haineux, un discours visé au deuxième alinéa...» Avons-nous enlevé les mots «discours haineux» du deuxième alinéa? Non, M. le Président, nous ne l'avons pas enlevé, il est toujours là. Il est toujours là.

Alors, que faire? On va faire un, deux, trois. Que fait l'alinéa un? Il dit de quoi parle la loi : d'établir des mesures de prévention contre les appels directs à la violence et contre les discours incitant à la violence.

Elle s'applique à quoi? Elle s'applique aux discours haineux et aux discours incitant à la violence, tenus et diffusés.

Ah! on rajoute un nouveau concept, «discours haineux». Très bien. Explicitons-le. Et voilà, il est explicité. Il n'y en a pas, de problème, M. le Président.

M. Merlini : M. le Président, si vous me permettez?

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de La Prairie.

M. Merlini : Le titre même du projet de loi dit que c'est la Loi édictant la Loi concernant la prévention et la lutte contre les discours haineux et les discours incitant à la violence et apportant diverses modifications législatives pour renforcer la protection des personnes.

L'article 1, comme y a fait référence tantôt le député de Rimouski, c'est le coeur même, l'essence même de ce projet de loi. Et, si on vient enlever dans le premier alinéa l'aspect de la lutte contre les discours haineux, bien, on vient dénaturer le titre même du projet de loi. Je comprends l'argument de la députée de Taschereau, qui fait référence au deuxième et au troisième alinéa, mais, en l'enlevant dans le premier paragraphe de l'article 1, on dénature vraiment l'objet du projet de loi dans le titre, qui dit clairement que c'est une loi concernant la prévention et la lutte contre les discours haineux.

Alors, voilà pourquoi je demande cette question de règlement, à savoir si c'est recevable ou non.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : À ce nouvel argument concernant le titre, M. le Président, ce n'est pas pour rien qu'on adopte le titre à la fin, c'est parce qu'il peut y avoir des modifications dans une loi. D'ailleurs, c'est pour ça aussi qu'on adopte le préambule à la fin, c'est parce qu'il peut y avoir des modifications, dans une loi, qui nous amènent à modifier le préambule et le titre. Donc, l'argument du collègue est intéressant, mais, quand on aura adopté le reste, on pourra débattre du titre, c'est ça qui est la règle du jeu, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de La Prairie.

M. Merlini : Alors, à ce moment-là, M. le Président, je vous demande une question de directive à savoir si l'amendement est recevable.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de La Prairie, je vais effectivement donner la parole à M. le député de Richelieu ou M. le député de Rimouski, en vous disant que l'amendement est recevable, qu'il ne dénature pas le projet de loi. Et je donne la parole à M. le député de Rimouski.

M. LeBel : As-tu l'article?

Une voix : C'est l'article 1.

M. LeBel : Non, non, c'est...

Des voix : Ha, ha, ha!

M. LeBel : Oui, puis le titre va correspondre à l'article 1, éventuellement, j'ai bien l'impression.

Non, le premier ministre le disait clairement : ce qu'il veut, c'est que le projet de loi s'adresse aux appels directs à la violence. C'est assez clair dans ses déclarations, je pense que c'était ça qu'il voulait. Ça fait que l'amendement vient juste copier-coller ce que voulait le premier ministre comme objectif, comme objet du projet de loi.

Ce qu'il disait... «...les discours incitant à la violence. Celui-ci prohibera seulement "l'appel direct à la violence", a-t-il indiqué» aux journalistes. Je pense, ça vient confirmer ce que le premier ministre voyait comme objet de ce projet de loi, ça vient juste confirmer.

Comme je disais, moi, depuis le tout début, puis j'essaie d'assister comme je peux, là... À travers mon rôle de whip, j'essaie de me sauver... bien, d'essayer d'intégrer la commission aux moments que je peux. J'essaie aussi de... je fais ça souvent, j'en discute avec des amis ou avec des gens de mon organisation, avec des intervenants, des citoyens, tu sais, j'essaie de voir un peu comment les gens voient tout ça. Puis c'est clair : le hic, c'est un projet de loi qui embrasse trop large puis qui vient comme restreindre la liberté d'expression. C'est ça, le gros questionnement que les citoyens se disent puis que les gens, quand on en discute, nous disent.

Ce que tout le monde comprend, c'est quand quelqu'un vient faire un discours qui appelle à la violence contre des groupes, contre des gens, ça, par exemple, c'est clair pour tout le monde. Ça, ils disent : Non, non, ça, on ne peut pas accepter ça. Tu sais, quand tu prends les ondes ou tu prends les tribunes... Puis là, par les médias sociaux maintenant, il y a toutes sortes de façons de le faire, puis c'est rendu un peu fou, là, on a de la misère à suivre. Il y a tellement de moyens, à un moment donné, où tu peux faire des appels à la violence que, oui, effectivement, c'est comme confirmé. Il faut faire quelque chose, il faut intervenir là, on ne peut pas laisser faire ça parce que ça devient trop facile. Ça, ça fait consensus.

Mais les discours haineux, les discours... ça, c'est plus compliqué, puisqu'on se dit : C'est quoi? On va jusqu'où? Comment on peut gérer tout ça? Puis des fois je me sens... Tu sais, tout le discours sur les discours haineux puis la radicalisation, le djihad, l'islam, moi, je me sens, des fois, un peu comme... tu sais, on connaît moins ça. Puis il faut le dire, là, je le dis honnêtement : Dans nos régions, chez nous, je n'ai pas ce genre de problème là au cégep à Rimouski ou à l'université à Rimouski. Ça fait que c'est sûr que moi, j'ai un oeil différent, tu sais, quand on discute de ça. Et c'est un peu normal, là, ce n'est pas... le Québec est différent de région en région, puis on a des réalités différentes. Puis des fois je me dis, comme je disais tantôt : J'aime... Des fois, je me dis : Si je passais un peu de temps dans la métropole ou... Tu sais, on parlait beaucoup du cégep de Maisonneuve, je serais curieux de prendre du temps, aller un peu voir les situations.

Mais moi, je vis une autre réalité. Puis, comme législateur, comme représentant des gens de chez nous, bien, je porte cette réalité-là puis je pose des questions. Et là-dessus, je vous le dis, c'est assez clair, pour les citoyens, un projet de loi qui arrive, là, qui nous arrive... qui va comme essayer de baliser la liberté d'expression, parce qu'il faut le dire comme ça, c'est ça que ça fait, bien, ça rappelle certains souvenirs, tu sais, la Loi du cadenas, d'autres lois que, dans le passé... Ça rappelle des affaires, tu sais, puis le monde dit : Wo! On a déjà voulu jouer là-dedans puis on n'a pas, tu sais... Je ne sais pas si ça dit encore des choses pour les gens, mais Adrien Arcand, tu sais, je ne sais pas si on se rappelle de ça, c'est... les plus vieux s'en rappellent, oui, mais, tu sais, ça ramène ce genre de débat qu'on a eu, que nos parents ou nos grands-parents ont eu, puis qu'ils ont déjà vécu, puis ils se disent : Quand on touche à ça, là, il faut être prudent. Ça fait que c'est ce que le monde nous disent puis me disent.

Ça fait que je trouvais que le premier ministre avait fait preuve de bon jugement en disant... en essayant de ramener les affaires simples. Le projet de loi doit viser seulement, ce qu'il dit, l'appel direct à la violence. Et c'était sage, il faut le dire. Puis moi, je me... Est-ce qu'on pourrait travailler à partir de ça? Puis ça, je pense, ça fait consensus, ça, je pense que les gens comprennent ça. Puis les gens n'acceptent pas des discours qui font des appels directs à la violence. Personne n'accepte ça.

• (17 h 30) •

Puis des gens qui, sans préjugé, là, sans rien... Des fois, tu ne connais pas toute la situation, mais tu dis : Ça, ça ne peut pas... on ne peut pas accepter ça. Je ne connais pas toute la situation, mais c'est clair que c'est un appel direct à la violence, puis je ne peux pas l'accepter. Ça, les citoyens comprennent ça. Ils sont prêts à aller vers ça, parce que c'est clair puis c'est... Aller plus large, commencer à tomber dans des définitions... Tu sais, on dit «discours haineux», mais on a tellement de la difficulté à savoir exactement c'est quoi qu'on s'embarque dans des définitions exactes des discours haineux puis ça va aller jusqu'où? Comment? Puis c'est qui qui va décider, en haut, après des enquêtes qui peuvent durer des années, un an ou plus qu'un an? On parle d'enquêtes qui vont essayer de déterminer c'est quoi, le discours haineux, puis comment ça fonctionne. Ça, le monde ont bien de la difficulté à embarquer là-dedans. Tu dis, là, on a assez de patentes qui nous contrôlent de partout puis assez d'affaires, là on va embarquer dans quelque chose où des gens pourraient être accusés... Puis là on parle de jeunes, en plus, en bas de 18 ans qui pourraient être enquêtés sur des discours haineux, avec une définition que pas tout le monde va saisir comme il le faut, parce que ça devient assez compliqué.

Si, tout le monde ensemble, on acceptait la proposition du premier ministre de dire : Allons-y pour quelque chose de clair, quand on parle d'appels directs à la violence, oui, donnons-nous des moyens pour intervenir rapidement, parce que ça, ce n'est pas acceptable.

Je pense même que, de toutes les régions du Québec, de toutes les situations que tu peux vivre, de toutes les connaissances que tu peux avoir sur des réalités modernes de métropole, des réalités modernes qu'on ne saisit pas, tout le monde, de façon égale, mais ça, on peut comprendre ça, par exemple. Ma grand-mère comprend ça, tu sais, mais... Tout le monde comprend ça. On ne peut pas faire des appels directs à la violence, ce n'est pas acceptable. Tu n'as pas besoin de tout savoir ce qui se passe avec différentes réalités, ça, c'est la chose qu'il faut faire. Ça va de soi puis que... Ça fait qu'il me semble, encore je répète, c'est un peu un élan de sagesse du premier ministre qu'on devrait suivre, parler d'appels directs à la violence. C'est clair puis ça dit ce que ça veut dire.

Le Président (M. Ouellette) : Vous êtes chanceux qu'on n'ait pas de caméra. Mme la députée de Montarville, vous vouliez intervenir?

Mme Roy (Montarville) : Oui, s'il vous plaît. Merci, M. le Président. D'abord, j'aimerais tout de suite réconforter ma collègue la députée de Taschereau, qui m'a interpellée tout à l'heure. Alors, j'aimerais prendre quelques instants pour lui répondre brièvement, mais elle va comprendre ma réflexion, la raison pour laquelle j'ai voté contre l'amendement de tout à l'heure, et elle semblait ahurie et me dire : Comme ça, vous êtes pour que cette loi s'applique aux mineurs? Alors, voici ma réflexion.

Ce que je souhaite, c'est qu'une loi s'applique auprès de jeunes... Mais on se comprend, là, on ne parle pas d'enfants, là. Vous savez comme moi, Mme la députée de Taschereau, les jeunes de 16 et 17 ans qui prônent le djihad, c'est à eux qu'il faut s'adresser aussi, et malheureusement ils sont mineurs. Et actuellement force est de constater qu'on n'a rien. Alors, ça prend une loi pour, justement, pouvoir faire quelque chose contre ces jeunes qui prônent le djihad, ou qui s'enrôlent dans le djihad, ou qui vont faire le djihad.

D'ailleurs, il manque d'outils. Alors, je ne vous dis pas que c'est cette loi-ci actuellement, parce qu'il faut travailler, puis on travaille, puis on travaille, puis ça n'avance pas beaucoup, mais chose certaine, il manque d'outils. Et on n'a qu'à penser au fameux collège Maisonneuve. La direction est prise avec un manque d'outils. Et là on ne parle pas de jeunes qui ont 18, 19, 20, 21. On parle de mineurs qui fréquentent le cégep. Bon, on arrive à 18, là, mais on commence à 16, 17, là, au cégep. Donc, ça pourrait fournir des outils dans le cas de mineurs. Mais naturellement, comme je vous dis, actuellement, il y a comme une montagne de travail à faire.

Alors, de quelle loi parle-t-on? Ça, c'est une autre question, mais je crois qu'il faut également toucher à ces jeunes de 16 et 17 ans. Et, comprenez-moi bien, là, quand je parle de mineurs, là, je ne parle pas d'enfants de neuf ans ici, là. Parce que n'oublions pas l'objet de tout ça : contrer la radicalisation. Ce n'est pas les enfants de neuf ans, 10 ans qui se radicalisent, là. On est vraiment lorsque des jeunes se cherchent davantage à l'adolescence. C'était pour réconforter ma collègue.

Cela dit, si je reviens sur l'amendement du député de l'opposition officielle... Je vais vous avouer quelque chose, M. le Président : Lorsque la ministre a déposé sa loi, en juin dernier, et que j'ai vu le titre, Loi édictant la Loi concernant la prévention et la lutte contre les discours haineux et les discours incitant à la violence et apportant diverses modifications législatives pour renforcer la protection des personnes, j'ai dit : Mon Dieu! Pourquoi qu'on s'en va là? Pourquoi est-ce que c'est le discours haineux et le discours incitant à la violence qu'on veut légiférer ou encadrer? Parce que mon instinct de personne, de citoyenne me dit : Ce n'est pas à tous les discours qu'il faut s'attaquer. C'est aux discours des intégristes religieux, c'est aux discours des islamistes radicaux, c'est aux discours des agents de radicalisation. C'est à ce type de discours là qu'il faut s'attaquer si on veut contrer la radicalisation, l'endoctrinement. Parce que c'est toujours le but, la seule raison pour laquelle on est ici, c'est parce qu'il y a un phénomène. Et ça, je vous dis, c'est la citoyenne en moi qui a dit ça.

Mais l'avocate en moi, elle dit : Ah! bien, ce sont les termes qui sont utilisés légalement. Et je l'ai d'ailleurs dit ici, à ce micro : Lorsqu'on fait une loi, on se colle sur la jurisprudence pour que la loi puisse être acceptée ou répondre... passer le test des tribunaux. Et de quoi parle-t-on dans les décisions dont nous avons fait mention plus d'une fois, Taylor et Whatcott? On parle de discours haineux, discours incitant à la violence, discours haineux. Alors donc, c'est normal, pour les législateurs et toute son équipe de juristes également, de reproduire les termes qui sont communément reconnus et approuvés par la communauté juridique.

Mais il y a aussi la politicienne en moi. Alors, je comprenais la réflexion de la ministre puis je la comprends toujours, cette réflexion-là, mais la politicienne en moi, elle dit : Bon Dieu! Depuis le temps qu'on est en train de discuter de ça, depuis le temps qu'on est ici. Ce n'est effectivement pas les discours de n'importe qui qu'on veut viser — ça, la ministre nous l'a dit — ce n'est effectivement pas les discours des humoristes, des chroniqueurs, des chanteurs, des rappeurs, des... Non, c'est des discours très précis, mais pas de n'importe qui. On revient vraiment encore à qui? À ces gens qui réussissent à endoctriner les jeunes et à faire en sorte que les jeunes se radicalisent, puisque c'est une loi pour contrer la radicalisation.

Alors, dans cette optique — et nous avons déposé en liasse plusieurs amendements à la ministre — moi, j'aurais souhaité depuis le début que l'on voie les termes que je vous ai dits et que je vais répéter, que nous nous attaquions aux discours des intégristes religieux, aux discours des islamistes radicaux, aux discours des agents de radicalisation, et j'en passe, on aurait pu dire des extrémistes religieux, comme l'a dit Ban Ki-moon d'ailleurs si sagement lors de sa visite à Montréal.

Et c'est la raison pour laquelle l'amendement qui nous est soumis, je le trouve fort intéressant, puisqu'on enlève le fameux terme «discours haineux». Et cependant j'irais même plus loin, c'est que, si on enlève le terme «discours haineux», il faut l'enlever partout, on ne peut pas l'enlever uniquement dans le premier alinéa, il faut l'enlever partout. Ce ne serait plus une loi contre les discours haineux, mais les discours... ou, pardon, les appels directs à la violence, ce que je trouve très intéressant, «appels directs à la violence», et je trouve que c'est un pas dans la bonne direction. Et je vous dis : C'est un pas dans la bonne direction parce qu'il faudrait rajouter peut-être — je vous soumets ça respectueusement — d'autre chose. Parce que, dans le processus de la radicalisation et de l'endoctrinement, il n'y pas que des appels directs à la violence. Quand on est rendus aux appels directs à la violence, le travail est pas mal fait, et là le jeune, il est prêt à passer à l'acte.

Cependant, avant qu'il soit endoctriné puis qu'il ait été radicalisé, on va tenir d'autres propos, on va dire des propos qui... Justement, pour interpeller ma collègue de Taschereau, lorsque ces agents de radicalisation vont enseigner à ces jeunes que la femme doit rester à la maison, qu'elle ne peut pas sortir sans tuteur, un, ce n'est pas un discours haineux, donc Mme la ministre ne pourrait pas le proscrire, et, deux, ce n'est pas plus un appel direct à la violence. Quoique, pour les oreilles d'une femme et des hommes que vous êtes tous ici, entendre qu'une femme n'est pas l'égale d'un homme et ne peut pas sortir seule, ça vous offusque. Sauf qu'il n'y a personne... À la lumière de tout ce qu'on a, là, présentement, il n'y a rien qui empêche ce type de propos. Et ça fait partie de l'endoctrinement.

Donc, c'est la raison pour laquelle, oui, c'est un pas dans la bonne direction, «appels directs à la violence», mais moi, je cogite à l'effet qu'il faudrait rajouter ces espèces de propos qui sont les propos d'endoctrinement qui mènent à la radicalisation et qui incluent des propos qui ne sont pas nécessairement violents ou incitant à la violence parce que c'est, et nous le disions, insidieux. C'est une longue fomentation et c'est un continuum d'enseignements, de prêches, de préceptes, de paroles dites, répétées, transmises pour en arriver à la radicalisation.

Donc, mon propos était de deux ordres : rassurer ma collègue, lui expliquer la raison pour laquelle je considérais qu'il fallait aussi faire quelque chose pour les djihadistes de 16 et 17 ans, parce que c'est à ça aussi qu'on est confrontés — on a juste à aller au collège, au cégep — et souligner le fait que... omettre carrément «discours haineux» partout dans le projet de loi. Déjà, je pense qu'on pourrait s'entendre sur plusieurs choses, enlever le critère de discours haineux, qui, je le sais en tant que juriste, répond aux critères de l'arrêt Whatcott. Mais être politicien, c'est peut-être ça aussi, être législateur, c'est essayer de faire changer les choses. Puis, des fois, ça prend du courage, puis, des fois, il faut sortir des balises qui sont édictées pour créer de nouvelles balises, et, on se comprend, de façon très exceptionnelle, parce qu'il s'agit d'une situation exceptionnelle.

D'ailleurs, je rappellerai à la ministre que, lors du projet de loi n° 26, qui était justement pour se faire rembourser les sommes que nous nous étions fait voler... ou que nous avons versées...

Une voix : En trop.

• (17 h 40) •

Mme Roy (Montarville) : ...en trop, voilà, auprès de contracteurs, etc., ce projet de loi là a passé, et c'était un projet d'exception, et c'était un projet qui allait à l'encontre de ce que le Code civil prévoyait actuellement. On a renversé les présomptions, on a créé des présomptions. On a renversé la durée de la prescription, on l'a allongée. Alors, moi, je pense que, lorsque le législateur veut, il peut.

Alors, c'est la raison pour laquelle je vous soumets que c'est un pas dans la bonne direction et que, si on pouvait faire sauter, partout dans ce projet de loi, «loi contre les discours haineux et les discours incitant à la violence», en étant beaucoup plus précis, plus ciblé — c'est ce qu'on dit depuis le début — les discours de ces intégristes religieux, les discours de ces islamistes radicaux, les discours de ces agents de radicalisation, qui sont des appels directs à la violence ou qui mènent à la radicalisation, qui pourraient être d'autres types de discours, d'autres phrases que des appels uniquement violents... qui mènent directement à la violence, pardon.

Alors, c'était le commentaire que je voulais faire, et puis rassurer ma collègue, également, de Taschereau, puis effectivement se poser la question : Est-ce qu'on est là pour suivre tous les préceptes de Whatcott ou est-ce qu'on peut aller plus loin? E ce qu'on peut, en tant que législateurs, faire sauter les barrières qui sont devant nous pour un motif exceptionnel, une raison exceptionnelle? Puis, on lui fera passer le test ou on utilisera la clause «nonobstant». Merci, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre, un commentaire sur...

Mme Vallée : On a eu l'opportunité d'en jaser et de discourir amplement sur la question, comme je l'ai mentionné. Parce que je comprends les points qui sont soulevés par notre collègue de Montarville. Je pense qu'elle est très constante dans ses demandes, dans ses représentations.

Et, toute la question de la radicalisation, on en a parlé. La radicalisation en soi, il n'y a pas de problème, c'est la radicalisation qui va mener vers un discours... Parce que la radicalisation comme telle, on l'a vu, dans certains cas, elle n'est... si elle n'amène pas à la violence, si elle n'amène pas à un discours haineux... On peut être radical dans une pensée. Et on a échangé longuement sur cette question-là.

Alors, l'objectif, ce n'est pas justement d'avoir un projet de loi qui, par le choix des mots, va venir... risque de ratisser encore plus large que ce qui est prévu. Alors, on tente vraiment de cibler des éléments précis qui sont le discours haineux... Et je pense qu'on a fait un travail sérieux pour l'encadrer, pour le définir et bien certainement les discours qui incitent à la violence. Et là, dans le discours qui incite à la violence, on vient chercher les préoccupations de la collègue. Et même, dans le discours haineux, parce que rappelons-nous les amendements que nous avons apportés, on vient cibler aussi des préoccupations que notre collègue avait soulevées.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Richelieu.

M. Rochon : Oui, merci, M. le Président. J'ai écouté très, très attentivement la députée de Montarville et je me suis demandé si elle entendait proposer une série d'amendements ayant pour effet de rayer du projet de loi, partout où cette expression apparaît, l'expression «discours haineux». Est-ce que je dois comprendre que nous aurons droit à des amendements en ce sens, M. le Président?

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Richelieu, vous m'adressez cette requête?

M. Rochon : Oui.

Le Président (M. Ouellette) : Est-ce que madame...

Mme Maltais : ...on veut comprendre l'intention.

Le Président (M. Ouellette) : Oui, oui. Non, non.

M. Rochon : C'est ça, je souhaite mieux comprendre l'intention, là, comment techniquement elle va atterrir ici, là, l'intention de la collègue de Montarville.

Le Président (M. Ouellette) : Je pense que, dès le début, M. le député de Richelieu, Mme la députée de Montarville a déjà déposé certains amendements. Donc, peut-être qu'il y en aura d'autres. Et je comprends que vous avez une interrogation dans votre commentaire sur l'amendement de Mme la députée de Taschereau.

M. Rochon : Elle a évidemment le libre choix de ne pas y répondre, mais au moins elle aura entendu — et ceux qui suivent nos travaux également — cette interrogation que je portais.

Sur les appels directs à la violence, il y a Guillaume Rousseau et François Côté, respectivement professeur de droit et candidat au doctorat en droit à l'Université de Sherbrooke, qui nous ont fait part de leur opinion : «Nous nous joignons à nos collègues juristes qui, sous la direction de Me Julie Latour, se sont mobilisés pour vous dire que la partie I de ce projet de loi constitue un danger grave pour la liberté d'expression. Cela est d'autant plus vrai au Québec où, pour l'instant, les rapports entre liberté d'expression et religions semblent plus favorables à la première qu'ailleurs au Canada. Dans ce contexte, l'ouverture du gouvernement, qui semble prêt à reculer — à reculer — en interdisant seulement les appels directs à la violence et non plus les discours haineux au sens large, doit être saluée.» Ils avaient lu, hein, l'article auquel je référais plus tôt, où le premier ministre annonçait ça, hein, que le projet de loi allait ne s'attaquer qu'aux appels directs à la violence.

«À notre avis — écrivent Rousseau et Côté — il serait préférable de laisser tomber l'ensemble de cette partie I, ne serait-ce que pour prendre le temps de commander une étude approfondie sur l'opportunité de régir davantage les discours haineux et discours incitant à la violence. Cette étude pourrait être l'occasion d'analyser des moyens de lutter contre ces discours qui portent peu ou pas atteinte à la liberté d'expression, un peu comme l'a fait le rapport Moon. D'ailleurs, c'est en s'inspirant notamment de ce rapport que nous proposons la mise de côté de la partie I du projet de loi ou, à défaut, la modification en profondeur de plusieurs de ses éléments, surtout eu égard à la portée de l'interdiction, aux sanctions qui y sont associées et à l'autorité appropriée pour en assurer le respect.

«Dans l'éventualité — poursuivent-ils — où le Parlement [déciderait] de ne pas mettre de côté la partie I, il devrait tout au moins la modifier substantiellement — et vous allez voir que ça vient appuyer l'amendement qui est sur la table actuellement. La référence aux "discours haineux" devrait être retirée — la députée de Montarville a entendu — tant ce concept est flou et donc de nature à permettre à la commission des droits de la personne et de la jeunesse et aux tribunaux de brimer la liberté d'expression. L'idée d'interdire seulement les appels directs à la violence est un pas dans la bonne direction. Il faudrait toutefois faire un pas de plus et interdire...» Écoutez, ça recoupe l'ensemble des amendements qui ont été présentés ici aujourd'hui, amendements et sous-amendements. «Il faudrait toutefois faire un pas de plus et interdire seulement les appels directs et répétés à la violence. Le but est d'éviter de mobiliser les ressources et le pouvoir coercitif de l'État pour une personne qui n'aurait fait que "déraper" à [...] une reprise, par exemple sur un réseau social où la spontanéité des échanges favorise les "dérapages". Il y aurait également lieu de prévoir qu'une personne ne [pourrait] être reconnue comme ayant commis l'infraction que si elle avait l'intention d'inciter à la violence. Ici, il s'agit notamment d'éviter qu'une personne commette l'infraction en employant une métaphore un peu violente, alors qu'elle n'a aucunement pour but de faire en sorte que le groupe visé pas sa métaphore soit violenté[...].

«Surtout si le projet de loi se concentre sur les discours incitant à la violence de manière répétée et intentionnelle et laisse de côté les "discours haineux", faute d'une définition claire, il ne devrait pas limiter sa protection aux seuls groupes visés à l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne.»

Bon, alors, vous constatez, M. le Président, qu'encore une fois nous trouvons dans les mémoires soumis à la commission de quoi appuyer les amendements et les sous-amendements que nous proposons ici. Ce serait tout un revirement, je l'admets, là, que la ministre concède à cet amendement, mais je répète que c'est ce qu'attendent d'elle la majorité de celles et ceux qui se sont exprimés devant la commission et c'est ce qui répond même à l'opinion du premier ministre, hein, lequel promettait d'amender le projet de loi n° 59 en ce sens. Alors, voilà, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.

• (17 h 50) •

Mme Maltais : Oui, M. le Président. L'amendement que j'ai apporté est une contribution qui va dans le même sens que les contributions que nous avons apportées ou tenté d'apporter — selon la réception qu'ils ont eue — à cette loi pour essayer de la restreindre, d'empêcher qu'elle balise, qu'elle brime trop radicalement, puisque c'est un mot que nous utilisons couramment ici, «trop radicalement», la liberté d'expression. Si on accepte ce que nous proposons, c'est que les personnes qui vont interpréter ensuite cette loi-là, les personnes à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, vont avoir un éclairage supplémentaire. Cet éclairage supplémentaire a été demandé par des gens, en commission parlementaire. Vous avec cité Guillaume Rousseau, et je comprends qu'il reçoit cette fois-ci l'aval de la CAQ, la seconde opposition.

Éclairage supplémentaire... D'où nous sommes-nous inspirés, M. le Président? Qui donc a pu nous inspirer pour se dire : Ceci serait intéressant pour... comme à l'article 1? Bien, du premier ministre. Je l'ai déjà dit, et, je crois, ici c'est assez rare que j'ai comme référence le premier ministre. Ceci dit, tout comme parfois je dis qu'il faut savoir écouter l'opposition... Je viens de le faire d'ailleurs à propos du projet de loi n° 70 qui est en discussion au salon bleu, je proposais une scission en disant : Écoutez, rappelez-vous, si la ministre de la Justice avait écouté l'opposition sur le projet de loi n° 59, peut-être que ça aurait mieux été. Alors, c'est un débat que j'avais amené, je l'ai ramené sur le projet de loi n° 70. Alors, de temps en temps, il faut écouter l'opposition, mais de temps en temps il faut écouter le gouvernement... enfin, le premier ministre.

Des voix : ...

Mme Maltais : Bien, c'est parce que, dans ce cas-là, c'est embêtant parce que la ministre de la Justice n'a pas écouté son premier ministre, donc c'est le gouvernement qui ne s'écoute pas lui-même.

Le Président (M. Ouellette) : Ne lui prêtez pas d'intentions.

Mme Maltais : Non, non, telle n'est pas mon intention.

Le Président (M. Ouellette) : Je le sais.

Mme Maltais : Je n'ai pas l'intention de prêter d'intentions, M. le Président.

Alors, Le Devoir, 29 août 2015 : «"Nous ne voulons pas brimer la liberté d'expression", explique le premier ministre.» Il y a déjà un problème. «Le premier ministre Philippe Couillard...»

Le Président (M. Ouellette) : Woups!

Mme Maltais : Pardon : «Le premier ministre [...] convient de la nécessité...» Il faudrait que je le raie sur mon petit papier.

M. Rochon : Oui.

Mme Maltais : «Le premier ministre [...] convient de la nécessité de restreindre la portée du projet de loi n° 59 visant à lutter contre les discours haineux et les discours incitant à la violence. Celui-ci prohibera seulement "l'appel direct à la violence", a-t-il indiqué [ce] vendredi.

«"Le but n'est pas de réduire la liberté d'expression au Québec, mais d'en indiquer la limite qui, à mon avis, requiert le consensus — on est mal partis, M. le Président, sur le consensus — et va recueillir le consensus des citoyens."» Là-dessus aussi je pense que ce n'est pas véritablement le chemin qui est emprunté actuellement.

Et je finis la citation : «"On peut dire des bêtises. On peut dire toutes sortes de choses, mais on ne peut pas appeler à la violence."

«Le projet de loi n° 59 sera ainsi amendé afin de préciser la "démarcation" entre l'acceptable et l'inacceptable, le permis et l'interdit. "Elle doit être explicite et définie. La ligne, pour moi, c'est l'appel direct à la violence."»

Et ici je me permets un petit commentaire, M. le Président. En plus, je dirais que cet appel a été soutenu et répété, tenu de façon répétée par le premier ministre. Il l'a dit trois fois le même jour, trois fois le même jour. C'est de valeur qu'on n'ait pas retenu «tenu de façon répétée», parce que je trouvais que ça s'appliquait bien à ce moment-ci. Un discours que j'apprécie, «tenu de façon répétée», disant la ligne de démarcation, c'est l'appel direct à la violence.

Alors, si on enlève «discours haineux» dans le premier alinéa seulement, dans le premier alinéa, comme je le faisais remarquer tout à l'heure, pour dire : «La présente loi a pour but d'établir des mesures de prévention et de lutte contre les appels directs à la violence s'exprimant dans un contexte de discrimination», bien, on vient de donner un éclairage supplémentaire. Parce qu'on a également de telles mesures contre les discours incitant à la violence. Mais la ligne demeure toujours la même, c'est la violence. Le mot clé du premier alinéa, quand les gens vont vouloir interpréter la loi, le mot clé, c'est le mot «violence». Ce n'est pas le mot «haine», c'est le mot «violence». Ensuite, on retrouve le mot «haine», discours haineux, interprétation de discours haineux. Mais il y a un mot clé qui est introduit dans le premier alinéa, et je pense que l'intention gouvernementale serait beaucoup mieux exprimée par cela.

Je répète aussi qu'on nous a refusé d'exclure les mineurs, ce que je considère encore qui aurait été important. Je comprends que la CAQ rêve d'une loi qui n'existe pas. Malheureusement, la CAQ rêve d'une loi qui n'est pas cette loi-ci. La CAQ continue à dire... ma collègue de Montarville continue à dire : Dans la loi... On voudrait une loi qui vise la radicalisation, mais ce n'est pas ça qu'on a dans les mains. Alors, si la loi cible mal les personnes, bien, j'ai encore moins le goût qu'elle cible mal des jeunes, des mineurs. C'est simplement... c'est le débat dans lequel on est. Alors, en amenant ça, au moins, on devient dans un contexte qui est vraiment un contexte d'appel direct à la violence. Le mot «direct» est important aussi. Un appel à la violence ou un appel direct à la violence, ça définit le type de discours haineux qu'on veut... le type de discours incitant à la violence qu'on veut amener. Après, il y a le discours incitant à la violence, ça, il y a ça, là, mais les appels directs à la violence, c'est ce dont on parle.

Puis je veux toujours, toujours, toujours ramener à une chose : on est dans un plan de lutte à la radicalisation. C'est drôle, on dirait qu'on l'oublie de temps en temps, quand on étudie cette loi. Moi, je n'oublie pas. On est dans un plan de lutte à la radicalisation qui est supposé nous amener véritablement à combattre l'islamisation. D'ailleurs, la radicalisation qui est entraînée par l'islamisation, qui est un contexte où on mélange le politique et le religieux et qu'on essaie de faire croire aux jeunes qu'ils vont aller aider des sociétés qui sont en guerre actuellement en allant se battre sur leur territoire.

L'objectif, quand on veut radicaliser ces jeunes, ce dans quoi on veut les entraîner, c'est dans la violence. Les sites auxquels ils s'abreuvent, ces jeunes, sont des sites qui appellent au djihad, qui appellent directement à la violence. Moi, je trouve qu'on ciblerait beaucoup mieux la lutte à la radicalisation en prenant ces mots, «appels directs à la violence», M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Montarville, avant qu'on suspende nos travaux, vous vouliez faire une petite intervention?

Mme Roy (Montarville) : Oui. Oui, oui. Tout simplement, pour réconforter ma collègue, est-ce que... Et vous avez posé une question tout à l'heure, M. le député de Richelieu, et c'est... Lorsque j'ai fait ma présentation sur votre amendement, je vous ai dit que...

Le Président (M. Ouellette) : Vous me parlez à moi, là? Oui?

Mme Roy (Montarville) : Oui, M. le Président. Excusez-moi.

Le Président (M. Ouellette) : Non, non...

Des voix : ...

Le Président (M. Ouellette) : Oui, oui.

Mme Roy (Montarville) : Alors, lorsque j'ai fait le commentaire sur l'amendement, je vous disais qu'il fallait que le terme «discours haineux» saute, si vous voulez, mais à chacun des alinéas. Actuellement, nous sommes sur le premier alinéa de l'article 1. Parce qu'actuellement ce que vous faites avec cet amendement-là, c'est que vous changez l'objet du projet de loi mais pas le champ d'application, puisque le deuxième alinéa, c'est le champ d'application. Et le champ d'application demeurerait les discours haineux, mais de toutes sortes, alors avec toutes les largesses proposées par la ministre. Donc, on demeure dans un projet de loi très liberticide. Et ça, c'est si on ne circonscrit pas davantage le discours à ceux qui nous intéressent, ceux qui sont les discours qui relèveraient de l'intégrisme religieux.

Alors, juste pour vous conforter ou vous réconforter, on ne s'était pas opposés au terme «discours haineux», depuis le début, en soi, parce que nous voulions qu'il soit circonscrit à l'intégrisme religieux ou l'extrémisme religieux, comme l'a dit Ban Ki-moon. Mais force est de constater qu'ils ne le seront pas. Alors là, ça change un peu la donne, dans la mesure où on y va d'amendement par-dessus amendement, de réflexion par-dessus amendement, mais on voit qu'on ne circonscrit pas davantage dans le champ d'application. Le champ d'application demeure encore très large.

Alors, c'était un aparté, mais c'était vraiment pour préciser ce fameux terme-là, «discours haineux». Puis, la façon que ça se dirige, il faudrait l'enlever partout, puisqu'on ne circonscrit pas de quel type de discours il s'agit.

Le Président (M. Ouellette) : On va terminer nos travaux, cet après-midi, sur ce commentaire.

Compte tenu de l'heure, la commission suspend ses travaux jusqu'à 19 h 30, et on déménage à la salle du Conseil législatif à compter de 19 h 30.

(Suspension de la séance à 17 h 59)

(Reprise à 19 h 36)

Le Président (M. Ouellette) : À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission des institutions reprend ses travaux. Veuillez vous assurer que vos appareils électroniques sont en mode silencieux afin de ne pas perturber nos travaux.

Je vous rappelle que la commission est réunie afin de poursuivre l'étude détaillée du projet de loi n° 59, Loi édictant la Loi concernant la prévention et la lutte contre les discours haineux et les discours incitant à la violence et apportant diverses modifications législatives pour renforcer la protection des personnes.

Lors de la suspension de nos travaux à 1.38, nous étions à l'étude de l'amendement présenté par Mme la députée de Taschereau à l'article 1 édicté par l'article 1 du projet de loi. Mme la députée de Montarville, vous veniez de nous faire partager, quand nous avons terminé, vos commentaires, et je pense que vous aviez terminé, selon ce que je comprends. Donc, Mme la députée de Taschereau, à vous la parole.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Alors, à l'appui de mon amendement, je voudrais citer un petit bouquin, qui est de François Gendron —non pas notre vice-président de l'Assemblée nationale, mais de François Gendron l'avocat — un bouquin qu'il m'a fait parvenir il y a quelques années, qui s'intitule L'affaire des «traîtres» : essai sur la liberté de parole en matière politique. Mais c'est l'affaire des «traîtres».

Qu'est-ce que l'affaire des «traîtres»? C'était que, le 4 décembre 1981, deux militants souverainistes, Gilles Rhéaume et Guy Bouthillier, avaient publié un placard enflammé dans Le Devoir, au nom de la Société Saint-Jean-Baptiste, qui disait qu'en imposant une nouvelle constitution... rappelons-nous que le Québec s'est fait imposer la Constitution de 1982 par un homme dénommé Trudeau, premier ministre du Canada... disait un texte... Ils avaient acheté un texte, dans Le Devoir, qui disait que les députés libéraux du Canada avaient trahi le Québec, ils avaient collaboré — le mot «collabo», là — avec le Canada anglais pour faire disparaître le peuple québécois, qu'il fallait leur faire payer ce forfait et que seule l'indépendance nous libérerait de la trahison. Et ils disaient que ces députés libéraux étaient des traîtres. Alors, ils ont été poursuivis en cour, M. le Président. Or, les gens qui les ont poursuivis ont été déboutés.

Et ce livre-là est riche d'enseignement. Alors, en page 31, dans ce texte de François Gendron, on lit ceci : Le droit de tout dire, sous-titre. «Faut-il en conclure qu'on peut écrire ou dire n'importe quoi? Certes non. Par exemple, l'appel à la violence, qui peut être implicite, est prohibé parce que contraire aux principes démocratiques.

«En droit criminel, la comparaison est instructive, le principe de non-violence a été posé dès 1909 par lord Coleridge, dans un arrêt de droit anglais, l'arrêt Rex c. Alfred, où la cour criminelle centrale a jugé qu'un citoyen pouvait vilipender les hommes politiques et le gouvernement de toutes les manières, tant qu'il n'incitait pas à la rébellion, à l'insurrection, à l'assassinat, bref, à l'utilisation de la force physique pour provoquer du désordre.»

• (19 h 40) •

Je vais citer l'arrêt : «[On] peut prendre les politiciens à partie, il peut critiquer les gouvernements, il peut mettre en garde les dirigeants contre l'adoption de telle ou telle position ou il peut reprocher aux dirigeants de ne pas avoir adopté telle ou telle position; il peut chercher à démontrer que les rébellions, les insurrections, les actes de violence, les assassinats [ou] autres actes semblables sont [des résultats naturels, déplorables, inévitables] de la politique qu'il combat. Tout cela est permis puisque tout cela est inoffensif; mais, d'autre part, si dans son discours il cherche à inciter autrui au désordre, c'est-à-dire à la rébellion, à l'insurrection, à l'assassinat, à l'utilisation de la force physique ou à tout acte de violence, alors, peu importent les motifs ou les intentions de l'auteur, il y aurait une preuve à partir de laquelle un tribunal pourrait juger, devrait vraisemblablement juger, et jugerait que l'auteur est coupable de déclarations séditieuses.»

Donc, l'appel à la violence, l'atteinte à l'intégrité physique est fondamentale. C'est dans une cause où les mots étaient durs, là. Les gens s'étaient sentis... Utiliser le mot «traîtres» dans un grand placard dans Le Devoir, là, c'est énorme. Il y a des gens qui pourraient dire : C'est du discours haineux.

«Le principe [ensuite a] été réaffirmé par la Cour suprême du Canada, en 1950, dans l'arrêt Boucher c. le roi. Il s'agissait d'un témoin de Jéhovah qui, en 1946, à Saint-Georges de Beauce, avait distribué une brochure incendiaire intitulée La haine ardente du Québec pour Dieu, le Christ et la liberté est un sujet de honte pour tout le Canada. Il en résulta évidemment une grande agitation, mais y avait-il matière à sédition pour autant? La cour jugera que non. Bien sûr, les propos avaient été conçus pour éveiller des sentiments de malveillance et d'hostilité, mais il y manquait l'incitation directe au désordre et à la violence — direct incitement to disorder and violence.

«L'arrêt Boucher c. le roi s'inspirait de l'arrêt Terminiello, rendu en 1949 par la Cour suprême des États-Unis sur une question semblable. Le père Terminiello avait tenu, à Chicago, quelques années auparavant, un discours antisémite incendiaire, devant un public de 800 personnes, dont certains affirmaient — je cite : "Jews, niggers and Catholics would have to be gotten rid of", ou encore : "Yes, the Jews are all killers, murderers. If we don't kill them first, they will kill us."» C'est terrible. Ça, c'est du discours haineux.

«À l'extérieur de la salle, une foule de quelque 1 000 protestataires hurlaient des injures en cassant des vitres, foule que le père Terminiello, à travers les haut-parleurs, chauffait à blanc et traitait de rebus de la société. Était-il permis de soulever ainsi la colère publique et la contestation? Le tribunal jugea que oui, dans la mesure où il n'y avait pas de danger clair et immédiat : La liberté de parole, dans notre régime gouvernemental, vise notamment à susciter le débat. De fait, elle atteint peut-être son but primordial lorsqu'elle provoque un malaise, un mécontentement par rapport aux conditions qui existent, ou même de la colère. Le discours est souvent provocateur et revendicateur. Il peut combattre les préjugés et déranger profondément lorsqu'il cherche à faire accepter une nouvelle idée. C'est pourquoi — et ça, ce bout-là est important — la liberté de parole, sans être absolue, est toutefois à l'abri de la censure ou du châtiment, à moins qu'il n'y ait danger clair et immédiat d'un mal nettement plus grave qu'un embarras, qu'un mécontentement ou un malaise au sein de la population.»

En fait, ce qu'ils nous disent dans le cas qui nous intéresse, l'affaire des «traîtres» : «Depuis 1981, le texte de Rhéaume et Bouthillier n'avait suscité écho de nature à troubler l'ordre public malgré sa grande diffusion, c'est-à-dire son innocuité.»

Voilà. L'appel à la violence. On est allés jusqu'à un discours tellement haineux qu'on disait que c'étaient des traîtres, mais, comme il n'y a pas eu de conséquence violente, les cours avaient décidé qu'à tout le moins en matière politique il n'y avait pas matière à poursuite.

Alors là, nous, on veut revenir à cette importance de l'appel à la violence et ses effets, et notre amendement, M. le Président, ramène l'importance de l'appel à la violence, véritablement. Dans le premier alinéa, on sort de cette idée qu'on est dans le discours haineux seulement et dans le discours incitant à la violence, et on dit : On veut nommer l'appel direct à la violence et ensuite on traitera du discours haineux comme étant le discours d'appel à la violence qui est ciblé par la loi, qui est appliqué. La loi s'applique au discours haineux, mais on est dans l'appel direct à la violence.

Alors, M. le Président, moi, je pense que j'ai bien fait de ramener, je pense, Gendron, L'affaire des traîtres, c'est intéressant. Je citerais pour l'anecdote que, M. Gendron, je ne le connais pas, mais il m'avait envoyé une petite note personnelle. J'avais reçu ce livre-là et je l'ai toujours gardé dans ma bibliothèque, et c'est... Il me disait : «Avec nos hommages, sur la liberté d'expression, ses limites, ses risques — il s'amusait — et sur l'utilité d'avoir un brillant avocat.» Mais je pense qu'il y a beaucoup de monde qui vont avoir besoin de brillants avocats si on entérine le projet de loi n° 59 tel qu'il est là actuellement, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : Je sens, M. le député de Richelieu, que vous avez des choses à ajouter.

M. Rochon : Oh! je n'ajouterais, M. le Président, que des choses déjà dites maintes fois depuis le début de notre journée de travail d'aujourd'hui et qui l'ont été aussi précédemment. Je vous ai maintes fois exprimé que je partageais entièrement les avis exprimés par ma collègue de Taschereau, qui a soumis à la commission cet amendement visant à ce que la loi ait pour objet d'établir des mesures de prévention et de lutte contre les appels directs à la violence. Ce serait une façon, vous ai-je plus tôt exprimé, là, de faire prendre une cure minceur au bureau des plaintes de la... au futur bureau des plaintes, là, de la commission des droits de la personne et de la jeunesse.

Je pourrais vous rappeler brièvement qu'avec cet amendement nous nous rendons curieusement à une suggestion du premier ministre lui-même, suggestion qu'un article du Devoir, là, de l'été dernier, relatait, à l'effet, effectivement, qu'il fallait bien prendre soin que ce projet de loi n'ait pas l'effet pervers de brimer la liberté d'expression. Et c'est là qu'il a soumis, le premier ministre, qu'il ne devrait que s'adresser, ce projet de loi, aux appels directs à la violence pour ainsi calmer les inquiétudes des nombreux groupes entendus par cette commission.

J'ai le goût de faire à nouveau valoir que, si nous étions seuls à penser ce que nous pensons, nous pourrions peut-être nous poser de fort sérieuses questions, mais, non, nous nous faisons les porte-voix, là, d'une vaste majorité des gens consultés, parmi lesquels beaucoup d'experts. Et il y en a, des journalistes, qui ont chroniqué là-dessus, hein, le projet de loi n° 59, là.

Et, écoutez, je reprends les propos de MM. Rousseau et Côté, de l'Université de Sherbrooke, le premier, professeur de droit, le second, candidat au doctorat en droit : «Dans l'éventualité où le Parlement décidait de ne pas mettre de côté la partie I — parce qu'il ne semble pas que la ministre soit disposée à mettre de côté la partie I, là — il devrait tout au moins la modifier substantiellement.» Et alors c'est pour ça qu'on arrive avec moult sous-amendements, dans un premier temps, et une quantité importante d'amendements maintenant.

«La référence aux "discours haineux" devrait être retirée — c'est une opinion que nous savons partagée maintenant par la deuxième opposition — tant ce concept[-là de discours haineux] est flou et donc de nature à permettre à la commission des droits de la personne et de la jeunesse et aux tribunaux de brimer la liberté d'expression. L'idée d'interdire...» Je cite ces messieurs que je vous nommais, là, Rousseau et Côté : «L'idée d'interdire seulement les appels directs à la violence — eux autres disent — est un pas dans la bonne direction.» Parce qu'ils avaient entendu le premier ministre s'exprimer là-dessus. Interdire seulement les appels directs et répétés à la violence serait un pas dans la bonne direction, le but étant «d'éviter — comme nous l'avons nous-mêmes souvent, souvent de fois répété — de mobiliser les ressources et le pouvoir coercitif de l'État pour une personne qui n'aurait fait que "déraper" à une seule reprise[...]. Il y aurait également lieu de prévoir — écrivent-ils — qu'une personne ne pourra être reconnue comme ayant commis l'infraction que si elle avait l'intention d'inciter à la violence», une autre notion sur laquelle nous sommes revenus maintes et maintes fois, le caractère intentionnel de l'auteur du discours, ce à quoi la ministre nous a toujours rétorqué que ce n'était pas l'intention qui devait être considérée mais l'effet.

Et, vous savez, en termes d'effet, il y a des groupes, des gens qui ont l'épiderme plus sensible que d'autres. C'est pour ça qu'on ouvre toute une boîte de Pandore avec ce projet de loi et un énorme, un gros bureau des plaintes à la commission des droits de la personne et de la jeunesse. Alors, cure minceur de ce bureau des plaintes, c'est une chose possible en acceptant l'amendement soumis par ma collègue de Taschereau, de voir cette loi ne concerner que «les appels directs à la violence s'exprimant dans un contexte de discrimination, y compris dans un contexte d'endoctrinement ou de radicalisation — je lis la suite du texte amendé — pouvant mener à l'extrémisme violent. Elle établit également de telles mesures contre les discours incitant à la violence.»

Alors, j'espère, dans un optimisme sans doute manquant de réalisme, que la ministre se range à ce point de vue qui était celui de son propre premier ministre, de notre premier ministre, en août 2015.

• (19 h 50) •

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : M. le Président, je citerais la conclusion... une partie de la conclusion de François Gendron, L'affaire des «traîtres», c'est aux éditions Wilson & Lafleur : «La liberté de parole est un des fondements du système démocratique. Elle garantit la diversité des opinions et permet aux idées vraies de l'emporter sur les autres, dans les débats sur la chose publique; du moins, on aime à le croire. Je l'ai dit : De toutes les libertés, la liberté de parole est la plus précieuse. Si l'on perdait toutes les autres, la liberté de parole permettrait de les reconquérir.»

C'est là-dedans qu'on est, M. le Président. On est en... Dans la fin de sa conclusion, il ajoute : «Cet espace de liberté, si étroit qu'on puisse le juger, reste en Occident une des conquêtes majeures de l'histoire contemporaine. C'est pourquoi il nous incombe, en tant que citoyens, de protéger la liberté de parole contre ceux qui, pour lui faire obstacle ou en pervertir le sens, se draperont dans de grands principes de justice. Chateaubriand l'aura prévu : "La justice est si sacrée, elle semble si nécessaire aux succès des affaires, que ceux mêmes qui la foulent au pied prétendent n'agir que d'après ses principes.» Chateaubriand. C'est assez instructif.

Une dernière chose qu'il dit, notre ami l'avocat François Gendron : «Il faut le dire, la parole peut censurer le gouvernement, mais le gouvernement ne doit pas censurer la parole.»

La parole peut censurer le gouvernement, mais le gouvernement ne doit pas censurer la parole. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : Sur cette belle parole, nous allons mettre l'amendement de la députée de Taschereau au vote. Et je pense qu'il va y avoir un vote par appel nominal, Mme la députée de Taschereau?

Une voix : ...

Le Président (M. Ouellette) : Donc, Mme la secrétaire.

La Secrétaire : Mme Maltais (Taschereau)?

Mme Maltais : Pour.

La Secrétaire : M. Rochon (Richelieu)?

M. Rochon : Pour.

La Secrétaire : Mme Roy (Montarville)?

Mme Roy (Montarville) : Pour.

La Secrétaire : Mme Vallée (Gatineau)?

Mme Vallée : Contre.

La Secrétaire : M. Merlini (La Prairie)?

M. Merlini : Contre.

La Secrétaire : M. Boucher (Ungava)?

M. Boucher : Contre.

La Secrétaire : M. Giguère (Saint-Maurice)?

M. Giguère : Contre.

La Secrétaire : M. Hardy (Saint-François)?

M. Hardy : Contre.

La Secrétaire : M. Rousselle (Vimont)?

M. Rousselle : Contre.

La Secrétaire : M. Ouellette (Chomedey)?

Le Président (M. Ouellette) : Je m'abstiens.

La Secrétaire : C'est rejeté.

Le Président (M. Ouellette) : Donc, l'amendement proposé par Mme la députée de Taschereau est rejeté. On continue nos discussions sur l'article 1. Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : M. le Président, je trouve dommage qu'on n'ait pas accepté de circonscrire le premier alinéa dans sa première phrase — parce qu'il y a deux phrases dans... — aux appels directs à la violence. Encore une fois, à chaque fois qu'on essaie de ramener l'intention du premier ministre, qui avait demandé à la ministre de la Justice de revoir la loi en profondeur, on se fait débouter. Je ne sais pas s'il y a confusion au gouvernement ou qu'est-ce qui s'est passé dans les discussions, mais c'est clair que l'appel du premier ministre, c'était exactement l'amendement qu'on a apporté, M. le Président.

Alors, c'est peut-être que le mot «appels directs à la violence» dérange. Je comprends que la ministre tient à conserver le mot «discours haineux». D'ailleurs, ça a été un des commentaires de notre ami le collègue de... je ne peux pas le nommer, là, j'essaie de retrouver son... La Prairie! La Prairie, sa circonscription, cher collègue de La Prairie. Il disait : Il faut retrouver les mots «discours haineux». Alors, je vais proposer un amendement qui va réintroduire ces mots dans la façon qu'on a de le voir. Peut-être que ça va... En fait, j'ai essayé de trouver, d'après les commentaires qui ont été apportés, s'il n'y avait pas un entre-deux, s'il n'y avait pas une position où on pourrait se rejoindre.

Alors, je propose cet amendement, M. le Président :

Modifier l'article 1 de la loi proposée par l'article 1 du projet de loi en ajoutant, après les mots «discours haineux», les mots «appelant directement à la violence».

Ce qui donnerait ceci : «La présente loi a pour objet d'établir des mesures de prévention et de lutte contre les discours haineux appelant directement à la violence s'exprimant dans un contexte de discrimination, y compris dans un contexte d'endoctrinement ou de radicalisation pouvant mener à l'extrémisme violent [et] elle établit également de telles mesures contre les discours incitant à la violence.»

Le Président (M. Ouellette) : On va suspendre quelques minutes.

Je nous rappelle que, dans les prochaines 45 minutes, nous serons appelés au salon bleu pour un vote.

(Suspension de la séance à 19 h 56)

(Reprise à 20 h 5)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. L'amendement déposé par Mme la députée de Taschereau est recevable et vise à ajouter dans le premier paragraphe, après «les discours haineux», l'expression «appelant directement à la violence». Mme la députée de Taschereau, pour vos commentaires.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Alors, d'abord, d'entrée de jeu, je veux rappeler que nous ne sommes pas, je dirais, des partisans amoureux de l'expression «discours haineux». Je réfère aussi à ce que disait tout à l'heure la deuxième opposition, la députée de Montarville : Les discours haineux ne devraient pas être là. Dans le plan de lutte à la radicalisation, ce n'était pas l'esprit, c'est «discours incitant à la violence», c'est «discours de radicalisation». Mais, enfin, la ministre a décidé de déposer un projet de loi concernant les discours haineux.

Alors, nous essayons systématiquement d'essayer d'amoindrir l'impact de la proposition gouvernementale du projet de loi n° 59 sur la société, l'impact qu'elle aura sur les gens qui prennent la parole et qui critiquent de façon normale et parfois intempestive, parfois dure les opinions des autres, les croyances des autres. Ça peut avoir un impact, ce projet de loi.

Alors, on comprend que les mots «discours haineux» semblent importants du côté du gouvernement, alors on va faire comme d'habitude : on va essayer de réduire la portée de la loi, on va essayer de la préciser, on va essayer de diminuer les types d'interprétation qui peuvent être faits de cette loi.

Alors, une des meilleures manières de le faire, c'est que, quand on commence le texte... «La présente loi a pour objet», donc l'objet de la loi, donc, là, toute l'interprétation va arriver à partir de là. «La présente loi a pour objet d'établir des mesures de prévention — remarquez que les mesures de prévention, je les cherche encore, M. le Président — et de lutte contre les discours haineux appelant directement à la violence, s'exprimant dans un contexte de discrimination...» Alors, voilà. Au moins, on va éliminer le type de cause que je vais vous montrer.

Mais, justement, notre collègue le député de Rosemont vient de se joindre à nous pour cette soirée, oui, et il a souvent participé à cette commission parlementaire. Puis là il vient d'arriver, un petit peu en retard, là. Excusez-moi de dire que vous avez été un peu en retard de cinq minutes.

M. Lisée : Appel au règlement, M. le Président. Il est interdit de noter la présence ou l'absence d'un parlementaire.

Des voix : Ha, ha, ha!

Mme Maltais : Il était pris au salon bleu, il avait une intervention au salon bleu.

Le Président (M. Ouellette) : Parce qu'il est annoncé déjà depuis fort longtemps.

Mme Maltais : Oui, tiraillé qu'il était entre toutes ses obligations parlementaires, il vient de se joindre à nous. Voilà une belle manière de le dire. Merci de me rappeler aux usages.

Alors, je vais peut-être le surprendre, le collègue de Rosemont, mais je vais lui apprendre que lui et moi sommes ciblés comme étant fomentateurs de discours haineux, comme étant des gens qui avons des discours haineux. Je le lui annonce.

M. Rochon : Ah bon? Pas moi, pas moi.

Le Président (M. Ouellette) : Bien, ils ne vous connaissent pas encore, M. le député de Richelieu.

Mme Maltais : Ça viendra peut-être.

M. Rochon : Je l'ai échappé belle.

Mme Maltais : Mais lui et moi sommes ciblés, comme sont d'autres personnes. J'ai déjà parlé d'une dame Longpré qui est attaquée en disant que, parce qu'elle critique la religion, elle tient un discours haineux. Bien, ça, ça existe. Ça, c'est la vérité sur le terrain. Ça, c'est la vraie vie.

Odile Jouanneau, je le répétais ce matin, a dit : Alors, je suis partante pour attaquer Denise Bombardier pour son article dans Le Journal de Montréal, pour l'attaquer et la poursuivre pour incitation à la haine. Elle l'a dit comme ça : «Je suis partante.» Elle l'a écrit : Je suis partante pour poursuivre Denise Bombardier pour incitation à la haine.

Donc, vous comprenez que, dans la vraie vie, le discours haineux, l'incitation à la haine, le discours incitant à la haine, il peut être interprété de bien des façons par les personnes et que, là, on est dans un système de traitement de la plainte avec un an avant d'être... Je vais toujours rappeler ça, parce que c'est important : On s'engrange dans un beau mécanisme qui va nous mener à une plainte, dans le magnifique bureau des plaintes qu'on est en train de créer — de l'expression de mon collègue de Richelieu — qui ensuite va donner lieu à un traitement de plainte qui prend un an, hein, parce qu'on n'ajoute pas de ressources à la CDPDJ, après ça le temps qu'il y ait l'enquête, après ça la disgrâce potentielle, la perte d'emploi potentielle. Imaginez-vous, là. Moi, je me retrouverais, là, dans un processus comme ça... Ça ne me tente pas, M. le Président, puis je pense que ça ne tente à personne, puis ça ne tente pas aux personnes que je viens de nommer. Puis probablement qu'il n'y a pas beaucoup de Québécois qui ont envie de se faire embarquer dans un processus comme ça.

Et le texte de Pierre Trudel, son blogue, est très parlant. Il dit : Le problème de la loi, c'est qu'on est dans un contexte où il y a beaucoup de gens qui interpellent les autres pour discours haineux au Québec. J'en suis, M. le Président.

Alors, si on ajoute «appelant directement à la violence», je viens de dégager un petit peu le terrain, je viens d'enlever un petit peu de problèmes qui résident, je viens de protéger le député de Rosemont, je viens de me protéger. Je viens de protéger toutes les personnes que je viens de nommer. Je viens de proposer... je viens de protéger Mme Proulx, qui s'est fait poursuivre à la commission des droits de la personne du Canada puis qui a perdu son emploi pendant quatre mois chez Costco. Quatre mois qu'elle a perdu son emploi chez Costco.

• (20 h 10) •

Une voix : Ah oui?

Mme Maltais : Oui. Elle a été poursuivie parce qu'elle a dit à une dame... elle a fait une farce sur le Sud à une dame qui l'a mal prise puis qui a dit à... qui l'a interprétée comme étant ce discours haineux, c'est : Retourne donc dans ton pays! Sa farce, c'est que la personne avait un manteau d'hiver, achetait un manteau d'hiver puis elle le trouvait cher. La madame a fait la blague qu'elle fait à tout le monde, elle a dit : Écoutez, qu'est-ce qui est le plus cher : un voyage dans le Sud ou un bon manteau chaud? Ça fait qu'elle s'est fait poursuivre devant la commission des droits du Canada. Elle a perdu son travail pendant quatre mois. Ça, là, ça a été calculé comme... Ça serait interprété comme du discours haineux. Mais, si tu ajoutes «appelant directement à la violence», tu viens d'éliminer. Tu viens de protéger pas mal de monde. Puis ça ne nuit pas à l'esprit, je pense, de ce que cherche la ministre.

Alors, toujours dans un esprit de clarification des interprétations potentielles, moi, je trouve que c'est un amendement qui pourrait être intéressant. Alors, j'ai hâte de voir si la ministre trouve que je suis quand même assez respectueuse, parce que je conserve «discours haineux», mais que cette restriction pourrait être intéressante.

Le Président (M. Ouellette) : Commentaires, Mme la ministre?

Mme Vallée : J'ai l'impression qu'on a déjà fait ce débat-là sur le discours haineux qui appelle à la violence. Un discours qui appelle à la violence, c'est un discours qui appelle à la violence. Il n'a pas besoin... Il n'est pas nécessaire qu'il soit haineux pour être sanctionné. Et là-dessus je crois qu'on a fait des débats par le passé sur la question, on a discuté. Je crois qu'on avait abordé justement cette question-là. Alors, on amène un élément encore plus fort, c'est qu'on ajoute à l'appel à la violence, au discours incitant à la violence le qualificatif de «haineux». Donc, c'est encore plus lourd pour le discours incitant à la violence. Et on ne vient pas... Et, le discours haineux, la définition que nous avions convenue et qui avait fait l'objet de plusieurs débats dans le cadre du sous-amendement, à mon avis, vient colmater certaines des ouvertures auxquelles ont fait référence nos collègues de l'opposition dans le passé. Alors là, on vient ni plus ni moins rejouer avec le concept sans nécessairement bonifier le projet de loi.

Le Président (M. Ouellette) : Je vous rassure : Lors de la réception de l'amendement, on a vérifié avec le secrétariat les sous-amendements. Ça a fait partie des discussions, mais il n'y a pas eu de sous-amendement directement. Et, compte tenu de... Il y a eu plusieurs discussions de toute nature par les différents collègues, et ça a fait partie des commentaires, que ça soit du député de Richelieu et de Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve, mais ça n'a pas fait partie spécifiquement d'un sous-amendement. M. le député de Richelieu.

M. Rochon : Oui. En fait, notre amendement, il reprend celui que le premier ministre avait annoncé qu'il viendrait, dans un article du Devoir, hein, en août, je pense, 2015...

Mme Maltais : 29 août.

M. Rochon : ... — c'est ça, le 29 août 2015 — et conserve à la ministre son «discours haineux». Pas son discours haineux à elle, mais la notion de discours haineux, hein? Là, il me semble que ça devrait faire l'affaire de l'ensemble du gouvernement. Le premier ministre et la ministre devraient s'en trouver satisfaits.      

Tantôt, ma collègue de Taschereau citait Pierre Trudel, professeur au Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit de l'Université de Montréal. C'est lui — je veux lui en donner la paternité — qui parle d'un gros bureau des plaintes. Ce sont ses propos que je reprends quand je fais allusion à ça. Alors, ce qu'il a écrit, lui, c'est que «même le propos marginal, contraire aux vues de la majorité — le propos, là — déplaisant — le propos — stupide [...] de mauvais goût est protégé par la liberté d'expression, pas seulement ce qui est "légitime". [Et] c'est d'ailleurs pour protéger les discours marginaux qu'on a besoin de la liberté d'expression, pas pour protéger ce qui fait l'unanimité!»

S'il faut bien circonscrire ce à quoi le projet de loi doit s'adresser, c'est qu'«il y a dans la société québécoise — comme dans toutes les sociétés — des gens qui sont persuadés que le propos qui critique une religion, [qui critique] les homosexuels, les femmes est [automatiquement] un propos [...] haineux. En somme, plusieurs confondent le propos illégitime avec le propos haineux.»

Alors, c'est à lui que Pierre Trudel dit que le projet de loi n° 59 ouvre un bureau des plaintes. Moi, j'ajoute : Un gros, gros bureau des plaintes.

Alors : «Bien sûr, les tribunaux — écrit M. Trudel — ont distingué entre le propos qui incite vraiment une personne à haïr ou à se livrer à de la violence et des propos détestables qui n'ont pas de chances d'avoir de tels effets. Mais la distinction est ténue.

«[Alors,] en ouvrant [...] cette "chasse" à tout propos qui déplaît, le projet de loi n° 59 — rappelons-nous, depuis des jours et des jours — fait fi des conditions concrètes de l'exercice de la liberté d'expression.

«Il [va forcer] tous ceux qui s'expriment à se demander à chaque fois si quelqu'un quelque part ne va pas trouver [...] leurs mots, leurs blagues, leur photo [...] leur caricature [...] "haineux."»

Alors, voilà pourquoi il faut être beaucoup plus précis.

«La présente loi — texte amendé — a pour objet d'établir des mesures de prévention et de lutte contre les discours haineux — pour faire plaisir à la ministre — appelant directement à la violence — pour faire plaisir au premier ministre — s'exprimant dans un contexte de discrimination, y compris dans un contexte d'endoctrinement ou de radicalisation pouvant mener à l'extrémisme violent. Elle établit également de telles mesures contre les discours incitant à la violence.»

Je crois que c'est un compromis, et, puisque c'est un compromis, nous, ça ne nous satisfait pas pleinement, là.

Mme Maltais : Non, même pas.

M. Rochon : Mais, au moins, ça limiterait les dégâts. J'atteindrais, là, la cure minceur que je souhaitais pour le gros, gros bureau des plaintes de la commission des droits de la personne et de la jeunesse.

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Rosemont, à vous la parole.

M. Lisée : Merci, M. le Président. Je pense qu'avec cet amendement de ma collègue de Taschereau on est au coeur du sujet. Alors, la loi parle de propos haineux. On dit, bien : «Les discours haineux appelant directement à la violence». C'est ça qui nous intéresse. Et ça nous intéresse et, comme l'a dit mon collègue, bien, ça intéressait aussi le premier ministre, parce que c'est exactement ce qu'il nous a dit d'écrire, finalement. Je relis Le Devoir du 29 août 2015 : Discours haineux — Couillard promet d'amender le projet de loi n° 59...

Le Président (M. Ouellette) : Le premier ministre?

M. Lisée : Le premier ministre lui-même, vous l'avez reconnu, tout à fait.

Le Président (M. Ouellette) : Oui, je l'ai reconnu.

M. Lisée : Oui. Alors : «Le premier ministre[...] — dont on ne peut mentionner le nom — convient de la nécessité de restreindre la portée du projet de loi n° 59 visant à lutter contre les discours haineux et les discours incitant à la violence. Celui-ci — le projet de loi — prohibera seulement — ouvrez les guillemets — "l'appel direct à la violence" — fermez les guillemets — a-t-il indiqué...» Bien, on lui donne raison pour une fois.

Et savez-vous pourquoi c'est important que le premier ministre et nous soyons d'accord... et la ministre, bien sûr, soyons d'accord? Pourquoi? Parce que, dans sa grande sagesse, qu'est-ce qu'il a dit, le premier ministre? Il a dit : «Le but [...] n'est pas de réduire la liberté d'expression au Québec, mais d'en indiquer la limite, qui, à mon avis, requiert le consensus...» Ce n'est pas beau, ça, M. le Président? Le premier ministre nous appelle au consensus et il nous donne la clé du consensus. Il dit — et je le cite encore : «On peut dire des bêtises. On peut dire toutes sortes de choses, mais on ne peut pas appeler à la violence.» Fin de citation.

Bien, voilà. Nous sommes d'accord avec lui. Le premier ministre, l'opposition officielle... Est-ce que je m'avance en disant que la seconde opposition...

Mme Roy (Montarville) : Tout à fait.

• (20 h 20) •

M. Lisée : Je ne m'avance pas, elle confirme. Nous sommes dans le consensus avec le premier ministre, l'opposition officielle, la deuxième opposition. Et donc tout ce qui manque à ce consensus, c'est la ministre de la Justice, puisqu'on serait tous d'accord dans ce cas-là en disant, bien : «La présente loi a pour objet d'établir des mesures de prévention et de lutte contre les discours haineux appelant directement à la violence...»

 Je veux dire, moi, je veux bien vous proposer, M. le Président, qu'on appelle, pour un bref commentaire, une brève consultation, le premier ministre lui-même pour vérifier avec lui si on a bien lu sa pensée. La pensée du législateur est très importante dans la rédaction des lois et leur interprétation. Mais je pense que c'est assez clair, parce qu'ensuite il y a une autre citation, où il dit : «Le projet de loi n° 59 sera ainsi amendé — dit le premier ministre — afin de préciser la "démarcation" entre — le mot du premier ministre, "la démarcation" — l'acceptable et l'inacceptable, le permis et l'interdit.» La démarcation, dit le premier ministre — j'ouvre les guillemets — «doit être explicite et définie. La ligne pour moi, c'est l'appel direct à la violence...» Fin des guillemets.

Et là il dit autre chose où, là, je dois poser la question de la véracité des propos qui suivent. Je n'affirme pas qu'ils ne sont pas véridiques, mais je soulève un doute. Je suis dubitatif, M. le Président. J'en appelle à votre indulgence, O.K., j'en appelle à votre indulgence...

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Rosemont...

M. Lisée : ...parce qu'il dit : «C'est sur quoi», ce dont il vient de parler, la démarcation de l'appel à la violence, «c'est sur quoi [la ministre de la Justice] travaille.»

Bon, je ne suis pas sûr qu'elle... Peut-être pensait-il qu'elle y travaillerait, peut-être y a-t-elle travaillé, mais force est de constater, M. le Président, que le travail n'a pas rendu un libellé proche de la pensée du premier ministre, que nous partageons. On sent qu'il y a encore un écart considérable entre la pensée du premier ministre et la rédaction de la ministre.

Alors, nous, notre tâche d'opposition constructive, c'est de réduire cet écart, et c'est ce que nous faisons avec cet amendement en disant, en reprenant les mots du premier ministre et en disant : Mais quelle est la ligne de démarcation? Bien, c'est celle de l'appel à la violence. Et d'où cette nouvelle formulation : «La présente loi a pour objet d'établir des mesures de prévention et de lutte contre les discours haineux appelant directement à la violence...» Et là on est en symbiose avec la pensée du premier ministre et on se rapproche du consensus.

On est aussi proche de la pensée développée par les juristes canadiens ces derniers temps sur ce que doit être le discours haineux. Et le professeur de droit Moon, Richard Moon, qui a bien dit, dans son rapport à la commission des droits humains du Canada, sur la question de la réglementation du discours haineux, son rapport de 2008, où il dit : «...le recours à la censure par un gouvernement doit être limité aux catégories très étroites d'expressions extrêmes qui menacent ou justifient la violence — qui menacent ou justifient la violence — contre les membres d'un groupe identifiable, et non pour éviter les stéréotypes, les atteintes à la dignité ou la diffamation.» Et, quand on regarde le texte de son rapport, il est très clair et il dit : Le problème, c'est qu'il y en a tellement, de propos publics qui sont de nature diffamatoire, ou qui répètent des stéréotypes, ou qui peuvent être vus comme des atteintes à la dignité, que... vraiment, c'en est plein. C'en est plein, et un gouvernement ne peut pas se mettre à réguler tout ça.

Et je vais le citer en anglais, avec votre permission, M. le Président : «The use of censorship by the Government should be confined to a narrow category of extreme expression – that which threatens, advocates or justifies violence against the members of an identifiable group.» He argues that «it's not practical to deal with what one might generously describe as group defamation or stereotyping through censorship. It's just not a viable option. There's too much of it, and it's so pervasive within our public discourse that any kind of censorship is just overwhelming.»

Il y en a trop, il y en a partout, il y en a tout le temps. On ne peut pas se mettre à dire : C'est du discours haineux, portez plainte, on va faire une liste, on va regarder ça. On va être débordés, c'est «overwhelming», c'est un tsunami, ça va être fou, O.K.?

Alors donc, c'est ce qu'il nous dit, le Pr Moon. Et c'est ce qu'a semblé sentir d'instinct le premier ministre lorsqu'il a prononcé ces paroles sensées, en août de l'an dernier. Et on ne comprend pas pourquoi on n'arrive pas à faire cette synthèse, faire cette synthèse.

Je me serais attendu à ce que la ministre nous dise : Bon, bien, si on fait l'amendement proposé, bien là, le dernier bout de phrase devient de trop : «Elle — la présente loi — établit également de telles mesures contre les discours incitant à la violence.» On n'en a plus besoin. On n'en a plus besoin puisqu'on a fait le travail avec l'amendement de la collègue de Taschereau. Donc, on serait certainement ouverts à un sous-amendement de la ministre pour nous rapprocher encore plus du consensus.

Maintenant, j'ai écouté avec intérêt ce que la ministre a dit dans son intervention de tout à l'heure sur l'amendement, en disant, bon : Le discours haineux qui appelle directement à la violence, bien, écoutez, si le discours est haineux dans la façon dont je comprends le discours haineux, il appelle directement à la violence. Bien, je vous dirais, M. le Président : Pas nécessairement. Dans l'ordre de la palette des perversions, on peut appeler à la violence sans discours haineux. Tout est possible, hein? Là, on est dans le dérangement mental, dans la détestation. On peut avoir un appel à la violence qui ne découle pas d'un discours haineux mais d'un genre de rictus violent sans cause, mais avec un effet dramatique.

Donc, on ne doit pas dire : Bien, nous n'allons sanctionner que les appels à la violence qui sont liés au discours haineux, parce qu'il y a des violents qui pourraient se faufiler, et on ne veut pas que ça arrive. Mais, vous voyez, le texte que j'ai lu du Pr Moon dit : Il faut limiter l'intervention de l'État à ce qui menace, promeut ou justifie la violence.

Alors là, si la ministre voudrait débattre avec nous en disant : Bon, c'est un peu plus riche que l'appel à la violence, la promotion de la violence, la justification de la violence ou la menace de la violence... Puis là on pourrait débattre, et il y aurait vraiment sujet à débat.

Parce que la question de la justification de la violence, par exemple, est utilisée pour interdire le discours révisionniste sur la Shoah. Alors, il y a deux types de discours révisionnistes sur la Shoah. Il y a des gens qui disent que ça n'a pas existé, c'est faux. Bon. Ça, c'est une révision de l'histoire. C'est une bêtise, comme dit le premier ministre. On a le droit de dire des bêtises. Moi, je crois qu'on a le droit de dire cette bêtise-là et que c'est au corps social de dire : C'est une bêtise, et que ce discours permis soit simplement marginalisé par la discussion publique. Maintenant, il y a des gens qui disent : C'était une bonne chose, la Shoah. C'était une bonne chose. Il y a des gens qui pensent ça, qui sont un peu malades, qui pensent ça. Et donc c'est une justification de la violence. Est-ce que ça devrait être interdit? Moi, je pense que non. Je pense que cette justification a posteriori de la violence ne doit pas être interdite, que ça fait partie du discours public, et on doit simplement marginaliser cette bêtise par la discussion publique et la connaissance historique.

Maintenant, la justification a priori de la violence, bien, on peut dire : Elle ne devrait être interdite que si elle est assimilée à un appel à la violence. Alors, moi, si on avait cette discussion-là, je dirais : Bien, j'aimerais savoir quelle est la différence entre la justification et l'appel, tu sais? On devrait éliminer tous les membres de telle minorité... Ou, comme disait Shakespeare dans une de ses pièces : «D'abord, tuez tous les avocats.» Bon. Est-ce que c'est un discours haineux? Du point de vue des avocats, certainement, hein? Bon. Maintenant, est-ce que c'est de la discrimination? Est-ce que c'est de la détestation? Est-ce que c'est un appel à la violence? Ça se débat. Mais vous voyez comme ce terme connu, écrit, répété très souvent sur des scènes de théâtre partout dans le monde n'a jamais été considéré comme un appel à la violence qui devait être sanctionné par l'État. Pourquoi? Bien, parce qu'on sait que c'est à l'intérieur d'une pièce de théâtre, c'est une façon de parler. Et des gens diraient : Bien, les avocats l'ont bien cherché par leur façon d'être. Moi, je ne dirais jamais ça, évidemment, étant juriste moi-même. Mais on sent bien la difficulté que ça pose.

Parce qu'aujourd'hui, à l'ère de l'Internet, et de Twitter, et de la diffamation à 144 caractères ou moins, on arrive à traiter tout le monde de toutes sortes de choses. Et, si Twitter avait existé, et Facebook, à l'ère de Shakespeare, lorsqu'il l'a d'abord écrit, il y a sûrement des avocats qui auraient dit : C'est un appel à la violence. Il appelle à l'assassinat de tous les avocats, emprisonnez-le! Et là il aurait fallu aller débattre : Est-ce que c'est un vrai appel à la violence? Est-ce que c'est juste une formule de style? Et qu'est-ce qui est permis? Est-ce que c'est de l'art? Est-ce que l'art permet de dire des choses qui ne sont pas permises autrement? On aurait eu cette discussion-là.

Mais donc, même lorsqu'on parle d'un appel à la violence, il faut avoir un critère qui dit : Mais c'était un vrai appel à la violence. On était dans un contexte d'excitation d'une foule ou d'une personne pour pousser quelqu'un à commettre un acte violent. Ce n'est pas le cas de la pièce de William, mais, dans un autre contexte, c'est le cas.

• (20 h 30) •

Alors, j'utilise cet exemple pour vous montrer combien il faut être précautionneux dans notre restriction de la liberté d'expression et que, s'il est vrai que l'expression «discours haineux» est beaucoup, beaucoup, beaucoup trop large à mettre entre les mains de quelque agent de l'État pour restreindre la liberté d'expression, même le terme «appels à la violence» pourrait conduire à des dérives. On pourrait décider que, si demain Pierre Curzi, sur le TNM, crie, dans une pièce de Shakespeare : D'abord, tuez tous les avocats, ah! il faut l'emprisonner. On ne veut pas que ça arrive. On ne veut pas que ça arrive.

Alors, si c'est vrai que, même avec «appels à la violence», il faut faire preuve de discernement, alors que les mots sont clairs, «appels à la violence», imaginez «discours haineux», la porte de grange que ça constitue et qu'il faut au moins refermer en suivant les indications, d'une très grande clarté, du premier ministre du Québec, qui a quand même été élu avec pas tout à fait 40 % de la population, mais, je veux dire, il a quand même... il est arrivé premier, hein? Je veux dire, on peut dire : Il n'y a pas 50 % des Québécois qui ont voté pour le Parti libéral du Québec, c'est vrai. C'est vrai et c'est ce qui explique pourquoi il n'y a jamais 50 % de Québécois qui sont satisfaits, il n'y a pas 50 % des Québécois qui ont voté pour lui.

Ce serait toute une réalisation de passer à 50 % de satisfaction. En ce moment, c'est à peu près 62 % d'insatisfaction, ce qui recoupe à peu près le nombre de gens qui n'ont pas voté pour lui et le nombre de gens qui ont voté pour lui. Mais, quand même, dans le respect de nos institutions, nous sommes au salon rouge, c'est le premier ministre des Québécois, dans le système parlementaire britannique dont nous avons hérité et que nous voulons réformer. Nous, du Parti québécois, nos amis de la deuxième opposition, nos amis de Québec solidaire, on est tous d'accord pour dire que c'est quand même... ça commence à faire un peu que quelqu'un qui est élu avec seulement 34 %, 35 % des voix prenne des décisions majoritaires comme d'imposer une loi sur les discours haineux — vous voyez, M. le Président, vous pensiez que je ne reviendrais pas sur le sujet...

Le Président (M. Ouellette) : ...ramener.

M. Lisée : ...mais non, mais j'y ramenais... j'y revenais — et, s'il faut être précautionneux lorsqu'on réduit la liberté d'expression, il faut l'être d'autant plus lorsqu'on ne représente pas une majorité, quand une majorité n'a pas voté pour nous, et c'est pourquoi le premier ministre est conscient de ça. Et je tiens encore une fois à saluer sa sagacité lorsqu'il dit que ce sujet, cette limite, «à mon avis, requiert le consensus». Il nous l'a dit, là, «requiert le consensus».

Et donc je pense que, si, effectivement, on arrivait puis... Et je suis conscient que ce ne serait pas impossible de convaincre plusieurs membres de la délégation ministérielle, avec l'appui du premier ministre bien sûr, et que donc, disons, la poche de résistance semble vraiment autour de la ministre de la Justice elle-même, et que nous, on veut ce consensus-là avec la ministre de la Justice de notre côté, avec les oppositions et le premier ministre, et à ce moment-là nous serions sur une base très large, presque... Nous sommes des partis qui représentons cumulativement 100 % de l'électorat. Vous savez ça, M. le Président, lorsqu'on additionne les votes de l'ensemble des partis de l'Assemblée, ça fait 100 %. Ça fait 100 %. Et là nous aurions ce consensus.

Donc, je pense que tout ça milite en faveur de l'insertion de cet amendement très finement pensé, «appelant directement à la violence». Et j'aime le mot «directement», qui revient à mon propos précédent qui disait : «Appels à la violence», dans Shakespeare, ça pourrait être vu comme un appel, mais un appel direct à la violence. Alors, il n'a pas dit... Il dit : D'abord, tuez tous les avocats. Il ne dit pas : Allons, vous et moi, immédiatement au palais de justice trouver des avocats pour les éliminer, où, là, c'est un appel direct à la violence. Il y a même... il y a un moment, il y a un lieu, il y a une action, hein, ce n'est pas rhétorique. Donc, le mot «directement» permet, encore une fois, d'être plus précautionneux dans la restriction que nous voulons... que nous trouvons utile à la liberté d'expression.

Et puis je vais conclure là-dessus et laisser les minutes qui me restent à mes collègues, s'ils veulent les utiliser.

Le Président (M. Ouellette) : Et je sens que M. le député de Richelieu veut continuer sur votre élan, monsieur...

M. Rochon : Vous croyez ça, vous, M. le...

Le Président (M. Ouellette) : Ah! je suis certain.

M. Rochon : Puis vous ne croyez pas, de la même façon, partant de votre même que la ministre veuille réagir aux propos de mon collègue de Rosemont, non?

Le Président (M. Ouellette) : Vous savez qu'un président...

M. Rochon : Moi, je la crois tentée de le faire. Oui.

Le Président (M. Ouellette) : ...se doit d'assurer une certaine neutralité. Donc, M. le député de Richelieu.

M. Lisée : Mais, si mon collègue me permet, est-ce que... Mais j'aimerais comprendre quand même, parce que, de la part de la ministre, comment concilie-t-elle son refus de cet amendement avec les propos tenus par le premier ministre en août? Puisque la concordance semble tellement totale, est-ce qu'elle peut nous expliquer pourquoi elle ne se rend pas aux arguments du premier ministre?

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : M. le Président, vous savez ce que je vais dire.

Une voix : ...le jour de la marmotte.

Mme Vallée : C'est le jour de la marmotte. Bien, c'est un peu ça. C'est qu'on a eu...Puis je faisais le commentaire : On a eu des discussions similaires, des lectures de textes de journaux du mois d'août dans cette même salle, dans cette même enceinte il y a quelques mois. J'ai dit ce que j'avais à dire. Vous n'êtes pas sans savoir, et surtout mes collègues de l'autre côté de la table, mes collègues de l'opposition qui ont siégé au Conseil des ministres savent très bien le cheminement que vont suivre les amendements, le cheminement en comité parlementaire d'un dossier, comité parlementaire... les amendements que nous avons déposés ont suivi ce cheminement. Alors, je veux simplement rassurer mes collègues que les amendements que nous avons déposés au projet de loi sont des amendements déposés par le gouvernement. Et, pour ce qui est des propos, des commentaires à l'égard de propos tenus par le premier ministre, je pense qu'on en a parlé dans le passé, et je verserai la preuve... je verserai le tout dans la séance d'aujourd'hui, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : C'est pour ça qu'effectivement vous nous aviez fait un commentaire qu'on avait déjà travaillé sur un amendement similaire, c'est parce que c'était dans cette même enceinte. M. le député de Rosemont.

M. Lisée : Alors, bien, je remercie beaucoup la ministre pour sa réponse, qui reste, pour une part, nébuleuse, mais je comprends que, dans le calendrier des faits, il y a eu le projet de loi d'origine qui a été déposé, il y a eu un certain nombre de discussions publiques, le premier ministre a indiqué, en août, une ligne assez claire. C'est postérieurement aux déclarations du premier ministre que les amendements ont été validés par le gouvernement, donc y compris le premier ministre. Et donc les amendements qui ont été déposés ne sont pas en phase avec l'opinion que le premier ministre avait évoquée en août.

C'est donc de deux choses l'une : soit il a perdu la bataille de son amendement, il n'a pas réussi à convaincre son gouvernement de la qualité de ses arguments, ce que je trouve assez rare. J'ai été conseiller de deux premiers ministres, j'ai assisté à des Conseils des ministres, j'ai été ministre moi-même, c'est arrivé que le ou la première ministre n'arrive pas à convaincre, mais c'est très rare, c'est très rare. Ou bien le premier ministre a changé d'avis lui-même entre le 15 août, ses déclarations très claires, et l'adoption des amendements par son gouvernement. Il a dit : Je me suis trompé, d'abord ça ne requiert pas le consensus; il ne faut pas indiquer la limite qui, à mon avis, doit être : on ne peut pas appeler à la violence. Alors, si on dit : Bon, il a changé d'avis... Son avis d'août, c'était : «On peut dire des bêtises. On peut dire toutes sortes de choses, mais on ne peut pas appeler à la violence.» Et là il a changé d'avis puis a dit : Bien, on ne peut pas dire des bêtises, on ne peut pas dire toutes sortes de choses, et ce n'est pas nécessaire d'appeler à la violence pour se faire rabrouer par l'État. Donc, il a changé d'avis.

Bien, écoutez, moi, je n'ai jamais entendu le premier ministre contredire cette position-là. Alors donc, je reviens à ma proposition précédente : si on pouvait convoquer le premier ministre comme témoin expert pour qu'on puisse lui demander s'il a changé d'avis, pourquoi il a changé d'avis, et qu'il nous convainque de la position nouvelle du gouvernement... enfin, ancienne et nouvelle, puisqu'il s'est inséré entre ces deux positions, ancienne et nouvelle, ça nous éclairerait. Parce que nous, on est ici à tenter de trouver un consensus pour répondre à son appel, et là on nous dit : Bien, non, cet appel est caduque. Alors, j'aimerais mieux l'avoir de la source première du pouvoir et, si la ministre le permet, que, dans une séance subséquente, le premier ministre vienne nous exposer l'évolution de sa pensée.

Le Président (M. Ouellette) : ...M. le député de Rosemont, sûrement que vous auriez été très bon au théâtre. Mme la ministre.

 (20 h 40)

• (20 h 40) •

Mme Vallée : Je n'ai pas d'autre commentaire, M. le Président. On a eu la chance d'élaborer sur cette question-là à plus d'une reprise par le passé et on a expliqué pourquoi et ce qui avait motivé l'intégration du concept de discours haineux. On a eu la chance et on a eu l'opportunité de discourir en long et en large sur la définition de ce discours haineux, définition que nous avons ajoutée au projet de loi à la lumière de 35 commentaires formulés en commission parlementaire, qui demandaient qu'une définition soit introduite, une définition qui correspond à l'esprit des décisions de la Cour suprême.

Parce que c'est important d'encadrer le discours haineux mais conformément aux enseignements de la Cour suprême. Il n'est pas question de venir donner une portée qui n'est pas celle que l'on souhaite. Alors, évidemment que le discours haineux, ce n'est pas le discours... ce n'est pas le discours d'opinion qui est visé par ça. Ce n'est pas la dissidence qui est visée par ça. Et là j'ai l'impression de répéter encore une fois une vieille cassette que j'ai abondamment...

Une voix : ...

Mme Vallée : Ah! bien, je pense que vous étiez là. Peut-être que vous n'aviez pas porté attention à mes propos, mais, de toute façon, je suis persuadée qu'on vous a rapporté mes propos, parce que vous travaillez si étroitement ensemble. Mais il est certain que l'objectif a été de travailler et d'élaborer un projet de loi qui respecterait les principes et les guides qu'a formulés la Cour suprême.

Je parle beaucoup de Whatcott, mais il y a aussi Taylor, il y a d'autres décisions qui nous ont guidés. Et s'assurer... Je pense qu'il est important de le baliser de cette façon-là pour éviter toute forme de brèche. Et, ce matin, la collègue de Taschereau disait : Il faut éviter à tout prix que le discours d'opinion puisse être considéré comme étant un discours haineux. Bien, on a travaillé ensemble pour apporter des amendements, puis, malgré ça, on a voté contre, de l'autre côté. Alors, je me dis... Parce que j'écoutais tout à l'heure et je me dis : Peu importent les amendements qu'on apporterait, je comprends que, de toute façon, on voterait contre, de l'autre côté. Alors, on a fait beaucoup de boulot, on a travaillé, on a apporté beaucoup d'amendements, mais on a quand même voté contre un amendement ce matin, qu'on avait travaillé.

Et là, M. le Président, si, d'aventure, on devait aller de l'avant avec la proposition, qui vient changer... Puis je vous dirais... Puis je n'analyse pas, mais la proposition vient changer de tout au tout le projet de loi puis vient définir, d'une certaine façon, le discours incitant à la violence en obligeant qu'il soit précédé d'un discours haineux en plus. En tout cas, bref, c'est un peu compliqué, mais même... Si, d'aventure, on devait soutenir ça, je ne suis pas certaine qu'au bout de l'exercice on adopterait, de l'autre côté... on adopterait même l'article 1. Donc, on nous ferait faire ce travail-là... En tout cas, bref, je ne le sais pas, peut-être que... puis je ne veux pas imputer d'intentions, je regarde, si le passé est garant de l'avenir...

Mais, bon, ceci étant dit, j'en ai dit pas mal. Et puis, d'autant plus, c'est aussi cocasse, puis je pense... Je vais faire juste un petit aparté. Saviez-vous, M. le Président, que, lors du Conseil général du Parti québécois, il y avait une résolution pour féliciter la députée de Taschereau pour son obstruction constructive dans le cadre des travaux de ce projet de loi? Cocasse, hein? Mais, bref, c'est un aparté puis ça n'a pas sa place dans le cadre de l'amendement. Je suis désolée.

Le Président (M. Ouellette) : ...loin de l'amendement. Je vais revenir à M. le député de Richelieu, à moins que Mme la députée de Taschereau veuille intervenir sur les propos de la ministre?

Mme Maltais : Avant — je sais que mon collègue veut intervenir — je veux juste dire que, quand nous, on a présenté des amendements, en général on nous les a refusés, puis, quand ils ont été acceptés par le gouvernement, bien, on a voté pour. Ça s'adonne que ceux qu'on avait déposés, on avait voté pour. Je ne comprends pas trop ce qu'on nous raconte, là, de l'autre côté. Il y a peut-être un peu de confusion, il est un peu tard ce soir, peut-être, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : Peut-être. M. le député de Richelieu, à vous de nous éclairer.

M. Rochon : Non, en fait, M. le Président, je ne me souviens pas, avant que le député de Rosemont le fasse, que quelqu'un, ici, ait questionné la ministre relativement à la démarche intellectuelle du premier ministre depuis qu'il nous annonçait le 29 août 2015 que le projet de loi n° 59 allait être amendé. C'était une brillante question, collègue de Rosemont. Jamais, jamais, jamais elle n'a été posée ici, et je n'ai pas entendu de réponse qui me satisfasse. C'était une réponse pour les initiés : Ah! vous savez, M. le député de Rosemont, pour avoir été ministre, comment ça se passe au sein d'un Conseil des ministres. On n'a pas appris grand-chose, là. Et c'est vrai que ce serait intéressant de recevoir le premier ministre pour qu'il nous...

M. Lisée : Oui, je seconde. La proposition est secondée.

M. Rochon : Oui, je seconde, j'appuie votre proposition à l'effet de recevoir le premier ministre à cette commission pour qu'il nous explique s'il est toujours d'avis qu'on doive amender le projet de loi n° 59 pour qu'il ne s'adresse qu'aux appels... qu'aux discours haineux appelant directement à la violence. Parce que c'est bien ce que ce texte du Devoir du 29 août 2015 nous annonçait : «Le premier ministre [M.] Philippe Couillard convient de la nécessité de restreindre la portée du projet de loi n° 59 visant à lutter contre les discours haineux et les discours incitant à la violence. Celui-ci — le projet de loi — prohibera seulement "l'appel direct à la violence."» Ce n'était pas... C'était vraiment clair, là, hein?

M. Lisée : Il était bon ce jour-là.

M. Rochon : Il était très, très bon. N'essayez pas de m'influencer! «"Le but [...] n'est pas de réduire la liberté d'expression au Québec, mais d'en indiquer la limite, qui, à mon avis — c'est toujours le premier ministre qui parle — requiert le consensus et va recueillir le consensus des citoyens", a affirmé [le premier ministre] au terme du caucus présessionnel des élus libéraux tenu à Saint-Georges de Beauce.» La ministre était certainement là, elle fait partie du caucus. «"...on peut dire toutes sortes de choses, mais on ne peut pas appeler à la violence"», a prévenu le premier ministre.

«Le projet de loi n° 59 sera ainsi amendé afin de préciser la "démarcation" entre l'acceptable et l'inacceptable, le permis et l'interdit. "Elle doit être explicite et définie. La ligne pour moi — c'est toujours le premier ministre qui parle, à moins qu'il ait été mal cité — c'est l'appel direct à la violence", a-t-il dit, cherchant à apaiser les inquiétudes des défenseurs de la liberté d'expression. "C'est sur quoi [la ministre de la Justice] travaille."»

C'est écrit, là : «C'est sur quoi la ministre de la Justice travaille.» Que s'est-il donc passé entre le 29 août 2015 et aujourd'hui? C'est une...

M. Lisée : C'est une énigme.

M. Rochon : ...question que mon collègue de Rosemont a posée et qui demeure une parfaite énigme, dont il serait très, très, très intéressant de percer le mystère. Je suis sûr qu'il y a plein de monde, là, qui n'attend que ça. Tous les gens qui ont témoigné devant cette commission, là, et qui ont les pires inquiétudes concernant le projet de loi n° 59 ne demanderaient pas mieux que de voir cette énigme résolue.

Et moi, je soupçonne, parce que je ne peux avoir que des soupçons, on n'entend pas le premier ministre s'exprimer personnellement sur cette question-là depuis le 29 août 2015, mais je soupçonne qu'il puisse avoir eu une autre motivation. Oui. Il a dû se dire, comme nous ici, comme M. Trudel, que j'ai maintes fois cité, tellement que la députée de Taschereau pensait que c'étaient des propos venant de moi, que ce n'était pas une citation, que c'était de mon cru... Il s'est aperçu qu'on allait ouvrir un beau gros bureau des plaintes à la commission des droits de la personne et de la jeunesse. Il s'est dit : Il y a plein de monde qui va se plaindre qu'on critique une religion, les homosexuels, les femmes, qui vont confondre ce propos-là avec un propos automatiquement haineux, alors qui vont confondre le propos illégitime avec le propos haineux. Et quel sera l'impact financier? Je coupe déjà partout avec mes ministres et là je vais dépenser des sommes considérables d'argent pour ouvrir une brigade d'enquête à la commission des droits de la personne et de la jeunesse. Il a dû se dire : Ça n'a pas de sens! Ça serait bien qu'il soit là, hein, pour nous confirmer que, oui, effectivement, ce fut ça, ma démarche intellectuelle.

M. le Président, bon, on ironise, on blague un peu, mais on aimerait drôlement ça, que la ministre souscrive à l'amendement présenté par la députée de Taschereau, qui, encore une fois, reprend l'amendement que le premier ministre avait lui-même annoncé, tout en sauvegardant l'expression que la ministre veut voir demeurer dans son projet de loi, l'expression «discours haineux», à laquelle on ajouterait, donc, «incitant...» Quel est le terme exact? «Appelant directement à la violence».

• (20 h 50) •

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Beaux plaidoyers de mes collègues, je pense, j'ai bon espoir qu'ils réussissent à faire entendre l'appel qu'est mon amendement à la ministre, qui est de voir à ce que ce projet de loi soit mieux ciblé, mieux balisé et évite les dérapages qui s'annoncent. Le nombre de personnes qui sont qualifiées de tenants des discours haineux à l'heure actuelle est assez affolant, je dois dire, et ça mérite véritablement réflexion.

L'autre argument que j'apporterai, qui n'a pas encore été apporté ici, concernant cet amendement, de qualifier les discours haineux d'appelant directement à la violence dans l'objet de la loi, c'est le mémoire du Barreau. Le Barreau dit : Bon, on peut bien amener, au Québec, un système de traitement du discours haineux, mais ça ne doit pas redoubler le système de plainte pour discrimination qui existe déjà à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Le Barreau dit — j'ai le mémoire : «Ce régime serait en parallèle avec le régime de plaintes pour discrimination, prévu aux articles 74 et suivants de la charte québécoise.» Donc, c'est un peu un dédoublement du régime de plaintes.

D'ailleurs, la question fondamentale qu'on pose au départ, c'est : Pourquoi on ne passe pas tout simplement... Pourquoi on crée un régime de droit civil? Pourquoi on ne va pas tout simplement dans le processus qui existe déjà à la Commission des droits des personnes et des droits de la jeunesse, soit le processus de plainte? Il y a un processus de plainte pour discrimination, pour les individus. On aurait pu ajouter : Processus de plainte pour discours haineux envers des groupes. Mais ce n'est pas le chemin qu'a choisi la ministre, ce qui fait qu'on a des objections assez fondamentales, sur la loi, à plusieurs endroits.

Mais là, en mettant «discours haineux appelant directement à la violence et s'exprimant dans un contexte de discrimination», on sort des autres filières, on va véritablement dans «discours haineux appelant directement à la violence», on sort de l'autre modèle. On restreint le champ d'application de la loi. On répond aux craintes, en partie — je dis bien, là, en partie — aux craintes qui ont été soulevées par toutes les personnes qui sont venues ici. Il y a beaucoup de personnes qui sont venues ici en disant : Champ de loi trop... portée trop large, portée trop large, interprétations diverses, climat d'autocensure. «Climat d'autocensure», c'est probablement les mots les plus graves qui aient été prononcés, pour moi, les mots les plus dangereux. Tu entraînes une façon de penser différente, façon de penser qui est de s'autorestreindre avant de prendre la parole. C'est très grave.

D'ailleurs, mon collègue de Rosemont n'était pas là quand j'ai cité François Gendron — non pas le vice-président de l'Assemblée nationale, mais l'avocat — L'affaire des «traîtres», Wilson & Lafleur, 2005, essai sur la liberté de parole en matière politique. Mais ça s'applique aux autres libertés de parole, puis ces paroles-là sont sur le quatrième de couverture, je répète : «De toutes les libertés, la liberté de parole est la plus précieuse. Si l'on perdait toutes les autres, la liberté de parole permettrait de les reconquérir. On ne doit pas en dépouiller les citoyens au profit des hommes politiques. Il faut le dire, la parole peut censurer le gouvernement, mais le gouvernement ne doit pas censurer la parole.» C'est bien dit, très bien exprimé.

Alors, vu qu'on est dans un projet de loi qui brime la liberté d'expression, un projet de loi qui censure la liberté d'expression, un projet de loi qui risque de créer un climat d'autocensure, au moins, à tout le moins, restreignons-nous aux discours haineux appelant directement à la violence et aux discours incitant à la violence.

La ministre, tout à l'heure, a dit : Ça mélange les genres. Pas du tout! Pas du tout! On est dans le «discours haineux appelant directement à la violence s'exprimant dans un contexte de discrimination» et on est dans le «discours incitant à la violence», qui ne parle pas de contexte de discrimination, et tout. Donc, moi, je pense que ce serait un bon pas à faire.

Nous, on a fait le pas de ramener «discours haineux», hein? On a comme franchi la moitié de la table, comme on l'a fait fréquemment d'ailleurs pendant ces débats, ces discussions. Alors, on fait le pas de dire : Écoutez, vous tenez un discours haineux; nous autres, on n'y tient pas, on trouve que c'est dangereux, c'est là qu'on rentre dans l'autocensure. À tout le moins, balisons-le par «appelant directement à la violence». Ce discours doit appeler directement à la violence.

Est-ce que, par contre, ça atteint notre objectif de lutte à la radicalisation? Tout à fait, dans le sens où beaucoup mieux que «discours haineux» tout seul. «Discours haineux s'exprimant dans un contexte de discrimination», quelle grande largesse pour l'autocensure au Québec! Tandis que «discours haineux appelant directement à la violence», là on risque de cibler un peu plus la radicalisation, c'est-à-dire je dis un peu plus... dans le fait, ce n'est pas qu'on cible un peu plus, c'est qu'on cible un peu moins les autres. Donc, notre projet de loi, en se circonscrivant lui-même, on en arrive à cerner le problème. La difficulté qu'on a, c'est de le nommer puis d'y aller directement, mais on essaie toujours, par des voies que j'appellerais contournées, de restreindre...

Le Président (M. Ouellette) : Il faut vous...

Mme Maltais : Ça ne sera pas long, M. le Président, une phrase seulement...

Le Président (M. Ouellette) : Oui... Non, mais c'est ça. Je vous laisse terminer.

Mme Maltais : ... — merci — de circonscrire le débat et de restreindre le champ d'application pour qu'à la fin peut-être ne reste que l'objectif de la loi, la lutte à la radicalisation, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : Sur ces bonnes paroles, je vais suspendre quelques minutes, le temps que nous nous rendions au salon bleu voter sur la motion de scission du projet de loi n° 70.

(Suspension de la séance à 20 h 57)

(Reprise à 21 h 19)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous en sommes à l'étude de l'amendement qui a été introduit par Mme la députée de Taschereau. Et, avant que nous ne suspendions nos travaux pour un vote au salon bleu, Mme la députée de Taschereau avait terminé ses commentaires sur son amendement, et je pense que M. le député de Richelieu avait des éléments à rajouter.

M. Rochon : Oui. En fait, je souhaitais insister, avant que se terminent nos travaux d'aujourd'hui...

Le Président (M. Ouellette) : On peut terminer pour 10 heures, si vous voulez.

• (21 h 20) •

M. Rochon : Vraiment, vous avez cette générosité, M. le Président? Je ne savais pas que vous étiez animé d'une telle générosité. Le projet de loi n° 59 est large, lui aussi, mais, dans le cas du projet de loi, c'est une largesse dont on se passerait, parce que, nous l'avons exprimé maintes fois, il ouvre la porte à de l'exagération en termes de plaintes qui risquent d'être déposées devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, ce pourquoi nous souhaitons le voir s'adresser aux discours haineux appelant directement à la violence au sens de l'amendement déposé ce soir à la commission par ma collègue de Taschereau, amendement sur lequel nous nous sommes longuement exprimés, rappelant qu'il reprenait un souhait exprimé par le premier ministre lui-même.

La Ligue des droits et libertés s'oppose au projet de loi n° 59, elle aussi, elle aussi. Selon elle, «ce projet de loi annonce des restrictions importantes à la liberté d'expression alors que le gouvernement — dit-elle — ne nous en a pas démontré la nécessité pas plus que les avantages pour notre vie en commun. Vouloir restreindre la liberté d'expression signifie limiter la possibilité de manifester ses opinions, [ses] croyances, [ses] idées. Or, si impopulaires ou déplaisantes puissent paraître certaines de celles-ci, une société démocratique digne de ce nom doit les permettre et ne devrait pas empêcher leur expression publique. Nous croyons également — écrit la Ligue des droits et libertés — que le système de dénonciation que met de l'avant ce projet de loi aura pour effet d'inciter [...] la délation et nous fera entrer dans une ère du soupçon — une ère du soupçon — où la méfiance des uns à l'égard des autres sera la règle et non l'exception.»

Elle n'y va pas avec le dos de la cuillère. Des fois, on dit : Ah! c'est l'opposition, ils exagèrent, c'est la nature de l'opposition dans notre système politique. Mais la Ligue des droits et libertés ne fait pas de politique, là.

«S'il est évident qu'un acte violent ne peut être permis sous prétexte de liberté d'expression, un discours violent peut l'être à la condition qu'il n'exhorte pas au crime — c'est à peu près quelque chose que vous avez dit tout à l'heure, collègue de Rosemont. Reste à évaluer, et voilà l'objet réel du projet de loi n° 59, les cas de discours violent haineux, qui incitent à la haine envers les membres d'un "groupe identifiable", lequel est caractérisé par des critères raciaux, religieux, de genre ou d'orientation sexuelle. Il est crucial de bien examiner — fait valoir la Ligue des droits et libertés — le sens à donner à des notions comme celles de "discours incitant à la violence" ou "discours haineux". Qu'est-ce qu'"inciter à la violence"? Un discours violent sera-t-il jugé selon sa capacité d'influencer les actes de certaines personnes ? Si tel est le cas, alors il sera extrêmement difficile de démontrer de quelle manière cette influence a été subie.

«Imposer de nouvelles normes juridiques ne signifie pas pour autant que nous comprenons bien le sens du mal dont on veut nous protéger. Au contraire, un nouveau projet de loi pourrait au final accroître plutôt que réduire la confusion générale qui prévaut en ce moment sur des sujets aussi complexes.»

Ligue des droits et libertés : «Un nouveau projet de loi pourrait au final accroître plutôt que réduire la confusion générale qui prévaut en ce moment sur des sujets aussi complexes.» Alors, voilà pourquoi, M. le Président, nous voulons voir le projet de loi n° 59 beaucoup, beaucoup, beaucoup plus précis et nous faisons des compromis importants, là, en y allant de cet amendement, là, dans lequel subsiste l'expression «discours haineux». Nous y ajoutons «appelant directement à la violence» pour rétrécir le corridor d'entrée vers le bureau des plaintes de la commission des droits et libertés de la personne, où il y aura, craignons-nous, affluence si nous ne sommes pas plus précis.

Et je renouvelle mon souhait que la ministre saisisse la main que nous lui tendons vers un projet de loi qui pourrait être plus acceptable aux yeux ou de l'avis de ceux que nous avons reçus en commission et de l'avis du premier ministre même.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Oui, M. le Président. Écoutez, on a lu plusieurs textes ici parce que nous avons souvent dit que beaucoup de gens s'étaient élevés contre le projet de loi n° 59. Je pense... Bon, simplement dans les médias... Évidemment, il y a dans les médias : Pierre Trudel, Le Journal de Québec, Le projet de loi n° 59 : une très grave menace à la liberté d'expression; le Suberban, Bill 59 : Our continuing problem with freedom; Le Devoir, Josée Boileau, La mauvaise loi; Denise Bombardier, La loi comme bâillon; Lise Ravary, Alerte à la liberté d'expression; Mathieu Bock-Côté, Peut-on critiquer les religions, les tourner en ridicule, les conspuer?; et, enfin, étonnant mais... pas étonnant dans la tradition anglo-saxonne, mais étonnant qu'elle appuie l'opposition officielle, The Gazette,Editorial : Québec's hate speech bill is problematic. Voilà.

Y a-t-il d'autres personnes en dessus de ça, depuis ce temps-là, qui ont déposé des textes? Oui. Sur les blogues, j'ai trouvé récemment une analyse de ce projet de loi de M. Léon Ouaknine, qui est quand même — je crois qu'il est sociologue, assez réputé — souvent intervenu sur les questions de liberté d'expression, de laïcité, des choses comme ça. Il a publié sur Huffington Post le 21 février 2016, donc c'est très récent — je dois le dire, j'ai vérifié, il avait les amendements qui ont déjà été adoptés jusqu'ici — et le titre est assez désolant pour la proposition gouvernementale, le titre est La loi n° 59 est une loi scélérate. Une loi scélérate. Dur.

Il nous interpelle, les députés. Il dit : «Le gouvernement va vous demander sous peu d'adopter le projet de loi n° 59 proposé par la ministre de la Justice[...].

«Le projet de loi n° 59 sur les discours haineux fut examiné en commission parlementaire, et de nombreux groupes vinrent présenter à la ministre de la Justice leurs avis et recommandations. À l'exception de quelques rares organisations — c'est lui qui le dit — pratiquement tous les groupes, y compris des représentants du Barreau, soulignèrent le danger et même l'absurdité d'un projet de loi dont la définition du discours haineux était tout sauf claire et revenait de fait à réintroduire la notion de blasphème, considérée aujourd'hui comme insensée, au sens strict, dans toute démocratie moderne digne de ce nom.

«Or, le critère qui identifie la ligne à ne pas dépasser dans le discours haineux existe déjà dans la loi fédérale — c'est ce que nous-mêmes, on répète depuis le début. De plus, la Cour suprême a identifié les balises nécessaires pour interpréter à quel moment un discours libre devient inacceptable dans le cadre d'une démocratie qui doit assurer la protection de chacun de ses citoyens et garantir le droit fondamental à la liberté d'expression.

«Ce critère, MM. les députés, vous le connaissez bien, et le premier ministre [...] lui-même l'a rappelé à quelques reprises. Ce critère, c'est l'appel direct à la violence contre des personnes aisément identifiables. Ce faisant, on respecte le fait que la Charte des droits et [des] libertés est là pour protéger des personnes et non des idées ou des croyances, que n'importe qui peut critiquer sans préjudice quant au langage employé.»

Il est d'accord avec toute notre argumentation. Je ne l'ai pas contacté, ce monsieur-là, là. Je le lis. Je le lis comme je l'ai lu.

«Mesdames [et] messieurs[...], si vous entérinez ce projet de loi unique, sachez qu'il servira à bâillonner toute critique des pratiques jugées inacceptables et antidémocratiques, alors que les événements au Québec comme partout dans le monde exigent au contraire que nous aidions nos immigrants à examiner de façon critique les comportements qui les desservent quant à leur intégration dans notre société — c'est son avis.

«Sachez également que cette loi sera inévitablement contestée jusqu'en Cour suprême, puisque des représentants éminents du Barreau venus critiquer ce projet de loi ont déclaré être prêts à le combattre devant toutes les cours de justice du pays.

«Mais, au-delà des désagréments partisans de cette bataille, vous aurez à porter devant l'histoire l'odieux — je répète le mot, "l'odieux" — d'avoir mis fin à près de 50 ans d'élargissement et de renforcement des droits des Québécois, qui ont fait du Québec une terre de libertés et de dignité.

«L'histoire ne sera pas tendre à votre égard!»

Je pense que le mot le plus usité pour cette lettre serait «lapidaire». Une missive lapidaire qui a été envoyée... Qu'est-ce qui se passe, M. le Président?

Le Président (M. Ouellette) : Bien, on va terminer notre séance sur ces belles paroles, Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Ah!

Le Président (M. Ouellette) : Et, compte tenu de l'heure, la commission ajourne ses travaux au mercredi 9 mars 2016, à 11 h 30 pour une séance de travail sur la demande de mandat d'initiative du député de Borduas. Bonne soirée à tous.

(Fin de la séance à 21 h 30)

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